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French Pages [428] Year 2013
Bienvenu Denis Nizésété
APPORTS DE L’ARCHÉOLOGIE À L’HISTOIRE DU CAMEROUN Le sol pour mémoire
Apports de l’archéologie à l’histoire du Cameroun
Bienvenu Denis Nizésété
Apports de l’archéologie à l’histoire du Cameroun Le sol pour mémoire
© L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-02308-3 EAN : 9782343023083
LE SOL POUR MÉMOIRE APPORTS DE L’ARCHÉOLOGIE À L’HISTOIRE DU CAMEROUN ** C’est l’archéologie qui apportera la grande réponse à la question posée par les études africaines. Elle introduit la certitude brutale là où il n’y avait que doute, scepticisme ou supputation. Ses résultats ruinent chaque jour des dogmes fondés sur les notions peu scientifiques de vraisemblance historique (Cheikh Anta Diop, 1967 : 204).
** L’histoire est bien loin d’être ce dédale de choses mortes et figées. L’apparente confusion entre le passé et le périmé, l’ancien et le caduc, l’essentiel et l’évènementiel, le culte du pragmatisme sommaire ont conduit quelques esprits étriqués à mépriser l’histoire. Or, cette science apparaît comme l’une des plus formatrices de la jeunesse, celle qui prépare le mieux à comprendre le monde contemporain et à y accéder sereinement. L’histoire aide à préserver son héritage propre en l’enrichissant et en l’adaptant aux circonstances nouvelles ; à ce titre, elle est facteur d’équilibre moral et intellectuel (Thierno Mouctar Bah, 1988).
DÉDICACE À Rose, Périclès, Nathalie, Gabin, Kevin et Clio qui m’accompagnent au jour le jour dans cette quête du passé. **** À la mémoire de : Mes grands-mères Mamkam Anna & Mafossi Véronique Ma mère Kengne Odette Mon frère Pokam Boniface * Mon affectueux témoignage à : Mon père Tchefindjieum Jean Mes frères et sœurs, et Alliés Toute ma Famille * Mes étudiants d’hier à aujourd’hui *** Mes Amis
REMERCIEMENTS « La science ce n’est pas je, mais nous » (Claude Barnard) Les femmes et les hommes ici remerciés, ont chacune et chacun à sa manière, contribué à la production de cet ouvrage. À la différence des auteurs d’articles, de thèses, de mémoires, de rapports, des communications et d’ouvrages, cités en bibliographie, elles/ils ont pris une part active dans la production de ce travail. Elles/Ils m’ont parlé, m’ont conseillé, m’ont apporté un soutien moral ou un confort logistique. Certains ont magistralement contribué à ma formation, orienté mes recherches, critiqué mes prises de position, évalué mes analyses préliminaires et corrigé mes interprétations finales. Quelques uns m’ont accompagné pendant les prospections, les sondages et les fouilles. D’autres enfin m’ont assisté au cours du traitement et du conditionnement des vestiges. Fruit d’une rencontre plurielle et transdisciplinaire, concrétisation des enseignements théoriques, méthodologiques et pratiques reçus, manifestation patente d’une collaboration scientifique nationale et internationale, cet ouvrage qui traverse l’immense champ de l’archéologie et de l’histoire est l’œuvre des femmes et des hommes au sens ordinaire du terme. Il n’y avait pas un espace autre que cette humble mais chaleureuse page sur les centaines qui constituent ce livre, pour leur témoigner ma reconnaissance. Elles/Ils sont mes informatrices et informateurs, elles/ils sont aussi mes sources. Par conséquent, elles/ils méritent un espace au même titre que les auteurs de publications cités. Un merci sincère. Uns dette morale. Une question d’honnêteté scientifique. Que l’on veuille bien me pardonner cette liste non confidentielle. Puissions-nous considérer ces pages de remerciements comme un lieu de partage où le cœur s’exprime librement avant l’immersion dans des pages ardues où ancrages théoriques, fondements méthodologiques entre autres concepts hermétiques, se croisent, s’affrontent et s’ajustent. * Ma gratitude d’abord au professeur Joseph-Marie Essomba, initiateur de mes pas à la recherche archéologique. Aussi bien en salle de cours que sur les sites à travers les villages du Cameroun méridional, le Maître passionné, engagé et rigoureux n’a ménagé aucun effort en faveur de l’émergence de l’archéologie camerounaise. Ce travail est ma gerbe déposée à la fondation de ce chantier en construction. *
J’ai une pensée pieuse à la mémoire de Jean Devisse (†), directeur de ma thèse de Doctorat en Préhistoire-Anthropologie à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), esprit ouvert, dont la contribution multiforme à ma formation est inqualifiable et sans prix. * Une sincère inclination morale m’invite à exprimer ma reconnaissance à ces femmes et à ces hommes de sciences, qui ont incité et accompagné mes recherches qui ont débouché sur la production de cet ouvrage. Professeur Maurice Tchuenté, pour l’incitation et le soutien concret à la recherche, pour l’encouragement à l’inventaire, à la protection et à la valorisation de notre patrimoine culturel. Ce travail est ma modeste réponse à ces attentes. Professeur Reidar Bertelsen de l’Université de l’Université de Tromsø et Petter Molaug du Musée d’Oslo en Norvège, pour l’appui scientifique et matériel qu’ils m’ont apporté en m’ouvrant grandement les portes de leurs centres académiques au nord du monde. Toute ma gratitude pour leurs engagements en faveur des formations en gestion du multiculturalisme, de la conservation du patrimoine et des datations au C14 des échantillons issus des strates de la Vina. Professeur Lisbeth Holtedahl, de l’Université de Tromsø en Norvège, qui à travers le projet scientifique Ngaoundéré-Anthropos, a inspiré, soutenu et financé ces recherches dans l’Adamaoua. Professeur David Zeitlyn de l’Université d’Oxford, qui a encouragé et financé les recherches entreprises à Somié, ainsi que les datations au radiocarbone à l’Université de Pretoria en Afrique du Sud et à l’Université de Lyon en France. Alain Marliac, Archéologue et ancien de Directeur de Recherches à l’IRDFrance, pour ses conseils, ses suggestions et ses critiques ainsi que son apport en documentation spécialisée. Richard Oslisly, Archéologue, Chercheur à l’IRD-Yaoundé (Cameroun) pour ses conseils scientifiques, son appui technique et documentaire. Professeur Thierno Mouctar Bah, dont l’intérêt particulier pour l’archéologie et son action au sein du programme Ngaoundéré-Anthropos en faveur du financement des projets archéologiques, nous ont permis de conduire les recherches dans le domaine. Professeur Jean-Louis Dongmo alors Doyen de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Ngaoundéré, pour ses conseils et orientations scientifiques, ainsi que ses enseignements méthodologiques.
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* J’exprime ma reconnaissance à tous ces professeurs, dont les enseignements et les orientations méthodologiques ont nourri et préparé à long terme la réalisation de cet ouvrage : Warnier Jean-Pierre, Elango Lovett, Abwa Daniel, Kange Ewané Fabien, Dikoumé François, Fanso Verkidjika. J’ai un souvenir pieux à la mémoire du Père Engelbert Mveng, de Martin Zachary Njeuma et de Kaptué Léon, mes professeurs. Une pensée pieuse à la mémoire d’Eldridge Mohammadou (†) féru de l’oralité certes, mais passionné d’histoire tout court. J’ai passé de longues heures à l’écouter et à le voir travailler à Ngaoundéré et à Stavanger en Norvège. Sa chaleur communicative inégalable et sa mise à ma disposition des informations pratiques sur le repérage des sites archéologiques probables dans l’Adamaoua, ont allégé ma tâche au cours des prospections. * J’exprime toute ma déférence au Bélaka Mboum, qui m’a ouvert grandement les portes de ses terres de Ngan-Ha, me donnant alors l’autorisation exceptionnelle de conduire des recherches archéologiques dans des lieux réservés parce que sacrés ; de procéder avec des collègues norvégiens à une expérimentation muséographique et muséologique unique en son genre au Nord-Cameroun. * J’exprime toute ma gratitude à Taguem Fah Gilbert Lamblin qui, aux côtés de Ousmanou Babawa, de regrettée mémoire, m’a accompagné à travers l’Adamaoua et m’a assisté au cours des campagnes de prospections, de sondages et de fouilles dans le Djérem, le Faro et Déo, le Mayo-Banyo, le Mbéré et la Vina * J’exprime ma profonde gratitude aux Professeurs Kolyang Dina Taïwé de l’Institut Supérieur du Sahel et Saïbou Issa de l’École Normale Supérieure de l’Université de Maroua, qui ont accompagné et soutenu la rédaction de ce texte, et dont les suggestions et les actes concrets ont contribué à son édition. * J’exprime mes sincères remerciements à Hamoua Dalaïlou, Sardi Abdoul Innocent, Amadou Taousset, Gormo Jean, Hassimi Sambo, Emboubou Kalla Beatrice, Saliou Mohamadou, Moussa Nganguélé et Ngono Lucrèce et qui m’ont assisté pendant la collecte des données dans différents sites de l’Adamaoua. *
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Je témoignage ma cordialité aux amis et collègues avec qui j’ai passé des heures à deviser sur l’archéologie, à refaire le monde et peut-être pas en vain. Les propos échangés au cours de nos rencontres ont enrichi à des degrés divers ce texte. Je pense à Cheikh Mbacké Diop, Fougaing Jean-Paul, Mbeleck JeanPaul, Lingané Zacharie, Cécile Morel, Kouosseu Jules, Mengué Alex Mbom, Ndassi Patrice, Tchouankap Jean-Claude, Fokouo Jean-Gabriel, Tchatchueng Jean-Bosco, Tchotsoua Michel, Hamadou Adama, Motazé Akam Marcel, Ndamé Joseph-Pierre, Tchuenguem Fernand, Mokam David, Saha Jean-Claude, Dili Palaï Clément, Lieugomg Médard, Wakponou Anselme, Foko Athanase, Bell Jean-Pierre, Wounfa Jean-Marie, Mbengué Nguimè, Farikou Amadou, Sonna Désiré, Kosumna Liba’a, Saotoing Pierre, Moussima Njanjo, Téguézem Joseph, Atsatito Mathias et Ngoufo Théodore. * Je me souviens de mes condisciples et amis Fosso Dongmo Basile, Nkengmo Esther et Fouellefack Kana Célestine, inscrits en « option Archéologie » à l’Université de Yaoundé au tout début de son fonctionnement. Nous avions des projets sur l’avenir de l’Archéologie au Cameroun. Sur le chemin de la vie, des opportunités se sont présentées et de nouveaux choix furent opérés. * J’ai conduit les recherches en compagnie de la plupart de mes étudiants au cours de plusieurs années académiques dans le cadre des travaux pratiques et des mémoires de fin d’études. Ils sont évidemment nombreux et ma reconnaissance s’adresse précisément à ces étudiants qu’ils étaient hier. Certains sont devenus des enseignants d’Université, quelques uns de grands commis de l’État. D’autres deviennent progressivement des archéologues professionnels. J’exprime au préalable ma reconnaissance à ces étudiants qui ont travaillé à mes côtés dans des chantiers de fouilles au gré des calendriers académiques. Je pense à Taino Kari Alain, Adam Mamady, Simo Kemegne Léa, Akoum Aïchatou, Baïguélé Enock, Moukassa Ayama Reine, Boubakari, Mouadjamou Ahmadou, Aminatou Martine, Soko Ini Casimir, Sakalfoussou Ndanga. Dans un autre registre, figurent ces étudiants qui sans pratiquer les fouilles, n’ont pas moins témoigné un intérêt aux recherches archéologiques à travers leurs questionnements, critiques et propositions. C’est justement : Gonné Bernard, Abdourahman Halirou, Adoul-Aziz Yaouba, Sali Babani, Lamanou Monique, Mgbakim Nazaire, Pamboudam Charlotte, Mamoudou, Fadibo Pierre, Tassou André, Bring, Aboubakar Moussa, Wassouni François, Mahamat Abba Ousman, Pahimi Patrice, Sambo Armel, Ahidjo Paul, Adam Mahamat, Woudamiké Joseph, Wowé Crépin, Tamibé Patalé Suzanne, Kwarmba Solange, Madjélé Philomène, Maura David, Fanta Bring, Mvoto Thérèse, Amina Djouldé
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Christelle, Kaimangui Mathias, Doua Sodéa Célestin, Fogué Francis, Mbarkoutou Mahamat, Noumbissé Arlette Joëlle, Alima Mboulla, Tchamani Nelly, Aoudou Silas, Hakou Diane, Djouberou Narcisse et Aoudou Doua Sylvain. * Mes sincères remerciements enfin à MM. Taino Kari Alain, Mahamat Abba Ousman, Wassouni François, Ganota Boniface, Komguem Kamsu Achille, Mevogbi Erick et Heumen Tchana Hugues pour leurs contributions particulières à la réalisation de cet ouvrage.
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AVANT-PROPOS La présente étude porte essentiellement sur la région de l’Adamaoua, l’une des dix régions administratives du Cameroun. Les problèmes qui y sont posés et les réponses qui leur sont apportées sont sensiblement les mêmes dans les autres régions du pays par rapport à la contribution de l’archéologie à l’histoire. Cette extension non dogmatique sous-tend le titre de cet ouvrage qui déborde le cadre régional et intéresse l’espace national. * Les lignes suivantes pourront apparaître chez une opinion non ou peu avertie de la réalité de l’histoire africaine, comme un lieu commun. Mais chez d’autres, mieux informés de l’état des lieux de l’historiographie africaine, en l’occurrence les étudiants à qui les pages de cet ouvrage sont particulièrement destinées, elles peuvent avoir une réelle valeur d’usage. Il est question de former des jeunes, d’élargir leurs horizons de connaissance sur le passé véritable du continent africain et sur son apport à l’histoire universelle, sur les raisons de sa défaite technologique face à la puissance technique coloniale, et principalement de nourrir et d’accompagner des vocations en archéologie - surtout quand on estime qu’une bonne partie de l’histoire africaine est encore enfouie sous terre et par conséquent, préparer ceux qui le pourront ou le voudront, à leur futur métier d’archéologue. Le Cameroun et l’Afrique en général en ont tellement besoin ! Certains anciens étudiants reconnaîtront ici des passages de leurs vieux cours ; d’autres encore, des fragments de textes qu’ils eurent à expliquer méthodiquement dans le cadre des évaluations de connaissance. Quoi qu’il en soit, l’essentiel c’est qu’ils s’en servent désormais, selon les cas, non seulement pour répondre aux questions d’examen, mais pour résoudre des problèmes que la découverte de leur lointain passé leur posera surtout quand on sait que les livres de l’histoire ancienne de l’Afrique sommeillent encore dans son sol.
PREMIÈRE PARTIE CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES GÉNÉRALES
CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES GÉNÉRALES DE LA TRUELLE À LA PLUME / DE L’OMBRE À LA LUMIÈRE 1- Les fondements de l’étude La région de l’Adamaoua au Cameroun, telle que nous l’appelons aujourd’hui, située à mi-chemin entre le sud forestier et le nord savanicole, a accueilli et a vu traverser au cours des siècles précédents, des femmes et des hommes entraînés dans divers courants migratoires. Dans les traditions d’origine de ces migrants, racontées d’une génération à l’autre, dont les dernières versions ou presque, furent recueillies et transcrites par des administrateurs coloniaux, missionnaires chrétiens, anthropologues et historiens, des réminiscences bibliques et coraniques se télescopent, pendant que des souvenirs de longues marches à travers des brousses giboyeuses avec des arrêts au bord de vastes étendues d’eau, là-bas à la tête du monde, reviennent constamment. Sans doute une évocation par rapport à l’actuel septentrion camerounais, au lac Tchad ou encore au fleuve Logone où ils séjournèrent avant leurs mouvements vers le pays des forêts et des pluies, probablement le Cameroun central et méridional actuel. « Ce qui est certain, c’est que l’Adamaoua, château d’eau de l’Afrique centrale, fut pour de nombreux peuples du Centre et du Sud Cameroun, un pôle d’attraction et un centre de diffusion. Des couches successives de peuples y ont fusionné, avant de s’ébranler dans une nouvelle aventure migratoire, tels les Béti-Bulu qui, ayant traversé la Sanaga, s’enfoncèrent dans la forêt équatoriale » (Bah Thierno, 1993 : 64). Or, dans ce fouillis de mythes, de fables, de contes et de légendes, la contribution de l’archéologie, « cette grande inconnue dans l’Adamaoua, aurait permis d’y voir plus clair » (Bah Thierno, 1993 : 65). Inopportunément, cet éclairage reste blafard et le regard flou. Qui étaient ces femmes et ces hommes en marche? Vieillards, adultes, adolescents ou enfants ? Comment étaient-ils ? Leurs visages ? Leurs physiques ? Combien étaient-ils ? À quelles dates se sont-ils engagés sur des pistes et sentiers? Aventuriers, guerriers, fugitifs, chasseurs-cueilleurs, pêcheurs, éleveurs, cultivateurs, artisans, marabouts, potières ou métallurgistes? L’identité véritable de ces migrants en l’état actuel de nos connaissances reste imprécise. D’où venaient-ils ? Pourquoi étaient-ils partis de leurs berceaux ? Où allaient-ils ? Que cherchaient-ils ? Qu’ont-ils trouvé sur place à leur arrivée? Avec qui sont-ils entrés en contact ? Qu’ont-ils fait par la suite ? Comment était leur environnement naturel ? Comment leurs sociétés étaient-elles organisées ? Comment et pourquoi fabriquaient-ils des objets ? Comment communiquaient-
ils ? Parlaient-ils une même langue ? Avaient-ils des rites ? Dansaient-ils ? Avaient-ils des chants ? Priaient-ils ? À qui s’adressaient leurs prières ? À quoi pensaient-ils ? De quelles maladies souffraient-ils ? Comment concevaient-ils la vie et la mort? Que mangeaient-ils ? Comment s’habillaient-ils ? Comment étaient leurs habitations ? Quelles preuves matérielles de leur existence sontelles parvenues à nous ? À qui appartiennent-elles désormais? Autant d’interrogations sans réponses précises dans la mesure où dans cette région comme dans d’autres au Cameroun, les témoignages matériels sur les lointaines manifestations de l’homme ainsi que sur ses activités « dorment encore dans le sol » (Devisse Jean, 1979). Au fil des siècles en effet, ces femmes et ces hommes ont laissé dans leurs habitats, les preuves matérielles de leur séjour qui progressivement se sont enfouies dans le sol. Ramenés de l’ombre à la lumière grâce aux fouilles archéologiques, ces « objets témoins, enfouis avec ceux pour qui ils témoignent, et qui veillent par-delà le suaire pesant des morts-terrains, sur un passé sans visage et sans voix » (Ki-Zerbo Joseph, 1980 : 27), se présentent sous diverses factures : fragments d’os, objets lithiques, tessons de poterie, restes d’outils métalliques et charbons de bois. Au gré des recherches, ces artéfacts livrent des informations sur les dates d’occupation des sites mis au jour, sur quelques aspects des activités de leurs habitants et éclairent les relations complexes entre les hommes et la matière, entre les hommes et l’environnement. Ces vestiges matériels qui fondent le patrimoine archéologique se retrouvent éparpillés dans presque toute la région de l’Adamaoua. Cet espace naturel offre en effet, de favorables possibilités de sédentarisation, de nomadisme et d’exploitation des ressources végétales, animales et minérales. Ainsi, l’archéologue a la possibilité de ramasser ou d’exhumer des objets anciens en montagne, en plaine, au piedmont, dans des grottes, dans des abris sous roche, aux berges des rivières, dans les tourbières lacustres, dans les champs cultivés ou dans des terres en friche. Ce patrimoine archéologique constitue de fait une source matérielle utile à l’appréhension de certains aspects inconnus et méconnus de l’histoire de la région de l’Adamaoua, où les principales sources historiques « anciennes » se limitent d’une part aux informations orales qui se contredisent bien souvent et restent en général imprécises, et d’autre part aux récits des explorateurs allemands et aux rapports écrits des administrateurs coloniaux français et anglais bien que relativement anciens. Dans cette faim documentaire, les sources archéologiques pourront justement apporter quelques réponses aux questions d’intérêt historique, culturel, économique et politique qui se posent à cette région. Dans le tableau des questions à résoudre et qui fondent cette étude figurent : l’amorce de l’établissement d’une ossature chronologique de l’histoire
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régionale, la connaissance des principales séquences de la mise en place des populations, les raisons du choix des anciens sites d’habitat, les techniques d’exploitation et de valorisation des ressources naturelles notamment l’argile et le minerai de fer, le destin du patrimoine archéologique régional, la contribution de l’archéologie et de l’histoire au développement. a) L’amorce de l’établissement d’une ossature chronologique de l’histoire régionale constitue le premier point de cette étude. « En effet, qu’est-ce que l’histoire sinon l’étude de l’évolution des sociétés humaines dans le temps ? Pas d’histoire sans chronologie » (Person, 1962 : 462). Comment donc hiérarchiser les faits dans un environnement culturel où les repères chronologiques sont encadrés par des formules lapidaires et polysémiques du type : avant le jihad (guerre sainte musulmane) ; avant l’arrivée du Blanc ; au temps de l’invasion des criquets ; précolonial ; colonial ; postcolonial ; tradition ; modernisme ; perspective historique ; etc., sans aucune prise réelle sur la durée ? En effet, lorsqu’on aborde généralement l’étude du passé de l’humanité, la première question à laquelle on s’attelle à répondre (le point essentiel pour savoir ce qui s’est réellement passé) est Quand? : « quand est-ce que les changements les plus significatifs se sont-ils produits dans les diverses parties du monde où nous vivons et que nous explorons? » (Renfrew Colin, 1990 :5). Quand est-ce que l’Adamaoua fut-elle peuplée pour la première fois? Par qui ? Comment les habitants ont-ils découvert et trouvé le milieu au commencement? Comment l’ont-ils colonisé? En effet, des repères chronologiques plus ou moins fiables définis par des méthodes de datation absolues et relatives orientent la recherche, définissent les priorités et problématisent certaines trouvailles. Savoir à quelles époques des sites furent occupés ou désertés est indispensable pour situer dans le temps et dans l’espace, les mouvements des populations, la dynamique des paysages et la production des savoirs dans l’Adamaoua, cette région charnière entre le nord et le sud du Cameroun, entre les écosystèmes de forêt et de savane, entre les groupes linguistiques bantous, adamawa et soudanais. Ce sont là des interrogations auxquelles l’archéologue peut proposer des éléments de réponse grâce aux datations scientifiquement établies, même si certaines réponses resteront au conditionnel. b) L’état des connaissances rigoureuses sur la mise en place des populations dans cette région où cohabite plus ou moins harmonieusement une mosaïque d’ethnies, formidable puzzle ethnique aux accents linguistiques dignes de la tour de Babel, constitue également l’un des points saillants de cette recherche. Quand on appréhende à la suite d’Eldridge Mohammadou (1991, I : 5), qu’« aucune des composantes ethniques de ce pays ne peut se targuer d’avoir été toujours là : toutes, sans exception, ont été à un moment ou à un autre du passé, d’une provenance extérieure au triangle géopolitique que constitue le Cameroun d’aujourd’hui », la question des migrations anciennes et
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peuplement du Cameroun mérite une étude scientifique rigoureuse. Nécessité requise dans un environnement social traversé par des débats passionnés, politisés, instrumentalisés et biaisés sur l’autochtonie et l’allochtonie, et qui ont quelquefois entraîné des Camerounais dans des affrontements physiques à l’issue parfois fatale, leur faisant perdre de vue que l’autochtone d’aujourd’hui n’est que l’allogène d’hier. Au début des années 1990, l’effervescence démocratique qui a embrasé la région de l’Adamaoua à l’instar de toutes les autres du Cameroun opposait les « premiers occupants » ici aux « derniers occupants » là-bas ; dressait rageusement les « autochtones » contre les « allochtones » ; opposait les « envahisseurs » aux « envahis », sans qu’aucun protagoniste impliqué dans cette querelle sur le droit du sol, soit objectivement capable de définir le contenu historique de ces oppositions et de ses revendications. De ces évènements, il ressort que des études archéologiques, sans être capables de nommer les peuples producteurs de cultures que découvre l’archéologue, peuvent faciliter le dialogue interculturel à travers l’interprétation des indices que lui procurent les vestiges matériels, dont certains ont des prolongements dans le présent. Comme le souligne Alain Marliac (1975 : 324) : « seuls ces objets à la suite d’un examen identique de leurs parties présentes et passées peuvent permettre le raccordement de certains composants actuels d’une ethnie aux composants d’une ethnie disparue. Ils permettent seuls, aussi, parce que constitués d’unités comparables, de tenter des comparaisons d’ordre synchronique et des hypothèses raisonnables sur la filiation, l’emprunt, la diffusion entre divers groupes humains disparus et actuels. » Qu’il s’agisse des pièces lithiques grossièrement taillées ou polies, des objets céramiques ou des outils métalliques, ces artéfacts autorisent en archéologie, la définition des cultures ainsi que la caractérisation des phases culturelles ou la circonscription des régions culturelles. Selon leurs faciès et suivant la qualité des fouilles et des analyses, ces vestiges autorisent des déductions sur les anciens paysages, sur les activités économiques ou encore sur l’organisation de l’espace habité. Or, le travail sur la mise en place des ethnies camerounaises est absolument nécessaire en vue de l’acquisition d’une suffisante profondeur temporelle à leur sujet. Cette appréhension passe par la collecte, l’inventaire et l’étude de tous les traits de la culture matérielle encore visibles et saisissables. Mais au regard de l’état sommaire de la pratique archéologique au Cameroun, les connaissances sur les ethnogenèses restent limitées. La littérature disponible sur les ethnies se fonde essentiellement sur des traditions d’origines, recueillies généralement auprès des ethnies concernées par des administrateurs coloniaux, des missionnaires européens, des historiens et anthropologues camerounais ainsi que des africanistes. Ces informations, toutefois indispensables, restent insuffisantes. En effet, ici comme ailleurs, face à l’usage démagogique qui est
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trop souvent fait de la diversité culturelle, source de nombreux conflits interethniques, une meilleure connaissance du patrimoine commun à de nombreux groupes ethniques de l’Adamaoua pourrait conduire à une conception où le nationalisme et la fraternité l’emporteraient enfin sur le tribalisme. Dans une perspective historique en général, les ressemblances l’emportent souvent sur les différences. c) Les raisons du choix et de l’occupation des anciens sites d’habitat dans l’écosystème de l’Adamaoua motivent également cette entreprise scientifique. L’impact des facteurs naturels sur le peuplement et la production culturelle est en effet si manifeste que Louis Frédéric (1978 : 54-56) invite tout archéologue à la recherche d’un site, de se poser constamment la question de savoir pourquoi les hommes auraient un intérêt particulier à s’installer dans un endroit et pas dans un autre. Si l’inventaire des anciens villages dans l’Adamaoua révèle une forte propension à l’occupation des sites d’altitude, la région dans l’ensemble offre d’immenses possibilités de colonisation du milieu en dépit de l’important appel des hauteurs, à savoir l’attrait des montagnes. Dans cet espace naturel, des massifs rocheux de facture granitique ou basaltique, tourmentés et chaotiques, conséquence de l’activité volcanique qui s’est manifestée de la fin du Secondaire jusqu’au début du Quaternaire, enserrent les villages et « veillent » sur les hommes. Ici aussi, des plaines cultivées, des paysages arborés et de vastes surfaces couvertes de graminées sauvages se chevauchent, maillent le territoire et donnent à manger aux hommes et aux animaux. Des rivières tumultueuses serpentent dans le paysage, toisent les eaux calmes des ruisseaux ainsi que les eaux stagnantes des mares et des lacs et donnent à boire aux hommes et aux bêtes. L’Adamaoua est riche en grottes et abris sous roche, qui servirent jadis d’habitats et conservent aujourd’hui encore, des trésors de leurs anciens occupants, notamment l’antre de Raou Yon Pou à Ngan-Ha, village mboum situé aux environs de Ngaoundéré. Dans leur milieu naturel et à leur époque, les hommes sans doute guidés par des mobiles pragmatiques, ont recherché des sites hospitaliers offrant des abris sûrs, des gisements de matières premières, des terres fertiles, du vert et gras pâturage, ainsi que des points d’eau potable et/ou salée. Ils se sont installés, soit en montagne, soit dans des vallées, soit dans des cols ou dans des passages. Ils ont souvent campé aux rivages des cours d’eau qui désaltèrent les humains et abreuvent les bêtes. Ils ont occupé les forêts et les savanes, hébergeant des populations animales et végétales d’une grande hétérogénéité. Ils ont exploité les arbres et les arbustes pour en tirer du bois d’œuvre, du bois de chauffage, des feuilles et des baies comestibles, des écorces et des sèves médicamenteuses. La chasse des animaux et des oiseaux sauvages leur a procuré de la viande, du sang, de la graisse, des peaux, des os et des plumes. L’exploitation des roches à l’instar du granite, de l’argile et du minerai de fer, a permis la production d’une
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gamme diversifiée d’outils et d’objets aux usages multiples, dont les restes fragmentés sont parfois visibles en surface dans des sites désertés. Appréhender les mobiles du choix et de l’occupation des sites permet à l’archéologue de reconstituer les anciens paysages, de comprendre des modes de vie ainsi que les performances technologiques de leurs occupants. d) L’étude des techniques d’acquisition, de transformation et d’utilisation des ressources naturelles, essentiellement d’ordre minéral et végétal dans l’écosystème régional, occupe une place significative dans cette investigation scientifique. L’écosystème renvoie en effet à la dynamique de l’environnement et aux interactions entre les différentes composantes du milieu, comme le climat, le relief, la flore, la faune ou les sols. L’étude de l’écosystème permet de jauger les différentes possibilités qu’offre l’environnement aux sociétés, d’évaluer les types de contraintes auxquelles elles doivent faire face, d’apprécier les formes et les qualités de réponses et d’adaptation qui en découlent. Dans l’espace adamaouaen, l’interprétation des vestiges archéologiques mis au jour démontre comment les populations confrontées à l’impérieuse nécessité de se nourrir, de se défendre et de se loger ont produit des objets et des outils adaptés à leur milieu de vie. Agriculteurs, potières, forgerons, architectes entre autres experts inconnus ou méconnus, avaient atteint dans leurs secteurs d’activités, un niveau remarquable de technicité qui force l’admiration. De l’analyse des archives matérielles disponibles, il ressort l’expression des savoirs et des savoir-faire de leurs auteurs, somme de plusieurs siècles d’expérience et traductions patentes des relations complexes entre les hommes et leurs milieux, entre les hommes et leurs espérances. L’Adamaoua, en effet, fut le théâtre d’importantes unités de production de poterie et de fer, activités aujourd’hui disparues ou presque. À cet effet, cette étude s’attelle grâce à la démarche archéologique et de l’anthropologie des techniques, à appréhender les secrets de ces savoir-faire, en s’appuyant sur l’analyse de leurs vestiges et sur l’observation de la chaîne opératoire de certaines de ces techniques, dont la poterie surtout et la métallurgie du fer qui se pratiquent encore dans la région. Sont de ce fait examinés les aspects techniques, économiques, sociaux et culturels de ces métiers. Toutefois, il se posera toujours la question cruciale de savoir pourquoi ces activités manufacturières africaines, tout en étant en leur temps semblables à celles des autres régions du globe, n’ont pas abouti à l’éclosion d’une technique que l’on puisse qualifier de moderne ou de révolutionnaire. e) Le destin du patrimoine archéologique régional intéresse particulièrement cette étude, dans un contexte où les hommes revendiquent et défendent leur identité culturelle et que parallèlement leur patrimoine archéologique est menacé par des vandales ou détruit en partie par de multiples chantiers. À ce sujet, il faut avoir une vision claire de ce que nous perdons. Que sauver ? Comment s’y prendre ? Que représente ce que nous sauvons ? Tel est
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en effet l’aspect difficile de la mission et de l’entreprise archéologiques dans l’Adamaoua. Les menaces qui pèsent sur les sites sont légion : extension des surfaces agricoles, urbanisation rapide et incontrôlée, surpâturage et feux de brousse fréquents. Ces facteurs se coalisent pour mettre en péril le patrimoine archéologique, interdisant ainsi définitivement, l’accès à un passé inconnu, méconnu ou à peine connu et qui est en train de disparaître. Or, « sous les cendres mortes du passé, gisent toujours quelque part des braises chargées de la lumière des résurrections » (Ki-Zerbo, 1980 : 42). Pourquoi donc les éteindre ? Dans l’Adamaoua comme dans les autres régions du Cameroun, de nombreux témoignages matériels sur les lointaines manifestations de l’homme dorment encore dans les strates de son sol et par conséquent, tout élément que l’on distrait de ces archives sans précaution et sans analyses préalables est comparable à une bouche qui se ferme ou encore à une page d’un livre d’histoire qu’on arrache, déchire ou brûle sans l’avoir lue. L’archéologie est donc appelée à jouer un rôle majeur dans la restitution du passé africain au regard de son objet d’étude et de sa méthode de recherche. Ces archives particulières contenues dans les sites archéologiques constituent le patrimoine archéologique, document matériel sur les activités humaines du passé. En effet, la protection et la gestion attentive de ces vestiges matériels sont indispensables pour permettre aux archéologues et aux autres scientifiques de les étudier et de les interpréter au nom des générations présentes et à venir, et pour leur bénéfice. Les vestiges archéologiques sont en effet les images des sociétés humaines millénaires qui nous aident à comprendre l’évolution des comportements des hommes dans leur vie quotidienne et dans une perspective historique. Par conséquent, elles doivent être protégées physiquement et juridiquement, valorisées et diffusées à travers les outils multimédias, les industries et établissements culturels, afin d’instruire les peuples sur leurs relations avec leurs ancêtres et leurs œuvres. « C’est pourquoi l’œuvre suprême qui consiste à former l’homme ne peut qu’être imparfaite dans l’ignorance biologique de cet homme, des ancêtres qui lui ont donné la vie. Aucun enseignement, autre que l’histoire ne saurait lui apporter une large ampleur de vues dans l’espace et dans le temps » (Ki-Zerbo, 1957 : 57). De ce fait, ne serait-ce que rechercher ce lien entre hier et aujourd’hui, justifie cette étude tant il est certain de l’avis de Jules Michelet que dans certaines circonstances, « celui qui voudra s’en tenir au présent, à l’actuel, ne comprendra pas l’actuel ». f) La problématique de l’apport de l’Archéologie et de l’Histoire au développement figure également parmi les préoccupations de cette étude. En effet, il est fréquent d’écouter au Cameroun et probablement ailleurs, des propos du genre : quel est l’intérêt des études archéologiques ? À quoi servent les recherches en histoire? On mange l’anthropologie ? Qu’est-ce que vous pouvez
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réellement découvrir de nouveau dans l’histoire de l’humanité? Que valent même vos recherches en archéologie dans un contexte dépourvu du petit laboratoire d’analyse et encore moins de datation ? Ces interrogations soulèvent en fait le doute sur l’utilité des études et des recherches en sciences humaines particulièrement en faveur du développement. L’archéologie reste inconnue, voire méconnue du grand public. Ceux qui en ont une vague idée la réduisent, soit à la chasse aux trésors, soit à la quête de l’inutile et du caduc. Des hommes et des femmes s’interrogent bien souvent sur ce que l’archéologie peut offrir de spécifique ou de concret à leur région, notamment l’Adamaoua où règne la précarité comme dans les neuf autres. Les certitudes et les optimismes les plus fermes d’hier ont progressivement cédé le pas au doute. Ici, la misère, le chômage, les exclusions, les maladies sont tenaces. Dans cette ambiance de paupérisation, les gens se demandent quelle importance il y aurait à fouiller dans les décombres du passé alors que se posent à l’humanité des problèmes contemporains plus graves, exigeant des solutions urgentes adaptées au temps présent. « Il semble le plus souvent incongru de rapprocher les mots archéologie et développement, l’un évoquant presque irrésistiblement une « science inutile », l’autre des problèmes immédiats, fondamentaux et ardus » (Marliac Alain, 1975 : 363). Comment en serait-il autrement puisque l’histoire ou l’archéologie, dit-on dans la rue et dans les chaumières, enseigne le périmé, l’obsolète et l’archaïque. Quel intérêt y aurait-il à s’en préoccuper dans un contexte où tout progresse, où tout avance et à la vitesse de l’électron? Ces propos, on les entend régulièrement à telle enseigne que ceux qui s’engagent sur les sentiers des sciences historiques sont généralement considérés comme les « adeptes de l’inutile ». Ce questionnement devient plus incisif lorsqu’il s’adresse aux archéologues africains œuvrant en Afrique par rapport à leur contribution à l’amélioration des conditions de vie des populations. Lors d’une séance du cours « Archéologie et Histoire de l’Afrique » à l’université de Ngaoundéré, en 1995, je demande aux étudiants de deuxième niveau d’histoire de définir l’archéologie. Les réponses fusent et m’étonnent. Condensé : « Les archéologues sont des vandales. Ils profanent les tombes de nos ancêtres, volent les offrandes qui accompagnent leur dernier voyage et qui sont censées garantir leur survie dans l’au-delà. Les archéologistes (sic) troublent la paix et le silence des lieux sacrés avec des pelles et des machines, et suscitent par conséquent la colère des dieux. Ceux-ci, en représailles, confisquent les pluies et libèrent les criquets. Savez-vous pourquoi il ne pleut pas dans le village Moukouléhé depuis des lunes ? C’est parce que ces sorciers qui se prennent pour des scientistes (sic) étaient au village il y a quelques mois. Ils ont creusé le sol et ont volé les calebasses purificatrices ainsi que les pierres de
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foudre offertes à dessein aux dieux de la pluie et du mil. Le ciel est désormais sec. Il ne pleuvra plus tant qu’on n’aura pas réparé le parjure par des rites appropriés. Le village est perdu! » Cette épouvantable caricature de la discipline révèle une fausse et étrange perception de l’archéologie, de l’histoire et du développement par quelques individus. Il y a donc nécessité de l’explication du bien-fondé de l’activité archéologique au regard de la réalité de l’histoire africaine afin de concilier le public et l’archéologie, d’informer les populations sur les sentiers buissonnants du développement. Les archéologues doivent démontrer qu’entre archéologie, histoire et développement, le dialogue est évident et que le lien est étroit. Ils doivent faire comprendre clairement que la fouille archéologique n’est pas la quête frénétique des objets rares, anciens et exceptionnels à des fins mercantiles, mais qu’elle est la recherche scientifique des traces anciennes de l’homme, notre ancêtre. L’archéologie, science affine de l’histoire, joue un rôle fondamental dans l’appréhension du passé à travers les vestiges matériels. Qu’est-ce que c’est que ce passé ? En quoi est-il utile au développement ? Quel développement ? Tant qu’on ne réduit pas le développement à la seule aisance matérielle et financière, à la victoire sur la famine et sur les maladies, aux exploits militaires, à l’expansion industrielle ou à l’innovation technologique et aux prouesses numériques, le développement se perçoit comme un processus global de transformation de la société, procurant à ses membres le maximum de bien-être sur le plan matériel, financier, culturel, intellectuel et éthique, autant de valeurs tangibles et intangibles qui se mutualisent pour soutenir une vie harmonieuse. L’apport de l’archéologie au développement dans la région de la l’Adamaoua est évident pour justifier entre autres mobiles, la présente étude. Il porte essentiellement sur la contribution de l’archéologie à l’écriture de l’histoire de l’Adamaoua : migrations, peuplement, maîtrise de l’espace, production de la culture matérielle, apport de la culture au développement. Des éléments qui structurent la cohabitation pacifique entre les groupes ethniques, la maîtrise de l’occupation de l’espace, la protection de l’environnement, qui sont au centre des préoccupations des populations locales aujourd’hui. L’archéologie et l’histoire revisitent nos ancêtres disparus et leurs œuvres à travers des vestiges matériels parvenus jusqu’à nous. L’archéologue les met au jour et les interprète afin d’apporter des réponses à quelques interrogations que se posent les hommes de son temps. Si l’archéologue se penche sur ces « vieilles choses » que sont les pollens fossilisés, les fragments osseux, les artéfacts lithiques, les tessons de poterie, les statuettes, les pièces métalliques plus ou moins oxydés, les tas de cendres, etc., c’est pour y chercher ses ancêtres, c’est pour appréhender les activités et les modes de vie des hommes d’autrefois auxquels un pont biologique et culturel relie nécessairement ceux du
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présent. Le retour au passé ne relève pas de la complaisance. On y recourt pour prendre des leçons permettant l’accès à la compréhension du monde contemporain. En effet, « le passé pèse sur notre présent et nous ne sommes réellement contemporains de notre temps que si nous savons reconnaître dans les évènements d’aujourd’hui les effets à long terme d’une histoire souvent ancienne » (Rémond, 1990 : 7). Ainsi, la place des sciences historiques dans le progrès humain est indéniable sur le plan de la construction de l’unité nationale, du dialogue entre les peuples, de la tolérance, du dynamisme économique, des expériences scientifiques et techniques à partir des enseignements issus du passé. Plusieurs drames qui déchirent l’humanité actuelle ont souvent une origine historique : racisme, tribalisme, massacres interethniques, épuration ethnique, génocide, guerres des religions, entre autres drames générés par la pauvreté matérielle, mentale et intellectuelle. Les fondements de cette recherche nous ont ainsi révélé les défis et les enjeux assignés à l’archéologie camerounaise en général et à celle de l’Adamaoua en particulier. Dans une perspective pédagogique, s’impose alors la nécessité d’une clarification des concepts clés qui structurent cette étude en vue d’une meilleure appréhension de notre propos. L’explication intéresse les mots : archéologie, histoire, mémoire et sol. 2- Clarification des concepts Le sol pour mémoire : Apports de l’archéologie à l’histoire du Cameroun, est le titre de cet ouvrage. Il pose d’emblée le problème du rapport entre l’archéologie et l’histoire. Deux disciplines scientifiques qui, naturellement, traitent toutes du passé de l’humanité. Quelles différences donc entre ces deux sciences à vocation historique et qui portent pourtant des terminologies différentes ? Quel rôle joue précisément l’archéologie dans l’écriture de l’histoire ? Quelle archéologie pour quelle histoire de l’Adamaoua ? Questions plurielles intéressant les fondements méthodologiques et les ancrages théoriques spécifiques, auxquelles la présente étude s’efforce de répondre dans la mesure des données disponibles et exploitables. De l’avis des archéologues britanniques Colin Renfrew et Paul Bahn (1996 : 11), l’archéologie ne diffère pas de l’histoire du moins dans son objectif principal, qui est la connaissance scientifiquement élaborée des actions des hommes dans le temps. La véritable différence entre ces sciences affines porte essentiellement sur le cadre chronologique et la nature des documents soumis à l’étude de l’archéologue et de l’historien, tous des enquêteurs du passé. Archaeology as history. If, then, archaeology deals with the past, in what way does it differ from history? In the broadest sense, just as archaeology is an aspect of anthropology, so too is it a part of history - where we mean the whole history of humankind from its beginnings over 3 million years
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ago. Indeed for more than 99 percent of that huge span of time archaeology - the study of past material culture - is the only significant source of information, if one sets aside physical anthropology, which focuses on biological rather than cultural progress. Conventional historical sources begin only with the introduction of written records around 3000 BC in western Asia, and much later in most other parts of the world (not until AD 1788 in Australia, for example). A commonly drawn distinction is between prehistory - the period before written records - and history in the narrow sense, meaning the study of the past using written evidence.” In some countries “prehistory” is now considered a patronising and derogatory term which implies that written texts are more valuable than oral histories, and which classifies their cultures as inferior until the arrival of western ways of recording information. To archaeology, however which studies all cultures and periods, whether with or without writing, the distinction between history and prehistory is a convenient dividing line that simply recognizes the importance of written word in the modern world, but in no way denigrates the useful information contained in oral histories…Archaeology can also contribute a great deal to the understanding even those periods and places where documents, inscriptions, and other literary evidence do exist. Quite often, it is the archaeologist who unearths such evidence in the first place.
Les archéologues français Anne Lehöerff et François Giliny ont une perception semblable à celle de leurs confrères britanniques sur l’étroite solidarité entre l’archéologie et l’histoire, ainsi que sur la nature des documents soumis à l’étude des archéologues et des historiens. À leur avis, l’archéologie « ne se distingue guère de l’histoire, et plus encore, elle peut être considérée comme une discipline historique », à l’instar de Colin Renfrew et Paul Bahn qui parlent de « Archaeology as history ». L’archéologie appartient à la grande famille des sciences humaines et ses finalités sont de comprendre les sociétés du passé. En ce sens, elle ne se distingue guère de l’histoire, et plus encore, elle peut être considérée comme une discipline historique. Si le lien est aussi fort, pourquoi donc utiliser, conserver plutôt, une terminologie différente ? En histoire, le chercheur travaille sur des sources écrites alors qu’en archéologie il s’intéresse aux vestiges matériels du passé. Dans le détail, les différences, plus profondes encore, ne sont pas sans porter quelques conséquences sur les modalités d’acquisition de la documentation et même sur son exploitation. Les sources écrites utilisées pour comprendre le passé existent en tant que telles dans les fonds privés et publics. Pour les utiliser, il faut juste, au pire, les trouver, ouvrir un carton oublié et être capable d’en faire la lecture. Elles peuvent alors servir sans limites, dans leur intégralité, à un nombre infini de chercheurs. Les sources matérielles sont des vestiges enfouis dans le sol, sous l’eau, qu’il faut découvrir après un temps plus ou moins long d’enfouissement et d’oubli. Cet acte (parfois aussi appelé « invention ») ne se fait pas de manière anodine. En effet, pour collecter les données, il faut également détruire une partie d’entre
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elles : des traces, des niveaux récents pour atteindre des structures plus anciennes, etc. La documentation directe qui subsiste n’est donc qu’une fraction d’un ensemble plus vaste qui existait avant la découverte. Les méthodes employées pour cette collecte comme la documentation établie au cours de celle-ci (enregistrement divers, notes) s’avèrent donc ici déterminantes. (Lehöerff et Giliny, 2002 : 39)
Selon Jockey Philipe (1999 : 11-12) : L’archéologie « est un mot composé de deux termes grecs (ta) archaia (les choses anciennes) et logos (discours, parole sur), dont l’association se présente comme un « discours sur le passé », une science des choses anciennes ». L’archéologie dans cette acception, est indissociable d’une recherche des origines, notion comprise dans le terme grec archê (l’origine, le commencement), d’où dérive l’adjectif archaios (ancien, qui a rapport aux origines). L’archéologie se présente donc comme un discours sur les origines autant que comme un discours sur l’ancien, et témoigne d’un refus originel de l’immédiateté de l’existence. Celle-ci n’est pas un donné, mais le fruit d’une construction. Dès lors, les liens entre archéologie et histoire sont indéfectibles. Pas d’archéologie sans histoire.
Quelles spécificités et quels champs d’action en fin de compte, pour chacun de ces deux membres de « la grande famille des sciences humaines, dont les finalités sont de comprendre les sociétés du passé » ? a) L’Archéologie En vue de la présentation de la pluralité des regards autour de ce concept et pour des motivations d’ordre pédagogique, nous listons ci-dessous, des propos d’auteurs aux renommées scientifiquement établies. Louis Frédéric (1967 : 21) : « discipline de synthèse, définir l’archéologie en un mot est difficile. Son principal but peut se résumer en se posant la question suivante : « comment vivaient, que pensaient nos ancêtres ? » Burnouf Joëlle (1996 :125) : « discours sur les origines » selon les dictionnaires classiques, « l’archéologie est la recherche et l’étude des origines, du passé à travers les vestiges muets le plus souvent enfouis dans le sol et abandonnés depuis longtemps sur les sites désertés par les populations ». Étymologiquement, l’archéologie est la science de l’Antiquité (archaios = antique et logos = science) au sens où l’entendaient les historiens grecs et romains. De nos jours, elle est devenue plus riche et plus complexe, intégrant des champs nouveaux aussi bien sur le plan chronologique que de l’objet d’étude, pour amener Annette Laming Emperaire (1963 : 8) à la définir comme « technique d’appréhension du passé de l’humanité à travers ses vestiges matériels ».
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L’archéologue française Joëlle Burnouf (1996 : 125) assimile l’archéologue à l’historien et évalue son apport à la connaissance du passé de l’humanité : L’archéologue est un historien qui produit des données qui seront le matériau d’une réflexion historique…L’archéologue « effeuille » l’enregistrement stratiformé, c’est-à-dire l’enregistrement sédimentaire d’origine anthropique, en commençant par le plus récent pour aller au plus ancien, dans l’ordre du dépôt, pour en tirer des informations d’ordre historique. Cette recherche permet de compléter les connaissances, en compensant notamment l’absence ou la pauvreté des autres sources de l’histoire, en particulier des sources écrites.
Louis Frédéric (1978 : 20-21) considère « l’archéologie [comme] la science de l’humanité disparue. C’est la science qui se propose d’étudier tous les documents, de quelque nature qu’ils soient, pouvant apporter quelque lumière sur le passé de l’humanité. Étude essentiellement humaine, l’archéologie n’est pas la science des vieilles pierres, car si elle étudie celles-ci, c’est surtout pour y trouver une présence humaine ». Jean-Marie Pesez (1997 :18) considère l’archéologie comme une science carrefour s’intéressant à tous les documents et dont l’exploitation est indispensable pour remonter le temps et appréhender les civilisations disparues : « L’archéologie se propose d’étudier tous les documents de quelque nature qu’ils soient, pouvant apporter quelque lumière sur le passé de l’homme ». Les vestiges archéologiques sont en effet les images et les reflets des sociétés humaines disparues. Comme le souligne Pierre Mohen (1990 : 7), « ce sont des archives particulières qui nous aident à comprendre l’évolution des comportements des hommes dans leur dimension quotidienne et historique ». C’est dans cette optique que s’inscrit cette pertinente observation de l’archéologue anglais Sir Mortimer Wheeler : “the archaeological excavator is not digging things but people” : « ce ne sont pas les objets que l’archéologue doit exhumer, mais des êtres vivants ». Constatation est entièrement justifiée, même si l’archéologue ne prétend guère apporter des réponses concrètes à toutes les questions qui se posent à l’histoire des hommes et de leurs œuvres dans la société où il travaille. Sir Mortimer déplaçait tout simplement alors l’objet de la recherche archéologique de la chasse au trésor communément pensée, vers la connaissance de l’histoire de l’humanité, généralement ignorée. Concluons cette définition du concept archéologie par la clarification du métier d’archéologue. L’archéologie est un métier caractérisé par des séjours plus ou moins longs sur des terrains proches ou lointains, traversés par des conditions climatiques souvent contrastées. C’est un travail mené entre l’ombre des cavernes et la lumière des bibliothèques. C’est une activité partagée entre des salles de cours et de conférences bruyantes et le silence des laboratoires d’analyse et d’interprétation des vestiges. L’archéologie est un métier écartelé
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entre passion et action, entre loisirs et labeurs, entre la manipulation de la pelle et de la plume. Archaeology is a partly the discovery of the treasures of the past, partly the meticulous work of the scientific analyst, partly the exercise of the creative imagination. It is toiling in the sun on the excavation in the desert of Iraq; it is working with living Inuit in the snows of Alaska. It is diving down to Spanish wrecks off the coast of Florida, and it is investigating the sewers of Roman York. But it is also the painstaking task of interpretation so that we come to understand what these things mean for the human story. And it is the conservation of the world’s cultural heritage - against looting and against careless destruction. Archaeological, then, is both a physical activity out in the field, and intellectual pursuit in the study or laboratory. That is part of its great attraction. The rich mixture of danger and detective work has also made it the perfect vehicle for fiction writers and film-makers, from Agatha Christie with Murder in Mesopotamia to Steven Spielberg with Indiana Jones. However far from reality such portrayals is an exciting quest - the quest for knowledge about ourselves and our past. Colin Renfrew et Paul Bahn (1996 : 11)
L’archéologie, à première vue, semble donc être un métier de rêves, agrémenté de voyages, de découvertes des horizons lointains et d’aventures, ce qui n’exclut point la rigueur scientifique requise pour son exercice, de longues et patientes recherches dans le froid, sous le soleil, livré parfois aux insectes, et suivies d’exigeants travaux de laboratoire. Ce n’est pas une carrière impossible et le Cameroun, où œuvrent à peine une dizaine d’archéologues professionnels, en a un réel besoin compte tenu de l’état des connaissances sur l’histoire ancienne du pays. Que peut-on valablement dire à propos de l’histoire du Cameroun actuel avant 1843, date du débarquement des missionnaires anglais Joseph Merrick et Alfred Saker à Douala et plus tard des colons allemands, français et britanniques avec leur écriture? Toute nation a besoin de retracer et de maintenir ses origines. Afin d’enrichir les collections de ses musées ou pour développer une industrie touristique autour des sites archéologiques exceptionnels, un pays doit disposer d’une équipe d’archéologues. Sous ce rapport, même le secteur privé n’y échappe pas. Des entreprises d’ingénierie qui participent à la construction des barrages hydro-électriques, des axes routiers, des complexes immobiliers ou de l’exploitation des champs pétrolifères et gaziers sont obligées, au Cameroun, de procéder à des fouilles archéologiques avant le début des grands travaux si ceux-ci menacent le patrimoine national. Des textes de loi régissent d’ailleurs ce secteur. C’est le cas précisément de la loi n° 91/008 du 30 juillet 1991 (modifiée par un texte de loi adopté le 9 avril 2013 par l’Assemblée nationale, lequel sera soumis à la ratification par le président de la République), portant protection du patrimoine culturel et naturel national.
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La protection et la gestion attentives des archives matérielles issues des fouilles sont donc indispensables pour permettre aux archéologues et aux autres scientifiques de les étudier et de les interpréter au nom des générations présentes et à venir, et pour leur bénéfice, tant il est reconnu « que la connaissance des origines et du développement des sociétés humaines est d’une importance fondamentale pour l’humanité tout entière en lui permettant de reconnaître ses racines culturelles et sociales dans leur diversité » (Rapport ICOMOS-ICAHM, 1988). Étude essentiellement humaine, l’archéologie n’est pas la science des vieilles pierres. Si elle étudie celles-ci, c’est pour y déceler toute présence humaine. Ainsi, « l’archéologie en contribuant à une meilleure appréhension du passé, joue un rôle indirect, mais déterminant pour la compréhension du présent ce qui n’est pas sans effets pour la préparation des choses à venir », comme l’observe Gérard Bertrand (1995 : 279). Connaître l’homme qui nous précéda, comprendre ses gestes, pénétrer sa pensée, saisir pourquoi il vivait de telle façon, comment il concevait sa vie avant et après la mort, cela ne nous permet-il pas de nous connaître nous-mêmes et nos semblables ? Comprendre les raisons d’être et le développement d’une pensée, n’est-ce pas saisir un peu plus profondément la nôtre ? On peut en effet déduire de l’homme du passé celui que nous sommes tant il est vrai que l’archéologie a permis au cours des cinquante dernières années, de jeter un regard neuf sur le passé dans toute sa variété depuis l’avènement des Homo habilis jusqu’à l’ère industrielle (Frédéric Louis, 1967 : 7- 8).
Ce sont en effet ces siècles précédents, qu’ils fussent obscurs ou éclairés, dynamiques ou immobiles, dogmatiques ou démocratiques, qui ont conditionné notre présence, notre pensée, notre civilisation. L’intérêt qu’il y a par ailleurs à faire des études archéologiques et historiques, c’est l’amour de l’homme, car rien de ce qui est humain n’est indifférent à l’archéologue et à l’historien et le plus grand sujet d’études comme celui d’infinis étonnements reste l’homme avec ses actions étalées dans le temps et inscrites dans diverses sociétés. Le véritable archéologue, de l’avis d’Arthur Weigall (The Glory of the Pharaohs, cité par Steven Silverberg (1987 : 13) : Ne se contente pas de voir dans les squelettes de vulgaires ossements, car tout son effort visera à leur rendre leur peau, et à remplir leurs crânes vides de pensées. Il ne se réjouit pas non plus de découvrir des constructions en ruine parce qu’elles sont en ruine; il aurait plutôt tendance à déplorer leur état… En fait l’archéologue est si épris de la vie qu’il aimerait faire se lever tous les morts de leurs tombes. Il n’accepte pas l’idée selon laquelle les hommes du passé ne seraient que poussière ; il aimerait leur rendre la vie pour partager avec eux la lumière du soleil qu’il juge si précieuse. Il est un tel ennemi de la Mort et de la Décrépitude qu’il serait ravi de les déposséder de leurs moissons ; et sur chaque vie que l’ennemi a réclamée, il réveillerait, s’il le pouvait, un souvenir qui vivrait à jamais.
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Cet élan humaniste de l’antiquaire et muséologue britannique Arthur Weigall, rejoint l’objet du périple que le voyageur grec Hérodote d’Halicarnasse (484-420 BC) « entreprit afin que les choses faites par les hommes ne s’oublient pas avec le temps et que les grandes et merveilleuses actions accomplies tant par les Grecs que par les Barbares ne perdent point leur éclat ». Quel que soit le contexte, il est question de sauver les œuvres inventées par les hommes de la disparition, ceci dans l’impossibilité de rendre l’homme immortel. En nourrissant la mémoire, des faits du passé, l’archéologie et l’histoire en tant que sciences historiques, permettent de conserver le patrimoine de l’humanité et de le transmettre de génération en génération. Elles donnent ainsi une idée sur les civilisations successives et des progrès accomplis au cours des siècles, présentent une image plus ou moins complète du passé, lui restituent âme et vie. C’est pourquoi, ces sciences ont pour mission d’interroger le passé, d’enseigner le monde contemporain pour servir aux années futures. Il ressort des travaux scientifiques ci-dessus-ci évoqués et présentés, que la mutualisation des apports de l’archéologie et de l’histoire est indispensable pour donner une réponse au besoin d’histoire des peuples de l’Adamaoua et partant du Cameroun. Dans la recherche archéologique et sa contribution à l’histoire de l’Afrique, Jean Devisse (1985 : 5) précisait davantage l’étroite relation entre les deux disciplines scientifiques : Dans un contexte historique où l’archéologie est le seul pourvoyeur de sources relatives à des millénaires du passé africain, il n’est pas possible de la réduire au rôle de simple science auxiliaire… Sans l’archéologie, il n’y aura jamais d’histoire, passé, par régression, le cap des XIe -XIIe siècles…Un historien que l’on prive de l’archéologie en Afrique est aveugle et sourd à l’essentiel du passé de ce continent ; un archéologue qui perd de vue les objectifs de l’historien cesse vite d’être en contact avec la « demande d’histoire » des peuples d’Afrique.
b) L’Histoire Le premier livre de l’Enquête d’Hérodote, le célèbre historien grec du Ve siècle avant Jésus-Christ, commence ainsi : « Hérodote d’Halicarnasse présente ici les résultats de son enquête, afin que le temps n’abolisse pas les travaux des hommes et que les grands exploits accomplis soit par les Grecs, soit par les Barbares, ne tombent pas dans l’oubli; et il donne en particulier la raison du conflit qui mit ces deux peuples aux prises ». (L’Enquête, I, 1), in (Jockey, 1999 : 19-20). Ces premières lignes, très souvent commentées, remarque Philippe Jockey, constituent, en quelque sorte, l’acte de naissance de l’Histoire. Celle-ci repose sur trois éléments décisifs : « l’humain, qui constitue son objet; l’enquête, qui représente sa méthode; sa visée, enfin, qui est double : il s’agit par les résultats de l’histoire (le mot signifie « l’enquête » en grec), d’expliquer, de perpétuer le souvenir des actions passées » (Jockey, 1999 : 20).
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L’Histoire vient en effet du mot grec « historiè » et du latin « historia », dont le sens premier signifie « enquête », c’est-à-dire l’étude ordonnée d’une question réunissant des témoignages, des expériences et des documents. Pourtant, l’instituteur colonial et ses avatars appauvrirent cette définition en faisant psalmodier par des millions d’écoliers d’hier voire d’aujourd’hui, le curieux et l’étrange refrain d’une définition de l’histoire comme étant « la connaissance du passé basé sur les écrits depuis l’invention de l’écriture jusqu’à nos jours ». Que doit-on entendre par écriture ? Depuis quand date son apparition ? Dans quel continent ? Est-ce l’écriture alphabétique d’origine européenne divulguée en Afrique pendant la colonisation ? Est-ce un langage d’ordre artistique, exprimé par des signes géométriques, anthropomorphiques, zoomorphiques, végétaux, ou encore par des tatouages, des scarifications, des pétroglyphes ou des graffitis, tous « des symboles qui traduisent des messages originaux » et décodables inventés par des peuples pour communiquer entre eux? (Mveng, 1964 : 69). Dans l’esprit des Européens de l’Ouest essentiellement, il n’y a pas l’ombre d’un doute. L’écriture par excellence est la leur, cristallisée autour de 26 lettres et de 10 chiffres ; ce formidable véhicule de la Civilisation de l’Europe occidentale qui, sous son rouleau compresseur, a aliéné les cultures endogènes d’Afrique, d’Asie, des Amériques et de l’Océanie. Croire que l’écriture d’origine européenne serait le point crucial de la genèse de l’histoire de l’Afrique est une folie aussi furieuse que celle de s’imaginer que les « Gaulois seraient les ancêtres des Africains ». L’histoire de l’humanité commence longtemps avant l’avènement des hiéroglyphes égyptiens, du cunéiforme mésopotamien et des récents alphabets grec, latin ou arabe. L’histoire c’est la science des traces, précise en substance Marc Bloch. Elle exploite par conséquent tous les signes pouvant renseigner sur les hommes et sur leurs œuvres partout où les traces y relatives sont tangibles. À cet effet, la différence entre ce qui est conventionnellement appelé préhistoire et histoire porte essentiellement sur la nature des documents soumis à l’étude du préhistorien et de l’historien à savoir : les vestiges matériels pour le premier, les textes écrits et l’oralité en principe pour le second. D’autres chercheurs bousculent encore les horizons du temps et assignent à la préhistoire, l’étude des périodes où le genre Homo est absent sur terre. Sous ce rapport, l’histoire commence avec Homo habilis, il y a environ 2,5 à 3 millions d’années. Il est en effet considéré comme le premier fabricant d’outils tranchants, acte culturel fondateur, qui différencie définitivement l’homme de l’animal. Homo habilis ou encore Homo faber se présente ainsi, comme l’aîné de la lignée humaine, justement parce que l’impact de l’outil, dont on lui crédite la paternité de l’invention, fut déterminant sur l’hominisation et l’humanisation au même titre que le feu, découverte tardive et probable d’Homo erectus/ergaster. L’histoire
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s’enracine ainsi dans les temps les plus anciens où l’humanité naissante sème en terre d’Afrique les germes des civilisations avec Homo habilis. L’histoire en tant que discipline scientifique déborde donc les frontières étriquées encadrées par l’écriture européenne comme le point de son départ, pour couvrir toutes les actions de tous les hommes, depuis les temps les plus anciens. C’est ce sens que Lucien Fèbvre (1953) donne à l’histoire en tant qu’ « étude scientifiquement conduite des différentes activités des hommes d’autrefois, saisis à leur date dans le cadre des sociétés extrêmement variées et cependant comparables les unes aux autres, dont ils ont rempli la surface de la Terre et la succession des âges ». Ces productions culturelles humaines inscrites dans le temps ne doivent pas disparaître afin de servir de liens entre les générations successives, clés nécessaires pour accéder à la compréhension du présent comme le présume Bah Thierno (1988 : 3) : L’histoire est bien loin d’être ce dédale de choses mortes et figées. L’apparente confusion entre le passé et le périmé, l’ancien et le caduc, l’essentiel et l’évènementiel, le culte du pragmatisme sommaire ont conduit quelques esprits étriqués à mépriser l’histoire. Or cette science apparaît comme l’une des plus formatrices de la jeunesse, celle qui prépare le mieux à comprendre le monde contemporain et à y accéder sereinement. L’histoire aide à préserver son héritage propre en l’enrichissant et en l’adaptant aux circonstances nouvelles ; à ce titre, elle est facteur d’équilibre moral et intellectuel.
Le Cameroun a justement besoin de cet équilibre moral et intellectuel, d’action, et d’évaluation de son passé pour pouvoir sortir des fanges de la corruption matérielle, morale et intellectuelle, qui plombent son essor. Dans une perspective plus générale, toute « l’Afrique a besoin de retrouver sa mémoire. Elle a besoin de se souvenir pour agir. En effet l’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent : elle compromet dans le présent l’action même » (Baba Kaké, 1980 :16). ** Dans cette entreprise archéologique destinée à contribuer à la connaissance du passé des peuples de l’Adamaoua, il y a lieu de se demander de quelle histoire il s’agit. Histoire ancienne ou histoire contemporaine ? Histoire politique, économique, sociale ou culturelle ? A priori, aucune époque et aucun champ ne sont interdits. Les questions que nous avons posées et qui fondent la présente étude, à savoir l’amorce de l’établissement d’une ossature chronologique de l’histoire régionale, la connaissance des principales séquences de la mise en place des populations, les raisons du choix des anciens sites d’habitat, les techniques d’exploitation et de valorisation des ressources naturelles, intéressent différentes périodes historiques et convoquent la plupart des territoires de l’historien. Le problème crucial de cette enquête au sens hérodotien du terme réside dans la quantité et la qualité des documents
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matériels exhumés, dans la pertinence de leur analyse et de leur interprétation en vue de répondre à la demande d’histoire des Camerounais. L’archéologie est une science humaine du fait qu’elle étudie l’Homme. Comme toute science humaine, elle n’est délimitée dans le temps et dans l’espace que par la présence ou l’absence de l’Homme. Elle ne se limite donc pas à l’étude des périodes sans écriture, car il existe désormais, une archéologie du temps présent (Kienon-Kaboré, 2005 : 36-41), une archéologie urbaine (Van Damme Stéphane, 2012), une archéologie industrielle. Toutes en effet s’intéressent aux époques récentes, suivant en cela une conception plus élargie de l’archéologie qui revendique comme une partie d’elle-même, l’étude des artéfacts des sociétés modernes et des périodes plus récentes. L’archéologie sert l’histoire et se fixe pour objectif, l’étude et la reconstitution de l’histoire de l’humanité depuis ses premières manifestations jusqu’à l’époque contemporaine, en s’appuyant sur des vestiges matériels de toutes sortes que sont : des ossements, des empreintes, des traces, des outils, des poteries, des armes, des bijoux, des peintures, etc., dont la mise au jour passe obligatoirement par la pratique des fouilles programmées ou préventives. En Afrique particulièrement, la plupart des documents écrits sur le passé du continent sont essentiellement récents et ne remontent guère au-delà du XIXe siècle consécutivement à la colonisation européenne, sauf si on minore les sources antiques (égyptiennes, nubiennes et gréco-latines) de même que les sources arabes déposées par les chroniqueurs, dont les plus célèbres sont Ibn Battouta (1304-1377), Ibn Khaldoun (1332-1406) ou encore Al Hasan (dit JeanLéon l’Africain, 1483-1554). Dans ce continent de l’oralité par excellence, la tradition orale, si elle n’est pas pauvre dans son contenu, fourmille cependant d’approximations. Sous ce rapport, la place assignée à l’archéologie dans la quête du passé du continent est incontournable. Tous les vestiges matériels soumis à l’analyse des archéologues, que ce soit un chef-d’œuvre de l’art, un simple tesson de céramique ou tout témoin du passé, tant qu’ils sont le fruit du travail humain, relèvent du domaine de l’archéologie. Or, ces vestiges, œuvres humaines, se trouvent plutôt dans le sol alors que leurs auteurs, qui sont les hommes, ont toujours évolué à la surface du sol et n’ont jamais vécu en taupe sous terre. Sous ce rapport, l’archéologue est obligé de remuer la terre parce que ce qu’il cherche se trouve dans le sol, réalité qui confère au sol le statut d’un dépôt d’archives, d’un mémoire, voire d’une mémoire. c) Le sol est mémoire Le sol est comme un cerveau qui accueille, mémorise et conserve des informations qui, ramenées à la lumière à l’issue des fouilles, peuvent fournir des réponses aux questions qui se posent au présent. La problématique de mémoire et histoire qui veut que la mémoire relève du présent et réveille des
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éléments du passé pour expliquer des réalités actuelles, peut effectivement trouver dans la connexion sol, histoire et mémoire, une réelle application, car si l’archéologue remue le sol, c’est pour chercher des explications aux interrogations que se posent ses contemporains. Le sol est donc comparable à une bibliothèque, à un réceptacle d’objets hétéroclites abandonnés de gré ou de force par les hommes ou par les forces de la nature, un cahier de souvenirs multiformes enregistrés et stratifiés au fil du temps, que l’on consulte pour comprendre, pour argumenter, pour attester ou pour contester. Au sujet du sol en tant que mémoire, les archéologues témoignent. Louis Frédéric (1967 : 49) : « comme pour un iceberg, seule une petite fraction de la richesse archéologique du monde reste visible au-dessus de la surface du sol : la plus grande partie est ensevelie à des profondeurs variant entre quelques centimètres à des dizaines de mètres. Si l’archéologue est obligé de remuer la terre, de pratiquer des sondages et des fouilles, c’est tout simplement parce que ce qu’il cherche se trouve sous terre ». René Ginouvès (1992 :15) : « si la fouille est nécessaire, c’est que le document archéologique est, presque par définition, un document qui a été conservé sous la terre : ne font guère exception que quelques grands bâtiments préservés de l’enfouissement par une réutilisation continue ». Philip Baker (1996 : 194) : « the soil is an historical document which, like a written record, must be deciphered, translated before it can be used. For the very long prehistoric periods of human history, excavation is almost the only source of information and for the protohistoric and historic periods it provides evidence where the documents are silent or missing”. Jean-Marie Pesez (1997 :18) : « l’archéologie … s’adresse aux témoins non écrits du passé, aux vestiges matériels, qu’ils soient enfouis dans le sol, portés par le sol, ou constitués par le sol lui-même et les aménagements d’origine culturelle qu’il a reçus ». Le sol archéologique contient et conserve donc des informations matérielles qu’il a reçues. Mais il convient de souligner que ces données matérielles ne furent jamais volontairement enterrées dans l’intention d’en faire des archives, même s’il reste des cas exceptionnels où les hommes enfouirent des objets pour leur valeur sacrée ou pour tout autre motif afin de les soustraire de la destruction, jusqu’à ces pelles et truelles les remontent fortuitement à la lumière du jour. Les vestiges matériels sont donc les reflets des sociétés anciennes disparues, et enregistrés dans les couches du sol en ordre, selon la date de dépôt. En effet, le sol archéologique, tant qu’il n’est pas remué par les hommes ou par des animaux fouisseurs ou bouleversé par des cataclysmes naturels (glissement de terrain, séisme, etc.), renferme des informations mémorisées de manière chronologique. C’est pourquoi, avant d’entreprendre une fouille, l’archéologue se pose toujours la question de savoir si les objets
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qu’il recueille sont en contexte, c’est dire s’ils se trouvent dans les strates qui les ont accueillis à l’origine, si elles n’ont pas subi des bouleversements d’origine naturelle, animale ou anthropique. Au sujet de cet enregistrement ordonné des vestiges par le sol, Joëlle Burnouf (1996 :125), observe que « l’archéologue « effeuille » l’enregistrement stratiformé, c’est-à-dire l’enregistrement sédimentaire d’origine anthropique, en commençant par le plus récent pour aller au plus ancien, dans l’ordre du dépôt, pour en tirer des informations d’ordre historique ». Poireux (1979 : 23) constate que « le temps accumule verticalement les traces de l’occupation humaine : une superposition de strates de terrain (les couches archéologiques), déformées et bouleversées par des causes diverses, se forme génération après génération et suit rigoureusement le déroulement du temps ... L’étude de ces couches est devenue, depuis quelques années, la base de la recherche en archéologie. Elles sont, en effet, le reflet fidèle de la vie quotidienne des premiers siècles de notre ère ». Facteurs humains et naturels contribuent à l’enfouissement des objets d’usage quotidien ou rituel dans le sol. Les facteurs humains concernent les terrassements, les démolitions, les incendies accidentels ou non ainsi que les enterrements intentionnels d’objets particuliers. Les facteurs naturels sont d’ordre géologique, zoologique et botanique. Le facteur géologique convoque les vents, les pluies, les tremblements de terre, les inondations qui détruisent et entraînent en profondeur des œuvres humaines, qui progressivement sont ensevelies par la terre. Le facteur zoologique intéresse les vers de terre et les animaux fouisseurs, qui enterrent des objets qui primitivement se trouvaient à la surface du sol. Sur le plan botanique : Les arbres perdent leurs branches, leurs feuilles tombent parfois et leur bois pourrit. Les mousses ensevelissent les surfaces humides, s’accumulent. Cet humus en formation constante s’épaissit d’année en année. Les arbustes et les arbres poussent leurs racines entre les pierres et les objets, les écartèlent, démantèlent les structures, les déplacent, finissent par les ensevelir sous un manteau végétal sans cesse augmentant d’épaisseur. La forêt recouvre, dissimule, enterre ce qu’elle a conquis (Louis Frédéric (1967 : 50)).
Dans l’Adamaoua comme dans la plupart des régions d’Afrique, de nombreux témoignages matériels sur les lointaines traces de l’homme sont encore enfouis dans le sol. Par conséquent, tout élément que l’on distrait de ces archives sans précaution et sans analyses préalables est comparable à une bouche qui se ferme ou encore à une page d’histoire qu’on brûle. C’est justement pourquoi, avant d’engager une fouille archéologique, il est important d’en avoir compris le caractère irrémédiable de l’acte, car la fouille est une destruction irréparable et cependant nécessaire pour connaître l’histoire d’un peuple, de sa culture et de son territoire.
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3- L’Adamaoua, région marginale dans la carte archéologique du NordCameroun Cette section traite autant de la réalité des activités archéologiques dans la région de l’Adamaoua que de la description du milieu naturel et du contexte humain avec ses implications archéologiques, présentée au chapitre 1. L’Adamaoua, terrain de recherche, telle que nous la délimitons de nos jours, est une terre d’occupation ancienne, ceci depuis le premier millénaire au moins au regard des datations au C14 obtenues dans certains sites. Dans les documents historiques, il y a souvent une confusion entre Adamawa et Adamaoua. AdamaWA désigne en effet l’entité géopolitique que constitua l’Émirat peul connu aussi sous le nom de l’Empire de Sokoto dont la capitale était Yola au Nigeria actuel. AdamaOUA par contre a une connotation géographique et désigne le haut plateau (Hosséré en fulfulde) qui correspond dans l’ensemble à la région du Cameroun qui en porte le nom, avec pour capitale Ngaoundéré. Le territoire de cette recherche c’est donc l’Adamaoua, ancienne entité territoriale logée à l’extrême Sud de l’Émirat de l’Adamawa, fruit des conquêtes de Modibbo Adama et de ses successeurs. Modibbo Adama est un érudit musulman qui reçut en 1809 à Sokoto, des mains d’Ousman dan Fodio, l’étendard du jihad ou guerre sainte, qui lui conférait l’ordre et le pouvoir de répandre l’Islam dans l’ensemble du Fombina (ou territoires du Sud, c’est-àdire la périphérie, par rapport au centre de constitution Sokoto), et d’y établir l’hégémonie peule. C’est sans doute pourquoi Bah Thierno (1993 : 61-62) compare l’Adamaoua au « Finistère de l’Empire de Sokoto ». La région de l’Adamaoua est l’une des dix régions du Cameroun. Elle est le fruit du décret présidentiel n°83 /390 du 23 août 1983 portant création des trois provinces du Cameroun septentrional. Le 12 novembre 2008, le décret n° 2008/376 portant organisation administrative de la République du Cameroun substitue région à province. Elle est frontalière avec le Nigeria à l’ouest et la République centrafricaine à l’est. Son chef-lieu est Ngaoundéré. Cette zone montagneuse marque la frontière entre le Cameroun forestier au sud et le Cameroun sahélien et surtout savanicole au nord. Avec une superficie de 63 701 km2, 884 289 habitants, et une densité de 13,9/km2, l’Adamaoua est la troisième région du Cameroun de par son étendue territoriale (Recensement de Population du Cameroun en 2005). L’Adamaoua compte cinq départements : Djérem, cheflieu : Tibati, Faro et Déo (Tignère), Mayo-Banyo (Banyo), Mbéré (Meiganga) et Vina (Ngaoundéré). Ses coordonnées géographiques correspondent aux 7° 19′ 59″ nord /13° 30′ 00″ est. Cette région où se concentre une mosaïque d’ethnies est située à cheval entre deux écosystèmes à savoir la forêt et la savane, dont l’impact sur la recherche archéologique est évident. Contrairement à la région de l’Extrême-Nord où la recherche archéologique est ancienne et date des années 30, avec les fouilles des Français Jean-Paul et
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Annie Lebeuf dans les anciens habitats sao, suivies des travaux des Canadiens Nicholas David et Scott MacEarchen ; du Belge Pierre de Maret ; des Français Alain Marliac, Jean-Gabriel Gauthier, Michèle Delneuf, Gérard Quéchon, Jean Rapp, Olivier Langlois ; des Camerounais Joseph-Marie Essomba, Claude Digara, Augustin Holl, Datouang Djousso, Akoum Aïchatou et Sakalfoussou Danga (cf. références dans la bibliographie à la fin de l’ouvrage), celle de l’Adamaoua est demeurée marginale en matière de recherche archéologique avec pourtant un sol potentiellement riche en vestiges au regard de son histoire. Des recommandations avaient été pourtant prises à Garoua en 1979 au cours de la réunion des archéologues travaillant au Cameroun, de même qu’à Yaoundé en janvier 1986, lors du premier colloque international de l’archéologie camerounaise afin que le territoire camerounais dans son ensemble bénéficie d’une couverture archéologique équitable. Ces recommandations (Essomba, 1992 : 361-363) stipulaient entre autres : 1- Harmonisation des recherches archéologiques et concertation méthodologique et technique entre les différentes équipes de recherches opérant au Cameroun ; 2- Planification des prospections archéologiques sur l’ensemble du pays ; 3- Formation des chercheurs camerounais ; 4- Exploitation des résultats des recherches en vue d’une meilleure vulgarisation auprès des consommateurs camerounais ; 5- Mise sur pied des structures d’appui à la recherche archéologique (musées, laboratoire d’analyse et de datation, base de réception et de stockage des objets) ; 6- Élaboration d’une charte archéologique au Cameroun. Ces recommandations, pour l’essentiel, sont restées lettres mortes. L’agenda de leur exécution est reporté aux calendes grecques. En dehors de la création d’un département d’Archéologie et des Arts à l’université de Yaoundé 1 dans le cadre de la « formation des chercheurs camerounais », aucun point contenu dans cet ambitieux programme n’a jamais été véritablement mis en pratique. C’est à juste titre si Bah Thierno observait en 1993, longtemps après l’adoption de ces recommandations, que « l’archéologie dans l’Adamaoua reste la grande inconnue ». L’Adamaoua est dotée d’un riche couvert végétal qui rend difficile la lisibilité du sol et complique par conséquent la prospection archéologique. C’est tout à fait le contraire dans les régions du Nord et de l’Extrême-Nord, à la végétation clairsemée, au sol souvent dénudé, où les vestiges des anciennes civilisations comme celle des Sao affleurent quelquefois et orientent les prospections et les fouilles. C’est pourquoi ces régions ont très tôt capté
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l’attention de la plupart des archéologues et ethnologues occidentaux engagés au Cameroun. Par contre, l’Adamaoua arborée et a priori dépourvue de sites prestigieux a découragé les archéologues d’origine étrangère, pressés d’obtenir des résultats concluants, gage du financement ou du refinancement de leurs projets et de la prorogation de leurs contrats et subventions de recherche. Par ailleurs, le reflux de l’intérêt de l’Europe vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne au lendemain de la chute du mur de Berlin, coïncidant avec le déclin de la ruée vers les vieux ossements, suivi dans des centres de recherche familiers des terrains africains d’une baisse drastique des crédits de recherche alloués à l’archéologie et à d’autres disciplines dites budgétivores, a laissé en friche d’immenses sites aujourd’hui menacés de destruction par une érosion virulente, des labours incontrôlés et une urbanisation sauvage, sans que les inventaires et les moyens de protection y relatifs soient même envisagés. Le Cameroun compte actuellement moins d’une dizaine d’archéologues professionnels en activité. Si les raisons d’une pareille crise sont difficilement décelables, il convient toutefois de rechercher les véritables raisons du sinistre de l’archéologie au Cameroun dans la mauvaise perception du métier d’archéologue, le doute du politique sur un fructueux dialogue entre archéologie et développement, le financement ridicule des projets de recherche dans le secteur des sciences humaines. Or, priver l’Adamaoua des fouilles archéologiques professionnelles c’est détruire des pages inédites de l’histoire africaine surtout lorsqu’on sait que le passé de l’Afrique sommeille dans ses strates. Convaincu et conscient que chaque nouveau site est potentiellement une page nouvelle de notre histoire, et ceci dans un contexte culturel où les documents écrits sur notre lointain passé sont rares et que les informations orales sont lacunaires, ce constat devient un véritable défi scientifique à relever. Il l’est davantage au regard de la forte pression urbaine, de l’extension des surfaces cultivables, du vandalisme et des diverses autres menaces d’ordre naturel et anthropique qui placent les sites mis au jour dans la région en sursis. En 1978, l’archéologue français Alain Marliac signalait l’existence de quelques sites néolithiques dans l’Adamaoua et incitait les archéologues à investiguer dans cette région. « Presque complètement délaissé par la recherche archéologique, le plateau de l’Adamaoua constitue cependant une région pertinente pour les recherches concernant l’Âge du fer (postnéolithique) et les périodes protohistoriques. En effet, de nombreuses découvertes éparses et mal situées, y sont signalées et témoignent de peuplements denses : mégalithisme important à l’Est, poteries et objets de pierre taillée et polie récoltés et signalés un peu partout » (Marliac, 1978 : 353). Ce sont en effet des recherches comme celles-ci, entreprises beaucoup plus tôt par des archéologues, des géographes et des historiens qui ont servi de balise
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aux nôtres véritablement amorcées en 1998. Leurs écrits ont orienté et problématisé nos recherches qui, progressivement, révèlent des sites et des traces d’une occupation et d’une production culturelle anciennes dans l’Adamaoua. 15 juillet 1994, j’organise ma toute première reconnaissance archéologique dans la province de l’Adamaoua en compagnie des premiers étudiants du département d’histoire. Elle a lieu au mont Ngaoundéré, site d’ancienne occupation, aujourd’hui déserté. Je suis présent dans cette ville depuis six mois, consécutivement à mon recrutement comme enseignant d’histoire et d’archéologie à l’université de Ngaoundéré, créée en décembre 1993. Jusqu’alors, j’avais conduit mes recherches essentiellement dans les hautes terres de l’Ouest-Cameroun au compte de mon mémoire de maîtrise, de celui du DEA (Diplôme d’études approfondies), et de ma thèse de doctorat nouveau régime français. Appelé désormais à travailler dans l’Adamaoua au nord du Cameroun, cette région pour des raisons pratiques, devenait subito presto, mon nouveau terrain de recherche. L’ouest et le nord du Cameroun constituent des cadres de recherche différents au regard des paysages et des traditions culturelles qui les caractérisent. Pour qui change de terrain de recherche, modification motivée par une raison ou une autre, s’impose aussi la nécessité de nouveaux choix, dont l’identification et le cadrage de son nouveau terrain de recherche. Sa maîtrise progressive passe par la proposition d’un projet de recherche faisable, traversé par une problématique pertinente, la définition des fondements méthodologiques et des ancrages théoriques y relatifs, la construction d’un corpus bibliographique approprié, la localisation des informateurs et des sites de collecte des données. Ces précautions prises sans précipitation, on peut amorcer ses recherches, tout en étant conscient des ajustements contingents. En effet, aussi bien à l’ouest que dans l’Adamaoua, voire dans toutes les régions du Cameroun, les questions d’histoire qui se posent et pour lesquelles l’archéologie est sollicitée sont semblables ou presque. Il s’agit des migrations anciennes et peuplement, de la dynamique écologique, de l’organisation de l’espace habité, des mutations culturelles, de l’exploitation, de la transformation et de l’utilisation des ressources naturelles, thèmes sur lesquels les sources écrites et orales seules ne peuvent plus apporter des réponses crédibles et suffisantes. L’ouest et l’Adamaoua partagent en commun, un problème scientifique sérieux, celui de l’absence d’une tradition de recherche archéologique. En titrant en 1985 mon mémoire de maîtrise : Introduction à la recherche archéologique dans la Mifi à l’Ouest-Cameroun, indication explicite du caractère pionnier de ce type de recherche en pays bamiléké, j’étais loin d’imaginer qu’une décennie plus tard, je ferai face à une situation similaire dans les terres de l’Adamaoua.
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Face à l’immensité du terrain de recherche (63 701 km2) et privé de véritables repères scientifiques, je me suis interrogé sur la faisabilité de l’entreprise archéologique dans cette région, au regard des difficultés matérielles, financières et scientifiques. Que fallait-il chercher? Où fallait-il amorcer la recherche? Avec qui ? Avec quels moyens? Telles sont les questions qui agitèrent mon esprit au tout début de mon engagement dans la recherche archéologique dans l’Adamaoua. Le plus important était de refuser de renoncer afin d’accomplir le geste du semeur. Terrain de recherche identifié, projet de recherche défini, objectifs fixés, méthodologie affinée, j’ai pendant plus d’une décennie, en compagnie de quelques collègues et étudiants, sillonné l’Adamaoua. À l’occasion, j’ai rencontré et interviewé les autorités traditionnelles, les administrateurs du territoire, les cultivateurs, les bergers, les chasseurs, les potières, les forgerons et divers autres artisans et experts. J’ai échangé au hasard des rencontres dans les villes et villages, des idées avec d’autres chercheurs engagés dans divers projets. À pied souvent et à bicyclette parfois, j’ai prospecté des sites dans les départements du Djérem, du Faro et Déo, du Mayo-Banyo, du Mbéré et de la Vina. J’ai exploré les grottes et les abris sous roche, arpenté d’anciens villages, scruté des berges de rivières, sondé des sites dans des jachères, aux piémonts et aux sommets des collines et montagnes. Les résultats des prospections et fouilles que nous avons ainsi conduites de 1998 à 2008 révèlent des indices d’une occupation ancienne. Il s’agit d’aires d’habitats circonscrites ou non par des ensembles construits ; de vestiges de la culture matérielle composés de fragments de poterie groupés ou isolés, de grossiers éclats de pierre sur granite non retouchés et des haches polies; de meules dormantes et mobiles, de fonds de cases, de foyers et de greniers ; de tas de scories et de fonds des structures des fours à réduction et rarement d’outils métalliques. Ce patrimoine archéologique atteste formellement que l’Adamaoua n’est pas un vide archéologique sur le plan des sites et des vestiges matériels, mais un haut lieu de l’histoire ancienne et contemporaine du Cameroun. Il reste certainement encore à œuvrer pour découvrir et exploiter d’autres sites archéologiques. « Quand une région est vide sur la carte, il faudrait d’abord savoir si elle est pauvre en témoins archéologiques ou pauvre en prospections et ne pas déduire trop vite que les faits manquent, là où manquent seulement les informations » Quéchon (2002 : 106). Sous ce postulat, le développement des activités archéologiques dans l’Adamaoua doit se poursuivre. Des étudiants suivent d’ailleurs des cours spécialisés d’archéologie dans les universités camerounaises et quelques-uns parmi eux ambitionnent sérieusement de devenir des archéologues professionnels.
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4- Productions scientifiques antérieures sur la région de l’Adamaoua Située à la charnière du Cameroun méridional et septentrional, la région de l’Adamaoua a accueilli des chercheurs venus de plusieurs pays à des époques différentes. Issus d’horizons scientifiques variés, ils furent porteurs de projets scientifiques différents et complémentaires. Explorateurs, administrateurs coloniaux, missionnaires chrétiens, géographes, anthropologues, historiens, archéologues, climatologues, botanistes, géologues, économistes, politologues, etc., remontant du sud vers le nord, descendant du nord vers le sud, ou durablement installés dans la région, œuvrant en solitaire ou travaillant en groupe, ils ont exploré différents aspects de l’environnement naturel, étudié le milieu culturel, et ont ensuite déposé leurs rapports et conclusions dans divers documents, dont l’exploitation balise de nos jours nos recherches, ainsi que celles des autres. Les écrits disponibles traitent entre autres thématiques, de l’écosystème, des traditions d’origine, de l’occupation plus ou moins ancienne de l’Adamaoua, des schémas et des itinéraires migratoires souvent contradictoires d’un auteur à l’autre, des religions, des rites, de l’art, des fêtes, de l’artisanat, de l’architecture, des coutumes des peuples primitifs, de la dynamique des populations, etc. La méthodologie de recherche et les techniques de collecte et d’analyse des informations contenues dans les travaux des voyageurs scientifiques et des administrateurs coloniaux spécialement, sont souvent imprécises et discutables, complexifiant de fait la vérification de certaines de leurs affirmations. Néanmoins, tous ces auteurs ont le grand mérite d’avoir collecté et rassemblé à une époque révolue, une masse importante d’informations qui, de nos jours, sont devenues un patrimoine archivistique et sert de background aux différentes recherches entreprises dans la région de l’Adamaoua et ailleurs. Différentes possibilités d’entrées s’offrent pour présenter la contribution de ces travaux scientifiques antérieurs aux nôtres, soit par ordre chronologique, soit par discipline scientifique, soit en relation avec le titre et le grade des auteurs, soit encore selon la nature du document exploité (écrit ou matériel). Nous privilégions toutefois une approche thématique qui, en mutualisant les différents types d’entrées présumés, épouse l’organisation générale de cet ouvrage. Trois principaux thèmes sont privilégiés à savoir : le milieu naturel, l’histoire du peuplement et la dynamique de la culture matérielle. Les travaux des géologues, des géomorphologues, des géographes, des pédologues, des climatologues, des hydrologues, des botanistes et des zoologues, nous introduisent dans l’Adamaoua, ce vieux monde qui se structure et évolue sur le plan géomorphologique, géologique ou encore climatique depuis les temps anciens. La connaissance de cette histoire naturelle est fondamentale dans la mesure où l’environnement joue un rôle majeur dans la
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recherche archéologique. Dans le passé, il a influencé le pourquoi, le comment, le quand et le lieu où des gens pouvaient s’installer et vivre. Le territoire se présente alors comme le premier des patrimoines. C’est le lieu où la culture se construit, se structure et se diversifie. Les hommes y vivent, l’exploitent à des fins plurielles. Rares sont en effet les activités qui se déroulent en dehors du sol, du territoire, du terroir ou de la terre. Cette primauté en fait un objet de convoitise et une source potentielle de conflits, quand il vient à être désiré et discuté par des groupes aux intérêts divergents, notamment les chasseurs, les agriculteurs, les éleveurs, les miniers ou les industriels. Le relief, les cours d’eau, les sols, le climat, la flore et la faune de l’Adamaoua offrent des possibilités d’installation et justifient sans doute, l’attrait que la région exerce sur les populations depuis des siècles. Les géologues (Eno Belinga, 1983 et 1993 ; Temdjim Robert, 2006) montrent comment l’activité volcanique qui s’est manifestée de la fin du Secondaire jusqu’au début du Quaternaire, a donné lieu à de grands épanchements de basaltes, de trachytes et d’andésites, matières premières pour la production des artéfacts lithiques. Elle a créé par endroits, une topographie accidentée caractérisée par des cônes aux versants pentus et de surfaces planes, comme la vallée de la Bini et la plaine de Marza dans la Vina par exemple (Segalen, 1967 ; Morin, 1979). Ces sols d’origine volcanique sont particulièrement fertiles et confèrent ainsi à l’Adamaoua, le statut de grenier du Cameroun. Dans l’ensemble, le relief régional accuse une grande variété de faciès où plateaux et plaines alternent, traversés ici et là par des pics isolés. Ces montagnes aux faciès divers se prêtent favorablement à l’occupation humaine et accueillent depuis des siècles, les Mboum, les Dii, les Mambila, les Gbaya, les Nizo’o, les Pèré, etc., dans ses différents replis. Des travaux (Segalen, 1967 ; Muller & Gavaud, 1979 ; Ducafour, 1988), montrent que les sols variés et riches de l’Adamaoua constituent un réel atout pour les activités agricoles, pastorales, céramiques et métallurgiques. Cette générosité des sols, amplifiée par un climat hospitalier de type soudanien ou soudano-guinéen (Moby Etia, 1979 ; Suchel, 1982), a eu un impact non négligeable sur la colonisation de la région. Il s’agit d’une occupation ancienne et continue, comme le démontrent les anciens sites d’habitats et les vestiges matériels qui leur sont associés. Mais les vestiges céramiques, du fait de l’acidité de ces sols, des eaux de ruissellement et d’infiltration, altèrent la majorité des tessons de céramique collectés. Leurs surfaces, souvent très dégradées, empêchent la lecture d’éventuels motifs décoratifs. Le réseau hydrographique de l’Adamaoua (Olivry, 1986) est caractérisé par un chevelu hydrographique buissonnant comportant des cours d’eau aux régimes permanents et non permanents. Le principal fleuve régional est la Vina. Longue de 314 km, elle est reliée au domaine centrafricain par la Mbéré, qui
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prend sa source au nord de Meiganga. Fleuves, rivières et ruisseaux de la région fournissent aux populations des ressources variées, notamment l’eau à boire, l’eau pour les travaux agricoles et pastoraux, les ressources halieutiques et les voies de navigation. L’impact des cours d’eau dans la mise en place des populations dans l’Adamaoua reste cependant mal connu et mérite par conséquent des études particulières. Les études de Boutrais et al (1984), de Rippstein (1985) et de Mapongmetsem (1997), sur la végétation de l’Adamaoua, convergent pour indiquer que la flore régionale actuelle est le résultat des actions conjuguées de l’homme et du réchauffement climatique au cours des derniers millénaires. Elle a influencé comme nous le verrons plus loin, l’installation des hommes dans des sites appropriés ; leur a fourni fruits, feuilles, écorces comestibles et médicamenteuses ; les a approvisionnés en matériau utile à la fabrication de ses multiples outils ; les a pourvus de la source d’énergie indispensable au chauffage, à la cuisson des aliments et à la réduction des minerais de fer. Sous ce rapport, les formations végétales en place ne sont pas uniquement le reflet des données pédologiques, édaphiques, topographiques et climatiques, mais aussi, et surtout, la résultante d’une histoire multiséculaire entre l’homme et la nature en termes de rapport d’exploitation. Dans une perspective générale, on observe que les facteurs naturels convergent pour faire de l’Adamaoua une terre d’accueil favorable. Pendant des siècles, des populations en mouvement vont s’y installer et progressivement, vont se coaliser, se différencier, se structurer et favoriser l’émergence d’un formidable creuset culturel qu’exprime la mosaïque ethnique en place à traves ses savoirs, savoir-faire et savoir être. En effet, les migrations et la mise en place de ces populations, leur environnement naturel, leurs activités économiques, ainsi que leurs organisations sociales et leurs rituels, sont évoqués plus ou moins précisément dans des rapports de voyage des explorateurs et voyageurs allemands de la fin du XIXe siècle. Siegfried Passarge (expédition de 1893-1894), Léo Frobenius (fin XIXe-début XXe siècles), dont les rapports d’expédition ont été traduits en français par Eldridge Mohammadou et publiés en 1987, en font largement écho. Le rapport des voyages de Curt von Morgen (expédition 1889 à 1891), traduit par Philippe Laburthe-Tolra, même s’il est essentiellement axé sur les Vouté, peuple occupant le rebord sud du plateau de l’Adamaoua, informe sur le massacre des éléphants et le trafic d’ivoire qui s’ensuit, donne des indications utiles pour la reconstitution des paysages du plateau de l’Adamaoua à la fin du XIXe siècle. Il s’agit alors d’un milieu encore boisé, parcouru par des troupeaux d’éléphants dont les défenses font l’objet d’une convoitise et d’un trafic intenses, et attirent par conséquent dans la région, des commerçants de tous bords venus des horizons les plus divers et surtout du Nigeria voisin. Ardo Issa, fondateur du lamidat de Ngaoundéré, et divers dignitaires de la région seront
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d’ailleurs impliqués dans le massacre à grande échelle de ces pachydermes entre 1854-1878. Les rapports des administrateurs coloniaux allemands notamment von Briesen et Kurt Struempell (traduits en français par Eldridge Mohammadou, 1983), de même que ceux des administrateurs coloniaux français, Bru (1923) ; Jean-Claude Froelich (1951 ; 1959) et Bertrand Lembezat (1961), racontent l’histoire et la culture originales des peuples qu’ils ont rencontrés au début du XXe siècle dans l’Adamaoua, notamment les Mboum, encore épargnés des empreintes des colonisations islamique et européenne. Les informations contenues dans les rapports de ces voyageurs et administrateurs sont de nos jours d’un intérêt certain pour l’appréhension de la dynamique des paysages, des mouvements des populations, des spécialisations économiques et de l’histoire des techniques, comme la métallurgie du fer par les Dii, décrite par Passarge (ca 1895). Par ailleurs, certains vestiges matériels exhumés trouvent une explication judicieuse à la lumière des descriptions renfermées dans ces relations de voyages et rapports administratifs. La contribution la plus significative sur les mouvements de populations dans l’Adamaoua reste celle l’historien camerounais Eldridge Mohammadou (1990 ; 1991 ; 2004). Ses études sur les traditions d’origine des peuples du Cameroun central retracent les probables schémas migratoires qui conduisirent les différents peuples dans leurs habitats, aujourd’hui circonscrits dans le plateau de l’Adamaoua. Ses travaux ont parfois fait l’objet de vives polémiques à propos de la fiabilité des techniques de collecte des témoignages et de leur analyse. En effet, une certaine opinion a hâtivement reproché à ce grand oralien d’avoir privilégié l’histoire des Foulbé musulmans aux dépens de l’histoire des Kirdi. Toutefois, il est loisible à chacun de se faire une opinion sur ce débat et en toute objectivité, en se reportant aux multiples publications de Mohammadou. En effet, le travail abattu par l’homme est immense et sert toujours de balise aux différentes problématiques de recherche sur l’histoire générale du Cameroun. Conscient que l’histoire ne saurait s’écrire à l’aune d’une seule source, Eldridge Mohammadou se fit archéologue selon les circonstances, prenant le temps de collecter des documents matériels pour conforter et illustrer quelques-unes des informations orales qu’il avait recueillies. Ainsi, en mai 1996, il fit don au programme Ngaoundéré-Anthropos, organe de coopération scientifique entre l’université de Ngaoundéré et celle de Tromsø en Norvège, de 34 caissons contenant des artéfacts (tessons de poterie décorés, pipes entières ou en fragments, scories de forge, pierres taillées, objets métalliques, perles, etc.). Ces objets avaient été collectés dans la région de l’Adamaoua entre 1982 et 1989, au cours de ses recherches sur les traditions historiques des différents groupes ethniques de la région. Les résultats de cette odyssée scientifique furent publiés dans les deux volumes de ses Traditions Historiques des Peuples du Cameroun Central, respectivement en 1990 et 1991.
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Dans la lettre de donation des caissons contenant les artéfacts, Eldridge Mohammadou révèle l’existence de plusieurs villages jadis habités et aujourd’hui désertés, les localise sur des cartes, de même que les lieux de collecte des vestiges qu’il dénomme lui-même : Collection archéologique Eldridge Mohammadou. Dans cette lettre, il précisé que L’intention du collecteur, un historien, était de recueillir des témoignages de la culture matérielle destinés à compléter les sources orales obtenues. Il s’agit donc d’une « archéologie de surface ». Aucune fouille n’a été effectuée sinon l’élémentaire affouillement permettant de dégager les objets émergeant du sol dans les sites prospectés. Ceux-ci ont été laissés en l’état et pourraient faire l’objet de travaux archéologiques en règle ... Les sites d’où proviennent ces artéfacts ont été occupés par les principales ethnies de l’Adamaoua : Mbéré, Mboum, Ni-Zoo, Vouté, Kondja, Tikar, Mambila.
Son vœu était que les témoins de la culture matérielle de ces populations soient placés à la disposition de tous les chercheurs, tant nationaux qu’étrangers et si possible, soient un jour exposés dans le futur musée de Ngaoundéré. Les caissons sont actuellement stockés dans la bibliothèque du programme Ngaoundéré-Anthropos, hélas, aujourd’hui révolu. Les informations préliminaires issues de l’exploitation des cartes de localisation des sites potentiels révélés par Eldridge Mohammadou nous ont effectivement servi de repères au cours de nos prospections dans toute la région. D’autres travaux, d’intérêt anthropologique et géographique ont influencé à des degrés divers, nos études archéologiques dans les villages de l’Adamaoua. Dans le champ de l’anthropologie spécifiquement, Renate Wente Lukas (1977) et Jean-Claude Muller (1983 ; 1992 ; 1993 ; 1997 ; 2001), dans leurs publications sur les Dii, démontent la chaîne opératoire des productions céramiques et métallurgiques de ce peuple, réputé et à juste titre, pour sa maîtrise des arts du feu dans l’Adamaoua. Les données anthropologiques déposées par ces chercheurs et associés prennent d’ailleurs un relief particulier dans nos investigations au regard de la place qu’y occupent les métiers du feu. Les études d’Olivier Gosselain (2000 ; 2008) et de David Zeitlyn (1992 ; 1993 ; 2000), sur les Mambila d’Atta, de Somié et de Sonkolong du Cameroun, élargissent par ailleurs les horizons de nos connaissances sur l’anthropologie des techniques chez ce peuple, logé aux confins méridionaux de l’Adamaoua. Le géographe français André-Michel Podlewski (1971 ; 1978 ; 1989) permet de par la qualité de ses travaux scientifiques, une meilleure connaissance de la dynamique des peuples du Nord-Cameroun, descendants probables des producteurs des cultures matérielles que les archéologues exhument aujourd’hui dans la région. Son article « Notes sur les objets sacrés traditionnels mboum (Adamaoua-Cameroun », publié en 1978, est d’un intérêt exceptionnel, dans la mesure où il fut l’un des rares chercheurs, en plus des administrateurs coloniaux
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français Bru (1923) et Jean-Claude Froelich (1951 ; 1959), à avoir réellement vu et photographié quelques exemplaires des regalia et sacralia des Mboum à une époque où la tradition de ce peuple considérait comme sacrilège et profanation du sacré, le fait pour toute personne de voir ces « choses des Mboum » en dehors des notables. Jadis, « le secret était requis au sujet de la nature de ces mystérieux objets censés posséder en eux une parcelle de la puissance divine. De ce fait, celui qui révèlerait leur identité serait puni de mort par les dieux » (Mohammadou, 1990 : 134). Ces objets sacrés, en particulier ceux qui servaient à la célébration du Mbor Yanga, fête du Nouvel An des Mboum ou fête des prémices, furent considérés comme des fétiches impurs, impropres au culte musulman, à l’issue de l’accession au trône en 1931, de Bélàkà Sawboum qui embrassa la religion islamique. Dès lors, ces choses sacrées furent soustraites du rituel, puis cachées dans les antres de plusieurs grottes, dont celle de Raou Yon Pou à Ngan-Ha, capitale actuelle des Mboum. Elles ne seront ramenées à la lumière du jour qu’à la fin du siècle dernier pour des motifs davantage politiques que rituels. En effet, ce chef mboum, ainsi que ses successeurs convertis à l’Islam, en taxant les signes-objets du pouvoir de leurs ancêtres de suppôts du diable, les condamnaient à la destruction. Ils furent épargnés de la casse par miracle. Grâce à la vérité des photos de Podlewski, qui complètent les dessins et les textes de Bru et de Froelich, l’archéologie, l’histoire, l’anthropologie culturelle et la muséologie essayent à présent d’étudier les objets rescapés in extremis, de les documenter tout en les préservant contre les dégradations infligées par le temps et les indélicatesses des hommes, comme nous le verrons aux chapitres 4 et 5 de cet ouvrage. Les travaux d’histoire ancienne, d’histoire naturelle, d’histoire de l’art ou des techniques sur l’Adamaoua et qui intéresseraient les recherches archéologiques, sont rares à notre connaissance. Les études disponibles portent essentiellement sur les questions politiques contemporaines, alimentées par des revendications ethniques sur fond d’appartenance religieuse. L’éternel antagonisme à multiples facettes entre Foulbé musulmans et Kirdi, grossièrement assimilés par les premiers aux païens, chrétiens ou animistes, est récurrent dans toutes les productions scientifiques disponibles. On dirait un refrain. Le livre de Martin Zachary Njeuma (1978), Fulani Hegemony in Yola (Old Adamawa) : 1809 : 1902, ainsi que son article (1993) « The foundation of radical Islam in Ngaoundere : 1835-1907 » ; l’article de Thierno Mouctar Bah (1993), « Le facteur peul et les relations interethniques dans l’Adamaoua au XIXe siècle » ; les réflexions des missionnaires réformistes norvégiens, comme Kåre Lode (1990), Appelés à la liberté : histoire de l’Eglise Evangélique Luthérienne du Cameroun ; Drønen Tomas Sundnes (1998),”Islam and Ethnicity in Northern Cameroon” ; (2002), La voie de l’Islam et la voie de Christ. La croix et le croissant en Afrique de l’Ouest, explorent et expliquent les
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fondements de base de ces oppositions religieuses, lesquelles débordent sur des querelles d’antériorité ou de postériorité d’occupation du territoire, pour déboucher subrepticement sur des revendications politiques explicites et implicites. Ces questions identitaires intéressent en effet l’archéologue, dans sa quête sur la mise en place des populations et leurs rapports avec l’environnement et le développement. Dans le champ de l’archéologie, la mauvaise perception de l’intérêt des études archéologiques, l’absence de chercheurs professionnels et le manque de financement crédible ont hypothéqué l’organisation de véritables recherches archéologiques dans l’Adamaoua. Aucune fouille digne de ce nom n’y a été entreprise avant la création de l’université de Ngaoundéré en 1993. Jusqu’à cette date, les données archéologiques disponibles étaient le fruit des collectes d’objets en surface par des administrateurs coloniaux, des anthropologues et rarement par des archéologues professionnels. Citons les objets lithiques taillés ou des haches polies signalés à Mayo-Darlé et à Tibati par l’administrateur de la France d’outre-mer, Jean-Baptiste Jauze (1944) ; « les industries à galets aménagés du Haut-Bassin de la Bénoué (Cameroun) », décrites par l’archéologue Jean Hervieu en 1969 ; les artéfacts lithiques découverts à Djohong par l’archéologue François Paris et rapportés par Alain Marliac (1978a). Celui-ci, aiguillonné par ces trouvailles de surface, pressentit le riche potentiel archéologique de l’Adamaoua et incita les archéologues à investiguer dans cette région. Son appel restera longtemps sans écho. Le géographe Jean Hurault (1993 ; 1997), sur la base de ses investigations ethnodémographiques fondées sur le comptage des meules dormantes et leur utilisation sur les sites défensifs de l’Adamaoua occidental, donne des indications sur la dynamique des populations de la région, propose des méthodes pour évaluer leurs modèles d’occupation de l’espace et de mise en valeur des sols en pays tikar et mambila. Il s’agit là d’une méthodologie particulière, que nous avons expérimentée dans les sites de la Vina et du Faro et Déo, avec des résultats plus ou moins concluants. Les exhortations de Marliac et de Hurault resteront sans effet sur la couverture archéologique régionale. À partir de 1998, grâce à un humble soutien financier du programme Ngaoundéré-Anthropos, organe de coopération scientifique qui unit les universités de Ngaoundéré du Cameroun et de Tromsø en Norvège, nous amorçons les prospections archéologiques dans différentes localités de la région. Les résultats préliminaires firent l’objet de communications aux colloques avant d’être publiés dans des revues scientifiques (Nizésété, 2001 ; 2007 ; 2008 ; 2009a ; 2010a ; 2010b) au terme des datations au C14 et des analyses de certains vestiges au laboratoire. Sous notre direction, quelques étudiants ont entrepris des recherches archéologiques dont certaines ont débouché sur la production des mémoires de maîtrise et de Diplôme d’études approfondies (DEA). C’est le cas de Sardi Abdoul, 1999 ;
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Hassimi Sambo, 2006 ; Ngono Lucrèce, 2006, dont les recherches doctorales sont en phase terminale. Dans l’ensemble, il convient de souligner combien nos recherches ont bénéficié de l’apport multiple de ces travaux antérieurs pour se définir et se structurer, pour identifier les questions et les sites de recherche, pour fixer les objectifs à atteindre et évaluer les problèmes à résoudre. Nous avons travaillé dans une solitude totale, sans le bénéfice d’une présence régulière des archéologues professionnels sur le terrain, en dehors d’un bref, mais enrichissant séjour en 1994 et 2001, de l’archéologue norvégien Reidar Bertelsen. En dépit de ce manquement, l’impact sur la qualité de l’analyse du matériel recueilli ainsi que sur les conclusions et les hypothèses est sans épaisseur. 5- Ancrages théoriques Au cours de son évolution, le cadre conceptuel de l’archéologie a éclaté, passant du simple discours sur les origines, sur le passé à travers les vestiges enfouis dans le sol, pour se présenter comme la science de l’inventaire général de l’héritage culturel mondial, relevant aussi bien du passé que de l’actuel, conservé dans le sol ou visible en surface. Cette dynamique dans la définition est consécutive aux débats théoriques et méthodologiques au cœur de la discipline, qui reprécisent la méthode, l’objet et la visée des études archéologiques, reculent dans le passé, et avancent dans le présent, les horizons des connaissances sur la geste millénaire de l’humanité. En définissant l’archéologie comme comptable de l’univers technique dans son ensemble, y compris du nôtre, ses partisans ont posé les jalons d’une archéologie moderne et contemporaine, aujourd’hui enseignée à l’université, à défaut d’être encore enregistrée lexicalement parlant, la référence au passé n’est plus requise : l’archéologie se définit par la spécificité de son objet, « les produits de l’industrie humaine », et non plus par les conditions particulières d’observation comme l’enfouissement. L’archéologie ne se définit plus selon le couple d’opposition ancien/moderne, mais selon le couple naturalité/technicité. Ce glissement de son objet de l’« ancien » à l’« ouvrage » est, à ce jour, le dernier avatar de l’histoire mouvementée du mot « archéologie » (Jockey, 1999 : 15).
Associer à la description rigoureuse des d’objets (l’archéographie) leur interprétation (l’archéologie), constitue l’ossature théorique et pratique de cette étude conduite dans un pays où le peuple est demandeur de son histoire. À cet effet, notre démarche scientifique décale quelque peu d’une tradition observée dans certaines publications relatives à l’archéologie camerounaise, lesquelles privilégient une description mathématique des vestiges, dans un discours hermétique accessible aux seuls initiés. Cette littérature complexe constitue
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d’ailleurs l’un des motifs réels qui freinent l’enthousiasme et l’engagement des étudiants camerounais dans la discipline archéologique. La science ne saurait être confondue à l’hermétique ou à l’herméneutique, au risque de devenir de l’ésotérisme ou de l’occultisme, qui relèvent de l’irrationnel. Comment appréhender réellement l’apport de l’archéologie à l’histoire lorsque les travaux disponibles reposent le plus souvent sur une batterie de mensurations de milliers de tessons de céramique fragmentés au hasard des circonstances ? Quels enseignements tirer de ces textes qui fourmillent de graphiques et des tableaux statistiques, racontant l’histoire des monceaux de pierres sans que les auteurs aient au préalable parfois vérifié les faciès, les factures ou les tranchants avant de leur attribuer la qualité d’outils ? Comment comprendre l’histoire de ces récipients en terre cuite de même que celle de ceux et/ou de celles qui les ont fabriqués et utilisés, lorsque la plupart des études céramiques disponibles se résument, dans bien des cas, en de savantes analyses de décors muets, tracés, gravés ou imprimés par d’anonymes potières? Même interrogation sur l’attribution de ces codes décoratifs ésotériques, singulièrement complexes avec des explications et des conclusions effarantes sur des théories décoratives locales. Ces études, sans être dénuées d’intérêts, s’apparentent à une opération intellectuelle alchimique, sans prise avérée sur l’histoire des savoirs et des savoir-faire locaux, ainsi que celle de leurs auteurs, ces anonymes experts. Sous ce rapport, les théories convoquées dans cette étude placent l’homme et son histoire au centre des études archéologiques. Il ne s’agit point en tout cas de « fabriquer » une histoire avec les restes ou les débris d’une production matérielle enfouis ou émergés, et de verser dans des affirmations béates dont les dérives observées chez certains chercheurs ont ensanglanté diverses régions du monde, pour avoir intentionnellement ou naïvement suscité et nourri des haines et des conflits identitaires aux ramifications morbides insoupçonnables. Les cadres théoriques convoqués dans cette étude reposent sur la transdisciplinarité, l’écologie culturelle, l’archéologie du présent et la Nouvelle Histoire. a) Transdisciplinarité L’homme au centre de cette étude requiert pour son appréhension, la transdisciplinarité, qui est la mutualisation des disciplines scientifiques. La reconstitution des sociétés disparues, objectif premier de l’archéologie, ne peut être le résultat d’une seule discipline. La rencontre et le service des sciences humaines, sociales, artistiques, naturelles, techniques, etc., sont absolument indispensables pour la conduite d’une opération archéologique véritable. Dans cette perspective, la transdisciplinarité, n’est pas la confusion de disciplines, mais la mutualisation d’un faisceau de disciplines scientifiques plus ou moins apparentées, qui se proposent d’apporter des réponses toujours plus précises aux
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multiples et complexes problèmes que posent les vestiges matériels disponibles, qu’ils soient exhumés ou observables à la surface du sol. L’archéologie, science carrefour est transdisciplinaire, par excellence. L’archéologie est la science la moins isolée qui soit, car, concernant l’homme et ses achèvements, elle doit être associée à toutes ses activités afin de pouvoir avec vérité retracer celles-ci et retrouver toutes les évidences de l’ingéniosité humaine, technique et culturelle. Science complète, extrêmement complexe dans la conduite même de la recherche comme dans les moyens utilisés pour celles-ci, l’archéologie est, à l’image même de l’homme qu’elle a pour propos d’étudier, un microcosme. C’est ce microcosme disparu qu’il importe de reconstituer le plus fidèlement possible (Louis Frédéric, 1967 : 41).
Discipline scientifique, l’archéologie sert l’histoire et se fixe pour principal objectif, l’étude et la reconstitution de l’histoire de l’humanité depuis ses premières manifestations jusqu’à ses prouesses actuelles en s’appuyant sur ses vestiges matériels quels qu’ils soient. Mais ce pari n’est gagnable que si les contributions spécifiques des disciplines issues des horizons humains, sociaux, techniques, artistiques, biologiques, environnementaux, etc., lui sont assurées. Toutes les sciences sont en effet indispensables à l’archéologie qui se propose d’appréhender l’homme qui est d’ailleurs au cœur de toutes les recherches scientifiques. Louis Frédéric (1978 : 37), Colin Renfrew et Paul Bahn (1996 : 11), notent d’ailleurs que, si l’archéologie sert surtout l’histoire, elle n’est pas moins servie par une multitude d’autres sciences. Jadis considérée comme de l’art en tant que science des monuments figurés de l’Antiquité ou réduite à une archéologie d’art, cette vision restrictive et réductrice de l’archéologie a été progressivement bousculée et élargie par « la sophistication toujours plus grande des méthodes de fouille, qui constitue l’un des traits marquants de l’archéologie depuis les années [mille neuf cent] cinquante et qui exige des archéologues une formation approfondie » (Jockey, 1999 : 14). Ainsi, dans son évolution, l’archéologie en devenant une science a d’une manière progressive construit une ossature méthodologique appropriée, dont les bases scientifiques ne s’éloignent cependant guère des repères classiques en la matière, à savoir l’argumentation critique, le contrôle, la vérification, la réfutation, l’explication et l’interprétation en toute objectivité. Les sciences qui accompagnent l’archéologie relèvent de quatre grands ordres : historique, naturel, technique et artistique et lui sont toutes d’un grand apport. Nous recourons dans inventaire des disciplines affines de l’archéologie aux travaux de Louis Frédéric (1978 : 37-41), de Jean Guilaine (1989 : 11-28) et de Henry de Lumley (2004 : 3-4). Les sciences historiques sont prioritaires et essentielles dans ce bouquet de disciplines en ce sens qu’elles permettent à l’archéologue de remonter le temps. L’archéologie a d’ailleurs pour principal objectif, la quête scientifique du
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passé ; elle ne peut atteindre son but, qu’en sollicitant le concours des sciences historiques. Nous retenons dans le registre, les disciplines suivantes, dont quelques-unes sont sans application dans l’Adamaoua. La paléographie ou science des anciens textes sur actes, parchemins ou manuscrits ; l’épigraphie ou science des inscriptions antiques sur pierres, métaux et objets ; la cryptographie pour la découverte du sens caché d’une écriture ; la linguistique ou science des langues et qui recherche les parentés entre les langages ; l’onomastique qui se consacre à la recherche de l’origine des noms de personnes ; la toponymie qui étudie les noms des lieux et recherche même leurs origines ; la numismatique ou science des monnaies ; la sigillographie qui étudie les sceaux ; la généalogie qui recherche scientifiquement les filiations existant entre des groupes d’individus ou des individus isolés et à retrouver la souche commune à un certain nombre de ceux-ci ; la chronologie, science des dates, joue un rôle majeur dans l’éclairage des ombres qui traversent différents systèmes chronologiques mis au point à des dates différentes dans le monde. À ce sujet, Louis Frédéric (1967 : 38) rapporte : « les ères débutant à des dates différentes suivant régions, peuples ou époques, le temps étant divisé de même en section de longueurs inégales (par exemple mois solaire et mois lunaire), il s’ensuit que la correspondance des divers calendriers pose parfois, pour la situation exacte d’une date inscrite, des problèmes ardus » ; la diplomatique qui étudie la gestion des relations entre des groupes humains en société ; l’anthropologie culturelle qui étudie les peuples et leurs cultures avec une attention spéciale sur l’espace habité. L’accent ainsi mis sur la connaissance de l’espace domestique élargit le champ des recherches archéologiques en complétant les données de la stratigraphie et de la typologie qui privilégient le temps et les outils. Jean Guilaine (1989 : 15-16), précise ci-dessous, l’apport particulier de l’espace habité dans la connaissance des peuples et de leurs traditions, démarche qui relève précisément de l’anthropologie culturelle : Les découpages horizontaux des sols d’habitats associés à l’enregistrement minutieux de tous les vestiges abandonnés par l’homme fournissent au chercheur des images complètes de l’espace domestique. Dans cette quête, aucun document n’est jugé secondaire. Il est, certes, des structures évidentes, construites (foyers, murs, amas de pierres, calages) ou creusées (trous de poteaux, cuvettes de combustion, silos, aires d’extraction d’argile). De même, des nappes d’objets ou de débris (déchets minéraux, végétaux ou animaux, parfois de taille minuscule) renseignent sur les aires d’artisanat, ou de rebut, mais aussi sur les gestes qui ont abouti à une telle dispersion. Enfin, les zones apparemment vierges n’étaient pas forcément inoccupées (litières, lieux d’activité n’ayant pas laissé de témoignages matériels visibles, mais dont la fonction peut être mise en évidence, par exemple par des analyses chimiques). L’ensemble de ces observations, directes ou secondaires, permet une meilleure approche du comportement à l’intérieur des unités familiales : zones d’activité, de repos, de chauffage, de conservation, de rejet.
