Aux origines de l'identité urbaine en Europe centrale et nordique: Traditions culturelles, formes d'habitat et différenciation sociale (VIIIe-XIIe siècles) 9782503547817, 2503547818

Y a-t-il eu un habitat à caractère urbain dans les territoires de l'Europe centrale et nordique situés à l'ext

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Aux origines de l'identité urbaine en Europe centrale et nordique: Traditions culturelles, formes d'habitat et différenciation sociale (VIIIe-XIIe siècles)
 9782503547817, 2503547818

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AUX ORIGINES DE L’IDENTITÉ URBAINE EN EUROPE CENTRALE ET NORDIQUE TRADITIONS CULTURELLES, FORMES D’HABITAT ET DIFFÉRENCIATION SOCIALE (VIIIe – XIIe SIÈCLES)

Collection Haut Moyen Âge dirigée par Régine Le Jan

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AUX ORIGINES DE L’IDENTITÉ URBAINE EN EUROPE CENTRALE ET NORDIQUE TRADITIONS CULTURELLES, FORMES D’HABITAT ET DIFFÉRENCIATION SOCIALE (VIIIe – XIIe SIÈCLES) par SÉBASTIEN ROSSIGNOL

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© 2013, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-54781-7 D/2013/0095/10

REMERCIEMENTS

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e livre contient la version remaniée et écourtée d’une thèse de doctorat réalisée aux Universités de Göttingen et de Lille 3, qui a été financée par le Conseil de Recherches en Sciences humaines du Canada et a été soutenue en juillet 2008 à Göttingen. La cotutelle a été grandement facilitée par une bourse de mobilité offerte par la Direction générale de l’enseignement supérieur du Ministère de l’Éducation nationale (France). En outre, un séjour de recherche de six mois à l’Université de Wrocław a été financé par une bourse du Conseil Régional du Nord-Pas de Calais. Je remercie Felix Biermann, Zdeněk Dragoun, Immo Heske, Sunhild Kleingärtner, Hanna Kóčka-Krenz, Lech Leciejewicz, Jiří Macháček, Sławomir Moździoch, Bernd Päffgen, Donat Wehner et l’Institut de Pré- et Protohistoire de l’Université de Kiel pour la permission d’utiliser leurs illustrations. Ce projet de thèse a représenté un défi à bien des niveaux. Se voulant interdisciplinaire, il a nécessité de prendre en compte les résultats considérables de la recherche archéologique. Cela n’aurait pas été possible sans les conseils et innombrables discussions facilités par la fréquentation de l’Institut de Pré- et Protohistoire de l’Université de Göttingen. Je me dois d’exprimer ma gratitude en particulier envers Anne Klammt, Thomas Saile, Karl-Heinz Willroth et Immo Heske, de même qu’envers les collègues du projet interdisciplinaire « Slawen an der unteren Mittelelbe », particulièrement Jens Schneeweiß, Felix Biermann, Norbert Goßler et Sebastian Messal. En outre, la portée géographique de cette étude a rendu nécessaire la prise en compte de l’historiographie polonaise, dont l’apport a été incalculable. Ce volume ne serait pas devenu ce qu’il est sans mon séjour à Wrocław en 20062007. Je tiens tout particulièrement à remercier Jerzy Piekalski et Stanisław Rosik, qui ont rendu ce séjour possible et ont toujours été disponibles pour me conseiller. Je ne devrais pas oublier de mentionner également Sławomir Moździoch et Marek Słoń. J’ai eu en outre l’honneur de pouvoir discuter de mes travaux avec un des pionniers de l’étude des centres proto-urbains altimédiévaux, Lech Leciejewicz, avant qu’il ne quitte ce monde. Je voudrais remercier celles et ceux qui ont eu la patience de relire, corriger et commenter des chapitres de mon manuscrit ou d’autres travaux – Claire Ravez, Mathieu Olivier, Martin Gravel, Agnès Graceffa, Thomas Küntzel, Thomas Lienhard, Ekkehard Lux, Geneviève Bührer-Thierry et Régine Le Jan, ainsi que, bien sûr, mes deux directeurs de thèse, Hedwig Röckelein et Stéphane Lebecq.

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remerciements

Un grand merci à Régine Le Jan pour son intérêt envers ce projet depuis le début et pour avoir accepté d’inclure cette monographie dans la collection « Haut Moyen Âge ». Je remercie également Christophe Lebbe et l’équipe de Brepols pour leur aide et leur patience. Je tiens enfin à remercier mes deux directeurs de thèse : Hedwig Röckelein pour son soutien depuis mes études en maîtrise et pour tout le temps et l’énergie qu’elle a consacré à lire et commenter mes travaux ; Stéphane Lebecq pour avoir accepté de diriger la thèse du parfait inconnu que j’étais, survenu un jour dans son bureau, ainsi que pour son soutien continuel et ses commentaires toujours judicieux. L’inspiration et l’enseignement de mes deux spiritus rectores ont été inestimables. Sébastien Rossignol Halifax, Nouvelle-Écosse, septembre 2013

NOTE SUR LES NOMS PROPRES

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a grande variété de formes orthographiques usitées pour les noms propres – toponymes et noms de personnages historiques – mentionnés dans cette étude a nécessité des compromis. Pour les toponymes a été adoptée la version courante dans les pays où se trouvent aujourd’hui ces localités ; ils n’ont été francisés que dans les cas où la forme française est généralement connue. Lors de la première mention, les variantes en d’autres langues européennes majeures sont données entre parenthèses. Ainsi, nous écrivons Wrocław (all. Breslau), mais Cracovie. Les toponymes qui n’ont pu être localisés avec certitude ou qui n’existent plus sous cette forme sont mis en italique. Pour ce qui est des noms de personnages historiques, nous avons opté pour une orthographe se rapprochant de celle des sources plutôt que pour celle courante dans les langues européennes modernes. Ainsi, nous écrivons Mesco plutôt que Mieszko et Borivoy plutôt que Bořivoj.

INTRODUCTION

For all that, the city is an idea, a legal entity, a jurisdiction, it’s also a place, a physical environment, man-made and evolving. Christopher Hume1

L

e phénomène urbain intéresse depuis longtemps les chercheurs en sciences humaines et sociales. Il a fait l’objet d’innombrables travaux et réflexions d’historiens, d’archéologues, de géographes et de sociologues, et est même devenu la raison d’être d’une discipline universitaire autonome : l’urbanisme. L’habitat, quel que soit sa forme, constitue l’environnement immédiat dans lequel se déploie la vie humaine. Il apparait évident, aujourd’hui, que l’agglomération que nous habitons non seulement construit la réalité concrète que nous avons sous les yeux quotidiennement, mais qu’elle influence également notre manière de vivre, notre façon de percevoir la société, de se représenter le monde extérieur. Nous ne pouvons échapper à son intime proximité. On pourrait facilement croire que cet intérêt toujours grandissant pour le phénomène urbain soit dû à l’ascendant inégalé qu’ont pris les grandes villes et métropoles depuis les débuts de la période industrielle. Il est sans doute superflu d’insister sur le fait qu’en ce début du XXIe siècle, la grande majorité de la population d’Europe et d’Amérique du Nord ainsi qu’une part toujours croissante de la population mondiale vit dans des agglomérations considérées comme étant de type urbain2. La ville, centre de culture, de nouveauté, d’innovations – mais en même temps associée à l’insécurité, à la criminalité et à tous les maux de notre époque – est inséparable de l’idée que l’on se fait de la modernité3. Au début du XXe siècle, on allait jusqu’à percevoir la pollution

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C. Hume, Toronto’s « Little » Details a Big Deal for Residents, dans Toronto Star, dimanche 7 mars 2010. 2 G. Burgel, La Ville contemporaine de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, dans Jean-Luc Pinol (éd.), Histoire de l’Europe urbaine II. De l’Ancien Régime à nos jours, Paris, 2003, p. 570587. En 1997, la proportion urbaine de la population était de 75 % aux États-Unis, de 77 % au Japon, de 78 % en Europe occidentale, et formait 43 % de la population mondiale. Voir J. R. McNeill, Something New under the Sun. An Environmental History of the Twentieth-Century World, New York et Londres, 2000, p. 281-294, en particulier le tableau à la p. 283. En 2010, la part de la population mondiale vivant dans un habitat urbain est estimée à 50 % ; on s’attend à ce qu’elle atteigne 70 % en quelques décennies. Voir N. You, Meeting the Urban Challenge of the 21st Century, dans Urban World, 2, 2, avril 2010, p. 6. 3 J.-L. Pinol et F. Walter, La Ville contemporaine jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, dans J.-L. Pinol (éd.), Histoire de l’Europe urbaine II…, op. cit., p. 115-142 ; D. Stevenson, Cities and Urban

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produite par les villes comme un signe positif de progrès4. Il nous serait difficile d’imaginer qu’ait pu exister une société sans villes capable de produire une civilisation raffinée et complexe. Tout cela nous amène à poser une question qui à première vue semble simple mais est loin de l’être : qu’est-ce, après tout, qu’une ville ? À quoi peut ressembler un habitat urbain dans une société différente de la nôtre ? Est-il légitime de projeter sur d’autres sociétés – par exemple, celles de l’Europe médiévale – les critères que nous utilisons pour définir ce qui fait une agglomération urbaine ? Y-a-t-il une continuité historique de l’imaginaire urbain, de la représentation et de la réalité de la ville au-delà des époques ? Ou est-ce que la ville peut être, dans une civilisation autre, un fait certes bel et bien présent, mais méconnaissable par rapport à l’idée que nous nous en faisons ? Comprendre une civilisation du passé exige de saisir les idées, concepts et sentiments – bref, l’univers mental – de ses acteurs. On ne peut réellement appréhender le sens des actions, motivations et réflexes des membres d’une société différente de la nôtre sans tenter de comprendre les traditions et le contexte culturel dans lesquels ils évoluaient. Cela nécessite de faire abstraction de – ou mieux, de mettre en perspective – nos propres préconceptions. En même temps, il serait difficile d’expliquer un phénomène social complexe en ne tenant compte que d’idées abstraites, sans tenter de se représenter les conditions matérielles et physiques qui ne pouvaient guère faire autrement que de les influencer. En fait, la conception de ce qui fait une agglomération de type urbain varie énormément selon les endroits et les périodes. La présente étude est consacrée aux conceptions urbaines chez les populations germaniques et slaves de l’Europe centrale et nordique au cours du haut Moyen Âge, avec une approche interdisciplinaire. Comme nous allons le voir, donner une définition de la ville est particulièrement ardu pour l’Europe médiévale, ce qui est dû à plusieurs facteurs. Tout d’abord, l’apparition de l’autogouvernement urbain sous toutes ses formes aux siècles centraux et tardifs de la période médiévale a offert un critère précis et clair, bien que quelque peu arbitraire, pour distinguer une ville de toute autre forme d’agglomération5. Cette différenciation a été particuliè-

Cultures, Philadelphie, 2003 (Issues in Cultural and Media Studies), passim. 4 J. R. McNeill, Something…, cité p. 9, n. 2, p. 58-60. 5 P. Boucheron, D. Menjot et M. Boone, La Ville médiévale, dans J.-L. Pinol (éd.), Histoire de l’Europe urbaine I. De l’Antiquité au XVIIIe siècle. Genèse des villes européennes, Paris, 2003, p. 495-526 ; G. Dilcher, Die Rechtsgeschichte der Stadt, dans K. S. Bader et id., Deutsche Rechtsgeschichte. Land und Stadt – Bürger und Bauer im Alten Europa, Heidelberg, 1999, p. 327-404. À propos de la ville du haut Moyen Âge européen, voir H. Galinié, La Question urbaine entre Antiquité et Moyen Âge : « L’Entre-deux des cités » (250-950), dans J. Chapelot (éd.), Trente ans d’archéologie médiévale en France. Un bilan pour un avenir, Caen, 2010, p. 337-350. À propos des difficultés de définir la ville du haut Moyen Âge, voir le chapitre III Qu’est-ce que

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rement tranchée dans les régions touchées par le grand mouvement de migration et de transformations qui s’est déroulé en Europe centrale et orientale aux XIIe et XIIIe siècles, la fondation de villes nouvelles s’y étant réalisée de manière singulièrement uniforme et standardisée. Évidemment, un tel indice ne pouvait pas exister au cours du haut Moyen Âge. Afin de tenter d’y voir clair dans cette période complexe de l’histoire urbaine européenne, d’innombrables définitions ont été proposées depuis le début du XXe siècle, toutes cherchant à cerner le phénomène urbain médiéval, particulièrement en ce qui a trait aux siècles qui ont précédé le mouvement communal6. Ces propositions ont souvent été réutilisées, modifiées, commentées ou rejetées – il serait nécessaire, avant de se tourner ad rem, d’en donner un aperçu. Des difficultés de définir le phénomène urbain du haut Moyen Âge 1. Le point de vue des historiens Henri Pirenne (1862-1935) reconnut déjà les difficultés de définir la ville du haut Moyen Âge, hésitant entre la négation de l’existence de véritables villes dans l’Empire carolingien et la reconnaissance des fonctions administratives de certaines forteresses7. Quant à Edith Ennen (1907-1999), elle jaugea la ville ?, dans R. Fossier, Enfance de l’Europe. Xe – XIIe siècles. Aspects économiques et sociaux. Tome second. Structures et problèmes, Paris, 1982 (Nouvelle Clio. L’Histoire et ses problèmes, 17bis), p. 980-1043. À propos des difficultés de définir la ville médiévale, voir A. Joris, La Notion de « ville », dans id. et A. Marchandisse (éd.), Villes – affaires – mentalités. Autour du pays mosan, Bruxelles, 1993 (Bibliothèque du Moyen Âge, 2) (article d’abord paru en 1969), p. 39-52 ; J.-L. Fray, Villes et bourgs de Lorraine. Réseaux urbains et centralité au Moyen Âge, Clermont-Ferrand, 2006 (Histoires croisées), p. 37-44. 6 Voir S. Rossignol, The Central European Early Town as an Issue of Interdisciplinary Studies, dans Przegląd Archeologiczny, 57, 2009, p. 134-136 ; H. Koller, Zur Entwicklung der Stadtgeschichtsforschung im deutschsprachigen Raum, dans F. Mayrhofer (éd.), Stadtgeschichtsforschung. Aspekte, Tendenzen, Perspektiven, Linz, 1993 (Beiträge zur Geschichte der Städte Mitteleuropas, XII), p. 1-18; S. Moździoch, The Origins of the Medieval Polish Towns, dans Archaeologia Polona, 32, 1994, p. 129-153 ; P. Urbańczyk, The Origins of Towns on the Outskirts of Medieval Europe – Poland, Norway and Ireland, dans Archaeologia Polona, 32, 1994, p. 108-127 ; id., Trudne początki Polski, Wrocław, 2008 (Monografie Fundacji na rzecz nauki polskiej), p. 107-141 ; J. Piskorski, Stadtentstehung im westslawischen Raum : Zur Kolonisations-und Evolutionstheorie am Beispiel der Städte Pommerns, dans Zeitschrift für Ostmitteleuropa-Forschung, 44, 1995, p. 318-338. 7 H. Pirenne, Les Villes du Moyen Âge, Bruxelles, 1927, p. 333-334. À propos de l’œuvre de Pirenne, voir La Fortune historiographique des thèses d’Henri Pirenne. Actes du colloque organisé à l’occasion du cinquantenaire de la mort de l’historien belge par l’Institut des Hautes Études de Belgique, à l’initiative de G. Despy, professeur à l’Université libre de Bruxelles et A. Verhulst, professeur à l’Université de l’État à Gand. Bruxelles, 10-11 mai 1985, Bruxelles, 1986 (Archives et Bibliothèques de Belgique. Numéro spécial. Archief- en Bibliotheekwezen in België. Extranummer, 28), passim.

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le phénomène urbain altimédiéval principalement à l’aune de la « ville médiévale pleinement développée », soit la ville avec autogouvernement urbain du Moyen Âge central et tardif8. Walter Schlesinger (1908-1984), quant à lui, s’est principalement intéressé aux agglomérations de type proto-urbain de la Saxe des empereurs ottoniens9. Schlesinger appuya son argumentation sur une étude détaillée des gloses en ancien haut allemand de la période allant du IXe au XIe siècle ainsi que sur une analyse des sources en langue vernaculaire de cette même époque ; il en compara ensuite les résultats avec une étude des sources latines et du vocabulaire que leurs auteurs employaient10. Schlesinger constata que le mot civitas, dont urbs était considéré comme un synonyme, avait toujours été traduit par le mot burg. Donc, argumenta-t-il, lorsque les Germains seraient entrés en contact avec les Romains, ils auraient comparé les villes romaines avec les fortifications qui leur étaient familières ; utilisant comme point de comparaison l’aspect défensif – l’enceinte – ils auraient considéré les deux réalités comme équivalentes et auraient désigné les villes comme des burgen, mot qui à l’origine n’aurait signifié rien d’autre que « place forte ». Schlesinger résuma ses observations en un dicton fameux  : selon lui, du VIIIe au XIIe  siècle,

8 E. Ennen, Frühgeschichte der europäischen Stadt, Bonn, 1953. Le texte en a été rédigé dans des conditions difficiles durant les dernières années de la Seconde Guerre mondiale. Voir F. Irsigler, Edith Ennen. Anmerkungen zu Werk und Wirkung, dans W. Janssen (éd.), Mitteleuropäisches Städtewesen in Mittelalter und Frühneuzeit. Edith Ennen gewidmet, Cologne, 1999, p. 1-19. 9 À propos de l’œuvre et de la personne de Walter Shlesinger, voir E. Magnou-Nortier, Un grand historien : Walter Schlesinger, dans Francia, 16, 1989, p. 155-167 ; H. Patze, Erinnerungen an Walter Schlesinger, dans W. Schlesinger, Ausgewählte Aufsätze. 1986-1979, Sigmaringen, 1987 (Vorträge und Forschungen. Konstanzer Arbeitskreis für Mittelalterliche Geschichte, 34), p. 9-28. K. Neitmann, Walter Schlesinger und die mittelalterliche deutsche Ostsiedlung. Fragestellungen, Kontroversen, Wirkungen, dans Hessisches Jahrbuch für Landesgeschichte, 60, 2010, p. 264-275 ; W. Schich, Walter Schlesinger und die Stadtgeschichtsforschung. Von der Heimatgeschichte und mitteldeutschen Landesgeschichte zur Erforschung der Anfänge des Städtewesens in Mittelaeuropa – oder : Von der Burg zur Stadt, dans Hessisches Jahrbuch für Landesgeschichte, 60, 2010, p. 213-236. 10 W. Schlesinger, Burg und Stadt, dans id., Beiträge zur Verfassungsgeschichte des Mittelalters. Band II. Städte und Territorien, Göttingen, 1963 (article d’abord paru en 1954), p. 92-147 ; id., Stadt und Burg im Lichte der Wortgeschichte, dans C. Haase (éd.), Die Stadt des Mittelalters. Band I. Begriff, Entstehung und Ausbreitung, Darmstadt, 1968 (article d’abord paru en 1963), p. 95-121. Voir aussi id., Über mitteleuropäische Städtelandschaften der Frühzeit, dans id., Beiträge... Band II, op. cit. (article d’abord paru en 1957), p. 42-67 ; id., Zur Frühgeschichte der europäischen Stadt. Bemerkungen zu : Edith Ennen, Frühgeschichte der europäischen Stadt, Bonn 1953, dans id., Beiträge... Band II, op. cit. (article d’abord paru en 1954), p. 68-91 ; id., Städtische Frühformen zwischen Rhein und Elbe, dans id., Beiträge... Band II, op. cit. (article d’abord paru en 1958), p. 148-212. À propos des urbes et civitates dans les gloses et traductions en ancien haut allemand, voir aussi G. Köbler, Frühmittelalterliche Ortsbegriffe, dans Blätter für deutsche Landesgeschichte, 108, 1972, p. 1-27.

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Saxe 100 km 60 mi le

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Hambourg

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Gandersheim Tilleda

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Hildesheim Hünenburg / Watenstedt

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Paderborn Eresburg

Aix-laChapelle

Carte 1: Saxe, IXe – XIe siècles

Quedlinburg Mersebourg

Meissen

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« Burg ist gleich Stadt » : la civitas est une burg qui est une ville11. Pour étayer sa thèse, il cita plusieurs sources de cette époque laissant deviner que les contemporains auraient compris par civitas ou burg plus qu’une simple forteresse : ici et là sont mentionnées des personnes habitant près des fortifications – sans doute des marchands et des artisans – , ce dont on pourrait déduire que certaines formes d’agglomération auraient existé. Ce type urbain se serait retrouvé principalement en Saxe et chez les Slaves occidentaux et aurait été à mi-chemin entre la ville romaine et la forteresse germanique. Il proposa pour désigner ce phénomène le mot Burgstadt, la « ville-forteresse »12. Cependant, Schlesinger lui-même souligna que civitas n’indiquait pas systématiquement dans les sources de cette époque une ville ou une Burgstadt : dans certains cas, il ne se serait agi indubitablement que d’une simple place forte13. Schlesinger ne se risqua cependant pas à expliquer cette contradiction. Manifestement et avec une connaissance exemplaire des sources, Walter Schlesinger a enrichi nos connaissances sur le phénomène proto-urbain en Saxe de manière inestimable. Il appartenait néanmoins à son époque. Fortement influencé par la Verfassungsgeschichte dominant en Allemagne de l’Ouest dans les décennies d’après-guerre, il avait tendance à chercher des définitions concrètes et rationnelles, des modèles systématiques fonctionnant selon des règles précises appliquées de manière consciente par les contemporains14. Une telle grille d’analyse peinait à expliquer les fluctuations d’une période instable et, surtout, ne laissait aucune place à la subjectivité des perceptions des auteurs médiévaux. Dans un autre ordre d’idées, l’explication du phénomène de la ville et de ses différenciations selon les époques proposée par Carl Haase connut un grand succès15. Elle a l’avantage d’être souple et de pouvoir s’adapter aux dif-

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W. Schlesinger, Burg..., cité p.12, n. 10, p. 112, 124 ; id., Über mitteleuropäische..., cité p. 12 n. 10, p. 58 ; id., Stadt…, cité p. 12, n. 10, p. 104-105. 12 W. Schlesinger, Burg..., cité p. 12, n. 10, p. 147 ; id., Über mitteleuropäische..., cité p. 12, n. 10, p. 53. 13 W. Schlesinger, Burg..., cité p. 12, n. 10, p. 145 ; id., Stadt…, cité p. 12, n. 10, p. 98, 105. 14 F. Graus, Verfassungsgeschichte des Mittelalters, dans Historische Zeitschrift, 243, 1986, p. 529589 ; H.-W. Goetz, Moderne Mediävistik. Stand und Perspektiven der Mittelalterforschung, Darmstadt, 1999, p. 94-101. 15 C. Haase, Stadtbegriff und Stadtentstehungsschichten in Westfalen, dans id. (éd.), Die Stadt... Band I, op. cit. (article d’abord paru en 1958), p. 67-101. Voir aussi H. Stoob, Kartographische Möglichkeiten zur Darstellung der Stadtentstehung in Mitteleuropa, besonders zwischen 1450 und 1800, dans Forschungs- und Sitzungsberichte der Akademie für Raumforschung und Landesplanung, VI, 1956 (Historische Raumforschung, I), p. 21-76. Voir H.-K. Schulze, Grundstrukturen der Verfassung im Mittelalter. Band 2. Familie, Sippe und Geschlecht, Haus und Hof, Dorf und Mark, Burg, Pfalz und Königshof, Stadt, Stuttgart et al., 1986 (Urban-Taschenbücher, 372), p. 127. Pour le monde anglophone, voir M. Biddle, Towns, dans D. M. Wilson (éd.), The Archaeology of Anglo-Saxon England, Londres, 1976, p. 100.

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férentes réalités et aux multiples stades de développement du phénomène. Haase affirma qu’on ne pourrait définir ce qu’est une ville en ne s’appuyant que sur un seul critère : il faudrait plutôt se servir de plusieurs indices à la fois, de ce que Haase a désigné comme un « faisceau de critères » (Kriterienbündel). Pour qu’une agglomération puisse être désignée comme une ville, il faudrait qu’elle réunisse plusieurs de ces critères ; l’importance relative de chacun de ceux-ci varierait selon les époques. Parmi ces éléments, Haase compte le développement économique ; le nombre d’habitants ; la topographie ; la différentiation juridique ; la terminologie des sources. La définition avec Kriterienbündel proposée par Carl Haase a des avantages indéniables. Toutefois, le système de Haase n’est pas sans présenter quelques impasses. Ce qui agace, c’est surtout que Haase combina les critères utilisés par les contemporains et ceux dont se sert le chercheur s’intéressant à des périodes révolues. Dans le cas d’une définition s’appuyant seulement sur des critères façonnés par l’historien afin de servir de modèle, le fait de savoir si une agglomération donnée fut qualifiée de ville ou de village par les contemporains devient accessoire. En revanche, une définition prenant comme point de départ les critères des contemporains aurait avantage à faire abstraction des concepts utilisés par la recherche en sciences humaines. Haase ne fit ni l’un ni l’autre, ce qui, d’un point de vue méthodologique, engendre une certaine irritation. Dans son introduction à l’ouvrage collectif portant sur La Ville en France au Moyen Âge, Jacques Le Goff, à défaut de donner une véritable définition de ce que fut la ville médiévale, offre quelques indications sur ce qui en fit la spécificité16. Le Goff fait remarquer, en citant des exemples tirés du Perceval de Chrétien de Troyes, que la ville du Moyen Âge était perçue par les contemporains de manière à la fois positive et négative. L’image de la ville est ainsi présentée comme positive lorsque Chrétien insiste sur le bourdonnement d’activités et sur l’abondance de produits de luxe qui y sont offerts  ; en revanche, elle apparaît comme fondamentalement négative lorsqu’il est question des révoltes de bourgeois. De plus, Le Goff attire l’attention sur l’opposition mentale entre ville et campagne : dans l’Antiquité, on aurait en effet généralement opposé les cives, vivant dans l’urbs, cultivés, polis et civilisés, aux rustici provenant de la rus, grossiers et sans manières ; au Moyen Âge, cette perception aurait changé : on aurait désormais opposé le désert – c’est-à-dire, en Europe médiévale, la forêt – aux espaces habités et cultivés. On retrouvait d’une part la vilainie, de l’autre la civilité, l’urbanité. En outre, Le Goff souligne que la perception médiévale de la ville était inspirée de l’image ambiguë proposée par la Bible et la tradition patristique : d’une part Babylone, Sodome et Babel ; de l’autre, la Jérusalem céleste. 16 J. Le Goff, Introduction, dans id. (éd.), La Ville en France au Moyen Âge des Carolingiens à la Renaissance, Paris, 1998 (Histoire de la France urbaine, 2) (d’abord paru en 1980), p. 7-25.

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Ces remarques de Jacques Le Goff sont loin d’avoir un caractère exhaustif : elles sont plutôt une invitation à procéder à des recherches plus approfondies. Malheureusement, Le Goff n’a pas poussé plus loin ces considérations. Mais comme en bien d’autres domaines, on retiendra que ce grand historien était en avance sur son temps. Une contribution marquante pour l’histoire urbaine européenne de ces dernières années est constituée par l’ouvrage collectif en deux volumes dirigé par Jean-Luc Pinol, Histoire de l’Europe urbaine17. Couvrant à la fois toutes les régions européennes et passant en revue toutes les périodes depuis l’Antiquité jusqu’au XXIe siècle, l’ouvrage se distingue par une approche méthodologique novatrice. Dans l’introduction générale aux deux volumes, Pinol se refuse à donner une définition fixe de la ville : il est plutôt de l’avis qu’il n’existe pas un type unique de ville européenne, mais plutôt une diversité de modèles du phénomène urbain, variant selon les époques18. Les auteurs de la partie portant sur les villes de l’Antiquité, se référant aux travaux de la géographe Jacqueline Beaujeu-Garnier, optent pour une définition subjective : il n’existerait de ville que quand les habitants auraient le sentiment d’être dans une ville. Ce critère culturel aurait l’avantage de pouvoir être appliqué à des situations différentes et de tenir compte des systèmes de représentation des sociétés dont il est question19. Dans la partie portant sur la ville médiévale, due à Patrick Boucheron, Denis Menjot et Marc Boone, les auteurs tentent de cerner la spécificité de la ville de leur période. La ville serait un paysage organisé, une société en soi, un centre ; son espace serait structuré, sa société différenciée  ; ses façons de travailler, d’habiter, ses formes de sociabilité seraient particulières. Les auteurs attirent en outre l’attention sur le fait que les formes d’habitat souvent désignées comme des « noyaux pré-urbains ou proto-urbains » n’auraient certes pas possédé les caractéristiques que l’on associe ailleurs à la ville : démographie, urbanisme, fonctions économiques et culturelles, groupes sociaux spécifiques. Néanmoins, ils n’hésitent pas à les considérer comme des « types de villes du haut Moyen Âge », combinant de nombreuses fonctions et dont les habitants auraient exercé plusieurs activités, et sont de l’avis qu’ils formèrent « un apport authentique à l’essor de l’Europe urbaine »20. L’approche des auteurs de l’Histoire de l’Europe urbaine se distingue donc de celles qui furent présentées plus haut : elle souligne un élément qui, même 17

J.-L. Pinol (éd.), Histoire de l’Europe urbaine I…, op. cit. ; id. (éd.), Histoire de l’Europe urbaine II…, op. cit. 18 J.-L. Pinol, Introduction générale, dans id. (éd.), Histoire de l’Europe urbaine I…, op. cit., p. 7. 19 X. Lafon, J.-Y. Marc et M. Sartre, La Ville antique, dans J.-L. Pinol (éd.), Histoire de l’Europe urbaine I…, op. cit., p. 27. J. Beaujeu-Garnier, Géographie urbaine, Paris, 1995 (Collection U – Géographie) (d’abord paru en 1980), p. 14. 20 P. Boucheron, D. Menjot et M. Boone, La Ville…, cité p. 10, n. 5, p. 323.

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s’il avait pu être évoqué à l’occasion, n’avait jamais été utilisé de manière aussi décidée : la subjectivité. En effet, à la lumière de l’ensemble des travaux sur l’histoire urbaine, on ne peut guère nier que la perception de ce qu’est une ville fut, à toutes les époques, empreinte de subjectivité. Expliquer le phénomène uniquement à l’aide de grilles d’analyses rationnelles raterait la cible. Seule une étude plus poussée sur les conceptions et l’imaginaire des contemporains permettra de saisir cette réalité fuyante. C’est sans doute la seule approche autorisant de considérer comme étant pleinement urbaines, à leur manière, les villes du haut Moyen Âge européen : il existait en effet probablement, dans l’esprit des gens de cette époque, des agglomérations qu’ils considéraient comme des villes. Qu’entendaient-ils par là ? Cela reste à déterminer et sera le sujet de la présente étude. 2. L’apport de l’archéologie Il ne peut être question, dans le cadre restreint de cette étude, de répertorier toutes les définitions de la ville qui ont pu être proposées par des archéologues au cours du dernier siècle. Les chercheurs mentionnés ici ont surtout en commun de s’être intéressés à l’Europe centrale et nordique de la première partie du Moyen Âge ; les explications citées ont, avant tout, valeur d’illustration des principales tendances de la recherche. Heiko Steuer propose de définir la ville dans la tradition de Carl Haase avec un faisceau de critères. Steuer offre une liste d’éléments pouvant faire partie d’un tel faisceau et reposant uniquement sur le matériel archéologique. Selon Steuer, une ville aurait un marché, serait un point de rencontre pour les marchands, un lieu où se concentreraient les artisans ; ce serait un centre religieux ou séculier ; la population s’occuperait en majorité d’occupations non agraires ; on y retrouverait une organisation urbaine ; des produits de luxe et nouveautés de toute sorte. Les bourgeois auraient des maisons et des parcelles individuelles. La ville serait intégrée à un réseau européen avec un mode de vie particulier, varié et d’un niveau raffiné21. La particularité de la définition de Heiko Steuer est donc de reprendre un modèle déjà existant – celui de Haase – et de l’adapter aux sources archéologiques. Plusieurs archéologues ont proposé, en lieu ou en plus d’une définition, une typologie des formes d’habitat pour le Moyen Âge. Ainsi, Witold Hensel (1917-2008) a distingué deux étapes intermédiaires de développement entre

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H. Steuer, Überlegungen zum Stadtbegriff aus der Sicht der Archäologie des Mittelalters, dans P. Johanek et F.-J. Post (éd.), Vielerlei Städte. Der Stadtbegriff, Cologne, Weimar et Vienne, 2004 (Städteforschung. Reihe A, 61), p. 31-51.

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le village et la ville médiévale22. Il y aurait eu les « centres préurbains », dans lesquels se serait réalisée une séparation des métiers mais où les marchands et artisans se seraient toujours adonné parallèlement à des activités agricoles. Puis on aurait trouvé ce que Hensel désigna comme des « villes à institutions locales », soit des agglomérations comparables aux villes médiévales mais n’ayant pas nécessairement l’autonomie juridique qui ne deviendrait caractéristique que par la suite. Quant à Heiko Steuer, il propose une catégorisation du développement urbain en Europe du Nord-Ouest au cours du Moyen Âge en diverses phases. Il reconnaît tout d’abord des concentrations d’artisans aux Ve – VIIe siècles (ex.  : Helgö)  ; puis des points de rencontre pour marchands aux VIIIe – IXe siècles (ex. : Quentovic, Dorestad, Haithabu, Birka) ; ensuite des agglomérations proto-urbaines exerçant une certaine forme de domination du territoire, des villes polycentriques et enfin les villes médiévales proprement dites23. Sebastian Brather, spécialiste de la culture matérielle des Slaves, ne propose pas de définition de la ville en tant que telle, mais présente les différentes étapes de l’évolution de l’habitat à caractère urbain chez les Slaves occidentaux. La première période serait caractérisée par les « agglomérations à caractère “protourbain” » (« Siedlungen “frühstädtischen” Charakters ») ; Brather les définit comme n’étant ni des villes, ni des villages, et formant une phase de transition. Il divise ensuite ces agglomérations en deux catégories : on retrouverait d’une part les « places de commerce maritime » (« Seehandelsplätze ») de la mer Baltique ; d’autre part, les Burgstädte ou « complexes d’habitat proto-urbains reliés au pouvoir politique » (« herrschaftlich-frühstädtische Siedlungskomplexe ») ; ceux-ci ne devraient pas leur origine au commerce mais aux initiatives des élites politiques : ce seraient fondamentalement des agglomérations de consommateurs comprenant à la fois un centre de pouvoir et des groupements d’artisans. Brather souligne que ce ne sont cependant pas toutes les forteresses qui peuvent être qualifiées de Burgstädte24. Au-delà de ces remarques, Brather insiste malgré tout sur l’importance historique incontournable du droit urbain de la période des villes de fondation, qui aurait fait de ces nouvelles localités un phénomène complètement différent de ce que l’on avait retrouvé aupara-

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W. Hensel, Méthodes et perspectives de recherches sur les centres ruraux et urbains chez les Slaves (VIIe – XIIIe siècles), Varsovie, 1962 (Académie polonaise des sciences, Centre scientifique à Paris, Conférences, 36), p. 29. 23 H. Steuer, Die Handelsstätten des frühen Mittelalters im Nord- und Ostseeraum, dans La Genèse et les Premiers Siècles des villes médiévales dans les Pays-Bas méridionaux. Un problème archéologique et historique. Actes du 14e Colloque International Spa, 6-8 sept. 1988, Bruxelles, 1990 (Collection Histoire, série in-8, no. 83), p. 75-116. 24 S. Brather, Archäologie der westlichen Slawen. Siedlung. Wirtschaft und Gesellschaft im frühund hochmittelalterlichen Ostmitteleuropa, Berlin et New York, 2001 (Ergänzungsbände zum Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, 30), p. 140-154.

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vant. En vue d’une certaine continuité des structures et des fonctions des Burgstädte, nuance-t-il cependant, ces structures auraient été «  définitivement transformées, mais pas créées de nouveau »25. La typologie proposée par Sebastian Brather a l’avantage d’exposer clairement l’énorme variété qui existe au sein des formes d’habitat que l’on range habituellement dans la catégorie générale d’urbain. Le haut Moyen Âge aurait été une période de formation, d’ébullition et de transformations, et il serait important, pour en bien comprendre la spécificité, de distinguer ses nombreux avatars à l’aide de catégories concrètes. C’est justement dans la distinction entre ces différentes formes d’habitat dans leur réalité palpable que les sources archéologiques sont les plus utiles. Les travaux des archéologues montrent cependant à quel point il est ardu, à l’aide de la culture matérielle seule, de distinguer ce qui fit une ville pour les gens du haut Moyen Âge en Europe centrale, orientale et nordique. La variété et l’instabilité des formes d’habitat rendent difficile de faire entrer dans une seule catégorie tout ce que l’on pourrait qualifier d’agglomération à caractère urbain. Déjà, une constatation s’impose : les définitions sont fortement influencées par les types de sources utilisées. Les sources écrites permettent de saisir ce que les contemporains percevaient et de reconstruire leurs catégories mentales ; leur vocabulaire était souvent limité et les auteurs avaient tendance à intégrer aux mêmes concepts des réalités variées. Ainsi, les historiens ont aussi tendance à chercher les points communs permettant de former une définition uniforme de la ville. Les sources archéologiques, au contraire, montrent une réalité crue : ce qu’elles font découvrir prend des formes multiples. Ce polymorphisme a pour conséquence la tendance des archéologues à accorder plus d’importance à des catégorisations rendant compte de cette variété qu’à des définitions globales fondées sur des concepts abstraits. Ces quelques remarques montrent à quel point il est ardu de confronter les sources écrites et les sources archéologiques : les deux types de sources répondent à des questionnements différents, ce qui influence les analyses des chercheurs. 3. L’impact du marxisme sur l’histoire et l’archéologie urbaine Compte tenu de l’influence majeure qu’il a exercé sur les traditions historiques et archéologiques du dernier siècle, il importe dans ce contexte d’esquisser les grandes lignes des répercussions sur l’histoire urbaine du modèle historique marxiste. C’est que, en effet, la ville joua un rôle central dans l’interprétation de l’évolution des sociétés que développèrent Karl Marx et ses disciples. En fait, ce n’est pas tant une définition de ce qu’est la ville que proposa le philosophe, qu’une explication de son apparition et de sa raison 25

S. Brather, Archäologie…, op. cit., p. 155.

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d’être26. Chacun sait que la division du travail forme le cœur de la théorie marxiste : la division sociale proviendrait de l’échange des surplus, de l’échange entre des sphères de production différentes et indépendantes. Cette séparation serait apparue suite aux échanges entre artisans et agriculteurs, entre ville et campagne. Il en serait résulté une spécialisation du travail, une opposition entre ville et campagne : une division de la société en classes. La ville aurait donc eu un rôle primordial dans l’évolution historique ayant mené à la société divisée en classes : elle serait le résultat de l’échange des surplus et c’est elle qui aurait rendu possible la spécialisation du travail, qui elle-même aurait mené à l’apparition de classes sociales. Or, cette explication influença directement ou indirectement d’innombrables historiens et archéologues qui s’intéressèrent au phénomène urbain dans une perspective historique. L’archéologue de la RDA Joachim Herrmann (1932-2010) se servit souvent implicitement du modèle marxiste27. Herrmann exprima cependant clairement sa vision des choses dans un article paru au début des années soixante-dix28. Herrmann était de l’avis qu’il y aurait eu au cours du haut Moyen Âge chez les Slaves occidentaux un essor économique hors du commun, ayant mené à une augmentation des échanges commerciaux et à la division de la société en classes. Cela aurait eu pour corollaire l’apparition de ce que Herrmann désigna comme des « proto-villes » (Frühstädte). Cette différenciation en classes se serait produite – selon lui – dans le cadre de conflits entre la « noblesse » (Adel) et les paysans libres. Herrmann poursuivit en expliquant que cette transformation importante de la société chez les Slaves se serait réalisée de manière complètement indépendante de ce qui avait pu se produire à la même époque chez les Francs et en Europe occidentale : ces mutations se seraient en effet produites à une époque archaïque, bien antérieure aux premiers contacts avec les Francs, à la colonisation allemande et à la soumission ainsi qu’à l’intégration forcée des régions habitées par les Slaves. Or, Herrmann expliqua dans le même article que ce que les historiens d’Allemagne de l’Ouest désignaient alors comme l’ « Occident » (Abendland) n’aurait été qu’une invention artificielle, sans réalité historique ; embrigadés

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K. Marx et F. Engels, Die deutsche Ideologie. Kritik der neuesten deutschen Philosophie in ihren Repräesentanten, Feuerbach, B. Bauer und Stirner, und des deutschen Sozialismus in seinen verschiedenen Propheten, Berlin, 1953 (Bücherei des Marxismus-Leninismus, 29), passim ; J.-P. Durand, La Sociologie de Marx, Paris, 1995 (Repères), p. 34-35. 27 À propos de Joachim Herrmann, voir J. Henning, Germanen – Slawen – Deutsche. Neue Untersuchungen zum frühgeschichtlichen Siedlungswesen östlich der Elbe, dans Praehistorische Zeitschrift, 66, 1991, p. 119-133. S. Brather, Prof. Dr. Joachim Herrmann † 19.12.1932-25.2.2010, dans Zeitschrift für Archäologie des Mittelalters, 38, 2010, p. 211-214. 28 J. Herrmann, Die Nordwestslawen und ihr Anteil an der Geschichte des deutschen Volkes, Berlin, 1973 (Sitzungsbericht des Plenums und der Klassen der Akademie der Wissenschaften der DDR. Jahrgang 1972, 5), passim.

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par l’idéologie de l’Ostpolitik de la RFA, les historiens d’Allemagne de l’Ouest auraient ainsi voulu inclure dans ce qu’ils appelaient l’ « Occident » les peuples slaves, en « inventant » le modèle d’une division de l’Europe entre christianismes occidental et oriental. Mais, poursuivit Herrmann, ils se seraient profondément trompés, puisque les Slaves auraient connu une évolution sociale indépendante de toute trace d’influence provenant de l’Ouest. Herrmann continua sur cette lancée dans les années suivantes avec ses études sur le site de Tornow, où il s’acharna à vouloir démontrer l’existence d’une société divisée en classes, et qu’il voulut à tout prix et contre toute vraisemblance attribuer au VIe siècle. Encore tout récemment, il continua à défendre cette idée, allant jusqu’à remettre en question la fiabilité des résultats de la dendrochronologie29. On constate que le modèle proposé par Joachim Herrmann, appuyé surtout sur ses propres travaux sur le site exemplaire de Tornow, servait à défendre deux idées. La première est que l’évolution sociale des Slaves, puisqu’elle se serait produite à une époque si reculée, se serait réalisée sans aucune influence de l’Ouest. La seconde est que, puisque cette évolution se serait produite indépendamment et spontanément, elle confirmerait l’exactitude du schéma marxiste. On ne peut guère s’empêcher de penser que si Herrmann défendit si énergiquement son concept, c’est avant tout à cause de l’arrière-plan politique et idéologique, anti-occidental et marxiste de la RDA des années soixante-dix, dans laquelle il l’avait développé. La théorie marxiste eut également quelques échos dans la Pologne d’aprèsguerre. L’historien Aleksander Gieysztor (1916-1999) considéra ainsi que le point marquant dans le développement des villes polonaises aurait été la division du travail entre artisanat, commerce et agriculture. Celle-ci aurait été une conséquence des excédents naissant de la production agricole30. Sans le dire explicitement, Gieysztor se positionna donc dans la tradition marxiste. Dans son œuvre monumentale sur l’histoire de la Pologne médiévale, l’historien Henryk Łowmiański (1898-1984) consacra un long chapitre aux débuts des villes chez les Slaves31. Selon Łowmiański, les définitions souvent évoquées de Max Weber – à laquelle nous reviendrons – et de Carl Haase seraient insuffisantes, car elles ne rendraient pas compte du phénomène global de la ville. 29

J. Herrmann, Zu Burgen und Handelsplätzen im westslawischen Gebiet, dans K. Brandt, M. Müller-Wille et C. Radtke (éd.), Haithabu und die frühe Stadtentwicklung im nördlichen Europa, Neumünster, 2002 (Schriften des Archäologischen Landesmuseums, 8), p. 303-319. 30 A. Gieysztor, Les Origines de la ville slave, dans Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto Medioevo VI. La Città nell’alto Medioevo, Spolète, 1958, p. 279-303 ; id., Position du problème, dans P. Francastel (éd.), Les Origines des villes polonaises, Paris et La Haye, 1960, p. 15-26. 31 H.  Łowmiański, Geneza miast, dans id., Początki Polski. Polityczne i społeczne procesy kształtowania się narodu do początku wieku XIV, Varsovie, 1985, vol. VI,2, p. 649-731.

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Łowmiański préféra donc se référer au sociologue Werner Sombart (18631941). De plus, il ajouta que la ville aurait rendu possible ce qu’il appela une « révolution dans l’habitat » (« przewrót w osadnictwie ») : la division du travail. Łowmiański se plaça donc indirectement dans la tradition marxiste, en faisant un détour par Werner Sombart. Pourquoi Sombart ? Comme nous allons le voir, Sombart insista sur l’aspect économique de la définition de la ville32. Il souligna clairement qu’une agglomération pouvait être considérée comme une ville, sans que son statut juridique n’ait joué le moindre rôle dans la substance de ce qui en faisait une ville. Il alla même plus loin en affirmant qu’on ne devrait pas se laisser tromper par l’acte de fondation des villes du bas Moyen Âge : celui-ci n’aurait rien changé aux qualités urbaines d’une agglomération. Sombart alla jusqu’à affirmer que ce serait une « folie » (« Wahn ») de croire qu’un village serait subitement devenu une ville par le simple fait de recevoir un acte affirmant sa fondation33. Une telle façon de voir correspondait apparemment bien à l’idée que l’on se faisait dans la Pologne d’après-guerre des débuts des villes slaves. Quelques remarques sur les débats qui avaient alors cours s’avèrent nécessaires pour la comprendre. Depuis le début du XXe siècle s’étaient opposées deux théories pour expliquer les débuts de l’urbanisation chez les Slaves. Selon la « théorie de la colonisation  » (all. Kolonisationstheorie, pol. teza kolonizacijna), le droit de marché et les droits urbains de type allemand auraient mené à la séparation entre ville et campagne ; l’organisation économique se serait développée selon le modèle occidental. En revanche, d’après la « théorie de l’évolution » (all. Evolutionstheorie, pol. teza ewolucijna) marquée par les travaux de Kazimierz Tymieniecki (1887-1968), les villes des Slaves se seraient développé tout d’abord à partir de bourgs, ou dans des centres hors de l’influence de la colonisation34. Des « noyaux pré-urbains »35 auraient déjà existé lors de l’arrivée 32

Voir infra, p. 26. W. Sombart, Der moderne Kapitalismus. Historisch-systematische Darstellung des gesamteuropäischen Wirtschaftslebens von seinen Anfängen bis zur Gegenwart. Erster Band. Einleitung – Die vorkapitalistische Wirtschaft – Die historischen Grundlagen des modernen Kapitalismus. Erster Halbband. Die vorkapitalistische Wirtschaft, Munich et Leipzig, 1928, p. 124-129. 34 K. Tymieniecki, Zagadnienie początków miast w Polsce, dans id., Procesy twórcze formowania się społeczeństwa polskiego w wiekach średnich, Varsovie, 1921, p. 3-31 ; id., Organizacja rzemiosła wczesnośredniowiecznego a geneza miast polskich, dans Studia wczesnośredniowieczne, 3, 1955, p. 13-32 ; id., Remarques sur le commencement de la vie urbaine en Pologne, dans L’Artisanat et la Vie urbaine en Pologne médiévale, Varsovie, 1962, vol. 3, p. 329-336 ; id., Rozwój historyczny miast i mieszczaństwa w Wielkopolsce, dans Z dziejów miast i mieszczaństwa w późnośredniowiecznej Wielkopolsce, Poznań, 2007 (Klasycy nauki poznańskiej, 9) (article d’abord paru en 1922), p. 36-60. 35 L’expression française est d’Aleksander Gieysztor. Voir A. Gieysztor, Les Origines…, op. cit., cité p. 21, n. 30, p. 290. 33

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des Occidentaux, alors que la nouveauté principale apportée par les colons aurait consisté en la différenciation juridique entre ville et campagne, causée par l’introduction des droits urbains36. Le recours à Sombart permettait à Łowmiański de soutenir la thèse de l’origine autochtone des villes polonaises et, indirectement, la théorie de l’évolution. Si l’on accepte la définition de Sombart, non plus dans le sens d’une définition « économique » de la ville – comme le voulait le sociologue – mais d’une définition globale, comme le fit Łowmiański, et que l’on partage le scepticisme de Sombart envers la définition juridique, alors il devient plus facile de prouver qu’il y avait des villes en Pologne au haut Moyen Âge. Et puisque le statut juridique ne joue plus aucun rôle, il ne reste plus grand chose pour défendre la théorie de la colonisation. De plus, la définition de Sombart s’accorde avec la théorie marxiste sans qu’il soit nécessaire de faire explicitement référence à celle-ci. Łowmiański ne fit qu’y ajouter discrètement sa remarque sur la division du travail37. 4. La géographie urbaine et les « places centrales » Parmi les théories proposées par des géographes, celle dite de la « centralité », développée par Walter Christaller (1893-1969), est sans doute celle qui a connu la plus remarquable longévité dans diverses disciplines des sciences humaines38. Selon Christaller, une « place centrale » (zentraler Ort)39 ne 36

H. Łowmiański, Początki..., op. cit., VI,2, p. 657-668 ; H. Ludat, Zur Evolutionstheorie der slavischen Geschichtsforschung am Beispiel der osteuropäischen Stadt, dans id., Slaven und Deutsche im Mittelalter, Cologne et Vienne, 1982 (article d’abord paru en 1957), p. 203-225 ; T. Sporn, Die « Stadt zu polnischem Recht » und die deutschrechtliche Gründungsstadt, Francfort/M., Bern et Las Vegas, 1978 (Europäische Hochschulschriften, Reihe II Rechtswissenschaft, 197), p. 5-86 ; J. Piskorski, Stadtentstehung..., art. cit., p. 325-333. 37 Selon Paul M. Barford, la doctrine marxiste aurait eu un impact direct et explicite sur l’archéologie polonaise surtout dans les années cinquante. Par la suite, on se serait inspiré de schémas marxistes, mais de manière moins doctrinaire. Voir P. M. Barford, Marksizm w archeologii polskiej w latach 1945-1975, dans Archeologia Polski, XL, 1995, p. 7-78. 38 Walter Christaller, bien qu’il ait sympathisé avec le Parti communiste allemand avant 1933 et après 1945, est cependant devenu membre de la NSDAP durant la guerre et a participé en tant que géographe au réaménagement de l’espace dans la Pologne occupée par les nazis. À propos de l’œuvre et de la personne de Christaller, voir R. Hottes, Walter Christaller, dans Annals of the Association of American Geographers, 73,1, 1983, p. 51-54 ; M. Rössler, Wissenschaft und Lebensraum. Geographische Ostforschung im Nationalsozialismus, Berlin, 1990, passim. 39 Jean-Pierre Devroey traduit le zentraler Ort de Christaller par « lieu central ». Voir J.-P. Devroey, L’Espace des échanges économiques. Commerce, marché, communications et logistique dans le monde franc au IXe siècle, dans Settimane di studio L. Uomo e spazio nell’alto Medioevo, Spolète, 2003, t. 1, p. 348. On retrouve plus souvent, en français, l’expression « place centrale ». Voir S. Lebecq, De la Flandre au Danemark : formes de l’occupation et de l’activité humaines dans les contrées riveraines de la mer du Nord (milieu du Xe – milieu du XIe siècle), dans P. Bon-

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serait pas obligatoirement une agglomération, même si dans les faits c’en serait normalement une. La « centralité » serait « la propriété d’être un point médian (Mittelpunkt) », ce serait aussi « la propriété de posséder un supplément d’importance »40 ; une place centrale posséderait plusieurs institutions ayant des fonctions dites « centrales ». Dans son étude portant sur le sud de l’Allemagne des années trente du XXe siècle, Christaller tenta de retracer l’importance respective des fonctions particulières faisant que des places pouvaient être considérées comme centrales, distinguant ainsi une hiérarchie entre les divers lieux. Afin de repérer ces fonctions dites centrales, Christaller appuya son étude sur une analyse des bottins téléphoniques. La théorie de la « centralité » a connu un certain écho dans les sciences historiques41. Du côté des archéologues, Eike Gringmuth-Dallmer a proposé une liste de critères servant de fonctions centrales et permettant ainsi d’identifier des places centrales et les hiérarchies entre celles-ci42. Ses réflexions ont été mises en pratique dans l’étude de Donat Wehner sur les relations entre le site portuaire de Wolin et son hinterland43. De nombreuses réserves ont cependant été émises envers la théorie de la « centralité ». La théorie de Christaller suggérerait que les êtres humains agiraient toujours de façon parfaitement rationnelle, que les consommateurs auraient une connaissance parfaite de l’offre et de la géographie et que la localisation des agglomérations dépendrait uniquement de critères économiques.

nassie et P. Toubert (éd.), Hommes et sociétés dans l’Europe de l’An Mil, Toulouse, 2004, p. 128134 ; R. Le Jan, La Société du haut Moyen Âge. VIe – IXe siècle, Paris, 2003 (Collection U – Histoire), p. 110-127. 40 W. Christaller, Die zentralen Orte in Süddeutschland. Eine ökonomisch-geographische Untersuchung über die Gesetzmäßigkeit der Verbreitung und Entwicklung der Siedlungen mit städtischen Funktionen, Darmstadt, 1980 (d’abord paru en 1933) ; G. Heinritz, Zentralität und zentrale Orte. Eine Einführung, Stuttgart, 1979. E. Meynen (éd.), Zentralität als Problem der mittelalterlichen Stadtgeschichtsforschung, Cologne et Vienne, 1979 (Städteforschung, Reihe A, 8), passim ; K. S. O. Beavon, Central Place Theory. A Reinterpretation, Londres et New York, 1977. 41 M. Mitterauer, Das Problem der zentralen Orte als sozial- und wirtschaftshistorische Forschungsaufgabe, dans id., Markt und Stadt im Mittelalter. Beiträge zur historischen Zentralitätsforschung, Stuttgart, 1980 (Monographien zur Geschichte des Mittelalters, 21), p. 22-51. Voir aussi W. Störmer, Präurbane Siedlungen und zentrale Orte im früh- und hochmittelalterlichen Bayern, dans C. Rohr (éd.), Vom Ursprung der Städte in Mitteleuropa. Jubiläumsschrift zur 1200. Wiederkehr der Erstnennung von Linz, Linz, 1999, p. 103-125. J.-L. Fray, Villes…, cité p. 10, n. 5, en particulier p. 25-48. 42 E. Gringmuth-Dallmer, Methodische Überlegungen zur Erforschung zentraler Orte in ur- und frühgeschichtlicher Zeit, dans S. Moździoch (éd.), Centrum i zaplecze we wczesnośredniowiecznej Europie środkowej. Spotkania Bytomskie III, Wrocław, 1999, p. 9-20. 43 D. Wehner, Der frühgeschichtliche Seehandelsplatz Wolin und sein Umland. Eine Studie zu Zentrum und Peripherie, Neumünster, 2007 (Studien zur Siedlungsgeschichte und Archäologie der Ostseegebiete, 8), p. 10, 32, 64-65.

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Le modèle suggérerait ensuite que tous les individus auraient un accès égal aux ressources offertes par les places centrales44. Or, fit-on remarquer, d’autres éléments que ceux de l’économie et de l’accès aux ressources pourraient également influer sur l’importance d’une place centrale, ce dont la théorie de la « centralité » ne tiendrait pas compte. Ainsi, il n’y aurait dans ce système rationnel aucune place pour des facteurs subjectifs. Or, des recherches plus récentes en géographie sociale insistent justement sur d’autres aspects que celui de l’économie. En plus des thématiques de la ségrégation et de la différenciation spatiale chères à la sociologie urbaine, on aborde maintenant des sujets comme les cultures urbaines, la création sociale de l’espace et de l’environnement, les comportements et la mobilité dans des contextes urbains45. Ces nouvelles tendances s’éloignent considérablement des explications purement rationalistes pour faire place à des éléments de culture, d’interaction sociale et de perception. La géographe Jacqueline Beaujeu-Garnier propose ainsi de parler de « phénomène urbain » plutôt que de « ville » ou d’ « urbanisation »46. Régine Le Jan a proposé une définition de la « place centrale » détachée de celle de Christaller et plus appropriée à la réalité du haut Moyen Âge occidental : selon l’historienne, tout centre de pouvoir peut être une place centrale, depuis la grande cité jusqu’au domaine rural, à condition d’être construit et reproduit comme telle et de constituer un pôle d’attraction et de relations sur un espace donné, quoiqu’à des niveaux sociaux différents et avec une intensité différente47.

Elle traite comme des places centrales non seulement les villes d’origine romaine, mais également les emporia, les sites palatiaux, les monastères et les forteresses remplissant des fonctions administratives48. L’approche souple de Régine Le Jan permet d’aborder des catégories d’habitat très différentes sous un même angle et d’éviter une dichotomie entre villes et autres lieux aux fonctions centrales qui n’était sans doute pas très importante dans des sociétés aux structures multipolaires. Si cette approche est extrêmement utile pour mieux appréhender une société selon ses propres spécificités, elle ne servira cependant guère à cerner les caractéristiques du phénomène urbain tel que perçu

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R. Bernbeck, Theorien in der Archäologie, Tübingen et Bâle, 1997 (UTB für Wissenschaft. Uni-Taschenbücher, 1964), p. 169-174 ; B. Hofmeister, Stadtgeographie, Brunswick, 1999 (Das geographische Seminar), p. 90-109. 45 P. Knox et S. Pinch, Urban Social Geography. An Introduction, Harlow, 2000, passim. 46 J. Beaujeu-Garnier, Géographie…, op. cit., p. 9. 47 R. Le Jan, La Société…, op. cit., p. 110. 48 R. Le Jan, La Société…, op. cit., p. 110-127.

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par les contemporains, qui ne pouvaient bien sûr pas connaître le concept de la place centrale. 5. La sociologie urbaine Le sociologue Werner Sombart offrit au début du XXe siècle, dans le cadre de son étude sur les origines du capitalisme, une définition économique de la ville49. Sombart fit remarquer d’emblée qu’une définition de la ville devrait toujours varier selon le point de vue de celui qui la produit : un statisticien, un historien de l’art ou du droit ne devraient pas utiliser les mêmes critères. L’approche proposée par Sombart lui-même était résolument économique ; dans cette optique, une ville serait donc, « comprise dans un sens économique, une grande agglomération d’êtres humains qui, pour satisfaire à leurs besoins, doivent recourir aux produits agricoles offerts par d’autres personnes »50. Sombart invita ensuite à ne pas confondre les définitions : en effet, une ville au point de vue économique telle qu’il la comprenait aurait très bien pu être un village au point de vue juridique. En revanche, il était de l’avis qu’une agglomération n’étant qu’un village selon des critères économiques ne deviendrait aucunement une ville seulement parce qu’elle obtiendrait le statut juridique d’une ville. La définition de Sombart a l’avantage d’être claire, précise et honnête : elle ne confond pas les différents niveaux de définition. Cependant, réduisant son approche à l’aspect économique, elle ne peut pas – et ce n’était d’ailleurs expressément pas le but du chercheur – rendre compte de l’ensemble du phénomène socio-historique de la ville avec ses multiples facettes. Une des études les plus connues sur la ville en tant que phénomène social et historique est celle – parue de manière posthume – de Max Weber (18641920)51. Weber définit la ville à l’aide d’une série d’éléments qu’elle devrait comporter : il serait tout d’abord nécessaire qu’il s’agisse d’une agglomération fermée, bien délimitée  – une «  geschlossene Siedlung  ». Ensuite, un tel endroit devrait posséder une population qui soit suffisamment dense. Les habitants qui y vivent devraient tirer leur subsistance principalement de l’in49 À propos de Sombart, voir F. Lenger, Werner Sombart. 1863-1941. Eine Biographie, Munich, 1994 ; M. Appel, Werner Sombart. Historiker und Theoretiker des modernen Kapitalismus, Marbourg, 1993. 50 « Eine Stadt im ökonomischen Sinne ist eine größere Ansiedlung von Menschen, die für ihren Unterhalt auf die Erzeugnisse fremder landwirtschaftlicher Arbeit angewiesen ist. » W. Sombart, Der moderne..., cité p. 22, n. 33, p. 128. 51 À propos de Die Stadt, voir C. Meier (éd.), Die okzidentale Stadt nach Max Weber. Zum Problem der Zugehörigkeit in Antike und Mittelalter, Munich, 1994 (Historische Zeitschrift. Beihefte, N.F., 17) ; H. Bruhns et W. Nippel (éd.), Max Weber und die Stadt im Kulturvergleich, Göttingen, 2000 (Kritische Studien zur Geschichtswissenschaft, 140).

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dustrie et du commerce. De plus, le travail devrait offrir un minimum de diversité et de différenciation. La vie en ville devrait fondamentalement reposer sur les échanges et sur le marché52. Avant d’aller plus loin, il est toutefois fondamental de souligner que ce qui attira avant tout l’attention de Max Weber, ce qui fut au centre de son étude, ce n’est pas la ville en tant que phénomène universel : ce qu’il étudiait, c’était l’apparition de l’autogouvernement urbain, de la ville médiévale avec franchises et conseil municipal53. L’autonomie politique aurait été la caractéristique principale de ce que Weber désigna comme la « ville de l’Occident »54. Weber ne s’est donc pas intéressé à la ville en tant que telle, mais plutôt aux groupes urbains et à la bourgeoisie qui, avec l’autonomie urbaine, serait devenue un movens décisif de l’histoire universelle55. L’œuvre de Weber a trouvé un certain écho chez les historiens médiévistes. Ce sont cependant surtout des historiens du droit qui se réfèrent à Die Stadt : se concentrant sur l’importance historique majeure – qui n’est certes pas à nier – de l’apparition des franchises urbaines, ils citent Weber comme étant un des premiers à en avoir perçu la juste valeur56. C’est dans un tout autre ordre d’idées que se trouve un article de Georg Simmel (1858-1918) qui est également devenu fondamental pour les études sociologiques sur la vie en ville57. Simmel ne proposa pas de définition de la ville, mais analysa plutôt la mentalité des habitants des grandes villes de l’époque industrielle et ce qui en ferait la particularité par rapport aux habitants de la campagne ou de petites villes, incluant les villes de la période préindustrielle58. Selon Simmel, l’habitant des grandes villes serait constamment confronté à de nouvelles impressions, à de nouvelles situations et rencontres ; 52

M. Weber, Wirtschaft und Gesellschaft. Die Wirtschaft und die gesellschaftlichen Ordnungen und Mächte. Nachlaß. Teilband 5 : Die Stadt, éd. W. Nippel, Tübingen, 2000 (Studienausgabe der Max Weber-Gesamtausgabe, I/22-5), p. 1-2. 53 M. Weber, Die Stadt..., op. cit., p. 11. 54 K.-L. Ay, Max Weber über die Stadt, dans F.  Mayrhofer  (éd.), Stadtgeschichtsforschung. Aspekte, Tendenzen, Perspektiven, Linz, 1993 (Beiträge zur Geschichte der Städte Mitteleuropas, XII), p. 69-80 ; H. Bruhns, Webers « Stadt » und die Stadtsoziologie, dans id. et W. Nippel (éd.), Max Weber..., cité p. 26, n. 51, p. 39-62 ; S. Breuer, Nichtlegitime Herrschaft, dans H. Bruhns et W. Nippel (éd.), Max Weber..., cité p. 26, n. 51, p. 63-76. 55 H. Bruhns, Webers « Stadt »..., cité p. 26, n. 54. 56 G. Dilcher, Max Webers « Stadt » und die historische Stadtforschung der Mediävistik, dans H. Bruhns et W. Nippel (éd.), Max Weber..., cité p. 26, n. 51, p. 119-143 ; W. Nippel, Webers « Stadt ». Entstehung – Struktur der Argumentation – Rezeption, dans H. Bruhns et id. (éd.), Max Weber..., cité p. 26, n. 51, p. 11-38. 57 H. J. Helle, Georg Simmel. Einführung in seine Theorie und Methode. Introduction to His Theory and Method, Munich, 2001, p. 161-168. 58 G. Simmel, Die Großstädte und das Geistesleben, dans id., Brücke und Tür. Essays des Philosophen zur Geschichte, Religion, Kunst und Gesellschaft, éd. M. Landmann, Stuttgart, 1957 (article d’abord paru en 1903), p. 227-242.

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cela aurait pour conséquence qu’il réagirait à tout de manière plus rationnelle et calculatrice, moins instinctive. Cette abondance de nouveautés rendrait ensuite le citadin blasé, puisque rien ne le surprendrait plus. En outre, la fréquence des rencontres fortuites et rapides avec des inconnus le rendrait circonspect et réservé dans ses relations humaines. En revanche, la grande ville offrirait à ses habitants – expliqua Simmel – une liberté autrement inconnue. Les mouvements et les relations seraient plus vastes et les contraintes générées par l’appartenance à un groupe réduit seraient moindres. Le citadin ne serait pas constamment surveillé par ses concitoyens. Comme l’écrit Simmel, « la proximité corporelle et l’étroitesse rendent la distance mentale enfin vraiment saisissable »59. La proximité physique ne correspondrait donc nullement à une proximité sociale. La population urbaine serait en outre caractérisée par son cosmopolitisme ainsi que par son ouverture sur le monde. Une autre conséquence de la vie dans une grande ville serait de promouvoir l’individualisme : la concentration de personnes en un même endroit et la fréquence des rencontres rapides rendraient nécessaire de se distinguer par sa personnalité et de projeter une image rapidement identifiable. L’objet d’études de Simmel se limitait à la ville de l’époque industrielle, qui aurait été selon le sociologue radicalement différente de tout ce qui avait existé auparavant. Ses réflexions abordèrent cependant un aspect novateur : la mentalité. Il ne s’agissait pas ici de définir ce qui faisait la particularité de la ville, mais de saisir ce qui était à l’origine de la spécificité de ses habitants, de leur comportement, de leur manière de voir le monde. De nombreuses recherches récentes en sociologie insistent également sur les aspects culturels du phénomène urbain60. La ville devient une « construction médiatique »61. Elle représenterait non seulement la modernité, mais les valeurs et les accomplissements de son époque. L’image de la ville aurait des significations nationales, globales, culturelles, locales et symboliques. Les grandes métropoles et leurs bâtiments représentatifs seraient compris comme des symboles de la conquête de la nature par l’homme, de sa suprématie, de son triomphe. Dans les mots de Deborah Stevenson, la métropole serait « l’antithèse de la nature et le symbole de sa défaite »62. Le sociologue Steve Pile est de l’avis que ce qui ferait la réalité de la vie urbaine, ce ne serait pas tant les bâtiments ou les boutiques que la manière dont les gens agiraient, leur 59

« Die körperliche Nähe und Enge (macht) die geistige Distanz erst recht anschaulich. » G. Simmel, Die Großstädte..., art. cit., p. 237. 60 D. Hassenpflug, Die europäische Stadt als Erinnerung, Leitbild und Funktion, dans id. (éd.), Die europäische Stadt – Mythos und Wirklichkeit, Münster, Hambourg et Londres, 2002 (Region – Nation – Europa, 4), p. 11-48. 61 D. Stevenson, Cities…, op. cit., p. 1. 62 « The metropolis (is) the antithesis of nature and the symbol of its defeat. » D. Stevenson, Cities..., op. cit.,p. 2.

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« état d’esprit » (« state of mind »), ce serait « l’expressivité et la passion de leur vie »63. Dans son étude intitulée Real Cities, Pile analyse ainsi les rêves et les émotions liées à la ville. Georg Simmel ne se doutait sans doute pas que ses idées mèneraient aussi loin. 6. Urbanisme et études urbaines Le phénomène urbain est en outre devenu l’objet d’une discipline propre et d’un domaine d’études universitaires : l’urbanisme et les études urbaines. L’urbanisme est avant tout une science appliquée. On peut le définir comme « l’art de produire ou de changer la forme physique des villes, d’aménager les villes »64. L’urbaniste doit gérer l’espace urbain ; il n’a pas à le définir. En effet, il est frappant de constater que la grande majorité des manuels d’introduction à l’urbanisme ne contient pas de définition de la ville65 : on prend son existence pour acquise. Les études urbaines se veulent plus vastes et comprennent les apports de plusieurs disciplines : sociologie, géographie, urbanisme, histoire. Elles se définissent non pas par des méthodes, mais par un objet d’études : la ville. Celleci est définie par Mark Gottdiener et Leslie Budd comme « un espace délimité qui est densément peuplé et a une population relativement nombreuse et culturellement hétérogène »66. Ce qui est au centre de l’attention, ce sont avant tout les agglomérations avec une population dense, ce qui leur donne une particularité que n’ont pas les autres formes d’habitat67. D’un point de vue historique, une telle approche exclut bien des types d’habitat qui ont pourtant, dans bien des sociétés, été considérés comme urbains.

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« The sheer expressiveness and passion of its life. » S. Pile, Real Cities. Modernity, Space and the Phantasmagorias of City Life, Londres, Thousand Oaks et New Delhi, 2005, p. 1-2. 64 J.-F. Tribillon, L’Urbanisme. Troisième édition, Paris, 2009 (Collection Repères), p. 3. 65 J.-F. Tribillon, L’Urbanisme…, cité p. 29, n. 64 ; D. Pilette et J.-F. Tribillon, L’Urbanisme. Version québécoise de pratiques contemporaines, Montréal, 1993 ; C. Bernié-Boissard, Des mots qui font la ville, Paris, 2008 ; M. Grosjean et J.-P. Thibaud (éd.), L’Espace urbain en méthodes, Marseille, 2001 ; P.-Y. Guay, Introduction à l’urbanisme : approches théoriques, instruments et critères, Mont-Royal, 1987. 66 « A city is a bounded space that is densely settled and has a relatively large, culturally heterogeneous population. » M. Gottdiener et L. Budd, The City, dans iid., Key Concepts in Urban Studies, Londres, Thousand Oaks et New Delhi, 2005 (SAGE Key Concepts), p. 4. 67 J. Jacobs, The Death and Life of Great American Cities, New York et Toronto, 1961, p. 16.

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7. La linguistique et le problème des définitions En Allemagne, l’histoire sémantique (Begriffsgeschichte) a été longtemps dominée par les travaux de Reinhard Koselleck (1923-2006)68. Koselleck distingua entre un « mot » (Wort) et un « terme » (Begriff ), ce dernier comprenant un ensemble de significations inclus dans le mot, et ayant plusieurs sens. Alors que le mot pourrait être défini, le terme devrait être interprété. Le terme comprendrait selon Koselleck à la fois le mot et la réalité qu’il déterminerait (Sachverhalt), et on ne pourrait les séparer. Koselleck voyait dans l’histoire sémantique une méthode de critique des sources et une aide à la compréhension du contexte des documents historiques. Les recherches linguistiques récentes présentent les choses de manière plus nuancée69. Selon le modèle du triangle sémiotique proposé par Christian Baylon et Xavier Mignot, la signification d’un mot serait influencée à la fois par la forme du mot et par son référent : a) sens (signification, signifié, contenu)

b) forme (signifiant, expression)

c) référent

En outre, on distingue deux niveaux de sens : le sens en lang ues, tel qu’on l’utilise dans des définitions, et le sens en emploi, caractérisé par l’effet de sens qu’il produit : le sens qu’il prend dans un discours, dans un texte et un contexte, le sens potentiel qu’il peut avoir. On voit dans ces deux niveaux de sens d’une part un sens dénotatif, d’autre part des connotations. Afin de donner un sens dénotatif, la dénomination avec des noms communs exigerait une catégorisation du réel, « tel que l’esprit se le représente, non pas tel qu’il est en soi »70. La définition porterait à la fois sur le sens et sur le référent. 68

R. Koselleck (éd.), Historische Semantik und Begriffsgeschichte, Stuttgart, 1979 (Sprache und Geschichte, 1), passim ; H. E. Bödeker, Reflexionen über Begriffsgeschichte als Methode, dans id. (éd.), Begriffsgeschichte, Diskursgeschichte, Metapherngeschichte, Göttingen, 2002 (Göttinger Gespräche zur Geschichtswissenschaft, 14.), p. 73-121. 69 C. Baylon et X. Mignot, Sémantique du langage. Initiation, Paris, 1995, passim. 70 C. Baylon et X. Mignot, Sémantique..., op. cit., p. 76.

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Cependant, on ne devrait pas perdre de vue que la grande majorité des mots ont plusieurs marqueurs sémantiques (sèmes) : ils sont polysémiques. Un mot polysémique a un sens premier et des sens secondaires ou dérivés. Cette dérivation est dans la plupart des cas purement arbitraire. Le sens implicite des mots peut être marqué de différentes manières : par des expressions toutes faites ; des sous-entendus ; des inférences ; des présuppositions. Tout cela forme des connotations dont il est important de tenir compte pour comprendre l’ensemble du sens des mots. Il sera important, dans la suite de cette étude, de garder à l’esprit ces prémisses méthodologiques offertes par la linguistique, trop souvent négligés dans les travaux historiques : la signification (a) est inspirée à la fois de la forme (b) et du référent (c) ; la plupart des mots sont polysémiques ; il y a deux niveaux de sens, l’un dénotatif et l’autre connotatif, empreint de subjectivité. * Au-delà des barrières entre les disciplines, on remarque donc des tendances générales qui se dégagent des recherches récentes. D’abord, un nombre impressionnant de chercheurs insiste sur le fait que le phénomène urbain varie considérablement selon les époques et les sociétés71. Chez les historiens – surtout en France, alors qu’en Allemagne on continue à privilégier les typologies – , on se distancie des définitions de la ville s’appuyant sur des critères purement objectifs ou se voulant tels. On insiste plutôt sur la prise en compte nécessaire des conceptions et de l’imaginaire des contemporains. Dans les sciences sociales, on s’intéresse à des thématiques culturelles qui sont restées méconnues jusque récemment, en étudiant les perceptions subjectives des réalités sociales. Pour ce qui est des archéologues, ils tendent de plus en plus à concentrer leur attention sur des critères faisant uniquement référence à la réalité matérielle, évitant une argumentation mêlant des éléments empruntés aux sources écrites. Le lecteur peut maintenant deviner la direction que prendra la présente étude. On peut admettre qu’existe dans chaque société une certaine forme de phénomène urbain72. Il s’agira avant tout d’étudier pour une période donnée ce que les contemporains percevaient comme étant un habitat urbain, ses habitants et le mode de vie qui y était associé73. Ces perceptions pouvaient être – et ont sans doute été – très différentes de celles d’aujourd’hui. Il est donc

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C’est ce qu’avait déjà observé André Joris en 1969. Voir A. Joris, La Notion…, cité p. 10, n. 5, p. 43. 72 J. Beaujeu-Garnier, Géographie…, op. cit., p. 14. 73 Pour le Moyen Âge central et tardif, voir K.-U. Jäschke, Was machte zur Stadt im Mittelalter ?, dans id. et C. Schrenk (éd.), Was machte im Mittelalter zur Stadt ? Selbstverständnis, Außensicht und Erscheinungsbilder mittelalterlicher Städte. Vorträge des gleichnamigen Symposiums vom 30. März bis 2. April 2006 in Heilbronn, Heilbronn, 2007 (Quellen und Forschungen zur Geschichte der Stadt Heilbronn, 18), p. 285-357.

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fondamental de bien les saisir pour pouvoir ensuite bien comprendre, et donc bien interpréter, les sources historiques. Bien entendu, les sources archéologiques ne peuvent pas servir à étudier les conceptions mentales des contemporains. Cependant, elles serviront à comparer ces conceptions avec la réalité matérielle qu’avaient les contemporains sous les yeux. Il sera donc d’une grande nécessité de séparer sobrement les deux types de sources. Même dans un espace culturel limité, les différences de perception à propos de ce qu’est une ville et donc le fait urbain peuvent varier énormément d’une culture à l’autre. Cela se laisse particulièrement bien observer avec l’exemple des banlieues nord-américaines : on pourrait discuter longuement de leur appartenance à la ville ou à la campagne74. L’auteur de ces lignes, ayant grandi en banlieue de Montréal, fut surpris à plusieurs reprises lorsqu’il constata, après avoir emménagé dans la métropole, que pour la majorité des Montréalais, la banlieue dont il provenait appartenait à la campagne. Son étonnement fut encore plus grand lorsqu’il constata ensuite que des connaissances, ayant quitté la même banlieue pour s’installer dans des régions éloignées, s’identifiaient comme venant de Montréal – donc, de la ville. Si les différences de perception peuvent être aussi grandes parmi des gens vivant à la même époque, se côtoyant à l’intérieur d’un même espace culturel, quelles ne doivent-elles donc pas être lorsqu’on s’intéresse à des époques depuis longtemps révolues ! Comme l’exprime le journaliste et chroniqueur d’affaires urbaines Christopher Hume dans la citation placée en exergue, la ville est « une entité légale », « une juridiction », c’est aussi « un endroit, un environnement physique », mais c’est aussi – peut-être même avant tout ! – « une idée ». Elle est « faite par l’homme » et est « en changement continuel » – comme, d’ailleurs, sa définition. Le seul fait qu’existe aujourd’hui à Toronto un « chroniqueur d’affaires urbaines »75 témoigne de la fascination qu’elle ne cesse de susciter. Europe centrale et nordique au début du Moyen Âge L’identification et la distinction des différentes régions historiques européennes et plus particulièrement de l’Europe centrale, de l’Europe du CentreEst et de l’Europe de l’Est ont fait l’objet depuis plusieurs années de vives discussions dus à des changements fondamentaux dans la donne géopolitique actuelle. On comprend généralement sous « Europe du Centre-Est » (all. Ostmitteleuropa, pol. Europa Środkowo-Wschodnia) l’espace situé à l’est de 74

À propos des banlieues nord-américaines, voir P. Knox et S. Pinch, Urban…, op. cit., p. 252256 ; J. C. Teaford, The American Suburb. The Basics, New York et Londres, 2008, passim. 75 « Urban affairs columnist ».

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l’Elbe, délimité au nord par la mer Baltique, à l’est par la ligne de démarcation entre Église catholique latine et Église orthodoxe orientale et au sud par la péninsule balkanique. Lorsqu’il est question, en allemand, de Mitteleuropa, ou en polonais d’Europa Środkowa, on y ajoute les pays germanophones, soit grosso modo l’Allemagne et l’Autriche actuelles. Par un caprice des traditions nationales, on comprend cependant en français sous « Europe centrale » un espace plus limité, centré sur la zone danubienne, ce qui cause des difficultés pour la traduction du concept. Or, le terme de Mitteleuropa a une longue tradition qui n’est, malheureusement, pas toujours recommandable76. Il a ainsi été fortement marqué par l’utilisation qu’en a fait Friedrich Naumann (1860-1919), philosophe libéral allemand, dans un livre paru en 191577. En pleine Première Guerre mondiale, Naumann plaida pour une idéologie nationaliste et impérialiste. Selon lui, l’Allemagne se devait d’être expansionniste et devait créer avec des moyens militaires une puissance centre-européenne dont elle aurait été le noyau. En Autriche, où l’on préfère le terme de Zentraleuropa, on a longtemps confondu l’Europe centrale avec un espace danubien dont le noyau historique aurait été l’Empire d’Autriche-Hongrie, ce qui se rapproche de l’Europe centrale telle que vue par les francophones. Il va de soi que, si l’on parle dans la présente étude d’Europe centrale, cela ne signifie pas que l’on veuille se situer dans la tradition d’une idéologie expansionniste allemande. Il apparaît toutefois nécessaire de ne pas passer sous silence le lourd passé d’un tel concept, ne serait-ce que pour pouvoir mieux s’en distancier. Soulignons cependant que, en allemand comme en polonais, l’utilisation récente des équivalents de l’« Europe centrale » est marquée par le pragmatisme et une distanciation envers ses connotations négatives78. Le concept d’« Europe du Centre-Est » a été inventé par Tomáš Garrigue Masaryk (1850-1937), premier président de la Tchécoslovaquie, comme une alternative à la Mitteleuropa79. En ce qui concerne les sciences historiques, 76 J. Le Rider, La Mitteleuropa, Paris, 1994 (Que sais-je ?, 2846), p. 3-16 ; E. Mühle, East Central Europe in Historiographic Concepts of German Historical Studies, dans J. Kłoczowski et H. Łaszkiewicz (éd.), East-Central Europe in European History. Themes and Debates, Lublin, 2009, p. 55-72. 77 F. Naumann, Mitteleuropa, Berlin, 1915. Voir J. Le Rider, La Mitteleuropa, op. cit., cité p. 33, n. 76, p. 92-100 ; S.-G. Schnorr, Liberalismus zwischen 19. und 20. Jahrhundert. Reformulierung liberaler politischer Theorie in Deutschland und England am Beispiel von Friedrich Naumann und Leonard T. Hobhouse, Baden-Baden, 1990 (Schriften der Friedrich-Naumann-Stiftung. Wissenschaftliche Reihe), p. 177-196. 78 R. Zenderowski (éd.), Europa Środkowa : wspólnota czy zbiorowość ?, Wrocław, Varsovie et Cracovie, 2004, passim ; J. Kłoczowski (éd.), Europe centrale entre l’Est et l’Ouest. Central Europe between East and West, Lublin, 2005, passim. 79 F. Curta, Introduction, dans id. (éd.), East Central Europe and Eastern Europe in the Middle Ages, Ann Arbor, 2005, p. 1.

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l’expression a surtout été marquée par l’utilisation qu’en ont faites l’historien polonais Oskar Halecki (1891-1973)80 et l’historien hongrois Jenő Szűcs († 1988) dans son essai sur Les Trois Europes81. Szűcs distingua trois régions historiques européennes, l’Occident, l’Orient et, entre les deux, ce qu’il nomma l’Europe du Centre-Est. Dans une étude fortement inspirée par le structuralisme, il identifia des éléments caractéristiques des sociétés de chacune de ces régions. Jerzy Kłoczowski a introduit plus récemment dans la discussion l’idée d’ « une Europe plus jeune » (pol. młodsza Europa), ayant à l’esprit les contrées ayant adopté tardivement la culture chrétienne et latine et ayant connu une évolution similaire à partir du Xe siècle – Pologne, Bohême et Hongrie82. Quant à Karol Modzelewski, il désigne comme l’ « Europe des barbares » (pol. Europa barbarzyńska) un espace comprenant des régions sans attachement direct avec la civilisation romaine, des peuples germaniques, scandinaves et slaves au sein desquels des caractéristiques de sociétés segmentaires et collectivistes auraient survécu longtemps83. L’espace faisant l’objet de cette étude se situe conceptuellement à mi-chemin entre l’Europa barbarzyńska de Modzelewski – certains traits des sociétés pré-chrétiennes y ayant laissé une empreinte durable – et la młodsza Europa de Kłoczowski – le processus d’intégration à l’orbe culturel latin étant au centre de l’attention84. On ne peut exclure de l’analyse l’Europe nordique – Scandinavie et surtout pourtours de la mer Baltique – qui connut un développement similaire et pour laquelle les sources narratives, pour les périodes anciennes, sont dans la majorité des cas les mêmes que pour l’Europe du Centre-Est. En fait, la principale caractéristique commune des régions qui subiront notre analyse est de n’avoir jamais appartenu aux provinces de l’Empire romain, ce qui eut des conséquences énormes à long terme, outre les traditions sociales et culturelles, sur l’organisation du territoire et de l’habitat85.

80 O. Halecki, The Limits and Divisions of European History, Londres et New York, 1950, p. 125141. 81 J. Szűcs, Les Trois Europes, traduit du hongrois par V. Charaire, G. Klaniczaj et P. ThureauDangin, Paris, 1985 (Domaines danubiens), p. 13-19. 82 J.  Kłoczowski, Młodsza Europa. Europa Środkowo-Wschodnia w kręgu cywilizacji chrześcijańskiej średniowiecza, Varsovie, 1998, p. 11. 83 K. Modzelewski, Barbarzyńska Europa, Varsovie, 2004, surtout p. 429-464. Traduction française : L’Europe des barbares. Germains et Slaves face aux héritiers de Rome, traduit par A. Kozak et I. Macor-Filarska, Paris, 2006 (Collection historique), p. 355-385. 84 H. Samsonowicz, From « Barbarian Europe » to « Younger Europe ». East-Central Europe in the Circle of European Civilisation (10th – 15th Centuries), dans J.  Kłoczowski et H. Łaszkiewicz (éd.), East-Central Europe…, op. cit., p. 87-95. 85 H. B. Clarke et A. Simms, Introduction, dans iid. (éd.), The Comparative History of Urban Origins in Non-Roman Europe. Ireland, Wales, Denmark, Germany, Poland and Russia from the Ninth to the Thirteenth Century, Oxford, 1985 (BAR International Series, 255[i]), vol. 1, p. XXIII-XXXI.

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Carte 2 : Région de la mer Baltique, IXe – XIe siècles

La présente étude se consacrera donc principalement à quatre espaces : la Saxe ; les territoires des Slaves de l’Elbe et de la Baltique ; les royaumes de Pologne et de Bohême ; les pourtours orientaux et septentrionaux de la mer Baltique. Le processus d’intégration de la Saxe à l’Empire franc suite aux guerres menées par Charlemagne est bien connu86. Après trois décennies de guerre 86

C. Ehlers, Die Integration Sachsens in das fränkische Reich (751-1024), Göttingen, 2007 (Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte, 231), passim ; M. Springer, Die Sachsen, Stuttgart, Berlin et Cologne, 2004 (Urban-Taschenbücher, 598), p. 166-261 ; H.-W. Goetz,

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Carte 3 : Slaves de l’Elbe, Pologne et Bohême, VIIIe – XIIe siècles

acharnées, de mesures drastiques suivies d’insurrections, la Saxe devint une partie de l’Empire franc. Pour en favoriser l’intégration, les Francs y installèrent rapidement des évêchés et des monastères : en plus d’être des instruments de la christianisation, ceux-ci contribuèrent à l’adaptation des structures de pouvoir et des manières de percevoir le territoire des Saxons87. Cette intégration fut si bien réussie qu’un siècle plus tard, sous Henri Ier et ses descendants, la Saxe était devenue le royaume le plus puissant d’Occident et qu’Otton Ier pouvait même prétendre au titre d’empereur88. Le paysage saxon fut marqué par les forteresses, les centres et les structures qui apparurent au cours de ces siècles.

« Sachsen » in der Wahrnehmung fränkischer und ottonischer Geschichtsschreiber, dans H. Seibert et G. Thoma (éd.), Von Sachsen nach Jerusalem. Menschen und Institutionen im Wandel der Zeiten. Festschrift für Wolfgang Giese zum 65. Geburtstag, Munich, 2004, p. 73-94. 87 H. Röckelein, Reliquientranslationen nach Sachsen im 9. Jahrhundert. Über Kommunikation, Mobilität und Öffentlichkeit im Frühmittelalter, Stuttgart, 2002 (Beihefte der Francia, 48), passim. 88 H. Beumann, Die Ottonen. Fünfte Auflage, Stuttgart, 2000 (Urban-Taschenbücher, 384) (d’abord paru en 1987), p. 32-112 ; G. Althoff, Die Ottonen. Königsherrschaft ohne Staat, Stuttgart, 2000 (Urban-Taschenbücher, 473), p. 29-136 ; et les articles dans M. Puhle (éd.), Otto der Große, Magdeburg und Europa, vol. I, Essays, Mayence, 2001.

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Le deuxième espace pris en considération est celui des Slaves de l’Elbe et des pourtours de la mer Baltique89. Il apparut dans les sources écrites d’abord sporadiquement aux VIIIe et IXe siècles, mais surtout aux Xe et XIe siècles. Ceux que l’on regroupe sous le terme de Slaves de l’Elbe – expression qui n’est autre qu’une convention90 – n’ont jamais formé une unité politique, sociale ou culturelle. Tout au long de leur histoire, ils ont été divisés en une multitude de peuplades plus ou moins importantes, se regroupant ou se séparant au gré d’alliances et de fédérations variables et instables. Quitte à simplifier abusivement, on peut y voir principalement trois groupes. Les Abodrites91, au NordOuest, habitaient une région-tampon entre Francs et Danois  ; ils furent influencés alternativement par ces deux orbes culturels. Dès le IXe siècle, les Abodrites semblent avoir eu à leur tête une famille princière, souvent dépendante des Francs. Certains membres de cette famille dirigeante furent baptisés à partir de la fin du Xe siècle, mais le processus de conversion fut retardé par de nombreuses révoltes et par des conflits internes qui se multiplièrent au cours du XIe siècle. Les Abodrites cessèrent d’exister en tant qu’unité politique au milieu du XIIe siècle, alors que divers princes territoriaux se partagèrent leurs terres. Au Nord-Est de la région entre Elbe et Oder, on retrouvait au IXe siècle les Wilces92, lesquels furent ensuite remplacés dans les sources par quatre peuplades, soit les Circipans, les Tollensiens, les Ucrans et les Rédariens. On peut aussi y compter les Hévelliens, groupés autour de la forteresse de Brandebourg sur la Havel, qui leur furent sans doute au moins temporai-

C. Lübke, Forms of Political Organization of the Polabian Slavs (until the 10th Century A.D.), dans P. Urbańczyk (éd.), Origins of Central Europe, Varsovie, 1997, p. 115-124 ; id., Die Elb- und Ostseeslawen, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas Mitte um 1000. Handbuch zur Ausstellung, Stuttgart, 2000, vol. 2, p. 654-657 ; id., Die Elbslaven – Polens Nachbarn im Westen, dans P. Urbańczyk (éd.), The Neighbours of Poland in the 10th Century, Varsovie, 2000, p. 61-78 ; id., Das östliche Europa, Munich, 2004 (Die Deutschen und das europäische Mittelalter), p. 137160 ; J. Strzelczyk, Słowianie połabscy, Poznań, 2000, passim. 90 C. Lübke, Slaven zwischen Elbe/Saale und Oder : Wenden – Polaben – Elbslaven ? Beobachtungen zur Namenwahl, dans Jahrbuch für die Geschichte Mittel- und Ostdeutschlands, 41, 1993, p. 17-43. 91 B. Friedmann, Untersuchungen zur Geschichte des abodritischen Fürstentums bis zum Ende des 10. Jahrhunderts, Berlin, 1986 (Osteuropastudien des Landes Hessen, Reihe 1, 137), passim ; W. H. Fritze, Probleme der abodritischen Stammes- und Reichsverfassung und ihrer Entwicklung vom Stammesstaat zum Herrschaftsstaat, dans H. Ludat (éd.), Siedlung und Verfassung der Slawen zwischen Elbe, Saale und Oder, Gießen, 1960, p. 141-219. 92 H. Ludat, An Elbe und Oder um das Jahr 1000. Skizzen zur Politik des Ottonenreiches und der slawischen Mächte in Mitteleuropa, Cologne et Vienne, 1971, p. 9-17 ; C. Hanewinkel, Die politische Bedeutung der Elbslawen im Hinblick auf die Herrschaftsveränderungen im ostfränkischen Reich und in Sachsen von 887 bis 936 – Politische Skizzen zu den östlichen Nachbarn im 9. und 10. Jahrhundert, thèse de doctorat, Université Wilhelm de Westphalie, Münster, 2004, passim. 89

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rement associés93. Ces groupes instables s’allièrent à la fin du Xe siècle et, depuis la grande insurrection de 983, furent connus sous le nom de Lutices94. Les Lutices, regroupement acéphale caractérisé par son culte païen ostentatoire, s’affaiblirent au cours du XIe siècle et perdirent définitivement leur indépendance avec la prise d’Arkona sur l’île de Rügen en 1168. Au sud, on retrouvait une multitude de petites peuplades connues sous le nom générique de Sorabes95. Voisins immédiats des Saxons puis de l’Empire franc, les Sorabes furent dès le IXe siècle intégrés à ce dernier dans le cadre d’une marche, un territoire frontalier. Au Xe siècle, leurs élites avaient définitivement perdu leur indépendance et il ne pouvait plus être question d’une unité autonome. Le troisième espace considéré par notre étude est constitué par la Pologne et la Bohême ; ces deux principautés connurent en effet une évolution comparable96. Elles furent dirigées chacune une dynastie stable – malgré quelques périodes troubles – dès le Xe siècle, les Piast et les Přemyslides, qui se convertirent rapidement au christianisme. Au cours du XIe siècle, les deux royaumes se consolidèrent, leurs structures et leurs idéaux s’adaptèrent et s’intégrèrent à ceux des autres royaumes chrétiens d’Occident. Finalement, il sera question des territoires situés autour de la mer Baltique. Il s’agit là principalement des Poméraniens, peuple slave qui connut de longs conflits avec le royaume polonais en expansion97 ; des Prusses et des Baltes98 ; 93

L. Dralle, Slaven an Havel und Spree. Studien zur Geschichte des hevellisch-wilzischen Fürstentums (6. bis 10. Jahrhundert), Berlin, 1981 (Osteuropastudien des Landes Hessen, Reihe 1. Gießener Abhandlungen zur Agrar- und Wirtschaftsforschung des europäischen Ostens, 108), passim. 94 W. Brüske, Untersuchungen zur Geschichte des Lutizenbundes. Deutsch-wendische Beziehungen des 10.-12. Jahrhunderts, Münster et Cologne, 1955 (Mitteldeutsche Forschungen, 3), passim ; W. H. Fritze, Beobachtungen zu Entstehung und Wesen des Lutizenbundes, dans id., Frühzeit zwischen Ostsee und Donau. Ausgewählte Beiträge zum geschichtlichen Werden im östlichen Mitteleuropa vom 6. bis zum 13. Jahrhundert, éd. L. Kuchenbuch et W. Schich, Berlin, 1982 (Berliner historische Studien, 6. Germania Slavica, III) (article d’abord paru en 1958), p. 130-166 ; C. Lübke, Das östliche..., op. cit., p. 232-252. 95 W. Schlesinger, Die Verfassung der Sorben, dans id., Mitteldeutsche Beiträge zur deutschen Verfassungsgeschichte des Mittelalters, Göttingen, 1961 (article d’abord paru en 1960), p. 7-47. 96 S. Szczur, Historia Polski. Średniowiecze, Cracovie, 2002, p. 23-208 ; F. Prinz, Böhmen im mittelalterlichen Europa. Frühzeit, Hochmittelalter, Kolonisationsepoche, Munich, 1984, passim ; D. Třeštík, Počátky Přemyslovců. Vstup Čechů do dějin (530-935), Prague, 1997 (Česká historie), passim ; J. Žemlička, Čechy v době knížecí, Prague, 1997 (Česká historie), passim ; G. BührerThierry, Processus de conversion et société politique en Europe centrale aux IXe – Xe siècles : les princes de Bohême, fondateurs d’églises, dans Cahiers de l’Institut d’Anthropologie juridique, 11, Foi chrétienne et églises dans la société politique de l’Occident du Haut Moyen Âge (IVe – XIIe siècle), 2004, p. 45-59. 97 S. Szczur, Historia…, op. cit., p. 117-118, 124-125 ; K. T. Inachin, Die Geschichte Pommerns, Rostock, 2008, p. 12-15. 98 Z. Kiaupa, A. Mäesalu, A. Pajur et G. Straube, Geschichte des Baltikums, Tallinn, 2002 (d’abord paru en 1999), p. 13-36.

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des Danois et des Svear puis Suédois99. Le processus de christianisation et d’intégration à l’Europe occidentale commença chez les Danois au Xe siècle avec la conversion de la dynastie royale et la fondation d’évêchés. En Suède, ce développement fut remis au siècle suivant, ce qui n’empêcha pas des contacts avec l’Occident dans la période précédente. La période étudiée varie pour chacun de ces quatre espaces, ce qui est dû d’une part à l’évolution politique différente de chacune de ces régions et, d’autre part, aux limites présentées par les sources écrites nous permettant de les connaître. Pour la Saxe, on commencera avec les conflits sous Charlemagne à la fin du VIIIe siècle, mais surtout avec la véritable intégration à l’Empire franc qui débuta avec la fin des guerres saxonnes. L’épanouissement de l’Empire ottonien au Xe siècle constitua le point d’orgue de cette intégration. En ce qui concerne les Slaves de l’Elbe et l’espace baltique, l’étude prendra en compte les premières mentions de ces régions dans les sources latines au début du IXe siècle. Afin de laisser de côté – voire de réserver pour une étude ultérieure – la période marquée par la transformation inspirée de modèles occidentaux et la fondation de villes de franchises, nous terminerons cette période, avec un peu de prudence, avec la fin du XIe siècle. La Pologne et la Bohême firent leur apparition dans les sources écrites à la fin du Xe et au IXe siècle respectivement et c’est donc à partir de ce moment que sera analysé leur destin. Leur histoire est cependant encore mal connue, par manque de sources, pour le XIe siècle. Ce n’est que pour le premier quart du XIIe siècle que nous possédons les sources volumineuses et détaillées que sont les chroniques d’un inconnu dit Gallus Anonymus et de Cosmas de Prague100. C’est donc avec ces deux œuvres majeures que se terminera la période étudiée. Il nous reste à justifier le choix de ces quatre espaces, rarement traités ensemble, pour la présente étude. Toutes ces régions historiques ont de multiples traits communs qui rendent une analyse des réalités et de l’imaginaire de la ville particulièrement intéressante. Aucune de ces régions n’a appartenu à l’Empire romain, ce qui eut plusieurs conséquences : ainsi, les habitants de ces contrées n’avaient pas sous les yeux les restes matériels des villes romaines, qui non seulement auraient laissé leur marque, mais aussi auraient pu servir de modèles ou d’inspiration. De plus, l’imaginaire de la ville ne pouvait rester attaché aux villes romaines et s’y maintenir par simple continuité locale et identitaire. Les traditions urbaines étaient absentes : il fallait les inventer.

99 B. Sawyer et P. Sawyer, Medieval Scandinavia. From Conversion to Reformation, circa 800-1500, Minneapolis et Londres, 1993 (The Nordic Series, 17), p. 100-128. On distingue entre les Svear, peuple de la région centrale de la Suède actuelle, et les Suédois, habitants du royaume de Suède après que le roi Olof Skötkonung († 1020) ait unifié les Svear et les Götar. Voir E. Roesdahl, The Vikings. Revised Edition, traduit par S. M. Margeson et K. Williams, Londres, 1998, p. 76-77. 100 Présentation détaillée infra, p. XYZ.

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Ces territoires ont également en commun d’avoir été tout d’abord et pendant longtemps décrits uniquement de l’extérieur, puisque ceux qui y vivaient ne maîtrisaient pas encore l’outil de l’écriture : nous avons donc surtout affaire à des descriptions de contrées étrangères101. Ce n’est que plus tard que, dans le meilleur des cas, nous avons accès à une perception de l’intérieur. Cela est surtout vrai pour la Saxe, qui connut au Xe siècle un essor culturel incomparable. Cela fut vrai ensuite pour la Bohême de Cosmas de Prague. Cela n’est vrai qu’à demi pour la Pologne dont le premier chroniqueur fut un étranger invité à la cour du souverain Boleslas III Bouche-Torse. En revanche, pour les Slaves de l’Elbe et pour les Poméraniens, il n’y a et n’y aura jamais de documents écrits nous donnant un aperçu de l’univers mental des populations concernées102. Dans la plupart de ces régions, la période en question est caractérisée par l’apparition de nouvelles structures politiques et religieuses ainsi que de nouveaux centres économiques. Cela ne fait aucun doute pour les nouveaux royaumes en Saxe103, en Pologne104, en Bohême105 ou au Danemark106, où se développèrent des pouvoirs centralisés et des réseaux ecclésiastiques. Cela est aussi vrai pour certaines régions habitées par les Slaves de l’Elbe, où apparurent malgré des revers et de nombreuses difficultés des familles princières, comme chez les Abodrites et 101

V. Scior, Das Eigene und das Fremde. Identität und Fremdheit in den Chroniken Adams von Bremen, Helmolds von Bosau und Arnolds von Lübeck, Berlin, 2002 (Orbis mediaevalis. Vorstellungswelten des Mittelalters, 4), passim ; D. Fraesdorff, Der barbarische Norden. Vorstellungen und Fremdheitskategorien bei Rimbert, Thietmar von Merseburg, Adam von Bremen und Helmold von Bosau, Berlin, 2005 (Orbis mediaevalis. Vorstellungswelten des Mittelalters, 5), passim. 102 Les sources vernaculaires scandinaves, tardives, seront laissées de côté. Voir R. Boyer, Jórsalaborg, Romaborg, Miklagardr, dans D. Poirion (éd.), Jérusalem, Rome, Constantinople. L’Image et le Mythe de la ville au Moyen Age. Colloque du département d’études médiévales de l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), Paris, 1986 (Cultures et civilisations médiévales, V), p. 169-180. Nous laissons également de côté les sources en vieux slavon, qui appartiennent à un orbe culturel différent. À propos du phénomène proto-urbain des Rus’, voir E. Mühle, Die städtischen Handelszentren der nordwestlichen Rus’. Anfänge und frühe Entwicklung altrussischer Städte (bis gegen Ende des 12. Jahrhunderts), Stuttgart, 1991 (Quellen und Studien zur Geschichte des östlichen Europas, 32), passim ; M. Kazanski, A. Nercessian et C. Zuckerman (éd.), Les Centres protourbains russes entre Scandinavie, Byzance et Orient, Paris, 2000 (Réalités byzantines, 7), passim. 103 C. Carroll, The Bishoprics of Saxony in the First Century after Christianization, dans Early Medieval Europe, 8, 1999, p. 219-245 ; J. Hines, The Conversion of the Old Saxons, dans D. H. Green et F. Siegmund (éd.), The Continental Saxons from the Migration Period to the Tenth Century : An Ethnographic Perspective. Papers Presented at the Sixth Conference on « Studies in Historical Archaeoethnology », Organized by the Center for Interdisciplinary Research on Social Stress, Which Was Held in San Marino from 10th September to 14th September 1999, Woodbridge, 2003 (Studies in Historial Archaeoethnology), p. 299-309 ; E. Müller-Mertens, Verfassung des Reiches, Reichsstruktur und Herrschaftspraxis unter Otto dem Großen, dans M. Puhle (éd.), Otto..., op. cit., vol. I, p. 189-198. 104 S. Szczur, Historia…, op. cit., p. 148-168. 105 J. Žemlička, Čechy…, cité p. 38, n. 96, p. 19-25, 149-163. 106 B. Sawyer et P. Sawyer, Medieval..., cité p. 39, n. 99, p. 100-128.

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les Hévelliens107. Mais même les régions non encore christianisées et ne connaissant pas encore d’organisation centrée autour du pouvoir de souverains vécurent durant cette période des changements profonds et l’apparition de nouvelles structures. C’est le cas chez les Lutices, où le culte était axé sur le temple de Riedegost108. Le développement urbain et la manière dont il fut perçu ont été d’une importance décisive pour le processus d’intégration culturelle, pour la formation d’une civilisation commune et la manière dont elle fut comprise par les contemporains. Certes, de nouvelles formes d’habitat urbain se formèrent et prirent réalité dans la culture matérielle. Mais, surtout, ces nouvelles formes d’habitat prirent forme dans un nouvel imaginaire. Les sources Les sources sur lesquelles s’appuie cette étude sont de deux types, sources écrites et sources archéologiques. Parmi les sources écrites, toutes celles composées durant la période étudiée et traitant de près ou de loin des régions concernées peuvent a priori être utilisées. De façon concrète, ce sont principalement les sources narratives : chroniques, annales et quelques textes hagiographiques qui seront utiles, car ce sont celles permettant le mieux de percevoir l’univers mental d’une société. Il s’agit aussi de la seule catégorie de sources écrites disponible pour toutes les régions traitées. S’ajoutant à ce corpus, les sources diplomatiques offrent des descriptions de réalités concrètes : elles ont l’avantage d’être toujours contemporaines et d’être très proches de ce dont elles traitent. Leur valeur est néanmoins limitée par le fait qu’elles ne concernent principalement que les régions soumises directement aux Empires carolingien et ottonien : pour les autres territoires dont il est ici question, les chartes et les structures administratives qu’elles nécessitaient n’apparurent que lentement et tardivement. En plus de ces documents, la littérature épistolaire et la poésie seront mises à profit dans la mesure du possible : ce sont des sources spécialement appropriées à l’étude de l’imaginaire, même si elles ont l’inconvénient de ne traiter que trop rarement des questions qui nos préoccupent. Les sources traitées seront strictement limitées aux textes contemporains. Sauf quelques 107

B. Friedmann, Untersuchungen…, op. cit., p. 39-74, 180-279 ; W. H. Fritze, Probleme…, cité p. 37, n. 91, p. 178-201 ; H. Ludat, An Elbe..., op. cit., p. 9-17, 33-66. 108 C. Lübke, Religion und ethnisches Bewußtsein bei den Lutizen, dans Światowit, 40, 1995, p. 70-90 ; R. Schmidt, Rethra. Das Heiligtum der Lutizen als Heiden-Metropole, dans H. Beumann (éd.), Festschrift für Walter Schlesinger, Cologne et Vienne, 1974 (Mitteldeutsche Forschungen, 74,2), vol. II, p. 366-394 ; S. Rosik, Interpretacja chrześcijańska religii pogańskich Słowian w świetle kronik niemieckich XI-XII wieku (Thietmar, Adam z Bremy, Helmold), Wrocław, 2000 (Historia, 144. Acta Universitatis Wratislaviensis, 2235), p.  97-134, 191-204  ; G. Bührer-Thierry, Un évêque d’Empire face aux païens : Thietmar de Mersebourg et les Liutizes, dans S. Gouguenheim et al. (éd.), Textes, études et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, Paris, 2004, p. 591-599 ; K. Modzelewski, Barbarzyńska Europa, p. 385-387, 397-398.

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très rares exceptions, ces textes sont tous en latin. Ainsi, les textes scandinaves en vieux norrois, tous beaucoup plus tardifs, seront écartés. La plupart des régions dont il est ici question ont fait l’objet depuis longtemps de nombreuses études archéologiques sur les fortifications et sur l’habitat109. Depuis une quinzaine d’années, des résultats toujours mieux documentés et plus précisément datés ont vu le jour110. Des projets d’envergure sont en outre actuellement en cours111. Ayant à l’esprit le triangle sémiotique présenté plus haut112, on peut affirmer que les sources écrites permettent de repérer la forme et l’expression (b) de ce que les contemporains percevaient comme appartenant au phénomène urbain et que l’archéologie permet de reconstruire le référent (c), soit ce que le discours tentait de circonscrire, de catégoriser et de décrire. En confrontant les deux types de sources, on peut arriver à comprendre le sens, la signification (a) de ce que put être le phénomène urbain du haut Moyen Âge. Toutefois, la confrontation des sources écrites et archéologiques n’est pas toujours aussi simple qu’elle peut paraître au premier abord. On pourrait être tenté de vouloir la réaliser avant tout pour des endroits où les deux catégories de sources sont présentes pour décrire le même objet. Malheureusement, cela n’est possible que dans de rares cas. De nombreux sites ont été étudiés de manière exemplaire par des archéologues, alors qu’aucun auteur médiéval n’avait daigné les mentionner. Et inutile d’insister sur le fait qu’énormément d’agglomérations parmi les mieux connues des sources écrites n’ont jamais été

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En ce qui concerne les fortifications et l’habitat, les pays baltes et les terres des Saxons avant la conquête carolingienne sont malheureusement sans doute ceux accusant le retard le plus important. 110 Entre autres, pour les forts de la Basse-Lusace et pour l’emporium de Groß Strömkendorf. J. Henning, Archäologische Forschungen an Ringwällen in Niederungslage : die Niederlausitz als Burgenlandschaft des östlichen Mitteleuropas im frühen Mittelalter, dans id. et A. T. Ruttkay (éd.), Frühmittelalterlicher Burgenbau in Mittel- und Osteuropa. Tagung Nitra vom 7. bis 10. Oktober 1996, Bonn, 1998, p. 9-29 ; F. Biermann, Slawische Besiedlung zwischen Elbe, Neiße und Lubsza. Archäologische Studien zum Siedlungswesen und zur Sachkultur des frühen und hohen Mittelalters. Ergebnisse und Materialien zum DFG-Projekt « Germanen – Slawen – Deutsche », Bonn, 2000 (Universitätsforschungen zur prähistorischen Archäologie, 65. Schriften zur Archäologie der germanischen und slawischen Frühgeschichte, 5), passim ; H. Jöns, F. Lüth et M. Müller-Wille, Ausgrabungen auf dem frühgeschichtlichen Seehandelsplatz von Groß Strömkendorf, Kr. Nordwestmecklenburg. Erste Ergebnisse eines Forschungsprojektes, dans Germania, 75,1, 1997, p. 193-221. 111 Projet « Slawen an der unteren Mittelelbe » (2004-2008) ; voir K.-H. Willroth, DFGProjekt : Die slawische Besiedlung an der unteren Mittelelbe. Untersuchungen zur ländlichen Besiedlung, zum Burgenbau, zu Besiedlungsstrukturen und zum Landschaftswandel. Einführung, dans Archäologisches Nachrichtenblatt, 12, 3, 2007, p. 261-263; K.-H. Willroth et J. Schneeweiß (éd.), Slawen an der Elbe, Neumünster, 2011 (Göttinger Forschungen zur Ur- und Frühgeschichte, 1), passim. Les fouilles sont terminées et la publication des résultats est en cours. 112

Voir supra, p. 30.

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fouillé, ou ne l’ont été que de manière insatisfaisante. Le problème du choix des sources est donc ardu. Pour toutes les régions qui nous préoccupent, les sources écrites sont éparses et fort peu nombreuses. Il est donc tout à fait possible d’analyser l’ensemble des sources écrites existantes et disponibles : cela permet une approche comparative englobant un territoire énorme sur un long laps de temps. Or, il en va tout autrement des sources archéologiques. Le nombre de sites connus a augmenté de manière exponentielle depuis quelques décennies. L’étude systématique d’une région n’est réalisable que pour un espace de petites dimensions113. La meilleure – et en fait la seule – façon de faire face à ces difficultés majeures est de limiter l’étude des fouilles archéologiques à un nombre restreint de sites particulièrement bien connus et ayant un caractère exemplaire, représentant les découvertes récentes et les tendances actuelles de la recherche archéologique. Il ne peut s’agir d’une étude de détails. L’objectif sera plutôt de donner une vue d’ensemble qui sera, nous l’espérons, représentative. Les termes latins désignant l’habitat urbain Avant d’aller plus loin, il apparaît nécessaire de donner un rapide aperçu des principaux termes employés par les auteurs des sources latines pour désigner les différentes formes d’habitat, puisque ce sont ces mots qui seront au centre de l’analyse. L’évolution de l’utilisation de ces termes durant le haut Moyen Âge a déjà été étudiée par Marie Bláhová, qui se concentre surtout sur l’évolution lexicographique et traite principalement des royaumes francs. Dans la présente étude, nous nous attarderons sur les régions à l’est et au nord des anciennes frontières de l’Empire romain, et ne toucherons aux régions occidentales du continent qu’exceptionnellement et de manière comparative114. En latin classique, civitas désignait avant tout un district administratif de l’Empire romain, centré autour d’une ville, d’une urbs115. Dans un sens plus général, civitas pouvait désigner l’ensemble des citoyens formant un État, une cité, voire une peuplade ; dans certains cas, civitas pouvait être un synonyme d’urbs et désigner une ville116. L’urbs était pour les Romains de l’âge classique 113

Voir par exemple les études régionales de S. Moździoch, Organizacja gospodarcza państwa wczesnopiastowskiego na Śląsku. Studium archeologiczne, Wrocław, 1990 (Prace Komisji Archeologicznej, 8), passim, et F. Biermann, Slawische…, op. cit., passim. 114 Notons que Marie Bláhová n’a traité que d’une partie des sources étudiées infra. Voir M. Bláhová, Evropská sídliště v latinských pramenech období raného feudalismu, Prague, 1986 (Acta Universitatis Carolinae, 100. Philosophica et historica monographia, C, 1983), passim. 115 X. Lafon, J.-Y. Marc et M. Sartre, La Ville…, cité p. 16, n. 19, p. 140-149. 116 À propos de l’apparition, dès l’Antiquité, du sens physique et architectural du terme civitas, voir X. Lafon, J.-Y. Marc et M. Sartre, La Ville…, cité p.16, n. 19, p. 112-113.

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une ville, caractérisée par son enceinte, formant le centre administratif d’une civitas. L’exemple par excellence était, bien sûr, Rome, l’Urbs qui servait de modèle autant que de point de référence. Les termes civitas et urbs connurent cependant au cours de l’Antiquité tardive et de l’époque des grandes migrations des changements sémantiques majeurs. Avec la christianisation de l’Empire romain, les civitates devinrent les territoires administrés par des évêques, qui eux-mêmes résidaient dans les chefs-lieux de ces territoires, dans les urbes117. L’urbs étant à la fois le centre de la civitas et le lieu de résidence de l’évêque, on en vint à confondre les deux termes, qui devinrent souvent à peu près synonymes118. Les civitates en tant que districts administratifs perdirent leur importance avec le développement des comtés – comitatus ou pagi – indépendants de ceux-ci, ce qui contribua sans doute au rétrécissement du sens de civitas en tant qu’urbs119. Cette transformation sémantique fut accompagnée d’un autre phénomène. À la même époque où ces changements se sont produits, les provinces romaines ont été divisées en unités administratives plus petites, dont chacune était axée autour d’un castrum. Ces castra prirent souvent forme et fonctions de nouvelles civitates120. Le concept de civitas fut également influencé par les écrits d’Augustin d’Hippone sur ce qu’il désigna comme la « cité de Dieu », la civitas Dei. Augustin comprenait civitas dans le sens de « société » ou d’ensemble des 117 X. Lafon, J.-Y. Marc et M. Sartre, La Ville…, cité p. 16, n. 19, p. 234-236, 247-252 ; M. Heinzelmann, Bischofsherrschaft in Gallien. Zur Kontinuität römischer Führungsschichten vom 4. bis zum 7. Jahrhundert. Soziale, prosopographische und bildungsgeschichtliche Aspekte, Zürich et Munich, 1976 (Beihefte der Francia, 5), passim ; R. Schieffer, Der Bischof zwischen Civitas und Königshof (4. bis 9. Jahrhundert), dans P. Berglar et O. Engels (éd.), Der Bischof in seiner Zeit. Bischofstypus und Bischofsideal im Spiegel der Kölner Kirche. Festgabe für Joseph Kardinal Höffner, Erzbischof von Köln, Cologne, 1986, p. 17-39 ; G. Bührer-Thierry, De saint Germain de Paris à saint Ulrich d’Augsbourg : l’évêque du haut Moyen Âge, garant de l’intégrité de sa cité, dans P. Boucheron et J. Chiffoleau (éd.), Religion et société urbaine au Moyen Âge. Études offertes à Jean-Louis Biget par ses anciens élèves, Paris, 2000 (Histoire ancienne et médiévale, 60), p. 29-41 ; G. Bührer-Thierry, Les Sociétés en Europe du milieu du VIe à la fin du IXe siècle. Enjeux historiographiques, méthodologie, bibliographie commentée, Paris, 2002 (Guide pour les concours. Histoire médiévale), p. 137-138. 118 J.-P. Callu, Cités et provinces : des confusions toponymiques, dans C. Lepelley (éd.), La Fin de la cité antique et le Début de la cité médiévale de la fin du IIIe siècle à l’avènement de Charlemagne. Actes du colloque tenu à l’Université de Paris X-Nanterre, les 1, 2 et 3 avril 1993. Études, Bari, 1996 (Munera, 8), p. 15-23. 119 E.  Magnou-Nortier, Du royaume des civitates au royaume des honores. Episcopatus, comitatus, abbatia dans le royaume franc (VIe – IXe siècle), dans C. Lepelley (éd.), La Fin..., op. cit., p. 311-344. 120 M. Fixot, La Cité et son territoire : l’exemple du Sud-Est de la Gaule, dans G. P. Brogiolo, N. Gauthier et N. Christie (éd.), Towns and Their Territories Between Late Antiquity and the Early Middle Ages, Leiden, Boston et Cologne, 2000 (The Transformation of the Roman World, 9), p. 37-61.

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citoyens et opposait la civitas terrestre, représentant la société humaine, à la civitas céleste, éternelle et tournée vers Dieu121. Le Père de l’Église ne voulait certes pas que sa « cité de Dieu » soit comprise comme une communauté terrestre ; mais pourtant, il fit lui-même un lien entre la « cité de Dieu » et Jérusalem d’une part et la « cité du Diable » et Babylone d’autre part. Cette association avec des lieux concrets entra dans la tradition, ce qui fut sans doute facilité par le lent glissement sémantique du mot civitas. La « cité de Dieu », Jérusalem, fut représentée dans les enluminures depuis l’époque carolingienne comme une ville-forteresse avec murs, créneaux et tours122. Parmi les autres termes utilisés pour désigner des agglomérations, on notera castrum et castellum. Le terme castrum désignait à l’origine un camp fortifié romain où logeait une garnison123. Toutefois, dès l’Antiquité tardive, la distinction entre castrum et civitas ou urbs n’était déjà plus toujours simple pour les contemporains. On peut penser à Grégoire de Tours, qui se demandait pourquoi Dijon n’était qu’un castrum, alors qu’elle ne se différenciait aucunement d’une civitas124. Ou encore au cas de Ratisbonne, qui n’était au départ qu’un castrum mais obtint ensuite le statut d’une civitas lorsqu’elle devint un lieu de résidence privilégié pour les souverains de Bavière125. Quant au castellum, il s’agissait normalement tout simplement d’une place forte.

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C. Horn (éd.), Augustinus. De civitate Dei, Berlin, 1997 (Klassiker auslegen, 11), p. 195-210. R. Konrad, Das himmlische und das irdische Jerusalem im mittelalterlichen Denken. Mystische Vorstellung und geschichtliche Wirkung, dans C. Bauer, L. Boehm et M. Müller (éd.), Speculum historiale. Geschichte im Spiegel von Geschichtsschreibung und Geschichtsdeutung. Johannes Spörl aus Anlass seines sechzigsten Geburtstages dargebracht von Weggenossen, Freunden und Schülern, Freiburg et Munich, 1965, p. 523-540 ; W. Müller, Die heilige Stadt. Roma quadrata, himmlisches Jerusalem und die Mythe vom Weltnabel, Stuttgart, 1961, passim ; A. M. Orselli, L’Idée chrétienne de la ville : quelques suggestions pour l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, dans G. P. Brogiolo et B. Ward-Perkins (éd.), The Idea and Ideal of the Town Between Late Antiquity and the Early Middle Ages, Leiden, Boston et Cologne, 1999 (The Transformation of the Roman World, 4), p. 181-193. 123 X. Lafon, J.-Y. Marc et M. Sartre, La Ville…, cité p. 16, n. 19, p. 152-154. 124 Grégoire de Tours, Libri historiarum X, éd. B. Kursch et W. Levison, Hanovre, 1937 (M. G. H. Scriptores rerum Merovingicarum, t. I, fasc. 1), 3,19, p. 120-121. Voir P. Boucheron, D. Menjot et M. Boone, La Ville…, cité p. 10, n. 5, p. 309 ; F. Opll, Das Werden der mittelalterlichen Stadt, dans Historische Zeitschrift, 280, 3, juin 2005, p. 561-589 ; D. Geuenich et T. Zotz, Castra und Höhensiedlungen in der schriftlichen Überlieferung von der Spätantike bis zur frühen Karolingerzeit, dans H. Steuer, V. Bierbrauer et M. Hoeper (éd.), Höhensiedlungen zwischen Antike und Mittelalter von den Ardennen bis zur Adria, Berlin et New York, 2008 (Ergänzungsbände zum Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, 58), p. 805 ; T. Lienhard, La Royauté et les Élites urbaines : Charlemagne face aux villes de Bavière et à Rome, dans F. Bougard, D. Iogna-Prat et R. Le Jan (éd.), Hiérarchie et stratification sociale dans l’Occident médiéval (400-1100), Turnhout, 2008 (Haut Moyen Âge, 8), p. 279-280. 125 S. Rietschel, Die civitas auf deutschem Boden bis zum Ausgange der Karolingerzeit. Ein Beitrag zur Geschichte der deutschen Stadt, Leipzig, 1894, passim. 122

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Le terme emporium désignait quant à lui un site caractérisé par le commerce : un marché, une agglomération rassemblant des marchands126. Le mot portus, qui qualifiait non seulement un port, mais aussi une agglomération portuaire127, en était un synonyme. C’est autour de ces termes que sera axée notre analyse : c’est eux qu’il s’agira de définir et d’expliquer. Nous tenterons donc de voir s’ils désignaient des formes d’habitat que l’on puisse désigner comme urbains, quand et où cela put être le cas, et quelles formes, quelles nuances et quelles connotations ces conceptions d’urbanisme pouvaient prendre. La civitas était sans doute la forme la plus expressive de la conception urbaine ayant pu exister au cours du haut Moyen Âge. D’abord, son étroite association avec les évêchés lui attira un prestige certain dans les sociétés de l’Europe chrétienne, prestige encore rehaussé par la tradition de romanité qui rappelait autant les villes antiques que les institutions épiscopales. Ensuite, la civitas était empreinte d’une longue tradition théologique qui en faisait le point névralgique de la société humaine, prenant forme dans la réalité matérielle. La civitas avait un potentiel évocateur énorme, puisant simultanément aux deux sources de la civilisation médiévale, l’Antiquité romaine et la chrétienté conceptualisée par les écrits des Pères de l’Église. Il reste à voir la manière dont les gens d’Europe médiévale ont utilisé ce potentiel et comment ils l’ont appliqué à la réalité qui les entourait. Division interne de l’étude Les deux premiers chapitres de l’étude seront consacrés à l’adaptation des termes latins décrivant le phénomène urbain à une réalité nouvelle, soit aux formes d’habitat de l’ancien barbaricum, depuis le VIIIe jusqu’au début du XIIe siècle. Après cette présentation chronologique de l’évolution des concepts culturels dans le discours des sources, le troisième chapitre traitera de manière synthétique les éléments caractéristiques d’un habitat à caractère urbain dans les descriptions de ces mêmes sources. Enfin, dans le quatrième chapitre, les résultats de cette analyse seront confrontés aux résultats récents des recherches archéologiques. Les deux derniers chapitres seront consacrés aux habitants des agglomérations. À l’aide d’une analyse des catégories d’habitants utilisées par les auteurs altimédiévaux ainsi que d’un aperçu des découvertes de l’archéologie et de l’archéozoologie, on tentera de saisir les conditions de vie et la perception sociale des populations des centres d’habitat.

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À propos des emporia de l’Antiquité, voir X. Lafon, J.-Y. Marc et M. Sartre, La Ville…, cité p. 16, n. 19, p. 43-44. 127 H. Pirenne, Les Villes…, op. cit., p. 51.

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Arrivés à la fin de l’étude, nous conclurons en tentant de définir la spécificité du phénomène urbain en Europe centrale et nordique entre le milieu du VIIIe et le début du XIIe siècle. Cette définition tiendra compte de la forme et de l’expression du discours, de la réalité matérielle de ce à quoi il se référa ainsi que de la signification globale de ce qu’étaient une civitas, une urbs, un portus ou un emporium pour les contemporains.

CHAPITRE PREMIER

LA CRÉATION DE LA CIVITAS À L’EST DU RHIN (VIIIe – IXe SIÈCLES)

Civitates, in quibus more antiquo sedes episcopales constituerentur, illi paenitus provinciae deerant. Anonyme de Paderborn, fin IXe siècle, Translatio sancti Liborri, c. 2, à propos des sièges épiscopaux de Saxe

L

orsque les auteurs latins commencèrent à évoquer des catégories d’habitat de type urbain en Europe centrale, ils utilisèrent des termes et des conceptions qui existaient déjà depuis longtemps. Elles étaient ancrées dans la civilisation romaine et grecque, au cœur de l’administration comme de l’organisation territoriale, des œuvres littéraires et de l’imaginaire. La ville de l’Antiquité représentait un mode de vie et un phénomène culturel. Les auteurs du haut Moyen Âge décrivant les espaces à l’est du Rhin, cependant, faisaient face à des situations très variées. Aux VIIIe et IXe siècles, il s’agissait avant tout de régions peuplées par des peuples hostiles aux Francs – Saxons et Slaves – qui firent leur apparition dans un contexte de conflits militaires. Parallèlement à ces événements, de nouvelles agglomérations étaient construites dans les zones orientales de l’Empire franc – comme Aix-la-Chapelle – et la hiérarchie ecclésiastique était réorganisée – pensons aux activités de Boniface. Suite aux guerres de Charlemagne, la Saxe fut intégrée à l’Empire franc dans un long processus de réorganisation et d’adaptation. Face à ces situations, les auteurs réagirent différemment selon les périodes et les régions. L’usage du vocabulaire fut d’abord incertain mais graduellement, de nouvelles traditions se développèrent. Celles-ci créèrent un discours dans lequel des éléments inspirés de la conception antique de la ville se déployèrent – certains aspects disparaissant, d’autres obtenant une nouvelle signification, la plupart se transformant. C’est une évidence que dans aucune des régions faisant l’objet de cette étude n’existait de ville d’origine romaine. Pourtant, lorsque les auteurs francs commencèrent à porter leur attention sur ces espaces, ils y situèrent régulièrement divers types d’habitats qu’ils comparèrent implicitement aux agglomérations romaines : ils les désignèrent comme des civitates ou urbes. Par la force des choses, ils projetèrent ainsi des concepts et des idées associées à la romanité sur des contrées profondément enracinées dans le barbaricum. Les civitates et urbes de l’Empire romain étaient beaucoup plus qu’une simple forme d’habitat : elles représentaient un symbole et un

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accomplissement de la civilisation antique, dont l’importance, bien après la fin de l’Empire d’Occident, était toujours actuelle et la tradition encore présente, car elles avaient héritées de l’Antiquité des fonctions administratives et religieuses1. Les formes d’habitat à l’est du Rhin ne pouvaient donc guère entrer en concurrence avec les villes romaines. Lorsque les auteurs latins tentèrent un rapprochement entre ces types d’agglomération, ils durent faire un effort, conscient ou non, pour adapter leurs modèles de pensée à une nouvelle réalité, trouver des points de référence, faire des associations mentales2. Lorsqu’ils décrivirent ces nouvelles civitates, leur choix de vocabulaire découla de leurs propres perceptions et de leurs conceptions de ce qu’étaient et devaient être ces types d’habitat3. Dans une première étape et avant de se pencher sur des questions plus pointues, il s’impose de situer ces civitates dans le contexte narratif dans lequel elles firent leur apparition. On se demandera où, quand et pourquoi elles furent mentionnées et décrites par les auteurs de la période retenue. Considérer le contexte narratif des extraits qui seront ensuite étudiés plus attentivement est également indispensable pour saisir l’intention de chaque auteur : les sources devront donc être considérées une par une. En outre, les seuls termes civitates et urbes n’étaient pas employés par nos auteurs pour dépeindre les formes d’habitat : ils décrivirent aussi des villae, castella, emporia et autres établissements dont les spécifités seront étudiées4. Une attention particulière

1

S. Rietschel, Die civitas..., op. cit., passim ; F. Vercauteren, Die spätantike Civitas im frühen Mittelalter, dans C. Haase (éd.), Die Stadt..., op. cit., vol. 1, p. 129-145 ; M. Heinzelmann, Bischofsherrschaft..., cité p. 44, n. 117, passim ; R. Kaiser, Bischofsherrschaft zwischen Königtum und Fürstenmacht. Studien zur bischöflichen Stadtherrschaft im westfränkisch-französischen Reich im frühen und hohen Mittelalter, Bonn, 1981 (Pariser historische Studien, 17), passim ; S. Lebecq, Entre les invasions et le grand essor du XIe siècle : vrai ou faux départ de la croissance urbaine dans l’espace rhéno-mosan, dans Publications de la section historique de l’Institut G.-D. de Luxembourg. Vol. CVIII. Les Petites Villes en Lotharingie, 1992, p. 21-40 ; C. Lepelley (éd.), La Fin…, op. cit., passim ; S. Lebecq, Le Devenir économique de la cité dans la Gaule des Ve – IXe siècles, dans C. Lepelley (éd.), La Fin…, op. cit., p. 287-307 ; G. P. Brogiolo et B. Ward-Perkins (éd.), The Idea…, op. cit., passim ; G. P. Brogiolo, N. Gauthier et N. Christie (éd.), Towns…, op. cit., passim. 2 À propos de la perception des régions d’Europe du Centre-Est chez les auteurs latins du haut Moyen Âge et du Moyen Âge central, voir T. Lienhard, « Les Chiens de Dieu ». La Politique slave des Mérovingiens et des Carolingiens, thèse de doctorat, Université de Lille 3 et Université de Hambourg, 2003, passim ; V. Scior, Das Eigene…, op. cit., passim ; D. Fraesdorff, The Power of Imagination : The Christianitas and the Pagan North During Conversion to Christianity (8001200), dans The Medieval History Journal, 5,2, 2002, p. 309-332 ; id., Der barbarische…, op. cit., passim. 3 G. Köbler, Burg und stat – Burg und Stadt ?, dans Historisches Jahrbuch, 87, 1967, p. 305-325 ; M. Bláhová, Evropská..., op. cit., passim ; P. Riché, La Représentation de la ville dans les textes littéraires du Ve au IXe siècle, dans C. Lepelley (éd.), La Fin…, op. cit., p. 183-190 ; W. Schlesinger, Burg..., cité p. 12, n. 10, passim ; id., Stadt..., cité p. 12, n. 10, passim. 4 M. Bláhová, Evropská…, passim.

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sera portée aux différences entre les régions décrites. On peut présumer que les auteurs percevaient différemment les anciennes provinces romaines, les régions où eux-mêmes habitaient et celles en périphérie de celles-ci. Enfin, cette présentation chronologique des sources permettra d’observer l’évolution du concept de civitas dans le discours latin, puisqu’il connut entre le VIIIe et le début du XIIe siècle des changements majeurs, caractérisés par des continuités autant que par des ruptures. Nous nous attarderons donc à reconnaître les traditions, les tendances et les nouveautés. Le phénomène de la civitas varie non seulement d’un auteur à l’autre, mais aussi selon les périodes et les courants historiographiques et littéraires. Nous commencerons avec les sources de la période carolingienne traitant des marges orientales de l’Empire franc. Seules les sources dont les informations sont substantielles seront traitées systématiquement, sans chercher à être exhaustif. On pourra à l’occasion, dans les chapitres suivants, citer des sources supplémentaires n’offrant que des données sporadiques ; le lecteur ne nous en voudra pas si une source qui lui semblerait importante lui paraît d’abord être négligée – il la retrouvera sans doute plus loin au cours de l’argumentation. Les Annales royales franques et autres textes connexes Les Annales royales franques, dans lesquelles il est question des événements s’étant produit en terre franque année après année entre 741 et 829, ont été composées par différents auteurs à partir de 7885. L’importance qu’ils accordèrent aux Francs et à leurs souverains a attiré depuis longtemps l’attention des historiens. Les Annales jouent en effet un rôle décisif pour la justification de la légitimité des souverains carolingiens qui se sont emparé du pouvoir au milieu du VIIIe siècle6 : nous avons affaire à un texte d’une haute portée politique. Il procède d’une vision du monde centrée sur les Francs et les Carolingiens et servant à prouver la justesse d’un ordre établi depuis peu. Les travaux de Rosamond McKitterick ont démontré que les Annales royales sont plus

5 W. Wattenbach, W. Levison et H. Löwe, Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter. Vorzeit und Karolinger. II. Heft. Die Karolinger vom Anfang des 8. Jahrhunderts bis zum Tode Karls des Großen, Weimar, 1953, p. 245-256 ; R. McKitterick, History and Memory in the Carolingian World, Cambridge, 2004, p. 84-155. 6 R. Schieffer, Die Karolinger. Dritte, überarbeitete Auflage, Stuttgart, Berlin et Cologne, 2000 (Urban-Taschenbücher, 411), p. 50-70 ; J. Semmler, Zeitgeschichtsschreibung und Hofhistoriographie unter den frühen Karolingern, dans J. Laudage (éd.), Von Fakten und Fiktionen. Mittelalterliche Geschichtsdarstellungen und ihre kritische Aufarbeitung, Cologne, Weimar et Vienne, 2003, p. 135-164 ; id., Der Dynastiewechsel von 751 und die fränkische Königssalbung, Düsseldorf, 2003, passim ; C. Mériaux, Du nouveau sur les « sacres » de Pépin le Bref (751-754), dans F. Gugelot et B. Maes (éd.), Passion de la découverte, culture de l’échange. Mélanges offerts à Nicole Moine et Claire Prévotat, Langres, 2006, p. 164-177.

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qu’un aperçu des idées circulant à la cour des souverains francs7  : elles témoignent en tant qu’œuvre littéraire d’un réel effort de composition, ses auteurs ayant voulu propager une image consciente, cohérente et homogène, ancrée dans une tradition historique et démontrant en même temps une volonté de modernité en mentionnant systématiquement les années de l’incarnation. Au centre de la conception historique des annalistes, les Francs sont partout présents, apparaissant toujours en tant qu’entité commune, en tant qu’acteurs historiques agissant d’une seule volonté sous la direction de leurs souverains. C’est le peuple en armes qui se présente comme un seul homme et qui est au centre de l’attention. Les travaux de Thomas Lienhard sur la politique des Carolingiens envers les Slaves ont par ailleurs montré que les annalistes francs étaient souvent étonnement mal informés des événements se produisant aux marges de l’Empire8. Les auteurs des Annales ne pouvaient se renseigner qu’auprès des guerriers francs présents à la cour, qui eux-mêmes ne connaissaient des régions périphériques que ce qu’ils avaient pu en apercevoir lors d’expéditions militaires. Leur perception était hautement subjective et imprégnée de la volonté de mettre en valeur leurs propres exploits afin d’obtenir de meilleures positions dans la société franque. Les conséquences en sont des récits déformés où se font jour maintes contradictions. Des passages de la Chronique de Moissac seront à l’occasion mentionnés, une œuvre de compilation rédigée dans le sud de la Francie et traitant des années 741-818. L’intérêt de cette Chronique réside principalement dans le fait que l’auteur a utilisé des sources annalistiques aujourd’hui disparues – entre autres, les Annales de Lorsch – qu’il recopia selon toute apparence sans opérer de changements importants9. Il sera surtout intéressant de comparer la manière dont les Annales royales et la Chronique de Moissac traitent des mêmes événements. Les auteurs des Annales royales franques connaissent principalement deux catégories d’agglomérations10. Le premier groupe est formé par les civitates, en général des villes d’origine romaine, et le second par des forteresses de second ordre, les castella ou castra. On retrouve les deux types d’habitat à la fois au centre de l’Empire franc et dans les régions périphériques de celui-ci.

