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French Pages [176]
Les Actes de Mar Mari L'apôtre de la Mésopota mie
APOCRYPHES COLLECTION DE POCHE DE L'AELAC
Direction ALAIN DESREUMAUX ENRICO NORELLI
Volume
II
© 2001 Brepols Imprimé en Belgique D 120011 00951I34 ISBN 2-503-51296-8 Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction (intégrale ou partielle) par tous procédés réservés pour tous pays
Les Actes de Mar Mari L'apôtre de la Mésopotamie
Introduction, traduction et notes par Christelle Jullien & Florence Jullien
BREPOLS
APOCRYPHES COLLECTION DE POCHE DE L'AELAC
Volumes parus par Jean-Daniel KAESTLI, Barthélemy, de 1. L'évangile avec la collaboration de Pierre CHERIX, 1993, 281 p. 2. Ascension d'Isaïe, par Enrico NoRELLI, 1993, 186 p. 3. Histoire du roi Abgar et de Jésus, par Alain DESREUMAUX, 1993, 184 p. 4. Les Odes de Salomon, par Marie-Joseph PIERRE, avec la collaboration de Jean-Marie MARTIN, 1994, 225 p. 5. L'Épître des Apôtres et le Testament de notre Seigneur, par Jacques-Noël PÉRÈS, 1994, 152 p. 6. Salomon et Saturne, par Robert FAERBER, 1995, 209 p. 7. Actes de l'apôtre André, par Jean-Marc PRIEUR, 1995, 209 p. 8. Les Actes de l'apôtre Philippe, par François BovoN, Bertrand BouviER & Frédéric AMSLER, 1996, 318 p. 9. L'évangile de Nicodème, par Rémi GouNELLE & Zbigniew IZYDORCZYK, 1997, 273 p. 10. Les Reconnaissances du Pseudo-Clément, par Luigi CIRILLO & André SCHNEIDER, 1993, 652 p. II Les Actes de Mar Mari, par Christelle JuLLIEN & Florence JuLLIEN, 2001, 17 5 p.
En préparation Saba par Robert BEYLOT de reine la Salomon et
Maquette de couverture : Vincent GouRAUD Composition et montage : Alain HURTIG
LA COLLECTION DE POCHE APOCRYPHES
de papyrus trouvé dans la tombe d'un moine copte d'Égypte, un fabliau narrant l'histoire de la crèche, une fresque romane sur un mur poitevin, un roman latin à épisodes détaillant les aventures des apôtres ... tous ces documents témoignent à leur manière de l'existence et de la diffusion d'œuvres appelées apocryphes. Tour à tour recherchés et rejetés, exploités et vilipendés, traduits et oubliés, les apocryphes ne gardentils pas un mystérieux pouvoir d'évocation? N'imaginet-on pas, à entendre leur nom, qu'une révélation insoupçonnée, jadis tenue secrète, est enfin amenée à la lumière? À qui se plonge dans la littérature apocryphe, avec l'ardeur parfois frénétique de savoir désormais ce qu'il cherchait depuis longtemps, ces œuvres pourraient réserver une cruelle déception. Certains apocryphes prétendent bien en effet en apprendre au lecteur sur Jésus; l'un rapporte un enseignement ésotérique qu'il aurait confié à un disciple particulier, tel Thomas; un autre, les Actes de Pilate, transcrit fidèlement le récit que deux ressuscités auraient fait de sa visite aux enfers. D'autres en revanche ont des prétentions beaucoup moins hautaines : la Lettre tombée du ciel a-t-elle d'autres buts que de justifier que l'on paye la dîme et que l'on observe le dimanche? Quant aux récits qui montrent
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un apôtre détournant la femme d'un haut fonctionnaire romain de ses devoirs conjugaux, comme par exemple les Actes de Philippe, ne sont-ils pas avant tout le reflet de choix pratiques de morale sexuelle et un appel à faire acte de chasteté dans le mariage? Pour qui est assoiffé d'éternité, voici des documents de piètre importance! Et pourtant, s'il apprend à ne pas attendre des apocryphes qu'ils lui livrent des secrets ou des révélations cachées sur Jésus et ses disciples, il retirera de sa lecture le plus grand profit. L'intérêt de ces textes est en effet ailleurs : ils transmettent les représentations que les chrétiens de divers lieux et de divers temps se sont faites de la figure de Jésus, du rôle des apôtres, de l'origine de leurs Églises locales ... Ils témoignent également des questions qui les ont agités, et des réponses qu'ils leur ont données: quelle est la nature du Christ, demande l'Ascension d'Isaïe, tandis que les Actes de Pilate s'interrogent sur les liens du christianisme avec le judaïsme et la culture romaine. Certains apocryphes sont très anciens et reflètent des traditions contemporaines d'une partie de ce qui est devenu le Nouveau Testament. . . Ils constituent pour les historiens comme pour les biblistes une voie d'accès privilégiée, encore peu exploitée, à des traditions chrétiennes des origines. Pas plus que les évangiles canonisés, ils ne nous donnent accès à la vérité historique sur Jésus et sur ses apôtres. Ils nous transmettent bien plutôt des éclairages sur la vie et sur les croyances des premières communautés de chrétiens. L'imaginaire est en effet ici véhicule de création et de réflexion. Ainsi lorsque l'Évangile de l'enfance selon
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Thomas narre au milieu du deuxième siècle tous les méfaits que Jésus a pu faire étant petit, il ne cherche pas à écrire une biographie de Jésus enfant, encore moins à faire preuve d'imagination débridée - voire sacrilège - mais il s'interroge sur les modalités de l'Incarnation et se demande comment se manifestait dans l'enfant Jésus la plénitude de la grâce divine; c'est enfin et surtout qu'il essaye d'expliquer ce que l' Évangile de Luc voulait dire en affirmant que « l'enfant croissait et se fortifiait en esprit». Reflets de questions exégétiques, dogmatiques et morales de la plus haute importance, les apocryphes que la présente collection offre au public dévoileront leurs richesses à qui n'y cherche pas ce qu'ils ne peuvent lui offrir, mais à qui a écouté P. Valéry lorsqu'il écrivit que «toutes les histoires s'approfondissent en fables ... » Loin d'offrir une image unifiée de la religion chrétienne, les apocryphes nous introduisent à sa diversité doctrinale, mais aussi mythologique et linguistique. Le christianisme, dès ses origines, se présente en effet sous la forme d'un ensemble de communautés étonnamment diverses. De nombreux apocryphes en témoignent, qui nous sont parvenus en de multiples versions. Ainsi la Doctrine d'Addaï nous a-t-elle été transmise en grec, en syriaque, en copte, en éthiopien, en arabe, en arménien, en géorgien et en slavon. Chacune de ces versions porte la marque du milieu qui a produit cet apocryphe, qui l'a conservé, ou transmis. Chacune d'elle témoigne à sa manière du foisonnement doctrinal des premiers siècles du christianisme.