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La synergie des sciences affines et connexes à l’archéologie permet de remonter le temps, d’attester ou de corriger les données sur les mouvements migratoires fournies par d’autres sources de l’histoire, élargit les connaissances sur les gestes et les techniques ayant permis la production des objets d’usage quotidien ou rituel que l’on trouve dans les sites archéologiques. Recueillis au cours des prospections et des fouilles, ces vestiges constituent des matériaux, utiles pour la rédaction de l’histoire des périodes proches de nous ou éloignées dans le temps, en l’occurrence celles-là qui échappent à notre connaissance du fait de l’absence des documents écrits et des lacunes des traditions orales, quand elles existent. Les progrès scientifiques et techniques ouvrent chaque jour de nouveaux horizons à l’archéologue et lui offrent de nouvelles possibilités d’analyse et d’interprétation. La conséquence de l’extension de son champ d’investigation le contraint à ne plus travailler en solitaire et l’oblige à se spécialiser sur une période, sur une région ou sur un thème précis. Mais, même en se spécialisant, il ne pourra pas tout faire ou tout comprendre. Il restera astreint à la collaboration avec différents spécialistes, dont beaucoup ignorent tout ou presque de l’archéologie. Il exploitera toutefois les résultats de leurs analyses pour réaliser des synthèses et tirer les conclusions sur les questions qu’il s’est posées. Les principales sciences naturelles et techniques qui interviennent dans le champ de l’archéologie sont multiples. Elles sous-tendent les analyses et les interprétations et contribuent de manière significative à la publication des résultats de recherche. La photographie terrestre ou aérienne sert de mémoire, de témoignage, de méthode et de moyen de recherche et d’analyse des données. L’électronique permet les enregistrements, la détection et la visualisation à distance même dans le sol, autorise les communications les plus diversifiées. L’archéopétrographie permet la détermination de la nature des roches, afin de connaître leur origine géographique. On peut ainsi découvrir l’étendue d’un territoire parcouru par des hommes anciens à la recherche des matières premières. La géologie étudie les sols et leurs variations, la provenance de certains matériaux ou métaux, la dynamique des climats. En faisant des carottages dans les dépôts profonds des océans, des lacs, des tourbières ou des dépôts glaciaires, les géologues parviennent à reconstituer l’histoire des climats. La physique nucléaire est indispensable dans des analyses particulières comme la datation des sites et des vestiges. Sa contribution à la définition rigoureuse des repères chronologiques qui situent la dynamique de l’environnement et les actions humaines dans le temps est incomparable. En général, lorsqu’on aborde le lointain passé de l’humanité, la première question à laquelle on doit souvent répondre pour savoir ce qui s’est réellement passé est : quand? Quand est-ce que les changements les plus significatifs se sont-ils
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produits dans les diverses parties du monde où nous vivons et que nous explorons ? Quand ont eu lieu les principales révolutions technologiques, qui ont affecté et influencent encore la marche du monde ? Pour répondre à ces interrogations, les progrès scientifiques mettent désormais à la disposition des archéologues, des moyens leur permettant d’exploiter par eux-mêmes ou par leurs collaborateurs, différentes méthodes physiques : mesure des rapports isotopiques, méthodes du carbone14, de l’uranium-thorium, du potassium-argon, de la thermoluminescence ou de la résonance électronique de spin. Les possibilités de datation scientifique sont multiples, chacune étant sollicitée selon les particularités des cas en présence. La sédimentologie documente le chercheur sur les variations du climat et du paysage, l’informe sur les activités des hommes dans les lieux mêmes où ils vécurent grâce à l’analyse minutieuse des sédiments prélevés dans les sites. La biochronologie apporte des données concrètes sur la paléoclimatologie. En zone tropicale par exemple, les restes de faunes mis au jour informent sur les anciens climats. Ils précisent si l’on se trouve en climat tropical sec (girafes) ou en climat équatorial humide (gorille). On peut ainsi lire la succession des climats dans un site donné à partir des restes de sa population animale. La paléoanthropologie étudie les restes humains ainsi que l’évolution des espèces animales et des hominidés. La paléontologie permet la reconnaissance de la diversité des espèces animales qui vécurent jadis dans ou autour des sites préhistoriques. La paléopathologie met en évidence les maladies des hommes disparus à partir de l’étude de leurs ossements. La biologie humaine fait découvrir à partir d’un squelette entier ou fragmenté, le sexe, l’âge ou les maladies d’un individu. L’archéozoologie étudie les fragments d’os de toutes les tailles. Grâce aux progrès scientifiques, les chercheurs sont dorénavant capables d’apporter des informations inédites sur les animaux chassés et les modes de leur consommation, les techniques de dépouillage, de boucherie, de dépeçage ou d’extraction de la moelle, à partir des types de fractures et des marques particulières observées sur les ossements. La tracéologie permet, à l’aide des loupes et des microscopes électroniques à balayage, d’observer des 'micro-stries' et des traces d’usure sur le tranchant des outils, puis de se faire une idée sur les fonctions de ces outils ou encore sur les objets et les méthodes qui servirent à leur fabrication. La paléobotanique apporte des informations sur les anciens paysages grâce à la détermination des pollens, des charbons de bois et des graines. Elle exploite à cet effet les données de la palynologie, de l’anthracologie et de la paléocarpologie. La palynologie est la science d’identification des pollens et des spores émis chaque année dans l’atmosphère par les plantes. Elle permet par
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conséquent la reconstitution des paysages disparus. On la combine désormais avec l’anthracologie qui étudie des charbons de bois brûlés et la paléocarpologie qui étudie les vieilles graines des plantes spontanées ou cultivées. La malacologie (étude des mollusques) continentale ou marine, l’ichtyologie (étude des poissons), ainsi que les sciences qui étudient la microfaune (rongeurs, reptiles, amphibiens, oiseaux), apportent désormais de précieuses indications sur l’évolution des espèces et dégagent l’impact des actions anthropiques sur le milieu marin et terrestre. La zoologie et la botanique restent utiles pour la reconstitution de l’environnement, du climat, des modes de vie et la détermination des espèces animales et végétales. La céramologie et la métallurgie à travers l’analyse des restes de pots et des métaux fournissent d’utiles informations sur la nature, la provenance, les procédés de fabrication des objets. Les mathématiques sont utiles pour des applications des données qualitatives, quantitatives et pour la construction des tableaux de fonctions. Longtemps considérée comme une science artistique, du fait de l’orientation spécifique des premiers archéologues vers l’étude des chefs-d’œuvre du génie créateur humain comme la sculpture, la peinture, l’architecture, la parure, etc., l’archéologie, bien qu’ayant opéré une formidable révolution théorique et méthodologique, a conservé une étroite solidarité avec les sciences artistiques. Il s’agit de l’architecture, de la sculpture, de la peinture, de la gravure, du dessin, de la poterie, du tissage, de la parure, de l’esthétique, de la psychologie de l’art, etc., qui sont d’un apport indéniable à la connaissance des civilisations anciennes, caractérisées pour certaines par des productions artistiques monumentales et originales, dont la technicité, la grandeur, la beauté, la finesse des structures et des formes restent inégalées, comme le démontrent les pyramides de l’Égypte pharaonique, les murs du Grand Zimbabwe, les figurines Nok et Ife du Nigeria, les arts sao du Cameroun entre autres prouesses artistiques de l’humanité. Chacune de ces sciences a sa propre histoire ainsi que ses fondements méthodologiques propres. De ce fait, l’archéologue, lors de ses inventaires ou pendant ses analyses et interprétations, doit recourir aux différents spécialistes et au besoin, collaborer avec eux lorsqu’il cherche une solution à un problème. Il peut tout aussi consulter des ouvrages de référence dans chaque domaine en cas de nécessité. En fin de compte, ce bouquet scientifique donne l’opportunité pour l’appréhension des modes de vie des occupants des sites aujourd’hui désertés, pour l’évaluation des possibilités offertes et des limites imposées par les territoires qu’ils colonisèrent, pour percer le mystère sur qui ils étaient et ce qu’ils faisaient, ce qu’ils pensaient. En effet, la restitution du paysage est une
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donnée essentielle pour re-placer/re-situer l’homme dans son milieu, pour mieux comprendre ses activités économiques, pour proposer des réponses aux questions que suscitent des trouvailles archéologiques et qui se formulent en termes de quand ? Comment ? Pourquoi ? Où ? Mais cette panoplie scientifique n’a pas été utilisée dans nos recherches dans l’Adamaoua. Comment le pourrions-nous d’ailleurs dans un univers scientifique plus dominé par les théories que par des applications pratiques, où le virtuel et le rêve l’emportent sur le réel et la réalité. L’accès aux sciences techniques est fortement compromis par la carence des moyens humains, matériels et financiers, et limité par l’absence manifeste de la logistique d’analyse. De ce fait, nous avons recouru aux disciplines de base, dont l’anthropologie culturelle, la toponymie, la chronologie, la zoologie, la botanique, la céramologie, la métallurgie, et la sculpture, sur lesquelles des études générales sont disponibles et exploitables. Elles ont ainsi permis de collecter des informations de base, de procéder aux multiples prélèvements et de formuler les hypothèses primaires de recherche. Les analyses physico-chimiques et les datations absolues, qui constituent le poumon de la recherche au regard du poids de leurs résultats sur l’ensemble des travaux, se font ensuite ailleurs, loin du Cameroun, dans des laboratoires spécialisés et suréquipés des États-Unis d’Amérique, de l’Europe et de l’Afrique du Sud. Sous ce rapport, les Africains n’ont pas toujours pris conscience de l’importance de leur histoire et de sa valorisation en faveur du développement. Ils restent encore à la marge des grandes révolutions scientifiques et techniques qui, depuis le XVe siècle au moins, assurent le contrôle du monde et surtout de l’Afrique à ceux-là qui les inventent, les maîtrisent, les ajustent et les propulsent. b) Écologie culturelle Cet aperçu sur la convergence des disciplines donne une idée de la complexité de la recherche archéologique et de ses multiples facettes. Il permet surtout, grâce aux résultats issus d’un croisement transdisciplinaire, d’appréhender la variété des milieux naturels occupés par l’homme, de comprendre le pourquoi de la diversité des cultures dont certains aspects sont tributaires des données naturelles du milieu, de jauger les forces qui travaillent l’évolution des milieux et des sociétés, d’évaluer les impacts écologiques et culturels qui découlent de cette dynamique, et d’apprécier les réponses qui leur sont données en termes d’adaptations ou de disparitions. C’est donc sur un socle bâti sur les interactions entre les hommes et leurs milieux de vie que se construisent les cultures ou civilisations, entendues comme l’ensemble des pratiques sociales acquises par apprentissage. Les cultures sont diverses et différentes. Une telle observation met à mal la théorie raciale et raciste qui sous-tend que la Civilisation est unique et manifestement d’essence européenne. Ce
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postulat prôné par un certain discours ethnologique, défendit la thèse d’un évolutionnisme unilinéaire, refusant d’emblée aux sociétés non européennes, le critère de civilisation, voire leur inaptitude immédiate à y prétendre ou à y accéder. L’anthropologue américain Lewis H. Morgan, dans son fameux ouvrage Ancient Society (1877), définissait d’ailleurs les grandes étapes par lesquelles toutes les sociétés devaient forcément passer afin d’accéder à la Civilisation. Sauvagerie et Barbarie d’abord, et Civilisation enfin. Si la culture ou civilisation, il est vrai, n’est ni un donné ni une donnée, mais une acquisition, c’est-à-dire le produit d’une construction, le résultat d’un processus évolutif, pourquoi pensait-on qu’en principe, l’accès n’était permis qu’à ceux-ci (implicitement les Européens), même par voie naturelle, par droit de sang, de façon biologique éventuellement et par contre, cet accès était refusé à ceux-là (explicitement les Africains, les Amazoniens, les Océaniens). Ils ne pouvaient daigner y prétendre que si leurs « bons et gentils maîtres européens » les transformaient, les aliénaient et au besoin, les assimilaient même par la force afin que, devenus « de petits blancs », ils deviennent des civilisés. Ci-gît le fondement de la philosophie coloniale, ce lourd fardeau de l’homme blanc, du colonial britannique Rudyard Kipling. Les théoriciens de l’évolutionnisme unilinéaire, influencés par le lamarckisme et le darwinisme, enseignaient en effet que l’humanité porte en elle des dispositions immanentes qui se développent au fur et à mesure que la société progresse, sans autre forme de déviation possible du processus rectiligne et unilinéaire qui les conduit au progrès et les introduit dans le « monde historique ». Mais de l’avis de beaucoup de penseurs européens, l’Africain ne pouvait en aucun cas accéder à la Civilisation, car il portait en lui et dès sa naissance, les germes naturels de la sauvagerie et de la barbarie, que rien ne pouvait éradiquer totalement. Le philosophe anglais David Hume (1711-1776), le diplomate français Arthur de Gobineau (1816-1882) et tant d’autres jusqu’au sinistre Allemand Adolf Hitler (1889-1945), se vautrèrent dans ces mythes, prêchant béatement que les Noirs étaient inférieurs par nature aux Blancs, leur déniant toute humanité, pour des raisons aussi farfelues les unes que les autres (Cf. Obenga, 1996, 17- 44). Romanciers, philosophes et ethnologues particulièrement, se chargeront de la proclamation de ces inepties. Le discours ethnologique (le terme ethnie étant réservé aux peuples réputés sans écriture a été dès le départ marqué par le préjugé raciste. « Idolâtre ou ethnique », écrivait dès le XVIe siècle Clément Marot. L’ethnographie est la collecte descriptive des documents. L’ethnologie qui est la synthèse comparative a été, par la force des circonstances, un discours à prémisses explicitement discriminatoires et à conclusions implicitement politiques, avec entre les deux un exercice « scientifique » forcément ambigu. Son principal présupposé était souvent l’évolution linéaire, avec en tête de la caravane humaine l’Europe pionnière de la Civilisation, et à la queue, les « peuplades » primitives d’Océanie,
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d’Amazonie et d’Afrique. Comment peut-on être Indien, Noir, Papou, Arabe ? « L’autre », arriéré, barbare, sauvage, selon les degrés, est toujours différent, et c’est à ce titre qu’il est l’objet de l’intérêt du chercheur ou de la convoitise du traitant. L’ethnologie reçut ainsi délégation générale pour être le Ministère de la curiosité européenne, à l’égard de « nos indigènes ». Friand des états misérables, des nudités et des folklores, le regard ethnologique était souvent sadique, lubrique, et dans le meilleur des cas, quelque peu paternaliste (Ki-Zerbo, 1980 : 33).
Une telle posture scientifique déniait d’emblée toute possibilité d’inventivité aux peuples d’Afrique, d’Amazonie ou d’Océanie. Tout ce qu’on pouvait y trouver ne pouvait qu’être le fruit du hasard, d’un accident ou encore la survivance d’une œuvre philanthropique bâtie par des hommes blancs venus d’ailleurs et repartis subrepticement. L’Allemand Wilhelm Friedrich Hegel (édition 1979 : 249) mentit dans La Raison dans l’Histoire. Introduction à la Philosophie de l’Histoire, que l’Afrique septentrionale donnant sur la Méditerranée est rattachée au monde européen rationnel. L’Afrique proprement dite ou l’Afrique noire est repliée sur elle-même. Éloignée du théâtre de l’histoire universelle, sa population vit « dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation, car l’Afrique est un monde ahistorique nondéveloppé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l'histoire universelle ». Le Français Joseph Arthur de Gobineau (édition 1963 : 368) calomnia les Africains dans son Introduction à l’Essai sur l’Inégalité des Races, en racontant que « la variété mélanienne [population négro-africaine] est la plus humble et gît au bas de l’échelle. Le caractère d’animalité empreint dans la forme de son bassin lui impose sa destinée. Elle ne sortira jamais du cercle intellectuel le plus restreint ». L’Anglais Hugh Trevor se fourvoya dans « The Rise of Christian Europe » (1963), en spéculant que « ce que les gens appellent de l’histoire en Afrique n’est rien d’autre que les girations vaines des tribus barbares dans des coins pittoresques, mais incongrus du globe… L’histoire ne peut pas être créée à partir des ténèbres qui sont visibles dans le passé de l’Afrique ». Dans ce schéma hégélien irrationnel, racial et raciste, s’engouffra le philologue allemand Wilhelm-Heinrich Bleek (1827- 1875), qui soutient l’incapacité congénitale des Africains à engendrer une culture à haut développement du fait de leurs langues « à structure non naturelle », qui les contraignent, en plus d’autres tares congénitales, à rester bloqués à une vision peu cohérente du monde, à demeurer au ras de sol, sans jamais accéder à la vision d’une religion céleste ni à l’articulation d’une pensée scientifique.
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Épouvantables discours racistes qui tous stipulent sans honte qu’il ne s’est jamais rien passé de sensé en Afrique noire, en dehors d’une suite d’accidents, de faits surprenants. De telles croyances pseudo-scientifiques déniant toute historicité à l’Afrique condamnent a priori toute activité archéologique. Que peut-on bien chercher et trouver dans une terre « vierge » où « rien n’a été inventé, fabriqué et construit », étant entendu que le vestige archéologique est par essence une œuvre humaine ? Et si on y trouvait un objet, serait-il une production endogène, puisque tout en Afrique vient d’ailleurs, selon de fallacieuses théories diffusionnistes? On peut comprendre aujourd’hui combien ces mythes et légendes érigés en discours scientifiques ont constitué pendant très longtemps, un puissant barrage contre l’historiographie africaine. Si elle s’affranchit progressivement de ces confuses théories ahistoriques, il reste encore du chemin à parcourir surtout dans le champ de l’archéologie. En 1959, Julian Stewart pose les bases de l’écologie culturelle encore appelée néo-évolutionnisme, ou évolutionnisme multilinéaire. Il opère à cet effet une formidable révolution intellectuelle dans le champ de l’ethnologie/anthropologie. Philippe Laburthe Tolra et Jean-Pierre Warnier (1993 : 319-320) synthétisent cette théorie de l’écologie culturelle qui, sur le plan archéologique, trouve un terrain d’application dans l’Adamaoua. Le néo-évolutionnisme est une approche matérialiste, naturaliste et fonctionnaliste, mais susceptible de faire sa place à une théorie de l’action et éventuellement, de liberté. Le coup d’envoi a été donné par Julian Steward (1979, première édition en 1955), dans un livre qui reste la référence de base : Theory of Culture Change, the Methodology of Multilinear Evolution. Ses principes de base sont les suivants : 1/ Les sociétés humaines survivent et se reproduisent par mode d’adaptation sociale et culturelle à l’environnement pris au sens général ; 2/ L’environnement impose un certain nombre de contraintes, et ouvre certaines possibilités aux sociétés. En d’autres termes, l’environnement pose les limites ou l’enveloppe de l’adaptation ; 3/ Il existe un élément d’indétermination, ou d’incertitude, qui rend compte de la diversité des solutions adaptatives choisies par différentes sociétés au sein d’un même environnement ; 4/ La diversité des environnements naturels ou anthropiques (c’est-à-dire modifiés par l’homme), combinée à la possibilité d’opérer des choix, rend compte de la diversité des civilisations ; 5/ Les sociétés humaines évoluent dans le temps selon de multiples trajectoires de type buissonnant plutôt qu’unilinéaire, en vertu du principe n°4.
Le cadre géographique de la région de l’Adamaoua est certes restreint pour servir de laboratoire à cette théorie de l’écologie naturelle. Toutefois, à l’observation actuelle, on remarque que des sociétés aux intérêts divergents,
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mais complémentaires y ont vécu et vivent encore, et pas toujours dans l’harmonie. Agriculteurs, éleveurs, artisans d’aujourd’hui et sans doute des chasseurs-cueilleurs d’hier, exploitent, transforment et valorisent les ressources que leur offre la nature. Ils y ont développé différents modes de vie en relation avec leurs activités, qu’ils soient sédentaires ou nomades. Les quelques vestiges matériels exhumés des strates permettent alors de débattre sur une possible spécialisation économique : céramique et métallurgie, culture des céréales et des tubercules, pêche et chasse. Il est possible que dans le passé il y ait eu des trocs ou des échanges marchands à base de monnaie entre différentes communautés, mais ces transactions laissent difficilement les traces de leur effectivité du fait de leur fugacité. La prospection archéologique révèle que les hommes opèrent des choix différents dans l’occupation zonale des sites. En effet, montagnes, piémonts, abris sous-roches et plaines furent de tout temps colonisés, les vestiges matériels datés dans quelques cas l’attestent. Les sites entourés d’ouvrages défensifs comme les enclos pierreux ou les tranchées ne sont pas rares. Qui se protégeait contre qui ? Quand ? Pourquoi ? Les réponses sont plus ou moins connues. C’étaient peut-être des structures d’action ou de réaction contre des groupes belliqueux. Les sondages archéologiques livrent des vestiges de différentes factures : lithique, céramique et métallique. Les matériaux exploités connotent avec les ressources du milieu et le degré de technicité des exploitants. Ces indications montrent à souhait que l’évolution des sociétés diverge en fonction des possibilités qu’offrent les environnements ainsi que les contraintes qu’ils posent. L’évolution unilinéaire des sociétés est donc un leurre. « À vrai dire, pendant des millénaires, les peuples ont pu gérer leur être et leur devenir à l’aide de leur savoir ancestral, fruit d’une longue adaptation à des milieux et évènements particuliers et variés. Il n’est pas prouvé qu’il est plus ou moins « vrai » que celui que nous [Européens] leur opposons. Seul l’impact du développement scientifico-technique les contraint à envisager d’autres points de vue et à se tourner vers cette connaissance apparemment triomphante : la science… » (Marliac, 1995 : 337). La plupart de ces sites jadis habités, puis désertés sont de nouveau sollicités avec l’extension des surfaces cultivées et des espaces en construction. Dans cette mouvance, de nombreux vestiges archéologiques sont détruits sans qu’aucune étude sommaire ou approfondie préalable n’ait été effectuée, interdisant de ce fait l’accès à l’histoire des paysages, des territoires, des peuples et des cultures. Une histoire souvent très ancienne dont les prolongements actuels intéressent les adeptes d’une archéologie du présent. c) Archéologie du présent Timpoko Kienon-Kabore, (2005 : 36), dans son article « Archéologie du présent et développement en Afrique Sub-saharienne », écrit :
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L’archéologie du présent, initiée et enseignée en France par Ph Bruneau et P.H. Balu à l’Université de Paris IV dès 1978, est un domaine encore ignoré du monde savant. En Afrique sub-saharienne, elle est pratiquement méconnue. L’Institut des Sciences Anthropologiques de Développement (I.S.A.D.) de l’Université de Cocody à Abidjan en Côte d’Ivoire est le seul et le premier à enseigner cette branche au sein du département d’archéologie. Elle constitue en effet une chance pour l’étude de nos sociétés et cultures africaines qui ont des techniques, des sciences et des usages dont la continuité culturelle est encore évidente de nos jours. Les ruptures sont lentes et il n’a pas existé une véritable révolution dans nos sociétés jusqu’au 20e siècle. Aussi, cette archéologie du présent, issue de l’archéologie moderne et contemporaine et considérée, par ses promoteurs, comme comptable de l’univers technique dans son ensemble, y compris le présent, peut être vue comme une archéologie de prévention et de sauvegarde. En effet, nos cultures africaines basées sur l’oralité ont sur le plan technique, chimique, médical, politique et social des richesses intrinsèques énormes que nous pouvons voir, étudier et analyser encore de nos jours et dont la connaissance, la sauvegarde, la vulgarisation et la valorisation deviennent une urgence à cause de leur disparition imminente du fait de leur oralité.
Nous avions beaucoup plus tôt, dans le cadre des programmes de recherche financés par l’université de Ngaoundéré au tout début des années 2000, inscrit une importante partie de nos recherches dans cette approche de l’archéologie, qui se veut comptable et protectrice de tous les ouvrages issus de la capacité technique de l’homme, d’hier à aujourd’hui. Dans une telle perspective, on est de plain-pied avec les objectifs assignés aux sciences du patrimoine à savoir : l’inventaire, la préservation, la conservation, la bonification et la valorisation du patrimoine culturel en vue de sa transmission aux générations futures. L’archéologie se trouve dans une telle position à la croisée de trois temps de l’action humaine : le passé, le présent et le futur, pour servir de fil conducteur dans les mailles complexes du long tissu de la mémoire africaine, tant il est vrai que de par sa méthode et ses documents, l’archéologie permet de « « souder » les informations que l’histoire a pris coutume de rassembler, grâce aux témoignages oraux et écrits, pour les cinq ou six derniers siècles, et celles des périodes antérieures pour lesquelles ces sources manquent plus ou moins cruellement » (Devisse, 1992 : 14). L’archéologie du présent, qui s’apparente à une enquête anthropologique sur les survivances de la production millénaire, l’industrie humaine, s’impose partout en Afrique, notamment dans la région de l’Adamaoua au Cameroun, au regard des influences culturelles d’origine étrangère qui y ont cours depuis le XIXe siècle au moins. Il s’agit en l’occurrence de l’Islam et du Christianisme qui ont détruit les productions artistiques et les pratiques culturelles endogènes. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, l’invasion des marchés du continent par la quincaillerie européenne et les objets de pacotille massivement fabriqués
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dans les confins asiatiques ont progressivement ruiné l’art et l’artisanat traditionnels africains. Si aucune mesure concrète n’est entreprise pour sauver de la destruction et de l’aliénation les restes de ces œuvres, dans très peu de temps, les matériaux de synthèse en auront définitivement raison, interdisant définitivement l’accès à l’étude des savoirs et savoir-faire endogènes africains, qui sont des sources de l’histoire et des outils de développement. On peut bien s’interroger sur le choix des ancrages théoriques de cette étude dont l’écologie culturelle, l’archéologie du présent et pas l’ethnoarchéologie, pourtant si commune et familière dans les études africanistes et africaines, à la réputation bien établie dans des ouvrages consacrés à l’archéologie de l’Afrique (Nicholas & Kramer, 2001). Que veut l’ethnoarchéologie ? Selon les circonstances, écrit Jean Guilaine (1989 :16) : « l’archéologue se transforme en ethnologue et va observer, sur un autre continent, proche ou lointain, des populations contemporaines susceptibles de lui apporter la clé de ses interrogations. Ici encore, les comparaisons peuvent porter sur les faits bruts ou la matière (outils, constructions); mais aussi sur des comportements plus complexes (organisation économique, rapports sociaux, symboles) ». Au regard de notre position par rapport à l’écologie culturelle, l’ethnoarchéologie qui présente des tendances favorables à l’évolution linéaire est délicate à manier. Elle comporte potentiellement des dérives idéologiques si le chercheur ne prend pas des précautions scientifiques dans ses comparaisons. Les théoriciens de l’ethnoarchéologie l’appréhendent en effet comme ce domaine de l’archéologie qui s’intéresse aux objets et aux comportements dans les sociétés dites traditionnelles et non industrialisées, dans le but d’interpréter les données fournies par l’archéologie. Le vocable est indissociable de la personnalité d’André Leroi-Gourhan (1911-1986), célèbre ethnologue et archéologue français, même si ce dernier appelait à se méfier des analogies ethnologiques trompeuses. L’étude des sociétés traditionnelles par l’ethnologue peut ainsi contribuer à une meilleure connaissance et à une meilleure compréhension des vestiges archéologiques (modes de production, habitudes de consommation, etc.) mis au jour par les fouilles, surtout dans le domaine de la technologie où Leroi-Gourhan voyait les acquis les plus importants de l’analyse ethnographique appliquée à l’archéologie (chaîne opératoire de production céramique et métallurgique par exemple). La démarche ethnoarchéologique n’est cependant pas exempte de toute erreur d’appréciation. Par rapport à l’archéologie du présent qui étudie les productions scientifiques et technologiques d’une société pour elle-même afin d’appréhender ses fondements, son évolution et œuvrer en faveur de leur « sauvegarde, leur vulgarisation et leur valorisation devenues une urgence à cause de leur disparition imminente du fait de leur oralité », l’ethnoarchéologie dans une large mesure, recherche des analogies, compare les degrés d’évolution des techniques entre des sociétés et cultures différentes. Le fondement de cette
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approche, remarque Gosselain (2008), « est la continuité historique (avérée ou supposée) entre le contexte archéologique et le contexte ethnographique. Le travail du chercheur consistant alors, après avoir analysé les caractéristiques des pratiques actuelles, à reconstituer les processus responsables de la situation présente et les éventuelles ruptures historiques ». Les dangers d’une telle approche sont réels si on n’y prend pas garde. La transposition n’est pas toujours sans danger, car la quête forcenée d’une correspondance entre sociétés actuelles traditionnelles et sociétés préhistoriques, l’assimilation du primitif aux sociétés traditionnelles contemporaines censées vivre à la mode de nos très lointains ancêtres, est une opération intellectuelle fertile en erreurs. Paul Lane (2005) cité par Gosselain (2008), souligne justement que l’analogie ethnographique appliquée à l’archéologie soulève des interrogations : 1- Remise en cause de la diversité culturelle : « si ça se ressemble, ça veut dire la même chose » ; des contextes similaires entraînent des productions culturelles similaires ; positions difficilement soutenables par rapport à ce que font émerger les recherches anthropologiques contemporaines ; 2- L’analogie risque de déraper si elle se fonde sur une analyse archéologique maladroite : ce qui paraît similaire peut n’être qu’une mauvaise lecture du processus de formation des sites ; 3- Danger de renforcement d’une vision stéréotypée de populations non européennes qui ne changent pas ; confusion habituelle entre tradition et modernité. Le chercheur doit donc faire preuve d’une très grande prudence pour ne pas se vêtir des habits neufs de l’évolution linéaire prônée au cours du siècle dernier par des ethnographes, des ethnologues et théoriciens du darwinisme social. C’est pourquoi la restitution proposée à partir des hypothèses d’ordre ethnoarchéologique doit être étroitement confirmée par le recours à l’archéologie expérimentale et par la multiplication d’analyses physiques ou chimiques dans la mesure où, au-delà d’un certain seuil d’extrapolation, les erreurs et les incertitudes augmentent. En fin de compte et sous un angle personnel d’appréciation, le concept d’ethnoarchéologie rentre dans le bouquet de ces fameuses sciences affublées du préfixe ethno spécialement et curieusement réservées à l’étude des peuples d’Afrique noire, de l’Océanie ou d’Amazonie. C’est le cas de : ethnohistoire, ethnologie, ethnomusicologie, ethnolinguistique, ethnodémographie, ethnobotanique, ethnozoologie, ethnopsychiatrie, ethnolibéralisme, ethnosocialisme, ethnodiplomatie, ethnodémocratie, ethnomarketing… et demain sans doute, de l’ethno-informatique, qui porterait sur l’étude de la cybernétique dans les ethnies africaines et l’évaluation de leur capacité d’appropriation et d’utilisation de l’outil informatique.
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Les disciplines ethnoscientifiques chargées d’étudier les peuples dits primitifs, sauvages, barbares, traditionnels, préindustriels, toujours épinglés dans une certaine littérature ethnologique par des qualificatifs privatifs du genre infantile, paresseux, indolent, incapable, immobile, maudit, dégénéré, déstructuré, sont à notre avis, chargées d’une mission explicitement discriminatoire et dépréciative sur leurs objets d’études. Le discours ethnoarchéologique n’est par conséquent pas moins apparenté aux concepts et théories plus ou moins subjectifs que véhiculent les autres ethnosciences. Sous cette observation, il mérite dans nos choix théoriques, de la prudence, de la distance, de la méfiance, même si on nous reprochera d’insister sur le superflu, de mettre de l’emphase sur des « questions d’emballage, d’arsenal théorique et conceptuel, et non de contenu ethnographique », pour reprendre les propos critiques de Gosselain Olivier (2011), sur cette sous-discipline appelée ethnoarchéologie. L’archéologie, discipline scientifique, sert l’histoire et se fixe pour objectif, l’appréhension de la geste multiséculaire des civilisations à travers les vestiges matériels, qui sont le fruit du génie inventif humain. La visée de toute entreprise archéologique consiste en effet à accéder à la connaissance des hommes et de leurs actions dans le temps tant que les documents l’autorisent. Cette connaissance se doit « d’être totale, rien dans le passé de l’homme ne doit lui être étranger, car tout est objet de l’histoire. Il n’y a pas de faits historiques et de faits non historiques » comme l’écrit Charles Samaran. Cette approche de l’histoire rompt avec l’ancienne, la conception qu’on peut qualifier d’Ancienne Histoire, restrictive et réservée aux faits, aux actions et aux classes sociales particulières pour s’inscrire dans la Nouvelle Histoire, courant historique ouvert à tous les hommes, à l’ensemble de leurs œuvres, à leurs cultures, à leurs mentalités, à leurs sensibilités, etc., elle ne privilégie aucune direction et ne se permet des limites que celles imposées par l’absence des documents. Les recherches archéologiques que nous menons dans l’Adamaoua s’inscrivent dans cette perspective, tant que l’archéologie est appréhendée comme comptable de toutes les productions humaines. d) La « Nouvelle histoire » La « Nouvelle Histoire » est un courant historique qui doit beaucoup à Marc Bloch et à Lucien Fèbvre, deux historiens, professeurs à l’université de Strasbourg, fondateurs en janvier 1929 de la revue des Annales d’histoire économique et sociale. Refusant l’histoire événementielle, ils voulurent imposer une nouvelle conception de l’histoire, en utilisant les acquis de toutes les autres sciences humaines, notamment l’économie et la sociologie. Fernand Braudel qui, en 1946 rejoignit l’ » école des Annales », poussa encore plus loin le refus de l’histoire événementielle ainsi que Jacques le Goff, Pierre Nora ou encore plus tard Théophile Obenga. La « Nouvelle Histoire » se veut histoire totale,
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globale, ne privilégiant aucun domaine des actions humaines par rapport à un autre. Elle ne s’intéresse pas seulement aux rois et aux reines, à la vie des cours impériales, à la diplomatie, à la guerre…, mais aussi et surtout à l’histoire des petites gens, des paysages, des techniques, des sciences, des paysans, des fêtes populaires, des mentalités collectives, des mœurs, de l’érotisme, du climat, des mythes, des mentalités, des langues, de la communication, des jeunes, du corps, de la cuisine, de l’opinion publique, des films, des rites, de la naissance, du mariage, de la mort, de l’amour, de la vie sexuelle, de l’avenir, de tout ce qui est manifestement humain. Ainsi, de l’avis des tenants de la Nouvelle Histoire, tout ou rien pour retrouver la vie historique. Il faudrait patiemment la suivre dans toutes ses voies, sous toutes ses formes et dans tous ses éléments. La diversification des sources de l’histoire a sans doute contribué à la naissance de la Nouvelle Histoire, en élargissant toujours davantage le territoire de l’historien. Les documents écrits ne constituant plus les seuls matériaux pour l’histoire, le champ d’investigation s’est éclaté, grâce à la mise à la disposition de l’historien, des documents nouveaux, originaux, diversifiés et insolites. » L’histoire se fait avec des documents écrits sans doute, quand il y’en a, mais elle peut se faire et doit se faire avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser…donc avec des mots. Des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de champs et de mauvaises herbes. Des éclipses de Lune et des colliers d’attelage. Des expertises de pierres par les géologues et des analyses d’épées en métal par les chimistes » Lucien Fèbvre (1953). Les fouilles archéologiques mettent à la disposition du chercheur, une variété d’objets dont l’analyse lui permet d’écrire l’histoire. Nous avions, lors de la recension des disciplines affines à l’archéologie, précisé dans le registre des sciences techniques et naturelles, combien leurs apports donnent vie aux matériaux les plus anodins comme les pollens, les fruits, le charbon de bois, les ossements fossilisés, les sédiments par exemple, qui dans bien des cas, racontent l’aventure humaine dans un site occupé plus ou moins longtemps. La Nouvelle Histoire intéresse de fait nos recherches archéologiques dans la mesure où aucun aspect de l’histoire de la région de l’Adamaoua, tant qu’elle peut être révélée par les vestiges archéologiques, n’est à négliger. Les résultats des recherches déjà disponibles, s’ils n’apportent pas des informations complètes et égales sur tous les sujets qui relèvent des grands champs classiques de l’histoire (politique, économique, sociale, technique et culturelle), donnent néanmoins des indications précieuses sur la technique, l’économie et la culture. Il s’agit des phénomènes qui ne relèvent pas de l’événementiel et du spectaculaire, mais qui s’inscrivent dans la longue durée. Transdisciplinarité, évolution multilinéaire, archéologie du présent et Nouvelle Histoire orientent notre réflexion et nos fondements méthodologiques. Ce sont des choix théoriques parmi beaucoup d’autres. Mais nous les avons
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prisés pour des raisons pratiques au regard des caractéristiques du terrain de recherche, de la documentation disponible, des vestiges mis au jour, des analyses et des interprétations conséquentes. Il reste cependant, à propos des choix théoriques et méthodologiques opérés, de garder présent à l’esprit, le sens de la mesure, de l’humilité, de la subjectivité même, comme le conseille HenriIrénée Marrou (1954 : 56-57) : « l’histoire est un combat de l’esprit, une aventure et comme toutes les équipées humaines, ne connaît jamais que des succès partiels, tous relatifs, hors de proportion avec l’ambition initiale; comme de toute bagarre engagée avec les profondeurs déroutantes de l’être, l’homme en revient avec le sentiment aigu de ses limites, de sa faiblesse, de son humilité ». 6- Problèmes à résoudre Dans l’Adamaoua comme dans plusieurs régions d’Afrique, les documents écrits sur le passé du continent sont récents et ne remontent guère au-delà du XIXe siècle. Continent de l’oralité par excellence, la tradition orale, si elle n’est pas pauvre dans son contenu, comporte cependant d’importantes approximations qui perturbent sa judicieuse exploitation. Devant une indigence documentaire pareille, le problème qui se pose à tout archéologue est de savoir comment l’archéologie, en « soudant » les témoignages écrits et les informations orales aux vestiges matériels, peut parvenir à la reconstitution de l’histoire. Quelle histoire ? Ancienne ou contemporaine ? Est-il possible que l’analyse et l’interprétation des vestiges matériels permettent l’écriture d’une histoire générale de la région? Est-ce évident qu’à partir de ces vestiges, on puisse nommer concrètement les producteurs des cultures matérielles mises au jour dans les sites ? Comment gérer objectivement cette équation aux implications politiques avérées en évitant des analogies trompeuses, quand on sait qu’en l’état actuel des recherches, l’archéologie ne peut pas désigner ces auteurs, qu’elle peut tout au plus et sur la base des ressemblances seulement, rattacher d’anciens objets aux cultures actuelles dûment identifiées? Dans cette quête minutieuse et exigeante, comment l’archéologue servi par une méthodologie appropriée, mais desservi par des contraintes matérielles d’ordre structurel et conjoncturel, peut-il écrire l’histoire en toute objectivité ? Tels sont les enjeux et les défis de la recherche archéologique dans l’Adamaoua et ailleurs au Cameroun. 7- Objectifs à atteindre Six objectifs spécifiques fondent et structurent cette recherche. 1- Amorcer l’établissement d’une ossature chronologique de l’histoire régionale ; 2- Appréhender les principales séquences de la mise en place des populations ;
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3- Justifier les raisons du choix des anciens sites d’habitat ; 4- Étudier les techniques d’exploitation, de transformation et de valorisation des ressources naturelles en l’occurrence la céramique et la métallurgie ; 5- Interroger le destin du patrimoine archéologique régional ; 6- Évaluer la contribution de l’archéologie et de l’histoire au développement. Atteindre ces objectifs est l’ambition fixée dès l’amorce de cette recherche. La collecte des données sur le terrain, les analyses de laboratoire, l’interprétation des résultats et la synthèse générale fourniront des réponses à certaines questions posées, circonscriront les limites de la recherche et ouvriront de nouvelles pistes de recherche. 8- Fondements méthodologiques La méthode de recherche en archéologie obéit à une démarche propre à la discipline. Depuis la collecte et l’exploitation des textes écrits, des documents iconographiques, des témoignages oraux en passant par la lecture des paysages, la prospection, les sondages, les fouilles, les datations, les analyses des vestiges dans des laboratoires spécialisés, jusqu’à l’interprétation et la publication des résultats, tout est minutieusement réglé comme une feuille de musique ou un ballet. Les improvisations conduisent en général de l’imprécision à l’impasse, tant il est acquis que les fondements méthodologiques qui encadrent toute recherche conditionnent la qualité des résultats attendus. C’est pourquoi, connectés aux problèmes à résoudre, aux objectifs à atteindre, ils doivent être conduits avec professionnalisme. La recherche archéologique, à l’instar des autres disciplines, est un exercice scientifique long et exigeant. À propos de l’archéologie, Louis Frédéric (1967 : 44) observait que « l’archéologue doit pouvoir vivre de longues périodes hors de chez lui dans des conditions difficiles. Au retour, il faudra devenir un homme de cabinet et pendant de longs mois être confiné dans son bureau, dans les laboratoires et se battre avec une administration toujours très complexe et parfois peu compréhensive ». On comprend pourquoi concluait Jean Devisse (1992 : 13), « il faut des années d’analyse pour préparer une minute de synthèse sérieuse. » Synthèse comportant des systèmes d’explication plus ou moins complexes à présenter ou à défendre publiquement devant des spécialistes à l’occasion des séminaires, des colloques et des congrès. Et si l’archéologue est enseignant au niveau collégial ou universitaire, il doit sur la base de ses recherches, fruits de plusieurs années de formation théorique et pratique méthodiques, préparer l’avenir en enseignant l’art d’apprendre du passé. Il y a de cela trois quarts de siècles environ, la recherche archéologique en Afrique se réduisait à l’observation de terrain, au ramassage d’objets de
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surface, comme de l’ethnographie. Les collectes d’objets effectuées au sud et à l’ouest du Cameroun par des administrateurs coloniaux français notamment Jean-Baptiste Jauze (1944) et Émile Buisson (1933), au Nord-Cameroun par Bertrand Lembezat (1961), Bru (1923) et Jean-Claude Froelich (1959) entre autres trouvailles fortuites, en fournissent des exemples patents. Cela ne constituait aucun problème pour les chercheurs étrangers à l’Afrique, dans la mesure où selon l’opinion alors dominante, « l’Afrique n’avait pas de vrai passé, historiquement étudiable, n’avait pas connu d’évolution socioéconomique et culturelle … Survint la révolution du premier congrès panafricain de Préhistoire à Nairobi en 1947 : le monde scientifique devait admettre - il ne le fit point non sans mal - que l’Afrique avait, révélé par l’Archéologie et les nouvelles méthodes de recherches qui l’environnent, la plus vieille histoire du monde » (Devisse, 1992 : 15). Le développement de l’archéologie soutenu par des apports multiples issus des sciences historiques, techniques, naturelles, environnementales et artistiques a fait de cette science, l’incontournable discipline pour la connaissance du lointain passé de l’Afrique. Ses résultats vieillissent et précisent chaque jour davantage la contribution du continent africain à la civilisation universelle. Cette position particulière qui confère à l’archéologie, le rôle privilégié de faiseuse d’histoire ancienne, n’est possible que si les recherches menées avant, pendant et après la fouille - la fouille étant généralement perçue comme l’acte le plus caractéristique du travail de l’archéologue - sont alors conduites avec soin, rigueur et méthode. En effet, la qualité et la valeur des résultats attendus dépendent du sérieux observé et respecté par les chercheurs depuis la prospection jusqu’à l’analyse des prélèvements effectués. Pendant toute la durée de l’opération, muni du GPS (Goblal Positional System) ou de la boussole, des cartes topographiques, géologiques, botaniques, climatiques, hydrologiques et pédologiques, l’archéologue arpente villes et villages, écoute les populations locales, scrute les paysages et observe attentivement la terre qu’il foule. Une fois qu’il juge le contexte de travail favorable, il peut se munir d’outils spécifiques comme les pelles, les truelles, les pinceaux, les brosses pour extraire minutieusement les objets de son étude du sol. Leur analyse rigoureuse permettra ensuite d’en tirer les informations de tous ordres. Nous indiquions dès les premières lignes de cette étude que, dans l’Adamaoua comme dans la plupart des régions d’Afrique, de nombreux témoignages matériels sur les lointaines traces de l’homme dorment encore dans son sol et par conséquent, tout élément que l’on distrait de ces archives particulières sans précaution et sans analyses préalables est comparable à une bouche qui se ferme ou encore à une page d’histoire qu’on brûle sans avoir auparavant pris connaissance du contenu. D’où l’importance d’une démarche méthodologique maîtrisée qui s’articule autour de trois grands moments : avant, pendant et après la fouille.
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1- Avant la fouille archéologique a) Consignes préliminaires La prospection archéologique caractérise l’avant-fouille et convoque des dispositions particulières. Conformément aux principes méthodologiques requis par la discipline, la prospection s’appuie sur l’exploitation des documents écrits et iconographiques, sur les témoignages oraux et sur toute autre source susceptible d’informer sur l’histoire de la localité. Les recherches archéologiques conduites dans une région visent parfois à sauver les sites d’une destruction plus ou moins imminente, d’où l’intérêt croissant des fouilles préventives. Elles peuvent aussi consister à répondre à une question d’histoire particulière ou à accroître les connaissances sur une culture donnée. Les fouilles programmées répondent en général à cette préoccupation. Sites menacés et horizons historiques à élargir sont des problèmes qui se posent dans l’Adamaoua. La prospection archéologique est la recherche systématique des sites. Elle vise à les inventorier et participe par voie de conséquence à leur conservation. Prospecter c’est repérer les lieux « que les hommes ont délaissés aussi bien que ceux où ils se sont implantés, c’est identifier les chemins et les champs aussi bien que les villes… » (Lehöerff et Giligny, 2002 : 43). Prospecter, c’est aussi repérer « les sites les plus rentables à un double point de vue : ceux qui donnent une séquence chronologique nette et si possible à plusieurs étages (…) et ceux qui donnent une industrie abondante et un bon nombre de renseignements paléoethnographiques » (Marliac, 1973 : 48). « Les Anglo-Saxons possèdent pour désigner la prospection, le terme « survey », qui suggère l’idée d’une vue globale, d’une compréhension d’ensemble, en même temps que celle d’une relative superficialité » (Jockey, 1999 : 207). La recherche des sites archéologiques doit commencer par une consultation des autochtones, une lecture appliquée des cartes, des textes anciens, des récits des voyageurs, des rapports, des travaux antérieurs, un examen attentif des documents photographiques et de tout autre document d’intérêt historique, géographique, géologique ou littéraire susceptible de jeter une lueur sur la connaissance du site. Les archives issues des travaux antérieurs sur le terrain, dote en effet le chercheur qui arrive ultérieurement sur le terrain, d’une documentation qui est censée en principe lui faciliter sa tâche. Le chercheur, aujourd’hui, n’est pas particulièrement démuni lorsqu’il entame une étude ou s’interroge sur une découverte. En effet, des documents graphiques et photographiques, des textes, des notes manuscrites, des collections de vestiges sont à sa disposition. Ces archives produites lors des travaux antérieurs permettent de préparer un travail de repérage, de préciser des informations sur un site localisé, de compléter une étude en cours ou à venir. Les objets sont conservés dans des musées et parfois des collections privées. Les documents écrits
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reposent dans différents fonds d’archives publics ou privés. L’accessibilité à ces archives est variable selon la nature de la documentation et les règles de communicabilité en vigueur dans les pays où elles sont conservées. Les sources écrites et iconographiques sont, en règle générale, plus faciles à consulter que les mobiliers de fouilles, surtout si ces derniers n’ont pas été publiés (Lehöerff et Giligny, 2002 : 39-40).
Le défi au Cameroun consiste à accéder aux dépôts des fouilles archéologiques menées dans ce pays depuis les années 30. Ces archives matérielles existent-elles vraiment? Véritable énigme ! Ce qui est connu, c’est la fermeture brutale à Garoua en 1991 de l’antenne de l’Institut des sciences humaines du Cameroun. Décision politique et pseudo-scientifique qui a jeté dans les rigoles, des milliers de kilogrammes de vestiges archéologiques, fruits de décennies de fouilles menées au Nord-Cameroun par des chercheurs de l’ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique d’outre-mer), actuel IRD (Institut français de recherche pour le développement). Actuellement, il n’y a aucun document matériel digne de ce nom à consulter. Le reste de ce patrimoine archéologique remis à l’université de Maroua par l’IRDYaoundé en 2010 est dénué de tout intérêt scientifique, puisque privé des documents explicatifs de référence comme les carnets de fouilles. La situation au Cameroun méridional n’est guère avantageuse. On peut dans les meilleurs cas exploiter les vestiges archéologiques dans les collections privées des archéologues ou dans des laboratoires spéciaux où sont stockés les vestiges issus des fouilles préventives récentes financées par les grandes compagnies pétrolières américaines. En vue de solder ce déficit scientifique, le Projet de loi régissant le Patrimoine culturel au Cameroun, adopté par l’Assemblée nationale le 09 avril 2013, « qui abroge toutes les dispositions antérieures contraires, notamment la loi n° 91/008 du 30 juillet 1991 portant protection du patrimoine culturel et national », a désormais pour mission, en son chapitre IX portant « dispositions spécifiques applicables au patrimoine archéologique », articles 43 et 44, de réglementer les sondages et les fouilles archéologiques préventifs ou programmés entrepris par des chercheurs nationaux et/ou étrangers au Cameroun. Il reste que l’accès aux sites archéologiques et aux dépôts de fouilles doit être rapidement facilité par la création des structures de recherche compétentes à vocation archéologique avérée au sein des principales institutions mandataires précisées dans le projet de loi, à savoir, le ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation et le ministère des Arts et de la Culture, auxquels il faut adjoindre le ministère de l’Enseignement supérieur où travaillent tous les archéologues camerounais.
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Dans tous les cas, tout chercheur qui s’engage à présent dans les terrains archéologiques au Cameroun, s’il ne peut valablement consulter les archives matérielles de ses prédécesseurs, peut néanmoins accéder à d’autres types de sources ci-dessous énumérées. b) les sources orales Avant d’entreprendre la prospection dans chaque village de l’Adamaoua, nous avons, au cours des entretiens individuels et collectifs, enregistré sur bandes magnétiques, les propos des hommes et des femmes de tous âges, susceptibles de nous renseigner sur le peuplement, l’évolution de l’environnement, l’expertise technologique, la dynamique architecturale, les activités économiques, les prestations ludiques et l’organisation sociale de la localité en question. Les témoignages recueillis, même s’ils varient souvent d’un villageois à un autre au cours d’un même entretien, ne sont pas dénués d’intérêt. « Il n’y a pas de fumée sans feu dit le proverbe. Aussi pourrait-on ajouter : il n’y a pas de superstitions, de mythes, de croyances, de coutumes folkloriques sans fondement logique. Les paysans, les hommes attachés à la terre, les bergers, les hommes simples, s’ils ne comprennent pas tous les phénomènes, savent cependant les observer remarquablement. Les choses qu’ils ne peuvent expliquer frappent fortement leur imagination » (Louis Frédéric, 1967 : 56). Il reste peu de vieillards dans la région de l’Adamaoua. Ces mémoires, ces « bibliothèques animées » ont presque toutes disparu, emportant dans le silence des tombes, des fragments de l’histoire régionale. Gwéa Abraham interviewé en 2001 alors âgé de 80 ans environ, est mort en 2003. Il nous avait alors raconté ce qu’il savait du processus migratoire des Mambila, de leurs différents habitats dans la région de Somié, de leur savoir-faire en matière agricole, artisanale et architecturale ainsi que les mutations culturelles survenues chez ce peuple au contact des autres groupes ethniques. Ces informations uniques nous furent particulièrement utiles dans la recherche des sites jadis occupés et actuellement désertés. Mgbagnié Paul, dernier potier, spécialisé dans la fabrication des pipes, 85 ans environ, interviewé en 2006, est mort en 2011. Tous les grands ferronsforgerons dii qui prirent part à la reconstitution d’une opération de réduction des minerais de fer par la méthode directe à Yaoundé du 06 au 08 décembre 1997, à l’occasion de la tenue des ateliers de METAF (Métallurgies africaines/Métiers africains du feu), sont décédés aujourd’hui en 2013. Nang Ngasag, mieux connu sous le nom de Kila Salmana, alors âgé de 88 ans environ, qui nous fournit de précieuses informations sur le bouquet métallurgique dii, est mort en mai 1998, quelques mois après l’effectivité des opérations de reconstitution. Nang Hamoa, 88 ans environ, chef de l’équipe de l’opération de reconstitution de réduction, est décédé en 2002 ; Nang Daouda, alors âgé de 72 ans, responsable technique de l’opération, est décédé en août 2003.
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Ce départ infernal des experts africains pour l’éternité, permet d’appréhender l’inquiétude accrue sur les risques menaçant les documents de l’histoire africaine, éprouvée par les spécialistes réunis en 1962 à Accra au Ghana lors du premier congrès des africanistes et par les membres du « Comité d’Experts sur l’Histoire Générale de l’Afrique » rassemblés en 1966 à Abidjan en Côte d’Ivoire en vue de la promotion de la recherche historique en Afrique. Cette appréhension était motivée par les risques imminents de « destruction ou disparition des sources écrites faute d’archives écrites assez nombreuses systématiquement organisées ou protégées ; disparition des derniers dépositaires de la tradition orale ; transformation rapide des institutions coutumières » (UNESCO, 1966), d’où l’urgence en ce qui concernait la tradition orale, de garder la plus haute priorité en vue de sa collecte, de sa conservation et de l’utilisation des données recueillies. Malheureusement, rien ne peut en l’état actuel de l’existence humaine suspendre la mort. Parmi les raisons de cette priorité qui s’imposaient surtout à l’Afrique tropicale où les sources écrites sont rares, il fut mentionné : 1- L’extrême urgence de la collecte, considérant que l’actuelle génération de détenteurs de la tradition orale est sans doute la dernière détentrice des indications utilisables par l’historien. 2- Le caractère original de cette source historique qui apporte de l’intérieur, le témoignage des évènements considérés du point de vue africain. 3- Les résultats effectifs obtenus par l’utilisation, systématiquement contrôlée, des apports de la tradition orale, pour renouveler d’importants domaines de la connaissance historique (UNESCO, 1966). Les recommandations des experts dans la plupart des cas furent suivies d’effet, et pour preuve, la publication des huit tomes de l’Histoire Générale de l’Afrique sous l’égide de l’UNESCO, en 1980, 1984, 1989, 1995, 1999, et 2010. Il en est de même des Traditions historiques des peuples du Cameroun central de Mohammadou Eldridge, publiées en 1990 et 1991, qui constituent la clé d’accès majeure au passé ancien des peuples de l’Adamaoua au Cameroun. La place de l’oralité est capitale lors des prospections dans la mesure où elle pallie parfois la carence ou la vétusté des équipements et des infrastructures de recherche. Dans ce cas, la méthode dite de bouche à oreille fonctionne intensément. Des échantillons de pièces lithiques, de scories et de tessons de céramique sont alors directement présentés aux villageois. L’observation de ces objets permet ainsi aux agriculteurs, aux bergers, aux forgerons, aux potières ou aux chasseurs de nous indiquer par-ci et par-là, de manière précise ou confuse des sites que nous recherchons ensuite par arpentage méthodique de terrain selon la méthode field-walking. Équipés de carnets de notes, de stylos, de sacs
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plastiques et du GPS, têtes baissées et le regard fixé sur le sol, l’infime indice matériel identifié est alors positionné sur lieu exact de son prélèvement, puis ramassé et étiqueté. Ces objets nettoyés, photographiés, dessinés et stockés deviendront pour certains des documents pour l’histoire. c) La toponymie La toponymie (du grec topo = lieu et onoma = nom) est la science des noms de lieux. Elle élargit les horizons de recherche de l’archéologue en lui donnant la possibilité d’appréhender l’origine des noms des lieux. L’attribution des noms de lieux est fonction d’un certain nombre de considérations. Ces noms dérivent en général de la topographie, de la flore, de la faune, des lieux-dits, des anthroponymes, des noms des tribus anciennes, des religions, des établissements disparus ou des évènements historiques. L’attribution et la transformation des noms donnent des indices sur les anciens paysages d’une localité ou sur les peuples qui s’y installèrent jadis. Pendant la recherche d’un site, le recours aux anciennes cartes, aux archives des historiens locaux si elles existent et sont accessibles, peut s’avérer utile afin de retrouver les noms d’anciens villages. L’aide des étymologistes devient alors précieuse pour expliquer des noms aux significations inconnues ou méconnues des populations. « La recherche du renseignement, la quête d’un site archéologique implique en archéologie comme à la guerre, une longue familiarité avec le pays et ses habitants, la récolte systématique des témoignages (tessons, inscriptions, scories, textes et écrits divers) et leur critique aussi » (Ginouvès, 1992 :18). Chez les Mambila à Somié par exemple, les noms d’anciens villages inventoriés sont tous en langue mambila. Leur décryptage indique leur rapport soit avec le nom des derniers occupants connus du hameau (Guembé, Ndeba), soit leur relation avec le nom du fondateur du hameau (Guidjogo, Ngomni), soit leur lien avec la topographie comme la montagne (Tor Guanveh, Tor-Lou), soit leur connexion avec le réseau hydrographique (Dikwe, Magbébé, Mvan Kimi) soit encore leur liaison avec un évènement historique survenu dans la localité (Côkmo transformé en Somié). Chez les Mboum de Ngaoundéré et de Ngan-Ha, Ngaw signifie montagne. La plupart d’anciens villages mboum sont situés dans les hauteurs, en altitude, sur les montagnes. Ngaw Pak Hay : montagne de la maison de la viande, lieu où on conservait la viande des souverains mboum ; Ngaw Hora : montagne du feu, lieu où selon la légende, le fà Vbên à gûndày, le plus puissant fétiche mboum, sous la forme d’une boule de feu, abandonna ses protégés, en l’occurrence les Mboum pour haute trahison et les livra sans défense à l’aube du XIXe siècle à la domination des Foulbé; Ngaw Nduru : montagne de la trompette, regalium du Bélàkà, souverain des Mboum, etc. Ces noms sont des indices de la vie et des activités qui eurent cours autrefois sur le plateau de la Vina. Avant l’interdiction des mouvements de populations à l’intérieur du territoire camerounais par les
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Allemands au tout début du XXe siècle ainsi que la circonscription des frontières de chaque village pendant la période coloniale, la mort du souverain mboum débouchait sur l’abandon de son village, où il était inhumé. Ses sujets sous la conduite d’un nouveau chef, allaient ailleurs et s’installaient dans un nouveau site, créant ainsi un nouveau village qu’ils désertèrent à la mort de ce chef. Le roi est mort ! Vive le roi! La tradition mboum interdisait en effet la cohabitation dans le même site, du chef défunt et du chef régnant, donnant ainsi à la mort, le sens de passage vers une nouvelle vie, ou encore une autre forme de vie, car la mort n’est pas la dernière fin. Le Bélàkà ne meurt pas. Il voyage plutôt dans son lourd sommeil. Cette migration ancienne et continue, explique la multitude des anciens villages mboum découverts dans les hauteurs de la Vina. Le Bélàkà Saw Mboum qui s’islamisa en 1931, récusa les traditions païennes des Mboum et se fixa définitivement à Ngan-Ha. Les migrations rituelles cessèrent alors définitivement. Chez les Dii de la plaine et du plateau de la Vina aux environs de Ngaoundéré, le décryptage des noms de quelques sites donne des indications sur leurs occupants ou sur les activités métallurgiques qui y prédominèrent : Kàà Nang, désigne le campement des forgerons ; Sassa Mboersi vient de Zingsaan ou rivière des minerais de fer ; Gu-lil à Mbé est l’ancien site d’habitation des Lel ou Lil « ancêtres des Dii » qui, à une époque non encore précisée, migrèrent ailleurs. La toponymie s’avère être un précieux outil aux mains de l’archéologue pour rechercher les sites et découvrir leurs significations probables. En fait, les noms des lieux dans beaucoup de cas ne sont pas attribués au hasard. L’étude de ces quelques cas montre qu’ils sont en étroite relation avec la topographie, les activités ou encore avec les noms des occupants du site. d) Les sources écrites Le recours systématique aux études antérieures commentées dans la revue documentaire et précisées dans la bibliographie générale a permis d’orienter et de réaliser la présente étude. Il s’agit en l’occurrence des cartes géographiques et géologiques, des articles et des ouvrages publiés ou inédits par des géographes, des anthropologues, des historiens ou des archéologues dont l’exploitation a permis l’appréhension des principaux thèmes de recherche que nous avons conduits dans l’Adamaoua. La connaissance des travaux antérieurs a balisé le nôtre par des orientations d’ordre méthodologique, géographique et historique. Les références bibliographiques à la fin de cette étude présentent les titres des documents écrits consultés et exploités : décrets, lois, ouvrages, articles, thèses, mémoires et rapports en un seul bloc. Le choix de ce modèle de présentation autorise l’identification rapide de toutes les publications scientifiques d’un auteur cité au lieu de les chercher d’une rubrique à l’autre. La présentation matérielle de chaque titre permet de savoir s’il s’agit d’un ouvrage,
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d’un article, d’un mémoire ou de toute autre publication. Sources orales, iconographiques et écrites préparent le chercheur à l’identification des sites archéologiques et à l’exploitation scientifique qui en découle à travers les sondages et les fouilles. 2- Pendant la fouille archéologique Le site archéologique est le lieu d’enfouissement ou d’engloutissement des vestiges matériels que les archéologues peuvent mettre au jour, exploiter et interpréter. Il est au centre de la collecte de toutes les données archéologiques et se présente sous différents types de faciès. Archaeological sites may be thought of as places where artéfacts, features, structures, and organic and environmental remains are found together. For working purposes one can simplify this still further and define sites as places where significant traces of human activity are identified. Thus a village or town is a site, and so too is an isolated monument like Serpent Mound in Ohio or Stonehenge in England. Equally, a surface scatter of stone stools or potsherds may represent a site occupied for no more than a few hours, whereas a near eastern tell or mound is a site indicating human occupation over perhaps thousands of years (Renfrew et Bahn, 1996 : 46).
On pourrait ainsi dire qu’il y a des sites archéologiques partout, que tout est potentiellement site, et qu’il y aurait des archives matérielles partout. Ce qui n’est pas le cas. Le don d’ubiquité est une vue de l’esprit. Les qualités de la formation théorique et pratique du chercheur, la problématique historique et archéologique préalablement définie ou revue à l’issue de la prospection, jouent un rôle prépondérant dans la découverte des sites archéologiques. Elles les font émerger du silence des sédiments et leur confèrent quelquefois, le statut de document. L’archéologie fait exister les vestiges matériels comme documents. J’entends que, de leur passage ou de leur installation en un lieu, les hommes laissent généralement des traces matérielles : ce sont soit des objets naturels dont ils modifient la configuration ou la disposition (agencement de cailloux pour faire un foyer, bois brûlé), soit, en nombre croissant à mesure qu’on s’éloigne du paléolithique, des objets fabriqués par eux ... En les exhumant, aussi nombreux que possible, d’un enfouissement qui les dérobait à l’univers des choses qui nous entourent, la fouille archéologique rend les vestiges matériels du passé à notre monde présent (Bruneau, 1975 : 427-442).
La fouille à grande échelle est généralement précédée par des sondages, considérés comme des fouilles, mais pratiqués à échelle réduite. Nous avons réalisé des sondages sur tous les sites identifiés à travers la région de l’Adamaoua. Le sondage occupe une place spécifique dans toute activité archéologique du fait de sa place ambivalente en tant que méthode de
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prospection et acte de fouille. Cette opération technique consiste en effet à tester les potentialités d’un site en fouillant un espace limité. « Le sondage consiste à pratiquer une ouverture réduite dans le sol pour mesurer un potentiel archéologique. Il est généralement choisi pour déterminer l’étendue du site et les modalités d’extension de la fouille. Il s’apparente à un travail d’estimation. Le sondage a déjà toutes les caractéristiques de la fouille : repérage dans l’espace, atteinte des structures par l’ouverture du sol, progression par la destruction des niveaux plus hauts, collecte de mobiliers dûment enregistrés » (Lehöerff et Giligny, 2002 : 55). Quels indices permettent-ils véritablement de jauger l’importance scientifique d’un site archéologique et partant, de la nécessité de le fouiller et de le protéger, ou encore de l’abandonner ou de le détruire? Cette question qui nous est régulièrement posée par les étudiants et autres curieux est pertinente, que l’on soit en prospection programmée ou en activité dans le cadre de l’archéologie préventive ou de sauvetage. C’est d’ailleurs ce deuxième type de pratique archéologique qui est de plus en plus pratiqué au Cameroun à la faveur des grands travaux. En effet, conformément aux prescriptions des lois nationales et des conventions internationales, s’il se trouve que le patrimoine archéologique est menacé par les ouvrages à construire, les institutions partenaires du projet sont tenus de financer en amont des recherches en vue de son sauvetage. Le Projet de Loi régissant le Patrimoine culturel au Cameroun, en son article 43, recommande : « Tous travaux d’aménagement, d’extraction, d’exploitation ou de construction dans le cadre de grands chantiers ou de projets structurants doivent préalablement faire l’objet de diagnostics, prospections et de sondages archéologiques ». C’était déjà le cas dans la loi n° 91/008 du 30 juillet 1991 portant protection du patrimoine culturel et national, ce qui a permis lors des constructions des routes : Yaoundé-Bafia-Bafoussam (1983); Garoua-Boulaï-Bertoua (1998), Lolodorf-Kribi-Campo (2001); Ngaoundéré-Touboro-Moundou (2003) ; Ngaoundéré-Meiganga-Bertoua (2008), centrales thermiques de Dibamba (2008), Pipeline Tchad-Cameroun (2001), Barrage de Lom Pangar (2010), de mettre au jour des sites dont les fouilles et les résultats des analyses ont enrichi les pages de l’histoire du Cameroun. Sans cette opportunité, ces gisements auraient été à jamais perdus parce que détruits, compte tenu du déficit d’intérêt porté par les autorités locales, régionales et nationales sur les recherches archéologiques, étiquetées à tort comme science luxueuse, ruineuse et inutile. Dans un contexte géographique et économique particulier comme celui de l’Adamaoua, où tous les sites mis au jour au cours des prospections ordinaires ou lors de la construction de l’axe routier Ngaoundéré-Touboro-Moundou, sont menacés par des actions anthropiques anarchiques, mettant en péril l’intégrité de tous les sites, cette interrogation portant évaluation de la valeur scientifique des sites prend un relief particulier. De la réponse donnée dépendent en général
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les destins des sites : ceux à abandonner, ceux à sauver urgemment, et enfin ceux à protéger. Ces derniers peuvent alors être réservés aux fouilles dites programmées à court ou à moyen terme, ou encore à long terme, à condition que les populations locales, les autorités politiques et administratives, les acteurs économiques aient pris conscience du rôle de l’archéologie dans le développement. La valeur d’un site archéologique repose en effet sur cinq importants piliers : « l’ancienneté du site ; la densité et/ou la variété des découvertes ; le contexte des découvertes ; la signification sociale des découvertes ; les connaissances archéologiques préalables » (Lavachery 2005 : 23). Quant aux destins des sites mis au jour à l’issue des prospections, certains seront détruits ou abandonnés, tandis que d’autres seront fouillés et éventuellement préservés pour servir le cas échéant, de chantier-école. Ce dernier cas de figure, en l’état actuel des activités, reste confidentiel dans sa pratique au Cameroun. En nous reportant au texte ci-dessous cité de Philippe Lavachery (2005 : 22-24), archéologue belge, spécialiste de l’archéologie préventive au Cameroun, on peut proposer la réponse suivante aux critères d’évaluation de la valeur scientifique des sites archéologiques et leurs destins probables. Les critères utilisés pour définir la valeur scientifique d’un site sont multiples et complexes. Toutefois, puisqu’un archéologue cherche à comprendre à la fois l’histoire du peuplement d’une région et les modes de vie des populations disparues, ces critères peuvent être résumés de la façon suivante : • Ancienneté du site. • Densité et/ou variété des découvertes. • Contexte des découvertes. • Signification sociale des découvertes. • Connaissances archéologiques préalables. • L’Age est un critère qui s’explique de lui-même : plus un site est ancien, plus il est important. Ceci se justifie par la rareté des sites anciens comparés aux sites récents. En trouver un est donc une opportunité exceptionnelle pour comprendre le passé distant d’une région. De plus, les sites de plus de 10.000 ans d’âge ne sont, pour la plupart, trouvés que lors de grands travaux d’infrastructures nécessitant beaucoup de terrassement parce qu’ils sont enterrés profondément. • Pour être considéré comme important, un site doit aussi (le plus souvent) présenter une relativement grande densité et/ou variété d’artéfacts. Les trouvailles isolées sont difficiles à interpréter parce qu’un échantillon représentatif du matériel est nécessaire pour décrire valablement une culture matérielle et pour comprendre les activités menées sur le site par ses occupants. • Les artéfacts doivent aussi reposer en contexte primaire (comme les préhistoriques les ont laissés) pour être exploitables scientifiquement
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(stratigraphie et paléo-ethnographie). Si des phénomènes naturels (érosion, activité animale…) ou anthropiques (piétinement, nettoyage, terrassement…) ont perturbé le site de manière trop profonde, l’association et la position des artéfacts ne peuvent plus être interprétées. Bien sûr les sites archéologiques sont pour la plupart découverts lorsqu’une partie de leur surface a été mise au jour par l’érosion ou le terrassement : l’intervention archéologique devra donc se focaliser sur les zones non encore perturbées. • Des sites récents (tombes, monuments, aires sacrées…) peuvent posséder une signification sociale très importante pour les populations locales et, dans ce cas, ils ne doivent être endommagés ni par les activités de construction ni par les archéologues, sans qu’une compensation adéquate n’ait été négociée. Dans cette optique, les sites funéraires, même récents, sont toujours considérés comme importants. Une attention particulière doit dès lors être accordée aux anciens villages qui peuvent contenir des tombes. Toutefois les tombes récentes doivent être prises en charge par la compensation socioéconomique et non pas traitées par les archéologues • Les connaissances archéologiques locales préalables dans la zone où un site a été identifié sont aussi un critère important : dans une région inexplorée, des sites d’importance moyenne peuvent être considérés comme prioritaires, car ils représentent les premières informations disponibles.
Une fois la valeur intrinsèque du site connue, le sondage et la fouille peuvent et doivent suivre. En cette circonstance, toutes les précautions sont à prendre avant d’engager ces opérations cruciales au regard de leur caractère destructeur irrémédiable. En ce qui concerne particulièrement la fouille, elle doit être conduite avec beaucoup de soins. Différentes méthodes et techniques de fouilles existent et sont enseignées aussi bien en classe que sur le terrain. L’art de fouiller s’apprend sur le terrain, outils en main et non dans les livres » ; il est une compétence indispensable pour mener à bien un travail donné : c’est l’expérience de la fouille, complétée par une solide formation d’historien. Fouiller ... Fouiller, c’est avant tout prélever des objets, des vestiges archéologiques, alimentaires ou techniques, en respectant leur contexte, suivant une méthode préétablie, selon le terrain et l’ampleur de la recherche. En comprendre la provenance, l’utilité ou le mode de fabrication permet ensuite de situer dans le temps le niveau technique des occupants du site, d’établir un premier bilan économique (Poireux, 1979 : 27).
Chaque gisement doit être fouillé avec minutie et professionnalisme. Ce faisant, l’archéologue est tenu de prendre toutes les dispositions pratiques y relatives. La nature des sites archéologiques diverge et par conséquent, l’archéologue doit adopter et adapter la stratégie optimale de fouille en fonction des configurations des terrains. Une fois que les techniques adaptées aux caractéristiques du site sont adoptées, le chercheur doit agir selon les normes et
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veiller à l’enregistrement du maximum d’informations livrées par la fouille. Pendant l’acte de fouille, tout doit être minutieusement observé, enregistré, dessiné, photographié, prélevé, ensaché, numéroté, classé et conservé. [Les informations à consigner] ne concernent pas uniquement les vestiges mis au jour, mais aussi les « témoins fugaces » (changement de coloration du sol, concrétions, etc.) inévitablement détruits par la fouille qui, bien souvent, permettent la mise en évidence de structures latentes (fosses, trous de poteaux, etc.)… Toutes les techniques d’enregistrement sont requises, depuis les notations sur un journal de fouille, l’établissement de plans, l’établissement d’une couverture photographique, jusqu’à l’enregistrement planimétrique de l’ensemble de ces informations sur ordinateur destinées à leur restitution selon les procédés développés par l’informatique graphique (Gérard, 1995 : 290).
Ces prescriptions relèvent de l’idéal. Dans les terrains de l’Adamaoua, les conditions de travail sont difficiles. Handicapé par le caractère obsolète de notre matériel, l’établissement d’une couverture photographique, la gestion numérique des informations de même que leur enregistrement planimétrique n’ont guère été possibles. Toutefois, ce déficit technologique est loin d’hypothéquer les résultats obtenus. Jadis prioritaire et fondamentale, la fouille stratigraphique est de plus en plus doublée par la fouille horizontale même si le gisement dans chaque cas est fouillé « en stratigraphie ». La truelle du fouilleur, dans tous les cas, décape les couches du sol du haut vers le bas en observant méticuleusement la couleur, la texture et l’épaisseur des strates. La fouille horizontale encore appelée fouille planigraphique, ou fouille en décapage, consiste à dégager un sol d’habitat dans toute son étendue. Le chercheur ne privilégie plus seulement la succession des couches et la position des vestiges matériels en tant que marqueurs chronologiques et culturels, mais cherche à appréhender l’organisation temporelle et spatiale de l’espace humanisé, au regard de la dissémination ou de la répartition des vestiges matériels sur l’espace en fouille. Quelle que soit la méthode, quelle que soit l’importance du site ou du carré, l’archéologue est dans l’obligation de prendre toutes ses responsabilités intellectuelles et civiques avant de poser son acte, parce qu’il voit seul, pour la première et la dernière fois, l’objet de son étude, héritage millénaire ou séculaire unique et exceptionnel. C’est pourquoi il est important d’avoir compris le caractère irréparable de l’acte de la fouille avant d’entreprendre ce délicat travail. Pour reprendre une image souvent utilisée, mais combien parlante, disons « qu’un gisement archéologique est un livre qu’on ne peut lire sans le détruire au fur et à mesure : la fouille est une destruction irréparable, mais cependant nécessaire à une connaissance historique. C’est pourquoi le souci majeur du fouilleur est de ne détruire que ce qu’il est certain d’avoir exploité à fond » (Poireux, 1979 : 27).
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Alors, lorsqu’on n’a pas toutes les compétences scientifiques ou les moyens matériels et financiers nécessaires pour conduire une fouille, le site doit être préservé en attendant de réunir toutes les conditions favorables pour sa parfaite exécution. C’est justement pourquoi sur la centaine de sites que nous avons mis au jour dans l’Adamaoua, ont été tous sondés, et seulement une vingtaine ont fait l’objet de fouilles approfondies. La qualité des analyses dépend aussi du professionnalisme de ces gestes antérieurs décisifs. La contribution des différentes sciences affines de l’archéologie permettra, en fonction de la qualité de la fouille et de la diversité des objets trouvés, de répondre à quelques-unes des interrogations soulevées au commencement de cette étude. Qui étaient ces femmes et ces hommes en marche? Vieillards, adultes, adolescents ou enfants ? Comment étaient-ils ? À quelles dates se sont-ils engagés sur les chemins? Étaient-ils chasseurscueilleurs, pêcheurs, éleveurs, cultivateurs, artisans, marabouts, potières ou métallurgistes? D’où venaient-ils ? Que cherchaient-ils ? Qu’ont-ils trouvé sur place à leur arrivée? Avec qui sont-ils entrés en contact ? Qu’ont-ils fait par la suite ? Comment était leur environnement naturel ? Comment leurs sociétés étaient-elles organisées ? Comment et pourquoi fabriquaient-ils des objets dont on découvre à présent les restes? Comment communiquaient-ils ? Avaient-ils des rites ? Dansaient-ils ? Avaient-ils des chants ? Priaient-ils ? À qui adressaient-ils leurs prières ? À quoi pensaient-ils ? De quelles maladies souffraient-ils ? Comment concevaient-ils la vie et la mort? Que mangeaientils ? Comment s’habillaient-ils ? Comment étaient leurs habitations ? Quelle est la densité des preuves matérielles de leur existence parvenues à nous ? À qui appartiennent-elles désormais? Il est forcément difficile de répondre à toutes ces questions avec fermeté, au regard de la fugacité des gestes posés, de l’acidité du sol, des affres des intempéries, de l’impact des labours sur l’intégrité des vestiges, du hasard et de la qualité des trouvailles, de la carence des moyens matériels et financiers, etc. Il faut tout simplement faire preuve d’humilité scientifique et garder présent à l’esprit que lorsqu’on commence la fouille d’un site, « l’on peut s’attendre à tout et, en tout cas, jamais à trouver exactement ce que l’on avait imaginé c’està-dire déduit… et c’est pourquoi l’archéologie fait avancer, transforme les problématiques au fur et à mesure de l’avancée de la recherche. Cette fabrication de la source se décompose en plusieurs phases, au moins trois : fouille, enregistrement, traitement des données » (Burnouf, 1996 : 129). 3- Après la fouille archéologique Après la fouille archéologique, commence le travail le plus long, le plus ardu intellectuellement et le plus coûteux financièrement. C’est le moment d’établir les « fiches d’état civil » de chaque site et de chaque vestige matériel, d’analyser méthodiquement les données recueillies, d’interpréter les résultats et
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d’en tirer les leçons conséquentes par rapport aux objectifs fixés à la recherche. Ceux de ce travail s’articulent autour des thématiques suivantes : datations, migrations anciennes et peuplement, motivations du choix des sites d’habitat, techniques d’exploitation, de transformation et de valorisation des minéraux, destin du patrimoine archéologique régional et contribution de l’archéologie au développement national. Dans quelle mesure les résultats des prospections et fouilles peuvent-ils apporter des réponses à ces attentes ? « L’archéologie peut apporter beaucoup, dans le champ du passé lointain de l’Afrique. Elle n’est pas capable de miracles, elle ne livre pas des réponses à toutes les questions qui se posent sur ce passé ; dans son cas, comme dans toute recherche, il faut des années d’analyse pour préparer une minute de synthèse sérieuse » (Devisse, 1992 : 13). Cette sérieuse synthèse doit beaucoup à la collaboration des experts œuvrant dans différents domaines scientifiques. Leurs contributions sont essentielles et précieuses pour répondre aux questions que se pose l’archéologue. Sur le plan des datations par exemple, l’interrogation principale est la suivante : à quelle date remontent les plus anciennes traces de l’occupation humaine dans l’Adamaoua ? Les physiciens y ont répondu : depuis le premier millénaire au moins avant notre ère. Cette réponse suscite beaucoup d’autres. Par exemple : qui sont ces anciens occupants ? Étaient-ils les premiers ? Si oui, sont-ils les ancêtres directs des premiers occupants comme les Mboum, qui se réclament comme tels dans la Vina et par conséquent, contestent la prééminence politique des Foulbé sur la terre de leurs ancêtres au nom du droit de l’antériorité sur le sol ? Et à Somié en terre mambila, qui sont ces hommes et ces femmes du IIIe siècle de notre ère, révélés par les datations au radiocarbone alors que les traditions d’origine des Mambila situent leur implantation dans la région au plus tôt au XVIIe siècle? S’agit-il des pré-Mambila ? Si oui, qui sont-ils et où sontils à présent ? Dans la Vina comme dans le Mayo-Banyo, quelles peuvent être les incidences de ces découvertes sur le pernicieux débat autochtone /allochtone qui passionne tant les Camerounais dans leur « État [qui selon la Constitution], assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi » ? Qui est autochtone ? Qui est allochtone ? Qui est minorité ? Qui est majorité ? Où place-t-on le curseur aval et amont de l’occupation des terres revendiquées ici et là par les autochtones ? Quelles sont les conséquences de ces revendications sur le tribalisme administratif et politique si prégnant au Cameroun ? Il ressort évidemment de ce nébuleux questionnement que l’établissement des repères chronologiques mieux assurés et plus nombreux par les archéologues permettra d’éclairer et de rationaliser certaines décisions de gouvernance prises souvent de manière hâtive et émotionnelle par des acteurs politiques de notre pays. C’est le prix à payer pour que les passionnés et violents débats sur les migrations anciennes et le peuplement du Cameroun gagnent en rigueur et sérénité.
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La question « que mangeaient-ils ? » qui interroge l’alimentation des anciens habitants de l’Adamaoua n’est pas moins pertinente. Les fouilles que nous avons conduites jusqu’à présent ne permettent en aucune façon d’apporter une réponse directe et affirmative sur les habitudes alimentaires de ces populations. L’acidité des sols et le caractère fugace des denrées consommables (fruits, légumes, viande, poisson, etc.), ne favorisent pas leur longue conservation. Des études palynologiques, paléocarpologiques, paléozoologiques, et paléobotaniques, si elles avaient été conduites, auraient pu fournir la clé d’accès aux plus anciennes traditions alimentaires de l’Adamaoua. Mais c’est loin d’être le cas. Des difficultés logistiques, presque structurelles déjà évoquées hypothèquent l’entreprise. Néanmoins, certains objets de la culture matérielle comme les meules mobiles ou dormantes, les molettes, les fragments de poterie et de pipe, les restes d’outils métalliques, peuvent autoriser des déductions sur des pratiques agricoles et par ricochet, sur l’alimentation, l’organisation sociale, les activités économiques et artistiques. À quoi servaient les grandes meules dormantes observées au mont Djim à Galim-Tignère, à Gu-lil, à Somié et à Ngaw Pak Hay ? Servaient-elles à moudre des grains ou à broyer des écorces, des feuilles et des fruits ? Ces végétaux provenaient-ils des espèces spontanées ou cultivées? Qui étaient astreints aux tâches ménagères : femmes, hommes, enfants ou adultes ? Peut-on déjà parler de division du travail ? Les pipes dont les restes livrés par les fouilles à Ndeba, à Ngan-Ha et à Yoko, supposent évidemment l’existence des fumeurs et des substances à fumer. Fumait-on du tabac ou d’autres produits nicotiniques, stimulants ou aromatiques? Qui était autorisé à fumer ? Les cultures pratiquées soulèvent aussi des questions sur leurs origines. Sont-elles endogènes, basées sur l’exploitation d’un fond ancien de cultigènes africains comme le sorgho, le petit mil ? Furent-elles introduites ? Si oui, quand, à quelles dates, comment, par quelles voies et par qui ? On sait par exemple à la suite de Warnier (1984 : 402-403) que l’introduction des cultigènes du Sud-Est asiatique, notamment le plantain (Musa sapientum var. paradisiaca), la banane (Musa sapientum), le taro (Colocasia esculentum) et une variété d’ignames (Dioscorea alata), que l’on cultive et consomme d’ailleurs dans l’Adamaoua, date des premiers siècles de notre ère pour l’ensemble de l’Afrique ; que l’introduction des cultigènes américains, notamment les arachides (Arachis hypogaea) et le tabac (Nicotiana tabacum) cultivés et consommés dans la région est postérieure à 1500 ; que la diffusion du manioc (Manihot utilissima), denrée fort prisée dans l’Adamaoua eut lieu très précisément en 1918-20 dans les Grassfields du Cameroun. Ces repères chronologiques valables à l’Ouest-Cameroun le sont-ils dans l’Adamaoua ? Des questions encore sans réponses.
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L’agriculture convoque par extension les fêtes agraires, comme le Mbor Yanga des Mboum, une très vieille fête agricole à forte connotation politique et religieuse, aujourd’hui réduite à un festival profane hautement politisé par des élites rurales et urbaines mboum nostalgiques ou en quête de positionnement politique. C’était jadis la fête des prémices qui annonçait les récoltes et correspondait au premier jour de l’an des Mboum. Il se célébrait au mois de Mâfung - mois d’août du calendrier grégorien - vers la période de maturation du maïs. Les pratiques agraires dans des sociétés agricoles et sédentaires comme celles des Mboum convoquent aussi la production artistique. D’un côté, l’art sacré visible dans les signes du pouvoir et les objets cultuels qui accompagnent les rituels de semailles et de récoltes et de l’autre, l’art profane ou artisanat, manifesté par des outils agricoles et ordinaires. Opposition entre un art beau, créatif et dynamique et un artisanat traditionnel, utilitaire et peut-être primitif selon quelques aliénés. Tout un débat implicite entre les beaux-arts et les arts premiers et sauvages. Il est aisé de constater à partir de ces deux exemples sus évoqués portant respectivement sur la chronologie des sites et les pratiques alimentaires des anciens habitants de l’Adamaoua, que l’après-fouille se prête au terme des analyses de laboratoire, à de multiples interprétations sur les paysages, les modes de vie, les milieux habités ou les espaces transformés. Chaque fouille, chaque découverte, en effet, pose un ou plusieurs problèmes, dont la ou les réponses peut/peuvent être ou non trouvée (s). Il n’est pas rare dans cette phase de réflexion, que les interrogations de l’archéologue débouchent sur des spéculations inédites et imprévisibles. Face aux conjectures probables, il doit faire preuve de retenue et concentrer autant que faire se peut, l’essentiel de ses interprétations sur les sujets qui intéressent ses recherches. Pour interpréter avec maîtrise et justesse sa moindre découverte dans le sens humain, l’archéologue doit être ouvert à plusieurs disciplines afin d’en tirer le maximum de bénéfices et nourrir ses connaissances dans les différents domaines de l’activité humaine, sur les milieux de vie, les développements de la pensée ainsi que sur les conditions matérielles et spirituelles de l’existence. Seule cette capacité intellectuelle peut lui permettre de replacer dans un contexte donné, la vie d’un individu ou d’un groupe disparu, de reconstituer les faciès des anciens paysages, de redonner la vie aux choses mortes. L’archéologue, s’il n’est pas un savant, doit néanmoins être un homme à la vie pleine de réflexions et d’expériences. Dans cette phase de recherche qui précède les publications et les communications scientifiques, on exige de l’archéologue d’être un professionnel, un scientifique honnête. L’honnêteté requise en cette circonstance c’est le courage de prendre conscience de ses échecs comme de ses réussites, de mesurer les conséquences de ses résultats sur les recherches futures, sur la sécurité des peuples et des biens localisés dans l’espace concerné
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par ses recherches et peut-être au-delà de cet horizon. Il ne doit en aucun cas transformer ou déformer un fait, déplacer un objet, fabriquer ou transformer un témoin, inventer des dates et mentir afin que ses manœuvres et supercheries viennent corroborer aisément ses attentes et les résultats escomptés. Les exemples de falsification des données scientifiques pour justifier un point de vue, pour légitimer une idéologie, pour soutenir une propagande sont légion dans l’histoire de l’humanité. 1) « l’Homme de Piltdown » Charles Dawson, le père de « l’Homme de Piltdown », en référence aux restes d’un hominidé « découverts » en 1912 à Piltdown, localité de Sussex au sud de l’Angleterre, dont certains crurent être le chaînon manquant entre les simiens et les hominidés, mais dont une étude effectuée en 1953 conclut à une supercherie, est l’une des figures emblématiques de la falsification historique. Cheikh Anta Diop (1985 : 51-52), lors d’une conférence à Paris, démontre les manipulations du faussaire et sonde ses funestes intentions. Un faux spécimen du crâne de L’Homme de Grimaldi fut fabriqué par un idéologue anglais pour démontrer que l’humanité a pris son origine en Europe et en particulier en Angleterre. C’est en 1912 que Charles Dawson a fabriqué ce spécimen. Il a un front haut d’homme moderne et une mâchoire d’orang-outan. Les canines sont celles du singe. La mâchoire est simiesque… C’est un savant anglais de bonne foi, Oakley qui a découvert la supercherie. Il a analysé la quantité de fluor qui s’est accumulée dans cette partie inférieure de la mâchoire et la quantité de fluor accumulée dans la partie supérieure du crâne en disant : si les deux éléments, mâchoire inférieure et partie supérieure du crâne appartiennent au même individu, on trouvera la même quantité de fluor accumulée à travers le temps. Si on est en face d’une supercherie, la variation du taux du fluor révèlera cette supercherie, et évidemment on a trouvé que ce n’était pas la même quantité de fluor et on a donc su qu’il s’agissait d’un faux fabriqué de toutes pièces… Ce spécimen a divisé la communauté scientifique pendant cinquante ans. Pendant cinquante ans, des savants qu’on ne nommera pas ici vont soutenir que ce spécimen était authentique. C’était le fondement de la théorie des pré-sapiens et aussi de la théorie polygénétique selon laquelle l’humanité avait plusieurs origines parallèles et cette théorie s’est effondrée comme un château de cartes avec la découverte de cette supercherie.
2) La mosquée Babri Masjid à Ayodhya en Inde Par souci d’objectivité, il est prescrit à l’archéologue d’éviter de succomber à la tentation du sensationnel. L’exemple de la mosquée Babri Masjid à Ayodhya dans l’État de l'Uttar Pradesh au nord de l’Inde, détruit par des fanatiques hindous, démontre combien la précipitation dans la publication des résultats de certaines recherches est potentiellement dangereuse. Des
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affirmations gratuites pourraient ainsi donner l’opportunité à quelques illuminés, de commettre les crimes les plus odieux au nom de leur Dieu. Religious extremism is responsible for many acts of destruction. The important mosque, the Babri Masjid, at Ayodhya in Uttar Pradesh, northern India, constructed by the Moghul prince Babur in the 16th century AD, was torn down by Hindu fundamentalists on 6 December 1992. The mosque was situated at a location which has at times been equated with the Ayodhya of the Hindu epic, the Ramayana, where it is identified as the birthplace of the Hindu deity/hero Rama. Excavations had been carried out at the site by B.B. Lai in 1975 and 1976, and did not report medieval finds of any special interest. But in June 1992 stone carvings were allegedly uncovered 3.6 m (12 ft) underground at the site and a group of archaeologists published a booklet, Ramajamna Bhumi : Ayodhya : New Archaeological Discoveries, in which it was claimed that Babur’s mosque was built over the ruins of a Hindu temple of 11thcentury date, a temple which Babur had destroyed. Encouraged by politicians of the influential Bharatiya Janata Party, Hindu fundamentalists proceeded to raze the mosque to the ground. (Renfrew & Bahn, 1996 : 513).
Des fondamentalistes trouvent souvent dans les monuments en tant que lieux de culte, ouvrages d’architecture ou de sculpture édifiés pour conserver la mémoire d’un homme illustre ou d’un grand événement, les meilleurs exutoires pour vivre leur folie. Il arrive parfois que l’archéologie contribue à l’expression de cette démence. C’est le cas de la destruction le 06 décembre 1992 au nord de l’Inde, de la mosquée Babri Masjid d’Ayodhya par des intégristes hindous. L’effondrement tua des dizaines de musulmans en prière. Ces fous de dieu justifièrent leur crime en arguant que cette mosquée avait été construite sur les ruines de l’ancien temple de Ramayana, un héros hindou. Cet argument reposait hélas, sur une date douteuse fournie par des archéologues avides de sensationnel. Ils avaient daté les ruines de l’hypothétique temple au XIe siècle A.D. et les fondations de la mosquée au XVIe siècle A.D. Sous ce rapport, la mosquée musulmane était plus ancienne que l’hypothétique temple hindou. Pour les fous de Ramayana, cette construction était la preuve patente d’une profanation de lieu saint et il fallait laver cette abomination par le feu et le sang. Ce qu’ils firent. Il s’avéra pourtant à l’issue d’une contre-expertise que la date du XIe siècle attribuée à la construction du fameux temple était fausse. Un mensonge scientifiquement élaboré qui tua des êtres humains. Il revient par conséquent à l’archéologue d’être prudent dans la déposition de ses conclusions. Il ne doit pas confondre l’absence de preuve et la preuve de l’absence. 3) Le « mythe de la frontière historique du Limpopo » Dans un univers hanté par des illuminés et des faussaires, évoluent à contrecourant des femmes et des hommes de sciences courageux et honnêtes. Ce troisième exemple se démarque des précédents. Il met plutôt en exergue des
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scientifiques de bonne foi, dont la rigueur et la vérité ont permis de battre en brèche des théories fallacieuses entachées de préjugés racistes et raciaux érigés en dogmes. C’est le cas du « mythe de la frontière historique du Limpopo », fondement de l’apartheid en Afrique du Sud ; cette forme achevée de pollution morale et spirituelle érigée en système politique et religieux par des réfugiés religieux hollandais et anglais et leurs descendants en terre d’Afrique noire pendant trois siècles environ. C’est le courage des archéologues de bonne foi qui a révélé la supercherie et fragilisé l’une des thèses les plus sordides et les plus sauvages inventées et pratiquées par des hommes contre des hommes et au nom de Dieu. C’était, c’est toujours, pour les partisans les plus acharnés de l’apartheid, un dogme, enraciné dans des lectures tendancieuses de la Bible et de l’histoire de l’Afrique, que la région située au sud de Limpopo n’avait pas été peuplée par les Bantouphones avant le XVIIe siècle ; leur expansion, au détriment de quelques Khoisans, entre Limpopo et Vaal, aurait coïncidé avec celle des Européens, vers le nord depuis le Cap ! L’archéologie ne pouvait - ne devait - découvrir au sud du Limpopo que les traces anciennes d’Australopithèques ou celles, dispersées et peu consistantes, des ancêtres des Khoi (Hottentots) et des San (Bushmen). La recherche archéologique n’a pas répondu à cette attente ; elle a donc pris, comme en tant d’autres endroits du monde, une dimension politique ; elle donne tort, sans appel, aux tenants des doctrines des Afrikaners… La recherche archéologique récente a fait voler en éclats définitivement le mythe de la frontière historique du Limpopo. Une spectaculaire percée des recherches fondées sur la paléozoologie des bovidés et sur l’étude des dépôts de déjections laissés en place par les parcs d’élevage permet aujourd’hui de reconstituer les progrès de cet élevage et les transformations sociales et politiques qui les ont accompagnés, entre le Botswana actuel et la côte de l’océan Indien ; tout spécialement sur les deux rives du Limpopo et dans la zone du confluent entre celui-ci et le Shasi, depuis le VIIIe siècle… La multiplication des dates anciennes liées à la découverte de fourneaux de réduction du minerai de fer entre Limpopo et Vaal est un autre élément nouveau de très grand intérêt puisque ces dates sont plus anciennes encore que celles qui contiennent l’élevage des bovidés ... Dès le IVe siècle - probablement plus tôt à en croire les chercheurs du Mozambique - le fer était produit en quantité, dans la boucle du Limpopo ; une métallurgie du cuivre contemporaine a probablement existé ; elle n’est pas encore attestée avec autant de netteté que celle du fer… Tout conduit aujourd’hui à prouver qu’existe dans la boucle du Limpopo une des vieilles régions de production du fer en Afrique, sans doute dès le début de l’ère chrétienne (Devisse, 1992 : 3031).
Il ne sera désormais plus possible de soutenir que l’Afrique du Sud fut peuplée concomitamment à partir du XVIIe siècle par des Hollandais et des Anglais, fuyant le fanatisme religieux et les guerres de religion en cours dans
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leur continent et par les Zulu, Xhosa, Sotho, Swazi, Pedi, Tswana, Tsonga, Venda, Ndebele, etc., très anciennement installés. Les données de l’archéologie accordent la primauté de l’occupation de cette terre africaine aux Africains. Et tout naturellement ! Les importantes découvertes sur l’ancienneté de la métallurgie du fer contestent formellement par ailleurs, la diffusion du fer en Afrique. Le continent n’a pas emprunté son art des métaux à un autre. L’Afrique a inventé et développé sa propre métallurgie du fer (Bocum, 2002a) et cela peut-être dès le IIIe millénaire avant notre ère et probablement dans plusieurs sites autonomes dans les grandes régions du continent. Ces trois exemples sur la malhonnêteté et l’honnêteté de quelques chercheurs nous ont permis d’illustrer les dangers de la falsification de l’histoire et partant de toute autre donnée scientifique engageant la vie des hommes et l’avenir de la science. Ils doivent servir de leçons aux jeunes archéologues en formation afin qu’ils prennent véritablement conscience de leur devoir civique et de leurs missions scientifiques. La leçon majeure à retenir dans tout ancrage théorique et dans toute démarche méthodologique est que l’idéologie n’a pas sa place en sciences. Un scientifique politisé est un mauvais scientifique. La science, quelle qu’elle soit, exige une honnêteté absolue, sans quoi elle n’est plus digne du nom de science. L’honnêteté d’esprit et le courage moral sont donc les qualités essentielles de tout scientifique. 9) Les chapitres de l’ouvrage Les huit chapitres qui structurent cet ouvrage sont les suivants : 1) Milieu naturel de l’Adamaoua et implications dans les recherches archéologiques ; 2) Migrations anciennes et peuplement de l’Adamaoua : les données de l’oralité et de l’archéologie ; 3) Inventaire et caractéristiques des sites archéologiques de l’Adamaoua ; 4) Analyse et interprétation des vestiges : fragments de l’histoire de l’Adamaoua venus du sol ; 5) Alerte sur les sites et vestiges archéologiques : menaces et prévention dans l’Adamaoua ; 6) La poterie dans l’Adamaoua : chaîne opératoire d’une pratique artistique en constante évolution ; 7) Métallurgie ancienne dans l’Adamaoua : chaîne opératoire d’un art du feu disparu ; 8) Archéologie, histoire et problématique du développement. Le premier chapitre qui explore le milieu naturel et ses implications sur la recherche archéologique met en exergue l’importante connexion entre l’écosystème et l’occupation des sites par les populations. Les hommes ne
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s’installent pas fortuitement dans un endroit donné. Un faisceau de mobiles aux intérêts croisés et complémentaires oriente leurs choix. Le milieu naturel, de par les possibilités qu’il offre et les contraintes qu’il impose, influence l’organisation économique et sociale de ses habitants, conditionne leur production artistique et technologique surtout dans un contexte culturel au déficit industriel significatif. Tant que le milieu fut favorable à l’installation des hommes, l’opportunité d’y mettre au jour des sites et des vestiges archéologiques, preuves matérielles de leur existence, est élevée. Les sites inventoriés dans l’Adamaoua sont révélateurs d’un écosystème favorable à l’existence humaine : massifs montagneux et abris sous roche adaptés à l’habitat ; minerais argileux et ferrugineux propices aux métiers du feu ; ressources animales et végétales hétérogènes favorables à l’alimentation. C’est tout à fait logique que l’Adamaoua ait accueilli pendant des siècles, des populations en mouvement à la recherche des terres hospitalières. Le deuxième chapitre raconte les migrations anciennes et peuplement de l’Adamaoua, et dessine sur la base des traditions d’origine, les complexes et épiques ballets migratoires ayant conduit dans la région une mosaïque de peuples venus d’horizons pluriels. Leurs identités restent floues, les motivations de leurs mouvements, indéfinies. Sont-ils les producteurs des cultures matérielles que l’archéologie découvre aujourd’hui ? Les migrations ici relatées intéressent les groupes ethniques dont les traditions historiques créditent une implantation très ancienne dans l’Adamaoua. Il s’agit essentiellement des Mboum, des Dii, des Mambila, des Mbéré, et des Nizo’o. L’histoire ancienne de dizaines d’autres groupes sommeille encore dans le silence de la connaissance en attendant que le bruissement de la pioche minutieuse des archéologues les réveille et les révèle à la science. Les zones où se concentrent ces groupes ethniques ont fait l’objet de prospections, de sondages et de fouilles. Il s’agit de Ngaoundéré et de Ngan-Ha pour les Mboum ; de Mbé, de Sassa Mboersi, de Gangassao, de Loumonangué, de Djorgoy, de Yoko I (vers Touboro) pour les Dii ; de Somié pour les Mambila ; de Meiganga pour les Mbéré, du mont Djim pour les Nizo’o. C’est aussi parmi ces populations ciblées que des activités millénaires comme la poterie et la métallurgie se pratiquent encore en dépit des diverses influences culturelles qui les traversent et les transforment. L’archéologie du présent, dite comptable 'de la geste technique' dans son ensemble, y compris 'celle' du présent, et qui doit être appréhendée comme une archéologie de prévention, de sauvegarde, voire de sauvetage, trouve chez ces peuples, un champ d’application fécond. D’une part, grâce à la disponibilité des éléments du patrimoine et d’autre part, à cause de l’urgence de leur inventaire, de leur classification, de leur enregistrement, de leur valorisation et de leur diffusion, face à l’aliénation et à la destruction qu’une certaine modernité exerce sur ces cultures. Le processus migratoire des populations de l’Adamaoua est aussi un grand terrain d’investigation, où les données de l’oralité et de
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l’archéologie s’affrontent et se confrontent sur les lignes de front de la chronologie dite relative et absolue. Le troisième chapitre fait l’inventaire des sites archéologiques de l’Adamaoua et présente leurs caractéristiques. Sur les 150 sites mis au jour entre juillet 1998 et décembre 2008, 50 sites sont considérés comme importants du fait de leur âge et de la grande variété des artéfacts mis au jour à l’issue des fouilles. L’espace physique de l’inventaire déborde le cadre territorial administratif de la région de l’Adamaoua et serpente, en partie, le couloir de la vallée de la Bénoué dans la région du Nord. L’objectif est d’évoluer dans ce qu’il convient d’appeler « région culturelle », afin de prendre en compte les Mboum et les Dii installés depuis longtemps sur l’axe routier NgaoundéréTouboro-Moundou (NTM), où nous avons conduit des fouilles préventives. Les Dii de Yoko (vers Touboro) affirment d’ailleurs être les descendants de leurs ancêtres qui partirent jadis de Bélel (village de l’Adamaoua) pour s’installer où ils pouvaient produire facilement du fer. Les sites sont présentés selon un ordre géographique défini par le découpage administratif du territoire national par décret présidentiel n°2007/115 du 13 avril 2007. Nous avons ainsi les sites des départements de la Vina, du Mayo-Banyo, de Mbéré, du Faro et Déo et quatre sites découverts sur l’axe routier Ngaoundéré-Touboro relevant de la région du Nord. Le classement est lié à la typologie : fosses, sites de plein air, sites palémétallurgiques, et abris sous roche. Leur étude permet de comprendre les cultures anciennes de la région et éclaire les activités menées sur le site par ses occupants. La description des sites privilégie les éléments suivants : type de site, localisation, date et circonstances de découverte, artéfacts identifiés, traitement du site (pour les sites de l’axe routier NTM), structures fouillées et artéfacts collectés, état de conservation du site, menaces sur l’intégrité physique du site, datations et interprétations préliminaires. Les datations occupent une place particulière dans la mesure où l’âge est un critère discriminant majeur dans la hiérarchisation des sites archéologiques. Plus un site est ancien, plus il est important. Ceci se justifie par la rareté des sites anciens comparés aux sites récents. Leur découverte au mont Ngaoundéré et à Ndeba par exemple, constitue une opportunité exceptionnelle d’accès au passé ancien de la région. Le matériel lithique brille par sa rareté dans les sites explorés. Il se résume en deux haches polies de très belle facture, quelques fragments de meules et de percuteurs. Le quatrième chapitre porte sur l’analyse et l’interprétation des vestiges archéologiques de l’Adamaoua. Le matériel lithique, céramique, métallique, ainsi que les objets-signes du pouvoir du Bélàkà mboum de Ngan-Ha, sont présentés suivant leur facture matérielle, leur morphologie, leur état de conservation et interprétés par rapport à leur contribution à la connaissance de l’histoire des femmes et des hommes qui les ont fabriqués, ainsi que leurs différents usages. Un examen particulier est porté sur le rapport entre la quantité des restes collectés sur les sites archéologiques et la densité des ressources
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minérales et énergétiques brutes exploitées, qui servirent à leur manufacture. Mais c’est une étude complexe et difficile au regard des aléas des trouvailles et de l’évaluation réelle des volumes originaux des rebuts. Les objets-signes du pouvoir du Bélàkà Mboum de Ngan-Ha font l’objet d’une étude particulière dans le sillage de l’archéologie du temps présent. Ces regalia mis au jour dans des grottes sont une manifestation de l’essence du pouvoir traditionnel aujourd’hui révolu, banalisé par les influences culturelles étrangères, et relégués au rang de pièces de musée. Les différentes analyses et interprétations des artéfacts sont aussi le lieu d’un regard critique sur les méthodologies en cours dans les études archéologiques et leurs apports à l’histoire de l’Afrique précisément. Critique cependant tempérée par les limites des moyens matériels et humains de l’analyse. Le cinquième chapitre prospecte le destin des sites et des vestiges archéologiques dans l’Adamaoua. Il identifie les agents qui les menacent et propose des mesures viables en vue de leur préservation. Le péril est sérieux pour que l’alerte soit donnée. Si aucune action énergique n’est engagée, il y a fort à parier que d’ici deux décennies, les recherches archéologiques ne seront plus possibles dans la région du fait du vandalisme des sites et de la destruction des vestiges. Les sols partout dans l’Adamaoua sont intensément malmenés. L’extension des surfaces cultivables et des espaces construits détruit irrémédiablement des sites dont on ignore tout ou presque du potentiel archéologique. Les labours profonds et les terrassements bouleversent la stratigraphie du sol, mettent à nu les vestiges matériels que la déflation et les eaux entraînent loin de leur contexte initial, et dévaluent de fait leur intérêt scientifique. Les feux de brousse annuels brûlent et fragilisent les vestiges exposés en surface, et les livrent au gros bétail qui les massacre par piétinement. Dans cette ruée vers la destruction, de pauvres paysans affamés, riches de leurs maigres et incertaines récoltes, mais de plus en plus informés de la valeur marchande des vieux objets d’art qu’on trouve dans la terre aux champs et des les antres des grottes comme celles de Ngan-Ha et de Ngaoundéré, se livrent frénétiquement à un redoutable vandalisme. De vieux objets, arrachés au sol ou des cavités rocheuses, sont cédés à modique prix aux collectionneurs véreux et avertis qui les revendront à prix d’or en Europe, en Amérique ou en Asie. Ce patrimoine curieusement quitte souvent le pays avec la complicité des agents payés pour les protéger. Quant aux vestiges exhumés, les laboratoires d’archéologie ou les salles de stockage adaptées pour leur conservation et leur analyse, n’existent pas ou du moins sont rares. L’indispensable urgence de prendre sereinement des mesures adéquates sur le plan scientifique, administratif, politique et civique s’impose à très court terme en vue de la préservation et de la conservation de ces archives particulières. Le sixième chapitre scrute la poterie actuelle en remontant la chaîne opératoire qui, relativement, permet à l’archéologue de reconstituer les gestes techniques qui aboutissent à la fabrication des poteries, qu’il ne trouve en
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général dans le sol archéologique que sous forme de tessons. Le texte est le résultat des témoignages et de l’observation d’une trentaine de potières en activité de l’Adamaoua. Différents sujets sont abordés et permettent de saisir en amont les origines de la poterie et en aval son crépuscule. Sont successivement évoqués : l’invention de la poterie, ballotée entre mythe et réalité ; l’accès au métier de potière dans un contexte socioprofessionnel jadis marqué par la caste, mais de nos jours démocratisé ; la chaîne opératoire proprement dite qui porte sur les aspects technologiques de la poterie (extraction et traitement de l’argile, façonnage, décoration, séchage, cuisson, traitement post-cuisson) ; aspects morphologiques (étude des proportions et des volumes) ; aspects fonctionnels (typologie des récipients de service, de stockage, de transport) ; aspects économiques (systèmes d’acquisition des produits et réseaux de leur distribution). L’étude de la poterie permet d’évaluer les savoirs et les savoirfaire locaux sur un aspect des métiers du feu et enrichit les pages de l’histoire des techniques de l’Adamaoua. Elle montre la continuité d’une technique qui s’adapte, se renouvelle pour survivre, contrairement à la métallurgie du fer. Le septième chapitre revisite la métallurgie ancienne du fer dans l’Adamaoua. Il tente de cerner les contours d’une technique qui requiert pour son opérationnalité effective, matières premières, sources d’énergie particulières et professionnalisme. La métallurgie du fer fut pendant longtemps une affaire de caste, le savoir-faire étant confisqué par des familles de ferrons-forgerons, jalouses de leurs prérogatives. L’accès au métier s’est démocratisé en même temps qu’il disparaissait dans sa forme originale. Les sites de réduction de minerais de fer ne sont pas légion dans l’Adamaoua. Ils sont concentrés à Sassa Mboersi, à Gu-Lil, à Yoko et à Belel, tous des villages habités par les Dii, réputés pour leur maîtrise de la métallurgie du fer. Le texte est organisé autour de deux pôles. L’un archéologique, étudie les restes métallifères dont les bouts de tuyères scoriacés, les scories, les fragments des parois et les fonds des fours à réduction. L’autre anthropologique, en s’appuyant sur la reconstitution d’une séance de réduction des minerais de fer à Yaoundé en 1997, permet de remonter la chaîne opératoire de la métallurgie par procédé direct. Sont abordés : les aspects technologiques du métier qui portent sur l’acquisition des minerais, du charbon de bois, la fabrication des tuyères et des soufflets, la construction d’un four à réduction, le chargement du four, l’actionnement des soufflets et cuisson ; les aspects sociologiques qui appréhendent l’identité des fondeurs, l’accès à la profession et les rituels autour d’une réduction ; les aspects économiques qui abordent les moyens et les réseaux de commercialisation des outils métalliques. L’étude de la métallurgie permet d’appréhender l’expertise locale sur les arts des métaux et améliore ainsi nos connaissances sur l’histoire des techniques dans l’Adamaoua. Une expérience technique particulière qui révèle le destin peu glorieux d’une activité qui, au lieu de se diversifier et de s’adapter pour évoluer, s’épanouir et se perfectionner, a stagné et décliné pour disparaître finalement.
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Le huitième chapitre sonde les rapports entre archéologie, histoire et développement de l’Adamaoua. Des concepts apparemment antinomiques pour que des individus interrogent l’utilité de l’archéologie et de l’histoire et disqualifient brutalement la contribution de ces sciences de l’inutile au développement. « Pour appréhender les problèmes actuels de l’humanité et tenter de les résoudre, faut-il nécessairement avoir compris les antécédents ? Pour mettre en marche et réparer une dynamo, est-il nécessaire d’avoir pénétré les idées du vieux Volta sur le galvanisme ? » Marc Bloch (1964 : 9) reprenait ainsi pour s’étonner, ce propos interrogateur, inepte et indigent sur la validité de l’histoire de notre temps. Les préoccupations d’intérêt économique, social, politique, éthique, civique, intellectuel et culturel sous-tendent en fait le développement. Sous ce constat, le développement ne saurait être réduit à la manifestation externe de quelque aisance matérielle et financière, à la victoire sur la famine et sur les maladies, aux conquêtes et aux exploits militaires en vue de l’accaparement des richesses et des territoires, à l’expansion industrielle, à l’innovation technologique, aux prouesses mécaniques, électroniques et numériques. Le développement tel qu’envisagé dans cette étude, est celui nourri aux sources des sciences historiques et qui associe à sa dimension matérielle et spectaculaire, celle plus discrète de l’immatériel portée par l’éthique, le civisme, l’intelligence, la culture et la paix. Dans un environnement culturel vicié par des querelles entre autochtones et allogènes, par le tribalisme, la misère et le chômage, l’archéologie et l’histoire peuvent apporter des réponses pertinentes aux questions de l’antériorité de l’occupation du sol par le biais des datations scientifiques. Elles peuvent informer sur la dynamique de la mise en place des ethnies de l’Adamaoua afin de déconstruire le tribalisme, ce fonds de commerce des politiciens inaptes de tout projet politique. Ces sciences peuvent enfin ouvrir des perspectives économiques par la création d’emplois directs et indirects dans le tourisme, la recherche, l’enseignement ou encore dans les performances artistiques.
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DEUXIÈME PARTIE ENVIRONNEMENT NATUREL ET MISE EN PLACE DES POPULATIONS
CHAPITRE I MILIEU NATUREL DE L’ADAMAOUA ET IMPLICATIONS DANS LES RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES Essayer de comprendre le chasseur-cueilleur sans approfondir les caractères de son territoire, tenter de savoir ce que furent les premiers paysans sans connaître le terroir qu’ils maîtrisaient serait une recherche vide de sens. Car la restitution du paysage est une donnée essentielle non seulement pour re-situer l’homme dans son milieu, mais pour mieux pénétrer ses activités économiques (chasse, pêche, cueillette et, plus tard, élevage, agriculture (Guilaine, 1989 : 16).
*** I- MILIEU NATUREL ET OCCUPATION DES SITES Le milieu naturel entendu aussi comme environnement naturel, cadre écologique ou encore écosystème, rassemble différentes composantes telles que le relief, le climat, les sols, l’eau, la végétation et la faune. Une articulation harmonieuse entre ces éléments permet à la vie de s’épanouir. De par les possibilités qu’il offre et les contraintes qu’il impose, le milieu naturel influence l’organisation économique et sociale des femmes et des hommes qui l’exploitent. Il conditionne leur production artistique et technique surtout lorsqu’ils évoluent soit en autarcie, soit dans un environnement caractérisé par un déficit industriel significatif. L’homme ne s’installe jamais au hasard dans un endroit sauf quand il fait face aux contraintes absolues. Tant qu’un endroit fut favorable à l’occupation humaine, la probabilité d’y mettre au jour des sites et des vestiges archéologiques fut élevée. C’est justement pourquoi Colin Renfrew & Paul Bahn (1996 : 541) recommandent qu’une meilleure connaissance de l’environnement soit préalable à toute recherche archéologique, dans la mesure où le cadre écologique a dans le passé influencé le choix les lieux où les gens pouvaient s’installer, vivre et produire. Les sites et les vestiges que l’archéologue découvre sont d’ailleurs révélateurs des atouts et des handicaps de l’écosystème où ses locataires vécurent et organisèrent leurs activités. L’impact des facteurs naturels sur la mise en place des populations et leur production culturelle est si manifeste que Louis Frédéric (1967 : 54-56) invite tout « archéologue à la recherche d’un site, de se poser constamment la question de savoir pourquoi les hommes auraient-ils eu intérêt à s’installer à un endroit donné ». Quelques impératifs cardinaux guident généralement les hommes dans le choix de leurs habitats. Ils recherchent des sites offrant des abris sûrs, des
gisements de matières premières, des terres fertiles, du gras pâturage et des points d’eau potable et/ou salée. Dans cette quête des sites d’implantation, ils évitent ceux qu’ils jugent hostiles, notamment les zones marécageuses à cause de l’insalubrité et des inondations permanentes, potentiellement pathogènes. Ils esquivent les plaines alluviales parce que facilement inondables. Ils redoutent les sommets volcaniques épouvantés d’avance par des éruptions subites et tragiques. Ils n’aiment pas les fronts de falaises souvent enclins aux éboulements soudains. Ce n’est que lorsqu’ils sont confrontés aux pires difficultés qu’ils peuvent changer d’avis. Ainsi, face à une crise foncière, ils peuvent enfin se résoudre à exploiter des terres jugées jadis inhospitalières. Agressés par leurs semblables, ils peuvent se retirer dans des environnements répulsifs notamment les zones montagneuses escarpées, les forêts épaisses ou se cacher derrière des tranchées artificielles. Ces considérations générales sur l’imbrication entre le cadre écologique et l’occupation des sites par l’homme se vérifient à la suite de nos prospections, presque partout dans l’Adamaoua. Carte 1- Carte administrative de la région de l’Adamaoua.
