Ani. Capitale de l'Arménie en l'an mil. Exposition Pavillon des Arts, 2001 2879005434, 9782879005430

Cité mythique " aux mille et une églises ", située aujourd'hui en Turquie, Ani a été façonnée entre le X°

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French Pages 316 [311] Year 2001

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Table of contents :
Frontispice
Sommaire
Avant-propos
Chronologie historique et culturelle
Introduction
Le Širak et l’Arménie chez les géographes médiévaux arabes et latins
Ani et l’Arménie médiévale chez les historiens arméniens, arabes et byzantins
Les campagnes de fouilles à Ani (1892-1893 et 1904-1917)
Les activités archéologiques turques à Ani (1989-2000)
Le contexte politique et diplomatique
Le royaume des Bagratides du Širak: entre Byzance et le califat (884-1045)
Ani et la politique orientale de Byzance (Xe-XIe siècles)
Ani après Ani: Arméniens, Géorgiens et Cheddadides (XIe-XIIe siècles)
Ani au temps des Zakʿarides (XIIIe siècle)
La mort d’Ani: Gengiskhanides, Timourides et Safavides (XIIIe-XVIIe siècles)
L’organisation sociale et l’économie
Les fondements idéologiques de la souveraineté royale en Arménie bagratide: le roi et Dieu
Structures sociales et organisation économique d’une métropole royale
Les clercs dans la cité ou la ville «aux mille et une église»
Le droit médiéval arménien, entre droit canon et droit coutumier
L’économie et les échanges: les trouvailles monétaires d’Ani
La culture matérielle: urbanisme, architecture, arts décoratifs et artisanat
Ani ou les mutations d’un grand centre urbain médiéval
L’Ani rupestre
L’école d’architecture d’Ani
L’architecte Trdat (Tiridate), principale figure de l’école d’Ani
Les murailles d’Ani
Art et artisanat d’une ville de l’an mil
Le terme sacré xoran et ses rapports avec l’évolution décorative des Tables des canons
L’école d’Ani et sa vie intellectuelle
Les centres intellectuels et scriptoria du Širak au temps des Bagratides d’Ani (IXe-XIe siècles)
L’école de médecine d’Ani (Xe-XIe siècles)
Le catholicossat d’Ani à l’époque bagratide: politique et littérature
La littérature arménienne au temps des Bagratides d’Ani
Yovhannēs Sarkawag: la passion du savoir et la vérité du poème
Conclusion – sites – notices
Ani et son mythe (XIIIe-XIXe siècles)
Les principaux sites d’Ani et de sa périphérie
Notices
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Ani. Capitale de l'Arménie en l'an mil. Exposition Pavillon des Arts, 2001
 2879005434, 9782879005430

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Pavillon des Arts 7 février - 13 mai 2001



capitale de l'Arménie en l'an mil

Ouvrage réalisé sous la direction de Raymond H. Kévorkian

PARIS musées

«Ani, capitale de l'Arménie en l'an mil » est placée sous le haut patronage de Monsieur Jacques CHIRAC Président de la République française

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Cette exposition est produite par Paris-Musées en partenariat avec l'Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB) et avec la collaboration du musée d'État d'Histoire d'Arménie, à l'occasion du 1 700' anniversaire de l'adoption du christianisme par l'Arménie.

Comité d'honneur M. Jean Tiberi Maire de Paris M. Albert Bazeyan Maire de Erevan M. Michel Legras Ambassadeur de France en Arménie M. Edward Nalbandian Ambassadeur d'Arménie en France M. Claude Roland Conseiller délégué à la Culture M. Jean Gautier Directeur des Affaires culturelles de la Ville de Paris M. Édouard de Ribes Président de Paris-Musées M. Édouard Attamian Président de l'UGAB , France

Comité d'organisation

M. Emmanuel Daydé Directeur adjoint des Affaires culturelles M. André Pichery Sous-directeur des Richesses artistiques Mme Isabelle Secrétan Chef du Bureau des musées Mme Béatrice Riottot El-Habib Conservateur en chef Directeur du Pavillon des Arts Mme Aimée Fontaine Directeur de Paris-Musées M. Kégham Torossian Administrateur de l' UGAB , France

Commissariat M. Raymond H. Kévorkian Commissaire scientifique, directeur de recherche à l'université Paris III-Sorbonne Nouvelle , conservateur de la Bibliothèque Nubar Avec la collaboration de Mme Adèle Kamsarakan

Il y a quelques années, vivement intéressé par la prodigieuse histoire d'Ani, j'avais encouragé des initiatives destinées à mettre en lumière la capitale de l'Arménie bagratide et à concourir à la sauvegarde de ce patrimoine unique mais oublié. Cité mythique « aux mille et une églises », située aujourd 'hui en Turquie , Ani a été façonnée entre le x• et le x1• siècle par le génie arménien. Abritée derrière ses puissantes murailles, aux confins de l'Asie Mineure et du plateau iranien, elle fut, en ces époques tumultueuses et rudes, un lieu de confrontation et un enjeu entre les puissances perse , arabe, byzantine, géorgienne et seldjoukide, autant qu'un pôle d'échanges entre ces civilisations et un centre intense de création artistique. L'architecte Tiridate, qui, entre 989 et 1001, édifia la cathédrale - un des joyaux d'Ani - , jouissait d'une telle réputation qu'il fut appelé pour consolider la coupole de Sainte-Sophie à Constantinople. Je me réjouis que l'exposition du Pavillon des Arts et la présente publication rendent justice à cette métropole cosmopolite. C'est un juste hommage à sa prospérité, à son raffinement et à ses splendeurs ainsi qu'au rôle important qu'elle a joué sur l'échiquier politique et culturel de cette partie du monde, sur cette frontière mouvante entre l'Orient et l'Occident. Ce fut son destin de connaître des heures éclatantes et glorieuses puis, abandonnée à sa désolation, de s'enfoncer inexorablement dans l'isolement à partir du XIV" siècle, pour devenir une cité fantôme d'une captivante beauté. Je souhaite qu'un large public se penche sur son histoire qui nous invite à réfléchir à la fragilité des civilisations. Ani est l'un des éclats, l'un des phares qui jalonnent la longue histoire des hommes . Au-delà de cette manifestation , je forme des vœux pour que le site, fortement endommagé par les éléments naturels - séismes, pluies, gel - , soit conforté et préservé. Le début de la restauration , à laquelle des équipes turque et française participent en apportant toute leur compétence, est le signe encourageant d'un renouveau. Il est de notre devoir à tous que ce superbe maillon de l'histoire de l'art puisse être transmis aux générations futures. Jacques Chirac Président de la République française