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Voilà pourquoi, à l'heure où, le christianisme devenant religion de l'Empire, les autorités tentaient d'en donner une image unifiée, certains Pères ont vilipendé les apocryphes comme porteurs d'hérésies. En un moment où la recherche redécouvre l'extraordinaire foisonnement des premiers siècles du christianisme, il était urgent de mettre à la portée du public des textes qui en portent si clairement la trace et qui, parfois en quelques lignes, nous éclairent un pan de l'histoire encore méconnu. Au sein de cette diversité, le choix de l'Église ancienne fut difficile. L'Apocalypse dite de Jean a bien failli ne pas être retenue dans le canon. Quant au Pasteur d'Hermas, il a, lui, manqué de peu d'y entrer. Il n'y a aucune différence intrinsèque entre canoniques et apocryphes. Le Nouveau Testament résulte du choix que les autorités ecclésiastiques ont dû opérer parmi des dizaines de textes pour fixer un corpus de référence de la foi chrétienne. D'autres œuvres, non retenues, continuèrent longtemps à alimenter la piété chrétienne, au point qu'elles sont à la source de nombreuses traditions encore vivaces. Qui donc sait que les lectures monastiques pour les fêtes des apôtres puisent dans le Martyrologe des récits édifiants tirés des Actes apocryphes des apôtres? Qui pense apocryphe lorsqu'on évoque Gaspar, Melchior et Balthasar, ces trois mages que la tradition évangélique se garde de nommer mais dont les noms sont déjà sur les peintures coptes dans l'oasis égyptienne de Bawit ? Oublier les apocryphes équivaudrait à vouer les vitraux de nos cathédrales et les fresques de nos églises
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romanes au silence, à rendre à jamais incompréhensible l'Enfer de Dante ou certaines pages de Flaubert. En un moment où l'on découvre avec inquiétude la méconnaissance que nos contemporains ont de l'histoire religieuse, il devenait urgent de traduire et de diffuser ces textes qui sont partie intégrante de notre mémoire. Les textes originaux sont publiés ou en voie de publication dans la Série des Apocryphes du Corpus Christianorum. On en trouvera ici une traduction fidèle mais agréable. Beaucoup seront aussi rassemblées dans deux volumes de la Pléiade par les mêmes chercheurs, membres de l'Association pour l'Étude de la Littérature Apocryphe Chrétienne. Ceux-ci ont voulu les rendre accessibles au plus grand nombre, sous la forme de volumes indépendants, dans la présente collection de poche. Ainsi introduit au texte, aidé par des notes précises mais simples, nul doute que le lecteur de ces œuvres sera amené à en découvrir l'intérêt, au-delà de ses préjugés, et apprendra à goûter le plaisir d'une lecture sereine des apocryphes.
Au Père M.-]. Steve
Introduction
Les méandres du cours du Tigre, au nord de Ctésiphon. Cliché aimablement prêté par le P. M .-]. Steve.
Introduction
T ES AcTES DE MAR MARI participent à une catégorie L déterminée de la littérature apocryphe chrétienne, celle des Actes d'apôtres et des récits de fondation, à la base d'une tradition ecclésiale: le rattachement à un proche du Christ justifiait les prétentions hégémoniques du siège patriarcal de Séleucie-Ctésiphon, capitale de l'Empire perse. Les communautés chrétiennes locales de Babylonie et de Perse pouvaient se réclamer de la paternité protectrice d'un témoin direct de l'enseignement de Jésus. Le récit rapporte en trente-quatre séquences le périple missionnaire de Mar Mari, l'un des soixante-dix disciples du Christ, compagnon des apôtres de Jérusalem (§ 33). Parti d'Édesse, envoyé par Addaï, il est rapidement rejoint par des disciples qui le secondent dans les fondations de communautés et de centres d'enseignement à travers la Mésopotamie du sud, la Babylonie, la Susiane et jusqu'en Perse. Son itinéraire suit le cours du fleuve Tigre et s'intercale très précisément entre le champ missionnaire d'Addaï (c'est-à-dire la région osrhoénienne) et celui de Thomas-Didyme aux confins de l'Empire oriental. Avant de mourir, Mar Mari désigne l'un de ses proches, Papa, comme successeur sur le siège de Kokhé et à la tête des communautés fondées. Ses reliques sont déposées à Dorqonie, près de Séleucie-Ctésiphon. Les Actes se terminent par une commémoraison sur le tombeau du saint, occasion d'un rappel de ses bienfaits pour la région. La geste de l'apôtre est ainsi évoquée
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devant la foule des croyants rassemblés pour obtenir protection et bénédictions dans leur vie et leurs travaux agricoles. Ce paragraphe semble indiquer que les Actes étaient intégrés dans le cadre d'une liturgie annuelle festive. Le premier paragraphe est prétexte à la reprise d'un passage de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe qui raconte l'existence à Césarée de Philippe d'un groupe de statues représentant Jésus guérissant la femme hémoroïsse de l'évangile. La séquence suivante (§ 2 à 5) est un résumé de l'histoire du roi Abgar et de l'apostolat d' Addaï à Édesse: lettre d'Abgar et réponse de Jésus; image du Sauveur; puis guérison d' Abgar par Addaï; prédication devant les habitants rassemblés et érection de l'église. Les actes de Mar Mari commencent véritablement aux paragraphes 6-7: sorti d'Édesse, l'apôtre prêche la doctrine évangélique à Nisibe et en Arzanène*. Après avoir traversé la région d'Arbèles (8 à II) et le BethGarmaï (12-14), il descend vers la Babylonie (rs-r6) et la Perse ( r 7). Les sections r 8 à 3o narrent sa difficile mission à Séleucie, encore pénétrée de traditions hellénisantes, et dans les environs. Cet apostolat s'achève en Mésène, dans le Beth-Houzayé, enfin en Perse, jusqu'aux régions inférieures (paragraphes 31-32). Les Actes se terminent par le testament de l'apôtre (§ 33). Le dernier paragraphe, 3 4, est bien distinct de l'ensemble et constitue une unité littéraire indépendante. La mise en place d'un« fond biblique» dans les Actes, les références littéraires, les rappels de situation, l'allusion voilée à des personnages de la Bible, contribuent à recréer un contexte de légitimation tout en conférant au protagoniste principal une réelle apostolicité. Ainsi le contexte
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du paragraphe 8 reprend certains éléments de la geste du prophète Élie : les expressions pour décrire la guérison du roi Achazia d'Arbèles rappellent celles appliquées à Naaman le Syrien (2R 5, 14). L'épisode final des Actes(§ 34) s'inscrit dans le contexte de l'Exode : Mar Mari y apparaît comme nouveau Moïse, guide de son peuple, « colonne de feu» protectrice (cf. Ex 13, 21-22; 22, 31). En Babylonie, Mari sort indemne d'une fournaise violemment attisée (§ 24), à l'instar des trois jeunes gens du Livre de Daniel (Dn 3). L'auteur confere ainsi, par l'utilisation de ces modèles scripturaires, une certaine sacralité à son récit : Mari est placé dans la lignée des hommes de Dieu.