Conception : Nizésété. Réalisation : Ganota Boniface. Juin 2013. La région de l’Adamaoua couvre une superficie de 63701 km2, avec une population estimée en 2012 à 1 080 500 habitants (Bureau central des recensements et des études de population du Cameroun, 2010 : 21). Elle présente des conditions naturelles avantageuses aux plans orographique, climatique, pédologique, botanique, zoologique et hydrographique pour qu’y soient accourues depuis des siècles - au regard des données de la tradition
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orale et des datations au radiocarbone disponibles - des populations venues de divers horizons et dont le fond constitue probablement le substrat humain actuel de la région. Dans cet écosystème savanicole situé à mi-chemin entre le sud forestier et le Nord sahélien, des femmes et des hommes mobilisés dans divers courants migratoires vont défiler pendant plusieurs siècles. Quelques-uns parmi s’y implanteront et laisseront des descendants. Qui étaient ces premiers colons? Étaient-ce les ancêtres des Laka, des Mboum, des Dii, des Mbéré, des Tikar, des Mambila, des Nizo’o, des Kwandja, des Wawa, des Pèré ou des Gbaya ? Graves interrogations à forte connotation ethnique et à haut coefficient politique, administratif et culturel dans cette région et auxquelles l’archéologie, l’histoire et l’anthropologie apportent progressivement des réponses pertinentes. Pendant des siècles, ces femmes et ces hommes vont maîtriser les techniques d’extraction des matières premières, les modalités de leur transformation en objets désirés, les circuits de leur distribution et les modalités d’usages appropriés. Toutes ces dispositions stratégiques visaient à répondre aux exigences d’ordre matériel et spirituel que posent les nécessités de l’existence. Dans les lignes suivantes, consacrées à l’examen des influences de l’écosystème sur la mise en place du peuplement de l’Adamaoua et ses implications sur les recherches archéologiques, nous passons en revue : le relief, les sols, les cours d’eau, le climat, la flore et la faune. Ces différentes composantes du milieu naturel sont présentées dans les cinq départements qui constituent la région administrative de l’Adamaoua. Mais d’emblée, une question vient à l’esprit, celle de savoir si les paysages que nous découvrons actuellement sont les reflets réels ou des substituts des plus anciens environnements. Les bouleversements climatiques, les cataclysmes naturels, les actions anthropiques, etc., survenus depuis la mise en place des massifs de l’Adamaoua, il y a plusieurs millions d’années, n’auraient-ils pas influencé voire modifié ces paysages ? Si oui à quel degré ? Modification superficielle ou profonde transformation ? En l’absence des données précises sur la géographie historique régionale, nous synthétisons ci-dessous, les informations d’ordre géomorphologique, géologique, climatologique, botanique, zoologique et hydrographique disponibles en l’état actuel des recherches sur l’Adamaoua. II- UN RELIEF MONTAGNARD PROPICE À L’HABITAT Le relief de l’Adamaoua est la conséquence de l’activité volcanique qui s’est manifestée de la fin du Secondaire (-245 millions d’années environ) jusqu’au début du Quaternaire (-2 millions d’années environ). Elle a donné lieu à de grands épanchements de basaltes, de trachytes et d’andésites et créé par endroits, une topographie accidentée marquée de cônes aux versants pentus et de surfaces planes, notamment les plaines de la Vina et de Marza (Morin, 1979 : 5-8-13-15 ; Temdjin, 2006). Les artéfacts lithiques collectés sont essentiellement taillés dans du basalte, du granite et du quartzite. Le vieux
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plateau de l’Adamaoua évoque les formes d’un chaos granitique truffé de grottes et d’abris sous roche dans lesquels des hommes vécurent et campèrent. Des vestiges matériels constitués de choppers, de bifaces, de percuteurs, de molettes, d’éclats retaillés et de tessons de poterie qui jonchent les planchers des caves ou qui s’insèrent dans des interstices de rochers, témoignent de cette présence plus ou moins ancienne. À propos des milliers de tessons qui pavent les flancs des massifs, les piedmonts, les sentiers, les champs cultivés et les jachères, il y a lieu de se demander s’ils furent fragmentés sur place ou s’ils sont venus d’ailleurs. Interrogation sur l’origine des dépôts qui, sur le plan méthodologique, pose le problème de la formation des couches archéologiques. L’Adamaoua c’est le pays de hauts plateaux, vieux massifs mis en place depuis des millions d’années. Ces hauts plateaux figurent parmi les grandes régions naturelles du Cameroun. Le langage commun ici crée un amalgame autour des hauts plateaux, monts, montagnes et collines et sème par conséquent une véritable confusion dans un champ conceptuel où les langues locales trouvent chacune dans son lexique, un terme pour désigner les sommets. Les peuples de l’Adamaoua nomment leurs monts ou montagnes avec des mots spécifiques en relation, soit avec les évènements historiques, soit avec les caractéristiques du relief. Ils y accolent parfois un adjectif qualificatif pour donner davantage de précisions au sujet. Les Mboum dans la Vina désignent leurs monts et montagnes par le terme Ngaw. Ngaw Hora par exemple, qui signifie montagne du feu, Ngaw Ndéré ou montagne du nombril ; Ngaw Nyanga ou montagne du cheval. Les Mambila désignent leurs monts et montagnes par le mot Tor. Tor Louo qui signifie la montagne du peuple ; Tor Gwanveh ou montagne de l’écho, car c’est sur son faîte que les hérauts donnaient aux populations dans la vallée, les « derniers échos » du jour. Les Foulbé utilisent les termes hosséré, cabbal lire tchabbal (pluriel cabbé lire tchabbé) pour désigner les massifs. Les détails sur les significations probables de ces toponymes sont fournis dans le chapitre 3 qui traite des caractéristiques des sites archéologiques de l’Adamaoua. Le relief de la Vina est caractérisé par des montagnes de granite ou de gneiss de moyenne et de haute altitude, en partie cuirassées, avec une altitude variant entre 850 et 1800 mètres. Ngaw Pak Hay : 1231m ; Ngaw Say : 1231m ; Ngaw Nduru : 1234 m ; Ngawndéré (ou mont Ngaoundéré) : 1298 m ; Ngaw Nday : 1324 m ; Ngawdolon ou pic de Toïnfoli : 1732 m ; Ngaouha : 1863 m, etc. Ces « tchabbals sont coupés de profondes gorges à l’ouest, vastes platitudes, présentent des surfaces centrales, couvertes de gravillons, de carapaces et de cuirasses ferrallitiques, sauf autour de Ngaoundéré où les retombées de pyroclastites d’un volcanisme récent ont provoqué des phénomènes d’hydromorphie de surface » (Morin, 1996 : 11). Ces montagnes jadis habitées sont aujourd’hui désertées. Témoignages oraux et vestiges matériels l’attestent. C’est le cas de Ngawndéré et de Ngaouha où des choppers, des percuteurs, des
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tessons de poterie tapissent les sols des caves. Certains de ces sommets comportent des grottes comme celles du mont Ngaoundéré, du mont Djim à Galim-Tignère, de Raouboum à Mbang Mboum et de Raou Yon Pou à NganHa.
Photo 1- Ngawdolon ou pic de Toïnfoli : 1732 m à Ngan-Ha © Nizésété, 2006.
Dans le Mayo-Banyo, le relief accuse une diversité de faciès où plateaux et plaines alternent, traversés ici et là par des pics isolés. Ce cadre naturel où vivent les Mambila du Cameroun se présente comme un amphithéâtre ceinturé de reliefs aux pentes vigoureuses au nord et à l’ouest. Ces montagnes ont offert par le passé de réels avantages aux populations en termes d’habitats ordinaires, de sites refuges, de riches terres agricoles et de réservoirs d’eau potable. Des sites archéologiques de grande importance se trouvent en altitude comme Mgbé, Magbébé II, Guembé I, Mereup Djemvoup, Tor-Louo et Tor-Gwanveh, localisés dans le village Somié et qui ont fait l’objet de sondages et de fouilles. Les monts Djinga et Somié Ougouaré vers Mayo-Darlé et le mont Banyo aux alentours de la ville de Banyo, ne manquent pas d’intérêt archéologique et devront à court terme, faire l’objet de recherches. Les grottes sont rares dans le Mayo-Banyo en dehors de celles de Djoumbal à Banyo. Le relief du Faro et Déo est typique des tchabbé. Dans cet espace, se concentrent des massifs de haute altitude comme, le tchabbal Mbabo (2460 m), le mont Djim (1300 m) et le Wogomdou à Galim-Tignère. « Tchabbal est une notion géographique peule spécifique de l’Adamaoua et de la Dorsale Camerounaise… Le tchabbal n’est pas, à proprement parler, une montagne,
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mais un haut plateau, caractérisé par de grandes étendues herbeuses. C’est un milieu typiquement pastoral. En Adamaoua, le « cabbal » le plus important est celui dit de Mbabo, vaste ensemble de hauts reliefs comportant plusieurs unités pastorales sur Tignère, Galim et Banyo » (Boutrais, 1993 : 31-32). Des fouilles archéologiques effectuées dans la grotte Nyem-Nyem au cœur du mont Djim ont livré un mobilier diversifié : fragments de poterie, parois de fours à réduction, bouts de tuyères, scories, meules mobiles et molettes. La tradition orale locale considère ce site comme le plus vieil habitat des Nizo’o, peuple autochtone de Galim-Tignère. Dans le Mbéré se dressent les monts Ganga I et II situés aux environs de la ville de Meiganga. Ils ont fait l’objet de fouilles archéologiques. Les vestiges constitués de fourneaux de pipes, de tessons de céramique, de pierres de foyers, de meules mobiles et de molettes, de fondations de greniers et de cases, de dépôts cendreux et du charbon de bois, constituent des témoignages patents d’un ancien village alors habité par les Mbéré, peuple aujourd’hui en voie d’extinction assimilé par les Gbaya. Monts Ganga I et II figurent parmi les sites archéologiques les plus menacés par les labours, les excursions et le déboisement. Le mont Nyambaka, encore appelé Ngaw Mbaka situé dans le village Nyambaka, a fait l’objet d’un sondage qui a livré un mobilier non daté, preuve d’une occupation ancienne encore indéterminée sur le plan chronologique. Dans le Djérem se dresse le mont Ngaoundal rocheux et arboré. Les prospections archéologiques effectuées sur ce site ont permis la mise au jour d’un important mobilier non daté, constitué de fragments de poterie, de meules mobiles et de molettes. Au regard des données archéologiques disponibles, il ressort d’emblée que les sommets occupent une place majeure dans la carte archéologique de l’Adamaoua. Ils s’affirment comme des sites d’ancienne occupation. Comment expliquer cette attirance pour les hauteurs ? Qu’est-ce qui peut valablement justifier cette prédilection pour les hautes altitudes ? Pendant longtemps, l’opinion généralement admise voulait que ce soit le jihad peul du milieu du XIXe siècle, qui force les populations hostiles à l’Islam à gravir les pentes escarpées pour se cacher dans des rochers. Ils pouvaient ainsi échapper aux raids lancés par des prosélytes musulmans ou se soustraire des razzias esclavagistes organisées par des potentats locaux. Mais à l’observation, cet argument sécuritaire présente des failles d’ordre technique dans la mesure où ces altitudes ne sont pas inexpugnables aux cavaliers. À l’observation, les bœufs escaladent les pentes escarpées et rocailleuses pour aller paître en saison sèche sur les sommets de Ngaw Nduru (1234 m), de Ngaw Say (1231m), de Ngaw Pak Hay (1231m), de Ngaw Nday (1324 m), du Mont Djim (1300 m) ou de TorGwanveh. De ce fait, les cavaliers pouvaient plus facilement gravir les
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montagnes et capturer les fugitifs. Sauf s’ils s’encastraient dans des réduits difficilement accessibles. Ces réserves n’annulent en aucun cas les atouts sécuritaires qu’offrent les altitudes. Les populations pouvaient se servir de ces citadelles pour épier les plaines et observer à temps l’arrivée de l’ennemi. Ainsi, grâce aux données archéologiques, il est de plus en plus reconnu que les montagnes de l’Adamaoua ne furent pas habitées seulement à l’époque du jihad en tant que sites refuges ou positions de défense, mais qu’elles l’avaient été beaucoup plus tôt en tant que villages, peuplés sans pression ni contraintes, pour des raisons culturelles, sanitaires, sécuritaires et économiques avant d’être ensuite abandonnés pour différents autres motifs. Sur le plan culturel, plusieurs peuples de l’Adamaoua à l’instar des Mboum et des Dii, considèrent la montagne comme le lieu sacré par excellence. Selon les Mboum de Ngan-Ha, les monts Ngaouha et Ngaoundolon sont le lien entre le ciel et la terre. Chez les Dii, les monts et montagnes, à l’instar du mont Mbangsi situé vers Tcholliré, sont considérés comme leur berceau. La montagne donna la vie à leurs ancêtres. Par conséquent, elle doit être vénérée. Dans cette perspective, la montagne ne saurait être perçue comme un site banal ou un lieu commun. Elle est un espace sacré parce que mère génitrice, protectrice et nourricière. Chez les Mboum, à la mort de chaque souverain, le Bélàkà, les habitants déménageaient pour coloniser une autre montagne. Précaution prise afin d’éviter la cohabitation de deux chefs dans un même site, car il était entendu que le chef défunt ne disparaissait à jamais. Il se retirait juste derrière la montagne pour se reposer et veiller sur ses enfants. Dans la mentalité primitive, une telle perception ne souffrait d’aucune péjoration. Habiter les hauteurs consistait donc à s’attirer les bonnes grâces des ancêtres, à respecter l’ordre de l’univers et à maintenir l’équilibre social aussi bien chez les Dii, les Mboum, les Mambila que chez la plupart des peuples du Cameroun septentrional à l’instar des Ouldémé. Les Mboum de l’Adamaoua s’établissaient sur des 'oppida' fortifiés par des murailles au milieu des savanes où pâturaient des taurins, les champs se localisant dans les vallées, près des cours d’eau. Ces villages déménageaient à la mort du chef, ce qui pour certains chercheurs explique la savanisation totale du plateau (Seignobos, 1980, cité par Morin, 1996 : 87). À l’ouest du plateau Mambila, les agriculteurs Vouté, Wawa et Torbi ont laissé maintes traces d’habitats, de villages et de camps fortifiés isolés sur des interfluves dégagés, mais surtout de hameaux entourés de jardins sur des versants aménagés en terrasses, entre 1100 et 1300 m. Au-dessus de 1500 m, les Mambila s’installaient dans des alvéoles creusés dans des latérites, et leurs cases se groupaient ainsi sur le pourtour d’un cercle, au milieu de bananiers enrichis par les cendres des foyers (Hurault, 1986, cité par Morin, 1996 : 87).
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Dans les Mandara…, habiter haut, c’est demeurer près du ciel, près de la pluie, et dominer les autres… Partout dans le massif, les lieux hauts qui abritent esprits et âmes des Ancêtres sont les lieux de résidence des chefs, des puissants, et de leur Mbolom. La hiérarchie des clans et lignages s’établit ainsi au gré des pentes, crêtes et sommets secondaires étant occupés par les chefs de clan ou de quartier. Un fils ne peut habiter plus haut que son père, et les hommes demeurent au-dessus de leurs épouses (Morin, 1996 : 63).
En dehors des motivations d’ordre culturel, religieux ou politique, des préoccupations d’ordre sanitaire ne sont pas à exclure dans la colonisation des montagnes. Les anciens habitants avaient une connaissance avisée du cadre écologique dans lequel ils nichaient. Des préoccupations d’intérêt sanitaire et alimentaire ont en général orienté leurs choix et déterminé la colonisation des sites. Recherchaient-ils dans les grottes et les abris sous roche un confort logistique en matière de logement quand on sait que ces endroits sont chauds et étanches comme ceux du mont Ngaoundéré, du mont Djim ou de Raou Yon Pou ? Dans tous les cas, il était prudent pour ces hommes d’éviter les piedmonts généralement inondés pendant les saisons des pluies au profit des montagnes offrant des conditions de vie plus saines par rapport aux bas-fonds fétides, inondables et infestés d’insectes et d’animaux. À la suite des observations du géographe nigérian Mabogunje, il y a également lieu de se demander si la prédilection de la colonisation des hautes altitudes ne résultait pas des préoccupations d’ordre prophylactique en faveur de la lutte contre des agents pathogènes, notamment la mouche tsé-tsé et l’anophèle femelle, respectivement vectrices de la maladie du sommeil et de la malaria. Mabogunje (1980 : 375-376), remarque que la mouche tsé-tsé, grosse mouche très mobile, principal, mais pas l’unique agent vecteur de la trypanosomiase, infection qui provoque chez l’homme la maladie du sommeil et signifie la mort pour les animaux, ne hante pas les hautes terres dépassant 1000 mètres, parce qu’elles sont relativement froides, ainsi que les régions à herbes courtes où la saison sèche est trop chaude et trop aride pour que la mouche tsétsé puisse s’y reproduire et se répandre. Il en est de même de l’Anopheles gambiae, ce dangereux moustique qui se reproduit dans les eaux stagnantes et se multiplie au voisinage des marais et des rivières. Il prolifère surtout avec l’augmentation des pluies et les hautes températures, qui favorisent à la fois le développement de ses larves et celui du cycle du plasmodium dans le moustique adulte. Il évite par contre, les températures plus fraîches des hautes altitudes qui réduisent sa virulence. Aussi la malaria endémique tend-elle à disparaître audessus de 1000 mètres, même si sa transmission persiste au-delà de cette altitude. Des études récentes indiquent toutefois « que des mouches tsé-tsé peuvent survivre à des altitudes élevées » (Boutrais, 1993 : 40).
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Ces préoccupations d’ordre culturel, politique et sanitaire ne convergent pas moins vers des intérêts économiques. Comment ne pas admettre que vivre en altitude permettait de libérer aux piedmonts, dans les vallées ainsi que dans les plaines, les terres agricoles, de protéger les territoires de chasse, de réserver des points d’eau et de sécuriser des zones de pêche sur les berges des ruisseaux et des rivières ? Ces hommes, en effet, avaient une parfaite maîtrise de leur écosystème pour que l’on puisse douter de leur sagesse et de leur expertise en la matière. Cette signature topographique de l’organisation sociale observée dans les montagnes sèches des régions de l’Adamaoua et de l’Extrême-Nord est plutôt dans les montagnes humides des Grassfields bamiléké par rapport à la réalité. À l’Ouest-Cameroun, jadis, plus on résidait en altitude, moins on occupait un rang élevé dans la chefferie. Le chef et ses proches vivaient en bas, près des raphiales et pas en haut sur des cailloux stériles. « La chefferie au sens strict, c’est-à-dire la résidence du Mfo et de ses proches ainsi que les édifices nécessaires à l’exercice de ses fonctions diverses, le village du chef…s’étirent en bas de versant au contact d’un bois sacré, en trois parties encloses de haies de raphias. Le fond de la chefferie, en bas, est le quartier réservé du chef » (Morin, 1996 : 72). Les sommets des montagnes et des collines sont le domaine des herbes. C’est la terre de mauvaises choses. C’est l’endroit où l’on abandonnait sans sépultures, les dépouilles des femmes et des hommes morts d’hydropisie par exemple, l’une des plus mauvaises morts en pays bamiléké. Le haut chez ce peuple ne relève pas du domaine du sacré. C’est le siège de toutes les pollutions. C’est le pays du chaud, de la souillure et du mal. Cette ségrégation spatiale a cependant beaucoup évolué aussi bien à l’ouest que dans l’Adamaoua à la suite des influences culturelles étrangères, véhiculées par l’Islam, le Christianisme, la colonisation européenne et ses avatars. Dans l’Adamaoua, les plaines sont de plus en plus sollicitées comme sites d’habitation. Elles sont mises en valeur pour les cultures d’arachides, de coton et de maïs. En pays bamiléké, le haut est devenu le lieu de résidence des hommes d’argent et du pouvoir. Cette prédilection pour le haut comme lieu d’habitation l’est aussi pour la qualité du climat qui y règne. III- UN CLIMAT SALUBRE DANS L’ENSEMBLE La connaissance des caractéristiques climatiques d’une région est le préalable à la programmation des prospections et des fouilles en vue d’une meilleure rentabilité des séjours sur le terrain. Une meilleure étude climatologique permet surtout de conforter les connaissances sur les causes d’occupation et de désertion de certains sites : salubrité de l’air, sécheresse, crues, dépérissement de la flore, érosion, faits de santé, entre autres raisons. Dans l’Adamaoua, le climat tempéré par l’altitude
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est dans l’ensemble favorable à l’occupation humaine et aux activités agricoles et pastorales. « Lorsque venant des plaines torrides du Nord, on débouche après une rude montée sur les hautes surfaces de l’Adamaoua, c’est un monde nouveau qui se présente, plus frais, plus tonifiant, plus verdoyant. La légèreté de l’atmosphère et la beauté des paysages aux horizons immenses procurent une sorte d’exaltation libératrice » (Suchel, 1987, cité par Morin, 1996 : 10). Sur le plan écologique, l’Adamaoua se présente comme une frontière entre le domaine forestier méridional et les plaines sahéliennes du nord. Elle est située dans la zone intertropicale et soumise à un climat de transition, tempéré par l’altitude entre les climats équato-guinéen au sud et soudano-tropical au nord. « Le milieu ici dans l’Adamaoua est soudanien d’altitude à nuance humide, car le horst constitue une véritable barrière face au flux de mousson que l’escarpement méridional peut bloquer pendant plusieurs semaines lors de sa progression vers le Sahel » (Morin, 1996 :11). Cette zone se rattache au climat de type soudano-guinéen caractérisé par la succession régulière d’une saison sèche (de novembre à avril) et d’une saison des pluies (de mai à octobre). L’altitude intervient pour modérer la température moyenne, qui se situe à 22° à Ngaoundéré. Le maximum est atteint en mars et avril autour de 31°, avec pour maxima absolu 37°. Les précipitations annuelles sont de l’ordre de 1650 mm à Ngaoundéré, avec des pluies de moins de 10 mm de novembre à février et des pluies de 40 à 276 mm pour les autres mois. (Moby Etia, 1979 : 16-19). Vers l’ouest, les hauts reliefs volcaniques des tchabbals reçoivent de 1700 à plus de 2000 mm, alors qu’à l’est vers les fossés de la Mbéré et de la Vina, la continentalité et les influences de l’alizé de nord-est expliquent que les totaux enregistrés ne dépassent guère 1500 mm. Au centre de la région, si cette même courbe calque approximativement le rebord de la falaise de Ngaoundéré, les environs de cette ville reçoivent entre 1500 et 1700 millimètres. Le nombre de jours de pluie est estimé selon les zones de 80 à 150 (Morin, 1996 : 11). Les pluies peuvent être violentes et provoquer des crues houleuses. L’harmattan, vent sec et brumeux, chaud le jour et frais la nuit, domine en saison sèche et souffle parfois avec violence. L’abondance des eaux de ruissellement en saison des pluies favorise le dépôt dans les rigoles, des minerais de fer jadis requis pour les activités métallurgiques. Sur le plan de la recherche, la saison sèche qui s’étale sur sept mois facilite la prospection et les fouilles archéologiques contrairement à la saison pluvieuse où le foisonnement de la broussaille, les averses brusques, brutales et régulières perturbent les travaux. Ces données climatiques sont à prendre en compte dans la programmation des recherches sur le terrain, surtout dans un contexte où le budget alloué à la recherche est généralement maigre et sporadique. Ce climat qui entretient une flore de type soudano-sahélien avec des incidences sur les activités agricoles, pastorales et artisanales a également une influence sur la qualité des sols.
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IV- DES SOLS AUX POSSIBILITÉS MULTIPLES Dans une recherche archéologique, l’intérêt porté sur les sols est de trois ordres. Il s’agit premièrement de jauger leur fertilité pour apprécier leur pouvoir d’attraction sur les cultivateurs et les éleveurs. Deuxièmement, de déterminer leurs potentialités en minerais exploitables. Troisièmement, d’évaluer leur capacité de conservation ou de destruction des vestiges. Sous ce rapport, la recherche d’anciens habitats dans un milieu donné doit également tenir compte de ses caractéristiques pédologiques. La quête des terres fertiles a souvent été dans l’histoire, à l’origine des mouvements des populations. Celles-ci abandonnent en général les sols devenus improductifs pour rechercher des terres fertiles et hospitalières, favorables aux activités agricoles et pastorales. Dans l’Adamaoua, malgré l’omniprésence des couvertures de gravillons, des carapaces et des cuirasses ferrallitiques, les sols se prêtent avantageusement à l’agriculture et particulièrement dans le secteur de Ngaoundéré et de Ngan-Ha, où les retombées de pyroclastites d’un volcanisme récent les ont enrichis. Les hauts plateaux de l’Adamaoua, grenier du Cameroun, sont réputés pour leurs gras pâturages qui poussent aisément sur ses sols généreux. C’est le pays des goudali, ces bœufs massifs comme des phacochères, exceptionnellement charnus, à la viande savoureuse. Atout naturel qui a d’ailleurs attiré les bergers foulbé dans les tchabbals depuis le XVIIIe siècle. Les sols riches sont aussi des sources de conflits entre agriculteurs et éleveurs, entre anciens et nouveaux occupants et sont ainsi des facteurs de désertion et de réoccupation des sites offrant ainsi aux archéologues, l’opportunité de découvrir des sites. Sols et sous-sols de l’Adamaoua sont également riches en minerais exploitables pour la fabrication des outils, des objets et des armes : granite, basalte, quartzite, argile, fer, etc., qui sont à la base d’une vieille industrie lithique et d’une pratique multiséculaire de la poterie et la métallurgie du fer. Arts du feu anciens dont les vestiges disparates sont régulièrement mis au jour lors des fouilles archéologiques dans les sites de la région. Mais les sols acides de l’Adamaoua sont défavorables à la conservation de ces restes. Cette donnée chimique pourrait valablement expliquer le très mauvais état de conservation des tessons de céramique exhumés lors des sondages ou encore la rareté des outils métalliques, vulnérables dans ces sols particulièrement agressifs. Une revue succincte des potentialités minérales et agricoles des sols de l’Adamaoua permet de comprendre l’arrivée et l’installation des populations dans cette région depuis des siècles, même si aujourd’hui elle reste l’une des moins peuplées du Cameroun (huitième sur les dix régions du pays avec 5,1% de la population nationale devant l’Est : 4,4% et le Sud : 3,6% /Bureau central des recensements et des études de population du Cameroun, 2010 : 8), avec des possibilités exploitées à leur minimum.
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1- Un vieux socle riche en minerais utiles Le socle de l’Adamaoua, comme celui de l’ensemble du continent africain, est ancien. Il a subi de nombreuses cassures volcaniques remontant au moins au Secondaire, il y a plus de 245 millions d’années. Ses vieux terrains granitiques et basaltiques recouverts par endroits de dépôts sédimentaires récents renferment de nombreux dépôts minéraux, dont les plus importants sont les lithiques de structure homogène, d’une extrême dureté. C’est le cas du granite, du basalte et du quartz. Le basalte offre un matériau convenable pour la manufacture des choppers, des haches et des herminettes taillées ou polies, des pierres de jet et des pointes de flèches. Des outils à base de basalte ramassés lors des prospections à NganHa, à Ngaw Pak Hay, à Ngaw Nday et à Baoussi dans les environs de Ngaoundéré illustrent l’exploitation et la valorisation de cette roche à des fins artisanales. Parmi d’autres roches ignées dérivées des éruptions volcaniques, il y a les granites, très présents dans l’Adamaoua. Ils furent jadis exploités par des cultivateurs et des chasseurs pour confectionner des choppers, des bifaces, des herminettes, des percuteurs, des meules mobiles et des molettes, comme en témoignent les vestiges matériels disponibles. Le peuplement des montagnes de l’Adamaoua est ancien et remonte au premier millénaire au moins avant notre ère au regard des dates disponibles sur Ngaoundéré. D’autres sources évoquent cependant le début du Quaternaire, aux alentours de deux millions d’années avant notre ère, comme l’amorce du peuplement des montagnes d’Afrique centrale (Hervieu, 1969a : 25 ; Morin, 1996 : 18). Près de 204 artéfacts attribués à une pebble culture ont été mis au jour dans les hautes terrasses de Kontcha sur les bordures septentrionales de l’Adamaoua et datés d’environ 700.000 ans (Hervieu, 1969a : 25-30). Le quartzite figure parmi ces minerais de bonne qualité. Il est très répandu dans l’Adamaoua surtout en tant que galets dans les cours d’eau. Il fut exploité pour la manufacture des pointes de flèches, des molettes et de divers objets microlithiques à usages spécifiques. Dans une perspective plus large, il convient de préciser que la place des minéraux dans le progrès de la technologie déborde la fabrication des outils, des armes et des récipients pour intégrer l’architecture, les arts plastiques et décoratifs. Ils se retrouvent dans la construction de demeures, la simple boue tenant lieu de plâtre. Les édifices publics de première importance, les monuments tels que les pyramides égyptiennes ont requis d’énormes quantités de roches granitiques dures ou de quartzite. Les minéraux ont fourni les pigments des peintures rupestres, dont certaines au Sahara et en Afrique australe se sont remarquablement conservées jusqu’à nos jours.
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On obtenait ces pigments en broyant différentes sortes de roches comme l’hématite, le manganèse et le kaolin, puis en mélangeant la poudre obtenue avec des éléments gras ou résineux (Mabogunje, 1980 : 368).
En dehors du basalte, du granite et du quartz, il existe d’autres minerais aux possibilités multiples notamment l’argile et le fer, très anciennement exploités et qui sont à la base des métiers du feu, dont la poterie et la métallurgie du fer. 2- Des sols argileux recherchés pour la poterie Dans l’Adamaoua comme dans d’autres régions du Cameroun, l’argile fut et reste la base de la très ancienne industrie de la poterie ou de la céramique, très largement répandue et hautement diversifiée. L’argile est une roche sédimentaire meuble et malléable d’origine détritique, grasse au toucher et qui, imbibée d’eau, peut être modelée. Elle est essentiellement constituée de minéraux imperméables comme le silicate d’aluminium, les grains de feldspath et de mica (Ducafour, 1988 : 11). L’argile est repérable aux abords des cours d’eau, comme à Loumonangué, sur terre ferme à Mbé, à Gambouokou, à Somié ou sur les talus comme à Gu-lil. Les potières de Gangassao, de Loumonangué, de Mbé et de Ngan-Ha, la modèlent pour produire des pots aux formes et tailles variées et destinées à de multiples usages : cuisson, service des repas, stockage et transport des grains, de l’eau ou de la bière. De fabrication rapide, ces poteries se fragmentent aussi facilement et les débris sont ensuite éparpillés dans la nature. De ce fait, d’importantes quantités de tessons de poterie décorés ou non jonchent les surfaces de la plupart des sites archéologiques inventoriés. Cependant, l’acidité des sols de la région ainsi que les effets des eaux de ruissellement et d’infiltration dégradent les surfaces de la majorité des tessons collectés. Altération qui empêche, par endroits, la lisibilité des motifs décoratifs. Or, le décor est un élément capital pour la datation d’une céramique, pour l’appréhension de la dynamique des savoirs, des croyances, de l’esthétique, de la circulation des techniques et des contacts entre les peuples (Briard, 1989, I : 5-7). Le « tessonnier » en cours de construction fournit d’ailleurs des informations inédites sur la richesse des motifs de la poterie ancienne de l’Adamaoua notamment dans le Mbéré (poterie mbéré), dans le Mayo-Banyo (poterie mambila) et dans la Vina (poteries dii et mboum). 3- Des sols ferrugineux propices à la métallurgie du fer Les sols de l’Adamaoua sont ferrugineux et latéritiques. La latérite ou croûte ferrugineuse qui caractérise les paysages de fer (Eno Belinga, 1983 : 3 et 47), recouvre de larges zones dans les savanes herbeuses de la région. Les latérites, riches en composés ferrugineux, comportent des matières premières indispensables aux activités métallurgiques. Ils furent essentiellement exploités par les Dii de Mbé, de Sassa Mboersi et de Gangassao. Ce peuple de ferronsforgerons est célèbre pour sa maîtrise de la production du fer et des objets métalliques. Le minerai de fer drainé par les torrents en saison pluvieuse vers
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les bas-fonds était ramassé par les femmes et les enfants des métallurgistes. À la suite d’une chaîne opératoire complexe, il était transformé par procédé direct en boules de fer qu’on forgeait pour fabriquer les houes, les armes, les grelots, les couteaux de jet, de circoncision ou de cuisine. 4- Des sols fertiles favorables aux activités agricoles et pastorales La quête des terres fertiles et du vert pâturage pour des activités agricoles et pastorales est à la base de plusieurs mouvements migratoires dans l’histoire de l’humanité. Elle aboutit parfois à des heurts violents entre des groupes rivaux pour l’accaparement et le contrôle de ces ressources vitales. Les migrations foulbé sur le plateau de l’Adamaoua au XVIIIe siècle et qui débouchèrent au milieu du XIXe sur une guerre sainte, le jihad, furent essentiellement motivées par la volonté manifeste des pasteurs foulbé d’accéder librement aux pâturages et aux eaux salées de l’Adamaoua. L’Adamaoua, dans ses grandes marges, recèle des sols riches en produits organiques et minéraux arrachés aux monts par les pluies torrentielles et drainés aux piedmonts qui sont ces basses terres voisines des montagnes. L’érosion différentielle permet à la région de recevoir des dépôts alluvionnaires composés de divers matériaux organiques et minéraux qui se désagrègent en aval et s’étalent en bas de pente (Boutrais, 1979 : 34). Cet engrais naturel nourrit le sol et favorise l’obtention de bonnes récoltes, conférant ainsi à la localité, le titre très flatteur de grenier et de pâturage par excellence du Cameroun. À Somié, à Mbé, à Ngan-Ha par exemple, s’étalent les vertisols, sols noirs argileux, qui passent pour les meilleurs des régions tropicales sur le plan agricole. Ces sols limoneux se prêtent favorablement à l’agriculture et présentent de réels avantages pour l’établissement des populations. Sous ce rapport, on peut prétendre que la descente progressive des Dii, des Mboum et des Mambila, grands cultivateurs dans la plaine, fut largement motivée par la recherche et la mise en valeur de ces meilleures terres arables. Il reste à vérifier que ces sols présentent de nos jours les mêmes atouts qu’aux siècles passés. Le relief, le climat et les sols ont fait de l’Adamaoua, une terre particulièrement favorable à l’élevage grâce au paysage du tchabbal. Le tchabbal est un haut plateau qui ne porte pratiquement pas d’arbres. La végétation est seulement herbeuse ou disparaît, au profit d’affleurements rocheux. C’est le cas du tchabbal Haléo, près de Martap, au centre de l’Adamaoua (Jean Boutrais, 1993 : 33). Ce paysage couvert d’herbes se prête avantageusement à l’élevage bovin. Les altitudes élevées et l’absence d’arbres se traduisent par la rudesse du climat qui, bien que défavorable aux hommes, est avantageuse pour l’élevage sur trois plans : sanitaire, fourrager et spatial. Dans le domaine de la santé, le tchabbal est un milieu salubre pour le bétail. Lorsque des animaux atteints de fièvre montent sur les hauts pâturages, ils guérissent lentement d’eux-mêmes, sans intervention vétérinaire. Cet avantage provient de l’absence d’insectes piqueurs. En fait, l’absence de
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tiques n’est pas un acquis définitif. De même, on estime maintenant que des mouches tsé-tsé peuvent survivre à des altitudes élevées. Les zébus sont sensibles à la trypanosomiase bovine transmise par les mouches tsétsé, ce qui explique l’intérêt pastoral des tchabbé… La rareté des tiques permet de faire l’économie de détiquages, travaux les plus accaparants en saison des pluies (Boutrais, 1993 : 40).
Sur le plan fourrager, les tchabbé sont convoités du fait de la valeur de leurs pâturages. Sans couvert d’arbres et d’arbustes, les graminées offrent des fourrages de bonne qualité et en abondance. Raison de plus pour que des vaches soient « grasses comme des phacochères ! » (Boutrais, 1993 : 41) Enfin, les tchabbé de l’Adamaoua présentent l’avantage d’être des terrains de parcours de bétail non encore entièrement accaparés par des cultivateurs. Il y a encore de l’espace libre pour l’élevage des zébus et des vaches. Le véritable problème jadis fut la présence des buffles, voire lions qui attaquaient le bétail et causaient quelques pertes dans le cheptel. Mais la chasse aux lions à l’arc sur le tchabbal Mbabo par des éleveurs Mbororo (Boutrais, 1993 : 41) a contribué à décimer ces bêtes sauvages. Grâce à toutes ces conditions, l’élevage était prospère. Les vaches vêlant souvent, les effectifs de cheptel augmentaient rapidement.
Photo 2- Lionne abattue vers 1955-1960 dans l’Adamaoua. Le braconnage pratiqué dans cette région est à l’origine de la disparition de grands fauves comme le lion et la panthère. © Aasen Ove entre 1955-1960. Projet Ngaoundéré-Anthropos/Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun)/NMS (Stavanger, Norvège). PCD 2613-056.
La conjonction de ces différents atouts a fait de l’Adamaoua, une terre d’élevage à succès. Un élevage réussi certes, mais reposant sur un système extensif d’exploitation, forcément archaïque, faisant un usage intensif des feux
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de brousse en saison sèche en vue de régénérer le pâturage. Pratique qui dégrade les sols, calcine, fragilise et détruit le patrimoine archéologique en surface et dans les sols, décime des espèces animales et végétales et transforme le couvert végétal. V- UN COUVERT VÉGÉTAL ARBORÉ ET ARBUSTIF EN SURSIS 1- Flore et société Les peuples de l’Adamaoua d’aujourd’hui et sans doute ceux d’hier perçoivent le couvert végétal ligneux et herbacé comme la matrice nourricière qui assure la continuité de la vie sur terre. Il est ainsi valorisé de par sa capacité naturelle à fournir des matériaux permettant de fabriquer des outils, des vêtements, des abris ainsi que des cultigènes susceptibles d’être acclimatés et transformés en plantes agricoles. La flore est aussi sollicitée pour les racines et les écorces des arbres, les fruits et les légumes comestibles qu’ils portent, les valeurs alimentaires et les vertus thérapeutiques des plantes. Elle abrite les animaux, les oiseaux et les insectes de différentes espèces que les hommes chassent et consomment. Elle est vénérée de par sa capacité à se régénérer pour pourvoir aux besoins nutritionnels des hommes et des bêtes. Ces représentations mentales sont sans doute à la base des rites agraires organisés saisonnièrement et des sacrifices rendus aux divinités agricoles alliées de la terre, de la pluie et du soleil, afin qu’elles leur accordent leurs bienfaits. Certains fragments de cruches, des statuettes cassées et des galets aménagés mis au jour lors des fouilles archéologiques, seraient peut-être les vestiges des supports matériels des denrées alimentaires offertes au cours des célébrations rituelles et dont les gestes et les paroles évanescents qui les accompagnaient ont disparu. En plus de ces produits qu’elle fournit directement, la flore exerce un rôle important dans la protection de l’environnement. Elle protège de ce fait la terre nourricière de l’érosion due aux pluies, aux vents et aux actions anthropiques. Certains arbres favorisent la fixation de l’azote au sol et font remonter d’autres éléments nutritifs des couches plus profondes de la terre. Les feuilles mortes en formant une litière constituent un engrais vert qui nourrit la terre arable pendant que les feuilles vertes nourrissent les bêtes et les hommes. La flore est vitale et essentielle aux hommes et aux animaux. C’est pourquoi des interdits ont souvent été prescrits pour éviter les déboisements sauvages et les chasses anarchiques aux conséquences néfastes imprévisibles. La végétation a ainsi offert à l’homme ses plus anciens outils, ses armes, son premier refuge, ses médicaments, du bois d’œuvre et de chauffage. Sur le plan de la recherche archéologique, les formations végétales sont indicatrices des anciens sites d’occupation de par leur composition. Certaines essences accompagnent l’homme. Elles sont dites anthropiques et leur présence en un lieu inhabité doit inciter à la recherche d’anciens habitats. C’est le cas de Borassus aethiopum (rônier), Mangifera indica (manguier) ou encore de
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l’Elaeis guineensis (palmier à huile). La flore actuelle de l’Adamaoua est dominée par une savane arbustive composée d’espèces typiques du milieu soudano-sahélien. Il s’agit sans doute des reliques d’une flore primaire d’il y a des millions d’années, modification de potentiel, de contenu et de faciès consécutive aux actions conjuguées des changements climatiques et des effets anthropiques. Sur ce deuxième plan, Mobogunje présume que le feu fut l’élément majeur auquel l’homme fit appel pour détruire et dégrader le couvert végétal originel. Les témoignages de l’utilisation du feu par l’homme africain remontent à la partie la plus récente du paléolithique inférieur ; ils ont permis de conclure que l’homme employait communément le feu en Afrique, voici 60 000 ans. Au départ, toutefois, il semble qu’il s’en soit servi pour sa protection, pour fabriquer des outils ; peut-être aussi à la chasse, pour incendier les herbes afin d’en déloger le gibier. Dès qu’il eut découvert la culture, il était tout naturel qu’il se servît de ce même feu pour éliminer la végétation nuisible. Cette lutte par le feu contre la végétation au profit de la culture, n’a pas manqué d’affecter diversement les herbes et les arbres. Dans la savane, et spécialement pendant la saison sèche, l’herbe brûle jusqu’au niveau du sol ; mais, enfouies dans ce sol, les racines en empêchent la destruction. Par contre, à défaut d’être protégés par d’épaisses écorces, des arbres mouraient par moments. S’ils ne mouraient pas, ils devenaient difformes et rabougris. L’introduction du feu dans l’environnement naturel a donc entraîné une transformation considérable du paysage par l’homme au cours des âges. Étant donné que la fréquence des feux tue les espèces vulnérables de la forêt dense, de nouvelles conditions étaient créées, qui favorisaient l’extension progressive de la prairie (Mobogunje, 1980 : 371).
La région de l’Adamaoua est caractérisée par des paysages de forêt sèche et de savane arbustive de faciès soudano-sahélien. Les données botaniques disponibles convergent pour attester que les formations végétales actuelles sont la conséquence des interactions entre l’homme et le réchauffement climatique au cours des derniers millénaires. Son couvert végétal est donc le reflet d’une histoire multiséculaire entre l’homme et la nature en termes de rapports d’exploitation. Dans cette flore, l’homme a trouvé des ressources essentielles pour s’équiper, pour se protéger, pour se nourrir et pour se soigner. 2- La forêt sèche La forêt sèche est assimilée à la savane arborée. Elle est le résultat de plusieurs siècles de régénération végétale spontanée, plus ou moins épargnée des actions anthropiques comme les défrichements d’intérêt agricole, mais soumise aux feux de brousse fréquents. Elle se caractérise par la densité et la diversité de son peuplement. Ses arbres sont en général hauts de 6 à 15 mètres (Letouzey, 1968). C’est le cas de : Anogeissus leicarpus, Bridelia ferruginea, Daniellia oliveri, Ficus vallis, Ficus platyphylla, Isoberlinia dalzielii, Isoberlinia doka, Isoberlinia tomentosa, Khaya senegalensis, Lophinetallia
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senegalensis, Lophira lanceolata, Monotes kerstingii, Parkia clappertonia, Piliostigma thonningii, Terminalia glaucescens, Uapaca togoensis, Vitex doniana, etc. Actuellement, d’importants défrichements réduisent sensiblement et progressivement son domaine. Les effets pervers de l’élevage extensif accompagnés de nombreux feux de brousse précoces et tardifs non contrôlés accentuent la fragilité du couvert végétal et des sols dans l’ensemble de la région. Toutes des actions négatives qui, à court terme, vont précipiter la mutation de cette végétation qui prendra l’allure d’une savane arbustive. 3- La savane arbustive Elle constitue le couvert végétal le plus représentatif de la région de l’Adamaoua. Elle est la marque visible de l’action anthropique sur le paysage. Généralement, la savane arbustive se situe dans des zones d’occupation humaine et traduit la dégradation de la forêt sèche. Elle recèle ici des espèces sauvages dont : Albizia adianthifolia, Annona senegalensis, Bauhinia thonningii, Cussonia barteri, Ficus capensis, Guiera senegalensis, Grossopteryx febrifuga, Hymenocardia acida, Piliostigma thonningii, Psoraspermum febrifugum. Cette savane arbustive se caractérise également par la présence des arbres anthropiques, dont les fruitiers sauvages : Adansonia digitata (baobab), Bombax costatum (kapokier), Borassus aethiopum (palmierrônier), Butyro spermum (karité des savanes ou arbre à beurre), Hyphaenea thebaica (palmier doum), Vitellaria paradoxa ou Butyrospermum parkii (karité). Elle conserve aussi des espèces spécifiques réputées pour des emplois particuliers. C’est le cas de : Burkea africana, Bridelia ferruginea Monotes kerstingii, Terminalia laxiflora et Prosopi africana, reconnues pour leurs fortes capacités calorifiques, raisons pour lesquelles ces bois de chauffe ont été longtemps exploités par les ferrons-forgerons. C’est aussi le domaine des fruitiers plantés : Citrus limon (citronnier), Mangifera indica (manguier), Carica papaya (papayer), Persea americana (avocatier). Les Eucalyptus, d’introduction récente sont exploités pour leur bois requis dans la charpenterie et dans le chauffage. Cependant, sa plantation dans une zone sèche n’est guère judicieuse compte tenu de ses racines gourmandes, réputées pour leur énorme consommation d’eau. Il est de ce fait plutôt conseillé pour les terrains marécageux que pour les sols arides. Diverses autres essences caractéristiques des zones plus arides comme le Ficus vallis et le Ziziphus mauritiana (jujubier sauvage) y poussent également. Tout comme la forêt sèche qui subit les assauts des agriculteurs, la savane arbustive est en sursis, menacée par le développement des grands champs de maïs et de coton, qui ouvrent ainsi la voie à l’extension des tapis de graminées. 4- Les apports nutritionnels, thérapeutiques et technologiques des plantes de l’Adamaoua Les qualités nutritionnelles et médicinales des plantes recensées dans l’Adamaoua telles que la science les met en évidence aujourd’hui, de même que
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les propriétés physiques et mécaniques des essences exploitées et mises en valeur par la population, montrent leur parfaite connaissance des ressources alimentaires et ligneuses disponibles dans leur cadre de vie. Hier comme aujourd’hui, ces populations ont su tirer le meilleur parti de la flore locale qui contribua d’ailleurs à les fixer sur place. Progressivement, une longue familiarité avec l’écosystème a orienté ses choix vers un bouquet de plantes dont certaines se caractérisent par une valeur nutritionnelle élevée et des vertus thérapeutiques éprouvées pendant que d’autres se prêtent techniquement aux usages multiples. Anne Bergeret (1990 : 46-57) informe que les ressources alimentaires issues du monde végétal ne se limitent pas aux arbres, aux arbustes et aux lianes ligneuses. Elles concernent aussi les herbacées dont on consomme les jeunes feuilles, les graines, les tubercules, les cucurbitacées, les plantes aquatiques ou encore les champignons. Si la valeur nutritionnelle des fruits est largement reconnue, celle des feuilles l’est encore plus et intéresse aussi bien les humains que les animaux. La surprenante richesse des feuilles en vitamine A, vitamines B et P, vitamine C, calcium, phosphore, protéines et calories font des feuilles d’arbres une ressource alimentaire précieuse et indispensable dans un contexte de rareté de ressources. Il y a par ailleurs lieu de relever la diversité des parties consommées suivant les espèces : feuilles, fruits, fleurs, graines, jeunes rameaux, exsudat, écorce. On observe aussi qu’il n’est pas rare qu’un même arbre ou arbuste procure à la fois des feuilles, des fruits comestibles ou médicamenteux. C’est le cas d’Adansonia digitata (baobab) ou de Vitellaria paradoxa (karité ou arbre à beurre). Adansonia digitata est l’un des arbres les plus utiles du Sahel, ce qui lui vaut traditionnellement la protection et la vénération de la population. Les parties utilisées sont les feuilles (septembre-octobre surtout), l’écorce, le fruit (janvier avril), la graine, la gomme, les fleurs, les rameaux, etc. Pressée ou séchée, la pulpe fraîche contenue dans le fruit donne après dissolution dans l’eau ou du lait, une boisson savoureuse acidulée, riche en calcium et en vitamines B et C. Les graines sont oléagineuses et donnent après extraction une huile végétale très appréciée et utilisée à des fins alimentaires, cosmétiques et thérapeutiques. Les graines sont consommées grillées. Elles sont également utilisées comme condiment alimentaire. Réduite en poudre, la coque du fruit est utilisée comme succédané du sel ou du tabac à priser (Eyog Matig et al, 2006 : 51). Vitellaria paradoxa ou Butyrospermum parkii (karité ou arbre à beurre) (Eyog Matig et al, 2006 : 158) est généralement protégé en raison de la valeur économique de la graisse extraite des amandes fermentées. Les parties de la plante habituellement utilisées sont : les fruits, les graines, la graisse, les feuilles, les racines, l’écorce et le bois. La pulpe et les graines sont les parties les plus utilisées du fruit. Les fruits et les tourteaux servent aussi d’aliment pour le bétail. Fraîche, réduite en pâte ou en farine, la pulpe permet d’obtenir un
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liquide crémeux. Les graines oléagineuses sont utilisées pour fabriquer le beurre de karité qui est un mélange de latex et de graisse. Ce beurre est utilisé dans l’alimentation locale pour la confection de sauces et pour les fritures. La pulpe est également utilisée en pâtisserie. Les feuilles fraîches sont utilisées pour emballer des aliments. Arbres et herbes des savanes de l’Adamaoua sont dotés de vertus prophylactiques et curatives pour qui sait les déceler, les exploiter et les valoriser. Il est en effet reconnu en Afrique que le savoir médicinal et vétérinaire est l’apanage de personnes compétentes et se transmet de père en fils dans des cercles ésotériques qui recrutent par cooptation. Fruits, feuilles, écorces, racines de diverses essences servent à lutter contre une grande variété de maladies et de malaises. Mais le potentiel de tous ces arbres est progressivement réduit à la baisse à cause des déboisements et des défrichements massifs. En nous reportant aux valeurs nutritives et aux vertus médicinales de quelques plantes énumérées dans ce paragraphe, on peut évaluer le rôle joué de tout temps par les végétaux dans la santé et le bien-être des populations de l’Adamaoua. Les études d’Eyog Matig et al (2006 : 54) entre autres, montrent que toutes les parties du Bombax costatum (kapokier) ont des propriétés médicinales. L’écorce est émolliente, galactagogue et diurétique. Elle favorise l’accouchement et soulage des diarrhées, des contusions et de la blennorragie. Les rameaux soignent les hémorroïdes tandis que les feuilles facilitent l’expulsion du placenta. Les feuilles de Tamarindus indica (tamarinier ou tamarin) sont douées de propriétés vermifuges. Elles soignent la fièvre et la diarrhée. Elles sont très appréciées du bétail et ont une action épilante sur les chevaux et les porcs. Les fleurs sont préconisées contre certaines infections du foie. Le fruit a des propriétés laxatives et est couramment utilisé en Afrique de l’Ouest pour soigner le rhume, l’ictère, les vers intestinaux, l’amibiase, les affections intestinales infantiles, la folie, l’impuissance et la stérilité. Les racines utilisées en décoction auraient des propriétés aphrodisiaques. Les racines, les rameaux et les écorces de Tamarindus indica ont des propriétés médicinales. Ils sont purgatifs et diurétiques. Les racines sont généralement utilisées pour traiter la conjonctivite, l’ophtalmie et la paralysie. Les écorces servent dans le traitement des coliques, la constipation, l’ictère, l’hépatite, la gonococcie, la toux, les plaies, l’asthme, etc. Les rameaux sont des fortifiants qui entrent dans le traitement de l’hépatite, des coliques, de la fièvre et de la bronchite (Eyog Matig et al, 2006 : 57). Les racines, les feuilles et l’écorce du Vitellaria paradoxa ou Butyrospermum parkii (karité ou arbre à beurre), ont des vertus médicinales. Les racines réduites en poudre sont utilisées contre le cancer du foie, les douleurs stomacales (gastrites), la stérilité féminine et l’ascite. Les feuilles tendres macérées à froid ou en décoction soignent l’ictère, soulagent des
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nausées, de la constipation, des diarrhées et des ballonnements de ventre. L’écorce est purgative et émétique (provoque des vomissements). Utilisée superficiellement ou en décoction, elle est utilisée à des fins médico-magiques et entre dans le traitement de la folie, des fièvres, de la constipation, de la bilharziose, de la dysenterie amibienne, de la toux, etc. La cendre des feuilles tue les poux. Les graines de Vitellaria paradoxa sont aussi antivenimeuses. En raison de ses propriétés émollientes et cicatrisantes, le beurre de karité est fréquemment utilisé dans l’industrie cosmétique et en pharmacie pour la fabrication des pommades, des savons, des rouges à lèvres et des cataplasmes (Eyog Matig et al. (2006 : 158). Les formations végétales de l’Adamaoua comportent aussi des ligneux dont les caractéristiques esthétiques, les propriétés physiques mécaniques et technologiques sous-tendent leur exploitation et leur utilisation depuis des siècles : bois d’œuvre (charpentes, manches d’outils, bois de sculpture), bois de chauffage et bois de chauffe pour les activités métallurgiques. Les combustibles en effet font partie des éléments fondamentaux de la réduction des minerais de fer. L’opération requiert des bois qui ont une forte teneur en carbone, des bois qui génèrent beaucoup de braises et peu de cendres, ainsi que ceux qui brûlent lentement et ont une forte capacité calorifique (Nizésété, 1992 : 182-185, 338347 ; Goucher, 1981 : 181). C’est le cas de Burkea africana, de Terminalia laxiflora, du Prosopis africana et de Monotes kerstinguii. Les bois de chauffage proviennent de la grande majorité d’arbres et d’arbustes disponibles dans la flore locale. Ils sont, soit exploités, soit sur pied, soit récupérés des restes de troncs d’arbres coupés pour d’autres usages. Les meilleurs combustibles ligneux d’intérêt ménager doivent cependant présenter un certain nombre de qualités afin qu’il y ait adéquation entre le bois et sa fonction. Sont évités les bois qui dégagent une odeur nauséabonde. Beaucoup de fumée pouvant polluer les repas en cours de cuisson et indisposer la ménagère. Sont écartés aussi les bois qui brûlent rapidement et produisent des braises qui pétillent et éclatent en donnant beaucoup d’étincelles. Sont par contre appréciés les bois qui produisent des braises qui ne brûlent ni trop vite ni trop lentement, qui se maintiennent longtemps au foyer et dégagent une forte chaleur. Mapongmetsem (1997 : 30) a recensé dans la vallée de la Vina les essences suivantes utilisées comme bois de chauffage : Albizia adianthifolia, Annona senegalense, Butyrospermum parkii, Crossopteryx febrifuga, Daniellia oliveri, Entanda africana, Harungana madagascariensis, Hymenocardia acida, Lophira lanceolata, Piliostigma thonningii, Syzygium guineense, Tamarindus indica, Terminalia glaucescens, Uapaca togoensis, Terminalia macroptera, Vitex doniana, Ximema Americana Ziziphus mauritiana. Les écorces de la plupart de ces essences, détachées et traitées, servent à confectionner des sacs, des récipients et des cordes. La recension non exhaustive des essences disponibles dans les formations végétales de l’Adamaoua, révèle la présence d’un patrimoine végétal
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hétérogène, caractéristique de la flore tropicale. L’homme y a trouvé pendant des siècles un refuge, une réserve alimentaire, une boîte à pharmacie, un réservoir de matières premières et de sources d’énergie. Mais depuis quelques années, cette ressource est en sursis, menacée par des actions anthropiques souvent irraisonnées : déboisement intensif pour prélèvement du bois de chauffage, défrichements massifs, feux de brousse et de forêts annuels pour extension des surfaces agricoles et pastorales. Face à cette terrible réalité s’impose l’urgence d’une prise de conscience des populations locales et des autorités en charge de la protection de la flore et de la faune pour une exploitation rationnelle de ce patrimoine. Dans cet univers boisé et herbacé, les premiers hommes ne se comportèrent pas en simples prédateurs, cueillant et récoltant des feuilles et des fruits sur des espèces sauvages spontanées. Elles réussirent à choisir dans la gamme des espèces sauvages qui les entouraient, des plantes nouvelles et à les domestiquer, ce qui devait finalement consacrer leur supériorité sur les autres êtres vivants. 5- Les plantes cultivées dans l’Adamaoua Les conditions qui ont permis à l’homme de créer de nouvelles espèces cultivables (les cultigènes) à partir de leurs variétés sauvages, nous restent méconnues et sont difficilement datables en l’état actuel des recherches agronomiques et botaniques au Cameroun. Jusqu’à une époque relativement récente, il était couramment admis que la contribution et la participation de l’Afrique à la révolution agricole furent moins significatives que celles de l’Asie. Le botaniste russe Vavilov (Mabogunje, 1980 : 370-371), par exemple, prétendait qu’il n’existait en Afrique qu’un seul centre de sélection des espèces dignes de ce nom, celui des hautes terres éthiopiennes. Or, les études archéologiques et archéobotaniques commencent à présenter une réalité en faveur de la contribution endogène de plusieurs régions de l’Afrique à l’essor des cultures agricoles. C’est surtout en zone de savane, estime-t-on, qu’entre le IVe et le IIe millénaires avant notre ère, de nombreuses variétés de graines indigènes propres à la culture ont été sélectionnées et acclimatées, constituant ce qu’on a appelé le « complexe de l’agriculture à semences », caractérisé par l’ensemencement de la graine comme préalable à la culture, à la différence du complexe des ‘végécultures’ en milieu forestier, impliquant en tant que préalable à la culture, la préparation de pousses, de boutures, de rhizomes ou de tubercules. La découverte de l’agriculture a impliqué une nouvelle et féconde relation entre l’homme et son biotope. Elle présageait une réceptivité aux innovations, notamment l’acclimatation des cultigènes venus d’autres horizons. Les études disponibles indiquent que l’Afrique a particulièrement reçu de l’Asie et de l’Amérique latine, un grand nombre de ces cultures nouvelles. Dans les hautes terres du Cameroun, les premières formes de la pratique agricole se sont concentrées sur l’exploitation d’un fond ancien de cultigènes africains,
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notamment le sorgho à deux variétés, le rouge et le jaune (Sorghum bicolor), le mil pénicillaire (Pennisetum typhoïdes) et le millet (Eleusine corocana) (David, 1976 : 244). La culture multiséculaire du mil a fait de cette céréale, l’aliment de référence au Cameroun septentrional. Le « mil » fournit la base alimentaire de la grande majorité de la population rurale et urbaine de la région ; il est consommé quotidiennement sous forme de bouillie ou de « boule » (…) Chez les non-musulmans, le sorgho est aussi utilisé pour la fabrication d’une boisson fermentée, la bière de mil ou « bilbil », dont la consommation accompagne les travaux collectifs et qui est aussi commercialisée par les femmes sur les marchés ruraux et dans les villes (Roupsard, 1987 : 213).
L’étape suivante du développement agricole au cours des premiers siècles de notre ère pour l’ensemble de l’Afrique est marquée par l’introduction des cultigènes diffusés depuis le Sud-Est asiatique (Warnier, 1984 : 402), dont le plantain (Musa paradisiaca), la banane (Musa paradisiaca var. sapientum), le taro (Colocasia esculenta), le macabo (Xanthosoma esculenta) et plusieurs variétés d’ignames (Dioscorea cayenensis (jaune), Dioscorea alata (blanc), Dioscorea munitiflora, Discorea bulbifera, Dioscorea dumetorum), la patate douce (Ipomoea batatos), tous cultivés dans l’Adamaoua en raison des possibilités offertes par les conditions écologiques. Un autre jalon majeur de ce processus est basé sur l’introduction des cultigènes américains. Diffusion postérieure au XVIe siècle, elle porte sur le maïs (Zea mays), l’arachide (Arachis hypogaea) et le tabac (Nicotiana tabacum). Le manioc (Manihot esculenta) sous deux aspects (le blanc amer et le rouge doux), présent en Afrique depuis le XVIIe siècle (Vansina, 1999 : 72), est cultivé au début du XXe siècle dans la région. Les arachides, le sésame (Sesamum sp.), le pois de terre (Voandzou subterranea), introduits aux XIXe-XXe siècles dans la région, appartiennent à la catégorie des condiments cultivés, dont les grains grillés et moulus fournissent la matière grasse alimentaire qui enrichit les sauces. Leur apport en lipide au même titre que l’huile de karité est appréciable. Les matières grasses (huiles végétales et animales) contribuent à l’onctuosité des sauces auxquelles des épices et des aromates comme le piment (Capsicum annuum), le basilic, le thym ou encore l’oignon apportent des variétés de saveurs. Le riz sauvage (Oryza barthii ex breviliguta) ainsi que les variétés domestiquées sont connus des Massa, des Fali et des Kotoko dès le XIXe siècle (David, 1976 : 249). Malgré son ancienneté probable dans la région de l’Adamaoua, le riz reste un aliment marginal sur le plan traditionnel. À l’instar de la viande du bœuf et de la volaille, il est surtout servi aux personnes qu’on estime et on peut comprendre pourquoi les enfants font la fête quand une marmite de riz cuit au feu.
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L’une des dernières étapes du développement agricole fut l’introduction des arbres fruitiers d’origine asiatique et américaine au Nord-Cameroun. Elle a lieu pendant la période coloniale, au début du XXe siècle. Les espèces vulgarisées et cultivées sont les agrumes (Gormo, 2005 : 195-198) : l’oranger (Citrus sinensis), le citronnier (Citrus limon), le pamplemoussier (Citrus grandis), le mandarinier (Citrus reticula), le goyavier (Psidium goyava), originaires du SudEst asiatique (Chine du Sud, Vietnam, Annam et nord de la Birmanie) ; le manguier (Mangifera indica), originaire de l’Inde, le papayer (Carica papaya) peut-être originaire du Mexique. Ces fruits, en entrant dans le régime alimentaire local, vont contribuer à l’amélioration de la nutrition par leur teneur en vitamine C, leur apport en minéraux et oligo-éléments, qui vont pallier les carences alimentaires observées chez les groupes vulnérables (femmes enceintes, enfants en bas âge, personnes âgées) victimes d’interdits alimentaires inouïs alors que leurs besoins nutritionnels sont relativement élevés. En définitive, l’établissement d’une préférence pour un nombre limité de plantes indigènes ou étrangères signifiait que l’homme était désormais non seulement capable de tirer sa subsistance de son environnement naturel, mais qu’il était aussi sur le chemin des modifications biologiques majeures, à l’instar des OGM (organismes génétiquement modifiés) actuels aux implications imprévisibles et discutables sur la santé des hommes et sur l’environnement. La maîtrise de la domestication des plantes et des techniques agricoles, fruit d’un long processus qui se poursuit et s’améliore continuellement a permis à l’homme dans l’Adamaoua de se nourrir sans dépendre forcément de la générosité de la nature, même si les pluies restent le facteur déclencheur de la saison agricole dans cette région. Quel fut le poids de l’essor agricole sur la démographie ? A-t-il impliqué la croissance naturelle de la population dans toute la région ? Les statistiques sur la démographie historique sont indisponibles, mais l’on peut par déduction, conclure que les cultures d’origine asiatique ou américaine ont joué un rôle important dans le développement agricole et dans l’essor démographique du fait de leur disponibilité en permanence et de leurs valeurs nutritives complémentaires. L’arachide et le maïs par exemple avec leur cycle végétatif court (trois mois environ) ont permis d’amputer de plusieurs semaines la disette annuelle qui accompagnait la période de soudure précédant les nouvelles récoltes. L’arachide, de par sa richesse en lipides et en protéines, a amélioré l’alimentation, et étant une légumineuse ; elle a joué un rôle important dans les assolements et l’entretien des sols. Quant aux tubercules (ignames, manioc, patate, macabo) et fruits (banane et plantain), en étant disponibles toute l’année sous terre et sur pied, ils ont mis à la disposition des populations de quoi se nourrir en toute saison (Warnier, 1984 : 402). La nécessité de défricher des terres pour implanter de nouvelles cultures et de supprimer d’autres plantes qui leur eussent disputé les éléments nutritifs du sol, a entraîné ici comme partout
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ailleurs dans le monde, des changements radicaux sur les caractères de la végétation et partant sur la composition de la faune sauvage. VI- UNE FAUNE VARIÉE AUJOURD’HUI DÉCIMÉE Tout en lui fournissant des ressources végétales, la flore a mis à la disposition de l’homme du gibier. La faune sauvage de l’Adamaoua fut jadis riche et diversifiée. Des prélèvements massifs et continus l’ont réduite en une peau de chagrin. L’Adamaoua située à la charnière des écosystèmes de forêt et de savane abritait en conséquence une faune riche et diversifiée depuis les minuscules insectes jusqu’aux grands mammifères en passant par des oiseaux et des reptiles, dont l’abattage a permis de nourrir les populations pendant des siècles. À l’exception de quelques prescriptions rituelles pouvant limiter ou interdire la consommation de certains animaux sauvages à des classes sociales spécifiques, consommer du gibier dans l’Adamaoua est une pratique communément partagée dans ce creuset culturel où se bousculent différents groupes ethniques aux menus alimentaires plus ou moins carnés. 1- Les bêtes sauvages L’Adamaoua fut, pendant des siècles, un terrain de parcours favorable aux animaux sauvages et un territoire de chasse privilégié. Ses massifs et ses plaines couverts de graminées et d’arbustes, ainsi que ses nombreuses rivières accessibles aux animaux, constituent un cadre privilégié à l’épanouissement de la vie animale. La régularité des pluies entretient un vert pâturage pendant la grande partie de l’année pour des herbivores dont la plupart nourrissent les carnassiers. L’équilibre de l’écosystème est ainsi maintenu tant que des effets perturbateurs externes ne viennent pas le rompre. Certains paysans regrettent encore ce temps où les buffles vêlaient dans leurs montagnes, où de jeunes individus, des femelles gravides et des mâles adultes hantaient les vallées encaissées de Tchabbal Gaandeba ou de Tchabbal Mbabbo. D’autres se souviennent avec nostalgie de ces colonies de singes qui, à la bonne saison, maraudaient les mangues et cueillaient des noix. Jusqu’à une époque relativement récente qu’on pourrait bien situer aux alentours de 1960 avec l’amorce de l’urbanisation, de la dynamique agricole et démographique, l’Adamaoua était une importante zone giboyeuse. Des animaux de différents acabits s’y bousculaient au regard des données de l’oralité, des restes de carcasses, des objets-signes de pouvoir mboum (peaux de panthère, défenses d’éléphants) et surtout de la composition faunique des réserves naturelles environnantes, notamment celle de la Bénoué. Eléphant (Loxondonta africana africana), panthère (Panthera pardus), lion (Panthera leo), buffle (Syncerus cafer), hyène (Crocuta crocuta), phacochère (Phacochoerus aethiopicus), singe (Cercopithecus sp.), civette (Viverra civetta), pangolin géant (Manis giganta), mangouste (Herpestes ichneumon), porc-épic (Hystrix cristata), chat sauvage (Felis sylvestris), divers reptiles et oiseaux du colibri aux éperviers s’y
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bousculaient autrefois. Les poissons aussi, notamment les capitaines, les carpes, les silures et les tilapias frétillaient dans les multiples cours d’eau en place. Quatre décennies plus tard, les grands mammifères ont totalement disparu dans l’Adamaoua. Des espèces comme l’éléphant, le buffle, le lion ou la panthère sont éteintes. Seuls subsistent quelques antilopes, cynocéphales, phacochères qui à la suite du braconnage, alimentent les marchés de la viande boucanée. Les criquets bien qu’indésirables à cause des ravages qu’ils occasionnent sur les récoltes, sont cependant consommés autant que les grillons, les termites et les chenilles. Ils fournissent des protéines et des graisses animales indispensables au développement du corps surtout dans un contexte culturel et économique où l’accès à la viande prélevée du cheptel et de la basse-cour n’est pas possible à tout le monde, du fait des interdits et de la pauvreté. Des études archéozoologiques n’étant pas disponibles sur l’Adamaoua, il est difficile en l’état actuel des connaissances de se prononcer sur la nature des animaux sauvages qui furent les plus consommés. On peut simplement admettre que si les animaux qui peuplaient la brousse ont majoritairement disparu, c’est parce qu’ils furent chassés et consommés massivement, en dehors des facteurs naturels comme la sécheresse, la vieillesse, la mort qui, en opérant des prélèvements réguliers, ont concouru au dépérissement de la faune locale. 2- Les produits d’élevage L’Adamaoua est la plus grande région pastorale du Cameroun favorisée par son climat et son pâturage. C’est la terre d’élevage par excellence du gros bétail surtout les zébus et les vaches de race depuis le XIXe siècle. On y élève aussi de petits ruminants comme les chèvres et les moutons, des oiseaux de basse-cour comme les coqs, les poules, les canes et les canards, etc., qui régulièrement égorgés, fournissent la viande qui, aux côtés des légumesfeuilles, du gombo ou du champignon, reste l’ingrédient des sauces le plus recherché. Le développement récent de la pisciculture fournit aux populations du poisson frais, consommé braisé ou en sauce sous forme de ragoûts ou de potau-feu. Mais, il convient de noter que la chair des animaux domestiques pourtant présents dans tous les villages est surtout consommée à l’occasion des festivités qui accompagnent les rites de passage à savoir les naissances, les mariages et les deuils, tandis que les volailles constituent l’aliment de choix destiné aux hôtes de marque et des personnes à honorer. En fut-il toujours ainsi au cours des siècles antérieurs au XIXe siècle ? Malheureusement, les études sur les plus vieilles habitudes alimentaires dans cette région sont indisponibles à notre connaissance. La diversité et la richesse des bêtes sauvages et des animaux domestiques dans l’Adamaoua ont longtemps constitué un important appoint alimentaire pour les populations. De ce fait, la pratique généralisée de la chasse et le développement de l’élevage afin de disposer de la viande à tout moment ou à
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des périodes particulières de l’année, seraient à la base des rites cynégétiques et des fêtes du bétail à l’instar des cultes agraires.
Photo 3- Troupeau de bœufs en pâturage dans la savane à Ngan-Ha © Bertelsen, 2001.
C’est sans doute consciente de la précarité des ressources animales sauvages dans un contexte culturel où la viande prenait de plus en plus une place importante dans son alimentation que l’humanité s’engagea dans l’une des plus grandes révolutions de l’histoire, la révolution du néolithique, où progressivement, le prédateur devint producteur, où le chasseur devint berger, où le 'cueilleur-ramasseur' devint agriculteur. Ces deux visages portés par l’homme sont cependant loin de disparaître malgré les révolutions mécaniques, électriques, électroniques et numériques successives. De nos jours encore, la chasse et l’élevage, la cueillette des végétaux sylvestres et l’agriculture cohabitent malgré les crises sporadiques qui surviennent entre chasseurs, agriculteurs et pêcheurs en vue du contrôle des ressources foncières et hydrauliques. VII- UN RÉSEAU HYDROGRAPHIQUE AUX RESSOURCES VITALES MULTIPLES L’histoire de l’humanité est traversée de récits relatifs aux rôles joués par les fleuves et les rivières dans les mouvements de populations. L’étude des mobilités et des peuplements anciens doit par conséquent exploiter les mythes et les matériaux archéologiques afférents à ces voies naturelles de communication. Partout dans le monde, les cours d’eau ont accompagné l’émergence et le développement des civilisations. Le Nil et l’Égypte pharaonique, le Tigre et
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l’Euphrate, la Mésopotamie, l’Amazonie et les civilisations amérindiennes, le Yang Tsé Kiang, le Huanghe et la Chine, la Volga et le Danube en Europe centrale, le Rhin, la Tamise, la Seine en Europe occidentale, etc. En tant que voies de communication, réserves d’eau potable et de poissons, facteur de production agricole et pastorale, l’influence des cours d’eau dans le choix des sites d’habitat est si importante qu’il est recommandé aux archéologues en prospection d’accorder une attention particulière aux berges des cours d’eau. Le Logone par exemple et ses principaux affluents que sont la Vina et la Mbéré dans l’Adamaoua, furent d'importantes voies naturelles de déplacement des peuples du nord au sud, du sud à l’est et du sud à l’ouest du bassin du lac Tchad (Mohammadou, 1990 : 20-24). Les recherches que nous avons effectuées autour des cours d’eau comme Gour, Kwii, Mayo Houkari et Kashala en pays mambila, Bini à Ngaoundéré, Mbakoungué à Meiganga et divers autres ruisseaux et rivières qui arrosent l’Adamaoua, ont consisté à vérifier cette hypothèse avec des résultats concluants par endroits. Même si nous sommes d’avis que l’homme a longtemps évité les abords des grands cours d’eau à cause des risques de crues, des maladies d’origine hydrique et les piqûres d’insectes comme les mouches tsé-tsé, on doit reconnaître que ces endroits qui attirent le gibier, contiennent du poisson et de l’eau à boire ont constamment exercé un attrait sur l’homme chasseur, pêcheur, agriculteur ou éleveur. Il n’est donc pas exclu qu’il y ait laissé des traces et que l’archéologie, au gré des recherches, puisse les mettre au jour. Le département de la Vina est parcouru par un chevelu hydrographique buissonnant comportant des cours d’eau aux régimes permanents et non permanents. La Vina prend sa source dans le massif de l’Adamaoua au Ngaou Djam à 1435 m d’altitude (Olivry, 1986 : 543). Elle change de nom selon les zones qu’elle traverse. Dans le plateau de l’Adamaoua, on l’appelle Bini et dans le Mayo-Rey, elle s’appelle Mbah. La Vina est riche de nombreux affluents : Djivorké, Obogo, Mammum, Madol, Marrol, Madjikum, Rigara, Mbom, Rao. Long de 314 km, ce fleuve est relié au domaine centrafricain par la Mbéré au niveau de Mbaïbokoum. Les terres qui jouxtent les berges de ces cours d’eau sont riches en sédiments que les paysans exploitent à des fins agricoles. Elles constituent également un terroir de chasse convoité où les chasseurs à l’affût, surprenaient et abattaient des antilopes, des phacochères, des cynocéphales, des buffles, des hyènes ou des porcs-épics qui y venaient pour s’abreuver. Si les principaux sites archéologiques mis au jour dans la Vina ne sont pas forcément localisés tout près des cours d’eau, ils témoignent au moins de la prédilection des régions pourvues de cours d’eau pour l’implantation des sites d’habitation aux dépens des zones sèches. Ce chapitre nous a permis de jauger l’importance de la topographie, du sol, des précipitations, des possibilités d’approvisionnement en ressources végétales, animales et hydriques dans la mise en place des populations. Elle nous a montré
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la nécessité pour l’archéologue en prospection, de prendre en considération l’impact du milieu naturel sur l’implantation des villages et par extension, les possibilités de découverte des sites archéologiques. Les milieux naturels, selon leur capacité à disposer des ressources vitales, vont sous-tendre les migrations et les mouvements de populations. Des hommes et des femmes se jetteront sur des pistes à la quête des terres hospitalières à telle enseigne que les mobilités humaines restent l’un des points saillants de l’histoire de l’Afrique précoloniale. Bien que ces mobilités humaines aient été conditionnées par des pressions d’ordre naturel ou économique, il est arrivé que des individus mal informés qualifient les Africains d’incapables de mouvement et de prisonniers des saisons pendant que d’autres de très mauvaise foi encore, notamment les négriers portugais, les traitaient de hordes indistinctes de vagabonds en perpétuels mouvements, prenant d’assaut les montagnes et les plaines, réduisant tout simplement l’histoire de l’Afrique « aux pérégrinations absurdes de tribus barbares » comme le déplore Jan Vansina (1999 : 67).
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CHAPITRE II MIGRATIONS ANCIENNES ET PEUPLEMENT DE L’ADAMAOUA LES DONNÉES DE L’ORALITÉ ET DE L’ARCHÉOLOGIE
* Aucune des composantes ethniques de ce pays ne peut se targuer d’avoir été toujours là : toutes, sans exception, ont été à un moment ou à un autre du passé, d’une provenance extérieure au triangle géopolitique que constitue le Cameroun d’aujourd’hui (Eldridge Mohammadou, 1990 : 5).
** Le stéréotype d’après lequel certaines ethnies africaines n’avaient aucun contact avec le monde extérieur n’est pas plus fondé que le stéréotype opposé de l’errance perpétuelle (Jan Vansina, 1999 : 73).
I- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES MOBILITÉS HUMAINES L’histoire du continent africain est truffée de grandes mobilités humaines. Des mouvements assimilés souvent et sans preuves tangibles à une suite de marches sans trêve mobilisant hommes et femmes, adultes et enfants, chasseurs et cueilleurs, pêcheurs et agriculteurs, éleveurs et experts en tous genres. Une histoire mettant en scène une foule d’hommes plus ou moins compacte, prenant d’assaut les montagnes, les plaines, les vallées et les piedmonts à la recherche de sites hospitaliers et provoquant à leur passage de nouvelles mobilités humaines. Ces mouvements, qu’ils fussent pacifiques ou violents, provoqués par des cataclysmes naturels ou suscités par des facteurs anthropiques, ont amené les négriers portugais dès le XVIe siècle à qualifier les migrants engagés dans ces déplacements de hordes ou de « masse indistincte de vagabonds. Les migrants représentant pour eux l’antithèse d’une vie stable et bien réglée : ils étaient des barbares par opposition aux peuples civilisés » (Vansina, 1999 : 67). Stéréotype dont on trouve les prolongements au milieu du XXe siècle sous la plume confuse de Hugh Trevor Roper, alors professeur à l’université d’Oxford en Angleterre, qui réduit l’histoire de l’Afrique « aux pérégrinations absurdes de tribus barbares » (Vansina, 1999 : 67). Les migrations africaines contrairement aux affabulations et aux poncifs y relatifs, furent loin d’être des errances chaotiques, de vains giratoires, sans direction ni but précis.
Ces mouvements de populations conduits dans certains cas par des leaders comme ceux des Mboum qui s’implanteront dans l’Adamaoua ont eu une importance significative sur la propagation des idées nouvelles, sur la diffusion des cultigènes américains et asiatiques, sur le développement des outils et des techniques en même temps qu’ils ont constitué un stimulant pour l’organisation des populations en entités politiques. Dans ces migrations, les cultivateurs vont occuper une place non négligeable. Pratiquant alors une agriculture extensive et ne pouvant pas exploiter les mêmes terres plusieurs années consécutives, ils étaient contraints de se déplacer pour conquérir de nouvelles terres agricoles. Les éleveurs, les pêcheurs et les chasseurs étaient aussi contraints à la mobilité afin d’exploiter de nouvelles ressources et de suivre les cultivateurs avec qui ils pratiquaient des échanges. Grâce aux témoignages archéologiques, ethnologiques, linguistiques et historiques, quelques-unes des grandes migrations qui ont marqué l’histoire du continent africain sont désormais reconstituées. C’est le cas des Bantous, des Ngbandi de l’Oubangui des Jaga (Djaga) en Afrique centrale, des Touareg de la boucle du Niger, des Mane de Sierra Leone, des Foulbé de toute l’Afrique occidentale, des peuples de Madagascar, des Trekboer du Cap, des Somalis et des Oromos en Afrique orientale. « Tout semble s’être passé, comme si, entre 1500 et 1800, aucun peuple n’était resté à la même place », souligne Jan Vansina (1999 : 68). Migrations, mouvements de populations, déplacements normaux, déplacements extraordinaires, ces différents concepts semblent tous a priori traduire le même phénomène, à savoir celui de la mobilité humaine. Mais de l’avis de Jan Vansina, il convient de clarifier chacun de ces termes afin d’éviter des approximations qui, en confondant mouvements de populations et migrations, empêchent de comprendre ce qui se passe réellement dans chaque flux. Le mot migration désigne le déplacement d’une population qui passe d’un pays à un autre pour s’y établir… Le concept de migration exprime donc un changement dans le rapport qui existe entre les hommes, l’espace et le temps, ce qui suppose une altération de ce rapport. Dans ce sens très général, il est alors préférable d’employer l’expression mouvement de population. Les causes de ces mouvements relèvent de l’organisation de l’espace. Ils peuvent se produire parce que le rapport entre le nombre des hommes et la quantité des ressources a changé à la suite, par exemple, d’un accroissement excessif de la population ou d’une modification catastrophique du climat, ou parce que les hommes essaient de réorganiser leur espace et ses ressources sur un territoire relativement étendu.
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Qu’en est-il précisément de l’Adamaoua ? Doit-on parler de migrations ou de mouvements de populations ? On doit retenir les deux formes, compte tenu des réalités historiques régionales. À propos des migrations, prenons le cas des traditions d’origine des peuples de la région notamment celles des Mboum qui, en cherchant à expliquer la création du monde, se réfèrent fréquemment aux peuples ou aux leaders qui sont venus d’ailleurs, d’un certain lieu des origines. Au sujet des mouvements de populations, considérons les mythes des Dii qui affirment leur autochtonie originelle, parce qu’ils sont tombés du ciel ou ont émergé du sol et ont toujours vécu dans leur pays. Leurs ancêtres germèrent, soit des cavernes, soit des termitières, soit encore des montagnes. Leurs descendants semblent connaître ces lieux mythiques qu’ils considèrent comme les lieux de leurs origines. Ils les localisent géographiquement et s’y rendent souvent pour des commémorations et des sacrifices. C’est le cas des Dii de Mbé qui placent d’ailleurs leur origine sur la montagne Mbang-Si, non loin de leur site actuel. S’ils se sont parfois déplacés pour occuper les villages où ils sont disséminés aujourd’hui, c’était simplement par souci de réorganisation de l’espace en vue d’une gestion optimale des ressources disséminées dans un territoire relativement étendu. Le développement qui suit concerne deux importants groupes ethniques notamment les Mboum et les Dii qui occupent de nos jours les villages où nous avons mis au jour le plus grand nombre de vestiges archéologiques. Au stade actuel des recherches, rien n’interdit de penser qu’ils ne figureraient pas parmi les descendants des plus anciens occupants, probables producteurs des cultures matérielles que les archéologues recherchent, mettent au jour, analysent, interprètent et protègent. Les datations au radiocarbone disponibles sur certains sites fouillés indiquent une présence humaine depuis le XIIe siècle au moins jusqu’au XXe. Fourchette chronologique que corroborent les traditions d’origine et les récits migratoires des Mboum et des Dii. L’histoire du Cameroun enseigne que la carte ethnique nationale actuelle est la résultante d’un processus migratoire ancien et continu qui a conduit dans ce territoire, différents groupes humains partis de l’extérieur, d’un ailleurs, à la recherche des terrains de chasse, des eaux de pêche, des terres agricoles ou des pâturages. Au fil des temps, ces populations ont construit des univers culturels spécifiques qui caractérisent la civilisation camerounaise, laquelle se structure et se métisse constamment à travers des brassages de populations et l’intégration des éléments des cultures exogènes. Ces hommes d’où venaient-ils ? Où allaient-ils ? Pourquoi étaient-ils partis de leurs berceaux ? Pourquoi se dirigèrent-ils vers le « Cameroun » ? Que cherchaient-ils ? Qu’ont-ils fait, une fois installés? À quoi pensaient-ils ? Autant d’interrogations sans réponses précises dans la mesure où au Cameroun, les témoignages matériels sur les lointaines manifestations de l’homme ainsi que sur ses activités ne sont pas encore exploités. D’où venaient-ils ? Sur cette
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question particulière, les traditions d’origines divergent, mais toutes ou presque font venir les ethnies camerounaises d’un ailleurs, comme pour cautionner la thèse d’Eldridge Mohammadou selon laquelle l’autochtone d’aujourd’hui est l’allogène d’hier. « Aucune des composantes ethniques de ce pays ne peut se targuer d’avoir été toujours là : toutes, sans exception, ont été à un moment ou à un autre du passé, d’une provenance extérieure au triangle géopolitique que constitue le Cameroun d’aujourd’hui » (Mohammadou, 1990 : 5). Certains groupes ethniques se réclament d’un berceau septentrional situé quelque part, là-bas au nord du lac Tchad, d’où ils seraient venus. Ils fuyaient les guerres et les disettes récurrentes et étaient à la quête des contrées plus hospitalières. C’est ce que raconte l’histoire des Mboum, des Mambila ou des Moundang. Les Mboum multiplient encore leurs origines, les plaçant parfois au ciel et souvent en Orient ancien. Ils viennent de quelque part. D’autres se réclament d’une autochtonie. Ils ont été toujours là où ils se trouvent aujourd’hui. Leurs ancêtres sont des autochtones et propriétaires des terres qu’ils occupent aujourd’hui. C’est le cas des Dii ou Dourou. « Nos ancêtres sont tombés du ciel. Ils étaient alors porteurs d’une queue comme des bêtes. Pour les rendre humains, un forgeron la leur coupa. Quelque temps plus tard, il fit d’eux des hommes véritables en les circoncisant » (Muller, 1992 : 10). Avec des berceaux à roulette de cette nature, on comprend que partout au Cameroun, l’appréhension des origines des peuples et de la genèse des chefferies est malaisée. Quel que soit le cas, on entre de plain-pied dans le domaine nébuleux de la mythologie où les fables, les contes et les légendes, les superstitions et les devinettes l’emportent sur les faits historiques vérifiables et quantifiables, ceux-ci étant mis à mal par de profondes lacunes linguistiques et archéologiques. Une présentation succincte des traditions d’origine des Mboum, des Dii et des Mambila est révélatrice de cette difficulté. II- TRADITIONS D’ORIGINE, MIGRATIONS ET SÉDENTARISATION DES MBOUM Les traditions d’origine et les récits migratoires disponibles placent les origines des Mboum dans des berceaux situés au ciel et sur terre. Ce peuple forme peut-être le principal groupe ethnique anciennement implanté dans le plateau de l’Adamaoua. On se réfère à cet effet à la liste généalogique de leurs souverains dressée sur la base d’un comput à l’exactitude certes discutable, mais qui a le mérite d’exister, contrairement à l’imagination qui ailleurs soustend la confection des listes dynastiques. Par ailleurs, les anciens sites d’habitat, dont les Mboum revendiquent aujourd’hui l’antériorité de l’occupation par leurs ancêtres et dont la toponymie est essentiellement mboum, sont aussi les plus anciennement datés au carbone14, en l’occurrence au XIIe siècle au moins pour les plus anciens sites connus. Toutefois, la prudence scientifique recommande d’éviter des attributions ethniques hasardeuses aux sites sans faisceau de
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preuves tangibles. Dans l’ensemble, les origines des Mboum restent difficiles à préciser, les traditions qui s’y rapportent sont vagues, confuses et par conséquent sujettes à caution. Écartelées entre le ciel et la terre, entre réminiscences bibliques et conquête islamique, les origines cosmiques, orientales et septentrionales des Mboum se télescopent sans jamais se recouper. 1- Traditions d’origine des Mboum a) Les Mboum tombés du ciel ? L’administrateur colonial français Bru a recueilli au début du siècle, un mythe faisant venir les ancêtres des Mboum du ciel : Les premiers Mboum tombèrent du ciel. Quand ils furent sur la terre, un premier occupant ne voulut pas les recueillir. Ils répliquèrent qu’ils venaient du ciel et qu’ils allaient y remonter. Ils se mirent à construire une échelle, mais elle devait être si haute et sa construction demanda tellement de temps que les termites en rongèrent la base. Elle s’écroula avec tous les hommes qui grimpaient pour gagner le ciel. Dans l’écroulement, ils se dispersèrent en tribus diverses, des langues et des mœurs, Vouté, Tikar, Mboum… (Bru, 1923 : 1).
Dans la même perspective, les traditions d’origine mboum recueillies par Eldridge Mohammadou (1990 : 93-94), revisitent le récit de la genèse de l’humanité ballotée entre les légendes, l’histoire de l’Égypte pharaonique et les vieilles croyances judéo-chrétiennes. b) Les Mboum chassés du ciel ? Dieu (Gan wen) créa le ciel et la terre, l’univers tout entier. Il créa ensuite les hommes et les femmes qu’il plaça au ciel et lui demeura sur terre. Toutefois, il était en relation avec les hommes par le concours d’une liane (agurun) dont il conservait à lui seul les secrets de son utilisation. Lorsqu’en saison sèche les hommes brûlaient la savane, ils descendaient du ciel par le biais de la liane payer leur tribut en gibier à Gan wen. Un jour, Dibi qui était le seul homme à habiter la terre avec Dieu s’empara frauduleusement de la liane, rejoignit le ciel et réclama de ses habitants les privilèges que seul Dieu était le légitime bénéficiaire. Il redescendit sur la terre attendre que les hommes lui livrent le butin. Or entre-temps, Dieu s’était rendu compte de la disparition de sa liane magique et se mit à la rechercher. Il arriva juste au moment où Dibi faisait descendre sur terre les chasseurs porteurs du gibier. Pris de colère, Dieu ordonna à la liane de résorber. C’est alors que tous les hommes qui descendaient par ladite liane tombèrent sur la surface de la terre qu’ils peuplèrent. C’est dans ces circonstances que Dieu rejoignit le ciel et abandonna les hommes sur la terre.
Deux récits teintés de réminiscences bibliques relatives à la légende de la tour de Babel, ce défi humain lancé contre Dieu et qui se solda par la cuisante défaite des hommes, sanctionnée par la dislocation de l’humanité et la
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diversification à l’infini des langues. Une telle intrusion dans les mythes mboum se rapporte évidemment à l’aliénation religieuse de ce peuple. c) Les Mboum fugitifs du Yémen ? Quelques mythes placent le curseur de l’origine des migrations mboum au lendemain de l’islamisation de la péninsule arabique, c’est-à-dire au VIIe siècle de notre ère. Certains y perçoivent directement la volonté des Mboum islamisés de connecter forcément leurs origines à celles des Arabes. Ils seraient partis de l’Arabie, du Yémen, de Sana, bref du Levant. « Les ancêtres des Mboum habitaient le Yémen avant l’avènement de l’Islam. Lorsque Mohamed voulut les convertir, ils s’y opposèrent farouchement. Mais combattus et vaincus ils durent s’enfuir » (Mohammadou (1971 : 123). Aucun fait archéologique ne nous autorisant de trouver aux nègres un berceau extérieur à l’Afrique, ces audacieuses tentatives d’implantation des origines des Mboum au Yémen relèvent manifestement de la fiction. d) Les Mboum originaires de l’Égypte pharaonique? Martin Zachary Njeuma (1978 : 45) rapporte : « according to the mboum traditions the ancestor for the mboum originally came from ancient Egypt ». Certains éléments de la culture matérielle mboum, notamment le Hâ, couteau de jet ou le Fora (trompette), toutes des pièces des regalia des souverains mboum, rappelleraient, l’Égypte des pharaons. « Le Hâ, pièce de fer artistiquement travaillée est d’inspiration égypto-pharaonique. Les motifs qui ornent les branches de ce Hâ se présentent sous forme d’hiéroglyphes, les trompettes mboum, les fameuses Fora ont une forme semblable à celle représentée sur les frises chaldéennes » (Bah Thierno, 1985 : 88). André-Michel Podlewski (1989 : 244) établit également un étrange parallèle entre les coutumes mboum et celles du pays des pharaons. Il s’agit des interdits en relation avec le soleil. Le Bélàkà, titre du souverain mboum, et les dignitaires qui ont droit au chapeau de paille pincé d’épingles métalliques (mbuli), ne doivent absolument pas se découvrir la tête tant que le soleil est au-dessus de l’horizon. Le soleil (Rê ou Ra) étant le Dieu Soleil de l’Égypte pharaonique, il doit par conséquent être vénéré. Le Bélàkà Nyafou (1907-1931) faillit se suicider en 1921 parce qu’un agent administratif avait fait sauter sa coiffure sacrée. De même, l’on ne pouvait retirer les objets sacrés lorsque le soleil brillait, mais plutôt à l’aube ou au crépuscule. Lors de la fête des prémices, le Mboryanga, le Bélàkà qui sortait de la retraite initiatique, était vêtu de blanc et coiffé du mbuli traditionnel. Il lui était strictement interdit de voir la lune et le soleil. À cet effet, il devait tenir un bouclier pour se protéger des rayons solaires. Ces quelques allusions avec le dieu solaire Rê ou Ra permettent-elles réellement d’établir une origine égyptienne des Mboum ? Les preuves si elles n’existent pas, sont minces et très discutables.
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Traditions d’origine et récits migratoires font donc venir les Mboum d’ailleurs, d’une région septentrionale, de quelque part et surtout très loin des terres de l’Adamaoua qu’ils colonisent de nos jours. Nous synthétisons cidessous, en dehors des mythes et légendes d’origine céleste et pharaonique, les traditions non moins maculées de mystères et de magie recueillies par Bru (1923), Jean-Claude Froelich (1959), Kurt Struempell et von Briesen (1910 ; 1914), André-Michel Podlewski (1989) et Eldridge Mohammadou (1971 ; 1990), sur les migrations anciennes et le peuplement des Mboum. 2- Pérégrination des Mboum avant leur implantation dans l’Adamaoua Les Mboum vivaient jadis au Yémen en Orient racontent leurs légendes. Refusant de s’islamiser, ils furent soumis à diverses exactions les prédisposant à quitter la région. Leur résistance se brisa le jour où leurs fétiches, mieux leurs divinités les abandonnèrent pour s’enfuir vers l’ouest. Ils furent dès lors contraints de les suivre. Le périple du peuple mboum commençait. Ils traversèrent la mer Rouge et s’installèrent d’abord au pays du Nil. Après un long séjour, ils s’enfuirent de nouveau vers le couchant, toujours sous le leadership de leurs fétiches. Ils parvinrent aux abords du lac Tchad. À cet endroit, la grande communauté que constituait alors le grand peuple mboum se disloqua. Le noyau initial s’émietta et plusieurs groupes se constituèrent. Chacun alla s’établir dans un nouveau territoire : les Kanouri demeurèrent dans les environs du lac Tchad et fondèrent le royaume du Bornou ; les Wandala descendirent chez les Kamergou qu’ils soumirent et créèrent le royaume du Mandara ; les Laka, les Moundang et les Toupouri descendirent plus loin et colonisèrent les rives du Logone et du Kabi ; d’autres éléments s’éparpillèrent dans plusieurs autres directions. Ceux qui se considéraient comme Mboum, prirent la direction du sud avec les ancêtres des Vouté et des Djoukoun. Les Djoukoun entrèrent en dissidence à Woukari et fondèrent le grand royaume du Kororafa. Les Vouté montèrent vers les hauts plateaux du sud-est, s’installèrent dans leur habitat actuel et créèrent de nombreuses chefferies au sud du plateau de l’Adamaoua. Les Mboum sous la conduite de leurs chefs, continuèrent leur marche jusqu’au confluent de la Bénoué et du Faro. Ils remontèrent le Faro où ils s’aperçurent que la rive droite était déjà occupée par les Namdji. Ils continuèrent la marche jusqu’à la falaise de l’Adamaoua où leurs chefs envoyèrent des éclaireurs reconnaître l’intérieur de ce nouveau pays. De retour de leur prospection, ils déclarèrent ce territoire vide d’hommes. Ce no man’s land appelé aujourd’hui Ngaoundéré devint le noyau du pays mboum. 3- Mouvements des Mboum dans le Plateau de l’Adamaoua Dans ce cadre géographique s’installèrent alors les Mboum sous l’autorité de leur chef Sara Mboum. Ngaoundéré n’était en fait qu’une étape de la longue
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marche qui allait promener ce peuple d’un site à l’autre à travers l’Adamaoua. Dissensions internes, ambitions personnelles et tensions séparatistes aboutiront à la création de diverses chefferies mboum dans cette région arrosée par la Vina, la Mbéré, le Faro, la Bénoué et leurs affluents. Pendant ce temps, à l’autre bout du continent, des bergers Foulbé partis de l’est du Sénégal (Futa Toro et Macina) entre les XIe et XIVe siècles pénétrèrent au nord de l’actuel Cameroun autour du XVIIIe siècle (Njeuma, 1978 : 3 et Drønen, 1998 : 47). Progressivement, leur pérégrination les conduisit au cœur de l’Adamaoua, terre du tchabbal couverte de gras pâturage et riche en eaux salées. Une fois entrés et installés, ces éleveurs partagèrent plus ou moins harmonieusement la vie de tous les jours avec les agriculteurs déjà établis. Mais en 1804, le jihad lancé depuis Sokoto au Nigeria par le Shehou Othman Dan Fodio en vue de l’unification sous l’égide d’un État théocratique des principautés haoussa du nord du Nigeria, éclate aussi au nord de l’actuel Cameroun. Cette guerre sainte aux contours densément économiques et politiques, conduite en terre camerounaise par le lettré musulman Modibo Adama, devait changer le destin des entités politiques anciennement établies dans la région. À l’occasion de ce conflit porté vers 1834 dans les hautes terres de l’Adamaoua, les Foulbé transformèrent les ressentiments longtemps éprouvés, mais dissimulés contre les Mboum, les Dii, les Gbaya, les Laka, etc., en chefs d’accusation. Ces pacifiques bergers d’hier se muèrent en impétueux et farouches cavaliers. Galvanisés sans doute par la foi islamique, montés sur des chevaux de combat parfaitement entrainés, armés de javelots et de flèches empoisonnés, ils défièrent victorieusement les amulettes, les incantations, les gourdins et les lances de quelques-uns de leurs ennemis fatalistes et mal organisés. C’était le cas des Mboum qui, une fois convaincus d’avoir été abandonnés par leur fétiche protecteur, le Fà Vbên à gûndày, n’opposèrent aucune résistance à ces cavaliers, combattants d’Allah. En dehors des audacieuses escarmouches d’une fraction armée mboum conduite par Vánà-Wàrí, haut dignitaire mboum, aucun combat sérieux ne fut engagé dans les champs de bataille magistralement contrôlés par les Foulbé. Les Mboum furent évidemment défaits et leur petite armée mise en déroute à la bataille de Ngawkor en 1835. Le contrôle politique, économique et religieux de Ngaoundéré passa alors aux mains des vainqueurs. Pour justifier cette cinglante défaite militaire, un mythe mboum recueilli par Mohamamdou Eldridge (1990 : 122-123) raconte que Fà Vbên à gûndày, le plus puissant des fétiches mboum qui échut au Bélàkà Mboum lors des migrations et assura jusque-là leur force et leurs victoires contre les autres tribus, les quitta par la faute d’une femme du Bélàkà. En dépit d’un interdit formel, cette curieuse femme avait ouvert le sac où était gardé le fétiche. Furieux, l’objet magique enflamma la case où il était enfermé et sous la forme d’une boule de feu, il s’envola et vint se tapir sur une montagne à l’est de Ngaoundéré. Cette montagne fut dénommée Ngaw Hora ou "montagne du feu", en référence au fétiche enflammé qui, à l’instar d’une soucoupe volante ignée, était venu s’y
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loger. En dépit des supplications et des sacrifices, Fà Vbên à gûndày fâché, disparut et livra les Mboum, désormais sans défense, à la merci des Foulbé qui les défirent et leur imposèrent leur souveraineté. Alors victorieux, Ardo Ndjobdi, guerrier peul, fonda sur les terres des Mboum, le noyau du lamidat peul de Ngaoundéré. Son fils, Ardo Issa (1854-1878), étendra les frontières de cette entité politique à leur maximum : au sud jusqu’à la lisière de la forêt équatoriale, à l’est jusqu’aux frontières de l’actuelle République centrafricaine, vers l’ouest jusqu’aux portes du lamidat de Tignère et au nord jusqu’aux limites méridionales des lamidats de Rey-Bouba et de Garoua. À la suite de cette guerre sainte qui entraîna d’importants remaniements territoriaux ainsi qu’une structuration politique aux conséquences culturelles et sociales majeures sur les anciens occupants militairement vaincus, on trouve aujourd’hui les Mboum de l’Adamaoua regroupés dans des villages plus ou moins importants. Dans le département de la Vina, ils sont à Ngan-Ha, à Ngaoundéré, à Mbang Mboum, à Ndok Tao, à Belel ; dans le département du Mbéré, on les trouve à Meiganga, à Nyambaka, à Ngahoui. Dans la région du Nord, ils sont à Sora Mboum, à Kouman Manga, à Ngoumi dans le département du Mayo-Rey. C’est dans la région comprise entre Ngaw Pak Hay et le lac Mbalang dans les environs de Ngaoundéré d’une part, et entre la rive droite de la Vina et la série des inselbergs situés au nord d’autre part, que vont régner les Bélàkà jusqu’à l’arrivée des Allemands au début du XXe siècle. C’est aussi dans cet espace que se concentrent les sites archéologiques que nous avons mis au jour. La chefferie mboum de Ngan-Ha est de nos jours considérée comme la capitale des Mboum. À sa tête trône le souverain appelé Bélàkà. Il est considéré comme le descendant de Sara mboum à qui échut le Fà Vbên à gûndày, symbole de l’autorité. La liste généalogique et chronologique de la chefferie mboum de Ngan-Ha fait aujourd’hui état de quarante-sept Bélàkà qui se sont succédé au trône depuis douze siècles. Une chronologie discutable, établie sur la base des témoignages oraux et à partir d’un système de comput original et génial. En effet, à chaque fête rituelle du Mbor Yanga, on mettait une pierre dans un sac pour compter les années, et pour chaque nouveau souverain, il y avait un nouveau sac. Il y aurait eu en 1923, au total 900 pierres et 44 sacs. Si l’on considère que la durée moyenne d’un règne est de 20 ans, on ne peut que conclure à la validité de la chronologie mboum. Évidemment, en 1923, date à laquelle l’administrateur colonial français Bru dressait cette liste, le 44e Bélàkà, Nya Fu Njenreng, régnait. Depuis lors, trois autres chefs ont accédé au trône. Précisons toutefois que les 44 Bélàkà, n’ont jamais régné dans le même village à cause d’une prescription rituelle et contraignante mboum. La coutume mboum défendait formellement le règne successif de deux Bélàkà sur un même territoire.
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Tableau 1- LISTE GÉNÉALOGIQUE DE LA CHEFFERIE MBOUM DE NGANHA N° 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
Noms des Bélàka Nya Sànà Gang Gàbà Séi Gang Kap rà Tèn Dàng Naa Nyassanga Muklay Sel Ambere Mgba Mboum Gna Seb Nden Saw Fu Took Gokor Gang Ndep Hazele Nack Mboum Gang Ngeou Luku Gang Ngueou Njiki Zeya Rujele Nde Jele Ko Mboum Raw Mboum Tour Fu Raw Mboum Sack Mboum
Années de règne 933-968 968-1007 1007-1047 1047-1072 1072-1092 1092-1103 1103-1115 1115-1129 1129-1150 1150-1186 1186-1217 1217-1223 1223-1260 1260-1289 1289-1317 1317-1346 1346-1363 1363-1388 1388-1406 1406-1434 1434-1446 1446-1467 1467-1497 1497-1513
N° 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47
Noms des Bélàka Raw Mboum Raw Nyin Gang Juli Luku Sa ke Sack Mboum Raw Adaba Raw Gna Ruya Say Na Manko Mbouk Rai Mgba Kol Gang Njuli Njiki Koya Mgba Akanjimi Mgba Njona Falbela Hadji Mgba Ndere Nya Fu Njenreng Saw Mboum Rù Ndè Abba Saliou Saoumboum
Années de règne 1513-1532 1532-1539 1539-1544 1544-1572 1572-1613 1613-1640 1640-1651 1651-1653 1653-1687 1687-1736 1736-1757 1757-1786 1786-1807 1807-1817 1817-1824 1824-1854 1854-1870 1870-1887 1887-1907 1907-1931 1931-1977 1977-1997 Depuis 1997
Liste généalogique établie par Bru (1923), revue par André-Michel Podlewski (1989 : 249) et ajoutée par Saliou Mohamadou (2001 : 19). Autrefois, après la mort du Bélàkà, son successeur devait obligatoirement changer de territoire. Le motif avancé était que deux souverains ne pouvaient pas cohabiter. Il se disait chez les Mboum que le chef ne meurt pas. Qu’il se retire tout simplement derrière les montagnes pour se reposer auprès de ses pères après avoir accompli sa mission. Seul son corps quitte les siens. Son esprit restera à jamais avec eux. De ce fait, les villages mboum étaient itinérants. Nous avons recensé dans le pays mboum, une multitude de sites où auraient régné des Bélàkà. C’est le cas de Delbé (dit quartier norvégien), de Ngaw Pak Hay, de Ngaw Hora, de Ngaw Nduru, de Ngaw Dem, de Ngaw Say et de Ngaw Nday. Cette tradition s’estompa avec le règne du Bélàkà Saw Mboum (1931-1977) converti à l’Islam. Le Bélàkà Rù Ndè Abba (1977-1997) qui lui succéda en 1977 ne migra pas non plus. Cette sédentarisation qui s’est manifestée à partir de 1931 est liée à l’islamisation du pouvoir mboum sous le règne du Bélàkà Saw Mboum. Les croyances traditionnelles, notamment la mort virtuelle du Bélàkà, n’avaient plus cours au sein de l’aristocratie mboum islamisée. Par ailleurs, le souci de l’administration coloniale de contrôler les indigènes pour
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les besoins de réquisition de main-d’œuvre et de prélèvement de l’impôt de capitation exigeait pour plus d’efficacité, la sédentarisation de la population et une délimitation précise des frontières des villages. Les migrations mboum, du moins dans leur formule ancienne avaient vécu. La conclusion que l’on peut tirer de ces récits migratoires est que les Mboum ne sont pas les autochtones. De l’est, ils auraient émigré à travers la voie naturelle du Darfour-Kordofan avant d’atteindre le bassin du lac Tchad. Une poussée générale de populations à une époque difficile à préciser provoqua leur repli depuis les régions septentrionales en direction de la Bénoué, puis vers le plateau de l’Adamaoua. S’ils ne sont pas autochtones, les Mboum se sont au moins implantés dans l’Adamaoua depuis longtemps. Les migrations actuelles drainent chaque jour à Ngan-Ha, des populations d’origines diverses. Ce sont les Dii, les Laka, les Mbororo, les Foulbé, les Mafa, etc. Vers 1940, Ngan-Ha fut érigé en canton par l’administration coloniale française après Mbé. Cette décision administrative resta lettre morte, obstruée par la volonté hégémonique des lamibé de Ngaoundéré. En effet, après avoir dépouillé en 1935 les Mboum de leur capitale historique Ngaoundéré, les chefs foulbé n’étaient pas disposés à accepter la promotion administrative de NganHa, nouvelle capitale des Mboum (Muller, 1997 : 67). Toutefois, au courant de la décennie 1980, Ngan-Ha fut promu au rang de chefferie de 3e degré, et le décret n° 2007/115 du 13 avril 2007, l’a érigé en arrondissement et en commune. Le pays mboum est désormais une entité administrative reconnue par l’administration centrale camerounaise. Ce nouveau statut lui permettra sans doute de se développer davantage, d’accueillir d’autres groupes culturels et de les intégrer à l’instar des Dii, installés dans la localité et ses environs depuis plusieurs décennies. L’histoire des Mboum et celle des Dii se recoupent en effet à différents niveaux. Si leurs traditions d’origine et leurs anciens itinéraires migratoires divergent, la conquête peule du XIXe siècle et la colonisation européenne au XXe siècle ont accéléré leur rencontre et favorisé un important brassage culturel et biologique entre les deux peuples. III- TRADITIONS D’ORIGINE ET PEUPLEMENT DU PAYS DII Les Dii sont anciennement installés dans l’Adamaoua. Depuis combien de temps ? On ne le sait pas eu égard aux lacunes documentaires sur les migrations anciennes et au peuplement du Cameroun dans son ensemble. Les Dii sont communément appelés Dourou ou Duru. Cet ethnonyme leur aurait été donné par leurs voisins du Sud, les Mboum, mais personne ne sait véritablement ce que ce mot signifie même en mboum. Les intéressés eux-mêmes se dénomment Dii ou Dii voy. Est-ce le dérivé de Duwi ou Duwi’en des Foulbé ? Difficile de l’affirmer de manière péremptoire. Le terme Dourou proviendrait-il alors de Douri, qui veut dire « durer » ou « mettre long » en fulfulde, une allusion à leur ancienneté sur place avant l’arrivée des Foulbé au XVIIIe siècle ? Est-ce alors
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en souvenir d’un mouvement de population au cours duquel une fraction qui se détacha du groupe décida de s’arrêter en prononçant ces mots : vo dii vo yelei/nous nous arrêtons ici/ d’où serait issu le nom Dii voyo/les Dii/? Un florilège de supputations sans réponses convaincantes. Avant que les Dii ou Dourou ne subissent le commandement de Rey-Bouba au XVIIIe siècle, il semble qu’ils furent établis plus à l’est de la vallée de la Bénoué et fractionnés en différentes tribus (Podlewski, 1971 : 24). Seraient-ils partis de Gudur, cet ancien royaume théocratique enclavé dans les monts Mandara, alors commandé par une caste de forgerons-prêtres, jaloux de leurs prérogatives religieuses, politiques et technologiques et qui connut son apogée entre les XVIe et XVIIe siècles? Les Dii en effet sont partout réputés pour leurs savoirs et savoir-faire en métallurgie du fer. La réduction des minerais de fer par procédé direct et la forge sont au centre de leur vie quotidienne et rituelle au point où la création d’une chefferie dii n’est pas envisageable sans la présence d’un forgeron qui fabrique les couteaux de circoncision, principal rituel des Dii.
Photo 4 : Fête de circoncision à Ngaouyanga, identifiée ici comme étant le « Kongnang, danse des forgerons © Flottum Sverre, 1940, Projet Ngaoundéré Anthropos/Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun). PCD 2968-033.
La dislocation de Gudur amorcée au XVIIIe siècle suite à des dissensions internes et à la contestation du pouvoir autocratique des forgerons aurait-elle un lien avec les migrations des Dii ? Aucune tradition historique dii ne fait mention de Gudur. Des légendes situent l’origine de ce peuple sur une montagne, dans un champ de gombo (Hibiscus esculentus), dans une caverne, dans une
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termitière ou encore au ciel. Une légende plus tenace situe l’origine de tous les Dii sur la montagne Mgbang si/Bansym/Mbang sii (ou montagne de l’invention) qui se dresse à 1597 mètres au sud de Tcholliré. Ils y auraient vécu longtemps, jusqu’au jour où ne pouvant plus supporter les exactions du lamido de Rey-Bouba, ce souverain dévoré par des ambitions hégémoniques et férocement engagé dans l’esclavagisme, ils furent contraints à la fuite. Nos ancêtres vivaient autrefois sur cette montagne nommée Mgbang sii. Ils étaient groupés en un certain nombre de villages tous égaux. Aucun ne commandait l’autre. Lorsque les Peuls de Rey-Bouba sont arrivés, ils voulurent nous conquérir en nous affamant. Ils prirent l’habitude de couper nos récoltes avant mûrissement. Mais nos ancêtres firent des réserves de la céréale Sâd (petit mil ou éleusine), une plante dont les graines sont minuscules et qui est la première culture connue des Dii. Ils mirent ces graines dans d’immenses jarres cachées dans des cavernes et crevasses de la montagne. Ceci en prévision d’un siège, car elles sont imputrescibles. Mais nos ancêtres furent vaincus et se dispersèrent, abandonnant leurs villages où il ne reste plus personne depuis lors (Muller, 1992 : 4).
Si l’origine des Dii reste confuse, les causes de leur implantation dans les différents villages où ils se trouvent actuellement sont bien connues. En effet, le jihad peul au début du XIXe siècle et la pression esclavagiste du lamido de ReyBouba furent les principaux mobiles de leur dispersion. Jean-Claude Muller, anthropologue canadien, est reconnu comme le meilleur spécialiste des Dii. Il a publié d’importants travaux sur ce peuple notamment sur leurs origines, leur organisation politique, leurs rites de circoncision, leurs migrations et leur implantation dans leurs sites actuels entre autres sujets. Les informations cidessous présentées sont extraites de l’une de ses publications sur les rapports entre les Dii, les Foulbé et les Européens : « Merci à vous les Blancs de nous avoir libérés ! Le cas des Dii de l’Adamaoua (Nord-Cameroun) » (1997a), qui a fait l’objet de vives polémiques. Les Dii se concentrent dans plus d’une centaine de chefferies indépendantes d’importance très variable, allant de quelques dizaines de personnes à un millier. Ils parlent plusieurs dialectes géographiquement localisés, bien que les perturbations du siècle dernier aient quelque peu altéré leur carte linguistique. Ces chefferies sont subdivisées en neuf groupes dialectaux : mam bé, mam na’a, mgbang, va’andib, naan, paan, saan, sagzèè et huun. Ils habitent en majorité dans la plaine dii, le long de la route qui suit les contreforts rocheux de la falaise du plateau de l’Adamaoua, au nord de Ngaoundéré, et le long de l’axe Ngaoundéré-Garoua (qui va de la falaise de Ngaoundéré jusqu’au pied de la chaîne qui culmine à Poli). On compte près d’une soixantaine de villages dii le long de cet axe routier, notamment : Waag I et II, Man, Nd’om, Haar, Karna, Mbé, Nyesse, Fubarka, Ngawyanga, Demsa I et II, Gamba, Zabba, Sagzee, Dogoba, Guijiba, etc.
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Une autre fraction des Dii, fuyant le jihad peul des siècles derniers, s’est établie sur le plateau même, à l’est de Ngaoundéré parmi les Mboum dont quelques-uns sont alignés le long de l’axe routier Ngaoundéré-Touboro. Les principaux villages ici sont : Loumonangué, Gambouokouo, Gangassao, Mbang Mboum, Berem, Nom Kandi, Kubajé, Nyassar, etc. Certains villages dii, géographiquement proches de Rey-Bouba se soumirent spontanément devant la violente armée du souverain de Rey. Ceux qui tentèrent de résister furent vaincus et soumis. Les prospections et fouilles que nous avons conduites l’ont été dans la plupart de ces villages. C’est le cas de Mbé, de Sassa Mboersi, de Gu-lil, de Loumonangué, de Gambouokou, de Gangassao et de Yoko vers Touboro. L’axe routier Ngaoundéré-Touboro traverse en effet plusieurs villages occupés, soit par des Dii, soit par des Mboum, soit par des Mbororo ou encore par des Foulbé. La plupart des villages dii, situés le long la route, sont de création récente. Ces agglomérations jouxtent en effet d’anciens villages désertés par des populations fuyant les fantassins et cavaliers foulbé au XIXe siècle. Les restes métallifères éparpillés sur des crassiers à Yoko par exemple, et dont les habitants actuels ignorent les producteurs, étayent cette assertion. Ces vestiges rappellent aussi ceux de Zabba ou Djaba, village dii logé dans la réserve naturelle de la Bénoué, qui fut abandonné aux environs de 1850 par ses habitants, exaspérés et terrorisés par les armées du lamido de Rey-Bouba. Les chefferies dii présentent pour la plupart un modèle commun, basé sur une association de lignages patrilinéaires, patrilocaux et exogames qui ont des fonctions complémentaires à remplir d’un point de vue rituel et pratique. Les Dii expliquent la structure de leurs chefferies de différentes manières, mais ils la justifient généralement par les exigences de la circoncision qui est le rituel le plus important. On dit qu’il faut un chef pour organiser une circoncision, un chef de terre pour balayer et nettoyer le bosquet où se fait l’opération, un ‘circonciseur’ pour la pratiquer et un forgeron pour fabriquer les couteaux de circoncision (les deux offices sont le plus souvent jumelés chez les Dii de dialecte guum, paan et saan). La présence de pasteurs peuls nomades est clairement attestée dans la région dès le XVIIIe siècle. Divers témoignages recueillis insistent sur la bonne entente qui régnait entre les nouveaux venus et les autochtones. Les premiers donnèrent quelquefois du bétail aux seconds en guise de gage d’amitié et une ou deux chefferies prétendent que lors de leur création (qui serait ici tardive si le fait se révélait exact), les habitants du village prièrent même un berger peul particulièrement généreux, qui leur donnait des bœufs à manger, de devenir leur chef afin de continuer à leur dispenser ses bienfaits. D’autres récits de création des chefferies dii indiquent également que c’est, soit un étranger mboum,
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dowayo, yok ou encore non spécifié, soit un villageois autochtone riche et dispensateur de viande et de nourriture qui est élu chef. Ce climat harmonieux dura jusqu’au jihad au début du XIXe siècle. À la suite du Shehu Ousman dan Fodio de Sokoto, quelques chefs de guerre peuls de l’Adamaoua, sous prétexte de convertir les populations païennes à l’Islam, se taillèrent des fiefs pour se procurer des esclaves. Les Dii, selon la région qu’ils habitaient, furent impliqués de plusieurs manières dans ces guerres. Les armées de Yola investirent le massif de Poli et les Dii naan, paan et saan disent tous qu’ils ne résistèrent pas à des gens qui, selon l’expression, les dépassaient, par leurs armes et leur esprit de cruauté. Les habitants du sudouest, la plupart des Dii guum, se soumirent au lamido de Ngaoundéré Ardo Issa (1854-1878). La majorité des Dii mam’bé et mam nà’a qui habitaient près de Tcholliré se trouvèrent face aux armées de Bouba Njidda, lamido de ReyBouba. Celui-ci les employa d’abord à aller capturer des esclaves chez les Laka et les Gbaya. Certains chefs dii collaborèrent volontairement, d’autant plus que le lamido ne leur demandait rien. Mais, lorsque Bouba Njidda se mit à exiger leur conversion ainsi que des corvées et des tributs aux habitants, les Dii réagirent de trois façons. Les uns obtempérèrent et devinrent vassaux, notamment les Dii les plus proches géographiquement de Rey-Bouba. D’autres s’insurgèrent. Ces agitateurs, violemment matés se soumirent. Plusieurs chefferies enfin se retirèrent simplement dans des endroits relativement distants pour se mettre à l’abri des attaques. Ils s’éloignèrent davantage en montant sur le plateau, où ils furent reçus par les Mboum, qu’ils connaissaient bien. À propos des difficiles rapports entre les Dii et le lamidat de Rey-Bouba, AndréMichel Podlewski (1971 : 24-25), raconte ce qui suit. Si j’en crois ce qui m’a été rapporté, on peut bien deviner ce qui a poussé de très nombreux Dourou à s’évader de l’orbite de cette chefferie. Voici (sous toute réserve) quelle était la condition des Dourou de Reï il y a environ trois générations. Toutes les cultures effectuées appartenaient au Baba de Reï. Tous les enfants, dès qu’ils atteignaient l’âge de 10 ou 12 ans, ne devaient plus demeurer auprès de leurs parents et entraient au service du chef. Les uns étaient employés aux travaux suivants : couper des herbes pour les bêtes, puiser l’eau, balayer les cours, faire des fagots de bois, surveiller les enfants de la chefferie. D’autres étaient uniquement chargés de laver les plus belles épouses du chef, ceux-là étaient castrés. Lors de la construction du mur d’enceinte entourant les cases de la chefferie, on emmurait, vivants, sur les pourtours de l’entrée, quatre jeunes gens et quatre jeunes filles. Enfin, en cas de décès du Baba ou de l’un de ses fils, il fallait d’abord enterrer six à huit personnes vivantes pour que le royal défunt repose sur elles. Comme nous l’a si bien rapporté notre enquêteur Bello Salimou sous cette lourde peine, la race Dourou s’est divisée. Les plus nombreux se sont sauvés, alors que les autres essaient de résister encore.