7

R. McKitterick, History.., op. cit., p. 101-119. T. Lienhard, Les Combattants francs et slaves face à la paix : crise et nouvelle définition d’une élite dans l’espace oriental carolingien au début du IXe  siècle, dans F.  Bougard, L.  Feller et R. Le Jan (éd.), Les Élites au haut Moyen Âge. Crises et renouvellements, Turnhout, 2006 (Collection Haut Moyen Âge, 1), p. 253-266. 9 W. Wattenbach, W. Levison et H. Löwe, Deutschlands..., cité p. 51, n. 5, II. Heft, p. 265-266. P. Buc, Ritual and Interpretation : the Early Medieval Case, dans Early Medieval Europe, 9,2, 2000, p. 201-210 ; P. J. Geary, Un fragment récemment découvert du Chronicon Moissiacense, dans Bibliothèque de l’École des Chartes, 136,1, 1978, p. 69-73. 10 M. Bláhová, Evropská…, op. cit., p. 51-56. 8

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Toutefois, les annalistes utilisent ces termes de manière différente dans les deux cas : dans l’Empire franc, les civitates d’une part et les castella ou castra d’autre part représentent deux catégories bien distinctes, alors que pour les régions à l’est de l’Empire franc, la distinction entre ces termes s’estompe considérablement. Les civitates mentionnées par les Annales royales, en général d’anciennes villes romaines devenues sièges épiscopaux, sont très nombreuses ; la majorité d’entre elles se trouvent dans l’Empire franc. Un élément récurrent dans le contexte de ces mentions est le lien étroit entre civitates et la royauté ; en revanche, leur importance pour les tactiques militaires est minime11. Une civitas peut certes être l’objet de conquêtes, mais c’est rarement le cas en terre franque12. Les civitates sont beaucoup plus souvent des lieux de résidence pour le souverain13. C’est également dans les civitates qu’ont lieu plusieurs événements importants du royaume14, dont les synodes et les plaids15. On remarquera que c’est également dans les civitates que le souverain rassemble ses troupes16. On retrouve une situation comparable en Italie et en péninsule Ibérique. Au sud des Alpes, les mentions de civitates au cours de conflits militaires sont toutefois plus fréquentes : ainsi à Pavie, à Barcelone, à Chieti, à Tortosa et à

11 Voir S. Rossignol, Die Burgen der Slawen in den lateinischen Quellen des 9. bis 11. Jahrhunderts, dans F. Biermann, T. Kersting et A. Klammt (éd.), Siedlungsstrukturen und Burgen im westslawischen Raum. Beiträge der Sektion zur slawischen Frühgeschichte der 17. Jahrestagung des Mittel- und Ostdeutschen Verbandes für Altertumsforschung in Halle an der Saale, 19. bis 21. März 2007, Langenweißbach, 2009 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte Mitteleuropas, 52), p. 31-32. 12 En Aquitaine : Annales regni Francorum, dans Annales regni Francorum inde ab a. 741. usque ad a. 829. qui dicuntur annales Laurissenses maiores et Einhardi, éd. G. H. Pertz et F. Kurze, Hanovre, 1895 (M. G. H., Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 6) (dorénavant : ARF), a. 762, p. 20 ; Annales quae dicuntur Einhardi, dans Annales regni Francorum..., op. cit., éd. G. H. Pertz et F. Kurze (dorénavant : AQDE), a. 762, p. 21. À propos des expéditions en Aquitaine, voir R. Shieffer, Die Karolinger, op. cit., p. 66 ; M. Rouche, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes. 418-781. Naissance d’une région, Paris, 1979 (Bibliothèque générale de l’École des Hautes Études en Sciences sociales), p. 120-132. Chez les Wisigoths : ARF, a. 826, p. 170. 13 ARF, a. 778, p. 52 ; a. 787, p. 78 ; a. 818, p. 148-149 ; a. 755, p. 12 ; AQDE, a. 755, p. 13 ; ARF, a. 770, p. 30 ; AQDE, a. 770, p. 31 ; ARF, a. 768, p. 28 ; AQDE, a. 768, p. 29. 14 Ainsi, Pépin est, selon l’annaliste, oint par Boniface et sacré roi dans la civitas de Soissons. ARF, a. 752, p. 8-10 ; AQDE, a. 752, p. 9-11. Le jeune Charlemagne est nommé roi dans la civitas de Noyon, Carloman dans celle de Soissons. ARF, a. 768, p. 28 ; AQDE, a. 768, p. 27-29. C’est dans la civitas de Reims que Charlemagne reçoit le pape Léon III. ARF, a. 804, p. 119. 15 ARF, a. 770, p. 30 ; AQDE, a. 770, p. 31 ; ARF, a. 776, p. 46 ; AQDE, a. 776, p. 47, puis ARF, a. 787, p. 76 ; AQDE, a. 787, p. 77 ; ARF, a. 773, p. 34 ; AQDE, a. 773, p. 35. ARF, a. 813, p. 138. 16 ARF, a. 766, p. 24 ; a. 769, p. 28-31 ; a. 824, p. 165 ; a. 761, p. 18 ; AQDE, a. 761, p. 19.

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Civitàvecchia17. Cependant, le roi fête Noël dans la civitas de Florence, puis Pâques dans celle de Trévise18. L’annaliste mentionne un comte de la civitas de Gênes et de celle de Brescia, un praefectus de celle de Huesca, un duc et un évêque de Zara19. Enfin, il signale le baptême de Gisèle, fille de Charlemagne, à Milan20. Les auteurs des Annales royales font également mention de civitates dans des régions n’ayant jamais appartenu à l’Empire romain21. Ainsi, Charlemagne entreprend de faire construire une civitas appelée Esesfelth, située au-delà de l’Elbe – aujourd’hui près d’Itzehoe – afin de protéger les habitants des incursions des Danois22. La première civitas en terre slave mentionnée par les annalistes francs est celle d’un certain Dragawit, souverain des Wilces. En 789, Charlemagne entreprend une expédition au-delà de l’Elbe, avec le soutien de troupes saxonnes et de bateaux frisons. Après avoir dévasté les terres des Wilces, il se rend jusqu’à la civitas de Dragawit, où celui-ci se trouve. Aussitôt, Dragawit quitte la civitas, se rend au souverain franc et lui donne des otages. Charlemagne revient ensuite avec ses troupes à l’ouest de l’Elbe23. Ce qui gêne dans l’interprétation de la mention de cette civitas, c’est qu’elle n’apparaît pas dans les Annales royales – bien que l’épisode de l’expédition chez les Wilces remplisse toute l’entrée de 789 – mais seulement dans les Annales dites d’Eginhard, de rédaction plus tardive24. Il s’agit donc d’un ajout inséré avec plusieurs décennies de décalage, ce qui réduit considérablement la fiabilité de l’information : s’il n’est pas impossible que la civitas de Dragawit ait eu une fonction politique, celle-ci n’est toutefois pas, notons-le, explicitée par l’annaliste25. 17 ARF, a. 755, p. 12 ; AQDE, a. 755, p. 13 ; ARF, a. 797, p. 100 ; AQDE, a. 797, p. 101 ; ARF, a. 801, p. 116 ; a. 809, p. 127 ; a. 813, p. 139. 18 ARF, a. 786, p. 72 ; AQDE, a. 786, p. 73. ARF, a. 776, p. 44. 19 ARF, a. 806, p. 122 ; a. 822, p. 158 ; a. 799, p. 108 ; a. 806, p. 120. 20 ARF, a. 781, p. 56 ; AQDE, a. 781, p. 57. 21 S. Rossignol, Die Burgen…, art. cit., p. 32 ; D. Geuenich et T. Zotz, Castra..., art. cit., p. 812. 22 ARF, a. 809, p. 129 ; Chronicon Moissiacense, éd. G. H. Pertz, dans id., éd., Annales et chronica aevi Carolini, Hanovre, 1926 (M. G. H. Scriptores, I), a. 810, p. 309. Ex Chronico Moissiacensi, éd. G. H. Pertz, dans id., éd., Scriptores rerum Sangallensium. Annales, chronica et historiae aevi Carolini, Hanovre, 1829 (M. G. H. Scriptores, II), a. 810, p. 258. 23 AQDE, a. 789, p. 85-87. 24 La version remaniée dite d’Eginhard a sans doute été composée entre 814 et 817. Voir W. Wattenbach, W. Levison et H. Löwe, Deutschlands..., II. Heft, cité p. 51, n. 5, p. 254-255. 25 La civitas de Dragawit a été en général interprétée comme étant une résidence princière à partir de laquelle le souverain des Wilces dominait son territoire. H. Łowmiański, O identyfikacji nazw Geografa bawarskiego, dans Studia źródłoznawcze. Commentationes, III, 1958, p. 4 ; C. Hanewinkel, Die politische…, op. cit., p. 16, 33-65 ; H. Ludat, An Elbe..., op. cit., p. 9. Cette déduction provient principalement du fait que les Wilces se soumirent aux Francs seulement après que Charlemagne eut assiégé la civitas. Cependant, on se doit d’avouer que le passage des Annales manque de précision. On pourrait aussi bien croire que si les Wilces se sont soumis à

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D’autres civitates des Slaves sont mentionnées par les auteurs d’annales. Avec l’aide des Saxons, Charlemagne assiège une forteresse de la peuplade des Smeldings26, leur maxima civitas27. L’auteur des Annales relate ensuite une expédition des Francs soutenue par des Saxons et dirigée contre les Sorabes. Ceux-ci se rendent après le siège d’une civitas anonyme28. L’auteur de la Chronique de Moissac mentionne aussi à un autre endroit des civitates chez les Sorabes, détruites par les Francs. Le passage est cependant inédit et ne se trouve pas dans les Annales royales, dans lesquelles il n’est question que d’une expédition franque29. On repère donc des différences notoires dans les représentations des civitates dans l’Empire franc et dans les autres espaces, soit au centre et en périphérie. En terre franque, une civitas est en lien étroit avec la royauté ou, à tout le moins, avec la haute aristocratie. C’est un lieu de résidence et c’est là que se produisent des événements importants : fêtes religieuses, assemblées, réceptions, sacres. En péninsule Ibérique et en Italie, ces aspects sont présents, bien que l’aspect défensif et militaire de ces places fortes soit plus souvent souligné, sans doute tout simplement parce que sont décrites les conquêtes de ces régions par les Francs. Il en est tout autrement au-delà de l’Elbe. Là, les civitates ne sont perçues par les annalistes qu’en tant que forteresses. Ainsi, la place forte d’Esesfelth, construite par Charlemagne pour défendre la frontière, est une nouvelle construction qui n’a rien de comparable avec les villes romaines antiques. Quant aux civitates des Sorabes, elles ne sont présentées qu’en tant que forteresses : s’il n’est pas impossible qu’elles aient eu aussi une fonction politique et représentative comparable à celles des Francs, cette réalité n’est alors que sous-entendue par les auteurs et nullement explicitée. Le terme urbs n’est utilisé que parcimonieusement par les auteurs des Annales royales, contrairement à celui de civitas. Ils ne s’en servent régulièrement que pour les deux grandes capitales de la Chrétienté, Rome30 et Constance moment, c’est suite à la décision de Dragawit et non pas suite à la prise de leur forteresse principale. Voir S. Rossignol, Civitas in Early Medieval Central Europe – Stronghold or District, dans Medieval History Journal, 14,1, avril 2011, p. 76-77. 26 À propos des Smeldings, voir C. Hanewinkel, Die politische..., op. cit., p. 14-15, 48-61, 72-99, 135-151. 27 ARF, a. 809, p. 129. L’auteur de la Chronique de Moissac donna à cette même place forte le nom de Semeldincconnoburg. Chronicon Moissiacense, a. 809, p. 309. Ex Chronico Moissiacensi, a. 809, p. 258. Selon Marie Bláhová, il ne s’agit pas seulement d’une forteresse, mais d’un centre politique et administratif pour la peuplade des Smeldings. Cela n’est peut-être pas faux, mais on avouera que ce n’est toutefois pas explicité par l’auteur des Annales royales. Voir M. Bláhová, Evropská…, op. cit., p. 53. 28 ARF, a. 816, p. 143-144. 29 ARF, a. 806, p. 121 ; Chronicon Moissiacense, op. cit., a. 806, p. 308. Ex Chronico Moissiacensi, a. 806, p. 258. 30 ARF, a. 796, p. 98 ; AQDE, a. 796, p. 99 ; ARF, a. 801, p. 114 ; a. 815, p. 142.

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tinople31. S’y ajoutent Mayence, avec une seule mention comme urbs32, et quelques urbes évoquées en Italie33. Il est toutefois nécessaire de noter que le terme civitas est loin d’être le seul à désigner les lieux de résidence des souverains et les endroits associés de façon étroite à la royauté. En effet, les palatia mentionnés explicitement par les annalistes se situent en général non pas dans des civitates, mais bien dans des villae34. Outre les forteresses désignées comme civitates dont il a été question, les annalistes décrivent des places fortes de moindre importance qu’ils qualifient de castella ou de castra : les deux termes sont employés comme synonymes35. Contrairement aux civitates, ces endroits sont presque exclusivement mentionnés dans le cadre de conflits militaires. Ce sont soit des forteresses dont les Francs prennent possession lorsqu’ils conquièrent une région, soit des fortifications qu’ils érigent eux-mêmes près des frontières pour se protéger des incursions de leurs ennemis. Comme nous allons le voir, ce n’est que pour les régions périphériques de l’Empire franc – pour les places fortes des Francs aux frontières ou pour les forteresses des Slaves – que les annalistes utilisent parfois civitas comme synonyme de castellum ou castrum, faisant disparaître la distinction entre les deux concepts. Ainsi, la conquête franque de l’Aquitaine se fait avant tout par la prise de fortifications36. C’est également en se saisissant de forteresses que les Francs s’assurent la conquête de la Saxe37. Ils reconstruisent ou entretiennent celles qu’ils y trouvent et en érigent de nouvelles38. À l’occasion de sa première expédition contre les Saxons, Charlemagne s’attaque tout d’abord au castrum d’Eresburg : dans celui-ci se trouve le lieu de culte ( fanum) nommé Irminsul, 31

ARF, a. 813, p. 139, aussi désignée comme civitas. ARF, a. 795, p. 96 ; AQDE, a. 795, p. 97. 33 ARF, a. 801, p. 114. 34 ARF, a. 768, p. 28 ; a. 794, p. 96 ; a. 779, p. 52 ; a. 816, p. 144 ;a. 773, p. 34 ; a. 805, p. 120 ; a. 793, p. 95 ; a. 815, p. 142 ; a. 828, p. 175 ; a. 788, p. 80 ; a. 817, p. 146 ; a. 819, p. 150 ; AQDE, a. 790, p. 87 ; ARF, a. 826, p. 170. 35 S. Rossignol, Die Burgen..., art. cit., p. 32-33. 36 AQDE, a. 742, p. 1 ; ARF, a. 766, p. 24 ; AQDE, a. 766, p. 25 ; ARF, a. 761, p. 18-20 ; AQDE, a. 761, p. 19-21 ; ARF, a. 762, p. 20 ; AQDE, a. 762, p. 21 ; ARF, a. 767, p. 24 ; AQDE, a. 767, p. 25 ; ARF, a. 769, p. 30 ; AQDE, a. 769, p. 31. 37 À propos de la conquête de la Saxe, voir A. Lampen, Sachsenkriege, sächsischer Widerstand und Kooperation, dans C. Stiegemann et M. Wemhoff (éd.), 799. Kunst und Kultur der Karolingerzeit. Karl der Große und Leo III. in Paderborn. Band. 1. Katalog der Ausstellung Paderborn 1999, Mayence, 1999, vol. 1, p. 264-272 ; M. Springer, Die Sachsen, op. cit., p. 175-210 ; C. Ehlers, Die Integration..., op. cit., p. 271-279. À propos des forteresses des Saxons, voir R. Langen, Die Bedeutung von Befestigungen in den Sachsenkriegen Karls des Großen, dans Westfälische Zeitschrift, 139, 1989, p. 181-211. 38 ARF, a. 743, p. 4 ; AQDE, a. 743, p. 5 ; ARF, a. 753, p. 10 ; a. 775, p. 40 ; AQDE, a. 775, p. 41 ; ARF, a. 776, p. 46-48 ; AQDE, a. 776, p. 47-49 ; ARF, a. 773, p. 36 ; ARF, a. 758, p. 16 ; AQDE, a. 758, p. 17 ; ARF, a. 779, p. 54 ; a. 791, p. 88. 32

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qui est immédiatement détruit par le roi franc39. C’est cependant le seul cas où un fanum est localisé dans une forteresse saxonne. Ayant conquis la Saxe, c’est également à l’aide de castella que les Francs veulent assurer la sécurité de la nouvelle frontière contre leurs nouveaux ennemis, les Slaves. Celle-ci suit maintenant, en gros, le cours de l’Elbe40. Les auteurs des Annales évoquent plusieurs forteresses franques situées aux frontières. Un castellum construit par les Francs est situé près de l’Elbe, Hohbuoki41, qui est d’après le récit des Annales la proie des Wilces42 et est ensuite reconstruit par les Francs43. Charlemagne fait construire deux castella, Magdebourg sur les rives de l’Elbe et Halle sur celles de la Saale44. Or, ces deux castella nouvellement érigés sont désignés comme civitates dans la Chronique de Moissac45. La forteresse construite par Charlemagne sur les rives de l’Elbe, Esesfelth, d’abord présentée comme une civitas, est décrite plus loin comme un castel39

ARF, a. 772, p. 32-34 ; AQDE, a. 772, p. 33-35. Matthias Hardt a défendu l’idée selon laquelle les Francs auraient voulu construire une frontière suivant consciemment le cours de l’Elbe avec une série de fortifications sur les rives du fleuve ; cette hypothèse a cependant été critiquée par Thomas Saile. Voir M. Hardt, Linien und Säume, Zonen und Räume an der Ostgrenze des Reiches im frühen und hohen Mittelalter, dans W. Pohl et H. Reimitz (éd.), Grenze und Differenz im frühen Mittelalter, Vienne, 2000 (Forschungen zur Geschichte des Mittelalters, 1), p. 39-56 ; id., Prignitz und Hannoversches Wendland. Das Fürstentum der slawischen Linonen im frühen und hohen Mittelalter, dans R. Aurig, R. Butz, I. Gräßler et A. Thieme (éd.), Im Dienste der historischen Landeskunde. Beiträge zu Archäologie, Mittelalterforschung, Namenkunde und Museumsarbeit vornehmlich in Sachsen. Festgabe für Gerhard Billig zum 75. Geburtstag, dargebracht von Schülern und Kollegen, Beucha, 2002, p. 95-103 ; id., Contra Magadaburg… contra Sclavorum incursiones. Zum Verhältnis von Geschichtswissenschaft und Archäologie bei der Erforschung der Elbe als Nordostgrenze des Frankenreiches in der Zeit Karls des Großen, dans S. Grunwald, J. K. Koch, D. Mölders, U. Sommer et S. Wolfram (éd.), ARTeFACT. Festschrift für Sabine Rieckhoff zum 65. Geburtstag, Bonn, 2009 (Universitätsforschungen zur prähistorischen Archäologie, 172), vol. 1, p. 261-269 ; T. Saile, Raum und Grenze : Karl an der Elbe, dans J. Eckert, U. Eisenhauer et A. Zimmermann (éd.), Archäologische Perspektiven. Analysen und Interpretationen im Wandel. Festschrift für Jens Lüning zum 65. Geburtstag, Rahden, 2003 (Internationale Archäologie. Studia Honoraria, 20), p. 93-101 ; id., Slawen in Niedersachsen. Zur westlichen Peripherie der slawischen Ökumene vom 6. bis 12. Jahrhundert, Neumünster, 2007 (Göttinger Schriften zur Vor- und Frühgeschichte, 30), p. 185186 ; id., Aspekte des Grenzbegriffs in den frühgeschichtlichen Elblanden, dans Archäologische Berichte des Landkreises Rotenburg (Wümme), 15, 2009, p. 121-163. À propos de la datation de la forteresse du Weinberg à Hitzacker, voir S. Linnemann, Neue Untersuchungen zur slawischen Siedlung am Hitzacker-See, Lkr. Lüchow-Dannenberg, dans F.  Biermann, T.  Kersting et A. Klammt (éd.), Siedlungsstrukturen, cité p. 53, n. 11 p. 155-163. 41 T.  Saile, Höhbeck, dans Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, vol.  15, 2000, col. 37-39. 42 ARF, a. 810, p. 132. 43 ARF, a. 811, p. 135 ; Chronicon Moissiacense, op. cit., a. 811, p. 309. Ex Chronico Moissiacensi, a. 811, p. 259. 44 ARF, a. 806, p. 121. 45 Chronicon Moissiacense, op. cit., a. 806, p. 308. Ex Chronico Moissiacensi, a. 806, p. 258. 40

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lum46. Selon l’un des annalistes, les Saxons alliés des Francs restaurent un castellum situé au-delà de l’Elbe, Delbende, qui avait avant cela appartenu aux Slaves. Ils s’y installent pour protéger la frontière franque47. Il est également question de forteresses chez les Slaves : dévastant les régions des Abodrites, le roi danois Godefrid attaque plusieurs de leurs castella48. À nouveau, lorsque la Chronique de Moissac rapporte le même événement, il est fait allusion non pas à des castella, mais à des civitates49. Le caractère interchangeable des deux termes pour les auteurs des deux sources est évident. Ce n’est qu’exceptionnellement que les castella semblent avoir été utilisés comme résidences par les souverains. Ainsi, Pépin le Bref fête Pâques dans une forteresse, à Sels en Aquitaine. L’auteur des Annales dites d’Eginhard remplace castrum par castellum50. Enfin, Remiremont est désigné deux fois comme un castellum où séjourne Charlemagne et où il peut s’adonner à la chasse51. La distinction que font les annalistes entre les castella du centre de l’Empire franc et ceux de sa périphérie est moins perceptible que celle mise en avant à propos des civitates52. Ces places fortes ont avant tout une fonction défensive : elles protègent les régions où elles se trouvent des incursions militaires ennemies. La différence principale entre les castella des Francs et ceux situés dans d’autres espaces est que les premiers sont en général situés aux frontières53. Une distinction notable apparait entre les civitates et les castella ou castra : les deux catégories désignent des lieux fortifiés, mais la divergence ne réside pas seulement dans le fait que les civitates sont des villes romaines ou des sièges épiscopaux. Ces dernières disposent en effet d’une palette plus vaste de fonctions et d’attributs, sont plus souvent mises en relation avec des personnes d’importance ou avec des événements marquants. Toutefois, les différences s’estompent entre une civitas et un castrum ou castellum lorsque l’on s’éloigne de l’orbe franc54 : à la frontière saxonne et chez les Slaves, on ne peut guère observer de dissemblance entre une civitas et un castellum. Les deux termes décrivent une forteresse érigée ad hoc par les Francs après avoir pris possession d’une région et l’auteur de la Chronique de Moissac – citant sans doute les

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ARF, a. 817, p. 147. ARF, a. 822, p. 158. 48 ARF, a. 808, p. 125. 49 Chronicon Moissiacense, op. cit., a. 808, p. 308. Ex Chronico Moissiacensi, a. 808, p. 258. 50 Aujourd’hui Chantoceaux. ARF, a. 768, p. 26 ; AQDE, a. 768, p. 27. 51 ARF, a. 805, p. 120 ; a. 821, p. 155. 52 À propos du centre et de la périphérie dans le cas de l’Empire franc, voir G. Bührer-Thierry, Les Sociétés…, op. cit., p. 144-148. 53 R. Langen, Die Bedeutung..., art. cit., passim. 54 S. Rossignol, Die Burgen…, art. cit., p. 33. 47

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Annales de Lorsch – n’hésite pas à plusieurs reprises à faire de castella des civitates. Il serait également malaisé, compte tenu de leur caractère interchangeable, de vouloir différencier entre les diverses dénominations utilisées par les annalistes pour désigner les fortifications chez les Slaves. En outre, le seul cas où une place forte est qualifiée à la fois de civitas et de castellum dans les Annales royales est celui d’Esesfelth, érigée par Charlemagne sur les rives de l’Elbe. Une telle confusion entre les deux notions n’apparaît nulle part pour les établissements situés au cœur de l’Empire franc. Cela en dit long sur l’incertitude des auteurs décrivant les régions nouvellement conquises à la latinité. On pourrait croire à première vue que, si la fonction militaire des castella à la périphérie est soulignée de manière aussi appuyée par les annalistes, c’est tout simplement parce que ces régions sont mentionnées dans la très grande majorité des cas dans le cadre de conflits guerriers. Cependant, cela n’expliquerait pas pourquoi les auteurs utilisent à l’occasion le terme de civitas comme un synonyme de castellum ; ils ne le font jamais lorsqu’il est question des terres franques : la distinction entre les deux catégories y est stricte. La confusion peut être due en partie au fait que les annalistes étaient peu renseignés sur les régions habitées par les Saxons et les Slaves, qu’ils n’y avaient sans doute jamais mis les pieds et que les conceptions qu’ils en avaient étaient floues et contradictoires55. Cela n’est sans doute pas faux. Les descriptions de ces régions découlent donc de la rencontre de deux phénomènes : d’une part, les annalistes devaient décrire une région du barbaricum avec un vocabulaire d’origine romaine et, d’autre part, leurs informations étaient déficientes. Cela mena à une certaine confusion, mais qui elle-même genéra un nouveau discours qui ensuite se reproduisit et se développa de manière autonome. Le discours construisit en conséquence une nouvelle perception de la réalité. Constatant le flottement dans l’usage du vocabulaire lorsque les auteurs des Annales royales franques décrivent les régions à l’est de l’Empire franc, il serait imprudent de voir une équivalence dans l’usage qu’ils font du terme de civitas pour les régions franques et pour celles à l’extérieur de celui-ci. La différence de perception entre le centre et la périphérie ne doit pas être perdue de vue lors de l’interprétation. L’épopée De Karolo rege et Leone papa Le poème connu sous le titre De Karolo rege et Leone papa56 est un texte anonyme. Nous n’en connaissons qu’une partie, mais il fut sans doute beau55

T. Lienhard, Les Combattants..., art. cit., passim. Nous optons pour le titre proposé pour l’édition la plus récente, celle de Wilhelm Hentze. Le titre Paderborner Epos est dû à Helmut Beumann, tandis que Dieter Schaller et Christine

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coup plus long ou, à tout le moins, prévu pour l’être57. Selon Dieter Schaller, ce fragment constituerait le troisième livre d’une œuvre en comportant quatre58. La datation a fait l’objet de débats : d’après Helmut Beumann59, le poète aurait été actif en 799, soit avant le couronnement impérial de Charlemagne ; mais selon Schaller et d’après les travaux récents de Christine Ratkowitsch60, le poème aurait plutôt été écrit peu après ledit couronnement, qui avait eu lieu à Noël en 800. Imitant le style des grandes épopées antiques, le poète relate la rencontre à Paderborn entre Charlemagne et le pape Léon III. Dans une des scènes centrales de l’épopée, l’anonyme décrit en détail la construction du palais d’Aix-la-Chapelle effectuée sous la direction du souverain franc, donc de ce lieu qui allait devenir sa résidence principale pour le reste de son règne61. Le nouveau palais construit sous les ordres de Charlemagne est décrit comme une urbs et même comme une « enceinte » (arx). De plus, le palais est d’emblée désigné comme une Roma secunda. L’auteur décrit comment Ratkowitsch préférèrent Aachener Karlsepos. 57 À propos des débats sur l’auteur, la datation et l’œuvre, voir L. E. von Padberg, Das Paderborner Treffen von 799 im Kontext der Geschichte Karls des Großen, dans W. Hentze (éd.), De Karolo rege et Leone papa. Der Bericht über die Zusammenkunft Karls des Großen mit Papst Leo III. in Paderborn 799 in einem Epos für Karl den Kaiser. Mit vollständiger Farbereproduktion nach der Handschrift der Zentralbibliothek Zürich, Ms. C 78, und Beiträgen von Lutz E. v. Padberg, Johannes Schwind und Hans-Walter Stork, Paderborn, 1999 (Studien und Quellen zur Westfälischen Geschichte, 36), p. 66-72. 58 D. Schaller, Das Aachener Epos für Karl den Kaiser, dans id., Studien zur lateinischen Dichtung des Frühmittelalters, Stuttgart, 1995 (Quellen und Untersuchungen zur lateinischen Philologie des Mittelalters, 11) (article d’abord paru en 1976), p. 419-422 ; id., Interpretationsprobleme im Aachener Karlsepos, dans id., Studien... (article d’abord paru en 1977), p. 164-183. 59 Helmut Beumann fait remarquer que la reine Liutgard est présentée comme vivante, alors qu’elle est décédée en juin 800, soit avant le couronnement. De plus, il semble que le poète était mal informé sur les événements de Rome, donc il aurait écrit avant l’arrivée des messagers de Léon III. H. Beumann, Das Paderborner Epos und die Kaiseridee Karls des Großen, dans id., F. Brunhölzl et W. Winkelmann, Karolus Magnus et Leo papa. Ein Paderborner Epos vom Jahre 799, Paderborn, 1966 (Studien und Quellen zur Westfälischen Geschichte, 8), p. 1-54. 60 L’intention principale serait la justification du couronnement. En outre, une œuvre de cette envergure n’aurait pas pu être composée aussi rapidement que le supposait Beumann. C. Ratkowitsch, Karolus Magnus – alter Aeneas, alter Martinus, alter Iustinus. Zu Intention und Datierung des « Aachener Karlsepos », Vienne, 1997 (Wiener Studien. Beiheft, 24. Arbeiten zur mittel- und neulateinischen Philologie, 4), p. 9-16. 61 H. Kugler, Die Vorstellungen der Stadt in der Literatur des deutschen Mittelalters, Munich, 1986 (Münchener Texte und Untersuchungen zur deutschen Literatur des Mittelalters, 88) ; L. Falkenstein, Charlemagne et Aix-la-Chapelle, dans Byzantion. Revue internationale des études byzantines, LXI, 1991, p. 231-289 ; id., Pfalz und vicus Aachen, dans C. Ehlers (éd.), Orte der Herrschaft. Mittelalterliche Königspfalzen, Göttingen, 2002, p. 131-181 ; J. L. Nelson, Aachen as a Place of Power, dans M. de Jong, F. Theuws et C. van Rhijn (éd.), Topographies of Power in the Early Middle Ages, Leiden, Boston et Cologne, 2001 (The Transformation of the Roman World, 6), p. 217-241.

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l’eau des sources chaudes se répand en ruisseaux dans toute l’urbs ; comment les bruits produits par les hommes au travail se propagent dans l’air de l’urbs ; mentionne le fait que les constructeurs sont dispersés partout dans l’urbs ; montre comment les Francs se consacrent ardemment au travail dans l’urbs. Celle-ci est ensuite à nouveau expressément comparée à Rome : operosa cohors, diffusa per urbem / Materiam Romae certatim congregat altae62. L’auteur anonyme s’est, pour cette scène, fortement inspiré de Virgile. Il a repris de l’Enéide des éléments des descriptions de Rome et de Carthage63. C’est sans doute cette émulation du grand poète romain qui l’a poussé à faire d’Aix, puisqu’elle devait être comparée à Rome, une urbs, ce qui devenait la conditio sine qua non pour la comparaison64. Les raisons pour lesquelles Aixla-Chapelle est une urbs sont, apparemment, d’ordre purement littéraire. Ce que veut l’auteur, c’est avant tout composer une grande épopée en l’honneur de Charlemagne. Se posant lui-même en nouveau Virgile, il veut encenser son souverain et le présenter comme un nouvel Auguste, qui se doit d’avoir une épopée en son honneur, prenant la place d’une nouvelle Enéide. Tout le reste découle de cette intention du poète. Puisque Charlemagne, l’empereur, est l’incarnation d’un nouvel Auguste, il ne peut se concevoir qu’il n’ait pas sa propre Rome. Le poète, voulant créer une capitale impériale pour son héros, ne pouvait guère trouver autre chose que le palais d’Aix-la-Chapelle. Or, les sources latines de son époque, comme nous l’avons vu avec l’exemple des Annales royales, considéraient en général Aix certes comme un palatium, mais avant tout comme une simple villa. L’auteur de l’épopée ne pouvait guère ignorer ce fait. Mais qu’importe ! Faisant fi de tout réalisme, il fit sans l’ombre d’une hésitation de cette villa une urbs, afin que Charlemagne ait son Urbs qui puisse être comparée à Rome. Il est évident, lorsque l’on observe la manière dont il travaille, que le poète ne cherche aucunement à décrire la réalité – on peut facilement croire qu’il avait vu Aix de ses propres yeux – mais au contraire qu’il n’hésite pas à transformer la réalité pour en faire ce qui correspond à ses intentions. On ne peut s’empêcher d’admirer l’adresse avec laquelle il s’y adonne. L’anonyme ne veut pas présenter Aix-la-Chapelle telle qu’elle est ; il veut présenter une urbs digne de Charlemagne, le nouvel empereur, qui a déjà

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De Karolo rege et Leone papa, éd. par W. Hentze, dans W. Hentze (éd.), De Karolo rege..., op. cit., v. 91-136, p. 16-18. 63 Voir H. Kugler, Die Vorstellungen…, op. cit., p. 58-60 ; pour une présentation détaillée des emprunts à Virgile, voir M. Manitius, Das Epos « Karolus Magnus et Leo papa », dans Neues Archiv der Gesellschaft für ältere Geschichtskunde, 8, 1882, p. 9-45 ; id., Zu dem Epos « Karolus Magnus et Leo papa », dans Neues Archiv der Gesellschaft für ältere Geschichtskunde, 9, 1884, p. 614-619. 64 À l’aide réminiscences littéraires, Aix est également implicitement comparée à Jérusalem et à Byzance. Voir C. Ratkowitsch, Karolus Magnus…, op. cit., p. 26-30.

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grâce au poète son nouveau Virgile, sa nouvelle Enéide, et désormais sa nouvelle Rome. Le tableau est complet. Lettres des érudits de la période carolingienne Dans leurs échanges épistolaires65, les érudits de la période carolingienne font régulièrement référence à des civitates. Ils mentionnent toutefois rarement des lieux concrets. Il s’agit plutôt d’images, de symboles, d’idées abstraites. Ce sont là cependant des indications non négligeables sur l’imaginaire de la civitas. Les exemples présentés ci-dessous ont été choisis parmi les écrits d’Alcuin († 804)66 et de Hraban Maur († 856)67, deux auteurs prolifiques et représentatifs de leur époque. Même s’ils ne touchent guère les régions qui font l’objet de notre étude, il ne semble pas inutile de souffler quelques mots à propos des passages qui éclairent l’arrière-plan intellectuel de la scène où se produisent les textes narratifs. Ils appartiennent à l’univers mental dans lequel vivaient les lettrés carolingiens – auteurs d’annales ou d’œuvres poétiques et hagiographiques. Les auteurs de lettres et surtout Alcuin utilisent tout d’abord de nombreuses métaphores se référant à des civitates. Écrivant à l’évêque Aethelhard de Cantorbéry, le savant anglo-saxon lui recommande d’être une « civitas solide entourée de l’enceinte de la foi, et non une maison détruite ouverte à la pluie »68. Plus loin, il l’encourage à devenir « la lumière de toute la Bretagne, le sel de la terre, une civitas située sur une colline, une lampe élevée sur un candélabre »69. Parlant des prédicateurs propageant la doctrine chrétienne, Alcuin les décrit comme « des lampes ardentes dans la maison de Dieu, des civitates solides situées sur les collines des vertus, très bien protégées contre toutes les incursions des armées ennemies »70. Louant la solidité des vertus de son correspondant, l’évêque Elipant de Tolentino, Alcuin le compare à une « civitas située sur une colline, qui ne peut aucunement être cachée à la vue ». Il ajoute : « son mur ne peut aucunement et à aucun endroit être perforé 65

À propos de la littérature épistolaire à l’époque carolingienne, voir G. Constable, Letters and Letter-collections, Turnhout, 1976 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 17), passim. 66 P. Depreux et B. Judic (éd.), Alcuin, de York à Tours. Écriture, pouvoir et réseaux dans l’Europe du haut Moyen Âge, Rennes, 2004 (Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest. Anjou. Maine. Poitou. Touraine, t. 111, no. 3), passim. 67 P. Depreux, S. Lebecq, M. J.-L. Perrin et O. Szerwiniack (éd.), Raban Maur et son temps, Turnhout, 2011 (Haut Moyen Âge, 9), passim. 68 Civitas firma fide murata, non domus pluviis diruta. Alcuin, Epistolae, dans E. Dümmler (éd.), Epistolae Karolini aevi, t. II, Berlin, 1895 (M. G. H. Epistolae, IV), 17 (793), p. 45. 69 Vos estis, dicente veritate, lux totius Brittaniae, sal terrae, civitas super montem posita, lucerna super candelabrum elevata. Alcuin, Epistolae, op. cit., 17, p. 47. 70 Sint lucernae ardentes in domo Dei, sint civitates firmae in montibus virtutum consitae et contra omnes insidias hostilis exercitus munitissimae. Alcuin, Epistolae, op. cit., 136 (vers 798), p. 208.

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perfidement avec des moyens détournés insidieux, au contraire il est entouré de tous côtés par les défenses très solides de la foi catholique, de sorte qu’il reste partout inexpugnable pour le salut de tout le peuple, qui se réjouit de toi et tient compte des commandements de ta bouche »71. Dans une lettre à Arn de Salzbourg, Alcuin écrit que « le frère secouru par un frère est une civitas solide »72, citant ainsi le Livre des Proverbes (18, 10). Il est frappant de constater que lorsqu’Alcuin utilise l’image d’une civitas, ce sont toujours l’enceinte et l’aspect défensif qui servent de tertium comparationis à ses métaphores. Alcuin se figure une civitas comme un endroit solide, bien défendu et protégé, entouré d’un mur impénétrable, situé de préférence sur un sommet bien visible – on voit donc s’y ajouter une nuance de représentation publique du pouvoir. Il ne fait nullement référence aux habitants ou à des aspects culturels ou sociaux. Pour le savant insulaire, une civitas est donc avant tout une place forte d’apparence impressionante. Alcuin décrit en outre la civitas céleste des bienheureux comme une « forteresse de la civitas éternelle »73, la « forteresse de la civitas supérieure »74, la « civitas du roi éternel »75 ou encore comme « cette civitas, dans laquelle seul Dieu règne en roi pour l’éternité »76 ; on s’y rend par la « porte de la civitas perpétuelle »77. Il présente la Jérusalem céleste comme « la civitas de la paix perpétuelle, construite avec le sang précieux du Christ »78 ; ses « pierres vivantes sont reliées par le mortier de la charité et les murs de l’édifice céleste, faits des gemmes des diverses vertus, s’élèvent en altitude »79. La Jérusalem

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Tu enim es, sanctissime praesul, civitas super montem posita, quae nullatenus abscondi potest. Cuius murus nequaquam debet insidiosis cuniculis cuiuslibet perfidie alicubi perforari, sed firmissimo catholice fidei munimine ex omni parte circundari, ut inexpugnabilis undique ad salutem totius populi, qui in te gaudet et ad tui oris imperium respicit, permaneat. Alcuin, Epistolae, op. cit., 166 (799), p. 268-269. 72 Frater a fratre adiutus civitas est firma. Alcuin, Epistolae, op. cit., 239 (802-803), p. 384. Alcuin utilise la même formulation dans Epistolae, op. cit., 284 (entre 793 et 804), p. 443. 73 Aeternae arx civitatis. Alcuin, Epistolae, op. cit., 137 (vers 798), p. 211. 74 Ad supernae civitatis arcem. Alcuin, Epistolae, op. cit., 209 (800), p. 349. 75 Aeterni regis civitatem intrare. Alcuin, Epistolae, op. cit., 90 (entre 794 et 796), p. 134. 76 Ad illam civitatem, in qua Deus solus rex regnat in aeternum. Alcuin, Epistolae, op. cit., 167 (799), p. 275. 77 Ad portam perpetuae civitatis. Alcuin, Epistolae, op. cit., 23 (vers 793), p. 65 ; 191 (entre 796 et 800), p. 318 ; 281 (entre 793 et 804), p. 439 ; ad perpetuae portas civitatis. Alcuin, Epistolae, op. cit., 94 (796), p. 139 ; pulsare ianuas perpetuae civitatis. Alcuin, Epistolae, op. cit., 36 (entre 793 et 795), p. 78. 78 Perpetuae pacis civitatem pretioso sanguine Christ constructam. Alcuin, Epistolae, op. cit., 198 (vers 800), p. 327. 79 Lapides vivi de caritatis glutino colliguntur et caelestis aedificii ad altitudinem ex diversis virtutum gemmis muri consurgunt. Alcuin, Epistolae, op. cit., 198 (vers 800), p. 327. À propos de cette image, voir H. Kugler, Die Vorstellungen…, op. cit., p. 90-106.

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céleste est, bien entendu, toujours une civitas80. Le conseiller de Charlemagne fait aussi quelques références à la Cité de Dieu81. Alcuin est donc, dans ces passages, fortement influencé par la tradition patristique de la Cité de Dieu et de la Jérusalem céleste82. Or, lorsqu’il décrit cette civitas céleste qui en fait n’est qu’une conception abstraite, il se la représente de manière très matérielle comme une civitas très terrestre : c’est bel et bien une forteresse, entourée d’un mur d’enceinte. À plusieurs reprises, Alcuin mentionne en outre les civitates comme un élément important du paysage. Il parle des « diverses régions du monde, peuples, paroisses, civitates et provinces »83 ; de la « puissance » d’une « quelconque civitas ou province »84. Hraban Maur décrit quant à lui les déplacements « par diverses provinces et civitates »85 ou encore un territoire par « chacune de ses urbes, viculi, montagnes et confins »86. Le message divin se répand selon Alcuin « par les peuples, les terres, les royaumes, les urbes »87 ; ou encore « par les civitates, les castella, les vici et même par chacune des maisons »88. Les urbes et civitates sont donc des points de repère dans le paysage, de régions et d’unités territoriales. Le savant anglo-saxon évoque aussi à l’occasion une qualité qu’il nomme urbanitas. Le concept qu’il désigne ainsi fait référence à une forme d’érudition scolaire, comme le trahit l’expression des « gemmes de l’urbanité scolastique »89 qu’il loue dans une lettre à Paulin d’Aquilée. À un autre endroit, faisant référence à l’« érudition scolastique » et à la « discipline ecclésiastique » de son interlocuteur, Charlemagne lui-même, il mentionne « tout ce qui est assaisonné avec le sel de l’urbanitas »90. Quant à Hraban Maur, il oppose l’« éloquence urbaine » qui consiste à « composer des livres » au 80

Hierusalem, civitas Deo dilecta. Alcuin, Epistolae, op. cit., 20 (793), p. 57. Elegit civitatem Hierusalem. Alcuin, Epistolae, op. cit., 210 (vers 800), p. 350. 81 Custos portarum civitatis Dei. Alcuin, Epistolae, op. cit., 139 (vers 798), p. 221 ; in civitate Dei nostri. Alcuin, Epistolae, op. cit., 76 (entre 792 et 796), p. 118 ; 89 (entre 793 et 796), p. 133. 82 R. Konrad, Das himmlische und das irdische Jerusalem..., art. cit., passim ; H. Kugler, Die Vorstellungen..., op. cit., p. 79-90 ; C. Horn (éd.), Augustinus..., cité p. 45, n. 121, passim. 83 Alcuin, Epistolae, op. cit., 179 (799), p. 297. 84 Imperia (…) quaeque civitatis cuiuslibet, vel provinciae. Alcuin, Epistolae, op. cit., 18 (793), p. 52. 85 Hraban Maur, Epistolae, dans E. Dümmler (éd.), Epistolae Karolini aevi, t. III, Berlin, 1899 (M. G. H. Epistolae, V), 53, p. 507. 86 Hraban Maur, Epistolae, op. cit., 13 (entre 826 et 829), p. 401. 87 Alcuin, Epistolae, op. cit., 257 (802), p. 416. 88 Alcuin, Epistolae, op. cit., 267 (804), p. 425. Ou encore : per civitates, castella, vicos, villas. Alcuin, Epistolae, op. cit., 28 (entre 789 et 795), p. 70. 89 Ubi et aurivomos spiritalium sensuum gurgites gemmis scolasticae urbanitatis abundare intellexi. Alcuin, Epistolae, op. cit., 139 (vers 798), p. 220. 90 Sciens autem scolasticae eruditionis inquisitionem et ecclesiasticae disciplinae sollertiam vestrae clarissimae sapientiae et dulcissimae familiaritati gratam esse et iocundam ; et quicquid urbani-

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« travail rural » dans le « désert » constitué par la nécessité de pourvoir à sa subsistance en peinant de ses propres mains91. Dans ces passages, le registre a donc brutalement changé. Alors que les civitates sont associées avec la réalité très matérielle de solides forteresses bien défendues, l’urbanitas, dont le lien étymologique avec l’urbs est transparent, est associée à l’érudition et à la culture livresque. Celles-ci sont opposées à la vie rustique et au travail manuel. Il s’agit sans doute d’une réminiscence de la tradition antique où culture et vie intellectuelle étaient associées à un mode de vie urbain. Or, si l’on se fie aux images associées à la civitas, Alcuin, Hraban Maur et leurs contemporains ne semblent pas tellement avoir eu d’idée de ce qu’était le mode de vie urbain antique – pour eux, une urbs ou civitas ne semble guère être plus qu’une forteresse. On se permettra donc de conclure que, dans leur perception, l’urbanitas – en tant que mode de vie et de modèle culturel – s’est détachée de l’urbs. La Vie de saint Boniface par Willibald Willibald était sans doute un prêtre d’origine anglo-saxonne au service de l’évêque Lul, successeur de Boniface († 754) à Mayence92. Il écrivit dans les années soixante du VIIIe siècle une Vie de saint Boniface qu’il dédia à Lul et à Mégingoz de Würzburg. Ses connaissances sur Boniface étaient indirectes et il ne semble pas avoir connu personnellement son héros – ou si c’est le cas, il doit avoir été beaucoup plus jeune que lui. Il s’est appuyé sur les informations fournies par ses deux mécènes, par d’autres contemporains ainsi que sur la correspondance du saint93. Dans sa vita, Willibald narra la fondation de plusieurs églises et évêchés, en Hesse, en Thuringe et en Bavière. Il est intéressant d’observer la manière, qui s’avère être lapidaire, dont il caractérisa les lieux où ces institutions avaient été créées.

tatis sale conditum cognoscitur, vestris intellectualibus favorabile auribus et acutissimis scientiae oculis amabile esse probavimus. Alcuin, Epistolae, op. cit., 143 (798), p. 225. 91 Maxime cum in deserto rurali opere magis institus sum victum propriis manibus querere, quam urbana facundia libros condere. Hraban Maur, Epistolae, op. cit., 8 (entre 822 et 829), p. 393. 92 Alors que la plupart des chercheurs croient qu’il se soit agit de Willibald de Mayence, Heinrich Wagner a évoqué la possibilité que ç’ait été son homonyme, l’évêque Willibald d’Eichstätt. Voir H. Wagner, Bonifatiusstudien, Würzburg, 2003 (Quellen und Forschungen zur Geschichte des Bistums und Hochstifts Würzburg, LX), p. 9-23. 93 R. Schieffer, Willibald von Mainz, dans Die deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon, vol. 10, 1999, col. 1154-1155 ; P. Kehl, Kult und Nachleben des heiligen Bonifatius im Mittelalter (754-1200), Fulda, 1993 (Quellen und Abhandlungen zur Geschichte der Abtei und der Diözese Fulda, 26), p. 62-75 ; I. Wood, The Missionary Life. Saints and the Evangelisation of Europe, 400-1050, Harlow, 2001 (The Medieval World), p. 61-64.

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Willibald mentionne relativement peu de civitates ou d’urbes. Elles se trouvent en Angleterre, au siège de l’archevêché de Cantorbéry94, ou en général chez les Francs, à Mayence95, à Utrecht96, mais aussi dans le monde byzantin, à Ephèse et Constantinople97. Rome, quant à elle, est caractérisée par son enceinte : « l’enceinte de l’urbs romaine »98. À Geismar en Hesse, Boniface fait détruire le chêne sacré vénéré par les païens et fait ériger au même endroit un oratoire. L’endroit où est fondée cette église est vaguement décrit comme un simple « lieu », un locus99. Lorsque Boniface fonde un monastère à Ohrdruf en Thuringe, l’endroit n’est également autre chose qu’un locus100. En Bavière, Boniface réorganise la structure ecclésiastique et fait installer quatre nouveaux évêques. L’un d’eux, Jean, reçoit son siège dans l’oppidum de Salzbourg ; Erembercht s’installe à Freising, sans autre précision ; Garibald prend place à Ratisbonne, qu’il nomme Reginae Civitas, et Vivilo à l’église de Passau101. Il n’en est pas autrement lorsqu’il est question de la fondation par Boniface des sièges épiscopaux d’Eichstätt et de Würzburg. Boniface y nomme les évêques Willebald et Burghard et les installe dans des endroits qui ne sont que des loci102. On constate donc que, pour Willibald, la caractérisation des endroits où sont fondés des sièges épiscopaux ou d’autres institutions ecclésiastiques n’a que peu de signification : il ne voit apparemment pas de problèmes dans le fait qu’il s’agisse d’un simple locus. Il n’utilise le terme de civitas que pour les anciennes villes fortifiées romaines devenues sièges épiscopaux. Mais, comme sa caractérisation de l’enceinte de Rome l’indique, cette dénomination s’applique plus à la fortification qu’au statut dans la hiérarchie ecclésiastique. Les récits de translations de reliques en Saxe Les récits carolingiens de translations de reliques en Saxe sont mieux connus depuis les travaux de Hedwig Röckelein103. Le corps de saint Liboire a été transféré solennellement du Mans à Paderborn, un des nouveaux évêchés 94 Willibald, Vita s. Bonifacii archiepiscopi, éd. G. H. Pertz, Scriptores rerum Sangallensium. Annales, chronica et historiae aevi Saxonici, Hanovre, 1968 (d’abord paru en 1829) (M. G. H. Scriptores, II), 4,10, p. 338. 95 Willibald, op. cit., 10,30, p. 347 ; 12,38, p. 352. 96 Willibald, op. cit., 11,35, p. 349 ; 12,38, p. 351. 97 Willibald, op. cit., 10,30, p. 347 ; 10,30, p. 348. 98 Romanae urbis moenibus conspectis. Willibald, op. cit., 7,20, p. 342. 99 Willibald, op. cit., 8,22, p. 343-344. 100 Willibald, op. cit., 8,24, p. 344. 101 Willibald, op. cit., 9,28, p. 346. 102 Willibald, op. cit., 10,31, p. 348. 103 H. Röckelein, Reliquientranslationen..., op. cit., passim.

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de Saxe, en l’an 836104. Plusieurs récits de la translation sont parvenus jusqu’à nous. L’un d’eux est celui d’Erconrad, peut-être composé peu après l’événement105. L’origine et la datation du texte qui nous est parvenu ont fait l’objet de nombreuses controverses. L’auteur, Erconrad, est nommé dans le récit. L’éditeur Alfred Cohausz défendit l’opinion selon laquelle le texte aurait été composé peu après la translation106. Cependant, Cohausz fut contredit par Walter Goffart, selon lequel le texte serait une version écourtée composée par un faussaire après 857107. Volker de Vry est également d’avis qu’il s’agirait d’une version fondée sur un texte perdu et date ce qui nous est conservé de 887-888108. Dans tous les cas, il est admis que l’auteur présente le point de vue d’un observateur de Francie occidentale109. Il convient tout d’abord de noter que les anciennes villes romaines mentionnées dans le récit sont systématiquement désignées comme des urbes ou des civitates. Le point de départ de la translation, Le Mans, est ainsi caractérisé à plusieurs reprises comme une urbs ou une civitas110. L’évêque111 est désigné comme urbis episcopus et un des habitants est un civis urbis112. L’auteur mentionne en outre un suburbium sur l’autre rive de la rivière113. Chartres est également une urbs, qualifiée de « populeuse » et entourée d’une enceinte114. Paris est une civitas qui, selon Erconrad, aurait été fondée par Jules César115. En revanche, le point d’arrivée de la translation, le nouveau siège épiscopal de Paderborn en Saxe, n’est en aucun endroit désigné comme urbs ou civitas : 104

À propos des nouveaux évêchés en Saxe, voir C. Carroll, The Bishoprics..., art. cit., passim. À propos de Paderborn, voir M. Balzer, Paderborn. Zentralort der Karolinger im Sachsen des späten 8. und frühen 9. Jahrhunderts, dans C. Stiegemann et M. Wemhoff (éd.), 799..., op. cit., p. 116-123. À propos des reliques, voir H. Röckelein, Reliquientranslationen..., op. cit., p. 137264 ; à propos des translations, voir H. Röckelein, Reliquientranslationen..., op. cit., p. 265-365. Voir aussi H. Röckelein, Leben im Schutz der Heiligen. Reliquientranslationen nach Hessen vom 9. bis 11. Jahrhundert, dans G. Berghaus, T. Schilp et M. Schlagheck (éd.), Herrschaft, Bildung und Gebet. Gründung und Anfänge des Frauenstifts Essen, Essen, 2008, p. 87-100. 105 H. Röckelein, Reliquientranslationen..., op. cit., p. 96-100. 106 A. Cohausz, Erconrads Translatio s. Liborii. Eine wiederentdeckte Geschichtsquelle der Karolingerzeit und die schon bekannten Übertragungsberichte, Paderborn, 1966 (Studien und Quellen zur Westfälischen Geschichte, 6), p. 32-36. 107 W. Goffart, The Literary Adventures of St. Liborius. A Postscript to the Le Mans Forgeries, dans Analecta Bollandiana, 86, 1969, p. 11-15. 108 V. de Vry, Liborius – Brückenbauer Europas. Die mittelalterlichen Viten und Translationsberichte. Mit einem Anhang der Manuscripta Liboriana, Paderborn et al., 1997, p. 127-140, 157. 109 H. Röckelein, Reliquientranslationen…, op. cit., p. 100. 110 Erconrad, De sancto Liborio episcopo et confessore, éd. A. Cohausz, dans A. Cohausz, Erconrads…, op. cit., cité p. 67, n. 106, 1, p. 52 ; 11, p. 68 ; 15, p. 78 ; 24, p. 100. 111 Erconrad, op. cit., 1, p. 52 ; 2, p. 54 ; urbis antistes : 2, p. 54. 112 Erconrad, op. cit., 9, p. 66. 113 Erconrad, op. cit., 2, p. 54. 114 Erconrad, op. cit., 20, p. 90. 115 Erconrad, op. cit., 21, p. 92.

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le siège épiscopal est une sedes et le lieu lui-même est un simple locus. Erconrad y mentionne la présence d’un « monastère », sans doute le chapitre cathédral116. Apparement, pour Erconrad, les urbes et civitates se trouvent exclusivement sur le territoire de l’Empire romain  : ce sont les anciennes villes romaines et les sièges épiscopaux antiques – Chartres, Paris et Le Mans. Pour la Saxe au contraire, une région nouvellement intégrée à l’Empire carolingien, il se refuse à désigner les localités comme des urbes. Même les chefs-lieux des évêchés n’ont pas droit à ce titre. Le refus conscient d’Erconrad d’utiliser le vocabulaire désignant les villes romaines lorsqu’il traite de la Saxe apparaît de manière particulièrement crue dans une phrase où l’auteur du récit mentionne à la fois le siège épiscopal du Mans et celui de Paderborn : voulant éviter de nommer le siège épiscopal saxon une urbs, il parle des deux institutions comme des ecclesiae117. Une autre version de ce même récit nous est parvenue dans un manuscrit trouvé à Avranches118. L’auteur fut sans doute un clerc originaire du Mans et il composa le récit après la mort, survenue en 857, de l’évêque Aldrich, soit dans les années soixante du IXe  siècle. L’anonyme présenta, tout comme Erconrad, le point de vue des Francs occidentaux119. Plusieurs localités ont droit dans ce texte à l’appellation d’urbs ou de civitas : elles se trouvent toutes en Francie occidentale. La première est, bien sûr, Le Mans, d’où part la procession. L’auteur mentionne à plusieurs reprises une foule de personnes qui se trouvent à l’intérieur de la civitas, venues en grande affluence assister à l’événement. De nombreuses guérisons miraculeuses se produisent120. On ne sait cependant pas si ces spectateurs sont les habitants de la civitas ou s’ils sont venus de l’extérieur121. À l’intérieur de la civitas se trouve une église et l’endroit est muni d’un suburbium122. Quant à Chartres, elle est perçue tout comme dans le texte d’Erconrad comme une civitas populosa et elle possède un mur d’enceinte123. Tours est également une urbs124. Seule Bavay est une civitatula125. La situation est toute différente en Saxe, vers laquelle se dirige la procession. Le point d’arrivée de la translation est Paderborn. Or Paderborn, bien 116

Erconrad, op. cit., 1, p. 52 ; 16, p. 82 ; 26, p. 104 ; 16, p. 84. C’est ainsi qu’Alfred Cohausz interprète monasterium. Voir H. Röckelein, Reliquientranslationen…, op. cit., p. 289-290. 117 Erconrad, op. cit., 15, p. 76-82. 118 H. Röckelein, Reliquientranslationen…, op. cit., p. 98. 119 H. Röckelein, Reliquientranslationen…, op. cit., p. 100. 120 Translation de s. Liboire, éd. A. Poncelet, dans Annalecta Bollandiana, XXII, 1903, c. 1, p. 156 ; c. 14, p. 162 ; c. 30, p. 170 ; c. 10, p. 160 ; c. 14, p. 161 ; c. 13, p. 161 ; c. 15, p. 162. 121 Voir H. Röckelein, Reliquientranslationen…, op. cit., p. 359-365. 122 Translation de s. Liboire, op. cit., c. 5, p. 158 ; c. 7, p. 159 ; c. 2, p. 157. 123 Translation de s. Liboire, op. cit., c. 20, p. 164. 124 Translation de s. Liboire, op. cit., c. 30, p. 170. 125 Translation de s. Liboire, op. cit., c. 24, p. 167.

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que ce soit le siège d’un évêché, n’est nulle part dans le récit qualifiée de civitas ou d’urbs : l’endroit est décrit de manière on ne peut plus vague comme un simple locus, et à plusieurs reprises126. La fonction épiscopale est indiquée par l’expression sedes episcopalis127. Une église est mentionnée128. Qu’est-ce donc qu’une civitas pour l’auteur de ce récit de translation ? On constate qu’il y a un lien étroit, dans son esprit, entre la civitas et l’agglomération d’origine romaine. Ce qui caractérise la ville romaine, d’après les quelques indices qu’il nous donne, c’est le grand nombre d’habitants (civitas populosa) et le mur d’enceinte (murus civitatis). Le lien étroit avec l’origine romaine apparaît de manière explicite dans le titre qu’il donne à Bavay : cette localité romaine, qui dans l’Antiquité n’a jamais eu droit au titre de civitas ou urbs, est pour l’auteur de la relation une civitatula. Mais – il est important de le noter – la civitas ou urbs n’est pas pour lui obligatoirement le siège d’un évêché. Dans une région qui n’a pas de passé romain, la Saxe, les sièges épiscopaux nouvellement créés ne sont ni des civitates, ni des urbes, ce sont simplement des sedes episcopales. Notons finalement que cet auteur, tout comme Erconrad, témoigne de la vision des Francs occidentaux, et donc porte un regard d’étranger sur la Saxe nouvellement intégrée à l’Empire franc. Les deux auteurs sont profondément imprégnés de culture romaine autant que des paysages encore marqués par les restes de la civilisation antique. Ce qu’ils ont vu en Saxe – rappelons qu’Erconrad a sans doute participé lui-même à la translation – est, selon toute apparence, trop différent de ce qu’ils connaissent pour être décrit avec le même vocabulaire. Un troisième récit détaillé de cette même translation nous est parvenu, écrit par un clerc anonyme originaire de Paderborn129 et conservé dans un manuscrit du XIe siècle. Il a été rédigé à la demande de l’évêque Biso de Paderborn, qui occupa cette charge entre 887 et 909. Alfred Cohausz tenta de prouver que le texte aurait été rédigé vers 890130, mais selon Volker de Vry une datation aussi précise ne serait guère possible131. L’auteur anonyme désigna un certain prêtre Idon comme informateur, mais l’éventuel manuscrit de cette source reste inconnu. Contrairement à Erconrad et à l’auteur du texte d’Avranches, le clerc de Paderborn et Idon défendaient le point de vue saxon132. Notons cependant d’emblée que ce texte est dépendant des autres récits. Dans cette version également, Le Mans est qualifiée à plusieurs reprises d’urbs ou de civitas. Plusieurs églises y sont présentes : l’une est hors de la civitas, 126 127 128 129 130 131 132

Translation de s. Liboire, op. cit., c. 13, p. 161 ; c. 26, p. 168 ; c. 27, p. 168. Translation de s. Liboire, op. cit., c. 28, p. 169 ; c. 29, p. 170. Translation de s. Liboire, op. cit., c. 29, p. 170. H. Röckelein, Reliquientranslationen…, op. cit., p. 96-100. A. Cohausz, Erconrads Translatio…, op. cit., cité p. 67, n. 106, p. 31. V. de Vry, Liborius…, op. cit., p. 67. H. Röckelein, Reliquientranslationen…, op. cit., p. 100.

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l’une, la « principale », est située dans l’urbs, et un oratoire se trouve près de la porte de la ville133. L’auteur signale aussi l’existence d’autres urbes dans les environs134. Quant à Chartres, c’est également une urbs et une civitas, y sont mentionnés le mur d’enceinte et un oratoire135. Paris est pareillement une civitas et une urbs et aurait été fondée – selon l’anonyme – par Jules César136. En revanche, dès que l’on quitte le territoire ayant jadis appartenu à l’Empire romain, la situation change radicalement. Ainsi, Würzburg, que l’anonyme localise expressément en Francie orientale, et bien que l’auteur signale qu’il s’agisse là du siège d’un évêché, n’est qu’un castellum. Les évêques y sont désignés au moyen de l’expression insolite de « prélats d’un certain castellum »137. La situation est encore plus tranchée en ce qui a trait à la Saxe. D’entrée de jeu, l’auteur affirme qu’il n’y avait pas de civitates en Saxe. Il écrit : « les civitates, dans lesquelles les sièges épiscopaux sont fondés selon la coutume ancienne, faisaient complètement défaut à cette province »138. S’en tenant à ce point de vue, il ne décrit en conséquence jamais Paderborn comme une civitas ou une urbs. Le chef-lieu de l’évêché est un « siège d’une certaine dignité spéciale »139 ; bien qu’il ait un mur d’enceinte, ce n’est qu’un oppidum140 ; son église est « nouvellement construite »141. Pour cet auteur, tout comme pour ceux des autres récits de la même translation, l’idée de civitas ou d’urbs est étroitement liée à une origine romaine142. L’opposition est flagrante : en terre romaine, tous les sièges épiscopaux sont des civitates, la région est emplie d’urbes ; dans les régions « barbares », les civitates sont inexistantes et les sièges épiscopaux sont des castella, des oppida ou des sedes. On constate d’ailleurs l’importance qu’accorde le clerc de Paderborn à l’origine romaine dans le fait qu’il croit nécessaire, comme ses prédécesseurs, de mentionner la fondation de Paris par Jules César.

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Anonyme de Paderborn, dans V. de Vry, Liborius..., op. cit., c. 12, p. 199 ; c. 15, p. 201-202 ; c. 20, p. 205. 134 Ex vicinis urbibus. Anonyme de Paderborn, op. cit., c. 20, p. 204. 135 Foras muros civitatis ad oratorium. Anonyme de Paderborn, op. cit., c. 31, p. 212 ; plusieurs fois urbs ou civitas dans ce même chapitre. 136 Anonyme de Paderborn, op. cit., c. 33, p. 213-214. 137 Tuicioni praesulum cuiusdam castelli orientalis Franciae, quod sermone barbaro Wirheburch appelatur. Anonyme de Paderborn, op. cit., c. 6, p. 192. 138 Civitates, in quibus more antiquo sedes episcopales constituerentur, illi paenitus provinciae deerant. Anonyme de Paderborn, op. cit., c. 2, p. 189. 139 Sedes speciali quadam dignitate. Anonyme de Paderborn, op. cit., c. 4, p. 190. 140 Anonyme de Paderborn, op. cit., c. 4, p. 190 ; c. 40, p. 219. 141 Ecclesia tunc ibidem noviter constructa. Anonyme de Paderborn, op. cit., c. 5, p. 191. 142 S. Rossignol, Ville et environnement en Saxe aux IXe et XIe siècles, dans Memini. Textes et documents, 13, 2009, p. 10-11.

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Il est intéressant d’observer la manière dont le clerc anonyme utilise ses sources. Contrairement aux autres auteurs, il écrit à la fin du IXe siècle dans l’entourage de l’évêque de Paderborn. Son intention est donc de défendre le point de vue du nouvel évêché saxon. Ses sources principales sur les événements dont il est question – sauf le récit perdu d’Idon – sont les versions du récit de translation par Erconrad et du manuscrit d’Avranches. Il se voit confronté au fait que ces sources se refusent catégoriquement à désigner les localités de Saxe, et même les sièges épiscopaux, comme des urbes ou civitates et donc de les mettre sur un pied d’égalité avec les anciens sièges épiscopaux d’origine romaine. Voulant à la fois ne pas contredire ses sources et promouvoir le siège de son évêché, il doit trouver une stratégie pour faire face à ce problème. Il se décide à, dès le départ, affirmer catégoriquement que la Saxe n’a de toute façon jamais eu de civitates comparables aux villes romaines – ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait exprimé de manière aussi crue. Donc, puisqu’il en est ainsi, Paderborn ne peut être une civitas – et, selon la logique implacable de l’auteur, personne ne peut reprocher à l’évêque de Paderborn de ne pas résider dans une véritable civitas. En donnant cette explication, le clerc anonyme clarifie ce qui n’est que suggéré dans les textes des Francs occidentaux, de façon à pouvoir parer à tout reproche éventuel. Dans le même temps, poursuivant sa stratégie de légitimation, il s’évertue à donner une image positive de Paderborn. Le siège épiscopal n’est peut-être pas une civitas, mais il a droit à une « dignité spéciale » et les qualités exceptionnelles de sa situation, telles qu’elles sont décrites par l’auteur, offrent un substitut convaincant à l’absence de tradition romaine143. La Translation de saint Alexandre raconte le déplacement, qui eut lieu en 851, des reliques de saint Alexandre de Rome à Wildeshausen. Le texte a été rédigé à la demande du comte Waltbert, organisateur de la translation144. Il en confia la composition à un moine de Fulda, Rudolf, qui cependant décéda en 865 après n’en avoir écrit que la première partie, qui porte sur l’origine du peuple des Saxons. La suite du texte est l’œuvre d’un autre moine de Fulda,

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Walter Schlesinger, commentant ce passage de la Translation de saint Liboire par le clerc anonyme de Paderborn, l’expliqua en affirmant que l’auteur ne voyait pas de point de comparaison entre les civitates antiques et les modestes établissements saxons. Cependant, Schlesinger n’a guère tenu compte de l’argumentation et de la stratégie du clerc anonyme. Son affirmation s’applique plutôt aux récits précédents, donnant le point de vue d’auteurs étrangers à la Saxe. Ce que cherche à mettre en valeur le clerc de Paderborn, c’est plutôt son insatisfaction face à ces descriptions et sa tentative subtile de contourner le problème sans avoir à contredire ses sources. W. Schlesinger, Burg..., cité p. 12, n. 10, p. 142 ; id., Über mitteleuropäische..., cité p.12, n. 10 p. 42 ; id., Städtische..., cité p. 12, n. 10, p. 148. Voir aussi S. Rossignol, Ville et environnement…, art. cit., p. 11-12 ; D. Geuenich et T. Zotz, Castra…, art. cit., p. 812. 144 H. Röckelein, Reliquientranslationen…, op. cit., p. 127-134.

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successeur de Rudolf, Méginhard. La partie attribuée à Rudolf a été rédigée entre 850 et 865, celle de Méginhard entre 865 et 888. Les formes d’habitat en Saxe, où les reliques sont conduites, sont présentées par les hagiographes comme étant d’une grande simplicité. Il n’y a qu’un seul lieu, dans le texte de la Translation, qui est caractérisé comme une civitas par les auteurs : il s’agit de Rome145. En Francie et en Saxe, les endroits où s’arrête la procession sont décrits avec énormément d’humilité. Boppard, sur le Rhin, est un castellum et un loculus. Steinfurt, en Saxe, est une villa et un loculus. Le siège épiscopal saxon d’Osnabrück est à la fois un monasterium et un loculus. Et même Wildeshausen, où les reliques doivent être déposées, n’est rien d’autre qu’un simple locus146. Apparemment, les auteurs de la Translation ne voient pas la nécessité d’embellir la description de l’habitat en Saxe ou d’exagérer l’importance des lieux qu’ils décrivent. Il ne semble pas y avoir pour eux d’éléments obligatoirement requis pour les agglomérations où sont fondées de nouvelles institutions ecclésiastiques. Même pour Wildeshausen, qui est le but de la procession dont la relation est au cœur du récit, une humilité pieuse semble plutôt être de rigueur qu’une exaltation de lieux ne correspondant pas aux conceptions qu’ont les auteurs de la civitas. Qu’en est-il du récit sur la translation de saint Guy ? Ce texte relate le transfert de reliques de ce saint du monastère de Corbie vers le monastère de Corvey en Saxe, nouvellement fondé147. La translation a eu lieu en 836 et le récit a dû être composé, selon son éditrice Irene Schmale-Ott, au plus tôt cinq à dix ans après l’événement, soit dans les années quarante du IXe siècle148. Il s’agit donc d’une translation entre deux monastères et non pas entre deux évêchés, ce qui était le cas dans les récits précédents. Les villes épiscopales y jouent donc un rôle moins important. Pourtant, on retrouve dans la Translation de saint Guy le schéma dégagé précédemment : les sièges épiscopaux de tradition romaine, Amiens et Meaux, sont des civitates ; en revanche, lorsque Paderborn est évoquée, il ne s’agit que d’un locus149. 145

Rudolf et Meginhart, Translatio sancti Alexandri, éd. B. Krusch, dans id., Die Übertragung des H. Alexander von Rom nach Wildeshausen durch den Enkel Widukinds 851. Das älteste niedersächsische Geschichtsdenkmal, dans Nachrichten von der Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen. Philologisch-historische Klasse, 1933, p. 429. 146 Rudolf et Meginhart, op. cit., 6, p. 430-431 ; 7, p. 431. 147 H. Röckelein, Reliquientranslationen..., op. cit., p. 100-108 ; ead., Der heilige Vitus. Die Erfolgsgeschichte eines Importheiligen, dans G. Signori (éd.), Heiliges Westfalen. Heilige, Reliquien, Wallfahrt und Wunder im Mittelalter, Bielefeld, 2003 (Religion in der Geschichte. Kirche, Kultur und Gesellschaft, 11), p. 19-30. 148 I. Schmale-Ott, Einleitung, dans Translatio sancti Viti martyris. Übertragung des hl. Märtyrers Vitus, éd. ead., Münster, 1979 (Veröffentlichungen der Historischen Kommission für Westfalen, Reihe 41. Fontes minores, 1), p. 25. 149 Translatio sancti Viti, op. cit., 4, p. 46 ; 7, p. 50 ; 3 p. 40.

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L’image proposée par les récits de translations est donc étonnement uniforme. Selon leurs auteurs, la Saxe nouvellement intégrée à l’organisation ecclésiastique ne possède ni urbes, ni civitates. Ces textes présentent dans leur majorité un point de vue extérieur, franc. Même lorsque l’auteur est d’origine saxonne, comme le clerc de Paderborn, il poursuit cette tradition. Cette situation est donc très différente de celle que l’on trouve dans les Annales royales franques, où des civitates apparaissaient régulièrement chez les Slaves ou désignent des castella en périphérie de l’Empire franc. On voit comment une situation nouvelle identique peut mener à des représentations divergentes, voire opposées. Les Annales de Fulda Les Annales de Fulda constituent l’œuvre annalistique la plus détaillée concernant la Francie orientale au IXe siècle. Comme il s’agit de la partie de l’Empire franc la plus proche des régions et des peuples d’Europe du CentreEst, ces annales sont d’un intérêt particulier pour notre étude. L’idenfication des rédacteurs des Annales de Fulda a fait l’objet de débats : alors que Friedrich Kurze y a vu trois auteurs, qu’il identifia à Eginhard (pour la partie 714-838), puis à Rudolf (838-863) et à Méginhard (863-882), soit les deux auteurs de la Translation de saint Alexandre, Siegfried Hellmann crut qu’il se serait agit de l’œuvre d’un moine anonyme qui, entre 882 et 887, aurait retravaillé des textes attribués à Eginhard et Rudolf. Dans tous les cas, on constate que les Annales puisent dans d’autres sources jusqu’en 838 pour offrir ensuite, concernant la période subséquente, des informations inédites150. Comme on peut s’y attendre, les villes romaines devenues par la suite sièges épiscopaux sont désignées comme des civitates et urbes151. On constate toutefois rapidement à quel point, dans les Annales de Fulda, les civitates et urbes

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R. Rau, Einleitung, dans id. (éd.), Quellen zur Karolingischen Reichsgeschichte. Dritter Teil. Jahrbücher von Fulda. Reginos Chronik. Notkers Taten Karls, Darmstadt, 1966 (Ausgewählte Quellen zur deutschen Geschichte des Mittelalters. Freiherr vom Stein-Gedächtnisausgabe, VII), p. 1-5. À propos des formes d’habitat, voir M. Bláhová, Evropská…, op. cit., p. 60-63. 151 Cologne est une civitas, de même Soissons, Tours et Worms. Mayence est une civitas et une urbs de même que Metz, Reims et Trèves. Strasbourg est une urbs. Annales Fuldenses sive Annales regni Francorum orientalis, éd. F. Kurze, Hanovre, 1891 (M. G. H. Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 7) (dorénavant : AF), Cologne : a. 864, p. 63 ; a. 870, p. 72 ; a. 876, p. 88 ; Soissons : a. 752, p. 6 ; a. 826, p. 24 ; Tours : a. 853, p. 43 ; Worms : a. 870, p. 71 ; Mayence : civitas : a. 719, p. 2 ; a. 872, p. 77 ; a. 886, p. 104 ; civitas et metropolis : a. 852, p. 42 ; urbs : a. 852, p. 42 ; a. 858, p. 52 ; a. 859, p. 54 ; a. 873, p. 79 ; Metz : civitas : a. 840, p. 31 ; a. 869, p. 70 ; urbs : a. 765, p. 8 ; a. 863, p. 58 ; a. 869, p. 69 ; a. 886, p. 105 ; Reims : civitas : a. 816, p. 20 ; a. 887, p. 107 ; urbs : a. 887, p. 107 ; Trèves : civitas : a. 882, p. 97 ; urbs : a. 882, p. 97 ; Strasbourg : a. 842, p. 38.

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sont beaucoup plus souvent mentionnées dans un contexte de conflits militaires que ce qui était le cas dans les Annales royales152. Le contexte guerrier des mentions de civitates se laisse en partie expliquer par le fait que l’Empire franc a été la proie, dans les deux derniers tiers du IXe siècle, à la fois de guerres civiles et des incursions des Normands, donc qu’attaques et sièges de forteresses en terres franques étaient devenus plus fréquents153. Cette explication est cependant insuffisante. Les fonctions représentatives souvent évoquées par les Annales royales ne jouent qu’un rôle mineur dans les Annales de Fulda. On peut en outre observer que les annalistes de Fulda insistent expressément sur la fonction défensive des civitates – que ce soit en soulignant les assauts de forteresses dès le VIIIe siècle, en utilisant le terme de civitas avec prédilection lorsque sont décrits les sièges, ou en se servant de formulations mettant en parallèle civitates et castella. On pourrait presque affirmer que la réalité des combats devenus plus fréquents autour des anciennes villes romaines a influencé le discours des annalistes et leur système de représentation. Dans les Annales de Fulda, les localités associées à la royauté sont principalement les palais des Carolingiens situés hors des grands centres. C’était certes déjà souvent le cas dans les Annales royales. Les trésors pris aux Avars sont amenés par les Francs au palatium d’Aix-la-Chapelle154. Plus loin, ce sont les reliques de saint Marcellin qui sont apportées au même palatium155. Les palais sont également mentionnés à de nombreuses reprises en tant que lieux de résidence156. Qu’en est-il des castra et castella chez les Francs ? Würzburg, où Boniface fonde un siège épiscopal, est un castrum – bien que le passage soit dépendant d’autres sources157. Andernach est un castellum158, de même que Coblence où ont lieu des rencontres décisives entre les fils de Louis le Pieux lors des conflits avec leur père et lors de la succession159. Un « certain castellum », situé près 152

AF, a. 721, p. 2 ; a. 727, p. 3 ; a. 762, p. 7: les informations sont reprises d’une source plus ancienne, le Chronicon Laurissamense breve. Voir Chronicon Laurissense breve, éd. H. Schnorr von Carolsfeld, dans Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde, 36, 1910, 2,7, p. 24 ; 2,13, p. 25 ; 2,16, p. 25 ; 2,17, p. 25 ; 3,24, p. 29. AF, a. 836, p. 27 ; a. 853, p. 43 ; a. 881, p. 97 ; a. 882, p. 97 ; AF, a. 882, p. 97 ; a. 842, p. 38 ; a. 871, p. 73 ; a. 879, p. 93 ; a. 880, p. 95. 153 Voir R. Friedrich, Ottonenzeitliche Befestigungen im Rheinland und im Rhein-Main-Gebiet, dans J. Henning (éd.), Europa..., op. cit., p. 351-363. 154 AF, a. 796, p. 13. 155 AF, a. 828, p. 25. 156 AF, a. 832, p. 26 ; a. 835, p. 27 ; a. 836, p. 27 ; a. 841, p. 38 ; a. 870, p. 72 ; a. 873, p. 78 ; a. 874, p. 83 ; a. 876, p. 86 ; a. 876, p. 89 ; a. 877, p. 90 ; a. 816, p. 20 ; a. 879, p. 92 ; a. 788, p. 11 ; a. 878, p. 92 ; a. 876, p. 86 ; a. 870, p. 71 ; a. 791, p. 12 ; a. 836, p. 27 ; a. 806, p. 16 ; a. 821, p. 22. 157 AF, a. 746, p. 5. 158 AF, a. 859, p. 53 ; a. 876, p. 88. 159 AF, a. 842, p. 34 ; a. 848, p. 37 ; a. 857, p. 47 ; a. 858, p. 49 ; a. 860, p. 54 ; a. 882, p. 97.

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de Verdun, est évoqué alors que le fils de Lothaire, Hugues, y est assiégé par les représentants du roi160. Il est question de forteresses franques érigées aux frontières du royaume, comme le castellum Hohbuochi sur les rives de l’Elbe161 ou le castrum d’Esesfelth162. On constate donc que, contrairement aux auteurs des Annales royales, les annalistes de Fulda ne font guère de différence entre les civitates et les castella ou castra. Alors que les fonctions défensives et militaires des civitates sont désormais beaucoup plus présentes, les castra ne sont aucunement confinés à des rôles militaires163. Comparons maintenant avec les régions en périphérie de l’Empire franc. En Saxe, on rencontre des castra et castella. Charlemagne se saisit du castrum d’Eresburg164 ; celui de Sigiburgum est également assailli165. Lorsque Hambourg est attaqué par les Normands, il s’agit d’un « castellum en Saxe »166. Les Slaves, en revanche, possèdent des civitates et urbes autant que des castella167. L’évêque Otgar d’Eichstätt, le comte Rudolt et le duc Ernest, partis en expédition contre la Bohême, attaquent la civitas du dux Wiztrach, où se trouve le fils de celui-ci, Sclavitag – dans les mots de l’annaliste, il « exerçait alors dans celle-ci (c’est-à-dire dans la civitas) sa tyrannie »168. Après sa fuite, Sclavitag est remplacé par son frère, acquis aux Francs. Lors d’une autre expédition, les guerriers de Bohême sont mis en déroute. Les Francs « en tuèrent certains, d’autres se noyèrent dans la Vltava ; ceux cependant qui purent s’échapper s’enfuirent dans les civitates »169. Après que Rastiz ait été fait prisonnier, Carloman pénètre dans le royaume de celui-ci et prend possession de « toutes les civitates et tous les castella »170. Ce Rastiz a en outre une « forteresse (munitio) indescriptible, qui ne pouvait être comparée à aucune des plus anciennes. » En s’y rendant, Carloman détruit « toutes les enceintes (moenia)

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AF, a. 879, p. 93-94. AF, a. 810, p. 18 ; a. 811, p. 18. 162 AF, a. 809, p. 17. Les auteurs des Annales royales l’avaient désigné comme civitas et comme castellum, mais pas comme castrum. 163 Les auteurs des Annales de Fulda mentionnent des agglomérations et des forteresses pour d’autres régions. En Septimanie : AF, a. 778, p. 9. En péninsule Ibérique: AF, a. 797, p. 13 ; a. 801, p. 15 ; a. 798, p. 14 ; a. 809, p. 17. En Italie : AF, a. 774, p. 9 ; a. 755, p. 7 ; a. 846, p. 36 ; a. 802, p. 15 ; a. 804, p. 16 ; a. 869, p. 68 ; a. 874, p. 82 ; a. 883, p. 100. 164 AF, a. 772, p. 8 ; a. 775, p. 9. 165 AF, a. 776, p. 9. 166 AF, a. 845, p. 35. 167 D. Geuenich et T. Zotz, Castra…, art. cit., p. 811-812. 168 Otgarius episcopus et Hruodoltus comes palatii et Ernustus filius Ernusti ducis cum hominibus suis in Boemanos missi civitatem Wiztrachi ducis ab annis multis rebellem occupaverunt, expulso ab ea Sclavitago filio Wiztrachi, qui tyrannidem tunc in ea exercebat. AF, a. 857, p. 47. 169 In fugam verterunt et alios quidem occiderunt, alios vero in fluvio Waldaha submerserunt ; qui autem evadere potuerunt, in civitates defecerunt. AF, a. 872, p. 76. 170 AF, a. 870, p. 70-71. 161

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de cette région »171. Il est à nouveau question plus loin de cette forteresse alors qu’elle est attaquée par Svatopluk  ; elle est alors décrite comme «  l’urbs ancienne de Rastiz »172. Ce qui est à retenir dans le discours des Annales de Fulda, c’est que les forteresses des Slaves – en même temps que le rôle militaire de celles des Francs gagne en importance – ont des fonctions élargies par rapport à celles des Annales royales. Les places fortes des Slaves ne sont plus seulement des castella au sein de conflits armés, elles sont aussi des lieux de résidence, comme c’est explicitement le cas pour la civitas de Wiztrach. Cela ne veut pas dire que les forteresses des Slaves n’avaient pas eu cette fonction auparavant – cependant, elle n’était pas encore perçue et décrite explicitement par les auteurs francs. On observe donc avec les Annales de Fulda un changement important par rapport aux sources précédentes. D’une part, les auteurs des Annales royales et d’autres sources dépendantes de celles-ci avaient distingué entre deux types de civitates, les anciennes villes romaines et les castella en périphérie. D’autre part, la tradition des sources hagiographiques saxonnes déniait aux régions sans passé romain la possibilité de posséder des civitates. Les auteurs des Annales de Fulda, au contraire, n’hésitèrent pas à attribuer des civitates et urbes aux Slaves et en même temps s’efforcèrent dans leurs descriptions de faire disparaître les différences entre les villes d’origine romaine et les places fortes des Slaves. On peut supposer que cela ait été dû à un changement de point de vue : les annalistes de Fulda n’avaient plus sous les yeux les anciennes villes romaines, mais les nouvelles forteresses saxonnes. Les différences entre centre et périphérie leur apparurent sans doute moins fondamentales qu’à leurs prédécesseurs. La Vie de saint Ansgar par Rimbert Le moine Rimbert († 888) est l’auteur d’une Vie de saint Ansgar dans laquelle il raconte la vie et les péripéties de l’évêque et missionnaire Ansgar († 865), qui s’était rendu à plusieurs reprises en Scandinavie pour propager la foi chrétienne173. Rimbert avait été un disciple de son héros et il composa son œuvre peu de temps après la mort du missionnaire. Il écrivait pour justifier la 171

Qui dum cum exercitu sibi commisso in illam ineffabilem Rastizi munitionem et omnibus antiquissimis dissimilem venisset, Dei auxilio fretus omnia moenia regionis illius cremavit incendio. AF, a. 869, p. 69. 172 Urbem antiquam Rastizi ingressus est. AF, a. 871, p. 74. 173 W. Beutin, Bremen als Ausgangsort der Skandinavien-Missionierung in Rimberts AnsgarVita, oder : ... sed quaevis pagina veram / Ecclesiae laudem canit hystoriamque Bremensem, dans Jahrbuch der Oswald von Wolkenstein-Gesellschaft, 16, 2006/2007, p. 1-16 ; J. T. Palmer, Rimbert’s Vita Anskarii and Scandinavian Mission in the Ninth Century, dans The Journal of Ecclesiastical History, 55, 2, 2004, p. 235-256 ; I. Wood, The Missionary..., op. cit., p. 123-134 ; T.

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situation contestée de l’archevêché de Hambourg-Brême à sa propre époque174. On peut donc croire qu’il était très bien renseigné, qu’il avait accès à des témoins de première main et même qu’il avait peut-être participé lui-même aux expéditions d’Ansgar en Scandinavie175. Il s’agit là d’une source extrêmement précieuse pour des régions à propos desquelles nous sommes très peu informés, d’autant plus que l’endroit que Rimbert décrivit avec le plus de détails et d’intérêt est l’établissement portuaire de Birka, sur les rives du lac Mälar, près de l’actuelle ville de Stockholm. Rimbert décrivit, outre le siège archiépiscopal de Hambourg dont il était originaire, plusieurs agglomérations situées sur les rives de la mer Baltique, tout d’abord Birka qui était le but du voyage missionnaire d’Ansgar, mais aussi Sliaswich (c’est-à-dire Haithabu)176 ainsi que des forteresses chez les peuples slaves et baltes au sud et à l’est de cette même mer. Birka apparaît dans le récit de Rimbert dès le premier voyage d’Ansgar chez les Svear. Le navire d’Ansgar arrive au « portus de ce royaume, qui est nommé Birka »177. Henri Pirenne a déjà fait remarquer que portus signifie, en latin classique tout comme en latin du haut Moyen Âge, à la fois « port » et « agglomération portuaire »178. L’agglomération de Birka elle-même a ensuite droit à la dénomination de vicus179. Alors que l’établissement est attaqué par des pirates, il est décrit comme un vicus où se trouvent entre autres, selon Klapheck, Der heilige Ansgar und die karolingische Nordmission, Hanovre, 2008 (Veröffentlichungen der Historischen Kommission für Niedersachsen und Bremen, 242), passim. 174 E. Knibbs, Ansgar, Rimbert and the Forged Foundations of Hamburg-Bremen, Farnham, Burlington, 2011 (Church, Faith and Culture in the Medieval West), passim. 175 D. Fraesdorff, Der barbarische… op. cit., p. 130 ; W. Haas, Foris apostolus – intus monachus. Ansgar als Mönch und « Apostel des Nordens », dans Journal of Medieval History, 11, 1, 1985, p. 1-30 ; E. Odelman, Ansgar’s Life – a Piece of Carolingian Hagiography, dans A. Andrée et E. Kihlman (éd.), Hortus troporum. Florilegium in honorem Gunillae Iversen. A Festschrift in Honour of Professor Gunilla Iversen at the Occasion of Her Retirement as Chair of Latin at the Department of Classical Languages, Stockholm University, Stockholm, 2008 (Acta Universitatis Stockholmiensis. Studia Latina Stockholmiensia, 54), p. 290-296 ; R. Düchting, Rimbert, dans Die deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon, vol. 8, 1992, col. 77-79 ; Klapheck, Der heilige Ansgar…, p. 16-21. Même s’il s’est servi de nombreux documents falsifiés pour justifier la situation irrégulière de l’archevêché de Hambourg-Brême, Rimbert aurait, selon Eric Knibbs, eut peu de raison de trafiquer le récit de la mission d’Ansgar chez les Svear. Voir E. Knibbs, Ansgar..., cité p. 77, n. 174 p. 221-222. 176 À propos du toponyme, voir W. Laur, Haiðaby. Namenkundliches, dans Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, vol. 13, 1999, p. 361-363 ; id., Haithabu. Eine frühmittelalterliche Namenform im modernen Sprachgebrauch, dans Beiträge zur Schleswiger Stadtgeschichte, 14, 1969, p. 67-76. 177 Portus regni ipsorum, qui Birka dicitur. Rimbert, Vita Anskarii, dans Vita Anskarii auctore Rimberto, Vita Rimberti, éd. G. Waitz, Hanovre, 1884 (M. G. H. Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 55), c. 11, p. 32. 178 H. Pirenne, Les Villes…, op. cit., p. 51. 179 Rimbert, op. cit., c. 11, p. 32.

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Rimbert, des marchands. Dans son tableau de l’attaque, l’hagiographe signale que les habitants du vicus s’enfuient dans une forteresse à peu de distance de là, « à la civitas qui était située tout près »180. Cette civitas est désignée plus loin comme une urbs181. Ce n’est pas le seul établissement que Rimbert décrit de cette façon. Mentionnant Sliaswich, Rimbert raconte qu’Ansgar y fait construire une église, « dans un certain portus du royaume de celui-ci (c’est-à-dire du roi Horic Ier), le plus convenable pour cela et le plus proche de cette région (c’est-à-dire du Danemark), appelé Sliaswich. » L’endroit est immédiatement caractérisé par la présence de nombreux marchands182. Plus loin, Rimbert le désigne comme un vicus pour lequel un comte est responsable183. On peut signaler un autre établissement, aussi désigné comme un vicus par Rimbert : il s’agit de Ribe sur la côte occidentale du Jutland. L’hagiographe le qualifie ainsi alors qu’il raconte que le roi Horic y fait construire une église184. Le siège épiscopal de Hambourg est bien entendu caractérisé comme une civitas, tout d’abord lorsque l’hagiographe mentionne qu’un siège archiépiscopal y est fondé185. Rimbert décrit l’endroit plus en détail lorsqu’il relate l’assaut des Vikings en 845. Il évoque à ce moment d’une part ceux qui se trouvent « dans l’urbs elle-même » (in urbe ipsa) et d’autre part « ceux qui habitent dans le faubourg » (in suburbio manentes). Les pirates s’attaquent alors à la civitas et, peu après, les habitants s’enfuient de l’endroit (a loco ipso). Ensuite, les Normands pillent la forteresse et le vicus, s’emparant de tout ce qu’ils y trouvent : « la civitas fut détruite et tout ce qu’il y avait soit dans celle-ci, soit dans le vicus tout proche, fut pillé »186. L’hagiographe distingue donc plusieurs types d’habitat : d’abord le portus, équivalent du vicus, caractérisé par ses activités marchandes – à Birka, à Sliaswich, à Ribe, mais aussi pour le faubourg de Hambourg – , ensuite la civitas : ce peut être la place forte près du vicus de Birka, qui est présentée comme en étant expressément séparée ; ce peut aussi être le siège archiépiscopal, ou la forteresse principale, urbs ipsa, de Hambourg, à laquelle est jointe une agglomération secondaire, un suburbium ou vicus. Ce n’est que dans le

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Ad civitatem, quae iuxta erat. Rimbert, op. cit., c. 19, p. 42. Rimbert, op. cit., c. 19, p. 42. 182 In portu quodam regni sui ad hoc aptissimo et huic regioni proximo Sliaswich vocato. Rimbert, op. cit., c. 24, p. 52. 183 Rimbert, op. cit., c. 31, p. 63. 184 Rimbert, op. cit., c. 32, p. 64. 185 Rimbert, op. cit., c. 12, p. 34. À propos de la fondation de l’archevêché, voir W. Haas, Foris…, art. cit., p. 10-11, 19-20 et E. Knibbs, Ansgar…, citée p. 77, n. 174 passim. 186 Arrepta civitate et omnibus quae in ea vel in vico proximo erant spoliatis. Rimbert, op. cit., c. 16, p. 37. 181

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second cas que civitas prend éventuellement une signification globale, désignant l’ensemble de l’agglomération. Le récit de Rimbert introduit d’autres exemples de civitates dans l’espace baltique. L’hagiographe évoque ainsi une forteresse qui se trouve sur la côte méridionale de la mer Baltique. Il ne lui donne pas de nom, mais la décrit comme «  une certaine urbs située loin de là aux confins des terres des Slaves »187. Cette forteresse et ses habitants sont les victimes des assauts et du pillage opérés par les pirates scandinaves. Selon Rimbert, les Coures (Curi) sont dotés de « cinq forteresses », quinque civitates188. Alors que la région est assaillie par des pirates danois, les habitants de la contrée se réfugient dans les places fortes afin de les défendre. Peu après, ils sont à nouveau assiégés, cette fois par des Svear. On trouve alors là « une certaine urbs de ce royaume (c’està-dire la Courlande) appelée Seeburg », dans laquelle se trouvent, selon l’hagiographe, 7  000 guerriers, et ensuite «  une autre urbs appartenant à eux-mêmes (c’est-à-dire les Coures), qui est dite Apulia », qui aurait 15 000 défenseurs189. Bien entendu, il n’y a pas que Birka et ces forteresses des Slaves et des Baltes qui soient des urbes ou civitates : il y a aussi les villes d’origine romaine et les sièges épiscopaux de l’Empire. Tous sont désignés comme des civitates par Rimbert : Cologne, Constance, Worms190 et, bien entendu, le siège archiépiscopal auquel il est rattaché, Hambourg. Qu’est-ce donc qu’une civitas pour Rimbert ? Il est saisissant de constater que l’hagiographe utilise le mot de façon différente selon la situation, qu’il décrive des lieux situés soit à l’intérieur de l’orbe chrétien et occidental, soit à l’extérieur de celui-ci. Dans le premier cas, il s’agit de sièges d’évêchés, qui sont tous sauf Hambourg d’origine romaine. Dans le second cas, il s’agit sans l’ombre d’un doute seulement de fortifications, qui parfois sont expressément distinguées d’autres types d’agglomération. Ainsi, à Birka, Rimbert fait une différence nette entre l’agglomération des marchands et artisans, vicus ou portus, et la forteresse qui se trouve tout près. Cette civitas, tout comme celles des Slaves et de la Courlande, ne sert qu’à la protection des habitants de la région, qui s’y réfugient et la défendent. Il ne s’agit pas d’un terme désignant le complexe d’habitat. On constate donc que Rimbert se situe dans la tradition des Annales royales. 187

Urbs quaedam longius inde posita in finibus Slavorum. Rimbert, op. cit., c. 19, p. 43. Rimbert, op. cit., c. 30, p. 60. Certains chercheurs ont cru que ces civitates auraient été non pas des forteresses, mais des territoires. À propos de cette problématique, voir S. Rossignol, Civitas…, art. cit., p. 80-82. Rimbert utilise selon toute apparence, quelques pages plus loin, civitas comme synonyme d’urbs. Rimbert, op. cit., c. 30, p. 61. 189 Ad quandam urbem regni ipsorum vocatam Seeburg (…) ad aliam urbem ipsorum, quae Apulia dicebatur. Rimbert, op. cit., c. 30, p. 60-61. 190 Rimbert, op. cit., c. 23, p. 48-51. 188

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La Conversio Bagoariorum et Carantanorum Le texte connu sous le titre de Conversio Bagoariorum et Carantanorum a été composé vers 870 par un auteur anonyme de l’entourage de l’archevêque de Salzbourg et traite de la mission bavaroise chez les Slaves. L’auteur cherchait à défendre les droits de son église face aux activités missionnaires de Méthode. Il prétendait que les Carinthiens avaient été convertis dès le VIIIe siècle par les moines d’un monastère situé près de Salzbourg. Les travaux de Herwig Wolfram et de Thomas Lienhard ont clarifié la manière dont l’auteur mêla des informations vraies et fausses pour former un récit invraisemblable défendant ses positions191. Dans la Conversio…, ce sont tout d’abord les agglomérations d’origine romaine qui sont désignées comme civitates. Ainsi est-il mentionné que l’évêque Rupert se trouvait dans la civitas de Worms192. Il s’agit du siège de son évêché, qu’il quitta ensuite pour aller fonder un monastère et une église à Salzbourg193. Quant à Ratisbonne, un ancien castrum romain devenu ensuite siège d’un évêché, elle a droit au titre de civitas194. Le siège épiscopal de Lorch est également une civitas195. L’anonyme raconte en outre qu’  aux temps anciens, au sud du Danube, dans les régions de la Pannonie inférieure et dans les terres avoisinnantes, les Romains possédèrent la contrée et y construisirent des civitates et des munitiones pour la défense ainsi que de nombreux autres édifices, comme on peut l’observer encore aujourd’hui196.

En revanche, il est étonnant de constater que le siège de l’archevêché dont provient l’auteur, Salzbourg, n’est jamais désigné comme étant une civitas197.

191 F. Lošek, Einleitung, dans id., Die Conversio Bagoariorum et Carantanorum und der Brief des Erzbischofs Theotmar von Salzburg, Hanovre, 1997 (M. G. H. Studien und Texte, 15), p. 5-8 ; H. Wolfram, Salzburg. Bayern. Österreich. Die Conversio Bagoariorum et Carantanorum und die Quellen ihrer Zeit, Vienne et Munich, 1995 (Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung. Ergänzungsband 31), p. 193-336 ; T. Lienhard, De l’intérêt d’une identité ethnique : les chefs slaves et la Chrétienté d’après la Conversio Bagoariorum et Carantanorum, dans R. Corradini, R. Meens, C. Pössel et P. Shaw (éd.), Texts and Identities in the Early Middle Ages, Vienne, 2006 (Forschungen zur Geschichte des Mittelalters, 13), p. 401-412. 192 Conversio Bagoariorum et Carantanorum, éd. F. Lošek, dans F. Lošek, Die Conversio..., op. cit., cité p. 80, n. 191, c. 1, p. 90. 193 H. Wolfram, Salzburg…, cité p. 80, n. 191, p. 245-251. 194 Conversio…, op. cit., c. 1, p. 92. 195 Conversio…, op. cit., c. 1, p. 94. 196 Antiquis enim temporibus ex meridiana parte Danubii in plagis Pannonię inferioris et circa confines regiones Romani possederunt ipsique ibi civitates et munitiones ad defensionem sui fecerunt aliaque edificia multa, sicut adhuc apparet. Conversio…, op. cit., c. 6, p. 108-110. 197 Voir F.  Koller, Zur Terminologie präurbaner Siedlungen zwischen Inn und Enns, dans C. Rohr (éd.), Vom Ursprung..., op. cit., p. 205-224 ; T. Lienhard, La Royauté..., art. cit., p. 286-287.

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L’ancien municipium romain, Iuvavum, qui est introduit dans le récit lorsque Rupert y obtient des terres pour y fonder une église, est dépeint comme un certain lieu (locus) près du fleuve Salzach (Ivarum), portant le nom antique de Iuvavum, où avaient été magnifiquement construits dans les temps anciens de nombreux édifices, alors presque complètement tombés en ruines et entièrement couverts par la forêt198.

Rupert y fait donc construire une « belle église »199 et un monastère200. Quelques lignes plus loin, l’endroit est qualifié de castrum201. Notons cependant que Salzbourg n’était pas encore un siège épiscopal à l’époque de Rupert. Ce n’est que tardivement, soit vers 800, que l’on attribua rétrospectivement à Rupert le titre d’évêque. Ce fut en fait son successeur Virgile qui, en 749, fut le premier à devenir évêque de Salzbourg et ce fut Arn qui obtint en 798 le titre d’archevêque. En outre, la Conversio… est dépendante d’une source antérieure, les Gestes de Hrodbert, évêque de Salzbourg, dont la version qui nous est parvenue n’est cependant sans doute pas celle utilisée par l’auteur du IXe siècle202. Or, les passages que nous venons de citer sont repris presque mot pour mot de ces Gesta203. Malgré tout, l’auteur de la Conversio… était libre d’adapter son vocabulaire et il n’a apparemment pas jugé important de faire rétrospectivement de Salzbourg une civitas. Il ne le fit pas plus d’ailleurs lorsqu’il était question de l’époque de Virgile et d’Arn, car même à partir de ce moment, Salzbourg n’est jamais qualifiée de civitas. En ce qui concerne les établissements se trouvant chez les Slaves, l’auteur anonyme raconte qu’un certain chorévêque nommé Modeste a été envoyé par Virgile de Salzbourg chez les Carinthiens et a fondé sur leurs terres plusieurs

198

Aliquem esse locum iuxta fluvium Ivarum antiquo vocabulo Iuvavensem vocatum, ubi antiquis scilicet temporibus multa fuerunt mirabiliter constructa edificia et tunc pene dilapsa silvisque cooperta. Conversio…, op. cit., c. 1, p. 94. 199 Formosam edificans ecclesiam. Conversio…, op. cit., c. 1, p. 96. 200 Conversio…, op. cit., c. 1, p. 96. 201 Conversio…, op. cit., c. 1, p. 96. 202 H. Wolfram, Salzburg..., cité p. 80, n. 191, p. 227 ; T. Lienhard, « Les Chiens... », op. cit., p. 214 ; M. Diesenberger, Sammeln und gestalten – erinnern und vergessen. Erzbishof Arn von Salzburg und die Ursprünge des Salzburger Episkopats, dans W. Pohl (éd.), Die Suche nach den Ursprüngen. Von der Bedeutung des frühen Mittelalters, Vienne, 2004 (Österreichische Akademie der Wissenschaften, phil.-hist. Klasse. Denkschriften, 322. Forschungen zur Geschichte des Mittelalters, 8), p. 171-189. 203 Aliquem esse locum iuxta fluvium Ivarum, antiquo vocabulo Iuvavensem vocatum, quo tempore Romanorum pulchra fuissent habitacula constructa, quae tunc temporis omnia dilapsa et silvis fuerant obtecta. (...) formosam aedificans ecclesiam. Gesta Hrotberti episcopi Salisburgensis, éd. W. Levison, Hanovre et Leipzig, 1913 (M. G. H. Scriptores rerum Merovingicarum, 6), c. 6-8, p. 160.

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églises204. L’une est dédiée à la Vierge Marie, l’autre construite dans la civitas de Liburnia, pour une autre encore la localisation est décrite comme ad Undrimas. Enfin, on en retrouve « d’autres en de très nombreux endroits »205. Il est aussi question de la fondation d’une église sur les terres du prince slave Priwina. À la demande de celui-ci, l’archevêque de Salzbourg Liupram a envoyé des maçons, des peintres, des forgerons et des charpentiers. Ils ont édifié sur l’ordre de Liupram une « église honorable » dédiée à saint Adrien dans la civitas dudit Priwina, Mosapurc206. À l’intérieur de cette même civitas se trouve déjà une église consacrée à saint Jean-Baptiste. « Hors de la civitas » existent également de nombreuses églises, qui toutes ont été fondées sous le règne de Priwina et consacrées par les archevêques de Salzbourg, dans des endroits nommés par l’auteur207. Cette même civitas de Mosapurc est ensuite qualifiée de castrum, alors qu’il est raconté que l’archevêque Adalwin y a célébré Noël en compagnie de Chezilo, le fils de Priwina208. L’utilisation que fait l’auteur de la Conversio… du terme de civitas est curieuse. Il peut certes s’agir, selon l’acception alors la plus répandue, d’une ville d’origine romaine – ce sont avant tout les Romains qui construisent des civitates, comme l’indique l’anonyme. Pourtant, le lien entre romanité, siège épiscopal et civitas est loin d’être toujours présent : l’auteur ne voit guère la nécessité de distinguer le siège de son archevêché, bien qu’il soit bel et bien d’origine romaine, du titre de civitas ; cependant, la forteresse du prince slave Priwina, qui n’a absolument rien à voir avec les Romains, est d’emblée une civitas – bien qu’elle soit aussi un castrum. Or, nous savons depuis les travaux de Thomas Lienhard que l’auteur de la Conversio… cherche délibérément à estomper les différences entre Francs et Slaves. Ainsi, il ne fait aucune mention du fait que les Slaves parlent une langue autre que les Francs, ou de quelconques autres différences culturelles. Il cherche à montrer que les Carinthiens et Priwina sont intégrés à l’orbe de Salzbourg et tente donc de contrer toute tentative de création d’une organisation séparée pour ceux-ci. Puisqu’ils sont bien intégrés, ils ne présentent aucune spécificité. Ce sont seulement les Slaves hors de la sphère d’influence des Francs qui sont présentés comme possédant une culture différente209. L’usage que fait l’auteur de la Conversio… du terme de civitas correspond à cette stratégie. Les Carinthiens ne sont pas différents des Francs, donc leur 204

H. Wolfram, Salzburg…, cité p. 80, n. 191, p. 280. Qui venientes Carentanis dedicaverunt ibi ecclesiam sanctę Marię et aliam in Liburnia civitate seu ad Undrimas et in aliis quam plurimis locis. Conversio…, op. cit., c. 5, p. 106. 206 Qui infra civitatem Priwinę honorabilem ecclesiam construxerunt, quam ipse Liuprammus ędificari fecit (…). Conversio…, op. cit., c. 11, p. 126. 207 Conversio…, op. cit., c. 11, p. 126. 208 Conversio…, op. cit., c. 13, p. 130-132. 209 T. Lienhard, « Les Chiens... », op. cit., p. 295. 205

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habitat ne diffère guère non plus du leur. Ils ont également droit à des civitates. Mais cette ressemblance tend à amoindrir fortement la spécificité de ce qu’est une civitas et ce qui la différencie d’autres types d’agglomérations – son rôle dans la hiérarchie ecclésiastique ou son lien avec la civilisation romaine. En conséquence, il n’est plus guère important que le siège de l’archevêché de Salzbourg soit ou non une civitas. Et rien ne s’oppose à l’adéquation entre civitas et castrum lorsqu’il s’agit de la forteresse de Priwina. La Descriptio civitatum du « Géographe de Bavière » Le texte vers lequel nous nous tournons maintenant intéresse les historiens depuis plusieurs siècles et fait encore aujourd’hui l’objet de nombreuses controverses quant à son interprétation. Il s’agit d’un opuscule de géographie de deux pages manuscrites portant le titre – tel qu’indiqué dans le manuscrit – de Description des civitates et des régions dans l’espace situé au nord du Danube210, mais est mieux connu sous le nom artificiel dont les chercheurs ont affublé l’auteur anonyme, celui de « Géographe de Bavière »211. Le texte n’est conservé que dans un seul manuscrit, qui se trouve aujourd’hui à la Bayerische Staatsbibliothek à Munich et qui porte la cote Clm. 560. La seconde partie du manuscrit Clm. 560 – soit le codex dans lequel, à l’origine, la Descriptio a été mise par écrit – contient tout d’abord un traité d’astrologie : la recensio interpolata de l’Aratus latinus, ainsi que l’Ars geometriae et arithmeticae qui, au Moyen Âge, était attribuée à Boèce212. Le contexte original de rédaction et l’époque exacte à laquelle elle doit être attribuée ne sont pas clairs ; retenons tout de même que le texte a sans doute été composé à la fin du IXe siècle et peut-être été retravaillé au début du Xe siècle, quelque part en Bavière213. Des controverses vives – et, surtout, centrales pour notre propos – tournent cependant autour de l’interprétation du 210

Descriptio civitatum et regionum ad septentrionalem plagam Danubii, fol.  149v, l.  1-2. Édition : E. Herrmann, Slawisch-germanische Beziehungen im südostdeutschen Raum von der Spätantike bis zum Ungarnsturm. Ein Quellenbuch mit Erläuterungen, Munich, 1965, p. 220221. 211 Ce nom lui a été donné par Jean Potocki, à la fin du XVIIIe siècle. J. Potocki, Fragments historiques et géographiques sur la Scythie, la Sarmatie et les Slaves recueillis et commentés par Jean Potocki, Brunswick, 1796, p. 281-284. Voir H. Łowmiański, O pochodzeniu Geografa bawarskiego, dans Roczniki historyczne, XX, 1951-1952, p. 10. 212 Pour une description détaillée du codex, voir S. Rossignol, À propos du manuscrit du « Géographe de Bavière », dans J.-F. Cottier, M. Gravel et S. Rossignol (éd.), Ad libros ! Mélanges d’études médiévales offerts à Denise Angers et Joseph-Claude Poulin, Montréal, 2010, p. 49-68. 213 S. Rossignol, Überlegungen zur Datierung des Traktates des sog. Bayerischen Geographen anhand paläographischer und kodikologischer Beobachtungen, dans F. Biermann, T. Kersting et A. Klammt (éd.), Der Wandel um 1000. Beiträge der Sektion zur slawischen Frühgeschichte der 18. Tagung des Mittel- und Ostdeutschen Verbandes für Altertumsforschung in Greifswald, 23. bis

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terme civitas tel qu’il est utilisé par l’auteur de la Descriptio214. Selon une interprétation encore très répandue, la civitas serait un district ou territoire ayant en son centre une forteresse (en allemand un Burgbezirk, en polonais un terytorium grodowe)215. La civitas serait donc un ensemble administratif au sein de l’organisation territoriale, comprenant une forteresse et le territoire qui lui serait attribué. C’est ainsi cette définition que l’on retrouve dans l’article du Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, dû à Manfred Hellmann, disciple de l’école de Berlin-Ouest216. Cette définition de la civitas du « Géographe de Bavière » est l’aboutissement de l’imprégnation durable de la recherche allemande et polonaise par les travaux menés par Wolfgang H. Fritze et Henryk Łowmiański dans les années cinquante du XXe siècle, dont les résultats sont souvent repris de manière inconditionnelle, sans tenir compte des explications alternatives qui ont déjà été fournies, et généralement sans faire mention des arguments sur lesquels s’appuyaient ces interprétations. Ces deux historiens ne sont pas les seuls à avoir tenté d’expliquer la signification du terme civitas et il serait important, avant d’aller plus loin, de comprendre tout d’abord de quelle manière Fritze et Łowmiański ont construit leur argumentation et quelles autres interprétations ont déjà été mises en avant. C’est tout d’abord le mérite de l’historien de Berlin-Ouest que d’avoir cherché les modèles formels qui avaient pu inspirer l’auteur de la Descriptio, 27. März 2009, Langenweißbach, 2011 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte Mitteleuropas, 60), p. 305-316. 214 Cette question est traitée plus en détails dans S. Rossignol, Civitas... art. cit., passim. 215 W. H. Fritze, Die Datierung des Geographus Bavarus und die Stammesverfassung der Abodriten, dans Zeitschrift für slavische Philologie, XXI, 1952, p. 326-342 ; id., Probleme…, cité p. 37, n. 91, passim ; id., Untersuchungen zur frühslawischen und frühfränkischen Geschichte bis ins 7. Jahrhundert, éd. D. Kurze, W. Schich et R. Schneider, Francfort/M. et al., 1994 (Europäische Hochschulschriften. Reihe  III. Geschichte und ihre Hilfswissenschaften, 581), p.  66-68  ; H. Łowmiański, O identyfikacji…, art. cit., passim ; H. Preidel, Die slavische Stadt und ihre Problematik, dans Die Welt der Slaven, IV, 1959, p. 240-257 ; W. Schlesinger, Über mitteleuropäische..., cité p. 12, n. 10, p. 53 ; id., Burg..., cité p. 12, n. 10, p. 143 ; id., Stadt..., cité p. 12, n. 10, p. 112 ; J. Brankačk, Studien zur Wirtschaft und Sozialstruktur der Westslawen zwischen ElbeSaale und Oder aus der Zeit vom 9. bis zum 12. Jahrhundert, Bautzen, 1964 (Schriftenreihe des Instituts für Sorbische Volksforschung in Bautzen bei der Deutschen Akademie der Wissenschaften zu Berlin, 23), p. 148-149, 155-156 ; J. Herrmann, Siedlungsgefilde, Siedlungsgebiete und Stammesgebiete, dans id. (éd.), Die Slawen in Deutschland. Geschichte und Kultur der slawischen Stämme westlich von Oder und Neiße vom 6. bis 12. Jahrhundert. Ein Handbuch. Neubearbeitung, Berlin, 1985 (Veröffentlichungen des Zentralinstituts für Alte Geschichte der Akademie der Wissenschaften der DDR), p. 17-18 ; id., et E. Engel, Gesellschaftliche und politische Struktur, dans J. Herrmann (éd.), Die Slawen…, op. cit., p. 252-254 ; Christian Lübke se refère à Joachim Herrmann, mais ne mentionne pas Erwin Herrmann, voir C. Lübke, Fremde…, op. cit., p. 40. 216 M. Hellmann, Civitas III. In den slavischen Gebieten, dans Lexikon des Mittelalters, vol. II, 1983, col. 2114-2115 ; id., Civitas bei den Slawen, dans Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, vol. 5, 1984, p. 13-14. Il ne cite ni Fritze, ni Erwin Herrmann.

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un texte, on l’avouera, exceptionnel217. Fritze attira l’attention sur un genre littéraire répandu dans l’Antiquité tardive, les laterculi provinciarum, qui consistaient en des descriptions géographiques présentant de nombreuses ressemblances avec la Descriptio. Le lien formel est indéniable et il apparaît fort probable que l’auteur anonyme ait pu consulter l’un ou l’autre de ces textes et qu’il s’en soit inspiré pour composer le sien. Or, à l’époque où les laterculi ont été écrits, fit remarquer Fritze, le terme de civitas avait dans le cadre de l’administration romaine la signification d’unité géographique servant de base à l’organisation territoriale et centrée autour d’une ville, d’une urbs : il s’agissait d’un Bezirk. Donc, puisque les laterculi désignaient avec civitas bel et bien un district, argumenta ensuite Fritze, et que l’auteur de la Descriptio avait ces sources sous les yeux, il aurait raisonnablement dû se servir du vocabulaire de la même manière que ses modèles. La conclusion qui s’imposa à Fritze fut que l’auteur de la Descriptio aurait utilisé civitas dans le sens de « district » et, par conséquent, que les Slaves auraient connu un système d’organisation fondé sur des territoires ayant en leur centre une forteresse – des Burgbezirke. C’est à une conclusion semblable, mais en s’appuyant sur une argumentation toute différente, qu’arriva Henryk Łowmiański218. Tout d’abord, l’historien polonais présenta les sources latines du IXe siècle qui décrivaient des civitates chez les Slaves et en conclut que ce terme désignait pour les Francs, lorsqu’ils dépeignaient les terres des Slaves, des forteresses – mais qu’en terre franque, la civitas pouvait à l’occasion être un district219. Łowmiański cita ensuite des sources en vieux slavon, à savoir des annales russes, la Russkaya pravda et la Vie de saint Méthode, dans lesquelles – quelques passages probants à l’appui – les termes désignant la forteresse (gorod) et le territoire l’entourant (zemlja) sont utilisés comme synonymes220. Suite à cette observation, il conclut que les Slaves avaient une organisation fondée sur des districts centrés autours de places fortes – postulant que ce système aurait été dans ses grandes lignes uniforme chez tous les peuples slaves et serait resté inchangé au cours des siècles. Donc, d’après Łowmiański, les civitates que décrivait le « Géographe 217

W. H. Fritze, Probleme…, cité p. 37, n. 91, p. 146-147. J. Henning, Der slawische Siedlungsraum und die ottonische Expansion östlich der Elbe : Ereignisgeschichte – Archäologie – Dendrochronologie, dans id. (éd.), Europa im 10. Jahrhundert. Archäologie einer Aufbruchszeit. Internationale Tagung in Vorbereitung der Ausstellung « Otto der Große, Magdeburg und Europa », Mayence, 2002, p. 131-146. 218 Heinrich Felix Schmid, comparant l’organisation territoriale des Slaves occidentaux, orientaux et du Sud-Est et se servant d’une méthode régressive, était arrivé à des conclusions semblables. H. F. Schmid, Die Burgbezirksverfassung bei den slavischen Völkern in ihrer Bedeutung für die Geschichte ihrer Siedlung und ihrer staatlichen Organisation, dans Jahrbücher für Kultur und Geschichte der Slaven, N.F. II, Heft II, 1926, p. 81-132. 219 H. Łowmiański, O identyfikacji…, art. cit., p. 2-5. 220 H. Łowmiański, O identyfikacji..., art. cit., p. 5-6.

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de Bavière » auraient été les territoires associés aux forteresses, des terytoria grodowe221. Cependant, à la même époque où écrivait Wolfgang H. Fritze, une autre explication de la civitas du « Géographe de Bavière » fut proposée par Erwin Herrmann222. Celui-ci fit tout d’abord remarquer que la signification de civitas au IXe siècle était très changeante. En général, la civitas aurait désigné une ville et aurait donc été un synonyme d’urbs. Erwin Herrmann compara la Descriptio avec le texte de la Conversio Bagoariorum et Carantanorum, puisque tous les deux auraient apparemment été écrits dans la même région et plus ou moins à la même époque223. Il constata que dans la Conversio…, civitas signifiait « forteresse ». En outre, Herrmann fit remarquer que le « Géographe de Bavière » employait à l’occasion, en plus de civitas, le terme urbs – un fait que Fritze avait curieusement passé sous silence. Erwin Herrmann crut distinguer un ordre de dimensions entre ce que l’anonyme désignait comme une civitas et ce qu’il appelait une urbs munitissima – mais il n’y vit pas de différence constitutive entre les deux termes. Donc, la conclusion d’Erwin Herrmann fut que la civitas de la Descriptio aurait été non pas un district, mais tout simplement une forteresse. Depuis, les réflexions d’Erwin Herrmann sont tombées dans l’oubli, alors que les conclusions de Wolfgang H. Fritze et de Henryk Łowmiański se sont durablement imposées224. Après avoir pesé le pro et le contra de chacune de ces explications, nous y ajouterons quelques nouvelles considérations fondées sur

221

H. Łowmiański, O identyfikacji…, art. cit., p. 6. E. Herrmann, Zu Entstehung und Bedeutung des sog. Geographus Bavarus (Descriptio civitatum), dans Jahrbuch für altbayerische Kirchengeschichte, 1963, p. 80-82. 223 Voir S. Rossignol, Überlegungen..., art. cit., passim. 224 Outre les articles d’encyclopédies de Manfred Hellmann, supra, p. 84, n. 216, voir par exemple S. Brather, Archäologie…, op. cit., p. 94-95, qui interprète les civitates de la Descriptio comme des « Siedlungskammern ». Il écrit : « Apparemment, on y retrouve l’utilisation du terme antique, selon lequel il s’agit d’une ville au centre d’un district » (p. 94). Cette interprétation est omniprésente dans les travaux récents des archéologues allemands. Voir E. Gringmuth-Dallmer, Die Slawen. Nachbarn des fränkischen Reiches, dans U. von Freeden et S. von Schnurbein (éd.), Spuren der Jahrtausende. Archäologie und Geschichte in Deutschland, Stuttgart, 2003, p. 345 ; H. Jöns, Ports and Emporia of the Southern Coast : from Hedeby to Usedom and Wolin, dans A. Englert et A. Trakadas (éd.), Wulfstan’s Voyage. The Baltic Sea Region in the Early Viking Age as Seen from Shipboard, Roskilde, 2009 (Maritime Culture of the North, 2), p. 161 ; F. Ruchhöft, Vom slawischen Stammesgebiet zur deutschen Vogtei. Die Entwicklung der Territorien in Ostholstein, Lauenburg, Mecklenburg und Vorpommern im Mittelalter, Rahden/ Westf., 2008 (Archäologie und Geschichte im Ostseeraum, 4), p. 69-70. Civitas est toutefois interprété par certains chercheurs anglophones comme désignant une forteresse, bien qu’aucun d’entre eux n’explique pourquoi : voir E. J. Goldberg, Struggle for Power. Kingship and Conflict under Louis the German, 817-876, Ithaca et Londres, 2006, p. 121-132, 135-136 ; P. M. Barford, The Early Slavs. Culture and Society in Early Medieval Eastern Europe, Ithaca, 2001, p. 7. 222

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une analyse d’un corpus de sources plus vastes que ceux qu’avaient étudiés ces trois historiens. L’intérêt principal de l’interprétation de Wolfgang H. Fritze est d’avoir démontré que la Descriptio civitatum est dépendante de modèles littéraires plus anciens, les laterculi provinciarum. Certains de ces textes nous sont parvenus. Le Laterculus Veronensis, écrit au début du IVe siècle, n’est connu que par un seul manuscrit du VIIe siècle. En revanche, la Notitia Galliarum était très connue au Moyen Âge et est conservée dans une centaine de manuscrits. Un coup d’œil rapide confirme la ressemblance entre ces textes et la Descriptio civitatum constatée par Fritze. Le Laterculus Veronensis consiste principalement en une liste de diocèses, qui sont divisés en un certain nombre de provinces225. La formulation est toujours la même – ainsi, pour le diocèse d’Orient : « Le diocèse d’Orient a des provinces au nombre de dix-huit », et suit une liste des provinces226. Douze diocèses sont décrits, comprenant entre six et dix-huit provinces. Suite à cette présentation des diocèses, on retrouve une liste des « peuples barbares, qui se multiplièrent sous les empereurs »227 : on y retrouve 40 peuples, auxquels s’ajoutent les « peuples qui sont en Mauritanie »228, au nombre de dix. Il s’ensuit les noms des « civitates qui sont au-delà du Rhin »229 ; elles sont au nombre de cinq. Le traité se termine par un court paragraphe : « Toutes ces civitates au-delà du Rhin sont rapportées dans la description de la Belgique première. Au-delà du castellum de Mayence, les Romains ont possédé 80 lieues. Ces civitates ont été occupées par les barbares sous l’empereur Gallienus. Une lieue correspond à 500 milles romains »230. Les civitates dont il est question sont sans doute, comme il est d’usage à cette époque, des districts. Cela est confirmé par le fait que la liste des civitates suit directement celle des provinciae et des gentes. Cependant, on se doit de constater que cela n’est pas nécessairement évident pour un lecteur non averti. 225

Laterculus Veronensis, éd. O. Seeck, dans O. Seeck, Notitia dignitatum accedunt notitia urbis Constantinopolitanae et latercula provinciarum, Francfort/M., 1962 (d’abord paru en 1876), p. 247-253 ; avec quelques corrections, mais sans la seconde partie : T. D. Barnes, The New Empire of Diocletian and Constantine, Cambridge (Massachusetts) et Londres, 1982, p. 202-203. 226 Diocensis Orientis habet provincias numero XVIII. Laterculus…, éd. Seeck, cité p. 87, n. 225, p. 247 ; éd. Barnes, cité p. 87, n. 225, p. 202. 227 Gentes barbarae, quae pullulaverunt sub imperatoribus. Laterculus..., éd. Seeck, cité p. 87, n. 225, p. 251. 228 Item gentes, quae in Mauretania sunt. Laterculus..., éd. Seeck, cité p. 87, n.225, p. 252. 229 Nomina civitatum, trans Renum fluvium quae sunt. Laterculus..., éd. Seeck, cité p. 87, n. 225, p. 253. 230 Istae omnes civitates trans Renum in formulam Belgicae primae redactae. Trans castellum Mogontiacense LXXX leugas trans Renum Romani possederunt. Istae civitates sub Gallieno imperatore a barbaris occupatae sunt. Leuga una habet mille quingentos passus. Laterculus..., éd. Seeck, cité p. 87, n. 225, p. 253.

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D’une part, il n’est pas indiqué que la civitas est un district centré autour d’une urbs – les urbes n’étant mentionnées en aucun endroit. En outre, la mention du castellum de Mayence dans le dernier paragraphe immédiatement après la liste des civitates peut facilement créer l’illusion que castellum et civitas désignent une réalité unique. En conclusion, pour un lettré de la fin du IXe siècle en Francie orientale, pour lequel civitas et castellum sont plus ou moins des synonymes, il n’y a guère moyen de savoir ou de déduire que civitas a dans le Laterculus une signification différente de celle à laquelle il est habitué. Certes, considérant la rareté des manuscrits, la supposition selon laquelle l’auteur de la Descriptio civitatum ait pu avoir accès à ce document – ou un autre du même genre qui ne nous serait pas connu – a quelque chose d’aléatoire. En revanche, il n’est pas du tout impossible qu’il ait consulté la Notitia Galliarum231. Il s’agit d’une liste des provinces de la Gaule, pour lesquelles sont fournis des nombres précis de civitates, elles-mêmes présentées sous la forme d’une courte liste232. La formulation est pour chaque province toujours la même, par exemple : « Dans la province Lugdunensis prima, des civitates au nombre de quatre »233. On compte en tout dix-sept provinces avec entre deux et quatorze civitates. Pour chaque province, la première civitas de la liste est désignée comme une metropolis civitas. Cependant, certaines provinces comportent non seulement des civitates, mais également des castra. Ainsi, la Notitia nous indique que la province Maxima Sequanorum possédait quatre civitates. Suite à la liste de quatre noms sont ajoutées quatre localités affublées du titre de castrum et une autre de celui de portus234. Quant à la province Narbonensis prima, cinq civitates lui sont attribuées, à la suite desquelles apparaît un castrum235. La ressemblance formelle entre la Notitia Galliarum et la Descriptio civitatum est frappante. La première offre une liste de provinces auxquelles sont attribuées des civitates, l’autre une liste de peuplades auxquels sont également associées des civitates. Dans les deux cas, le nombre des civitates est précisé. Doit-on en conclure que les auteurs des deux textes comprenaient sous ce terme la même notion ? Pourtant, bien malin aurait été le lecteur franc du IXe siècle qui, confronté à la Notitia Galliarum, aurait deviné que les civitates

231

La copie du codex dit de Grimalt, réalisée à Reichenau, aurait été disponible à la cour de Louis le Germanique. Voir E. J. Goldberg, Struggle…, op. cit., p. 136, n. 76 ; B. Bischoff, Bücher am Hof Ludwigs des Deutschen, dans id., Mittelalterliche Studien, Stuttgart, 1981, vol. 3 p. 206. 232 Notitia Galliarum, éd. O. Seeck, dans O. Seeck, Notitia..., cité p. 87, n. 225, p. 261-274. 233 In provincia Lugdunensi prima civitates num. IIII. Notitia..., cité p. 87, n. 225, p. 262. 234 In provincia Maxima Sequanorum civitates num. IIII : Metropolis civitas Vesontiensium. Civitas Equestrium, Noiodunus. Civitas Eluitiorum, Auenticus. Civitas Basiliensium. Castrum Vindonissense. Castrum Ebrodunense. Castrum Argentariense. Castrum Rauracense. Portus Abucini. Notitia..., p. 87, n. 225, p. 267-268. 235 Le castrum Uceciense. Notitia..., cité p. 87, n. 225, p. 272.

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qui y étaient décrites étaient des districts. Il avait devant lui une liste de civitates parmi lesquelles apparaissaient sporadiquement des castra, voire un portus : c’étaient là tous des agglomérations, forteresses ou un établissement portuaire. Rien n’indique dans le texte qu’il s’agit dans le cas de la civitas et du castrum de quelque chose de fondamentalement différent. Au mieux, le lecteur franc aurait pu y voir une différence de dimensions, le castrum étant plus modeste que la civitas. Quant à lui, habitué à l’usage de son temps, qui ne voyait dans civitas, urbs, castellum et castrum que différents mots pour désigner une place forte, comment donc aurait-il pu deviner que dans la Notitia, la civitas était, selon l’usage antique, un district ? Il n’avait pour cela pas l’ombre d’un indice. Au contraire, l’introduction épisodique de castra et d’un portus dans la liste ne pouvait que le conforter dans son interprétation fautive. On peut donc en conclure que l’argument de Wolfgang H. Fritze selon lequel l’auteur anonyme comprenait sous civitas la même chose que ses prédécesseurs de l’Antiquité tardive est très faible. Le terme civitas avait connu au fil des siècles une évolution sémantique importante et il semble peu probable que l’auteur de la Descriptio ait compris le sens original du terme, celui qu’il avait eu dans le cadre de l’administration romaine. Il semble au contraire beaucoup plus crédible qu’il y ait entendu ce que signifiait civitas dans son propre entourage. La conclusion de Fritze – que n’appuie aucun argument supplémentaire – laisse donc à désirer. Plus flagrant est le fait que l’historien berlinois ne souffla mot de l’utilisation que fait le « Géographe de Bavière » du terme urbs. En effet, bien que civitas ait été dans l’Antiquité un district et pouvait éventuellement encore l’être au haut Moyen Âge en Europe occidentale, l’urbs n’avait jamais été, ni dans l’Antiquité ni au Moyen Âge, un district. Or, l’auteur de la Descriptio ne semble pas utiliser les deux termes de manière différente. Ce fait aurait mérité une explication de la part de Fritze, qui s’y est dérobé. Quant aux explications de Henryk Łowmiański, leur faiblesse principale réside dans le fait que les sources en vieux slavon citées par l’historien proviennent de périodes beaucoup plus tardives – même la Vie de saint Méthode, que l’on a longtemps crue être du IXe siècle malgré la tradition manuscrite tardive, semble être du XIe ou XIIe siècle et, même si elle peut avoir été plus ancienne, on sait depuis longtemps que le texte qui nous est parvenu a été manipulé ultérieurement236. Projeter le système administratif qu’elles décrivent sur les siècles précédents ainsi que postuler une organisation similaire chez tous les peuples slaves apparaît quelque peu hasardeux. En outre, on pourrait ajouter que de toute façon, même en admettant que certains des Slaves décrits par le « Géographe de Bavière » aient connu une organisation fondée sur des

236

Telle est la conclusion de Thomas Lienhard, « Les Chiens… », op. cit., p. 48-77.

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terytoria grodowe, rien n’indique que c’était ceux-ci, et non pas tout simplement les forteresses, qu’aurait eu en tête l’auteur de la Descriptio civitatum. Erwin Herrmann ne dit rien de l’influence qu’ont pu avoir les laterculi provinciarum sur la composition de la Descriptio. Toutefois, il s’est intéressé à la signification de civitas non seulement à l’époque où le texte est apparu, mais plus spécifiquement dans l’entourage d’où provient l’auteur, un entourage qui a produit à peu près à la même période la Conversio Bagoariorum et Carantanorum. En outre, il a considéré le texte dans son entier, en incluant les mentions d’urbes négligées par Fritze. Les considérations d’Erwin Herrmann nous rapprochent donc de ce que pouvait signifier civitas pour l’auteur de la Descriptio, ainsi que – ce qui n’est pas moins important – pour ses lecteurs. Ajoutons que, comme l’a fait remarquer Joachim Henning, la mention du « Géographe » selon laquelle les Bulgares n’auraient pas eu besoin de beaucoup de civitates puisqu’ils avaient une population nombreuse, semble plutôt se référer à des forteresses qu’à des territoires237. L’analyse d’un corpus de sources plus vaste donne plus de crédit à l’interprétation proposée par Erwin Herrmann qu’à celles de Fritze et Łowmiański. L’utilisation du terme de civitas dans les sources du IXe siècle pour décrire des régions à l’extérieur de l’Empire romain a été étudiée dans les pages précédentes. Il en ressort que si, pour les auteurs de la période carolingienne, la civitas comme l’urbs désigne avant tout une ville d’origine antique, lorsqu’il s’agit de régions sans tradition romaine, nous avons partout affaire à une simple forteresse. On peut reconnaître deux tendances dans les sources, l’une niant l’existence de civitates dans ces régions et en faisant une spécificité de la civilisation romaine – ce sont surtout les sources décrivant la Saxe nouvellement intégrée à l’Empire carolingien. L’autre tendance consiste à utiliser le terme de civitas pour décrire les régions du barbaricum, mais en lui donnant une nouvelle signification, celle d’une simple forteresse, un synonyme de castellum. Cette tradition est instaurée par les Annales royales franques pour être ensuite poursuivie par différents auteurs. Au moment où la Descriptio est rédigée, probablement à la fin du IXe siècle, elle est devenue courante depuis déjà près d’un siècle. Nous n’avons toutefois rencontré dans aucune des sources écrites au IXe siècle que nous avons pu consulter et décrivant les régions à l’est du Rhin de passage où civitas aurait pu avoir la signification de « district » ou de « territoire »238. Une telle acception par l’auteur de la Descriptio civitatum aurait été à tout le moins inhabituelle et étonnante. Il aurait alors utilisé le terme

237 Vulgarii regio est inmensa et populus multus habens ciuitates V eo quod multitudo magna ex eis sit et non sit eis opus ciuitates habere. Descriptio civitatum, fol. 149v, l. 12-14. Voir J. Henning, Der slawische Siedlungsraum..., cité n. 00, p. 136, n. 20. 238 S. Rossignol, Civitas..., art. cit., passim.