«Si chaque pierre est l'étrange concrétion d 'une volonté , d'une mémoire et parfois d 'un défi », peut-on imaginer site archéologique plus riche de souvenirs, plus chargé d 'événements et de sens que la cité médiévale d'Ani, cette ancienne capitale de la dynastie arménienne des Bagratides ? Établie à la frontière , toujours mouvante, de l'Orient et de l'Occident, aux confins de l'Asie mineure et du plateau iranien, sur l'une des routes majeures du commerce international, la «cité aux mille et une églises » aura été objet d'admiration et de convoitise, perpétuel enjeu, source de rencontres mais aussi de conflits et d'affrontements : Arméniens, Byzantins, Seldjoukides, Géorgiens, Mongols ont participé à l'histoire complexe, violente et passionnée de cette terre fondatrice. Et je me félicite que les visiteurs du Pavillon des Arts puissent à leur tour découvrir ou redécouvrir, à travers l'exposition Ani, capitale de l'Arménie en l'an mil, les vestiges d'un grand foyer de civilisation. Depuis les premières campagnes de fouilles conduites à partir des années 1890 par l'Académie impériale des sciences de SaintPétersbourg, on a vu progressivement ressurgir l'enceinte de l'acropole, le plan d'ensemble du palais royal, l'église des Saints-Apôtres, la rue principale menant aux portes de la citadelle ou encore la fameuse église Saint-Grégoire, couverte de fresques peintes ... Les équipes turque et française , qui désormais travaillent de concert sur le site d 'Ani, contribuent à la sauvegarde d'un patrimoine unique. Relever, restaurer, étudier, c'est collaborer avec le temps, retrouver les voix du passé et leur servir d'écho, de relais. La science et la patience des archéologues, le regard érudit et attentif des historiens qui redonnent vie à cette métropole cosmopolite, nous invitent à retrouver les fondements de la civilisation arménienne, à méditer sur l'effacement et la perte qui font la limite mais aussi la grandeur de l'aventure humaine. Jean Tiberi

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Remerciements

Cette exposition est le fruit d'un travail conjoint entre l'Union générale arménienne de bienfaisance et la Ville de Paris. Elle n'aurait pu avoir lieu sans les prêts généreux de musées et bibliothèques arméniens et français , que nous remercions de leur collaboration : Le musée d'État d'Histoire d'Arménie, Erevan : Mme Anelga Grigorian, directeur ; Mme Yvetta Mkrtitchian, directeur adjoint; M. Kohar Katchatourian , conservateur. Le Maténadaran, Erevan: M. Sen Arevchatian , directeur ;

M. Armen Malkhassian , conservateur en chef; M. Guévorg Ter-Vardanian, directeur de recherche. Le musée du Louvre, section Islam: Mme Marthe Bernus-Taylor, conservateur général. La Bibliothèque nationale de France : M. Jean-Pierre Angremy, administrateur général ;

Mme Monique Cohen, conservateur général, directeur du département des Manuscrits ; M. Francis Richard, conservateur en chef ; Mme Hélène Richard, conservateur général, directeur du département des Cartes et Plans ; Mme Hélène Fauré, conservateur, directeur du service des Prêts ; Mme Catherine Goeres, Mme Brigitte Robin Loiseau. La Bibliothèque Nubar de l'UGAB : Melle Arevik Martirossian, M. Khatchik Martirossian,

et Mme Zarouhie Odabachian. Que soient également remerciées toutes les personnes qui , à titres divers, nous ont aidés à réaliser ce projet:

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Sona Attamian Simone Denis Hamlet Gasparian Jean-Claude Glickmann Pascal Gül Julie Houis Diran lncici Roch Olivier Maistre Renée Meldonian Arby Ovanessian Michel Paboudjian François Paolini Nelly Tardivier-Henrot

À la direction des Affaires culturelles Maryvonne Deleau et le service de la communication, Robert Deséchalliers, Gilles Gnilitzki, Philippe Gorokoff, Dominique Ménager, Viviane Neycenssas, Annie-Claude Viotty. Au Pavillon des Arts Brigitte Fradet-Duval, Vincent Gille, Patricia Haupois, ainsi que l'ensemble du personnel de surveillance et d'accueil encadré par Hélène Douchin : Jacky Barathon, Kefing Coulibaly, Marc Couronny, Émile Daufour, Philippe Nogues, Fabien Pernet, Eva Traoré, Laurent Verron , Édouard Voyron. Les ateliers techniques des musées de la Ville de Paris placés sous la responsabilité de Michel Gratio , Louis Coustou et Bruno Leroux.

À Paris-Musées Denis Caget, expositions Emmanuel de l'Eprevier, responsable administratif et financier Arnauld Pontier, éditions Virginie Perreau, diffusion Judith Vincent, communication et mécénat Corinne Pignon, chargée de production Ainsi que leurs collaborateurs. Cette exposition est coproduite par Paris-Musées et l'UGAB.

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Sommaire Page 16 Avant-propos

Page 18 Chronologie historique et cultu relle

INTRODUCTION

Page 22 Raymond H . Kévorkian, Le Sirak et l'Arménie chez les géographes médiévaux arabes et latins

Page 32 Raymond H. Kévorkian, Ani et l'Arménie médiévale chez les historiens arméniens, arabes et byzantins

Page 40 Raymond H. Kévorkian, Les campagnes de fouilles à Ani (1892-1893 et 1904-1917)

Page 62 Beyhan Karamagarah, Turgay Azar et Nak1§ Akgül, Les activités archéologiques turques à Ani (1989-2000) Première partie

LE CONTEXTE POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE

Page 68 Gérard Dédeyan, Le royaume des Bagratides du Sirak: entre Byzance et le califat (884-1045)

Page 86 Paruyr Mouradian, Ani et la politique orientale de Byzance

(X' -XI'

siècles)

Page 100 Claude Mutafian, Ani après Ani : Arméniens, Géorgiens et Cheddadides

(Xl' -XII'

siècles)

Page 110 Hayrapet Margarian , Ani au temps des Zak'arides (XIII' siècle)

Page 116 Claude Mutafian, La mort d 'Ani : Gengiskhanides, Timourides et Safavides

(Xlll'-XVII'

siècles)

Deuxième partie

L'ORGANISATION SOCIALE ET L'ÉCONOMIE

Page 124

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Rouben Manasserian, Les fondements idéologiques de la souveraineté royale en Arménie bagratide : le roi et Dieu

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Page 130 Hayrapet Margarian, Structures sociales et organisation économique d'une métropole royale

Page 136 Karen Mat' evosian, Les clercs dans la cité ou la ville « aux mille et une églises »

Page 144 Azat Bozoyan, Le droit médiéval arménien, entre droit canon et droit coutumier

Page 150 Cécile Bresc et Georges Depeyrot, L:économie et les échanges : les trouvailles monétaires d 'Ani