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Les Mboum déjà vaincus par les Foulbé de Ngaoundéré accueillirent quelques fugitifs dii et les mirent en contact avec le lamido de Ngaoundéré, Hama Gabdo qui régna de 1877 à 1887. Il les traita mieux que celui de ReyBouba, mais n’hésita pas à les enrôler dans ses armées pour aller capturer des esclaves en pays gbaya. Les Dii qui se réfugièrent dans le lamidat de Ngaoundéré et qui furent transplantés entre Mbé et Sassa : Mazadu, Ngaw zom, Ngeuseug ngay, Tagbung, Nyaduu, Sassa mboersi, parlent de cette période comme celle d’une collaboration parfaite avec Ngaoundéré et prétendent n’avoir jamais été vaincus ni par le lamido de Rey-Bouba ni par celui de Ngaoundéré et affirment être restés libres jusqu’à l’arrivée des Allemands. Cela est parfaitement vrai, si on raisonne en termes de batailles gagnées ou perdues, mais pas du tout en termes de sujétion politique, car cette liberté dépendait du paiement de tributs et de corvées pour le lamido de Ngaoundéré (Muller, 1997 : 61-63). Entre le lamido de Ngaoundéré et les Dii, il n’eut jamais d’harmonie. L’appétit esclavagiste des Foulbé les poussait toujours vers plus d’exactions envers les émigrés dii qui résistaient, mais étaient loin de présenter un bloc uni face à l’ennemi commun. L’invasion de Mbé par le lamido de Ngaoundéré pour motifs d’insubordination précédée de plusieurs différends provoqua une timide coalition des insurgés contre l’agresseur peul. Si certains Dii restèrent neutres, si quelques-uns renforcèrent l’armée du lamido, d’autres par contre, les Dourou-Mboum, rejoignirent les gens de Mbé sur les massifs avoisinants, et selon une tactique militaire ancestrale, firent rouler des blocs de pierre sur les cavaliers foulbé. Le mot Ngaouyanga qui signifie montagne du cheval, désigne en effet le village où se déroulait cette opération militaire. L’armée du lamido encercla Mbé et lui fit subir un siège de neuf jours. Mais à l’annonce de la mort subite du lamido de Ngaoundéré survenue à l’arrivée des Allemands dans la ville en 1901, le siège fut levé dans la plus grande débandade selon les Dii de Mbé, car les assiégeants quittèrent leur position pour aller voir ce qui se passait dans la capitale. Les Allemands installèrent une Residentur à Ngaoundéré tout en laissant les lamibé administrer leurs fiefs respectifs. Les razzias esclavagistes continuèrent pendant quelque temps encore, nourrissant l’exode continu d’une partie des habitants du lamidat de Rey-Bouba vers celui de Ngaoundéré. L’administration européenne stoppa ces luttes intestines, et avec le découpage administratif issu de cette période, les Dii du canton de Mbé acquirent vers 1940 leur autonomie par rapport aux lamibé de Ngaoundéré et de Rey-Bouba. Liberté acquise au moment même où, ironie de l’histoire, ils entraient de force dans l’ère coloniale européenne avec ses heurs et malheurs. À la suite de la pax germanica, les Dii se livrèrent à leurs activités favorites, notamment la réduction des minerais de fer et la forge. Ils ravitaillèrent ainsi pendant un temps, les chefs de guerre foulbé en armement (flèches, javelots, poignards, lances, grelots, mors, etc.) de même que les chefferies mboum,
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grandes consommatrices de couteaux de jet, de bracelets, de cloches, de trompettes, de gongs, et toute une panoplie d’objets-signes du pouvoir. Pour toutes ces raisons, les ferrons-forgerons dii sillonnèrent tous les villages de l’Adamaoua ou presque pour vendre leurs produits ou se mettre au service des souverains comme artisans de la cour. Il y a eu une grosse migration de forgerons dii chez les Mboum, Gbaya, etc., vivant au sud du Plateau ce qui explique pourquoi il y a aujourd’hui moins de forgerons dii qu’autrefois et pourquoi certains villages n’en ont plus. La fabrication des armes pour les armées peules ayant cessé avec la conquête allemande en 1901, le travail s’est fait plus rare et les conditions économiques, après la pax germanica, devinrent bien meilleures au sud où, vu le manque relatif de forgerons, les prix étaient plus élevés qu’en pays dii, ce qui explique cette émigration (Muller, correspondance privée, Montréal, 03/01/98).
La plupart de ces villages mboum et dii aujourd’hui habités ou désertés, ont été au centre des recherches archéologiques et anthropologiques que nous y avons entreprises en vue d’appréhender les savoirs et savoir-faire de leurs anciens habitants. Objectif similaire assigné à celles conduites à Somié, pays des Mambila ou des pré-Mambila. IV- MIGRATIONS ANCIENNES ET PEUPLEMENT DE SOMIÉ Ce sujet figure parmi les plus controversés de l’histoire des mouvements de populations dans la région de l’Adamaoua et sous-tend dans une large mesure les recherches archéologiques que nous y avons conduites. Plusieurs sites d’occupation ancienne aujourd’hui identifiés à Somié, des étapes migratoires sans aucun repère chronologique conduisant des populations à Somié, convergent dans des récits et écrits sans preuves patentes pour attribuer aux Mambila, la paternité de ces sites et les placent au centre de ces mouvements de populations. Seulement, les dates récemment obtenues à partir de la datation au radiocarbone de quelques sites à Somié, bouleversent les certitudes de jadis sur les séquences chronologiques de l’implantation de ces Mambila dans leur habitat actuel, mais d’autres datations scientifiques suivront nécessairement en vue d’affiner nos connaissances sur le sujet. Les données actuelles sur les traditions d’origine des Mambila sont confuses. Elles trahissent de fait les difficultés qu’il y a dans un contexte où l’oralité est restée longtemps la seule pourvoyeuse de sources, à écrire sereinement une page de notre histoire. Dans le cas des Mambila comme dans celui d’autres peuples du Cameroun, l’accès à leurs origines reste difficile faute de sources fiables. Eldridge Mohammadou (1990 : 337), rapporte que le peuple connu officiellement au Cameroun sous le générique Mambila se donne traditionnellement pour nom Bò Bà, c’est-à-dire les Bà. L’appellation mambila serait d’origine vouté puisque les Vouté appellent les Mambila, Màbìlà,
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appellation transformée par les Foulbé en Mambila. L’avis de Meek est tout autre. The term mambila is stated generally to have been confered by the Fulani. But this can hardly be accepted. The mambila themselves pronounce the word mabila, which is probably a variant of Mbula a common title in Nigeria and meaning the « men ».The title has long been applied by neighbouring tribes to group classed as Mambila and it is no doubt from them that it is has adopted by the Fulani Banyo, who succeed in reducing many of the mambila groups during latter half of the nineteenth century. (Meek 1931 : 532 - 533).
Les Mambila prennent comme point de départ de leur migration vers le Cameroun, le village Mvur situé au Nigeria. Ainsi, les chefferies de Somié, de Songkolong et d’Atta furent selon Eldridge Mohammadou (1990 : 377), créées par des princes venus de Mvur, massif haut d’environ 1800 mètres, et qui forme la frontière entre le Cameroun et le Nigeria. Ce sont les guerres qui les ont contraints à quitter leur habitat traditionnel pour chercher refuge dans ces massifs. David Zeitlyn et Nicodème Mbé et Mial (2000 : 85) estiment que Tous les Mambila qui se trouvent dans la plaine Tikar sont venus du plateau mambila et des régions adjacentes au plateau. Les premiers immigrants se nommaient les Liap et étaient issus d’une région aux alentours des montagnes de Chichale, près de Guessimi. La deuxième vague d’immigration fut celle des Njerup ou Ndeba. La dernière vague d’immigration mambila dans la plaine Tikar a été celle des Mvop qui descendirent de l’escarpement du village de Mvor au sud-ouest de Dorofi. Un groupe des enfants de Tulum (leur ancêtre commun est Mvor) furent les fondateurs des villages de Songkolong, Somié et Atta.
On retient à la lecture de ces relations, un mouvement continu des populations d’origines diverses (Liap, Ndeba, Mvop etc.) quittant l’actuel Nigeria vers le pays Mambila du Cameroun, territoire localisé entre le 6° de latitude Nord et 11° de latitude Est. On remarque aussi que ces migrants éprouvent un attrait pour les massifs, dont ceux qui comportent des abris sous roche constituent des zones refuges par excellence. La descente vers la plaine et les piedmonts s’est faite progressivement quand les razzias cessèrent avec l’intrusion coloniale au début du XXe siècle et quand les terres arables se sont raréfiées en montagne. On observe également chez tous les auteurs, une persistance à attribuer aux Mambila, une origine extérieure, ce qui ne surprend guère : « au demeurant, ici comme ailleurs, la notion d’autochtonie est des plus relatives, car au fur et à mesure que l’on recule dans le temps, l’on constate que les soi-disant « premiers occupants » proviennent en fait d’ailleurs » (Mohammadou, 1990 : 5).
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Si les anciennes migrations des Mboum et des Dii sont relativement bien connues en dépit des mythes et des légendes qui les travestissent et compliquent de fait leur appréhension, celles des autres peuples de l’Adamaoua sont confuses, si elles ne sont pas tout simplement méconnues. Que sait-on finalement des migrations des Mambila, ou encore de celles des Mbéré, des Nizo’o, qui occupent des localités où nous avons mis au jour des sites et des vestiges archéologiques : sites de Ganga I et II chez les Mbéré et site du mont Djim chez les Nizo’o ? Quels raccordements peut-on donc établir entre les vestiges mis au jour dans des sites d’habitation désertés et les peuples actuels habitant ces localités ? Auraient-ils, oui ou non, un lien quelconque avec ces traces? Est-on d’ailleurs habilité à chercher forcément l’établissement de tels liens ? Des mises en garde contre cette pratique sont certes multiples (Maret, 1992 ; Marliac, 1992), mais il y a tout de même lieu de s’interroger sur la paternité ou l’appartenance des vestiges. Ils ne sont pas ex nihilo ! Le cas des Mambila ci-dessus évoqué est à cet effet manifeste dans la mesure où toutes les traditions orales recueillies sont muettes sur la moindre date probable par rapport à leur implantation à Somié par exemple, et où les datations au radiocarbone disponibles, couvrent des séquences chronologiques allant du premier siècle de notre ère (80 AD) jusqu’à la première moitié du XXe siècle, avec bien sûr des périodes vides qui ne sont pas la preuve de l’absence des dates, mais de l’absence des recherches. Qui sont ces femmes et ces hommes dont l’archéologie découvre aujourd’hui les traces à Somié ? Des Mambila ou des pré-Mambila ? Qui sont-ils d’ailleurs ? Toujours des interrogations sans réponses qui démontrent les profondes limites des recherches sur l’histoire ancienne, ainsi que sur les peuples et les cultures du Cameroun. Les différents sites et vestiges archéologiques mis au jour dans l’Adamaoua pourront sans doute contribuer à l’issue des analyses et des interprétations à une relative connaissance de cette riche histoire méconnue et par conséquent inconnue.
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TROISIÈME PARTIE INVENTAIRE DES SITES, ANALYSE DES VESTIGES ET ALERTE SUR LE PATRIMOINE ARCHÉOLOGIQUE
CHAPITRE III INVENTAIRE ET CARACTÉRISTIQUES DES SITES ARCHÉOLOGIQUES DE L’ADAMAOUA * Quand une région est vide sur la carte, il faudrait d’abord savoir si elle est pauvre en témoins archéologiques ou pauvre en prospections et ne pas déduire trop vite que les faits manquent, là où manquent seulement les informations (Quéchon, 2002 : 106).
** Il y a des gisements archéologiques partout, tout est site potentiel, il y a des archives du sol partout, seule la problématique historique et archéologique fait émerger l’objet et sa recherche (Burnouf, 1996 : 129).
I- SITES ARCHÉOLOGIQUES DE L’ADAMAOUA : PRÉSENTATION GÉNÉRALE ET ESQUISSE DES MÉTHODES DE FOUILLE I-1- PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES SITES Ce chapitre, résultat d’une décennie de prospections, présente les sites inventoriés ainsi que les vestiges qui leur sont associés. Tous sont en sursis, sous des menaces d’origine naturelle et anthropique. Les prospections que nous avons conduites dans l’Adamaoua ont permis la mise au jour d’une multitude de sites et d’importants vestiges archéologiques. Les sites sont de quatre types : 1) sites de plein air ou anciens villages dont certains sont fortifiés ; 2) ateliers de réduction de fer ; 3) abris sous roche ; 4) fosses. Les vestiges sont de facture lithique, céramique et métallurgique. Parmi les 150 sites mis au jour entre juillet 1998 et décembre 2008, 50 sites sont classés importants au regard des informations d’intérêt historique qu’ils ont livrées à l’issue des fouilles et des analyses qui les ont suivies. Tous les sites ont fait l’objet d’un sondage. Une centaine environ est passée de priorité moyenne à non prioritaire. Cet important patrimoine archéologique présent sur l’ensemble de la région, atteste formellement que l’Adamaoua n’est pas un vide archéologique, mais l’un des hauts lieux de l’histoire du Cameroun. Les datations au radiocarbone disponibles reculent par ailleurs dans le passé, les périodes de l’occupation humaine dans la région et cautionnent de ce fait certains repères chronologiques sur les migrations anciennes et le peuplement du Cameroun fournis par les témoignages oraux.
L’espace physique de l’inventaire déborde le cadre territorial administratif dit région de l’Adamaoua et serpente, en partie, le couloir de la vallée de la Bénoué dans la région du Nord. L’objectif est d’évoluer dans ce qui convient d’appeler région culturelle afin de prendre en compte les Mboum et les Dii installés depuis longtemps sur l’axe routier Ngaoundéré-Touboro-Moundou (NTM), où nous avons conduit des fouilles préventives. Les Dii de Yoko (vers Touboro), affirment d’ailleurs être les descendants de leurs ancêtres qui partirent jadis de Belel pour s’installer où ils pouvaient produire facilement du fer. Des allusions sont également faites au site de Hosséré Djaba situé à 20 km environ à l’est du village actuel de Djaba, en bordure de l’axe routier Ngaoundéré/Garoua, du fait de sa relation avec les Dii. Hosséré Djaba, en effet, est considéré par les habitants de Djaba comme le village de leurs ancêtres. Il est situé sur un inselberg désigné comme le lieu d’implantation d’une importante chefferie dii qui fut brutalement délogée par l’armée du lamido de Rey Bouba au début du XIXe. Nous y avons fouillé en 2001, un impressionnant crassier dans le cadre du projet interdisciplinaire franco-camerounais « Écologie Historique des Savanes Soudaniennes », associant le CNRS - UMR 8586 (France) et l’Université de Ngaoundéré (Cameroun). Les sites sont présentés par département et en fonction du découpage administratif du territoire national par le décret présidentiel n° 2007/115 du 13 avril 2007. Nous disposons de sites dûment fouillés dans les départements de la Vina, du Mayo-Banyo, du Mbéré et du Faro et Déo. Le Djérem n’est pas représenté. Six sites mis au jour sur l’axe routier Ngaoundéré-Touboro relèvent administrativement de la région du Nord. Le classement des sites tient compte de leurs traits caractéristiques ou typologie : sites de plein air, ateliers de réduction de fer, abris sous roche et fosses. Leur étude permet d’appréhender relativement quelques aspects de la culture matérielle de la région ainsi que le mode de vie de ses anciens occupants. La description des sites met en exergue les éléments suivants : type de site, localisation, date et circonstances de découverte, artéfacts identifiés, traitement du site (pour les sites de l’axe routier NTM), structures fouillées et artéfacts collectés, état de conservation du site, menaces sur l’intégrité physique du site, datations (dans le cas où elles sont disponibles) et interprétations préliminaires. Les datations occupent une place particulière dans la mesure où l’âge est un critère discriminant majeur dans la hiérarchisation des sites archéologiques. Plus un site est ancien, plus il est important. Ceci se justifie par la rareté des sites anciens comparés aux sites récents. Leur mise au jour au mont Ngaoundéré et à Ndeba (Somié) par exemple, constitue une opportunité exceptionnelle d’accès au passé ancien de la région. Le matériel lithique brille par sa rareté dans les sites explorés. Il se résume en trois haches polies de très belle facture, quelques meules dormantes et des percuteurs.
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I-2- DÉFINITION ET FORMATION D’UN SITE ARCHÉOLOGIQUE Que doit-on entendre par site archéologique ? Le site archéologique est le lieu d’enfouissement ou d’engloutissement des vestiges matériels que les chercheurs mettent au jour, analysent et interprètent. Il revêt divers aspects. Peut être considéré comme site archéologique, tout endroit où l’on peut trouver associés, des artéfacts, des structures caractéristiques, des restes minéraux et organiques. Ce sont des lieux où les traces significatives de toute activité humaine peuvent être identifiées. Ainsi, un village ou une ville est un site de même qu’un monument isolé. Une surface occupée seulement pendant quelques heures et où sont éparpillés des pièces lithiques et des fragments de poterie est un site archéologique au même titre que les nécropoles et les pyramides de l’Égypte pharaonique (les buttes ou les tumulus mésopotamiens) vieilles de plusieurs milliers d’années (Renfrew et Bahn 1996 : 46). La formation des couches archéologiques suit la courbe du temps. Les vestiges s’accumulent au fil des saisons et sauf perturbations externes, d’origine naturelle ou anthropique pouvant les déformer ou les bouleverser, les archéologues les trouvent intactes et les fouillent suivant l’ordre du dépôt des couches ou strates. Poireux décrit ci-dessous, la formation d’une couche archéologique. Lorsqu’une maison s’installe sur un site vierge, le sol se couvre peu à peu d’objets ou de restes relatifs à la vie quotidienne des occupants de la maison : ainsi se forme une couche d’occupation. Lors d’une invasion, la maison peut devenir la proie des flammes et ses restes forment alors une couche d’incendie. De nouveaux habitants occupent le site. Chassés à leur tour, ils abandonnent leur maison qui s’effondre et forme une nouvelle couche d’occupation qui se superpose aux précédentes… Le temps accumule verticalement les traces de l’occupation humaine : une superposition de strates de terrain (les couches archéologiques), déformées et bouleversées par des causes diverses, se forme génération après génération et suit rigoureusement le déroulement du temps. Lorsqu’une maison s’installe sur un site vierge, le sol se couvre peu à peu d’objets ou de restes relatifs à la vie quotidienne des occupants de la maison : combustibles, cendres, objets domestiques, os ou monnaies. Cette accumulation d’objets et de déchets forme en quelques dizaines d’années, une couche d’occupation. Au bout de plusieurs générations, la maison est laissée à l’abandon : elle s’effondre très vite et ses débris constituent une couche de destruction où se mêlent tuiles, clous, pierres de construction, briques et bases de murs. Il arrivait aussi que cette maison soit la proie des flammes : la couche d’incendie qui en résultait est facilement identifiable par ses composants carbonisés (Poireux, 1979 : 23).
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I-3- MÉTHODES DE FOUILLE DES SITES INVENTORIÉS Les méthodes de fouille pratiquées obéissent à la typologie des sites. On ne fouille pas un atelier de réduction de fer à l’instar d’une fosse encore que deux fosses peuvent présenter des structures différentes et convoquer des approches de fouille spécifiques à chacune d’elles. Entre 1998 et 2008, nous avons exécuté plusieurs fouilles en fonction de la typologie des sites. Une synthèse des travaux de Philippe Lavachery et Scott MacEachern (2005, Vol I et II), sur les méthodes de fouille, nous permet de présenter ci-dessous les différentes facettes de cet aspect crucial du métier de l’archéologue. 1) Les sites de plein air Les sites de plein air que nous appelons anciens campements ou anciens villages sont caractérisés par des restes de structures organisées (habitations, greniers, foyers). Ils comportent des vestiges d’occupation matérialisés par la présence de pots entiers ou de tessons de poterie, de meules et de broyeurs fragmentés ou entiers. Ce type de site présente en général une extension horizontale significative. À cet effet, les fouilles s’attellent à appréhender les variations horizontales des vestiges archéologiques autant que sur la stratigraphie verticale. L’objectif, en plus de la datation, est d’identifier les différentes structures présentes et les activités exécutées sur le site par ses occupants. 1- Un plan général du site (échelle 1/20ème) est dessiné ; 2- L’espace à fouiller est délimité au préalable par un carré de 1mX1m et élargi progressivement en fonction des potentialités du site ; 3- Le décapage est exécuté en couches horizontales artificielles de 10 centimètres d’épaisseur ; 4- Tous les artéfacts comme le matériel lithique, les tessons de poterie, les scories, les matériaux organiques sont méthodiquement collectés, dont certains sont envoyés aux laboratoires pour des analyses spécifiques en vue des déterminations particulières ; 5- Dans le cas où ils sont présents, le charbon de bois et d’autres matériaux organiques d’origine végétale ou animale sont prélevés pour les datations au radiocarbone et des déterminations spécifiques ; 6- Les grands artéfacts et les structures notamment les fonds de cases et de greniers, ainsi que les pierres du foyer, sont laissés in situ après avoir été dessinés et photographiés ; 7- Les couleurs des sédiments sont déterminées autant que possible avec le Munsell Soil Color Chart ; 8- Tous les artéfacts et échantillons collectés sont marqués selon leur provenance (site, collecte de surface, carré, couche, profondeur, date).
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2) Les ateliers de réduction de fer Les ateliers de réduction de fer sont assez représentés dans l’inventaire. Ils se concentrent essentiellement dans la Vina (Gu-lil, Sassa Mboersi, Loumonangué, et Gangasao) et les plus importants parmi eux, eu égard à la densité et à la diversité des vestiges apparentés aux anciennes structures de réduction du minerai de fer, sont localisés à Yoko, vers Touboro et à Djaba Hosséré, tous des villages dii. La fouille des fours de réduction de fer, au-delà de la datation de la structure (stratigraphie et matériau datable) a pour objectif, l’appréhension les techniques de leur construction, leur méthode de fonctionnement et si possible leur impact sur le couvert végétal environnant compte tenu de leur énorme consommation de combustibles. Les fouilles des fours à réduction de Gu-lil et de Yoko ont requis les applications suivantes : 1- Un plan général du site (échelle 1/20ème) est dessiné ; 2- La fouille est exécutée en couches horizontales artificielles de 10 centimètres d’épaisseur ; 3- Tous les éléments du four (fragments parois, bouts de tuyères, scories…) sont collectés après être dessinés et photographiés ; 4- Tous les artéfacts comme le matériel lithique, les tessons de poterie, les scories, l’outillage métallique (rare) sont collectés pour des analyses spécifiques ; 5- Dans le cas où ils sont présents, les charbons de bois et d’autres matériaux organiques d’origine végétale ou animale sont prélevés pour les datations au radiocarbone et les déterminations spécifiques ; 6- Les couleurs des sédiments sont déterminées autant que possible avec le Munsell Soil Color Chart ; 7- Tous les artéfacts et échantillons collectés sont marqués selon leur provenance (site, collecte de surface, carré, couche, profondeur, date). 3) Les abris sous roche Les abris sous roche sont tous logés au mont Ngaoundéré, à Raou Yon Pou, à Gu-lil et au mont Djim. Ce sont les plus anciennes habitations humaines qui ont également servi comme lieux de refuge aux populations par temps d’insécurité et de violence. Elles y ont laissé des traces, matérialisées par des objets rituels ou d’usage quotidien dont certains sont exceptionnellement bien conservés comme les regalia des souverains mboum de Ngan-Ha alors cachés dans les replis rocheux de Raou Yon Pou. Certaines pièces lithiques mises au jour soulèvent des interrogations quant à leur origine. Est-ce le résultat d’un processus naturel ou est-ce un produit du génie inventif humain ? Trois abris sous roche ont fait l’objet de fouilles. La stratigraphie de ces sites très limités dans l’espace et souvent réoccupés au cours des temps est souvent perturbée. L’analyse de la stratigraphie et l’étude de l’organisation de l’espace occupé sont
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prioritaires lors des fouilles des abris sous roche. Les méthodes suivantes sont appliquées : 1- Un plan général du site (échelle 1/20ème) est dessiné ; 2- L’espace à fouiller est délimité au préalable par un carré de 1mX1m et élargi progressivement afin d’évaluer l’ampleur des dépôts culturels aussi bien verticalement qu’horizontalement; 3- La fouille est exécutée en couches horizontales artificielles de 10 centimètres d’épaisseur jusqu’à l’atteinte de la roche en place ; 4- Toutes les structures significatives sont dessinées et photographiées ; 5- Des échantillons de sédiments de 2 à 4 kilogrammes sont prélevés pour des analyses ultérieures éventuelles ; 6- Dans le cas où ils sont présents, les charbons de bois et d’autres matériaux organiques d’origine végétale ou animale sont prélevés pour les datations au radiocarbone et les déterminations spécifiques ; 7- Tous les artéfacts comme le matériel lithique, les tessons de poterie, les matériaux organiques, les ossements (animaux) sont collectés pour analyses spécifiques ; 8- Les couleurs des sédiments sont déterminées autant que possible avec le Munsell Soil Color Chart ; 9- Tous les artéfacts et échantillons collectés sont marqués selon leur provenance (site, collecte de surface, carré, couche, profondeur, date). 4) Les fosses Deux fosses fouillées figurent dans la liste des sites archéologiques de l’Adamaoua en l’état actuel de l’inventaire. Une à Ngaw Pak Hay et l’autre sur l’axe routier Ngaoundéré-Touboro au lieu-dit PK 158. Pourquoi ces fosses furent-elles creusées ? Le creusement de grandes fosses, manifestement prévues pour un usage étendu dans le temps étant donné l’investissement en labeur pour les réaliser, suggère un habitat permanent. Les comparaisons ethnographiques montrent que ces fosses pouvaient avoir été employées comme puits pour l’eau, pour l’extraction de l’argile, comme silos ou comme latrines. Quand leur fonction initiale était révolue, elles ont été utilisées comme fosses détritiques et c’est en tant que telles que les archéologues les découvrent habituellement… Les fosses sont fouillées en tant qu’unités stratigraphiques homogènes (ensembles clos) considérant que, une fois abandonnées, les fosses ont été rebouchées en très peu de temps et que tous artéfacts contenus dedans sont strictement contemporains. Lavachery et MacEachern, 2005, Vol II : 45 et Vol I : 44.
La fouille de ces fosses prend en compte les modalités opératoires suivantes :
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1- Un plan général du site (échelle 1/20ème) est dessiné ; 2- Le profil de la tranchée où la fosse apparaît est nettoyé ; 3- Le sommet de la fosse est dégagé ; 4- Des plans horizontaux et verticaux de la structure sont dessinés et photographiés ; 5- Le décapage est mené en couches horizontales artificielles de 10 centimètres d’épaisseur ; 6- Des échantillons de sédiments de 2 à 4 kilogrammes sont prélevés pour des analyses ultérieures éventuelles ; 7- Dans le cas où ils sont présents, les charbons de bois et d’autres matériaux organiques d’origine végétale ou animale sont prélevés pour les datations au radiocarbone et les déterminations spécifiques ; 8- Tous les artéfacts comme le matériel lithique, les tessons de poterie, les matériaux organiques, les ossements (animaux) sont collectés pour analyses spécifiques ; 9- Les couleurs des sédiments sont déterminées autant que possible avec le Munsell Soil Color Chart ; 10- Tous les artéfacts et échantillons collectés sont marqués selon leur provenance (site, collecte de surface, carré, couche, profondeur, date). L’Adamaoua reste très inégalement couverte sur le plan archéologique. Les sites inventoriés reflètent très imparfaitement son immense potentiel archéologique en friche. Dans une perspective récapitulative globale, il y a lieu de mentionner que le Djérem ne figure pas dans la liste d’inventaire, non pas parce qu’il est archéologiquement vide, mais à cause de l’absence de recherches. En dehors de quelques tessons et de deux percuteurs ramassés en surface au bord du lac de Tibati et au mont Ngaoundal, c’est le silence. Le Faro et Déo n’est représenté que par le mont Djim où pourtant, un important site de plein air et un immense abri sous roche restent sous-exploités. Le Mbéré reste aux marges des investigations. En dehors des deux plateaux tabulaires de Ganga I et Ganga II, ce vaste département reste méconnu et inconnu sur le plan archéologique. Le département de la Vina est le plus prospecté et le plus fouillé aussi. La raison de cette sollicitude est sans doute liée à sa proximité de l’université de Ngaoundéré, où la quête des chantiers-écoles a dans une large mesure favorisé la densification des prospections. Par ailleurs, les financements de l’université norvégienne de Tromsø à travers l’organisme de coopération scientifique Ngaoundéré-Anthropos, alors piloté par la Pr Lisbeth Holtedahl, ont permis et soutenu les recherches. Le Mayo-Banyo est représenté par une dizaine de sites mis au jour en pays mambila. Grâce au financement du Pr David Zeitlyn du département d’anthropologie de l’université britannique de Kent à Canterbury, le village Somié a bénéficié de plusieurs campagnes de fouilles. Quant aux sites mis au jour sur l’axe routier Ngaoundéré-Touboro au cours des
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fouilles préventives, nous sommes redevable du financement du Fonds européen pour le développement. L’archéologie dans l’Adamaoua est donc entièrement tributaire de la coopération internationale. La contribution nationale reste attendue pour la mise au jour des vestiges qui sommeillent encore dans le sol de nombreux sites, malheureusement en sursis. II- DESCRIPTION GÉNÉRALE DES SITES II-1- LES SITES DU DÉPARTEMENT DE LA VINA II-1-1- SITES DES ARRONDISSEMENTS DE NGAOUNDÉRÉ 1- MONT NGAOUNDÉRÉ Description du site - N 7°18’ et E 13°33’. Ngaw Ndéré (« montagne du nombril », allusion à la morphologie des rocs qui surplombent la montagne et ressemblent, selon la tradition orale, au nombril du plus vieil occupant de la montagne avant l’arrivée des Foulbé). Le mont Ngaoundéré est un formidable chaos granitique, truffé d’abris étanches et culmine à 1298 m d’altitude. Ce site archéologique fut mis au jour pendant nos prospections générales dans la Vina en juillet 1995 en vue de l’identification d’un chantier-école. Nous l’avons revisité plusieurs fois ensuite jusqu’en 2010. On y observe d’énormes blocs de granite émergeant d’un terrain fortement accidenté au potentiel agricole cependant avéré. Sur le sol, on observe directement, des centaines de tessons de poterie en contexte secondaire, excavés par des labours et dispersés sur les flancs du mont. Des restes de structures de case, le matériel de broyage sur granite, sont également visibles en plein air. La montagne compte quatre abris sous roche, mieux des cavités rocheuses, d’accès difficile. Site éponyme de la ville de Ngaoundéré, il était encore habité il y a 50 ans environ de l’avis des informateurs. Artéfacts collectés- Les vestiges collectés dans ce site depuis 1995 sont constitués de centaines de tessons de céramique, ramassés en surface et extraits des strates lors des sondages et des fouilles. Ils sont de tailles variables, avec des décors imprimés à la roulette gravée ou à la cordelette tressée. Les bords des pots supposent des vases fermées et ouvertes. Les tessons de poterie constituent les documents les plus communs rencontrés dans tous les sites de la région. Pourquoi ? « Leur abondance, leur excellent pouvoir de conservation et, surtout, la très forte variabilité liée à la plasticité de l’argile qui, permettant une infinité de réalisations tant techniques que morphologiques ou stylistiques, en font un matériau de premier ordre pour l’archéologue ... Pour de nombreux auteurs, la poterie est en effet considérée comme un médium de premier choix pour qui veut étudier les sociétés préhistoriques » (Langlois Olivier). L’acidité du sol a altéré la surface de la plupart des tessons de poterie et dégradé leurs motifs. Les céramiques ayant des décors encore lisibles sont rares. Des meules mobiles, entières ou fragmentées sont en place. Un biface en granite a été
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ramassé dans un abri sous roche. Certaines pièces lithiques mises au jour dans cette montagne soulèvent cependant des interrogations quant à leur origine et à leur typologie. Les tranchants fortement émoussés ne permettent pas de se prononcer facilement sur leur identité véritable. S’agit-il de fragments rocheux détachés de la voûte supérieure des cavités rocheuses ou d’outils fabriqués par l’homme?
Photo 5 : Une vue du mont Ngaoundéré : 1298 m. Chaos granitique avec des abris sous roche jadis habités. Les dates au C14 indiquent une occupation dès le 1er millénaire BC qui probablement continue jusqu’au XXe siècle. © Nizésété, 2007.
Chronologie - Les échantillons de charbon de bois prélevés dans deux abris sous roche du mont ont fourni les dates au C14 ci-dessous reportées. Ces dates indiquent une présence probable humaine sur la montagne au début du premier millénaire de notre ère (BC 1000-840 BC) et une autre entre les XVe et XVIIe siècles. Elles sont obtenues dans deux gisements seulement et de ce fait, sont peu représentatives par rapport à l’immensité du site. Par conséquent, il n’est pas aisé de conclure s’il s’agit d’une occupation ancienne et continue ou d’une occupation ancienne et discontinue. Si ces dates ont déjà le mérité d’être disponibles au regard du coût de leur réalisation, depuis les fouilles jusqu’au calibrage, de nouvelles recherches et d’autres datations sont requises pour interroger sereinement le passé de la Vina et de l’Adamaoua.
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Interprétation - Le mont Ngaoundéré, en dépit des réserves ci-haut formulées sur les dates, est un milieu anciennement habité au regard de la chronologie et la typologie des artéfacts observés sur le site : pierre polie, percuteurs, tessons de poterie, meules et molettes, structures de cases, amas cendreux. Seuls les indices de la métallurgie du fer sont absents. Les motifs des tessons sont caractéristiques du style régional. On les retrouve également sur la céramique des sites voisins, notamment à Ngaw Nday et à Ngaw Hora. Habitat et 'site-refuge', le mont Ngaoundéré selon les témoignages oraux, a vu défiler des populations d’origines diverses, notamment les Mboum, les Dii et les Laka fuyant les raids esclavagistes foulbé aux XIXe-XXe siècles. Si les datations absolues encore très insuffisantes ne confirment aucune présence humaine en ces siècles, de nouvelles recherches contribueront sans doute à élucider cette assertion. Tableau 2- Dates au radiocarbone des abris sous roche du mont Ngaoundéré
Datations radiométriques réalisées au laboratoire de Trondheim en Norvège LABORATORIET FOR RADIOLOGISK DATERING Adr. : NTNU - Gloshaugen, Sem Srelandsv. 5, 7034 Trondheim Telefon 73593310 Telefax 73593383/Oppdragsgiver : Bertelsen, Reidar nst. for arkeologi/UiT, 9037 Tromsǿ DATERINGSRAPPORT/ DF-3188 : 22 May 2001 Laboraloriet for Radiologisk Datering/Pål Johan Svanem & Steinar Gulliksksen Références Références Nature Poids Âge BP Âge C 14 calibré laboratoire échantillons échantillons échantillons TUa 2298 Ngaoundere 3 Charbon / 2790 ± 60 BC 1000-840 de bois Ier mil. BC Mont Ngaoundéré DATERINGSRAPPORT/ DF-3188 : 22 June 2001 Laboraloriet for Radiologisk Datering/Fred H. Skogseth & Steinar Gulliksksen Références Références Nature Poids Âge BP Âge C 14 laboratoire échantillons échantillons échantillons calibré Ngaoundere 1 Charbon 3.8g T-15234 460 ± 70 AD1415-1480 Mont Ngaoundéré de bois XVe s. Ngaoundere 2 Charbon 6,5 g T-15234 380 ± 75 AD1440-1640 Mont Ngaoundéré de bois XVIe-XVIIe s. Ngaoundere 4 Charbon 2,2 g T-15234 430± 70 AD1430-1620 XVIe - XVIIe Mont Ngaoundéré de bois s. Ngaoundere 5 Charbon 3,0g T-15234 405± 70 AD1435-1630 Mont Ngaoundéré de bois XVe-XVIIe s.
État de conservation du site - Le site subit un vandalisme particulièrement agressif. Le mont Ngaoundéré est devenu au fil des années, un immense champ de sorgho, un terrain de sport et un haut lieu de prière. L’espace initialement délimité pour les travaux pratiques d’archéologie a été saccagé par les
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cultivateurs. Les restes des ripailles des excursionnistes (boîtes de conserve vides, capuchons et papiers plastiques usagés, fèces abondantes, etc.), polluent le site. Les parois rocheuses affichent des graffitis vulgaires aux contenus franchement obscènes. Des maisons d’habitation prennent d’assaut la montagne avec un dynamisme surprenant. Diverses requêtes déposées auprès des autorités municipales de la ville de Ngaoundéré pour la préservation de ce site sont restées sans suite.
Schéma 1- Coupe archéo-pédologique du « Sondage 1 » réalisé au mont Ngaoundéré en mai 1998. Le charbon de bois prélevé entre 2, 20-2,25 m de profondeur (couche C 103) et calibré à Trondheim (Norvège) en mai 2001, est daté de BC 1000-840.
2- NGAW HORA Description du site - N 7° 24 et E 13° 37’. Ngaw Hora signifie « montagne du feu » en souvenir du puissant fétiche mboum au corps de feu, qui les abandonna pour haute trahison et se retira sur cette montagne située à Ngaoundéré. Eldridge Mohammadou (1990 : 116) le signale comme un ancien village mboum. Il a été prospecté en avril 2000 dans le cadre de notre programme d’inventaire des sites archéologiques de l’Adamaoua et visité plusieurs fois après jusqu’en 2006. C’est un vaste plateau au sommet tabulaire qui culmine à 1300 mètres d’altitude. L’accès à ce site rendu difficile par un
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raide escarpement, l’a pendant longtemps préservé des excursions des sportifs du dimanche et du piétinement des bœufs. Mais, la plupart des vestiges sont loin d’être encore en contexte primaire au regard des labours récents. Des structures de cases, des fragments de meule, des tessons de poterie et des scories sont disséminés sur de vastes étendues couvertes de broussailles. Artéfacts collectés - Ils sont constitués des tessons de céramique ramassés en surface et extraits des strates à l’issue des sondages et des fouilles. Ils sont de tailles variables avec des décors essentiellement imprimés. Sont également présentes, des meules mobiles entières et fragmentées, des molettes et des scories. Chronologie- Les charbons de bois prélevés dans le site en mars 2007 n’ont guère été proposés à la datation au C14 à cause des contraintes logistiques. L’histoire du site, racontée par les traditions historiques des Mboum, suppose une occupation entre la fin du XVIIIe et le début du XXe siècle. Interprétation- Ngaw Hora veut dire la montagne du feu. C’est le lieu mythique où, selon la légende, Fà Vbên à Gûndày, le plus puissant des fétiches des Mboum qui échut au Bélàkà mboum et assura leur suprématie sur les autres tribus lors de leurs grandes migrations, les quitta par la faute d’une femme du Bélàkà, qui ouvrit le sac contenant le fétiche en dépit des interdits formels requis à ce sujet. Furieux, Fà Vbên à Gûndày enflamma la case où il était enfermé et sous la forme d’une boule de feu, s’envola et vint se tapir au faîte d’un arbre sur une montagne qu’on dénommera Ngaw Hora, localisée à l’est de Ngaoundéré. Malgré les sacrifices, Fà Vbên à Gûndày, abandonna les Mboum. Livrés sans défense aux Foulbé, ils les domineront au XIXe siècle (Mohammadou, 1990 : 122-123). Ce mythe situe ainsi l’occupation de Ngaw Hora à partir de la première moitié du XIXe siècle. État de conservation - La difficulté d’accès au site et son caractère sacré en tant que haut lieu de l’histoire des Mboum, l’ont jusqu’à présent épargné du vandalisme. Mais, les labours s’intensifient au piedmont et les constructions des maisons d’habitation prennent d’assaut la montagne, dans un contexte d’urbanisation anarchique et de démographie galopante, dans cette ‘ville carrefour’ et universitaire. 3- NGAW NDAY Description du site - N 7°17’ et E 13°37’. Ngaw Nday est un abri sous roche peu étanche. Ce massif qui culmine à 1324 m d’altitude est situé au quartier Burkina dans la ville de Ngaoundéré. Il s’aligne sur la ceinture granitique de Ngaoundéré. Ce site archéologique fut mis au jour pendant nos prospections générales dans la Vina en décembre 1996, et visité plusieurs fois après jusqu’en 2007. La cave rocheuse, très peu étanche est riche en tessons de poterie. Il y a une forte probabilité que ces vestiges aient été entraînés à cet
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endroit par les eaux de ruissellement. Une importante activité agricole se pratique actuellement aux alentours du site. Artéfacts collectés- Les vestiges collectés sur place sont divers : tessons de céramique avec des motifs décoratifs d’une grande diversité, instruments de broyage fragmentés, scories en aiguille et bouts des tuyères scoriacés. Chronologie- Les échantillons de charbon de bois prélevé dans le site en mars 2007 n’ont guère été proposés à la datation au C14 à cause des contraintes logistiques. Les informations orales recueillies considèrent ce site comme un ancien habitat mboum devenu ensuite une aire de transaction d’esclaves entre le lamido de Ngaoundéré et les commerçants haussa et bornouans au milieu du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Interprétation- Ngaw Nday est un abri sous roche qui devait être sporadiquement occupé au regard de l’étanchéité partielle des lieux. Il est aussi anciennement habité compte tenu des vestiges céramiques collectés qui, de par leurs motifs décoratifs, ressemblent à ceux issus du mont Ngaoundéré voisin et qui datent du XVe siècle environ. La tradition décorative des poteries du mont Ngaoundéré se serait-elle répandue ailleurs pour se poursuivre jusqu’au début du XXe siècle comme le démontrent des tessons récents issus des sites environnants? Est-ce que les techniques circulent ou ce sont les artistes qui voyagent? Ngaw Nday en fait, ne serait qu’un village mboum parmi une série recensée dans l’espace ngaoundérien dans la mesure où selon la coutume alors courante, à la mort du souverain mboum, tout le village se déportait vers un nouveau site, emportant avec lui ses savoirs et ses savoir-faire, qui naturellement n’étaient pas exempts de dynamisme. État de conservation- Le site est très perturbé par les labours et l’extension des espaces d’habitation. Burkina, quartier le plus populeux de Ngaoundéré est saturé et chaotique. Un véritable labyrinthe. Les versants rocheux sont pris d’assaut par des migrants qui défient les risques d’éboulement. Les sites sont partout saccagés et les vestiges placés en contexte secondaire. 4- NGAW NDURU Description du site - N 7°’23’ et E 13°42’. Ngaw Nduru, signifie « montagne de la trompette », un objet-signe du pouvoir du Bélàkà. Il figure parmi les anciens villages des Mboum. Il a été prospecté en avril 1997 et visité plusieurs fois après jusqu’en 2008, dans le cadre de notre inventaire des sites archéologiques de l’Adamaoua. Plateau rocailleux au sommet tabulaire perché à 1234 mètres d’altitude, l’accès est particulièrement pénible à cause d’une pente abrupte et raide tapissée de caillasses. Artéfacts collectés- Les vestiges matériels sont rares au sommet. Les tessons de céramique sans décor abondent au piedmont.
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Chronologie- Le charbon de bois et aucun autre matériau organique n’ont été prélevés en dépit de quatre sondages pratiqués en 2008. Stérilité des couches qui n’a guère encouragé l’ouverture d’une fouille. L’absence de tessons de poterie décorés n’autorise aucune comparaison avec les motifs observés sur la céramique archéologique des sites voisins. Les vestiges sont tous en contexte secondaire. Les témoignages oraux stipulent que ce site fut occupé par des Mboum avant leur installation définitive à Ngan-Ha au début du XXe siècle. Interprétation- Ngaw Nduru est un ancien village mboum d’après leurs traditions historiques. État de conservation- Site sérieusement perturbé, Ngaw Nduru est en sursis. Il est devenu progressivement une carrière d’extraction de moellons et un immense pâturage. 5- NGAW PAK HAY Description du site - N 7°18’ et E 13°41’. Ngaw Pak Hay signifie « montagne de la maison de la viande, ou encore lieu de conditionnement de la viande du Bélàkà ». Il est signalé par Mohammadou Eldridge (1990 : 115) comme un ancien village mboum. Il fut prospecté dans le cadre de nos inventaires des sites archéologiques dans la Vina en avril 1997, et visité plusieurs fois après jusqu’en 2008. Ngaw Pak Hay est un vaste plateau au sommet tabulaire culminant à 1231 mètres d’altitude. Site très rocailleux par endroits, ce qui n’empêche pas l’intensification des labours. On y observe un alignement de pierres qui auraient servi d’enclos de bétail. L’exploitation massive de pierres par des carriers menace l’intégrité du site. Artéfacts collectés - Sont disponibles : des tessons de poterie avec décors par impression à la cordelette tressée, des fourneaux de pipes, des scories, des bouts de tuyères rubéfiés, des meules mobiles, ainsi que des molettes entières et fragmentées. Chronologie - Des charbons de bois prélevés en février 2008 dans deux sondages n’ont pas été proposés à la datation au C14 à cause des contraintes logistiques. La chronologie relative estimée à partir du mobilier trouvé sur place et les traditions historiques mboum indiquent une occupation vers le XVIIIe siècle. Ngaw Pak Hay est considéré comme l’un des plus anciens villages mboum. Les vestiges céramiques ont des motifs semblables à ceux observés au mont Ngaoundéré et à Ngaw Nday. Interprétation - À Ngaw Pak Hay, selon les informations orales recueillies, la viande des souverains mboum était séchée et conservée. Aucune preuve archéologique ne confirme cette assertion. Les vestiges matériels sont divers et consistent en fragments de poterie, matériel de broyage, scories, structures de pierres disposées en forme circulaire. Ces structures auraient-elles servi à des opérations rituelles ou au séchage de la viande?
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État de conservation - Site très perturbé par les labours et l’extraction des pierres pour les travaux publics et privés. Les alignements de pierres sont saccagés par les hommes et le bétail. Les vestiges ne sont plus dans leur contexte initial. 6- NGAW SEY OU NGAW SAY Description du site - N 7° 21’ et E 13°’42’. Ancien village mboum signalé par Eldridge Mohammadou (1990 : 115). Prospecté dans le cadre de nos inventaires des sites archéologiques dans la Vina, il a été visité en avril 1997 et plusieurs fois après jusqu’en 2008. Site de plein air, localisé en montagne, il culmine à 1231 mètres et est couvert d’une végétation clairsemée. Le site présente un alignement de pierres disposées à la manière des fondations d’une muraille. S’agit-il des restes d’enclos de bétail ? Dans tous les cas, ils constituent les traces évidentes d’un village abandonné. Artéfacts collectés - Sont disponibles : des tessons de poterie décorés et des fourneaux de pipes. Chronologie - Aucun échantillon de charbon de bois ou de matériau organique n’a été prélevé des strates pour datations. Les sondages réalisés se sont avérés stériles. Les motifs décoratifs observables sur quelques tessons sont semblables à ceux observés sur les vieilles poteries du mont Ngaoundéré, Ngaw Nday et Ngaw Hora. Interprétation - Ngaw Say fait partie des anciens villages habités par les Mboum avant leur installation définitive à Ngan-Ha au début du XXe siècle, selon leurs traditions historiques. Les vestiges matériels collectés connotent avec la pratique de la poterie ainsi que les activités agricoles et pastorales. État de conservation - Le site est actuellement cultivé, régulièrement fréquenté par les bœufs, brûlé saisonnièrement par les feux de brousse et raviné pendant les pluies par le torrent. Les trois arrondissements de Ngaoundéré abritent d’autres sites situés en montagne, à l’exemple de Mbalang ou Ngaw Mboultama et de Ngaw Dém. Des centaines de tessons de céramique sont dispersés sur ces espaces actuellement labourés. Les prospections et les sondages effectués en février 2007 ont permis la collecte de molettes, de tessons de poterie décorés, de fragments de pipe et de scories. D’autres sites listés dans l’inventaire de la Vina sont localisés non plus dans des espaces montagnards ruraux comme c’est le cas pour tous les sites ci-dessus énumérés, mais se trouvent plutôt au centre urbain. C’est le cas de BamiangaAmerica et de Yarmbang, qui sont des quartiers de la ville de Ngaoundéré. Des sites archéologiques de grand intérêt y ont été mis au jour au cours de nos prospections entre 1998 et 2008. Ce sont essentiellement d’anciennes
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habitations pavées de milliers de tessons de céramique. Au cours des saisons pluvieuses de 1998 à 2001, les rues lessivées et ravinées par le torrent laissaient apparaître des bords de jarres enfouies. À Bamianga-America, la construction du siège de l’organisme américain Peace Corps a irrémédiablement détruit un magnifique site archéologique. Aucune fouille de sauvetage n’a précédé les terrassements et par conséquent, de nombreux vestiges matériels excavés, sans façon, jonchaient le sol en 1998 lorsque nous fûmes mis au courant du sinistre. Aucun objet ne fut prélevé dans les conditions scientifiques requises. Les artéfacts collectés en contexte secondaire étaient constitués de nombreux tessons de céramique décorés, plusieurs fourneaux de pipes, des molettes en granite. Aucune datation n’a été effectuée. Ce site n’existe plus. Yarmbang est le quartier du lamido de Ngaoundéré. Il est habité depuis le XIXe siècle au moins, puisque Ardo Issa (ca1830-1874), grand guerrier peul et véritable bâtisseur du lamidat de Ngaoundéré, y construisit son palais. Aucune surprise qu’on y trouve des vestiges d’intérêt archéologique. À l’entrée du palais, nous avons identifié en 1998, une ancienne nécropole, matérialisée par l’affleurement des ossements, des bords de jarres probablement funéraires, des amas cendreux et des charbons de bois. Aucun sondage n’a été possible sur le site en dépit d’une demande adressée à cet effet aux autorités traditionnelles. Je fus alors « prié de laisser les morts se reposer en paix et de pouvoir répondre le moment venu de leurs actes sur terre avec tous les objets qui les accompagnent ». Quel est l’âge du site ? Est-ce une nécropole musulmane ou un cimetière antérieur à l’islamisation survenue au début du XIXe siècle ? Estce lieu d’inhumation commun ou familial ? Des questions qui resteront sans réponse. Sur le site, des bâtiments en béton armé ont été récemment construits pour abriter les services d’une organisation caritative. Nous avons ainsi présenté les sites archéologiques les plus représentatifs parmi la quarantaine identifiée dans la ville de Ngaoundéré et ses environs immédiats. Leur exploitation pour une meilleure connaissance de l’histoire locale reste très limitée du fait de l’absence des dates sur plusieurs sites, de la pauvreté des vestiges matériels collectés, ceux-ci étant limités aux tessons de poterie et aux scories en très mauvais état de conservation des sites. L’ensemble de ces sites est en sursis. Tous sont menacés de destruction à court terme par les hommes et le bétail alors qu’ils sont loin d’avoir livré l’essentiel de leurs messages. II-1-2- LES SITES DE L’ARRONDISSEMENT DE NGAN-HA 1- NDJOCK NANG Description du site - N 7°26 et E 13°58. Ancien village mboum, Ndjock Nang est un site très connu des habitants de Ngan-Ha. Il est signalé dans les
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études de Podlewski (1978) et de Mohammadou (1990 : 116). Nous l’avons prospecté en octobre 1995 en compagnie de deux collègues norvégiens, Reidar Bertelsen et Petter Maulog, intéressés par la sauvegarde et la valorisation du patrimoine culturel mboum. D’autres prospections ont suivi en 1997, 2001, 2003. En 2004, nous avons confié ce site et tous les autres mis au jour à NganHa, à une jeune chercheuse pour des travaux approfondis. Nous l’avons revisité en 2009. Le site situé à une altitude de 700 mètres est très remanié. Des fonds de greniers, des tessons de poterie apparaissent en surface dans un paysage de savane arbustive où poussent : Borassus aethiopum, Daniellia oliveri, Burkea africana, Monotes kerstingii, Terminalia laxiflora et Prosopis africana, régulièrement agressés par les feux de brousse. Chronologie- Les traditions historiques mboum situent sa fondation probable au milieu du XIXe siècle par le Bélàkà Falbella (1854 -1870). Village ensuite déserté après la mort du Bélàkà conformément à l’ancienne tradition mboum. Interprétation - Ancien village déserté et réoccupé. Le matériel céramique ramassé en surface et issu des sondages présente des motifs différents de ceux observés sur les tessons de Ngaoundéré. Des fourneaux de pipes sont présents. Que fumait-on ? Du tabac ou autre produit ? Qui fumait ? État de conservation - Site actuellement habité par une dizaine de familles. Les endroits délimités pour les sondages et les fouilles sont protégés des labours par un interdit du Bélàkà Saliou Sawboum de Ngan-Ha. 2- GROTTE DE RAOU YON POU Description du site - La grotte de Raou Yon Pou est un haut lieu de l’histoire des Mboum. C’est une impressionnante et imposante masse rocheuse, riche de nombreux abris affectueusement appelés chambres par les Mboum. Raou Yon Pou est plus qu’une simple grotte ou un grand abri rocheux. C’est un lieu sacré. On y gardait les Fè Mboum ou choses sacrées des Mboum, qui servaient à l’intronisation du nouveau Bélàkà et à la célébration de la fête du Mbor Yanga, fête des prémices et fête du Nouvel An mboum. Après la conversion à l’Islam du Bélàkà Sawboum vers 1931, c’est à Raou Yon Pou qu’on cacha les Fè Mboum. Désormais considérés comme des fétiches, ils étaient menacés de destruction par de nouveaux convertis animés par un prosélytisme débordant. En 1994, ces choses des Mboum furent ramenées au village où elles sont conservées dans un petit musée ethnographique et archéologique construit par les Norvégiens dans le cadre du programme scientifique Ngaoundéré-Anthropos. Le paysage est très arboré avec d’importants peuplements d’Isoberlinia docka, de Borassus aethiopum, de Daniellia oliveri et de Burkea africana. Le site très giboyeux attire de nombreux braconniers.
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Artéfacts collectés - La grotte a fait l’objet de plusieurs fouilles clandestines depuis qu’on y a signalé en 1993, la cache des Fè Mboum. Des chercheurs de trésors y ont ramassé divers objets, dont plusieurs selon divers témoignages concordants, ont été vendus aux collectionneurs européens. Nous avons prospecté le site en 1995 et 2001. De nombreux tessons de poterie richement décorés ainsi que des fragments de pipe et de jarre cassées ont été collectés. Les techniques de décoration des céramiques sont variées et vont de la cordelette tressée à la roulette gravée ou sculptée. Des éclats de quartz ont été aussi enregistrés. Des couteaux de jet (Hâ), forgés avec du fer localement produit, ont été mis au jour. Tous ces vestiges sont conservés au musée de Ngan-Ha.
Photo 6- Prospection d’une cavité rocheuse à Ngan-Ha © Nizésété, 2001.
Chronologie- Les sondages pratiqués ont livré du charbon de bois et des matériaux organiques qui n’ont pas malheureusement fait l’objet de datations. Ce site semble avoir fait l’objet d’une occupation successive depuis plusieurs siècles et la plus récente date du XIXe siècle, période où les objets rituels mboum furent cachés. Interprétation- Les grottes ont longtemps constitué un repaire pour les animaux et un abri pour les hommes. Celle de Raou Yon Pou ne fait pas exception. Elle fut probablement utilisée comme refuge de courte durée lors des expéditions de chasse ou de cueillette des fruits et des feuilles, avant de servir de sanctuaire aux objets cultuels. Les artéfacts comme le matériel lithique, la poterie et les objets métalliques y sont rares.
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État de conservation- L’accès à ce chaos granitique rendu difficile par un escarpement raide, ainsi que le caractère sacré du site, s’ils ne l’ont pas intégralement épargné du vandalisme, ils l’ont protégé du grand saccage observé sur certains sites. 3- NGUILANG Description du site- N 7°26 et E 13°58. Le site culmine à 1732 mètres d’altitude. Le paysage est très arboré avec un important peuplement de rôniers. C’est un ancien village mboum. On y observe des structures de cases et les traces d’organisation et la spécialisation de l’espace habité. D’accès pénible, les bœufs n’y accèdent pas encore et son éloignement du village retarde encore la création des champs. D’importants blocs de granite et de basalte et de lourdes meules dormantes veillent sur le site. Artéfacts collectés : tessons de céramique, pipes décorées, meules mobiles, molettes. Chronologie : Des échantillons de charbon de bois issus de deux sondages organisés en 2001 n’ont jamais été datés. Les traditions historiques mboum situent sa fondation probable au milieu du XIXe siècle. Village ensuite abandonné après la mort du Bélàkà conformément à l’ancienne tradition locale. Interprétation- Ancien village. Les blocs de pierre qui encadraient le village sont encore visibles. L’espace habité était organisé en quartiers spécialisés. État de conservation- Site actuellement préservé contre les agressions d’ordre anthropique du fait de son éloignement du centre de Ngan-Ha. Son potentiel archéologique est avéré. Des fouilles de grande ampleur y sont programmées. Ngan-Ha abrite d’autres sites archéologiques de grande importance qui doivent nécessairement faire l’objet de fouilles et d’analyses d’éventuels vestiges. Il s’agit de Demwan, de Ngaw Kaka et de Ngaw Sopir. Ce sont tous d’anciens villages mboum selon des informations orales que confirment les vestiges matériels observés sur ces sites : tessons de poterie, meules dormantes et mobiles. Les traditions historiques mboum rapportées par Eldridge Mohammadou indiquent que Ngaw Kaka fut fondé par le Bélàkà Mgba Kol (vers 1756-1786). C’est un site de montagne qui culmine à 1863 mètres d’altitude. Le paysage très arboré comporte un important peuplement de Borassus aethiopum ou rôniers. Les tessons de céramique sont disséminés sur le site. Meules et molettes ne sont pas rares. Le site est assez bien conservé parce que difficile d’accès. Les bœufs et les paysans ne l’ont pas encore agressé. Le sol renfermerait encore des vestiges en contexte primaire.
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Demwan aurait été fondé par le Bélàkà Ngba Ndéré vers 1887 selon Eldridge Mohammadou (1990 : 116). Il est aujourd’hui abandonné, colonisé par une savane arbustive dominée par des rôniers et des champs de sorgho. Des tessons de céramique sont visibles au sol. Il est désormais difficile d’apprécier la répartition des anciennes zones d’habitation. Au regard des menaces qui pèsent sur le site, des fouilles préventives sont indiquées. Ngaw sopir aurait été fondé par le Bélàkà Nya Fu Djereng vers 1907 (Podlewski, 1989 : 249). Le paysage est dominé par des ligneux et des rôniers. Des tessons de poterie et des meules mobiles sont observables dans ce site où nous avons pratiqué trois sondages en 200 concluants. Le site est assez bien conservé. Les sites de Ngan-Ha sont en général mieux préservés de la destruction par rapport à ceux de Ngaoundéré et de Mbé grâce aux mesures spéciales prises par le Bélàkà Saliou Sawboum, qui y a interdit la pratique des labours. Les vestiges archéologiques restent peu diversifiés (meules mobiles et dormantes, broyeurs, tessons de poterie décorés aux motifs diversifiés, fragments de pipe). Les Fè Mboum intentionnellement conservés dans les replis rocheux de Raou Yon Pou et dans d’autres abris et ramenés au village en 1994, constituent des documents matériels exceptionnels. Longtemps protégés dans la grotte par une température ambiante et constante, le déménagement et l’exposition de ces objets en bois, en métal et en paille dans une case inadaptée à la conservation, accélèrent leur dégradation. L’urgence d’une opération muséographique s’impose pour préserver ces objets de mémoire mboum. II-1-3- LES SITES DE L’ARRONDISSEMENT DE MBÉ 1- GU-LIL OU NGAW-LEL (Mbé) Description du site - Gu-lil ou Ngaw-Lel, localisé dans les environs de Mbé, capitale des Dii de la plaine située sur l’axe routier Ngaoundéré-Garoua, est un site complexe où les vestiges caractéristiques d’un ancien village se mêlent aux restes métallifères. Il a été mis au jour en août 1997 au cours de nos recherches sur la paléométallurgie dans l’Adamaoua. On y observe une importante concentration de tessons de poterie, des cercles concentriques de pierres, des fonds de greniers, des instruments de broyage, les restes de fond d’un four à réduction, une nécropole et des jarres rituelles. Le paysage est très arboré et l’accès au site est rendu difficile par une pente raide. Le pullulement d’insectes d’une grande diversité et d’une redoutable agressivité rend la prospection et les fouilles extrêmement pénibles dans cette savane. Artéfacts collectés- Nous avons enregistré des tessons de poterie décorés, des molettes, des parois de four à réduction et des scories. Chronologie- Deux sondages pratiqués en 1997 et 2003 ont permis la collecte des tessons de poterie dégradés, des scories et du charbon de bois. Les
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différents témoignages recueillis indiquent que ce site était encore habité à l’arrivée des Allemands dans la région au début du XXe siècle. De quand date l’occupation initiale ? Par qui ? Le fait qu’actuellement à Mbé, les Dii signalent qu’à Ngaw Lel/Gu-Lil, se trouvent les ruines de leurs ancêtres alors que les données historiques semblent plutôt indiquer le contraire, pose le problème des premiers occupants définis à partir des mythes d’origine. Jean-Claude Muller, dans une communication privée (1998), affirme que la colline de Gu-Lil, où sont signalées les ruines des Mbé, est un ancien habitat des Mboum et qui n’a été colonisé par les Dii que très tardivement : Les Mbé (Dii) [à son avis], se sont établis sur leur colline (Gu-Lil) il n’y a pas si longtemps. Ils furent parmi les derniers à quitter le territoire de Rey Bouba et rejoindre celui de Ngaoundéré alors sous le règne du lamido Hama Gabdo, qui régna de 1877 à 1887 où ils s’établirent premièrement à Maabung près de l’actuel Tagbung, puis un peu plus loin vers l’ouest et enfin, vers 1895, sur la colline où l’on montre aujourd’hui les ruines, invités là par les Mboum Léré qui sont remontés sur le Plateau après la défaite des Peuls contre les Allemands, qui occasionna la levée de leur siège de Mbé en 1901. Il y avait donc déjà du monde bien avant sur cette colline. Toutes ces informations sont consignées sur bande magnétique enregistrée par l’ancien chef de Mbé, Zoubeirou Kunbàà et confirmées indirectement par la datation des couteaux de circoncision anciens que l’on a abandonnés depuis 1940. Donc, prudence ... la région était peuplée, bien avant l’arrivée des Mbé et des autres réfugiés de Rey Bouba. Les vrais autochtones sont les Mboum léré - que certains tiennent pour des Dii goom - les gens de Kal Babbal, Kal Kerwal, Nye Koon, Vaa Vom, Ngaouyanga (un nom mboum), Gavee, Bobog, Va’zin, etc. Il faut faire très attention, car il existe une tendance à fabuler très certaine chez beaucoup de gens. On m’a même montré les « ruines » de la première école allemande de Mbé alors qu’il n’y en a jamais eu et encore sur les lieux où il n’y avait personne à l’époque des Allemands ... » (Muller Jean-Claude, 1998, Montréal, correspondance privée).
Interprétation- Le site est d’occupation ancienne et continue, peuplé à des époques différentes par diverses populations sur lesquelles on sait peu de chose. Certaines d’entre elles étaient spécialisées dans les métiers du feu notamment la poterie et la métallurgie du fer, comme le prouvent les artéfacts mis au jour dans le site. La problématique de l’autochtonie fondamentale véhiculée par les traditions d’origine des Dii ne résiste pas à l’analyse. Les Dii n’ont donc pas toujours été à Gu-Lil. État de conservation- Site assez bien conservé par son éloignement du centre de Mbé et par la difficulté d’accès. Cependant, l’extension des champs de coton et d’ignames le menace sérieusement et si aucune mesure de conservation n’est entreprise, il va bientôt disparaître.
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2- SASSA MBOERSI Description du site - Il a été mis au jour en juillet 1999 au cours de nos recherches sur la paléométallurgie dans l’Adamaoua. C’est un petit village de ferrons-forgerons coincé dans une vallée. Nous l’avons prospecté en juillet et août 1999. On observe deux anciennes fonderies matérialisées par des gâteaux de scories, des fragments de tuyères et des tessons de poterie décorés et sans décors. Les lieux de réduction jouxtent le Mam nang (l’eau-forgeron) ou le Zing saan (rivière des minerais de fer), un cours d’eau où jadis, l’on extrayait le minerai de fer. Artéfacts collectés- Nous avons collecté des tessons de poterie, des molettes, des bouts de tuyères rubéfiés et surtout de gros gâteaux de scories. Chronologie- Aucun sondage n’a été pratiqué sur les deux crassiers alors en place. Les informations recueillies auprès des forgerons et des potières indiquent cependant que les opérations de réduction des minerais de fer avaient encore lieu à Sasa Mboersi même après l’Indépendance du Cameroun par Ahidjo, c’est-à-dire en 1960. Les voyageurs et administrateurs allemands dont Passarge (1893/1894) et Lessel (1913/1914), ainsi que les administrateurs coloniaux français notamment Maurice Baudelaire (1938) ont d’ailleurs tous consigné dans leurs rapports au début du XXe siècle, l’habileté des Dii à fabriquer des objets en fer sans donner davantage de précisions sur les sites des opérations de réduction des minerais. Interprétation- Les deux sites de réduction des minerais de fer observés à Sassa Mboersi ont probablement été en activité au cours du XIXe siècle. Les artisans venus de Naboun et d’autres villages de Tcholliré, capitale du lamido de Rey, ont trouvé à Sassa Mboersi tous les éléments nécessaires pour la production du fer qui servit à la fabrication des armes. C’est la victoire des Allemands sur les Foulbé en 1901 à Ngaoundéré, qui mit un terme aux exactions de ce lamido redoutable marchand d’esclaves plutôt que prosélyte engagé. État de conservation : Les deux fonderies sont irrémédiablement détruites. Le site est dorénavant un immense champ de pamplemoussiers, de maïs et de manioc. 3- LOUMONANGUÉ Description du site - N 7°34’03 - E 13°4510. Nous l’avons prospecté en juillet 1997 dans le cadre de la préparation des ateliers METAF (Métallurgies africaines) tenus à Yaoundé en décembre 1997. Le site visité était alors jonché de scories, des bouts de tuyères rubéfiés et d’un fond de four à réduction. Sur la base des ces éléments, Pierre de Maret, organisateur de l’Atelier, invita les forgerons dii résidant à Loumonangué, à Gambouokou et à Gangassao à Yaoundé pour la reconstitution d’une opération de réduction des minerais de fer par le procédé direct. Un essai qui réussit. En 2005, lors de la surveillance du
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patrimoine archéologique sur le tracé routier Ngaoundéré-Touboro-Moundou, les structures apparentes en surface ont permis d’identifier aisément différents sites dans ce village peuplé de quelques centaines d’habitants. Il s’agissait des affleurements des restes des activités métallurgiques, notamment les bas fourneaux, les crassiers, les tessons de poterie décorés et du matériel lithique. Le site retenu à Loumonangué est un atelier de réduction situé près d’une galerie forestière. Précisons que les fonderies sont généralement situées à l’écart des villages pour des raisons rituelles, techniques et stratégiques. Artéfacts collectés- Les vestiges collectés sont constitués de fragments de poterie, des pièces lithiques taillées sur du basalte et des restes métallifères comme les bouts de tuyères rubéfiés, un fragment de fourneau et de gros gâteaux de scories. Traitement du site- Le site n’étant pas directement menacé par les travaux de construction de l’axe routier, aucune action n’a été envisagée pour son exploitation en urgence. Chronologie- Aucun échantillon de charbon de bois n’ayant été prélevé dans ce site, la chronologie est estimée à partir du mobilier trouvé sur place. La comparaison du matériel céramique renvoie à celle des sites de Ngaoundéré, calée entre les XVe et XXe siècles. Interprétation- Le site de Loumonangué est la preuve que des populations de cette région ont produit du fer. La présence des structures comme les bas fourneaux et les nombreux ferriers suppose une intense activité sidérurgique. État de conservation : L’extension des champs de sorgho menace le site à moyen terme. Gu-lil, Sassa Mboersi et Loumonangué sont des sites essentiellement métallurgiques. Nous avons inventorié d’autres sites ayant les mêmes caractéristiques, à Kàà Nang et à Gangassao. Ces sites ont en commun leur localisation dans ce qu’on peut appeler le « pays dii ». Les Dii sont reconnus dans l’Adamaoua comme des experts en métallurgie. Leur société était d’ailleurs divisée en deux grands groupes : celui de la caste des forgerons (Nang) et celui des non-forgerons. Le mariage entre les deux groupes est un fait récent. Les prospections que nous avons conduites dans l’Adamaoua entre 1998 et 2008, ont révélé une forte concentration des sites paléométallurgiques plutôt dans les zones peuplées de Dii. Est-ce un fait de spécialisation ? La surveillance du patrimoine archéologique sur le tracé routier Ngaoundéré-Touboro a également permis de découvrir d’intéressants sites à caractère métallurgique notamment Yoko, actuel village dii. Nous présentons ci-dessous trois sites sur la quarantaine mise au jour, dont la description est publiée dans le rapport final de recherche (Oslisly, Nizésété, Kinyock, 2008).
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II-2- LES SITES SUR L’AXE ROUTIER NGAOUNDÉRÉTOUBORO-MOUNDOU 1- BAOSSI (PK 50) Description du site - N 7°32’28-E 13°51’48. Ce site exceptionnel est caractérisé par des coulées basaltiques. On parlerait ici plutôt de site géologique que de site archéologique. Nous le présentons au regard des informations sur le paléoenvironnement qu’il est susceptible de fournir à l’issue des analyses des matériaux prélevés. Baossi présente les restes ou les preuves d’une intense activité volcanique dans la région. Des dépôts sont formés de roches basaltiques disposées en strates à la base desquelles une flore fossile a été emprisonnée. Afin de déterminer l’âge et la période de ces activités naturelles, des échantillons de roches ont été prélevés dans les dépôts en vue de les dater par la méthode du potassium argon. Ces dates permettront également de caler chronologiquement le niveau de la flore fossilisée. Par ailleurs, un prélèvement d’échantillon de bois calciné a été pratiqué dans ce niveau pour des déterminations anthracologiques. Les blocs de basalte se détachent régulièrement de cette paroi rocheuse. Si des actions techniques ne sont pas engagées urgemment, ce site s’effondrera bientôt sur la chaussée.
Photo 7- PK 48 - Vue sur la paroi sud des coulées de basalte qui surmontent une fine coulée de cendres grises à macro-restes végétaux et des tufs jaunes, © NTM, février 2008
La surveillance du patrimoine archéologique sur l’axe routier NgaoundéréTouboro a ainsi permis la mise au jour des sites d’intérêt scientifique variable. Les plus importants doivent être fouillés dans les meilleurs délais au regard des
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menaces qui pèsent sur eux. Il reste à trouver des crédits de recherche et des archéologues compétents pour y agir efficacement. 2- DJORGOY (PK 83) Description du site - Djorgoy (N 7°35’32-E 14°02’32) a été découvert en 2005 pendant le décapage de l’axe routier Ngaoundéré-Touboro-Moundou. On observe sur le site un ferrier d’environ 2m de diamètre avec une forte concentration de scories. Le site est situé dans une savane arborée dominée par Daniellia oliveri et Terminalia glaucescens. Traitement du site- Un sondage a été réalisé sur le site de Djorgoy au niveau du ferrier. Ce crassier était rempli de scories, de fragments de poterie et des outils de broyage. Ce site pourra faire l’objet d’une ample fouille dans le futur. Artéfacts collectés- Les vestiges archéologiques collectés sont divers : tessons de céramique décorés, molettes, éclats de quartz, percuteur de quartz blanc, scories et fragments de tuyères. Chronologie- La comparaison du matériel céramique de Djorgoy renvoie à celle des sites de Ngaoundéré, calée entre les XVe et XXe siècles. Interprétation- Ce genre d’assemblage d’artéfacts suppose une occupation régulière ou permanente du site dans lequel il se pratiquait des activités domestiques usuelles et plus spécialisées, telle la métallurgie. État de conservation- En sursis avec l’extension des labours. La crise alimentaire a poussé presque tous les paysans aux champs. Les sites sont pris d’assaut, brûlés et cultivés. 3- YOKO (PK 125) Description du site - Yoko situé au PK 125 (N 7°41’32 - E 14°32’12) sur l’axe routier Ngaoundéré-Touboro-Moundou a été découvert pendant la prospection de 2004. Il se présente sous la forme d’un crassier en batteries, comportant d’immenses crassiers de scories et une multitude de bouts de tuyères rubéfiés. Yoko est un ancien village de ferrons-forgerons. Nous y avons découvert un fourneau en place et un ensemble de crassiers qui s’étalent de part et d’autre du site circonscrit. Les amas de scories ont fait l’objet de sondages par des étudiants de l’université de Ngaoundéré en mai 2006. Traitement du site- Deux crassiers et le fourneau ont été fouillés. Artéfacts collectés- Les vestiges collectés sur le site sont variés : fragments de tuyères, fourneaux de pipes, une hache polie de très belle facture, des tessons de poterie, une pointe de flèche en fer et des scories. Les décors céramiques sur
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le site de Yoko varient entre la roulette en bois sculptée et l’impression roulée à la cordelette.
Photo 8- Fourneau du site de Yoko 1, muni de sa tuyère © Nizésété/NTM 2006.
Chronologie- Des échantillons de charbons de bois ont été prélevés pour datations au C14. Deux dates situent les activités métallurgiques vers 120 ± 40 (AD 1790-1960) et 100 ± 40 BP (AD 1800-1970), correspondant à fin XVIIIe et début XXe siècles. Interprétation- Yoko est un village de ferrons-forgerons venus de Belel comme le témoignent les villageois en place. Ces artisans du feu auraient fui l’Adamaoua en proie aux raids esclavagistes foulbé des XIXe et XXe siècles comme le montrent les dates calibrées. Pourquoi se seraient-ils installés non loin des portes du redoutable lamido de Rey-Bouba, cruel et esclavagiste ? Les vestiges en présence sont encore muets. S’étaient-ils mis au service de l’un ou l’autre lamido pour leur fournir des armes ou d’autres prestations ? Le milieu giboyeux, bien drainé, fortement boisé, au sol ferrugineux et arable également, a sans doute exercé une réelle attirance sur les hommes qui s’y pressèrent. Ils y pratiquèrent des activités domestiques usuelles et plus spécialisées, telles que la métallurgie. État de conservation- Le site est très menacé par des feux de brousse fréquents, l’extension des labours et le pâturage extensif.
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4- VOGZOM (PK158) Description du site - Le site dit PK158 (N 7°49’07- E 14°45’24) a été découvert pendant le décapage de l’axe routier Ngaoundéré-Touboro-Moundou en 2005. La présence d’une fosse sur la paroi d’un talus partiellement dégagée par les terrassements de la route a immédiatement attiré notre attention.
Photo 9- Fosse au PK 158, mise au jour en 2005 lors du décapage de l’axe routier Ngaoundéré-Touboro-Moundou. Fouillée en 2008 © NTM, février 2008.
La fosse est matérialisée dans les environs du village Vogzom, sur un sommet dans un contexte de savane arbustive anthropisée. Traitement du site - Le site a été classé comme prioritaire. La fosse a été fouillée jusqu’à une profondeur 140 cm, la céramique étant concentrée entre 40 cm et 140 cm. Elle a été datée au C14. Artéfacts collectés - Cette fosse a livré une importante quantité de céramique et de nombreux charbons de bois. Les échantillons de bois ont été scindés en deux : une partie pour les déterminations anthracologiques, l’autre pour des datations au C14. La céramique est décorée à la roulette. On note aussi la présence d’une anse de préhension sur un tesson. Chronologie - Des échantillons de charbon ont été prélevés pour analyses radiométriques et deux datations ont été effectuées. Les résultats sont les
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suivants : 720 ± 50 BP et 790 ± 40 BP ce qui correspond aux XIIe et XIIIe siècles. Interprétation - A priori, la fosse du PK 158 représente un site d’habitat de l’âge du fer des XIIe et XIIIe siècles. Les nombreux tessons de poterie richement décorés récoltés lors des fouilles peuvent indiquer une occupation permanente du site par des agriculteurs pratiquant aussi la poterie. Des comparaisons anthropologiques indiquent que ces fosses pouvaient avoir été employées comme puits pour l’eau, excavation d’extraction de l’argile, silos ou latrines. Quand leur fonction initiale était révolue, elles étaient utilisées comme fosses détritiques et c’est en tant que telles que les archéologues les découvrent habituellement. État de conservation du site - Entièrement fouillé et détruit.
Photo 10- Fosse fouillée au PK 158 en 2008. Pour produire la documentation archéologique, il a fallu la détruire. À la place d’environ 8 à 7 siècles de sédimentation se trouve un trou bivalve. © NTM, février 2008
Dans le département de la Vina, vingt-deux sites ont été inventoriés et fouillés. Tous ont fait l’objet de traitements variables en fonction de l’importance du site et des moyens financiers requis pour les analyses diverses. Ces sites ont livré dans l’ensemble et à des potentialités inégales, des objets lithiques, des tessons de poterie et des restes métallifères, produits du génie inventif humain. Les datations au radiocarbone indiquent une occupation humaine et continue depuis le début de notre ère au moins. Malheureusement, la
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majorité de ces sites est menacée de destruction par des facteurs naturels et anthropiques. Pourtant, des possibilités de sauvetage existent et peuvent être requises afin de les exploiter à des fins historiques et économiques. II-3- LES SITES DU DÉPARTEMENT DU MAYO-BANYO II-3-1- DESCRIPTION DES SITES Les sites du Mayo-Banyo sont essentiellement concentrés à Somié, l’une des grandes chefferies des Mambila en plus de celles d’Atta et de Sonkolong. Les traditions d’origine des Mambila sont muettes sur les dates probables de leur mise en place à Somié. Les datations au radiocarbone cependant indiquent une présence humaine au début de notre ère. Qui sont d’ailleurs ces populations ? Des pré-Mambila ? Les sites inventoriés sont essentiellement localisés en altitude. La topographie ici a joué un rôle manifeste dans la colonisation de l’espace. Quête de sites refuges ou recherche des terres arables ? Jean Hurault (1997 : 33) observe au sujet de l’emplacement de ces sites que Tous n’étaient pas choisis comme positions de défense, mais on s’efforçait de les placer en des points présentant des vues suffisamment étendues pour éviter une attaque-surprise ; c’est ce qui explique leur fréquente localisation sur les sommets. De plus ils étaient associés à des lieux de refuge : montagnes escarpées, camps fortifiés, forêts, chaos de blocs rocheux ou plus exceptionnellement cavernes ou ravins (…) Des facteurs purement culturels intervenaient dans le choix des sites habités et dans leur aménagement, notamment le souci de disposer sur le pourtour d’un cercle les constructions de chaque groupe de famille, ce qui a conduit à des travaux de terrassement qu’aucune nécessité matérielle ne justifiait.
Les données visibles sur le terrain confirment cette observation. Les sites répertoriés sont présentés dans cet inventaire par ordre alphabétique afin de faciliter la consultation. D’autres entrées sont évidemment possibles, par exemple, un classement privilégiant l’antériorité de l’occupation de l’habitat. Mais en l’état actuel des recherches, la rareté des données chronologiques ne le permet pas. Une présentation axée sur la typologie des sites est également possible, mais les informations sur leurs fonctions originelles, qu’elles soient d’intérêt stratégique ou économique, sont insuffisantes. On remarque cependant une concentration des sites au-dessus de 800 mètres d’altitude, ceux-ci étant associés aux refuges : montagnes escarpées, camps fortifiés, chaos rocailleux truffés de cavernes. L’étude topographique et la cartographie des sites sont envisagées lors des recherches ultérieures. Chaque site est présenté tel qu’observé physiquement pendant la prospection : l’altitude, une description sommaire du paysage, la nature des vestiges visibles en surface et quelques repères chronologiques sont les éléments majeurs mis en relief dans cet inventaire. L’exploitation de ces données fournit implicitement des
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informations sur les raisons probables de l’occupation et de la désertion des sites ci-dessous décrits. 1- DIKWÉ - Il culmine à 800 mètres d’altitude. Dikwé est le nom de la rivière qui arrose ce hameau où vécut un certain papa Lapont décédé en 1966. À sa mort, le site fut abandonné faute d’occupants. On y observe encore les restes de fondation d’une case de forme carrée, ainsi que des tessons de poterie éparpillés dans une épaisse broussaille qui colonise le milieu. 2- MVAN KIMI - Il culmine à 795 mètres d’altitude. Mvan Kimi est le nom de la rivière qui arrose le site actuellement mis en culture. Des pierres de foyer, des morceaux de briques de terre cuite, des tessons de poterie, un fragment de fourneau de pipe comparable à un modèle encore en usage chez les Mambila, sont observables dans cet espace déserté. Personne ne se souvient des anciens occupants du hameau. Plusieurs informateurs attribuent aux Tikar l’antériorité de l’occupation de Mvan Kimi. 3- FOUMGAH - Il culmine à 872 mètres d’altitude environ. On y observe à Foumgah des fragments de meules mobiles, des pierres de foyer, des tessons de poterie, des blocs de pierres qui servirent de supports de greniers ou des moellons utilisés pour la fondation d’une dizaine de cases de forme circulaire, alignées le long d’une large cour. La flore comporte des espèces anthropiques comme l’Elaeis guineensis (palmier à huile) et le Mangifera indica (manguier). Des arbres spontanés comme le kapokier (Bombax costatum), l’Iroko (Chlorophora excelsa) et l’Ayous (Triplochiton scleroxylon) ont colonisé le site après son abandon. 4- GUEMBE I est perché à 832 mètres d’altitude. Guembé I serait selon les informations disponibles, le premier village où séjournèrent les Guembé avant leur émigration et installation ailleurs. Aujourd’hui abandonné, le site est couvert d’une épaisse broussaille. Tessons de poterie, meules dormantes et mobiles témoignent de son occupation plus ou moins ancienne. 5- GUEMBE II culmine à 832 mètres d’altitude. C’est le deuxième site d’occupation des Guembé. Après son abandon, Guembé II est devenu une grande plantation de bananiers et de caféiers où poussent aussi l’Elaeis guineensis et le Mangifera indica. Des restes de fondations d’une dizaine de cases entourent une grande cour aménagée. Dans cette concession vécut Youla, notable mambila, grand frère de Menadi, premier chef de l’actuel Somié. 6- GUEMBE III est à 832 mètres d’altitude. C’est le dernier site occupé par les Guembé avant leur installation dans leur quartier actuel. Fragments de poterie, restes de fondation d’une dizaine de cases sont visibles sur le site. Le paysage est dominé par l’Elaeis guineensis et le Bombax costatum. 7- GUIDJOGO I est situé à 820 mètres d’altitude. Le hameau porte le nom d’un notable qui y vécut. Abandonné faute d’occupants, il est aujourd’hui un
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grand champ de caféiers. Des troncs de palmiers à huile et les restes de quatre fondations de cases témoignent de son occupation plus ou moins ancienne. 8- GUIDJOGO II, situé à 806 mètres d’altitude, est le second site occupé par la famille Guidjogo. Ce hameau, selon les témoignages recueillis, aurait abrité environ dix cases. Aujourd’hui, on n’observe plus que les restes de fondation de trois cases. Quelques troncs d’Elaeis guineensis et de Mangifera indica sont visibles. Des tessons de poterie, des fragments de molettes et de meules mobiles, témoignent de son occupation plus ou moins ancienne. 9- KANBGE I, situé à 1186 mètres d’altitude, est caractérisé par la présence de nombreuses meules et molettes et des pieds d’Elaeis guineensis, témoignages d’une ancienne occupation. Le bas-fond marécageux est couvert par des raphiales (Raphia farinifera). 10- KANTU est situé à 808 mètres d’altitude. Les vestiges observés sur le site se composent de meules dormantes, de tessons de poterie et des restes de quatre fondations de cases abandonnées. 11- MAGBEBE I, situé à 826 mètres d’altitude, porte le nom d’une petite rivière qui coule aux alentours du site. Il est perché sur une pente abrupte, couverte d’une flore de type forestier, dont l’Iroko (Chlorophora excelsa) et l’Ayous (Triplochiton scleroxylon). Des fragments de poterie et des meules mobiles sont visibles dans la broussaille. Deux sondages effectués sur ce site ont livré du charbon de bois. Leur datation au C14 révèle une occupation postérieure à 1950. 12- MAGBEBE II culmine à 1014 mètres d’altitude. D’accès difficile, on y observe des meules dormantes et des fragments de poterie. Trois sondages effectués sur ce site ont livré du charbon de bois. Leur datation au C14 révèle également une occupation postérieure à 1950. 13- MBGE I est à 1221 mètres d’altitude. Il est entouré de part et d’autre de falaises abruptes qui donnent au site un caractère stratégique. C’est le site le plus haut perché de Somié. Des meules mobiles et dormantes, des éclats de quartz, des molettes et des tessons de poterie, des fragments de scories sont dispersés sur une grande partie de cet espace aujourd’hui abandonné. Trois sondages effectués sur ce site ont livré du charbon de bois. Leur datation au C14 indique une occupation du site postérieure à la deuxième moitié du XVIIe siècle (AD 1667). 14- MGBE II, perché à 1186 mètres d’altitude, n’est pas loin de Mgbé I. Le paysage arboré comporte des pieds de Terminalia glaucescens et de Chlorophora excelsa. La couverture herbacée est dominée par des espèces familièrement appelées fleur jalousie ou encore fleur marguerite, défavorable aux activités agricoles. Ce site aurait d’ailleurs été déserté à cause de l’infertilité de ses sols et des troubles causés par des bergers mbororo, au courant du XXe
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siècle, en quête de pâturage. Mgbé II conserve encore les restes de fondations de cases de forme carrée, une énorme meule dormante et de nombreux tessons de poterie. 15- MEREUP DJEMVOUP est à 971 mètres d’altitude. Il est situé près de l’actuelle chefferie de Somié. Des meules, des molettes et des tessons de poterie sont observables dans le site. Le paysage arboré comporte des pieds de Terminalia glaucescens et d’Annona senegalense. Mereup Djemvoup désignerait un personnage insolite et brutal dont les habitudes alimentaires proches du cannibalisme auraient contraint les habitants à fuir le site.
Photo 11- Sondage à Ndeba en janvier 2006 Nizésété.
16- NDEBA est à 822 mètres d’altitude. Il se trouve dans une tranchée artificielle d’intérêt stratégique probable. Sa construction remonte à une lointaine époque au regard des datations absolues disponibles. Celles-ci sont comprises entre 131 AD et 599 AD, c’est-à-dire entre le début du IIe siècle et la fin du VIe siècle de notre ère. Ces dates, reculées dans le temps, suscitent des interrogations sur les peuples qui vécurent en ce lieu. En effet, la littérature orale et écrite disponible situe l’installation des Tikar et des Mambila dans la région au courant des XVIIe et XVIIIe siècles. Le site qui s’étend sur une superficie de 900 m2 est tapissé de tessons de poterie. Nous y avons effectué 10 sondages. Le sondage occupe une place spécifique dans la recherche archéologique dans la mesure où il peut être considéré, soit comme une
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méthode de prospection, soit déjà comme un travail de fouille. Il sert à vérifier l’opportunité ou non d’une véritable fouille, à limiter la destruction des sites archéologiques lorsqu’on n’a pas toutes les compétences scientifiques ou les moyens matériels et financiers pour conduire l’opération. Le site est alors préservé en attendant de réunir toutes les conditions favorables à cet effet et considéré déjà comme une petite fouille. Des précautions sont à prendre avant d’engager un sondage au regard de son caractère destructeur. Poireux (1979 : 27) remarquait effectivement qu’un gisement archéologique doit être comparé à un livre qu’on lit en le détruisant au fur et à mesure que progresse l’opération. Le sondage, comme la fouille, est une destruction irréparable et cependant indispensable à une connaissance historique. De ce fait, le souci majeur du fouilleur est de ne détruire que ce qu’il est certain d’avoir exploité à fond. En répondant aux objectifs généraux assignés aux sondages et en respectant les principes méthodologiques de l’opération, nous avons réalisé des sondages à Magbébé I et Magbébé II, à Mgbé, à Somié II et à Ndeba. Dans le site de Ndeba I, cerné à l’origine par une tranchée profonde de plus de 4 mètres et aujourd’hui presque entièrement comblée par les sédiments, nous avons organisé une dizaine de sondages. Cette multiplication des opérations était sous-tendue par les controverses autour des causes, des acteurs et de l’époque de construction de cet ouvrage. Pour certains, cet 'espace-refuge' fut aménagé pour servir de terrain de repli aux Mambila dans leur tentative de résistance aux raids esclavagistes foulbé du XIXe siècle. Pour d’autres, la tranchée de Ndeba est une vieille structure aménagée au milieu du XVIIIe siècle pour affronter l’invasion et les massacres perpétrés par les Baaré-Tchamba. D’autres sources encore avancent l’hypothèse du retranchement des Babouté et des Tikar dans ce camp aménagé au XIXe siècle afin d’échapper aux assauts de certains peuples voisins réputés anthropophages. Ndeba est de nos jours devenu un grand champ de maïs et un immense pâturage, constamment incendié par les bergers mbororo. La datation au C14 des charbons issus des sondages a fourni des dates antérieures au XVIIe siècle au moins. En effet, le nom Ndeba est composé de : Nde = racines, base, genèse et Ba = Mambila. Ndeba signifieraitil, racines, genèse des Mambila ou bien les Mambila de base, des origines ? Les datations au radiocarbone disponibles tendraient à conforter cette acception, c’est-à-dire l’existence des pré-Mambila. 17- NGOMNI, hameau situé à 1193 mètres d’altitude, porte le nom de son fondateur. Abandonné probablement en 1982 pour des raisons non élucidées, des fragments de meules, de molettes, des tessons de poterie témoignent de son occupation plus ou moins ancienne. 18- SOMIE I est à 861m d’altitude. Il est considéré comme le premier habitat du peuple appelé Somié. Dans ce site, poussent le Chromolaena
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odorata, l’Elaeis guineensis et le Bombax costatum. Des tessons de poterie jonchent le sol. La véritable appellation de ce site est à rechercher, étant entendu que le nom Somié est très récent au regard de l’histoire de son origine cidessous évoquée. 19- SOMIE II est à 813 mètres d’altitude. C’est le deuxième habitat du peuple dit Somié. L’appellation originelle de ce hameau reste à identifier étant donné que le terme Somié est récent. À propos de l’origine du nom Somié, il se raconte qu’un jour, le lamido de Banyo envoya une invitation au chef du village appelé aujourd’hui Somié. Confondant invitation et convocation, le chef prit peur. Il redoutait que cette invitation soit un piège visant à l’arrêter et à l’emprisonner. Prudent, il envoya son petit frère à sa place. Celui-ci alla rencontrer le lamido qui naturellement le considéra comme le chef du village ami qu’il avait invité. Il lui remit une tunique pour son investiture en tant que chef de son village. À son retour, il présenta le vêtement à la population en ces termes : « voici le côkmo, que le lamido m’a offert ». Côkmo qui signifie vêtement en mambila devint pendant un temps le nom du village avant d’être déformé en Somié. En 1964, sous la pression de l’administration camerounaise visant au regroupement des villages pour de meilleurs contrôles et encadrements civiques souvent vigoureux, Côkmo fut déserté. La carte du site dressée par Jean Hurault en 1954 donne des indications précises sur l’organisation spatiale de Côkmo avant son abandon une décennie plus tard. Deux sondages effectués en 2004 ont mis au jour des structures d’habitat, des foyers, des tessons de céramique et des pièces de monnaie d’origine britannique. 20- TOR-GUANVEH est une montagne située à 1400 mètres d’altitude. Ce nom signifie en mambila, la montagne de l’écho (Tor, c’est la montagne et Guanveh, c’est l’écho). Sur cette montagne, des légendes fusent. Il se dit qu’elle annonçait jadis tous les malheurs que le village allait vivre : mort du chef, d’une princesse, d’un notable, mauvaises récoltes, guerres et épidémies, etc. Comme signes annonciateurs du mal, soit un bloc rocheux se détachait du massif et roulait jusqu’au piedmont, soit Tor-Guanveh prenait feu. Tor-Guanveh était aussi la radio du village. C’est sur son faîte que les hérauts donnaient aux populations les derniers échos du jour, comme les invasions armées ou le retour des captifs. Sondages, fouilles et datations sont envisagés sur ce site. De ce fait, Tor-Guanveh pourrait aussi valablement se traduire par écho de la montagne. 21- TOR-LOU est une montagne située à 1200 mètres d’altitude. À l’instar de Tor-Guanveh, c’est un toponyme lié à la topographie et au rôle joué par cette montagne dans l’histoire de Somié. Tor-lou signifie en mambila, la montagne du peuple. Tor, c’est la montagne et Lou, c’est le peuple. Cette montagne, truffée de grottes, accueillait les populations cherchant refuge pendant les raids esclavagistes des siècles derniers. Ils y ont vécu jusqu’au retour de la paix. De ce fait, Tor-Lou pourrait aussi bien se comprendre comme peuple de la
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montagne. Cette montagne servait par ailleurs de poste d’observation aux sentinelles, les Kouatap, qui alarmaient la population en cas de danger imminent. Sondages, fouilles et datations sont également envisagés sur ce site. II-3-2- OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LES SITES DU MAYOBANYO Au terme de cette phase préliminaire d’inventaire de sites, on dispose d’un corpus de données brutes susceptibles d’orienter les recherches ultérieures dans les domaines de la toponymie, des mobiles du choix des sites, des causes de leur désertion, des savoirs et savoir-faire des occupants de ces sites. En effet, l’étude approfondie du mobilier observé dans la vingtaine de sites recensés, notamment les meules brisées, les percuteurs et les molettes, les tessons de poterie décorés ou sans décor, les scories, les structures des cases et des greniers, ainsi que les arbres anthropiques, est susceptible d’élargir l’horizon des connaissances sur ces espaces aujourd’hui désertés. On observe que tous ces hameaux abandonnés portent des noms d’origine mambila. Ce constat, conforté par des témoignages oraux et écrits, devrait converger pour attribuer aux Mambila l’antériorité d’une occupation plus ou moins ancienne et continue de la région de Somié. Mais, les données chronologiques issues du site de Ndeba tempèrent cette assurance. En effet, ces dates obtenues par la méthode du C14 indiquent une occupation dès le début de l’ère chrétienne et posent alors le problème d’une existence probable des pré-Mambila. Les problématiques que posent ces sites ouvrent des perspectives intéressantes de recherches en vue de l’établissement d’une grille chronologique régionale, porteuse d’études sur la longue et la moyenne durées. II-3-3- INTERPRÉTATION DES DATATIONS AU RADIOCARBONE DES SITES DE SOMIÉ Quand on aborde le passé de l’homme dans une région comme Somié par exemple, l’une des premières questions auxquelles on cherche à répondre est quand? Interrogation visant à savoir réellement à quel moment les mouvements et la mise en place des populations, les productions et les mutations culturelles ainsi que les changements environnementaux les plus significatifs s’y sont produits. Le développement de la science archéologique au cours des dernières décennies a apporté avec une certaine certitude, des réponses à quelques-unes de ces questions. La datation au C14 permet en effet de dater la mort de tout organisme végétal ou animal remontant jusqu’à 40 000 ans avec une précision de l’ordre du siècle. Les restes d’os, de coquillages, de charbons de bois et de végétaux, abondants sur les sites, peuvent être datés à condition que les restes soient vieux de moins de 40 000 ans. Toutefois, la fiabilité des techniques de datation au carbone repose avant tout sur le sérieux des prélèvements des échantillons à soumettre à l’analyse. Le sol à Ndeba est remanié depuis longtemps pour l’extension des surfaces cultivables. Sur le sol affleurent des tessons de céramique par centaines, plus ou
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moins broyés par les hommes et le bétail. Fragments de meules et molettes ne sont pas rares. Les termitières abondent. Le site est incendié chaque année pour des nécessités d’ordre pastoral. Dans un tel contexte environnemental, il faut faire preuve de prudence afin d’éviter le prélèvement de mauvais échantillons de charbon qui sont ces particules carbonisées contaminées par l’action des termites, les racines vertes, les charbons récents issus des feux de brousse. Nous avons, dans la mesure du possible, observé les principes méthodologiques requis en la matière. Les échantillons prélevés, conditionnés immédiatement dans des sachets plastiques neutres et hermétiquement fermés, ont été analysés au Quaternary Dating Research Unit de Pretoria en Afrique du Sud et au Laboratoire de radiocarbone de l’université Claude Bernard Lyon I (CNRS) en France. Quelques résultats ci-dessous présentés donnent une idée des dates d’occupation des sites à Somié.
Schéma 2- Coupe archéo-pédologique du « Sondage 1 » réalisé à Ndeba en janvier 2004.
Le charbon de bois prélevé entre 20-25 cm de profondeur (couche C 101) et calibré à Pretoria, est daté de AD 80. a) Dates calibrées par Quaternary Dating Research Unit de Pretoria Dans le tableau suivant, l’âge des taxons datés varie selon les hémisphères. Les dates paraissent plus anciennes dans l’hémisphère nord que dans
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l’hémisphère sud. Iain Robertson qui a procédé aux datations écrit ce qui suit dans son rapport : We have calibrated the dates using both the northern (NH) and southern hemisphere (SH) curves. Which one is correct will depend on the air that was assimilated by the plants. Peter Tyson (1988 : 178-206) suggests that the predominant air body over the site is part of the southern hemisphere circulation. Since mixing of northern and southern air will occur in this area, a result that averages the two calibrations may be the most appropriate. Tableau 3- Dates au C 14 des sites de Somié calibrées à Pretoria (Afrique du Sud) Dr Iain Robertson Quaternary Dating Research Unit/ CSIR Environmentek, PO Box 395, 0001 Pretoria, South Africa./ Tel + 27 12841 2300/ Fax + 27 12349 1170 Web http ://www.quadru.co.za δ 13C (‰ PDB)
Radiocarbon age yrs BP
GrA-21455 2002B Mission Protestante lower level PTA 8754 2002E Magbebe Captage (1) PTA 8743 2002F Magbebe Captage (2)
/
90 ± 50
Most probable date AD 1900
/
40 ± 50
/
60± 50
Most probable date 1955 AD Most probable date 1955 AD
PTA 8795
/
160 ±80
-25.6
1940 ± 35
-35.7
1715 ± 35
Anal.1 No.
PTA-9273 GrA-26175
Sample 2 designation
2002G Mbge I (foyer) Somie (Ndeba) C101 Somie (Ndeba) C102
Cal. date4 Southern Hemisphere
Cal. Date4 Northern Hemisphere AD 1685-1733, 1809 (1890,1908) 1927
Most probable date 1900 AD AD 1698-1722, 18191836, 1877-1916, 1954 (1955) AD 1667 (1692, AD 1698-1722, 18191726,1814,1933, 1836, 1877-1916, 1954) 1955 1954 (1955) AD 80 (94+67) /2 AD 37 (67) 90 AD 369 (394+ 344) /2
AD 258 (344) 391
Iain Robertson recommande le choix des dates correspondant à l’hémisphère où les taxons calibrés sont prélevés. Il n’exclut pas la nécessité de faire la moyenne des deux dates au cas où il s’avérait qu’un mélange entre l’air du nord et celui du sud se serait produit au-dessus du site. Les dates BP (Before Present) restent donc les plus indiquées. Commentaire Les charbons de bois datés proviennent de plusieurs sites. Ceux de la Mission protestante et de Magbébé Captage I et II remontent essentiellement à la première moitié du XXe siècle. Sur Mgbé I, on obtient une série de dates allant du XVIIe au XXe siècle. Le site de Ndeba révèle des dates comprises
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entre le Ier siècle (80 AD) et le IVe (369 AD) siècle de notre ère. Sous ce rapport, on conclut que Somié fait l’objet d’une occupation ancienne et continue qui commence au début de l’ère chrétienne et se poursuit jusqu’à présent. On constate par ailleurs une sollicitation indifférenciée des hautes, moyennes et basses altitudes comme sites d’habitation. Montagnes, vallées, cols, piedmonts et flancs de colline sont ainsi habités et cultivés, colonisés puis désertés à toutes les périodes de l’histoire de ce village. En se rapportant aux deux dernières lignes soulignées en gras dans le tableau 3 ci-dessus s’éveille le soupçon d’une probable pollution des échantillons de charbon. On remarque en effet que la couche C102 inférieure à la couche C101 est plus jeune (369 AD/IVe siècle de notre ère) par rapport à la précédente (80 AD/ Ier siècle de notre ère). C’est d’ailleurs ce constat qui a sous-tendu la nécessité de pratiquer de nouveaux sondages afin de vérifier la fiabilité des dates en présence.
Schéma 3- Coupe archéo-pédologique du « Sondage 2 ». Ndeba janvier 2006.
Le charbon de bois prélevé entre 30-35 cm de profondeur, autour du pot visible sur la photo 11 et calibré à Lyon I, date de AD 257-413. La fiabilité des techniques de datation au C14 repose avant tout sur la possibilité de pouvoir faire des analyses en batterie, c’est-à-dire procéder à la datation d’une dizaine d’objets environ issus d’un même contexte, ce qui autorise des recoupements. À cet effet, en plus du charbon de bois, nous disposons sur le site de Ndeba, des tessons de poterie et même d’un pot entier mis au jour aux horizons de 30 à 35 cm, tel que visible sur la photo 11. Nous
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avions alors pensé à une datation par la thermoluminescence, mais le coût élevé de l’opération nous en a dissuadé. Par conséquent, seuls des échantillons de charbon de bois ont été calibrés et cette fois, au laboratoire de radiocarbone de Lyon. Les dates obtenues sont en effet proches de celles fournies par le laboratoire de Pretoria. Tableau 4- Dates au C 14 des sites de Somié calibrées à Lyon (France).
CNRS id
Datations du laboratoire de radiocarbone de l’université Claude Bernard Lyon I (CNRS) France Site Name / Niveau Âge BP
Age Calibré
19471
Ndeba
Ech 1-Sondage 2 : 15 cm 1725±30 BP
243-391 AD
19472
Ndeba
Ech 2-Sondage 2 : 25 cm 1670 ±30 BP
264 - 425 AD
Ndeba
Ech 6 - Sondage 2 : près du pot (30-35-cm)
1695 ±30 BP
257-413 AD
19473
Ndeba
Ech 3 -Sondage 2 : 35 cm 1790 ±30 BP
134-323 AD
19477
Ndeba
Ech 1-Sondage 3 : 25 cm 1525±30 BP
435-599 AD
19478
Ndeba
Ech 2-Sondage 3 : 45 cm 1770±30 BP
216-336 AD
19479
Commentaire Les échantillons de charbon de bois datés proviennent de deux sondages effectués en janvier 2006 dans le camp fortifié de Ndeba, non loin du carré sondé en décembre 2004, dont les datations absolues des couches 101 et 102 figurent dans le tableau 3. À première vue, ces datations de Lyon confirment celles de Pretoria. Sur le sujet, Alain Marliac fait les remarques suivantes : « Ces dates me semblent cependant bien près de la surface. Mais en général la pollution se fait vers le rajeunissement des dates plutôt que vers leur vieillissement. Si elles sont acceptées, elles datent d’une période complètement détachée des Mambila ou même peut-être des pré-Mambila puisqu’il s’agit des environs du début de l’ère chrétienne. [Il reste] à bien voir la nature des échantillons (charbons, coquilles, nodules, bois brûlés très anciens ?), qualité des échantillons, les conditions de gisement (quelle couche ? Pédologique ou archéologique ?) car rien n’interdit que la zone fut occupée durant ces époques reculées. Si vous pouvez relier la couche ou les couches de prélèvement à telle ou telle culture matérielle, vous pourrez parler d’une culture postnéolithique ancienne dite « Ndéba I » par exemple… S’il s’agit de charbon de bois, il peut s’agir d’un arbre brûlé il y a environ 2000 ans ! » (Alain Marliac, juillet 2007, communication privée).
Les échantillons datés sont tous des fragments de charbons de bois brûlés, prélevés dans des couches archéologiques situées entre 10 et 50 cm. Après ce niveau, on atteint une couche pédologique dure et compacte, sans vestiges. En l’état actuel des recherches, est-ce possible d’affirmer ou d’infirmer que nous
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avons affaire à un arbre brûlé accidentellement par la foudre il y a deux mille ans ? Il est probable que non, car si l’on avait affaire à une branche ou à tronc d’arbre aléatoirement calciné, on aurait observé dans le carré sondé, une ligne continue de charbon. Par contre, ce que nous y avons observé, ce sont des fragments de bois brûlés, disposés en petits tas concentriques à différents niveaux du gisement. Ces dates correspondent-elles à la phase initiale de l’occupation du site ou à la phase de son abandon ? Dans tous les cas, les charbons prélevés et datés sont tous associés aux tessons de poterie qui sont des restes de produits manufacturés par l’homme et qui l’accompagnent pour des nécessités de cuisson, de stockage ou de transport. En fin de compte, au regard des données chronologiques disponibles et des vestiges archéologiques rassemblés, on peut valablement envisager à Somié, l’existence d’une culture postnéolithique ancienne dite Ndéba I. II-4- LES SITES DU DÉPARTEMENT DU FARO ET DÉO Dans ce département, nous avons conduit les prospections depuis octobre 1995. Nous nous sommes rendu à tchabbal Mbabo (2460m), au mont Djim (1300 m) à Wogomdou et à Lompta. D’importants sites archéologiques sont présents et leur exploitation est en cours. Nous présentons uniquement le mont Djim où nous avons organisé plusieurs sondages entre 1995 et 1998. LE MONT DJIM Description du site - E12°28/7°05N. Site visité en octobre 1995 en compagnie de deux collègues norvégiens, Pr Reidar Bertelsen de l’université de Tromsø et Petter Molaug du musée d’Oslo, dans le cadre de notre projet d’inventaire général du patrimoine archéologique de l’Adamaoua. Nous l’avons revisité en 1998. Le mont Djim qui culmine à 1300 m d’altitude est un site complexe. Il est à la fois ancien village, abri sous roche et atelier de réduction des minerais de fer. Haut lieu de l’histoire des Nizo’o (communément appelés Nyem-Nyem), le mont Djim, non seulement abrite les tombes des chefs de Galim, mais c’est aussi un site refuge, lieu de résistance contre leurs ennemis foulbé et allemands. Les Nizo’o se souviennent de cette montagne comme le bouclier de leur chefferie et le pilier de leur victoire contre leurs agressions perpétrées par des étrangers en y organisant annuellement, un rituel en l’honneur de leurs chefs capitaines. L’un des moments phares de ce rituel est l’entrée dans la grotte des grands dignitaires, délestés de leurs armes afin de boire de l’eau de vie qui coule d’une source logée dans l’un des antres de la montagne et qui serait dotée de vertus curatives contre les maladies psychosomatiques (cf. photo 14). Le site est jonché de nombreux tessons de céramique dont beaucoup présentent des décors différents de ceux observés dans la Vina. Les décorations
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par impression réalisées avec de la cordelette torsadée à gros nœuds dominent les décors imprimés à l’aide des peignes sculptés observés à Ngaoundéré et à Ngan-Ha. Des fourneaux de pipe décorés sont différents les uns des autres au regard des spécimens collectés. Les témoignages d’une activité métallurgique sont matérialisés par des fonds de fourneaux qui affleurent au pied de la montagne. L’une des particularités de ce site reste la présence des fonds de quatre greniers en terre crue construits au début du XXe siècle pour conserver les produits agricoles ou les denrées alimentaires par les Nizo’o, fuyant l’agression coloniale allemande. Le mont Djim c’est aussi la nécropole des chefs de Galim et chaque année, le Mvouri, rite de commémoration y est célébré. On observe également dans cette montagne d’impressionnantes meules dormantes, dont l’une compte deux grandes cupules qui se remplissent d’eau en saison des pluies. Sur ce banc rocheux, immense meule dormante portant des cupules, se racontent des histoires les plus invraisemblables, dont l’une d’elles fut recueillie par Eldridge Mohammadou (1991 : 16).
Photo 12- Mares jumelles au sommet du mont Djim (Galim Tignère) © Nizésété 1998. Dans ces deux cupules venaient se baigner deux grosses pierres rondes lisses et brillantes de la taille d’un ballon, l’une mâle, l’autre femelle, dénommée njénerén. Elles avaient coutume de rouler du haut d’une dalle où elles habitaient pour venir se baigner dans ces cupules encore visibles aujourd’hui ; après quoi elles remontaient prendre place à leur emplacement premier. Lorsque les Allemands firent le siège de la montagne (1906-1914) et qu’ils parvinrent à grimper jusqu’à cet endroit,
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ils virent les deux pierres. Ils réussirent à s’emparer du mâle, mais la femelle parvint à s’enfuir on ne sait où, et elle n’est jamais revenue.
Photo 13- Mont Djim. Nécropole des chefs de Galim © Photo Aarhaug Aksel, 1980. PCD : 0434-042 AL
Photo 14- Mont Djim. Entrée de la grotte où coule de l’eau de source aux vertus curatives © Photo Aarhaug Aksel, 1980. PCD : 0434-047 AL
Il s’agit précisément d’un banc rocheux exploité comme meule par les femmes nizo’o et du fait d’un usage intensif et continu, est doté de cupules à profondes auges. Les mares jumelles sont justement ces cupules remplies d’eau de pluie. Les pierres rondes se rapportent nécessairement aux molettes utilisées pour concasser ou pour écraser les grains, les racines et les végétaux. Derrière cette légende, se profile sans doute, une récrimination contre l’intrusion allemande au XXe siècle et la profanation de la terre des ancêtres de NyemNyem, véritable sacrilège par ces étrangers particulièrement violents, brutaux et condescendants à l’égard de la population locale. Ce viol du sacré est symbolisé par le vol de la pierre fétiche mâle, source de vie et de virilité des Nizo’o. C’est en filigrane aussi l’aveu simulé de la défaite culturelle des Nizo’o avec le départ vers l’inconnu des pierres mâle et femelle. Mais habités par l’espérance du retour de ces pierres sacrées, les Nizo’o, du moins les plus crédules ou les plus naïfs, attendent ce moment, les yeux tournés vers la montagne à l’occasion de chaque célébration annuelle du Mvouri, convaincus qu’elles vont rouler de la montagne et s’arrêter aux pieds de leur chef. La fête qui se déroule annuellement est devenue le puissant facteur de destruction de ce site.
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Artéfacts collectés - Tessons de poterie, scories et percuteurs. Chronologie - Aucune datation au radiocarbone n’est disponible. De source concordante, le mont Djim devient site refuge pendant le jihad peul au début du XIXe siècle et est densément peuplé au début du XXe siècle, quand les Nizo’o abandonnent leurs villages pour s’y réfugier, fuyant l’agression allemande. État de conservation - La fête du Mvouri, qui commémore la victoire du peuple Nyem-Nyem encore appelé Nizo’o/Niza’a sur ses ennemis qu’ils soient Foulbé, Allemands ou autres, attire chaque année beaucoup de gens sur ce site. Ce grand rassemblement annuel appelé Festival Nyem-Nyem autrefois dominé par le sacré, et qui en moins d’une décennie est devenu une tribune politique, a dégradé le site. Les festivaliers toujours plus nombreux en arpentant le massif, ramassent chacun chemin faisant, un souvenir, matérialisé par des tessons de poterie, des scories ou des objets lithiques. Le mont Djim est ainsi passé sans délai, de site archéologique à site touristique. Si l’immense grotte logée sous la montagne n’est pas encore vandalisée du fait de son caractère sacré et en tant que ce ventre qui a protégé les Nizo’o contre leurs agresseurs, elle est en sursis et pas pour longtemps. II-5- LES SITES DU DÉPARTEMENT DU MBÉRÉ Les sites prospectés dans le Mbéré sont : Ganga I, Ganga II, Nadéké et Nyambaka. Les fouilles ont été effectuées exclusivement à Ganga I et à Ganga II par suite de contraintes logistiques. MONT GANGA I et MONT GANGA II Description du site - Le mont Ganga I (N 6°32 /14°13E) et le mont Ganga II (N 6°32 /14°13 E) sont deux plateaux tabulaires situés à l’ouest de Meiganga. Ils culminent tous les deux à 1100 m d’altitude. Le sommet principal Ganga I est situé au nord du sommet secondaire Ganga II. Les deux sites ont été prospectés et fouillés en mai 1998 et mai 2003. Ganga dérive d’une appellation haoussa May Ganga, qui veut dire village du chef de tam-tam, d’où dérivera le nom de Meiganga, qu’utiliseront les administrateurs coloniaux français pour désigner cette partie du Cameroun. Le mont Ganga I est une forteresse ceinte par une tranchée abrupte haute d’environ 3,5 m et s’étale sur 4 m de largeur. La montagne est arborée. Il y pousse des rôniers (Borassus aethiopium), indicateurs des lieux anciennement occupés selon Mohammadou Eldridge (1990 : 73-75), des bananiers sauvages, du Parkia follicoidea, du Ximena americana, de l’Acacia albida, de Vitex cienkowski, etc. Il est considéré comme un ancien village des Mbéré, cousins des Mboum, aujourd’hui phagocytés par les Gbaya. La plaine qui s’étire au piedmont offre de nombreux atouts sur le plan agricole, cynégétique et halieutique. La rivière Mbakoungué qui coule en
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contrebas couvre les besoins en eau et en poissons de la population. La région est giboyeuse et les chasseurs mbéré et gbaya y ont capturé hier comme aujourd’hui, des singes, des biches, des serpents, divers rongeurs et des oiseaux. Sur le plan agricole, le sommet et le piedmont sont riches en humus. Les marécages situés dans les bas-fonds sont exploitables toute l’année. Certaines plantes à l’instar du rônier sont riches d’intérêt : ses fruits sont comestibles, ses feuilles sont exploitables en vannerie, son tronc est utilisé comme pont ou support de grenier. Artéfacts collectés - À l’issue des sondages et des fouilles, nous disposons de tessons de poterie décorés et sans décor, de fourneaux de pipe, de meules mobiles et de broyeurs. Chronologie - Aucune datation au C14 n’a été faite sur les sites. Selon les témoignages enregistrés, les sites étaient encore habités après l’Indépendance du Cameroun. État de conservation - Site au potentiel archéologique avéré, mais sérieusement menacé par des randonneurs indélicats. Les élèves de la ville de Meiganga y organisent régulièrement des excursions et abandonnent à l’occasion des boîtes de conserve, du plastique entre autres détritus. Ils emportent en retour des tessons de poterie décorés et divers curieux objets comme souvenirs du pique-nique. L’urgence de la préservation et de la conservation de cet important lieu de l’histoire du Cameroun s’impose. L’inventaire des sites dans la région de l’Adamaoua a permis la mise au jour de près de quarante-cinq sites de valeur inégale. Ces découvertes constituent des sources irréfutables d’une histoire qui dort dans des couches archéologiques. Les sondages et les fouilles suivis des analyses et des datations au radiocarbone mettent progressivement à notre disposition des fragments d’une histoire locale dont l’esquisse suivante présente les traits saillants.
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CHAPITRE IV ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES VESTIGES FRAGMENTS DE L’HISTOIRE DE L’ADAMAOUA VENUS DU SOL
* Les témoins muets révélés par l’archéologie sont souvent plus éloquents encore que les témoins de service que constituent les auteurs de certaines chroniques… Seuls des objets témoins, enfouis avec ceux pour qui ils témoignent, veillent alors par-delà le suaire pesant des morts-terrains, sur un passé sans visage et sans voix. Certains de ces témoins sont particulièrement significatifs comme repères et mesures de civilisation ; les objets en fer et leur technologie, les céramiques avec leurs techniques de production et leurs styles… (Ki-Zerbo, 1980 : 26-27).
* La pioche minutieuse des archéologues découvre, couche par couche, la trace émouvante des civilisations (Daniel Rops cité in Jockey, 1999 : 13).