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dans un sens nouveau, insolite pour ses contemporains. Il nous semble que, si cela avait été le cas, il aurait tenté d’une façon ou d’une autre d’indiquer qu’il utilisait le terme dans un sens particulier – ce qu’il ne fit aucunement. * À l’époque carolingienne, on perçoit des incertitudes et des hésitations dans la manière de désigner les agglomérations situées hors de l’orbe des Francs. On distingue parfois, comme dans les Annales royales franques et chez Rimbert, une différence dans l’utilisation du terme civitas pour le centre de l’Empire franc et pour ses périphéries. Dans le premier cas, le concept a une définition stable, riche en significations et associations ; dans le second il est réducteur, désignant une simple forteresse. En revanche, on observe chez Willibald et dans les récits de translation une hésitation à utiliser le terme civitas, lourd de signification, pour désigner des lieux situés en Saxe. Même les nouveaux sièges épiscopaux ne sont pas désignés comme des civitates. Le poème De Karolo rege et Leone papa montre toutefois la grande force symbolique que peut encore posséder le concept d’urbs239. Aucune source latine du IXe siècle décrivant les régions hors de l’ancien Empire romain ne témoigne que le terme civitas ait pu désigner un district ou un territoire, comme certains historiens l’ont cru ; il ne s’agit toujours que d’une forteresse, dans la grande majorité des cas décrite dans le contexte de conflits militaires. En conséquence, les civitates dont fait état l’opuscule Descriptio civitatum ne peuvent guère avoir été autre chose, dans l’esprit de l’auteur, que des places fortes. C’est ainsi que, dans les premiers siècles de l’intégration des régions centrales et orientales de l’Europe médiévale à une culture commune, les fondements d’une nouvelle conception de la civitas ont été posés. Jusque-là, les auteurs décivant ces régions le faisaient presque tous de l’extérieur, du point de vue des Francs occidentaux. Cela allait changer au cours du Xe siècle.

239

P. Riché, La Représentation de la ville…, cité p. 50, n. 3, p. 189.

CHAPITRE II

NOUVELLES CONCEPTIONS (Xe – XIIe SIÈCLES)

Ingenua Parthenopolis, Theutonum nova metropolis. Bruno de Querfurt, S. Adalberti Pragensis episcopi et martyris vita altera, c. 4, décrivant Magdebourg

L

e Xe siècle a vu, c’est bien connu, la montée en puissance des Ottoniens en Saxe, ce qui fut accompagné d’un renouvellement culturel menant à une production historiographique, annalistique et diplomatique dans des dimensions inédites pour la région. Cela signifie donc pour nous la multiplication des sources pouvant servir à étudier les conceptions de l’habitat et, cette fois, avec le point de vue d’auteurs qui habitaient la région qu’ils décrivaient. Ces auteurs apportèrent en outre un intérêt grandissant pour les régions périphériques de la Saxe, particulièrement les contrées peuplées par des Slaves aux marges orientales du nouvel empire. En Saxe ottonienne puis dans le royaume des Saliens, des agglomérations fortifiées sans tradition antique parsemaient le territoire, centres de pouvoir aux fonctions politiques, religieuses et économiques. Les contrées peuplées par les Slaves devinrent l’objet d’une attention nouvelle – qu’il s’agisse de régions en cours d’intégration ou contrôlées par des peuples ennemis. Au début du XIIe siècle, ce fut au tour de la Pologne et de la Bohême d’être décrites de l’intérieur par deux grands chroniqueurs ; dans le cas de la Pologne s’ajoutaient des contrées conquises, intégrées ou combattues – Poméranie, terre des Prusses ou Russie de Kiev – dont le rôle n’était pas sans rappeler celui des régions périphériques de l’Empire franc dans les sources des siècles précédents. Il importe maintenant d’observer comment le concept de civitas a été adopté par ces auteurs et comment il a été adapté à la réalité des régions qu’ils connaissaient. Afin de bien les comprendre, chaque texte sera à nouveau étudié un à un. Cela sera suivi par un aperçu des informations fournies par les sources diplomatiques. Une attention particulière sera portée aux changements par rapport à la période précédente. L’œuvre de Widukind de Corvey

Les Trois Livres sur l’histoire des Saxons composés entre 967 et 973 par le moine Widukind de Corvey († après 973) forment l’une des sources narratives

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les plus importantes sur la Saxe ottonienne. L’auteur, d’origine saxonne et peut-être même, comme son nom le suggère, descendant du célèbre adversaire de Charlemagne, écrivit entre les murs du monastère de Corvey sur la Weser1. En sa qualité de moine, il a sans doute peu quitté son institution, même si l’on croit qu’il ait assisté à des événements importants à la cour des souverains saxons2. Cependant, il n’a certainement pas participé lui-même aux expéditions et conflits militaires qui forment la partie la plus importante de son œuvre et qu’il décrit avec force détails. On admet pourtant généralement qu’il était bien informé, même si ce n’était que de manière indirecte. Widukind avait des contacts dans les cercles de la haute aristocratie saxonne de son temps, comme en témoigne sa dédicace à la princesse Mathilde, et pouvait sans doute avoir recours à des témoins de première main pour se renseigner sur les événements contemporains. Notons finalement que les grandes qualités littéraires de l’auteur saxon ont été reconnues depuis longtemps3. Widukind de Corvey établit une distinction entre civitates et urbes, utilisant plus rarement le premier terme4. De plus, il constate l’existence d’urbes non seulement chez les Francs et en Saxe, mais aussi dans les territoires situés

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H. Beumann, Historiographische Konzeption und politische Ziele Widukinds von Corvey, dans Settimane di Studio del Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo XVII. La storiografia altomedievale, Spolète, 1970, p. 857-894 ; E. Karpf, Von Widukinds Sachsengeschichte bis zu Thietmars Chronicon. Zu den literarischen Folgen des politischen Aufschwung im ottonischen Sachsen, dans Settimane di Studio del Centro Italiano di studio sull’alto Medioevo XXXI. Angli e Sassoni al di qua et al di là del mare, Spolète, 1986, p. 547-580 ; G. Althoff, Widukind von Corvey. Kronzeuge und Herausforderung, dans Frühmittelalterliche Studien, 27, 1993, p. 253-272 ; id., Geschichtsschreibung in einer oralen Gesellschaft. Das Beispiel des 10. Jahrhunderts, dans id., Inszenierte Herrschaft. Geschichtsschreibung und politisches Handeln im Mittelalter, Darmstadt, 2003 (article d’abord paru en 2001), p. 105-125. 2 H. Keller, Widukinds Bericht über die Aachener Wahl und Krönung Ottos I., dans Frühmittelalterliche Studien, 29, 1995, p. 390-453 ; H. Hoffmann, Ottonische Fragen, dans Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 51, 1995, p. 53-82. 3 H. Beumann, Widukind von Korvei. Untersuchungen zur Geschichtsschreibung und Ideengeschichte des 10. Jahrhunderts, Weimar, 1950 (Abhandlungen über Corveyer Geschichtsschreibung, 3. Veröffentlichungen der Historischen Kommission des Provinzialinstituts für westfälische Landesund Volkskunde, X,3), passim ; H. Keller, Machabaeorum pugnae. Zum Stellenwert eines biblischen Vorbilds in Widukinds Deutung der ottonischen Königsherrschaft, dans id. et N. Staubach (éd.), Iconologia sacra. Mythos, Bildkunst und Dichtung in der Religions- und Sozialgeschichte Alteuropas. Festschrift für Karl Hauck zum 75. Geburtstag, Berlin et New York, 1994 (Arbeiten zur Frühmittelalterforschung, 23), p. 417-437. 4 À propos des forteresses chez Widukind, voir R. Köpke, Widukind von Korvei. Ein Beitrag zur Kritik der Geschichtsschreiber des zehnten Jahrhunderts, Berlin, 1867, p. 152-160 ; M. Bláhová, Evropská…, op. cit., p. 85-78 ; S. Rossignol, Die Burgen..., art cit., p. 33-34. J. Ehlers, « Burgen » bei Widukind von Corvey und Thietmar von Mersebourg, dans M. Kozok (éd.), Architektur, Struktur, Symbol. Streifzüge durch die Architekturgeschichte von der Antike bis zur Gegenwart. Festschrift für Cord Meckseper zum 65. Geburtstag, Petersberg, 1999, p. 27-32.

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à l’est du royaume et occupés par les Slaves. Dans ses descriptions domine constamment l’aspect défensif. On retrouve d’abord les sièges épiscopaux de Saxe ou de Francie, qui sont des urbes5. Mersebourg est ainsi mise sur un pied d’égalité avec la simple forteresse de Burgscheidungen : les deux sont présentées dans la même phrase comme des urbes6. Il est bien connu que Widukind ne mentionne nullement un des événements les plus marquants du règne d’Otton Ier († 973), l’érection de l’archevêché de Magdebourg7. Toutefois, Widukind désigne deux fois Magdebourg en sa qualité de civitas. Tout d’abord, à la toute fin du deuxième livre, lorsqu’est raconté qu’y est enterrée la reine Edith, première épouse d’Otton Ier, dans la nouvelle église8 ; ensuite, dans le troisième livre, qui se termine avec l’indication que le corps de l’empereur est également enterré à Magdebourg. Le moine de Corvey précise alors qu’Otton a lui-même fait construire « de façon magnifique » la civitas de Magdebourg9. Il n’y a cependant pas que les sièges épiscopaux qui aient droit au titre de civitas ou urbs. Des places fortes où se trouvent des palais royaux sont désignées de la même manière10. On rencontre également de simples forteresses en Saxe ou en Francie, évoquées lors de divers conflits militaires, désignées comme des urbes11. C’est également avec la signification semblable d’endroit fortifié, et dans un même contexte de conflits guerriers, que Widukind désigne

5 Augsbourg, Hambourg, Hildesheim, Mersebourg : Widukind de Corvey, Rerum gestarum Saxonicarum libri tres, éd. G. Waitz, K. A. Kehr, P. Hirsch et H.-E. Lohmann, Hanovre, 1935 (M. G. H. Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 60), 3,10, p. 110 ; 2,25, p. 88 ; 2,13, p. 78 ; 2,19, p. 83. Ratisbonne : Widukind, op. cit., 1,27, p. 40 ; 3,20, p. 115 ; 3,36, p. 120 ; 3,43, p. 123. 6 Widukind, op. cit., 2,18, p. 83. 7 D.  Claude, Geschichte des Erzbistums Magdeburg bis in das 12. Jahrhundert. Teil  1. Die Geschichte der Erzbischöfe bis auf Ruodger (1124), Cologne et Vienne, 1972, p. 63-95 ; H. Beumann, Imperator Romanorum, rex gentium. Zu Widukind III 76, dans N. Kamp et J. Wollasch (éd.), Tradition als historische Kraft. Interdisziplinäre Forschungen zur Geschichte des früheren Mittelalters, Berlin et New York, 1982, p. 214-230 ; C. Ehlers, Zur Geschichte des Magdeburger Domplatzes (805-1208), dans M. Puhle et H. Meller (éd.), Der Magdeburger Domplatz. Archäologie und Geschichte 805-1209, Magdebourg, 2006 (Magdeburger Museumsschriften, 8), p. 11-28. 8 Widukind, op. cit., 2,41, p. 100. 9 Igitur ab integro ab omni populo electus in principem transtulit corpus patris in civitatem, quam ipse magnifice construxit, vocabulo Magathaburg, Widukind, op. cit., 3,76, p. 153-154. 10 Weilburg est une civitas : Widukind, op. cit., 1,25, p. 38. Quedlinburg également : Widukind, op. cit., 1,41, p. 60-61. Quedlinburg est aussi un locus celebris : Widukind, op. cit., 3,75, p. 152. Werla est une urbs : Widukind, op. cit., 1,32, p. 45. 11 Widukind, op. cit., 2,11, p. 74-75 ; 2,15, p. 80 ; 2,22, p. 86 ; 1,36, p. 51 ; 1,23, p. 35-36 ; 2,11, p. 76 ; 1,24, p. 36 ; 3,34, p. 120 ; 2,14, p. 79 ; 3,51, p. 130-131.

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comme urbes plusieurs forteresses aux marges orientales du royaume de Saxe, chez les peuplades slaves12. Qu’est-ce donc qu’une urbs ou civitas pour Widukind ? En comparant ce qu’il désigne ainsi à la fois chez les Saxons et chez les Slaves, on observe que le dénominateur commun est formé, dans son esprit, par les fortifications13. C’est ce qui distingue l’urbs d’une villa ou d’un simple locus sans précision. Dans certains cas, l’urbs peut obtenir une caractéristique supplémentaire : elle est un palais royal ou un siège épiscopal. Mais cette signification s’y ajoute et ne remplace pas celle, minimale, de forteresse. On note toutefois que le moine de Corvey est plus parcimonieux avec le terme de civitas, qui semble avoir chez lui une connotation plus prestigieuse. On constate en effet qu’il n’utilise civitas que pour désigner trois endroits : Werla, Quedlinburg et Magdebourg. Or, ces trois endroits possèdent dans sa narration une caractéristique commune : on y retrouve des sépultures royales. C’est toujours en rapport avec l’enterrement d’un roi ou d’une reine que Widukind qualifie ces trois endroits de civitates : après la mort de Conrad Ier († 918), d’Henri Ier († 936), puis d’Edith et d’Otton Ier. Dans le dernier cas, il précise que c’est Otton lui-même qui a fait ériger la civitas : il s’agit ici aussi avant tout d’une place forte. Pour le moine de Corvey, une urbs est avant tout une forteresse, qui peut toutefois remplir d’autres fonctions. L’usage de civitas est limité et dénote un lien avec la royauté14. Widukind est le premier auteur – sauf les sources diplomatiques, auxquelles nous reviendrons – à ne montrer aucune hésitation à qualifier les forteresses de Saxe d’urbes et de civitates. Bien que les auteurs de la période carolingienne aient à l’occasion utilisé ces termes pour décrire les places fortes des Slaves ou situées aux frontières orientales de l’Empire franc, ils ne voyaient toujours en Saxe que des castra et des castella. Cela est sans

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Brandebourg, Gana, Prague : Widukind, op. cit., 1,35, p. 49-50. Lenzen : Widukind, 1,36, p.  52. Probablement Oldenburg/Starigard  : Widukind, op.  cit., 3,68, p.  142, voir note de l’éditeur ; L. Leciejewicz, Słowianie zachodni. Z dziejów tworzenia się średniowiecznej Europy, Wrocław et al., 1989, p. 193. 13 Selon Rudolf Köpke, l’urbs de Widukind serait « une place fortifiée par une enceinte » (« ein durch Mauern befestigter Platz »). R. Köpke, Widukind..., op. cit., p. 153. Voir aussi J. Ehlers, « Burgen »..., cité p. 94, n. 4, p. 27 ; C. Frey, Die Grenzlandschaft als Burglandschaft. Sachsens Osten zwischen Peripherie und Mittelpunkt, dans N. Bock, G. Jostkleigrewe et B. Walter (éd.), Faktum und Konstrukt. Politische Grenzziehungen im Mittelalter : Verdichtung – Symbolisierung – Reflexion, Münster, 2011, p. 143-144. 14 Selon Rudolf Köpke, Widukind n’aurait pas fait de différence entre urbs et civitas. R. Köpke, Widukind..., op. cit., p. 155. À propos de Werla chez Widukind, voir C. Frey, Burgen und symbolische Kommunikation – Werla und Harzburg, dans Burgen und Schlösser, 51, 2010, p. 162163. À propos du lien entre civitates et royauté, voir C. Frey, Frühmittelalterliche Burgen als erzählte Orte, dans P. Ettel, A.-M. Flambard Héricher et K. O’Connor (éd.), L’Origine du château médiéval. Actes du colloque international de Rindern (Allemagne), 28 août-3 septembre 2010, Caen, 2012 (Château Gaillard. Études de castellologie médiévale, 25), p. 180-181.

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doute dû en partie au conservatisme des sources latines toutes dépendantes les unes des autres. L’œuvre du moine de Corvey représente donc une rupture décisive avec cette tradition. Il ne voit plus la nécessité, contrairement au clerc anonyme de Paderborn, de contourner le problème pour ne pas contredire ses prédécesseurs. L’assurance de Widukind est frappante. Pour lui, il ne fait pas de doute que la Saxe possède ses urbes et civitates. Cela a ensuite pour conséquence que Widukind ne fait aucune différence entre le centre et la périphérie, entre les terres franques, la Saxe et les régions habitées par les Slaves15. Les annales de Hildesheim et de Quedlinburg Venons-en à nouveau à une œuvre annalistique, les Annales de Hildesheim. La version qui nous est parvenue est une forme écourtée, qu’il est coutume de désigner comme Annales Hildesheimenses minores et qui fut rédigée au monastère Saint-Michel de Hildesheim. Leur source principale était les Annales Hildesheimenses maiores du chapitre cathédral de Hildesheim, aujourd’hui perdues. Celles-ci ont d’abord été composées par l’évêque Otwin de 974 jusqu’à sa mort en 984, pour être ensuite poursuivies jusqu’en 1043. La version conservée a été rédigée à partir des années vingt ou trente du XIe siècle ; commençant par une chronique universelle, elle couvre la période allant jusqu’en 994. L’œuvre a été poursuivie sous l’égide de l’abbé Hezilo dans les années soixante du XIe siècle, couvrant alors les années 1000-1040 et se fondant toujours sur la même source principale. On y fit ensuite des ajouts pour la période manquante de 995-999. La suite des annales date du XIIe siècle16. Contrairement à leurs prédécesseurs du IXe siècle, les auteurs des Annales de Hildesheim ne font guère de différence entre les agglomérations situées dans l’Empire franc et en périphérie. Quelle que soit la région, ils se servent du même vocabulaire. Dans les Annales de Hildesheim, ce sont surtout les villes d’origine romaine qui sont qualifiées de civitates ou d’urbes17. À celles-ci s’ajoutent des sièges épiscopaux de Saxe qui ont pleinement droit aux mêmes dénominations. On

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S. Rossignol, Die Burgen..., art. cit., p. 34. W. Wattenbach et R. Holtzmann, retravaillé par F.-J. Schmale, Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter. Die Zeit der Sachsen und Salier. Erster Teil. Das Zeitalter des Ottonischen Staates (900-1050), Cologne et Graz, 1967, p. 40-46. 17 Angers, Lyon, Avignon, Mayence, Metz, Augsbourg, Worms, Trèves, Cologne. Annales Hildesheimenses, éd. G. Waitz, Hanovre, 1878 (M. G. H. Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 8) (dorénavant : AH), p. 9 ; p. 10 ; p. 10 ; p. 11 ; p. 12 ; a. 1029, p. 35 ; p. 15 ; a. 963, p. 22 ; a. 965, p. 22 ; a. 984, p. 24. 16

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y retrouve, bien sûr, Hildesheim18, mais aussi Magdebourg19 et Mersebourg20. D’autres lieux en Saxe ou dans les régions franques, de moindre importance, sont simplement appelés castella21. On retrouve cependant aussi des localités situées chez les Slaves pour lesquelles l’annaliste utilise les mêmes termes. Prague, située dans la Sclavia, porte le titre de principalis urbs Sclavorum lorsqu’Otton III († 1002) y nomme Gaudentius archevêque22. Sans que ne soit mentionné l’évêché détruit en 983, Brandebourg est désignée comme urbs Liutizorum en 99123 puis à nouveau urbs au cours des nombreux revirements lors des luttes entre Saxons et Lutices24. Chez les Abodrites est signalée l’existence de plusieurs urbes et oppida lors d’une expédition militaire menée par Otton III25. La présence d’urbes est indiquée en Lusace, alors que Conrad II († 1039) exige de Mesco II († 1034) qu’il les lui restitue en même temps que la région26. La forteresse frontalière de Werben, située sur les rives de l’Elbe, est désignée par les termes castellum et urbs lorsqu’elle est prise par les Lutices27. Dans les régions périphériques de l’Empire franc, ce sont donc surtout les centres ecclésiastiques des régions déjà intégrées à la Chrétienté latine qui sont désignées comme civitates : les sièges épiscopaux ou archiépiscopaux de Hildesheim, Mersebourg, Magdebourg et Prague. Mais on trouve aussi le cas de Brandebourg, qui reste une urbs après être passée aux mains des païens, ainsi que de forteresses dont le rôle n’est guère précisé chez les Abodrites et en Lusace. Les Annales de Quedlinburg ont été écrites au chapitre de chanoinesses Saint-Servatius. Les entrées portant sur la période allant jusqu’à 1002 ont été reprises d’autres sources et les ajouts n’étaient aucunement contemporains des événements28. L’annaliste de Quedlinburg débuta son travail en 1008 ; il ou elle29 a utilisé les sources disponibles jusqu’en 1003 et poursuivi jusqu’à sa propre époque. Les annales ont ensuite été poursuivies de manière contem-

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AH, p. 8. AH, a. 979, p. 23 ; a. 1012, p. 30. 20 AH, a. 1033, p. 38. 21 Eresburg, Bamberg, Roßtal et Scalcaburg. AH, p. 13 ; a. 1036, p. 40 ; a. 964, p. 22 ; a. 953, p. 21 ; a. 1019, p. 32. 22 AH, a. 1000, p. 28. 23 AH, a. 991, p. 25. 24 AH, a. 993, p. 25-26. 25 AH, a. 995, p. 26. 26 AH, a. 1031, p. 36. 27 AH, a. 1033, p. 37 ; a. 1034, p. 38 ; a. 1035, p. 39. 28 Voir l’introduction détaillée de Martina Giese à sa nouvelle édition des annales : M. Giese, Einleitung, dans Annales Quedlinburgenses, éd. ead., Hanovre, 2004 (M. G. H. Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 72) (dorénavant : AQ), p. 41-380. 29 On suppose que l’œuvre ait été rédigée par les chanoinesses de Quedlinburg. Voir M. Giese, Einleitung, cité n. p. 98, n. 28, p. 60-63. 19

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poraine jusqu’au début de l’année 1016. Après une courte interruption, la rédaction a été reprise au début des années vingt du XIe siècle et poursuivie jusqu’aux années trente. Comme on peut s’y attendre, les villes d’origine romaine sont désignées comme des civitates ou des urbes30. On ne constate aucune différence lorsqu’il s’agit des dénominations des sièges épiscopaux de Saxe qui n’avaient aucune racine dans l’Antiquité romaine : Halberstadt31, Paderborn32, Magdebourg33 sont pareillement des urbes et des civitates34. Des forteresses saxonnes beaucoup plus modestes, Burgscheidungen et Zülpich, ont en outre droit au titre de civitas dans un passage où l’annaliste reprend des informations du Liber historiae Francorum35. Un cas particulier est celui de Quedlinburg, où écrit l’annaliste. Quedlinburg n’est jamais qualifiée de civitas ou d’urbs, cependant elle est désignée à de nombreuses reprises comme une « métropole »36. Les établissements ecclésiastiques sont souvent évoqués  : le monastère, la basilique, l’église, un « temple »37. Le chapitre de chanoinesses est l’ « ornement des moniales »38. Les fortifications ne sont mentionnées qu’une seule fois, pour situer l’église « dans le castellum »39. Les annales de la période ottonienne se retrouvent donc dans la même mouvance que l’œuvre de Widukind. Il ne fait dorénavant aucun doute que les sièges épiscopaux de Saxe sont bel et bien des civitates. Il s’agit là d’une manière de voir qui est rapidement devenue communis opinio. La Chronique de Thietmar de Mersebourg La Chronique de Thietmar de Mersebourg fut composée au début du XIe siècle, soit avant 1018, sans doute l’année de la mort de l’auteur40. Celui-ci 30

Augsbourg : Civitas Augusta. AQ, a. 1025, p. 578. Cologne : Civitas ou urbs Agrippina. AQ, a. 984, p. 470 ; a. 991, p. 479. Ratisbonne : AQ, a. 1007, p. 523. 31 AQ, a. 1003, p. 521. Également metropolis, a. 1024, p. 574. 32 AQ, a. 1019, p. 553 ; a. 1002, p. 519. 33 AQ, a. 998, p. 499 ; a. 1025, p. 578 ; praecipua Saxoniae urbs, a. 997, p. 493. 34 D’autres localités qui n’étaient guère plus antiques, comme Valenciennes et Würzburg, deviennent également des urbes ou civitates. AQ, a. 1006, p. 523 ; a. 994, p. 485. 35 AQ, p. 414. 36 AQ, a. 1025, p. 577 ; a. 1021, p. 561 ; a. 1020, p. 555 ; a. 1025, p. 579 ; a. 1003, p. 521. 37 AQ, a. 937, p. 459 ; a. 1000, p. 513 ; a. 1021, p. 561 ; a. 999, p. 503 ; a. 997, p. 494 ; a. 1021, p. 563. 38 Decus sanctimonialium, AQ, a. 1025, p. 577. 39 Ecclesia in castello, AQ, a. 997, p. 494. 40 À propos de Thietmar, voir A. Schneider, Thietmar von Merseburg über kirchliche, politische und ständische Fragen seiner Zeit, dans Archiv für Kulturgeschichte, 44, 1962, p. 34-71 ; ead., Zum Stil Thietmars von Merseburg, dans Forschungen und Fortschritte, 37, 1963, p. 148-152 ; H. Lippelt, Thietmar von Merseburg. Reichsbischof und Chronist, Cologne et Vienne, 1973 (Mit-

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était le prélat de l’évêché saxon de Mersebourg, évêché qui avait cessé d’exister sous le règne d’Otton II († 983) pour ensuite être refondé par l’empereur Henri II († 1024). Thietmar appartenait à une puissante famille de la haute aristocratie saxonne, dont les membres avaient été impliqués dans les événements politiques, militaires et sociaux de l’histoire récente du royaume et l’étaient encore à l’époque où il vivait. Thietmar était en outre évêque d’un des endroits les plus importants de la Saxe de son époque, puisque Mersebourg était l’un des lieux de résidence préférés d’Henri II. Du fait de sa position, Thietmar était non seulement très bien informé sur ce qui se passait dans les hauts cercles de la société saxonne, mais il était lui-même impliqué dans la réalité politique et militaire. De plus, Mersebourg était située à la frontière de l’Empire et son diocèse était peuplé majoritairement de slavophones : Thietmar pouvait donc observer lui-même les différences entre les différents orbes culturels. L’intention principale du chroniqueur était de célébrer la mémoire de ses confrères évêques, à Mersebourg et ailleurs dans l’Empire, ainsi que d’asseoir la légitimité de son évêché nouvellement restauré et d’en défendre les droits et les privilèges. Cependant, Thietmar avait un faible pour les anecdotes et s’intéressait à toutes sortes de sujets, de telle sorte qu’il est difficile de définir ce qui était au centre de son intérêt. Bien que son style soit ampoulé, maladroit et souvent confus, on a pu reconnaître qu’il s’efforçait d’exprimer avec force détails et précisions ce qu’il percevait et comprenait du monde qui l’entourait41. Contrairement à Widukind de Corvey, Thietmar de Mersebourg ne fait pas de différence entre une civitas et une urbs ; il utilise les deux termes indifféremment comme étant parfaitement synonymes42. Le chroniqueur saxon utilise ces termes dans un sens concret pour désigner des forteresses. Il est particulièrement intéressant de noter la fréquence avec laquelle l’évêque de Mersebourg précise que ces places fortes sont habitées de façon plus ou moins permanente et servent de lieu de rencontre. Comme on peut s’y attendre, Thietmar mentionne de nombreuses forteresses, des civitates et urbes, au cours de divers conflits militaires. Les places

teldeutsche Forschungen, 72), passim ; K. Schulmeyer-Ahl, Der Anfang vom Ende der Ottonen. Konstitutionsbedingungen historiographischer Nachrichten in der Chronik Thietmars von Merseburg, Berlin et New York, 2009 (Millenium-Studien zu Kultur und Geschichte des ersten Jahrtausends n. Chr., 26), passim. 41 S. Rosik, Interpretacja..., op. cit., p. 328 ; S. Rossignol, Die Spukgeschichten Thietmars von Merseburg. Überlegungen zur Vorstellungswelt und zur Arbeitsweise eines Chronisten des 11. Jahrhunderts, dans Concilium Medii Aevi, 9, 2006, p. 75. 42 À propos des forteresses dans la chronique de Thietmar, voir F. Geppert, Die Burgen und Städte bei Thietmar von Merseburg, dans Thüringisch-sächsische Zeitschrift für Geschichte und Kunst, 16, 1927, p. 162-244 ; M. Bláhová, Evropská…, op. cit., p. 89-93 ; S. Rossignol, Die Burgen..., art. cit., p. 34-35. J. Ehlers, « Burgen »..., cité p. 94, n. 4, passim.

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fortes sont attaquées, défendues, sont des lieux de refuge, sont prises ou détruites. Le chroniqueur ne fait pas de différence dans le vocabulaire qu’il utilise entre les espaces occupés par les Francs, la Saxe et les diverses régions habitées par les Slaves : peu importe le lieu, la forteresse jouant un rôle militaire notoire est pour lui automatiquement une civitas ou une urbs. Ce peuvent être des places fortes situées en Saxe ou dans les pays francs43. Mais ce peuvent en effet également être des forteresses situées chez les diverses peuplades slaves entre Elbe et mer Baltique qui sont caractérisées de la même manière : Brandebourg, Lenzen et Schwerin44. Il en va de même en Silésie, région au cœur de nombreux conflits entre Henri II et Boleslas Ier le Vaillant († 1025)45. Głogów (all. Glogau) est une urbs lorsque le souverain polonais s’y réfugie et qu’Henri II l’assiège46. Lors de l’assaut par les troupes du même Boleslas de la forteresse de Niemcza, celle-ci est une urbs et une civitas47. Thietmar se sert d’un vocabulaire identique lorsqu’il mentionne les places fortes en Lusace et autres régions frontalières48. Ces forteresses sont souvent présentées comme appartenant à quelqu’un, en général un comte. Il s’agit la plupart du temps, comme il est parfois explicitement décrit, de quelqu’un ayant la responsabilité permanente ou, souvent, temporaire, de défendre une place forte contre les ennemis. Il peut en être le véritable propriétaire ou simplement un vassal à qui l’on confie cette fonction49. Thietmar mentionne régulièrement des civitates ou urbes comme lieux de résidence, pour les rois et les évêques certes, mais aussi pour des aristocrates laïcs. Ils y demeurent pendant des périodes plus ou moins longues, ils y sont 43

Boussu, dans le Hainaut : Thietmar de Mersebourg, Chronicon, éd. R. Holtzmann, Berlin 1935, (M. G. H. Scriptores rerum Germanicarum, nova series, 9), 3,6(4), p. 102. Ala, forteresse du comte Ekbert : Thietmar, op. cit., 4,3(2), p. 134. Eresburg : Thietmar, op. cit., 2,2(1), p. 40. Monreberg : Thietmar, op. cit., 7,53(38), p. 464. Püchen, chez les Sorabes : Thietmar, op. cit., 1,15(8), p. 20-22. Schweinfurt, castellum puis urbs : Thietmar, op. cit., 5,38(23), p. 264. Walsleben : Thietmar, op. cit., 1,10(6), p. 14-16. Wolmirstedt, appelée en langue slave Ustiure: Thietmar, op. cit., 6,49(33), p. 336. 44 Brandebourg : Thietmar, op. cit., 4,22(15), p. 156-158. Lenzen : Thietmar, op. cit., 1,10(6), p. 16. Schwerin : Thietmar, op. cit., 8,5(4), p. 498. 45 K. Görich, Eine Wende im Osten : Heinrich II. und Boleslaw Chrobry, dans B. Schneidmüller et S. Weinfurter, Otto III. – Heinrich II. Eine Wende ?, Sigmaringen, 1997 (MittelalterForschungen, 1), p. 95-167. 46 Thietmar, op. cit., 7,59(44), p. 472. 47 Thietmar, op. cit., 7,59(44), p. 472. 48 Bautzen  : Thietmar, op.  cit., 6,34(24), p.  314. Une quaedam civitas  : Thietmar, op.  cit., 7,61(44), p. 474. Belgern : Thietmar, op. cit., 7,61(44), p. 474. Ciani : Thietmar, op. cit., 7,16(11), p. 416. Liubusua : Thietmar, op. cit., 1,16(9), p. 22. Strehla : Thietmar, op. cit., 5,18(10), p. 243 ; 6,53(36), p. 340. Biesnitz : Thietmar, op. cit., 7,19(12), p. 420. Žatec en Bohême : Thietmar, op. cit., 6,11(8), p. 288. 49 Thietmar, op. cit., 5,34(21), p. 258 ; 4,25(16), p. 160 ; 6,91(56), p. 384 ; 6,55(37), p. 342 ; 7,23(15), p. 424 ; 5,15(9), p. 236-238 ; 4,38(25), p. 174 ; 4,41(26), p. 178.

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souvent accueillis par les évêques. Le chroniqueur mentionne leur présence pour la fête de Pâques, ou même s’ils n’y sont hébergés qu’alors qu’ils sont de passage, en route vers une région plus lointaine. Thietmar précise toujours expressément que c’est à l’intérieur de la forteresse qu’ils s’installent50. Des prélats résident également à l’occasion dans des forteresses hors de leur siège épiscopal, entre autres pour y assurer des fonctions militaires51. Mais les civitates et urbes ne sont pas seulement des endroits où les grands du royaume et leur entourage peuvent résider de façon temporaire. Ce sont aussi des lieux de réunion pour des assemblées en tout genre, pour les nécessités de la politique, pour préparer des expéditions militaires, ou encore pour des négociations de trêves52. L’évêque chroniqueur mentionne en outre des civitates servant de lieux de sépulture. Ce peut être pour des princes, rois et empereurs, mais aussi pour de simples comtes53. La civitas ou urbs peut aussi être un synonyme de siège épiscopal. On a cependant souvent l’impression que la civitas désigne, pour le chroniqueur, non pas l’idée abstraite d’évêché – car pour cela il utiliserait plutôt le terme d’ecclesia, ce qu’il fait souvent – mais bien la réalité concrète de la forteresse à l’intérieur de laquelle se trouve l’église54. Si l’on se fie à Thietmar, on ne retrouve dans des places fortes pas seulement des sièges épiscopaux, mais également les monastères. À plusieurs reprises, il précise explicitement que les communautés se sont installées à l’intérieur de l’enceinte des forteresses55. Chez les Slaves païens, la civitas peut en revanche être la forteresse où se trouve

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Thietmar, op. cit., 4,45(28), p. 182 ; 6,3(3), p. 276 ; 5,19(11), p. 243 ; 4,45(28), p. 182 ; 5,11(7), p. 232 ; 6,57(38), p. 344 ; 2,30(20), p. 76 ; 6,61(41), p. 348 ; 4,17(11), p. 150 ; 7,4(5), p. 402 ; 7,64(47), p. 476 ; 6,58(38), p. 344 ; 7,59(44), p. 472. 51 Thietmar, op. cit., 5,21(14), p. 247 ; 7,25(18), p. 428 ; 7,34(25), p. 440 ; 4,65(43), p. 204. 52 Thietmar, op. cit., 2,9(4), p. 48 ; 6,60(40), p. 348 ; 8,18(9), p. 514 ; 6,52(35), p. 338 ; 5,3(2), p. 222-224 ; 5,38(23), p. 262 ; 5,36(22), p. 260 ; 7,24(16), p. 426 ; 4,2(2), p. 132 ; p. 492. 53 Thietmar mentionne que le prince Vladimir est enterré dans la civitas de Kiev. Thietmar, op. cit., 7,74(52), p. 488. Kiev est également caractérisée comme une « grande civitas » lorsque Thietmar la décrit plus en détail. Thietmar, op. cit., 8,32(16), p. 530. Lorsque le cadavre d’Otton III est rapporté au nord des Alpes, on dépose ses entrailles dans l’église Saint-Ulrich, dans le monastère Sainte-Afra, dans l’urbs d’Augsbourg. Thietmar, op. cit., 4,51(31), p. 190. Après la mort du margrave Ekkehard, son fils Hermann apporte son corps jusqu’à l’urbs de Jena pour l’y enterrer Thietmar, op. cit., 5,8(5), p. 228-230. 54 Thietmar, op. cit., 4,53(33), p. 192 ; 5,13(8), p. 236 ; 4,31(22), p. 169 ; 5,40(24), p. 266 ; 6,30(23), p. 310 ; 2,20(14), p. 62 ; 6,100(61), p. 392 ; 4,28(19), p. 165. 55 Nienburg : Thietmar, op. cit., 4,60(38), p. 200 ; 7,22(14), p. 424 ; 7,65(48), p. 478. Calve : Thietmar, op. cit., 3,18(11), p. 120. Quedlinburg : Thietmar, op. cit., 1,21(11), p. 26. Selz, en Alsace : Thietmar, op. cit., 4,43(27), p. 180. Magdebourg : Thietmar, op. cit., 2,11(5), p. 50. Dans la civitas de Drübeck vit une moniale, dans une cellule solitaire : Thietmar, op. cit., 8,8(6), p. 502. Deux sœurs en réclusion à Magdebourg : Thietmar, op. cit., 7,55(40), p. 466.

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un temple consacré aux dieux. Selon le chroniqueur, Riedegost56 serait une urbs à l’intérieur de laquelle il n’y aurait rien d’autre qu’un temple57. Parmi les temples des Lutices, la civitas de Riedegost aurait – d’après Thietmar – une position dominante58. Chez Thietmar, les deux fonctions principales des places fortes sont donc la défense et la résidence59. Ces fonctions sont certes liées, puisque comtes et évêques ont le devoir de veiller à la défense des nombreuses forteresses et peuvent habiter à l’intérieur de l’enceinte lorsqu’ils s’y trouvent. Mais il y a plus que cela, puisque les rois y installent également leurs palais. Certes, les descriptions de civitates et d’urbes que fait l’évêque de Mersebourg pour les Slaves et dans les régions frontalières sont moins détaillées que celles qu’il fait pour les Francs et les Saxons. Cependant, on peut noter qu’en aucun cas Thietmar ne fait de différenciation, que nulle part il n’exprime l’impression d’une différence formelle ou fondamentale. On pourrait en conclure que, pour lui, les forteresses des Slaves existent également avec les mêmes deux attributions principales : comme lieux de défense dans les conflits militaires ainsi que comme résidence pour les puissants. Notons également à propos de ce parallèle entre places fortes des Francs et des Slaves que d’après Thietmar, tout comme les églises épiscopales et les communautés monastiques, les temples païens des Slaves se trouvent dans des civitates. Les récits hagiographiques de Bruno de Querfurt Bruno de Querfurt († 1009) appartenait, tout comme Thietmar en compagnie duquel il avait fait ses études à Magdebourg, à une influente famille de l’aristocratie saxonne60. Après plusieurs années passées à la cour des souverains 56

À propos de Riedegost, voir R. Schmidt, Rethra…, art. cit., passim ; L. P. Słupecki, Slavonic Pagan Sanctuaries, Varsovie, 1994, p. 51-69 ; id., Einflüsse des Christentums auf die heidnische Religion der Ostseeslawen im 8.-12. Jh., dans M. Müller-Wille (éd.), Rom und Byzanz im Norden. Mission und Glaubenswechsel im Ostseeraum während des 8.-14. Jahrhunderts, vol. II, Stuttgart, 1998 (Abhandlungen der Geistes- und Sozialwissenschaftlichen Klasse. Akademie der Wissenschaften und der Literatur, Jahrgang 1997, Nr. 3), p. 177-190 ; S. Rosik, Interpretacja..., op. cit., p. 97-134 ; F. Ruchhöft, Vom slawischen Stammesgebiet..., op. cit., p. 103-106. 57 Thietmar, op. cit., 6,23(17), p. 302. 58 Quot regiones sunt in his partibus, tot templa habentur et simulacra demonum singula ab infidelibus coluntur, inter quae civitas supramemorata principalem tenet monarchiam. Thietmar, op. cit., 6,25(18), p. 304. 59 Selon Friedrich Geppert, urbs et civitas ne désignent chez Thietmar que des fortifications. F. Geppert, Die Burgen..., art. cit., p. 244. Voir aussi J. Ehlers, « Burgen »..., cité p. 94, n. 4, p. 27. 60 R. Wenskus, Studien zur historisch-politischen Gedankenwelt Bruns von Querfurt, Münster et al., 1956 (Mitteldeutsche Forschungen, 5), p.  2-3. À propos de Bruno de Querfurt, voir A. Sames, « Weltliches » und « Geistliches » bei Brun von Querfurt : Brun als Missionar, dans id. (éd.), Brun von Querfurt. Lebenswelt, Tätigkeit, Wirkung. Fachwissenschaftliche Tagung am

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saxons puis au monastère de Saint-Alexis-et-Boniface en Italie, Bruno fut nommé en 1004 évêque missionnaire pour les régions orientales. Il ne trouva cependant guère de soutien de la part de l’empereur Henri II, alors en guerre contre Boleslas le Vaillant de Pologne et allié à la fédération slave païenne des Lutices. Bruno se rendit chez le prince Vladimir de Kiev qui l’envoya en mission chez les Petchénègues. Quelques années plus tard, après avoir tenté en vain de réconcilier Henri II et Boleslas, il se décida en 1009 à partir avec un groupe de compagnons en mission en Prusse et il fut massacré par les païens quelque part à la frontière entre la Prusse et la Lituanie61. Bruno a laissé plusieurs textes qu’il a composés. Il a écrit une Vie de saint Adalbert dédiée à l’évêque martyr de Prague et une Vie des cinq frères racontant les péripéties de cinq missionnaires en Prusse qui avaient souffert le martyre. L’agglomération que Bruno décrit avec le plus de détails est Magdebourg, qu’il désigne uniquement de son nom grec. Elle est « la noble Parthenopolis, la nouvelle métropole des Teutons » ; l’urbs est devenue un « grand archevêché » sous Otton Ier62. Bruno fait aussi mention de civitates en Bohême63. Prague est en outre « la plus grande urbs de cette région, jadis noble »64 ; c’est aussi une « métropole »65. Quant à Gniezno, c’est une « grande civitas »66. En revanche, en Prusse où son héros Adalbert part en mission, Bruno ne signale l’existence d’aucune urbs ou civitas. Lorsque Adalbert mit le pied en terre prusse, il se rendit à un « petit endroit qui, avec l’eau de la rivière qui

26. und 27. September 2009 auf der Burg Querfurt, Querfurt, 2010, p. 79-93 ; W. Huschner, Magdeburg – Rom – Pereum. Lebensstationen Bruns von Querfurt, dans A. Sames (éd.), Brun..., op. cit., p. 63-77 ; H. Winkel, Die frühen Edelherren von Querfurt. Adlige Familie und Lebenswelt in ottonischer Zeit, dans A. Sames (éd.), Brun..., op. cit., p. 11-20 ; H.-K. Schulze, Brun von Querfurt und die Ostmission. Was die Quedlinburger Annalen und Thietmar von Merseburg über die Ereignisse des Jahres 1009 berichten, dans Quedlinburger Annalen. Heimatkundliches Jahrbuch für Stadt und Region Quedlinburg, 12, 2009, p. 6-14 ; I. Wood, The Missionary..., op. cit., p. 226-244. M. Dygo et W. Fałkowski (éd.), Bruno z Kwerfurtu. Osoba – dzieło – epoka, Pułtusk, 2010, passim. 61 D. Baronas, The Year 1009 : St Bruno of Querfurt between Poland and Rus’, dans Journal of Medieval History, 34, 2008, p. 1-22. 62 Ad ingenuam Parthenopolim, Theutonum novam metropolim (…) quam urbem rex maximus, primus trium Ottonum, imperator augustus in magnum archipresulatum erexit. Bruno de Querfurt, S. Adalberti Pragensis episcopi et martyris vita altera, éd. J. Karwasińska, Varsovie, 1969 (Monumenta Poloniae Historica / Pomniki dziejowe Polski, series nova, t. IV, fasc. 2), c. 4, p. 5. 63 Bruno de Querfurt, S. Adalberti…, op. cit., c. 15, p. 18 ; c. 21, p. 27. 64 Tetigit maximamque urbem huius regionis, quondam nobilem Pragam. Bruno de Querfurt, Vita quinque fratrum eremitarum seu vita vel passio Benedicti et Johannis sociorumque eorum, éd. J. Karwasińska, Varsovie, 1973 (Monumenta Poloniae Historica / Pomniki dziejowe Polski, series nova, t. IV, fasc. 3), c. 11, p. 54. 65 Bruno de Querfurt, Vita quinque fratrum…, op. cit., c. 11, p. 406. 66 Civitas magna Gnezne. Bruno de Querfurt, S. Adalberti…, op. cit., c. 24, p. 29.

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l’entourait, imitait l’apparence d’une île »67. Un peu plus loin, il se rendit à un « marché, où se dirigeait une foule de gens »68. La différence est notable : la Prusse ne possède apparemment aucune trace d’un habitat de type même vaguement urbain, pouvant être désigné avec le même vocabulaire que les régions christianisées de Saxe, de Bohême et de Pologne. Mais en même temps, on constate que pour Bruno la signification des urbes et des civitates n’a rien à voir avec l’idée de forteresses ou de villes d’origine romaine. Elles ont un rôle avant tout religieux et symbolique. L’œuvre d’Adam de Brême Adam de Brême († vers 1081) est l’auteur d’une Histoire des archevêques de Hambourg-Brême dont la rédaction a été terminée autour de 107569. On en sait très peu sur l’auteur, dont le nom n’est connu que par une mention du chroniqueur Helmold de Bosau qui, au XIIe siècle, se référa à lui70. On suppose qu’Adam était originaire de Franconie et qu’il fut appelé à Brême par l’archevêque Adalbert († 1072) pour y diriger l’école épiscopale. Adalbert lui aurait alors demandé d’écrire l’histoire de son archevêché, une tâche qu’Adam ne put terminer que sous l’épiscopat du successeur d’Adalbert, Liémar. Adam raconta lui-même qu’il s’était rendu à la cour du roi danois Sven Estridsen et que de nombreuses informations contenues dans son œuvre lui avaient été confiées par celui-ci. Les clercs de l’archevêché entretenaient en outre des contacts étroits avec le prince des Abodrites Gottschalk, massacré lors d’une révolte païenne en 1066, qui avait eu recours à leur aide pour organiser la mission et l’organisation ecclésiastique des territoires qui lui étaient soumis. Une des originalités importantes de l’œuvre d’Adam est qu’il a ajouté aux trois livres portant sur les faits et gestes des archevêques un quatrième intitulé Des67 Ergo miles Dei cum duobus sociis intraverat parvum locum, qui circumlabente unda fluminis imitatur insulę vultum. Bruno de Querfurt, S. Adalberti…, op. cit., c. 24, p. 30-31. 68 Veniunt in mercatum, ubi confluxerat unda populorum. Bruno de Querfurt, S. Adalberti…, op. cit., c. 25, p. 31. 69 V. Scior, Das Eigene…, op. cit., p. 29-37 ; D. Fraesdorff, Der barbarische..., op. cit., p. 144-145 ; H. Brall, Vom Reiz der Ferne. Wandlungen eines Vorstellungsschemas in Geschichtsschreibung und Dichtung des Mittelalters, dans Das Mittelalter. Perspektiven mediävistischer Forschung, 3,2, 1998, p. 45-61 ; I. H. Garipzanov, Christianity and Paganism in Adam of Bremen’s Narrative, dans id. (éd.), Historical Narratives and Christian Identity on a European periphery. Early History Writing in Northern, East-Central, and Eastern Europe (c. 1070-1200), Turnhout, 2011 (Medieval Texts and Cultures of Northern Europe, 26), p. 13-29 ; H.-W. Goetz, Constructing the Past. Religious Dimensions and Historical Consciousness in Adam of Bremen’s Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum, dans L. B. Mortensen (éd.), The Making of Christian Myths in the Periphery of Latin Christendom (c. 1000-1300), Copenhague, 2006, p. 17-51. 70 Helmold de Bosau, Cronica Slavorum, éd. J. M. Lappenberg et B. Schmeidler, Hanovre, 1937 (M. G. H. Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 32), 1,14, p. 30.

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cription des îles du Nord. Cette partie contient un tableau géographique détaillé, rassemblant tous les renseignements accessibles à l’auteur, de l’Europe du Nord, du Centre-Est, du Nord-Est ainsi que de la Scandinavie et des îles et pays de l’Atlantique, des îles Féroé jusqu’au Vinland71. C’est sans doute Adam de Brême qui présente le concept le plus complexe de ce qu’est une civitas. En effet, le terme peut avoir pour lui des significations très différentes qui varient suivant la situation et le contexte. Il ne semble pas paradoxal pour lui d’utiliser parallèlement différentes significations. Dès la première phrase du premier livre, Adam soutient que Hambourg est « la plus noble des civitates des Saxons »72. Peu après, il affirme que Charlemagne, après y avoir fait construire une église, a nommé un évêque, Heridag, et lui a confié la « civitas des Nordalbingiens »73. Ensuite, Louis le Pieux a voulu faire de la civitas une métropole pour les peuples du Nord et a nommé Ansgar premier archevêque de Hambourg74. Le siège archiépiscopal est ensuite qualifié à de nombreuses reprises de civitas, mais en faisant référence à sa réalité matérielle concrète, c’est-à-dire à ses fortifications. Cela apparaît tout d’abord lors de l’attaque des Normands en 845, alors que toute la civitas est détruite75. C’est l’archevêque Unwan qui entreprend ensuite de restaurer l’église ainsi que la forteresse, la civitas76. Plus loin, Adam précise qu’Unwan fait construire sur les ruines de l’ancienne civitas, avec l’aide du duc saxon Bernard II († 1059), un « noble castrum » et divers bâtiments en bois. Son successeur, Alebrand, fait ensuite ériger une église en pierre ainsi qu’un palais fortifié pour lui-même, également en pierre et muni de tours. Voyant cela, le duc décide de se faire construire une habitation semblable, dans le même castrum. Ainsi, la civitas renovata renferme entre ses murs la cathédrale, le palais de l’archevêque et celui du duc. Alebrand veut ensuite faire entourer la métropole d’une nouvelle enceinte avec des tours, mais en est empêché par sa mort prématurée77. Le duc Bernard, quant à lui, délaisse l’ancien castellum de Hambourg pour se faire construire une nouvelle 71

G. Witkowski, Opis wysp północy Adama Bremeńskiego jako dzieło etnografii wczesnośredniowiecznej, dans R. Żerelik (éd.), Studia z dziejów Europy Zachodniej i Śląska, Wrocław, 1995 (Prace historyczne, 16), p. 9-43. 72 Nobilissima quondam Saxonum civitas. Adam de Brême, Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum, éd. B. Schmeidler, Hanovre et Leipzig, 1917 (M. G. H. Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 2), 1,1, p. 4. 73 Adam, op. cit., 1,14, p. 18. 74 Adam, op. cit., 1,16, p. 22. En fait, Ansgar était un évêque missionnaire. Ce n’est qu’en 864, sous Louis le Germanique, que Hambourg-Brême devint un archevêché par une bulle de Nicolas  Ier. On fit d’Ansgar rétrospectivement un archevêque. Voir W.  Haas, Foris apostolus..., art. cit., p. 19-20. 75 Adam, op. cit., 1,21, p. 27. 76 Adam, op. cit., 2,49, p. 109. 77 Adam, op. cit., 2,70, p. 131-132.

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place forte entre l’Elbe et l’Alster78. Plus loin, Adam dépeint comment les Slaves assaillent la région et détruisent le castrum de Hambourg79. On voit donc que, pour Adam, la civitas peut être la forteresse, ou sans doute de façon plus générale l’ensemble de l’agglomération comprenant l’enceinte et les divers bâtiments qu’elle contient. Lorsqu’il désire être plus précis et désigner seulement l’enceinte, l’historien de Brême utilise d’autres vocables moins équivoques, tels castrum ou castellum. Brême est mentionnée pour la première fois dans l’œuvre d’Adam lorsque l’historien cite in extenso un faux diplôme de Charlemagne, avec lequel l’empereur aurait supposément autorisé la fondation d’un évêché80. Contrairement à Hambourg, Brême n’est pas d’emblée désignée comme une civitas : la fondation est tout simplement située « dans le lieu appelé Brême sur la rivière Werra »81. Plus loin, Adam localise l’église « dans le lieu, la villa publica appelé Brême »82. Il n’est question à Brême d’une civitas qu’en lien avec les fortifications. L’archevêque Hermann, raconte Adam, veut tout d’abord entourer la civitas d’une enceinte, mais meurt avant d’avoir achevé ce dessein83. C’est son successeur, Becelin, qui poursuit le projet. Après avoir fait reconstruire en pierre le cloître en bois, il entreprend de faire ériger une enceinte pour la civitas. Il fait construire près du marché une porte imposante avec une tour de style italien84. Ce mur d’enceinte est cependant ensuite en partie détruit par l’archevêque Adalbert, qui se sert des pierres du mur pour la construction d’une nouvelle cathédrale85. Adam relate également un incendie qui se produit en 1041. Les flammes détruisent la cathédrale puis le cloître et toute l’agglomération, « toute l’urbs avec les édifices »86. Ce n’est que beaucoup plus loin que Brême est qualifiée de civitas, alors que les cives la délaissent suite aux exactions de l’archevêque Adalbert87. Il est encore question de castella que fait construire Adalbert, mais dont la localisation n’est pas précisée88. Il est frappant de constater que pour Adam, cette fois, l’agglomération où est fondé le siège épiscopal de Brême n’est considérée que comme un quelconque locus. Ce n’est qu’avec l’ajout de fortifications que l’endroit mérite 78

Adam, op. cit., 3,27, p. 170. Adam, op. cit., 3,51, p. 195. 80 À propos des débuts de l’évêché, voir T. Vogtherr, Erzbistum Bremen (-Hamburg) (ecclesia Bremensis), dans E. Gatz (éd.), Die Bistümer des Heiligen Römischen Reiches von ihren Anfängen bis zur Säkularisation, Fribourg/Breisgau, 2003, p. 113. 81 In loco Bremon vocato super flumen Wirraham. Adam, op. cit., 1,12, p. 14. 82 In loco seu villa publica nuncupato Brema. Adam, op. cit., 1,18, p. 25. 83 Adam, op. cit., 2,68, p. 129. 84 Adam, op. cit., 2,69, p. 130-131. 85 Adam, op. cit., 3,3, p. 145-146. 86 Urbem cum aedificiis totam. Adam, op. cit., 2,81, p. 139. 87 Adam, 3,58, op. cit., p. 204-205. 88 Adam, 3,37, op. cit., p. 179-180. 79

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ensuite d’être nommé civitas. Ensuite, toutes les autres fois où Brême est désignée comme une civitas ou urbs, c’est en lien avec son apparence concrète, surtout l’enceinte. La civitas est donc selon toute apparence, dans ce cas, l’agglomération fortifiée. L’historien de Brême raconte que le souverain des Abodrites, Gottschalk89, a fondé des communautés religieuses de moines et de moniales dans plusieurs urbes, soit Lübeck, Oldenburg/Starigard90, Lenzen, Ratzebourg et Mecklembourg ainsi que, ajoute-t-il, dans d’autres civitates91. Lenzen est mentionnée plus loin en tant que civitas alors que, lors d’une révolte slave païenne, le même Gottschalk y est assassiné avec le prêtre Ippon et de nombreuses autres personnes, clercs et laïcs. Lors de cette même insurrection, les chrétiens, prêtres et moniales de la civitas de Mecklembourg sont également martyrisés et tués par les païens92. On peut constater dans ces exemples un lien entre les institutions ecclésiastiques et les civitates. C’est en effet dans des agglomérations de cette catégorie que sont fondées les communautés religieuses. Toutefois, comme nous l’avons vu pour Brême, cela n’est pas obligatoire puisque même un siège épiscopal peut être fondé dans un modeste locus. La première fois qu’Adam de Brême désigne Birka comme une civitas, c’est lorsqu’il raconte qu’y a été envoyé comme évêque le moine Hiltinus-Jean93. Selon Adam, l’archevêque de Hambourg-Brême Adalbert a « décidé de faire 89

À propos de Gottschalk, voir J. Petersohn, Der südliche Ostseeraum im kirchlich-politischen Kräftespiel des Reichs, Polens und Dänemarks vom 10. bis 13. Jahrhundert. Mission – Kirchenorganisation – Kultpolitik, Cologne et Vienne, 1979 (Ostmitteleuropa in Vergangenheit und Gegenwart, 17), p. 17-37 ; G. Haendler, Reichskirche und Mission in der ersten Epoche der Christianisierung Mecklenburgs (bis 1066), dans S. Ekdahl (éd.), Kirche und Gesellschaft im Ostseeraum und im Norden vor der Mitte des 13. Jahrhunderts, Visby, 1969 (Acta Visbyensia III. Visby-symposiet för historiska vetenskaper, 1967), p. 65-75 ; G. Bührer-Thierry, Les « Réactions païennes » dans le nord de l’Europe au milieu du XIe siècle, dans Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public, L’Expansion occidentale (XIe – XVe siècles). Formes et conséquences. XXXIIIe Congrès de la S.H.M.E.S. (Madrid, Casa de Velázquez, 23-26 mai 2002), Paris, 2003 (Série Histoire Ancienne et Médiévale, 73), p. 203-214. 90 Thietmar de Mersebourg a traduit le toponyme en latin et l’a nommée Antiqua Civitas, alors qu’Adam de Brême l’appela Aldinburg. Ce n’est que Helmold de Bosau qui, à la fin du XIIe siècle, nous fit part de son nom en langue slave, Starigard. Voir Thietmar, op. cit., 6,43(30), p. 328 ; 7,3(4), p. 402 ; Adam, op. cit., 2,16, p. 72 ; 2,21, p. 76 ; 2,22, p. 80 ; 2,26, p. 86 ; 2,43, p. 103 ; 2,64, p. 123 ; 3,20, p. 163 ; 3,33, p. 175 ; 4,18, p. 244 ; Helmold, op. cit., 1,12, p. 23 ; I. Gabriel, Einleitung. Lage, Name und Bedeutung der « Alten Burg », dans id. (éd.), Starigard/Oldenburg. Hauptburg der Slawen in Wagrien I. Stratigraphie und Chronologie (Archäologische Ausgrabungen 1973-1982), Neumünster, 1984 (Offa-Bücher, 52), p. 9-12. 91 Adam, op. cit., 3,20, p. 163. Oldenburg/Starigard, Mecklembourg et Ratzebourg avaient déjà été qualifiées de civitates plus tôt, sans précision, lors de la description de la Sclavania. Adam, op. cit., 2,21, p. 76-77. Adam précise ensuite que les chrétiens étaient très nombreux à Oldenburg. Adam, op. cit., 2,43, p. 103. 92 Adam, op. cit., 3,51, p. 193-194. 93 Adam, op. cit., 3,77, p. 223.

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de Birka une métropole pour ces peuples (c’est-à-dire du Nord) »94. L’agglomération de Birka avait tout d’abord été désignée comme oppidum95. Lorsqu’Adam mentionne pour la première fois Sliaswich (c’est-à-dire Haithabu), il raconte que le roi danois Horic Ier, tout juste après avoir été baptisé, a fait construire une église dans ce portus maritimus96. Peu après, l’église est à nouveau mentionnée lorsque Rimbert y est de passage. L’endroit est alors qualifié simplement de locus97. Plus loin, l’archevêque Becelin se rend à Sliaswich pour rencontrer le roi danois Magnus. Il y trouve l’évêque Ratolf, « l’évêque de cette civitas »98. On voit donc que Birka et Sliaswich sont, pour Adam, avant tout des portus. Ces lieux sont ensuite qualifiés de civitates, non pas en lien avec la fondation de la première église, mais seulement lorsque sont explicitement nommés les sièges épiscopaux. Il en va de même pour Ribe99. Sigtuna, Roskilde, Skara et Trondheim sont également désignées comme des civitates magnae, voire maximae alors qu’y est évoquée la présence d’un évêque ou la fondation d’une église100. Adam parle aussi des Scrithefennes, peuple same au nord de la Suède, qui ont comme civitas maxima le Helsingland. Un évêque, Stenphi-Siméon, a été nommé pour cette civitas. Le Helsingland est le « chef-lieu », le caput, des Scrithefennes101. Pourtant, le Helsingland, même s’il est désigné par les termes civitas et caput, n’est pas une forteresse, une ville ou même une agglomération quelconque, mais plutôt une région. En effet, une scolie a été ajoutée dans la marge, probablement par Adam lui-même, qui indique : « Le Helsingland est une région des Scrithefennes »102. Tout cela a mené à une certaine confusion chez les copistes du manuscrit. Ainsi, les copistes des versions B et C, qui selon l’éditeur Bernhard Schmeidler ont dû être produites avant 1100, ont 94

Statuit Bircam illis gentibus metropolem. Adam, op. cit., 4,20, p. 249. Bircae oppidi praefectum. Adam, op. cit., 1,15, p. 22 ; le corps du missionnaire Unni est enterré dans l’oppidum de Birka, alors que sa tête est ramenée à Brême, 1,62, p. 60 ; Birka est aussi décrite comme « un oppidum des Goths situé au centre de la Suède » et est aussi appelée portus. Oppidum Gothorum in medio Suevoniae positum, 1,60, p. 58. Les « Goths » sont ici les habitants du Götaland. 96 Adam, op. cit., 1,25, p. 31. 97 Adam, op. cit., 1,41, p. 44. 98 Adam, op. cit., 2,79, p. 136. Voir aussi, à propos de la civitas Sliaswich : Adam, op. cit., 3,77, p. 223 ; 4,1, p. 228. 99 La deuxième église que fonde Horic est Ribe. L’endroit est d’abord décrit comme un « portus de son royaume ». Portus regni sui. Adam, op. cit., 1,29, p. 35. Cependant, Ribe n’est désignée comme civitas que dans la description du Jutland, alors qu’Adam nomme explicitement le siège épiscopal. Adam, op. cit., 4,1, p. 228-229. 100 Adam, op. cit., 4,25, p. 256 ; 4,29, p. 261 ; 2,28, p. 87 ; 3,76, p. 222 ; 4,5, p. 233 ; 2,58, p. 118 ; 4,23, p. 254 ; 2,61, p. 121-122 ; 3,17, p. 159. Adam, op. cit., 4,33, p. 267. 101 Civitas eorum maxima Halsingland, Adam, op. cit., 4,24, p. 255 ; cum Scritefingis, quorum caput Halsingland, 4,25, p. 256. 102 Halsingland regio est Scritefingorum. Adam, op. cit., schol. 137, p. 255. 95

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ajouté dans le texte, tout de suite après la mention de la civitas maxima : « et le Helsingland est une région »103. Qu’est-ce donc, pour Adam de Brême, qu’une civitas104 ? Le terme semble avoir parallèlement deux significations différentes. D’après les passages qui viennent d’être cités, il semble y avoir un rapport évident pour cet auteur entre une civitas et un siège épiscopal. Ainsi, Birka, qui n’est tout d’abord qu’un oppidum ou un portus, devient une civitas lorsqu’on y envoie un évêque missionnaire. Sigtuna, Roskilde et Skara sont des civitates dès le moment où il s’agit de la fondation d’une église ou d’un évêché. Même le Helsingland devient une civitas lorsqu’y est envoyé un évêque, même s’il ne s’agit pas d’une agglomération mais bien d’une région. Mais ce peut aussi être une forteresse, ou plutôt une agglomération fortifiée. Comme nous l’avons vu, Hambourg est certes déjà une civitas lorsqu’y est fondé un évêché, mais Brême, lors de l’installation de l’évêque, n’est qu’un simple locus et ne devient une civitas que lorsqu’est construite une enceinte. Toutefois, une civitas n’est pas pour Adam obligatoirement en lien avec un évêché, car on peut trouver des contre-exemples. En effet, Adam qualifie Iumne (aujourd’hui pol. Wolin, all. Wollin) de « civitas des plus nobles » et précise expressément que les habitants en sont païens et qu’ils ne tolèrent les chrétiens que lorsque ils n’affirment pas publiquement leur appartenance à leur religion. Iumne est même ensuite louée comme étant « la plus grande des civitates qui se trouvent en Europe »105. Même le temple slave de Rethre (Riedegost), grand lieu de culte païen, est désigné sans hésitation par l’historien comme une civitas, bien qu’elle soit « la plus vulgaire » (vulgatissima)106. L’endroit est même décrit comme la « métropole des Slaves » lorsque sont décrits les supplices imposés aux chrétiens lors de l’insurrection des Slaves en 1066107. Toutefois, le temple païen des Suédois à Upsala n’est quant à lui jamais

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Et Helsingaland regio est. Adam, op. cit., 4,24, p. 255. Knut Helle croit qu’Adam est tout simplement mal informé, ce qui explique ses contradictions. K. Helle, Descriptions of Nordic Towns and Settlements in Early Literature, dans B. Ambrosiani et H. Clarke (éd.), Developments Around the Baltic and the North Sea in the Viking Age, Stockholm, 1994 (Birka Studies, 3. The Twelfth Viking Congress), p. 20-31. 105 In cuius ostio, qua Scythicas alludit paludes, nobilissima civitas Iumne celeberrimam prestat stacionem Barbaris et Grecis, qui sunt in circuitu. (…) Est sane maxima omnium, quas Europa claudit, civitatum. Adam, op. cit., 2,22, p. 79. 106 Civitas eorum vulgatissima Rethre. Adam, op. cit., 2,21, p. 78. 107 In metropoli Sclavorum Rethre. Adam, op. cit., 3,51, p. 194. Voir à ce propos G. BührerThierry, Les « Réactions… », art. cit., p. 207-209. 104

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élevé au rang de civitas108. L’endroit est à plusieurs reprises caractérisé comme un templum ou « templum des païens »109. Comme nous l’avons vu, ce n’est que rarement que civitas semble avoir le sens de forteresse dans l’œuvre d’Adam. On peut y voir cette signification lorsqu’il raconte que l’archevêque de Hambourg-Brême a fait restaurer la civitas et l’église : civitatem et ecclesiam fecisse novam110. Plus loin, l’église et des bâtiments d’habitation furent également restaurés à Hambourg, après un assaut des Slaves. Adam parle alors de civitas renovata111. Les diverses significations possibles du mot civitas semblent s’entremêler chez Adam. Elles forment un ensemble comprenant plusieurs éléments dissociables. Pour lui, une civitas est, dans la plupart des cas, un siège épiscopal ; pour cela, ce doit être une sorte de place centrale, afin de légitimer son choix comme centre d’un évêché. C’est ainsi le cas pour les civitates maximae de Roskilde et de Skara. C’est aussi de cette façon qu’Adam comprend divers lieux qui ont un certain rôle central au sein d’une région, même s’ils n’ont rien à voir avec un évêché. C’est le cas de Iumne et de Rethre. Enfin, civitas peut aussi désigner un lieu concret, une forteresse ainsi que les bâtiments qu’elle comprend, ce que l’on pourrait décrire comme une agglomération fortifiée. Finalement, la région Helsingland peut aussi être comprise comme une civitas puisqu’elle comprend au moins l’un des éléments qui font une civitas : elle est le siège d’un évêché. Lors de l’interprétation des mentions de civitates chez Adam, une extrême prudence est donc de mise. En aucun cas on ne devrait en tirer des conclusions sur l’aspect extérieur réel de ces endroits. Le concept en est chez cet auteur beaucoup trop abstrait. La signification du terme varie grandement selon le contexte. Le chroniqueur dit Gallus Anonymus La source la plus détaillée sur l’histoire la plus ancienne de la Pologne est une œuvre intitulée Chroniques des ducs et princes de Pologne et qui a été com-

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À propos d’Uppsala, voir W. Duczko, Stara Uppsala a szweszkie origo gentis, dans S. Rosik et P. Wiszewski (éd.), Origines mundi, gentium et civitatum, Wrocław, 2001 (Historia, 153. Acta Universitatis Wratislaviensis, 2339), p. 132-144 ; H. Janson, Templum nobilissimum. Adam av Bremen, Uppsalatemplet och konfliktlinjerna i Europa kring år 1075, Göteborg, 1998 (Avhandlingar från Historiska institutionen i Göteborg, 21), passim ; id., Adam of Bremen and the Conversion of Scandinavia, dans G. Armstrong et I. N. Wood (éd.), Christianizing Peoples and Converting Individuals, Turnhout, 2000, p. 83-88 ; critique à propos des arguments de H. Janson : I. H. Garipzanov, Christianity..., art. cit., p. 25-28. 109 Adam, op. cit., 1,60, p. 58 ; 2,58, p. 118 ; 4,26-30, p. 470-474. 110 Adam, op. cit., 2,49, p. 109. 111 Adam, op. cit., 2,70, p. 132.

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posée à la cour du prince Boleslas III Bouche-Torse († 1138) vers 1113/1117112. L’auteur est resté anonyme mais raconte lui-même qu’il est un étranger à la cour du prince polonais et qu’il désire écrire sa chronique pour mériter sa présence en ce lieu. De très nombreuses hypothèses ont été émises quant à son origine ; alors que longtemps, celle qui obtenait la plus grande part d’assentiment de la part des chercheurs localisait l’endroit où il aurait reçu son éducation dans le Nord-Ouest de la France, de nombreux travaux plus récents ont exploré plus en détail d’autres possibilités, bien qu’aucune des solutions proposées ne puisse être prouvée de manière définitive113. On a donc pris l’habitude de le nommer – et ce pseudonyme est déjà vieux de plusieurs siècles114 – en un latin humaniste Gallus Anonymus. Le chroniqueur raconte l’histoire de la Pologne depuis les débuts mythiques de la dynastie des Piast et jusqu’à sa propre époque. Il s’intéresse surtout aux événements d’ordre militaire, dont les nombreuses tentatives des princes polonais de conquérir la Poméranie. Il écrit dans une langue d’un grand raffinement littéraire et sa prose rimée fait

112 K. Stopka (éd.), Gallus Anonymus and His Chronicle in the Context of Twelfth-century Historiography from the Perspective of the Latest Research, Cracovie, 2010 ; E. Skibiński, Przemiany władzy. Narracyjna koncepcja Anonima tzw. Galla i jej podstawy, Poznań, 2009 ; P. Wiszewski, Domus Bolezlai. W poszukiwaniu tradycji dynastycznej Piastów (do około 1138 roku), Wrocław, 2008 (Złota seria Uniwersytetu Wrocławskiego, 1), p. 131-174 ; K. Maleczyński, Wstęp, dans id. (éd.), Gallus Anonymus / Anonim tzw. Gall, Cronicae et gesta ducum sive principum Polonorum / Kronika czyli dzieje książąt i władców polskich, Cracovie, 1952 (Monumenta Poloniae Historica / Pomniki dziejowe Polski, série II, t. II), p. I-CIV ; C. Deptuła, Galla Anonima mit genezy Polski. Studium z historiozofii i hermeneutyki symboli dziejopisarstwa średniowiecznego, Lublin, 2000 (d’abord paru en 1990), passim ; N. Kersken, Geschichtsschreibung im Europa der « nationes ». Nationalgeschichtliche Gesamtdarstellungen im Mittelalter, Cologne, Weimar et Vienne, 1995 (Münstersche Historische Forschungen, 8), p. 491-499 ; J. Banaszkiewicz, Tradycje dynastyczno-plemienne Słowiańszczyzny północnej, dans H. Samsonowicz (éd.), Ziemie poskie w X wieku i ich znaczenie w kształtowaniu się nowej mapy Europy, Cracovie, 2000, p. 261-277. 113 Pour un aperçu détaillé des travaux récents, voir E. Mühle, Cronicae et gesta ducum sive principum Polonorum. Neue Forschungen zum so genannten Gallus Anonymus, dans Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 65, 2009, p. 459-496 ; id., Neue Vorschläge zur Herkunft des Gallus Anonymus und zur Deutung seiner Chronik, dans Zeitschrift für Ostmitteleuropa-Forschung, 60, 2, 2011, p. 267-285. Selon Tomasz Jasiński, il aurait une origine vénitienne. Voir T. Jasiński, O pochodzeniu Galla Anonima, Cracovie, 2008 ; id., Dalsze rozważania o włoskim pochodzeniu Galla Anonima, dans Z. Piech (éd.), Miasta, ludzie, instytucje, znaki, Cracovie, 2008, p. 447-459. Johannes Fried croit que l’auteur anonyme ne serait autre que le missionnaire de Poméranie Otton de Bamberg. Voir J. Fried, Kam der Gallus Anonymus aus Bamberg ?, dans Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 65, 2009, p. 497-545. Jarosław Wenta lui attribue une origine aristocratique dans le sud de l’Allemagne et croit qu’il aurait été actif dans un monastère ayant des contacts avec les Piasts. Voir J. Wenta, Kronika tzw. Galla Anonima. Historyczne (monastyczne i genealogiczne) oraz geograficzne konteksty powstania, Toruń, 2011 (Scientiae auxiliares historiae, 2). 114 Il fut inventé par l’humaniste Martin Kromer au XVIe siècle. Voir N. Kersken, Geschichtsschreibung..., op. cit., p. 491.

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preuve d’une maîtrise exceptionnelle des ressources de la rhétorique115. Il s’attache particulièrement à décrire dans des envolées flamboyantes les exploits des princes de la dynastie dont il loue les vertus116. Le chroniqueur anonyme de Pologne a une conception moins complexe qu’Adam de Brême de ce qu’est une civitas. Il différencie principalement deux catégories d’agglomérations, d’une part les urbes et civitates, d’autre part les simples castra et castella. Toutefois, comme nous allons le voir, la différence entre les deux catégories varie sensiblement, selon qu’il s’agisse de la Pologne proprement dite ou de la Poméranie conquise par les Polonais. Il n’y a qu’un nombre limité de lieux qui sont qualifiés de civitates dans la chronique de l’auteur anonyme. Gniezno (all. Gnesen)117, Poznań (all. Posen) et Cracovie en Pologne sont à ajouter à Głogów et à Wrocław (all. Breslau) en Silésie, à Płock (all. Plozk) en Mazovie, à Białogród et Kołobrzeg (all. Kolberg) en Poméranie, ainsi qu’à Kiev et Prague118. Les civitates de Gniezno et de Cracovie sont surtout caractérisées par leur rôle politique. Ce sont des lieux de résidence pour les souverains polonais : Gniezno est la métropole ecclésiastique du royaume, Cracovie est l’endroit où le prince Zbigniew reçoit sa première éducation. En ce qui concerne la Silésie, le chroniqueur y mentionne deux civitates, Wrocław et Głogów119. Ces deux civitates de Silésie sont caractérisées par leur rôle militaire, puisque c’est avant tout dans le cadre d’altercations guerrières qu’elles sont mentionnées. En outre, Wrocław joue un rôle symbolique supplémentaire en tant que sedes regni principalis. Lorsque le siège de Głogów est décrit en détails, l’aspect fondamentalement défensif de la forteresse apparaît dans les désignations oppidum et surtout castrum. Quant à l’urbs de Mazovie, Płock, elle a sans doute un rôle militaire, mais surtout, dans la description qu’en fait le chroniqueur anonyme, une fonction symbolique pour le souverain polonais. En effet, il ne peut s’agir que d’un endroit politiquement chargé de sens pour que Ladislas Herman († 1102) le choisisse pour la cérémonie d’adoubement de son fils et même pour sa propre sépul115

K. Liman, Kilka uwag o topice w « Kronice polskiej » Galla Anonima, dans Symbolae philologorum Posnanensium graecae et latinae, t. I, 1973, p. 147-164 ; T. Jasiński, Die Poetik in der Chronik des Gallus Anonymus, dans Frühmittelalterliche Studien, 43, 2009, p. 373-391. 116 G. Althoff, Einleitung: Der Gallus Anonymus im Lichte neuerer Forschungsansätze, dans Frühmittelalterliche Studien, 43, 2009, p. 293-295. 117 Gniezno est décrite comme une civitas où réside le prince légendaire Popel et où il a organisé un banquet. L’endroit comporte aussi un suburbium. Gallus, op. cit., 1,1, p. 9. Voir J. Banaszkiewicz, Podanie o Piaście i Popielu. Studium porównawcze nad wczesnośredniowiecznymi tradycjami dynastycznymi, Varsovie, 1986, passim ; C. Deptuła, Galla..., op. cit., cité p. 112, n. 112, passim ; P. Wiszewski, Domus..., op. cit., p. 174-184. Voir aussi Gallus, op. cit., 1,6, p. 17-18 ; 1,19, p. 43 ; 2,38, p. 108. 118 Gallus, op. cit., 1,19, p. 43 ; 1,26, p. 51 ; 2,4, p. 68 ; 2,8, p. 75 ; 2,16, p. 83 ; 3,13, p. 140. 119 Wrocław : Gallus, op. cit., 2,4, p. 71 ; 2,16, p. 81-82 ; 3,10, p. 137 ; 3,15, p. 141. Głogów (all. Glogau) : Gallus, op. cit., 3,5, p. 133-134 ; 3,6-8, p. 134-136.

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ture120. L’auteur anonyme mentionne Białogród lors de sa relation de la conquête de la Poméranie et du siège de cette forteresse par Boleslas  III Bouche-Torse. L’endroit est qualifié d’urbs puis de municio121. Kołobrzeg est également mentionnée dans le cadre de l’expédition militaire de Boleslas III en Poméranie. L’agglomération assiégée est qualifiée d’urbs et de civitas ; la présence d’un suburbium est aussi signalée122. Les deux civitates de Poméranie ont donc, tout comme celles de Silésie, mais de façon plus marquée encore, une fonction surtout militaire. En effet, elles ne sont mentionnées que dans le cadre de la conquête de la Poméranie par le souverain polonais. Le chroniqueur souligne leur importance défensive grâce aux détails du siège, mais ne souffle mot de leur statut politique. Lorsque Boleslas le Vaillant attaque le royaume des Ruthènes123, il ne perd pas de temps en assiégeant des civitates, mais se rend tout de suite à Kiev pour prendre la civitas, l’urbs, le caput regni, l’arx regni. Il lui suffit en effet de prendre possession de Kiev pour devenir maître du royaume124. On voit donc que Kiev a une importance militaire stratégique, puisqu’il suffit à Boleslas d’en prendre possession pour que tout le royaume se soumette. Mais cette importance stratégique est en fait une conséquence de son importance politique. En effet, Kiev est ainsi décrite comme le chef-lieu du royaume et le lieu de résidence du souverain des Ruthènes. Vers la fin de son règne, Boleslas III entreprend un pèlerinage au tombeau du martyr Adalbert et se rend à l’urbs ou civitas de Prague125. Ici, c’est à cause de son importance religieuse que Prague est mentionnée, en tant que détentrice des reliques d’Adalbert. À l’occasion, le chroniqueur donne quelques précisions sur l’importance qu’ont les fortifications pour le royaume de Pologne. Il raconte qu’au début du règne de Casimir le Restaurateur (1034-1058), des malheurs s’abattent sur

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Gallus, op. cit., 2,16, p. 83 ; 2,18, p. 86 ; 2,21, p. 88. Gallus, op. cit., 2,22, p. 89 ; 2,39, p. 109-110. Voir S. Szczur, Historia…, op. cit., p. 124-125 ; P. Wiszewski, Domus..., op. cit., p. 296 ; à propos de la conquête de la Poméranie, voir Z. Wielgosz, Opinie kronikarzy o Polsce północno-zachodniej. Część I – Gall Anonim, dans K. Bobowski (éd.), Źródłoznawstwo i studia historyczne, Wrocław, 1989 (Historia, LXXXVI), p. 75-82 ; J. Hertel, Pomorze w myśli politicznej kronikarzy Polski piastowskiej (Anonim Gall, Wincenty Kadłubek, kronikarz wielkopolski, dans A. Czacharowski (éd.), Prace z dziejów państwa i zakonu krzyzackiego, Toruń, 1984 (Ordines militares, 2), p. 9-47. 122 Gallus, op. cit., 2,28, p. 95-97 ; 2,39, p. 110 ; voir W. Schich, Die pommersche Frühstadt im 11. und frühen 12. Jahrhundert am Beispiel von Kolberg (Kołobrzeg), dans J. Jarnut et P. Johanek (éd.), Die Frühgeschichte der europäischen Stadt im 11. Jahrhundert, Cologne, Weimar et Vienne, 1998 (Städteforschung, Reihe A, 43), p. 273-304. 123 Voir S. Szczur, Historia…, op. cit., p. 70-74. 124 Gallus, op. cit., 1,7, p. 21-23. Kiev est encore non seulement urbs, mais également regni caput et sedes regalis lorsque Boleslas II le Généreux († 1081/1082) y installe un de ses fidèles, Iaroslav. Gallus, op. cit., 1,23, p. 48. 125 Gallus, op. cit., 3,25, p. 159-160. 121

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la Pologne126. Les souverains des royaumes avoisinants, écrit-il, veulent affaiblir le royaume de Casimir : ce à quoi ils s’attaquent en premier, afin de les détruire, ce sont les civitates et les castella127. Le chroniqueur anonyme précise parfois les raisons de l’importance des fortifications pour la conquête de la Poméranie. Il constate que Ladislas a conquis en Poméranie les places fortes, les civitates et les municipia, qu’elles aient été situées sur la côte ou dans le hinterland (infra terram et circa maritima). Ensuite, il a installé ses représentants dans les lieux les plus importants et les mieux fortifiés (in locis principalioribus et munitioribus). Puisque Ladislas craint une rébellion des Poméraniens, ajoute-t-il, il ordonne que toutes les autres fortifications du pays (omnes in meditullio regni municiones) soient détruites128. Qu’est-ce donc qu’une civitas pour le chroniqueur anonyme ? La civitas a dans la plupart des cas un rôle avant tout politique et symbolique. C’est un lieu de résidence pour le souverain, un important centre ecclésiastique et culturel. Certes, la civitas polonaise a également une fonction militaire lors des divers conflits, mais on pourrait toutefois penser que, tout comme pour Kiev, l’importance stratégique est surtout une conséquence de l’importance politique de l’endroit pour le souverain. Malgré cela, on ne peut s’empêcher de constater que l’image que projette l’auteur anonyme des civitates de Poméranie est très différente. Ici, les aspects politique et symbolique s’effacent et ne peuvent au mieux qu’être devinés. Si le chroniqueur mentionne ces civitates et les décrit, c’est uniquement en tant que forteresses dont la reddition est une étape importante lors de la conquête de la région. On serait même tenté d’ajouter que, si ces civitates jouent un rôle politique déterminant, c’est surtout la conséquence de leur importance militaire. Le chroniqueur décrit, outre ces civitates, plusieurs autres lieux fortifiés de moindre importance, qu’il nomme en général castella ou castra129. Ce sont des places fortes mentionnées lors de conflits militaires130. Pour les souverains, la possession de castra a également son importance pour la domination du pays. Ils servent à contrôler les régions soumises et à protéger les frontières131. Au cours d’innombrables péripéties, les castra et castella changent constamment de propriétaires, assiégés, conquis et perdus de nouveau. Leur rôle stratégique majeur apparaît ainsi clairement132. On peut aisément constater que les men126

Voir S. Szczur, Historia…, op. cit., p. 103-107. Gallus, op. cit., 1,19, p. 42. 128 Gallus, op. cit., 2,1, p. 65. 129 W. Schich, Die pommersche Frühstadt..., cité p. 114, n. 122, p. 282-286. 130 Gallus, op. cit., 2,4-5, p. 71-72 ; 2,16, p. 82-83 ; 2,38, p. 108 ; 2,38, p. 108 ; 2,39, p. 109. 131 Gallus, op. cit., 2,16, p. 79 ; 3,25, p. 155 ; 2,17, p. 84 ; 2,18, p. 86 ; 2,36, p. 105 ; 2,45, p. 115 ; 2,44, p. 114-115 ; 2,47, p. 117. 132 Nakło (all. Nakel) : Gallus, op. cit., 2,3, p. 67 ; 3,1, p. 126-129 ; 3,26, p. 160-161. Wieleń, en Poméranie : Gallus, op. cit., 2,48, p. 117-118. Wyszogród, en Poméranie : Gallus, op. cit., 3,26, 127

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tions de castra et de castella ne se retrouvent que dans le cadre d’événements d’ordre militaire. L’importance particulière de certains castra est avant tout stratégique, ceux-ci étant situés aux frontières pour empêcher les ennemis de pénétrer dans le royaume. Mais on voit également que le contrôle des castra est important pour les souverains afin de dominer le pays, que ce soit à l’intérieur de leur royaume, en Pologne, ou afin de s’assurer des régions nouvellement conquises, en Poméranie. Le chroniqueur anonyme hiérarchise les types d’agglomérations existant en Pologne et en Poméranie. Les lieux les plus remarquables sont des civitates ou des urbes, les autres des castra, castella ou municiones. En Pologne, la différence entre une civitas et un castellum est surtout d’ordre symbolique : en effet, la civitas est caractérisée par son importance politique, religieuse, culturelle, alors que ces aspects ne s’appliquent pas aux simples castra. Ceux-ci ont surtout un rôle militaire pour défendre les frontières ou politiques pour maîtriser des régions. Il en va autrement en Poméranie. Dans cette dernière contrée, la différence entre civitas et castellum semble surtout toucher à la taille de l’établissement, puisque pour Kołobrzeg le chroniqueur distingue entre le fort principal, urbs, et une forteresse secondaire, un castrum. Mais à part cet élément, les deux formes d’agglomération ne paraissent pas être fondamentalement différentes. Il est en effet à souligner que toutes ces localités en Poméranie ne sont pas seulement évoquées que dans le cadre d’événements militaires, mais que seul l’angle défensif est mis en valeur : pour le chroniqueur, ils n’ont d’importance qu’en tant que fortifications. C’est ainsi qu’il explique que lors de la conquête de la Poméranie, la prise et le contrôle des forteresses sont d’une importance centrale. Nulle part il n’accorde d’importance, par exemple, au contrôle du commerce ou à l’éventuelle construction d’églises. Cosmas de Prague Parallèlement à l’œuvre du chroniqueur dit Gallus Anonymus apparut en Bohême un ouvrage d’une portée similaire : la Chronique de Bohême de Cosmas de Prague († 1125)133. Cosmas provenait sans doute d’une famille aisée et il étudia à Prague et à Liège. Il était marié et avait un fils. Après son retour de Liège, il devint chanoine du chapitre cathédral de Prague. Dans les années p. 162. Gradec (Hradec près d’Opava) : Gallus, op. cit., 1,22, p. 48. Voir aussi Gallus, op. cit., 3,26, p. 146. 133 D.  Třeštík, Kosmas, Prague, 1966 (Odkazy pokrovovych osobnosti nasi minulosti)  ; id., Kosmova kronika. Studie k počátkům českého dějepisectví a politického myšlení, Prague, 1968, passim ; M. Bláhová, Verfassersbewußtsein in der böhmischen Geschichtsschreibung des Mittelalters, dans J. A. Aertsen et A. Speer (éd.), Individualität im Mittelalter, Berlin et New York, 1996 (Miscellanea mediaevalia, 24), p. 563-576.

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suivantes, il accompagna les évêques de Prague lors de voyages en Italie et en Hongrie. Il eut également l’occasion de mener des négociations entre le chapitre cathédral et le prince de Bohême Otton II. À partir de 1119, il fut doyen du chapitre et entreprit la composition de son œuvre historique, qu’il continua jusqu’à sa mort vers 1125. Cosmas vivait donc dans un milieu privilégié et fréquentait les cercles ecclésiastiques les plus élevés de Bohême, tout en étant en contact avec les cours princières de son temps. Notons qu’il a également eu maintes occasions de voyager. Sa chronique concerne la Bohême, ses princes et ses évêques ; il exprime des objectifs moralisateurs, mais a aussi des buts politiques134. Cosmas de Prague mentionne dans sa chronique de très nombreuses agglomérations ; on peut les diviser en deux catégories. La première est formée par les civitates ou urbes, des endroits surtout caractérisés par leur importance politique et symbolique. Le deuxième groupe comporte des places fortes de moindre importance, désignées comme castra et oppida, mais aussi à l’occasion comme urbes. Le type d’agglomérations qui apparaît le plus souvent dans l’œuvre de Cosmas de Prague est celui formé par les urbes dont au moins les plus importantes sont aussi désignées comme des civitates. Les urbes ou civitates principales de Bohême, Prague et Vyšehrad, présentent un ensemble de caractéristiques communes : ce sont des lieux de résidence princière, des forteresses, des centres politiques, ecclésiastiques et économiques135. La plupart des autres urbes comprennent au moins quelques uns de ces éléments. Quant à Cracovie, c’est pour Cosmas une urbs et une civitas, objet d’assauts militaires et pouvant servir de prison136. D’autres localités peuvent servir de résidences temporaires aux souverains : Plzeň (all. Pilsen), Bratislava (Possen), Žatec (all.

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J. M. Bak, Christian Identity in the Chronicle of the Czechs by Cosmas of Prague, dans I. H. Garipzanov (éd.), Historical Narratives..., cité p. 105, n. 69, p. 168-174 ; L. Wolverton, Introduction, dans Cosmas of Prague, The Chronicle of the Czechs, trad. par L. Wolverton, Washington, DC, 2009 (Medieval Texts in Translation), p. 6-11. 135 Prague : Cosmas de Prague, Chronica Boemorum, éd. B. Bretholz, Berlin, 1923 (M. G. H. Scriptores rerum Germanicarum, nova series, 2), 1,9, p. 19 ; 2,14, p. 104 ; 1,26, p. 48 ; 2,50, p. 157 ; 1,19, p. 38 ; 2,43, p. 148. Bien entendu, Prague possédait également une fonction militaire centrale. Cosmas, op. cit., 1,35-36, p. 63-65 ; 3,17, p. 180 ; 2,45, p. 152. Vyšehrad, forteresse voisine de celle de Prague, à quelques kilomètres en amont sur les rives de la Vltava : Cosmas, op. cit., 1,9, p. 20 ; 3,28-29, p. 197-199 ; 3,39, p. 211 ; 3,30, p. 199 ; 1,35, p. 63 ; 2,50, p. 157 ; 3,8, p. 168 ; 3,34, p. 205. En outre, Vyšehrad possède un vicus, présenté comme l’équivalent du suburbium de Prague et ayant les mêmes caractéristiques que celui-ci. Cosmas, op. cit., 2,45, p. 152.Voir M. Bláhová, Terminologie sídlišť ve vyprávěcích pramenech první čtvrtiny 12. století, dans Československý časopis historický, 26, 2, 1978, p. 265-267. 136 Cosmas, op. cit., 1,34, p. 60 ; 2,34, p. 130 ; 2,37, p. 138.

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Saaz), Hradec Králové (all. Königgrätz), Stará Boleslav (all. Altbunzlau)137. Cosmas mentionne en outre des urbes de Bohême ou d’Allemagne où les souverains résident et célèbrent les fêtes importantes138. Ce ne sont pas seulement les souverains, mais aussi les grands du royaume qui résident dans des urbes139. De plus, les urbes sont des lieux de rencontre pour les assemblées du royaume comme pour les synodes140. Dans quelques rares cas, le terme urbs peut désigner directement le siège d’un évêché : Mayence, Esztergom (all. Gran) ou Bamberg141. Résumons ce qu’est une urbs pour Cosmas de Prague. Il est tout d’abord à noter que le rôle militaire des forteresses, bien qu’il ne soit pas absent, est absolument secondaire pour le chroniqueur. La signification ecclésiastique de la civitas, désignation d’un siège épiscopal, est également très faiblement représentée. En revanche, l’importance politique des urbes est particulièrement accentuée : les urbes sont des lieux essentiels pour le royaume, leur possession a une haute signification symbolique ; ce n’est pas pour rien que Prague est la domna des urbes de Bohême142. Ce sont des lieux de résidence prestigieux, tout d’abord pour les souverains, imités par les comtes et autres grands du royaume : chacun veut habiter à l’intérieur d’une urbs. Ce sont des lieux de fêtes et de réceptions, en plus d’être les endroits choisis pour les grandes assemblées et pour les synodes. La richesse des activités commerciales contribue aussi à la renommée de l’urbs. Les altercations guerrières ont également leur place dans la chronique de Cosmas. Au cours des conflits militaires sont mentionnées, comme on doit s’y attendre, de nombreuses forteresses. Celles-ci sont souvent désignées indifféremment par des termes variés, urbs, oppidum ou castrum. Ce peuvent être tout simplement des urbes, dans certains cas accompagnées de faubourgs : c’est le cas à Brno (all. Brünn), à Meißen, à Nitra et à Cracovie143. Ce peuvent être

137 Cosmas, op. cit., 3,30, p. 200 ; 3,22, p. 189 ; 2,24, p. 117 ; 3,42, p. 216 ; 3,9, p. 170 ; 3,37, p. 209 ; 2,46, p. 153 ; 3,30, p. 199 ; 3,41, p. 214 ; 1,17, p. 35-36 ; 1,19, p. 38. ; 3,7, p. 168. 138 Bamberg : Cosmas, op. cit., 3,32, p. 202. Hrudin : Cosmas, op. cit., 2,13, p. 101. Znojmo (all. Znaim) : Cosmas, op. cit., 3,12, p. 172. 139 Cosmas, op. cit., 1,29, p. 53 ; 2,40, p. 144 ; 2,15, p. 106 ; 2,41, p. 146 ; 1,36, p. 64 ; 2,48, p. 155 ; 3,12, p. 172. 140 Cosmas, op. cit., 2,15, p. 105 ; 2,25, p. 118 ; 2,37, p. 134 ; 3,2, p. 162 ; 2,27, p. 121 ; 3,15, p. 176 ; 3,23, p. 190. 141 Cosmas, op. cit., 1,30, p. 54 ; 3,9, p. 169 ; 1,37, p. 66. 142 Cosmas, op. cit., 1,9, p. 19. D. Kalhous, Mittelpunkte der Herrschaft und Cosmas von Prag. Zum Charakter der Macht des frühmittelalterlichen Fürsten, dans J. Macháček et Š. Ungerman (éd.), Frühgeschichtliche Zentralorte in Mitteleuropa. Internationale Konferenz und Kolleg der Alexander von Humboldt-Stiftung zum 50. Jahrestag des Beginns archäologischer Ausgrabungen in Pohansko bei Břeclav, 5.-9.10.2009, Břeclav, Tschechische Republik, Bonn, 2011 (Studien zur Archäologie Europas, 14), p. 670-672. 143 Cosmas, op. cit., 2,43, p. 149 ; p. 227 ; 3,26, p. 194-195 ; 2,2, p. 83.

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aussi de simples castra144. Dans d’autres cas, le même lieu peut être désigné de plusieurs manières : Głogów est une urbs et un oppidum, Kłodzko (all. Glatz, tch. Kladsko) une urbs, un castrum et un castellum, Hradec Králové un castrum et une urbs, Gvozdec un castrum et un oppidum145. On voit donc que, lors des descriptions de conflits militaires, l’opposition entre les notions d’urbs et de simple forteresse s’atténue. Lorsque l’urbs est décrite dans ses fonctions défensives, elle a tendance à se confondre avec un castrum. D’autres passages soulignent l’importance politique des urbes et des autres types de fortifications. On peut observer qu’elles jouent un rôle essentiel pour le prestige des élites. Certaines agglomérations ne sont nommées qu’en lien avec les commandants qui sont à leur tête146. Les agglomérations peuvent être l’objet d’échanges et de dons entre les grands147. En outre, agglomérations et fortifications peuvent jouer un rôle politique en servant de lieux de réclusion148. D’autres types d’événements ont lieu dans des forteresses : l’élection de l’évêque Adalbert de Prague se produit dans l’oppidum de Levy Hradec149 ; Zvatopluk mentionne que Mutina a rencontré son oncle Nemoy dans l’oppidum de Świny (all. Schweinhaus)150. L’usage que fait le doyen de Prague des différentes dénominations pour désigner les agglomérations est très particulier. On a pu voir que le terme d’urbs désigne à peu près tous les types de places fortes. On constate toutefois que, pour les civitates, les éléments les plus importants sont le prestige, la portée symbolique. En revanche, lorsqu’un endroit est qualifié d’oppidum ou de castrum, c’est plus souvent dans le cadre de conflits militaires. Au-delà d’une différence de dimensions entre les deux catégories, on peut tirer quelques conclusions d’ordre général. Pour le chroniqueur, l’aspect militaire des forteresses, surtout les plus importantes, est secondaire par rapport aux valeurs politiques et de prestige. La démarcation entre une simple forteresse et une grande agglomération fortifiée est floue, puisque dans les deux cas le lieu peut être désigné comme une urbs. De plus, mêmes les modestes castra ont souvent pour le chroniqueur une valeur politique et symbolique marquée.

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Cosmas, op. cit., 3,4, p. 164 ; 2,2, p. 83 ; 2,39, p. 141. Cosmas, op. cit., 3,1, p. 161-162 ; 3,27, p. 195 ; 3,40, p. 213 ; 3,30, p. 199 ; 3,20, p. 186 ; 1,27, p. 50 ; 3,40, p. 213 ; 2,40, p. 144 ; 3,53, p. 225-226. 146 Cosmas, op. cit., 2,11, p. 98 ; 2,19, p. 111 ; 3,56, p. 231 ; 3,39, p. 211. 147 Cosmas, op. cit., 2,43, p. 148 ; 2,13, p. 101 ; 3,9, p. 169 ; 3,47, p. 220. 148 Cosmas, op. cit., 3,34, p. 205 ; 2,15, p. 106. 149 Cosmas, op. cit., 1,25, p. 47. 150 Cosmas, op. cit., 3,23, p. 191. 145

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Sources diplomatiques et normatives L’évolution du vocabulaire dans les sources diplomatiques suivit dans les grandes lignes celle qui a pu être observée dans les sources narratives. La différence principale réside dans le fait que la Saxe et les régions habitées par les Slaves n’ont été abordées que beaucoup plus tardivement par ce type de sources. En effet, les chartes ne traitaient que de territoires déjà intégrés à l’Empire franc puis saxon, et ne soufflaient mot des espaces en périphérie. Nous n’avons donc accès qu’à une perspective tronquée, celle concernant les espaces centraux. Lorsqu’ils se mettent à décrire des fortifications situées dans les régions hors de l’ancien territoire de l’Empire romain, les rédacteurs des sources franques puis saxonnes commencent à utiliser les termes de civitas et d’urbs151. Dès la période carolingienne, il est question dans l’Édit de Pîtres de 864 de civitates novae, mentionnées à côté des ponts nouvellement érigés, ainsi que du service de guet à organiser dans ces civitates152. Mais c’est surtout au Xe siècle que se multiplient les mentions de civitates faisant explicitement référence à des forteresses n’ayant rien à voir avec des villes romaines. Ainsi peut-on lire dans un diplôme de Louis l’Enfant daté de 901 et adressé au monastère Saint-Florian : « puisque sévissaient les combats avec les païens – ô malheur ! – et qu’une certaine partie de son diocèse, où se trouve le monastère Saint-Florian, a été dévastée subitement, il (i.e. l’abbé) demande que cette civitas que les fidèles de notre royaume ont construite ensemble pour la protection de la patrie, pour faire face aux embûches posées par ces persécuteurs du nom du Christ, sur les rives de la rivière Enns (…) », lui soit donnée153. Une charte d’Otton Ier de 940 pour le monastère de Corvey mentionne les « hommes (appartenant) au susdit monastère et qui doivent se réfugier et travailler dans la civitas construite à côté de celui-ci »154. Dans une autre charte du même souverain, il s’agit du « monastère construit dans l’endroit nommé 151

M. Bláhová, Evropská…, op. cit., p. 111. La signification de « district » qu’avait pu avoir le terme civitas était disparu. 152 Iuxta antiquam et aliarum gentium consuetudinem ad civitates novas et pontes ac transitus paludium operentur et in civitate atque in marca wactas faciant. Edictum Pistense, éd. A. Boretius et V. Krause, dans Capitularia regum Francorum, t. II, Hanovre, 1897 (M. G. H. Legum sectio II), c. 27, p. 321-322. 153 Eo quod seviente – proh dolor – paganorum impugnatione quędam pars diocesis suę, ubi sancti Floriani martiris monasterium constructum esse cognoscitur, ex inproviso devastata est, deprecans, ut civitatem illam, quam fideles nostri regni pro tuitione patrię unanimiter contra eorum christiani nominis persecutorum insidias noviter in ripa Anesi fluminis (...) construxerunt, DLK 9 (901), dans Zwentiboldi et Ludovici infantis diplomata, éd. T. Schieffer, Berlin, 1960 (M. G. H. Diplomata regum Germaniae ex stirpe Karolinorum, t. IV) (dorénavant : DZ, DLK), p. 110. 154 Homines qui ad prefatum coenobium et ad civitatem circa illud debent constructam confugere et in ea operari. DO I 27 (940), dans Conradi I., Heinrici I. et Ottonis I. diplomata, éd. T. Sickel,

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Tiel avec la nouvelle civitas de pierre en cet endroit »155. Il s’agit dans tous ces cas de simples places fortes dont le rôle se limite apparemment à la défense et à la protection contre les incursions militaires. On voit donc que l’usage de civitas en tant que forteresse se généralise à la même époque que dans les sources narratives ; l’usage des chartes suit la tradition instaurée par les Annales royales franques. Lorsqu’ils se mettent à décrire les places fortes des Slaves, les rédacteurs s’efforcent toutefois de varier leur vocabulaire. Un document d’Otton Ier destiné au monastère Saint-Maurice de Magdebourg, daté de 965, mentionne des loci vel castella portant des noms slaves, Pechau et Gommern156. Un autre diplôme adressé à la même institution fait état d’une série d’urbes portant également des noms d’origine slave : Biederitz, Möckern, Schartau, Burg, Grabow, Tucheim, Buckau157. Par un autre diplôme, Otton donna au monastère Saint-Maurice des urbes portant elles aussi des noms en langue slave : Thobrogora (aujourd’hui Gutenberg), Oppin, Brachstedt, toutes situées dans le pagus Netelici158. Quant à Otton II, il confirme à l’archevêché de Magdebourg la donation de civitates portant des noms slaves : Giebichenstein, mais aussi Dobrogora et Radewell159. Dobrogora est dans le diplôme d’Otton Ier une urbs160. Une autre charte d’Otton II contient une longue liste de civitates et castella dont quelques uns ont des noms slaves161. Il est question dans un autre document de castella quędam et loca situés in partibus Sclauonię, dans le pagus Dalminze, nommés Döbeln et Hwoznia, d’autres dans le pagus Nikiki, Pretsch (Prętokina), Klöden et Wozgrinia162, enfin d’autres endroits décrits avec les même mots, dans le pagus Scitici, Elsnig, Dommitzsch et Zwethau163. Sous Henri II, un diplôme destiné au monastère Saint-Jean de Magdebourg mentionne une série d’urbes situées dans la « province des Slaves » (Sclavorum Hanovre, 1879-1884 (M. G. H. Diplomata regum et imperatorum Germaniae, t. I) (dorénavant : DC I, DH I, DO I), p. 114. 155 Monasterium in loco Tiala constructum cum nova atque lapidea in eodem loco civitate. DO I 124 (950), p. 206. 156 DO I 296 (965), p. 412-413. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. II, no. 132, p. 184. 157 DO I 303 (965), p. 418-419. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. II, no. 135, p. 186-187. 158 DO I 329 (966), p. 443-444. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. II, no. 140, p. 193. 159 DO II 31 (973), dans Ottonis II. diplomata, éd. T. Sickel, Hanovre, 1888 (M. G. H. Diplomata regum et imperatorum Germaniae, t. II, pars prior) (dorénavant : DO II), p. 41. 160 DO I 329. 161 Civitatum vero et castellorum infra istum terminum positarum nomina, ut posteris verius et apertius pateat, dignum duximus inserere : Alstediburch, Gerburgaburch, Niuuanburch, Burnigstediburch, Helpethingaburch, Scroppenleuaburch, Cucunburch, Quernuordiburch, Smeringaburch, Uitzanburch, Scithingaburch, Mochenleiuaburch, Gozcoburch, Uirbiniburch, Suuemoburch, Meresburch, Hunleiuaburch, Liutiniburch. DO II 191 (979), p. 218. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. II, no. 199a, p. 282-283. 162 DO II 195 (981), p. 222-223. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. II, no. 202, p. 286-287. 163 DO II 196 (981), p. 223. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. II, no. 203, p. 287-288.

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provintia) de Nizizi164. Les forteresses qui y sont mentionnées sont également des urbes dans le diplôme correspondant d’Otton Ier165. Le même Henri fait don à l’évêché de Meißen de castella dans le pagus Milzani, nommés Ostritz, Trebista et Göda166. La notion de burgward apparaît pour la première fois dans un diplôme d’Otton Ier daté de 961167. Otton cède au monastère Saint-Maurice de Magdebourg l’urbs appelée Sputinesburch ainsi que « tout ce que nos autres fidèles semblent posséder en bénéfice dans ce burgwardum »168. Un autre diplôme mentionne le « municipium ou burgwardum de l’urbs de Zpuitneburg »169. Enfin, Otton Ier confirme à Saint-Maurice la possession du municipium de Zpuitne avec son burgwardum170. Quant à Otton II, il est question dans un de ses diplômes de la « civitas de Magdebourg (…) et son municipium, ce que nous appelons un burgwardum »171. Il confirme en outre par un diplôme la cession à l’archevêché de Magdebourg de forteresses situées sur la rive orientale de l’Elbe, désignées comme castella vel municipia. Le rédacteur reprend donc ce terme antiquisant introduit par la chancellerie de son prédécesseur. Il s’agit de Pechau, Gommern et Lostau172. Le document qui lui sert de modèle fait cependant état de loci vel castella173 ; il semble que la formulation ne parait plus actuelle, et le rédacteur préfère ajouter ses municipia. Un autre document signale l’existence d’une « certaine villa appelée Setleboresdorf, se trouvant dans le burcward de Boritz ». Il est aussi question de « tous ceux qui habitent dans ce burgward » et qui doivent payer un cens174. Peu après, Otton II fait don au monastère de 164

DH II 88 (1004), dans Heinrici II. et Arduini diplomata, éd. H. Bresslau, Hanovre, 19001903 (M. G. H. Diplomata regum et imperatorum Germaniae, t. III) (dorénavant : DH II, DA), p. 111-112. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. III, no. 390, p. 240. 165 DO I 446 (966), p. 603-604. Il s’agirait d’un faux fabriqué avant 1004. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. II, no. 141, p. 193-195. 166 DH II 124 (1007), p. 150. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. III, no. 405, p. 256-257. 167 S. Rossignol, Civitas…, art. cit., p. 82-83. C. Frey, Die Grenzlandschaft..., cité p. 96, n. 13, p. 144-145. 168 Urbem Sputinesburch (…) et quitquid beneficii ceteri fideles nostri in eodem burgwardo habere visi sunt. DO I 230 (961), p. 316. Il s’agit de Rothenburg an der Saale. Voir C. Lübke, Regesten…, op. cit., vol. II, no. 115, p. 154-155. 169 Municipium etiam vel burgwardum urbis Zpuitneburg. DO  I 232a (961), p.  318. Voir C. Lübke, Regesten…, op. cit., vol. II, no. 117, p. 159-161. 170 Municipium Zpuitne dictum in orientali parte Salę fluminis. DO I 386 (970), p. 527. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. II, no. 158, p. 221. 171 Magadaburgensem civitatem (…) et municipium eius quod nos burgwardum dicimus. DO II 29 (973), p. 38-39. Voir C. Lübke, Regesten…, op. cit., vol. II, no. 165, p. 232. 172 DO II 30 (973), p. 40. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. II, no. 166, p. 232-235. 173 DO I 296. 174 Quandam villam Setleboresdorf vocitatam iacentem in burcwardo Boruz dicto (…) omnes qui in eodem burgwardo habitent. DO II 184 (979), p. 209. Voir C. Lübke, Regesten…, op. cit., vol. II,

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Memleben de loca quedam et castella situés explicitement in partibus Sclavonie, dans le pagus Heuellon, soit Niienburg, Dubie et Briechouua ; ces endroits sont accompagnés de leurs burgwardia175.  Les mentions de burgwards se multiplient dans les diplômes d’Otton III. Le jeune empereur donne au monastère de Memleben « vingt-et-une villae situées dans deux burgwardia, appelés Biederitz et Möckern »176. Dans un document adressé au camerarius Tiezo est mentionnée « une villa appelée Poztrigami dans le burgardium de Biederitz  »177. Peu après, le souverain donne le burgwardium de Biederitz au comte Sigibert178 ; il concède celui de Nerchau à l’archevêché de Magdebourg179. L’archevêché reçoit ensuite le burgwardum de la civitas de Ritteburg (Riede) en Thuringe180. Enfin, le monastère de Nienburg obtient la civitas de Niemitzsch, sur les rives de la Neiße, avec son burgwardium181. Le burgward semble donc avoir été une sorte de district administratif centré autour d’une forteresse. Le terme insolite nécessitait une explication ; c’est pourquoi un rédacteur astucieux le traduisit par municipium. La civitas, qui dans l’Antiquité était également un district administratif182, n’était pourtant aucunement perçue comme un synonyme de burgward  : c’étaient deux concepts différents, ce dont témoigne une expression comme burgwardum civitatis, le « burgward de la civitas »183, ce que l’on ne peut interpréter que comme le district de la forteresse. Lorsqu’on voulait traduire burgward, on utilisait municipium et non pas civitas. Le système des burgwards, unique à la période ottonienne, a sans doute été introduit par les souverains saxons dans les régions habitées par des Slaves, en périphérie de Magdebourg, qu’ils désiraient incorporer à leur administration184. Il est peu probable – comme le no. 198, p. 279-280. 175 DO II 194 (981), p. 221-222. Il n’a pas été possible de localiser ces trois endroits. Voir C. Lübke, Regesten..., op. cit., vol. II, no. 201, p. 284-286. 176 Viginti villas et I in duobus burgwardiis Bidrizi et Mokernik vocatis iacentes. DO III 106 (992), dans Ottonis III. diplomata, éd. T. Sickel, Hanovre, 1893 (M. G. H. Diplomata regum et imperatorum Germaniae, t. II, pars posterior) (dorénavant : DO III), p. 517-518. Voir C. Lübke, Regesten…, op. cit., vol. III, no. 275, p. 97-99. 177 Villam unam Poztrigami dictam in burgwardio Bitrizi. DO  III 172 (995), p.  583. Voir C. Lübke, Regesten…, op. cit., vol. III, no. 300, p. 129-131. 178 DO III 180 (995), p. 590. Voir C. Lübke, Regesten…, op. cit., vol. III, no. 308, p. 139-140. 179 DO III 247 (997), p. 664. Voir C. Lübke, Regesten…, op. cit., vol. III, no. 319, p. 156-157. 180 DO III 344 (1000), p. 774. Voir C. Lübke, Regesten…, op. cit., vol. III, no. 334, p. 173-174. 181 DO III 359 (1000), p. 788. Voir C. Lübke, Regesten…, op. cit., vol. III, no. 341, p. 180-181. 182 Sens que le terme avait perdu dans les régions à l’est du Rhin aux IXe et Xe siècles. Voir M. Bláhová, Evropská..., op. cit., p. 111. 183 DO III 344, p. 774 ; voir aussi DO III 359, p. 788. Burgwardum urbis : DO I 232a, p. 318 ; voir aussi DO I 29, p. 38-39. 184 G. Billig, Die Burgwardorganisation im obersächsisch-meißnischen Raum. Archäologischarchivalisch vergleichende Untersuchungen, Berlin, 1989, p. 14-18 ; H. F. Schmid, Die Burgbe-

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laisse supposer le terme germanique burgward, latinisé en burgwardum ou burgwardium – que ce système ait existé tel quel auparavant chez les Slaves185. Le vocabulaire des diplômes est caractérisé par l’incertitude des rédacteurs. Les endroits nommés – et il ne s’agit ici sans doute que de simples forteresses – sont décrits indistinctement comme des civitates, des urbes, des castella, ou de simples loca. Ces documents de la fin du Xe et du début du XIe siècle reflètent un usage que l’on retrouvait dans les sources narratives du IXe siècle. On y reconnaît l’interchangeabilité des termes, un castellum y désignant la même réalité qu’une civitas, ainsi que la réduction du sens à celui d’une simple forteresse. On y verra un reflet de la tendance au conservatisme des sources normatives. Comme l’a déjà remarqué Marie Bláhová, alors que les sources narratives commencent à utiliser ces termes de façon plus précise et à les associer à des constructions intellectuelles plus complexes, les auteurs des chartes continuent à s’en servir de manière vague et réductrice186. On vit certes réapparaître la notion de circonscription territoriale, cette fois désignée comme une civitas dans certains diplômes des souverains de Bohême, mais beaucoup plus tardivement. Ainsi, il est question dans un diplôme de Sobeslas Ier daté de 1130 d’un cens payé par les habitants de districts territoriaux désignés à la fois comme des civitates et comme des provinciae187. Notons toutefois que la teneur du document n’est connue que par une copie, certes du XIIe siècle, mais dont la fiabilité a été mise en doute188. Le texte d’un diplôme de Spytihnev II daté de 1057 est, quant à lui, connu d’une copie du XIe  siècle (version  A) et d’une insertion dans un diplôme d’Ottokar  Ier Přemysl de 1218 (version B). Les chercheurs sont divisés quant à savoir quelle copie présente la version la plus proche de l’original189. Il y est question dans la version A de paysans dépendants des civitates de Litoměřice (all. Leitmeritz) zirksverfassung bei den slavischen Völkern in ihrer Bedeutung für die Geschichte ihrer Siedlung und ihrer staatlichen Organisation, dans Jahrbücher für Kultur und Geschichte der Slaven, N.F. II, Heft II, 1926, p. 81-132 ; K. Wagner, Burgwardmittelpunkt und Kirche in DresdenBriesnitz, dans J. Oexle (éd.), Frühe Kirchen in Sachsen. Ergebnisse archäologischer und baugeschichtlicher Untersuchungen, Stuttgart, 1994 (Veröffentlichungen des Landesamtes für Archäologie mit Landesmuseum für Vorgeschichte, 23), p. 199-205. 185 W.  Schlesinger, Die deutsche Kirche im Sorbenland und die Kirchenverfassung auf westslawischem Boden, dans id., Mitteldeutsche Beiträge..., op. cit. (article d’abord paru en 1952), p. 137-140. 186 M. Bláhová, Evropská..., op. cit., p. 69-75, 77, 97-108, 148. 187 Et cum secundum predecessorum meorum instituta decimam marcam de annuo tributo idem fratres in his civitatibus habeant, videlicet Prage, Wisegrad, Satcsi, Sedlcih, Lutomericih, Beline, Dacsine, Bolezlaui, Camenci, Gradci, Opocsne, Hrudimi, Kurimi, Pilzni, Lubici, Wratne, ego elemosinarum expensa et eorum prece confidens posse salvari, addo eis in tribus his provinciis Rokitnah, Csazlaui, Hinone eciam decimam annui tributi. Codex diplomaticus et epistolaris regni Bohemiae, éd. G. Friedrich, Prague, 1904-1907 (dorénavant : CDB), t. I, 111 (1130), p. 113. 188 Voir la notice de l’éditeur, p. 112. 189 Voir la notice de l’éditeur, p. 54.

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et de Belina ; dans la version B, civitas est remplacé par provincia190. Karol Modzelewski vit dans le diplôme de Sobeslas Ier un témoignage d’une organisation économique s’appuyant sur des forteresses au centre de territoires administratifs191. S’il est possible qu’un tel système ait existé dès le XIe  siècle, comme le veut Modzelewski192, notons toutefois que nous ne pouvons savoir si de tels districts ont été désignés comme des civitates avant le XIIe siècle. * En Saxe ottonienne, on constate que la civitas et l’urbs ont pris un sens plus concret et pragmatique, mais en même temps plus simple que dans l’Empire carolingien. Même si Widukind de Corvey a marqué une différence entre civitas et urbs, la première étant plus fortement chargée de connotations symboliques, on voit que chez les auteurs de cette époque, la civitas ou l’urbs avaient une nette tendance à être en premier lieu un endroit fortifié, qui était par la même occasion, dans bien des cas, un lieu de résidence pour les souverains ou pour les autres grands du royaume. Seul Adam de Brême, à la fin du XIe siècle, s’éloigna de ces tendances. En même temps, on observe que la différence entre centre et périphérie s’est estompée – ce qui avait déjà commencé à la fin du IXe siècle – , les termes désignant les types d’agglomérations devenant beaucoup plus uniformes, sans prendre en considération la région décrite. Le passage de la première phase à la deuxième s’est fait par étapes, les Annales de Fulda présentant une situation intermédiaire et les sources ottoniennes rompant définitivement avec la tradition.

190 Version A : rusticos vero de ipsa civitate XII, de Belina totidem ordinavit. Version B : rusticos vero de Lutomericensi provincia XII, de Belinensi totidem ordinavit. CDB, t. I, 55 (1057), p. 55. David Kalhous cite en outre un passage des Annales de Corvey du début du XIIe siècle où il est question de forteresses (urbes) et de leurs territoires (territoria, provinciolae) chez les Slaves de l’Elbe : Nam tres (sc. Scyrcipensium Sclavi) cum suis territoriis tantum possident, quę disterminantes per singula provinciolas esse referunt. Die Corveyer Annalen. Textbearbeitung und Kommentar, éd. J. Prinz, Münster, 1982 (Veröffentlichungen der Historischen Kommission für Westfalen, X. Abhandlungen zur Corveyer Geschichtsschreibung, 7), a. 1114, p. 137. Voir D. Kalhous, Suburbium als Phänomen der frühmittelalterlichen Schriftquellen, dans I. Boháčcová et L. Poláček (éd.), Burg – Vorburg – Suburbium. Zur Problematik der Nebenareale frühmittelalterlicher Zentren, Brno, 2008 (Spisy archeologického ústavu AV ČR Brno, 35. Internationale Tagungen in Mikulčice, VII), p. 20. 191 K. Modzelewski, Organizacja gospodarcza państwa piastowskiego. X-XIII wiek, Poznań, 2000 (d’abord paru en 1975) (Wznowiena. Poznańskie Towarzystwo Przyjaciół Nauk, 7), p. 83. 192 Cela a été mis en doute par Sławomir Gawlas, qui croit qu’un tel système n’aurait été instauré que beaucoup plus tardivement. Voir S. Gawlas, Die Territorialisierung des Deutschen Reiches und die teilfürstliche Zersplitterung Polens zur Zeit des hohen Mittelalters, dans Quaestiones medii aevi novae, 1, 1996, p. 25-42 ; id., O kształt zjednoczonego królestwa. Niemieckie władztwo terytorialne a geneza społeczno-ustrowej odrębności Polski, Varsovie, 2000 (d’abord paru en 1996) (Res Humanae. Studia, 1), passim.

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Si le concept de district administratif centré autour d’une forteresse réapparut de manière éphémère avec le système des burgwards des souverains ottoniens, on constate que le concept de territoire désigné par le terme de civitas avait alors définitivement disparu. Le district était non pas une civitas, mais un burgward ou municipium. Quant aux sites portuaires désignés comme des emporia ou portus, ils sont avant tout caractéristiques des sources de l’époque carolingienne. Dans les siècles suivants, ils n’ont été mentionnés que par Adam de Brême – qui était dépendant de sources antérieures dont, surtout, Rimbert. L’aspect militaire des descriptions des forteresses est central chez le chroniqueur dit Gallus Anonymus, alors qu’il est plutôt secondaire chez Cosmas de Prague, bien qu’il ait écrit sa chronique dans les mêmes années. Chez ce dernier, ce sont surtout les aspects de prestige liant les places fortes à la royauté et à l’aristocratie qui dominent. Cependant, dans les deux cas, l’un n’exclut pas l’autre. On peut également constater que la différence entre l’urbs et le castrum est stricte chez l’anonyme de Pologne, mais beaucoup plus indécise chez Cosmas. On distingue une évolution générale, de la fin du VIIIe au début du XIIe siècle, d’une conception plutôt abstraite vers une réalité plus concrète, mais en même temps simplifiée, voire réductrice. La civitas romaine perdit sa spécificité, la forteresse hors de l’Empire obtint certaines de ses caractéristiques. Le résultat fut la transformation dans les siècles suivants de la civitas en un amalgame des deux conceptions193. Suivant le modèle des transferts culturels proposé par Peter Burke, on peut voir dans ce processus un exemple d’accommodation194 : les auteurs chrétiens, héritiers de la langue, des traditions et des conceptions des Romains, s’adaptèrent à une nouvelle situation ;

193

On a souvent souligné l’équivalence qu’ont semblé faire les peuples de langues germaniques entre « cité » et « forteresse », dont l’expression la plus évidente est la traduction de civitas ou urbs par burg, dans les gloses autant que dans les toponymes. K. S. Bader et G. Dilcher, Deutsche Rechtsgeschichte..., cité p. 10, n. 5, p. 274-275 ; E. Ennen, Die europäische Stadt..., op. cit., p. 60 ; G. Köbler, Burg..., art. cit., passim ; S. Rietschel, Die civitas.., op. cit., passim ; W. Schlesinger, Burg..., cité p. 12, n. 10, p. 103-105 ; id., Stadt..., cité p. 12, n. 10, p. 96-97, 101-102. Walter Schlesinger s’étonnait du fait que le mot civitas ait pu désigner, dans les sources saxonnes des Xe et XIe siècles, ce qu’il nommait une Burgstadt, alors que dans certaines chartes de la même période, le même mot désignait de façon non équivoque une simple forteresse. W. Schlesinger, Stadt..., cité p. 12, n. 10, passim. Il ne trouvait pas d’explication satisfaisante. Il nous semble que cela peut s’éclairer assez facilement si on considère chaque source ou type de sources séparément plutôt que de rechercher une définition universellement répandue. La langue des actes de la pratique a toujours eu tendance à être conservatrice et traditionnelle. Il n’est donc pas étonnant que l’on retrouve encore au Xe siècle une conception réductrice de la civitas courante au IXe siècle, alors que d’autres sources de la même période présentent une conception plus complexe et novatrice. Voir M. Bláhová, Evropská..., op. cit., p. 111. 194 P. Burke, Kultureller Austausch, Francfort/M., 2000, p. 19-20.

nouvelles conceptions

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ils transférèrent un concept culturel, celui de civitas, à ces régions privées de racines romaines. Puisque la réalité différait, ils durent s’adapter et, par làmême, ils créèrent une nouvelle perception de la réalité.

CHAPITRE III

LES CARACTÉRISTIQUES DES CIVITATES

Procul dubio gloriosa Pomoranorum urbs et precipua. Gallus Anonymus, Cronicae et gesta ducum sive principum Polonorum, 2,28, décrivant Kołobrzeg

N

ous avons abordé dans les deux premiers chapitres la manière dont les descriptions des civitates ont été intégrées dans le contexte narratif des sources de la période étudiée ainsi que l’évolution du concept associé à la civitas, qui varia selon les époques et les régions. Après cet aperçu chronologique, nous pouvons maintenant nous tourner vers un traitement thématique plus détaillé : il s’agira d’observer un à un les éléments descriptifs qui ont été associés aux agglomérations. Il apparaît important, pour cela, de distinguer entre les aspects objectifs et subjectifs dans l’usage du concept de civitas fait par les auteurs des sources. Les principes subjectifs peuvent certes être utilisés de manière plus ou moins consciente, mais ils peuvent faire partie d’une stratégie voulue pour promouvoir les aspects positifs d’une localité. Bref, il importe avant tout de reconnaître les niveaux de langage afin de mieux comprendre la signification du discours. La linguiste Catherine Kerbrat-Orecchioni s’est attachée à reconnaître les types de subjectivité dans les énonciations : elle explora les « lieux d’ancrage les plus manifestes de la subjectivité langagière »1. Kerbrat-Orecchioni désigne les substantifs porteurs de subjectivité comme axiologiques ; ils peuvent être péjoratifs (dévalorisants) ou mélioratifs (laudatifs, valorisants). Quant aux adjectifs, elle les catégorise en objectifs (par ex., célibataire, rouge, mâle) et subjectifs. Ces derniers sont à leur tour ou bien affectifs, lorsqu’ils énoncent une réaction émotionnelle, ou bien évaluatifs. Dans ce dernier cas, on peut à nouveau distinguer entre des adjectifs évaluatifs non axiologiques, impliquant une évaluation qualitative ou quantitative (par ex., grand, loin, chaud), et des adjectifs évaluatifs axiologiques, qui, tout comme les substantifs, peuvent être péjoratifs ou mélioratifs. Cette classification est résumée par les graphiques suivants :

1

C. Kerbrat-Orecchioni, L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris, 1999, p. 37.

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chapitre iii

Certes, le discours n’est jamais – comme le souligne Kerbrat-Orecchioni elle-même – entièrement objectif : la subjectivité est omniprésente dans le langage. Toutefois, les modes et les degrés de la subjectivité peuvent varier considérablement2. Le modèle élaboré par la linguiste nous servira à clarifier le rôle et les fonctions du discours et à éclairer les conceptions et l’imaginaire des auteurs. Les éléments en question seront traités avec une approche thématique, indépendamment des auteurs qui en font usage. Ils seront ensuite comparés aux motifs des laudes urbium de l’Antiquité et du haut Moyen Âge. D’abord un genre littéraire à part, les laudes s’étaient transformées en un ensemble de conventions littéraires utilisées par les auteurs latins dans leurs descriptions, de telle sorte que la différence entre description et « louange » est devenue fluctuante3. Cette comparaison avec les éléments de la tradition lettrée per2

C. Kerbrat-Orecchioni, L’Énonciation…, op. cit., p. 147-157. À propos des laudes urbium, voir E. Giegler, Das Genos der Laudes urbium im lateinischen Mittelalter. Beiträge zur Topik des Städtelobes und der Stadtschilderung, thèse de doctorat, Université Julius Maximilian, Würzburg, 1953 ; C. J. Classen, Die Stadt im Spiegel der Descriptiones und Laudes urbium in der antiken und mittelalterlichen Literatur bis zum Ende des zwölften Jahrhunderts. Um ein Nachwort vermehrte zweite Auflage, Hildesheim, Zürich et New York, 1986 (Beiträge zur Altertumswissenschaft, 2). 3

les caractéristiques des civitates

131

mettra de faire ressortir les spécificités des textes concernant les régions à l’est du Rhin. Environnement naturel et géographie Certains auteurs donnent des précisions géographiques sur la situation des agglomérations qu’ils décrivent. Ces indications peuvent avoir pour fonction soit de localiser l’endroit dont il est question, soit de le caractériser4. Il peut en découler, selon les cas, une utilisation de vocabulaire subjectif. Les auteurs des Annales royales franques proposent à l’occasion des repères de localisation faisant référence à des éléments naturels : la rivière Lippe pour Paderborn, les rives de l’Elbe pour plusieurs castella, les régions côtières pour l’emporium Reric5. Ces mentions d’éléments naturels ne servent cependant guère à caractériser les endroits dont il s’agit. Les termes utilisés sont tous des substantifs non axiologiques. L’objectif des auteurs est de situer des endroits dans l’espace par rapport à des repères géographiques donnés. Cosmas de Prague précise régulièrement la situation de castra en rapport avec des éléments naturels, rivières ou rochers. Les forteresses de Bohême, de Pologne ou d’Allemagne sont ainsi érigées près de rivières, dans des forêts ou sur des falaises6. On voit donc que, chez les Annales royales et chez Cosmas, la mention d’une rivière sert simplement de repère géographique pour situer un endroit. Lorsqu’est évoquée une forêt, c’est pour donner une indication concernant la localisation de l’endroit. Dans d’autres cas, la mention d’une falaise montre indirectement l’importance de celle-ci pour la défense militaire et stratégique des fortifications. Mais dans tous les cas, la langue utilisée est toujours non axiologique et objective. Dans le poème De Karolo rege et Leone papa, l’auteur anonyme décrit les sources d’eau chaude d’Aix-la-Chapelle. Les constructeurs se servent de ces sources pour la fabrication des thermes. Ils canalisent l’eau dans des bassins servant de bains, qu’ils entourent de sièges de marbre. L’eau circule en ruisseaux dans toute l’urbs7. L’eau des sources est décrite comme chaude (thermes calidos), les bains sont « spontanément bouillants » (balnea sponte sua fer-

4 J. Potschka, Wasser und Gewässer auf dem Gebiet der Elbslaven. Eine semantische Analyse von Wahrnehmungs- und Deutungsmustern mittelalterlicher Autoren, Göttingen, 2011, p. 54-60. 5 ARF, a. 776, p. 46 ; a. 780, p. 56 ; AQDE, a. 780, p. 57 ; ARF, a. 782, p. 58 ; AQDE, a. 782, p. 59 ; ARF, a. 808, p. 127 ; a. 808, p. 127 ; a. 809, p. 129 ; a. 810, p. 131-132 ; a. 811, p. 135 ; a. 822, p. 158 ; a. 808, p. 126. 6 Cosmas, op. cit., 1,27, p. 50 ; 2,7, p. 93 ; 1,3, p. 9 ; 1,27, p. 50 ; 3,34, p. 205 ; 1,4, p. 10 ; 3,4, p. 164 ; 3,48, p. 220. 7 De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 106-111, p. 16.

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chapitre iii

ventia), la source « ne cesse de frémir grâce à la chaleur de l’eau bouillant avec ardeur » ( fons nimio bullentis aquae fervere calore / Non cessat). On constate que les sources d’eau chaude sont décrites avec des adjectifs et des substantifs que l’on peut caractériser comme évaluatifs non axiologiques : ils se réfèrent à leur chaleur et à leur état bouillonnant ; cette manière de décrire est subjective puisque le degré de chaleur et la façon de bouillonner restent relatifs. On voit ici que les sources chaudes, qui entrent spontanément en ébullition, contribuent à rendre l’endroit spectaculaire. Mais on notera toutefois que ce qui rend Aix « urbain », dans la description de l’anonyme, ce ne sont pas les sources elles-mêmes, mais la manière dont les constructeurs l’intègrent dans l’architecture de l’urbs : ils font à l’aide de sources à l’état naturel des bains aménagés dans une construction de luxe8. C’est bien le travail humain qui produit ce qui caractérise l’agglomération. L’insistance sur l’eau chaude et les bains propose également un parallèle avec la civilisation romaine et ses installations balnéaires9. Le poète décrit également l’endroit où est située Aix : « Non loin de la haute urbs, entourée de nombreuses murailles, se trouve une forêt, et ce bois verdoyant possède des clairières agréables et des prés frais au milieu des ruisseaux »10. L’auteur décrit ensuite les animaux que l’on y entend et aperçoit près de la rivière : des oiseaux, des cerfs, et toutes sortes d’animaux sauvages. C’est là, précise-t-il, que Charlemagne peut s’adonner à la chasse11. Il est intéressant d’observer comment est situé ce locus amoenus. La forêt en question possède en effet les principales caractéristiques de ce topos : rivière, oiseaux chantants, verdure, animaux12. Mais bien qu’Aix se trouve non loin de la forêt (non procul), elle en est tout de même expressément séparée13. L’agglomération est entourée de hautes murailles : multis circumsita muris. On voit donc l’habile opposition que crée le poète : hors des murailles, la nature sauvage ; à l’intérieur de l’enceinte, la ville construite de main d’homme. L’aspect agréable de la nature est exprimé plusieurs fois par l’auteur : excelsa (...) et amoena virecta, lucus (...) virens, prata recentia rivis, amoena pascua, exercere solet gratos per gramina ludos. Les adjectifs utilisés par le poète sont parfois évaluatifs et non axiologiques, ainsi virens et recens, mais ils sont la plupart du temps affectifs : excelsus, amoenus, gratus. L’auteur fait appel aux sentiments du lecteur, veut lui faire 8

Voir H. Kugler, Die Vorstellungen…, op. cit., p. 68-70, 72-78. M. Weber, Antike Badekultur, Munich, 1996 (Beck’s archäologische Bibliothek), passim. 10 Non procul excelsa nemus est et amoena virecta / Lucus ab urbe virens et prata recentia rivis / Obtinet in medio, multis circumsita muris. De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 137-139, p. 18. 11 De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 137-152, p. 18-20. 12 E. R. Curtius, Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter. Zweite, durchgesehene Auflage, Bern, 1954, p. 202-206 ; H. Kugler, Die Vorstellungen…, op. cit., p. 69. 13 H. Kugler, Die Vorstellungen…, op. cit., p. 68-70, 72-78. 9

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parvenir une impression de plaisir et de bien-être, en décrivant la nature entourant l’urbs d’Aix-la-Chapelle. L’utilisation de termes évaluatifs et affectifs sert au poète anonyme à caractériser les éléments exceptionnels de la situation géographique d’Aix. De cette façon, il nous renseigne sur ce qui, selon lui, rend agréable et donc souhaitable la localisation de l’urbs : elle doit avoir accès à l’eau et à la forêt, non pas pour des raisons utiles et pragmatiques – dans la description poétique – , mais seulement pour la rendre attrayante. Ermold le Noir († vers 835), dans son poème sur Louis le Pieux, décrit également Aix-la-Chapelle comme étant située dans un locus amoenus. L’endroit près du palais d’Aix est dépeint comme « ceint de marbre et entouré d’un mur de pierres, planté d’arbres, où l’herbe fraîche verdit ; et une rivière en arrose le milieu, avec un tourbillon lent, des oiseaux divers l’habitent ainsi que des bêtes sauvages »14. Parsemée de termes mélioratifs (marmore, herba recens), la description donne une impression agréable. Ce qui étonne est surtout l’absence de distinction claire entre l’habitat et la nature, contrairement au poème De Karolo rege et Leone papa. Il en va autrement dans la description de la localisation de Paderborn dans le récit de translation du clerc anonyme. Paderborn n’est certes pas décrite comme une civitas, ainsi que nous l’avons vu dans le chapitre précédent, mais c’est le siège d’un nouvel évêché, une sedes, ainsi qu’un oppidum entouré d’une enceinte15. Cette sedes est située au milieu d’une plaine des plus amples (amplissima), orné e (ornata) suffisamment de forêts vastes et bigarrées par leur grande diversité, ayant des champs fé conds (uberes) et des plus fertiles ( feracissimi) en fruits de toutes sortes. Tout près se trouve, à gauche du point de vue des murailles, un bois s’étendant en longueur et largeur sur plusieurs milles, à ce p oint convenable (adeo oportuna) à l’usage comme pâturage pour le bétail et les troupeaux et pour l’élevage, des abeilles qu’il ne semble pas très différent de cette région que les Saintes Écritures désignent comme la terre où coulent le lait et le miel. À la parure de l’endroit (ornamentum loci) s’ajoute à la fois l’apparence incomparable (incomparabilis species) et le grand nombre des sources les plus saines (saluberimi fontes), coulant ensemble dans une cavité également à l’intérieur même de l’oppidum, à tel point qu’il ne fut nulle part découvert quoi que ce soit de comparable en étendue autant qu’en a g rément (amoenitas). Il ne manque pas ici et là d’autres rivières, très g énéreuses (larg issima) dans les avantages qu’elles 14 Marmore praecinctus lapidum sive aggere septus, / Consitus arboribus, quo viret herba recens ; / At fluvius medium praelambit gurgite lento, / Hunc volucres variae incolitantque ferae. Ermold le Noir, In honorem Hludowici christianissimi caesaris augusti, dans E. Dümmler (éd.), Poetae latini aevi Carolini, t. II, Berlin, 1884 (M. G. H. Poetae latini medii aevi, t. II), 3,585-588, p. 57. 15 À propos de la fondation de l’évêché de Paderborn, voir M. Balzer, Paderborn…, cité p. 67, n. 104, p. 120-122 ; C. Ehlers, Die Integration…, op. cit., p. 58-62.