Troisiè m e partie

LA CULTURE MATÉRIELLE : URBANISME, ARCHITECTURE, ARTS DÉCORATIFS ET ARTISANAT

Page 158 Raymond H. Kévorkian, Ani ou les mutations d'un grand centre urbain médiéval Page 181 Raymond H. Kévorkian, I.:Ani rupestre Page 182 Patrick Donabédian, Cécole d'architecture d'Ani Page 196 Philippe Dangles et Nicolas Faucherre, Les murailles d'Ani Page 204 Lilith Zak'arian, Art et artisanat d'une ville de l'an mil Page 220 Nazénie Garibian de Vartavan, Le terme sacré xoran et ses rapports avec l'évolution décorative des Tables des canons Quatrièm e partie

L'ÉCOLE D 'ANI ET SA VIE INTELLECTUELLE

Page 236 Guévorg Ter-Vardanian, Les centres intellectuels et scriptoria du Sirak au temps des Bagratides d'Ani Page 244 Stella A. Vardanian, Cécole de médecine d'Ani (X' -XI' siècles) Page 252 Jean-Pierre Mahé, Le catholicossat d'Ani à l'époque bagratide : politique et littérature Page 258 Guévorg Ter-Vardanian, La littérature arménienne au temps des Bagratides d'Ani Page 264 Krikor Beledian, Yovhannës Sarkawag : la passion du savoir et la vérité du poème CONCLUSION-SITES-NOTICES

Page 276 Pavel Tchobanian, Ani et son mythe (Xll l'-XIX' siècles) Page 282 Adèle Kamsarakan, Les principaux sites d'Ani et de sa périphérie Page 302 Raymo nd H. Kévorkian, Notices des pièces de l'exposition

Abréviations utilisées da ns cet o uvrage

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année de !'Hégire

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b. = Ibn Bibl. : bibliothèque Bibliogr. = bibliographie BnF

=

Bibliothèque nationale de France

CPA = carte postale ancienne f. = feuillet, folio H. T. Mat.

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hors-texte Maténadaran

M. H. A.

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musée d' Histoire d'Arménie

ms. : manuscrit not."" notice

Avant-propos

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La fascination qu'exercent sur l'homme certains vestiges de civilisations disparues est parfois accentuée par le contraste existant entre le haut de degré de développement que révèlent les ruines et leur environnement contemporain, misérable et sinistre. Tel est le cas d'Ani, la capitale médiévale de l'Arménie, dont les prestigieux vestiges ont quelque chose d 'anachronique, perdus sur un plateau désertique habité par quelques modestes paysans. Dès l'abord, l'observateur prend la mesure des bouleversements qui ont engendré la régression de la région au cours du dernier millénaire. Symbole du raffinement d'une civilisation de l'an mil, Ani aurait pu, comme beaucoup de métropoles médiévales, connaître un développement tel que nous serions aujourd'hui bien en peine d'y discerner ses strates anciennes et de nous faire une idée de son image passée. Un peu comme Pompéi, figée par la lave dans son état antique, le site d 'Ani est en quelque sorte gelé depuis la fin du XIV" siècle et reste, à ce titre, un témoin incomparable du monde médiéval, même s'il a subi depuis les injures des hommes et du temps. Nous nous sommes donc attelés à la tâche de restituer l'histoire de cette cité, de son édification et de sa lente agonie, avec la volonté de donner autant que possible une image globale de l'expérience humaine dont elle fut le fruit. Le monde arménien a connu , au cours de son histoire millénaire, plusieurs formes d 'urbanisme. Il n'en est pas moins vrai que la société arménienne s'est longtemps caractérisée par une forte tradition rurale, que renforçait une structure de pouvoir de type féodal , c'est-à-dire fortement décentralisée. Autour de l'an mil , on a cependant assisté, parallèlement à la restauration de la royauté au profit des Bagratides, au développement d 'un modèle urbain d 'un type nouveau avec la fondation d 'Ani. Cette ville a attiré non seulement un grand nombre de populations rurales, mais également une bonne partie de la noblesse arménienne, pour atteindre assez vite une centaine de milliers d 'habitants. Réunissant l'essentiel de l'élite politique et les différentes institutions de l'État, Ani abritait aussi le chef de l'Église arménienne, le catholicos, ce qui donnait aux souverains bagratides un pouvoir qu'aucun roi d 'Arménie n'avait connu dahs le passé, à l'exception peut-être de Tigran le Grand, au I" siècle avant notre ère. Ce centralisme, peu familier au monde arménien, favorisa en outre l'expansion d'un commerce international de première importance et une prospérité dont tous les auteurs du temps témoignent. La densité de population, le dynamisme économique d'Ani et l'abondance des recettes perçues par l'État contribuèrent à financer une armée puissante, susceptible de dissuader d 'éventuelles agressions, et permirent de construire des fortifications garantissant l'inviolabilité de la ville. On peut sans peine imaginer que, dans ces circonstances, la période bagratide fut marquée par une créativité artistique et littéraire féconde , dont les vestiges d 'Ani sont le meilleur témoin. Reste à s'interroger sur les circonstances ayant engendré une telle prospérité matérielle. Le contexte politique, marqué par l'affrontement des Empires arabe et byzantin, a bien sûr facilité le projet des Bagratides de restaurer la royauté arménienne à leur profit; l'organisation impériale de vastes contrées allant de l'Orient à l'Occident, sans entraves douanières et avec une sécurité relative des grandes voies de transit, a également beaucoup contribué à développer le volume des échanges commerciaux; la multiplication des contacts engendrés par ce phénomène économique a enfin ouvert les sociétés locales à d 'autres cultures et à des modes parfois issues de civilisations lointaines, qui enrichirent la création. Or Ani a été fondée à quelques kilomètres de la vallée de !'Araxe, axe de circulation majeur entre l'Asie Mineure et le plateau iranien. Elle a de ce fait profité de sa position géographique, à cheval sur deux mondes moins antagonistes qu'il n'y paraît, pour s'imposer comme un des grands centres du négoce international. On comprend dès lors qu'Ani soit devenue une ville cosmopolite, dans laquelle les souverains et l'Église arménienne toléraient l'existence de lieux de culte tant chrétiens que musulmans. Il nous faut aussi rechercher les fondements culturels de la société qui a fondé Ani. Imprégnée de traditions sociales, mythologiques et cosmologiques qu'elle partage notamment avec son grand voisin iranien, l'Arménie goûta également très tôt aux délices de la spéculation intellectuelle hellénistique. Elle portait donc un double héritage, l'un irriguant son mode de vie, l'autre son activité intellectuelle, qui donna à sa création un caractère singulier. Le fil directeur, qui engendre l'unité de la civilisation arménienne, est toutefois à rechercher dans le christianisme, non seulement comme doctrine spirituelle, mais aussi comme source d 'inspiration et de créativité, comme code ordonnant la plupart des actes de la vie. La société arménienne puisait en effet ses références et recherchait ses modèles dans la Bible. On note à cet égard