Les témoins manuscrits des Actes de Mar Mari Le texte des Actes de Mar Mari fut trouvé dans le monastère Notre-Dame des Moissons du village d'Alqosh en Iraq, au nord de la plaine de Mossoul dans le BethArabayé. Il appartenait aux archives de l'Église locale. Le premier manuscrit connu, signalé par le bollandiste JeanBaptiste Abbeloos, est aujourd'hui malheureusement perdu; il s'agissait d'un codex comportant quarante-six folios écrits d'un seul côté. ].-B. Abbeloos en avait fait réaliser une copie en 1881, qu'il édita quatre ans plus tard; il y ajouta, à la fm de sa traduction latine, les variantes d'un autre manuscrit datant probablement du XIIIe siècle, dont la copie lui fut donnée par Mgr G. E. Khayyath, alors archevêque chaldéen d' Amid (l'actuelle ville de Diarbékir). En 1890, le Père Paul Bedjan rééditait le texte syriaque dans les Acta Martyrum et Sanctorum syriaœ (tome I,
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Paris, Leipzig, pages 45-94). En reprenant le texte de ].-B. Abbeloos, il s'appuya également sur une nouvelle copie du manuscrit du monastère d' Alqosh. Cinq autres manuscrits contenant les Actes de Mar Mari dériveraient d'une source commune avec celle du manuscrit d' Alqosh. Ils se trouvent généralement dans un contexte littéraire spécifiquement apocryphe, souvent en relation avec les Actes de Thomas, l'autre apôtre revendiqué par l'Église de Perse. -Le manuscrit syriaque du Vatican syr. 597, fol. 8v-17v, du XVIIe siècle. Il s'agit d'un texte fragmentaire, en continu jusqu'au folio r6r exclu; suivent les folios correspondant aux paragraphes 27 (manque le début), 28 et 29 (incomplet). Notre texte s'insère entre les Actes de Thomas et l'Histoire de la Vierge, celle de l'Image du Christ (version de l'histoire d'Abgar et de Jésus), l'Apocalypse de Paul ... -Le manuscrit Sachau 222 (Berlin 75). En r882, Edouard Sachau acquit une copie du manuscrit d' Alqosh lors d'un voyage en Syrie et Mésopotamie 1 et l'apporta à Berlin. Il comporte quelques très faibles variantes par rapport à la copie acquise par J.-B. Abbeloos. Le codex débute par des fragments des Actes de Thomas puis, après les Actes de Mar Mari, le récit de l'Image du Christ, les Actes de Matthieu et André ... -Le Catalogue de J.-M. Vosté 2 signale trois codices citant une histoire de Mar Mari, copiés à Alqosh à la fin du 1. Ed.
SACHAU,
Reise in Syrien und Mesopotamien, Leipzig, Brockaus,
1883.
2. J.-M. VosTÉ, Catalogue de la Bibliothèque syra-chaldéenne du couvent de Notre-Dame des Semences (Iraq), Rome, Paris, 1929.
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xrxe siècle: le codex 214 (correspondant à l'ancien codex Scher r 12) où l'Histoire de Mar Mari, très fragmentaire, est précédée d'une Histoire de saint Thomas l'apôtre; le codex 215 (ancien codex Scher 96) et le codex 217 (aujourd'hui disparu) : le texte des Actes est suivi d'une Histoire des apôtres lWatthieu et André. -Le manuscrit Mossoul 86 (en provenance d'Alqosh), très incomplet. Le récit du voyage missionnaire de Thomas précède une fois de plus la narration. Le scribe précise l'avoir terminée à Alqosh en 2023 de l'ère des Grecs (soit 1712 de notre ère). Notre traduction tient compte à la fois du manuscrit d'Ab belo os (A, avec les variantes du manuscrit Kayyath, K), de celui de Berlin 75 (Sachau 222, S) et de celui du Vatican syr. 597 fragmentaire (Vat). La division en paragraphes reprend le découpage proposé par J.-B. Abbeloos pour la première traduction du texte en latin.
L'appréciation historique de l'œuvre
La toute première édition fut réalisée dès r885 par J.-B. Abbeloos qui proposa en même temps une traduction latine dans les Analecta Bollandiana sous le titre « Acta Sancti Maris Assyriae, Babyloniae ac Persidis seculo i apostoli, aramaice et latine». ].-B. Abbeloos fournit des remarques de géographie historique en notes infra-paginales. Le texte des Actes de Mar Mari n'a pas connu de diffusion en Occident; Mari, personnage représentatif de l'Église de Perse, fut revendiqué et connu en monde syraoriental.