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chapitre iii offrent à ceux qui en ont besoin. L’air à cet endroit et la brise sont plus doux (placidior), et bien que dans une région froide, par une grâce naturelle plus tempérés (temperatior), si bien que plus rapidement que dans d’autres régions, tous les fruits arrivent à leur maturité16.

L’environnement naturel joue un rôle de premier plan dans la description de l’endroit où est située Paderborn17. Une place importante est bien entendu prise par les sources de la Pader. L’usage de vocabulaire subjectif saute aux yeux. Tout d’abord, il y a des substantifs mélioratifs : ornamentum, amoenitas. Un adjectif évaluatif non axiologique est présent : amplissima. Mais ce sont surtout les adjectifs axiologiques mélioratifs qui prennent une place considérable : ornata, uberes, feracissimi, oportuna, incomparabilis, saluberimi, largissima, placidior, temperantior. Cela n’est guère étonnant puisque le clerc anonyme cherche surtout à donner une image positive de Paderborn, le siège de son église. Mais ce qui est frappant, c’est surtout que ce vocabulaire subjectif s’applique uniquement à l’environnement naturel : l’auteur du récit ne souffle mot des fortifications, des bâtiments, de l’église, mais il loue en long et en large la forêt, les champs, les rivières et les sources. Une fonction évidente de ces éléments est de rendre l’endroit agréable (amoenitas), mais ils servent aussi des buts plus pragmatiques : assurer l’abondance de tout ce qui est nécessaire à l’habitat humain – eau fraîche, champs fertiles, prés, bétail, forêt, miel… Tout cela assure le confort et le luxe de ceux qui habitent l’oppidum. L’importance de l’environnement naturel pour le bien-être des habitants est d’ailleurs indiquée dans le reste de la description : En outre, ce pagus, comme il est attesté par notre propre mémoire et par la relation des anciens, abondait en hommes de toute noblesse d’origine, avec toujours les signes distinctifs de grands esprits, de telle sorte qu’il ne fait pas

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Habens amplissimam circumquaque planiciem, nemorum tamen frequenti et varia diversitate sufficienter ornatam, agros uberes et frugum omnium feracissimos. Cui adiacet a leva in ipso moeniorum prospectu silva multis passuum milibus in longum latumque diffusa, adeo pecorum et armentorum pascuis apiumque servandarum usui oportuna, ut illi non dissimilis videatur regioni quam sacrae litterae vocant terram lactae et maellae manantem. Accedit ad ornamentum loci saluberimorum fontium, intra ipsum oppidum in unum pariter alveum confluentium, incomparabilis tam species, quam numerositas, in tantum, ut eorum latitudini amoenitati similes esse alibi minime compertum habeamus. Nec desunt hinc inde et alia flumina, utilitatum, quae ab his petuntur, largissima. Aer ibidem et aura placidior, et licet in frigido terrarum tractu, naturali gratia temperatior, citius quam in aliis illarum regionum partibus, maturitatem cunctorum fructuum affere consuevit. Anonyme de Paderborn, op. cit., c. 4, p. 190-191. 17 Pour une étude plus détaillée de cet aspect, voir S. Rossignol, Ville et environnement…, art. cit., p. 9-14.

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de doute que la patrie correspond aux habitants et les habitants à la patrie, et qu’ils sont mutuellement des ornements les uns pour les autres18.

Le clerc anonyme cherche donc à démontrer que ce qui est utile est aussi agréable. Quant à Adam de Brême, il mentionne le fait que le temple païen slave de Rethre est situé sur une île dans un « lac profond ». Le temple avec ses neuf portes est relié à la terre ferme par un pont de bois, que ne peuvent franchir que ceux venant offrir des sacrifices ou demander des oracles. Avec une citation de l’Enéide, le lac est comparé au Styx, fleuve des enfers19. L’importance du lac dans la description du temple païen est surtout symbolique : il permet une comparaison avec le Styx, qui laisse à entendre que le lieu de culte est l’équivalent de l’enfer, les deux endroits étant également peuplés d’ « âmes perdues » (perditae animae)20. Comme l’a démontré Stanisław Rosik, la traversée vers le paganisme correspond, d’un point de vue théologique, à la mort de l’âme21. Alors que l’adjectif profundus n’est qu’évaluatif, il sert surtout à rendre plus réaliste la comparaison avec le nom propre Stix, lui-même définitivement conçu comme axiologique et péjoratif ; l’adjectif obtient donc indirectement une connotation péjorative. Résumons ces observations : on constate que les éléments naturels servent rarement à caractériser pleinement une agglomération. Les seuls auteurs le faisant de manière conséquente sont le poète de De Karolo rege et Leone papa et le clerc anonyme de Paderborn, bien qu’Ermold le Noir et Adam de Brême en fassent aussi usage. Or, le poète épique le fait précisément en opposant la nature sauvage, hors des murs, et la nature maîtrisée par l’homme, à l’intérieur de ceux-ci. Ces quatre auteurs sont aussi les seuls à utiliser un vocabulaire subjectif : en général, les autres auteurs indiquent la présence de rivières ou forêts plutôt pour localiser les endroits géographiquement. Cela est sans doute au moins une conséquence du genre littéraire et un reflet du niveau d’érudition de chacun des auteurs. Ces mentions peuvent toutefois aussi donner ipso facto une idée de l’apparence, de l’environnement immédiat des aggloméra18 Praeterea pagus ipse, ut et nostra memoria et veterum relatio testatur, viris omni nobilitate generis animique semper insignibus abundabat, ut non esset dubium, quin patria civibus et cives patriae congruerent ac sibi utraque vicissim ornamento forent. Anonyme de Paderborn, op. cit., c. 4, p. 191. 19 Civitas ipsa IX portas habet, undique lacu profundo inclusa ; pons ligneus transitum prebet, per quem tantum sacrificantibus aut responsa petentibus via conceditur, credo ea significante causa, quod perditas animas eorum, qui idolis serviunt, congrue novies Stix interfusa cohercet. Adam, op. cit., 2,21, p. 78. Le passage est inspiré de Virgile : Fas obstat, tristisque palus inamabilis undae / Alligat et novies Styx interfusa coercet. Virgile, Aeneidos, 6,439, dans Virgile, Opera, éd. W. Janell, Leipzig, 1930 (Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana), p. 222. 20 Voir S. Rosik, Interpretacja…, op. cit., p. 191-204. 21 Voir S. Rosik, Interpretacja…, op. cit., p. 198-199.

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tions, du type de localisation recherché : de préférence sur une falaise, avec proximité d’eau et de bois. Le premier élément est important pour les fortifications, le deuxième et le troisième pour les besoins essentiels des habitants. Les différentes parties des agglomérations : dispersion et unité Pour plusieurs des auteurs étudiés, les agglomérations les plus importantes se divisent en plusieurs parties distinctes, souvent désignées par les termes urbs et suburbium. Chacune de ces parties peut être caractérisée par des bâtiments propres ou des fonctions particulières ; à l’occasion, certains auteurs donnent quelques indications sur l’agencement intérieur des habitats fortifiés. Au cours de la période étudiée, des changements notables se laissent observer. Un des auteurs des Annales royales franques raconte l’assaut des Saxons contre le castellum de Büraburg. Lorsque les Saxons approchent, les habitants des environs, les confiniales, se réfugient dans le castellum. Alors les Saxons détruisent par le feu les maisons (domus) qui se trouvent à l’extérieur des fortifications22. Les Annales royales ne comprennent en revanche qu’une seule mention explicite d’un suburbium en terre franque. Il est raconté que Charlemagne vient au locus nommé Kostheim, « dans le suburbium de l’urbs de Mayence », et qu’il y tient un plaid23. Les Annales dites d’Eginhard reprennent l’épisode, mais transforment la formulation : il y est question que Charlemagne tient cette assemblée « dans la villa de Kostheim, qui est située sur le Main, face à l’urbs de Mayence »24. C’est donc dans un sens très particulier que l’auteur des Annales royales comprend le mot suburbium. Il ne s’agit pas d’un faubourg attaché directement à la forteresse principale de Mayence, mais d’une villa située dans les environs. Le suburbium et l’urbs ne forment donc pas un ensemble organique, une agglomération commune : au contraire, ce sont deux localités expressément séparées. Pour l’auteur des Annales royales, les forteresses sont associées à des établissements se trouvant à l’extérieur et séparées de celles-ci : ce peut être un habitat dispersé, composé de domus éparses comme à Büraburg, ou une villa distincte, comme à Mayence. Il en va de même lorsque les auteurs des Annales royales font mention d’agglomérations portuaires sur les rives de la mer Baltique. Elles sont également mentionnées indépendamment d’autres types d’habitat et semblent être complètement séparées de toute agglomération. Ainsi, à Reric il n’est question que d’un emporium, à Sliaswich que d’un portus25. Ils existent pour soi, isolés. 22

ARF, a. 773, p. 36. Rex venit ad locum, qui dicitur Cuffinstang, in suburbium Mogontiacensis urbis, et tenuit ibi placitum suum. ARF, a. 795, p. 96. 24 Conventum generalem trans Rhenum in villa Cuffesstein, quae super Moenum contra Mogontiacum urbem sita est, more solemni habuit. AQDE, a. 795, p. 97. 25 ARF, a. 808, p. 126 ; 809, p. 129. 23

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Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, l’hagiographe Rimbert fait une distinction très nette, à Birka, entre le vicus et ses habitants et la civitas qui est un lieu de refuge en cas de danger26. Notons que Rimbert distingue également à Hambourg la civitas et le vicus. Or, si l’on regarde bien la formulation, on voit qu’ils sont bien perçus comme étant séparés, et ne forment pas un tout : il y a la civitas d’une part, et le vicus proximus d’autre part27. La description des relations entre civitas et vicus à Hambourg et à Birka suit donc le même schéma. On constate par la même occasion que la différence entre le siège archiépiscopal et l’établissement marchand n’est pas fondamentale pour Rimbert. Widukind de Corvey ne mentionne que rarement les parties formant l’espace habité d’une forteresse. Il évoque une fois les plateae à l’intérieur d’une urbs, que l’on peut interpréter comme les terrains vagues entre les bâtiments28. Plus loin, il évoque le suburbanum de Mersebourg, où Henri Ier a installé les guerriers de la « légion de Mersebourg », des voleurs et bandits à qui il a pardonné à condition qu’ils défendent le royaume contre les incursions des ennemis29. Le moine de Corvey désigne cependant parfois l’habitat près des forteresses comme un oppidum : on le détruit avant d’attaquer la forteresse30. De même, l’oppidum semble inséparable de la forteresse31. Les deux termes, qui désignent en soi différents types d’habitat, forment pour Widukind une sorte d’ensemble. Thietmar, quant à lui, mentionne la partie la plus ancienne de Mersebourg, l’antiqua civitas, dont la majeure partie appartenait à Hatheburg, la fille du comte Erwin32. À Meißen, le chroniqueur connaît un suburbium habité par les guerriers nommés Wethenici33. Ce même faubourg est ailleurs simplement désigné comme une « partie », une pars de la civitas34. La forteresse principale est à un autre endroit désignée comme superpositae civitatis municio35. À

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Rimbert, op. cit., c. 11, p. 32 ; c. 19, p. 41-42. Voir supra, p. XYZ. Arrepta civitate, et omnibus quae in ea vel in vico proximo erant spoliatis, Rimbert, op. cit., c. 16, p. 37. 28 Per plateas et muros urbis ut ebrii erraverunt, Widukind, op. cit., 1,11, p. 19. 29 Widukind, op. cit., 2,3, p. 69. Voir C. Hanewinkel, Die politische…, op. cit., p. 165-168. D. Kalhous, Suburbium..., cité p. 125, n. 190, p. 21. 30 Widukind, op. cit., 1,9, p. 16 ; 1,22, p. 32 ; 3,45, p. 126. 31 Ibique urbes et oppida et invisum antea genus hominum videntes. Widukind, op. cit., 1,18, p. 29 ; Ungarii totam Saxoniam percurrentes urbes et oppida incendio tradiderunt. Widukind, op. cit., 1,32, p. 45. Widukind ne mentionne jamais d’oppidum sans urbs. 32 Thietmar, op. cit., 1,5(4), p. 8. 33 Thietmar, op. cit., 6,55(37), p. 342. 34 In ea parte, qua satellites habitant dicti Sclavonice Vethenici. Thietmar, op. cit., 5,9(6), p. 230. Il s’agit du suburbium. 35 Thietmar, op. cit., 7,23(15), p. 424. 27

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Gniezno, l’église archiépiscopale ainsi que d’autres bâtiments situés dans le suburbium sont détruits par un incendie36. L’évêque de Mersebourg signale aussi l’existence de nombreux bâtiments à l’intérieur des forteresses : édifices de toute sorte, palais de l’évêque, palais chauffés (caminatae) pour les souverains ou leurs représentants. Ils sont situés dans des castella, dans des civitates ou des urbes37. On constate que pour Thietmar, les agglomérations fortifiées peuvent être divisées en plusieurs parties. Les dénominations de ces différentes parties ne semblent pas répondre à un modèle précis, ou former une hiérarchie fonctionnelle. On peut trouver dans le suburbium autant les habitations de guerriers qu’une église épiscopale. Toutefois, il est frappant de constater que pour Thietmar, urbs et suburbium forment un tout organique – ce dernier est expressément une « partie » de l’ensemble. Ensuite, on observe que pour l’évêque de Mersebourg, il est tout à fait naturel et normal que se retrouvent à l’intérieur des forteresses et des enceintes divers édifices, bâtiments d’habitation, palais et églises. Chez Adam de Brême, on observe que la distinction stricte entre civitas et portus ou vicus aperçue pour Birka dans l’œuvre de Rimbert a disparu. Ainsi, l’agglomération de Birka n’est plus séparée en deux parties, forteresse et centre de commerce. Birka est certes d’abord un portus, et ce à plusieurs reprises38. Mais le portus est également un oppidum39. Or, une comparaison avec les autres passages où Adam se sert du terme oppidum montre que, pour cet auteur, il s’agit là d’une forteresse. Il mentionne l’agger oppidi à Brême40. Il est question d’un oppidum alors que Libentius fait ériger de nouvelles fortifications à Hambourg41. Il est ensuite raconté que le duc Bernard délaisse le castellum de Hambourg pour s’installer dans un presidium nouvellement construit  ; seul l’archevêque continue à habiter l’ancien oppidum42. L’oppidum est dans ce passage sans conteste synonyme de castellum. Toutefois, l’oppidum de Birka n’est nullement la civitas évoquée par Rimbert, séparée du portus. Chez Adam, il s’agit de la même chose : les deux termes désignent indifféremment l’en36

Thietmar, op. cit., 8,15(8bis), p. 512. « Beaux édifices » de la Jérusalem céleste : Thietmar, op. cit., 2,16(10), p. 56. Murs et édifices du castellum de Schweinfurt : Thietmar, op. cit., 5,38(23), p. 264. Palais de l’évêque (domus) et église à Paderborn : Thietmar, op. cit., 5,5(3), p. 224. Caminata à Meißen : Thietmar, op. cit., 5,9(6), p. 230. Caminata à Grona : Thietmar, op. cit., 6,66(44), p. 356. Maison à Leipzig : Thietmar, op. cit., 7,25(18), p. 428. Palais (curtis) à Pöhlde, église et plusieurs bâtiments (mansiones) à Utrecht : Thietmar, op. cit., 7,75(53), p. 490. Maison de pierre située dans une villa, à Allerstedt : Thietmar, op. cit., 7,5(5), p. 404. 38 Adam, op. cit., 1,60, p. 58 ; 1,61, p. 59. 39 Adam, op. cit., 1,15, p. 22 ; 1,60, p. 58 ; 1,62, p. 60. 40 Adam, op. cit., 2,48, p. 108. 41 Adam, op. cit., 2,69, p. 131. 42 Adam, op. cit., 3,27, p. 170. 37

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semble de l’établissement. L’agglomération de Birka est également décrite comme une statio43. Mais Birka a droit à l’appellation de civitas et même de metropolis, et ce lorsqu’il est question de la nomination d’un évêque44. Il est donc évident que la civitas de Birka n’est plus du tout la place forte décrite par Rimbert : le terme désigne dorénavant le siège épiscopal. Le chroniqueur dit Gallus Anonymus signale en plusieurs endroits la présence de ponts donnant accès aux agglomérations45. En outre, l’anonyme mentionne également des faubourgs, soit des suburbia accompagnant des civitates ou des urbes46. Contrairement à Thietmar, le chroniqueur anonyme de Pologne distingue clairement entre les fonctions de la civitas et celles du suburbium. Dans celle-là se trouve le palais du souverain, c’est là que se trouvent les guerriers défenseurs de la forteresse ; dans celui-ci, on retrouve des paysans et sans doute, bien qu’ils ne soient pas mentionnés explicitement, des marchands. Cependant, pour lui aussi les différentes parties de l’agglomération forment un tout cohérent. Pour ce qui est de Cosmas de Prague, il mentionne plusieurs palais souvent situés à l’intérieur de forteresses. Cependant, on observe que le chroniqueur est peu précis quant à la localisation exacte de ces bâtiments47. À certains endroits, le doyen de Prague fait mention d’un suburbium48. Le suburbium est pour Cosmas une partie distincte d’une agglomération, séparée de l’urbs où réside le prince, et qui peut avoir ses propres institutions, comme des églises ou un marché49. Pour Cosmas, urbs et suburbium sont donc deux parties distinctes d’une même agglomération. Si le palais se trouve probablement en général dans l’urbs et les activités marchandes dans le suburbium, la division des rôles ne doit pas toujours être stricte. Chacune des parties peut aussi avoir ses propres églises.

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Adam, op. cit., 1,60, p. 58. Adam, op. cit., 4,20, p. 249. 45 Gallus, op. cit., 2,17, p. 85 ; 2,28, p. 96. 46 Gniezno dans le récit mythique de Popel : on observe ici la division très stricte, topographique autant que sociale, entre la civitas et le suburbium situé à côté. Gallus, op. cit., 1,1, p. 9 ; voir J. Banaszkiewicz, Podanie…, op. cit., passim ; C. Deptuła, Galla…, op. cit., p. 219-316 ; P.  Wiszewski, Domus..., op.  cit., p.  174-184. Kołobrzeg  : Gallus, op.  cit., 2,28, p.  96  ; voir W. Schich, Die pommersche..., cité p. 114, n. 122, p. 284. Voir aussi Gallus, op. cit., 2,46, p. 116 ; 3,21, p. 146 ; 1,26, p. 51. 47 Cosmas, op. cit., 1,13, p. 30 ; 2,19, p. 111 ; 3,29, p. 198 ; 1,28, p. 50 ; 1,29, p. 53. 48 Cosmas, op. cit., 2,19, p. 111 ; 2,45, p. 152 ; 3,26, p. 194 ; 3,44, p. 219. 49 Mentionnons toutefois qu’un marché ne doit pas nécessairement avoir lieu dans un suburbium. Cosmas indique un forum dans la villa de Sliunica, près du castrum de Podivín. Cosmas, op. cit., 2,21, p. 113. Il nomme aussi un endroit situé entre les urbes de Prague et de Vyšehrad où avait lieu un marché hebdomadaire. Inter utrasque urbes in loco, ubi sabbato fiunt mercimonia, Cosmas, op. cit., 3,17, p. 180. Un marché se tenait également dans la villa de Sekircostel. Cosmas, op. cit., 3,33, p. 204. 44

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chapitre iii

Dans plusieurs diplômes des souverains ottoniens, on retrouve des mentions de divisions en deux parties à l’intérieur même d’une forteresse. Ainsi, la charte de fondation de l’évêché de Brandebourg affirme qu’Otton Ier fait don à cette église de « la moitié septentrionale de ladite civitas et la moitié septentrionale de toute l’île, sur laquelle cette civitas est construite, ainsi que la moitié de toutes les villae qui en sont dépendantes »50. Le monastère d’Alsleben est fondé par le comte Gero dans l’urbs du même nom. Selon une charte de confirmation d’Otton II, Gero fait don au monastère, lors de sa fondation, de la moitié de l’urbs, soit la partie septentrionale où le monastère en question est situé51. On voit donc qu’il est commun, lors de la fondation d’une institution ecclésiastique dans une forteresse, de lui céder la moitié du terrain à l’intérieur de celle-ci. Il s’ensuit une division bipartite, séparant le sacré du profane, à l’intérieur même de l’enceinte. Enfin, de nombreux diplômes signalent l’existence de faubourgs, principalement pour indiquer la présence des monastères qui y sont situés. Il en est ainsi du monastère Saint-Jean dans le suburbium de Magdebourg52, mais aussi à Nordhausen53 et, pour le chapitre de chanoinesses, à Quedlinburg54. Dans les sources abordées ici, les différentes parties des agglomérations sont toujours décrites dans une langue objective et non axiologique. Elles font partie de la réalité matérielle de ces endroits, concrète, et les auteurs n’évoquent pas d’impressions particulières. Elles forment une part intrinsèque des agglomérations, normale et attendue, sur laquelle il n’est pas nécessaire pour eux d’insister. Comme on a pu le voir, une progression très nette se laisse observer à propos des diverses parties des habitats fortifiés au cours de la période étudiée. À l’époque carolingienne, la division topographique d’un même ensemble d’habitat entre forteresses et faubourgs est à peu près inconnue. Chacune des parties est isolée des autres ou, à tout le moins, séparée expressis verbis. Les auteurs des Annales royales distinguent entre, d’une part, une forteresse ou 50

Dimidiam partem praedictae civitatis aquilonalem et dimidiam partem insulae totius septentrionalem in qua civitas eadem habetur constructa, dimidiamque partem omnium villarum illuc pertinentium. DO I 105 (948), p. 189. La charte de fondation de l’évêché de Havelberg stipule que le même Otton donne au nouvel évêché « la moitié du castrum et de la civitas de Havelberg et la moitié des villae qui en sont dépendantes. » Medietatem castri et civitatis Havelberg et medietatem omnium villarum illuc attinentium. DO I 76 (956), p. 156. La mention du castrum est cependant sans doute un ajout du XIIe siècle à ce document à la tradition complexe. C. Popp, Gründung und Frühzeit des Bistums Havelberg, dans Mitteilungen des Vereins für Geschichte der Prignitz, 3, 2003, p. 18-27. 51 In aquilone parte eiusdem urbis ecclesiam construens (...) dimidiam partem praefatae urbis in aquilone plaga. DO II 190 (979), p. 216. 52 DO I 382 (970), p. 524 ; DO I 383 (970), p. 525 ; DO II 115 (975), p. 129 ; DO III 171 (995), p. 582. 53 DO I 393 (970), p. 535. 54 DO II 10 (964), p. 18.

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agglomération fortifiée principale, et d’autre part un ensemble de domus disparates ou une villa séparée de l’urbs, appelée suburbium. Les agglomérations portuaires sur la côte de la mer Baltique sont isolées et ne font pas partie d’un ensemble plus vaste. Rimbert fait une distinction claire entre un vicus et une civitas à Birka, seulement il est important de se rappeler que cette dernière n’est qu’une forteresse et non pas une agglomération fortifiée. L’hagiographe fait cependant une distinction semblable à Hambourg entre la civitas et le vicus. Les auteurs de ces sources ne décrivent nulle part un ensemble cohérent consistant en une forteresse et un faubourg formant un complexe d’habitation. Leurs auteurs n’ont pas conscience d’une unité urbanistique formée par le groupe polycentrique des différentes parties d’une même agglomération. Aux Xe et XIe siècles, on commence à prendre connaissance de la présence de suburbia associés étroitement aux fortifications, en Saxe puis dans les régions périphériques, mais les distinctions sont encore floues, les parties conceptualisées de manière encore imprécise. Pourtant, Adam de Brême perçoit déjà l’agglomération de Birka comme formant un tout et n’y voit plus de différence stricte entre les différentes parties comme le faisait son prédécesseur Rimbert. Il est dorénavant évident que chacune des parties distinctes de l’habitat fortifié est habitée, et que les différentes parties – même si leurs fonctions ne sont pas toujours strictement séparées ou fondamentalement dissemblables – se mettent à former un tout cohérent. Ce n’est que dans les deux grandes chroniques de Pologne et de Bohême, au début du XIIe siècle, qu’une disjonction assez claire entre des parties distinctes au sein des agglomérations devient générale, avec des bâtiments et des fonctions variés mais qui, surtout, forment un tout : une véritable agglomération. Défense et fortifications : utilité et représentation Il peut sembler naturel que pour des forteresses la fonction défensive ait été un élément de première importance. Nous avons vu dans le chapitre précédent que les civitates jouaient dans la majorité des sources étudiées un rôle prépondérant dans les conflits militaires. Pourtant, l’importance de la fonction protectrice varie grandement d’un auteur à l’autre. Bien que la plupart des auteurs analysés mentionnent l’aspect défensif, chacun le fait avec des accents différents : il n’a apparemment pas pour tous la même valeur. On peut le voir dans l’observation des éléments de défense et de fortifications qui sont spécialement nommés ou décrits. Un des auteurs des Annales royales franques raconte que les Saxons forcent les Francs à quitter le castrum d’Eresburg. Les Francs, avant de partir, détruisent les murs et les fortifications (muri et opera)55. L’annaliste relate que 55

ARF, a. 776, p. 44.

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Liudewit, dux de Pannonie inférieure, se réfugie dans les « fortifications de son castellum » (munitio tantum castelli)56. Mis à part ces passages, il n’y a que Constantinople pour laquelle l’annaliste mentionne explicitement les murailles. Il relate que Crumas, roi des Bulgares, a installé ses tentes devant la porte de la civitas de Constantinople. Narguant l’empereur Léon V, il chevauche devant l’enceinte (moenia)57. Il en va tout autrement avec l’auteur du poème De Karolo rege et Leone papa, qui insiste à plusieurs reprises sur l’importance et l’immensité des murailles d’Aix-la-Chapelle. La « nouvelle Rome », colossale, s’élance vers le ciel, ses murs voulant atteindre les étoiles : Flore novo, ingenti, mag na consurgit ad alta / Mole, tholis, muro, praecelsis sidera tangens. Charlemagne lui-même désigne l’endroit où s’élèveront les « hauts murs », alta (…) moenia. Les constructeurs dressent l’enceinte vers le haut, arcem molitur in altum. Le poète précise que les murs, moenia, sont construits de pierres solides, praedura (…) saxa. Il ajoute plus loin qu’Aix est « entourée de nombreux murs », multis circumsita muris58. L’empreinte subjective des adjectifs utilisés est frappante : ingens, magnus, praecelsus, altus, praedurus, multus. Ils sont certes non axiologiques, se référant aux dimensions de ce qui est décrit ; mais la relativité de leur caractère évaluatif témoigne de leur subjectivité. Ce qui importe pour le poète épique, ce n’est pas tellement la fonction militaire et défensive des murailles ; c’est beaucoup plus leur apparence majestueuse, immense, imposante. Aix doit avoir des murailles pour être une arx, mais surtout pour ressembler à Rome : ce n’est pas pour rien que, au sein de la description, deux des trois comparaisons avec Rome sont en lien direct, syntaxique, avec des mentions de l’enceinte, murus ou moenia. L’importance de l’élévation saute aux yeux. Les adjectifs faisant référence à la hauteur ou à la dimension sont abondants : praecelsus et celsus chacun une fois, magnus deux fois, ingens trois fois, altus quatre fois. On remarquera même que les trois comparaisons avec Rome comprennent l’adjectif altus : Roma secunda (…) consurgit ad alta, alta (…) moenia Romae, materiam Romae (…) altae. L’impression que donne le poète est claire : Rome est immense, et pour ressembler à Rome, Aix doit l’être également, donc posséder de hautes murailles59. Chez Widukind de Corvey, les éléments des fortifications sont régulièrement expressément nommés. C’est surtout leur importance militaire qui intéresse le moine : ce sont les obstacles à franchir par les assiégeants avant de pénétrer dans les forteresses. Ceux-ci sont à l’occasion aidés par des machines de guerre, dont la nature n’est pas précisée.

56 57 58 59

ARF, a. 820, p. 153. ARF, a. 813, p. 139. De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 91-139, p. 16-18. Voir L. Falkenstein, Pfalz und vicus..., cité p. 60, n. 61 passim.

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L’historien saxon mentionne à plusieurs reprises les murailles des forteresses au cours de batailles, en Thuringe, en Saxe ou chez les Slaves60. En plusieurs endroits, l’historien de Corvey mentionne à la fois les murailles et les portes des forteresses. Ces deux éléments jouent un rôle central lors des sièges de Mayence, de Ratisbonne ou d’une forteresse des Slaves61. Dans d’autres cas ne sont mentionnées que les portes des fortifications. Par ces indications fréquentes, leur importance stratégique est soulignée par le moine de Corvey62. Widukind se sert même d’une métaphore faisant référence à une enceinte urbaine, lorsqu’il fait dire à Otton Ier, dans son exhortation à ses troupes lors d’une bataille contre les Slaves, que pour ceux-ci seule leur audace leur sert de « muraille », pro muro, alors qu’eux, les Saxons, ont la foi et la protection divine63. Avec cette image, on voit bien l’importance centrale qu’ont les murs des forteresses d’un point de vue militaire. Il ne fait pas de doute que, pour l’historien saxon, c’est leur fonction militaire et stratégique qui donne aux fortifications leur importance. Notons en passant que, sous cet aspect, Widukind ne fait pas de différence entre les anciennes villes romaines et les places fortes situées en Saxe ou chez les Slaves. Non seulement les éléments de fortifications ont-ils une place centrale dans l’image qu’il donne des forteresses, mais leur fonction concrète est clairement exprimée par les descriptions de sièges, les tentatives de franchir ou de détruire les murailles, de pénétrer à l’intérieur des forteresses par les portes, l’insistance sur les obstacles qui s’opposent aux assiégeants. Thietmar mentionne aussi les murailles des forteresses à diverses occasions. Énumérant les largesses d’Otton II envers l’évêché de Mersebourg, il écrit que l’empereur a fait don à l’évêché de « tout ce que contient le mur de l’urbs de Mersebourg, avec les Juifs et les marchands et la monnaie »64. L’enceinte sert ici à délimiter dans l’espace les possessions de l’évêque. Mais les murs de fortifications ont avant tout une fonction défensive. Thietmar en fait mention lors de nombreux sièges de places fortes, en Francie ou en Lusace65. L’évêque de Mersebourg mentionne également les portes des fortifications : elles en sont l’élément stratégique le plus important. Elles empêchent les ennemis d’entrer ou sont ouvertes pour permettre qu’on y

60 En Saxe : Widukind, op. cit., 1,13, p. 22 ; 3,35, p. 120. Urbs des Thuringiens : Widukind, op. cit., 1,11, p. 19. Chez les Slaves : Widukind, op. cit., 3,26, p. 128. 61 Mayence : Widukind, op. cit., 3,18, p. 113. Ratisbonne : Widukind, op. cit., 3,36-37, p. 120-121. Chez les Slaves : Widukind, op. cit., 3,45, p. 126. 62 Widukind, op. cit., 2,11, p. 76 ; 3,43, p. 123 ; 3,51, p. 130-131. 63 Widukind, op. cit., 3,36, p. 127. 64 Quicquid Merseburgiensis murus continet urbis, cum Iudeis et mercatoribus ac moneta, Thietmar, op. cit., 3,1(1), p. 98. 65 Thietmar, op. cit., 4,3(2), p. 134 ; 5,12(7), p. 234 ; 5,38(23), p. 264 ; 6,53(36), p. 340 ; 7,63(46), p. 476.

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entre : leur rôle est majeur dans les assauts de places fortes66. À l’occasion, Thietmar décrit quelques forteresses en les caractérisant avec des adjectifs soulignant leur aspect défensif. Breisach est décrite comme « très bien défendue », c’est une civitas munitissima 67. Quant à Kiev, elle est une urbs décrite comme « très robuste », urbs (…) nimis valida 68. Tout comme pour Widukind, c’est pour Thietmar l’aspect militaire des enceintes qui importe le plus69. Elles sont l’obstacle à franchir lors des sièges, sont souvent détruites par la suite. Les rares adjectifs subjectifs, évaluatifs, font aussi référence à l’aspect défensif des agglomérations. En outre, les remparts peuvent aussi avoir pour fonction de délimiter l’espace comme dans le cas de Mersebourg. De son côté, Adam de Brême mentionne certes l’importance des fortifications, particulièrement pour Brême et Hambourg, où il évoque les travaux d’érection ou de réparation des fortifications. Cependant, l’élément défensif des agglomérations n’est guère pour lui d’une grande importance pour les régions autour de la Baltique, puisqu’il n’en souffle pas un mot pour ces espaces. C’est d’abord l’archevêque Libentius, raconte Adam, qui entreprend l’érection d’un « rempart très solide » pour protéger Brême, vallo muniri [cepit] firmissimo. En effet, à cette époque, toutes les civitates de Saxe sont menacées par les raids des Vikings, comme l’indique l’écolâtre70. Sous le successeur de Libentius, Unwan, le mur des fortifications de Brême est renforcé pour la protéger contre les ennemis du roi, à l’époque où le duc Bernard s’est insurgé contre l’empereur Henri II71. Toujours à Brême, l’archevêque Hermann fait débuter la construction d’un mur qui doit entourer la civitas. Mais les fondations sont à peine commencées qu’il meurt et que les travaux sont interrompus72. Toutefois, ils sont repris peu après par l’archevêque successeur, Becelin. Il fait continuer l’érection de la muraille circulaire et elle est terminée jusqu’au sommet des fortifications (propugnacula) en plusieurs endroits, mais reste en certaines parties inachevée. Il y a là, face à la place du marché, une grande porte avec, au-dessus de celle-ci, une « tour très solide », firmissima turris, construite à la manière italienne et comptant sept étages pour les

66

Thietmar, op. cit., 2,6(3), p. 46 ; 4,41(26), p. 178 ; 5,5(3), p. 224 ; 5,9(6), p. 230 ; 6,23(17), p. 302. Voir S. Rosik, Interpretacja…, op. cit., p. 98-101. Thietmar, op. cit., 6,55(37), p. 342 ; 4,38(25), p. 176. 67 Thietmar, op. cit., 5,21(14), p. 247. 68 Thietmar, op. cit., 8,32(16), p. 530. 69 F. Geppert, Die Burgen..., art. cit., p. 165, 244. 70 Adam, op. cit., 2,33, p. 93-94. 71 Adam, op. cit., 2,48, p. 108-109. 72 Adam, op. cit., 2,68, p. 129.

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diverses nécessités73. Toutefois, l’existence de cette enceinte est de courte durée, car l’archevêque Adalbert la fait détruire afin d’utiliser les pierres pour la construction de la nouvelle église. On retrouve alors encore, indique Adam, une « tour magnifique », turris speciosa, ornée de sept étages74. Ce même Becelin entreprend ensuite la reconstruction de Hambourg, qui a été détruite par les Slaves. Unwan et le duc Bernard ont auparavant entreprit la construction d’un « castrum noble », castrum nobile, sur les ruines de l’ancienne civitas. Becelin, après avoir fait construire en pierre une nouvelle église et un nouveau palais pour lui-même, veut faire ériger autour de la métropole une muraille et des tours, mais en est empêché par sa mort75. Quant à l’archevêque Adalbert, il a l’intention d’ériger des fortifications pour protéger Hambourg des incursions des Slaves, de « munir » et d’ « orner » le siège de son archevêché, Hammaburgensem munire simulque ornare toparchiam, afin de protéger « le peuple et l’église des Nordalbingiens ». Ce serait là, précise Adam, une « œuvre utile », utile opus. Adalbert choisit une colline sur les rives de l’Elbe, près de Hambourg, le Süllberg, le seul endroit élevé dans les environs. Il fait défricher la forêt qui la recouvre afin d’y faire ériger un castellum pour la protection des habitants de la région. Aussitôt, il y installe un prieuré. Pendant ce temps, le duc Bernard délaisse l’ « ancien castellum » à Hambourg et se fait construire une nouvelle forteresse, entre l’Elbe et l’Alster. Dorénavant, c’est là qu’il habite76. On notera l’utilisation de nombreux adjectifs subjectifs par Adam de Brême pour désigner les fortifications. Il y a d’abord un adjectif évaluatif non axiologique, revenant plusieurs fois : firmissimus. Mais, et c’est là une nouveauté par rapport aux auteurs précédents, il s’y ajoute toute une série d’adjectifs axiologiques mélioratifs : speciosus, nobilis, utilis. On reconnaît facilement deux leitmotive dans les descriptions d’enceintes et de fortifications par Adam : le premier thème tourne autour de la défense et de la protection ; les fortifications doivent être utiles, être puissantes pour protéger la population ; le second thème est esthétique, lié aux termes mélioratifs : les murailles sont des ornements, doivent impressionner par leur beauté et leur magnificence ; tout comme les édifices imposants, elles participent au prestige d’une agglomération. L’importance de ces aspects est, comme l’indiquent les adjectifs, toute subjective. Les deux thèmes ne sont cependant pas traités séparément, mais au contraire s’entrecroisent et s’ajoutent : ils sont complémentaires, comme l’indique si bien l’expression munire simulque ornare.

73

Adam, op. cit., 2,69, p. 131. Nam et [turris] spetiosa, quam diximus VII cameris ornatam fuisse, tunc funditus est diruta, Adam, op. cit., 3,3, p. 145-146. 75 Adam, op. cit., 2,70, p. 131-132. 76 Adam, op. cit., 3,26-27, p. 169. 74

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Quant au chroniqueur dit Gallus Anonymus, il ne fait pas que décrire des fortifications et raconter des sièges, il décrit également les forteresses et souligne leur importance. Ponts, murs et portes ont tout d’abord une importance militaire évidente pour les assaillants. Ce sont les obstacles qu’ils doivent franchir pour vaincre leurs ennemis. Chacun de ces obstacles et la manière dont ils sont franchis sont décrits avec force détails lors des sièges de Kołobrzeg, Nakło (all. Nakel)et Białogród en Poméranie ou encore de Głogów77. On peut comparer à ces descriptions de forteresses celle que donne l’auteur anonyme de Troie. Il cite en effet Troie en tant qu’exemple pour se justifier de mettre par écrit l’histoire des princes polonais, indiquant que même Ilion serait restée inconnue si son histoire n’avait pas été confiée à l’écrit78. Le chroniqueur décline alors ce qui lui semble être les caractéristiques de la plus célèbre ville de l’Antiquité : ses murs, maintenant effondrés, ses tours, maintenant détruites, ses espaces vastes et agréables, aujourd’hui désertés par les habitants, ses palais de rois et de princes, aujourd’hui cachés79. Murs et tours sont ici au premier plan. On voit donc que c’est toujours l’enceinte qui est mentionnée, dont l’importance comme protection pour les défenseurs et comme obstacle pour les attaquants est soulignée. Par ailleurs, sont mentionnés ponts et portes en tant qu’obstacles à franchir pour les assaillants. Remarquons également que ces éléments de fortifications sont mentionnés principalement pour les forteresses de Poméranie, sauf pour Głogów lors du conflit avec l’empereur : les détails des fortifications ne sont explicitement décrits que pour les régions qui sont le théâtre de conflits militaires. Le chroniqueur ne les évoque jamais pour les agglomérations à l’intérieur du royaume, où réside le souverain, comme Gniezno ou Cracovie. Les éléments de fortifications ont pour lui une grande importance militaire, mais ne semblent pas jouer un rôle de prestige et de représentation : c’est là tout le contraire de ce que nous avons pu observer chez Adam de Brême. Cela se reflète dans le vocabulaire de l’anonyme, empreint d’objectivité, évitant toute nuance subjective ou axiologique. Pour le chroniqueur anonyme, les fortifications sont un élément normal, attendu des agglomérations, qui n’évoque pas d’impressions particulières. Toutefois, il n’y a pas seulement que les forteresses qui peuvent protéger une région contre les assauts hostiles. Les conditions naturelles peuvent également rendre plus difficile pour les ennemis de pénétrer dans un pays. Le chroniqueur anonyme souligne ce point à de nombreuses reprises. Ainsi, il décrit la situation du castrum de Nakło, dans la zone frontalière entre la Pologne et la Poméranie, que protègent autant les marécages que les fortifica77 78 79

Gallus, op. cit., 2,28, p. 96 ; 2,3, p. 67 ; 2,22, p. 89 ; 3,8, p. 135-136. À propos de ce topos, voir E. R. Curtius, Europäische…, cité p. 132, n. 12, p. 469-470. Gallus, op. cit., 3, epistola, p. 121.

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tions, paludibus et opere firmum80. Si l’on doit en croire le chroniqueur, la situation en Prusse est encore pire. Il raconte l’origine mythique de ce peuple qui, supposément venu de Saxe, se serait enfui lors des guerres de Charlemagne pour se réfugier dans cette région. Ce pays est tellement bien protégé par les lacs et les marécages, nous dit l’anonyme, qu’il ne serait pas mieux défendu par des castella et des civitates. C’est pour cette raison que les Prusses ne peuvent être maîtrisés par personne, car nul n’est capable de se déplacer avec toute une armée à travers tant de lacs et de marécages81. Il est évident que, chez le chroniqueur anonyme, le facteur militaire domine sans équivoque dans les descriptions matérielles des forteresses. Cela n’est cependant guère étonnant lorsqu’on se rappelle que chez cet auteur, les places fortes de Poméranie ne sont nommées et décrites que dans le cadre des conflits guerriers. Toutefois, on pourra remarquer que Rimbert raconte aussi le siège de forteresses : mais pour lui, l’apparence de ces endroits n’a aucune importance. Il ne lui semble pas nécessaire de les décrire. Les descriptions et les mentions des divers éléments des fortifications ont peu à voir avec le contexte et les épisodes qui sont racontés, mais beaucoup plus avec l’intention de l’auteur et l’image qu’il veut projeter. Chez le chroniqueur de Pologne, les descriptions de forteresses impressionnantes servent à augmenter la gloire des guerriers polonais qui les assaillent. Chez l’hagiographe Rimbert, les épisodes d’assauts de forteresse ont plutôt une fonction moralisatrice : il s’agit des méfaits de pirates. Cosmas de Prague mentionne dans divers contextes les fortifications, dans le cadre de conflits militaires, ou lorsque tout simplement il les décrit. Or, il est frappant de remarquer que, pour le doyen de Prague, les enceintes et fortifications n’ont d’importance que par leur aspect défensif. Nulle part il ne les caractérise autrement. Les murs d’enceintes et leurs portes sont mentionnés et décrits dans le contexte de sièges et d’assauts de forteresses. Les assaillants s’élancent contre les murs d’enceintes, tentent de pénétrer par force ou par ruse par les portes des fortifications82. Cosmas démontre en outre que l’érection d’enceintes était une responsabilité du souverain83. Lorsque le doyen de Prague caractérise les enceintes des forteresses à l’aide d’adjectifs, il fait référence à leur aspect défensif, à la sécurité qu’elles procurent. La forteresse de Gniezno est décrite comme « bien protégée par la nature du lieu et par un bastion », natura loci et antemurali firma , mais il est 80

Gallus, op. cit., 3,1, p. 127 ; 3,26, p. 161. Gallus, op. cit., 2,42, p. 112. Voir P. Wiszewski, Domus..., op. cit., p. 312-313. Boleslas BoucheTorse a ensuite entrepris une expédition militaire en hiver, alors que les lacs et les marécages étaient gelés. Gallus, op. cit., 3,24, p. 154. 82 Cosmas, op. cit., 1,29, p. 53 ; 3,17, p. 180 ; 3,26, p. 194 ; 3,30, p. 200 ; 3,40, p. 213. 83 Cosmas, op. cit., 2,14, p. 104-105. 81

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facile pour les guerriers de Bohême de la prendre, car ils n’y trouvent presque personne lorsqu’ils l’assaillent84. Cosmas raconte que Borivoy II († 1124) et les siens, se trouvant à Prague, se rendent dans l’ « enceinte mieux protégée de Vyšehrad » (tutiora urbis Wissegrad menia)85. Les murs de Prague sont encore désignés comme des ardua menia86. Cosmas mentionne également une tornade si puissante que le palais de Vyšehrad et même le « mur ancien et jusque-là très solide », antiquus murus et eo firmissimus, sont détruits87. Notons que Cosmas décrit de façon semblable le monastère de Schweinfurt : celui-ci est « très bien défendu par son site et par ses murailles », loci situ et menibus munitissimum 88. Cette importance de la sécurité et de la protection est encore soulignée dans des passages où Cosmas caractérise des places fortes, sans nécessairement mentionner explicitement les murs d’enceintes. Cette protection est souvent assurée, en plus des enceintes, par la nature d’un endroit difficile d’accès. Par exemple, le castrum de Tetín est décrit comme « très solide par la nature du lieu, au sommet d’une paroi de rochers escarpés, près de la rivière Mže » (all. Mies), natura loci firmissimum prerupte rupis in culmine iuxta fluvium Msam89. Cosmas raconte que Vratislas II († 1092) déplaça le castrum de Gvozdec « vers un endroit plus solide », in alium firmiorem locum90. Kamenz est décrit comme un « castrum très solide sur un haut rocher », firmissimum castrum super altum scopulum91. Tout comme Thietmar de Mersebourg, Cosmas utilise des adjectifs de type évaluatif non axiologique. Ils se réfèrent tous à un seul et unique aspect des fortifications : leur rôle défensif, leur solidité, leur capacité de résistance. En contrepartie, Cosmas évite les termes axiologiques. Comme il a été démontré, le doyen de Prague ne signale l’existence de murailles et autres éléments de fortifications que dans le cadre d’événements d’ordre militaire. L’élément défensif est celui qui prime dans sa conception. Cela se voit très clairement dans la façon dont il les décrit, puisque l’adjectif dont il se sert le plus souvent est firmissimus. C’est d’ailleurs de la même manière qu’il décrit certaines forteresses, sans se référer explicitement aux fortifications. En effet, la nature inhospitalière du lieu où est érigée la place forte peut jouer exactement le même rôle. On aura déjà noté que Cosmas ne mentionne aucun autre aspect des fortifications : pour lui, cela n’a aucune importance si les enceintes sont 84 85 86 87 88 89 90 91

Cosmas, op. cit., 2,3, p. 84. Cosmas, op. cit., 3,29, p. 199. Cosmas, op. cit., 3,31, p. 201. Cosmas, op. cit., 3,45, p. 219. Cosmas, op. cit., 1,40, p. 73. Cosmas, op. cit., 1,4, p. 10. Cosmas, op. cit., 2,40, p. 144. Cosmas, op. cit., 3,4, p. 164.

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belles, impressionnantes ou prestigieuses. Les murailles ont un rôle pleinement défensif et ne servent aucunement à la représentation pour le souverain. Parmi les auteurs étudiés, on retrouve deux conceptions de l’importance des fortifications. La première insiste sur l’aspect impressionnant, prestigieux, ostentatoire : on la retrouve dans l’épopée De Karolo rege et Leone papa et chez Adam de Brême. Elle se sert abondamment d’adjectifs de type mélioratif ; elle est fréquente dans des épisodes relatant la construction et l’érection des places fortes. La seconde a trait à leur rôle défensif et utilitaire : elle se rencontre souvent lors d’épisodes de conflits guerriers ; cependant, on la voit aussi dans certains passages purement descriptifs, ce qui lui confère une image plus globale. Elle a également à l’occasion un accent subjectif, souligné par l’utilisation d’adjectifs évaluatifs non axiologiques. Construction d’édifices profanes et ecclésiastiques De nombreux auteurs évoquent la construction de nouveaux édifices à l’intérieur des agglomérations. Directement ou indirectement, ces auteurs donnent des informations sur les intentions qui ont poussé à l’érection de ces nouveaux bâtiments et sur ce qui les rendait dignes d’attention. Un des auteurs des Annales royales franques mentionne l’existence du lieu de culte ( fanum) appelé Irminsul dans la forteresse saxonne d’Eresburg. L’auteur des Annales dites d’Eginhard modifie ce passage et remplace fanum par idolum, si bien que ce que les auteurs désignent n’est plus très clair92. Mais dans les deux cas, on n’apprend rien sur l’apparence de ce sanctuaire93. Un des annalistes des Annales royales relate ensuite que des représentants de nombreux peuples slaves et normands ont été envoyés à l’assemblée générale du royaume franc organisée par Louis le Pieux à Francfort en 822. Afin de pouvoir tous les recevoir, l’empereur a fait construire de nouveaux édifices. Francfort est simplement désignée comme un locus, sans précision94. Les bâtiments en question ne sont guère décrits. En fait, c’est simplement leur aspect utilitaire qui est évoqué : ils sont nécessaires pour la réception des nombreuses délégations. On devine que leur rôle ostentatoire ne doit pas être négligeable, puisqu’ils doivent aussi pouvoir impressionner ces envoyés de contrées lointaines : cet aspect n’est pourtant nullement explicité. Comme on le voit, l’importance de l’apparence des bâtiments est très minime dans les Annales royales. C’est en revanche avec force détails que Willibald décrit, avec de nombreux termes évaluatifs, l’arbre de Jupiter adoré par les habitants de Hesse à 92 93 94

ARF, a. 772, p. 32-34 ; AQDE, a. 772, p. 33-35. Voir M. Springer, Die Sachsen, op. cit., p. 162-165. ARF, a. 822, p. 159.

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Geismar. C’est un chêne «  d’une étonnante grandeur  », une «  masse immense » ; lorsqu’abattu, il se sépare en quatre parties « d’une taille démesurée »95. Il est étonnant de constater avec quelle simplicité et humilité, au contraire, Willibald décrit les lieux de culte chrétiens. À Geismar est construite une église avec le bois provenant de l’arbre sacré des païens ; elle est sobrement désignée comme un oratorium96. À Fritzlar et à Hambourg, Boniface fonde deux monastères : Willibald les décrit humblement comme « deux petits monastères joints aux églises », duo quoque monasteriola duabus iniunxit ecclesiis97. Quant à l’église de Fulda, elle est décrite en toute simplicité comme une basilica98. Cette opposition montre bien l’intention de Willibald de présenter les païens comme adorant un objet démesuré et ostentatoire alors que les chrétiens font preuve d’humilité, adorant leur Dieu dans des endroits sans prétention, ne méritant pas d’être décrits en détails, caractérisés par des diminutifs – rappelons que les églises sont souvent situées dans de modestes loculi. Très différente est l’approche du poète épique de De Karolo rege et Leone papa, qui mentionne plusieurs des édifices qui furent construits à Aix-la-Chapelle99. Il y est question d’un théâtre, d’une halle, de thermes avec les sources chaudes, d’un temple. Partout, le luxe et la solidité des bâtiments sont soulignés : les fondations du théâtre sont profondes, la halle est recouverte de « hautes voûtes », tholi celsi ; les « magnifiques bancs », speciosa sedilia, des thermes sont de marbre ; le temple est « agréable » et « immense », amoenum / Construere ingenti templum molimine certant, et ses « murs polis s’élèvent vers les étoiles », scandit ad astra domus muris sacrata politis. Les artisans fabriquent des colonnes, travaillent et sculptent le marbre, sont vaillants comme des abeilles100. Plus loin, l’auteur évoque encore les « toits d’airain  », tecta / Ae rea des bâtiments de l’urbs101. On notera l’abondance d’adjectifs à caractère subjectif. Il y a d’abord ceux qui sont simplement évaluatifs : profundus, celsus, ingens. Mais s’y ajoutent d’autres termes résolument axiologiques et mélioratifs : speciosus, marmoreus, amoenus, politus, aereus. Les aspects les plus importants sont pour le poète l’apparence agréable et imposante, la grandeur et l’immensité. Les bâtiments inclus dans l’urbs d’Aix doivent être impressionnants et magnifiques : leur importance réside dans le prestige qu’ils donnent à l’urbs. 95

Roborem quandam mirae magnitudinis (…) immensa roboris moles (…) quattuor ingentis magnitudinis aequali longitudini trunci, Willibald, op. cit., 8,22, p. 343. 96 Willibald, op. cit., 8,23, p. 344. 97 Willibald, op. cit., 8,24, p. 345. 98 Willibald, op. cit., 11,34, p. 349. 99 P. Riché, Les Représentations du palais…, art. cit., p. 164 ; id., La Représentation de la ville…, cité p. 50, n. 3, p. 189. 100 De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 101-136, p. 16-18. 101 De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 160-161, p. 20.

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Rimbert décrit les édifices détruits à Hambourg lors de l’agression des Vikings en 845. Parmi eux se trouvent « l’église construite de manière étonnante sous la direction du seigneur évêque », ecclesia miro opere magisterio domni episcopi constructa, ainsi que « le cloître du monastère, fabriqué de façon impressionnante », claustra monasterii mirifice composita102. L’adjectif (mirus) et l’adverbe (mirifice) ont une fonction non seulement subjective, ils appartiennent en outre à la catégorie des termes affectifs. Ils expriment l’état d’étonnement et d’admiration dans lequel ces édifices projettent ceux qui les regardent : ils s’adressent à l’affectivité du lecteur. Quant aux Annales de Hildesheim, y est signalée la consécration d’un oratoire qu’a fait construire l’évêque de Hildesheim, Bernward. L’oratoire, situé hors des murs de l’urbs, est conçu « avec le plus grand effort d’ornementation pour l’utilité de la vie monastique », cum summo decoris studio ad utilitatem monachicae vite103. Il est intéressant de voir comment l’auteur évoque dans une même phrase à la fois l’aspect esthétique et l’aspect utilitaire. L’expression summum decus est bien entendu hautement méliorative. Widukind mentionne la présence d’une église dans l’urbs d’Eresburg ; il précise qu’elle a été consacrée par le pape Léon III ; l’église est un « temple sacré », templum et sacra aedes104. Le moine de Corvey relate aussi que l’église de Fulda, le « temple fameux », templum famosum, a été détruite par un incendie. L’église est ensuite reconstruite par l’abbé Hadumar, « achevée de manière parfaite avec une apparence encore meilleure  », multo maiori decore per fectum 105. Outre le vocabulaire imprégné de classicisme typique de Widukind, notons que l’historien saxon insiste surtout, dans ses descriptions d’édifices ecclésiastiques, sur leur valeur religieuse, leur notoriété et leur apparence agréable. Les termes utilisés sont tous axiologiques et mélioratifs. Thietmar raconte qu’Henri Ier a fait restaurer à Mersebourg ce que le chroniqueur identifie comme d’anciennes fortifications romaines et a fait ériger un mur de pierre. De plus, c’est ce même roi qui a fait construire l’église cathédrale en pierre106. L’historien de Mersebourg rapporte le serment d’Otton Ier avant la bataille du Lechfeld contre les Hongrois : Otton promet en effet, s’il remporte la victoire, non seulement d’ériger un siège épiscopal à Mersebourg, mais aussi de transformer son palais, décrit comme une « grande demeure », la domus magna qu’il a commencé à faire construire, en église107. L’évêque relate également qu’Otton Ier fait construire une abbaye dans la civitas de Magdebourg, et qu’il fait construire une église « de manière étonnante », 102 103 104 105 106 107

Rimbert, op. cit., c. 16, p. 37. AH, a. 1022, p. 33. Widukind, op. cit., 2,11, p. 76-77. Widukind, op. cit., 2,38, p. 98. Thietmar, op. cit., 1,18(10), p. 24. Thietmar, op. cit., 2,10(4), p. 48.

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mirum in modum, là où est enterrée son épouse Edith et où il veut lui-même être inhumé. En outre, précise Thietmar, il veut y ériger un évêché108. Selon Thietmar, l’évêque Amelung de Verden a fait construire une église pour son siège épiscopal, en bois, car il lui manque la matière première pour en construire une en pierre, et cette église est « remarquable, et par sa grandeur et par sa qualité surpassant toutes les autres », egregiam, et magnitudine et qualitate caeteras precellentem 109. Thietmar mentionne que sa grand-mère, Judith, est enterrée dans l’église que sa fille a fait reconstruire « avec le plus grand soin », sumopere, en pierre, un matériau rare en ces régions, nous précise-t-il110. En d’autres endroits, le chroniqueur indique simplement la présence d’églises. À Meißen, Thietmar évoque l’existence d’une église située hors de l’urbs : c’est là que Wagio, un miles de Boleslas le Vaillant, demande à rencontrer le gardien de la forteresse Frédéric111. Le chroniqueur raconte que Walthard, archevêque à Magdebourg, fait construire une église rotonde pour son archevêché après la destruction de la civitas par un incendie112. Il raconte aussi qu’une église en bois rouge, construite sous Otton Ier et située hors de la civitas de Magdebourg, est détruite lors d’une tempête113. Enfin, Thietmar écrit que la civitas de Kiev contient pas moins de quatre cents églises114. C’est frappant : Thietmar utilise une profusion d’expressions axiologiques, mélioratives et affectives pour décrire les lieux de culte chrétien. Il ne se sert aucunement d’un tel vocabulaire lorsqu’il s’agit de bâtiments profanes, même pour les palais des souverains. On constate que, lorsque Thietmar décrit des églises, c’est en insistant sur leur aspect imposant : elles sont grandes, étonnantes, remarquables, belles. En outre, elles sont souvent construites en pierre, ce qui mérite d’être précisé car, comme l’indique à plusieurs fois le chroniqueur, ce matériau était rare dans ces régions115. L’évêque de Mersebourg décrit aussi des lieux de cultes polythéistes. À Leire, endroit désigné comme locus et caput du royaume des Danois, il dépeint des rituels païens avec sacrifices d’êtres humains et d’animaux, mais sans mentionner explicitement de temple116. Quant à Riedegost, Thietmar relate qu’à l’intérieur de l’urbs, on ne retrouve rien d’autre qu’un temple, un fanum. Alors

108

Thietmar, op. cit., 2,11(5), p. 50. Thietmar, op. cit., 2,32(21), p. 78. 110 Pausat autem avia meimet, Iuthitta nomine, in aecclesia, quam post de lapidibus, qui in hac terra pauci habentur, filia eius sumopere construcxit, Thietmar, op. cit., 2,42(26), p. 90. 111 Thietmar, op. cit., 4,5(4), p. 136. 112 Thietmar, op. cit., 6,77(46), p. 366. 113 Thietmar, op. cit., 6,90(54), p. 382. 114 Thietmar, op. cit., 8,32(16), p. 530. 115 Voir F. Geppert, Die Burgen..., art. cit., p. 192. 116 Thietmar, op. cit., 1,17(8), p. 22-24. 109

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que le sentier menant du lac à la forteresse est présenté comme étant « d’apparence trop horrible », visu nimis horribile, le sanctuaire est un bâtiment de bois « construit avec art », artificiose compositum, dont les murs sont ornés d’images de dieux et déesses « sculptées de manière étonnante », mirifice insculptae. À l’intérieur se trouvent des statues de divinités, avec armures et casques, et un aspect « terrible », terribiliter vestiti117. Tout comme à Leire, le chroniqueur mentionne là aussi des rituels de sacrifices d’êtres humains et d’animaux118. Thietmar mentionne également la présence d’autres temples, templa, chez les Lutices119, ainsi que des lieux de culte, fana, dans la région de Kołobrzeg, détruits par l’évêque Reinbern120. Malheureusement, il ne donne aucune indication sur leur apparence121. La manière dont Thietmar décrit le temple de Riedegost a de quoi surprendre. D’une part, tout comme le chroniqueur taxe les cérémonies de Leire de « rite exécrable »122, il écrit explicitement qu’il a en horreur de devoir décrire la « vaine superstition » des Lutices123. Pourtant, la façon dont il détaille le temple n’est pas sans rappeler celle dont il présente les églises. Certes, le sentier est « horrible », et les sculptures de dieux sont « terribles », mais le temple lui-même est « artistique » et « étonnant ». Cela n’est pas si différent des adjectifs appliqués aux constructions ecclésiastiques : ils ont en commun d’être axiologiques. Mais alors que ceux appliqués aux églises sont purement mélioratifs, ceux désignant les temples païens ont une nette tendance péjorative : horribilis, terribiliter. Cependant, à ceux-ci s’ajoutent un terme axiologique mélioratif, artificiose, et un autre affectif, mirifice. Le tout est très expressif et dénote une impression mêlant étonnement, surprise et aversion. La description fait appel aux impressions des sens et aux émotions. Il est saisissant de constater que les bâtiments que Thietmar décrit avec le plus de soin sont ceux qui sont liés au culte, que ce soient des églises ou des temples païens. Non seulement ce sont les seuls qui ont droit à une description plus détaillée, mais ce sont aussi les seuls dont la présentation est profondément empreinte de subjectivité. Les bâtiments profanes n’ont selon toute apparence que peu d’intérêt pour l’évêque de Mersebourg. 117

Thietmar, op. cit., 6,23(17), p. 302. Thietmar, op. cit., 6,25(18), p. 304. 119 Thietmar, op. cit., 6,25(18), p. 304. 120 Thietmar, op. cit., 7,72(52), p. 486. 121 Voir S. Rosik, Interpretacja…, op. cit., p. 155-163 ; id., Reinbern – Salsae Cholbergiensis aecclesiae episcopus, dans L. Leciejewicz et M. Rębkowski (éd.), Salsa Cholbergiensis. Kołobrzeg w średniowieczu, Kołobrzeg, 2000, p. 85-93. 122 Quam bene rex noster fecit, qui eos a tam execrando ritu prohibuit ! Thietmar, op. cit., 1,17(8), p. 24. 123 Quamvis autem de hiis aliquid dicere perhorrescam, tamen, ut scias, lector amate, vanam eorum supersticionem inanioremque populi iustius executionem, qui sint vel unde huc venerint, strictim enodabo, Thietmar, op. cit., 6,23(16), p. 302. 118

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De son côté, Adam de Brême décrit la manière dont sont construits plusieurs édifices à Hambourg et à Brême. Selon Adam, l’évêque de Brême Willeric († 837) fait remplacer la cathédrale de son évêché, qui est une église de bois, par un nouveau bâtiment de pierre124. L’historien de Brême raconte également que l’archevêque Unwan fait construire pour le siège de son archevêché une église dédiée à saint Guy hors de l’oppidum ainsi que fait restaurer la chapelle Saint-Willehad, qui a souffert d’un incendie125. Plus loin, Adam précise que ce même Unwan fait ériger une église de bois à Brême. C’est Becelin, son successeur, qui la fait remplacer par une église de pierre. Becelin se fait également construire un palais en pierre, avec des tours et des éléments de fortifications. Le duc Bernard, voyant cela, veut l’imiter, aemulatione provocatus, et il se fait également ériger une nouvelle demeure126. Ce même Becelin fait reconstruire le cloître, qui est en bois, en un nouveau bâtiment de pierre, de forme rectangulaire. Le nouvel édifice est, selon Adam, « délectable à voir », visu delectabile 127. Adam raconte qu’un incendie détruit la cathédrale de Brême ainsi que le cloître et tous les édifices de l’urbs. L’archevêque Becelin se trouve alors en Frise et revient immédiatement à Brême. Il entreprend aussitôt de faire reconstruire l’église, en prenant pour modèle celle de Cologne. Déjà au cours du premier été où commence la construction, des colonnes, des arcades et une partie des murs sont érigées. Si Becelin ne peut achever la construction de l’église, c’est qu’il meurt peu après128. L’archevêque Adalbert, quant à lui, fait démolir le mur d’enceinte et le cloître de Brême, afin d’utiliser les pierres pour reconstruire la cathédrale. Pourtant, indique Adam, le cloître construit en pierre polie (lapide polito) étonne par sa beauté (pulchritudo) tous ceux qui le regardent129. Adalbert a également l’intention de remplacer le réfectoire, le dortoir, le cellier et les autres bâtiments utilisés par les frères par de nouveaux bâtiments de pierre. Il ne peut cependant accomplir ce projet car il manque de main d’œuvre et car il est trop difficile de trouver suffisamment de pierres. Toutefois, il fait construire l’église qu’a commencée Becelin, cependant non pas d’après le modèle de la cathédrale de Cologne, mais plutôt d’après celle de Bénévent. Sept ans plus tard, l’autel principal est consacré, et une quinzaine d’années plus tard les murs sont blanchis et la crypte Saint-André est consacrée130.

124 125 126 127 128 129 130

Adam, op. cit., 1,18, p. 24. Adam, op. cit., 2,48, p. 108. Adam, op. cit., 2,70, p. 131-132. Adam, op. cit., 2,69, p. 131. Adam, op. cit., 2,81-82, p. 139-140. Adam, op. cit., 3,3, p. 146. Adam, op. cit., 3,3-4, p. 146.

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On constate donc que pour Adam, tout comme pour Thietmar, ce sont les édifices religieux, églises ou cloîtres, qui provoquent l’étonnement et l’admiration. Cela est marqué par l’utilisation de termes évaluatifs et surtout mélioratifs, ce que l’historien de Brême ne fait pas pour des bâtiments profanes – même pour les palais, bien qu’ils soient décrits – , mis à part les fortifications, comme nous l’avons vu plus haut. Adam donne également quelques éléments de description du temple païen d’Uppsala en Suède131. L’endroit est d’abord présenté comme « le plus notoire (celeberrimum) des temples qu’ont les Suédois pour le culte des dieux »132. C’est aussi un « temple des idoles, au centre de la Suède »133. Puis, Uppsala est dépeint comme un « très noble temple », nobilissimum (…) templum. On y trouve des statues en or et les païens s’y adonnent à divers rituels ainsi qu’à des sacrifices d’êtres humains et d’animaux134. Enfin, Uppsala est évidemment un « temple de païens »135. Quant à l’endroit qu’Adam nomme Rethre, il est présenté comme un « siège de l’idolâtrie ». On y trouve un « grand temple construit pour les démons », templum ibi magnum constructum est demonibus. Il y a là une statue en or du dieu Redigast, sur un socle couvert d’étoffe pourpre136. Tout comme pour les églises, Adam se sert d’adjectifs évaluatifs pour décrire les lieux de culte païens, qu’ils soient axiologiques (nobilissimus) ou non (celeberrimus, magnus). Malgré tout, on en apprend peu sur l’apparence des deux temples, sauf sur les statues qui sont en or dans les deux cas. Adam n’indique pas si les bâtiments de culte sont construits en pierre ou en bois, ce qu’il s’empresse toujours de faire pour les églises. Il ne dit pas non plus s’ils sont agréables à voir, ce qu’il évoque parfois pour des bâtiments chrétiens. Les temples sont seulement « notoires », « nobles », « grands », ce qui les rapproche, par exemple, de la description de Iumne137. Certes, des églises chrétiennes sont parfois désignées par Adam comme des templa138. Cependant, malgré la neutralité que suggère cette expression, on peut constater que chez Adam, la caractérisation des temples païens et des églises chrétiennes diffère. Non seulement sont-ils présentés sans équivoque comme des temples d’ « ido131 Voir H. Janson, Templum…, op. cit., passim ; id., Adam…, cité p. 111, n. 108 ; W. Duczko, Stara…, cité p. 111, n. 108, passim.  132 Non longe ab eo templo, quod celeberrimum Sueones habent in cultu deorum, Ubsola dicto, Adam, op. cit., 1,60, p. 58. 133 Templum ydolorum, quod in medio Sueoniae situm est, Adam, op. cit., 2,58, p. 118. 134 Adam, op. cit., 4,26-27, p. 257-260. 135 Adam, op. cit., 4,30, p. 262. 136 Retharii, civitas eorum vulgatissima Rethre, sedes ydolatriae. Templum ibi magnum constructum est demonibus, quorum princeps est Redigast. Simulacrum eius auro, lectus ostro paratus, Adam, op. cit., 2,21, p. 78. 137 Voir infra, p. 110. 138 À Brême : Adam, op. cit., 2,82, p. 139 ; à Hambourg : 3,4 p. 146.

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lâtrie » et « de païens », mais ils sont aussi dépeints, comme l’ont démontré de manière convaincante Leszek Paweł Słupecki et Stanisław Rosik, selon un schéma légèrement différent139. Bien que les adjectifs utilisés donnent des impressions dissemblables, églises et temples sont pourtant bel et bien les seuls édifices qu’Adam décrit avec un vocabulaire subjectif. Ce qui, donc, intéresse le plus Adam, ce sont les nouvelles constructions de pierre. La constatation s’impose que dans le monde décrit par l’écolâtre, les constructions de pierre ont un plus grand prestige que celles de bois. Elles sont « délectables à voir ». Le remplacement d’une construction de bois par un bâtiment de pierre est toujours perçu comme une amélioration digne d’être mentionnée. Cet attrait pour la pierre provient tout d’abord, comme Adam l’indique d’ailleurs lui-même, de la volonté d’imiter des modèles venant de régions méridionales, où ce matériau était plus aisé à trouver. Le prestige de la pierre est renforcé par le fait que ce matériau de construction est rare dans le Nord de l’Europe. Adam mentionne d’ailleurs explicitement cette pénurie, qui contraint Adalbert à prélever des pierres au mur d’enceinte pour construire sa nouvelle cathédrale : ses projets de nouveaux bâtiments en pierre sont entravés par le manque de matière première. Cosmas de Prague ne porte que rarement attention aux édifices religieux, mais quand c’est le cas, il le fait avec force détails. Le chroniqueur de Bohême décrit ainsi l’église fondée par l’empereur Henri II pour le nouvel archevêché de Bamberg comme un « temple d’une taille étonnante », templum mire magnitudinis 140. L’église est décorée « d’ornements en or et en argent et d’autres apparats royaux »141. Selon le doyen de Prague, Bretislas II († 1100) a fondé un monastère dans l’urbs de Stará Boleslav. Le monastère nouvellement construit est « très élégant », venustissimum fabricavit cenobium et on y trouve une « basilique très chrétienne », basilica valde religiosa 142. Le chroniqueur de Bohême mentionne l’existence du monastère Saint-Georges à l’intérieur de l’enceinte de Prague143, ainsi que du monastère des saints Guy, Venceslas et Adalbert, situé dans la même urbs144. Les rares bâtiments religieux mentionnés par Cosmas sont tous situés dans des forteresses. Les quelques fois où ils sont décrits, c’est pour les caractériser de façon subjective par leur beauté et leur apparence agréable. On notera en passant que toutes les mentions ou descriptions d’édifices impressionnants que nous avons traité – tous auteurs confondus – s’appliquent à des agglomérations de l’Empire franc ou de Bohême, sièges épis139 140 141 142 143 144

L. P. Słupecki, Einflüsse..., art. cit., p. 180-182 ; S. Rosik, Interpretacja…, op. cit., p. 197-198. Cosmas, op. cit., 1,37, p. 66. Ornatibus auri et argenti et ceteris regalibus apparatibus, Cosmas, op. cit., 1,37, p. 66. Cosmas, op. cit., 2,7, p. 93. Cosmas, op. cit., 2,14, p. 104. Cosmas, op. cit., 2,43, p. 148.

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copaux ou résidences des souverains. Aucun auteur ne décrit de bâtiments d’importance dans les habitats situés dans les régions périphériques, sauf les temples païens. Contrairement aux bâtiments profanes, à peine évoqués et seulement avec un vocabulaire objectif, les édifices de culte sont en général décrits avec beaucoup de subjectivité, ce qui vaut aussi pour les sanctuaires païens. Bien que les descriptions de fortifications aient aussi recours à des termes subjectifs, ceux-ci sont surtout évaluatifs et non axiologiques. Au contraire, celles des bâtiments de culte se servent beaucoup plus de termes mélioratifs et affectifs. Cela crée une impression bien plus forte, prenante, saisissante. Comme nous avons pu le voir, les descriptions de ces édifices varient beaucoup d’un auteur à l’autre. Celle-ci est lapidaire, celle-là est saturée de détails. Toutefois, ce sont partout les mêmes raisons qui président à l’érection de nouveaux édifices : ceux-ci doivent être grands, agréables à l’œil, en matériaux nobles, bref : ils doivent impressionner. On peut en conclure que ce qui intéressait les contemporains – ou, tout au moins, les auteurs de nos sources – c’était la représentation. Les nouveaux bâtiments avaient pour principale fonction d’impressionner ceux qui les contemplaient, de les convaincre de l’importance de celui qui les avait fait construire. Ce n’est sans doute pas dû au hasard que ces édifices de prestige ne sont décrits que dans les lieux associés à la royauté ou aux archevêchés : ces mentions participent certainement d’une intention panégyrique. Or, il va de soi qu’on ne veut pas magnifier des agglomérations liées à des rivaux ou à des adversaires. Institutions culturelles et vie urbaine On pourrait croire que les institutions culturelles telles que scriptoria, bibliothèques et écoles aient pu faire partie de l’idée que l’on se faisait d’agglomérations de type urbain et qu’elles aient pu contribuer à l’image positive que l’on voulait donner de celles-ci. Elles participeraient de l’illustration de localités avec le rayonnement de centres culturels. Or, très rares sont les auteurs qui ont fait référence à cet aspect, même pour des régions où de telles institutions existaient certainement déjà à l’époque de rédaction. Rimbert signale, au cours de sa relation de la destruction de Hambourg, que, en même temps que l’église et le cloître, les livres de l’archevêché sont détruits. L’hagiographe déplore la disparition de la bible qui a été offerte par l’empereur, une biblioteca (…) optime conscripta, ainsi que celle de nombreux autres livres145. Adam de Brême reprend presque mot à mot le récit de Rimbert, en le résumant, sur la fin de Hambourg. Il est également affligé de l’anéantissement de l’église, du cloître et de la « bibliothèque », biblioteca 145

Rimbert, op. cit., c. 16, p. 37.

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summo collecta studio. Notons qu’il reprend le mot biblioteca de Rimbert non pas dans le sens de « bible » mais avec la signification de « bibliothèque »146. Adam glisse plus loin quelques mots sur l’école de Brême. Il indique que celle-ci est dirigée par Thiedhelm, un disciple d’Ohtrich de Magdebourg147. Le même historien précise que, lors de l’incendie à Brême, non seulement les trésors, les vêtements et ornements liturgiques, mais aussi les livres sont détruits148. Pour Rimbert et Adam, la présence de livres au siège de l’archevêché constitue donc un élément parmi d’autres contribuant à sa renommée. Des éléments mélioratifs sont repérables. Bruno de Querfurt mentionne l’école épiscopale de Magdebourg, que dirige alors le « très éloquent » ( facundissimus) Ohtrich149. Bruno loue les qualités d’Ohtrich et l’assiduité de son élève Adalbert. Cependant, l’école n’est pas tant mentionnée pour caractériser, voire glorifier Magdebourg que parce que le récit l’exige. Gérard de Seeon, dans son poème en l’honneur du nouvel évêché fondé par Henri II, fait de Bamberg une ville de philosophes : « Elle est judicieusement non moins notoire que Sepher Cariath par son art », écrit-il, faisant référence à la « cité des lettres » évoquée par Flavius Josèphe. Le trivium y fréquente le quadrivium, les jeunes garçons y reçoivent leur nourriture spirituelle150. L’importance que prend l’école épiscopale en tant que centre culturel à Bamberg dans le poème de Gérard est frappante : elle est unique pour son époque. Quant aux autres auteurs, ils ne signalent rien de semblable. Même les chroniqueurs Cosmas et l’anonyme de Pologne n’évoquent en rien cette thématique, qui aurait pu servir à rehausser les descriptions pleines de louanges de centres importants comme Prague ou Gniezno. Pourtant, on ne peut douter qu’existent au début du XIIe siècle en Bohême et en Pologne des scriptoria et des écoles épiscopales, même s’ils doivent être modestes en comparaison de ceux que l’on trouve en Europe occidentale. Mais ce ne sont apparemment pas des institutions contribuant à la gloire des civitates.

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Adam, op. cit., 1,21, p. 27. Adam, op. cit., 2,12, p. 69. 148 Adam, op. cit., 2,81, p. 139. 149 Bruno de Querfurt, S. Adalberti…, op. cit., c. 4-6, p. 5-6. 150 Non minus ista Sepher Cariath cluit arte scienter, / Inferior Stoicis nequaquam, maior Athenis, / In cuius laribus gladium dat diva duabus / Mater natabus, quo findant nexile corpus / Particulas per sex ; quibus extat tertia iudex / Partibus adiectis, et sic crescentibus offis / Quadruvio mensas trivium proponit amicas, / Quis mulcet pueros, famosos nutrit ephebos / Pascit et almarum pastores aecclesiarum / Illustres vivi spargentes semina verbi, / In quibus ut firmis cernuntur stare columnis. Gérard de Seeon, À Henri II, dans K. Strecker et G. Silagi (éd.), Die Ottonenzeit, Leipzig, Berlin et Munich, 1939 (M. G. H. Poetae latini medii aevi, t. V, fasc. II), v. 33-43, p. 398. 147

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Les urbes et les peuples Quelques uns des auteurs étudiés associent plus ou moins régulièrement des civitates ou urbes à des noms de peuples. Ils produisent ainsi un lien étroit entre une agglomération et un groupe ethnique. Ce lien peut prendre diverses formes et il n’est pas toujours une indication purement géographique. Widukind nomme Prague Boemiorum urbs lorsque Henri Ier l’assiège et force le prince de Bohême à la soumission151. En outre, il appelle Barcelone Hispaniae urbs152, alors que Rouen est pour lui une Danorum urbs153. Dans les deux premiers cas, l’association entre une urbs et un peuple ou une région semble être avant tout géographique. Mais pour ce qui est de Rouen, il en est autrement puisque cet endroit se situe bien sûr en Francie occidentale, et que les « Danois » en sont les habitants, même s’ils ne sont pas au Danemark. On retrouve une association semblable entre une agglomération et un peuple dans les écrits de Bruno de Querfurt : il nomme Magdebourg la « nouvelle métropole des Teutons »154. Mais cela reste le seul passage où l’évêque missionnaire fait usage d’un tel procédé. Adam de Brême fait au contraire un usage très fréquent de telles associations. Hambourg est présentée tout d’abord comme une «  civitas des Saxons »155, puis, plus loin, comme une « civitas des Nordalbingiens », où Charlemagne a fait construire une église et l’a confié à l’évêque Heridag156. Un peu plus loin, Hambourg est une « civitas des Transalbingiens », alors que Louis le Pieux veut en faire « une métropole pour tous les peuples barbares, Danois, Suédois et Slaves, ainsi que pour toutes les autres peuplades des alentours »157. De nombreuses agglomérations chez les Slaves sont également attribuées à divers groupes ethniques. Alors qu’Adam donne une liste de peuplades slaves formant la Sclavania, il cite d’abord les Wagriens, dont la civitas est Starigard/Oldenburg ; puis les Abodrites, dont la civitas est Mecklembourg ; ensuite les Polabes, dont la civitas est Ratzebourg. Ensuite viennent d’autres peuples, pour lesquels aucune civitas n’est donnée : les Linons, les Warnabi, les Chizzini, les Circipani, les Tholossani, les Hévelliens, les Doxani,

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Widukind, op. cit., 1,35, p. 50. Widukind, op. cit., 1,28, p. 40. 153 Widukind, op. cit., 3,4, p. 107. 154 Parthenopolim, Theutonum novam metropolim. Bruno de Querfurt, S. Adalberti…, op. cit., c. 4, p. 5. 155 Saxonum civitas. Adam, op. cit., 1,1, p. 4. 156 Civitas Nordalbingorum. Adam, op. cit., 1,14, p. 18. 157 Pius cesar votum parentis implere cupiens Hammaburg civitatem Transalbianorum metropolem statuit omnibus barbaris nationibus Danorum, Sueonum itemque Sclavorum et aliis in circuitu coniacentibus populis, Adam, op. cit., 1,16, p. 22-23. Voir H.-W. Goetz, Constructing...., art. cit., p. 43. 152

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les Leubzzi, les Wilini, les Stodorans et plusieurs autres. Enfin il y a les Rédariens, dont la civitas est Rethre158. En une autre occasion, Adam signale qu’à Mecklembourg, la civitas des Abodrites, se trouvent trois monastères159. On retrouve aussi plusieurs endroits identifiés de manière plus vague comme des « civitates des Slaves ». C’est avec cette formulation qu’est désignée à deux reprises Iumne160. Or, il y a ici un fait intéressant. Adam explique en toutes lettres que les habitants de Iumne sont de diverses origines : en effet, Iumne « est habitée par des Slaves et d’autres peuples, des Grecs et des barbares », écrit-il. Les Saxons qui s’y trouvent sont des « étrangers » (advenae)161. Pourtant, cette diversité d’origine de sa population n’empêche aucunement Iumne d’être pleinement une « civitas des Slaves ». On constate donc que cette identification « ethnique » des civitates ne fait aucunement référence à l’identité « réelle » de leurs habitants. La mention de Sclavi est ici avant tout géographique : elle se refère à la Sclavania, un ensemble global couvrant une vaste région. Iumne fait partie de cette entité territoriale car elle y est située, mais cela ne signifie pas que ses habitants soient tous des « Slaves ». Adam ne considère aucunement l’appartenance à la Sclavania comme nécessitant une homogénéité ethnique. Lorsque des chrétiens sont martyrisés suite à l’insurrection des Slaves païens de 1066162, les persécutions se produisent« dans chacune des civitates des Slaves » ainsi que « dans chacune des provinces des Slaves »163. Lors d’une autre insurrection, Adam décrit les supplices que connaissent des chrétiens « dans chacune des civitates des Slaves ». Ils sont ensuite immolés au dieu Redigost dans la « métropole des Slaves », Rethre164. Nous avons déjà vu que les Scrithefennes ont droit à leur civitas, qui est la regio de Helsingland165. Quant à la Russie166, Adam indique que Kiev est sa 158

Adam, op. cit., 2,21, p. 76-78. Adam, op. cit., 3,20, p. 163. Voir aussi Adam, op. cit., 3,51, p. 194. 160 Adam, op. cit., 2,27, p. 87 ; 4,20, p. 249. 161 Adam, op. cit., 2,22, p. 79. Les « Grecs » sont sans doute des chrétiens de rite oriental, c’està-dire des Russes. Voir L. Leciejewicz, Słowianie…, op. cit., p. 182 ; S. Rosik, Barbari et Greci w Iumne. « Europa barbarzyńska » jako koncepcja w studiach nad formowaniem się kulturowego oblicza Kontynentu (wokół przekazu Adama z Bremy), dans R. Michałowski (éd.), Europa barbarica, Europa christiana. Studia mediaevalia Carolo Modzelewski dedicata, Varsovie, 2008, p. 193-194. 162 Voir G. Bührer-Thierry, Les « Réactions… », art. cit., p. 207-209 ; S. Rosik, Interpretacja…, op. cit., p. 213-218. 163 Per singulas civitates Sclavorum (...) per diversas Sclavorum provintias. Adam, op. cit., 2,43, p. 104. 164 Per singulas civitates Sclavorum. Adam, op. cit., 3,51, p. 194. 165 Adam, op. cit., 4,24, p. 255. 166 À propos du nom de la Russie, voir A. Soloviev, Le nom « Rosie » en Occident au Moyen Âge, dans id., Byzance et le formation de l’État russe, Londres, 1979 (Variorum) ; id., « Reges » et « Regnum Russiae » au Moyen Âge, dans id., Byzance… 159

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metropolis civitas167. En Norvège, Adam nomme Trondheim « la civitas métropole des Normands », alors que Viken est une « civitas des Normands »168. Notons en passant que Viken n’est pas une agglomération mais une région, mais il est fort possible dans ce cas qu’Adam n’en sache rien. C’est le seul passage où il la mentionne. Il est difficile de voir dans ces désignations autre chose que des indications géographiques. Ces civitates n’ont pas de connotation faisant référence à l’organisation religieuse chrétienne, puisqu’elles n’indiquent pas nécessairement la présence de sièges épiscopaux et, bien au contraire, il peut s’agir – dans le cas de Rethre – de lieux empreints du paganisme le plus virulent. On notera toutefois cette tendance d’Adam à donner pour la plupart des peuples qu’il nomme une civitas qui lui est associée. Il donne ainsi l’impression que chaque peuplade gravite autour d’un point central. Cela s’applique d’une part surtout aux groupes de dimensions réduites, chez les Slaves, ou encore à la Saxe, où Hambourg est une « civitas des Nordalbingiens » mais aussi une « civitas des Saxons ». Mais cela est aussi vrai pour des ensembles géographiques plus vastes, comme dans le cas des « civitates des Slaves ». Cependant, comme nous l’avons démontré à propos de Iumne, ces identifications avec des peuples ne servent pas à désigner des endroits ethniquement homogènes, mais sont plutôt des points de référence d’un point de vue géographique ou politique, voire administratif. L’usage d’Adam de Brême n’est pas sans rappeler celui des traités géographiques de l’Antiquité comme la Notitia Galliarum. Dans ce dernier texte, la grande majorité des noms de civitates correspondent à des peuplades gauloises et sont donc construits au génitif pluriel. Certaines de ces civitates portent un nom qui leur est propre en plus de celui de la peuplade169. On reconnaît là l’usage que fait l’historien de l’archevêché de Hambourg-Brême. Nous savons, bien entendu, qu’Adam s’intéresse particulièrement à la géographie, puisque le quatrième livre de son œuvre consiste uniquement en indications géographiques et ethnographiques170. Il semble donc justifié de supposer qu’il ait

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Adam, op. cit., 2,22, p. 80. Metropolis civitas Nortmannorum, civitas Nortmannorum. Adam, op. cit., 4,33, p. 267. Pour Trondheim, voir aussi Adam, op. cit., 4,35, p. 270. 169 Civitas Equestrium, Noiodunus. Civitas Eluitiorum, Aventicus. Notitia Galliarum, cité p. 88, n. 232, p. 267. 170 H. Brall, Vom Reiz..., cité p. 105, n. 69, p. 55 ; G. Witkowski, Opis…, art. cit., p. 16-17, 39-43 ; P. Gautier Dalché, Principes et modes de la représentation de l’espace géographique durant le Haut Moyen Âge, dans Settimane di studio L. Uomo e spazio nell’alto Medioevo, Spolète, 2003, t. 1, p. 117-150 ; V. Scior, Das Eigene…, op. cit., p. 91-96 ; M. Tamm, A New World into Old Words : The Eastern Baltic Region and the Cultural Geography of Medieval Europe, dans A. V. Murray (éd.), The Clash of Cultures on the Medieval Baltic Frontier, Surrey et Burlington, 2009, p. 14-15. Adam connaissait, entre autres, Isidore de Séville et Solinus. 168

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connu soit la Notitia Galliarum, soit d’autres textes antiques faisant un usage semblable, et qu’il s’en inspire pour ses propres descriptions171. Le chroniqueur anonyme de Pologne fait à quelques occasions de telles associations  : il présente Kiev comme «  la capitale du royaume des Ruthènes »172 ; quant à Kołobrzeg, elle est qualifiée d’ « urbs des Poméraniens »173. Dans le cas de Kiev, il s’agit d’une association avec le royaume dont elle est le centre, le caput, plutôt qu’avec le peuple des Ruthènes lui-même. Pour Kołobrzeg, c’est une façon d’indiquer qu’elle est l’urbs la plus importante de Poméranie. L’association d’urbes et de civitates avec des peuples n’est donc chez Widukind et chez le chroniqueur dit Gallus Anonymus qu’occasionnelle et sans grande importance. C’est surtout chez Adam de Brême que cette combinaison est presque systématique, alors qu’il s’inspire sans doute de sources de l’Antiquité. Elle sert de point de référence et fait partie de sa vision particulière de ce qu’est une civitas. Les civitates personnifiées Certains chroniqueurs se servirent de la figure rhétorique de la personnification pour représenter des civitates ; ils s’adressèrent à celles-ci pour les encenser, les plaindre, leur faire des recommandations. Ces formules sont intéressantes car elles permettent de voir ce qu’étaient ces civitates dans l’esprit des auteurs, quelle était leur essence première, exprimée dans une représentation symbolique. À plusieurs reprises, Thietmar adresse la parole à la figure personnifiée de Mersebourg ou, à l’occasion, à celles d’autres civitates. Cette figure de style permet d’exprimer les malheurs et bonheurs touchant les agglomérations. Les personnifications de civitates représentent chez Thietmar en premier lieu les évêchés en tant qu’institutions, bien que la figure puisse à l’occasion prendre la place d’une entité plus globale. Toutefois, cette dernière reste toujours vague et abstraite. À la fin du premier livre de sa chronique, l’évêque chroniqueur glorifie Henri Ier pour avoir fondé l’évêché de Mersebourg. Le roi de Saxe aurait en effet, écrit-il, «  posé dans notre urbs les fondements du culte (cultura) à venir »174. Faisant référence implicitement à la dissolution de l’évêché et à sa

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Voir J.-P. Callu, Cités…, cité p. 44, n. 118, passim. Ruthenorum regni caput. Gallus, op. cit., 1,23, p. 48. 173 Pomoranorum urbs. Gallus, op. cit., 2,28, p. 96. 174 In nostra urbe fundamentum subsequentis culturae primus posuit, Thietmar, op. cit., 1,28(17), p. 36. 172

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restauration, Thietmar invite ses lecteurs à prier Dieu et à le remercier. C’est ici que Thietmar s’adresse directement au siège de son évêché : et surtout toi, illustre Mersebourg, avec ta postérité spirituelle, à la manière d’un cyprès, toi qui fus exaltée plus que toutes tes autres concitoyennes, à l’époque de ton seigneur bien-aimé. Remercie continuellement Dieu, afin que se produisent de bonnes choses chez toi par le gouvernement divin, et sois toujours assidue dans la crainte du Seigneur que tu as adopté175. C’est avant tout à Mersebourg en tant que siège épiscopal que s’adresse le chroniqueur. Plusieurs indices nous le montrent : la référence à la fondation de l’évêché par Henri Ier, à l’origine des louanges envers le souverain ; ensuite l’allusion, indirecte certes, mais présente, à la disparition temporaire de l’institution. La mention d’une « postérité spirituelle » ne peut que se rapporter à une institution ecclésiastique. De plus, la fonction religieuse de Mersebourg est évidente dans l’appel à la prière. Toutefois, le chroniqueur fait le lien entre cette image littéraire et sa réalité matérielle lorsqu’il signale que le « fondement du culte » se trouve expressément, écrit-il, « dans notre urbs ». Pour Thietmar, Mersebourg est dans ce passage une entité abstraite, représentant l’évêché en tant qu’institution, mais se confondant avec l’agglomération tangible, le siège épiscopal, dans laquelle elle trouve sa réalisation concrète. Dans le prologue du cinquième livre, c’est Henri  II qui est cette fois encensé par le chroniqueur. Le souverain est loué pour avoir vaincu les Slaves qui ont dévasté le royaume, avoir apporté la paix, avoir été « utile à l’Église » et « miséricordieux envers tous ». C’est alors que Thietmar s’adresse à Mersebourg : « Mersebourg, écrit-il, si tu connaissais ses pieux souhaits, tu espérerais l’arrivée d’un tel recteur, et tu louerais les illustres dons du Christ et lui apporterais des récompenses dignes »176. Le chroniqueur s’adresse apparemment à Mersebourg cette fois dans une perspective plus vaste. Si l’on déduit que tout ce qu’a fait Henri II et qu’énumère Thietmar a été positif pour Mersebourg et que c’est pour cela qu’elle doit le remercier, alors Thietmar ne s’adresse pas seulement à l’évêché. Le souverain a apporté la sécurité et la paix et a été favorable à la religion chrétienne. Il semble que l’entité abstraite qu’évoque le chroniqueur en la personnifiant est l’agglomération de Mersebourg autant que l’évêché. Celui-ci est malgré tout au premier plan, puisque

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Maxime tu, Merseburg inclita, cum spirituali prole tua, in tempore dilecti senioris tui more cipressus pre caeteris comprovincialibus tuis exaltata. Age grates continuas Deo et, ut in te bona quaeque divino moderamine perficiantur, studiosa in timore dominico semper adoptato, Thietmar, op. cit., 1,28(17), p. 36. 176 Utilis aecclesiae cunctis miseratur ubique. / Mersburg, si scires huius pia vota, sitires / Adventum tanti rectoris et inclita Christi / Munera laudares condignaque premia ferres, Thietmar, op. cit., prologue au livre V, p. 220.

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c’est à Henri II qu’il devait sa restauration. L’évêque continue plus loin sur cette lancée, alors qu’il compare Mersebourg à une veuve qui fut longtemps privée de son pasteur, que visita Henri II afin de la consoler177. Thietmar fait ici référence à l’image longtemps véhiculée de l’évêque qui épouse son église. Le prologue du livre VI commence par une louange du Christ. Le chroniqueur lui demande de bénir le jour où il visita l’église spoliée de Mersebourg, c’est-à-dire de la restauration de l’évêché. Thietmar s’adresse ensuite à Mersebourg avec un subjonctif d’ordre, l’enjoignant de louer le Christ et de se réjouir de ses présents ; de même, ses enfants et ses pasteurs doivent le remercier de tout leur cœur178. Ensuite, Thietmar s’adresse directement à Mersebourg en l’interpellant : « Que soient sauvés par le Christ, et que soient placés au paradis tous ceux qui, touchés par la piété, t’ont, Mersebourg, élevée avec leurs mains droites bienfaisantes »179. On voit que dans ce passage, Thietmar s’adresse à Mersebourg en tant qu’institution. Il fait expressément référence à l’établissement ecclésiastique en mentionnant les pasteurs et la restitution de l’évêché. Dans le même prologue, le chroniqueur mentionne l’urbs de Worms et l’incite à se réjouir d’avoir retrouvé sa liberté après avoir subi la loi des ducs180. Il fait référence au conflit entre l’évêque de Worms Burkhard († 1025) et les Conradins, qui s’est terminé à cette époque alors que Burkhard a chassé ces derniers de Worms et a détruit leur forteresse. Dans ce cas, il est clair que lorsque Thietmar mentionne l’urbs de Worms et la personnifie pour l’inciter à se réjouir de sa liberté retrouvée, il s’adresse à Worms en tant que siège épiscopal. En effet, c’est le parti de l’évêque qui doit se réjouir, et si l’agglomération ou urbs de Worms partage sa joie, c’est seulement parce qu’elle est soumise à l’évêque et lui appartient. Elle n’est conçue que par son appartenance au prélat. On retrouve à nouveau une personnification de Mersebourg dans le prologue du livre VII. Thietmar relate le couronnement impérial d’Henri II, et signale que celui-ci s’est déroulé le même mois où le souverain a « délivré » son évêché. Le pape se réjouit, nous dit Thietmar, et le chœur qui l’entoure chante, car ils se sentent en sécurité avec un tel protecteur. Le chroniqueur

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Dehinc Merseburg diu pastore suo viduatam consolationis gratia adiens, Thietmar, op. cit., 5,44(26), p. 270. 178 Vera dies, lucem tu nunc benedicito talem, / Qua pius aecclesiam visitasti despoliatam. / Mersburg te laudet, de tuis munere gaudet, / Eius et nati, pastores ac renovati / Persolvant grates tibi nunc ex corde fideles, Thietmar, op. cit., prologue au livre VI, p. 272. 179 A Christo salvi sint omnes atque locandi / Sedibus Elisiis, te, Mersburg, qui pietatis / Affectu dextris exaltavere benignis, Thietmar, op. cit., prologue au livre VI, p. 272. 180 Urbs Wormacensis gaudet temporibus istis / Libertate sua, cuius manebat in umbra / Hactenus, atque ducum fuerat sub lege suorum, Thietmar, op. cit., prologue au livre VI, p. 274.

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ajoute alors : « Mersebourg, et toi tu chantes avec les autres, ensemble »181. Ici encore, on retrouve le lien explicite avec l’évêché. C’est celui-ci qui a été délivré par Henri II et qui donc doit se réjouir. Il est également question de Magdebourg, qui joue dans l’œuvre de Thietmar un rôle important. Alors qu’il loue les qualités d’un confrater de Magdebourg, Conrad, et commémore son décès, Thietmar ajoute qu’après sa mort « toute l’illustre Magdebourg pleura son fils spirituel »182. La personnification représente donc principalement les habitants de l’agglomération formant le siège archiépiscopal. En guise de conclusion, on constate que pour Thietmar, les personnifications de civitates et urbes représentent avant tout les évêchés et les sièges épiscopaux183. Les représentations personnifiées pleurent les malheurs qui atteignent l’évêché ou se réjouissent des bonnes nouvelles le concernant. Certes, on peut apercevoir ici et là que ces personnifications comprennent également, dans certains cas, l’ensemble de l’agglomération du siège épiscopal. Mais celle-ci est toujours subordonnée à l’institution épiscopale. L’évêché apparaît comme l’unique représentant de l’agglomération, auquel celle-ci ne peut que s’identifier. Quant à Adam de Brême, il se sert une fois de ce même procédé littéraire pour représenter la civitas de Hambourg. Introduisant les trois tribus formant la peuplade des Nordalbingiens, soit les Tedmarsgoi, les Holcetae et les Sturmarii, Adam écrit que « parmi eux, la métropole de Hambourg élève sa tête ». Depuis la destruction occasionnée par un raid viking, la métropole est restée déserte, mais elle a retenu assez de forces pour se consoler des malheurs de son veuvage avec la prolifération de ses fils, qu’elle voit s’accroître quotidiennement dans tout l’espace qui lui est destiné au Nord. À propos de ceux-ci, elle semble même s’exclamer, pleine de joie : « J’ai annoncé et j’ai parlé, et ils se sont multipliés en grand nombre »184. L’image déployée par Adam est très expressive et évocatrice. Tout d’abord la métropole personnifiée de Hambourg qui élève sa tête, au milieu des peuples de la Nordalbingie, comme pour regarder au loin, vers les horizons du Nord ;

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Scandens cesaream post rector clarus in aulam / Illo mense, meam quo solverat ipse cathedram. / (…) / Summus pastor ovat, chorus atque suus quoque cantat, / Quod sunt securi tanto rectore potiti. / Merseburg, et tu concinnes omnibus actu, Thietmar, op. cit., prologue au livre VII, p. 396. 182 Quem filium spiritualem flet Parthenopolis inclita, Thietmar, op. cit., 4,74(50), p. 218. 183 La civitas ne peut donc pas être une simple forteresse, comme le voulait Friedrich Geppert. Voir F. Geppert, Die Burgen…, art. cit., p. 165, 244. 184 Inter quos metropolis Hammaburg caput extollit (…), vires adhuc retinet metropolis, viduitatis suae dampna consolans in provectu filiorum, quos per totam septentrionalis latitudinem suae legationi cotidie videt accrescere. De quibus etiam tam laeta clamare videtur : « Annuntiavi et locuta sum, multiplicati sunt super numerum », Adam, op. cit., 2,17, p. 73. Voir Ps. 39,6 : multiplicabuntur super numerum.

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ensuite la métropole – notons que metropolis est féminin – présentée comme une veuve, abandonnée par son époux, l’évêque parti pour Brême, mais dont la progéniture, les chrétiens et les nouvelles églises, se multiplient dans les régions lointaines, par la parole des missionnaires ; terminant élégamment avec une allusion biblique, Adam lui fait tenir des paroles inspirées des Psaumes. La personnification de Hambourg que présente Adam est purement ecclésiastique : il fait de l’archevêché une mère nourricière dont la famille est une image du réseau des structures de l’Église dans les régions nouvellement conquises au christianisme. L’historien procède de cette façon à une idéalisation de l’archevêché, nullement de l’agglomération dans ses aspects matériels185. Le chroniqueur Cosmas nous offre également deux exemples de personnifications, pour Prague et pour la Bohême. Tout d’abord pour Prague : alors que les reliques de l’archevêque Adalbert sont transportées à Prague, le chroniqueur s’adresse à la civitas en ces mots : Ô Prague, métropole trop heureuse, jadis sublimée par un guide sacré, maintenant décorée avec un saint prélat, reçois cette joie double conférée à toi par le seigneur Dieu, et que par ces deux olives de la miséricorde, tu t’envoles par la renommée au-delà des Sarmates et des Sariges186. L’entité personnifiée par cette image ne peut être seulement l’idée abstraite de l’archevêché. Si Prague se réjouit de l’arrivée des reliques d’Adalbert, cet événement rejoint par sa portée toute la communauté des gens habitant Prague et ses environs, puisque la présence des reliques d’un saint célèbre contribuait à la renommée de l’agglomération et à son prestige. Du moins, c’est là certainement le but que cherchent à atteindre les organisateurs de la translation, et ce dont Cosmas veut convaincre ses lecteurs, c’est justement que tous les habitants de la civitas se réjouissent de cet événement, pas seulement les clercs représentant la hiérarchie ecclésiastique de l’archevêché. Un tel adventus mettant en scène la population de l’agglomération est typique des récits de translation de reliques187. Cosmas présente aussi une personnification de la Bohême, dans les mots du comte Fabien, praefectus de Vyšehrad, qui s’exclame en hexamètres après la destruction de sa forteresse : 185

S. Rossignol, Ville et environnement…, art. cit., p. 15. O nimium felix metropolis Praga, olim sacro duce sublimata, nunc beato presule decorata, a domine Deo tibi collata excipis gaudia geminata et per has binas misericordie olivas fama volas ultra Soromatas atque Sarigas, Cosmas, 2,5, op. cit., p. 91. 187 À propos de la cérémonie de l’adventus, voir H. Röckelein, Reliquientranslationen…, op. cit., p. 332-346. 186

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Malheur à toi, Bohême, qui ne fus pas trop vaste jusqu’à maintenant, alors que tu es devenue collectivement soumise à de nombreux seigneurs, on ne trouve de gens de familles nobles et de sexe viril qu’à peine deux fois dix petits chefs, si je ne me trompe188. La Bohême ainsi personnifiée représente le pays lui-même, caractérisé par sa vaste étendue, et plus spécialement ses habitants, dont il est ici expressément question. La personnification du pays se réalise de la même façon que celle de l’agglomération principale : elle prend la place de la réalité concrète et de la population. Le chroniqueur traite de la même manière deux unités de dimension différentes : un royaume et une civitas. Pour Thietmar comme pour Adam, les personnifications évoquent surtout, voire souvent uniquement, les sièges épiscopaux, représentant les évêchés. Les agglomérations où ils sont situés sont purement accessoires et secondaires. Seul le doyen de Prague a une vision plus globale des civitates, qu’il dépeint comme des entités représentant surtout la communauté d’habitants se groupant dans l’agglomération. Rome, Constantinople, Athènes, Troie Plusieurs auteurs se servent de comparaisons pour glorifier les civitates dignes de louanges. Il s’agit toujours de parallèles avec des modèles grandioses comme Rome, Constantinople, Athènes ou même Troie, rehaussant l’image d’une civitas exceptionnelle. Une comparaison nécessite un point de repère, qui permette de rendre comparables les deux objets dont il est question. Cela nous permet de reconnaître des aspects fondamentaux de ce qu’est le summum d’une civitas dans l’imaginaire de l’auteur. Le poète anonyme de De Karolo rege et Leone papa compare explicitement Aix-la-Chapelle à Rome189. Le palais de Charlemagne est une «  seconde Rome », secunda Roma, caractérisée par son immensité et ses murailles190. Le souverain organise lui-même l’érection de « la haute enceinte de la future Rome », altaque disponens venturae moenia Romae 191. Plus loin, le poète raconte que les ouvriers « assemblent à l’envi les matériaux pour la haute Rome », materiam Romae certatim congregat altae 192. On voit donc que pour le poète épique, le tertium comparationis entre Aix-la-Chapelle et Rome 188

« Ve tibi Boemia, que non adeo nimis ampla, / Cun sis communis dominis subiectaque multis, / Herili de stirpe sati sexuque virili / Iam sunt bis deni, nisi fallor ego, dominelli », Cosmas, op. cit., 3,29, p. 198. 189 L. Falkenstein, Charlemagne…, p. 274-275 ; id., Pfalz und vicus..., cité p. 60, n. 61, p. 179. 190 De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 94, p. 16. 191 De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 98, p. 16. 192 De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 124, p. 18.

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est constitué par les dimensions et surtout par les murailles. Aix est une « seconde Rome », une « future Rome » et une « haute Rome ». La comparaison, trois fois répétée, est on ne peut plus manifeste. Elle a certes un but politique, faisant de Charlemagne un nouveau César avec une capitale digne de celle des empereurs antiques193. Mais au-delà de cette valeur symbolique, le parallèle prend appui sur des éléments tout à fait matériels et concrets, dont il importe peu qu’ils existent dans la réalité ou seulement dans l’imagination de l’artiste. Certes, Rome et Aix sont toutes les deux au centre d’un Empire et ont une haute fonction représentative et prestigieuse, mais elles sont avant tout concrètement – selon le poète – des agglomérations impressionnantes encerclées de hautes murailles. En plus de cette comparaison explicite avec Rome, l’anonyme compare implicitement Aix-la-Chapelle, comme l’a démontré Hartmut Kugler, avec Carthage et Ségeste. Les trois modèles se retrouvent dans l’Enéide de Virgile et sont calqués par l’auteur, parfois mot à mot. Il s’agit de modèles purement littéraires permettant au poète d’exprimer le concept d’une résidence du souverain dans une capitale idéalisée194. Quant à Ermold le Noir, il n’hésite pas à comparer Aix-la-Chapelle à Constantinople195. Ce parallèle audacieux permet au poète de mettre Louis le Pieux sur un pied d’égalité avec les empereurs d’Orient. Tout comme le poète anonyme, Ermold a vécu à la cour des souverains carolingiens et doit avoir une idée de ce qu’est Aix. Bamberg est, dans le poème de Gérard de Seeon, « égale à la citadelle (arx) de Rome »196. Mais ce n’est pas tout : le nouveau siège épiscopal « n’est aucunement inférieur aux Stoïciens, mais est supérieur à Athènes »197. La comparaison avec Athènes en tant que ville de la philosophie est un motif qui revient sporadiquement dans les sources du Moyen Âge ; Ratisbonne et Liège au XIe siècle en font également l’objet. Alors que Rome est le symbole de la puissance et de la grandeur, la ville grecque représente la philosophie, les sciences, l’érudition198. 193 Voir H.  Fichtenau, «  Stadtplanung  » im früheren Mittelalter, dans K.  Brunner et B. Merta (éd.), Ethnogenese und Überlieferung. Angewandte Methoden der Frühmittelalterforschung, Vienne et Munich, 1994 (Veröffentlichungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung, 31), p. 232-249. 194 H. Kugler, Die Vorstellungen..., op. cit., p. 60-63 ; H. Beumann, Das Paderborner Epos..., cité p. 60, n. 59, p. 16-19 ; C. Ratkowitsch, Karolus Magnus..., op. cit., p. 26-30. 195 Ermold, op. cit., 4,641-642, p. 76. 196 Arcem Romanam se gestit habere coaequam. Gérard de Seeon, op. cit., v. 23, p. 398. Voir F. G. Hirschmann, Der Ausbau der Kathedralstädte im frühen 11. Jahrhundert, dans A. Hubel et B. Schneidmüller (éd.), Aufbruch ins zweite Jahrtausend. Innovation und Kontinuität in der Mitte des Mittelalters, Ostfildern, 2004 (Mittelalter-Forschungen, 16), p. 73-116. 197 Inferior Stoicis nequaquam, maior Athenis. Gérard de Seeon, op. cit., v. 34, p. 398. 198 E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 61-62, 103-105 ; H. Kugler, Die Vorstellungen..., op. cit., p. 157-160 ; voir aussi J. Bouffartigue, La Tradition de l’éloge de la cité dans le monde grec, dans

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Adam de Brême compare plusieurs agglomérations à des villes plus anciennes et plus prestigieuses. Dépeignant Kiev, la métropole de Russie, Adam écrit qu’elle est « l’émule du sceptre de Constantinople »199 en plus d’être une « parure des plus célèbres de la Grèce », comme nous l’avons déjà noté. Le point de comparaison entre Kiev et Byzance est donc composé des éléments de beauté et de notoriété. On retrouve là un des thèmes favoris de l’historien de Brême dans ses descriptions d’agglomérations. L’écolâtre fait aussi une comparaison architecturale lorsqu’il décrit la construction d’une nouvelle église à Brême. Selon l’historien, l’archevêque Alebrand a voulu l’ériger d’après le modèle de l’église cathédrale de Cologne, alors que son successeur Adalbert, qui prend la relève pour la construction de l’église, préfère suivre l’exemple de celle de Bénévent200. La comparaison est dans ce cas surtout formelle. Adam n’hésite en outre pas à comparer Brême avec Rome. Le magister loue les activités missionnaires de l’archevêque Adalbert de HambourgBrême, qui est tellement affable, tellement généreux, tellement hospitalier, tellement avide de gloire autant divine qu’humaine, que la petite Brême, obtenant de par sa vertu la réputation d’être l’équivalente de Rome, fut recherchée dévotement par des gens venant de toutes les parties de la terre et principalement de tous les peuples du Nord201. La comparaison se réfère donc tout d’abord à Adalbert et à ses activités missionnaires. En effet, l’archevêque cherche à obtenir le statut de patriarche pour les régions au Nord de l’Europe202. La comparaison réalisée par Adam fait de Brême une Rome du Nord, ayant des fonctions semblables à celles de la capitale de la chrétienté occidentale. Sans doute Adam fait-il ainsi indirectement référence aux tentatives de fonder un nouveau patriarcat. Ce qui est donc à la base de la comparaison, cette fois, c’est la position dans la hiérarchie

C. Lepelley (éd.), La Fin…, op. cit., p. 43-58. 199 Aemula sceptri Constantinopolitani, Adam, op. cit., 2,22, p. 80. 200 Adam, op. cit., 3,3, p. 146. 201 Ita affabilis, ita largus, ita hospitalis, ita cupidus divinae pariter et humanae gloriae, ut parvula Brema ex illius virtute instar Romae divulgata ab omnibus terrarum partibus devote peteretur, maxime ab omnibus aquilonis populis, Adam, op. cit., 3,24, p. 167. Plus loin, Adam reprend en partie mot à mot cette louange à l’endroit d’Adalbert et de Brême : Adam, op. cit., 3,73, p. 220. 202 T. Vogtherr, Erzbistum…, cité n. p. 107, n. 80 ; H. Ludat, Die Patriarchatsidee Adalberts von Bremen und Byzanz, dans id., Slaven und Deutsche im Mittelalter. Ausgewählte Aufsätze zu Fragen ihrer politischen, sozialen und kulturellen Beziehungen, Cologne, 1982 (Mitteldeutsche Forschungen, 86) (article d’abord paru en 1952), p. 312-339 ; P. Johanek, Die Erzbischöfe von Hamburg-Bremen und ihre Kirche im Reich der Salierzeit, dans S. Weinfurter (éd.), Die Salier und das Reich. Band 2. Die Reichskirche in der Salierzeit, Sigmaringen, 1992, p. 79-112.

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ecclésiastique ; celle-ci a néanmoins des conséquences concrètes par le fait qu’elle attire les gens provenant de régions diverses et lointaines. Encore une fois, on touche à la thématique chère à notre historien de la notoriété des agglomérations : c’est en effet surtout cet aspect qu’ont en commun les comparaisons produites par l’historien de Brême. Kiev est explicitement reconnue et imite Constantinople. La construction de la nouvelle église à Brême se fait d’après les modèles illustres d’églises connues dans toute la chrétienté. La comparaison de Brême avec Rome se fonde sur sa notoriété en Europe du Nord, mise sur un pied d’égalité avec celle de Rome dans la chrétienté. Quant à Cosmas de Prague, ce n’est pas tant avec Rome qu’avec Troie qu’il aime comparer les agglomérations. Alors que Wirpirk, épouse de Conrad Ier de Bohême († 1092), décrit au roi les richesses du suburbium de Prague et du vicus de Vyšehrad, l’incitant à les attaquer et à les détruire, elle lui dit : « S’il te plait de voir de quelle façon Troie a été détruite par les flammes, tu ne verras jamais un volcan en plus grande fureur, que lorsque tu auras vu ces deux urbes brûler »203. Cosmas s’appuie sur deux passages de l’Enéide dont il s’inspire pour la formulation204. La comparaison est donc indirecte : Cosmas insinue par le biais des paroles de Wirpirk que Prague et Vyšehrad sont si riches et opulentes que leur destruction ressemblera inévitablement à celle de Troie telle que racontée par Virgile. Plus loin, Cosmas raconte les exactions commises par Bretislas II envers les Juifs de Bohême. Déplorant cette injustice, Cosmas s’exclame : « Oh, tant d’argent a été retiré ce jour-là aux pauvres Juifs, on n’a pas recueilli autant de richesses après la destruction de Troie sur les rives d’Eubée »205. Cosmas ne dit pas explicitement qu’il s’agit ici de Prague, cependant on peut s’en douter, puisque c’est là que résidaient de nombreux Juifs, comme l’indique le chroniqueur en d’autres endroits ; il mentionne aussi son homonyme Cosmas († 1098), alors évêque de Prague. Ici encore, ce qui permet la comparaison entre Prague et Troie, c’est l’abondance de richesses : c’est l’aspect que ces deux localités ont, dans l’esprit du chroniqueur, en commun. On en déduit donc que c’est là aussi ce qui fait qu’une agglomération est plus importante que d’autres, ce qui lui permet d’être comparée avec la plus grande ville de tous les temps, Troie. Cette analyse des comparaisons permet de mieux comprendre ce qui fondamentalement rend une agglomération importante aux yeux des auteurs qui 203

Aut si te delectat, qualiter Troia arserit videre, nusquam magis Vulcanum videbis furentem, quam cum utramque urbem predictam videas ardentem, Cosmas, op. cit., 2,45, p. 152. 204 Troia arserit igni, Virgile, Aeneidos, cité p. 135, n. 19, 2,581, p. 134 ; Furit immissis Volcanus habenis, Virgile, Aeneidos, 5,662, p. 203 ; voir notes de l’éditeur. 205 O quantum pecunie miseris Iudeis illa die est sublatum, nec ex succensa Troia tantum diviciarum in Euboyco littore fuit collatum, Cosmas, op. cit., 3,5, p. 166. Voir Virgile, Aeneidos, cité p. 131, n. 19, 710 : Talis in Euboico Baiarum litore quondam / Saxea pila cadit, p. 303.

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se servent de cette figure de style. Pour le poète de De Karolo rege et Leone papa, il s’agit de faire d’Aix-la-Chapelle une résidence impériale digne de celle des césars, donc ressemblant à Rome avec ses murs et fortifications ; pour Adam de Brême, ce sont la beauté et la notoriété qui font qu’une agglomération attire l’attention ; pour Cosmas, ce sont les richesses des marchands qui rendent Prague comparable à Troie. La fertilité naturelle et l’habitat urbain Il est un aspect dans les descriptions de civitates qui n’est utilisé explicitement que par Adam de Brême : il s’agit de la fertilité naturelle. Adam s’en sert principalement pour glorifier le siège de l’archevêché de Hambourg. Certes, il ne s’agit pas là d’un élément que l’on serait spontanément tenté d’associer à la vie urbaine. Mais pour l’écolâtre de Brême, c’est pourtant un aspect important, qui ennoblit l’agglomération206. Déplorant la disparition de Hambourg, qui a été détruite par les Vikings et longtemps abandonnée, Adam en présente une image idéalisée. La métropole de Hambourg, écrit-il, élève sa tête, autrefois puissante par ses hommes et ses armes, heureuse de ses champs et d e s e s ré c o lte s   ; mais maintenant, à cause de la vengeance des pécheurs, elle est réduite en un désert (solitudo) ; et bien qu’il lui manque la parure d’une urbs (decus urbis), la métropole retient encore des forces, se consolant du châtiment de son état de veuve par la multiplication de ses enfants207. Il est intéressant d’observer dans ce passage ce qui fait, pour Adam, le decus urbis qui manque maintenant à Hambourg. Puisqu’elle est « réduite en un désert », on peut déduire a contrario qu’une urbs est caractérisée par une concentration d’habitants. En effet, Adam nomme ces habitants qui ont fait sa force : ce sont des guerriers, des défenseurs. On voit ici un aspect central de l’urbs, son rôle en tant que forteresse. Mais, et cela peut sembler étonnant, l’urbs est louée pour la fertilité de ses champs. Certes, il ne s’agit pas ici de champs qui se trouvaient à l’intérieur de l’urbs. Adam ne précise pas non plus où ils se trouvent. Ce sont sans doute plutôt des champs autour de Hambourg

206

Cet aspect est traité plus en détails dans S. Rossignol, Ville et environnement…, art. cit., p. 14-16. 207 Inter quos metropolis Hammaburg caput extollit, olim viris et armis potens, agro et frugibus felix ; nunc vero peccatorum vindictae patens in solitudinem redacta est ; et quamvis decorem urbis amiserit, vires adhuc retinet metropolis, viduitatis suae dampna consolans in provectu filiorum, quos per totam septentrionis latitudinem suae legationi cotidie videt accrescere. Adam, op. cit., 2,17, p. 73.

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et dans les environs, qui en sont dépendants et lui appartiennent, et donc contribuent à sa richesse. Toutefois, Adam ne le précise aucunement et ne fait pas de distinction claire entre l’urbs et les environs. L’historien de Brême produit plus loin à nouveau une louange semblable pour Hambourg : selon lui, l’archevêque Adalbert, qui se préoccupe de son diocèse, aime particulièrement Hambourg, qu’il appelle « la plus fé conde ( fecundissima) des mères de peuples »208. Cette « fécondité » se réfère sans doute à la mission et à la propagation de la foi. Il n’empêche que l’image métaphorique sous-entend une comparaison avec la fertilité naturelle. Or, il est intéressant de noter qu’Adam décrit des régions entières de façon étonnement semblable à la manière dont il idéalise Hambourg. Les éléments de description et même le vocabulaire faisant référence à la fertilité se ressemblent, voire sont identiques. Dès le début de son œuvre, Adam donne une description de la Saxe. Elle est « illustre par ses hommes, ses armes et ses ré coltes ; (…) il lui manque seulement la douceur du vin ; mais elle produit tout ce qui est nécessaire et utile. Les champs sont partout fertiles, les pâturages autant que les forêts »209. Pour décrire Hambourg, Adam a utilisé les mêmes mots, les mêmes concepts que pour présenter la Saxe. Ce qui formait le decus urbis de Hambourg est également caractéristique de la provincia de Saxe : habitants, guerriers et fertilité des champs. Il serait donc erroné de considérer que ces éléments caractérisent un habitat urbain, différencié de la campagne environnante. Il en va de même pour les régions périphériques : le pays slave, la Sclavania, est présenté comme une région « des plus opulentes (opulentissima) en armes, en hommes et en récoltes, entourée par les frontières impénétrables de forêts et de fleuves »210. Adam décrit aussi les îles de la Baltique : les îles autour de celle de Wendel sont « toutes fertiles en récoltes »211 ; quant à Sjaelland, elle est « des plus célèbres autant par le courage de ses hommes que par l’opulence de ses récoltes »212. Les caractéristiques sont partout les mêmes : hommes et surtout guerriers ainsi que fertilité des champs et de la nature. Par contre, le Jutland est défini de façon contraire, mais en utilisant exactement les mêmes critères : « Les champs y sont stériles ; à part les endroits près des fleuves, presque tout y semble désert ; c’est une terre d’eau salée et de vastes solitudes »213. Les caracté208

Fecundissimam gentium matrem illam appellans. Adam, op. cit., 3,26, p. 168. Saxonia viris, armis et frugibus inclita ; (…) sola caret vini dulcedine ; alia omnia fert usui necessaria. Ager ubique fertilis, compascuus et silvestris. Adam, op. cit., 1,1, p. 4-5. 210 Haec autem regio cum sit armis, viris et frugibus opulentissima, firmis undique saltuum vel terminis fluminum clauditur. Adam, op. cit., 2,21, p. 76. 211 Insulae in giro parvulae, omnes frugibus plenae, Adam, 4,4, op. cit., p. 232. 212 Tam fortitudine virorum quam opulentia frugum celeberrima, Adam, op. cit., 4,5, p. 233. 213 Ager ibi sterilis ; preter loca flumini propinqua omnia fere desertum videntur ; terra salsuginis et vastae solitudinis, Adam, op. cit., 4,1, p. 227. Voir S. Lebecq, De la Flandre…, art. cit., p. 118. 209

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ristiques du Jutland, déclinées de façon négative, correspondent parfaitement à celles des autres régions : ses champs ne sont pas fertiles, mais stériles ; elle n’est pas pleine d’hommes et de guerriers, mais déserte et solitaire. On peut en conclure que, pour Adam, la frontière conceptuelle entre une civitas et une regio est floue : autant l’une que l’autre peut être décrite avec le même schéma. Les critères sont non seulement interchangeables, mais dans la plupart des cas identiques. Pourtant, cela n’empêche pas que ce sont ces mêmes éléments qui forment ce qu’Adam nomme expressément le decus urbis. Ces quelques remarques nous invitent à nouveau à être très prudent lors de l’interprétation des mentions de civitates chez cet auteur, puisqu’il a aussi peu conscience de ce qui distingue un habitat urbain. Richesses, commerce et butin Il est un autre élément qui a une importance centrale pour caractériser une agglomération d’intérêt, cette fois pour de nombreux auteurs : autant les emporia que les places fortes importantes se distinguent par leur richesse, qui les fait s’élever au-dessus des autres agglomérations. Une étude attentive révèle cependant que chacun des auteurs explique de manière différente l’origine de cette richesse et que la valeur qu’ils lui accordent varie sensiblement. Pour Rimbert, la richesse d’une agglomération n’est digne d’être mentionnée que lorsque celle-ci est attaquée et pillée. La richesse peut provenir du commerce ou encore de butin obtenu par les gens de l’endroit. Rimbert mentionne la richesse de Birka par le relais des paroles du roi des Svear exilé Anund, qui veut convaincre des Danois d’attaquer et de piller le site portuaire. Une telle entreprise promet des gains importants, dit-il, car on y trouve de nombreux marchands riches et une abondance de marchandises, d’argent et de trésors (negotiatores divites et abundantia totius boni atque pecunia thesaurorum multa). Après l’assaut, Anund exige des habitants de Birka une rançon de cent livres d’argent. Cela ne plait toutefois pas à ses alliés danois, convaincus que les habitants de Birka peuvent donner beaucoup plus. Mais les habitants du portus sont sauvés lorsque, encouragés par le comte Hériger, ils se mettent à prier le Dieu des chrétiens et que les pirates quittent spontanément l’endroit214. L’épisode raconté par Rimbert a seulement pour but de montrer que les marchands peuvent être sauvés des pirates par l’intervention du Dieu des chrétiens. Immédiatement après, ces mêmes pirates danois délaissent Birka et vont assaillir une forteresse chez les Slaves, à laquelle l’hagiographe ne donne pas de nom. Ils conquièrent l’endroit et le pillent, puis retournent chez eux avec

214

Rimbert, op. cit., c. 19, p. 41-43.

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leur butin et d’importants trésors (captis in ea spoliis ac thesauris multis)215. Rimbert raconte aussi comment des pirates danois veulent encore une fois attaquer et piller une forteresse, cette fois en Courlande. Mais l’entreprise échoue, et ce sont les Coures qui détruisent et pillent les navires des Danois. Ils se saisissent ainsi d’or, d’argent et de butin (auro et argento spoliisque multis). Alors que le roi des Svear Olaf entend cela, il annonce qu’il veut réussir là où les Danois ont échoué. Il s’en va donc avec ses guerriers jusqu’en Courlande, attaque et pille la place forte de Seeburg, continue plus loin et assaille la forteresse d’Apulia. Après des pourparlers, il obtient alors le butin que les Coures avaient pris aux Danois, de l’or et des armes (quicquid ex spoliis Danorum praeterito anno in auro et armis). Les Svear retournent chez eux avec des trésors innombrables (thesauris innumerabilibus)216. Rimbert n’utilise pour ces descriptions que peu d’adjectifs de type subjectif : dives, multus, innumerabilis. En revanche, il se sert de nombreux substantifs que l’on pourrait qualifier de mélioratifs, en lien avec les richesses : pecunia, thesaurum, spolium, aurum, argentum. Le rôle axiologique de ces substantifs est toutefois ambivalent, puisque l’accumulation de richesses n’est pas obligatoirement souhaitable du point de vue d’un moraliste chrétien. Quelques autres éléments méritent d’être soulignés dans ces deux épisodes. D’abord, la richesse de ces agglomérations n’est mentionnée que lorsqu’elle rend ces endroits attrayants pour des pirates. La richesse n’est donc pas une qualité souhaitable en tant que telle. En outre, le pillage d’agglomérations riches n’est pas présenté par Rimbert comme exemplaire ou glorieux : au contraire, cette richesse a plutôt une connotation négative et est mentionnée dans des épisodes au caractère moralisateur. Malgré tout, on peut conclure que la richesse est pour lui, en ce qui a trait à ces agglomérations maritimes, sinon un élément important, à tout le moins un élément que l’on peut s’attendre à retrouver. Pour ce qui est de Widukind de Corvey, il évoque à quelques occasions des prises de butin lors de l’assaut de forteresses. Widukind raconte qu’Henri Ier assiège et prend l’urbs de Gana, chez les Daleminciens. Selon le récit du moine de Corvey, les guerriers emportent du butin, les adultes sont tous tués et les garçons et jeunes filles sont réduits en esclavage217. L’historien saxon dépeint ensuite comment Thankmar attaque la forteresse de Belecke, où se trouve son demi-frère Henri. Il distribue le butin à ses compagnons et enlève Henri218. Widukind relate le siège par le duc Hermann d’une forteresse des Slaves où s’est réfugié Wichmann. La place forte n’est pas nommée, mais

215 216 217 218

Rimbert, op. cit., c. 19, p. 43. Rimbert, op. cit., c. 30, p. 60-62. Widukind, op. cit., 1,35, p. 50. Widukind, op. cit., 2,11, p. 74-75.

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on a supposé qu’il s’agit d’Oldenburg/Starigard219. Après que les défenseurs de celle-ci se soient rendus, Hermann distribue le butin entre ses guerriers. Parmi les prises se trouve une statue d’airain de « Saturne »220. Malheureusement, Widukind ne précise jamais – à l’exception de cette étonnante statue – ce qu’il entend par « butin », preda. Il pourrait théoriquement s’agir de biens commerciaux, d’objets de luxe et autres richesses ostentatoires ; cependant, il n’est pas non plus totalement à exclure qu’il ne se soit agi que d’armes des défenseurs de la forteresse ou d’autres objets utilitaires trouvés sur place. On s’abstiendra donc d’en tirer des conclusions hâtives. Après avoir évoqué les translations de reliques italiennes vers Magdebourg, Thietmar décrit les richesses avec lesquelles Otton Ier a décoré l’église du nouvel archevêché. Otton, raconte-t-il, y a fait apporter du marbre, de l’or et des pierres précieuses. Il a fait placer des reliques de saints dans les chapiteaux des colonnes221. En revanche, le commerce ne semble pas avoir beaucoup d’importance pour Thietmar : le seul endroit où il mentionne l’existence de marchés publics (mercatus) est Kiev222. La description de Bamberg par Gérard de Seeon ressemble à celle de Magdebourg par Thietmar. Gérard mentionne de l’argent, de l’or et des gemmes qui participent à l’ornementation de Bamberg. Sans doute a-t-il en tête les trésors de la nouvelle cathédrale, car il n’est nulle part question de commerce223. Pour Adam de Brême au contraire, la richesse d’une agglomération est explicitement en lien direct avec le commerce. Il est de l’avis, tout comme Rimbert, que la richesse d’un endroit rend celui-ci attrayant pour les pirates. Ce n’est cependant pas pour lui la seule raison pour mentionner les activités marchandes. Alors qu’Adam décrit l’oppidum de Birka, il dépeint en premier lieu le port qui, avec divers obstacles, est dangereux pour ceux qui n’y sont pas familiers. Le site protège Birka des attaques imprévues des pirates, nombreux dans cette région, précise Adam. Il ajoute que se rencontrent à Birka, dans le but de faire du commerce (pro diversis commerciorum necessitatibus), des Normands, des Slaves, des Sambiens et des représentants d’autres peuples de « Scythie »224. La description qu’effectue Adam de Iumne est semblable : à

219

I. Gabriel, Einleitung…, cité n. 108, n. 90, p. 11. Widukind, op. cit., 3,68, p. 143. 221 Thietmar, op. cit., 2,17(11), p. 58. 222 Thietmar, op. cit., 8,32(16), p. 530. 223 Hic onus argenti collucet montibus auri, / Adduntur variis radiantia serica gemmis. Gérard de Seeon, op. cit., v. 44-45, p. 398. Voir B. Schneidmüller, Die einzigartig geliebte Stadt – Heinrich II. und Bamberg, dans J. Kirmeier, B. Schneidmüller, S. Weinfurter et E. Brockhoff (éd.), Kaiser Heinrich II. 1002-1024, Stuttgart, 2002 (Veröffentlichungen zur Bayerischen Geschichte und Kultur, 44), p. 30-51. 224 Adam, op. cit., 1,60, p. 58. 220

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cet endroit se rencontrent des « barbares », des « Grecs »225, des Slaves et des Saxons. Cette urbs abonde en marchandises de toutes les régions du Nord et il n’y manque rien « de réjouissant ou de rare », mercibus omnium septentrionalium nationum locuples nihil non habet iocundi aut rari 226. Adam raconte qu’à Brême, des marchands provenant « de toutes les régions du monde » se rencontrent, et qu’ils fréquentent le siège épiscopal « avec leurs marchandises (merces) habituelles ». Mais Adam se plaint que les exactions opérées par les hommes de l’archevêque Adalbert ont fait fuir les marchands, les privant de tous leurs biens. Ainsi, à cause d’Adalbert, la civitas est privée de cives et « le marché est privé de marchandises »227. Les richesses et les marchandises ne sont cependant pas uniquement l’apanage d’agglomérations. Adam raconte en effet que les Prusses, en dépit de leur mépris pour l’or et l’argent (aurum et argentum pro minimo ducunt), possédaient une abondance de fourrures provenant de régions lointaines. Ces fourrures n’ayant que peu de valeur pour eux – selon Adam, « ils les considèrent comme des excréments » (uti stercora haec habent) –, ils les échangent pour des vestes de laine. Ces fourrures sont certes pour Adam des « fourrures étrangères » (pelles peregrini) et des « martres précieuses » (preciosi martures), mais la recherche de ces richesses amène les concitoyens de l’historien saxon, pour qui elles signifient « la plus grande béatitude » (ad summam beatitudinem), à la perdition : « leur odeur dépêchait à nos régions le venin létal de l’orgueil » (odor letiferum nostro orbi superbiae venenum propinavit), écrit-il. Adam encense les Prusses qui, bien qu’ils ne soient pas encore chrétiens, ne vénéreraient pas ces richesses matérielles228. La position d’Adam de Brême à l’égard du commerce et des richesses est ambivalente. De nombreux termes qu’il utilise sont non axiologiques : il s’agit des commerciorum necessitates ou des merces. En revanche, lorsqu’il utilise des substantifs et adjectifs axiologiques, ceux-ci peuvent être mélioratifs ou péjoratifs. Ils sont mélioratifs lorsque Adam décrit leur attirance pour ses contemporains : iocundus, rarus, preciosus, summa beatitudo. Mais ils sont décidément péjoratifs lorsque l’historien exprime sa propre opinion, ou celles qu’il approuve : minimum, stercora, letiferum venenum. On retrouve donc une grande différence entre ce que pensent ceux qui entourent l’historien et ce qu’il trouve lui-même souhaitable. 225 C’est-à-dire des Russes, chrétiens de rite byzantin. Voir L. Leciejewicz, Słowianie…, op. cit., p. 316 ; S. Rosik, Barbari…, art. cit., p. 193-194. 226 Adam, op. cit., 2,22, p. 79-80. 227 Cumque rapinarum quaestio in omnes caderet episcopo subiectos, non transivit etiam negotiatores, qui ex omni terrarum parte Bremam solitis frequentabant mercibus ; eos omnes execranda vicedomnorum exactio coegit sepe nudos abire. Ita civitas [a] civibus et forum mercibus usque hodie defecisse videtur, Adam, op. cit., 3,58, p. 204-205. 228 Adam, op. cit., 4,18, p. 245-246. Voir à ce propos S. Rosik, Interpretacja…, op. cit., p. 220.