que le code des lois régissant la société était fondé sur une compilation des préceptes moraux délivrés par les saintes Écritures, dont les juges médiévaux se servaient quotidiennement pour rendre la justice. On observe également que les souverains arméniens trouvaient leur légitimité dans l'onction religieuse et une origine se voulant davidienne, c'est-à-dire biblique. Les thèmes chrétiens marquent enfin de leur omniprésence tous les motifs décoratifs utilisés dans l'architecture, la miniature, l'artisanat et les arts en général. Ils donnent à la culture médiévale d'Ani une unité saisissante, dont toute la cité était imprégnée. Emblématique de cet art chrétien , le xoran, le chœur, symbolisant les Tables de la loi, le tabernacle, se retrouve à travers le décor sculpté et peint des édifices civils ou religieux, ainsi que dans les miniatures de l'époque, décliné sous les formes et les supports les plus divers. Nous avons tenté de faire le point sur l'archéologie et l'architecture du site et de ses environs. La richesse de la tradition historiographique orientale - arménienne, mais aussi géorgienne, arabe, persane ou byzantine - , de même que les fabuleux matériaux épigraphiques livrés par les vestiges de la cité ou les manuscrits de l'école d'Ani qui nous sont parvenus ouvrent en outre de vastes perspectives sur : le poids politique respectif des Empires arabe et byzantin dans la région, l'étroite imbrication des royaumes chrétiens et des émirats arabes en Asie Mineure et au Caucase, l'organisation de la société et les grands principes la régissant, la vie intellectuelle et artistique, l'éducation des élites religieuses et laïques ... Autant d'aspects complémentaires qui sont traités dans le présent ouvrage collectif, publié à l'occasion de l'exposition consacrée au site d'Ani. Un dernier aspect singulier des mutations enregistrées par Ani est celui des transformations sociales observées entre les X' et XIV' siècles. La première phase est caractérisée par un pouvoir royal fort, s'appuyant sur une aristocratie féodale qui contrôlait tous les rouages de la société, y compris la vie politique dans les régions et les activités commerciales d'une certaine ampleur. Après la prise de contrôle d'Ani par les émirs cheddadides et l'établissement des grandes familles nobles en territoire byzantin, on observe le poids grandissant de la petite noblesse dans l'administration de la cité, ainsi que l'influence toujours plus importante de deux groupes sociaux émergents dans la vie politique : la bourgeoisie marchande, qui prit rapidement les rênes des activités économiques municipales, et le clergé séculier qui se substitua en quelque sorte au catholicos parti s'établir sous des cieux plus propices. Tant sous les émirs cheddadides que sous l'administration des princes zak'arides, bourgeois et clercs constituaient collectivement des contre-pouvoirs incontournables que les maîtres successifs de la ville ne pouvaient se permettre d'ignorer. Le glissement, le transfert progressif du pouvoir municipal vers ces groupes sociaux aboutit, à la fin du XII' siècle, à l'émergence d'un nouveau modèle politique en monde urbain , celui de la « ville libre », qui connaîtra plus tard une certaine fortune en Europe occidentale. À l'époque qui nous occupe, alors que la noblesse arménienne a été en grande partie éliminée, le statut de « ville libre » s'étendit à plusieurs cités, comme Erznka (Erzinjan), dont les chefs élus des corporations étaient devenus les véritables maîtres. La conservation du patrimoine unique que constituent les vestiges d'Ani préoccupe aujourd'hui nombre d'États et d'institutions. Les circonstances politiques, les tensions régionales, les contentieux accumulés au fil du temps, les tentatives de distorsions historiques et la situation géographique frontalière du site, sont autant de handicaps certains pour la sauvegarde de la cité médiévale. Il faut cependant espérer qu'une volonté commune, capable de surmonter les antagonismes persistants, se dégagera à l'avenir et permettra la mise en œuvre d'un programme de travail susceptible de sauver ce qui peut encore l'être. RAYMON D

H . K ÉVORKIAN

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Chronologie historique et culturelle Milieu du IJ• millénaire av. J.-C. : habitat attesté à Ani. siècle av. J.-C.-IV" siècle apr. J.-C. : construction de deux forteresses défensives. IV" siècle : Ani et le Sirak passent aux mains des princes kamsarakan. Ca 400 : les Kamsarakan remanient la citadelle d'Ani et y construisent le premier palais. 643 : première invasion arabe de l'Arménie. 685-689 : Asot Bagratuni prince d'Arménie. 689-699 : Nerseh Kamsarakan prince d'Arménie. 699-701 : Smbat Bagratuni prince d'Arménie. 701 : le général arabe Muhammad envahit l'Arménie et le calife ordonne la création du vice-royaume d'« Arminya ». 703-726: Smbat Bagratuni de nouveau prince d'Arménie. 706-709 : Abdul-Aziz premier gouverneur arabe de l'Arminiya. 732-749 : Asot Msaker Bagratuni prince d'Arménie. 749-752 : Muse! Mamikonian prince d'Arménie. 752-770 : Sahak Bagratuni prince d'Arménie. 763 : Asot Msaker Bagratuni et son frère Sapuh repoussent une attaque des Arabes à l'encontre de l'Arménie. 770-775 : Smbat Bagratuni prince d'Arménie. 774-775 : Grande Insurrection de l'Arménie contre l'occupation abbasside. 775-781 : Asot Bagratuni prince d'Arménie. 781-785 : Tacat Anjevac'i prince d'Arménie. 783 : la famille Kamsarakan s'établit à Byzance et cède ses fiefs du Sirak et de l'Arsarunik aux Bagratides. Ca 783 : le prince Asot Msaker Bagratuni expulse de son fief le commandant arabe Jahab et entreprend des constructions dans sa cité d'Ani. 800-850 : l'extermination des principales familles féodales d'Arménie, notamment celle des Mamikonian - qui dirigea les grandes révoltes contre l'occupation arabe - , ouvre la voie à une conquête du pouvoir par les Bagratuni. Grâce à la politique menée par les frères Asot et Sapuh, la famille Bagratuni devient une des dynasties féodales les plus puissantes d'Arménie. En 804, le calife abbasside reconnaît le titre de prince d'Arménie porté par Asot Msaker. 826-851 : Bagrat Bagratuni reçoit le titre de Badrik al-Badrika («prince des princes ») et fonde la principauté du Taron. 851-855 : Smbat Bagratuni prince d'Arménie. 855-862 : Asot «le Grand », fils de Sm bat Bagratuni, désigné prince des princes d'Arménie et de Géorgie ; en acceptant la suzeraineté du califat arabe, il inaugure une période de stabilité et de paix dans le pays. 862-866 : Al-Mosta'in accède au califat en pleine crise politique ; certains feudataires arméniens maintenus en otage à la cour arabe sont libérés. Asot « le Grand » reste cependant fidèle à sa politique arabophile et se voit récompensé par sa nomination au poste de gouverneur de Géorgie et d'Albanie. 874-875 : expulsion du dernier gouverneur arabe de l'Arménie. 876 : l'empereur de Byzance Basile «le Grand » envoie une ambassade à la cour d'Asot pour lui demander une couronne. 880 : Asot prend le contrôle de Tiflis et en expulse le gouverneur arabe. 884-885 : fondation du royaume d'Arménie. Asot Bagratuni est élevé au trône et reçoit le titre de «roi des Arméniens 11•