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En 1893, F. Cumont publiait ses «Notes sur un passage des Actes de S. Mari» dans la Revue de l'Instruction Publique en Belgique. Il s'attache à mettre en valeur les détails de convergence historique à propos de la Séleucie hellénistique, en particulier les infrastructures politiques dont le texte porte trace. En 1925, F. Haase commence son tableau général de la christianisation de la Perse par le texte des Actes de Mar Mari; mais sa méthode discrédite malheureusement sa démarche puisqu'il explicite le contexte par des documents hagiographiques parmi lesquels la controversée Chronique d'Arbèles (Altchristliche Kirchengeschichte nach Orientalischen Quellen), Leipzig, 1925, p. 94-96. Plus récemment, Jean Maurice Fiey pense que Mar Mari est un personnage historique ; il représenterait en tout cas le prototype missionnaire de la vallée du Tigre, de la Babylonie, de la Mésopotamie proprement dite. Il constate une concordance entre le changement du lit du fleuve Tigre survenu entre 79 et 116 de notre ère et certains détails du trajet de l'apôtre dans la littérature hagiographique, jalons pour une histoire de l'Église en Iraq, (CSCO 310, subsidia 36), Louvain, 1970, p. 40-44, figures 1-III; « Topography of al-Mada'in », Sumer 23, 1967, p. 3-38; figure 37· M.-L. Chaumont en 1988 s'est surtout efforcée de mettre en valeur l'arrière-fond iranien des Actes: La christianisation de l'empire iranien, (CSCO 499, subsidia 8o), Louvain, 1988, p. 23-29. Mais le texte a été diversement apprécié par la critique. Certains savants lui concèdent des éléments crédibles ; ainsi, Theodor Noldeke «Acta Sancti Maris ed. J.-B. Abbeloos », Osterreichische Monatsschrift Jür den Orient
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1 1, 18 8 5, p. 221 ; E. N estle, dans la revue Theologische Literaturzeitung 1894, p. 41-44; H. Holtzmann, dans Deutsche Literaturzeitung, 1894, p. 708; E. von Dobschütz, Christusbildcr. Untersuchungen zur Christlichen Legende, (Texte und Untersuchungen 18), Leipzig, 1899, p. 194*196*. D'autres chercheurs en revanche n'y voient qu'un récit hagiographique dénué de tout fondement historique : R. Duval ne reconnaît dans « les miracles que l'apôtre accomplit aucun cachet original», La littérature syriaque, Paris, 1907, réimpr. Amsterdam, 1970, p. I08I09; cf aussi A. Baumstark en 1922, Geschichte des syrischen Literatur, Bonn, p. 28; pour E. Tisserant, ils n'auraient > précieux, assurant protection et bienfaits. D'après l'historien arabe Sliba, son tombeau était situé à droite de l'autel dans l'église, ce qui correspondrait au traditionnel Beth Sohdé (martyrium). Le lien étroit avec le sacre patriarcal dut sans nul doute contribuer à la diffusion et à la consolidation de cette dévotion.
Papa, figure de l'Église syro-orientale, successeur de Mar Mari? Les listes patriarcales de l'Église syra-orientale ont été composées pour valoriser la succession ininterrompue depuis l'époque apostolique jusqu'aux premiers noms connus à la tête du gouvernement ecclésial. La recension d'Élie de Damas, au rxe siècle, est la première connue; mais il n'est pas exclu que des sources plus anciennes aient
35. H. GrsMONDI, Maris ibn Suleiman. De patriarchis nestorianorum commentaria, Rome, 1899, pars prior, p. 4·
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été compilées par les auteurs (ainsi pour le Livre de la Tour, du ve siècle, dont les éléments ont été rassemblés et réagencés par les auteurs arabes du XIIe et du XIV' siècle, Mari Ibn Suleyman, 'Amr Ibn Mattaï et Sliba). Dans ces notices, Papa est le premier nom historiquement attesté. L'écrivain ecclésiastique Barhebraeus donne pour son avènement l'année 557 des Grecs (245 1 246), soit pour sa mort 324/325; 'Amr détermine 558 des Grecs (245 1 246) à 637 de cette même ère (325 1 326). Son nom est mentionné dans les plus anciens synodes orientaux connus. Il y apparaît sous le jour d'un fédérateur. Symbole d'unité ecclésiale, Papa est présenté par les Actes de Mar Mari comme le dépositaire de l'enseignement des apôtres dont il poursuit l'œuvre. Les Actes du synode de 424 indiquent que le siège de Séleucie-Ctésiphon fut pourvu avant Papa, comme l'étaient ceux d'autres villes épiscopales comme Kashkar ou Beth-Lapat 36 . Le silence des sources historiques plus proches des événements successoraux n'a pas permis de conserver leurs noms. Les listes dites patriarcales ont cherché à combler les lacunes entre l'évangélisateur Mari et Papa, présentant une suite continue de primats sur le siège de SéleucieCtésiphon depuis l'apôtre. Avant Papa, cinq noms sont généralement retenus par la tradition : Abris, Abraham, Jacob, Ahadabouhi et Shahloupha. Ce type documentaire
36. ].-B. CHABOT, Synodicon Orientale, Paris, 1902, p. 47; trad. p. 291. A. ScHER, «Histoire nestorienne inédite (Chronique de Séert) III», Patrologta Orientalis 4, Paris, 1907, p. 236 [26].
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n'échappe pas aux inévitables interpolations, cherchant à harmoniser les arguments des prédécesseurs tout en conjecturant sur les incertitudes. Il n'est peut-être pas exclu que les contradictions entre les notices puissent aussi renvoyer à une source plus ancienne à la disposition des historiens, mais dont le jeu des transmissions ne nous a pas gardé la teneur. La date tardive de ces séquences laisse présager les tensions et les besoins des communautés concernées. Ces sources privilégient deux traditions pour évoquer la fondation patriarcale de Séleucie : l'une rattache le siège directement à Antioche, la grande capitale de l'Orient romain, siège de la chaire de saint Pierre ; l'autre l' associe à Jérusalem : il s'agit essentiellement des compilateurs arabes du Livre de la Tour : 'Amr commence sa description par les dernières volontés de Mar Mari exigeant avant de mourir que son successeur soit consacré dans la ville sainte.