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L’importance qu’accorde Adam aux marchands de Brême montre clairement que malgré toutes ses réticences, pour lui, le commerce est un élément positif pour la réputation d’une agglomération. Car pour l’historien de Brême, il est tout à fait lamentable que les marchands doivent quitter le siège archiépiscopal à cause de la politique d’Adalbert229. Pour Adam, la richesse d’une agglomération n’est pas quelque chose de négatif, qui ne ferait qu’attirer les pirates : la richesse apporte de l’importance et impressionne, même si en même temps elle est regrettable d’un point de vue moral. Il apparaît distinctement que pour Adam, la richesse apportée par les commerçants appartient aux éléments qui font une agglomération grande et remarquable. Peut-être est-ce d’ailleurs pour cela qu’Adam ressent le besoin d’exprimer ses scrupules moraux. N’est-ce pas pourtant Iumne qui est, selon lui, la plus grande civitas d’Europe ? Il en va tout autrement avec l’auteur anonyme de Pologne. Puisque les forteresses sont avant tout mentionnées au cours de sièges et de conflits militaires, la richesse qui y est accumulée intéresse le chroniqueur principalement en tant qu’objet de butin pour les attaquants. Contrairement à ce qu’en pense Rimbert, ces actes de pillage ne sont cependant pas du tout répréhensibles : bien au contraire, ils apportent notoriété et respect au souverain polonais. On constate d’abord que les principales civitates de Pologne sont décrites comme étant riches. C’est l’opulence qui leur donne leur éclat et leur importance : richesses et cour du souverain sont inséparables. L’anonyme décrit la profusion de produits de luxe de la cour lors de la réception d’Otton III à Gniezno. On y voit « une variété d’ornements », non pas vils, mais ce qu’il y a « de plus précieux », preciosius. Les milites et les dames de la cour sont vêtus de manteaux, de « fourrures précieuses », pelles preciose, et d’orfroi. L’or circule autant que l’argent, l’argent est si commun qu’il est tenu en piètre estime. L’empereur, contemplant ces richesses, divitiae, est renversé d’admiration230. Plus loin, le chroniqueur raconte que Boleslas II le Généreux († 1081/1082) se trouve à Cracovie, devant son palais ; il a devant lui, étendus sur des tapis, les tributs que lui ont versés les Ruthènes et d’autres peuples. Un clerc pauvre étranger, qui est de passage, admire « la grandeur du trésor » (thesauri mag nitudo), étonné de voir autant d’argent. Il exprime son admiration, comparant sa propre misère et sa propre indigence à la « gloire » et à la « majesté » du souverain. Boleslas, ayant pitié de sa pauvreté, laisse repartir

229

Adam, op. cit., 3,58, p. 204-205. Gallus, op. cit., 1,6, p. 19. Voir G. Althoff, Symbolische Kommunikation zwischen Piasten und Ottonen, dans M. Borgolte (éd.), Polen und Deutschland vor 1000 Jahren. Die Berliner Tagung über den « Akt von Gnesen », Berlin, 2002 (Europa im Mittelalter. Abhandlungen und Beiträge zur historischen Komparatistik, 5), p. 303-307. 230

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le clerc avec un manteau empli d’or et d’argent231. Après que Ladislas Herman l’eut détruit, l’auteur anonyme écrit que le castrum de Kruszwica (all. Kruschwitz), « autrefois opulent en richesses et en milites, fut réduit à un état presque de désolation », divitiis prius et militibus opulentum, ad instar pene desolacionis est redactum232. Pour l’auteur anonyme, les richesses sont donc explicitement porteuses de « gloire » et de « majesté » pour le souverain. Cela est aussi vrai pour sa cour, ses lieux de résidence et ses forteresses, aussi caractérisées par leurs richesses. Cet intérêt est souligné par l’utilisation d’adjectifs mélioratifs : preciosus, opulentus, alors que les substantifs liés à la richesse doivent être compris comme axiologiques et mélioratifs : divitiae, thesaurus. Quant aux richesses chez les Russes ou en Poméranie, elles sont décrites en tant que butin qu’elles permettent aux Polonais d’accumuler. Kiev est décrite comme un endroit riche et attrayant. Prendre Kiev signifie pour Boleslas le Vaillant prendre le royaume des Ruthènes et ses richesses, divitiae. Kiev est une « civitas grande et opulente », civitas magna et opulenta, avec une porte en or. C’est aussi une « urbs très riche », urbs ditissima. Boleslas le Vaillant retourne en Pologne avec le trésor qu’il a accumulé233. Lorsque Boleslas Bouche-Torse attaque Białogród, la forteresse est caractérisée comme « opulente et populeuse », urbs opulenta et populosa. Le prince polonais accapare un impressionnant butin puis détruit la place forte234. Lors du siège de Kołobrzeg, cela apparaît plus clairement encore. Selon les mots du chroniqueur, Kołobrzeg est « une urbs opulente en richesses », urbs opulenta divitiis. Le suburbium est particulièrement « plein de richesses et de butin », copia diviciarum predaque. Les assaillants sont aveuglés par cette abondance. Alors qu’ils pillent l’agglomération, certains enchaînent des prisonniers, d’autres rassemblent les « richesses marines » (marinae diviciae), d’autres enlèvent des garçons et des jeunes filles235. Chez l’historien de Pologne, les richesses sont étroitement liées à la conception de la royauté. Boleslas le Vaillant est encensé parce qu’il possède plus de richesses et de guerriers que tout autre roi236. Cependant son fils,

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Gallus, op. cit., 1,26, p. 51-52. Gallus, op. cit., 2,5 p. 72. 233 Gallus, op. cit., 1,7 p. 22-23. La porte d’or est aussi mentionnée plus loin, 1,23, p. 48. Voir P. Wiszewski, Domus..., op. cit., p. 212-215, 244-245. 234 Gallus, op. cit., 2,22, p. 89. 235 Gallus, op. cit., 2,28, p. 95-96. Pour l’importance du butin, voir aussi Gallus, op. cit., 2,10, p. 76. Gallus, op. cit., 3,5, p. 133. 236 Gallus, op. cit., 1,16, p. 35. Voir P. Wiszewski, Domus..., op. cit., p. 228. 232

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Mesco II, n’est comparable à son père « ni par sa vie, ni par ses mœurs, ni par l’abondance des richesses »237. De quoi s’agit-il au juste, lorsque l’anonyme parle de richesses, diviciae ? Comme plusieurs mentions l’indiquent, il s’agit souvent d’or et d’argent. Lors de réceptions mémorables comme à Gniezno, il peut s’agir de vêtements d’apparat et d’autres richesses ostentatoires. Mais lorsqu’il est question de butin, il est rarement précisé de quoi il s’agit. La prise de butin est en outre souvent associée à la prise de captifs. On peut s’imaginer que ces richesses sont, parfois, composées de marchandises de commerçants installés dans les faubourgs : mais cela n’est jamais mentionné explicitement. On ne saurait en conclure que c’est le cas chaque fois qu’il est question de preda. Il n’y a pas qu’en Poméranie, à Białogród et Kołobrzeg, que la richesse est présentée comme une caractéristique des forteresses d’importance. Il en va de même, comme on l’a vu, pour toutes les autres civitates, en Pologne ou ailleurs : Gniezno, Cracovie, Kiev. Partout, on rencontre une abondance de termes au sens mélioratif. En comparant les régions centrales du royaume polonais et celles situées à sa périphérie, on constate que dans les civitates de Pologne, les richesses servent à montrer la grandeur du souverain et le luxe dont il s’entoure, ou, pour reprendre les mots du clerc pauvre, sa « gloire » et sa « majesté », surtout pour sa représentation face à des étrangers. Dans les forteresses des régions avoisinantes, ces richesses sont mentionnées en lien avec la conquête par les Polonais : il s’agit du butin amassé par le souverain, contribuant à son succès et à sa renommée. Tout comme chez Adam de Brême, pour le chroniqueur anonyme, la richesse est un des éléments fondamentaux caractérisant une agglomération d’importance. Mais contrairement à Adam, cependant, l’anonyme ne mentionne jamais explicitement d’où vient cette richesse, et n’indique nulle part la présence de commerce ou de marchands. La richesse n’a d’importance pour lui que lorsqu’elle apporte la gloire au souverain polonais. Cosmas de Prague décrit aussi quelques scènes de pillage, qui ne sont pas sans rappeler celles du chroniqueur de Pologne. Ainsi, alors que les guerriers de Bohême pénètrent dans les terres des Lucenses, ils dévastent la région,

237 Nec sicut pater eius vita, vel moribus, vel divitiis copiosus, Gallus, op. cit., 1,17, p. 40. À titre de comparaison, on peut observer que lorsque le chroniqueur anonyme décrit une région, il souligne surtout sa fertilité, mais aussi sa richesse. Ainsi, la Pologne serait une région qui, « bien que largement couverte de forêts, est pleine d’or et d’argent, de pain et de viande, de poisson et de miel. » Dans cette « patrie », « l’air est sain, le champ fertile, la forêt pleine de miel, l’eau de poissons, les guerriers sont belliqueux, les paysans laborieux, les chevaux durables, les bœufs aptes au labour, les vaches donnent du bon lait et les moutons de la laine. » Que regio quamvis multum sit nemorosa, auro tamen et argento, pane et carne, pisce et melle satis est copiosa (…). Patria ubi aer salubris, ager fertilis, silva melliflua, aqua piscosa, milites bellicosi, rustici laboriosi, equi durabiles, boves arabiles, vacce lactose, oves lanose, Gallus, op. cit., prologue, p. 6-7.

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détruisent les civitates, incendient les villae, accumulent un vaste butin, spolia multa238. Le souverain de Bohême Bretislas Ier († 1055) dévaste la Pologne et assaille Cracovie, la ravage et y amasse du butin. Il s’empare des trésors que les Polonais ont autrefois pris aux habitants de Bohême, c’est-à-dire de l’or et de l’argent239. Cosmas compare les assassins d’un certain Bosey et de son fils Boruth, qui ont surpris ceux-ci chez eux dans une villa, à des urbium expugnatores, s’emparant de nombreux trésors, immensae gazae. Ils s’emparent de toutes leurs richesses240. Enfin l’empereur Henri V († 1125) s’est joint aux guerriers de Bohême pour attaquer la Pologne. Ils assaillent et dévastent les régions le long de l’Oder, de Głogów jusqu’à Rýdeč, et s’en retournent « avec beaucoup de butin », cum magna preda241. On remarque tout d’abord que les mentions de pillage sont beaucoup moins nombreuses chez Cosmas que chez l’anonyme de Pologne. Les pilleurs s’attaquent principalement, mais pas uniquement, à des forteresses. Quant à la nature de ces richesses, il semble s’agir principalement d’or, d’argent, de trésors. Ensuite, on peut attirer l’attention sur le fait que Cosmas accorde peu de valeur aux richesses en tant qu’élément caractéristique des agglomérations du royaume de Bohême. Certes, il évoque à l’occasion des marchands et des marchés. Mais jamais les richesses et les produits de luxe n’ont pour lui l’importance ostentatoire qu’elles ont pour le chroniqueur de Pologne. Pourtant, paradoxalement, il signale au moins occasionnellement l’existence d’activités commerciales, contrairement à ce dernier. Les auteurs étudiés ici présentent la richesse des agglomérations qu’ils décrivent de manières très différentes. Pour Rimbert, la richesse appartient à une agglomération d’importance, mais n’a pas besoin d’être soulignée en tant que telle. Bien au contraire, elle a l’inconvénient d’attirer les pirates. Pour Adam, la richesse a également ce désavantage, mais elle apporte prestige et gloire, bien que d’un point de vue moral elle ne soit pas vraiment souhaitable. Pour le chroniqueur anonyme de Pologne, la richesse devient un élément entièrement positif, puisqu’elle apporte au vainqueur gloire et butin. Pour lui, les actes de pillage sont vus du point de vue des envahisseurs, et non pas comme chez Rimbert et Adam, de celui des victimes. D’autres historiens comme Widukind et Cosmas signalent à l’occasion des activités de pillage lors d’assauts sur des forteresses, mais n’apportent guère beaucoup d’attention à ce phénomène. La perception des richesses et du commerce est rarement neutre. Elle est souvent porteuse d’une grande subjectivité. Mais, que cela soit perçu de

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Cosmas, op. cit., 1,13, p. 29. Cosmas, op. cit., 2,2, p. 83. Cosmas, op. cit., 3,34, p. 192-193. Cosmas, op. cit., 3,27, p. 195.

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manière positive ou négative, on peut conclure de tout cela que, pour la plupart de ces auteurs, la richesse et donc sans doute le commerce qui la crée appartiennent aux caractéristiques d’une agglomération importante et réputée. Magnificence et notoriété Ermold le Noir, Widukind de Corvey, Adam de Brême et le chroniqueur dit Gallus Anonymus mentionnent encore d’autres raisons pour lesquelles certaines localités ont une importance particulière : elles sont belles et elles sont illustres242. En les caractérisant ainsi, les auteurs répondent toutefois à des attentes très différentes. Selon Ermold le Noir, Aix-la-Chapelle est un « lieu insigne », notoire « par sa réputation largement répandue »243. Il s’agit là d’un élément caractérisant également Ingelheim et distinguant d’autres agglomérations244. Widukind ne mentionne qu’une fois l’esthétique d’une localité. Il le fait à propos de Magdebourg, une civitas, écrit-il, qu’Otton Ier « fit construire lui-même de manière magnifique » (ipse magnifice construxit)245. En outre, le moine de Corvey qualifie Quedlinburg de « lieu illustre » (locus celebris), mais c’est la seule localité caractérisée de cette manière246. Selon Bruno de Querfurt, ce qui caractérise Magdebourg, c’est avant tout sa beauté et son apparence agréable. Magdebourg est une métropole « noble » (ingenua), elle possède un « grand archevêché » (magnus archipresulatus), elle est située sur la « belle rive de l’Elbe » (in fluminis Albis pulcro littore), et Otton Ier y fit construire un « très beau palais » (pulcherrima domus)247. Quant à Prague, elle est « la plus grande urbs de la région » (maximaque urbs huius regionis), est « noble » (nobilis) et est une « métropole »248. Adam de Brême soit sans doute l’auteur qui accorde le plus d’attention au fait qu’un endroit soit largement connu. À de nombreuses reprises, il précise que des agglomérations sont nobles, réputées, illustres. Dès le début de son œuvre, Adam déclare d’emblée que Hambourg est « la plus noble civitas des Saxons », nobilissima quondam Saxonum civitas249. Plus loin, Hambourg 242

S. Rossignol, Ville et environnement…, art. cit., p. 16-18. Est locus insignis regali proximus aulae, / Fama sui late, quae vocitatur Aquis. Ermold, op. cit., 3,583-584, p. 57. 244 Ermold, op. cit., 4,179-190, p. 63. 245 Widukind, op. cit., 3,76, p. 154. Il est toutefois étonnant qu’il n’y ait que Magdebourg que Widukind trouve « magnifique », alors qu’il se tait complètement sur la saga diplomatique qui a mené à l’érection de l’archevêché à cet endroit. D. Claude, Geschichte…, op. cit., p. 63-95 ; G. Althoff, Widukind…, art. cit., p. 257-258 ; C. Ehlers, Zur Geschichte…, cité p. 95, n. 7, p. 15-18. 246 Widukind, op. cit., 3,75, p. 152. 247 Bruno de Querfurt, S. Adalberti…, op. cit., c. 4, p. 5. 248 Bruno de Querfurt, Vita quinque fratrum…, op. cit., c. 11, p. 54. 249 Adam, op. cit., 1,1, p. 4. 243

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est aussi une civitas « illustre », inclyta civitas lorsqu’elle détruite par les pirates250. Adam décrit également Magdebourg comme étant une inclyta urbs fondée par Otton Ier sur les rives de l’Elbe251. Quant à Mecklembourg, elle est une civitas inclita avec ses trois monastères252. Ainsi, Iumne est également décrite dans l’œuvre d’Adam comme une « très noble civitas », nobilissima civitas. Elle est aussi un « lieu de séjour très illustre », celeberrima statio, pour les peuples des régions environnantes253. Le même auteur dépeint encore l’île de Bornholm comme un « port très illustre du Danemark », celeberrimus Daniae portus254. Adam décrit ensuite Kiev, la métropole de Russie, comme étant une « parure des plus illustres de la Grèce », clarissimum decus Greciae255. Rappelons-nous l’intention d’Adam. L’historien de Brême décrit les régions lointaines d’Europe du Nord et de l’Est qu’il veut faire connaître. Ces régions sont encore peu connues à son époque ; il est peu étonnant qu’il insiste sur les quelques endroits qui le sont un peu plus. Adam décrit en outre ces régions en vue de la mission : dans ce but, il est important que les futurs missionnaires connaissent les lieux les plus notoires, comme points de repère lors de leurs voyages et éventuellement comme points d’ancrage pour la propagation de la foi chrétienne. On ajoutera qu’Adam nous laisse voir par la même occasion un des éléments centraux qui rendent, selon lui, une agglomération importante : elle se doit d’être belle et illustre. Il s’agit là d’un aspect entièrement subjectif, mais qui ne doit pas être négligé pour autant. Quant au chroniqueur anonyme de Pologne, il décrit Białogród comme une « urbs royale remarquable », urbs regia et egreia 256. Kołobrzeg est présentée comme « sans l’ombre d’un doute une urbs glorieuse et supérieure des Poméraniens », gloriosa et precipua 257. Mais la plus illustre est Troie, « la plus grande  », conservée dans la «  mémoire éternelle  » par les poètes  : ma xima quoque Troia, quamvis destructa iacet et deserta, ete rne tamen memorie poetarum titulis est inserta258. Il est intéressant de noter les adjectifs qu’utilise le chroniqueur. L’éternelle Troie est « la plus grande » ; Białogród, lieu de résidence, est « royale » ; Kołobrzeg, conquise par les Polonais, est « glorieuse ». En fait, tout est centré autour du souverain polonais, et les

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Adam, op. cit., 1,21, p. 27. Adam, op. cit., 2,15, p. 71. Adam, op. cit., 3,20, p. 163. Adam, op. cit., 2,22, p. 79. Adam, op. cit., 4,16, p. 243. Adam, op. cit., 2,22, p. 80. Gallus, op. cit., 2,22, p. 89. Procul dubio gloriosa Pomoranorum urbs et precipua, Gallus, op. cit., 2,28, p. 96. Gallus, op. cit., 3, epistola, p. 121.

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caractéristiques subjectives liées à la beauté et à la notoriété des civitates sont instrumentalisées pour accroître sa renommée et sa notoriété. Le fait qu’une agglomération soit belle, noble et illustre est certainement une conséquence de la présence des éléments évoqués plus haut : beaux bâtiments, fortifications, richesse, commerce259. Cette addition d’éléments est couronnée par de telles caractéristiques. Les buts précis recherchés par l’usage de ces éléments apparaissent cependant de façon évidente : l’attention qu’y accordent les auteurs a très peu à voir avec les civitates elles-mêmes et leur valeur intrinsèque ou l’impression qu’elles pouvaient réellement donner – une telle caractérisation ne sert qu’à promouvoir les buts que se sont fixés les auteurs avec leurs œuvres. Beauté et notoriété sont certes des éléments entièrement subjectifs, mais dont l’importance ne doit aucunement être mésestimée pour bien comprendre les perceptions des contemporains. Là où des critères objectifs ne suffisent pas à caractériser ce qui fait la particularité d’un habitat de type urbain, des critères purement subjectifs apportent un complément qui peut être décisif. Descriptions et laudes urbium Les descriptions de civitates dans les textes venant d’être présentés comprennent de nombreux éléments repris à la tradition littéraire des laudes urbium. Alors que ces laudes avaient formé dans l’Antiquité un genre littéraire en soi, il ne s’agissait en général au Moyen Âge que d’insertions dans des œuvres plus vastes260. Comme l’a fait remarquer Carl Joachim Classen, la différence entre description et louange est souvent indistincte dans les sources narratives261. Une comparaison entre les motifs développés dans cette tradition et ceux utilisés par les auteurs formant la base de cette étude permettra de reconnaître des liens de dépendance, mais également d’identifier les spécificités de l’époque et des régions analysés262. Un élément récurrent des descriptions de civitates au haut Moyen Âge en Europe occidentale consiste en la situation géographique de l’agglomération. Qu’elle se trouve dans une plaine, sur une colline ou près d’un fleuve ou d’une 259 Les auteurs de la Grèce antique soulignaient déjà la grandeur et la beauté comme des éléments caractéristiques dans leurs éloges des cités. J. Bouffartigue, La Tradition…, cité p. 168, n. 198, p. 53-54. 260 E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 9-10 ; H. Kugler, Die Vorstellungen…, op. cit., p. 26-32. À propos des laudes urbium aux XIIe et XIIIe siècles, voir H.-J. Schmidt, Societas christiana in civitate. Städtekritik und Städtelob im 12. und 13. Jahrhundert, dans Historische Zeitschrift, 257, 2, 1993, p. 297-354. 261 C. J. Classen, Die Stadt..., op. cit., p. 65. Voir aussi H. Kugler, Die Vorstellungen…, op. cit., p. 32-36. 262 Voir S. Rossignol, The Central European Early Town…, art. cit., p. 136-138.

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rivière, Grégoire de Tours263, Venance Fortunat († vers 600)264 et de nombreux autres auteurs y font allusion. Le cours d’eau est parfois décrit avec plus de détails – évoquant sa richesse en poissons ou sa situation favorable au commerce avec des régions lointaines265. La fertilité des terres appartenant à l’agglomération est également un motif souvent répété. Cependant, cette prodigalité de la nature environnante renvoie dans les laudes en général explicitement à un apport de richesse pour les habitants : les terres fertiles assurent l’approvisionnement en victuailles ou produisent du vin. Elles garantissent l’opulence et un mode de vie somptueux266. Des références à la situation géographique des agglomérations – sur une colline ou près d’une rivière – et à l’occasion, à la fertilité naturelle de la région se retrouvent également dans notre corpus : ce n’étaient donc pas des éléments nouveaux qu’introduisirent nos auteurs. Cependant, on remarquera que les aspects pragmatiques et les conséquences de cette situation sont plus rarement explicités que dans les sources des périodes antérieures. Les murs d’enceintes et les fortifications jouent un rôle essentiel dans les descriptions et laudes produites au tout début du Moyen Âge. Cela est vrai pour les auteurs en terre franque – ainsi, Grégoire de Tours décrit avec force détails les murs de Dijon267 – mais aussi pour les descriptions des villes italiennes comme Vérone268, Milan269 ou Aquilée270. Eugen Giegler a fait remarquer que l’importance des fortifications augmente dès la fin de l’Antiquité et encore plus dans les premiers siècles du Moyen Âge271. Ces observations s’accordent avec ce que nous avons vu en Europe centrale et nordique, où très tôt les forteresses sont décrites avec un vocabulaire urbain inspiré de l’Antiquité romaine et où la différence entre urbs et civitas d’une part et castrum et castellum d’autre part devient rapidement floue. On retrouve parmi les éléments les plus fréquemment notés dans les laudes du haut Moyen Âge en Europe occidentale les portes des fortifications et les tours. En revanche, les bâtiments à l’intérieur n’attirent presque jamais l’attention des auteurs. Dans les rares cas où ils sont mentionnés, ce n’est jamais 263

Grégoire de Tours, Libri…, cité p. 45, n. 124, 3,19, p. 120. Venance Fortunat, Ad Vilicum episcopum Mettensem, dans Venance Fortunat, Opera poetica, éd. F. Leo, Berlin 1881 (M. G. H. Auctores antiquissimi, IV,1), p. 65. 265 E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 90-94. 266 E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 107-108. 267 Grégoire de Tours, Libri…, cité p. 45, n. 123, 3,19, p. 120. 268 Versus de Verona, dans E. Dümmler (éd.), Poetae latini aevi Carolini, t. I, Berlin, 1881 (M. G. H. Poetae latini medii aevi, t. I), p. 119-122. 269 Versus de Mediolane civitate, dans E. Dümmler (éd.), Poetae latini aevi Carolini, t. I, op. cit., p. 24-26 ; Ausone, Ordo urbium nobilium, dans Magnus Ausone, Opuscula, éd. K. Schenkel, Berlin, 1883 (M. G. H. Auctores antiquissimi, V,2), p. 99. 270 Ausone, Ordo urbium nobilium, cité p. 184, n. 269, p. 100. 271 E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 95-96. 264

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comme objet de louanges ou participant à l’image positive de l’agglomération272. Cela n’est d’abord pas très différent pour ce qui est des agglomérations fortifiées à l’est du Rhin ; on remarquera cependant que les mentions de palais et autres bâtiments ostentatoires des souverains, prélats et grands du royaume deviennent plus fréquentes à partir du Xe siècle. C’est Adam de Brême qui les décrit avec la plus grande abondance de détails. La mention d’églises ne faisait forcément pas partie des laudes urbium de la littérature latine classique. Même après la conversion de l’Empire romain au christianisme, l’église en tant qu’élément caractéristique de l’agglomération urbaine n’a pas été intégrée au genre littéraire de la laus ou aux descriptions. Encore pour Grégoire de Tours, un des derniers auteurs qui sous cet aspect s’en tiennent à la tradition classique, la présence d’églises dans les villes romaines ne mérite aucunement d’être mentionnée. Mais dès le VIe siècle, la situation commence à changer et les lieux de culte trouvent à l’occasion mention dans les descriptions. Néanmoins, comme l’a montré Eugen Giegler, la description de l’église ne devient jamais un véritable cliché avec ses propres éléments caractéristiques : elle reste un ajout mal intégré au canon des éléments typiques273. Cette fois, la situation est très différente pour ce qui touche aux civitates de l’ancien barbaricum. Le bâtiment de culte, lorsqu’il est présent, y obtient toujours une place de premier choix – que ce soit dans son emploi dominant et récurrent au sein des descriptions, dans la profusion de termes laudatifs qui lui sont appliqués ou dans le rôle représentatif de l’ecclesia, église ou siège épiscopal, dans les personnifications littéraires. Cette identification est si forte que parfois la distinction entre civitas et ecclesia, lorsqu’il est question d’un évêché ou d’un siège épiscopal, devient imprécise. Il en va de même pour les temples païens qui prennent une importance majeure dans les descriptions de civitates hors de l’orbe chrétien. Le bâtiment de culte est dans ces textes non seulement parfaitement intégré au canon de l’idéalisation de la civitas, c’est même devenu un de ses éléments les plus essentiels. Dans l’Antiquité et encore au début du Moyen Âge, les villes sont également des lieux de culture – c’est là qu’on étudie, que l’on retrouve des écoles, ce sont des centres culturels. Cet élément caractéristique culmine dans la comparaison avec Athènes, perçue comme le centre le plus illustre de la science et de l’érudition. Bien que ce motif ait considérablement perdu en importance au cours du haut Moyen Âge – ainsi, même Alcuin ne mentionne aucunement la présence d’écoles ou de bibliothèques dans sa description de York274 – Ratis272

E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 96-97. E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 98-99. 274 Alcuin, Versus de patribus regibus et sanctis Euboricensis ecclesiae, dans E. Dümmler (éd.), Poetae latini aevi Carolini, t. I, op. cit., p. 169-206 ; C. J. Classen, Die Stadt..., op. cit., p. 42-43. Voir M. Sot et Y. Coz, Histoire et écriture de l’histoire dans l’œuvre d’Alcuin, dans P. Depreux et B. Judic (éd.), Alcuin…, cité p. 62, n. 66, p. 175-191. 273

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bonne275 et Liège276 sont ainsi décrites comme de nouvelles Athènes. Le seul endroit qui mérite une telle comparaison dans les contrées sans tradition romaine est toutefois Bamberg277. Nous avons déjà vu que les écoles, bibliothèques et scriptoria ne jouent qu’un rôle extrêmement mineur et qui n’est qu’exceptionnellement évoqué dans les descriptions touchant à l’ancien barbaricum. Une différence se fait donc jour dans la perception de l’habitat à caractère urbain – l’importance en tant que centres de culture disparaît. Dans l’Antiquité, l’essor du commerce ne fait pas partie de la liste classique des topoi des laudes urbium. La richesse de l’agglomération peut certes être évoquée, mais son importance reste secondaire et n’est aucunement mise explicitement en relation avec les activités commerciales. Bien au contraire, les auteurs évitent généralement de mentionner la présence de commerçants ou de marchés, car de telles occupations ont une connotation négative. Ménandre le Rhéteur (IVe siècle av. J.-C.)278 et d’autres théoriciens déconseillent expressément de telles mentions dans les laudes urbium279. Au Moyen Âge en Europe occidentale, c’est surtout à partir du XIe siècle que le commerce devient un élément récurrent des descriptions de civitates et il obtient alors rapidement une position centrale. Nous observons donc avec cet élément l’apparition et l’expansion d’un aspect nouveau, qui à l’origine ne fait pas partie des caractéristiques ayant empreint l’imaginaire urbain280. Cette tendance ne peut qu’être confirmée par l’exemple des nouvelles civitates – comme des emporia – d’Europe centrale et nordique, où ce motif apparaît très tôt comme signe distinctif des agglomérations. Dès le IXe siècle avec Rimbert, et de façon de plus en plus évidente et omniprésente au cours des siècles suivants, les richesses – que ce soit grâce au commerce ou que leur origine ne soit pas mentionnée explicitement – deviennent un des aspects les plus essentiels permettant de différencier une agglomération de première importance d’une de second ordre. Alors que le motif du commerce est une nouveauté du Moyen Âge qui devient rapidement essentielle, celui des richesses n’est peut être pas nouveau, mais la signification centrale qu’il obtient à l’est du Rhin l’est sans aucun doute.

275

Translatio sancti Dionysii areopagitae, dans D. R. Koepke (éd.), Historiae aevi Salici, Stuttgart et al., 1854 (M. G. H. Scriptores, XI), p. 355. 276 Gozechin, Epistula Gozechini scholastici ad Valcherum ibidem scholasticum suum olim discipulum, dans P.L., vol. 143, p. 888. 277 E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 103-105. 278 Ménandre le Rhéteur, dans L. Spengel (éd.), Rhetores Graeci, vol. III, Francfort/M. 1966 (d’abord paru en 1856), p. 360. 279 C. J. Classen, Die Stadt..., op. cit., p. 16-17. Ménandre le Rhéteur était certes inconnu au Moyen Âge, mais l’influence de la tradition dans laquelle il se trouvait était bien réelle. D’autres rhéteurs de cette tradition était connus. Voir H. Kugler, Die Vorstellungen…, op. cit., p. 27. 280 E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 13-16, 58, 106-109.

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Dans les laudes urbium de l’Antiquité, la beauté, la noblesse et la notoriété ne font guère partie per se des aspects fréquemment mentionnés et auxquels il faut absolument s’attendre. En revanche, on les retrouve ici et là dans les textes médiévaux – que ce soit chez Abbon de Saint-Germain († après 896)281, chez Heric d’Auxerre († 876)282, chez Richer de Metz (XIIe siècle)283 ou dans les poèmes dédiés à Vérone284, à Aquilée285 ou à Trèves286. Nous avons pu voir que ce genre d’épithètes se multiplie pour les régions à l’est du Rhin – à tout le moins à partir du XIe siècle. Il s’agit là bel et bien de caractérisations qui se développent au cours du Moyen Âge et dont l’importance augmente au fil des siècles. La comparaison avec Rome n’est pas inconnue dans la première partie du Moyen Âge. On la retrouve chez Ausone († 395) à propos de Milan, chez Heiric d’Auxerre pour Autun, chez Sigebert de Gembloux († 1112) pour Metz et dans un poème anonyme sur Trèves287. Ce n’est donc pas du nouveau lorsque cette comparaison est ensuite appliquée à Aix-la-Chapelle et à Bamberg. Les éléments de description ou de louange de la ville sont depuis l’Antiquité et au cours du Moyen Âge extrêmement stables, comme l’a déjà fait remarquer Carl Joachim Classen288. On ne retrouve dans les textes étudiés, concernant l’Europe centrale, guère d’aspects qui n’avaient pas trouvé place chez les auteurs classiques et dans les recommandations des rhéteurs grecs et romains. Les différences se retrouvent plutôt dans un transfert des accents et des priorités. C’est dans ces changements que l’on observe de réelles transformations de la conceptualisation de l’urbs et de la civitas. Ce déplacement d’intérêts et d’attention est déjà présent dans la tradition qui s’est perpétuée en Europe occidentale, mais il est décidément encore plus prononcé dans les 281

Abbon de Saint-Germain, Bella Parisiacae urbis, dans P. von Winterfeld (éd.), Poetae latini medii aevi, t. IV, Berlin, 1899 (M. G. H. Poetae latini medii aevi, t. IV), p. 79-121. 282 Heiric d’Auxerre, Vita sancti Germani, dans L. Traube (éd.), Poetae latini aevi Carolini, t. III, Berlin, 1896 (M. G. H. Poetae latini medii aevi, t. III), 1,338-372, p. 447-448. 283 Richer de Metz, dans R. Decker (éd.), Des Metzer Abtes Richerus Einleitung zu der Vita s. Martini und Loblied auf die Stadt Metz, dans Jahresberichte der Gesellschaft für nützliche Forschungen zu Trier, 1878/1881, p. 68. 284 Versus de Verona, cité p. 184, n. 268. 285 Paulin d’Aquilée, Versus de destructione Aquilegiae numquam restaurandae, dans E. Dümmler (éd.), Poetae latini aevi Carolini, t. I, op. cit., p. 142-144 ; Carmen de Aquilegia numquam restauranda, dans E. Dümmler (éd.), Poetae larini aevi Carolini, t. II, op. cit., p. 150. 286 Grabschrift des angeblichen Gründers von Trier, dans K. Strecker et G. Silagi (éd.), Die Ottonenzeit, Berlin, 1939 (M. G. H. Poetae latini medii aevi, t. V, fasc. II), p. 498-499. Voir E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 97-98 ; G. Theuerkauf, Accipe Germaniam pingentia carmina terram. Stadt- und Landesbeschreibungen des Mittelalters und der Renaissance als Quellen der Sozialgeschichte, dans Archiv für Kulturgeschichte, 65, 1983, p. 89-116. 287 E. Giegler, Das Genos..., op. cit., p. 116-118. 288 C. J. Classen, Die Stadt..., op. cit., p. 66-68.

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régions à l’est de l’ancien Empire romain. Parmi les éléments qui ont disparu ou ont grandement perdu en importance, on retrouve avant tout la culture littéraire, l’érudition, les institutions scolaires – l’urbs n’est plus guère perçue comme un centre culturel – mais également l’identification de l’agglomération avec les vertus de ses habitants, un motif courant dans l’Antiquité. L’élément le plus stable est celui des fortifications, déjà présent dans la littérature classique, mais devenant au Moyen Âge et en Europe centrale omniprésent. Parmi les aspects qui sont dorénavant mis de l’avant, il y a l’église et les bâtiments ecclésiastiques, les richesses et les activités commerciales, la notoriété. Ils forment maintenant les caractéristiques essentielles associées à la civitas. Mais ce qui frappe le plus, c’est malgré tout l’étonnante continuité dans l’imaginaire urbain. Les civitates à l’est du Rhin n’avaient rien à voir avec les villes romaines. Pourtant, on se mit à décrire avec un vocabulaire urbain provenu directement de l’Antiquité comme urbes ou civitates ce que l’on aurait autrement pu qualifier de simples forteresses, castra ou castella. Or, l’application de ce vocabulaire eut des conséquences qui dépassèrent considérablement des préoccupations purement linguistiques. En un processus long et complexe, on associa ainsi ces agglomérations et ces formes d’habitat à la tradition antique et on les plaça en directe continuité avec les traditions urbaines. La conception de l’urbs et de la civitas s’adapta mais ne changea pas fondamentalement. La civitas du haut Moyen Âge était beaucoup plus qu’une simple forme d’habitat : c’était avant tout un phénomène culturel. * Certains des éléments utilisés dans les descriptions de civitates ont un caractère fondamentalement objectif. C’est le cas des aspects géographiques utilisés pour situer les agglomérations dans l’espace. La perception des différentes parties des agglomérations évolue quant à elle au cours de la période étudiée : l’absence d’une notion d’ensembles urbanistiques formés de forteresses et des différents habitats des alentours se transforme en la perception d’une unité spatiale des éléments, qui devient de plus en plus distincte. Le vocabulaire objectif témoigne du fait qu’il s’agit dans ce cas de la part de nos auteurs d’une constatation, et non pas d’un aspect dont ils se seraient servi pour augmenter le prestige des agglomérations qu’ils décrivent. Les descriptions de fortifications se présentent en outre dans nos sources avec une insistance sur leur aspect défensif, sur leur efficacité à remplir leur rôle militaire, soit à tenir les ennemis en respect. Certains des éléments utilisés pour caractériser les formes d’habitat sont surtout d’ordre littéraire. À la localisation géographique s’ajoute parfois, de façon conséquente surtout dans l’œuvre d’Adam de Brême, une association des civitates avec des peuples : la plupart des groupes ethniques y sont identifiés à une civitas. Certains auteurs utilisent un artifice littéraire évocateur :

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celui de la personnification des civitates – elles représentent avant tout l’institution des sièges épiscopaux et, de manière secondaire, subordonnées à ceuxci, les agglomérations où ils se trouvent. Enfin, on rencontre à plusieurs reprises des comparaisons entre des civitates et Rome, Constantinople, Athènes ou Troie ; elles permettent de constater que l’on considérait les nouvelles civitates hors de l’ancien Empire romain comme étant des objets de même essence que les plus grandes villes de l’histoire universelle. De nombreux autres aspects des descriptions sont toutefois avant tout subjectifs. Il en va ainsi de certains éléments de géographie servant à caractériser – et non seulement à localiser – les agglomérations. Dans ces cas, la nature est décrite comme attrayante, fertile, contribuant à la qualité de vie des habitants. Les descriptions de fortifications comportent également des éléments de subjectivité, exprimés par des adjectifs évocateurs soulignant leur valeur prestigieuse. Ce qui importe est souvent la fascination qu’elles provoquent, leur beauté, leur élégance, leur aspect impressionnant. Quant aux bâtiments construits à l’intérieur des agglomérations, les auteurs s’intéressent presque exclusivement aux édifices de culte, qu’ils décrivent avec force détails et éléments subjectifs liés à leur apparence saisissante. Ce n’est que rarement le cas pour les édifices profanes, bien que les palais éveillent parfois un certain intérêt. Un élément récurrent dans les descriptions d’agglomérations est en outre celui des richesses : il ne fait guère de doute que, pour tous nos auteurs, l’opulence ait apporté renommée, prestige et reconnaissance pour une localité. L’insistance des auteurs sur cet aspect trahit l’importance de sa valeur subjective pour la perception des contemporains, et ce du IXe au XIIe siècle. Enfin, les civitates sont régulièrement décrites dans leur ensemble à l’aide d’éléments faisant référence à leur beauté, à leur taille, à leur apparence impressionnante : bien qu’entièrement subjectifs, ces aspects n’en participent pas moins à ce qui isolait ces agglomérations des autres, leur donnant une importance spécifique. Tous ces éléments n’ont pas la même valeur. Alors que les aspects défensifs, l’éminence des édifices de culte, l’abondance de richesses sont omniprésentes, les institutions culturelles, en revanche – comme les bibliothèques et les écoles épiscopales – ne sont que très rarement évoquées par nos auteurs. Peut-on considérer que ces éléments étaient applicables systématiquement, à des degrés divers, à toutes les civitates et urbes mentionnées à cette époque ? Pour la période carolingienne, les éléments de descriptions, qu’ils aient été objectifs – les différentes parties de l’agglomération – ou subjectifs – beauté, agrément, opulence, nature – que l’on pouvait associer à une certaine forme d’urbanisation, distinguant entre agglomérations de type urbain et toutes autres formes d’habitat, n’ont été évoqués que dans des textes hautement littéraires et poétiques, dont le meilleur exemple est l’épopée De Karolo rege et Leone papa. Dans les textes se référant, plutôt qu’à des constructions littéraires inspirées de l’Antiquité, à une réalité plus concrète, comme les annales, ces

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éléments étaient absents. Il serait donc imprudent et inapproprié de transférer ces éléments sur d’autres sources. Les civitates des Slaves des Annales royales n’étaient aucunement des répliques en miniature de l’Aix-la-Chapelle de l’épopée. Il en va autrement pour les sources du Xe, XIe et du début du XIIe siècle, où les éléments étudiés sont répartis de manière plus uniforme. Certes, toutes les civitates évoquées par Widukind, Thietmar ou le chroniqueur anonyme de Pologne ne devaient pas être systématiquement opulentes, prestigieuses et comparables à Constantinople. Toutefois, les éléments caractéristiques que nous avons pu faire ressortir participaient sans doute implicitement, à des degrés très variés, aux conceptions que l’on avait des civitates. Ils contribuaient aux connotations, aux sous-entendus de l’imaginaire de la civitas, de l’urbs289. Il est loin d’être certain que ces éléments subjectifs aient eu moins d’importance pour l’idée que se faisaient les contemporains de ce qu’était une civitas. Si on pouvait le leur demander, ils répondraient sans doute que, certes, une civitas est caractérisée par des fortifications et, éventuellement, par des faubourgs. Mais ils auraient sans doute ajouté que ce qui fait la distinction d’une civitas – ou, à tout le moins, des plus importantes civitates – , c’est aussi un niveau de richesse plus élevé, un certain ensemble urbanistique harmonisé, voire une identité propre, une apparence impressionnante et imposante, une notoriété dépassant les frontières de la région où elle se trouvait. C’est avant tout avec l’ajout d’éléments subjectifs que se forma l’idée d’une identité propre à un type d’agglomération, différent des autres formes d’habitat, ce qui à son tour influença la perception de la réalité.

289

Il est frappant de constater que les éléments retenus par Walter Schlesinger correspondent parfaitement aux principaux éléments que nous avons reconnus comme étant décrits de manière objective par nos sources : principalement les fortifications et la division de l’agglomération en plusieurs parties. Tous les autres éléments, avérés comme participant des descriptions subjectives des auteurs de nos sources, ont été délaissés par l’historien allemand. W. Schlesinger, Burg..., cité p. 12, n. 10, p. 147 ; id., Über mitteleuropäische..., cité p. 12, n. 10, p. 53.

CHAPITRE IV

FORTERESSES ET HABITAT D’APRÈS LES SOURCES ARCHÉOLOGIQUES

L

es études sur les forteresses et l’habitat en Europe centrale et nordique au haut Moyen Âge ont connu depuis une quinzaine d’années un renouvellement rigoureux à la suite de nouvelles campagnes archéologiques. Celles-ci ont bénéficié de méthodes permettant des résultats d’une précision inédite, entre autres en ce qui a trait à la datation, radicalement transformée par l’apport de la dendrochronologie. Dans l’Allemagne réunifiée, des entreprises d’envergure comme les fouilles de Groß Strömkendorf1 ou les projets interdisciplinaires « Germanen – Slawen – Deutsche »2 et, plus récemment, « Slawen an der unteren Mittelelbe »3 ont produit une quantité inespérée de nouveaux matériaux, tandis qu’en Pologne et en République tchèque, une jeune génération de chercheurs s’est intéressée à des aspects jusque-là négligés4. Des interprétations neuves ont complété ces recherches, libérées du lourd carcan idéologique qui, encore récemment, accompagnait les travaux sur cet aspect fondamental de la culture matérielle5.

1

H. Jöns, F. Lüth et M. Müller-Wille, Ausgrabungen auf dem frühgeschichtlichen Seehandelsplatz von Groß Strömkendorf, Kr. Nordwestmecklenburg. Erste Ergebnisse eines Forschungsprojektes, dans Germania, 75,1, 1997, p. 193-221. 2 F. Biermann, Slawische…, op. cit., passim ; J. Henning, Vorwort, dans F. Biermann, Slawische…, op. cit., p. 6. 3 K.-H. Willroth, DFG-Projekt : Die slawische Besiedlung an der unteren Mittelelbe. Untersuchungen zur ländlichen Besiedlung, zum Burgenbau, zu Besiedlungsstrukturen und zum Landschaftswandel. Einführung, dans Archäologisches Nachrichtenblatt, 12, 3, 2007, p. 261-263. Les campagnes de fouilles se sont terminées en 2008 ; les publications sont en cours. 4 Voir par exemple J. Piekalski, Od Kolonii do Krakowa. Przemiana topografii wczesnych miast, Wrocław, 1999 (Monografie archeologiczne. Uniwersytet Wrocławski, 4), traduction allemande : Von Köln nach Krakau. Der topographische Wandel früher Städte, Bonn, 2001 (Zeitschrift für Archäologie des Mittelalters. Beiheft, 13) ; S. Moździoch, Castrum munitissimum Bytom. Lokalny ośrodek władzy w państwie wczesnopiastowskim, Varsovie, 2002 ; J. Klápště, Proměna českých zemí ve středověku, Prague, 2005 (Česká historie). 5 S. Moździoch, The Origins…, art. cit., passim ; id., Problemy badań nad początkami miast i wsią wczesnośredniowieczną w Polsce, dans Slavia Antiqua, XXXVIII, 1997, p.  39-63  ; P. Urbańczyk, Wczesna urbanizacja ziem polskich, dans C. Buśko, J. Klápště, L. Leciejewicz et S. Moździoch (éd.), Civitas et villa. Miasto i wieś w średniowiecznej Europie środkowej, Wrocław et Prague, 2002, p. 37-47 ; J. Henning, Germanen…, art. cit., passim ; S. Brather, Archäologie..., op. cit., p. 9-29.

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chapitre iv

Ill. 1: Hünenburg, vue aérienne. D’après : I. Heske, Die Hünenburg bei Watenstedt, Ldkr. Helmstedt – Eine ur- und frühgeschichtliche Befestigung und ihr Umfeld, Neumünster, 2006 (Göttinger Schriften zur Vor- und Frühgeschichte, 29), p. 21.

Comme le montrent les résultats de ces investigations, les forteresses et les autres agglomérations ont pris diverses formes au cours des siècles faisant l’objet de notre étude, allant du petit fortin en bois jusqu’à l’emporium non fortifié et au centre d’habitat comprenant diverses unités reliées dans un ensemble complexe. Ce qui nous intéressera ici sera principalement la topographie de ces formes d’habitat ainsi que leur aspect extérieur. Nous commencerons par une présentation synthétique des principales variétés d’habitat qui, d’une manière ou d’une autre, se distinguaient des établissements à caractère fondamentalement rural. Il ne peut aucunement s’agir dans le cadre restreint de ce chapitre d’un examen exhaustif ; on doit plutôt s’attendre à des exemples représentatifs et à des indications sur les tendances actuelles de la recherche. Après avoir présenté quelques forteresses ayant joué un rôle dans les guerres saxonnes de l’époque carolingienne puis les agglomérations fortifiées dites de Grande-Moravie, nous nous tournerons vers les places fortes des Slaves de l’Elbe, puis ensuite vers les forteresses dites « princières » et autres complexes multipartites, et enfin vers les sites portuaires autour de la mer Baltique. Enfin, nous donnerons un court aperçu des forteresses des peuples baltes. Cette présentation succincte se veut surtout descriptive ; pour chaque catégorie, nous tenterons d’en dégager les caractéristiques essentielles.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 193

Ill. 2 : Hünenburg, plan des fouilles. D’après : I. Heske, Die Hünenburg bei Watenstedt, Ldkr. Helmstedt – Eine ur- und frühgeschichtliche Befestigung und ihr Umfeld, Neumünster, 2006 (Göttinger Schriften zur Vor- und Frühgeschichte, 29), p. 32.

Ce n’est que dans une deuxième étape que sera tentée une confrontation des résultats de l’analyse des sources écrites effectuée dans les chapitres précédents avec les conclusions des recherches archéologiques. Il s’agira principalement de comparer les éléments considérés comme caractéristiques des civitates, emporia et autres formes d’habitat dans le discours des sources latines avec ce que les fouilles permettent de reconstruire de la morphologie de ces agglomérations. Cette approche permettra de reconnaître les points où la réalité matérielle a influencé les descriptions des auteurs des textes, ainsi que d’éclairer les aspects à propos desquels le discours se développa de manière autonome. Les forteresses des guerres saxonnes Les forteresses des guerres saxonnes, qu’il s’agisse de celles construites par les Saxons et évoquées par les sources écrites, ou de celles érigées par les Francs pour protéger leurs frontières, sont encore peu connues. Certaines de ces places fortes ont toutefois été identifiées et ont fait l’objet de fouilles. Ces travaux permettent à tout le moins de se faire une idée approximative – malgré de nombreux points d’interrogation – de la morphologie de ces sites.

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chapitre iv

La forteresse de Hohseoburg, mentionnée à plusieurs reprises dans les annales franques6, a pu être identifiée avec la place forte dite Hünenburg, près de Watenstedt en Basse-Saxe. Cette localisation a été proposée il y a plusieurs décennies déjà, car la situation géographique de la Hünenburg correspond à ce que l’on peut déduire des passages des annales. Les travaux récents d’Immo Heske soutiennent cette hypothèse7. Il s’agit d’un site d’origine préhistorique, dont la dernière phase d’utilisation peut être attribuée au VIIIe siècle. La datation de cette dernière phase n’est certes pas absolument certaine, mais l’ensemble des indices pointe dans cette direction. La forteresse est située sur l’élévation naturelle du Heeseberg et a la forme d’un ovale irrégulier (ill. 1, ill. 2). Le puissant mur d’enceinte entoure un espace de 210 m x 160 m, soit couvrant 2,5 ha. Les fortifications et l’habitat préhistoriques ont leur origine au néolithique tardif et connurent un essor – comme en témoigne l’abondance des trouvailles – lors de l’âge du bronze tardif et au début de l’âge du fer. Mais l’agglomération fortifiée fut également utilisée au cours de la période des migrations et du haut Moyen Âge8. La phase d’occupation de la forteresse que Heske désigne comme la septième apparut après une période au cours de laquelle le site avait été abandonné9. On érigea alors un mur massif en pierre sans mortier. Lors de la phase suivante, la huitième, le mur fut détruit et reconstruit, prenant de nouvelles dimensions et étant plus haut qu’auparavant. On a retrouvé dans les restes du mur de pierre des fragments de céramique vaguement datée entre le Ve et le VIIe siècle. Il semble que ces fragments soient parvenus dans le mur lors de la dernière phase de construction, alors qu’on aurait utilisé de la terre provenant des strates précédentes d’utilisation du site, ce qui voudrait dire que la dernière période d’occupation serait postérieure à celle de la datation de cette céramique. En outre, Heske démontre que la technique utilisée pour la construction du mur de pierre n’est aucunement attestée dans la région à la fin de l’Antiquité et au tout début du Moyen Âge et n’était alors que très rarement employée dans le sud de l’Allemagne. En revanche, l’utilisation de pierre pour les fortifications étonne un peu moins aux VIIe et VIIIe siècles et est confirmée

6

ARF, a. 743, p. 4 ; Annales Mettenses priores, éd. B. von Simson, Hanovre, 1905 (M. G. H. Scriptores rerum Germanicarum in usum scholarum separatim editi, 10), a. 748, p. 41. 7 I. Heske, Die Hünenburg bei Watenstedt, Ldkr. Helmstedt – Eine ur- und frühgeschichtliche Befestigung und ihr Umfeld, Neumünster, 2006 (Göttinger Schriften zur Vor- und Frühgeschichte, 29), p. 194-195. Paul Grimm avait proposé comme localisation Seeburg, près d’Eisleben. Voir P. Grimm, Funde auf dem Schloß Seeburg, Kr. Eisleben, dans Ausgrabungen und Funde, 10, 1965, p. 42-45 ; H. Brachmann, Der frühmittelalterliche Befestigungsbau in Mitteleuropa. Untersuchungen zu seiner Entwicklung und Funktion im germanisch-deutschen Bereich, Berlin, 1993 (Schriften zur Ur- und Frühgeschichte, 45), p. 127. 8 I. Heske, Die Hünenburg..., op. cit., p. 156-178, 186-195. 9 I. Heske, Die Hünenburg..., op. cit., p. 42-44.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 195

en plusieurs endroits chez les Francs, parfois avec du mortier. L’attribution du mur de pierre à cette période s’appuie donc sur plusieurs arguments, et si on accepte l’hypothèse concernant la datation, on peut croire qu’il s’agit de Hohseoburg10. On en sait trop peu sur l’occupation de l’espace à l’intérieur de la forteresse pour pouvoir produire des affirmations solides. Wolf-Dietrich Steinmetz a supposé – avant que ne commencent les fouilles dirigées par Immo Heske – qu’il se serait s’agit d’un « lieu de résidence princière » (un Fürstensitz) ayant également servi de refuge pour les habitants des environs, ce que les archéologues allemands désignent comme une Fluchtburg11. L’interprétation du site comme Fürstensitz s’appuie principalement sur le fait que la place forte est à plusieurs reprises évoquée dans les annales franques en lien avec un chef saxon nommé Thierry, qui apparemment s’y trouva à plusieurs reprises. Ce sont surtout les dimensions imposantes de la forteresse et de l’espace enclos par l’enceinte qui amènent Steinmetz à croire qu’elle servait de Fluchtburg. Hansjürgen Brachmann, contrairement à Steinmetz, croyait plutôt que de telles installations n’avaient pas été habitées en permanence et ne servaient que de refuge en cas de danger12. Toutefois, nous en savons encore trop peu pour pouvoir confirmer l’une ou l’autre de ces suppositions. La forteresse saxonne d’Eresburg, évoquée à plusieurs reprises dans les annales franques13, a été localisée déjà par la tradition médiévale sur la colline d’Obermarsberg, qui fait aujourd’hui partie du territoire de la ville de Marsberg, en Rhénanie du Nord-Westphalie14. La colline, surplombant la rivière Diemel, est couronnée par un plateau irrégulier ayant la forme d’un ovale aux extrémités angulaires, d’une longueur de 900 m et d’une largeur de 350 m. Des fortifications du haut Moyen Âge, plus rien n’est visible aujourd’hui. Ce n’est qu’en 1979 que, lors de travaux de construction, des fouilles limitées ont pu avoir lieu. Sous les restes de bâtiments élevés entre le XIIIe et le XVIIe siècle, on a trouvé les traces de fortifications érigées en quatre phases : une enceinte en bois qui a été renouvelée, puis un mur en terre et en bois, enfin un mur de pierre. Les phases n’ont pu être datées, mais on a trouvé un fragment

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I. Heske, Die Hünenburg..., op. cit., p. 194-195. W.-D. Steinmetz, Ostfalen, Schöningen und Ohrum im 8. Jahrhundert. Merowinger und Karolinger zwischen Harz und Heide, Gelsenkirchen, 1998, p. 37-41, 46. 12 H. Brachmann, Der frühmittelalterliche..., op. cit., p. 130-131. 13 ARF, a. 772, p. 32-34 ; a. 775, p. 40 ; a. 776, p. 44 ; a. 780, p. 56 ; a. 785, p. 68. 14 G. Mildenberger, Eresburg. Archäologisches, dans Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, vol. 7, 1989, p. 477-478 ; A. Doms, Wallburgen im Paderborner und Corveyer Land, Paderborn, 1989 (Heimatkundliche Schriftenreihe, 20), passim ; C. Schuchhardt, Die frühgeschichtlichen Befestigungen in Niedersachsen, Bad Salzufen, 1924 (Niedersächsische Heimatbücher. Reihe 2, 3), p. 37 ; W. Best, R. Gensen et P. R. Hömberg, Burgenbau in einer Grenzregion, dans C. Stiegemann et M. Wemhoff (éd.), 799..., op. cit., p. 332-340. 11

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de céramique du VIIIe siècle. Rien ne permet cependant de reconstruire le tracé du mur d’enceinte. S’il est improbable que la forteresse ait couvert le plateau en entier, soit l’espace démesuré de 28 ha, on ne sait pas si elle ne s’étendait que sur la partie septentrionale de la colline ou s’il s’agissait d’un ensemble multipartite avec une place forte et une sorte de basse-cour, fortifiée ou non. Quant à ce qui se trouvait à l’intérieur de l’enceinte, on n’en sait strictement rien. Outre ces deux sites, un certain nombre de forteresses a pu être attribué, avec des degrés variables de probabilité, aux Saxons de la période des guerres de Charlemagne. Malgré l’état déficient des recherches, les ressemblances qui ont pu être observées sont frappantes : de dimensions remarquables – avec une moyenne d’environ 7 ha pour l’espace à l’intérieur de l’enceinte – , elles sont toujours situées en hauteur, sur des plateaux. Elles ont également en commun l’absence de constructions à l’intérieur des enceintes : si l’on pourrait penser que cela soit dû à l’état insatisfaisant des fouilles, on avouera tout de même que l’homogénéité des résultats laisse supposer que de telles places fortes aient servi à la protection de la population plutôt que comme lieux de résidences des élites15. Au cours des guerres saxonnes du VIIIe siècle, il n’y a pas que les places fortes des Saxons qui sont évoquées par les sources écrites. Parmi les forteresses qu’ont érigées les Francs aux frontières de leur Empire, celle dite d’ « Oldenburgskuhle » près d’Itzehoe dans le Schleswig-Holstein, qui est fort probablement l’Esesfelth des Annales royales, a été particulièrement bien étudiée16. Le site a fait l’objet de fouilles entre 1977 et 1981, dirigées par Gottfried Schäfer et Hans Joachim Kühn17. La forteresse se trouvait sur une élévation naturelle au milieu d’un terrain plat, près de la rivière Stör. Une première phase de fortifications est attestée par deux rangées de fosses, creusées parallèlement à une distance de 5 à 6 m. On y a retrouvé des tessons de céramique appartenant au haut Moyen Âge. Les restes du mur de terre de la deuxième phase ont pu être repérés. Le mur suivait la bordure de l’élévation, formant apparemment – bien qu’une partie des restes de la forteresse ait été détruite par la construction d’une route fédérale – un ensemble trapézoïdal. La superficie à l’intérieur de l’enceinte couvrait un hectare. Sur les côtés adjacents à la rive de la Stör, la fosse est peu profonde, puisque le terrain marécageux formait une protection naturelle. Le 15 H. Jankuhn, Die sächsischen Burgen der karolingischen Zeit, dans H. Patze (éd.), Die Burgen im deutschen Sprachraum. Ihre rechts- und verfassungsgeschichtliche Bedeutung, Sigmaringen, 1976 (Vorträge und Forschungen, XIX), vol. I, p. 359-382 ; W. Best, R. Gensen et P. R. Hömberg, Burgenbau..., cité p. 195, n. 14, p. 332-344. 16 ARF, a. 809, p. 129 ; a. 817, p. 147 ; Chronicon Moissiacense, op. cit., a. 810, p. 309. 17 G. Schäfer, Archäologische Untersuchungen bei der « Oldenburgskuhle » in Itzehoe 1978-1979, dans Steinburger Jahrbuch, 24, 1980, p. 259-265 ; H. J. Kühn, Esesfeld. Archäologisches, dans Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, vol. 7, 1989, p. 567-571.

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double fossé présentait en revanche un obstacle important sur le côté situé au nord-est. On pouvait pénétrer dans la forteresse par un pont de terre traversant le double fossé et recouvert d’un pavement de pierre. En outre, un fossé supplémentaire se trouvait à une certaine distance, protégeant l’espace s’étendant aux pieds de l’enceinte. Les traces de travaux de restauration attestent une troisième phase d’existence de la place forte, qui n’apporta cependant pas de changements notables. L’ensemble du site est daté par des fragments de céramique attribuée au IXe siècle ; une datation plus précise n’est guère possible. Il est en outre à remarquer que les tessons proviennent en grande majorité des fossés et qu’on n’a pu repérer de traces d’habitation à l’intérieur de l’enceinte. Comme le fait remarquer Hans Joachim Kühn, la place forte ne se trouvait pas dans les environs des routes importantes, qui passaient à quelques kilomètres plus à l’est. Selon toute apparence, on a choisi cet endroit avant tout à cause des conditions favorables à un site défensif, sur une élévation naturelle près de la rivière18. Ce sont donc les fonctions militaires qui furent déterminantes. Le type de fortifications n’était pas très différent de celui d’autres forteresses frontalières franques de l’époque19, dont Büraburg, le siège épiscopal fondé par Boniface20. Les sites des forteresses saxonnes de Hohseoburg et d’Eresburg sont donc caractérisés principalement par leur position en hauteur qui leur conférait une apparence impressionnante, dominant le paysage. Quant à une place forte comme celle d’ « Oldenburgskuhle » chez les Francs, c’est apparemment avant tout son rôle militaire qui détermina son emplacement et sa morphologie. Les agglomérations fortifiées dites de Grande-Moravie La localisation géographique du peuple slave que les sources du IXe siècle nomment « Moraves » – la dénomination grecque μεγάλη Μοραβία (« GrandeMoravie »), couramment reprise par les chercheurs, est du Xe siècle – fait l’ob-

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H. J. Kühn, Esesfeld…, art. cit., p. 571. Plusieurs indices semblent démontrer des fonctions principalement militaires pour d’autres forteresses frontalières des Francs, attribuées à cette période, comme Christenberg, Büraburg ou Gaulskopf. Voir W. Best, R. Gensen et P. R. Hömberg, Burgenbau…, cité p. 195, n. 14, p. 328332, 340-343. 20 J. Henning, Civilization Versus Barbarians ? Fortification Techniques and Politics in the Carolingian and Ottonian Borderlands, dans F. Curta (éd.), Borders, Barriers, and Ethnogenesis. Frontiers in Late Antiquity and the Middle Ages, Turnhout, 2005 (Studies in the Early Middle Ages, 12), p. 27-30 ; J. Henning and R. I. Macphail, Das karolingerzeitliche Oppidum Büraburg : Archäologische und mikromorphologische Studien zur Funktion einer frühmittelalterlichen Bergbefestigung in Nordhessen, dans B. Hänsel (éd.), Parerga Praehistorica. Jubiläumsschrift zur prähistorischen Archäologie – 15 Jahre UPA, Bonn, 2004, p. 221-251. 19

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jet depuis longtemps de nombreux débats. Les tentatives d’Imre Boba21, de Charles Bowlus22 et de Martin Eggers23 de situer les Moraves en actuelle Hongrie ou aux confins de la Serbie et de la Roumanie ont été sévèrement critiquées, mais ont à tout le moins eu le mérite d’attirer l’attention sur le fait que les sources écrites de l’époque sont très vagues et que tout essai de localisation définitive des Moraves, des lieux de résidence de leurs princes ainsi que de l’étendue de l’influence de ceux-ci est voué à l’incertitude. On conviendra, en s’appuyant sur l’étude détaillée de Thomas Lienhard qui privilégia les sources contemporaines des événements plutôt que celles plus tardives, que l’hypothèse la plus plausible est celle qui situe le cœur de la Moravie « sur la rive gauche du Danube, dans l’espace couvert aujourd’hui par la République tchèque, par la Slovaquie ou par le Nord-Ouest de la Hongrie »24. Quant aux sites impressionnants traditionnellement attribués à la « Grande-Moravie » et généralement datés du IXe siècle, on se méfiera de toute tentative imprudente de les identifier avec les peuples et les princes connus des sources écrites, sachant que l’étendue du territoire sur lequel s’étendait leur influence reste impossible à déterminer avec précision. Des explications alternatives à celle mettant en scène les Moraves ont déjà été proposées : il pourrait s’agir d’agglomérations ayant appartenu à des groupes de population issus du démantèlement de l’empire des Avars. Les sites en question méritent malgré tout d’être présentés et principalement, à titre d’exemples représentatifs, ceux de Mikulčice et de Pohansko.   La forteresse de Mikulčice n’est connue d’aucune source écrite mais a fait l’objet de fouilles intensives organisées par l’archéologue Josef Poulík, qui depuis 1954 a dirigé pas moins de 38 campagnes de fouilles. Cela en fait l’un des sites les mieux connus du haut Moyen Âge en actuelle République tchèque25. La forteresse principale (Hauptburg) est composée d’un mur d’enceinte en terre et en bois entourant une superficie de 7,7 ha. C’est dans la partie

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I. Boba, Moravia’s History Reconsidered. A Reinterpretation of Medieval Sources, La Haye, 1971, passim. 22 C. R. Bowlus, Franks, Moravians, and Magyars. The Struggle for the Middle Danube, 788-907, Philadelphie, 1995 (Middle Ages Series), passim. 23 M. Eggers, Das « Großmärische Reich. » Realität oder Fiktion ? Eine Neuinterpretation der Quellen zur Geschichte des mittleren Donauraumes im 9. Jahrhundert, Stuttgart, 1995 (Monographien zur Geschichte des Mittelalters, 40), passim ; id., Das Erzbistum des Method. Lage, Wirkung und Nachleben der kyrillomethodianischen Mission, Munich, 1996 (Slavistische Beiträge, 339), passim. 24 T. Lienhard, « Les Chiens... », op. cit., p. 91. 25 L. Poláček, Mikulčice, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas Mitte um 1000. Beiträge zur Geschichte, Kunst und Archäologie. Handbuch zur Ausstellung, Stuttgart, 2000, vol. 1, p. 317-322 ; G. Bührer-Thierry, Un centre politique et religieux en Grande Moravie : Mikulčice, dans F. Bougard (éd.), Le Christianisme en Occident du début du VIIe siècle au milieu du XIe siècle. Textes et documents, Paris, 1997 (Regards sur l’histoire. Histoire médiévale, 117), p. 265-268.

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septentrionale de l’espace fortifié, plus élevé, que se trouvaient des bâtiments de pierre : plusieurs églises et un édifice interprété comme étant un palais. Autour des lieux de culte s’étendaient des nécropoles. À l’ouest de la forteresse se déployait une agglomération secondaire de forme ovale allongée, également entourée d’un mur d’enceinte. On n’y trouvait en revanche ni églises, ni bâtiments de pierre ou nécropoles. L’espace à l’intérieur de cette enceinte, couvrant 2,4 ha, était occupé par des constructions d’habitation en bois. Au nord et nord-est de la forteresse bipartite se déployait un vaste espace habité, séparé en trois parties distinctes par les bras de la rivière Morava qui les entouraient comme des îles. Au total, la superficie de la place forte et des espaces habités l’entourant couvrait une cinquantaine d’hectares. Ces établissements non fortifiés comportaient également, en plus des édifices d’habitation, des églises et des nécropoles. L’agglomération existait sans doute déjà au VIIIe siècle, ce dont témoignent des artefacts associés à la culture des Avars. C’est toutefois apparemment au IXe siècle que le site connut son expansion maximale et c’est à cette époque que sont attribuées les nombreuses trouvailles attestant la richesse et le prestige des habitants. Les pièces de monnaie sont trop peu nombreuses pour permettre de conclure que le commerce ait joué un rôle important, mais elles donnent quelques indications sur la période d’occupation du site. On a trouvé un solidus byzantin de Michel III (règne : 842-867) ainsi que trois deniers d’Italie septentrionale : deux de l’empereur et roi d’Italie Lambert II (règne : 894-898) et une de Bérenger Ier, également roi d’Italie (règne : 887-924). Au Xe siècle, la population diminua considérablement et l’agglomération perdit son importance. Seules quelques habitations dispersées continuèrent à exister jusqu’au XIIIe siècle, au moment où le site fut définitivement abandonné. C’est avant tout la vaste étendue de l’espace habité formant l’agglomération de Mikulčice qui est exceptionnelle pour l’époque, les différentes parties de l’habitat étant certes séparées par les murs d’enceintes ou les bras de la rivière, mais donnant malgré tout l’impression d’un complexe cohérent, les différents espaces étant tous situés dans les environs immédiats les uns des autres. On peut parler d’un ensemble multipartite de dimensions hors du commun. Toute aussi étonnante par l’étendue globale du site est la forteresse de Pohansko, près de Břeclav en République tchèque actuelle. Elle était située à quelques kilomètres en amont de l’embouchure de la Thaya dans la Morava. Le site a été fouillé depuis 1958 et jusqu’à aujourd’hui par les archéologues de l’Université de Brno. Les travaux les plus récents ont été menés par Jiří Macháček26.

26 J. Macháček., Pohansko bei Břeclav, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas…, op. cit., vol. 1, p. 330-331 ; id., Raně středověké Pohansko u Břeclavi : munitio, palatium, nebo emporium moravských panovníků ?, dans Archeologické rozhledy, LVII, 2005, p. 100-138 ; id., The Rise of Medieval Towns and States in East Central Europe. Early Medieval Centres as Social

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Ill. 3: Pohansko, plan du site. D’après : Jiří Macháček, Institut d’Archéologie et de Muséologie, Université Masaryk, Brno, République tchèque.

L’endroit fut très tôt habité et il semble qu’il fut occupé entre le VIe et le VIIIe siècle avant que ne soit érigé le mur d’enceinte au IXe siècle. Après une période d’expansion maximale au IXe siècle, le site fut abandonné au siècle suivant. Le mur en terre et en bois, d’aspect imposant, entourait un espace de forme ovale de 28 ha (ill. 3). La porte de l’enceinte, faisant face à un pont traversant la rivière, se trouvait sur le côté oriental. Au nord-ouest de l’espace compris à l’intérieur de l’enceinte a été découvert un complexe entouré d’une palissade traçant une forme carrée, interprété comme une cour de type princier (ill. 4). En plus d’une église en pierre accompagnée d’une nécropole y existaient des édifices avec fondations de pierre, dont l’apparence impressionnante servait sans doute à représenter le pouvoir and Economic Systems, Leiden et Boston, 2010 (East Central and Eastern Europe in the Middle Ages, 450-1450, 10), p. 33-430.

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Ill. 4 : Pohansko, « cour princière ». D’après : B. Dostál, Břeclav-Pohansko IV. Velkomoravský velmožský dvorec, Brno, 1975.

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du prince local, ainsi que des édifices utilitaires. Jiří Macháček constate une certaine ressemblance – compte tenu des bâtiments représentatifs profanes et religieux – entre l’ensemble de Pohansko et les palais carolingiens et ottoniens comme Ingelheim27 et Tilleda28. Des constructions et ateliers d’artisans, groupés en petits îlots d’habitat séparés les uns des autres par des clôtures ou par des espaces libres de construction, occupaient le reste de la superficie à l’intérieur de l’enceinte. On y retrouvait aussi des sépultures isolées ou en petits groupes. L’occupation de l’espace était similaire dans une sorte de faubourg fortifié adossé au mur méridional de l’enceinte. Pohansko présente une image globale fort différente de Mikulčice. Certes, on peut admettre que l’espace à l’intérieur de l’enceinte suivait également un schéma multipartite. Cependant, c’est ici l’ensemble complet de l’agglomération – et ce malgré ses vastes dimensions – qui fut entourée d’une enceinte : on retrouvait à l’intérieur des murs à la fois la « cour princière », elle-même entourée d’une palissade, et les divers îlots d’habitation ainsi que les nécropoles. Cela donnait à l’ensemble une impression de cohérence beaucoup plus grande29. Les dimensions de ces sites fortifiés n’avaient aucunement leur pareil à leur époque. En d’autres régions, ce n’est qu’à des époques beaucoup plus tardives que l’on retrouva des agglomérations de telle envergure et avec autant d’édifices monumentaux. Le contraste est encore plus saisissant lorsqu’on compare ces forteresses avec celles des Slaves de l’Elbe lors de la même période30. Les forteresses des Slaves de l’Elbe Parmi les vagues de forteresses construites par les Slaves de l’Elbe, on peut reconnaître plusieurs phases distinctes. La plus ancienne période est caracté27

H. Grewe, Die Ausgrabungen in der Königspfalz Ingelheim am Rhein, dans L. Fenske (éd.), Splendor palatii. Neue Forschungen zu Paderborn und anderen Pfalzen der Karolingerzeit, Göttingen, 2001 (Deutsche Königspfalzen. Beiträge zu ihrer historischen und archäologischen Erforschung, 5. Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte, 11,5), p. 155-174 ; id., Neue Ergebnisse zur Sozialtopographie der Kaiserpfalz Ingelheim, dans Archäologie in Rheinland-Pfalz, 2004, p. 86-88. 28 M. Dapper, Die ottonische Pfalz Tilleda, dans K. G. Beuckers, J. Cramer et M. Imhof (éd.), Die Ottonen. Kunst – Architektur – Geschichte, Petersberg, 2002, p. 265-266 ; P. Grimm, Tilleda. Eine Königspfalz am Kyffhäuser. Teil 1. Die Hauptburg, Berlin, 1968 (Schriften der Sektion für Vor- und Frühgeschichte. Deutsche Akademie der Wissenschaften zu Berlin, 24), passim ; id., Tilleda. Eine Königspfalz am Kyffhäuser. Teil 2. Die Vorburg und Zusammenfassung, Berlin, 1990 (Schriften zur Ur- und Frühgeschichte, 40), passim. 29 On pourrait donner d’autres exemples, comme celui de Staré Město-Uherské Hradiště. Voir L. Galuška, Staré Město-Uherské Hradiště, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., op. cit., vol. 1, p. 323-326. 30 S. Brather, Archäologie..., op. cit., p. 130, 149.

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Ill. 5 : Reconstruction du fortin circulaire de Pennigsberg. Dessin de B. Fischer, dans : F. Biermann (éd.), Pennigsberg. Untersuchungen zu der slawischen Burg bei Mittenwalde und zum Siedlungswesen des 7./8. bis 12. Jahrhunderts am Teltow und im Berliner Raum, Weißbach, 2001 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte Mitteleuropas, 26), p. 341.

risée par des forteresses d’assez grandes dimensions, qui ont été délaissées à la fin du IXe et au début du Xe siècle au profit de fortins circulaires plus petits31. C’est surtout lors de la phase suivante, à la fin du Xe et au XIe siècle, que sont apparues ensuite de vastes complexes multipartites. La première phase d’érection de forteresses chez les Slaves, à la fin du VIIIe et au début du IXe siècle, attestée par les mentions des sources écrites, est encore peu connue par les fouilles archéologiques. La majorité de ces places fortes – comme celle de Feldberg – n’a été révélée que par des recherches déjà anciennes et souvent insuffisantes et n’est datée que vaguement par les typologies de céramique32. Toutefois, des fouilles ont eu lieu 31

F. Biermann Slawische..., op. cit., p. 94-96 ; id., Siedlung und Landschaft bei den nördlichen Westslawen im späteren 9. und 10. Jahrhundert, dans K.-H. Spieß (éd.), Landschaften im Mittelalter, Stuttgart, 2006, p. 62-63 ; F. Biermann et K. Frey, Ringwall und Macht. Über die Burgen des 9./10. Jh. am Teltow und im Berliner Raum, dans Przegląd Archeologiczny, 49, 2001, p. 80-81. 32 S. Brather, Karolingerzeitlicher Befestigungsbau im wilzisch-abodritischen Raum. Die sogenannten Feldberger Höhenburgen, dans J. Henning et A. T. Ruttkay (éd.), Frühmittelalterlicher Burgenbau in Mittel- und Osteuropa. Tagung Nitra vom 7. bis 10. Oktober 1996, Bonn, 1998, p. 115-126.

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tout récemment dans le cadre du projet « Slawen an der unteren Mittelelbe » qui ont permis d’identifier et de dater quelques unes de ces forteresses appartenant à la plus ancienne période de construction de fortifications chez les Slaves de l’Elbe. La place forte de Friedrichsruhe, dans le Sud-Ouest du Mecklembourg, étudiée par Sebastian Messal, avait une forme approximativement rectangulaire – une partie du mur d’enceinte a été aplanie au XIXe siècle – de 100 m x 80 m. Elle était accompagnée d’une sorte de basse-cour de 120 m de diamètre, à l’origine entouré d’un mur d’enceinte, qui n’existe plus mais a été révélé par la géophysique33. L’excellente conservation du bois a permis d’obtenir plusieurs datations par dendrochronologie, laissant voir les différentes phases de construction. Selon les résultats de la dendrochronologie, des premières fortifications sont apparues au tout début du IXe siècle à un endroit déjà habité depuis le milieu du VIIIe siècle. Les morceaux de bois proviennent des fortifications de la basse-cour, ce qui laisse supposer que l’ensemble de l’espace était entouré d’une enceinte lors de cette première phase. La forteresse principale est ensuite datée des années 830. Il s’agit d’un plus petit fortin, couvrant une partie seulement de la forteresse primitive. Des travaux de restauration furent ensuite entrepris au mur du petit fortin de même qu’au mur de l’enceinte d’origine dans les années 850, ce qui montre que ce dernier existait encore et était devenu le mur de la basse-cour. La dernière période de restauration des fortifications est datée de la fin des années 880, mais selon les trouvailles à l’intérieur de la forteresse, celle-ci aurait été habitée encore dans les décennies suivantes, pour être abandonnée au plus tard au milieu ou dans la seconde moitié du Xe siècle34. Une autre forteresse appartenant à la même période et située dans les environs de Lenzen a été fouillée sous la direction de Felix Biermann. Sur le site 33

H. Jöns et S. Messal, Teilprojekt 2 : Untersuchungen zur ländlichen Besiedlung, zum Burgenbau und zu Besiedlungsstrukturen an der Nordgrenze des linonischen Siedlungsgebietes – die slawische Burg von Friedrichsruhe, Lkr. Parchim, und ihr Umfeld, dans Archäologisches Nachrichtenblatt, 12, 3, 2007, p. 268-271 ; S. Messal, Slawen an der unteren Mittelelbe – Die slawische Burg von Friedrichsruhe, Lkr. Parchim, dans F. Biermann, T. Kersting et A. Klammt (éd.), Siedlungsstrukturen und Burgen im westslawischen Raum. Beiträge der Sektion zur slawischen Frühgeschichte der 17. Jahrestagung des Mittel- und Ostdeutschen Verbandes für Altertumsforschung in Halle an der Saale, 19. bis 21. März 2007, Langenweißbach, 2009 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte Mitteleuropas, 52), p. 131-135 ; S. Messal, Der slawische Burg-Siedlungskomplex Friedrichsruhe, Lkr. Parchim – Vorbericht zum Stand der Auswertung, dans Bodendenkmalpflege in Mecklenburg-Vorpommern. Jahrbuch, 58, 2010, p. 139-162. 34 S. Messal, Der slawische Burg-Siedlungskomplex von Friedrichsruhe, Lkr. Parchim – Vorbericht zum Stand der Auswertung, dans Bodendenkmalpflege in Mecklenburg-Vorpommern. Jahrbuch, 58, 2010, p. 145-148 ; I. Brandt, H. Jöns et S. Messal, Die slawische Burg von Friedrichsruhe, Lkr. Parchim, und ihr Umfeld (en préparation).

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de Neuehaus, on a pu distinguer une grande enceinte ovale de 120 m de long et, à l’intérieur de celle-ci, un petit fortin circulaire. La mauvaise conservation du bois n’a pas permis de mettre à profit la dendrochronologie, mais une datation approximative des différentes phases à l’aide des artefacts indique que la grande forteresse apparut déjà à la fin du VIIIe siècle ou au plus tard au début du IXe. Quant à la plus petite enceinte, elle fut érigée à la fin du IXe et abandonnée dans la première moitié du Xe siècle. Des traces d’édifices d’habitation ont été repérées dans les deux forteresses35. Les fortifications des Slaves de cette première période étaient plus grandes que celles de la phase qui allait suivre. Cette tendance à remplacer les grandes forteresses par de petits fortins circulaires est particulièrement évidente dans les cas de Friedrichsruhe et de Neuehaus. Après ce rapide aperçu, nous pouvons nous tourner vers la deuxième époque de la construction de fortifications chez les Slaves. Pour qualifier les sites caractéristiques de cette période, nous désignons par « petit fortin circulaire » ce que les archéologues allemands nomment un Ringwall (littéralement, un «  mur d’enceinte en forme de cercle ») et les polonais un grodzisko (littéralement, un « petit fort »). Il s’agit d’une forme d’habitat fortifié qui se répandit de manière uniforme dans les régions habitées par les Slaves occidentaux aux IXe et Xe siècles. Ils ont été particulièrement bien étudiés en Basse-Lusace, dans la région de Berlin et en Mazovie. L’ensemble de Leuthen-Wintdorf en Basse-Lusace a existé au Xe siècle. Des fouilles y ont été dirigées par Felix Biermann en 1994 dans le cadre du projet « Germanen – Slawen – Deutsche »36. Il s’agit d’un fortin d’un diamètre de 65 m, habité probablement par plusieurs familles. Non loin du fortin se trouvait une petite agglomération non fortifiée37. Le mur de terre et de bois du fortin a été détruit en plusieurs étapes au cours de travaux visant à aplanir le terrain pour un usage agricole, dont les derniers ont eu lieu en 1952. Seule une petite partie du mur a pu être sauvée de la destruction. La forme exacte de l’enceinte ne se laisse donc pas reconstruire avec certitude. Une photo aérienne indique une forme ovale, mais ce peut être une déformation due au terrain légèrement en pente (ill. 6). L’observation du tracé du fossé au sol montre une forme plutôt ronde. D’après les fouilles, le diamètre du fortin dans un axe allant du nord-ouest au sud-est

35

F. Biermann et N. Goßler, Teilprojekt 1 : Untersuchungen zur ländlichen Besiedlung, zum Burgenbau und zu Besiedlungsstrukturen im linonischen Siedlungsgebiet der Westprignitz (Land Brandenburg), dans Archäologisches Nachrichtenblatt, 12, 3, 2007, p. 263-267 ; iid., Forschungen in der Westprignitz (en préparation). On peut également citer l’exemple de Lenzersilge, voir F. Biermann et N. Goßler, Teilprojekt 1..., passim ; iid., Forschungen..., passim. 36 F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 107-109. 37 F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 105.

206

chapitre iv

Ill. 6 : Fortin circulaire de Leuthen-Wintdorf, vue aérienne. D’après : F. Biermann, Slawische Besiedlung zwischen Elbe, Neiße und Lubsza. Archäologische Studien zum Siedlungswesen und zur Sachkultur des frühen und hohen Mittelalters. Ergebnisse und Materialien zum DFG-Projekt « Germanen – Slawen – Deutsche », Bonn, 2000 (Universitätsforschungen zur prähistorischen Archäologie, 65. Schriften zur Archäologie der germanischen und slawischen Frühgeschichte, 5), p. 108.

mesurait environ 65 m (ill. 7)38. La majorité des fortins de cette époque ont une forme comparable, soit ronde ou ovale39. Le fortin de Leuthen-Wintdorf est cependant l’un des plus grands en superficie. On ne connaît pas la hauteur du mur du fortin, mais on a pu observer que les murs d’enceintes, en d’autres sites de la région, mieux conservés, pouvaient atteindre 3 m (Tornow) ou même 4 m (Groß Beuchow, Freesdorfer Borchelt)40. La plupart des fortifications ne possédaient qu’une seule porte permettant de pénétrer à l’intérieur, une exception étant Raddusch qui en avait deux41. Les constructions à l’intérieur du fortin de Leuthen-Wintdorf se concentraient – d’après ce que laissent reconnaître les fouilles – le long du mur d’enceinte, mais on a également découvert les traces d’une construction au

38 39 40 41

F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 105-107, 112-113. C’est le cas, entre autres, de Lübbenau, Raddusch, Tornow, Vorberg. F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 127. F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 134.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 207

Ill. 7 : Plan des fouilles du site de Leuthen-Wintdorf. D’après : F. Biermann, Slawische Besiedlung zwischen Elbe, Neiße und Lubsza. Archäologische Studien zum Siedlungswesen und zur Sachkultur des frühen und hohen Mittelalters. Ergebnisse und Materialien zum DFG-Projekt « Germanen – Slawen – Deutsche », Bonn, 2000 (Universitätsforschungen zur prähistorischen Archäologie, 65. Schriften zur Archäologie der germanischen und slawischen Frühgeschichte, 5), p. 110.

milieu du terrain42. La prédilection pour les espaces jouxtant le mur d’enceinte pour l’érection des constructions correspond à un usage généralisé dans les fortins de Basse-Lusace. Les traces de foyers suggèrent qu’il s’agissait d’édifices d’habitation. Il est cependant frappant de constater – comme le démontre Felix Biermann – que l’on ne retrouve jamais dans ces fortins d’édifice, plus 42

F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 119-123.

208

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Ill. 8 : Fortin circulaire de Leuthen-Wintdorf et faubourg. Points : Tessons de céramique de type dit « slave ». Triangles : Tessons de céramique de type dit « allemand ancien ». D’après : F. Biermann, Slawische Besiedlung zwischen Elbe, Neiße und Lubsza. Archäologische Studien zum Siedlungswesen und zur Sachkultur des frühen und hohen Mittelalters. Ergebnisse und Materialien zum DFG-Projekt « Germanen – Slawen – Deutsche », Bonn, 2000 (Universitätsforschungen zur prähistorischen Archäologie, 65. Schriften zur Archäologie der germanischen und slawischen Frühgeschichte, 5), p. 142.

imposant que les autres. Les constructions de bois sont toutes d’une taille semblable. En outre, la présence répétée de puits à l’intérieur des enceintes laisse supposer que les fortins étaient habités en permanence43. 43

F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 135-140.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 209

Des restes de charbon de bois appartenant à la deuxième phase du fortin ont pu être datés par dendrochronologie, indiquant l’année 939. Puisqu’il ne semble pas y avoir eu de hiatus entre la première et la deuxième phase et qu’un fortin de terre et de bois ne pouvait guère exister plus de vingt à trente ans sans être restauré, on peut en conclure que les fortifications ont dû être érigées au début du Xe siècle. De la troisième phase ne témoigne que le fossé, dans lequel ont été retrouvés des tessons de céramique de type « slave tardif », daté entre la fin du Xe et le XIIe siècle. On ne peut donc guère dater l’abandon du site44. Près du fortin de Leuthen-Wintdorf se trouvait une agglomération non fortifiée (ill. 8). Sa superficie se laisse reconnaître par la concentration de fragments de céramique éparpillés sur un espace s’étendant de l’ouest à l’est sur 180 m, du nord au sud de 100 m, soit formant environ 1,8 ha. La présence d’une agglomération de ce genre dans les environs immédiats des fortifications a pu être démontrée pour la majorité des fortins de Basse-Lusace, celle de Leuthen-Wintdorf était cependant l’une des plus vastes45. D’après la céramique, elle semble avoir existé depuis le VIIIe ou IXe siècle et avoir perduré jusqu’au XIe, voire au XIIe siècle. La céramique la plus fortement représentée est celle de type dit « slave moyen », correspondant aux IXe et Xe siècles et donc à la période d’existence du fortin46. Plusieurs fortins de Mazovie sont très semblables à ceux de Basse-Lusace et de la région de Berlin47. Ils sont construits selon un modèle uniforme, ont tous une forme ronde ou ovale et leur modeste superficie varie peu. Ils sont souvent accompagnés d’une agglomération non fortifiée située dans les environs immédiats. Une caractéristique importante de ces petites forteresses consiste en le fait qu’elles ne sont à peu près jamais situées aux frontières : elles sont généralement à l’intérieur du territoire. Cela laisse supposer que leur fonction première n’était sans doute pas d’ordre stratégique48. La valeur défensive de ces

44

F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 123-124. F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 140-141. 46 F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 152-153. 47 Par exemple, le fortin de Sypniewo étudié par Felix Biermann. Voir F.  Biermann, Wczesnośredniowieczny kompleks osadniczy w Sypniewie, pow. Maków Mazowiecki, dans M. Dulinicz (éd.), Problemy przeszłości Mazowsza i Podlasia, Varsovie, 2005 (Archeologia Mazowsza i Podlasia. Studia i materiały, III), p. 249-262 ; F. Biermann, Sypniewo. Ein frühmittelalterlicher Burg-Siedlungskomplex in Nordmasowien / Wczesnośredniowieczny kompleks osadniczy na północnym Mazowszu, Varsovie, 2006 (Archeologia Mazowsza i Podlasia. Studia i materiały, IV), passim. Voir aussi M. Dulinicz, Mazowsze w IX – XIII w., dans id. (éd.), Problemy…, op. cit., p. 187-206. 48 S. Brather, Archäologie..., op. cit., p. 121. 45

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modestes constructions ne doit en outre pas être exagérée49. L’explication généralement proposée par les travaux récents, concernant l’apparition de ces sites, est que ces fortifications avaient une forte valeur symbolique. Elles marquaient une forme de distinction, de différenciation et de prestige. Cela n’indique toutefois pas nécessairement une forme de hiérarchisation sociale marquée, puisque ces constructions devaient être l’œuvre d’une communauté tout entière et que, dans le cas de populations dispersées et de collectivités modestes, elles ne pouvaient guère être érigées sans un certain assentiment de tous50. Malgré tout, on ne doit pas en conclure que leur rôle militaire ait été inexistant ; il ne donna cependant pas obligatoirement l’impulsion première. Forteresses dites « princières » et complexes multipartites L’ère de la multiplication des petits fortins chez les Slaves fut suivie par l’apparition de fortifications moins nombreuses mais plus imposantes et accompagnées de plus vastes agglomérations, aux Xe et XIe siècles. On retrouve cette tendance autant en Pologne et en Bohême qu’en Poméranie et chez les Abodrites. Il s’agissait en général d’ensembles d’habitat formés de plusieurs éléments plus ou moins reliés entre eux, remplissant plusieurs fonctions concentrées autour d’un même complexe. On désigne souvent certaines d’entre elles comme des forteresses « princières », lorsqu’on sait grâce aux sources écrites que des princes y résidaient. La forteresse d’Oldenburg ou Starigard chez les Wagriens, aujourd’hui dans le Holstein, est connue de plusieurs sources écrites51. Des fouilles archéologiques de longue haleine ont eu lieu entre 1973 et 1982 sous la direction de Karl Wilhelm Struve52. La datation des différentes phases de construction et d’agrandissement de la forteresse reste incertaine et approximative, car elle se fonde principalement sur la typographie des tessons de céramique et, à l’occasion, d’autres artefacts ; les fouilles ont cependant permis de reconstruire les

49

W. Szymanski, Beiträge zum Problem der Entstehung von Burgen bei den Slawen, dans Archaeologia Polona, XXI-XXII, 1983, p. 89-104 ; P. Urbańczyk, Wczesna urbanizacja..., cité p. 191, n. 5, passim ; Z. Kobyliński, Early Medieval Hillforts in Polish Lands in the 6th to the 8th Centuries  : Problems of Origins, Function, and Spatial Organization, dans D.  Austin et L. Alcock (éd.), From the Baltic to the Black Sea. Studies in Medieval Archaeology, Londres, 1990, p. 148-156 ; M. Dulinicz, Zalążki miast na wczesneśredniowiecznym Mazowszu (X – XII w.), dans Rocznik Mazowiecki, XIII, 2001, p. 11-23. 50 P. Urbańczyk, Wczesna urbanizacja..., cité p. 191, n. 5, passim ; M. Dulinicz, Zalążki..., art. cit., passim ; S. Brather, Archäologie..., op. cit., p. 124. 51 Voir supra..., p. XYZ. 52 K. W. Struve, Zur Geschichte von Starigard/Oldenburg, dans M. Müller-Wille (éd.), Starigard/Oldenburg. Ein slawischer Herrschersitz des frühen Mittelalters in Ostholstein, Neumünster, 1991, p. 85-102.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 211

Ill. 9 : Oldenburg/Starigard, phase I (vers 700). D’après : I. Gabriel, Das Forschungsprojekt Oldenburg von 1973-1982, dans id. (éd.), Starigard/Oldenburg. Hauptburg der Slawen in Wagrien I. Stratigraphie und Chronologie (Archäologische Ausgrabungen 1973-1982), Neumünster, 1984 (Offa-Bücher, 52), p. 19.

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Ill. 10 : Oldenburg/Starigard, phase II (première moitié du VIIIe siècle). D’après : I. Gabriel, Das Forschungsprojekt Oldenburg von 1973-1982, dans id. (éd.), Starigard/ Oldenburg. Hauptburg der Slawen in Wagrien I. Stratigraphie und Chronologie (Archäologische Ausgrabungen 1973-1982), Neumünster, 1984 (Offa-Bücher, 52), p. 20.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 213

phases successives et leur chronologie relative ainsi que les changements qui sont apparus étape par étape53. La forteresse est située sur une colline couronnée par un large plateau de forme ovale, couvrant un espace de 250 m x 100 à 130 m. Le premier mur d’enceinte en terre et en bois, de forme circulaire, fut érigé sur la partie occidentale du plateau (ill. 9). À l’intérieur des fortifications se trouvait un second mur d’enceinte, plus petit, entourant une superficie de 0,2 ha. Les deux murs concentriques ont apparemment coexisté. En outre, on a repéré les traces d’un habitat non fortifié jouxtant la forteresse, sur la partie orientale du plateau. La datation de cette phase, appuyée sur des fragments de céramique de type dit « slave ancien », est incertaine, mais l’archéologue Ingo Gabriel, responsable de l’interprétation des fouilles, estime qu’elle doit appartenir au début du VIIIe siècle54. Lors de la deuxième phase, le mur d’enceinte fut élargi, entourant dorénavant une superficie de 1 ha (ill. 10). Le fortin à l’intérieur des fortifications disparut. Sur le côté oriental, le mur fut accompagné d’un fossé. La datation de la phase ne peut guère être précisée. Au début de la troisième phase, le fossé fut aplani et la forteresse agrandie (ill. 11). Elle formait désormais un long ovale, composé des fortifications d’origine, restaurées et surélevées, auxquelles fut ajouté le nouveau mur d’enceinte en demi-cercle. La nouvelle place forte couvrait le plateau en entier et l’espace à l’intérieur de l’enceinte avait presque doublé, comprenant 1,8 ha. Dans la forteresse se trouvaient plusieurs constructions dont une halle dans laquelle furent découvertes des sépultures au riche mobilier. La période d’utilisation de la forteresse correspondant à cette phase a pu être datée entre le milieu du VIIIe et la fin du Xe siècle. Selon Ingo Gabriel, la présence de sépultures dans la halle peut être interprétée comme le résultat de la transformation d’un édifice d’habitation ostentatoire servant au prince abodrite en une église, érigée pour le siège de l’évêché créé dans la seconde moitié du Xe siècle. On suppose en outre l’existence dès cette période d’un marché situé en face de l’entrée de la forteresse, sur le côté méridional. La quatrième phase est caractérisée par un renforcement du mur d’enceinte, qui fut élargi en empiétant sur l’espace situé à l’intérieur, couvrant désormais 1,6 ha (ill. 12). La halle transformée en église fut détruite et l’espace fut aplani. On y a retrouvé les restes de ce qui semble avoir été un autel en 53

I. Gabriel, Das Forschungsprojekt Oldenburg von 1973-1982, dans id. (éd.), Starigard/Oldenburg. Hauptburg der Slawen in Wagrien I. Stratigraphie und Chronologie (Archäologische Ausgrabungen 1973-1982), Neumünster, 1984 (Offa-Bücher, 52), p. 13-42 ; id., Starigard/Oldenburg und seine historische Topographie, dans M. Müller-Wille (éd.), Starigard/Oldenburg...., op. cit., p. 73-83. 54 Ingo Gabriel propose d’interpréter le fortin à l’intérieur de la forteresse comme un sanctuaire, à défaut d’autre explication.

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Ill. 11 : Oldenburg/Starigard, phase III (750-970). D’après : I. Gabriel, « Das Forschungsprojekt Oldenburg von 1973-1982 », dans : id. (éd.), Starigard/Oldenburg. Hauptburg der Slawen in Wagrien I. Stratigraphie und Chronologie (Archäologische Ausgrabungen 1973-1982), Neumünster, 1984 (Offa-Bücher, 52), p. 21.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 215

Ill. 12 : Oldenburg/Starigard, phase IV (970-1150). D’après : I. Gabriel, Das Forschungsprojekt Oldenburg von 1973-1982, dans id. (éd.), Starigard/Oldenburg. Hauptburg der Slawen in Wagrien I. Stratigraphie und Chronologie (Archäologische Ausgrabungen 1973-1982), Neumünster, 1984 (Offa-Bücher, 52), p. 22.

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Ill. 13 : Oldenburg/Starigard. Vue de l’entrée de la forteresse. Photo : S. Rossignol, 2005.

pierre accompagné des traces de sacrifices de chevaux. Ingo Gabriel a cru reconnaître les fondations de la nouvelle église en bois érigée sous Gottschalk au milieu du XIe siècle à quelques dizaines de mètres au sud-est de cet autel. Cette période se termina avec la destruction de la forteresse par les Danois en 1148-1149, mentionnée par le chroniqueur Helmold de Bosau55. Nous avons donc affaire à une forteresse imposante, construite en deux parties mais intégrées pour n’en former qu’une seule. Malheureusement, on en sait encore trop peu sur les environs immédiats de la place forte et sur l’existence d’éventuelles agglomérations secondaires. Le mur d’enceinte, épousant la forme de l’élévation naturelle du plateau sur lequel fut érigée la forteresse, est, vu de l’extérieur, par sa hauteur et ses dimensions encore aujourd’hui particulièrement impressionnant, dominant la plaine des alentours (ill. 13). Le tracé du mur et l’emplacement de l’ancienne entrée de la forteresse laissent encore reconnaître, vue du pied des murs, la forme bipartite originelle (ill. 13). 55

Helmold, op. cit., 1,67, p. 125.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 217

Une autre place forte des Abodrites a fait l’objet de fouilles. La forteresse d’Alt Lübeck a connu un essor au XIe et au début du XIIe siècle, si bien qu’on a pu écrire qu’elle avait pris la place d’Oldenburg/Starigard en tant que place forte principale des Abodrites. Le site a d’abord été fouillé par Aleksandra Karpińska entre 1947 et 1950, dans les années cinquante par Werner Neugebauer puis fait l’objet d’études approfondies entre 1977 et 1986 par Henning Hellmuth Andersen. Cela en fait l’une des forteresses des Slaves les mieux connues sur l’actuel territoire de l’Allemagne56. La dendrochronologie a permis d’identifier trois périodes distinctes de construction et d’occupation d’Alt Lübeck. La première phase est indiquée par les dates 817-819 ; la deuxième par les dates 1055-1056, ce qui correspond au règne du prince Gottschalk (10441066) ; la troisième, par les dates 1087-1089, est attribuée à la fin du règne de Kruto ou au début de celui d’Henri (1093-1127)57. Au cours de la première phase au IXe siècle, l’actuelle péninsule où se trouve la forteresse, aux confluents de la Trave et de la Schwartau, était probablement un archipel formé de trois îles distinctes. La place forte était située sur l’une de ces îles et un pont la reliait à la péninsule. L’établissement occidental (Westsiedlung) était déjà habité lors de cette première phase d’utilisation de la forteresse, ce qui est indiqué par des fragments de céramique de type dit « slave ancien »58. Suite à cette première phase, le site fut abandonné et il n’y eut donc pas de continuité entre cette période et la suivante. Au cours des siècles suivants, les îles se transformèrent en la péninsule telle qu’on la connaît aujourd’hui. Le mur d’enceinte du XIe siècle avait la forme d’une sorte de rectangle aux coins arrondis faisant 105 m x 80 m. Une nouvelle porte fut construite à cette époque – datée par un morceau de bois de 1063 – sur le côté ouest du mur, un peu plus au sud que la porte de la phase précédente. On y accédait par un pont surplombant un fossé rejoignant les deux rivières. L’établissement occidental fut également occupé lors de cette période, ce dont témoignent les tessons de type dit « slave récent ». 56

G.  P. Fehring, Der slawische Burgwall Alt Lübeck, dans M.  Gläser, W.  Laggin et M. Thoemmes (éd.), 25 Jahre Archäologie in Lübeck. Erkenntnisse von Archäologie und Bauforschung zur Geschichte und Vorgeschichte der Hansestadt, Bonn, 1988 (Lübecker Schriften zur Archäologie und Kulturgeschichte, 17), p. 41-45 ; id., Origins and Development of Slavic and German Lübeck, dans D. Austin et L. Alcock (éd.), From the Baltic..., op. cit., p. 251-266. 57 T. Kempke, Alt Lübeck : Die Ergebnisse der Ausgrabung 1974-50. Teil 1 : Die Burgmitte, dans id. et H. Reichstein (éd.), Forschungsprobleme um den slawischen Burgwall Alt Lübeck, Bonn, 1984 (Lübecker Schriften zur Archäologie und Kulturgeschichte, 9), p. 9-23 ; H. H. Andersen, Alt Lübeck. Zu den Grabungsergebnissen 1977-1986, dans U. Drews, W. Erdmann et M. Thoemmes (éd.), Forschungsprobleme um den slawischen Burgwall Alt Lübeck II, Bonn, 1988 (Lübecker Schriften zur Archäologie und Kulturgeschichte, 13), p. 25-59. 58 T. Kempke, Die Westsiedlung von Alt Lübeck, dans U. Drews, W. Erdmann et M. Thoemmes (éd.), Forschungsprobleme..., op. cit., p. 61-87.

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chapitre iv

Ce n’est qu’au XIIe siècle que fut érigée l’église en pierre située à l’intérieur de la forteresse. L’église a servi de sépulture d’élites car on y a retrouvé sept corps enterrés avec un riche mobilier. L’un d’entre eux est peut-être celui de Slawina, l’épouse du prince Henri59. Outre l’église, on a retrouvé les traces de halles en bois, se démarquant des autres constructions d’un style plus modeste. Au moins une de ces halles est plus ancienne que l’église, puisque celle-ci la recouvrit en partie. On peut raisonnablement supposer qu’il s’agit d’édifices ostentatoires érigés pour le prince des Abodrites. L’établissement méridional (Südsiedlung), au pied de l’enceinte et sur la rive de la Trave, correspond à cette période, ce qui est indiqué par un morceau de bois daté de 1087 (± 5) et est confirmé par le reste des trouvailles60. Quant au « faubourg marchand » (Kaufmannssiedlung) sur l’autre rive de la Trave, ainsi désigné par Werner Neugebauer d’après un passage de la chronique de Helmold61, il est connu depuis les travaux de construction d’un canal à la fin du XIXe siècle au cours desquels des restes de céramique ont été trouvés, plus tard identifiés par Neugebauer comme du type dit « slave tardif »62. Il appartient donc également à la troisième phase d’occupation du site. Alt Lübeck était donc à la fin du XIe et au début du XIIe siècle une place forte de dimensions impressionnantes, protégée par la géographie de par le fait de sa situation sur une presqu’île. Très tôt elle fut dotée d’une agglomération non fortifiée située à ses côtés et à laquelle s’ajoutèrent deux autres espaces habités lors de la dernière phase d’occupation, dont l’un sur l’autre rive de la rivière63. L’aspect imposant de la forteresse fut augmenté par la présence, lors des dernières décennies de son existence, d’un bâtiment en pierre à l’intérieur de l’enceinte : une église. Des forteresses princières existaient également en Saxe. Parmi les places fortes de la Saxe ottonienne, Magdebourg a depuis longtemps attiré l’attention des chercheurs. Ernst Nickel dirigea plusieurs campagnes sur la Place de la Cathédrale entre 1959 et 1966. Des fouilles ponctuelles ont été réalisées récemment, depuis une dizaine d’années, et ont rendu possibles de nouvelles découvertes inattendues et une révision complète des résultats précédents. Le tracé des fortifications de la forteresse de Magdebourg est connu par plusieurs fossés découverts dans les environs de la cathédrale et qui permettent 59

H. H. Andersen, Alt Lübeck…, cité p. 217, n. 57, p. 43. H. H. Andersen, Die Südsiedlung von Alt Lübeck, eine Nachgrabung im sogenannten Handwerkerviertel des Königs Heinrich, dans U. Drews, W. Erdmann et M. Thoemmes (éd.), Forschungsprobleme..., op. cit., p. 89-115. 61 Receptique sunt benigne a mercatoribus, quorum non parvam coloniam Heinrici principis fides et pietas ibidem consciverat. Helmold, op. cit., 1,18, p. 95. 62 G. P. Fehring, Der slawische…, art. cit., p. 43. 63 La différenciation, sur le plan, entre un « établissement d’artisans » (Handwerkersiedlung) et un « faubourg marchand » (Kaufleutesiedlung) est purement hypothétique. 60

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 219

d’identifier l’emplacement des murs d’enceintes64. Un fossé double a été reconnu sur la Place de la Cathédrale dans les années soixante, mais les travaux récents et la découverte d’un troisième fossé ont mené à une révision de l’image que l’on se faisait de Magdebourg au haut Moyen Âge. Dans ce troisième fossé, on a retrouvé des restes d’ossements d’animaux qui ont pu être datés par C14. On peut donc reconnaître les périodes d’utilisation du fossé et, ainsi, du mur d’enceinte qu’il devait entourer : la première phase correspond au VIIIe et au début du IXe siècle, la deuxième au IXe siècle, la troisième à la fin du Xe et au début du XIe siècle. L’espace entouré par le mur devait comprendre entre 8 et 9 ha. Quant au fossé double – que l’on avait longtemps cru appartenir à l’époque carolingienne – il s’avère être plus ancien et a sans doute été érigé dès le VIe ou le VIIe siècle. On ne peut dire avec certitude s’ils ont coexisté. La superficie à l’intérieur de cette première forteresse était de 2 à 3 ha. Un autre fossé situé un peu plus loin a été découvert au début des années quatre-vingt, daté du Xe siècle, et que l’on suppose être celui des fortifications de l’établissement secondaire. L’élément le plus spectaculaire de la Magdebourg ottonienne est sans conteste le bâtiment monumental en pierre découvert par Ernst Nickel sous la Place de la Cathédrale. Nickel avait interprété l’édifice comme étant le palais impérial d’Otton  Ier. Cependant, de nouvelles découvertes et les travaux récents de Babette Ludowici ont rendu cette interprétation caduque. Ludowici a pu démontrer que les fondations de l’édifice n’appartiennent pas à une seule période – comme le croyait Nickel – mais qu’au contraire on peut reconnaître deux phases distinctes65. En séparant les éléments de chacune de ces phases, on aperçoit la forme d’une église ressemblant à celles érigées en Saxe ottonienne. Cette nouvelle interprétation est confirmée par la découverte en 2001 d’une sépulture près du mur du palais, dont le cercueil en bois a pu être daté du troisième quart du Xe siècle. Des fouilles en 2002-2003 ont mis à jour six sépultures supplémentaires66. On ne s’attendrait guère à trouver des tombes dans un édifice profane. Ainsi, ce que l’on croyait être un palais en pierre et donc un bâtiment unique n’ayant rien de comparable à son époque s’avère

64

B. Kunz, Die « kaiserliche » Magadoburg, dans M. Puhle et H. Meller (éd.), Der Magdeburger..., op. cit., p. 29-48. 65 B. Ludowici, Burggräben, Webhütten und ein vermeintlicher Palast. Die Magdeburger Domplatzgrabung von 1959 bis 1968, dans M. Puhle et H. Meller (éd.), Der Magdeburger..., op. cit., p. 49-70 ; B. Ludowici, Der « Palast Ottos des Großen » in Magdeburg. Eine Phantasie deutscher « Ostforschung », dans L. Poláček et J. Mařková-Kubková (éd.), Frühmittelalterliche Kirchen als archäologische und historische Quellen, Brno, 2010 (Internationale Tagungen in Mikulčice, VIII), p. 305-312. 66 R. Kuhn, Die Kirche Ottos des Großen und ihre gemauerten Gräber. Die archäologischen Ausgrabungen 2001-2003, dans M.  Puhle et H.  Meller  (éd.), Der Magdeburger..., op.  cit., p. 71-100.

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être un bâtiment de culte, sans doute la cathédrale du nouvel archevêché. Quant à l’actuelle cathédrale gothique, elle a été érigée au début du XIIIe siècle. Une église de pierre se trouvait auparavant au même endroit – connue seulement par les restes d’une crypte et d’éléments de la façade occidentale – que l’on suppose être celle du monastère Saint-Maurice67. Dans le reste de la forteresse et dans les environs immédiats de l’église en pierre, on a retrouvé les traces de cabanes excavées (Grubenhäuser), semblables à celles qui se trouvaient dans les deux établissements ayant pu être identifiés, soit celui dit Sudenburg et celui sur les rives de l’Elbe. Avec l’installation de ces agglomérations supplémentaires, le complexe de Magdebourg connut aux Xe et XIe siècle une expansion remarquable68. Les divers éléments de l’agglomération – forteresse, faubourgs, monastère Saint-Jean à quelque distance – formaient un ensemble dispersé le long du fleuve (ill. 14). Outre les dimensions du complexe et le fait que non seulement la forteresse principale, mais également au moins une partie des établissements secondaires étaient fortifiée, l’érection de bâtiments monumentaux en pierre contribua à donner un aspect impressionnant au siège de l’archevêché. L’apparence imposante de l’église en pierre devait être augmentée par le contraste avec les bâtiments modestes en bois qui l’entouraient. Les recherches sur les forteresses de Pologne ont également connu un renouvellement remarquable depuis une quinzaine d’années. Les travaux de Zofia Kurnatowska ont illustré le processus de conquête des Piast, partant de la Petite-Pologne et s’étendant aux régions voisines. Dans tous ces territoires, il fut observé que les fortins de la période précédente furent systématiquement détruits et abandonnées pour être remplacés par de nouvelles forteresses, plus grandes mais moins nombreuses. Kurnatowska les appelle les « grands centres fortifiés des Piast » (« główny piastowski ośrodki grodowy »)69.

67

C. Forster, Der ottonische Vorgängerbau des gotischen Domes nach historischen und archäologischen Quellen, dans M. Puhle et H. Meller (éd.), Der Magdeburger..., op. cit., p. 101-126 ; B. Päffgen, Magdeburg im 10. Jahrhundert – Überlegungen zur Geschichte der Stadt und ihrer Kirchen, dans M. Puhle et H. Meller (éd.), Der Magdeburger..., op. cit., p. 127-161. 68 G. Böttcher, Die topographische Entwicklung von Magdeburg bis zum 12. / 13. Jahrhundert. Ein Versuch, dans M. Puhle (éd.), Erzbischof Wichmann (1152-1192) und Magdeburg im hohen Mittelalter. Stadt – Erzbistum – Reich, Magdebourg, 1992, p. 80-97. 69 Z.  Kurnatowska, Civitates principales w procesie tworzenia się państwa polskiego, dans T. Janiak et D. Strzyniak (éd.), Civitates principales. Wybrane ośrodki władzy w Polsce wczesnośredniowiecznej. Katalog wystawy, Gniezno, 1998, p. 9-12 ; ead., Frühstädtische Entwicklung an den Zentren der Piasten in Großpolen, dans H. Brachmann (éd.), Burg – Burgstadt – Stadt. Zur Genese mittelalterlicher nichtagrarischer Zentren in Ostmitteleuropa, Berlin, 1995 (Forschungen zur Geschichte und Kultur des östlichen Mitteleuropa), p. 133-148.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 221

Ill. 14 : Magdebourg au Xe siècle. D’après : B. Päffgen, Magdeburg im 10. Jahrhundert – Überlegungen zur Geschichte der Stadt und ihrer Kirchen, dans M. Puhle et H. Meller (éd.), Der Magdeburger Domplatz. Archäologie und Geschichte 805-1209, Magdebourg, 2006 (Magdeburger Museumsschriften, 8), p. 144

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Prenons l’exemple de Gniezno en Grande-Pologne70. Le site a été fouillé tout d’abord en 1936-1938 par Jósef Kostrzewski, puis à nouveau entre 1948 et 1953 par Kazimierz Żurowski. Ensuite, des fouilles de longue haleine ont été organisées par le Musée sur les Débuts de l’État polonais à Gniezno, de 1972 à 1991 puis de 1995 à 1999. Ces dernières années, les datations par la céramique ont pu être précisées par des données fournies par la dendrochronologie, ce qui permet une meilleure reconstruction des différentes phases de l’agglomération et de leurs relations entre elles. L’endroit était déjà habité aux VIIIe et IXe siècles. Il s’agissait d’une agglomération non fortifiée, située sur le mont de Lech (Góra Lecha). Mais au Xe siècle apparut au même endroit un ensemble fortifié. La première phase des fortifications commença vers 940 ; il s’agissait tout d’abord d’un ensemble en deux parties. Au nord, sur le sommet de la colline, on trouvait un petit fortin de forme circulaire, entouré d’un mur de terre et de bois. Il était accompagné d’une autre enceinte de fortifications, qui le jouxtait sur sa partie méridionale, sur ce qui est aujourd’hui la colline de la Cathédrale (Wzgórze Katedralne). Ce deuxième mur de terre et de bois avait une forme ovale allongée, presque rectangulaire ; il a pu être daté par dendrochronologie vers 940. Le mur du petit fortin n’a pas pu être daté de cette manière, mais il doit être – à en juger d’après les trouvailles et la céramique – de la même époque. Vers la fin de cette phase, soit vers 980, on se décida à fortifier la basse-cour située aux pieds de l’enceinte allongée. On l’entoura d’une nouvelle enceinte en terre et en bois de forme étirée, qui s’ajouta aux deux qui existaient déjà. Vers la même époque se développa au sud de cette partie une agglomération supplémentaire, sur la rive du lac Jelonek. Elle fut entourée d’une palissade. On pouvait entrer dans l’ensemble des fortifications par deux endroits : du côté ouest, un pont assurait la jonction entre l’enceinte sur la colline de la Cathédrale et la basse-cour fortifiée sur sa face méridionale avec l’île sur le lac Saint ; du côté est, un pont partait de la jonction entre les deux mêmes murs en direction de la colline Panieński. Cela nous mène à la phase suivante, couvrant la fin du Xe et le début du e XI  siècle. Tout d’abord, on se mit dans les années 980 à renforcer le mur d’enceinte sur la colline de la Cathédrale. Ces travaux de restauration sont attestés par la dendrochronologie grâce à des morceaux de bois datés entre 983 et 1007. Ensuite, le petit fortin au nord de celui-ci fut remplacé par un mur d’enceinte plus grand, de forme quadrangulaire. Ces travaux sont datés par des tessons de la première moitié du XIe siècle, trouvés sur l’espace du fort

70 T. Sawicki, Wczesnośredniowieczny zespół grodowy w Gnieźnie, dans Z. Kurnatowska (éd.), Gniezno w świetle ostatnich badań archeologicznych. Nowe fakty. Nowe interpretacje, Poznań, 2001 (Poznańskie Towarzystwo Przyjaciół Nauk. Wydział Historii i Nauk Społecznych. Prace komisji archeologicznej, t. 21), p. 87-126.

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agrandi, et par un morceau de bois dans le nouveau mur, daté de 1013 (marge d’erreur de 5  ans). Vers la même époque, soit dans le premier quart du XIe siècle, la palissade de la basse-cour près du lac Jelonek fut remplacée et cette partie fut elle aussi entourée d’un mur de terre et bois. Selon les datations fournies par la dendrochronologie, les travaux furent terminés vers 1026. C’est sans doute lors de cette phase que furent également construites les premières églises. Les églises actuelles sont certes plus tardives, mais on a découvert des fondations en pierre plus anciens, que l’on suppose être de la fin du Xe ou du début du XIe siècle. Il s’agit de l’église Saint-Georges, dans l’enceinte correspondant au premier fortin et à la partie la plus au nord et d’une église à l’endroit de l’actuelle cathédrale. Dans les environs immédiats, l’ensemble fortifié était accompagné aux Xe et XIe siècles par des agglomérations non fortifiées. Ainsi, on a trouvé des traces d’habitat sur l’île du lac Saint. Une agglomération se développa aussi sur la colline Panieński. Les deux endroits étaient reliés directement avec le complexe principal. Gniezno a été détruite lors de l’expédition du prince de Bohême Bretislas Ier en 1039. L’ensemble de fortifications fut ensuite restauré et conserva dans les décennies suivantes principalement le même aspect. Le complexe fortifié couvrant 4,6 ha était le plus grand de l’époque en Grande-Pologne. Le complexe de Gniezno s’est donc développé par étapes, de nouvelles enceintes s’ajoutant à celles qui existaient déjà. Notons cependant qu’il y avait apparemment dès le départ deux parties distinctes, soit le petit fortin circulaire et l’enceinte allongée à ses pieds. Dans les décennies suivantes, de nouvelles parties s’ajoutèrent à l’agglomération, sous la forme de basses-cours qui s’entouraient chacune à leur tour d’un mur d’enceinte. Lors de la phase définitive, celle qui lui donna la forme qu’il garderait tout au long des XIe et XIIe siècles, l’ensemble des fortifications comprenait pas moins de quatre parties fortifiées distinctes. Chacune d’entre elles était séparée des autres par un mur d’enceinte. Selon toute apparence, on ne songea nullement à aplanir les murs à l’intérieur du complexe de fortifications : ainsi, lorsque l’on renforça le mur entourant la colline de la Cathédrale au début du XIe siècle, ou lorsque environ à la même époque on érigea une nouvelle enceinte à la place du petit fortin, il ne fut pas question de faire disparaître les murs séparant les différentes parties. Bien au contraire, on les renforça. Pourtant, malgré la séparation marquée entre les différentes parties, l’agglomération fortifiée formait un ensemble cohérent. Aucun des murs d’enceinte n’était complètement séparé des autres, tous s’appuyaient sur ceux des autres parties. Seuls les îlots d’habitat non fortifiés étaient séparés par la topographie de l’ensemble central, par une certaine distance ou par une situation sur une île. Vu de l’extérieur, l’ensemble fortifié lui-même devait donner l’impression d’une certaine unité, alors que le complexe d’habitat pris au complet était

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plutôt dispersé. Un voyageur arrivant à Gniezno rencontrait d’abord de petits établissements ruraux, isolés, sur une colline ou sur une île ; ensuite seulement, il parvenait aux pieds des murs, voyant tout d’abord une imposante enceinte, avec une forme générale somme toute assez régulière, les différentes bassescours intégrées à la forteresse ayant toutes au bout du compte une forme similaire. Cette enceinte entourait une élévation naturelle au bord de l’eau, ce qui devait ajouter à son aspect impressionnant. Ce n’est qu’en pénétrant dans l’enceinte que ce voyageur aurait pu pleinement réaliser qu’il ne s’agissait pas d’une immense forteresse, mais de plusieurs enceintes ajoutées les unes aux autres. Vue de l’intérieur, la distinction entre les différentes parties devenait évidente : chacune de celles-ci était séparée des autres par un mur aussi impressionnant que celui de l’enceinte extérieure. Ce ne sont toutefois pas tous les sites qui présentèrent une telle impression de cohérence topographique. Il en allait en effet tout autrement dans le cas de Poznań en Grande-Pologne. Des fouilles récentes sur l’île de la Cathédrale (Ostrów Tumski) à Poznań ont permis de nouvelles datations grâce à la dendrochronologie, ce qui a mené l’archéologue Hanna Kóčka-Krenz à proposer une nouvelle interprétation des phases de construction de l’ensemble des fortifications et ainsi du développement de l’agglomération71. Ces datations plus précises réfutent la tentative de reconstruction offerte il y a à peine quelques années par Michał Kara72. Nous suivrons dans notre présentation le modèle de Kóčka-Krenz. D’après l’état actuel des travaux, un premier fortin fut érigé à la fin du IXe ou au début du Xe siècle (ill. 15). Il s’agissait d’un mur d’enceinte en terre et en bois de forme circulaire. À l’intérieur de l’enceinte, on a pu repérer des constructions en bois73. Mais vers le milieu du Xe siècle eut lieu une phase de reconstruction intensive et le simple fortin fut transformé en un ensemble fortifié multipartite (ill. 16). Tout d’abord, le fortin fut remplacé par une forteresse en deux parties de beaucoup plus imposantes dimensions. À l’endroit du fortin apparut un mur d’enceinte ovale, plus grand, mesurant 80 x 100 m. Dans cette section, que Kóčka-Krenz désigne comme la « partie princière », ont été trouvées les traces d’un bâtiment de pierre qui semble avoir été un palais doublé d’une chapelle74. Un morceau de bois utilisé pour le cadre de la 71

H. Kóčka-Krenz, Najstarszy Poznań, dans Z. Kurnatowska et T. Jurek (éd.), Civitas Posnaniensis. Studia z dziejów średniowiecznego Poznania, Poznań, 2005 (Poznańskie Towarzystwo Przyjaciół Nauk. Wydział Historii i Nauk Społecznych. Prace Komisji Historycznej, 62), p. 27-42. 72 M. Kara, Początki i rozwój wczesnośredniowiecznego ośrodka grodowego na Ostrowie Tumskim w Poznaniu, dans T. Janiak et D. Strzyniak (éd.), Civitates principales..., op. cit., p. 26-29. 73 La présentation du développement chronologique des fortifications de Poznań suit l’interprétation de Hanna Kóčka-Krenz. 74 H. Kóčka-Krenz, Pre-romanesque Palatial Chapel in Poznań, dans Quaestiones medii aevi novae, 15, 2010, p. 221-239.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 225

Ill. 15 : Poznań, phase I. Poznań – Ostrów Tumski. Étendue supposée du fort du IXe (?) au début du Xe siècle. D’après : H. Kóčka-Krenz, Najstarszy Poznań, dans Z. Kurnatowska et T. Jurek (éd.), Civitas Posnaniensis. Studia z dziejów średniowiecznego Poznania, Poznań, 2005 (Poznańskie Towarzystwo Przyjaciół Nauk. Wydział Historii i Nauk Społecznych. Prace Komisji Historycznej, 62), p. 40.

porte est daté par dendrochronologie de 941, ce qui laisse supposer que le bâtiment a été érigé vers le milieu du Xe siècle75. Il y avait également des constructions en bois, dont l’une dans laquelle on a pu repérer les traces du travail d’un orfèvre. 75

H. Kóčka-Krenz, Pre-romanesque…, p. 231-232.

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Ill. 16 : Poznań, phase II. Poznań – Ostrów Tumski. Reconstruction des fortifications du fort, dans les années soixante du Xe siècle. 1) Ensemble avec palais et bâtiment de culte, 2) bâtiment avec baptistère. D’après : H. Kóčka-Krenz, Najstarszy Poznań, dans Z. Kurnatowska et T. Jurek (éd.), Civitas Posnaniensis. Studia z dziejów średniowiecznego Poznania, Poznań, 2005 (Poznańskie Towarzystwo Przyjaciół Nauk. Wydział Historii i Nauk Społecznych. Prace Komisji Historycznej, 62), p. 41.

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Ill. 17 : Poznań, phase III. Poznań – Ostrów Tumski. Reconstruction des fortifications du fort, dans les années soixante du Xe siècle. 1) Ensemble avec palais et bâtiment de culte, 2) bâtiment avec baptistère. D’après : H. Kóčka-Krenz, Najstarszy Poznań, dans Z. Kurnatowska et T. Jurek (éd.), Civitas Posnaniensis. Studia z dziejów średniowiecznego Poznania, Poznań, 2005 (Poznańskie Towarzystwo Przyjaciół Nauk. Wydział Historii i Nauk Społecznych. Prace Komisji Historycznej, 62), p. 42.

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Sur ce mur d’enceinte s’appuya un nouveau mur également en terre et bois, qui fut érigé environ à la même période que celle durant laquelle le fortin fut remplacé par un fort plus grand. Le mur de cette deuxième partie entourait un espace couvrant 130 m x 100 m. On y a découvert des fonts baptismaux en pierre, qui se trouvaient sans doute dans une construction en bois. Celle-ci fut ensuite remplacée, dans le dernier quart du Xe siècle, par une église de pierre de style pré-roman. Enfin, dans les années soixante-dix ou quatre-vingt du Xe siècle, un troisième mur d’enceinte fut érigé, cette fois détaché des deux premières parties. C’était une forteresse beaucoup plus grande, située sur la colline tout près (ill. 17). L’ensemble fortifié fut détruit en 1039 lors du raid dévastateur du souverain de Bohême Bretislas Ier. Ce fut la partie située au nord, comprenant la cathédrale, qui subit les dommages les plus importants. Le complexe fut ensuite reconstruit sans que des changements importants ne soient apportés, probablement sous le règne de Casimir le Restaurateur. Dans sa forme définitive, qui fut construite en l’espace de quelques dizaines d’années dans la seconde moitié du Xe siècle et qui ne subit pas de changement topographique majeur au cours du siècle suivant, le complexe fortifié de Poznań était imposant. Contrairement à Gniezno, il ne s’agissait cependant pas d’un groupe compact formé par diverses parties appuyées les unes sur les autres et donnant l’impression d’un ensemble cohérent. Au contraire, nous avons affaire dans le cas de Poznań à trois forteresses distinctes. La deuxième partie était certes appuyée sur la première, mais de par sa forme et de par la façon dont elle était construite, il devait être évident, même vu de l’extérieur, qu’il s’agissait d’une section distincte. Quant à la troisième partie, sur la colline, elle était carrément séparée des deux premières, formant une unité distincte dans les environs immédiats. Plus morcelé encore qu’à Poznań était le complexe d’habitat de Sandomierz (all. Sandomir). La reconstruction des différentes phases du développement de Sandomierz ne fait pas l’unanimité parmi les chercheurs. Les fouilles les plus importantes ont eu lieu entre 1968 et 1973 sous la direction de Stanisław Tabaczyński76. Depuis, d’autres trouvailles ont été faites ici et là et les résultats des recherches furent résumés et interprétés à la fin du siècle dernier par Andrzej Buko77. Cependant, les travaux de ce dernier ont été rapidement remis en question par Marek Florek, qui lui-même s’intéresse à Sandomierz depuis une vingtaine d’années et a reproché à Buko de ne pas

76

S. Tabaczyński, Materiały kopalne w narracji historycznej o początkach i rozwoju ośrodka grodowo-miejskiego w Sandomierzu, dans id. (éd.), Sandomierz. Badania 1969-1973. Tom II. Wzgórze Collegium Gostomianum, Varsovie, 1996 (Polskie Badania Archeologiczne, 32), p. 469484. 77 A. Buko, Początki Sandomierza, Varsovie, 1998, passim.

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avoir considéré l’ensemble du matériel disponible78. Dans tous les cas, les datations des différentes parties s’appuient principalement sur les fragments de céramique et sont donc imprécises. Dans la présentation qui va suivre, nous adopterons l’interprétation de Florek, la plus récente et la plus convaincante. Les traces d’habitat les plus anciennes à l’endroit qui allait devenir Sandomierz remontent au IXe ou Xe siècle. Une première place forte apparut à la fin du Xe siècle sur la colline du Collège Gostomianum (Wzgórze Gostomianum)79. Il s’agit d’une élévation naturelle, plus haute que les deux autres collines à ses côtés, la colline du Château (Wzgórze Zamkowe) et la colline de la Ville (Wzgórze Miejskie), et séparée de celles-ci par une gorge et des chemins creux. Ce premier fortin n’était défendu que par une simple palissade entourant un espace de 90 m x 60 m. À l’intérieur, on a observé les traces de constructions en bois, datées par des fragments de céramique couvrant une période allant du Xe au XIIIe siècle. On n’a toutefois pas pu repérer d’édifice plus important que les autres, susceptible d’être interprété comme un palais. En revanche, une première église fut sans doute érigée dès le XIe siècle. Au XIe siècle se développèrent, dans les environs immédiats du fortin, plusieurs agglomérations non fortifiées, s’étendant sur les collines du Château et de la Ville, qui forment elles-mêmes plutôt une seule élévation allongée, ainsi que sur la colline de la Vieille-Ville (Wzgórze Staromiejskie) un peu plus loin. Ces établissements sont connus surtout par l’abondance des tessons de céramique retrouvés ainsi que par des nécropoles. Sauf éventuellement pour la colline de la Vieille-Ville, il ne semble pas y avoir de continuité avec la période antérieure, précédant l’érection du fortin. Des changements d’envergure se produisirent au début du XIIe siècle. Tout d’abord, la modeste palissade de la colline du Collège Gostomianum fut remplacée par un mur en terre et en bois, plus imposant. De nouvelles constructions furent érigées à l’intérieur du fort. Environ à la même époque, l’agglomération couvrant les collines du Château et de la Ville fut pour la première fois entourée d’une enceinte, soit d’un mur en terre et en bois. Le tracé exact du mur d’enceinte n’est malheureusement pas connu, mais son caractère uniforme suggère qu’il a dû être érigé en une seule fois et qu’il a formé un ensemble cohérent80. Quant aux deux églises, celle dédiée à Notre-

78

M. Florek, Sandomierz. Ośrodek grodowo-miejski w średniowieczu, Varsovie, 2005, passim. Andrzej Buko croyait que la forteresse la plus ancienne se trouvait sur la colline du Château. Cependant, on a n’a pas pu y retrouver de fortifications de cette période et, comme le fait remarquer Marek Florek, l’attribution d’un premier fortin à cet endroit s’appuie seulement sur le fait que, dans les siècles suivants, c’est là que se trouvait la forteresse la plus importante et le château. 80 Stanisław Tabaczyński et Andrzej Buko croyaient qu’il s’agissait plutôt de deux enceintes distinctes. Cette question ne peut être tranchée de manière définitive. 79

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Dame peut être attribuée à la fin du XIe ou au début du XIIe siècle, alors que celle de Saint-Nicolas est plus ancienne, éventuellement même du Xe siècle. Nous avons donc affaire dans le cas de Sandomierz à un développement continu procédant par étapes. Près d’une agglomération de type rural apparut tout d’abord un premier fortin isolé sur une élévation surplombant la Vistule, près duquel, sur des collines voisines, se développèrent ensuite des agglomérations non fortifiées. Ce n’est que plus tard qu’une partie de ces agglomérations fut entourée d’un mur d’enceinte en même temps que la palissade du fortin était remplacée par un mur en terre et en bois. Mais ce qui frappe, c’est que même un regard rapide sur la topographie de l’ensemble – et même en tenant compte de l’incertitude concernant le parcours du mur entourant l’agglomération des collines du Château et de la Ville – convainc qu’il s’agissait plutôt d’un complexe d’habitat dispersé plutôt que d’une agglomération compacte. À cause de l’irrégularité du terrain, le fortin sur la colline du Collège Gostonianum était séparé du reste de l’habitat par la Vistule et par des gorges. L’agglomération sur les collines du Château et de la Ville était pareillement isolée du reste de l’ensemble, autant du fortin que de l’habitat sur la colline de la Vieille-Ville, par le fleuve et par des chemins creux. Lorsqu’un mur d’enceinte entoura les deux collines, il était bel et bien séparé de la forteresse sur la colline du Collège Gostomianum, formant un élément distinct. Certes, cette séparation stricte des différents éléments de l’habitat de Sandomierz est due avant tout aux particularités de la topographie naturelle. Mais c’est là ce qui fait la spécificité de l’ensemble. On ne saurait oublier le cas de Prague, vaste conglomération d’habitats axés autour de deux pôles. Nos connaissances sur le développement de Prague au haut Moyen Âge doivent beaucoup aux travaux d’Ivan Borkovský qui entreprit des fouilles dans les années cinquante et soixante du XXe siècle. Des travaux sporadiques sont venus ensuite compléter les résultats de ses travaux, permettant des précisions, des révisions ou de nouvelles découvertes. Les premières fortifications sur la colline appelée Hradčany, qui allaient devenir le château de Prague, furent érigées – d’après l’état actuel des recherches – à la fin du IXe siècle, à l’époque de Borivoy (règne : 870-889), à un endroit déjà habité (ill. 18). Le mur d’enceinte en terre et en bois entourait un espace ayant la forme d’un rectangle allongé. L’église Notre-Dame, dans ce qui allait devenir la basse-cour occidentale, appartient également à cette période, mais on ne sait pas quand exactement cette partie fut entourée d’une enceinte. On a pu retrouver des traces de l’église primitive81. Ce fut ensuite

81

V. Huml, Z. Dragoun et R. Novy, Der archäologische Beitrag zur Problematik der Entwicklung Prags in der Zeit vom 9. bis zur Mitte des 13. Jahrhunderts und die Erfassung der Ergebnisse der historisch-archäologischen Erforschung Prags, dans Zeitschrift für Archäologie des Mittelalters, 18/19, 1990/1991, p. 61.

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Ill. 18 : Prague (Praski Hrad) et Vyšehrad. 1 : Agglomération de Malá Strana avec églises Saint-Nicolas et Saint-Martin ; 2 : établissement de Rybáře avec église Saint-Pierre ; 3 : établissement d’Obora avec église Saint-Jean-Baptiste ; 4 : établissement de Strahov avec monastère des Prémontrés ; 5 : établissement de Trávnik avec commanderie des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem ; 6 : établissement de Nebovidy avec église Saint-Laurent ; 7 : établissement d’Ujezd avec église Saint-Jean-Baptiste ; 8 : établissement de Petřin avec église Saint-Laurent ; 9 : établissement autour des églises Saint-Philippe et Saint-Jacques ; 10 : établissement de Rubna avec église Saint-Clément ; 11 : établissement près de l’endroit où allait être fondé le monastère Saint-Cyriaque ; 12 : établissement près de l’endroit où allait être fondé le monastère des Clarisses ; 13 : établissement d’Ujezd avec église Saint-Clément ; 14 : vicus Teutonicorum avec église Saint-Pierre ; 15 : emplacement de ce qui allait devenir la Vieille Ville, avec églises romanes ; 16 : établissement avec église Saint-Pierresur-la-Struze et Saint-Adalbert ; 17 : établissement d’Opatovice avec église Saint-Michel ; 18 : établissement autour de l’église Saint-Laurent ; 19 : établissement de Zderaz avec l’église Saint-Venceslaus ; 20 : établissement de Rybnik avec église Saint-Etienne ; 21 : église Saint-Jean ; 22 : agglomération de Vyšehrad avec églises Saints-Cosmas-et-Damien, Saint-Jean-Baptiste et Saints-Nicolas-et-André  a : zone menacée par les inondations ; b : zone menacée par les inondations près de Vyšehrad ; c : terrasse de la Vieille Ville ; d : gravelle D’après : V. Huml, Z. Dragoun et R. Novy, Der archäologische Beitrag zur Problematik der Entwicklung Prags in der Zeit vom 9. bis zur Mitte des 13. Jahrhunderts und die Erfassung der Ergebnisse der historisch-archäologischen Erforschung Prags, dans Zeitschrift für Archäologie des Mittelalters, 18/19, 1990/1991, p. 39.

232

chapitre iv

Bretislas Ier qui, au milieu du XIe siècle, entreprit des travaux importants de restauration du mur d’enceinte, ajoutant de nouvelles entrées sur les côtés ouest, sud et est. Au plus tôt au milieu du XIIe siècle, le mur de terre et de bois fut remplacé par un mur de pierre. On trouvait alors à l’intérieur des murs plusieurs édifices romans : un palais et les églises Saint-Georges et Saint-Guy82. La seconde forteresse pragoise, celle de Vyšehrad, se trouvait à quelques kilomètres en amont, sur l’autre rive de la Vltava, sur le sommet d’une falaise surplombant la rivière et du haut de laquelle le spectateur a une excellente vue sur la colline du château de Prague (ill. 18). Les fortifications, ayant la forme d’un triangle aux coins arrondis, furent probablement érigées dans la seconde moitié du Xe siècle83. L’église Saint-Laurent fut construite dès la fin de ce même siècle. Le deuxième lieu de culte de la forteresse, la basilique collégiale Saint-Pierre, s’y ajouta vers 107084. Une agglomération se développa dès le IXe siècle au sud de la colline du château de Prague, s’étendant progressivement près de la rive de la Vltava. Elle avait une forme ovale et comprenait entre 14 et 15 ha, dans le quartier portant aujourd’hui le nom de Malá Strana. En revanche, ce n’est qu’au XIe siècle que se développa une agglomération non fortifiée au nord de la place forte de Vyšehrad. On ne connaît pas son étendue exacte. En outre, on a pu retrouver des traces d’habitat éparpillé dans les environs, au nord de la forteresse. On ne sait pas si cet habitat s’étendait déjà au haut Moyen Age à l’endroit qui allait devenir la Vieille-Ville de Prague ; il semble qu’il se développa par étapes, mais les fragments de céramique qu’on y a trouvés sont des XIIe et XIIIe siècles85. L’agglomération de Prague, incluant les forteresses du Hradčany et de Vyšehrad ainsi que les nombreux espaces habités des environs, comprenait plusieurs aspects répondant aux caractéristiques des complexes polycentriques de cette période tels que décrits par Jerzy Piekalski86. L’habitat était dispersé, morcelé entre les deux pôles d’attraction formés par les deux places fortes se faisant face sur les rives de la Vltava. Des îlots d’habitation s’étaient développés par étapes. Le tout formait une sorte d’ensemble mais sans réelle unité.