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et des Géorgiens »; le calife arabe lui adresse une couronne. 884/885-890 : règne d'Asot I" Bagratuni. En 890, celui-ci est inhumé à Bagaran, où les rois bagratides auront désormais leurs sépultures. 890-914 : règne de Smbat l" Bagratuni. La capitale des Bagratides est momentanément établie à Erazgawor (Sirakawan). 908 : fondation du royaume arménien du Vaspurakan par Gagik Arcruni. 914-928 : règne d'Asot II Erkat' Bagratuni. Il prend le titre de sahinsah («roi des rois ») après avoir progressivement récupéré les principales places fo rtes du Sirak. 928-953 : règne d'Abas Bagratuni, frère d'Asot II. Vanand (Kars) devient la capitale de l'Arménie septentrionale. Abas y fait construire la fameuse église des Saints-Apôtres. 937 : victoire des forces coalisées arméniennes des rois Abas Bagratuni et Gagik Arcruni contre les armées de l'émir d'Azerbaïdjan à Gino. 949 : conquête de la ville de Karin (Théodosiopolis, la future Erzeroum) par les Byzantins. 953-977 : règne d'Asot III Olormac Bagratuni. 961 : Ani devient la nouvelle capitale du royaume d'Arménie. 964 : Asot III fait entreprendre la construction des premières fortifications défendant la citadelle d'Ani (dites «muraille d'Asot »). 966: la principauté bagratide du Taron est annexée par Byzance. 974 : offensive militaire de l'empereur Jean I·· Tzimiscès en Arménie méridionale, repoussée par les forces coalisées arméniennes. 977-989 : règne de Smbat II Bagratuni. 978-989 : construction de la seconde enceinte fortifiée, dite «muraille de Smbat», défendant l'accès nord d'Ani. 986-989 : le catholicos Xaè'ik fait construire la cathédrale d'Argina, ainsi que trois autres églises et une vaste bibliothèque à Ani, où il transfère le siège catholicossal. 986-1029 : le prince Vahram Pahlawuni fait bâtir le monastère de Marmasën. 989-1020: règne de Gagik I" Bagratuni. 990-1058: Grigor Magistros Pahlawuni, homme politique et intellectuel de premier plan. 998 : victoire des forces arméno-georgiennes contre les troupes de l'émir d'Azerbaïdjan à Bagrewant. 1001 : achèvement de la construction de la cathédrale d'Ani. Byzance conquiert le Tayk'. Les principautés de Kokovit, Bagrewant et Gardman sont annexées au royaume d'Ani. 1019 : élection du catholicos Petros Getadarj . Il réorganise l'église d'Arménie. 1020-1041 : règne de Yovhannês Smbat Bagratuni. Le roi Yovhannës Smbat lègue par testament son royaume aux Byzantins. 1022 : annexion du royaume du Vaspurakan par Byzance. 1026 : le prince Vahram Pahlawuni fait construire l'église d'Amberd. 1033 : le vestis Sargis fait bâtir le monastère de Xckonk', près de Tekor. Le catholicos Petros s'établit aux côtés de Vahram Pahlawuni, à BJni. 1036 : inscription de fondation de l'église du Saint-Sauveur d'Ani. Concile d'Ani. 1040 : inscription de fondation de l'église Saint-Grégoire d'Abulamrenc'.

1041 : au décès du roi Yovhannës Smbat, les Byzantins envoient 100 000 hommes pour prendre le contrôle du Sirak, mais le généralissime Vahram Pahlawuni, encouragé par la population, défait l'armée byzantine. 1042-1045 : règne de Gagik Il Bagratuni et résistance organisée par le généralissime Vahram Pahlawuni contre -les Byzantins. 1045 : chute d'Ani et annexion du royaume par les Byzantins. 1045-1129 : Yovhannês Sarkawag enseigne à Ani. 1047 : première incursion seldjoukide en Arménie. 1048 : seconde incursion seldjoukide en Arménie, dans les plaines de Basen et de Karin. Défaite des Byzantins à Basen. 1053-1054 : siège de Kars par les Seldjoukides. 1062 : premières émigrations arméniennes vers Byzance, les rives de la mer Noire et l'Europe orientale. 1064 : invasion de l'Arménie et conquête d'Ani par le chef seldjoukide Alp Arslan. 1071 : bataille de Manazkert (Manzikert), qui se conclut par une défaite des Byzantins face aux Seldjoukides. 1072 : les Seldjoukides cèdent Ani à la famille kurde des Cheddadides de Ganjak, dirigée par l'émir Fadloun, et ce dernier cède Ani à Fadloun Ibn Manuc'ê, fils de l'émir de Dwin, AbulAswar. 1093: sous le règne de l'émir cheddadide Manuc'ê, le prince Grigor Apirat Pahlawuni gouverne Ani. 1124 : insurrection des habitants d'Ani contre les Cheddadides. 1126 : siège d'Ani par les Cheddadides. 1144 : à partir de cette date, Ani retrouve une certaine splendeur et la prospérité. 1155 : insurrection des habitants d'Ani contre le tyran de la ville, Shaddad Ibn Mahrnoud. 1161 : nouvelle rébellion des habitants d'Ani contre l'émir Manuc'ê. Le roi de Géorgie, Georgi Bagratuni, est invité à occuper la ville, dont le prince lwanê Orbelian est nommé gouverneur. 1162-1163 : le Sirak est de nouveau ravagé par des incursions turques et Ani est reprise par les Seldjoukides. 1174 : troisième insurrection des habitants d'Ani. 1184-1193 : rédaction par Mxit'ar Gôs du Code des lois. 1185 : Sargis Zak'arian est nommé généralissime de l'armée géorgienne. 1192 : le fils aîné de Sargis Zak'arian, Zak'arê, remplace son père comme généralissime. 1196 : victoire des forces arrnéno-géorgiennes contre les troupes des émirs de Ganjak et d'Azerbaïdjan. La forteresse d'Amberd est libérée. 1198-1199 : une inscription indique qu'il existe alors dans Ani un important marché spécialisé dans la laine et les tissus. 1199 : Ani est définitivement libérée par les frères Zak'arian, auxquels la reine Thamar de Géorgie cède la ville. Lewon Rubinian est couronné roi des Arméniens en Cilicie. 1200-1209 : les forces arméno-géorgiennes reprennent le contrôle des provinces du Bagrewand et du Turuberan. 1203 : l'ancienne capitale de Dwin est de nouveau libérée. 1204 : bataille de Basen. Les forces arméno-géorgiennes battent les troupes du sultan d'lconium, Rukh ad-Din. 1205 : concile d'Ani convoqué par les Zak'arides. 1206 : Kars est reprise par les Zak'arides. 1207 : Ani est attaquée et ravagée par le sultan d'Ardébil.