Séleucie et Antioche La dépendance de Séleucie à l'égard d'Antioche apparaît en fait comme le fruit d'une évolution interne liée à l'histoire juridique du siège des Villes Royales. Au ve siècle, un auteur melkite de langue syriaque relevant du siège d'Antioche introduisit au corpus de Nicée des articles apocryphes : aucune réunion ecclésiastique ne pourrait se dérouler dans l'Empire iranien sans l'aval du primat d'Antioche 37 • Cette législation sera plus tard inté37. C. KoROLEVSKIJ, «Classification et valeur des sources connues de la discipline chaldéenne )) , Studi storici suiZe fon ti del diritto canonico orientale, Rome, 1932, p. 668-669;]. DAUVILLIER, Dictionnaire
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grée dans la collection canonique de l'Église de Perse. Le lien avec Antioche, greffé a posteriori, sera désormais tenu pour historique. L'intégration de la «lettre des Pères occidentaux» dans les actes des synodes devait d'ailleurs soutenir elle aussi ce sentiment de dépendance : à la fin du me siècle, l'évêque des Villes Royales, Papa bar Aggaï, tenta de fédérer les sièges épiscopaux des provinces de l'Empire iranien sous sa propre gouverne; une assemblée réunie par Milès de Suse et son parti (composé d'évêques des principaux sièges du sud de la Babylonie) demanda une explication à Papa, s'opposant à cette hégémonie imposée. Le texte du synode de Dadisho' rapporte toute une correspondance apocryphe qui réhabilite et confirme Papa dans sa fonction : pour obtenir justice suite à sa déposition, le métropolite de Séleucie eut recours à ceux que la tradition littéraire a retenu sous le nom de «Pères occidentaux» (c'est-à-dire plus exactement aux autorités ecclésiastiques et civiles de la zone syrienne euphratéenne et mésopotamienne), et à la mère de Constantin, Hélène 38 , - ce qui plaçait Séleucie dans une de droit canonique III, Paris, 1942, art. «Chaldéen (droit) »,p. 302; p. 305. Pour la version syriaque de ces canons, traduits en allemand, cf. 0. BRAUN, De Sancta Nicaena synodo. Syrische Texte des Maruta von Maipherkat, (Kirchengeschichte Studien 4), Berlin, 1898. 38. Sur le dossier des sources, M . .KMOSKO, Patrologia Syriaca I 12, p. 667-675. À propos de cette deuxième lettre, A. MAr, Scriptorum veterum nova collectio Xl r, Rome, 1838, p. 163-164; W. DE VRIES, >. 8. Lors de la crise iconoclaste, dans la première moitié du vme siècle, Jean Damascène, fervent défenseur du culte des images, établit une forte distinction entre le culte-adoration, et la vénération relative due aux images du Christ et des saints.
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L'annonce du royaume des cieux ne parvint donc pas seulement au peuple, mais aussi au roi, ainsi que nous l'apprenons des histoires anciennes 9 .
La correspondance d'Abgar et de Jésus 2 Comme le temps du Sauveur touchait à sa fin, la réputation de guérisseur du Christ Notre Sauveur se propagea jusqu'auprès d' Abgar, souverain d'Édesse 10 . Il avait une maladie douloureuse qui le tourmentait continuellement : il souffrait de la goutte. Il entendit parler de Notre Sauveur qui accomplissait des prodiges et des miracles. Il lui écrivit une lettre et lui envoya des émissaires et des légats, afin qu'il vienne lui procurer la santé. Il lui écrivit donc une lettre comme suit 11 : « Abgar Ukama, chef du lieu, à Jésus le Sauveur, salut! J'ai entendu dire que tu purifies les lépreux, que tu expulses les esprits impurs et chasses les démons. C'est pourquoi je me suis dit à ton sujet que tu es Dieu, et Fils de Dieu venu pour la guérison de la création. J'ai une maladie pénible et je te prie de venir chez moi pour que tu guérisses cette infirmité. En outre, j'ai entendu dire à ton propos que les juifs de ton peuple te détestent, et
9. L'auteur fait référence à des sources écrites antérieures, ce qui n'exclut pas des traditions orales circulant sur Mar Mari. 10. Littéralement Orhaï (Urfà en Turquie orientale). Nous avons choisi de transcrire l'ancienne appellation« Édesse», plus connue. Commence jusqu'au § sl' Histoire du roi Abgar et de jésus, version concise qui néglige tout discours d'évangélisation. 11. Le paragraphe a sélectionné l'essentiel de l'histoire d' Abgar, supprimant la première venue des émissaires à Jérusalem.
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qu'ils cherchent à te faire un mauvais coup. Si tu veux, j'ai une petite ville, qui conviendra à toi et à moi ; elle suffira pour deux. Nous y serons tranquilles 12 . » Les légats arrivèrent et entrèrent à Jérusalem le douze du mois de nisan 13 • Ils trouvèrent le Christ chez un des grands-prêtres des juifs, et devant lui on lut la lettre. Mais l'occasion manquait à Notre Seigneur d'envoyer des délégués auprès d' [Abgar] ; et même, il n'avait pas jugé bon que son évangile fût répandu parmi les nations avant sa résurrection 14 . C'est pour cette raison qu'il ne lui envoya pas d'apôtre. Il lui fit donner cette réponse, lui écrivit donc une salutation comme suit : «Il est écrit de moi: "Heureux ceux qui, sans m'avoir vu, croient en moi". Mais maintenant, je veux accomplir l'œuvre de Celui qui m'a envoyé; cependant, après ma résurrection et après que je serai monté au ciel, je t'enverrai l'un de mes disciples 15 qui guérira ta maladie
12. Cf Doctrine d'Addaï § 4. 13. Correspond au mois de mars-avril, durant lequel se déroule la Pâque juive, fixée au 14. Dans la Doctrine syriaque, l'archiviste Hannan arrive à la même date, dans le même contexte du procès de Jésus. 14. Parole qui rejoint l'ordre de mission intimé par Jésus lors de l'envoi des Douze : « Allez d'abord vers les brebis perdues de la maison d'Israël», Mt ro, 6. Au paragraphe r, l'auteur signalait une diffusion du message chez tous les peuples venus rencontrer Jésus ; cette contradiction pourrait être un indice en faveur de l'addition de l'histoire d' Abgar dans la narration. 15. C'est après l'ascension du Christ, et parfois après la Pentecôte, que les actes d'apôtres situent traditionnellement le départ en mission des disciples par toute la Terre.