82 J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 79 ; I. Boháčová, Umocnienia Grodu Praskiego w okresie wczesnego średniowiecza. Nowe źródła i ich wstępna interpretacja, dans Acta Archaeologica Waweliana, II, 1998, p. 5-17 ; J. Frolík, Prag und die Prager Burg im 10. Jahrhundert, dans J. Henning (éd.), Europa..., op. cit., p. 161-169 ; id. et M. Bravermanová, Die Prager Burg, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., op. cit., vol. 1, p. 376-378 ; V. Huml, Z. Dragoun et R. Novy, Der archäologische…, art. cit., p. 38. Vladimir Čtverák, Michal Lutovský, Miloslav Slabina et Lubor Smejtek, Encyklopedie hradišť v Čechách, Prague, 2003, p. 252-256. 83 La datation reste incertaine. Voir J. Frolík, Prag…, cité p. 232, n. 82, p. 162. 84 J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 80. Čtverák, Lutovský, Slabina et Smejtek, Encyklopedie..., cité p. 232, n. 82, p. 259-261. 85 J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 110-116. 86 J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 165-166.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 233

Dans le cadre des discussions sur les débuts de l’urbanisation autour de la mer Baltique, les agglomérations de Poméranie ont depuis longtemps attiré l’attention des chercheurs, entre autres depuis les travaux pionniers de Lech Leciejewicz87. L’une des plus importantes est Kołobrzeg (all. Kolberg), près de l’embouchure de la Parsęta (all. Persante), qui a fait l’objet de travaux commencés dans les années cinquante du XXe siècle par Leciejewicz et poursuivis, plus récemment, par Marian Rębkowski. Kołobrzeg (ill. 20) est ainsi non seulement l’un des centres les mieux connus de la Poméranie du haut Moyen Âge, mais aussi l’un de ceux qui s’étaient épanoui et développé déjà à une période reculée88. L’habitat de la région proche de l’embouchure de la Parsęta fut très tôt lié à l’exploitation du sel. Les premières traces d’habitat sont attestées par des fragments de céramique du type dit «  slave ancien  », peut-être déjà du VIIe siècle. C’est au cours du IXe siècle qu’apparurent les premières habitations à l’endroit aujourd’hui occupé par Budzistowo, un quartier de l’actuelle ville de Kołobrzeg, soit un peu plus en amont sur la rive gauche de la rivière (ill. 19). À la même époque existait une place forte à Bardy, située à une dizaine de kilomètres au sud-est et datée par des tessons de céramique. Une première forteresse a ensuite été construite sur le terrain de Budzistowo. Alors que la céramique et des dirhams suggèrent une datation au milieu du IXe siècle, des sondages récents ont permis une datation du mur d’enceinte par dendrochronologie, indiquant la fin du IXe siècle. Cela correspond à l’époque où le fortin de Bardy fut abandonné, ce qui laisse croire que la nouvelle place forte le remplaça. L’espace entouré par la nouvelle enceinte couvrait un hectare et à l’intérieur se trouvaient diverses constructions en bois. La dendrochronologie atteste qu’elles furent renouvelées au cours de la première moitié du Xe siècle. Dans le dernier quart du Xe siècle, le mur d’enceinte fut renforcé, ce qui est attesté par des morceaux de bois indiquant les dates 979 et 986. Cela correspond à la période lors de laquelle Mesco Ier intégra la Poméranie à sa jeune principauté. Nous savons également, grâce au chroniqueur Thietmar de Mersebourg, que Mesco Ier († 992) y installa un évêque, Reinbern89. La période de 87

L. Leciejewicz, Początki nadmorskich miast na Pomorzu Zachodnim, Wrocław, 1962, passim ; W. Filipowiak, Die Anfänge des Städtewesens in Pommern, dans H. Brachmann et J. Herrmann (éd.), Frühgeschichte der europäischen Stadt. Voraussetzungen und Grundlagen, Berlin, 1991 (Schriften zur Ur- und Frühgeschichte, 44), p. 148-158. 88 L. Leciejewicz, Kołobrzeg – wczesne miasto na Pomorskim wybrzeżu Bałtyku, dans id. et M. Rębkowski (éd.), Salsa..., op. cit., p. 73-83 ; id., Kolberg (Kołobrzeg), dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., op. cit., vol. 1, p. 167-169 ; id., Wczesnośredniowieczne początki. Frühmittelalterliche Anfänge, dans id. et M. Rębkowski, Kołobrzeg. Średniowieczne miasto nad Bałtykiem. Eine mittelalterliche Stadt an der Ostsee, Kołobrzeg, 2000, p. 5-72 ; W. Łosiński, Osadnictwo plemienne w dorzeczu Parsęty we wczesnym średniowieczu, dans L. Leciejewicz et M. Rębkowski (éd.), Salsa..., op. cit., p. 13-22. 89 Thietmar, op. cit., 7,72(52), p. 486. Voir S. Rosik, Reinbern…, cité p. 153, n. 121, passim.

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chapitre iv

Ill. 19 : Site de Kołobrzeg. A : terrain habité sur le territoire de l’actuel quartier Budzistowo B : salines C : terrain occupé par la ville de fondation a : fortifications, b : bâtiments, c : église D’après : L. Leciejewicz, Kołobrzeg – wczesne miasto na Pomorskim wybrzeżu Bałtyku, dans id. et M. Rębkowski (éd)., Salsa Cholbergiensis. Kołobrzeg w średniowieczu, Kołobrzeg, 2000, p. 74.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 235

Ill. 20 : Plan des fouilles de Kołobrzeg. Dessin de J. Fellmann, dans : L. Leciejewicz, Kołobrzeg – wczesne miasto na Pomorskim wybrzeżu Bałtyku, dans id. et M. Rębkowski (éd)., Salsa Cholbergiensis. Kołobrzeg w średniowieczu, Kołobrzeg, 2000, p. 75

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christianisation de la région a toutefois, à ce qu’il semble, été éphémère. L’église cathédrale, qui pouvait fort bien n’être qu’une modeste construction en bois, n’a pas pu être repérée. Dans la seconde moitié du XIe siècle, le mur d’enceinte fut agrandi. En même temps, soit au cours des Xe et XIe siècles, l’habitat s’étendit progressivement à l’extérieur de la forteresse, dans les espaces libres au sud et au nordest de celle-ci. Ces habitations dispersées formèrent de petites agglomérations non fortifiées. Les travaux archéologiques ne permettent pas de reconstruire l’évolution de l’exploitation du sel au cours de la période où se développa Kołobrzeg, l’occupation actuelle du terrain où se trouvaient les salines, près de l’embouchure de la Parsęta, rendant de nouvelles recherches impossibles. Les sources écrites attestent que les activités liées au sel connurent un essor important aux XIIe et XIIIe siècles et il apparaît raisonnable de croire qu’elles existaient dans les siècles précédents, ce que laisse d’ailleurs supposer le nom que Thietmar de Mersebourg donne à l’agglomération, Salsa Cholbergiensis. Un fortin a pu être repéré sur des cartes de l’époque moderne dans les environs des salines, qui malheureusement n’existe plus, le mur d’enceinte circulaire ayant été aplani lors de travaux de fortifications au XVIIIe siècle. On a cependant pu supposer qu’il s’agissait là du « castrum près de la mer » (castrum mari proximum) évoqué par le chroniqueur dit Gallus Anonymus au début du XIIe siècle. À quoi ressemblait donc Kołobrzeg aux XIe et XIIe siècles ? On y retrouvait une petite forteresse en terre et en bois, sur les rives de la Parsęta, dans laquelle se trouvaient des constructions en bois. Dans les environs immédiats s’étendait un habitat dispersé, qui n’était pas protégé par des fortifications et dont le lien avec la forteresse consistait principalement en sa proximité. À quelques kilomètres en aval, près de l’embouchure, on rencontrait des salines dotées sans doute, au moins pour un certain temps, d’un petit fortin. Nous avons donc affaire à un ensemble formé de plusieurs parties liées organiquement, mais dispersées par la topographie. Les emporia de la mer Baltique C’est au début du VIIIe siècle qu’apparurent sur les côtes de la mer Baltique les premiers sites portuaires, aux confins des régions habitées par les Scandinaves, les Slaves et les Baltes90. Cette première vague est connue par les

90

Pour un aperçu général, voir S. Kleingärtner, Die frühe Phase (8. bis 11. Jahrhundert) der Urbanisierung an der südwestlichen Ostseeküste, dans G. Fouquet et G. Zeilinger (éd.), Die Urbanisierung Europas von der Antike bis in die Moderne, Bern et al., 2009, p. 81-100 ; S. Kleingärtner et A. Tummuscheit, Zwischen Haithabu und Wolin – die frühe Phase der Urbanisierung an der südwestlichen Ostseeküste, dans Quaestiones Medii Aevi Novae, 12, 2007, p. 215-252.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 237

sites archéologiques de Groß Strömkendorf, de Menzlin, de Rostock-Dierkow91 et de Ralswiek92. Le réseau des emporia connut des transformations majeures dans les siècles suivants ; ainsi, les sites de Haithabu, Wolin et Birka connurent un essor aux Xe et XIe siècles. Ce n’est toutefois qu’à partir du XIIe siècle que des agglomérations de ce genre connurent une certaine continuité topographique. C’est donc à une situation changeante et à des phénomènes passagers que nous avons affaire. Le site de Groß Strömkendorf, près de Wismar, a fait l’objet de fouilles dirigées par Hauke Jöns dans la dernière décennie du XXe siècle. L’importance du lieu, dévoilée par les trouvailles exceptionnelles et sa datation précise – rendue possible par la dendrochronologie – ont permis de supposer qu’il s’agissait de l’emporium Reric mentionné par les Annales royales franques au tout début du IXe siècle93 et dont la localisation était longtemps restée mystérieuse, faisant l’objet de maintes hypothèses94. Groß Strömkendorf était une agglomération non fortifiée située sur la rive de la baie de Wismar, qui elle-même donne sur la mer Baltique. C’est une position idéale pour un port en eaux tranquilles. Depuis, le niveau de la mer s’est élevé d’environ un mètre, ce qui signifie qu’une partie de l’agglomération se trouve probablement sous l’eau aujourd’hui. Une rangée de pieux protégeait l’entrée du port. L’importance du transport maritime est en outre indiquée par la découverte de cinq bateaux, qui tous furent construits selon la tradition scandinave, qui se distinguait de la tradition slave par l’utilisation de rivets de fer.

91 D. Warnke, Rostock-Dierkow – ein Wirtschaftszentrum des 8./9. Jahrhunderts an der Unterwarnow, dans Zeitschrift für Archäologie des Mittelalters, 20, 1992, p. 63-80. 92 J. Herrmann, Ralswiek auf Rügen. Die slawisch-wikingischen Siedlungen und deren Hinterland. Teil I – Die Hauptsiedlung, Lübstorf, 1997 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte Mecklenburg-Vorpommerns, 32), passim ; id., Ralswiek auf Rügen. Die slawisch-wikingischen Siedlungen und deren Hinterland. Teil III – Die Funde aus der Hauptsiedlung, Schwerin, 2005 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte Mecklenburg-Vorpommerns, 37), passim  ; id., Ralswiek, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., op. cit., vol. 1, p. 163-166. 93 ARF, a. 808, p. 126 ; a. 809, p. 129. 94 H. Jöns, Der frühgeschichtliche Seehandelsplatz von Groß Strömkendorf, dans C. Lübke (éd.), Struktur und Wandel im Früh- und Hochmittelalter. Eine Bestandsauf aktueller Forschungen zur Germania Slavica, Stuttgart, 1998 (Forschungen zur Geschichte und Kultur des östlichen Mitteleuropa, 5), p. 127-143 ; id., War das emporium Reric der Vorläufer Haithabus ?, dans Bodendenkmalpflege in Mecklenburg-Vorpommern Jahrbuch, 47, 1999, p. 201-213 ; id., Neue Untersuchungen auf dem frühgeschichtlichen Handelsplatz von Groß Strömkendorf bei Wismar, dans Archaeologia Baltica, 4, 2000, p. 109-134 ; id. et W. Mazurek, Groß Strömkendorf – nadmorska osada rzemieślnictwo-handlowa i cmentarzysko z okresu wczesnosłowiańskiego nad zatoką Wismarską, dans Slavia Antiqua, XXXIX, 1998, p. 181-214 ; id., F. Lüth et M. Müller-Wille, Ausgrabungen..., art. cit., passim ; A. Tummuscheit et M. Gerds, Reric – Zankapfel zwischen Slawen und Dänen, dans Archäologie in Deutschland, 5/2007, p. 24-27.

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Les archéologues ont pu étudier une vingtaine de cabanes excavées et ont constaté que leur construction trahissait un mélange de traditions provenant des contrées des Slaves, de Saxe et de Scandinavie. On n’a pas pu trouver de traces de clôtures ou de divisions quelconques entre les parcelles. En certains endroits, l’agencement des puits et des constructions pourrait indiquer que les premiers étaient utilisés également par plusieurs personnes et donc qu’il n’y aurait pas eu de distinction stricte du terrain disponible entre divers propriétaires. En revanche, les cabanes sont placées en rangées parallèles à des distances régulières, ce qui laisse supposer que leur étaient attribuées des parcelles de dimensions comparables95. Des morceaux de bois provenant des édifices ont pu être datés par dendrochronologie entre 720 et 780. Un des pieux ayant protégé l’entrée du port est daté de 734. Quant aux fragments de céramique, ils suggèrent une occupation du site jusqu’au milieu du IXe siècle. À treize kilomètres de l’emporium se trouve en outre une forteresse appelée Ilow, qui a livré un morceau de bois daté de 734. Il semble donc que les deux sites aient existé en même temps. On peut en conclure qu’en ce qui concerne l’apparence extérieure de Groß Strömkendorf, il s’agissait d’une modeste agglomération composée de constructions en bois et qui n’était pas entourée de fortifications. Elle était principalement caractérisée par son port et par sa position stratégique facilitant les communications entre l’espace baltique et son hinterland habité par les Slaves. Son importance était due à ses fonctions – contacts avec les environs et les régions lointaines, activités des habitants – exceptionnelles pour cette période correspondant aux débuts de l’installation des Slaves dans ces contrées96. Le site témoigne d’un dynamisme de l’habitat et d’une volonté d’innovation. Cependant, ce n’était guère l’apparence des édifices ou de l’agglomération en général, ni même son ampleur, qui auraient pu impressionner le visiteur. Si la forteresse d’Ilow a pu être en lien avec le site portuaire – une hypothèse soulevée par Hauke Jöns à cause de leur existence parallèle – , la place forte se trouvait à une distance notable et les deux sites auraient peut-être alors formé une unité fonctionnelle, mais nullement un ensemble topographique. Le site portuaire de Menzlin appartenait à cette même phase ancienne et présentait un cas similaire. Menzlin se trouvait sur les rives de la Peene, près 95

A. Tummuscheit, Die Baubefunde des frühmittelalterlichen Seehandelsplatzes von Groß Strömkendorf, Lkr. Nordwestmecklenburg, Wiesbaden, 2011 (Frühmittelalterliche Archäologie zwischen Ostsee und Mittelmeer, 2. Forschungen zu Groß Strömkendorf, IV), passim. 96 Selon les données archéologiques et dendrochronologiques les plus récentes, les Slaves se seraient installés dans les régions côtières de la mer Baltique au début du VIIIe siècle. M. Müller-Wille, Slawische Besiedlung im obodritischen Herrschaftsbereich. Neuere Beiträge der Archäologie, Onomastik, Dendrochronologie und Paläobotanik, dans P.  Ettel, R.  Friedrich et W. Schier (éd.), Interdisziplinäre Beiträge zur Siedlungsarchäologie. Gedenkschrift für Walter Janssen, Rahden, 2002 (Internationale Archäologie. Studia honoraria, 17), p. 243-253.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 239

Ill. 21 : Menzlin. D’après : S. Kleingärtner, Menzlin – Metropole an der Peene, dans Archäologie in Deutschland, 5/2007, p. 29.

de l’embouchure de ce cours d’eau dans la mer Baltique. Il a fait l’objet de fouilles dirigées par Ulrich Schoknecht dans les années soixante et soixantedix du siècle dernier et l’emporium est maintenant au centre de nouveaux travaux entrepris par Sunhild Kleingärtner97. L’agglomération non fortifiée est située immédiatement aux côtés d’une nécropole caractérisée par des tumuli entourés de pierres dessinant la forme de bateaux. Des exemples semblables sont connus en plusieurs endroits en Scandinavie. L’espace habité se trouvait sur une légère élévation naturelle ayant la forme d’un ovale allongé, entouré sur trois côtés par un terrain plat formant la vallée de la Peene (ill. 21). Cette situation permettait à la fois d’être près du cours d’eau et d’être protégé d’éventuelles inondations par l’élévation. La superficie de l’habitat, mieux connue depuis les études géophysiques, com97

U. Schoknecht, Menzlin. Ein frühgeschichtlicher Handelsplatz an der Peene, Berlin, 1977, p. 7-8 ; S. Kleingärtner, Menzlin – Metropole an der Peene, dans Archäologie in Deutschland, 5/2007, p. 28-29 ; ead., Menzlin’s Elite – Some Considerations as to the Elite Against the Background of Structural Changes in Slavonic Times on the Southern Baltic Coast, dans M. Rębkowski (éd.), Ekskluzywne życie – dostojny pochówek w kręgu kultury elitarnej wieków średnich. Wolińskie Spotkania Mediewistyczne I (6. - 7. sierpnia 2010), Wolin, 2011, p. 175-190.

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chapitre iv

prenait environ 12 ha98. Parmi les constructions qui ont été fouillées, Ulrich Schoknecht a pu en identifier deux comme étant des ateliers d’artisans. Cette déduction se fonde sur les trouvailles répétées de restes de bois de cervidés et de produits semi-finis, indiquant une production intensive d’artefacts avec cette matière première, principalement des peignes99. La géophysique a récemment permis de reconnaître un plan régulier de distribution des édifices, indiquant que la construction suivait un modèle bien défini100. Ulrich Schoknecht suppose que le port se trouvait à proximité immédiate de l’agglomération, sur les rives de la Peene. L’apparence du port ne peut être reconstruite, mais plusieurs indices permettent de soutenir cette hypothèse concernant sa localisation. On a retrouvé dans les environs immédiats du cours d’eau des pierres des champs, qui ne peuvent qu’avoir été apportées là volontairement, et des restes de poteaux plantés dans le sol. Schoknecht croit qu’il s’agissait d’une jetée près de l’endroit où accostaient les bateaux. Cette supposition trouve un support dans le fait qu’on a trouvé tout près de cet ensemble des fragments de céramique de type dit « slave ancien », correspondant à la période d’occupation de l’emporium101. Le site est daté par les types de céramique dont on a retrouvé des fragments ainsi que par divers autres artefacts et une pièce de monnaie de 868. On peut conclure de l’ensemble de ces indices qu’il a été occupé de la fin du VIIIe ou du début du IXe jusqu’au début ou au milieu du Xe siècle102. Menzlin ressemblait donc en plusieurs points à Groß Strömkendorf. C’était une modeste agglomération avec des constructions entièrement en bois, groupés autour d’un port et n’ayant pas de fortifications. Ici encore, c’étaient principalement les fonctions exercées par l’agglomération, de même que sa situation stratégique et les activités de ses habitants, qui lui donnaient son importance. Son apparence extérieure restait – nonobstant la régularité planifiée de l’organisation de l’espace – malgré tout très sobre. Wolin appartient en revanche à la deuxième phase d’emporia de la mer Baltique, prenant au Xe siècle le relais de ceux de la première période, rapidement abandonnés. Ils présentaient des différences notables – non seulement par leurs dimensions, mais également par le fait qu’ils étaient protégés par des fortifications. C’est aux fouilles et aux travaux d’interprétation de l’archéologue Władysław Filipowiak, poursuivis depuis les années cinquante du siècle dernier, que nous devons nos connaissances exceptionnelles sur le site portuaire de Wolin, qui correspond à la localité connue dans les sources écrites

98

U. Schoknecht, Menzlin..., op. cit., p. 6-7 ; S. Kleingärtner, Menzlin…, art. cit., p. 28. U. Schoknecht, Menzlin..., op. cit., p. 68. 100 S. Kleingärtner, Menzlin…, op. cit., p. 29. 101 U. Schoknecht, Menzlin..., op. cit., p. 67. 102 U. Schoknecht, Menzlin..., op. cit., p. 142. 99

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 241 Ill. 22  : Wolin (Xe – XIIe siècle). Triangle, pointe vers le bas : nécropole avec incinération. Triangle, pointe vers le haut : nécropole, inhumation. Gris foncé : espace habité. Ligne pointillée  : fortifications. Ligne noire : tracé de la rive au haut Moyen Âge. 1 : établissement principal ; 2 : faubourg ; 3 : fortification ; 4  :  établissement «  Ogrody  »  ; 5  :  établissement de la Colline d’Argent  ; 7  :  espace habité  ; 8  :  nécropole «  Młynówka  »  ; 9 : nécropole de la Colline des Pendus ; 10 : espace habité ; 11, 12 et 13  :  nécropoles  ; 17  :  faubourg «  Wendeschwiek  ». D’après  : D. Wehner, Der frühgeschichtliche Seehandelsplatz Wolin und sein Umland. Eine Studie zu Zentrum und Peripherie, Neumünster, 2007 (Studien zur Siedlungsgeschichte und Archäologie der Ostseegebiete, 8), p. 30.

sous le nom de Iumne103. Avec une persévérance infatigable, Filipowiak a présenté les résultats de ses recherches depuis plusieurs décennies. Il se doit d’être souligné qu’il a lui-même continuellement actualisé son interprétation en tenant compte de l’état des recherches. Ainsi, compte tenu des nouvelles découvertes permettant une datation plus précise et plus fiable, il n’hésita pas à contredire ce qu’il avait affirmé dans des publications plus anciennes104. Le site se trouve sur la rive de la Dziwna (all. Dievenow), près de l’embouchure du cours d’eau dans la mer Baltique. Les premières traces d’un habitat à caractère agraire sont probablement déjà apparues au VIIIe siècle à l’endroit où allait se trouver le port, mais c’est surtout dans la première moitié du IXe siècle que l’agglomération connut un premier essor (ill. 22). Au même moment apparurent des traces d’habitat sur la colline d’Argent (pol. Srebrne Wzgórze, all. Silberberg) un peu plus au nord ; cette phase est datée par dendrochronologie, avec les dates de 838 puis 889 (+ 15 / - 10) et 902 (+ 15 / - 10).

103

D. Wehner, Der frühgeschichtliche..., op. cit., p. 18-20. W. Filipowiak, Wolin – Vineta. Wykopaliska zatopionego miasta. Ausgrabungen in einer versunkenen Stadt, Rostock, Stralsund, 1986, p. 6-7 ; id., Wollin – ein frühmittelalterliches Zentrum an der Ostsee, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., op. cit., vol. 1, p. 152-155 ; id. et H. Gundlach, Wolin. Vineta. Die tatsächliche Legende vom Untergang und Aufstieg der Stadt, Rostock, 1992, p. 35-36, 45-46. À propos de l’histoire des fouilles, voir D. Wehner, Der frühgeschichtliche..., op. cit., p. 17. 104

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Au même moment se développa l’habitat dans la partie dite « faubourg des pêcheurs »105. Mais rapidement, l’agglomération se développa et vit apparaître artisans et commerçants. Des constructions en bois remplacèrent les simples huttes de la première phase. Un petit fortin fit peu après son apparition, qui fut ensuite remplacé par un mur d’enceinte en terre et en bois de plus grandes dimensions, et ce dès le IXe siècle. Le mur formait un demi-cercle dont les extrémités atteignaient la rive et entourait à la fois l’agglomération et le port. L’agencement des édifices à l’intérieur des fortifications suivait un plan régulier, avec des rues se croisant à angle droit et recouvertes de bois. Le quai, également en bois, courait le long de la rive sur une longueur exceptionnelle de 250 à 300 m. Sa datation est assurée par des morceaux de bois des années 896 à 900. Au début du Xe siècle, on restaura le mur d’enceinte et on en érigea un nouveau, de dimensions beaucoup plus impressionnantes et entourant également les parties de l’habitat s’étendant jusqu’à la colline d’Argent. Bientôt, d’autres espaces dans les environs furent également habités : sur la rive au sud des fortifications, sur la colline des Pendus (pol. Wzgórze Wiesieców, all. Galgenberg), ainsi que sur l’autre rive de la Dziwna. En tout, l’espace habité s’étendait sur une longueur de 3 km le long de la rive. Wolin perdit cependant graduellement son importance au cours des XIe et XIIe siècles au profit de Szczecin (all. Stettin). Wolin avait donc aux IXe et Xe siècles une apparence sensiblement plus impressionnante que les emporia de la première phase, dont nous avons présenté les exemples de Groß Strömkendorf et de Menzlin. L’agglomération était accompagnée de fortifications, ce qui devait contribuer à concrétiser visuellement son importance. Outre le port d’une longueur exceptionnelle, qui ne devait pas manquer d’étonner les gens qui y arrivaient, l’ensemble était entouré d’une série d’îlots d’habitat, formant un complexe polycentrique et morcelé, s’étendant sporadiquement autour du nœud de l’agglomération. Sur la côte occidentale de la mer Baltique se trouvait Haithabu, désigné dans les Annales royales franques sous le nom de Sliesthorp106. Il s’agit certainement de l’une des agglomérations portuaires les plus connues, dont les fouilles furent dirigées durant plusieurs décennies par Herbert Jankuhn. Mais les travaux se poursuivent et en font l’un des sites les mieux étudiés107. Hai105 Lors de travaux plus anciens, Filipowiak avait cru pouvoir les dater – comme il était alors encore courant – beaucoup plus tôt, soit aux VIe – VIIe siècles. Voir W. Filipowiak, Wolin – Vineta…, op. cit., p. 6. 106 ARF, a. 808, p. 126. À propos du toponyme, voir W. Laur, Haiðaby…, cité p. 77, n. 176, passim ; id., Haithabu..., art. cit., passim. 107 V.  Hilberg, Haithabu, Umschlagplatz zwischen Nord- und Ostsee, dans Archäologie in Deutschland, 5/2007, p. 20-22 ; id., Hedeby in Wulfstan’s Days : a Danish Emporium of the Viking Age between East and West, dans A. Englert et A. Trakadas (éd.) Wulfstan’s Voyage. The

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 243

thabu est située sur les rives de la Schlei, un fjord formant une sorte de lac allongé donnant sur la mer Baltique108. La situation stratégique de cette localisation est renforcée par le fait qu’une route permettait de rejoindre facilement la mer du Nord109. C’est à quelques kilomètres de là que se développa dans les siècles suivants ce qui allait devenir la ville médiévale de Schleswig110. Les traces d’habitat les plus anciennes ont été trouvées dans une section située au sud du mur d’enceinte, que l’on a pris l’habitude d’appeler l’ « établissement sud » (Südsiedlung). Il est daté par des fragments de céramique du VIIIe siècle – un quai daté par dendrochronologie appartient également à cette époque – et il semble qu’il ait été abandonné volontairement – il n’y a pas de traces de destruction – par ses habitants dans la seconde moitié du IXe siècle. L’endroit n’était pas encore fortifié, mais il s’agissait déjà d’une agglomération remplissant des fonctions autres qu’agraires, puisqu’on a reconnu la présence d’artisans et des traces d’activités marchandes111. Suite à l’abandon de cet établissement, l’habitat situé un peu plus au nord, là où allait être érigées les fortifications, prit de l’expansion depuis la fin du IXe et surtout au Xe siècle. On trouvait également un autre espace habité, de dimensions plus modestes, un peu plus à l’ouest112. Au cours du Xe siècle, l’ensemble de l’espace à l’intérieur du mur d’enceinte était habité. Les zones fouillées ont permis de reconnaître que l’agencement des constructions était très régulier. Bien que les édifices aient été de tailles différentes, ils étaient tous alignés de manière parallèle. En outre, on a même pu reconnaître les traces de clôtures séparant les lots de terre sur lesquels se trouvaient ces constructions : ils avaient tous une grandeur comparable. De plus, lorsque les édifices étaient remplacés par de nouveaux, ceux-ci occupaient toujours exactement la même place que leurs prédécesseurs113. Cette régularité planifiée a été confirmée par les résultats d’études géomagnétiques, indiquant qu’il en était de même partout à l’intérieur des murs114. Au début du XIe siècle, ce n’était déjà plus tout l’espace qui était habité. Il semble donc qu’il y ait eu un déclin de population avant que le site ne soit Baltic Sea Region in the Early Viking Age as Seen from Shipboard, Roskilde, 2009 (Maritime Culture of the North, 2), p. 79-114. 108 H. Jankuhn, Haithabu. Ein Handelsplatz der Wikingerzeit. 8., neu bearbeitete und stark erweiterte Auflage, Neumünster, 1986, p. 55-56. 109 H. Jankuhn, Haithabu..., op. cit., p. 117-119. 110 H. Jankuhn, Haithabu..., op. cit., p. 220-223. 111 H. Jankuhn, Haithabu..., op. cit., p. 80-89. 112 C. Radtke, Haiðaby. Archäologisches, dans Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, vol. 13, 1999, p. 368. 113 H. Jankuhn, Haithabu..., op. cit., p. 89-100. 114 V. Hilberg, Haithabu..., cité p. 242, n. 107 ; C. von Carnap-Bornheim et V. Hilberg, Haithabu – ein frühstädtisches Zentrum in neuem Licht, dans Archäologisches Nachrichtenblatt, 10, 2005, p. 465-471.

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définitivement abandonné. Les habitants quittèrent l’endroit peu après sa destruction par des pirates scandinaves et slaves au milieu du XIe siècle. L’agglomération fut entourée d’un mur d’enceinte en terre et en bois, formant un demi-cercle dont les deux extrémités atteignaient la rive de la Schlei. Le demi-cercle à l’intérieur de l’enceinte mesure environ 550 m d’ouest en est et 600 m du nord au sud. Le mur n’a malheureusement pas pu être daté avec précision. On a cependant pu constater qu’il n’existait pas encore lors de la phase la plus ancienne de l’habitat. D’après l’état actuel des fouilles, la partie habitée au IXe siècle ne semble pas avoir connu de mur d’enceinte115. Il aurait été construit sur des strates appartenant au Xe siècle. Une partie des fortifications du Danewerk, s’appuyant sur le mur en demi-cercle et datée par un morceau de bois de 968, a été construite après ce dernier, fournissant ainsi un terminus ante quem. On peut donc en conclure que les fortifications de Haithabu ont dû être érigées quelque part dans la première moitié du Xe siècle116. Au nord de l’enceinte, sur une élévation naturelle, ont été trouvés les restes d’une petite forteresse ovale. Lors de fouilles d’envergure limitée, on n’a pas pu trouver de traces d’habitat à l’intérieur de l’enceinte. Ainsi, on n’a aucune possibilité de dater le site. Jankuhn supposa que l’enceinte aurait appartenu à la période précédent l’érection du mur entourant l’agglomération, et qu’elle aurait servit à protéger les habitants en cas de danger. Mais en l’absence totale d’indice quant à la datation, cela reste une simple hypothèse, ces fortifications pouvant également appartenir à une époque beaucoup plus ancienne117. Lors de la période correspondant à son expansion maximale, Haithabu était une agglomération fortifiée avec un port permettant une communication aisée entre la mer du Nord et la mer Baltique. Ses constructions étaient caractérisées principalement par leur agencement régulier témoignant d’une planification délibérée. L’importance du site était due en premier lieu à sa position stratégique et aux fonctions occupées par ses habitants – tout comme les emporia de la première phase – mais à cela s’ajoutaient les fortifications en demi-cercle, donnant à l’agglomération une apparence saisissante et en faisant – contrairement à Wolin – un ensemble distinct, bien délimité et séparé des environs par sa topographie. Quant au site de Birka, il est connu depuis le XIXe siècle, mais c’est depuis 1969 qu’ont eu lieu des fouilles avec des techniques modernes, qui furent alors dirigées par Björn Ambrosiani et Birgit Arrhenius. Dans les décennies sui115

Herbert Jankuhn fait remarquer que Rimbert, dans sa relation du voyage d’Ansgar vers 870, ne fait pas mention d’un mur d’enceinte et conclut de cet argumentum e silentio que les fortifications n’apparurent que plus tard. 116 H. Jankuhn, Haithabu..., op. cit., p. 65-68 ; C. Radtke, Haiðaby..., cité p. 243, n. 112, p. 369370. 117 H. Jankuhn, Haithabu..., op. cit., p. 68-69.

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vantes, on a également étudié le rempart de l’agglomération ainsi que la colline fortifiée dite Borg. Des fouilles approfondies et fructueuses ont ensuite eu lieu entre 1990 et 1995, à nouveau dirigées par Ambrosiani118. Il semble que le site ait été habité dès le milieu du VIIIe siècle119. C’est à cette période qu’appartient une jetée en bois avec des fondations en pierre. Les parcelles suivaient dès le départ un ordre régulier qui fut préservé au cours des siècles suivants. Un atelier de travail du bronze a été identifié comme appartenant à la seconde moitié du VIIIe siècle. Les constructions témoignent à la fois de traditions architecturales scandinaves et d’Europe occidentale. La jetée devint ensuite au IXe siècle un chemin séparant deux parcelles. Au cours de ce siècle, l’espace habité s’étendit considérablement et il fut entouré d’un rempart en terre et en bois. Le port était alors protégé par une série de pieux plantés dans l’eau et formant une sorte de palissade. Au Xe siècle, le territoire habité continua à s’agrandir et un nouveau rempart dut être érigé, entourant un espace plus vaste, couvrant 7 ha. Une forteresse se trouvait dorénavant également sur la colline dite Borg : il semble qu’elle ait existé déjà dans la seconde moitié du IXe siècle et puisse donc être identifiée avec la civitas évoquée par Rimbert120. Dans la seconde moitié du Xe siècle fut aussi installée ce qu’il est coutume d’appeler la « Garnison » de Birka. Il s’agit d’une halle de 20 m x 10 m – le plus grand édifice de l’agglomération – ayant servi probablement à la fois pour des réceptions et pour le logis de guerriers ainsi que comme arsenal ou dépôt d’armes. La halle était doublée d’autres constructions, dont une citerne et un atelier où l’on fabriquait sans doute des armes121. Le site de Birka fut définitivement abandonné vers 975, ce dont témoignent les derniers artefacts et une pièce de monnaie. On peut donc conclure que la morphologie de l’emporium de Birka offrait une impression comparable à celle de Haithabu. C’était un site portuaire qui fut rapidement entouré de fortifications lui donnant distinctement l’apparence d’un ensemble autonome. Ce n’est que secondairement – et très tardivement – que furent ajoutées, près du mur d’enceinte mais à l’extérieur de

118

B. Wigh, Excavations in the Black Earth 1990-95. Animal Husbandry in the Viking Age Town of Birka and its Hinterland, Stockholm, 2001 (Birka Studies, 7), p. 16-28. 119 B. Wigh, Excavations…, op. cit., p. 16-17 ; B. Ambrosiani, Excavations at Birka 1990 : Interim Report, dans id. et H. Clarke (éd.), Excavations in the Black Earth 1990, Stockholm, 1995 (Birka Studies, 2), p. 38-39 ; B. Ambrosiani et B. G. Erikson, Birka Vikingastaden. Volym 5, Stockholm, 1996, p. 70-75. 120 L. Holmquist Olausson, Birkas befästningsverk – resultat från de senaste årens utgrävningar, dans M. Olausson (éd.), Birkas krigare, Stockholm, 2001, p. 10-13. Rimbert, op. cit., c. 19, p. 42. Voir supra, p. 78. 121 C. Heldenstierna-Jonson et L. Holmquist Olausson, The Oriental Mounts from Birka’s Garrison. An Expression of Warrior Rank and Status, Stockholm, 2006 (Antikvariskt arkiv, 81), p. 10-12.

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l’agglomération, la forteresse en hauteur et la halle pour la « Garnison », soit un édifice ostentatoire. Les emporia de la deuxième phase diffèrent de ceux de la première. La différence la plus marquante consiste en ce qu’ils furent dorénavant entourés de fortifications, ce qui au départ n’était pas le cas. Cela changea considérablement l’apparence extérieure des agglomérations et l’impression qu’elles pouvaient donner. En outre, on constate que les sites portuaires eurent tendance à s’entourer d’autres éléments en périphérie, ce qui est le plus évident à Wolin, où se développèrent des îlots d’habitat et un complexe multipartite. À Birka, ce n’est toutefois que dans la dernière phase que l’agglomération principale fut dotée à la fois d’une forteresse en hauteur et de la halle dite de la « Garnison ». Les forteresses des Baltes Les forteresses des Baltes sont, parmi les régions faisant l’objet de cette étude, les moins bien connues. Cela est dû en partie à des fouilles insuffisantes, souvent anciennes et sans les techniques modernes, ainsi qu’aux grandes difficultés que présente la datation, même approximative, des sites122. Malgré tout, un aperçu fondé sur quelques exemples semble possible. Le site de Daugmale, actuellement en Lettonie, a été étudié récemment et les derniers résultats ont été présentés par Guntis Zemītis. Daugmale est située sur la rive gauche du fleuve Daugava (all. Düna), à une trentaine de kilomètres de la baie de Riga. Il s’agit d’une forteresse en hauteur ou colline fortifiée (en allemand, un Burgberg) accompagnée d’agglomérations secondaires et dont la période d’extension maximale est attribuée aux Xe – XIIe siècles. On croit que la localité peut être identifiée avec la Duna urbs mentionnée par Saxo Grammaticus au XIIIe siècle123, alors que l’historien danois relate des événements supposés s’être produits aux IXe et Xe siècles124. La forteresse principale (le Burgberg) est située au sommet d’une élévation escarpée, surplombant le Daugava dont elle est séparée par une falaise. Les fortifications entourent un espace de 0,38 ha. C’est surtout sur la face orientale que les fortifications étaient imposantes, car ce côté était moins bien défendu 122

Voir S. Messal, Die Burgen im Baltikum. Studien zum baltischen Befestigungswesen von der frühen Metallzeit bis in das Mittelalter, mémoire de diplôme, Université de Kiel, 2002, passim ; A. Wendt, Samländische Burgwälle, mémoire de diplôme, Université de Kiel, 2005, passim. 123 Saxo Grammaticus, Gesta Danorum, éd. J. Olrik et H. Raeder, Copenhague, 1931-1932, vol. 1, 1,6,10, p. 24. 124 G. Zemītis, Frühe stadtähnliche Siedlungen und erste mittelalterliche Städte Lettlands im 12. - 13. Jahrhundert, dans L. Leciejewicz et M. Rębkowski (éd.), L. Leciejewicz et M. Rębkowski (éd.), Civitas Cholbergiensis. Transformacja kulturowa w strefie nadbałtyckiej w XIII w., Kołobrzeg, 2005. p. 128-130.

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par les conditions naturelles. On y avait érigé un mur de terre et de bois de 5 m de hauteur et on avait creusé une fosse communiquant avec le fleuve. Les deux basses-cours situées de chaque côté de la forteresse, formant ce que Zemītis appelle l’Altstadt, couvraient ensemble un espace de 2 ha. La partie la plus vaste se situait à l’est de la forteresse, sur un terrain plat. Elle n’était pas défendue par des fortifications. Sur le côté occidental se trouvait également un espace habité, de moindre importance, entre la forteresse et la rivière Varžupite, qui à cet endroit se jette dans le Daugava. C’est à l’embouchure de cette rivière, aux pieds de la forteresse, que se trouvait le port où pouvaient accoster les bateaux. Dans les environs immédiats du complexe d’habitat ont été découvertes deux nécropoles. Sur l’autre rive du Daugava, en face de la colline fortifiée, se trouvait également une agglomération accompagnée d’une nécropole. L’agencement des édifices est difficile à reconstruire à cause de l’état déficient de préservation du site. On peut toutefois constater que, ni dans la forteresse elle-même, ni dans les basses-cours, les constructions ne suivaient un plan régulier. Elles ont sans doute été construites librement et spontanément125. Le site est daté principalement par les artefacts découverts dans l’agglomération et dans les nécropoles. Parmi les 18 000 objets, la très grande majorité, soit 17 000, appartient à une période allant du Xe au XIIe siècle. Il s’agit en grande partie d’importations témoignant d’activités commerciales. S’il semble que le site ait existé déjà au Ve siècle, c’est surtout entre le Xe et le XIIe siècle qu’il connut un essor126. Guntis Zemītis n’hésite pas à comparer Daugmale avec les emporia scandinaves de la même période comme Birka, caractérisés par leur situation stratégique dans les réseaux de communication et par l’importance centrale du commerce pour leur développement. La comparaison est certainement juste quant à ces critères. Daugmale comporte cependant des différences importantes par rapport aux sites que nous avons présentés. La situation en hauteur de la forteresse se laisse facilement expliquer par la topographie naturelle de la région, qui permettait de profiter des conditions géographiques pour assurer une meilleure protection du site. De par son éparpillement en diverses parties plus ou moins distinctes – forteresse principale, basse-cour orientale, basse-cour occidentale, habitat sur l’autre rive du fleuve – le site formait un complexe multipartite rappelant surtout, parmi les emporia de la mer Baltique, celui de Wolin. Il ne constituait donc pas un ensemble compact et strictement délimité par une enceinte en demi-cercle comme Birka ou Haithabu. En outre, l’agencement des constructions ne laisse pas reconnaître de plan régulier et de planification pour l’organisation du site, comme c’était le cas à Birka et à Haithabu. 125 126

G. Zemītis, Frühe…, cité p. 246, n. 124, p. 132. G. Zemītis, Frühe…, cité p. 246, n. 124, p. 129.

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Daugmale était donc une agglomération dont on avait soigneusement choisi le site, profitant du fait qu’il était bien protégé par les conditions géographiques, et dont la défense était en plus assurée par des fortifications supplémentaires. L’importance qu’acquit l’emporium était principalement due à sa position stratégique pour le commerce, sur une voie de navigation centrale. Malgré l’éparpillement de l’habitat dans les environs de la forteresse, l’ensemble avait grâce à sa position et à son apparence un aspect assez imposant. En Lituanie occidentale, Palanga (all. Polangen, pol. Połąga) était à la même période l’une des agglomérations – comprenant une place forte et des espaces habités non fortifiés – aux dimensions les plus vastes. L’ensemble couvrait un espace d’environ 10 à 12 ha. Il peut être daté approximativement des Xe et XIe siècles127. La forteresse, située sur une élévation naturelle appelée colline de Birutė, couvrait un espace de seulement 10 m x 17 m128. Elle était située sur la rive de la mer Baltique et sur les faces où elle n’était pas défendue par les conditions naturelles, elle était protégée par un mur d’enceinte en terre et en bois. Aux pieds de la forteresse se trouvait une petite basse-cour également fortifiée. On a retrouvé les fondements de ce qui semble avoir été des tours en bois protégeant l’entrée de l’enceinte. Les restes de tours de ce genre ont été retrouvés dans d’autres sites de la région et il se peut que des tours semblables aient également accompagné les fortifications de la colline fortifiée. À l’intérieur de l’enceinte se trouvait un réseau dense de constructions. Des restes d’édifices, non accompagnés de fortifications, ont été observés sur une autre colline à quelque distance. Cependant, la partie la plus importante de l’habitat, couvrant un espace de 7 à 8 ha, se trouvait quelque peu à l’écart, à quelques centaines de mètres vers l’intérieur du pays. Cette partie de l’agglomération n’était pas fortifiée, mais il semble que des marais et une petite rivière coulant près de là assuraient une certaine protection naturelle129. La situation de la place forte est caractéristique : on a choisi un endroit en hauteur, bien défendu par les conditions naturelles, pour y ériger une forteresse. Les Baltes surent profiter de manière optimale des conditions naturelles pour obtenir la protection recherchée. Malgré les dimensions modestes de telles places fortes, leur situation élevée et les éventuelles tours en bois ne devaient pas manquer d’attirer l’attention. Quant à l’habitat qui les accom127

J. Genys, Pre-urban Settlements and Their Systems of Fortification in Western Lithuania, dans M. Josephson et M. Mogren (éd.), Castella maris Baltici II, Nyköping, 1996 (Sörmländska handlingar, 49. Lund Studies in Medieval Archaeology, 18), p. 53-57. 128 J. Genys, Pre-urban Settlements…, cité p. 248, n. 127, p. 54 ; V. Žulkus, Zur Frühgeschichte der baltischen Stadt, dans H. Brachmann (éd.), Burg..., op. cit., p. 196-198. 129 La place forte de Žardė présente un cas similaire. Voir J. Genys, Pre-urban Settlements…, cité p. 247, n. 127, p. 56. On peut également citer le site d’Apuolė, identifié avec la forteresse d’Apulia mentionnée par Rimbert. Voir V. Žulkus, Zur Frühgeschichte…, cité p. 248, n. 128, p. 196.

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pagnait, il est surtout caractérisé par sa dispersion. En aucun cas il ne formait un ensemble cohérent. De la réalité matérielle aux conceptions des contemporains Maintenant qu’a été esquissé un tableau des principales formes d’habitat concentré des régions étudiées, telles que les travaux archéologiques nous permettent de les reconstruire, il est possible de poursuivre l’interprétation en comparant les résultats des travaux archéologiques et historiques. Avec cette confrontation des types de sources, on tentera d’arriver à une meilleure compréhension des conceptions des auteurs contemporains. 1. Les forteresses et leurs territoires De nombreux archéologues ont tenté de reconstruire les territoires associés aux forteresses des Slaves en se référant à la Descriptio civitatum du « Géographe de Bavière » et aux nombres précis de civitates attribués aux peuplades. Les civitates de l’auteur anonyme sont alors généralement interprétés comme étant des Burgbezirke130. Or, les avis des archéologues sont partagés : alors que certains croient pouvoir identifier les forteresses et leurs districts en des régions données, d’autres sont beaucoup plus sceptiques. Gerhard Billig a tenté d’identifier les forteresses des Surbi, des Talaminzi, des Milzane et des Besunzane de la Descriptio131. N’ayant pu étudier qu’une partie du territoire attribué aux Sorabes (Surbi), Billig a tout de même pu identifier quatorze de leurs 50 civitates ; il juge toutefois comme étant déficient l’état des fouilles archéologiques pour les sites en question132. Pour ce qui est des Daleminciens (Talaminzi), en revanche, c’est avec un plus haut degré de vraisemblance qu’ont pu être identifiées douze de leurs quatorze civitates. Trois autres forteresses peuvent éventuellement leur être ajoutées133. Dans le cas des Milzane, toutefois, il est impossible de reconnaître les 30 civitates mentionnées dans la Descriptio ; même en comptant les enceintes dont la datation est très incertaine, on ne va pas au-delà de vingt134. Quant aux deux civitates des Besunzane, Billig croit en avoir identifié une135. De son analyse, Billig conclut qu’il n’y avait sans doute pas de système uniforme avec un district 130

Cette question est traitée plus en détails dans S. Rossignol, Civitas…, art. cit., passim. G. Billig, Zur Rekonstruktion der ältesten slawischen Burgbezirke im obersächsisch-meißnischen Raum auf der Grundlage des Bayerischen Geographen, dans Neues Archiv für sächsische Geschichte, 66, 1995, p. 27-67. 132 G. Billig, Zur Rekonstruktion..., art. cit., p. 38-47. 133 G. Billig, Zur Rekonstruktion..., art. cit., p. 47-57. 134 G. Billig, Zur Rekonstruktion..., art. cit., p. 57-62. 135 G. Billig, Zur Rekonstruktion..., art. cit., p. 62-63. 131

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pour chaque place forte ; il pouvait y avoir à l’occasion plusieurs forteresses subordonnées à une forteresse centrale dans le même district136. Sebastian Brather a effectué une étude régionale dans la Zauche, au sud de la rivière Havel. Il n’a toutefois pas pu reconnaître l’existence de districts ou Siedlungskammern centrés autour de forteresses. Au contraire, il constate que l’on retrouvait un vaste espace habité le long de la rivière, mais qu’il était impossible de reconstituer des districts clairement délimités. Il suppose que l’ensemble du territoire était subordonné indistinctement, au moins après l’an mil, aux élites de grandes forteresses comme celle de Brandebourg ou, éventuellement, Potsdam et Spandau137. Quant à Felix Biermann, il a étudié minutieusement l’organisation territoriale de la Basse-Lusace, région identifiée avec les Lunsici du « Géographe de Bavière », qui leur attribuait dans la deuxième partie du texte 30 civitates. Biermann fait d’emblée remarquer que les fortins auraient été décidément en nombre insuffisant avant la fin du IXe  siècle pour correspondre, même approximativement, à la donnée de la Descriptio. En outre, il ne lui apparaît guère possible de reconnaître une division conséquente du territoire en districts centrés autour de forteresses. Si certains ensembles formés d’un fortin et d’un certain nombre d’agglomérations non fortifiées dans les environs, le tout étant entouré d’espaces non habités, peuvent être interprétés comme des Siedlungskammern, on retrouve également des fortins isolés auxquels ne peut être attribué aucun îlot d’habitat, et en d’autres endroits des fortins si près les uns des autres qu’il ne peut être question d’identifier des districts séparés. Enfin, certains groupements d’agglomérations non fortifiés existaient sans qu’un fortin ne puisse leur être attribué. Bref, il ne peut être question d’une organisation systématique d’après un modèle uniforme. Les structures d’organisation du territoire seraient sans doute apparues avant l’apparition des fortins et ceux-ci devaient répondre à des nécessités diverses138. On a pu supposer que l’organisation du territoire en burgwards, dans les régions frontalières orientales de la Saxe ottonienne, aurait reposé sur un système ayant existé auparavant, au moins dans ses grandes lignes, chez les Slaves.

136

G. Billig, Zur Rekonstruktion..., art. cit., p. 66-67. S. Brather, Hochmittelalterliche Siedlungsentwicklung um Kloster Lehnin – Slawen und Deutsche in der Zauche, dans Veröffentlichungen des Brandenburgischen Landesmuseums für Ur- und Frühgeschichte, 27, 1993, p. 132-133, 150. Brather croit malgré tout qu’une organisation appuyée sur des Siedlungskammern était répandue, même si l’archéologie permet difficilement de les reconstruire. S. Brather, Archäologie…, op. cit., p. 94. 138 F. Biermann, Slawische…, op. cit., p. 50-52 ; id., Siedlung und Landschaft..., art. cit., p. 60-61 ; id. et K. Frey, Ringwall…, art. cit., p. 76-80. 137

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 251

Torsten Kempke juge toutefois que l’état des recherches n’autorise pas de soutenir cette hypothèse à l’aide de sources archéologiques139. On constate donc qu’il y a très peu d’appuis concrets pour soutenir l’idée de structures d’organisation du territoire fondamentalement centrées sur des forteresses140. Si une telle organisation a éventuellement pu exister dans certaines régions, il ne peut aucunement être question d’un modèle homogène généralement répandu chez tous les peuples slaves. Il apparaît donc très peu vraisemblable que le « Géographe de Bavière » ait voulu désigner avec ses civitates une division du territoire qui aurait été même approximativement similaire dans toutes les régions qu’il décrivait – même en admettant qu’il aurait compris civitas dans le sens antiquisant de district administratif, ce qui est, comme nous l’avons vu plus haut, plutôt improbable. Si de telles unités territoriales sont si difficiles à identifier par les archéologues, ce ne devait guère être beaucoup plus évident pour un voyageur du IXe siècle. L’analyse des sources écrites comme les résultats récents de l’archéologie pointent dans une même direction : l’auteur anonyme avait en tête des forteresses et non des unités territoriales. Certes, il n’est pas impossible qu’aient existé en certaines régions une forme d’organisation appuyée sur des Burgbezirke ; toutefois, ce n’était fort probablement pas ceux-ci que cherchait à décrire le « Géographe de Bavière ». 2. Forteresses, emporia ou villes ? Est-il légitime de parler de « villes » ou à tout le moins de sites protourbains pour décrire les établissements qui viennent d’être présentés ? Certes, il n’est pas toujours possible de l’affirmer dans des cas particuliers, car il n’existe pas de critères précis. Toutefois, les travaux récents permettent d’identifier au moins certaines tendances pouvant être attribuées à des établissements que l’on pourrait qualifier de «  proto-urbains  ». La multifonctionnalité et une taille suffisante de l’agglomération peuvent être posés comme critères minimaux. Or, une comparaison avec les résultats de l’analyse des sources écrites montre certaines contradictions entre le vocabu-

139

T.  Kempke, Slawische Burgen des 7. – 10. Jahrhunderts, dans Deutsche Burgenvereinigung (éd.), sous la direction de H. W. Böhme, Burgen in Mitteleuropa. Ein Handbuch. Band. 1. Bauformen und Entwicklung, Darmstadt, 1999, p. 52. 140 Voir aussi T. Kempke, Burgwälle des 8. bis 12. Jahrhunderts zwischen Elbe und Oder, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., op. cit., vol. 1, p. 272 ; D. Wehner, Der frühgeschichtliche..., op. cit., p. 18. Herbert Ludat, prenant connaissance des travaux de Wolfgang H. Fritze et de Henryk Łowmiański, s’étonnait du fait que civitas aurait eu dans le texte du « Géographe de Bavière » la signification pourtant inhabituelle de district territorial. H. Ludat, Vorstufen…, op. cit., p. 16-17.

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laire latin et les catégories qu’il reflète d’une part et la réalité matérielle d’autre part. Les forteresses des guerres saxonnes, autant chez les Saxons que chez les Francs pour protéger leurs frontières, ne peuvent guère être qualifiées de villes. On constate que les termes latins ne permettent en aucune manière d’identifier des formes d’habitat correspondant à l’apparence extérieure qu’ils évoquent. Les différences entre les différents termes ne reflètent pas des différences réelles. Une place forte comme « Oldenburgskuhle » / Esesfelth avait une fonction avant tout stratégique et militaire, ce dont témoigne le choix du site, justifié par la protection qu’il pouvait offrir, malgré le fait qu’il était éloigné des routes importantes. Certes, il se peut que les fouilles aient été insuffisantes pour permettre de reconnaître des fonctions autres que de lieu de refuge et de défense pour une garnison de guerriers francs. Il ne fait cependant guère de doute que l’aspect militaire était au premier plan de la conception de la forteresse. Pourtant, Esesfelth fut bel et bien désignée par les annalistes francs comme étant une civitas – bien qu’à l’occasion aussi comme un castellum, terme moins étonnant pour ce genre d’établissements. Il est cependant évident qu’une place forte comme celle d’ « Oldenburgskuhle » n’avait que peu à voir avec une ville romaine d’Europe occidentale. Quant au site fortifié de Büraburg, dont le fait que c’était un siège épiscopal indique des fonctions plus diversifiées que celles d’Esesfelth, bien que situé sur une hauteur, il ne différait pas tellement dans son apparence de la forteresse d’ « Oldenburgskuhle », et il fut désigné comme un oppidum. Les forteresses des Saxons sont encore trop peu connues pour pouvoir déterminer les fonctions qu’exerçaient de tels sites, même s’il semble peu probable qu’elles aient été des lieux de résidence pour les élites saxonnes. Le peu que nous savons permet toutefois de conclure que ce devaient être des sites impressionnants, situés sur des hauteurs surplombant des plaines, avec des dimensions sans doute généralement plus grandes que celles de l’ « Oldenburgskuhle ». Malgré cela, ces places fortes ne furent pas désignées comme des civitates par les annalistes francs : c’étaient toujours des castella ou des castra. La comparaison entre des sites situés chez les Saxons et à la périphérie de l’Empire franc, pourtant relativement bien identifiés avec les localités mentionnées dans les sources écrites, laisse apparaître certaines contradictions. La différence entre civitas et castellum ne renvoie certainement pas à leur dimension. On pouvait éventuellement évoquer une différence de fonctions, si l’on admet que l’ « Oldenburgskuhle » n’aurait servi que des buts militaires et que les places fortes des Saxons auraient surtout été des lieux de refuge – mais on se demanderait alors pourquoi Büraburg était désigné comme un oppidum. Chercher une différence de sens est sans doute futile.

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Quant aux forteresses des Slaves – que ce soient les fortins circulaires de la fin du IXe siècle ou les Burgwälle de la période précédente – , on ne peut guère parler non plus de sites urbains en ce qui les concerne. Ce sont des places fortes de dimensions minimalistes, souvent accompagnés de petites bassecours ou autres formes d’agglomérations secondaires, fortifiées ou non, dans les environs immédiats ou à une certaine distance, mais dont ni la taille, ni la complexité de l’ensemble n’autorisent à les qualifier de « villes » ou mêmes de sites « proto-urbains ». Cela n’empêcha pas que des endroits de ce genre aient été désignés à plusieurs reprises dans les sources écrites comme des civitates – ou, à l’occasion, comme des castella. De telles places fortes n’avaient que peu à voir avec une forteresse franque comme l’ « Oldenburgskuhle », puisque malgré leur petite taille, elles n’avaient probablement pas seulement une fonction militaire – l’archéologue Przemysław Urbańczyk va jusqu’à affirmer que leur fonction première aurait été avant tout symbolique141. Felix Biermann voit dans leur apparition un début d’organisation sociale, bien qu’à un niveau encore rudimentaire142. Elles étaient apparemment de dimensions beaucoup plus réduites et certainement moins impressionnantes – elles se trouvaient généralement dans des plaines plutôt que sur des hauteurs – quant à leur topographie que ce que l’état limité des recherches nous permet de reconnaître des quelques forteresses des Saxons étudiées. Pourtant, les mêmes auteurs écrivant en latin ont désigné les fortifications des Slaves comme des civitates et celles des Saxons comme des castra ou castella. Là encore, il est évident que la taille des établissements n’était aucunement un critère décisif. Les seuls centres d’habitat fortifiés du IXe siècle que l’on puisse sans doute à juste titre qualifier de « proto-urbains » – en suivant les critères proposés par Sebastian Brather143 – sont les forteresses dites de Grande-Moravie. Les vastes dimensions des murs d’enceintes et l’exceptionnelle concentration d’habitat que l’on y retrouvait – que ce soit à l’intérieur même des enceintes ou éparpillés dans les alentours plus ou moins immédiats – dépassaient de loin tout ce que l’on a pu découvrir dans les régions du barbaricum de la même époque. Malheureusement – ironie du sort – ce sont les sites les moins bien connus des sources écrites contemporaines. Les auteurs des annales franques ont certes mentionné à quelques occasions des civitates appartenant aux territoires contrôlés par des princes moraves et ont parfois insisté sur leur aspect impres-

141

P. Urbańczyk, Wczesna urbanizacja..., cité p. 191, n. 5, p. 39-40. F. Biermann, Slawische…, op. cit., p. 85-88, 97-99 ; F. Biermann et K. Frey, Ringwall…, art. cit., p. 74-75. 143 S. Brather, Archäolgie…, op. cit., p. 140-141. 142

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sionnant144, mais leur localisation et leur identification avec les sites archéologiques connus est, nous l’avons vu, extrêmement problématique. Le degré d’urbanisation des localités situées à l’est de leurs frontières n’était pas ce qui intéressait les auteurs des sources franques. Selon toute apparence, la taille des places fortes, la complexité des ensembles d’habitat, l’aspect impressionnant des fortifications, le choix de sites imposants – tout cela n’était que secondaire pour les annalistes et autres auteurs francs. Les différents éléments formant des degrés de différenciation entre des forteresses et un habitat proto-urbain n’étaient pas nécessairement dignes d’être notés. Les différences remarquables entre les divers types d’habitat que les auteurs de la période carolingienne ont désigné – souvent indifféremment – parfois comme des civitates, parfois comme des castella ou castra ne peuvent guère être ignorées. Une confrontation des sources écrites et des sources archéologiques rend évident que l’on ne peut se fier aux termes latins pour se faire une idée des différences entre les formes d’habitat que ceux-ci décrivent ou du niveau d’urbanisation de différentes régions. Il importe avant tout de porter attention aux intentions des auteurs de ces sources. Tout au long des VIIIe et IXe siècles, chaque fois que des régions ou des localités chez les Saxons et les Slaves firent leur première apparition dans les sources écrites, c’était dans le cadre de conflits militaires avec les Francs. Certes, ces premiers contacts belliqueux pouvaient ensuite mener à diverses formes d’alliances ou d’intégration. Mais il va de soi que, lors des premières mentions, les auteurs écrivaient d’une part du point de vue des Francs et d’autre part dans une situation de conflit. Ce qui les intéressait donc, c’était le récit de guerres et le rôle militaire qu’y jouaient les places fortes dont il était question. Tout le reste – rôle politique, développement économique, social ou urbain – n’avait guère d’importance, à moins que cela ait pu faire une différence dans les stratégies militaires des Francs. Or, le vocabulaire latin tend à être conservateur, et cela, même pour les sources narratives. Nous avons vu les difficultés auxquelles se voyait confronté le clerc anonyme de Paderborn se servant de sources plus anciennes, dont les auteurs s’étaient refusé à qualifier son siège épiscopal de civitas et l’habileté avec laquelle il s’efforça de contourner le problème. Pour un auteur franc du IXe siècle, lorsqu’une localité avait déjà été désignée par ses prédécesseurs de castellum, elle restait un castellum, et lorsqu’elle avait été une civitas, elle demeurait une civitas145. Les cas où une même forteresse fut désignée à la fois comme un castellum et comme une civitas – bien que les deux termes aient eu à peu près le même sens – restent rares, et les sources divergentes proviennent alors en général d’un même milieu : une tradition n’avait pas encore pu se 144 145

Voir infra, p. XYZ. P. Gautier Dalché, Principes…, cité p. 161, n. 170, p. 139-149.

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former, si bien que leurs auteurs ne se référaient pas encore à des sources quelque peu anciennes et faisant déjà autorité. Dans ces conditions, il serait futile de vouloir voir des différences entre ces termes. On ne peut trouver de différenciations là où les auteurs des sources ne cherchent pas à en exprimer. Il n’empêche que cette comparaison avec les sources archéologiques permet, en ce qui concerne certains aspects, de confirmer les résultats de l’analyse des sources écrites de l’époque carolingienne. En effet, alors que pour les régions à l’intérieur de l’Empire, on faisait une distinction stricte entre les différentes formes d’habitat, pour la périphérie, on se servait indifféremment des termes latins, sans tenir compte de la grande variété des formes d’habitat décrites. Dans les zones périphériques, les termes étaient à peu près interchangeables et ne reflétaient pas une différence réelle. La situation changea au cours du Xe siècle. Autant en Saxe ottonienne que chez les Slaves et en Pologne se développèrent alors des centres d’habitat plus importants. Ils apparurent à la fin de ce siècle et s’agrandirent surtout au cours des XIe et XIIe siècles. Alors que Sebastian Brather continue à les appeler des Burgstädte dans la tradition de Walter Schlesinger146, Jerzy Piekalski préfère parler de « complexes d’habitat polycentriques à caractère proto-urbain » (« policentryczne zespoły osadnicze o charakterze wczesnomiejskim »)147. Piekalski, qui a étudié attentivement la topographie de ces sites et les a comparés avec celle des villes de fondation des XIIe et XIIIe siècles, attire l’attention sur l’aspect multipartite et décentralisé de la majorité de ces agglomérations, démontrant qu’elles étaient composées de plusieurs éléments formant un ensemble plus ou moins cohérent selon les cas. Nous avons vu que lors de cette période, le discours des sources latines a été caractérisé par une disparition des différences entre les urbes et civitates des Francs et des Saxons d’une part et de celles des Slaves et des autres régions périphériques d’autre part. Cela correspond à ce que laisse entrevoir l’archéologie. Ce n’est pas pour rien que Jerzy Piekalski traita dans son étude comparative à la fois des villes d’origine romaine et des localités situées dans l’ancien barbaricum148. Les différentes régions connurent une évolution semblable lors de la période allant du Xe siècle à celle des villes de fondation. C’est lors de la dernière phase, à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, que ces complexes polycentriques connurent un essor inégalé et une expansion maximale, si bien que selon Piekalski, ce sommet de leur développement appartiendrait pleinement à l’histoire des débuts des villes de fondation149. 146

S. Brather, Archäologie..., op. cit., p. 148-154. J. Piekalski, Przemiany topografii miast Europy środkowej w XII – XII wieku. Aktualne problemy badawcze, dans L. Leciejewicz et M. Rębkowski (éd.), Civitas…, cité p. 245, n. 124, p. 74. 148 J. Piekalski, Od Kolonii… op. cit., p. 5-7. 149 J. Piekalski, Przemiany…, cité p. 255, n. 147, p. 74-75. 147

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Pourtant, la source la plus prolifique concernant la Pologne du début du XIIe siècle, la chronique dite de Gallus Anonymus, laisse à peine apparaître cette évolution. On y perçoit une dichotomie entre les civitates du centre et celles de la périphérie – c’est-à-dire principalement en Poméranie – qui ne correspond guère à la réalité. Kołobrzeg était tout autant un complexe polycentrique à caractère proto-urbain que les principaux centres du royaume des Piast. Les complexes polycentriques se développant à partir de la fin du Xe siècle ont sans l’ombre d’un doute atteint un degré d’urbanisation supérieur à celui des forteresses de la période précédente. Les différences entre le centre – la Saxe et l’Empire franc – et la périphérie – les régions peuplées par les peuples slaves – devinrent moindres, et cela se refléta dans l’usage du vocabulaire des sources latines. Mais l’exemple du chroniqueur anonyme de Pologne montre que la différence de perception pouvait facilement donner prise à des changements importants dans le discours qui n’étaient pas nécessairement liés à des divergences dans la réalité matérielle. La convergence des deux types de sources reste fragile. Les sites portuaires de la mer Baltique, comme nous l’avons vu, n’étaient pas encore fortifiés lors de la première phase correspondant au IXe siècle. Seule Birka eut très tôt une enceinte. Les sources contemporaines les désignaient comme des emporia ou plus souvent comme des portus. C’est ensuite Adam de Brême qui leur accorda le plus d’attention, à une époque où ces sites étaient depuis longtemps entourés d’enceintes. Or, on constate que pour Adam, la distinction entre portus et civitas n’était plus aussi claire qu’elle l’était au IXe siècle. Ainsi, Iumne/Wolin, qui pourtant avait plusieurs des caractéristiques des sites portuaires, fut qualifiée par lui de civitas et jamais de portus. Birka et Sliaswich sont devenues des civitates et, s’ils sont encore été qualifiées de portus ou vicus, on peut croire que c’est avant tout parce qu’Adam connaissait des sources antérieures les désignant ainsi et qu’il reprit leur vocabulaire. Nous avons dans ce cas affaire à une situation dans laquelle un changement matériel – la propagation de murs d’enceintes protégeant ce qui n’était avant cela que des sites non fortifiés – mena à un changement de perception. On ne distingua plus clairement entre emporia et portus d’une part et civitates d’autre part. Et à nouveau, le conservatisme du vocabulaire latin se laisse constater. Alors que les sites mentionnés dans des sources antérieures continuèrent à être qualifiés régulièrement de portus, une agglomération nouvellement connue des sources écrites comme celle de Wolin fut d’emblée une civitas. La différence est à chercher dans la tradition plutôt que dans l’apparence réelle de l’habitat.

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3. Églises et palais Dans les forteresses du haut Moyen Âge, les principaux édifices susceptibles de servir à la représentation du pouvoir étaient les églises et les palais. La prépondérance des mentions et des descriptions d’églises dans les sources écrites pousse à croire que cette insistance est à mettre au compte des origines cléricales de la majorité des auteurs. Mais ce n’est pas inévitablement le cas. Parmi tous les bâtiments construits à l’intérieur des forteresses, ce sont indubitablement les églises qui attirèrent en premier lieu l’attention des auteurs des sources écrites, du IXe au début du XIIe siècle. En comparaison, les palais des souverains et autres édifices à usage profane ne furent à peu près jamais décrits. Une rare exception est Adam de Brême, qui illustra avec une certaine abondance de détails la construction des édifices résidentiels de l’archevêque et du duc à Hambourg. De fait, dans toutes les régions étudiées, les plus anciens bâtiments monumentaux en pierre sont toujours des églises. Dès le Xe siècle, on retrouve des églises de pierre en Saxe – nous avons vu l’exemple de Magdebourg – , mais également en Bohême et en Pologne. Chez les Abodrites, les églises sont certes d’abord construites en bois, mais là également, le plus ancien édifice en pierre est l’église dans la forteresse d’Alt Lübeck. En revanche, les édifices profanes les plus importants sont pendant longtemps construits en bois150. À Magdebourg, ce que l’on avait cru être le plus ancien palais en pierre de Saxe s’est avéré avoir été une église. À Tilleda, on a trouvé les restes d’une halle certes de dimensions impressionnantes, mais construite en bois151. À Prague, le plus ancien édifice profane en pierre connu est le domicile de l’évêque érigé au XIe siècle152. En Pologne, on a cru reconnaître des palais princiers à Poznań ou à Ostrów Lednicki, mais on ne s’empêchera pas de souligner les difficultés présentées par une telle interprétation. Même si certains archéologues n’ont pas perdu l’espoir de retrouver le plus ancien palais en pierre à Cracovie, le plus ancien bâtiment qui puisse être interprété comme tel est de la fin du XIe siècle153. 150

Au Danemark, le plus ancien palais de pierre est du XIe siècle. Voir A. Nissen-Jaubert, Princes’ Residences in Denmark – from ca. 1000 to ca. 1350, dans K. Drake (éd.), Castella maris Baltici 1, Stockholm, 1993 (Archaeologia Medii Aevi Finlandiae, I), p. 89-100. 151 M. Dapper, Die ottonische Pfalz…, cité p. 202, n. 28, passim. 152 J. Frolík, Dom biskupi na Zamku Praskim do końca XIII wieku, dans Acta Archaeologica Waweliana, II, 1998, p. 19-38. 153 Z. Pianowski, Monumental Architecture of Early Medieval Krakow / Architektura monumentalna wczesnośredniowiecznego Krakowa, dans E. Firlet (éd.), Kraków w chrześcijańskiej Europie X – XIII w. / Krakow in Christian Europe, 10th – 13th C. Katalog wystawy. Catalogue of the Exhibition, Cracovie, 2006, p. 162-219 ; Z. Świechowski, Najdawniejsza architektura murowana w Polsce – jak dawna ?, dans Z. Woźniak et J. Gancarski (éd.), Polonia Minor medii aevi. Studia ofiarowane Panu Profesorowi Andrzejowi Żakiemu w osiemdziesiątą rocznicę urodzin, Cracovie,

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Il ne fait guère de doute que de tels édifices devaient impressionner les observateurs, principalement lorsqu’ils n’étaient entourés que de modestes constructions en bois, ce qui rendait le contraste encore plus frappant. La fascination provoquée par une telle architecture est attestée autant par Thietmar de Mersebourg que par Adam de Brême, qui exprimèrent leur admiration et signalèrent l’importance qu’avait pour les contemporains le fait de remplacer des églises en bois par de nouveaux édifices en pierre. Cette fascination était accrue par la rareté de la pierre en tant que matériau de construction en Europe du Nord, un état de fait qu’ont souligné explicitement les deux auteurs. Ce n’est sans doute pas un hasard si les églises furent plus souvent mentionnées et décrites dans les sources écrites que les palais. Les fouilles archéologiques ont démontré clairement que l’architecture monumentale en pierre, dans toutes les régions dont il est ici question, a d’abord été mise à profit pour les bâtiments de culte. Ce n’est que plus tard qu’elle commença à servir des buts profanes. Cela permet de mieux comprendre pourquoi les églises des Xe et XIe siècles impressionnaient tant les contemporains et démontre que ce n’était sans doute pas seulement dû au fait que les auteurs de nos sources étaient tous des clercs et qu’ils auraient été animés par la volonté d’exalter les symboles matériels de la religion chrétienne. 4. Concentration de richesses La concentration de richesses en un seul endroit, sous quelque forme que ce soit, contribue bien entendu à conférer de l’importance. Comme l’indiquent les auteurs des sources étudiées, l’opulence dans laquelle vivaient les habitants devint régulièrement une caractéristique d’établissements différents d’un habitat rural. En ce qui concerne cet aspect, sources écrites et archéologiques concordent souvent, bien que ce soit indépendamment des intentions des auteurs. En particulier depuis Rimbert, les richesses sont devenues dans le discours des sources latines un élément récurrent caractérisant les sites proto-urbains, d’abord les emporia puis, de plus en plus dans les siècles suivants, les civitates. C’est surtout dans l’œuvre du chroniqueur dit Gallus Anonymus que l’importance des richesses comme caractéristique des agglomérations a culminé. D’après les résultats des sources archéologiques, au IXe siècle, les forteresses des Slaves n’étaient guère caractérisées par un excès de richesses. Au contraire, les fouilles dans les fortins circulaires, comme l’indique Felix Biermann, ont montré que la culture matérielle y était souvent très pauvre et que les élites qui y habitaient, si elles possédaient sans doute un certain prestige Crosno, 2003, p. 135-163 ; J. Firlet et Z. Pianowski, Uwagi o topografii wczesnośredniowiecznego Wawelu, dans Acta Archaeologica Waweliana, III, 2006, p. 43-58.

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symbolique, ne l’exprimaient pas toujours par une richesse ostentatoire154. En revanche, on retrouvait dans les emporia une concentration de marchandises générée par le commerce et qui créait donc une source de richesses. En ce sens, les textes reflétaient une certaine réalité. C’est surtout aux Xe et XIe siècles que le commerce connut un essor et que les produits de luxe s’accumulèrent à la cour des souverains155. On en a retrouvé des traces matérielles particulièrement évidentes à Oldenburg/Starigard156 et à Ostrów Lednicki157. À en juger d’après les restes matériels, les mentions des sources écrites témoignent apparemment d’une évolution réelle. Les sources latines nous permettent surtout de donner un sens aux trouvailles archéologiques. La mise en valeur de richesses ostentatoires formait avec les succès à la guerre l’un des piliers de l’expression du pouvoir158. L’importance des richesses créa des débats parmi les élites cléricales qui réagirent de différentes manières. Malgré leurs réticences initiales, elles finirent par accepter et reconnaître la légitimité du prestige accordé par l’accumulation de produits de luxe. Le chroniqueur dit Gallus Anonymus est le meilleur représentant de cette tendance. Or, la concentration de richesses s’accumulait principalement dans les emporia et dans les civitates. Elle constituait même une des caractéristiques principales de ces établissements.

154

F. Biermann, Slawische..., op. cit., p. 66-88. S. Brather, Merowinger- und karolingerzeitliches « Fremdgut » bei den Nordwestslawen. Gebrauchsgut und Elitenkultur im südwestlichen Ostseeraum, dans Praehistorische Zeitschrift, 71, 1996, p. 46-84 ; H. Steuer, The Beginnings of Urban Economies among the Saxons, dans D. H. Green et F. Siegmund (éd.), The Continental Saxons from the Migration Period to the Tenth Century : An Ethnographic Perspective. Papers Presented at the Sixth Conference on « Studies in Historical Archaeoethnology », Organized by the Center for Interdisciplinary Research on Social Stress, Which Was Held in San Marino from 10th September to 14th September 1999, Woodbridge, 2003 (Studies in Historial Archaeoethnology), p. 159-181 ; J.-L. Sarrazin, Généralisation et diversification de l’essor économique (930-1180), dans P. Contamine, M. Bompaire, S. Lebecq et J.-L. Sarrazin, L’Économie médiévale, Paris, 2004 (d’abord paru en 1997) (Collection U – Histoire), p. 141-208. 156 I.  Gabriel, Hofkultur, Heerwesen, Burghandwerk, Hauswirtschaft, dans M.  MüllerWille (éd.), Starigard/Oldenburg..., op. cit., p. 181-250 ; id., Handel und Fernverbindungen, dans M. Müller-Wille (éd.), Starigard/Oldenburg..., op. cit., p. 253-278. 157 J. Górecki, Die Burg in Ostrów Lednicki – ein frühstaatliches Zentrum der Piastendynastie, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas Mitte…, op. cit., vol. 1, p. 467-470 ; id., Gród na Ostrowie Lednickim na tle wybranych ośrodków grodowych pierwszej monarchii Piastowskiej, Lednogóra, 2002 (Biblioteka Studiów Lednickich, VII). 158 M. Hardt, Gold und Herrschaft. Die Schätze europäischer Könige und Fürsten im ersten Jahrtausend, Berlin, 2004 (Europa im Mittelalter, 6), passim. 155

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5. Unité topographique ou dispersion de l’habitat À quel point les agglomérations à caractère proto-urbain formaient-elles une unité ? Leur éventuelle unité se reflétait-elle dans un ensemble topographique ? Est-il légitime de parler d’unité, ou est-ce que la tendance à la dispersion était plus forte que celle menant au regroupement de divers éléments d’habitat ? En fait, s’il est vrai que les établissements de la période carolingienne étaient réellement morcelés et que cela se répercuta dans les textes des auteurs francs, l’impression d’unité des différentes parties exprimée dans les sources des siècles suivants est en grande partie un produit des conceptions mentales des contemporains, qu’il importe de comprendre d’après leurs propres catégories de pensée. Les sources écrites de la période carolingienne présentent, autant pour les régions de l’Empire franc que pour les contrées en périphérie, différents établissements aux fonctions partielles comme des éléments indépendants les uns des autres : civitas, suburbium, portus, emporium sont dispersés ici et là, mais en aucun endroit ne forment des ensembles cohérents. L’habitat de cette période semble en effet être caractérisé par un morcellement particulièrement prononcé. L’habitat des Francs se démarque par une séparation topographique des fonctions, les palais se trouvant souvent dans des villae et les nouvelles places fortes n’ayant en général qu’un rôle purement militaire. Les emporia de la mer Baltique sont isolés et, si d’occurrence une forteresse peut se trouver dans les environs – comme Ilow dans le cas de Groß Strömkendorf/Reric – elle se trouve à une distance notable. Les fortins circulaires des Slaves sont certes souvent doublés d’une agglomération non fortifiée, mais celle-ci n’est pas toujours dans les environs immédiats – elle peut en être séparée par un espace substantiel. Bref, on ne peut guère parler d’une concentration de l’habitat ou d’une pluralité marquée des fonctions des différentes formes d’habitat. L’emporium est sans doute l’avatar le plus frappant de cette tendance à la dispersion, isolé et servant des buts pragmatiques. Le vocabulaire utilisé est donc bel et bien un reflet du fractionnement de l’habitat. Les établissements sont caractérisés par leurs fonctions – militaires, économiques ou autres – et les termes latins tentent d’en rendre compte. Bien que les mots désignant diverses formes de places fortes en Saxe et chez les Slaves puissent recouvrir des réalités fort différentes, les sites portuaires autour de la mer Baltique sont des établissements si fondamentalement différents de celles-ci qu’un vocabulaire spécifique a dû se développer. Nous avons pu observer que les auteurs des sources écrites des Xe et e XI  siècle ont au contraire développé une nette tendance à considérer les différentes parties des agglomérations comme formant un tout. Contrairement à l’époque précédente, on distingue dorénavant non pas entre divers types d’habitat – civitas ou emporium – mais entre les différentes parties d’une

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même localité. Qu’il s’agisse d’un suburbium, d’un vicus, d’une urbs ou d’un castellum, ou littéralement d’une pars de l’ensemble : tous ces éléments sont alors considérés comme faisant partie d’un tout cohérent. En même temps, le Xe siècle voit par opposition à la période carolingienne se réaliser une certaine forme de centralisation. On constate une tendance à vouloir rapprocher les différents éléments les uns des autres. L’époque des emporia fait peu à peu place au développement d’agglomérations multipartites centrées autour de forteresses. Les grands palais fortifiés de la Saxe ottonienne caractérisent fort bien ce penchant. Ainsi, Magdebourg cumule un monastère, un palais fortifié, une agglomération marchande et finalement un siège archiépiscopal. La situation ne diffère guère en Pologne ou chez les Slaves, où des forteresses dites « princières » cumulent les fonctions de résidences pour les élites, de centres religieux et de pôles économiques. Toutefois, cette propension à l’accumulation de différents éléments reste trompeuse. C’est un acquis de la recherche récente et plus particulièrement des travaux de Jerzy Piekalski que d’avoir montré à quel point ces complexes polycentriques étaient décentralisés et souvent dispersés159. Le rapprochement relatif des diverses parties de l’agglomération dépendait surtout des hasards de la géographie. L’habitat était plus compact lorsque l’espace était limité, par la situation sur une île comme à Ostrów Lednicki, ou lorsque le terrain ne permettait guère qu’il en soit autrement, comme à Cracovie où la basse-cour ne pouvait s’étendre que dans la vallée encaissée aux pieds du Wawel160. Dans la plupart des cas cependant, l’habitat se dispersait en îlots d’habitation, en places fortes, basses-cours fortifiées ou non, agglomérations périphériques, bourgades en proximité. Dans certains cas, la forteresse principale pouvait donner l’impression d’une certaine unité comme à Gniezno, mais dans d’autres cas, les divers éléments étaient distincts, séparés par des espaces plus ou moins vastes, des rivières, des gorges ou tout simplement des espaces libres, comme à Poznań, à Sandomierz, à Kołobrzeg. Partout, on remarque que ces centres étaient environnés d’îlots d’habitat dispersés, sur les rives proches ou dans les espaces un peu plus loin : à Magdebourg, à Wolin, à Alt Lübeck… En outre, Sławomir Moździoch a attiré l’attention à plusieurs reprises sur le fait que ce qui donnait aux complexes du haut Moyen Âge un caractère proto-urbain, c’était en général ce qui se trouvait à l’extérieur des places fortes161. Les forteresses ne remplissaient qu’une partie des fonctions de l’ag159

J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 165-166. J. Górecki, Die Burg..., cité p. 259, n. 156, passim ; id., Gród..., op. cit., passim ; E. Firlet (éd.), Kraków…, op. cit ; J. Firlet et Z. Pianowski, Uwagi…, art. cit. ; A. Kukliński, Spór…, art. cit. ; id., Forschungsstand…, art. cit. ; id., Najnowsze wyniki…, art. cit. 161 S. Moździoch, The Origins…, art. cit., p. 151 ; id., Problemy badań nad początkami miast i wsią wczesnośredniowieczną w Polsce, dans Slavia Antiqua, XXXVIII, 1997, p. 44-45, 57 ; id., Miejsca centralne Polski wczesnopiastowskiej. Organizacja przestrzeni we wczesnym średniowieczu 160

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glomération : défense, résidence, éventuellement culte. L’habitat dispersé des environs remplissait toutefois des fonctions économiques et sociales également fondamentales. Ce n’est que l’ensemble des éléments et des parties – peu importe son éparpillement – qui formait une agglomération. Moździoch s’insurge contre le fait que ce soient ces forteresses que l’on désigne comme des « villes » ou des « centres proto-urbains » (« ośrodki wczesnomiejskie ») : ce ne sont pas celles-ci qu’il faudrait désigner de cette manière, arguet-il, mais l’ensemble formé à la fois par les places fortes et les établissements des alentours162. Les sources écrites et archéologiques se contredisent. On peut admettre que, d’une certaine manière, il y eut au Xe siècle un degré de concentration de l’habitat plus élevé qu’au IXe. On retrouvait des complexes d’habitat plus vastes, rassemblant dans une proximité relative des éléments hétéroclites. Mais malgré tout, leur éparpillement et leur division en parties plus ou moins indépendantes les unes des autres n’en faisaient guère des ensembles à la topographie clairement délimitée. Le morcellement ne pouvait échapper à l’observateur. Il aurait été impossible, dans la plupart des cas, de démarquer sur le terrain où se terminait exactement l’agglomération. Sans doute nos catégories pour approcher le phénomène proto-urbain sont-elles anachroniques. Il serait important de comprendre la façon dont les contemporains percevaient ces agglomérations. Citons le chroniqueur Thietmar : « C’est d’Henri (Ier), écrit-il, qu’elle (c’est-à-dire Mersebourg) tire son origine, lui qui réunit ce qui appartient à ladite civitas et qui alors faisait partie des possessions de nombreuses personnes, et il y joignit beaucoup de plus grandes possessions encore, qu’il avait conquises par son courage et son industrie »163. Apparemment, pour Thietmar la civitas de Mersebourg est étroitement liée à l’ensemble des possessions qui lui appartiennent. Ce n’est donc pas le complexe topographique formé de divers éléments d’habitat qui lui donne son unité : l’agglomération n’est pas un ensemble topographique, mais un ensemble organique, associé par des parties qui d’une manière ou d’une autre sont en relations étroites entre elles. Ces relations peuvent être d’ordre juridique, personnel, fonctionnel, ou même – ce qui après tout n’est pas à exclure – topographique. Certains éléments font partie de l’ensemble de la civitas – un suburbium, une pars de la civitas – , d’autres lui appartiennent – des adperti-

jako źródło poznania systemu społeczno-gospodarczego, dans id. (éd.), Centrum i zaplecze we wczesnośredniowiecznej Europie środkowej, Wrocław, 1999 (Spotkania Bytomskie, III), p. 21-51. 162 S. Moździoch, Problemy..., art. cit., p. 44. 163 Ab Heinrico sumatur exordium, qui predictae civitatis adpertinencia multorum ius tunc respicentia univit, maioraque his multum sua virtute et industria subegit. Thietmar, op. cit., 1,3(2), p. 6.

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nentia. Le complexe cohérent de la civitas est une construction intellectuelle plutôt qu’une réalité matérielle. Ces remarques peuvent aider à mieux comprendre les passages de l’œuvre d’Adam de Brême dans lesquels l’écolâtre témoigne d’une difficulté à conceptualiser la différence entre une civitas et une regio. Rappelons qu’il se servait des mêmes éléments – fertilité, description des habitants, adjectifs laudatifs – , voire du même vocabulaire, pour décrire l’une comme l’autre. Cette imprécision peut s’expliquer si l’on arrive à se détacher de nos conceptions actuelles pour se rapprocher des catégories intellectuelles de cette époque. Les complexes d’habitat polycentriques des Xe et XIe siècles étaient dans leur apparence extérieure des ensembles flous aux contours imprécis. En admettant que les contemporains y aient vu non pas une unité topographique clairement délimitée, mais un ensemble d’éléments reliés les uns aux autres par diverses formes de dépendances directes ou indirectes, on peut concevoir que la différence entre l’agglomération et la région, qui était un peu la même chose mais sur une plus vaste échelle, n’était pas toujours facile à identifier. Cette imprécision ne signifie pas nécessairement une réminiscence de la signification antique de civitas en tant qu’unité territoriale centrée autour d’une urbs – un sens qui, on l’a vu, était tombé en désuétude dès le IXe siècle. Il est plus simple d’y voir une conséquence du fait que les agglomérations multipartites, s’étant développé de manière désordonnée, surtout depuis la fin du Xe siècle et au XIe siècle, formaient des ensembles aux contours flous, difficiles à délimiter. La distinction entre ce qui faisait partie de la civitas, ce qui lui appartenait et ce qui était à l’extérieur de celle-ci était rarement simple. Une telle façon de voir les choses est plus proche des conceptions médiévales que la recherche d’une description exacte de la réalité matérielle. La perception de l’espace se fondait sur des considérations associatives ou souvent purement symboliques plutôt que sur une description d’une matérialité tangible. En témoignent les cartes médiévales autant que les descriptions géographiques, qui représentaient des concepts et non pas des réalités spatiales164. Comme l’a démontré Patrick Gautier Dalché, que ce soit pour les vastes espaces ou au niveau local, les gens du Moyen Âge divisaient l’espace en unités spatiales reliées par ce qu’il désigne comme des « liens de contiguïté »165. La conception de la civitas en tant qu’ensemble multipartite aux Xe et XIe siècles correspondait à cette manière de voir. Les différents éléments en faisant partie ne devaient pas obligatoirement former une unité visiblement cohérente. Il suffisait qu’un lien de dépendance économique, social ou institutionnel existe pour former des « liens de contiguïté ». Que l’habitat dans les alentours des forteresses soit dispersé et morcelé n’y changeait rien. 164 165

P. Gautier Dalché, Principes…, cité p. 161, n. 170, p. 135. P. Gautier Dalché, Principes…, cité p. 161, n. 170, p. 149.

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Walter Schlesinger déduisait de son analyse des sources écrites – sans la confronter avec les trouvailles de l’archéologie, qui de toute façon était alors loin des résultats auxquels elle est aujourd’hui parvenue – que la multifonctionnalité attribuée aux civitates de Francie orientale était due à l’accumulation dans les environs immédiats des forteresses de basses-cours et autres agglomérations secondaires166. Cette interprétation était en partie due à l’utilisation de catégories de pensée anachroniques. Comme nous avons pu le démontrer, l’impression d’unité des différentes parties des agglomérations ne devait pas être redevable à une cohérence topographique. Les multiples parties des civitates ne devaient pas obligatoirement être dans l’environnement immédiat des forteresses – ce qui modifie considérablement l’idée que l’on a pu se faire d’une Burgstadt, alors qu’on tenait à en faire quelque chose qui ressemblât le plus possible à une « ville », telle qu’on se l’imagine aujourd’hui. * Partout dans les régions qui font l’objet de cette étude, les forteresses formaient un élément majeur de l’habitat, dominant le paysage en se démarquant des autres établissements autour desquels se concentraient les activités des communautés humaines. Par le simple fait qu’elles se distinguaient des autres formes d’habitat, les places fortes possédaient un élément essentiel de ce qui allait former les caractéristiques de sites proto-urbains et finalement urbains, séparés, distincts, attirant l’attention avant tout par leur spécificité qui allait contribuer à leur donner une identité particulière. Les fortifications pouvaient avoir une apparence très modeste, comme celles des petits fortins circulaires des Slaves, de dimensions réduites. Leur position surélevée, dominant le paysage, pouvait leur conférer un aspect impressionnant, comme c’était souvent le cas chez les Saxons et chez les Baltes. Il pouvait en outre s’agir de complexes multipartites, au sein desquels une ou plusieurs forteresses formaient des éléments d’un ensemble plus ou moins cohérent selon le cas. Seul dans sa catégorie, l’emporium montrait indiscutablement des éléments proto-urbains sans toutefois, lors de la première et de la plus caractéristique des phases de ce phénomène, être obligatoirement fortifié. Les sources écrites ne sont pas toujours un reflet adéquat de la réalité matérielle découverte par les travaux des archéologues. L’exemple des différentes dénominations utilisées par les annalistes francs pour désigner les forteresses des Francs, des Saxons et des Slaves montre parfaitement comment un discours écrit pouvait se développer indépendamment des différences réelles de l’habitat, se servant de catégories ayant leur origine principalement dans une tradition culturelle développée par les auteurs. Certes, les descriptions des 166

W. Schlesinger, Burg..., cité p. 12, n. 10, p. 101-112 ; id., Stadt…, cité p. 12, n. 10, p. 101-105.

forteresses et habitat d’après les sources archéologiques 265

sources écrites ne sont pas de la pure fiction n’ayant aucun rapport avec la réalité. L’exemple de l’importance des églises par rapport aux palais en tant qu’édifices impressionnants démontre clairement que la monumentalité des églises de pierre a véritablement influencé les auteurs et qu’il ne s’agit pas – comme on aurait pu le supposer – d’un parti pris clérical. Cependant, le cas de la dispersion de l’habitat et des « liens de contiguïté » entre les différents éléments appelle à la prudence et à ne pas se fier trop facilement à ce que les auteurs des sources écrites semblent décrire, et attire l’attention sur la nécessité d’interpréter ces sources en se servant des catégories mentales des contemporains, en évitant les apparences trompeuses d’une lecture involontairement anachronique. La conception du caractère urbain des établissements d’habitation en Europe centrale et nordique, avant l’apparition du phénomène des villes de fondation, était certes en partie l’application à une réalité nouvelle de traditions culturelles héritées de l’Antiquité romaine. Cette projection mena à l’adaptation et à la transformation du discours en langue latine que nous avons décrites dans les premiers chapitres de cette étude. Cependant, ce discours ne se développa pas dans le vide et il était en interaction constante avec les transformations des formes d’habitat décrites par les sources écrites. Seule une confrontation à grande échelle – malgré les généralisations excessives qu’on pourra lui reprocher – a pu mener à une meilleure compréhension des interdépendances entre discours culturel et culture matérielle. * Face à des problèmes comparables, mais dans des contextes différents, les auteurs des sources étudiées proposèrent des solutions variées. Certains introduisirent des termes antiques mais en s’en servant avec une signification décidément simplifiée, d’autres se refusèrent à utiliser des concepts évocateurs comme ceux d’urbs ou de civitas pour des contrées sans passé romain. Au fil des siècles se développa toutefois une position mitoyenne, combinant des aspects hérités de la ville antique d’Europe occidentale avec des usages introduits dans les descriptions des espaces à l’est du Rhin. Certains aspects de l’usage classique disparurent dans l’« Europe plus jeune » – comme la conception de la civitas en tant que district territorial. Les éléments qui furent associés aux types d’agglomérations proto-urbains – soit surtout, dans le vocabulaire des sources, des urbes, civitates ou encore emporia et portus – étaient certes directement hérités de la tradition des descriptions et laudes urbium, mais des changements significatifs firent leur apparition dans les textes traitant des espaces à l’est du Rhin. Alors que des notions d’ordre culturel – écoles, bibliothèques ou scriptoria – perdirent considérablement de leur importance, d’autres – comme l’accumulation de richesses, le rôle du commerce, la place centrale des bâtiments de culte – jouirent d’un intérêt inédit. Bien que l’élément le plus stable ait été constitué par les forti-

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chapitre iv

fications, on remarque que l’importance accordée à certains habitats plutôt qu’à d’autres était souvent due à des aspects fortement subjectifs. Les travaux archéologiques récents soulignent l’apparence généralement modeste des formes d’habitat présentes dans les régions étudiées. L’importance que devaient avoir des agglomérations comme les fortins circulaires des Slaves ou les sites portuaires de la mer Baltique était redevable à leur fonction dans les sociétés dans lesquelles elles étaient apparues plutôt qu’à des dimensions impressionnantes. Une confrontation des sources écrites et archéologiques laisse voir, outre des problèmes d’interprétation – comme pour les termes latins différents utilisés pour désigner les places fortes des Francs, des Saxons et des Slaves – certaines contradictions : ainsi, l’impression d’unité des différentes parties des agglomérations suggérée par les auteurs des Xe et XIe siècles était toute relative. Les nouvelles formes d’habitat furent certes longtemps plutôt instables, dans leur morphologie et leurs fonctions tout comme dans les manières dont elles furent conceptualisées. On constate cependant que se formèrent à terme de nouveaux types d’agglomérations adaptés aux particularités des sociétés où elles existaient – alliant héritage antique et chrétien, traditions locales, représentation symbolique, dynamisme social et économique. Combinant influences diverses et cultures multiples, elles contribuèrent à la formation de ces sociétés.

CHAPITRE V

CIVITAS ET CIVES : L’HABITAT ET SES HABITANTS

Quidam laicus, civis Parthenopolitanus. Thietmar de Mersebourg, Chronicon, 6,85(51), à propos d’un habitant de Magdebourg

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eu importe la définition de la ville que l’on préfère adopter, les particularités associées à sa population restent essentiels. Qui pourrait s’imaginer une ville en faisant abstraction de ceux qui l’habitent ? Que ce soit de par le nombre d’habitants, par la différenciation des métiers et des statuts, par le droit particulier dont jouissent ses citoyens ou encore par le mode de vie et l’imaginaire, l’agglomération à caractère urbain, sous quelle forme que ce soit, est indissociable des personnes qui y demeurent et s’y retrouvent. D’ailleurs, pour Isidore de Séville, l’urbs est formée par l’enceinte, mais la civitas, par les habitants1. Les sources écrites, bien sûr, ne représentent pas un fidèle reflet du monde tel qu’il existait sous les yeux des auteurs médiévaux. Elles évoquent plutôt la perception qu’avaient ces auteurs du monde qui les entourait ainsi que, dans une non moindre mesure, l’image qu’ils tenaient à présenter dans leurs textes. C’est en s’appuyant sur ces principes que procédera l’analyse des témoignages écrits. Nous nous attarderons, dans les pages suivantes, à observer les catégories d’habitants que mentionnent et décrivent les auteurs des sources de notre corpus. Cela permettra d’observer leur conception des composantes sociales et humaines des populations des centres susceptibles d’avoir un caractère urbain, agglomérations multipartites, forteresses ou emporia. L’analyse débutera avec une présentation, tour à tour, des différents groupes d’habitants potentiels dans et hors des centres, afin de pouvoir comparer ce qu’en disent les auteurs. Nous commencerons par introduire les différentes catégories de guerriers et de défenseurs ; puis, nous nous tournerons vers les marchands. Ensuite sera traité le cas particulier de l’évolution du terme 1

Nam urbs ipsa moenia sunt, civitas autem non saxa sed habitatores vocantur. Isidore de Séville, Etymologiarum liber XV, dans id., Étymologies. Livre 15. Les Constructions et les terres, éd. J.-Y. Guillaumin et P. Monat, Besançon, 2004, 2,1, p. 10. Voir G. Jehel et P. Racinet, La Ville médiévale. De l’Occident chrétien à l’Orient musulman (Ve – XVe siècle), Paris, 1996 (Collection U), p. 6.

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chapitre v

civis. Cela sera complété par un tour d’horizon des connaissances actuelles sur la différenciation sociale au sein des agglomérations des régions étudiées d’après les recherches archéologiques et archéozoologiques. Garnisons, guerriers et défenseurs Le rôle fondamental que jouaient la protection et la défense au cours de conflits militaires pour l’existence, la raison d’être et l’apparence des agglomérations fortifiées a été suffisamment souligné dans les premiers chapitres de cette étude. Bien que la civitas ait été, surtout depuis le Xe siècle, perçue comme un centre multifonctionnel, le rôle réel et symbolique de la protection offerte par les fortifications resta toujours présent et essentiel. On peut donc s’attendre à ce que les guerriers se trouvant dans les forteresses aient eu droit à une place de choix sous la plume des auteurs à l’étude. Parmi les personnes mentionnées dans nos sources, ayant des liens avec les civitates, urbes et autres castella, les guerriers de toute sorte occupent en effet une place récurrente. Ils ne sont cependant aucunement présentés de façon homogène – au contraire, les termes et concepts utilisés par les auteurs altimédiévaux semblent refléter des réalités et des systèmes d’organisation variant selon les époques et les espaces. Les guerriers peuvent former une véritable garnison ou, ce qui paraît être plus généralement le cas, occuper le rôle temporaire de défenseurs des forteresses lors de dangers sporadiques. Ils sont qualifiés par différents termes et sont impliqués dans diverses situations. Les termes latins désignant les défenseurs des places fortes illustrent non seulement des différences locales, mais également une évolution des représentations et des réalités au cours des siècles. Cette évolution accompagna la lente transformation sémantique des termes désignant les multiples formes d’habitat déjà observée dans le discours des sources. Afin de bien saisir ces changements, il importe de considérer une à une les catégories évoquées dans les textes. Les auteurs du Moyen Âge ne connaissent pas de terminologie univoque pour décrire les paysans en tant que catégorie sociale. Nous considérons aujourd’hui qu’est un paysan « celui qui est à la tête d’une exploitation agricole »2, qu’il soit dépendant ou libre, qu’il ait ou non des personnes travaillant pour lui. Il tire sa subsistance de l’exploitation de la terre et, quelle que soit sa condition juridique, sociale ou économique, il n’est pas reconnu comme noble3. Les paysans sont décrits dans les documents diplomatiques et normatifs à l’aide de plusieurs termes dont la signification précise n’est pas toujours 2

R. Le Jan, La Société…, op. cit., p. 186. R. Le Jan, La Société…, op. cit., p. 202-206 ; G. Bührer-Thierry, Les Sociétés…, op. cit., p. 82-84 ; W. Rösener, Bauern im Mittelalter, Munich, 1991, p. 21-23. 3

civitas et cives : l’habitat et ses habitants

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aisée à cerner. Cependant, on peut tout de même constater que dans les régions contrôlées par les Francs aux IXe et Xe siècles, les différences entre les diverses catégories de paysans ne semblent pas avoir été considérables et que ces groupes ont eu tendance, avec le temps, à se rapprocher les uns des autres : la différenciation entre dépendants libres et non-libres est devenue de plus en plus imprécise. Les servi étaient d’abord caractérisés par leur obligation à rendre des services dans le cadre de l’exploitation domaniale. La distinction entre diverses catégories et conditions intermédiaires, suivant l’usage de la tradition, devint plus théorique que concrète4. À partir du XIe siècle, il fut de plus en plus question dans les sources normatives de milites, de cives et de rustici plutôt que de liberi et de servi comme cela avait été le cas auparavant5. Cette transformation du vocabulaire fut apparemment due, au moins en partie, aux changements des tactiques militaires depuis les temps carolingiens : l’utilisation de la cavalerie ne permettait plus à tous les libres de participer aux expéditions guerrières6. Un capitulaire carolingien de même que plusieurs diplômes, surtout ottoniens, nous informent sur ce qu’il fut coutume d’appeler le burgbann. Il s’agissait de l’obligation pour les paysans libres ou non-libres associés à une forteresse de construire et d’entretenir les fortifications. En retour, ils avaient le droit de s’y réfugier en cas de danger7. Ainsi, les dispositions de l’Édit de Pîtres de 864 mentionnent que les hommes libres ne pouvant participer aux expéditions militaires sont responsables de la construction de nouvelles fortifications ainsi que de ponts. Ils doivent également pourvoir au service de garde dans lesdites fortifications. De cette façon, tous participent à la « défense de la patrie »8. Une charte d’Arnulf de Carinthie († 899), quant à elle, signale 4

R. Le Jan, La Société…, op. cit., p. 135, 140. W. Rösener, Bauern..., cité p. 268, n. 3, p. 19. 6 W. Rösener, Bauern…, cité p. 268, n. 3, p. 28 ; J. Fleckenstein, Zur Frage der Abgrenzung von Bauer und Ritter, dans R. Wenskus, H. Jankuhn et K. Grinda (éd.), Wort und Begriff « Bauer ». Zusammenfassender Bericht über die Kolloquien der Kommission für Altertumskunde Mittel- und Nordeuropas, Göttingen, 1975 (Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften in Göttingen. Philologisch-historische Klasse, Folge 3, 89), p. 246-253 ; id., Adel und Kriegertum und ihre Wandlung im Karolingerreich, dans Settimane di Studio del Centro Italiano di studio sull’alto Medioevo XXVII. Nascita dell‘Europa carolingia : un‘equazione da verificare, Spolète, 1981, p. 67-94. 7 W. Schlesinger, Burgen und Burgbezirke. Beobachtungen im mitteldeutschen Osten, dans id., Mitteldeutsche..., op. cit. (article d’abord paru en 1937), p. 176-187 ; H.-K. Schulze, Grundstrukturen..., op. cit., vol. 2, p. 112-115 ; K.-U. Jäschke, Burgenbau..., op. cit., p. 31 ; H. Ebner, Die Burg als Forschungsproblem mittelalterlicher Verfassungsgeschichte, dans H. Patze (éd.), Die Burgen..., op. cit., vol. I, p. 45-47. 8 Ut illi, qui in hostem pergere non potuerint, iuxta antiquam et aliarum gentium consuetudinem ad civitates novas et pontes ac transitus paludium operentur et in civitate atque in marca wactas faciant ; ad defensionem patriae omnes sine excusatione veniant. Edictum Pistense, op. cit., 27, p. 321-322.   5

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que les hommes du comte, libres (ingenui) autant que serfs, doivent participer à la construction de fortifications ; ils doivent également les défendre en temps de danger, et peuvent donc par la même occasion profiter de la protection des places fortes9. Un diplôme d’Otton Ier, daté de 940 et adressé au monastère de Corvey, indique que les dépendants (homines) doivent s’occuper des travaux de construction pour la forteresse10. Un autre diplôme du même souverain nous apprend que les paysans (incolae) de la région de Magdebourg sont astreints à la construction et à l’entretien des fortifications11. Nous apprenons par le biais d’un diplôme d’Otton II que des hommes libres peuvent aussi être réquisitionnés pour la construction de fortifications : d’après ce document délivré à l’évêché de Mersebourg, il est interdit aux représentants du fisc d’exiger des hommes libres du siège épiscopal le travail lié à l’entretien de l’enceinte de la forteresse ainsi que la participation aux expéditions militaires12. Que des hommes libres y participent doit donc être habituel13. En cas de danger, les paysans sont autorisés à se réfugier dans les places fortes. Un diplôme de 940 d’Otton Ier, pour Corvey, mentionne explicitement ce droit pour les paysans14. La possibilité de se réfugier dans les fortifications est également signalée dans un diplôme du même souverain, daté de 961, concernant les trois forteresses de Barby, de Calbe et de Frohse15, toutes trois situées dans les régions orientales de la Saxe. Le dispositif mentionne expressément les Slaves dépendants de ces places fortes (pertinentes) qui peuvent s’y réfugier si nécessaire16. Ces dépendants doivent, en échange de ce droit, payer un cens. Pour ce qui est de la Bohême, un passage de la chronique de Cosmas de Prague nous livre un témoignage de cette coutume : le chroniqueur indique que les habitants de la campagne environnante, les villani, s’enfuient dans la forteresse de Giecz pour s’y réfugier et la défendre lorsqu’elle est attaquée17. Enfin, il est surtout important pour notre propos de porter attention aux endroits dans lesquels les auteurs des sources localisent les paysans : où se trouvent-ils, où habitent-ils ? C’est ainsi que nous apprenons dès le début de la chronique du Gallus Anonymus que Piast, le paysan mythique fondateur de la dynastie des princes polonais, demeure dans une petite maison (domuncula)

9 DArn 32 (888), dans Arnolfi diplomata, éd. P. Kehr, Berlin, 1940 (M. G. H. Diplomata regum Germaniae ex stirpe Karolinorum, t. III) (dorénavant : DArn), p. 48. 10 DO I 27 (940), p. 114.   11 DO I 300 (965), p. 416.   12 DO II 89 (974), p. 104.   13 C’était aussi le cas dans l’Édit de Pître. Voir H. Ebner, Die Burg…, cité p. 269, n. 7, p. 46. 14 DO I 27, p. 114.   15 DO I 222 (961), p. 306. 16 Omnes Sclavani qui ad predictas civitates confugium facere debent. DO I 222, p. 306.   17 Cosmas, op. cit., 2,2, p. 83-84.

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située dans le suburbium de l’urbs de Gniezno, alors que le prince Popel, appelé à céder sa place, réside dans l’urbs elle-même. Piast est expressément désigné comme un rusticus ainsi que comme un agriculteur (arator, agricola) ; il est pauvre (pauper) ; il est également le dépendant du prince (rusticus suus)18. Enfin, dans un autre passage de sa chronique, nous apprenons que lors de l’attaque de la Moravie par les Polonais, les rustici habitant cette région se réfugient dans les fortifications (munitiones) pour se protéger des ravages causés par leurs ennemis19. Ainsi, la catégorie sociale des paysans n’est pas liée à leur lieu de résidence : le paysan peut très bien résider dans le suburbium d’une urbs ; il peut aussi habiter le territoire autour d’une forteresse et avoir le droit de se réfugier dans celle-ci en cas de danger, même s’il n’y habite pas en temps normal. Les rustici forment une catégorie sociale, mais non spatiale. Pour ce qui est de Cosmas de Prague, il décrit avant tout les paysans comme étant des villani, c’est-à-dire, littéralement, ceux qui habitent les villae, soit un habitat rural20. Nous avons déjà vu que des villani se sont joint aux castellani de Giecz pour défendre la forteresse21. Surtout, pour le chroniqueur de Bohême, les villani ont pour principale caractéristique d’être à son époque encore « semi-païens » (semipagani) : il déplore leurs nombreuses coutumes incompatibles avec ce qu’exige le christianisme22. La catégorie des guerriers défenseurs de fortifications formant une garnison, désignée par le terme latin praesidium, apparut très tôt dans les sources de notre corpus. Cette appellation est également restée stable au cours de la période étudiée. Cependant, ce mot pouvait aussi avoir, selon les auteurs et les contextes, d’autres significations. Chez les auteurs de la période carolingienne, le mot praesidium a d’abord une signification précise et stable : il s’agit de la garnison laissée dans une place forte par le souverain pour protéger une région, en général frontalière. Ainsi, Eginhard mentionne dans la Vita Karoli que, lors des guerres contre les Saxons, Charlemagne laisse des praesidia dans des lieux appropriés, près des frontières de son royaume, pour protéger celles-ci d’attaques des Saxons23. Plusieurs praesidia en Italie et en Espagne sont mentionnés dans les Annales royales franques : il s’agit à chaque fois de garnisons de guerriers francs laissées dans

18 In suburbium descendentes, ante domunculam aratoris. Gallus, op. cit., 1,2, p. 9 ; arator hospitalis (…) rusticus ille pauper (…) dux et convive omnes ipsius ab agricola Pazt invitantur, neque rustico suo dux invitatus condescendere dedignatur, Gallus, op. cit., 1,1, p. 10-11. 19 Gallus, op. cit., 2,26, p. 93. 20 Cosmas, op. cit., 2,39, p. 142. Voir M. Bláhová, Terminologie…, cité p. 117, n. 135, p. 270-271. 21 Cosmas, op. cit., 2,2, p. 83-84. Voir supra, p. 270. 22 Cosmas, op. cit., 1,4, p. 10. Cosmas, op. cit., 3,1, p. 161. 23 Eginhard, op. cit., c. 9, p. 12.

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les places fortes conquises, pour en assurer la possession aux Francs24. Pour les régions au nord des Alpes et des Pyrénées, les auteurs des Annales royales racontent comment Charlemagne protège les frontières orientales de son royaume en y installant des garnisons dans des castra ou autres places fortes25. Enfin, il n’y a pas que les Francs qui forment des garnisons protégeant la zone frontalière orientale de l’Empire. De nombreux castella sont occupés par des garnisons – des praesidia – formés de guerriers saxons au service des Francs26. On peut donc retenir ceci : le praesidium est, dans les sources de la période carolingienne, défini par un groupe de guerriers installés dans une forteresse frontalière, afin de défendre le royaume. Selon toute apparence, les membres de cette garnison habitent à l’intérieur de ces castella pour en assurer la défense ; on ne sait cependant pas s’ils sont les seuls à habiter ces endroits, ni s’ils les habitent en permanence27. Ce ne semblent toutefois pas être des établissements d’importance, car dans la plupart des cas, ils sont de construction récente et rapide, ce qui est expressément mentionné par les annalistes. De plus, on remarque un fait singulier : les praesidia mentionnés dans les textes sont toujours des garnisons composées de Francs ou de peuples qui leur sont alliés au moment de la mention, soit de Saxons ou d’Abodrites ; il ne s’agit jamais de garnisons ennemies, dans des forteresses attaquées par les Francs. Dans le Xe siècle décrit par Widukind, toutefois, même si praesidium conserva sa signification première de « garnison », le terme a pu prendre d’autres significations. Cela nous invite à la prudence et montre clairement la polysémie du terme. Lors d’un discours exhortant ses guerriers au combat, le chef saxon Thierry mentionne les praesidia qui ont pour but d’administrer les urbes28. Widukind mentionne également la forteresse de Dortmund, munie de praesidia formés de milites29. Il signale l’existence d’un praesidium militare dirigé par le duc Conrad à Pavie, auquel est confiée la protection de l’urbs30. Un praesidium de Saxons est ensuite évoqué à Ratisbonne31.

24

Lucera : ARF, a. 802,  p. 117. Saragosse : ARF, a. 809, p. 130. Italie : ARF, a. 817, p. 147. Il est à noter qu’il ne s’agit jamais de guerriers locaux, qui auraient été présents sur place et auraient subi l’attaque des Francs. 25 ARF, a. 808, p. 127. ARF, a. 809, p. 129. Voir M. Springer, Die Sachsen, op. cit., p. 217. En Flandre sont aussi mentionnées des praesidia, devant protéger cette région face à l’insécurité causée par les raids des Normands. ARF, a. 820, p. 153. 26 ARF, a. 810, p. 131-132. ARF, a. 817, p. 147. Voir B. Friedmann, Untersuchungen…, op. cit., p. 58-70. ARF, a. 822, p. 158. 27 R. Langen, Die Bedeutung…, art. cit., p. 192. 28 Widukind, op. cit., 1,9, p. 14. 29 Widukind, op. cit., 2,15, p. 80. 30 Widukind, op. cit., 3,10, p. 109. 31 Widukind, op. cit., 3,43, p. 123.

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Cependant, praesidium peut aussi désigner, sous la plume du moine de Corvey, la forteresse elle-même, et non pas les guerriers qui s’y trouvent. C’est le cas lors d’une mention du castellum de Grona32, également pour la forteresse de Belecke33. De plus, le même terme peut avoir la signification vague de « protection »34, souvent avec l’expression in presidio urbis, que l’on pourrait traduire par « dans la protection de l’urbs »35. La locution praesidium militare désigne ce que l’on pourrait traduire par une « protection militaire »36. On pourra donc retenir que chez Widukind, le terme utilisé pour désigner la garnison protégeant une forteresse avait un sens très vague, pouvant être utilisé de diverses façons et avec de nombreuses significations. Il ne semblera donc pas exagéré d’en conclure que pour le moine de Corvey, la notion de garnison permanente semble aussi avoir été vague. Comme nous allons le voir plus loin, il préféra souvent se servir d’autres termes. Mais surtout, il convient de retenir que le lien sémantique entre « garnison » et « protection », tous deux désigné par praesidium, apparaît clairement dans le langage de Widukind. Après cette incertitude dans l’œuvre du moine de Corvey, nous retrouvons à nouveau des praesidia avec le sens clair et stable de « garnison » dans la chronique de Thietmar de Mersebourg. Une analyse attentive révèle cependant que pour lui aussi, mais de manière très occasionnelle, le mot pouvait avoir d’autres significations. En plusieurs passages de sa chronique, l’évêque de Mersebourg mentionne des garnisons qu’il désigne comme des praesidia. Il peut s’agir de forteresses en Francie orientale, mais ce sont le plus souvent des places fortes aux marges orientales du royaume, contrôlées par des garnisons de guerriers saxons : à Havelberg, Brandebourg, Bautzen et en d’autres endroits37. Mais chez Thietmar, contrairement à ce qu’on a pu observer dans les annales carolingiennes, on ne retrouve pas seulement les Francs orientaux qui munissent leurs forti32

Quem compertum in presidio urbis quae dicitur Grona, temptavit illud obpugnare presidium. Et missa legatione pro spontanea deditione spondet se per hoc sibi amicum affuturum, non hostem experturum. Widukind, op. cit., 1,24, p. 36. 33 Iunctus est autem et Thancmarus Evurhardo collectaque valida manu obpugnat presidium quod dicitur Badeliki, in quo erat Heinricus iunior, dataque preda urbis suis commilitonibus abiit, secum adducens Heinricum quasi vile quoddam mancipium. Widukind, op. cit., 2,11, p. 74-75. 34 Hiriberhtus gener Hugonis, cum ei adversaretur Rothulfus, contra ius fasque omne rex constitutus, ut ei apud dominum suum pro presidio esset, supplicavit. Widukind, op. cit., 1,39, p. 58. Eo quoque tempore occisus est Dedi ante portas urbis quae dicitur Larun, in qua erant milites Evurhardi. Widukind, op. cit., 2,11, p. 75 ; quibus concessis ducis ei presidium negatur. Unde urbe egressi potestati se regiae tradiderunt, p. 77. 35 Widukind, op. cit., 1,24, p. 36 ; 1,27, p. 40 ; 1,32, p. 45. 36 Widukind, op. cit., 2,15, p. 79-80 ; 3,10, p. 109 ; 3,52, p. 131. 37 Thietmar, op. cit., 3,6(4), p. 104 ; 3,17(10), p. 118 ; 4,22(15), p. 158 ; 6,15(11), p. 292 ; 6,34(24), p. 314 ; 6,53(36), p. 340 ; 6,59(39), p. 346.

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fications de praesidia : il en va de même pour les guerriers de Bohême installés à Meißen et pour les Polonais en Basse-Lusace38. Le chroniqueur nous apprend aussi que le praesidium de Meißen assure sa subsistance grâce aux revenus du tribut que rendent les Slaves soumis par Henri Ier. Ainsi, l’évêque de Mersebourg raconte qu’après avoir érigé l’enceinte de Meißen, le roi saxon en assure la pérennité en la munissant d’un praesidium ainsi qu’en accordant à celui-ci des revenus provenant du tribut versé par les habitants de la région nouvellement conquise39. De nouveau à Meißen, Thietmar raconte qu’une grande partie du praesidium a l’habitude de sortir en même temps pour aller se procurer du fourrage pour les chevaux40. Il décrit également une situation semblable à Breisach41. L’évêque de Mersebourg mentionne qu’il dut lui-même se rendre à Meißen pour, semble-t-il, y assurer le contrôle du praesidium42. Les membres du praesidium sont pour Thietmar des milites, des guerriers assurant la protection d’une place forte ; ils ne sont cependant pas les seuls habitants des places fortes. Décrivant la population de Magdebourg, le chroniqueur distingue les guerriers du praesidium des autres habitants, qu’il désigne comme les habitatores43. On voit donc clairement dans ce passage que les membres du praesidium forment une catégorie distincte, différenciée des autres habitants laïcs du siège archiépiscopal. Toutefois, on rencontre à l’occasion dans l’œuvre de Thietmar d’autres significations pour praesidium. Le terme peut exceptionnellement avoir, pour l’évêque saxon, le sens plus général de « troupe », que ce soient celles assurant la sécurité dans la marche de Lusace44, ou encore, dans un autre cas, l’armée attaquant une forteresse45. De telles occurences sont toutefois rares. De cette analyse de l’utilisation et de la signification du mot praesidium chez le chroniqueur de Mersebourg, quelques conclusions s’imposent. Le terme est tout d’abord plus précis que chez Widukind. En étudiant la distribution géographique des mentions, on se rend ensuite compte que Thietmar, lui aussi, opère une sélection quant au choix des endroits qu’il estime dignes de posséder un praesidium : en effet, on ne retrouve des praesidia que dans les fortifications contrôlées soit par les Francs orientaux, soit par les guerriers de Bohême et les Polonais, c’est-à-dire des principautés chrétiennes dont les 38

Thietmar, op. cit., 4,5(4), p. 136 ; 7,16(11), p. 416. Thietmar, op. cit., 1,16(9), p. 22. 40 Thietmar, op. cit., 5,9(6), p. 230. 41 Thietmar, op. cit., 5,21(14), p. 247. 42 Ego ad Misni presidio veniebam. Thietmar, op. cit., 7,53(39), p. 464. 43 Urbis predictae habitatores et, qui ibidem presidio ab imperatore relicti fuerant, conveniunt. Thietmar, op. cit., 7,58(43), p. 472. 44 Thietmar, op. cit., 6,69(45), p. 358. 45 À Niemcza : Thietmar, op. cit., 7,60(44), p. 474. 39

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dynasties régnantes sont intégrées dans les réseaux de pouvoir de l’Occident latin ; les Slaves entre Elbe, Saale et Oder, au contraire, en sont exclus. Notons ensuite que les garnisons sont principalement mentionnées dans les régions frontalières, mais pas uniquement : on les rencontre aussi dans le chef-lieu d’une province importante comme celle de Magdebourg. Enfin, l’évêque saxon nous donne quelques indices sur les moyens de subsistance de ces garnisons : selon toute apparence, ils tirent leurs revenus de ceux du fisc que le roi leur a accordés. Il sera donc permis d’en déduire que ces guerriers sont pour ainsi dire rétribués pour assurer la sécurité du royaume et n’ont pas à subvenir eux-mêmes à leurs besoins. Wipo mentionne également une garnison, un praesidium, que l’empereur aurait installé dans la forteresse de Werben pour protéger la frontière de son royaume. Il précise qu’elle est composée de milites46. L’usage qu’il fait du terme correspond donc à ce qu’on a pu observer chez Thietmar. Chez Adam de Brême, le mot praesidium a un sens varié selon les occasions. Praesidium peut dans son œuvre désigner, de façon vague, la protection, que ce soit celle que les Hongrois cherchent dans la fuite47 ou celle que les Saxons trouvent dans une forteresse48. Le même terme peut encore être utilisé lorsqu’il s’agit de désigner une place forte, à Brême ou à Hambourg49. Adam n’utilise cependant jamais ce mot pour désigner une garnison. Quant à Cosmas de Prague, il emploie lui aussi le terme praesidium à plusieurs reprises pour désigner une garnison. Ce sont des guerriers installés par les princes dans des forteresses de Bohême ou de Moravie pour en assurer la défense. Leur installation est généralement mentionnée suite à la conquête de places fortes50. On constate que le doyen de Prague décrit les garnisons d’une manière très similaire aux annalistes carolingiens : les praesidia sont formés par les guerriers installés dans des fortifications aux frontières pour en assurer la défense. Pour ce qui est du chroniqueur anonyme de Pologne, il n’utilise que rarement le terme de praesidium pour désigner les garnisons, préférant, comme nous allons le voir plus loin, un vocabulaire différent. Décrivant Kołobrzeg, il mentionne ainsi que l’urbs est « opulente en richesses et munie de praesidia  »51. Il évoque également un praesidium présent dans la forteresse de Vyšehrad52. 46

Wipo, op. cit., c. 33, p. 52. Adam, op. cit., 1,53, p. 54. 48 Adam, op. cit., 3,26, p. 168. 49 Adam, op. cit., 2,70, p. 132. Adam, op. cit., 3,27, p. 170. 50 Cosmas, op. cit., 3,9, p. 170 ; 3,14, p. 176 ; 3,17, p. 180 ; 3,22, p. 189. 51 Urbem opulentam divitiis, munitamque presidiis unanimiter invadere concupiscunt. Gallus, op. cit., 2,28, p. 95. 52 Gallus, op. cit., 3,26, p. 162. 47

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Nous avons donc pu constater que, du Xe au début du XIIe siècle, les forteresses, surtout aux frontières, furent en général protégées par des garnisons appelées praesidia, composées de guerriers, eux-mêmes parfois désignés comme des milites. Mais les défenseurs des fortifications pouvaient aussi être décrits en utilisant d’autres termes : c’est vers ceux-ci que nous nous tournons maintenant. Alors que le terme praesidium, signifiant à la fois « garnison » et « protection », se référait avant tout, voire uniquement, au rôle défensif et militaire joué par les membres des garnisons, le terme urbani évoquait l’urbs : la forteresse, l’agglomération. Le changement est symptomatique d’un changement de perception, car cette fois nous n’avons plus affaire à un aspect fonctionnel, mais spatial. C’est à partir de l’œuvre de Widukind que nous rencontrons régulièrement l’expression urbani pour désigner les personnes associées aux places fortes, dans ses mots : aux urbes. Les urbani sont présentés par Widukind comme les défenseurs des forteresses dans des situations de siège, en Francie orientale tout comme chez les Slaves. Alors qu’il relate l’attaque de la forteresse de Steterburg53, l’historien saxon décrit comment les urbani, voyant arriver leurs ennemis, ouvrent les portes des fortifications, afin d’aller au devant des assaillants et les défier54. Lors du siège de Mayence, les assiégeants se servent de machines de guerre (machinae), mais les urbani parviennent à les incendier et à les détruire55. Décrivant le siège d’une forteresse des Slaves, dont il ne donne pas le nom, mais que l’on suppose être Starigard/Oldenburg56, le moine de Corvey raconte que les urbani sont forcés par la faim à quitter la place forte et à se rendre57. Un fait intéressant est que les urbani de Widukind sont régulièrement accompagnés de femmes et d’enfants – ce qui n’avait jamais été évoqué pour les guerriers des praesidia. C’est le cas chez les Francs orientaux – à Ratisbonne58 – mais également chez les Slaves : à Lunkini59. Matthias Springer a fait remarquer que Widukind utilise un antonyme au terme urbani : il s’agit des agrarii milites qu’Henri Ier aurait obligé à s’installer

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Aujourd’hui près de Wolfenbüttel. Widukind, op. cit., 2,14, p. 79. 55 Widukind, op. cit., 3,18, p. 113. 56 I. Gabriel, Einleitung…, cité p. 108, n. 90, p. 11. 57 Widukind, op. cit., 3,68, p. 143. 58 Post biduum a muliere famem urbis fugiente mors illius (i.e. Arnulf ) notificatur, dum antea incertum esset. Cuius morte urbani satis confusi iam de pace tractabant. Widukind, op. cit., 3,37, p. 121. 59 Urbani vero arma deponunt, salutem tantummodo deposcunt ac merentur. Inermes igitur urbe egredi iussi ; servilis autem conditio et omnis pecunia cum uxoribus et filiis et omni suppellectili barbarorum regis captivitatem subibant. Widukind, op. cit., 1,36, p. 54. 54

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dans des forteresses60. Springer a pu démontrer à l’aide d’une recherche lexicographique détaillée qu’agrarius ne signifie pas « paysan » mais se réfère au mot ager, « le plat pays »61. Les agrarii milites ne seraient donc rien d’autre que les « guerriers habitant le plat pays », opposés aux urbani, les guerriers se retrouvant dans des urbes62. En outre, Widukind désigne les agrarii milites comme des confamiliares  ; c’est-à-dire que, appartenant à une familia, ce devaient être des non-libres qu’il avait en tête63. À la même époque où écrivait le moine de Corvey, Flodoard de Reims fit également mention de milites qui habitaient dans des villae64. Bref : en Saxe du Xe siècle, on pouvait apparemment distinguer deux types de guerriers – milites – , soit ceux qui se retrouvaient dans les forteresses, les urbani, et ceux qui habitaient le plat pays, les agrarii milites ; ces derniers pouvaient être des non-libres. Est-ce à dire que les urbani habitaient réellement à l’intérieur des places fortes ? On ne peut y répondre de manière définitive. Il est sans doute envisageable qu’aient également appartenu à ce groupe les paysans des environs – rappelons que les milites de Widukind appartiennent à une familia, aux dépendants. Le burgbann a d’ailleurs été désigné dans une charte d’Otton II comme opus muri urbani faciendum : l’expression suggère peut-être involontairement un lien avec les urbani65. Thietmar utilisa également le terme urbani et apparemment avec une acception semblable. Tout comme Widukind, l’évêque de Mersebourg voyait des urbani dans les forteresses de Francie orientale comme pour les zones frontalières – dans les places fortes de Lusace, contrôlées par le souverain polonais66. Quelques remarques seront permises à propos de l’usage que fait Thietmar du terme urbani. Tout d’abord, les urbani peuvent se retrouver, contrairement aux membres d’un praesidium, chez les Francs et les Saxons autant que chez leurs ennemis, les Slaves. Le rôle que jouent les urbani dans la narration de l’évêque de Mersebourg est encore plus intéressant : alors que les guerriers du praesidium forment toujours une garnison installée à des fins purement militaires, dans une forteresse soit nouvellement conquise, soit nouvellement

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Voir à ce propos J. Fleckenstein, Zum Problem der agrarii milites bei Widukind von Corvey, dans id., Ordnungen und formende Kräfte des Mittelalters. Ausgewählte Beiträge, Göttingen, 1991 (article d’abord paru en 1984), p. 315-332 ; K.-U. Jäschke, Burgenbau…, op. cit., p. 30-33. 61 M. Springer, Agrarii milites, dans Niedersächsisches Jahrbuch für Landesgeschichte, 66, 1994, p. 138-145. 62 M. Springer, Agrarii..., art. cit., p. 140-141. 63 M. Springer, Agrarii..., art. cit., p. 135-138. 64 M. Springer, Agrarii…, art. cit., p. 144-145. 65 DO II 89 (974), p. 104. 66 Thietmar, op. cit., 1,15(8), p. 22 ; 4,13(9), p. 146 ; 6,15(11), p. 292 ; 6,80(48), p. 368-370 ; 7,48(33-34), p. 456-458.

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construite, le rôle des urbani est toujours celui de ceux qui se font attaquer, qui subissent un siège : ce sont ceux présents sur place lors de l’assaut. Bref, dans le texte de Thietmar, les urbani sont ceux qui se trouvent dans une forteresse et la défendent, alors que le praesidium est la garnison que l’on installe dans un but précis. Il est un aspect qui mérite également d’être souligné à propos des urbani : c’est le rôle actif qu’ils peuvent jouer dans certaines situations, soit qu’il s’agisse de prendre des décisions en commun, d’entreprendre des négociations de trêve ou de se rendre avec leur forteresse. Mentionnons tout d’abord que Rimbert, décrivant deux forteresses de Courlande, Seeburg et Apulia, attaquées par des pirates svear, ne mentionne certes pas des urbani, mais plutôt des groupes de pugnatores et de homines bellatores, qui, en un nombre évidemment exagéré, défendent leur place forte67. Un commandant quelconque n’est pas mentionné et lorsque les guerriers agissent, c’est sous la forme d’un collectif prenant ensemble chacune de ses décisions. Les urbani sont généralement décrits de manière semblable, agissant en groupe, dans la plus grande majorité des cas sans qu’un chef – domnus, senior ou autre – ne soit évoqué. Les urbani évoqués par Widukind décident ensemble d’abandonner le combat et de livrer leur urbs aux ennemis – que ce soit Ratisbonne ou la forteresse de Lunkini chez les Slaves68. Quant aux urbani dont fait état Thietmar, en Francie, chez les Slaves ou en Lusace, ils peuvent décider de rendre leur forteresse ou proposer des négociations de trève, ou encore harceler leurs assiégeants69. De tout cela, on peut conclure que, si l’on se fie aux narrations des auteurs, les urbani agissent par eux-mêmes et prennent des décisions en commun. Cela s’applique autant aux forteresses contrôlées par des Francs orientaux qu’à celles des Slaves ou des Polonais70. Quant à Cosmas de Prague, il raconte la déroute des urbani de Prague lors de l’attaque de Vladislas Ier († 1025) . Certains des urbani, apeurés, préfèrent s’enfuir ; d’autres se réjouissent de leur fuite et en profitent pour s’emparer des biens qu’ils ont laissés sur place71. Lors de l’attaque de Kłodzko par Sobeslas Ier, alors que la forteresse est incendiée, les urbani demandent une trêve qu’ils obtiennent avec la vie sauve72. Enfin, rappelons l’utilisation que fait le doyen de Prague d’une différenciation entre castellani et villani parmi les

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Rimbert, op. cit., c. 30, p. 80-61. Widukind, op. cit., 1,36, p. 54 ; 3,37, p. 121 ; 3,43,  p. 123. Thietmar, op. cit., 1,16(9), p. 22 ; 5,21(13), p. 245 ; 6,34(24), p. 314-316. Thietmar, op. cit., 6,33(24), p. 314. Cosmas, op. cit., 3,29, p. 198. Cosmas, op. cit., 3,40, p. 213.

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défenseurs de Giecz, les derniers étant les paysans des environs73. Le chroniqueur n’emploie qu’une autre fois le terme castellani74. Qui sont donc les urbani ? Nous avons pu observer que ce sont les défenseurs de forteresses, toujours mentionnés en lien avec des événements d’ordre militaire, jamais dans d’autres situations. Puisque Widukind n’utilise pas de façon systématique le terme praesidium pour désigner les garnisons, on pourrait être tenté de conclure que pour lui, les guerriers formant les praesidia sont tout simplement confondus avec les urbani. Il n’y aurait donc pas de différence conceptuelle entre les deux catégories. Il en va toutefois autrement avec Thietmar, qui opère une différenciation tranchée entre les deux notions. Or, nous savons que la défense des fortifications peut être assurée, en Saxe ottonienne – comme en témoignent plusieurs diplômes – en plus ou à la place d’une garnison de guerriers spécialisés, par des paysans et des hommes libres de la région, qui ont le droit de s’y réfugier. Parmi les sources plus tardives, seul Cosmas fait explicitement référence à ce phénomène. Nous pouvons donc, après ces considérations, en arriver à une tentative d’explication de ce que les auteurs des sources étudiées désignent avec les termes praesidium et urbani. Selon son étymologie et la façon dont il est utilisé, l’utilisation de praesidium est d’abord en lien avec la protection, la sécurité : les praesidia mentionnés dans des fortifications frontalières, nouvellement construites ou conquises, sont des garnisons de guerriers spécialisés. Quant à l’appellation d’urbani, dont l’étymologie est intimement liée aux urbes, on peut présumer qu’elle a un sens plus général, spatial plutôt que fonctionnel : ce sont ceux qui défendent les places fortes, et on peut penser que les auteurs entendent par là à la fois les guerriers spécialisés et les autres défenseurs potentiels. Nous y reviendrons75. Bien que le chroniqueur dit Gallus Anonymus n’ait pas utilisé le terme urbani, ils se servi en revanche maintes fois des dénominations oppidani et castellani. Une étude de l’usage qu’il fit de ces deux termes laisse croire qu’il entendait sans doute par là plus ou moins la même catégorie de personnes que ceux que Widukind et Thietmar désignaient comme des urbani. Le chroniqueur anonyme décrit les oppidani et castellani comme ceux qui défendent les forteresses et repoussent les assaillants, en Poméranie comme en Pologne76. On voit que les oppidani et castellani sont, dans la narration du chroniqueur anonyme, peu différents des urbani de Widukind et de Thietmar : ce sont ceux qui défendent les fortifications lors d’attaques ou de sièges ; ils se retrouvent tout autant dans les forteresses des Polonais que dans celles

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Cosmas, op. cit., 2,2, p. 83-84. Voir supra, p. 270-271. Cosmas, op. cit., 3,12, p. 172. Voir infra, p. 333. Gallus, op. cit., 2,3, p. 67 ; 2,17, p. 85 ; 3,3, p. 131-132.

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de leurs ennemis, les Poméraniens. Que savons-nous d’autre sur ces défenseurs77 ? Nous pouvons constater que, tout comme les urbani des siècles précédents, les oppidani et castellani du chroniqueur anonyme sont capables d’agir en groupe, de prendre des décisions ensemble lorsqu’il est temps de négocier ou de se rendre78. Est-ce que ceux que l’auteur anonyme écrivant sur la Pologne désigne comme des oppidani et des castellani sont seulement les guerriers des garnisons des forteresses ou s’agit-il plutôt des défenseurs latere sensu, comprenant aussi les paysans et autres habitants des environs, devenant les défenseurs des places fortes lorsque l’occasion se présente ? C’est ce qu’a cru Karol Maleczyński, qui distingua les habitants en général et les « chevaliers » (rycerstwo)79. Quant à Henryk Łowmiański, il était de l’avis que les oppidani et castellani n’avaient qu’un rôle militaire, et il exclua de leurs rangs les marchands et artisans80. Restons, pour l’instant du moins, prudents à propos de cette question délicate. Les guerriers et défenseurs dont il a été question n’étaient certainement pas les seuls combattants dans les forteresses. En divers endroits et dans diverses situations, nous rencontrons des représentants de l’autorité, en général désignés comme des praefecti, ainsi que des commandants de garnison. Tout d’abord, les auteurs des Annales royales franques mentionnent des praefecti en plusieurs endroits, en Italie et en Espagne. Ainsi, ils signalent la présence de praefecti sarrasins à Barcelone81, à Huesca82 ainsi qu’à Saragosse83. Le praefectus de la civitas de Chieti est capturé lors de la prise de la place forte84. Il en va toutefois autrement en ce qui concerne les forteresses des Saxons. Notons en effet qu’à leur sujet, ni les Annales royales, ni aucune autre source n’évoque la présence d’un praefectus ou d’un commandant. On a pu supposer que ces places fortes aient été contrôlées par une aristocratie saxonne décentralisée85. On remarquera cependant que des commandants ne sont, à cette époque, guère plus connus pour les fortifications des Francs. À la fin du IXe siècle, Rimbert mentionne la présence à Birka d’un représentant désigné ici comme un praefectus loci, là comme un praefectus vici. De ce praefectus portant le nom de Hériger, nous apprenons qu’il est conseiller du roi des Svear Björn, qu’il s’est converti au christianisme et qu’il a fait

77

Voir aussi Gallus, op. cit., 2,4, p. 71 ; 2,39, p. 110. Gallus, op. cit., 3,1, p. 127 ; 3,1, p. 127 ; 3,1, p. 129 ; 2,14, p. 78 ; 3,26, p. 162 ; 2,48, p. 118 ; 2,48, p. 117. 79 K. Maleczyński, Wstęp, cité p. 112, n. 112, p. LXXXI. 80 H. Łowmiański, Początki…, op. cit., p. 688. 81 ARF, a. 797, p. 100. 82 ARF, a. 799, p. 109. 83 ARF, a. 809, p. 130. 84 ARF, a. 801, p. 116. 85 R. Langen, Die Bedeutung…, art. cit., p. 195-196. 78

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construire une église sur un lopin de terre qu’il possède à Birka86. Rimbert nous indique également que Hériger, agissant sur l’ordre de son souverain, préside à une assemblée des habitants de Birka, un placitum87. Il remplit aussi des fonctione d’interprète entre les nouveaux venus et les gens sur place88. Enfin, nous apprenons qu’alors que Birka subit une attaque du roi des Svear déchu Anund, Hériger s’enfuit dans la forteresse proche en compagnie des marchands et des autres habitants89 : en effet, à ce moment, nous apprend Rimbert, le roi étant absent, Hériger est dans l’impossibilité de réunir les « grands » (principes) et le populus nécessaires à la défense90. C’est pourquoi l’endroit est mal défendu, circonstance qui d’ailleurs a poussé Anund à croire qu’il pourrait impunément attaquer Birka avec ses guerriers91. Le même Rimbert signale également l’existence à Hambourg d’un comte exerçant la fonction de praefectus, un certain Bernard92. Or, celui-ci est temporairement absent lorsque Hambourg est attaquée par les Normands. C’est donc l’évêque, Ansgar, qui prend l’initiative de diriger les opérations. Comme il n’a que peu de temps à sa disposition, Ansgar ne peut réunir tous les pagenses, mais il rassemble au moins ceux qui se trouvent à ce moment dans la forteresse ainsi que ceux qui habitent dans le suburbium, pour tenter de résister en attendant une aide venue de l’extérieur. L’attente s’avère toutefois vaine et, alors que les Normands pillent Hambourg, bien que plusieurs parmi les populi soient faits captifs ou soient tués, la plupart d’entre eux peuvent au moins s’enfuir93. Adam de Brême, s’appuyant sur le récit de Rimbert, relate aussi les activités de Hériger, qu’il désigne comme un praefectus oppidi ou, à un autre endroit, simplement comme un praefectus Bircae. Il insiste surtout sur le soutien actif que Hériger apporte aux débuts de la christianisation94. En guise de résumé, nous pouvons constater que le praefectus Hériger était avant tout un représentant du roi à Birka. Herbert Jankuhn vit en lui un responsable de la collecte du tonlieu, devant aussi assurer la sécurité ; il le désigna comme un Wikgraf, mot forgé à pertir du terme wicgerefa, attesté dans les 86

Rimbert, op. cit., c. 11, p. 32. Rimbert, op. cit., c. 19, p. 40. 88 S. Rossignol, Modes de communication dans les emporia de la mer Baltique, dans A. Gautier et S. Rossignol (éd.), De la mer du Nord à la mer Baltique. Identités, contacts et communications au Moyen Âge. Actes de l’atelier de jeunes chercheurs, Boulogne-sur-Mer, les 15-17 octobre 2009, Lille, 2012, p. 113-115. 89 Tantum supradictus Herigarius, praefectus ipsius loci, cum eis qui ibi manebant negotiatoribus et populis praesens aderat. In magna ergo angustia positi, ad civitatem, quae iuxta erat, confugerunt. Rimbert, op. cit., c. 19, p. 42. 90 Rimbert, op. cit., c. 19, p. 41-42. 91 Rimbert, op. cit., c. 19, p. 41. 92 Rimbert, op. cit., c. 16, p. 37. 93 Rimbert, op. cit., c. 16, p. 37. 94 Adam, op. cit., 1,15, p. 22 et 1,21, p. 27. 87

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sources dans le cas de Londres95. Hériger possédait en outre à Birka des biens fonciers. Au nom du roi, il dirigeait l’assemblée des habitants, que certains historiens comparèrent au thing connu des sources scandinaves96. Enfin, Hériger semble avoir eu certaines fonctions militaires, devant diriger les opérations lors de l’attaque de Birka par des pirates. On se doit cependant de souligner que nulle part n’est mentionnée une quelconque garnison qui aurait été sous ses ordres97. Lorsque les habitants se réfugient dans la forteresse, Rimbert ne mentionne que des negotiatores et des populi, aucunement des guerriers spécialisés. Quant à Bernard, nous en savons peu sur lui puisqu’il était malencontreusement absent lors de l’attaque, mais nous apprenons au moins qu’il aurait dû organiser la résistance, prise en charge à l’improviste par l’évêque Ansgar. Ici aussi, aucune garnison n’est mentionnée ; on peut néanmoins penser qu’elle aurait accompagné Bernard. Notons que les habitants des alentours, les pagenses, s’ils en avaient eu le temps, se seraient réfugiés dans la forteresse et auraient contribué à sa protection. En l’occurrence, ce sont les habitants de l’endroit qui prirent en main la défense ; bien que leur identité ne soit pas précisée, nous voyons bien qu’il ne s’agissait pas non plus de guerriers spécialisés. Widukind connaît également le terme de praefectus urbis. Il raconte que, lors de l’attaque d’une forteresse du nom de Larun ou Laras98, les opérations de résistance sont dirigées par le praefectus urbis de l’endroit99. Widukind mentionne également des praefecti urbium pour des places fortes de Thuringe100. Enfin, Cosmas de Prague signale à plusieurs reprises la présence de praefecti. Ce sont des représentants du souverain – autant en Bohême qu’en terre allemande – présents dans des forteresses avec des guerriers101. 95 H. Jankuhn, Haithabu..., op. cit., p. 144-145 ; id., Soziale Gliederung der Bevölkerung von Haithabu nach historischen Quellen, dans id., K. Schietzel et H. Reichstein (éd.), Archäologische und naturwissenschaftliche Untersuchungen an ländlichen und frühstädtischen Siedlungen im deutschen Küstengebiet vom 5. Jahrhundert v. Chr. bis zum 11. Jahrhundert n. Chr. Band 2. Handelsplätze des frühen und hohen Mittelalter, Weinheim, 1984 (Acta Humaniora. Deutsche Forschungsgemeinschaft), p. 335-338, passim ; E. Ennen, Frühgeschichte..., op. cit., p. 55. 96 H. Jankuhn, Haithabu…, op. cit., p. 143-144 ; selon Edith Ennen, les pouvoirs du Wikgraf sont limités par ceux de l’assemblée. E. Ennen, Die europäische…, op. cit., p. 55 ; W. Schlesinger, Städtische…, cité p. 12, n. 10, p. 135-154. Björn Ambrosiani y voit les débuts de l’autoadministration. B. Ambrosiani, Der Stadtbildungsprozeß im Mälargebiet bis zur Herausbildung von Stockholm, dans H. Brachmann et J. Herrmann (éd.), Frühgeschichte..., op. cit., p. 207. Voir aussi K. Helle Descriptions..., cité p. 110, n. 104, p. 26-27. 97 W. Schlesinger, Städtische…, cité p. 12, n. 10, p. 151. 98 Il peut s’agir de Laer an der Ruhr ou de Laar près de Herford. 99 Widukind, op. cit., 2,11, p. 77. 100 Widukind, op. cit., 2,18, p. 83. 101 À Bílina : Cosmas, op. cit., 2,19, p. 111. À Žatec : Cosmas, op. cit., 2,24, p. 117 ; 3,42, p. 216. À Vyšehrad : Cosmas, op. cit., 3,28, p. 197 ; 3,29, p. 198. À Głogów : Cosmas, op. cit., 3,39, p. 211-212.

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On pourrait définir les praefecti urbium de Saxe et de Bohême comme des commandants de forteresses qui, accompagnés de guerriers et d’hommes armés, occupaient avant tout une fonction militaire, devant diriger les opérations lorsque les fortifications étaient assiégées ainsi qu’assumer d’autres charges de nature militaire. On peut considérer que le praefectus était en outre en Bohême le représentant du prince102. Pour ce qui est de Thietmar, il n’utilise nulle part le terme de praefectus. En revanche, il se sert à l’occasion de mots plus vagues, tels custos et domnus, pour désigner une réalité similaire, en Francie ou en Lusace. Ce sont les représentants du roi, les chefs de garnison, ou encore le souverain lui-même, comme Boleslas le Vaillant qui est fait domnus de Meißen103. Bref, on peut constater que le chroniqueur de Mersebourg connait bien la notion de commandant de forteresse, bien que sa terminologie soit imprécise et qu’il ne mentionne finalement que rarement la présence de ces commandants. Notons aussi que le commandant d’une forteresse peut être un Slave reconnaissant la souveraineté du souverain saxon. De tous les auteurs considérés dans cette étude, c’est sans aucun doute l’anonyme de Pologne qui utilisa le vocabulaire le plus varié. Si les termes qu’il employa sont si nombreux, on peut croire que c’est parce que le système qu’il décrivait recelait une certaine complexité. Il faut peut-être toutefois se méfier : les réalités médiévales étaient souvent beaucoup plus instables et souples que les usages langagiers ne le suggèrent. On ne doit pas non plus perdre de vue le fait que le chroniqueur dit Gallus Anonymus était un latiniste hors pair et que la variété des termes dont il fit usage témoigne certainement, au moins en partie, de sa volonté d’impressionner par son érudition et par son adresse à manier la langue latine. Les personnages en question sont généralement mis en place par le souverain polonais en personne : ainsi un dominus castelli à Czarnków, ou des vastandiones et villici dans d’autres forteresses de la Poméranie conquise par les Polonais104. Dans le cas de forteresses situées dans les zones frontalières du royaume, nous apprenons que les villici et vicedomini sont responsables d’administrer les redevances dues au souverain105. Quant aux pristaldi, ils sont installés dans les places fortes en tant que représentants des fils en bas âge du souverain106. Grâce aux nombreuses dénominations utilisées, le chroniqueur nous permet ainsi de repérer les multiples fonctions qu’occupaient les commandants 102

Ce poste était, dans le cas de Bílina, concédé par le souverain de Bohême en personne. Erkembert était apparemment un proche de l’empereur. 103 Thietmar, op. cit., 4,5(4), p. 136 ; 6,80(48), p. 370 ; 8,4(3), p. 496 ; 4,5(4), p. 136 ; 4,13(9), p. 146 ; 5,9(6), p. 230 ; 2,38(24), p. 86. 104 Gallus, op. cit., 2,44, p. 114 ; 2,47, p. 117 ; 1,12, p. 32 ; 2,1, p. 65. 105 Gallus, op. cit., 1,15, p. 34-35. 106 Gallus, op. cit., 2,16, p. 79.

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des forteresses polonaises de son époque. Comme on peut s’y attendre, la fonction militaire venait en premier lieu : ces commandants devaient défendre les fortifications contre les éventuelles attaques de leurs ennemis, dans les régions frontalières et dans les régions nouvellement conquises en Poméranie. C’était le souverain qui les plaçait ou les déplaçait à son gré. Il apparaît toutefois clairement que les villici et vicedomini, commandants des castra, occupaient également des fonctions administratives : ils devaient sans doute gérer les redevances dues au souverain par les paysans des alentours107. Le prince polonais les récompensait en leur faisant divers dons. De tout cela, on peut conclure que ces commandants étaient avant tout les représentants du souverain au niveau local. On remarquera en outre qu’on ne les retrouvait que dans les forteresses des Polonais ou dans celles de Poméranie dont le souverain polonais venait de prendre le contrôle : si l’on se fie au chroniqueur anonyme, les Poméraniens ne connaissaient pas de système d’administration comparable. Karol Modzelewski a cru pouvoir établir une hiérarchie dans l’administration royale polonaise du haut Moyen Âge108. L’administration territoriale aurait été organisée par les comtes ou voïvodes (les pristaldi), qui géraient des provinces109. À l’échelon inférieur, on aurait rencontré les administrateurs de la gestion châtelaine, soit ceux que le chroniqueur désigna comme des vastaldiones, comme des villici et comme des vicedomini, responsables de la collecte des redevances. Les vastaldiones auraient dirigé les opérations, alors que villici et vicedomini se seraient occupé d’organiser les fêtes et de gérer les redevances accumulées110. Modzelewski voit dans cette institution les débuts de l’organisation en châtellenies telle qu’elle est surtout connue et décrite dans les sources à partir du XIIIe siècle. Malgré la pauvreté des sources, il croit que le système existait déjà, dans ses grandes lignes, aux XIe et XIIe siècles111. Cette reconstruction a toutefois été remise en question par Sławomir Gawlas qui, procédant à une critique sévère de son prédécesseur, défend l’opinion selon laquelle, à l’époque du chroniqueur anonyme, le système aurait été encore instable. L’organisation systématique du territoire en châtellenies se serait d’abord développée en Silésie, et ce ne serait qu’au XIIIe siècle que ce système se serait répandu dans le royaume de Pologne112.

107

C’est ce que croit Karol Modzelewski, qui désigne les châteaux de ce genre comme des « forteresses du type des châtellenies » (« grody typu kasztelańskiego »). K. Modzelewski, Organizacja…, op. cit., p. 107-112. 108 K. Modzelewski, Organizacja…, op. cit., p. 76-112, surtout 107-112. 109 K. Modzelewski, Organizacja…, op. cit., p. 107. 110 K. Modzelewski, Organizacja…, op. cit., p. 109-110. 111 K. Modzelewski, Organizacja…, op. cit., p. 111. 112 S. Gawlas, Die Territorialisierung…, art. cit., p. 29-41 ; id., O kształt..., op. cit., p. 80-94.

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Quelques remarques d’ordre plus général s’avèrent maintenant nécessaires. C’est dans la description de Birka par Rimbert que le rôle du praefectus en tant que représentant du roi apparut de la manière la plus éclatante. Son rôle militaire y était limité, ses fonctions civiles semblaient être plus importantes. À Hambourg, le comte était en même temps praefectus de l’endroit. Il en allait autrement des commandants de forteresses qui, sous différentes dénominations, furent présentés dans nos sources, du Xe au début du XIIe siècle, en Saxe autant qu’en Pologne, en Poméranie ou encore en Bohême. Pour ceux-ci, c’est l’aspect guerrier qui fut toujours mis en avant. Leur rôle administratif paraît avoir consisté surtout en la collecte des redevances, dont une partie servait à leur propre subsistance. Ils étaient en outre de véritables chefs de garnison. Remarquons que ce commandant pouvait appartenir au peuple vaincu et rester en place s’il reconnaissait le nouveau souverain, devenant ainsi son représentant : ce fut le cas du Slave Cuchavic à Zwenkau113 et de Gnevomir en Poméranie114. Notons finalement que ce n’est qu’en de rares cas que furent mentionnés explicitement à la fois un commandant militaire et une garnison, à Vyšehrad115 et à Meißen116. * Nous pouvons donc maintenant récapituler ce que nous savons de la population militaire des places fortes et des emporia. Dans l’Empire carolingien, nous apprenons que les Francs installèrent dans les forteresses frontalières des garnisons désignées dans les sources par le terme praesidium. Nous en savons peu sur ces guerriers, sinon qu’ils semblent avoir été des combattants spécialisés, installés dans un but limité et précis. De plus, les Francs utilisaient régulièrement les services de garnisons formées de guerriers de peuples qui leur étaient alliés, tels, selon les circonstances, les Abodrites et les Saxons. Les peuples situés hors de l’Empire carolingien n’avaient cependant pas, si l’on se fie aux annales, de praesidia dans leurs fortifications. Chez les Saxons et les Slaves, des commandants de forteresses ne furent pas non plus mentionnés. Cette différence entre l’Empire franc et les peuples à l’extérieur de leur zone d’influence reflète-t-elle une réalité ou n’estelle due qu’au contexte des mentions ? Il s’agit là d’une question extrêmement délicate à laquelle nous reviendrons117. Constatons pour l’instant que cette différenciation est tout de même très uniforme et se retrouve dans de multiples sources. 113

Thietmar, op. cit., 2,38(24), p. 86. Gallus, op. cit., 2,44, p. 114-117. 115 Gallus, op. cit., 3,26, p. 162 ; voir supra, p. 275 ; Cosmas, op. cit., 3,28, p. 197. 116 Thietmar, op. cit., 4,5(4), p. 136 ; 1,16(9), p. 22 ; 5,9(6), p. 230 ; 4,5(4), p. 136 ; voir supra, p. 283, n. 103 117 Voir infra, p. 333. 114

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À partir du Xe  siècle, les défenseurs des fortifications étaient appelés urbani, en Saxe autant que chez les Slaves ; ils se distinguaient des praesidia. Les urbani agissaient généralement en groupe, sans qu’un chef quelconque soit mentionné. Urbani avait apparemment un sens plus global que praesidium. À Birka et sans doute à Hambourg, le praefectus avait des fonctions civiles et militaires. Il ne semble pas y avoir eu de garnison permanente. En Saxe et en Bohême, les praefecti étaient des représentants du roi et des commandants de fortifications. Ce pouvait être, dans certains cas, un Slave soumis au souverain. On peut donc considérer trois catégories d’habitants exerçant des fonctions militaires connues des auteurs de nos sources : d’abord, on rencontre de petites forteresses, occupées par une garnison en nombre sans doute peu important, surtout aux frontières ; ensuite, des places fortes avec une garnison et d’autres défenseurs occasionnels, parfois dirigés par un commandant ; enfin, des lieux comme Birka et Hambourg, avec un représentant du roi mais, apparemment, sans garnison permanente et spécialisée. En Pologne et en Poméranie, les oppidani et les castellani occupaient une position similaire à celle des urbani de la Saxe ottonienne. Ils pouvaient éventuellement être différents des milites et des cives. Ils prenaient aussi des décisions en groupe. On ne sait guère s’ils étaient des guerriers spécialisés. En Pologne et dans la Poméranie conquise par les Polonais, les commandants des forteresses étaient les représentants du souverain, nommés et déplacés au gré de la volonté de celui-ci. Ils occupaient des fonctions administratives et militaires. La situation ne semble donc pas avoir été fondamentalement différente de celle de la Saxe des Xe et XIe siècles. Marchands Le rôle des marchands est généralement présenté comme étant décisif dans l’histoire urbaine de l’Europe médiévale. Certes, on ne peut nier leur rôle central dans le développement du mouvement communal qui mena à l’apparition du droit urbain et à l’autogouvernement des villes médiévales, étape déterminante qui reste toutefois hors du champ chronologique de la présente étude. Pour la période précédant celle des villes de fondation en Europe centrale, la catégorie des commerçants a également eu une importance fondamentale dans la caractérisation de formes d’habitat proto-urbain avec une différenciation sociale, qui elle-même se serait appuyé sur des structures socioéconomiques pour la réalisation desquelles les marchands auraient été irremplaçables118.

118

J. Piekalski, Uwagi..., art. cit., passim.

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Il est certain que la présence de marchands conférait à la population d’une agglomération une dimension inédite. Les commerçants, peu importe le statut juridique dont ils jouissaient, formaient un groupe distinct s’ajoutant à la pluralité de statuts et d’identités – des guerriers, des clercs – déjà présente à l’intérieur de ces centres. Certes, ils n’étaient guère évoqués souvent par nos auteurs, bien que l’on puisse déduire leur présence de plusieurs indices ; les mentions éparpillées fournissent tout de même certaines informations. Les relations entre les auteurs des sources et les représentants de cette catégorie d’habitants variaient considérablement, dépendant surtout des intérêts que défendaient les premiers : il sera donc important d’en tenir compte. La présence de marchands est donc attestée dans les sources écrites, pour de nombreuses localités, mais dans des conditions variables relevant d’objectifs narratifs ou d’argumentation différents. Ces mentions nous permettent de concevoir à la fois une réalité hétérogène, changeante selon les régions, et des attitudes différentes de la part des auteurs selon les contextes de production des sources. L’existence de marchands, voyageurs au long cours, est tout d’abord attestée pour deux des agglomérations au rôle central de la Saxe ottonienne : Magdebourg et Mersebourg. Ces informations nous sont principalement fournies par des documents diplomatiques. En outre, diverses sources nous indiquent la présence en ces deux endroits de communautés juives. D’un diplôme d’Otton Ier pour Magdebourg, nous apprenons la présence au chef-lieu de la province de commerçants de passage : des marchands de diverses conditions se retrouvent à Magdebourg, venus pour vendre les produits qu’ils ont apportés119. Un document d’Otton II, quant à lui, signale la présence de marchands (mercatores) qui, certes, habitent à Magdebourg (Magadeburg habitantes) mais qui, comme l’exigent les nécessités de leur métier, voyagent au loin : ils se rendent dans les « régions barbares », c’est-àdire chez les Slaves au-delà de l’Elbe. Ils sont exemptés des tonlieux, à l’exception de ceux de Mayence, de Cologne, de Tiel et de Bardowik, ce dont on peut conclure que certains d’entre eux doivent fréquenter ces localités120. Ce document exceptionnel, adressé aux commerçants en tant que groupe organisé, a été qualifié par des historiens du droit comme étant « le plus ancien privilège 119

Comme l’indique la teneur du document, ils pouvaient s’être déplacés de plusieurs façons, par bateau ou avec des chariots, à cheval ou à pied. DO I 299 (965), p. 415. 120 Mercatoribus Magadeburg habitantibus tam ipsis quam posteris (…) quod ubique in nostro regno, non modo in Christianis sed etiam barbaricis regionibus, quam eundi quam redeundi licentia sit sine ullius molestia, et ne ab aliquo cogantur vectigalia persolvere urbibus pontibus aquis viis et inviis, nostra imperiali auctoritate penitus interdicimus, his locis exceptis : Mogontia, Colonia, Tiela, Bardonuuihc, et nec plura vel maiora exigantur vectigalia quam moris illorum erat persolvere ; et ne aliquis nostrę invidię causa pontes destruere aut aliquod impedimentum in viis facere velit (…). DO II 112 (975), p. 126-127.

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pour marchands »121. Quant au chroniqueur Thietmar, il mentionne indirectement la présence de commerçants à Magdebourg, puisqu’il y évoque l’existence d’une « église des marchands » (ecclesia mercatorum)122. En ce qui a trait à Mersebourg, un diplôme d’Henri II nous informe que des marchands (negotiatores) y possèdent des biens fonciers à l’intérieur même des fortifications123. Plusieurs sources nous indiquent qu’un contingent notable de marchands actifs à Magdebourg et Mersebourg était d’origine juive. Certains d’entre eux, apprend-on, possédaient même des domiciles fixes à l’intérieur des agglomérations. Thietmar nous signale leur présence à Magdebourg : selon le chroniqueur, des Juifs accueillirent la procession funèbre de l’archevêque Walthard près du monastère Saint-Jean124. La présence de Juifs à Mersebourg est également attestée par Thietmar : il semblerait même qu’ils aient habité, de même que d’autres mercatores, à l’intérieur même des murs125. Toujours à propos de ces Juifs de Magdebourg, quelques informations dispersées se laissent glaner dans les diplômes. On apprend ainsi que des Juifs et des negotiatores habitaient à Magdebourg126. Retenons de ces données morcelées qu’habitaient apparemment à Magdebourg, soit à l’intérieur même des fortifications, soit dans leur environnement immédiat ou dans un faubourg, des marchands au long cours qui y avaient élu domicile, et dont une partie importante était composée de Juifs127. Les marchands de Magdebourg, jouissant de privilèges particuliers, formaient

121

B. U. Hucker, Frühformen der Städte, dans id., E. Schubert et B. Weisbrod (éd.), Niedersächsische Geschichte, Göttingen, 1997, p. 61-70 ; B. Schwineköper, Die Anfänge Magdeburgs (mit Berücksichtigung der bisherigen Grabungsergebnisse), dans Studien zu den Anfängen des europäischen Städtewesens. Reichenau-Vorträge 1955-1956, Lindau et Constance, 1958, p. 389-450. 122 Thietmar, op. cit., 1,12(7), p. 16. 123 DH II 64 (1004), p. 79-80. Cela semble avoir été peu habituel, car en général on a pu observer que les marchands souhaitaient certes être près des sièges épiscopaux, mais qu’ils préféraient s’installer à l’extérieur de la civitas : ils ne voulaient pas être confondus avec les dépendants. Voir G. Dilcher, Die Rechtsgeschichte..., cité p. 10, n. 5, p. 308 ; E. Ennen, Die europäische..., op. cit., p. 93-96 ; ead., Frühgeschichte…, op. cit., p. 188-190. 124 Thietmar, op. cit., 6,73(45), p. 362. 125 Thietmar, op. cit., 3,1(1), p. 98. 126 DO I 300 (965), p. 416. DO II 29 (973), p. 38. 127 W. Schlesinger, Zur Geschichte der Magdeburger Königspfalz, dans id., Ausgewählte Aufsätze von Walter Schlesinger. 1965-1979, éd. H. Patze et F. Schwind, Sigmaringen, 1987 (article d’abord paru en 1968) (Vorträge und Forschungen. Konstanzer Arbeitskreis für mittelalterliche Geschichte, 34), p. 315-345 ; id., Vorstufen des Städtewesens im ottonischen Sachsen, dans id., Ausgewählte..., op. cit. (article d’abord paru en 1972), p. 403-430 ; B. Schwineköper, Die Anfänge…, cité p. 288, n. 121, p. 410, 415-416.

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par ailleurs déjà au Xe  siècle une «  association avec capacité juridique  » (rechtsfähiger Verband)128. Leurs droits étaient reconnus par le roi. Brême était également, d’après ce qu’indiquent plusieurs sources, un lieu de rencontre pour les marchands129. Des marchands sont mentionnés à Brême au XIe siècle par l’historien Adam. Celui-ci déplore la mauvaise administration de l’archevêque Adalbert, qui a touché, selon lui, tous les habitants de Brême, soit « les cives, les milites et les marchands, de même (…) que les clercs et les moniales »130. Adam déplore donc les exactions commises par Adalbert et par ses hommes, les vicedomni : ceux-ci, raconte-t-il, cherchant le profit à tout prix, ont exigé des redevances d’une ampleur démesurée, forçant tous les habitants de Brême à vivre dans la pauvreté. Selon Adam, les vicedomini ont volé les riches, puni ceux qui se plaignaient et contraint les fortunés à la mendicité. Ces extorsions ont touché non seulement tous les dépendants de l’archevêque, mais plus particulièrement les marchands qui ont pris l’habitude de venir de régions éloignées131 pour fréquenter le marché de Brême : à cause des abus des représentants d’Adalbert, ils ont dû s’en retourner les mains vides. Ainsi, ajoute Adam, la civitas s’est vidé de ses cives, le marché s’est vidé de ses marchandises132. Comme on peut s’y attendre, les marchands furent en outre régulièrement mentionnés comme habitants des emporia de la mer Baltique. On peut même ajouter qu’ils formèrent en fait la seule catégorie d’habitants évoquée régulièrement par les auteurs en lien avec ces sites : leur présence en était la caractéristique principale133. Les Annales royales franques témoignent qu’en l’an 808, dans les régions côtières au sud de la mer Baltique, existe un emporium nommé Reric dans la langue des Danois. L’endroit, habité par des negotiatores, a livré un important butin (vectigal) au souverain danois Godefrid. Or ce même Godefrid décide,

128 G. Dilcher, Die Rechtsgeschichte..., cité p. 10, n. 5, p. 305 ; W. Schlesinger, Der Markt als Frühform der deutschen Stadt, dans H. Jankuhn, id. et H. Steuer (éd.), Vor- und Frühformen..., vol. I, p. 262-293. 129 Des negotiatores habitant Brême avaient été mentionnés dans un diplôme d’Otton Ier, mais la teneur du document n’étant connue que d’une copie tardive, la prudence est de rigueur. DO I 307 (965), p. 422-423. Voir le commentaire de l’éditeur, p. 422. 130 Cerneres eo tempore lamentabilem Bremae tragoediam in afflictionibus civium militumque ac mangonum, item, quod gravius erat, clericorum et sanctimonialium. Adam, op. cit., 3,58, p. 204. 131 « De toutes les régions de la terre », en particulier des peuples du Nord, soit des Islandais, des Groenlandais, d’autres venus des Orcades, ainsi des « Goths », c’est-à-dire originaires du Gotland. Adam, op. cit., 3,24, p. 167. 132 Cumque rapinarum quaestio in omnes caderet episcopo subiectos, non transivit etiam negotiatores, qui ex omni terrarum parte Bremam solitis frequentabant mercibus ; eos omnes execranda vicedomnorum exactio coegit sepe nudos abire. Adam, op. cit., 3,58, p. 204. 133 Voir C. Lübke, Multiethnizität und Stadt als Faktoren gesellschaftlicher und staatlicher Entwicklung im östlichen Europa, dans H. Brachmann (éd.), Burg..., op. cit., p. 36-50.

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pour des raisons que ne précise pas l’annaliste, de déplacer les negotiatores de Reric par la force, avec l’aide de ses guerriers ; il les oblige à s’installer dans le portus de Sliesthorp (Haithabu)134. Dans la notice de l’année 809, les mêmes annales nous apprennent que le souverain des Abodrites, Thrasco, est assassiné à Reric par les hommes de Godefrid135. Nous constatons donc que Reric est, d’après le témoignage des annales, habité avant tout par des marchands, mais aussi au moins temporairement par un souverain slave. Notons que Reric ne semble pas avoir été complètement abandonné, puisqu’en 809 s’y trouvent encore, selon l’annaliste, des hommes de Godefrid ainsi que, à nouveau, Thrasco en personne136. La présence de marchands à Birka et à Haithabu est principalement connue grâce au témoignage de Rimbert137. L’hagiographe mentionne la présence dans le site portuaire des Svear de « riches marchands » (negotiatores divites) ; ce seraient eux qui auraient attiré la convoitise du roi déchu, Anund, qui a décidé d’attaquer Birka avec des hommes de main danois138. Lorsque les assaillants approchent, le praefectus Hériger dirige les opérations : il se réfugie avec les negotiatores et le populus habitant Birka dans la forteresse située près de là139. Sur la demande d’Anund, ils offrent ensuite à celui-ci une rançon de cent livres d’argent. Les Danois accompagnant Anund estiment toutefois que ce n’est pas suffisant, croyant que n’importe quel negotiator de Birka pourrait offrir bien plus140. Les pirates finissent toutefois par quitter l’endroit après avoir demandé l’avis de leurs dieux à l’aide d’oracles141. L’auteur de la Vie de saint Ansgar nous indique également que parmi les marchands de Birka, plusieurs seraient devenus chrétiens142.

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ARF, a. 808, p. 126. ARF, a. 809, p. 129. 136 C. Lübke, Die Beziehungen zwischen Elb- und Ostseeslawen und Dänen vom 9. bis zum 12. Jahrhundert : Eine andere Option elbslawischer Geschichte ?, dans O. Harck et id. (éd.), Zwischen Reric und Bornhöved. Die Beziehungen zwischen den Dänen und ihren slawischen Nachbarn vom 9. bis ins 13. Jahrhundert. Beiträge einer internationalen Konferenz, Leipzig, 4.-6. Dezember 1997, Stuttgart, 2001 (Forschungen zur Geschichte und Kultur des östlichen Mitteleuropa, 11), p. 23-36. 137 Knut Helle y voit une confirmation du rôle avant tout commercial de Birka et Haithabu. Voir K. Helle, Descriptions…, cité p. 110, n. 104, p. 23-24. 138 Rimbert, op. cit., c. 19, p. 41. 139 Voir supra, p. 78. 140 Rimbert, op. cit., c. 19, p. 42. 141 Voir G. Bührer-Thierry, Qui est le dieu le plus fort ? La Compétition entre païens et chrétiens en Scandinavie au IXe  siècle d’après la Vita Anskarii, dans A.  Gautier et C.  Martin  (éd.), Échanges, communications et réseaux dans le haut Moyen Âge. Études et textes offerts à Stéphane Lebecq, Turnhout, 2011 (Haut Moyen Âge, 14), p. 165-179. 142 Rimbert, c. 11, p. 32 ; c. 19, p. 43. Voir S. Lebecq, Religiosa femina nomine Frideburg. La communauté chrétienne de Birka au milieu du IXe siècle d’après le chapitre 20 de la Vita Anskarii, 135

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La situation n’était guère différente à Sliaswich, où, selon le témoignage de l’hagiographe, se seraient côtoyé marchands chrétiens et païens. La première caractéristique que Rimbert évoque à propos des habitants du portus, c’est qu’ils seraient venus de contrées fort différentes. Or, parmi ceux-ci, plusieurs se seraient convertis au christianisme, s’étant fait baptiser à Dorestad ou à Hambourg. De plus, ces chrétiens auraient compté parmi les « grands » (primores) de l’endroit. L’existence d’une église contribuerait, toujours selon Rimbert, à attirer encore davantage de marchands à Sliaswich, venus soit de la région elle-même (gentis huius homines), soit de Hambourg ou de Dorestad, puisqu’ils pourraient dorénavant y pratiquer leur culte librement143. D’après le tableau qu’esquisse Rimbert, les marchands forment la partie la plus substantielle de la population de Birka et de Haithabu. Contrairement à Magdebourg et à Mersebourg, les Juifs ne semblent pas former une part importante du contingent des commerçants : en effet, les habitants de ces portus connus des sources sont soit chrétiens, soit polythéistes. À propos de leur origine, Rimbert signale qu’elle est très diversifiée, mais que plusieurs des marchands viennent de Saxe et de Frise. Nous en savons malheureusement bien trop peu sur les habitants de Wolin : en effet, Adam de Brême est le seul à nous renseigner à leur sujet. Adam signale que Wolin accueille des « barbares » et des « Grecs » – c’està-dire des Russes144 – venant de partout, qui s’y installent temporairement. La civitas serait habitée par des Slaves, mais aussi par d’autres « barbares » ainsi que par des « Grecs ». On y rencontrerait en outre des Saxons de passage, qui obtiendraient le droit d’y séjourner si, lors de leur séjour, ils ne se déclareraient pas ouvertement comme chrétiens. Car, précise Adam, bien qu’ils soient païens, on ne trouverait pas de meilleures personnes, en ce qui touche à leurs mœurs et à leur hospitalité, que les habitants de Wolin. L’importance du commerce pour le site portuaire est soulignée par l’historien de Brême, qui précise qu’on retrouverait à Wolin toutes les marchandises agréables et rares apportées par les peuples du Nord145. Le lecteur aura peut-être remarqué la place prépondérante que prennent les marchands dans les descriptions fournies par Rimbert et Adam de Brême, alors que Thietmar de Mersebourg est plutôt discret à leur sujet. On peut croire que cette différence est due à la relation particulière qu’avaient les ecclésiastiques de Hambourg et de Brême avec les commerçants : ils en étaient

dans Recueil d’études en hommage à Lucien Musset, Caen, 1990 (Cahiers des Annales de Normandie, 23), p. 127-137. 143 Rimbert, op. cit., c. 24, p. 52-53. 144 Voir L. Leciejewicz, Słowianie…, op. cit., p. 316. S. Rosik, Barbari…, art. cit., passim. 145 Adam, op. cit., 2,22, p. 79. Voir C. Lübke, Multiethnizität…, cité n. p. 289, n. 133, p. 40-41.

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fortement dépendants pour mener à bien la mission chez les païens d’Europe septentrionale. Rimbert insiste certes sur l’importance du roi des Svear et de son représentant, le praefectus Hériger, pour la propagation du christianisme à Birka : ainsi, le roi Björn permet à Ansgar de s’installer dans le portus et de s’y adonner à la prédication146. Plus tard, son successeur Olaf concède à Ansgar un terrain à Birka afin qu’il puisse y ériger un oratoire147. Quant au praefectus Hériger, nous avons déjà mentionné qu’il s’est fait chrétien et a fait construire une église148. Malgré ces observations, on constate que Rimbert exprime clairement son opinion sur le rôle essentiel joué par les marchands pour la propagation du christianisme. En témoigne la manière dont l’hagiographe dépeint la façon dont les Svear du roi Olaf attaquent la forteresse d’Apulia, en Courlande149. Ils n’obtiennent succès qu’après avoir abandonné leurs divinités et s’être tournés vers le Dieu des chrétiens. Or, ce sont toujours des marchands qui interviennent pour convaincre les guerriers des bienfaits du christianisme150. Nous avons déjà pu observer l’insistance avec laquelle Rimbert a souligné le fait que la construction d’une église à Sliaswich peut attirer les marchands151. Ceux-ci, des chrétiens de Dorestad et Hambourg, pouvaient sans doute exercer une pression sur les autorités locales pour avoir le droit de s’adonner à leur culte. L’hagiographe se servait donc de cet argument pour convaincre du bien-fondé d’ériger de nouvelles églises. Adam de Brême témoigne également de l’importance des marchands pour la propagation du christianisme152. Comme il a été mentionné plus haut, Adam laisse deviner que ce sont les marchands qui font le lien entre l’archevêché de Hambourg-Brême et les régions lointaines où sont envoyés évêques et missionnaires, en Islande, au Groenland et aux Orcades153. L’historien de Brême insiste en outre sur le fait que les chrétiens sont tolérés parmi les habitants païens de Wolin ainsi que sur l’hospitalité dont font preuve ceux-ci. Certes, Adam mentionne aussi que les chrétiens ne peuvent y pratiquer ouvertement leur culte ; toutefois, on pourrait fort bien penser que si Adam insiste autant sur ce point, c’est parce qu’il croit sans doute que si la mission peut éventuellement avoir une chance de se faire accepter, à terme, à Wolin, ce sera

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Rimbert, op. cit., c. 11, p. 32. Rimbert, op. cit., c. 28, p. 59. 148 Voir supra, p. 280-281. 149 Rimbert, op. cit., c. 30, p. 60-63. 150 Rimbert, op. cit., c. 30, p. 61 ; c. 30, p. 62. 151 Voir supra, p. 291. 152 À propos de l’importance du voyage pour Adam, voir V. Scior, Das Eigene…, op. cit., p. 56-72. 153 Voir supra, p. 289. Un évêché fut fondé en Islande en 1054-1055 avec l’ordination d’Isleif, aussi responsable du Groenland. 147

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certainement par l’intermédiaire de marchands154. En tous cas, il s’intéresse apparemment à cet aspect. L’écolâtre de Brême raconte aussi qu’une église a été fondée en Courlande par un marchand : il aurait été soutenu dans son entreprise par le roi des Danois qui lui aurait fait des dons. Adam précise que c’est du roi Sven Estridsen lui-même qu’il tient cette information155. On réalise donc que les marchands avaient, autant à l’époque de Rimbert qu’à celle d’Adam, une importance capitale pour la christianisation des régions nordiques156. Voyageant beaucoup, en contact avec l’Europe occidentale, c’étaient ceux qui étaient les plus susceptibles de se laisser convertir en premier. De plus, se rendant eux-mêmes dans des régions éloignées, ils pouvaient participer activement à l’expansion du christianisme, faisant pression sur les dirigeants locaux, voire fondant eux-mêmes des églises. Or, il se trouve que la mission est au centre de l’intérêt de l’hagiographe Rimbert ainsi que de l’œuvre historique d’Adam157. Considérant donc, d’une part, le rôle central joué par la mission dans les pays nordiques dans les écrits de Rimbert et d’Adam, ainsi que, d’autre part, la participation indispensable des marchands pour cette même entreprise, on ne s’étonnera guère de ce que les deux auteurs n’hésitèrent pas à mettre en scène des commerçants, que ce soit à Hambourg et à Brême ou encore à Haithabu et à Birka. Non seulement ils ne voyaient pas la nécessité de montrer une aversion exagérée envers les activités des marchands, une attitude, on le sait, répandue chez les clercs médiévaux158, mais ils avaient même avantage à mettre en lumière leurs accomplissements, voire à prendre leur défense lorsqu’ils subissaient des exactions indues. Quant à Thietmar, nous avons pu constater qu’il était, bien au contraire, réticent à mentionner jusqu’à l’existence de marchands. Si nous connaissons leur présence à Magdebourg et à Mersebourg, c’est avant tout grâce aux documents diplomatiques. L’évêque, lui, hésitait à les nommer par leur nom. Il ne le fit qu’indirectement concernant Magdebourg, signalant l’existence d’une ecclesia mercatorum. Quant aux Juifs dont il indiqua la présence, il ne mentionna pas explicitement quelles étaient leurs occupations. Certes, il signala

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Selon Volker Scior, Adam mentionne ainsi le Vinland, même s’il n’en sait presque rien, parce qu’il le perçoit comme faisant partie de l’espace de la mission. V. Scior, Das Eigene…, op. cit., p. 131-134. 155 Adam, op. cit., 4,16, p. 244. 156 V. Scior, Das Eigene…, op. cit., p. 34-36. 157 Voir W. Trillmich, Einleitung, dans id. et R. Buchner (éd.), Quellen des 9. und 11. Jahrhunderts zur Geschichte der Hamburgischen Kirche und des Reiches, Darmstadt, 1973 (Ausgewählte Quellen zur deutschen Geschichte des Mittelalters. Freiherr vom Stein-Gedächtnisausgabe, XI), p. 5-6 ; V. Scior, Das Eigene..., op. cit., p. 29-37. 158 J. Le Goff, Métiers licites et métiers illicites dans l’Occident médiéval, dans id., Pour un autre Moyen Âge. Temps, travail et culture en Occident. 18 essais, Paris, 1977 (Collection Tel), p. 91-107.

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une fois la présence de mercatores à Mersebourg, mais c’est en citant la teneur d’un diplôme159, et l’on ne peut guère s’empêcher d’avoir l’impression qu’il s’exécutait à contre-cœur. Pourtant, nous savons pertinemment que Thietmar côtoyait lui-même quotidiennement ces marchands à Mersebourg, et même à l’intérieur de l’enceinte de l’agglomération. Pourquoi donc tant de réticence à nommer par leur nom ceux qui devaient lui être si familiers ? On pourrait tout d’abord remarquer que les marchands de la Saxe continentale ne semblent pas avoir joué un rôle aussi prépondérant que dans les régions nordiques pour la propagation du christianisme. Une fonction comparable n’est mentionnée nulle part. Par ailleurs, on pourrait ajouter que les marchands de Magdebourg et de Mersebourg avaient une caractéristique que ne possédaient pas leurs collègues d’Europe du Nord : ils étaient en grande partie des Juifs ; il est donc évidemment exclu que ceux-ci aient soutenu la mission. Ainsi, Thietmar n’avait pas, contrairement à Rimbert et à Adam, de raison valable pour porter une attention particulière aux marchands vivant à ses côtés. Cela devrait nous porter à une grande prudence lors de l’interprétation de nos sources : si les marchands prenaient plus de place chez certains auteurs que chez d’autres, cela ne signifie pas automatiquement qu’ils aient eu dans la réalité une plus grande importance ou qu’ils aient été présents en plus grand nombre : les raisons sont plutôt à chercher dans la subjectivité des sources, dans le discours des auteurs et dans l’image qu’ils voulaient présenter de la réalité qui les entourait. Cosmas de Prague nous informe que l’on pouvait rencontrer en Bohême nombre de Juifs prospères. Ainsi, le chroniqueur signale que le castrum de Podivin, en Moravie, aurait porté le nom de son fondateur, Podiva, un Juif qui se serait converti au catholicisme160. Cosmas nous renseigne également sur la richesse des Juifs et des marchands dans les faubourgs de Prague et Vyšehrad : Wirpirk, épouse de Conrad Ier, aurait tenté de convaincre son époux d’attaquer les deux endroits, car nulle part ailleurs il ne trouverait autant de marchands et de trésors161. En effet, les richesses des Juifs de Prague attisent les convoitises. Cosmas déplore ainsi les persécutions que fait subir aux Juifs le prince Bretislas II. Celui-ci les a obligés à se convertir au christianisme et, ensuite, s’est étonné du fait qu’ils voulaient s’enfuir en Pologne ou en Panonnie. Leur fuite représente bien sûr une perte majeure de revenus pour son royaume. Bretislas envoie donc son camérier accompagné de milites afin de dépouiller les Juifs qui le trahissent de cette façon. Ceux-ci pillent les maisons des Juifs, emportant 159 160 161

Thietmar, op. cit., 3,1(1), p. 98. Voir infra, p. 300. Cosmas, op. cit., 2,21, p. 113. Cosmas, op. cit., 2,45, p. 152.

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toutes leurs richesses et ne leur laissant que le minimum nécessaire à leur survie162. La présence de marchands et d’une communauté juive importante à Prague était connue depuis longtemps : le voyageur juif arabophone Ibrāhīm ibn Ja‘kūb, qui décrivit Prague comme étant le centre de commerce le plus important des pays slaves, en témoignait déjà au Xe siècle163. Ces marchands juifs faisaient sans doute partie d’un réseau en lien avec ceux de Magdebourg et Mersebourg, situés tous deux près de la frontière avec les terres des Slaves et non loin des routes menant à Prague. * Il est donc possible d’observer deux réseaux différents de commerçants en activité aux Xe et XIe siècles. Le premier s’appuyait sur les routes et les agglomérations du continent ; ses marchands étaient domiciliés dans les principaux sièges épiscopaux, à Magdebourg, à Mersebourg et à Prague, sans doute aussi dans d’autres lieux à propos desquels les auteurs des sources se taisent. Ils habitaient dans les basse-cours ou même à l’intérieur des fortifications de ces agglomérations. Ils voyageaient dans des régions lointaines pour les nécessités de leur métier et obtinrent des privilèges des empereurs ottoniens. Ces marchands continentaux étaient apparemment en majeure partie, mais sans doute pas uniquement, des Juifs. Quant au second réseau, il était axé sur la mer Baltique. On retrouvait dans les régions le long des rives méridionales de la Baltique des endroits désignés dans les sources comme des emporia ou des portus, où furent partout mentionnés des negotiatores. Ceux-ci pouvaient être soumis à la domination directe d’un souverain comme Thrasco à Reric et Godefrid à Haithabu, ou encore jouir d’une indépendance politique, comme plus tard à Wolin. Ces marchands, nous connaissons parfois leur origine : ils pouvaient être Saxons, Frisons, Slaves, Scandinaves. Notons toutefois que ces deux catégories présentées de manière schématique ne forment que des Idealtypen, et que certains endroits sont difficiles à classer : ainsi, auquel de ces deux types devraient être rattachées Hambourg et Brême  ? En tant que sièges 162

Cosmas, op. cit., 3,5, p. 166. Ibrāhīm ibn Ja‘kūb, dans Relatio Ibrāhīm ibn Ja’kūb de itinere Slavico, quae traditur apud Al-Bekrī/Relacja Ibrāhīma ibn Ja’kūba z podróży do krajów słowiańskich w przekazie Al-Bekrīego, éd. T. Kowalski, Cracovie, 1946 (Monumenta Poloniae Historica. Nova series/Pomniki dziejowe Polski, seria II, I), p. 146 (traduction latine). Voir P. Engels, Der Reisebericht des Ibrāhīm ibn Ya‘qūb (961/966), dans A. von Euw et P. Schreiner (éd.), Kaiserin Theophanu. Begegnung des Ostens und Westens um die Wende des ersten Jahrtausends. Gedenkschrift des Kölner SchnütgenMuseums zum 1000. Todesjahr der Kaiserin, vol. 1, Cologne, 1991, p. 413-422 ; C. Warnke, Bemerkungen zur Reise Ibrahim Ibn Jakubs durch die Slawenländer im 10. Jahrhundert, dans H. Ludat (éd.), Agrar-, Wirtschafts- und Sozialprobleme Mittel- und Osteuropas in Geschichte und Gegenwart, Wiesbaden, 1965 (Osteuropastudien des Landes Hessen. Reihe  1. Gießener Abhandlungen zur Agrar- und Wirtschaftsforschung des europäischen Ostens, 32), p. 393-415.

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archiépiscopaux, ils appartenaient d’un point de vue institutionnel à la première catégorie ; mais de par leur situation côtière, sur la mer du Nord, aux réseaux d’échanges auxquels ils étaient intégrés et l’origine de leurs marchands, ils étaient beaucoup plus proches de la seconde. Des cives du royaume aux cives de la civitas Nous pouvons maintenant nous approcher d’une catégorie d’habitants énigmatique : les cives. En latin classique, civis, apparenté par l’étymologie à la civitas, pouvait à l’occasion désigner l’habitant d’une ville ; toutefois, le terme définissait avant tout le citoyen, c’est-à-dire l’habitant du territoire d’une civitas, d’une région, d’un royaume, voire le citoyen libre de l’Empire : le citoyen romain, civis Romanus. Déjà dans l’Antiquité, donc, civis était polysémique et pouvait avoir des significations variables selon les contextes où il était utilisé164. Mais le terme a connu au cours du haut Moyen Âge plusieurs transformations sémantiques majeures. Peu utilisé par les auteurs de la période carolingienne, le terme avait alors une signification vague, ayant peu à voir avec les formes d’habitat. Ce n’est que dans les siècles suivants qu’il obtint par étapes, et avec des variations selon les auteurs, un sens plus précis. L’utilisation du terme cives nous renseigne peu, contrairement à ce qui est le cas avec les rustici, les negotiatores, les élites laïques ou ecclésiastiques, sur les personnes ellesmêmes qui furent désignées ainsi. En revanche, elle témoigne de changements dans la manière dont les habitants étaient perçus. L’identification des catégories d’habitants a-t-elle été conçue d’après des critères fonctionnels, liés à leurs activités, ou spatiales, se référant au lieu où ils habitaient ? C’est ce que nous nous proposons maintenant d’observer. Nous suivrons les péripéties de l’utilisation du terme cives depuis les temps carolingiens et jusqu’au début du XIIe siècle. En observant les transformations du sens et des connotations, nous nous attarderons plus particulièrement aux ruptures dans la tradition et aux contextes dans lesquels elles apparurent. Les auteurs de la période carolingienne n’utilisèrent que rarement l’appellation cives. De plus, lorsqu’ils l’employèrent, c’était toujours avec un sens vague, voire abstrait – quand il ne s’agissait pas tout simplement d’une réminiscence antique ou biblique. Ainsi, Alcuin utilisa le terme dans sa correspondance avec le sens général d’ « habitant », de « concitoyen »165. Il pouvait s’agir du citoyen romain166 ; en certaines occasions, le savant anglo-saxon se

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À propos du terme civis, voir G. Köbler, Civis und ius civile im deutschen Frühmittelalter, thèse de doctorat, Göttingen, 1965, p. 10-47. 165 Alcuin, Epistolae, op. cit., 16, p. 42. 166 Alcuin, Epistolae, op. cit., 246, p. 396, p. 397.

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référait de façon métaphorique à la réalité de l’Empire romain167. Mais généralement, Alcuin n’utilisa cives que dans un sens purement allégorique : les cives étaient les habitants de la cité de Dieu ou de la cité terrestre d’Augustin168, ou encore les habitants du paradis169. Dans ces cas, la notion de civis – un mot utilisé avec parcimonie – ne se référait aucunement à une catégorie réelle de personnes ou d’habitants. Ce n’était qu’un terme purement littéraire, avec un sens très vague. On ne le retrouvait pas, d’ailleurs, dans les annales et autres sources narratives. Au Xe siècle, on continua à ne désigner comme des cives qu’une catégorie générale d’ « habitants ». Toutefois, même en gardant un sens vague, le terme commença à être appliqué à des réalités déjà plus concrètes : il s’agissait dorénavant de la société contemporaine et non plus seulement d’images littéraires. C’est Widukind qui nous en offre la meilleure illustration. Parmi les épisodes légendaires contenus dans la première partie de son œuvre, Widukind relate une attaque des Saxons dirigés par Hathagat contre les Thuringiens. Au cours des altercations, le moine de Corvey oppose les cives des Saxons aux cives des Thuringiens170. On doit dans ce cas voir dans les cives le sens de « concitoyens », de « compatriotes ». C’est également avec une signification semblable qu’est utilisé le terme lorsque Widukind affirme que le comte Eric est particulièrement apprécié de ses cives171. Toutefois, dans la majorité des cas Widukind désigne comme cives les habitants de la Saxe, en les opposant à ceux hors du royaume : ces derniers sont les extranei172, les barbari173, ou les hostes174. On a même l’impression que les cives ne sont pas seulement des hommes libres, mais la population en général : ce sont ceux qui souffrent des incursions des ennemis, ceux qui profitent du règne pacificateur d’Henri Ier ; d’une manière ou d’une autre, les cives ne sont aucunement les membres seuls de la haute aristocratie. Nous retrouvons donc clairement exprimée la vieille notion romaine : les cives ou citoyens sont les habitants de l’Empire, du royaume, opposés aux autres : les étrangers, les barbares et les ennemis. On pourrait penser que Widukind s’est, par cet usage,

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Alcuin, Epistolae, op. cit., 34, p. 76. Alcuin, Epistolae, op. cit., 16, p. 42. 169 Alcuin, Epistolae, op. cit., 23, p. 62 ; 25, p. 67 ; 184, p. 310. 170 Widukind, op. cit., 1,11, p. 19. 171 Widukind, op. cit., 2,31, p. 93. 172 Rex quippe Heinricus cum esset satis severus extraneis, in omnibus causis erat clemens civibus. Widukind, op. cit., 2,3, p. 69. 173 Colocans in suburbano Mesaburiorum, datis agris atque armis, iussit civibus quidem parcere, in barbaros autem in quantum auderent latrocinia exercerent. Widukind, op. cit., 2,3, p. 69. 174 (Henri Ier) fratrum vero pax atque concordia, Deo acceptabilis hominibusque amabilis, toto orbe fit iam celebris, dum unanimes res publicas augent, hostes debellant, civibus paterna potestate presunt. Widukind, op. cit., 2,36, p. 95. 168

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laissé inspiré par Salluste, un auteur qu’il apprécie particulièrement175, et qui utilisa à plusieurs reprises cives dans le sens de « concitoyens », en opposition à hostes176 ; une opposition familière au moine de Corvey. Certes, Widukind donne à deux occasions l’impression de donner aux habitants de civitates le titre de cives. Il s’agit, tout d’abord, des défenseurs de la forteresse d’Eresburg, qui se rendent à leurs ennemis et leur en ouvrent les portes177. Dans le second cas, ce sont les habitants d’une place forte saxonne, qui n’a pas pu être identifiée, qui se font appeler cives Cocarescemiorum178. Or, il s’agit ici explicitement des libres (liberi) et des serfs (conditione servili), de même que des hommes, femmes et enfants. On ne saurait conclure, à la lumière de l’utilisation que fait généralement l’historien saxon de ce terme, que ces cives sont implicitement les habitants d’une civitas. D’ailleurs, Widukind n’utilise que parcimonieusement le terme de civitas, lui préférant celui d’urbs. Nous devrions dans ce cas comprendre cives non pas comme « citoyens d’une civitas », mais plutôt comme « citoyens du royaume, qui se trouvent dans une civitas ». Salluste en a d’ailleurs fait de même179. De plus, il est intéressant pour notre propos de noter que le terme englobe clairement la population in extenso, comprenant tous âges et toutes catégories sociales. On serait même tenté d’ajouter que dans le cas des cives Cocarescemiorum, si Widukind préfère précisément cives à urbani, c’est justement parce qu’il veut désigner dans ce cas la population de la forteresse et de la région latere sensu, et non pas seulement les défenseurs, sens qu’a normalement urbani. Une césure est marquée par le début du XIe siècle dans l’utilisation du terme cives, telle qu’on peut l’observer dans l’œuvre de Thietmar de Mersebourg. Soudainement, le terme prit une toute nouvelle signification, qu’il garda d’ailleurs généralement par la suite. En effet, dans la chronique de l’évêque de Mersebourg, le vocable civis prend, sans équivoque, le sens d’ « habitant d’une civitas ». Dans l’une des anecdotes moralisatrices dont il aime à parsemer sa chronique, Thietmar met en scène un habitant de Magdebourg ; c’est le terme de civis qu’il choisit pour le caractériser. L’évêque raconte les malheurs d’un homme qui a forcé son épouse à coucher avec lui contre son gré un jour férié et a été puni de ce sacrilège par la naissance d’un enfant déformé. L’homme en question est décrit comme « un certain homme, du nom d’Uffo, civis de Magdebourg » (quidam

175

H. Beumann, Widukind…, op. cit., p. 94-100. Salluste, Bellum Iugurthinum, dans Salluste, Catilina. Iugurtha. Fragmenta ampliora, éd. A. Kurfess, Leipzig, 1968 (Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana), 51,1, p. 96. 72,2, p. 111 ; 89,4, p. 126 ; 91,5, p. 127-128. 177 Widukind, op. cit., 2,11, p. 76. 178 Widukind, op. cit., 3,52, p. 131. 179 Salluste, Bellum Iugurthinum, cité p. 298, n. 176, 89,4, p. 126 et 91,5, p. 127. 176

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vir, Uffo nomine, civis Magadaburgiensis)180. Dans un autre passage, il s’agit d’un habitant de Magdebourg qui, tombé malade, a une vision et prédit la mort d’une certaine Liudgerd. Cet habitant est désigné par Thietmar comme un «  certain laïc, civis de Parthenopolis  » (quidam laicus, civis Parthenopolitanus)181. Dans les deux cas, il s’agit donc d’un homme, laïc, « citoyen » ou plutôt « habitant » du chef-lieu de la province. Ce n’est pas tout : le chroniqueur de Mersebourg évoque également l’existence de cives en Bohême, dans la forteresse de Vyšehrad. Thietmar raconte que, lors d’un assaut dirigé contre Vyšehrad, les cives sont appelés par une cloche à prendre leur poste pour défendre leur place forte des ennemis approchant182. Il ne peut donc s’agir que de ceux qui habitent la forteresse. Thietmar mentionne également les cives de Rome lors de l’expédition d’Otton Ier en 961183. Il est en outre particulièrement intéressant pour notre propos d’observer que, lorsque l’évêque saxon veut traiter des « citoyens » ou « habitants » du royaume, dans le sens qu’a traditionnellement le terme de cives en Saxe, désirant éviter la confusion, il n’utilise pas le terme cives mais bien celui de concives, les « concitoyens ». Ainsi, il évoque la discorde apparue entre les concives et les consocii de Saxe, lorsque Thankmar, fils d’Henri Ier, se rebelle contre son père184 ; ainsi également, il oppose les ennemis des Saxons, nostri inimici, à ses propres « concitoyens », nostri concives185. On constate que, puisque civis avait obtenu un sens plus précis, différent de celui qu’il avait eu auparavant, il parut nécessaire à Thietmar de varier son vocabulaire. Il différencia également, notons-le, les cives des optimi civitatis186. Qui sont donc, dans l’esprit de Thietmar, ces cives de Magdebourg et de Vyšehrad ? Il semble peu probable qu’il s’agisse de guerriers de la garnison, que le chroniqueur aurait plutôt désigné comme des milites, un terme qu’il utilise régulièrement. Il est plus probable que ces cives soient avant tout des marchands. Or, le mot cives se rapportant à un nouveau statut juridique, à ceux qui allaient devenir les « bourgeois » des villes, ne se répandit en Europe du Nord-Ouest que dans la seconde moitié du XIe siècle187. Pourquoi donc Thiet180

Thietmar, op. cit., 1,25(14), p. 32. Thietmar, op. cit., 6,85(51), p. 376. 182 Thietmar, op. cit., 6,12(9), p. 288. 183 Thietmar, op. cit., 2,13(7), p. 52. 184 Discordia etiam inter concives consociosque oritur non minima. Thietmar, op. cit., 2,2(1), p. 40. 185 Nostri hoc audientes inimici irriserunt ; nostri autem concives id ut sibi profuturum timuerunt. Thietmar, op. cit., 6,83(50), p. 374. 186 B. Schwineköper, Die Anfänge..., cité p. 288, n. 121, p. 446-447. 187 E. Ennen, Die europäische…, op. cit., p. 114 ; ead., Frühgeschichte…, op. cit., p. 179-188 ; H. Pirenne, Les Villes..., op. cit., p. 104-105 ; G. Marckhgott, Zur Bezeichnung der Stadtbewohner in den Quellen des Hochmittelalters, dans C. Rohr (éd.), Vom Ursprung..., op. cit., p. 225-231. À Halberstadt, les marchands sont désignés comme mercatores entre 1036 et 1059, negotiatores en 1068 et cives forenses en 1105. Urkundenbuch der Stadt Halberstadt. Erster Teil, éd. G. Schmidt, 181

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mar n’utilisa-t-il pas mercatores ou negotiatores, comme cela était déjà courant à son époque dans les sources diplomatiques ? Nous avons déjà pu observer la répugnance qu’avait l’évêque à mentionner l’existence des marchands habitant les sièges épiscopaux saxons. Non seulement partageait-il sans doute le mépris général des clercs médiévaux envers les commerçants, mais on peut penser que cette distanciation était intensifiée par le fait que de nombreux marchands de la Saxe continentale étaient apparemment Juifs. Certes, le civis Uffo n’était – à en juger par son nom – probablement pas Juif ; mais l’opprobre de ses collègues devait pour ainsi dire quelque peu retomber sur lui. On pourrait penser que si Thietmar introduisit ici le terme civis, c’était – à tout le moins, entre autres motivations – précisément pour éviter de nommer par leur nom les marchands. Civis lui apparut sans doute plus neutre que mercator ou negotiator et, surtout, ne faisait pas explicitement référence aux activités marchandes. Malgré tout, on constatera que la signification que prit civis, comme l’adjectif dérivé du toponyme de la civitas l’indique, était avant tout locale ou « topographique », comme l’écrivait Henri Pirenne188, alors que la référence à la fonction, au métier, fut escamotée. Notons finalement l’usage toutefois limité que fit Thietmar de ce terme : des cives ne furent mentionnés, outre Rome, qu’à Magdebourg et à Vyšehrad. Par ailleurs, on se doit de noter que les marchands de Magdebourg jouèrent un rôle novateur et décisif dans le lent processus du développement d’une catégorie juridique et sociale particulière pour les commerçants, qui lui-même allait mener à terme à l’apparition du droit urbain. En effet, nous avons déjà évoqué le privilège par lequel Otton Ier avait conféré à la communauté des marchands de Magdebourg des droits particuliers. Les commerçants y étaient présentés comme un groupe organisé, capable de défendre ses positions. Il n’est pas à exclure que leur statut spécifique, à propos duquel l’évêque de Mersebourg ne dit pourtant rien, ait influencé la perception qu’avait le chroniqueur de leur identité. Il existe toutefois une autre mention de cives dans un texte d’un auteur contemporain de Thietmar, qui fait un usage de ce terme encore insolite à son époque. Il s’agit de la Vie de saint Adalbert par Bruno de Querfurt. L’hagiographe relate le martyre de Venceslas à Stará Boleslav189, qu’il désigne comme

Halle, 1878 (Geschichtsquellen der Provinz Sachsen, 7), 1-4, p. 1-4. Voir F. Keutgen, Urkunden zur städtischen Verfassungsgeschichte, Aalen, 1965 (d’abord paru en 1901) (Ausgewählte Quellen zur deutschen Verfassungs- und Wirtschaftsgeschichte, 1), no. 77, p. 45-46 ; G. Dilcher, Die Rechtsgeschichte..., cité p. 10, n. 5, p. 306. 188 H. Pirenne, Les Villes…, op. cit., p. 340 ; S. Rietschel, Die civitas…, op. cit., p. 93. 189 Voir G.  Labuda, Święty Wojciech. Biskup – męczennik – patron Polski, Czech i Węgier, Wrocław, 2004 (Monografie Fundacji na rzecz nauki polskiej), p. 67, 145 ; F. et M. Machilek,

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une civitas. Les meurtriers pénètrent dans la forteresse un dimanche, alors que les habitants assistent à la messe. Cela ne les aida pas, écrit Bruno, que les urbani cherchaient à célébrer le jour saint ; ils (c’est-à-dire les assaillants) jetèrent contre les forenses des paroles arrogantes : « Si, dirent-ils, Venceslas est votre saint, le nôtre en tous cas est Boleslas. » Mais bien qu’ils prirent ensuite la civitas, ils furent punis pour leurs paroles âpres. Ce jour-là, de fait, de nombreuses têtes tombèrent sous le glaive des cives, et tous ceux qui avaient participé à ce complot moururent ou devinrent aveugles et vécurent dispersés190. Ce sont apparemment les mêmes personnes que Bruno désigne tour à tour comme des urbani, comme des forenses puis comme des cives. On peut voir dans ce parallèle une confirmation du fait que cives désignait alors avant tout les marchands : n’oublions pas que Thietmar et Bruno provenaient du même milieu, ayant étudié ensemble à l’école épiscopale de Magdebourg191. On peut croire que leur usage du terme reflète la manière dont on s’exprimait à leur époque à Magdebourg et en Saxe. Est-ce que Thietmar et Bruno entendaient par là un statut juridique particulier pour les marchands, dont les premiers balbutiements avaient été exprimés quelques dizaines d’années plus tôt à Magdebourg et qui était promis à un grand avenir ? On peut en douter. Un tel statut existait certes déjà à Magdebourg, sous des formes encore rudimentaires. C’était toutefois encore un cas exceptionnel et nous ne connaissons rien de tel à Vyšehrad à la même époque, où l’évêque de Mersebourg situa également des cives. Si un tel statut particulier est, à la limite, encore concevable pour Vyšehrad, ce serait à peine imaginable pour une forteresse en Bohême d’un rang secondaire, comme l’était Stará Boleslav. Les cives ne devaient guère être plus que des marchands habitant une civitas. Nous pouvons maintenant nous tourner vers l’usage que fit Adam de Brême du terme cives. Certes, l’écolâtre se servit de cives dans un cas avec son acception ancienne, soit celle d’habitants de la Saxe. On notera cependant qu’il ne s’agissait là que d’une citation de la Translation de saint Alexandre,

Der heilige Wenzel: Kult und Ikonographie, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., vol. 2, p. 888-894. 190 Nec iuvat quod urbani diem sanctum venerari petunt, contra quos forenses superbię verba iaculant : Si, inquinut, vester sanctus est Ventizlavus, noster utique est Bolizlavus. Sed quamvis post caperent civitatem, pęnas dedit asperum verbum. Civium namque gladio die illa ceciderunt hostium multa capita, et omnes qui in illo consilio fuerunt, aut moriebantur, aut cęci et dispersi vivunt. Bruno de Querfurt, S. Adalberti…, op. cit., c. 21, p. 27. 191 H. Lippelt, Thietmar…, op. cit., p. 71-87 ; R. Wenskus, Studien…, op. cit., p. 2-3.

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qu’Adam utilisa dans sa description du pays saxon où se situait l’action de son œuvre192. Mais dans tous les autres cas, les cives sont pour lui en lien avec des civitates ou avec des forteresses, ainsi qu’on l’observe dans l’expression urbes cum civibus193. Mentionnant les habitants de Hambourg et voulant distinguer les clercs des autres habitants, il mentionne la « multitude des frères et des cives »194. Enfin, nous avons déjà cité le passage dans lequel Adam déplore la « tragédie de Brême », les malheurs causés aux habitants de Brême par les exactions injustes de l’archevêque Adalbert, « dans les afflictions des cives et des milites et des mangones ainsi que, ce qui est plus grave encore, des clercs et des moniales. » Adam indique par la même occasion que la civitas a été désertée par les cives, le marché vidé de ses marchandises195. On voit que les cives sont avant tout les habitants de Hambourg et de Brême ; on serait tenté d’ajouter que, dans le second cas, les cives comprenent à la fois les milites et les mangones. Comme nous allons le voir, même s’ils écrivaient tous les deux à la même époque, Cosmas de Prague et le chroniqueur dit Gallus Anonymus avaient des conceptions très différentes de ce qu’était un civis. Chez Cosmas, le terme cives est équivoque196. Ainsi sont vaguement désignés, dans le cadre des récits légendaires expliquant les débuts de la Bohême, deux cives qui dirigeaient le peuple, des populi rectores197. Certes, dans certains cas, on pourrait être amené à penser que le doyen de Prague désigne par cives les habitants des civitates : comme, par exemple, lorsqu’il signale que les habitants, cives, se font rares à Gniezno198 ; ou encore, lorsqu’il mentionne un quidam civis, Kumbold, miles de l’évêque habitant à Ratisbonne199 ; ou bien lorsque Sobeslas Ier tente de convaincre les cives du castrum de Kłodzko de se rendre avec leur forteresse. Cependant, on se rend rapidement compte que dans le même paragraphe, ces cives sont désignés comme des urbani, sans qu’il soit possible de voir qu’il se soit agit d’un groupe différent200. De plus, on observe dans un autre passage que pour l’auteur, cives ne peut pas s’appliquer exclusivement aux habitants d’une forteresse : alors que le roi passe la nuit 192

Adam, op. cit., 1,5, p. 7 ; Rudolf et Méginhard, op. cit., p. 424 ; Adam, op. cit., 1,53, p. 54. Urbes cum civibus, episcopi cum toto grege simul obruti sunt. Adam, op. cit., 1,38, p. 41. 194 Eo tempore cum esset pax firma inter Sclavos et Transalbianos, Unwanus archiepiscopus metropolem Hammaburg renovavit, clerumque dispersum colligens magnam ibidem tam civium quam fratrum adunavit multitudinem. Adam, op. cit., 2,60, p. 119. G. Köbler, Civis…, cité p. 296, n. 164, p. 26-27. 195 In afflictionibus civium militumque ac mangonum, item, quod gravius erat, clericorum et sanctimonialium. Adam, op. cit., 3,58, p. 204, cf. supra, p. 289. 196 Voir M. Bláhová, Terminologie…, cité p. 117, n. 135, p. 267. 197 Cosmas, op. cit., 1,4,  p. 11. 198 Cosmas, op. cit., 2,3, p. 84. 199 Cosmas, op. cit., 2,28, p. 123. 200 Cosmas, op. cit., 3,40, p. 213. 193

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dans une villa portant le nom de Kyleb, une querelle s’élève entre les proches du roi (sui) et les habitants de l’endroit (cives) ; au cours de l’altercation, deux frères, parmi les grands (primi inter primates), sont tués par des « villageois » (villani)201. On voit dans ce passage que pour Cosmas, les cives ne doivent pas être en lien avec des civitates. Ils peuvent, mais ne doivent pas habiter une forteresse : ils peuvent se retrouver dans une villa. En conclusion, on pourrait traduire le terme cives dans la chronique de Cosmas simplement par « habitants » ou « concitoyens », comme il a été d’usage dans les siècles précédents. Pour le chroniqueur dit Gallus Anonymus, en revanche, les cives sont définitivement en lien avec des civitates. Il mentionne des cives à Wrocław, formant « toute la multitude des Wratislavienses »202. À Białogród et à Kołobrzeg, les cives sont des défenseurs, rendant leur forteresse à leurs ennemis suite à des sièges203. Toutefois, alors qu’il décrit les tribulations du siège de Głogów par Henri V204, l’auteur anonyme désigne les défenseurs de la forteresse tour à tour comme des cives et comme des castellani205. Il est intéressant de noter ici que pour l’auteur anonyme, à Głogów, la différence se situe entre le « populus de la civitas » et « ceux qui étaient venus défendre le castrum ». Toutefois, il désigne les défenseurs de Głogów indifféremment comme des cives, des castellani ou des Glogovienses. La manière dont il utilise les trois termes, alternativement et comme des synonymes, rend futile toute tentative d’y voir des distinctions. Qui sont donc les cives polonais et poméraniens décrits par l’auteur anonyme ? Ils avaient comme tâche de défendre les forteresses ; on peut noter un certain lien d’identité relié à leur place forte. Winfried Schich a toutefois fait remarquer que le chroniqueur anonyme réservait la mention de cives aux agglomérations les plus importantes, soit celles qu’il désignait comme des urbes ou des civitates, et non pas seulement comme des castra ou des castella206. Cette remarque est juste, puisque les défenseurs des forteresses de moindre importance sont toujours présentés comme des oppidani ou castellani. On notera toutefois que le chroniqueur utilise indistinctement cives et castellani pour désigner les défenseurs de Głogów. Plutôt que de voir là une différence radicale de catégories d’habitants, il serait sans doute plus prudent de n’y voir

201

Cosmas, op. cit., 2,39, p. 142. Bolezlauus inprimis maiores et seniores civitatis deinde totum populum in concionem advocavit (…) cives (…) ad hec multitudo tota Wratislaviensium dolore cordis intrinsecus tacta, paulisper conquievit, erumpensque statim in vocem, intentionem mente conceptam unanimiter cum affectu pietatis aperuit. Gallus, op. cit., 2,16, p. 81-82. 203 Paucis diebus urbem cives reddere coartavit. Qua recepta suos ibi milites collocavit. Gallus, op. cit., 2,39, p. 110. 204 S. Szczur, Historia…, op. cit., p. 123. 205 Gallus, op. cit., 3,5-10, p. 133-137. 206 W. Schich, Die pommersche…, cité p. 114, n. 122, p. 286-287. 202

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qu’une différenciation surtout d’ordre linguistique. Comme l’avait déjà fait remarquer Henryk Łowmiański, toutes ces personnes ne sont présentées qu’avec des rôles défensifs et militaires207. D’après l’usage que fait le chroniqueur des différents termes latins, on peut conclure que pour lui, les cives sont présents dans les endroits de plus d’importance, mais jouent fondamentalement le même rôle que les oppidani et castellani. * Bref, on pourra affirmer que l’usage et la signification du terme civis dépend beaucoup plus de l’auteur qui le mentionne que de la région ou de l’endroit qui sont décrits. Tout au long de la période étudiée, c’est la signification vague, héritée de l’Antiquité, d’ « habitant » ou de « concitoyen » qui domine, à l’origine en lien avec le territoire d’une civitas. Les cives sont ainsi pour nos auteurs ceux qui habitent un royaume, une région, peu importe leur occupation ou leur statut, opposés parfois aux habitants hors du royaume ou de la région en question. On note cependant deux exceptions notables. La première se retrouve dans la Saxe du début du XIe siècle dans deux sources écrites à peu d’années d’intervalle. Thietmar de Mersebourg, qui utilise le terme civis pour désigner les commerçants de Magdebourg, le fait peut-être pour éviter les termes de mercator et negotiator, perçus de manière négative. L’usage qu’il introduit ainsi est confirmé par Bruno de Querfurt localisant des cives à Stará Boleslav. Le second moment fort est constitué par l’œuvre du chroniqueur anonyme de Pologne, pour qui le civis est l’habitant et surtout le défenseur d’une civitas. Le terme a un sens proche de celui d’urbani dans la Saxe des Xe et XIe siècles. On oserait presque affirmer que, dans les deux cas mais pour des raisons différentes, ce qui a motivé l’utilisation de la nouvelle signification est avant tout d’ordre linguistique. Quant à la nouvelle signification qui en résulta, elle s’avéra être avant tout topographique, spatiale, et il serait risqué d’y voir une différenciation juridique ou même fonctionnelle. Habitants et habitats d’après les sources archéologiques et archéozoologiques La distinction de catégories diverses d’habitants à l’aide des sources archéologiques est particulièrement ardue. Le chercheur se voit confronté à des problèmes souvent insolubles : les différences dans la culture matérielle sont-elles représentatives d’une différenciation sociale au sein de la population ? Les variations repérables reflètent-elles des statuts sociaux divers, des statuts économiques, des niveaux de prestige ? C’est particulièrement l’étude des cimetières qui permet de constater l’existence de groupes spécifiques au 207

H. Łowmiański, Początki..., op. cit., p. 687-689.

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sein d’une population donnée, car la manière dont les individus sont enterrés est généralement symptomatique de la position qu’ils occupaient de leur vivant dans la société208. À cela s’ajoutent les résultats d’analyses archéozoologiques laissant entrevoir des distinctions dans les habitudes alimentaires ainsi que permettant de reconstruire la provenance des animaux abattus pour être consommés. En tenant compte des limites inhérentes à l’interprétation des sources matérielles, nous nous attarderons principalement à observer l’existence possible de groupes distincts au sein des agglomérations. Il peut s’agir d’une différence de représentation sociale, exprimée par une inhumation au caractère ostentatoire, ou de particularités dans les habitudes alimentaires ou encore dans la provenance des produits consommés. Suite à ces considérations sera tentée une comparaison des résultats de cette enquête avec ceux de l’analyse des sources écrites. À nouveau, il ne peut s’agir de dresser un tableau exhaustif d’un problème immense209. La présentation qui suit se contentera de considérer certains sites particulièrement bien connus et pouvant être estimés comme représentatifs, ainsi que de s’appuyer sur les tendances générales des recherches récentes. L’état des recherches étant inégal selon les régions et les époques, trois catégories de localités attireront principalement notre attention : les sites portuaires de la mer Baltique, les places fortes des Slaves et les agglomérations multipartites des XIe et XIIe siècles. L’état des recherches en ce qui concerne les sites portuaires autour de la mer Baltique – particulièrement ceux de Haithabu, de Birka, de Groß Strömkendorf et de Menzlin – est très avancé, et mérite donc qu’on s’y attarde. La multitude des sources disponibles permet de reconnaître des différences que l’on peut sans doute qualifier de sociales au sein des populations de ces agglomérations, ainsi que les conditions de vie auxquelles elles étaient habituées. Si certaines formes de distinction peuvent être entrevues ici et là, il semble que les habitants se partageant l’espace restreint de ces localités devaient cependant avoir adopté des habitudes culturelles somme toute peu différenciées. En

208

H. Steuer, Frühgeschichtliche Sozialstrukturen in Mitteleuropa. Eine Analyse der Auswertungsmethoden des archäologischen Quellenmaterials, Göttingen, 1982 (Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften in Göttingen. Philologisch-historische Klasse. Dritte Klasse, no. 128), passim ; S. Brather, Archäologie..., op. cit., p. 256-267. H. Steuer, Soziale Gliederung der Bevölkerung von Haithabu nach archäologischen Quellen, dans H. Jankuhn, K. Schietzel et H. Reichstein (éd.), Archäologische und naturwissenschaftliche Untersuchungen..., op. cit., p. 341-342. 209 S. Brather, Archäologie..., op. cit., p. 310-318 ; N. Benecke, Die Entwicklung der Haustierhaltung im südlichen Ostseeraum, Weimar, 1986 (Weimarer Monographien zur Ur- und Frühgeschichte, 18), passim ; id., Archäologische Studien zur Entwicklung der Haustierhaltung in Mitteleuropa und Südskandinavien von den Anfängen bis zum ausgehenden Mittelalter, Berlin, 1994 (Schriften zur Ur- und Frühgeschichte, 46), passim.

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outre, leurs conditions de vie paraissent en général ne pas s’être très éloignées de celles de simples paysans. Les nécropoles de Haithabu ont fait l’objet de fouilles ; les résultats ont été analysés et présentés par Heiko Steuer. Un cimetière à l’intérieur de l’enceinte, comprenant environ 350 sépultures, datées entre le début du IXe et le milieu du XIe siècle, la plupart sans mobilier, a été exploré en partie. L’espace situé immédiatement au sud de cet emplacement était occupé par une dizaine de chambres funéraires avec mobilier. En outre, des tombes ont été retrouvées au pied de la colline fortifiée au nord de l’enceinte. Le plus vaste cimetière est toutefois celui s’étendant au sud de l’enceinte, comprenant environ 900 sépultures210. Steuer a pu déduire de son analyse de ces découvertes certaines indications sur la composition de la population du site. Tout d’abord, Herbert Jankuhn a fait remarquer que deux pierres runiques trouvées dans les environs du site laissent supposer la présence de membres d’une dynastie royale à Haithabu. L’une de ces pierres a été découverte près du gué reliant les deux rives, entre le Haddebyer Noor et le Selker Noor, donc tout près de l’agglomération. Elle fut apparemment placée en cet endroit particulièrement passant afin d’être visible pour ceux approchant le site. L’inscription en runes suédoises se lit : asfrithr : karthi : kum bl : thaun aft : siktriku sun : (s)in : aui : knubu « Asfrid fit ériger ce monument pour Sigtrygg, son fils et celui de Knuba »211. La deuxième pierre fut retrouvée en 1887 parmi les fondations d’un bastion du château Gottorp, à Schleswig ; son emplacement initial reste inconnu. L’inscription, cette fois en runes de type danois, se lit : asfrithr : karthi : kubl : thausi : tutiR : uthinkaurs : aft : siktriuk : k unu k : sun : sin : auk : knubu : kurmR : raist : run(aR) :s « Asfrid, fille d’Odinkar, fit ériger ces monuments pour le roi Sigtrygg, son fils et celui de Knuba. Gorm grava ces runes »212. Les pierres furent donc érigées à l’instigation d’une certaine Asfrid en l’honneur de Sigtrygg, fils qu’elle avait eu avec Knuba. Ce Knuba est connu de Widukind de Corvey, qui le désigne comme un rex Danorum ; Adam de

210 211 212

H. Steuer, Soziale Gliederung…, cité p. 305, n. 208, p. 341-342. H. Jankuhn, Haithabu..., op. cit., p. 72. H. Jankuhn, Haithabu..., op. cit., p. 72.

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Brême en fait un membre d’une dynastie suédoise213. On n’a pas retrouvé de tombes qui puissent leur être attribuées : il ne s’agit sans doute pas de pierres tombales, mais de monuments ostentatoires214. On peut croire que des représentants de la famille royale se sont retrouvés, au moins temporairement, à Haithabu. L’érection de la première pierre placée à un endroit aussi apparent devait avoir comme objectif de démontrer la puissance de la dynastie et le contrôle qu’elle effectuait sur l’agglomération. En revanche, la présence d’un groupe appartenant aux élites est attestée par quelques tombes particulièrement riches : tout d’abord, une chambre funéraire avec bateau, datée d’environ 900. On y retrouva une sépulture masculine principale et deux sépultures masculines secondaires. Bien que le bateau recouvrant les morts soit spectaculaire, Steuer fait remarquer que le mobilier n’est pas si exceptionnel et n’est aucunement comparable à celui de tombes royales scandinaves connues ailleurs215. En plus de celle-ci, on a retrouvé une chambre funéraire avec une sépulture féminine dans un char, accompagnée de riche mobilier, attribuée au Xe siècle216. Steuer suppute que ces personnes auraient joué un rôle important dans le commerce et la guerre, et qu’ils auraient contribué à l’essor du site portuaire. Une série de chambres funéraires indique sans doute également la présence d’un groupe privilégié. Les sépultures sont certes moins impressionnantes que les deux déjà mentionnées, mais tout de même remarquables : on avait enterré les morts avec des pièces de mobilier, parfois avec des chars217. On peut supposer qu’il s’agissait de guerriers et de marchands aisés, voire de riches paysans. Comme le fait remarquer Steuer, ce n’est pas tant la richesse de ces tombes qui impressionne – on en a retrouvé de beaucoup plus riches ailleurs – que la représentation sociale qu’elles expriment : il était apparemment important pour ceux qui ont enterré ces personnes de cette manière de démontrer avec ostentation leur position élevée dans la société. Enfin, le reste de la population est représenté par des sépultures ne contenant pas ou très peu de mobilier. Elles comprennent environ 95 % des tombes associées à l’agglomération. Il n’est guère possible, au sein de ce groupe, de différencier entre marchands, artisans ou autres catégories d’habitants218. L’imprégnation de différences marquées entre plusieurs groupes parmi la population caractérise principalement la période allant de 900 à 950. Selon 213

H. Jankuhn, Soziale Gliederung…, cité p. 282, n. 95, p. 337-338. H. Steuer, Soziale Gliederung..., cité p. 305, n. 208, p. 357. 215 H.  Steuer, Soziale Gliederung…, cité p. 305, n. 208, p.  357. On a voulu identifier cette sépulture avec le roi des Svear Olaf, décédé en 906. Une telle interprétation est toutefois improbable. 216 H. Steuer, Soziale Gliederung..., cité p. 305, n. 208, p. 362. 217 H. Steuer, Soziale Gliederung..., cité p. 305, n. 208, p. 362. 218 H. Steuer, Soziale Gliederung..., ccité p. 305, n. 208, p. 362-363. 214

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Steuer, les personnes privilégiées ne représentaient pas nécessairement un groupe ayant particulièrement contribué au développement proto-urbain du site : il pouvait plutôt s’agir de membres des élites attirés par la richesse de l’agglomération219. On peut donc, suivant le modèle proposé par Heiko Steuer, distinguer quatre catégories d’habitants s’étant trouvé à Haithabu : 1. les membres de la dynastie royale, dont la présence sur place n’a sans doute été que sporadique, mais est attestée par les pierres runiques ; 2. quelques personnes privilégiées, désirant montrer leur statut social élevé par des rites funéraires ostentatoires, représentées par les deux tombes au riche mobilier ; 3. un groupe de personnes privilégiées : ceux qui furent inhumés dans des chambres funéraires ; 4. la vaste majorité de la population, consistant en artisans et commerçants ; leur pauvre mobilier funéraire ne permet pas d’identifier de différentiation et laisse supposer un statut à peu près homogène220. Bref, la population de Haithabu consistait en un petit groupe d’élites – guerriers ou riches marchands qui, pour des motifs qui nous restent inconnus, jugèrent souhaitable de s’installer à cet endroit – et d’une majorité de personnes aux activités et positions sans doute variées, mais au statut post mortem similaire. En outre, même si certains des habitants s’élevèrent socialement au-dessus de la masse de la population et voulurent démontrer de manière ostentatoire leur statut privilégié, leur ascendant n’atteignait apparemment pas celui des membres des dynasties royales. Des restes d’os d’animaux ont en outre été retrouvés en nombre particulièrement impressionnant lors des fouilles de Haithabu. Une analyse détaillée en a ensuite été réalisée, menée à bien par l’équipe d’archéozoologues de l’Archäologisch-Zoologische Arbeitsgruppe (AZA) à Schleswig221. Les résultats de leurs travaux fournissent des indications précieuses sur le mode de vie des personnes qui ont habité l’emporium. La viande la plus consommée à Haithabu était celle de porc. Les conditions naturelles dans les environs du site, où s’étendaient de vastes forêts mixtes, étaient particulièrement propices à l’élevage de cet animal. L’analyse des os a livré certains indices permettant de supposer que les porcs auraient été gardés dans des étables où ils auraient été à l’étroit. On ne peut toutefois l’affirmer 219

H. Steuer, Soziale Gliederung..., cité p. 305, n. 208, p. 364-365. H. Steuer, Soziale Gliederung..., cité p. 305, n. 208, p. 357-363. 221 Neuf monographies sont parues entre 1969 et 1991, documentant les travaux de l’AZA en collaboration avec l’Institut für Haustierkunde de l’Université Christian-Albrecht, Kiel ainsi qu’avec l’Archäologisches Landesmuseum de Schleswig. Voir la préface de K. Schietzel, dans H. Reichstein, Die wildlebenden Säugetiere von Haithabu (Ausgrabungen 1966-1969 und 19791980), Neumünster, 1991 (Berichte über die Ausgrabungen in Haithabu, 30), p. 7-8. 220

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avec certitude  : bien que certains bâtiments repérés par les archéologues puissent éventuellement être identifiés avec de telles étables, cette interprétation reste également hypothétique. En tous cas, on peut affirmer que les porcs ont non seulement été consommés, mais également abattus sur place222. Après celle de porc, c’est la viande de bœuf qui connut la plus grande popularité parmi les habitants de l’emporium. On n’élevait cependant pas le bœuf seulement pour sa viande : l’animal fournissait du cuir et des cornes pour la production artisanale, la vache donnait son lait, les bœufs étaient d’utiles bêtes de travail223. En ce qui concerne la phase la plus ancienne d’occupation du site, on constate un pourcentage particulièrement élevé de jeunes veaux tués pour être consommés. Cela s’explique par le fait que les veaux buvant le lait des vaches, celui-ci n’était alors plus disponible pour les habitants. On ne peut expliquer ce phénomène qu’en admettant que des vaches, élevées pour leur lait, étaient gardées sur le site même. Or, c’est là un phénomène que l’on observe principalement dans des formes d’habitat à caractère rural224. Des changements se laissent observer au cours de la période d’occupation du site. Ainsi, on constate que lors des périodes plus récentes, la consommation de viande de bœuf augmenta par rapport à celle de porc. En revanche, le pourcentage de jeunes veaux abattus pour être consommés diminua225. Les restes d’oiseaux sauvages trouvés sur le site sont certes moins nombreux que ceux d’oiseaux domestiques, mais leur pourcentage est toutefois particulièrement élevé par rapport aux autres formes d’habitat de la même époque. Cela est sans doute dû à la situation géographique de Haithabu plutôt qu’à des différences sociales, puisqu’on a fait des constatations semblables à Arkona – sur l’île de Rügen – et à Eketorp – sur l’île d’Öland – , tous des sites de l’espace de la mer Baltique226. Le site de Haithabu présente la particularité que les os provenant des ailes des orfraies sont surreprésentés par rapport à ceux des autres parties du corps de l’oiseau. Il semble que l’on recherchait, pour le commerce, surtout les plumes des ailes. On a constaté un phénomène semblable à Eketorp ainsi qu’au site fortifié de Hitzacker227. Quant aux os de mammifères sauvages, ils ne forment qu’une faible proportion des trouvailles. Le sanglier, s’il peut avoir été consommé occasionnel-

222 C. Becker, Untersuchungen an Skelettresten von Haus- und Wildschweinen aus Haithabu, Neumünster, 1980 (Berichte über die Ausgrabungen in Haithabu, 15), p. 67-70. 223 F. Johansson, Untersuchungen an Skelettresten von Rindern aus Haithabu (Ausgrabungen 1966-1969), Neumünster, 1982 (Berichte über die Ausgrabungen in Haithabu, 17), p. 68-72. 224 F. Johansson, Untersuchungen…, op. cit., p. 69, 71-72. 225 F. Johansson, Untersuchungen…, op. cit., p. 71. 226 H. Reichstein et H. Pieper, Untersuchungen an Skelettresten von Vögeln aus Haithabu (Ausgrabungen 1966-1969), Neumünster, 1986 (Berichte über die Ausgrabungen in Haithabu, 22), p. 33. 227 H. Reichstein et H. Pieper, Untersuchungen…, cité p. 309, n. 226, p. 33, 89-90.

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lement, ne constitua jamais une part importante de la nourriture des habitants228. Les restes de bois de cervidés présentent une exception, car ils furent apparemment importés en grande quantité vers l’agglomération : on en avait besoin pour la fabrication de peignes. En outre, on retrouva une proportion relativement élevée de restes de renards roux. On peut se douter que leurs fourrures étaient une marchandise de valeur229. On peut donc s’imaginer que les habitants de Haithabu partageaient l’espace restreint qui, à la fin du Xe siècle, fut entouré d’un mur d’enceinte en demi-cercle, avec des porcs, des vaches et des bœufs, élevés sur place ou, à tout le moins, dans les environs immédiats. La place prise par les animaux domestiques diminua toutefois sensiblement avec le temps ; ainsi, les vaches laitières gardées au sein de l’agglomération devinrent moins nombreuses – comme l’indique la diminution du nombre de jeunes veaux abattus. L’usage que l’on fit d’animaux sauvages – plumes d’orfraies ou bois de cervidés – confirme la présence d’artisans et de commerçants dans le portus. Que ce soit les membres des élites ayant laissé leur trace avec des rites funéraires ostentatoires ou la masse d’une population au statut plutôt homogène, tous se partageaient le même espace et vivaient dans les mêmes conditions  : au milieu des porcs et des vaches, parmi les ateliers d’artisans. Le prestige associé à l’endroit reposait apparemment sur d’autres facteurs que sur des conditions matérielles hors du commun. La population du site de Birka est également connue à la fois par les rites funéraires et par les restes ostéologiques. Les nécropoles de Birka ont ainsi fait l’objet d’études détaillées, présentées tout d’abord par Lech Leciejewicz puis complétées par Heiko Steuer230. Environ 1 200 sépultures ont pu être considérées. On peut les regrouper en trois catégories : sépultures avec incinération ; chambres funéraires avec riche mobilier ; puis chambres funéraires et sépultures avec inhumation, comportant un mobilier modeste. Une étude attentive a permis à Steuer de repérer, parmi les restes d’incinérations, des fragments de mobilier détruits en partie par le feu : épées, couteaux, équipement de cavaliers. Il en conclut que la différence de rite ne signifie pas une différenciation de statut social231 : on retrouvait des tombes avec mobilier riche autant avec incinération qu’avec inhumation232. D’après les analyses statistiques de Leciejewicz, complétées par Steuer pour les incinérations, le groupe social se distinguant par un mobilier notable

228

C. Becker, Untersuchungen…, op. cit., p. 70. H. Reichstein, Die wildlebenden Säugetiere..., op. cit., p. 107-109. 230 H. Steuer, Soziale Gliederung..., cité p. 305, n. 208 ; L. Leciejewicz, Kaufleute in den frühen Ostseestädten in archäologischer Sicht, dans Zeitschrift für Archäologie, 12, 1978, p. 191-203. 231 C’est ce que croyait Lech Leciejewicz, qui fut en ce point critiqué par Heiko Steuer. 232 H. Steuer, Soziale Gliederung..., cité p. 305, n. 208, p. 345. 229

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correspondait à environ 10 % de la population233. Ce groupe d’élites n’était pas homogène, comportant deux communautés se différenciant par leur rite funéraire, donc, peut-on penser, par des conceptions différentes par rapport à l’au-delà. On peut en déduire la présence d’individus qui soit provenaient de régions éloignées, soit avaient adopté au loin des coutumes funéraires se distinguant de celles de la population locale234. Les chambres funéraires sont en outre toutes datées de la première moitié du Xe siècle. On est donc en droit de se demander où étaient inhumés les membres de ces élites dans la période précédente. Steuer fait remarquer que cette coutume se répandit à la même époque autant en Suède qu’en Russie de Kiev. Selon lui, l’usage de ce type de sépulture ne correspond pas à l’apparition d’un nouveau groupe social, mais à l’adoption par un groupe d’élites déjà existant de nouvelles coutumes, connues ailleurs235. La situation n’est pas sans rappeler celle de Haithabu : une minorité d’habitants se distinguant par un standing social reflété par le mobilier funéraire qui les accompagna dans l’autre monde, ainsi qu’une majorité dont le statut semble avoir été plutôt homogène. Notons toutefois la présence, parmi les élites, de deux groupes se distinguant par des habitudes culturelles différentes – l’homogénéité au sein des différentes catégories n’est sans doute qu’une illusion, nous invitant à ne pas exagérer la valeur des résultats de l’analyse de ce type de sources. Les nécropoles nous procurent, certes, une impression générale des distinctions sociales à l’intérieur d’une agglomération donnée ; elles peuvent toutefois nous cacher des différenciations au sein même des catégories qu’elles permettent de définir, de même que les conditions de vie éventuellement similaires auxquelles étaient confrontées toutes les personnes réunies en cet endroit. À propos de ces conditions, les sources ostéologiques nous fournissent à nouveau quelques indications. Les os d’animaux trouvés lors des fouilles de Birka ont été étudiés par l’archéozoologue Bengt Wigh. L’île de Björkö, où était situé le portus, était trop petite pour qu’on ait pu y entretenir un nombre d’animaux domestiques suffisant pour subvenir aux besoins de la population de l’agglomération. On devait donc faire venir des animaux des établissements ruraux éparpillés dans les régions avoisinantes236. Toutefois, selon Wigh, des porcs, chèvres, poulets et oies furent certainement gardés sur place ou dans les environs immédiats ; on en faisait venir de l’extérieur pour compléter. Les animaux ainsi apportés furent tout de même abattus sur place. On ne se servait d’ailleurs pas seule233 Soit une relation de 1 : 10,5 pour les inhumations et de 1 : 9,6 pour les incinérations. H. Steuer, Soziale Gliederung..., cité p. 305, n. 208, p. 346. 234 H. Steuer, Soziale Gliederung..., cité p. 305, n. 208, p. 347-348. 235 H. Steuer, Soziale Gliederung..., cité p. 305, n. 208, p. 348. 236 Voir à ce propos B.  Arrhenius, Die ländlichen Siedlungen im Umfeld von Birka, dans K. Brandt, M. Müller-Wille et C. Radtke (éd.), Haithabu..., op. cit., p. 349-357.

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ment de la viande : le cuir des bêtes, leurs cornes, les plumes des oiseaux fournissaient de précieuses matières premières aux artisans237. Les vaches consommées étaient assez âgées, ce qui indique qu’elles avaient servi à la production laitière. Quant aux porcs, ils furent abattus encore en jeune âge, un indice laissant supposer qu’ils étaient élevés sur place ou dans les environs238. Pour ce qui est de la distribution des ossements entre les différents secteurs de l’agglomération, Wigh n’a pas constaté de différences notables. Il semble que les habitudes de consommation de viande étaient similaires partout dans l’espace habité – du moins, à en juger par l’état des fouilles239. Les résultats des travaux de Bengt Wigh nous laissent donc entrevoir des conditions de vie plutôt similaires pour l’ensemble de la population : l’approvisionnement en viande semble avoir été redevable des ressources disponibles, offertes par les paysans des régions avoisinantes, plutôt que de la volonté des habitants du portus, dont l’autorité fut sans doute assez limitée. Le ravitaillement devait dépendre de l’équilibre entre les surplus des habitants du hinterland et la possibilité pour ceux de Birka de fournir des biens ou des services en échange240. Des différences notables dans les habitudes alimentaires des différents groupes présents ensemble dans l’agglomération n’ont pas pu être repérées. Quant à l’emporium de Groß Strömkendorf, la composition de sa population est principalement connue grâce aux travaux de l’archéozoologue Ulrich Schmölcke. Les restes d’animaux disponibles pour l’analyse ont l’avantage de provenir de différents espaces en plusieurs endroits du site, ce qui donne une impression d’ensemble que l’on peut considérer comme représentative241. Les animaux domestiques les plus courants dans l’emporium étaient d’abord le bœuf et le porc, suivis du mouton et de la chèvre. Les informations disponibles restent trop insuffisantes pour pouvoir affirmer si les bêtes ont été élevées à l’intérieur de l’agglomération ou dans les environs immédiats de celle-ci. Toutefois, dans le cas où ils auraient été gardés ailleurs que dans l’emporium avant d’y être apportés, on peut admettre qu’ils ont tout de même été abattus sur place. La répartition de l’âge des bœufs et des vaches tués est très équilibrée, ce qui indique qu’on s’en servit comme vaches laitières ou bêtes de somme avant de les consommer. Quant aux porcs, ils paraissent avoir été élevés sur place. Notons qu’on n’a cependant pas pu repérer de différences entre les sections du site en ce qui concerne l’âge des animaux – la viande des ani237

B. Wigh, Excavations..., op. cit., p. 136-137. B. Wigh, Excavations..., op. cit., p. 138-139. 239 B. Wigh, Excavations..., op. cit., p. 141. 240 B. Wigh, Excavations..., op. cit., p. 136. 241 U. Schmölcke, Nutztierhaltung, Jagd und Fischfang. Zur Nahrungsmittelwirtschaft des frühgeschichtlichen Handelsplatzes von Groß Strömkendorf, Landkreis Nordwestmecklenburg, Lübstorf, 2004 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte Mecklenburg-Vorpommerns, 43. Forschungen zu Groß Strömkendorf, 1), p. 17-18. 238

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maux en bas âge, plus tendre, étant souvent plus recherchée. Ce fait semble indiquer un statut social plutôt homogène au sein de la population242. Les cornes de chèvres, dont les fragments ont été retrouvés en nombre particulièrement élevé, ont selon toute apparence été introduits de l’extérieur, provenant de la campagne environnante. Les artisans du site portuaire s’en servaient pour la production de peignes et d’autres objets243. La présence d’oiseaux de proie, utilisés pour la chasse, semble indiquer des liens commerciaux avec les élites des peuples voisins, Francs ou Abodrites244. En attendant les résultats de l’analyse des nécropoles de Groß Strömkendorf, les travaux d’Ulrich Schmölcke autorisent quelques conclusions sur les composantes de la population du site. Comportant des artisans, dont les activités sont attestées par les bois de chèvre qu’ils firent venir pour les besoins de leur travail, la population de l’emporium ne comportait probablement que peu de différences de statut social. Si la présence d’oiseaux de proie laisse suggérer des contacts avec les élites des peuples voisins, les habitants de l’endroit devaient vivre entre eux dans des conditions similaires. À Menzlin, ce sont surtout les monuments funéraires – des tumuli en forme de bateaux, dans la tradition scandinave – qui laissent supposer la présence d’élites. En outre, la construction d’infrastructures comme un pont laisse penser, selon Sunhild Kleingärtner, que ces élites avaient accès à des ressources non négligeables245. Les os d’animaux du site portuaire de Menzlin ont, quant à eux, fait l’objet d’une étude détaillée effectuée par Norbert Benecke246. La viande consommée à Menzlin provenait à 99,8 % d’animaux domestiques. La chasse ne contribuait donc que de manière très minime à l’alimentation des habitants247. Parmi les os de porc, Benecke a constaté une haute proportion d’adultes et une répartition à peu près égale entre les deux sexes. Cela signifie, conclut l’archéozoologue, que les animaux ont été principalement élevés sur place – une dominance de mâles aurait en effet indiqué que les animaux superflus pour la reproduction auraient été livrés aux habitants de Menzlin par des paysans de l’extérieur248. Quant au bœuf, Benecke conclut de son analyse – la plus grande partie des animaux abattus étant adultes – qu’il fut élevé sur place et pour sa viande principalement. La production laitière n’avait apparemment qu’un rôle secondaire249. 242

U. Schmölcke, Nutztierhaltung…, op. cit., p. 128-129. U. Schmölcke, Nutztierhaltung…, op. cit., p. 131. 244 U. Schmölcke, Nutztierhaltung…, op. cit., p. 132-133. 245 S. Kleingärtner, Menzlin’s Elite..., art. cit., p. 181. 246 N. Benecke, Archäozoologische Untersuchungen an Tierknochen aus der frühmittelalterlichen Siedlung von Menzlin, Schwerin, 1988 (Materialhefte zur Ur- und Frühgeschichte Mecklenburgs, 3). 247 N. Benecke, Archäozoologische..., op. cit., p. 41. 248 N. Benecke, Archäozoologische..., op. cit., p. 48. 249 N. Benecke, Archäozoologische..., op. cit., p. 48-49. 243

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Il ressort de l’analyse statistique de Benecke que les habitudes alimentaires et le mode d’élevage des habitants de Menzlin occupaient une position intermédiaire entre, d’une part, des habitats à caractère décidément rural, caractérisés par un élevage intensif, tels les sites d’Elisenhof, de Groß Raden et de Scharstorf, et, d’autre part, des centres où les animaux étaient principalement livrés de l’extérieur afin d’y être consommés, comme les sites de Ralswiek (phase B), d’Arkona, de Schleswig et de Lübeck-Königsstraße. Cela signifie que les habitants de Menzlin élevaient sur place les animaux nécessaires pour nourrir la population, mais que cet élevage était – contrairement à ce qui était habituel dans un habitat rural – avant tout axé sur la production de viande. Benecke croit qu’une partie de la population de l’emporium se consacrait principalement à l’élevage pour subvenir aux besoins de l’autre partie des habitants, occupés par l’artisanat et le commerce250. On pourrait cependant aussi croire que la répartition des tâches n’était pas aussi claire que le suggère l’archéozoologue et que les mêmes personnes s’adonnaient parallèlement aux travaux d’élevage, d’artisanat et de commerce. En effet, Benecke n’a pu reconnaître de différences notables parmi les secteurs de l’espace habité251. En outre, Benecke a constaté la présence d’un très grand nombre de restes de cornes de chèvres : ils sont trop nombreux pour avoir appartenu uniquement aux chèvres élevées sur place. On fit donc apparemment venir de l’extérieur – comme c’était le cas à Groß Strömkendorf – des cornes de chèvres, bien qu’en quantités modeste, des régions environnantes pour les besoins de la production artisanale252. L’étude de Benecke sur les os d’animaux de Menzlin confirme qu’il était courant, dans les sites portuaires de la mer Baltique, d’élever sur place les animaux domestiques nécessaires à la production de viande pour les habitants. En même temps, les résultats de l’archéozoologue laissent entrevoir une différence entre le mode de vie des habitants de l’emporium et celui des paysans des campagnes environnantes : voulant se consacrer aux activités commerciales et artisanales et se libérer d’autres obligations, les habitants développèrent un mode d’élevage privilégiant une production accrue de viande. Ce sont donc les rites funéraires qui nous renseignent – dans les deux cas de Haithabu et de Birka – sur la présence, parmi la population des emporia, de groupes distincts ayant coexisté ensemble dans l’espace restreint des agglomérations. Sans faire preuve d’une richesse ostentatoire comparable à celle des membres des dynasties royales, ceux appartenant aux élites locales tenaient à se distinguer par des signes visibles. Les résultats des études archéozoologiques, cependant, ne témoignent pas de différences notables dans les habi250 251 252

N. Benecke, Archäozoologische..., op. cit., p. 51-52. N. Benecke, Archäozoologische..., op. cit., p. 51-52. N. Benecke, Archäozoologische..., op. cit., p. 53.

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tudes alimentaires. Si l’on pourrait croire que l’absence de différenciation spatiale, dans un cas donné, soit dû à l’état partiel des fouilles, on ne pourra que constater que les résultats sont néanmoins, partout dans les sites portuaires étudiés, les mêmes. Outre le fait que les conditions de vie – avec élevage de porcs et de vaches au sein des agglomérations – ne se distinguaient que de manière minimale de celles d’un habitat rural, il semble que le mode de vie des habitants ait été assez homogène, dépendant surtout des ressources disponibles. Le prestige dont jouissaient ces localités, suffisant pour attirer les membres des élites des contrées où elles étaient installées, ne reposait donc pas sur des conditions de vie hors du commun. * Les recherches sur l’habitat fortifié des Slaves pour la période des IXe et X  siècles ont connu, comme nous l’avons déjà observé plus haut, un renouvellement remarquable depuis une quinzaine d’années. Les résultats récents ne touchent pas seulement à la datation, devenue plus précise grâce aux progrès de la dendrochronologie, mais concernent également le rôle social des forteresses et des populations qui les habitaient. Appuyées sur des fouilles récentes et détaillées, les interprétations sont plus prudentes et mesurées qu’elles ne l’ont été dans le passé. Ces travaux font entrevoir une réalité multiple ; outre les modestes fortins circulaires et certaines forteresses où la présence d’une culture matérielle d’élites était plus marquée, les places fortes de l’administration territoriale des Piast sont également mieux connues. Les forteresses des Slaves, dont le modèle le plus typique fut sans doute le petit fortin circulaire, étaient généralement de dimensions réduites. Le niveau de différenciation sociale des habitants des fortins de Basse-Lusace est évalué par Felix Biermann comme ayant été faible. Biermann fait d’abord remarquer que si l’on a retrouvé un nombre relativement élevé d’éperons et de têtes de flèches dans les environs immédiats des forteresses, ce qui pourrait indiquer la présence de guerriers appartenant aux élites, cela est dû d’une part à l’état des recherches et d’autre part au fait que les combats avaient souvent lieu près des places fortes. Ensuite, Biermann souligne le fait que les objets en lien avec l’équipement militaire – armes, éperons, etc. – retrouvés près des fortins de Basse-Lusace sont comparativement peu nombreux par rapport à ce que l’on connaît d’autres régions, comme le Mecklembourg, ou de certains sites comme celui de Starigard/Oldenburg. En outre, on trouva peu d’objets d’apparat indiquant un mode de vie ostentatoire. Si certains artefacts ont pu être importés, il est souvent difficile de déterminer s’ils n’ont pas été produits sur place, imitant des modèles connus ailleurs253. e

253

F. Biermann, Slawische…, op. cit., p. 66-88 ; F. Biermann et K. Frey, Ringwall..., art. cit., p. 74.

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De plus, comme l’a montré Biermann, les bâtiments à l’intérieur des fortins sont tous de grandeur similaire ; en aucun endroit l’on ne retrouve un édifice se distinguant clairement des autres. La seule distinction concerne parfois un mode de construction différent de celui des édifices à l’extérieur des enceintes. On peut croire que de telles forteresses étaient habitées par quelques familles. Certes, le fait d’habiter à l’intérieur de l’enceinte devait représenter une forme de distinction sociale. Toutefois, le caractère ostentatoire de ce type d’habitat se limitait à peu près aux fortifications elles-mêmes, entourant les bâtiments254. Norbert Benecke a étudié les restes ostéologiques trouvés sur le site de la forteresse de Pennigsberg – il s’agit d’un de ces fortins circulaires typiques des Slaves, daté du dernier quart du IXe et de la première moitié du Xe siècle. Parmi les animaux domestiques, les porcs étaient les plus nombreux. La répartition équilibrée entre les catégories d’âge des porcs abattus indique que les animaux étaient gardés dans l’agglomération ou à tout le moins dans ses environs immédiats. Quant au bœuf, il avait également une place essentielle. Les bêtes étaient tuées en jeune âge et on retrouve une prédominance incontestable des vaches sur les bœufs ou les taureaux – ce qui démontre que la production laitière, sur place, était la priorité. Une différenciation spatiale dans les habitudes alimentaires se laisse observer dans le fait que les os de bœuf furent retrouvés en proportion plus grande dans la basse-cour que dans la forteresse255. Une particularité du cas de Pennigsberg consiste en la proportion élevée de consommation de viande d’animaux sauvages – cervidés autant que sangliers. Cela n’indique cependant pas tant une préférence des habitants ou une distinction de leur statut social qu’une spécificité régionale. En effet, de nombreuses études montrent que la consommation de viande d’animaux sauvages formait une part importante de l’alimentation des populations des habitats le long de la Spree et de la Havel. Cette particularité fut donc régionale plutôt que sociale256. On connaît cependant des forteresses des Slaves où la présence d’élites – identifiables grâce aux objets d’apparat, à caractère militaire ou ostentatoire – est mieux identifiable et leur distinction sociale plus marquée. Une de ces forteresses est particulièrement bien connue grâce aux travaux de Sebastian 254 F. Biermann, Slawische…, op. cit., p. 139-140 ; F. Biermann et K. Frey, Ringwall..., art. cit., p. 73, 74-75. 255 N. Benecke, Die Tierreste vom Pennigsberg, dans F. Biermann (éd.), Pennigsberg. Untersuchungen zu der slawischen Burg bei Mittenwalde und zum Siedlungswesen des 7./8. bis 12. Jahrhunderts am Teltow und im Berliner Raum, Weißbach, 2001 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte Mitteleuropas, 26), p. 249-282. 256 N. Benecke, Die Tierreste..., cité p. 316, n. 255, p. 249-282 ; id., Die Entwicklung..., op. cit., p. 37-38 ; id., Archäologische..., op. cit., p. 195-202.

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Messal : celle près de Glienke, dans le Mecklembourg. Grâce à la dendrochronologie, nous savons qu’elle fut érigée dans le dernier quart du IXe siècle, qu’elle fut restaurée au début du Xe et qu’elle fut abandonnée peu après 957. D’après sa situation géographique, la place forte semble avoir été en lien avec la peuplade slave des Rédariens, connue des sources écrites et localisée dans cette région257. L’état exceptionnel des fouilles a permis à Messal de reconnaître des différences entre l’habitat et les types d’occupation de la forteresse et de la bassecour. Dans cette dernière, des traces d’artisanat sont attestées  : restes de production ainsi que des bâtiments toutefois comparables à ceux de l’enceinte principale. La concentration de traces d’artisanat dans la basse-cour, malgré la ressemblance des édifices avec ceux de la forteresse, est selon Messal frappante258. La forteresse principale est toutefois caractérisée par une richesse exceptionnelle pour l’époque : on y a retrouvé des armes et des pièces d’équipement militaire – éperons, équipement de cavaliers, morceau d’épée d’un modèle introduit de l’Empire franc – ainsi que des produits importés – comme de la céramique de type Badorf ou des pierres à aiguiser de Scandinavie, ou encore une fibule semblant provenir des régions baltes – en quantité hors du commun259. Considérant ces trouvailles, Messal n’hésite pas à caractériser l’endroit comme un « centre de pouvoir » (Herrschaftssitz) où habitaient des élites (une Oberschicht) et où se concentraient des activités économiques et administratives260. Deux forteresses situées dans l’actuel Hannoversches Wendland, soit celle sur le Weinberg près de Hitzacker et celle de Dannenberg, où l’archéologue Bernd Wachter a mené de nombreuses campagnes de fouilles261, ont également livré un riche matériel en ce qui concerne les os d’animaux. Ceux-ci ont 257 S. Messal, Ein slawischer Adelssitz des 9. und 10. Jahrhunderts bei Glienke, Lkr. MecklenburgStrelitz, dans U. M. Meier (éd.), Die Autobahn A 20 – Norddeutschlands längste Ausgrabung. Archäologische Forschungen auf der Trasse zwischen Lübeck und Stettin, Schwerin, 2005 (Archäologie in Mecklenburg-Vorpommern, 4), p. 153-160 ; id., Glienke – ein slawischer Adelssitz des 9. und 10. Jhs. im östlichen Mecklenburg, dans F. Biermann et T. Kersting (éd.), Siedlung, Kommunikation und Wirtschaft im westslawischen Raum. Beiträge der Sektion zur slawischen Frühgeschichte des 5. Deutschen Archäologenkongresses in Frankfurt an der Oder, 4. bis 7. April 2005, Langenweißbach, 2007 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte Mitteleuropas, 46), p. 259-265 ; id., Glienke. Eine slawische Burg des 9. und 10. Jahrhunderts im östlichen Mecklemburg, thèse de doctorat, Université de Rostock, 2008, p. 287-290. 258 S. Messal, Ein slawischer..., art. cit., p. 156, 159 ; id., Glienke – ein slawischer..., art. cit., p. 261262 ; id., Glienke. Eine slawische..., cité p. 317, n. 257, p. 86-102, 257-270. 259 S. Messal, Ein slawischer..., art. cit., p. 158-159 ; id., Glienke – ein slawischer..., art. cit., p. 262263 ; id., Glienke. Eine slawische..., cité p. 317, n. 257, p. 66-85, 257-270. 260 S. Messal, Ein slawischer..., art. cit., p. 159 ; id., Glienke – ein slawischer..., art. cit., p. 263 ; id., Glienke. Eine slawische..., cité p. 317, n. 257, p. 276-279, 292-293. 261 B. Wachter, Die slawisch-deutsche Burg auf dem Weinberg in Hitzacker/Elbe. Bericht über die Grabungen von 1970-1975. Ein Beitrag zur Frühgeschichte des Hannoverschen Wendlandes,

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été étudiés par l’archéozoologue Beate-Maria Kocks262. Le site de Dannenberg est daté approximativement par les tessons de céramique provenant de plusieurs phases entre le IXe et le XIIe siècle263 ; celui de Hitzacker existait sans doute également depuis le XIe siècle et fut occupé jusqu’au XVe siècle264. La viande consommée provenait aux deux endroits principalement d’animaux domestiques ; les animaux sauvages – surtout le sanglier – ne représentaient que 6 % de la consommation à Hitzacker et 3 % à Dannenberg265. Alors que la viande de porc était plus populaire que celle de bœuf à Hitzacker, les proportions étaient inversées à Dannenberg. Cela s’explique principalement, selon Kocks, par les conditions naturelles – les vastes forêts mixtes étant favorables à l’élevage du porc – plutôt que par des différences sociales266. Mais ce qui mérite d’être mentionné pour notre propos, c’est surtout la proportion dominante, aux deux sites, d’os de porcs de sexe masculin. C’est un phénomène que l’on rencontre normalement dans les centres où l’on consommait des produits livrés de l’extérieur plutôt que des animaux élevés sur place : les paysans préféraient se défaire des mâles, dont ils avaient besoin d’un moins grand nombre pour la reproduction. On peut donc conclure de cette observation que la viande consommée par les habitants des deux forteresses provenait d’animaux qui leur étaient livrés des régions avoisinantes – sans doute sous forme de redevances267. La forteresse de Bytom Odrzański (all. Beuthen) en Silésie, où eurent lieu plusieurs campagnes de fouilles étalées sur une dizaine d’années au cours de la dernière décennie du siècle qui vient de se terminer, connue du chroniqueur

Neumünster, 1998 (Göttinger Schriften zur Vor- und Frühgeschichte, 25), passim ; T. Saile, Slawen…, op. cit., p. 99-109. 262 B.-M. Kocks, Die Tierknochenfunde aus den Burgen auf dem Weinberg in Hitzacker/Elbe und in Dannenberg (Mittelalter). I. Die Nichtwiederkäuer, thèse de doctorat, Université Ludwig-Maxilmilian, Munich, 1978. 263 T. Saile, Slawen…, op. cit., p. 99. 264 Bernd Wachter croyait que la forteresse existait déjà au VIIe siècle. Voir B. Wachter, Die slawisch-deutsche Burg, cité p. 317, n. 261, p. 64, 116, 143. Selon Thomas Saile, elle ne serait apparue qu’au IXe siècle. Voir T. Saile, Slawen…, op. cit., p. 105-107 ; des fouilles plus récentes laissent croire que la phase la plus ancienne est plus récente encore. Voir S. Linemann, Neue Untersuchungen zur slawischen Siedlung am Hitzacker-See, Lkr. Lüchow-Dannenberg, dans F. Biermann, T. Kersting et A. Klammt (éd.), Siedlungsstrukturen und Burgen im westslawischen Raum. Beiträge der Sektion zur slawischen Frühgeschichte der 17. Jahrestagung des Mittel- und Ostdeutschen Verbandes für Altertumsforschung in Halle an der Saale, 19. bis 21. März 2007, Langenweißbach, 2009 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte Mitteleuropas, 52), p. 155-163; ead., Die slawischen Befunde am Hitzacker-See, Ldkr. Lüchow-Dannenberg, dans K.-H. Willroth et J. Schneeweiß (éd.), Slawen…, cité p. 42, n. 111, p. 147-203. 265 B.-M. Kocks, Die Tierknochenfunde…, op. cit., p. 212, 214. 266 B.-M. Kocks, Die Tierknochenfunde…, op. cit., p. 200-202. 267 B.-M. Kocks, Die Tierknochenfunde…, op. cit., p. 209, 214.

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Ill. 23 : Plan de la forteresse de Bytom. a : zones d’activités artisanales ; b : restes de cabanes enfoncées, avec indication de l’entrée ; c : restes d’édifices à hauteur du sol, avec indication de l’entrée ; d : restes de fours ; e : restes de foyers à ciel ouvert ; f : trous de poteaux ; g : traces de rigoles ; h : trous de poteaux en lien avec les fortifications ; i : traces de silos ; j : endroits où l’on prenait de la glaise ; l : trous de poteaux doubles D’après : S. Moździoch, Castrum munitissimum Bytom. Lokalny ośrodek władzy w państwie wczesnopiastowskim, Varsovie, 2002, p. 165.

dit Gallus Anonymus268, est caractéristique des centres d’administration fortifiés formant la base de l’organisation économique des débuts du royaume des Piast, ce que les chercheurs polonais désignent comme l’organizacja grodowa, l’ « organisation des forteresses ». Bytom, dont l’occupation est datée – bien que sans l’aide de la dendrochronologie – entre le milieu du XIe et le début du XIIIe siècle, représente un état intermédiaire entre les premières places fortes des Piast au Xe siècle et les centres fortifiés des châtellenies dans leur forme classique du XIIIe siècle. Surtout, les résultats des fouilles ont fait l’objet d’une étude approfondie et détaillée par Sławomir Moździoch269. Moździoch a pu reconnaître des parties distinctes au sein de l’espace à l’intérieur de l’enceinte (ill. 23)270. Il désigne les deux sections principales – qui ne sont toutefois pas séparées par des fortifications – comme le castrum maius et le castrum minus. Le castrum maius se divise lui-même en plusieurs secteurs. Dans la partie A, on a retrouvé un bâtiment de type halle et un nombre important d’ossements d’animaux, surtout de bœuf et de sanglier. Il semble qu’on s’y réunissait pour des fêtes ou des réceptions. Dans la partie B 268 269 270

Gallus, op. cit., 3,3, p. 131. S. Moździoch, Castrum…, op. cit., passim. Carte : S. Moździoch, Castrum…, op. cit., p. 165.

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fut recueillie une grande quantité d’ossements de porc et de tessons de céramique. Selon Moździoch, la consommation de viande de porc indiquerait un statut social plus modeste que celle de gibier. Les traces de production artisanale sont en outre absentes de ce secteur. On peut supposer qu’habitaient en cet endroit soit des guerriers, soit des gens s’occupant d’élevage. Dans la partie C furent repérées les traces d’ateliers de travail du fer. Quant à la partie D, s’y trouvaient des bâtiments d’habitation, des objets de la vie courante, toutefois sans artefacts à caractère ostentatoire, ainsi que des os de cerf et de sanglier271. Dans le castrum minus, on découvrit dans la partie E des bâtiments semblables à ceux du castrum maius ainsi que des os de chèvre et de sanglier ; dans la partie F, des bâtiments de grandes dimensions et une quantité remarquable d’objets d’apparat et de luxe. Moździoch suppose que le castrum minus servait surtout à l’administration et à l’entreposage des redevances, alors que le castrum maius était utilisé pour l’habitation et pour le travail272. On peut, croitil, reconnaître des différences de statut social entre les secteurs : les habitants de la partie D, consommant de la viande de cerf et de sanglier, auraient été plus privilégiés que ceux de la partie B, se contentant de viande de porc. Toutefois, Moździoch souligne le fait qu’il ne faut pas exagérer cette différenciation  : l’écart social entre les résidents de l’espace, après tout, restreint à l’intérieur de l’enceinte était certes sans doute présent, mais malgré tout minime273. Nous avons donc affaire à plusieurs phénomènes ; pourtant, on observe partout un lien entre les fortifications et une forme de distinction sociale des habitants, s’isolant de ceux vivant à l’extérieur. Toutefois, cette distinction put non seulement se réaliser à des niveaux variant considérablement, mais également avoir des significations sociales variables. Dans les fortins circulaires des Slaves, tout porte à croire qu’apparaissaient les premiers balbutiements d’une différenciation sociale manifestée par les fortifications. Les fortins étaient habités et on ne peut que s’y imaginer les membres d’élites. Néanmoins, cette distinction semble n’avoir trouvé qu’un reflet minime dans la culture matérielle et le mode de vie. Ce sont surtout les restes ostéologiques qui documentent une autre étape marquant le processus de différenciation de la population : l’archéozoologie a pu démontrer que la viande consommée dans les forteresses de Hitzacker et de Dannenberg provenait des surplus des campagnes environnantes, délivrés aux habitants des places fortes sans doute sous forme de redevances. Nous

271

S. Moździoch, Castrum…, op. cit., p. 163-171. On a en outre retrouvé des traces d’entrepôts pour les redevances à Legnica, Opole, Santok, Wrocław. Voir S. Moździoch, Castrum…, op. cit., p. 194. 273 S. Moździoch, Castrum…, op. cit., p. 163-171. 272

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avons donc là un indice probant du fait que les élites qui y résidaient se nourrissaient en grande partie, voire exclusivement de produits venus de l’extérieur et n’avaient pas besoin de s’adonner eux-mêmes à l’élevage. L’exemple de la place forte près de Glienke montre en outre qu’existaient déjà, à la fin du IXe et dans la première moitié du Xe siècle – ce qui correspond à l’époque où se multiplièrent les fortins circulaires – chez les Slaves des forteresses où siégeaient des élites au mode de vie ostentatoire, ayant accès aux réseaux du commerce et rassemblant dans la basse-cour nombre d’artisans. Enfin, nous connaissons avec Bytom une place forte intégrée dans le système administratif du royaume des Piast. On peut s’imaginer que ceux qui y résidaient étaient des hommes au service des souverains, responsables de recueillir les redevances en leur nom et jouissant d’une position privilégiée. Il est en outre possible qu’ait existé à l’intérieur même de la forteresse une certaine différenciation entre plusieurs groupes, certains ayant accès à un mode de vie quelque peu plus raffiné. Bref, partout, l’érection de fortifications fut accompagnée de formes de distinction sociale – même si elle peut parfois avoir été encore rudimentaire. La comparaison avec les emporia s’avère instructive. Même si dans ces derniers, les activités des habitants furent plus variées, si la vie économique fut plus dynamique et si un groupe d’élites fut présent – comme en témoignent les rites funéraires – , la distinction des conditions de vie fut moins marquée que dans les forteresses. Pendant longtemps, l’élevage d’animaux domestiques sur place ou dans les environs immédiats conféra à ces formes d’habitat un caractère les rapprochant encore des conditions dominant dans les habitats ruraux. En revanche, la différenciation entre une population s’adonnant à l’élevage et un groupe vivant des surplus de celle-ci se développa plus rapidement dans le cadre des places fortes. * La différenciation sociale à l’intérieur des complexes d’habitat multipartites des XIe et XIIe siècles est moins bien connue, ce qui est dû, entre autres, au fait que ces agglomérations sont généralement situées à l’endroit de villes actuelles, ce qui restreint considérablement les possibilités de fouilles archéologiques d’envergure. Certes, on peut croire qu’existaient dans ces localités une variété de statuts et de catégories sociales parmi la population. L’interprétation des trouvailles fait cependant face à des difficultés sérieuses. Malgré tout, on peut reconnaître certaines grandes lignes de l’évolution de l’habitat. Il est en général difficile, à l’aide des sources archéologiques seules, de rendre compte de la présence de commerçants dans une agglomération donnée. Souvent, on peut repérer des objets qui n’ont pu parvenir à cet endroit que par la voie du commerce – comme des produits de luxe ou des armes pour les élites de l’endroit – mais cela ne signifie pas nécessairement que les mar-

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chands aient été domiciliés, même temporairement, sur place. Des indices plus probants sont toutefois découverts à l’occasion, comme des balances et des poids, ou encore, bien entendu, des pièces de monnaie. Dans de tels cas, il est plus facile de conclure que des activités commerciales ont vraisemblablement eu lieu à l’endroit en question. Démontrer la présence d’artisans n’est guère plus simple : si le travail artisanal a généralement laissé des traces repérables par les archéologues, il est beaucoup plus ardu de se faire une idée du degré de spécialisation des personnes à l’œuvre : s’agissait-il de véritables artisans dont le labeur occupait la majeure partie de leur temps, ou de paysans pour lesquels la production artisanale ne représentait qu’une activité parmi d’autres274 ? Les fouilles à Starigard/Oldenburg ont été particulièrement heureuses. Les artefacts trouvés sur le site indiquent des contacts commerciaux dans toutes les directions275. D’Europe occidentale provenaient les meules de basalte de Mayen, produit qui avait fait le bonheur des marchands frisons du haut Moyen Âge276. De la Russie de Kiev, on importait des perles en cornaline et en cristal de roche ainsi que de l’ardoise d’Ovruč, des produits du Xe siècle ; ensuite, des œufs d’argile, datés entre le Xe et le XIIe siècle. De Scandinavie, on faisait venir de la stéatite, servant à fabriquer des plats de cuisson, ainsi que des poids de métiers à tisser, des pierres à aiguiser, des meules d’ardoise, tous des produits des Xe et XIe siècles. Mais, surtout, on a retrouvé des pièces de monnaie ainsi que des balances et des poids, ce qui indique que les produits ne furent pas seulement importés pour consommation, mais qu’ils furent marchandés sur place277. Parmi les grandes forteresses du royaume des Piast, le site d’Ostrów Lednicki est celui qui a livré la plus grande quantité d’armes et de produits de luxe. Il pouvait s’agir d’objets liturgiques de grande valeur – comme une dorure pour la reliure d’un livre ou les restes d’une croix-reliquaire – ou encore de produits d’apparat pour les membres des élites à la cour – comme un peigne d’ivoire ou une fibule. Le nombre d’armes et d’objets militaires est également exceptionnel. Toutefois, on n’a pas pu trouver trace d’artefacts indiquant un commerce actif sur place278.

274

S. Brather, Archäologie..., op. cit., p. 152-154. I. Gabriel, Handel und Fernverbindungen, dans M. Müller-Wille (éd.), Starigard/Oldenburg..., op. cit., p. 252-278. 275 I. Gabriel, Handel…, cité p. 322, n. 274, p. 253-278. 276 S. Lebecq, Marchands et navigateurs frisons du haut Moyen Âge, vol. 1, Essai, Lille, 1983, p. 77-78 ; id., Le Grand Commerce frison au début du Moyen Age : une mise à jour, dans Revue du Nord, LXXXIX, 322, octobre-décembre 1997, p. 995-1005. 277 I. Gabriel, Handel…, cité p. 322, n. 274, p. 252-253. 278 J. Górecki, Die Burg..., cité p. 259, n. 157, p. 470 ; id., Gród... op. cit., p. 121-149 ; id., Waffen und Reiterausrüstungen von Ostrów Lednicki – zur Geschichte des frühen polnischen Staates und seines Heeres, dans Zeitschrift für Archäologie des Mittelalters, 29, 2001, p. 41-86.

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En d’autres endroits, même si des balances ou autres objets témoignant directement de la présence de marchands n’ont pas été trouvés, l’abondance de produits importés démontre des contacts avec des régions lointaines qui n’auraient guère pu se réaliser autrement qu’avec des réseaux d’échanges commerciaux. Il en va ainsi, par exemple, à Brandebourg, à Alt Lübeck, à Prague ou à Gniezno, où le commerce semble avoir connu un essor principalement à partir du XIe siècle279. Ce n’est toutefois pas le commerce qui constituait la raison d’être des agglomérations de ce type. Comme le fait remarquer Sebastian Brather, leurs habitants ne participèrent tout d’abord guère au commerce avec des régions lointaines, si ce n’est pour se procurer lorsque possible certains produits de luxe. Il s’agissait avant tout de centres politiques intégrés dans des réseaux de pouvoir. Certes, les activités artisanales se concentrèrent rapidement près des forteresses afin de pourvoir les élites y habitant avec les produits dont ils avaient besoin. Ces localités n’étaient cependant pas des marchés mais avant tout des « centres de consommation »280. Une situation particulière est présentée par le complexe de la Lieps, étudié par Volker Schmidt. L’habitat y est dispersé sur plusieurs îles du lac Tollense, dans le Mecklembourg. Alors que les traces d’activités marchandes et du travail des artisans – poterie, fabrication de peignes, travail des métaux – se concentrent sur l’île dite Fischerinsel, les objets d’apparat, de luxe et militaires ont été trouvées sur l’île Hanfwerder, où des fortifications n’apparurent pourtant qu’au XIIe siècle. L’appartenance de la population de l’île Hanfwerder aux élites est en outre suggérée par le riche mobilier – épées, éperons, pièces de monnaie, reliures de livres, pièces de soie – de la nécropole située sur la rive, près du pont menant à l’île. Le site de la Fischerinsel est en outre caractérisé par la présence inhabituelle de onze clefs. L’endroit était entouré d’une palissade et Schmidt suppose que s’y trouvait une sorte de marché. Les deux îles semblent avoir été occupées parallèlement, connaissant un essor au XIe siècle. Même si l’importance de ces habitats, tout de même modestes, d’après ce que semblent montrer les fouilles, ne doit pas être exagérée, la différenciation sociale entre fonctions, catégories d’habitants et formes d’habitat

279

K. Grebe, Die Brandenburg vor 1000 Jahren, Potsdam, 1991, p. 34-37 ; H. H. Andersen, Alt Lübeck..., cité p. 217, n. 57, p. 48 ; id., Die Südsiedlung..., cité p. 218, n. 60, p. 101-103 ; G. Fehring, Der slawische..., art. cit., p. 42-45 ; J. Čiháková, Prag um das Jahr 1000 : Infrastruktur, Verkehrswesen, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., op. cit., vol. 1, p. 176-177 ; T. Sawicki, Gnesen (Gniezno), dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., op. cit., vol. 1, p. 473-474. 280 S. Brather, Archäologie..., op. cit., p. 148. id., Slawische Burgwälle an der Kastorfer – Möllner – Seenkette, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas Mitte..., op. cit., vol. 1, p. 282-285

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séparées est particulièrement marquée, ce qui fut bien entendu influencé par les particularités de la situation géographique281. Volker Schmidt a pu également constater une tendance à la dispersion dans le cas du complexe du lac de Kastorf, également dans le Mecklembourg, dans une région identifiée avec la peuplade des Tollensiens. Au milieu du Xe siècle, un fortin circulaire sur la rive du lac fut abandonné et une nouvelle place forte apparut sur une île, reliée à la terre ferme par deux ponts. On a pu retrouver dans l’enceinte de nombreux objets indiquant des activités commerciales : trente poids de balance, douze balances pliables, de l’argent fragmenté, vingtquatre pièces de monnaie, perles et produits de luxe, des clefs et des fers – pour le commerce des esclaves ? – des stylets, des éperons. Les produits importés sont représentés par l’ardoise d’Ovruč, des décorations de couteaux, des reliures de livres, des reliquaire. Des traces du travail du fer ont également été repérées. Toutefois, des armes ou objets typiques de résidences des élites sont complètement absentes. Schmidt suppose que les membres des groupes dominants résidaient plutôt dans la forteresse de Mölln, qui existait en même temps et était située à 6 km de distance282. Dans de nombreux sites, des traces du travail d’artisans ont pu être repérées. Leur interprétation est toutefois toujours très délicate. En effet, le travail artisanal dont les restes nous sont parvenus pouvait témoigner des niveaux très divers de spécialisation, allant du travail domestique par des paysans et ne représentant qu’une activité secondaire jusqu’à celui de spécialistes pour lesquels ce travail occupait la plus grande partie de leur temps. La distinction de ces niveaux à l’aide du matériel archéologique seul est très difficile283. La tendance actuelle, parmi les archéologues polonais, tchèques et allemands, est au scepticisme : le degré de spécialisation des artisans semble avoir été assez faible, et ce encore aux XIe et XIIe siècles. On s’adonnait à la production artisanale comme à une activité parmi d’autres, sans que cela ait formé un « métier »284. En outre, Sławomir Moździoch fait remarquer que la différence entre le degré 281 V. Schmidt, Lieps. Eine slawische Siedlungskammer am Südende des Tollensesees, Berlin, 1984 (Beiträge zur Ur- und Frühgeschichte der Bezirke Rostock, Schwerin und Neubrandenburg, 16), p.  58-64  ; id., Frühstädtische Siedlungsentwicklung in Nordostdeutschland, dans H.  Brachmann (éd.), Burg..., op. cit., p. 108-110 ; id., Binnenländische Marktorte bei den Westslawen, dans C. Lübke (éd.), Struktur und Wandel im Früh- und Hochmittelalter. Eine Bestandsaufnahme aktueller Forschungen zur Germania Slavica, Stuttgart 1998 (Forschungen zur Geschichte und Kultur des östlichen Mitteleuropa, 5), p. 145-149. 282 V. Schmidt, Frühstädtische..., cité p. 324, n. 281, p. 110-111 ; id., Lieps..., op. cit., p. 145-152 ; id., Binnenländliche..., cité p. 324, n. 281, p. 149-151 ; id., Slawische Burgwälle an der Kastorfer – Möllner – Seenkette, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., op. cit., vol. 1, p. 282-285. 283 S. Moździoch, The Origins…, art. cit., p. 134-141 ; S. Brather, Archäologie…, op. cit., p. 152, 186-188. 284 S. Moździoch, Castrum…, op. cit., p. 195-200 ; J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 128-129.

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de spécialisation dans ou près des agglomérations fortifiées et dans l’habitat rural – bien que celui-ci soit beaucoup moins connu par des fouilles – semble avoir été minime285. Considérant les sources de Bohême, Jan Klápště a attiré l’attention sur l’impression trompeuse des mentions d’artisans « spécialistes » dans certaines sources diplomatiques du XIe siècle. Ces artisans étaient intégrés à un système de redistribution et devaient livrer des redevances sous forme de nombreux produits de l’artisanat ; cependant, comme le démontre Klápště dans le cas d’un document concernant Vyšehrad286, ils restaient liés à une terre : donc, les travaux agricoles occupaient apparemment une partie importante de leur temps, l’artisanat ne formant qu’une activité parmi d’autres287. Quant aux toponymes indiquant des activités artisanales distinctes, souvent cités dans ce contexte, l’interprétation en faisant un système complexe appuyé sur des services spécialisés reste, selon Klápště, hypothétique288. L’archéologie laisse plutôt supposer des formes d’artisanat intégrées à une économie encore fondamentalement agraire. Pour ce qui est, par exemple, de l’extraction minière, Klápště voit dans le fait que les villages ne sont généralement pas à proximité des sites d’extraction un indice laissant deviner qu’à cette époque, de tels travaux avaient encore lieu dans un contexte foncièrement paysan289. Malgré ce niveau modeste de spécialisation, une certaine forme de séparation spatiale semble avoir existé. Jerzy Piekalski souligne que bien que les activités non agraires aient sans doute été quelque peu plus intensives dans les environs immédiats des agglomérations fortifiées multipartites, on rencontre rarement les traces d’activités artisanales et commerciales en proximité immédiate des résidences des élites, dans les enceintes. Les distinctions entre les différents espaces seraient malgré tout généralement restées floues290.

285

S. Moździoch, Ein Land, darin Honig und Milch fließt. Die ersten Piasten als Wirte ihres Landes, dans D. Bulach et M. Hardt (éd.), Zentrum und Peripherie in der Germania Slavica. Beiträge zu Ehren von Winfried Schich, Stuttgart, 2008 (Forschungen zur Geschichte und Kultur des östlichen Mitteleuropa, 34), p. 265-277. 286 CDB, I, 387, p. 371-391. 287 J. Klápště, Proměna…, op. cit., p. 302-305 ; J. Tomas, Řemeslníci 11.-13. století v českých zemích v písemných pramenech, dans id., Od raně středověké aglomerace k právnímu městu a městskému stavu (výbor studií), Litoměřice, 1999, p. 35-40 ; T. Petráček, Fenomén darovaných lidí v českých zemích 11.-12. století. K poznání hospodářských a sociálních dějin českých zemí doby knížecí, Prague, 2002, passim. 288 J. Klápště, Proměna..., op. cit., p. 307-310 ; C. Lübke, Arbeit und Wirtschaft im östlichen Mitteleuropa. Die Spezialisierung menschlicher Tätigkeit im Spiegel der hochmittelalterlichen Toponymie in den Herrschaftsgebieten von Piasten, Přemysliden und Arpaden, Stuttgart, 1991 (Glossar zur frühmittelalterlichen Geschichte im östlichen Europa. Beiheft, 7), p. 7-14 ; K. Modzelewski, Organizacja..., op. cit., p. 90-91. 289 J. Klápště, Proměna..., op. cit., p. 310. 290 J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 128-129 ; S. Brather, Archäologie…, op. cit., p. 148.

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Sławomir Moździoch abonde dans le même sens dans le cas des forteresses altimédiévales : les activités à caractère commercial et artisanal se seraient généralement trouvées à l’extérieur des forteresses elles-mêmes291. Dans certaines agglomérations, des indices laissent deviner une séparation entre un espace destiné à l’église et aux ecclésiastiques et un autre occupé par les élites laïques. Souvent, une telle séparation ne reste toutefois qu’une supposition. Dans le cas de la forteresse de Głogów, des fouilles ont eu lieu sur l’île de la Cathédrale, mettant à jour les restes du mur d’enceinte ayant entouré l’église, un morceau de bois des fortifications étant daté de 985. L’existence d’une deuxième forteresse, que laissent supposer des sources écrites tardives292, n’a pu être prouvée par l’archéologie, bien que certaines pistes puissent indiquer où elle aurait pu se trouver293. Quant à la forteresse de Płock en Mazovie, Włodzimierz Szafrański avait voulu y voir une séparation de l’espace à l’intérieur du mur d’enceinte, qui en aurait fait deux sections fortifiées distinctes. Cette séparation serait apparue après la fondation de l’évêché vers 1075. Toutefois, les travaux récents menés par Andrzej Gołembnik, appuyés sur de nouvelles fouilles et des datations plus précises, ont montré qu’une telle interprétation n’est guère tenable et s’appuyait sur des a priori. Il n’y avait apparemment pas de séparation claire entre les deux parties294. Le cas de Sandomierz a déjà été étudié plus haut. Rappelons que l’église Saint-Pierre fut construite au XIe siècle sur la colline du Collège Gostomianum, seul endroit alors fortifié, bien qu’à l’aide d’une simple palissade. Le reste de l’agglomération, incluant les églises Notre-Dame et Saint-Nicolas, ne fut entourée par un mur d’enceinte qu’au début du XIIe siècle. Il est donc légitime de supposer que l’espace entouré par cette première palissade ait été séparé du reste de l’agglomération pour distinguer la partie ecclésiastique du

291

S. Moździoch, Wczesnomiejskie zespoły osadnicze na Śląsku, dans L. Leciejewicz (éd.), Miasto zachodnio-słowiańskie w XI – XII wieku. Społeczeństwo – kultura, Wrocław, Varsovie et Cracovie, 1991, p. 96-98 ; id., The Origins…, art. cit., p. 142 ; id., Problemy…, art. cit., p. 44-45 ; id., Castrum…, op. cit., p. 195-200 ; id., Ein Land…, cité p. 325, n. 285, p. 274-275. 292 C. Grünhagen et K. Wutke (éd.), Regesten zur schlesischen Geschichte. 1327-1333, Wrocław, 1903 (Codex diplomaticus Silesiae, 22), no. 5019 (1331), p. 121 ; no. 5020 (1331), p. 121 ; no. 5247 (1333), p. 194. 293 J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 87-88 ; Z. Hendel, Wyniki badań przeprowadzonych na Ostrowie Tumskim w Głogowie. Sprawozdanie z badań w 1982 r., dans Dolnośląskie Wiadomości Prahistoriczne, 25, 1986, p. 58-64 ; C. Lasota, W. Pogorzelski et Z. Wiśniewski, Ostrów Tumski w Głogowie w świetle badań archeologicznych przeprowadzonych w 1990 r., dans Dolnośląskie Wiadomości Prahistoryczne, 3, 1995, p. 133-158. 294 W. Szafrański, Płock we wczesnym średniowieczu, Wrocław, 1983, p. 203 ; A. Gołembnik, Rozwój przestrzenny wczesnośredniowiecznego Płocka – gród, osada, miasto, dans id.  (éd.), Wczesnośredniowieczny Płock, Varsovie, 2002, p. 17 ; J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 90-91.

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reste de l’ensemble, plus vaste, à vocation principalement résidentielle et séculière295. À Poznań, nous avons vu qu’existait à la fin du Xe siècle un ensemble comprenant trois parties fortifiées distinctes. Dans la première partie se trouvait un bâtiment de pierre que l’archéologue Hanna Kóčka-Krenz interprète comme un palais accompagné d’une chapelle ; dans la deuxième furent trouvés des fonts baptismaux ainsi que, un peu plus tard, une église préromane ; seule la troisième partie ne comprenait pas de lieu de culte296. Si l’interprétation de Kóčka-Krenz s’avère exacte, on pourrait croire qu’ait existé réellement un espace fortifié réservé au prince et à son entourage ainsi qu’un autre occupé principalement par les ecclésiastiques. Les deux sections auraient été séparées par un mur d’enceinte. Soulignons toutefois que cela ne reste qu’une supposition et qu’on ne sait encore rien des autres bâtiments et d’éventuelles différences de fonctions entre les deux secteurs297. Ce n’est que lentement que les complexes multipartites développèrent une structure différenciée de population. Les sources matérielles ne laissent supposer qu’une installation généralement tardive – et ce, seulement dans les plus grands centres – de marchands ; les activités commerciales ne prirent un véritable essor qu’aux XIe et XIIe siècles. Si la présence d’artisans est révélée pour une période plus ancienne, tout porte à croire que la différenciation des rôles des habitants ne resta pendant longtemps que minime. La production artisanale se réalisait dans le contexte d’une économie agraire. Une certaine forme de séparation spatiale de la population au sein des agglomérations – chaque groupe social s’installant dans un secteur spécifique – peut être supposée en certains endroits ; on se doit malgré tout de rester circonspect. Il semble qu’en général, artisans et paysans ne s’installèrent pas à proximité immédiate des résidences des membres des élites, préférant les basses-cours ou les agglomérations secondaires à l’extérieur des fortifications ; il ne s’agit cependant aucunement d’une règle absolue, mais plutôt d’une tendance, les démarcations restant souvent floues. Un cas particulier est présenté par les complexes de la Lieps et du lac Kastorf, où la séparation spatiale rappelait plutôt le morcellement de l’habitat connu à la période carolingienne. La tendance à la concentration de l’habitat observée ailleurs ne paraît pas avoir été pressentie comme une nécessité par les habitants de ces régions. L’exemple de la séparation des forteresses entre des espaces ecclésiastique et séculier – voire de l’érection de deux enceintes spécifiques – témoigne à la fois d’une tendance qui, probablement, apparut dans certaines localités, et des difficultés présentées par l’interprétation des sources archéologiques. Si l’on 295 296 297

M. Florek, Sandomierz… op. cit. ; J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 89-90. Voir supra, p. 224-228 ; H. Kóčka-Krenz, Najstarszy Poznań, cité p. 224, n. 71, p. 30-34. Voir aussi J. Piekalski, Od Kolonii…, op. cit., p. 83-86.

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peut croire que dans certains cas, comme à Poznań et à Sandomierz, une telle distinction ait pu se réaliser, on ne sait guère à quel point les espaces respectifs étaient exclusifs. En outre, il est sans doute sage de rester prudents dans les cas où une telle distinction ne peut qu’être supposée. La séparation n’était pas nécessairement très stricte. * Les mutations sémantiques et conceptuelles observables dans les textes étudiés concernant les habitants des agglomérations décrites trahissent une évolution qui n’est pas sans rappeler celle que l’on a pu constater à propos des catégories d’habitat et des termes utilisés pour les désigner. L’époque carolingienne a été caractérisée d’une part par un morcellement accentué de l’habitat – forteresses, emporia et autres formes d’habitat possédant peu de points communs les uns avec les autres – et d’autre part par un concept simplifié de la civitas ou du castellum dans les espaces périphériques de l’Empire franc, qui étaient réduits à de simples fonctions militaires. Cette constatation s’accorde parfaitement avec le discours des sources sur les habitants des différentes formes d’agglomérations. En effet, les seuls habitants mentionnés dans les forteresses aux marges de l’Empire sont les guerriers des praesidia, alors que ceux-ci sont absents de la population des emporia ou des portus. La séparation des fonctions associées aux agglomérations correspondait à la dispersion des rôles attribués à leurs habitants. La situation changea au cours du Xe ainsi qu’au début du XIe siècle. La palette des fonctions – résidentielle, politique, symbolique – attribuées aux agglomérations – principalement aux urbes ou civitates – devint soudainement multiforme. Encore une fois, le discours des sources portant sur les habitants de ces centres n’est guère différent : on n’y recense désormais plus seulement les guerriers des praesidia, mais également la catégorie globale des urbani, avec femmes et enfants, de même que des commandants ou praefecti aux diverses fonctions. Pour ce qui est de la Pologne du début du XIIe siècle décrite par le chroniqueur dit Gallus Anonymus, on y retrouve en ce qui concerne les habitants des agglomérations une dichotomie entre le royaume polonais et la Poméranie qui n’est pas très différente de celle déjà observée pour les termes et les concepts définissant les différents types d’habitat. En effet, les civitates polonaises sont caractérisées par une organisation complexe avec des représentants du souverain et comprenant apparemment une certaine forme de structure hiérarchique, avec commandants et administrateurs aux diverses fonctions, alors que pour les civitates de Poméranie – on ne retrouve que des guerriers ou défenseurs, les oppidani et castellani. Il est difficile d’évaluer, à l’aide des sources écrites seules, l’importance relative des catégories de marchands repérables dans les textes l’une par rap-

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port à l’autre. Un élément permet toutefois de s’orienter : si, se fiant à l’image que projettent les sources, il est impossible de s’imaginer un portus ou un emporium sans la présence de marchands, celle-ci n’était pas constitutive de l’existence d’un siège épiscopal. On peut donc affirmer que, in theoria sinon in praxi, c’est là que résidait la différence fondamentale entre la population de l’emporium et celle de la civitas. En effet, les marchands formaient la catégorie principale d’habitants parmi ceux dont la présence fut évoquée dans les sites portuaires. Ils étaient toutefois accompagnés – selon les auteurs de plusieurs sources – des souverains ou de leurs représentants, qui leur assuraient contrôle et sécurité298. Dans les civitates du continent, en revanche, les commerçants ne formaient qu’un groupe parmi d’autres, à côté des membres du clergé, des guerriers, et des élites laïques. Au début du XIe siècle, la catégorie des cives les identifia non pas selon leur fonction, mais selon le lieu où ils habitaient. D’après les recherches archéologiques et archéozoologiques, dans chacune des trois principales catégories d’habitat qui ont été présentées se laissent repérer des formes de distinction sociale ; celle-ci put se manifester de manières très différentes. Dans les emporia de la mer Baltique, un groupe d’élites tenait à démontrer son rang particulier par des rites funéraires ostentatoires, et il fut perçu par les contemporains comme ayant un statut spécifique ; il semble néanmoins que ses conditions de vie n’aient pas été énormément différentes de celles du reste de la population. Au sein des communautés groupées autour des forteresses des Slaves, un cercle privilégié se distinguait du reste des habitants, bien que sa position particulière ne se soit souvent manifestée principalement que par le fait d’habiter à l’intérieur de l’enceinte. Les habitudes alimentaires laissent cependant, dans certains cas, deviner l’apparition de liens de dépendance des populations à l’extérieur des forteresses. Dans les agglomérations multipartites des siècles suivants se multiplièrent les statuts sociaux et les catégories d’habitants dans un espace restreint, bien que la différenciation n’ait pas toujours été très stricte et que le degré de spécialisation soit généralement resté assez faible. Sources écrites comme sources matérielles indiquent donc une diversification grandissante des habitants des agglomérations. Il reste à voir comment cette diversité a été perçue par les contemporains.

298

C. Lübke, Fremde…, op. cit., p. 164-173.

CHAPITRE VI

DIFFÉRENCIATION ET IDENTITÉ

Cerneres eo tempore lamentabilem Bremae tragoediam in afflictionibus civium militumque ac mangonum, item, quod gravius erat, clericorum et sanctimonialium. Adam de Brême, Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum, 3,58, à propos des exactions subies par les habitants de Brême

L

’existence d’une spécificité urbaine ainsi que d’une identité liée à un type d’habitat passe nécessairement par l’apparition d’une différenciation de la population ; ou plutôt, et c’est cela qui nous intéresse surtout, par la prise de conscience d’une telle différenciation et par sa formulation. Cette distinction pouvait prendre plusieurs formes et se réaliser à de multiples niveaux : on pouvait distinguer entre les habitants d’une agglomération et ceux à l’extérieur de celle-ci – différenciation spatiale – ou entre des fonctions et des statuts à l’intérieur d’une population donnée – différenciation fonctionnelle. Ces phénomènes apparurent en divers endroits et dans des conditions variées et sont symptomatiques de la perception de soi d’une société. L’un des éléments fondamentaux d’une communauté à caractère urbain, signalé dans de nombreuses tentatives de définition de la ville et particulièrement dans celles à tendance socio-économique1, consiste en effet en la proximité spatiale de personnes et de groupes socialement différenciés. L’archéologie nous livre quelques indices – malgré des difficultés méthodologiques qu’il importe de souligner – sur les composantes sociales des populations des agglomérations ; nous pourrons confronter les résultats des fouilles, en choisissant quelques exemples représentatifs, avec ceux de l’analyse des sources écrites. Les sources archéologiques, archéozoologiques et historiques nous renseignent sur des aspects différents de sociétés données – les unes sur leur cadre matériel, les autres sur les conditions de vie des personnes, les dernières sur les perceptions des contemporains. Une confrontation des informations fournies par ces multiples éléments permet de reconstruire une réalité complexe. Alors que dans certains cas, les catégories de sources se complètent, dans d’autres elles soulèvent plus d’interrogations qu’elles ne donnent de

1

J. Piekalski, Uwagi…, art. cit., passim.

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chapitre vi

réponses, ou encore elles laissent entrevoir des contradictions ne pouvant qu’en partie être expliquées. Nous tenterons de voir de quelle façon était perçue l’éventuelle différenciation de la population des agglomérations lors de la période étudiée. D’une part, la diversité des populations au sein d’une agglomération donnée pouvait créer des conditions et des modes de vies spécifiques2. D’autre part, la proximité spatiale pouvait ne pas empêcher, voire contribuer à créer une distance sociale3. Comment ces deux aspects essentiels du phénomène urbain ont-ils été vécus en ces siècles lointains de l’Europe médiévale ? Malgré l’utilisation d’un vocabulaire, dans certains cas, imprécis, on peut noter une tendance pointant, entre les temps carolingiens et le début du XIIe siècle, vers une distinction grandissante entre, d’une part, les personnes habitant dans une forteresse ou dans une agglomération – ou encore simplement identifiées à celles-ci – et d’autre part les personnes habitant à l’extérieur de ces formes d’habitat. Le vocabulaire utilisé pour désigner les personnes associées à des établissements témoigne de cette différenciation grandissante. Certains indices nous montrent également les premiers balbutiements d’une identité en lien avec des agglomérations précises. Les traces de cette différenciation sont toutefois – l’honnêteté nous force à l’avouer – au cours de la période qui nous intéresse encore très diffuses et dispersées dans des sources très diverses. Malgré tout, la comparaison des différentes pistes laisse suggérer plusieurs dispositions, exprimées plus ou moins consciemment par les auteurs des textes. Archéologie, archéozoologie et histoire Les auteurs des sources écrites ont mentionné plusieurs catégories d’habitants s’étant trouvé dans les emporia de la mer Baltique. Les auteurs des Annales royales franques évoquèrent – outre la présence sporadique du souverain des Abodrites Thrasco – des negotiatores à Reric puis à Haithabu. Rimbert distingua à Birka entre les negotiatores et les populi ; en outre, il signala que certains des negotiatores, à Birka comme à Sliaswich, habitaient sur place, alors que d’autres n’étaient que de passage. L’hagiographe mentionna également la présence à Haithabu d’esclaves chrétiens (captivi christiani) ainsi que d’un groupe de personnes privilégiées, des primores. Enfin, on retrouvait un comes ou un praefectus4. Il serait sans doute aventureux de vouloir identifier chacun de ces groupes avec une catégorie précise de sépultures. On peut toutefois affirmer que les 2 3 4

Y. Fijalkow, Sociologie de la ville, Paris, 2004 (Repères), p. 43. Y. Fijalkow, Sociologie…, cité p. 332, n. 2 ; G. Simmel, Die Großstädte..., art. cit., passim. H. Jankuhn, Soziale Gliederung..., cité p. 282, n. 95, p. 336-337 ; voir supra, p. 280-282, 290.

différenciation et identité

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sources archéologiques autant qu’historiques esquissent une société différenciée, où se retrouvaient des marchands, une population au statut inférieur – sans doute d’artisans – et un groupe d’élites se distinguant par des symboles démontrant leur rang élevé, et perçus comme spécifiques. Leur distinction semble toutefois avoir été marquée par le prestige social plutôt que par un confort matériel hors du commun. Les personnes associées aux forteresses des Slaves dans les sources écrites ont été principalement désignées depuis la seconde moitié du Xe siècle comme des urbani, les sources antérieures ne possédant pas de terme particulier pour les désigner – rappelons qu’aucune place forte des Slaves ne se vit attribuer une garnison, un praesidium. L’archéologie semble confirmer l’absence de garnisons dans les places fortes des Slaves : contrairement aux castella frontaliers des Francs, les forteresses des Slaves furent apparemment, dès le départ, habitées par des élites ; leurs habitants n’auraient donc pas eu qu’un rôle purement militaire. Qui étaient ces urbani, catégorie englobant guerriers, femmes et enfants ? Étaient-ce les seuls groupes que l’archéologie permet de deviner comme résidents des fortins circulaires ? Ou est-ce que le terme fusionnait la communauté des personnes habitant dans les environs, dans une basse-cour ou une agglomération non fortifiée située à proximité ? Nous ne le saurons sans doute jamais avec certitude. Quelques remarques peuvent toutefois autoriser certaines conjectures. Tout d’abord, les communautés regroupées autour de telles forteresses n’étaient pas très étendues. Alors que Felix Biermann croit que le rang des habitants des enceintes ne s’éleva souvent que modérément au-dessus du reste de la population5, Przemysław Urbańczyk fait remarquer que le statut de telles élites ne pouvait sans doute que reposer que sur un certain consentement de la communauté toute entière6. Il serait difficilement imaginable, dans de telles conditions, que seules les quelques familles habitant les fortins aient eu le droit de s’y réfugier en temps de danger. Ajoutons que les auteurs saxons décrivant cette catégorie sociale désignée comme urbani avaient sous les yeux le système appelé burgbann, octroyant à certains paysans des environs le droit de se réfugier dans les forteresses. Or, ces auteurs décrivirent avec la même terminologie les défenseurs des places fortes des Slaves. Si les cadres de la vie en société étaient certainement très différents en Saxe ottonienne et chez les Slaves – et nous ne cherchons aucunement à affirmer que les Slaves avaient une société aussi complexe que les successeurs de l’Empire carolingien – on peut croire que les chroniqueurs saxons ou leurs informateurs perçurent certaines similitudes.

5 6

F. Biermann, Slawische…, op. cit., p. 85-88, 97-99. P. Urbańczyk, Wczesna urbanizacja..., cité p. 191, n. 5, p. 40.

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chapitre vi

La complexité grandissante de la population des agglomérations multipartites des XIe et XIIe siècles est reflétée à la fois par les sources archéologiques et historiques. S’il est souvent difficile de distinguer avec précision les espaces habités par différentes catégories de personnes, et si le degré de spécialisation des artisans et marchands ne doit pas être exagéré, on peut tout de même admettre que, comme le suggèrent certains indices – artefacts attestant d’activités commerciales, traces du travail d’artisans, secteurs réservés aux élites laïques et ecclésiastiques – des personnes appartenant à plusieurs statuts se côtoyaient dans un espace assez restreint. L’image de la Pologne du début du XIIe siècle proposée par le chroniqueur dit Gallus Anonymus, si elle rend compte d’une certaine réalité, contient toutefois certains paradoxes. Certes, les guerriers dont l’anonyme a décrit les exploits et dont il a mentionné la présence dans chaque civitas et dans chaque castrum formaient certainement une catégorie importante de la population des places fortes – que ce soit la suite guerrière dont les abondantes armes trouvées à Ostrów Lednicki attestent l’existence7, ou les représentants du souverain administrant les redevances dans une forteresse comme celle de Bytom. L’importance de la cour princière décrite par le chroniqueur dans les forteresses polonaises ne fait guère de doute non plus. Toutefois, on s’étonnera du silence complet de l’anonyme à propos des membres du clergé – alors que des églises monumentales sont attestées dans la majorité des « forteresses principales des Piast » – Gniezno, Poznań, Sandomierz, Cracovie, sans oublier Ostrów Lednicki. En outre, l’affirmation du chroniqueur selon laquelle les marchands du royaume de Pologne n’auraient été que de passage, en route vers la Russie de Kiev, semble peu crédible. Après tout, le voyageur arabophone Ibrāhīm ibn Ja’kūb avait déjà mentionné au Xe siècle l’importance de Cracovie en tant que lieu de rencontre pour les commerçants parcourant les régions d’Europe centrale8. On peut difficilement croire qu’ils avaient disparu un siècle et demi plus tard. L’archéologie témoigne en outre du fait que, si le commerce ne fut pas décisif pour le développement de ces agglomérations fortifiées, il contribua tout de même – surtout à partir du XIe siècle – à leur donner de l’importance9. On pourrait penser que si le chroniqueur fit aussi peu de cas des marchands présents dans les agglomérations multipartites polonaises, c’est que leurs établissements étaient très modestes comparés à ceux de la région déjà fortement urbanisée dont il provenait sans doute – que ce soit le Nord-Ouest de la

7

J. Górecki, Waffen…, art. cit., passim. Relatio Ibrāhīm ibn Ja’kūb, op. cit., p. 146. 9 S. Brather, Archäologie…, op. cit., p. 148 ; Z. Kurnatowska, Frühstädtische Entwicklung an den Zentren der Piasten in Großpolen, dans H. Brachmann (éd.), Burg..., op. cit., p. 133-148 ; ead., Centrum a zaplecze. Model wielkopolski, dans S. Moździoch (éd.), Centrum..., op. cit., p. 53-59. 8

différenciation et identité

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France ou une autre région d’Europe occidentale10. Le développement économique de la Pologne lui aurait semblé, en comparaison, plutôt primitif. Cette explication est à elle seule toutefois insatisfaisante. En effet, elle ne rend pas compte de son silence à propos des membres du clergé. L’image qu’il projette est, apparemment, fortement empreinte d’idéologie – on aurait envie de dire, pour reprendre l’expression consacrée par Jean Flori, de l’ « idéologie du glaive »11. Le chroniqueur raconte avant tout, avec une verve soutenue par son grand talent littéraire et son maniement magistral de la langue latine, les exploits guerriers des membres de la dynastie des Piast, alors que lui-même a été invité en tant qu’érudit étranger à la cour de Boleslas Bouche-Torse. Ces actes de bravoure, dont les victimes sont surtout les Poméraniens, sont en outre justifiés par le fait que ceux-ci sont des païens – ce qui ajoute à ces guerres de conquête des relents de bellum iustum12. L’exemple du chroniqueur dit Gallus Anonymus montre à quel point les sources écrites sont partielles et les informations qu’elles fournissent dépendantes des intentions des auteurs. Bref, dans un cas comme dans l’autre, c’est une comparaison des résultats de chacune des disciplines qui permet la reconstruction la plus mesurée. Cet exercice nous permet également de mieux saisir les difficultés et les possibilités inhérentes à chaque catégorie de sources. * Le développement de catégories sociales distinctes ne se fit que lentement : l’évolution présentée s’étendit en effet, rappelons-le, sur plus de trois siècles. Des phénomènes changeants apparurent, se manifestèrent, disparurent. Une variété de statuts et de rangs existèrent et laissèrent leurs traces dans la culture matérielle ; les textes des contemporains témoignent à leur manière d’une prise de conscience de certaines différences au sein des populations. Les sources archéologiques et archéozoologiques nous invitent néanmoins à ne pas surestimer le degré de différenciation sociale présent au sein des agglomérations dans les sociétés des périodes et régions étudiées. Les catégories étaient rarement strictement définies, les démarcations restaient généralement floues. On ne peut guère dire où commençait l’appartenance au groupe des primores des emporia ; la catégorie des urbani reste difficile à saisir dans sa réalité ; l’attribution d’espaces donnés à des groupes particuliers dans les agglomérations multipartites ne peut jamais être déterminée avec précision. Bref, chaque type de source témoigne à sa manière propre de la complexité résultant de la vie en communauté – complexité qui ne devint certainement

10

Voir supra, p. 112. J. Flori, L’Idéologie du glaive. Préhistoire de la chevalerie, Genève, 1983 (Travaux d’histoire éthico-politique, 43), p. 3-4. 12 Z. Wielgosz, Opinie…, art. cit., p. 79-80. 11

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pas moindre lorsque les personnes se mirent à vivre ensemble en des espaces restreints. Le côtoiement quotidien nécessitait des adaptations et résulta en diverses formes de prise de conscience de réalités changeantes. Mutation des catégories d’habitants À l’époque carolingienne et encore au Xe siècle, on tendait à désigner les habitants des civitates et des autres forteresses par des termes vagues, tels habitatores et populus. Cet usage généralisé témoignait, on ne peut guère le nier, d’une absence de spécificité des habitants de ces endroits : les auteurs n’exprimaient aucune conscience de particularités de ces populations. Il est significatif que dans les siècles suivants, ces désignations furent peu à peu remplacées par des termes plus précis. Ainsi donc, un tour d’horizon même rapide nous convainc qu’aux temps carolingiens, la population des forteresses et autres agglomérations fut régulièrement désignée comme un populus. Les auteurs des Annales royales mentionnent les « populi des civitates » en Italie13. On retrouve la même expression dans les lettres de certains érudits carolingiens comme Alcuin14 et Hraban Maur15. Il en va de même, et ce à plusieurs reprises, dans l’épopée De Karolo rege et Leone papa : le poète évoque la pars populi qui participe à la construction d’Aix16 ; à Rome, le pape Léon III est assailli par la plebs et par le populus de l’endroit17. Toutefois, on peut constater que pour l’auteur anonyme, populus signifie avant tout le « peuple en armes »18, et non pas la population au sens large. Le poète indique en effet clairement qu’il entend par là les guerriers19. Chez Widukind, les habitants des places fortes sont parfois désignés par le terme on ne peut plus vague d’habitatores : ainsi, le moine de Corvey raconte que, lors de l’attaque de Walsleben par les Rédariens, tous les habitatores sont

13 Qui inter cetera terrae motum gravissimum mense Augusto per continuos quinque dies ibi contigisse retulerunt, quo et ipsius urbis aedificia conplura cecidisse et aliarum civitatum populos ruinis oppressos esse testati sunt. ARF, a. 815, p. 143. 14 Alcuin, Epistolae, op. cit., 247 (802), p. 400. 15 Hraban Maur, Epistolae, op. cit., 15 (834), p. 405. 16 De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 114, p. 16. 17 De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 358-359, p. 34. 18 R. Le Jan, La Société…, op. cit., p. 43. 19 Rex pius interea solium conscendit et omnem/Alloquitur populum Karolus, venerabilis heros :/« Ergo agite, o proceres », inquit « quibus induite arma/Ire estis soliti ad bellum Martemque saeverum/Temptare et crudo vosmet confidere pugno », De Karolo rege et Leone papa, op. cit., v. 463-467, p. 42 ; Iam pater in campo Karolus vidit agmina aperto ;/Pippinum et summum pastorem tendere contra/Constat : et inque modum populum expectare coronae/Praecepit atque aciem hic dividit orbis ad instar, v. 487-490, p. 44.

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capturés ou tués20. En un autre passage, il relate comment le comte Eberhard fait tuer tous les habitatores de la forteresse de Hellmern21. L’utilisation de populus pour désigner les habitants des civitates devient cependant rare au Xe siècle : Widukind ne désigne par ce terme que le « populus de Constantinople »22. Il mentionne certes le populus accueillant le prince des Hévelliens, Tugumir, lors de son retour à Brandebourg23 : on doit toutefois sans doute n’y voir que le « peuple en armes » qui l’accepte comme seigneur, et non pas la population de la forteresse dans son ensemble. Au début du XIIe siècle, on ne retrouve dans nos sources que le « populus de la civitas » de Głogów mentionné par le chroniqueur de Pologne24. Il s’agit là de la seule occurrence dans les deux grandes chroniques étudiées, et on se doute bien qu’elle n’est guère représentative d’un usage tombé en désuétude. C’est au même moment que disparaissent les termes vagues de habitatores et de populus qu’apparaissent pour la première fois des adjectifs toponymiques identifiant des personnes données à des agglomérations précises. Le chroniqueur Thietmar est le premier à se servir régulièrement d’un tel artifice. Nous avons déjà vu qu’il a désigné certains habitants de Magdebourg l’un comme un civis Magadaburgiensis, l’autre comme un civis Parthenopolitanus25. Il associe en outre un comte portant le nom de Guncelin à sa forteresse de Kuckenburg, en l’apostrophant comme Cukesburgiensis Guncelinus26. L’évêque utilise aussi un tel procédé pour désigner les habitants de Meißen, qui deviennent sous sa plume des Misnenses27. Enfin, il connaît une dénomination particulière pour les guerriers, les satellites, installés dans le suburbium de Meißen : ce sont les Vethenici28. On pourra remarquer que l’évêque de Mersebourg utilisa ces dénominations dans des contextes très différents : parfois, c’étaient les cives ou habitants au sens large ; d’autres fois, c’étaient les guerriers défenseurs ; ailleurs, il s’agissait d’un comte. Cependant, tous ces gens avaient une chose en commun : ils ont été identifiés topographiquement, à une localité, à une civitas, à une forteresse ou à un suburbium.

20

Widukind, op. cit., 1,36, p. 52. Widukind, op. cit., 2,6, p. 71-72. 22 Widukind, op. cit., 3,73, p. 149. 23 Widukind, op. cit., 2,21, p. 85. 24 Gallus, op. cit., 3,5, p. 133. Voir supra…, p. 303. 25 Thietmar, op. cit., 1,25(14), p. 32 ; 6,85(51), p. 376. Voir supra…, p. 298-300. 26 Thietmar, op. cit., 5,9(6), p. 230. 27 Thietmar, op. cit., 5,9(6), p. 230. 28 Thietmar, op. cit., 5,9(6), p. 230 ; 6,55(37), p. 342. Voir C. Lübke, Die Burg Meißen, dans A. Wieczorek et H.-M. Hinz (éd.), Europas..., op. cit., vol. 2, p. 701-702. 21

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Quant à Adam de Brême, il connait un mot spécial pour désigner les habitants de Birka, qu’il qualifie de Bircani, terme encore inconnu de Rimbert, pourtant source principale d’Adam pour tout ce qui concerne le site portuaire29. Cosmas de Prague, quant à lui, évoque la peuplade des Luczani, qui sont ensuite nommés Satcences d’après la forteresse de Žatec (lat. Satc)30. En Pologne, le chroniqueur anonyme qualifie les défenseurs de Głogów de Glogovienses, mais également ceux de Czarnków de Charncori31. Les défenseurs de Kruszwica sont, quant à eux, appelés Crusvicienses32 et le prince Zbigniew, défendant ce castrum, se retrouve à la tête de sept bataillons de Crusvicienses33. Enfin, notons la présence sur le champ de bataille, lors d’un conflit entre guerriers de Pologne et de Bohême, d’une cohorte de guerriers de Gniezno, formant la Gneznensis acies34. Soulignons le sens purement militaire de ces dernières mentions : pour l’auteur anonyme, les habitants des places fortes sont à nouveau, de cette manière et suivant son habitude, seulement mentionnés dans un contexte guerrier. Tous les autres aspects sont oblitérés. Les défenseurs de Gniezno peuvent même être détachés de leur forteresse d’origine pour se battre sur le champ de bataille ; mais ils gardent malgré tout, et c’est cela qui nous intéresse, l’identité qui leur a été attribuée. Ordres et catégorisations La hiérarchie au sein d’une société peut être expliquée par ses modes de fonctionnement35. Des schémas expliquant les rôles respectifs des groupes sociaux ont été présentés par de nombreux auteurs médiévaux, cherchant à normaliser et à donner sens à une stratification sociale fondée sur l’inégalité36. Le modèle médiéval de catégorisation des membres de la société le plus connu est sans aucun doute celui des trois ordres, pour lequel on a pu supposer des racines indo-européennes, et dont l’imprégnation dans les sources du Moyen Âge occidental a fait l’objet d’une étude classique par Georges Duby37. Selon 29

Adam, op. cit., 1,60, p. 58. Cosmas, op. cit., 1,10, p. 23. 31 Gallus, op. cit., 2,44, p. 115. 32 Gallus, op. cit., 2,5, p. 71. 33 Gallus, op. cit., 2,5, p. 72. 34 Gallus, op. cit., 3,23, p. 151. 35 G. Bührer-Thierry, Pensée hiérarchique et différenciation sociale  : quelques réflexions sur l’ordonnancement des sociétés du haut Moyen Âge, dans F.  Bougard, D.  Iogna-Prat et R. Le Jan (éd.), Hiérarchie et stratification sociale dans l’Occident médiéval (400-1100), Turnhout, 2008 (Haut Moyen Âge, 6), p. 363-371. 36 F. Bougard et R. Le Jan, Hiérarchie : le concept et son champ d’application dans les sociétés du haut Moyen Âge, dans F. Bougard, D. Iogna-Prat et R. Le Jan (éd.), Hiérarchie…, op. cit., p. 6-7. 37 G.  Duby, Les Trois Ordres ou l’Imaginaire du féodalisme, Paris, 1978 (Bibliothèque des histoires), passim. 30

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Duby, le schéma fut surtout formulé clairement en Francie occidentale au début du XIe siècle et servit à justifier un ordre social défini, mais ce modèle ne fut que rarement évoqué lors de la période suivante, allant jusqu’au XIIe siècle. Dominique Iogna-Prat a cependant démontré que le schéma avait déjà été esquissé à la fin du IXe siècle par l’hagiographe Héric d’Auxerre38. Comme l’a indiqué Otto Gerhard Oexle, ce schéma tripartite avait toutefois pris la place d’un modèle plus ancien, ancré dans les sociétés chrétiennes depuis les fondations du christianisme européen, distinguant entre clercs et laïcs39. Hans-Werner Goetz, en revanche, a souligné que de nombreux autres modèles ont aussi existé en parallèle chez les auteurs médiévaux et que la répartition binaire était souvent elle-même divisée en plusieurs sous-catégories40. Widukind de Corvey ne connait que des modèles binaires de répartition de la population. Il peut s’agir, en plusieurs endroits, d’une séparation entre les cives de Saxe et les extranei ou hostes à l’extérieur du royaume41. En un autre cas, il oppose le populus aux prêtres (sacerdotes)42, effleurant ainsi la division classique de la société entre clercs et laïcs. Quant à Thietmar de Mersebourg, la seule fois où il opère une distinction stricte entre différentes catégories de la société urbaine, c’est lorsqu’il distingue entre les guerriers de la garnison et les autres habitatores de Magdebourg43. Adam de Brême est le seul de nos auteurs qui divise clairement la société urbaine en ordres. Il le fait tout d’abord en décrivant la population de Hambourg comme une « multitude de cives et de frères »44. On rencontre dans ce

38 D. Iogna-Prat, Le « Baptême » du schéma des trois ordres fonctionnels. L’Apport de l’école d’Auxerre dans la seconde moitié du IXe siècle, dans Annales. Histoire, sciences sociales, 41,1, 1986, p. 101-126. 39 O. G. Oexle, Tria genera hominum. Zur Geschichte eines Deutungsschemas der sozialen Wirklichkeit in Antike und Mittelalter, dans L. Fenske, W. Rösener et T. Zotz (éd.), Institutionen, Kultur und Gesellschaft im Mittelalter. Festschrift für Josef Fleckenstein zu seinem 65. Geburtstag, Sigmaringen, 1984, p. 483-500 ; id., Deutungsschemata der sozialen Wirklichkeit im frühen und hohen Mittelalter. Ein Beitrag zur Geschichte des Wissens, dans F. Graus (éd.), Mentalitäten im Mittelalter. Methodische und inhaltliche Probleme, Sigmaringen, 1987 (Vorträge und Forschungen, 35), p. 65-117 ; id., Die funktionale Dreiteilung als Deutungsschema der sozialen Wirklichkeit in der ständischen Gesellschaft des Mittelalters, dans W. Schultze (éd.), Ständische Gesellschaft und soziale Mobilität, Munich, 1988 (Schriften des Historischen Kollegs. Kolloquien, 12), p. 19-51. Voir aussi G. Bührer-Thierry, Les Sociétés..., op. cit., p. 72-73. À propos de la catégorie des oratores, voir D. Fraesdorff, Beten für die Gesellschaft. Die « Oratores »-Theorie als Deutungsmodell der sozialen Wirklichkeit im Mittelalter, dans Historisches Jahrbuch, 125, 2005, p. 3-38. 40 H.-W. Goetz, Les Ordines dans la théorie médiévale de la société : un système hiérarchique ?, dans F. Bougard, D. Iogna-Prat et R. Le Jan (éd.), Hiérarchie…, op. cit., p. 221-236. 41 Widukind, op. cit., 2,3, p. 69 ; 2,36, p. 95. Voir supra…, p. 297-298. 42 « Modo regnum meum habent desolatum, populum captum vel interfectum, urbes destructas, templa succensa, sacerdotes extinctos. » Widukind, op. cit., 3,32, p. 119. 43 Thietmar, op. cit., 7,58(43), p. 472. Voir supra…, p. 274. 44 Adam, op. cit., 2,60, p. 119.

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passage la division binaire de la société, séparant les laïcs des clercs. Ensuite, dans le passage déjà présenté sur la « tragédie de Brême »45, Adam esquisse un tableau plus recherché. La séparation binaire y est toujours présente mais, cette fois, elle est elle-même subdivisée : la société laïque de Brême est composée de cives, de milites et de marchands ; la société religieuse est formée des clercs et des moniales. En revanche, Adam n’esquisse en aucun endroit dans sa chronique un tableau schématique des habitants du royaume ou d’une région, divisés en ordres : il ne le fait que pour Hambourg et pour Brême. On constate donc qu’Adam, plus fortement certainement que Thietmar, a tendance à catégoriser et subdiviser les habitants des agglomérations, plutôt que de les désigner globalement comme des urbani ou par une dénomination équivalente. Pour ce qui est de Cosmas de Prague, racontant les débuts légendaires de la Bohême, il décrit un modèle de société idéalisée : elle est dirigée par un souverain (dux) et composée de seize catégories différentes de dépendants qu’il énumère une à une ; ils font tous partie des agrestes viri, forment le vulgus ignobile46. En fait, il ne s’agit pas là d’une description de la société au complet : n’y sont représentés, outre le dux, que les dépendants, caractérisés selon leurs occupations principales respectives. On doit plutôt y voir une représentation de la familia d’un seigneur féodal. Quant au chroniqueur anonyme de Pologne, décrivant la population d’une civitas – probablement Gniezno – il la divise en trois catégories : les chanoines, les prêtres et les cives47. Toutefois, lorsqu’il s’agit de dépeindre la société du royaume de Pologne, qui en son grand complet pleure en commun la mort de Boleslas le Vaillant, il utilise simultanément plusieurs schémas, esquissant ainsi un tableau complexe. Dans un premier temps, il évoque une société composée des comtes, des milites, des prêtres, des chapelains et des matrones48 ; de façon un peu désordonnée sont ainsi décrites les couches supérieures, laïques autant qu’ecclésiastiques. Ensuite, il oppose de manière binaire les riches aux pauvres ; à ceux-ci se superpose la division tripartite entre milites, clercs et agriculteurs (agricole). Enfin, il y ajoute une séparation entre Slaves et Latins49. Dans un second jet, le chroniqueur énumère finalement les paysans (rustici), les pâtres (pastores), les artisans (artifices), les travailleurs (operatores), les domestiques (pueri et puellae) et les serfs (servi et ancillae)50.

45 46 47 48 49 50

Adam, op. cit., 3,58, p. 204. Cosmas, op. cit., 1,5, p. 14. Gallus, op. cit., 3,25, p. 160. Gallus, op. cit., 1,16, p. 38-39. Gallus, op. cit., 1,16, p. 39. Gallus, op. cit., 1,29.

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L’auteur concevait donc une partition de la société à plusieurs niveaux, qui se superposaient les uns aux autres. D’abord, il se figurait une division binaire de la société entre riches et pauvres, ce que l’on pourrait interpréter comme les couches supérieures et inférieures ; les premières étaient composées des seigneurs laïcs et ecclésiastiques ainsi que des guerriers ; les secondes, formées des dépendants, paysans et artisans. À ce schéma binaire se superposa le modèle tripartite entre guerriers, clercs et paysans. Enfin, indépendamment de tout cela, il ajouta une distinction ethnique ; par Latini, il désignait sans doute les étrangers de langue romane, groupe auquel il appartenait probablement lui-même. Le chroniqueur concevait que l’on puisse distinguer des catégories différentes selon les critères que l’on utilisait ; il n’existait pas pour lui de modèle absolu ou idéal. On notera également que, contrairement à Adalbéron de Laon, Gérard de Cambrai et de nombreux auteurs médiévaux, il n’utilisa aucune de ses grilles d’analyse ou schémas pour justifier ou légitimer un ordre établi quelconque : il ne s’agissait chez lui que de décrire une société, montrant qu’elle pleurait au complet la mort du souverain exemplaire ; il ne cherchait pas à instaurer une idéologie51. On notera pour notre propos que, malgré l’utilisation parallèle de plusieurs modèles d’analyse, en aucun endroit l’anonyme ne fit une distinction fondée sur une séparation spatiale : parmi les différentes catégories d’habitants du royaume, il n’opposa nulle part ceux habitant les civitates et forteresses d’une part, et tous les autres d’autre part. Malgré tout, on remarquera qu’en un unique endroit dans sa narration, le chroniqueur présenta une division de la société à l’intérieur d’une civitas : elle était simple, opposant principalement clercs et laïcs. Dans les autres cas, plus complexes, les schémas ne concernaient pas une civitas mais le royaume au complet. S’intéressant à la perception des distinctions au sein d’une société donnée, un recours aux résultats des sciences sociales peut nous éclairer. La sociologue Lorenza Mondrada a observé que les citadins des grandes villes de l’époque industrielle ont une tendance beaucoup plus forte à catégoriser les individus que les habitants de la campagne. Dans le monde effervescent et plus ou moins anonyme des villes, où tout change rapidement, où l’on est constamment confronté à de nouvelles personnes, à rencontrer des inconnus, la catégorisation rapide des individus en différents groupes identitaires devient rapidement une nécessité. Cette attitude devient une caractéristique des mentalités des gens habitant les grands centres52.

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G. Duby, Les Trois Ordres…, cité p. 338, n. 37, passim. L. Mondada, La ville n’est plus peuplée d’êtres anonymes : Processus de catégorisation et espace urbain, dans T. Bulot (éd.), Lieux de ville et identité. Perspectives en sociolinguistique urbaine, Paris, 2004 (Marges linguistiques), vol. 1, p. 71-111.

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Que peut-on en conclure si l’on compare ces observations à ce que nous disent nos sources ? On peut constater que parmi les auteurs considérés, c’est surtout chez Adam de Brême et chez Thietmar de Mersebourg ainsi que, dans une moindre mesure, chez Rimbert, que l’on reconnaît une tendance à catégoriser les habitants à l’intérieur des agglomérations à caractère urbain. On sent chez eux le besoin de ne pas présenter les habitants de ces formes d’habitat comme des blocs homogènes. Chez les annalistes carolingiens, les habitants étaient certes classés en catégories fonctionnelles, mais elles ne formaient pas une différenciation à l’intérieur d’un même type d’habitat. Chez Widukind ou chez le chroniqueur dit Gallus Anonymus, les habitants des places fortes ont certes été catégorisés comme formant des groupes particuliers, mais ces groupes n’étaient guère ensuite subdivisés. L’auteur anonyme divisa la société au complet selon des modèles complexes, mais pas les sociétés urbaines. Malgré tout, on ne saurait dire qu’un environnement à caractère urbain ait créé chez nos auteurs un besoin excessif de catégoriser les individus. En effet, les descriptions les plus complexes et les plus détaillées ne concernent pas des populations urbaines, mais la société latere sensu. On ne peut repérer que de faibles traces, que de légères impressions d’une telle attitude. * Ainsi donc, on observe une évolution notoire au cours de la période étudiée. Aux IXe et Xe siècle, il était encore commun de nommer les habitants des centres par des termes vagues qui, en fait, ne les distinguaient pas des autres habitants de la contrée. Cependant, au début du XIe siècle, les habitants de certains centres obtinrent des adjectifs toponymiques collectifs, se référant explicitement aux endroits où ils demeuraient et auxquels ils étaient identifiés. Mais surtout, on observe des changements dans la manière de catégoriser les habitants. Les auteurs des IXe et Xe siècles ne concevaient pas d’opposition entre les populations domiciliées dans des centres à caractère urbain et les autres. Ce ne fut qu’au début du XIe siècle que l’on commença à percevoir une certaine forme de spécificité pour les premiers : elle était encore vague, mais concernait décidément des agglomérations précises auxquelles ces habitants furent associés. Ce n’est que dans une étape suivante que l’on se mit à différencier entre plusieurs catégories de personnes à l’intérieur d’une agglomération donnée. Tout cela nous indique une transformation progressive de la perception qu’avaient nos auteurs de la société dans laquelle ils vivaient et des personnes qui la composaient. Concernant cette perception et les catégories mentales qu’ils développèrent, les formes d’habitat jouèrent un rôle perceptible. Certes, le sentiment d’un mode de vie particulier des gens habitant les agglomérations resta diffus. Adam de Brême nous livre toutefois le témoignage expressif d’une vision subtile et complexe de la population du chef-lieu de la province à laquelle il appartenait.

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Différenciation spatiale et identité locale Ces considérations sur les modes de différenciation de la population et du rôle qu’y jouèrent les formes d’habitat nous amènent à une réflexion sur l’identité. Cette question difficile a déjà été effleurée à quelques reprises. L’apparition d’une conscience de la spécificité d’un mode de vie associé à des agglomérations et à un type d’habitat particulier est en effet inséparable du développement d’une certaine forme d’identification : habitants et habitat seraient perçus comme étroitement associés, engendrant un phénomène culturel distinct. Peut-on parler, du IXe au début du XIIe siècle, en Saxe, chez les Slaves, en Bohême ou en Pologne, d’une forme d’identité urbaine ? Peut-on croire que les habitants de certaines agglomérations s’identifiaient, ou furent identifiés, à leur civitas, à leur forteresse ou à leur emporium ? Question ardue s’il en est une, à cause principalement de la pauvreté de nos sources. Il importe tout d’abord de distinguer entre une identité perçue par les acteurs eux-mêmes et une identité qui fut projetée sur eux par d’autres personnes. Le premier cas ne peut être abordé, en ce qui nous concerne, que pour les auteurs de nos sources, exprimant leur façon de se percevoir eux-mêmes. Or, ces auteurs appartenaient tous à une même catégorie sociale, celle des clercs. Le second cas concerne un groupe plus vaste d’habitants : seulement, on ne saura jamais ce qu’ils ont pensé de cette identité qui leur fut attribuée. Malgré ces difficultés méthodologiques notables et les limites que nous impose la nature de nos sources, une analyse attentive nous révèle quelques indices sur l’apparition et le développement de formes d’identité reliée aux agglomérations, même si elles restèrent rudimentaires. Mais surtout, elles dévoilent une transformation substantielle des sensibilités qui accompagna les mutations de la société. On peut d’abord noter qu’aux temps carolingiens, de nombreux signes montrent un très faible lien d’identité des habitants par rapport à leur localité. On remarquera le flou du vocabulaire : le IXe siècle ne connaissait aucun terme spécifique pour désigner les habitants des places fortes ou des emporia. Alors que civis avait un sens abstrait, plus métaphysique ou littéraire que pragmatique, les habitants des agglomérations étaient décrits d’après leur fonction, qui partout était indépendante de leur lieu de résidence ou d’origine. Ainsi, les habitants des portus de Reric, de Birka et de Sliaswich furent connus comme des negotiatores : cette qualification s’attachait à leurs activités, à leur statut, mais aucunement à leur lieu de résidence. Les habitants des forteresses aux frontières furent désignés, à plusieurs reprises, par le terme collectif de praesidium : il s’agissait, encore une fois, d’une dénomination se référant à leur fonction, militaire dans ce cas. On pourrait ici, éventuellement, voir un certain lien d’identité entre les défenseurs et leur forteresse, puisqu’un praesidium se

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retrouvait normalement dans une place forte. Mais même en admettant cela, une forte réserve est appropriée. Les guerriers des garnisons, installés sur ordre du souverain, pouvaient être déplacés rapidement ; leur présence pouvait n’être que temporaire. Quant au mot même de praesidium, il se référait d’abord par son étymologie transparente à la sécurité, et que de manière indirecte, selon le contexte, à la forteresse. On aperçoit ensuite un premier changement, au Xe et au début du e XI  siècle, alors que se répandit le terme urbani. Cette fois-ci, la dénomination des habitants était reliée, non pas au rôle qu’ils jouaient ou à leur statut dans la société, mais bien, étymologiquement, à la topographie : les urbani étaient ceux appartenant à une place forte, à une urbs. On observe également un élargissement de la conception, puisque les urbani n’étaient pas, contrairement aux membres des praesidia, rattachés seulement aux forteresses des Francs ou Francs orientaux : ils se retrouvaient également chez les Slaves ou ailleurs. Peu importe où ils se trouvaient, ils étaient des « urbains », dans le sens où on l’entendait alors, dont l’identité était spatiale, et non plus fonctionnelle comme aux temps carolingiens. Toutefois, on notera que les urbani, identifiés de manière si limpide à leur urbs, n’habitaient pas nécessairement cette dernière : on se rappellera que certains indices laissent croire qu’on y comprenait peut-être aussi les habitants des alentours, se réfugiant dans l’enceinte en cas de danger. Cette évolution se poursuivit dans l’œuvre de Thietmar. L’évêque de Mersebourg fut en effet le premier à identifier explicitement des cives avec une civitas particulière, soit celles de Magdebourg et de Vyšehrad. Il différencia les cives, habitants des civitates, des concives, habitants du royaume. De plus, il identifia plusieurs habitants ou personnages avec des forteresses ou des localités, en leur donnant le nom de celle-ci : les Magadaburgienses, Misnenses ou Vethenici. Adam de Brême et Cosmas de Prague poursuivirent dans ce sens, mais de façon plus hésitante. Le chroniqueur dit Gallus Anonymus présente une situation particulière. Il utilisa des catégories non pas reliées aux activités ou aux fonctions des habitants, mais bien topographiques, spatiales. Les habitants des places fortes et castra furent identifiés, non pas au rôle qu’ils jouaient, mais bien à l’endroit d’où ils provenaient. Toutefois, il ne s’agissait toujours que des défenseurs, voire des guerriers originaires d’une civitas mais se retrouvant sur le champ de bataille. Leur identité les suivait même lorsqu’ils quittaient leur civitas. Pourquoi en était-ce ainsi ? On pourra penser que les bourgs fortifiés de la Pologne du début du XIIe siècle étaient différents des petites forteresses frontalières carolingiennes, dont les fonctions étaient sans doute purement militaires. Les forteresses polonaises pouvaient être également les résidences des souverains, sièges de l’Église, avoir des fonctions multiples. Bien que leurs habitants aient surtout été décrits en tenant compte de leur rôle dans la défense

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militaire, tout comme les garnisons des annales carolingiennes, on peut penser que les habitants de ces places fortes n’étaient pas uniquement des guerriers : rappelons la présence, mentionnée par le chroniqueur, d’un agriculteur à l’intérieur du suburbium de la Gniezno mythique. Mais généralement, plutôt qu’une différenciation selon des fonctions ou statuts encore mal définis et mal délimités, en proie à des changements continuels, il choisit une différenciation spatiale. Ségrégation et solidarité Est-il possible de savoir si les habitants, de diverses origines et de différents statuts, se côtoyant dans l’espace restreint d’une civitas, d’une forteresse ou d’un emporium, développèrent un sentiment d’identité commune, voire de solidarité ? Il est extrêmement difficile et délicat de répondre à une telle question. Toutefois, comme nous allons le voir, il est tout de même possible de dégager quelques indices. Rappelons tout d’abord un fait bien connu : les élites du Moyen Âge – laïques autant qu’ecclésiastiques – étaient caractérisées par leur grande mobilité. Les membres des hauts échelons de la hiérarchie ecclésiastique étaient régulièrement appelés à quitter le siège de l’institution à laquelle ils étaient rattachés : outre les conciles et autres assemblées du royaume53, ils devaient participer aux expéditions militaires54 et, bien sûr, faire la tournée de leurs diocèses55. Quant aux souverains et à leur entourage, ils passaient la majeure partie de leur temps sur la route, résidant dans leurs différents palais, chez les évêques, chez les abbés et chez leurs vassaux. Ces mouvements continuels n’affectaient pas seulement le mode de vie des princes de l’Empire franc et de ses royaumes successeurs, mais également ceux de Scandinavie, de Pologne, de Bohême et de Russie56. Les auteurs des sources étudiées étant tous liés à ces 53

G. Bührer-Thierry, Évêques et pouvoir dans le royaume de Germanie. Les Églises de Bavière et de Souabe. 876-973, Paris, 1997, p. 37-70, 78-138. 54 F. Prinz, Klerus und Krieg im früheren Mittelalter. Untersuchungen zur Rolle der Kirche beim Aufbau der Königsherrschaft, Stuttgart, 1971 (Monographien zur Geschichte des Mittelalters, 2), passim ; L. Auer, Der Kriegsdienst des Klerus unter den sächsischen Kaisern, dans Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung, 79, 1971, p. 316-407 et 80, 1972, p. 48-70 ; L. Santifaller, Zur Geschichte des ottonisch-salischen Reichskirchensystems, Vienne, 1954 (Österreichische Akademie der Wissenschaften, Philosophisch-historische Klasse, Sitzungsberichte, 229, 1. Abhandlung), passim. 55 N.  Ohler, Reisen im Mittelalter, Munich, 1988 (d’abord paru en 1986), p.  244-268  ; W. Georgi, Zur Präsenz und Tätigkeit der Bischöfe der Magdeburger Kirchenprovinz im slawischen Siedlungsgebiet (10. bis Mitte 12. Jh.), dans C. Lübke (éd.), Struktur..., op. cit., p. 257-272. 56 C. Brühl, Fodrum, gistum, servitium regis. Studien zu den wirtschaftlichen Grundlagen des Königtums im Frankenreich und in den fränkischen Nachfolgestaaten Deutschland, Frankreich und Italien vom 6. bis zur Mitte des 14. Jahrhunderts, Cologne et Graz, 1968 (Kölner historische

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réseaux d’élites, leurs déplacements fréquents devaient influencer leur perception des agglomérations où ils habitaient ou qu’ils visitaient de même que leurs populations. Les sources carolingiennes n’indiquent nulle part que leurs auteurs aient eu une conscience, même vague, d’une communauté identitaire des habitants d’une civitas, d’une place forte ou d’un portus. En aucun endroit, ces auteurs n’apercevaient un lien, même ténu, réunissant sous un dénominateur commun les habitants d’une localité selon leur lieu de résidence ou d’origine. Les habitants étaient uniquement différenciés selon leurs fonctions – marchandes, guerrières ou autres – et cette différenciation restait complètement indépendante de l’endroit où les personnes en question pouvaient se trouver. Si des marchands furent décrits à Reric, ce n’est pas parce que les habitants de l’emporium se devaient d’être des marchands, mais tout simplement parce que des marchands étaient présents à Reric. Certes, on ne saura jamais si ces marchands de Reric avaient un sentiment de solidarité locale avec d’autres habitants qui pouvaient s’y trouver, ou les guerriers des forteresses avec les artisans qui avaient pu éventuellement s’installer tout près. On peut toutefois se risquer à affirmer que, vu de l’extérieur, une telle solidarité communautaire n’existait pas dans les catégories mentales des annalistes et autres auteurs de l’époque carolingienne. Nous avons vu que la situation changea au Xe siècle avec la diffusion du terme urbani, qui avait un sens topographique. Cette fois, les habitants n’étaient plus différenciés selon leur statut ou métier : ce qu’ils avaient en commun, c’était de se trouver dans une forteresse, une urbs, et de la défendre. Cela, peu importe les catégories sociales auxquelles ils appartenaient, et qui, probablement, différaient. Rappelons ensuite la façon dont les auteurs décrivirent les urbani, formant un groupe compact, agissant ensemble, prenant des décisions : on voit donc qu’ils étaient considérés comme un groupe homogène. Certes, on se gardera d’affirmer qu’eux-mêmes avaient le sentiment de former un groupe solidaire, ce que l’on ne saura jamais ; malgré tout, la constatation sera permise que, vus de l’extérieur, ils étaient considérés comme tels. On peut toutefois penser que, en temps de danger menaçant pour tous, une

Abhandlungen, 14,1), passim ; R. Le Jan, La Société…, op. cit., p. 119 ; E. Ewig, Résidence et capitale pendant le haut Moyen Âge, dans Revue historique, 230, 1963, p. 25-72 ; J. W. Bernhardt, Itinerant Kingship and Royal Monasteries in Early Medieval Germany, c. 936-1075, Cambridge, 1993 (Cambridge Studies in Medieval Life and Thought), passim ; R. Schieffer, Von Ort zu Ort. Aufgaben und Ergebnisse der Erforschung ambulanter Herrschaftspraxis, dans C. Ehlers (éd.), Orte der Herrschaft. Mittelalterliche Königspfalzen, Göttingen, 2002, p. 11-23 ; H. C. Peyer, Das Reisekönigtum des Mittelalters, dans id., Könige, Stadt und Kapital. Aufsätze zur Wirtschaftsund Sozialgeschichte des Mittelalters, Zürich, 1982 (article d’abord paru en 1964), p. 98-115 ; id., Von der Gastfreundschaft zum Gasthaus. Studien zur Gastlichkeit im Mittelalter, Hanovre, 1987 (M. G. H. Schriften, 31), p. 146-219.

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forme de solidarité pouvait se développer : on prendra tout de même soin de noter que cela ne signifie pas qu’une telle solidarité ait existé le reste du temps. La manière discrète, voire distante avec laquelle Thietmar traita, dans sa chronique, des habitants laïcs de Mersebourg et de Magdebourg, a été notée. On peut y voir toutes sortes de raisons : certes, marchands, artisans et guerriers de garnison n’appartenaient pas au public du chroniqueur ; il s’adressait aux clercs et aux grands personnages de l’Empire, et c’est parmi eux que l’on doit chercher ses lecteurs ou auditeurs. L’évêque n’avait donc pas de raison particulière de s’attarder sur les personnages de moindre rang. Toutefois, et nous nous permettrons encore une fois d’insister sur ce point, Thietmar côtoyait quotidiennement à Mersebourg les marchands et autres habitants du chef-lieu de son évêché ; il en avait été de même à Magdebourg, où il avait habité et étudié. Malgré cela, il ne s’intéressa à eux que d’une manière on ne peut plus minimale. L’évêque de Mersebourg avait sans doute une vision du monde élitiste : originaire de la haute aristocratie saxonne, il était conscient d’appartenir aux classes supérieures de la société. En tant qu’évêque, il était intégré à un réseau de pouvoir, dont les ramifications s’étendaient à la grandeur du royaume. Un évêque de la haute société de Saxe se sentait solidaire avec l’aristocratie saxonne et avec les évêques du royaume, avec les membres de ces réseaux auxquels il appartenait, et avec lesquels il était en contact constant57. Ce sentiment de solidarité s’exprima, par exemple, dans les soins que Thietmar apporta à la memoria de ses confrères évêques défunts58. L’évêque ne devait en revanche aucunement se sentir solidaire de la communauté locale de l’endroit où il résidait la plupart du temps, Mersebourg. Or, il s’agit là d’une caractéristique fondamentale du comportement urbain, tel qu’il a été étudié par les sociologues dans les métropoles de l’ère industrielle59. De par le fait que, au travers de différents réseaux, l’habitant urbain a un accès privilégié à d’autres personnes partageant ses intérêts, il s’identifie tout d’abord avec celles-ci. Ses contacts s’effectuent avec des groupes reliés par des réseaux d’intérêts, qui ont comme caractéristique d’être dispersés dans l’espace. En conséquence, il peut se permettre une distance sociale envers les autres groupes, qu’il côtoie constamment, mais avec lesquels il ne partage aucun intérêt. L’habitant de la campagne, en revanche, ayant un accès limité à ces réseaux, de même qu’aux systèmes de communication, n’a pas les mêmes possibilités de s’intégrer à ces groupes dispersés : il a donc ten-

57

R. Le Jan, La Société…, op. cit., p. 177. H. Lippelt, Thietmar…, op. cit., p. 121-137. 59 H. Häußermann et W. Siebel, Stadtsoziologie. Eine Einführung, Francfort/M. et New York, 2004, p. 103-116 ; G. Simmel, Die Großstädte..., art. cit., passim. 58

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dance à se lier et à s’identifier avec ceux avec qui il est en étroit contact, au niveau local. Cette comparaison peut aider à mieux comprendre l’attitude de Thietmar : proximité spatiale, dans un environnement urbain, ne signifie pas proximité sociale. Bien que les sources nous manquent, on peut penser que les autres groupes habitant les civitates, en particulier les marchands qui, bien sûr, faisaient eux-mêmes partie de réseaux avec des contacts lointains, partageaient des sentiments similaires. Certes, cette similitude potentielle entre l’attitude d’un évêque saxon du début du XIe siècle et celle des habitants des métropoles du XXe siècle doit être attribuée à des conditions de vie complètement différentes, et il ne s’agit pas de faire une comparaison indue entre des formes d’habitat et des sociétés très différents. On se permettra tout de même de constater dans les deux cas une forme de comportement que l’on pourrait caractériser, dans sa société respective, comme urbaine, puisque distinguant les habitants des agglomérations centrales de tous les autres. Contrairement à Thietmar, Adam exprima avec la « tragédie de Brême » une forme de solidarité de toutes les personnes habitant et fréquentant le chef-lieu de la province, face aux injustes exactions d’Adalbert. Rappelons sa formulation : Cerneres eo tempore lamentabilem Bremae tragoediam in afflictionibus civium militumque ac mangonum, item, quod gravius erat, clericorum et sanctimonialium60. On voit donc ainsi réunis tous les habitants et résidents potentiels de Brême, tous également présentés comme des victimes de la « tragédie », des injustices décrites par Adam : exactions exagérées, exploitation, usage indu de la force. Cela avait des conséquences touchant tous les habitants de l’agglomération, menant à ce que les cives quittent la civitas et que le marché se vide. Rappelons qu’Adam, avec son œuvre, cherchait avant tout à donner un modèle de conduite au nouvel archevêque, Liémar, arrivé depuis peu à Brême. Il voulait donc, avec cette scène tragique, montrer un exemple négatif, celui à ne pas suivre, celui d’un archevêque qui, à cause de ses exactions, faisait fuir les marchands et les cives. Nous avons déjà vu l’importance centrale qu’avaient, pour Adam, les marchands dans le cadre d’un des thèmes centraux de son œuvre, la mission dans les régions lointaines d’Europe du Nord. Il était donc apparemment important que le nouvel archevêque tienne compte de ces groupes, de ces réseaux, s’il voulait mener à bien les objectifs de la mission. Il y avait un intérêt à se lier à ces groupes, ce qui n’était peut-être pas si évident pour un aristocrate saxon nouvellement nommé à l’un des plus hauts postes du royaume. Ajoutons qu’un archevêque avait le devoir moral de se préoccuper de tous ceux soumis à sa juridiction.

60

Adam, op. cit., 3,58, p. 204. Voir H.-W. Goetz, Constructing…, art. cit., p. 39.

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Il est toutefois important de noter que ce sentiment de solidarité fut exprimé avec le plus de clarté dans une situation d’insécurité : c’est souvent dans une telle situation que les habitants d’une agglomération sont présentés comme solidaires. C’était également le cas, peut-on penser, lorsqu’une forteresse était attaquée par les armées ennemies. Volker Scior a démontré qu’Adam s’identifiait avant tout avec son archevêché, et cela particulièrement dans des situations de conflits, par exemple avec d’autres archevêchés. Adam avait, selon Scior, tendance à s’identifier à des groupes de dimensions réduites : à Hambourg-Brême plutôt qu’à l’Église en général, à la Saxe plutôt qu’à l’Empire, à la Nordalbingie en particulier plutôt qu’à la Saxe au complet61. On voit donc que cette tendance à l’identification au niveau local se refléta dans sa perception des habitants de Brême. * Comme nous l’avons vu, l’identité attribuée aux habitants des agglomérations ou vécue et sentie par ceux-ci est loin d’être homogène dans les périodes et les espaces faisant l’objet de cette étude. Bien que nous n’ayons accès qu’à des témoignages limités et fragmentaires, il est indéniable que des changements d’attitude se produisirent, qu’il est possible de reconnaître dans leurs grands traits et d’attribuer à des catégories distinctes. On peut en effet observer différentes étapes dans le développement d’une identité reliée à une civitas, à une place forte ou à un emporium. Dans un premier temps, caractéristique de la période carolingienne, nous avons vu une différenciation fonctionnelle des habitants, mais sans rapport avec leur lieu de résidence. Dans un deuxième moment, on constate l’apparition d’une nouvelle forme de catégorisation, fondée non plus sur le rôle ou le statut, mais sur l’appartenance à un groupe identifié à une localité. Dans une troisième et dernière étape, on réalise une différenciation fonctionnelle à l’intérieur d’un groupe identifié par son appartenance locale. En Saxe, on peut observer pendant la période étudiée, entre le IXe et le e XI  siècle, un passage progressif au travers des trois étapes. Chez les Slaves, la situation est plus délicate car nous n’avons que des témoignages provenant de l’extérieur. La situation est semblable à celle de la Saxe, mais cela est dû à la perception des auteurs francs plutôt qu’à celle des personnes concernées. En Pologne, on en était en revanche au début du XIIe siècle encore à la deuxième étape. * Nous avons vu que les auteurs de la période étudiée ne possédaient pas de catégories lexicales particulières pour désigner les habitants des campagnes en opposition à ceux des agglomérations, mis à part le terme encore rare de vil61

V. Scior, Das Eigene..., op. cit., p. 135-137.

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lani. Le rôle militaire des habitants des centres est mieux connu, étant beaucoup plus souvent mis en avant dans les chroniques. Les guerriers et défenseurs des fortifications se divisaient en deux catégories : on retrouvait d’abord les praesidia, des garnisons formées de guerriers installés par le souverain, souvent provenant de régions éloignées, en général aux frontières du royaume ; ensuite, on rencontra les urbani, catégorie plus vaste, n’englobant sans doute pas seulement les guerriers de la garnison, mais également les libres et les dépendants soumis au burgbann. Enfin, on retrouva le praefectus, représentant du souverain aux diverses fonctions, accompagné ou non d’une garnison. Les sources témoignent de l’existence de marchands à la fois dans le cadre d’un réseau international établi le long de des côtes des mers du Nord et Baltique et d’un réseau continental, comprenant des marchands juifs, ayant comme points d’appui principaux les grandes civitates épiscopales. Dans les deux cas, les marchands résidaient dans ou tout près des centres, emporia ou civitates. Les cives sont en général dans nos sources les habitants d’un royaume, d’une région, peu importe leur statut. Ce n’est que chez Thietmar, chez Bruno de Querfurt et chez l’auteur anonyme de Pologne que le terme prit un sens local et topographique, lié à la civitas. Mais dans ces deux cas, il est à noter que civis ne s’appliqua pas spécifiquement à une catégorie sociale. Les changements dans les habitudes linguistiques indiquent que l’on a pris conscience, au début du XIe siècle, d’une certaine spécificité des habitants des agglomérations, forteresses ou emporia, par rapport aux autres. Ils obtinrent une identité propre. On voit également les premiers balbutiements d’une « conscience urbaine » apparaître, alors que l’on identifia les habitants des agglomérations comme une catégorie spatiale et sociale, qui fut ensuite elle-même subdivisée en catégories. Il est intéressant de noter que des désignations spécifiques pour les habitants des centres à caractère urbain se développèrent bien avant celles s’appliquant aux habitants des campagnes. Ceux-ci sont restés au long de notre période à de rares exceptions près indéfinis. Certes, les regroupements d’habitat avec concentrations d’habitants devaient certainement retenir plus l’attention. Mais il est un aspect que l’on ne doit pas perdre de vue : les agglomérations étaient sans doute constituées d’un noyau d’habitants plus ou moins stable résidant sur place ; toutefois, ce qui caractérisait avant tout ces endroits, c’était la présence temporaire et variable de très nombreuses personnes. Les paysans habitaient les environs mais se rendaient à la forteresse pour aller au marché, ou pour s’y réfugier en temps de danger ; les garnisons pouvaient être déplacées au gré du souverain ; les souverains, aristocrates et les membres du clergé étaient très mobiles, devant se déplacer pour les opérations militaires ou les différentes assemblées ; les marchands étaient, de par leurs activités, de grands voyageurs. Que faut-il en conclure ? Les civitates, forteresses et portus formaient des îlots où se concentrait une population hétéroclite, mais surtout

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mobile, toujours en mouvement. Les centres urbains n’étaient pas tant des endroits où se côtoyaient dans la promiscuité des habitants de différentes catégories sociales : ils étaient avant tout des lieux de rencontre pour des personnes de toutes origines, sociales et géographiques. Cette mobilité des habitants urbains de la période étudiée est à la fois ce qui les distingue et ce qui les rapproche de ceux des grandes villes de la période industrielle. Ce qui les distingue, parce que les citadins de l’ère contemporaine, trouvant tout ce dont ils ont besoin près de chez eux, ont tendance à rarement quitter la ville où ils demeurent62. Ce qui les rapproche, car cette mobilité des populations urbaines du haut Moyen Âge a comme conséquence l’habitude, comme dans les grandes villes d’aujourd’hui, de fréquenter des personnes inconnues, étrangères, d’autres catégories sociales. Dans les deux cas, cela peut mener à ces phénomènes urbains observés par les sociologues : distanciation sociale malgré la proximité spatiale, catégorisation des individus. On peut lire dans les manuels sur l’histoire urbaine du Moyen Âge qu’une identité et une identification urbaine se développèrent avec l’apparition de la commune, qui alla de pair avec la diffusion, à partir de la seconde moitié du XIe siècle en Europe du Nord-Ouest, de termes comme burgenses, les « bourgeois » des villes jouissant d’un droit particulier63. Henri Pirenne avait vu dans les premières dénominations désignant les habitants urbains un sens « topographique »64. Nous avons pu démontrer que se développa au centre de l’Europe, bien avant la diffusion du mouvement communal, une forme d’identification spatiale des habitants avec les agglomérations, certes topographique, mais, au-delà de cela, globale, signalant une spécificité commune de ces habitants, différente de celle des autres. Certes, cette forme d’identité était encore vague et hésitante, mais elle était bien présente.

62

Les déplacements des citadins sont surtout au niveau intra-urbain. Voir J.-L. Pinol et F. Walter, La Ville contemporaine…, cité p. 9, n. 3, p. 97-106 ; J. Beaujeu-Garnier, Géographie…, op. cit., p. 227-229. 63 E. Ennen, Frühgeschichte…, op. cit., p. 179-188. 64 H. Pirenne, Les Villes..., op. cit., p. 340.

CONCLUSION

D

ans les deux premiers chapitres de cette étude, il a pu être démontré que le discours des sources latines portant sur les formes d’habitat d’Europe centrale et nordique connut des changements majeurs entre le milieu du VIIIe et le début du XIIe siècle. Confrontés à des situations semblables – caractérisées par l’absence de tradition romaine – , les auteurs réagirent de manières différentes. Certains – comme les auteurs des Annales royales franques ou, beaucoup plus tard, le chroniqueur dit Gallus Anonymus – opérèrent une différenciation conceptuelle entre une civitas du centre – l’Empire franc ou le royaume polonais – , riche en associations évocatrices, et une civitas de la périphérie – chez les Saxons, chez les Slaves ou en Poméranie – réduite à sa plus simple expression, à des fonctions purement militaires. D’autres, au contraire, comme les auteurs des récits de translations de reliques vers la Saxe, se refusèrent catégoriquement à employer des termes comme urbs et civitas lorsqu’ils traitaient de contrées hors du territoire de l’ancien Empire romain. Au cours des siècles suivants, cependant – et cela est particulièrement visible pour la Saxe ottonienne – on effectua un rapprochement entre les différents concepts. On vit donc apparaître une nouvelle conception de l’urbs, de la civitas, aux fonctions plus simples que celles des villes romaines, mais décidément plus complexes que ce que l’on avait pu décrire comme de modestes places fortes. Les caractéristiques omniprésentes de cette nouvelle image de la civitas étaient devenues les fortifications et les fonctions résidentielles. Ces deux aspects n’étaient toutefois pas les seuls à avoir été associés à des agglomérations à caractère urbain. Les caractérisations des formes d’habitat, conférant à certaines d’entre elles un aspect distinctif, peuvent être séparées entre celles à tendance objective et celles à saveur subjective. Parmi les aspects objectifs, on retrouvait les fortifications et la distinction de plusieurs parties des agglomérations. Décidément plus subjectifs étaient les aspects touchant à la nature et à la fertilité, aux édifices impressionnants, aux richesses et à l’abondance, au fait qu’une localité donnée ait été belle et illustre. Ce sont surtout les associations subjectives qui conférèrent au phénomène urbain ses particularités et c’est grâce à elles que se développa une nouvelle image de l’urbs, de la civitas. Bien que les caractéristiques de la ville soient restées, entre Antiquité et Moyen Âge, étonnement stables dans le discours littéraire, on peut observer un glissement des priorités. Alors que richesses et notoriété, églises et commerce n’avaient eu qu’un rôle secondaire dans les descriptions antiques, elles obtinrent des places de premier choix pour les agglomérations

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conclusion

de l’ancien barbaricum. En revanche, les associations avec la culture et l’érudition perdirent leur intérêt. L’étude des formes d’habitat à l’aide de l’archéologie a démontré que derrière le vocabulaire assez uniforme des sources latines se cachait une multiplicité de réalités. Les forteresses des Saxons avant la conquête franque sont encore mal connues, mais on peut à tout le moins retenir qu’elles se trouvaient généralement en hauteur, positionnées sur le sommet de collines ou de pics rocheux qui ne pouvaient que leur donner un aspect impressionnant. Les places fortes frontalières des Francs semblent avoir eu des fonctions surtout militaires. Quant aux fortins circulaires des Slaves, ils se caractérisèrent par leurs dimensions comparativement modestes et par le fait qu’ils étaient, à ce qu’il semble, habités en permanence. Les emporia de la mer Baltique réunissaient certes en leur sein une multiplicité de fonctions, mais étaient tout de même encore peu impressionnants quant à leur morphologie. Ce n’est que tardivement qu’ils furent entourés de fortifications. Enfin, c’est surtout à partir de la fin du Xe et au XIe siècles que se développèrent, autant en Saxe, en Pologne et en Bohême que chez les Slaves de l’Elbe des complexes multipartites morcelés, comprenant des enceintes, des basses-cours et des agglomérations non fortifiées réunies en des ensembles souvent lâches et dispersés. Les catégories utilisées par les auteurs des sources latines ne correspondent pas toujours à l’image offerte par l’archéologie. On perçoit une multiplicité de formes et de fonctions dont les sources écrites ne rendent pas compte. Celles-ci proposent en outre parfois une vision déformée, comme en témoigne l’impression d’unité des différentes parties des agglomérations qui se dégage à partir de la fin du Xe siècle, alors que ces mêmes agglomérations sont caractérisées par leur morcellement topographique. L’habitat de l’époque carolingienne était caractérisé par son éparpillement. D’une part existaient des emporia ou portus dans les régions maritimes, dont les fonctions se limitaient à peu près à des activités économiques. D’autre part, on retrouvait dans leur hinterland des civitates ou castella : c’étaient avant tout des forteresses – notons que la notion de district territorial désigné par le terme civitas avait disparu des sources latines – qui pouvaient certes avoir des fonctions différenciées, mais dont les auteurs francs ne percevaient que l’aspect défensif. Aux Xe, XIe et au début du XIIe siècle eut lieu une intégration des éléments dispersés de l’habitat. Alors que la distinction entre emporium et civitas fut estompée par l’ajout de fortifications aux sites portuaires et par le développement de faubourgs d’artisans dans les environs des forteresses, les différences entre les anciennes villes romaines et les nouvelles agglomérations devinrent moindres – ce qui fut accentué par le fait que la majorité des auteurs des sources de notre corpus vivaient dorénavant dans les régions à l’est du Rhin. Les différences de perception entre Cosmas de Prague et le chroniqueur dit

conclusion

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Gallus Anonymus démontrent de manière flagrante à quel point l’image projetée était toujours fortement dépendante des intentions des auteurs. Les deux derniers chapitres de cette étude ont été consacrés aux habitants des agglomérations. Les actes de la pratique nous informent sur les conditions de vie des paysans – entre autres sur le fait qu’en Francie orientale, paysans libres et non libres avaient souvent l’obligation d’entretenir les forteresses, tout en ayant le droit de s’y réfugier en temps de danger. Toutefois, sauf dans la chronique de Cosmas de Prague dans laquelle ils ont été désignés comme des villani, les paysans ne formèrent jamais une catégorie présentée en lien avec une forme d’habitat. Les fonctions défensives des agglomérations fortifiées étant fortement accentuées dans les sources de l’époque étudiée, on ne s’étonnera guère que les guerriers aient formé une catégorie d’habitants ayant régulièrement attiré l’attention. Les termes utilisés pour les désigner varièrent selon les auteurs et les contextes. Les auteurs carolingiens connaissaient principalement des garnisons appelées praesidia, mentionnés surtout dans les forteresses frontalières franques. Au Xe siècle apparut une nouvelle catégorie désignée par le terme urbani : ceux-ci étaient toujours présentés comme les défenseurs des forteresses, mais contrairement aux guerriers des praesidia du siècle précédent, ils étaient accompagnés de femmes et d’enfants ; en outre, on les retrouvait autant en Francie orientale que dans les places fortes des Slaves. L’emploi parallèle des concepts de praesidia et d’urbani que fit au début du XIe siècle Thietmar de Mersebourg laisse supposer qu’il s’agissait réellement de deux catégories distinctes – dans le premier cas, de simples garnisons de guerriers installés temporairement, dans le second de défenseurs comprenant également la population des alentours de la place forte. En outre, on recontrait en divers endroits des personnages désignés comme des praefecti – il s’agissait en général de représentants du souverain, occupant des fonctions militaires et administratives. Le chroniqueur dit Gallus Anonymus laissa entrevoir un système complexe d’administration centré autour des forteresses de Pologne, bien que son interprétation reste délicate. Des marchands furent également mentionnés en plusieurs endroits – d’abord dans les emporia de la mer Baltique puis dans les civitates et urbes du continent. S’ils étaient beaucoup plus présents dans les sources décrivant les espaces côtiers, cela est apparemment dû au moins en partie à une attitude différente des auteurs les décrivant. Alors que les commerçants jouaient un rôle fondamental dans le cadre des activités missionnaires de l’archevêché de Hambourg-Brême, les ecclésiastiques d’autres régions n’avaient guère de raison de s’intéresser à eux. En outre, si les marchands formaient une catégorie incontournable d’habitants dans des sites désignés comme des emporia, leur présence ne devait aucunement être constitutive de la population des chefslieux d’évêchés et des forteresses que les auteurs appelaient urbes ou civitates.

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Alors que le terme cives n’avait, chez les auteurs carolingiens et jusqu’au Xe siècle, qu’un sens vague sans lien avec une catégorie quelconque d’habitat, on constate que les cives formèrent depuis le début du XIe siècle un groupe particulier associé aux civitates. Selon toute apparence, les cives étaient les habitants de ces dernières agglomérations, et ils comptaient sans doute parmi leurs rangs, en proportion notable, des marchands. La différenciation sociale attestée par les sources archéologiques est généralement minime. Le degré de spécialisation des artisans ne semble généralement pas avoir été très élevé. Les élites résidant dans les places fortes ne se sont pas toujours distinguées par un mode de vie ostentatoire hors du commun. Dans les emporia, des groupes privilégiés se laissent repérer par des rites funéraires particuliers ; pourtant, les recherches archéozoologiques indiquent que la différenciation sociale à l’intérieur des agglomérations n’était pas très marquée et que les conditions de vie ne furent longtemps pas très différentes de celles régnant dans des habitats ruraux. C’est toutefois l’archéozoologie qui nous indique que les habitants de certaines forteresses se nourrissaient de viande livrée par les paysans des environs – donc, qu’il y avait là réellement une forme de distinction sociale. Il semble que l’érection de forteresses ait généralement été un marqueur de distinction des élites – bien que la distance entre celles-ci et le reste de la population ne doive pas être exagérée. Si une distinction supplémentaire a sans doute pu être effectuée par la division de l’espace à l’intérieur des agglomérations entre diverses catégories d’habitants, elle se laisse rarement reconnaître avec certitude dans les restes matériels qui nous sont parvenus. Les sources écrites témoignent d’un long processus, au cours de la période étudiée, de prise de conscience d’une spécificité de la population des agglomérations. Alors que les auteurs carolingiens distinguaient les habitants en catégories fonctionnelles, mais jamais en lien avec les formes d’habitat qu’ils habitaient, on vit apparaître aux Xe et XIe siècle des catégories explicitement liées à des types d’agglomération – les urbani défendant les urbes, les cives habitant les civitates. Ce n’est que lentement que fut ensuite perçue une distinction supplémentaire, différenciant des catégories d’habitants à l’intérieur de la population des agglomérations. * Suite à cette analyse, il est maintenant possible de retourner avec toutes les cartes en main au triangle sémiotique présenté au début de l’étude. Le référent L’archéologie révèle pour la période étudiée plusieurs formes d’habitat se distinguant, d’une manière ou d’une autre, d’un habitat purement rural.

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D’une part, on retrouvait des sites portuaires où se concentraient des activités artisanales et commerciales. D’autre part existèrent plusieurs types d’habitat fortifié : simples forts pour des garnisons de guerriers, fortins circulaires, forteresses princières ou complexes multipartites. L’apparition de ces types d’habitat démontre certes une certaine forme de distinction sociale, exprimée par le fait d’habiter dans les fortifications, de s’adonner à des activités nombreuses ou variées, ou encore de vivre des redevances de la population environnante. Toutefois, cette différenciation resta généralement, dans les sociétés ayant fait l’objet de notre enquête, relativement minime. En outre, les dimensions des agglomérations dont il a été question sont partout restées fort modestes. Est-il légitime de désigner ces localités comme des villes ou comme des agglomérations urbaines  ? La majorité des archéologues considèrent aujourd’hui une telle dénomination comme abusive. Les établissements de ces périodes n’atteignirent jamais des dimensions justifiant de les désigner pleinement comme des villes. Seule une définition économique minimale – leurs habitants étant dépendants de ressources provenant de l’extérieur – a permis à certains chercheurs de désigner les emporia comme des villes. On considère généralement – comme le fait Sebastian Brather – qu’il s’agissait en fait d’un état intermédiaire, proto-urbain ; Sławomir Moździoch voit des « centres proto-urbains » (ośrodki wczesnomiejskie) dans des ensembles organiques formés de fortins et d’agglomérations non fortifiées situées dans les environs ; Jerzy Piekalski ne considère comme appartenant réellement au fait urbain que les « complexes polycentriques » (policentryczne zespoły) de la phase précédant immédiatement celle des villes de fondation. Tous s’entendent cependant pour affirmer que les forteresses des Slaves n’étaient pas des villes1. La forme Les auteurs des sources étudiées décrivirent néanmoins ces agglomérations avec un vocabulaire empreint d’images urbaines. Ainsi, les fortins des Slaves ou les forts frontaliers des Francs ont été implicitement comparés aux villes romaines lorsqu’ils étaient désignés comme des civitates ou urbes. Mais il y a plus qu’un simple usage que l’on pourrait caractériser comme simplement inapproprié. Aux termes latins s’ajouta peu à peu tout un ensemble de conceptions rappelant l’univers urbain de la civilisation antique. Il ne fait guère de doute qu’on attribua à des formes d’habitat n’ayant rien à voir avec les villes romaines des aspects évoquant inévitablement des agglomérations urbaines. 1 Contrairement à ce qui a déjà été la communis opinio. Voir P. Francastel (éd.), Les Origines des villes polonaises, Paris et La Haye, 1960 (Congrès et colloques, 2), passsim.

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Ces attributs sont reflétés de manière particulièrement expressive dans les éléments subjectifs et littéraires utilisés pour les décrire – qu’il se soit agi de sièges épiscopaux, d’emporia, de simples forteresses ou de complexes multipartites. La filiation avec la tradition des descriptions et laudes urbium antiques – malgré des déplacements d’accents témoignant de certaines spécificités – apparait clairement. Est-ce que les établissements décrits de cette manière étaient des villes ? On peut probablement répondre par l’affirmative en ce qui concerne les conceptions des auteurs contemporains. Certes, ce que les auteurs des sources comprenaient comme étant des « villes » était sans l’ombre d’un doute très différent de ce que nous entendons par ce terme. À leur époque, la civilisation urbaine de l’Empire romain avait cessé d’exister depuis longtemps et leurs points de référence ne pouvaient qu’être diffus. Toutefois, on constate que la tradition culturelle de la ville s’était préservée, s’était transformée et s’était adapté à une nouvelle réalité. La ville était restée une forme d’habitat se distinguant de son environnement. Ce que les auteurs décrivant les contrées d’Europe centrale et nordique avant la propagation de l’autogouvernement urbain concevaient comme des villes était avant tout un phénomène culturel. Le sens Le sens est influencé à la fois par la forme et par le référent. Ainsi, l’habitat proto-urbain des contrées à l’est du Rhin fut décrit avec des concepts se référant à une tradition culturelle urbaine. Les formes d’habitat dépeintes dans les sources latines ne correspondaient cependant plus à ce qu’avaient désigné à l’origine les termes employés. Les catégories usitées devaient être adaptées – et elles l’ont été. Ce qui conféra à ces établissements un caractère urbain, ce n’est certainement pas seulement une division économique de la population dont ils étaient à la fois la conséquence et le symbole. Ce sont également les connotations que leur avait conféré une longue tradition culturelle. Il importe en effet de distinguer entre le sens dénotatif, ou sens en langues, qu’il est possible de décrire avec des critères objectifs, et le sens connotatif, ou sens en emploi, se référant à la tradition culturelle. Si le sens dénotatif peut se satisfaire de références à la matérialité des agglomérations – il se serait agi de sites fortifiés, axés sur le commerce et l’artisanat, ou encore multipartites – , le sens connotatif souligne que lorsque les termes désignant ces objets étaient utilisés, les auteurs sous-entendaient une série d’impressions souvent subjectives – l’endroit jouissait d’une certaine notoriété, possédait un surplus de richesses, était impressionnant. Est-ce que les urbes et civitates, voire les emporia et portus de ces espaces nouvellement intégrés à l’orbe culturel latin pourraient après tout être considérés comme des villes ? En fait, difficilement. Certes, ces agglomérations

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furent apparemment perçues comme des villes par les auteurs qui les décrivaient, mais la réalité qu’ils dépeignaient était trop éloignée d’un habitat que nous considérerions comme réellement urbain pour mériter pleinement une telle appellation. Cela mènerait à des malentendus et évoquerait de fausses impressions : bref, cela ne rendrait pas justice à la spécificité des sociétés dont il est question. Il est sans doute plus sage, comme le recommande la géographe Jacqueline Beaujeu-Garnier, de parler de « phénomène urbain ». Il s’agit d’une réalité importante de chaque société, jouant un rôle marquant mais selon des paramètres différents dans chacune d’elles. On pourrait aussi évoquer, comme le fait Sunhild Kleingärtner pour les emporia de la mer Baltique, un processus d’ « urbanisation », soulignant le caractère dynamique du phénomène plutôt que les caractéristiques intrinsèques des formes d’habitat2. Certes, il est fort délicat, voire inapproprié, de désigner les établissements du haut Moyen Âge dans leur matérialité concrète et individuelle comme des villes. Toutefois, on ne peut guère nier que l’attribution de caractéristiques ayant leur racine dans une tradition culturelle urbaine et poursuivant celle-ci tout en l’adaptant constitue un phénomène se rattachant à l’histoire urbaine – ce phénomène est un avatar de l’histoire urbaine qui ne pouvait se réaliser que dans des conditions particulières, celles qu’offrit l’Europe centrale et nordique du haut Moyen Âge, sans passé romain mais décrite par des auteurs plongés dans la tradition culturelle antique. Mettre en avant un « phénomène urbain » – ou, pour être plus précis, un « phénomène proto-urbain » – permet en outre de souligner qu’il s’agit de plus que d’une simple forme d’habitat qui, après diverses étapes, aurait fini par devenir une ville – ou d’un phénomène d’urbanisation conçu comme un processus évolutif et irrévocable. C’est également un véritable phénomène social aux multiples facettes – économique, politique, démographique, topographique, culturelle – façonnant les sociétés et les modes de vie. * L’approche choisie pour cette étude a pu, nous le croyons, mettre en évidence les contradictions des recherches historiques sur les origines des villes qui reposaient sur des prémisses théoriques peu claires, ne distinguant pas suffisamment entre conceptions modernes et conceptions des contemporains, de même que ne tenant pas compte de l’influence de traditions culturelles complexes. La présente étude n’aurait pas été possible sans le renouvellement des recherches archéologiques des dernières décennies, ni sans l’approche raffinée et dénuée de préjugés d’une nouvelle génération d’historiens et archéo2

S.  Kleingärtner, Die frühe Phase..., cité p. 236, n. 90, p.  93-95  ; S.  Kleingärtner et A. Tummuscheit, Zwischen..., art. cit. p. 244.  

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logues allemands, polonais et tchèques. Cependant, il a pu être démontré à quel point il est fondamental, afin de parvenir à un dialogue fructueux entre archéologues et historiens, de tenir compte avec acribie des spécificités intrinsèques des catégories de sources et de leur interprétation, ainsi que d’approches critiques de l’herméneutique historique. Il semble donc qu’il valait le coup de ré-ouvrir un dossier que l’on aurait pu croire dépassé3. Au regard des résultats de cette étude, il apparait futile de vouloir définir de manière objective la « ville » du haut Moyen Âge européen. Henri Pirenne a certes vu juste en jaugeant le degré d’urbanisation des agglomérations de l’époque carolingienne comme étant très modestes. Il n’avait sans doute pas complètement tort de conclure qu’il serait inapproprié de désigner les établissements de cette période comme des villes. Toutefois, on constate qu’il est un aspect dont il n’avait pas tenu compte – celui de la tradition culturelle. Or, il s’agit sans doute de l’élément reliant le plus fortement les agglomérations de cette époque au phénomène urbain – un élément auquel allaient s’ajouter d’autres aspects dans les siècles suivants. Quant à Walter Schlesinger, on pourrait penser qu’il surestima le sens dénotatif des termes qu’il étudia – ce qui fut sans doute une conséquence du fait qu’il appuya ses interprétations sur des analyses de gloses donnant des équivalents en langue vernaculaire des termes latins. Il ne tint aucunement compte du sens connotatif, tout comme il se désintéressa complètement des aspects subjectifs exprimés par les auteurs des sources. * Stéphane Lebecq a pu démontrer, dans ses études sur le phénomène urbain du Nord-Ouest de l’Europe au haut Moyen Âge, que la période caractérisée par les emporia de la mer du Nord, témoins d’une société vivant un long processus de transformations, fut suivie par un retour en force des anciennes villes de Gaule4. Revitalisées, ce furent surtout ces dernières qui concentrèrent en leur sein le renouveau urbain des Xe et XIe siècles. Après une période d’instabilité des formes d’habitat, les localités avec une tradition ancienne et une concentration d’institutions s’avérèrent plus pérennes.

3

On pense surtout aux études magistrales des historiennes Edith Ennen et Marie Bláhová. Alors que les travaux d’Ennen tenaient peu compte des traditions culturelles et littéraires, l’étude de Bláhová se limita à une analyse du vocabulaire. Les nombreux volumes collectifs parus au cours du dernier demi-siècle concernent généralement presque uniquement l’archéologie, sans reprendre le dossier de la définition de la ville dans une optique interdisciplinaire. 4 S. Lebecq, Le Devenir…, cité p. 50, n. 1, passim ; id., Aux origines du renouveau urbain sur les côtes de l’Europe du Nord-Ouest au début du Moyen Âge ? Les emporia des mers du Nord, dans R. Hanoune (éd.), Les Villes romaines du Nord de la Gaule. Vingt ans de recherches nouvelles, Lille, 2007 (Collection Art et Archéologie. Revue du Nord. Hors-Série, 10), p. 485-491.

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Un tel développement n’était guère possible dans les contrées au centre et au nord de l’Europe, où des agglomérations aussi anciennes n’existaient pas. Pourtant, on constate que là aussi, la période des emporia de la mer Baltique ne fut que passagère. En fait, ce qui se produisit ne fut pas tant que les civitates du hinterland attirèrent à elles la vitalité économique et sociale de ces contrées, mais plutôt que la distinction entre les deux catégories diminua peu à peu. Ainsi, des sites comme ceux de Kołobrzeg ou de Wolin/Iumne, qui au IXe siècle auraient pu être désignés comme des emporia ou comme des portus, furent aux XIe et XIIe siècles d’emblée présentés comme des civitates. * Malgré toutes les réserves nécessaires, il a pu être constaté que la période précédant celle des villes de fondation connut réellement des agglomérations participant à ce qu’il est possible d’appeler un phénomène urbain. Cette évolution fut toutefois rompue abruptement par l’arrivée des colons occidentaux, l’installation de villes autonomes et les transformations sociales initiées par les autorités locales, créant un statut juridique différent pour les habitants accompagné de changements sociaux et topographiques radicaux. L’autogouvernement urbain qui a tant fasciné Max Weber transforma le visage du phénomène urbain autant que la société dans laquelle il s’intégrait. Malheureusement, nous ne saurons jamais ce qui serait advenu des formes d’habitat si la fusion entre l’habitat du haut Moyen Âge et les conceptions urbaines antiques s’était poursuivie sans être interrompue par cette deuxième « révolution dans l’habitat ».

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INDEX Abbon de Saint-Germain († après 921) 187 Abodrites 35 (carte), 36 (carte), 37, 40, 58, 98, 105, 108, 159, 160, 210, 217-218, 257, 272, 285, 290, 313, 332 Adalbert, évêque de Prague (983-997) 104, 114, 119, 158, 166 Adalbert, archevêque de Hambourg-Brême (1043-1072) 105, 107-108, 145, 154, 156, 169, 172, 176-177, 289, 302, 348 Adalbert de Laon († 1031) 341 Adalwin, archevêque de Salzbourg 82 Adam de Brême († vers 1081) 105-111, 113, 125126, 135, 138-139, 141, 144-146, 149, 154162, 165-167, 169, 171-173, 175-177, 179-182, 185, 188, 256-258, 263, 275, 281, 289, 291294, 301-302, 306, 331, 338, 339, 340, 342, 344, 348-349 Aethelhard, évêque de Cantorbéry 62 Aix-la-Chapelle 13 (carte), 49, 60-61, 74, 131133, 142, 150, 167-168, 171, 181, 187, 190, 336 Alcuin († 804) 62-65, 185, 296-297, 336 Aldrich, évêque de Paderborn 68 Alebrand, aussi appelé Becelin, archevêque de Hambourg-Brême (1035-1043) 106, 169 Alexandre, saint 71, 73, 301 Alsleben 140 Alster 106, 145 Alt Lübeck 35 (carte), 108, 217-218, 257, 261, 323 Amelung († 962), évêque de Verden 152 Amiens 72 Andernach 74 Anglo-Saxons, 62, 64, 65, 296 Anonyme de Paderborn 49, 69-71, 97, 133-135, 254 Ansgar († 865) 76-78, 106, 244 n. 115, 281-282, 290, 292 Anund, roi des Svear 173, 281, 290 Apulia 79, 174, 248 n. 129, 278, 292 Aquilée 184, 187 Aquitaine 53 n. 12, 56, 58

Arkona 38, 309, 314 Arn, évêque de Salzburg (785-821) 63, 81 Arnulf de Carinthie († 899), roi des Francs orientaux et empereur 269 Athènes 167-168, 185-186, 189 Augustin d’Hippone († 430) 44, 297 Ausone († après 393) 184 n. 269, 184 n. 270, 187 Autun 187 Avars 74, 198-199 Avranches 68-71 Babel 15 Babylone 15, 45 Baltes 38, 77, 79, 192, 236, 246-248, 264, 317 Baltique, mer, espace 18, 33-35, 35 (carte), 37-39, 77, 79, 101, 136, 141, 144, 172, 192, 233, 236, 237-244, 247-248, 256, 260, 266, 289, 295, 305, 309, 314, 329, 332, 350, 354, 355, 359, 361 Bamberg 98 n. 21, 118, 156, 158, 168, 175, 186187 Barby 270 Barcelone 53, 159, 280 Bardowik 287 Bautzen 101 n. 48, 273 Bavay 68-69 Bavière 45, 65-66, 83 Becelin, aussi appelé Alebrand, archevêque de Hambourg-Brême (1035-1043) 107, 109, 144-145, 154 Belecke 174, 273 Belina 125 Bérenger Ier, roi d’Italie (887-924) 199 Bernard, comte saxon et praefectus de Hambourg 281-282 Bernard II († 1059), duc de Saxe 106, 138, 144145, 154 Bernward, évêque de Hildesheim (993-1022) 151 Besunzane 249 Białogród 113-114, 146, 178-179, 182, 303

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index

Birka 18, 35 (carte), 77-79, 108-110, 137-139, 141, 173, 175, 237, 244-247, 256, 280, 281282, 285-286, 290-293, 305, 310-312, 314, 332, 338, 343 Biso, évêque de Paderborn 69 Björn, roi des Svear 280, 292 Boèce († vers 525) 83 Bohême 34-35, 36 (carte), 38-40, 75, 93, 101 n. 48, 104-105, 116-118, 124, 131, 141, 148, 156, 158-159, 166-167, 170, 179-180, 210, 223, 228, 257, 270-271, 274-275, 283, 285, 286, 294, 299, 301-302, 325, 338, 340, 343, 345, 354 Boleslas Ier le Vaillant, duc de Pologne (9921025) 101, 104, 114, 152, 178, 283, 340 Boleslas II le Généreux, duc de Pologne (1058-1079) 114 n. 124, 177 Boleslas III Bouche-Torse, duc de Pologne (1107-1138) 40, 112, 114, 147 n. 81, 178, 335 Boniface († 754) 49, 53 n. 14, 65-66, 74, 104, 150, 197 Boppard 72 Borivoy Ier († vers 894), duc de Bohême 230 Borivoy II, duc de Bohême (1100-1107, 11171120) 148 Brandebourg 36 (carte), 37, 96 n. 12, 98, 101, 140, 250, 273, 323, 337 Bratislava 118 Břeclav 199 Breisach 144, 274 Brême 13 (carte), 77, 105, 106 n. 74, 107-108, 109 n. 95, 110-111, 138, 144, 154-155, 158, 161, 166, 169-171, 176, 177, 275, 289, 291293, 295, 302, 331, 340, 348-349, 355 Brescia 54 Bretagne 62 Bretislas Ier, duc de Bohême (1034-1055) 180, 223, 228, 232 Bretislas II, duc de Bohême (1092-1100) 156, 170, 294 Brno (all. Brünn) 119, 199 Bruno de Querfurt († 1009) 93, 103-105, 158, 159, 181, 300-301, 304, 350 Bulgares 90, 142 Büraburg 136, 197, 252 Burghard, évêque de Würzburg 66

Burgscheidungen 95, 99 Burkhard, évêque de Worms 164 Bytom Odrzański (all. Beuthen) 36 (carte), 318-321, 319 ill. 23, 334 Calbe 270 Cantorbéry 62, 66 Carinthiens 80-82 Carloman (†  880), fils de Louis le Germanique et roi d’Italie 53 n. 14, 75 Carthage 61, 168 Casimir le Restaurateur, duc de Pologne (1034-1058) 115, 228 César, Jules († 44 av. J.-C.) 67, 70, 168 Charlemagne († 813), roi des Francs et empereur 35, 39, 49, 53 n. 14, 54-61, 64, 75, 94, 106-107, 132, 136, 142, 147, 159, 167, 168, 196, 271-272 Chartres 67-68, 70 Chezilo, fils du prince slave Priwina 82 Chieti 53, 280 Chrétien de Troyes († 1190) 15 Circipans 37, 159 Civitàvecchia 54 Cologne 73 n. 151, 79, 97 n. 17, 99 n. 30, 154, 169, 287 Conrad Ier, roi des Francs orientaux (911-918) 96 Conrad II, roi des Francs orientaux (10241039) et empereur 98 Conrad Ier, duc de Bohême (1092) 170, 294 Constance 79 Constantinople 55, 66, 142, 167-170, 189-190, 337 Corbie 72 Corvey 13 (carte), 72, 94, 120, 270, 273 Courlande, Coures 35 (carte), 79, 174, 278, 292-293 Cosmas de Prague († 1125) 39-40, 116-119, 126, 131, 139, 147-148, 156, 158, 166-167, 170171, 179-180, 270-271, 275, 278-279, 282, 283 n. 101, 285 n. 115, 294, 295 n. 162, 302303, 338, 340, 344, 354-355 Cosmas, évêque de Prague 170 Cracovie 36 (carte), 113, 117, 119, 146, 177, 179180, 257, 261, 334 Crumas, roi des Bulgares 142

index Cuchavic, guerrier slave 285 Czarnków 283, 338 Daleminciens 174, 249 Danewerk 244 Dannenberg 317-318, 320 Danemark, Danois 37, 39-40, 54, 58, 78-79, 105, 109, 152, 159, 173-174, 182, 216, 246, 257 n. 150, 289-290, 293, 306 Daugmale 35 (carte), 246-248 Delbende 58 Dijon 45, 184 Dorestad 18, 291-292 Dortmund 272 Dragawit, chef slave 54 Edith († 946), épouse d’Otton Ier 95-96, 152 Eginhard († 840) 73, 271 Eichstätt 65 n. 92, 66, 75 Eketorp 309 Elipant, évêque de Tolentino 62 Elisenhof 314 Empire romain 34, 39, 43-44, 49, 54, 68, 70, 90-91, 120, 185, 188-189, 297, 353, 358 Engern 13 (carte) Ephèse 66 Erconrad 67-69, 71 Erembercht, évêque de Freising 66 Eresburg (voir aussi Obermarsberg) 13 (carte), 56, 75, 98 n. 21, 101 n. 43, 141, 149, 151, 195-197, 298 Ermold le Noir 133, 135, 168, 181 Esesfelth (voir aussi « Oldenburgskuhle ») 54-55, 57, 59, 75, 196, 252 Espagne (voir aussi péninsule Ibérique) 271, 280 Esztergom (all. Gran) 118 Europe centrale 10-11, 17, 19, 32-33, 47, 49, 184, 186-188, 191, 265, 286, 334, 353, 358, 359 Europe de l’Est, Europe orientale 11, 19, 32, 182 Europe du Centre-Est 32-34, 73, 105 Europe du Nord-Est 105 Europe du Nord-Ouest 18, 299, 351, 360 Europe nordique, Europe du Nord, Europe septentrionale 10, 17, 19, 32, 34, 105, 156, 169, 170, 182, 184, 186, 191, 258, 265, 292, 294, 348, 353, 358-359, 361

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Europe occidentale 20, 39, 89, 158, 183, 186187, 245, 252, 265, 293, 322, 335 Feldberg 203 Féroé, îles 105 Flavius Josèphe († vers 100) 158 Flodoard de Reims († 966) 277 Florence 54 Francfort 149 Franconie 105 Francs, Francie 20, 35-39, 43, 49, 51-61, 66-76, 82, 85, 88-89, 91, 93-98, 101, 103, 120, 141, 143, 149, 156, 159, 193, 195-197, 252, 254256, 260, 264, 266, 269, 271-274, 276-278, 280, 283, 285, 313, 317, 328, 333, 339, 344345, 349, 353-355, 357 Friedrichsruhe 204-205 Fritzlar 150 Frohse 270 Fulda 71, 73-76, 150-151 Gallus Anonymus († après 1113/1117) 39, 111116, 126, 129, 139, 146-147, 158, 162, 177182, 190, 236, 256, 258-259, 270-271, 275, 279-280, 283-285, 302-304, 319, 328, 334335, 337-338, 340-342, 344, 350, 353, 355 Gana 96 n. 12, 174 Gandersheim 13 (carte) Garibald, évêque de Ratisbonne 66 Gaudentius, archevêque de Prague 98 Geismar 66, 150 Gênes 54 « Géographe de Bavière » 83-89, 249-251 Gérard de Cambrai († 1051) 341 Gérard de Seeon († 1028 ?) 158, 168, 175 Gero († 965), comte 140 Giecz 270-271, 279 Gisèle, fille de Charlemagne 54 Glienke 317, 321 Głogów (all. Glogau) 101, 113, 119, 146, 180, 283 n. 101, 303, 326, 337-338 Gnevomir, chef poméranien 285 Gniezno (all. Gnesen) 36 (carte), 104, 113, 138, 139 n. 46, 146-147, 158, 177, 179, 222-224, 228, 261, 271, 302, 323, 334, 338, 340, 345 Godefrid, roi des Danois 58, 289-290, 295 Gottschalk, prince des Abodrites (10431066) 105, 108, 216-217

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index

Grande-Moravie (voir aussi Moravie) 192, 197-198, 253 Grande-Pologne 36 (carte), 222-224 Grèce, Grecs 160, 169, 176, 182, 183 n. 259, 187, 291 Grégoire de Tours († après 593) 45, 184-185 Groenland 289, n. 131, 292 Grona 138 n. 37, 273 Groß Raden 314 Groß Strömkendorf (voir aussi Reric) 35 (carte), 42 n. 110, 191, 237-238, 240, 242, 260, 305, 312-314 Guncelin, comte 337 Guy, saint 72, 154 Gvozdec 119, 148 Hadumar, abbé de Fulda 151 Haithabu (voir aussi Sliaswich et Sliesthorp) 18, 35 (carte), 77, 109, 237, 242, 244-245, 247, 290-291, 293, 295, 305-311, 314, 332 Halberstadt 99, 299 n. 187 Halle an der Saale 57 Halsingland 35 (carte), 109-111, 160 Hambourg 13 (carte), 75, 77-79, 95 n. 5, 105108, 110-111, 137-138, 141, 144-145, 150-151, 154-155, 157, 159, 161, 165-166, 169, 171-172, 181, 257, 275, 281, 285-286, 291-293, 295, 302, 339-340, 349, 355 Havelberg 36 (carte), 140 n. 50, 273 Héric d’Auxerre († après 875) 187, 339 Helgö 18 Hellmern 337 Helmold de Bosau († après 1177) 105, 108 n. 90, 216, 218 Henri Ier, roi des Francs orientaux (919-936) 36, 96, 137, 151, 159, 162-163, 174, 262, 274, 276, 297, 299 Henri II, roi des Francs orientaux (10021024) 100-101, 104, 121, 122, 144, 156, 158, 163-165, 288 Henri V, empereur (1111-1125) 180, 303 Henri, prince des Abodrites (1093-1127) 217, 218 Heridag, évêque de Hambourg 106, 159 Hériger, praefectus de Birka 173, 280-282, 290, 292

Hermann, archevêque de Hambourg-Brême (1032-1035) 107, 144 Hermann Billung († 973), duc de Saxe 174-175 Hesse 65-66, 149 Hévelliens 36 (carte), 37, 41, 159, 337 Hezilo, évêque de Hildesheim 97 Hildesheim 13 (carte), 95 n. 5, 97-98, 151 Hiltinus-Jean, évêque de Birka 108 Hitzacker 309, 317-318, 320 Hohbuoki 57, 75 Hohseoburg (voir aussi Hünenburg/ Watenstedt) 194-195, 197 Hongrie 33-34, 117, 198 Horic Ier, roi des Danois 78, 109 Hraban Maur 62-65, 336 Hradec Králové (all. Königgrätz) 118-119 Huesca 54, 280 Hünenburg/Watenstedt (voir aussi Hohseoburg) 13 (carte), 192 ill. 1, 193 ill. 2, 194 Ibrāhīm ibn Ja’kūb 295, 334 Idon, prêtre 69, 71 Ilow 238, 260 Ingelheim 181, 202 Ippon, prêtre 108 Irminsul 56, 149 Isidore de Séville († 636) 161 n. 170, 267 Italie 53, 55-56, 75 n. 163, 104, 117, 184, 199, 271, 272 n. 24, 280, 336 Itzehoe 54, 196 Iumne (voir aussi Wolin) 110-111, 155, 160-161, 175, 177, 182, 241, 256, 361 Jean, évêque de Salzbourg 66 Jérusalem 15, 45, 63-64 Juifs 143, 170, 288, 291, 293-295, 300, 350 Jutland 78, 109 n. 99, 172-173 Kamenz 148 Kiev 93, 102 n. 53, 104, 113-115, 144, 152, 160, 162, 169-170, 175, 178-179, 182, 311, 322, 334 Kłodzko (all. Glatz, tch. Kladsko) 119, 278, 302 Knuba, roi des Danois 306 Kołobrzeg (all. Kolberg) 35 (carte), 36 (carte), 113-114, 116, 129, 139 n. 46, 146, 153, 162, 178-179, 182, 233-236, 234 ill. 19, 235 ill. 20, 256, 261, 275, 303, 361

index Kostheim 136 Kruszwica (all. Kruschwitz) 178, 338 Kruto († vers 1090), prince des Abodrites 217 Ladislas Herman († 1102), prince polonais 113, 115, 178 Lambert II, roi d’Italie (894-898) 199 Larun/Laras 282 Lechfeld 151 Leire 152-153 Le Mans 66-69 Lenzen (voir aussi Lunkini) 96 n. 12, 101, 108, 204 Lenzen-Neuehaus 205 Léon III, pape (795-816) 53, n. 1460, 151, 336 Léon V, empereur byzantin (813-820) 142 Leuthen-Wintdorf 36 (carte), 205-209, 206 ill. 6, 207 ill. 7, 208 ill. 8 Levy Hradec 119 Libentius, archevêque de Hambourg-Brême (968-981) 138, 144 Liboire, saint 66 Liège 116-117, 168, 186 Liémar, archevêque de Hambourg-Brême (1072-1101) 105, 348 Lieps 323, 327 Linons 159 Litoměřice (all. Leitmeritz) 124 Lituanie 104, 248 Liudewit, dux de Pannonie inférieure 142 Liupram, évêque de Salzbourg 82 Londres 282 Lorch 80 Louis le Germanique, roi des Francs orientaux (840-876) 88 n. 231, 106 n. 74 Louis l’Enfant, roi des Francs orientaux (900911) 120 Louis le Pieux, roi des Francs et empereur (813-840) 74, 106, 133, 149, 159, 168 Lucenses 179 Lul († 786), évêque de Mayence 65 Lunkini (voir aussi Lenzen) 276, 278 Lunsici 250 Lusace 42 n. 110, 98, 101, 143, 205, 207, 209, 250, 274, 277-278, 283, 315 Lutices (voir aussi Wilces) 36 (carte), 38, 41, 98, 103, 104, 153

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Magdebourg 13 (carte), 57, 93, 95-96, 98-99, 102 n. 55, 103-104, 121-123, 140, 151-152, 158-159, 165, 175, 181, 182, 218, 219-220, 221 ill. 14, 257, 261, 267, 270, 274-275, 287288-291, 293-295, 298-301, 304, 337, 339, 344, 347 Magnus († 1047), roi de Norvège et du Danemark 109 Mathilde († 999), fille d’Otton Ier et d’Adélaïde 94 Mayence 56, 65-66, 73 n. 151, 87-88, 97 n. 17, 118, 136, 143, 276, 287 Mazovie 113, 205, 209, 326 Meaux 72 Mecklemburg 35 (carte), 108, 159-160, 182, 204, 315, 317, 323-324 Mégingoz, évêque de Würzburg 65 Méginhard de Fulda († après 867) 72-73 Meißen 13 (carte), 119, 122, 137, 138 n. 37, 152, 274, 283, 285, 337 Memleben 123 Menzlin 237-240, 239 ill. 21, 242, 305, 313-314 Mersebourg 13 (carte), 95, 98, 100, 137, 143144, 151, 162-165, 262, 270, 287-288, 291, 293-295, 347 Mesco Ier († 992), duc de Pologne 233 Mesco II, duc de Pologne (1025-1034), 98, 179 Ménandre le Rhéteur 186 Méthode, missionnaire 80, 85, 89 Metz 73, n. 151, 97 n. 17, 187 Michel III, empereur byzantin (842-867) 199 Mikulčice 36 (carte), 198-199, 202 Milan 54, 184, 187 Milzane 249 Mölln 324 Moravie, Moraves (voir aussi Grande-Moravie) 192, 198, 253, 271, 275, 284 Mosapurc, 82 Nakło (all. Nakel) 116 n. 132, 146 Niemcza 101, 274 n. 45 Nitra 119 Nordalbingiens (voir aussi Transalbingiens) 106, 145, 159, 161, 165, 349 Nordhausen 140 Normands 74-75, 78, 106, 149, 161, 175, 272 n. 25, 281

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index

Norvège 161 Obermarsberg (voir aussi Eresburg) 195 Ohrdruf, Thuringe 66 Ohtrich de Magdebourg († 981) 158 Olaf, roi des Svear 174, 292, 307 n. 215 Oldenburg, voir Starigard « Oldenburgskuhle » (voir aussi Esesfelth) 13 (carte), 196-197, 252-253 Orcades 289 n. 131, 292 Ostphalie 13 (carte) Ostrów Lednicki 36 (carte), 257, 259, 261, 322, 334 Otgar, évêque d’Eichstätt 75 Ottokar Ier Přemysl, roi de Bohême (11981230) 124 Otton Ier († 973) roi des Francs orientaux et empereur 36, 95-96, 104, 120-122, 140, 143, 151-152, 175, 181-182, 219, 270, 287, 289 n. 129, 299-300 Otton II († 983), roi des Francs orientaux et empereur 100, 117, 121-122, 140, 143, 270, 277, 287 Otton III († 1002), roi des Francs orientaux et empereur 98, 102 n. 53, 123, 177 Otton de Bamberg († 1139) 112 n. 113 Otwin, évêque de Hildesheim 97 Palanga (all. Polangen, pol. Połąga) 35 (carte), 248-249 Paderborn 13 (carte), 60, 66-73, 97, 99, 131, 133-134, 138 n. 37, 254 Pannonie 80, 142 Paris 67-68, 70 Paulin d’Aquilée († 802) 64 Pavie 53, 272 Péninsule Ibérique (voir aussi Espagne) 53, 55, 75 n. 163 Pennigsberg 203 ill. 5, 316 Pépin le Bref, roi des Francs (751-968) 53 n. 14, 58 Petite-Pologne 220 Piast, prince polonais mythique 271 Płock (all. Plozk), 113, 326 Plzeň (all. Pilsen) 118 Pohansko 36 (carte), 198-202, 200 ill. 3, 201 ill. 4 Polabes 159

Pologne 21-23, 34-35, 35 (carte), 36 (carte), 38-40, 93, 104-105, 111-116, 126, 131, 139, 141, 146-147, 158, 162, 177-180, 182, 190191, 210, 255-257, 261, 275, 279-280, 283, 285-286, 294, 304, 328, 334-335, 337-338, 340, 343-345, 349-350, 354-355 Poméranie, Poméraniens 35 (carte), 36 (carte), 38, 40, 93, 112-116, 146-147, 162, 178-179, 182, 210, 233, 256, 279-280, 283-286, 303, 328, 335, 353 Popel, prince polonais mythique 113 n. 117, 139 n. 46, 271 Potsdam 250 Poznań (all. Posen), 26 (carte), 113, 224-228, 225 ill. 15, 226 ill. 16, 227 ill. 17, 257, 261, 327-328, 334 Prague 36 (carte), 96 n. 12, 98, 104, 113-114, 116-118, 139 n. 49, 148, 156, 158-159, 166, 170-171, 181, 230-232, 231 ill. 18, 257, 278, 294-295, 323 Priwina († vers 860), chef slave 82-83 Prusses 38, 93, 104-105, 147, 176 Quedlinburg 13 (carte), 95 n. 10, 96-99, 102 n. 55, 140, 181 Quentovic 18 Ralswiek 237, 314 Rastiz († après 870), prince morave 75-76 Ratisbonne 45, 66, 80, 143, 168, 272, 276, 278, 302 Ratolf, évêque de Haithabu 109 Ratzebourg 108, 159 Rédariens 37, 160, 317, 336 Reinbern, évêque de Kołobrzeg 153, 233 Remiremont 58 Reric (voir aussi Groß Strömkendorf ) 131, 136, 237, 260, 289-290, 295, 332, 343, 346 Rethre, voir Riedegost Rhin 49, 50, 72, 87, 90, 123 n. 182, 131, 185-188, 265, 354, 358 Ribe 78, 109 Richer de Metz († 1146/1152) 187 Riedegost, Rethre 41, 102-103, 110-111, 135, 155, 160-161, 152-153 Rimbert († 888) 76-79, 91, 109, 126, 137-139, 141, 147, 151, 157-158, 173-175, 177, 180, 186,

index 244 n. 115, 245, 248 n. 129, 258, 278, 280282, 285, 290-294, 332, 338, 342 Rome 44, 55, 60 n. 59, 61-62, 66, 71-72, 142, 167-171, 187, 189, 299, 300, 336 Roskilde 109-111 Rostock-Dierkow 237 Rouen 159 Rudolf de Fulda († 865) 71-73 Rügen 38, 309 Rupert, évêque de Salzbourg 80-81 Ruthènes 114, 162, 177-178 Russie, Russes 93, 160, 169, 176 n. 225, 178, 182, 291, 311, 322, 334, 345 Rýdeč 180 Salluste († vers 35 av. J.-C.) 298 Salzbourg (Iuvavum) 63, 66, 80-83 Sambiens 175 Sandomierz (all. Sandomir) 36 (carte), 228230, 261, 326, 328, 334 Saragosse 272 n. 24, 280 Saxe, Saxons 12, 13 (carte), 14, 35-36, 39-40, 42 n. 109, 49, 54-59, 66-73, 75, 90-91, 93-101, 103-106, 120, 123, 125, 126 n. 193, 136, 141, 143-144, 147, 149, 151, 159-162, 170, 172, 174, 176, 181, 192-197, 218-219, 238, 250, 252-257, 260-261, 264, 266, 270-277, 279280, 283, 285-287, 291, 294-295, 297-304, 333, 339, 343, 347-349, 353-354 Saxo Grammaticus († vers 1220) 246 Scandinavie, Scandinaves 34, 40 n. 102, 42, 76-77, 79, 105, 236-239, 244-245, 247, 282, 295, 307, 313, 317, 322, 345 Scharstorf 314 Schleswig 243, 306, 308, 314 Schweinfurt 101 n. 43, 138 n. 37, 148 Schwerin 101 Sclavania (voir aussi Slaves, Slaves de l’Elbe) 108 n. 91, 159-160, 172 Sclavitag, prince morave 75 Scrithefennes 109, 160 Seeburg 79, 174, 278 Ségeste 168 Sigiburgum 75 Sigebert de Gembloux († 1112) 187 Sigtuna 109-110 Silésie 36 (carte), 101, 113-114, 285, 318

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Sjaelland 172 Skara 109-111 Slaves (voir aussi Sclavania, Slaves de l’Elbe) 10, 14, 18, 20-22, 34-37, 36 (carte), 39-40, 49, 52, 55-59, 73, 75-83, 85, 89, 93, 95-98, 101-103, 106, 110-111, 120-125, 143, 145, 149, 159-161, 163, 173-176, 190, 192, 202205, 210, 217, 236, 238, 244, 249, 250-251, 253-256, 258, 260, 261, 264, 266, 270, 274278, 285-287, 291, 295, 305, 315-316, 320321, 329, 333, 340, 343-344, 349, 353-355, 357 Slaves de l’Elbe 35, 36 (carte), 37, 39-40, 125 n. 190, 192, 202, 204, 275, 287, 354 Slawina, épouse d’Henri, prince des Abodrites 218 Sliaswich (voir aussi Sliesthorp et Haithabu) 77-78, 109, 139, 256, 291-292, 332, 343 Sliesthorp (voir aussi Sliaswich et Haithabu) 242, 292 Smeldings 55 Sobeslas Ier, duc de Bohême (1125-1140) 124125, 278, 302 Sodome 15 Sorabes 36 (carte), 38, 55, 101 n. 43, 249 Spandau 36 (carte), 250 Spytihnev II, duc de Bohême (1055-1061) 124 Stará Boleslav (all. Altbunzlau) 118, 156, 300301, 304 Staré Město 36 (carte), 202 n. 29 Starigard/Oldenburg 35 (carte), 96 n. 12, 108, 159, 175, 210-217, 211 ill. 9, 212 ill. 10, 214 ill. 11, 215 ill. 12, 216 ill. 13, 259, 276, 315, 322 Steinfurt 72 Stenphi-Siméon, évêque des Scrithefennes 109 Stockholm 77 Stodorans 160 Suède, Suédois, Svear 35 (carte) 39, 77, 79, 109-110, 155, 159, 173-174, 278, 280-281, 290, 292, 306-307, 311 Süllberg 145 Svatopluk, prince morave (870-894) 76 Sven Estridsen († 1074/1076), roi des Danois 105, 293 Świny (all. Schweinhaus) 119

400

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Szczecin (all. Stettin) 242 Thankmar († 938), fils d’Henri Ier 174, 299 Thierry, chef saxon 195, 272 Thietmar de Mersebourg († 1018) 99-103, 108 n. 90, 137-139, 143-144, 148, 151-153, 155, 162-165, 167, 175, 190, 233, 236, 258, 262, 267, 273-275, 277-279, 283, 285, 288, 291, 293-294, 298-301, 304, 337, 339-340, 342, 344, 347-348, 350, 355 Thrasco (†  810), prince des Abodrites 290, 295, 332 Thuringe, Thuringiens 65-66, 123, 143, 282, 297 Tiel 121, 287 Tilleda 13 (carte), 202, 257 Tollensiens 37, 324 Tornow 21, 206 Tortosa 53 Transalbingiens (voir aussi Nordalbingiens) 159 Trèves 73 n. 151, 97 n. 17, 187 Trévise 54 Troie 146, 167, 170-171, 182, 189 Trondheim 109, 161 Tugumir, prince des Hévelliens 337 Ucrans 37 Uffo, habitant de Magdebourg 298-300 Unwan, archevêque de Hambourg-Brême (1013-1029) 106, 144-145, 154 Uppsala 35 (carte), 110, 155 Utrecht 66, 138 n. 37 Venance Fortunat († vers 600) 184 Venceslas († 935), duc de Bohême 300-301 Verden 152 Verdun 75 Vérone 184, 187 Viken 161 Vikings 78, 144, 151, 165, 171 Vinland 105, 293 n. 154 Virgile († 19 av. J.-C.) 61-62, 135 n. 19, 168, 170 Virgile, évêque de Salzbourg 81 Vivilo, évêque de Passau 66 Vladimir († 1015), prince de Kiev 102 n. 53, 104 Vladislas Ier, duc de Bohême (1109-1117, 11201125) 278

Vratislas II, duc puis roi de Bohême (10611092) 148 Vyšehrad 117, 139 n. 49, 148, 166, 170, 231 ill. 18, 232, 275, 283 n. 101, 285, 294, 299-301, 325, 344 Wagriens 159, 210 Walsleben 101 n. 43, 336 Walthard, archevêque de Magdebourg 152, 288 Wendel 172 Werben 98, 275 Werla 95 n. 10, 96 Westphalie 13 (carte), 195 Wichmann († 967), noble saxon 174 Widukind de Corvey (†  après 973) 93-97, 99-100, 125, 137, 142-144, 151, 159, 162, 174-175, 180-181, 190, 272-274, 276-279, 282, 297-298, 306, 336-337, 339, 342 Wilces (voir aussi Lutices) 36 (carte), 37, 54, 57 Wildeshausen 71-72 Willebald († 787), évêque d’Eichstätt 66 Willeric († 837), évêque de Brême 154 Willibald de Mayence 65-66, 91, 149-150 Wipo († après 1046) 275 Wirpirk, épouse de Conrad Ier de Bohême 170, 294 Wismar 237 Wiztrach, chef morave 75-76 Wolin (all. Wollin) (voir aussi Iumne) 24, 35 (carte), 110, 237, 240-242, 241 ill. 22, 244, 246-247, 256, 261, 291-292, 295, 361 Worms 73 n. 151, 79, 80, 97 n. 17, 164 Wrocław (all. Breslau), 113, 303, 320 n. 272 Würzburg 65, 66, 70, 74, 99 n. 34 York 185 Zara 54 Žardė 35 (carte), 248 n. 129 Žatec (all. Saaz) 101 n. 48, 118, 283 n. 101, 338 Zbigniew († 1111/1112), prince polonais 113, 338 Zvatopluk, duc de Bohême (1107-1109) 119 Zülpich 99 Zwenkau 285

TABLE DES MATIÈRES

Remerciements Note sur les noms propres

5 7

Introduction Des difficultés de définir le phénomène urbain Europe centrale et nordique au début du Moyen Âge Les sources Les termes latins désignant l’habitat urbain Division interne de l’étude

9 11 32 41 43 46

I. La création de la civitas à l’est du Rhin (VIIIe – IXe siècles) Les Annales royales franques et autres textes connexes L’épopée De Karolo rege et Leone papa Lettres des érudits de la période carolingienne La Vie de saint Boniface par Willibald Les récits de translations de reliques en Saxe Les Annales de Fulda La Vie de saint Ansgar par Rimbert La Conversio Bagoariorum et Carantanorum La Descriptio civitatum du « Géographe de Bavière »

49 51 59 62 65 66 73 76 80 83

II. Nouvelles conceptions (Xe – XIIe siècles) L’œuvre de Widukind de Corvey Les annales de Hildesheim et de Quedlinburg La Chronique de Thietmar de Mersebourg Les récits hagiographiques de Bruno de Querfurt L’œuvre d’Adam de Brême Le chroniqueur dit Gallus Anonymus Cosmas de Prague Sources diplomatiques et normatives

93 93 97 99 103 105 111 116 120

III. Les caractéristiques des civitates Environnement naturel et géographie Les différentes parties des agglomérations : dispersion et unité Défense et fortifications : utilité et représentation Construction d’édifices profanes et ecclésiastiques Institutions culturelles et vie urbaine Les urbes et les peuples

129 131 136 141 149 157 159

402

table des matières

Les civitates personnifiées Rome, Constantinople, Athènes, Troie La fertilité naturelle et l’habitat urbain Richesses, commerce et butin Magnificence et notoriété Descriptions et laudes urbium

162 167 171 173 181 183

IV. Forteresses et habitat d’après les sources archéologiques Les forteresses des guerres saxonnes Les agglomérations fortifiées dites de Grande-Moravie Les forteresses des Slaves de l’Elbe Forteresses dites «princières» et complexes multipartites Les emporia de la mer Baltique Les forteresses des Baltes De la réalité matérielle aux conceptions des contemporains

191 193 197 202 210 236 246 249

V. Civitas et cives : l’habitat et ses habitants Garnisons, guerriers et défenseurs Marchands Des cives du royaume aux cives de la civitas Habitants et habitats d’après les sources archéologiques et archéozoologiques

267 268 286 296

VI. Différenciation et identité Archéologie, archéozoologie et histoire Mutations des catégories d’habitants Ordres et catégorisations Différenciation spatiale et identité locale Ségrégation et solidarité

331 332 336 338 343 345

Conclusion

353

Sources

363

Bibliographie

367

Index

393

304