** Outils lithiques multiformes, tessons de poterie décorés ou sans motifs, fourneaux de pipe gercés, parois de fours fragmentés, bouts de tuyères rubéfiés, amas diffus de scories, rares outils métalliques forgés, couvrent inégalement les sites d’occupation ancienne et récente dans des villages mboum, dii, mbéré, mambila, niza’a, pèré, etc., de l’Adamaoua. Ces objets abandonnés, sont en effet des documents matériels pour l’histoire des techniques, des paysages, des mouvements de populations, de l’organisation sociale et de la culture matérielle des peuples de cette région, où les sources écrites sont récentes et les traditions orales controversées. La qualité d’archives matérielles doit également être reconnue aux Fè Mboum, ces regalia des souverains mboum extraits des replis rocheux à Ngan-Ha. Il s’agit des couteaux de jet, des formes sonores et des bracelets corrodés ; des couvre-chefs et des paniers en paille torsadés ; des coiffures et des colliers en perles effilochés. Leur analyse rigoureuse permettrait d’appréhender l’organisation politique, religieuse et économique de la société mboum à l’époque préislamique et au temps précolonial. À un moment où les peuples de l’Adamaoua enquêtent sur les sources de leur histoire, quelles valeurs revêtent ces divers vestiges aux plans scientifique (histoire, écologie,
muséologie, tourismologie), culturel (savoirs, savoir-faire, spiritualité), économique (gestion de l’environnement et des sites) et politique (ethnicité, figures de l’histoire, problématiques de développement)? Quels enseignements peut-on valablement tirer de ces vieux objets pour accéder au passé du Cameroun? Ce chapitre met en exergue l’étude de ces vestiges dans une perspective archéologique. Il s’organise autour de quatre thèmes : le lithique, la poterie, la métallurgie du fer et les objets-signes du pouvoir du Bélàkà mboum. I- VESTIGES DE L’INDUSTRIE LITHIQUE DE L’ADAMAOUA I-1- PRÉSENTATION DES VESTIGES LITHIQUES DE L’ADAMAOUA Le terme industrie, entendu dans une acception commune, signifie « ensemble des activités, des opérations ayant pour objet la production et l’échange des marchandises ou la production de produits destinés à être utilisés ou consommés sans être vendus au préalable ». L’adjectif lithique qui vient du grec ancien lithos, signifie de pierre. Ce qu’on appelle industrie lithique est donc l’ensemble des objets en pierre transformés par les hommes, mais aussi les sous-produits que sont les déchets de fabrication de ces outils. Les vestiges en pierre ou matériels lithiques, qu’ils soient taillés ou polis, sont ceux qu’on rencontre fréquemment dans les sites archéologiques. À cause des difficultés de conservation durable des matériaux organiques comme les os et les matières végétales, les objets lithiques en raison de leur résistance, constituent souvent les seuls témoignages de la culture matérielle la plus ancienne qui nous soit parvenue et évidemment sans leurs manches en bois ou en os. L’industrie lithique de l’Adamaoua est diversifiée au regard de la typologie des vestiges découverts. Les types morphologiques sont variés, allant des galets aménagés du début du Quaternaire (Hervieu, 1960 (a) jusqu’aux meules mobiles fabriquées encore au XXe siècle dans le Mayo-Banyo (Hurault, 1986) par des cultivateurs. Les repères chronologiques à leur sujet restent relatifs. Ils sont tous établis sur la base de la typologie lithique classique, depuis la pierre taillée jusqu’à la pierre polie en passant par les bifaces et les microlithes, entre autres intermédiaires. Aucune datation absolue obtenue au radiocarbone ou par autre méthode de datation n’a jusqu’à présent été pratiquée sur le matériel lithique de l’Adamaoua. Dans cette région, les découvertes éparses de vestiges lithiques et céramiques sont anciennes. Elles datent de la période coloniale (Jauze, 1944). La qualité des objets récoltés constitue des indices d’une occupation ancienne du milieu. Des traces de mégalithisme ont d’ailleurs été signalées à Meiganga dans le Mbéré, prolongement probable de la fameuse civilisation mégalithique de Bouar, précisée en République centrafricaine par Pierre Vidal en 1969. Le mégalithisme se rapporte aux blocs de pierres dressées de grandes dimensions à
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usage rituel. Les mégalithes constituent les premières formes d’architecture de pierres connues dans le monde. Ce sont les témoins monumentaux les plus visibles des anciennes civilisations (Oslisly, 2008). Récoltés essentiellement en surface, certains outils lithiques sont polis, notamment ceux découverts à MayoDarlé (Jauze, 1944). Mais la plupart sont des pièces taillées dans du basalte, roche offrant de bons tranchants à l’instar de celles récoltées à Kassala Ndjidda (Marliac, 1978a) ou par Hurault (1986) vers Banyo et Djohong. Jean Hervieu (1969 (a) : 25-27) a collecté en 1969 à Kontcha, village du Mayo-Banyo, près de 200 galets aménagés arrondis et émoussés sur l’escarpement érodé d’une butte-terrasse, le long du Mayo-Deo, affluent du Faro. Si ces pièces sont essentiellement en quartzite, des éléments en trachyte, en rhyolite ou en grès ne sont pas rares. Il a qualifié cette industrie lithique sur galet aménagé de Pebble culturel, correspondant aux plus anciennes industries humaines connues, signalées et étudiées dans diverses régions d’Afrique. Se fondant sur la grande diversité morphologique des outils récoltés, il estime être en présence du stade évolué ou final de cette civilisation qui peut être rapporté au Quaternaire ancien, entre -2.5 millions - 500.000 ans. Kontcha aurait-il été habité il y a autant de milliers d’années ? Rien n’interdit de le penser en présence de tels témoignages matériels d’ailleurs observés et datés dans quelques régions d’Afrique du Sud, de l’Est, et du Centre. À des fins d’études archéologiques et historiques, la plus vieille industrie humaine fondée sur le lithique a été exploitée pour définir les différentes périodes successives des temps préhistoriques. Pour les périodes anciennes, dont l’Oldowayen (1,9 à 1,7 million d'années en Afrique, caractérisées par le galet aménagé par taille unifaciale ou bifaciale) et l’Acheuléen (vers -1,3 million d’années en Afrique avec une industrie lithique composée essentiellement de bifaces, de hachereaux et de galets), elles constituent les éléments fondamentaux de définition chronologique et de datation (Roche, 1989 : 43-65). Pour la définition des périodes plus récentes, elles jouent toujours un rôle important, mais sont accompagnées d’autres éléments matériels comme la céramique. Ces repères chronologiques nous ont guidé lors de nos recherches dans l’Adamaoua où nous avons rassemblé une cinquantaine d’objets lithiques de types morphologiques variés. Ce matériel lithique pauvre au regard de l’immensité de l’espace exploré, se décline en galets aménagés unifaciaux et bifaciaux, haches polies, bifaces, percuteurs, gouges et microlithes. Les meules mobiles et les meules fixes, celles-ci portant des cupules plus ou moins usées sont mieux représentées. Ces vestiges, et en particulier les meules et les molettes, sont essentiellement issus du granite et du grès, roches réputées pour leur dureté. Le basalte, roche volcanique qui affleure dans différents terrains de l’Adamaoua, en l’occurrence à Ngaoundéré et dans ses environs, est peu résistant sous les coups de molettes. Mais le basalte, qui peut fournir des pièces de bonne qualité aux arêtes
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tranchantes, fut jadis recherché pour la production des outils servant à couper, à tailler ou à creuser. Granite, grès, gneiss, basalte et quartzite sont tous des minerais disponibles dans la région, exploités et travaillés par des hommes expérimentés, bien informés de leurs caractéristiques mécaniques, technologiques et esthétiques.
Schéma 4- Galets à taille bidirectionnelle : « On peut classer dans cette série environ 34 % des pièces récoltées à Kontcha. L’aménagement d’un tranchant sinueux est obtenu rarement par enlèvements opposés à une fracture oblique, mais le plus souvent par enlèvement en deux séries successives, généralement en opposition alterne ou irrégulière, sur les faces parallèles à l’aplatissement » (Hervieu Jean, 1969 (a) : 2627).
Les vestiges lithiques sont essentiellement collectés en surface. Toujours isolés sur les sommets et aux piedmonts, ils sont en situation stratigraphique imprécise à telle enseigne qu’il est difficile de déclarer s’ils sont en contexte ou non. Les pièces extraites des couches archéologiques se résument généralement en molettes émoussées, avec une dominante de formes ovoïdes et sphériques présentant des surfaces actives érodées. Le matériel lithique collecté par différents chercheurs et à des époques diverses dans l’Adamaoua est caractéristique d’une ère technologique dominée par l’usage de la pierre, même si la poterie et la métallurgie du fer ne sont pas inconnues dans certains cas. Dans la quête de repères chronologiques assignée à cette étude, il est difficile, en se reportant uniquement à ces pierres, de parler d’un Âge de pierre stricto sensu, en l’absence des données quantitatives et qualitatives mettant en exergue l’utilisation dominante, voire exclusive de l’outil lithique à une période donnée de l’histoire. I-2- APPORTS DES INSTRUMENTS LITHIQUES A L’HISTOIRE RÉGIONALE À quoi servaient ces outils lithiques? Les études tracéologiques étant totalement ignorées à leur sujet dans l’Adamaoua, on se limite à la formulation des hypothèses sans aucune prise certaine sur le réel. Toutefois, l’hypothèse en l’état actuel des interprétations ne signifie pas incertitude, mais avis réservé en attendant l’approfondissement des recherches.
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I-2-1 Les galets aménagés, les pierres taillées et polies notamment les bifaces, les haches polies et les herminettes sont considérés partout comme les plus vieux outils de l’homme. Il s’en est servi pour s’insérer dans le milieu naturel et créer les conditions favorables au développement de la culture. À l’aide de ces outils devenus le prolongement artificiel de sa main, il a coupé les graminées, les arbrisseaux et les arbustes pour se construire une hutte lorsqu’il a quitté les grottes. Il s’en est servi pour écorcer les arbres et couvrir sa hutte ou encore pour confectionner ses vêtements et se protéger contre les intempéries et les agressions des insectes. Il les a utilisés pour tailler les os, les cornes, le bois, les peaux de bêtes afin de s’équiper en armes de chasse et en instruments de pêche et de labours. Les manifestations de l’usage des outils lithiques sont leur propre présence sur les sites archéologiques.
Photo 15- Pierre taillée sur basalte de PK 48 (Baoussi I) © NTM, 2005.
Photo 16- Hache polie sur granite de PK 125 (Yoko I) © NTM, 2004.
I-2-2 Les meules mobiles, les meules dormantes et les molettes constituent le groupe majeur de l’industrie lithique identifiée dans les sites archéologiques de l’Adamaoua. Elles sont présentes partout à quelques
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exceptions près. Depuis quand sont-elles utilisées ? Elles sont probablement d’usage ancien et remonteraient au début de l’exploitation des céréales dans l’Adamaoua. Commencement connotant avec les premières formes de l’agriculture alors axées sur la culture d’un fond ancien de cultigènes africains, dont le sorgho rouge et le jaune (Sorghum bicolor), le mil pénicillaire (Pennisetum typhoïdes) et le millet (Eleusine corocana). Presque tous les habitants de l’Adamaoua cultivaient des céréales. Pour moudre les grains, ils se servaient des cupules - petites structures en forme de coupe - ménagées sur des meules fixes, énormes bancs rocheux granito-gneissiques qu’on abandonnait quand les villages se déplaçaient. Ils utilisaient aussi des meules mobiles, blocs granitiques manufacturés de petites dimensions, déménageables dans de nouveaux villages. C’est sans doute pourquoi elles sont omniprésentes dans des sites archéologiques. Les anciens cultivateurs auraient de préférence exploité les cupules sur meules fixes. On les observe essaimées sur les bancs rocheux dans la région de l’Adamaoua.
Photo 17- Kyrielle de cupules sur un banc rocheux au mont Djim © Hassimi, 2009. Selon les traditions locales, il y en avait une [cupule] par femme. Ce groupement serré que l’on retrouve même dans des régions insalubres peut être rapproché de la localisation préférentielle de ces anciens sites au voisinage des massifs rocheux, ou au sommet de ceux-ci. Il témoigne d’un degré élevé d’insécurité et d’un état d’alerte permanent. Cela peut expliquer pourquoi il fallait une cupule par femme. Celles-ci devaient aller moudre le grain ensemble, escortées par une partie des hommes. Il fallait que l’opération fût aussi courte que possible et fût terminée avant que les ennemis potentiels fussent à même de monter un raid pour enlever des femmes (Hurault, 1986 : 55).
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Les cupules observées sur les bancs rocheux au mont Djim dans la région de l’Adamaoua, à Hosséré Djaba dans la région du Nord-Cameroun, à Mora massif et à Boukoulah dans la région de l’Extrême-Nord, sont dans des états de conservation variables selon l’intensité de l’usage et leur ancienneté. Certaines sont encore visibles et d’autres complètement arasées, voire effacées. Si plusieurs avis concordent pour faire des de ces cupules des moulins à grains, d’autres non moins pertinents, prétendent qu’elles servaient à écraser des produits toxiques dans lesquels on trempait les pointes de flèches, utilisées ensuite pour tuer les bêtes sauvages ou pour blesser mortellement des ennemis au combat. Rien cependant n’interdit de penser que sur le même banc rocheux, l’on ait assigné à chaque cupule un rôle particulier et connu de tous les usagers afin d’éviter des accidents. Progressivement, ces meules fixes ont été supplantées par des meules mobiles, une fois que la virulence de l’insécurité fut réduite dans le plateau de l’Adamaoua, suite aux alliances politiques et à la présence coloniale au courant du XXe siècle. En se reportant au nombre des meules mobiles recensées dans les anciens habitats et en considérant la profondeur de leurs auges, Jean Hurault a simulé des projections démographiques et dépeint par conséquent l’état sécuritaire en cours dans le plateau occidental de l’Adamaoua aux siècles derniers, démontrant de ce fait le potentiel de ce matériel comme matériau pour l’histoire. À une certaine époque, on a commencé à utiliser des meules mobiles ; les plus anciennes de celles-ci peuvent, d’après la profondeur atteinte par l’auge, remonter à un millier d’années. Mais la plupart des meules mobiles qu’on retrouve abandonnées en brousse ne sont pas si anciennes ; elles ne semblent dater que de quelques centaines d’années. Cette évolution est corrélative d’un changement survenu dans l’habitat. Chez les Wawa [Mayo Banyo], à une époque qu’on peut situer au XVe ou XVIe siècle de notre ère, les sites montagnards ont été abandonnés au profit d’un habitat au bord des vallées, mis en évidence par les camps fortifiés dissémines le long de celles-ci ; ce qui semble traduire une évolution vers une sécurité relative et 1’établissement de liens politiques entre les chefferies territoriales ; de ce fait, les villageois ont été amenés à abandonner les meules fixes et à utiliser des meules mobiles. La présence sur les sites étudiés d’un nombre assez élevé de meules neuves ou presque neuves montre qu’à l’époque de la conquête peule [première moitié du XIXe siècle] toutes les possibilités de s’en procurer, par héritage ou par récupération sur les sites abandonnés, avaient été épuisées ; il apparaît donc que la population était plus nombreuse qu’elle n’avait jamais été (Hurault, 1986 : 55-56).
Par ailleurs, les observations de Jean Hurault (1986 : 55-57) sur la facture matérielle et les fonctions des meules mobiles des anciens cultivateurs du Mayo-Banyo connotent avec celles de Agnès Gelbert (2005 : 326-328) sur les
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meules mobiles de Djaba, Bouk, Dogba et Sakjé dans la région du Nord. Toutes convergent pour indiquer que la roche sollicitée pour leur fabrication devait présenter un certain nombre de qualités, notamment la disponibilité dans l’environnement immédiat, la dureté, la résistance à la fracture et la densité des grains.
Photo 18- Meule mobile en granite /Hosséré Djaba © Nizésété 2001.
Photo 19- Meule et molette en granite /Ngan-Ha © Nizésété 2001.
Photo 20- Femme dii, à genoux, écrase le mil par va-et-vient du broyeur sur toute la longueur de la meule © Photo Flottum Sverre, (entre 1940-1950)/Projet NgaoundéréAnthropos Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun) & NMS (Stavanger, Norvège). PCD : 0782-016 AL.
Le granite, le quartzite, le grès ou schiste étaient de ce fait pressentis. Mais le choix portait de préférence sur le granite, roche grenue, particulièrement dure et disponible dans les régions de l’Adamaoua et du Nord. La meule neuve remise à une femme ressemblait à une table à surface plane et la dépression ne se créait
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qu’au fur et à mesure de son utilisation avec le temps. Les meules mobiles étaient transmises de génération en génération jusqu’à ce qu’elles finissent par se gercer et se casser. On pouvait cependant freiner cette évolution en les maintenant dans des espaces aménagés, les éloignant ainsi des intempéries. Meules fixes, meules mobiles et molettes servaient à moudre les grains, à casser les noix et noyaux, à écraser les racines, les feuilles, les condiments, les médicaments ou à fragmenter les os. Les femmes utilisaient les meules mobiles en se mettant à genoux, comme c’est le cas de nos jours dans les villages du Cameroun. Les produits étaient moulus par va-et-vient du broyeur sur toute la longueur de la meule. Que sont devenues les utilisatrices de ces instruments de broyage ou de concassage qu’on trouve abandonnés dans les sites d’anciens habitats? Sans doute, de génération en génération, elles ont migré laissant derrière elles les spécimens pondéreux ou usagés. Ces moulins, quelquefois, ont juste manqué de propriétaires, celles-ci ayant disparu. De l’analyse des vestiges lithiques observés et collectés dans les sites archéologiques de l’Adamaoua, on doit retenir : 1- Une exploitation rationnelle des potentialités minérales de l’environnement. Les habitants étaient bien informés des qualités intrinsèques des roches disponibles dans leur milieu naturel. Le granite, réputé pour sa dureté et sa disponibilité fut le plus sollicité pour produire des outils aux usages multiples. 2- La situation topographique de ces outils donne des repères sur les raisons du choix des sites d’habitat. Celles-ci furent motivées à une certaine époque par la recherche de la sécurité dans un environnement belligène, sous-tendu par le rapt de femmes et la razzia d’esclaves. Les hauteurs étaient prises d’assaut par temps d’insécurité d’où la présence dans ces espaces, de nombreuses meules dormantes à cupules et des meules mobiles. Par temps de paix, ce sont les fonds de vallées qui étaient colonisés, accueillant les migrants chargés de leurs meules mobiles. 3- La qualité et la quantité des vestiges informent sur la démographie et la chronologie. Dans le cas de l’Adamaoua occidental par exemple, Hurault fait des projections démographiques en se basant sur les essaims de cupules et sur le nombre de meules mobiles abandonnées. Plus le nombre de ces vestiges est important, plus serait le nombre d’habitants. Une étroite corrélation est ainsi établie entre les objets et les hommes. Toutefois, on doit prendre en compte le cas des réutilisations, et à des périodes successives et non concomitantes, pour relativiser ce comput empirique. 4- La corrélation entre l’état sécuritaire et le développement d’une technique, notamment celle des cupules est manifeste dans cette relation entre l’homme et la pierre.
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Dans l’échelle chronologique classique, le temps de la céramique succède à celui de la pierre. Dans la réalité, le processus n’est pas aussi linéaire qu’on le prétend. Le travail de la pierre a longtemps coexisté avec le modelage de l’argile et la réduction des minerais de fer. Les âges de pierre, d’argile et de fer ont ainsi cohabité dans différents endroits au Cameroun. La méconnaissance de leur effectivité réside sans doute dans la faiblesse des recherches archéologiques entreprises dans ce pays. Toutefois, s’il est un matériau dont la présence est signalée sur tous les sites ou presque, c’est la céramique, aussi appelée poterie. Vestige presque ubuesque, la poterie reste le fossile directeur majeur. II- VESTIGES DE L’INDUSTRIE CÉRAMIQUE DE L’ADAMAOUA II-1- NOTE LIMINAIRE SUR LES VESTIGES CÉRAMIQUES DE L’ADAMAOUA Les vestiges céramiques se présentent essentiellement sous forme de tessons. Les pièces découvertes en entier sont rares. Ce témoignage matériel de l’histoire nous arrive en général en fragments. Sans visage, parce que débarrassé de sa forme originelle. Anonyme et muet, parce que dépouillé par l’érosion de son décor, probable signature porteuse de son message. Pourtant, les poteries entières découvertes avec d’autres vestiges dans des sites archéologiques en Afrique ont éclairé le passé des anciennes civilisations du continent. C’est le cas des terres cuites de Nok (Nigeria) 500 BC. à 200 AD, les terres cuites sao (Tchad, Cameroun, Nigeria) du Xe au XVIIIe siècle, les anciennes céramiques figuratives d’Afrique occidentale, dont les remarquables têtes en terre cuite d’Ife (Nigeria) datées approximativement entre le XIIe et le XVe siècles (Cornevin Marianne, 1993 : 109-115). Modelée dans l’ensemble du continent africain depuis le néolithique au moins (daté entre 8000 à 5000 BC) suivant les régions et dont elle constitue le marqueur culturel et le repère chronologique par défaut, la céramique se trouve au centre des activités quotidiennes aussi bien profanes que sacrées des sociétés où on la travaille. Jarres, cruches, plats, écuelles entre autres récipients furent présents dans tous les foyers pour transporter, conserver, préparer et servir les aliments. Parallèlement, des pièces céramiques particulières étaient placées sur les autels dédiés aux ancêtres, ainsi que sur les tombes d’illustres défunts afin d’honorer leur mémoire. Pendant longtemps, avant d’être remplacés par des ustensiles en polystyrène et en métal, peu d’objets autres que la céramique ont assumé autant de fonctions. Une polyfonctionnalité qui s’explique par la texture de son matériau et le buissonnant symbolisme qui lui est associé. Le terme céramique, selon Jean-Claude Échallier (1984 : 5), passé dans le langage courant en archéologie pour désigner, d’une façon générale les poteries, ne rend pas exactement compte de la nature et de la spécificité du matériel qu’il désigne. En effet, les poteries sous toutes leurs formes ne constituent qu’une
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part modeste des produits céramiques. Les céramiques sommairement définies comme des agrégats minéraux rendus cohérents par la cuisson, intègrent aussi bien les terres cuites comme la brique ou la poterie commune, que les composants électroniques ou encore les produits réfractaires ou les produits semi-vitreux comme les grès. Dans cette étude, nous employons le terme poterie fréquemment utilisé comme synonyme de céramique. Utilisée partout pour les services les plus variés, aussi rapidement fabriquée qu’aisément détruite et jetée sans façon, la céramique reste au regard de cette disponibilité, le vestige matériel familier des sites archéologiques.
Photo 21Jarre cérémonielle mambila/Cameroun. Analogie entre le pot et le corps humain © Serra Ester et Taravilla, 2007 : 85.
Photo 22- Jarre de bière de maïs mambila/Nigeria, Cameroun © Serra Ester et Taravilla, 2007 : 82.
Les vestiges collectés en surface ou extraits des couches archéologiques, constitués des bords, des cols, des panses ou des fonds informent très imparfaitement sur la morphologie initiale des objets céramiques et encore moins sur leurs fonctions. Qu’il s’agisse des jarres de transport, de conservation des liquides ou de grains, des marmites de cuisson, des écuelles et des cruches de service des aliments, des pots perforés chauffants et diverses vaisselles cultuelles, le mystère reste souvent entier sur la nature et la vocation de ces objets. Les photos 21 et 22 ci-dessus nous donnent, à titre d’exemple, une certaine idée sur les paramétrages esthétiques et utilitaires de l’art céramique. Splendides objets d’art qu’on retrouve rarement ou presque jamais en intégralité dans des couches archéologiques. Les raisons d’une telle situation
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sont évidentes. En effet, pourquoi enterrerait-on un objet en parfait état d’utilisation à moins que l’enfouissement soit intentionnel, motivé par des facteurs d’ordre économique, cultuel ou funéraire. La céramique qui présente un visage particulier de l’art africain n’a pas toujours été appréciée à sa juste valeur. Mérite et estime éclipsés par la splendeur de la statuaire en bois. Ne nous parviennent en général que des tessons, c’est-à-dire les débris des pots fragmentés dont l’analyse est au centre de cette étude. La céramique demeure dans tous les cas, l’un des fossiles directeurs privilégiés en matière de recherche archéologique. Elle indique les anciens habitats, et constitue l’un des témoignages concrets de l’habileté des hommes à transformer la matière et à s’en servir dans la gestion de la vie quotidienne. Plus que tout autre élément de la culture matérielle, la céramique porte en elle le témoignage de multiples facettes de l’ethnicité et d’incessantes interactions entre les groupes humains. De ce fait, elle est d’un intérêt manifeste pour l’appréhension de l’évolution des sociétés à l’épreuve des contacts, des échanges, des gains, des pertes et des emprunts culturels. Ceramics are one of the most common categories of material culture recovered from archaeological sites. The clays from which pots are modelled have great plastic qualities. The malleability and the fact that ceramics are abundant on sites make them particularly well suited to classification and categorization schemes. This has made ceramics one of the single most important artéfact classes used by archaeologists to reconstruct cultural histories the world over. More often than not, ceramics and the stylistic changes observed in the assemblages have been approached as a reflection of social, political, and/or ideological changes in culture, and it is generally that accepted that by tracking these stylistic changes we may draw conclusion about important events which occurred in a culture area through time (Bourges, 1996 : 78).
Les centaines de tessons de céramique collectés dans les différents sites prospectés et/ou fouillés dans l’Adamaoua ont en effet pour but, au terme des analyses, de permettre une meilleure connaissance des peuples et cultures de l’Adamaoua. II-2- PRÉSENTATION DES VESTIGES CÉRAMIQUES DE L’ADAMAOUA La présentation des vestiges céramiques de l’Adamaoua s’organise autour de quatre principales articulations : la quantité de tessons collectés et stockés, la morphologie probable des pots, la texture de la pâte et le décor. 1- La quantité de tessons de céramique Quelle quantité de tessons avons-nous collectée au bout d’une décennie de prospection dans l’Adamaoua? Des centaines sans aucun doute. Petits et gros fragments, tessons décorés et sans décor, pièces érodées et tessons intacts,
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différentes catégories de débris céramiques ont été ramassées sur les sites d’ancienne occupation prospectés. Un seul pot entier a été découvert en stratigraphie à Ndeba, site de Somié ; les spécimens entiers observés en surface à Gu-lil étant plutôt des indicateurs de sépultures récentes. Planche 1- Céramique de l’Adamaoua : décors par impression à la roulette gravée.
1- Mont Djim-Galim Tignère.
2- Ngaw Nduru.
3- Tchabal Mbabo-Galim Tignère.
4- Ndeba-Somié.
5- Ngan-Ha (Ndjock Nang).
6- Magbébé-Somié.
Tessons de poterie décorés issus de différents sites archéologiques de l’Adamaoua. Technique d’impression au peigne sculpté ou à la roulette gravée. Les motifs sont obtenus en roulant sur l’argile encore tendre un objet ayant du
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relief. Des lignes horizontales brisées s’associent pour produire des motifs géométriques d’une grande sobriété. Décors très couvrants et localisés en particulier sur la partie supérieure de la panse. Que dire de la quantité et du poids de ces tessons ? Ils donnent des indications sommaires sur la densité du travail accompli par les potières de plusieurs générations et renseignent sur la fréquence régulière des destructions des récipients du fait des chocs mécaniques et thermiques selon les types d’argiles travaillés et les techniques de cuisson. Environ 200 kilogrammes de tessons ont été sélectionnés et stockés après la mise au rebut des éléments entièrement érodés une fois que les informations pertinentes à leur sujet étaient enregistrées. Quelles informations d’ordre technique peut-on tirer de ces tessons ? Sur le plan quantitatif, l’analyse pondérale des tessons renseigne très imparfaitement sur le volume d’argile extraite dans la région. Pourquoi ? Puisque la collecte des tessons est discriminante eu égard au nombre de sites prospectés et à la qualité des fragments céramiques ramassés. Non seulement la prospection couvre inégalement le territoire régional, mais ce sont surtout les tessons décorés qui sont privilégiés pendant la collecte même si des spécimens sans décor sont abondamment représentés dans la population céramique stockée. À propos de la dynamique des décors, les informations à tirer de cette céramique archéologique sont minces dans la mesure où les tessons issus des sondages et des fouilles sont pour la plupart érodés. S’ils étaient décorés avant leur enfouissement, l’acidité ou l’humidité du sol ont effacé les motifs. Une telle observation est loin de renseigner sur l’évolution ou la stagnation de la pratique céramique dans l’Adamaoua. Néanmoins, il y a lieu d’observer sur le plan de la chronologie que les tessons issus dans les couches archéologiques peuvent faire l’objet de datations à la thermoluminescence ou encore au C14, s’ils sont prélevés dans de meilleures conditions et s’ils contiennent des matières organiques datables. Ces tessons, dans l’ensemble, sont la preuve manifeste d’une activité ancienne et continue, puisque les traces sont évidentes aussi bien dans des couches archéologiques datant du début de notre ère que sur terre ferme dans des villages encore habités. Ils donnent la mesure d’une activité intense sous-tendue par une consommation soutenue, laquelle ne fut tempérée qu’au milieu de XXe siècle avec l’invasion des articles en métal et en polystyrène. D’autres produits céramiques observés sur les sites archéologiques sont les pipes. Ces objets composés à l’origine d’un tuyau aboutissant à un fourneau destiné à contenir de la matière à fumer comme le tabac ou autre drogue, nous parviennent généralement fragmentés. On découvre surtout des fourneaux parce qu’ils sont plus compacts et à l’ossature épaisse contrairement aux tuyaux qui, souvent de facture végétale, ne
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se conservent pas longtemps dans le sol. La présence de vieilles pipes dans des couches archéologiques soulève une série de questions. On est en droit de s’interroger sur la chaîne opératoire conduisant à la manufacture de ces ustensiles miniatures à la structure si complexe. On cherche à connaître les utilisateurs de ces pipes : des hommes et/ou des femmes. On voudrait savoir si elles constituent des marques d’appartenance à un statut social ou seraient simplement un objet ordinaire à la portée de tout fumeur.
Photo 23- Fragments de fourneaux de pipe décorés du site de Yoko © NTM 2008.
Photo 24- Fragment de fourneau de pipe du site de Yoko © Nizéseté, 2006.
Photo 25- Fragment de fourneau de pipe du site de Ndeba (Somié) © Nizéseté, 2006.
Les décors riches et variés observés sur certains fourneaux, notamment ces lignes croisées parallèles, ces champs de croix, ces motifs géométriques, anthropomorphes et animaliers seraient-ils des marques de reconnaissance ou
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des marques d’affiliations familiales ou claniques ? Que fumait-on ? Du tabac (Nicotiana tabacum) ? Cette plante herbacée aux larges feuilles riches en nicotine et en composés aromatiques, originaire d’Amérique du Sud et dont la diffusion en Afrique est postérieure au XVIe siècle, est cultivée dans la région. Depuis quand alors ? En dehors du tabac, que pouvait-on fumer d’autre ? Des questions dont beaucoup sont sans réponses. En 2006 à Somié, nous avons filmé la chaîne opératoire de la fabrication des pipes auprès du dernier spécialiste en la matière, Mgbagnié Paul, disparu en 2011. Quant au décryptage des motifs décoratifs sur les fourneaux et la levée du mystère sur les substances fumées, l’exercice est en cours. Combien de tonnes de tessons de céramique sont-elles encore en attente dans d’anciens sites d’habitat aujourd’hui désertés, le regard tourné vers d’éventuels archéologues ou pis encore, tête baissée en attendant d’être broyées par les cultivateurs et les maçons? Que représente véritablement la masse de tessons collectés par rapport à la production générale des pots dans l’Adamaoua depuis les temps anciens? Depuis combien de temps en effet ? Difficile de répondre à ces interrogations scientifiques majeures qui défient l’imagination de tout archéologue œuvrant au Cameroun dans un contexte scientifique privatif et austère, caractérisé par la carence manifeste de la logistique élémentaire, l’absence chronique de laboratoires d’analyses, d’infrastructures de conditionnement et de conservation des éléments du patrimoine culturel matériel. Beaucoup de questions restent en fait sans réponses immédiates possibles. Les limites de la validité du pesage de quelques tessons de céramique sur une masse inconnue, sous-tendue par des difficultés matérielles de recherche, viennent à leur tour surchauffer l’ambiance surréaliste dans laquelle baigne la recherche archéologique au Cameroun. 2- Morphologie des pots Les produits céramiques mis au jour par les archéologues se résument généralement en des fragments de formes et de tailles variées. Les différentes pièces du puzzle qui permettront la reconstitution probable de l’objet initial se composent du fond, de la panse, du col, des bords et d’ajouts éventuels comme les pieds ou l’anse. Ces pièces nous parviennent dans des états de conservation divers. Certaines sont très altérées, ne présentant plus que leur noyau du fait de l’acidité du sol et des eaux de ruissellement qui ont fortement dégradé leurs surfaces. D’autres, par contre, revêtent encore leurs décors. La taille et la forme des tessons sont le résultat des accidents de conservation depuis l’instant de l’abandon de l’ustensile jusqu’au moment de sa découverte. Rarement un pot ordinaire entier est mis au jour dans des sites. Peut-on véritablement reconstituer les pots avec de menus fragments au point de retrouver leurs formes originelles ? L’imagination n’anticipe-t-elle pas souvent sur le réalisme lorsqu’on tente par tous les moyens de recoller des
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débris d’ustensiles atrocement mutilés par les hommes et par le temps ? Dans tous les cas, des experts parviennent quelquefois au terme d’une pirouette artistique digne d’une partie de puzzle, à assembler des fragments de fond (qui malgré sa compacité, reste curieusement rare dans les sites), de panse, du col, du bord pour recréer l’image initiale du vase brisé. Planche 2- Formes et extrémités des bords de quelques vestiges céramiques du site de Ndeba à Somié.
1 - Récipient fermé à col concave de courbure moyenne avec extrémité des bords arrondie.
2 - Récipient fermé à col concave de courbure moyenne avec extrémité des bords arrondie.
3-Récipient fermé à col concave de faible courbure avec extrémité des bords arrondie.
4- Récipient ouvert limité à la panse avec extrémité des bords arrondie.
Dessins de Sardi Abdoul Innocent, 2011. Le spectaculaire progrès en cours dans l’infographie depuis environ deux décennies décuple désormais les capacités de reconstitution des formes en offrant aux chercheurs une large gamme de possibilités de création de morphologies probables d’une poterie à partir du plus menu tesson et avec une aisance étonnante. Dans cette quête de lignes morphologiques, où situer la frontière entre le réel et l’imaginaire ? Telle est la question qui agite l’esprit des chercheurs et du grand public.
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Dans l’Adamaoua, en nous reportant aux formes de cols et de bords des restes de poterie collectés dans différents sites, nous sommes parvenu au terme d’une reconstitution ardue au regard des moyens techniques disponibles, à l’identification de deux formes principales (cf. Planche 3) : les formes ouvertes et les formes fermées, jargon requis en la matière. Par forme ouverte, certains experts notent qu’elle se rapporte aux récipients dont la largeur de la bouche est supérieure à la hauteur de l’objet. Dans la même perspective, d’autres estiment qu’il s’agit des objets dont le diamètre d’ouverture de la bouche est supérieur à celui de la panse. Par forme fermée, on entend d’emblée le contraire de la forme ouverte. Elle se rapporte alors aux récipients dont la largeur de la bouche est inférieure à la hauteur de l’objet, ou encore, il s’agit des objets dont le diamètre d’ouverture de la bouche est inférieur à celui de la panse. Ces formes ont en général un rapport étroit avec la fonction des récipients auxquels elles se rapportent, du moins, si l’on se réfère à la réalité ambiante, laquelle peut cependant ne pas refléter exactement les réalités du passé. Les formes ouvertes par exemple, telles qu’observées aujourd’hui, conviennent aux récipients servant à laver, à sécher ou encore à servir les repas. Il s’agit d’un matériel facile d’accès, ne limitant pas les mouvements des mains ou des bras, contrairement aux récipients fermés requis pour le stockage, le transport ou encore la cuisson. Il s’agit des ustensiles difficiles d’accès, conçus à dessein pour empêcher autant que possible les produits à transporter comme l’eau, le vin ou les grains, de même que les aliments en cuisson. Il est aussi question de limiter l’accès aux réserves alimentaires et aux semences en les conservant dans des récipients à l’ouverture réduite. Comme l’observe à juste titre Prudence Rice, hier comme aujourd’hui, la production de la vaisselle céramique n’est pas une œuvre fortuite. Elle est l’aboutissement d’un projet conscient, lequel inspire le modelage et la décoration de l’argile, sous-tend les formes et les usages potentiels de l’objet. Objects fashioned wholly or in part from clay have served a variety of human needs past and present, from sewer pipe to spacecraft insulation. But the broadest and most fundamental use of clay has been in containerspottery vessels. Pottery containers may be used for carry liquids, storing dry substances, or heating contents over a fire. Each use places different demands on the vessel, and so its suitability for a particular task depends on its design, in engineering as well as on an artistic sense (Rice, 1987, citée par Bourges, 1996 : 107).
Comme indiqué plus haut, l’état des tessons qui sont mis au jour ne permet pas de décrire la mise en forme, le montage ou encore la technique de création des récipients dont ils sont issus par fragmentation accidentelle ou intentionnelle. Ces vases furent-ils montés par creusage direct de l’argile, une façon de dire que la forme de l’objet fut ébauchée par enfoncement du poing dans une motte de terre plastique, suivi de l’étirement des parois vers le haut, le
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galbe étant ensuite travaillé depuis l’intérieur de la cavité pendant que depuis l’extérieur, la potière contrôle l’épaisseur des parois, comme le fait Awa à Gambouokou ? Ou encore furent-ils réalisés et finalisés par le colombinage, technique utilisée généralement pour parfaire la hauteur des poteries ou pour appliquer les cols et qui consiste à superposer de longs boudins d’argile ou colombins, que la potière obtient en roulant des poignées d’argile contre les paumes de ses mains et qui sont joints au fur et à mesure par écrasement interne et externe et puis par étirement jusqu’à l’obtention de la hauteur désirée comme à Meiganga, Somié et Mbé? Quel que soit le cas, il reste difficile de créditer telle ou telle autre technique de montage des poteries sur la base singulière de simples tessons, dans la mesure où la fragmentation et la dégradation les ont dépouillés de leurs signatures techniques et par conséquent, les ont rendus muets. L’état de conservation du matériel collecté sur les sites ne fournit ainsi que trop peu d’indices pour définir la ou les techniques de façonnage utilisées, de même que le traitement final des parois extérieures.
Photo 26- Montage par étirement des parois. Potière Awa à Gambouokou © Nizésété 1998.
Photo 27- Préparation du colombin par une potière au Nord-Cameroun © Ousmanou Babbawa 1998.
Toutefois, avec les progrès scientifiques enregistrés dans le domaine de la céramologie, il est désormais possible avec l’assistance des microscopes à balayage électroniques ou d’autres appareils crédités de très grande définition et à très haute précision, de reconnaître parfois de fines traces qui permettent de retrouver les techniques de montage des vieilles poteries. L’électronique est donc devenue en deux décennies voire moins, l’une des précieuses alliées de l’archéologie et de l’archéométrie. Son apport est encore manifeste dans l’étude de la pâte céramique, ouvrant ainsi de larges perspectives dans la connaissance des origines de l’argile ou encore des techniques de fabrication des céramiques.
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3- Pâte argileuse Sur un échantillonnage de 360 tessons provenant des sites archéologiques de l’Adamaoua, nous avons analysé la pâte argileuse, matière première de leur manufacture. Que cherchons-nous dans de l’argile cuite? L’étude de la pâte vise à détecter les éléments minéraux constitutifs de l’argile qui servirent à la fabrication des céramiques. La qualité intrinsèque du matériau argileux a en effet une influence non négligeable sur la résistance mécanique et/ou thermique de la céramique, sur la couleur du produit cuit et dans certains cas, elle donne des indications sur les sites d’extraction ou les lieux de provenance de l’argile. L’observation de la pâte des 360 tessons de céramique montre précisément que celle-ci est hétérogène, associant les éléments argileux plastiques aux minéraux non argileux. Les éléments non plastiques encore appelés dégraissants ou inclusions sont de diverses natures. S’agit-il d’ajouts volontaires des particules non plastiques ou d’éléments naturellement présents dans la terre utilisée? Les dégraissants observés dans la pâte que nous avons analysée sont des nodules de quartz, de fer, du feldspath, et des traces d’éléments organiques comme des débris végétaux en des proportions variées comme c'est indiqué dans la planche 3 ci-dessous. Planche 3- Une caractéristique de la pâte céramique de l’Adamaoua. Eléments d’inclusion Quartz
Feldspath
Brins de végétaux
Oxydes de fer
Fréquence Rare Fréquent Très fréquent Absent Rare Fréquent Très fréquent Absent Rare Fréquent Très fréquent Absent Rare Fréquent Très fréquent Absent
Quantité 60 200 100 00 150 150 60 00 120 30 10 200 290 20 10 40
Les dégraissants d’origine minérale notamment le quartz, le feldspath sont très fréquents dans les pâtes étudiées. Le quartz est, de l’avis des spécialistes, un dégraissant idéal. Il permet en effet de régler finement la plasticité de la terre
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par l’introduction mesurée de ce minéral dans une argile trop grasse. L’absence de microscope nous a sans doute empêché de déceler dans ces pâtes tous les dégraissants possibles puisqu’en réalité, ils sont infiniment variés : roches broyées, quartz, feldspaths, micas, calcite, graphite, chamotte (terre cuite broyée), coquillage, os pilés, bouse de vache, ainsi que des dégraissants végétaux (débris de graminées ou de bois, graines). L’argile est une roche tendre constituée de différents minéraux : d’une part les minéraux argileux, qui confèrent à l’argile ses propriétés particulières dont la plasticité, le retrait au séchage, le durcissement à la cuisson et d’autre part, les minéraux non argileux tels que le quartz, les feldspaths, le calcaire, les oxydes de fer, etc. …Une argile plastique et très collante est appelée argile grasse, par opposition à une argile maigre, peu plastique, d’où le nom de « dégraissants » donné aux minéraux non argileux ou aux inclusions. On peut ajouter ou enlever des minéraux non argileux pour modifier les propriétés de l’argile. Lorsque l’argile est utilisée telle qu’elle provient de la carrière, on parle de travail « en terre franche (D’Anna et al. 2003 : 7).
Les argiles constituent en effet un groupe de minéraux complexes. Il est rare de trouver dans la nature un gisement d’argile mono-minérale (Échallier (1984 : 6-7). Le matériau utilisé par les potières et les potiers est toujours un mélange, en proportions variables, d’espèces argileuses diverses réunies en un lieu par les conditions qui ont présidé à leur sédimentation géologique. Ce mélange naturel constitue ce qu’on appelle la terre de la potière et qui en fait ne se distingue des terres agricoles que par une forte proportion d’argiles et une plus faible teneur en matières organiques. Il serait, dans ces conditions, tout à fait illusoire de croire que les potiers et potières ont toujours fait appel à un mélange intentionnel d’une phase argileuse, provenant des carrières d’argile pure et d’un dégraissant choisi. Echallier (1984 :12) met d’ailleurs en garde contre une idée erronée, mais largement répandue qui fait du dégraissant un élément toujours ajouté par la potière dans une argile pure. En effet, une potière préparant sa terre à partir d’une terre brute de carrière n’ajoute pas des particules non plastiques, au contraire, elle en retire. L’analyse microscopique montre d’ailleurs bien, le plus souvent, que ce dégraissant était naturellement présent dans la terre utilisée. Il convient toutefois de reconnaître qu’il existe un nombre indiscutable d’ajouts volontaires de dégraissants dans des pâtes céramiques. La question des dégraissants est liée à la destination de l’objet à fabriquer et à la qualité de la pâte recherchée à cet effet. Un potier ne travaille pas de la même façon la terre d’une grande jarre à cuire la bière de mil et celle destinée à la production d’une petite cruche. L’ajout de dégraissant répond à la nécessité de rendre l’argile moins grasse pour faciliter le façonnage, mais il présente d’autres intérêts : pour le séchage
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des pièces, surtout si elles sont épaisses, pour la cuisson, enfin pour l’usage. Lors de la cuisson, D’Anna et al. (2003 : 7) observent que l’argile subit une transformation qui modifie sa structure et la fait passer d’une phase feuilletée à une phase vitreuse. Cette modification de la structure s’accompagne d’une fermeture des pores de la pâte : on dit que l’argile se ferme. À son point de fusion, l’argile est complètement vitrifiée. Plus une argile est cuite, plus elle est dure et fermée, mais plus son coefficient de dilatation est élevé et elle représente alors une faible résistance au choc thermique. Le dégraissant permet de maintenir les pores dans la pâte et de diminuer les tensions lors du choc thermique. Pour cette raison, les céramiques culinaires sont souvent fortement dégraissées et cuites à basse température. Chaque type d’argile, et il en est de même pour les mélanges, présente des avantages et des inconvénients. Les smectites, par exemple, ont une plasticité intéressante, mais elles sont sujettes à un retrait important au séchage et à la cuisson. Les argiles kaolinitiques par contre offrent la particularité de présenter très peu de fondants (potassium, fer, manganèse), ce qui en fait une très bonne terre réfractaire. L’absence ou la très faible quantité d’oxyde de fer lui confère à la cuisson, une coloration blanche. Les argiles kaolinitiques présentent des avantages certains par rapport aux autres argiles. Elles se prêtent tout particulièrement à la fabrication des céramiques culinaires dans la mesure où elles associent résistance au choc thermique et au choc mécanique. Les tessons blancs provenant des kaolinites sont rares dans notre collection. 26 fragments au total ont été ramassés à Ngaw Pak Hay, Somié et Ngan-Ha. L’essentiel des tessons est très coloré et les tons varient parfois sur un même tesson. Dans l’ensemble, trois couleurs prédominent : le brun, le gris et le jaune, au sein desquelles s’illustrent quatre teintes allant du brun-gris clair (2.5 YR 6/2) au brun-gris foncé (10 YR 4/2), brun-jaune foncé (10 YR 3/4), enfin au brun-jaune clair (10 YR 6/4). L’analyse sommaire de la pâte céramique archéologique de l’Adamaoua, effectuée à l’aide d’un matériel rudimentaire est en effet loin de donner des réponses pertinentes aux questions posées sur les sites de provenance des argiles par exemple. Dans tous les cas, l’Adamaoua est richement pourvue en minerai argileux à telle enseigne qu’il est inadéquat de chercher hors de la région, les sites d’extraction de ce matériau. De texture fine à grossière, on trouve dans la région la gamme des argiles convenables à la production de différents ustensiles. Ce qui paraît avoir été d’une pratique courante, c’est le choix parmi toutes les possibilités offertes dans la région, de certaines terres permettant avec le minimum de préparation, l’obtention d’un produit fini déterminé. L’intérêt consisterait davantage à étudier précisément les pâtes avec des outils plus performants, capables de déceler toutes les inclusions naturelles et/ou ajoutées dans la mesure où elles portent très souvent les signatures des milieux naturels et culturels où elles sont nées. Tous les sols de l’Adamaoua ne possèdent pas
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des argiles siliceuses ou des argiles kaolinitiques. Toutes les potières n’incluent pas des débris végétaux ou de la chamotte dans la pâte à traiter. De ce fait, une bonne connaissance de la carte géologique régionale de même que celle des traditions du traitement de la pâte céramique sont susceptibles de fournir une clé d’accès à l’histoire des échanges marchands ou à celle des transferts des techniques autour de la céramique. C’est aussi le lieu de se demander si ce sont les techniques ou si ce sont les artisans qui circulent avec leurs savoirs et leur savoir-faire. Par rapport à la facture des ustensiles, dire si elles étaient fines ou grossières n’est pas évident au regard de la qualité des fragments qui nous sont parvenus. Les produits entiers sont rares dans les sites archéologiques. Toujours est-il que l’idée largement répandue et qui veut, au regard de l’épaisseur des tessons, que l’on dise que les grosses parois appartiennent aux poteries anciennes et primitives par rapport aux céramiques fines, qui seraient plus récentes et caractériseraient l’ultime étape de la perfection de l’art de la poterie, est à rejeter systématiquement. La grosseur, voire la grossièreté ou encore la finesse d’un produit, est en relation avec sa destination. Hier comme aujourd’hui, les poteries de toutes les épaisseurs furent et sont fabriquées. Au sujet de la résistance des poteries aux chocs thermiques et mécaniques, il est certain, au regard des nombreux tessons éparpillés sur les sites archéologiques, que la durabilité des poteries était précaire. La facilité de leur manufacture serait-elle à la base de tant de négligence dans l’entretien ou encore du manque de sérieux accordé à leur fabrication qu’on dirait quelconque ? Mais au regard des motifs décoratifs qui couvrent certains fragments de panses, l’on doit reconnaître l’application et le cœur à l’ouvrage de plusieurs potières. 4- Décors de la céramique archéologique de l’Adamaoua Que pourraient bien signifier ces traits étranges, fermes ici, hésitants là-bas, entremêlés parfois, parallèles bien souvent, qu’on observe sur des tessons de céramique décorés issus des sites archéologiques de l’Adamaoua? S’agit-il des signes en relation avec les scarifications imprimées ou incisées sur le corps humain ? En effet, le jargon céramique attribue aux différentes parties d’une poterie, des noms semblables à ceux du corps humain : lèvre, cou (col), panse (ventre), fond, pied…sans que l’on appréhende toujours les motivations rationnelles d’une telle affectation en dehors des mythes qui comparent la poterie à la vie. À ce sujet, Serra Ester David et Taravilla Mercedes (2007 : 56), racontent : Créées à partir de Terre, source de toute vie d’après la Tradition, les céramiques demeurent liées à cet élément matriciel par leurs formes rondes et leur condition de contenant. En Afrique, les poteries proposent une métaphore de la vie. Le processus de mise en forme de l’argile, tout comme sa transformation par le feu rappellent l’action des divinités
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démiurges dont se font écho les mythes fondateurs. En effet, dans de nombreuses traditions orales - comme celles des Dogon du Mali et les Yoruba du Nigeria -, il est relaté comment les dieux modelèrent l’univers et les hommes à partir d’argile, comme s’il s’agissait d’œuvres céramiques. L’assimilation entre la création de la vie par les dieux et la pratique de poterie que construisent ces fables se manifeste également à travers le langage. Les termes employés pour décrire un récipient se rapportent au corps humain; aussi possède-t-il une panse, des lèvres, un cou, et des pieds. À l’inverse, certains mots propres à la poterie sont employés pour décrire une étape particulière de la grossesse. Dans la chefferie de Babessi, dans le Grassland camerounais, les femmes se servent par exemple du verbe me both (modeler avec de l’argile) pour désigner également le début de la gestation. Ce lien qui unit les poteries aux hommes se renforce au fur et à mesure que ces derniers progressent dans leur vie. Les moments forts de l’existence - naissance, initiation, mariage, mort, etc. - sont associés à un type de récipient particulier. Chez les Yoruba et les Bariba, par exemple, les jeunes mariées reçoivent en cadeau une jarre contenant du beurre, pour marquer leur nouveau statut. Les femmes Kurumba (Burkina Faso), se font offrir des greniers ornés en relief lorsqu’elles accouchent de leur premier enfant tandis qu’en pays Dowayo (Cameroun), quand les femmes perdent leurs époux, elles n’emploient plus qu’une singulière poterie tripode pour cuisiner. Art des dieux créateurs et symbole de la vie humaine, la poterie africaine apparaît donc comme une modalité artistique douée d’une dimension spirituelle qui transcende sa fonction utilitaire. Une particularité qui en détermine la pratique.
La poterie à ce niveau d’interprétation n’est plus un objet ordinaire, et encore moins un simple récipient. Par conséquent, même les motifs qui la décorent ne sont plus ces anonymes anneaux, faisceaux, hachures, losanges entre autres formes géométriques. S’agit-il donc des marqueurs culturels ou encore des marques d’identification, d’appartenance, voire de protection comme l’appréhende Olivier Gosselain (2011) ? Dans tous les cas, les études de Grieder T. (1975 : « The interpretation of ancient symbols »), de Prudence M. Rice (1987 : Pottery Analysis. À sourcebook), Nicolas David et al. (1988 : « Why pots are decorated »), Olivier Gosselain (2011 : « Pourquoi le décorer ? Quelques observations sur le décor céramique en Afrique »), etc., convergent pour considérer le décor céramique comme un langage non alphabétique, un moyen de communication codé. Les décors seraient un alphabet ésotérique. Un discours accessible aux seuls initiés. Ils adressent des informations à ceux qui sont capables de les décoder. C’est justement ce à quoi pense Prudence Rice, quand elle écrit que les styles et les décors céramiques envoient des messages à caractère social, politique et économique connus des expéditeurs et des receveurs. La nécessité de tels moyens de communication émerge avec le développement des sociétés qui s’élargissent et se complexifient, avec un besoin croissant de ses membres
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de donner des informations sur elles-mêmes à d’autres individus physiquement ou socialement éloignés. Des messages facilement décodables par les receveurs. Styles [Pottery] send messages of social, political, and economic group affiliation that are known and recognized by the person displaying the message and the person intented to receive it… The need for such messages arises as societies grow larger and more complex, with an increasing need for members to convey information about themselves to others who may be physically or socially distant. The messages should be readily apparent and capable of being decoded by their audience ” (Rice, 1987 :266-267).
La valeur communicationnelle et rituelle attribuée aux décors céramiques reste cependant équivoque. Des voix dissonantes à l’instar de celles de maintes potières écoutées à Ngaoundéré, à Mbé, à Gambouokouo, à Gangassao, à Loumonangué, à Somié ou encore à Meiganga, soulignent avec insistance, que les motifs décoratifs jouent un rôle exclusivement esthétique. Qui croire, que croire, lorsque les tessons décorés nous arrivent muets, sans repères, sans décodeur? Dans ce contexte, l’étude se limite à l’analyse des motifs observés sur les pièces archéologiques disponibles. D’importantes et intéressantes études sur les techniques de décor et les motifs céramiques dont celles de Hurley (1979, Prehistoric cordage : identification of impressions on pottery), Soper (1985, “Roulette Decoration on African Pottery : technical considerations, dating and distributions”) 1985, Langlois, (2006, « Distributions ancienne et actuelle des décors imprimés au Diamaré (Nord-Cameroun) et à ses marges », sont disponibles et fournissent de précieuses indications sur la dynamique des décors, le matériel de décor, et même les gestes des artisans, avec des précisions quelquefois dignes d’un témoignage oculaire même sur des poteries préhistoriques. Les progrès fulgurants enregistrés en céramologie et en archéométrie sous-tendent sans doute de telles prouesses scientifiques. Les échantillons de céramique archéologique présentés dans les planches 1 et 4 sont tous décorés par impression. Impression à la roulette gravée ou peigne sculpté dans la planche 1 et impression à la cordelette roulée, nouée ou nattée dans la planche 4. Les motifs furent obtenus en roulant sur l’argile encore tendre un objet ayant du relief, soit un peigne sculpté ou une roulette gravée, soit une corde tressée ou un épi de maïs. Ce sont en général des motifs géométriques simples, d’une grande sobriété, très couvrants et particulièrement fréquents sur la partie supérieure de la panse. Les fonds et les cols des récipients ne portent pas de décor.
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Planche 4- Céramique de l’Adamaoua : décors par impression à la cordelette torsadée.
1- Ndeba-Somié
2- Ndeba-Somié
3- Foumgan-Somié.
4- Loumonangué.
5- Ngaw Katil-Mbéré.
6- Mont Ndonga-Tignère.
Tessons de poterie de l’Adamaoua. Technique d’impression à la cordelette torsadée, nouée ou nattée (1-6). De fines (3 et 4) à grossière (1, 2, 5, 6). Les motifs réalisés épousent l’ossature de l’outil du décor imprimé sur la pâte fraîche. Ce sont des motifs d’une grande sobriété, très couvrants et limités ici à la panse.
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L’état des tessons ne permet pas par ailleurs de se prononcer sur la finition des poteries. S’il y eut par exemple des enduits superficiels de nature céramique comme l’engobe, cette barbotine plus ou moins épaisse déposée sur la terre cuite après séchage (mais avant la cuisson) et destinée à modifier l’aspect superficiel de la pâte après les opérations de cuisson, ils ont été altérés et effacés, ne laissant apparaître que des surfaces décorées ou sans décor, sans aucune trace de vernis, s’il y en eut.
Photo 28- Femme portant un canari décoré à Mbé. Telle est l’image grandeur nature des poteries qui nous parviennent plutôt fragmentées. Le décor est-il un marqueur culturel, a-t-il valeur de message ou est-il manifestement esthétique ? © Photo Walle Jan Have, entre 1961-1965/Projet Ngaoundéré-Anthropos Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun) et NMS (Stavanger, Norvège). PCD 075-006 AL.
Au stade actuel de l’analyse des décors, il n’est pas possible de dire avec certitude s’ils étaient, oui ou non, porteurs de messages, s’ils étaient des signatures d’artistes, expressions de l’individualité des artisans et permettant aux utilisateurs de connaître l’identité des fabricants, ou s’ils étaient des marques d’affiliations familiales ou claniques, s’ils étaient tout simplement des motifs ornementaux servant à embellir les récipients, ou tout simplement investis d’une valeur d’usage pratique et fonctionnelle, la rugosité des motifs empêchant les ustensiles de glisser des mains. Toutes ces présomptions sont
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d’ailleurs explorées magistralement par Olivier Gosselain (2011). Si la poterie laisse de nombreuses traces sur les anciens sites d’habitat, la métallurgie par contre est discrète et quand elle se fait indiscrète, ses restes sont spectaculaires. III- VESTIGES DE L’INDUSTRIE MÉTALLURGIQUE DE L’ADAMAOUA III-1- CONSIDÉRATIONS D’ORDRE TECHNIQUE ET CULTUREL SUR LA MÉTALLURGIE DU FER DANS L’ADAMAOUA La métallurgie du fer est une activité très spécialisée. Elle fut longtemps réservée à un groupe d’experts appartenant à un clan ou à une famille. De ce fait, on parle alors de caste de ferrons-forgerons dans l’Adamaoua. Du fait du caractère ésotérique de cet art du feu ou encore art des métaux, la multiplicité des sites paléométallurgiques n’est pas évidente. Dans l’Adamaoua, ils sont essentiellement concentrés dans la Vina, notamment à Loumonangué, Gu-lil, Belel, Sassa Mboersi et plus loin à Yoko, situé dans la vallée de la Vina, à environ 120 km à l’est de Ngaoundéré et localisé administrativement dans la région du Nord. Tous sont des villages occupés par les Dii, peuple anciennement installé dans la région et réputé pour son expertise et sa maîtrise en matière de technique de la fonte et de la forge. Les vestiges métallifères sont également rares. Ils se résument très souvent aux restes de structures de réduction des minerais de fer généralement répandus en surface des crassiers : fragments de parois de fourneaux en piteux état de conservation, n’ayant pas résisté aux assauts des intempéries, aux labours et aux passages du bétail ; bouts de tuyères rubéfiés ; scories de différents calibres nettement mieux conservés. Les restes de la loupe ou des objets métalliques manufacturés sont cependant rares, voire absents dans les sites archéologiques aussi bien en surface que dans les strates. Comme nous le présumions plus haut, cette rareté est-elle due à l’acidité des sols tropicaux qui les altèrent, ou à la rouille qui les réduit en poussière ou encore du fait des limites de la prospection et des fouilles? Toutes ces hypothèses sont recevables. Mais une raison probante qui explique cette absence est que, le fer, métal précieux et alors très recherché au regard de ses usages et de l’important investissement physique et psychologique qui soustend sa production, n’était pas facilement mis au rebut. Il n’était pas évident de jeter une pointe de flèche brisée, une vieille houe, une hache tordue, un couteau laminé, un bracelet rouillé à la manière d’une jarre cassée dans les ordures. Fondeurs et forgerons recyclaient en principe les objets métalliques usés, ceci dans un contexte où le fer servait même de monnaie. Dans de telles conditions faisant du fer un objet de valeur, on peut comprendre l’absence des outils métalliques dans des dépôts archéologiques de l’Adamaoua. L’épanouissement de la métallurgie du fer dans les villages dii n’est pas fortuit. Ce développement technologique résulte d’une heureuse conjugaison de
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facteurs naturels, culturels et historiques. Les analyses physico-chimiques n’ayant pas été faites sur les restes collectés à Loumonangué, Gu-lil, Belel, Sassa Mboersi et Yoko, nous avons plutôt collecté auprès des derniers fondeursforgerons dii, des informations permettant de comprendre pourquoi le pays dii peut être appréhendé comme le Birmingham ou la Ruhr de l’Adamaoua. Le chapitre 7 de l’ouvrage est d’ailleurs consacré à ce sujet. Sur le plan naturel en effet, la Vina où sont implantés les principaux villages dii, grands producteurs du fer, notamment Gangassao, Loumonangué et Sassa Mboersi, est riche en minerai de fer, matière première requise pour la fonte. Après les pluies, d’importantes nappes ferrugineuses sont déposées dans des lits de rivières ou dans des rigoles. Elles seront directement utilisables ou exploitables après tamisage. Ce phénomène naturel est d’ailleurs toujours d’actualité dans ces localités. Les prospections entreprises ne révèlent pas des puits d’extraction ou des carrières d’exploitation du minerai de fer comme à Sakjé, village dii situé sur l’axe routier Ngaoundéré-Garoua, et que visita l’explorateur allemand Siegfried Passarge (ca 1895) à la fin du XIXe siècle. Dans tous les cas, ce n’est pas une crise de matière première qui acculera cette technique à l’abandon, mais plutôt un phénomène culturel, en l’occurrence, l’avantage concurrentiel des produits métalliques européens véhiculés dès le début du XXe siècle par la colonisation aux dépens des produits locaux. Par ailleurs, le couvert végétal régional est riche en ligneux au pouvoir calorifique élevé. Il s’agit entre autres de : Burkea africana, Monotes kerstingui, Terminalia laxiflora et Prosopis african, toutes des essences qui fournissent un charbon de bois très prisé par les métallurgistes, parce qu’il se consume lentement tout en dégageant une forte chaleur propice à l’opération de réduction. Des travaux de Candice Goucher (1981) en Afrique de l’Ouest ainsi que ceux de Jean-Pierre Warnier (1979 ; 1984 ; 1988) dans les Grassfields du Cameroun, créditent en effet le Burkea africana comme un excellent bois de chauffe. Sur le plan culturel, la circoncision est au centre de la vie des Dii. Ce rite de passage mobilise la production de nombreux couteaux pour la circonstance. De ce fait, la maîtrise de la métallurgie fut nécessaire pour répondre d’abord à cette demande cultuelle locale avant de s’étendre à l’échelle régionale, requête exigeant toujours plus de fabrication non seulement de couteaux rituels, mais aussi d’outils agricoles, de chasse et de guerre. Sur le plan historique, le jihad, ou guerre sainte musulmane portée début du XIXe siècle dans l’Adamaoua, a contraint les métallurgistes dii, mis sous pression par les lamibé de Ngaoundéré et de Rey-Bouba, à produire en importante quantité, des armes (pointes de flèches, lances, couteaux) pour combattre les non-croyants, les païens et les réduire en esclavage en cas de nécessité, et au premier rang desquels figureront curieusement les Dii eux-
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mêmes réfractaires à l’islamisation. Un étrange effort de guerre à l’effet dramatiquement boomerang. L’Adamaoua offrait ainsi, dès le départ, d’importants atouts en faveur de l’activité métallurgique. Les traditions orales ainsi que les vestiges matériels qui nous sont parvenus en témoignent. Une analyse sommaire de quelques-uns de ces restes nous donne une idée du dispositif opérationnel de réduction des minerais de fer dans cette région. II-2- ANALYSE DES VESTIGES MÉTALLIFÈRES 1- Parois de fours à réduction Les fours à réduction sont quasiment absents des sites archéologiques dans leur structure originelle. D’ailleurs, ils ne furent jamais construits dans l’intention de durer. À l’issue d’une opération de réduction, la grande partie de l’ossature était brisée afin d’extraire la loupe, masse de fer incandescente destinée à la forge. Pour toute nouvelle opération, on construisait un nouveau four ou au mieux, on colmatait les brèches de l’ancien alors fissuré par le feu. N’affleurent en général au milieu des crassiers que des culots comme celui de Gnogui (cf. photo 29) en pays niza’a vers Galim-Tignère ou encore ce fond de four exhumé des strates à Yoko (cf. photo 30). Ces deux exemples sont tout à fait exceptionnels.
Photo 29- Restes de fond de four en surface à Gnogui /Galim-Tignère © Hassimi 2009.
Photo 30- Four à réduction en stratigraphie à Yoko © Nizésété 2008.
Souvent, les passages des hommes et des bêtes émiettent les bases des fours, les fragilisent et les livrent sans défense à la déflation et à l’érosion différentielle qui accélèreront leur disparition. Ne pas découvrir les restes de ces structures jadis élevées à plus d’un mètre du sol, ne signifie point leur inexistence. Bien au contraire. L’analyse des restes métallifères révèle en outre le savoir-faire qui sous-tend la production des éléments constitutifs d’un four à réduction. Les parois par exemple, sont à base d’une pâte façonnée à partir de la
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terre ordinaire ou de l’argile mélangée ensuite aux dégraissants végétaux. Ceuxci forment un combustible interne qui, à la cuisson, augmente la résistance et renforce l’étanchéité de la paroi. Cette technique particulière, également utilisée dans la fabrication des tuyères, explique l’assez bonne conservation des parois des fours contre les agressions de la nature et des hommes. 2- Bouts de tuyères rubéfiés Les tuyères constituent l’un des maillons essentiels du processus de réduction des minerais de fer. C’est à travers elles que l’air oxygéné est acheminé au cœur du fourneau et permet la combustion des minerais et des charbons. Les tuyères sont une canalisation de 1 à 1,5 mètre de long, qui plongent au cœur du fourneau. Elles relient ainsi le foyer du four à réduction aux soufflets et acheminent l’oxygène de l’air indispensable à la réduction. Elles sont en argile et se terminent par des embouts qui se solidifient et se vitrifient généralement dans le four. Les bouts de tuyères font partie des vestiges régulièrement observés sur les crassiers. Aucun spécimen n’a encore été trouvé en entier, handicap ne permettant pas d’apprécier leur longueur initiale et leur diamètre originel.
Photo 31- Tuyères issues des fouilles du site de Yoko © Nizésété & Delneuf 2005.
Soumis à de hautes températures, l’embout se vitrifie le plus souvent pendant la réduction et se recouvre d’éclaboussures métalliques ou de scories gravillonneuses. 3- Scories Les scories sont des déchets de fonte. Elles figurent parmi les vestiges matériels que les archéologues ramassent fréquemment sur les ferriers. Ces impuretés comportent parfois du minerai de fer non réduit. Elles se désolidarisent et fondent avec la silice, le quartz, le feldspath, le manganèse et tous les autres débris rocheux contenus dans le minerai autour de 700°. Ces
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déchets peuvent, soit se déposer au fond du fourneau, soit au regard des techniques de contrôle des opérations, être évacués hors du fourneau. Les scories se présentent sous diverses formes (baguettes, demi-pains de sucre incrustés de débris végétaux ou de charbon, masses spongieuses plus ou moins riches en métal…). Elles s’étalent sur de grandes surfaces à Gangassao, à Yoko et à Hosséré-Djaba. De si importants volumes de rebuts soulèvent évidemment des questions semblables à celles posées plus haut au sujet des milliers de tessons de céramique qui couvrent les sites archéologiques de l’Adamaoua. Il est tout à fait légitime de s’interroger sur les rapports probables entre les densités des scories et l’intensité de l’activité métallurgique en termes de quantité de minerai de fer fondu et forgé, en termes de pieds d’arbres abattus pour fabriquer du charbon de bois et en termes de volume d’heures de travail autour des fourneaux par exemple. Il est malheureusement difficile de répondre objectivement à ces questions dans la mesure où les scories visibles sur les sites ne représentent qu’une infime partie de leur volume initial, voire global. Les scories en effet furent régulièrement requises pour servir divers usages. Sollicitations qui ont naturellement modifié leur véritable ampleur. Elles furent réutilisées dans d’autres opérations de fonte, déversées sur des sentiers pour les décrotter, servirent comme pierre à fusil, furent moulues par des « tradipraticiens » à des fins thérapeutiques. Les réemplois sont pluriels et brouillent par conséquent l’évaluation réelle du tonnage des scories et par ricochet, empêchent une réelle appréciation de la quantité de fer fabriqué.
Photo 32- Scories du site de Yoko. Impuretés du minerai de fer évacuées pendant la réduction. En forme de baguettes ou de masses spongieuses incrustées de débris végétaux et/ou de charbon de bois © Nizésété & Delneuf 2005.
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En matière de bois de chauffe, combien de pieds de Burkea africana, de Monotes kerstingui, de Terminalia laxiflora et de Prosopis africana furent-ils abattus pour produire le combustible requis pour la réduction ? Nul ne le dira avec précision encore que ce ne sont pas seulement ces essences qui étaient sollicitées, mais d’autres encore telles que listées au chapitre 7. L’Adamaoua est dotée d’un patrimoine végétal hautement hétérogène à telle enseigne qu’aucune essence n’aurait pu se révéler si indispensable à telle enseigne que sa rupture perturbe la dynamique de la sidérurgie locale. Situation qui s’est produite dans la métallurgie ghanéenne à la suite de la pénurie du Burkea africana, conjuguée avec des facteurs technologiques et culturels (Goucher, 1981). Les interrogations sur les combustibles en l’état actuel des recherches, reposent davantage sur le potentiel local ou régional des essences requises pour des opérations de fonte à l’époque des grandes séances de réduction, que sur les espèces de bois de chauffe recherchées, les lieux de leur exploitation et de leur transformation en charbon de bois.
Photo 33- Démonstration du travail du fer lors des expositions à la foire de Ngaoundéré en 1956. La grande permanence d’une technique © Aasen Ove, Ngaoundéré 1956, Projet Ngaoundéré-Anthropos/Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun), Archives de NMS (Stavanger, Norvège). PCD 2613-048, Réf. AL.
Quant à la chaîne opératoire, le processus n’aurait pas véritablement évolué au cours de l’histoire de la métallurgie camerounaise. En observant les photographies des dernières opérations de réduction de minerais de fer organisées à Mbé vers 1925 ou à Ngaoundéré en 1956 (cf. photo 33) ainsi que les études d’André-Michel Podlewski (1971) sur le sujet, rien n’a véritablement changé dans la chaîne opératoire par rapport à celle que nous avons observée le
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07 décembre 1997 à Yaoundé à l’occasion de la tenue des ateliers METAF (Métallurgies africaines). On aurait plutôt tendance à incriminer un mimétisme dégradé d’un métier oublié. Dans tous les cas, il fallut près de 12 heures de travail physiquement éprouvant pour produire 02 kilogrammes de fer, temps et méthodes de production semblables ou presque à ce qui se passait jadis, comme le corroborent diverses études scientifiques sur la paléométallurgie au NordCameroun (Podlewski, 1971 ; 1990 ; Renate, 1977; Seignobos, 1988 ; Sterner & David, 1993 ; Muller, 2001) ainsi que des témoignages recueillis auprès des ferrons-forgerons. Doit-on, sous ce rapport, parler d’une activité régressive ou d’une technique stagnante? À quoi ressemblait véritablement le processus de réduction des minerais de fer au commencement de l’activité métallurgique dans l’Adamaoua ? Quand y a-t-elle véritablement débuté lorsque les datations au radiocarbone obtenues sur les sites métallifères ne vont guère au-delà du XIXe siècle ? Questionnements qui constituent de pertinents axes de recherche à explorer dans ce Birmingham camerounais. Si des objets métalliques n’ont pas été trouvés dans des strates, nous avons par contre découvert de précieux objets en fer qui auraient appartenu aux souverains mboum dans la grotte de Raou Yon Pou ou Raoyonpou à Ngan-Ha. Ces trouvailles d’un autre genre confirment en effet une thèse de Joseph-Marie Essomba (1986 : 99-100) qui stipule qu’on peut faire de l’archéologie sans dégager un gramme de terre. Solide introduction à l’archéologie du temps présent. IV- OBJETS-SIGNES DU POUVOIR DES SOUVERAINS MBOUM DE NGAN-HA VESTIGES SPÉCIAUX SAUVÉS DES FLAMMES D’UNE FOI ARDENTE IV-1- À LA DÉCOUVERTE DES OBJETS-SIGNES DU POUVOIR DU BÉLÀKÀ (FÈ MBOUM) Ngan-Ha, capitale des Mboum de l’Adamaoua, ce 30 novembre 1998 : « Ces bracelets rouillés, ces flûtes et ces cloches tordues, ce chapeau de paille rogné, cette peau de panthère épilée, ces couteaux de jet émoussés, ces paniers de bois percés, ces colliers de perles effilochés et ces divers autres objets étalés là devant nous, sont d’exceptionnels matériaux pour l’histoire du peuple mboum. Leur étude scientifique permettrait d’appréhender les secrets du pouvoir du Bélàkà et partant, de comprendre l’organisation politique, religieuse et économique d’une société africaine ».
Ainsi parle Claude-Hélène Perrot, grande africaniste en voyage d’études au Cameroun, et en visite spéciale à Ngan-Ha dans le cadre du programme scientifique Ngaoundéré-Anthropos. Propos qui sonnent comme un démenti formel à ceux qui calomnient maintes sociétés africaines, en les taxant
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abusivement d’acéphales, d’anarchiques, d’incapables de raison, d’ordre et d’absence d’organisation. Religieusement conservés pendant plus d’un demi-siècle dans un abri rocheux au creux de Raoyonpou/Raou Yon Pou, montagne qui culmine à près 1165 mètres d’altitude, ces objets y sommeillaient sereinement, loin des regards profanes jusqu’à ce 20 décembre 1994, quand un fils Mboum, Babba Ibrahima, sur instruction du Bélàkà Rù Ndè Abba (1977-1997), 46e de la dynastie, les réveille et en ramène quelques spécimens au palais du chef à Ngan-Ha. Le processus de démocratisation du paysage politique camerounais à partir de 1991, ponctué d’un formidable regain de communautarisme, va ensuite bouleverser le destin de ces pauvres objets. Le peuple mboum, à l’instar de beaucoup d’autres à travers le pays, revisite son passé, soucieux d’y trouver des éléments réels ou imaginaires pour exprimer sa particularité et sa singularité. Démarche curieuse dans un pays pourtant engagé depuis longtemps dans la quête de l’unité et de l’intégration nationales de plus de deux cents tribus aux parcours historiques diversifiés et aux horizons culturels buissonnants. Si en cette année de démocratie retrouvée, certains groupes sociaux se fabriquent des festivals, d’autres fondent des associations tribales. Créateurs de festivals et fondateurs des groupes communautaires partagent cependant un même objectif à savoir, la fédération des familles, des clans ou des villages qui auraient des choses communes, voire un même ancêtre, qu’il fût réel ou mythique. Dans ce renouveau tribal soustendu par de gros appétits financiers, aiguillonné par des ambitions politiques personnelles et traversé par des querelles de chiffonniers entre élites en mal de positionnement, les Mboum de Ngan-Ha ne seront pas en reste. Ils vont se souvenir de leurs choses. Les Fè Mboum ou choses des Mboum, ces vieux objets de facture plurielle, aux contenus symboliques et fonctionnels particulièrement complexes et nébuleux, furent abandonnés, disons plutôt cachés vers 1931 dans la grotte de à Raoyonpou, au lendemain de l’islamisation du souverain régnant, le Bélàkà Saw Mboum. Signes matériels du pouvoir politique, objets cultuels, marqueurs identitaires, symboles de l’unité du peuple, les Fè Mboum se présentaient alors à certains Mboum comme le médium tant recherché pour retrouver leur glorieux passé longtemps brouillé par des influences culturelles étrangères. Ces objets avaient valeur d’attestation aux mains des Mboum pour qu’ils se présentent dorénavant revêtus de leur véritable identité dans un champ politique fortement tribalisé, mais désormais en décomposition selon certains, et en recomposition de l’avis des autres. Ces objets-signes du pouvoir politique et religieux à l’instar du festival mboum, le Ngboriànà ou Mboryanga, qui va se développer à la suite de leur redécouverte, donnaient aux Mboum l’occasion de revisiter leur histoire. Des
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expositions furent régulièrement organisées à Ngan-Ha afin de présenter ces regalia au public camerounais et étranger. C’est ainsi qu’en octobre 1995, deux archéologues norvégiens, notamment Reidar Bertelsen de l’université de Tromsø et Petter Molaug du Musée d’Oslo que j’accompagnais, eurent l’opportunité de voir, de toucher et de photographier les Fè Mboum. Une première! Pendant cette séance d’exposition spéciale comme d’ailleurs lors des précédentes plus ordinaires, filles et fils mboum, massés et figés derrière une ligne imaginaire, nous observaient inquiets et étonnés, transis dans une attitude quasi religieuse, évitant au maximum le contact avec ces étranges choses. Au regard de cette déférence des Mboum à l’égard de ces objets-signes, nous avions en ce moment-là l’impression de commettre un sacrilège, de violer un tabou. Autrefois, le secret sur la nature véritable de ces mystérieux objets censés posséder en eux une parcelle de la puissance divine était de règle. À cet effet, « celui qui révélerait leur identité serait puni de mort par les dieux » (Mohammadou, 1990 : 136-137). Gan Vbên, le Dieu suprême des Mboum allait-il nous châtier ? Sans doute oui, si les imprécations étaient fondées et irrévocables. Peut-être non, au regard de la dynamique historique locale. Depuis le début du XIXe siècle en effet, la société mboum était soumise à d’importants remaniements culturels. De nouvelles religions avaient fait leur apparition en Afrique et avaient progressivement bousculé les croyances traditionnelles. Les certitudes spirituelles les plus fermes d’hier s’étaient fissurées. Le grand Dieu Gan Vbên n’effrayait plus personne. L’exposition publique de ces objets sacrés longtemps gardés secrets en tant que réceptacles du pouvoir royal incarné par le Bélàkà, l’oint de Gan Vbên, était la traduction manifeste de la fin d’une époque, celle du règne des rois-dieux ou des dieux-rois invisibles qui cédait brutalement la place au règne des humains visibles. En 1931, date probable de la cache des objets dans la grotte, les Mboum à l’instar d’autres peuples du Nord-Cameroun subissent les agressions des Foulbé, des Haoussas et des Bornouan, engagés dans une guerre sainte aux contours spirituels douteux, mais aux prétentions politiques et économiques affirmées. Dans l’Adamaoua, le propre du jihad d’Ardo Issa et de ses successeurs fut le fait d’une bande d’affairistes sans scrupules, cherchant à s’enrichir rapidement à travers l’asservissement et la spoliation des populations non islamisées et par le massacre des éléphants aux bordures sud du plateau pour le trafic de leurs défenses. Comme le souligne Thierno Bah (1993 : 76), « dans l’Adamaoua, le jihad peul perdit très tôt sa vocation première de prosélytisme, pour se banaliser dans des opérations de razzia et d’expéditions liées au prestige politique et aux intérêts économiques des souverains et de l’aristocratie ». Le jihad prit ainsi dans cette partie du Cameroun, une dimension fortement matérialiste. Les populations locales avaient rarement le choix entre la soumission et la guerre, option d’ailleurs difficile dans un
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contexte militaire où la guerre était généralement gagnée par d’impétueux cavaliers dangereusement armés. Les vaincus étaient rarement convertis à l’Islam dans la mesure où leur conversion aurait constitué un obstacle au commerce des esclaves organisé à grande échelle dans l’Adamaoua par les lamibé et leurs notables. Le Coran, en effet, interdisait formellement à tout musulman d’asservir un musulman et « en toute logique, la conversion massive des peuples ne pouvait que tarir la possibilité de lever tribut » (Bah Thierno, 1993 : 82). Il y eut toutefois des conversions à l’Islam, soit par inclination personnelle induite par les principes doctrinaires de cette religion, soit par simple mimétisme, soit encore par la force des alliances matrimoniales. Dans tous les cas, l’islamisation conduisait forcément à l’abandon de toutes les pratiques culturelles contraires à l’enseignement coranique. De ce fait, le rituel d’intronisation du Bélàkà ainsi que tous les autres rites désormais qualifiés de païens, de fétichistes ou de démoniaques devaient disparaître presto illico pour céder la place à une étiquette de cour de référence islamique. Raison pour laquelle le Bélàkà Saw Mboum se hâta de se défaire des objets-signes de son pouvoir, héritage ancestral vieux de plusieurs siècles. Heureusement pour l’histoire, qu’au lieu de les brûler, le souverain guidé sans doute par les lumières et la sagesse de ses pères les fit conserver loin de son palais et de la mosquée, disposition prise afin de jouir sereinement des bienfaits procurés par sa conversion à l’Islam. Heureux geste du Bélàkà Mboum de Ngan-Ha, qui sauva ainsi des braises infernales allumées par les adeptes de l’une de ces religions monothéistes nées au cœur de l’Asie, une collection exceptionnelle d’objets d’art aux contenus symboliques, magiques et spirituels nébuleux et à l’efficacité certainement ambiguë. Une attitude tout à fait contraire à celle de son pair de Mbang-Mboum qui, brûlé par la fièvre de l’illumination, brisa rageusement ses regalia et les enterra dans les marécages de son village. L’urgence de sauver ce patrimoine culturel mboum de la détérioration et surtout contre le vandalisme particulièrement actif dans les grottes de Ngan-Ha, a stimulé nos recherches. Plusieurs prospections et sondages dans les grottes et abris-sous-roche, ont ainsi permis la mise au jour de divers objets dissimulés dans des replis rocheux ou accrochés aux pieux fichés sous des dalles rocheuses. Aucun objet figurant dans cette collection de regalia n’est issu des couches archéologiques. Tous les vestiges ont été ramassés en surface sans qu’un gramme de terre ait été remué pour les recouvrer. En fonction de leur facture matérielle, ces objets étaient plus ou moins bien conservés au moment de leur collecte : couteaux de jet, gongs et houes métalliques entachés par la rouille, pipes en céramique ébréchées, calebasses en bois rognées par des insectes lignivores, paniers en paille effilochés. Le choix judicieux des cachettes en l’occurrence les grottes, milieux isothermes de surcroît isolés en haute montagne et éloignés des milieux habités, a protégé ces artéfacts des agressions naturelles et anthropiques. Mais depuis leur retour des
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montagnes et leur dépôt dans des cases ordinaires, couvertes de tôles en aluminium, leur dégradation est en accélération continue. Chaleur, humidité, morsures des rongeurs, des termites et des cafards, manipulations inappropriées des visiteurs indélicats auront bientôt raison de l’intégrité de ces objets. Ils tomberont en poussière ou seront réduits en un amas de rouille si aucune action de préservation en leur faveur n’est prise dans les meilleurs délais. À l’instar des outils lithiques, des tessons de poterie et des restes métallifères mis au jour dans des sites archéologiques de l’Adamaoua, les objets-signes du pouvoir du Bélàkà nous sont parvenus muets. Cependant, à la différence des artéfacts traditionnels couramment collectés sur les sites, des informations sur ces régalia sont encore vives dans les souvenirs des notables mboum. Des entretiens de groupe que nous avons organisés en 2001, prolongés par des interviews individuelles en 2006 et 2008, que complètent les études de Bru (1923), de Jean-Claude Froelich (1959), d’André-Michel Podlewski (1978) et d’Eldridge Mohammadou (1990), lèvent un pan de voile sur la nature et la vocation de ces objets liés à l’intronisation du nouveau souverain et à la célébration de la fête rituelle du Ngboriànà ou Mboryanga. Dans ce chapitre, nous présentons six objets parmi la centaine disponible, choix en rapport avec leur apport à la connaissance d’un pan de l’histoire du peuple mboum avant l’islamisation. IV-2- PRÉSENTATION ET INTERPRÉTATION DES OBJETSSIGNES DU POUVOIR DU BÉLÀKÀ Le Bélàkà s’est endormi ! Vive le Bélàkà ! Le départ du Bélàkà chez ses oncles, ce très long voyage vers des horizons lointains, là-bas derrière les monts Ngaouha et Ngaw Ndolon (Pic de Toïnfoli), déclenche le rituel de succession au village. Un processus buissonnant et complexe. On aura remarqué qu’en pays mboum comme dans plusieurs communautés africaines, on ne dit pas que le chef est mort. Il se dit qu’il s’endort, qu’il se repose après avoir servi son peuple avec dévouement et qu’il voyage pour très longtemps vers ses ancêtres au pays des félicités. Le vide politique n’est pas envisageable. Il doit être rapidement comblé afin d’éviter que le chaos s’installe et déstabilise la communauté. Un nouveau chef doit donc prendre les rênes du pouvoir et continuer subito presto l’œuvre de son père et de ses ancêtres en la bonifiant éventuellement. Depuis le choix du prince jusqu’à sa reconnaissance comme l’unique souverain des Mboum, le rituel d’intronisation convoque divers objets-signes pour scander et démontrer le pouvoir du Bélàkà. « Ngun ngan kà ti fè, Sena hara ka so kê ya, Rou ma kâ ban ngun ngan ti Belàkà ». Cette formule signifie en substance : ce sont les notables qui font d’un prince le Bélàkà. Propos de Baba Ibrahima, ce 22 avril 2001 à Raoyonpou. Si le rôle à jouer par l’aristocratie mboum dans la désignation du successeur du
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Bélàkà est important comme l’annonce la déclaration ci-dessus, il n’est pas déterminant ou contraignant. Beaucoup de paramètres interviennent pour conforter, orienter, voire confirmer le choix des notables. Il s’agit de la dernière volonté du Bélàkà défunt, de la signification des signaux énigmatiques émis par l’araignée mygale, et jadis, le rang du prétendant au trône dans l’ordre de naissance des enfants du chef régnant, en l’occurrence être l’aîné de sa famille. Ces facteurs n’occultent cependant pas le critère fondamental qui repose sur les qualités intrinsèques d’ordre éthique et physique du prétendant. Sur le plan éthique, le prince doit être honnête, équitable, objectif, respectueux, humble, humain, généreux, rassembleur, avoir un sens aigu de responsabilité. D’ailleurs, « même au niveau familial pour les successions, on choisit comme héritier l’enfant le plus apte à diriger ses frères et qui transcende les autres par sa réussite économique. Le paresseux, le malhonnête l’égoïste, etc., n’ont aucune chance » (Dongmo, 1981 : 53). Sur le plan physique, il doit jouir d’une parfaite santé mentale et, au besoin, présenter des signes extérieurs de beauté correspondant aux canons du groupe à savoir une grande taille, un ventre bedonnant et la force physique qui permettront de l’identifier à la panthère, au lion, au taureau, au coq ou au bouc, tous des animaux reconnus pour leur force et leur lubricité, attributs du véritable chef. Lorsque ces critères sont reconnus chez le prétendant au trône, mieux, lorsqu’il est comptable de l’essentiel de ces qualités, Ngandolon, gardien des symboles sacrés attrape le prince héritier au sein d’une pléiade de prétendants selon un processus préalablement mis au point. « On se saisit de la personne du prince élu comme d’un voleur en le rudoyant » (Mohammadou, 1990 : 130). Le rituel d’intronisation se déroule comme un véritable ballet, rythmé par les différents membres du collège électoral investi chacun à son niveau de fonctions spécifiques. Le rituel se déroule au pàk solà njâl ou case des ténèbres. Pendant sept jours, le nouveau Bélàkà, gavé de nourriture et de bière de mil, reçoit des instructions sur ses nouvelles fonctions en tant que chef politique et religieux de tous les Mboum, protecteur de la communauté, arbitre impartial et le garant de la prospérité du pays. On le reconnaît grâce à un bracelet spécial en bronze qu’il porte à la main droite (Rumfu). Il est surmonté de quatre nodules représentant les quatre points cardinaux et réaffirme la nature mâle du prince. Une certaine tradition stipule que ce bracelet n’épousait que le bras du véritable héritier et refusait de se faire enfiler par un usurpateur. Le Bélàkà portera plus tard en tant chef du village, d’autres bracelets plus gros, marquetés de frises particulières (Fedok). L’origine de ce bracelet est incertaine ainsi que le début de son utilisation par les Mboum, puisqu’aucun atelier de production des alliages comme le bronze n’a été mis au jour dans l’Adamaoua. Est-ce qu’il s’agit des objets manufacturés localement par des artisans mboum comme l’affirment les
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notables et dont l’activité cessa avec la fuite des métallurgistes, concomitante de l’islamisation et de l’insécurité générée par le jihad et les razzias d’esclaves ? S’agit-il des cadeaux venus d’ailleurs notamment du pays bamoum ou tikar ? S’agit-il des produits achetés à Yola ? Le mystère à ce sujet est épais et suggère d’intéressantes pistes de recherches sur le travail des alliages, la circulation des artistes, le commerce et les échanges des objets d’art.
Photo 34- Bracelet (Rumfu) du prince héritier porté le jour de sa désignation comme Bélàkà © Nizésété, Ngan-Ha, juin 2006.
Photo 35- Peau de panthère (Nganjer) ou de guépard. © Nizésété, Ngan-Ha, juin 2006.
À l’aube du septième jour après la désignation du successeur, Van-à-Wari, premier dignitaire royal procède à la dévolution du pouvoir royal et au rituel qui l’accompagne. Assis sur la peau de panthère (Nganjer), le nouveau souverain assimilé à ce fauve, féroce et bel animal, écoute religieusement les formules rituelles d’intronisation prononcées par le dignitaire et reprises par la foule (Mohammadou, 1990 : 131-132) : Ô Père, Que Dieu exauce tes souhaits ! Qu’il fasse de toi le maître de l’est ! Qu’il fasse de toi le maître de l’ouest ! Qu’il fasse de toi le maître du nord ! Qu’il fasse de toi le maître du sud !
Et Bélàkà de répondre : Cette peau de panthère, C’est toi qui me l’as attribuée (c’est par la grâce de Dieu que me voici sur ce trône) !
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Il a fait de moi votre souverain (il m’a placé comme le seigneur du village) ! Que Dieu désormais nous procure l’abondance ! (Que Dieu nous donne à manger demain !) Que Dieu nous procure la paix ! (Que Dieu empêche les querelles !) Que Dieu fasse régner la concorde parmi nous ! (Que Dieu empêche la discorde parmi mes adultes !) Que Dieu guide les grands de ce pays ! Que Dieu exauce nos vœux !
En répartie, les chefs de fraction de lignage et les dignitaires se lèvent à tour de rôle, reconnaissent leur souverain et lui rendent hommage. Ils prononcent des formules pleines d’affection, des mots des pauvres gens comme dit le poète : Tu es devant et fais attention à toi Il y a des trous, des buttes et des troncs d’arbres couchés Sois prudent Écoute tout le monde et regarde partout Fais attention Ne trébuche pas Ô Chef de tous !
Pendant que le sacre se déroule dans la cour intérieure de la case royale soustraite des regards par une clôture de paille, la foule enthousiaste, amassée à l’extérieur, répond aux formules rituelles du maître des cérémonies en acclamant le souverain par des cris et des incantations. Le sacre se poursuit par l’attribution des insignes royaux. Chaque objet revêt une signification particulière dans l’exercice du pouvoir. La coiffe royale est attribuée en premier lieu. Le Mbouli pincé de deux aiguilles appelées Gbàrà. Ce chapeau de paille, traversé de deux épingles métalliques est attaché à la personne du chef. Il le met en contact avec les divinités et le protège contre les rayons du soleil. Le soleil étant le garant de son pouvoir selon les mythes locaux, il lui est formellement interdit d’être en contact direct avec l’astre solaire au risque de perdre sa vie. À ce sujet, Bru administrateur colonial français alors en poste à Ngaoundéré, rapporte l’incident suivant, repris par Jean-Claude Froelich (1959 : 98-99) : Les bélàkà et les chefs de famille alliées avec les bélàkà ne peuvent se découvrir la tête en plein jour (tant que le soleil est dans sa course) ; l’interdiction est tellement formelle que les Mboum croient que si l’un de [leurs chefs] ne l’observait pas, il mourrait dans l’année. Un jeune agent en 1921 [un bien triste idiot], ayant rencontré le bélàkà de Ngan-Ha à Ngaoundéré et ayant remarqué que celui-ci n’avait retiré ni son chapeau
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de paille ni le bonnet qu’il portait dessous, lui fit tomber sa coiffure. Je [Bru est administrateur colonial français en poste à Ngaoundéré à cette date] dus intervenir avec la mère du Lamido Issa, qui était une Mboum de la famille du bélàkà de Ngan-Ha pour l’empêcher de se suicider. Il y était d’ailleurs poussé par les gens de sa race qui lui reprochaient d’avoir laissé le sacrilège sans sanction immédiate.
La cérémonie se poursuit avec l’attribution des Ha, couteaux de jet brandis par le souverain et ses notables lors des parades rituelles. Ils sont de formes variées et certaines lames portent des motifs géométriques. Lorsque le Bélàkà intronise un dignitaire, il lui remet un ha qui sera restitué à la cour royale à la mort du notable.
Photo 36- Chapeau de paille (Mbouli) du Bélàkà pincé de deux aiguilles (Gbàrà). © Nizésété, Ngan-Ha, juin 2006.
Photo 37- Couteau de jet (Ha). Arme de parade © Nizésété, Ngan-Ha, juin 2006.
L’intronisation continue avec la remise au souverain des objets de communication notamment la trompette en bronze (Fora) moyen de contact avec son peuple et de rassemblement populaire ; le (Nduru) trompette en ivoire recouverte de peau de buffle utilisée pour annoncer le passage du Bélàkà dans son territoire ou son arrivée dans un village voisin ; le petit tambour (Akira) et enfin le gong (Wan). On peut étiqueter la civilisation mboum au regard de cette variété de formes sonores qui s’y croisent et se complètent, de civilisation de la flûte et de la cloche. Une fois l’ensemble des insignes attribués, les notables et la foule se lèvent et reconnaissent l’autorité et la légitimité du Bélàkà. Le nouveau chef est ensuite présenté à son peuple et son nom de règne est proclamé. Le jour de l’intronisation doit en principe coïncider avec la fête du ngboriànà ou Mboryanga, fête des prémices qui se déroule peu de temps avant la récolte du maïs au mois d’août (fum) et consacre la fin de la disette annuelle. C’est aussi l’occasion de reconnaître la bonté des divinités qui ont permis au maïs de mûrir et de leur adresser les remerciements. À cette occasion, les regalia, les sacralia et tous les instruments de musique généralement soustraits des regards
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populaires, sont présentés en public pour recevoir la bénédiction du souverain. Il renouvellera cet acte chaque année tout au long de son règne. À chaque célébration du ngboriànà, comme au premier jour de son règne, le Bélàkà distribue des houes métalliques aux joueurs de balafon, créateurs du rythme, parce que le rythme sous-tend le mouvement et entretient le cycle de la vie des hommes des plantes et des animaux, il présente ensuite à la foule trois paquets de graminées, signe de la victoire des Mboum sur les vents, sur les averses, sur les criquets, sur les rongeurs et sur tous des ennemis de son peuple. Enfin, il porte une calebasse remplie de grains de mil et prie en public.
Photo 39- Le gong (Wan) Photo 38- Trompette (Fora) décorée de motifs pour les célébrations rituelles anthropomorphes © Nizésété, Ngan-Ha, 2006. © Nizésété, Ngan-Ha, 2006.
Sa prière en cette circonstance particulière est une véritable profession de foi, un pacte de gouvernance partagée passé entre son peuple et lui. Une liaison intime se noue alors entre la vie de la collectivité et celle du Bélàkà. Le Bélàkà prie alors en ces termes (Froelich : 1959 : 106) : « Que cette année les tribus dourou reconnaissent mon autorité et les Gbaya aussi » ; puis il asperge les objets sacrés et les dignitaires présents ». « Je prie pour les enfants » et il asperge les femmes d’un peu de bière. « Je prie pour les récoltes et la chasse », aspersion des hommes. « Que les gueules des animaux ne mordent pas » et il jette un peu de bière sur son cheval. Il projette encore un peu de bière sur les bâtiments, puis en jette vers le ciel pour que les pluies favorisent de bonnes récoltes. Les assistants se jettent alors face contre terre pour saluer et remercier le Bélàkà de ses bienfaits et de cette bénédiction.
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À l’écoute de cette prière et du discours d’intronisation, on conclut que le Bélàkà place son règne sous la grâce des dieux et sous son engagement personnel dans une lutte a priori victorieuse contre les forces de la nature et les brutalités des hommes. Le Bélàkà devient à l’occasion le représentant des divinités chargé de poursuivre leurs œuvres sur terre, de garantir l’ordre et la justice qu’elles ont institués, et de préserver la vie et les actions des hommes contre le chaos. Prêtre et guide éclairé de son peuple, il est l’intermédiaire entre le monde des esprits et l’univers des vivants. Les paroles prononcées aussi bien au cours de son intronisation que pendant la fête des prémices s’apparentent à un programme de gouvernement, à un message à la nation ou à un discours de politique générale des temps présents. Le Bélàkà s’engage en effet par la grâce des dieux une fois qu’il est reconnu comme le père de son peuple, à développer les activités agricoles et cynégétiques afin de garantir la nourriture et la santé pour tous ; de promouvoir la paix dans son territoire en faisant régner l’harmonie et la concorde parmi les grands dignitaires religieux et militaires ; d’accroître le prestige de son pays par l’allégeance plus ou moins forcée des tribus voisines, etc. Sa devise est l’unité et le bien-être du peuple qui, en retour, lui doit obéissance, déférence, voire crainte.
Photo 40Bracelet (Fedok) d’identifica-tion et de prestige © Nizésété, Ngan-Ha, 2006.
Photo 41- Trompette (Nduru) recouverte de beau de bête © Nizésété, Ngan-Ha, 2006.
Ce contrat mutuel était si fort que, quand une disette sévissait, quand la sécheresse détruisait les récoltes et anéantissait les troupeaux, quand les criquets dévoraient les moissons, le peuple requérait la mort du Bélàkà, exigeait en quelque sorte sa démission forcée et définitive afin de confier son destin à un nouveau chef pour qu’un nouveau cycle recommence. Les calamités naturelles étaient alors considérées comme une désapprobation de la politique du Bélàkà par les dieux, une sanction divine contre ses errements. De nos jours, l’alternance politique observée à l’issue des élections démocratiques dans les nations modernes corrobore cette ancienne procédure qui sous-tend le progrès.
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IV-3- INTERPRÉTATION GÉNÉRALE DES OBJETS-SIGNES DU POUVOIR DU BÉLÀKÀ Ces objets-signes sont une manifestation visible du contenu du pouvoir du Bélàkà. Depuis le bracelet Rumfu attribué au prince héritier le jour de sa désignation jusqu’aux différents insignes royaux remis à chaque étape de l’intronisation, chaque objet revêt une signification particulière et véhicule un message singulier. Doté de tous ses attributs, le Bélàkà n’est plus un homme ordinaire, mais un être exceptionnel qui, placé au-dessus de tout son peuple, doit gérer son destin. Les objets en bronze et en fer notamment les bracelets, les aiguilles de la coiffe royale, les couteaux de jet, la flûte et le gong symbolisent la résistance du chef face aux épreuves. Il doit être solide et ferme. Il ne doit pas rompre face aux défis qui l’attendent sur les chemins du pouvoir. Les métaux dont il se pare montrent aussi qu’il est le maître du sol, du sous-sol et de tous ceux qui les mettent en valeur. On lui demande aussi d’être précieux comme le fer, le bronze, métaux rares à l’époque et par conséquent très recherchés. Précieux dans sa parole, précieux dans le geste. Il doit être précieux comme un bijou. Les objets en bois et en paille (comme le chapeau et les paniers en paille, les calebasses, la trompette, le trône en bois) sont éphémères et périssables comme l’être humain. Le chef doit le savoir en voyant comment tout au long de son règne, ces objets se désagrègent et en tirer toutes les leçons sur le sens de l’existence, sur la fragilité des êtres vivants tout en reconnaissant leurs différents rôles dans la société.
Photo 42- Panier en paille (Kutung) © Nizésété, Ngan-Ha, 2006.
Photo 43- Calebasse en bois (Yom pou) © Salihou Mohammadou, Ngan-Ha, 2003.
Le bois et les graminées représentent le monde végétal dans sa diversité à savoir la forêt et le bois sacré sollicités parfois pour les rites initiatiques ; les champs cultivés portant les récoltes potentielles ou réelles ; les champs en friche ; le bois de chauffe et de chauffage, etc. À travers les ligneux et les
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herbacées, le Bélàkà prend possession de la flore locale et en devient le dépositaire au même titre que la terre arable qu’il distribuera en temps opportun aux initiés capables de fonder un foyer. Cette flore, c’est aussi le symbole de la pérennité de la dynastie royale et du renouvellement du pouvoir du Bélàkà, manifestée par la régénération annuelle des arbres qui perdent leurs feuilles en saison sèche et les recouvrent en saison des pluies. Les objets d’origine zoologique comme les peaux de panthère et du buffle, les chasse-mouches velus et l’ivoire, convoquent le monde animal et investissent le Bélàkà comme roi chasseur, maître de la brousse et distributeur de la viande, cette denrée rare et précieuse à son peuple. Les animaux présents dans la galerie des objets-signes du pouvoir sont aussi reconnus pour leur force, leur grand gabarit et leur caractère lubrique. On leur demande de transmettre au souverain les capacités nécessaires pour régner dans l’ordre, quitte à user de la force, à procréer autant que son peuple afin que les Mboum vivent à jamais. Tous les symboles convergent vers la légitimation et la reconnaissance du pouvoir. C’est dans l’ensemble un langage non alphabétique, mais décryptable par les initiés. Quel type de pouvoir en fin de compte : démocratique ou autocratique ? Le Bélàkà est coopté dans la dynastie régnante par les notables, grands dignitaires, obligés et alliés de la cour royale. Le chef n’est pas un élu direct du peuple, mais indirectement choisi par lui à travers les notables qui représentent les différents clans et familles mboum. Il se mettra ensuite au service de son peuple. Son pouvoir est d’origine divine, surnaturelle même, mais il n’est pas sans limites puisqu’il est tempéré par le collège des notables qui, en cas de difficultés observées dans la gestion du village, peuvent précipiter la fin du règne. Le chef doit régner dans l’intérêt de tous, sans discrimination. Il doit veiller sur son village et œuvrer pour son épanouissement total. Il doit à cet effet contrôler l’ensemble des moyens de production que sont le sol, le sous-sol, la flore et la faune, et mobiliser son pouvoir pour offrir à ses sujets de quoi se nourrir, remplir les greniers grâce à une saine gestion de l’économie. Tout chef doit régner de sorte qu’il puisse se vanter ainsi : « durant mes années de règne, mon peuple n’a pas eu faim, il n’a pas eu soif. Les pluies ont été régulières, les troupeaux se sont multipliés, les femmes ont donné naissance à de nombreux enfants mâles, les filles se sont mariées, les eaux n’ont pas tari, les sauterelles n’ont pas dévoré les récoltes, les moissons ont été abondantes, l’ennemi a été vaincu ». En pays bamiléké d’ailleurs, le chef, grand prêtre tribal organisait « chaque année après les semailles un rite pour protéger les cultures, il en organisait aussi occasionnellement pour implorer la miséricorde des dieux en cas de malheur (sécheresse, famine, épidémie, invasion des sauterelles) » (Dongmo, 1981 : 48). La prospérité du village repose donc sur les capacités spirituelles, physiques, mentales et morales du chef et ce faisant, il doit être bien choisi. Cette disposition, tant qu’elle est respectée, garantit le développement de
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tous. Les objets-signes de son pouvoir concouraient à leur niveau à magnifier, à manifester et à représenter ce pouvoir aujourd’hui révolu dans son essence originelle. La mise au jour de ces objets-signes a contribué à la renommée de Ngan-Ha. L’axe routier Ngaoundéré-Touboro-Moundou qui chemine jusqu’aux portes du village en facilite l’accès. Ces objets ont dans une large mesure contribué au désenclavement politique et culturel de Ngan-Ha. Le village est de plus en visité par des touristes nationaux et étrangers qui viennent selon les circonstances voir les choses des Mboum exposées dans un petit musée logé dans l’enceinte du palais. Un Collège d’enseignement secondaire et un centre de santé ont été construits à Ngan-Ha érigé depuis 2008 en commune avec une mairie et en arrondissement avec une sous-préfecture. L’archéologie, en redécouvrant ces objets qui font la renommée de Ngan-Ha, se présente sous ce rapport comme un outil de développement. L’étude de ces objets qui étaient encore en usage il y a un demi-siècle nous introduit dans le champ de l’archéologie du temps présent. Du fait de la continuité historique des pratiques culturelles dans les sociétés africaines, elle constitue une opportunité pour l’étude de ces sociétés où ces pratiques sont encore en cours. Les ruptures sont lentes et comme nous l’avons remarqué dans la céramique et la métallurgie du fer, il n’a pas existé une véritable révolution dans nos sociétés, notamment celles de l’Adamaoua jusqu’à la colonisation islamique, chrétienne et européenne à partir de la première moitié du XIXe siècle. De ce fait, l’archéologie du présent, branche de l’archéologie moderne et contemporaine, est comptable de l’univers technique dans son ensemble, y compris celui du présent. Elle doit également être appréhendée comme une archéologie de prévention et de sauvegarde d’un patrimoine matériel agressé par des facteurs naturels et anthropiques et dont l’urgence du sauvetage et de la préservation s’impose désormais.
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CHAPITRE V ALERTE SUR LES SITES ET VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES MENACES ET PRÉVENTION DANS L’ADAMAOUA Le repérage, le classement et la protection des sites archéologiques africains s’imposent comme une priorité de grande urgence, avant que des prédateurs ou des profanes irresponsables et des touristes sans intention scientifique ne les pillent et ne les désorganisent, les dépouillant ainsi de toute valeur historique sérieuse (Ki-Zerbo, 1980 : 27).
** Any archaeological site is a part of our contemporary society. Furthermore, any local community has a story which is also present in the contemporary culture, or perhaps there are several alternative histories. The archaeologist cannot avoid being an active participant in the local community (Bertelsen Reidar, 1978).
I- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR L’ÉTAT DU PATRIMOINE ARCHÉOLOGIQUE DE L’ADAMAOUA Ce chapitre interroge l’avenir des sites et des vestiges archéologiques dans l’Adamaoua. Il présente les multiples agents qui menacent leur intégrité et propose des mesures viables en vue de leur conservation et de leur préservation. Le péril est sérieux pour que l’alerte soit donnée. Si aucune action énergique n’est engagée, il y a fort à parier que d’ici deux décennies, les recherches archéologiques ne seront plus envisageables dans la région du fait de la dégradation et du vandalisme des sites et artéfacts. Les sols partout dans l’Adamaoua sont intensément retournés. L’extension continue des surfaces cultivables et des espaces construits détruit irrémédiablement des sites dont on ignore encore tout ou presque de leur potentiel archéologique. Les labours profonds et les terrassements bouleversent la stratigraphie du sol, mettent à nu les vestiges matériels que la déflation et l’érosion différentielle entraînent souvent loin de leur contexte initial, dévaluant de ce fait leur valeur scientifique. Les feux de brousse annuels brûlent et fragilisent les vestiges exposés en surface, et les livrent au gros bétail qui les massacre par piétinement. Dans cette ruée vers le saccage des sites, de pauvres paysans affamés, riches de leurs maigres et incertaines récoltes, mais de plus en plus informés de la valeur marchande des vieux objets d’art qu’on trouve dans la terre aux champs et dans les grottes comme celles de Ngan-Ha et de Ngaoundéré, se livrent
frénétiquement à un redoutable vandalisme. De vieux objets arrachés sans précaution du sol ou des cavités rocheuses sont ensuite cédés à modique prix aux collectionneurs mercantiles, véreux et avertis qui les revendront à prix d’or en Europe, en Amérique ou en Asie. Ce patrimoine quitte le pays avec la complicité de certains agents curieusement payés pour les protéger et sous le regard complice de quelques douaniers indélicats et corrompus. Quant aux vestiges méthodiquement ramassés ou exhumés, les salles de stockage ou les laboratoires d’archéologie qui permettraient leur analyse et leur conservation, n’existent pas ou du moins sont rares. Sous ce rapport, l’urgence de prendre sereinement des mesures adéquates sur le plan scientifique, administratif, politique et civique s’impose à très court terme, en vue de la préservation et de la conservation de ces archives particulières que constituent les sites et vestiges archéologiques. Tous les sites et vestiges analysés dans les chapitres précédents sont en péril. Les menaces sont à la fois réelles et potentielles. Situation compliquée par un cadre législatif et juridique qui peine à se définir pour s’imposer en matière de protection du patrimoine archéologique. Toutefois, le projet de loi régissant le patrimoine culturel au Cameroun, adopté par l’Assemblée nationale le 09 avril 2013, émet désormais des rayons lumineux dans le ténébreux univers archéologique camerounais. En son article 1er alinéa 1, la loi se fixe en fait pour objectif « de favoriser la connaissance, la conservation, la protection, la valorisation, la promotion et la transmission du patrimoine culturel, dans l’intérêt public et dans la perspective du développement durable. » Encore fautil rapidement passer des vœux à l’acte concret. La loi présente et définit ensuite en son article 2, quelques concepts-clés en matière de préservation et de conservation du patrimoine archéologique, thématique au centre de ce chapitre. C’est le cas de : - « bien archéologique ou vestige ou artéfact : bien meuble ou immeuble témoignant de l’occupation humaine ou historique » ; - « conservation préventive » : opération qui vise essentiellement à créer des conditions optimales pour la préservation des biens culturels, de telle sorte qu’ils soient à l’abri des altérations dues, soit à la nature, soit à l’action humaine ; - « préservation ou conservation » : action qui consiste à maintenir la matière d’un bien ou d’un lieu en l’état et à freiner sa dégradation afin d’en prolonger la vie ; - « protection » : ensemble de mesures juridiques et techniques destinées à défendre le patrimoine culturel contre toute dégradation, pollution, vol, dévalorisation ou autres formes de nuisance liées aux activités de fouilles, de prélèvements, d’aliénation, d’exploitation, de transformation, de conservation ou de démolition, de transport et d’exportation.
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Légiférer ces mots, c’est prendre courageusement en main le destin du patrimoine archéologique national malmené par les vicissitudes du temps, les agressions animales, l’inconscience et la cupidité humaines et s’engager fermement à le sauver de la disparition ; à condition de passer du projet à l’acte tant il est vrai que les textes de loi ne valent que la qualité et l’ampleur de leur application. Tessons de poterie, fragments de tuyères, amas de scories jonchent des sites d’occupation ancienne ou de désertion récente dans des villages mboum, dii, mbéré, tikar, nizo’o, gbaya ou encore pèré de l’Adamaoua. Les paysans les remanient depuis longtemps, le bétail les piétine et les fragmente sans cesse. Les scories servent encore de pierre à fusil aux chasseurs ou de médicament prescrit par le guérisseur du village, les potières réutilisent parfois les vieux tessons pour fabriquer la chamotte ou terre cuite broyée. Pourtant, ces vieux objets abandonnés sur des sites sont des archives matérielles utiles pour l’histoire des peuples de cette région dépourvue. Contribuer à leur sauvegarde justifie cette étude qui s’harmonise autour de deux principales articulations : la première diagnostique des menaces qui pèsent sur les sites et les vestiges archéologiques de l’Adamaoua et la deuxième pronostique sur les mesures à prendre en vue de leur sauvegarde de manière durable. II- FACTEURS DE DÉGRADATION DES SITES ET VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES DE L’ADAMAOUA II-1- FACTEURS ANTHROPIQUES Les sites archéologiques mis au jour dans l’Adamaoua se trouvent en général dans des espaces désertés ou sous-exploités. Rares sont les sites localisés en zones habitées. Cette situation fragilise leur conservation à long terme, en les plaçant en situation d’exploitation maximum à la moindre alerte. Dans un contexte social, économique et démographique en évolution continue, les terres en friche sont de plus en plus recherchées et requises pour des besoins agricoles, pastoraux, architecturaux, etc. Comment donc conserver ces archives matérielles lorsque face aux impératifs du développement, il se chantonne que devant l’urgence de la survie, l’archéologie ou l’histoire ne saurait faire bouillir la marmite. Sordide refrain d’un requiem validant sans fondement aucun, la thèse fumeuse qui crédite l’histoire ou l’archéologie de « sciences de l’inutile ». Partout dans le monde, l’homme, au travers de ses nombreuses activités pour vivre ou pour survivre, se positionne comme le plus grand prédateur des sites archéologiques. Il détruit inlassablement des espaces renfermant plus ou moins de vestiges à des fins d’agriculture, d’urbanisation, de construction des ponts, d’axes routiers ou d’exploitation des minerais. Ses pratiques sportives et ses pique-niques se prolongent souvent par un certain vandalisme dans des espaces mis à l’épreuve : graffitis sur parois rocheuses, pollution des lieux, ramassage
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des objets insolites ou curiosités qui en fait sont des vestiges. Ses troupeaux de bœufs piétinent les artéfacts en surface des sols dénudés par de fréquents feux de brousse. Le répertoire des récriminations est abondamment fourni et le catalogue épais des accusations au sujet des facteurs et des acteurs qui vandalisent les sites et les vestiges. L’archéologie serait-elle « l’une des rares disciplines qui voit constamment son objet d’étude disparaître sous ses yeux, et de façon définitive ? » (Demoule (2002 : 233). Malheureusement oui. Selon l’article 1, alinéa 3 de la Charte pour la Protection du Patrimoine Archéologique présentée en 1988 à Stockholm en Suède, la destruction d’un élément aussi petit soit-il, est à jamais perdu. Le patrimoine archéologique constitue le témoignage essentiel sur les activités humaines du passé. Sa protection et sa gestion attentive sont donc indispensables pour permettre aux archéologues et aux autres savants de l’étudier et de l’interpréter au nom des générations présentes et à venir et pour leur bénéfice.
Certes, la nécessité pour toute société de créer des conditions matérielles nécessaires à l’épanouissement individuel et collectif de la population s’impose. De ce fait, des barrages hydroélectriques, des complexes immobiliers et sportifs, des pipelines, de grandes plantations, des axes routiers, des voies ferrées, des ports et des aéroports entre autres aménagements, doivent être construits, quitte à détruire des sites, pour répondre aux attentes des populations en matière de développement. On ne saurait simplement « privilégier les morts sur les vivants » et interdire toute construction sous prétexte qu’elle risque de détruire un site biologique. De fait, chaque mètre carré de la planète porte d’une façon ou d’une autre, directement (vestiges concrets) ou indirectement (traces de défrichements, d’érosion, d’incendies, etc.), les marques d’activités humaines passées. Une société humaine donnée doit donc constamment arbitrer entre deux intérêts contradictoires, assurer la protection du passé et assurer sa diffusion auprès du public d’une part, assurer son propre développement économique et social de l’autre (Demoule, 2002 : 234).
Mais ces gros œuvres en général entament profondément le sol et détruisent une grande partie des vestiges archéologiques en place. Au rythme actuel de la mise en valeur des sols et des sous-sols sur l’ensemble du territoire camerounais, il est fort à craindre que la cadence annuelle de destruction des sites ne connaisse une inflation si jamais les grands projets susceptibles de fabriquer un Cameroun émergent à l’horizon 2035, comme le proclament les acteurs politiques camerounais, quittaient véritablement les salons feutrés des ambitions pour intégrer les chantiers tumultueux des réalisations. Les sites archéologiques sont les lieux d’enfouissement ou d’engloutissement des vestiges matériels que les archéologues peuvent mettre au jour, exploiter et interpréter. De différents faciès et d’âges variés, ils sont au
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centre des collectes des données archéologiques. Situés essentiellement en rase campagne, en montagne, dans des jachères ou dans des champs cultivés dans l’Adamaoua, les sites sont initialement et potentiellement des terres à vocation multiple. Les travaux agricoles débouchent nécessairement sur la destruction des vestiges matériels. Les labours en cours à Ngaoundéré, Ngaw Hora, Ngaw Nday, Ngaw Pak Ha, Ngaw Say, Ngan-Ha, Mbé, Galim-Tignère et à Somié, sont en cours depuis des siècles. Mais depuis 1993, avec la création de l’université de Ngaoundéré et des écoles de formation dans divers secteurs d’activités dans tous les chefs-lieux des départements de la région, suivie en 2008 de la création de nouvelles communes et sous-préfectures dans toute la région de l’Adamaoua, les champs s’intensifient et se densifient pour répondre aux besoins alimentaires de la population en croissance constante, dopée par les migrations internes et l’accroissement naturel. Nourrir cette population qui augmente annuellement suppose nécessairement l’extension des surfaces cultivables pour produire des tubercules et des céréales. Dans cette révolution verte, les houes et les pioches des cultivateurs déterrent, enterrent, mélangent, cassent et déplacent les artéfacts, qu’ils soient de facture lithique, céramique ou métallique de leurs contextes initiaux et les livrent fragmentés et fragilisés à d’autres pernicieux agents de destruction dont le bétail, le vent, le feu, ou les eaux de pluie. Déplacés de leurs berceaux, ces objets perdent leur valeur scientifique notamment historique, pour devenir le cas échéant, de simples pièces de collection d’intérêt ludique. L’Adamaoua est un vaste chantier concomitant à l’aménagement du territoire et aux impératifs du développement régional. L’édification des maisons individuelles et des complexes immobiliers aux fins de loger la population et d’héberger les effectifs des agents des différents services administratifs, a nécessairement une emprise sur les sites. Dans cette fièvre du logement, les dérapages sont légion. Une urbanisation anarchique convulse toutes les villes de l’Adamaoua et contribue à sa manière à la destruction du patrimoine archéologique. Les populations s’installent partout et n’importe comment, sans tenir compte du schéma directeur de la ville. Existe-t-il vraiment ? Si oui, le savent-elles ? Le mont Ngaoundéré par exemple, haut-lieu de l’histoire de la région au regard de la qualité des sites et vestiges mis au jour et datés ainsi que le site Ngaw Nday, communément appelé Burkina, subit une colonisation sauvage sans que les autorités compétentes du cadastre, de l’urbanisme, de l’habitat et les experts de la protection civile s’émeuvent de cette délinquance. Non seulement les vestiges sont irrémédiablement détruits, mais les risques éventuels d’éboulement des roches sont à craindre dans ces environnements mis à mal par des terrassements hâtifs et incontrôlés qui déstabilisent le sol. Vestiges et vies humaines sont ici sous menace permanente.
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La construction des routes internationales en Afrique centrale dont certaines traversent l’Adamaoua dégrade également les sites archéologiques. En effet, les pays de la CEMAC (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale) se sont fixé entre autres objectifs, la construction des axes routiers devant désenclaver les six pays membres à savoir : le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad, et les relier entre eux. La région de l’Adamaoua est ainsi traversée par deux routes internationales notamment l’axe routier Ngaoundéré-Touboro-Moundou (Tchad) et l’axe routier Ngaoundéré-Garoua-Boulaï-Meiganga qui atteint la Centrafrique. Les cahiers des charges des différentes entreprises d’ingénierie en ponts et chaussées censées les construire prévoient en fait un volet financier destiné à l’archéologie préventive, conformément aux réglementations internationales et nationales en matière de protection de l’environnement et du patrimoine culturel, lorsqu’ils sont potentiellement menacés par les grands travaux. À ce sujet au Cameroun, la loi n°96/12 du 5 août 1996 relative à la gestion de l’environnement stipule : Chapitre III, section IV article 36 Le sol, le sousǦsol et les richesses qu’ils contiennent, en tant que ressources limitées, renouvelables ou non, sont protégés contre toutes formes de dégradation et gérées conjointement et de manière rationnelle par les Administrations compétentes. Chapitre III, section IV, article 39 La protection, la conservation et la valorisation du patrimoine culturel et architectural sont d’intérêt national. Elles sont partie intégrante de la politique nationale de protection et de mise en valeur de l’environnement. Chapitre IV, sur la gestion des ressources naturelles et de la conservation de la diversité biologique, article 65, alinéa 2 Un décret d’application de la présente loi détermine les sites historiques, archéologiques et scientifiques, ainsi que les sites constituant une beauté panoramique particulière et organise leur protection et les conditions de leur gestion. Quant au projet de loi régissant le patrimoine culturel au Cameroun, le chapitre IX portant dispositions spécifiques applicables au patrimoine archéologique, prévoit à l’article 43 que « tous travaux d’aménagement, d’extraction, d’exploitation ou de construction dans le cadre de grands chantiers ou de projets structurants doivent préalablement faire l’objet de diagnostics et de sondages archéologiques ». Si l’Union européenne a financé le sauvetage du patrimoine archéologique sur l’axe Ngaoundéré-Touboro-Moundou (NTM), l’archéologie préventive n’a guère été possible sur l’axe Ngaoundéré Garoua-Boulaï-Meiganga. Encore que sur l’axe NTM, le sauvetage amorcé en 2004 arrivait trop en retard. De lourds
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engins de terrassement, voire de destruction, étaient passés deux ans plus tôt, voire davantage. Ils ont raclé et agrandi les routes existantes, creusé des tranchées, défoncé de vieilles nécropoles, ouvert de nouvelles voies afin que le développement suive. Dans la vallée de la Vina, où les vestiges métallifères s’étalent généralement à la surface du sol, un seul coup de pelle d’un Caterpillar suffit pour les saper, les disperser ou les enterrer de nouveau. Pendant l’opération de terrassement, en l’absence des archéologues, les villageois ont ramassé divers objets bizarres. Ils nous les ont montrés une fois qu’ils se sont rendu compte que nous cherchions les mêmes choses, à savoir le matériel lithique, les tessons de céramique et les restes métallifères. Dès lors, certains ont proposé de nous offrir les leurs comme cadeaux à condition de recevoir en retour un petit cadeau. Quelque chose du genre à malin, malin et demi ; un étrange projet de troc en rase campagne à éviter. En effet, si une telle opération se concrétise, si elle ne s’appelle pas vandalisme, elle ne s’en écarte pas véritablement à moins de recouvrer le sens d’un autre délit du genre recel et trafic illicite des biens culturels si jamais le chercheur succombe à la tentation. En dehors de cet incident dû surtout au déblocage tardif des financements, le sauvetage du patrimoine archéologique s’est déroulé méthodiquement avec des résultats concluants consignés dans le rapport final (Oslisly, Nizésété et al. 2008). Sur l’axe Ngaoundéré-Garoua-Boulaï-Meiganga, des archéologues de l’IRD et de l’université de Yaoundé I ont mis au jour au cours d’une mission exploratrice en août 2009, d’importants sites et vestiges. À Bardé par exemple, ils ont découvert une « grande dalle latéritique portant d’anciennes cupules » creusées à même la roche. Entre Babongo et Ngaoundéré, ils ont recensé « trois sites à gravures rupestres ». La densité et l’originalité de ces découvertes constituent un indicateur patent du riche potentiel archéologique régional. Malheureusement, la suite des investigations fut renvoyée aux calendes grecques, faute de financement. Les grandes institutions financières notamment l’Union européenne, la Banque africaine de développement et la Banque mondiale, censées financer l’archéologie préventive sur les trois tronçons définis sur de ce tracé routier long de 268 kilomètres, et traversant l’une des régions les plus chargées d’histoire, au regard de sa position charnière entre le sud et le nord du Cameroun et des traditions historiques sur les mouvements de populations à son sujet, se désistèrent pour des raisons implicites. Certains évoquèrent les contraintes contingentes. Reste à décrypter ce fumeux concept. Sans doute signifie-t-il que la culture est accessoire, sans importance ou ne sert à rien. Si l’histoire ne peut faire bouillir la marmite, le patrimoine archéologique ne fera pas non plus rouler les bulldozers. Il est plutôt urgent de l’avis des ingénieurs des ponts et chaussées, de se passer de ces inutiles opérations de sauvetage du patrimoine afin de creuser les routes rapidement, quitte à abîmer les sites et les vestiges probables pour ensuite aller sous d’autres
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cieux ouvrir de nouveaux chantiers et accomplir les mêmes forfaits. Ainsi va l’archéologie camerounaise, à la petite semaine, pourtant comptable des pages inédites de son histoire. Loin des grands chantiers conduits par de grandes entreprises d’ingénierie qui détruisent des sites et des vestiges sur de vastes étendues, le petit carrier à Ngaw Pak Hay et à Ngaw Sey, casse aussi du patrimoine par l’exploitation à bras et à feu, des pierres qui dallent le sol de ces anciens villages. En l’espace d’une décennie, ces sites sont devenus d’importantes carrières. Des carriers professionnels ou amateurs s’y rendent quotidiennement pour casser du granite et du basalte afin de produire du gravier requis pour la construction des maisons, des ponts et des chaussées. Le problème, c’est que souvent, figurent parmi les pierres à concasser, des bifaces, des percuteurs, des hachereaux, des meules et molettes, tous des témoignages matériels d’une technologie aujourd’hui révolue, mais inconnue de ces manœuvres. Les dispositions légales relatives à la conservation du patrimoine archéologique sont-elles d’ailleurs connues de ces exploitants miniers ? Et même s’ils le savaient, se permettraientils de mourir de faim face à une telle richesse ? Difficile de répondre à leur place. Il revient aux autorités compétentes d’encadrer et de formaliser ces activités informelles au point de protéger le patrimoine et de nourrir les populations locales. Un autre fléau aussi pernicieux que les précédents et qui menace les sites de l’Adamaoua sont les virées de week-end du genre pique-nique et footing. Ces mouvements développés aussi bien par les jeunes que les adultes ont une certaine emprise sur les sites de montagne, lieux de prédilection des adeptes de ce courant culturel d’un genre nouveau. Le mont Ngaoundéré, les monts Ganga I et II, le mont Djim et Gu-lil, accueillent régulièrement en fin de semaine, des élèves, des étudiants, des associations communautaires, des chorales, des groupes de prière en piquenique. À l’issue de leurs randonnées qui s’apparentent quelquefois aux agapes, ces drôles de touristes abandonnent sur le site, les restes de leurs ripailles : boîtes de conserve et emballages plastiques vidés de leurs contenus ainsi que des préservatifs usagés qui salissent et dénaturent le site. Ils laissent aussi et peut-être à l’exemple de leurs grands-pères des cavernes, des signatures et des dessins sur les parois rocheuses des grottes notamment au mont Ngaoundéré. Mais contrairement à leurs ancêtres qu’ils imiteraient, ils peignent des graffitis d’une rare vulgarité et d’une grossière obscénité, ultimes souvenirs de leurs escapades. Gestes idiots qui défigurent le patrimoine. Les adeptes du footing n’agissent guère mieux. Cela fait d’ailleurs tendance aujourd’hui de traverser la ville à petit trot, le samedi ou le dimanche matin en tenue de sport afin de se débarrasser en principe, du trop-plein de bière absorbée en semaine dans des bars et gargotes, seuls espaces de loisirs de la ville. Le
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temps de courir un peu et de rentrer s’abreuver mieux qu’avant. Dans ce trekking d’un autre genre, des artéfacts sont écrasés ou ramassés comme pièces de collection. Pique-niqueurs, randonneurs et coureurs ramassent à l’occasion, tous les artéfacts qu’ils trouvent sur leurs parcours et parfois, ils creusent même le sol pour confirmer les trouvailles de surface. Une opération apparemment banale, mais qui prive l’histoire de ses sources. L’urgence de la sensibilisation et de l’encadrement des populations locales contre les effets pervers de ce vandalisme s’impose désormais avec acuité. À ce sujet d’ailleurs, le projet de loi régissant le patrimoine culturel camerounais prévoit dans le chapitre X : Article 44.- (1) Nul ne peut effectuer des sondages ou des fouilles terrestres ou subaquatiques, dans le but de mettre au jour des biens culturels intéressant la préhistoire, l’archéologie, la paléontologie, ou d’autres branches des sciences historiques, humaines ou naturelles en général, sans en avoir obtenu préalablement l’autorisation conjointe des Ministres en charge de la recherche scientifique et du patrimoine culturel. (3) Seuls peuvent être autorisés à effectuer des recherches archéologiques, les institutions scientifiques ou des chercheurs agréés dont les compétences sont reconnues et qui disposent des moyens financiers nécessaires. Ces dispositions qualifiées de bourgeoises, parce que conservatrices et égoïstes par tous ceux qui les enfreignent, ne sont pas d’actualité ici. Les objets anciens découverts et ramassés sur un site sont alors considérés comme des cadeaux venus d’outre-tombe, des témoignages de l’existence des ancêtres. Une adresse. Un signe. Une bénédiction. Le patrimoine est alors interprété et entendu comme le fait d’hériter de son père et de tous ses ancêtres. Pour les adeptes de cette théorie, le ramassage des objets sur les sites ne doit pas être considéré comme un délit, mais plutôt comme une chance, un message. Ces dispositions mentales et cette étonnante façon d’interpréter le droit du patrimoine nourrissent le florissant marché des antiquités. Le piétinement du bétail figure également dans le catalogue des facteurs qui dégradent le patrimoine naturel et culturel. Il se place de surcroît à la charnière des menaces d’ordre anthropique et naturel. L’Adamaoua, terre d’élevage par excellence a attiré, dès le XIXe siècle, des pasteurs foulbé à la recherche du gras et vert pâturage qui tapisse les tchabbé. Plusieurs décennies de surpâturage vont dénaturer le couvert végétal régional. En effet, l’intense consommation d’herbes freine la reconstitution du tapis végétal dans un contexte où le cheptel qui s’accroît sans cesse recherche toujours plus d’herbes à brouter. Cette quête effrénée de pâturage est sous-tendue par des feux de brousse allumés dans toute la région entre octobre et mars, opération visant à faire régénérer les herbes adulées par les zébus, les vaches et les veaux. Ce seront en fin de compte, six mois d’enfer pour la flore.
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Dans des espaces désormais déboisés et cendreux, le bétail qui passe en masse, piétine et dénude les sols qui sont progressivement livrés sans défense aux agents naturels d’érosion. Artéfacts lithiques, tessons de céramique sont fragilisés par les feux puis fracassés par des sabots. Les arbres qui retenaient le sol en montagne s’assèchent sous la chaleur des flammes et disparaissent. Les éboulements conséquents détruisent les sites et éparpillent leurs vestiges. Un cycle infernal qui est très loin de s’estomper dans un contexte agropastoral appelé à s’intensifier pour répondre aux besoins croissants des populations en viande, en lait et en produits dérivés des bœufs.
Photo 44- Des espaces déboisés et incendiés © Nizésété, Yoko, 2008.
Photo 45- Des sols lessivés et des vestiges exhumés © Bertelsen, Ngan-Ha, 2001.
Si les facteurs anthropiques de destruction du patrimoine peuvent être évités à partir du moment où les populations respectent les lois réglementant sa protection, font preuve de civisme, prennent conscience de la place du patrimoine archéologique dans leur histoire et dans leur vie quotidienne, la réalité est tout autre chose en ce qui concerne les facteurs naturels de destruction. Ils sont imprévisibles, sournois et s’imposent tout naturellement. II-2- FACTEURS NATURELS Les causes naturelles de dégradation du patrimoine se présentent sous différents visages à l’instar des facteurs humains. Dans cette étude, nous retenons comme agents actifs de destruction des vestiges : l’érosion différentielle, l’érosion éolienne, l’acidité des sols, les intempéries ainsi que les effets pervers des animaux fouisseurs et des rongeurs. L’érosion différentielle se manifeste par les méfaits des eaux de pluie sur les artéfacts au sol ou dans le sol. Les pluies abondantes et régulières soit les emportent, soit les exhument et les exposent sans défense à toutes formes d’agression. Enfouis dans le sol depuis très longtemps sans doute, leur brusque et inopportune mise au jour les fragilise et les condamne à terme à la disparition. C’est le cas de plusieurs poteries funéraires déterrées par les torrents
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au quartier Yarmbang à Ngaoundéré entre 1998-2002. Aucune action concrète n’a pu arrêter leur dépérissement. Bien au contraire, les autorités traditionnelles locales ont saisi l’occasion pour « débarrasser la ville des impuretés et des déchets de la mort ». Pendant ce temps en altitude, au mont Ngaoundéré ou au mont Djim, les torrents ravinent les pentes et drainent les artéfacts vers les piedmonts, dans les champs, dans les jachères et quelquefois jusque dans les lits des rivières où les sédiments les ensevelissent. Ces mouvements perturbent les contextes originaux des dépôts et effacent progressivement les plus anciennes traces de l’occupation humaine dans la région. La déflation ou érosion éolienne s’exprime avec plus d’acuité dans des espaces déboisés. Les vents qui soufflent avec une rare violence dans l’Adamaoua pendant l’harmattan dénudent les sols et les préparent au lessivage des saisons des pluies. La chaîne de destruction se tisse ainsi en surface pendant que dans le sol, d’autres acteurs de destruction travaillent en silence ou dans un remue-ménage assidu. Les sols tropicaux reconnus, pour leur acidité, sont par conséquent inaptes à une conservation adéquate des vestiges. Les objets les plus fermes et les plus résistants comme le lithique ou les scories sont souvent attaqués. Ils sortent en général des strates archéologiques corrodées même s’ils le sont moins par rapport aux tessons de céramique qui sont plus fragilisés, fissurés, émiettés et fortement dégradés. Leur facture originelle qui ne se prête déjà pas à une grande résistance trouve dans ces sols humides et acides, un précieux allié de corruption. C’est la raison pour laquelle, très peu de tessons décorés sont issus des fouilles. Les motifs et leurs probables messages ayant été naturellement effacés par la conjonction des effets pervers de différents acteurs, dont l’eau, la chaleur, les animaux fouisseurs et divers ingrédients minéraux qui confèrent au sol son potentiel agricole. Dans le sol, d’autres acteurs de dégradation font le ménage. Les termites, les grillons et les petits rongeurs bouleversent les couches archéologiques, déplacent des petites particules comme le charbon de bois et ce faisant, les contaminent en les mettant en contact direct avec des objets, soit plus anciens, soit plus récents. De ce fait, ils annulent toute possibilité de datation fiable et au cas où de tels charbons étaient datés, les résultats obtenus seront tout simplement faux et toute exploitation falsifiera d’office le schéma chronologique régional. Dans le petit musée de Ngan-Ha, des vestiges spéciaux subissent des agressions particulières. C’est le cas des objets-signes du pouvoir du Bélàkà étudiés dans le chapitre précédent. Les rongeurs et les insectes mangent les étoffes, rognent le bois et rongent la paille. Les paniers et chapeaux qui sont en paille sont de ce fait attaqués partiellement par des souris, des charançons et des termites. Le dernier traitement administré à ces objets par une conservatrice
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norvégienne en 2000 a fait date et une nouvelle cure s’impose désormais pour arrêter le processus de dégradation.
Photo 46- Sols acides et humides. Tessons de céramique altérés © Nizésété, Gangassao, 2005.
Photo 47- Coiffe royale mboum dévorée par des bestioles © Nizésété, Ngan-Ha 2006.
Rangés sans protection particulière sur des étagères en bois dans une petite case couverte de tôles en aluminium, ces objets subissent au-delà des morsures des bestioles, d’énormes contraintes imposées par la chaleur en saison sèche et l’humidité en saison des pluies. À Ngan-Ha, le soleil brûle la tôle qui renvoie à son tour la chaleur à l’intérieur du petit musée. Les objets en bois subissent alors le contrecoup d’une température qui s’élève le jour et chute la nuit. Torsions et fissures sur des pièces rares vont bon train au musée de Ngan-Ha, effets indésirables générés par des écarts de température. La saison des pluies entraîne à son tour de l’humidité et des moisissures. Ces deux agents corrompent doucement les objets, les dénaturent, les fragilisent et les prédisposent à la disparition. Un vieux chapeau qui tombe au sol est vite réduit en un amas de poussière. Et pourtant l’histoire doit s’écrire avec tous ces objets qui sont menacés de disparition par la faute des hommes et par les vicissitudes de la nature. En l’absence d’une véritable prise de conscience historique face à cette tragédie culturelle qui se joue au sol et dans le sol, il est possible que d’ici deux décennies, le patrimoine archéologique de l’Adamaoua ait disparu. Par ailleurs, si le rythme actuel de destruction est maintenu et que la population locale, les pouvoirs publics et les opérateurs économiques privés continuent d’ignorer la valeur patrimoniale des sites et des vestiges qu’ils renferment, la ruine de ces archives matérielles surviendra encore plus tôt. L’adage populaire qui stipule que « l’ignorance est la mère de tous les vices » se vérifie parfaitement dans cette région à travers la gestion chaotique de son patrimoine. Chaque peuple a en effet besoin de repères pour avancer sereinement dans ce monde traversé par des modèles culturels divers et pas toujours adaptés aux aspirations de chacun, d’où la nécessité de retrouver, de protéger et d’exploiter son patrimoine
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notamment archéologique afin d’en tirer des leçons quelles qu’elles soient pour progresser et espérer. III- MESURES DE PROTECTION DES SITES ET DES VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES DANS L’ADAMAOUA Il y a péril en la demeure en ce qui concerne les sites et les vestiges archéologiques de l’Adamaoua. Il se dégage d’ailleurs du catalogue des menaces dressé dans les paragraphes précédents, un véritable sentiment d’abandon du patrimoine, un constat d’échec par rapport à sa protection. Que doit-on protéger ? Avec quels moyens et quelle méthode ? Que représente d’ailleurs ce qui peut être sauvé par rapport à l’étendue de la destruction ? Dans tous les cas, l’urgence consiste à endiguer le mal, à freiner le processus d’une destruction systématique par la prise des mesures appropriées à chaque cas et surtout leur application concrète. La protection effective des sites archéologiques est une affaire de tous à travers une synergie d’actions réfléchies. Les mesures de protection envisagées dans cette étude s’organisent autour des thèmes suivants : textes de loi réglementant la gestion du patrimoine archéologique, formation des professionnels et dotation en moyens de recherches, techniques de conservation de type physico-chimique, promotion et valorisation du patrimoine archéologique. III-1- TEXTES DE LOI RÉGLEMENTANT LA GESTION DU PATRIMOINE ARCHÉOLOGIQUE Depuis 1963, le Cameroun enrichit régulièrement son arsenal juridique en faveur de la protection du patrimoine. Ce ne sont donc pas les textes qui font défaut en la matière, mais c’est leur application concrète sur le terrain qui pose problème. Ces lois ne sont pas cumulatives. Chaque nouvelle loi abroge la précédente ou toutes les dispositions antérieures contraires à l’esprit du nouveau texte. - La loi n° 63/22 du 19 juin 1963 organise la protection des monuments, objets et sites de caractère historique ou artistique. - La loi n° 91/008 du 30 juillet 1991 portant protection du patrimoine culturel et national prévoit : Article 12 : (1) Aucun bien classé ou proposé au classement ne peut être compris dans une enquête aux fins d’expropriation pour cause d’utilité publique ou dans une zone d’aménagement foncier s’il n’est préalablement déclassé ou si la proposition au déclassement n’est rapportée. (2) Dans ce cas, les autorités chargées de l’opération foncière sont tenues, avant toute action de procéder aux études archéologiques et historiques de la zone concernée.
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- Le Projet de loi régissant le Patrimoine culturel au Cameroun, adopté par l’Assemblée nationale le 09 avril 2013, promulgué par décret présidentiel le 18 avril 2013 et « qui abroge toutes les dispositions antérieures contraires, notamment la loi n° 91/008 du 30 juillet 1991 portant protection du patrimoine culturel et national », prévoit en ses chapitres IX et X, la réglementation des sondages et des fouilles archéologiques au Cameroun. Chapitre IX, article 43 : Tous travaux d’aménagement, d’extraction, d’exploitation ou de construction dans le cadre de grands chantiers ou de projets structurants doivent préalablement faire l’objet de diagnostics et de sondages archéologiques. Chapitre X : Article 44 : (1) Nul ne peut effectuer des sondages ou des fouilles terrestres ou subaquatiques, dans le but de mettre au jour des biens culturels intéressant la préhistoire, l’archéologie, la paléontologie, ou d’autres branches des sciences historiques, humaines ou naturelles en général, sans en avoir obtenu préalablement l’autorisation conjointe des Ministres en charge de la recherche scientifique et du patrimoine culturel. (3) Seuls peuvent être autorisés à effectuer des recherches archéologiques, les institutions scientifiques ou des chercheurs agréés dont les compétences sont reconnues et qui disposent des moyens financiers nécessaires. La loi n°96/12 du 5 août 1996 relative à la gestion de l’environnement stipule : Chapitre III, section IV article 36 Le sol, le sousǦsol et les richesses qu’ils contiennent, en tant que ressources limitées, renouvelables ou non sont protégés contre toutes formes de dégradation et gérées conjointement et de manière rationnelle par les Administrations compétentes. Si ces textes étaient respectés même partiellement, les sites archéologiques seraient en paix. Il est vrai que tous ces sites ne peuvent pas être intégralement conservés. Les experts doivent opérer des choix et libérer ainsi des espaces pour diverses autres activités. Comment s’y prendre ? Jean-Paul Demoule (2002 : 232-234) écrit à ce sujet : Dans l’idéal, on devrait pouvoir distinguer entre trois types de situations : a) les vestiges archéologiques qui appartiennent au patrimoine commun de l’humanité et ne sauraient être détruits. Ils doivent être étudiés, conservés sur place et, si possible, présentés au public ; b) les vestiges archéologiques intéressants, mais qui peuvent être étudiés par la fouille et permettre ensuite les aménagements prévus, avec
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d’éventuelles modifications. C’est ce qu’on appelle l’archéologie de sauvetage ou, désormais, « l’archéologie préventive »… c) les vestiges archéologiques dont on peut penser qu’ils n’apportent que peu d’informations nouvelles par rapport à ce qu’ils coûteraient à fouiller. Ils seront donc simplement signalés, puis détruits sans fouille ni étude.
Observons cependant que de telles opérations ne sont évidemment possibles que dans un environnement où l’archéologie est développée, encadrée par des professionnels dotés des moyens matériels et financiers susceptibles de leur permettre de conduire au mieux les recherches, les analyses et les publications scientifiques. C’est loin d’être le cas actuellement au Cameroun. III-2- FORMATION DES PROFESSIONNELS Nous précisions plus haut que l’archéologie ne fait pas foule au Cameroun et sans doute dans beaucoup d’autres pays africains. Une certaine opinion la réduit à la quête de l’inutile ou la confond à la chasse au trésor. Ceux qui la pratiquent passent pour des vandales, amateurs fous de vieux et inutiles objets. Comment entreprendre et conduire sereinement des opérations de protection ou de sauvetage des sites archéologiques dans un environnement aussi rétrograde psychologiquement? Sur la base d’un postulat aussi faux, où recruter des archéologues pour gérer le patrimoine archéologique ? Comment mobiliser des crédits de recherche dans un contexte économique et culturel où l’archéologie est loin de faire recette ? Quelles que soient la réalité et les difficultés actuelles, l’accent doit être porté sur un changement radical des mentalités par rapport à la formation des gestionnaires du patrimoine archéologique au Cameroun. En 1986 déjà, l’une des recommandations du colloque international de l’archéologie camerounaise conseillait la création des structures adéquates pour la formation des archéologues camerounais afin qu’ils assurent à court terme la couverture archéologique générale du pays. Quelques années plus tard fut créé, à l’université de Yaoundé I, le département des arts et archéologie. Au fil des ans, il remplit sa mission même si les effectifs des étudiants inscrits dans la filière archéologie restent faibles, voire décroissants au fil des années académiques. Dans les départements d’histoire des universités d’État du Cameroun, la situation n’est guère encourageante sinon plus préoccupante. Les cours d’archéologie sont quasi absents dans le curriculum des programmes de la majorité de ces départements et lorsqu’ils apparaissent, ils sont logés dans la rubrique des matières à option. La création en 2008 d’un département des Beaux-Arts et des sciences du patrimoine à l’Institut supérieur du Sahel de l’université de Maroua se présente alors comme l’écho de l’action du gouvernement camerounais par rapport à la nouvelle gestion de son patrimoine. Des cours théoriques et pratiques d’archéologie, de muséologie, de gestion des sites et des monuments, d’archivistique, de droit, de marketing et d’administration du patrimoine, de
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géographie, d’anthropologie générale, de tourisme et d’histoire générale et des civilisations, sont créés afin de répondre à ces attentes. Cette transdisciplinarité repose sur une certitude, celle qui veut que seule une large ouverture d’esprit permette à l’archéologue d’appréhender l’homme disparu, objet de multiples interrogations ainsi que ses multiples créations enfouies dans le sol et enveloppées dans le silence. Quête scientifique qui reste au stade des vœux, tant que les infrastructures d’accueil et d’analyse de même qu’un personnel enseignant compétent ne seront pas disponibles. La crise des professionnels en archéologie au Cameroun prend sa source certes dans les stéréotypes que l’on se fait de cette discipline, mais relève aussi de la qualité de sa pratique dans les centres académiques. L’archéologie en fait ne peut pas fonctionner comme une simple technique, une science de laboratoire éloignée des questions d’histoire que se posent les populations ou distante des grandes problématiques historiques qui préoccupent le pays tout entier. De ce fait, la création des filières de formation où les cours portent essentiellement sur les théories et les travaux pratiques d’archéologie est certes intéressante au plan de la haute professionnalisation requise pour certaines expertises, mais elle reste inopérante tant qu’elle ne répond pas à la demande d’histoire des peuples, évolue dans un contexte technique dépourvu de laboratoires spécialisés et d’enseignants qualifiés. Sans l’archéologie, il n’y aura jamais d’histoire, passé, par régression, le cap des XIe et XIIe siècles ; réciproquement, sans l’histoire, l’anthropologie culturelle, la sociologie, l’archéologie ne serait qu’une science de laboratoire satisfaisante pour les seuls initiés, si elle se repliait sur ses seuls objectifs et ses seules méthodes. Un historien que l’on prive de l’archéologie en Afrique est aveugle et sourd à l’essentiel du passé de ce continent ; un archéologue qui perd de vue les objectifs de l’historien cesse vite d’être en contact avec la « demande d’histoire » des peuples d’Afrique (Devisse 1981 : 5).
Le faible engouement des étudiants pour cette discipline tiendrait donc au fait qu’elle leur apparaît d’emblée comme la science des vieilles choses et apparemment sans aucun lien avec le présent où ils vivent et s’interrogent. Or, l’archéologie est très actuelle aussi bien dans ses méthodes d’investigation que sur les questions que l’humanité lui pose notamment sur ses origines, les changements climatiques, les diversités culturelles, le destin des civilisations, etc., et en attend des réponses. Ces questions relèvent de l’histoire, de l’anthropologie, de la paléontologie, de la géographie et seule une formation transdisciplinaire autorise l’appréhension de ces phénomènes et la recherche des solutions probables et viables. L’archéologie ne consiste donc pas à fouiller simplement le sol même avec le matériel le plus sophistiqué, mais à fouiller le sol éventuellement avec ses mains pour répondre aux questions d’histoire.
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La formation des archéologues dans nos universités devra donc tenir compte des objectifs visés et des réponses attendues. Elle doit pouvoir répondre aux attentes des populations par rapport à leur histoire. Ainsi, on disposera des hommes et des femmes attentifs à leur patrimoine archéologique, parce qu’informés de leur valeur archivistique et partant de leur potentiel historique. Une fois convaincus de ces atouts et valeurs, ils seront soucieux de les sécuriser et de les faire protéger. La protection du patrimoine convoque différentes méthodes. Nous retenons dans cette étude trois types : la conservation des sites in situ (dans son milieu naturel), le traitement chimique et mécanique des artéfacts et la conservation des objets dans les musées africains. III-3- CONSERVATION DES SITES IN SITU Les sites archéologiques relèvent du patrimoine culturel matériel. Ils sont par conséquent immuables. Lorsqu’ils présentent un réel intérêt scientifique, ils doivent être préservés de la destruction et maintenus dans leur milieu naturel avec si possible des aménagements mettant en valeur leurs potentialités. Cette éventualité devient encore plus prégnante lorsque le site offre les caractéristiques d’un chantier-école ou présente des atouts d’ordre touristique.
Photo 48- Restes de grenier au mont Djim © Nizésété, 1998.
Photo 49- Foyer à Djaba © Nizésété, 2001.
De ce fait, les vestiges ne sauraient être détruits et doivent être étudiés, conservés sur place et, dans une certaine mesure, présentés au public. Les sites de cette nature sont rares dans l’Adamaoua et se limitent à quelques cas essentiellement logés en montagne. Il s’agit du mont Ngaoundéré, de Ngaw Pak Hay, de Raou Yon Pou, du mont Djim, de Ganga I, et de Ndeba à Somié. L’exploitation scientifique de ces sites a révélé en l’état actuel des recherches, les plus anciennes traces de l’occupation humaine dans la région à savoir, le premier millénaire avant notre ère au mont Ngaoundéré et le début de notre ère à Ndeba. Ils abritent aussi des vestiges exceptionnels comme les restes de
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greniers de la résistance des Nizo’o contre les Allemands au mont Djim à Galim-Tignère. Dans ces sites, les couches archéologiques, révélatrices des moments d’occupation ou de destruction, sont visibles sur les parois de certains gisements fouillés. Ils constituent de ce fait, des outils patents pour les travaux pratiques des étudiants. Tous ces sites jusqu’à présent, n’on fait que l’objet de fouilles partielles et par ailleurs, les cavités rocheuses de Raou Yon Pou à Ngan-Ha gardent encore des artéfacts. Ce potentiel archéologique argue en faveur de la préservation de ces sites à des fins scientifiques. Ils sont situés malheureusement dans des espaces menacés par les labours et les randonnées pédestres, d’où l’urgence des mesures à prendre pour les épargner de la disparition définitive. III-4- TRAITEMENT CHIMIQUE ET MÉCANIQUE DES ARTÉFACTS Le patrimoine archéologique de l’Adamaoua est riche et diversifié. Il comporte des objets en argile, en métal, en bois, en cuir, en tissu et même en paille. Ces objets qui ont traversé des siècles pour nous parvenir et qui, sans aucun doute, continueront leur chemin dans le temps méritent d’être protégés, c’est-à-dire préservés de la dégradation, restaurés s’il le faut, et conservés en un lieu propice comme le musée. La technologie moderne qui a aujourd’hui des moyens révolutionnaires pour conserver ces témoins matériels doit être sollicitée afin de permettre entre autres, l’identification des alliages ou encore l’identification anatomique des bois par divers moyens d’observation et de détection. Les objets-signes du pouvoir du Bélàkà sont les plus concernés par ces traitements physico-chimiques au regard de l’état de conservation déplorable dans lequel la plupart se trouvent. Des experts, dont Louis Frédéric (1967 : 363374), proposent des solutions simples et accessibles aux laboratoires à faible budget pour préserver divers objets comme le bois, le métal, la céramique, le cuir, qui figurent dans notre collection. La lutte contre les agressions dont ils font l’objet tient compte de leur facture matérielle, de l’étendue de la menace et de la nature de l’agresseur. Les objets de facture ligneuse et herbacée, notamment le trône royal et les calebasses en bois, les chapeaux et les paniers en paille exposés au musée de Ngan-Ha subissent surtout les attaques des insectes, des termites et les méfaits des écarts de température. Contre les insectes, il est conseillé de procéder, soit par fumigation, en produisant des fumées désinfectantes ou des vapeurs insecticides pour débarrasser les objets de leurs parasites, soit par badigeon, en utilisant des liquides désinfectants du genre méthylpolysiloxane, xylène, acide borique contre les insectes lignivores. La lutte contre les termites xylophages doit passer par la soumission des objets dégradés à un bain de créosote sous pression. Il est conseillé de fermer les trous creusés par les tarets, les vers et les
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termites avec de la cire. Les objets fendus du fait des brusques changements de température ou des intrusions des champignons et des termites doivent être consolidés avec des attelles ou avec l’imprégnation de la cire vierge. Dans tous les cas, ne jamais vernir les objets afin de ne pas les défigurer et surtout permettre au bois de respirer. À la limite, on pourrait les cirer avec un produit incolore. Les sacs en peau de veau, la peau de panthère et la peau de buffle qui couvre la trompette Nduru, se dessèchent, se fendillent et se cassent sous les effets conjugués des indélicatesses des hommes et des intempéries. Pour les protéger, il est conseillé de les enduire d’une mixture d’huile de ricin et d’alcool, appliquée plusieurs fois de manière que le cuir en soit bien imprégné. Des traitements bactéricides doivent ensuite être appliqués. Ils doivent être mis à l’abri d’une trop grande humidité. Les chasse-mouches et les queues de chevaux se conservent bien à l’abri de l’humidité. Une désinfection périodique est recommandable. Les couteaux de jet, les gongs, les trompettes, les cloches, les houes, les masques lunaires ainsi que les aiguilles qui pincent la coiffe du Bélàkà sont en métal. La conservation des matières métalliques consiste principalement à les protéger des corrosions. Elle passe par l’étude préalable du métal afin de déterminer sa forme et l’épaisseur des corrosions, soit par rayons X, soit par méthodes mécaniques. Trois principaux procédés sont utilisés pour enlever les corrosions selon leur nature et celle du métal. Il s’agit des procédés électrochimique, électrolytique et mécanique. La réduction électrochimique consiste à placer l’objet dans un baquet de fer qu’on recouvre ensuite de poudre de zinc additionnée de poudre caustique. On chauffe alors le mélange jusqu’à ébullition pendant une heure ou deux en ajoutant de temps en temps de l’eau pour garder à la solution son volume. On lave ensuite à l’eau pure. Si nécessaire, répéter plusieurs fois l’opération en piquetant la corrosion avec une aiguille (Louis Frédéric, 1967 : 369).
Ce procédé électrochimique est applicable sur les regalia mboum de NganHa au regard des coûts des opérations et du degré d’expertise requis pour la conservation. La fumigation, la désinfection, le badigeonnage des bois et des peaux, le lavage des céramiques, l’éradication des corrosions sur les métaux sont donc requis pour le traitement des objets-signes du pouvoir du Bélàkà déposés au musée de Ngan-Ha. Opération indispensable qui doit permettre l’exposition des objets en meilleur état de conservation. III-5- MUSÉE ET CONSERVATION DES VESTIGES « Le musée est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l’homme et de son environnement, acquiert
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ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d’études, d’éducation et de délectation » (ICOM, 1996 : 3). Le musée, lieu de conservation, d’exposition et de valorisation des œuvres en tous genres et de toutes les époques, est l’endroit où se célèbrent la culture, l’histoire, la géographie d’un pays ou d’une région. C’est le creuset privilégié de rencontre des époques, des générations, des ethnies, des croyances, des diverses créations des hommes d’autrefois et d’aujourd’hui à travers le patrimoine culturel matériel et immatériel, qu’il conserve et valorise. Dans cette perspective, les artéfacts collectés dans les différents sites archéologiques de l’Adamaoua devenus des archives matérielles à l’issue des analyses et des interprétations doivent trouver une place dans des centres scientifiques et culturels appropriés comme les musées, qui sont des livres ouverts au grand public où chacun apprend à mieux connaître sa région, son pays. C’est une école d’intégration où chacun s’identifie et éprouve un sentiment de fierté et d’appartenance à une nation. C’est la synthèse de la vie comme le soulignait le père Engelbert Mveng. Mais le plus grand défi à remporter sera celui de la conquête et de la fidélisation d’un public disposé à venir voir et à travailler, le cas échéant, sur les vestiges archéologiques et sur d’autres collections muséales. Le musée en Afrique est considéré à tort comme le lieu où l’on conserve des choses qui ne servent plus à rien, un endroit réservé aux touristes européens, un cadre ésotérique réservé aux seuls initiés. Une conception aussi falsifiée du musée tire son origine des musées coloniaux, extravertis, éloignés des préoccupations des populations locales. 1- Ces musées qui ne sont pas des musées africains La plupart des musées africains ont gardé l’esprit du musée de type européen. Même si des innovations observées dans quelques pays africains comme le Kenya, le Ghana, la Zambie, le Nigeria, le Sénégal ou encore le Niger nous autorisent à nuancer ce propos, la situation n’a guère évolué et en particulier dans les pays francophones. En Afrique, le musée colonial avait pour objectif de présenter des spécimens géologiques, minéralogiques, mettant en valeur des territoires; de servir de support de recherche pour une meilleure connaissance de l’Afrique, de son milieu naturel et humain; de faire connaître la diversité ethnique et démographique et de rendre hommage aux personnages importants de la métropole… Ces premiers musées, faits par les Occidentaux pour un public limité aux Européens, aux métis ou intellectuels africains, ne correspondaient pas aux préoccupations de la population autochtone. Ils restaient, aux yeux de beaucoup, des galeries et des entrepôts d’objets. Ainsi, par la force des choses, ces musées coloniaux demeuraient étrangers à leur environnement socioculturel immédiat (Camara Abdoulaye, 2000).
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Les musées en effet ne sont ni des entrepôts ni des endroits clos accessibles à quelques initiés. Leurs fonctions, explicitement connues, sont au nombre de quatre : exposition, conservation, scientifique et animation. 1- Fonction d’exposition : exposition accessible au public le plus large possible physiquement (même aux handicapés) et intellectuellement (dimension didactique) et socialement (droit d’entrée à tout public) ; 2- Fonction de conservation : inventaire, préservation et protection du patrimoine contre le vol, les dégradations provoquées par les actions humaines et des agents biologiques; maintien permanent des objets dans le meilleur état possible ; 3- Fonction scientifique : réalisation d’études scientifiques multiples (historiques, artistiques, archéologiques, physico-chimiques) sur les collections conservées au musée et leur contexte; recherches de nouvelles pièces pour l’enrichissement des collections disponibles ; 4- Fonction d’animation : insertion du musée dans la vie culturelle et sociale de sa ville et de sa région : expositions temporaires, visites guidées, conférences, concerts, ateliers, évènements et manifestations en tous genres à l’attention des résidents et des touristes.
Ces fonctions font ressortir les objectifs assignés aux musées afin qu’ils jouent pleinement leur rôle et contribuent au développement moral, intellectuel et économique du pays. Mais dans beaucoup de pays africains, la plupart de ces fonctions ne sont pas assumées, déficit qui sous-tend l’interrogation permanente sur le rôle du musée dans la société et le dialogue entre musée et développement. En Afrique, beaucoup de musées sont extravertis et aliénés. Ce ne sont donc pas des musées africains dans la mesure où ils ne remplissent déjà pas leurs fonctions traditionnelles, mais sont très éloignés des attentes des populations. Les musées en Afrique sont davantage considérés comme des reliques de la colonisation que comme des outils de recherche et de développement. Alpha Oumar Konaré (1985 : 3-6) dénonce l’application stricto sensu de la politique muséale européenne en Afrique. L’africanisation de ce modèle est à son avis, l’une des principales causes de la rupture entre le public africain et son musée. Pour nouer le dialogue entre le musée et son public, il propose de revoir la politique muséale africaine : Traditionnellement, en Afrique, les objets cultuels - les statues par exemple - étaient créés pour participer à un rite, ou étaient liés au pouvoir. On ne conservait pas l’objet pour lui-même, mais pour le rite ou pour le souverain. La durée de l’objet était connue, sa vie réelle limitée. Aujourd’hui, quand on décide de conserver un objet, c’est son aspect plastique qui est mis en avant. On le dépose alors derrière la vitrine d’un musée où personne ne va le voir. Car le musée tel que nous l’avons hérité de la période coloniale est, pour nous, un lieu vide, sans signification…tant que les musées n’auront pas de rapport avec les
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structures éducatives, ce seront des mouroirs (Konaré cité par Maret, 2001 : 24-25).
De l’avis de Jean Baptiste Kiethega (1991 : 18-23), « ces musées étaient construits dans les capitales afin d’y présenter aux étrangers et aux touristes, et surtout à la bourgeoisie de l’administration et du commerce coloniaux, un raccourci culturel des différents pays. Le musée colonial était un entrepôt sans rapport avec son environnement, qui d’ailleurs l'ignorait ». Constat similaire relevé par Abdoulaye Sokhna Diop (1976 : 351-376), pour qui le musée colonial, implanté dans un environnement socioculturel qu’il était censé symboliser, évoluait en fait dans une ignorance quasi absolue de cet environnement. Le musée colonial ne pouvait concerner les Africains dont la culture et la civilisation y étaient simplifiées et caricaturées de façon grossière. Ainsi donc, la politique muséale occidentale transplantée telle quelle en Afrique a conduit les musées dans l’impasse. Ils ne recueilleront jamais de succès auprès de leur population nationale. Ils resteront des lieux déserts. Pierre de Maret (2001 : 25) illustre ce triste constat par l’exemple du « Musée de Lubumbashi en République Démocratique du Congo, superbe bâtiment contenant des collections archéologiques et artistiques d’un grand intérêt, mais qui ne reçoit que peu de visites, car les squelettes exposés dans la deuxième salle font tout simplement fuir le public ». Après les indépendances, des musées nationaux furent créés et il leur fut recommandé de participer à la promotion de l’identité nationale, de contribuer à la décolonisation culturelle, de montrer clairement l’ancienneté de l’histoire africaine, de présenter l’apport de l’Afrique à la civilisation universelle, de sublimer les cultures nationales, de faire ressortir les valeurs ancestrales, et de montrer les modes de vie, les traditions, les croyances, les valeurs guerrières de la nation, ou dans certains endroits, de l’ethnie dominante. Comme le souligne Vincent Negri (1997 : 18) : C’est dans le souci d’asseoir l’identité nationale sur d’autres bases que celles laissées par les États européens et d’assurer la cohésion de la nation autour des valeurs culturelles propres au continent africain [que] les États ont entrepris de renouer avec leur propre histoire et les coutumes ancestrales occultées par la période coloniale ... Les musées apparaissent ainsi comme des outils à la fois politiques et culturels. En préservant les signes endogènes, les traditions historiques et les références ancestrales, ils offrent une légitimité culturelle et identitaire à la nation, notamment en organisant la valorisation et la réappropriation des identités culturelles, dans le cadre territorial de l’État.
En plus des musées nationaux, des musées régionaux et municipaux, plus thématiques, virent le jour, faisant ressortir la diversité des cultures. Mais, dans la majorité des cas, ils restèrent liés aux villes, présentant des expositions hâtivement montées, visités par des touristes et par des élèves qui y trouvaient
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l’illustration à leurs cours de sciences naturelles et d’histoire. Dans l’ensemble, ces écoles du vendredi soir ou du samedi étaient réservées à une minorité, contrairement à leur vocation publique, c’est-à-dire être accessibles à tous. Sous ce rapport, il apparaît que le peu d’intérêt que la plupart des Africains, dont les Camerounais, éprouvent encore envers leurs musées tient en partie au fait que la conception du musée par les Occidentaux ne croise pas nécessairement celle des Africains, même s’il est acquis qu’ici comme ailleurs, le public visite d’abord un musée pour ses collections. Or, les dispositions psychiques vis-à-vis des objets varient d’un public à l’autre en fonction de son éducation, de son confort de vie, de sa religion. On doit prendre en compte cet élément si on tient à faire visiter les musées camerounais par des Camerounais. C’est au moins l’une des raisons qui justifient la nécessité de créer des musées qui répondent aux aspirations des principaux bénéficiaires. 2- Des modèles de musée pour l’Afrique Le premier problème des musées du Cameroun porte sur l’inadéquation entre la politique muséale et les aspirations des populations locales qui attendent que les musées racontent leur histoire, qu’ils servent de point de repère par rapport à leurs origines dans un contexte social et culturel en constante évolution. Le musée doit être le reflet d’un moment, d’une époque tout en étant ouvert à la dynamique du monde. C’est le lieu de rencontre entre les peuples et leurs cultures, lieu privilégié du dialogue interculturel et de la promotion de la paix. C’est pourquoi dans certains pays, le musée est appelé maison du peuple. Les musées aujourd’hui doivent mettre à leur profit les moyens nouveaux qu’offrent les technologies de l’information et de la communication pour devenir des centres de formation, des laboratoires de recherche et des espaces de loisirs. Ils doivent faire peau neuve, amener ainsi le public à changer de perception et à les regarder d’un œil nouveau. Il s’agit d’une véritable révolution culturelle afin que désormais, à la question suivante : quel musée pour quoi et pour qui ? ne nous parvienne plus un écho fossile, éloigné des préoccupations des Camerounais, mais un chant patriotique de ralliement autour patrimoine culturel. C’est la seule véritable démarche capable de réconcilier les musées avec le public dans toutes ses déclinaisons possibles. Pour y parvenir, il faut tuer l’ancien afin que de ses cendres surgisse le nouveau, celui-là dont Alpha Oumar Konaré (1985 : 3-6) esquisse les contours : Pour qui est-ce encore un doute que les musées en Afrique n’ont jamais réellement quitté les villes et que, même dans les villes, ils restent la chose des étrangers (...), que beaucoup de musées continuent de vivre parce que financés par l’extérieur. Il est temps, grand temps, cela nous semble, de procéder à une totale remise, en cause, il faut tuer, je dis bien tuer, le modèle occidental de musée en Afrique pour que s’épanouissent de nouveaux modes de conservation et de promotion du patrimoine.
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La mort du vieux musée passe donc par de profondes restructurations aux plans scientifique et financier, en matière de formation et d’encadrement du personnel, de développement des programmes et des services proposés au public, de gestion efficiente du budget, des équipements et des collections. Ce nouveau musée doit devenir selon les orientations proposées actuellement par les professionnels, une entreprise ouverte, créatrice de nouveaux intérêts, s’impliquant davantage dans la vie et l’environnement de ses publics ainsi que dans les activités touristiques, participant à la protection du patrimoine culturel, prenant des initiatives en matière de recherche, de documentation, de constitution des collections, de conception des expositions. Cette orientation stratégique est valable pour le musée local de Ngan-Ha entre autres institutions muséales dispersées sur l’ensemble du territoire camerounais et abandonnées à la dégradation. Ce nouveau musée repose sur trois importants piliers : la professionnalisation des méthodes d’exposition et de communication, la lutte contre le trafic illicite des biens culturels, le nouveau management du musée qui concilie la gestion de l’entreprise culturelle publique avec les lois du capitalisme libéral. Ces défis qu’ils doivent relever garantissent leur survie, leur existence, leur audience, leur contribution à l’intégration nationale, au développement du tourisme et à la création de nouveaux emplois. La conservation des sites et des vestiges archéologiques ne saurait se limiter aux seules méthodes et techniques ci-dessus présentées. Diverses autres formes existent et leur opérationnalité dépend de la disponibilité des moyens matériels et financiers conséquents ainsi que des ressources humaines compétentes. On pourrait à cet effet sensibiliser les populations sur l’importance des sites archéologiques et la nécessité de les protéger; conseiller le reboisement des pentes en vue d’éviter d’éventuels éboulements qui emporteraient des sites et des vestiges dans leur sillage ; recommander l’utilisation des outils multimédias, dont le disque compact interactif particulièrement approprié pour la mise en valeur du patrimoine. L’outil multimédia permet de rendre vie aux œuvres en les replaçant dans leur contexte d’origine, à la fois visuel et sonore. C’est le cas par exemple de la reconstitution des chaînes opératoires des anciennes techniques aujourd’hui disparues ou en voie de disparition comme la métallurgie du fer et la poterie encore appelée céramique.
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QUATRIÈME PARTIE L’ARCHÉOLOGIE DU PRÉSENT LES ARTS DU FEU ENTRE ÉVOLUTION, STAGNATION ET DÉCLIN
CHAPITRE VI LA POTERIE DANS L’ADAMAOUA CHAÎNE OPÉRATOIRE D’UNE PRATIQUE ARTISTIQUE EN CONSTANTE ÉVOLUTION * La chaîne opératoire de la poterie apparaît au final comme une construction hétérogène, profondément dynamique et extrêmement enrichissante pour les archéologues. Les comportements techniques semblent en effet indépendants des contraintes de la matière et de la fonction et se révèlent de bons marqueurs des identités sociales…L’activité de poterie se profile comme un fait social total (Gosselain, 2002).
** La découverte de la poterie engendra…l’endogamie et Dii et Nang partagent la même interprétation. Ici, contrairement à la plupart des autres sociétés africaines dans lesquelles forgerons et potières sont castés, ce ne sont pas les forgerons qui ont été exclus ou marginalisés par la majorité ; ce sont les forgerons et les potières qui l’ont fait d’eux-mêmes pour protéger et conserver leurs activités conjointes (Muller, 2001 : 211).
Les centaines de tessons de poterie mis au jour dans les différents sites de l’Adamaoua, qu’ils aient été extraits des strates ou ramassés en surface, posent d’emblée le problème de leur manufacture : qui, comment, pourquoi et quand furent-ils fabriqués ? À propos de quand, les datations au radiocarbone ont fourni des repères chronologiques attestant un art céramique datant du IVe siècle au moins à Somié et qui s’y poursuit. Cette continuité explique pourquoi nous avons quitté les sites pour aller à la rencontre des potières encore en activité dans différents villages, afin de chercher les réponses aux interrogations portant sur le qui, le comment et le pourquoi de cette activité séculaire. Dans cette quête des paroles et des gestes effacés par le temps, est-il possible de retrouver dans leur originalité l’identité des artisans, leurs savoirs, leur savoirfaire ainsi que les motivations profondes de leurs activités ? Ne court-on pas le risque à travers des analogies hâtives entre sociétés actuelles traditionnelles et sociétés préhistoriques, de contribuer au renforcement de cette vision stéréotypée sur ces populations non européennes immobiles et dont les techniques n’évoluent jamais ? Comme nous l’avons précisé plus haut, les sociétés africaines sont productrices des sciences, des techniques et des usages dont la continuité culturelle est évidente de nos jours. Les ruptures sont lentes et il n’a pas existé
une véritable révolution technologique dans ces sociétés jusqu’au XXe siècle. L’archéologie du présent, comptable de l’univers technique dans son ensemble, y compris le présent que nous convoquons dans les ancrages théoriques de cette étude, rend compte de notre démarche parce qu’elle est une archéologie de prévention et de sauvegarde, et non pas une archéologie d’analogie culturelle entre des peuples séparés par la géographie et l’histoire. Il s’agit plutôt, dans cette tentative de reconstitution des gestes techniques, non pas de retrouver la poterie de l’Adamaoua dans sa version originelle, ce qui serait d’ailleurs un leurre, mais de capter les survivances d’une activité en voie de disparition et qui, au fil du temps, a connu des changements. Nous gardons en effet présent à l’esprit que la poterie que nous observons aujourd’hui dans les villages de l’Adamaoua est, soit le pâle reflet de la splendeur d’un art né il y a des millénaires et qui n’a cessé de se dégrader, soit le summum d’un art jadis fruste, mais qui se perfectionne constamment. La chaîne opératoire de la poterie déroulée dans cette étude intéresse essentiellement l’aspect technique ou le processus de manufacture. Les séquences traitées portent sur : l’extraction de l’argile, le traitement de la matière première, le façonnage, la décoration, les finitions, le séchage, la cuisson et l’après-cuisson. Cette opérationnalité est l’œuvre des hommes et des femmes qui mettent en valeur leur savoir-faire afin de répondre aux sollicitations dont ils font l’objet. Qui sont-ils ? Comment acquièrent-ils leurs connaissances en la matière? Entre mythes et réalités, la poterie trouve son origine. I- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR L’INVENTION DE LA POTERIE L’invention de la poterie constitue l’un des tournants majeurs de l’histoire universelle. L’écho du phénomène est si intense que le néolithique, période des grandes mutations où l’homme passe progressivement de prédateur à producteur, est matérialisé par la poterie. Comment apprécier l’ampleur d’une telle révolution technologique si on n’appréhende pas réellement le rôle des objets céramiques dans la vie quotidienne ? Avant l’avènement des récipients en terre cuite, on peut imaginer combien il était difficile de cuire les repas, de conserver les produits agricoles et alimentaires, de transporter les liquides et les récoltes. La marmite a rassemblé autour du foyer, les membres d’une famille ou d’une communauté naissante et a joué un rôle d’éducation et de socialisation manifeste. Les aliments cuits ou bouillis ont influencé positivement la maturité intellectuelle d’Homo sapiens à en croire les paléontologues et les diététiciens. Une invention aussi capitale et dont la genèse se perd dans la nuit des temps a donné lieu à des supputations les plus variées où le génie humain le dispute au mystère divin. Les Dii de l’Adamaoua, réputés pour leur maîtrise des arts du feu, créditent l’homme comme l’inventeur de la poterie.
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Les forgerons et les potières disent que leurs ancêtres ont observé que les hauts fourneaux qu’ils érigeaient ainsi que les tuyères, tous deux en terre argileuse, durcissaient lors de la réduction, devenaient imperméables et résistaient au feu. Tout le monde, à cette époque, cuisait la nourriture en faisant chauffer à blanc des pierres qu’on jetait dans des calebasses contenant de l’eau et de la farine - et même des morceaux de viande pour faire de la bouillie… Les hommes, voyant la résistance au feu des hauts fourneaux et des tuyères, demandèrent aux femmes d’aller chercher une argile particulièrement malléable signalée par les terriers et les déjections du crabe de terre, kaag, argile qui leur semblait la plus appropriée, et d’en façonner des récipients qui pourraient être mis au feu. Ce que firent les femmes qui, ensuite, perfectionnèrent leur art en observant les pratiques de la guêpe maçonne didii. Pour préserver ces deux arts du feu [poterie et métallurgie], les forgerons refusèrent de donner leurs filles aux Dii [non-forgerons] et se marièrent entre eux. La découverte de la poterie engendra donc plus tard l’endogamie…. On notera ici que, contrairement à la plupart des autres sociétés africaines dans lesquelles forgerons et potières sont castés, ce ne sont pas les forgerons qui ont été exclus ou marginalisés par la majorité ; ce sont les forgerons et les potières qui l’ont fait d’eux-mêmes pour protéger et conserver leurs activités conjointes (Muller, 2001 : 211).
Cette invention, résultat de l’observation minutieuse du comportement chimique et mécanique des structures de réduction des minerais de fer à l’épreuve de la chaleur, traduit le haut niveau de compétence des Dii, maîtres certifiés du feu dans l’Adamaoua. L’histoire d’une pareille invention n’est cependant pas attestée chez d’autres groupes ethniques de la région et pourtant, ils comptent parmi leurs membres, des forgerons et des potières. Comment aurait donc été transmis ce savoir-faire chez ces groupes dont les traditions historiques sont muettes sur le sujet à savoir : les Mboum, les Mbéré, les Nizo’o, les Mambila, les Pèré, les Wawa, les Gbaya, etc.? Comment s’est déroulé le processus d’appropriation de ces techniques ? Et si leur acquisition ne résulte pas de l’emprunt ou de la diffusion, dans quelle mesure s’est alors faite la création endogène de la poterie ? Doit-on prétendre que les techniques circulèrent depuis des foyers d’invention vers des zones d’appropriation à travers des objets manufacturés, lesquels furent ensuite recopiés par des artisans locaux ? Ou doit-on affirmer que ce sont les artistes spécialisés qui se déplacèrent dans toute la région pour enseigner et transmettre leur art. L’endogamie des forgerons et des potières était-elle évidente partout dans la région ? Réponses difficiles à donner à ces questions relatives au commencement des révolutions scientifiques et techniques, en l’absence de documents écrits ou matériels certificatifs. Dans tous les cas, l’Adamaoua est depuis longtemps un grand foyer de production d’objets céramiques aux fonctions plurielles et qui interviennent dans les services ordinaires et dans les célébrations cultuelles exceptionnelles.
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Il est en effet aujourd’hui difficile de dire avec exactitude qui inventa la poterie et qui la copia dans cette région. En l’absence de toute contrefaçon ou des adaptations locales, la structure des cols de certains vases par exemple est révélatrice de leur tribu d’origine. Variation morpho-stylistique qui conduirait à prétendre que les foyers de création des modèles céramiques sont polycentriques. Diversité qui n’exclut pas des usages semblables. Décorés ou non, grands, moyens ou petits de taille, ces vases sont destinés à contenir, à conserver, ou à transporter des liquides et des grains. Par ailleurs, il n’est pas non plus aisé de dire si les forgerons et les potières vivaient partout en castes comme les Dii si l’on se réfère à leur mythe fondateur sur l’invention de la poterie. Mais, le fait pour ces artistes de se réfugier dans des castes afin de maintenir leurs privilèges et de préserver leurs savoirs constituait dès le départ un handicap scientifique et technologique profond aux dépens de la dynamique de leur action. En effet, le mode de transmission des connaissances fondé sur la confiscation du savoir et de l’éducation en vase clos dans les sociétés africaines constitue l’un des fondements de leur stagnation et de leur dégénérescence sur le plan scientifique et technique. Forgerons de père en fils, potières de mère à fille se considèrent parfois comme des artistes d’origine divine et entendent demeurer seuls détenteurs des secrets de leur art. À cet effet, ils se réfugient dans une caste où ils peuvent cacher et garder jalousement leur savoir-faire. Constitués en familles, voire en cercles ésotériques au sein desquels les techniques de la métallurgie et de la poterie se transmettent à une infime minorité de gens admis par le droit du sang, sorte de cooptation rigoureusement programmée, ces maîtres et maîtresses du feu à l’instar des marabouts, ont toujours manifesté un intérêt à maintenir leurs congénères dans la nuit de l’ignorance afin de conserver leur position sociale, au risque de perdre ce savoir en cas de crise. Sous ce rapport, la majorité des populations africaines n’a guère eu accès aux savoirs qui auraient pu comme dans d’autres continents, l’aider à maîtriser son espace naturel et à susciter enfin la révolution industrielle africaine. C’est un fait certain que les progrès scientifiques et techniques ont toujours résulté d’une accumulation de connaissances diffusées et conservées dans les couches les plus larges de la société. Pour n’avoir pas respecté ce cheminement, volontairement ou non, les arts du feu africains, et la métallurgie du fer en particulier, ont stagné, voire décliné, faute de renouvellement et d’élargissement de leur personnel scientifique et technique. Sur le front social cependant, l’endogamie qui fut au cœur des arts du feu pendant des siècles a éclaté avec le temps. Les filles de forgerons ne deviennent plus obligatoirement des potières. Elles peuvent s’adonner à d’autres tâches. Dorénavant, les filles d’agriculteurs, des bergers, des ouvriers, des commerçants, etc., peuvent exercer dans la céramique. Les forgerons n’épousent plus forcément les potières. Ils peuvent s’allier aux bergères, aux
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cultivatrices, aux marchandes, entre autres femmes. La poterie, en se démocratisant, s’est donc ouverte à tous. Le tableau ci-dessous démontre, à souhait, cette ouverture au regard de la diversité des filiations des potières. II- Tableau 5 : RÉPERTOIRE DE QUELQUES POTIÈRES DE L’ADAMAOUA. LIEU ET DATE NOM, ÂGE* ET DE L’ENQUÊTE RELIGION DE LA POTIÈRE
FILIATION (famille)
APPRENTISSAGE ÂGE ET LIEU
INSTRUCTRICE
1 - PAYS DII (VINA) ENTRETIENS de 1997 à 2000 Vers 15 ans à Une potière mboum Adjie Kaïgama Dii, fille de 68* ans environ non-forgeron Gambouokouo (musulmane) Nang, fille de Vers 17 ans à Mbang Une potière mboum Dicko forgeron Mboum Maïrama 58 ans environ (musulmane) Dii, fille Vers 14 ans à Ndom Sa belle-sœur Ndom Dômsa Mars 1998 60 ans environ d’agriculteur (potière) Juin 1999 chrétienne Sa mère (potière) Ngaoundéré Foldi Christine Dii, fille de Vers 10 ans à Juin 1997 et 1999 17 ans non-forgeron Ngaoundéré Sa mère (potière) Karna Haoua Dadjé Nang, fille de Vers 9 ans à Karna Juin 1997 /Mars 45 ans environ forgeron 1998/ (chrétienne) Mbé (Centre) Dii, fille Vers 17 ans à Sa coépouse (fille de Mbarsolla Décembre 1997 Aminatou d’agriculteur Gangassao forgeron) à 45 ans environ Mars/Août Gangassao 1998/Déc. 2000 (chrétienne) 1-Mbarbella 1-Nang, potier 1-Vers 15 ans à Sassa 1- Sa mère (potière) Sassa Mboersi Juillet/Août 1999 60 ans environ et chef Mboersi et son grand-père 2-Vers 15 ans Décembre 2000 2-Patouma (potier) forgeron 2-Sa mère (potière) 55 ans environ 2-Nang, fille à Sassa Mboersi ; 3-Vers 20 ans 3-Une potière du 3-Satou Na’a de forgeron à Sassa Mboersi village 45 ans environ 3-Dii, fille d’agriculteur (musulmane) Nang, fille de Vers 15 ans à Auprès de sa mère Gambouokouo Adjidjatou Avril 2007 potière Gambouokouo Maina 58 ans environ (musulmane) Nang, fille de Vers 10 ans à Sa mère Ngaoundéré Awa Samaki Juin 2007 56 ans environ potière Ngaoundéré (chrétienne) Mboum, fille Vers 10 ans à Sa belle-mère et ses Gambouokou Doudou Avril 2007 d’agriculteur Gambouokouo amis Aïssatou 45 ans environ Nang, fille de Vers 15 ans à Sa mère Loumonangué Laoudi Mai 2006 Février 65 ans environ potière Gangassao 2008 à (musulmane) Sa grand-mère Gambouokouo Néné Adama Nang, fille de Vers 10 ans à Avril 2007 40 ans environ potière Gambouokouo
Gambouokouo Juillet /Août 1997 et oct. 1998 Gangassao Juin 2000
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LIEU ET DATE NOM, ÂGE* ET DE L’ENQUÊTE RELIGION DE LA POTIÈRE
Mbang-Mboum Janvier 2000 Mbella Assom Juillet 2000
Adissa 42 ans environ 1-Djamilatou 45 ans environ 2-Maayu Aïssatou 40 ans environ Atta Djouldé 65 ans environ Djanatou 40 ans environ
FILIATION (famille)
APPRENTISSAGE ÂGE ET LIEU
2-PAYS MBOUM (VINA) Mboum Vers 11 ans à MbangMboum 1-Mboum 1-Vers 13 ans à Mbella Assom 2-Vers 12 ans à Mbella Assom 2-Mboum
Une potière du village 1- Grande potière du village (famille de forgerons) 2- Idem
Vers 10 ans à NganHa Vers 12 ans à Vog-Zom
Sa mère (potière)
Vers 15 ans Doudou 60 ans environ à Gunbela 3 - PAYS GBAYA (MBERE) 1-Adawa 1-Gbaya 1-Vers 15 ans Meiganga (Yeloua) à Meiganga Pauline Mai 1998 70 ans environ 2-Gbaya 2-Vers 15 ans à Meiganga 2-Zangué Anna 75 ans environ 4- PAYS MAMBILA (MAYO-BANYO) Somié (Guembé) Nvelap Marthe Mambila Vers 10 ans à Somié Décembre 2004 65 ans environ Janvier 2006
Sa mère (potière)
Ngan-Ha Avril 2001 Vog-Zom Mai 2000 Gunbela Août 1998
Mboum
INSTRUCTRICE
Mboum (fille et femme de forgerons) Mbéré
Sa mère (potière)
1-Sa mère (potière) 2-Sa mère (potière)
Sa mère (potière)
Remarques : * Les âges précisés dans ce tableau correspondent aux dates des derniers entretiens avec les potières et potiers ; Dii chez le peuple dii de l’Adamaoua désignait jadis les agriculteurs ; Nang chez le peuple dii de l’Adamaoua désigne la caste des forgerons et des potières. Au cours des enquêtes menées dans les villages et hameaux de l’Adamaoua entre 1997 et 2008, vingt-trois potières ont été interrogées sur leur activité. Elles nous ont fourni des informations pertinentes dont l’analyse, l’interprétation et la synthèse permettent la production de ce texte. Nous nous sommes intéressé à leur filiation, à leur âge, aux lieux de leur formation, à leurs instructrices, aux motifs de leur formation et à leur appartenance religieuse. Ces données permettent de mieux cerner le statut de ces artisans et les spécificités techniques et morpho-stylistiques des différents groupes ethniques de la région. Lorsque dans la Vina, nous avons interrogé les ressortissants dii et mboum sur l’identité des potières, ils nous ont invariablement répondu qu’elles appartiennent à la race forgeron. Une curieuse manière de dire qu’elles sont filles ou femmes de forgerons. Quand la même question a été posée aux Nizo’o, aux Mambila et aux Gbaya, il nous a été rétorqué en substance que le métier est accessible à tous,
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sans discrimination sociologique ou ethnique. La seule condition d’accès à ce métier est la volonté et le professionnalisme. Les potières ci-dessus répertoriées sont classées par ordre alphabétique selon les lieux de résidence et de travail. Les potières dii, parce que plus nombreuses, sont regroupées suivant les deux grandes séquences d’interviews (1997-2000 et 2007). Les autres appartiennent aux groupes ethniques dii, mboum, gbaya et mambila. Nous les avons rencontrées dans leurs lieux de travail. Dans le département de la Vina, nous sommes allé à leur rencontre à Karna, Loumonangué, Mbé (quartier Marché), Gambouokou, Gangassao, Gunbela Ndom, Ngaoundéré (quartier Joli-Soir), Sassa-Mboersi, Mbang-Mboum, Mbella Assom, Ngan-Ha et Vog-Zom. Dans le département du Mbéré, nous les avons observées au travail et interviewées au quartier Yeloua à Meiganga. Dans le Mayo-Banyo, nous avons rencontré la potière Mvela Marthe au quartier Guembé à Somié. Ces villages et quartiers étant les sites où elles sont aussi le mieux représentées. Les années d’entretien correspondent à celles des recherches archéologiques que nous avons conduites dans la région. Elles vont de 1997 à 2008, même si les activités ont véritablement commencé en 1998, soit onze ans de recherche dans l’Adamaoua. Depuis 2010, nos travaux sont centrés sur les régions du Nord et de l’Extrême-Nord du Cameroun pour des raisons scientifiques et professionnelles à savoir : contribuer à la couverture archéologique générale du Cameroun à un moment où nous enseignons dans cette partie de notre pays. Les potières sont âgées de 17 à 75 ans au moment de nos rencontres. On observe une forte concentration dans la quarantaine, âge de maturité aussi bien dans le corps, dans l’esprit que dans l’exercice du métier. Dans tous les cas, on dirait que dans la pratique de cet art, il n’y a pas d’âge limite. On amorce l’apprentissage très tôt, vers l’âge de 08 à 10 ans et cesse le travail le plus tard possible, suite aux maladies ou à la mort ; le professionnalisme s’acquérant avec le temps, est porteur de l’expérience comme nous le verrons plus loin dans le paragraphe consacré au contexte de formation. Les potières rencontrées sont surtout des femmes. Nous avons vu un seul potier professionnel exerçant à Sassa Mboersi, en l’occurrence Mbarbella, âgé d’environ 60 ans en 1999, fils de potier et de potière. Un autre signalé lors des enquêtes aurait vécu et exercé auprès de sa mère potière dans un hameau à Belel dans la Vina. Le rapport étroit entre la femme et la cuisine, activité qui mobilise des récipients en terre cuite pour la cuisson et les services de repas, suffirait-il à justifier cette liaison intime entre poterie et genre féminin comme le prétendent Adjié Kaïgama potière à Gambouokou, Aminatou Mbarsolla potière à Mbé et Mvela Marthe, potière à Somié ? Le 13 janvier 2006, nous avons rencontré au quartier Guembé à Somié en pays Mambila, un potier particulier, Mgbagnié Paul, fabricant de pipes. Nous avons enregistré ses propos et photographié
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quelques séquences du travail de ce dernier potier de l’Adamaoua, témoignage visuel d’un art disparu. Les potières n’appartiennent plus à une caste. Elles viennent de tous les horizons sociaux et professionnels. Dans le répertoire, c’est uniquement dans le groupe ethnique dii que l’on observe encore les traces d’un passé révolu où les potières étaient filles et femmes de forgerons, les Nang. Chez les Mboum, les Gbaya et les Mambila, il n’y a jamais eu de ségrégation. Le métier a toujours accueilli toutes les femmes, qu’elles soient agricultrices, bergères ou commerçantes. Le déclin de la métallurgie chez les Dii, en entraînant la disparition progressive du métier de ferron-forgeron, a dans son sillage, entraîné la désagrégation de la caste des artistes du feu. Les forgerons devenant de moins en moins nombreux, leurs filles avaient tout intérêt à épouser les non-forgerons, les Dii. Adaptation de survie pour éviter la disparition de leur clan. En effet, face à une évolution technologique et un bouleversement social dictés par la colonisation européenne qui ruina une tradition matrimoniale et une organisation sociale et professionnelle, s’imposait l’urgence d’un changement de stratégie pour continuer à exister. Tactique habilement maîtrisée par la caste en déstructuration. L’endogamie avait vécu. Le sectarisme n’avait plus cours au sein de cet art désormais ouvert à toutes les sensibilités religieuses. Musulmanes ou chrétiennes sont partout potières. III- VISAGES ET PAROLES DE POTIÈRES DE L’ADAMAOUA Le développement qui suit est le résultat des témoignages recueillis auprès d’une trentaine de potières rencontrées dans la région de l’Adamaoua d’une part, et de l’observation de leurs gestes dans leurs aires d’activité d’autre part. Ces artistes sont nos informatrices et avec leur accord, nous présentons leurs visages à travers quelques photos spécifiques prises pendant qu’elles étaient en activité. Par ailleurs, ces potières, non seulement sont les sources de première main de la chaîne opératoire de la poterie dont nous tentons la reconstitution, mais elles sont aussi des figures de cette histoire des techniques, dont l’impact des œuvres sur la vie quotidienne est si évident au point d’être banalisé par les utilisateurs eux-mêmes. En même temps que nous leur rendons hommage pour leurs savoirs et savoir-faire, nous levons aussi un pan de voile sur les visages de ces anonymes expertes. Toutefois, le paragraphe ne doit pas être regardé tout simplement comme une page illustrée révélant les visages des potières d’un certain âge et à l’expérience certaine, mais surtout comme un espace à l’intérêt méthodologique clairement affiché, celui de montrer d’une part, l’importance de l’image dans une démarche explicative et d’insister d’autre part sur la biographie des gens ordinaires, des petites gens, qui est un genre historiographique total. De ce fait, ce paradigme doit être sérieusement pris en compte et développé davantage dans le territoire de l’historien. Sur les vingttrois potières recensées, nous avons sélectionné cinq, notamment Aminatou
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Mbarsolla, Mvela Marthe, Adjié Kaïgama, Adawa Pauline et Laoudi dont les paroles et les gestes dévoilent quelques aspects de leur métier. Le fabricant de pipes, Mgbagnié Paul de Somié, figure à titre spécial dans la sélection ; une question de représentativité de tous les genres et une volonté de dévoiler le visage de cet artiste disparu quelque temps seulement après notre entretien en 2013. 1- Mbarsolla Aminatou : potière Dii à Mbé marché Moi c’est Mbarsolla Aminatou. Je suis Dii. Ma mère n’était pas potière. J’ai appris le métier auprès de mes coépouses à Gangassao à l’âge de 18 ans environ. À Mbé, j’exerce ce métier parallèlement à l’agriculture. L’argile, terre de potière, est acquise librement et gratuitement ici à Mbé. Une fois prélevée, je la laisse se reposer pendant un temps afin qu’elle perde de sa force naturelle. Le moment de fabriquer les pots arrivé, je prends quelques poignées de cette terre que je malaxe et enroule entre mes mains jusqu’à produire de petits cylindres (le colombin) que j’utilise pour monter les pots. Photo 50- La potière Mbarsolla Aminatou à Mbé © Nizésété, Mbé, 09 août 1997.
2- Mvela Marthe, potière Mambila à Somié On m’appelle Mvela. Je suis femme mambila née à Somié il y a longtemps. J’ai appris le métier auprès de ma mère étant toute petite. La formation n’est pas contraignante et standardisée comme à l’école des Blancs. Chaque jour, j’apprenais mes leçons auprès de ma mère en fonction de sa disponibilité. J’ai commencé avec de petits pots, sortes de jouets et progressivement, j’ai réussi à fabriquer les grandes jarres comme le Guu servant à la conservation de l’eau, du mil ou de la bière en passant par le Socer (marmite de couscous), To wouok (marmite pour préparer la sauce), le Too (pot servant à chauffer le vin ou pour conserver la viande boucanée) et surtout la jarre mambila très caractéristique au col à deux branches qui se rejoignent au sommet, avec une petite ouverture. Les décors ont un but purement esthétique. Les décors visibles sur les vieux tessons que vous nous présentez, avaient peut-être valeur de messages. Ce n’est plus le cas chez nous. Photo 51- La potière Mvela Marthe à Somié © Nizésété, Somié, 12 décembre 2004.
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3- Adjié Kaïgama, potière Mboum à Gambouokouo Je suis Adjié, Mboum, fille de non-forgeron. La poterie, activité jadis réservée aux filles et femmes de forgerons, accueille dorénavant tout le monde. Le déclin de la métallurgie, en raréfiant le nombre de forgerons, a désagrégé la caste et permis l’accès de toutes les volontaires à la poterie. La poterie est un travail de femme parce qu’elle est en relation avec la cuisine qui est son domaine de prédilection, et mobilise beaucoup d’ustensiles en terre cuite. On reconnaît les pots des Mboum et des Dii du plateau par leurs cols bas et leurs ventres remplis, contrairement aux pots des Gbaya qui sont droits, sans ventre parce qu’ils ont toujours faim.
Photo 52- Adjie Kaïgama à Gamboukouo © Nizésété, Gambouokouo, 27 juillet 1997.
4- Adawa Pauline, potière Mbéré/Gbaya à Meiganga Moi Adawa, je suis issue d’une lignée de potières d’origine mbéré, apparentée aux Mboum. Je fabrique sur commande, une grande variété de pots aux fonctions multiples : marmites, assiettes et jarres. Le métier est en constante évolution avec la reproduction des produits d’origine européenne comme les pots de fleurs et les bouteilles. La poterie n’est pas en déclin, bien au contraire. Beaucoup de personnes préfèrent dorénavant les sauces préparées dans des marmites en terre cuite parce qu’elles sont plus savoureuses que celles cuites dans des marmites en métal de récupération potentiellement toxique. Photo 53- Adawa Pauline à Meiganga © Nizésété, Meiganga, 28 mai 1998.
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Photo 54- Jarre gbaya au long cou et aux longues oreilles. © Nizésété, Meiganga 1998.
5- Laoudi, potière Dii, à Loumonangué Après moi, il n’y aura plus rien. Propos fataliste de la potière sur le devenir de son art. On m’appelle Laoudi. Je suis une femme dii, fille de forgeron et de potière. J’ai appris mon métier auprès de ma mère conformément aux prescriptions de ma caste. Je vis de cet art et fabrique une grande variété de produits qui se vendent dans les marchés périodiques de Gangassao, de Loumonangué, de Ngaoundéré et quelquefois plus loin. Ma fille vit aujourd’hui à Ngaoundéré où elle va à l’école. Elle vernit ses oncles et refuse de tremper ses doigts dans la sale boue glaise qui salit autant qu’elle ne rapporte rien financièrement. Ainsi, après moi, ma succession professionnelle est loin d’être assurée. Laoudi aussi a déjà le regard tourné vers l’avenir. Ses pots ne sont plus décorés à l’ancienne. Ils sont plutôt vernis avec une peinture industrielle bon marché. Insigne de la modernité ou signe des temps ? Photo 55- La potière Laoudi à Loumonangué © Nizésété, Loumonangué, 22 mai 2006.
6- Mgbagnié Paul, potier à Somié Je suis Mgbagnié Paul, fils de potier. J’ai reçu ma formation de mon père formé au Nigeria à l’époque où les Mambila vivaient tous dans le même pays. La cigarette Tobacco Bastos a détrôné le tabac naturel et les pipes. Leur fabrication disparaîtra avec moi. Mgbagnié est décédé en 2010, emportant dans le silence de la mort son savoir-faire. Photo 56- Le potier Mgbagnié Paul à Somié © Nizésété, Somié 13 janvier 2006.
Photo 57- Modèle de pipe mambila, œuvre ultime du potier © Nizésété, Somié janvier 2006.
IV- LES SENTIERS DE LA FORMATION DES POTIÈRES Les potières rencontrées déclarent globalement que leur formation professionnelle n’obéit pas à un curriculum formel, qu’elle ne s’étale pas sur une période prédéterminée et balisée par des niveaux d’apprentissage rigoureusement cadrés. Bien au contraire. À l’observation et suivant les
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déclarations des artistes, les cheminements apparaissent plutôt buissonnants et empruntent des itinéraires personnalisés. On constate également qu’il n’y a pas un âge standard en amont pour amorcer l’apprentissage et encore moins un autre en aval clairement défini, pour quitter l’école. Le commencement coïnciderait avec l’âge où le dialogue devient possible entre l’enfant et l’adulte, mieux entre l’apprentie et la maîtresse et lorsque le discernement des formes, des volumes et des couleurs par l’enfant est évident. Si Mvela Marthe de Somié affirme avoir commencé à malaxer la terre dès l’âge de 10 ans auprès de sa mère, Aminatou Mbarsolla de Mbé reconnaît n’avoir entrepris sa formation en art céramique qu’une fois mariée, probablement vers l’âge de 16 ou 18 ans au moins. Awa Samaki de Gambouokouo atteste avoir suspendu son apprentissage quand elle allait en mariage. Ce n’est que des années plus tard, après plusieurs naissances, qu’elle a renoué avec sa formation auprès de sa mère. Quant à la fin de la formation, elle ne peut être envisagée qu’une fois amorcée, si et seulement si l’élève est assidue, disciplinée et maîtrise graduellement les canons esthétiques et les principes techniques requis par la profession. La pédagogie traditionnelle africaine trouve dans ce système libéral et sans contrainte, toute son application. Dans cet univers de formation apparemment déstructuré, quelques études spécialisées démontrent cependant qu’un ordre y prévaut et gouverne la chaîne d’apprentissage de la poterie traditionnelle. La formation y serait rigoureusement programmée et s’articulerait autour de quatre principales phases d’acquisition des connaissances. Les travaux de Claire Bourges (1996) à Gréa dans la région de l’Extrême-Nord Cameroun, d’Hélène Wallaert (1997 ; 1998) chez les Véré et d’Olivier Pierre Gosselain (1999a) chez les Koma Ndera dans la région du Nord-Cameroun, d’Emboubou Kalla (1997) chez les Dii dans la région de l’Adamaoua, déclinent le contenu de ce passeport de compétences. Phase 1- Ludique. L’adjectif ludique en relation avec jeu, revêt une connotation infantile dans cette étude. Cette phase est considérée comme celle qui fait intervenir le jeu dans l’apprentissage. L’objectif étant la stimulation de la maturité psychique de l’enfant d’une part et le développement de l’habileté manuelle d’autre part. Ces deux capacités sont censées lui permettre plus tard de maîtriser son art. C’est le stade où l’enfant se sert de l’argile pour fabriquer de petits objets sans objet. L’essentiel à cette étape, c’est le contact et la découverte de l’argile par l’enfant et sa capacité à s’en servir pour créer des formes inutiles aujourd’hui, et qui demain peut-être seront utiles. Celles qui amorcent la formation à l’âge adulte font naturellement abstraction de cette phase réservée aux enfants. Phase 2 : Observation active ou participative. L’élève est appelée à évoluer mentalement et intellectuellement en même temps qu’elle grandit physiquement. Le temps du jeu est progressivement révolu. Sur ordre de son instructrice, elle fabrique régulièrement de petits pots en différents modèles,
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sans finalité concrète, puisqu’ils ne seront jamais cuits. Ces objets resteront comme des brouillons d’un travail inachevé, mais étape indispensable vers le perfectionnement. La jeune portière est appelée à multiplier les exercices jusqu’à l’atteinte du point de compétence, jugé comme tel par sa formatrice. Phase 3 : Raffermissement des compétences. L’apprentie consolide les connaissances acquises au cours des phases précédentes en multipliant les travaux pratiques. Elle est alors âgée de seize ou dix-huit ans si elle a commencé la formation très tôt. Au cours de dette phase, elle doit chercher l’argile, la traiter, la façonner, décorer et cuire divers modèles de pots sans l’aide directe de sa maîtresse. Les aspects symboliques du métier sont révélés à ce moment de la formation notamment l’interdiction d’aller extraire l’argile ou de façonner des pots pendant les menstrues ou en période de grossesse, la prohibition des rapports sexuels la veille ou le jour de l’extraction de l’argile et du façonnage au risque de gâter la terre ou de voir ses pots se fissurer pendant la cuisson. C’est aussi le temps où la potière professionnelle éduque l’apprentie qu’elle soit sa fille, sa nièce, l’amie de sa tante, la cousine de sa voisine ou toute autre relation, sur les astuces pour réussir sa vie conjugale et l’éducation de ses enfants. Phase 4 : Fin de formation. Elle est certifiée quand la jeune potière maîtrise les principales articulations de son art. Elle doit être capable de conduire avec succès, une chaîne opératoire de la poterie avec en prime, la fabrication de grandes jarres ainsi que des bouteilles, reconnues difficiles à réaliser. La fin de la formation pouvait culminer avec le mariage de la potière, preuve matérielle de sa capacité à jouer convenablement son rôle dans son foyer à l’instar d’une opération de poterie. L’articulation de cette formation en quatre étapes ressemble fort à une tentative de structuration et d’organisation d’un système pédagogique particulier, véritable nébuleuse aux contours fluctuants qui échappent à toute normalisation. On est loin d’un système de formation de type moderne ou occidental, clé en main, tel qu’on voudrait le voir gouverner la poterie traditionnelle africaine. Les formateurs sont tous des professionnels du métier et se recrutent parmi les membres de la famille : la grand-mère, la mère, la belle-mère, la belle-sœur, la coépouse avec des incursions dans des milieux parallèles, notamment chez une potière professionnelle ou chez des amies potières. Aminatou Mbarsolla, Mvela Marthe, Adjié Kaïgama, Adawa Pauline et Laoudi ont été formées dans le moule de cette école du village et en famille. Les motivations qui sous-tendent la formation de toutes ces potières sont d’ordre financier. La poterie exercée parallèlement à l’agriculture et au petit élevage domestique, affirment-elles, leur procure de l’argent. Aussi modique qu’il soit, il leur permet d’améliorer leurs conditions de vie et surtout celles des
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enfants en matière de nutrition, de santé et de scolarisation. Il leur garantit aussi une certaine indépendance vis-à-vis de leurs maris en général polygames. Une fois formée, l’artiste doit désormais poser des actes concrets. Les paroles et les gestes appris pendant la formation doivent déboucher sur la production des formes, sur la fabrication des objets en terre cuite prêts à divers usages. V- DES GESTES ET DES FORMES Le processus qui conduit à la fabrication des pots passe par plusieurs étapes indispensables les unes les autres. Aucune n’est accessoire ou secondaire. Toutes convergent comme les aiguilles d’une montre vers le moment terminal où la potière extrait le pot des braises et le met à la disposition du consommateur. La chaîne opératoire de la poterie s’articule autour des sept principales phases suivantes : 1) Extraction de l’argile ; 2) Traitement de la matière première; 3) Façonnage ; 4) Décor ; 5) Finitions et traitement précuisson ; 6) Cuisson ; 7) Traitement des surfaces ou opérations post cuisson. Ces étapes de base n’excluent cependant pas des particularités d’ordre culturel, technique ou stylistique. V-1- L’EXTRACTION DE L’ARGILE À propos de la découverte des sites d’exploitation de l’argile, Adjié Kaïgama et Néné Adama à Gambouokouo, Laoudi à Loumonangué, Aminatou Mbarsolla à Mbé, Atta Djouldé à Ngan-Ha, Awa Samaki à Ngaoundéré, Mvela Marthe à Somié, Adawa Pauline et Zangué Anna à Meiganga, racontent : « Lorsque les femmes cultivent, il arrive parfois qu’un coup de houe découvre un sol argileux. Une telle découverte met à la disposition des potières du village, un nouveau site d’exploitation de la matière première pour leurs activités. Nos mères n’avaient pas d’autres moyens que le hasard pour découvrir la terre de la potière. Il arrivait aussi que des chasseurs et des bergers, grands connaisseurs du pays, signalent quelque part un terrain argileux pour que le lendemain, toutes les potières y convergent. Les guêpes maçonnes conduisaient aussi les potières vers leur matière première. En suivant le cheminement sinueux de ces insectes qui utilisent essentiellement de l’argile pour bâtir leurs nids, elles découvraient ce produit minéral. Nous exploitons aujourd’hui encore, d’anciens gisements. Mais, les grands travaux comme la construction des axes routiers, des écoles, des centres de santé ou des pylônes des grandes sociétés de télécommunication ont révélé d’importantes carrières où nous extrayons désormais la terre glaise. De ce fait, les potières ne sont plus obligées de quitter leurs villages pour se rendre dans un autre afin de quérir l’argile puisqu’il y en a partout ou presque. Aussi, le développement des moyens de communication a facilité le transport de ce produit pondéreux, ouvrant la voie à la hausse des prélèvements. Les potières qui voyagent désormais au loin vont surtout à la quête d’une
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argile particulière comme le kaolin, recherché pour la fabrication des objets spéciaux ».
Avant la mise au jour de nouveaux gisements, Adjié Kaïgama et Aminatou Mbarsolla racontent que les gisements de Gambouokouo, de Ndom et de Karna étaient les meilleurs parce qu’ils renfermaient de l’argile de très bonne qualité : forte teneur en minéraux argileux et faible concentration d’impuretés d’origine végétale ou minérale. Jadis, affirment-elles, les potières y affluaient en provenance de Gangassao, de Loumonangué, voire du lointain Mbé et de Sassa Mboersi, pour se procurer de l’argile. De l’avis de Mbarsolla, l’argile de Mbé est très caillouteuse, celle de Sassa Mboersi est très kaolinitique selon Mbarbella et Patouma. Toutes ces propriétés requièrent un traitement particulier de la pâte avant le façonnage. Zangué Anna à Meiganga observait que l’argile locale n’est pas utilisable sans traitement préalable. Elle est pauvre en minéraux argileux et riche en cailloux, d’où l’usage de la bouse de vache écrasée afin qu’elle acquière des propriétés favorables à la production des pots de bonne facture. Au chapitre 4, nous notions à la suite d’Anna et al. (2003 : 7) et d’Échallier (1984 : 6-7), que l’argile est une roche tendre constituée d’une part de minéraux argileux qui lui confèrent ses propriétés particulières, dont la plasticité, le retrait au séchage, le durcissement à la cuisson, et d’autre part, de minéraux non argileux tels que le quartz, les feldspaths, le calcaire, les oxydes de fer, etc. Il est pratiquement rare de trouver dans la nature un gisement d’argile monominérale. Le matériau utilisé par les potières et les potiers est toujours un mélange en proportions variables, d’espèces argileuses diverses réunies en un lieu par des conditions géologiques particulières. Un tel mélange naturel constitue ce qu’il convient d’appeler la terre de la potière, laquelle se distingue des terres agricoles par une forte proportion d’argile et une plus faible teneur en matières organiques. Les gisements d’extraction d’argile partout dans l’Adamaoua, hier comme aujourd’hui, restent accessibles à tous, indépendamment du lieu de résidence de l’exploitant. Le produit est gratuit en principe, débarrassé des prérogatives de son découvreur. Logées dans des talus, au pied des escarpements ou dans des jachères, les potières se servent de houes, de pioches et de tout autre matériel adapté à l’ouvrage pour prélever l’argile en petites mottes. La quantité d’argile prélevée est fonction de la quantité des pots que la potière envisage de fabriquer. Le souci de disposer des réserves de matière première pour diverses raisons n’est toutefois pas à exclure. Pendant la saison sèche, les sites sont très fréquentés et les gisements intensément exploités. Cette période se prête favorablement au séchage et à la cuisson des pots. Elle coïncide aussi avec le temps des faibles activités agricoles. En saison des pluies par contre, les gisements sont inondés, les routes couvertes d’argile sont crottées, glissantes et s’avèrent impraticables. C’est aussi le temps des labours, des semailles et des
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récoltes sous des orages fréquents. Les pots sont lents à sécher et la cuisson en plein air est souvent hypothéquée par des pluies soudaines et violentes. Les saisons influencent manifestement l’organisation de ce travail. Les mottes prélevées sont transportées, soit dans des paniers en nattes, soit dans des assiettes en aluminium ou dans des sacs en polystyrène. Elles sont acheminées portées, soit sur la tête, soit dans des porte-tout ou encore dans des véhicules jusqu’à la case de la potière où elles seront traitées. V-2- LE TRAITEMENT DE LA MATIÈRE PREMIÈRE L’argile est alors étalée à même le sol dans un coin de la cour de la potière. On la recouvre en principe des feuilles de ligneux ou d’herbacées. Si elle est très humide, des mesures pour faciliter le retrait sont prises. Si l’argile est sèche, on y verse régulièrement de l’eau pour la ramollir. L’opération peut durer trois à sept jours. Le temps selon Mbarsolla, de lui permettre de perdre sa puissance surnaturelle pour prendre des forces naturelles. L’argile prélevée ne sera pas utilisée directement. Des traitements préalables lui sont administrés afin de favoriser sa malléabilité par élimination ou par adjonction des éléments non argileux. Ici se pose le fameux problème des dégraissants évoqué au chapitre 4. En effet, une argile plastique et très collante est appelée argile grasse, par opposition à une argile maigre, peu plastique, d’où le nom de dégraissants donné aux minéraux non argileux ou aux inclusions. On peut ainsi ajouter ou enlever des minéraux non argileux pour modifier les propriétés de l’argile. L’ajout de dégraissant répond à la nécessité de rendre l’argile moins grasse au toucher pour faciliter le façonnage, de maintenir l’ossature du vase en ébauchage, d’éviter la fissuration des vases lors du séchage et de la cuisson surtout quand ils sont épais. Echallier (1984 :12) met d’ailleurs en garde contre une idée erronée, mais largement répandue qui fait du dégraissant un élément toujours ajouté par le potier dans une argile pure. En effet, un potier préparant sa pâte à partir d’une terre brute de carrière n’ajoute pas des particules non plastiques, au contraire, il en retire. L’analyse microscopique montre d’ailleurs bien, le plus souvent, que ce dégraissant était naturellement présent dans la terre utilisée. On doit néanmoins reconnaître qu’il existe un nombre indiscutable d’ajouts volontaires de dégraissants dans des pâtes céramiques. C’est le cas par exemple de la bouse de vache pilée et ajoutée dans la pâte à Ndasourkoul vers Meiganga par les potières foulbé et gbaya, ou encore le sable inclus dans la pâte par les potières mambila à Somié. Les mottes d’argile subissent au cours de leur traitement physique, des opérations préliminaires, dont le concassage et le tamisage. Le concassage consiste à fragmenter les mottes d’argile à l’aide d’un objet dur afin de les émietter. Cette action vigoureuse produit une poudre grossière qui est ensuite
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épurée avec un tamis ordinaire. Toute cette opération se déroule dans la cour de la potière, en plein air ou dans un petit hangar aménagé à cet effet.
Photo 58 Concassage des mottes d’argile à Somié © Nizésété, 12 décembre 2004. Mvela Marthe ci-dessus, concasse sur une meule en granite à l’aide d’un pilon en bois, des mottes d’argile pour les rendre malléables. Aminatou Mbarsolla en face tamise l’argile sèche afin d’en exclure de grosses particules susceptibles de nuire à la cohésion de l’ouvrage pendant le façonnage et la cuisson.
Photo 59- Tamisage de l’argile à Mbé. © Nizésété, 09 août 1997.
Une fois que le processus de fabrication des pots est amorcé, il ira jusqu’à son terme, interrompu seulement lors du façonnage du fond, opération suffisamment exigeante et complexe et aussi pendant le séchage des pots avant la cuisson. V-3- LE FAÇONNAGE Les tessons de poterie ramassés sur les sites archéologiques nous renvoient au village, auprès des potières pour rechercher le processus de leur manufacture. Des gestes qui aujourd’hui aboutissent à la création de différentes formes de pot sont-ils identiques à ceux qui hier, ont produit ces vases brisés dont les tessons jonchent les sites archéologiques ? En remontant le temps, peut-on véritablement appréhender ce qui s’est réellement passé dans la poterie d’autrefois? L’analyse microscopique de vieux tessons ne nous renseigne absolument pas sur les techniques de façonnage. Cependant, les formes des restes de la panse, du col et des bords, ainsi que les motifs décoratifs donnent des indications précieuses sur les aspects morpho-stylistiques de ces objets. Le façonnage passe par trois étapes distinctes les unes des autres. Il s’agit de l’ébauchage, de l’adjonction des colombins, du profilage du col et des lèvres. L’ébauchage qui consiste à donner au pot sa première forme est caractérisé par une série de séquences complémentaires les unes les autres. La première
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consiste à humidifier l’argile, puis à la pétrir jusqu’à la consistance souhaitée. L’action se déroule en général sur une surface plane. À l’aide de ses mains, la potière assise, accroupie ou agenouillée, appuie l’argile sur un objet plat en exerçant une forte pression. Dans la foulée, elle fabrique une série de longs boudins d’argiles ou colombins qu’elle obtient en roulant des poignées d’argile contre les paumes de ses mains et qui seront joints au fur et à mesure par écrasement interne et externe et puis par étirement sur le pot jusqu’à l’obtention de la hauteur désirée.
Photo 60- Malaxage de l’argile par Mbarsolla à Mbé © Nizésété, 09 août 1997.
Photo 61- Confection des colombins par Mbarsolla à Mbé © Nizésété, 09 août 1997.
La deuxième séquence consiste pour la potière à réaliser avec le poing de sa main droite, une dépression conique de quelques centimètres au sommet d’un cylindre d’argile posé sur une vieille écuelle.
Photo 62- Ébauche du pot par Mbarsolla à Mbé © Nizésété, 09 août 1997.
Photo 63- Ébauche du pot par Laoudi à Loumonangué © Oslisly/Nizésété, 2008.
En effectuant ce geste, la potière fait pivoter le cylindre dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Elle se sert des doigts, de sa main droite,
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introduits dans le cylindre pour ramener l’argile du bas vers le haut, tout en soutenant la paroi externe du vase avec la paume de sa main gauche. Cette triple opération instantanée fonctionne de conserve. Elle permet par conséquent l’accroissement progressif de la taille du vase. La troisième séquence consiste à régulariser et évaser le pot par raclage et par lissage des parois internes et externes du récipient. À l’aide d’une main munie d’un objet en bois ou en métal de forme circulaire, la potière racle l’intérieur du pot et avec l’autre main, elle soutient la paroi externe de l’ébauche. Cette phase terminée, elle utilise d’une part, un galet poli qu’elle trempe en continu dans de l’eau placée à ses côtés pour lisser l’intérieur du récipient et d’autre part, elle se sert d’un morceau de bois pour lisser la paroi externe du pot.
Photo 64- Laoudi racle l’intérieur du pot © Oslisly/Nizésété, Loumonangué, 2008.
Photo 65- Laoudi lisse la paroi externe du Pot © Oslisly/Nizésété, Loumonangué, 2008.
Le façonnage se poursuit avec l’adjonction des colombins. Elle les joint ensuite au fur et à mesure par écrasement interne et externe, suivi d’une rotation simultanée du poignet le long de la circonférence du vase, tandis que la paume de sa main gauche soutient la paroi externe de l’ébauche. Les colombins chevauchent ainsi la paroi sur la moitié de leur hauteur et sont à la fois étirés et aplatis. Deux à quatre colombins sont nécessaires pour augmenter la hauteur du vase. Le nombre de colombins à ajuster dépend de la taille du récipient à confectionner. Elle poursuit son travail par raclage et lissage des parois du pot afin de masquer les points de jointure des boudins d’argile et assurer leur parfaite adhérence. À l’issue de cette séquence, elle passe aux opérations de préformage, qui consistent ici à profiler le col et les lèvres du récipient. À cet effet, la potière se sert d’un morceau de tissu humidifié qu’elle asperge sur la partie à profiler, le pose ensuite à cheval sur le bord du pot et le déplace le long de la circonférence du vase en exerçant une pression, tandis que la main gauche fait pivoter le support dans le sens contraire des aiguilles d’une
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montre. Répétée plusieurs fois, cette opération permet de profiler le col et les lèvres du récipient et d’affiner le bord.
Photo 66- Adjonction de colombins par Mbarsolla à Mbé © Nizésété, 09 août 1997.
Photo 67- Laoudi profile les lèvres du récipient © Oslisly/Nizésété, Loumonangué, 2008.
Puis, elle se sert de l’extrémité de son pouce droit humidifié pour aplatir les lèvres du pot. À partir de cet instant, la potière entreprend de donner au
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récipient sa forme définitive, par lissage de la surface interne à l’aide d’un galet et le lissage de la paroi externe avec une plaquette de bois.
Photo 68- Laoudi aplatit les lèvres du pot Photo 69- Doudou Aïssatou profile col et avec son pouce © Oslisly/Nizésété, 2008 lèvres et lisse la paroi externe du pot © Emboubou/Nizésété Gambouokouo, 2007.
Le récipient peut déjà passer à la décoration, mais il reste à réussir une opération majeure, à savoir le façonnage du fond. Deux ou trois jours après le montage du pot, le vase est retourné pour attendre cet exercice. En saison des pluies, les petits et moyens récipients sont retournés après un ou deux jours tandis que les grands le sont souvent après trois. Le façonnage du fond débute par une opération de raclage systématique de l’intérieur et de l’extérieur du récipient. La potière se sert, à cet effet, d’un outil tranchant afin d’en expurger les squames argileuses accumulées pendant le montage. Elle fabrique alors un boudin d’argile dont elle se servira pour obturer le fond du vase. Ce colombin est placé aux abords de la cavité et à l’aide de sa main gauche, elle l’ajuste dans un mouvement de va-et-vient habilement coordonné, permettant la fermeture progressive du fond.
Photo 70- Néné Adama façonne le fond à Gambouokouo © Emboubou/Nizésété, 2007.
L’étape suivante consiste à racler le fond du pot à l’aide d’un objet que la potière trempe de temps à autre dans de l’eau pour hâter et faciliter l’opération.
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Après le raclage, le lissage du fond suit avec un galet de quartz régulièrement humidifié, jusqu’à la fermeture totale des fissures. Le façonnage du fond est achevé quand la potière trempe la paume de sa main droite dans de l’eau, lisse une dernière fois le fond du récipient et s’assure de sa totale obturation.
Photo 71- Laoudi colmate les brèches pour fermer le fond © Oslisly/Nizésété, 2008.
Photo 72- Laoudi ferme les fentes au fond du pot © Oslisly/Nizésété, 2008.
Le façonnage du fond du vase doit être réalisé avec le plus grand soin et avec la plus parfaite maîtrise. C’est en effet le lieu des grandes activités physicochimiques. C’est l’endroit avec lequel le récipient entre en contact avec les éléments extérieurs et subit en conséquence des chocs mécaniques et thermiques. Pour leur résister efficacement, le fond doit être compact, dense et lourd. Dans le cas contraire, il se percerait et déverserait son contenu au sol, sur la tête du porteur ou au feu.
Photo 73- Néné Adama racle et ferme le fond du pot © Emboubou/Nizésété 2007.
Photo 74- Laoudi en lissant le fond du pot, clôture l’opération © Oslisly/ Nizésété, 2008
Ce qui est cependant curieux, c’est la rareté des fonds de pots dans les tessons de poterie collectés dans les sites archéologiques. Qu’est-ce qui
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explique cette situation ? Les fonds des pots cassés faisaient l’objet d’une réutilisation. On les utilisait pour contenir l’eau des poules ou bien pour griller les grains, jusqu’à leur fissuration totale. Le processus de façonnage des pots est presque identique chez toutes les potières dii, mboum, gbaya et mambila rencontrées dans l’Adamaoua. On dirait le résultat d’une formation collective dans une même salle de classe. Et pourtant ! Quelques particularités sont cependant visibles. Elles portent sur les postures, les sollicitations des doigts et des mains, la facture matérielle des outils de travail. Dans tous les cas, ces nuances sont tributaires du modèle du pot à fabriquer et de quelques marqueurs identitaires ou ethniques. Signatures particulières qui se retrouvent parfois dans les techniques de décor. V-4- DÉCOR ET MOTIFS DÉCORATIFS 1- Techniques de décor Le décor est réalisé sur la pâte encore fraîche. Les outils utilisés à cet effet sont rudimentaires pour un décor simple, sans doute fruste, par rapport aux riches et complexes décors observés sur les tessons archéologiques. Il s’agit le plus souvent d’une bande d’impression réalisée avec une roulette gravée, un rachis de graminées, une cordelette torsadée ou un bâtonnet.
Photo 75- Roulette gravée chez Laoudi à Loumonangué © Nizésété, mai 2006.
Photo 76- Pot décoré à la roulette gravée par Doudou Aïssatou © Emboubou/ Nizésété, Gambouokouo, juin 2007.
La bande d’impression est effectuée le plus souvent au niveau de l’épaule ou sur la panse du récipient, parfois limitée par un sillon tracé à l’aide du bâtonnet qui sert généralement à lisser la paroi externe du pot. Les grandes jarres sont quelquefois entièrement décorées en dehors du fond et des lèvres. Les traditions décoratives observées chez les potières de l’Adamaoua sont d’une grande homogénéité. Ce sont essentiellement des motifs géométriques dont des lignes esthétiques restent à étudier et les éventuelles charges symboliques à évaluer objectivement. Mais à la question de comprendre les justificatifs des variations autour de l’emplacement du décor et de la pauvreté des motifs décoratifs par
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rapport aux anciens modèles, les réponses obtenues des potières restent évasives et identiques, à la manière du refrain d’une chanson bien assimilée. Elles racontent agir par mimétisme par rapport à leurs mères. Elles ne font que poursuivre leurs œuvres. Elles décorent par principe esthétique afin que leurs produits attirent le regard des clients. Leur art n’a aucune vocation cultuelle ou un quelconque engagement spirituel. Objectivement à leur avis, toute étude sur le symbolisme du décor est sans objet.
Photo 77- Impression à la cordelette tressée par Aminatou Mbarsolla. On peut observer le bout de la cordelette suspendu sur la panse. © Nizésété, Mbé, octobre 1998.
Photo 78- Incision au bâtonnet de trois sillons au niveau de la panse par Adjié Kaïgama © Nizésété, Gambouokouo, juillet 1997.
Pourtant, ces femmes sont issues de divers horizons culturels ; elles sont logées dans plusieurs espaces géographiques, sont d’âges différents, ne partagent pas les mêmes convictions religieuses et ont suivi des parcours de formation distincts. Qu’est-ce qui peut sous-tendre une telle symphonie dans leurs avis? Nous pouvons évoquer parmi tant d’autres raisons, que le déclassement de la poterie locale dans les services ménagers par la vaisselle d’origine européenne et asiatique aurait amené les potières à accorder moins d’importance à la décoration d’objets qu’elles vouaient désormais aux usages subalternes et soustraits des regards. Marmites destinées au feu et à la fumée des cuisines, récipients réservés au lavage, au bain et à la lessive dans l’arrièrecour, pots pour déchets et abreuvoirs placés aux champs, etc., tous des objets en service loin de la scène publique. De ce fait, il n’y avait plus de raison de perdre son temps pour les décorer finement.
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Planche 5- Motifs décoratifs sur des tessons archéologiques de l’Adamaoua
Dessins de Amadou Taousset et Sardi Abdoul Innocent
1- Nganga I.
2- Ngaw Nday.
3- Ngaw Hora.
4- Ngaw Pak Hay.
5- Sassa Mboersi.
6- Ngaw Dem.
Dans tous les cas, les déclarations de ces potières et toutes les supputations conséquentes suscitent chez l’archéologue plusieurs interrogations qui sont peut-être loin d’effleurer l’esprit de la pragmatique potière. Les tessons qui proviennent des sites archéologiques revêtent en fait des décors géométriques
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d’une riche variété et d’une étonnante complexité : triangles, losanges, réseau réticulé, ondes, courbes concentriques, champs de lignes croisées, obliques ou parallèles, etc. Qui sont donc les auteurs d’une telle réussite artistique ? S’agit-il des parents directs des potières d’aujourd’hui ? Si oui, pourquoi ne réalisentelles pas exactement comme elles le prétendent, les mêmes décors que ceux des artistes d’hier ? Si ce n’étaient pas leurs ancêtres directs, qui sont-ils donc ? Que sont-ils devenus ? Qu’est-ce qui expliquerait la dégénérescence de leur tradition décorative ? D’où viendraient alors les potières actuelles ? Qui sont-elles ? Ces interrogations suscitent en filigrane beaucoup d’autres qui vont au-delà de la pratique quotidienne de la poterie pour intéresser les filiations des potières, la naissance et la mort des courants artistiques, les aspects morpho-stylistiques et fonctionnels des poteries, la symbolique des motifs décoratifs, le statut de l’artiste dans les sociétés disparues, etc. Des recherches spécifiques doivent donc être initiées et conduites avec soin par des professionnels afin d’apporter des réponses judicieuses à ces interrogations. 2- Regards sur le sens du décor et des motifs décoratifs Il est ici question, après avoir écouté les potières actuelles sur la finalité des décors qu’elles impriment sur leurs œuvres, de tenter de comprendre le vocabulaire de ces signes géométriques aux contenus énigmatiques. Les décors des tessons archéologiques à l’instar de ceux présentés dans la planche 5 ainsi que leurs origines sont inconnus des potières. Elles les traitent de complexes, de pénibles à réaliser sans pourtant être difficiles à reproduire. Elles affirment avoir beaucoup de commandes à honorer et, dans un contexte économique fortement concurrentiel et tendu, elles ne sauraient être distraites avec des décorations qui n’intéresseraient plus personne. À leur avis, les sollicitations de leur clientèle actuelle ne correspondent plus à celles des gens du passé. Ils avaient leurs goûts. Les temps ont changé, les goûts et les techniques aussi ont évolué. La signification des décors céramiques est un sujet controversé. Les enquêtes sur le terrain montrent que les potières ont des avis très partagés sur le sujet. Olivier Pierre Gosselain (2011b) croise à cet effet, les points de vue de plusieurs potières africaines. Le discours des fabricants a en effet de quoi surprendre. Lorsque les motifs ornementaux ne sont pas tout simplement interprétés en termes fonctionnels « éviter que le récipient ne glisse des mains », ils sont souvent considérés comme « Un simple embellissement », « Juste pour faire joli », « Exactement comme la coiffure ! » Une bagatelle, en somme, qui dans le cas de l’analogie avec la coiffure serait justifiée par le fait que les traitements capillaires embellissent le corps de la femme et attirent les regards sur elle, de la même façon que le décor embellit le récipient et facilite sa vente. Bon nombre d’artisans témoignent aussi d’un engouement pour ce qui est « neuf », au point que « beauté » et
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« nouveauté » se confondent parfois. « Le travail a évolué. On ne fait plus maintenant ce que l’on faisait par le passé » … Une potière Gbaya de Meiganga a remplacé sa roulette de fibres plates nouées par un bracelet encoché, vu en usage chez sa mère après son mariage. Elle dit l’avoir adopté en raison de son caractère moderne et de la régularité des empreintes qu’il permet de réaliser… Les décors plastiques sont alors abandonnés au profit de décors peints polychromes ou de simples traitements de surface (engobage et polissage), la quintessence du beau pouvant être l’absence complète de ce que nous considérons comme « décor ».
Cette synthèse rejoint, dans ses principales articulations, le regard des potières de l’Adamaoua sur le décor et les motifs décoratifs. Le décor à leur avis, a une dimension uniquement esthétique. Rien de plus. Toute autre interprétation doit être considérée comme une vue de l’esprit, sans aucune prise avec la réalité. Décorer c’est embellir, rien d’autre. D’ailleurs, si elles perpétuent cette pratique, c’est parce que c’est une tradition héritée de leurs mères. On n’abandonne pas un héritage. Parce que leurs mères décoraient les pots, elles les décorent aussi et en plus, c’est agréable à regarder. Raison de plus pour perpétuer ce savoir-faire qui ne gêne personne. Elles reconnaissent cependant des évolutions dans la technique décorative. Celles-ci portent essentiellement sur la facture matérielle des outils de décor qui eux aussi, épousent l’air du temps. Le bois cède parfois la place au métal. Le décor plastique recule devant l’application de la peinture industrielle, de couleur vive, bon marché et de qualité douteuse. Mais que conclure de cette affirmation péremptoire des potières actuelles sur la signification du décor ? Leur a-t-on enseigné que ces motifs pouvaient être des porteurs ou des véhicules de messages ? Auraient-elles peut-être oublié par la suite cette leçon dans un environnement culturel en aliénation constante, délesté de son héritage artistique par des influences culturelles étrangères hostiles aux images ou aux dessins qualifiés de fétichistes ou de blasphématoires ? Jadis sans doute, les décors avaient valeur de signes, de symboles, de marques, de marqueurs décodables et compréhensibles par des initiés. Les potières actuelles et leurs contemporains ont perdu la clé de ce langage non alphabétique pour lui conférer une dimension humblement ludique. Pourtant, à l’analyse, le décor est loin d’être un acte anodin, un exercice commun et sans originalité. Bien au contraire ! Plus qu’une expression de l’individualité des artisans, ces marques [sur les pots] pourraient témoigner d’affiliations familiales ou claniques ... Une de leurs fonctions est aussi de se prémunir de la malchance, au point qu’une femme qui subit des accidents [de cuisson] répétés altère les marques jusqu’à ne plus rencontrer de problèmes. Comme à Dia [dans le delta intérieur du Niger (Mali)], celles-ci permettent parallèlement aux acheteurs de connaître l’identité des fabricantes. Cette finalité
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fonctionnelle de la marque est extrêmement courante. En règle générale, les signatures servent en effet à reconnaître les propriétaires des récipients lors de cuissons collectives, ou à répartir les gains lors de ventes menées par des intermédiaires au marché…Marque d’appartenance, marque de reconnaissance, marque comptable, marque protectrice… tous ces éléments permettent aux artisans de débusquer les idiosyncrasies ornementales, quel que soit le degré de standardisation des décors. C’est là, sans doute, que se construit et se négocie le « Je » ornemental (Gosselain, 2011b).
La décoration s’effectue sur la pâte humide et prépare le récipient à la cuisson, à l’instar de cette vierge à livrer en sacrifice dont on relève au préalable tous les atouts avant l’épreuve du bûcher. V-5- FINITIONS ET TRAITEMENTS PRE-CUISSON Ces opérations portent sur le séchage des pots et le traitement des surfaces avant la cuisson. Le séchage vise à éliminer l’eau encore présente dans les récipients. Décorés ou non, ils sont disposés à même le sol ou sur une natte dans la cuisine ou dans une chambre réservée à cet effet, loin de l’exposition directe aux rayons solaires.
Photo 79- Pots placés à l’abri du soleil au début du séchage © Emboubou/Nizésété, Gangassao, juin 2007.
Photo 80- Pots d’Aminatou Mbarsolla exposés au soleil en fin du séchage © Nizésété, Mbé, octobre 1998.
Une fois que les récipients ont atteint un degré normal de séchage, la potière les dépose dehors. Le séchage dure trois à sept jours, voire plus, en fonction de la taille des récipients et du degré d’humidité ambiant. En saison sèche, le séchage prend moins de temps parce que l’air est sec et le soleil brille tous les jours, ce qui facilite l’opération. Par contre, en saison des pluies, le séchage peut durer parfois plus d’une semaine pour les moyens récipients et deux pour les grands à cause de l’humidité et des pluies fréquentes. Quelques jours avant la cuisson, généralement trois ou quatre jours, un ultime traitement de surface est réalisé. À l’aide d’un bracelet métallique, la
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potière racle le fond du récipient afin de dégager les squames d’argile déposées lors de la fermeture du fond du pot. Elle se sert ensuite d’une motte de terre humidifiée pour frotter l’intérieur du récipient du bas vers le haut et de la droite vers la gauche tout en effectuant un mouvement de rotation du vase de la main gauche. Puis, elle se saisit d’un galet de quartz pour polir l’intérieur et l’extérieur des zones non décorées. Les poteries sont alors replacées pour le dernier séchage jusqu’au jour de la cuisson. Autrefois, les potières utilisaient une terre rouge pour lustrer les pots avant la cuisson. Il s’agissait comme le souligne Adjié Kaïgama, de l’ocre rouge prélevée au bord des marigots à Gangassao et à Gambouokou. L’ocre était également utilisée pour la fabrication des poteries destinées à la conservation des crânes des chefs et des princes dii décédés. Cette tradition funéraire est aujourd’hui révolue à la suite des nouvelles religions et de l’évolution des techniques en cours dans la poterie. L’application de cette poudre écarlate sur les pots ordinaires ou cultuels revêt un sens esthétique, médicinal, symbolique et religieux. Sur le plan esthétique, l’ocre appliquée avec soin sur la paroi externe du pot le rend brillant et joli. Sur le plan médicinal, les Dii et les Mboum utilisaient l’ocre pour panser et faciliter la cicatrisation les plaies de la circoncision (Muller, 1993 : 534). Sur le plan symbolique, Gosselain évoque un phénomène d’anthropomorphisation des pots en mettant en exergue le lien entre l’application d’ocre sur les récipients et son usage au cours des fêtes rituelles, des rites de passage et lors des différents sacrifices dans le Faro au Nord-Cameroun. Sur le plan religieux, l’ocre rappelle le sang et partant, la vie. Garder les crânes des chefs et princes dans un pot oint d’ocre, c’est rappeler que le défunt est vivant parmi les siens à travers ce substitut du sang dans lequel sommeille son crâne, siège de la conscience. Le chef ne meurt jamais. Il dort. L’ocre est typiquement associé à la fertilité (et utilisé, entre autres, au moment de la naissance, de l’initiation et du traitement de certaines affections, afin de purifier et de fortifier les individus qui subissent un changement d’état). Or, c’est bien à un changement d’état que sont soumis les récipients durant la cuisson, en sorte qu’il est tentant d’interpréter l’application d’ocre comme un geste à caractère symbolique, essentiellement symbolique, une ultime manipulation visant à assurer la réussite du processus de manufacture et l’obtention de produits de bonne qualité (Gosselain, 1979 : 18-19).
Le traitement précuisson avec éventuellement l’adjonction de l’ocre sur la paroi extérieure des pots les prépare à la phase de la cuisson. La cuisson, moment clé des opérations physico-chimiques complexes, est particulièrement délicate et sensible. De sa réussite dépend celle du processus général d’une séquence de fabrication des pots.
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V-6- CUISSON DES POTS L’opération consiste à cuire avec du bois sec, des pots dans une structure préalablement aménagée. Elle avait jadis lieu, chaque fois que la potière avait fabriqué des pots pour son emploi personnel ou destiné à l’usage d’un tiers. La création des marchés périodiques au courant du XIXe siècle dans la région a changé la donne initiale. La veille ou l’avant-veille de ces grands rendez-vous à caractère économique et social, correspond désormais au grand jour de cuisson. La potière pouvant se rendre à deux ou trois marchés dans les villages voisins, elle prendra toutes les mesures pour ne présenter à la place du marché que des pots frais et luisants. La cuisson a lieu à l’air libre dans un endroit de la cour convenablement arrangé pour la circonstance. Le jour de la cuisson, si les pots ne sont pas suffisamment secs, la potière engage une opération spéciale de chauffage en plaçant à l’intérieur des récipients humides, des braises chaudes, maintenues à l’état par des tiges de mil allumées. Cette opération qui peut durer environ trente minutes avant le début de la cuisson proprement dite permet d’éviter des accidents de cuisson, qu’une évaporation brutale des résidus d’eau contenus dans les pots pourrait causer. La potière construit un cercle concentrique avec des briques qu’elle dispose de manière à laisser des interstices pour laisser circuler l’air, comburant naturel qui assurera la combustion. À l’intérieur de ce dispositif, elle place d’autres briques, cette fois de petite taille, à telle enseigne que la structure qui en découle ressemble à un lit. Elle y dépose ensuite des branches d’arbustes finement découpés qu’elle couvre ensuite de paille.
Photo 82- Disposition du combustible dans Photo 81- Foyer de cuisson des pots enle foyer de cuisson à Gangassao © préparation à Gangassao par DjenabouEmboubou/Nizésété, juin 2007. Mamma © Emboubou/Nizésété, juin 2007.
Le bois requis comme combustible doit être suffisamment sec. Il doit être débité en petits morceaux afin de ne pas peser sur les pots et les casser
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éventuellement pendant la cuisson. Les bois de certains arbres et arbustes sont cependant propices à la cuisson. Ils sont capables de dégager une forte quantité de chaleur en un laps de temps relativement court. C’est le cas du Burkea africana, du Monotes kerstingii, du Terminalia laxiflora ou du Prosopis africana. Mais les potières ne tiennent pas forcément compte de leur pouvoir calorifique élevé. Peut-être par ignorance ou à cause de l’indisponibilité de ces essences dans leur environnement naturel. Dans la suite de l’opération, les pots sont couchés sur le côté avec les ouvertures orientées dans le même sens. Les gros récipients sont placés au centre, les moyens et les petits à la périphérie. Les vases ne sont jamais posés les uns sur les autres afin d’éviter des pressions qui pourraient occasionner des cassures. La cuisson est individuelle dans une opération collective. À partir des interstices laissés entre les briques, la potière introduit le feu au foyer à l’aide des tiges de mil. L’embrasement est immédiat. Chez les Mboum et les Dii, l’allumage du dispositif était jadis l’œuvre des forgerons, considérés comme les maîtres du feu. La situation a beaucoup évolué. Désormais, la potière s’y emploie avec dextérité.
Photo 83- Enfournement des pots par Djenabou Mamma à Gangassao © Emboubou/Nizésété, juin 2007.
Photo 84- Amorce de cuisson des pots de Djenabou Mamma © Emboubou/ Nizésété, juin 2007.
Les étapes de cuisson diffèrent souvent d’une potière à l’autre. Certaines potières recouvrent d’abord les pots de paille avant d’y introduire le feu comme Aminatou Mbarsolla à Mbé ou Laoudi à Loumonangué, tandis que d’autres mettent d’abord le feu au dispositif et déposent la paille au fur et à mesure que l’opération se déroule comme Djenabou Mamma à Gangassao. La température augmente considérablement. Elle passe progressivement de 700° et atteint 1000° environ, trente minutes après l’allumage du dispositif. À ce stade, elle commence à décroître pour se stabiliser avant de retomber au degré 0. La paille est alors totalement consumée. La potière se sert d’une
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faucille pour extraire les pots du feu et les asperge directement d’une décoction d’origine végétale. Le traitement de la surface post-cuisson commence.
Photo 85- Brassées de paille déposées sur Photo 86- Dispositif de cuisson totalement les pots en cuisson à Gangassao © consumé © Emboubou/Nizésété, juin 2007. Emboubou/Nizésété, juin 2007.
V-7- TRAITEMENT DE SURFACE : OPÉRATION POST-CUISSON Le traitement post-cuisson consiste à enduire les vases avec une décoction organique pour les rendre luisants et attrayants aux yeux du consommateur. La potière apprête après le façonnage, l’enduit qui servira à badigeonner les récipients au terme de la cuisson. L’écorce du Bridelia ferruginea est recherchée à cet effet. Une fois prélevée, elle est pilée et laissée en macération pendant quelques jours. Le liquide obtenu est de couleur rougeâtre. Il est aspergé à l’aide d’un fétu de paille sur le pot dès son retrait du feu. Il prend aussitôt une couleur noire luisante. L’opération est répétée à plusieurs reprises pour uniformiser la coloration du vase.
Photo 87- Défournement à Gangassao parPhoto 88- Aspersion de pot avec un Djenabou Mamma © Emboubou/Nizésété, colorant naturel © Emboubou/Nizésété, juin 2007. juin 2007.
Dans certaines communautés, notamment chez les Koma Ndera et les Véré dans la région du Nord-Cameroun, l’enduit aspergé sur le vase est préparé à
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base des gousses d’Acacia nilotica. Cette plante, dans une perspective symbolique semble, de l’avis de Gosselain (1979 : 23), indiquée pour le traitement des surfaces des pots après la cuisson. Chez les Koma Ndera par exemple, les gousses d’Acacia nilotica sont utilisées pour refroidir les gencives des enfants et atténuer les douleurs provoquées par les plaies de circoncision. Dans sa démarche, la potière demande simplement à la plante d’agir sur ses pots comme elle le fait sur les enfants afin qu’ils refroidissent normalement sans se fissurer. Le temps de ces décoctions organiques est presque révolu. Les potières recourent de plus en plus massivement à la peinture industrielle pour badigeonner leurs pots. Une pratique facile, mais problématique quant au devenir des traditions décoratives de la poterie africaine. VI- MORPHOLOGIE ET FONCTIONS DES POTS Il est rare de trouver des pots entiers dans des sites archéologiques. Ils nous parviennent en général en morceaux. Est-il donc possible dans cet état de reconstituer les formes initiales des récipients à partir des tessons? En l’absence des originaux pour servir de repères, est-il possible de recréer exactement les anciens modèles ? La chaîne opératoire que nous réalisons à partir des réalités ambiantes, laquelle est censée, par analogie, restituer les formes anciennes des vases ainsi que leurs fonctions primaires, ne serait-elle pas en fin de compte qu’une vue de l’esprit, une opération à l’issue incertaine ? Les usages qu’on leur attribue aujourd’hui sont-ils identiques à ceux d’hier ? Les transformations sont certes lentes dans la technologie traditionnelle africaine, mais elles ne sont pas absentes. S’il n’est pas évident de retrouver les modèles originaux, il est probable que les récipients en terre cuite en usage aujourd’hui ne soient pas fondamentalement différents de ceux utilisés il y a plus de 1000 ans à Somié ou 1500 ans au mont Ngaoundéré. En effet, les tessons issus des anciens vases que nous avons ramenés des sites archéologiques se conforment aux éléments constitutifs d’un vase actuel. Éléments qui reflèteraient aussi la structure des anciens récipients : fond, panse, col, lèvres, anses et parfois présentation des motifs décoratifs similaires. Qu’est-ce qui a véritablement changé dans les formes? Si oui, quel est le moteur de la dynamique ? Qu’est-ce qui n’a pas changé ? Importantes questions qui relèvent de l’archéométrie et de l’anthropologie des techniques qui exigent des réponses concrètes. La poterie traditionnelle dii, gbaya, mboum, mambila fut conçue pour les travaux domestiques et pour répondre à certaines exigences matérielles et pratiques du monde agricole, pastoral, funéraire et cultuel. Les pots, répartis dans différentes catégories morpho-fonctionnelles, étaient ainsi destinés à la cuisson des aliments et des boissons, à la distribution des repas, à la fermentation de la bière de mil, à la conservation des aliments et des semences, au transport des liquides, au chauffage, aux sacrifices rituels et aux inhumations particulières.
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Si quelques-uns de ces usages aujourd’hui ont disparu ou presque, à l’instar des jarres funéraires, la plupart d’emplois sont d’actualité. Mais le secteur est sinistré sur le plan commercial et de la relève professionnelle. La forte concurrence imposée par la vaisselle dite moderne en faïence, en métal ou en plastique, accule le métier à la disparition. Les potières disparaissent sans voir leur succession assurée. Si des mesures énergiques ne sont pas prises pour adapter la production à l’évolution des besoins de la clientèle, dans quelques années, l’art céramique traditionnel ne sera évoqué qu’à titre de souvenirs. Évolution recommandée certes, mais sans pour autant qu’elle sacrifie l’originalité et le caractère de cet art multiséculaire. La forme des récipients fut-elle déterminée par leur fonction ou alors, ce fut plutôt la fonction qui détermina les formes ? Toujours des questions sur les commencements des techniques, auxquelles les réponses attendues restent entières faute de sources et de documents. Plusieurs années d’expérience endogène ainsi que les influences culturelles étrangères sous-tendent sans aucun doute la création des modèles de pots et la définition des usages. Les observations sur le terrain montrent en effet que la morphologie d’un vase est en étroite relation avec son emploi. Les récipients culinaires sont façonnés en tenant compte de leur résistance aux chocs mécanique et thermique. De ce fait, la qualité de l’argile et l’usage éventuel des dégraissants sont pris en compte dès l’instant où l’idée de la fabrication d’un récipient germe dans l’esprit de l’artiste. Les pots qui entrent dans cette catégorie d’usage doivent être épais, du fond aux lèvres. En effet, l’action du feu et les assauts répétés du pilon sur le fond de la marmite spécialement pourraient engendrer des fissures, à l’issue d’une ou de plusieurs opérations de préparation du couscous ou de cuisson de la bière de mil. Par conséquent, le pot doit présenter une forte densité et une grande résistance aux chocs. Les marmites et les jarres doivent également présenter une grande ouverture afin de faciliter les manœuvres des utilisateurs pendant la cuisson. Elles ne doivent donc pas poser des contraintes à l’occasion des ajouts ou des retraits des substances solides ou des liquides du récipient. Les caractéristiques semblables, en dehors de la résistance thermique, sont également requises aux récipients de lavage ou du bain en vue de faciliter les mouvements entrant et sortant des usagers. Ces récipients sont souvent munis d’une anse pour permettre la préhension. Les pots réservés à la conservation des liquides et des denrées alimentaires sont généralement de grande taille, d’où le nom de jarre. Ce sont des récipients à grand diamètre d’ouverture, utilisés pour cuire, fermenter et conserver la bière de mil savourée à diverses occasions festives, rituelles ou ordinaires. En raison de leur grande contenance, les jarres étaient appropriées pour la conservation de l’eau. Les femmes et les enfants de la concession étaient
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chargés de les remplir quotidiennement pour les multiples travaux domestiques, parcourant parfois des kilomètres pour puiser le précieux et vital liquide au fond des vallées.
Photo 89- Marmite pour cuisson © Nizésété, Loumonangué, 2006.
Photo 90- Récipient multifonctionnel : cuisson, bain, lessive, etc. © Nizésété, Somié, 2006.
Photo 91- Jarre multifonctionnelle © Nizésété, Djorgoy, 2005.
Photo 92- Jarre pour cuisson de la bière © Nizésété, Djorgoy, 2005.
On appréhende ainsi la nécessité de disposer ce type de vase dans les communautés au Nord-Cameroun, zone réputée sèche, où la rareté de l’eau se fait sentir rapidement après la saison des pluies, avec des risques réels de tarissement des puits en cas de sécheresse prolongée. Par ailleurs, les familles qui ne possédaient pas de grenier utilisaient les jarres pour conserver les céréales, la farine de maïs, du manioc et du mil. On y gardait aussi les semences réservées à la prochaine saison agricole. En plus de la conservation de l’eau, des réserves alimentaires et des semences, ces récipients servaient de placard pour les vêtements de toute la famille afin de les protéger des agressions des termites, des cafards, des souris entre autres insectes et rongeurs nuisibles. Les modèles réduits munis d’un couvercle servaient à la conservation des objets précieux comme les bijoux ou les cauris.
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Les pots réservés à la consommation des repas étaient aussi pourvus d’un grand diamètre d’ouverture afin de faciliter le service. Ils étaient constitués de plats et de petits bols pour servir et consommer le couscous, la sauce et la bouillie.
Photo 93- Plats pour service des repas © Nizésété, Somié, 2006.
Photo 94- Bols pour service couscous, sauce et bouillie © Nizésété, Somié, 2006.
Ces récipients peuvent être dotés ou non de support pour les maintenir fermement au sol ou de couvercle pour protéger leur contenu des parasites comme les mouches. Si les récipients culinaires et de service des repas sont ouverts, ceux destinés au transport, à la conservation et au service des liquides, sont en général fermés, dont les bombonnes et les différents modèles de bouteilles.
Photo 95- « Dame-jeanne » pour service de l’eau et de la bière © Nizésété, Somié, 2006.
Photo 96- Bombonne mambila pour le service de l’eau et de la bière © Nizésété, Somié, 2006.
Ils sont tous dotés d’ouverture de petit diamètre afin d’éviter les pertes de liquide pendant le transport ou le service. Dans la riche gamme des pots façonnés, certains servent de pots chauffants, sollicités pour le chauffage de la maison pendant les saisons froides. Certains modèles de la gamme, munis d’une anse, sont utilisés pour brûler les encens, les écorces ou les médicaments. Ils sont tous perforés de petits trous au niveau de l’épaule à des fins d’aération et de ventilation. D’autres pots
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servent de cage aux poussins en vue de les soustraire de l’appétit des rapaces. Pendant les semailles, c’est presque toute la volaille qui est séquestrée derrière ces récipients pour leur éviter de déterrer les graines mises en terre.
Photo 97- Pot de chauffage avec perforations pour ventilation © Nizésété, Gambouokouo, 1997.
Photo 98- Cage pour volaille avec des trous d’aération © Nizésété, Djorgoy, 2005.
Les pots de petite dimension avec une capacité d’environ deux litres étaient utilisés pour les ablutions avant l’avènement des bouilloires en plastique et en métal. Des pots particuliers observés à Somié comportent deux trous parallèles où passe un tuyau qui intervient dans le processus complexe d’évacuation et de refroidissement de la bière en cours de production.
Photo 99- Bouilloire pour ablutions, chauffage de l’eau et cuisson des médicaments © Nizésété, Loumonangué, 2006.
Photo 100- Récipient spécial intervenant dans la distillation de la bière chez les Mambila © Nizésété, Somié, 2006.
À l’observation, le répertoire des pots fabriqués par les artistes de l’Adamaoua est riche d’une gamme variée d’objets aux usages spécifiques et complémentaires. Les produits ne sont pas réservés à des emplois restrictifs et particuliers. Une jarre de cuisson de bière peut être affectée à la conservation
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des céréales ou des vêtements. Une marmite initialement conçue pour préparer les aliments peut être utilisée sans aucune gêne pour le transport de l’eau. Cette flexibilité a sans doute plaidé dès les origines, en faveur de l’utilisation généralisée des récipients en terre cuite, comparativement aux objets en bois ou en pierre, limités, voire figés par leur ossature rigide et difficilement convertible. La seule catégorie de récipient à l’usage spécifiquement réservé est l’urne funéraire. Son emploi ne fut d’ailleurs jamais généralisé dans l’Adamaoua. Il fut le privilège d’une classe sociale particulière et jalouse de son statut même dans la mort, notamment la famille royale. On utilisait pour la circonstance des pots spéciaux, peints à l’ocre rouge, décorés à l’impression au niveau de l’épaule où l’on gardait les crânes du chef et des princes dii. Son utilisation en dehors de ce groupe ethnique n’est attestée nulle part dans la région. Le crâne du chef était prélevé quelques années après l’inhumation et conservé dans ce pot rituel. Il était ensuite déposé, soit dans une cavité rocheuse, soit au pied d’un arbre, soit dans une case construite à cet effet. La relique était nettoyée au moins une fois par an afin, dit-on, de protéger le village contre les esprits maléfiques.
Photo 101- Pot funéraire chez les Doayo (Douayo) dans le Faro (Poli) au NordCameroun, les crânes des morts sont retirés de la tombe après un certain temps et sont conservés dans des canaris bien gardés. À chaque cérémonie arrosée de bière, tous les canaris sont rassemblés en un seul lieu. Ceux des femmes séparés de ceux des hommes. Ce rassemblement s’appelle Djouldogo © Fosse John, 1967, Projet Ngaoundéré Anthropos/Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun). CD 0418-008; Réf : AL.
Tant que ce rituel n’était pas organisé sur la dépouille du chef éternellement endormi, son successeur pensait-on, ne pouvait régner longtemps. Il pouvait mourir subitement après l’intronisation, mortellement happé par l’esprit de son ancêtre en errance, à la recherche du pot funéraire pour son repos. Les malheurs s’abattaient ensuite sur le village : stérilité des femmes et des chèvres, mort des enfants mâles, invasion des criquets, saison sèche prolongée, agression des villages voisins, etc. L’Islam et le Christianisme ont progressivement contraint
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les populations à l’abandon de leurs pratiques rituelles traditionnelles en faveur des modèles venus d’ailleurs. Au cours de nos recherches, nous avons en août 1998, observé un seul spécimen de ce pot funéraire encastré dans un repli rocheux à Gu-lil. La photo ci-dessous, prise en 1967 par John Fosse, missionnaire norvégien, chez les Dowayo à Poli, est l’un des rares témoignages visuels en la matière. La poterie dans son ensemble a connu avec le temps, une évolution constante. Du façonnage à l’acquisition des produits fabriqués en passant par les utilisations, aucun aspect du secteur n’est resté stable. VII- ACQUISITION DES POTERIES Tout le monde ne fabriquait pas les pots, mais tout le monde en consommait dans la société traditionnelle. Comment procédait-on pour en acquérir ? L’acquisition se fit jadis par le troc, longtemps avant l’introduction des pièces de monnaie par les Européens au début du XXe siècle dans la région. Le troc se définit comme un système économique qui n’emploie pas de monnaie, mais dans lequel un objet est échangé contre un autre de valeur égale. C’est donc sous la forme de troc que se faisaient les échanges au sein des sociétés dii, mambila, mboum, gbaya, nizo’o, etc. Ces échanges s’effectuaient à l’intérieur des concessions, clans et familles ou à l’extérieur avec les groupes ethniques voisins. Chez les Dii à l’époque où la caste des forgerons et des potières était seule habilitée à fabriquer les pots, les autres composantes du groupe devaient coopérer avec elle pour obtenir les produits céramiques dont elles avaient besoin. Cette coopération reposait alors sur le système du troc. Agriculteurs, chasseurs et autres artisans échangeaient les produits de leur travail contre les récipients de leurs choix. Mil, gibier, paniers tressés, etc., étaient au centre d’un système d’échanges bien régulé et maîtrisé par les parties prenantes. Aminatou Mbarsolla raconte qu’autrefois à Mbé, lorsqu’une cultivatrice désirait une jarre ou une marmite, elle se rendait chez la potière avec la quantité de céréales, de légumes ou de tubercules correspondant au volume ou à la taille de l’objet désiré. Elle versait son produit dans le récipient et si la potière était satisfaite de l’offre, elle récupérait les denrées agricoles et remettait le pot à la paysanne. Il reste à préciser quel procédé on utilisait pour valider un produit de chasse, d’élevage ou de pêche contre un pot. Dans tous les cas, des équivalences devaient exister entre un gibier, un coq, un poisson et un modèle de récipient. Des accords tacites étaient évidemment possibles entre les parties prenantes, ceci dans un environnement économique encore préservé des affres du capitalisme marchand à visage inhumain, imposé par la colonisation européenne. De nos jours, l’argent constitue le socle des échanges. Le prix d’un récipient est fonction de sa taille et de sa qualité. La potière vend en fait la matière première utilisée et son temps investi pour produire le pot. Les grandes jarres
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coûtent actuellement entre quatre et six mille francs CFA, les récipients de taille moyenne valent deux à trois mille francs CFA et les petits coûtent cinq cents à mille francs CFA. Les prix sont discutables. Le coût final de l’objet dépend quelquefois de la capacité et de la ténacité de la cliente à marchander. Dans cette histoire, ce qui compte, c’est le pouvoir de l’argent. Les pots se vendent sur les marchés qui ont lieu périodiquement dans un espace aménagé pour la circonstance dans un hameau, dans un village ou dans une ville. Tout le monde ou presque connaît le calendrier des jours de marché des localités voisines. Chacun s’y rend, soit pour vendre, soit pour acheter un produit. Les potières vendent leurs produits, soit en gros, soit au détail et chacun est censé trouver son compte dans une gamme de produits céramiques dont beaucoup sont des bricoles fabriquées à la hâte, sans souci esthétique ni confort dans l’usage. De ces considérations esthétiques et technologiques, dépend l’avenir de la poterie. VIII- LA POTERIE DEMAIN L’avenir de la poterie traditionnelle dans l’Adamaoua est sérieusement compromis au regard du chapelet des insuffisances observées sur trois plans : la relève des potières qui disparaissent sans laisser de successeur ; la détérioration de la qualité des produits et la concurrence imposée par les produits modernes qui confine désormais les pots traditionnels à des emplois subalternes. Si des mesures énergiques ne sont pas prises à court terme pour freiner la dégénérescence de cet art, héritage d’un savoir-faire endogène multiséculaire, d’ici peu, il n’y aura plus rien comme l’ont prédit la potière Laoudi à Loumonangué et le potier Mgbagnié Paul à Somié au cours de l’année 2006. Il n’y aura plus rien en termes de ressources humaines compétentes. Il n’y aura plus rien comme modèles traditionnels de récipients. Les filles de potières refusent de poursuivre l’art de leurs mères. Elles jugent le travail pénible et sans rendement financier conséquent. Pourquoi donc, à leur avis, travailler pour rien dans une société capitaliste et marchande où tout se monnaye ? Pourquoi devenir une pauvre gueule grise, au corps maculé de boue alors que des possibilités d’emplois mieux rémunérés et plus valorisants dans les bureaux de l’État s’offrent à elles puisqu’elles vont à l’école, au lycée et jusqu’à l’université ? Seules les réponses pragmatiques données à ces interrogations sauveront l’art céramique local. Le travail de potière n’est plus réservé à une classe sociale spécifique comme ce fut le cas autrefois. Tout le monde peut devenir céramiste professionnel, sans aucune filiation avec les potiers. À cet effet, le développement des filières de formation professionnelle en céramique dans des écoles spécialisées constitue l’une des solutions idoines pour empêcher la dégénérescence de cet art de l’Adamaoua et partant, du Cameroun.
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C’est le cas par exemple dans des centres académiques recommandables comme l’IFA (Institut de Formation Artistique) de Mbalmayo, les instituts des Beaux-Arts opérationnels dans les universités d’État notamment à Nkongsamba (Université de Douala), à Foumban (Université de Dschang) et au Département des Beaux-Arts et des sciences du patrimoine de l’Institut Supérieur du Sahel (Université de Maroua), les collèges et les lycées techniques, le CETIC (Collège d’Enseignement Technique, Industriel et Commercial), la SAR (Section Artisanale Rurale), entre autres structures de formation orientées vers la professionnalisation des enseignements.
Photo 102- Etudiants en Design céramique du Département des Beaux-Arts et des Sciences du Patrimoine de l’Institut Supérieur du Sahel (Université de Maroua), en stage d’imprégnation en céramique à l’Institut de Formation Artistique de Mbalmayo © IFA/Nizésété, Mbalmayo, 2011.
Cette formation artistique et technique ne s’acharnera pas à détruire l’art céramique local courant, mais à le revisiter pour le valoriser. À cet effet, l’artiste doit s’atteler à inventer de nouvelles lignes pour nourrir les formes anciennes. Démarche appropriée pour créer et proposer de nouveaux objets alliant tradition et nouveauté. Stratégie commerciale aussi, pour conquérir et fidéliser une clientèle aliénée par plusieurs siècles d’extraversion, et friande des produits étrangers. Les recherches approfondies en art plastique devront par conséquent mettre un accent particulier sur le design des produits en termes de formes, de couleurs et d’esthétique générale, à l’issue d’une minutieuse et scientifique étude de marché de l’art céramique.
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Il s’agit de la prise en compte des attentes d’une clientèle hétérogène, aux revenus variables, désorientée dans un marché de consommation envahi par des produits de toutes les gammes, venus des confins asiatiques. Les produits céramiques recensés dans les catalogues mboum, dii, gbaya ou mambila ne sont pas toujours de bonne facture. Ils brillent de toutes les couleurs plus qu’ils ne résistent au moindre choc. À cet effet, un travail particulier sur la résilience des vases, c’est-à-dire sur leur aptitude à résister aux chocs mécaniques ou thermiques, devra être conduit avec sérieux sur le plan local. En effet, la fragilité de la poterie traditionnelle reste son point faible et explique la présence des milliers de tessons dans les sites archéologiques, dans les champs et dans les dépotoirs actuels.
Photo 103- Plat de service ou pièce décorative en céramique produit à l’IFA de Mbalmayo. La simplicité des formes et l’éclat des motifs décoratifs confèrent à cet objet une intense dimension artistique © IFA/Nizésété, Mbalmayo, 2011.
De cette réussite d’ordre technique et esthétique dépend le succès commercial des nouveaux produits céramiques camerounais. Le travail en cours à l’IFA (Institut de Formation Artistique) de Mbalmayo en la matière, force l’admiration. Le visiteur ou le client est agréablement étonné par la variété et la diversité des œuvres à base de céramique : vaisselle, carreaux pour revêtement du sol et éventuellement des murs, briquettes en terre cuite et tuiles pour des œuvres architecturales, statuettes, masques, pots pour fleurs, matériel de bureau, œuvres d’art sacrées, œuvres d’art ludiques, vases décoratifs, bibelots, mosaïque et divers mobiliers aux fonctions multiples. Avec la céramique, il est possible de produire une grande variété d’objets d’usage quotidien ou spécial.
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Réussir ce pari sera proportionnel aux moyens humains, financiers et matériels à investir. La région de l’Adamaoua est riche en argile. La matière première ne manque donc pas. Le programme national de promotion et valorisation des matériaux locaux devrait œuvrer en faveur de l’utilisation de l’argile, non plus seulement pour la fabrication des briquettes et des tuiles, mais aussi pour la production d’une large gamme de produits qui intéressent les arts décoratifs, les ustensiles de cuisine, les souvenirs de voyages, etc. Une telle créativité suppose pour sa réalisation, des moyens financiers conséquents pour l’acquisition de la logistique : fours, moules, établis, pinces, pinceaux, émaux, etc., afin de passer de la matière première à l’objet manufacturé. La nécessité de création des laboratoires de recherche ainsi que l’affectation d’un budget réaliste pour la formation des professionnels s’impose de ce fait.
Photo 104- Œuvre d’art en céramique d’inspiration religieuse © IFA/Nizésété, Mbalmayo, 2011.
Photo 105- Œuvre d’art ludique en céramique © IFA/Nizésété, Mbalmayo, 2011.
Le financement d’un tel programme de formation par l’État camerounais est évidemment possible, à condition que les ministères en charge de la recherche scientifique et de l’innovation, de l’enseignement supérieur, des enseignements secondaires, de la formation professionnelle, de l’artisanat, de la culture, de l’habitat, des finances, etc., passent du stade traditionnel des vœux et des ambitions, à celui du concret et de l’action.
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Rien ne doit plus être tout à fait comme avant. Paroles des dernières potières rencontrées dans la région. Elles souhaitent que la poterie connaisse un sort plus heureux, différent de celui de la métallurgie locale bien triste, qui du fait de la stagnation des pratiques et du non-renouvellement de son personnel technique, fut acculée au déclin avant de disparaître.
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CHAPITRE VII MÉTALLURGIE ANCIENNE DU FER DANS L’ADAMAOUA CHAÎNE OPÉRATOIRE D’UN ART DU FEU DISPARU * Que de difficultés à vaincre ! Que de problèmes à résoudre ! Combien d’arts accumulés les uns sur les autres faut-il pour fabriquer ce clou ou cette épingle dont nous faisons si peu de cas ! (Buffon, 1731), in de Fluzin, 1983, 15).
** La métallurgie africaine est aujourd’hui attestée comme une invention endogène avec des spécificités régionales qui expriment la richesse culturelle du continent. Ce fait historique doit être enseigné aux générations présentes et futures comme une contribution scientifique et technique du continent noir à l’histoire universelle à une époque précise de son développement.
Les prospections archéologiques que nous avons conduites dans l’Adamaoua ont permis la mise au jour d’anciens sites métallurgiques. Tous sont aujourd’hui abandonnés. Ces sites se matérialisent par la présence des scories, des fragments de tuyères aux extrémités rubéfiées et des restes de parois de formats variables. Ils constituent la preuve patente d’une activité abandonnée, d’un savoir-faire disparu. Les fours à réduction ou bas fourneaux, dans leur structure originelle, sont absents sur les sites. Idem en ce qui concerne les objets métalliques. Ces sites se concentrent essentiellement dans la Vina : Gu-Lil (lieu-dit), originellement colline des Mboum, localisés à Mbé, Sassa Mboersi, Loumonangué, et Gangassao. Les plus importantes structures, eu égard à la densité et à la diversité de leurs vestiges, sont localisées dans des villages dii intégrés dans la région administrative du nord, notamment Yoko, vers Touboro et Djaba Hosséré, sur la route Ngaoundéré-Garoua. La mise au jour de ces fers anciens soulève en effet un faisceau d’interrogations : pourquoi la prééminence des villages dii en termes de concentration des sites? Qui furent ces métallurgistes ? Depuis quand opéraient-ils? Avec quels moyens ? De quelle manière ? Pourquoi et quand cette technique tomba-t-elle en décadence? Les réponses à ces questions sont susceptibles d’apporter des informations sur le processus de fabrication du fer, la professionnalisation des artisans et les pratiques rituelles qui encadraient cette activité ainsi que les raisons de son déclin.
I- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA MÉTALLURGIE DU FER DANS L’ADAMAOUA La métallurgie est l’art d’extraire les métaux de leurs minerais, de les transformer en produits finis afin de les mettre en forme pour leur utilisation (Fluzin 1983 : 15). Si la poterie est surtout un art de femmes, la métallurgie est un métier d’hommes dans l’Adamaoua. Mais quand les archéologues découvrent les vestiges des structures de réduction des minerais de fer, ces documents matériels sont naturellement muets. Si des analyses archéométriques permettent quelquefois d’appréhender les éléments constitutifs de leur structure, le mystère reste en général entier sur l’identité des artisans, le procédé de réduction, les fonctions des objets fabriqués, ainsi que les rites liés à la production du fer. Mais comment reconstituer véritablement les gestes de ces artisans aujourd’hui disparus, en l’absence de témoignages et de documents écrits sur l’origine et la dynamique de cette technique dans l’Adamaoua? En dehors des descriptions des africanistes comme André-Michel Podlewski (1971) et Renate Wente Lukas (1977) sur la métallurgie du fer à Mbé et des photographies sur les dernières opérations de réduction de minerai de fer à Mbé en 1937 et à Ngaoundéré à l’occasion d’une exposition à la foire de 1956, il y a très peu d’informations sur la paléométallurgie du fer dans cette région. Toutefois, les preuves matérielles sur l’effectivité de cette technique existent. Sans prétendre remonter à Mathusalem pour appréhender les tortueux sentiers de l’esprit qui conduisirent à l’invention et au développement de la métallurgie du fer, nous avons, à la suite des interprétations des vestiges métallifères, de l’observation des séquences de reconstitution des opérations de réduction des minerais de fer et des connaissances actuelles sur le sujet, construit ce texte. Que vaut véritablement tout ce que nous observons actuellement sur les sites archéologiques ou dans des foires d’exposition par rapport à la métallurgie du fer des origines ? Ce commencement, où le situer sur l’échelle du temps ? Les datations au radiocarbone disponibles sur la métallurgie du fer dans l’Adamaoua ne remontent guère au-delà du XVIIIe siècle. Est-ce le début ou bien un moment de cette activité sur laquelle d’ailleurs les mythes sont loquaces et remontent l’origine de la métallurgie chez les Dii à la création de l’homme par Dibi, leur grand Dieu ? Quand fut alors créée cette humanité? Les problèmes de chronologie ne sont pas les seuls au centre de cette recherche. Il se pose aussi la question de la spécialisation spatiale du pays dii dans la métallurgie du fer dans l’Adamaoua. Est-elle tributaire d’un environnement naturel favorable, du fait de la disponibilité du minerai de fer et des combustibles? Ou bien, c’est un don de Dieu à ce groupe ethnique comme le clame Nang Hamoa de Gangassao, l’un des derniers grands ferrons-forgerons dii, disparu à l’aube du XXIe siècle ? Ces artisans du feu se considérèrent d’ailleurs si différents de leurs congénères qu’ils préférèrent s’enfermer dans
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une caste et pour protéger leurs prérogatives techniques, et sans doute pour préserver leur race des influences étrangères. Dans ce cercle ésotérique, les secrets de la fabrication du fer devaient se transmettre de père en fils afin de garder en famille ce don divin ; une erreur fatale à long terme, au regard des faits historiques ultérieurs. Quatre vieux ferrons-forgerons, rencontrés en 1997 dans le cadre de la reconstitution d’une opération de minerai de fer à Yaoundé au Cameroun, à l’occasion d’un séminaire-atelier sur les métallurgies africaines, nous ont raconté l’histoire de la métallurgie du fer chez les Dii, du moins ce qu’ils en savaient. Qui sont-ils ? Nous les avons patiemment observés à l’œuvre, entendu leurs récits et écouté leurs chants autour du four et dans la forge. Nous présentons les visages de ces experts dans ce texte, au même titre que ceux des potières. Leurs témoignages qui ont valeur de source de première main sont souvent rapportés dans des travaux dits savants sans aucune allusion aux véritables auteurs. Une malhonnêteté intellectuelle qui malheureusement gangrène l’historiographie locale. Observations sur le terrain et recueil de témoignages nous ont permis de reconstituer une chaîne opératoire probable se rapportant à une séance de réduction par procédé direct. Dans cette méthode, le fer issu de l’opération et appelé loupe est à l’état pâteux. Il s’agit d’un agglomérat de fer et de scories qui n’est pas directement utilisable. Un forgeage laborieux à chaud sera nécessaire pour purger la loupe des impuretés afin d’en tirer un lingot de métal utilisable pour la fabrication des outils. Le processus est en effet long et très exigeant. Depuis la collecte du minerai jusqu’à la production de la loupe, que d’opérations faut-il pour extraire un brin de fer d’une masse de sable ou d’un monceau de caillou ! Dans cet exploit technologique, que de complexes opérations magico-religieuses ! Quelle est leur véritable efficacité? Quels qu’ils soient, ces étranges rituels autour du fourneau n’ont pas empêché la dégénérescence de cette activité. Quelle est leur part de responsabilité dans l’échec de la sidérurgie locale ? Comment comprendre le déclin d’un savoir-faire aussi ancien, ancré dans les pratiques et conduit par des hommes pétris d’expérience dans leur métier ? L’arrivée des Européens dans la région au début de 1900, suivie de l’introduction de produits manufacturés et l’utilisation du fer de récupération, n’expliquent pas toutes seules l’arrêt de la réduction, ruinant irrémédiablement ce savoir-faire, fruit de plusieurs siècles de construction, mais incapable de dynamisme et de renouvellement. Telles sont nos principales observations sur la métallurgie du fer dans l’Adamaoua et autour desquelles s’organise le développement du chapitre. Le travail est exclusivement concentré sur les Dii dans la mesure où, en dehors de ce groupe ethnique, nous n’en avons pas rencontré qui puisse déposer sur la technique et la symbolique de cet art des métaux. Nous traitons au préalable le
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problème primordial de l’invention de la métallurgie chez les Dii, suivi de la présentation de quatre métallurgistes parmi la dizaine que nous avons rencontrée pendant nos recherches. À leur suite, nous déroulons la chaîne opératoire qui va de l’extraction à la production de la loupe en passant par les étapes intermédiaires, où l’évocation des pratiques symboliques occupe une place non négligeable. Les facteurs de déclin de la métallurgie traditionnelle, ainsi que les réseaux d’échanges impliquant les ferrons-forgerons dii, ne sont pas absents de la réflexion générale. Au préalable s’impose la définition de quelques mots techniques utilisés dans le texte afin d’éviter des confusions de compréhension. Nous employons ainsi le terme ferron pour désigner ces métallurgistes qui transformaient les minerais en fer. « Le ferron est un ouvrier qui fond le fer dans des fourneaux gallo-romains » (Fluzin, 1983 : 39 ; Chapat, 1981 : 30) alors que le fondeur est un ouvrier spécialisé dans les opérations de coulée du métal dans les moules. Le ferron se rapporte mieux au procédé de réduction des minerais de fer alors en cours dans la région. Il s’agit d’une réduction sans fusion contrairement au fondeur dont l’activité de réduction débouche sur la fusion du métal. Nous accolons au terme ferron, celui de forgeron, artisan qui travaille la loupe à la sortie du four. Les métallurgistes dii furent à la fois producteurs de loupe et fabricants de houes pour cultiver la terre et des flèches pour tuer les animaux et éventuellement les hommes. Nous utilisons aussi le terme sidérurgie pour parler de la métallurgie du fer, qui n’est qu’un aspect de la métallurgie. Nang est le nom du forgeron chez les Dii. Les Foulbé le désignent sous le nom de Kila. Du fait de la pratique courante du fulfulde langue véhiculaire par excellence dans la région, l’appellation Kila s’est partout imposée. Dans ce texte, le terme Nang est utilisé eu égard à l’identité culturelle des acteurs et sur leur demande, que nous jugeons fondée et par conséquent recevable. II- TRADITIONS HISTORIQUES SUR LES ORIGINES DE LA PRODUCTION DU FER CHEZ LES DII Nous avons traité les migrations générales des Dii au chapitre 2. Nous revenons ici, essentiellement sur leurs séquences migratoires ayant un rapport direct avec la métallurgie du fer dont ils sont passés maîtres dans la région. Les Dii sont anciennement installés dans l’Adamaoua. La date de leur mise en place est difficilement chiffrable eu égard aux lacunes chronologiques sur les migrations anciennes et le peuplement du Cameroun. Les Dii feraient partie de ces populations descendues des confins du lac Tchad à la suite des bouleversements politiques survenus dans la région au cours des VIIe et XIXe siècles. En effet, les empires esclavagistes du Kanem, du Kanem-Bornou, du Baguirmi et du Mandara provoquèrent des migrations à l’intérieur de la vaste région connue plus tard sous le nom Adamaoua. Mais face aux conjectures sur
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leurs origines et leurs séquences migratoires, les mythes prirent rapidement le pas sur l’histoire, situant alors l’origine des Dii tantôt dans des grottes, tantôt sur des montagnes. Une tradition d’origine situe la genèse de tous les Dii sur le mont Mgbangsi qui culmine à près de 1597 mètres d’altitude au sud de Tcholliré. La montagne, dans la mentalité populaire, est généralement assimilée au pont entre la terre et le ciel, au lieu où Dieu et les hommes se rencontrent. Il est tout à fait logique que ce peuple, inapte à situer ses origines ou à préciser ses itinéraires migratoires, considère ce lieu mythique comme le point de départ de son commencement, de son développement. Dans tous les cas, les origines des métallurgistes dii sont variées et confuses. Si certains affirment que leurs ancêtres sont tombés du ciel ou descendus des montagnes, d’autres pensent que leurs pères vivaient depuis très longtemps dans des grottes à Mbé où le bruit des enclumes et l’indiscrétion des femmes trahirent leur présence. C’est alors que des agriculteurs leur tendirent une embuscade. À ce sujet, Nang Hamoa, que nous avons interviewé le 15 juillet 1997 à Gangassao, raconte : « lorsque les forgerons descendirent du ciel, ils atterrirent en brousse et se réfugièrent dans une grotte. Un chasseur guidé par le bruit du martèlement les y découvrit. Il ne put cependant les approcher, car ils fuyaient à l’approche des étrangers. Le chasseur rentré au village informa les paysans. Le lendemain, ils vinrent et obstruèrent l’entrée de la grotte avec un filet. En tentant de s’évader, ils tombèrent dans le piège. Ils parlaient la langue dii et avaient une courte queue. » Ce mythe traite les forgerons de primitifs ramenés à l’humanité par les cultivateurs. Tradition que les forgerons et certains agriculteurs contestent en reconnaissant plutôt aux non-forgerons le port d’une queue. De l’avis de Nang Ngasag, mieux connu sous le pseudonyme de Kila Salmana, interviewé le 08 août 1997 à Mbé : « au moment où Dieu créa les Dii, il donna au premier forgeron un marteau et au premier agriculteur une houe. Dès lors, ils chutèrent du ciel et atterrirent sur terre. Les agriculteurs étaient pourvus d’une courte queue. C’est le forgeron qui la leur coupa pour les rendre humains ». Qui était donc pourvu d’une queue au commencement chez ce peuple? Le Dii (agriculteur) ou le Nang (forgeron) ? Difficile de trancher. Remarquons toutefois que la plupart des traditions d’origine à travers le monde reconnaissent aux forgerons une origine céleste et leur confèrent une ascendance technologique sur les agriculteurs parce qu’ils fabriquent le fer. Selon JeanClaude Muller (2001 : 22), l’attribution aux forgerons (Nang) d’une origine céleste par les non-forgerons (Dii), traduit leur étonnement devant la prouesse technique des maîtres du fer. Elle est si surprenante « qu’elle ne peut se penser comme une création de l’homme ; les anciens Dii n’auraient rien trouvé de mieux pour l’expliquer que de la faire émaner d’un ailleurs super-humain. Si
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les Dii affirment que les forgerons sont tombés du ciel, c’est parce qu’ils n’ont pas voulu croire à la valeur intrinsèque du forgeron qui les dépassait en intelligence ». D’autres légendes situent l’origine de la métallurgie non plus au ciel, mais en Orient, berceau de la civilisation islamique. Nang Nana de Ndom, interviewé le 18 mars 1999 à Ngaoundéré, estime « qu’il faut remonter chez les Annabi (prophètes) du Coran pour saisir la genèse du travail du fer. Annabi Daouda fut le premier forgeron envoyé par Allah sur terre pour alléger les travaux des humains. C’est à partir de ce premier forgeron que la technique de fonte et de forge a gagné l’univers ». Cette tradition est tardive et connote les nouvelles aspirations religieuses d’un peuple animiste converti de gré ou de force à l’Islam à la suite du jihad peul au milieu du XIXe siècle. Enfin, une observation des propriétés calorifiques des sols argileux par les forgerons et les potières serait à l’origine des métiers du feu (métallurgie et poterie) chez les Dii : Les forgerons et les potières racontent que leurs ancêtres ont observé que les hauts fourneaux qu’ils érigeaient ainsi que les tuyères, tous deux en terre argileuse, durcissaient lors de la réduction, devenaient imperméables et résistaient au feu… Les hommes, voyant la résistance au feu des hauts fourneaux et des tuyères, demandèrent aux femmes d’aller chercher une argile particulièrement malléable signalée par les terriers et les déjections du crabe de terre, kaag, argile qui leur semblait la plus appropriée, et d’en façonner des récipients qui pourraient être mis au feu. Ce que firent les femmes qui, ensuite, perfectionnèrent leur art en observant les pratiques de la guêpe maçonne didii (Muller 2001 : 211).
Il en ressort que les forgerons sont aussi responsables de l’invention de la poterie. La découverte de cet art étant liée directement au développement de la forge, il n’est guère surprenant que leurs femmes, Naŋ kéé : femmes forgerons qui les assistaient, soient également des artistes ou des artisanes du feu. Cette collaboration technique eut des conséquences sur les alliances matrimoniales et le statut social du métallurgiste chez les Dii. III- STATUT SOCIAL DU FORGERON DII Les forgerons et les potières vivaient jadis en caste dans la société dii. En vue de préserver leurs techniques, les forgerons refusèrent de donner leurs filles aux Dii (agriculteurs) et se marièrent entre eux. Les forgerons décidèrent ainsi l’endogamie afin de confisquer leurs techniques (Muller (2001 : 211). Contrairement à certaines sociétés d’Afrique occidentale, où on estime que les forgerons furent mis en caste de force par les agriculteurs afin d’éliminer rituellement ces dangereux rivaux, dont les bijoux qu’ils fabriquaient attiraient davantage les filles à marier que les produits agricoles, ordinaires et sans éclat, la situation chez les Dii fut toute différente. Ici, ce ne sont pas les forgerons qui
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ont été exclus et marginalisés par la majorité dii, ce sont plutôt les forgerons et les potières eux-mêmes qui, volontairement, l’ont fait pour protéger et conserver leurs activités conjointes. Les forgerons et les potières dii ne travaillaient pas la terre. Par conséquent, ils étaient obligés de coopérer avec les agriculteurs qui leur apportaient des vivres et en retour, recevaient des outils agricoles. Malgré cette coopération vitale, la tendance à l’évitement des forgerons était effective. Pourquoi ces experts si adulés étaient-ils autant dépréciés? Nang Ballo, interviewé le 25 mars 1999 à Sassa Mboersi, explique : « Compte tenu du fait que le besoin en vivres est constant par rapport à celui des outils agricoles, les forgerons se placent dans la situation de demandeurs perpétuels. Cette position de dépendance est alors habilement récupérée par les agriculteurs pour qualifier les forgerons de mendiants. Le forgeron dit-on, n’a pas de houe et n’appartient à aucun village. C’est un vagabond impénitent qui peut s’installer dans n’importe quelle chefferie et être bien nourri étant entendu qu’il est légalement astreint aux activités agricoles ».
Les agriculteurs affirment aussi que les forgerons et les potières ont choisi de se spécialiser par paresse, pour éviter d’aller aux champs et de grelotter de froid sous la pluie. À cet effet, ils restaient bien au chaud dans leur forge à fabriquer des outils qu’ils troquaient contre des produits agricoles, de chasse, de pêche ou de cueillette. Propos auxquels les forgerons rétorquaient en termes clairs, qu’il fallait d’abord savoir forger pour (mériter) le bénéfice marginal de rester à la maison, près du feu. Si les forgerons reconnaissent et acceptent le recours auprès des agriculteurs pour obtenir du mil, ils réfutent les titres très peu flatteurs de mendiants et de fainéants qu’on leur attribue. Les vivres, observent-ils, ne sont pas des cadeaux. Ils sont obtenus en échange des outils agricoles et des armes qu’ils fabriquent. La réduction des minerais de fer et le forgeage des outils métalliques ne sont pas des travaux d’amateurs, mais des métiers d’experts, particulièrement rigoureux dans la démarche, et exigeants dans l’effort. Ils affirment avec emphase, se placer au début et à la fin de l’existence humaine. Une synthèse des témoignages recueillis auprès des forgerons dii montre le rôle majeur qu’ils jouent dans la société : « Lorsque tu naquis, c’est avec du fer que fut coupé ton cordon ombilical. Au moment de passer à l’âge adulte, c’est encore avec du fer que tu fus circoncis. C’est grâce au fer qu’on laboure les champs dont les produits qui y germent, poussent et mûrissent, te nourrissent et te font vivre. C’est toujours avec du fer que les bracelets, bijoux, colliers dont tu te pares sont fabriqués. La plupart des ustensiles d’usage quotidien ou rituel sont en fer. Ta tombe sera creusée avec des instruments en fer et ton corps, caché dans une jarre en argile fabriquée par la fille ou la femme du forgeron. Si
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tu es conscient (e) de tout cela homme/femme, écoute ce que dit le forgeron et ne le méprise pas ».
Ce credo du forgeron traduit parfaitement le rôle social qu’il joue dans la société. Ses attributs politiques et religieux sont évidents dans la communauté dii où il participe à l’intronisation du chef. Il est aussi juge-prêtre lors des épreuves d’ordalie. Son action économique n’est pas des moindres, car au courant des XIXe et XXe siècles, les produits de fonte et de forge furent au centre d’un vaste réseau d’échanges marchands ou de troc, impliquant les ferrons-forgerons dii et les commerçants bornouan et haoussa dont l’histoire s’écrit progressivement. En effet, c’est moins le rôle social du forgeron qui pousse à son évitement que ses activités. En tant que croquemort, féticheur ou circonciseur, il manipule des objets souillés, redoutés et évités comme le sang et les cadavres, ce qui le rend redoutable et peu recommandable à la fréquentation ou au partage normal des repas. Fonderies et forges sont aussi évitées, personne ne peut y voler. Le statut social ambivalent du forgeron traduit manifestement la densité du personnage aussi bien sur le plan politique, économique, religieux que technologique. En fin de compte, si les forgerons sont redoutés, c’est du fait de leur place exceptionnelle dans la société. Ils sont des passeurs. C’est à juste titre qu’on les traite de transformers, parce qu’ils confèrent à quelqu’un un autre statut (la circoncision par exemple) ; donnent à quelque chose une autre forme et un autre aspect (le minerai qui devient une barre de fer, une houe). Ils sont au centre des rites de passage, ces tournants de l’existence qui changent un individu ; le fœtus devient un enfant à la naissance (rite de naissance), l’enfant devient adulte à l’issue de la circoncision et de l’initiation (rite initiatique), l’adulte meurt et mobilise des rites funéraires. Le forgeron est au début et à la fin de ces rites, muni de ces outils métalliques. Il assure ainsi le passage de la Nature (le minerai - de la terre pour beaucoup d’autres) à la Culture (les outils, les armes). Par ailleurs, il se charge (ou a été chargé) de l’inhumation (passage de la vie à la mort), c’est-à-dire de la Culture à la Nature où nous retournons tous. Une audace qui constitue une raison suffisante pour le respecter ou pour le craindre. Sur le chemin de la recherche, nous avons rencontré quelques-uns, certainement les derniers, qui nous ont livré leurs impressions sur leur métier. IV- LES DERNIERS MÉTALLURGISTES : VISAGES ET PAROLES D’EXPERTS Nous avons rencontré au cours de nos recherches, douze métallurgistes dans la région de l’Adamaoua. Leurs souvenirs affectifs ou aigris d’un passé révolu, leurs observations réalistes sur le présent, et leurs projections prophétiques sur le futur de la métallurgie du fer, ont retenu notre attention et alimentent la présente étude. Toutefois, nous n’avons sélectionné dans ce groupe que quatre métallurgistes, dont les photographies présentées, dévoilent leurs visages. Ces élus ne sont pas plus compétents que leurs confrères dont les propos de
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quelques-uns sont référencés dans ce texte, lorsque cela s’est avéré nécessaire. Ce choix porte sur les quatre ferrons-forgerons sollicités pour prendre part, du 6 au 8 décembre 1997, à la reconstitution d’une opération de réduction du minerai de fer à Yaoundé, dans le cadre d’un séminaire atelier sur les métallurgies africaines à l’initiative du professeur Pierre de Maret, de l’université Libre de Bruxelles. Il s’agit de : Nang Hamoa, Nang Daouda, Nang Moussa et Nang Djiddéré. Pendant la préparation de ce rendez-vous scientifique international, nous avions rendu plusieurs visites à ces métallurgistes dans leurs villages, au sein de leurs communautés, dans leurs lieux de travail, là où certains sont nés, ont grandi et ont appris leur métier. C’est en cette circonstance que nous avons recueilli leurs témoignages sur l’histoire de la métallurgie chez les Dii de l’Adamaoua. Propos singuliers dont de brèves synthèses sont annexées à chaque photographie. Comme nous l’avons souligné plus haut, la démarche méthodologique que sous-tend la présentation de ces documents iconographiques est de montrer l’importance de l’image dans l’explication d’un fait qu’il soit historique ou d’actualité. Il est unanimement connu que la photo d’une personne ou d’un personnage, d’un évènement, d’un site ou d’un monument, n’a pas d’équivalent oral ou textuel. Si le monde scientifique avait les photographies réelles de Toumaï, de Ménès, de Néfertiti, de Toutankhamon, de Ramsès II, de Jésus, de Mahomet, etc., l’humanité aurait évité des guerres à connotation raciale ou des querelles de faciès. La question d’une Égypte pharaonique nègre ou d’une Égypte pharaonique blanche, âprement débattue à la conférence du Caire en 1974, est loin d’être close en dépit des conclusions déposées en faveur d’une Égypte pharaonique africaine. Cette incursion dans les mondes anciens et dans les conflits de civilisation, démontre clairement la place de l’image dans une démonstration scientifique à des fins d’explications, de réfutations et d’affirmations. En effet, Nang Hamoa, Nang Daouda, Nang Moussa et Nang Djiddéré, nous apparaissent dans leurs portraits non pas en activité comme nous les verrons plus loin, mais rien qu’avec leurs visages, aux traits marqués par l’âge et la dureté de la vie rurale. En 2013, quand ce texte est sous presse, deux de ces experts du feu à notre connaissance ne sont plus en vie. Nang Hamoa est mort en 2002, Nang Daouda en 2003. Plus tôt, en mai 1998, sept mois après notre entretien à Mbé avec Nang Ngasag, dit Kila Salmana, alors âgé de 89 ans, ce grand métallurgiste dii mourait. La maladie l’avait d’ailleurs empêché de se joindre à l’équipe des experts qui s’était rendue à Yaoundé. À quand la protection du patrimoine humain vivant au Cameroun avant que ne disparaissent des artistes et artisans comme Nang Hamoa?
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1- Nang Hamoa de Gangassao Je suis Nang Hamoa ou Kila Hamoa. Forgeron originaire de Tagboum, domicilié à Gangassao. J’ai appris le travail auprès de mon père à Tagboum, là-bas au pied du mont Mgbangsi, le pays de nos ancêtres. Je n’ai jamais mis les pieds à l’école des Blancs. Ce n’était pas nécessaire. Le travail du fer occupait les hommes de la famille pendant toute l’année, pendant que nos mères, nos femmes et nos filles fabriquaient des pots avec de l’argile. C’était comme ça avant et c’était aussi la volonté de Dieu que chacun fasse le travail qu’il lui avait été confié à sa naissance. Je suis venu m’installer à Gangassao parce qu’il y avait beaucoup à faire ici. Les temps ont changé. Oui et beaucoup de choses ont changé aussi. J’ai désormais un champ de mil et j’élève quelques chèvres, des moutons et des poules. Il faut de l’argent pour envoyer les enfants à l’école du gouvernement. Les médicaments ne sont pas gratuits. En 1997, Hamoa était âgé de 80 ans environ. Il est décédé en 2002.
Synthèse des propos recueillis le 15/07/97 à Gangassao. Photo 106- Le 06 décembre 1997 à Yaoundé lors des ateliers de METAF (Métallurgies africaines), tenus du 06 au 08 décembre. Nang Hamoa, ferron-forgeron était le chef d’équipe de l’opération de réduction de minerais de fer par procédé direct le 08/12/97 © Nizésété. On m’appelle Kila Daouda ou Nang Daouda. Le titre dépend de celui qui me cherche. Je suis le chef forgeron du village de Gangassao. De ce fait, mes prérogatives en matière de circoncision, quant aux activités de réduction et de forge, ne souffrent pas de l’autorité du Djaoro qui est le responsable religieux du village. Chacun a ses fonctions. Le travail du fer a beaucoup changé aujourd’hui. Le matériel de travail que vous avez observé dans ma forge est très différent de ce que mon père utilisait : les soufflets surtout sont « haoussa », le métal que je martèle est une carcasse de vélo, etc. Oui. Rien à présent ne ressemble au passé. Sauf le charbon, le feu et la tuyère. Moi aussi, j’ai changé. Ma quatrième femme n’est pas potière. Mes garçons aussi ne seront pas des forgerons. Je suis content que vous puissiez vous intéresser à notre travail, pour témoigner demain à l’aide des photos, de ce que nous faisions, qui nous étions, grâce à cette prochaine reconstitution de la chaîne opératoire à Yaoundé. En 1997, Daouda était âgé de 72 ans environ. Il est décédé en août 2003. Synthèse des propos recueillis le 12/11/97 à Gangassao.
Photo 107- Nang Daouda, ferron-forgeron, était le responsable technique de l’opération de réduction de minerais de fer par procédé direct le 08/12/97© Nizésété.
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2- Nang Moussa, ferron-forgeron à Gangassao Je suis Nang Moussa, forgeron à Gangassao. J’ai participé à plusieurs opérations de réduction de minerai de fer à Gangassao aux côtés de mon père et de mes oncles. C’étaient sans doute les dernières. Les prêtres et les soldats blancs nous avaient filmés un jour, autour du fourneau. Depuis, lors, tout s’est arrêté. Les objets alors fabriqués étaient échangés, parfois contre des aliments. Nos pères allaient aussi les vendre dans les marchés des villages voisins. Les grands commerçants qui les achetaient pouvaient les acheminer jusqu’à Yola et même dans le lointain Calabar au Nigeria. Puis, les produits nouveaux sont arrivés et progressivement, ils ont déclassé les nôtres. Ils nous semblaient performants : houes, machettes, couteaux, tridents, etc. Les clients sont devenus de plus en plus rares. Un nouveau monde s’imposait à moi et il fallait s’adapter pour ne pas disparaître. J’ai créé un champ de mil. Je fabrique aussi des houes, des pioches, des couteaux avec du fer de récupération, qui sont à la portée de tout le monde. Synthèse des propos recueillis le 12/11/97 à Gangassao. Photo 108- Nang Moussa, 65 ans environ en 1997, ferron-forgeron à Gangassao. Membre de l’opération de réduction de minerais de fer à Yaoundé © Nizésété, Yaoundé 08/12/97.
3- Nang Djiddéré, ferron-forgeron à Gambouokouo Je m’appelle Nang Djiddéré, ferron-forgeron à Gambouokouo. J’ai participé à la réduction de minerais de fer à Ngaoundéré en 1956, lors de l’exposition de la foire coloniale et à plusieurs autres séances en famille. Le travail était pénible certes, mais ces épreuves de réduction donnaient lieu à des occasions festives où la bière de mil et le couscous faisaient tomber la fatigue. Je me suis converti à l’Islam et cette religion ne m’a jamais empêché de faire mon travail. Je regrette le déclin de la métallurgie, mais que pouvait-on faire véritablement face à l’invasion du marché par les produits métalliques fabriqués par les Blancs? Nos produits étaient vaincus. Nos parents et nous-mêmes aurions dû fabriquer des hauts fourneaux qui chaufferaient vite et qui résisteraient aux chocs pour qu’on n’ait pas à construire de nouveaux, pour chaque opération. On aurait ainsi pu produire du bon fer et la suite des évènements aurait pris sans doute un autre cours. Voilà la cause de notre défaite technologique. Il vous reste à imaginer comment gagner la bataille industrielle aujourd’hui ou demain.
Photo 109- Nang Djiddéré, 60 ans environ en 1997, ferron-forgeron à Gambouokouo. Membre de l’opération de réduction de minerais de fer à Yaoundé © Nizésété, Yaoundé 08/12/97. Synthèse des propos recueillis le 29/07 à Gambouokouo.
On peut à cet effet, évaluer l’importance de recueillir lorsqu’il est encore temps, les témoignages ou les dépositions de ces experts anonymes, matériellement pauvres, mais techniquement et intellectuellement riches. La
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préservation des arbres et des animaux sauvages ne devrait en aucun cas éclipser l’intérêt majeur à porter aux femmes et aux hommes, gardiens de notre patrimoine à l’instar de ces experts du feu en voie de disparition accélérée. Dans une autre dimension, nous rendons aussi hommage à ces vieillards qui, malgré les maladies, en dépit d’une longue absence dans la pratique de la réduction, de la perspective du long et pénible voyage Gangassao-Yaoundé-Gangassao par bus et par train - ils refusèrent systématiquement de voyager par avion de peur de disparaître au ciel - avaient accepté de collaborer pour la sauvegarde de leur patrimoine culturel. Ils firent de ce fait un grand effort de mémoire pour se souvenir des matériaux, des gestes, des rites, des symboles, des chants et des danses, indispensables à la reconstitution de l’opération de réduction du minerai de fer de Yaoundé, sous la direction technique de Nang Daouda, chef forgeron de Gangassao, assisté des Nang Hamoa, Moussa et Djiddéré, pétris d’expérience en la matière. Une épreuve de parade, somme toute, bien réussie au final. Carte 2- Sites métallurgiques de la Vina dans l’Adamaoua.
Conception : Nizésété ; Réalisation : Ganota Boniface, juin 2013. L’observation directe des gestes de ces métallurgistes sur le terrain, lesquels progressivement donnent forme aux éléments constitutifs d’une structure de réduction, comme les soufflets, les tuyères, le bas fourneau, ainsi que le suivi en direct d’une séance de réduction proprement dite, nous ont peut-être permis de comprendre le long chemin qui conduit du minerai au métal, en d’autres termes,
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la chaîne opératoire et d’attribuer des noms ainsi que des rôles aux différents restes métallifères qui jonchent les sites dans d’anciennes fonderies. Reste alors à connaître l’origine des savoirs et savoir-faire à la base de cette prouesse technologique, dont les plus anciennes les manifestations se trouvent aujourd’hui plutôt dans des couches archéologiques. V- LA MÉTALLURGIE DII : CRÉATION ENDOGÈNE OU ACQUISITION PAR DIFFUSION ? Au-delà des mythes et légendes sur les origines de la métallurgie du fer chez les Dii, comment rationnellement ont-ils acquis la maîtrise des techniques de réduction des minerais de fer au point de figurer parmi les spécialistes en la matière comme les Kapsiki (van Beek, 1987 et 1988), les Mafa (Podlewski, 1990) ou les Murgur (Seignobos, 1988) au Nord-Cameroun? Création endogène ou acquisition par diffusion ? L’autochtonie et l’ancienneté de la métallurgie furent longtemps déniées à l’Afrique. Le débat sur l’origine extérieure de la métallurgie africaine n’est plus à l’ordre du jour depuis que les découvertes archéologiques successives à l’intérieur du continent africain ont démontré l’ancienneté de la production du fer par rapport aux centres extérieurs jadis considérés comme des points de diffusion par excellence. Une synthèse de la question présentée dans un ouvrage collectif (Bocum Hamady, 2002) fait le point sur les spéculations diffusionnistes ainsi que sur les témoignages concrets en faveur du caractère endogène de la métallurgie africaine. La production du fer, attestée dès le IIe millénaire B.C. en Afrique occidentale et centrale, réfute l’origine étrangère du fer en Afrique et reconnaît sur la base des analyses scientifiques, les capacités endogènes africaines de maîtrise et de travail du fer. L’extraction du minerai de fer, sa transformation en métal puis en objets, qu’ils soient utilitaires, cultuels ou décoratifs, est un marqueur culturel universellement reconnu. Il permet de comprendre de nombreux aspects des sociétés où le forgeron a joué un rôle capital. Ce fut le cas en Afrique, où le fer a même été élevé au rang de divinité, notamment chez les Yoruba… Au troisième millénaire avant l’ère chrétienne, le fer était travaillé en Afrique : voilà une information qui risque de modifier bien des points de vue et dont il faudra tenir compte à l’avenir dans les publications scientifiques et pédagogiques (Bocum 2002).
L’ambiance diffusionniste qui a gouverné les premières recherches sur la métallurgie africaine est périmée malgré le doute qu’entretiennent quelques sceptiques. Avec l’accumulation de données de plus en plus cohérentes en faveur de l’autonomie de la sidérurgie africaine, on s’aperçoit aussi qu’elle pourrait même procéder de plusieurs foyers endogènes indépendants. Le travail du fer est certifié entre les XIIIe et XVe siècles BC dans la région du massif de Termit (entre le lac Tchad et l’Aïr) ; une industrie du fer est attestée au moins au IIe siècle BC à Jenne Jeno (Mali) (Devisse, 1992 : 25). Le
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début du travail du fer dans la région occupée par les Sao remonterait aux IIeVe siècles BC (Cornevin, 1993 : 113). À compter des alentours du début de l’ère chrétienne, convenons - dans l’attente de nouvelles recherches et sans trop de risques - que la technologie du fer est maîtrisée dans le bassin du lac Tchad (Marliac, 2005). Autant de découvertes qui créditent la vieille tradition sidérurgique africaine, ce savoir-faire né dans le continent et disséminé à l’intérieur lors des mouvements migratoires par des spécialistes. Les contraintes de l’environnement, le génie technique de quelques spécialistes déterminèrent les spécialisations régionales. La métallurgie du fer est une activité où interviennent, d’un bout à l’autre de la chaîne opératoire, des femmes et des hommes qui maîtrisent la tranche du travail à eux dévolue. La sidérurgie est surtout un métier d’expert, un art d’homme. N’est pas ferron ou forgeron qui veut ou qui peut. L’accès à la profession fut longtemps héréditaire. L’insertion des externes était exceptionnelle et obéissait à des cooptations rigoureusement étudiées. VI- CHAÎNE OPÉRATOIRE DE RÉDUCTION DES MINERAIS DE FER DANS L’ADAMAOUA La méthode de réduction traitée dans ce chapitre est le procédé direct. C’est la seule méthode pratiquée dans la région eu égard aux compétences des ferrons et à la qualité des fours à réduction employés, notamment les bas fourneaux. Ils ne permettent pas d’atteindre la fusion, comparativement aux hauts fourneaux utilisés dans le procédé indirect, qui est une réduction avec fusion, dont on obtient un fer à l’état liquide. Le fer issu du procédé direct se présente sous un état pâteux. Il s’agit de la loupe, sorte d’éponge de fer, dont le martelage à chaud permet d’en éliminer les déchets. Une fois travaillé, ce fer permet d’obtenir des objets métalliques de très bonne qualité. Quel que soit le procédé utilisé, trois éléments indissociables doivent être convoqués pour rendre possible tout processus de réduction : le minerai de fer, le combustible (charbon de bois) et le comburant (air, oxygène). En l’absence de l’un de ces éléments, aucune opération de réduction n’est envisageable. Un plateau technique équipé d’outils divers aux rôles complémentaires étoffe le dispositif et rend la réduction opérationnelle : tuyères, soufflets et four à réduction. L’opération se déroulait en général loin des concessions afin d’éviter d’incendier les chaumières. Si la Vina où sont majoritairement localisés les Dii est considérée comme le Birmingham ou la Ruhr de l’Adamaoua, cela tient non seulement de la compétence de ses hommes en métallurgie, mais aussi et surtout de sa richesse en minerais de fer et en bois de chauffe. La localité est située en zone tropicale où l’oxygène contenu dans l’air ne manque pas.
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VI-1- MATIÈRE PREMIÈRE : LE MINERAI DE FER Les sols de la Vina sont ferrugineux. Ils sont riches en composés ferrallitiques, matières premières indispensables aux activités métallurgiques. Les ferralites garnies de concrétions de fer scoriacé s’érodent pendant la saison des pluies et laissent s’échapper des traînées de poudre ferrugineuse noire qui vont s’accumuler dans des rigoles ou dans des lits des rivières. Le minerai de fer ainsi déposé est ensuite collecté par les femmes et les filles des métallurgistes après le retrait des eaux. Le minerai de fer couramment rencontré en pays dii se présente sous forme de magnétite, un oxyde résultant de l’érosion des granites. Le fer possède en effet trois oxydes. L’oxyde est un composé résultant de la combinaison d’un corps avec l’oxygène. Les trois oxydes du fer sont : l’oxyde ferrique (Fe2O3) : Hématite ; l’oxyde magnétite (Fe2O4) : Magnétite ; l’oxyde ferreux (FeO) : Wusite ou protoxyde de Fer (Fluzin : 1983 : 42). La prospection du minerai de fer (zum saan) est l’œuvre des spécialistes qui mettent à profit leur connaissance des saisons et du milieu pour exploiter la matière première. Chez les Dii, le chef du village qui est aussi le chef forgeron est seul habilité à donner l’autorisation pour son exploitation après avoir, dit-on, consulté les ancêtres et obtenu leur autorisation à cet effet. Avec son accord, les ferrons au lendemain d’une forte pluie, inspectent surtout les rigoles où généralement se concentre la poudre noire ferrugineuse. S’ils jugent les réserves suffisantes, ils décident de leur collecte. Ce travail est confié aux femmes, toutefois, les hommes peuvent y prendre part à condition que les contraintes de fabrication d’outils l’exigent. Une fois ramassé, le minerai est tamisé et lavé avant de passer au four. D’ailleurs, si les femmes sont sollicitées pour ce travail de collecte, c’est justement parce que, mieux que les hommes, elles savent laver et tamiser le minerai, instruites en cela par le lavage quotidien du mil et d’autres céréales. Cette participation de la femme constitue d’ailleurs son unique intervention dans cette activité essentiellement masculine. En dehors de la poudre noire ferrugineuse ramassée dans les rigoles, il revenait aux hommes d’extraire le minerai dans des galeries qu’ils creusaient le long des berges de rivières ou sur les parois des talus comme à Gangassao. Siegfried Passarge (1895) indiquait à la fin du XIXe siècle à Sakjé, l’existence de puits profonds d’où l’on faisait remonter « le fer extrait dans des fosses. Celles-ci étaient si profondes que ceux qui y travaillent descendaient au moyen d’une corde. La roche extraite était remontée à la surface dans des calebasses avec des cordes ». La matière première obtenue était lavée, séchée, vannée et transportée par des ânes ou par des hommes vers les sites de réduction. Des stocks de minerais étaient constitués en vue de faire face aux commandes de l’année. Quand le minerai brut venait à manquer, les métallurgistes récupéraient et retraitaient de vieux outils. Ce procédé fut d’ailleurs en cours à Babungo au nord-ouest
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Cameroun (Warnier et Fowler, 1979 :388), où de vieilles houes étaient récupérées pour fabriquer de nouveaux instruments. Il en est de même des scories qui étaient refondues pour en extraire du fer résiduel. La disponibilité du minerai de fer et du bois de chauffe ainsi que l’expertise des ferrons-forgerons sous-tendent le développement de la métallurgie en pays dii et justifient l’existence des structures métallifères mises à jour à Loumonangué, à Gangassao, à Gu-lil et à Sassa Mboersi, derniers témoignages concrets de cette activité aujourd’hui disparue. VI-2- SOURCE D’ÉNERGIE : DU BOIS DE CHAUFFE AU CHARBON DE BOIS Les métallurgistes dii ont exploité dans la flore environnante, des essences à valeur énergétique élevée. C’est le cas de : Burkea africana (Him = nom local en dii), Monotes kerstingii (Nôôm), Terminalia laxiflora (Gop), et Prosopis africana (Sieng Sieng), tous des bois durs aux braises à haut pouvoir calorifique, propriétés favorables à la réduction. Candice Goucher (1981 : 181) remarquait d’ailleurs que tous les bois ne sont pas appropriés à la réduction des minerais de fer, tant que leur valeur énergétique est faible : “not every tree is suitable for the smelting and forging iron. For these purposes a slow-burning, dense, hard wood, usually high alkali and silica contents and a granular structure ensuring the packed charcoal’s permeability in the charge, must be utilized ... Burkea africana, Acacia sp., Prosopis africana and Zizyphus mucronata have been widely reported as the most suitable ». En dehors de ces essences particulières qui n’étaient pas toujours disponibles, les métallurgistes recouraient aux bois produisant des braises qui se consumaient ni trop vite ni trop lentement, se maintenaient longtemps au foyer et dégageaient une forte chaleur. C’est le cas des essences suivantes recensées dans l’Adamaoua par Mapongmetsem (1997 : 30) : Albizia adianthifolia, Annona senegalense, Butyrospermum parkii, Crossopteryx febrifuga, Daniellia oliveri, Entanda africana, Harungana madagascariensis, Hymenocardia acida, Lophira lanceolata, Piliostigma thonningii, Syzygium guineense, Tamarindus indica, Terminalia glaucescens, Uapaca togoensis, Terminalia macroptera, Vitex doniana, Ximema americana, Ziziphus mauritiana. Ces arbres dont les bois présentent des critères calorifiques intéressants pour la réduction sont abattus, sectionnés en bûches puis séchés avant d’être calcinés pour fournir du charbon prêt à l’utilisation dans les fours. La préférence du charbon par rapport à la bûche se justifie par le fait qu' En brûlant une partie du bois, on élimine certaines composantes et l’on obtient un produit plus pur, plus riche en carbone… Le charbon de bois a l’avantage d’être plus commode et plus efficace que le bois pour le travail des métaux en donnant plus de chaleur sous un volume plus réduit… D’une part le « taillant » obtenu avec le charbon de bois est meilleur, car la chauffe plus douce et plus uniforme avec ce combustible donne aux
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outils une qualité supérieure (par rapport aux fers fabriqués à la houille). D’autre part, le fer fondu au charbon de bois acquiert une teneur en carbone élevée et résiste mieux à la rouille (Bechman, 1984 : 284).
En fait, c’est le manganèse contenu dans le minerai qui passe dans le fer au cours de la réduction et permet aux objets de mieux résister à la corrosion. L’importance du bois dans le processus de réduction des minerais de fer est telle que Candice Goucher (1981) explique le déclin des grands foyers métallurgiques de l’Afrique occidentale aux XVIIIe et XIXe siècles, par un déboisement régional excessif, lequel entraîna la rareté des essences qui fournissaient du charbon de bois de bonne qualité. Les enquêtes que nous avons menées à l’Ouest-Cameroun (Nizésété, 1992) et celles conduites dans l’Adamaoua par Bakoet (1999) montrent en effet que la sidérurgie traditionnelle requérait des bois spécifiques. Il s’agit des bois à calcination lente produisant davantage de braises que de cendres, à forte capacité calorifique et à teneur en carbone élevée. C’est le cas des Burkea africana, Terminalia laxiflora, Prosopis africana, Monotes kerstinguii et Zizyphus mucronata plus haut cités. Il reste néanmoins difficile à évaluer la pression réelle exercée par la métallurgie dii sur le couvert végétal local, car les crassiers ont fait l’objet d’importants remaniements sous l’action conjuguée de l’érosion, des animaux fouisseurs et des labours au point qu’il est illusoire d’estimer la quantité de fer produite à partir de tel nombre de pieds d’arbres abattus et calcinés. VI-3- LES FONDANTS Le fondant est un matériau qui, ajouté à un autre, en facilite la fusion. Dans le processus de réduction du minerai de fer, les métallurgistes dii recherchaient les éléments susceptibles d’abaisser la température de fusion. Ce sont les fondants qui peuvent être de nature minérale (quartzite broyé, poudre de grès, kaolin, scories) ou végétale (plantes riches en silice et en phosphore). Chez les Dii, la paille (Graminées sp.) était brûlée dans le fourneau avant son chargement. Cette opération avait pour but non seulement de durcir les parois de la structure, mais d’abaisser la température de fusion, car la cendre de paille accumulée au fond du fourneau contient du phosphore, matière susceptible de réduire de 200° environ, la température de fusion du métal. Ainsi, au lieu de se situer à 1536°, elle peut tourner aux environs de 1300°. Le phosphore contenu dans la cendre passe également dans le fer pendant la réduction. Cette inclusion entraîne le durcissement du fer. Une petite quantité de phosphore est souhaitable pour produire un métal plus dur et plus résistant, par contre, une grande proportion de phosphore dans le fer brut le rend plus cassant. VI-4- LE COMBURANT Le comburant est un corps qui provoque la combustion d’un autre corps avec lequel il est combiné. L’oxygène de l’air constitue le comburant idéal utilisé dans la métallurgie traditionnelle dii. C’est l’élément indispensable à la
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combustion du charbon et des minerais. Le système de réduction étant caractérisé par la pulsation de l’air dans le four à réduction, l’air qui y arrive est distribué par un système composé de soufflets et de tuyères. Dans une opération de pulsation, ce n’est pas la quantité d’oxygène insufflée qui importe, mais sa régularité. En effet, si les métallurgistes ne contrôlent pas soigneusement l’arrivée de l’air, elle se fera de manière anarchique avec pour conséquence l’injection excessive de l’oxygène à l’intérieur du fourneau. Dès lors, il pourrait y avoir réoxydation et l’opération de réduction avorterait, car faut-il le préciser, l’opération de réduction consiste à casser la molécule d’oxyde pour en extraire l’oxygène qui se trouve dans le minerai de fer. Une entrée d’oxygène supplémentaire conduirait à une réoxydation, donc à une mauvaise réduction (Bocum, 1997). VI-5- SOUFFLETS ET TUYÈRES Les soufflets font partie des outils principaux de la réduction. Ils demeurent les seuls éléments permanents utilisés d’une réduction à l’autre sans interruption. Chez les Dii, deux soufflets jouxtent le fourneau et le courant d’air pulsé dans le fourneau est canalisé par un seul embout. Ils sont en terre cuite, à cuvette double recouverte de la peau du mouton, de la chèvre, du bœuf ou encore du buffle. Le choix de la peau dépend du symbolisme que les métallurgistes attachent à l’animal sacrifié ou de la résistance du cuir à l’épreuve de l’action.
Photo 110- Hamoa (en boubou rayé) et Daouda manipulent le soufflet qui pulse l’air dans le fourneau © Nizésété, Yaoundé, 1997.
Les soufflets sont actionnés à l’aide d’un système de lanières sur lequel est adapté un bâton que le souffleur manipule de bas en haut. Tenus à deux mains pour les soufflets simples, dont un dans chaque main, deux fondeurs assis côte à côte pulsent l’air dans le four par une action coordonnée des pistons. Ils chantent au rythme du joueur de la harpe (Kong Nang), consomment beaucoup
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de bil-bil (bière traditionnelle) afin, disent-ils, de se donner du courage pour dominer la longue et éprouvante épreuve de réduction. Les tuyères sont une canalisation, longue de 1 à 1,5 mètre, qui plonge au cœur du fourneau. Ce sont elles qui acheminent l’oxygène de l’air nécessaire à la réduction. Elles sont en argile, mais toujours terminées par un embout qui se solidifie et parfois se vitrifie dans le fourneau. Les bouts de tuyères figurent parmi les éléments couramment rencontrés par les archéologues sur les ferriers. Aucun exemplaire n’a encore été retrouvé entier. Soumis à de hautes températures, l’embout se vitrifie le plus souvent pendant la réduction et se recouvre d’éclaboussures métalliques ou de scories gravillonneuses. Ces objets retrouvés sur les crassiers ne permettent pas d’apprécier leur longueur et leur diamètre d’origine. VI-6- LES FOURS À RÉDUCTION Minerais de fer, combustibles, fondants, comburants, soufflets et tuyères convergent tous vers le four à réduction, cadre par excellence des opérations chimiques et des échanges complexes qui conduisent à la production de la loupe. Ces structures que l’archéologue rencontre rarement dans sa forme entière se présentaient chez les Dii sous différentes formes sans doute. Aucun four n’a jusqu’à présent été trouvé en entier à l’issue de nos prospections dans l’ensemble du pays dii. La forme décrite ci-dessous est un fourneau dii mambé. Il s’agit d’une reconstitution à partir de l’observation du fourneau construit à Yaoundé en décembre 1997 au cours des ateliers METAF que complètent nos informations à partir des travaux de Renate Wente Lukas (1977) et André Michel Podlewski (1971) sur la typologie des fourneaux dii. C’est une construction en surélévation du sol et comportant une structure maçonnée (Gulil, Djaba Hosséré). Ce fourneau présente une ouverture supérieure par laquelle s’effectue la charge du fourneau et une ouverture inférieure, ou gueularde, destinée à recevoir les tuyères et à évacuer les scories. Le fourneau dit de type mam be, mam na’a et guum utilisé jadis à Gangassao, Sassa Mboersi, Gu-lil et récemment reconstitué à Yaoundé, était haut de 1,10 m à 1,50m. Il comporte deux bras de soutènement qui fixent solidement la structure au sol. Pour le construire, les fondeurs plantent verticalement une botte de paille dans un trou circulaire. Les parois du four sont alors élevées par colmatage de l’argile tout autour et tout le long de la botte de paille. Ces gestes sont régulièrement répétés jusqu’à obtention de la forme définitive de la structure. Une ouverture en fuseau faite à la base de la structure et orientée vers les vents dominants reçoit les tuyères. Quand le fourneau est sec, les fondeurs dégagent la botte de paille poignée par poignée, puis polissent les parois interne et externe du four. Il est désormais prêt pour la réduction. Quant à la durée de vie d’un four, Kila Salmana observait que la durée de vie d’un fourneau est difficile à estimer. La preuve c’est que lorsqu’un village est
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abandonné, il y survit des fours, même s’ils ne sont plus opérationnels comme à Gu-lil déserté depuis très longtemps. Un même fourneau peut servir à plusieurs opérations de réduction à condition que les éventuelles fissures soient colmatées avant chaque nouvel enfournement. Les fourneaux sont en général requis pour plusieurs réductions. Il est rare qu’on les détruise après une opération.
1- Creuset ; 2- Tuyère ; 3- Paroi de cheminée ; 4- Minerai de fer ;
5- Charbon de bois ; 6- Scories 7- Loupe de fer
Photo 111- Fourneau dii mambé construit à Yaoundé en décembre 1997 pour METAF 2 par des ferrons-forgerons dii © Nizésété, 1997.
Schéma 5- Coupe schématique d’un four à réduction © Fluzin, 1983 ; Bocum, 1988.
VI-7- LIEUX DE RÉDUCTION Les sites de réduction sont essentiellement situés en dehors des villages et sont plus ou moins rapprochés des cours d’eau. Du fait de l’usage intensif du feu requis par ces structures, leur éloignement des habitations tient à éviter aux torchis des incendies accidentels. Toutefois, des interdits en rapport avec la réduction, comme l’enfouissement des ingrédients végétaux sous le four, le sacrifice des animaux, l’évitement des femmes en menstrues, etc., peuvent aussi expliquer ce retrait des zones d’habitation. En général, la réduction a lieu dans des abris construits. La toiture en paille est suffisamment élevée pour éviter qu’elle ne s’enflamme à l’allumage ou pendant la cuisson du fer. L’opération requiert aussi beaucoup d’eau pour boire et pour refroidir les structures. Les fours sont tous éloignés des zones d’habitation et jouxtent les torrents, les mares
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et les marigots comme nous l’avons vu à Djaba Hosséré, à Loumonangué et à Yoko. VI-8- FONCTIONNEMENT DES FOURS À RÉDUCTION Le four fonctionne suivant des règles précises en vue de la production du fer. Sur la base des observations faites pendant la reconstitution de l’opération de réduction des minerais de fer à Yaoundé en décembre 1997 et des témoignages recueillis auprès des ferrons-forgerons de Gangassao et de Gambouokou, nous récapitulons les grandes articulations de fonctionnement d’un four à réduction chez les Dii. Avant d’engager un processus de réduction, les métallurgistes doivent être parfaitement conscients du volume du fer qu’ils envisagent de produire et prendre toutes les dispositions pratiques et rituelles conséquentes. Selon Nang Daouda, une réduction normale requiert quatre à cinq paniers de minerai de fer, soit l’équivalent d’un sac de 50 kilogrammes de mil par exemple pour produire 6 à 8 kilogrammes de fer. La qualité du charbon influence le volume du combustible à utiliser. À cet effet, les artisans expérimentés recherchent les bois à la valeur énergétique élevée, à la résistance mécanique certaine, à la teneur en carbone suffisante, toutes qualités favorables à une meilleure carburation.
Photo 112- Chargement du four respectivement par Nang Hamoa et Nang Diallo © Yaoundé, Nizésété, Yaoundé, 1997.
Une fois le fourneau chauffé et le processus de réduction amorcé, des bottes de paille sont enflammées et déposées au fond du fourneau. Elles se consument progressivement et les cendres issues de la combustion s’amoncellent dans la structure. Sur cet amas cendreux encore chaud, on jette des braises incandescentes sur lesquelles on verse le minerai de fer que l’on recouvre ensuite de charbon de bois froid. Le chargement du four se déroulera ainsi : une couche de minerai alternant avec une couche de charbon jusqu’à la fin des opérations. Quant au contrôle du parfait déroulement de l’opération, sa réussite
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repose sur le génie technique des ferronniers. Ainsi, pour décider s’il faut oui ou non ajouter du minerai ou du fondant dans le four, le métallurgiste tient compte de la quantité et de la qualité du fer qu’il envisage d’obtenir. Le fondant utilisé détermine aussi la qualité du fer attendu. De ce fait, le carbone, le phosphore et le manganèse permettent respectivement d’obtenir du fer doux, du fer cassant et du fer brillant selon les experts. Un seul chargement de minerai et de charbon peut suffire pour une opération de réduction, tout comme une dizaine pourrait être requise. Tout est fonction de l’avis de Nang Djiddéré, de la quantité du minerai disponible et du poids du fer qu’on envisage d’obtenir. Par expérience, les forgerons rencontrés affirment qu’au terme de 10 ou 12 chargements de minerai et de charbon, ils peuvent déclarer si une opération de réduction est terminée ou en est proche. C'est une question d’expérience, d’habitude et de précision dans le chargement du fourneau. L’effort que les ferronniers impriment aux soufflets pour pulser l’air dans le fourneau est, de l’avis des ferrons-forgerons Daouda, Hamoa et Djiddéré, un important indicateur pour savoir si un processus de réduction est en cours d’achèvement. Lorsque l’effort requis est grand, ils savent que la fusion n’est pas imminente. Dans le cas contraire, elle est prête. Par ailleurs, quand le foyer situé environ au quart de la hauteur du fourneau en partant de sa base du four bouge, c’est l’alerte que les scories sont en fusion et que la loupe est en train de se former. En ce moment, le ferronnier, à l’aide d’une baguette en bois, perce la paroi pour laisser s’écouler les scories. Il répète son geste jusqu’à ce qu’elles cessent de couler. La fin des coulées de scories signale que le fer est cuit.
Photo 113- Nang Daouda en ferronnier, retire la loupe du fourneau © Yaoundé, Nizésété, Yaoundé, 1997.
Photo 114- Loupe spongieuse contenant encore des impuretés © Yaoundé, Nizésété, Yaoundé, 1997.
Il retire les tuyères, arrête le chargement des combustibles, brise la paroi et extrait une loupe spongieuse. Celle-ci, toute rouge à la sortie du fourneau, prend une teinte noire au contact de l’air. Elle contient encore des impuretés (charbon de bois, scories, minerai brut, débris végétaux). À l’aide d’une massue, le
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forgeron la modèle et obtient une boule de métal qui nécessite épuration avant son utilisation à la forge ou sa vente au marché local ou au loin. VI-9- LES SCORIES Les scories sont des déchets de fonte. Elles font partie des matériaux solides que les archéologues rencontrent couramment sur les ferriers. Ces impuretés comportent parfois du minerai de fer non réduit. Elles se désolidarisent et fondent avec la silice et tout autre matériau contenu dans le minerai autour de 700°. Ces déchets peuvent, soit se déposer au fond du fourneau, soit au regard des techniques de contrôle des opérations, être évacués hors du fourneau. Les scories se présentent sous des formes diverses (baguettes, demi-pains de sucre incrustés de débris végétaux ou de charbon, masses spongieuses plus ou moins riches en métal…). De l’avis de Nang Ngasag, les scories contiennent généralement du fer et lorsqu’on décide de les réduire de nouveau, l’opération prend le double du temps requis pour réduire du minerai brut.
Photo 115- Scories en baguettes ou masses spongieuses incrustées de débris végétaux et de charbon de bois © Nizésété, Loumonangué, juillet 1997 et Gu-lil, août 1998.
Les études métallographiques effectuées sur les scories et sur la loupe sont riches d’enseignements. Elles portent en effet des secrets de leur fabrication en renseignant sur la qualité du minerai, la nature du fondant, les bois de chauffe au cas où les scories contiendraient du charbon de bois et même la température de fusion. En quelque sorte s’y incruste la signature de ceux qui les ont produites. Mais les paroles scandées, les gestes esquissés, les chansons et les
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danses exécutées autour du feu ne laissent pas de traces. Comment les retrouver et appréhender leur raison d’être au regard de leur place dans la métallurgie africaine ? VII- PRATIQUES RITUELLES AUTOUR DE LA RÉDUCTION DES MINERAIS DE FER Une opération de réduction des minerais doit, pour sa réussite, mobiliser des gestes, des paroles, des danses dont l’efficacité échappe à toute rationalité occidentale. Ces pratiques rituelles ont accompagné jusqu’à leur déclin la métallurgie africaine. Nous esquissons ci-dessous, quelques aspects de ce rituel riche en symboles, métaphores, prescriptions, interdits, danses et incantations. VII-1- LE TRAVAIL DU FER : UNE MÉTAPHORE DE RELATION SEXUELLE 1- Analogie entre équipement de forge et sexualité Selon les métallurgistes dii, la réduction est comparable à une relation sexuelle qui débouche sur la naissance de l’enfant loupe. Warnier et Rowlands (1988) partagent cet avis et comparent « la métallurgie à une grossesse qui donne lieu à un accouchement. Le minerai « masculin » est assimilé au sperme. Il est « sec et puissant » tandis que le minerai « femelle » est « humide » comme la femme. Le « minerai mâle rouge et dur » et le « minerai femelle noir et tendre » vont en couple au même titre que les combustibles constitués du « bois mâle, lourd et dur » et du « bois femelle, mou et tendre » qui aussi, vont deux à deux. Le problème qui se pose est celui de savoir exactement en quoi consistent le minerai mâle et le minerai femelle. Nang Hamoa et Nang Daouda observent que le bois mâle lourd et dur et le bois femelle mou et tendre doivent aller ensemble pour permettre l’obtention d’un bon produit de fonte. En cas de violation de cette prescription, la réduction avorte, le fourneau n’accouche pas. « Nos ancêtres et nos pères ont enseigné que c’était ainsi, et nous agissons comme tel. C’est comme çà, on n’explique pas ces choses-là ». Cette croyance gouverne l’activité métallurgique dii depuis des siècles. Comment expliquer l’utilisation des herbacées (le bois femelle mou et tendre) comme combustibles si les métallurgistes ne les créditent pas de vertus propitiatoires? Certaines herbes en effet contiennent des éléments qui interviennent comme fondants pendant la réduction. Différents métallurgistes africains considèrent le fourneau comme une parturiente accroupie, potentiellement féconde, appelée à accoucher étant donné que la réduction est assimilable à un coït. Dupré et Pinçon (1998) informent d’ailleurs sur la comparaison entre le processus métallurgique et les relations sexuelles en République démocratique du Congo. Les formes rondes et ventrues du four à réduction renvoient au processus de gestation et de procréation qu’il évoque. Il ressemble à une femme
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avec seins et sexe couvert de tatouages pubiens à fonction érotique et maternelle si le four porte des ajouts sur sa partie supérieure et des incisions sur sa base. Quand les fourneaux vont deux à deux, le « mâle » est plus grand avec gueulard en forme de losange, la « femelle » est plus petite pourvue d’un gueulard ovale; les tuyères sont assimilées au vagin et le manche de bois pour modeler la tuyère est comparé au phallus; le soufflet symbolise l’emblème phallique du fondeur; la peau qui recouvre la cuvette du soufflet ressemble au céphalophe femelle poursuivi par le mâle ici représenté par le bâton du soufflet; le minerai en fusion qui « éclate » dans le four est comparable à la vierge qui crie sous l’effet du dépucelage; les scories qui s’écoulent hors du fourneau ressemblent aux menstrues d’une femme ou encore au placenta; le métallurgiste c’est la sage-femme au chevet du fourneau-parturiente, commise pour faciliter l’accouchement de l’enfant-fer, qui est le fils de la femme fourneau.
Quentin Gausset (1995 : 2), interprétant un texte de Wilson (1957 : 142) sur l’analogie entre forge et sexualité, observe que l’acte sexuel est comme l’actionnement des soufflets : pour faire l’enfant, la femme (le forgeron femme) a besoin d’un phallus masculin; pour faire le fer, le forgeron homme a besoin de soufflet phallique féminin. Le va-et-vient (le rythme) du pénis dans le ventre de la femme est similaire au va-et-vient du marteau qui frappe l’enclume; ce va-etvient forge les enfants aussi bien que le fer. Il y a donc une certaine homologie entre travail du fer et parturition qui repose sur plusieurs métaphores : 1) entre sang : fer et enfants; 2) relations sexuelles : actionnement des soufflets, et va-etvient du marteau sur l’enclume; 3) forgeron et femme enceinte. Cette analogie est notamment exploitée lorsque la sexualité ou la fertilité humaine est dérangée. Ainsi, chez les Wuli du Cameroun, la femme stérile s’assied sur la pierre-enclume lors de la fonte du fer afin que la fertilité de ce travail lui soit communiquée. Au Rwanda, c’est la jeune épouse frigide que l’on amène près de la forge pour y réchauffer ses seins. 2- Abstinence sexuelle avant et pendant la réduction La sexualité est au centre de la métallurgie et les interdits les plus requis en la matière sont : la continence sexuelle avant et pendant la réduction ainsi que l’évitement des femmes en menstrues autour du fourneau. Différentes explications sont données pour justifier ces interdits. Concrètement l’abstinence sexuelle permet au fondeur de concentrer l’énergie nécessaire pour conduire à son terme un travail particulièrement épuisant. Selon les métallurgistes dii, tout acte sexuel commis la veille d’une séance de réduction est impur et néfaste à la fécondation du four-femelle. La violation de cette prescription déboucherait nécessairement, soit sur une absence de réduction, soit sur la production d’un mauvais fer. L’abstinence est davantage exigée si la femme est enceinte, car elle est porteuse d’une puissante chaleur qui, transmise par voie sexuelle au fondeur, entrera en conflit avec celle du fourneau. L’excès de chaleur étant censé faire exploser le fourneau. Selon Quentin Gausset (1995 : 3) :
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Il y a un grand feu dans le ventre de la femme enceinte qui a de plus la propriété de forger, comme le grand feu dans la forge. Le feu de la femme enceinte (qui forme l’enfant) lutte avec le feu de la forge. Ce sont deux choses quasi semblables qui entrent en compétition, deux chaleurs incompatibles. De même, si le forgeron s’abstient de coucher avec sa femme la veille du travail du fer, c’est pour éviter que la chaleur des relations sexuelles n’entre en lutte avec la chaleur du fourneau.
Judith Sterner et Nicholas David (1991 : 359); Terry Childs et David Killick (1993 : 327) interprètent le travail du forgeron comme une sorte de relation sexuelle métaphorique qu’il entretiendrait avec son fourneau lors du travail de fonte ou de forge; avoir en même temps une relation sexuelle avec sa femme serait dans cette perspective, l’équivalence d’un adultère que ce soit vis-à-vis de la femme du forgeron ou de son fourneau. Le travail du fer qui est une métaphore de relation sexuelle ne peut être pratiqué en même temps qu’une autre relation sexuelle. On interdit ainsi les relations sexuelles avant et pendant le processus de réduction afin de ne pas mélanger deux chaleurs. Pour reprendre les mots de Françoise Héritier (1979 :209-243), tout semble fait pour éviter « un cumul d’identique ». L’abstinence sexuelle est également requise pour éviter des scènes de jalousie et les querelles de ménage souvent associées au sexe. L’activité de réduction étant un processus technique connecté à la paix, toute source potentielle de désordre doit a priori être écartée. La femme est considérée comme une menace. Si on tient à réussir une réduction, il faut l’éviter, à en croire les métallurgistes dii. C’est la femme, affirment-ils, qui empêche l’homme de se contenir sexuellement en l’attirant par ses atouts physiques. Elle est jalouse de nature et est pour rien querelleuse. C’est dans de rares cas que la femme intervient dans un processus de réduction et dans des conditions exceptionnelles, aux limites de la servitude. C’est l’exemple des Kota du Gabon (Dupré et Pinçon, 1998 : 127) où la « femme intervient une fois. Elle dépose au fond du fourneau, une préparation introduite la veille dans son vagin et conservée la nuit entière. Durant toute la réduction à laquelle elle prend part, elle ne doit ni boire, ni manger ou uriner, ni déféquer. C’est aussi elle qui doit accompagner son mari pour allumer le fourneau et activer le premier soufflet. Elle possède au plus profond de son corps, la force de la réduction ». À ce portrait fortement machiste de la métallurgie, s’ajoutent les menstrues de la femme qui l’éloignent du fourneau. Une femme en menstrues est considérée comme porteuse de souillures susceptibles de gâter le fer. Par ailleurs, la menstruation correspond à sa période d’infécondité la plus probable. Or, la réduction c’est l’union de l’énergie du fondeur mâle avec le fourneau, cette matrice femelle en vue d’une naissance. Dans cette perspective, la menstruation correspond à la stérilité et s’oppose à la fertilité qui caractérise une réduction. Chez les Wawa de l’Adamaoua, on raconte qu’une femme en période de menstrues ne peut traverser un champ de
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haricot ou de maïs qui n’a pas encore germé de peur d’en empêcher le processus. Elle ne peut non plus semer quand elle a ses règles, car rien ne poussera. L’évitement des menstrues provient aussi du fait qu’elles contiennent du sang. Or, il est strictement interdit de verser du sang dans une fonderie ou dans une forge sans justification rituelle convaincante. Le lieu de réduction ou la forge est un havre de paix selon Nang Daouda de Gangassao : « la paix accompagne les métallurgistes. Ils fabriquent des armes certes, mais ne les destinent pas forcément à la guerre. Les armes sont produites pour tuer les ennemis, pour défendre le village, pour garantir la paix. C’est le sang méchamment versé avec les armes qui est incompatible avec la métallurgie ». Ces métaphores allusives au mâle, à la femelle, au sexe, au fœtus et à la naissance, traduisent l’importance du métal comme celle du mariage et des enfants dans la communauté. Le fer mérite du respect au même titre que l’être humain. Sans le fer, la vie n’est pas facilement envisageable. Il sert à fabriquer des outils agricoles et de chasse pour se nourrir ; des armes de guerre pour garantir la paix. De ce fait, la loupe de fer autant que l’ensemble des accessoires qui contribuent à son avènement, sont des éléments vitaux et essentiels à l’existence. VII-2- PAROLES ET GESTES RITUELS POUR UNE CÉRÉMONIE DE RÉDUCTION Dupré et Pinçon (1998) estiment que « la métallurgie est un héritage dangereux à faire valoir et, en demandant la présence des ancêtres, ou en rappelant leur souvenir, on évacue aussi la réussite et les dangers de l’acte sur ceux qui ont précédé les artisans et dont ils se contentent simplement de recopier les gestes techniques et symboliques ». Une adroite manière de dire : « ce n’est pas moi, ce sont les autres ou l’autre », rejetant ainsi toute faute éventuelle sur d’autres désormais hors d’atteinte. Ainsi, l’allumage du fourneau chez les Dii est précédé d’une prière à l’intention des ancêtres. Elle est accompagnée d’une offrande constituée de la boule de mil et de la viande du coq ou du mouton, de la libation du sang d’un animal sacrifié sur le fourneau et sur les soufflets. À travers cette prière et ce repas, les métallurgistes demandent aux ancêtres de l’assistance et de la protection pendant l’opération. En se remettant aussi à leurs ancêtres par les prières et des offrandes, ils les rendent complices de leurs œuvres, tout en reconnaissant au préalable leur primauté, leur expérience et leur compétence dans ce savoir-faire qu’ils leur ont transmis. Cette attitude a valeur d’humilité, de reconnaissance et de demande d’assistance à personne en danger au regard du caractère dangereux et imprévisible d’un processus de réduction. Ces prières adressées aux forces invisibles, mais présentes dans le feu seront renforcées et accompagnées tout au long du processus par une débauche de gestes techniques esquissés autour du fourneau afin que naisse le fer parfait.
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Quant au sang du coq ou du mouton versé sur les équipements, l’action rappelle que ces animaux sacrifiés doivent transférer à la réduction, leur vie et leur virilité perdues. Un petit pot au couvercle, bariolé de kaolin blanc et de l’ocre rouge contenant des ingrédients minéraux, végétaux et animaux, est enterré sous le fourneau. Les ingrédients végétaux se composent du Borassus aethiopium (wag), du Daniellia olivieri (duob), du Terminalia macroptera (lieb), des essences non déterminées comme le Sa’ad, le Ouaksak, le Mbam timbogo et le Get ickke, un mélange de bois durs assimilés au principe masculin et de bois tendres identifiés à la femme.
Photo 116 : Pot de médecine avec des ingrédients végétaux et animaux. Nang Hamoa enterre le pot de médecine sous le fourneau, avant l’enfournement pour faciliter la réduction © Nizésété, Yaoundé, décembre 1997.
Les ingrédients animaux sont constitués de la chair du bouc et du coq. Il s’agit d’une bête et d’un oiseau réputés lubriques et polygames. On constate donc que des préoccupations d’ordre sexuel et reproductif sous-tendent le processus de réduction des minerais de fer. VII-3- INGRÉDIENTS VÉGÉTAUX ET ANIMAUX POUR UNE RÉDUCTION Des produits d’origine végétale et animale interviennent à des degrés variables dans le processus de réduction des minerais de fer. Si leur apport véritable dans la production du fer est difficilement appréciable, il est inconcevable selon les métallurgistes d’organiser une réduction sans réunir des produits végétaux et animaux essentiels dont la combustion dans le fourneau est censée faciliter l’accouchement de l’enfant-fer. 1- Ingrédients végétaux La place prise par les plantes dans les activités métallurgiques est manifeste au point qu’on est tenté de dire que la métallurgie est une affaire de plantes. Elles interviennent à différentes phases de l’opération. Sur le plan rituel, certaines sont d’abord utilisées pour la construction du fourneau, d’autres pour
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l’allumage du dispositif et quelques-unes enfin comme des combustibles. Sont ainsi prisés, les plantes médicinales qui doivent blinder le fourneau contre les forces maléfiques et renforcer ses capacités pour produire du fer, les lianes qui doivent aider le minerai à descendre au fond du fourneau, les ficus riches en sève, symbole de fertilité demandée au fourneau et les essences au bois dur et tendre censées transférer au fer leurs propriétés mécaniques, technologiques et esthétiques. Le petit pot contenant des végétaux prélevés des ligneux et des herbacées et qui a été enterré sous le fourneau avant sa mise en fonction doit capitaliser toutes les forces vitales qui accompagnent l’opération. Les plantes considérées par les Dii comme capables d’accroître la production du lait chez les femmes et les vaches sont sollicitées au cours de la réduction. Ce choix repose sur l’idée selon laquelle l’abondante sève qu’elles comportent doit pouvoir se traduire par une énorme masse de fer. Plus il y a de la sève, plus il y aura du fer, ainsi se résume la transposition. Les métallurgistes dii recherchent également les plantes médicinales. La réduction étant assimilée à une gestation, donc à la fertilité et à l’enfantement, ces plantes médicamenteuses sont censées lutter contre la stérilité, empêcher l’avortement, combattre toutes les forces maléfiques, et permettre que le processus de réduction débouche sur la production de la loupe. De larges et tendres feuilles vertes semblables à l’ombrelle couvriront la loupe incandescente à sa sortie du four. 2- Ingrédients animaux « La vie du fer ne peut s’engendrer qu’à partir du moment où l’on immole une vie. Il y a transfert de la vitalité des victimes. Rien ne se crée, tout se transforme et le jeu est à somme nulle ... Obtenir le métal, résulte obligatoirement d’un échange. Le fer ne peut être produit qu’à l’occasion d’un échange de vie par un meurtre rituel » (Dupré & Pinçon 1998 : 127). Les animaux offerts en sacrifice varient d’un lieu à l’autre. Chez les Dii, le coq, le mouton ou de préférence un jeune bélier est sacrifié en l’honneur des ancêtres. Le maître-forgeron asperge le fourneau et les soufflets du sang de l’animal ainsi offert. La chair cuite est consommée par les métallurgistes. Lors du sacrifice rituel, ils prennent soin de faire crier, mieux de faire jouir l’animal mâle une dernière fois. En éjaculant son sang, le bélier transfère à la réduction toute sa virilité perdue. Un exemple édifiant du rôle dévolu aux ingrédients animaux et rapporté par Daniel Arnoldüssen (1997) se passe chez les fondeurs du Kivu en République démocratique du Congo. Les ferrons-forgerons demandent aux animaux immolés de transférer à la loupe leurs vertus essentielles. Il s’agit de l’éléphant, de la taupe, de l’abeille et de la chauvesouris. Dans leur démarche, les métallurgistes dii auraient peut-être éprouvé les mêmes attentes.
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Dans le fourneau, les fondeurs du Kivu mettent un morceau de trompe d’éléphant; l’éléphant n’est pas un petit animal et si on le sollicite c’est pour que la loupe soit aussi grosse que lui ; ils y mettent aussi des morceaux de la taupe, terrier aveugle. Pourquoi ? Parce qu’elle vit sous terre et bien qu’aveugle, la taupe réussit toujours à repérer sa route dans la nuit des abysses. On demande ainsi au minerai de suivre son exemple, c’est-à-dire, qu’en dépit de l’obscurité qui règne dans le fourneau, il doit se mouvoir jusqu’au fond pour fournir une belle loupe bien dense. Ils y ajoutent aussi du miel compact, produit par des abeilles. Celles-ci sont allées aux quatre coins du village collecter des pollens et des poussières qui ont formé le miel. On demande au minerai de se comporter de la sorte, c’est-à-dire de passer de son état initial poussiéreux à celui d’une masse compacte comme le miel. Les fragments d’os ou de chair de chauve-souris sont aussi répandus dans le four. Pourquoi ? Parce que ce mammifère a la capacité d’aller et de revenir dans l’obscurité et de dormir à son point d’attache. On demande ainsi au minerai de circuler partout dans le four, mais de se retrouver à l’endroit qu’il faut, c’est-à-dire au fond du fourneau au terme de sa course.
Cette perception des phénomènes, ridicule à nos yeux aujourd’hui, a pourtant imprégné pendant des siècles le processus de réduction des minerais de fer presque partout dans le continent africain. Sans ces ingrédients, aucune opération n’était entreprise et l’une des raisons du déclin de la métallurgie africaine fut fondée sur l’impossibilité dans certains centres de réduction, de trouver les ingrédients végétaux et animaux, comme le bélier blanc, le coq rouge ou encore un tronc de Burkea africana par exemple. Les fondeurs croyaient en l’efficacité de ces produits, de ces gestes propitiatoires inventés par leurs pères. Pourtant, lors des opérations actuelles de reconstitution de réduction, on réussit à obtenir de la loupe sans intervention de ces ingrédients ou de ces gestes. VII-4- LIEUX ET TEMPS DE RÉDUCTION Les abords des cours d’eau sont des lieux prisés pour construire des fourneaux. Les métallurgistes dii observent que cette proximité connote avec la recherche de la convivialité des divinités humides et fécondantes de l’eau, principes favorables à la réduction. Concrètement, la disponibilité en eau est nécessaire au refroidissement des équipements et à l’extinction des flammes en cas d’incendie. Le moment de réduction n’est pas choisi au hasard. Les métallurgistes préfèrent l’aube et le crépuscule qui répondent le mieux à leurs attentes. En se plaçant aux marges du jour et de la nuit, entre le lever et le coucher du soleil, ils sollicitent les faveurs du soleil levant et couchant, dont l’influence sur la naissance de l’enfant-fer est manifeste. L’orientation du foyer prend également en compte l’arrivée de l’air, comburant exceptionnel, acheminé par les vents dominants.
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La réduction reste conditionnée par la disponibilité en minerai de fer et en charbon de bois. Elle a lieu en pays dii en saison sèche. D’abord parce que le minerai de fer collecté pendant la saison des pluies est stocké pour couvrir cinquante à cent jours de réduction. Il y a également la possibilité de travailler pendant plusieurs heures en plein air sans redouter la pluie. Une séance de réduction dure une demi-journée en moyenne, soit dix à douze heures d’horloge. L’épreuve de reconstitution à Yaoundé en décembre 1997 dura douze heures, de 6h à 18h. La saison sèche correspond aussi à la période de préparation des champs. Le débroussaillage et les labours exigent des outils agricoles qu’il faut fabriquer. C’est aussi la saison des fêtes où les bijoux et regalia à exhiber sont confectionnés. Il peut bien sûr arriver qu’il y ait une réduction en saison pluvieuse si des nécessités d’ordre économique, religieux ou politique s’imposent et requièrent une mobilisation des armes, des couteaux rituels ou des outils agricoles. Une séance de réduction donne lieu à des spectacles allant des plus intimistes aux plus fantasques. Si à Bandjoun (Nizésété, 1986) en pays bamiléké, la réduction rassemblait jadis trois à quatre métallurgistes, chez les Dii, l’opération ressemblait à un festin, où des boules de mil, la sauce richement carnée, la bière de mil, étaient consommées au rythme de chants cadencés par le kong nang, harpe du forgeron. VII-5- ESTHÉTIQUE ÉSOTÉRIQUE DES MÉTALLURGISTES Que ce soit dans un cadre intimiste ou dans une ambiance festive rassemblant exclusivement les métallurgistes, l’épreuve de réduction permet, au-delà du travail, de mettre les maîtres du feu en relation avec leurs ancêtres et les divinités du feu et de fécondité. C’est dans cette perspective qu’il convient de lire l’esthétique ésotérique des fondeurs : tatouages du corps à l’ocre rouge, à l’argile, au kaolin ou à la cendre; port de bracelets en peau de bête ou en végétal ; vêtements insolites ou nudité. Ce langage codé ne vise que la réussite de la réduction. Cette quête est recherchée aussi dans l’ivresse. La consommation de fortes doses de boissons alcoolisées étant susceptible de provoquer des hallucinations chez l’artisan qui, dans sa « folie, recevait des esprits, les derniers conseils pratiques et mystiques pour réussir son opération » susurre Nang Daouda. Il n’est cependant pas exclu de supposer que ces agapes qui accompagnent les cérémonies de réduction donnaient l’opportunité à ces hommes, réunis par un travail particulièrement exigeant en ressources physiques et psychiques, de bien manger, et de s’enivrer dans une ambiance solidaire et amicale pour conduire à son terme leur travail. VIII- COMMERCIALISATION DU FER Qu’ils soient tombés du ciel, émergés des grottes ou descendus des montagnes, les métallurgistes dii ont fait preuve de créativité comme l’attestent
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les objets et les outils qu’ils ont fabriqués et commercialisés. Au cours des XIXe et XXe siècles dans le sillage du jihad, les métallurgistes dii furent sollicités par les lamibé de Ngaoundéré, de Rey-Bouba ainsi que par les chefs traditionnels de Kandi et de Sakjé pour armer les cavaliers et les fantassins. Les villages de Gangassao, de Kandi, de Sakjé, de Djaba Hosséré et de Sassa Mboersi deviendront de ce fait, par la force des circonstances, de véritables armureries. La dynamique des razzias entraînant celle de la métallurgie, des flèches, des lances, des javelots et des grelots furent massivement produits pour répondre aux préoccupations militaires de l’époque. Siegfried Passarge, entre1893-1894, rencontra sur le trajet Ngaoundéré-Garoua, « une caravane d’une douzaine de personnes portant des paquets de lances neuves. Le chef nous expliqua alors qu’il les envoyait comme présents à son Suzerain ». Les produits étaient peut-être destinés au sultan de Yola ou au lamido de Rey-Bouba dont le prosélytisme débordant et aux accents terriblement esclavagistes fit de nombreuses victimes parmi les populations réfractaires à l’Islam. Il s’agissait probablement des armes issues des sites de réduction et des forges de Gangassao, de Gu-lil, de Loumonangué, de Yoko, de Sasa Mboersi, de Sakjé, de Kandi ou de Hosséré-Djaba. Les crassiers en batterie qu’on y découvre et qui, pour la plupart datent des XIXe et XXe siècles, constituent les témoignages concrets d’une industrie métallurgique alors en plein essor, dopée par les conflits armés et soutenue par des réserves de minerais de fer et de charbons de bois. En dehors des armes, les fondeurs-forgerons fabriquaient divers autres objets d’usage quotidien ou cultuel. Les regalia et les sacralia (bracelets, couteaux de jet, poignards, gongs ...) des chefs mboum, dii, gbaya, témoignent de leur génie inventif. Leur savoir-faire enrichi au contact des Haoussas permit de produire des objets d’excellente facture, de véritables trésors comme le remarque JeanClaude Muller : « à propos des bracelets royaux mboum qu’on retrouve aussi chez les Dii, plusieurs vieux m’ont dit que les Dii pouvaient les faire. Ils m’ont décrit exactement le processus de fonte de cire perdue ; d’autres et parmi eux des forgerons âgés, m’ont assuré qu’ils étaient faits par des forgerons dii qui avaient appris la fonte des Haoussas, mais que cette technique avait été oubliée ». (Muller : Correspondance privée, Montréal 03 juillet 1998 et Podlewski, 1978 : 102-120). Le flux de la production par ailleurs dopée par les razzias générées par le jihad du XIXe siècle devait aussi s’effondrer avec la colonisation allemande au début du XXe siècle. Les ferrons-forgerons de Gangassao, de Gambouokouo et de Loumonangué, affirment que le fer brut et les produits métalliques faisaient l’objet d’un commerce à courte et à longue distances. La courte distance se limitait au village des métallurgistes et aux villages voisins les plus proches, tous situés dans un rayon de cinq à cinquante kilomètres. La longue distance concernait les marchés éloignés du village des fondeurs de cinquante à plus de trois cents
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kilomètres localisés aussi bien au sud qu’au nord de l’Adamaoua. On rencontrait ainsi des métallurgistes-colporteurs dii à Ngan-Ha, à Tibati, à Banyo ou encore à Yola. Le transport se faisait sur tête d’hommes. Les apprentis et les membres de la famille du maître-forgeron assuraient le convoi et le commerce des produits. Bien informés sur le calendrier hebdomadaire des jours du marché des villages voisins et de ceux situés sur leurs itinéraires, ils vendaient au fil des saisons : houes, haches, couteaux, têtes de lances et de flèches, grelots, bijoux, etc. Le troc et la monnaie servaient de moyens d’échanges. À la fin des transactions, ils ramenaient au village du sel, de l’huile de palme, des étoffes, des chiens, de la viande boucanée, etc. Les commerçants se nourrissaient pendant le voyage des galettes de mil et d’arachide, des tubercules et de la viande séchée préparés depuis leurs maisons. Ils prenaient aussi des repas aux escales où ils avaient des gîtes et des interprètes. Quand ils écoulaient toutes leurs marchandises, ils rentraient au village pour s’approvisionner et l’immuable cycle productioncommercialisation-consommation reprenait autour du fer. L’intrusion européenne au début du XXe siècle dans le pays dii, suivie de l’introduction massive des produits manufacturés et de l’utilisation de fer de récupération, de même que des pesanteurs culturelles endogènes allaient briser l’essor de cette florissante industrie locale et l’acculer définitivement au déclin. IX- LA MÉTALLURGIE DII : CRÉATIVITÉ, MAIS STAGNATION Le génie technique sidérurgique développé pendant plusieurs siècles par les métallurgistes dii ainsi que ceux de toute l’Afrique n’a pas débouché sur une révolution industrielle. Le fer africain a reculé, voire disparu au tout premier contact avec la quincaillerie occidentale. Comment expliquer une telle reculade, voire un tel échec? Les réponses sont diverses, mais toutes convergent pour accuser l’inadaptation de la métallurgie africaine dans un contexte culturel, social, économique et politique en perpétuelle mutation. Selon Dupré et Pinçon (1998 : 97) : La monotonie des vestiges matériels laisse supposer une grande permanence technique. Des plus anciens aux plus récents, les vestiges métalliques découverts dans toute la région de [l’Afrique centrale] présentent une remarquable constance quel que soit le critère utilisé : typologie des fourneaux, ventilation forcée par production anthropique de courant d’air. À ce jour aucun indice archéologique ne permet d’envisager une quelconque rupture technologique ou culturelle, ce qui rend illusoire une répartition des vestiges en âge de fer ancien et être de fer récent.
Telles sont les preuves matérielles irréfutables de l’absence de l’innovation et de la créativité, carence fatale à toute science ou technique. Certains estiment que le processus de réduction par la méthode directe ne pouvait pas perdurer
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parce que l’opération est physiquement astreignante. Le fer et les objets issus de cette activité ne pouvaient guère concurrencer les produits européens, bon marché, de bonne qualité et en stocks permanents. Par ailleurs, face à une démographie galopante, confrontée à la surexploitation du bois de chauffe et à la rupture régulière des minerais, la métallurgie dii était vouée à l’échec. D’autres enfin expliquent le déclin de la métallurgie dii par le statut social du ferron-forgeron. Il est mis en caste, endogame et marginalisé. Ce statut n’a pas favorisé la dynamique de la métallurgie par l’accueil du sang neuf et des expériences extérieures qui auraient innové des aspects de cette technique ancestrale. Science et technique réservées à un groupe spécifique, elle portait dès l’origine les germes de sa propre destruction. Le savoir en effet progresse par échanges d’idées diffusées dans les couches les plus larges de la société. C’est peut-être sur la base de cette stagnation qu’il faut interpréter la réponse suivante à un projet sur les arts du feu et développement pour lequel nous avions sollicité le financement auprès d’un organisme international tourné vers le développement des pays du Sud : « il est illusoire et vain de prétendre que la lutte contre la misère des peuples dii pourrait s’appuyer sur la revalorisation des techniques obsolètes, car le dynamisme est dans le présent et non dans des archaïsmes ». Des propos étranges qui contestent la plasticité des sociétés africaines en les présentant comme figées et indéfiniment répétitives. Réduire cependant les acquis historiques de tout un peuple au caduc et au périmé, prétendre que la nouveauté exclut l’ancien ou encore que la modernité confine la tradition au musée des préjugés reste fort discutable lorsqu’on évalue la place qu’occupe le patrimoine valorisé et conservé dans les pays développés et les devises qu’il génère à travers les écomusées, les festivals ou le tourisme culturel. Il reste que le Cameroun doit en prendre conscience et promouvoir enfin son industrie culturelle. En dépit des problèmes qui l’ont laminée au début du XXe siècle, la sidérurgie africaine est aujourd’hui attestée comme une invention endogène avec des spécificités régionales. Les aspects sociaux, politiques, religieux et économiques de la métallurgie sont riches d’enseignements sur les interactions sociales du métier, l’organisation du travail, l’insertion du ferron-forgeron dans la société, l’accès à la profession, les transmissions et les acquisitions des connaissances, la gestion des ressources naturelles (bois, minerais), le respect de la vie à travers les rites, le rôle social et politique du métallurgiste et sa contribution à l’économie. Ce savoir doit être préservé pour être transmis aux générations présentes et futures. À cet effet, lors des journées du patrimoine, des séances de reconstitution d’une chaîne opératoire de réduction des minerais de fer doivent être organisées. Elles doivent à l’occasion être revues, corrigées et améliorées. Elles doivent informer le public africain sur l’une des contributions scientifiques et techniques du continent noir à l’histoire universelle. Tout comme on protège les espèces animales et végétales menacées de disparition,
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préserver les acquis culturels qui fondent la civilisation n’a pas moins de mérite. En effet la connaissance du développement des sociétés humaines est d’une importance fondamentale pour l’humanité tout entière. Elle lui permet d’accepter et de respecter ses racines culturelles et sociales dans leur diversité. Les Dii ont fait preuve d’un génie inventif à travers la métallurgie du fer. Cette activité leur a permis de s’insérer dans leur environnement et d’apporter des réponses concrètes à leurs préoccupations quotidiennes : production des armes de guerre et de chasse, des outils de labours, de cuisine et de cueillette, des parures ordinaires et de cour, etc. Mais, le non-renouvellement du savoir et du personnel technique, la confiscation du savoir-faire par une caste jalouse de ses prérogatives, l’implacable concurrence technicienne étrangère, ont accéléré la disparition de ce fleuron de la technologie africaine. Actuellement, les fragments des parois de fourneaux, les bouts de tuyères, les scories et les charbons de bois, survivances des composantes des équipements de réduction, sont devenus des matériaux pour l’histoire. Une analyse convenablement menée sur ces produits constitue des documents de première importance sur la métallurgie du fer au même titre que n’importe quel texte écrit ou témoignage oral sur certaines articulations de la chaîne opératoire. Les inventaires des sites métallurgiques ainsi que les études métallographiques y relatives sont à encourager pour une connaissance plus approfondie de cette activité dont l’impact sur l’organisation sociale, la pratique des rites, la genèse des paysages et l’accumulation des richesses fut significatif dans la région. Les travaux en cours dans les vallées de la Vina et de la Bénoué au Nord-Cameroun devront à court terme apporter des réponses à ces questionnements et démontrer comment l’archéologie et l’histoire sont des disciplines également tournées vers le développement.
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CINQUIÈME PARTIE L’ARCHÉOLOGIE FACE AUX IMPÉRATIFS DU DÉVELOPPEMENT
CHAPITRE VIII ARCHÉOLOGIE, HISTOIRE ET PROBLÉMATIQUE DU DÉVELOPPEMENT * Il semble le plus souvent incongru de rapprocher les deux mots que sont archéologie et développement. L’un évoquant presque irrésistiblement une « science inutile », l’autre des problèmes immédiats, fondamentaux et ardus… Si la majorité des archéologues comprend les problèmes difficiles et prioritaires auxquels les jeunes nations sont confrontées, beaucoup, cependant, ressentent combien les résultats de leur recherche pourraienten plus de l’apport qu’ils constituent dans le domaine fondamental répondre aux besoins légitimes d’une histoire nationale (Marliac, 1975 : 363).
** Être fidèle au foyer des ancêtres ce n’est pas d’en conserver la cendre, mais de transmettre la flamme (Jean Jaurès).
Dans quel contexte l’archéologie et l’histoire, sciences dont l’objet d’étude est le passé, peuvent-elles être facteurs de progrès, lorsque la responsabilité des problèmes actuels est souvent attribuée aux mauvaises décisions prises par le passé ? Pourquoi consulter le froid et immobile passé alors que le dynamisme est dans le présent ? Ce sordide requiem sur la vanité du passé est fréquemment chanté. De curieux individus questionnent souvent l’utilité de l’archéologie et de l’histoire pour hâtivement mettre en doute la contribution des sciences humaines en général et des sciences historiques en particulier au développement d’une région ou de l’humanité. À leur avis, ce sont des sciences de l’inutile, situées à contre-courant du développement. En quoi les sciences humaines seraient-elles alors hostiles au développement ? Que faut-il d’ailleurs entendre par développement ? Peut-on concevoir un développement en dehors du génie humain ? Sauf si l’on a affaire à un développement piloté par des extraterrestres. Cet exploit n’est pas encore connu. Dans tous les cas, les sciences historiques et archéologiques ont toute leur place dans le développement. À condition, à cet effet, de ne pas réduire le développement à la manifestation de quelques signes extérieurs de richesse matérielle et financière ; au triomphe de la science sur la famine et sur les maladies ; aux conquêtes militaires en vue de l’accaparement des richesses et des territoires d’autrui ; à l’expansion industrielle ; à l’innovation
technologique ; aux prouesses mécaniques, électriques, électroniques et numériques, dont les conséquences à long terme sur l’avenir de l’humanité restent encore mal connues. Le développement est « un processus global de transformation de la société en termes de croissance économique…et des modalités d’expression de la culture en vue d’une société nouvelle et dynamique procurant à ses membres le maximum de bien-être » Wondji et Loucou (1975 : 77). Notre propos épouse, dans la présente contribution, cette perception d’un développement multisectoriel et ouvert à tous. Elle dépasse le cadre étriqué du développement matériel pour accrocher le développement moral et intellectuel porteur de l’éthique, de la vérité, de la justice, du savoir, de la culture, de la paix, entre autres valeurs qui expriment l’humanité et l’humanisme. En quoi l’archéologie et l’histoire peuvent-elles être porteuses de cet idéal ? L’environnement culturel de l’Adamaoua est vicié par des querelles sordides entre autochtones et envahisseurs sur fond d’un tribalisme sylvestre, fonds de commerce des politiciens du petit matin, inaptes et handicapés de tout projet politique, manipulés eux-mêmes par des politiciens professionnels, habiles, véreux et cupides tapis dans l’ombre. Par ailleurs, cette région à l’instar de beaucoup d’autres est travaillée par le chômage, la misère et l’ignorance, cette mère de tous les vices. Dans ce chaudron, l’archéologie et l’histoire ont un rôle certain à jouer. Elles sont compétentes pour apporter des réponses concrètes en faveur de l’amélioration des conditions de vie des populations. Contribution certes, non pas matérielle et directe, mais plutôt immatérielle, et d’ordre scientifique, à travers un aménagement en amont des conditions favorables à la mise en place d’un cadre de vie harmonieux, pacifique et convivial. Aucun développement n’est envisageable dans un espace livré au désordre, à la violence, à l’injustice ou à l’ignorance. Le développement est conditionné par l’éthique, l’ordre, la paix, la justice et l’éducation, qui constituent le terreau fertile indispensable à son épanouissement. Les sciences historiques, pétries des expériences millénaires nourries à l’aune des civilisations anciennes et actuelles, sont de ce fait aptes à enseigner et à conduire objectivement divers projets de développement. Tout esprit malin qui pense le contraire devrait rapidement s’aviser pour s’amender. Les recherches archéologiques que nous avons conduites dans l’Adamaoua pendant plus d’une décennie nous ont permis d’identifier des boulets qui étranglent les initiatives de développement dans cette vaste région du Cameroun. Ils sont d’ordre économique, politique et culturel comme partout au pays. Mais dans cette région spécialement, nous avons relevé quelques problèmes dont l’apport de l’archéologie contribuerait à leur saine gestion et boosterait par conséquent son essor.
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Dans le registre des problèmes, figure en bonne place, cette vieille et tenace rancune entre autochtones et envahisseurs. Les autochtones ici se disent premiers occupants. Ce sont les Mboum, les Dii, les Mbéré, les Nizo’o, les Mambila, les Wawa, les Pèré, etc., dont les ancêtres se seraient installés dans la région, à en croire les naïfs et légers témoignages de leurs descendants, depuis des milliers d’années. Certaines communautés prétendent même que cette mise en place de leurs ancêtres date de la création de l’humanité par Dieu, pendant que d’autres confessent que leurs pères émergèrent directement du sol au premier matin du monde. Les derniers occupants ou envahisseurs, par contre, sont très bien connus ici. Ce sont les Foulbé musulmans que d’autres appellent groupe islamo-peul. Le saupoudrage tactique de ce groupe avec les Bamiléké et d’autres ethnies originaires du Sud-Cameroun vise tout simplement à détendre la raideur de l’indexation ou de l’accusation. Ce sourd antagonisme intertribal est vécu ici avec vivacité et aigreur parce qu’il débouche sur l’arène politique, lieu des privilèges et des prébendes, sphère d’accaparement de juteux postes politiques et administratifs aux retombées économiques conséquentes et attributions d’étiquettes. Les premiers occupants sont formels dans leurs requêtes. Ils se disent avoir été dépouillés de leurs prérogatives naturelles et historiques par les Foulbé musulmans qui contrôlent dorénavant l’essentiel de la vie politique, économique et religieuse de l’Adamaoua. Comment ces derniers se sont-ils hissés au premier rang ? À qui la faute ? À qui le mérite ? Comment œuvrer désormais en faveur de l’équité ? Toute une autre histoire à lire ailleurs, à corriger et à compléter évidemment. La question religieuse n’est pas moins intégrée dans ce problème éminemment ethnique, même si jusqu’à présent, elle s’est faite discrète dans les revendications et les manifestations. Elle reste toutefois un sujet sensible, un baril de poudre aux mains d’apprentis sorciers. Quelles que soient les données disponibles et au regard de l’histoire des migrations anciennes et peuplement de l’Adamaoua, l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’identité véritable de ce premier occupant. Sa date d’arrivée, son lieu de provenance, son faciès, sa langue, son premier habitat, les conditions de la dynamique du groupe, etc. Ces considérations, attachées à l’antériorité ou à la postériorité de l’occupation du sol, coincent depuis longtemps le développement de cette région. Et comment l’archéologie peut-elle coopérer en faveur de la recherche des solutions à un problème aussi structurant que nuisible ? Un autre problème porte sur la gestion de l’environnement naturel dans l’Adamaoua aujourd’hui. L’observation de l’organisation des anciens sites d’habitat montre une bonne connaissance de leur milieu par les occupants antérieurs : choix des sites d’habitation, spécialisation spatiale, gestion des ressources naturelles, etc. La réalité est affligeante aujourd’hui. Comment s’approprier et se servir à bon escient des leçons venues du passé ?
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Un dernier problème relevé concerne la mise en valeur des sites et des vestiges archéologiques par le biais du tourisme, de la muséologie, perspectives économiques porteuses de création d’emplois dans les domaines des arts de la culture, de la recherche et de l’enseignement. Avant de proposer des solutions aux problèmes sus évoqués, il convient d’évacuer les fariboles qui travestissent particulièrement les concepts d’archéologie et d’archéologue. Cette clarification est absolument nécessaire pour appréhender les véritables visées de cette science, dont nous sollicitons le concours pour le développement. On ne saurait consulter un expert, en ignorant ses véritables missions et compétences. Nous avions ouvert ce livre avec ce sujet, et avions alors promis d’y revenir au moment où nous le fermerons. I- L’ARCHÉOLOGIE COMME OUTIL DE DÉVELOPPEMENT Il y a des hommes qui s’interrogent sur ce que l’archéologie, science historique totale, peut offrir de spécifique ou de concret au Cameroun où la pauvreté, la misère, le chômage, les exclusions, les maladies, l’absence de perspectives d’emplois pour les jeunes, qu’ils soient diplômés ou non, prédominent. Dans ce contexte social et économique frappé par la paupérisation, les gens se demandent quel intérêt il y aurait à entreprendre un programme de recherche archéologique, qui conduirait à fouiller dans les décombres du passé, à mobiliser d’importantes ressources financières pour protéger des objets sans valeur ou encore des villages abandonnés. Sous ce postulat, ils s’interrogent et de bonne foi sans doute, sur le bien-fondé des recherches archéologiques et jurent : « De la futilité, rien de plus! » Devant un chantier de fouilles, des gens s’étonnent, rapporte à titre d’exemple, Augustin Holl (1992 : 51-52) : « les visiteurs et les curieux qui arrivent sur un chantier de fouilles archéologiques sont souvent surpris par ce qu’ils voient : un nombre plus ou moins important d’individus grattant avec application de la terre ; quand émerge un objet inattendu, ils observent généralement une cohue, tout le monde se groupe, l’excitation de la trouvaille est à son comble. La question qu’ils posent alors est généralement invariable : que faites-vous là ? » Ils sont scandalisés de voir des femmes et des hommes qui se brûlent au soleil « pour rien », alors que des bras manquent à l’appel aux champs pour les labours ou au faîte des cases pour renouveler le chaume des toitures coniques. L’archéologie, dans cette optique, est une entreprise dispendieuse et vaine aux yeux des individus déjà en difficulté et confrontés aux problèmes encore plus graves, lesquels exigent des solutions urgentes et adaptées au temps présent. « Pour appréhender les problèmes actuels de l’humanité et tenter de les résoudre faut-il nécessairement avoir compris les antécédents ? Pour mettre en marche et réparer une dynamo, est-il nécessaire d’avoir pénétré les idées du
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vieux Volta sur le galvanisme ? » Ainsi se résume cette inquiétude souvent observée sur les chantiers de fouilles, et que rapporta en son temps et en d’autres circonstances, le grand historien Marc Bloch (1964 : 9), intrigué et étonné lui-même par cette interrogation inepte et indigente sur le lien entre le passé et le présent, sur la continuité intergénérationnelle, et de conclure que « l’incompréhension du passé naît fatalement de l’ignorance du passé ». En général, les gens mal informés réduisent l’archéologie à la fouille des nécropoles, assimilent les archéologues aux profanateurs des tombes et des espaces rituels. Une telle posture, manifestement éloignée de la réalité de la pratique archéologique, est parfois soutenue par des acteurs politiques et leaders d’opinion en difficulté dans une analyse rationnelle des crises sociales et économiques courantes. Embarrassés, ils attribuent souvent la responsabilité des marasmes aux mauvaises décisions prises par le passé et par leurs prédécesseurs. Dans leur fuite en avant, ils proposent en général comme solutions, des mesures « novatrices, progressistes et actuelles », débarrassées de tout « archaïsme, car le dynamisme est dans le présent ». Le passé se trouve ainsi mis au banc des accusés. Dans cette mascarade sur fond de populisme, comment ne pas être taxé de ringard ou d’illuminé par des hommes qui, pour la plupart, ignorent l’existence ainsi que les missions de ces sciences qui étudient le passé et se proposent même d’œuvrer en faveur de l’amélioration de leurs conditions de vie? Or, comme le conseille Jules Michelet, c’est du « côté du passé que les hommes doivent chercher l’élan, l’exemple, l’inspiration ». Malheureusement parfois, le passé et le présent sont doublés par le futur. Il ne manque pas de scientistes mués en prophètes pour annoncer que dans un proche avenir, la science effacera toutes les inquiétudes passées et présentes de l’humanité. Mais si de telles annonces surréalistes ont cours dans la société et recrutent des adeptes, c’est parce qu’elles bénéficient des mythes qui enveloppent les missions et les devoirs de l’archéologie. Pourtant, les vestiges archéologiques sont les images des sociétés humaines millénaires. Ces archives particulières nous aident à comprendre l’évolution des comportements des hommes dans leur dimension quotidienne et parfois historique. Or, très peu d’élèves et étudiants le savent. Les élèves qui sollicitent une inscription en première année au département d’histoire de l’université de Ngaoundéré sont titulaires d’un Baccalauréat de l’enseignement général ou du GCE Advanced Level. L’étude des dossiers qui se fait par un personnel qualifié privilégie les candidats dont les bulletins font ressortir des notes supérieures ou égales à dix sur vingt en histoire en plus d’autres critères. Les étudiants qu’on accueille ensuite présentent un background historique de densité variable. Si une poignée peut donner une définition acceptable de l’histoire, quelques têtes seulement savent à quoi servent et sur quoi débouchent les études d’histoire en dehors du métier d’enseignant des lycées et collèges. Les cours d’archéologie sont intégrés dans
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le programme général de formation et de recherche en histoire. Pour la dénomination du département, j’ai jadis, en tant que chef du département, plaidé en faveur de l’appellation Histoire au lieu de Histoire et Archéologie. Département d’histoire se présentant comme un concept plus fédérateur ; l’archéologie faisant partie intégrante de l’histoire. Les suffixes accolés à la discipline qui tentent toujours de la marginaliser : science connexe, science affine ou science auxiliaire de l’histoire, sont vains. Rares sont hélas les étudiants qui peuvent écrire correctement le mot archéologie, le définir et préciser ses débouchés professionnels. Est-ce un terme préhistorique, antique, voire archéologique, pour être aussi hermétique ? Les plus curieux vous citeront quelques films du réalisateur américain Steven Spielberg et sa série Indiana Jones ou encore les documentaires à succès sur les origines de l’humanité et des civilisations, diffusés sur câble ou sur Internet, pour vous dessiner les contours de l’archéologie et esquisser le portrait de l’archéologue. Comment expliquer ces graves lacunes en histoire générale que masquent en général de bons relevés de notes de ces candidats? À ce sujet, il faudrait toute une archéologie des programmes d’enseignements d’histoire dans les écoles, collèges et lycées du Cameroun pour découvrir les réponses à donner à cette interrogation. Beaucoup d’élèves confondent histoire et parcœurisme des faits récents ou d’actualité. Il s’agit à leur avis, de cette mémorisation ou de cette récitation (on a aussi souvent assimilé histoire et Coran) des grandes dates, des grands évènements, des grands acteurs de l’histoire nationale et/ou universelle. Une histoire toute chaude qui récapitule les problèmes contemporains dont les prolongements actuels sont visibles dans le temps présent. Pour ces jeunes étudiants, il n’y a d’histoire que celle des évènements dramatiques et spectaculaires comme les guerres mondiales et les génocides, les révoltes et les révolutions, les crises économiques et politiques contemporaines. Rarement, la longue durée est mise en relief. Si personne ne peut contester l’intérêt de ces enseignements sur les origines et la gestion des crises du monde contemporain afin que l’humanité s’en inspire pour les conjurer, on ne doit pas pour autant manquer de reconnaître que ces crises, ces guerres, ces révoltes et ces révolutions si récentes, ne sont que l’iceberg de la longue histoire de la terre, vieille de plusieurs millions d’années et dont la connaissance doit beaucoup à l’archéologie. La terre a plus de 4 milliards d’années ; les dinosaures ont régné à sa surface entre à peu près 300 millions et 65 millions d’années avant notre temps ; l’épanouissement des hominidés a commencé voici plus de cinq millions d’années; l’Homo sapiens sapiens - nous - est vieux au maximum de 150 000 ans ; les témoignages écrits du passé des hommes les plus anciens, en Égypte, n’atteignent pas six mille ans. Le passé des hommes est un bref instant par rapport à l’histoire de la terre; de ce passé des hommes, aujourd’hui situé pendant des millions d’années en Afrique, nous ne connaissions rien, il y a cinquante ans ; l’apparition des méthodes
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modernes de datation liées à la recherche archéologique nous a permis, depuis quelques décennies, de remonter le temps à la recherche des premières formes de vie humaine (Devisse, 1992 : 13).
Ces jeunes étudiants sont-ils souvent au courant de ces grandes avancées scientifiques en cours dans la filière qu’ils embrassent ? Pas forcément. Ils sont loin de savoir que cette observation de Jean Devisse, en privilégiant la thèse évolutionniste de l’humanité, conteste le créationnisme - encore prêché dans beaucoup d’établissements confessionnels au Cameroun et ailleurs - et atteste la contribution de l’Afrique à la civilisation universelle et partant, proteste contre tant d’idées faussement répandues sur l’Afrique et sur les Africains : cette terre des fils maudits de Dieu, ces damnés de la terre, dont l’Europe se devait par humanisme de ramener à la Civilisation, ce lourd fardeau de l’Homme blanc du romancier britannique Kipling, qui eut des conséquences épouvantables sur l’histoire générale du continent africain, d’hier à aujourd’hui. Bien plus, les centres de documentation que les élèves, les étudiants et leurs enseignants fréquentent, n’ont dans leurs catalogues que des ouvrages, dont les plus récents ont au mieux dix ans d’âge, les donations ponctuelles des organismes internationaux étant essentiellement orientées vers les sciences dures, les sciences économiques et politiques, la linguistique ou la littérature étrangère. Les revues et les périodiques de grande valeur scientifique y sont rares, sinon inconnus. Le recyclage des enseignants dans le cadre des séminaires ateliers reste un luxe. Quant aux livres d’histoire au programme, ils ne s’accordent pas toujours avec l’actualité scientifique, particulièrement en ce qui concerne l’archéologie où, les recherches actuelles assistées par les moyens technologiques les plus pointus, produisent des données de plus en plus précises, qui remettent régulièrement en cause, les certitudes d’autrefois. Encore que, ce ne sont pas les livres d’histoire qui sont prioritaires quand les parents doivent équiper leurs enfants. Les manuels portant sur les sciences dures passent en premier et ce n’est que plus tard, et lorsque cela est possible, qu’ils peuvent penser à l’acquisition des ouvrages d’intérêt secondaire, dont ceux d’histoire. Comment en serait-il autrement puisque l’histoire, dit-on dans la rue et dans les chaumières, enseigne le périmé, l’archaïque, le caduc ? Quel intérêt y aurait-il à s’en préoccuper dans un contexte où tout progresse, où tout avance et à la vitesse de l’électron? Ces propos, on les entend régulièrement à telle enseigne que, ceux qui s’engagent sur les sentiers de l’histoire sont généralement considérés comme les adeptes de l’inutile. C’est naturellement faire preuve de myopie intellectuelle que de ne pas appréhender que les problèmes contemporains plonge leurs racines dans le passé - même si le passé ne justifie et n’explique pas tout - notamment le mal développement du continent africain avec ses conflits ethniques d’un autre âge, ses démocraties de chefferie, les échanges inégaux, la biodiversité en péril. C’est à un exercice pédagogique, que les enseignants doivent se livrer pour
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démontrer la place de l’histoire et de l’archéologie dans la formation générale d’un individu, d’une nation, de son apport au développement, surtout qu’il est connu qu’au Cameroun, une discipline ou une filière de formation n’est déclarée viable et digne d’intérêt que si on lui reconnaît un apport tangible et immédiat au développement ; ce serpent de mer derrière lequel le pays court depuis très longtemps sans gain véritable. Ce décor des lieux au département d’histoire à l’université de Ngaoundéré montre la difficulté de la tâche de l’enseignant : combler les lacunes de l’étudiant dans les différents champs de l’histoire, lui expliquer au travers des chapitres d’un programme fastidieux et extraverti ce que signifie archéologie, ses rapports avec l’histoire et le préparer progressivement aux recherches futures sur le terrain. Une mission titanesque. Lorsqu’en janvier 1995, lors de mon cours introductif sur « Archéologie et Histoire de l’Afrique », je demande aux étudiants de deuxième niveau d’histoire de définir l’archéologie, les réponses divergent. Morceaux choisis, condensés et corrigés : « L’archéologie est une science qui permet de comprendre les secrets de la création de la terre et des êtres humains. Elle nous renseigne ainsi sur la grande aventure des hommes d’autrefois aujourd’hui disparus. Les « archéologistes » analysent essentiellement de vieux objets comme les pierres taillées, les pierres polies, les monuments, les outils de l’Âge du Fer et du Bronze pour cerner la vie de ces anciens hommes. Ils font aussi des datations grâce à la physique nucléaire. Ce sont de grands savants et c’est pourquoi je veux devenir un jour « archéologiste ». « L’archéologie c’est l’aventure, le goût du mystérieux, le plongeon dans l’inconnu « mystique ». Les archéologues sont toujours en voyage, dans des endroits dangereux pour chercher le trésor des anciens occupants et s’en emparer. Ces trésors sont enfouis dans les grottes et même sous les eaux. Ce sont des magiciens qui ne redoutent rien. Ils ne reculent devant rien. C’est pourquoi ils fouillent (ou fouinent) partout ». « L’archéologie est une science extrêmement dangereuse dont je m’en méfie. Les archéologues sont des « vandales ». Ils profanent les tombes de nos ancêtres, volent les offrandes qui accompagnaient leur dernier voyage et leur survie dans l’au-delà. Ils troublent la paix des lieux sacrés avec des pelles et outils de maçon, provoquant alors la colère des dieux qui nous refusent ensuite les pluies. Vous comprenez pourquoi il ne pleut pas à Moukouléhé depuis des lunes. C’est parce que ces gens étaient au village il y a quelques mois. Ils ont creusé et soustrait du sol, les calebasses et les pierres magiques des dieux d’eau et du mil. Où les ontelles cachées ? Nul ne sait et c’est très grave ! »
Ces quelques regards posés sur l’archéologie et sur l’archéologue sont dignes d’intérêt de par les fausses certitudes et par la justesse de certains propos qu’ils énoncent. Tous s’accordent néanmoins pour reconnaître que
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l’archéologue travaille physiquement et intellectuellement ; qu’il s’intéresse aux objets anciens et abandonnés ; qu’il travaille nécessairement dans des endroits aujourd’hui désertés, mais qui jadis, furent plus ou moins fréquentés. Mais ils se trompent en pensant qu’il s’ingénie pour s’emparer de manière illicite des objets de valeur; qu’il est nuisible à la stabilité sociale de par ses œuvres ; que c’est un marginal. Cette litanie d’images reflète la perception que beaucoup de personnes ont de l’archéologie. Une image ballottée entre la science et la chasse au trésor, entre le sacré et le profane, entre le vrai et le faux. Une activité inutile et dispendieuse. En effet, ces propos d’étudiants m’avaient ramené dix ans ou presque en arrière, à l’époque où j’amorçais les recherches archéologiques dans le vaste département de la Mifi (non encore balkanisé par les politiciens du village accrochés à leurs immédiates prébendes, sans vision sur le poids de l’espace et du nombre dans le jeu politique à venir), au compte de mon mémoire de maîtrise en « Histoire, option Archéologie » à l’université de Yaoundé. Mon entourage ne comprit pas pourquoi j’abandonnai les études des majestueuses Sciences juridiques connexes ou affines des prestigieuses Sciences politiques, pour me jeter dans une étrange discipline à la limite de l’ésotérisme ou de la sorcellerie avec pour funeste dessein, la collecte et la collection d’objets de fous dans des lieux maudits. C’est la situation de beaucoup de collègues africains qui affrontent l’incompréhension du public des villes et des villages par rapport à leurs activités. Sans aucune prétention narcissique, j’ai jugé nécessaire de raconter cette histoire personnelle, au regard de l’impact qu’elle a eu sur l’approche pédagogique des mes cours d’introduction à l’histoire de l’Afrique et d’initiation à l’archéologie d’abord à l’université de Ngaoundéré et ensuite à l’université de Maroua. Nous sommes en février 1986. Après avoir parcouru pendant deux mois plus tôt, plusieurs villages de la région de la Mifi en pays bamiléké, j’avais ramassé au sommet des montagnes, au bord des rivières, dans des jachères, entre les sillons retournés et dans des abris sous roche, des centaines de tessons de céramique, des fragments de molettes, de gros gâteaux de scories que j’avais ramenés à la maison familiale. Ce fut l’étonnement total dans mon entourage. Ma grand-mère, la première, surprise, voire scandalisée, me demanda si je n’allais pas bien dans ma tête pour souffrir d’une si étrange maladie. C’est-àdire, quitter la capitale Yaoundé, pour peiner à arpenter d’anciens villages et à collectionner des objets de fous. Je lui répondis que mes sens fonctionnaient normalement ; que cette peine que je me donnais prolongeait ma curiosité à remonter le temps et à comprendre ses origines ; que ces cailloux et ces tessons de poterie qui gisaient là, inertes, étaient des témoins qui parleraient bientôt sous mon interrogation. Je la rassurai du parfait état de santé de mon mental. Elle murmura qu’il était prudent de me conduire là-bas, dans son village natal à Bayangam, chez le grand guérisseur Ta Enoch, spécialisé dans le traitement des
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grandes folies, afin qu’il m’examine de près et soigne au besoin, ce terrible mal qui germait. Ma mère, alarmée, interrogea discrètement mes amis pour savoir si à l’université, je n’étais pas devenu un fervent adepte de l’une de ces nombreuses et dangereuses sectes de la capitale ou de ces églises de réveil endiablées, qui recrutaient à tour de bras, des étudiantes et des étudiants dont beaucoup devenaient fous ou se suicidaient ; fréquentation qui sans doute me faisait dériver. Les propos alarmants de la mère de mon collègue qui conduisait des recherches semblables dans le département de la Menoua voisin inquiétèrent encore plus ma pauvre mère. C’est mon père qui apporta une certaine sérénité dans cette cohue. Il affirma que pendant ses voyages, il avait vu au cinéma, des Blancs s’atteler à ce genre de travail sans qu’il sache à quoi cela menait véritablement. Après mon retour à l’université, mes parents, plus que par le passé, commissionnèrent des parents et amis de passage à Yaoundé, pour s’enquérir de l’état de ma santé. Il n’eut jamais rien de préoccupant à signaler. Quand six mois plus tard, après la soutenance de mon mémoire de maîtrise, ils apprirent aussi que j’avais obtenu une bourse de l’État camerounais pour poursuivre des études supérieures d’histoire et d’archéologie à Paris en France, ils furent étonnés par cette magnanimité de l’État, dont très peu d’étudiants bénéficiaient, et de surcroît, pour aller étudier de vieilles pierres et des fragments de vieux pots. Quand je revins au village pour leur dire au revoir, ma grande surprise fut la découverte de ce panier rempli de tessons de poterie richement décorés que ma grand-mère m’offrit. Elle précisa qu’elle les avait collectés au fur et à mesure qu’elle roulait ses billons. Je souris, confiant qu’elle s’était enfin calmée et était rassurée que je n’étais pas un déséquilibré mental. Ma mère observa tout simplement que ce que je faisais plaisait sans doute aux Blancs et c’est pourquoi ils acceptaient de m’accueillir chez eux pour mieux m’initier à leur magie. Lorsque je revins en 1988, collecter des données pour ma thèse de doctorat qui portait sur l’exploitation et l’utilisation des bois à l’Ouest-Cameroun, ma grand-mère était retournée à la terre, après avoir mis de côté des tas de bons cailloux pour moi. J’écrasai une larme en pensant aux générations futures d’archéologues qui un jour peut-être, tomberaient sur ses restes et s’interrogeraient ! L’étude rationnelle des divers usages du bois passait par le prélèvement systématique après autorisation du propriétaire, de petits échantillonnages ligneux, sur tous les objets auxquels j’avais accès. Au fil de ma patiente collecte, mon entourage se demanda si j’étais devenu un « tradipraticien », mieux un charlatan pour exercer un tel acharnement sur autant de bois morts que sur des plantes vertes.
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Quatre années plus tard, lorsque ma mère apprit que j’étais devenu docteur, elle réalisa que ses présomptions sur mes études se vérifiaient, car, ne pouvait collecter des objets étranges, prélever des écorces d’arbres, cueillir des feuilles et des fleurs, lire interminablement de vieux et gros livres, que quelqu’un qui aspirait à la médecine, quelle que soit la spécialité. Je la rassurai que je n’étais pas le docteur qui soigne le corps, mais celui qui inquiète les hommes sur leurs origines et sur leur avenir et malgré tout, que j’avais désormais les moyens nécessaires pour lui trouver les meilleurs docteurs, capables de lui assurer les meilleurs traitements contre le mal qui la rongeait depuis peu. Son cœur ne lui a pas laissé le temps… Finalement, tout est question d’explication, d’argumentation et de conviction personnelle quand on s’engage dans une voie, quelle qu’elle soit. Comme le dit Cheikh Anta Diop : « l’histoire est une science qui exige méthodologie appropriée, argumentation critique, contrôle, vérification, réfutation, explication et interprétation en toute objectivité ». Cette histoire personnelle n’est pas exclusive. Beaucoup de collègues africains connaissent des situations analogues. Entre incompréhension et mépris, ce qui constitue des entraves à la recherche. L’archéologue sénégalais, Ibrahima Thiaw (2003 : 215-225) constatait aussi pour s’étonner que La recherche archéologique constitue pour beaucoup de Sénégalais une activité étrange et dangereuse. Ils creusent le sol, collectent des tessons et des pierres inutiles sur des sites anciens ou sur des tas de poubelles, profanent au nom des « fouilles » les tombes des gens. Le travail des archéologues est alors localement assimilé au comportement des personnes souffrant d’un handicap mental, ce qui constitue une pression sociale considérable sur les archéologues autochtones… Beaucoup parmi nous, qui travaillent au pays, ont souvent été interrogés sur le bien-fondé qu’il y a à passer plusieurs années dans une Université étrangère, au prix de plusieurs milliers de dollars ou d’euros pour achever son cursus dans au fond d’un trou ou au creux d’une tombe, à creuser et à collectionner on ne sait trop quoi, en dehors de ces vieux et inutiles objets et ossements. Les tentatives d’explication sont accueillies avec dédain et ne convainquent personne. Beaucoup de mes relations qui me rendent visite à Gorée expriment leur désapprobation en me voyant tenir une truelle et tout couvert de sueur. Dans leur vision du monde, les docteurs se confondent avec la propreté, exercent leur métier dans des espaces climatisés et non sous le soleil, le vent, la pluie. Les docteurs se servent de leurs doigts uniquement pour saisir un stylo, un bistouri et non pas pour tenir une truelle, un pic une houe, ces grossiers outils de maçons et de paysans. Les docteurs soignent les malades, ils n’exhument pas les cadavres.
Cette terrible vision du métier explique en partie la crise des vocations en archéologie dans le continent africain. Le métier est jugé dévalorisant et sale. Les chercheurs européens, qui pendant longtemps ont exhumé le passé de
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l’Afrique des strates terrestres, sont devenus rares du fait des réductions drastiques des budgets de coopération et de recherche dans leurs pays. L’Afrique doit pouvoir prendre la relève au moment où elle réclame et avec raison, la décolonisation de l’histoire africaine. Elle doit aussi et surtout assimiler la réalité selon laquelle le développement intègre aussi bien les routes, les écoles, les hôpitaux, les industries de transformation, les moyens de transport, que les laboratoires de recherches scientifiques tant en sciences humaines qu’en sciences exactes. Le développement durable c’est aussi celui-là qui s’enracine dans le terroir tout en restant ouvert aux apports étrangers. L’archéologie peut contribuer aux côtés d’autres disciplines à enraciner durablement ce processus, mais son apport passe au préalable par une meilleure explication des enjeux de ses études et de ses recherches aussi bien auprès des étudiants, du grand public, qu’auprès des décideurs politiques et économiques. En effet, il serait illusoire de prétendre que la crise des archéologues professionnels africains résulte uniquement des clichés qu’on a de leur métier. Une mauvaise connaissance de l’apport de l’archéologie à l’histoire est aussi responsable de ce difficile dialogue entre l’archéologue et le public, entre l’archéologie et le développement. Les Africains, comme tous les autres peuples sont demandeurs de leur histoire. Il faut être capable de leur démontrer, preuves tangibles à l’appui, en quoi l’archéologie contribue à la connaissance de ce passé aussi lointain que récent. Il faut pouvoir expliquer que l’histoire qu’ils revendiquent ou contestent, accessible par l’oralité et l’écriture, l’est aussi par les vestiges matériels et dans ce domaine, l’Afrique présente en l’état actuel des connaissances, la plus vieille histoire du monde avec sa contribution à la dynamique du monde. Il faut enfin faire comprendre que si l’archéologue remue le sol, c’est aussi et surtout pour trouver des réponses à certaines questions que les hommes se posent en société. Celle sur le tribalisme issu parfois des problèmes migratoires mal négociés n’est pas des moindres. II- MIGRATIONS, PEUPLEMENT ET DÉVELOPPEMENT Au début des années 90, une certaine effervescence démocratique embrasa le Cameroun. On parlait du renouveau multipartiste. L’Adamaoua ne fut pas épargnée des écumes de cette boîte de Pandore brutalement ouverte par les autorités politiques manœuvrant à Yaoundé. Dans cette région, carrefour multiethnique, l’agitation prit les allures d’un feu d’artifice mal tourné. Ici, tout s’enchevêtrait pour mieux s’opposer. Des lignes mentales de démarcation d’un rare manichéisme, dressées et identifiables par quelques initiés seulement, opposaient des groupes ethniques en présence, entre supérieurs et inférieurs, entre vainqueurs et vaincus, entre aînés et cadets sociaux, sans qu’aucun protagoniste de cette querelle de terre, de rang et de sang, soit scientifiquement capable de définir le contenu historique de ces oppositions. Qui était le premier? Qui est donc le dernier ?
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Dans sa quête et sa tentative de restitution du passé, l’archéologue doit garder présent à l’esprit que dans la reconstitution des cultures et de leur évolution dans le temps, les seuls vestiges matériels ne suffisent pas. À travers les fouilles archéologiques, on ne peut pas valablement définir un peuple ancien. Ce peuple n’a pas de nom, mais des traits de culture, comme l’écrivait Alain Marliac. Les populations en place doivent donc être prudentes dans des auto-distributions d’étiquettes ethniques ou dans des revendications foncières, sur la seule base de leurs traditions orales, souvent fabriquées, tronquées et manipulées à dessein. La même réserve est demandée aux archéologues et aux historiens, qui conçoivent quelquefois des paniers généalogiques, sur la base des données parcellaires, qui pendant longtemps désorienteront, biaiseront et perturberont les recherches. Les jalons chronologiques orientent la recherche, définissent les priorités et problématisent certaines trouvailles. Savoir à quelles époques des sites furent occupés ou abandonnés est nécessaire pour situer dans le temps et dans l’espace, les mouvements des populations, leur mise en place, la dynamique des paysages et des savoirs dans la région concernée. Les dates scientifiquement obtenues disponibles sur l’Adamaoua indiquent une occupation ancienne et probablement continue depuis le premier millénaire avant notre ère jusqu’au temps présent. Cette chronologie établie à partir des datations au C14 est d’un grand intérêt en termes de périodisation des thèmes de recherche d’une part et d’appréhension des rapports entre les différents groupes ethniques en place d’autre part. S’il est vrai que quelques dates ne suffisent pas instantanément pour lever toutes les hypothèques sur la temporalité, elles ont le mérite de poser des bases pour des recherches ultérieures et de montrer qu’avec des moyens matériels et financiers conséquents, une meilleure connaissance des actions humaines passées, dont l’historien se sert pour répondre aux questions que se posent les hommes de son temps, est alors possible dans cette partie du Cameroun. Les datations au C14, actuellement disponibles : Ier millénaire BC, IIIe, IVe, Ve, XIVe, XVIe, XVIIIe, XXe siècles AD, ne permettent pas de nommer précisément les plus anciens occupants de l’Adamaoua. Étaient-ce les Mboum comme le revendiquent leurs traditions historiques ? Sinon qui étaient ces acteurs dont les traces identifiées au mont Ngaoundéré sont vieilles de près de 3000 ans? On dirait les proto-Mboum ? Les pré-Mambila ? Les paléo-Dii ? Qui d’autres ? Dans tous les cas, ce ne sont pas les Foulbé, partis de l’est du Sénégal (Futa Toro et Macina) en direction du Nigeria entre les XIe et XIVe siècles, selon diverses sources écrites et orales concordantes (Njeuma, 1978 : 3 & Drønen, 1998 : 47) et arrivés dans la région de l’Adamaoua au XVIIIe siècle au moins. Ils sont ici, considérés par tous les autres groupes ethniques comme les derniers occupants. Le terme ‘envahisseur’ est aussi souvent utilisé, mais en sourdine. Au cours de mes recherches en effet, il m’est régulièrement arrivé de
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constater que les groupes non peuls et non islamisés prennent des précautions pour ne pas utiliser ce fâcheux terme ‘envahisseurs’, et en particulier les étudiants, lorsqu’ils estiment qu’ils pourraient être écoutés ou évalués par des Foulbé musulmans. Comment expliquer cette peur ou cette crainte, feinte ou réelle, qui curieusement, vole rapidement en éclats dès que les acteurs considèrent que la menace est dissipée ? Difficile de décrypter cet état psychologique, fruit de plusieurs siècles d’histoire de servitude et d’émancipation, de compromis et de compromissions entre les protagonistes. Sur le plan purement historique, le vocable récents ou derniers occupants attribué aux Foulbé est crédible et se justifie par rapport aux anciens sites d’habitat identifiés et dont les dates d’occupation les situent entre les IVe et XIVe siècles de notre ère à Somié et à Ngaoundéré. Les éléments de la culture matérielle mis au jour dans ces sites ne sont en aucun cas apparentés à la culture des éleveurs nomades qu’étaient les Foulbé à leur arrivée dans l’Adamaoua aux alentours du XVIIIe siècle. Le terme "envahisseurs" ne peut se comprendre que si on se réfère à la définition du verbe envahir qui signifie, entrer de force dans un territoire par exemple. C’est justement le cas vers 1834 dans les hautes terres de l’Adamaoua, où la guerre sainte musulmane, allumée à Sokoto au Nigeria, est introduite par des jihadistes enflammés et qu’en 1835, Ardo Amman Ndjobd fonde le lamidat peul de Ngaoundéré sur les terres du Bélàkà mboum (Hamoua Dalaïlou, 1997). Leur prise de contrôle de la région par la force devient effective dès le deuxième quart du XIXe siècle. Sous ce rapport, ils sont effectivement les occupants de dernière heure. La victoire militaire et religieuse va leur accorder la primauté de la gestion politique, administrative, religieuse de la région en plus de leur suprématie économique déjà établie. Si la victoire confère des droits, elle impose aussi des devoirs aux vainqueurs. L’impérieuse nécessité d’une cohabitation harmonieuse et le partage des pouvoirs avec les plus méritants de chaque groupe ethnique local font partie de ces devoirs. Tous doivent collaborer en faveur du développement. L’accent est alors mis sur l’esprit de construction et de la réussite et non pas sur les frivolités. C’est le prix à payer pour le développement équitable de la région. C’est une initiative qui est d’ailleurs en cours et ce processus doit progressivement gommer les ressentiments et évacuer les pulsions belliqueuses. L’échange entre membres du jury et un candidat, au cours d’une soutenance de mémoire en 2008 au département d’histoire à l’université de Ngaoundéré, nous fait découvrir les risques potentiels d’une mauvaise gestion des questions identitaires et expose en filigrane les bénéfices de la cohabitation pacifique entre différentes ethnies vivant sur un territoire commun. Lors de la soutenance en effet, un membre du jury pose la question suivante au candidat :
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« Monsieur, si au terme des analyses de vos recherches archéologiques dans la Vina, il s’avérait que les premiers occupants ne sont pas les Mboum, comme leurs traditions historiques le créditent, mais que ce sont plutôt les Gbaya, qu’adviendrait-il de l’animation actuelle de la scène politique locale ou régionale ? » Le candidat après un long silence répond : « il y aura d’importants remaniements dans la classe politique dirigeante actuelle et certainement au prix d’affrontements plus ou moins violents ». L’étudiant aurait pu répondre justement que ses recherches n’aboutiront jamais à la découverte d’un peuple dûment nommé Mboum ou Gbaya, mais plutôt sur la mise au jour de la culture matérielle d’un peuple sans nom, et que des analyses aux interprétations, on pourrait déceler des corrélations avec une culture matérielle vivante et oser dès lors, des comparaisons, voire des attributions probables de noms, sans verdict définitif. Je ne sais pas si l’auditoire qui se mit à rire bruyamment et à applaudir durablement le candidat était constitué de Gbaya ou si c’était une foule de curieux qui faisait semblant d’avoir compris les contours nébuleux de la question/réponse. C’est mieux ainsi puisque, si ce public saisissait la densité des propos et des erreurs contenues dans la question et dans la réponse, il se serait plutôt mis à pleurer pour l’avenir de sa chère région, compte tenu de la charge politique et identitaire des échanges. Les questions identitaires au Cameroun sont féroces. Elles peuvent vous tuer moralement, scientifiquement, politiquement, ou vous asphyxier économiquement. On peut être débouté de sa prétention du fait de son faciès, de son accent, ou de son nom. Ces attributs naturels et ces acquis culturels renvoient en effet au Cameroun à des espaces géographiques et culturels plus ou moins connus de tous. Elles gouvernent la gestion de l’administration camerounaise depuis la pernicieuse colonisation française. On gouverne ici par quota ethnique, on réussit ou on échoue à une promotion à cause du venin paralysant de ce serpent de mer, logé dans des euphémismes sordides appelés équilibre régional, dosage sociologique, péréquation des chances. Un outrage au charisme, au mérite et à la compétence. C’est malheureusement une réalité bien camerounaise, durement ancrée dans les mœurs. En tout cas, personne ne s’en plaint. Beaucoup considèrent d’ailleurs cette situation comme normale. « On ne veut pas d’un deuxième Rwanda chez nous », propos lapidaire qui résonne comme l’aveu d’une connivence. Ce tribalisme d’État, tant qu’il permet à tous les Camerounais d’être présents au chantier de construction nationale, dans l’harmonie et dans la concorde, c’est hourra ! Cette intrusion dans un jury, vise à montrer combien il est important que la science fournisse aux décideurs politiques et aux citoyens, des repères dont ils doivent se servir pour construire le présent et l’avenir. L’établissement des
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grilles chronologiques relève du métier d’historien. Je ne doute pas que des falsifications de dates puissent survenir. C’est quelquefois arrivé ailleurs, orchestré par des esprits malveillants. L’éventualité d’une telle supercherie, tout à fait éloignée du débat scientifique, ne concerne pas notre propos. Les dates objectivement obtenues doivent permettre aux populations de cesser de revendiquer des droits et des positions en fonction des préjugés et des fables relatifs à l’établissement ancien ou récent de leurs ancêtres sur des terres qu’ils occupent aujourd’hui, sans être certains d’être leurs vrais descendants. Les datations n’ont pas la prétention de désigner nommément qui fut le premier, le deuxième ou le troisième occupant. Elle ne peut pas le faire valablement en l’état actuel des moyens de recherche. Mais elle peut fournir des dates de référence qui fixent dans le temps et dans l’espace, des séquences de mise en place des populations. Dès lors, il sera possible à partir des ajustements, des corrections, des données historiques récentes, de proposer des paliers ou des étapes successifs, ayant conduit dans une région donnée, des groupes culturels clairement identifiables par leur patrimoine culturel matériel et immatériel courant. Ces acquis ne suffiront nécessairement pas pour fédérer presto illico, des groupes d’hommes et de femmes, que tout ou presque peut séparer sur le plan de l’histoire, de la culture, de la politique ou de l’économie. La suite sera une affaire de construction, d’éducation, d’apprentissage, dont l’histoire fourmille de tant d’exemples à copier comme Ibrahima Baba Kaké (1982 : 31) l’a justement écrit : « l’histoire se présente comme la mémoire d'un peuple qui se souvient des épreuves, des efforts, des sacrifices, des succès qui ont permis à la nation de se constituer, à ses différentes composantes de cohabiter. Dans l’histoire nationale, l’on trouve les motifs pour agir, pour espérer, pour résister ». En fin de compte, l’Adamaoua est un milieu traversé par des mouvements migrations depuis des millénaires. Il en est résulté des brassages ethniques et culturels qui débouchent aujourd’hui sur l’interculturel, sur une culture métisse. En acceptant que les autochtones d’aujourd’hui sont les allogènes d’hier, tout devient relatif. Ils se considèrent alors tous comme des allogènes et collaborent fraternellement dans cet univers en mondialisation et exposé à de nouveaux périls, notamment sur le front écologique. III- GESTION MAÎTRISÉE DE L’ESPACE HABITÉ ET DÉVELOPPEMENT DURABLE L’inventaire des sites dans la Vina a montré que les anciens occupants avaient une parfaite maîtrise du choix de leurs habitats. Ils se sont installés sur des hauteurs jugées hospitalières et libérées de fait, les vallées estimées rentables pour les activités agricoles, pastorales et cynégétiques. Par ailleurs, l’étude de la végétation locale révèle un patrimoine végétal riche et hétérogène, caractéristique de la flore tropicale. L’homme y a trouvé pendant des siècles, un
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refuge, des médicaments, une réserve alimentaire, un réservoir de matières premières et de sources d’énergie. De même, l’analyse des vestiges matériels prélevés dans les sites, notamment l’outillage lithique, les fragments de poterie, les restes métallifères démontre une parfaite connaissance des propriétés des roches et des sols par leurs producteurs. L’exploitation scientifique de ces documents permet l’appréhension des arts et des techniques, des savoirs et savoir-faire des anciens cultivateurs et artisans de l’Adamaoua ainsi que les usages probables des artéfacts aussi bien dans la vie quotidienne que dans les pratiques rituelles. Ce sont là quelques leçons venues du passé qui invitent les contemporains à la maîtrise de l’environnement, à la protection de la biodiversité, à la gestion rationnelle de l’espace et des ressources naturelles. En effet, la réalité actuelle sur le terrain est catastrophique. Si le rythme débridé du déboisement sauvage, de l’occupation anarchique des sols, de l’extension des surfaces agricoles, de l’urbanisation rapide et incontrôlée, du surpâturage et des feux de brousse est maintenu, il est possible que dans moins d’un siècle, l’Adamaoua s’apparente au Sahara, mettant ainsi en péril, le patrimoine naturel, culturel et archéologique qui constitue les archives de notre histoire. Un passé à peine connu, mais qui est en train de disparaître. Face à cette agression s’impose l’urgence d’une prise de conscience par les populations locales et les autorités en charge de la protection du patrimoine, de l’investissement des moyens financiers, matériels et scientifiques pour sa valorisation effective. Comme l’a écrit Diodore de Sicile : « l’histoire donne à la jeunesse, les lumières de l’âge; chez les vieillards, elle multiplie leur propre expérience ; elle instruit le citoyen et pousse les chefs d’État aux grandes actions. » IV- ARCHÉOLOGIE, MUSÉE ET DÉVELOPPEMENT INTELLECTUEL Les sites archéologiques sont répartis dans l’ensemble de la région de l’Adamaoua. Afin de les préserver de destructions irraisonnées, il est souhaitable d’ériger certains d’entre eux en chantier-école. Ils accueilleraient ainsi des élèves, des collégiens et des étudiants, constituant de ce fait, des lieux d’études, de formation et d’éducation en relation avec la connaissance et la protection du patrimoine. Dans le contexte politique et administratif camerounais caractérisé par la décentralisation, les communes de la région de l’Adamaoua pourraient ainsi, à travers des projets culturels à connotation pédagogique et touristique, pouvoir protéger et valoriser leurs sites archéologiques les plus représentatifs, grâce aux dotations financières prévues à cet effet par le ministère des Finances. C’est le cas du mont Ngaoundéré, de Ngaw Pak Hay, de Raou Yon Pou à Ngan-Ha, de Ndeba à Somié, et du mont Djim à Galim-Tignère. C’est toujours dans cette perspective du nouveau management culturel en cours au sein des collectives territoriales décentralisées,
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qu’il sera possible de dégager des fonds pour poursuivre les prospections et entreprendre de nouvelles fouilles. Condition sine qua non pour multiplier objectivement les pages de notre livre d’histoire ancienne. Le développement passe aussi et surtout par le combat contre l’ignorance. Il se gagne aux fronts de l’instruction, de l’invention, de l’innovation et de la recherche. À partir des sites archéologiques, il est possible de construire des maisons du patrimoine où certains vestiges feront l’objet d’expositions permanentes ou temporaires pendant que d’autres, pour des raisons scientifiques, esthétiques ou pour leurs caractéristiques exceptionnelles, resteront en sécurité et en secret dans les coffres des laboratoires de recherche, en tant qu’étalons ou des repères pour de nouvelles recherches. Autour des vestiges archéologiques, devront se greffer d’autres activités pour contribuer à l’éducation et à l’instruction des publics scolarisés ou non. Comme nous l’avons évoqué au chapitre 5, le musée n’est plus cette maison où l’on se rendait pour perdre son temps, faute d’aller voir mieux ailleurs. C’est désormais un centre culturel polyvalent. Nous dressons ci-dessous un portrait-robot des musées à construire aux environs des sites archéologiques de l’Adamaoua. « Il doit être clair que nous ne conservons pas les objets pour eux-mêmes, mais pour l’humanité tout entière et en relation avec l’homme et la société. Si nous portons plus d’attention aux objets en eux-mêmes qu’aux hommes ou à la société, nous ne conservons rien. Un objet ne peut être conservé en dehors de la société », observe Alpha Oumar Konaré, dont le propos ci-dessus, repris par le muséologue kényan George Abungo (2001 : 15), précise les nouveaux défis d’exposition, d’animation et de communication à relever par les musées africains pour se connecter aux réalités locales et s’accorder avec les aspirations du public. L’école formelle et l’éducation familiale débordées par la télévision et les nouveaux multimédias ne sont plus les uniques pôles de dispensation des connaissances. Les musées ont leur rôle à jouer. Nos musées doivent cesser d’être assimilés à des salles de dépôt d’objets hétéroclites, fréquentables par les seuls amateurs de la brocante ou de se présenter comme des lieux ésotériques réservés aux illuminés ou aux adeptes de l’insolite. Le musée est un lieu de découverte et de formation, ouvert à tous, à un large public. Dans un pays comme le Cameroun où les centres culturels sont rares, les musées qui existent et ceux qui sont à créer, doivent s’engager résolument à devenir des espaces de formation et d’éducation, de dialogue, de discussion, d’échanges culturels et de rencontre avec l’autre. Cette mutation qui constitue l’un des défis majeurs de tous les musées africains du vingt et unième siècle, suppose l’application de nouvelles méthodes d’exposition et d’interprétation des collections, d’animation et d’organisation des musées. Innovation qui leur permettra de présenter au public, le patrimoine qu’ils conservent et réduire par conséquent, le déficit d’image que le grand public a à l’égard des musées, encore que, rares sont les Camerounais qui connaissent la
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carte muséologique de leur pays. C’est dans cette perspective, que doit s’inscrire le musée en tant qu’entreprise culturelle au service du développement. L’une des missions essentielles des musées consiste à éduquer et à instruire le peuple, à se servir des collections pour enseigner le public scolarisé ou non. Compte tenu de l’importance des sciences dans le développement national, les musées camerounais présents et à venir doivent prendre conscience de cette donne pour devenir vivants et attractifs. Des spécimens de plantes médicinales, comestibles et vénéneuses, des insectes nuisibles et utiles, des spécimens de vertébrés et d’invertébrés terrestres et marins, des poissons, etc., fossilisés ou empaillés, bien conservés, doivent servir de matériel didactique et de sensibilisation du public sur l’importance de la protection de l’environnement pour un développement durable. Le déboisement sauvage et le braconnage doivent à l’occasion être dénoncés du fait de leurs méfaits sur la biodiversité. Les musées ont souvent l’avantage de disposer des collections susceptibles de renseigner sur les espèces végétales ou animales disparues, sur celles en voie de disparition ainsi que sur les avatars des différentes espèces. Vu sous cet angle, le musée doit s’ouvrir à son public comme le Grand Livre d’Histoire naturelle. Les vestiges archéologiques, les éléments de la culture matérielle et immatérielle, comme les contes et les traditions orales en version écrite ou audiovisuelle, doivent faire l’objet d’une présentation particulière et servir pour enseigner l’histoire du Cameroun. En plus de leurs fonctions pédagogiques et tout en respectant la diversité culturelle nationale, les musées doivent s’ériger en plateformes de dialogue et jouer en conséquence un rôle central dans la vie culturelle, politique, économique et sociale du pays. En exposant les richesses du passé de toutes les tribus et en promouvant diverses activités culturelles porteuses de messages de paix, de mémoire collective, ils peuvent contribuer au rapprochement des différentes composantes ethniques du pays dont la cohésion a souvent été mise à mal par le comportement irresponsable de plusieurs chefs des partis 'ethnopolitiques'. Pourtant, face à l’exploitation démagogique qui est trop souvent faite de la diversité culturelle camerounaise, une meilleure connaissance du patrimoine culturel commun à de nombreux groupes ethniques conduirait à une acception où la communauté l’emporterait sur le sectarisme au regard des ressemblances qui l’emportent souvent sur les différences. Le rôle à jouer par les musées pour préserver le patrimoine culturel de la disparition conditionne donc leur survie. Il faut aussi noter, pour le déplorer, que sont particulièrement menacés certains métiers traditionnels. Les gestes traditionnels qui permettaient jadis de tailler et de sculpter le bois afin de créer les masques, les statues, les tambours et les piliers de cases, de confectionner les toitures de chaume, de ramasser et de traiter le minerai de fer pour produire le métal, de modeler l’argile et confectionner une gamme infinie de récipients en terre cuite, ont presque disparu dans nos villages. Les produits manufacturés
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modernes, abondants et diversifiés mis à la portée de toutes les bourses ont ruiné l’art et l’artisanat traditionnels. Dans des secteurs d’activités comme l’architecture, la poterie et la métallurgie, il est fréquent d’entendre parler des « derniers bâtisseurs », des « dernières potières » ou des « derniers métallurgistes », expressions résignées sur la fin d’une tradition, sur le déclin d’une technique. Le grand désastre encouru par le patrimoine culturel camerounais n’est donc pas seulement la disparition définitive des ouvrages d’art locaux réputés éphémères du fait de la fragilité des matériaux constitutifs de leur ossature (bois, terre, argile), mais donc de la perte des gestes techniques et symboliques qui sous-tendent leur production. Si aucune action concrète de collecte et d’enregistrement de ces savoirs et savoir-faire n’est pas entreprise auprès des derniers spécialistes, il sera bientôt trop tard, encore que c’est déjà le cas dans plusieurs domaines. Par ailleurs, l’inventaire, la collecte et la documentation des savoir-faire très menacés avec le concours des Technologies de l’information et de la communication, qui offrent d’insoupçonnables possibilités en photographie, en vidéographie, en numérisation de toutes les étapes de la fabrication d’un objet, sont susceptibles de permettre aux jeunes artisans de s’approprier ce savoir ancestral qu’ils convertiront en ressources économiques à travers la production d’ustensiles et de mobiliers utilisables par les résidents et par les touristes en guise de souvenirs de voyages. Dans la même stratégie de sauvegarde du patrimoine menacé de disparition, des initiatives originales sont prises un peu partout à travers le continent et qui devraient inspirer le Cameroun dans le processus de réorganisation de ses musées. C’est le cas du village-musée de Dar es-Salaam en Tanzanie où différentes ethnies de la région présentent les richesses de leurs traditions dans un décor rural. Ces journées ethniques, qui associent la préparation et le partage de repas, les spectacles de chants et de contes traditionnels, sont très populaires. C’est alors l’occasion offerte aux musées de permettre aux communautés de se ressourcer, de mieux connaître les traditions qui ont assuré la survie du groupe, et aux jeunes gens et jeunes filles d’apprendre des plus âgés. On observe à cet effet qu’un musée bien organisé sur le plan scientifique et artistique est une école, un espace d’éducation, de dialogue et de loisirs entre les genres et les générations. Les pages précédentes nous ont instruit sur l’imagination des Africains confrontés à l’impérieuse nécessité de se nourrir, de se défendre, de se vêtir et de se loger, laquelle a donné lieu à la création des outils et des vêtements adaptés à leur milieu naturel et culturel. Chasseurs, agriculteurs, potières, forgerons, etc., entre autres techniciens africains avaient atteint au cours des siècles précédents, un niveau remarquable de production qui force l’admiration. A-G. Hopkins écrivit d’ailleurs que « l’Afrique précoloniale avait une série
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d’entreprises manufacturières qui ressemblaient beaucoup à celles des sociétés préindustrielles d’autres parties du monde ». Qu’est-ce qui s’est donc passé pendant ou après la colonisation, pour que ces structures proto-industrielles, tout en étant identiques à celles des autres régions du globe, n’aient pas abouti à l’éclosion d’une technique que l’on puisse qualifier de moderne ? C’est à cette question que les générations actuelles doivent répondre si elles tiennent à remporter les victoires scientifiques et numériques de demain. Et que ces défis se gagnent dans une ambiance d’humanisme pour un développement équitable.
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CONCLUSION GÉNÉRALE Le potentiel archéologique du Cameroun est immense. Réparti sur l’ensemble du territoire, il enferme dans ses replis, des pages inédites de notre histoire. Comment y accéder en l’absence d’une politique de recherche archéologique ambitieuse portée par des professionnels dotés de moyens financiers et matériels conséquents ? Cette interrogation n’est pas exclusive à l’archéologie. Elle intéresse et questionne tout le système de l’enseignement et de la recherche en Histoire au Cameroun. Questions de sources, de périodisation, de méthodologie, d’ancrages théoriques et de thématiques de recherche qui, revues et corrigées, doivent pouvoir converger harmonieusement vers l’écriture de notre histoire nationale. Une histoire scientifiquement élaborée, où l’on doit trouver les motifs pour penser, pour créer, pour agir, pour lutter, pour résister, pour espérer. Mais en l’état actuel des recherches, nous avons peu d’informations sur le passé de l’ancien Cameroun et de son legs aux générations présentes. En dehors des souvenirs souvent érigés en traditions et en chartes historiques qui, dans ses grandes articulations, nous plongent dans un passé affectif, naïf, cette sorte de paradis perdu, sans aucune prise sur l’antériorité et la postériorité, il n’y a pas d’autres sources pour attester ou contester ces témoignages érigés en sources et documents. Une décennie de prospections et de fouilles archéologiques dans la région de l’Adamaoua nous a permis de mettre au jour des documents matériels dont l’analyse et l’interprétation permettent d’apprécier progressivement la densité de l’histoire des techniques des peuples de cette partie du Cameroun, de proposer des repères chronologiques dans lesquels les hommes ont inscrit leurs actions, de bousculer certains mythes sur les antériorités de l’occupation des sols avec des prérogatives conséquentes. Il ne s’agit à l’instant que d’un petit coup de pioche dans un immense champ en friche, une pierre posée sur la fondation d’un vaste chantier en construction. La recherche doit être portée aux quatre coins du pays, afin de prendre au sol et dans le sol, les témoins matériels du passé. L’urgence de l’entreprise est d’autant plus signalée que les menaces d’ordre naturel et anthropique hypothèquent à court terme, l’intégrité des sites archéologiques avec toutes leurs richesses. Que sauver, que protéger, que faut-il abandonner dans l’urgence du sauvetage ? Telle est aussi la question qui a taraudé notre esprit au cours de nos travaux et ceci dans un contexte où tout ou presque est à faire. Il n’est pas de notre devoir de privilégier un secteur de la recherche aux dépens d’un autre, dans la mesure où personne ne peut évaluer avant la prospection, la fouille et les analyses, la densité de la mémoire du sol. Un grain de pollen, quelques grammes de terre, un gros fragment d’os, une hache polie, mille tessons de
poterie, les bases d’un vieux four à réduction, sont des vestiges exceptionnels aux valeurs individuelles absolues, incomparables les unes par rapport aux autres. La qualité de l’information recherchée ou obtenue dépend du croisement de plusieurs facteurs et chaque vestige apporte une contribution particulière, spéciale, voire exceptionnelle, ce qui justifie l’intérêt qu’il y a à accorder une attention égale à chaque site et à chaque vestige, tant que les analyses et les interprétations ne sont pas terminées. Il s’agira aussi, pour gagner le pari d’une recherche archéologique maîtrisée, de disposer de professionnels. C’est le talon d’Achille de l’entreprise au Cameroun. Nous avons dressé le catalogue des problèmes qui coincent l’effort de la discipline archéologique et du métier d’archéologue. La solution passe par une meilleure connaissance des objectifs assignés à cette science. On doit la dépouiller des oripeaux qui la dénaturent et l’écartent définitivement du champ et du chantier de l’histoire. L’archéologie n’est pas l’étude scientifique des vieilles pierres ou des fragments de tessons de céramique pour le plaisir d’évaluer les formats des tessons ou encore la force de coupe d’un tranchant d’une lame de lithique. C’est ce qui a longtemps été enseigné, sans toujours établir le lien entre ces formes et tranchants avec l’histoire, entre l’histoire et le développement. Il y a nécessité d’acclimater la science dans son environnement, et en toute objectivité, sur le plan méthodologique. Il n’est pas question de transformer une discipline, mais de l’innover. L’innovation suppose un plateau technique conséquent. C’est aussi à ce grand mal, qui ronge l’archéologie camerounaise, qu’il faut s’attaquer. Le chercheur qui se lance dans la quête du passé, quelle que soit la région au Cameroun, part démuni. Il travaille artisanalement avec des outils rudimentaires dans ce secteur qui ailleurs, est piloté avec l’assistance technique du matériel de prospection, de fouille et d’analyse de dernière génération. Quand bien même, le chercheur réussit à découvrir des vestiges, il est désemparé par l’absence de salles de stockage et de laboratoires d’analyses. Rien n’est simple ici. La difficulté ne doit cependant pas être un motif de découragement, mais un appel à l’imagination, un stimulant pour réussir son pari. C’est dans avec cet esprit que nous avons engagé, conduit et conclu ce travail. Il n’est pas terminé. Beaucoup de chantiers ont été ouverts et plusieurs questions posées. Les réponses sont attendues et leur crédibilité passera par la formation des archéologues camerounais professionnels et la mise à leur disposition, des moyens matériels à la hauteur des attentes. Nous avons ici apporté notre contribution à la connaissance d’un fragment de notre histoire. Nous avons déposé ce que le sol nous a livré, et nous n’avons ménagé aucun effort personnel pour le restituer à son bénéficiaire qui est le public dans ses différentes articulations. Il y aura des esprits de critique qui ne trouveront dans cet essai que de la vanité. C’est classique. C’est l’esprit critique
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qu’il faut pour corriger les lacunes et aller toujours plus loin et en mieux. Dans tous les cas, aucune méthodologie scientifique n’est orthodoxe. Elle s’adapte au contexte, utilise les outils de son temps. L’historien doit sans cesse être attentif aux dangers qui le guettent et dont le plus insidieux est l’anachronisme. Il doit être prêt à résister à ses propres préjugés, à ceux de ses lecteurs et enfin aux illusions que les contemporains ont eux-mêmes consacrées. La difficulté à figer les mots dans une définition, dans une méthode, dans une école de pensée, relève du dogme. Or, la science n’est pas dogmatique. Elle est dynamique.
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BIBLIOGRAPHIE Les auteurs sont présentés par ordre alphabétique avec leurs noms et prénoms. Lorsqu’il ne nous a pas été possible d’avoir ces noms et prénoms en entier, nous avons présenté les initiales, telles que lues sur les documents consultés. Les ouvrages, les articles, les mémoires, les thèses, les rapports sont ici présentés en un seul bloc. Mais il est facile d’identifier chaque type de publication en fonction de sa présentation matérielle dans le texte. Les titres des ouvrages sont en italique ; les titres des articles sont entre les guillemets. Les thèses, les mémoires, les communications et les rapports ainsi que les domaines de recherche y relatifs sont clairement mentionnés. ** Abungo George H.O, 2001. « Les musées, espaces de dialogue et de confrontation », in Les Nouvelles de l'ICOM. Lettre du Conseil International des Musées, vol. 54, n°3, Numéro spécial. Abbo Théodore, 1999, « Sites d’occupation ancienne et métiers du feu dans le Mbéré (Adamaoua) : Étude archéologique », Mémoire de maîtrise d’Histoire, Université de Ngaoundéré. Adams, W.Y., 1976, “Meroitic North and South; A study in cultural contrasts”. With comments by Arkell A.J., & al, in Meroitica 2. Anval (d’) Faure Bernadette, 1967, Pratique de l’Archéologie, Paris, Bordas & Taupin. Arnoldüssen Daniel, 1997, « La métallurgie du fer chez les Nchi de la République Démocratique du Congo », Communication aux ateliers METAF, Yaoundé, 7, 8, 9 décembre 1997. Actes du colloque non publiés. Arweiler Hélène, Cassan Michel et al, 1996, Premières recherches : débuter dans la recherche historique, Paris, La boutique de l’Histoire. Assombang N. Raymond, 1992, « Mbi Crater Rockshelter : Evidence from Mammalian Fauna », in Essomba Joseph-Marie (éd), 1992, L’Archéologie au Cameroun. Actes du colloque international sur l’archéologie camerounaise, Yaoundé, 6-9/1/1986, Paris, Karthala, pp : 181-196. Baba Kaké Ibrahima, 1980, Combats pour l'histoire africaine, Paris, Présence Africaine. Bah Thierno Mouctar, 1985, « Guerres, pouvoir et société dans l’Afrique précoloniale entre le lac Tchad et la côte du Cameroun », Thèse de Doctorat d’Etat d’Histoire, Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne).
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TABLE DES CARTES Carte 1- Carte administrative de la région de l’Adamaoua. ................................... 100 Carte 2- Sites métallurgiques de la Vina dans l’Adamaoua. .................................. 324
TABLE DES PHOTOS Photo 1- Ngawdolon ou pic de Toïnfoli : 1732 m à Ngan-Ha © Nizésété, Ngan-Ha, 2006. ...................................................................................................................... 103 Photo 2- Lionne abattue vers 1955-1960 dans l’Adamaoua. Le braconnage pratiqué dans cette région est à l’origine de la disparition de grands fauves comme le lion et la panthère. © Aasen Ove entre 1955-1960. Projet Ngaoundéré-Anthropos/Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun)/NMS (Stavanger, Norvège). PCD 2613-056. .. 113 Photo 3- Troupeau de bœufs en pâturage dans la savane à Ngan-Ha © Bertelsen, 2001. ...................................................................................................................... 125 Photo 4 : Fête de circoncision à Ngaouyanga, identifiée ici comme étant le « Kongnang, danse des forgerons © Flottum Sverre, 1940, Projet Ngaoundéré Anthropos/Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun). PCD 2968-033. .................. 140 Photo 5 : Une vue du mont Ngaoundéré : 1298 m. Chaos granitique avec des abris sous roche jadis habités. Les dates au C14 indiquent une occupation dès le 1er millénaire BC qui probablement continue jusqu’au XXe siècle. © Nizésété, 2007. ............................................................................................................................... 159 Photo 6- Prospection d’une cavité rocheuse à Ngan-Ha © Nizésété, 2001. .......... 168 Photo 7- PK 48 - Vue sur la paroi sud des coulées de basalte qui surmontent une fine coulée de cendres grises à macro-restes végétaux et des tufs jaunes, © NTM, février 2008 ............................................................................................................ 174 Photo 8- Fourneau du site de Yoko 1, muni de sa tuyère © Nizésété/NTM 2006. 176 Photo 9- Fosse au PK 158, mise au jour en 2005 lors du décapage de l’axe routier Ngaoundéré-Touboro-Moundou. Fouillée en 2008 © NTM, février 2008. ........... 177 Photo 10- Fosse fouillée au PK 158 en 2008. Pour produire la documentation archéologique, il a fallu la détruire. À la place d’environ 8 à 7 siècles de sédimentation se trouve un trou bivalve. © NTM, février 2008 ............................ 178 Photo 11- Sondage à Ndeba en janvier 2006 Nizésété. ..................................... 182 Photo 12- Mares jumelles au sommet du mont Djim (Galim Tignère) © Nizésété 1998. ...................................................................................................................... 191 Photo 13- Mont Djim. Nécropole des chefs de Galim © Photo Aarhaug Aksel, 1980. PCD : 0434-042 AL ..................................................................................... 192
Photo 14- Mont Djim. Entrée de la grotte où coule de l’eau de source aux vertus curatives © Photo Aarhaug Aksel, 1980. PCD : 0434-047 AL ............................. 192 Photo 15- Pierre taillée sur basalte de PK 48 (Baoussi I) © NTM, 2005. ............. 199 Photo 16- Hache polie sur granite de PK 125 (Yoko I) © NTM, 2004. ................ 199 Photo 17- Kyrielle de cupules sur un banc rocheux au mont Djim © Hassimi, 2009. ............................................................................................................................... 200 Photo 18- Meule mobile en granite /Hosséré Djaba © Nizésété 2001................... 202 Photo 19- Meule et molette en granite /Ngan-Ha © Nizésété 2001....................... 202 Photo 20- Femme dii, à genoux, écrase le mil par va-et-vient du broyeur sur toute la longueur de la meule © Photo Flottum Sverre, (entre 1940-1950)/Projet Ngaoundéré-Anthropos Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun) & NMS (Stavanger, Norvège). PCD : 0782-016 AL. .......................................................... 202 Photo 21- Jarre cérémonielle mambila/Cameroun. Analogie entre le pot et le corps humain © Serra Ester et Taravilla, 2007 : 85. ....................................................... 205 Photo 22- Jarre de bière de maïs mambila/Nigeria, Cameroun © Serra Ester et Taravilla, 2007 : 82. ............................................................................................... 205 Photo 23- Fragments de fourneaux de pipe décorés du site de Yoko © NTM 2008. ............................................................................................................................... 209 Photo 24- Fragment de fourneau de pipe du site de Yoko © Nizéseté, 2006. ....... 209 Photo 25- Fragment de fourneau de pipe du site de Ndeba (Somié) © Nizéseté, 2006. ...................................................................................................................... 209 Photo 26- Montage par étirement des parois. Potière Awa à Gambouokou © Nizésété 1998......................................................................................................... 213 Photo 27- Préparation du colombin par une potière au Nord-Cameroun © Ousmanou Babbawa 1998. .................................................................................... 213 Photo 28- Femme portant un canari décoré à Mbé. Telle est l’image grandeur nature des poteries qui nous parviennent plutôt fragmentées. Le décor est-il un marqueur culturel, a-t-il valeur de message ou est-il manifestement esthétique ? © Photo Walle Jan Have, entre 1961-1965/Projet Ngaoundéré-Anthropos Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun) et NMS (Stavanger, Norvège). PCD 075-006 AL........ 221 Photo 29- Restes de fond de four en surface à Gnogui /Galim-Tignère © Hassimi 2009. ...................................................................................................................... 224 Photo 30- Four à réduction en stratigraphie à Yoko © Nizésété 2008. ................. 224 Photo 31- Tuyères issues des fouilles du site de Yoko © Nizésété & Delneuf 2005. ............................................................................................................................... 225 Photo 32- Scories du site de Yoko. Impuretés du minerai de fer évacuées pendant la réduction. En forme de baguettes ou de masses spongieuses incrustées de débris végétaux et/ou de charbon de bois © Nizésété & Delneuf 2005. .......................... 226 Photo 33- Démonstration du travail du fer lors des expositions à la foire de Ngaoundéré en 1956. La grande permanence d’une technique © Aasen Ove, Ngaoundéré 1956, Projet Ngaoundéré-Anthropos/Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun), Archives de NMS (Stavanger, Norvège). PCD 2613-048, Réf. AL. . 227
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Photo 34- Bracelet (Rumfu) du prince héritier porté le jour de sa désignation comme Bélàkà © Nizésété, Ngan-Ha, juin 2006. .................................................. 234 Photo 35- Peau de panthère (Nganjer) ou de guépard. © Nizésété, Ngan-Ha, juin 2006. ...................................................................................................................... 234 Photo 36- Chapeau de paille (Mbouli) du Bélàkà pincé de deux aiguilles (Gbàrà). © Nizésété, Ngan-Ha, juin 2006. ............................................................................... 236 Photo 37- Couteau de jet (Ha). Arme de parade © Nizésété, Ngan-Ha, juin 2006. ............................................................................................................................... 236 Photo 38- Trompette (Fora) décorée de motifs anthropomorphes © Nizésété, NganHa, 2006................................................................................................................. 237 Photo 39- Le gong (Wan) pour les célébrations rituelles © Nizésété, Ngan-Ha, 2006. ...................................................................................................................... 237 Photo 40- Bracelet (Fedok) d’identification et de prestige © Nizésété, Ngan-Ha, 2006. ...................................................................................................................... 238 Photo 41- Trompette (Nduru) recouverte de beau de bête © Nizésété, Ngan-Ha, 2006. ...................................................................................................................... 238 Photo 42- Panier en paille (Kutung) © Nizésété, Ngan-Ha, 2006. ........................ 239 Photo 43- Calebasse en bois (Yom pou) © Salihou Mohammadou, Ngan-Ha, 2003. ............................................................................................................................... 239 Photo 44- Des espaces déboisés et incendiés © Nizésété, Yoko, 2008. ................ 252 Photo 45- Des sols lessivés et des vestiges exhumés © Bertelsen, Ngan-Ha, 2001. ............................................................................................................................... 252 Photo 46- Sols acides et humides. Tessons de céramique altérés © Nizésété, Gangassao, 2005. ................................................................................................... 254 Photo 47- Coiffe royale mboum dévorée par des bestioles © Nizésété, Ngan-Ha 2006. ...................................................................................................................... 254 Photo 48- Restes de grenier au mont Djim © Nizésété, 1998................................ 259 Photo 49- Foyer à Djaba © Nizésété, 2001. .......................................................... 259 Photo 50- La potière Mbarsolla Aminatou à Mbé © Nizésété, Mbé, 09 août 1997. ............................................................................................................................... 277 Photo 51- La potière Mvela Marthe à Somié © Nizésété, Somié, 12 décembre 2004. ............................................................................................................................... 277 Photo 52- Adjie Kaïgama à Gamboukouo © Nizésété, Gambouokouo, 27 juillet 1997. ...................................................................................................................... 278 Photo 53- Adawa Pauline à Meiganga © Nizésété, Meiganga, 28 mai 1998. ....... 278 Photo 54- Jarre gbaya au long cou et aux longues oreilles. © Nizésété, Meiganga 1998. ...................................................................................................................... 278 Photo 55- La potière Laoudi à Loumonangué © Nizésété, Loumonangué, 22 mai 2006. ...................................................................................................................... 279 Photo 56- Le potier Mgbagnié Paul à Somié © Nizésété, Somié 13 janvier 2006.279
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Photo 57- Modèle de pipe mambila, œuvre ultime du potier © Nizésété, Somié janvier 2006. .......................................................................................................... 279 Photo 58 Concassage des mottes d’argile à Somié © Nizésété, 12 décembre 2004. ............................................................................................................................... 285 Photo 59- Tamisage de l’argile à Mbé. © Nizésété, 09 août 1997. ....................... 285 Photo 60- Malaxage de l’argile par Mbarsolla à Mbé © Nizésété, 09 août 1997. . 286 Photo 61- Confection des colombins par Mbarsolla à Mbé © Nizésété, 09 août 1997. ...................................................................................................................... 286 Photo 62- Ébauche du pot par Mbarsolla à Mbé © Nizésété, 09 août 1997. ......... 286 Photo 63- Ébauche du pot par Laoudi à Loumonangué © Oslisly/Nizésété, 2008. ............................................................................................................................... 286 Photo 64- Laoudi racle l’intérieur du pot © Oslisly/Nizésété, Loumonangué, 2008. ............................................................................................................................... 287 Photo 65- Laoudi lisse la paroi externe du Pot © Oslisly/Nizésété, Loumonangué, 2008. ...................................................................................................................... 287 Photo 66- Adjonction de colombins par Mbarsolla à Mbé © Nizésété, 09 août 1997. ............................................................................................................................... 288 Photo 67- Laoudi profile les lèvres du récipient © Oslisly/Nizésété, Loumonangué, 2008. ...................................................................................................................... 288 Photo 68- Laoudi aplatit les lèvres du pot avec son pouce © Oslisly/Nizésété, 2008 ............................................................................................................................... 289 Photo 69- Doudou Aïssatou profile col et lèvres et lisse la paroi externe du pot © Emboubou/Nizésété Gambouokouo, 2007. ........................................................... 289 Photo 70- Néné Adama façonne le fond à Gambouokouo © Emboubou/Nizésété, 2007. ...................................................................................................................... 289 Photo 71- Laoudi colmate les brèches pour fermer le fond © Oslisly/Nizésété, 2008. ............................................................................................................................... 290 Photo 72- Laoudi ferme les fentes au fond du pot © Oslisly/Nizésété, 2008. ....... 290 Photo 73- Néné Adama racle et ferme le fond du pot © Emboubou/Nizésété 2007. ............................................................................................................................... 290 Photo 74- Laoudi en lissant le fond du pot, clôture l’opération © Oslisly/Nizésété, 2008 ....................................................................................................................... 290 Photo 75- Roulette gravée chez Laoudi à Loumonangué © Nizésété, mai 2006. .. 291 Photo 76- Pot décoré à la roulette gravée par Doudou Aïssatou © Emboubou/Nizésété, Gambouokouo, juin 2007. ................................................... 291 Photo 77- Impression à la cordelette tressée par Aminatou Mbarsolla. On peut observer le bout de la cordelette suspendu sur la panse. © Nizésété, Mbé, octobre 1998. ...................................................................................................................... 292 Photo 78- Incision au bâtonnet de trois sillons au niveau de la panse par Adjié Kaïgama © Nizésété, Gambouokouo, juillet 1997. ............................................... 292 Photo 79- Pots placés à l’abri du soleil au début du séchage © Emboubou/Nizésété, Gangassao, juin 2007. ............................................................................................ 296
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Photo 80- Pots d’Aminatou Mbarsolla exposés au soleil en fin du séchage © Nizésété, Mbé, octobre 1998. ................................................................................ 296 Photo 81- Foyer de cuisson des pots en préparation à Gangassao par Djenabou Mamma © Emboubou/Nizésété, juin 2007............................................................ 298 Photo 82- Disposition du combustible dans le foyer de cuisson à Gangassao © Emboubou/Nizésété, juin 2007. ............................................................................. 298 Photo 83- Enfournement des pots par Djenabou Mamma à Gangassao © Emboubou/Nizésété, juin 2007. ............................................................................. 299 Photo 84- Amorce de cuisson des pots de Djenabou Mamma © Emboubou/Nizésété, juin 2007. ............................................................................. 299 Photo 85- Brassées de paille déposées sur les pots en cuisson à Gangassao © Emboubou/Nizésété, juin 2007. ............................................................................. 300 Photo 86- Dispositif de cuisson totalement consumé © Emboubou/Nizésété, juin 2007. ...................................................................................................................... 300 Photo 87- Défournement à Gangassao par Djenabou Mamma © Emboubou/Nizésété, juin 2007. ............................................................................. 300 Photo 88- Aspersion de pot avec un colorant naturel © Emboubou/Nizésété, juin 2007. ...................................................................................................................... 300 Photo 89- Marmite pour cuisson © Nizésété, Loumonangué, 2006. ..................... 303 Photo 90- Récipient multifonctionnel : cuisson, bain, lessive, etc. © Nizésété, Somié, 2006. .......................................................................................................... 303 Photo 91- Jarre multifonctionnelle © Nizésété, Djorgoy, 2005............................. 303 Photo 92- Jarre pour cuisson de la bière © Nizésété, Djorgoy, 2005. ................... 303 Photo 93- Plats pour service des repas © Nizésété, Somié, 2006. ......................... 304 Photo 94- Bols pour service couscous, sauce et bouillie © Nizésété, Somié, 2006. ............................................................................................................................... 304 Photo 95- « Dame-jeanne » pour service de l’eau et de la bière © Nizésété, Somié, 2006. ...................................................................................................................... 304 Photo 96- Bombonne mambila pour le service de l’eau et de la bière © Nizésété, Somié, 2006. .......................................................................................................... 304 Photo 97- Pot de chauffage avec perforations pour ventilation © Nizésété, Gambouokouo, 1997.............................................................................................. 305 Photo 98- Cage pour volaille avec des trous d’aération © Nizésété, Djorgoy, 2005. ............................................................................................................................... 305 Photo 99- Bouilloire pour ablutions, chauffage de l’eau et cuisson des médicaments © Nizésété, Loumonangué, 2006........................................................................... 305 Photo 100- Récipient spécial intervenant dans la distillation de la bière chez les Mambila © Nizésété, Somié, 2006. ....................................................................... 305 Photo 101- Pot funéraire chez les Doayo (Douayo) dans le Faro (Poli) au NordCameroun, les crânes des morts sont retirés de la tombe après un certain temps et sont conservés dans des canaris bien gardés. À chaque cérémonie arrosée de bière, tous les canaris sont rassemblés en un seul lieu. Ceux des femmes séparés de ceux
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des hommes. Ce rassemblement s’appelle Djouldogo © Fosse John, 1967, Projet Ngaoundéré Anthropos/Sawtu Linjiila (Ngaoundéré, Cameroun). CD 0418-008; Réf : AL. ................................................................................................................ 306 Photo 102- Etudiants en Design céramique du département des Beaux-Arts et des sciences du patrimoine de l’Institut supérieur du Sahel (université de Maroua), en stage d’imprégnation en céramique à l’Institut de formation artistique de Mbalmayo © IFA/Nizésété, Mbalmayo, 2011. ........................................................................ 309 Photo 103- Plat de service ou pièce décorative en céramique produit à l’IFA de Mbalmayo. La simplicité des formes et l’éclat des motifs décoratifs confèrent à cet objet une intense dimension artistique © IFA/Nizésété, Mbalmayo, 2011............ 310 Photo 104- Œuvre d’art en céramique d’inspiration religieuse © IFA/Nizésété, Mbalmayo, 2011. ................................................................................................... 311 Photo 105- Œuvre d’art ludique en céramique © IFA/Nizésété, Mbalmayo, 2011. ............................................................................................................................... 311 Photo 106- Le 06 décembre 1997 à Yaoundé lors des ateliers de METAF (Métallurgies africaines), tenus du 06 au 08 décembre. Nang Hamoa, ferronforgeron était le chef d’équipe de l’opération de réduction de minerais de fer par procédé direct le 08/12/97 © Nizésété. .................................................................. 322 Photo 107- Nang Daouda, ferron-forgeron, était le responsable technique de l’opération de réduction de minerais de fer par procédé direct le 08/12/97© Nizésété.................................................................................................................. 322 Photo 108- Nang Moussa, 65 ans environ en 1997, ferron-forgeron à Gangassao. Membre de l’opération de réduction de minerais de fer à Yaoundé © Nizésété, Yaoundé 08/12/97. ................................................................................................. 323 Photo 109- Nang Djiddéré, 60 ans environ en 1997, ferron-forgeron à Gambouokouo. Membre de l’opération de réduction de minerais de fer à Yaoundé © Nizésété, Yaoundé 08/12/97. Synthèse des propos recueillis le 29/07 à Gambouokouo........................................................................................................ 323 Photo 110- Hamoa (en boubou rayé) et Daouda manipulent le soufflet qui pulse l’air dans le fourneau © Nizésété, Yaoundé, 1997. ............................................... 330 Photo 111- Fourneau dii mambé construit à Yaoundé en décembre 1997 pour METAF 2 par des ferrons-forgerons dii © Nizésété, 1997. ................................... 332 Photo 112- Chargement du four respectivement par Nang Hamoa et Nang Diallo © Yaoundé, Nizésété, Yaoundé, 1997. ...................................................................... 333 Photo 113- Nang Daouda en ferronnier, retire la loupe du fourneau © Yaoundé, Nizésété, Yaoundé, 1997. ...................................................................................... 334 Photo 114- Loupe spongieuse contenant encore des impuretés © Yaoundé, Nizésété, Yaoundé, 1997. ...................................................................................... 334 Photo 115- Scories en baguettes ou masses spongieuses incrustées de débris végétaux et de charbon de bois © Nizésété, Loumonangué, juillet 1997 et Gu-lil, août 1998. .............................................................................................................. 335
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TABLE DES PLANCHES Planche 1- Céramique de l’Adamaoua : décors par impression à la roulette gravée. ............................................................................................................................... 207 Planche 2- Formes et extrémités des bords de quelques vestiges céramiques du site de Ndeba à Somié. ................................................................................................. 211 Planche 3- Une caractéristique de la pâte céramique de l’Adamaoua. .................. 214 Planche 4- Céramique de l’Adamaoua : décors par impression à la cordelette torsadée. ................................................................................................................. 220 Planche 5- Motifs décoratifs sur des tessons archéologiques de l’Adamaoua ....... 293
TABLE DES SCHEMAS Schéma 1- Coupe archéo-pédologique du « Sondage 1 » réalisé au mont Ngaoundéré en mai 1998. Le charbon de bois prélevé entre 2, 20-2,25 m de profondeur (couche C 103) et calibré à Trondheim (Norvège) en mai 2001, est daté de BC 1000-840. .................................................................................................... 161 Schéma 2- Coupe archéo-pédologique du « Sondage 1 » réalisé à Ndeba en janvier 2004. ...................................................................................................................... 186 Schéma 3- Coupe archéo-pédologique du « Sondage 2 ». Ndeba janvier 2006. ... 188 Schéma 4- Galets à taille bidirectionnelle : « On peut classer dans cette série environ 34 % des pièces récoltées à Kontcha. L’aménagement d’un tranchant sinueux est obtenu rarement par enlèvements opposés à une fracture oblique, mais le plus souvent par enlèvement en deux séries successives, généralement en opposition alterne ou irrégulière, sur les faces parallèles à l’aplatissement » (Hervieu Jean, 1969 (a) : 26-27). ........................................................................... 198 Schéma 5- Coupe schématique d’un four à réduction © Fluzin, 1983 ; Bocum, 1988. ...................................................................................................................... 332
TABLE DES TABLEAUX Tableau 1- LISTE GÉNÉALOGIQUE DE LA CHEFFERIE MBOUM DE NGANHA ......................................................................................................................... 138 Tableau 2- Dates au radiocarbone des abris sous roche du mont Ngaoundéré ...... 160
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Tableau 3- Dates au C 14 des sites de Somié calibrées à Pretoria (Afrique du Sud) ............................................................................................................................... 187 Tableau 4- Dates au C 14 des sites de Somié calibrées à Lyon (France). ............... 189
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TABLE DES MATIÈRES DÉDICACE ............................................................................................... 7 REMERCIEMENTS ................................................................................. 9 AVANT-PROPOS................................................................................... 15 PREMIÈRE PARTIE CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES GÉNÉRALES ............. 17 CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES GÉNÉRALES DE LA TRUELLE À LA PLUME / DE L’OMBRE À LA LUMIÈRE .......... 19 1- Les fondements de l’étude .......................................................... 19 2- Clarification des concepts ........................................................... 28 a) L’Archéologie ......................................................................... 30 b) L’Histoire ................................................................................ 34 c) Le sol est mémoire .................................................................. 37 3- L’Adamaoua, région marginale dans la carte archéologique du Nord-Cameroun ............................................................................... 40 4- Productions scientifiques antérieures sur la région de l’Adamaoua ......................................................................................................... 45 5- Ancrages théoriques .................................................................... 52 a) Transdisciplinarité ................................................................... 53 b) Écologie culturelle .................................................................. 59 c) Archéologie du présent............................................................ 63 d) La « Nouvelle histoire » .......................................................... 67 6- Problèmes à résoudre .................................................................. 69 7- Objectifs à atteindre .................................................................... 69 8- Fondements méthodologiques..................................................... 70 1- Avant la fouille archéologique ................................................ 72 a) Consignes préliminaires ...................................................... 72 b) les sources orales ................................................................. 74 c) La toponymie....................................................................... 76 d) Les sources écrites .............................................................. 77 2- Pendant la fouille archéologique ............................................. 78 3- Après la fouille archéologique ................................................ 83 1) « l’Homme de Piltdown » ................................................... 87 2) La mosquée Babri Masjid à Ayodhya en Inde .................... 87 413
3) Le « mythe de la frontière historique du Limpopo » .......... 88 9) Les chapitres de l’ouvrage .......................................................... 90 DEUXIÈME PARTIE ENVIRONNEMENT NATUREL ET MISE EN PLACE DES POPULATIONS ...................................................................................... 97 CHAPITRE I MILIEU NATUREL DE L’ADAMAOUA ET IMPLICATIONS DANS LES RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES ............................................................................................................. 99 I- MILIEU NATUREL ET OCCUPATION DES SITES ............... 99 II- UN RELIEF MONTAGNARD PROPICE À L’HABITAT .... 101 III- UN CLIMAT SALUBRE DANS L’ENSEMBLE.................. 107 IV- DES SOLS AUX POSSIBILITÉS MULTIPLES ................... 109 1- Un vieux socle riche en minerais utiles ................................ 110 2- Des sols argileux recherchés pour la poterie ......................... 111 3- Des sols ferrugineux propices à la métallurgie du fer ........... 111 4- Des sols fertiles favorables aux activités agricoles et pastorales ................................................................................................... 112 V- UN COUVERT VÉGÉTAL ARBORÉ ET ARBUSTIF EN SURSIS ......................................................................................... 114 1- Flore et société ...................................................................... 114 2- La forêt sèche ........................................................................ 115 3- La savane arbustive ............................................................... 116 4- Les apports nutritionnels, thérapeutiques et technologiques des plantes de l’Adamaoua .............................................................. 116 5- Les plantes cultivées dans l’Adamaoua ................................ 120 VI- UNE FAUNE VARIÉE AUJOURD’HUI DÉCIMÉE ........... 123 1- Les bêtes sauvages ................................................................ 123 2- Les produits d’élevage .......................................................... 124 VII- UN RÉSEAU HYDROGRAPHIQUE AUX RESSOURCES VITALES MULTIPLES ............................................................... 125 CHAPITRE II MIGRATIONS ANCIENNES ET PEUPLEMENT DE L’ADAMAOUA - LES DONNÉES DE L’ORALITÉ ET DE L’ARCHÉOLOGIE ........................................................................... 129 I- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES MOBILITÉS HUMAINES .................................................................................. 129 II- TRADITIONS D’ORIGINE, MIGRATIONS ET SÉDENTARISATION DES MBOUM ......................................... 132 414
1- Traditions d’origine des Mboum........................................... 133 a) Les Mboum tombés du ciel ? ............................................ 133 b) Les Mboum chassés du ciel ? ............................................ 133 c) Les Mboum fugitifs du Yémen ?....................................... 134 d) Les Mboum originaires de l’Égypte pharaonique? ........... 134 2- Pérégrination des Mboum avant leur implantation dans l’Adamaoua ............................................................................... 135 3- Mouvements des Mboum dans le Plateau de l’Adamaoua ... 135 III- TRADITIONS D’ORIGINE ET PEUPLEMENT DU PAYS DII ....................................................................................................... 139 IV- MIGRATIONS ANCIENNES ET PEUPLEMENT DE SOMIÉ ....................................................................................................... 145 TROISIÈME PARTIE INVENTAIRE DES SITES, ANALYSE DES VESTIGES ET ALERTE SUR LE PATRIMOINE ARCHÉOLOGIQUE .................................... 149 CHAPITRE III INVENTAIRE ET CARACTÉRISTIQUES DES SITES ARCHÉOLOGIQUES DE L’ADAMAOUA ........................ 151 I- SITES ARCHÉOLOGIQUES DE L’ADAMAOUA : PRÉSENTATION GÉNÉRALE ET ESQUISSE DES MÉTHODES DE FOUILLE ................................................................................ 151 I-1- PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES SITES .................... 151 I-2- DÉFINITION ET FORMATION D’UN SITE ARCHÉOLOGIQUE ................................................................. 153 I-3- MÉTHODES DE FOUILLE DES SITES INVENTORIÉS ................................................................................................... 154 1) Les sites de plein air .......................................................... 154 2) Les ateliers de réduction de fer ......................................... 155 3) Les abris sous roche .......................................................... 155 4) Les fosses .......................................................................... 156 II- DESCRIPTION GÉNÉRALE DES SITES .............................. 158 II-1- LES SITES DU DÉPARTEMENT DE LA VINA ........... 158 II-1-1- SITES DES ARRONDISSEMENTS DE NGAOUNDÉRÉ ................................................................... 158 1- MONT NGAOUNDÉRÉ .............................................. 158 2- NGAW HORA .............................................................. 161 3- NGAW NDAY .............................................................. 162 4- NGAW NDURU ........................................................... 163 5- NGAW PAK HAY........................................................ 164 415
6- NGAW SEY OU NGAW SAY .................................... 165 II-1-2- LES SITES DE L’ARRONDISSEMENT DE NGANHA ......................................................................................... 166 1- NDJOCK NANG .......................................................... 166 2- GROTTE DE RAOU YON POU.................................. 167 3- NGUILANG.................................................................. 169 II-1-3- LES SITES DE L’ARRONDISSEMENT DE MBÉ . 170 1- GU-LIL OU NGAW-LEL (Mbé) ................................. 170 2- SASSA MBOERSI ....................................................... 172 3- LOUMONANGUÉ ....................................................... 172 II-2- LES SITES SUR L’AXE ROUTIER NGAOUNDÉRÉTOUBORO-MOUNDOU ......................................................... 174 1- BAOSSI (PK 50) ............................................................... 174 2- DJORGOY (PK 83) .......................................................... 175 3- YOKO (PK 125) ............................................................... 175 4- VOGZOM (PK158) .......................................................... 177 II-3- LES SITES DU DÉPARTEMENT DU MAYO-BANYO 179 II-3-1- DESCRIPTION DES SITES ..................................... 179 II-3-2- OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LES SITES DU MAYO-BANYO ................................................................... 185 II-3-3- INTERPRÉTATION DES DATATIONS AU RADIOCARBONE DES SITES DE SOMIÉ ....................... 185 a) Dates calibrées par Quaternary Dating Research Unit de Pretoria .............................................................................. 186 II-4- LES SITES DU DÉPARTEMENT DU FARO ET DÉO . 190 II-5- LES SITES DU DÉPARTEMENT DU MBÉRÉ ............. 193 CHAPITRE IV ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES VESTIGES FRAGMENTS DE L’HISTOIRE DE L’ADAMAOUA VENUS DU SOL .............................................................................. 195 I- VESTIGES DE L’INDUSTRIE LITHIQUE DE L’ADAMAOUA ....................................................................................................... 196 I-1- PRÉSENTATION DES VESTIGES LITHIQUES DE L’ADAMAOUA ....................................................................... 196 I-2- APPORTS DES INSTRUMENTS LITHIQUES A L’HISTOIRE RÉGIONALE ..................................................... 198 II- VESTIGES DE L’INDUSTRIE CÉRAMIQUE DE L’ADAMAOUA ........................................................................... 204 II-1- NOTE LIMINAIRE SUR LES VESTIGES CÉRAMIQUES DE L’ADAMAOUA ................................................................. 204 416
II-2- PRÉSENTATION DES VESTIGES CÉRAMIQUES DE L’ADAMAOUA ....................................................................... 206 1- La quantité de tessons de céramique ................................. 206 2- Morphologie des pots ........................................................ 210 3- Pâte argileuse .................................................................... 214 4- Décors de la céramique archéologique de l’Adamaoua .... 217 III- VESTIGES DE L’INDUSTRIE MÉTALLURGIQUE DE L’ADAMAOUA ........................................................................... 222 III-1- CONSIDÉRATIONS D’ORDRE TECHNIQUE ET CULTUREL SUR LA MÉTALLURGIE DU FER DANS L’ADAMAOUA ....................................................................... 222 II-2- ANALYSE DES VESTIGES MÉTALLIFÈRES ............. 224 1- Parois de fours à réduction ................................................ 224 2- Bouts de tuyères rubéfiés .................................................. 225 3- Scories ............................................................................... 225 IV- OBJETS-SIGNES DU POUVOIR DES SOUVERAINS MBOUM DE NGAN-HA VESTIGES SPÉCIAUX SAUVÉS DES FLAMMES D’UNE FOI ARDENTE ........................................... 228 IV-1- À LA DÉCOUVERTE DES OBJETS-SIGNES DU POUVOIR DU BÉLÀKÀ (FÈ MBOUM) ................................. 228 IV-2- PRÉSENTATION ET INTERPRÉTATION DES OBJETSSIGNES DU POUVOIR DU BÉLÀKÀ ................................... 232 IV-3- INTERPRÉTATION GÉNÉRALE DES OBJETS-SIGNES DU POUVOIR DU BÉLÀKÀ .................................................. 239 CHAPITRE V ALERTE SUR LES SITES ET VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES MENACES ET PRÉVENTION DANS L’ADAMAOUA ............................................................................... 243 I- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR L’ÉTAT DU PATRIMOINE ARCHÉOLOGIQUE DE L’ADAMAOUA ........ 243 II- FACTEURS DE DÉGRADATION DES SITES ET VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES DE L’ADAMAOUA ................................ 245 II-1- FACTEURS ANTHROPIQUES ....................................... 245 II-2- FACTEURS NATURELS ................................................ 252 III- MESURES DE PROTECTION DES SITES ET DES VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES DANS L’ADAMAOUA ...... 255 III-1- TEXTES DE LOI RÉGLEMENTANT LA GESTION DU PATRIMOINE ARCHÉOLOGIQUE ....................................... 255 III-2- FORMATION DES PROFESSIONNELS ...................... 257 III-3- CONSERVATION DES SITES IN SITU........................ 259 417
III-4- TRAITEMENT CHIMIQUE ET MÉCANIQUE DES ARTÉFACTS ............................................................................ 260 III-5- MUSÉE ET CONSERVATION DES VESTIGES ......... 261 1- Ces musées qui ne sont pas des musées africains ............. 262 2- Des modèles de musée pour l’Afrique .............................. 265 QUATRIÈME PARTIE L’ARCHÉOLOGIE DU PRÉSENT LES ARTS DU FEU ENTRE ÉVOLUTION, STAGNATION ET DÉCLIN....................................... 267 CHAPITRE VI LA POTERIE DANS L’ADAMAOUA - CHAÎNE OPÉRATOIRE D’UNE PRATIQUE ARTISTIQUE EN CONSTANTE ÉVOLUTION ........................................................... 269 I- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR L’INVENTION DE LA POTERIE ................................................................................ 270 II- Tableau 5 : RÉPERTOIRE DE QUELQUES POTIÈRES DE L’ADAMAOUA. .......................................................................... 273 III- VISAGES ET PAROLES DE POTIÈRES DE L’ADAMAOUA ....................................................................................................... 276 1- Mbarsolla Aminatou : potière Dii à Mbé marché ................. 277 2- Mvela Marthe, potière Mambila à Somié ............................. 277 3- Adjié Kaïgama, potière Mboum à Gambouokouo ................ 278 4- Adawa Pauline, potière Mbéré/Gbaya à Meiganga .............. 278 5- Laoudi, potière Dii, à Loumonangué .................................... 279 6- Mgbagnié Paul, potier à Somié..............................................279 IV- LES SENTIERS DE LA FORMATION DES POTIÈRES .... 279 V- DES GESTES ET DES FORMES ........................................... 282 V-1- L’EXTRACTION DE L’ARGILE ................................... 282 V-2- LE TRAITEMENT DE LA MATIÈRE PREMIÈRE ....... 284 V-3- LE FAÇONNAGE ............................................................ 285 V-4- DÉCOR ET MOTIFS DÉCORATIFS .............................. 290 1- Techniques de décor.......................................................... 291 2- Regards sur le sens du décor et des motifs décoratifs........294 V-5- FINITIONS ET TRAITEMENTS PRE-CUISSON ......... 296 V-6- CUISSON DES POTS ...................................................... 298 V-7- TRAITEMENT DE SURFACE : OPÉRATION POSTCUISSON .................................................................................. 300 VI- MORPHOLOGIE ET FONCTIONS DES POTS ................... 301 VII- ACQUISITION DES POTERIES ......................................... 307 VIII- LA POTERIE DEMAIN ...................................................... 308
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CHAPITRE VII MÉTALLURGIE ANCIENNE DU FER DANS L’ADAMAOUA CHAÎNE OPÉRATOIRE D’UN ART DU FEU DISPARU .......................................................................................... 313 I- CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA MÉTALLURGIE DU FER DANS L’ADAMAOUA ................................................ 314 II- TRADITIONS HISTORIQUES SUR LES ORIGINES DE LA PRODUCTION DU FER CHEZ LES DII .................................... 316 III- STATUT SOCIAL DU FORGERON DII .............................. 318 IV- LES DERNIERS MÉTALLURGISTES : VISAGES ET PAROLES D’EXPERTS ............................................................... 320 1- Nang Hamoa de Gangassao .................................................. 322 2- Nang Moussa, ferron-forgeron à Gangassao......................... 323 3- Nang Djiddéré, ferron-forgeron à Gambouokouo................. 323 V- LA MÉTALLURGIE DII : CRÉATION ENDOGÈNE OU ACQUISITION PAR DIFFUSION ? ............................................ 325 VI- CHAÎNE OPÉRATOIRE DE RÉDUCTION DES MINERAIS DE FER DANS L’ADAMAOUA ................................................. 326 VI-1- MATIÈRE PREMIÈRE : LE MINERAI DE FER .......... 327 VI-2- SOURCE D’ÉNERGIE : DU BOIS DE CHAUFFE AU CHARBON DE BOIS ............................................................... 328 VI-3- LES FONDANTS ............................................................ 329 VI-4- LE COMBURANT .......................................................... 329 VI-5- SOUFFLETS ET TUYÈRES .......................................... 330 VI-6- LES FOURS À RÉDUCTION ........................................ 331 VI-7- LIEUX DE RÉDUCTION ............................................... 332 VI-8- FONCTIONNEMENT DES FOURS À RÉDUCTION .. 333 VI-9- LES SCORIES................................................................. 335 VII- PRATIQUES RITUELLES AUTOUR DE LA RÉDUCTION DES MINERAIS DE FER ............................................................ 336 VII-1- LE TRAVAIL DU FER : UNE MÉTAPHORE DE RELATION SEXUELLE .......................................................... 336 1- Analogie entre équipement de forge et sexualité .............. 336 2- Abstinence sexuelle avant et pendant la réduction ........... 337 VII-2- PAROLES ET GESTES RITUELS POUR UNE CÉRÉMONIE DE RÉDUCTION ............................................. 339 VII-3- INGRÉDIENTS VÉGÉTAUX ET ANIMAUX POUR UNE RÉDUCTION ................................................................... 340 1- Ingrédients végétaux ......................................................... 340 2- Ingrédients animaux .......................................................... 341 419
VII-4- LIEUX ET TEMPS DE RÉDUCTION.......................... 342 VII-5- ESTHÉTIQUE ÉSOTÉRIQUE DES MÉTALLURGISTES ................................................................ 343 VIII- COMMERCIALISATION DU FER .................................... 343 IX- LA MÉTALLURGIE DII : CRÉATIVITÉ, MAIS STAGNATION ............................................................................. 345 CINQUIÈME PARTIE L’ARCHÉOLOGIE FACE AUX IMPÉRATIFS DU DÉVELOPPEMENT ............................................................................. 349 CHAPITRE VIII ARCHÉOLOGIE, HISTOIRE ET PROBLÉMATIQUE DU DÉVELOPPEMENT ............................... 351 I- L’ARCHÉOLOGIE COMME OUTIL DE DÉVELOPPEMENT ....................................................................................................... 354 II- MIGRATIONS, PEUPLEMENT ET DÉVELOPPEMENT .... 362 III- GESTION MAÎTRISÉE DE L’ESPACE HABITÉ ET DÉVELOPPEMENT DURABLE ................................................. 366 IV- ARCHÉOLOGIE, MUSÉE ET DÉVELOPPEMENT INTELLECTUEL .......................................................................... 367 CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................... 373 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................ 377 TABLE DES CARTES ......................................................................... 405 TABLE DES PHOTOS ......................................................................... 405 TABLE DES PLANCHES .................................................................... 411 TABLE DES SCHEMAS ...................................................................... 411 TABLE DES TABLEAUX ................................................................... 411
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Le Cameroun aux éditions L’Harmattan Dernières parutions Décentralisation et centralisation au Cameroun La répartition des compétences entre l’État et les collectivités locales
Kouomegne Noubissi Hilaire - Préface de Maurice Kamto et Michel Verpeaux
La décentralisation est au cœur des mutations juridiques et institutionnelles en cours dans les États africains depuis plus de deux décennies. Selon l’auteur, sous la décentralisation camerounaise, perce un centralisme administratif dont les origines ne sont pas récentes. Loin d’amplifier le projet nouveau de décentralisation affirmé par les pouvoirs publics, le dispositif normatif de la répartition des compétences reflète plutôt une organisation administrative dont la centralisation est une empreinte persistante. (Coll. Études africaines, 48.00 euros, 502 p.) ISBN : 978-2-336-00946-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-53232-8 Pouvoir monarchique et changements politiques dans le Noun (Cameroun)
Njoya Oumarou
Dans la société bamoun de l’oralité, les mots ont un pouvoir. Les classes dominantes ont compris que la suprématie durable repose sur le pouvoir magique des mots, tandis que les classes dominées ont puisé dans leur tréfonds culturel des stratégies multiples pour promouvoir la culture du débat contradictoire en pays bamoun. Cette dynamique de lutte des gouvernés a entraîné des bouleversements sociaux, des mutations précises et des altérations de comportement. (Coll. Harmattan Cameroun, 34.00 euros, 530 p.) ISBN : 978-2-336-00935-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-53098-0 Rivalités ethniques mimétiques en Afrique Déficit démocratique et sous-développement au Cameroun
Toko Jérémie
L’Afrique est le terrain d’une double rivalité destructrice : celle des rivalités ethniques mimétiques et celle des rivalités théoriques mimétiques. Les rivalités ethniques mimétiques, issues d’un état d’esprit de repli identitaire et d’un désir d’infliger en retour le mal reçu, conduisent à des explosions de violence. Les rivalités entretiennent les divisions et bloquent le développement. Or la société a besoin du préalable de la confiance pour se développer, afin qu’émerge un leadership du rassemblement. (Coll. Études africaines, 29.00 euros, 276 p.) ISBN : 978-2-336-29748-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-53113-0 Urbanisation et espaces périurbains en Afrique subsaharienne Pratiques à l’Ouest-Cameroun
Yemmafouo Aristide
Cet ouvrage est une invitation au débat sur les espaces périurbains en Afrique, à partir du cas du Cameroun. Le périurbain est désormais un tiers espace intercalé entre le rural et l’urbain ; il est indispensable de lui accorder plus d’attention si l’on ne veut pas rater le tournant de l’urbanisation du XXIe siècle. Il y a une réelle nécessité pour les États de l’institutionnaliser et d’y instruire des projets de territoires. (Coll. Harmattan Cameroun, 28.00 euros, 270 p.) ISBN : 978-2-336-00925-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-53213-7
hydrocarbures (Les) dans le monde, en Afrique et au Cameroun
Nguini Effa Jean-Baptiste
Cet ouvrage offre un accès singulier à la compréhension des mécanismes de commercialisation et d’évolution des prix et à l’appréhension des termes et techniques du raffinage et de la pétrochimie. Il propose également une réflexion poussée sur le fonctionnement des marchés et les enjeux de l’après-pétrole. Voici une sorte de bible des hydrocarbures ! (Coll. Défense, Stratégie et Relations Internationales, 46.50 euros, 472 p.) ISBN : 978-2-336-29277-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-53038-6 ingénierie (L’) procréatique et l’émergence d’une génération bâtarde des droits de l’homme
Tsala Mbani Andre Liboire
La génération émergente des droits de l’homme, notamment celle qui est induite par la dynamique biomédicale, n’est fondée ni sur la raison ni sur le droit naturel : elle est donc bâtarde. Il en est ainsi du droit de manipuler génétiquement un embryon humain revendiqué par les partisans de l’ingénierie de la procréatique. Contre ce « biojuridisme nihiliste «, une thérapie éthique de choc s’impose. (Coll. Harmattan Cameroun, 19.50 euros, 198 p.) ISBN : 978-2-343-00049-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-51605-2 Cameroun (Le) face au défi du développement Atouts, obstacles et voie à suivre
Fodouop Kengne - Préface de Jean-Louis Chaleard - Postface de Benjamin Steck
Le Cameroun est un pays doté de multiples atouts favorables à son développement. Exploités à bon escient, ils en feraient un pays qui pourrait garantir à ses habitants de meilleures conditions de vie. Mais le Cameroun accédera à un véritable développement si ses dirigeants politiques et ses citoyens renoncent au tribalisme et privilégient l’intérêt général, si l’État applique les règles de droit et de justice, si les intellectuels camerounais s’impliquent dans la lutte. (Coll. Racines du Présent, 35.00 euros, 360 p.) ISBN : 978-2-336-00545-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-51288-7 Cameroun, le temps des incertitudes Espace de risque et dynamique de populations
Mbiaga Cyrille
Le Cameroun est en crise depuis son indépendance, et cette crise a conduit à l’émergence de grandes injustices. Le Cameroun subit des influences externes et souffre de ses influences internes. La dynamique des populations camerounaises montre une aspiration au bien-être et au progrès social dans un environnement tapi de risques et d’incertitudes. Ce livre décrit les déterminants qui accélèrent ou qui freinent le développement. (Coll. Points de vue, 21.00 euros, 218 p.) ISBN : 978-2-296-99825-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-51457-7 Jeunesse africaine et dynamique des modèles de la réussite sociale L’exemple du Cameroun
Manga Jean-Marcellin
Voici une lecture des imaginaires de la réussite sociale de la jeunesse urbaine camerounaise contemporaine. Quelles sont les voies et les figures les plus significatives de la promotion sociale pour les jeunes de la capitale camerounaise ? (Coll. Sociétés africaines et diaspora, 24.00 euros, 244 p.) ISBN : 978-2-336-00188-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-51333-4 Pensée politique de Paul Biya
Amougou Bernard - Préface de Jacques Fame Ndongo
Ce livre tente de clarifier et d’expliquer la pensée politique de Paul Biya. L’auteur cible bon nombre d’idées structurantes du «Renouveau» et aborde les idées que sont : le libéralisme communautaire,
la moralisation, la liberté d’entreprendre, le devoir de solidarité, la démocratie, les droits de l’homme, les devoirs du citoyen, l’intégration nationale, l’État fort, la justice sociale, la nation, le spiritualisme culturel, la diplomatie et la croissance. (Coll. Harmattan Cameroun, 15.50 euros, 148 p.) ISBN : 978-2-336-00038-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-51329-7 bamiléké (Les) au Cameroun Ostracisme et sous-développement
Tchatchoua Thomas
La question ethnique est la problématique épicentrale de la gouvernance du Cameroun. L’auteur relance un vieux débat sur un fléau panafricain toujours d’actualité : l’ostracisme, qui culmine au Cameroun dans la question bamiléké. Le rejet dont souffre cette ethnie dans la société camerounaise a éclaté à maintes occasions pour marquer de ses crises aux effets parfois douloureux et tragiques l’histoire du pays. (Coll. Harmattan Cameroun, 20.50 euros, 234 p.) ISBN : 978-2-336-00889-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-51376-1 éleveurs (Les) mbororo du nord-Cameroun Une vie et un élevage en mutation
Kossoumna Liba’a Natali
A l’insécurité foncière et fiscale affectant la préservation des espaces de pâturage et des pistes à bétail et favorisant une agriculture minière ou extensive, s’est ajoutée l’insécurité physique, avec des prises d’otages et les fortes rançons demandées aux Mbororo. Ces derniers tentent tant bien que mal de s’adapter et/ou d’atténuer de telles contraintes. Tout en sédentarisant habitat et activités, ils maintiennent la pratique de la transhumance, mais en la modifiant. (Coll. Etudes africaines, 28.00 euros, 274 p.) ISBN : 978-2-336-29078-2, ISBN EBOOK : 978-2-296-51377-8 Proverbes et expressions bassa Traduits en français
Momha Bellnoun - Préface du Révérend Pasteur Bernard Mayémi Ma Ndinjock
L’auteur met au service de tous les Proverbes et expressions bassa, un outil véritablement indispensable pour l’apprentissage et la maîtrise de la langue bassa. Cette langue devient enfin ce que les ancêtres ont toujours voulu qu’elle soit : un bassa à la portée de son public, qu’il entraîne sans difficulté dans ses divers imaginaires. (26.00 euros, 262 p.) ISBN : 978-2-296-96427-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-51317-4 Gérard Essomba Many, l’acteur rebelle Art et esthétique du comédien africain
Soh Tatcha Charles
Attachant, contradictoire, fascinant, tels sont les adjectifs qui servent à dépeindre l’un des acteurs les plus charismatiques du continent africain, dont la liberté d’expression irrite, horripile, dérange, embarrasse, et dont la carrière est marquée par une mosaïque de succès et d’échecs, à la mesure des dimensions hors normes d’une personnalité insaisissable, faite de doutes et de douleurs. L’enfant terrible du 7e art africain se livre ici avec sincérité et humour. (Coll. Harmattan Cameroun, 17.00 euros, 172 p.) ISBN : 978-2-336-00911-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-51452-2 Droits de l’homme et gouvernance en milieu parlementaire au Cameroun
Bessolo Soya Marie Thérèse B. - Préface du Pr. Hon. Lekene Donfack
Cet ouvrage se veut une référence en matière d’évaluation de la dynamique des droits de l’homme au Cameroun ; en ce sens l’auteur a choisi ce concept à la fois comme cadre théorique et champ disciplinaire, désormais base de toute politique publique cohérente. Ce livre a le mérite de se revendiquer, non seulement des sciences du management, mais aussi des sciences historiques.
Aussi présente-t-il des propositions concrètes pour une action parlementaire plus efficace et plus soutenue (Dr Gérard Marie Messina). (Coll. Harmattan Cameroun, 19.00 euros, 192 p.) ISBN : 978-2-336-00888-2, ISBN EBOOK : 978-2-296-51292-4 Parlons Douala Langue bantoue du Cameroun
Ewane Valerie
Le douala est une des langues véhiculaires du Cameroun, parlée par les Sawa dans les provinces du littoral, du sud-ouest, et dans le département de l’Océan. Cet ouvrage présente la langue dans sa structure grammaticale et verbale, des éléments de conversation courante, un vocabulaire riche et varié, des éléments culturels et des repères historiques, ainsi que deux lexiques : français-douala et douala-français. (CD en complément : 15 €/ISBN : 978-2-336-00778-6). (Coll. Parlons…, 18.00 euros, 182 p.) ISBN : 978-2-336-00087-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-50770-8 principe (Le) de double nationalité au Cameroun
Tsimi Eric Essono
La loi camerounaise «portant code de la nationalité» est un objet juridique insolite. Promulguée en 1968, cette loi mérite d’être précisée en plusieurs de ses termes. Pour l’auteur, le «code de la nationalité» de 1968 est assurément l’un des plus permissifs au monde. Cette réflexion s’ouvre sur la nécessité de définir et de construire la nationalité camerounaise et se clôt sur l’inéluctabilité d’une évolution à pas comptés. (Coll. Harmattan Cameroun, 11.50 euros, 82 p.) ISBN : 978-2-336-00884-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-51152-1 Enseignement technique et professionnel au Cameroun
Ngo Melha Ernestine Antoinette
Le Cameroun, en tirant les leçons de la crise des années 90, a développé l’enseignement technique et la formation professionnelle ETFP. Comment est organisé ce sous-secteur ? Quelle articulation avec l’enseignement général et le marché de l’emploi ? Après une présentation globale du système éducatif, cet ouvrage décrit le sous-secteur de l’ETFP au Cameroun et la manière dont est organisée la formation des formateurs. (Coll. Etudes africaines, 10.00 euros, 66 p.) ISBN : 978-2-336-00183-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-51127-9 Domanialité publique et expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun
Owona Joseph
A l’heure des «grandes réalisations» (ports, barrages, routes, ponts), les questions de domanialité et d’expropriation publique sont devenues d’une brûlante actualité au Cameroun. Ainsi devientil utile d’avoir un aperçu ou de cerner les notions de domaine public ou privé, d’en maîtriser la constitution, la structure et les modes de gestion. Voici un outil de vulgarisation des connaissances élémentaires pour les étudiants et candidats aux concours administratifs. (Coll. Droits africains et malgache, 14.00 euros, 132 p.) ISBN : 978-2-336-00124-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-51181-1 Approche méthodologique du droit constitutionnel Travaux dirigés et concours administratifs
Bilong Salomon - Préface de Célestin Tchapnga Keutcha
Ce livre a vocation de rendre accessibles à tous des savoirs essentiels et parfois confisqués : la maîtrise des notions de base de droit constitutionnel dans son ensemble et l’idée que les sciences de la communication pénètrent la science juridique, à travers la méthode, le langage et les techniques d’argumentation. (Coll. Harmattan Cameroun, 28.00 euros, 274 p.) ISBN : 978-2-336-00108-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-51162-0
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APPORTS DE L’ARCHÉOLOGIE À L’HISTOIRE DU CAMEROUN Le sol pour mémoire Le potentiel archéologique du Cameroun est immense. Réparti sur l’ensemble du territoire, il enferme dans ses replis des pages inédites de l’histoire de ce pays. Une histoire scientifiquement élaborée, qui doit être écrite avec le concours de toutes les sources, notamment archéologiques, et où l’on doit trouver les motifs pour penser, pour créer, pour agir, pour lutter, pour résister, pour espérer… Mais, en l’état actuel des recherches, nous avons encore peu d’informations sur ce passé de l’ancien Cameroun et son legs aux générations présentes. Déjà, une décennie de prospections et de fouilles archéologiques dans la région de l’Adamaoua nous a permis de mettre au jour des documents matériels dont l’analyse et l’interprétation permettent d’apprécier progressivement la densité de l’histoire des techniques des peuples de cette partie du Cameroun, de proposer des repères chronologiques dans lesquels les hommes ont inscrit leurs actions, et de bousculer certains mythes sur les antériorités de l’occupation des sols avec des prérogatives conséquentes. L’auteur apporte ici sa contribution à la connaissance d’un fragment de l’histoire du Cameroun. Il informe sur ce que le sol a livré, et aucun effort n’a été ménagé pour le restituer à son bénéficiaire, qui est le public, dans ses différentes articulations. Dans cette quête du passé, beaucoup de chantiers ont été ouverts et plusieurs questions posées. Les réponses sont attendues et leur crédibilité passera par la formation des archéologues camerounais professionnels et la mise à leur disposition des moyens matériels à la hauteur de leurs attentes. Bienvenu Denis Nizésété est titulaire du Doctorat Nouveau Régime de l’Université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne) en PréhistoireAnthropologie. Chef du Département d’Histoire et Chef de Division de l’Enseignement et des Personnels Enseignants de l’Université de Ngaoundéré de 1990 à 2005, il est à présent Chef du Département des Beaux-Arts et des Sciences du Patrimoine de l’Institut Supérieur du Sahel de l’Université de Maroua. Chargé de Cours, il est auteur de diverses publications scientifiques.
40 €
ISBN : 978-2-343-02308-3