TRADUCTION
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et t'apportera aussi le salut, ainsi qua ceux qui sont avec toi. Ta place forte sera bénie et aucun ennemi n'y dominera 16 . » L'image du Sauveur
3 La lettre parvint au roi Abgar et il la reçut avec grande joie. Lorsqu'ils lui racontèrent les merveilles que [Jésus] accomplissait en Judée, il était admiratif et stupéfait par la puissance de Dieu; mais comme il n'était pas digne de ce spectacle, il était dans une grande affliction. Que fit donc le roi Abgar? Il vit des peintres habiles, et leur commanda de se mettre en route avec ses légats, de peindre et de rapporter en image le visage de Notre Seigneur, afin qu'il se réjouisse par son image comme s'il le rencontrait en personne 17 . Ainsi les peintres vinrent avec les légats du roi ; cependant, ils ne purent peindre l'effigie de l'humanité adorable de Notre Seigneur. Quand Notre Seigneur, par la science de sa divinité, perçut les sentiments d' Abgar envers lui, après avoir vu les peintres peiner sans y parvenir à obtenir une image conforme à la réalité, le Vivificateur du monde prit un linge, l'imprima sur sa face et ce fut conforme à la réalité. Le linge fut emporté comme source de secours et déposé dans l'église d'Édesse jusqu'à ce jour 18 .
16. Cf Doctrine d'Addaï§ 517. Le portrait souhaité doit suppléer à la venue du Christ en personne. En voyant l'image, Abgar se réjouira comme s'il voyait le Christ lui-même. 18. Ce geste attribué à Jésus correspond à un développement de la légende du portrait du Christ : l'Image non faite de main
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Envoi d'Addaï, un des Soixante-dix, à Édesse 4 Après l'ascension de Notre Seigneur 19 , lorsque les apôtres furent dispersés par le monde habité 20 , la bonté de Dieu fit que Thomas, un des Douze 21 , envoya à Édesse un des soixante-douze apôtres 22 , du nom d' Addaï, qui le suivait. Lorsqu' Addaï y parvint, il descendit chez un homme qu'on appelait Toubana 23 ; puis il commença à faire des miracles. Lorsque la rumeur à son sujet se fit entendre, on fit savoir à Abgar que l'apôtre de Jésus était
d'homme devient une relique de protection. Les versions grecques, arméniennes et arabes de la Lettre d'Abgar et des Actes de Thaddée restitueront cet aspect. 19. Les Actes des apôtres canoniques débutent par le récit de l'ascension de Jésus. Cet événement marque le point de départ de nombre d'Actes apocryphes. 20. La dispersion des apôtres laisse entendre une répartition des champs missionnaires, scène qui ouvre fréquemment les actes apocryphes d'apôtres. 21. Thomas est appelé Judas Thomas dans la Doctrine d'Addaï, suivant en cela les Actes apocryphes de l'apôtre. 22. Chez Luc, le terme apôtre est réservé aux Douze; en syriaque, le même mot est utilisé indifféremment pour les Douze ou les Soixante-douze. Les chiffres Soixante-dix ou Soixante-douze varient selon les manuscrits de l'Évangile lucanien. Mar Mari est présenté ailleurs comme l'un des Soixante-dix(§ r; § 27). Cette discordance suggère que ce résumé de l'Histoire d'Abgar constitue un ajout. 23. Le § 7 de la Doctrine d'Addaï porte: «Tobie fils de Tobie le juif » Le nom de Toubana ne renvoie pas à ce contexte; il signifie «Bienheureux», laissant entendre qu'il s'agit du premier converti. Un seul manuscrit (K) donne le nom de Tobie.
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arrivé. Le roi envoya quérir Toubana et lui dit: «J'ai appris qu'un homme puissant résidait chez toi; fais-le monter maintenant auprès de moi. » Et sur l'heure, l'homme se leva et conduisit Addaï auprès d'Abgar 24 . Il entra en sa présence tandis qu'une grande assemblée se tenait devant le roi. Quand il entra, le roi eut une vision admirable du visage d' Addaï 25 . Le roi tomba à terre et vénérait le visage d' Addaï. Or, les Grands ne voyant pas l'éclat, s'étonnaient fort de ce qu'un homme vêtu d'habits sordides eût ainsi ému le roi : car le Christ montrait l'éclat de sa gloire en celui qui venait jusqu'à lui. Addaï répondit au roi: «Pourquoi, dit-il, m'as-tu convoqué?» Le roi dit: «J'ai entendu à ton sujet que tu réalises miracles et prodiges, et je sais que tu es un disciple de Jésus 26 qui m'a dit et m'a écrit: "Après ma résurrection, je t'enverrai un de mes disciples." De fait, tu es venu vers moi pour me rendre la santé. » Addaï lui dit : « Si tu crois, tes requêtes seront exaucées ; tout est possible à celui qui croit 27 . »Le roi lui dit alors: «Ainsi, j'ai si bien cru en lui, que j'étais sur le point d'envoyer une armée contre les juifs qui l'ont crucifié et je les aurais anéantis si je n'en avais été empêché par le royaume des Romains 28 . »
24. Parallèle au § 8 de la Doctrine d'Addaï très résumé. 25. Voir le glossaire au mot «Transfiguration». 26. Les manuscrits K et S portent «le )) disciple de Jésus. 27. Cf Mc 9, 23. 28. Fin de la reprise résumée du § 9· Royaume indépendant, l'Osrhoène était sous influence romaine et devint colonie en 213.
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Ensuite, il lui imposa la main et, par la puissance de Jésus 29, toutes ses infirmités furent guéries. Abgar était admiratif et stupéfait- il lui était donné un signe admirable : la guérison de la douleur des pieds qu'on appelle la goutte. De même pour un de ses ministres, du nom de Abd fils de Abdou : il fut guéri de son infirmité; et lui aussi se leva, tomba aux pieds du bienheureux Addaï et se prosterna. Enfin, l'apôtre guérit d'autres habitants de leur ville 30 .