Zak'arê et lwanê prennent Ardébil en otage. Zak'arê fait construire deux tours défensives, dont l'une près de la porte de Kars. 1207-1211 : nouveau concile d'Ani, auquel prennent part les grands feudataires d'Arménie et tous les évêques. 1212 : mort du généralissime Zak'arê; son frère Iwanê est nommé atabek du royaume. 1215 : une inscription de la façade sud de l'église Saint-Grégoire mentionne le nom de son fondateur, Tigran Honenc', sous le règne «du généralissime Zak'arê ». 1216 : une inscription de la façade sud de l'église dite géorgienne évoque la tolérance religieuse régnant à Ani. 1221 : première invasion mongole en Azerbaïdjan. 1225-1226 : bataille de Garni ; victoire du sultan du Khwarezm, Djalal ad-Din, contre les Arméno-Géorgiens. 1226 : Djalal ad-Din prend successivement Ganjak, Lori et Tiflis. 1227 : mort de l'atabek lwanê et nomination de son fils Awak aux mêmes fonctions. 1230 : Djalal ad-Din est défait par le sultan d'lconium et les Ayoubites à la bataille d'Erznka. 1231-1232 : Ganjak est ravagée par l'avant-garde mongole. 1236 : les fiefs méridionaux des Zak'arides sont conquis par les Mongols. 1236-124 3 : nouveau mouvement d'émigration de populations d'Arménie vers la Cilicie. 1242 : prise de Karin-Erzeroum par le général mongol Batchun. 1249 : première tentative de révolte des Arméno-Géorgiens contre les Mongols. 1251 : le prince du Siwnik', Smbat Orbelian, se rend auprès de Mankou khan pour lui présenter sa soumission. 1255 : en chemin vers la Mongolie, le moine-voyageur Guillaume de Rubrouck visite Ani ; il est le premier auteur occidental à en laisser une description. 1257-1258 : arrivée en Perse du khan Houlagou et fondation de l'ilkhanat mongol englobant également l'Arménie. 1258-1304 : Step'annos Orbelian rédige l'histoire du Siwnik'. 1259-1261 : seconde insurrection arméno-géorgienne contre les Mongols. à partir de 1300 environ : Ani perd de son importance commerciale, les grands axes marchands passant dorénavant plus au sud. 1319 : un violent tremblement de terre aurait en partie ravagé la ville d'Ani. 1320 : décret des ilkhans de Perse réduisant la pression fiscale supportée par les habitants d'Ani. 1330 : nouvelle émigration massive des habitants d'Ani vers les côtes de la mer Noire et la Crimée. 1400-1403 : nouvelle invasion de l'Arménie par Tamerlan. 1453 : prise de Constantinople par les Ottomans. 1500 : Ani n'est plus habitée que par une population modeste qui s'installe au milieu des vestiges de la ville ancienne. xvn•-XJX" siècles : la route des caravanes est réactivée, et quelques voyageurs et missionnaires européens visitent les imposantes ruines d'Ani. été 1892 : l'académie des Sciences de Saint-Pétersbourg organise, sous la direction de Nicolas Marr, les premières fouilles à Ani.

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géorgienne, lesquels soulignent que la cathédrale fut ainsi restituée au culte chrétien et retrouva son statut de lieu sacré. Matt'eos Ui-hayec'i écrit à ce sujet: «David, roi des Géorgiens, conquit la ville royale des Arméniens, Ani, et rassembla les évêques, les prêtres séculiers et les religieux du monde arménien dans la sainte cathédrale d'Ani, qu'ils [les musulmans] avaient transformé en mosquée, et fit sanctifier l'église en grande pompe. Et une grande allégresse régna parmi les membres de la nation [littéralement« maison»] arménienne lorsqu'ils virent la sainte cathédrale libérée. » 13 Deux ans plus tard, les Géorgiens furent contraints de restituer Ani aux Cheddadides, mais ces derniers n'eurent d'autre choix que de promettre de ne désormais plus remettre en cause le statut de la cathédrale : «Cependant, écrit Matthieu d'Édesse, les fils de Manuc'e firent la promesse solennelle que la sainte cathédrale resterait pour toujours aux Arméniens et qu'aucune personne de la nation des Taèik ou des musulmans n'y pénétrerait. »14 Suite à cela, la position du clergé arménien local se trouva bien évidemment considérablement renforcée. Évoquant les événements qui se produisirent à Ani en 1155, trois historiens arabes - Ibn alAthir, Fariki et Ayni - les relatent pratiquement dans les mêmes termes : «Dans la ville d'Ani, les prêtres séculiers arméniens se sont révoltés, ils ont pris la cité des mains de l'émir cheddadide et l'ont remise à son frère Fadloun. »15 Cependant, il semble bien que ce nouvel émir ne parvint pas à obtenir les faveurs des habitants d'Ani et, en 1161, il fut à son tour expulsé de la ville : «Dans la ville d'Ana [Ani], les prêtres séculiers se sont révoltés contre leur maître, l'émir Fadloun Ibn Manuc'e, qui fut vaincu et alla se réfugier dans la citadelle nommée Bakran [Bagaran], près de Surmari [Surb Mariam]. Les prêtres ont livré Ana au roi des Abkhazes, K'ark'ur [Georgi]. Ses troupes sont venues prendre le contrôle [de la ville] et elles y ont fait un énorme butin.» 16 Habituellement, les chercheurs qui ont été amenés à étudier ce témoignage, comme les autres sources citées ici, affirment que lorsque ces auteurs anciens parlent des k 'ahana ou prêtres séculiers d'Ani, il faut comprendre qu'il s'agit des chrétiens de la cité. 17 Il est toutefois important de préciser que si la force motrice de ces mouvements populaires fut effectivement la population arménienne chrétienne de la ville, celle-ci n'en était pas moins menée par son clergé local. Cela explique que même les auteurs arabes aient mis l'accent sur le rôle moteur joué par les prêtres séculiers dans ces événements. Ce fait est du reste mis en lumière avec encore plus d'évidence grâce au témoignage de l'auteur Mxit'ar Gos relatif aux événements survenus en 1161. Il signale ainsi que l'évêque d'Ani, Barsel II, et ses frères , tous issus de la famille princière des Apiratian, invitèrent à plusieurs reprises le roi Georgi à venir prendre le contrôle d'Ani, mais que par la suite - c'est-àdire après être parvenus à expulser l'émir de la ville par leurs propres moyens - , lorsque Georgi arriva à Ani, ils refusèrent de lui céder la cité. Le roi géorgien dut alors s'emparer de la ville par la force et punir en grand nombre ceux qui avaient résisté, au rang desquels se trouvaient des prêtres séculiers et des clercs. «Aussi, lorsque Georgi voulut régner sur la ville d'Ani, écrit Mxit'ar Gos, il dut la conquérir par la force et ordonna qu'elle soit pillée. Et les soldats laissèrent nus tous les hommes et les femmes , les prêtres séculiers et les clercs, [car] ils leur reprochaient sans ménagement d'avoir résisté.» 18 Ainsi, il apparaît clairement qu'au cours de ces événements, les intérêts des habitants d'Ani furent chèrement défendus par le clergé local, dont les membres, qu'ils soient prêtres séculiers ou clercs, furent soumis par le roi des Géorgiens à