Conversion de la ville et du roi. Instauration du culte et mort d'Addaï 5 À la vue des signes qu'il accomplissait, le roi et ses Grands se mirent à lui dire : « Nous te prions de nous dire qui fut Jésus, ce qu'il enseigna, et ce qu'il fit. » Addaï dit au roi : « L'heure est maintenant passée ; cependant, si tu veux que je te parle, ordonne le rappel de toutes tes troupes, et je viens au matin te raconter l'histoire de Jésus. » Alors, le roi reçut sa parole joyeusement et renvoya l'assemblée de tous ses Grands. Addaï vint le matin, et commença à lui parler de la providence divine 31 : comment elle créa les créatures, et 29. L'expression est classique dans les Évangiles lorsque Jésus guérit : « la puissance du Seigneur lui faisait opérer des guérisons » (Le 5, 17; Ac ro, 38). À cette puissance s'ajoute l'idée de force venant de l'Esprit-Saint (Mc 5, JO) et que Jésus transmettra à ses disciples. 30. Résumé des principales composantes du § ro de la Doctrine d'Addaï. Au§ 5 des Actes de Mari commence un condensé du reste de l'œuvre. 31. Dans ce contexte, la providence désigne le projet créateur de Dieu aux origines du monde et dans l'histoire.
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comment elle fit la nature humaine; quelles promesses elle fit aux anciens 32 concernant la venue des prophètes, celle du Christ et les signes qu'il réalisa, la résurrection du Christ, son ascension au ciel, et le don qu'il conféra aux prophètes et apôtres de prêcher aux nations 33 . Tant que parlait l'apôtre, le roi louait ses paroles. Et l'Esprit de sainteté confirmait ces dires par l'accomplissement de signes. Et aussitôt la ville fut évangélisée ainsi que tous les environs; et à cause des signes opérés par l'intermédiaire de Mar Addaï, peu s'en fallut que toute la Mésopotamie fût attirée à la foi au Christ 34 • Et parmi eux, nombreux furent ceux qui crurent; et ils rivalisaient dans les pratiques de la perfection. Enfm, après que l'apôtre Addaï eut édifié l'église d'Édesse, il la munit de toutes nécessités ; il y établit des presbytres et des diacres, dans la ville et tous les environs 35 • L'apôtre Addaï quitta ce monde en paix le jeudi, quatorzième jour du mois de Iyar 36 ; et il termina ses combats si chers (à tous) dans le triomphe et la victoire 37 . 32. Le terme renvoie aux aînés dans la foi: les patriarches, les prophètes et le peuple juif héritier des promesses messianiques. 33. Allusion à l'épisode pentecostal d'Ac 2, 1-13: le don de l'Esprit saint est à l'origine de la prédication apostolique vers toutes les Nations. La référence aux prophètes renvoie à la structure de l'Église primitive: d'après 1 Co 12, 28 et Ep 2, 20; 4, II, ils constituaient le fondement de l'Église avec les apôtres. 34. La Doctrine d'Addaï parle des habitants de toute la région mésopotamienne (autour d'Édesse) venant écouter l'enseignement d' Addaï (§ 3 5). 35. Voir le glossaire au mot « Presbytre ». 36. Correspond au mois de mai. 37. Les manuscrits S, K et Vat proposent:« Dans le triomphe de la victoire. »
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Mar Mari envoyé vers la terre de Babel 6 Maintenant, les choses concernant la conversion de la Mésopotamie 38 : les voici. Une nouvelle fois nous y revenons donc, et montrons comment la religion de Dieu se propagea de là, et aussi vers nos régions. Parce que cette histoire n'est pas racontée ouvertement, j'exposerai l'antique tradition qui fut transmise par les textes, laquelle est ainsi 39 : avant sa mort, le bienheureux Addaï choisit donc parmi ses disciples quelqu'un du nom de Mari, celui qui était objet de la miséricorde de Dieu et plaisait par sa conduite parfaite ; il posa sur lui la main droite, elle qui lui fut imposée par Notre Seigneur Jésus-Christ 40 • Ill' envoya vers la région de l'Orient, vers la terre de Babel 41 , et lui ordonna d'aller y prêcher la parole de Notre Seigneur.
Venue à Nisibe et à Arzon 7 Le bienheureux Mar Mari, partant d'Édesse, commença à enseigner jusqu'à ce qu'il parvint à Nisibe 42 . 38. Sans doute faut-il entendre la Haute-Mésopotamie puisque c'est de là que se propage l'apostolat de Mari. 39. L'auteur fait allusion à une continuité dans la transmission de la légende par le biais de documents écrits et justifie, par un artifice littéraire, l'exposé tardif d'événements anciens. Mais il insiste aussi sur le caractère apocryphe des Actes jusque-là inaccessibles au public, et dont l'histoire, tenue cachée, est désormais dévoilée. S'agit-il d'une tradition interne à un couvent par exemple (celui de Dorqonie), jalousement conservée? 40. Voir le glossaire au mot« Imposition de la main». 41. La Babylonie, zone géographique entre Tigre et Euphrate. Voir le glossaire au mot «Babel». 42. Voir le glossaire.
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Après que le bienheureux eut évangélisé Nisibe, il y planta la vérité de la vraie foi; il chassa ses idoles, brisa ses statues, y édifia des églises et des monastères, y plaça des maîtres et une école 43 . De là, il partit vers la région d'Arzon 44 , avec le presbytre 45 Onésime qui venait avec lui d'Édesse, et avec Philippe, Malkieshou 46 , et Ada, ses disciples, et de nombreux autres. Il envoya l'un d'entre eux du nom de Philippe à Qardou 47 • Et quand le bienheureux parvint à Arzon, il fit beaucoup de disciples par les prodiges qu'il accomplissait. Or, le roi d'Arzon en proie à la douleur appelée goutte était invalidé. Lorsqu'il entendit parler des hauts faits et des guérisons qui étaient réalisés par le bienheureux, il ordonna, avec désir impérieux, qu'on fît venir le bienheureux devant lui. Quand celui-ci vint se tenir devant lui, le roi s'en réjouit fort parce que le bienheureux lui présentait son hommage joyeusement. Et quand il entendit la parole du bienheureux, ill' estima davantage à ses yeux à cause de sa douceur, de sa gravité et de son visage riant. D'autant plus que Mar Mari était humble et bon et qu'il était doux envers tous 48 ;jamais la haine ni la colère ne se trouvaient chez lui. Le roi répondit et lui dit : «Dis-moi de quelle 43. Cette action missionnaire est à l'évidence anachronique. Il faut attendre le rvesiècle pour qu'une organisation monastique soit attestée dans la région. Voir le glossaire au mot «Écoles». 44. Voir le glossaire au mot.