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ses canons étant aussi très souvent utilisés pour rédiger les livres du code civil et même pour les inscriptions gravant dans la pierre l'adoption ou la réaffirmation d'une loi. Par conséquent, les rédactions du Livre des canons qui nous sont parvenues portent également l'empreinte de la période bagratide. Les effets des nouvelles mutations sociales qui se produisirent dans l'Arménie bagratide peuvent être observés dans les textes des quinze canons adoptés au cours du concile de Sirakawan, en 862. En contradiction avec le Livre des canons, le point VII de ces décisions est rédigé presque dans les mêmes termes que la doctrine de Chalcédoine, mais sans mentionner pour autant celle-ci. 7 On note aussi que d'autres points se contentent de réaffirmer quelques aspects essentiels du rite arménien et de la doctrine de son église. Enfin, au cours de la période de domination des Bagratides, les communautés religieuses apostoliques et chalcédoniennes cohabitaient en Arménie. Le concile de Sirakawan avait donc naturellement mis à son ordre du jour la question de la réconciliation des deux entités. En fait, le projet impérial de soumettre la hiérarchie de l'Église arménienne à celle de l'Église byzantine, qui fit l'objet d'âpres discussions entre les parties, ne fut plus d'actualité jusqu'aux invasions seldjoukides du XI" siècle. L'existence d'une littérature chalcédonienne arménienne prouve 8 du reste que sous les Bagratides, et même après leur chute, vivait en Arménie une légion 9 considérable d'autochtones de rite chalcédonien. C'est en effet dans ce milieu que fut traduit en arménien, ainsi que l'atteste un manuscrit singulier des XIIIe-XIV" siècles - le Nomocanon en quatorze titres (ou Syntagma des XIV titres)-, le Livre des canons de l'Église byzantine. 10 Il manque cependant, dans le manuscrit qui nous en est parvenu, les interventions du patriarche Photius, ce qui nous laisse supposer que la traduction arménienne du Nomocanon a été effectuée au IX' siècle ou avant. Autre document majeur concernant les milieux arméniens chalcédoniens, le manuscrit, conservé au monastère de Batchkovo (dans les environs de Plovdiv) et copié au XI' siècle, d'un règlement, dont la version grecque fait allusion à une variante en arménien de ce texte. 11 Quoi qu'il en soit, l'existence de ce type de documents nous permet d'avoir une idée plus précise du champ juridique au temps des Bagratides. Les ouvrages de droit civil de la période bagratide ne nous sont pas parvenus. Le philologue allemand J. Karst a, dans une de ses études sur l'histoire du droit arménien, abordé cette question . D'après lui, le Code des lois de Mxit'ar Gos est en partie constitué par le code royal bagratide ou a été rédigé à partir d'une œuvre du même type, ainsi que semble l'indiquer cet article de l'œuvre de Mxit'ar Gos intitulé: «Du tribunal des rois et de ce qu'ils [ont institué] de leur main ». 12 Mais J. Karst est allé plus loin dans ses hypothèses, en supposant que, déjà du temps des Bagratides, on avait partiellement traduit le Code des lois syro-romain et l'Ecloga. N. Akinian et les partisans de sa position ne considèrent pas cette thèse comme acquise, puisque Mxit'ar Gos et Nersës Lambronac'i (le traducteur du XII' siècle des codes ci-dessus mentionnés) ne prennent pas en compte ces traductions partielles. 13 N. Akinian a développé le point de vue selon lequel, sous le règne des Bagratides, ce type de corpus juridique n'était probablement pas indispensable, puisqu'un État existait et qu'il pouvait assurer le respect du droit civil en appliquant les principes du droit coutumier arménien. Bien évidemment, cette position ne peut résister à l'examen. Chez le voisin du royaume bagratide, l'Empire byzantin, qui tentait alors par tous les moyens de conquérir l'Arménie, le développement du droit était

à son apogée. Incluse dans la sphère de civilisation byzantine, l'Arménie bagratide ne pouvait rester indifférente à ces évolutions. 14 Le transfert de souveraineté de la principauté du Taron et des royaumes du Vaspurakan, d'Ani et de Kars à l'empire, sur la base de testaments, témoigne à lui seul de la pénétration du droit byzantin en Arménie. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant que le droit coutumier cessa d'être appliqué en Arménie. La codification de l'ordonnancement des cérémonies élaborée par le catholicos Mastoc' Elivardec'i (qui régna de 897 à 898), dans son recueil intitulé Mastoc ', est essentielle à cet égard, car l'Église codifiait ainsi toutes les questions fondamentales liées à la pratique du culte et aux activités rituelles. Les Bagratides ont tenté de créer un vaste système de principautés unifiées, dont le principe fonda mental reposait sur l'élargissement des prérogatives locales des grandes maisons féodales. Mais ce processus ne s'est pas déroulé jusqu'à son terme naturel, et la disparition de la royauté bagratide a, au contraire, permis le développement d'autres structures d'État en Grande-Arménie . Quoi qu'il en soit, certaines institutions politiques, subsistant de cette époque, purent montrer toute leur vitalité au cours des siècles suivants. Ainsi, nombre de maisons princières, notamment dans la province d'Arc'ax, ont pu se maintenir jusqu'au x1x• siècle et sont restées, durant cette longue période, le ferment fondamental de toutes les luttes de libération menées en Arménie. Les normes du code civil en usage sous le règne des Bagratides ne semblent malheureusement pas avoir été conservées par écrit et nos connaissances sur cette étape de l'évolution du droit arménien se limitent, par conséquent, aux maigres informations fournies par les historiographes et les quelques inscriptions au contenu juridique. Il est significatif que ce code civil qui ne nous a pas été transmis par écrit a été, un siècle après la disparition de cet État, très jalousement recueilli par la société arménienne pour créer ses nouveaux outils juridiques. En étudiant ces monuments littéraires du droit arménie n - notamment le Code des lois de Mxit'ar Gos - sous différents angles et plus particulièrement les chapitres concernant les droits et les devoirs de la maison royale, on distingue les principes juridiques - par exemple sur les questions de succession au trône d'Arménie - à partir desquels l'Arménie s'administrait probablement jusqu'à la première moitié du xi• siècle. Ainsi que nous l'avons dit, une autre source essentielle pour l'étude du droit civil de l'Arménie bagratide est constituée par les inscriptions, dont certaines signalent que l'État a exempté des monastères de certains impôts obligatoires, tandis que d'autres annoncent les limites de juridiction d'un diocèse épiscopal nouvellement créé sur ordre du roi, des princes et même parfois du catholicos - c'est par exemple le cas des inscriptions 15 des monastères de Kot'a (901) , des Mak'enac'oc' (901) , de Vanewan (903) , de K'arakop ' (910) , de Mren (1031) , etc. C'est avec l'ambition de reconstituer l'ordre féodal ancien des grands feudataires d'Arménie que furent rédigées de nombreuses gahnamak 16 et zoranamak 17 , dans lesquelles étaient confirmés les attributions et le statut des différentes maisons de grands feudataires dans la vie sociale du pays. Les plus anciennes copies de ce type de documents qui nous soient parvenues datent des x•-x1• siècles. Toutefois, les matériaux qu'elles contiennent nous permettent de supposer que celles-ci reposent sur des décrets bien plus anciens, dont on trouve du reste quelques traces dans les livres d'histoire de P'awstos Buzand, Movses Xorenac'i et Sebeos, ainsi que dans les structures politiques de la Perse préislamique ou de l'Empire byzantin.

CÉtat arménien de l'époque bagratide était, par son mode de gouvernement et ses structures, radicalement différent des institutions étatiques arméniennes de la période des premiers Arsacides ou du modèle féodal développé plus tard dans le Royaume arménien de Cilicie. À l'époque des Bagratides, les relations juridiques mutuelles entre maîtres et sujets se réglaient par le moyen de contrats écrits, connus sous le nom de tasins uxti {littéralement «vœux d'accord ») et de miabanut 'ean uxt (littéralement« vœux d'union »), ou par des documents du même type. 18 De ces pactes collectifs résulte la création du titre de «roi de la maison de tous les Arméniens », dont l'usage se généralisa dans la seconde moitié du x e siècle. Sous les Bagratides, le sujet était obligé de se soumettre au maître, comme «un fils au père », alors que le maître - le plus souvent le roi - avait le devoir «de l'aimer avec une bienveillance paternelle ». Ainsi donc, si le roi bagratide était pour ses sujets dominés un père et le «chef des pères », il était en revanche pour les membres de la famille royale, tels ses frères et ses proches parents, le azgapet ou «chef de la maison/ nation ». 19 Nous avons connaissance de nombre d'événements qui se produisirent au cours des 1xe-x 1e siècles ayant trait à des punitions infligées par les rois suite à la transgression des «vœux » (uxt) signés par un sujet. Ainsi, le roi Asot Er kat' fit aveugler Sahak Sewada et le responsable des «vœux » de la province, Movsës 20 , puis fit réprimer la révolte de la noblesse du Vanand par son frère et généralissime d'Arménie, Abas, tandis que leurs biens furent confisqués au profit du trône 21 . En sens inverse, la fidélité était récompensée par l'attribution d'honneurs ou le don de fiefs . La chaîne codifiée de ces relations maître-sujet, qui se confondait dans les sphères supérieures avec l'ordre universel «de la famille des rois », est présentée, sous toutes ses composantes, dans le Livre des cérémonies de l'historien byzantin du x• siècle, Constantin Porphyrogénète. 22 (Traduit de l'arménien par R.

H. KÉVORKIAN)

1. Cf. N. ADONTZ, A rmenija u epoxu Justinjana,

des pères mékhitaristes de Venise : cf

Saint-Pétersbourg 1908, pp. 18&-190 ; trad. anglaise de N. Garsoïan : Armenia in Period of

S. CEMëEMIAN, IFWJ(' 8 nL9w~ l. wJbpçL

du Nomocanon en quatorze titres attribuée au

!/b~w'f:pw9 IFwwâLw '!-wl'w Lf, L IFfuf,flwphwL9 f, o/..bLhwf,4 (Grand catalogue des manuscrits

patriarche Photius : cf. N. VAN DER WAL et

Justinian, Lisbonne 1973. 2 . Pour une édition critique de cette œuvre,

cf A . G. PER!XANIAN, Sasanidskij sudebnik (Le Droit sassanide), Erevan 1973 et, du même auteur, Obchtshestuo i prauo lrana u Parfianskij i Sasanidskij periody (Le Droit en Iran et au Fars durant la période sassanide), M oscou 1983. 3 . M XIT'AR Gos, q.P{'.f! ?-wmwumwLf, (Code des lois), éd. X. T' orosian , Erevan 1975, p. 1. 4. A RAM TER t.EVONDIAN, •VIII-IX'!-'!- · IFw(Jh'l-w4wL 1'pw,[n LL.f!l'.• ,[wi IFf,tLw'!-wl'JwL /.w1wumwLf, ll1.. un t-Jtu.JU[,pJwL U11.P-J"'-l' ,. (• Le droit musulman

comme source pour l'étude du bas Moyen Âge arménien ,. ), Patma-Banasirakan Handes, n° 2,

arméniens de la Bibliothèque des péres mékhitaristes de Venise), V I, Venise 1996, pp. 34&-354 . 11. A. ARUTJUNOVA-FIDANJAN, Tipik Grigorija Pakuriana (Le Typicon de Grigor Bakurian), Erevan 1978, p. 121 (en russe). 12. J. KARST, • Grundrili der Geschichte des armenischen Rechtes ", 1. Sonderabdruck aus der Ze itschrift fü r uergleichende Rechtswissenschaft, X IX, Stuttgart 1906, pp. 17-18. 13. N. AKINIAN, " l14Lwp4 Jl'. ..,_

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