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Guérison de la fille du roi de Shahqert De là, le bienheureux partit vers une région de ténèbre et d'erreur, la région du Beth-Garmaï 79 . Il entra d'abord à Shahqert 80 où il y avait un roi idolâtre ; il était très cruel et terrible. Au moment où le bienheureux arriva, on rendait un culte à un arbre dans lequel se tenait Satan, et on offrait aussi des sacrifices à une effigie en bronze. Le roi Shahgird n'avait pas de fils mais seulement une fille unique dont le nom était Phratia qui lui était très chère. Elle souffrait d'une grave maladie paralysant ses membres. Elle ne pouvait rien faire ni marcher. L'apôtre Mar Mari arriva, ainsi que ceux qui étaient avec lui. Ils logèrent face à la porte du roi. Mar Mari s' approcha et frappa à la porte du palais. Une jeune fille lui répondit, demandant : « Qui es-tu? » Le bienheureux lui dit : « Ouvre-nous la porte, ô ma fille! Reçois de nous ce peu de farine. Pétris et cuis pour nous du pain azyme 81 , en sorte que de nous, tu reçoives salaire. Car nous sommes venus de loin et dans cette place forte nous ne pouvons pas acheter de pain. » La jeune fille lui dit : «Mais je ne peux pas me lever et t'ouvrir parce que mes mains et mes pieds sont paralysés, et tous les gens de la maison sont allés auprès des dieux pour y sacrifier. » Le bienheureux 12
79. Au sud du Petit Zab, à l'est du Tigre et au nord de la Diyala. 80. Voir le glossaire. 81. Allusion liturgique au pain de la Pâque, sans levain (Ex 12, 34; 39), qui est aussi le pain eucharistique. Chez les nestoriens, l'usage du saint levain est une tradition de fabrication remontant au moins au XIIIe siècle.
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répondit et lui dit: «Au nom de Notre Seigneur JésusChrist, que tes membres s'affermissent.» L'illustre Mar Mari parlait encore quand tout le mal qu'elle avait s'éloigna. Aussitôt, elle se tint debout, dans l'allégresse et l'admiration, ouvrit la porte, répondit et lui dit : « Que feraije pour toi, ô homme? Car la loi de notre roi et de notre royaume ordonne ceci : "Que les trois jours consacrés aux dieux, personne n'allume du feu pour la cuisson. Quiconque a cette audace, lui et tout ce qui lui appartient seront consumés par le feu." » Le bienheureux Mar Mari lui dit: «Ne crains pas; car personne ne pourra vous consumer par le feu. » Lorsqu'il lui eut dit cela, elle prit la farine de Mar Mari, alluma le feu, et prépara la cuisson. Par l'œuvre de Satan, la fumée monta au-dessus de tous les toits de la ville. Les préposés aux préceptes du roi la virent. Ils vinrent s'informer et surent que le feu était allumé dans le palais du roi.
Contre les idoles du roi 13 Ils vinrent se tenir devant le roi Shahgirad. Ils demandèrent à lui parler et eurent peur. Lorsqu'il les vit, le roi leur dit: «Qu'avez-vous à dire?» Ils lui répondirent: «Seigneur roi 82 , voici qu'une fumée monte de ton palais comme d'une fournaise. >> Comme il pensait qu'il n'y avait personne dans sa maison hormis sa fille Phratia, il se leva avec terreur et crainte, et se rendit chez lui avec dix nobles qui l'accompagnèrent en tremblant. Aussitôt, ils se précipitèrent vers le four et virent sa fille qui n'avait
82. Les manuscrits S et V portent «notre seigneur roi».
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jamais marché, debout près du four, et le bienheureux Mar Mari assis là. Le roi s'étonna pendant un moment. Il répondit et dit au bienheureux : « Qui es-tu? » Mar Mari lui répondit: «Je suis un homme, serviteur du Dieu vivant. » Le roi lui dit : « Qui a procuré la santé à cette jeune fille et lui a donné la force, celle que nos dieux n'ont pu procurer? >> Le bienheureux Mar Mari répondit et lui dit:« Le Christ, dont je suis le serviteur, a procuré la santé à la fille du roi. » Le roi lui dit : « Et qui est ce Christ dont tu parles ? >> Le bienheureux lui répondit : 83 > Le saint leur dit : «Moi, je ne mange pas la récompense des chanteurs. Mais si vous voulez, il y a une parole que je vous dirai : écoutez-moi. » Ils lui disent : «Parle! >> Il leur dit : « Faites-vous chrétiens, et ces chanteurs vous seront laissés. >> Ils l'interrogèrent à nouveau, lui demandant: «Qu'est-ce que le christianisme? Nous n'avons jamais entendu ce nom. >> Il leur dit : « Croyez en Dieu tout-puissant; c'est lui qui a fait le ciel et la terre : en dehors de lui, il n'est aucun Dieu. Et en son Fils JésusChrist ; c'est lui qui est descendu du ciel, a revêtu le corps des hommes 128 et les a tournés vers lui. Et croyez au 128. Pour la métaphore du vêtement pour désigner l'Incarnation, cf le glossaire au mot« Théophore ».
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Saint-Esprit, celui-là même qui a mis en nos mains sa puissance afin que soient guéris les chefs de vos banquets.» Et il commença à leur dire:« En effet, ceux que vous adorez maintenant ne sont pas des dieux comme vous le pensez, vous qui négligez d'adorer votre Créateur. Mais revenez de cette erreur, et croyez en l'unique vrai Dieu. En effet, ce feu que vous honorez 129 est l'une des créatures substantielles de Dieu : sa substance est muette, et n'a rien en commun avec la divinité.» Mais eux lui demandèrent : « Où est ton Dieu? » Il leur dit : « Mon Dieu est invisible, et habite dans les hauteurs, dans la gloire. Tout ce qu'il veut, ille fait 130 . >~Eux donc répondirent et dirent: