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French Pages 505 [510] Year 2012
Benjamin Constant Œuvres comple`tes Œuvres XXVI
Benjamin Constant Œuvres comple`tes Se´rie Œuvres XXVI Comite´ de Patronage Membre d’honneur : Roland Mortier Membres : Andre´ Cabanis, Maurice De´chery, Michel Delon, Franc¸oise Fornerod, Doris Jakubec, Franc¸ois Jequier, Mario Matucci, Martine de Rougemont, Lionello Sozzi et Arnaud Tripet Comite´ Directeur Pre´sident : Paul Delbouille Le´onard Burnand, Jean-Daniel Candaux, C. P. Courtney, Lucien Jaume, Kurt Kloocke, Giovanni Paoletti, Franc¸ois Rosset, Paul Rowe, Markus Winkler et Dennis Wood Secre´taire : Anne Hofmann Commission des Œuvres Pre´sident : Kurt Kloocke Re´viseur : Franc¸ois Rosset Le´onard Burnand, Paul Delbouille, Lucien Jaume, Fre´de´ric Jaunin, Franc¸oise Me´lonio, Markus Winkler et Dennis Wood Ce tome XXVI appartient a` la quatrie`me pe´riode (1822-1830) La re´vision en a e´te´ assure´e par Je´roˆme Ferrand La relecture en a e´te´ assure´e par Lisa Azorin La supervision du traitement informatique a e´te´ prise en charge par Kurt Kloocke
Benjamin Constant Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri Volume dirige´ par Kurt Kloocke et Antonio Trampus ´ tablissement des textes, introductions et notes par E Kurt Kloocke, Michel Lutfalla, Franco Motta, Antonio Trampus et Laura Wilfinger Instruments bibliographiques par Laura Wilfinger
De Gruyter
ISBN 978-3-11-026941-3 e-ISBN 978-3-11-027434-9 Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http://dnb.d-nb.de abrufbar. 쑔 2012 Walter de Gruyter GmbH & Co. KG, Berlin/Boston Druck: Hubert & Co. GmbH und Co. KG, Göttingen ⬁ Gedruckt auf säurefreiem Papier Printed in Germany www.degruyter.com
Table des matie`res
Pour des raisons de clarte´, les titres qui figurent dans cette table ont e´te´ modernise´s et uniformise´s. Ils sont ainsi parfois le´ge`rement diffe´rents des titres qui apparaissent dans ce volume. Table des illustrations . . . . . . . Principes d’e´dition . . . . . . . . Signes, symboles, sigles et abre´viations Chronologie . . . . . . . . . . . Introduction ge´ne´rale au tome XXVI . Sources . . . . . . . . . . . . Manuscrits . . . . . . . . Imprime´s . . . . . . . .
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IX
1 3 7 13 17 17 19
1. Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri COMMENTAIRE SUR L’OUVRAGE DE FILANGIERI . . . . . . . . texte e´tabli par Kurt Kloocke, introductions et notes par Kurt Kloocke, Michel Lutfalla et Antonio Trampus Introduction
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
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23 103
Premie`re partie. Chapitre I. Plan de ce Commentaire. . . . . . . . . Chapitre II. D’une e´pigramme de Filangieri contre les perfectionnements dans l’art de la guerre. . . . . . . Chapitre III. Des encouragements pour l’agriculture. . . Chapitre IV. De la conversion des princes au syste`me pacifique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre V. De la re´volution salutaire que Filangieri pre´voyait. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre VI. De l’union de la politique et de la le´gislation.
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105
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110 115
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VI
Table des matie`res
Chapitre VII. De l’influence que Filangieri attribue a` la le´gislation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre VIII. De l’e´tat de nature, de la formation de la socie´te´, et du but ve´ritable des associations humaines. . Chapitre IX. Des erreurs en le´gislation. . . . . . . . Chapitre X. Des remarques de Filangieri sur la de´cadence de l’Espagne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre XI. Des observations de Filangieri sur la France. Chapitre XII. De la de´cadence annonce´e par Filangieri a` l’Angleterre. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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131
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140 147
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159 169
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191 193 205 209
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223 229 234 249 260 263
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267 271 277 281
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301 305 309
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313
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317
Seconde partie. Chapitre I. Objet de cette seconde partie. . . . . . . Chapitre II. De la traite des ne`gres. . . . . . . . . . Chapitre III. De la population. . . . . . . . . . . . Chapitre IV. Continuation du meˆme sujet. . . . . . . Chapitre V. Du syste`me de M. Malthus relativement a` la population. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre VI. Des e´crivains qui ont exage´re´ le syste`me de M. Malthus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre VII. D’une inconse´quence de Filangieri. . . . Chapitre VIII. De la division des proprie´te´s. . . . . . Chapitre IX. Du commerce des grains. . . . . . . . Chapitre X. De l’agriculture comme source de richesse. Chapitre XI. De la protection accorde´e a` l’industrie. . . Chapitre XII. Nouvelle preuve de l’erreur fondamentale de Filangieri. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre XIII. Des jurandes et maıˆtrises. . . . . . . . Chapitre XIV. Des privile`ges en fait d’industrie. . . . . Chapitre XV. De l’impoˆt. . . . . . . . . . . . . . Troisie`me partie. Chapitre I. De l’accusation confie´e exclusivement a` un magistrat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre II. Du secret de l’instruction. . . . . . . . . Chapitre III. De la de´nonciation. . . . . . . . . . . Chapitre IV. Nouvelles re´flexions sur l’ide´e de confier a` chaque citoyen le droit d’accuser. . . . . . . . . . Chapitre V. Du droit d’accuser confie´ aux mercenaires, quand il s’agit de crimes commis contre la socie´te´. . .
VII
Table des matie`res
Chapitre VI. Que le magistrat accusateur doit eˆtre responsable, sinon de la ve´rite´, du moins de la le´gitimite´ de l’accusation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre VII. Des prisons. . . . . . . . . . . . . . . Chapitre VIII. De l’abre´viation des formes. . . . . . . . Chapitre IX. Des te´moins a` de´charge. . . . . . . . . . Chapitre X. Du jugement par jure´s. . . . . . . . . . . Chapitre XI. De la peine de mort. . . . . . . . . . . Chapitre XII. Des travaux publics. . . . . . . . . . . Chapitre XIII. De la de´portation. . . . . . . . . . . .
320 323 326 330 333 337 342 344
Quatrie`me partie. . . . . . . Chapitre I. De l’e´ducation Chapitre II. De la religion. . . . . . . Chapitre III. De la marche du polythe´isme. Chapitre IV. Du sacerdoce. . . . . . . Chapitre V. Des myste`res. . . . . . . Chapitre VI. Conclusion. . . . . . . .
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349 358 364 369 379 383
E´BAUCHE DE LA CONCLUSION DE L’OUVRAGE. . . . . . . . . . Texte e´tabli et pre´sente´ par Kurt Kloocke Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre VI et dernier. Conclusion. . . . . . . . . . .
397
2. E´bauche de la conclusion de l’ouvrage
399 401
3. Premie`re annexe : Morceau de Filangieri sur la religion . . . . . . . . . MORCEAU DE FILANGIERI SUR LA RELIGION. Texte e´tabli et pre´sente´ par Kurt Kloocke Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Morceau de Filangieri sur la religion . . . . . . . . . Chapitre II. Conside´rations ge´ne´rales sur les avantages que le le´gislateur doit chercher dans la religion . . . . . . . Chapitre III. Conside´rations ge´ne´rales sur les inconve´nients que le le´gislateur doit e´viter dans la religion . . . . . . Chapitre IV. Du Polythe´isme . . . . . . . . . . . .
403 405 407 409 411 414
VIII
Table des matie`res
4. Deuxie`me annexe : Prospectus PROSPECTUS. . . . . . Texte e´tabli et pre´sente´ par Introduction . . Prospectus . . .
. . Kurt . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . Kloocke . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
417 419 421
5. Troisie`me annexe : Censure romaine CENSURE ROMAINE. . . . . . . . . . . . . . . . . . Texte e´tabli et pre´sente´ par Franco Motta Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . Giovanni Battista Piccadori, Censure du Commentaire l’ouvrage de Filangieri de Benjamin Constant . . .
. .
423
. . sur . .
425 433
6. Quatrie`me annexe : Filangieri, La Science de la le´gislation, Plan raisonne´ de l’ouvrage FILANGIERI, La Science de la le´gislation, PLAN RAISONNE´ DE L’OUVRAGE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Texte e´tabli par Laura Wilfinger et pre´sente´ par Kurt Kloocke Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Plan raisonne´ de l’ouvrage . . . . . . . . . . . . .
435 437 439
7. Instruments bibliographiques Abre´viations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ouvrages cite´s par Benjamin Constant . . . . . . . . . . . .
459 461 483
8. Index Index des noms de personnes . . . . . . . . . . . . . . . .
491
Table des illustrations
1. Page de titre de la premie`re e´dition de Filangieri, La Scienza della legislazione, Napoli : Nella Stamperia Raimondiana, 1780 Biblioteca della Societa` Napolitana di Storia Patria, Napoli, Volpicella 05.175. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
16
2. Page de titre de la premie`re e´dition de la traduction franc¸aise de Filangieri, La Science de la le´gislation, Paris : Cuchet, 1786 Bibliothe`que Cantonale et Universitaire, Lausanne, 1S 83. . . . .
20
3. Page de titre de la deuxie`me e´dition de la traduction franc¸aise de Filangieri, La Science de la le´gislation, Paris : Dufart, an VII Koninklijke Bibliotheek, Den Haag, 1119 B 29. . . . . . . . .
78
4. Portrait de Gaetano Filangieri, par Gaetano Dura Biblioteca del Centro di Studi sull’Illuminismo europeo «G. Stiffoni», Fil/07. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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5. Page de titre de la troisie`me e´dition de la traduction franc¸aise de Filangieri, La Science de la le´gislation, Paris : Dufart, 1822. Exemplaire ayant appartenu a` Fre´de´ric Ce´sar de La Harpe. Bibliothe`que Cantonale et Universitaire, Lausanne, 1S 81. . . . .
102
6. Page de titre de la Premie`re Partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri par Benjamin Constant. Paris : Dufart, 1822. Universitätsbibliothek Tübingen, Ec87 b–5. . . . . . . . . . .
104
7. Le folio 1 du chapitre 3 de la Premie`re Partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Bibliothe`que Cantonale et Universitaire, Lausanne, Co 3278, fos 240v, 239vo, 237vo et 238vo. . . . . hors texte avant la page
115
8. Le folio 11 du chapitre 7 de la Premie`re Partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Bibliothe`que Cantonale et Universitaire, Lausanne, Co 3278, . . . . . . . . . . . . . . . fos 92vo, 137vo, 90vo et 136vo.
138
bis
9. Le folio 7 du chapitre 10 de la Premie`re Partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Bibliothe`que nationale de France, NAF 18822, fo 25 et Bibliothe`que Cantonale et Universitaire, Lausanne, Co 3278, fos 299vo et 301vo. .
164
X
Table des illustrations
10. Page de titre des trois dernie`res parties du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri par Benjamin Constant. Paris : Dufart, 1824. Universitätsbibliothek Tübingen, Ec87 b–5. . . . . . . . . . .
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11. Le folio 47 du chapitre 5 de la Deuxie`me Partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Bibliothe`que Cantonale et Universitaire, Lausanne, Co 4722/1, fos 99vo et 95vo. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
214
12. Fragments du premier folio, seul conserve´, de l’e´bauche de la Conclusion du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Bibliothe`que Cantonale et Universitaire, Lausanne, Co 3278, fos 29vo, 50vo et 87vo. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
398
13. Page de titre de la premie`re e´dition du Comento sulla Scienza della Legislazione de Filangieri, traduction italienne du Commentaire de Benjamin Constant. Biblioteca della Scuola Normale Superiore, Pisa, 914 C 757 . . .
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Principes d’édition
La présente édition a pour règle de reproduire tous les textes connus, publiés ou non, de Benjamin Constant. Elle donne, pour chacun, toutes les variantes. On a maintenu l’orthographe et la ponctuation des originaux. On a préservé la diversité des usages, selon qu’on avait affaire à un autographe de Constant ou à une copie. Dans le cas des imprimés, on n’a corrigé dans le texte, avec mention en note, que les seules fautes d’impression évidentes. Pour les manuscrits, la règle est celle du respect maximal. Les cédilles n’ont pas été rétablies. Les tildes et les traits horizontaux placés sur certaines consonnes pour en indiquer le redoublement ont été conservés. En revanche, les capitales qui apparaissent parfois, dans l’écriture de Constant, à l’intérieur des noms communs, ont été considérées comme de «grandes lettres», non comme de vraies majuscules, et ont dès lors été normalisées. Les capitales n’ont pas été rétablies en tête des noms propres, ni en tête des phrases. Elles ont été respectées à l’intérieur des noms propres (ex. «M. DeSaussure»). Les apostrophes et les traits d’union n’ont pas été rétablis. Les mots liés ont été respectés («peutetre» pour «peut-être»). On n’ajoute aucun signe de ponctuation. En cas d’absence des parenthèses ou des guillemets fermants, une note signale le fait. On a respecté les tirets longs, mais non les traits qui, souvent chez Constant, achèvent la ligne. On a respecté également les deux points employés selon l’usage ancien. Les accents circonflexes et les trémas abusifs ont été maintenus. L’italique représente les soulignés simples ; l’italique souligné les soulignés doubles. Lorsqu’il y avait doute dans l’interprétation d’une lettre, d’un accent ou d’une graphie quelconque, on a tranché en faveur de l’usage actuel. Lorsqu’il y avait hésitation entre apostrophe et accent (exemple : «l été» ou «l’eté»), ou entre l’un de ces signes et la ponctuation de la ligne précédente, on a privilégié le signe de ponctuation par rapport à l’apostrophe et à l’accent, l’apostrophe par rapport à l’accent. Les abréviations ont été résolues quand le signe n’existe pas en typographie. On explique en note celles qui feraient difficulté pour le lecteur. Les mots abrégés ont été transcrits tels quels, avec une éventuelle explication en note. Pour la sténographie, une transcription en clair vient doubler la
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Principes d’édition
transcription en abrégé. En revanche, les terminaisons de mots simplifiées, sauf s’il s’agit d’une évidente volonté d’abréviation, ont été restituées complètement, même si les dernières lettres étaient mal formées. Les fautes de syntaxe ont été transcrites telles quelles. On a évidemment maintenu la graphie des mots grecs isolés ou des citations. Chacun des volumes des Œuvres complètes, aussi bien dans la série Œuvres que dans la série Correspondance, est soumis à l’attention d’un réviseur désigné par le Comité directeur, dont la tâche consiste à contrôler l’adéquation du travail aux principes d’édition qui viennent d’être succinctement énoncés. On voudra bien noter que l’accord donné par ce réviseur à l’issue de son examen n’implique nullement, de sa part, une adhésion aux opinions exprimées et aux jugements portés par les collaborateurs de l’édition.
Signes, symboles, sigles et abréviations
La liste qui suit ne reprend pas certaines abréviations d’usage très général (etc., M., Mme, Mlle) ; elle ne reprend pas non plus celles qui apparaissent dans les cotes des bibliothèques, ni celles sous lesquelles nous désignons les ouvrages et les périodiques souvent cités (on trouvera ces dernières dans les «Instruments bibliographiques» à la fin du volume), ni les sigles par lesquels nous désignons les manuscrits ou les éditions des textes que nous éditons (ils sont donnés à la fin des introductions, dans la section «E´tablissement du texte»). [...] ] 〈〉 \\ /
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1905
a. add.
: restitutions textuelles ; le point (la suite de points) indique la (les) lettre(s) illisible(s). : signe qui, dans la transcription des variantes, suit le mot ou le passage en cause, et est suivi de la variante. : encadrent les mots ou les passages biffés. : encadrent le(s) mot(s) biffé(s) à l’intérieur d’une variante biffée. : indique, dans une note ou dans une variante, les retours à la ligne. : dans la description des imprimés, indique les retours à la ligne ; dans les vers cités dans les notes ou les variantes, indique la limite du vers ; dans les textes de Constant, indique le changement de page ou de folio de la source. : le point d’interrogation suit toute indication conjecturale : indique, dans l’apparat des textes repris, la migration d’un passage dans un autre texte. : indique, dans l’apparat des textes repris, la provenance d’un passage. : l’astérisque mis en exposant devant le numéro d’un folio dans la description des manuscrits indique que le folio ainsi désigné est perdu. : un chiffre mis en exposant devant l’année de publication d’un ouvrage dans la bibliographie indique qu’il s’agit de la 2e (3e ...) édition. : autographe(s) : addition
4 AN app. attr. art. BC BCU BL BnF BPU br. chap. col. corr. c. r. éd. éd. orig. édit. fasc. fo fos IBC illis. inf. interl. J.I. livr. mm ms. mss n. no nos p. part. pl. pp. ro ros s. s.d. s.éd.
Signes, symboles, sigles et abréviations
: Archives nationales, Paris : appendice : attribué(e)(s) : article(s) : Benjamin Constant : Bibliothèque Cantonale et Universitaire, Lausanne : British Library, Londres : Bibliothèque nationale de France, Paris : Bibliothèque Publique et Universitaire, Genève : broché : chapitre(s) : colonne(s) : correction(s), corrigé(s), corrigée(s) : compte rendu : édition : édition originale : éditeur : fascicule(s) : folio : folios : Institut Benjamin Constant : illisible(s) : inférieur(e) : interligne : Journal intime : livraison(s) : millimètres : manuscrit : manuscrits : note(s) : numéro : numéros : page : partiellement : planche(s) : pages : recto : rectos : signé : sans date : sans indication de l’éditeur commercial
Signes, symboles, sigles et abréviations
s.l. s.l.n.d. sup. supp. sv. t. TR V v. vv. vo vos vol.
: sans lieu : sans lieu ni date : supérieur(e) : supprimé(s), supprimée(s) : suivant(s), suivante(s) : tome(s) : Apparat des textes repris : Apparat des variantes : vers : vers : verso : versos : volume(s)
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Chronologie
1767–1820 1767, 25 octobre : Naissance de Benjamin Constant à Lausanne. 1779 : Il compose Les Chevaliers. 1780-1782 : Séjour en Angleterre, en Hollande, à Lausanne, puis à Erlangen, où il fréquente l’Université. 1783-1785 : Études à l’Université d’Edimbourg. 1785 : Séjours à Paris, à Bruxelles, à Lausanne. 1786 : Mise en chantier d’un ouvrage sur le polythéisme. Rencontre et amitié avec Mme de Charrière. 1788 : Séjour à Brunswick, où il rencontre Minna von Cramm, sa première femme, et en 1793 Charlotte von Hardenberg, alors épouse de Wilhelm Christian von Marenholz. Amitié avec Jacob Mauvillon. 1793 : Séjour à Colombier, près de Neuchâtel, chez Mme de Charrière. 1794 : Première rencontre avec Mme de Staël. 1795 : BC accompagne Mme de Staël à Paris. Ils commencent à jouer un rôle politique. 1797 : Naissance d’Albertine de Staël. 1798 : Rencontre et amitié avec Julie Talma. La seconde édition revue et corrigée de la traduction française de l’ouvrage de Filangieri paraît à Paris chez Dufart en sept volumes (an VII). 1800 : BC est membre du Tribunat, mais il sera éliminé en 1802 avec d’autres opposants. Séjour en Suisse. Il lit, dans la traduction française de
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Chronologie
Gallois de l’ouvrage de Filangieri, le livre V, (Des lois qui concernent la religion) et rédige un long extrait des quatre premiers chapitres. Gallois est son collègue au Tribunat ; il passera au Corps législatif. 1802 : BC travaille à un traité politique intitulé Possibilite´ d’une constitution républicaine dans un grand pays. Ce travail sera abandonné au mois d’octobre de cette année. Il pense peu après à la rédaction d’un ouvrage élémentaire sur la liberté. Il s’agit probablement de son traité Principes de politique. 1803 : Lectures en vue de la rédaction de son ouvrage politique. BC accompagne Mme de Staël, exilée, à Weimar où il restera jusqu’en avril 1804. Rencontres avec Goethe, Schiller, Wieland, le duc de Weimar et d’autres personnages. Travail soutenu à son ouvrage sur la religion. BC découvre les axiomes fondamentaux de sa théorie sur la religion. 1804, 22 janvier : Début du journal intime. Décembre : De retour à Paris, il rencontre Charlotte von Hardenberg, qui a épousé le vicomte de Tertre. 1805 : Passion pour Anna Lindsay. Mort de Julie Talma (mai) et de Mme de Charrière (décembre). 1806, 4 février : Début du travail aux Principes de politique, attesté par le Journal intime. La rédaction du texte sera interrompue à la fin de l’année. Beaucoup de morceaux de cet ouvrage seront utilisés en 1822 pour la rédaction du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. 1807 : Séjour à Coppet. Wallstein. 1808 : Mariage secret avec Charlotte von Hardenberg. 1810 : Grosse perte de jeu, vente des Herbages. 1811 : Départ avec Charlotte pour la Suisse et pour l’Allemagne. 1812–1814 : Séjour à Göttingen, où BC travaille à son ouvrage sur la religion. Il y finit une première rédaction en 44 livres. Il publie en Allemagne De l’esprit de conquête et de l’usurpation et essaie de jouer un
Chronologie
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rôle politique en se ralliant au prince royal de Suède. BC retourne sans Charlotte à Paris, après la chute de l’Empire. Passion subite pour Juliette Récamier. Il fait paraître ses Réflexions sur les constitutions, la distribution des pouvoirs, et les garanties, dans une monarchie constitutionnelle. 1815 : Débarquement de Napoléon à Golfe-Juan et fuite de Louis XVIII à Gand. BC rédige l’Acte additionnel et publie les Principes de politique, texte de 1815. 1816 : BC quitte Paris et rejoint sa femme en Belgique. Séjour à Londres (janvier à juillet) où il publie Adolphe. Il revient enfin à Paris en septembre, encouragé par l’ordonnance royale du 5 septembre qui dissout la Chambre introuvable. Fin du journal intime. 1817 : BC, qui a acheté au mois de décembre 1816 le Mercure de France, se fait une réputation de journaliste et d’auteur politique. Mort de Mme de Staël. Le Mercure de France sera supprimé fin décembre. 1818 : Fondation de la Minerve française. BC s’engage dans l’affaire Wilfrid Regnault. Échec électoral. 1819 : Élu député de la Sarthe, BC joue un rôle important dans les débats de la Chambre. Début juin : Prospectus de La Renommée. 1820–1826 Janvier à juillet 1820 : BC déploie une activité considérable à la Chambre des Députés, où il prend plus de quarante fois la parole. 23 janvier : BC publie dans la Minerve une réponse à un article de Chateaubriand, paru dans le Conservateur. 13 février : Assassinat du duc de Berry à l’Opéra. 20 février : Le ministère Richelieu succède à celui de Decazes, forcé de démissionner. 7 mars : Discours Sur la loi d’exception contre la liberté individuelle. 23–30 mars : Discours Sur la loi d’exception contre la liberté de la presse.
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Chronologie
27 mars : Suppression de la Minerve. 20 mai : Publication de la brochure Des motifs qui ont dicté le nouveau projet de loi sur les élections. Juin : Suppression de la Renommée qui sera remplacée un mois plus tard par le Courrier français. Juillet : BC publie anonymement dans les Lettres normandes, ou Correspondance politique et littéraire, une série d’articles sous le titre «Idées sur la souveraineté, l’autorité sociale, et les droits individuels». Mi-juillet : BC distribue à la Chambre les Éclaircissements sur quelques faits, adressés à MM. les membres de la Chambre des députés. L’affaire autour de ces papiers donnera lieu à un procès qui sera jugé en mars 1821. 15 juillet : Fin de la session de 1820. BC loue une maison de campagne à Montmorency pour pouvoir se reposer. 20 septembre : BC publie une brochure électorale De la dissolution de la Chambre des députés et des résultats que cette dissolution peut avoir pour la nation, le gouvernement et le ministère. Septembre : BC a accepté d’écrire un «Commentaire» sur l’ouvrage de Filangieri, dont la traduction française de Gallois sera rééditée. 16 septembre : L’éditeur P. Dufart fait imprimer un prospectus pour la nouvelle édition de l’ouvrage de Filangieri, où il annonce les contributions de BC. Ce prospectus est la première trace matérielle de ce projet d’écriture. 20 septembre – début octobre : Voyage dans la Sarthe, avec Charlotte, pour prendre contact avec ses électeurs. 7–8 octobre : Graves incidents à Saumur. Des officiers de cavalerie menacent d’assommer BC. Octobre : BC publie la brochure Lettre à M. le marquis de Latour-Maubourg, ministre de la Guerre, sur ce qui s’est passé à Saumur les 7 et 8 octobre 1820. Novembre : Le premier tome des Mémoires sur les Cent-Jours est sorti de presse. Novembre : E´lections partielles pour le renouvellement de la Chambre. Les royalistes emportent 198 sièges sur 220. Décembre : Chambre des députés, ouverture de la session de 1821.
Chronologie
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1821 : Entre le 13 février 1820 et le 22 mai 1821, BC rédige une brochure De la charte constitutionnelle, telle que le ministère de 1820 l’a faite. Cette brochure est annoncée, mais ne sera pas publiée. Début mars : BC a un nouvel accident à la jambe en quittant la tribune. Il ne pourra assister aux débats pendant un mois environ. BC est cité devant la cour d’Assises dans le procès de Sauquaire-Souligné et de Goyet. Grand discours de BC devant la Chambre : Sur l’interdiction de la parole, par suite de rappel à l’ordre et à la question. 19 mai : Discours Sur une pétition relative à l’influence du clergé catholique sur l’éducation des protestants. Mort de Camille Jordan. BC publie un article nécrologique dans le Courrier français du 22 mai. 27 juin : Audacieux discours Contre la traite des noirs. BC semble avoir repris le travail à son Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Les manuscrits fragmentaires permettent de dire que la discussion sur l’esclavage conduit BC à élargir la mouture précédente du texte qui n’en parlait probablement pas encore. 7 juillet : Discours de BC Sur la censure des journaux. 31 juillet : Clôture de la Chambre. BC est fatigué et découragé. Septembre : BC reprend le travail à son ouvrage sur la religion. Novembre : BC travaille à la seconde partie des Mémoires sur les CentJours qui paraîtront finalement en 1822. Le travail à son Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri se poursuit. 5 novembre : Reprise des séances de la Chambre des Députés. 1822, début janvier : La première partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri paraît en librairie. Dufart imprime cette année la totalite´ du texte de Filangieri en cinq volumes. 13 janvier : Compte rendu par J. J. Pagès du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri dans Le Courrier français. Février (?) : Compte rendu, signé P. A. D. , du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri dans la Revue encyclopédique. été : Travail à la quatrième partie du Commentaire.
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Chronologie
1822, novembre : Echec électoral. BC est battu par le candidat royaliste (183 : 192 voix). 1823 : Nicolas-Louis-Marie Artaud publie un compte rendu élogieux du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri dans le t. XIX de la Revue encyclopédique. 1824, février : BC est élu député de Paris. Le député Dudon, et avec lui la droite, contestent la nationalité française de BC. Avril : Dernier voyage en Suisse pour aller chercher des papiers relatifs à sa descendance maternelle pour répondre aux contestations de sa nationalité française. 30 mars : Publication du premier volume de De la Religion. Été : BC travaille à la rédaction finale de la quatrième partie de son Commentaire. 16 août : Les parties 2 à 4 du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri paraissent avec un retard considérable, avec un second tirage du t. V de l’ouvrage de Filangieri. 1825, Mai : Giovanni Valeri publie un important article sur le Commentaire dans le périodique Antologia, édité par Vieusseux. 10 octobre : De la Religion, tome II. 1826 : Traduction italienne du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Décembre : Article anonyme sur cet ouvrage dans l’Antologia. 1827–1830 1827 : BC élu député du Bas-Rhin. Il publie De la Religion, tome
III.
1829 : Publication des Mélanges de littérature et de politique. 1830 : Réélection à la Chambre, participation aux Journées de juillet. BC est nommé Président de section au Conseil d’E´tat. Décès, le 8 décembre, et funérailles, le 12 décembre.
Introduction générale au tome
XXVI
Ce tome XXVI est consacré exclusivement à un seul texte, le Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, publié entre 1822 et 1824, à une époque dominée par des luttes politiques particulièrement violentes. Ce sont ces combats entre les partisans du libéralisme, les doctrinaires et la réaction royaliste, voire ultra-royaliste, qui conditionnent ce livre. De quoi s’agit-il ? L’ouvrage a un double objectif, étant à la fois une critique philosophique d’une doctrine politique ancrée encore dans l’esprit des Lumières et un manifeste politique qui défend une doctrine libérale contre les attaques et les intrigues des royalistes et paraît pour ainsi dire déguisé en contribution philosophique en dépit de la censure puissante. La nouvelle édition de la traduction française de l’œuvre de Filangieri projetée par l’éditeur Dufart en 1821 au plus tard est un des nombreux témoignages de la présence soutenue de la pensée de Filangieri en Europe. Il suffit de parcourir la liste des traductions successives pour s’en rendre compte. Mais les tensions très marquées entre les adeptes du libéralisme et les protagonistes ultras qui se manifestent avec violence dans la France après le meurtre du duc de Berry font de l’ouvrage du philosophe des Lumières napolitaines un document d’actualité. L’usage qu’on en fait ne correspond pas forcément aux objectifs véritables de cet immense effort de réflexion en matière de théorie politique. Mais il conduit Benjamin Constant à s’introduire dans le débat et à joindre à cette édition des notes qui prendront au cours du travail de rédaction de plus en plus d’importance, de sorte que l’éditeur se décide à en faire un volume à part. Il sera publié en livraisons d’abord, pour devenir à la fin le texte du Commentaire tel que nous le connaissons. Il formera le dernier volume de l’édition française de l’œuvre de Filangieri. C’est ce texte que nous reproduisons ici, d’après les imprimés de 1822 et 1824, avec les variantes du manuscrit fragmentaire que nous avons pu reconstituer à partir d’une série importante de fiches conservées dans les fonds de la BCU de Lausanne et des manuscrits de la BnF de Paris. Nous avons adopté pour ce volume, comme pour le t. V des OCBC, un apparat supplémentaire (TR) pour signaler les recoupements avec d’autres textes de Constant, les textes repris des Principes de politique ou d’autres ouvrages, migrations de certains morceaux du Commentaire dans des publications postérieures, dans la mesure où nous avons réussi à les identifier. Les va-
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Introduction générale
riantes du texte manuscrit se trouvent dans l’apparat critique (V) qui signale aussi les pertes du texte manuscrit pour éviter toute équivoque, car l’absence de variantes ne signifie pas forcément qu’il n’y en avait pas du tout. L’Introduction veut exposer ce que nous savons sur l’historique du texte, et ce que nous croyons être utile au lecteur pour aborder la doctrine exposée par Constant. Le volume est complété par une série d’annexes destinées à documenter la genèse et quelques aspects de la réception de l’ouvrage. Il s’agit d’une copie partielle et retravaillée par Constant (vers 1800) d’un texte de Filangieri sur la religion, du Prospectus de l’ouvrage, du texte de la censure romaine, du premier chapitre de l’ouvrage de Filangieri, intitulé «Plan de l’ouvrage» et largement exploité par Constant. Le Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri est, après les Principes de politique de 1815, le seul ouvrage qui expose d’une manière assez développée, bien que toujours partielle, une vision d’ensemble de la doctrine constantienne telle que nous pouvons la connaître aujourd’hui en partant des Principes de politique de 1806. C’est là ce qui fait son intérêt exceptionnel. Comme les Principes de politique de 1815, cet ouvrage porte l’empreinte de l’actualité. En 1815, c’étaient les circonstances très particulières qui favorisaient ou semblaient favoriser l’empire libéral ; Constant le signale par le titre qu’il a choisi pour son texte. En 1822, c’est la constellation politique de la France, toujours sous le choc du meurtre du duc de Berry, sous l’influence aussi de la politique européenne, favorisant le retour vers des structures plus ou moins proches de celles de l’Ancien Régime, qui plane sur le discours de Constant. Faut-il admirer son courage ? Nous voyons en tout cas en lui un de ceux qui ont détecté la marche probable de la réaction anti-libérale, et un des défenseurs d’une autre vision de l’organisation politique d’un État1. Le volume que voici est, comme toujours, un travail d’équipe. La saisie des textes, si elle n’a pas été prise en charge par les éditeurs scientifiques euxmêmes, a été faite à Tübingen par Bettina Schäberle, Anorthe Kremers et Laura Wilfinger. Raphaëlle Hückstädt-Rivet et Lisa Azorin se sont chargées de la relecture de tous les textes. Laura Wilfinger a surveillé la présentation des notes et rédigé les instruments bibliographiques. Les observations judicieuses de Paul Delbouille nous ont permis d’améliorer le texte en maints endroits. Frédéric Jaunin, Léonard Burnand et Lucien Jaume ont su identifier l’article du Journal des Débats du 5 juillet 1822 exploité par Constant dans la Conclusion de l’ouvrage, une phrase d’un discours de 1
Nous citons, pour rappeler que nous avons depuis longtemps signalé une importante lacune des recherches constantiennes, notre compte rendu de l’édition du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri faite par Alain Laurent (voir ci-dessous, p. 94 ; ABC, 28, 2004, pp. 203– 204). Voir aussi Kloocke, Biographie, pp. 259–263.
Introduction générale
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Constant de la même année, l’ouvrage du Chevalier Mézard utilisé par Constant pour la rédaction de son Commentaire et quelques allusions difficiles à élucider. Ernst A. Schmidt et Joachim Starbatty (tous les deux professeurs à l’Université de Tübingen) nous ont aidé à éclaircir des questions relatives à Diodore et à la philosophie économique. Michel Duchein (Paris) nous a communiqué de précieuses informations sur l’histoire de l’Angleterre. Nous tenons à reconnaître notre dette à l’égard du réviseur Jérôme Ferrand (Université de Saint-E´tienne) qui nous a suggéré plusieurs corrections utiles et d’approfondir notre annotation de la troisième partie du Commentaire. Alain Laquièze et Lucien Jaume nous ont aidé à éclaircir des questions complexes en matière juridique. Jean Pietri (Paris) s’est chargé de la traduction française des textes d’Antonio Trampus et de Franco Motta. Les conservateurs des manuscrits de la BCU de Lausanne et de la BnF nous ont, comme toujours, permis de consulter les manuscrits et de reconstituer le manuscrit détruit du Commentaire, travail délicat et difficile a` réaliser. Qu’ils trouvent tous ici l’expression de nos remerciements. K. K.
1. Page de titre de la première édition de Filangieri, La Scienza della legislazione, Napoli : Nella stamperia Raimondiana, 1780. Biblioteca della Società Napoletana di Storia Patria, Napoli, Volpicella 05.175.
Sources
La liste qui suit regroupe, en les résumant, les descriptions des sources anciennes de tous les textes contenus dans le tome XXVI. Pour les manuscrits, le regroupement se fait par fonds, et à l’intérieur de ceux-ci, les mentions apparaissent dans l’ordre croissant des sigles. Pour les imprimés, la liste est unique et donne les ouvrages d’abord, les articles ensuite.
Manuscrits A. Bibliothèque nationale de France (BnF) – Paris A1.
NAF 14362, fos 172vo–182ro Morceau de Filangieri sur la religion 11 fos, 20 p. de la main d’Audouin, 265 × 200 mm. Hofmann, Catalogue, II/1.
A2.
NAF 18822, fos 1–28 [Fragments de la Première partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri] 28 fos, 28 p. a., 150 × 100 mm, quelques-uns de 200 × 150 mm. Hofmann, Catalogue, IV/60.
A3.
NAF 18822, fos 29–39 [Fragments de la deuxième partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri] 11 fos, 11 p. a., 190 × 150 mm. Hofmann, Catalogue, IV/66.
B. Bibliothèque Cantonale et Universitaire (BCU) – Lausanne B1.
Co 3278, fos 29vo, 50vo, 87vo [Fragments de la conclusion du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri] 1 fo, 1 p. a., 310 × 200 mm, découpé en trois morceaux. Hofmann, Catalogue, IV/61.
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Sources
B2.
Co 3278, fo 57vo Et n’êtes-vous pas obligés 1 fo, 1 p. a., 160 × 100 mm. Hofmann, Catalogue, IV/62.
B3.
Co 3278, fo 83vo Pourquoi ne considérer que les apparences 1 fo, 1 p. a., 150 × 100 mm. Hofmann, Catalogue, IV/63.
B4.
Co 3278, fo 28vo [...] se manifestera donc par 1 fo, 1 p. a., 160 × 105 mm. Hofmann, Catalogue, IV/64.
B5.
Co 3444, fos 8–9 [Fragments du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri] 4 fiches collées sur un fragment du livre VII, chap. 5 de De la Religion. Hofmann, Catalogue, IV/65.
B6.
Co 3267, Co 3278, Co 4722 [Fragments de la deuxième partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri] 33 fos, 33 p. a., 190 × 150 mm. Hofmann, Catalogue, IV/83.
B7.
Co 3278, fo 80vo «a été lente et progressive» [Fragment de la première partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri] 1 fo, 1 p. a., 160 × 100 mm. Hofmann, Catalogue, IV/60.
C. Archivio della Congregazione per la Dottrina della Fede (ACDF) – Roma C1.
ACDF, Index, Protocolli, 109 (1827), fos 136vo–137ro Giovanni Battista Piccadori, Benjamin Constant, Commentario alla scienza di legislazione del Filangieri. 1 fo, 2 pp. imprimées.
Sources
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Imprimés 1.
COMMENTAIRE SUR L’OUVRAGE DE FILANGIERI PAR M. BENJAMIN CONSTANT. [Monogramme de l’éditeur commercial] A PARIS CHEZ P. Dufart, LIBRAIRE, QUAI VOLTAIRE, No 19. M.DCCCXXII. Courtney, Bibliography, 50a(1). Courtney, Guide, A50/1.
2.
COMMENTAIRE SUR L’OUVRAGE DE FILANGIERI PAR M. BENJAMIN CONSTANT. [tiret] DEUXIE`ME PARTIE. [Monogramme de l’éditeur commercial] A PARIS CHEZ P. Dufart, LI BRAIRE, QUAI VOLTAIRE, No 19. M.DCCCXXIV. Courtney, Bibliography, 50a(2). Courtney, Guide, A50/2.
3.
Prospectus du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Mentionné dans la Bibliographie de France. Non localisé. Courtney, Bibliography, 50. Courtney, Guide, A50.
4.
Œuvres de G. Filangieri, traduites de l’italien. Nouvelle édition, accompagnée d’un Commentaire par M. Benjamin Constant et de l’E´loge de Filangieri par M. Salfi. Tome Premier, A Paris : Chez P. Dufart, Libraire. M.DCCCXXII. «Plan raisonné de l’ouvrage», pp. 15–42.
2. Page de titre de la première édition de la traduction française de Filangieri, La science de la législation, Paris : Curchet, 1786. Bibliothèque Cantonale et Universitaire, Lausanne, 1S 83.
Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri 1822–1824
Introduction
I
Filangieri et Constant : deux concepts pour une constitution En 1822, Benjamin Constant publie à Paris un Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri en deux volumes, que l’éditeur Dufart ajoute à la nouvelle édition française de La Science de la législation, œuvre de l’un des plus célèbres représentants de la pensée des Lumières italiennes. Au seuil d’une nouvelle époque, la somme de Gaetano Filangieri (1753–1788) venait rappeler à la France et à l’Europe que l’Italie, après plusieurs siècles d’abattement et de déclin, était encore capable d’apporter une contribution appréciable à l’expérience démocratique et constitutionnelle du continent. A Paris, un Italien qui avait bien connu Filangieri, l’exilé Francesco Saverio Salfi (ami et élève de Filangieri), écrivait vers la même date : «La liberté, qui s’était remontrée en Italie au douzième siècle, disparut de nouveau dans le seizième, après la chute de la république de Florence [...]. Cependant son histoire civile et littéraire offre quelques faits remarquables, qui prouvent que l’amour de l’indépendance et de la liberté s’est réveillé de tems en tems chez les Italiens»1. Que La Science de la législation comptât au nombre de ces «faits remarquables», et ce bien au-dela` de l’Italie, l’attention que lui réserve le Commentaire de Constant en témoigne. De fait, la genèse et le propos de ce Commentaire, trop souvent considéré comme la simple riposte d’un constitutionnel libéral à l’une des œuvres maîtresses des Lumières napolitaines, attestent que la culture de la Restauration envisagea le constitutionnalisme des Lumières de manière moins univoque. Des études récentes et de nouveaux documents ont permis de mesurer l’influence qu’exerça La Science de la législation sur la culture politique du XIXe siècle et d’analyser le mode de sélection adopté par Constant dans sa critique. Il nous reste à comprendre pourquoi. Dans les pages qui suivent, nous nous proposons de montrer comment l’œuvre de Filangieri, élaborée en 1780 dans un contexte fortement marqué par une culture politique et sociale d’Ancien Régime, parvint à formuler 1
Francesco Saverio Salfi, L’Italie au dix-neuvième siècle ; ou de la nécessite´ d’accorder, en Italie, le pouvoir avec la liberté, Paris : Dufart, 1821, pp. 19–20.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
dans un langage adéquat certains principes d’organisation politique et une idée de société que les savants européens accueillirent comme un véritable projet constitutionnel. C’est ce qui explique la genèse du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri et la diffusion considérable que devait connaître La science de la législation au gré de ses rééditions et de ses traductions successives, pour devenir une sorte de laboratoire où la circulation d’un lexique politique propre à l’espace italien et son adaptation au-dela` des frontières s’opèrent distinctement sous nos yeux. En ce sens, le projet de l’éditeur Dufart apparaît comme le prolongement d’un débat entamé dès la fin de l’époque des Lumières et dont le regain de revendications constitutionnelles des années 1820–1821 motivait la reprise. Ce n’est pas sans raisons qu’au tournant du siècle les éditions et les traductions de La Science de la législation s’accordent à travers le continent au rythme du débat politique et constitutionnel. Après les premières rééditions qui suivirent de près sa parution, elle connaît une deuxième vague de notoriété au cours des années 1796–1799, à l’heure des démocraties révolutionnaires. Elle reparaît alors à Venise (1796), Rome (1799), Paris (1796–1799), Copenhague (1799) et Livourne (1799). Les traductions russe et suédoise sont publiées entre 1798 et 1813. Quand la Restauration succède à l’Empire, au temps de la naissance du libéralisme européen et de ses expériences constitutionnelles, La science de la législation paraît successivement à Livourne (1812), Madrid (1813), Stockholm (1814), Palerme (1817), Florence (1820), Venise et Paris (1822)1. Constant avait plus d’une raison de s’attacher à La Science de la législation : il y trouvait une occasion de discuter les importantes questions constitutionnelles que l’on recommençait à agiter au lendemain de la Restauration, de se confronter à la réaction bourbonnienne de Charles X, la possibilité enfin de soutenir et de réaffirmer les thèses libérales que l’échec des mouvements des années 1820–1821 venait d’ébranler. De façon indirecte, il est vrai, Constant a d’ailleurs lui-même évoqué les motifs qui l’engagèrent, son Cours de politique constitutionnelle une fois achevé, à se 1
Sur la fortune et la diffusion de l’œuvre de Filangieri dans la culture européenne des XVIIIe et XIXe siècles, voir Antonio Trampus, «La genesi e la circolazione della Scienza della legislazione. Saggio bibliografico», Rivista Storica Italiana, 117, 2005, pp. 308–359 et, du même, «Die Wissenschaft der Gesetzgebung : Gaetano Filangieri», Ueberwegs Grundriss der Geschichte der Philosphie. Die Philosophie des 18. Jahrhunderts, t. III/1 : Italien, hrsg. von Johannes Rohbeck und Wolfgang Rother, Basel : Schwabe, 2011, pp. 418–436. Pour une analyse plus approfondie de la signification de l’œuvre de Filangieri dans l’histoire des cultures italienne, espagnole, allemande et russe, voir les essais recueillis dans le volume dirigé par Antonio Trampus, Diritti e costituzione. L’opera di Gaetano Filangieri e la sua fortuna europea, Bologna : il Mulino, 2005.
Introduction
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tourner vers une œuvre dont il était dès lors familier. Ils tiennent en deux points : d’une part la signification que revêtait le traité de Filangieri, en tant que projet constitutionnel ; de l’autre sa fortune internationale à l’orée du siècle, et plus particulièrement dans le cadre de la politique intérieure française sous la Restauration, c’est-à-dire dans un contexte fort différent de celui du royaume de Naples, où il avait été conçu. Comme nous allons le voir, pour saisir pleinement la signification historique du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, il importe de bien cerner d’abord le sens et la place de la Scienza della legislazione dans la culture constitutionnelle européenne à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, avant d’en venir à Constant pour étudier les modalités et les étapes qui caractérisent son approche de l’œuvre.
L’œuvre de Filangieri : un projet constitutionnel dans l’Europe des Lumières Dans la production éditoriale de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, La science de la législation se signale tout autant par ses dimensions (cinq tomes divisés en huit volumes) que par le nombre de rééditions et de traductions dont elle a fait l’objet jusqu’au milieu du siècle suivant. Entreprise aux environs de 1778, la mort prématurée de l’auteur la laissa inachevée ; le dernier tome posthume parut en 1791. Mais Filangieri avait eu le temps d’y jeter les bases d’une science moderne de la politique auxquelles allaient se référer tous ceux qui, à l’instar de Benjamin Constant, ressentiraient la nécessité de réfléchir sur les formes d’organisation politique et sociale. Car cette œuvre complexe et structurée, riche en renvois internes et en références à la littérature des Lumières, se présente comme une analyse systématique des principes et des règles, fruits de l’art ou de la nature, qui régissent la science de la législation1. Après avoir posé les principes généraux de cette science, Filangieri consacre son deuxième tome aux lois politiques et économiques, le troisième (en deux parties) a` la procédure criminelle, aux délits et aux peines, le quatrième à la législation en matière d’éducation, de mœurs et d’opinion publique, le cinquième enfin aux lois relatives à la religion. Le tome suivant, concernant le régime de la propriété,
1
Les recherches les plus récentes et les plus novatrices sur la pensée de Filangieri sont celles de Vincenzo Ferrone, La società giusta ed equa. Repubblicanesimo e diritti dell’uomo in Gaetano Filangieri, Roma e Bari : Laterza, 2003 (traduction française : La politique des Lumières. Constitutionnalisme, républicanisme, droits de l’homme : le cas Filangieri, Paris : L’Harmattan, 2010), et de Francesco Berti, La ragione prudente. Gaetano Filangieri e la religione delle riforme, Firenze : Centro Editoriale Toscano, 2003.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
demeura inachevé. Quant au septième, qui devait traiter du droit de la famille, l’auteur n’en écrivit pas la moindre page. La structure de La Science de la législation Pour comprendre la portée des réflexions et des critiques formulées par Constant, nous devons nous représenter d’abord toute la complexité de l’œuvre dont il traite. Dans le premier tome, Filangieri décrit la structure d’ensemble de La Science de la législation, trace le cadre général et le programme qu’il se propose de remplir et annonce clairement ses objectifs polémiques : en premier lieu Montesquieu et le constitutionnalisme fondé sur les distinctions des ordres décrit dans De l’esprit des lois. Filangieri saisit cette occasion pour mettre au jour les contradictions et les zones d’ombre de la culture d’Ancien Régime. Il commence par exposer les réflexions générales que lui inspirent la crise de cette fin de siècle et la nécessité d’opposer aux gouvernements absolus une forte conscience égalitaire, adossée à une profonde réforme des équilibres économiques, juridiques (particulièrement en matière de droit pénal et de procédure criminelle), éducatifs et religieux. Ces prémisses impliquaient la primauté de la loi et l’affirmation de son caractère général et abstrait. C’était éviter l’écueil d’une conception organiciste présentant la législation comme une conséquence nécessaire de la nature des choses et déniant aux hommes le pouvoir de la réformer. De là procédait également l’idée qu’il importait de fixer les principes de cette nouvelle législation en les inscrivant, suivant l’exemple que donnaient alors les colonies américaines, dans un bref codex de lois fondamentales dont des magistrats désignés à cet effet garantiraient le respect. L’adoption de ces principes permettrait aux peuples européens enfin conscients de leur liberté d’en revendiquer l’exercice et d’engager ainsi la «révolution pacifique» qui entraînerait l’abolition des despotismes de toutes sortes1. Le deuxième tome, consacré aux lois économiques et à leur rapport avec la politique, développait ces concepts à travers l’analyse des causes de la crise que traversait le XVIIIe siècle finissant. Filangieri était conscient que l’épuisement du système mercantiliste marquait la fin d’un cycle important 1
On peut voir la récente édition critique de l’œuvre en sept volumes : Gaetano Filangieri, La scienza della legislazione, edizione critica diretta da Vincenzo Ferrone, Venezia : Centro di Studi sull’Illuminismo europeo «Giovanni Stiffoni», 2003 ; deuxième édition : Mariano del Friuli : Edizioni della Laguna, 2004 (les citations ont été tirées de cette deuxième édition). Pour une recension de cette édition, voir le compte rendu de Kurt Kloocke dans ABC, 29, 2005, pp. 222–225.
Introduction
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de l’histoire européenne et que le développement du commerce imposait l’adoption de nouvelles règles susceptibles d’établir plus rigoureusement les droits et les formes de la liberté économique. Le déclin de l’Angleterre, après celui de l’Espagne et de la France, incitait à s’intéresser à l’Europe orientale et au continent américain. D’autre part, les difficultés de l’Europe et de son système économique rendaient nécessaire un projet de réformes fondé sur l’abolition de la féodalité, une meilleure distribution des richesses et une conception du droit de propriété capable de répondre au désir d’égalité entre les hommes. Le troisième tome traitait du problème controversé des procès criminels où, surtout lorsque l’action engagée était de type inquisitorial, les injustices et les inégalités de l’Ancien Régime se manifestaient de manière criante. En suivant une méthode très originale, puisqu’elle consistait à commenter les règles de procédure avant d’envisager le droit substantiel – à l’inverse, notamment, de ce qu’avait fait Cesare Beccaria – Filangieri soulignait le caractère confus de la législation ainsi que l’immobilisme des lois, depuis les lois romaines et barbares jusqu’aux lois féodales et ecclésiastiques. Autant d’éléments qui concouraient, avec la procédure en vigueur, à affaiblir les droits de l’individu et les garanties de sa liberté. Filangieri proposait une nouvelle procédure qui consacrerait la primauté de la loi et du juge sur les intérêts particuliers, une procédure de type accusatoire qui mettrait un terme à l’arbitraire inquisitorial, aux dénonciations secrètes, à la torture et à la multiplicité des juges. La seconde partie du troisième tome s’attaquait à la question des délits et des peines, un sujet que la pensée européenne avait mis au centre de ses préoccupations. Filangieri composa à cet effet un véritable traité de droit pénal qui, partant d’un certain nombre de principes généraux et suivant les règles d’une méthode rationnelle de type déductif, aboutissait à une théorie des droits de l’homme inspirée d’une lecture républicaine de la doctrine du contrat social. Son analyse s’attachait à la typologie des délits, des atteintes aux personnes et a` la propriété jusqu’aux causes intéressant la famille, la société et l’E´tat, sans oublier les délits politiques et économiques. Le quatrième tome, en trois parties, traitait des mœurs, de l’instruction et de l’opinion publique. L’auteur y esquissait la description d’une société renouvelée dans ses traits essentiels grâce à la réforme de l’instruction, des universités et des académies scientifiques, à la supériorité de l’instruction publique et à l’adoption du modèle de vertu et d’esprit public qui avait illustré l’Antiquité classique. Filangieri prônait le développement d’une société émancipée, que la liberté de la presse et les pressions d’une opinion publique enfin reconnue rendraient capable d’exercer une véritable fonction critique dans la cité.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
Le cinquième tome, très influencé par l’obédience franc-maçonne de Filangieri, abordait le thème des rapports de l’homme et de la société avec la religion. Pour l’auteur, il s’agissait de créer une nouvelle religion civile qui, s’inspirant de la démarche maçonnique, chercherait à redécouvrir en amont de la tradition chrétienne les savoirs et les connaissances issus des mythes anciens. C’est dire que La Science de la législation nous apparaît aujourd’hui comme le plus ambitieux des ouvrages politiques auxquels les Lumières italiennes aient donné naissance. Il s’agit d’un véritable projet constitutionnel «républicain», dans le sens que le XVIIIe siècle donnait à ce mot, de refonte de la société civile1. Le premier tome est consacré spécifiquement aux Règles générales de la science législative. Filangieri y aborde le thème des droits, sous le double aspect des droits du citoyen et des droits de l’homme. Or, il entend que ces droits ne trouvent pas seulement leurs fondements dans les principes du droit naturel, mais soient encore reconnus en vertu d’un acte spécifique du pouvoir souverain2. Le mot même de «constitution» y apparaît à plus de soixante reprises. Nul doute que l’auteur ait voulu se référer à la constitution dite «matérielle», l’exemple le plus fréquemment évoqué étant celui de la constitution anglaise et Filangieri parlant d’ailleurs lui-même de «constitution du gouvernement». Mais si le mot n’apparaît pas nettement sous sa plume dans le sens moderne de constitution formelle et écrite, l’idée n’en est pas moins présente dans son œuvre, notamment dans le célèbre passage où Filangieri établit la nécessité d’un code succinct de lois fondamentales où la nature de la constitution ainsi que les prérogatives et les limites des trois pouvoirs seraient définies sans possibilité d’interprétation ni ambiguïté d’aucune sorte3. Ainsi, dès le premier livre de La Science de la législation, la concomitance des deux conceptions 1
2
3
Pour le débat international, voir Bartolomé Clavero, Happy Constitution. Cultura y lengua constitucionales, Madrid : Trotta, 1997, pp. 12–40, et Michael Stolleis, Konstitution und Intervention. Studien zur Geschichte des öffentlichen Rechts im 19. Jahrhundert, Frankfurt am Main : Suhrkamp, 2001, pp. 17–32. Voir aussi Historia de los derechos fundamentales, dirigida por Gregorio Peces-Barba Martínez, Eusebio Fernández García y Rafael De Asís Roig, t. II/1 : La filosofía de los derechos umanos et t. II/2 : El contexto social y cultural de los derechos, Madrid : Instituto de derechos umanos, Universidad Carlos III, 2001. Jean-Louis Mestre, «L’étude de la constitution à la faculté de droit de Nancy de 1789 à 1792», Revue d’histoire des facultés de droit et de science juridique, 22, 2002, pp. 33–50 ; Gerald Stourhz, «Constitution, évolution des significations du terme depuis le début du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle», Droits, 29, 1999, pp. 157–175 ; La Constitution dans la pensée politique, sous le haut patronage de Christian Poncelet et Émile Zuccarelli, Actes du XIVe colloque de l’AFHIP (Bastia), Marseille : Presses Universitaires d’AixMarseille, 2001. G. Filangieri, La Scienza della legislazione, edizione critica, t. I, édité par Antonio Trampus, p. 120.
Introduction
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– matérielle et formelle – de l’idée de constitution manifeste de manière aussi évidente que précoce le dualisme que présente en ce domaine la pensée politique de la fin de l’Ancien Régime, où la version médiévale du constitutionnalisme s’affronte à sa version moderne, fondée sur le respect des règles établies par l’E´tat de droit1. Signalons que Filangieri demeurait en partie tributaire du contexte italien, où le terme de «constitution» renvoyait a` ce que nous appelons aujourd’hui «constitution des ordres» ou «d’Ancien Régime» : il hésite entre l’usage ancien du mot et une acception presque moderne, proche de celle que la Pennsylvanie avait retenue depuis peu dans sa formulation des normes dont le Congrès des États-Unis d’Amérique débattait alors. Filangieri s’efforce de trouver un compromis entre ces deux usages. Afin de distinguer l’ancienne «constitution des ordres» et la nouvelle idée de constitution, il précise que le mot désigne «les véritables lois qui déterminent la nature de la constitution, les droits et les limites de l’autorité de chacun des corps, et n’admettent ni interprétation ni ambiguïté», en prenant soin de spécifier : «seules les vraies lois fondamentales, et non point celles auxquelles on a abusivement donné ce nom»2. En somme, le premier tome de La Science de la législation peut se lire comme un traité de philosophie constitutionnelle à part entière, conçu sur le modèle de De l’esprit des lois. Nous touchons ici l’un des points centraux du problème qui nous occupe. En Europe et en Italie, la réflexion morale conduit alors à envisager la question de la loi et des droits en termes de constitution. Le processus de laïcisation du droit et de la morale est caractéristique des Lumières, et c’est précisément au cours du XVIIIe siècle que le postulat d’une relation nécessaire entre le droit inscrit dans la norme et le droit tel qu’il doit être se trouve battu en brèche3. La morale est séparée du droit positif ; la loi et son application acquièrent leur pleine autonomie, tandis que les préceptes et les jugements moraux continuent de dépendre des circonstances religieuses, sociales et culturelles, lesquelles peuvent coïncider à l’occasion, mais non nécessairement, avec la norme juridique. De toute évidence, le sens même du terme de morale s’en trouve changé : ce n’est plus celui que la tradition 1
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Rappelons que la Révolution française ne parviendra pas mieux à surmonter une équivoque entretenue par l’usage, et que les travaux de recherche sur l’institution des premières chaires de droit constitutionnel à l’époque de la Révolution ont établi qu’à cette dernière appellation la France préféra longtemps celle de «droit public général». Pour une analyse de ces problèmes, on consultera A. Trampus, «Filangieri et le langage de la constitution», Nuevo Mundo – mundos nuevos / Nouveau monde – mondes nouveaux, Paris : EHESS, 6, 2006, pp. 1–12, http ://nuevomundo.revues.org/document1811.html. Michel Delon, «Morale», Le monde des Lumières, sous la direction de Vincenzo Ferrone et Daniel Roche, Paris : Fayard, 1999, pp. 31–39.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
de la doctrine du droit naturel avait transmis. En 1779–1780, Filangieri peut écrire : «J’appelle bonté absolue des lois leur harmonie avec les principes universels de la morale communs à toutes les nations, à tous les gouvernements et adaptés à tous les climats. Le droit de la nature contient les principes immuables de ce qui est juste et équitable dans toutes les circonstances»1. L’idée d’une morale sécularisée, et d’ailleurs autonome à l’égard de la norme juridique, constitue désormais un canon par rapport auquel le contenu de cette dernière peut être mesuré et gradué2. Au reste, la discussion sur le problème de la morale enveloppait d’autres querelles, notamment l’âpre polémique dont faisait l’objet la pensée de Machiavel, la conception de la politique qui sous-tendait Le Prince et surtout sa «foi réaliste», si mal accordée au fidéisme des Lumières. La controverse touchant la moralité de Machiavel tournait ainsi au débat sur la condition de l’homme «tel qu’il est et tel qu’il devrait être», selon la célèbre formule qui allait retentir à travers toute la culture italienne, de Paolo Mattia Doria jusqu’à Gaetano Filangieri3. Le discours sur la morale permettait d’attirer à nouveau l’attention sur la vraie nature de la politique, sur les principes qui devaient l’inspirer et guider l’action gouvernementale. L’écart entre l’«être» et le «devoir être» devient le point central du débat : la politique doit-elle se référer à des modèles purement théoriques ? Dégagera-t-elle au contraire des critères concrets de l’exercice réel du gouvernement des hommes ? Dans l’étude de la morale, les penseurs des Lumières voient le moyen d’établir un modèle universel de solidarité, d’humanité et de raison, l’instrument qui permet de séparer la norme juridique et les obligations qu’elle comporte de leurs conditionnements extérieurs, religieux au premier chef4. Dans cette perspective, la tradition européenne du droit naturel pouvait être réinterprétée en profondeur, et la catégorie des droits naturels redéfinie de telle sorte qu’ils se transforment en droits inaliénables de l’homme. Quand la frontière entre droit et morale s’estompe, quand justification juridique et justification éthique se confondent, l’absolutisme se trouve du même coup légitimé. 1 2
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G. Filangieri, La Scienza della legislazione, edizione critica, t. I, édité par A. Trampus, p. 61. Le débat sur la morale devient un sujet de prédilection pour le constitutionnalisme du XVIIIe siècle (et même au-delà). Il s’impose également dans les académies, les loges maçonniques ainsi que dans l’E´glise catholique. En Italie, il inspire des pages remarquables à des auteurs tels que Ludovico Antonio Muratori, Antonio Genovesi, Melchiorre Delfico, Gianrinaldo Carli, Pietro Verri, mais les débats politiques français soulèvent aussi la question. Voir Antonio Trampus, Storia del costituzionalismo italiano nell’età dei Lumi, Roma e Bari : Laterza, 2009, pp. 140–167, et Florence Gauthier, Triomphe et mort du droit naturel en révolution 1789–1795–1802, Paris : PUF, 1992, pp. 127–154. V. Ferrone, La società giusta ed equa, p. 127. Luigi Ferrajoli, Diritto e ragione. Teoria del garantismo penale, Roma e Bari : Laterza, 1998, p. 203.
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Au cœur du constitutionnalisme des Lumières : morale et législation dans la culture napolitaine avant la Révolution Ce qui précède permet de mesurer l’ampleur du débat engagé par les Lumières autour du constitutionnalisme et de la morale, et la complexité du double problème qu’il s’agissait alors de résoudre : dissocier d’une part la théologie de la politique, rétablir d’autre part les contenus de la morale de manière à la refonder sur la base d’une théorie moderne des droits. Peut-on déduire les droits de l’homme des droits naturels, et comment ? Quel rapport établir entre droits naturels, droits de l’homme et droits sociaux ? Ces droits peuvent-ils être constitutionnalisés ? On le voit : pour que la confrontation de Constant avec Filangieri nous apparaisse sous son vrai jour, il importe de comprendre que La Science de la législation opère une vaste synthèse de l’esprit des Lumières. Lorsqu’il entreprit de la commenter, au lendemain de la Restauration, Constant s’employait d’ailleurs à dresser un large bilan de la philosophie des Lumières, dont les idées trouvaient alors un second souffle. De son côté, de façon plus ou moins directe, Antonio Genovesi, maître de Filangieri et l’une des figures de proue de la vie intellectuelle italienne de la seconde moitié du XVIIIe siècle, avait également abordé les thèmes que développait Filangieri1. Genovesi figure en bonne place parmi les penseurs qui s’attelaient alors au problème de la morale et de ses liens avec la politique et le droit2. L’introduction de Salfi à l’édition de La Science de la législation suivi par le Commentaire de Constant (1821– 1822) explique ce rôle : «Antonio Genovesi éclaircit les aperçus de Vico, et non seulement il s’appliqua à enrichir ses concitoyens de ce que les étran-
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Franco Lo Piparo, «La nation, la campagne, la science et la langue chez Genovesi et De Cosmi», Les idéologues. Sémiotique, théories et politiques linguistiques pendant la Révolution française, édité par Winfried Busse et Jürgen Trabant, Amsterdam et Philadelphia : John Benjamins Publishing Co, 1986, pp. 237–240 ; Marco Bianchini, Bonheur public et méthode géométrique. Enquête sur les économistes italiens (1711–1803), Paris : Institut national d’études démographiques, 2002, pp. 84–92 ; Jésus Astigarraga, «Diálogo económico en la ‘otra’ Europa. Las traducciones españolas de los economistas de la Ilustración napolitana (A. Genovesi, F. Galiani y G. Filangieri)», Cromohs, 9, 2004, pp. 1–21, http://www.cromohs.unifi.it/9 2004/astigarraga.html ; Philippe Audegean, «Leçons de choses. L’invention du savoir économique par ses premiers professeurs : Antonio Genovesi et Cesare Beccaria», Astérion, 5, juillet 2007, http://asterion.revues.org/document824.html. Voir surtout Paola Zambelli, La formazione filosofica di Antonio Genovesi, Napoli : Morano, 1972 ; Maria Luisa Perna, «L’universo comunicativo di Antonio Genovesi», Editoria e cultura a Napoli nel XVIII secolo, a cura di Anna Maria Rao, Napoli : Liguori, 1998, pp. 401–422 ; V. Ferrone, La società giusta ed equa, pp. 131–135 ; Antonio Genovesi, Delle lezioni di commercio o sia di economia civile, con elementi del commercio, a cura di Maria Luisa Perna, Napoli : Istituto italiano per gli studi filosofici, 2005.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
gers avoient produit de meilleur en ce genre, il les encouragea encore à rivaliser avec eux»1. Déjà dès 1766, dans sa Logica per gli giovanetti (Logique pour les jeunes gens), Genovesi esquissait une distinction des normes juridiques et théologiques : «Outre les lois naturelles et les lois civiles, nous disposons, nous chrétiens, des lois que Dieu nous a dictées. Nous voulons puiser la science de ces lois dans les livres sacrés et dans les décrets de l’E´glise universelle et non dans les textes des experts en casuistique»2. Mais c’est surtout dans la Diceosina, o sia della filosofia del giusto e dell’onesto que Genovesi se propose de rechercher les éléments susceptibles de donner forme à une nouvelle «science de la morale»3. Il développe à cet effet une analyse approfondie de la doctrine du droit naturel et des fondements de la morale qui le conduit à définir les caractères d’une société «juste et équitable»4. Le contenu des lois morales est ramené à un seul principe, qui s’applique aussi bien au domaine civil qu’au religieux : «Préserve les droits de chacun, et si tu les a violés efforce-toi de les rétablir»5. Ces lois peuvent servir de base à la refondation d’une science morale qui formulera les principes d’une théorie moderne des droits de l’homme et d’un nouvel art politique, autrement dit la règle du gouvernement des hommes. Dans la Diceosina, Genovesi procède (avant la Révolution américaine) à une analyse de type symétrique qui l’amène, après avoir étudié la nature humaine, les lois morales et les obligations religieuses (d’une part ce que nous devons à nos semblables, de l’autre ce que nous devons à Dieu), à identifier les fondements des devoirs de l’homme, du citoyen et des magistrats (les titulaires de charges publiques). De même, il amorce une enquête sur l’état de nature qui lui permet de définir les droits de l’homme (droits naturels, selon lui), les droits du citoyen et ceux de la souveraineté6. La Déclaration des droits qui précède le Projet de la constitution de la République napolitaine de Francesco Mario Pagano (1799), ami de Filangieri, dénote un même souci de symétrie : Pagano propose un modèle où trouvent place, dans l’ordre, les droits de l’homme, les droits du citoyen et les droits du peuple (lesquels se confondaient encore, pour Genovesi, avec 1
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Francesco Saverio Salfi, «E´loge de Filangieri», dans Gaetano Filangieri, Œuvres de Gaetano Filangieri, traduites de l’italien, nouvelle édition, accompagnée d’un Commentaire par M. Benjamin Constant et de l’éloge de Filangieri par M. Salfi, t. I, Paris : Dufart, 1822, p. XXXI. Antonio Genovesi, La logica per gli giovanetti, Bassano : Remondini, 1774, p. 50. Diceosina, ou la philosophie du juste et de l’honnête, sorte de manuel universitaire dont l’édition définitive paraît en 1777. Antonio Genovesi, Della diceosina, o sia della filosofia del giusto e dell’onesto, a cura di Niccolò Guasti, Venezia : Centro di Studi sull’Illuminismo europeo «Giovanni Stiffoni» e Mariano del Friuli : Edizioni della Laguna, 2008. V. Ferrone, La società giusta ed equa, pp. 23–48. A. Genovesi, Della diceosina, livre II, chap. VIII, par. XXVI, pp. 384–385. A. Genovesi, Della diceosina, livre II, chap. IX, par. XV, p. 394.
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les prérogatives de la souveraineté). S’ensuivent les devoirs de l’homme, les devoirs du citoyen et les devoirs des fonctionnaires publics (que Genovesi appelle les devoirs des magistrats). Quelques exemples nous permettront d’illustrer ce schéma. Dans l’art. 18 de la section intitulée Devoirs de l’homme, nous lisons : «Chaque homme doit secourir ses semblables et s’efforcer de conserver et d’améliorer leur état. Du fait de la ressemblance de nature, chacun doit porter à autrui autant d’affection qu’à soi-même»1. C’était constitutionnaliser un principe de solidarité déduit du droit de l’homme à sa propre conservation. On retrouve une formule semblable dans la Diceosina de Genovesi : «Le quatrième devoir général du citoyen consiste à se préparer sans trop tarder à être utile aux autres. Car si le pacte requiert que tous s’entraident, il faut que chacun ait quelque moyen de se rendre utile à autrui ; faute de quoi le pacte social serait une fausse et vaine promesse»2. Voici un autre exemple : l’art. 26 établit en ces termes l’un des devoirs du fonctionnaire public : «Chaque fonctionnaire public doit consacrer sa personne, son intelligence, sa fortune et sa vie à la conservation et à la prospérité de la République»3. En Italie, on ne trouve rien de semblable dans aucune autre déclaration des droits. Cependant, à propos des magistrats, la Diceosina de Genovesi stipulait : «Le Magistrat a pour autre devoir l’amour de la patrie, c’est-à-dire du bien public. Une République n’est que l’union des intérêts des particuliers. Puisque tous les particuliers mettent pour partie leurs droits en commun, les Magistrats ne sont rien d’autre que les gardiens de ces dépôts communs»4. L’actualité de Filangieri en Thermidor : droits de l’homme et démocratie constitutionnelle Face à la culture d’Ancien Régime, la pensée italienne de l’âge des Lumières était parvenue à établir clairement que le constitutionnalisme moderne ne saurait se réduire à une doctrine de la limitation des pouvoirs. Même la querelle des Anciens et des Modernes avait démontré que la démocratie ne pouvait être simplement conçue comme un pouvoir fondé sur la volonté générale et qu’elle requérait une détermination plus précise de ses contenus : c’était une chose de la définir comme une aspiration idéale à l’égalité, 1
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Voir l’édition moderne : Progetto di costituzione della Repubblica napoletana presentato al Governo provvisorio dal Comitato di legislazione, a cura di Federica Morelli e Antonio Trampus, Venezia : Centro di Studi sull’Illuminismo europeo «Giovanni Stiffoni» e Mariano del Friuli : Edizioni della Laguna, 2008, p. 133. A. Genovesi, Della diceosina, livre II, chap. IX, par. XII, pp. 392–393. Progetto di costituzione, p. 34. A. Genovesi, Della diceosina, livre II, chap. IX, par. XXI, pp. 396–397.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
c’en était une autre de concevoir les instruments qui orienteraient son exercice. En ce sens, le débat sur les droits de l’homme avait intégré et modifié l’ancienne conception de la démocratie. L’inscrire au fronton de la constitution, c’était contribuer à transformer la pure théorie démocratique en une «démocratie constitutionnelle» où le discours politique moderne pouvait trouver les points d’appui de son développement1. Le lien entre démocratie et constitution devenait la clef de voûte d’une doctrine démontrant qu’à moins de se manifester librement, la volonté populaire reste un vain mot et – dans la droite ligne de la philosophie de Kant – que le respect des libertés fondamentales et des droits individuels conditionne l’exercice de la souveraineté démocratique2. On comprend pourquoi, dès le milieu du siècle, le constitutionnalisme des Lumières tendit au dépassement de la pars destruens que représentait la critique du despotisme, pour définir une pars construens vouée à l’élaboration d’un système de garanties constitutionnelles efficaces. C’est aussi pourquoi l’époque révolutionnaire n’a jamais relâché son attention sur ce point, surtout lorsque le respect des droits était menacé ou que la primauté de la constitution paraissait ébranlée dans son principe même par les promulgations successives des assemblées françaises et l’activité fiévreuse des législateurs italiens. Ainsi, quand la littérature politique de la fin du XVIIIe siècle s’attachait avec tant d’insistance aux mécanismes de garantie et de contrôle de la représentation démocratique, elle ne méditait pas d’affaiblir la portée du principe mais bien d’accroître ses effets. Les chemins qui menaient au but allaient se révéler difficiles cependant, et la voie toujours plus étroite entre les aspirations à la liberté et la défiance que suscitait toute disposition tendant à limiter la volonté générale. Progressivement – et Filangieri y avait contribué – la conviction s’était imposée dans la culture italienne que le recours à certaines pratiques – adoption d’une constitution écrite ou déclaration solennelle des droits – ne saurait pallier l’absence de dispositions plus formelles, de procédures de contrôle renforcées, encadrant la révision des lois fondamentales, garantissant la constitutionnalité des lois ordinaires et vérifiant, dans le même esprit, toute réforme éventuelle des normes en vigueur. Pareille mise en place supposait la sanction d’une norme supérieure, la reconnaissance d’une loi fondamentale donnant sa pleine consistance au principe d’une constitution «ferme et permanente», deux attributs essentiels que les débats évoquaient avec 1
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Sur quelques thèmes archétypes de l’époque des Lumières, voir Robert A. Manzer, «Hume’s Constitutionalism and the Identity of Constitutional Democracy», American Political Science Review, 90, 3, 1996, pp. 488–496. Luigi Ferrajoli, «Democracia constitucional y derechos fundamentales. La rigidez de la constitución y sus garantías», dans Luigi Ferrajoli, José Juan Moreso, Manuel Atienza, La teoría del derecho en el paradigma constitucional, edición a cargo de Gerardo Pisarello y Ricardo García Manrique, Madrid : Fundación Coloquio Jurídico Europeo, 2008, pp. 71– 116.
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passion dès l’époque de la révolution de Corse. L’idée commençait à poindre qu’une constitution ne va pas sans quelque ossature solide, que parmi les pièces maîtresses de sa charpente interne figurent le principe de hiérarchie des normes, le contrôle constitutionnel et les garanties afférentes, qu’elles soient négatives, comme l’interdiction de violer la loi fondamentale, ou positives, comme l’obligation d’appliquer ses dispositions1. Déjà dans le premier volume de La Science de la législation, Filangieri avait traité de la censure des lois, tout au long du huitième chapitre dont l’essentiel était tiré d’un précédent ouvrage, les Riflessioni politiche su l’ultima legge del sovrano che riguarda la riforma dell’amministrazione della giustizia2, qui remontait à 1774. Il défendait la nécessité d’une législation uniforme et équitable, si l’on souhaitait que les juges soient tenus de se conformer aux lois et permettent au citoyen d’en vérifier l’application, de sorte que les décisions de justice n’échappent pas au contrôle public3. D’où l’idée d’une réforme continuelle et efficace des institutions politiques et des lois, qu’il développe dans le premier tome de son ouvrage. Cela implique aussi une participation directe des citoyens à la procédure législative. La constitution jacobine ira plus loin encore en faisant de l’institution référendaire la manifestation unique de la volonté de tous et en instaurant une pratique de démocratie directe qui consacrera l’identification du peuple au législateur4. Il en sortira la dictature.
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Nous adoptons les analyses de L. Ferrajoli, «Democracia constitucional y derechos fundamentales» ; et, du même, Diritti fondamentali. Un dibattito teorico, a cura di Ermanno Vitale, Roma e Bari : Laterza, 2001, pp. 318–331 ; ainsi que Diritto e ragione, pp. 895–909. Sur le problème historique de la «rigidité» des constitutions, voir également Alessandro Pace, «La ‘naturale’ rigidità delle costituzioni scritte», Giurisprudenza costituzionale, 6, 1993, pp. 4085–4134. Voir G. Filangieri, La Scienza della legislazione, t. I, pp. 85–88 ; G. Filangieri, Riflessioni politiche su l’ultima legge del sovrano che riguarda l’amministrazione della giustizia, Napoli : Morelli, 1774, pp. 78–82 (reprint avec une introduction par Raffaele Ajello, Napoli : Bibliopolis, 1982). Sur ces pages, voir les analyses de Italo Birocchi, Alla ricerca dell’ordine. Fonti e cultura giuridica nell’età moderna, Torino : Giappichelli, 2002, pp. 373 et 511. Lucien Jaume, «Légitimité et représentation sous la Révolution : l’impact du jacobinisme», Droits, 6, 1987, pp. 57–67 ; Francis Hamon, «L’idée de la démocratie directe de la Révolution à nos jours», L’héritage politique de la Révolution française, sous la direction de Francis Hamon et Jacques Lelièvre, Lille : Presses Universitaires de Lille, 1993, p. 73 ; Michel Levinet, «Le problème du contrôle de la loi lors de l’élaboration de la constitution de 1793», Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 3, 1991, pp. 697–732.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
La conception républicaine de la justice Sous le Tribunat, un autre thème cher à Filangieri vint occuper les esprits : celui de la conception républicaine de la justice que traduisait l’élection des magistrats par le peuple. En la matière, les dispositions prévues par les constitutions italiennes sont aussi claires que la constitution française de 1795. Les juges des cours civiles et criminelles doivent être indépendants des autres pouvoirs constitués et se borner à appliquer la loi, sans se mêler de l’interpréter1. En outre, des assemblées électorales procéderont tous les deux ans à leur élection et ils seront rééligibles. Le principe remontait à Montesquieu et à Beccaria, mais il avait des antécédents plus anciens2. L’idée avait été reprise par la suite, non plus seulement dans le cadre d’une critique générale de l’administration judiciaire, mais également en vue d’une reconnaissance plus effective de la souveraineté du peuple. Dans le troisième livre de la Science de la législation, tout entier dédié à la procédure criminelle, Filangieri déplorait déjà «l’indolence des peuples» qui, par l’effet de leur lâcheté, perpétuaient «en Europe l’absurde manière dont la plupart des nations administrent la justice. L’homme s’accoutume à tout. Un gouvernement injuste familiarise le peuple avec l’injustice». Ces choses étaient dures à entendre, il ne l’ignorait pas : «Les principes que j’ai l’obligation d’établir et de développer exciteront contre moi des clameurs, peutêtre même des persécutions. Mais, parmi de si grands intérêts, m’est-il permis de borner ma vue et de me déshonorer par le silence3 ?» Dans les mêmes pages, il s’employait à tracer les grandes lignes d’un nouveau système judiciaire qui, à côté des juges ordinaires, autoriserait des juges de paix à se prononcer sur des causes mineures, au civil ou au pénal. Ces magistrats seraient choisis parmi «des personnes dignes de la confiance publique» à l’issue d’une «élection faite par le peuple»4. La théorie républicaine de la justice prônait la publicité des débats. Dans ses Considera1
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Andrea Fantazzini, «L’ordinamento giudiziario nella costituzione cispadana e le disposizioni provvisorie per l’amministrazione della giustizia civile», Società e storia, 107, 2005, pp. 65–101. Pour le débat autour de l’interprétation des lois, voir Antonio Padoa Schioppa, La giuria penale in Francia. Dai «philosophes» alla Costituente, Milano : Giuffrè, 1994. G. Filangieri, La Scienza della legislazione, t. III, pp. 247 et 249. G. Filangieri, La Scienza della legislazione, t. III, p. 322. C’est dans le même esprit que Giuseppe Gorani, citoyen français depuis 1793 proche du groupe de Mirabeau, Condorcet et Bailly, avait expressément prévu dans son projet de constitution du Milanais (1792–1798) l’élection populaire des magistrats des tribunaux civils et criminels, sous la seule réserve que les candidats aient acquis la connaissance des lois et de la constitution, «afin de ne pas confier à des ignorans des magistratures d’une si haute importance». Voir G. Gorani, Projet d’une constitution républicaine pour le Milanais (1792–1798), chap. XII : Les Préteurs civiles (inédit, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, ms. cod. 5806).
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zioni sul processo criminale (1787 ; traduites en français sous le titre Considérations sur la procédure criminelle), Francesco Mario Pagano, un ami de Filangieri, invoquait à ce propos la liberté civile et les «droits inviolables et sacrés du citoyen»1. Il ajoutait qu’à l’encontre des habitudes monarchiques, des collèges composés d’un grand nombre de juges offriraient, en matière pénale surtout, de meilleures garanties de justice et d’équité2. Les Considerazioni furent publiées en France dès 1789, peu de mois avant le commencement de la Révolution, dans la traduction du juriste Antoine de Hillerin, membre du parlement de Paris. L’introduction d’Hillerin souligne les mérites de l’école napolitaine du constitutionnalisme et des droits de l’homme : «Mais j’abrège ce tableau [...] tracé [...] d’une main hardie [...] par le chevalier Filangieri, ce jeune Montesquieu d’Italie, qu’une mort prématurée a moissonné l’année dernière. C’est dans son ouvrage (La Science de la législation), qui mérite d’être lu, relu et médité, quoiqu’il n’ait pu le porter à la juste perfection de développement et d’analyse de principes qu’il se proposait de lui donner ; c’est dans son ouvrage qu’il faut voir avec quelle énergie, avec quel courage, avec quelle force de raisonnement, de raison et de style, mais en même temps avec quelle décence, avec quelle justice l’homme sensible, l’écrivain patriote élève la voix contre les abus quand «les droits sacrés de l’humanité et les intérêts de l’état l’exigent3.» Ces considérations prirent un nouveau caractère au temps du Tribunat et du Consulat, les tensions politiques et institutionnelles se répercutant désormais dans les sphères sociale et culturelle. La nouvelle orientation politique se montre clairement, en Italie aussi4. Il s’agissait de comparer la situation 1
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Considérations sur la procédure criminelle, par M. Pagano, ouvrage traduit de l’italien par M. de Hillerin, Strasbourg : Impr. ordinaire du Roi, 1789, p. 16 ; édition originale : Francesco Mario Pagano, Considerazioni sul processo criminale, Napoli : Raimondi, 1787, p. 19 (édition critique moderne établie par Filippo Maria Paladini, préface de Vincenzo Ferrone, Venezia : Centro di Studi sull’Illuminismo europeo «Giovanni Stiffoni» e Mariano del Friuli : Edizioni della Laguna, 2008). Voir, sur ces positions de Pagano, Vincenzo Ferrone, «L’Illuminismo italiano e la rivoluzione napoletana del ’99», I profeti dell’Illuminismo. Le metamorfosi della ragione nel tardo Settecento italiano, Roma e Bari : Laterza, 22000, p. 372 ; Dario Ippolito, Mario Pagano. Il pensiero giuspolitico di un illuminista, Torino : Giappichelli, 2008 ; Considerazioni, p. 49. Antoine de Hillerin, «Préface», dans F. M. Pagano, Considérations sur la procédure criminelle, pp. LVIII-LIX. A Milan p. ex., en l’espace de quelques mois entre 1800 et 1801, sortent des mêmes presses les Pensieri politici de Vincenzo Russo, le Saggio storico sulla rivoluzione di Napoli de Vincenzo Cuoco et les Saggi politici di Francesco Mario Pagano : trois études qui, pour être issues de la culture des Lumières, n’en présentaient pas moins de grandes différences. Alors que les Saggi politici témoignaient du débat qu’avait mené en faveur des droits de l’homme le constitutionnalisme pré-révolutionnaire, les essais de Russo et de Cuoco faisaient la critique de la Révolution de Naples, restée «inachevée» du fait de l’impréparation d’un peuple habitué à considérer le projet d’émancipation des Lumières comme l’affaire d’une petite élite intellectuelle. Antonino De Francesco, «Costruire una identità nazionale : po-
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
qui s’était créée au lendemain de la constitution de l’an VIII avec le programme constitutionnel des Lumières, afin de dénoncer les limites inhérentes à la politique italienne, le caractère abstrait du projet que défendaient les esprits éclairés de la Péninsule et l’incapacité des patriotes à emporter le consentement du peuple. La réédition française de La Science de la législation (1822) et les réseaux maçonniques En avril 1821, la Revue encyclopédique annonçait une réédition de La science de la législation à paraître chez le libraire Dufart, réimpression de la première traduction française de 1786, due à Jean-Antoine Gallois1, dans laquelle figurait une importante nouveauté : l’Éloge de Filangieri par l’exilé Francesco Saverio Salfi, devenu l’un des plus éminents représentants de la maçonnerie napolitaine à Paris. En relisant Filangieri, Salfi l’actualisait2. Son Éloge forgeait le mythe du jeune juriste que la mort avait enlevé trop tôt, du précurseur de la Révolution française, de l’affilié enfin, dont il revendiquait avec fierté l’obédience maçonnique : «Ce fut là qu’apprenant à mieux connoître encore les droits de l’homme, en contemplant en même temps le sort du juste et de l’innocent il sentit le besoin et conçut le dessein de ne servir dorénavant que la cause de l’humanité»3. Bien mieux, Salfi érigeait Filangieri en défenseur de l’idéal républicain et des gouvernements «où la nation prend le plus de part». Enfin, il soulevait
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litica culturale e attività editoriale nella seconda Cisalpina», Universalismo e nazionalità nell’esperienza del giacobinismo italiano, a cura di Luigi Lotti e Rosario Villari, Roma e Bari : Laterza, 2003, pp. 342–343. Il s’agit de Gaetano Filangieri, La Science de la législation, ouvrage traduit de l’Italien, d’après l’édition de Naples, 1784 [par Jean-Antoine Gallois], seconde édition, revue et corrigée, Paris : Dufart, an septième [1799]. C’est l’édition que BC utilise pour rédiger son Commentaire. Il la possède dans sa bibliothèque. Rappelons que Jean-Antoine Gallois (1755–1828) est un collègue de BC au Tribunat. Il passera plus tard au Corps législatif. Sur la personne de Salfi, voir Francesco Saverio Salfi, un calabrese per l’Europa, a cura di Pasquale Alberto De Lisio, Napoli : Società Editrice Napoletana, 1981 ; Francesco Saverio Salfi e la cultura europea, inediti (1815–1832), a cura di Nicola Galizia, Cosenza : Edizioni Periferia, 1990 ; Salfi tra Napoli e Parigi. Carteggio 1792–1832, a cura di Rocco Froio, Napoli : Macchiatori, 1997 ; Valeria Ferrari, Civilisation, laïcité, liberté : Francesco Saverio Salfi tra Illuminismo e Risorgimento, Milano : Franco Angeli, 2009 ; Maurizio Isabella, Risorgimento in Exile. Italian Émigrés and the Liberal International in the Post-Napoleonic Era, Oxford : Oxford University Press, 2009, pp. 144–145 ; Luca Addante, Patriottismo e libertà. L’Elogio di Antonio Serra di Francesco Salfi, Cosenza : Pellegrini Editore, 2009, pp. 64–65. Francesco Saverio Salfi, «E´loge de Filangieri», dans G. Filangieri, Œuvres de Gaetano Filangieri, p. XX.
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clairement la question qui intéressait le plus le débat libéral : bien que la Scienza eût précédé l’avènement des constitutions démocratiques, le lecteur n’avait pas à déplorer le «silence de Filangieri sur la constitution». Son œuvre était pleine d’allusions au constitutionnalisme des insurgés d’Amérique, elle se présentait comme un programme constitutionnel à part entière, une méthode politique et une critique radicale de l’Ancien Régime. Filangieri, poursuivait Salfi, «s’étoit contenté de faire entrevoir ses principes et ses intentions ; et ses disciples, ainsi que ses concitoyens, ont bien prouvé de leur côté que non seulement ils en ont hérité, mais qu’ils se sont appliqués de plus en plus à les réaliser»1. A sa manière, Francesco Salfi (1759–1832) avait participé à cet effort, comme en témoignent les vicissitudes d’une vie bien remplie. D’origines modestes et bientôt destiné à l’état ecclésiastique, il s’établit à Naples en 1785, où il fréquenta les milieux éclairés de la capitale, notamment Pagano et Filangieri. Il y déploya une grande activité de publiciste au service de la couronne, dans les polémiques qui opposaient la monarchie à la curie romaine. Mais, membre de beaucoup d’associations patriotiques, il se rendra suspect et ne se sauvera que par la fuite. On le retrouve, ayant quitté la soutane, à Milan où il dirige le ministère de l’Instruction publique de la nouvelle organisation politique du pays2. Un an après, en 1799, il fut appelé à Naples aux fonctions de Secrétaire général du gouvernement provisoire de la jeune République napolitaine. Expérience essentielle, elle le fit participer aux délibérations et à la naissance de la première constitution démocratique italienne, le Progetto di costituzione per la repubblica napoletana, rédigé par Francesco Mario Pagano. A Naples, deux grandes questions se posaient alors. La première concernait les réformes économiques et politiques liées à l’abolition de la féodalité. En second lieu, il fallait concevoir un projet constitutionnel assez distinct des constitutions françaises pour répondre aux problèmes spécifiques du pays de Naples et s’inscrire dans la haute lignée intellectuelle des Lumières méridionales qu’avaient illustrée Vico, Genovesi et Filangieri. La République napolitaine fut noyée dans le sang et beaucoup de ses protagonistes périrent avec elle, mais Francesco Salfi échappa à la mort. En juin 1800, il regagna Milan avec les troupes napoléoniennes et finit par être nommé inspecteur des théâtres et président de la Società del teatro patri1 2
F. S. Salfi, «E´loge», p. CXXVII. Carlo Zaghi, Il Direttorio francese e la Repubblica Cisalpina, Roma : Istituto storico italiano per l’età moderna e contemporanea, 1992, pp. 475 et 495.
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ottico. Il enseigna enuite à la Regie Scuole Speciali di Milano, d’abord l’histoire, la diplomatie ensuite, enfin le droit public et commercial1. Toujours placé sous surveillance, il retrouva cependant un rôle notable au sein de la loge du Grand Orient d’Italie, organisation de fraîche date, d’ailleurs pro-gouvernementale, et son activite´ patriotique s’orienta vers un sectarisme d’inspiration démocratique, dans le cadre de la charbonnerie notamment. En 1814, quand le royaume d’Italie s’effondre, Salfi se rend à Naples. Il reste fidèle à Murat, après Tolentino. Mais dès l’été 1815 commencent les années d’exil à Paris. Il fréquenta le salon de Madame Condorcet ; il put y rencontrer François Guizot, Jean-Charles Simonde de Sismondi et PierreLouis Ginguené, dont il continua l’Histoire littéraire d’Italie après la mort de l’auteur. Il collabora également à la Biographie Universelle de Michaud, à la Revue Encyclopédique, où il écrivit quelque trois cents articles (1819– 1829), ainsi qu’à l’Antologia de Gian Pietro Vieusseux. On lui doit par ailleurs une édition de la Correspondance de l’abbé Ferdinando Galiani (1818)2. Ni l’appartenance maçonnique de Salfi ni celle de Filangieri ne sont étrangères, sans doute, aux circonstances qui favorisèrent la réédition de La Science de la législation. Les convictions maçonniques de Salfi étaient évidentes pour le public. Sous la Restauration, en même temps qu’il annonçait la réédition de la Science chez Dufart, Salfi publiait chez le même éditeur un essai sur L’Italie au dix-neuvième siècle où il exaltait le rôle qu’avait joué la maçonnerie dans l’Italie du siècle passé. Les loges, «quoique favorisées en apparence par le gouvernement, avaient toujours conservé un esprit d’opposition», et c’est entre leurs murs «que se nourrissaient chaque jour le désir et l’espoir de la réunion des états de l’Italie, et d’une constitution appropriée à ses besoins et à ses lumières. Tout différens des autres, les maçons d’Italie, profitaient de la faveur que leur accordait en apparence le gouvernement, pour mieux propager encore leurs doctrines qui transpiraient alors même qu’elles semblaient ménager leur protecteur»3.
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Biblioteca Nazionale di Napoli, Fondo Salfi, Ms. XX 41.1, «Lezioni di diritto pubblico e commerciale delle Genti». F. S. Salfi e la cultura europea. F. S. Salfi, L’Italie au dix-neuvième siècle, p. 21 ; L. Addante, «Note sui primi movimenti carbonari in Italia», Ordine e disordine. Amministrazione e mondo militare nel Decennio francese, a cura di Renata de Lorenzo, Atti del Seminario, Vibo Valentia, 2 ottobre 2008, Napoli, (à paraître).
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Benjamin Constant lecteur critique de Filangieri Les pluralismes constitutionnels face au Consulat Les années qui précédèrent immédiatement le Directoire furent marquées – comme celles qui suivirent – par une intense réflexion constitutionnelle, non seulement théorique mais pratique, en France mais aussi autour de la méditerranée, là où se jouait l’affrontement anglo-français. Cette rivalité suscita des modèles de constitution concurrents face aux législations françaises de l’an III et de l’an VIII. Certaines résultaient d’une refonte et d’une adaptation de la constitution historique de Grande-Bretagne, d’autres procédaient d’expériences propres à l’Italie, comme la révolution napolitaine de 1799. Ces événements ne sont pas sans intérêt pour nous : à l’arrière-plan du Commentaire de Constant se profilent les luttes et les enjeux du nouvel équilibre continental. La première phase du conflit avait vu l’île de Corse échapper à l’emprise française et la naissance d’un royaume anglo-corse1. Pour l’histoire constitutionnelle de l’Italie du Sud et de la Sicile, l’événement fut lourd de conséquences2, mais ce fut d’abord un résultat de la politique méditerranéenne d’un parti whig soucieux de contenir la contagion jacobine. La fin de la monarchie capétienne avait consommé la rupture entre Pasquale Paoli et la France, alors que le modèle d’une constitution jacobine se dessinait dans les débats de la Convention3. C’est à cette période également que les Reflections (1790) d’Edmund Burke, l’un des textes majeurs de la critique contrerévolutionnaire, trouvent un grand écho un peu partout en Europe. La traduction italienne, publiée à Venise dès 1791, est largement diffusée dans la Péninsule4. Telles furent les circonstances qui accompagnèrent l’avènement du royaume anglo-corse, tentative politique significative malgré sa brièveté. La Corse avait fait sécession et le retour de Paoli marquait la reprise du dis1
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Le sujet a donné lieu à de nombreuses études. On consultera : Gabriel Dominique Bonno, La constitution britannique devant l’opinion française de Montesquieu à Bonaparte, Paris : Champion, 1932 ; Daniel Linotte, «La constitution anglo-corse et les constitutions françaises. Théorie constitutionnelle», Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, 670–671, 1995, pp. 33–46 ; Il modello costituzionale inglese e la sua recezione nell’area mediterranea tra la fine del Settecento e la prima metà dell’Ottocento, a cura di Andrea Romano, Milano : Giuffrè, 1998 ; Carlo R. Ricotti, Il costituzionalismo britannico nel Mediterraneo (1794–1818), Milano : Giuffrè, 2005, pp. 11–14. Maria Azzurra Ridolfo, Massoneria e modelli politici dalle «Constitutions» al decennio inglese in Sicilia (1723–1815), Messina : Trisform, 2002. Voir Pasquale de’ Paoli (1725–1807), La Corse au cœur de l’Europe des Lumières, textes de Jean-Marie Arighi, Lucien Bély, Carlo Bitossi, et al., Ajaccio : Albiana, 2007. Roberto Zapperi, «Burke in Italia», Cahiers Vilfredo Pareto, 7–8, 1965, pp. 5–62.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
cours constitutionnel de 17551. Au printemps 1794, le soulèvement insulaire est appuyé par un débarquement anglais. A Corte, le 10 juin, Paoli convoque une Consulte générale qui proclame, cinq jours après, la séparation définitive de l’île et de la France et son passage «sous la protection immédiate du gouvernement de l’Angleterre avec une constitution qui garantit la liberté de la nation corse»2. L’île devenait une monarchie constitutionnelle et le pouvoir législatif devait s’y exercer conjointement avec le roi d’Angleterre. C’était pour ainsi dire la première fois que l’on tentait d’exporter le modèle constitutionnel anglais et ce, fait sans précédent, sous la forme d’une constitution écrite où les historiens du droit ont distingué l’effet d’un processus de modernisation des constitutions historiques. On connaît la suite : les rivalités intérieures, la mise à l’écart du vieux «père de la patrie», son exil définitif à Londres en octobre 1795 et l’évacuation anglaise l’année suivante suivie de la nouvelle annexion de l’île par la France. Cependant, la parenthèse anglo-corse avait démontré à l’opinion publique européenne qu’une alternative au modèle constitutionnel français était envisageable, et qu’une constitution monarchique pouvait être érigée sur le principe des libertés anglaises face aux constitutions républicaines de la Révolution. Or, c’est durant cette même période que Benjamin Constant entreprend son traité De la possibilité d’une constitution républicaine dans un grand pays3. Entre les vicissitudes du constitutionnalisme méditerranéen de ce début de siècle et les questions qui traversent le Commentaire de Constant, le parallélisme est frappant : nette rupture des temps révolutionnaires avec le monde des Lumières, confrontation toujours plus sensible de différents types de constitution à l’intérieur de la zone d’influence française et enfin disparition – à partir de la constitution de l’an VIII – d’une conquête essentielle des Lumières, les déclarations des droits et des devoirs de l’homme passant désormais sous le boisseau. Devant la lente éclipse du constitutionnalisme des Lumières, on comprend que ses fidèles aient redoublé d’efforts pour le perpétuer. La réédition 1
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La conjuration de Corse entièrement dévoilée par Philippe Buonarroti citoyen français contenant la réfutation compléte du livre publié par Costantini sous le titre de sa correspondance et de divers mémoires sur la trahison de Paoli, sur l’état de cette isle, et sur quelques moyens pour la ramener à l’unité de la République, Paris : G.-F. Galletti, [novembre/décembre 1793] ; édition moderne éditée par A. Ambrosi dans Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, 397–400, 1919, pp. 62–87. C. R. Ricotti, Il costituzionalismo britannico nel Mediterraneo, p. 2 ; Elisa A. Carrillo, «The Corsican Kingdom of George III», Journal of Modern History, 34, 1962, pp. 254–274. BC, Discours au Tribunat ; De la possibilité d’une constitution républicaine dans un grand pays, dans OCBC, Œuvres, t. IV.
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de La Science de la législation vint rejoindre en bonne place leurs initiatives. Elle réapparaissait dans la France de la Restauration comme une riposte au système de la monarchie constitutionnelle, dans une édition augmentée de manuscrits inédits de Filangieri retrouvés à Palerme en 18151. La Scienza della legislazione fut réimprimée à Milan en 1817, bientôt suivie de quatre éditions en cinq ans, à Milan, Venise, Livourne et de la redécouverte d’Antonio Genovesi. Les ultimes témoignages du constitutionnalisme éclairé refaisaient surface dans le sillage du libéralisme italien du premier Risorgimento, à la faveur d’une tentative de dialogue renoué et renouvelé avec les diverses traditions intellectuelles de la Péninsule et d’un appel aux sources de la démocratie italienne, sans «dévotion aveugle à l’égard des trouvailles étrangères»2. L’opinion publique et la construction de la mémoire démocratique L’une des conséquences de la Restauration fut l’affaiblissement des grandes forces politiques qui avaient dominé la période antérieure. Cela entraîna l’émergence d’une grande variété de convictions et de doctrines répercutées par l’imprimerie, la presse, les associations et de nouveaux moyens d’information politique, parmi lesquels les partis qui commençaient à apparaître3. Discipliner, contrôler : ces exigences des pouvoirs restaurés relançaient par contrecoup la réflexion sur les libertés publiques mais en termes bien différents de ceux du passé. Aux libertés anciennes, essentiellement négatives puisqu’elles étaient la somme des franchises, immunités et exemptions traditionnellement attachées aux ordres, aux classes et aux communautés, s’ajoutaient désormais les libertés positives modernes, procédant de l’affirmation d’un certain nombre de valeurs garanties par une charte politique. C’est sur ce terrain que l’E´tat et l’opinion publique s’affronteront bientôt – là également que le constitutionnalisme trouvera sa meilleure expression, au moment surtout où la culture libérale redécouvrira les auteurs des Lumières, 1 2
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Opuscoli editi ed inediti del Cavalier Gaetano Filangieri, Palermo : Francesco Abbate, 1815. Voir Gian Domenico Romagnosi, «Introduzione», dans Antonio Genovesi, La logica per gli giovanetti con vedute fondamentali sull’arte logica di Giandomenico Romagnosi, Milano : Antonio Fontana, 1832 ; N. Guasti, «Introduzione», dans A. Genovesi, Della diceosina, pp. XLVIII-LI. Stanley Mellon, The political Uses of History : a Study of Historians in the French Restoration, Stanford : Stanford University Press, 1959 ; Charles Ledré, La presse à l’assaut de la monarchie 1815–1848, Paris : Armand Colin, 1960 ; Veronica Granata, «La ‘monarchia impossibile’. Un rapporto inedito sulla stampa di opposizione nella Francia di Carlo X», Dimensioni e problemi della ricerca storica, 2, 2005, pp. 109–152 ; de la même, Politica del teatro e teatro della politica. Censura, partiti e opinione pubblica a Parigi nel primo Ottocento, Milano : Unicopli, 2010.
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entre autres ce Gaetano Filangieri qui avait observé en bon prophète : «Dans tous les gouvernemens, chez tous les peuples, l’opinion publique est la plus grande force de l’E´tat ; son influence, soit pour le bien, soit pour le mal, est très-puissante ; elle est supérieure à l’action, comme la résistance de l’autorité publique : [...] c’est ce tribunal dont la puissance est invincible, qui nous montre sur tout que la souveraineté est constamment et réellement dans le peuple ; et qu’il ne cesse pas de l’exercer, quoique l’autorité immédiate en soit placée dans les mains de plusieurs ou d’un seul, d’un sénat ou d’un roi. Ce tribunal est celui de l’opinion publique1». Ainsi, à mesure que la Restauration travaillait à raffermir son emprise en renforçant la censure et l’appareil policier, l’opinion publique redécouvrait ce sujet constituant que la tradition démocratique s’était donné tant de mal à définir – même si, déchue de ses prérogatives, les moyens d’une véritable politique lui faisaient maintenant défaut. Les régimes qui comptaient refonder durablement l’E´tat sur ce déni se heurtaient au legs des Lumières et, à travers lui, à tous les courants d’idées que le XVIIIe siècle continuait d’opposer à leurs projets. Les recherches, encore sommaires, sur la censure dans les États italiens entre 1815 et 1820 montrent avec quelle rigueur elle s’attaqua aux œuvres de Genovesi, Filangieri et autres représentants des Lumières tardives2. En France, on assiste à une offensive comparable, et ce n’est pas un effet du hasard si Constant se remet à lire Filangieri au moment même où la bataille pour la liberté de la presse et l’opposition au néo-despotisme de Charles X commencent à battre leur plein. Pour revendiquer les droits de la liberté, certains journaux, comme Le Constitutionnel, réagissent au durcissement de la censure en reprenant au moins de manière tacite l’héritage des Lumières et de la Révolution3. Dans toute l’Europe, les mesures de contrôle suscitent en retour un regain d’intérêt de la culture libérale pour la Scienza de Filangieri. Après la réimpression milanaise de 1817, elle est publiée à Livourne en 1819, à Florence en 1820, de nouveau à Milan en 1822 et la même année à Venise4. En Espagne, le gouvernement libéral restauré en 1820 commandita une nouvelle édition de l’ouvrage. Durant les trois ans que dura le régime, au sortir de six années d’absolutisme et alors que les libéraux s’efforçaient d’obtenir de Ferdinand VII une constitution à la fran1 2
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G. Filangieri, La Science de la législation, édition de 1799, t. V, p. 23 ; t. VII, p. 269. Voir Raffaele Iovine, «Tre inedite censure del Sant’Ufficio alle ‘Lezioni di commercio’ di Antonio Genovesi (1817)», Frontiera d’Europa, 2, 2004, pp. 247–75, et Kurt Kloocke, «Trois écrits de Benjamin Constant mis à l’Index, un quatrième condamné par l’Inquisition espagnole», ABC, 34, 2009, pp. 9–44. Kloocke, Biographie ; V. Granata, «La ‘monarchia impossibile’», pp. 124–125. A. Trampus, «La genesi e la circolazione», pp. 344–348.
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çaise, il fut réimprimé à trois reprises au moins, dans l’effervescence des travaux parlementaires qui aboutirent en 1822 à la création du premier code civil espagnol1. En somme, l’Europe des années 1820 revenait toujours à l’héritage des Lumières, et en Amérique Latine, certains auteurs dont les noms survivent à peine aujourd’hui remettaient les Lumières à l’ordre du jour2. Quant aux revendications libérales des années 1820–1821, si elles demeuraient dans le giron de la monarchie constitutionnelle, elles n’en appelaient pas moins nettement à l’esprit des Lumières3. De ce point de vue encore, l’orientation est comparable des deux côtés des Alpes4. En Italie, la Société typographique milanaise des classiques italiens – active du mois de juin 1819 au mois de décembre 1824 – entreprend de réimprimer la Scienza della legislazione en six volumes, auxquels vinrent s’ajouter les Opere scelte de Genovesi5. A Livourne paraît en 1819 une nouvelle édition (après celles de 1799 et de 1807), sous la fausse adresse de «Philadelphie». A Livourne encore, durant l’automne 1826, et cette fois sous la vague mention générique d’Italia, paraît sous le titre de Comento la première traduction italienne du Commentaire de Constant, aussitôt reproduite en appendice d’une nouvelle édition (la quatrième imprimée par cet éditeur) du livre de Filangieri6. Nous savons peu de choses de cette traduction italienne du Commentaire : elle n’a jamais fait l’objet d’une étude spécifique et nous 1 2
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J. Astigarraga, «I traduttori spagnoli di Filangieri e il risveglio del dibattito costituzionale (1780–1839)», Diritti e costituzione, pp. 270–277. En 1823, l’équatorien Vicente Rocafuerte, qui s’était formé à Madrid et à Paris, défendait la constitution colombienne de 1819 au nom du républicanisme et des principes de la représentation politique en se référant à l’édition «républicaine» de la Scienza della legislazione parue à Gênes en 1798. Mieux que Montesquieu et Mably, estimait-il, Filangieri avait démontré que le républicanisme n’était pas une abstraction utopique mais un remède politique applicable dans le cadre du constitutionnalisme moderne, sans préjudice pour la richesse et la prospérité des nations. Voir Vicente Rocafuerte, Ensayo Político (1823), dans Colección Rocafuerte, prólogo y notas de NeptalíZúñiga, Quito : Ediciones del Gobierno del Ecuador, 1947, pp. 13–14 ; Liberalismo y Doceañismo en el mundo Ibero-Americano, coord. Mónica Quijada y Manuel Chust, número monografico de la Revista de Indias, t. LXVIII, 242, 2008, pp. 153–180 et 225–254. Giuseppe Berti, I democratici italiani e l’iniziativa meridionale nel Risorgimento, Milano : Feltrinelli, 1962, pp. 131–140. Les liens avec l’expérience démocratique napolitaine sont clairement assumés, par exemple, dans la brochure anonyme Guerre du royaume de Naples, en 1821, avec l’indication des causes qui l’ont produite, précédée d’une description de ce pays (Paris : H. Vauquelin, 1821), publiée peu après l’échec de la conspiration et qui reporte l’origine des événements à la révolution de 1799. Marino Berengo, Intellettuali e librai nella Milano della Restaurazione, Milano : Feltrinelli, 1980, pp. 168–180. Au t. VI de l’édition : G. Filangieri, La Scienza della legislazione e gli opuscoli scelti, Livorno : [Masi], 1828, avec frontispice : Comento sulla Scienza della legislazione di G. Filangieri scritto dal signor Beniamino Constant, prima traduzione italiana, seconda edizione, Italia : s.éd., 1828.
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ignorons le nom de son auteur. Quant à savoir pourquoi on s’empressa de traduire une si sévère critique de la tradition politique italienne, le mystère reste entier. Le bruit qu’avait suscité l’essai de Constant à sa sortie était pour l’éditeur de la Scienza della legislazione peut-être une raison suffisante pour risquer la publication. Cette traduction suivit d’ailleurs de peu le compte rendu de l’édition française que Gian Pietro Vieusseux avait publiée en 1825 à Florence1. La fortune de La science de la législation en France Dès la fin du XVIIIe siècle, l’œuvre de Filangieri s’était largement diffusée en France. Avant même de l’avoir achevée, il songeait à la traduction française qui lui assurerait une audience européenne. Dans une lettre du 11 septembre 1780, il demandait à son frère Antonio de solliciter auprès de l’ambassadeur de Naples en France une présentation des deux premiers tomes à la Cour2. De son côté, Antonio Filangieri avait tenté d’écrire un résumé de la Scienza en français, sans pouvoir en venir à bout («il est si précis qu’il est impossible à résumer, d’autant plus dans une langue étrangère»). Le 8 septembre 1783, il informait son frère Gaetano qu’on avait entrepris «la traduction en français en supprimant cependant toutes les accusations formulées à l’égard de l’Inquisition»3. Ce n’était pas la seule traduction en chantier : une l’était à Yverdon pour le compte de l’éditeur Fortunato Bartolomeo De Felice4 ; une autre à Paris, par Claude La Fisse, maître de la loge de «S. Jean-d’Ecosse du Contrat Social» et encouragée par Luigi Pio, secrétaire de l’ambassade napolitaine en France5 ; une troisième encore par un certain Duval Orgie6. Une seule fut menée à bien, celle d’un jeune avocat parisien, Jean-Antoine Gallois, dont les premiers contacts avec Filangieri remontent au mois d’avril 17837. Celui-ci lui donna son accord en décembre 1784 et le 18 1
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«Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, ec. – Commentario all’opera di Filangieri composto dal signor Beniamino Constant, Parigi, vol. 2, 8o, 1822–1824», Antologia, t. XVII, no 51, 1825, pp. 20–44. Gerardo Ruggiero, «Una lettera inedita di Gaetano Filangieri», Archivio Storico per le Province Napoletane, 16, 1998, pp. 141–154 (cette lettre se trouve dans les Archives du Musée civique Filangieri, Naples, cart. 26, fasc. 44). G. Ruggieri, «Una lettera inedita», p. 154. Archives du Musée civique Filangieri, Naples, cart. 28, fasc. 30, lettres de Fortunato Bartolomeo De Felice, 9 et 20 novembre 1783. Archives du Musée civique Filangieri, Naples, fasc. 23, lettres de Claude La Fisse, 22 mars et 16 juin 1783. Archives du Musée civique Filangieri, Naples, fasc. 30, lettres de Duval Orgie, 26 décembre 1784, 22 mai 1785 et 5 février 1786. Lettre du 23 avril 1783, Archives du Musée civique Filangieri, Naples, n. 1, s. n. Sur la base d’une lettre du 29 novembre 1784, d’autres auteurs datent le début des rapports avec Filangieri de l’année suivante : voir Franco Venturi, «Nota introduttiva», dans G. Filangieri, Scritti, Torino : Einaudi, 1976, p. LI ; Gerardo Ruggiero, Gaetano Filangieri. Un uomo, una
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octobre 1785, le traducteur lui écrivait que son travail était déjà bien avancé1. Le 27 juillet 1786, Gallois annonçait à Filangieri que le typographe avait reçu le premier tome et que le deuxième était prêt pour l’impression2. Dans une lettre postérieure, il expliquait qu’il avait dû supprimer quelques passages et apporter les corrections imposées par le censeur royal3. La vente fut confiée au libraire Cuchet4. D’autres éditions suivirent rapidement. La deuxième édition que Dufart fit paraître en l’an VII fut sans doute la plus largement diffusée5. C’est celle que Constant eut entre les mains. À la veille de la Révolution (Filangieri était mort en 1788), la traduction de Gallois bénéficia d’une véritable campagne de lancement. Sa propagation et ses réimpressions profitaient sans doute du réseau des loges et de l’Assemblée nationale. Gallois appartenait à la fameuse loge des «Neuf Sœurs». Il était proche de Condorcet, un ami de Constant, et, avec ce dernier, fut nommé membre du Tribunat dont il assura la présidence en 1802. Parmi les promoteurs français de La Science de la législation, on retrouve d’autres affiliés des «Neuf Sœurs» : Charles Dupaty, notamment, avocat général au parlement de Bordeaux, et Claude Pastoret, procureur général de Paris, futur député à l’Assemblée législative, qui fut le premier, en 1790, à présenter Filangieri sous le nom resté célèbre de «Montesquieu d’Italie»6. Entre 1791 et 1798, pour peu que des questions constitutionnelles soient évoquées à la tribune, le nom de Filangieri apparaît souvent dans Le Moniteur Universel. Mme de Staël le considérait comme l’un des représentants les plus notoires des Lumières européennes7 et lorsque le Premier Consul reçut les fils de Filangieri à Paris, il leur montra les œuvres de leur père en le nommant «le
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famiglia, un amore nella Napoli del Settecento, Napoli : Alfredo Guida, 1999, p. 442 (Ruggiero date la lettre du mois de septembre 1784). Archives du Musée civique Filangieri, Naples, lettre 3, Paris, 18 octobre 1785, s.n. Archives du Musée civique Filangieri, Naples, cart. 28, fasc. 19, no. 5, lettre du 27 juillet 1786. Archives du Musée civique Filangieri, Naples, lettre 6, Paris, 3 avril 1787 (il s’agit de la dernière lettre connue de Gallois à Filangieri). Rappelons que dans les années 1780, Cuchet avait été l’un des rares libraires parisiens à entretenir des relations suivies avec les typographes suisses, et plus particulièrement avec Frédéric Samuel Ostervald et Bosset-De Luze, deux agents de la Société Typographique de Neuchâtel qui cherchaient alors à acquérir les derniers manuscrits de Rousseau. Robert Darnton, «Le livre prohibé aux frontières : Neuchâtel», Histoire de l’édition française, sous la direction de Henri-Jean Martin et Roger Chartier, t. II : Le livre triomphant, 1660–1830, Paris : Promodis, Fayard, 1984, pp. 444–445. La Science de la législation, par M. le Chevalier Gaetano Filangieri, ouvrage traduit de l’Italien, d’après l’édition de Naples, de 1784, seconde édition, revue et corrigée, tome premier, Paris : Dufart, an septième. Claude-Emmanuel Pastoret, Des loix pénales, t. I, Paris : Buisson, 1790, p. 7. Germaine de Staël-Holstein, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1799), nouvelle édition critique établie, présentée et annotée par Axel Blaeschke, Paris : Classiques Garnier, 1988.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
jeune homme qui est notre maître à tous»1. Au début du XIXe siècle encore, l’article de la Biographie universelle que lui consacra Pierre-Louis Ginguené plaçait Filangieri au même rang que Vico. Ginguené le présentait comme l’héritier de la grande école philosophique napolitaine et le représentant d’une tradition des droits de l’homme détentrice d’une doctrine du droit naturel distincte de celle de Montesquieu. Aux retentissements de la pensée de Filangieri dans la culture girondine et durant les débats sur la constitution de l’an III répondaient les échos que son enseignement éveillait au même moment dans les milieux du constitutionnalisme italien. L’édition posthume du dernier tome de la Scienza, où le Napolitain avait posé les bases d’une nouvelle religion civile, parut alors coup sur coup à Naples, Catane, Milan et Venise2. L’intérêt de Constant pour Filangieri : la religion Les témoignages de la notoriété de Filangieri dans la France postrévolutionnaire ne font donc pas défaut. Depuis 1799 au moins, Constant s’intéressait à La Science de la législation, mais le projet constitutionnel qui soustendait l’ouvrage ne le retenait pas tant que sa problématique religieuse, à laquelle le volume posthume publié par Donato Tommasi en 1791 était entièrement dédié3. Sans aucun doute, Constant connaissait le livre de Filangieri dès l’époque du Tribunat au plus tard, probablement en partie grâce à ses relations personnelles avec Gallois. À partir de 1799, les deux hommes sont collègues au Tribunat. Certains auteurs4 ont supposé que Constant n’avait découvert le nom du Napolitain qu’en janvier 1804, lors de sa visite à Weimar et de sa rencontre avec Goethe5. On sait que ce dernier avait connu personnellement Filangieri et qu’en 1787, au cours de son voyage italien, il avait eu avec lui une discussion très soutenue à propos de Vico et de Montesquieu. L’hypothèse est séduisante, mais rien ne vient l’étayer de manière tangible, alors 1 2
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Franco Venturi, «L’Italia fuori d’Italia», Storia d’Italia, t. III : Dal primo Settecento all’Unità, Torino : Einaudi, 1973, p. 1100. Signalons que l’initiative de recueillir les notes de Filangieri sur la religion, due à Donato Tommasi, suivit de peu l’adoption de la constitution civile du clergé (12 juin 1790), un fait qui n’a pas été assez remarqué et mériterait d’être approfondi. Nous reprenons ici quelques réflexions précédemment esquissées dans Antonio Trampus, «Filangieri et Constant : constitutionnalisme des Lumières et constitutionnalisme libéral», ABC, 30, 2006, pp. 51–70 ; sur le thème de la religion chez Constant, voir Patrice Thompson, La religion de Benjamin Constant. Les pouvoirs de l’image, Pisa : Pacini, 1980. Vittorio Frosini, «Filangieri e Constant : un dialogo fra due secoli», Gaetano Filangieri e l’Illuminismo europeo, a cura di Lucio D’Alessandro, Napoli : Alfredo Guida, 1984, p. 364. Sur Constant et l’Allemagne, voir aussi Kurt Kloocke, «Benjamin Constant et l’Allemagne. Individualité – Religion – Politique», ABC, 27, 2003, pp. 127–171.
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que beaucoup d’indices concordants nous reportent à l’époque de la nomination de Constant au Tribunat, et que tous ses écrits de cette époque attestent par ailleurs d’une lecture précoce1. Le manuscrit de 1806 des Principes de politique applicables à tous les gouvernements contient d’autres traces de ses contacts avec l’ouvrage. Ce texte est important, non seulement parce qu’il nous permet de comprendre comment Constant se familiarisa avec la pensée de Filangieri, mais aussi dans la mesure où il témoigne de son intérêt pour les réflexions que le rapport entre politique, religion et morale inspirait au philosophe italien2. Dans les travaux préparatoires du traité De la religion figurent des références encore plus nombreuses, parmi lesquelles la traduction d’une partie du cinquième tome de La Science de la législation, où Filangieri parle des lois relatives à la religion. Ces pages, intitulées Morceau de Filangieri sur la religion3, furent traduites avant 1810, comme l’indique leur classement parmi les sept volumes déposés à la Bibliothèque nationale de France qui rassemblent tout ce que Constant a écrit avant cette date4. Ce qui précède indique clairement que dans un premier temps, jusqu’à l’époque de la Restauration au moins, Constant a exploré La Science de la législation comme un monument d’érudition et une synthèse particulièrement riche de la culture des Lumières. Mais au moment où il rédige son Commentaire, il semble vouloir contester surtout l’usage public et politique qui était fait de l’œuvre de Filangieri dans la France du début des années 1820, usage dont témoignent à la fois l’éloge biographique de Salfi et le projet de l’éditeur Dufart5. Dès la première page du Commentaire, Constant est très clair à ce propos. Après une charge en règle contre l’auteur, il précise que «l’intention de Filangieri n’a jamais été de contrarier ces principes [ceux de la liberté politique et surtout individuelle] ; mais l’époque de la publication de son livre et son caractère personnel, tout noble et désintéressé qu’il étoit, l’ont empêché parfois de marcher d’un pas assez ferme dans la route directe de la vérité». L’ouvrage de Filangieri et la critique de sa doctrine d’une liberte´ républicaine permettent à Constant d’attaquer les positions de ses adversaires politiques, sans les nommer directement. 1 2 3
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Benjamin Constant, OCBC, Œuvres, t. IV, p. 781 et ci-dessous, p. 405. Voir également Pierre Deguise, Benjamin Constant méconnu : le livre «De la religion», Genève : Droz, 1966 ; P. Thompson, La religion de Benjamin Constant, p. 12. Pierre Cordey, «A propos du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri : Filangieri, Constant et les libéraux», Le relazioni del pensiero italiano risorgimentale con i centri del movimento liberale di Ginevra e Coppet, Roma : Accademia Nazionale dei Lincei, 1979, pp. 174–175 (voir aussi «B. Constant, G. Filangieri et La Science de la législation», Revue européenne des sciences sociales, 18, 1980, pp. 56–79) ; le même, «Gaetano Filangieri et la ‘Science de la législation’», ABC, 18–19, 1996, pp. 313–349. Voir ci-dessous, pp. 405–406. Voir Paul Bastid, Benjamin Constant et sa doctrine, Paris : Colin, 1966, t. I, p. 367.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
Le contexte de la politique internationale dans les années 1820–1821 Le soulèvement de Cadix en janvier 1820 et ses conséquences dans le reste du pays entraînèrent la remise en vigueur de la constitution de 1812 et, au mois de juillet, l’adoption par les Cortès d’une série de mesures destinées à transformer profondément la physionomie politique et sociale de l’Espagne. La réaction de la France fut exprimée par le président du Conseil, Armand Emmanuel de Richelieu, ainsi que par le ministre des Affaires étrangères, Etienne-Denis Pasquier, en fonction de 1819 à décembre 1821, et dont on connaît les projets d’extension de l’influence politique française vers l’Espagne, l’Italie et la Méditerranée. Il apporta un soutien prudent aux initiatives constitutionnelles de l’Espagne, assorti de l’envoi à Madrid d’une mission diplomatique afin de soutenir auprès du Roi une politique de modération et d’ouverture envers les instances constitutionnelles. La prudence était de rigueur, eu égard à deux problèmes qui intéressaient de façon particulièrement sensible les relations internationales et les intérêts de la France en Méditerranée : du côté russe, la condamnation de la révolution espagnole ; du côté britannique, une hostilité envers la France que manifestaient les ambassadeurs anglais à Paris comme à Madrid, et la recommandation faite à l’Espagne d’ignorer les conseils politiques des Français. L’opposition russe, celle des Anglais surtout, incitèrent Pasquier à changer de direction, à abandonner l’idée d’une intervention politique directe de la France dans les événements d’Espagne et à accepter le principe de noningérence dans les affaires ibériques, tant portugaises qu’espagnoles, que défendait l’Angleterre par la voix de Castlereagh, notamment1. En cette même année 1820, du 2 au 6 juillet, la révolution de Naples contraignit également le roi à revenir à la Constitution de Cadix de 1812, à abolir la féodalité et la dîme. La voie était ouverte aux soulèvements portugais (août 1820), piémontais (mars 1821) et français (Marseille, Saumur, La Rochelle, Colmar, 1821–1822). Plus qu’aucun autre cependant, le soulèvement napolitain inquiéta les puissances européennes, et la France en premier lieu, tant parce qu’il paraissait le fait d’une conspiration secrète, organisée et concertée de longue main, que parce que la revendication d’une
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Andrea Del Cornò, «Il dibattito politico sulla rivoluzione costituzionale napoletana nella stampa inglese dell’epoca», Una Rivoluzione per la Costituzione. Agli albori del Risorgimento meridionale (1820–’21), a cura di Maria Sofia Corciulo, Pescara : Edizioni Scientifiche Abruzzesi, 2009, pp. 115–136.
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constitution étrangère comme celle d’Espagne semblait impliquer l’existence d’un réseau international déjà fort étendu1. Ce n’est pas un hasard si l’insurrection de Naples fut la première à éveiller l’inquiétude de l’Autriche de Metternich et à présager de son intervention en Italie. Pasquier s’efforça de contenir l’Autriche, il mit en doute l’opportunité d’une intervention européenne nécessairement complexe et envisagea la convocation d’une conférence internationale qui pourrait s’atteler à la question napolitaine. En août 1820, Metternich s’opposa fermement à la tenue d’un congrès, préférant pour sa part une déclaration commune qui condamnerait les Napolitains insurgés contre leur souverain légitime. Quant aux Anglais, ils voulaient considérer les événements de Naples comme une simple «convulsion intérieure». Un compromis fut trouvé avec la convocation d’un congrès à Troppau en Moravie, où la ligne défendue par Richelieu et Pasquier parut triompher provisoirement. La chute du cabinet Richelieu et le changement de cap de la politique extérieure de son successeur, le comte de Villèle, coïncidèrent avec le protocole final et le congrès de Lubiana qui suivit, lesquels aboutirent à confirmer le principe d’un droit d’intervention des puissances étrangères dans la péninsule italienne et à appuyer la politique de Metternich2. Une ligne de conduite que soutenaient les tenants d’un réalisme strict au sein du cabinet français, position également défendue par le duc de Blacas, ambassadeur de France à Naples et ami personnel du chancelier d’Autriche3. La nature des événements de Naples explique l’inquiétude des puissances européennes. Ce soulèvement ne reproduisait pas seulement un modèle constitutionnel étranger, mais procédait d’une conspiration dont même les traditions familiales révélaient l’enracinement dans la pensée des Lumières et les attaches avec la révolution de 1799. Qui plus est, aux yeux des observateurs étrangers du moins, le mouvement napolitain se distinguait de celui d’Espagne et des troubles ultérieurs du Piémont par le caractère pro-
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Guido Verucci, Francia e Piemonte tra Restaurazione e Rivoluzione di luglio. Corrispondenze francesi del conte Vittorio Amedeo Sallier de la Tour, Roma : Edizioni di Storia e Letteratura, 1968. Voir Del congresso di Troppau ossia esame delle pretensioni delle monarchie assolute riguardo alla monarchia costituzionale di Napoli del Sig. Bignon. Prima traduzione italiana di Filippo Giuliano, con note del medesimo, Napoli : Tipografia Simoniana, 1821 ; François Guizot, Du gouvernement de la France depuis la Restauration, suivi de notes sur les révolutions d’Espagne, de Naples, et du Portugal, Paris : Ladvocat, 1821, p. 276. Une très riche bibliographie sur la révolution napolitaine de 1820 dans George T. Romani, The Neapolitan Revolution of 1810–1821, Evanston : Northwestern University Press, 1950. Alan Reinerman, «Metternich, Italy and the Congress of Verona 1821–1822», The Historical Journal, 14, 1971, pp. 263–287.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
fondément républicain d’un projet qui tendait, fût-ce à travers la monarchie constitutionnelle, à revendiquer les libertés et les garanties individuelles sur des bases véritablement démocratiques. Ce contexte favorisait donc la redécouverte de Filangieri, dont l’œuvre – au-delà même des intentions de son auteur – se prêtait à une interprétation radicale et pouvait apparaître comme un manifeste du républicanisme1. Les protagonistes de la vie intellectuelle qui avaient préparé le soulèvement de Naples s’étaient également employés à mobiliser la culture libérale française en lançant une vaste campagne de diffusion et de traduction où les textes de Constant, parmi beaucoup d’autres, furent d’ailleurs mis à contribution, et qui fut peut-être inspirée par la place de choix que certaines œuvres littéraires comme Adolphe ou Corinne, ou l’Italie de Mme de Staël accordaient à l’ambiance napolitaine. C’est ainsi que fut publié le Saggio di costituzione di Benjamin Constant. Prima versione italiana corredata di note relative alla Costituzione Spagnuola (Naples, 1820), dans lequel le texte original (les Réflexions sur les constitutions de 1815) subit des modifications, des coupes, et fut arbitrairement augmenté d’extraits dont Constant n’était pas l’auteur2. S’y ajouta par la suite la traduction du Cours de politique constitutionnelle, sous le titre de Corso di politica costituzionale (Naples, 1820), œuvre de Gioacchino Mario Olivier Poli, un résumé de l’expérience démocratique de 17993, publié en fascicules hebdomadaires et annoncé dans les journaux de l’époque qui assuraient sa promotion avec celle de l’original français4. Constant était donc souvent cité, et ses positions discutées, voire critiquées5. Ces exemples suffisent pour nous montrer que le Commentaire fait écho à la politique extérieure qui a des répercussions massives en France. Constant prend nettement position dans les débats sur la politique de la France à l’égard de l’Espagne libérale, où le roi Ferdinand VII, forcé d’abord d’accepter la constitution libérale de 1812, sera rétabli comme monarque absolu par l’intervention française en 1822. Il serait fort révélateur d’approfondir cette voie en rappelant l’engagement de Constant pour la lutte des Grecs 1 2
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V. Ferrone, La politique des Lumières, p. 118. Esther Taliento, Appunti storico-bibliografici sulla stampa periodica napoletana durante le rivoluzioni del 1799 e del 1810–1821, Bari : Edizioni STEB, 1920, p. 89. Traduction signée de trois initiales : L. G. C. Eugenio Di Rienzo, L’aquila e il berretto frigio : per una storia del movimento democratico in Francia da Brumaio ai Centro Giorni, Napoli : Edizioni Scientifiche Italiane, 2001, p. 92. Voir Giornale del Regno, no 43, 26.8.1820, p. 178 ; no 58, 13.9.1820, p. 238 ; no 7, 9.1.1820, p. 28. Les sources disponibles sont recensées dans Risorgimento, Perspektiven der Forschung / Prospettive di ricerca, http://www.risorgimento.info/quellen/opuscolialfabetici.htm. M. S. Corciulo, Una Rivoluzione per la Costituzione, pp. 96–97 et 99.
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contre l’oppression turque, son intérêt pour le mouvement des Carbonari en Italie, pour les luttes politiques de l’Amérique latine. L’essentiel est que le Commentaire participe à ces événements, soit par la coïncidence des dates, soit parce que son auteur y intervient délibérement. Le succès est manifeste : la preuve est la série impressionnante de traductions de cet ouvrage en Italie ou en Espagne et la publication de beaucoup d’autres textes de Constant en Italie par les partisans des idées libérales.
Science de la législation et politique constitutionnelle L’irruption de Filangieri dans le débat public des années 1820 permettait donc à Constant de souligner l’écart qui séparait la culture libérale et la tradition des Lumières1. Tel était le propos du Commentaire. Cependant, en concentrant sur la Scienza les feux de sa polémique, Constant en venait par un singulier détour a` reconnaître que l’œuvre occupait dans le débat institutionnel européen une position centrale, qu’elle opérait une synthèse efficace de l’expérience du XVIIIe siècle et il allait jusqu’à lui accorder le mérite de développer avec force un véritable projet de constitution. Plus que tout autre péril, Constant redoutait un retour à l’Ancien Régime, à un État qui ne distinguerait pas le législateur du souverain et se flatterait vainement d’octroyer les lois favorables à la prospérité et à la paix publique sans se soucier d’apporter aux nouveaux principes les garanties constitutionnelles requises2. La menace se précisait, selon lui, lorsqu’en étendant l’autorité des lois à la protection des droits et des libertés, on élevait le législateur au-dessus des autres hommes, au point de le revêtir d’un caractère quasi sacré. Filangieri définissait le despotisme par l’autorité des hommes, et son contraire par l’autorité des lois. Constant prenait le contrepied de son enseignement en soutenant qu’il revenait à la constitution de conditionner l’exercice du pouvoir au mieux des intérêts de la liberté, quand le Napolitain espérait obtenir la liberté de ce pouvoir même.
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P. Bastid, Benjamin Constant et sa doctrine, p. 367 ; Leo Neppi Modona, «Quelques réflexions sur le Commentaire de Benjamin Constant à la Science de la législation de G. Filangieri», Benjamin Constant, Actes du Congrès Benjamin Constant, sous la direction de Pierre Cordey et Jean Luc Seylaz, Genève : Droz, 1968, pp. 57–63 ; P. Cordey, «A propos du Commentaire», pp. 174–175 (aussi, du même, B. Constant, G. Filangieri et la Science de la législation) ; Vittorio Frosini, «Filangieri e Constant», p. 364 ; V. Ferrone, La società giusta ed equa, pp. 284–314. BC, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, t. I, Ire partie, chap. VI, pp. 32–33.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
Ainsi, page après page, Constant démontrait que le constitutionnalisme ne coïncidait ni avec le libéralisme ni avec la démocratie. Les différences étaient évidentes en plus d’un point. Le principe de légitimité procédait pour les libéraux de la volonté de la nation et pour les démocrates de la souveraineté du peuple. La liberté, positive et active selon les uns, était négative pour les autres, qui l’entendaient comme une absence d’empêchement. Enfin, leurs formulaires des droits que devait consacrer le législateur n’avaient pas le même contenu. La pensée libérale inclinait de plus en plus à limiter leur nombre, afin de ne pas affaiblir les assises de droit naturel qui fondaient l’essentiel : vie, liberté, propriété. Dans la culture démocratique, la dimension politique l’emportait, et la liste des droits susceptibles d’être reconnus par la loi pouvait s’accroître rationnellement dans la mesure des besoins individuels et sociaux. La polémique du Commentaire s’attachait à quelques objectifs précis : légitimer le pouvoir de la monarchie constitutionnelle sur la base d’une neutralité favorable aux droits individuels ; réfuter les utopies abstraites de l’égalitarisme des Lumières au nom des diversités, des traditions, des coutumes et de l’histoire qui caractérisaient chaque réalité politique et sociale. Au fond, Constant envisageait le constitutionnalisme comme un système de gouvernement et de garanties qui obligerait le monarque à observer les lois et les traditions fondamentales du pays. Et si, dans l’ardeur du combat, il coiffait Filangieri du plumet jacobin, c’était pour atteindre à travers lui la survivance d’un certain XVIIIe siècle, français avant tout, ce radicalisme néojacobin qui entretenait l’agitation politique au nom des droits de l’homme et s’acharnait à dissocier la politique et le droit au nom d’une volonté populaire incarnée dans la souveraineté de la loi, sans comprendre qu’il s’acheminait par là vers une sorte de dictature légiste1. Contrairement à ce qu’avaient cru les esprits éclairés, les lois n’étaient rien de plus que la sanction d’un état de fait, elles ne créaient, ne garantissaient ni n’instituaient rien d’autre que la garantie formelle d’une réalité préexistante. Aucun homme, par conséquent, aucune partie du corps social pas plus que la société elle-même, ne pouvait s’arroger le droit de faire les lois. Au fil de la controverse, Filangieri devint le paradigme de tous ceux qui révêrent d’étendre la compétence du législateur jusqu’aux moindres aspects de la vie sociale et d’imposer au citoyen une discipline aussi contraignante que sous l’Ancien Régime2. Après tout, certains philosophes des Lumières considéraient que le «despotisme éclairé» 1 2
Sur ces critiques de Constant et la distorsion, calculée, qu’il fait subir à la pensée de Filangieri, voir V. Ferrone, La società giusta ed equa, pp. 302–304. BC, Commentaire, t. I, Ire partie, chap. VII, p. 38 (ci-dessous, p. 133) ; voir aussi Ettore Passerin, «Gaetano Filangieri e Benjamin Constant», Humanitas, 7, 1952, pp. 1100–1122.
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saurait pourvoir aux droits comme à la liberté et, sous la Révolution, leurs principes avaient pu conduire à tous les excès de la dictature démocratique et du terrorisme d’E´tat1. À présent, Constant installe solidement ses batteries au point où «législation» et «constitution» s’opposent, selon lui, et sur la ligne de partage de deux conceptions du développement politique de la cité. Son portrait de Filangieri diffère beaucoup de celui que Salfi avait brossé dans le premier tome. Il contredit l’imagerie du jeune penseur mort prématurément, et une légende par trop tributaire des représentations idéologiques de l’Ancien Régime. Certains se préoccupaient alors d’imposer des contraintes constitutionnelles au législateur par le biais du principe républicain de la reconnaissance des droits et de l’égalité, et le Filangieri qu’ils avaient remodelé sur ce patron était lié de près à l’expérience de souverains législateurs comme Frédéric II ou Catherine de Russie, c’est-à-dire à ces modèles de gouvernement que rejetaient les libéraux de la Restauration. Constant reprochait notamment à Filangieri de privilégier à l’excès la législation et de sous-estimer les effets d’une bonne politique. Il le jugeait responsable de la rupture désastreuse de ces deux concepts : «La législation séparée de la politique n’offre aux gouvernés aucun abri, et n’oppose aux gouvernants aucune barrière. Il n’existe, hors des garanties politiques, aucun moyen d’empêcher les dépositaires de l’autorité de violer les lois qu’ils ont établies»2. Il ajoutait : «Il en est de la distinction qu’on cherche à introduire entre la législation et la politique, comme de celle que tant de gens veulent établir entre la liberté civile et constitutionnelle. La meilleure législation est nulle, quand une bonne organisation politique ne la garantit pas, de même qu’il n’y a point de liberté civile, quand la liberté constitutionnelle ne l’entoure pas de son égide. [...] Quand il n’y a point de constitution, non seulement le pouvoir fait les lois qu’il veut, mais il les observe comme il veut ; c’est-àdire qu’il les observe quand elles lui conviennent, et les viole quand il y trouve son avantage. [...] Elles deviennent le fléau des gouvernés, qu’elles garrottent sans les défendre, et qu’elle privent du droit de résistance sans leur donner le bénéfice de la protection»3.
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BC, Commentaire, t. I, Ire partie, chap. VII p. 65 (ci-dessous, p. 155). BC, Commentaire, t. I, Ire partie, chap. VI, pp. 32–33 (ci-dessous, p. 129). Voir à ce propos aussi Leo Neppi Modona, «Quelques réflexions sur le Commentaire de Benjamin Constant», pp. 57–63. BC, Commentaire, t. I, Ire partie, chap. VI, p. 34 (ci-dessous, p. 130). Voir aussi Étienne Hofmann, «Necker, Constant et la question constitutionnelle (1800–1802)», Cahiers staëliens, 36, 1985, pp. 66–84.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
Répétons-le : c’est d’abord à une image publique que s’en prend Constant. Ce Filangieri dont Salfi avait dressé le portrait pour l’agiter comme un drapeau, il l’annexe à ses propres fins en le prenant pour cible. Faisons la part du procédé, en nous souvenant que dans les années 1776–1781 le jeune philosophe napolitain avait pris parti pour les insurgés d’Amérique, qu’il avait admiré leur combat pour la liberté et que ce n’était pas faire preuve d’un si grand dédain de la pratique politique, surtout dans le contexte italien de l’époque. En 1799, à Milan, un intellectuel comme Pietro Verri écrivait encore que «la liberté ne consiste pas dans la participation au gouvernement mais dans la possession certaine de la vie, de l’honneur et de ses biens», et que «la liberté et le gouvernement démocratique sont deux choses différentes»1. Quoi qu’il en soit, Constant jugeait qu’en réservant à la législation un rôle primordial dans le rétablissement des libertés et des droits violés par l’Ancien Régime, Filangieri exaltait la fonction de l’autorité souveraine, implicitement sans doute, mais au fond tout autant que l’avaient fait Mably ` court terme, c’était favoriser le modèle politique du «deset Rousseau. A potisme éclairé», à plus longue échéance, justifier la dictature démocratique – nous retrouvons Mably et Rousseau – et les excès d’une Révolution «qui avoit, il y a vingt ans, transformé la France en un vaste cachot»2. Filangieri et Mably : le rapprochement a de quoi surprendre. Ni leur réflexion politique ni leur culture ne présentent beaucoup de points communs, mais Constant ne s’y arrêtait pas. Mably avait consacré «six volumes à retracer, l’histoire de France en main, les malheurs des peuples et les crimes du pouvoir»3, mais en fin de compte, poursuivait-il, ses recherches historiques ne tendaient pas à limiter les pouvoirs du souverain pour «soustraire à son action malfaisante toute la portion de l’existence humaine dont la nécessité la plus impérieuse n’exige pas l’asservissement»4. Son traité De la législation soumettait au domaine de la loi tous les aspects de la vie civile. La Science de la législation avait-elle un autre but ? Par plus d’un trait, le corpus de loi que Filangieri s’efforçait de créer présentait les caractères d’une nouvelle religiosité laïque5 et, derrière lui, toute la culture des Lumières travaillait à 1
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Ces deux phrases se trouvent dans une lettre du 24 novembre 1779 citée par Gianni Francioni, «Nota introduttiva», dans Pietro Verri, Discorso sulla felicità, Edizione Nazionale delle Opere di Pietro Verri, t. III, Roma : Edizioni di Storia e Letteratura, 2004, pp. 190–191. BC, Commentaire, t. I, Ire partie, chap. IX, p. 65 (ci-dessous, p. 155). BC, Commentaire, t. I, Ire partie, chap. IX, p. 66 (ci-dessous, p. 155). Voir aussi Gabriel Bonnot de Mably, Observations sur l’histoire de France, Genève : Compagnie des Libraires, 1765, 2 vol. BC, Commentaire, t. I, Ire partie, chap. IX, p. 66 (ci-dessous, p. 155). Gabriel Bonnot de Mably, De la législation, ou Principes des Loix, Amsterdam [i. e. Genève] : Rey, 1776, 2 vol., IV, 3. Voir aussi l’extrait De la Nécessité d’un culte public et des lois propres à établir l’union entre la religion et la philosophie. Extrait de Mably “Traité de la Législation”, publié par F-.B. M***, Paris : Goujon, 1801.
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reproduire sous un autre visage le système d’oppression qu’elle prétendait détruire1. A travers La Science de la législation, le Commentaire visait également Rousseau. D’après Constant, le philosophe napolitain cachait mal son adhésion profonde aux théories du contrat social. N’avait-il pas exposé qu’«il falloit donner l’être à une personne morale, dont la volonté représentât toutes les volontés, dont la force fût l’assemblage de toutes les forces, et qui, dirigée par la raison, interprétât la loi naturelle et developpât les principes, fixât les droits, reglât les devoirs»2 ? Précisons que Filangieri avait très probablement emprunté l’expression et le concept de «personne morale» à Samuel Pufendorf et à Gianvincenzo Gravina. Ce dernier, grand historien du droit romain dont Montesquieu s’était beaucoup inspiré, définissait le gouvernement comme l’«union de toutes les forces particulières» par l’entremise «d’une force générale»3. Ces deux sources attestent que Filangieri n’avait pas ménagé ses efforts pour réinterpréter la tradition du droit naturel selon une perspective moderne. Cependant, d’après Constant, il n’avait pas poussé assez loin dans cette voie. Il retrouvait là, pour sa part, les thèses du Contrat social4, lesquelles conduisaient en bonne logique à la naissance d’une «puissance illimitée, despotique, au profit de laquelle tout l’être individuel se trouveroit aliéné»5. Dans son Cours de politique constitutionnelle6, Constant ne s’était pas montré moins sévère, constatant que l’expérience la plus récente avait achevé de démontrer que la doctrine de Rousseau conduisait à «organiser la tyrannie ; à revenir, après beaucoup de déclamations oiseuses, à l’état d’esclavage dont on espéroit se délivrer ; à soumettre de nouveau les hommes à une force illimitée également dangereuse, soit qu’on l’appelle de son vrai nom, qui est despotisme, soit qu’on la pare d’une appellation plus douce, celle de législation»7. 1 2 3 4 5 6
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BC, Commentaire, t. I, Ire partie, chap. VII, p. 38 (ci-dessous, p. 133). G. Filangieri, La Science de la législation, seconde édition, 1799, t. I, pp. 46–47. Voir Jani Vincentii Gravinæ Originum juris civilis libri tres, Neapoli : Ex Typographia Felicis Mosca, 1713, t. II, p. 17. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, II, 1–3 ; 7. BC, Commentaire, t. I, Ire partie, chap. VIII, p. 51 (ci-dessous, p. 143) On peut comparer le chap. VIII du Commentaire avec les pages contenues dans Collection complète des ouvrages publiés sous le gouvernement représentatif et la constitution actuelle de la France, formant une espèce de Cours de politique constitutionnelle. Par M. Benjamin Constant de Rebecque, Paris : Blancher, 1818–1819, 3 vol., t. I, Ire partie, p. 173 : «La souveraineté n’existe que d’une manière limitée et relative. Au point où commencent l’indépendance et l’existence individuelle, s’arrête la jurisdiction de cette souveraineté». Voir E. Di Rienzo, «Antichi e moderni : Filangieri e Constant», Nuova Rivista Storica, 88, 2004, pp. 365–396. BC, Commentaire, t. I, Ire partie, chap. VIII, p. 41 (ci-dessous, p. 136). Voir aussi Giuseppe Galasso, «Filangieri tra Montesquieu e Constant», dans La filosofia in soccorso de’ governi. La cultura napoletana nel Settecento, Napoli : Alfredo Guida, 1989, pp. 453–458 ; Mauro
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
On le voit, Benjamin Constant englobait dans sa critique toute la culture des Lumières, coupable à ses yeux de n’avoir pas prévu qu’en augmentant hors de mesure les pouvoirs du législateur sans fixer clairement les bornes de la législation, on ouvrait la voie à des formes d’oppression qui feraient regretter un jour les rigueurs du «despotisme éclairé». L’œuvre de Filangieri était condamnée au même titre, car il lui reprochait d’avoir saisi de manière à la fois trop explicite et trop partielle le problème et les limites de la pensée constitutionnelle du XVIIIe siècle. Ne perdons pas de vue ce double aspect du Commentaire : concentrer la critique sur l’œuvre et la pensée du Napolitain équivalait à reconnaître, au moins implicitement, leur importance. Prendre La Science de la législation pour point de mire, c’était admettre qu’elle continuait à offrir non seulement l’une des meilleures synthèses de l’esprit des Lumières, mais encore une expression exemplaire du constitutionnalisme éclairé, c’est-à-dire d’un projet très éloigné de l’idée constitutionnelle libérale – projet dont la résurgence inquiétait Constant, en ces années 1820 où le réveil des mouvements constitutionnels agitait l’Europe. Il n’aurait pas réservé à Filangieri un examen si ample et si analytique s’il n’avait estimé que La Science de la législation était une œuvre de dimension européenne et l’une des réflexions les plus élaborées qu’ait suscitées le questionnement constitutionnel moderne. S’il revenait avec tant d’insistance sur le mythe du législateur qui se manifeste dans la Scienza, ce n’était donc qu’un expédient rhétorique, particulièrement efficace il est vrai, un moyen pour lui de souligner l’écart entre les tendances réformatrice, et culturelle, des Lumières et le bien-fondé d’une constitution libérale monarchique qui, à la lumière des événements révolutionnaires, se révélait mieux à même de garantir les libertés individuelles en limitant les prérogatives du pouvoir législatif. Constant s’était appliqué à présenter l’ouvrage dans une perspective historique qui ferait ressortir son insuffisance en regard du temps présent et des nouveaux horizons de l’époque. Son objectif paraissait atteint, à un certain prix toutefois. Le Commentaire ne rendait pas justice à l’esprit novateur d’un livre publié bien avant la Révolution et dans un contexte fortement conditionné par les formes que le système d’Ancien Régime avait prises dans le Royaume de Naples. En soulignant ses incohérences, le manque de développement de certaines idées, en affirmant que Filangieri avait mal établi les rapports de la politique et du droit, Constant cautionnait Barberis, Benjamin Constant. Rivoluzione, costituzione, progresso, Bologna : il Mulino, 1988, pp. 290–300 ; Clorinda Donato, «Benjamin Constant and the Italian Enlightenment in the Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri : Notes for an Intercultural Reading», Historical Reflections – Réflexions historiques, 28, 2002, pp. 439–453.
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les erreurs d’appréciation de ses devanciers de la fin du siècle. Il sousestimait les visées de La Science de la législation, son essai de redéfinition des rapports de la morale, de la politique et de la loi. Surtout, il pénétrait mal les raisons qui avaient amené le philosophe à fixer ses efforts sur le terrain de la législation : Filangieri tentait d’en finir avec l’interprétation traditionnelle, défendue par Montesquieu, selon laquelle les lois dépendent de rapports objectifs et nécessaires tirés de la nature des choses. Il espérait qu’un gouvernement des lois assurerait aux hommes la liberté de se donner une organisation politique nouvelle, qui ne devrait plus rien aux interprétations mécanistes du droit naturel1. La première partie du Commentaire fut publiée chez Dufart, alors que l’éditeur achevait d’imprimer la nouvelle traduction de la Scienza. La deuxième partie fut publiée en 1824, comprenant trois sections intitulées «seconde [troisième, quatrième] partie». Elles sont réunies dans un seul volume annoncé comme t. VI de l’ouvrage de Filangieri. L’Éloge de Salfi est en tête du premier. En 1825, le Commentaire est traduit en espagnol, puis en italien en 1826. Cette dernière traduction a connu trois éditions (1826, 1828 et 1833). Par une ironie du sort, le premier acte de la confrontation de Constant avec Filangieri allait se conclure devant le tribunal romain. Entre 1826 et 1827, la Scienza della legislazione était mise à l’index pour la troisième fois, après les condamnations inquisitoriales de 1784 et de 1790 en Espagne. L’Inquisition romaine déclarait l’ouvrage séditieux, elle censurait les pages où l’autorité de l’Eglise était contestée, celles également où l’auteur soutenait que la souveraineté réside de façon inaliénable dans le peuple. Quelques mois plus tard, le même censeur condamnait le Commentaire de Constant dont la traduction venait de paraître, et en particulier les passages qui imputaient à la religion l’asservissement des esprits2. Ainsi – et d’une manière qui résumait, en quelque sorte, les arguments de l’opposition conservatrice – le Saint-Office enveloppait dans sa réprobation deux livres très différents, au moins par leur contexte respectif3. 1 2
3
Voir V. Ferrone, La società giusta ed equa, pp. 298–305. Rome, Archives de la Congrégation pour la doctrine de la foi, S. C. Indicis, Protocolli, 1826, c. 51–52 et 1827, 136–137. Les textes ont été publiés par Franco Motta, «Le condanne inquisitoriali della Scienza della legislazione», Diritti e costituzione, pp. 332–335. Voir aussi les annexes à cette édition. On remarquera que, dans le cadre de sa critique du constitutionnalisme du début du XIXe siècle, l’Inquisition rapprocha l’œuvre de Filangieri et de Constant de celle, très différente, de l’intellectuel catholique Antonio Rosmini Serbati, auteur, vingt ans plus tard, de La costituzione secondo la giustizia sociale (1848). A ce propos, voir Angelo Ara, «I progetti di Antonio Rosmini Serbati per una costituzione per lo Stato pontificio», Il Risorgimento, 23, 1971, pp. 126–133. Rosmini a aussi écrit un Fragment d’une histoire de l’impiété, et réfutation du système religieux de Benjamin Constant, ouvrage traduit de l’italien, par M. CH***, Lyon : Pélagaud, Lesne et Crozet, 1870.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
L’ouvrage n’est pas passé inaperçu. Deux comptes rendus importants ont été publiés, le premier de la plume de Pagès dans le Courrier français, le second par Nicolas-Louis-Marie Artaud (1794–1861). Ancien élève de l’Ecole normale, Artaud enseignait dans divers collèges royaux de la capitale. Après 1824, les articles qu’il publiait dans la presse d’opposition lui vaudront d’être suspendu de son enseignement. La Révolution de Juillet le réintégrera dans l’administration, au poste d’inspecteur général de l’Enseignement supérieur, et il sera nommé vice-recteur de l’Académie de Paris peu de temps avant sa mort. Sa recension des Œuvres de Filangieri était parue dans la Revue Encyclopédique de Marc-Antoine Jullien, qui publiait également Francesco Salfi. De l’aveu même de l’auteur, l’article s’attachait surtout a` présenter le Commentaire de Constant. Cependant, La Science de la législation était replacée dans son contexte d’époque. Artaud soulignait l’originalité et l’importance d’une œuvre qui avait contribué à la régénération des esprits encore ensevelis dans la torpeur du vieux monde. «Il est donc possible, poursuivait-il, que l’ouvrage de Filangieri, expression de la raison publique, à l’époque où il fut écrit, ne soit pas toujours à la hauteur des opinions qui se sont formées depuis sur certaines matières, encore neuves en son tems. Pour remplir ces lacunes inevitables, l’édition qui paraît aujourd’hui est accompagnée d’un commentaire destiné à recomposer en quelque sorte la chaîne d’idées qui lie le passé au présent, et qui forme la transition du dix-huitième siècle au dix-neuvième»1. A. T. II
Filangieri : un «grand prétexte» pour Constant ? Pour montrer les impacts des réflexions de Constant sur les opinions économiques de Filangieri, on analysera successivement les grands thèmes suivants : la liberté, le despotisme éclairé, le libéralisme économique, les finances publiques, la guerre, la population, enfin, la traite des noirs. De Filangieri à Constant, on passe, si l’on peut dire, du maximum (variable) de liberté à la liberté absolue. Filangieri, au chapitre XI du Livre II, «Des obstacles [à la richesse] qui dérivent du gouvernement», énonce ce qui est pour lui un grand principe : «s’ingérer le moins possible, laissez faire le plus possible2». 1
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Nicolas-Louis-Marie Artaud, «Œuvres de G. Filangieri», Revue encyclopédique, ou analyse raisonnée des productions les plus remarquables dans la littérature, les sciences, les arts, t. XIX, 1823, pp. 562–567, la citation se trouve p. 564. Voir ci-dessous, p. 117.
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Pour Constant, c’est encore trop. Chez lui, la liberté informe l’ensemble des phénomènes sociaux : liberté politique, économique, sociale. Celle-ci établie, tout, pourrait-on dire, sera donné de surcroît, qu’il s’agisse de la bonne gestion de l’E´tat, du développement économique ou de la paix universelle. Il le souligne encore dans ses Mélanges de 1829 : «J’ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique ; et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorite´ qui voudrait gouverner par le despotisme que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité»1. Le despotisme éclairé. La liberté ainsi définie est la figure ultime des Lumières. Avant la Révolution française, les Lumières espèrent souvent dans le despotisme éclairé, c’est-à-dire dans l’action réformatrice venue d’en haut, des monarques. Tel n’est pas le point de vue de Constant. Il convient d’abord d’écarter une forme très particulière de despotisme : le despotisme légal des physiocrates, qui sera d’ailleurs l’une des parties les moins bien comprises de leur programme. L’évidence de l’ordre naturel ayant été dévoilée par Quesnay et ses disciples – la «Secte» – il suffit au souverain d’en appliquer les règles qui sont, on le rappellera, fort simples : liberté de circulation – intérieure et extérieure – des grains et impôt unique sur le produit net2. Au XVIIIe siècle, l’action réformatrice des monarques «éclairés» fut loin d’être négligeable. Le «despotisme éclairé» est «cette alliance de la philosophie et du pouvoir absolu dont le but est d’adapter les institutions traditionnelles à l’esprit nouveau3». Le «Joséphisme» de l’empereur Joseph II est l’exemple le plus achevé, qui imposa d’en haut une série de réformes – dont l’une des plus connues est la «sécularisation» des biens des ordres religieux supprimés. On peut également citer le marquis de Pombal au Portugal, Frédéric II de Prusse et, dans un environnement différent, Pierre le Grand et Catherine II de Russie. 1 2
3
Cité par K. Kloocke, Biographie, p. 6. Nous renvoyons à notre article de 1963, «L’évidence, fondement nécessaire et suffisant de l’ordre naturel chez Quesnay et Morelly», reproduit dans Aux origines de la pensée économique, Paris : Economica, 1981. Sur les critiques contemporaines au despotisme légal, voir «Liberté» de Furio Diaz dans Le monde des Lumières, sous la direction de Vincenzo Ferrone et Daniel Roche, Paris : Fayard, 1999, p. 63. Sur l’ensemble du despotisme éclairé, voir la synthèse du même titre de François Bluche (Paris : Fayard, 1969, nouvelle édition : Pluriel, 2000) qui traite du despotisme légal, p. 344. Définition de Pierre Milza dans son Histoire de l’Italie (Paris : Fayard, 2005), p. 602. L’expression «despotisme éclairé» aurait été pour la première fois utilisée par Grimm en 1758 dans sa Correspondance littéraire, philosophique et critique (F. Bluche, Le despotisme éclairé, pp. 345–346).
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
On ne reviendra pas ici sur ce qui a éte´ dit plus haut du royaume de Naples, pays de Filangieri. Dans ce royaume, la famine de 1764 fut ce que Procacci nomme dans son Histoire des Italiens1 «un véritable traumatisme» pour les intellectuels d’alors, dont Filangieri. Procacci poursuit : ces derniers «ne tardent pas à mûrir la conviction que la solution des problèmes et de la crise passe par une lutte sans merci contre l’ensemble des abus féodaux du clergé, des barons et de la capitale et par une régénération de la société par sa base, l’agriculture2». On comprend mieux dans ces conditions l’accent mis sur le cadastre, qui doit permettre de préciser droits et devoirs de chacun. Constant insiste dès l’abord sur la «méprise» dans laquelle est tombé Filangieri, «une méprise commune à plusieurs philosophes bien intentionnés». Comme l’écrit Constant, «de ce que l’autorité peut faire beaucoup de mal, il en a conclu qu’elle pouvait également faire beaucoup de bien». Et Constant d’indiquer en note, mais sans donner de détails, comment Pombal a courbé les Portugais sous le joug et Joseph II mécontenté la Bohême, la Belgique, l’Autriche et la Hongrie. Constant est très net : alors qu’il considère que Filangieri est «vague» et «impropre», il conclut quant à lui que les «fonctions du gouvernement sont purement négatives [nous soulignons]. Il doit réprimer les désordres, écarter les obstacles, en un mot empêcher que le mal n’ait lieu». Voilà ce que Sismondi appellera l’état gardien. On dit aujourd’hui plutôt l’E´tat gendarme. Constant ajoute : «On peut ensuite se fier aux individus pour trouver le bien», ou, comme l’avait dit Mme de Staël dans son Contre le despotisme militaire de Bonaparte, «le remède aux passions populaires n’est pas dans le despotisme, mais dans le règne de la loi». Le libéralisme économique, adopté par Constant en disciple de J. B. Say, présente une autre solution. Après avoir examiné les obstacles à l’augmentation de la population, sur lesquels nous reviendrons plus loin, Filangieri développe sa pensée sur la richesse, à travers l’analyse des obstacles à ce que l’on appelle aujourd’hui le développement économique. Ces obstacles sont les suivants : la trop grande concentration des propriétés, la richesse exorbitante et inaliénable des ecclésiastiques, l’ampleur des armées, puis ce qu’il appelle «l’incontinence publique» (le relâchement des mœurs) et enfin une capitale trop grande par rapport au reste du pays. Filangieri revient un peu plus loin, sous une nouvelle forme, sur ces obstacles. Il reparle de la capitale disproportionnée, à laquelle s’ajoutent 1 2
Traduction française : Paris : Fayard, 1970 ; voir pp. 231–261, et plus part. p. 235. Les intellectuels cités pas Procacci sont, outre Filangieri, Genovesi, Palmieri, Galanti et Pagano. Procacci, Histoire des Italiens, p. 235.
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une mauvaise administration et de mauvaises lois : ainsi celles sur les faillites, qui punissent trop durement les faillis de bonne foi. En matière de lois, Filangieri est un relativiste. Sans doute, écho de l’agromanie de son temps, l’agriculture est-elle première, mais pour le reste, les lois doivent s’adapter à la plus ou moins grande fertilité du pays ; elles ne sauraient être les mêmes dans un pays fertile que dans un pays stérile. C’est ainsi que «le commerce est [la seule activité] qui convient à un pays stérile». Filangieri donne les exemples de Tyr, de Venise et de la Hollande1. Par ailleurs, il va sans dire qu’il faut une bonne monnaie ; il s’appuie ici sur ses prédécesseurs Beccaria et Galiani. Ses développements sur la France sont émouvants et prémonitoires. La France de son siècle est, pour peu de temps encore, la grande puissance de l’Europe : la «France heureuse pour la fécondité de son sol et pour celle des talents, dispensatrice absolue du goût et des modes, habitée d’artisans et de manufacturiers célèbres, envoie davantage de denrées et de produits manufacturés à l’extérieur qu’elle n’en reçoit des étrangers. Or si la France était peuplée comme elle devrait l’être et si ses lois n’avaient pas ruiné l’agriculture, si les maximes et le système avec lesquels sont régulées ses finances, pouvaient être plus favorables au commerce, sa prospérité ferait l’admiration de l’univers et en même temps le bonheur du reste de l’Europe2». Filangieri ajoute que, pour rester grande, la France, qui a la chance d’avoir des colonies en Amérique, doit développer sa marine pour les défendre. On sait que le choix français fut au contraire continental et que, à l’exception des Antilles, la perte des «arpents de neige» canadiens (déjà survenue au moment où le Napolitain écrit) n’émut guère les élites. Il y a loin du relativisme de Filangieri à l’absolutisme libéral de Constant. Pour ce dernier, «il ne saurait être non plus question de lois qui s’adaptent à l’enfance des nations, à leur puberté, à leur maturité, à leur décrépitude3.» Constant chante ainsi «le silence de la loi4.» Il fait également l’éloge de Newton qui s’est borné à «observer» et à «déclarer» les lois célestes sans considérer qu’il est le créateur de ces lois. L’erreur de Filangieri s’explique, selon Constant, parce que l’auteur italien «semble croire que le gouvernement peut se mêler activement de toutes les relations particulières [...] C’est précisément parce que tout est relatif dans les lois sur l’industrie qu’il ne faut point de lois sur l’industrie5». Constant revient encore à la charge plus loin : «En prenant à la lettre le système de Filangieri, il s’ensuivrait que les gouvernements devraient pro1 2 3 4 5
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le chap. XVI, «Des arts et des métiers», SL1, t. I, édition Dufart, p. 58. le chap. XX, «Des jalousies de commerce, et de la rivalité des nations», pp. 89–90. ci-dessous, p. 136. ci-dessous, p. 137. ci-dessous, p. 263.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
portionner les lois à l’esprit des peuples comme des précepteurs proportionnent leurs leçons à l’intelligence de leurs élèves. Les gouvernements ne demandent pas mieux et ils tirent de ce principe deux conséquences également fausses et funestes [...] ils perpétuent des lois absurdes [...] ils franchissent le but au lieu de l’atteindre1». En fait, «les richesses se fixent dans un État quand il y a liberté et sécurité, et pour qu’il y ait ces deux choses, il suffit de la répression des crimes2». Constant écrit encore : «les richesses se distribuent et se répartissent d’elles mêmes dans un parfait équilibre, quand la division des propriétés n’est pas gênée et que l’exercice de l’industrie ne rencontre point d’entraves3». D’où la critique par Constant du despotisme, même éclairé, et son point de vue sur les fonctions du gouvernement : «répression, défense, selon le but légitime, c’est-à-dire nécessaire, de la loi. Le reste est du luxe, et du luxe funeste4». Les crises économiques ? Au moment où écrit Constant, l’économie de l’Europe occidentale est dans ce que les modernes ont appelé la transition entre l’ancien et le nouveau régime économique. Dans l’ancien, les crises sont provoquées par une sous-production agricole, laquelle, pesant sur le pouvoir d’achat de la majorité de la population contrainte de payer plus cher pour se nourrir, diminue la demande de produits manufacturés. Tel est l’univers de la loi des débouchés, dégagée par J. B. Say au tout début du XIXe siècle, et qui jouera encore fondamentalement en 18165. Dans le nouveau régime, la crise est due à des erreurs des manufacturiers, qui produisent trop : la première crise de ce type date de 1825, consécutive à l’excès d’optimisme des industriels britanniques et américains quant à l’ampleur de la demande solvable des nouvelles nations hispano-américaines. Constant décrit très bien quant à lui la «crise de reconversion» de 1816. Nous avons fait observer qu’elle avait aussi une forte origine agricole, dont il n’est pas question ici6. Constant écrit : «La paix est venue. L’activité a dû cesser momentanément avec la guerre qui l’avait créée ; elle a dû cesser avant d’être remplacée par d’autres spéculations et une industrie, parce que les canaux depuis longtemps négligés [à cause du blocus continental] ne pouvaient se rouvrir immédiatement, ni la direction des capitaux changer aussi vite qu’on signait un traité». Mais il s’agit la` d’une situation exceptionnelle, due à l’ingérence du politique. En temps normal, écrit-il, «les productions tendent toujours à se mettre au niveau des besoins, sans que 1 2 3 4 5 6
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ci-dessous, p. 384. ci-dessous, p. 137. ci-dessous, p. 137. ci-dessous, p. 150. OCBC, Œuvres, t. X/2, p. 1029. OCBC, Œuvres, t. X/2, p. 1029.
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l’autorité s’en mêle» ; ou encore «la seule chose qui puisse déranger les productions, c’est l’intervention de la loi» ou un nouvel impôt1. Le philosophe napolitain est très physiocrate en matière fiscale ; il utilise d’ailleurs le concept de produit net. L’impôt doit peser sur cette partie de la production agricole qui permet d’entretenir les autres classes de la population, déclarées «stériles» par Quesnay et ses disciples. Il évoque ainsi «l’avantage de l’impôt unique sur la terre2». Dans ces conditions, il ne peut être que très critique à l’égard des «publicains», des financiers qui «afferment» la perception des impôts, essentiellement des impôts indirects dont on comprend que, dans ces conditions, ils ne trouvent guère grâce à ses yeux. Les impôts financent le fonctionnement «normal» («ordinaire») de l’E´tat. La guerre est la principale dépense extraordinaire et elle est financée par l’emprunt perpétuel3. Les emprunts accroissent la dette publique jusqu’au moment où son service (les «arrérages» ou intérêts payés aux rentiers) devient tel qu’il dévore une trop grande part des ressources fiscales et qu’il faut décider une banqueroute, c’est-à-dire une réduction autoritaire tant du principal que des intérêts de cette dette. La France y a recouru à plusieurs reprises au XVIIIe siècle4. Constant revient sur la dette publique à propos de celle de l’Angleterre. Filangieri annonçait la décadence de ce pays du fait que la propriété y est très concentrée et que, faute de banqueroutes (il n’y en a plus eu outre Manche depuis 1672), la dette s’accumule. Mais Constant, qui a pu constater sur place l’exceptionnel développement économique du pays, a bien compris qu’il n’a pas été entravé par le poids, pourtant lui aussi exceptionnel, de la dette (en gros, plus de 270% du produit national britannique en 1823 !). Surtout, les Anglais n’ont pas commis l’erreur des Français en matière de banqueroute. Constant écrit : «Jusqu’à ce jour, la dette publique de l’Angleterre, rendant les fortunes privées solidaires en quelque sorte de celle de l’E´tat, donne à l’ordre existant des soutiens». C’est d’ailleurs ce que comprirent les gouvernements de la Restauration5. Quant à l’impôt unique sur la terre, Constant le critique au chapitre XII, «Nouvelle preuve de l’erreur fondamentale de Filangieri». D’abord, «il est faux [...] que tous les impôts [...] retombent sur la terre [...]. L’impôt sur la terre, quand il diminue la production, ruine le producteur [...] il rend la propriété stérile6». 1 2 3 4 5 6
Voir ci-dessous, p. 265. Voir Filangieri, SL1, édition Dufart, chap. XXIX, «Suite du même sujet» [Des impôts indirects], t. II, p. 155. Voir Filangieri, SL1, édition Dufart, chap. XXIX, «Suite du même sujet» [Des impôts indirects], t. II, p. 156. Voir ci-dessous, p. 254, n. 1. Voir OCBC, Œuvres, t. X/2, pp. 1033–1034. Voir ci-dessous, p. 284.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
Quant à la guerre, Constant défend une doctrine contraire à celle de Filangieri. Alors que celui-ci se demande «quelle est la manière de tuer le plus grand nombre d’hommes dans le moins de temps possible», Constant se situe à un tout autre niveau. Dans l’ancien régime économique, où la production par tête n’augmente guère (réalisant ce que les contemporains appellent une marche stationnaire de la société), la guerre peut s’expliquer : pour un prince, s’enrichir, c’est s’emparer des richesses de ses voisins par la force. Mais au moment où écrit Constant, «nous sommes arrivés à l’époque du commerce qui doit nécessairement remplacer celle de la guerre». Celle-ci est désormais inutile. Constant écrit encore : «la situation des peuples modernes les empêche d’être belliqueux par intérêt». Il y a là un leitmotiv des libéraux qui fera tenir, jusqu’en 1914, la guerre non seulement pour impossible, mais aussi, comme le dit toujours Constant, pour criminelle. À l’argument du commerce va d’ailleurs s’ajouter celui, de plus en plus prépondérant, du coût croissant des guerres : celles-ci sont devenues d’un coût tellement prohibitif qu’elles ne pourront même plus être envisagées ! Filangieri débute son analyse des «lois politiques et économiques» par la population. Son époque commence à savoir que, contrairement à ce que pensaient de nombreux écrivains – à commencer par Montesquieu – le nombre des hommes n’a pas diminué au cours du temps1. D’abord, Filangieri dit ne pas vouloir entrer «dans l’examen de la question célèbre si l’Europe était plus peuplée dans le passé» ; il sait que les chiffres avancés naguère ne sont pas fiables et que, en fait, la population a plutôt augmenté. Filangieri étudie ensuite, longuement, les obstacles à la population. Le premier est l’immense nombre de non propriétaires, comparé à celui, petit, de propriétaires. L’utilité de la société veut que le nombre de propriétaires ne diminue pas : aussi est-il favorable aux lois agraires. Il revient sur la nécessité d’interdire de tester : le droit d’aînesse contraint les cadets au célibat et ils sont envoyés dans des monastères, «ces asiles [...] de stérilité». D’autres obstacles à la population sont détaillés : les impôts excessifs et la guerre. Nous reviendrons plus loin2 sur ces deux points ; mais citons encore une expression du Napolitain : les armées nombreuses sont «une anthropophagie monstrueuse». Enfin, outre une capitale disproportionnée, un dernier obstacle est ce qu’il appelle «l’incontinence publique», catégorie qui recouvre pour lui tant la prostitution que l’homosexualité. 1
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Montesquieu écrivait qu’«après un calcul aussi exact qu’il peut l’être dans ces sortes de choses, j’ai trouvé qu’il y a à peine sur la terre, la dixième partie des hommes qui y étaient dans les anciens temps» (voir M. Lutfalla, L’état stationnaire, Paris : Gauthiers-Villars, 1964, p. 118). Voir ci-dessous la deuxième partie du Commentaire, p. 238.
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Constant n’est pas moins critique lorsqu’il s’agit de population. Les idées du Napolitain en la matière lui apparaissent «usées, triviales, fausses et problématiques1». On vient de dire que Filangieri n’adhérait pas aux idées de Montesquieu sur la dépopulation. Mais il retient un autre mythe cher aux Lumières, qui est l’excellence de la Chine. Notamment les physiocrates semblent aller très loin dans leur exaltation de l’empereur traçant le premier sillon2. En fait, écrit Constant, la Chine n’est certainement pas un modèle, mais, ajoute-t-il (perfidement ?) «peu importait à Filangieri que la Chine [...] offrit plus qu’aucun autre pays le honteux spectacle de la dégradation de l’espèce humaine3». Constant s’attaque ensuite, si l’on peut dire, à Malthus. Sans doute, le principe de population proclamé par le pasteur anglais est vrai : «La subsistance suit la population d’une manière inégale, et la famine arriverait [...] si la population était ce qu’elle peut être4». Pour éviter une telle évolution, Malthus semble insister sur la nécessité de brider la procréation des pauvres, notamment en ne les secourant pas, c’est-à-dire en remettant en cause les lois sur les pauvres, qui organisaient de tels secours au niveau des paroisses. Le pré-socialiste Sismondi, que Constant a connu à Coppet et qu’il cite ici, voulait que ce soit un «devoir [...] de ne point se marier quand on ne peut plus assurer à ses enfants le moyen de vivre». Également, «le mariage des mendiants ne devrait jamais être permis5». Voilà qui ne pouvait que froisser le libéral Constant. Constant ne croit pas à la possibilité de subjuguer «l’attrait des sexes», de «vaincre [...] la nature». De plus, il craint alors que des vices honteux les remplacent. Constant écrit encore que l’on voudrait faire des jeunes pauvres des anachorètes égyptiens des premiers siècles du christianisme. Il a cette phrase superbe : «J’aime bien l’économie politique ; j’applaudis aux calculs [...] mais je voudrais qu’on n’oubliât pas que l’homme n’est pas uniquement un signe arithmétique6». Les épigones les plus extrêmes de Malthus iront beaucoup plus loin encore, mais plus tard. Comme le rappelle Ott – un disciple du «socialiste néo-catholique» Buchez – dans son Traité d’économie sociale de 1851 : «Malthus, qui était un homme de mœurs sévères, n’avait eu en vue, quand il parlait de contrainte morale, que l’abstinence chaste et volontaire de l’homme. Ses disciples ajoutèrent à la liste des moyens préventifs : l’inter1 2 3 4 5 6
Voir ci-dessous, p. 205. M. Lutfalla, «La Chine vue par quelques économistes du XVIIIe siècle», article de 1962, reproduit dans Aux origines de la pensée économique, pp. 90–95. Voir ci-dessous, p. 212. Voir ci-dessous, p. 215. Voir ci-dessous, p. 224. Voir ci-dessous, p. 221.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
diction du mariage aux classes pauvres, le développement de la débauche et de la prostitution, l’avortement des femmes, l’étouffement des enfants nouveau nés, la castration [...]. Comme mesures à la fois préventives et répressives, on propose la suppression de toutes les institutions de charité, des hôpitaux, des hospices, de l’assistance et de l’aumône [...] des secours aux enfants trouvés, aux orphelins, à la vieillesse, afin qu’aucune miette du banquet de la nature ne pût arriver aux déshérités et le berce d’un vain espoir1». On comprend mieux dans cette optique les critiques d’inspiration chrétienne ; là aussi, elles sont largement postérieures au Commentaire de Constant. Alban de Villeneuve-Bargemont, dans son classique Economie politique chrétienne2, cite longuement un pair de France, de Vindé, qui, en 1829, estimait que les erreurs de Malthus venaient «de la préoccupation exclusive dans laquelle l’état de l’Angleterre et de l’Irlande ont constamment placé le célèbre écrivain». En fait, et on croirait lire du Filangieri, «les causes du paupérisme en Irlande et en Angleterre [...] peuvent s’exprimer ainsi : en Irlande, la concentration des propriétés ; l’habitation, dans les capitales, des grands tenanciers qui abandonnent leurs malheureux vassaux à la rapacité de leurs gérans [...]. En Angleterre : la tendance de la propriété territoriale à s’agglomérer dans les mêmes mains [...] l’énorme quantité de biens tenus en mainmorte par le clergé». En attendant le jour lointain où la planète sera remplie, il reste la solution de l’émigration. Constant critique dans ce domaine également Filangieri, qui conseillait au gouvernement anglais d’interdire l’émigration. Selon Constant, il y a dans cette position une «inconséquence», une autre «erreur d’un philosophe qui considère l’homme comme un agent passif entre les mains de l’autorité». D’ailleurs, «par quelle mesure retiendra-t-on sur le sol anglais ces prolétaires affamés, auxquels les lois ne permettent pas de gagner leur subsistance et celle de leur famille3». 1
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Auguste Ott, Traité d’économie sociale ; ou l’économie politique coordonnée au point de vue de progrès, Paris : Guillaumin, 1851, p. 656. Philippe-Joseph Benjamin Buchez (1796– 1865), médecin et Saint-Simonien revenu à la religion, le fondateur du catholicisme social, dont le philosophe Ott sera l’un des disciples. Buchez exprime une opinion proche de celle d’Ott dans son Traité de politique et de science sociale, Paris : Amyot, 1866, t. I, p. 230. Alban de Villeneuve-Bargemont, Économie politique chrétienne, ou recherches sur la nature et les causes du paupérisme en France et en Europe, et sur les moyens de le soulager et de le prévenir, Paris : Guillaumin, 1834, 3 vol. La citation est tirée du t. I, p. 210. Le vicomte Charles-Gilbert-Terray Morel de Vindé (1759–1842), ancien magistrat, agronome et littérateur, avait tenté de montrer en 1829, dans un mémoire à l’Académie des Sciences, dont il était membre, la fausseté du principe malthusien de population (Sur la théorie de la population, ou observations sur le systhème professé par M. Malthus et ses disciples, Paris : Huzard, 21829). Voir ci-dessous, p. 230, (deuxième partie, chap. VII, «D’une inconséquence de Filangieri»).
Introduction
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«Les Lumières s’appliquent à tout», écrit Constant, aux progrès de l’industrie, aux sciences et, fondamentalement, à la pensée, notamment religieuse. Il ne sera question ici que de l’effet des idées religieuses sur la population et l’économie. Maçon et déiste, Filangieri est critique de la pratique catholique de son temps dans le royaume de Naples. Le chapitre V du Livre II est intitulé «Richesse exorbitante et inaliénable des ecclésiastiques» ; il y dénonce tant la concentration des propriétés entre les mains du clergé, propriétés devenues de fait largement inaliénables et qui réduisent le nombre de propriétaires, ceux-ci, on l’a dit, source de population et de richesse (les bénéfices ecclésiastiques, non transmissibles à des héritiers, sont de plus moins bien gérés, donc moins productifs) que les effets du célibat des prêtres et des moines. Dans le Livre III, c’est la «terrible et funeste Inquisition» qui est critiquée pour avoir «canonisé» l’usage de la torture. On comprend que, dans ces conditions, l’œuvre de Filangieri ait été inscrite à l’index pontifical1. Quant à Constant, il revient une nouvelle fois, dans son chapitre X sur la décadence de l’Espagne2, sur la série de lois prohibitives malheureuses décidées par les rois catholiques : l’expulsion des Maures outre Pyrénées et sur deux des événements les plus dommageables à la France : les massacres de la Saint-Barthélemy et la révocation de l’édit de Nantes. Même dans le pays le mieux géré de son temps, le Royaume-Uni, Constant dénonce «les massacres des Catholiques surtout en Irlande» et «les règlements qui réduisent toute cette portion du peuple irlandais à la condition d’ilotes», règlements qu’il juge «le pendant de la persécution et jusqu’à un certain point du bannissement des Maures3». Constant traite une nouvelle fois du sujet dans le chapitre XI, qui discute le point de vue de Filangieri sur la France et la révocation de l’édit de Nantes, laquelle fut, de fait, l’une des décisions les plus malheureuses de Louis XIV et les plus favorables à la Hollande, à la Prusse et surtout au Royaume-Uni. La traite des noirs est à l’époque de Constant un sujet important. Alors que Filangieri ne fait que citer rapidement ce grave problème pour le critiquer, Constant y consacre tout le chapitre II de sa deuxième partie. C’est ` la suite du Royaume-Uni4, les grands que le problème est devenu brûlant. A États ont commencé à s’attaquer à la traite, que Benjamin Constant considère comme «l’accumulation de tous les crimes» ; l’un de ces crimes est dénoncé5. 1 2 3 4 5
Voir Voir Voir Voir Voir
ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous, ci-dessous,
pp. 426–435. pp. 159–168. p. 160. p. 193, n. 2 et p. 202, n. 1. p. 199.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
Constant montre que le problème n’a subsisté que parce que «de toutes les contrebandes, la plus lucrative est certainement la traite des noirs : elle rapporte de 13 à 5 capitaux contre un1 et [...] elle n’est pas assez punie». Et surtout, l’esclavage n’a pas été supprimé au Nouveau monde : il faudra attendre pour cela le milieu du siècle (dans les Antilles françaises) et plus tard encore aux États-Unis (fin de la guerre de Sécession) et au Brésil. M. L.
III
De l’éducation Le chapitre sur l’éducation est une reprise textuelle d’un article publié le 11 octobre 1817 dans le Mercure de France. Celui-ci reproduit à son tour littéralement, à l’exception de deux passages, le chapitre VI du livre XIV des Principes de politique de 1806. L’article du Mercure sera repris une nouvelle fois sans changement majeur dans les Mélanges de littérature et de politique de 18292. Ce qui distingue le texte du Commentaire sur les ouvrages de Filangieri, c’est la devise choisie dans l’ouvrage de l’auteur italien et citée en tête du chapitre ainsi que le premier alinéa destiné à justifier les attaques de Constant contre la doctrine du magistrat de Naples. La position défendue par Constant, comme l’a bien vu Éphraïm Harpaz3, est celle du libéralisme individualiste qui se méfie de l’influence de l’E´tat sur l’éducation. Florence Lotterie confirme cette appréciation en soutenant que la question qui agite Constant «n’est pas de savoir ce que peuvent l’E´tat et la société sur l’individu, mais bien plutôt ce qu’ils n’ont pas le droit de lui imposer»4. C’est exact, et pourtant cette exégèse, qui a le mérite de montrer la cohérence du texte de Constant et souligne la compatibilité avec sa doctrine politique, ne parle pas des limites théoriques de cet essai. Celles-ci méritent pourtant notre attention. À cela s’ajoutent deux considérations pour bien situer l’essai sur l’éducation, à savoir le contexte des débats pédagogiques de la Révolution ainsi que les circonstances politiques de la première rédaction et des publications successives de ce texte.
1 2 3 4
Soit de 7 à 20%, a` une époque où la terre procure autour de 2,5% et la rente d’E´tat un peu plus de 3,5%. Sur ce texte, voir OCBC, Œuvres, t. XXXIII, à paraître. Éphraïm Harpaz, L’école libérale sous la Restauration, le «Mercure» et la «Minerve», 1817–1820, Genève : Droz, 1968, pp. 60–64. Florence Lotterie, «Benjamin Constant, l’éducation et la place de l’E´tat», ABC, 23–24, 2000, pp. 205–213. La citation se trouve p. 205.
Introduction
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Il est important de constater que le texte de Constant est une réponse directe aux débats pédagogiques qui précèdent la loi du 11 mai 1806 instituant «une corporation enseignante, unique et entièrement dépendante de l’E´tat»1. «Il sera formé un corps chargé exclusivement de l’enseignement et de l’éducation publique dans tout l’empire»2. De cette institution dépendaient toutes les autres, de sorte que la jeunesse était orientée par l’éducation dans le sens de l’esprit politique de l’Empire. Chateaubriand pouvait dire : «Les enfants étaient placés dans des écoles où on leur apprenait, au son du tambour, l’irréligion, la débauche et le mépris des vertus domestiques»3. L’expérience historique est la cause profonde du texte de Constant. Les souvenirs de l’éducation pratiquée sous l’Ancien Régime, la Révolution, le Directoire et sous l’Empire, la crainte d’un retour vers une instruction publique comme moyen d’endoctrinement idéologique sont l’arrièrefond des réflexions de Constant4. Ils sont des raisons suffisantes pour prôner une éducation privée et individuelle. Les classes aisées l’ont toujours pratiquée et Constant en a connu les avantages indéniables pendant ses années d’études en E´cosse, qu’il évoque vers la fin de son chapitre où il parle du beau fruit des études, des recherches et des découvertes avec un certain enthousiasme. Constant peut s’appuyer sur des travaux qui font autorité. Citons le rapport de Talleyrand5 (septembre 1791), le rapport de Condorcet6 (avril 1792), où l’on trouve la quintessence des cinq mémoires sur l’éducation publique que celui-ci avait publiés précédemment dans la Bibliothèque de l’homme 1 2 3 4 5
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Gabriel Compayré, Histoire critique des doctrines de l’éducation en France depuis le seizième siècle, Paris : Hachette, 1879 (reprint : Genève, Slatkine, 1970), t. II, pp. 374–375. BdL, 4e série, t. IV, no 1547, p. 527. Phrase citée par Gabriel Compayré, Histoire critique des doctrines de l’éducation en France, t. II, p. 375. Phrase citée par Gabriel Compayré qui y découvre «une violence d’idées qui se fait tort à elle-même», dans Histoire critique des doctrines de l’éducation en France, t. II, p. 375. Voir Gabriel Compayré, Histoire critique des doctrines de l’éducation en France, t. II, pp. 281–363. Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, Rapport sur l’instruction publique, fait, au nom du comité de constitution, à l’Assemblée nationale, les 10, 11 et 19 septembre 1791, par M. de Talleyrand-Périgord, ancien évêque d’Autun. Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale, Paris : Imprimerie nationale, 1791. Les cinq essais sur l’instruction ont paru d’abord dans le recueil de la Bibliothèque de l’homme public éditée par Charles de Peyssonnel, Isaac-René-Guy Le Chapelier et Condorcet (Bibliothèque de l’homme public ; ou analyse raisonnée des principaux ouvrages françois et étrangers, sur la politique en général, la législation, les finances, la police, l’agriculture et le commerce en particulier, et sur le droit naturel et public, par M. Condorcet, Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, l’un des Quarante de l’Académie Françoise, et d’autres gens de lettres, Paris : Buisson, 1791 [1792, 1793]). Voici les titres des mémoires : «Nature et objet de l’instruction publique», 2e année, t. I, pp. 3–80 ; «De l’instruction commune pour les enfans», 2e année, t. II, pp. 3–128 ; «Sur l’instruction commune pour les hommes», 2e année, t. III, pp. 3–74 ; «Sur l’instruction relative aux professions», 2e année,
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
public, les travaux de Fourcroy1 et, contraire à ses opinions, le projet de Lepelletier de Saint-Fargeau où s’annonce un esprit dirigiste avec l’éducation des enfants en dehors de leur famille dans un esprit rigoureusement républicain2. La doctrine de Constant est très proche de celle du premier mémoire de Condorcet. Rien d’étonnant non plus à ce qu’il affiche une confiance peut-être trop optimiste dans la doctrine de la perfectibilité lorsqu’il soutient que la formation morale et l’apprentissage des connaissances positives des classes pauvres, si elle est trop faible pour l’instant, ne tardera pas à s’améliorer avec l’aisance croissante de cette partie de la population. Constant aurait pu citer le chapitre VI de l’ouvrage de Wilhelm von Humboldt, Essai sur les limites de l’action de l’E´tat3, qui expose une doctrine identique à la sienne, peut-être avec plus de puissance et d’une manière plus nuancée. Soulignons en second lieu que la polémique contre les idées de Filangieri qui réfute les théories pédagogiques de Rousseau et attribue à l’E´tat un rôle
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t. IX, pp. 3–48 ; «Sur l’instruction relative aux sciences», 2e année, t. IX, pp. 49–83. BC utilise cette édition et non celle des Œuvres complètes de 1804. Les textes ont été réédités, avec le rapport lu devant l’Assemblée législative, par Charles Coutel et Catherine Kintzler : Condorcet, Écrits sur l’instruction publique, Paris : Edilig, 1989, 2 vol. Antoine-François de Fourcroy (1755–1809) a fait un travail considérable dans le domaine de l’instruction publique, surtout en préparant la fondation de l’Université impériale. Citons au moins un de ses discours : Corps législatif. Discours de Fourcroy sur l’instruction publique. Séance du 10 floréal an X, Paris : Imprimerie nationale, an X. Voir aussi G. Compayré, Histoire critique des doctrines de l’éducation en France, t. II, pp. 372–374. Michel Le Peletier de Saint-Fargeau (1760–1793) est l’auteur du Plan d’éducation nationale de Michel Le Peletier, présenté à la Convention nationale par Maximilien Robespierre, au nom de la Commission d’instruction publique, Paris : Imprimerie nationale, s.d. Voir Gabriel Compayré, Histoire critique des doctrines de l’éducation en France, t. II, pp. 338– 344. Wilhelm von Humboldt, Essai sur les limites de l’action de l’E´tat, traduction de l’allemand par Henry Chrétien (1867), revisée par Karen Horn, préface de Alain Laurent et Karen Horn, Paris : Les Belles Lettres, 2004, pp. 69–76. BC a pu en connaître le texte. Il a vu Humboldt en 1798, six ans après la publication de certaines parties de cet ouvrage dans la Berlinische Monatsschrift en 1792. Voir, pour plus de détails, notre étude «L’idée de l’individualité dans les écrits politiques de Benjamin Constant», ABC, 29, 2005, pp. 143–158, plus particulièrement p. 153, n. 23. Citons, pour compléter les réflexions de Constant, le passage suivant : «Chez des hommes libres toutes les affaires progressent mieux, tous les arts fleurissent plus joliment, toutes les sciences s’étendent. Chez eux tous les liens de famille sont plus étroits ; les parents s’appliquent avec plus de zèle à prendre soin de leurs enfants, et, ayant plus d’aisance matérielle, ils sont également plus facilement capables de suivre en ce point leurs désirs. Chez les hommes libres, l’émulation naît, et il se forme de bien meilleurs professeurs là où leur sort dépend du succès de leurs travaux, au lieu des promotions qu’ils peuvent attendre de l’E´tat. Ainsi on ne manquera ni d’une éducation domestique éclairée, ni d’établissements pour l’éducation en commun si utile et nécessaire» (pp. 74–75).
Introduction
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décisif, sinon le monopole, dans l’organisation et l’orientation idéologique de l’éducation élémentaire et supérieure d’une nation, repose chez Constant surtout sur des réflexions politiques. Pour des raisons pragmatiques et en se basant sur la théorie du progrès, Constant défend d’une part un principe politique libéral en matière d’éducation et opte d’autre part, se souvenant des luttes de l’histoire, pour une position de prudence en élevant sa voix dans des situations politiques concrètes. En 1806, c’est la création de l’université impériale, dont nous avons parlé ci-dessus, qui a sans doute inspiré à Constant le chapitre VI du livre XIV de son ouvrage. Une réflexion programmatique sur le but pédagogique de cette nouvelle institution s’imposait et était relativement facile à développer. En 1817, ce sont les débats budgétaires à la Chambre des députés, en l’occurrence la discussion du chapitre IX où il était question du financement de l’université et où l’on évoquait aussi la nécessité d’un projet de loi sur cette matière qui ont pu inciter Constant à publier cet article, ne fût-ce que pour répondre à Royer-Collard qui ripostait aux objections d’un député : «L’université a donc le monopole de l’éducation, à-peu-près comme les tribunaux ont le monopole de la justice, ou l’armée celui de la force publique.» Il ajoute encore : «L’instruction, mère des doctrines sociales, et le gouvernement de l’instruction doivent recevoir de la loi leur organisation, leurs règles et leurs formes définitives1.» En 1824, ce sont les manœuvres du parti congréganiste de l’année précédente qui aboutissaient à une réforme profonde de l’Université en destituant des professeurs de grand renom et en augmentant l’influence cléricale, mesures qui auront une influence directe sur l’enseignement en France ; ces mesures auront des répercussions dans les journaux encore l’année suivante2. En 1829, il s’agissait de défendre des intérêts personnels et de soutenir avec cette doctrine sa candidature à un fauteuil à l’Académie. Soulignons enfin que les catégories de Constant ne sont pas très précises. Il n’entre pas dans une analyse approfondie des impacts philosophiques des notions de «connaissances acquises» et d’«éducation morale», dont il néglige le côté aporétique. Il n’y a pas de connaissances positives indépendantes d’une vision du monde. La distinction introduite au début du chapitre entre l’éducation comme moyen de transmettre des connaissances acquises et l’éducation comme moyen de s’emparer de l’opinion des générations à venir repose sur une simplification qu’il partage avec beaucoup de ses contemporains. L’exposé de Filangieri est plus nuancé, comme il ressort de son tableau de cette matière. Il a défendu par conséquent une influence fondamentale du corps politique sur l’éducation, dans un esprit d’utilité pratique et de responsabilité sociale. 1 2
Royer-Collard, discours le 25 février 1817 sur le budget, Le Moniteur, no 58, 27 février 1817, pp. 240b–241b ; pour les citations, p. 240c. Achille de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, Paris : Perotin, 1857, t. VI, pp. 455– 564.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
Faut-il rappeler que l’organisation de l’éducation des États modernes de l’Europe s’est engagée dans la voie tracée par Filangieri, en dépit des expériences parfois néfastes et des conflits idéologiques qui en sont la suite presque inévitable ? L’E´tat, prenant en charge l’alimentation financière des institutions de l’enseignement élémentaire, s’est réservé le monopole de la surveillance des normes, même s’il accepte l’enseignement libre des églises ou d’autres institutions privées. Constant, qui n’entrevoyait pas ces compromis prudents entre l’enseignement indépendant et l’enseignement public adoptés par les sociétés modernes, compromis qui sont un moyen pragmatique pour neutraliser les effets négatifs des pétitions de principe dont il parle à juste titre dans ce chapitre1, reste, depuis 1806, l’adepte des doctrines libérales de Condorcet et d’Adam Smith. Il craint les abus possibles de l’éducation publique et rejette tout système qui donne à l’autorité un pouvoir discrétionnaire. Sa solution prévoit une intervention minimale de l’E´tat, limitée au financement des institutions et à un salaire de base des enseignants. Pour l’enseignement supérieur, il préconise une solution dont il a connu les bienfaits, mais laisse sans réponse les graves problèmes sociaux ainsi que celui du recrutement des cadres du corps des enseignants. Il se contente des réponses économistes qu’il a pu trouver dans l’ouvrage de Smith. L’émulation entre les professeurs est considérée comme le moyen efficace pour garantir la qualité des cours. Placé dans cette perspective, l’essai de Constant ne fait que résumer la doctrine pédagogique libérale de l’époque, qui repose surtout sur les travaux de Condorcet. Cette optique sur un texte qui défend un principe libéral sans aborder les impacts sociaux très concrets fait comprendre les limites de l’écrit de Constant. Les réflexions, qui évoquent des situations politiques fort précises et qui défendent contre les doctrines étatistes alors en vigueur une position libérale, restent, sur le plan théorique, néanmoins quelque peu vagues, parce que la complexité pratique du problème, qui est en même temps idéologique, n’est pas nettement analysée. Ce n’est que la loi du 28 juin 1833 sur l’instruction publique qui changera la situation. K. K.
IV
De la religion Les quatre chapitres sur la religion sont peut-être les pages les plus denses et les mieux écrites de ce Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Con-
1
Voir ci-dessous, p. 352.
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trairement à ce que l’on pourrait penser en parcourant trop rapidement les pages de la quatrième partie, Constant ne parle pas ici, comme il le fait dans son ouvrage sur la religion, en érudit philosophe, qui développe et défend une théorie, mais en intellectuel moderne qui aborde une matière qui a son importance dans le moment actuel. Effectivement, l’«antiquaire» cède la place à un penseur qui s’adresse au public de son temps et s’intéresse à la religion parce que celle-ci a repris, après l’éclipse pendant les Lumières et les hostilités révolutionnaires, après l’attitude ambigüe de l’Empire, avec la Restauration, une place importante dans la vie de tous les jours. Comme dans ses lectures à l’Athénée royal de 1819, comme dans les deux essais qu’il reprendra dans les Mélanges de littérature et de politique en 1829, Constant expose des faits historiques pour pouvoir parler de sa théorie de la religion qui vise en dernière analyse la religion chrétienne. Dans les trois premières parties du Commentaire où l’on aperçoit très directement les discussions politiques de l’époque, Constant exploite largement les dossiers des Principes de politique. Dans les pages sur la religion, il n’y a guère d’emprunts textuels choisis dans ses innombrables manuscrits ou dans ses ouvrages publiés sur le polythéisme. Il expose magistralement sa doctrine, trouve des formules claires et fortes pour les axiomes à expliquer. Les arguments sont présentés de manière à englober implicitement la religion chrétienne, sans la mentionner, à l’exception de quelques allusions éparses. Les deux chapitres sur la religion qu’on trouve dans les Mélanges ont la même qualité1, celle d’une concision énergique qui, pourtant, ne sacrifie point les nuances et ne cache pas la complexité de la matière. Autrement dit, ces publications en apparence populaires révèlent l’intention sous-jacente et cachée des recherches sur les religions de l’Antiquité, à savoir de présenter une théorie cohérente de la religion comme une partie essentielle de l’homme. C’est une question anthropologique de première importance, question touchant les plus graves problèmes théologiques et politiques des Modernes, parce qu’elle met en doute l’autorité de l’E´glise et certaines prémisses politiques de la Restauration, surtout la notion d’une religion d’E´tat. Ces textes sont donc le complément théorique (théologique) et pratique (politique) du grand ouvrage érudit dont les premiers volumes sortiront dès 1824. Rien d’étonnant alors que le texte s’ouvre par une analyse profonde du discours philosophique et pseudo-philosophique sur la religion caractéristique pour les Lumières françaises2. Constant soutient qu’il s’agit d’un dis1
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Voir les essais «Du développement progressif des idées religieuses» et «Des causes humaines qui ont concouru à l’établissement du christianisme», OCBC, Œuvres, t. XXXIII, à paraître. Ce n’est pas la première fois que BC évoque cette problématique. On consultera ses Mémoires de Juliette, où il commente la conversion du littérateur La Harpe, OCBC, Œuvres, t. IX/1, pp. 301–302 et 317–318.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
cours très souvent superficiel, dogmatique, dominé par des préjugés tenaces et par une grande ignorance historique en matière de religion, ce qui sabote toute analyse sérieuse, en dépit de l’esprit critique qu’on affiche et qu’on cultive d’une manière ostentatoire. Nous savons que Constant a dû se libérer lui-même des préjugés encyclopédiques qui conditionnaient, selon ses propres aveux, les débuts de ses recherches sur la religion1. L’influence heureuse de son ami Jacob Mauvillon marque le tournant2. C’est seulement à partir de cette rencontre que son ouvrage sur la religion prendra la direction qui lui a permis la découverte de l’axiome fondamental de sa théorie : le sentiment religieux qui appartient a` la nature de l’homme, le distingue des autres êtres vivants et constitue la base de toute croyance religieuse de quelque nature qu’elle soit. Il s’agit d’une constante anthropologique, une disposition préréflexive et dynamique, permettant la genèse d’une idée qui sera le noyau d’un culte, dont la forme primitive est le fétichisme. Ce que Constant s’efforce de démontrer dans un premier temps, c’est que le fétichisme n’est pas né de la crainte, mais qu’il émane du sentiment religieux, qu’il est son expression première, la tentative de l’homme d’établir des rapports avec une puissance inconnue qui domine sa vie. Il soutient que ce sont les prêtres qui se sont emparés de la religion pour en faire un instrument de domination, mais que ce n’est point la caste puissante des prêtres qui a conditionné les progrès du genre humain. Le sacerdoce favorise plutôt la stagnation. Ce sont les progrès naturels de l’intelligence qui font avancer, selon Constant, l’humanité et qui changent les idées religieuses en les adaptant aux connaissances accrues. L’exemple le plus frappant, c’est la Grèce qui n’a pas connu, à partir d’un certain temps, la domination des prêtres, et qui nous a ouvert le chemin vers une spiritualité moderne. Les trois chapitres suivants exposent des arguments historiques pour soutenir la théorie. Constant s’efforce de montrer les erreurs matérielles de Filangieri en esquissant, se servant de son immense érudition, la marche progressive de la religion à travers l’histoire et les formes les plus variables. L’exposé ne vise pas une démonstration historique mais rappelle plutôt, par 1 2
Le passage en cause se trouve dans son autobiographie, Ma vie, OCBC, Œuvres, t. III/1, pp. 314–315. Voir aussi OCBC, Œuvres, t. I, pp. 115 et 259. Sur Jacob Mauvillon et son influence sur BC, on consultera nos études «Transfert d’une culture à l’autre : La pensée religieuse de Jacob Mauvillon et son influence sur Benjamin Constant», Französische Kultur und Aufklärung in Preußen, hrsg. von Martin Fontius und Jean Mondot, Berlin : Berlin Verlag, 2001, pp. 243–252. «Benjamin Constant et l’Allemagne», Œuvres & Critiques, t. XXXIII/1, 2008, pp. 19–38. «Wissenschaft und Wissenschaftstheorie. Constants Blick auf Deutschland», Germaine de Staël und ihr erstes deutsches Publikum. Literaturpolitik und Kulturtransfer um 1800, hrsg. von Gerhard R. Kaiser und Olaf Müller, Heidelberg : Winter, 2008, pp. 115–130.
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une énumération des étapes, la marche progressive de la religion dans l’histoire. Constant cite les auteurs antiques et les sources de la tradition des religions de l’Inde, évoque la signification de ces témoignages multiples, souligne la puissance critique des investigations historiques. Les détails des démonstrations érudites se trouvent dans son ouvrage sur la religion, comme il le répète à plusieurs reprises. Le Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri cible autre chose. Il s’agit de sauver l’autonomie du sentiment religieux contre toute tentative oppressive du clergé et de la politique. On peut lire ce texte, les essais des Mélanges, les lectures à l’Athénée royal1 ou l’article du Mercure sur St. Jérôme2 comme une mise en perspective des recherches sur les religions. Celles-ci ne seraient pas un but en soi. La théorie sur la religion prend toute sa signification en la lisant comme une réflexion historico-théologique sur la subjectivité moderne3. K. K. V
Historique du texte Le Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri est pour nous un texte quasiment sans histoire. Nous ne savons presque rien sur le travail de Constant à cet ouvrage. Il n’en parle pas dans sa correspondance, nous savons par le prospectus publié par l’éditeur Dufart autour du 16 septembre 1820 que le projet était arrêté avant cette date, mais nous ne savons pas quand et pourquoi Constant a commencé la rédaction du texte. Il n’y a pas de contrat avec l’éditeur qui va republier la traduction de la Science de la législation et annonce qu’elle sera «accompagnée de notes par M. Benjamin Constant»4. Les notes, qui ne sont pas des notes explicatives de petites dimensions, mais des textes développés qui ont la longueur de chapitres, comme il ressort du 1
2 3
4
Les textes préparatoires, les articles polémiques de la presse qui accompagnent ce projet, les textes des lectures ainsi que les comptes rendus de la presse contemporaine se trouvent dans OCBC, Œuvres, t. X, pp. 863–870 et XI, pp. 35–118. Voir OCBC, Œuvres, t. X, pp. 348 et 570–578. Le côté délicat, pour ne pas dire dangereusement explosif, de la théorie de BC ressort du fait que Giovanni Venturi, qui n’était pas un esprit timide, n’en parle pas dans son compte rendu du Commentaire qu’il fit insérer dans l’Antologia de Vieusseux. Il se sauve en annonçant un autre compte rendu, celui de De la Religion : «E asternerci vogliamo pur anche del tutto dal considerare le osservazioni (capp. II. III. IV. V) del commentatore a quella parte della scienza della legislazione la quale, per esserli mancata la vita, Filangieri dovè lasciare imperfetta e che alla religione riguarda, perciocchè di tornarvi sopra con la mente ci proponiamo quando daremo ragguaglio dell’opera dello stesso signor Constant intorno alla religione tosto che ne sia compiuta la già incominciata publicazione» (t. XVII, 51, 1825, p. 42). Voir le Prospectus, ci-dessous, pp. 419–421.
3. Page de titre de la deuxième édition de la traduction française de Filangieri, La science de la législation, Paris : Dufart, an VII. Koninklijke Bibliotheek, Den Haag, 1119 B 29.
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manuscrit de la «Première partie»1, deviendront le Commentaire en deux volumes qui fera suite à la nouvelle édition de la traduction de l’ouvrage de Filangieri par Gallois. Celle-ci avait paru en 1798 et était fort répandue, contrairement à la première qui était passée presque inaperçue2. Rappelons que l’année 1820, marquée par l’assasinat du duc de Berry et la politique réactionnaire du ministère Richelieu, est pour Constant aussi une année de grandes activités parlementaires, l’année des incidents de Saumur, l’année du travail à l’édition des Mémoires sur les Cent-Jours. Il est donc peu probable qu’il ait pu consacrer beaucoup de temps à la rédaction des notes prévues ou à un texte suivi. Faut-il en déduire que la rédaction de la Première partie du Commentaire commence en 1821 seulement ? C’est une hypothèse plausible. Nous ne sommes pas en mesure de reconstituer les phases du travail de rédaction à cet ouvrage, à l’exception de quelques détails dont nous parlerons par la suite. Les très nombreux emprunts aux Principes de politique de 1806 sont identifiables, mais ils sont entés de telle manière sur ce texte qu’on ne les reconnaît plus comme des matériaux étrangers. L’ouvrage nous apparaît effectivement comme une chose achevée, sans fissures évidentes. Les manuscrits préparatoires du texte sont perdus. Aucune ligne d’une ébauche, le chapitre de la Conclusion excepté3, aucun plan, aucune trace d’une suite d’idées comme nous en possédons pour d’autres textes. Ce que nous avons, ce sont des fragments importants de deux manuscrits autographes. Le premier offre de grands morceaux, parfois presque la totalité du texte des chapitres 2 à 5 et 7 à 12 de la Première partie. Le second contient deux pages du chapitre 4, ainsi que des morceaux considérables des chapitres 5 et 6 de la seconde partie de l’ouvrage. Les deux manuscrits donnent le texte dans une rédaction très proche de la version définitive, souvent identique à celle-ci, mais avec des traces des remaniements importants caractéristiques de ce stade du travail. Il s’agit d’une mise au net d’un texte déjà rédigé, avec des traces d’interventions rédactionnelles faites parfois au moment même de la copie, le plus souvent pourtant après l’achèvement de cette copie. Aucune des feuilles ne porte la signature d’un prote. Ces manuscrits n’ont par conséquent pas servi à l’impression mais représentent le stade précédent. Ils ont dû servir à l’établissement de la copie à remettre à l’imprimeur. Les variantes entre le texte imprimé et les manuscrits confirment cette hypothèse. Elles affectent parfois profondément le sens du dis1 2
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Voir ci-dessous, p. 124, la variante à la ligne 22, La Science de la législation, par M. le chevalier Gaetano Filangieri, ouvrage traduit de l’Italien d’après l’édition de Naples, de 1784, Paris : Cuchet, 1786–1791, 7 vol. Le traducteur est Jean-Antoine Gallois. Voir ci-dessous, p. 401.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
cours et la présentation des arguments et sont assez significatives pour suggérer que les manuscrits ne sont pas la source directe de l’imprimé. Elles concernent l’orthographe de certains mots, sans importance en l’occurence, puisque les imprimeurs imposaient la leur. Mais on y trouve aussi des morceaux de phrases différents du texte imprimé, quelques passages ayant disparu de la version définitive ou des passages biffés reproduits dans l’imprimé, enfin des interventions rédactionnelles pouvant changer profondément le texte, développer une idée ou raccourcir un passage jugé trop long. L’étude attentive des manuscits corrobore cette observation, même pour des endroits où les lacunes matérielles ne nous permettent pas de présenter les détails. Les passages les plus significatifs sont le chapitre X de la Première et le chapitre II de la Seconde partie1. Le manuscrit ou plutôt les manuscrits doivent être reconstitués à partir d’un grand nombre de fiches de 95 × 150 mm environ qui ont servi à la rédaction de l’ouvrage sur la religion. Constant a découpé, à un moment donné, les pages des manuscrits ou ce qui en restait pour en faire des fiches de petite taille, quatre ou deux fiches par feuille, selon le format d’origine. La reconstitution du manuscrit de la seconde partie n’est pas difficile, bien qu’il reste des lacunes et des pertes de texte considérables. Il suffit de classer les fiches dans l’ordre de l’exposé des idées pour obtenir un texte lisible. Les difficultés sont beaucoup plus grandes pour le manuscrit de la Première partie. Le manuscrit de la Première partie était un ensemble de folios de grand format qui mesuraient environ 200 × 290 mm, pliés probablement au milieu dans le sens de la longueur pour obtenir deux colonnes. Le texte était écrit dans la colonne de droite, la colonne de gauche restait blanche pour pouvoir y ajouter des corrections ou des notes. La numérotation des feuilles se trouvait en haut, dans les colonnes de gauche, soit dans le coin extérieur, soit à droite de cette colonne, juste à côté de la première ligne du texte. Chaque chapitre était numéroté séparément. Nous supposons, comme nous venons de l’expliquer, qu’il s’agit d’une mise au net d’un manuscrit de travail, car la copie, faite avec soin, ne comprend pas de corrections telles qu’on les rencontre dans un brouillon. Il y a des interventions rédactionnelles plus importantes, des changements qui trahissent le souci de donner à ce texte une forme cohérente. La plus évidente concerne les citations tirées du texte de Filangieri que Constant place dans la version imprimée en tête des chapitres. L’idée pour cette présentation du Commentaire ne lui est venue que peu de temps avant l’impression du volume. La preuve en est que les citations qui précèdent les cinq, peut-être les six premiers chapitres 1
Voir ci-dessous, pp. 159–168 et 193–204.
Introduction
81
viennet s’ajouter aux pages du manuscrit. Elles sont effectivement copiées sur des feuilles d’un format nettement plus petit (145 × 190 mm), comme le prouvent les fragments conservés pour les chapitres 2 et 5, en dehors de la numérotation adoptée. La nouvelle disposition du texte est adoptée à partir du chapitre 8 et attestée jusqu’à la fin de la Première partie. Pour les cinq premiers chapitres, les feuilles non numérotées avec la devise ont été intercalées après coup dans le manuscrit. Ce n’est qu’avec le chapitre 8 que Constant place la devise choisie chez Filangieri dans la colonne de droite d’une grande feuille. Nous pouvons donc conclure de ces indices que la structure si caractéristique du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri n’a été trouvée que tadivement. Le même manuscrit nous permet de dire que Constant abandonne seulement en travaillant à ce manuscrit le terme «notes» pour les grandes unités de son discours. Ces «notes» deviendront les chapitres que nous connaissons. Le tableau qui suit présente une reconstitution hypothétique du manuscrit de la Première partie1. Les propositions font état d’indices matériels des feuillets, tels que l’écriture, la qualité des papiers, les particularités des bords des feuilles permettant de déterminer l’emplacement d’origine des fiches, les filigranes, le nombre des signes par fiche (essentiel pour se faire une idée de l’importance des lacunes) et enfin le montage de photocopies de ces fragments pour rétablir dans la mesure du possible l’état ancien du manuscrit perdu2. Le calcul des signes part de l’imprimé, qui donne le nombre précis des signes pour chaque morceau du texte qui manque dans les manuscrits. Nous avons établi, à partir des fiches conservées, le nombre moyen des signes qu’on peut attendre dans une fiche. Ce procédé nous a permis d’établir qu’il n’y a aucun endroit dans ce manuscrit lacunaire qui sorte des normes qu’on peut attendre. Même le début du chapitre X, plus particulièrement les folios 5 à 8, qui contiennent un des morceaux le plus retravaillé, ne pose pas, pour la reconstitution matérielle des folios, de problème particulièrement difficile, de sorte que nous pouvons dire que la reconstitution de ce manuscrit nous permet de suivre d’assez près la der1
2
Nous désignons par «fiche 1» le quart supérieur gauche, par «fiche 2» le quart supérieur droit, par «fiche 3» le quart inférieur gauche, par «fiche 4» le quart inférieur droit de l’ancienne feuille. Le tiret signifie que nous n’avons pas retrouvé la fiche en cause. Le foliotage répété sous deux rubriques indique que la feuille n’a pas été entièrement découpée pour en faire des fiches. Le 0/ dans la première colonne du tableau est réservé aux feuilles intercalées de plus petit format que BC a utilisées pour y reporter les devises choisies dans l’ouvrage de Filangieri et placées en tête des chapitres. Découpées, ces feuilles faisaient deux fiches. Dans ces cas-là, les indications dans la première et la deuxième colonnes de notre tableau concernent les parties supérieures et inférieures de ces folios. Le point d’interrogation qui apparaît parfois dans le tableau (?) désingne une proposition hypothétique. Le dossier contenant le manuscrit reconstitué est déposé à l’IBC, Lausanne.
82
Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
nière phase du travail rédactionnel de la Première partie du Commentaire. Il s’agit d’une toilette soignée du texte que B. Constant s’apprête à publier. Tableau synthétique du manuscrit de la Première partie No du fo origl
Cote fiche 1
Cote fiche 2
Cote fiche 3
Cote fiche 4
Chapitre 1 perdu
Chapitre 2 0/ 1 2 3
Co 3278, fo 171vo – Co 3278, fo 169vo Co 3278, fo 168vo
– – Co 3278, fo 170vo Co 3278, fo 165vo
4
–
Co 3278, fo 125vo
5
–
Co 3278, fo 122vo
6
Co 3278, fo 121vo
Co 3278, fo 120vo
7
Co 3278, fo 115ro
Co 3278, fo 116vo
– – Co 3278, fo 167vo Co3278, fo 163vo Co3278, fo 118vo Co 3278, fo 119vo Co 3278, fo114vo (?)
Co 3278, fo 162vo Co 3278, fo 127vo Co 3278, fo 166vo
Co 3278, fo 237vo – Co 3278, fo 244vo Co 3278, fo 249vo Co 3278, fo 251vo Co 3278, fo 256vo Co 3278, fo 263vo
Co 3278, fo 238vo
Co 3278, fo 126vo Co 3278, fo 124vo BnF, NAF 18822, fo 1 –
Chapitre 3 0/ 1
– Co 3278, fo 240vo
– Co 3278, fo 239vo
2 3
Co 3278, fo 236ro Co 3278, fo 252vo
Co 3278, fo 241vo Co 3278, fo 245vo
4
Co 3278, fo 250vo
Co 3278, fo 251bisvo
5
Co 3278, fo 253ro
Co 3278, fo 254vo
6
Co 3278, fo 255vo
Co 3278, fo 257vo
7
Co 3278, fo 261vo
Co 3278, fo 260vo
Co 3278, fo 242vo Co 3278, fo 246vo Co 3278, fo 248vo – Co 3278, fo 258vo Co 3278, fo 259vo
83
Introduction
8
Co 3278, fo 264vo
Co 3278, fo 265vo
9 10
Co 3278, fo 269vo –
11
–
Co 3278, fo 266vo BnF, NAF 18822, fo 2 –
Co 3278, fo 262ro – – –
Co 3278, fo 268vo Co 3278, fo 267vo BnF, NAF 18822, fo 3 –
Chapitre 4 0/ 1 2 3 4
– – – – –
– Co 3278, fo 235vo Co 3278, fo 27vo Co 3435/3, fo 28vo Co 3278, fo 52vo
5 6
Co 3278, fo 233vo (?) Co 3278, fo 54vo Co 3278, fo 293vo Co 3278, fo 290vo
7
–
Co 3278, fo 55vo
– – – Co 3278, fo 53vo – Co 3278, fo 292vo –
– – – BnF, NAF 18822, fo 4 – Co 3278, fo 291vo
– – – – –
– – – – BnF, NAF 18822, fo 7 BnF, NAF 18822, fo 8 Co 3278, fo 174vo
Co 3278, fo 56vo
Chapitre 5 0/ 1 2 3 4 5 6 7
BnF, NAF 18822, – fo 5 – – – – – Co 3444, fo 9vo – Co 3444, fo 8vo – BnF, NAF 18822, fo 6 o o Co 3278, f 178v BnF, NAF 18822, fo 8 o o Co 3278, f 173v Co 3278, fo 176vo
Co 3278, fo 179vo C0 3278, fo 175vo
Chapitre 6 perdu
Chapitre 7 1
Co 3278, fo 117vo
–
2
Co 3278, fo 88vo
Co 3278, fo 95vo
3
Co 3278, fo 112ro
–
Co 3278, fo 118vo Co 3278, fo 88bisvo Co 3278,
– Co 3278, fo 88tervo Co 3278, fo 113vo
84
Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
4
Co 3278, fo 98ro-
Co 3278, fo 97vo
5
Co 3278, fo 100vo
Co 3278, fo 103vo
6
Co 3278, fo 106vo
Co 3278, fo 105vo
7
Co 3278, fo 108vo
–
8 9 10
– – Co 3278, fo 133vo
– – Co 3278, fo 134vo
11
Co 3278, fo 92vo
Co 3278, fo 137vo
fo 111vo Co 3278, fo 99vo Co 3278, fo 101vo Co 3278, fo 107vo Co 3278, fo 128vo – – Co 3278, fo 94vo Co 3278, fo 90vo
Co 3278, fo 96vo Co 3278, fo 102vo Co 3278, fo 104vo Co 3278, fo 129vo – – – Co 3278, fo 136vo
Chapitre 8 1
Co 3278, fo 30vo-
2 3
Co 3435/3, Co 3435/3, fo 34vo fo 33vo Co 3278, fo 31/39vo Co 3278, fo 39vo
4
Co 3278, fo 42vo
Co 3278, fo 45vo
5
Co 3278, fo 48vo
Co 3278, fo 46vo
6
Co 3278, fo 62vo
Co 3278, fo 58vo
7 8 9
Co 3278, fo 63vo (?) BnF, NAF 18822, fo 9 o o Co 3278, f 66v (?) – – –
10 11
– –
12
–
–
–
– BnF, NAF 18822, fo 11 –
–
BnF, NAF 18822, fo 10 Co 3435/3, fo 32vo
Co 3278, fo 41ro Co 3278, fo 43ro Co 3278, fo 60ro Co 3278, fo 47vo –
Co 3278, fo 40vo
– Co 3278, fo 67vo – –
– –
–
Co 3278, fo 44vo Co 3278, fo 61vo Co 3278, fo 49vo –
– BnF, NAF 18822, fo 12 –
Chapitre 9 1 2
– Co 3278, fo 5vo Co 3278, fo 76vo (?) Co 3278, fo 4bisvo
– –
– BnF, NAF 18822, fo 13
85
Introduction
3 4
– Co 3278, fo 8vo
– –
5
Co 3278, fo 12vo
Co 3278, fo 11vo
6
Co 3278, fo 9vo
Co 3278, fo 3bisvo
7
Co 3278, fo 21vo
–
8
–
Co 3278, fo 17vo
9 10 11 12 13
Co 3278, fo 15ro Co 3278, fo 16vo – – – – Co 3278, fo 72vo (?) BnF, NAF 18822, fo 14 – –
14 15
– –
16
– Co 3278, fo 7vo Co 3278, fo 13vo Co 3278, fo 10vo Co 3278, fo 22ro Co 3278, fo 20vo – – – – –
–
– BnF, NAF 18822, fo 16 Co 4426, fo 1vo
– – –
17
–
–
–
18 19 20
– – –
– – –
– – –
– – – Co 3278, fo 4vo Co 3278, fo 23vo Co 3278, fo 18vo – – – – BnF, fo 15 – BnF, fo 17 BnF, fo 18 BnF, fo 19 – – BnF, fo 20
NAF 18822,
NAF 18822, NAF 18822, NAF 18822,
NAF 18822,
21 et dernier : perdu
Chapitre 10 1
Co 3278, fo 74vo
–
2
Co 3278, fo 76vo
–
2bis
–
3
Co 3278, fo 83vo
BnF, NAF 18822, fo 21 –
4
Co 3278, fo 82vo
5 6
– Co 3278, fo 294vo
BnF, NAF 18822, fo 24 – –
Co 3278, fo 75vo Co 3278 fo80vo – – Co 3278, fo 84vo (?) – Co 3278,
– – BnF, NAF 18822, fo 22 BnF, NAF 18822, fo 23 BnF, NAF 18822, fo 24 – –
86
Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
8
Co 3278, fo 293vo BnF, NAF 18822, fo 25 Co 3278, fo 298vo
9 10
– Co 3278, fo 300vo
11 12 13
– – –
7 7bis
– BnF, NAF 18822, fo 25 BnF, NAF 18822, fo 26 – BnF, NAF 18822, fo 27 – – Co 3278, fo 180vo
fo 295vo – Co 3278, fo 299vo Co 3278, fo 297vo (?) – – – – –
Co 3278, fo 296vo Co 3278, fo 301vo BnF, NAF 18822, fo 26 – BnF, NAF 18822, fo 27 – – –
Chapitre 11 1
–
Co 3278, fo 216vo
2
–
Co 3278, fo 212vo
3 4
Co 3278, fo 226vo Co 3278, fo 225vo
Co 3278, fo 232vo Co 3278, fo 222vo
5
Co 3278, fo 233vo
–
6
–
–
7
Co 3278, fo 231vo
Co 3278, fo 230vo
Co 3278, fo 218ro Co 3278, 215ro – Co 3278, fo 224vo Co 3278, fo 231bisvo Co 3278, fo 228vo Co 3278, fo 229ro
Co 3278, fo 214vo Co 3278, fo 211vo – Co 3278, fo 223vo BnF, NAF 18822, fo 28 – Co 3435, fo 31vo
Chapitre 12 1 2
– Co 3278, fo 276vo
Co 3278, fo 272vo Co 3278, fo 277vo
3
Co 3278, fo 280vo
Co 3278, fo 281vo
4
Co 3278, fo 285vo
Co 3278, fo 284vo
5
Co 3278, fo 288vo
Co 3278, fo 289vo
6 7 8
– Co 3278, fo 338vo Co 3278, fo 337vo
– – –
9
Co 3278, fo 333vo
Co 3278, fo 332vo
– Co 3278, fo 274vo Co 3278, fo 279vo (?) Co 3278, fo 286vo Co 3278, fo 287vo – – Co 3278, fo 336vo Co 3278,
Co 3278, fo 273vo Co 3278, fo 275vo Co 3278, fo 282vo Co 3278, fo 283vo – – – Co 3278, fo 335vo Co 3278, fo 331vo
87
Introduction
– – Co 3267, fo 162bisvo Co 3267, fo 162tervo
fo 334vo Co 3278, fo 330vo Co 3278, fo 324vo – Co 3278, fo 318ro Co 3278, fo 315ro Co 3278, fo 308vo Co 3278, fo 304vo Co 3278, fo 303vo Co 3278, fo 343vo – – – –
Co 3267, fo 151vivo – – –
–
–
–
–
Co 3267, – fo 903IVro (?)
10
Co 3278, fo 328vo
Co 3278, fo 327vo
11
Co 3278, fo 322vo
Co 3278, fo 326vo
12 13
Co 3278, fo 323vo Co 3278, fo 319vo
– Co 3278, fo 316vo
14
Co 3278, fo 314vo
Co 3278, fo 313vo
15
Co 3278, fo 309vo
Co 3278, fo 310vo
16
Co 3278, fo 305vo
Co 3278, fo 306vo
17
Co 3278, fo 302vo
Co 3278, fo 340vo
18
Co 3278, fo 342vo
Co 3278, fo 344vo
19 Co 3278, fo 346vo 20 – 21 – 22 – 23–27 : perdus 28 Co 3267, fo 883bisvo 29–30 : perdus 31 Co 3267, fo 903tervo
Co 3278, fo 329vo Co 3278, fo 325vo – Co 3278, fo 317vo Co 3278, fo 312vo Co 3278, fo 311vo Co 3278, fo 307vo Co 3278, fo 341vo Co 3278, fo 345vo
32–35 (?) : perdus
Le manuscrit de la Seconde partie se présente autrement. Constant utilise pour faire la copie de cette deuxième partie un autre papier. Les feuilles ne mesurent que 150 × 195 mm et le texte occupe maintenant entièrement la feuille, 17 ou 18 lignes par page, avec une marge de 25 à 30 mm sur la gauche. Les pages sont numérotées en continu. Nous possédons les folios 42, 43, 45 à 64, 84 à 94, soit deux pages de la fin du chapitre 4, environ deux tiers du chapitre 5 depuis le début, ainsi que la seconde moitié du chapitre 6. On peut être tenté de supposer que le nombre exact des feuilles perdues pour cette Seconde partie jusqu’à la fin du chapitre 6 correspond aux 62 folios disparus sur 94 en tout. Mais ces chiffres sont trompeurs et ne permettent pas de se faire une idée précise du manuscrit mutilé. Il suffit pour réfuter une conclusion trop facile de se reporter au nombre des signes par fiche. S’il est exact que le nombre des signes du texte des folios 45 à 63
88
Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
correspond exactement à celui du texte imprimé, le nombre des signes du texte imprimé qui précède ce passage est beaucoup trop élevé pour pouvoir tenir dans les 41 folios qui formaient le début du manuscrit1. Compte tenu du fait que le manuscrit de la deuxième partie est également une mise au net d’une rédaction précédente, comme le peu de corrections l’indique, on est amené à présumer que le début de la Seconde partie a été profondément remanié et élargi entre le mois de mars 1822 (date du discours du duc de Broglie cité en note) et l’impression de la Seconde partie de l’ouvrage. Constant aurait donc intercalé des folios contenant des rajouts. Les restes du manuscrit de la seconde partie représentent donc, si l’on veut tirer une conclusion de la numérotation des folios, un état antérieur à la version définitive du texte qui, elle, se lit dans l’imprimé et que nous reconnaissons dans les folios perdus contenant le chapitre second de cette même partie. Cette hypothèse n’a rien d’improbable bien que la raison pour ces remaniements nous échappe. Nous pourrions la trouver dans les débats politiques du moment qui auraient poussé Constant à introduire des réflexions d’actualité2. Le tableau suivant donne une reconstitution hypothétique du manuscrit de la deuxième partie, moins difficile que celle du manuscrit précédent. Les numéros des folios sont toujours conservés ou peuvent être conjecturés avec certitude, les lacunes ne cachent pas d’accidents matériels inquiétants3. 1
2
3
Les premiers 41 fos pouvaient contenir environ 25.000 signes. Cela correspond au texte du chap. 3 et du début du chap. 4, peut-être peut-on ajouter encore le texte du chap. premier. Le texte du chap. 2 comprend environ 18.000 signes. Il est fort probable que c’est ce chapitre que BC a ajouté après coup. Ceci n’a rien d’invraisemblable. Le second chapitre, un des plus longs de cette deuxième partie, parle d’une question qui était à l’ordre du jour au moment où BC travaillait à son texte, la traite des noirs. Il a prononcé lui-même le 27 juin 1821 un important et audacieux discours sur cette affaire honteuse devant la Chambre : «Quand on demande à M. le ministre ce qu’on faisait des nègres confisqués au Sénégal, il a répondu qu’ils devenaient la propriété du gouvernement, et se livraient aux travaux de la colonie. A travers cette expression si douce, Messieurs, une vérité perce, c’est que malgré les promesses, les traités, les ordonnances royales, la traite se fait au profit du gouvernement ; il recueille le sanglant héritage des criminels qu’il frappe, et les nègres, enlevés à leur patrie au mépris des lois, deviennent esclaves.» Il cite dans ses longues notes des pièces justificatives tirées de la presse et le discours du duc de Broglie (28 mars 1822) devant la Chambre des pairs. Ce dernier document nous fournit la date post quem pour la rédaction de cette seconde partie du Commentaire. Il n’y a pas d’autres indices du même genre dans le texte. Nous désignons par «fiche 1» la moitié supérieure, par «fiche 2» la moitié inférieure d’un folio. Le tiret signifie que nous n’avons pas retrouvé la fiche en cause. La cote d’un manuscrit de la BCU, sans tiret dans la même ligne, désigne un ancien folio qui n’a pas été coupé au milieu. BC en a découpé les marges et quelques lignes du haut ou du bas de la feuille pour obtenir des fiches de la même taille que les autres. Dans ce cas-là, les pertes de texte sont moins importantes qu’elles ne le sont si une demi-feuille n’est pas conservée. Les numéros de folios entre crochets carrés sont conjecturaux. Les folios conservés à la BnF sont intacts.
89
Introduction
Tableau synthétique du manuscrit de la Seconde partie
No du fo origl
Cote fiche 1
Cote fiche 2
Chapitre 4 42 43 44
Co 4722/1, fo 106vo Co 3267, fo 900IVvo perdu
–
Chapitre 5 45 46 47 48 49 [50] 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 [62] [63] 64–74 ou 75 ?
Co 3267, fo 1002vo Co 4722/1, fo 103vo Co 4722/1, fo 107vo Co 4722/1, fo 104vo Co 4722/1, fo 84bisvo Co 3267, fo 1010vo Co 4722/1, fo 113vo Co 4722/1, fo 98vo Co 4722/1, fo 88vo Co 4722/1, fo 87vo Co 4722/1, fo 86vo Co 4722/1, fo 91vo Co 4722/1, fo 99vo Co 4722/1, fo 92vo Co 4722/1, fo 93vo Co 4722/1, fo 109vo Co 4722/1, fo 108vo Co 3267, fo 1009vo Co 3267, fo 1008vo perdus
Chapitre 6 75 ? ou 76–83 84 85 86 87
perdus BnF, NAF 18822, BnF, NAF 18822, BnF, NAF 18822, BnF, NAF 18822,
fo 29 fo 30 fo 31 fo 32
– 4722/1, fo 83vo 4722/1, fo 82vo – 4722/1, 4722/1, 4722/1, 4722/1, 4722/1, 4722/1, 4722/1, 4722/1, – 4722/1, 4722/1,
fo 111vo fo 97vo fo 100vo fo 89vo fo 90vo fo 85vo fo 95vo fo 94vo fo 110vo fo 112vo
90 88 89 90 91 92 93 94
Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
BnF, BnF, BnF, BnF, BnF, BnF, BnF,
NAF 18822, NAF 18822, NAF 18822, NAF 18822, NAF 18822, NAF 18822, NAF 18822,
fo 33 fo 34 fo 35 fo 36 fo 37 fo 38 fo 39
À cela s’ajoutent, pour l’ensemble de l’ouvrage, quelques fragments épars : une feuille avec un morceau de phrase du premier chapitre de la Quatrième partie, une autre avec les premières phrases de la Conclusion dans une version différente de celle publiée à la fin du livre, ainsi que deux fragments isolés et difficilement localisables dans le texte. Le premier donne une correction non retenue d’une phrase non identifiée de la Première partie ; le second contient un morceau qui parle peut-être de l’Espagne. Ce passage n’apparaît pas dans la version imprimée, de sorte qu’on peut hésiter à l’intégrer dans les manuscrits du Commentaire. Prenons acte encore de quelques indices relatifs au travail de rédaction qu’on peut trouver par-ci, par-là sur les fiches, détails mineurs et témoignages du polissage du texte pour en rendre la structure plus claire et faciliter l’orientation du lecteur. Ces indices assez clairsemés permettent-ils de tirer des conclusions sur le travail de rédaction de l’ouvrage ? La seule hypothèse qu’on puisse risquer est banale, à savoir qu’il faut compter sans doute avec plusieurs étapes de rédaction. Nous pouvons les entrevoir sans être en mesure de les reconstituer. Le fait que Constant renvoie pour les citations de Filangieri toujours à la traduction de 1798 et jamais à celle de l’édition Dufart de 1822–1824 ne signifie nullement que la rédation du Commentaire se fait avant 1822. Nous pouvons seulement en déduire que Benjamin Constant possédait cette édition et qu’il l’utilise pour son travail. Tout compte fait, nous devons admettre que nous ne pouvons pas dater avec précision le travail de Constant à son Commentaire. Il est sûr que le texte de la première partie a été rédigé entre septembre 1820 et le 9 janvier 1822, jour de la sortie en librairie de cette partie de l’ouvrage. Nous supposons que la suite, soit les deuxième, troisième et quatrième parties du Commentaire, a été rédigée entre le début de l’année 1822 et le 16 août 1824, avec un remaniement important à une date inconnue, mais après le 30 mars 1822, du deuxième chapitre de la seconde partie. À cela s’ajoute que B. Constant intègre dans la Conclusion de l’ouvrage (quatrième partie, chapitre 6) une allusion à l’un de ses discours à la Chambre (discours du 22 mars 1822) et une citation tirée d’un article du Journal des Débats du 5 juillet 1822, en y attachant de longs développements pour défendre sa doc-
Introduction
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trine, ce qui signifie peut-être que l’été 1822 est aussi employé à faire avancer le Commentaire. Nous supposons enfin que la quatrième partie a été définitivement rédigée en été 1824 seulement, comme le suggèrent les allusions a` la doctrine religieuse exposée dans le premier tome de De la Religion, sorti le 30 mars 1824. Établissement du texte Nous avons choisi comme texte de base l’édition du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri de 1822 (pour la première partie) et de 1824 qui donne les deuxième, troisième et quatrième parties de l’ouvrage. Les variantes entre le texte imprimé et les fragments manuscrits de la première, de la seconde et de la quatrième partie sont répertoriées dans l’apparat critique au bas des pages (V), à l’exception des variantes qui ne concernent que l’orthographe. Nous n’avons pas tenu compte des différences dans l’emploi des majuscules et minuscules (Roi / roi), des graphies différentes de certains mots (tems / temps ; guères / guère), de certaines terminaisons (-ans / ants ; -ens / ents), ni de l’usage du signe «&» pour le mot «et» dans le manuscrit. Sont omises également les variantes des signes de ponctuation entre les manuscrits et l’imprimé, à l’exception des cas qui affectent le sens du passage en cause. Les lacunes dans le manuscrit sont signalées dans l’apparat critique. Les recoupements avec d’autres textes de Constant, si nous avons réussi à les identifier, sont signalés dans un apparat à part (TR). Manuscrits : 1. [Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Première partie.] 102 pages a., 289 fiches, conservées sous des cotes diverses : BCU, Co 3435, Co3444, Co 3267, Co 3278, Co 4426. BnF, NAF 18822, fos 1 à 28. Fragments des chapitres 2 à 5 et 7 à 12 de la Première partie de l’ouvrage. L’ordre de ces fiches a été reconstitué dans le tableau ci-dessus. Mise au net d’une rédaction antérieure non conservée. Date : 1820–1821. Hofmann, Catalogue, IV/60, IV/63 et IV/65. Nous désignons ce manuscrit par le sigle F1. 2. [Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Seconde partie.] 32 pages a., 44 fiches ou folios, conservés sous des cotes diverses : BCU, Co 3267, Co 3278 ; Co 4722/1. BnF, NAF 18822, fos 29 à 39. Fragments des chapitres 4 à 6 de la Seconde partie de l’ouvrage. Mise au net d’une rédaction antérieure non conservée. Date : entre 1822 et 1824.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
Hofmann, Catalogue, IV/83, IV/64 et IV/66. Nous désignons ce manuscrit par le sigle F2. 3. «a été lente et progressive» BCU, Co 3278, fo 80vo, quart inférieur gauche d’un folio. Correction non utilisée d’une phrase non identifiée de la Première partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Hofmann, Catalogue, IV/60. Nous désignons ce manuscrit par le sigle F3. 4. [Fragments de la Conclusion du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri]. BCU, Co 3278, verso des fos 29, 50 et 87. 1 page a., 3 fiches. Manque le quart supérieur droit. Ébauche de la Conclusion. Date : 1822–1824 (?) Hofmann, Catalogue, IV/61. Nous désignons ce manuscrit par le sigle F4. 5. «se manifestera donc par» BCU, Co 3278, fo 28vo, quart inférieur gauche d’un folio. Fragment d’un note sur l’Espagne (?). La citation incluse dans le texte de Constant n’est pas identifiée. Il n’est pas sûr que ce passage appartienne au manuscrit du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Hofmann, Catalogue, IV/64. Nous désignons ce manuscrit par le sigle F5. Imprimés : 1. COMMENTAIRE SUR L’OUVRAGE DE FILANGIERI PAR M. BENJAMIN CONSTANT. [Monogramme de l’éditeur commercial] A PARIS CHEZ P. Dufart, LIBRAIRE, QUAI VOLTAIRE, No 19. M.DCCCXXII. Faux-titre : COMMENTAIRE SUR L’OUVRAGE DE FILANGIERI. 215 × 135 mm. Pp. [i] faux-titre, [ii] adresse de P. Didot, chevalier de l’ordre royal de Saint-Michel, Imprimeur du Roi, [iii] titre, [iv] blanche, 1–111 texte, [112] blanche. Dépôt légal : 9 janvier 1822. Courtney, Bibliography, 50a(1). Courtney, Guide, A50/1. Nous désignons cette édition par le sigle F6. 2. COMMENTAIRE SUR L’OUVRAGE DE FILANGIERI PAR M. BENJAMIN CONSTANT. [tiret] DEUXIE`ME PARTIE. [Monogramme
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de l’éditeur commercial] A PARIS CHEZ P. Dufart, LIBRAIRE, QUAI VOLTAIRE, No 19. M.DCCCXXIV. Faux-titre : COMMENTAIRE SUR L’OUVRAGE DE FILANGIERI. 215 × 135 mm. Pp. [i]–[ii] blanches [iii] faux-titre, [iv] adresse de Jules Didot aîné, imprimeur du Roi, Rue du Pont-de-Lodi, no 6, [v] titre, [vi] blanche, [1]–160 Seconde partie, [161]–232 Troisième partie, [233]–301 Quatrième partie, [302]–303 Table des matières et des chapitres contenus dans ce volume, [304]–[306] blanches. Dépôt légal : 16 août 1824. Courtney, Bibliography, 50a(2). Courtney, Guide, A50/2. Nous désignons cette édition par le sigle F7. 3. Prospectus du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Mentionné dans la Bibliographie de France. Non localisé. Courtney, Bibliography, 50. Courtney, Guide, A50. Traductions : 1. Comentario sobre la ciencia de la legislacion de Filangieri, Por M. B. Constant ; traducido al castellano por D. J. C. Pagès, Interprete real. Paris et Bruxelles : F. Rosa, 1825, 2 vol. 2. Commentario alla scienza della legislazione di G. Filangieri scritto dal signor Beniamino Constant, Prima traduzione italiana, Italia, 1826. 3. Comento sulla scienza della legislazione de G. Filangieri scritto dal signor Beniamino Constant. Prima traduzione italiana. Seconda edizione. Italia, 1828. 4. Comento sulla scienza della legislazione de G. Filangieri scritto dal signor Beniamino Constant. Prima traduzione italiana. Terza edizione. Capolago : Tipografia e libreria elvetica, 1833. Comptes rendus : 1. J. P. Pagès, Le Courrier français, no 144, 24 mai 1822, pp. 3b–4b. 2. E. H., Revue encyclopédique, ou analyse raisonnée des productions les plus remarquables dans la politique, les sciences et les beaux-arts : recueil mensuel, t. XIII, 1822, pp. 183–184. 3. Nicolas-Louis-Marie Artaud, «Œuvres de Filangieri, traduites de l’italien. Nouvelle édition, accompagnée d’un Commentaire, par M. Benjamin Constant, et de l’E´ loge de Filangieri, par M. Salfi», Revue encyclopédique, ou analyse raisonnée des productions les plus remarquables dans la politique,
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
les sciences et les beaux-arts : recueil mensuel, t. XIX, (cahier du mois de septembre) 1823, pp. 562–567. 4. Λ [Giovanni Valeri], «Commentaire sur l’ouvrage de FILANGIERI ec. Commentario all’opera di FILANGIERI composto dal signor BENIAMINO CONSTANT. Parigi vol. 2, 8o 1822–1824.» Antologia, giornale di scienze, lettere e arti, Firenze : Vieusseux, t. XVII, mars 1825, pp. 20–44. 5. Anonyme, «La scienza della legislazione e gli opuscoli scelti di GAETANA FILANGIERI. Masi e C. 1826, tomo primo in 8o. – Commentario alla scienza della legislazione di G. FILANGIERI scritto da BENIAMINO CONSTANT, pr. trad. Italia 1826 in 8o.», Antologia : giornale di scienze e arti, Firenze : Vieusseux, t. XXIV, décembre 1826, pp. 233–242. Édition : Benjamin Constant, Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Paris : Les Belles Lettres, 2004 (Bibliothèque classique de la liberté, 2). K. K.
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Chronologie comparative
Royaume de Naples, France
Filangieri
Constant
1753, 22 août : Gaetano Filangieri naît à Cercola, près de Naples, fils de Cesare, prince d’Arianello. 1759, Charles III, Roi d’Espagne, cède le royaume de Naples à son fils Ferdinand IV (1751–1835). Le Premier ministre Bernardo Tanucci, qui poursuit une politique philoespagnole et réformatrice, devient président du Conseil de la Régence et soutient une politique de séparation de l’E´glise et de l’E´tat. 1766, Publication de Della diceosina, o sia della filosofia del giusto e dell’onesto par Antonio Genovesi, chef des Lumières napolitaines. 1767, 3 novembre : Expulsion des Jésuites de Naples. 1768, 12 mai : Ferdinand IV épouse Marie-Caroline d’Autriche, fille de Francois Ier et de Marie-Thérèse et sœur de Marie-Antoinette, reine de France.
1766 : Lieutenant dans le régiment du Sannio.
1767, 25 octobre : Naissance de B. Constant. à Lausanne.
4. Portait de Gaetano Filangieri, gravure par Gaetano Dura, d’après le portrait anonyme conservé au Civico Museo Gaetano Filangieri, Napoli. La gravure est reproduite d’après Carlo Padiglione, Tavole storico-genealogiche della casa Candida Filangieri, Napoli : F. Giannini, 1879. Biblioteca del Centro di Studi sull’Illuminismo europeo „G. Stiffoni“, Venezia, Fil/07.
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Introduction
1771 : Premier ouvrage (perdu) Della morale dei legislatori. 1775 : La reine Marie-Caroline devient membre du Conseil d’E´tat. 1776 : Abolition de la chinea, tribut annuel des rois de Naples au Pape ; remplacement de Tanucci. 1777 : Il publie les Riflessioni politiche su l’ultima legge del sovrano che riguarda l’amministrazione della giustizia, à propos de la nécessité de motiver les arrêts. Chambellan à la Cour de Ferdinand IV. 1780 : Sir John Francis Acton ministre de la Guerre ; début d’une politique en faveur de l’Angleterre et de l’Autriche.
1780 : Les deux premiers tomes de La Science de la législation paraissent en librairie.
1783 : Mort de Bernardo Tanucci.
Le troisième tome de La Science de la législation est publié.
1783–1785 : Constant est à Edimbourg.
1784 : Premières traductions allemande et espagnole. 1785 : Tome IV de La science de la législation, sur l’éducation et l’opinion publique. 1786 : Première traduction française 1787 : Devient membre du Conseil des Finances ; La Science de la législation
1786 : Début du travail sur le polythéisme.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
condamné par l’Inquisition espagnole. 1788, 21 juillet : mort à Vico Equense.
Chambellan à la cour de Brunswick. Rencontre J. Mauvillon.
1789 : Sir Acton Premier ministre à Naples. 1791 : Publication (posthume) du dernier tome de La Science de la législation, sur la religion. 1792–1794 : Traductions anglaise, allemande, polonaise. Liaison avec Mme de Staël.
1794 : Conjuration républicaine d’inspiration jacobine ; peine de mort pour les conspirateurs.
1799, janvier-juin : révolution napolitaine, instauration de la République ; 13 juin : chute de la république, peine de mort pour les conspirateurs.
1798–1799 : Éditions républicaines de La Science de la législation à Rome, Gêne, Livourne, Venise. Seconde édition française. Mise à l’index par la censure romaine. 1800–1802 : BC au Tribunat. Extraits de Filangieri, sur la religion. 1803–1804 : Avec Mme de Staël à Weimar. BC trouve les axiomes fondamentaux de sa théorie sur la religion.
1806, janvier 19 : Napoléon offre à son frère Joseph Bonaparte le royaume de Naples. 1806, 15 février : Joseph Bonaparte est déclaré roi de
1806 : seconde traduction anglaise.
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Introduction
Naples. Il renonce à ses droits au trône de France. 1806, 2 août : Abolition du régime féodal dans le royaume de Naples. 1808, 6 juin : Napoléon nomme son frère Joseph roi d’Espagne et Joachim Murat roi de Naples.
BC achève les Principes de politique, texte de 1806. 1808 : Troisième édition allemande.
Mariage avec Charlotte von Hardenberg. 1811–1813 : Vie studieuse à Göttingen. De la Religion en 44 livres.
1814 : Fin de l’Empire.
1813–1814 : Troisième édition espagnole ; première traduction suédoise.
1815 : Cent-Jours. 1815 : Ferdinand IV de retour à Naples se proclame Roi des Deux Siciles.
Publication de De l’esprit de conquête.
BC publie les Principes de politique, texte de 1815. 1816 : BC à Londres. Il publie Adolphe. 1818–1820 : Publication du Cours de politique constitutionnelle. 1819 : Député de la Sarthe.
1820, février : Assassinat du duc de Berry. 1820, juillet : Révolution à Naples et en Sicile pour faire accepter la constitution.
1821 : Bataille de Rieti, défaite des consti-
1820–1821 : Éditions libérales de La Science de la législation à Naples et en Espagne, en faveur des réformes constitutionnelles de Ferdinand VII.
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Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
tutionnalistes, révocation de la constitution. 1822 : Premier volume du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. 1824 : Grande crise financière à Naples, le banquier Rothschild prête de l’argent au roi Ferdinand.
1824 : Second volume du Commentaire. De la Religion, t. I, en librairie. Les t. II à V sortiront entre 1825 et 1831.
1824, 16 septembre : Mort de Louis XVIII. 1826 : Couronnement de Charles X.
1830 : Révolution de juillet.
1826 : Condamnation de La Science de la législation et du Commentaire par l’Inquisition romaine. Décembre : Mort de BC.
5. Page de titre de la troisième édition de la traduction française de Filangieri, La science de la législation, Paris : Dufart, 1822. Exemplaire ayant appartenu à Frédéric César de La Harpe. Bibliothèque Cantonale et Universitaire, Lausanne, 1S 81.
Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri
6. Page de titre de la Première Partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri par Benjamin Constant, Paris : Dufart, 1822. Universitätsbibliothek Tübingen, Ec87b-5.
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[Première partie] Chapitre Premier. Plan de ce Commentaire.
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Lorsque je me suis déterminé à joindre un Commentaire à l’ouvrage de Filangieri, j’ai été décidé par deux considérations. Premièrement, j’ai trouvé du plaisir à rendre hommage à la mémoire d’un écrivain qui a bien mérité de son pays et de son siécle. En second lieu, les défauts mêmes de son ouvrage m’ont fourni l’occasion de rectifier ses idées quand elles étoient fausses ; de les développer, quand elles manquoient d’étendue et de clarté ; de les combattre enfin, lorsqu’elles n’étoient pas complétement d’accord avec les principes de cette liberté politique et sur-tout individuelle, que je considère comme le seul but des associations humaines, et à l’établissement de laquelle nous sommes destinés a` parvenir, soit par des améliorations progressives et douces, soit par de terribles mais inévitables convulsions. L’intention de Filangieri n’a jamais éte´ de contrarier ces principes ; mais l’époque de la publication de son livre et son caractère personnel, tout noble et désintéressé qu’il étoit, l’ont empêché parfois de marcher d’un pas assez ferme dans la route directe de la vérité. L’on ne peut pas dire de lui comme de Montesquieu, qu’observateur ingénieux et profond de ce qui existoit, il a été souvent l’apologiste subtil de ce qu’il avoit observé. L’immortel auteur de l’Esprit des lois s’est montré fréquemment le partisan zélé des inégalités et des priviléges. Il regardoit ces choses, qu’un temps immémorial avoit consacrées, comme des parties constitutives de l’ordre social ; et en sa qualité d’historiographe plus que de réformateur des institutions, il ne demandoit pas mieux que de les conserver en les décrivant. Cependant, son génie et l’amertume inhérente au génie lui dictoient quelquefois des mots qui foudroyoient les abus mêmes pour lesquels les habitudes et sa position sociale lui inspiroient de la partialité et de l’indulgence. Filangieri, au contraire, plus dégagé que Montesquieu des préjugés nobiliaires, ne répugnoit point à se déclarer réformateur1. De ce Établissement du texte : Manuscrit : [Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Première partie.], cotes diverses : BCU, Co 3435, Co 3267, Co 3278, Co 4426. BnF, NAF 18822, Imprimé : Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Première partie, fos 1–28, [=F1]. Paris : Dufart, 1822, [=F5]. V: 1 [Première partie] ] nous avons ajouté ces mots qui manquent dans l’original p. 109.6 Chapitre Premier ... commentateur. ] pas de ms. pour ce chapitre 1
2-
Filangieri ne se déclare pas réformateur, mais il souligne plusieurs fois l’importance de réformes, notamment de la législation. Voir p. ex. SL1, Introduction, pp. ii, iii, vii.
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Commentaire sur Filangieri
qu’une chose existoit, il n’en concluoit point qu’elle dût être respectée, et tous les abus seroient tombés, si sa volonté eût suffi pour les détruire. Mais Filangieri n’avoit pas le génie de Montesquieu. Une sorte de douceur ou de réserve dans le caractère l’entraînoit à des concessions contraires à ses principes, tandis que la véhémence inséparable de facultés puissantes forçoit Montesquieu, malgré sa modération, à prononcer des arrêts incompatibles avec ses concessions en faveur des systèmes établis. Il en résulte que Filangieri, après avoir pris la plume dans un but plus hostile contre les abus que Montesquieu, les a combattus en réalité beaucoup plus foiblement. Ses attaques sont devenues des transactions ; il s’est efforcé plutôt de mitiger ce qui est mal que de l’extirper. Il y a dans son ouvrage une résignation humble et douloureuse, qui tend à fléchir le pouvoir qu’il n’espère pas désarmer. Peut-être avant la formidable révolution qui a ébranlé et menace encore le monde, cette résignation n’étoit-elle pas sans quelque mérite de prudence. Si les hommes avoient pu obtenir le redressement de leurs griefs par des raisonnements mêlés de prières, au lieu de les conquérir par des secousses qui ont froissé les vainqueurs comme les vaincus, les choses en auroient peut-être été beaucoup mieux. Mais aujourd’hui les frais sont faits, les sacrifices consommés de part et d’autre, et le langage de peuples libres, s’adressant à leurs fondés de pouvoir, ne sauroit être celui de sujets, ayant recours à la pitié de leurs maîtres. L’on me trouvera donc fréquemment opposé à Filangieri, non quant au but, mais quant aux moyens. Pour rendre mon idée plus claire, je prends un exemple : Filangieri se montre convaincu à chaque page que les privilèges héréditaires sont oppressifs et funestes : mais c’est aux nobles qu’il propose le sacrifice de leurs prérogatives1. C’est en les éclairant par des arguments, en les touchant par des sup plications, en mettant sous leurs yeux le tableau du mal qu’ils causent et qui réjaillit sur eux, qu’il espère émouvoir leur ame. Il fonde le succès dont il se flatte sur leur générosité. Persuadé comme lui que l’inégalité nobiliaire est un fléau, ce n’est pas de ceux qui en profitent que j’attends la délivrance. Je l’attends des progrès de la raison, non dans une caste, mais dans la masse populaire où réside la force, et du sein de laquelle, par l’organe de ses mandataires, partent les réformes et les institutions conservatrices des réformes2. 1 2
Référence à la discussion de Filangieri sur l’injustice des privilèges héréditaires. Voir SL1, t. I, pp. 170–171 et 176–177, livre I, chap. XII. Profession de foi que BC ne place pas par hasard dans ce premier chapitre de son livre. On a souvent tendance à oublier que le système électoral censitaire est pour BC une solution transitoire. Pour les libéraux, le petit nombre d’éligibles et d’électeurs se justifie seulement par un manque d’instruction et le faible revenu de la plupart des hommes de la nation, contraire à l’indépendance des opinions. Une politique économique libérale, selon le modèle d’A. Smith, est pour eux la garantie d’une amélioration progressive de la «masse populaire» et des institutions politiques gardiennes de la tranquillité publique. Il faut éviter
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Chapitre Premier
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Cette différence entre la doctrine de Filangieri et la mienne s’applique à tout ce qui concerne le gouvernement en général. Le philosophe napolitain semble toujours vouloir confier à l’autorité le soin de s’imposer des limites1. Ce soin appartient, selon moi, aux représentants des nations. Le temps est passé où l’on disoit qu’il falloit tout faire pour le peuple et non par le peuple. Le gouvernement représentatif n’est autre chose que l’admission du peuple à la participation des affaires publiques. C’est donc par lui que s’opère maintenant tout ce qui se fait pour lui. Les fonctions de l’autorité sont connues et définies. Ce n’est point d’elle que les améliorations doivent partir, c’est de l’opinion, qui, transmise à la masse populaire par la liberté dont sa manifestation doit être entourée, repasse de cette masse populaire à ceux qu’elle choisit pour organes ; et monte ainsi dans les assemblées représentatives qui prononcent et dans les conseils des ministres qui exécutent2. Je crois avoir indiqué suffisamment en quoi le Commentaire s’écartera du texte. Ce que Filangieri veut obtenir du pouvoir en faveur de la liberté, je veux qu’une constitution l’impose au pouvoir. Les avantages qu’il sollicite de lui en faveur de l’industrie, l’industrie, à mon avis, doit le conquérir par sa seule indépendance. Il en est de même de la morale, de même des lumières. Là où Filangieri voit une grace, j’aperçois un droit ; et par-tout où il implore la protection, c’est la liberté que je réclame. Quant aux autres défauts qu’on peut reprocher à Filangieri, l’indulgence à cet égard est une justice. L’on rencontre, il est vrai, dans cet écrivain beaucoup de maximes qui paroissent aujourd’hui triviales. Mais elles avoient en 1780, sinon le mérite d’être neuves, du moins celui d’être très bonnes à répéter ; car l’autorité, qui les dédaignoit déja commes des lieux communs, les traitoit encore comme des paradoxes. Filangieri se livre souvent à l’emphase et à la déclamation ; mais il écrivoit en présence des abus, et l’on doit pardonner un peu de prolixité à une indignation consciencieuse. C’étoit d’ailleurs beaucoup plutôt un citoyen
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de retourner aux troubles révolutionnaires. Rappelons une des phrases importantes sur cette matière : «Sans doute le nombre des électeurs qu’admet le projet de loi est encore trèsrestreint : je conviens volontiers qu’il est fâcheux que dans une nation de vingt-six millions d’hommes, cent mille seulement soient électeurs» (Considérations sur le projet de loi relatif aux élections, OCBC, Œuvres, X/2, p. 635). Filangieri est plus nuancé. «Dans tous les gouvernements du monde, le pouvoir (l’autorità) de créer, abolir, changer les lois fondamentales de la nation, est un droit de la nation même. Ce pouvoir n’est donc uni à la souveraineté que dans les gouvernements où elle réside dans les mains de la nation entière : or, ce n’est que dans les gouvernements populaires et les gouvernements mixtes, que la nation est le souverain ; c’est donc le souverain, dans ces deux espèces de gouvernements, qui peut changer ou altérer à son gré la constitution» (SL2, t. I, p. 121). C’est le programme des Principes de politique, des Réflexions sur les constitutions et les garanties. Les oppositions thématisées ici par BC sont la preuve qu’il a été conscient de contribuer activement à un changement radical de l’épistèmé politique.
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Commentaire sur Filangieri
bien intentionné qu’un homme d’un esprit vaste. Révolté des maux de l’espèce humaine, et frappé de l’absurdité de quelques unes des institutions qui causoient ces maux, il paroît avoir pris la plume bien plus en philanthrope qu’en écrivain entraîné par son talent. Il n’a ni la profondeur de Montesquieu, ni la perspicacité de Smith, ni l’originalité de Bentham. Il ne découvre rien par lui-même, il consulte ses devanciers, recueille leurs pensées, choisit les plus favorables au bien-être du grand nombre dont il n’établit les droits que d’une manière très mitigée, et range les matériaux réunis de la sorte dans l’ordre qui lui semble le plus convenable. Cet ordre même n’est pas toujours le plus naturel ou le meilleur. Filangieri consume un temps inutile à démontrer ce dont personne ne doute ; il consacre des pages entières à exciter dans l’ame du lecteur des sentiments d’enthousiasme ou d’indignation que l’auteur de l’Esprit des lois produit en deux lignes. Mais on retrouve même dans les écarts du publiciste de Naples la conscience et l’amour du bien ; et comme, au moment de la publication de son livre, l’opinion se dirigeoit du côte´ des améliorations et reconnoissoit la nécessité de limiter le despotisme, c’est toujours en faveur des améliorations et en l’honneur de la liberté que Filangieri divague ou déclame. Il résulte de ce caractère de Filangieri (et j’emprunte cette observation de la préface de son traducteur), que sa raison ne s’élève guère au-dessus de la raison publique, telle qu’elle étoit il y a quarante ans1 : et certes la raison publique d’alors étoit fort au-dessous de celle que trente ans de luttes, de révolutions, et d’expérience ont formée : mais cette médiocrité de raison, si l’expression m’est permise, est selon moi le principal avantage que l’ouvrage de Filangieri puisse avoir pour nous. Nous y trouvons le moyen de nous assurer des progrès de l’espèce humaine en législation et en politique depuis près d’un demi-siècle, et de comparer les principes admis autrefois sur ces matières par des hommes fort éclairés, avec ceux qui sont maintenant l’objet de notre examen et de nos contestations quotidiennes. Si cette comparaison nous conduit d’une part à rejeter des exagérations, fruit de l’inexpérience, et qui rendent les meilleures théories inappliquables, et si de l’autre elle nous préserve de retomber, par une impulsion retrograde, sous le joug de préjugés dont nos prédécesseurs s’étoient affranchis, le travail auquel Filangieri aura servi d’occasion plutôt que de guide, ne sera point, je le pense, sans utilité. D’après le compte que je viens de rendre du plan de ce commentaire, l’on voit que j’avois le choix ou de suivre le fil de mes propres idées, en rap1
Voir SL1, Préface, p. vii : «La raison de l’écrivain, s’il est permis de s’exprimer ainsi, y est plus au niveau de la raison publique, que dans beaucoup d’autres traités de morale législative».
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pelant celles de Filangieri, ou de subordonner mon travail au sien, en adoptant l’ordre des matières, tel qu’il se trouve dans son ouvrage. Ce dernier parti m’a paru préférable, bien qu’il m’ait forcé de morceler souvent ce que j’aurois voulu réunir. Mais le lecteur sera plus à portée de rapprocher le commentaire du texte, et de prononcer, quand il y aura dissentiment entre Filangieri et son commentateur.
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Chapitre II. D’une épigramme de Filangieri contre les perfectionnements dans l’art de la guerre.
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«Tous les calculs qui ont si long-temps agité les conseils des princes, n’ont eu pour but que la so-
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lution de ce problème : Quelle est la manière de tuer la plus grande quantité d’hommes dans le moins de temps possible ?» Introduction, p. 11.
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Pour peu qu’on lise Filangieri avec quelque attention, l’on remarque en lui plusieurs défauts dont nos écrivains du dix-huitième siècle lui avoient donné l’exemple. L’un des plus frappants étoit un besoin de faire effet qui les engageoit à rechercher des tournures inattendues, pour se donner l’air de la hardiesse et de la nouveauté. La définition du problème que les souverains de l’Europe ont cherché à résoudre, dans leurs perfectionnements de l’art de la guerre, est entaché de ce vice à un haut degré. Certes, il y avoit beaucoup de choses à dire, sur la manie guerrière des princes, et sur les garanties à opposer à cette manie. Mais une épigramme qui porte à faux étoit assurément le plus mauvais début qu’on pût inventer. C’étoit décréditer d’avance l’examen d’une question importante, en laissant présumer qu’on ne l’aborderoit qu’avec de l’exagération, des lieux communs et des plaisanteries. Voici, ce me semble, la série d’idées que l’auteur italien auroit dû suivre à cet égard. Il y a des époques de la société où la guerre est dans la nature de l’homme, et au nombre des nécessités des peuples. Alors, tout ce qui peut rendre les guerres terribles et par-là même moins prolongées est bon et utile. En conséquence, lorsqu’à une pareille époque, le gouvernement s’occupe à découvrir quelle est la manière de tuer la plus grande quantité d’ennemis dans le moins de temps possible2, ce gouvernement se livre à une recherche
V: 1–9 Chapitre II. ... p. 1. ] passage conservé dans F1, f o non numéroté, ajouté au chap. 2 10–16 Pour peu ... il y avoit ] passage non conservé dans le ms. 16-p. 113.28 beaucoup ... l’obscurcir ] passage conservé dans F1, f os 1–7 27 lorsqu’à ] lorsque, dans F1 1 2
SL1, Introduction, p. i. C’est BC qui ajoute le point d’interrogation. La phrase en italique reprend celle de l’exergue, mais BC écrit «ennemis» au lieu d’«hommes».
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salutaire, l’état de choses étant donné. Car, dès qu’il est indispensable de tuer des ennemis, il vaut mieux en tuer tout de suite plus que moins, pour n’avoir pas à y revenir, et il seroit desirable de trouver un moyen sûr de tuer aujourd’hui ceux que tout de même on sera forcé de tuer demain. Mais il y a aussi des époques de la société où, la civilisation ayant créé pour l’homme de nouveaux rapports avec ses semblables, et par-là une nouvelle nature, la guerre n’est plus une nécessité des nations. Alors ce n’est point à rendre la guerre moins meurtrière, c’est à mettre obstacle à toute guerre inutile qu’il faut s’appliquer. Maintenant la question est de savoir à laquelle de ces époques nous sommes. Or, il est évident que nous nous trouvons arrivés à la seconde a. Pourquoi les peuples de l’antiquité étoient-ils guerriers ? C’est que, divisés en petites peuplades, ils se disputoient à main armée un territoire resserré : c’est que, poussés par la nécessité les uns contre les autres, ils se combattoient ou se menaçoient sans cesse : c’est que ceux mêmes qui ne vouloient pas être conquérants ne pouvoient néanmoins déposer le glaive, sous peine d’être conquis. C’est que tous achetoient leur sûreté, leur indépendance, leur existence entière au prix de la guerre. Le monde de nos jours est précisément sous ce rapport, l’opposé du monde ancien. Tandis que chaque peuple autrefois formoit une famille isolée, ennemie née des autres familles, une masse d’hommes existe maintenant sous différents noms et sous divers modes d’organisation sociale, mais homogène par sa nature. Elle est assez forte pour n’avoir rien à craindre des hordes encore barbares ; elle est assez civilisée pour que la guerre lui soit à charge. Sa tendance uniforme est vers la paix.
a
J’ai développé ces idées dans mon ouvrage sur l’Esprit de conquête ; je ne fais ici que les rappeler1.
V: 5–6 créé pour ] donné à F1 27–28 J’ai développé ... rappeler. ] note non prévue à cet endroit dans le ms. Elle est ébauchée au f o 4, accrochée au mot précéder (ci-dessous, p. 112, ligne 3) F1
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Renvoi à la première partie de l’ouvrage («De l’esprit de conquête»). Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 695–730. Il faut rappeler dans ce contexte que BC reprend et développe dans la première partie de son ouvrage une théorie de David Hume que celui-ci a exposée – une véritable percée – dans son ouvrage Political discourses (1752).
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Nous sommes arrivés à l’époque du commerce, époque qui doit nécessairement remplacer celle de la guerre, comme celle de la guerre a dû nécessairement la précéder1. Ce n’est pas ici le moment de développer toutes les conséquences de ce changement qui, ainsi que je l’ai dit tout-à-l’heure, a donné à l’homme une nature nouvelle. Je reviendrai plus tard sur ces conséquences. Il me suffit d’avoir posé le principe. L’époque de la guerre étant passée pour les peuples modernes, il est évident que le devoir des gouvernements est de s’en abstenir. Mais pour que les gouvernements ne s’écartent pas de ce devoir, ce n’est pas à eux qu’il faut s’en fier. Dans tous les temps la guerre sera, pour les gouvernements, un moyen d’accroître leur autorité. Elle sera pour les despotes une distraction qu’ils jetteront à leurs esclaves, afin que ceux-ci s’aperçoivent moins de leur esclavage. Elle sera, pour les favoris des despotes, une diversion à laquelle ils
V: 3 précéder. ] dans la col. gauche l’ébauche d’une note Note. de l’Esprit de conquête & de l’usurpation. F1, f o 4.
1
L’axiome formulé par BC n’est pas incontestable. Le commerce est une suite nécessaire de la division du travail. Il en naîtra, dès qu’il s’agit d’un groupe d’hommes, des marchés, des richesses qu’il faut défendre contre des attaques de l’extérieur, modèle qu’on trouve expliqué chez Platon dans sa Politeia (livre II). La guerre présuppose une société organisée. BC a raison de dire que le commerce remplacera finalement la guerre. On trouve cette opinion avant lui. Citons à titre d’exemple Kant, Zum ewigen Frieden (1795) : «Es ist der Handelsgeist, der mit dem Kriege nicht zusammen bestehen kann, und der früher oder später sich jeden Volks bemächtigt. Weil nämlich unter allen der Staatsmacht untergeordneten Mächten (Mitteln) die Geldmacht wohl die zuverlässigste sein möchte, so sehen sich die Staaten (freilich wohl nicht eben durch die Triebfeder der Moralität) gedrungen, den edlen Frieden zu befördern und, wo auch immer in der Welt ein Krieg auszubrechen droht, ihn durch Vermittlung abzuwehren [...]. Auf die Art garantiert die Natur durch den Mechanism in den menschlichen Neigungen selbst den ewigen Frieden» (Immanuel Kant, Kleinere Schriften zur Geschichtsphilosophie, Ethik und Politik, hrsg. von Karl Vorländer, Hamburg : Felix Meiner Verlag, 1973, p. 148). «C’est l’esprit de commerce qui ne peut coexister avec la guerre et qui tôt ou tard s’empare de chaque peuple. Comme en effet, parmi toutes les puissances (moyens) subordonnées à la puissance de l’E´tat, la puissance d’argent pourrait bien être la plus fiable, les États se voient forcés (certainement pas sous l’effet des mobiles de la moralité) de promouvoir la noble paix, et, là où la guerre menace d’éclater dans le monde, de protéger la paix par des interventions. [...] C’est de cette manière que la nature elle-même, par le biais des mécanismes des inclinations humaines, garantit la paix perpétuelle» (Kant, Vers la paix perpétuelle, Que signifie s’orienter dans la pensée ?, Qu’est-ce que les Lumières ?, et autres textes, introduction, notes, bibliographie et chronologie par Françoise Proust, traduction par Jean-François Poirier et Françoise Proust, Paris : Garnier-Flammarion, 1991, p. 107).
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auront recours pour empêcher leurs maîtres de pénétrer dans les détails de leur administration vexatoire. Elle sera, pour les démagogues, un mode d’enflammer les passions de la multitude, et de la précipiter dans des extrémités qui favoriseront leurs conseils violents ou leurs vues intéressées. Il résulte de là que si on laisse les gouvernements, et sous la désignation de gouvernements je comprends tous ceux qui s’emparent du pouvoir1, les démagogues comme les ministres, si, dis-je, on laisse les gouvernements libres de commencer ou de prolonger les guerres, le bénéfice que les peuples devroient recueillir des progrès de la civilisation sera perdu pour eux, et les guerres continueront, long-temps après que l’époque de leur nécessité n’existera plus. C’est donc en sortant la question de la guerre de l’arbitraire des gouvernants que nous parviendrons à en préserver les gouvernés. Or, comment sortir cette question de l’arbitraire des gouvernants ? par une constitution représentative d’après laquelle les mandataires de la nation aient le droit de refuser à l’autorité les moyens d’entreprendre ou de continuer les guerres inutiles, et celui de soumettre à une grave et inévitable responsabilité les dépositai res de la puissance qui se permettroient de telles entreprises. Ceci ne préjuge rien sur la question proprement dite du droit de paix et de guerre, telle qu’elle a été discutée dans nos assemblées et telle que notre charte actuelle la décide. Que le monarque constitutionnel ait la prérogative, dans des circonstances urgentes, de déclarer la guerre, à la bonne heure ; c’est une pure forme, pourvu que les fonds indispensables pour la soutenir puissent être refusés à ses ministres, et que ces ministres soient responsables de la déclaration qu’ils ont suggérée au roi. L’on voit que dans cette question déja (et il en sera de même de beaucoup d’autres) la solution de la difficulté dépend de l’établissement des garanties constitutionnelles. Filangieri ne fait que l’obscurcir par une épigramme déplacée. Si la guerre étoit nécessaire, le gouvernement auroit raison de vouloir tuer la plus grande quantité d’ennemis dans le moins de temps possible. Dès qu’elle est inutile, il est criminel de l’entreprendre. Le nombre des morts et les instruments de destruction n’y font rien.
V: 8 les guerres ] des guerres F1 16 les guerres ] des guerres F1 17–18 les dépositaires ] récrit sur quelques mots illis., peut-être 〈de la puissance〉 F1 28–32 par une ... n’y font rien. ] passage non conservé dans le ms.
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C’est un exemple du double aspect d’un terme qui signifie soit n’importe quel pouvoir politique, légitime ou non, soit un gouvernement représentatif installé par la force d’une constitution et par là toujours légitime.
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Chapitre III. Des encouragements pour l’agriculture.
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«On n’a pas songé à donner une récompense au cultivateur intelligent.» Introduction, p. 11.
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Nous apercevons déja ici un symptôme du système erroné de Filangieri, relativement à l’influence de la protection des gouvernements. Comme il y revient sans cesse dans son ouvrage, je vais saisir cette première occasion pour le refuter. Mais je dois remonter à l’origine de son erreur qui a été celle de beaucoup d’hommes éclairés du dix-huitième siècle. Lorsque les philosophes de cette époque commencèrent à s’occuper des principales questions de l’organisation sociale, ils furent frappés des maux produits par les vexations et les mesures ineptes de l’autorité. Mais novices dans la science, ils pensèrent qu’un usage différent de cette même autorité feroit autant de bien que son usage vicieux avoit causé de mal. Ils ne sentirent point que le vice étoit dans son intervention même, et que, loin de la solliciter d’agir autrement qu’elle n’agissoit, il falloit la supplier de ne point agir. En conséquence vous les voyez appeler le gouvernement au secours de toutes les réformes qu’ils proposent : agriculture, industrie, commerce, lumières, religion, éducation, morale, ils lui soumettent tout, à condition qu’il se conduira d’après leurs vues. Le siècle dernier compte très peu d’écrivains qui ne soient pas tombés dans cette méprise. Turgot, Mirabeau et Condorcet en France, Dohm et V: 1–5 Chapitre III. ... p. 1. ] passage non conservé dans le ms. 6 Nous apercevons ] audessus de ces mots, dans la première ligne de ce f o, les mots biffés 〈(3) Page j〉 sans doute une ancienne numérotation F1 symptôme ... erroné ] symptôme du 〈faux〉 système erroné ce dernier mot dans l’interl. sup. F1 7 gouvernements. ] à la hauteur de ce mot, on trouve dans le ms. (f o 1/1) une remarque qui permet de reconstituer le travail de rédaction : 〈après cette phrase : on n’a pas songé à donner une récompense au cultivateur intelligent.〉 le rajout prévu deviendra la devise de ce chap. ; le f o 1/1 porte encore en haut, dans l’angle gauche, des chiffres et dans la marge gauche les traces de la cire avec laquelle BC avait probablement collé un papillon perdu F1 17 n’agissoit ] récrit sur un mot illis. F1
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SL1, Introduction, p. i : «On n’a pas songé à donner une récompense au cultivateur intelligent qui, par son travail ou par des procédés nouveaux, a trouvé le moyen d’accroître la richesse publique».
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Mauvillon en Allemagne, Thomas Payne et Bentham en Angleterre, Franklin en Amérique, telle est à-peu-près la liste de ceux qui ont senti que, pour tous les progrès comme pour tous les besoins, pour la prospérité de tous les états comme pour le succès de toutes les spéculations, pour la quotité des productions comme pour leur équilibre, il falloit s’en remettre à la liberté, à l’intérêt individuel, à l’activité qu’inspirent à l’homme l’exercice de ses propres facultés et l’absence de toute entrave1. Les autres ont préféré la protection à l’indépendance, les encouragements aux garanties, les bienfaits à la neutralité. Les économistes eux-mêmes ont eu ce tort, pour la plupart. Ils étoient cependant d’autant plus inexcusables que leur maxime fondamentale sembloit devoir les en préserver. V: 4 comme ... spéculations ] ces mots dans l’interl. sup. F1 1
BC évoque ici une longue série d’économistes à tendance libérale, cités pour illustrer la doctrine de la perfectibilité inévitable de la théorie et les progrès pratiques de la réalite´ vécue. Turgot, par son ouvrage Réflexions sur la formation et la distribution des richesses Œuvres de M r Turgot, ministre d’état, précédées et accompagnées de Mémoires et de notes sur sa vie, son administration et ses ouvrages, t. V, (Paris : A. Belin, 1808, pp. 1–130), écrit en 1766 peut être considéré comme le fondateur de l’économie politique et par sa pratique comme le défenseur d’une politique libérale de l’économie. Il était très lié avec Condorcet, qui défendit en économie une doctrine semblable ; Mirabeau soutenait des idées du même genre. Il est intéressant de noter ici que Turgot et Condorcet, qui avaient des places importantes dans l’administration du royaume, étaient forcés de se retirer des fonctions publiques et que les réformes qu’ils avaient pu imposer dans un premier temps étaient abolies après la disgrâce de Turgot. Les deux auteurs allemands dont il est question par la suite sont Christian Wilhelm Dohm (1751–1820), professeur (finances, statistiques) au «Collegium Carolinum» à Brunswick, plus tard ministre en Prusse, et un successeur de celui-ci au «Carolinum», Jacob Mauvillon (1743–1793), en matière d’économie adepte de Turgot, auteur de l’ouvrage Physiokratische Briefe an den Herrn Professor Dohm und Erläuterungen der wahren staatswirtschaftlichen Gesetze, die unter dem Namen des Physiokratischen Systems bekannt sind (Braunschweig : Fürstl. Waisenhaus-Buchhandlung, 1780) et surtout co-auteur de l’ouvrage monumental De la monarchie Prussienne sous Frédéric le Grand, publié sous le nom de Mirabeau (Londres [i. e. Paris] : [Lejay], 1788, 4 vol.). Mauvillon était le mentor amical de BC. Quant à l’Angleterre, BC cite Thomas Paine (ou Payne) (1737–1809), philanthrope et écrivain, depuis 1774 en Amérique où il a eu par ses pamphlets et ses actions une influence décisive sur la politique de colonies rebelles. C’est lui qui propose le premier l’idée de l’indépendance des colonies sous le nom d’E´tats-Unis. Sa lutte pour l’abolition de l’esclavage et la fondation d’une société poursuivant ce but (1775) sont un autre mérite. De retour en Angleterre en 1788, il sera poursuivi pour soutenir la Révolution française, ce qui lui vaut la citoyenneté française, un siège à l’Assemblée nationale et presque la guillotine, à laquelle il échappe par hasard. Jérémie Bentham est un auteur que BC pratique beaucoup. Voir à ce sujet la seconde édition des Réflexions sur les constitutions et les garanties (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1222–1226, 1228–1229, 1246 et 1256). Benjamin Franklin (1706–1790), philosophe, physicien et homme d’E´tat américain. Il rédigea, avec Jefferson et John Adams, le manifeste de la déclaration d’indépendance des colonies américaines.
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Laisser faire et laisser passer étoit leur dévise : mais ils ne l’appliquèrent guère qu’aux prohibitions1. Les encouragements les séduisirent. Ils ne virent pas que les prohibitions et les encouragements ne sont que deux branches d’un même système et que tant qu’on admet les uns, l’on est menacé par les autres. L’agriculture étoit de toutes les professions celle que les économistes desiroient le plus tirer de l’état d’avilissement dans lequel elle étoit plongée. Leur axiome favori, celui que la terre est la seule source des richesses, leur faisoit attacher une importance extrême au travail qui la féconde : une indignation juste et légitime s’emparoit d’eux, lorsqu’ils envisageoient l’oppression qui accabloit la classe la plus indispensable à leurs yeux et la plus laborieuse. De là leurs projets chimériques pour relever cette classe, pour l’entourer de considération, d’illustration même. L’idée d’accorder des récompenses au cultivateur intelligent qui, par son travail ou par des procédés nouveaux, auroit trouvé le moyen d’accroître la richesse publique, n’appartient donc point à Filangieri2. Il a pu l’emprunter des économistes, du marquis de Mirabeau, par exemple, l’auteur de l’Ami des hommes : mais il paroît s’être particulièrement attaché à cette idée. Il y revient, avec plus d’insistance et plus de détails, dans une autre partie de son ouvrage (liv. II, chap. XV)3, et enchérissant sur sa proposition première, il veut qu’indépendamment des encouragements pécuniaires, l’on institue un ordre qui soit porté par le souverain même et dont les agriculteurs les plus habiles soient décorés. V: 6 étoit ] récrit sur 〈étant〉 F1 14 même. ] même. 〈faute de porter leurs regards plus haut, & d’invoquer la liberté politique, ils vouloient suppléer à cette liberté encore ignorée dans les pays continentaux de l’Europe, par des moyens factices & insuffisans. Ils oublioient ou n’osoient pas dire qu’au lieu d’environner quelques agriculteurs d’un [illis.] étranger & contraire à la nature de leur profession, il falloit leur donner des garanties, & que chaque profession se met à sa place lorsque dans [deux mots illis.] chaque citoyen jouït de ses droits.〉 F1 24 décorés. ] Pour montrer combien ces [...]mens artificiels des droits politiques sont puériles et inefficaces, je suis forcé de reproduire des raisonemens dont j’ai publié quelquesuns ailleurs : mais je tacherai de les le texte s’arrête là. La phrase était couverte par un papillon 1
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La tournure «Laisser faire et laisser passer» est attribuée au marquis d’Argenson, qui l’utilise pour la première fois dans sa «Lettre à l’Auteur du Journal Œconomique, au sujet de la dissertation sur le commerce du Marquis de Belloni», Journal Œconomique ou Mémoires, Notes et Avis sur les Arts, l’Agriculture, le Commerce, avril 1751, p. 111. Elle sera reprise par Vincent de Gournay (1712–1759) et l’école physiocrate. Voir Turgot, Éloge de Vincent de Gournay, dans Le Mercure, août 1759 (Œuvres de M r Turgot, t. III, pp. 321–375, plus part. p. 336). La phrase en italique est déjà citée partiellement ci-dessus, p. 115. Voir SL1, livre II, chap. XV, où Filangieri parle de «l’encouragement qu’on pourroit, après avoir détruit les obstacles, donner à l’agriculture, en la rendant honorable pour ceux qui l’exercent».
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Commentaire sur Filangieri
Si l’on considère à quelle époque Filangieri proposoit ces expédients puérils et bizarres, on en concevra l’absurdité. C’étoit dans un temps où la classe agricole étoit soumise à des lois et payoit des impôts qu’aucun représentant nommé par elle n’avoit discutés ni consentis : dans un temps où, sans organes pour réclamer, sans moyens pour se défendre, elle subissoit en silence la partialité de ces lois, l’inégalité de ces impôts : dans un temps où des servitudes de tout genre pesoient sur elle, interrompoient son travail, troubloient son repos : dans un temps enfin où, placée au plus bas échelon de la hiérarchie sociale, elle supportoit en dernier ressort le poids des charges sociales : car chacune des autres classes repoussoit le fardeau plus bas pour s’en exempter. Ajoutez à ces malheurs pour ainsi dire légaux, les oppressions accidentelles qui résultoient de l’isolement de cette classe agricole, de sa pauvreté, de sa position désarmée, l’immense intervalle qui la séparoit du pouvoir suprême et condamnoit ses gémissements à s’évaporer dans les airs, l’insolence des pouvoirs intermédiaires qui interceptoient ses réclamations, la facilité d’opprimer contre les lois ou d’après les lois des hommes également ignorants de leurs protections ou de leurs menaces, la rapacité du fisc qu’épuisoient les riches et qui devoit se dédommager aux dépens du pauvre, l’arbitraire d’autant plus effréné qu’il s’exerçoit en détail sur des victimes obscures, et qu’il étoit disséminé entre une foule d’agents subalternes, visirs de village, poursuivant dans l’ombre leurs vexations. Et c’étoit dans un tel état de choses, et comme remède à un tel état de choses, que Filangieri proposoit des encouragements pour l’agriculture et des distinctions pour les agriculteurs. Mais l’agriculture étoit frappée dans son principe. Les moyens de reproduction lui étoient enlevés. Les agriculteurs étoient des ilotes, frustrés de tous les droits, chargés de tous les labeurs, condamnés à toutes les privations. L’autorité même avec des intentions bienfaisantes, ne pouvoit guérir cette plaie incurable. La nature est plus forte que l’autorité, et la nature veut que toute cause amène son effet, que tout arbre produise son fruit. Tous les projets philanthropiques sont des chimères, quand une liberté constitutionnelle ne leur sert pas de base. Ces projets peuvent servir de texte aux amplifications oratoires d’honnêtes dé-
V: collé avec de la cire, maintenant perdu ; puisque le folio suivant débute avec le texte de l’alinéa suivant, on peut penser que BC avait noté la correction de ce passage sur le papillon et peut-être dans l’espace de la colonne gauche perdue, sans la retenir pour l’imprimé. F1 5 temps où, ] tems où, 〈des servitudes de tout genre pesoient sur〉 F1 7–14 où des ... qui la ] passage non conservé dans le ms. 17 hommes ] hommes 〈qui [illis.]〉 F1 27 frustrés ] récrit sur un mot illis., peut-être 〈privés〉 F1
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clamateurs. Ils peuvent offrir à des ministres adroits le moyen d’occuper d’une manière neuve et piquante les loisirs de leur maître. Ils peuvent, en trompant ce maître, apaiser ses remords, si le spectacle de la misère publique fait naître en lui quelques remords. Mais ni la classe agricole ni l’agriculture ne profitent en rien de tous ces palliatifs impuissants. L’état de la classe agricole sera déplorable, partout où cette classe n’aura pas en elle-même, c’est-à-dire par des organes que son choix identifie avec elle, une certitude de redressement public et légal. L’état de la classe agricole étoit déplorable en France avant la révolution. J’en atteste la taille, la corvée, la milice, les vingtièmes, les capitations, les aides, la dixme, la main-morte, les lods et ventes, le trop bu, et toutes ces charges innombrables, tant pécuniaires que personnelles, dont les noms divers et bizarres rempliroient inutilement des pages entières. J’en atteste les exemptions non moins nombreuses, si scandaleusement réclamées et si facilement obtenues par les classes élevées, comme si leurs devoirs envers la société eussent été en raison inverse des avantages que la société leur garantissoit. J’en atteste les terres appauvries et mal cultivées, limitrophes des parcs somptueux, et les huttes couvertes de chaume, qui environnoient des châteaux superbes, protestations silentieuses, mais qui ont fini par n’être que trop énergiques contre un pareil ordre social. Filangieri et les publicistes qui l’ont suivi auroient dû se pénétrer de ces vérités. Au lieu de rêver des encouragements partiels, des distinctions vaines jetées nécessairement au hasard du haut du trône, et distribuées suivant le caprice d’agents infidèles, ils auroient dû réclamer les garanties que tout pays doit au citoyen qui l’habite, les garanties sans lesquelles tous les gouvernements sont illégitimes. Avec ces garanties, l’agriculture, aussi-bien que tout autre genre d’industrie, se passera facilement de la protection du pouvoir. Il est fort inutile que l’autorité se mêle d’encourager ce qui est nécessaire. Il lui suffit de ne pas l’entraver. La nécessité sera obéie. Lorsqu’il n’y a point, de la part du gouvernement, une action vicieuse, les productions sont toujours dans une proportion parfaite avec les demandes. J’excepte les cas imprévus, les calamités soudaines, qui, du reste, sont assez rares, quand on laisse faire la nature, mais que les gouvernements, par leurs fausses mesures, créent plus souvent qu’on ne le pense. J’en parlerai dans une autre partie de ce Commentaire1. Dans l’ordre habituel des choses, ce n’est pas d’encouragement, V: 19 par ... trop ] par être trop F1 1
Il y a plusieurs passages qu’on pourrait citer. Mais BC pense surtout à la deuxième partie du Commentaire, en particulier aux chap. 10 et 11. Voir ci-dessous, pp. 260–266. Signalons encore que cette phrase suggère que le travail de rédaction est déjà assez avancé en 1821.
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Commentaire sur Filangieri
c’est de sécurité que l’agriculture a besoin. Or la sécurité ne se trouve que dans de bonnes institutions constitutionnelles. Quand la personne de l’agriculteur peut être enlevée, parcequ’il a pour voisin un délateur, ou pour ennemi quelque valet d’un homme puissant ; quand le fruit de son travail peut être grevé d’impositions excessives, parceque tel propriétaire, riche ou noble, se fait exempter ; quand ses enfants, utiles associés de ses opérations journalières, lui sont arrachés pour aller périr dans des guerres lointaines, pensez-vous qu’inquiet sur le présent, alarmé sur l’avenir, il persévère à se consumer en efforts dont le bénéfice peut lui être ravi ? C’est vous qui portez dans son ame le désespoir et l’abattement, et vous prétendez ensuite l’encourager. Vous vexez, vous opprimez, vous ruinez la classe entière, et vous imaginez qu’une légère aumône, ou, ce qui est plus ridicule, une décoration inventée par vous, et conférée dédaigneusement à quelque individu que vos agents protègent, ranimera cette classe appauvrie et spoliée. Votre ineptie ou votre despotisme ont frappé le sol de stérilité ; et vous croyez que vos faveurs, comme la présence du soleil, lui rendront sa fécondité première. Vous vous montrez, vous souriez, vous distribuez je ne sais quelles distinctions vaines et illusoires, et le travail, à vous entendre, va se tenir honoré pour des siècles ! Étrange arrogance ! Charlatanisme grossier, auquel se laissoient prendre autrefois quelques rêveurs honnêtes, mais qui, grace au ciel, est chaque jour plus décrédité. L’empereur de la Chine daigne aussi de ses mains impériales conduire une charrue, et tracer un sillon, dans un jour de fête. Cela n’empêche pas que la Chine ne soit sans cesse en proie à la famine, et que les parents n’exposent sur les rivières les enfants qu’ils sont hors d’état de nourrir. C’est que la Chine est un état despotique, et que, lorsque les cultivateurs sont soumis au bâton toute l’année, l’honneur qu’on croit leur faire une fois par an ne les dédommage ni ne les console1. Je serai forcé de revenir à plus d’une reprise sur le système des encouragements quand Filangieri traitera de l’industrie. J’ajourne en conséquence d’autres développements qui prouveront que même sous le rapport de la morale ce système est nuisible.
V: 13–14 quelque individu ] quelqu’individu F1 non conservé dans le ms.
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17–32 (distri)buez ... nuisible. ] passage
BC reprend, dans ses réflexions sur l’empereur de la Chine et ce pays despotique, les paroles de Filangieri. Voir SL1, livre I, chap. XII, p. 177.
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Chapitre IV. De la conversion des princes au système pacifique.
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«Le cri de la raison est enfin parvenu jusqu’aux trônes : les princes ont commencé de sentir ... que la source véritable de la grandeur n’est pas dans la force et dans les armes.» Introduction, p. 21.
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Est-il bien vrai que ce soit parceque la raison est parvenue jusqu’aux trônes, que les princes ont enfin senti qu’ils devoient plus de respect à la vie des hommes, et que la véritable grandeur n’étoit pas dans la force et dans les armes ? Je ne demanderois pas mieux que d’adopter cette conviction flatteuse ; mais je ne puis me défendre de certains scrupules. Je me transporte au moment où Filangieri écrivoit ces lignes ; et je jette mes yeux sur un espace de quarante années. Je vois la guerre de sept ans finie, mais bientôt commence celle d’Amérique. Pendant la guerre d’Amérique, Joseph II menace la Prusse et attaque les Turcs. La Suède s’élance assez follement contre la Russie. La Pologne est partagée ; et s’il n’en résulte pas de guerre, c’est que les co-partageants se mettent trois contre un. Enfin les rois de l’Europe se coalisent contre la France qui veut se donner un gouvernement libre : après dix ans de combats acharnés, ils sont vaincus ; mais alors le gouvernement de la France abjure la modération et la justice, et durant dix autres années l’espace qui sépare Lisbonne de Moscou et Hambourg de Naples est derechef inondé de sang. Sont-ce là des preuves bien satisfaisantes de l’empire de la raison2 ? V: 1–7 Chapitre IV. ... p. 2. ] passage non conservé dans le ms. 15–22 commence ... Hambourg ] passage non conservé dans le ms. 22–24 de Naples ... raison ? ] de Naples. Sont celà des preuves bien satisfaisantes de l’empire de la raison ? BC a changé ses phrases ; mais puisque la fiche du folio précédent qui contenait ce qui précède est perdue, nous ne saurions reconstituer le texte du ms. F1 1
2
SL1, Introduction, pp. ii-iii. Filangieri écrit ceci : «Cette exclamation universelle, ce cri de la raison est enfin parvenu jusque aux trônes, et bientôt on a vu s’ouvrir un nouvel ordre des choses. Les princes ont commencé de sentir que la vie et la tranquillité des hommes doivent inspirer plus de respect à ceux qui les gouvernent, que la source de la véritable grandeur n’est pas dans la force et dans les armes». Les faits évoqués ici reviennent souvent sous la plume de BC. On se reportera au Répertoire des OCBC, Œuvres, t. V, entrées Charles XII (p. 904) et Joseph II (p. 921). La coalition des rois de l’Europe contre la France désigne sommairement plusieurs coalitions organisées surtout par l’Angleterre depuis 1792, tandis que la dernière phrase mentionne évidemment les guerres désastreuses de l’Empire.
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Commentaire sur Filangieri
Il y a néanmoins, dans l’assertion de Filangieri, un fonds de vérité qu’il défigure par des compliments bien intentionnés, mais peu mérités par la puissance. Ainsi que je l’ai observé précédemment (ch. II)1, le système guerrier est en contradiction avec l’état actuel de l’espèce humaine. L’époque du commerce est arrivée ; et plus la tendance commerciale domine, plus la tendance guerrière doit s’affoiblir. La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d’arriver au même but, celui de posséder ce que l’on desire. Le commerce n’est autre chose qu’un hommage rendu à la force du possesseur par l’aspirant à la possession. C’est une tentative pour obtenir de gré à gré ce que l’on n’espère plus conquérir par la violence. Un homme qui seroit toujours le plus fort n’auroit jamais l’idée du commerce. C’est l’expérience qui, en lui prouvant que la guerre, c’est-à-dire l’emploi de sa force contre la force d’autrui, est exposée à diverses résistances et à divers échecs, le porte à recourir au commerce, c’est-à-dire à un moyen plus doux et plus sûr d’engager l’intérêt des autres à consentir à ce qui convient à son intérêt. La guerre est donc antérieure au commerce : l’une est l’impulsion d’un desir sans expérience, l’autre le calcul d’un desir éclairé. Le commerce doit donc remplacer la guerre ; mais en la remplaçant il la décrédite, et la rend odieuse aux nations2. C’est ce qu’on remarque de nos jours. Le but unique des nations modernes, c’est le repos, avec le repos l’aisance, et comme source de l’aisance, l’industrie. La guerre est chaque jour un moyen plus inefficace d’atteindre ce but. Ses chances n’offrent plus, ni aux individus ni aux peuples, des bénéfices qui égalent les résultats du travail paisible et des échanges réguliers. Chez les anciens une guerre heuV: 2 mais peu mérités par ] mais récrit sur un mot illis., les autres mots se trouvaient sur la fiche 2/1, perdue, de l’ancien folio 2 du chap. IV 4 ch. II ] Note 2 F1 7–13 s’affoiblir. ... C’est ] passage non conservé dans le ms. 20–26 la guerre ; ... résultats du ] passage non conservé dans le ms. TR: 18–19 La guerre ... un desir éclairé. ] Principes de politique, Livre XVI, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 607–608. 23–24 Le but unique ... l’industrie. ] Principes de politique, Livre XVI, chap. 3, pp. 604–605. 27-p. 123.3 Chez les anciens ... rapporte. ] Principes de politique, Livre XVI, chap. 3, OCBC, Œuvres, t. V, p. 605. 1
2
Voir ci-dessus, p. 111. La variante a` la ligne 4 prouve que BC avait prévu, dans un stade précédent de la rédaction, d’appeler les chapitres de son Commentaire des «notes», terme attesté également par le Prospectus. Un cas analogue se trouve ci-dessous, p. 124, ligne 22. BC rejoint Kant. Voir sur cette question ci-dessus, p. 112, n. 1. BC soutient cette même opinion dans De l’esprit de conquête, chap. X, «Autres inconvénients du système guerrier pour les lumières et la classe instruite» (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 715–716).
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Chapitre I,4 – De la conversion des princes au système pacifique
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reuse ajoutoit, en esclaves, en tributs, en terres partagées, à la richesse publique et particulière des vainqueurs ; chez les modernes une guerre heureuse coûte infailliblement plus qu’elle ne rapporte. La situation des peuples modernes les empêche donc d’être belliqueux par intérêt ; et des raisons de détail, mais toujours tirées des progrès de l’espèce humaine, et par conséquent de la différence des époques, viennent se joindre aux causes générales, pour empêcher aussi les nations de nos jours d’être guerrières par inclination. La nouvelle manière de combattre, le changement des armes, l’artillerie, ont dépouille´ la vie militaire de ce qu’elle avoit de plus attrayant. Il n’y a plus de lutte contre le péril : il n’y a que de la fatalité. Le courage doit s’empreindre de résignation ou se composer d’insouciance. On ne goûte plus cette jouissance de volonté, d’action, de développement des forces physiques et des facultés morales, qui faisoit aimer aux héros anciens, aux chevaliers du moyen âge, les combats corps à corps. La guerre a donc perdu son charme comme son utilité. Il en résulte qu’un gouvernement qui parleroit aujourd’hui de la gloire militaire, et par conséquent de la guerre comme but, méconnoîtroit l’esprit des nations et celui de l’époque. Le fils de Philippe n’oseroit plus proposer à ses sujets l’envahissement de l’univers, et le discours de Pyrrhus à Cynéas sembleroit le comble de l’insolence ou de la folie a. Les gouvernements, qui reconnoissent les vérités le plus tard qu’ils peuvent, mais qui, malgré tous leurs efforts, ne sauroient s’en préserver éternellement, ont remarqué le changement qui s’est opéré dans la disposition des peuples. Ils lui rendent hommage dans leurs actes publics et dans leurs discours ; ils évitent d’avouer ouvertement l’amour des conquêtes, et ce n’est jamais qu’en soupirant qu’ils prennent les armes. Sous ce rapport, ainsi que Filangieri l’observe, la raison s’est fait jour jusqu’aux trônes : mais en forçant le pouvoir a` varier son langage, a-t-elle, comme le philosophe italien se plaît à l’espérer, éclairé l’esprit ou converti le cœur de ceux que le hasard a investis de l’autorité ? a
De l’Esprit de conquête, chap. I1.
V: 19–25 et celui ... hommage dans leurs ] passage non conservé dans le ms. TR: 9–16 La nouvelle ... utilité. ] Principes de politique, Livre XIII, chap. 1, OCBC, 19–21 Le fils de Philippe ... folie. ] Principes de politique, Livre Œuvres, t. V, p. 493. XVI, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, p. 604. 1
Voir De l’esprit de conquête, première partie, chap. II (OCBC, Œuvres, t, VIII/1, p. 561), pour le texte et les n. 2 et 3 pour l’explication des allusions aux conquêtes d’Alexandre et aux projets de conquête de Pyrrhus.
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Commentaire sur Filangieri
J’ai le regret de ne pas le croire ; car je ne vois point dans leur conduite plus d’amour de la paix : j’aperçois seulement plus d’hypocrisie. Quand Frédéric attaquoit l’Autriche pour s’emparer de la Silésie, il ne vouloit, disoit-il, que faire valoir d’anciens droits pour donner à son royaume une étendue convenable1 ; quand l’Angleterre s’épuisoit d’hommes et de trésors pour subjuguer l’Amérique, elle n’aspiroit qu’à ramener sous les lois protectrices de la métropole des enfants égarés ; quand elle porte la dévastation dans l’Inde, elle n’entend que veiller aux intérêts et assurer la prospérité de son commerce ; quand trois puissances coalisées morceloient la Pologne, elles n’avoient en vue que de rendre aux Polonois agités la tranquillité que troubloient leurs luttes intestines ; quand ces mêmes puissances envahissoient la France devenue libre, c’étoient les trônes ébranlés qu’elles se proposoient de consolider ; quand aujourd’hui elles écrasent l’Italie et menacent l’Espagne, c’est l’ordre social qui réclame leur intervention. Dans tout cela, le mot de conquêtes n’est pas prononcé. Mais le sang des peuples en est-il moins prêt à couler ? Que leur importe sous quel prétexte on le verse ! Le prétexte même n’est au fond qu’une dérision de plus. Il ne faut donc point, comme le trop confiant Filangieri nous y invite, nous en remettre à l’influence de la raison sur les trônes et à la sagesse des princes, pour préserver le monde du fléau des guerres injustes ou inutiles. Il faut que la sagesse des nations s’en mêle. J’ai dit dans le chap. II de quelle manière elle doit s’en mêler2.
V: 2 seulement plus ] seulement 〈dans leur conduite〉 plus F1 14 écrasent ... l’Espagne ] menacent Naples & l’Espagne F1 22 le chap. II ] la Note 2 F1
1
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Référence à l’éloge de Frédéric II par Filangieri, qui reconnaît en lui un bon législateur et l’auteur du code juridique. SL1, livre I, chap. VII. BC évoque par contre la guerre de Sept Ans et les autres conflits qui suivent comme des exemples de l’hypocrisie des monarques. Voir ci-dessus, p. 121, une liste du même genre. Voir ci-dessus, p. 113.
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Chapitre V. De la révolution salutaire que Filangieri prévoyoit.
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«Une fermentation salutaire va faire éclore le bonheur public.» Introduction, p. 111.
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Si l’on ne jugeoit que sur les apparences, l’on ne pourroit se défendre d’un sentiment de tristesse et de pitié pour l’espèce humaine, en comparant l’avenir que Filangieri lui promet ici avec l’état dans lequel se trouvent aujourd’hui presque tous les peuples de l’Europe. Qu’est devenu ce desir d’amélioration et de réforme qui animoit les classes supérieures des sociétés ? Où est cette liberté de la presse qui honoroit à-la-fois les princes qui ne la redoutoient pas et les écrivains qui en faisoient usage ? Cette superstition dont le publiciste napolitain célèbre la défaite, n’est-elle pas l’objet des regrets de tous les dépositaires du pouvoir ? Inhabiles à la reproduire, telle qu’elle existoit autrefois, aveugle et cruelle, mais sincère, ne s’efforcent-ils pas de la remplacer par des démonstrations de commande et une intolérance de calcul, non moins funeste et bien moins excusable ? Ne voyons-nous pas l’hypocrisie s’appliquant par-tout à reconstruire ce que les lumières avoient renversé ? Ne pose-t-on pas dans tous les pays des pierres d’attente pour le fanatisme ? Qu’importe que les prétentions spirituelles aient plié sous l’autorité politique, si cette autorite´ se fait de la religion un instrument et agit ainsi contre la liberté avec une double force ? Que nous sert d’avoir dépouillé l’oppression nobiliaire de son ancien nom de féodalité, si elle reparoît aussi exigeante et plus astucieuse sous une dénomination nouvelle2 ? si la domination échappée aux seigneurs féodaux doit revenir aux grands propriétaires, qui sont pour la plupart les seigneurs féodaux des temps passés ? si la grande propriété, inaliénable par les substitutions, et toujours croissante par cela seul qu’elle est inaliénable, reconstruit l’oligarchie ? Enfin, de même que la féodalité cherche à reparoître sous une appellation moins effrayante, le despotisme que les mœurs avoient adouci n’abjuret-il pas ses démonstrations philanthropiques ? n’a-t-il pas déja remplace´ V: 6-p. 126.4 Si l’on ... cette af(fligeante) ] passage non conservé dans le ms. 1
2
SL1, Introduction, p. xii : «Cette réclamation universelle, ce cri de la raison est enfin parvenu jusques aux trônes, et bientôt on a vu ouvrir un nouvel ordre de choses. Les princes ont commencé. Une ... public.» «Rentes foncières» au lieu de «rentes féodales». Voir l’intervention de BC au Tribunat du 18 ventôse an VIII, citée par Jean Jacques Clerc, «La survivance des droits féodaux dans la
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Commentaire sur Filangieri
l’axiome suranné du droit divin par une terminologie qui n’a que l’avantage d’être plus abstraite, et ne s’en prévaut-il pas également pour interdire aux peuples tout examen des lois et toute résistance à l’arbitraire1 ? Toutefois cette affligeante comparaison de ce qui a eu lieu avec ce que nous avions le droit d’espérer, ne doit point nous conduire au découragement. Le désappointement momentané étoit dans la nature des choses : le succès définitif y est aussi. Quand les principes de la justice et de la liberté sont proclamés par les philosophes, il arrive souvent que les classes qu’on appelle supérieures s’y rallient, parceque les conséquences de ces principes, relé guées encore dans un lointain obscur, n’excitent point d’ombrages. L’on auroit tort d’en conclure que ces classes persévèreront à vouloir le système qu’elles semblent, et je dirai plus, qu’elles croient alors adopter. Il y a dans le cœur de l’homme un besoin d’approbation auquel se laisse entraîner le pouvoir luimême, quand il se flatte qu’il ne lui en coûtera, pour le satisfaire, aucun sacrifice réel. Il s’ensuit que lorsque l’opinion s’élève avec force contre le despotisme, l’orgueil nobiliaire, ou l’intolérance religieuse, les rois, les nobles et les prêtres cherchent à plaire à cette opinion, et les privilégiés de diverses espèces font ostensiblement cause commune avec la masse des nations contre leurs propres prérogatives. Quelquefois même ils sont sincères dans l’abnégation qu’ils manifestent. Comme ils conquièrent les applaudissements en répétant des axiomes dont l’application ne s’annonce nullement comme prochaine, l’enivrement de leurs paroles leur cause des émotions désintéressées, et ils s’imaginent que, le cas échéant, toujours avec la conviction qu’il n’écherra pas, ils seroient prêts à faire tout ce qu’ils disent. Mais quand le moment de la réalité arrive, leur intérêt vient demander compte a` leur amour-propre des engagements qu’il a contractés. Cet amourpropre les avoit rendus faciles pour la théorie, cet intérêt les rend furieux contre la pratique. Ils vantoient les réformes à condition qu’elles ne s’opèreroient point, pareils à des gens qui célèbreroient l’astre du jour, pourvu que la nuit durât sans cesse : et en effet l’aurore a paru, et presque tous ceux qui l’a voient invoquée se sont déclarés contre elle, et tous les présages d’amélioration dont Filangieri nous offre l’énumération pompeuse ont fui comme de vaines lueurs. V: 14–22 (d’appro)bation ... axiomes ] passage non conservé dans le ms. 30–p. 127.5 s’opèreroient point ... élève ] passage non conservé dans le ms.
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première moitié du XIXe siècle d’après la jurisprudence», Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, 55, 1998, pp. 201–216. BC vise ici le fait que Filangieri met à la place du «droit divin» pour fonder la légitimité le droit naturel, qui n’implique pas forcément un gouvernement représentatif. Tout ce début du chap. V est une analyse clairvoyante des tendances restauratives qui caractérisent l’époque à
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Chapitre I,5 – De la révolution salutaire que Filangieri prévoyait
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Ce mouvement retrograde étoit, comme on voit, inévitable : et ce mouvement rétrograde nous démontre une vérité très importante : c’est que les réformes qui viennent d’en haut sont toujours trompeuses. Si l’intérêt n’est pas le mobile de tous les individus, parcequ’il y a des individus que leur nature plus noble élève au-dessus des conceptions étroites de l’égoïsme, l’intérêt est le mobile de toutes les classes. On ne peut jamais rien attendre d’efficace ou de complet d’une classe qui paroît agir contre son intérêt : elle aura beau l’abjurer momentanément, elle y sera toujours ramenée ; et dès que l’instant sera venu de consommer sans retour le sacrifice, elle reculera, faisant valoir des restrictions, des réserves, dont elle ne se doutoit pas ellemême au milieu de ses protestations d’abnégation et de dévouement. C’est ce dont nous sommes aujourd’hui témoins. Monarchie absolue, clergé, noblesse, chacun veut ressaisir les prérogatives abdiquées, accusant le peuple d’usurpation pour avoir accepté ce qui lui étoit offert, et criant à l’injustice et a` la surprise avec une naïveté précieuse, uniquement parcequ’on l’a pris au mot1. Mais infèrerons-nous de ces efforts tardifs que nos espérances sont pour jamais trompées et la cause de l’humanité perdue sans appel ? Bien au contraire. Nous devons rendre grace à l’enthousiasme éphémère ou aux imprudences vaniteuses des diverses classes de privilégiés. Elles ont popularisé les principes contre lesquels maintenant elles conspirent. Pour déclarer la guerre aux institutions qui les oppriment, les nations ont souvent besoin de chefs pris dans les classes qui profitent de ces institutions. Trop d’abaissement ôte le courage, et ceux qui gagnent aux abus sont quelquefois les seuls capables de les attaquer. Ces chefs réunissent l’armée populaire ; ils la disciplinent ; ils l’éclairent. Heureux quand ils lui restent fidèles ! Mais s’ils désertent, l’armée n’en est pas moins sur pied. Elle remplace facilement les apostats qui l’abandonnent par des hommes tirés de son sein et plus identifiés à sa cause. La victoire, ajournée peut-être, en devient plus certaine et plus complète, parcequ’il n’y a plus parmi les vainqueurs d’intérêts étrangers qui ralentissent la marche ou qui faussent le but. Ne craignons donc rien des coalitions momentanées, des déclamations de circonstance, des déploiements de force présentés avec ostentation pour V: 26 réunissent ] forment F1
1
partir de la troisième décade du XIXe siècle. Analyse étonnante de la tendance restaurative dans les pays de l’Europe après la fin du Congrès de Vienne, et dont nous trouvons l’image dans les romans de Balzac et de Stendhal. BC développe d’une manière fort heureuse la métaphore de l’armée invincible de la raison comme une vision romantique d’un départ sans retour vers la liberté, comme la promesse d’un avenir heureux.
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Commentaire sur Filangieri
nous frapper d’effroi. On ne se pare pas impunément des couleurs philosophiques ; le despotisme, l’orgueil nobiliaire, le pouvoir sacerdotal, tous ont voulu en avoir l’honneur : il faut qu’ils en supportent les frais. Ces frais peuvent être diminués par une résignation raisonnable : ils peuvent être cruellement accrus par la résistance. Mais le sort de l’espèce humaine est décidé : le règne du privilège est fini. La tyrannie n’est redoutable, dit un auteur an glois, que lorsqu’elle étouffe la raison dans son enfance1. Elle peut alors arrêter ses progrès et retenir les hommes dans une longue imbécillité. Mais il n’existe qu’un seul moment pour proscrire avec fruit cette raison toute-puissante. Ce moment passé, tous les efforts sont vains ; la lutte est engagée, la vérité se fait jour dans tous les esprits : l’opinion se sépare de la puissance ; et la puissance, repoussée par l’opinion, ressemble à ces corps frappés de la foudre, que le contact de l’air réduit en poussière.
V: 1 frapper ] 〈effrayer〉 frapper F1
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Non identifié.
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Chapitre VI. De l’union de la politique et de la législation.
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«Il est bien étonnant que, dans ce grand nombre d’écrivains qui se sont consacrés à l’étude des lois ... chacun n’ait considéré qu’une partie de cet im-
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mense édifice.» Introduction, p. 121.
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Cette phrase de Filangieri contient le germe d’une grande vérité : mais il me paroît ne l’avoir ni suffisamment sentie, ni développée suffisamment. S’il blâme les écrivains qui ont traité la législation à part de la politique, c’est plutôt sous le rapport littéraire, comme n’ayant pas su embrasser l’ensemble de leur sujet, que sous le rapport beaucoup plus sérieux de l’erreur dangereuse qu’ils accréditoient, erreur d’autant plus essentielle à combattre, que les gouvernements aussi l’accréditent de tout leur pouvoir. Ils voudroient persuader aux peuples que de bonnes lois, propres à maintenir l’ordre entre les individus, sont tout ce qu’il faut pour la sûreté et la prospérité générales, sans qu’il soit besoin de recourir à des institutions constitutionnelles qui elles-mêmes protègent ces lois. C’est prétendre que les fondements d’un édifice ne sont pas nécessaires à sa stabilité. La législation séparée de la politique n’offre aux gouvernés aucun abri, et n’oppose aux gouvernants aucune barrière. Il n’existe, hors des garanties politiques, aucun moyen d’empêcher les dépositaires de l’autorité de violer les lois qu’ils ont établies. Aussi les despotes les plus jaloux de leur domination absolue ne se sont pas fait faute de donner à leurs esclaves des codes merveilleux, assurés qu’ils étoient que ces codes n’auroient de valeur que celle que tolèreroit la volonté du maître. Deux pages d’un livre, deux mots à une tribune, sont de meilleures sauvegardes, non seulement pour la liberté, mais pour la justice, pour cette justice dont chaque individu a besoin tous les jours, que les codes les mieux rédigés, les plus parfaits en apparence. Car un code est une chose morte et inerte, jusqu’au moment où les hommes le mettent à exécution. Or, s’ils peuvent ne s’y conformer que lorsque telle est leur fantaisie, si, quand ils s’en écartent, nul ne peut réclamer, tout le mérite d’un code s’évanouit. V: 1-p. 130.29 Chapitre 1
VI.
SL1, Introduction, p. xiii.
... protection. ] passage non conservé dans le ms.
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Commentaire sur Filangieri
Il en est de la distinction qu’on cherche à introduire entre la législation et la politique, comme de celle que tant de gens veulent établir entre la liberté civile et la liberté constitutionnelle. La meilleure législation est nulle, quand une bonne organisation politique ne la garantit pas, de même qu’il n’y a point de liberté civile, quand la liberté constitutionnelle ne l’entoure pas de son égide. Sans doute, même dans les pays où règne l’arbitraire, toutes les libertés civiles de tous les habitants ne sont pas envahies, comme dans les états du grand-seigneur toutes les têtes ne sont pas coupées. Mais il suffit que l’envahissement soit possible, et qu’il n’y ait pas de moyen de répression, pour que la sécurité n’existe point. Défions-nous donc aujourd’hui plus que jamais de tout effort pour détourner nos regards de la politique et pour les fixer sur la législation. Je dis aujourd’hui plus que jamais, parcequ’aujourd’hui plus que jamais cette ruse sera employée comme dernière ressource pour nous tromper et nous donner le change. Quand les gouvernements offrent aux peuples des améliorations législatives, les peuples doivent leur répondre, en leur demandant des institutions constitutionnelles. Sans constitution, les peuples ne sauroient avoir nulle certitude que les lois soient observées. C’est dans les constitutions, dans les peines qu’elles prononcent contre les possesseurs infidèles de l’autorité, dans les droits qu’elles assurent aux citoyens, dans la publicité surtout qu’elles doivent consacrer, c’est là que réside la force coërcitive nécessaire pour contraindre le pouvoir à respecter les lois. Quand il n’y a point de constitution, non seulement le pouvoir fait les lois qu’il veut, mais il les observe comme il veut ; c’est-à-dire qu’il les observe quand elles lui conviennent, et les viole quand il y trouve son avantage. Alors les meilleures lois, comme les plus mauvaises, ne sont qu’une arme dans les mains des gouvernants. Elles deviennent le fléau des gouvernés, qu’elles garrottent sans les défendre, et qu’elles privent du droit de la résistance sans leur donner le bénéfice de la protection1.
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BC aborde cette question normalement avec beaucoup de circonspection. Voir OCBC, Œuvres, t. V, pp. 667–677.
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Chapitre VII. De l’influence que Filangieri attribue à la législation. (Plan raisonné de l’ouvrage. P. 151.)
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Le plan raisonné que Filangieri a mis à la tête de son livre n’étant autre chose qu’une analyse abrégée de l’ouvrage entier, et toutes les idées que renferme cette analyse se retrouvant par conséquent dans l’ouvrage même, j’ai cru devoir m’interdire ici toutes les observations de détail. Mais il en est une qui se rapporte au système général de l’écrivain, et qui, bien qu’indiquée dans les chapitres précédents, a besoin d’être reproduite et développée. Filangieri, comme je l’ai dit ailleurs, est tombé dans une méprise commune à plusieurs philosophes bien intentionnés2. De ce que l’autorité peut faire beaucoup de mal, il en a conclu qu’elle pouvoit également faire beaucoup de bien. Il a vu, dans tel pays, les lois prêtant leur force à la superstition, et comprimant l’essor des facultés individuelles : il les a vues dans telle autre contrée, encourageant des modes d’éducation vicieux et absurdes ; dans telle autre encore, imprimant au commerce, à l’industrie, aux spéculations de l’intérêt personnel, une direction fausse. Il a cru que des gouvernements qui marcheroient dans une route contraire seroient aussi favorables au bonheur et aux progrès de l’espèce hu maine que les premiers lui étoient nuisibles. En conséquence, il considère sans cesse, dans son ouvrage, le législateur comme un être à part, au-dessus du reste des hommes, nécessairement meilleur et plus éclairé qu’eux : et s’enthousiasmant pour ce fantôme créé par son imagination, il lui accorde sur les êtres soumis à ses ordres une autorité qu’il ne songe que par intervalles à contenir ou à limiter. C’est ainsi qu’il nous parle du ton différent que doit prendre la législation chez les différents peuples en différents temps (pag. 5) ; de la
V: 1–18 Chapitre VII. ... contraire seroient ] passage non conservé dans le ms., à l’exception des mots (ligne 4) que Filangieri a mis à la tête de son livre ajoutés avec un signe de renvoi sur 4 que ... livre ] ces mots dans la col. la fiche gauche supérieure, seule conservée, du f o 1 gauche (=fiche 1/1 du f o, la seule qui soit conservée) ; sur la même fiche encore, un peu plus bas, une correction non retenue 〈à la fin du Plan raisonné〉 F1
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Voir le texte de ce «Plan raisonné» ci-dessous, pp. 439–455. Voir ci-dessus, p. 115.
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Commentaire sur Filangieri
manière dont, en détruisant des erreurs funestes, elle doit soutenir d’une main ce qu’elle abat de l’autre (pag. 6) ; des lois qui doivent s’adapter à l’enfance des nations, suivre les mouvements de leur puberté, attendre leur maturité et prévenir leur décrépitude (ibid.) ; du soin que doit apporter le législateur à fixer les richesses dans l’état et à les distribuer avec équité (p. 11) ; de la protection qu’il faut accorder à l’agriculture sans négliger les arts (pag. 12) ; des moyens de prévenir par les lois l’excès de l’opulence qui entraîne à l’excès de la misère (pag. 15) ; de la distribution légale de l’honneur et de l’infamie, pour agir puissamment sur l’opinion (pag. 18) ; des obstacles qu’il est desirable d’opposer à l’éducation domestique, trop indépendante de la législation, et qui ne doit être tolérée que chez un petit nombre de citoyens (pag. 21) ; de la direction à donner aux talents, du parti que le législateur peut tirer des passions et de la force productive des vertus (ibid.)1. De la sorte, dans cette partie de son système, Fi langieri confère au législateur un empire presque sans bornes sur l’existence humaine, tandis qu’ailleurs il s’élève avec beaucoup de force contre les empiètements de l’autorité. Cette contradiction lui est commune avec un grand nombre d’écrivains que la liberté compte cependant parmi ses plus zélés défenseurs.
V: 7–8 des moyens ... (pag. 15) ] mots ajoutés dans la col. gauche (=fiche 2/3) F1 9 de l’infamie ] de〈s princes〉 l’infamie la lettre «l» récrite sur un signe illis. F1 9–18 sur l’opinion ... l’autorité. ] passage non conservé dans le ms.
1
Montage de citations tirées de SL1, du chapitre «Plan raisonné de l’ouvrage». Voici les textes en cause : «le ton different que doit prendre la legislation chez les différens peuples, ou chez les memes peuples mais dans des temps différens» (p. 5). – «comment, chez un peuple enchaîné pas des erreurs religieuses, il faut soutenir d’une main ce qu’on veut détruire de l’autre» (p. 6). – «comment elles doivent s’adapter à leur enfance, suivre les mouvemens de leur puberté, attendre l’époque favorable de leur maturité, en profiter, et prévenir celle de leur décrépitude et de leur mort» (p. 6). – «Quels seront donc les soins du législateur sur cet objet important? Fixer les richesses de l’état, et les distribuer avec equité» (p. 11). – «Protéger l’agriculture dans un pays agricole, sans négliger les arts» (p. 12). – «De quelle manière peut-il, par son intervention, prévenir l’excès de l’opulence qui d’ordinaire entraîne, à l’excès de la misère ?» (p. 14). – «Nous examinerons pour quels délits il conviendroit et il seroit nécessaire de prescrire la peine d’infamie ; comment cette peine devroit suivre l’opinion publique et non la détruire» (p. 18). – «Puisque les lois ne peuvent diriger que l’éducation publique, et que d’elle seule néanmoins peut naître l’uniformité d’institution, des precepts et des sentimens, elles ne doivent abandonner à l’éducation domestique que le plus petit nombre des citoyens» (pp. 20–21). – «Passant ensuite à la direction des passions, nous ferons l’analyse de la seconde force productive des vertus» (p. 21).
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Pour expliquer cette inconséquence, quelques développements me sont nécessaires, et j’ai besoin d’obtenir de mes lecteurs un peu d’attention. Tous ceux qui ont écrit sur les gouvernements les ont, sans le savoir, envisagés simultanément sous deux points de vue, et les ont jugés, souvent dans la même phrase, tantôt d’après ce qu’ils sont, tantôt d’après ce qu’ils voudroient qu’ils fussent. En jugeant les gouvernements d’après ce qu’ils sont, ces écrivains les ont traités fort sévèrement. Ils ont exposé à la haine et à l’indignation publique les vices, les erreurs, les faux calculs, les intentions malveillantes, l’ignorance obstinée, les passions envieuses des hommes revêtus de la puissance. Mais quand ils ont jugé les gouvernements d’après ce qu’ils voudroient qu’ils fussent, ils se sont exprimés d’une manière toute différente. Leur imagination leur a présenté les gouvernants comme des abstractions, elle en a fait des êtres d’une autre espèce que les gouvernés, et jouissant d’une supériorité incontestable en vertus, en sagesse, en lumières. Ce double mouvement s’explique sans peine, lorsqu’une fois on l’a remarqué. Comme chacun desire que son opinion triomphe, nul ne renonce complè tement à lui procurer l’appui de l’autorité : et l’homme que cette autorité contrarie ne voudroit pas la voir anéantie, mais seulement déplacée. Prenez au hasard quelqu’un de nos philosophes les plus renommés, Mably, par exemple1 ; il consacre six volumes à retracer, l’histoire de France en main, les malheurs des peuples et les crimes du pouvoir. Les faits qu’il recueille et qu’il commente ne nous offrent certes pas les gouvernants comme meilleurs que les gouvernés : et tout esprit juste seroit porté à conclure de ces faits, que l’autorité doit être limitée le plus qu’il est possible, et qu’il faut soustraire à son action malfaisante toute la portion de l’existence humaine dont la nécessité la plus impérieuse n’exige pas l’asservissement. V: 6 voudroient qu’ils fussent ] mots dans l’interl. sup., au-dessus de 〈pourroient être〉 F1 11 voudroient qu’ils fussent ] même corr. que ci-dessus ; mots dans l’interl. sup., au-dessus de 〈pourroient être〉 F1 12–13 comme ... elle en ] idéaux, abstraits, dont F1 17 complètement ] complettement F1 17–18 que ... contrarie ] qu’elle contrarie F1 26 dont la nécessité ] dont 〈l’ordre public n’exige pas〉 la nécessité F1 1
Gabriel Bonnot de Mably (1709–1785), «un des pères du communisme moderne» ; «il commence par défendre le despotisme, tourne en dérision les idées libérales et préconise une autorité indépendante des lois et tempérée seulement par les mœurs. Dans Droit public de l’Europe (1748), il prône la communaute´ des biens et l’égalité des conditions, attaquant la propriété et sa transmission» (article «Mably» du Dictionnaire de l’économie publique publié sous la direction de MM. Ch. Coquelin et Guillaumin, Paris : Guillaumin, 1864). G. Bonnot de Mably, Observations sur l’histoire de France, nouvelle édition, continuée jusqu’au règne de Louis XIV, précédée de l’E´loge historique de l’auteur par M. l’abbé Brizard, Kehl [i. e. Paris] : [Denis Volland], 1788.
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Commentaire sur Filangieri
Mais suivez maintenant Mably dans ses théories. Cette autorité qu’il a trouvée si funeste et si nuisible dans la pratique, il se la figure tout-à-coup bienfaisante, équitable, éclairée : il lui livre l’homme tout entier comme à un protecteur, un tuteur et un guide. La loi, dit-il (et il oublie que la loi ne se fait pas toute seule et qu’elle est l’œuvre des gouvernements), la loi doit s’emparer de nous dès les premiers moments de notre vie, pour nous entourer d’exemples, de préceptes, de récompenses et de châtiments. Elle doit diriger, améliorer, éclairer cette classe nombreuse et ignorante qui, n’ayant pas le temps de l’examen, est condamnée à recevoir les vérités mêmes sur parole et comme des préjugés. Tout le temps où la loi nous abandonne est un temps qu’elle laisse aux passions pour nous tenter, nous séduire et nous subjuguer. La loi doit exciter l’amour du travail, graver dans l’ame de la jeunesse le respect pour la morale, frapper l’imagination par des institutions habilement combinées, pénétrer jusqu’au fond des cœurs pour en arracher les pensées coupables, au lieu de se borner à comprimer les actions nuisibles, prévenir les crimes au lieu de les punir. La loi doit régler nos moindres mouvements, présider à la diffusion des lumières, au développement de l’industrie, au perfectionnement des arts, conduire comme par la main la foule aveugle qu’il faut instruire et la foule corrompue qu’il faut corriger a. a
Je dois prévenir le lecteur que m’étant proposé il y a quelque temps de publier, en une série d’articles, dans un ouvrage périodique, un essai sur les limites que la loi ne doit point franchir, j’avois commencé par établir quelques unes des idées que je développe ici. Il m’eût été impossible de me passer de ces idées qui sont la base de toute ma doctrine ; et j’ai cru pouvoir d’autant mieux les reproduire, que j’ai renoncé de très bonne heure au mode de publication que j’avois adopté avant d’entreprendre ce Commentaire, de sorte que les morceaux déja imprimés sont en très petit nombre, et que leur rédaction a été considérablement modifiée1.
V: 7 préceptes ] préceptes ce mot dans l’interl. sup. au-dessus de 〈pretextes〉 F1 20–27 Je dois ... modifié. ] Note Je dois ... modifiée. la note, barrée par cinq grands traits, se trouve dans la col. gauche (fiches 6/1 et 6/3) ; la note est suivie d’une autre note, indiquée par une croix, qui n’a pas été reproduite dans l’imprimé et qui n’est pas appelée dans le ms. par le signe correspondant Note Idées sur la souveraineté, l’autorité sociale & les droits individuels. F1 1
BC renvoie ici à une série d’articles, divisés en chapitres, qu’il a fait paraître anonymement sous le titre «Idées sur la souveraineté, l’autorité sociale, et les droits individuels» dans les Lettres normandes, ou correspondance politique et littéraire, t. XI, 92e livraison, 14 juillet 1820, pp. 49–53 ; 93e livraison, 25 juillet 1820, pp. 97–105 ; 94e livraison, 5 août 1820, pp. 145–152 ; 95e livraison, 17 août 1820, pp. 193–204 ; 97e livraison, 11 septembre 1820, pp. 289–295. C’est tout ce qui a paru. L’attribution de ces articles à BC ne fait pas de doute. Les recoupements textuels avec les Principes de politique (texte de 1806) sont incontestables et la formule «l’autorité sociale» est quasiment une signature, une tournure qui n’appartient qu’à BC. F1 contient en outre une note non utilisée qui reproduit le titre des articles (voir la variante aux lignes 20–27 ci-dessus). Ce qu’il dit ici décrit exactement le mode de publication choisi, à savoir l’anonymat et la série continue. La raison de l’interruption de
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Qui ne croiroit, en lisant tout ce que la loi doit faire, qu’elle descend du ciel, pure et infaillible, sans avoir besoin de recourir à des intermédiaires, dont les erreurs la faussent, dont les calculs personnels la défigurent, dont les vices la souillent et la pervertissent. Mais s’il n’en est pas ainsi, si la loi est l’ouvrage des hommes, si elle est empreinte de leurs imperfections, de leurs foiblesses et de leur perversité, qui ne sent que l’ouvrage ne mérite pas plus de confiance que ses auteurs, et qu’eux-mêmes n’ont pas droit à nous en inspirer davantage sous un titre que sous un autre. Nous les redoutons comme gouvernants, parcequ’ils sont despotes ; nous les redoutons comme peuples, parcequ’ils sont ignorants et aveugles. Un changement de nom ne change point leur nature. Il me semble que voilà d’assez fortes raisons pour nous défier d’eux, lors même qu’ils trouvent convenable de s’intituler législateurs. Je l’ai dit, il y a long-temps a, et je le répète : une terminologie abstraite et obscure a fait illusion aux publicistes. L’on diroit qu’ils ont été dupes des verbes impersonnels dont ils se servoient ; ils ont cru dire quelque chose en disant : Il faut diriger l’opinion des hommes ; on ne doit pas abandonner les hommes aux divagations de leur esprit. Il faut influer sur la pensée. Il y a des opinions dont on peut tirer utilement parti pour tromper les hommes. Mais ces mots : Il faut, on doit, on ne doit pas, ne se rapportent-ils pas à des hommes ? On croiroit qu’il s’agit d’une espèce différente. Cependant toutes ces phrases qui nous en imposent se réduisent à dire : Les hommes doivent diriger les opinions des hommes ; les hommes ne doivent pas abandonner les hommes à leurs propres divagations. Il y a des opinions dont les hommes peuvent tirer parti pour tromper les hommes. Les verbes impersonnels semblent avoir persuadé à nos philosophes qu’il y avoit autre chose que des hommes dans les gouvernants. a
Des Constitutions et des Garanties. 18141.
V: 5 est empreinte ] ces mots récrits sur deux mots illis. F1 7 que ses ] que 〈les〉 [ses] ce dernier mot était le premier mot de la fiche 7/2 qui est perdue F1 7–14 ses auteurs ... ré(pète) ] passage non conservé dans le ms. 22-p. 136.25 ces phrases ... à la vie ] passage non conservé dans le ms. TR: 14–27 Je l’ai dit ... gouvernants. ] Réflexions sur les constitutions et les garanties, chap. VIII, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1050 et 1145. «Idées sur la souveraineté», Lettres normandes, no 93, 1820, p. 103. Principes de politique, Livre III, chap. 3, OCBC, Œuvres, t. V, p. 167.
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la publication ne ressort pas de cette note. Mais rappelons que les Lettres normandes cessent de paraître en 1820. BC cite ici un passage des Réflexions sur les constitutions et les garanties. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1050 et 1145, où ce texte apparaît une première fois. Nous savons maintenant que la formulation a été trouvée avant 1806. L’argument linguistique est pertinent.
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Commentaire sur Filangieri
Il est assurément loin de ma pensée de vouloir affoiblir le respect dû à la loi, quand elle s’applique aux objets qui sont de sa compétence. Je les indiquerai dans quelques instants. Mais prétendre, comme Mably, Filangieri et tant d’autres, étendre sur tous les objets la compétence de la loi, c’est organiser la tyrannie, et revenir, après beaucoup de déclamations oiseuses, à l’état d’esclavage dont on espéroit se délivrer ; c’est soumettre de nouveau les hommes à une force illimitée, également dangereuse, soit qu’on l’appelle de son vrai nom, qui est despotisme, soit qu’on la pare d’une appellation plus douce, celle de législation. Je rejette donc toute cette partie du système de Filangieri, dont, au reste, il s’écarte lui-même dès qu’il aborde les détails. La législation comme le gouvernement n’a que deux objets : le premier, de prévenir les désordres intérieurs ; le second, de repousser les invasions étrangères. Tout est usurpation par-delà cette borne. La législation n’a donc point à prendre un ton différent chez les différents peuples ou chez les mêmes peuples en différents temps1 : car dans tous les temps, les délits réels, c’est-à-dire les actes qui nuisent à autrui, doivent être réprimés, et ceux qui ne nuisent à personne ne doivent pas l’être. La législation ne doit point s’occuper à détruire les erreurs, ni, quand elle détruit les erreurs, à soutenir d’une main ce qu’elle abat de l’autre. Car les erreurs ne doivent se détruire que d’elles-mêmes, et c’est ainsi seulement qu’elles se détruisent par l’examen et par l’expérience ; la législation n’a rien à y voir. Il ne sauroit être question de lois qui s’adaptent à l’enfance des nations, à leur puberté, à leur maturité, à leur décrépitude, parcequ’encore une fois, dans l’enfance comme dans la puberté, la maturité ou la décrépitude des peuples, les attentats à la vie, à la propriété, à la sûreté, sont des crimes et doivent être punis. Tout le reste doit demeurer libre. D’ailleurs quand une nation est dans l’enfance, ses législateurs sont dans l’enfance. Le titre de législateur ne confère point de privilège intellectuel a. La législation ne doit point chercher à fixer les richesa
Je prie le lecteur de remarquer que je ne blâme point le fond de l’idée de Filangieri, dans ce qui a rapport à la proportion qui doit exister entre les lois d’un peuple et l’état de l’opinion, des lumières et de la civilisation chez ce peuple. Cette proportion est certainement indispensable : mais Filangieri dans ses métaphores paroît toujours attribuer au législateur le don de juger et de déterminer cette proportion. C’est là que l’erreur réside : c’est contre l’hypothèse d’une classe douée miraculeusement d’une sagacité surnaturelle, hors de proportion ellemême avec les nations comtemporaines, que je m’élève de toutes mes forces. Cette hypothèse sert d’apologie à toutes les oppressions ; elle justifie tantôt le refus des améliorations les plus opportunes, tantôt la tentative d’améliorations ou d’innovations prématurées qui ne
V: 30-p. 137.35 Je prie ... abroger. ] texte de la note dans la col. gauche, fiches 10/1 et 10/3 F1 1
Les quatre citations qui suivent se trouvent dans le Commentaire, ci-dessus, pp. 131–132.
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Chapitre I,7 – De l’influence que Filangieri attribue à la législation 1,43
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ses dans l’état et à les distribuer avec équité. Les richesses se fixent dans un état quand il y a liberté et sécurité ; et pour qu’il y ait ces deux choses, il suffit de la répression des crimes. Les richesses se distribuent et se répartissent d’elles-mêmes dans un parfait équilibre, quand la division des propriétés n’est pas gênée et que l’exercice de l’industrie ne rencontre point d’entraves. Or ce qui peut arriver de plus favorable à l’une et à l’autre, c’est la neutralité, le silence de la loi. La législation (je l’ai dit ailleurs chap. III1) n’a point à protéger l’agriculture2. L’agriculture est efficacement protégée, quand toutes les classes ont leurs garanties et sont à l’abri des vexations. La loi n’a point à prévenir l’excès de l’opulence, parceque cet excès ne s’introduit chez les peuples que lorsque la loi le sollicite et en quelque sorte l’appelle. C’est d’ordinaire à l’aide des lois, des institutions, des privilèges héréditaires, que les fortunes colossales se forment et se maintiennent. Ensuite on fait des lois pour s’opposer à leur accroissement immodéré, et c’est encore un mal. Abrogez les lois qui les favorisent, vous n’aurez pas besoin de lois qui les répriment. Ce sera un double avantage. Car les premières vexent et avilissent le pauvre, les secondes gênent et corrompent le riche. Les premières arment les diverses classes de citoyens les uns contre les autres : les secondes arment contre les institutions la classe de citoyens qui sert d’exemple au reste. La distribution de l’honneur et de l’infamie est exclusivement du ressort de l’opinion. Quand la loi veut y intervenir, l’opinion se cabre et annulle les arrêts législatifs. L’éducation appartient aux pa rents, auxquels par la nature les enfants sont confiés. Si ces parents préfèrent l’éducation domestique, la loi ne peut s’y opposer sans être usurpatrice. Enfin les talents n’ont pas besoin que la loi leur donne une direction. Les passions doivent être réprimées quand elles entraînent des actions sont que des fléaux. C’est sous ce prétexte qu’aujourd’hui les chefs des nations s’opposent à la restitution des droits qu’elles réclament et à la destruction des abus dont elles s’indignent : et il y a cent ans que dans un sens contraire, sous ce même prétexte, Pierre Ier tourmentoit les Russes ; il y en a cinquante que le marquis de Pombal courboit les Portugais sous un joug de fer ; il y en a quarante que Joseph II mécontentoit la Bohême, la Belgique, l’Autriche et la Hongrie3. Nul doute que la proportion entre les lois et les idées populaires ne soit nécessaire ; mais pour établir cette proportion, c’est à la liberte´ qu’il faut recourir, et la plupart du temps ce ne sont pas des lois qu’il faut faire, ce sont des lois qu’il faut abroger. V: 5–22 n’est pas ... arrêts ] ce passage n’est pas conservé dans le ms. Il aurait dû se trouver sur la fiche 10/4, perdue, ce qui est impossible. BC a sans doute ajouté une feuille ou collé un papillon F1 1 2 3
Voir ci-dessus, p. 119. Montage de plusieurs citations, partiellement simplifiées, du Commentaire. Voir ci-dessous, pp. 131–132. Encore deux exemples récurrents chez BC. Voir OCBC, Œuvres, t. V, p. 586, n. 1 et 2, p. 587, n. 1.
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8. Le folio 11 et dernier du chapitre 7 de la Première Partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Le folio est reconstitué à partir de quatre fragments du PDQXVFULWVXU¿FKHV&RG¶XQ/LYUH IV, „Du prétendu Théisme des peuples soumis aux prêtres“ de l’ouvrage sur la religion. On reconnaît l’ancienne numérotation du folio, et, dans la colonne de gauche, le texte d’un rajout important rédigé après la première mouture de ce chapitre. Bibliothèque Cantonale et Universitaire, Lausanne, Co 3278, fos 92vo, 137vo, 90vo et 136vo.
Chapitre I,7 – De l’influence que Filangieri attribue à la législation
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contraires à l’ordre public : mais la loi ne doit se mêler ni de les faire naître ni d’en tirer parti : et la force productrice des vertus, ce n’est point la loi, mais la liberté. Toutes les expressions de Filangieri dans cette analyse de son livre et dans plusieurs parties de ce livre même, sont essentiellement vagues et impropres : c’est là le grand défaut de l’ouvrage. On s’aperçoit clairement que les idées de l’auteur n’étoient pas assez fixées. Il avoit entrevu que presque tous les obstacles au bonheur des hommes et au développement de leurs facultés venoient des mesures mêmes que les gouvernements prennent sous prétexte de seconder ce développement et d’assurer ce bonheur ; mais il ne s’étoit point suffisamment convaincu que ces obstacles ne seroient pas levés par d’autres mesures des gouvernements, mais par l’absence de toutes mesures positives ; et en relevant avec justesse les inconvénients de ce qui existoit, il a sans cesse employé des expressions qui impliquent une action directe. Ce vice de rédaction empêche l’ouvrage d’avoir un résultat décidé, et le lecteur d’arriver à ce résultat que tous les faits confirment. Ce résultat, c’est que les fonctions du gouvernement sont purement négatives. Il doit réprimer les désor dres, écarter les obstacles, empêcher en un mot que le mal n’ait lieu. On peut ensuite s’en fier aux individus pour trouver le bien. Je reviendrai sur chacun des objets qui sont sommairement indiqués ici, quand les chapitres de Filangieri m’y ramèneront successivement. J’ai dû seulement énoncer la vérité fondamentale : et l’on verra que l’examen de chaque question particulière ne fera qu’entourer cette vérité de plus d’évidence.
V: 4–19 Toutes les ... le bien. ] passage inscrit dans la col. gauche, fiches 11/1 et 11/3 F1 6 s’aperçoit ] s’aperçoit dans l’interl. sup., au-dessus de 〈voit〉 F1 11 ne seroient ] ne ajouté dans l’interl. sup. seroient F1 16 lecteur d’arriver ] lecteur 〈de partir du point auquel tous les faits illis〉 d’arriver F1 17–18 du gouvernement ... empêcher ] du gouvernement 〈sont purement négatives. il doit〉 se bornent à ces trois derniers mots dans l’espace libre de la fiche 11/4 réprimer les désordres, à ce mot dans l’interl. écarter les obstacles, à ce mot dans l’interl. empêcher F1 20 des objets ... ici, ] 〈de ces〉 des dans l’interl. sup objets qui ... ici, à partir du mot «qui» dans l’interl. sup. F1 22 énoncer la ] énoncer 〈ici〉 la F1
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Commentaire sur Filangieri
Chapitre VIII. De l’état de nature, de la formation de la société, et du but véritable des associations humaines.
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«Je me garde bien de supposer un état de nature antérieur à la société ... La société est née avec
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l’homme : mais cette société primitive étoit bien différente de la société civile ... Il falloit, de toutes les forces particulières, composer une force publique, qui fût supérieure à chacune d’elles ... et qui eût le pouvoir de placer, d’une manière im-
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muable, dans la main des hommes, l’instrument de leur conservation et de leur tranquillité.» Liv. I, chap. I, p. 431.
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L’on doit savoir gré à Filangieri d’avoir écarté de ses recherches les questions relatives à l’état primitif de l’homme. Les écrivains du dix-huitième siècle avoient mis ces questions fort à la mode, mais elles sont à-la-fois insolubles et oiseuses. Il y a dans l’histoire de toutes les origines des faits primordiaux dont on ne doit pas plus rechercher la cause que celle de l’existence. L’existence est un fait qu’il faut admettre sans vouloir l’expliquer. Toute tentative d’explication nous reporte à cette difficulté triviale et burlesque, mais qui n’en défie pas moins le raisonnement : La poule a-t-elle précédé l’œuf, ou l’œuf a-t-il précédé la poule ? Le seul philosophe qui se soit exprimé sensément sur cette matière est celui qui a dit : Nous suivons ceux qui nous précèdent et nous précédons ceux qui nous suivent. Il en est du mode d’existence de chaque espèce d’êtres comme de l’existence ellemême. Ce mode est aussi un fait primordial, une loi de la nature ; les hommes religieux peuvent l’attribuer à la volonté du créateur, les incrédules à la nécessité ; mais ce fait n’est point explicable, comme le sont les autres phénomènes, par la succession des causes et des effets. V: 1–10 Chapitre VIII. ... d’une manière ] passage non conservé dans le ms. 14 de ses recherches ] mots ajoutés dans l’interl. sup. F1 15–17 l’homme. ... oiseuses. ] l’homme, 〈questions que〉 les 〈philosophes〉 écrivains ce dernier mot dans l’interl. sup. du dix-huitième siècle avaient mis ces questions ces deux derniers mots dans l’interl. sup. fort à la mode, 〈& qui〉 mais elles interl. sup. sont à la fois les quatre derniers mots dans l’interl. sup. insolubles ce mot récrit sur un mot illis. & 〈par conséquent〉 oiseuses. F1 22–24 Le seul ... suivent ] passage ajouté dans la col. gauche, fiche 2/1 F1 28–29 mais ... des effets. ] mais 〈qui〉 elle 1
SL1, livre I, chap. I, pp. 42, 44, 46, 47.
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Chapitre I,8 – De l’état de nature, de la formation de la société
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L’homme n’est point sociable parcequ’il est foible : car il y a des animaux plus foibles qui ne sont point sociables. Il ne vit point en société, parcequ’il a calculé les avantages que la société lui procureroit : car pour calculer ces avantages, il eût fallu qu’il connût déja la société. Il y a dans tout cela cercle vicieux et pétition de principe. L’homme est sociable parcequ’il est homme, comme le loup est insociable parcequ’il est loup. Autant vaudroit rechercher pourquoi le premier marche sur deux jambes et le second sur quatre. Filangieri a donc eu raison de prendre pour base l’existence de la société, et de partir de ce premier fait pour examiner comment la société doit être constituée, quel est son but, et quels sont ses moyens d’atteindre ce but. Sa définition du but de la société est assez exacte : c’est la conservation et la tranquillité. Mais ici l’auteur s’arrête et ne tire pas de ce principe les conséquences qui doivent en découler. Si le but de la société est la conservation et la tranquillité de ses membres, tout ce qui est nécessaire pour que cette conservation soit garantie et que cette tranquillité ne soit pas troublée, est du ressort de la législation : car la législation n’est autre chose que l’effort de la société pour remplir les conditions de son existence. Mais tout ce qui n’est pas nécessaire à la garantie de la conservation et au maintien de la tranquillité est hors de la sphère sociale et législative. Maintenant deux choses sont indispensables à la conservation et à la tranquillité des sociétés : l’une, que l’association soit à l’abri des désordres intérieurs ; l’autre, qu’elle soit à couvert des invasions étrangères. Il est donc du ressort de la société de réprimer ces désordres et de repousser ces invasions. Ainsi la législation doit punir les crimes, organiser une force armée contre les ennemis extérieurs, et imposer aux individus le sacrifice d’une portion de leur propriété particulière pour subvenir aux dépenses de V: ce mot dans l’interl. sup. n’est point explicable comme le sont ces deux derniers mots ajoutés dans l’interl. les autres 〈effets, aux causes desquels notre intelligence a la faculté de remonter.〉 phénomènes par la succession des causes à des effets. les neuf derniers mots ajoutés dans l’interl sup. au-dessus des mots biffés F1 8 quatre. ] suit encore, biffée, la phrase ajoutée ci-dessus dans la col. gauche ; voir la variante à la p. précédente, lignes 28–29 F1 9 eu raison ] 〈bien fait〉 eu raison la correction dans l’interl. au-dessus des mots biffés F1 16 conservation ] 〈tranquillité〉 conservation la corr. dans l’interl. sup. F1 20 maintien ] maintien 〈tien〉 (?) F1 25–26 société de ... invasions. Ainsi ] société de 〈veiller par la législation à la〉 réprimer ce dernier mot récrit sur «repression» 〈de〉 ces désordres & à 〈la résistance contre〉 repousser ces invasions. 〈Pour cet effet〉 Ainsi F1 TR: 22-p. 142.21 Maintenant ... seroit fait. ] Principes de politique, Livre OCBC, Œuvres, t. V, p. 145.
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chap. 5,
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Commentaire sur Filangieri
ces deux objets. Châtiment des délits, résistance aux agressions, telle est la sphère de la législation dans les limites du nécessaire. Il faut même distinguer deux espèces de délits, les actions nuisibles en elles-mêmes, et les actions qui ne sont nuisibles que comme violations d’engagements contractés. La juridiction de la législation sur les premières est absolue. Elle n’est que relative à l’égard des secondes. Elle dépend et de la nature de l’engagement, et de la réclamation de l’individu lésé. Lors même que la victime d’un assassinat ou d’un vol voudroit pardonner au coupable, la législation devroit le punir, parceque l’action commise est nuisible par son essence. Mais lorsque la rupture d’un engagement est consentie par toutes les parties contractantes ou intéressées, la législation n’a pas le droit d’en prolonger de force l’exécution, comme elle n’a pas le droit de la dissoudre sur la demande d’une seule des parties. Il est évident que la juridiction de la législation ne peut rester en-deçà de ces bornes, mais qu’elle peut s’arrêter là. L’on ne sauroit concevoir un peuple chez lequel les crimes individuels demeureroient impunis, et qui n’auroit préparé aucun moyen de résister aux attaques qu’entreprendroient contre lui les nations étrangères. Mais on en concevroit facilement un dont le gouvernement n’auroit d’autre mission que de veiller à ces deux objets : l’existence des individus et celle de la société seroient parfaitement assurées. Le nécessaire seroit fait. Dans plusieurs parties de son livre, Filangieri paroît avoir eu l’instinct de cette vérité ; mais il ne l’établit nulle part assez clairement. Il laisse subsister dans toutes ses expressions un vague qui peut être et qui, en effet, a de tout temps été la source de beaucoup d’abus. Pour nous en convaincre relisons le paragraphe entier consacré à expliquer, comme le dit l’auteur, l’origine et le motif de la société civile, l’origine et le motif des lois, et par conséquent l’objet unique et universel de la législation1. «Il falloit, de toutes les forces particulières, composer une force publique qui fût supérieure à chacune d’elles. Il falloit donner l’être à une personne morale dont la volonté représentât toutes les volontés : dont la force fût V: 3 actions ] actions 〈essentiellement〉 F1 11 législation ] récrit sur un mot illis. F1 15 sauroit ] 〈pourroit〉 sauroit F1 17 résister ... qu’entreprendroient ] résist〈ance〉er aux attaques 〈que pourroient entreprendre〉 qu’entreprendroient F1 18 on en concevroit facilement ] on 〈pourroit〉 en concevroit ces deux mots dans l’interl. sup. facilement 〈en concevoir〉 F1 21 fait. ] fait. suit une croix et dans la col. gauche, fiche 6/1, une note non reprise dans l’imprimé Note Idées sur la souveraineté, l’autorité sociale & les droits individuels. F1 26 l’auteur, ] l’auteur, 〈le motif〉 F1 1
Adaptation du titre de SL1, livre I, chap. I, p. 41 : «Objet unique et universel de la Législation, déduit de l’origine de la société civile».
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l’assemblage de toutes les forces ; et qui, dirigée par la raison publique, in terprétât la loi naturelle, en développât les principes, fixât les droits, réglât les devoirs, prescrivît les obligations de chaque individu envers la société et envers les membres qui la composent ; établît au milieu des citoyens une mesure qui fût tout à-la-fois et la règle de leurs actions et la base de leur sûreté ; qui sût créer et conserver, pour le maintien de l’ordre, l’équilibre entre les besoins et les moyens de les remplir ; qui eût enfin le pouvoir de placer d’une manière immuable, dans la main des hommes, l’instrument de leur conservation et de leur tranquillité, seuls objets pour lesquels ils avoient fait le sacrifice de l’indépendance primitive1.» Sans doute, en interprétant chaque expression de Filangieri, il est possible de prouver qu’il restreint la compétence de la législation dans ses justes bornes : mais on pourroit aussi par une interprétation différente étendre cette compétence à tous les objets. Si la législation est une personne morale dont la volonté représente toujours toutes les volontés, il en résulte que toutes les volontés ainsi représentées n’ont plus d’existence particulière qui leur appartienne. Si c’est la législation qui interprête la loi naturelle, ce n’est plus qu’à travers cette législation, qui est pourtant une chose convenue et factice, que l’homme peut connoître la nature. Un silence éternel est imposé au sentiment intérieur que cette nature lui avoit donné pour guide. Si c’est la législation qui fixe les droits de chaque individu, les indi vidus n’ont plus que les droits que la législation veut bien leur laisser. Conçu de la sorte, le système de Filangieri ne diffère en rien de celui de Rousseau que j’ai combattu dans un autre ouvrage et dont je crois avoir démontré les terribles conséquences et les incalculables dangers a. La législation, suivant Filangieri, comme la société, suivant Jean-Jacques, seroit une puissance illimitée, despotique, au profit de laquelle tout l’être individuel se trouveroit aliéné. On ne sauroit s’élever avec trop de force et de persistance contre cette doctrine. Je ne reproduirai point ici la série de raisonnements dont j’ai fait a
Cours de politique constitutionnelle, tom. I, part. I, p. 173–1762.
V: 9-p. 144.17 tranquillité, ... peu im(porte) ] passage non conserve´ dans le ms. 1
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BC revient ici au texte qu’on trouve dans la devise du chapitre (SL1, livre I, chap. I, pp. 46–47). Il s’agit chez Filangieri d’une citation de Samuel Pufendorf, De iure naturæ et gentium, cum integris commentariis virorum clarissimorum Jo. Nicolai Hertii atque Joannis Bonbeyraci, Francoforti & Lipsiæ : ex officina Knochiana, 1744, livre I, chap. 1, p. 13. BC renvoie ici à la note A de la seconde édition des Réflexions sur les constitutions et les garanties, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1161–1172. Mais il ne la cite pas entièrement. Nous supposons qu’il s’agit d’une faute d’impression (173–176 pour 173–196).
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usage dans l’ouvrage que j’ai rappelé tout-à-l’heure. Je me bornerai à en rappeler les conclusions. Il y a une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de droit hors de toute compétence sociale ou législative. L’autorité de la société et par conséquent de la législation n’existe que d’une manière relative et limitée : au point où commence l’indépendance de l’existence individuelle, s’arrête l’autorité de la législation ; et si la législation franchit cette ligne, elle est usurpatrice. Dans la portion de l’existence humaine qui doit rester indépendante de la législation, résident les droits individuels, droits auxquels la législation ne doit jamais toucher, droits sur lesquels la société n’a point de juridiction, droits qu’elle ne peut envahir sans se rendre aussi coupable de tyrannie que le despote qui n’a pour titre que le glaive exterminateur. La légitimité de l’autorité dépend de son objet aussi-bien que de sa source. Lorsque cette autorité s’étend sur des objets qui sont hors de sa sphère, elle devient illégitime. Quand la législation porte une main attentatoire sur la partie de l’existence humaine qui n’est pas de son ressort, peu importe de quelle source elle se dit émanée, peu importe qu’elle soit l’ouvrage d’un seul homme ou d’une nation. Elle proviendroit de la nation entière, moins le citoyen qu’elle vexe, que ses actes n’en seroient pas plus légaux. Il y a des actes que rien ne peut revêtir du caractère de loi. «L’on a défini» (j’emprunte cette remarque qui est juste et profonde à un écrivain dont le nom m’est échappé1) «l’on a défini les lois l’expression de la volonté générale : c’est une définition très fausse. Les lois sont la déclaration des relations des hommes entre eux. Au moment où la société existe, il s’établit entre les hommes de certaines relations. Ces relations sont conformes à leur nature, car si elles n’étoient pas conformes à leur nature elles ne s’établiroient pas. Ces lois ne sont autre chose que ces relations observées et exprimées : elles ne sont pas la cause de ces relations qui au contraire leur sont antérieures. Elles déclarent que ces relations existent. Elles sont la déclaration d’un fait. Elles ne créent, ne déterminent, n’instiV: 19 proviendroit de ] 〈resort〉 proviendroit de la corr. dans l’interl. sup., f o 9/3 F1 21 loi. ] suit un appel de note et le texte de celle-ci Note Cours de politique fo 9/3 F1 22-p. 145.6 «L’on a défini ... chose qu’une ] passage non conservé dans le ms. TR: 3–16 Il y a ... illégitime. ] Principes de politique, Livre II, chap. 1, OCBC, Œuvres, t. V, p. 133. 16–20 Quand ... pas plus légaux. ] Principes de politique, Livre II, chap. 1, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 134–135. 22-p. 145.12 «L’on a défini ... de ces lois.« ] Principes de politique, Livre IV, chap. 1, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 177–178. 1
Nous n’avons ni réussi à identifier l’auteur ni à localiser le texte.
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tuent rien, sinon des formes pour garantir ce qui existoit avant leur institution. Il s’ensuit qu’aucun homme, aucune fraction de la société, ni même la société entière ne peut, à proprement parler et dans un sens absolu, s’attribuer le droit de faire des lois : les lois n’étant que l’expression des relations qui existent entre les hommes, et ces relations précédant les lois, une loi nouvelle n’est autre chose qu’une déclaration qui n’avoit pas encore été faite de ce qui existoit antérieurement. La loi n’est donc point à la disposition du législateur. Elle n’est point une œuvre spontanée. Le législateur est pour l’univers moral ce qu’est le physicien pour l’univers matériel. Newton lui-même n’a pu que l’observer et nous déclarer les lois qu’il reconnoissoit ou croyoit reconnoître. Il ne s’imaginoit pas sans doute qu’il fût le créateur de ces lois1.» Ainsi que je l’ai observé plus haut, Filangieri, dans le cours de son livre, se rapproche fréquemment de ces principes, mais il ne les énonce jamais positivement ; et nous le verrons même, dans plus d’un chapitre, accorder a` la législation une étendue de compétence à laquelle il semble n’assigner aucune borne. Je prouverai dans mes développements ultérieurs, que la doctrine que j’établis n’a nul danger pour le bon ordre ; que le gouvernement, renfermé dans ses limites légitimes, n’en est pas moins fort, et n’en atteint que plus sûrement son but ; qu’en lui permettant de franchir ces limites, on l’affoiblit et le compromet ; que les droits individuels, dans toute leur latitude et leur inviolabilité, ne sont jamais en opposition avec les justes droits des assoV: 6–7 déclaration ... antérieurement. ] déclaration 〈nouvelle〉 qui n’avoit pas encore été faite ces six derniers mots dans l’interl. sup. de ce qui existoit 〈précédemment〉 antérieurement. le dernier mot dans l’interl. F1 9–10 est pour ... matériel. ] est pour 〈la nature morale〉 〈l’ordre social〉 cette correction dans l’interl. au-dessus des mots biffés [l’univers moral] les mots entre crochets carrés, appelés par une croix, se trouvaient sans doute dans la col. gauche, fiche 11/1 perdue, ce qu’est le Physicien pour 〈la matière physique〉 [l’univers matériel.] les mots entre crochets carrés, appelés par une double croix, se trouvaient sans doute dans la col. gauche, fiche 11/1 perdue F1 13 dans le cours ] dans 〈plusieurs〉 le cours F1 17 borne. ] borne. 〈J’[...] cru de composer clairement l’expérience fondamentale pour prevenir [...] toutes les fois qu[...] application [...] nécessaire.〉 F1 18 Je prouverai ... que ] 〈En [...]ant〉 je prouverai dans mes développemens ultérieurs, les quatre derniers mots dans l’interl. que F1 19-p. 146.7 (gou)vernement ... sensibles. ] passage non conservé dans le ms. 1
BC revient à plusieurs reprises à cette observation ; dans les Principes de politique, outre le passage indiqué ci-dessus dans l’apparat TR, dans le livre II, chap. 2, pp. 137–138. Hofmann pense (Principes de politique, p. 522, n. 17) que BC attaque l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme, ce qui est possible. On pourrait également renvoyer à Philippe-Antoine Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, quatrième édition, Paris : Garnery, 1808, t. VII, p. 531.
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ciations sur leurs membres ; et que le repos et le bonheur de tous est mieux garanti par l’indépendance de chacun dans tout ce qui ne nuit pas aux autres, que par toutes les tentatives ouvertes ou déguisées, violentes ou équivoques, réitérées sans cesse par l’autorité et consacrées malheureusement par des philosophes à vue courte, pour doter la société, c’est-à-dire, un être abstrait et fictif, aux dépens des individus, c’est-à-dire, des seuls êtres réels et sensibles.
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«Rien n’est plus facile que de commettre une erreur en législation : mais il n’en est point de plus fatale aux peuples ; il n’en est point de plus dan-
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gereuse à guérir. La perte d’une province et tous les mauvais succès d’une guerre sont des malheurs de peu de durée. Un seul instant de prospérité, une victoire d’un jour, réparent quelquefois les pertes de plusieurs années ; mais une erreur de
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politique ou de législation est la source inépuisable d’un siècle de maux, et son influence destructive s’étend jusqu’aux siècles à venir.» Liv. I, chap. III, p. 531.
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De ce qu’il est si facile de commettre des erreurs en législation, et de ce que les erreurs de ce genre sont mille fois plus funestes que toutes les autres calamités, il résulte, ce me semble, qu’il faut diminuer, autant qu’il est possible, les chances de ces erreurs. Si, pour diminuer ces chances, les hommes sont réduits à sacrifier une portion des avantages qu’ils espéroient obtenir de l’action des lois, il faut qu’ils se résignent à ce sacrifice, pourvu qu’il n’entraîne pas la destruction de l’état social ; et l’on doit consentir à ce que les lois fassent peut-être un peu moins de bien, pour être assuré qu’elles causeront beaucoup moins de mal. En renfermant leur intervention dans des limites aussi étroites que le comporte la sûreté publique, l’on atteint ce but : moins le législateur aura l’occasion d’agir, moins il sera exposé à se tromper. Le marquis de Mirabeau, dans le premier chapitre de l’Ami des hommes, établit une distinction très juste entre les lois positives et les lois spéculaV: 9 jour, ] jour 〈peut〉 F1 11–22 (iné)puisable ... bien, pour ] passage non conservé dans le ms. 23 mal. ] récrit sur mal〈heur〉 (?) F1 24 intervention ] au-dessus de 〈action〉 F1 TR: 27-p. 150.21 Le marquis ... contrarier. ] Principes de politique, Livre OCBC, Œuvres, t. V, pp. 165–167. 1
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SL1, livre I, chap. III, pp. 53–54. Filangieri écrit : «une erreur de politique et de legislation».
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Commentaire sur Filangieri
tives1. Les lois positives, dit-il, se bornent au maintien ; les lois spéculatives embrassent la direction. Il ne tire point de cette distinction des conséquences étendues. Son objet n’étoit point de fixer les limites de la législation, et bien que, dans le reste de son livre, il soit conduit sans cesse, par la force des choses, à restreindre de fait les fonctions spéculatives des législateurs et des gouvernants, il admet néanmoins qu’elles sont de droit, et s’efforce seulement d’indiquer comment elles peuvent être utilement et avantageusement exercées. Mon but est différent ; mais j’adopterai la même distinction pour la suivre jusqu’au terme de ses résultats incontestables. Lorsque le gouvernement ou la législation punissent une action nuisible ; lorsqu’ils répriment la violation d’un engagement contracté, ils remplissent une fonction positive ; lorsqu’ils sévissent contre une action qui n’est pas nuisible, sous prétexte qu’elle pourroit mener indirectement à une action qui le seroit ; lorsqu’ils imposent aux individus de certaines obligations ou règles de conduite, qui ne font point partie nécessaire des engagements contractés par ces individus ; lorsqu’ils gênent la disposition de la propriéte´ ou l’exercice de l’industrie ; lorsqu’ils cherchent à dominer l’opinion, soit par des châtiments ou des récompenses, soit en s’emparant de l’éducation, ils s’arrogent une fonction spéculative. V: 13-p. 149.26 positive ... de la propriété ] passage non conservé dans le ms. 1
Il s’agit de Victor Riqueti, marquis de Mirabeau (1715–1788), le père du grand orateur de la Constituante et, après sa conversion à la physiocratie, le «fils» spirituel de Quesnay. Ancien militaire, propriétaire foncier, il avait, avant cette conversion, publié en 1756 un grand ouvrage agrarien, L’Ami des hommes (d’où son surnom), qui eut beaucoup de succès. Constant lui emprunte la distinction essentielle entre lois positives et lois spéculatives. Pour la citation, voir L’Ami des hommes, ou Traité de la population, nouvelle édition corrigée, Avignon [i. e. Paris] : Herissant, 1758, t. IV, p. 16. On consultera Deux chapitres inédits de l’Esprit des Religions (1803–1804) : Des Rapports de la morale avec les croyances religieuses et De l’Intervention de l’autorité dans ce qui a rapport à la religion, introduction et notes de Patrice Thompson, Neuchâtel : Recueil des travaux publiés par la Faculté des Lettres et Genève : Droz, 1970, p. 208. Puisque la distinction entre les deux types de loi est d’une importance fondamentale pour la doctrine de BC, nous reproduisons ici la note que nous avons accrochée à ce texte dans les Principes de politique (OCBC, Œuvres, t. V, p. 165, n. 2) : La théorie esquissée ici à partir d’une observation de Mirabeau (L’Ami des hommes, chap. 1) est d’une importance capitale pour la doctrine libérale de BC. Les lois dites spéculatives correspondent effectivement a` une pratique qui prendra une place de plus en plus grande dans les États modernes où elle développera un dynamisme étonnant dans la vie des sociétés qui cherchent par la politique économique à réaliser l’idée de la «justice sociale» ou d’autres objectifs d’importance pour l’organisation de la communauté. BC souligne les risques d’un dirigisme forcément idéologique. Le sujet est d’une importance fondamentale et le passage qu’on lit dans ce chap. 3 des Principes de politique n’est que la rédaction provisoire d’une réflexion sur les bases d’un système.
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Le législateur, dans ses fonctions positives, n’agit point d’une manière spontanée. Il réagit contre des faits, contre des actions antécédentes, qui ont eu lieu indépendamment de sa volonté. Mais dans ses fonctions spéculatives, il n’a point à réagir contre des faits, contre des actions commises, mais à prévoir des actions futures. Il agit donc spontanément, son action est le produit de sa volonté. Les fonctions positives du législateur sont d’une nature infiniment simple ; et dans leur exercice, l’action du pouvoir n’est ni équivoque ni compliquée. Ses fonctions spéculatives sont d’une autre nature ; elles n’ont point de bases fixes, de limites certaines ; elles ne s’exercent point sur des faits ; elles se fondent sur des espérances ou des craintes, sur des probabilités, des hypothèses, des spéculations, en un mot. Par-là même elles peuvent varier, s’étendre, se compliquer à l’infini. Les fonctions positives permettent souvent à l’autorité de demeurer immobile. Les fonctions spéculatives ne lui permettent jamais l’immobilité. Sa main qui, tantôt contient, tantôt dirige, tantôt crée et tantôt répare, peut quelquefois être invisible ; elle ne peut jamais rester inactive. Vous voyez alors le législateur tour-à-tour poser en-deçà du crime des barrières de son propre choix, pour établir ensuite des peines contre le renversement de ces barrières, ou recourir à des mesures prohibitives contre des actions indifférentes en elles-mêmes, mais dont les conséquences indirectes lui semblent dangereuses, ou accumuler les lois coercitives, pour forcer les hommes à faire ce qui lui paroît le plus utile. D’autres fois il étend son autorité sur l’opinion ; d’autres fois encore, il modifie ou limite la jouissance de la propriété, en règle arbitrairement les formes, en détermine, en ordonne ou en prohibe la transmission. Il assujettit à des entraves nombreuses l’exercice de l’industrie, l’encourage d’un côté, la restreint de l’autre : actions, discours, écrits, erreurs, vérités, idées religieuses, systèmes philosophiques, affections morales, sentiments intimes, usages, habitudes, mœurs, institutions, ce qu’il y a de plus vague dans l’imagination de l’homme, de plus indépendant dans sa nature, tout devient ainsi du domaine du législateur ; son autorité enlace notre existence de toutes parts, consacre ou combat nos conjectures les plus incertaines, modifie ou dirige nos impressions les plus fugitives. Il y a donc cette différence entre les fonctions spéculatives et les fonctions positives, que ces dernières ont des bornes fixes ; au lieu que les premières, dès qu’elles sont admises, n’ont aucune borne. La loi qui enverroit les citoyens aux frontières, pour défendre ces frontières attaquées, seroit V: 33-p. 150.2 ou combat ... autoriseroit ] passage non conservé dans le ms.
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une loi positive ; car son but seroit de repousser une agression commise, et d’empêcher que le sol ne fût envahi. La loi qui autoriseroit le gouvernement à porter la guerre chez tous les peuples soupçonnés de méditer une attaque, seroit une loi spéculative ; car il n’y auroit point de fait antérieur, point d’action com mise : il y auroit action présumée, spéculation, conjecture. Aussi remarquez combien, dans le premier cas, la fonction du législateur et celle de l’exécuteur des lois seroient limitées. L’un n’auroit prononcé que contre un fait ; l’autre ne pourroit agir, si le fait n’existoit pas. Mais dans la seconde hypothèse, l’autorité seroit sans limites ; car la conjecture seroit toujours à la discrétion du dépositaire de l’autorité. De cette différence entre les lois positives et les lois spéculatives, suit évidemment que, lorsque le législateur se restreint aux premières, il ne peut guère se tromper. En s’aventurant dans les secondes, il s’expose au contraire à tous les genres d’erreurs. Une loi contre l’assassinat et le vol, punissant des actions déterminées, peut être plus ou moins bien faite ; elle peut être ou trop indulgente ou trop sévère : mais elle ne sauroit aller en sens opposé de son but. Une loi, pour empêcher la décadence du commerce ou remédier à la stagnation de l’industrie, court risque de prendre pour des moyens d’encouragement ce qui n’en est pas. En croyant encourager le commerce, elle peut détruire le commerce ; en croyant favoriser l’industrie, elle peut la contrarier. Si donc les inconvénients graves, multiformes, prolongés, des erreurs de législation et de politique doivent nous engager à réduire au moindre nombre qu’il nous sera possible les chances de ces erreurs, il est évident que tout ce qui tient aux fonctions spéculatives doit être exclu du domaine de la législa tion. Nous arrivons ainsi, par cette route, comme par toutes les autres, à ce résultat unique, éternel, seul raisonnable et seul salutaire : répression, défense, tel est le but légitime, c’est-à-dire nécessaire de la loi. Le reste est du luxe et du luxe funeste. Sans doute, en renfermant l’action de la loi dans cette étroite enceinte, l’on renonce à voir se réaliser bien des rêves brillants, et l’on met un terme à mille espérances gigantesques. L’imagination peut concevoir un emploi singulièrement utile de la législation, dans son extension indéfinie, en la supposant toujours exercée en faveur de la raison, de l’intérêt de tous et de V: 10 discrétion ] 〈disposition〉 discrétion F1 15 punissant ] la première syllabe récrite sur des lettres illis. F1 16-p. 151.4 sévère : ... force qui ] passage non conservé dans le ms. ; nous pouvons supposer à cause de la longueur de ce passage qui ne saurait tenir dans le quart supérieur droit du f o 7 que BC avait collé un papillon TR: 32-p. 151.7 L’imagination ... un principe ] Principes de politique, Livre OCBC, Œuvres, t. V, p. 158.
III,
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la justice, choisissant toujours des moyens d’une noble nature et d’un succès assuré, parvenant à s’assujettir les facultés de l’homme sans les dégrader, agissant, en un mot, comme la Providence, telle que les dévots la conçoivent, par la réunion de la force qui commande et de la conviction qui pénètre au fond des cœurs1. Mais pour adopter cette supposition séduisante, il faut admettre un principe que les faits sont loin de nous présenter comme démontré, c’est que ceux qui font les lois sont nécessairement plus éclairés que ceux qui leur obéissent. Il peut en être ainsi chez des hordes sauvages que des colonies viennent policer ; mais il n’en est pas de même chez les peuples civilisés. Lorsqu’une peuplade, qui ne possède encore que les notions grossières indispensables à l’existence physique, reçoit par la conquête ou de toute autre manière des lois qui lui font connoître les premiers éléments, et qui la soumettent aux premières règles de l’état social, les auteurs de ces lois sont certainement plus éclairés que ceux qu’ils instruisent. Ainsi l’on peut croire que Cécrops, s’il a existé, avoit plus de lumières que les Athéniens, Numa que les Romains, Mahomet que les Arabes2. Mais appliquer ce raisonnement à une association déja policée, c’est à mon avis une erreur grossière. Dans une pareille association, une portion nombreuse ne s’éclaire, il est vrai, que très difficilement, vouée qu’elle est par la nature des choses à des occupations mécaniques ; et les hommes chargés de la confection des lois sont incontestablement supérieurs à cette portion. Mais il y a aussi une classe éclairée, dont ces hommes font partie et ne font qu’une très petite partie ; ce n’est pas entre eux et la classe ignorante, c’est entre eux et la classe instruite que doit s’établir la comparaison. La question réduite à ces termes ne peut tourner à l’avantage du législateur. «Si vous supposez, dit Condorcet, la puissance publique plus éclairée que la
TR: 12–26 Lorsqu’une peuplade ... la comparaison. ] Principes de politique, Livre III, 28-p. 152.2 «Si vous supposez ... d’individus.« ] chap. 3, OCBC, Œuvres, t. V, p. 160. Principes de politique, Livre III, chap. 3, OCBC, Œuvres, t. V, p. 163.
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La Providence. BC condense dans cette métaphore une idée fondamentale des philosophes des Lumières. Les prémisses du rationalisme optimiste (Leibniz et Wolf) ne sont pas partagées par tous, notamment combattues par Voltaire. Pour Filangieri, l’optimisme est acceptable dans ce sens que l’action de la Providence bienveillante se traduit par le travail consciencieux et critique du législateur. Sur ces personnages, voir Principes de politique, OCBC, Œuvres, t. V, p. 160, n. 1.
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masse du peuple, vous devez la supposer moins éclairée que beaucoup d’individus a.» S’il en est ainsi, si le législateur n’a pas le privilège de distinguer mieux que les individus soumis à son pouvoir ce qui est avantageux et ce qui est nuisible, que gagnons-nous pour le bonheur, l’ordre ou la morale, à étendre ses attributions ? Nous créons une force aveugle, dont la disposition est abandonnée au hasard ; nous tirons au sort entre le bien et le mal, entre l’erreur et la vérité, et le sort décide qui sera revêtu de la puissance b. Ce n’est pas à dire que les lois ne soient très respectables quand elles se renferment dans leur sphère. Les chances d’erreurs de la législation ne sont point un argument qui l’emporte sur la chance, ou plutôt la certitude de la dissolution de toute société, dissolution qui résulteroit de l’absence complète des lois. Restreintes d’ailleurs au strict nécessaire, leur intervention, en même temps qu’elle est plus indispensable, a moins de dangers. Quand les lois se bornent au maintien de la sûreté extérieure et intérieure, elles n’exigent pour être bien faites qu’une intelligence et des lumières communes : cela même est un très grand avantage. La nature, en destinant à la médiocrité la multitude, a voulu que la médiocrité fût en état de concevoir les règlements propres à conserver dans la société le bon ordre et la paix. Comme, dans les jugements, les hommes se trouvent suffisamment bien d’être jugés par leurs pairs, en fait de législation, ils se trouveront suffisama b
Premier mémoire sur l’éducation1. Idées sur la souveraineté, l’autorite´ sociale et les droits individuels, chap.
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V: 3-p. 153.15 distinguer ... Les maîtres ] passage non conservé dans le ms. 1
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BC se reporte aux Mémoires sur l’instruction publique de Condorcet qu’il cite toujours d’après la Bibliothèque de l’homme public dont les volumes n’apparaissent pas dans le catalogue de sa bibliothèque. Il renvoie ici au t. Ier de la deuxième année (Paris : Buisson, 1791, p. 55) où l’on lit ceci : «La puissance publique doit d’autant moins donner ses opinions pour base de l’instruction, qu’on ne peut la regarder comme au niveau des lumières du siècle où elle s’exerce. Les dépositaires de la puissance publique resteront toujours à une distance plus ou moins grande du point où sont parvenus les esprits destinés à augmenter la masse des lumières. Quand bien même quelques hommes de génie seraient assis parmi ceux qui exercent le pouvoir, ils ne pourraient jamais avoir, dans tous les instants, une prépondérance qui leur permît de réduire en pratique les résultats de leurs méditations.» La remarque de BC montre sa capacité à condenser les réflexions des auteurs qu’il utilise (nous reprenons ici OCBC, Œuvres, t. V, p. 163, n. 1). BC renvoie ici au premier article qu’il a fait paraître anonymement dans les Lettres normandes (voir ci-dessus, p. 134, n. 1). Lettres normandes, ou correspondance politique et littéraire, t. XI, 92e livraison, 14 juillet 1820, pp. 49–53. Les chapitres II («Clauses nécessaires à l’existence de toute société») et III («Des droits individuels») cités dans cette note se trouvent pp. 50–51.
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ment bien des lois que leurs pairs auront faites. Mais de même que les questions soumises aux jurés doivent être simples et précises, de même il faut que l’objet des lois soit précis et simple. Je prévois que l’opinion que j’émets ici est de nature à exciter beaucoup de clameurs. L’un des artifices de la puissance consiste à représenter toujours la législation, le gouvernement, le maniement des affaires, comme une tâche très difficile ; et la foule le croit, parce qu’elle croit assez docilement ce qu’on lui répète ; les dépositaires de l’autorité y gagnent de s’ériger en profonds génies, par cela seul qu’ils sont chargés de fonctions si ardues. Mais il y a dans leur charlatanisme à cet égard ceci de remarquable : en même temps qu’ils posent le principe, ils combattent de toute leur force sa conséquence la plus rigoureuse. Si le pouvoir requiert, pour être exercé, tant de capacité, n’est-il pas clair qu’il ne devroit être confié qu’au plus capable a ? Les maîtres du monde sont bien loin d’y consentir. Quand il leur plaît de se faire admirer, ils parlent des obstacles qu’ils ont à vaincre, des écueils qu’ils évitent, de la perspicacité, de la sagesse, des lumières supérieures dont ils doivent être doués. Mais quand on est conduit à conclure qu’il faudroit rechercher si en effet ils possèdent ces hautes lumières, cette perspicacité, a
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«Que de fausses idées ne voit-on pas s’élever sur le mode d’élection,» dit un écrivain très ennemi des gouvernements populaires et fort desireux de renfermer toutes les éligibilités dans les classes aristocratiques. «La capacité d’élire n’est pas plus un droit que la capacité qui rend habile à occuper des places ; c’est une commission déférée par la loi pour le bien de tous : pour faire de bonnes lois, il faut de bons législateurs, et les qualités d’un législateur étant rares, il faut les trouver là où elles se trouvent1.» Ce raisonnement ne s’appliqueroit-il pas tout aussi-bien à la monarchie, et ne tendroit-il pas à prouver qu’elle doit être élective ? BC cite, avec quelques transformations de la syntaxe sans importance et une coupure au début, un passage de l’ouvrage Du principe conservateur, ou de la liberté considérée sous le rapport de la justice et du jury, par M. le Chevalier Mézard, Paris : Béchet aîné et Rouen : Béchet fils, 1820, p. 50. Il faudrait continuer après la première phrase : «[...] d’élection ! Pour trouver le meilleur, on se perd dans le chaos de la métaphysique ; tandis que, si on n’était pas préoccupé de cette idée représentative, on reconnaîtrait que la capacité d’élire [...]». Le rapprochement de cette citation des pensées de Filangieri est révélateur. BC combat, en attaquant le philosophe napolitain, auquel on ne peut pas rapprocher de vouloir détruire la liberté, les esprits ultras de la Seconde Restauration. L’auteur de l’ouvrage cité par BC est Pierre-François Mézard (1756–1843), avocat à Apt et dans d’autres villes de la région, esprit ferme, voué exclusivement aux principes des lois tenues pour justes, principes qu’il défend avec courage pendant les troubles révolutionnaires, assez habile pour échapper aux poursuites. Après 1816, procureur général de la Corse pour quelque temps, toujours en conflit avec les machinations du gouvernement et victime d’intrigues, il se retira vers la fin de sa vie dans sa propriété près d’Apt, renonçant à prendre des fonctions publiques après la Révolution de juillet (http://jean.gallian.free.fr/comm2/m/mezard.html).
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cette sagesse, ils se placent aussitôt sur un autre terrain : ils affirment que le gouvernement leur appartient, quelles que soient les bornes de leurs facultés ; que c’est leur propriété, leur droit, leur privilège ; et de la sorte il résulte de leur système à-la-fois que l’art de régir les hommes exige une intelligence plus qu’humaine, et qu’on peut s’en remettre au plus aveugle de tous les hasards, celui de la naissance, pour confier la pratique de cet art au premier venu. Je crois être plus favorable aux véritables intérêts des gouvernants que les gouvernants eux-mêmes, en démontrant que le gouvernement resserré dans ses bornes légitimes n’est nullement chose si difficile. Je pense rendre par cette démonstration un éminent service à la monarchie consitutionnelle héréditaire. Je le fais volontiers, parcequ’à l’époque actuelle de notre espèce en Europe, la monarchie constitutionnelle héréditaire peut être le plus libre et le plus paisible des gouvernements. Mais étendre sa juridiction sur des objets qui sont hors de sa sphère, c’est dénaturer la question ; c’est confier à un petit nombre d’hommes, qui ne sont en rien au-dessus du reste, des fonctions innombrables et illimitées, des fonctions moins nécessaires à remplir que les fonctions positives, puisque la société subsisteroit lors même qu’elles ne seroient pas remplies ; presque impossibles à remplir bien, puisque des lumières supérieures sont requises, plus dangereuses à remplir mal, puisqu’elles atteignent les parties les plus délicates de notre existence et peuvent tarir toutes les sources de prospérité. Tout confirme donc mon principe. Ayez des lois positives, en donnant à cette expression le sens dans lequel le marquis de Mirabeau l’employoit, vous ne pouvez exister sans ces lois. N’ayez point de lois spéculatives ; vous pouvez vous en passer. Repoussez sur-tout avec un soin extrême le prétexte banal de toutes les lois de cette dernière espèce, l’allégation de l’utilité. Cette allégation une fois admise, vous serez reportés malgré vos efforts vers tous les inconvénients inséparables de la force aveugle et colossale créée sous le nom de législation. L’on peut trouver des motifs d’utilité pour tous les commandements et pour toutes les prohibitions. Défendre aux citoyens de sortir de leurs maiV: 2–16 bornes ... petit nombre ] passage non conservé dans le ms., à l’exception de quelques restes de lettres qu’on trouve au bas du f o 12/1 18 que ... positives ] ces mots, appelés par une croix, devaient se trouver dans la col. gauche du f o 13, fiche 13/1, perdue F1 21 atteigent les ] atteignent toutes les l’article dans l’interl. sup. F1 23-p. 155.1 Tout confirme ... utile ; car ] passage non conservé dans le ms. TR: 32-p. 155.12 L’on peut ... ne peut en avoir. ] Principes de politique, Livre III, chap. 1, OCBC, Œuvres, t. V, p. 156.
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sons seroit utile ; car on empêcheroit ainsi tous les délits qui se commettent sur les grandes routes. Obliger chacun de se présenter tous les matins devant les magistrats seroit utile ; car on découvriroit plus facilement les vagabonds et les brigands qui se cachent pour attendre les occasions de faire le mal. C’est avec cette logique qu’on avoit, il y a vingt années, transformé la France en un vaste cachot. L’utilité n’est pas susceptible d’une démonstration précise. C’est un objet d’opinion individuelle et par conséquent de discussion, de contestation indéfinie. Rien dans la nature n’est indifférent : tout a sa cause, tout a ses effets ; tout a des résultats ou réels ou possibles ; tout peut être utile, tout peut être dangereux. La législation, une fois autorisée à juger de ces possibilités, n’a point de limites et ne peut en avoir. «Vous n’avez,» dit un Italien de beaucoup d’esprit a, «vous n’avez jamais lié de votre vie quelque chose que ce soit, avec de la ficelle ou du fil, sans donner un tour de trop ou sans faire un nœud de plus. Il est dans notre instinct, en petit comme en grand, de dépasser la mesure naturelle.» Entraîné par cette disposition inhérente à l’homme, le législateur agit en tout sens, et commet ces erreurs sans nombre que Filangieri décrit. Il doit les commettre, car, ainsi que je l’ai prouvé, il n’est pas plus infaillible que les individus. Je dis qu’il n’est pas plus infaillible, et si je voulois, je démontrerois qu’il l’est moins. Il y a dans le pouvoir quelque chose qui fausse le jugement. Les chances d’erreurs de la force sont plus mutipliées que celles de la foiblesse. La force trouve ses ressources en elle-même : la foiblesse a besoin de la raison. Supposez deux hommes également éclairés, l’un revêtu d’une puissance quelconque, l’autre simple citoyen : ne sentez-vous pas que le premier, placé en évidence, pressé dans les décisions qu’il doit adopter à un instant donné, engagé par ces décisions devenues publiques, a moins de temps pour a
Galiani, commerce des grains, page 2501.
V: 5 qu’on ... années ] qu’on 〈a de nos jours〉 avoit il y a peu d’années la corr. dans l’interl. F1 27 engagé ... devenues ] 〈et poussé〉 engagé la corr. dans l’interl. par ces décisions 〈une fois〉 devenues la corr. dans l’interl. F1 28 Galiani ] Gagliani F1 TR: 7–9 L’utilité ... indéfinie. ] Principes de politique, Livre III, chap. 1, OCBC, Œuvres, t. V, p. 156. 12–16 «Vous n’avez ... naturelle.« ] Principes de politique, Livre IV, chap. 1, 21-p. 156.5 Il y a ... ms. de Lausanne. OCBC, Œuvres, t. V, p. 177, variante à la ligne 4. triompher ? ] «Idées sur la souveraineté», Lettres normandes, no 93, 1820, pp. 101–102. 21–23 Il y a ... raison. ] Principes de politique, Livre III, chap. 3, OCBC, Œuvres, t. V, p. 164. 24-p. 156.5 Supposez ... triompher ? ] Principes de politique, Livre III, chap. 3, OCBC, Œuvres, t. V, p. 164. 1
BC utilise cette citation plusieurs fois, comme il ressort de l’apparat TR. Voir Ferdinando Galiani, Dialogue sur le commerce des bleds, London [i. e. Paris] : Merlin, 1770, p. 250.
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la réflexion, plus d’intérêt à la persistance et par conséquent plus de chances d’erreurs que le second, qui examine à loisir, ne prend d’engagement envers aucune opinion, n’a nul motif de défendre une idée fausse, n’a compromis ni son autorité ni son amour-propre, et qui enfin, s’il se passionne pour cette idée fausse, n’a nul moyen de la faire triompher a ? Et ne croyez pas trouver un remède dans telle ou telle forme de gouvernement. Parceque dans une organisation représentative le peuple choisit ceux qui lui imposent des lois, vous pensez qu’ils ne sauroient se tromper. Vous vous trompez vous-même. En supposant un système parfait et la liberté d’élection la mieux garantie, il s’en suivra que les opinions des élus seront conformes à celles des électeurs. Ils seront donc au niveau de la nation : ils ne seront pas plus infaillibles qu’elle. J’ajouterai que les qualités qui obtiennent le choix du peuple, sont souvent exclusives de la supériorité des lumières. Il faut, pour conquérir et sur-tout pour conserver la confiance de la multitude, de la ténacité dans les idées, de la partialité dans les jugements, de la déférence pour les préjugés encore en faveur, plus de force que de finesse, plus de promptitude à saisir l’ensemble que de délicatesse à discerner les détails. Ces qualités suffisent pour ce qu’il y a de fixe, de déterminé, de précis, dans la législation. Mais transportées dans le domaine de l’intelligence et de l’opinion, elles ont quelque chose de rude, de grossier, d’inflexible, qui va contre le but d’amélioration ou de perfectionnement qu’on se propose b. Un Anglois très spirituel me disoit un jour : Dans la chambre des communes, l’opposition est plus éclairée que le ministère. Hors de la chambre des communes, la partie instruite du peuple anglois est plus éclairée que l’opposition1. a b
Idées sur la souveraineté, l’autorite´ sociale et les droits individuels2. Idem3.
V: 4–13 ni son amour-propre ... ob(tiennent) ] passage non conservé dans le ms. ; la note était sans doute ajoutée après coup dans la marge gauche (f o 17/1), puisque le f o 17/3 ne pouvait la contenir, faute de place 14 exclusives de ] exclusives 〈illis.〉 de F1 20 l’opinion, ] l’opinion, 〈les〉 (?) F1 20-p. 157.32 elles ont ... et quand ] passage non conservé dans le ms. TR: 13–22 J’ajouterai ... se propose. ] «Idées sur la souveraineté», Lettres normandes, no 93, 1820, p. 101. Principes de politique, Livre III, chap. 3, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 163– 164. 1 2 3
Allusion non élucidée. BC se cite lui-même en renvoyant vaguement, il est vrai, à son article publié dans les Lettres normandes, 93e livraison, 25 juillet 1820, p. 102. Quatrième renvoi à l’article des Lettres normandes. Voir 93e livraison, 25 juillet 1820, p. 101.
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En tolérant les lois spéculatives, c’est-à-dire, en sortant la législation de la sphère où il faut de nécessité l’admettre, vous soumettez donc le genre humain aux méprises inévitables d’hommes sujets à l’erreur, non seulement par la foiblesse inhérente à la nature de tous, mais par l’effet additionnel de leur position spéciale. Que de réflexions je pourrois ajouter, si je voulois parler ici de la détérioration inséparable de toutes les décisions collectives qui ne sont que des transactions forcées entre les préjugés et la vérité, les intérêts et les principes ! si je voulois examiner les moyens auxquels la législation est contrainte de recourir pour être obéie, décrire l’influence des lois coercitives ou prohibitives sur la morale des citoyens, et la corruption que la multiplicité de ces lois introduit dans les agents du pouvoir ! Mais j’ai déja effleuré ce sujet dans un autre ouvrage a, et j’y serai d’ailleurs ramené dans la suite de ce commentaire. Je me résume. Les erreurs en législation ont des inconvénients multipliés. Indépendamment des maux directs qu’elles causent, comme elles obligent les hommes à s’y résigner et à y conformer leurs habitudes et leurs calculs, elles sont, ainsi que Fi langieri l’observe, aussi dangereuses à guérir qu’à respecter. Les particuliers peuvent se tromper sans doute ; mais s’ils s’égarent, les lois sont là pour les réprimer. Les erreurs de la législation au contraire se fortifient de la force des lois mêmes. Ces erreurs sont générales et condamnent l’homme à l’obéissance. Les méprises de l’intérêt privé sont individuelles : l’erreur de l’un n’influe en rien sur la conduite de l’autre. Lorsque la loi reste neutre, toute erreur étant préjudiciable à celui qui la commet est bientôt reconnue et abjurée. La nature a donné à l’homme deux guides, l’intérêt et l’expérience : il s’éclaire par ses propres pertes. Quel motif de persistance auroit-il ? tout se passe de lui à lui-même. Il peut, sans que nul le remarque, reculer, avancer, changer de route, se corriger enfin librement. La situation du législateur est en tout l’inverse. Plus éloigné des conséquences de ses mesures, et n’en éprouvant pas les effets d’une manière aussi immédiate, il découvre plus tard ses méprises, et quand il les découvre, il se trouve en présence d’observateurs ennemis. Il a raison de craindre de se déconsidérer en se corrigeant. Entre le moment où la légisa
Cours de politique constitutionnelle1.
TR: 15–19 Les erreurs ... respecter. ] Principes de politique, Livre III, chap. 4, OCBC, 20-p. 158.9 Les particuliers ... et se taise. ] Principes de politique, Œuvres, t. V, p. 168. Livre III, chap. 3, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 168–169. 1
BC renvoie en fait à la deuxième édition des Réflexions sur les constitutions et les garanties qu’il donne dans le Cours de politique constitutionnelle (t. I, pp. 27–29). Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1084–1085. Voir aussi «Idées sur la souveraineté», Lettres normandes, no 94, 5 août 1820, pp. 148–153 et ci-dessous, p. 452.
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lation dévie de la bonne route, et le moment où le législateur s’en aperçoit, beaucoup de temps s’écoule ; mais entre ce dernier moment et celui où le législateur se détermine à revenir sur ses pas, il s’écoule plus de temps encore : et l’action même de revenir sur ses pas n’est sans danger ni pour le législateur ni pour la société. Toutes les fois donc qu’il n’y a pas nécessité absolue, toutes les fois que la législation peut ne pas intervenir, sans que la société soit bouleversée, toutes les fois enfin qu’il n’est question que d’un mieux hypothétique, il faut que la loi s’abstienne, laisse faire, et se taise.
V: 4–5 n’est sans ... société. ] n’est 〈pas〉 sans danger ni ... la société. la fin de la phrase, après le mot danger probablement ajoutée après coup ; écriture plus serrée et les mots en partie dans l’interl. pour pouvoir tenir dans l’espace disponible F1 6–9 n’y a pas ... taise. ] passage non conservé dans le ms.
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Chapitre X. Des remarques de Filangieri sur la décadence de l’Espagne.
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«L’Espagne doit non seulement à l’expulsion des Maures ... mais aux faux principes d’administration ... l’état déplorable de l’agriculture, de l’industrie, de la population et du commerce.» Liv. I, chap. III, p. 541.
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C’est avec beaucoup de raison sans doute que Filangieri place au nombre des causes de la décadence de l’Espagne l’expulsion des Maures et l’absurdité de plusieurs des lois commerciales qui régissoient ce royaume. Nous aurons plus d’une fois l’occasion de revenir sur l’influence désastreuse de ces lois prohibitives, dont tous les gouvernements de l’Europe ont fait jadis un si ample usage ; que tous les flatteurs de ces gouvernements, tous les faiseurs de projets, tous les spéculateurs ignorants, tous les négociants cupides, leur recommandoient à l’envi ; qui ont séduit fréquemment Montesquieu lui-même2, et que les enseignements de l’expérience et les efforts de tous les hommes sensés ne peuvent extirper encore, tant le pouvoir éprouve de répugnance à croire aux bons effets de la liberté ! Quant a` l’expulsion des Maures, elle est heureusement placée aujourd’hui à côté de la SaintBarthélemy et de la révocation de l’édit de Nantes, et quelle que soit l’impudeur des écrivains vendus à l’autorité, les progrès du siècle ont gagné ceci, que de telles mesures qui, renouvellées, trouveroient peut-être des complices, ne sauroient à distance rencontrer d’approbateurs. Néanmoins, ces causes que Filangieri assigne au dépérissement d’un empire, favorisé de tout temps par sa position et son climat, et durant plusieurs siècles par une réunion unique de circonstances, ne sont que secondaires et accidentelles ; ou plutôt elles sont elles-mêmes les effets d’une cause géV: 1-p. 160.8 Chapitre X. ... successivement ] passage non conservé dans le ms., à l’exception des mots tous les faiseurs ... à l’envi qui se trouvent ajoutés sur le quart inférieur gauche, seul 14–16 tous les ... l’envi ; ] tous les 〈hommes à〉 feseurs de conservé, du f o 1 du chap. X projets, tous les speculateurs ignorans, tous les négocians cupides leur recommandoient à l’envi ; cette phrase ajoutée dans la col. gauche du f o 1 (fiche 1/3), appelée par une croix ; suit encore un peu plus bas 〈la volonté d’agir étoit un moyen de leur plaire〉 rajout qui n’est pas retenu, mais qui devait s’insérer probablement après le mot «tant» F1 1 2
SL, livre I, chap. III, p. 55. BC pense probablement à Montesquieu, De l’Esprit des Lois, livre XXI, chap. 21, «Découverte de deux nouveaux mondes ; état de l’Europe à cet égard». Il y est question de restrictions de ce genre.
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nérale et permanente, je veux dire l’établissement graduel du despotisme et l’abolition de toute institution constitutionnelle. L’Espagne n’est pas tombée tout-à-coup dans l’état de foiblesse et d’abaissement dans lequel cette monarchie étoit plongée, lorsque l’invasion de Bonaparte vint réveiller de sa stupeur un peuple généreux1. Sa décadence date de la destruction de sa liberté politique et de la suppression des cortès. Peuplée autrefois de trente millions d’habitants, elle a vu sa population tomber successivement jusqu’à neuf millions. Souveraine des mers, et maîtresse d’innombrables colonies, elle a vu sa marine déchoir au point d’être inférieure à celle de l’Angleterre, de la Hollande et de la France. L’arbitre de l’Europe sous Charles-Quint, la terreur de l’Europe sous Philippe II, elle s’est vue rayée du catalogue des puissances qui, pendant les trois derniers siècles, ont disposé des destins du monde. Tout cela ne s’est pas fait en un jour. Cela s’est fait par le travail opiniâtre et la pression sourde d’un gouvernement qui pesoit sur l’intelligence humaine, et qui, pour n’avoir point à redouter ses sujets, paralysoit leurs facultés et les retenoit dans l’apathie. La preuve en est que si nous tournons nos regards vers l’Angleterre, nous apercevrons chez les Anglois des lois commerciales non moins absurdes, non moins vexatoires, non moins injustes : nous verrons dans les massacres des catholiques sur-tout en Irlande, et dans les règlements exécrables qui réduisent toute cette portion du peuple irlandois à la condition d’ilotes, le pendant de la persécution et jusqu’a` un certain point du bannissement des Maures ; et pourtant l’Angleterre est restée au premier rang des nations. C’est que les institutions politiques, les discussions parlementaires, la liberté de la presse dont elle jouit sans interruption depuis cent-vingt-six années, ont contrebalancé les vices de ses lois et de son gouvernement. V: 5–6 Sa décadence date ] Sa décadence a été lente et progressive, date F1 cette «variante» est conjecturale ; nous supposons que le passage sur la décadence de l’Espagne se trouvait sur le f o 1 bis du chapitre 10 de la Première partie et que la fiche Co 3278, f o 80v o représente le quart inférieur de la col. gauche de ce f o 1 bis 13–17 Tout cela ... La preuve en est ] passage biffé dans le ms., corr. pas retenue F1 18 apercevrons ] 〈verrons〉 apercevrons la corr. dans l’interl. F1 22-p. 161.2 jusqu’à ... de leur ] passage non conservé dans le ms., mais il est possible de dire que la dernière ligne de la fiche perdue (f o 3/2) contenait les mots, attestés par les jambages du f o 3/3, citoyens un sentiment de leur
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L’invasion de l’Espagne commence le 18 octobre 1807. On reconnaît que les guerres d’Espagne sont désignées plus correctement en espagnol «guerra de la Indepencia», parce que les opérations militaires, qui ne finissent qu’en 1814, sont à considérer comme une «lutte [...] de résistance à l’envahisseur par un peuple spontanément et unanimement dressé» (Dictionnaire Napoléon, sous la direction de Jean Tulard, Paris : Fayard, 1987, p. 675). Le jugement de BC rejoint ainsi l’historiographie moderne.
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Chapitre I,10 – Des remarques de Filangieri sur la décadence de l’Espagne
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L’énergie du caractère de ses habitants s’est maintenue, parcequ’ils n’ont point été déshérités de leur participation à l’administration des affaires publiques ; cette participation, bien qu’elle soit presque imaginaire, donne aux citoyens un sentiment de leur importance qui entretient leur activité, et l’Angleterre régie, à bien peu d’exception près, depuis sir Robert Walpole1 jusqu’à nous, par des ministères machiavéliques et représentée par un parlement assez corrompu, n’en a pas moins conservé le langage, les habitudes et plusieurs des avantages de la liberté. Que si l’on m’objectoit que déja la constitution de l’Espagne n’existoit plus sous Philippe II, et que sa puissance étoit encore formidable, je répondrois que l’effet du despotisme n’est pas immédiat ; une nation qui a été libre et qui a dû à sa liberté le développement de ses facultés morales et industrielles, vit, quelque temps après la perte de ses droits, sur ses capitaux anciens, pour ainsi dire, sur ses richesses acquises. Mais le principe reproducteur étant desséché, la génération active, éclairée, industrieuse, disparoît successivement, et la génération qui la remplace tombe dans l’inertie et l’abâtardissement. Si l’on m’oppose l’exemple d’autres états de l’Europe non moins étrangers que l’Espagne à toute institution constitutionnelle, et qui cependant n’avoient pas subi la même décadence, j’expliquerai facilement cette difféV: 9–17 Que si ... abâtardissement. ] passage biffé dans le ms., mais reproduit dans l’imprimé ; BC avait prévu une nouvelle rédaction élargie dont le début se trouve sur la fiche 3/1 du f o 3 : Pour qui ne considère que les apparences, la caus[e] de ce déclin graduel date de Philippe IV. po[ur] l’observateur Philosophe, elle remonte plus haut que Philippe II & que Charles quint. On la trouve, bien qu’en germe encore & presqu’invisible dans la destruction d[e] la liberté politique & la suppression des Cortès. à dater de cette époque, l’Espagne fut soumise au travail opiniâtre & à la pression sourde d’un Gouvernemen[t] qui pesoit sur l’intelligence humaine & qui, pour n’avoir point à redouter ses sujets, tendait, sans se l’avouer peut-être, à paralyser leurs facultés & à les plonger dans l’apathie. La découverte de l’Amérique suspendit les effets de ce travail funeste, la fortune de Charles quint, comme dit Montesquieu2, étendit pou[r] lui l’univers & fit paraître un monde nouveau sous son obéissance. mais le vers caché rongeoit l’arbre : sa tête était fière et florissante, mais ses racines étoient attaquées. L’effet du despotisme n’est pas immédiat. une nation qui a été libre et qui a du à sa liberté le développement de ses facultés morales & industrielles vit, quelque tems après la perte de ses droits, sur ses capitaux anciens pour ainsi dire sur ses [...] la suite se trouvait sur la fiche 3/3 perdue F1 20 subi ] 〈illis.〉 subi ce mot dans l’interl. F1 j’expliquerai ] récrit sur un mot illis. F1 1 2
Robert Walpole (1676–1745), Premier ministre whig, constamment attaqué par ses adversaires, qui n’ont pu l’écarter pour longtemps du pouvoir. BC cite ici, en partie littéralement, un passage de Montesquieu, De l’esprit des lois, livre XXI, chap. 21 : «La fortune de la maison d’Autriche fut prodigieuse. Charles-Quint recueillit la succession de Bourgogne, du Castille et d’Aragon ; il parvint à l’empire ; et pour lui procurer un nouveau genre de grandeur, l’univers s’étendit, et l’on vit paroître un monde nouveau sous son obéissance» (Œuvres complètes, texte présenté et annoté par Roger Caillois, Paris : Gallimard, 1966, t. II, p. 642).
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rence, en prouvant que ces états avoient conservé une sorte de liberté incertaine et sans garantie, mais réelle dans ses résultats, bien que précaire dans sa durée, et je trouverai l’occasion de produire relativement à un effet politique de la découverte de l’imprimerie, des considérations que je crois importantes et que je crois avoir été le premier à développer a. Il y avoit autrefois en Europe dans tous les pays des institutions mêlées de beaucoup d’abus, mais qui, donnant à de certaines classes des privilèges à défendre et des droits à exercer, entretenoient dans ces classes une activité qui les préservoit du découragement et de l’apathie ; c’est à cette cause qu’il faut attribuer l’énergie des caractères jusqu’au seizième siècle, énergie dont nous ne trouvions plus aucun vestige, avant la révolution qui a ébranlé les trônes et retrempé les ames. Ces institutions ont été par-tout détruites ou tellement modifiées qu’elles ont perdu presque entièrement leur influence. Mais vers le même temps où elles se sont écroulées, la découverte de l’imprimerie a fourni aux hommes un moyen nouveau de s’intéresser à leur patrie ; elle a fait jaillir une source nouvelle de mouvement intellectuel. Dans les pays où le peuple ne participe point au gouvernement d’une manière active, c’est-à-dire, par-tout où il n’y a pas une représentation nationale librement élue et revêtue de prérogatives imposantes, la liberté de la presse remplace en quelque sorte les droits politiques. La partie éclairée de la nation s’intéresse à l’administration des affaires, lorsqu’elle peut exprimer son opinion, sinon directement, au moins sur les principes généraux du gouvernement. Mais lorsqu’il n’y a dans un pays ni liberté de la presse ni droits politiques, le peuple se détache entièrement des affaires publiques ; toute communication est rompue entre les gouvernants et les gouvernés. L’autorité, pendant quelque temps, et les partisans de l’autorité peuvent regarder cela comme un avantage. Le gouvernement ne rencontre point a
De l’Esprit de conquête. 18141.
V: 3 relativement à ] 〈illis.〉 relativement à dans l’interl. F1 5 je crois ... développer. ] je n’ai rencontré nulle part. F1 6–23 des institutions ... gouvernement. ] passage non conserve´ dans le ms. ; nous pouvons déduire de l’analyse du chiffre des signes qu’il s’agissait de f os profondément remaniés 15–16 de s’intéresser à leur patrie ; ] ces mots dans la col. gauche, fiche 5/3, seul vestige du passage sur l’imprimerie conservé dans le ms. F1 28 De l’Esprit ... 1814. ] texte de la note dans la col. gauche (fiche 4/3) F1 TR: 17-p. 163.4 Dans les pays ... dissolution. ] Principes de politique, Livre OCBC, Œuvres, t. V, p. 248. 1
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chap. 4,
BC renvoie aux derniers chapitres de De l’esprit de conquête (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 770–799). Il est rare que BC réclame ouvertement d’être le premier à avoir fait une découverte.
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d’obstacles : rien ne le contrarie ; mais c’est que lui seul est vivant, la nation est morte. L’opinion publique est la vie des états ; quand l’opinion publique est frappée dans son principe, les états dépérissent et tombent en dissolution. En conséquence, remarquez-le bien, depuis la découverte de l’imprimerie, certains gouvernements ont favorisé la manifestation des opinions par le moyen de la presse. D’autres ont toléré cette manifestation : d’autres l’ont étouffée. Les nations chez lesquelles cette occupation de l’esprit a été encouragée ou permise, ont seules conservé de la force et de la vie. Celles dont les gouvernements ont imposé silence à toute opinion ont perdu graduellement tout caractère et toute vigueur. Tel avoit été le sort de l’Espagne, soumise, plus qu’aucune autre contrée de l’Europe, au despotisme politique et religieux. Au moment où la liberté constitutionnelle fut ravie aux Espagnols, aucune carrière nouvelle ne s’étant offerte à l’activité de leur pensée, ils se résignèrent et s’assoupirent. L’état en porta la peine. L’arrêt de son dépérissement fut prononcé. Il ne faut pas croire que les gains du commerce, les profits de l’industrie, la nécessité même de l’agriculture soient un mobile d’activité suffisant pour les hommes. L’on s’exagère souvent l’influence de l’intérêt personnel. L’intérêt est borné dans ses besoins et grossier dans ses jouissances ; il travaille pour le présent sans jeter ses regards au loin dans l’avenir. L’homme dont l’opinion languit étouffée n’est pas long-temps excité même par son intérêt ; une sorte de stupeur s’empare de lui, et comme la paralysie s’étend d’une portion du corps à l’autre, elle s’étend aussi de l’une a` l’autre de nos facultés. Les dépositaires du pouvoir voudroient que leurs sujets fussent passifs pour la servitude et actifs pour le travail, insensibles à l’esclavage et ardents à toutes les entreprises qui ne tiennent point à la politi que, serfs résignés et instruments habiles. Cette réunion de qualités contraires ne sauroit durer ; il n’est pas donné à l’autorité d’endormir ou de réveiller les peuples suivant ses convenances ou ses fantaisies momentanées. La vie n’est pas une chose qu’on ôte et qu’on rende tour-à-tour ; les facultés de l’homme se tiennent : les lumières s’appliquent à tout ; elles font faire des progrès à l’industrie, à tous les arts, à toutes les sciences, puis analysant ces progrès, elles étendent V: 3 son principe ] 〈sa source〉 son principe corr. dans l’interl. F1 12–28 Au moment ... habiles. ] passage remanié et élargi, inscrit dans la col. gauche (f os 7 bis/1 et 7 bis/3) pour remplacer un passage biffé 〈Tel est le sort réservé à toute contrée sur laquelle pèse, avec uniformité et persévérance un Gouvernement opresseur. Les dépositaires du pouvoir voudroient que les hommes fussent souples pour leur obéir et courageux pour les défendre, ignorans de manière à n’examiner aucune opinion 〈illis.〉, et suffisamment élevés pour être toujours des instrumens habiles.〉 F1 13 Espagnols, aucune ] Espagnols, 〈trois mots illis.〉 aucune F1 31 facultés de ] facultés 〈illis.〉 de F1
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9. Le folio 7bis du chapitre 10 de la Première Partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Le folio est reconstitué à partir d’un fragment conservé à la BiblioWKqTXH QDWLRQDOH GH )UDQFH HW GHX[ IUDJPHQWV GX PDQXVFULW VXU ¿FKHV &R d’un Livre IV, „Du prétendu Théisme des peuples soumis aux prêtres“ de l’ouvrage sur la religion. L’ancienne pagination, les biffures et les rajouts dans la colonne gauche attestent d’une transformation importante de la première version du texte. Bibliothèque nationale de France, NAF 18822, fo 25, Bibliothèque Cantonale et Universitaire, Lausanne, Co 3278, fos 299vo et 301vo.
Chapitre I,10 – Des remarques de Filangieri sur la décadence de l’Espagne
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leur propre horizon. Mais elles ont pour principe la pensée ; si vous la découragez sur elle-même, elle ne s’exercera plus sur aucun objet qu’avec langueur : l’on diroit qu’indignée de se voir repoussée de la sphère qui lui est propre, elle veut se venger par un noble suicide de l’humiliation qui lui est infligée. L’existence humaine attaquée dans son centre sent bientôt le poison s’étendre jusqu’aux parties les plus éloignées. Vous croyez n’avoir fait que la borner dans quelque liberté superflue, ou lui retrancher quelque pompe inutile ; votre arme empoisonnée l’a blessée au cœur. L’intelligence de l’homme ne sauroit être stationnaire ; si vous ne l’arrêtez pas, elle avance : si vous l’arrêtez, elle recule ; elle ne peut demeurer au même point. Il arrive donc que les gouvernements, qui veulent tuer l’opinion et croient encourager l’intérêt, se trouvent, à leur grand regret, par une opération double et maladroite, les avoir tués tous les deux, et le mouvement s’affoiblit bientôt dans l’autorité même. La léthargie d’une nation où il n’y a point d’opinion publique se communique à son gouvernement ; n’ayant pu la te nir éveillée, il finit par s’endormir avec elle. Ainsi tout se tait, tout s’affaisse, tout dégénère et dépérit. Tel fut, je le répète, le sort de l’Espagne ; et ni la beauté du climat, ni la fertilité du sol, ni la domination de deux mers, ni les richesses du NouveauMonde, ni, ce qui étoit bien plus encore, les facultés éminentes de cette nation maintenant admirable, ne purent l’en sauver. Il est si vrai que c’étoit le gouvernement qui pesoit de la sorte sur ce peuple, qu’aussitôt qu’une invasion étrangère eut suspendu l’action de ce V: 8 au cœur. ] au cœur. suit un long passage biffé 〈Le commerce, les professions & les métiers les plus nécessaires se ressentent de la mort de la pensée. Il ne faut pas croire que les gains du commerce, les profits de l’industrie ici une croix pour marquer l’endroit du rajout la nécessité même de l’agriculture, les cinq derniers mots dans la col. gauche, fiche 8/1 soient à eux seuls, un mobile d’activité suffisant pour les hommes. ces trois derniers mots dans l’interl. L’on s’exagère souvent l’influence de l’intérêt personnel. L’intérêt, séparé de l’opinion, est borné dans ses besoins & facile à contenter dans ses jouïssances. Il travaille juste ce qu’il faut pour le présent, mais ne prépare rien pour l’avenir. 〈L’....〉 l’home dont l’opinion languit étouffée n’est pas longtems exité même par son intérêt. Une sorte de stupeur s’empare de lui, & come la paralysie s’étend d’une portion du corps à l’autre, elle s’étend aussi de l’une à l’autre de nos facultés. Il existe sans doute un intérêt qui ne s’étend pas sous le despotisme : mais ce n’est pas celui qui porte l’homme au travail, c’est celui qui le porte à mendier, à piller, à s’enrichir des faveurs de la puissance, ou des dépouilles de [...] F1 8-p. 166.13 L’intelligence ... le joug, s’étoit ] passage non conservé dans le ms. TR: 1–5 Si vous la ... infligée. ] Principes de politique, Livre VII, chap. 5, OCBC, Œuvres, 5–8 L’existence ... au cœur. ] Principes de politique, Livre VII, chap. 5, t. V, p. 260. OCBC, Œuvres, t. V, p. 259. 8–10 L’intelligence ... même point. ] Principes de politique, Livre VII, chap. 5, OCBC, Œuvres, t. V, p. 260.
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Commentaire sur Filangieri
gouvernement, l’énergie de la nation reparut tout entière. Ce que n’avoient pu les cabinets coalisés de l’Europe, ce qu’avoient essayé vainement l’habileté routinière de l’Autriche, l’ardeur belliqueuse de la Prusse, les Espagnols le firent, sans rois, sans généraux, sans trésors, sans armées, abandonnés, désavoués de tous les souverains, ayant à repousser non seulement Bonaparte et la valeur françoise, mais la coopération docile et zélée des princes qu’il avoit réduits ou admis au rang de ses vassaux. Des écrivains de parti ont attribué tant d’héroïsme à la religion, aux mœurs antiques, aux doctrines transmises scrupuleusement d’un siècle à l’autre, et sur-tout à l’absence des idées qu’ils appeloient révolutionnaires : mais la religion, les mœurs antiques, les doctrines héréditaires, n’avoient pas empêché la puissance espagnole de déchoir, l’industrie de languir, la gloire de s’éclipser. C’est que chaque Espagnol, courbé sous le joug, s’étoit détaché de sa propre destinée sur laquelle sa volonté ne pouvoit influer. Remis en possession par une révolution imprévue de sa part naturelle d’influence, investi du droit de défendre sa patrie et de se défendre, chaque Espagnol a senti sa force renaître et son enthousiasme s’allumer. L’absence du gouvernement rendant à tous les individus la plénitude de leurs facultés, la plénitude de ces facultés s’est aussitôt retrouvée. Aucune vertu, aucun talent n’a manqué à l’appel : tant la lutte la plus inégale est préférable à l’asservissement ! Voulez-vous une preuve additionnelle de cette importante vérité ? Une fatalité déplorable a fait succéder a` cette lutte animée, à ces victoires patriotiques, une administration oppressive. Des délateurs et des courtisans, race ennemie des rois et des peuples, ont trompé un monarque qu’égaroit l’inexpérience et que les préjugés dominoient. Soudain l’apathie, l’affaissement, le dégoût du travail, la stagnation de l’industrie, l’interruption du commerce, la chute du crédit, tous les symptômes de décadence et de ruine qui avoient signalé le déclin de l’ancienne Espagne ont reparu dans l’Espagne délivrée de l’étranger. Cependant les causes auxquelles on prétendoit rapporter ses triomphes n’avoient rien perdu de leur intensité. L’Espagne possédoit et son culte exclusif, et son attachement aux mœurs de ses ancêtres. Mais la liberté l’avoit quittée : elle y est revenue et déja se rouvrent par elle toutes les sources de prospérité. Tandis que j’écris ainsi sur l’Espagne, une réflexion se présente à moi : pourquoi la tairois-je ?
V: 18 à ] récrit sur 〈au〉 F1 24 délateurs ] récrit sur 〈courtisans〉 F1 25 monarque qu’égaroit ] monarque bien intentionné sans doute qu’égarait〈ent〉 F1 26 Soudain ] 〈Aussi〉 Soudain F1 27-p. 167.31 la stagnation ... la minorité ] passage non conservé dans le ms.
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Au moment où une nation magnanime qui vient de briser ses fers associe à sa délivrance le roi qui la gouverne ; au moment où ce roi lui-même par des serments solennels consacre le nouveau pacte social, d’où vient qu’en d’autres lieux de l’Europe quelques hommes semblent avoir pris à tâche d’étouffer les germes du bien, d’éterniser les haines et de ressusciter les soupçons ? Comment se fait-il qu’en France, organes de je ne sais quelle faction, ambassadeurs créés par eux-mêmes, ou missionnaires de je ne sais quel pouvoir occulte, ils osent offrir au prince qu’ils compromettent de coupables secours, et poursuivre un monarque constitutionnel d’une insolente et hypocrite pitié ? Ignorent-ils que c’est ainsi que les étrangers ont causé la perte du malheureux Louis XVI ? Ont-ils oublié que leurs folles menaces, leurs intelligences prétendues, leurs pamphlets incendiaires, ont favorisé les ennemis plus directs, mais non plus dangereux de la royauté a ? Assis en sûreté loin du théâtre des agitations et des périls, peu leur importe quels abymes ils creusent sous les pas des nations et autour des trônes. Espagnols éclairés et généreux, ces hommes vous ont déja causé bien des maux. Dès 1814 ils ont prêché perpétuellement à vos princes et la légitimité du pouvoir absolu et la justice des moyens affreux nécessaires pour le conserver. Leur opinion sembloit désintéressée. Qui peut déterminer l’autorité qu’elle a dû avoir ? leur voix venoit de loin : on l’eût dit impartiale, comme celle d’une postérité équitable. Qui peut savoir jusqu’à quel point elle n’a pas influé sur vos malheurs ? De tous vos ennemis ces hommes sont les plus inexcusables, les seuls inexcusables peut-être. C’est sans passion, sans intérêt immédiat, c’est froidement qu’ils applaudissoient aux persécutions, aux tortures, aux supplices de vos défenseurs. Que sur eux retombe le sang des victimes ! Vous suivrez en paix, malgré ces adversaires méprisables et perfides, votre noble carrière. Vous savez que la liberté a pour base la justice ; que, pour fonder une monarchie constitutionnelle, il faut respecter son premier principe, l’inviolabilité du monarque ; que la volonté de la majorité n’est légitime que lorsqu’elle ne blesse la minorité dans aucun de ses droits. Vous savez aussi, par une immortelle et glorieuse expérience, que votre volonté a
J’ai développé cette idée, il y a quelques mois, dans un article de la Minerve, intitulé : Des complots des contre-révolutionnaires de France contre la vie et la sûreté du roi d’Espagne1.
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Il s’agit de l’article du 27 mars 1820 dans La Minerve française intitulé «Conspirations des contre-révolutionnaires contre le trône et la vie du roi d’Espagne» (Harpaz, Recueil d’articles, Mercure, pp. 1221–1226). É. Harpaz dit dans une note (p. 1513, n. 2) que les journaux de droite et de gauche sont pleins d’articles sur les affaires de l’Espagne. Nous assistons à une vague puissante de politique réactionnaire partout en Europe.
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suffit contre l’Europe liguée. Vous avez résisté à Bonaparte : le ciel ne créera pas un second Bonaparte. Les généraux vaincus par Napoléon qui n’a pu vaincre l’Espagne, ne seroient pas plus heureux contre elle que celui devant lequel ils ont succombé. S’il en est un dont le succès ait accompagné ces étendards, c’est qu’il défendoit une cause sainte ; abjurant cette cause, il perdroit sa force, et Salamanque et Ciudad-Rodrigo ne seroient plus témoins que de sa honte et de ses revers1.
V: 6 force ] 〈gloire〉 force corr. dans l’interl. F1
1
BC évoque dans cette incantation lyrique les batailles les plus héroïques de la guerre d’Espagne, Ciudad Rodrigo (1810 et 1812), la première date marquant une victoire des troupes impériales, la seconde une victoire de Wellington et le siège de Salamanque (1812). Wellington bat les troupes de Napoléon et empêche ainsi pour la troisième fois l’invasion du Portugal par les troupes de l’Empire. C’est une opération décisive qui marque le tournant de la guerre d’Espagne.
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Chapitre XI. Des observations de Filangieri sur la France.
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«Si nous passons de l’Espagne à la France, nous verrons encore une nation qui, après avoir dominé en Europe ... a trouvé ... dans l’ignorance de ses
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législateurs le principe de sa décadence.» Liv. I, chap.
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III,
p. 561.
Filangieri commet à l’égard de la France une faute analogue à celle que j’ai déja fait apercevoir dans ses réflexions sur l’Espagne. De même qu’il attribue la décadence de ce dernier royaume à l’expulsion des Maures, et à de mauvaises lois commerciales, il assigne pour cause au dépérissement du premier la révocation de l’édit de Nantes, et les encouragements exclusifs donnés par Colbert à l’industrie, sans égards et sans ménagements pour l’agriculture2. Colbert est incontestablement tombé dans beaucoup d’erreurs, et l’on se doute bien, d’après mes principes sur la neutralité que les gouvernements doivent observer dans tout ce qui regarde l’industrie, le commerce et les spéculations individuelles, que je ne me constituerai pas l’apologiste de ce ministre jadis si vanté. La révocation de l’édit de Nantes fut aussi un grand crime et un acte de délire. Mais ni Colbert n’auroit pu se livrer sans réserve à ses théories trompeuses, sur la nécessité de donner aux manufactures une activité factice et forcée, ni Louis XIV n’auroit pu bannir les protestants d’une patrie qu’ils enrichissoient, si la France eût été garantie par une constitution libre et contre le despotisme des rois et contre les conceptions fantastiques des ministres. Plusieurs différences néanmoins existent entre la France et l’Espagne et méritent d’être remarquées. V: 7 p. 56 ] p. 65. F1 10 royaume à ] Royaume 〈exclusivement〉 à le mot biffé dans l’interl. F1 13 sans égards ... pour ] 〈au détriment〉 sans égards ... pour la corr. dans l’interl. F1 19 aussi ] ce mot dans l’interl. F1 1 2
SL1, livre I, chap. III, pp. 56–57. Les références a` Colbert et à Louis XIV proviennent de Filangieri, SL1, livre I, chap. III, pp. 57–58. Filangieri critique la politique économique de la France en parlant de «l’ignorance de ses législateurs et [des] vices de leurs opérations». Colbert, «accordant aux ouvrages de l’industrie une préférence presque exclusive sur les productions de la terre [...] donna à sa patrie une prospérité trompeuse et précaire.»
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L’oppression intellectuelle n’a jamais pesé sur nous au même degré que sur nos voisins au-delà des Pyrénées. La totalité des François n’a été complètement privée des droits politiques que sous Richelieu : et j’ai déja dit, dans le chapitre précédent, que des institutions défectueuses, mais investissant des classes puissantes de certains privilèges qu’elles sont sans cesse occupées à défendre, ont, au milieu de beaucoup d’inconvénients, cet avantage qu’elles ne laissent pas la nation entière se dégrader et s’abatardir. Le commencement du règne de Louis XIV fut agité par la guerre de la Fronde, guerre puérile à la vérité, mais qui étoit le reste d’un esprit de résistance accoutumé à l’action, et continuant à agir presque sans but. Le despotisme s’accrut beaucoup vers la fin de ce règne. Cependant l’opposition se maintint toujours, se réfugiant dans les querelles religieuses, tantôt des calvinistes contre le catholicisme, tantôt des catholiques entre eux. La mort de Louis XIV fut l’époque du relâchement de l’autorité. La liberté des opinions gagna chaque jour du terrain. Je ne veux point dire que cette liberte´ s’exerça de la manière la plus décente et la plus utile : je veux dire seulement qu’elle s’exerça, et que de la sorte on ne peut mettre les François à aucune époque, jusqu’à la révolution de 1789, parmi les peuples condamnés à un asservissement complet et à une léthargie morale. Cependant il est certain que, dans le temps où écrivoit Filangieri, la France étoit tombée de son rang, déchue de sa puissance, et que son caractère national étoit altéré. Mais d’où provenoit ce dépérissement, cette altération, cette décadence ? Il est facile et commode d’attribuer des effets généraux à des causes partielles. Les ennemis de la liberté se plaisent beaucoup dans cette manière de résoudre les difficultés, parceque, toutes les fois qu’on remonte aux principes, la nécessité de la liberté apparoît soudain, tandis que si l’on prend, pour solution du problème, tel détail, tel individu, tel accident, cela ne tire point à conséquence. Les uns vous diront donc que l’affoiblissement de la France dans le dernier siècle a tenu aux guerres malheureuses dans lesquelles, vers la fin du siècle précédent, Louis XIV s’étoit engagé. Les autres accuseront de cet affoiblissement la corruption que la régence introduisit dans toutes les classes, et le peu de résistance opposée aux proV: 18–32 (révo)lution de 1789 ... dans ] passage non conservé dans le ms. mot ajouté dans l’interl. F1
33 siècle ] ce
TR: 2–20 La totalité ... morale. ] Principes de politique, Livre VII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, p. 249.
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Chapitre I,11 – Des observations de Filangieri sur la France
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grès de cette corruption par les successeurs de Louis XIV, qui, voluptueux, indolents ou foibles, se montrèrent incapables d’exercer dans sa plénitude l’autorité royale. Mais il en est de ces explications comme de toutes celles qui ne s’élèvent pas assez haut. Les guerres de la vieillesse de Louis XIV furent la cause la plus prochaine des maux de la France. Mais si ce pays avoit possédé des institutions constitutionnelles, Louis XIV n’auroit pu ni entreprendre ces guerres inutiles, ni persister dans ces agressions téméraires qui devoient attirer sur lui les forces réunies de toute l’Europe. Il n’auroit pas dépendu d’un de ses ministres de l’entraîner dans de semblables expéditions, pour le distraire de ses mécontentements les plus passagers et les plus frivoles. Quant à la corruption dont on accuse les successeurs de Louis XIV d’avoir donné l’exemple et favorisé ou toléré les progrès ; cette corruption fut la suite nécessaire de l’oppression morale que Louis XIV dans sa décrépitude avoit exercée sur une nation déja trop éclairée pour la supporter : la réaction fut proportionnée à l’action. Même avant la mort de Louis XIV cette réaction s’annonçoit. Les mémoires du temps nous parlent de lettres interceptées, offensantes également à Dieu et au Roi a : ces lettres étoient écrites par des courtisans qui vivoient sous sa férule ; mais le vieux prince pesoit sur sa vieille cour qui, elle-même, imposoit la dissimulation et la fraude à la génération naissante. Le roi mourut : le torrent auquel son despotisme opposoit des digues les renversa toutes. Le raisonnement se dédommagea par la divagation et l’audace de la con trainte qu’il avoit impatiemment subie. L’on peut affirmer, et ce devroit être une instructive leçon pour les gouvernants, que, toutes les fois que le mensonge a régné, la vérité se venge avec usure. A peine Louis XIV avoit-il disparu que l’on vit apparoître la régence ; maa
Lettres de madame de Maintenon1.
V: 1–9 les successeurs ... qui devoient ] passage non conservé dans le ms. 13–14 Quant ... cette ] Quant 〈à la faiblesse de ses successeurs, & à la corruption qu’on illis.〉 à la corruption dont on accuse l〈a régence〉es successeurs de Louis XIV ces trois derniers mots dans la col. gauche, fiche 5/3 d’avoir donné l’exemple, & favorisé ou tolére´ les progrès, cette F1 16-p. 172.9 trop éclairée ... importantes, ] passage non conservé dans le ms. TR: 18-p. 172.2 Les mémoires ... hypocrisie. ] Principes de politique, Livre OCBC, Œuvres, t. V, p. 281. 1
VIII,
chap. 4,
François d’Aubigné, Lettres de Madame de Maintenon, Nancy : Deilleau, 1753, 6 vol. (autre édition : Paris : Léopold Collin, 1806). La phrase citée n’est pas identifiée. Voir aussi OCBC, Œuvres, t. V, p. 281, n. 1.
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Commentaire sur Filangieri
dame de Prie1 remplaça madame de Maintenon, et la dépravation s’assit sur le tombeau de l’hypocrisie. Donnez au contraire à la France une constitution libre. La superstition d’un monarque sera sans influence sur un peuple en droit de ne pas singer l’opinion du maître : et il n’y aura point de réaction vers la licence, parcequ’il n’y aura pas eu pression en faveur du faux zèle et de la bigotterie. On peut en dire autant de la foiblesse des princes qui remplacèrent Louis XIV. Les mœurs relachées de Louis XV et l’indécision de Louis XVI auroient en Angleterre éte´ des choses fort peu importantes, parceque le caractère personnel du roi n’est rien dans un régime constitutionnel. Je dirai plus. Il est heureux que les successeurs de Louis XIV aient eu ce relâchement de mœurs et cette foiblesse ; car c’est à cette cause que tient la différence que j’ai remarquée entre la France et l’Espagne, et qui est toute à l’avantage de la première. Si Louis XIV avoit comme Charles-Quint été remplacé par un prince sévère, ombrageux, assez habile pour opprimer la nation sans la soulever, il est probable que la France seroit tombée dans la stupeur et dans l’apathie. Sous ce rapport, nous devons nous féliciter peutêtre des orgies de la régence et de l’immoralité de la cour de Louis XV. La licence des grands vint au secours et tourna au profit de la liberte´ du peuple. L’Espagne, sous un gouvernement sérieux, oppressif, et secondé par une inquisition implacable, perdit toute activité et tout intérêt à la chose publique ; la France, sous un régime arbitraire, mais inconséquent, frivole et contrarié par une opinion qui trouvoit mille issues pour s’échapper, conserva de l’intérêt à la chose publique, en conservant sinon le droit, du moins la faculté de s’en occuper ; et si les deux monarchies dépérirent, ce fut d’une manière diverse, chacune conformément à la cause de son dépérissement. L’Espagne paralysée n’a été durant les deux siècles de sa léthargie d’aucune ressource, ni pour elle-même ni pour l’Europe, malgré les qualités sublimes qui étoient comme enfouies dans le caractère de ses habitants. La France, dans son abaissement le plus profond, a répandu autour d’elle les lumières, entretenu dans les écrits la vie intellectuelle, et donné enfin la première le noble signal de la liberté.
V: 7 On ... autant ] corr. dans la col. gauche, fiche 6/3, texte corrigé inconnu, la fiche 6/4 étant perdue F1 19 des grands ] dans l’interl. F1
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Jeanne-Agnès Berthelot de Pléneuf, marquise de Prie (1698–1727), mariée à quinze ans au marquis de Prie, cette dame ambitieuse et belle devint en 1719 la maîtresse du duc de Bourbon, Premier ministre. À la suite de ses intrigues politiques, Louis XV lui ordonna en 1726 de se retirer sur ses terres, où elle se suicida.
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Chapitre XII. De la décadence annoncée par Filangieri à l’Angleterre.
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«L’Angleterre est aujourd’hui sur le bord de sa ruine, et sa décadence subite a sa source dans les erreurs de ses lois.»
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Liv. I, chap.
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III,
p. 571.
Toutes les observations de Filangieri sur les vices des lois angloises, sur l’absurdité et la cruauté des prohibitions commerciales en vigueur dans la patrie d’Adam Smith, sur l’inégalité et l’injustice des relations que l’Angleterre avoit établies, et qu’elle a voulu perpétuer entre elle et ses colonies, sont d’une vérité évidente2. La législation de cette île célèbre, dans tout ce qui a rapport à l’industrie, aux manufactures, à la fixation du prix des journées, en un mot à l’existence de l’homme réduit à vivre de son travail, ressemble à une conspiration permanente de la classe puissante et riche contre la classe pauvre et laborieuse. Des preuves sans nombre seroient faciles à rassembler. On ne sauroit ouvrir les statuts d’Angleterre, même en laissant de côté les temps barbares, et en ne consultant ces statuts que depuis le règne d’E´lisabeth jusqu’à nos jours, sans voir les rigueurs, les supplices et la mort, prodiguées à des actions qu’il est impossible de considérer comme des crimes. L’exportation d’un bélier ou d’un agneau emporte la confiscation des biens, la perte de la main gauche, et pour la récidive celle de la vie. Quiconque approche de la côte avec de la laine brute est atteint d’une peine non moins sévère, comme soupçonné d’avoir voulu faire passer à l’étranger une matière non encore ouvrée. Si des ouV: 6 chap. III, p. 57. ] ch. 3. p. 66 F1 16 sauroit ] 〈peut〉 sauroit dans l’interl. F1 16–17 en laissant ... ces statuts ] 〈sans remonter à des〉 en laissant de côté les les cinq derniers mots au-dessus des mots biffés tems barbares & en ne 〈les〉 consultant ces statuts les deux derniers mots ajoutés dans l’interl. F1 24-p. 174.3 Si ... rebelles. ] première rédaction Tout concert entre des ouvriers ... familles pour obtenir ... denrées est chatié comme une rébellion. deuxième rédaction 〈Tout concert entre〉 Si ce dernier mot dans l’interl. des ouvriers qui expirent de misère avec leurs familles se concertent ces deux derniers mots dans l’interl. pour obtenir des salaires proportionnés au prix des denrées 〈est〉 ils sont ces deux derniers mots dans l’interl. chatiés le signe du pluriel ajouté comme 〈une〉 des ce mot dans l’interl. rébell〈ion〉es. F1 1 2
SL1, livre I, chap. III, p. 58 ; dans SL2, p. 57. SL2, livre I, chap. III, pp. 57–59.
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vriers qui expirent de misère avec leurs familles, se concertent pour obtenir des salaires proportionnés au prix des denrées, ils sont châtiés comme des rebelles. Dans ce pays que chacun de ses habitants se vante de pouvoir parcourir en liberté, l’indigent pour passer d’une paroisse à l’autre, a besoin du consentement de celle où il veut s’établir, de peur que, dépourvu de moyens de subsistance, il ne tombe à la charge de ses nouveaux concitoyens. La femme enceinte, le vieillard, l’orphelin, rencontrent ainsi à chaque pas, dans leur propre patrie, des barrières factices qui la transforment pour eux en une contrée inhospitalière, où la pauvreté se voit proscrite, parceque la propriété a conservé la férocité primitive de l’usurpation. Il n’est pas étonnant qu’indigné de ce spectacle, Filangieri ait cru reconnoître des causes de ruines, là où se déployoient tant d’iniquités. Il y a néanmoins plus de quarante ans qu’il prédisoit à l’Angleterre une décadence prochaine et inévitable. Ses prédictions ont été répétées chaque année par des écrivains d’opinion diverse, les uns de bonne foi, les autres attaquant l’Angleterre dans ce qu’elle a de mauvais pour décréditer ce qu’elle a de bon. Ces prophéties lugubres ne s’étant point réalisées, nous tombons aujourd’hui, je le pense, dans un autre extrême, et nous imaginons que, parceque l’Angleterre a été long-temps menacée sans être atteinte, elle est pour jamais à l’abri des conséquences de ses vicieuses institutions. Ce sujet est d’une extrême importance, non seulement sous le point de vue de la doctrine, mais sous le rapport des destinées futures de la république européenne. Deux puissances se disputent l’Europe comme une proie. Ces deux puissances sont l’Angleterre et la Russie. Je n’ai point à m’occuper ici de ce que deviendroit l’Europe sous l’influence russe. Dépendre de la Russie, c’est dépendre d’un individu. Tout ce qui repose sur une tête n’est que viager. Gouvernée par des princes absolus, la Russie ne sauroit avoir sous deux générations impériales un système identique. Ce qu’un prince absolu a commencé, son successeur l’abanV: 4–5 pour ... a besoin du ] 〈ne sauroit〉 pour corr. dans l’interl. passer ... à l’autre 〈sans le〉 a besoin du corr. dans l’interl. F1 15 autres attaquant ] autres 〈excités〉 attaquant F1 18 Ces ] 〈illis.〉 Ces nous ] récrit sur un mot illis. F1 21 institutions. ] institutions. suit encore un passage biffé 〈& même il n’est pas sur de demontrer de [illis.] des publicistes, qui de ce que sa force constitutionnelle la [illis.] pas qu[illis.] les suites de ses erreurs, en concluant que c’est à ces erreurs qu’elle est redevable de sa prospérité.〉 F1 22–23 point de vue ] 〈rapport〉 point de vue corr. dans l’interl. F1 25 Ces ... sont ] 〈De qui ?〉 Ces deux puissances sont corr. dans l’interl. F1 Russie. ] Russie. suit encore un long passage biffé, illis. F1 26–27 Je n’ai ... individu. ] passage dans la marge gauche (fiche 5/1) pour remplacer le texte biffé F1 28 n’est que viager. ] 〈n’étant〉 n’est la corr. dans la col. gauche que viager 〈le tems triomphe〉. F1
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donne : ce que le premier a menacé, le second l’épargne ou le protège. Les faits nous prouvent cette vérité. Vers la fin de la guerre de sept ans, la mort d’une impératrice sauva la Prusse ; et au commencement de ce siècle, la versatilité d’un empereur auroit sauvé la France, si une ambition déréglée n’avoit été provoquer la Russie jusqu’au milieu de ses frimas. Ainsi l’influence russe auroit pour l’Europe cet inconvénient particulier, que les rois, vassaux de ce géant, à peine civilisé, seroient les jouets d’incalculables caprices. S’ils achetoient par leur soumission son assistance contre leurs peuples, ils se verroient bientôt les victimes et les dupes de ce honteux traité. Mais, encore une fois, cette question est étrangère à celle qui m’occupe. C’est de l’influence angloise que je dois traiter maintenant. L’Angleterre est dans une position tout-à-fait différente de celle de la Russie. Ses institutions constitutionnelles lui donnent tous les avantages d’un gouvernement aristocratique. Le roi est dans la constitution britannique ce que doit être le pouvoir suprême, un modérateur élevé au-dessus de la sphère des agitations, et apaisant, désarmant, ou départageant les autres pouvoirs. La véritable action journalière est dans le ministère, réunion d’hommes toujours plus ou moins distingués par le talent ou par l’expérience, à l’abri, comme corps collectif des vicissitudes de l’hérédité qui amène tour-à-tour l’enfance et la vieillesse, la foiblesse et la violence, la pusillanimité et la présomption ; formant, en un mot, une espèce de sénat, constant dans ses vues, uniforme dans sa marche, et préservé par sa composition de la versatilité et des caprices, inséparables d’une succession d’individus qui se remplacent par droit de naissance. Quelles qu’aient toujours été les divisions des partis, le gouvernement anglois, en passant des mains d’un de ces partis dans celles de l’autre, n’a jamais en réalité dévié de son principe aristocratique. Le ministère whig de Chatham1 n’étoit pas il y a cinquante ans plus cosmopolite, ou moins jaloux de la prospérité et des droits du continent, que ne l’est aujourd’hui le ministère tory de lord Castlereagh2. Il y avoit certainement dans le premier V: 2-p. 176.26 la guerre ... disputent ] passage non conservé dans le ms., à l’exception des mots C’est la question ... ne peut être niée qui se trouvent ajoutés sur la fiche gauche sup. du f o 8 de ce chap. 5–16 Ainsi ... des agitations ] texte écrit dans la col. gauche, fiches 5/1 et 5/2, pour remplacer un texte d’environ 260 signes ou 7 lignes et demie. Les corr. comprennent environ 750 signes. F1 27 Le ministère ] l’article et la première syllabe du mot dans la col. gauche (fiche 7/1, la seule qui soit conservée) ; il s’agit d’une corr. Le Mi[nistère] F1 1
2
William Pitt l’Ancien (1708–1778), 1er comte de Chatham, est un homme d’E´tat whig qui s’est rendu célèbre en tant que ministre de la Guerre de Grande-Bretagne pendant la guerre de Sept Ans et devint par la suite Premier ministre de 1766 à 1768. La phrase «Paix avec l’Amérique et guerre avec l’Europe !» est tirée d’un discours de William Pitt. Voir Charles James Fox et William Pitt, Recueil de discours prononcés au Parlement d’Angleterre, Paris : Le Normant, 1819, t. I, p. 159.
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quelque chose de noble, de large, de généreux, qu’on ne re marque point dans le second. Les doctrines de la liberté, restreintes même à l’intérieur, donnent toujours cette couleur à qui les professe. Mais quand, rentré dans les rangs des opposants, le père de M. Pitt réclamoit pour l’Amérique opprimée, il s’écrioit encore : Paix avec l’Amérique et guerre avec l’Europe ! c’est que le continent de l’Europe est pour les Anglois de toutes les opinions, non point une réunion de pays alliés, peuplés d’êtres de la même nature, mais un objet continuel de spéculations plus ou moins machiavéliques ; et s’ils ne le traitent pas comme celui de l’Inde, c’est que nous sommes des Indiens trop habiles et trop aguerris pour eux. La question de savoir si la décadence de l’Angleterre n’est qu’une chimère, ou si le moment approche où cette décadence se réalisera, est donc, je le répète, d’une importance extrême. C’est la question de l’indépendance commerciale, industrielle, et même politique de l’Europe. Mais je dois remarquer que je n’entends pas seulement par décadence un affoiblissement momentané, contre lequel les institutions constitutionnelles de l’Angleterre réagiroient toujours ; j’entends une destruction de ces institutions et de l’ordre social qui repose sur elles, et par là même un coup mortel porté à sa prospérité au-dedans et à son influence au-dehors. Les causes que les écrivains, qui prédisent la chute de l’Angleterre, allèguent d’ordinaire comme devant produire ce résultat sont au nombre de deux : 1o la misère de la classe laborieuse ; 2o l’énormité de la dette publique. La misère de la classe laborieuse ne peut être niée, et les lois de l’Angleterre sont a` cet égard aussi absurdes qu’atroces : elles pèsent sur l’indigence ; elles lui disputent l’usage légitime de ses facultés et de ses forces ; elles éternisent sa souffrance, car elles lui enlèvent tout moyen de parvenir à une position plus heureuse. En conséquence, dans un moment où d’autres causes amèneroient une grande crise, l’effet de ces lois désastreuses seroit incontestablement d’ajouter aux désordres et aux calamités de cette crise. Mais les vices de ces lois, quelque grands qu’ils soient, ne
V: 13–28 C’est la question ... heureuse. ] passage remanié ; les mots C’est la question ... ne peut être niée et dans la col. gauche (fiches 8/1 et 8/3), les mots les lois de l’Angleterre ... lui dispu= se trouvaient dans la col. droite (fiche 8/2, perdue), suivis de (fiche 8/4) [dispu=]tent l’usage ... elles éternisent 〈donc〉 〈pa〉 sa 〈misère〉 souffrance : ce dernier mot, sauf les deux points, dans l’interl. car elles ... moyen 〈d’en sortir〉 de parvenir à une position plus heureuse. corr. dans l’interl. F1 20 prédisent ] 〈ont prédit〉 prédisent corr. dans l’interl. F1 20–21 allèguent d’ordinaire ] 〈ont〉 allèguent corr. dans l’interl. d’ordinaire 〈allégué〉 F1 24 ne peut être niée, et ] 〈est incontestable〉 ne peut être niée corr. dans l’interl. & suivi de deux croix pour assurer l’enchaînement du texte F1
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produiront point à eux seuls la convulsion qu’ils aggraveront, si elle vient d’ailleurs. La classe pauvre est toujours divisée. Poursuivie par des besoins qui renaissent à toutes les heures, elle cède au premier espoir qu’on lui donne de satisfaire, ne fût-ce qu’à moitié, ses pressants besoins. La faim, qui est le motif de ses soulèvements, la force en même temps à se rendre à toutes les tentations qu’on lui présente. Livrée à elle-même, cette classe infortunée, contre laquelle toutes les autres conspirent, peut agiter ses fers, mais non les briser ; elle les reprend, après en avoir frappé ses maîtres, et n’est redoutable que lorsque des rangs plus élevés lui fournissent des chefs. Or, en Angleterre, ces rangs plus élevés sont tous ligués contre cette classe malheureuse. Dans un pays où la liberté politique existe, et où les personnes et les propriétés n’ont rien à craindre de l’arbitraire, tous ceux qui possèdent quelque chose se coalisent en faveur de l’ordre établi, dès que l’anarchie se pré sente. De la sorte, les institutions constitutionnelles des Anglois les préservent des suites de leurs erreurs industrielles et commerciales, ce qui rend d’autant plus étrange la folie de ces publicistes qui nous proposent à-la-fois d’emprunter les lois prohibitives de ce peuple, et nous invitent à nous préserver de son système constitutionnel. D’ailleurs, parmi les mesures et les précautions prises pour contenir la classe inférieure, s’il y en a plusieurs qui sont hostiles et rigoureuses, il y en a aussi qui consistent en adoucissements et en palliatifs, d’une efficacité au moins passagère. Ainsi la taxe des pauvres, taxe si fâcheuse à beaucoup d’égards, et dont l’Angleterre s’affranchiroit soudain par un retour aux principes de la liberté industrielle, est une espèce de restitution consentie par le monopole en faveur de ceux qu’il dépouille de leurs droits : c’est une amende au prix de laquelle les prohibitions achètent la prolongation de leur existence1. Cette taxe, bien qu’insuffisante, entretient l’espérance du pauvre, et par là calme son irritation. J’ajouterai que, malgré son attachement à ses règlements vexatoires, l’Angleterre s’est un peu relâchée depuis un siècle de ses anciennes entraves contre l’industrie. Ses lois les plus barbares sont rarement exécutées, et les tribunaux accueillent avec faveur les distinctions subtiles tendant à soustraire aux statuts prohibitifs le plus de métiers qu’il leur est possible. Les apprentissages, par exemple, établis par Élisabeth, ont été restreints aux V: 13 de ] 〈de〉 de mot répété en prenant la feuille suivante F1 26 industrielle ] 〈constitutionnelle〉 industrielle F1 34 distinctions ] distinctions 〈les plus〉 F1 36 apprentissages, ] apprentissages, 〈illis.〉 dans l’interl. F1 établis par Élisabeth, ] ces mots ajoutés dans l’interl. F1 1
La taxe des pauvres était destinée exclusivement au soutien des pauvres. Elle fut établie en Angleterre, après la destruction des monastères qui priva les pauvres des secours charitables de ces institutions, sous le règne des Tudor et réglée par le statut de la reine Elisabeth de
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professions qui existoient sous son règne a. Ainsi la liberté, sous ce rapport, gagne du terrain, et les lois industrielles, adoucies ou éludées, ne doivent pas être regardées comme une cause directe et immédiate de révolution. Il en est de même de l’énormité de la dette publique, énormité dans laquelle Filangieri et tous les écrivains qui ont parcouru après lui la carrière de l’économie politique ont vu le germe d’un bouleversement. Cette dette est sans doute un grand fléau ; son accroissement progressif doit finir par le rendre insupportable. Mais jusqu’à ce jour, la dette publique de l’Angleterre, rendant les fortunes privées solidaires en quelque sorte de celle de l’état, donne à l’ordre existant des soutiens plutôt que des ennemis. Il en sera ainsi, aussi long-temps que le gouvernement anglois aura le bon esprit de sentir que, lorsqu’une dette est considérable, il faut s’occuper de la payer bien plus encore que de la réduire, et que la réduction la plus forte n’est jamais d’un profit équivalent au moindre échec donné au crédit par les moyens employés pour espérer cette réduction. Avec ce principe, un pays peut long-temps défier tous les calculs et braver toutes les probabilités humaines. L’Angleterre, moins endettée, verroit peut-être accourir autour du pouvoir responsable et garant de sa dette bien moins de défenseurs, ou des défenseurs bien moins zélés. Mais la crainte de perdre des capitaux lutte dans l’esprit de tous les créanciers de l’état contre le desir de reconquérir des droits, et la réforme invoquée en théorie, est repoussée en pratique, parcequ’une réforme réelle et complète auroit peut-être pour préliminaire ou pour conséquence une banqueroute. a
Il faut avoir été en apprentissage pour faire des chariots et non pour faire des carrosses. Blackstone1.
V: 1 sous son règne. ] 〈du tems d’Elisabeth qui les a établis〉 sous son règne. corr. dans l’interl. 3–17 pas être ... défier ] passage non conservé dans le ms., à l’exception de quelques restes d’une correction figurant sur le f o 12/1, seul conservé ; voir la variante suiv. 5–6 dans laquelle ] corr. part. dans la col. gauche (fiche 12/1), dans laq[uelle] F1 25–26 Il faut ... Blackstone. ] note ajoutée dans la col. gauche (fiche 11/3) Note Il faut ... Blackstone. F1 TR: 25–26 Il faut ... Blackstone. ] Principes de politique, Livre Œuvres, t. V, p. 430.
1
XII,
chap. 4, OCBC,
1601, chap. II, complété par les actes de 1635, 1723, 1795 et le Sturge Bourne’s Act de 1810. BC suit A. Smith, Richesse, livr. I, chap. X, section 2, (t. I, pp. 213–215). Voir p. 181, n. 1. Blackstone parle des apprentissages établis par Elisabeth dans ses Commentaires sur les lois angloises, livre IV, chap. 12, «Des offenses contre le commerce public» (Paris : Bossange, Rey et Gravier, Aillaud, 1823, t. V, pp. 475–476) : «Exercer un commerce dans une ville, sans avoir éte´ en apprentissage pendant sept ans, cela se considère comme nuisible au commerce public, parce qu’on suppose que celui qui le fait n’est pas suffisamment habile ; et, d’après le statut 5 Eliz. c. 4., il encourt une amende de quarante schellings par mois.»
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Ce n’est donc ni dans la misère de la classe laborieuse ni dans l’énormité de la dette que réside le danger de l’Angleterre ; c’est dans l’anéantissement, que je crois désormais inévitable, de son principe aristocratique. Ceci a besoin de développements. L’Angleterre n’est au fond, comme je l’ai dit, qu’une vaste, opulente et vigoureuse aristocratie ; d’immenses propriétés réunies dans les mêmes mains, des richesses colossales accumulées sur les mêmes têtes, une clientèle nombreuse et fidèle, groupée autour de chaque grand propriétaire, et lui consacrant l’usage des droits politiques qu’elle semble n’avoir reçus constitutionnellement que pour en faire le sacrifice ; enfin, pour résultat de cette combinaison, une représentation nationale composée, d’une part, des salariés du gouvernement, et de l’autre, des élus de l’aristocratie : telle a été l’organisation de l’Angleterre jusqu’à ce jour. Cette organisation qui paroît fort imparfaite, et même fort oppressive en théorie, étoit adoucie en pratique, tant par les bons effets de la liberté conquise en 1688, que par plusieurs circonstances particulières à l’Angleterre, et qu’on n’a pas, je pense, assez remarquées, quand on a voulu transporter ailleurs certaines institutions tenant aux privilèges, et empruntées, dans leurs modifications, de la constitution britannique. Je conviendrai même de bonne foi que je ne me suis pas toujours suffisamment préservé de cette erreur a. L’aristocratie angloise n’avoit jamais été, comme celle de plusieurs autres pays, l’ennemie du peuple. Appelée dans les siècles les plus reculés à revendiquer contre la couronne ce qu’elle nommoit ses droits, elle n’avoit pu faire valoir ses prétentions qu’en établissant certains principes utiles à la masse des citoyens. La grande charte, bien que rédigée au sein de la féodalité, et empreinte de beaucoup de vestiges du système féodal, consacre la liberté individuelle et le jugement par jurés, sans distinction de rangs ni de personnes. En 1688, une grande partie de la pairie angloise avoit concouru à la révolution qui a fondé en Angleterre un gouvernement constitutionnel ; et depuis cette époque, au lieu de se vouer à la domesticité et aux antichambres, cette portion de nobles étoit restée à la tête d’un parti d’opposition, qu’elle servoit de sa considération et de sa fortune, en même temps qu’elle en recevoit de la force. a
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Ceci s’applique sur-tout à ce que j’ai dit de la pairie dans mon ouvrage sur les constitutions et les garanties1. Dans l’édition de Bruxelles (1774), ce passage se trouve dans le t. III, p. 312. La formulation est différente. Mais il est manifeste que BC cite soit un autre passage que nous n’avons pu identifier, soit un commentaire d’une des nombreuses éditions anglaises de l’ouvrage de Blackstone. BC pense probablement à ce qu’il a dit dans la note H de la seconde édition des Réflexions sur les constitutions et les garanties (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1190–1195).
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Faisant ainsi collectivement de son aristocratie une des bases de la liberté, elle se concilioit en détail l’affection de la classe dépendante, par un patronage que sa durée et la fidélité avec laquelle elle en accomplissoit les devoirs avoient rendu presque héréditaire. Les grandes propriétés des seigneurs anglois étoient en partie tenues à bail par de riches fermiers, qui les cultivoient de père en fils à des conditions restées depuis très long-temps les mêmes. Leurs maisons étoient remplies de nombreux domestiques que le maître payoit chèrement, et qui lui paroissoient une charge inséparable de son état. Chacun de ces grands seigneurs étoit en quelque sorte le chef d’un petit peuple, dont la fortune dépendoit de lui, et qui le servoit de son zèle et des moyens divers que chaque individu de ce peuple se trouvoit posséder a. Il étoit résulté de cette organisation qu’en Angleterre l’aristocratie n’étoit nullement odieuse à la masse de la nation. Les lois même qui sont émanées du parti populaire aux époques où il a tenu le pouvoir en main n’ont jamais été dirigées contre la noblesse. Il ne faut pas m’opposer l’abolition de la chambre des pairs durant les guerres civiles ; cette mesure de révolution n’étoit point en harmonie avec le sens vraiment national. Les privilèges de la noblesse, modifiés par l’usage plus que par la loi, s’étoient conservés dans la Grande-Bretagne, sans exciter l’irritation qu’ils causent ailleurs. La guerre de la révolution françoise a dérangé subitement cette combinaison de liberté et d’aristocratie, de clientèle et de patronage. Cette guerre, en ajoutant beaucoup au fardeau des taxes, a introduit, entre la fortune des grands et les besoins de la population qui dépendoit d’eux, une disproportion qui a rompu tout équilibre. Impatients d’une gêne à laquelle ils n’étoient point habitués, les grands et les riches ont voulu s’en affranchir. Les propriétaires ont haussé leurs baux ou changé leurs fermiers ; les maîtres ont renvoyé leurs nombreux domestiques. Ils n’ont vu, dans cette maa
La vérité de ce tableau de l’Angleterre jusque vers la fin du siècle dernier a été contestée par quelques écrivains anglois, qui m’ont reproché d’avoir prêté au temps actuel des coutumes et des institutions féodales qui n’existent plus depuis Henry VII1. Assurément je ne méconnois point la distance qui sépare l’Angleterre constitutionnelle de l’Angleterre soumise à la féodalité. Mais lorsque les institutions se détruisent graduellement, les relations et les usages survivent. Les fermiers des grands propriétaires anglois n’étoient certainement pas attachés à la glèbe, il y a trente ans : mais les baux et les familles qui en jouissoient demeuroient les mêmes ; et cette stabilité formoit entre ces familles et celles des propriétaires un lien de clientèle et de patronage. Dès que les propriétaires ont vu dans la hausse des baux une spéculation, ce lien s’est trouvé rompu. Il n’y a plus eu de patrons et de clients, mais des hommes agissant également suivant leur intérêt, et dépourvus d’affections aussi bien qu’exempts de devoirs les uns envers les autres.
V: 11 des moyens ] des 〈ces〉 moyens la lettre «s» de «des» ajoutée en corrigeant F1 17 vraiment ] ajouté dans l’interl. F1 23-p. 181.2 besoins ... les bases ] passage non conservé dans le ms. 1
Allusion non élucidée.
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nière d’agir, qu’une mesure d’économie : elle a été le germe d’un changement dans les bases de l’ordre social ; et les symptômes de ce changement sont déja visibles, bien que la cause en soit ignorée. Par-tout où la masse des nations n’est pas comprimée par une force majeure, elle ne consent à ce qu’il y ait des classes qui la dominent, que parcequ’elle croit voir dans la suprématie de ces classes de l’utilité pour elle. L’habitude, le préjugé, une espéce de superstition, et le penchant de l’homme à considérer ce qui existe comme devant exister, prolongent l’ascendant de ces classes même après que leur utilité a cessé. Mais leur existence est alors précaire, et la durée de leurs prérogatives devient incertaine. Ainsi le clergé a vu diminuer sa puissance dès qu’il n’a plus été le seul dépositaire des connoissances nécessaires à la vie sociale : les peuples n’ont plus voulu obéir implicitement a` une classe dont ils pouvoient se passer. L’empire des seigneurs a commencé à déchoir lorsqu’ils n’ont plus offert à leurs vassaux, en compensation des privilèges que ceux-ci consentoient à respecter, une protection suffisante pour les dédommager de leur soumission à ces privilèges. Les grands seigneurs anglois n’avoient ni le monopole des sciences, comme les ecclésiastiques, ni celui de la protection, comme les barons du moyen âge ; mais ils avoient celui du patronage, et ils rendoient ce monopole tolérable pour les classes inférieures, en s’attachant et se conciliant une vaste clientèle. Ils l’ont licenciée ; ils ont cru, et c’est une erreur dans laquelle l’aristocratie tombe toujours, ils ont cru qu’ils pouvoient s’affranchir des charges et garder le bénéfice. Mais les clients, repoussés par leurs patrons, se sont par là même sentis replacés sur un terrain d’égalité. Ils en ont été avertis par un instinct sourd et rapide ; et toute la disposition morale de l’Angleterre a été changée. Les anciens fermiers qui paient plus cher, ou les nouveaux fermiers qui ont remplacé les anciens, ne sont plus les dépendants des propriétaires : ce sont des hommes qui, ayant traité avec eux d’après les lois, ne reconnoissent pour intermédiaires que ces lois au nom desquelles on leur a imposé récem ment des conditions plus onéreuses. Les serviteurs renvoyés ont renforcé la classe qui n’a rien à perdre, classe déja très nombreuse en Angleterre, à cause de ses détestables lois prohibitives, et de ses parish laws (lois de paroisse) si horribles contre les pauvres1. De la sorte, une grande portion du peuple, qui étoit autrefois le soutien de l’aristocratie, en est devenue l’adversaire. V: 7–29 de l’homme ... qui, ayant ] passage non conservé dans le ms. orages ] passage non conservé dans le ms. 1
34-p. 182.4 sorte, ...
Les Poor Laws («Lois sur les Pauvres») se réfèrent à l’allocation près des Civil Parish (paroisses civiles) d’une aide financière pour les plus pauvres en vigueur en Angleterre et dans le reste du Royaume-Uni entre les XVIe et XIXe siècle. Voir aussi Smith, Recherches, t. I, pp. 213–215, et ci-dessus, pp. 177–178, n. 1.
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Ce premier résultat du licenciement de la classe dépendante en a produit un second, et ces deux effets se sont accrus l’un par l’autre. Jusqu’à ce jour une portion de l’aristocratie défendoit franchement la liberté. Se sentant à l’abri des orages populaires, il lui étoit agréable de limiter à son profit la puissance du trône. Les nobles de l’opposition étoient flattés de se montrer les tribuns d’un peuple qu’ils dirigeoient. Aujourd’hui cette portion même de l’aristocratie britannique s’aperçoit que le gouvernail lui a échappé, et s’effraie des principes démocratiques qui font des progrès. En conséquence sa marche est incertaine. Elle ne demande plus tout ce qu’elle demandoit, et elle ne desire pas tout ce qu’elle demande. Par exemple, de tous les anciens whigs qui avoient débuté par réclamer la réforme parlementaire, il y en a bien peu qui en parlent encore, et il n’y en a pas un, j’ose le dire, qui l’effectuât, s’il le pouvoit par un acte de sa volonté. Aussi l’opposition, proprement dite, a-t-elle perdu la confiance de la masse. C’est un inconvénient : ceux qui veulent conduire le peuple au-delà des bornes, profitent de ce qu’il n’a qu’eux pour chefs. Pour faire concevoir toute l’étendue et toute l’importance d’un tel changement, une seule observation suffira. Le moment de la plus grande détresse de l’Angleterre a été celui de la cessation de la guerre à laquelle la paix de 1814 a mis un terme. La guerre avoit été la cause de cette détresse ; mais la paix en a été le signal. Durant la guerre, l’activité angloise s’étoit dirigée vers des genres d’industrie et vers des spéculations qui avoient pour base une lutte gigantesque contre Bonaparte et les rois ses vassaux. Une population d’entrepreneurs, de manufacturiers, d’armateurs, de contrebandiers même, population militaire en quelque sorte, s’étoit formée : elle avoit remplacé la population manufacturière et industrieuse des époques paisibles, et étoit aussi venue au secours de la partie de cette population qui restoit sans emploi direct, en l’associant, par des voies détournées, à ses entreprises et à ses profits. Sa prodigieuse activité, nécessitée et favorisée par les circonstances, non seulement faisoit illusion, mais en réalité réparoit au jour le jour les inconvénients d’une position pareille. De là cette espèce de prodige qui a fait que plus l’Angleterre a eu d’ennemis, plus elle a semblé croître en force et en puissance. La paix est venue. L’activité a dû cesser momentanément avec la guerre qui l’avoit créée et qui seule l’alimentoit ; elle a dû cesser avant d’être remplacée par d’autres spéculations et une autre industrie, parceque les canaux depuis long-temps négligés ne pouvoient se rouvrir immédiateV: 10-p. 187.32 (deman)doit ... trop tard. ] passage non conservé dans le ms., à l’exception des mots de la classe inférieure ajoutés sur la fiche gauche sup. du f o 28 de ce chap.
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ment, ni la direction des capitaux changer aussi vite qu’on signoit un traité. Par là même les taxes sont devenues intolérables. Ce qui avoit aide´ à les supporter, c’étoit la circulation rapide des capitaux employés dans les entreprises de la guerre, et les profits non moins rapides de ces capitaux. Ces ressorts n’agissant plus, non seulement les taxes devoient écraser ceux qui les payoient ; mais ces derniers n’ayant plus de quoi occuper la classe laborieuse, il devoit en résulter aussi pour cette classe une misère affreuse : c’est ce qui est arrivé. A cette époque, des attroupements, réduits aux extrémités les plus désastreuses, ont eu lieu dans diverses provinces et jusque dans le voisinage de Londres. Ces attroupements, vu la vigueur qu’une longue liberté donne toujours à une constitution, n’ont point mis l’état en péril ; mais dans tout autre pays ils auroient fait craindre une anarchie complète. Les paysans entroient par bandes dans la capitale pour demander du pain ; les charbonniers, s’attelant eux-mêmes à leurs chariots, partoient de divers comtés pour implorer le prince régent. Toutefois, dans une pareille crise, lorsque les ouvriers étoient sans ouvrage, les manufacturiers sans consommateurs, les propriétaires sans revenu, les pauvres sans aliments ; lorsque des rassemblements, poussés par la faim à des pillages partiels et mal concertés, bravoient des peines égales à celles qu’auroient attirées sur eux des délits politiques, aucune parole de rebellion n’a été prononcée, aucun signe de sédition arboré : le peuple, au désespoir, entraîné par la misère à beaucoup d’actes irréguliers, a paru néanmoins complètement étranger à toute intention de se soulever contre l’autorité et de porter la moindre atteinte à la constitution de l’état. L’année suivante, au contraire, bien que la détresse eût diminué, que le peuple eût retrouvé des ressources, le pauvre du travail, des conspirations ont éclaté, des associations dangereuses ont été signalées, et l’on a découvert qu’un assez grand nombre d’hommes de la classe inférieure nourrissoit des desirs et des projets de bouleversement, et vouloit courir les hasards d’une révolution sans direction, sans but fixe et sans terme. J’admets qu’on ait exagéré la gravité des symptômes. L’affreux expédient d’envoyer des espions agiter des esprits ignorants et proposer la révolte pur la dénoncer, a concouru à ces mouvements désordonnés. Des misérables ont séduit ceux qui ont eu le malheur de les écouter, et probablement aussi ils ont accusé ceux qu’ils n’avoient pu séduire. Comme on avoit pris des mesures extraordinaires, il a fallu donner le plus de vraisemblance qu’on a pu à des hypothèses alarmantes ; mais il y a eu pourtant un fond de réalité dans ces hypothèses. C’est que l’état moral de l’Angleterre a changé. Le licenciement de la clientèle, l’abdication du patronage (car c’est abdiquer le patronage que
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n’en plus vouloir remplir les obligations), ont amené une modification dans l’ordre social. L’aristocratie angloise a fait contre elle-même ce que la puissance royale avoit fait dans d’autres pays contre l’aristocratie. Voilà la cause d’une révolution possible et peut-être prochaine. Cette cause n’existoit pas lorsque Filangieri écrivoit. Malgré les vices de son système prohibitif, malgre´ l’énormité de sa dette, l’Angleterre étoit encore inexpugnable dans ses institutions, parceque ses institutions étoient d’accord avec les intérêts et les opinions qui se forment toujours d’après les intérêts de la masse. Aujourd’hui ces institutions sont en opposition directe avec ces intérêts ; il est difficile qu’elles leur résistent. Ce qui les sauve encore, c’est le droit que, malgré des lois souvent oppressives, l’opposition a conservé de se manifester dans toute sa violence. Elle s’évapore par cette manifestation. Comprimée, elle produiroit une explosion terrible, et le gouvernement, qui s’afflige de n’avoir pas contre elle des moyens suffisamment répressifs, doit son salut à l’impuissance même qu’il déplore. En comparant ces observations à celles de Filangieri, on trouvera, je pense, que ces dernières, déja inexactes et superficielles au moment où l’auteur italien les rédigeoit, sont totalement inapplicables à l’état présent des choses. Le danger qui menace l’Angleterre ne prend sa principale source ni dans la misère d’une portion nombreuse de sa population, ni dans l’accroissement de sa dette. Ce danger provient de ce que, la base de ses institutions étant l’aristocratie, du mo ment que cette base est ébranlée, ces institutions doivent chanceler. En conclura-t-on qu’il faut raffermir l’aristocratie ? on l’essaieroit en vain. On ne remonte pas le torrent ; il faut le suivre en dirigeant le navire de manière à n’être pas brisé contre les écueils. Il faut que l’Angleterre conserve ce qui est bon dans son organisation actuelle, une représentation nationale, la liberté des discussions, celle de la presse, les garanties judiciaires. Il faut qu’elle renonce à sa concentration des propriétés qui crée des millions de prolétaires, et à son aristocratie qui n’a plus de clientèle, ni par conséquent d’utilité1. P. S. Pendant l’impression de cet ouvrage, plusieurs faits se sont réunis pour corroborer mes assertions. 1
BC donne ici un avis personnel sur l’ébranlement de l’aristocratie anglaise et sur la nécessité d’une réforme des institutions. E´tant donné qu’il écrit en 1822, il a en mémoire 1o les conséquences du refus de la noblesse française de procéder aux réformes dans les années pendant la Révolution, 2o la force croissante des mouvements réformistes en Angleterre depuis 1815, mouvements d’ailleurs fortement influencés par ladite Révolution française. L’analyse de BC paraît donc, à sa date, très lucide et d’ailleurs prophétique, puisque les réformes qu’il recommande seront effectuées en 1832 par les «Reform Bills».
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Des associations agricoles, composées de riches propriétaires, ont pris, sur divers points du royaume, des résolutions qui, toutes, sous des formes différentes, et d’une manière plus ou moins directe, aboutissent à une proposition de banqueroute. Parmi ces résolutions, celles de l’association agricole du comté de Worcester, présidée par sir Thomas Winnington, méritent une attention sérieuse1. Il a été résolu unanimement dans cette assemblée : 1o Que la détresse de l’agriculture et la souffrance des intérêts agricoles ont été pleinement prouvés ; 2o Que le comité de la chambre des communes s’oppose à tout remède efficace, en posant pour principe que la cause de cette détresse a été l’éléva tion des prix occasionée par le cours forcé du papier-monnoie, et en supposant qu’aujourd’hui ces prix redescendront naturellement au niveau que ce concours du papier-monnoie avoit dérangé ; 3o Que l’opinion de l’association est que les prix de tous les objets, production, travail et rentes, ont doublé depuis l’existence du papier-monnoie ; que l’accroissement des taxes est fondé sur ces prix doubles, et que la masse de la dette nationale et des dettes et obligations particulières a été contractée d’après le doublement de ces prix ; 4o Que l’association ne sauroit comprendre comment il seroit compatible avec la bonne foi que les prix de la production et du travail, c’est-à-dire les revenus du propriétaire foncier et du cultivateur, fussent réduits au taux antérieur à l’introduction du papier-monnoie forcé, tandis que les intérêts de la dette et le salaire des places et des sinécures, c’est-à-dire les revenus du créancier de l’état et des salariés du gouvernement, seroient exempts de cette réduction. Si l’on traduit ces résolutions en style vulgaire, on trouvera qu’elles signifient que le rétablissement des paiements en numéraire faisant baisser le prix des denrées, et par conséquent le revenu de ceux qui les produisent et les vendent, il faut, en bonne justice, faire baisser, suivant une égale proportion, l’intérêt des fonds publics et les salaires des fonctionnaires. TR: 4-p. 187.17 Il a été résolu ... les plus élevées. ] article publié dans Le Courrier français, no 269, 2 octobre 1821, pp. 4a–4b ; Constant, Recueil d’articles, 1820–1824, pp. 85–87. 1
Thomas Edward Winnington (1780–1839), whig, membre de la Chambre des Communes de 1807 à 1837, de 1820–1830 pour le Worstershire. BC cite le document d’une assemblée (county meeting) qui s’est tenue le 8 février 1822. Le journal The Times en fait un compte rendu dans son numéro du 11 février, que BC a peut-être lu. Voir David R. Fisher, The House of Commons, 1820–1832, London : History of Parliament Trust, 2009, t. VII, pp. 866– 867.
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Quant à la réduction des salaires, c’est une mesure évidemment juste. Personne n’étant forcé d’ac cepter des fonctions salariées, nul n’a droit de se plaindre de la modicité de leur rétribution, puisque chacun est libre de les refuser. Mais la réduction de la dette ou des intérêts de cette dette est une question d’un tout autre genre. Ce n’est point à démontrer l’iniquité d’une telle violation de la foi jurée que je m’arrêterai ; je n’insisterai pas même sur ce qu’elle auroit d’impolitique. Tout homme qui n’est pas étranger aux premières notions du crédit public sait qu’il y a des atteintes dont il ne sauroit se relever ; ou du moins il ne s’en relève que lorsqu’un bouleversement complet ayant frappé de mort le gouvernement coupable de ces atteintes, un gouvernement nouveau se présente et semble offrir plus de garanties. Ainsi, après la chute du directoire, qui avoit fait banqueroute en 1797, le crédit de la France a pu renaître sous Bonaparte, qui avoit renversé le directoire, parcequ’il n’étoit pas responsable des infidélités directoriales, et qu’on pouvoit lui attribuer l’intention de réparer les fautes d’un gouvernement dont il étoit à-la-fois l’héritier et le vainqueur. Mais le gouvernement anglois, manquant à ses engagements, ne regagneroit jamais la confiance. Il faudroit d’autres hommes, d’autres choses, d’autres institutions, d’autres formes ; il faudroit, en un mot, une révolution. Si cette révolution ne s’opéroit pas, que seroit en Europe le gouvernement anglois privé de crédit ? Sa population ne lui permet point d’intervenir par lui-même dans les querelles continentales : il n’y figure que par ses alliés. Or il n’a d’alliés que ceux qu’il soudoie ; il ne les soudoie que par des emprunts. La source des emprunts tarie, que deviendroit-il ? L’Angleterre n’occuperoit pas alors une place plus importante que la Sardaigne dans la politique européenne. Je ne dis rien du bouleversement intérieur qu’entraîneroit la réduction de la dette. Un mot échappé aux auteurs des résolutions que je viens de transcrire l’indique suffisamment. Les dettes et obligations particulières, disentils, ont, aussi bien que la dette nationale, été contractées d’après le doublement du prix des denrées et du travail. Ils n’ajoutent point, il est vrai, que les dettes particulières devroient être réduites comme la dette publique ; mais la conséquence découle de leurs principes. L’injustice a sa logique, aussi péremptoire que la logique de la loyauté ; et ceux qui veulent aujourd’hui dépouiller les créanciers de l’état pour diminuer les taxes qui servent à les payer, appliqueront d’autant plus volontiers la règle qu’ils invoquent à leurs propres créanciers, qu’ils seront fondés dans l’application. Sans doute, entre les résolutions de quelques associations de province et les déterminations du parlement, dominé par des ministres qui connoissent assez bien leur position, l’intervalle est considérable : toutefois remarquez le progrès des idées depuis quatre ans.
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En 1817, une pétition reposant sur la doctrine adoptée maintenant par l’association agricole de Worcester, fut signée en plein air par quatre mille individus de classes très inférieures : personne n’y fit la moindre attention1. En 1818, une autre pétition dans le même sens fut adressée à la chambre des communes : on en écarta la lecture, en disant qu’elle étoit beaucoup trop longue. En 1819, un ministre traita toute demande de réduction de la dette de projet coupable et de crime de haute trahison. En 1820, on mit en accusation des réformateurs, pour avoir dit que les créanciers de l’état étoient des créatures rapaces (rapacious creatures) : voilà pour la résistance. Voici pour les progrès : dans la dernière session, M. Littleton, grand propriétaire, a dit que ces mêmes créanciers de l’état étoient des monstres dévorants (monsters of consumption) ; et pour cette expression, plus forte que celle de créatures rapaces, il n’a pas même été rappelé à l’ordre2. Enfin, en 1821, voilà que le même langage est tenu, non par des réformateurs ou par un homme isolé imbu de leurs doctrines, mais par des possesseurs de vastes propriétés territoriales, par des hommes en grand nombre et faisant partie des classes les plus élevées.
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L’allusion de BC est difficile à expliquer. Rappelons d’abord que l’année 1819 a été marquée par plusieurs mouvements sociaux en Angleterre, dues surtout au chômage de masse résultant du marasme économique et des progrès du machinisme qui se substitue de plus en plus à la main d’œuvre, notamment dans l’industrie textile et dans la métallurgie. Le principal de ces mouvements se produit à Manchester le 16 août 1819, où un meeting de 50 à 60.000 personnes, brandissant des slogans révolutionnaires et dirigé par le leader Henry Hunt, est réprimé par l’armée et fait 11 morts et 400 blessés. L’épisode devient célèbre dans toute l’Europe sous le nom de «Peterloo Massacre» («Peter» à cause du nom du lieu, St. Peter’s Field, et la dernière syllabe par allusion sarcastique a` Waterloo). Il est curieux que BC ne cite pas le massacre de Peterloo alors que celui-ci semble corroborer sa thèse. Il s’intéresse ici exclusivement à l’agriculture et à la propriété foncière. Les manifestations paysannes aux environs de 1820 sont beaucoup moins spectaculaires que les manifestations ouvrières. Voir Llewellyn Woodward, The Age of Reform, 1815–1870, Oxford : Clarendon Press, 21962. Edward John Littleton, 1er baron Hatherton (1791–1863), membre de la Chambre des Communes depuis 1812. Les expressions rapacious creatures et monsters of consumption sont tirées de «Cobbett’s Letters to Landlords on the Agricultural Report and Evidence» dans le périodique Cobbett’s Weekly Political Register, t. XXXX, septembre 1821, pp. 150–151. William Cobbett (1753–1835), «autodidacte, servit comme soldat au Nouveau-Brunswick (Canada) de 1785 à 1891, se retira en Amérique en 1792, où il publia des pamphlets en faveur de l’Angleterre, rentra dans son pays en 1800, y publia dès 1802 son Cobbett’s Weekly Political Register [...]» (Harpaz, Recueil d’articles, 1820–1824, p. 87, n. 1). Nous avons reproduit cette note d’E´. Harpaz, qui contient des détails intéressants relatifs aux circonstances évoquées par BC.
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Que si maintenant on me demande ce qu’il y auroit à faire pour ne pas se briser contre l’écueil vers lequel on est poussé par une force presque irrésistible, je répondrai que j’aperçois les causes, que je prévois les effets, mais que, lorsque les remèdes sont de nature à blesser tous les intérêts actifs, et à rencontrer des obstacles dans toutes les forces organisées, il y auroit une présomption inexcusable à les indiquer. Je dirai cependant que l’Angleterre étant ébranlée jusque dans ses bases, changer ses bases par de violentes et subites innovations seroit hasardeux. Qu’elle emploie les débris de ses ressources artificielles, pendant qu’elles lui restent encore, à gagner du temps, et qu’elle se crée, durant ce temps, des ressources moins factices : qu’elle soulage le pauvre en abolissant ses lois prohibitives ; l’industrie libre lui vaudra mieux que des taxes qui perpétuent sa misère, en la secourant au jour le jour : qu’elle permette à l’aisance de naître d’elle-même, en n’interdisant plus la division des propriétés : qu’elle renonce à sa concentration aristocratique des richesses comme du pouvoir. Peut-être de la sorte, avant le terme inévitable de sa vie artificielle, parviendra-t-elle à se procurer les germes d’une vie politique plus en harmonie avec la tendance impérieuse et invincible des sociétés européennes. Je dis peut-être ; car je ne sais s’il n’est pas trop tard.
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10. Page de titre des trois dernières parties du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri par Benjamin Constant, Paris : Dufart, 1824. Universitätsbibliothek Tübingen, Ec87b-5.
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Chapitre premier. Objet de cette seconde partie.
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C’est avec un mélange de contentement et de regrets que je quitte le champ de la politique. D’une part, il est possible qu’en me prescrivant un silence complet sur ce qui regarde les questions les plus élevées de l’organisation sociale, je renonce à développer quelque idée utile, qui auroit à une époque quelconque trouvé son application : car le triomphe des idées utiles n’est jamais qu’une question de date ; mais le retard est fâcheux parfois pour les individus et même les générations contemporaines. D’un autre côté, depuis que les hommes d’état de l’Europe ont adopté pour maxime que toute amélioration doit venir du pouvoir seul, être accordée exclusivement par lui, et n’être accordée que lorsque les peuples n’ont fait aucune tentative pour imposer des conditions ou tracer des limites à l’autorité, personne, ce me semble, ne doit intervenir dans ce qui touche au gouvernement ; personne ne le peut sans affronter des périls inutiles, et, ce qui est plus grave, sans appeler sur sa tête une responsabilité morale qui me paroît un trop lourd fardeau. En effet, n’est-il pas incontestable qu’en démontrant l’existence d’un abus, la nécessité d’une réforme, on s’expose à en faire naître le desir dans l’esprit d’une multitude qui souffre de cet abus ou qui gagneroit à cette réforme ? et qui peut prévoir le résultat d’un desir né de la conviction et devenu plus ardent par les obstacles mêmes ? Mais si ce desir entraîne les nations à des réclamations trop hardies, ou à des actes irréguliers, il s’ensuivra qu’elles seront privées pour un temps beaucoup plus long des biens qu’elles sollicitent. C’est à ce triste résultat que je ne veux contribuer d’aucune manière. Je ne m’exagère point l’influence qu’exercent les écrivains1 : je ne la crois point aussi étendue que les gouvernements la supposent ; mais cette Établissement du texte : Manuscrit : [Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Deuxième partie.], cotes diverses : BCU, Co 3267, Co 3278, Co 4722/1. BnF, NAF 18822, fos 29 à 39, [=F2]. Imprimé : Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Deuxième partie, Paris : Dufart, 1824, [=F6]. V: 1-p. 192.18 Chapitre premier ... et des impôts. ] il n’y a pas de ms. pour ce chap. 1
BC évoque ici le phénomène heureux et encourageant de la presse libre. Il pense évidemment à des ouvrages célèbres tels que le traité de Smith, les ouvrages sur la tolérance
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influence existe pourtant. C’est à elle qu’on a dû l’abolition des rigueurs religieuses, la suppression des entraves du commerce1, l’interdiction de la traite des noirs, et beaucoup d’améliorations de divers genres. Dans tout autre temps cette conviction eût ajouté au courage, elle arrête maintenant la conscience. Il est établi que d’en-haut seulement doit venir la lumière. Les vœux que celle qui viendroit d’en-bas suggèreroit aux peuples seroient une raison pour que l’accomplissement de ces vœux fût indéfiniment ajourné, pour peu que leur manifestation fût imprudente. Je me tairai donc sur la politique. Le pouvoir a réclamé pour lui seul la totalité de nos destinées. Ces réflexions, il est vrai, s’appliqueroient peut-être, si on les prenoit dans toute leur rigueur, aux objets qui m’occuperont dans cette seconde partie, aussi bien qu’à ceux que je crois devoir m’interdire. Il me sera difficile de relever une erreur même financière ou commerciale, sans avoir l’air de donner un conseil, d’indiquer un redressement. Toutefois ces sujets tiennent de moins près à ceux qui causent de l’ombrage, et j’espère pouvoir, avec des précautions convenables, parler sans péril de la population, du commerce, et des impôts.
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religieuse publiés en France et en Allemagne et aux innombrables publications sur la traite des noirs, où les publicistes anglais, en particulier l’African Institution de Londres et le philanthrope Wilberforce, ont obtenu finalement les succès les plus remarquables. Le «mercantilisme», cet ensemble pas toujours cohérent d’idées et de politiques interventionnistes à l’intérieur (subventions, etc.) et dans les relations économiques avec l’extérieur (tarifs, contingents, prohibitions, etc.), céda peu à peu à partir du XVIIIe siècle sous les coups de boutoir des économistes : en France, les physiocrates, Turgot, les révolutionnaires – même si le premier Empire, avec le blocus continental, peut être considéré comme une régression – au Royaume-Uni sous l’influence de Smith et de l’école libérale classique, qui ont insisté sur les avantages du commerce international.
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Chapitre II. De la traite des nègres a.
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«Les bords affreux du Sénégal ne seroient pas devenus le marché où les Européens vont trafiquer à vil prix des droits inviolables de l’humanité ... La
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seule Pensylvanie n’a plus d’esclaves. Le progrès des lumières nous fait espérer que cet exemple sera bientôt suivi par le reste des nations.» Liv. I, chap. IV, p. 70–711.
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Quand on considère les mesures prises par les divers gouvernements de l’Europe contre l’abominable trafic que Filangieri signaloit il y a quarante ans à l’indignation publique ; quand on lit les discours des ministres dans toutes les assemblées, les ordonnances des rois dans tous les pays, on est tenté de croire que les vœux du publiciste italien sont accomplis, au moins en partie. Mais en comparant les faits aux théories, et ce qui se passe à ce qui est promis, on voit que le résultat des lois obtenues et promulguées a été d’aggraver le sort de la race infortunée qu’on a voulu protéger2. Une conséquence triste et naturelle des prohibi tions mal exécutées, c’est que les précautions nécessaires pour les éluder introduisent dans les opéa
La traite des nègres ayant, à la honte de l’espèce humaine, été considérée long-temps sous un rapport commercial aussi bien que politique, j’ai cru pouvoir, malgré la réserve que je me suis imposée dans ce Commentaire, aborder un sujet sur lequel tout le monde est d’accord, au moins en parole, et qui intéresse si essentiellement l’humanité.
V: 1-p. 204.7 Chapitre 1 2
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... exprimoit. ] il n’y a pas de ms. pour ce chap.
SL1, livre I, chap. IV, pp. 75–76, avec une variante : «Le progrès des Lumières, secondé par les vertus des souverains, nous fait espérer». Si «l’air de l’Europe (occidentale) rendait libre», c’est-à-dire qu’il n’y avait plus en principe d’esclaves dans cette partie du monde, l’esclavage subsistait dans les colonies ultramarines européennes et, avec lui, la traite, c’est-à-dire l’achat d’esclaves en Afrique, qui traversaient ensuite l’Atlantique dans des conditions atroces. La Révolution française avait fini par supprimer l’esclavage dans les colonies, mais Napoléon le rétablit, ce qui conduisit à la révolte des esclaves de la plus riche colonie française, celle de la partie ouest de SaintDomingue (aujourd’hui Haïti : voir ci-dessous, p. 201). La suppression de la traite, dont l’initiative fut britannique et religieuse (voir ci-dessous, p. 202, n. 1), fut une affaire de longue haleine, qui se poursuivait. Pour ce qui concerne la France de la Restauration voir cidessous, pp. 199–204.
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rations auxquelles la cupidité se livre au mépris des lois, un mystère, une précipitation qui les rendent doublement irrégulières, et quand elles portent sur des êtres sensibles, doublement cruelles. La traite des noirs est devenue beaucoup plus atroce depuis qu’elle est entravée par des prohibitions inefficaces. Lorsqu’elle étoit permise, l’autorité qui la toléroit exerçoit au moins quelque surveillance, et sur les bâtiments négriers, et sur le nombre des nègres entassés dans ces funestes demeures, et sur la salubrité des aliments destinés à prolonger leur triste existence, et sur les punitions qui leur étoient infligées par leurs bourreaux. Depuis que la traite est défendue, les vaisseaux qui servent à ce commerce, construits de manière à échapper plus facilement à toute poursuite, resserrent dans un plus étroit espace des captifs qui néanmoins sont en plus grand nombre. La crainte de visites imprévues porte les capitaines de ces bâtiments à renfermer leur proie dans des caisses fermées, ou l’œil des employés ne puisse les découvrir ; et quand la découverte est inévitable, ces caisses et les victimes qu’elles dérobent aux regards sont jetées à la mer. Ces horreurs sont constatées par des documents authentiques. On peut consulter les débats du parlement d’Angleterre1, les discussions des chambres françoises2, et les Mémoires de la Société africaine de Londres3. J’écarte ici tous les détails ; ils seroient déplacés dans cet ouvrage. Il résulte de là que l’abolition de la traite, telle qu’elle a été exécutée jusqu’à présent, a fait plus de mal que de bien. L’avidité des commerçants qui spéculent sur le sang humain ne s’est point ralentie ; et leur barbarie s’est accrue par les obstacles qu’ils ont rencontrés. Cette persistance dans l’attentat le plus exécrable qu’aient jamais commis, je ne dirai pas les peuples civilisés, mais les hordes les plus féroces, tient à deux causes qui réagissent l’une sur l’autre. La première est l’immensité des bénéfices, combinée avec l’indulgence des lois. La seconde est l’état de l’opinion sur cette question dans plusieurs contrées de l’Europe4. 1
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BC renvoie ici d’une manière sommaire sans doute à l’édition canonique des Parliamentary Debates qu’on cite sous le nom de l’éditeur Hansard. Voir aussi Ch. J. Fox et W. Pitt, Recueil de discours, t. VIII, pp. 145–155. Allusion aux débats de 1821, où BC est intervenu lui-même avec plusieurs discours. Allusion aux publications de l’African Institution, London, qui imprime annuellement un Report of the Directors of the African Institution. BC possède les 13 th (1819) et 16 th Report (1822) dans sa bibliothèque. Mais le volume mis largement à contribution dans ce chapitre est l’ouvrage hors série Foreign Slave Trade. Abstract of the Information recently laid on the Table of the House of Commons on the Subject of the Slave Trade, being a Report made by a Committee specially appointed for the Purpose, to the Directors of the African Institution on the 8th of May, 1821, and by them ordered to be printed, as a Supplement to the Annual Report of the present Year, London : Ellerton and Henderson, 1821. Cet ouvrage se trouve également dans sa bibliothèque. BC pense sans doute à l’Espagne, au Portugal, à la Hollande et certainement à la France. Ces pays ont fini par se rallier à la lutte de l’Angleterre contre l’esclavage, non sans ré-
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De toutes les contrebandes, la plus lucrative est certainement la traite des noirs ; elle rapporte de treize à cinq capitaux pour un a. Le seul moyen de contre-balancer l’appât qu’offrent à l’avidité des gains si énormes, seroit une législation rigoureuse. Mais les peines prononcées contre la traite sont presque par-tout beaucoup plus douces que celles qui sont dirigées contre des crimes infiniment moins odieux. Tandis que la mort est prodiguée dans nos codes à des délits causés par la misère, le désespoir, l’entraînement des passions, la traite, qui est la combinaison du rapt, de l’incendie, du vol et du meurtre, accompagnés de la préméditation la plus a
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Voyez les Mémoires de la Société africaine, l’Exposé du duc de Broglie à la Chambre des Pairs dans la séance du 28 mars 18221, et sur-tout un Prospectus pour un armement destiné à ce commerce, prospectus publié par des négociants d’une ville maritime avec une incroyable impudeur2.
sistance. La politique des trois premiers pays est analysée dans Foreign Slave Trade pp. 24– 70, celle de la France aux pp. 71–151. Achille-Charles-Léonce-Victor duc de Broglie (1785–1870), d’une famille piémontaise passée au service armé du roi de France au XVIIIe siècle (son père et son grand-père furent Maréchaux de France), avait épousé la fille de Mme de Staël, Albertine (1797–1838). Ministre sous la Restauration, il sera président du Conseil en 1835–36. Aristocrate libéral, il fait partie dans les années 1820 d’une «Société de la morale chrétienne» qui comprend des protestants, dont son beau-frère Auguste de Staël et BC, et qui milite en faveur de l’abolition de la traite. Ce sera d’ailleurs le comte d’Argout, ministre de la marine de 1830 à 1831 et ami de longue date de Victor, qui réussira sous Louis-Philippe à faire voter une troisième loi abolitionniste, qui sera enfin appliquée. BC renvoie ici à Victor de Broglie, Chambre des Pairs de France. Session de 1821. Séance du jeudi 28 mars 1822. Développement d’une proposition faite à la Chambre par M. le duc de Broglie, et relative à l’exécution des lois prohibitives de la traite des noirs, [Paris : L. E. Herhan], 1822. BC possède cet ouvrage dans sa bibliothèque. BC cite le Prospectus scandaleux soit d’après la traduction anglaise publiée dans Foreign Slave Trade, pp. 147–150, soit plus probablement d’après les «Pièces justificatives» ajoutées à l’édition du discours du duc de Broglie, qui donne sous le numéro 2, pp. 138–144, le texte de ce prospectus ainsi qu’une autre pièce du même genre. Il s’agit d’une offre d’acheter auprès de l’armateur J. Ferrant, Le Havre, des actions de 3.000 fr. chacune pour faire construire un navire spécialement équipé pour la traite d’esclaves, appelés «mules» dans ce document. Le prix du bâtiment est chiffré à 52.800 fr, le profit atteint, après cinq voyages, 166.450 fr, sans tenir compte de la valeur du bateau. Le risque est couvert par une assurance. Le capitaine Le Denter ou Dentu obtient une prime de 10% sur le profit. Le prix à réaliser pour un esclave est de 500 fr. ou plus. Nous n’avons pas réussi à localiser le document original. Un autre prospectus d’armement du même genre qui s’adresse à des actionnaires potentiels a été publié en avril 1802 à Bordeaux par Jacques Conte, riche armateur possédant un hôtel somptueux dans cette ville et le château de Saint-Julien Beychevelle, Médoc. Voir Éric Saugera, Bordeaux port négrier, chronologie, économie, idéologie, XVIIe-XIXe siècles, Paris : Éditions Karthala, 22002, p. 133. Sur BC voir pp. 165–171.
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froide et la plus réfléchie, n’est punie en France, par exemple, que de la confiscation, à laquelle le coupable se soustrait par les assurances, et de la privation d’état, qu’il élude en naviguant ostensiblement sous les ordres d’un autre. On objecte que des peines plus sévères seroient appliquées avec répugnance par les tribunaux, et que leur indulgence laisseroit impunis des accusés qu’ils ne voudroient pas livrer à des rigueurs qu’ils croiroient excessives ; et les mêmes hommes qui ne craignent point que, dans les délits politiques, l’impunité ne résulte de la sensibilité des juges, déclarent qu’il est impossible d’obtenir de ces juges la même obéissance, la même exécution de la loi, quand il s’agit de l’attentat le plus révoltant contre tous les principes conservateurs de la justice et de la dignité de l’espèce humaine. Je dirai tout-à-l’heure ce qu’il peut y avoir de vrai dans cette objection : mais je ne la crois pas suffisante pour excuser la douceur des lois actuelles. Il y a, j’ose l’espérer, beaucoup d’hommes parmi ceux qui seroient jurés, auxquels un instant de réflexion rendroit évidents l’abus et le crime d’une pareille indulgence. Quant à moi, je le déclare, frapper d’un arrêt de mort le citoyen qui, égaré par ses opinions ou même par des vues ambitieuses, a conspiré contre la liberté, ou troublé le repos de sa patrie, peut quelquefois être nécessaire ; mais je déplorerai toujours cette nécessité, parceque les délits politiques n’impli quent point la perversité des intentions ou la corruption du cœur ; tandis que, si j’étois juré, et que les lois m’offrissent un moyen de délivrer la société du tigre qui auroit enlevé ou acheté ses semblables, les auroit entassés dans un cachot infect au fond d’un navire, en auroit laissé périr une partie dans les tourments de la contagion, de la faim, de la soif, ou d’une lente agonie, et auroit peut-être jeté à la mer les infirmes et les malades, ne voyant en eux que des marchandises avariées, certes, je n’hésiterois pas un moment à faire tomber sur lui le glaive de la justice, et je ne pense pas que le moindre sentiment de pitié s’élevât dans mon ame contre l’arrêt que j’aurois prononcé. Il y a toutefois, au fond du sophisme que je viens de rapporter, une portion de vérité qui sert à donner du poids à ce qu’il contient de faux ; et ceci me ramène à la seconde cause qui perpétue parmi nous la traite des nègres. On ne peut nier que dans plusieurs états de l’Europe, et particulièrement en France, l’abolition de la traite n’ait devancé l’époque où l’opinion éclairée se seroit montrée unanime sur ce point. Cette abolition s’est présentée sur le continent sous la forme d’un décret importé d’Angleterre, et dont en conséquence on a toujours cherché les motifs dans la politique et l’intérêt plus que dans la justice. De la sorte elle a précédé la conviction morale qui
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rend les réformes efficaces ; elle a été imposée d’autorité, et l’opinion seconde moins activement les mesures légales, quand ces mesures prennent une initiative qu’elle croit lui appartenir. Les négociants, dont la cupidité enfreint les lois, ne sont pas frappés par la réprobation générale. On les considère plutôt comme les victimes d’un traité prescrit par la jalousie d’un peuple rival, que comme des coupables punis pour un crime odieux et infame. Ainsi il arrive, pour ce qui concerne la traite des noirs, ce qui arrive dans toutes les choses humaines. Les réformes qui précèdent l’opinion, quelque évidente que soit leur justice, ne sont jamais ni efficaces ni complètes dans leurs effets. Les ennemis de ces réformes trouvent des auxiliaires dans les habitudes et les préjugés non encore détruits ; et ce n’est que lorsque les lumières sont suffisamment répandues que le but peut s’atteindre et que les lois sont exécutées. Cela est si vrai, que les deux pays où cet abominable commerce est réprouvé le plus hautement et réprimé avec le plus d’activité et de bonne foi, sont l’Amérique et l’Angleterre. Quant à l’Amérique, les intentions de son gouvernement ne me sont point suspectes. Il est placé dans des circonstances tellement heureuses, que les vices de la vieille politique européenne ne sauroient s’y introduire. Un territoire immense, une population qui peut s’étendre à son gré, et une entière sécurité sous le rapport de toute invasion, préservent l’Amérique de la plupart des embarras qui entravent et corrompent nos gouvernements. Mais il n’en est pas de même du gouvernement ou du ministère anglois : c’est son intérêt, nous dit-on, c’est l’intérêt de son commerce ; et cette prétendue humanité pour les noirs n’est qu’une habile conspiration contre la prospérité des autres peuples. J’emprunterai pour réfuter cette objection qu’une défiance nationale, très naturelle, est disposée à croire très forte, les paroles d’un homme qui a fait de longues et opiniâtres recherches sur les faits relatifs à l’abolition de la traite, et qui, pair de France, ne peut être soupçonné de pencher vers les intérêts commerciaux de l’Angleterre. «Le commerce anglois, dit-il, n’a jamais sollicité l’abolition de la traite ; il ne s’en est jamais montré le fauteur ni l’appui. Tout au contraire, c’est contre lui qu’elle a été prononcée. Il a livré, pendant vingt ans, les plus rudes combats pour la maintenir ; il ne s’en est laissé dépouiller qu’après avoir lutté sans relâche, après s’être épuisé en efforts et en imprécations. Aujourd’hui même encore, si quelques négociants anglois osoient élever la voix, peut-être ne demanderoient-ils pas qu’on rendît la traite impossible sous pavillon étranger ; peut-être regretteroient-ils qu’on enlevât à leurs détestables spéculations leur dernier déguisement et leur dernier refuge ...
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Les ministres actuels de l’Angleterre n’ont point regardé l’abolition de la traite comme un avantage. Ils ont figuré pendant vingt ans parmi les adversaires de cette sainte cause. Ils ont voté les derniers dans les dernières minorités, qui ont persisté jusqu’au bout dans leur opposition. Ils ont prédit, comme une conséquence inévitable de cette mesure, et la désolation des colonies et la banqueroute universelle ... Ce n’est pas leur politique qui triomphe, ce n’est pas leur ouvrage dont ils assurent le succès. En travaillant à la destruction définitive du commerce des noirs, ils font, pour ainsi dire, amende honorable de leurs erreurs passées. Ils ont été vaincus par l’ascendant de l’opinion publique, par la force de la raison et de la vérité. C’est encore aujourd’hui la force de la raison et de la vérité qui les pousse et qui les domine a.» La force de ces raisonnements me paroît évidente. Si le gouvernement anglois est aujourd’hui de bonne foi pour mettre obstacle à la traite, c’est que l’opinion à cet égard a été préparée en Angleterre par de longues discussions et par la persévérance infatigable des hommes les plus respectés. On méconnoît trop en général la puisssance des vérités démontrées. Quelque jugement défavorable que puisse mériter l’espèce humaine, il y a un degré d’évidence auquel les intérêts ne résistent pas. Les anciens, bien moins avancés que nous sous le rapport des lumières, possédoient toutes les notions naturelles qui servent de base à la morale. Ils toléroient pourtant l’esclavage dans ses excès les plus odieux. C’est que la pratique les ayant réconciliés avec une chose exécrable en elle-même, leur conscience ne s’éveilloit pas au nom d’esclave. De nos jours, l’idée de disposer en Europe, sans rétribution du travail, et sans jugement de la vie d’un homme innocent, révolteroit le moins éclairé et le moins scrupuleux d’entre nous. Mais on n’en est pas encore arrivé à ce point quand il s’agit des nègres. Il y a malheureusement une portion du public européen qui ne les considère pas comme appartenant à la race humaine. Cette portion du public, qui rougiroit d’assassiner et de voler sur la grande route, prend part sans scrupule à un commerce qui la séduit par ses bénéfices ; et elle s’étourdit par des sophismes pour se déguiser qu’entre elle et le meurtrier ou l’incendiaire a
Développements du duc de Broglie1.
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Voir de Broglie, Discours, pp. 9–11. La citation, un montage de plusieurs morceaux, résume les efforts tenaces des abolitionnistes qui s’observent surtout depuis l’engagement de William Wilberforce, couronnés de succès après un débat de dix heures à la Chambre des Communes le 24 février 1807. Le ministère mentionné par le duc de Broglie est celui de Liverpool ; il pense probablement en particulier à Charles Bathurst, secrétaire d’E´tat au ministère de la Guerre et des Colonies.
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il y a au moins parité. Quand cette vérité sera bien reconnue ; quand les lois ne mettront point de différence entre des crimes au moins égaux ; quand, indépendamment des lois, l’opinion indignée poursuivra dans les rues et sur les places publiques le négociant qui aura pris part à la traite, la presque totalité de la population commerçante refusera d’y tremper. Il n’y aura que des misérables, sans ressources comme sans aveu, qui, pour un profit incertain, se placeront au rang des bandits et des pirates, en dehors de la société qui les punira. C’est donc à produire cette conviction morale qu’il faut travailler sans relâche. Il ne faut plus simplement, comme Filangieri, se borner à poser des principes, à prouver qu’en théorie la traite est une violation de tous les droits : il faut démontrer par des faits qu’elle est en pratique l’accumulation de tous les crimes. Il faut reproduire tous les traits de cruauté dont elle souille encore aujourd’hui les an nales maritimes de toutes les nations. Il faut consigner par-tout et répéter sans cesse que trente-neuf nègres devenus aveugles, parcequ’ils étoient entassés à fond de cale, ont été jetés à la1 mer a ; que douze esclaves, renfermés dans des caisses afin de les dérober aux perquisitions d’un navire anglois, ont de même probablement été préa
1
Ce fait est d’autant plus remarquable, qu’il n’a été connu que par un ouvrage scientifique, dont l’auteur avoit si peu l’intention de soulever les esprits contre la traite, qu’il a fort regretté d’avoir inséré dans son récit cet horrible détail, et qu’il s’est hâté de le supprimer dans une édition faite exprès pour remplacer la première. C’est une raison de plus pour lui donner toute la publicité possible, et pour le dénoncer à tous ceux qui conservent quelques sentiments d’humanité. «Le navire .. ....., du port de deux cents tonneaux, partit ...... le 24 janvier 1819, pour la côte d’Afrique, et arriva à sa destination le 14 mars suivant. Le navire alla mouiller devant Bouny, dans la rivière de Malabar, pour y faire la traite des nègres .... Les nègres, qui étoient au nombre de cent soixante, entassés dans la cale et dans l’entrepont, avoient contracté une rougeur assez considérable des yeux, qui se communiquoit avec une rapidité singulière des uns aux autres .... On fit monter successivement sur le bord, afin de leur faire respirer un air plus pur, les nègres qui étoient demeurés jusqu’alors dans la cale : mais on fut obligé de renoncer à cette mesure, toute salutaire qu’elle étoit, parceque beaucoup de ces nègres, affectés de nostalgie (le desir de revoir leur pays natal), se jetoient dans la mer en se tenant embrassés. La maladie se développoit parmi les Africains d’une manière effrayante et rapide, et ne tarda pas à devenir contagieuse pour tous, et à donner des BC renvoie ici à l’ouvrage de Sébastien Guillié, Bibliothèque ophtalmologique, ou Recueil d’observations sur les maladies des yeux, faites à la clinique de l’institution royale des jeunes aveugles, no du 30 novembre 1819. BC possédait ce numéro qu’il a utilisé pour son discours du 27 juin 1821 à la Chambre sur la traite des noirs (Discours, Paris : Dupont, 1827, t. I, p. 557). Il revient sur cette affaire dans une lettre au rédacteur du Courrier français du 1er juillet 1821 (Harpaz, Recueil d’articles, 1820–1824, p. 63) pour se défendre contre des attaques de la Gazette de France. La même affaire est traitée dans Foreign Slave Trade, pp. 82–85, où il est question du navire «Le Rodeur». La citation (presque littérale) est reproduite également dans le discours du duc de Broglie sur la traite des noirs, pp. 39– 43.
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cipités dans les flots, lorsque ces perquisitions sont devenues telles, que le capitaine négrier n’a plus espéré de s’y soustraire a.
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craintes pour l’équipage ... Les douleurs augmentoient de jour en jour, ainsi que le nombre des aveugles ; en sorte que l’équipage, déja saisi de la crainte d’une révolte parmi les nègres, étoit frappé de la terreur de ne pouvoir diriger le bâtiment pour se rendre aux Antilles, si le dernier des matelots, qui seul n’avoit pas été atteint par la contagion, et sur lequel se fondoient toutes les espérances, venoit à cesser de voir comme les autres. Un pareil évènement étoit arrivé à bord du Léon, bâtiment espagnol qui croisoit devant le ....., et dont tout l’équipage, devenu aveugle, avoit été obligé de renoncer à diriger le navire, et se recommandoit à la charité du ......, presque aussi malheureux que lui ... Arrivé à la Guadeloupe le 21 juin 1819, l’équipage étoit dans un état déplorable ... Parmi les nègres trenteneuf sont devenus aveugles et ont été jetés à la mer.» Bibliothèque ophtalmologique du D. Guillié. «Le 4 mars 1820, les chaloupes du navire anglois le Tartare arrêtèrent la Jeune Estelle ... L’agitation et l’alarme qu’on remarquoit dans la contenance de tous les gens du navire excitèrent des soupçons, et on procéda à la visite du bâtiment. Pendant cet examen un des hommes de l’équipage du Tartare, ayant frappé sur un baril très soigneusement fermé, on entendit sortir une voix, comme les gémissements d’une personne expirante, et l’on y trouva entassées deux jeunes négresses d’environ douze à quatorze ans, qui étoient dans le dernier état de suffocation, et qui grace à cet heureux hasard, furent arrachées à la plus affreuse mort ... Il fut reconnu que le capitaine avoit embarqué quatorze esclaves à bord de la Jeune Estelle ... Une nouvelle visite eut pour résultat d’arracher encore à la mort un noir, qui cependant ne faisoit pas partie des douze que l’on cherchoit. On avoit ménagé sur les tonneaux qui contenoient l’eau du navire une espèce de plate-forme, composée d’ais détachés, ayant la forme d’un entre-pont, d’environ vingt-trois pouces de hauteur ... Sous cette plate-forme le corps couvert de l’un de ces ais, pressé entre deux tonneaux, fut trouvé l’infortuné noir dont on vient de parler. Ce fut pour tous les témoins de cet affreux spectacle un grand sujet d’étonnement que de le trouver vivant encore dans une situation semblable ... Cependant on se demande ce que sont devenus les douze autres esclaves ... Les officiers du Tartare se rappelèrent avec un sentiment d’horreur, que lorsqu’ils avoient commencé à donner la chasse à la Jeune Estelle, ils avoient aperçu plusieurs barils flottant derrière eux, et ils soupçonnèrent que chacun de ces barils contenoit un ou plusieurs de ces malheureux.» Pièces officielles déposées sur le bureau de la Chambre des Communes1.
V: 20 grace ] la source porte graces nous n’avons pas rétabli l’accent circonflexe parce que la source imprime toujours ce mot sans accent 1
L’épisode français est celui, alors bien connu, du négrier La jeune Estelle, poursuivi par un vaisseau de la Royal Navy, le Tartare. Le capitaine du négrier, Olympe Sanguines, avait acheté quatorze esclaves sur la Côte du Poivre. Pour éviter d’être inculpé de traite, il fit jeter par-dessus bord des tonneaux, dans chacun desquels deux jeunes négresses âgées de 12 à 14 ans furent placées. Voir sur l’ensemble de la question de la traite et sa difficile abolition la somme due à Hugh Thomas, The Slave Trade : the History of the Atlantic Slave Trade 1440–1870, London : Picador, 1997. L’épisode y est traité pp. 621–627. Les interventions de Constant à la Chambre des députés en 1821 y sont notamment citées. Il est évident que BC a puisé le renvoi aux «Pièces officielles déposées sur le bureau de la Chambre des Communes», ainsi que la citation qu’il donne en note dans le discours de Victor de Broglie, tenu le 28 mars 1822 devant la Chambre des Pairs, pp. 48–52. La formule «Pièces officielles ... des Communes» fait partie du titre de l’ouvrage publié par l’African Institution. Voir ci-dessus, p. 194, n. 3.
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Il faut ajouter que les crimes de la traite ne se bornent pas à ces atrocités incroyables. Au nombre de ces crimes, et parmi les actes qui pèsent sur la tête des marchands d’esclaves, doit être rangé l’état dans lequel ils précipitent les peuplades qu’ils séduisent par leurs propositions et leurs transactions infames ; ils exaltent tous les vices et toutes les passions de ces nations barbares ; ils pervertissent leurs institutions grossières ; ils empoisonnent leurs relations domestiques. Les petits tyrans de ces contrées condamnent pêle-mêle des familles entières pour des délits légers ou imaginaires, postent en embuscade leurs soldats qui se jettent sur le voyageur désarmé, fondent la nuit sur des villages plongés dans le sommeil, traînent en esclavage les hommes, les femmes, les jeunes gens en âge de servir, massacrent les vieillards et les enfants. La famine, les dévastations, les guerres entreprises pour se procurer des prisonniers, sont l’effet immédiat de la présence des Européens, qui, spéculateurs, ou plutôt complices de ce spectacle de désolation, fournissent des armes, alimentent les haines, entretiennent les divisions. Et si l’on essaie, comme on le fait sans cesse, d’affoiblir l’impression que ces horreurs doivent produire, en nous rappelant les barbaries exercées par les nègres révoltés à Saint-Domingue, il faut répondre : Oui, les nègres qui ont brisé leurs fers ont été féroces ; ils ont puni des cruautés épouvantables par d’épouvantables cruautés1. Mais à qui la faute ? étoient-ils venus sur les côtes habitées par les Euro péens pour y porter la flamme et le massacre ? qui les avoit traînés sur ces côtes ? comment les y avoit-on transportés ? de quel droit les y gardoit-on ? quels étoient leurs devoirs envers des étrangers coupables contre eux de rapt et de meurtre ? quel étoit le traité entre ces deux races d’hommes, sinon d’un côté le traité des fers et du fouet, et de l’autre celui de la torche ? Pour juger la question avec justice, voici comment il faut la poser. Il y a aussi sur les côtes de la Barbarie des peuplades de forbans qui enlèvent les Européens qu’ils peuvent surprendre. Si l’un de ces Européens, renfermé dans le bagne de Tunis ou d’Alger, chargé de chaînes, couvert de haillons, nourri d’aliments fétides, épuisé de travail, accablé de coups, s’étoit affranchi de ce joug affreux, et avoit retrouvé le chemin de sa famille et de sa patrie, et qu’en vous racontant sa délivrance il vous dît : J’ai mis le feu au cachot qui me renfermoit ; j’ai tué le brigand qui m’avoit enlevé, je l’ai tué lui et sa famille, condamneriez-vous cet Européen ? Si c’étoit votre ami, votre fils, votre frère, le repousseriez-vous comme criminel ? 1
Dans la nuit du 22 au 23 août 1791 éclate une violente insurrection à Saint-Domingue, colonie française des Antilles. Esclaves noirs et affranchis revendiquent la liberté et l’égalité des droits avec les citoyens blancs. C’est le début d’une longue et meurtrière guerre qui mènera à l’indépendance de l’île.
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Les gouvernements qui considèrent comme un mal la publicité des crimes auxquels la traite donne naissance, et qui par orgueil national veulent en épargner la honte à ceux de leurs sujets qui s’y livrent, ou à ceux de leurs agents qui la souffrent, font dans leur intérêt même un mauvais calcul. La traite ne seroit pas le plus atroce des crimes, que par cela seul qu’elle est prohibée, il est de l’intérêt des gouvernements que la prohibition soit exécutée. Il est toujours de l’intérêt des gouvernements que les lois soient obéies. La désobéissance est contagieuse, et le spectacle d’une loi existante et méprisée est corrupteur pour les peuples et dangereux pour l’autorité. La traite est contraire encore aux intérêts des gouvernements, en ce que ceux qui se livrent à cet affreux commerce se trouvent, par l’effet des prohibitions qu’ils bravent et des poursuites qui les menacent, dans un état d’hostilité et de lutte contre la société. Rebelles envers la loi, criminels envers la nature, trafiquant de chair et de sang humain, contrebandiers à main armée, ils sont lancés dans une route où ils ne peuvent que devenir chaque jour des ennemis publics plus déterminés et plus féroces. «Par une bienveillante dispensation de la Providence,» disoit, il y a vingtcinq ans, M. Wilberforce dans le parlement d’Angleterre, «d’ordinaire, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, quelque bien surgit à côté du mal. Les ouragans purifient l’air ; la persécution échauffe l’enthousiasme pour la vérité ; l’orgueil, la vanité, la profusion contribuent souvent indirectement au bonheur de l’espèce humaine. Rien de si odieux qui n’ait un palliatif. Le sauvage est hospitalier, le brigand est intrépide : la violence est en général exempte de perfidie ; l’arrogance, de bassesse. Mais ici rien de semblable. C’est le privilège de ce détestable trafic de dépraver également le bien et le mal, et de souiller même le crime ; c’est un état de guerre que le courage n’ennoblit point ; c’est un état de paix qui ne préserve ni de la dévastation ni du massacre ; ce sont les vices des sociétés policées sans la délicatesse des mœurs qui les tempèrent ; c’est la barbarie primitive de l’homme dépourvue de toute innocence ; c’est une perversité pure et complète, parfaitement dégagée de tout sentiment honorable, et de tout avantage qu’on puisse contempler sans indignation ou confesser sans opprobre1.»
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William Wilberforce (1759–1833), membre de la Chambre des Communes. Sa foi religieuse le pousse à l’action pour l’abolition de l’esclavage. Les projets de loi en la matière, débattus à partir de 1792, n’aboutissent qu’en 1807. Mme de Staël était une grande admiratrice de Wilberforce. BC cite le texte d’après le discours du Duc de Broglie, pp. 97–99. Le fait qu’il maintienne l’indication «il y a vingt-cinq ans» permet du coup de dater le travail de rédaction à cette partie du Commentaire : 1822. On consultera Robert Isaac Wilberforce et Samuel Wilberforce, The Life of William Wilberforce, by his Sons R. I. W. and S. W., London : John Murray, 1838, 5 vol.
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Enfin la traite est contraire aux intérêts des gouvernements, en ce qu’elle ne corrompt pas seulement ceux qui la font, mais ceux qui en profitent. L’espoir de remplacer par la traite les misérables esclaves dont un travail excessif et des traitements atroces abrègent les jours, empêche les colons de soigner au moins cette race malheureuse. Cet espoir les accoutume à voir d’un œil indifférent les êtres soumis à leur joug expirer de misère ou par la souffrance, ou dans d’épouvantables supplices. Et tel est le déplorable effet de l’habitude, que plus d’un colon qui, dans ses relations sociales avec ses égaux, est un homme probe, intègre, et digne d’estime, a peut-être, sans y réfléchir, ordonné ou toléré sur son habitation plus de crimes que le coupable que la loi condamne à périr sur l’échafaud. Cette dernière réflexion, à la vérité, n’est pas seulement applicable à la traite, elle flétrit avec une force presque égale l’esclavage même. L’esclavage corrompt le maître comme l’esclave, et le bourreau comme la victime. Cependant les amis de l’humanité se résignent à ce que l’esclavage continue, pourvu que la traite soit efficacement prohibée. Mais élevons au moins une barrière qui, pour l’avenir, soit efficace et puissante ; et par une conséquence heureuse d’un premier acte de justice (car le bien s’enchaîne comme le mal), l’abolition de la traite adoucira l’esclavage que nous n’osons pas abolir. Les colons seront forcés par leur intérêt à mieux traiter leurs esclaves, à leur donner des habitations et une nourriture plus saine, à les préserver de la débauche, à favoriser entre eux les mariages, à soigner et à ménager leurs femmes dans leurs grossesses, à les assister dans l’éducation de leurs enfants, à préparer enfin, par une gradation insensible et volontaire, les nouveaux rapports qui doivent exister quelque jour, dans les colonies comme ailleurs, entre la classe qui se borne à consommer et celle qui est destinée à produire. Au reste, quelque imparfait, quelque affligeant même que soit encore l’état actuel des choses, ne désespérons pas d’une amélioration infaillible. La prédiction de Filangieri s’accomplira ; l’abolition de la traite, bien qu’elle n’existe encore qu’en théorie, est une démonstration éclatante de la toute puissance de la vérité. «Moins de quarante ans se sont écoulés, dit le duc de Broglie1, depuis qu’un jeune ecclésiastique, inconnu, sans amis, sans
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Le duc de Broglie (discours du 28 mars 1822, Développement, pp. 98–99) résume ici l’histoire des combats de Wilberforce depuis 1787. Wilberforce a introduit chaque année depuis 1789, à l’exception des années 1800, 1801 et 1803, à la Chambre des Communes, un projet de loi visant l’abolition de la traite des noirs. Les quinze ans renvoient à l’année 1807, dans laquelle les deux chambres britanniques votaient l’Abolition Bill, qui défendit définitivement la traite des noirs en Grande Bretagne. L’année suivante, les États-Unis interdirent l’importation d’esclaves de l’extérieur, ce qui mena à un trafic entre les états du
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fortune, a le premier dénoncé le commerce des noirs, dans une dissertation latine adressée à l’université de Cambridge. Sept ans plus tard, tous les hommes de génie de l’Europe étoient ligués dans cette cause ; il y a déja quinze ans qu’elle a triomphé dans les deux mondes. a»
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Depuis que ce chapitre est écrit, on a pu voir avec plaisir plusieurs condamnations prononcées contre des navires négriers, et beaucoup de circonstances se réunissent pour fortifier les espérances que M. de Broglie exprimoit1.
sud. La dissertation latine mentionnée ci-dessus a été composée par le philanthrope Thomas Clarkson (1760–1846) sur le sujet Anne liceat invitos in servitutem dare ?, proposé aux étudiants de l’université de Cambridge par Peter Peckard, vice-chancelier et abolitionniste. C’est Clarkson qui contribua à fonder en 1787 l’African Institution. Parmi ses innombrables écrits, citons deux titres. D’abord The History of the Rise, Progress and Accomplishment of the Abolition of the African Slave-Trade by the British Parliament, London : Longman, Hurst, Rees & Orme, 1808, 2 vol. (l’ouvrage a connu plusieurs éditions ; on consultera la critique dans The Life of William Wilberforce, t. I, p. 141, n. 1). Ensuite The Cries of Africa to the Inhabitants of Europe, qui a paru en 1822. BC pense sans doute au jugement du capitaine Bruno Daubin, commandant du navire l’Angélique (Le Moniteur, no 167, 16 juin 1822, p. 847a), à la confirmation de dix jugements sur la traite des nègres par la commission d’appel de la Gouadeloupe (Le Moniteur, n.o 240, 31 août 1822, p. 1276a) ou, si la rédaction de la note est postérieure à octobre 1823, à l’ordonnance royale du 13 août 1823 relative aux moyens de s’assurer de la personne des capitaines de marine poursuivis pour délits en matière de traite des noirs (Le Moniteur no 232, 20 août 1823, p. 993a) ainsi qu’à l’ordonnance royale du 22 octobre 1823 relative aux jugements rendus à l’Ile-Bourbon, en matière de contravention aux dispositions prohibitives de la traite des noirs (Le Moniteur no 298, 25 octobre 1823, p. 1255a).
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Chapitre III. De la population.
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«Je vais exposer rapidement tous les moyens que les anciens législateurs, et sur-tout ceux de la Grèce et de Rome, ont imaginés pour la multiplication de l’espèce humaine.» Liv. II, chap. I, p. 2031.
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Les idées de Filangieri sur la population doivent paroître aujourd’hui extrêmement communes ; elles l’étoient de son temps. Le marquis de Mirabeau, adoptant le même côté de la question que l’auteur napolitain, se place fort au-dessus de lui par le bonheur des expressions et la finesse des aperçus ; et M. de Montesquieu, bien que sur cette matière il se trompe comme beaucoup d’autres, en dit plus néanmoins dans une de ses phrases que Filangieri dans ses huit chapitres2. Mais ce n’est pas seulement d’être usées et triviales que l’on peut accuser les idées qu’il nous présente, c’est encore d’être les unes fausses, les autres très problématiques. Elles se réduisent dans le fait à deux. Filangieri croit 1o que l’exemple des anciens dans leurs lois sur la population peut être utile aux nations modernes, et 2o que l’accroissement de la population est toujours un bien. La première de ces idées est en administration, comme en politique, comme en religion, comme en toutes choses, d’un extrême danger. J’ai essayé de prouver dans mon Essai sur l’esprit de conquête, que l’état du genre humain dans l’antiquité étoit tellement différent de ce qu’il est de nos jours, que rien de ce qui est applicable à l’un de ces états n’est admissible dans l’autre3. V: 1-p. 208.28 Chapitre 1 2
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III.
... donné l’exemple. ] il n’y a pas de ms. pour ce chap.
SL2, livre II, chap. I, édition Dufart, t. I, p. 203. BC renvoie aux trois parties de l’ouvrage de Mirabeau, L’Ami des hommes, peut-être plus particulièrement au chap. 2 de la première partie (pp. 13–29). Mirabeau aborde tous les sujets dont parle Filangieri : société, richesse, arts, agriculture, commerce intérieur et extérieur, argent, mœurs, guerre, etc. Quant à Montesquieu, il est difficile de spécifier l’observation de BC. Il pense évidemment au livre XXIII de l’Esprit des lois, mais aussi aux Lettres persanes, lettres CXIV–CXX, qui parlent amplement du problème de la population. OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 757–761, chap. VII de la seconde partie : «Des imitateurs modernes des Républiques de l’antiquité.»
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Commentaire sur Filangieri
Pour ne pas sortir de mon sujet, je passerai rapidement en revue les citations de Filangieri. Je laisse de côté les Hébreux, nation a` part, dont la population est un article de foi plutôt qu’une donnée statistique. Quant aux Perses, nous ne savons rien de positif sur la population de ce vaste empire. Il est vraisemblable que les historiens grecs, pour rehausser les victoires de leurs concitoyens, ont exagéré le nombre des soldats que Xerxès et Darius traînoient à leur suite ; mais en accordant aux récits de ces historiens une confiance plus que raisonnable, il seroit encore très hasardé de conclure du nombre de ses combattants à celui des habitants de la Perse1. L’invasion de la Grèce ne fut point l’effet d’une population surabondante comme celle de l’empire romain par les peuples du Nord. Ce fut l’œuvre d’un despote irrité qui versa sur le petit pays qu’il vouloit dévaster ses esclaves et ses nomades, sans proportion, sans règle et sans mesure ; et ce qui prouve que cette invasion n’avoit pour cause ni un besoin ni un penchant naturel, c’est que deux victoires à des époques assez rapprochées firent justice de cette entreprise, tellement que rien de pareil ne se re nouvela dans la suite. Les rois de Perse corrigés attendirent qu’Alexandre vînt les attaquer et les détruire. Si nous réfléchissons que l’empire des Perses se composoit en grande partie de pâturages, où des tribus vagabondes vivoient avec leurs troupeaux, nous reconnoîtrons que cet empire devoit être beaucoup moins peuplé que si ses habitants se fussent adonnés exclusivement à l’agriculture et à l’industrie. Citer comme exemple, dans un chapitre sur la population, un peuple dont une moitié se consacroit à la vie pastorale ou au pillage, est une idée malheureuse. Tous les préceptes religieux ne changent rien à la nature des choses ; et les dogmes du Sadder2 que Filangieri vante ne pouvoient faire, ni que des hordes de pasteurs et de brigands trouvassent des moyens de subsistance 1
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Cet empire fut la première hégémonie connue de l’histoire. À son sommet, sous les Achéménides (Cyrus, Darius, Xerxès qui échoua dans la conquête de la Grèce continentale), il incluait non seulement le plateau iranien, mais aussi l’Anatolie, l’Assyrie, la Babylonie, l’E´gypte et une partie de l’Asie centrale et de l’Inde, soit au total peut-être plus de 40 millions d’habitants. L’empire nous est surtout connu par les Grecs (Xénophon, Eschyle, Hérodote) et il finit par être conquis par Alexandre le Grand. Il ne fait aucun doute que, comme le dit Constant, les Grecs ont exagéré le nombre des envahisseurs de leur patrie. Une tentative récente de «comptage» donne ainsi 1.500 combattants grecs aux Thermopyles. Quant aux troupes perses et alliées à Platée, Hérodote donne le chiffre de 350.000, ce qui est probablement trois fois la «réalité». Voir T. Holland, Persian Fire : the first World Empire and the Battle for the West,, London : Little Brown, 2005. Voir SL2, livre II, chap. I, édition Dufart, t. I, p. 205, où il est question du Sadder et du ZendAvesta.
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Chapitre II,3 – De la population
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suffisants pour favoriser la population, ni que la population s’accrût au-delà des moyens de subsistance. Mais on voit que le publiciste italien n’avoit été frappé que d’une seule pensée. Il avoit trouvé dans les extraits du Zendavesta des exhortations à la multiplication de l’espèce ; et sans examiner leurs effets réels, il s’étoit mis en admiration du moyen en lui-même1. Cela même étoit une grande erreur. En supposant que dans la Bactriane, où probablement le Zendavesta fut compilé, les exhortations religieuses eussent produit le résultat qui étoit dans l’intention du législateur ; transporter ce moyen d’action dans nos temps modernes, industrieux, éclairés, seroit une tentative chimérique. Je suis loin de penser que les progrès des lumières enlèvent à la religion toute espèce d’influence ; mais alors l’influence de la religion n’est plus une influence directe qu’on pourroit appeler législative. Elle adoucit les mœurs, elle élève l’ame, elle donne à l’ensemble de la vie humaine une tendance plus pure et plus morale ; mais elle ne sauroit se mettre en lutte contre la puissance de l’intérêt ni contre l’évidence du calcul. L’E´vangile auroit beau recommander le mariage avec autant et plus d’instance que le Zendavesta, il n’y auroit pas un mariage de plus chez un peuple arrivé à l’état de raffinement dans lequel nous sommes, et la raison en est simple. Cet état de raffinement fait que le mariage est pour celui qui le contracte, sans avoir assuré les moyens de subsistance des enfants qu’il s’expose à procréer, le plus grand des fléaux ; et comme les règlements qui protègent la propriété, condamneroient la famille à laquelle cet imprudent auroit donné naissance à une misère sans remède, les préceptes religieux, en contradiction avec cet état de choses, seroient certainement enfreints ou éludés. Si le pauvre brave ce danger, et peuple sans mesure, c’est qu’un penchant irrésistible, impérieux, qui veut se satisfaire à tout prix, l’aveugle et l’entraîne. Un précepte religieux qui transformeroit le plaisir en devoir, et presqu’en pénitence, auroit plutôt l’effet opposé ; parceque ce précepte laissant la société telle qu’elle est pourroit, en d’autres termes, se traduire ainsi : Mettez au monde le plus d’enfants qu’il vous sera possible, pour que la faim que vous ne pourrez satisfaire, les maladies que vous ne pourrez soigner, vous en enlèvent la plus grande partie en bas âge ; et pour que les autres, 1
L’Avesta est l’ensemble des textes sacrés, écrits en iranien ancien, des Zoroastriens. Leurs écrits ont été redécouverts à la fin du XVIIe siècle. Filangieri cite l’orientaliste britannique Thomas Hyde (1636–1703), qui a publié en 1700 (en latin) une Histoire de la religion des anciens Perses. Les préceptes démographiques des anciens «mages», rappelle déjà Filangieri, «enseignent que l’action la plus gratifiante pour la divinité est de faire un fils, de cultiver un champ, de planter un arbre» ; il ne faut pas que «la chaîne des êtres soit interrompue» (Livre II, chap. 1er).
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Commentaire sur Filangieri
luttant contre les privations et le dénuement, et cédant enfin à la tentation du crime, remplissent les prisons et meurent sur l’échafaud. Quand Filangieri passe de la Perse aux républiques de la Grèce et de Rome, il marche sur un terrain plus solide1. Il trouve des institutions fixes, des lois écrites, des peines et des récompenses établies ; il les énumère avec complaisance ; il les loue avec effusion de cœur. Mais ces énumérations et ces éloges se terminent par une conclusion assez singulière : c’est que toutes les fois que les circonstances, les vices des gouvernements, la corruption des mœurs privées, en un mot, des obstacles quelconques se sont opposés à la population, les institutions, les lois, l’espoir des récompenses, la crainte des peines, tout a été inutile. N’auroit-il pas dû aussi en conclure que, lorsque de pareils obstacles n’existent pas, l’intervention des lois devient superflue ? Laissez l’homme à lui-même, au moins dans ce qui dépend d’un penchant naturel qu’il vous est difficile de restreindre, et qu’il vous seroit impossible d’ordonner. L’absence des vexations, la division plus égale des propriétés, et par là même l’augmentation des moyens de subsistance ; voilà les vrais encouragements à la population, et non pas les discours d’un vieux tyran, comme Auguste, voulant repeupler, pour sa commodité, l’empire qu’il avoit dévasté, pour fonder sa puissance ; et s’élevant dans des harangues d’apparat contre la corruption, base de son règne, et sans laquelle ce règne n’auroit pu ni s’établir ni se prolonger. Je dis tout ceci dans l’hypothèse vulgaire que le plus haut degré de population soit toujours desirable : j’examinerai cette question tout-àl’heure. En attendant j’ai cru devoir réfuter cette niaise admiration pour des lois inefficaces même de leur temps, et qui seroient aujourd’hui bien plus intolérables ; admiration dont Filangieri n’est assurément pas le seul coupable, puisque les écrivains les plus distingués du dix-huitième siècle lui en avoient à l’envi donné l’exemple.
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BC parle ici de SL2, livre II, chap. I, édition Dufart, t. I, pp. 205–218.
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Chapitre IV. Continuation du même sujet.
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«Heureux siècle, heureuse république, où la paternité est le premier devoir du citoyen !» Liv. II, chap. I, p. 2091.
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Cette exclamation philanthropique de Filangieri nous conduit à examiner la véritable question sur cette matière ; question dont nos économistes du siècle dernier n’avoient aucune idée. Est-il favorable au bonheur, au perfectionnement physique et moral de l’espèce humaine que la population s’augmente indéfiniment ? Pour résoudre cette question, il faut partir de quelques données devenues incontestables. Il est certain que la population tend à s’augmenter ; son accroissement peut être retardé ou favorisé par les circonstances ; mais lorsque des calamités extraordinaires, ou une administration tout-à-fait insensée, ne dépeuplent pas un pays, l’accroissement de la population a toujours lieu dans un temps quelconque. Ce temps est assez court. En Amérique, où les hommes ne sont pas refoulés les uns contre les autres par les limites étroites du sol qu’ils occupent, mais peuvent encore s’étendre en liberté dans des déserts immenses, ce temps est de dix à quinze ans ; ce temps est ailleurs de vingt ; en France de vingt-cinq ; et si nous prenons ce dernier taux pour règle commune, nous serons assurés de ne pas établir un terme trop resserré. Maintenant est-il possible d’espérer que les moyens de subsistance augmentent toujours en raison de cet accroissement de population ? Ici nous devons écarter une réponse qui paroît plausible, et qui cependant n’est que spécieuse, parcequ’elle ne fait qu’ajourner la véritable difficulté. Il y a sur notre globe beaucoup de terres incultes ; les pays les plus cultivés ne le sont pas au point où ils pourroient l’être. La population peut donc s’accroître sans inconvénient jusqu’à ce que tout le sol possédé par l’espèce humaine, et tout celui dont elle peut encore s’emparer, soit rendu fertile.
V: 1-p. 212.20 Chapitre
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IV.
... théocratique ] le début du chap. IV manque dans le ms.
SL2, livre II, chap. I, édition Dufart, t. I, p. 209.
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Commentaire sur Filangieri
Mais, en premier lieu, l’homme défriche des terres moins rapidement qu’il ne multiplie. Ce n’est pas dans le voisinage des terres incultes que la plus grande multiplication de l’espèce a lieu. Il est impossible de vaincre les obstacles et de franchir les distances de manière à maintenir une proportion exacte entre l’accroissement de la population et la quantité des terres cultivées. Secondement, la ressource que semble nous promettre la mise en valeur des terrains incultes, n’est qu’un remède momentané. Le temps doit venir, et si la multiplication de notre espèce a lieu dans une progression toujours accélérée, le temps viendra bientôt où le produit du sol qui fournit à la subsistance de la race humaine sera porté au plus haut degré que notre imagination puisse concevoir. L’homme ne cessant pas de multiplier, cette époque, le beau idéal de la civilisation et de l’agriculture, sera suivie immédiatement d’une disproportion toujours croissante entre la population et les moyens de subsistance. Mes lecteurs s’apercevront facilement que, dans cet exposé d’une difficulté très réelle et très grave, jetée inopinément à travers tous les systèmes de population en faveur desquels nos philosophes ont déclamé à perte de vue, je n’ai fait que réunir les idées fondamentales d’un Anglais célèbre ; idées dont l’évidence est irrésistible dans son livre, parcequ’elles y sont accompagnées de tous les développements et de tous les faits que les bornes de ce Commentaire m’ont forcé de supprimer. En rendant compte ainsi fort à la hâte des observations de M. Malthus1, et des conséquences qu’il en tire, je n’ai pu être mu par aucun sentiment de
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Thomas Robert Malthus (1766–1834), pasteur anglican puis professeur au collège de la Compagnie des Indes orientales. En réponse à l’optimisme de Godwin, homme des Lumières, qui avançait dans son De la Justice politique (1793), puis dans une série d’essais complémentaires (1797), qu’il suffit d’établir l’égalité des conditions pour que disparaissent les effets négatifs des vices des gouvernements, Malthus publie en 1799 la première mouture de son Essai sur le principe de population, dans lequel il oppose la progression arithmétique des subsistances à la progression géométrique du nombre des hommes. Cette opposition, en pesant sur le niveau de vie de ces derniers, va conduire, bon gré mal gré, à un état stationnaire où le nombre des humains, réduits au minimum de subsistances, ne peut plus s’accroître. Trois types d’obstacles l’en empêchent : le vice, la misère et la guerre. Malthus espère quant à lui en des obstacles préventifs ou positifs, au premier rang desquels une plus grande circonspection dans le mariage. Voyageant sur le continent après la paix d’Amiens, il nourrit d’exemples la deuxième édition de son Principe (1803), dont dispose par conséquent Constant. Deux grandes écoles de critiques de Malthus peuvent être distinguées : une «socialiste» lato sensu qui insiste sur l’aspect pessimiste des obstacles répressifs et renoue avec l’optimisme godwinien et les conditions d’égalité de ce dernier ; l’autre école est libérale à la Say, et Constant, qui insiste sur les progrès de l’économie – qui permettent d’accroître les subsistances plus qu’arithmétiquement – et sur ceux de la socié-
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Chapitre II,4 – Continuation du même sujet
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partialité ; on verra plus loin que d’accord avec lui sur le principe, parcequ’il est impossible de le contester, j’ai peu de confiance dans les remèdes qu’il propose. Ceux de ces remèdes qui sont doux me semblent peu efficaces ; ceux qui promettent plus d’efficacité sont d’une exécution difficile et sur-tout vexatoire, et je n’aime pas que les hommes arrivent au bien à travers le mal. C’est une opération compliquée dont la Providence doit se charger seule. Mais s’il est démontré que l’accroissement indéfini de la population doit amener une disproportion fâcheuse entre les moyens de subsistance et cette population, que deviennent les vœux et les exhortations de nos philosophes ? Qu’arriveroit-il si ces vœux s’accomplissoient ? si l’espèce humaine se montroit sensible à ces exhortations ? Que nous atteindrions un peu plus tôt une époque où l’équilibre entre les besoins et les demandes ne se rétabliroit que par la lente agonie et la mort douloureuse du superflu des demandeurs ; une époque où toutes les terres étant cultivées et produisant tout ce qu’elles peuvent produire, l’excédant de la population solliciteroit en vain leur fécondité ; une époque où tous les pays étant également surchargés de population, l’émigration et la colonisation seroient des palliatifs illusoires ; une époque enfin, où le dénuement et la famine armant les non propriétaires devenus innombrables contre les propriétaires en minorité imperceptible, les lois en faveur de la propriété se verroient frappées d’impuissance, et où la société périroit sous le poids même de la population dévorante dont elle auroit encouragé l’imprudente multiplication. Lorsque Filangieri, par une suite de cette habitude où l’on étoit, il y a soixante ans, d’admirer les pays les plus misérables et les gouvernements les plus tyranniques, pourvu qu’on en fût séparé par le temps ou la distance, loue les Chinois de ce que chez eux la terre est employée toute entière à pourvoir à leur subsistance ; de ce que le riz couvre toute la surface de l’empire ; de ce que les fleuves portent les habitations flottantes des hommes, pour que la portion du sol qu’occuperoient les maisons soit vouée à la culture ; il ne réfléchit pas que dans un état où la terre seroit employée toute entière à pourvoir à la subsistance de l’homme, et où par conséquent on ne pourroit augmenter en rien son produit, une seule naissance au-delà du nombre pour lequel la mort laisse une place vacante dérangeroit toute l’économie de la société. L’enfant qui naîtroit alors seroit condamné à mourir de faim ; et le célibataire qui auroit en se mariant rempli l’un des premiers devoirs du citoyen verroit, pour prix de l’accomplissement de ce devoir, expirer sa famille de misère. E´trange aveuglement de l’esprit de système ! té : avec l’enrichissement matériel, «la prévoyance est surexcitée et l’obstacle préventif neutralisé». Comme toujours, les libéraux pensent que, sur le long terme, les choses s’arrangeront. Le problème est que les hommes vivent dans le court terme, voire dans l’instant.
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Commentaire sur Filangieri
étrange effet des axiomes adoptés sur parole ! C’est la Chine que Filangieri nous cite pour modèle dans ce qui regarde la population1 ; la Chine qui, par les résultats journaliers de sa population surabondante, seroit bien plutôt propre à nous éclairer sur les dangers d’une population excessive ! C’est là que des famines affreuses enlèvent des milliers de malheureux ; c’est là que les pauvres sont réduits à précipiter dans les fleuves les enfants qu’ils ne peuvent nourrir ; et s’ils ont établi sur ces fleuves leurs habitations flottantes, on diroit que c’est pour être plus près de l’abyme qui doit engloutir des êtres misérables, auxquels ils n’ont donné la vie que pour leur donner aussitôt la mort. Mais Filangieri écrivoit dans un moment où nos philosophes, pressés du besoin de fronder les institutions européennes, que certes je suis loin de justifier, trouvoient plus commode et plus sûr de les attaquer par des comparaisons indirectes ; et pour rendre ces comparaisons plus frappantes et plus concluantes, ils cherchoient au loin des sujets d’é loges. Peu importoit à Filangieri que la Chine, gouvernée par le bambou, offrît plus qu’aucun autre pays le honteux spectacle de la dégradation de l’espèce humaine ; comme il importoit peu à Mably que Sparte fût précisément l’opposé d’un état libre, tel que les modernes le conçoivent2 ; comme il importoit peu à Voltaire que les brames exerçassent sur l’Indostan une influence théocratique, qui frappoit d’immobilité toutes les facultés de l’homme3. L’un vantoit la Chine, l’autre Lacédémone, le troisième l’Inde, comme Tacite, indigné contre ses compatriotes avilis, écrivoit son roman sur la Germanie4. L’équité réclame une exception en faveur de Montesquieu. Le génie ne sauroit jamais se plier long-temps ou complètement aux préjugés et aux vues d’un parti ; et dans une de ses phrases concises et énergiques, l’auteur de l’Esprit des Lois a flétri la Chine d’une sévère et juste réprobation5. Je reconnoîtrai toutefois que la conclusion du chapitre de Filangieri est plus raisonnable que son point de départ ne permettoit de l’espérer. Otez les obstacles, dit-il, sans vous embarrasser des amorces et des encouragements ; V: 20–24 qui frappoit ... une exception ] ms. F2, f o 42, moitié sup. 20–21 frappoit ] frappai〈ent〉t F2 28-p. 213.3 Je reconnoîtrai ... des enfants. ] ms. F2, f o 43, fragment 30 dit-il, sans vous ] 〈& ne point s’〉 dit-il, sans vous ces derniers mots dans l’interl. sup. F2 1 2 3 4
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BC pense à SL2, livre II, chap. II, édition Dufart, t. I, p. 221. G. Mably, Parallèle des Romains et des Français par rapport au gouvernement, La Haye : Van Duren, 1741, vol. I, livre I, p. 61. Voltaire, Lettres chinoises, lettre IX. Tacite : De origine et situ Germanorum, le seul ouvrage de la littérature romaine qui ne parle que d’une ethnie. Le jugement peu nuancé de BC correspond au reproche qu’on adresse souvent à Tacite, à savoir d’idéaliser les tribus germaniques pour leur vertu, comparable à celle des anciens romains. Il est difficile d’identifier cette phrase. Citons celle qui correspond à ce que BC dit ici : «La Chine est donc un État despotique, dont le principe est la crainte. Peut-être que dans les
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que l’autorité ne donne rien, mais qu’elle ne retranche rien ; et, comme disoit Pline, qu’elle ne nourrisse point, mais qu’elle ne tue pas, et par-tout naîtront des enfants1. C’est en effet cette vérité qui doit servir de règle aux gouvernements dans tout ce qui concerne la population ; elle atteindra bientôt le plus haut point qu’elle doive atteindre, s’ils veulent respecter les moyens que la nature a donnés à l’homme pour faire vivre sa famille. Les injures contre les célibataires seront inutiles, quand la liberté d’industrie étant assurée, et chacun pouvant employer sans gêne ses facultés à son plus grand avantage, le mariage n’offrira plus à la classe laborieuse avec la chance de voir croître ses charges la perspective de voir ses moyens diminuer et sa position devenir sans remède.
V: 3–11 C’est ... remède. ] dans le ms. F2, ce texte occupait les dernières lignes du f o 43 et le f o 44, perdus
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premières dynasties, l’empire n’étant pas si étendu, le gouvernement déclinait un peu de cet esprit. Mais aujourd’hui cela n’est pas» (Montesquieu, De l’esprit des lois, liv. VIII, chap. 21, p. 368). Pline le Jeune, Panégyrique de Trajan, XXVII, 2. La référence est tirée de Filangieri, SL2, livre II, chap. II, édition Dufart, t. I, p. 224.
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11. Le folio 47, chapitre 5 de la Deuxième Partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. La numérotation des folios ne se fait plus par chapitres, mais en continu. Folio reconstitué jSDUWLUGHGHX[IUDJPHQWVGXPDQXVFULWVXU¿FKHV&RG¶XQOLYUH X de l’ouvrage sur la religion, „Du principe fondamental des religions soumises aux prêtres“. Bibliothèque Cantonale et Universitaire, Lausanne, Co 4722, fos 107vo et 83vo.
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Chapitre V. Du système de M. Malthus relativement à la population.
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«Quelles sont les entraves qui arrêtent les progrès de la population, et quels sont les moyens qu’on doit employer pour les écarter ou les détruire.» Liv. II, chap. II, p. 2241.
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J’ai dit dans le chapitre précédent qu’en exposant le système de M. Malthus sur la population, je n’étois mu par aucun sentiment de partialité. Ce système me répugne plutôt qu’il ne me plaît ; et lorsque je me suis déterminé à l’examiner avec soin, pour le juger avec connoissance de cause, je m’en suis approché avec un effort pénible, tel qu’il en faut un pour subir une opération douloureuse, ou pour fixer long-temps son regard sur un objet désagréable. Mais il n’est pas donné de résister à l’évidence, et je suis resté convaincu de la vérité du principe proclamé par l’auteur anglois. La subsistance suit la population d’une manière inégale, et la famine arriveroit avant la subsistance, si la population étoit ce qu’elle peut être. Cédant ainsi à une vérité démontrée, je me suis demandé si j’adopterois les conséquences que M. Malthus en tire. Je commencerai par déclarer que ces consé quences ne sont point telles qu’on nous les a présentées dans plusieurs ouvrages destinés à combattre ce système. Il y a dans la plupart des réfutations françaises un mélange de mauvaise foi et de plaisanterie qui ne sert qu’à fausser toutes les questions en défigurant les opinions qu’on attaque2. La manie de faire de l’esprit n’abandonne pas nos écrivains dans leur manière de traiter les objets les plus graves. Ils se sont dit une fois pour toutes que le ridicule est l’arme la V: 1 Chapitre V. ] ces mots devaient se trouver à la première ligne du f o 45 de F2, découpée, avec le texte de la devise qui était sans doute ajouté au-dessus du titre ou dans la marge gauche, également découpée 2–18 Du système ... si j’adop[terois] ] ms. F2, reste du f o 45, 3–6 Quelles sont ... p. 224. ] cette devise sans le texte de la devise, et partie sup. du f o 46 manque sur le fragment du f o 45 ; à la fin du titre, en dessous du mot population une croix indique la place où le texte doit être inséré F2 18–23 (adop)terois ... sert qu’à ] ms. F2, moitié inf. du f o 46, perdu 23-p. 216.17 fausser ... déshéritée ] ms. F2, f os 47, 48 et la partie 26 graves ] 〈sérieux〉 graves ce dernier mot dans l’interl. sup. F2 sup. du f o 49 1 2
SL2, livre II, chap. II, édition Dufart, t. I, p. 224. BC, qui ne mentionne pas l’ouvrage de Malthus dans ses Principes de politique, en parle ici avec abondance, en soulignant la nouveauté de la théorie de la population, la première tentative de décrire d’une manière scientifique les conditions de l’accroissement de la population d’un E´tat. Même s’il avance des critiques, il reconnaît la valeur novatrice de l’ou-
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plus puissante, et les plus gauches comme les plus adroits veulent manier cette arme. Il en résulte dans presque toutes les critiques qu’on publie en France sur les découvertes importantes ou les idées neuves, une exagération, une infidélité, une prétention à la légèreté et à la gaieté qui mettent obstacle à toute investigation candide et impartiale. De là les absurdes jugements prononcés sur les observations profondes et ingénieuses du docteur Gall, sur les théories littéraires de plusieurs critiques allemands, sur le système de la perfectibilité de madame de Staël ; enfin sur l’ouvrage dans lequel M. Malthus a le premier approfondi la grande question de la population de l’espèce humaine1. Cet écrivain n’a point prétendu qu’il falloit employer contre l’accroissement excessif des naissances des règlements coercitifs et barbares. Il n’a point fait l’apologie de l’infanticide ; il n’a point indiqué le vice et la corruption comme des remèdes praticables contre la multiplication de notre race. Mais il a pensé qu’on pouvoit imposer à la classe pauvre par des mesures indirectes une privation de plus que celles auxquelles sa position déshéritée la condamne, et qui sont déja suffisamment nombreuses. Il a attribué à un principe qu’il a nommé contrainte morale une influence plus étendue que, selon moi, ce principe n’en peut avoir. Il a cru qu’on pouvoit ajouter à l’action de ce principe par le retranchement des secours publics ; et plusieurs de ses idées sur ces divers sujets me paroissent manquer, sinon d’une justesse logique qu’un esprit distingué parvient facilement à établir sur le papier, mais d’une possibilité pratique assez incontestable, et sur-tout, je V: 2 presque ... publie ] 〈le jugement qu’on porte〉 presque ... publie ] la correction dans l’interl. sup. F2 3 les découvertes importantes ] 〈toutes〉 les découvertes importantes ce dernier mot dans l’interl. sup. F2 5 obstacle ] un obstacle difficile à vaincre F2 7 allemands, sur ] allemands, 〈enfin sur l’ouvrage ou M. Malthus a le premier approfondi la grave〉 sur F2 18–21 la condamne ... publics ; et ] ms. F2, f o 49, partie inf. et f o 50, première ligne, perdus 21-p. 219.10 plusieurs ... sans doute chiméri[que] ] ms. F2, f os 50 à 58 et f o 59, partie sup.
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vrage de Malthus. L’obstacle à surmonter consiste probablement dans «une sorte d’effroi moral» (Paul Lambert, «La loi des débouchés avant J. B. Say et la polémique Say-Malthus», Revue d’économie politique, t. DXII, 1952, p. 26), puisqu’on devait accepter les dépenses de luxe, l’existence de classes oisives, des données qu’on pouvait juger de favoriser la réaction. Les adversaires évoqués ici sont difficiles à identifier. On peut exclure le compte rendu signé S., publié le 11 mars 1810 dans le Journal de l’Empire (seul article paru), l’ouvrage d’Auguste-Louis-Philippe de Saint-Chamans, Du système d’impôt fondé sur les principes de l’économie politique (Paris : Le Normant, 1820), qui parle de Malthus, mais d’une manière réfléchie (pp. 45–46, 296–299, 522–528). Un des auteurs visés pourrait être Sismondi, qui ironise dans ses Nouveaux principes d’économie politique sur la théorie de Malthus en présentant un calcul sur les Montmorency (Nouveaux principes, t. II, livre VII, chap. 3, pp. 272–273). Voir ci-dessous, pp. 223–224. BC cite des exemples. Le premier parle des théories de Franz Joseph Gall (1758–1828), médecin allemand, considéré comme le père fondateur de la phrénologie, qui visait à dé-
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l’avoue à regret, elles me semblent s’éloigner un peu, contre l’intention de l’auteur sans doute, des sentiments de sympathie et de pitié, portion essentielle d’une vertu que pourtant il professe, je veux dire l’humanité. Il y a certainement quelque chose de dur et de sévère dans les raisonnements que M. Malthus entasse pour prouver que les pauvres n’ont aucun droit à être secourus par la société. Je ne suis pas en général plus partisan que lui des secours publics qui sont communément mal administrés, mal répartis, et qui ôtent à l’homme, en le leurrant par une fausse espérance, le sentiment le plus salutaire, celui qui lui apprend que chacun ne doit compter que sur sa propre industrie, et n’attendre sa subsistance que de ses propres efforts. Mais faire prononcer du haut de la chaire évangélique, que désormais l’assistance des paroisses sera refusée aux enfants dont les parents ne pourroient les nourrir, est une déclaration par trop franche d’un état d’hostilité permanente entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien. La chose peut être, mais elle ne me paroît ni bonne ni prudente à proclamer ; et lorsqu’en parlant du malheureux qui aura cédé à l’attrait le plus impérieux, au penchant le plus irrésistible, l’auteur anglois s’écrie : «Livrons cet homme coupable à la peine prononcée par la nature ; il a agi contre la raison qui lui a été clairement manifestée ; il ne peut accuser personne, et doit s’en prendre à lui-même si l’action qu’il a commise a pour lui de fâcheuses suites : l’accès à l’assistance des paroisses doit lui être fermé ; et si la bienfaisance privée lui tend quelques secours, l’intérêt de l’humanité requiert impérieusement que ces secours ne soient pas trop abondants. Il faut qu’il sache que les lois de la nature, c’est-à-dire les lois de Dieu, l’ont condamné à vivre péniblement pour le punir de les avoir violées ; qu’il ne peut exercer contre la société aucune espèce de droit pour obtenir d’elle la moindre portion de nourriture au-delà de ce que peut en acheter son travail ; que, si lui-même et sa famille sont mis à l’abri des tourments de la faim, ils en sont redevables à la pitié de quelques ames bienfaisantes qui ont droit
V: 3 dire ] dire 〈de〉 F2 7 communément mal ] communément 〈mal repartis〉 mal F2 14 permanente ] ce mot dans l’interl. sup. F2 16–17 impérieux, ... irrésistible ] impérieux 〈de la nature〉, au penchant le plus irrésistible ces cinq derniers mots dans l’interl. sup. F2 22–23 requiert ] 〈exige q〉 requiert F2 23 pas ] point F2 celer les facultés et les penchants des hommes par la palpation des reliefs du crâne. Le second parle de critiques littéraires allemands en général ; il se peut que BC pense entre autres aux travaux de Wolf sur les poèmes homériques. Le troisième concerne une fois de plus l’ouvrage de Mme de Staël, De la Littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (an VIII), qui repose sur la théorie de la perfectibilité. Voir l’Introduction d’Axel Blaeschke dans l’édition critique de ce livre (Paris : Classiques Garnier, 1998). La dernière phrase reprend les réflexions a` la théorie de Malthus qu’il est en train d’analyser pour étoffer sa critique de Filangieri.
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par-là même à toute sa reconnoissance1.» Lors, dis-je, qu’on lit de pareilles phrases on est tenté de s’écrier : Je rends graces aux dieux de n’être pas Romain, Pour conserver encor quelque chose d’humain2. 2,38
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Et si l’on pèse toutes les expressions de ce terrible anathème, on trouvera peut-être que plusieurs sont hasardées, et supposent à de certains dogmes fondamentaux un assentiment que le cœur leur refuse et que l’esprit même peut leur contester. Est-il bien vrai que les lois de la nature, c’est-à-dire les lois de Dieu, aient attaché un châtiment si sévère à la multiplication imprudente, si l’on veut, de notre espèce ? Est-il bien juste pour délivrer la société, non d’une attaque directe qui en troubleroit l’ordre, mais d’une surcharge incommode pour ceux qui sont les possesseurs exclusifs de ce qui, après tout, pouvoit ne pas être un monopole ; est-il bien juste, nous le demandons, d’appeler au secours de cette société, en qui est la force, et pour qui sont les lois et les armes, la malédiction de ce Dieu que la religion nous montre au contraire ouvrant ses bras au pauvre et au foible, et les recevant dans son sein ? Nos institutions sont là ; il les faut défendre, il leur faut obéir : mais laissons au moins, pour consolation à la classe que ces institutions ont déshéritée, l’espoir du ciel et la bonté divine. Je ne sais si je me trompe ; mais toutes les fois qu’une réprobation involontaire s’élève dans tous les cœurs, je crois qu’il y a dans le principe qui appelle cette réprobation quelque chose de défectueux et de révoltant. Or, j’ai remarqué toujours que lorsqu’on reprochoit à une mère qui demandoit l’aumône pour ses enfants affamés le nombre de ces malheureuses créatures, un sentiment d’indignation se manifestoit dans ceux qui étoient témoins d’un pareil reproche. Ici, je ne puis me refuser à une observation qui doit donner lieu, ce me semble, à des réflexions sérieuses. Je ne sais à quel période de l’état social nous sommes arrivés ; mais quand la population est un danger parcequ’il n’y a pas subsistance suffisante, et qu’en même temps l’abondance des V: 1 phrases ] ajouté dans l’interl. sup. F2 s’écrier :] s’écrier 〈je rends graces a〉 F2 11 juste ... la société ] juste 〈d’appeler au secours de la societe〉 pour 〈la〉 délivrer la société les deux derniers mots dans l’interl. sup. F2 13 qui sont les ] qui 〈se〉 sont 〈[illis.]〉 les F2 15 en qui ] 〈qui〉 en (ce dernier mot récrit sur est) qui F2 21 les ] dans l’interl. sup. F2 21–22 involontaire ] la première syllabe récrite sur des lettres illis. F2 24 j’ai remarqué ] j’ai 〈parfois〉 remarqué F2 25 affamés ] affamés 〈pourquoi〉 F2 28 puis me refuser ] puis 〈me defen〉 me refuser F2 30 arrivés ] 〈parve〉 arrivés F2 31 et ... temps ] 〈quand〉 & qu’en même tems ces mots dans l’interl. sup. F2 1 2
Thomas Robert Maltus, Essai sur le principe de population, traduit de l’anglois par P. Prevost, Paris : J. J. Paschoud, 1809, t. III, pp. 109–110. Corneille, Horace, acte II, scène 3, vv. 481–482. C’est Curiace qui parle.
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denrées de première nécessité est proclamée un fléau, ne doit-il pas y avoir quelque chose de vicieux dans cet état social ? Cependant, je le répète, c’est plutôt dans les expressions que dans les actes qu’il recommande, que M. Malthus s’est laissé entraîner par son système ; et ces aberrations partielles ne changent rien à la vérité du principe sur lequel ce système est appuyé. Seulement l’auteur, tout éclairé qu’il est, ne s’est pas aperçu qu’en considérant ce qu’il appelle la contrainte morale comme un remède aux maux qu’il indique, il a donné dans un excès pareil à celui qu’il reproche aux Condorcet et aux Godwin1. Prévoir une époque où la perfectibilité indéfinie aura fait disparoître la propriété, rendu le travail inutile, et doué les hommes d’une vie sans terme, est sans doute chimérique ; mais espérer que le genre humain, et dans le genre humain la classe peu éclairée parviendroit à dompter l’attrait des sexes par la considération des maux qu’entraîne une population excessive, et que cet attrait des sexes sera subjugué sans que des vices honteux le remplacent, c’est se bercer volontairement d’illusions et de rêves. On peut se délecter dans le tableau d’une société dont chaque membre s’efforceroit de parvenir au bonheur en remplissant exactement ses devoirs, où toute action sollicitée par le desir d’un plaisir immédiat, mais qui entraîne après elle une plus grande mesure de peine, seroit considérée comme la violation d’une loi morale ; où un homme qui gagne de quoi nourrir deux enfants ne se mettroit jamais dans une situation qui le forceroit à en nourrir quatre ou cinq, quelles que fussent à cet égard les suggestions d’une passion aveugle ; où le temps passé en privations seroit employé à des épargnes, et où en même temps l’intervalle entre l’âge de puberté et le mariage seroit un exercice perpétuel de continence et de chasteté a. Mais, de bonne foi, croiton vaincre ainsi la nature ? Et le penchant qui donne du courage aux plus a
De la Population, t.
III,
p. 20–222.
V: 2 qu’il ] qu〈e〉’il (ce dernier mot partiellement récrit sur le e de que) 〈M. Ma〉 F2 4 qu’il est ] qu’il est ce dernier mot récrit sur 〈soit〉 F2 8 aura fait ] aura 〈rendu〉 fait 14-p.220.24 volontai10–14 (chiméri)que ... se bercer ] ms. F2, f o 59, partie inf., perdue rement ... sanction ] ms. F2, f os 60 à 63 ; perte des 4 premières lignes en haut des f os 62 et 63 et des premières lettres des lignes conservées 1
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Malthus, Essai sur le principe de population, t. II, pp. 275–291 et t. III, p. 337. Il est curieux que BC, qui cite ici des travaux de Condorcet et de Godwin, n’ait pas tenu compte de l’ouvrage de William Godwin, Recherches sur la population, et sur la faculté d’accroissement de l’espèce humaine ; contenant une réfutation des doctrines de M. Malthus sur cette matière, Paris : J. P. Aillaud, 1821, 2 vol. Aurait-il eu connaissance du compte rendu anonyme très critique publié dans l’Edinburgh Review (t. XXXV, 1821, pp. 362–377) ? BC résume ici un développement de Malthus, Essai sur le principe de population, liv. IV, chap. 2, «De l’influence que cette vertu auroit sur la société», et termine son texte par une citation légèrement arrangée : «L’intervalle entre l’âge de puberté et l’époque du mariage seroit passé dans l’observation exacte des lois de la chasteté» (t. III, p. 22).
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timides, qui jette dans la frénésie les plus paresseux ; le penchant qui a été créé le plus invincible, parceque sur lui repose la perpétuité des espèces ; ce penchant qui brave la mort, la douleur, toutes les considérations, toutes les craintes, cédera-t-il à quelques raisonnements métaphysiques, à des calculs d’une probabilité éloignée, qui peuvent ne point se réaliser, et qui auront d’autant moins de force qu’aucune loi pénale ne les appuiera de son autorité ? Et ici le vice des arguments que nous réfutons apparoît en entier. «Le plus irrésistible et le plus universel de nos besoins, dit M. Malthus, est celui d’être nourri et d’avoir des vêtements et un domicile ... Il n’est personne qui ne sente combien le desir de satisfaire de tels besoins a d’avantages lorsqu’il est bien dirigé ; mais, dans le cas contraire, on sait aussi qu’il devient une source de maux. La société s’est vue contrainte de punir elle-même directement, et avec sévérité, ceux qui, pour contenter ce desir pressant, emploient des moyens illégitimes1.» L’auteur conclut de là que, puisqu’on a pu empêcher l’homme de pourvoir illégitimement à sa subsistance, on pourra de même l’empêcher de multiplier imprudemment. Mais, de l’aveu de M. Malthus, on n’a pu atteindre ce premier but que par des lois pénales et des lois très sévères. Or il est loin, je lui rends cette justice, de proposer de telles mesures. Il s’ensuit qu’il n’y a nulle parité entre les deux cas. Seulement son système a ce danger qu’il peut conduire des écrivains moins sages que lui à invoquer l’action de la loi contre l’attrait des sexes revêtu de la sanction du mariage comme contre la faim ; et nous tombons alors dans une succession de vexations absurdes et toujours croissantes. On en verra la preuve dans un instant. Avant toutefois de fournir cette preuve, considérons encore la question sous son dernier point de vue. Mesurons l’étendue de la privation que, du fond de nos cabinets d’étude, bien chauffés, bien nourris, ayant auprès de nous nos femmes, ou quelquefois des femmes qui ne sont pas les nôtres, nous prescrivons à des êtres semblables à nous au physique et au moral. Ce n’est pas seulement à une continence contre nature, aux douleurs, aux maladies même que cette continence produit tout aussi bien que l’excès contraire ; ce n’est pas seulement, dis-je, à ces maux que nous condamnons la portion laborieuse et malheureuse de notre espèce, c’est à un malheur plus durable, plus amer, et qui attend cette portion cruellement traitée précisément à la fin de sa triste carrière. V: 12 aussi ] assez F2 21 mesures. ] 〈[illis.]〉 [mesu]res. F2 24-p. 222.38 du mariage ... bienfaisance. ] ms. F2, les f os 64 à 73 ou 74, contenant la fin du chap. 5, sont perdus 1
En réalité Malthus, Essai sur le principe de la population, t. III, p. 7.
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Car j’admets toutes les suppositions nécessaires pour rendre possible l’Utopie de l’auteur anglois. Les ouvriers s’abstiendront dans leur jeunesse et du mariage et des plaisirs illégitimes qui consolent aujourd’hui les célibataires. La majorité de l’espèce humaine remportera journellement sur ses sens une victoire que les saints les plus austères du christianisme regardent comme la plus difficile, une victoire pour laquelle le salut éternel ne sembloit pas à l’église primitive une récompense trop élevée : la jeunesse de nos jours déploiera au milieu des tentations une impassibilité que les solitaires de la Thébaïde atteignoient à peine par des macérations, des jeûnes, et des pénitences qui nous font frémir1. Le jeune cultivateur, l’artisan, parvenu à l’âge où l’image d’une femme fait bouillonner le sang, demeurera en présence de la séduction aussi calme que saint Siméon Stylite au haut de sa colonne2 ; j’accorde plus encore, il ne se jettera pour se dédommager dans aucune autre jouissance dispendieuse. Il vivra chaste, sans s’étourdir par le vin, sans se distraire par l’amusement, sans se permettre de détourner pour se procurer un moment de relâche la moindre parcelle de ses économies. Est-il bien certain que ses efforts le conduiront au but qu’il espère ? On conviendra que la chose n’est pas assurée. L’ouvrier, malgré son stoïcisme pratique, peut arriver à la vieillesse sans que ses économies se soient jamais trouvées suffisantes pour l’autoriser à se marier. Dans quelle position serat-il alors ? Isolé, sans secours, sans famille, sans affections, sans un bras qui le soutienne s’il est infirme, ou qui le guide s’il est aveugle, il aura consumé sa vie dans des abstinences douloureuses, pour se trouver au terme de sa carrière dans un déplorable abandon. J’aime bien l’économie politique ; j’applaudis aux calculs qui nous éclairent sur les résultats et sur les chances de notre triste et douteuse destinée : mais je voudrois qu’on n’oubliât pas que l’homme n’est pas uniquement un signe arithmétique, et qu’il y a du sang dans ses veines et un besoin d’attachement dans son cœur. Les mariages des pauvres ont beaucoup d’inconvénients matériels sans doute ; mais n’est-ce rien que d’ouvrir à ces êtres, dépouillés de tout, des trésors d’affection qui remplacent pour eux les trésors de la fortune, que nous avons tellement peur qu’ils ne nous enlèvent ? Malgré tous les inconvénients de la multiplication des enfants dont la subsistance est incertaine, c’est sur-tout pour le pauvre que le mariage est desirable et indispensable ; le riche pourroit s’en passer. Il a toujours de quoi faire qu’on singe auprès de lui l’affec1 2
BC désigne ainsi d’une manière générale les solitaires de la première chrétienté qui vécurent dans les déserts de Thèbes (en Égypte) et dont le plus connu est saint Jérôme. Saint Siméon le Stylite, dit Siméon l’Ancien (392–459). Il vécut toute sa vie de façon austère, en Syrie, s’isolant régulièrement du reste du monde. On retient de lui qu’il se retira au sommet d’une colonne, d’où son surnom.
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tion conjugale, fraternelle ou filiale. Il est sûr de pouvoir s’entourer de l’appa rence de toutes les affections ; et telle est la misère de notre nature, que je dirai presque que la fortune donne aux affections qu’elle commande une espèce de réalité. Il y a autour des grands et des riches une atmosphère d’attendrissement qui n’est pas toujours entièrement factice. Mais le pauvre, où trouvera-t-il ces soins, ces secours, cette sympathie ? Il ne sauroit les acheter comme nous, pour se faire ensuite comme nous illusion sur leur source, leur profondeur, et leur étendue. Le mariage seul lui donne un être qui s’identifie avec lui, qui supporte avec lui les fardeaux que notre ordre social jette sur lui sans miséricorde, qui travaille avec lui, souffre avec lui, mendie avec lui. Tout le monde connoît la réponse de cet aveugle à qui l’on reprochoit de nourrir son chien. Et qui m’aimera ? dit-il. Ce peu de mots me paroît une réfutation éloquente du système froid et compassé qui, pour la plus grande commodité des classes riches, veut priver les classes pauvres, non seulement de la plus vive des jouissances physiques, mais de toutes les consolations qui résultent du lien conjugal et de la paternité. On diroit qu’aujourd’hui nous en sommes venus à ce point que la naissance d’un enfant qui n’a pas sa subsistance assurée nous alarme comme l’approche d’un voleur prêt a nous prendre ce que nous avons. C’est aussi pousser trop loin, je le pense, les privilèges de la propriété. En disant tout ceci, je ne repousse que les conséquences qu’on a tirées d’un principe vrai. J’adopte tout ce qu’on allègue contre les encouragements donnés à la population. Ces encouragements directs entraînent nécessairement, comme dit M. Malthus, un accroissement de mortalité ; aussi n’encouragez pas le mariage par des moyens factices : ne l’imposez pas comme un devoir, mais ne le proscrivez pas comme un crime. Puisque vous croyez, ce que je crois aussi, que la Providence a fait de cette terre un monde d’épreuves, permettez que ces épreuves portent en partie sur la classe favorisée par le sort. Ne choisissez pas toujours le pauvre pour lui prescrire des privations ; si la classe pauvre multiplie, que la classe aisée se serre et se gêne. Il faut, de votre aveu, plusieurs siècles pour que la population devienne telle, qu’avec la culture de tout notre globe mis soigneusement en valeur, là où il est susceptible de produire, la subsistance soit insuffisante. Alors comme alors. En attendant laissez aller les choses. La nature par ses rigueurs, l’intérêt personnel par ses calculs, mettront des bornes à la population, et la bienfaisance la soulagera, sur-tout si vous n’érigez pas aussi en délit la bienfaisance.
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«Tout ce qui tend à rendre la subsistance difficile tend à diminuer la population.» Liv. II, chap. II, p. 2241.
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J’ai promis de prouver que le système de M. Malthus, présenté comme il l’est par son auteur, a ce grand danger, que des écrivains moins sages s’en autoriseront pour invoquer l’action de la loi contre le mariage des classes indigentes, et pour exercer ainsi sur elles la plus douloureuse et la plus injuste de toutes les vexations. Ce n’est pas sans regret que je vois au nombre des partisans d’une prohibition, qui seroit à mon avis aussi oppressive qu’immorale, l’un de nos meilleurs économistes, un homme qui, sous beaucoup de rapports, possède et mérite l’estime de l’Europe éclairée ; un historien distingué par son érudition, ses recherches infatigables, et ses aperçus nouveaux ; un philosophe enfin, qui défend avec zèle et talent la cause de la véritable liberté : je veux parler de M. Sismonde Sismondi, auteur d’une excellente histoire des républiques italiennes, et qui a entrepris une histoire de France, fort au-dessus, dans ce qui en a été publié jusqu’à ce jour, de toutes celles qui l’ont précédée2. Mais non moins actif dans le champ de l’économie politique, il a fait paroître en 1819 de nouveaux principes de cette science ; et c’est dans cet ouvrage, rempli d’ailleurs d’idées justes et ingénieuses et de vues philanthropiques, qu’il a écrit les phrases suivantes, que je cite textuellement, pour ne pas être accusé de défigurer ce que je réfute. «C’est un devoir, dit-il, de ne point se marier quand on ne peut point assurer à ses enfants le moyen de vivre ; c’est un devoir non point envers V: 1-p. 225.20 Chapitre VI. ... bons citoyens. ] ms. F2, les f os 74 ou 75 à 83, contenant le début du chap. 6, sont perdus 1 2
SL2, livre II, chap. II, édition Dufart, t. I, p. 224. Filangieri cite Mirabeau, L’Ami des hommes, t. I, 2, pp. 13–29. BC se reporte a` Simonde de Sismondi, Nouveaux principes d’économie politique, ou De la richesse dans ses rapports avec la population, Paris : Delaunay, Treuttel & Würtz, 1819, 2 vol. Il cite dans ce contexte deux autres ouvrages qui font la gloire de Sismondi : Histoire des républiques italiennes du Moyen Age, Paris : Treuttel & Würtz, 1818, 16 vol., et Histoire des Français, dont le premier volume paraît à Paris chez Treuttel & Würtz en 1821 et dont le 31e et dernier volume sera publié en 1844 seulement.
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soi, mais envers les autres, envers ces enfants qui ne peuvent se défendre, qui n’ont point d’autre protecteur. Le magistrat est appelé à faire respecter tous les devoirs réciproques : il n’y a point d’abus d’autorité à ce qu’il empêche le mariage de ceux qui sont le plus exposés à oublier ce devoir. Le mariage est un acte public, un acte légal ; il a été pris sous la protection des lois, justement parcequ’il est aussi sous leur inspection. Le mariage des mendiants ne devroit jamais être permis ; c’est une odieuse connivence de l’autorité au sacrifice qu’ils comptent faire de leurs enfants. Le mariage de tous ceux qui n’ont aucune propriété devroit être soumis à une inspection sévère. On auroit droit de demander des garanties pour les enfants à naître ; on pourroit exiger celle du maître qui fait travailler, requérir de lui un engagement de conserver à ses gages, pendant un certain nombre d’années, l’homme qui se marie ; combiner enfin, avec l’industrie propre à chaque canton, les moyens de faire monter le père de famille d’un degré dans l’échelle sociale, en même temps qu’on ne per mettroit jamais le mariage à ceux qui demeureroient dans le dernier degré a.» Je ne m’étendrai pas sur la conséquence immédiate de ce célibat imposé de force à toute la classe pauvre ; cette conséquence seroit évidemment un libertinage porté beaucoup plus loin qu’il ne l’est maintenant. L’auteur avoue cet inconvénient ; mais comme il ne le considère que sous un point de vue partiel et étroit, il n’y attache que peu d’importance. Il existe cependant d’autres rapports, sous lesquels il eût été bon de l’envisager, et quelque réflexion auroit prouvé qu’il deviendroit très grave. D’abord le blâme, la réprobation, le mépris qui s’attachent a` la débauche, cesseroient aussitôt que la débauche seroit, pour ainsi dire, prescrite à ceux qu’on repousseroit du lien conjugal. On aura beau faire des chiffres tant qu’on voudra, les hommes resteront des hommes, et de vingt à quarante ans le besoin de la réproduction les dominera de manière à ne pouvoir être a
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Nouveaux Principes d’économie politique, tom. II, p. 3081. Une chose assez curieuse, c’est que M. de Sismondi semble ailleurs oublier entièrement les principes sur lesquels il motive sa sévérité contre les mariages de la classe pauvre, et qui seuls peuvent excuser cette sévérité. Il dit, page 97 de son premier volume, en parlant d’un fermier qui doubleroit sa récolte toutes les années : Qui consommera cette augmentation ? on répondra : sa famille, qui se multipliera sans doute ; mais les générations ne croissent pas si vite que les subsistances. Si notre fermier avoit des bras pour répéter chaque année l’opération supposée, sa récolte en blé doubleroit toutes les années, et sa famille pourroit tout au plus doubler tous les vingt-cinq ans. La citation se trouve dans l’ouvrage de Sismondi, Nouveaux principes d’économie politique, t. II, pp. 307–308. C’est BC qui souligne une phrase en l’imprimant en italique. La citation donnée dans la note («on répondra : ... vingt-cinq ans.») n’est pas littérale, mais les interventions n’affectent pas le sens.
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réprimé. Or il y a dans tous les es prits une justice innée, qui n’attache de culpabilité aux actions que lorsqu’elles sont vraiment criminelles, et lorsqu’il n’est pas au-dessus des forces humaines de s’en abstenir. Dans les classes élevées, on n’a jamais pu faire du duel une chose déshonorante, parceque chacun sentoit au fond de son cœur que le préjugé ayant uni au refus de se battre, ou de tirer vengeance d’un affront, une honte sociale, nul ne pouvoit être tenu d’affronter cette honte et de s’y soumettre. Chacun sentiroit de même que des ouvriers de vingt-cinq ans ne peuvent pas vivre dans la chasteté, et si, même aujourd’hui, on ne juge pas très sévèrement ceux qui s’en écartent, on regarderoit le commerce illégitime des sexes comme une nécessité créée par la loi, et comme parfaitement innocent de la part de ceux qui s’y livreroient. Si je voulois entrer dans tous les détails repoussants et difficiles de cette matière, je rappellerois que cette nécessité a été si bien reconnue dans plusieurs pays a, que les magistrats même se sont crus forcés de permettre aux détenus des maisons de force des plaisirs périodiques pour ne pas encourager des vices beaucoup plus honteux. On n’a pas la même indulgence en France ; aussi les mœurs des prisons où l’on retient les hommes de la classe inférieure, sont-elles un sujet de réclamations et de regret pour tous les bons citoyens. Mais comme cependant le libertinage, en n’étant plus un sujet de blâme, en deviendroit plus qu’aujourd’hui un de répression (car je suppose qu’on ne veut pas favoriser les naissances illégitimes en proscrivant le mariage), il en résulteroit que la lutte entre la loi et la nature, cette lutte toujours si fatale, auroit lieu dans les portions pauvres de la société à tous les instants de la nuit et du jour. Or il n’est pas bon que l’homme s’accoutume à violer les lois. Il passe rapidement d’une violation à l’autre ; le grand secret social, c’est de fournir aux individus le moyen de se satisfaire légitimement. Mettre des obstacles légaux à une chose qu’on ne peut empêcher, c’est discréditer sa législation aux yeux des peuples ; et discréditée dans ceux de ses commandements qui imposent des devoirs factices, elle l’est bientôt dans ceux qui prescrivent des devoirs réels. a
En Hollande, par exemple1.
V: 21-p. 228.18 Mais comme ... de l’autorité. ] ms. F2, f os 84 à 94 l’interl. sup. F2 1
30 ceux de ] dans
BC pense au Code pénal de la Hollande, introduit avec l’occupation française de ce pays en 1811, et resté en vigueur après le départ des Français en 1813. La nouvelle législation mit fin à la défense de la prostitution en vigueur depuis 1578. Voir H. W. J. Volmuller, Het oudste beroep. Geschiedenis van de prostitutie in Nederland, Utrecht : A. Oosthoek’s Uitgevermaatschappij NV, 1966, pp. 26–30.
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Mais ce n’est pas tout. Passons à l’exécution de ce projet. Nous ne tarderons pas à nous apercevoir que la difficulté en devient beaucoup plus grande. En effet, lorsque l’on compare le besoin de la reproduction à celui d’être nourri ou d’être vêtu, et lorsqu’on veut conclure de ce que la crainte des peines empêche l’homme affamé ou nu de voler de la nourriture ou des vêtements, que cette même crainte des peines empêcheroit l’action par laquelle l’espèce se multiplie, on oublie plusieurs différences qui font des deux hypothèses des cas très dissemblables. Quand un malheureux dérobe un pain, ou s’empare d’un habit, il fait au propriétaire de l’habit qu’il revêt, ou du pain qu’il dévore, un mal immédiat, direct, positif. Il y a donc quelqu’un qui a intérêt à se plaindre. La justice est incontinent avertie. La moitié de son opération, la surveillance, lui est épargnée ; et c’est la partie la plus difficile. Mais quand il s’agit de l’union des sexes, c’est tout autre chose : d’ordinaire le coupable, au lieu de faire à quelqu’un le mal positif qui l’engageroit à le dénoncer, lui fait un plaisir qui a sans doute à la longue de tristes conséquences, mais qui, certes, dans le moment même ne provoque pas l’accusation. Dans le cas du vol, il y a une partie lésée ; dans celui de l’union des sexes, il n’y a qu’un complice. Ainsi la loi pénale qui peut atteindre le voleur n’atteindra pas celui qui, dans son imprudence, court la chance de devenir père. On punit le rapt, la séduction, l’adultère, parcequ’il y a des plaignants dans la personne des parents ou de l’époux offensé ! Mais dans l’union simple de deux individus qui frauderoient la loi qu’on propose, il n’y a personne qui ait intérêt à se plaindre ; il y a au contraire deux êtres intéressés à se taire et à se cacher. Aussi n’est-ce pas l’union des sexes, union fortuite et secrète, qu’on prétend punir ; c’est la sanction donnée à cette union qu’on veut refuser. Les mendiants ne doivent pas pouvoir se marier ; les ouvriers doivent y être autorisés par une licence spéciale. Quant aux mendiants, je crois qu’il arrive rarement que deux personnes n’ayant d’état que la mendicité, se présentent pour contracter mariage devant l’autorité compétente. Cela me paroît d’autant plus difficile que presque par-tout aujourd’hui la men dicité est interdite ; et je ne vois pas comment des hommes qu’on poursuit pour les arrêter, et qu’on saisit quand on les rencontre, s’offriroient aux magistrats ; ils seroient conduits au dépôt préparé pour eux avant d’arriver à l’autel. V: 10 fait au ] fait 〈[illis.]〉 au 26 Aussi n’est-ce pas ] 〈Mais ce〉 Aussi (ce dernier mot dans l’interl. sup.) n’est ce (mot ajouté dans l’interl. sup.) pas F2 31 pour contracter mariage ] dans l’interl. sup. F2 35 s’offriroient aux magistrats ] 〈pourroient se présenter devant [?]〉 s’offriroient (ce dernier mot dans l’interl. sup.) au magistrat 〈pour [illis]〉
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Chapitre II,6 – Des écrivains qui ont exagéré le système de M. Malthus
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C’est donc bien plutôt les hommes exposés à devenir mendiants, c’est-àdire les ouvriers qui n’ont de capital que leurs bras, qu’on veut tenir dans un célibat forcé. On leur demandera des garanties pour les enfants à naître ; on exigera celle du maître qui les fait travailler, c’est-à-dire qu’on crée une espèce de servage, qu’on fait des ouvriers une caste réduite à la plus déplorable dépendance, et qu’au nom de l’économie politique on reconstitue de fait la plus oppressive féodalité. Qui sera juge entre l’ouvrier et le maître, si celui-ci refuse l’autorisation qui lui est demandée ? Qui ne voit quelle porte on ouvre à l’arbitraire, au caprice, aux haines personnelles ? Quel maître voudra s’engager, comme l’auteur le propose, à garder à ses gages pendant un nombre d’années un homme qui, par cela même qu’il ne craindra plus d’être renvoyé, deviendra ou plus négligent, ou plus paresseux, ou plus insubordonné ? Et si, fatigué de travailler pour un maître qui se croira des droits dont il s’exagèrera l’étendue, et qui voudra peut-être abuser de ces droits, l’ouvrier quitte le maître auquel, pour prix de son mariage, la loi l’aura pour ainsi dire enchaîné, que ferez-vous ? Voulez-vous qu’on le poursuive comme on poursuivoit un serf fugitif ? Autant vaudroit faire des ouvriers un corps de Parias ; autant vaudroit ressusciter en Europe, dans cette Europe où l’industrie promettoit d’établir le plus haut degré de liberté individuelle, les institutions tyranniques et absurdes de l’Inde et de l’E´gypte. Encore un mot, et je finirai cette réfutation d’une idée qui ne soutient pas d’examen ; si vous attachez à la propriété le droit exclusif de goûter le plaisir le plus vif et le plus doux que nous ait accordé la nature, ne craignez-vous pas d’accroître au-delà de toute borne et au-delà de toute prudence les prérogatives de la propriété ? Il ne vous suffit pas que le prolétaire se résigne à n’avoir part à aucun des biens dont vous possédez le monopole ; il ne vous suffit pas qu’il renonce au feu, à la terre, à l’eau, à l’air même ; car sa condition l’oblige, tantôt à descendre au fond des abymes, tantôt à s’enterrer dans des ateliers où il respire à peine, et toujours à se priver de ce qu’il produit pour vous et de ce dont il vous voit jouir au prix V: 1 les hommes ] 〈des ho〉 les hommes F2 1–3 mendiants, ... forcé.] première rédaction mendians qu’on veut tenir dans le Célibat. deuxième rédaction mendians c’est a dire, les ouvriers n’ont de capital que leurs bras (cette incise dans l’interl. sup.) qu’on veut tenir dans un (ce mot récrit sur le) Célibat forcé (le dernier mot ajouté dans la petite marge droite ; la correction est donc postérieure à la copie des phrases qui suivent) F2 6 reconstitue ] récrit sur un mot illis. F2 19–20 où ... d’établir ] 〈dont〉 ou (ce mot dans l’interl. sup.) l’industrie 〈devroit〉 promettait (ce mot dans l’interl. sup.) d’établir F2 23 d’examen ] un instant d’examen F2 26 pas ] dans l’interl. sup. F2 27–28 vous ... monopole ] 〈jouissent ses semblables〉 vous ... monopole la correction dans l’interl. sup. F2 29 tantôt ] dans l’interl. sup. F2
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Commentaire sur Filangieri
de ses fatigues et de ses sueurs : une consolation lui restoit, une consolation que la Providence touchée de pitié a répartie entre tous les êtres ; vous la lui disputez ! vous voulez que cette faculté donnée à tous, dont les animaux même ne sont pas privés, soit interdite à votre semblable parcequ’il est pauvre. Je le répète, il y a là au moins autant d’imprudence que d’iniquité. On pense bien qu’en m’exprimant de la sorte, je n’attaque pas les intentions d’un auteur que j’estime, et auquel m’attachent à-la-fois et la conformité d’opinions sur beaucoup de points et le souvenir d’une amitié ancienne et durable ; mais je crois que l’en thousiasme avec lequel il a adopté le système de M. Malthus, et le desir de rendre ce système plus applicable en pratique que ne l’avoit essayé l’auteur anglois, l’ont entraîné dans des erreurs graves. Il a voulu faire par la loi ce qu’il est impossible de faire par la loi ; et comme il arrive aux meilleurs esprits trop fortement préoccupés d’une idée, ne voyant point d’efficacité dans les moyens que M. Malthus avoit proposés, il a cru résoudre le problème en invoquant l’intervention à laquelle on recourt toujours en désespoir de cause, et qui, lorsqu’elle sort de sa sphère, fait habituellement plus de mal que de bien, je veux dire l’intervention directe et menaçante de l’autorité.
V: 2 la Providence ... pitié ] 〈le sort〉 la Providence touchée de pitié (la correction dans l’interl. sup.) F2 êtres ; ] êtres, 〈dont les animaux ne sont pas privées.〉 F2 3 à tous, dont ] à tous, commune à tous, 〈soit〉 dont F2 9–10 que ... desir ] que 〈son adoption du〉 l’enthousiasme avec lequel il a adopté le (ces sept derniers mots dans l’interl. sup.) systême de M. Malthus, 〈la [illis.] & l’exemple de〉 & 〈le〉 son (ce mot dans l’interl. sup.) désir F2 11 l’ont ] l’〈a〉ont F2 13 arrive aux ] arrive 〈toujours〉 aux F2 15 l’intervention à ] 〈une〉l’intervention 〈qui n’est p〉 à F2 16 qui, lorsqu’elle ] qui 〈fait〉 lorsqu’elle F2
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Chapitre VII. D’une inconséquence de Filangieri.
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«Au lieu d’engager ses sujets à abandonner leur patrie, elle (l’Angleterre) devroit par des réglements sages mettre obstacle à leur fréquente émi-
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gration.» Liv. I, chap.
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Ce que nous venons de dire sur les inconvénients et les avantages de la population, nous oblige à retourner en arrière pour indiquer une étrange inconséquence de notre auteur italien. D’après le principe qu’il a reconnu lui-même, et qui est en effet d’une vérité incontestable, je veux dire le rapport nécessaire et constant qui existe entre la population et les moyens de subsistance, il est clair que l’émigration est ce qui favorise le plus la multiplication de l’espèce humaine. Par-tout où il y a une place vide, une naissance la remplit ; et cependant le même écrivain qui voudroit voir la population s’accroître sans bornes, exhortoit l’Angleterre, quelques pages plus haut, à empêcher que ses sujets n’émigrassent. Mais il arrive sans cesse que les hommes oublient une moitié de leurs opinions, quand ils veulent faire prévaloir l’autre moitié. Ils les prennent chacune en particulier comme autant de dogmes ; et quand ils ont rassemble´ tout ce qu’ils croient avoir à dire sur un sujet, ils pensent s’être acquittés de leur tâche, et recommencent le même travail sur une question nouvelle, sans trop se mettre en peine ni s’apercevoir des contradictions dans lesquelles ils peuvent tomber. Il est vrai de dire que l’inattention des lecteurs vient au secours de celle des écrivains, et qu’au milieu des distractions qui se croisent et des intérêts qui nous entraînent, chaque idée nous sert comme un amusement ou comme une arme, sans que nous éprouvions le besoin d’en former un ensemble, satisfaits que nous sommes d’avoir atteint le but ou pourvu à la conversation du moment. On ne met point obstacle à l’émigration par des règlements, et le conseil que Filangieri adresse ici au gouvernement anglois décèle encore l’erreur d’un philosophe qui considère l’homme comme un agent passif entre les V: 1-p. 297.26 Chapitre VII. ... par sa pauvreté. ] à partir du f o 95 jusqu’à la fin de cette seconde partie, le ms. F2 n’est pas conservé 1
SL1, livre I, chap. III, pp. 58–59, SL2, édition Dufart, t. I, p. 57.
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Commentaire sur Filangieri
mains de l’autorité. Filangieri sans doute, en parlant de règlements sages, les concevoit doux et modérés ; mais par cela même que les peines trop sévères seroient écartées de ces règlements, ils se verroient plus facilement enfreints. Leur infraction forceroit le pouvoir à accroître la rigueur des peines, et de la sorte, avec quelque réserve que l’autorité fût entrée dans cette route, elle seroit amenée au dernier terme de la violence et de la sévérité. Les seuls règlements à faire pour mettre obstacle à l’émigration, ce sont les constitutions libres, les lois équitables, les garanties solides. Assurez ces biens à un peuple, et vous pouvez être certain que ses citoyens n’émigreront pas. Refusez ces biens à un peuple, tous vos règlements n’empêcheront point qu’il ne quitte un pays où son existence sera précaire, ses droits menacés, son industrie entravée. Je le de mande à tout homme de bon sens et de bonne foi ; par quelle mesure retiendra-t-on sur le sol anglois ces prolétaires affamés, auxquels les lois ne permettent pas de gagner leur subsistance et celle de leur famille ? Et si, par impossible, on parvenoit à leur fermer toute issue, qu’en résulteroit-il pour la prospérité de la paix publique ? En détail, des brigandages ; en masse, des séditions. Je ne considère ici la question que sous le point de vue politique. Que n’aurois-je point à dire, si je me livrois a` des considérations morales ? La société, telle qu’elle existe, a consacré le droit de propriété, c’est-àdire elle a voulu que le sol appartînt sans contestation à celui qui l’occupe de temps immémorial, ou d’après une transmission dont elle a prescrit les formes ; elle a voulu de plus que les productions, fruit du travail, appartinssent, soit au producteur, soit à ceux qui, par des conventions légales, lui fournissent les matériaux et les moyens de produire. La nécessité excuse ce qu’a fait à cet égard la société ; mais la condition néanmoins est dure et sévère. Les trois quarts de l’espèce humaine naissent déshérités ; les biens, communs à tous dans l’ordre naturel, deviennent dans l’ordre social le monopole de quelques uns ; et ces derniers pour les conquérir ne se donnent, comme on l’a dit énergiquement, que la peine de naître. Enfin la chose est ainsi. Deux compensations restent, et consoleroient la classe dépouillée ; l’une est le travail, l’autre l’émigration. Par la première, le pauvre trouve dans ses bras, dans son industrie, un équivalent à la propriété dont les détenteurs oisifs sont forcés de lui abandonner une portion, pour qu’à leur profit il fasse valoir le reste. Par la seconde, si, dans un pays, ses efforts sont inutiles, il peut chercher ailleurs un ciel plus propice et des circonstances plus favorables. Qui le croiroit ? l’autorité lui a fréquemment disputé ces deux ressources. Des lois prohibitives ont gêné son industrie au-dedans, et des décrets contre l’émigration lui ont défendu de porter cette industrie au-dehors. Avec une législation pareille, je le déclare, il n’y a aucun excès qu’on ne doive attendre, il n’y a pas de désordre qui nous puisse étonner.
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Chapitre II,7 – D’une inconséquence de Filangieri
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Dira-t-on que nous exigeons des gouvernements une indifférence et une apathie qui blessent leurs intérêts ? qu’ils ne sauroient se résigner à voir leur pays se dépeupler, leurs terres rester en friche, leur industrie dépérir faute de biens, toutes les fois que ce qu’ils appellent la manie de l’émigration s’empare de l’esprit d’une classe ignorante et crédule, que séduisent des écrits mensongers et de trompeuses promesses ? Nous répondrons que la manie de l’émigration ne s’emparera d’aucun peuple ni d’aucune classe, si le gouvernement, par ses vexations, par les entraves qu’il oppose au développement des facultés humaines ; en un mot, par ce qu’on pourroit nommer, à plus juste titre, la manie règlementaire et législative, ne contraint pas cette classe ou ce peuple à émigrer. Et, remarquez-le bien, la tendance à l’émigration n’est le résultat d’aucun des inconvénients physiques que la nature a répartis entre les diverses contrées de la terre. Le Lapon ne quitte point son climat glacé, et les nations exposées aux ardeurs du soleil supportent les chaleurs qui les accablent. L’habitude, les liens de famille, les souvenirs de l’enfance, enchaînent l’homme aux lieux où il est né ; et même lorsque le besoin le chasse, ou que la jeunesse aventureuse l’entraîne au-dehors, l’esprit de retour, pour me servir d’une expression que la loi n’a consacrée que parcequ’elle l’a trouvée au fond de nos cœurs ; l’esprit de retour accompagne le voyageur dans ses pèlerinages lointains, et le ramène tôt ou tard sous le toit de ses pères, qu’il aime à léguer à ses enfants. Il n’y a d’insupportable pour l’homme que le tort qui lui vient de ses semblables ; les rigueurs de la nature sont des nécessités ; les rigueurs des gouvernements sont des injustices. On se soumet aux unes ; les autres révoltent. En conséquence, tandis qu’on voit des peuples se résigner aux intempéries des saisons, à l’âpreté du climat, à la stérilité du sol, des montagnards porter sur leur dos la terre végétale pour fertiliser le sommet des rochers, le ciel le plus doux, les plaines les plus fertiles ne sauroient retenir les hommes qui gémissent sous une autorité oppressive. Ce ne sont ni les brouillards des Hébrides, ni la bruyère dont leurs coteaux sont couverts, qui engagent le paysan d’E´cosse à quitter son pays natal ; ses pères avoient durant des siècles respiré les brouillards et tiré parti de l’aride bruyère. Aujourd’hui l’avidité des seigneurs, avidité d’autant plus intolérable que l’excès de la civilisation, en précipitant ces seigneurs dans les villes, ne laisse pas à la classe qui dépend d’eux dans leurs terres les dédommagements résultant jadis de la vie patriarcale de ces paysans du Nord. On a beaucoup parlé de l’orgueil national anglois ; et cet orgueil en effet a long-temps élevé entre l’Angleterre et toutes les nations continentales des barrières qui sembloient insurmontables. Maintenant, malgré cet orgueil, la France est inondée d’Anglois devenus propriétaires ou fabricants sur le sol
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étranger. Des artisans, des agriculteurs, nous portent leur expérience et leurs précieuses découvertes, et la Grande-Bretagne trouve dans ses propres enfants les plus dangereux fléaux de son industrie. D’où vient ce changement ? de ce que pour le pauvre les lois prohibitives, et pour le riche les taxes énormes, sont devenues en Angleterre des fléaux dont à tous prix il veut s’affranchir ; et contre la pression continuelle de ces deux fléaux, il n’y a ni orgueil national, ni patriotisme, ni habitudes, ni souvenir d’enfance qui puissent l’emporter1. Il ne faut pas s’exagérer l’influence de l’amour de la patrie dans nos temps modernes ; j’ai reconnu plus haut le poids que ce sentiment met dans la balance, et il peut compenser jusqu’à un certain point l’ineptie ou l’injustice des gouvernements ; mais ceux-ci ne doivent pourtant se reposer sur cette force morale qu’avec défiance et discrétion. L’amour de la patrie ne sauroit exister chez nous comme il exis toit chez les anciens. Le commerce a rapproché les nations, et leur a donné des mœurs à-peu-près pareilles. L’expatriation, qui étoit une difficulté et presqu’un supplice pour les peuples de l’antiquité, nous est devenue facile et souvent agréable. Quand Cicéron disoit, «Pro quâ patriâ mori, et cui nos totos dedere et in quâ nostra omnia ponere, et quasi consecrare, debemus2,» la patrie contenoit tout ce qu’un homme avoit de plus cher : perdre sa patrie, c’étoit perdre ses enfants, ses amis, tous les objets de ses affections ; c’étoit affronter l’ignorance et la grossièreté de peuplades inconnues et demi-barbares ; c’étoit renoncer à toute communication intellectuelle, à toute jouissance sociale. Maintenant, environnés de nations policées et hospitalières, nous emmenons ce qui nous est cher, et nous retrouvons, à quelques nuances près, tout ce que nous n’emmenons pas. Ce que nous aimons dans la patrie, c’est la propriété de TR: 17–23 Quand ... jouissance sociale. ] Principes de politique, Livre XVI, chap. 4. 26-p. 233.6 Ce que nous ... particulier ; ] Principes de OCBC, Œuvres, t. V, p. 610. politique, Livre XVI, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, p. 610. 1
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Il est difficile d’indiquer les sources exploitées par BC. Pour ce qui est des lois des pauvres, on peut renvoyer à Smith, Recherches, t. I, pp. 213–218, où l’on trouve des faits et des raisonnements proches des opinions de BC. Nous reprenons ici ce que nous avons dit dans une note au liv. XVI, chap. 4 des Principes de politique : BC cite une des phrases les plus connues de Cicéron, non pas pour en démontrer la vérité, mais pour mieux comprendre l’esprit moderne. Même s’il sacrifie des nuances qui se trouvent dans le chap. 2, 5 du livre II de De legibus ne tient pas compte de l’idée pour ainsi dire «romantique» d’un lien affectif entre l’individu et la patrie que celui-ci déclare être la sienne, les valeurs évoquées dans cette note pour circonscrire une notion moderne de ce qu’on peut appeler «patrie» montrent très clairement que nous sommes en présence d’une doctrine avec, au centre, les idées qui définissent l’individualité (OCBC, Œuvres, t. V, pp. 610–611, n. 3).
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Chapitre II,7 – D’une inconséquence de Filangieri
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nos biens, la sûreté de nos personnes et de nos proches, la carrière de nos enfants, le développement de notre industrie, la possibilité, suivant notre position individuelle, du travail ou du repos, de la spéculation ou de la gloire ; en un mot, de mille genres de bonheur adaptés à nos intérêts ou à nos goûts. Le mot de patrie rappelle à notre pensée plutôt la réunion de ces biens que l’idée géographique de tel ou tel pays en particulier ; lorsqu’on nous les a enlevés chez nous, nous allons les chercher au-dehors, et les gouvernements n’ont ni le droit ni le pouvoir de nous contester cette faculté.
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Chapitre VIII. De la division des propriétés.
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«Le petit nombre de propriétaires et le nombre infini de non propriétaires doit nécessairement produire l’effet de rendre la subsistance plus dif-
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ficile, et par conséquent de diminuer la population.» Liv. II, chap.
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p. 2261.
Un ami de l’humanité ne pouvoit pas ne pas être frappé des inconvénients énormes de la concentration des propriétés. Aussi long-temps que Filangieri ne s’occupe qu’à démontrer ces inconvénients, ce qu’il dit n’est pas très neuf, mais est fort raisonnable. La concentration des propriétés produit deux effets, le défaut de subsistance et la diminution de la population. A ces conséquences immédiates, d’autres moins directes et plus lentes viennent nécessairement se joindre : la culture dépérit, non seulement à défaut de bras, mais encore par le découragement et le dégoût de mercenaires misérables ; de vastes domaines sont laissés en friche par la nonchalance du riche, ou employés par son orgueil à accroître un luxe inutile ; le nombre des prolétaires est doublé ; enfin la société renferme une cause de fermentation et de désordre qui devroit alarmer les amis du pouvoir, et pourtant ce sont eux qui s’affligent quand les propriétés se divisent, tant leur intérêt particulier l’emporte sur leur attachement aux principes qu’ils professent. Ces principes leur sont bons comme une arme offensive ; mais ils les abjurent dès qu’il est question de les appliquer. N’est-il pas évident toutefois que plus le nombre de ceux qui ont intérêt à soutenir un gouvernement est grand, plus le gouvernement est défendu avec zèle ? Lors donc qu’on répète que les propriétaires sont amis de l’ordre, n’en doit-on pas conclure que pour conserver l’ordre il faut augmenter le nombre de ses amis ? De plus, il est facile de démontrer que, même indiV: 10 concentration ] concentratration F6 1
SL1, livre II, chap. III, p. 32 : «J’ai dit que tout ce qui tend à rendre la subsistance plus difficile, tend aussi à diminuer la population ; or, le petit nombre de propriétaires, et le nombre infini de non-propriétaires doit nécessairement produire cet effet» (SL2, édition Dufart, t. I, p. 226).
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Chapitre II,8 – De la division des propriétés
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viduellement, le petit propriétaire est plus intéressé que le grand à prévenir le désordre. En effet, tel évènement qui dérange à peine le riche détruit complètement l’existence du pauvre. Cherchez dans l’histoire les époques qui suivent les calamités publiques, les invasions et les guerres civiles, vous verrez le petit propriétaire réussir à peine par plusieurs années d’un travail opiniâtre à rassembler quelques débris, et a` se créer une existence tolérable ; tandis que le riche gêné un instant pendant quelques jours, ou quelques mois, n’a pas vu troubler son existence, mais seulement interrompre quelques unes de ses jouissances. Une chaumière incendiée, un champ dévasté, la perte de quelques animaux domestiques, ou de quelques meubles grossiers, réduisent l’un à la mendicité ; la dévastation d’un château magnifique, la perte d’une riche et abondante récolte, ne diminuent pas même l’opulence de l’autre. Or, comment penser que les risques soient égaux entre ces deux hommes, ou, ce qui est plus absurde, que l’un hasardera tout son avoir pour un bouleversement dont les chances ne peuvent jamais tourner à son profit ; tandis que l’autre ne risquera pas même une foible partie de sa fortune pour un changement dont sa position sociale lui permet de tout espérer ? Et si l’on objecte que l’homme se fait illusion sur ses espérances et ses dangers, nous répondrons par un seul mot à cette objection ; elle peut s’appliquer aux calculs et aux projets de l’un comme aux passions de l’autre ; elle vient même à l’appui de nos réflexions, car il existe un instinct sûr qui conduit l’homme dans tout ce qui touche à son intérêt immédiat. Cet instinct guide toujours le petit propriétaire exposé à la misère par une seule imprudence ; tandis que le riche plus adonné en tout genre aux idées spéculatives, cherchant souvent ses intérêts plus loin de lui, est aussi souvent exposé à s’égarer sur ce qui en est l’objet. Quelquefois, il est vrai, les instruments des révolutions se trouvent dans les rangs de la petite propriété ; mais les chefs des factions sortent toujours de ceux de la grande. Détruisez les chefs, le désordre par cela seul devient impossible, les instruments sont mis hors d’état d’agir. Conservez les chefs, vous ne détruirez pas pour cela les instruments, vous ne les détruirez même jamais ; car si les factieux peuvent en trouver parmi les petits propriétaires, à plus forte raison les prolétaires seront-ils propres à cet emploi, ayant moins de chances de perte, un intérêt plus immédiat à agir, un espoir égal dans le succès. En effet, on propose un étrange moyen de diminuer la force de ceux à qui un bouleversement peut être utile en voulant en augmenter le nombre : on veut diminuer celui de leurs adversaires, et accumuler dans la main de ceux-ci les objets que l’on suppose devoir tenter la cupidité.
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Une autre raison plus forte peut-être vient encore appuyer celles que nous avons développées en faveur de la division des propriétés. L’industrie fait chaque jour des progrès immenses, élève de nouvelles fortunes, et place de nouveaux riches à côté de ceux que la propriété a créés1. Ils brillent du même éclat, la même clientelle les entoure, ou plutôt, comme ils ont besoin de plus de bras pour commencer et perpétuer leur fortune que le propriétaire foncier, une clientelle bien plus nombreuse que la sienne se presse chaque jour autour d’eux. Aujourd’hui que les signes d’échange sont la richesse des individus, ceux qui vivent des travaux manuels doivent préférer l’industrie aux travaux champêtres, puisqu’une plus grande aisance en est le fruit. D’ailleurs, il y a une sorte d’égalité, ou plutôt une sorte d’homogénéité, entre le riche industriel et le simple manœuvre qui n’existe pas entre le propriétaire et les mercenaires qu’il emploie : de là résulte une différence qui tourne encore au profit du premier. L’ouvrier voit dans la fortune de son chef le ré sultat du travail et de l’industrie ; il espère par le même chemin arriver au même but : aussi il est prêt à défendre une position sociale qui peut être la sienne un jour. Mais le mercenaire, condamné pour toujours à des travaux qui enrichissent un autre homme, sans pouvoir jamais changer sa position, aperçoit bien davantage la barrière qui le sépare du propriétaire. Est-il probable qu’il fasse de grands efforts pour la défendre ? Le riche propriétaire n’est-il pas beaucoup plus exposé que le riche industriel ? L’armée de l’industrie s’accroît chaque jour ; quelques unes des fortunes qu’elle crée égalent celles des plus grands propriétaires. Des classes intermédiaires plus ou moins opulentes, toutes dans l’aisance, viennent prendre place entre les riches et les simples ouvriers ; une chaîne se prolonge sans interruption depuis le plus pauvre journalier jusqu’au manufacturier millionnaire, et ses chaînons inégaux se lient par l’intérêt du jour, le souvenir de la veille, l’espoir du lendemain ; corps puissant, l’industrie étend sur tout ses vastes ramifications ; corps homogène, toutes ses parties se soutiennent et s’entr’aident, parceque toutes, dans des classes différentes, ont quelque chose à défendre, et que la fortune du plus modeste marchand ne seroit pas hors de danger, si l’on ébranloit celle de l’opulent banquier, acquise par les mêmes moyens. Ainsi l’intérêt de la masse, seul garant de celui du riche, vient de lui-même chez les industriels l’étayer et le garantir. 1
Quant à l’industrie, BC défend ici une doctrine nettement différente de celle qu’il a soutenue dans les Principes de politique (OCBC, Œuvres, t. V, livre X, chap. 7, pp. 337–343). Voir aussi Michel Bourdeau et Béatrice Fink, «De l’industrie à l’industrialisme. Benjamin Constant aux prises avec le Saint-Simonisme. Une étude en deux temps», Œuvres & Critiques, 33, 2008, 1, pp. 61–78.
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Comment donc, dans un siècle où l’industrie a conquis une telle influence, la propriété foncière pourroit-elle conserver la sienne concentrée entre peu de mains ? Toute l’influence de cette propriété, aussi long-temps que ses détenteurs seront en petit nombre, se bornera nécessairement à balancer celle de la haute industrie, avec cette différence néanmoins, toute en faveur de cette dernière, que la nombreuse clientelle appelée à la protéger n’existera point pour sa rivale. Il n’y a qu’un moyen de conserver encore de l’influence à la propriété foncière, c’est de la diviser, et de créer un grand nombre de petits propriétaires qui s’interposent entre le prolétaire et l’homme opulent. Alors l’on peut établir quelques rapports entre le pauvre et le riche ; donner à celui-ci l’intérêt, et par conséquent le desir de défendre l’autre, et balancer efficacement l’influence de la classe moyenne des industriels. L’industrie aura toujours, il est vrai, cet avantage, que le dernier mercenaire voit dans ses moyens d’avancement ceux qui ont élevé son chef ; tandis que la propriété foncière pose une barrière matérielle entre le possesseur et celui qui ne l’étant pas cultive pour les autres, et crée chaque jour une source de richesses dont il ne doit pas profiter. Mais cet avantage de l’industrie sur la propriété disparoît quand celle-ci est très divisée. Les petits propriétaires sortant de la classe des prolétaires, et vivant familièrement avec eux, ceux-ci aperçoivent moins une différence qui doit les frapper à chaque instant, lorsque leurs chefs appartiennent à une autre classe, parlent un autre langage, n’ont avec eux aucun rapport, ni aucune cause naturelle de rapprochement. Lorsque le pauvre même peut acquérir un champ, il n’existe plus de classe ; tout prolétaire espère par ses travaux arriver au même point, et la richesse devient dans la propriété comme dans l’industrie une question de travail et d’assiduité. Dans l’autre hypothèse, la propriété foncière est une barrière qu’on ne peut franchir. Presque tous les gouvernements semblent avoir ignoré ces vérités ; car ils ont cherché à maintenir la propriété dans un petit nombre de familles. Ces efforts bizarres et malentendus ont toujours tourné contre l’autorité ellemême, cela devoit être ; le but étoit dangereux, et les moyens employés pour l’atteindre, les substitutions, le droit d’aînesse, en aggravoient les inconvénients. Par les substitutions, vous empêchez l’un de vendre ce qui lui est inutile, vous ôtez à l’autre la faculté d’acheter ce dont il tireroit avantage, vous diminuez le produit réel de la propriété en la reléguant dans les mains d’un propriétaire qui ne sait pas la faire valoir, et vous défendez à celui qui sauroit l’employer utilement d’acquérir ce qui est stérile dans les mains d’un autre.
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Le droit d’aînesse a des suites bien plus désastreuses : il relâche les liens des familles, introduit la division dans leur sein, affoiblit chez les enfants les sentiments naturels ; et en établissant entre les frères la jalousie d’un côté, la méfiance de l’autre, la haine de toutes parts, il détruit les plus douces affections de l’ame, la tendresse réciproque des frères, et la piété filiale. Prenons pour exemple l’Angleterre, où le droit d’aînesse règne dans toute sa force. L’indifférence des enfants pour leurs parents, la haine des cadets contre les aînés, sont des choses tellement reconnues, qu’elles ne choquent plus même sur le théâtre. L’opinion libre de toute passion ne souffriroit jamais certaines plaisanteries habituelles à ce théâtre ; elle ne tolèreroit ni qu’on lui montrât des cadets desirant la mort de leurs aînés, ni sur-tout des fils s’entre-félicitant gaiement sur celle de leur père. C’est un destin commun à toutes les lois qui établissent un privilège en faveur de quelques uns, de voir l’opinion contrarier leur vœu, et par une réaction de tous les instants rendre en haine ou en mépris à la classe privilégiée le tort fait en sa faveur aux autres classes. La tendance de notre siècle à la division des propriétés est tellement forte, que nos raisonnements, qui seront peut-être accusés aujourd’hui de n’être que des paradoxes, paroîtront dans dix ans des lieux communs qu’il sera inutile de prouver ; et si l’on doutoit de la vérité de notre assertion, nous citerions une brochure qui indique combien ces idées sont déja répandues en Prusse1. «Le 14 septembre 1811, M. de Hardenberg soumit au roi de Prusse
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BC fait suivre ici deux passages de la brochure Du triomphe inévitable et prochain des principes constitutionnels en Prusse, d’après un ouvrage imprimé, traduit de l’allemand de M. Koreff [...] par M. ***, avec un avant-propos et des notes de M. Benjamin Constant, Paris : chez tous les marchands de nouveautés, mars 1821. BC cite deux passages. Le premier («Le 14 septembre 1811 ... du seigneur», ci-dessous pp. 238, ligne 23–239, ligne 11) se trouve pp. 26–27 de l’édition originale, le second («Les nobles gagnoient ... division des propriétés», ci-dessous, pp. 239, ligne 12–241, ligne 31) pp. 30–36. La longue note a (ci-dessous, pp. 240–241) appartient aux commentaires de BC. Le passage qu’on trouve a` la fin de cette note («Résister ... Angleterre.», ci-dessous, pp. 240–241) n’est pas entre guillemets dans la brochure de 1821. La citation, si c’en est une, n’est pas identifiée. Il faut ajouter quelques mots sur cette brochure. BC attribue par erreur le texte allemand à David Ferdinand Koreff, alors qu’il s’agit d’une publication de Johann Friedrich Benzenberg que celui-ci a fait paraître anonymement sous le titre Die Verwaltung des Staatskanzlers Fürsten von Hardenberg, aus dem XXII. Heft der «Zeitgenossen» besonders abgedruckt, Leipzig : F. A. Brockhaus, 1820. Koreff l’avait adressée à BC à la demande de Benzenberg, avec l’inscription «De la part de l’auteur», supposant que BC connaissait son auteur dont le nom avait été révélé dans la presse allemande. Mais induit en erreur par l’écriture qu’il connaissait très bien, il a fait faire (ou fait lui-même ?) une traduction assez libre qu’il a publiée sous le nom du médecin et à laquelle il a ajouté des notes. Cette fausse attribution est à
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un projet de loi pour le rachat des corvées1. Les paysans, astreints en certains cas à rendre aux nobles la moitié, et dans d’autres cas le tiers des terres qu’ils avoient possédées à cette condition, devinrent les propriétaires réels et indépendants du reste. Ainsi fut créée dans la monarchie prussienne la classe la plus respectable et la plus indispensable à la prospérité d’un pays, celle des cultivateurs, qui fertilisent un héritage affranchi de toute servitude, et ne relèvent que du trône et de la loi. Jusqu’alors il existoit bien dans les provinces orientales quelques paysans propriétaires ; mais ils étoient en très petit nombre, et la majorité de la classe agricole appartenoit à des terres seigneuriales, et faisoit partie de la propriété du seigneur. Les nobles gagnoient à la législation nouvelle ; car elle ajoutoit à la valeur vénale, et au produit annuel de leurs propriétés. Aussitôt que la terre devient libre, et que l’agriculture est dégagée de toutes les entraves, la conséquence nécessaire de ce double affranchissement est l’augmentation
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l’origine de polémiques virulentes à Paris (voir les lettres de BC au rédacteur du Constitutionnel, no 96, 6 avril 1821, p. 3a, et no 120, 30 avril 1821, p. 4b) contre les libéraux. À Berlin, on fomente des intrigues contre le Geheimrat Koreff, à cette époque un collaborateur proche de Hardenberg, de sorte que Koreff s’est vu obligé de publier un démenti. BC lui-même s’était d’ailleurs douté de sa méprise comme il ressort d’une lettre qu’il fit paraître dans Le Constitutionnel (no 102, 10 avril 1821, p. 4b). Sur l’historique de la traduction de l’ouvrage de Benzenberg et les complications politiques et diplomatiques, voir Heinrich von Treitschke, Deutsche Geschichte im 19. Jahrhundert, Leipzig : S. Hirzel, 1885, t. III, pp. 227–228. Treitschke appuie son analyse impitoyable de l’édition française de cet opuscule sur une série de lettres qu’il cite en note (p. 228), sans en donner les références. On y trouve mentionnées une lettre de Hardenberg à Koreff du 6 mai 1821 et la réponse de celuici, datée du 10 mai de la même année. Voir en outre l’excellent ouvrage de Friedrich von Oppeln-Bronikowski, David Ferdinand Koreff, Serapionsbruder, Magnetiseur, Geheimrat und Dichter, der Lebensroman eines Vergessenen, aus Urkunden zusammengestellt und eingeleitet von F. v. O.-B., Berlin, Leipzig : Gebrüder Paetel, 1928. Karl August von Hardenberg (1750–1822), né hanovrien (sujet du roi d’Angleterre, qu’il servira d’abord), fut à deux reprises (en 1807, puis en 1810) à la tête des affaires en Prusse, au moment des difficultés dues à l’impérialisme napoléonien. Son action s’inscrit dans le «despotisme éclairé» ; il veut, en effet, «une révolution [...] réalisée par la sagesse du gouvernement et non par une impulsion violente du dedans ou du dehors». Il est à noter que, par sa réforme évoquée dans la brochure, si «les paysans devenaient libres en droit [...], ils ne conservaient qu’une partie de leur tenure, l’autre restant au seigneur ; ils devaient en outre racheter les corvées, et s’endetter lourdement pour cela, les plus faibles finissant par vendre leur lopin pour s’acquitter [...]. Le rapport des forces permit aisément aux nobles de réunir de nombreuses tenures à leurs domaines». Le résultat fut un accroissement notable de la grande propriété. Voir M. Kerautret, Histoire de la Prusse, Paris : Le Seuil, 2005, p. 296. On consultera avec beaucoup d’intérêt l’ouvrage de Peter Gerrit Thielen, Karl August von Hardenberg, (1750–1822). Eine Biographie, Köln et Berlin : Grote, 1967.
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de la population et de l’aisance. L’effet de cette augmentation est la hausse de la valeur des terres, et par conséquent une plus grande richesse pour ceux qui possèdent les propriétés les plus considérables. Les bourgeois et les paysans y gagnoient plus encore que la noblesse. Par la nouvelle législation, ces deux classes seront, dans le cours d’un siècle, les propriétaires du sol dans la Prusse comme elles le sont sur les bords du Rhin a. Par-tout où il y a des acheteurs il y a des vendeurs ; mais les a
Je conçois que cette prophétie, qui s’accomplira en France tout comme en Prusse, ne plaira guère à la classe qui, déchue de ses privilèges d’opinion, voudroit se créer des privilèges de propriété, et rêve les substitutions, les fidéicommis, et les majorats. La féodalité attaquée dans sa suprématie politique quitta ses châteaux et ses seigneuries il y a deux siècles, et se réfugia dans la domesticité des cours sous le nom de noblesse. Maintenant elle sent le terrain des cours s’ébranler sous ses pas, et voudroit se réfugier de nouveau dans ses terres, en les rendant inaliénables sous le nom de grandes propriétés. Mais la grande propriéte´ inaliénable est aussi contraire que la féodalité à l’état présent de la civilisation. L’effet de la civilisation est d’ouvrir une carrière plus vaste et plus libre à la force morale de l’homme, et de mobiliser, si l’on peut s’exprimer ainsi, de rendre disponibles tous les moyens à l’aide desquels il exerce cette force. La propriété foncière n’est aujourd’hui qu’un de ces moyens ; elle tend en conséquence à se diviser pour circuler plus commodément. Tout ce qui contrarieroit cette tendance seroit sans résultat. Aussitôt qu’une partie de la propriété foncière eut passé dans les mains du tiers-état, elle vainquit la féodalité. Aujourd’hui l’industrie, qui est tout entière dans les mains de ce même tiers-état, vaincra la propriété foncière, c’est-àdire la rangera à son niveau, la rendra mobile, divisée, circulante à l’infini. Tous les efforts des castes pour l’empêcher de prendre ce nouveau caractère seront impuissants ; elle a changé de nature. Les terres sont devenues en quelque sorte des effets à ordre qu’on négocie dès qu’on peut tirer un meilleur parti du capital qu’elles représentent ; car ce ne sont plus les capitaux qui représentent les terres, ce sont en quelque sorte les terres qui représentent les capitaux. La raison en est simple. Dans un système d’industrie, la meilleure valeur est celle qui exige le moins de formalités pour devenir disponible, et l’on tend alors à accroître le plus qu’on peut la disponibilité de toutes les valeurs. Il doit s’ensuivre que plus l’industrie fait de progrès, plus toutes les classes aisées veulent avoir de capitaux à leur disposition. En accordant ce qu’il faut accorder aux habitudes de la génération contemporaine, on peut affirmer que dans cent ans les classes non agricoles n’auront de propriété foncière que comme jouissance de luxe, et la propriété foncière, divisée et subdivisée, sera presque uniquement dans les mains des classes laborieuses. La grande propriété est à-peu-près le dernier anneau de la chaine dont chaque siècle détache et brise les anneaux. «Résister à cette révolution seroit inutile, s’en affliger est insensé. Une difficulté presque insoluble a existé chez tous les peuples anciens, et chez beaucoup de peuples modernes ; elle à tantôt retardé l’établissement, tantôt troublé la jouissance de la liberté. Cette difficulté, c’étoit le peu de lumières de la classe vouée au travail, et le peu d’intérêt que cette classe, composée de prolétaires, prenoit au maintien de l’ordre ; l’antiquité n’avoit trouvé de remède à ce fléau que dans l’esclavage. Tous les philosophes de la Grèce déclaroient l’esclavage une condition inhérente et indispensable de l’état social. N’est-il pas trop heureux que la division des propriétés délivre de ce péril la société de nos jours, et qu’elle attache le grand nombre à la stabilité des institutions par son intérêt ? Les gens qui déplorent cette
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meilleurs acheteurs sont incontestablement ceux qui peuvent donner le plus pour un objet, ceux par conséquent pour qui cet objet a le plus de valeur et rapporte davantage. Or, c’est pour le paysan que l’agriculture est sur-tout productive, pour le paysan qui visite son champ le premier le matin, et qui le quitte le dernier le soir. La sueur du cultivateur est le meilleur engrais des terres. Il est dans la nature de l’homme d’aimer la propriété, et aussitôt que l’on permet à la classe agricole d’acquérir elle en trouve les moyens de reste. Cette classe alors se marie de bonne heure, parcequ’elle n’a pas d’inquiétude sur sa subsistance ; elle sait que son travail est sa richesse et que ses bras sont ses capitaux. Le berceau ne tarde pas à se placer près du lit conjugal, et la population augmente dans un tel pays presque aussi vite que sur le sol encore vierge de l’Amérique septentrionale. Ses cultivateurs achètent arpents par arpents : d’abord fermiers, et ensuite propriétaires, ils supplantent bientôt cette race d’agriculteurs, héritière et imitatrice de la féodalité et de la noblesse, et qui a un précepteur pour ses enfants, une femmede-chambre pour sa femme, un cocher pour ses chevaux, un chasseur pour ses chiens, un maître-valet pour ses ouvriers, et une femme-de-charge pour ses servantes. Chez le vrai paysan, le maître et la maîtresse de la maison remplissent toutes ces fonctions en une seule et même personne. Il est indifférent à l’état de savoir entre quelles mains la terre se trouve, pourvu qu’elle soit confiée à des mains actives et laborieuses ; que ces mains laborieuses aient pour ancêtres des privilégiés est une chose de peu d’importance. La propriété et la liberté, voilà ce qu’il faut. Par-tout où ces deux choses existent, l’homme est actif et l’agriculture florissante, comme le prouvent les marais de la Hollande. Là où ces choses n’existent pas, l’agriculture tombe, et avec elle la population, comme le démontre l’Espagne, où les quatre cinquièmes du territoire étant entre les mains du clergé et de la noblesse, une population de vingt millions a été réduite à dix. La Prusse, qui a dans ce moment onze millions d’habitants, doit en avoir seize dans l’an 1850, par le seul effet de la nouvelle législation sur l’agriculture et de la division des propriétés.» Tandis qu’un auteur prussien démontroit ces vérités au fond de l’Allemagne, tous les bons esprits les reconnoissoient en France. Écoutons à cet
division sont précisément ceux qu’elle sauve, en répandant des lumières, de l’aisance, et du calme dans la portion du peuple la plus dangereuse, quand elle est ignorante, pauvre, et agitée. La propriété foncière elle-même y gagne en culture et en valeur. Vous voyez ce que dit de la Prusse un auteur prussien ; contemplez ce qui a eu lieu en France depuis la révolution ; comparez notre agriculture et ses produits à l’agriculture et aux produits du siècle dernier ; méditez enfin sur l’effet de la multiplicité des prolétaires en Angleterre.»
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égard un homme que nous n’avons jamais réfuté qu’à regret, et que nous approuvons toujours avec joie. «La plus forte garantie que puisse recevoir l’ordre établi, dit M. de Sismondi dans ses Nouveaux Principes d’économie politique, consiste dans une classe nombreuse de paysans propriétaires. Quelque avantageuse que soit à la société la garantie de la propriété, c’est une idée abstraite que conçoivent difficilement ceux pour lesquels elle semble ne garantir que des privations. Lorsque la propriété des terres est enlevée aux cultivateurs, et celle des manufactures aux ouvriers, tous ceux qui créent la richesse, et qui la voient sans cesse passer par leurs mains, sont étrangers à toutes les jouissances. Ils forment de beaucoup la plus nombreuse portion de la nation ; ils se disent les plus utiles, et se sentent déshérités. Une jalousie constante les excite contre les riches : à peine ose-t-on discuter devant eux les droits politiques, parcequ’on craint sans cesse qu’ils ne passent de cette discussion à celle des droits de propriété, et qu’ils ne demandent le partage des biens et des terres. Une révolution dans un tel pays est effroyable ; l’ordre entier de la société est subverti ; le pouvoir passe aux mains de la multitude qui a la force physique, et cette multitude qui a beaucoup souffert, que le besoin a retenue dans l’ignorance, est hostile pour toute espèce de loi, pour toute espèce de distinction, pour toute espèce de propriété. La France a éprouvé une révolution semblable, dans un temps où la grande masse de la population étoit étrangère à la propriété, et par conséquent aux bienfaits de la civilisation. Mais cette révolution, au milieu d’un déluge de maux, a laissé après elle plusieurs bienfaits ; et l’un des plus grands peut-être, c’est la garantie qu’un fléau semblable ne pourra plus revenir. La révolution a prodigieusement multiplié la classe des paysans propriétaires. On compte aujourd’hui plus de trois millions de familles en France, qui sont maîtresses absolues du sol qu’elles habitent ; ce qui suppose plus de quinze millions d’individus. Ainsi plus de la moitié de la nation est intéressée pour son propre compte à la garantie de tous les droits. La multitude et la force physique sont du même côté que l’ordre ; et le gouvernement crouleroit, que la foule elle-même s’empresseroit d’en rétablir un qui protégeât la sûreté et la propriété. Telle est la grande cause de la différence entre les révolutions de 1813 et 1814, et celle de 17891.»
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Jean-Charles-Léonard Simonde dit de Sismondi (1773–1842) ; ce Genevois, donc protestant, a fréquenté Coppet. Il publie en 1819 de Nouveaux principes d’économie politique. D’abord disciple d’Adam Smith, il est ensuite frappé du «contraste entre la vie misérable des ouvriers britanniques, sous un régime économique prétendu progressif, avec la vie heureuse des métayers toscans, sous un régime soi disant attardé». Il critique alors la libre concurrence et les thèses libérales britanniques (qu’il qualifie de «chrématistiques», repre-
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Filangieri, frappé de ces inconvénients graves, a donc employé toute la force de sa dialectique, et appelé à son aide toutes les ressources de la déclamation, pour recommander la division des propriétés. Mais par une suite de l’erreur qui lui est habituelle, il a cru que les lois pouvoient porter reméde au mal que les lois avoient causé. Il s’est livré à l’admiration la moins réfléchie pour toutes les institutions par lesquelles les républiques ont voulu limiter l’accumulation des propriétés. Il n’y a pas jusqu’aux lois agraires dont il vante la sagesse ; les lois agraires qui furent toujours des causes de convulsions populaires, et qui, remuant toutes les passions, agitant toutes les ames, armant tous les bras, excitant les citoyens contres les citoyens, ne purent jamais, souillées qu’elles furent du sang de leurs plus illustres et de leurs plus généreux défenseurs, atteindre le but que le législateur s’étoit proposé, et maintenir durant un petit nombre d’années les bienfaits illusoires qu’on s’étoit promis de leur établissement. Chez les modernes, l’appât de pareilles lois seroit peut-être encore un sujet de trouble ; mais elles n’auroient pas même pour résultat un bien-être momentané. Si quelques factieux peuvent encore invoquer leur nom pour exciter le désordre, d’honnêtes gens en rêveroient en vain l’établissement ; toutes les passions, tous les intérêts, même ceux de la masse, s’y opposent. Il ne suffiroit pas de donner un champ égal à tous pour que tous fussent heureux ; il faudroit encore leur faire perdre tous les souvenirs d’une civilisation raffinée. On auroit arraché aux riches leur fortune sans donner l’aisance aux pauvres : une sorte de mollesse s’est glissée dans les classes les plus misérables ; d’autres travaux ont éloigné des travaux champêtres un grand nombre d’in dividus que l’appât d’une existence médiocre ne pourroit jamais y ramener. Loin de chercher à gagner un tel sort au prix de son sang, le prolétaire recevroit plutôt le salaire de ses ennemis pour combattre ses défenseurs, et les Gracques périroient victimes de leur dévouement par les mains de leurs protégés aussi bien que sous les coups de leurs adversaires.
nant un concept forgé par Aristote, et qu’il interprète comme la recherche de la richesse pour la richesse). Sismondi veut ramener l’axe de la science vers l’homme, auquel la société doit un minimum de subsistance. Le salaire n’est pas un coût, mais un revenu. Sismondi décrit les crises de surproduction – concept étranger aux libéraux qui adhèrent à la loi des débouchés de J. B. Say. Il souhaite une organisation des travaux. En agriculture, il s’oppose à la grande propriété (voir René Gonnard, Histoire des doctrines économiques, Paris : Nouvelle librairie nationale, 1922, t. III, pp. 205–216). La citation faite par Constant est extraite des Nouveaux principes d’économie politique, Livre III, chapitre 3 («De l’exploitation patriarcale»). Le texte cité se trouve dans l’édition originale dans le t. I, pp. 173–175 et sans changement par rapport à la première édition, au t. I, pp. 172–173 de la 2e édition que l’on utilise ici.
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Filangieri tombe dans une autre erreur qu’il est peu nécessaire de réfuter, parceque aucune nation moderne ne sera tentée de s’y laisser entraîner. Il approuve les Germains, chez lesquels la nation étoit le seul propriétaire perpétuel, des portions de terre étant distribuées chaque année aux pères de famille. Si l’on ne sentoit pas le danger de détruire le plus grand mobile de nos travaux, le desir d’améliorer la possession acquise, on verroit du moins l’impossibilité d’établir un pareil système de nos jours, et nos réfutations, comme les arguments de Filangieri, deviendroient superflues. Il n’en est pas ainsi d’une autre erreur, sinon plus grave en elle-même, du moins plus dangereuse dans ses effets, en ce qu’elle a eu la sanction d’une assemblée généralement respectée, et d’un des plus grands orateurs des temps modernes, nous voulons parler de l’abolition du droit de tester1. Cette abolition fut dictée par des motifs de circonstance ; et dans l’hypothèse même des circonstances pour lesquelles elle fut décrétée, elle ne pouvoit être que nuisible. Mais le législateur étoit dominé par la crainte d’une classe dont le joug avoit pesé récemment sur toutes les têtes. Il vouloit empêcher sur-tout que les biens de cette classe se perpétuassent dans ses mains. L’abolition des droits injustes que nous avons signalés lui sembloit ne pouvoir remplir ce but, si on laissoit à l’orgueil aristocratique des pères le droit d’accumuler par testament sur la tête d’un ainé, les biens dont la loi investissoit naguère cet aîné aux dépens de ses frères. Tel est l’inconvénient de toutes les révolutions. A leur naissance, certaines classes existent, maintenues par l’habitude, mais que le premier orage politique doit détruire. Dérangées par les secousses révolutionnaires, ces classes s’agitent, les individus qui les composent se trouvent en état d’hostilité réelle ou présumée contre les nouveaux gouvernants et les nouvelles formes de gouvernement. Mais surtout ces individus sont soupçonnés de vues hostiles par les auteurs des changements politiques, hommes souvent ardents, enthousiastes, pleins de haine pour les entraves qui les ont longtemps arrêtés, certains du mal qu’ils ont éprouvé de la part de quelques classes, prêtant à chacun de leurs membres les idées de la classe entière, et leur attribuant d’autant plus d’ardeur à reconquérir leurs privilèges qu’ils en ont mis eux-mêmes davantage à les détruire. Ainsi dans ce moment de commotion où l’on veut poser des bases à une société nouvelle, et créer des institutions durables, l’animosité de la circonstance vient se mêler aux idées générales, les institutions sont dénaturées, et 1
BC a parlé fréquemment de cette problématique, la première fois avec abondance dans son discours au Tribunat du 29 ventôse an VIII–20 mars 1800 (OCBC, Œuvres, t. IV, pp. 149– 162). Voir aussi les Principes de politique, livre X, chap. 16 (OCBC, Œuvres, t. V, pp. 372– 376).
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des hommes forts par eux-mêmes et forts de l’assentiment du peuple dirigent contre les fantômes du passé la législation qui doit régler l’avenir. Malgré les meilleures intentions, un tel résultat est presque inévitable, et un tel résultat est pourtant un grand vice ; car il doit nécessairement exister une grande différence entre les institutions offertes à un peuple libre par des législateurs éclairés, et les barrières opposées par un parti vainqueur à une faction vaincue ; on porte atteinte à la liberté de tous pour comprimer la malveillance de quelques uns. Mieux vaudroit laisser le temps faire son effet : qu’est-il besoin de peines et de menaces pour abolir un abus fonde´ sur des habitudes ou des préjugés ? Le temps a créé cet abus, des lois l’ont corroboré ; détruisez ces lois, et laissez le temps reprendre son empire. Soyez sûr qu’il détruira son propre ouvrage, s’il n’est plus en harmonie avec les besoins du siècle. Pour appliquer cette vérité à l’objet dont nous nous occupons, si les habitudes passées, l’esprit de résistance, l’orgueil et l’approbation d’un parti avoient influé quelque temps sur les chefs de famille de la classe indirectement attaquée, que de causes naturelles auroient sappé leurs préjugés ! que d’intérêts, que d’affections auroient combattu avec force contre une ténacité inutile ! L’intérêt présent, les besoins imprévus auroient souvent fait sacrifier les déterminations de l’orgueil, et amené le morcellement de la propriété ; les affections individuelles renaissant peu-à-peu dans les cœurs endurcis par un ordre de chose désormais impossible auroient graduellement triom phé d’habitudes qu’aucune force extérieure ne venoit plus soutenir. Quand la disposition de la propriété est libre, elle tend au morcellement ; les lois seules pourroient l’arrêter : souvent encore pourroient-elles l’essayer en vain. La prodigalité bornant l’existence des individus à l’intérêt du moment, l’esprit d’entreprise laissant échapper la réalité pour l’espérance, l’amour du gain effaçant les souvenirs, mille autres causes de même nature, doivent produire tôt ou tard la division des propriétés. Laissez-les agir : qu’est-il besoin de venir à leur aide ? Dans notre siècle, l’aristocratie de la richesse a remplacé toute autre aristocratie ; maîtresse des plus immenses fortunes, elle possède par cela seul la véritable source de la considération et de la puissance. Qui ne sent qu’un tel état de chose double la force des causes de morcellement que nous avons signalées, les rend irrésistibles aussitôt que les lois ne les contrarient pas, et leur fait même surmonter tôt ou tard l’obstacle des lois quand elles essaient de les contrarier. L’abolition du droit de tester présente en elle-même un triple inconvénient ; elle est à-la-fois inutile, inefficace, et immorale.
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Commentaire sur Filangieri
Cette abolition est inutile. Est-il besoin de faire des lois pour que les pères ne livrent pas une partie de leurs enfants à la misère ? Les préjugés l’ont emporté sur le penchant de la nature, il est vrai ; mais ces préjugés étoient le fruit d’institutions vieillies. Corrigez cet ensemble bizarre et cruel : en détruisant la cause qui a fait naître une vanité contre nature, vous détruirez en même temps son déplorable effet ; quelques exceptions à l’ordre général ne sauroient motiver des lois qui engagent la totalité des citoyens. Cette interdiction est inefficace ; car rien n’est plus facile que d’éluder une pareille loi, et nous ne connoissons point de mesures qui puissent empêcher un propriétaire de disposer de sa fortune. Des donations à des tiers, des dettes simulées, peuvent-elles être prévenues et sur-tout réprimées ? Enfin, cette interdiction est immorale ; elle donne aux hommes l’intérêt d’éluder la loi, intérêt aussi corrupteur par son effet sur les hommes que fatal par rapport aux institutions. En effet, lorsque vous donnez aux hommes l’intérêt d’éluder la loi, vous faites naître en eux l’habitude de la fraude ; de plus, vous détruisez le respect qu’ils portent à la généralité des lois, en leur prouvant l’impuissance de quelques unes d’entre elles : cette habitude de la fraude que vous leur faites ainsi contracter pour échapper à une seule vexation, leur devient familière ; ils la conservent dans toutes leurs relations, et les lois les plus justes et les plus bienfaisantes sont enfreintes, dès qu’ils ont franchi la barrière opposée à leurs intérêts par des institutions vexatoires. Cette interdiction est encore immorale, en ce qu’elle encourage la délation que la fraude provoque. La délation se trouve transportée dans les familles. Les fils se croient autorisés à exercer sur ceux qui doi vent être l’objet de leur respect une inquisition, tantôt clandestine, tantôt insolente. Le sanctuaire des affections domestiques est souillé, et de peur d’une inégalité passagère et peu dangereuse, car la force des choses y apporte un remède, vous détruisez la seule inégalité salutaire que la nature ait consacrée, celle qui place les pères au-dessus de leurs enfants. Une considération nous frappe. A l’époque de notre civilisation excessive, les relations des pères et des enfants ne sont déja que trop difficiles. Les uns vivent dans le passé, l’avenir est le domaine des autres. Le présent n’est pour eux qu’un terrain neutre en quelque sorte, théâtre du grand combat, dans lequel les uns hâtent sans cesse de leurs efforts la chute de ce que les autres voudroient retenir ; chaque jour enfin le torrent des affaires, des plaisirs, des espérances, entraîne la génération qui prend possession de la vie loin de celle que la vie délaisse.
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Chapitre II,8 – De la division des propriétés
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Cette lutte tourne toujours contre la vieillesse. Le résultat est pour elle l’isolement. Emportée loin d’elle, la génération nouvelle cherche à se créer un avenir, rêve un état, une famille, une position, des plaisirs nouveaux ; la vieillesse est arrivée au but, ou elle l’a manqué : mais dans tous les cas elle ne peut plus jouir que de ce qu’elle a créé. L’avenir lui est fermé, et chaque instant lui démontre qu’il faut se hâter de profiter du présent. Ses desirs ne peuvent tendre qu’à conserver, à rester stationnaire ; car désormais toute activité tourneroit contre elle. Aussi l’état de tristesse est l’état habituel de la vieillesse. Toute peine lui est grande ; la perte d’un moment de bonheur lui semble d’autant plus cruelle que ces moments sont plus rares et plus courts. A cette période de son existence, l’homme ne peut plus supporter la solitude ; car l’illusion seule l’embellit, et l’illusion lui est devenue étrangère. L’entourage, les soins de l’amitié, et au défaut de la réalité l’apparence, tout devient précieux pour des êtres que la nature sévère se plaît à dépouiller chaque jour. Sans doute, rien ne peut remplacer les sentiments désintéressés, et il est triste de penser que de tendres consolations et des soins dictés par les sentiments les plus délicats puissent dépendre de causes peu nobles. Mais il ne faut pas nous faire illusion ; il est bon d’appeler l’intérêt au secours des affections. Quelques heureuses exceptions se rencontrent peut-être ; mais, en bien comme en mal, une exception ne doit jamais motiver une loi. Or, il reste bien peu de moyens, dans l’état actuel de nos mœurs, pour venir au secours de la puissance paternelle. On la reconnoît en principe ; mais elle n’est point, elle ne sauroit être fondée comme chez les anciens sur des lois positives. Nos mœurs repousseroient bientôt les essais que l’on se permettroit en ce sens. Le droit de vie et de mort que les anciens accordoient aux pères nous révolteroit, et ceux qu’on voudroit investir de ce terrible droit, effrayés comme ceux qu’il pourroit atteindre, reculeroient devant une loi faite dans leur intérêt, mais dont l’usage se roit impossible. Tout autre pouvoir despotique confié aux chefs de famille leur échapperoit également. Laissez-leur donc le seul moyen qui leur reste de conserver quelque pouvoir dans leur famille. Si l’intérêt peut encore être un frein, laissez-leur l’intérêt comme moyen de récompense et de punition. Donnez-leur la disposition d’une portion de leur fortune, et que cette portion soit assez grande pour remplir le but que nous indiquons. Nous disons une portion ; car nous verrions avec peine établir l’abus contraire, la liberté illimitée et sans restriction du droit de tester. Cette liberté ouvriroit la porte à la séduction des vieillards, arracheroit souvent leur héritage de leurs mains contre leur vœu réel, et introduiroit des étrangers dans les familles aux dépens de l’intérêt des légitimes héritiers.
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Chose remarquable ! on a detruit le droit de tester en haine du droit d’aînesse, et le droit d’aînesse est exactement l’opposé du droit de tester. Le droit d’aînesse est une entrave ; le droit de tester est une liberté. Ainsi la passion fixant ses regards sur le but se trompe dans la route, et s’éloigne en croyant se rapprocher. Enfin, nous avons pour nous l’expérience aussi bien que le raisonnement. Nous voyons de nos jours que le droit de tester ne renferme pas les dangers que ses adversaires ont cru y découvrir. Les pères de famille ont la faculté de disposer d’une partie de leurs biens, très peu en abusent ; la grande majorité n’en fait pas usage, ou n’en fait qu’un usage modéré et légitime. L’égalité des partages n’est pas détruite par cette faculté ; c’est que l’égalité des partages est dans le cœur de l’homme ; c’est qu’il n’y a pas besoin de lois pour que le penchant de la nature triomphe ; c’est qu’enfin, lorsqu’un préjugé existe et semble étouffer le penchant naturel, il suffit de détruire l’institution dont ce préjugé tire son existence pour le voir disparoître.
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Chapitre IX. Du commerce des grains.
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«Une erreur, née d’une supposition fausse, a fait croire aux gouvernements que le mouvement naturel du commerce pourroit faire sortir d’un état une partie même de ce qui étoit nécessaire à sa consommation intérieure.» Liv. II, chap. XI, p. 71.
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L’erreur que Filangieri relève ici est, par ses conséquences funestes, l’une des plus dangereuses qui aient tourmenté les peuples et égare´ les gouvernements ; elle est pourtant aussi l’une des plus communes. Les gouvernements qui ont fait des lois prohibitives sur le commerce des grains en ont fait de deux espèces. Par les unes, ils ont voulu que les productions de l’agriculture ne pussent être exportées ; de là les peines sévères attachées dans plusieurs pays à l’exportation des grains. Par les autres, ils ont voulu que le commerce de cette denrée se fît directement du producteur au consommateur, sans qu’il pût intervenir entre eux une classe, qui achetât les productions du premier pour les revendre au second ; de là les règlements contre les accapareurs. Le motif des lois de la première espéce a été la crainte qu’une exportation poussée à l’excès n’entraînât la famine. Le motif des lois de la seconde espéce étoit probablement qu’une classe intermédiaire entre le con sommateur et le producteur, devant trouver un bénéfice dans le commerce qu’elle entreprenoit, tendoit à faire hausser le prix de la denrée, et que cette classe, pouvant profiter habilement de la difficulté des circonstances, avoit la faculté dangereuse de porter cette hausse jusqu’au renchérissement le plus désastreux. Dans les deux cas, l’intention des gouvernements étoit louable ; mais, dans les deux cas, ils ont pris de mauvais moyens, et dans les deux cas, ils ont manqué leur but. La question de l’exportation des grains est aussi délicate qu’importante. Rien de plus facile que de tracer un tableau touchant du malheur du pauvre, TR: 12–21 Les gouvernements ... famine. ] Principes de politique, Livre XII, chap. 4. 31-p. 255.25 La question ... siècle dernier. ] Principes de OCBC, Œuvres, t. V, p. 440. politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 443–450. 1
SL1, livre II, chap.
XI,
p. 108 ; SL2, édition Dufart, t. II, p. 7.
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Commentaire sur Filangieri
de la dureté du riche, d’un peuple entier mourant de faim, pendant que d’avides spéculateurs exportent les grains, fruits de ses sueurs et de ses travaux. Il y a un petit inconvénient à cette manière de considérer les choses ; c’est que tout ce que l’on dit sur le danger de la libre exportation, qui n’est que l’un des usages de la propriété, pourroit se dire avec tout autant de force, et non moins de fondement, contre la propriété elle-même. Certes, les non-propriétaires sont, sous tous les rapports, à la merci des propriétaires, et si l’on veut supposer que ces derniers ont un intérêt puissant d’accabler, d’opprimer, d’affamer les autres, les peintures les plus pathétiques résulteront abondamment de cette supposition. Cela est tellement vrai, que les ennemis de la liberté d’exportation ont toujours été forcés de dire en passant quelques injures aux propriétaires. Linguet les appeloit des monstres, auxquels il falloit arracher leur proie sans être ému de leurs hurlements1 ; et le plus éclairé, le plus vertueux, le plus respectable des défenseurs du système prohibitif a, a fini par comparer les propriétaires et ceux qui parloient en leur faveur à des crocodiles. Je voudrois examiner cette matière sous un point de vue qui en écartât toutes les déclamations, et pour cela partir d’un principe qui fût adopté par tous les intérêts. Or voici ce principe, si je ne me trompe. Pour que le blé soit abondant, il faut qu’il y en ait le plus qu’il est possible ; pour qu’il y en ait le plus qu’il est possible, il faut encourager la production. Tout ce qui encourage la production du blé favorise l’abondance ; tout ce qui décourage cette production appelle directement ou indirectement la famine. Or, si vous vouliez encourager la production d’une manufacture, que feriez-vous ? Diminueriez-vous le nombre des acheteurs ? Non sans doute ; vous l’augmenteriez. Le fabricant sûr de son débit multiplieroit ses productions, autant que cette multiplication seroit en son pouvoir. Si, au contraire, vous diminuiez le nombre des acheteurs, le fabricant limiteroit ses produits. Il ne voudroit pas qu’ils excédassent la quantité dont il pourroit disposer. Il calculeroit donc avec une exactitude scrupuleuse ; et comme il lui seroit a
M. Necker dans son ouvrage sur la législation des grains2.
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D’après Hofmann (p. 292, n. 32), BC cite ici Simon-Nicolas-Henri Linguet, Théorie des lois civiles ou principes fondamentaux de la société, London : s.éd., 1767, t. II, p. 519 : «& lors même que le monstre dont tu dois être la pâture te dévore, subis ton sort avec résignation, puisqu’il n’est pas possible de la changer.» BC résume une phrase de Necker, Sur la législation et le commerce des grains, Paris : Pissot, 1776 : «C’est un grand abus que de faire servir la compassion pour le peuple à fortifier les prérogatives des propriétaires ; C’est presque imiter l’art de ces animaux terribles, qui, sur les bords des fleuves de l’Asie, prennent la voix des enfants pour dévorer les hommes.» (p. 180 ; Hofmann, Principes de politique, p. 325, n. 109).
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Chapitre II,9 – Du commerce des grains
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beaucoup plus fâcheux d’avoir trop peu d’acheteurs que d’en avoir trop, il réduiroit sa ma nufacture de manière à ce qu’elle produisît plutôt en-deçà qu’au-delà du nécessaire. Quel est le pays où l’on fabrique le plus de montres ? Celui, je pense, d’où l’on en exporte le plus. Si vous défendiez l’exportation des montres, croyez-vous qu’il en resteroit davantage dans le pays ? Non, mais il y en auroit moins de fabriquées a. Il en est des grains, quant à la production, comme de toute autre chose. L’erreur des apologistes des prohibitions est d’avoir considéré le grain comme objet de consommation seulement, non de production. Ils ont dit, moins on en consommera, plus il en restera : raisonnement faux, en ce que le grain n’est pas une denrée préexistante. Ils auroient dû voir que plus la consommation seroit limitée, plus la production seroit restreinte, et qu’en conséquence celle-ci ne tarderoit pas à devenir insuffisante pour l’autre. Car la production des grains diffère en ceci des manufactures ordinaires qu’elle ne dépend pas uniquement du manufacturier ; elle dépend des saisons. Cependant le producteur, forcé de limiter ses produits, ne peut calculer que sur les années moyennes. En limitant sa production au strict nécessaire, il en résulte que, si la récolte trompe ses calculs, le produit de sa culture ainsi limitée est insuffisant. Le grand nombre des agriculteurs sans doute ne limite pas la production de propos délibéré ; mais ceux-la` même se découragent par l’idée que leur travail, fût-il favorisé par la nature, peut ne pas leur être utile ; que leur denrée peut rester sans acheteurs et leur devenir à charge ; et bien qu’ils ne forment pas un plan suivi d’après cette considération, ils en cultivent plus négligemment. En y gagnant moins, ils ont moins de capitaux pour alimenter leur culture, et de fait la production diminue. En empêchant l’exportation des blés, vous ne faites donc pas que le superflu du blé nécessaire à l’approvisionnement d’un pays reste dans ce pays ; vous faites que ce superflu ne se produit pas. Or, comme il peut arriver par les intempéries de la nature que ce superflu devienne nécessaire, vous faites que le nécessaire manque. a
Say, Traité d’économie politique1.
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Le renvoi à Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique (Paris : Impr. de Crapelet, an XI), est sommaire. BC exploite l’exemple de la fabrication d’une montre dont parle Say dans la quatrième partie, chap. 4, «Par quel mécanisme la valeur des produits se distribue parmi les producteurs» (t. II, pp. 168–172). BC le combine avec des réflexions qui font l’objet de la première partie de l’ouvrage. Voir p. ex. le livre I, chap. 23, «Comment le commerce extérieur concourt à la production intérieure» (t. I, pp. 156–166) ou le chap. 30, «Si le gouvernement doit prescrire la nature des productions» (pp. 241–256).
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Défendre d’exporter, c’est défendre de vendre, au moins au-delà d’une certaine mesure ; car, lorsque l’intérieur est pourvu, le surplus de la production reste sans acheteurs. Or, défendre de vendre, c’est défendre de produire ; car c’est ôter au producteur le motif qui le fait agir. Qui croiroit que c’est là le moyen qu’on a choisi, pour que la production fût toujours abondante ? Je ne saurois quitter ce sujet. Les entraves mises à l’exportation sont une atteinte portée à la propriété, tout le monde en convient. Or, n’est-il pas évident que si la propriété est moins respectée, quand il s’agit du grain que lorsqu’il s’agit de toute autre denrée, on aimera mieux avoir en superflu, c’est-à-dire comme objet de vente, toute autre denrée que du grain ? Que si vous permettez et défendez alternative ment et à volonté l’exportation, votre permission ne portant jamais que sur la production existante, et pouvant toujours être révoquée, elle ne devient point un motif suffisant pour encourager la production à venir. Je vais répondre à une objection. Le renchérissement des denrées de première nécessité est funeste au peuple, parceque le prix des journées ne hausse pas proportionnellement. L’exportation du blé, dira-t-on, n’opérerat-elle pas le renchérissement de cette denrée ? Elle empêchera sans doute qu’elle ne tombe à vil prix. Mais si, d’un autre côté, l’exportation prohibée empêche que le grain ne se produise, le renchérissement ne sera-t-il pas bien plus inévitable et plus excessif ? Croiriez-vous pouvoir forcer la production du grain ? Je veux bien que vous le tentiez. Vous empêcherez les propriétaires d’enlever leurs terres à la culture du blé, voici déja une surveillance. Mais les surveillerez-vous aussi dans leur manière de cultiver ? les obligerez-vous à faire les avances, à donner les façons, à se procurer les engrais nécessaires ? le tout pour produire une denrée qui, si elle est abondante, sera pour eux impossible à vendre et coûteuse même à garder. Quand le gouvernement veut faire faire une seule chose d’autorité, il se voit bientôt réduit à tout faire. Je n’ai pas fait valoir d’autres raisonnements pour la libre exportation, parcequ’ils ont été développés mille fois. Si le blé est cher, on ne l’exportera pas ; car, à prix égal, il vaudra mieux le vendre sur les lieux que l’exporter. On ne l’exportera donc que lorsqu’il sera bon qu’on l’exporte. Vous pouvez supposer une disette universelle, une famine chez vous, une famine chez vos voisins ; alors il faudra des lois singulières pour un désastre singulier. Un tremblement de terre qui déplaceroit toutes les propriétés exigeroit un code à part pour un partage nouveau des biens-fonds. On prend des mesures particulières pour la distribution des vivres dans une ville assiégée ; mais faire une législation habituelle pour une calamité qui n’a pas lieu naturellement une fois dans deux siècles, c’est faire de la législation une calamité habituelle.
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La nature n’est pas prodigue de ses rigueurs. Si l’on comparoit le nombre des disettes qui ont été le résultat d’années véritablement mauvaises avec celui des disettes occasionées par les règlements, on se réjouiroit du peu de mal qui nous vient de la nature, et l’on frémiroit du mal qui nous vient des hommes. J’aurois voulu prendre sur cette question un parti mitoyen. Il y a un certain mérite de modération qu’il est agréable de s’attribuer, et qui n’est pas difficile à acquérir, pourvu qu’on ne soit pas de très bonne foi. On se rend témoignage par là, qu’on a bien examiné les deux côtés des questions ; et l’on donne son hésitation pour une découverte : au lieu d’avoir raison contre une seule opinion, l’on paroît avoir raison contre toutes les deux. J’aurois donc mieux aimé trouver pour résultat des mes recherches qu’on pouvoit laisser aux gouvernements le droit de permettre ou de prohiber l’exportation ; mais en essayant de déterminer les règles d’après lesquelles ils devroient agir, j’ai senti que je me replongeois dans le chaos des prohibitions. Comment le gouvernement jugera-t-il, pour chaque province, à une vaste distance, à un grand intervalle, des circonstances qui peuvent changer avant que la connoissance lui en soit parvenue ? Comment réprimera-t-il les fraudes de ses agents ? Comment se garantira-t-il du danger de prendre un embarras du moment pour une disette réelle ? une difficulté locale pour un désastre universel ? Et les ordonnances durables et générales, fondées sur des difficultés instantanées ou partielles, produisent le mal qu’on veut prévenir a. Les hommes qui recommandent le plus vivement cette législation versatile ne savent comment s’y prendre, quand ils en viennent aux moyens d’exécution b. a
b
On peut voir ces difficultés développées dans toute leur étendue par l’abbé Galliani, dans ses dialogues sur le commerce des blés. J’aime à renvoyer le lecteur à cet écrivain, bien qu’il ait écrit d’un ton beaucoup trop léger sur une matière aussi importante ; mais comme il est le premier et l’un des plus redoutables adversaires du système de liberté, ses aveux sur l’inconvénient de l’intervention administrative à cet égard doivent avoir un grand poids1. Voyez l’ouvrage de M. Necker sur la législation et le commerce des grains. Il a examiné avec une sagacité remarquable toutes les restrictions, tous les règlements, toutes les mesures qui composent ou peuvent composer une législation des grains ; et quoique son but fût de démontrer que l’action constante du gouvernement étoit nécessaire, il a été forcé de condamner tous les moyens qu’on a essayés2.
TR: 26–30 On peut ... poids. ] Principes de politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, 31–35 Voyez l’ouvrage ... essayés. ] Principes de politique, Livre XII, t. V, p. 448, n. a. chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, p. 448, n. b. 1
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Ferdinando Galiani (1728–2787). Ses Dialogues sur le commerce des blés (1770) concrétisent ses divergences d’opinion avec la physiocratie, dont il fut l’un des plus habiles et des plus dangereux adversaires. Pour lui (comme pour Necker), on ne pouvait systématiser le problème des céréales, donc de l’agriculture, ni dans le temps ni dans l’espace. Voir cidessous, pp. 257–259. BC est une fois de plus bien aimable avec le père de Mme de Staël. Necker ne veut point de
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S’il y a des inconvénients à tout, laissez aller les choses ; au moins les soupçons du peuple et les injustices de l’autorité ne se joindront pas aux calamités de la nature. Sur trois fléaux, vous en aurez deux de moins, et vous aurez de plus cet avantage que vous accoutumerez les hommes à ne pas regarder la violation de la propriété comme une ressource a : ils en chercheront alors et en trouveront d’autres. Si au contraire ils aperçoivent cellelà, ils y recourront toujours parcequ’elle est la plus courte et la plus commode. Si vous justifiez par l’intérêt public l’obligation imposée aux propriétaires de vendre en tel lieu, c’est-à-dire de vendre à perte, puisqu’ils pourroient vendre mieux ailleurs, vous arriverez à déterminer le prix de leurs denrées ; l’un ne sera pas plus injuste que l’autre, et pourra facilement être représenté comme aussi nécessaire. a
Voyez les lettres de M. Turgot à l’abbé Terray1.
TR: 19 Voyez les lettres ... Terray. ] Principes de politique, Livre Œuvres, t. V, p. 449, n. a.
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chap. 4, OCBC,
règle générale, mais des mesures au coup par coup, en fonction de l’évolution de l’offre. Le relativisme est la marque du Genevois. Son écrit Sur la législation et le commerce des grains de 1775 est de fait particulièrement général (et décevant). Son Éloge de Colbert de 1773 en était sur ce point une sorte de brouillon. Voir en outre Principes de politique, OCBC, Œuvres, t. V, p. 448, n. 2. BC renvoie d’une manière générale aux Lettres à l’abbé Terray, intitulées Lettres sur la liberté du commerce des grains. Voir Œuvres de M r Turgot, ministre d’état, précédées et accompagnées de Mémoires et de notes sur sa vie, son administration et ses ouvrages, Paris : Delange, 1808, t. VI, pp. 118–292. Quant à Terray (1715–1778), conseiller-clerc au Parlement de Paris (c’est-à-dire à la principale cour de justice d’appel du royaume), il fut l’un des rares à soutenir Louis XV et son principal ministre Maupeou, lors du «coup d’E´tat» de ce dernier qui renvoya les parlements. Ces derniers s’opposaient a` la politique royale en utilisant l’obligation d’enregistrement des édits du souverain pour obtenir un droit de regard et de remontrance sur le contenu de ceux-ci. Maupeou l’appela au Contrôle général des finances, poste qu’il occupa de 1769 à la mort de Louis XV en 1774. Les finances royales étant au plus mal (comme dans la plupart des années du XVIIIe siècle), Terray reste célèbre pour la «banqueroute» qu’il mena en 1770. On rappellera qu’on entend par là non une cessation totale des paiements de l’E´tat, mais une réduction autoritaire tant du principal que des intérêts versés de la dette publique. La diminution des dépenses s’avérait comme aujourd’hui beaucoup plus difficile ! L’action de Terray le fit surnommer «vide-gousset» ; un auteur plus récent l’appelle «tondeur de rentiers». Terray sera renvoyé à la mort de Louis XV en 1774 et Louis XVI, le nouveau roi, le remplaça par Turgot. Louis XVI rappellera également les Parlements. Turgot (1727–1781) était jusqu’en 1774 intendant de Limoges, où il s’était fait remarquer par son action «libérale». C’est à ce moment qu’il écrira à Terray, qui avait demandé l’avis des intendants sur le commerce des grains. À son arrivée au Contrôle général, son programme était : «point de banqueroute, point d’augmentation des impositions, point d’emprunts». Ses édits de 1776, tendant à libérer l’économie, déchainèrent l’opposition des privilégiés et Turgot fut renvoyé en 1776. Son œuvre de libération, notamment du commerce des grains, sera rapidement démantelée.
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Je n’admets donc que très peu d’exceptions à l’entière liberté du commerce des grains comme de tout autre commerce, et ces exceptions sont purement de circonstance. La première, c’est la situation d’un petit état sans territoire, obligé de maintenir son indépendance contre des voisins puissants. Ce petit état pourroit établir des magasins pour qu’on ne cherchât pas à le subjuguer en l’affamant ; et comme l’administration d’un état pareil ressemble à celle d’une famille, les abus de ces magasins seroient évités en grande partie. La seconde exception, c’est une famine soudaine et générale, effet de quelque cause imprévue, naturelle ou politique ; j’en ai déja parlé ci-dessus. La troisième est à-la-fois la plus importante, et celle à laquelle il est le plus difficile de se résigner. Sa nécessité résulte des préjugés populaires nourris et consacrés par l’habitude enracinée de l’erreur. Il est certain que dans un pays où le commerce des grains n’a jamais été libre, sa liberté subite produit une commotion funeste. L’opinion se soulève ; et par son action aveugle et violente, elle crée les maux qu’elle craint. Il faut donc, j’en conviens, de grands ménagements pour ramener sur ce point les peuples aux principes les plus conformes à la vérité et à la justice. Les secousses sont pernicieuses dans la route du bien comme dans celle du mal ; mais l’autorité, qui ne fait souvent ce bien qu’à regret, ne met pas un grand zèle à prévenir ces secousses, et les hommes éclairés, lorsqu’ils parviennent à la dominer par l’ascendant des lumières, croient trop souvent l’engager davantage dans des mesures précipitées. Ils ne sentent pas que c’est lui fournir de spécieux prétextes pour rétrograder. C’est ce qui est arrivé en France vers le milieu du siècle dernier1. Je passe maintenant aux lois qui ont eu pour but d’empêcher qu’une classe intermédiaire de commerçants ne se plaçât pour le trafic des grains entre le producteur et le consommateur. Tous les avantages de la division du travail se trouvent dans l’établissement d’une classe pareille ; elle a plus de capitaux que le producteur ; elle a plus de moyens de former des magasins. S’occupant exclusivement de cette industrie, elle étudie mieux les besoins qu’elle se charge de satisfaire ; elle dispense le fermier de se livrer a` des spéculations qui absorbent son temps, détournent ses fonds, l’entraînent au milieu des villes où il corrompt ses mœurs, et dissipe ses épargnes, perte quadruple pour l’agriculture. Les soins que cette classe prend doivent lui être payés sans doute ; mais ces TR: 29-p. 258.6 Tous les ... ses fureurs. ] Principes de politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 440–443. 1
Allusion non élucidée.
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Commentaire sur Filangieri
mêmes soins, pris par le fermier lui-même avec moins d’habileté, puisqu’ils ne forment point son industrie principale, et par conséquent avec plus de frais, doivent aussi lui être payés, et cet excédant de dépense retombe sur le consommateur que l’on a cru favoriser. Cette classe intermédiaire qu’on proscrit comme cause de disette et de renchérissement est précisément celle qui met obstacle à ce que le renchérissement ne devienne excessif ; elle achète le blé dans les années trop fécondes ; elle empêche par-là qu’il ne tombe à trop bas prix, qu’on ne le prodigue, qu’on ne le dissipe a ; elle le retire du marché, lorsque sa trop grande affluence, occasionant une baisse désastreuse pour le producteur, décourageroit ce dernier, et lui feroit négliger ou borner imprudemment la production de l’année suivante. Quand le besoin se fait sentir, elle remet en vente ce qu’elle avoit amassé. De la sorte elle vient au secours, tantôt du cultivateur, en soutenant à un taux raisonnable la valeur de sa denrée ; tantôt du consommateur, en rétablissant l’abondance de cette denrée au moment où sa valeur vénale passe de certaines bornes b. Elle produit, en un mot, l’effet qu’on espère de magasins publics formés par l’état, avec cette différence que des magasins dirigés et surveillés par des particuliers qui n’ont aucune autre affaire, ne sont point une source d’abus et de dilapidations comme tout ce qui est d’administration publique. Elle fait tout ce bien par intérêt personnel, sans doute ; mais c’est que, sous a
b
Un laboureur qui ne peut vendre son blé à profit cherche à le faire consommer, pour éviter les frais et les déchets qu’il essuieroit en le gardant. On donne d’autant plus de grain aux volailles et aux animaux de toute espèce que le prix en est moindre ; or, c’est autant de perdu pour la subsistance des hommes. Ce n’est pas dans l’année où se fait ce gaspillage que les consommateurs ont à le regretter ; mais ce grain auroit rempli un vide dans quelques provinces disetteuses, ou dans une année stérile. Il auroit sauvé la vie à des familles entières, et prévenu des chertés excessives, si l’activité d’un commerce libre, en lui présentant un débouché toujours ouvert, eût donné dans le temps aux propriétaires un grand intérêt à le conserver, et à ne pas le prodiguer à des usages auxquels on peut employer des grains moins précieux. (VIIe lettre de M. Turgot à l’abbé Terray, p. 62–631.) Smith a démontré d’une manière admirable que l’intérêt du marchand qui commerce sur les blés dans l’intérieur, et l’intérêt de la masse du peuple, opposés en apparence, sont précisément le même dans les années de la plus grande cherté. Liv. IV, ch. 52.
TR: 24–31 Un laboureur ... pp. 62–63. ] Principes de politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, p. 441, n. a. 32–34 Smith ... ch. 5. ] Principes de politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, p. 442, n. a. 1
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Anne-Robert-Jacques Turgot, Lettres sur les grains, écrites à M. l’abbé Terray, contrôleur général, par M. Turgot, intendant de Limoges, s.l.n.d. [1788]. Ces Lettres à l’abbé Terray ont fait l’objet de trois éditions. Voir pour la citation («Un laboureur ... précieux.») Turgot, Œuvres, t. VI, pp. 290–291. Smith, Recherches, livre IV, chap. 5, t. II, p. 121. La phrase transcrite par BC ouvre les réflexions du § 1, intitulé «Commerce intérieur».
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Chapitre II,9 – Du commerce des grains
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le régime de la liberté, l’intérêt personnel est l’allié le plus éclairé, le plus constant, le plus utile de l’intérêt général. On parle d’accaparements, de machinations, de ligues entre les accapareurs. Mais qui ne voit que la liberté à elle seule offre le remède à ces maux ? Ce remède, c’est la concurrence. Il n’y aura plus d’accaparements, si tout le monde a le droit d’accaparer : ceux qui garderoient leurs denrées, pour en tirer un prix excessif, seroient victimes de leur calcul, non moins absurde alors que coupable, puisque d’autres rétabliroient l’abondance en se contentant d’un gain plus modéré. Les lois ne parent à rien, parcequ’on les élude ; la concurrence pare à tout, parceque l’intérêt personnel ne peut arrêter la concurrence, quand l’autorité la permet. Mais comme les lois font parler de leurs auteurs, on veut toujours des lois ; et comme la concurrence est une chose qui va d’elle-même, et dont personne ne fait honneur au gouvernement, les gouvernements méprisent et méconnoissent les avantages de la concurrence. S’il y a eu des accaparements, s’il y a eu des monopoles, c’est que le commerce des grains a toujours été frappé de prohibitions, environné de craintes ; il n’a par-là même jamais été qu’un commerce suspect, presque toujours un commerce clandestin. Or, en fait de commerce, tout ce qui est suspect, tout ce qui est clandestin, devient vicieux ; tout ce qui est autorisé, tout ce qui est public, redevient honnête. Certes, on n’a guère lieu de s’étonner de ce qu’une industrie proscrite par l’autorité, flétrie par une opinion erronée et violente, menacée de châtiments sévères par des lois injustes, menacée encore de saccagement et de pillage par une populace trompée, n’ait été jusqu’à ce jour qu’un métier fait à la dérobée par des hommes avides et vils, qui, voyant la société armée contre eux, ont fait payer à la société, toutes les fois qu’ils l’ont pu, dans les circonstances critiques, la honte et le péril dont elle les entouroit. On fermoit à tous les négociants attachés à leur sûreté et à leur honneur l’accès d’une industrie naturelle et nécessaire. Comment ne seroit-il pas résulté d’une politique aussi mal entendue une prime en faveur des aventuriers et des fripons ? A la première apparence de disette, au premier soupçon de l’autorité, les magasins étoient forcés, les grains enlevés et vendus au-dessous de leur valeur, la confiscation, les amendes, la peine de mort a prononcée contre les propriétaires. Ne a
Arrêt du parlement de Paris du 11 décembre 16261.
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D’après les mercuriales, le prix du setier de blé atteint un maximum aux Halles de Paris au printemps 1626 (doublant par rapport aux 11 livres habituelles). Ainsi s’éclaire l’arrêt du Parlement de Paris de cette année, qui s’inscrit dans une longue litanie de décisions défavorables à la liberté des grains. Voir le Traité de la Police (21772) de Nicolas de La Mare, qui reprend «les arrêts, lettres patentes [...] édits» et compte plus de 500 pages. (Edgard Depitre, «Introduction» à Claude-Jacques Herbert, Essai sur la police générale des grains, sur leurs prix et sur les effets de l’agriculture (1775), Paris : Geuthner, 1910). Hofmann
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falloit-il pas que les propriétaires se dédommageassent de ces chaînes, en poussant à l’excès tous les profits qu’ils pouvoient arracher par la fraude, au milieu des hostilités perpétuellement exercées contre eux ? Il n’y avoit rien d’assuré dans leurs profits légitimes ; ils devoient recourir aux gains illégitimes comme indemnités. La société devoit porter la peine de ses folies et de ses fureurs a. Nous avons combattu longuement peut-être une erreur qui paroît aujourd’hui ne pas exister ; mais les erreurs ont une force de résurrection qui est toujours à craindre : et c’est précisément quand les gouvernements se jettent dans un extrême, qu’il est vraisemblable qu’ils retomberont tôt ou tard dans l’extrême opposé. Or, depuis quelque temps, l’erreur contraire à celle que nous venons de dévoiler dans les pages précédentes a conquis une grande popularité. Autant on vouloit jadis conserver chez soi les grains qu’on produisoit, autant on a peur maintenant d’être inondé de ceux qui croissent sur le sol étranger. Une terreur inconcevable a saisi les peuples et les gouvernements ; la grande abondance leur semble un fléau. Par quelle étrange déviation des idées naturelles cette opinion a-t-elle pu s’introduire ? Nous croyons pouvoir lui assigner deux causes. La première est sérieuse, c’est la surcharge des impôts. Elle fait réellement de l’abondance un fléau pour les cultivateurs ; car cette surcharge accroît en même temps ses frais de culture, et diminue ses profits. La seconde est au fond beaucoup moins importante ; et c’est néanmoins celle qui, contrariant une classe bruyante et puissante, cause toutes les déclamations qui nous étourdissent. L’abondance des denrées nuit au revenu des propriétaires qui ne font pas valoir par eux-mêmes ; ils ne voient pas, comme les cultivateurs, dans leurs terres un moyen de subsistance pour leur a
Voyez, pour des développements ultérieurs, Smith, liv. aux magistrats, 17691.
IV,
ch. 5 ; Morellet, Représentation
TR: 28–29 Voyez, pour ... 1769. ] Principes de politique, Livre Œuvres, t. V, p. 443, n. b.
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XII,
chap. 4, OCBC,
(Principes de politique, p. 324, n. 106) cite Arrêt de la Cour du Parlement portant défense à toutes personnes de faire transporter hors royaume, les bleds, grains et légumes, n’y d’en faire magazins, à peine de vie, Paris : F. Morel, P. Mettayez et A. Estienne, 1626. Il serait intéressant de connaître la provenance de cette note. BC renvoie ici d’une manière générale au chap. 5 du livre IV de Smith, Recherches. Il résume les analyses détaillées de Smith sur cette matière. Voir p. ex. t. II, pp. 121–134. Quant au second titre cite´ ici, Hofmann (Principes de politique, p. 325, n. 108) a rectifié une erreur de BC. Il cite en fait Pierre-Joseph-André Roubaud, Représentations aux magistrats
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Chapitre II,9 – Du commerce des grains
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famille ; l’abondance ne vient point pour eux, comme pour les autres, ajouter quelque superflu au nécessaire, fruit des récoltes ordinaires ; la vente de leurs denrées, et non la consommation, est ce qu’ils considèrent : les frais de production restant les mêmes dans les années d’abondance, et la concurrence causant une baisse dans le prix de vente, il en résulte inévitablement pour eux une perte. Le remède au premier de ces inconvénients est facile : diminuez les impôts. La cause détruite, les effets disparoîtront. Quant à la seconde, je ne vois pas trop la nécessité d’y remédier. En effet, quant l’agriculture fournit au pays, et principalement au cultivateur, une subsistance abondante, elle a rempli son but : peu importe que ce soit aux dépens de la richesse des grands propriétaires. En poussant toutes les conséquences à l’extrême, quelle calamité pouvons-nous craindre de la surabondance ? L’embarras, la gêne momentanée des propriétaires non-agriculteurs. Ces propriétaires vendront le superflu de leurs terres, et ce changement de possesseurs tournera au profit de l’agriculture. Les propriétés, plus divisées, passeront tout entières dans les mains laborieuses des agriculteurs ; ceux-ci, travaillant désormais pour leur propriété particulière, tendront nécessairement à l’amélioration de leurs biens, et les terres seront mieux cultivées. Observons ici combien de formes bizarres revêt l’égoïsme de ceux qui possèdent. L’abondance est un fléau, dit-on, car elle fait baisser le prix des subsistances ; et l’on veut en même temps mettre des bornes à la population, à cause du défaut de subsistance. Mais si les subsistances sont surabondantes, il n’y a donc pas assez de bouches pour les consommer ? Autrement qu’entendez-vous par ce mot de surabondance ? Laissez donc la population s’accroître, et laissez aussi tomber le produit des terres ; la nature se chargera d’établir l’équilibre. Ceux qui veulent vivre de ce produit sans travail vendront les terres à la classe des cultivateurs ; vous aurez bientôt une foule de familles de cultivateurs qui doubleront les produits du sol. L’abondance ne favorisera pas le luxe, mais elle soulagera la misère ; la population se mettra bien vite au niveau des subsistances, et vous attendrez ce qui semble être le but de vos recherches, une grande population sans disette, et l’abondance des vivres sans encombrement. contenant l’exposition raisonnée des faits relatifs a` la liberté du commerce des grains et les résultats respectifs des réglements de la liberté, [Paris : Lacombe], 1769. S’agit-il d’une erreur de copie, parce que BC aurait emprunté ce renvoi à un autre auteur ? La faute se trouve déjà dans les Principes de politique (OCBC, Œuvres, t. V, p. 443, n. 2) et n’a pas été corrigée ici, ce qui nous apprend que BC n’a pas relu ses sources en rédigeant le Commentaire.
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Chapitre X. De l’agriculture comme source de richesse.
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«Tout peuple qui renonce aux avantages de l’agriculture, qui, aveuglé par les profits éblouissants des arts et du commerce, néglige le profit réel des
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productions de son territoire, et qui prefère, en un mot, la forme à la matière, méconnoît ses véritables intérêts ... Le cultivateur, animé par l’espoir de jouir un jour d’un honneur que ses bras lui offrent, et qu’il est assuré d’obtenir en le méritant,
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sentira renaître son courage.» Liv. II, chap. X, p. 4 et 531.
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En lisant plusieurs écrivains, l’on seroit tenté de croire qu’il n’y a rien de plus stupide, de moins éclairé, de plus insouciant, que l’intérêt individuel. Ils nous disent gravement, tantôt que si le gouvernement n’encourage pas l’agriculture, tous les bras se tourneront vers les manufactures, et que les campagnes resteront en friche ; tantôt que si le gouvernement n’encourage pas les manufactures, tous les bras resteront dans les campagnes, que le produit de la terre sera fort au-dessus des besoins, et que le pays languira sans commerce et sans industrie, comme s’il n’étoit pas clair, d’un côté, que l’agriculture sera toujours en raison des besoins d’un peuple ; car il faut que les artisans et les manufacturiers aient de quoi se nourrir ; de l’autre, que les manufactures s’élèveront aussitôt que les produits de la terre seront en quantité suffisante ; car l’intérêt individuel poussera les hommes à s’appliquer a` des travaux plus lucra tifs que la multiplication des denrées, dont la quantité réduiroit le prix. Les gouvernements ne peuvent rien changer aux besoins physiques des hommes ; la multiplication et le taux des produits, de quelque espèce qu’ils soient, se conforment toujours aux demandes de ces besoins. Il est absurde de croire qu’il ne suffit pas, pour rendre un genre de travail commun, qu’il soit utile à ceux qui s’y livrent. S’il y a plus de bras qu’il n’en faut pour exciter la fertilité du sol, les habitants tourneront naTR: 13-p. 262.9 En lisant ... que l’on peut. ] Principes de politique, Livre OCBC, Œuvres, t. V, pp. 474–476. 1
XII,
chap. 8.
SL1, livre II, chap. X, pp. 103–104 et livre II, chap. XV, p. 169 ; SL2, édition Dufart, t. II, pp. 4 et 53.
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Chapitre II,10 – De l’agriculture comme source de richesse
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turellement leur activité vers d’autres branches d’industrie ; ils sentiront, sans que le gouvernement les en avertisse, que la concurrence, passant une certaine ligne, anéantit l’avantage du travail ; l’intérêt particulier, sans être encouragé par l’autorité, sera suffisamment excité par sa propre nature à chercher un genre d’occupation plus profitable. Si la nature du terrain rend nécessaire un grand nombre de cultivateurs, les artisans et les manufacturiers ne se multiplieront pas ; parceque le premier besoin d’un peuple étant de subsister, un peuple ne néglige jamais sa subsistance. D’ailleurs, l’état d’agriculteur étant plus nécessaire sera par cela seul plus lucratif que tout autre. Lorsqu’il n’y a pas de privilège abusif qui intervertisse l’ordre naturel, l’avantage d’une profession se compose toujours de son utilité absolue et de sa rareté relative. Le véritable encouragement pour tous les genres de travail, c’est le besoin qu’on en a. La liberté seule est suffisante pour les maintenir tous dans une salutaire et exacte proportion. Les productions tendent toujours à se mettre au niveau des besoins, sans que l’autorité s’en1 mêle a. Quand un genre de production est rare, son prix s’élève. Le prix s’élevant, cette production mieux payée attire à elle l’industrie et les capitaux. Il en résulte que cette production devient plus commune ; cette production étant plus commune, son prix baisse, et le prix baissant, une partie de l’industrie et des capitaux se tourne d’un autre côté. Alors la production redevenant plus rare, le prix se relève, et l’industrie y revient, jusqu’à ce que la production et son prix aient atteint un équilibre parfait. Ce qui trompe beaucoup d’écrivains, c’est qu’ils sont frappés de la langueur ou du malaise qu’éprouvent, sous des gouvernements arbitraires, les classes laborieuses de la nation ; ils ne remontent pas à la cause du mal, mais s’imaginent qu’on y pourroit remédier par une action directe de l’autorité en faveur des classes souffrantes. Ainsi, par exemple, pour l’agriculture, lorsque des institutions injustes et oppressives exposent les agriculteurs aux vexations des classes privilégiées, les campagnes sont bientôt en friche, parcequ’elles se dépeuplent. a
Voyez Smith, liv. I, ch. 7 ; et Say, Économie politique.
TR: 32 Voyez Smith ... politique. ] Principes de politique, Livre Œuvres, t. V, p. 475, n. b. 1
XII,
chap. 8, OCBC,
Smith, Recherches, t. I. Le chapitre 7 est intitulé «Du prix naturel des marchandises et de leur prix de marché» (pp. 125–137), où BC a lu la phrase suivante : «La quantité qu’on amène au marché de chaque marchandise, se proportionne naturellement d’elle-même a` la demande effective» (p. 127). BC renvoie en outre à Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique. Est particulièrement concernée ici la première partie de l’ouvrage («De la production») qui parle longuement des conditions nécessaires pour encourager celle-ci. L’opinion citée et approuvée par BC est exposée par exemple dans le chap. 15 «Des débouchés» (t. I, p. 341).
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Commentaire sur Filangieri
Les classes agricoles accourent le plus qu’elles peuvent dans les villes, pour se dérober à la servitude et à l’humiliation. Alors des spéculateurs imbéciles conseillent des encouragements positifs et partiels pour les agriculteurs ; ils ne voient pas que tout se tient dans les sociétés humaines. La dépopulation des campagnes est le résultat d’une mau vaise organisation politique. Des secours à quelques individus, ou tout autre palliatif artificiel et momentané, n’y remédieront pas. Il n’y auroit de ressource que dans la liberté et dans la justice. Pourquoi la prend-on toujours le plus tard que l’on peut ? Et remarquons ici que par cela même qu’un peuple seroit soumis à une législation arbitraire, il ne seroit pas plus commerçant qu’agriculteur. Le commerce lui seroit même moins facile. Surchargé d’impôts, il n’auroit pas les capitaux nécessaires à sa prospérité ; vexé par la tyrannie, circonscrit dans ses moyens d’action, tourmenté par les soupçons d’une autorité ombrageuse, et entravé dans sa marche par des fonctionnaires habitués à tout soumettre à leurs volontés, il n’auroit pas la liberté qui peut seule faire ses succès. D’ailleurs, le commerce est utile à l’agriculture ; l’activité qu’il inspire est le meilleur moyen d’encourager toutes les professions laborieuses. Il met en circulation un grand nombre de capitaux ; il ouvre des débouchés aux denrées agricoles comme à toutes les autres denrées ; il sert donc le cultivateur bien loin de lui nuire ; il habitue l’homme à s’occuper constamment, et à découvrir avec rapidité toutes les occasions de bénéfice. Ainsi, dès que le manque de bras se fera sentir pour l’agriculture, ses productions devenant plus lucratives, les commerçants deviendront agriculteurs.
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Chapitre XI. De la protection accordée à l’industrie.
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«La Providence, voulant que les nations soient unies comme les hommes, par les liens des besoins réciproques, a donné à chacune d’elles
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quelque chose qui lui est propre, et qui la rend, pour ainsi dire, nécessaire aux autres.» Liv. II, chap.
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Nous retrouvons toujours la même erreur dans Filangieri ; et quoiqu’elle se déduise naturellement d’un seul principe, principe dont nous avons déja démontré la fausseté, elle revêt tant de formes différentes que nous sommes forcés de la suivre sous ces formes diverses, et de la combattre de nouveau. Cette erreur vient du système que le gouvernement peut se mêler activement de toutes les relations particulières, et faire des lois pour commander et encourager les vertus et les choses utiles, comme pour proscrire et poursuivre les délits et les choses nuisibles. Appliquée à l’industrie, cette erreur a d’étranges résultats. Filangieri semble croire que les gouvernements peuvent la faire éclore et la protéger efficacement. Il leur conseille en conséquence de faire des lois et des règlements pour encourager l’industrie, comme s’il y avoit de meilleurs encouragements que la liberté, et par conséquent l’absence des lois et des règlements. Dans la science des lois, tout est relatif, dit avec raison Filangieri ; et il en conclut qu’il faut des lois différentes sur les divers cas qui se présentent relativement à l’industrie. Mais c’est précisément parceque tout est relatif dans les lois sur l’industrie, qu’il ne faut point de lois sur l’industrie. Pour adapter des lois à chaque circonstance, le législateur fera beaucoup de lois ; ou, frappé de quelques grandes considérations, il fera peu de lois et des lois générales. S’il fait un grand nombre de lois, il vexera l’industrie par des détails minutieux ; il gênera le mouvement de tous les rouages en l’obstruant de ses innombrables règlements ; et qu’il ne croie pas pour cela prévoir tous les cas et régler toutes les circonstances. Il aura beau chercher toutes les combinaisons possibles, il en résultera toujours quelqu’une d’imprévue produite par des causes qu’il n’aura pas jugées dignes de son atten1
SL1, livre II, chap.
XVI,
p. 177 ; SL2, édition Dufart, t. II, p. 60.
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Commentaire sur Filangieri
tion. Ainsi, de mesures vexatoires il ne retirera aucun avantage. Si au contraire il fait peu de lois, chaque loi générale devra être appliquée à plusieurs circonstances différentes, et ces différences, inaperçues par le plus sage législateur, peuvent quelquefois influer d’une manière grave sur des opérations importantes. Il froissera donc l’industrie par ses lois générales, et les mesures par lesquelles il aura cru donner des encouragements poseront au contraire des entraves à l’industrie, objet de sa sollicitude inconsidérée. Mais, si des lois sur l’industrie pouvoient n’être pas toujours nuisibles, elles seroient du moins toujours inutiles. «Tous les pays ne sont pas propres à la culture, dit Filangieri ... Il y en a dont les productions sont infiniment au-dessous de ce qu’exige la consommation intérieure.» Puis il conclut «qu’il faut que les lois qui dirigent les arts et les manufactures dans les pays agricoles soient tout-à-fait différentes de celles qui les dirigent dans les pays stériles1.» Mieux vaudroit laisser faire la nature. Qu’est-il besoin de lois pour appuyer ce qu’elle fixe irrévocablement ? Dans un pays dont le territoire est tellement petit que l’agriculture ne peut pas suffire à la consommation intérieure, vous ne verrez jamais trop de bras se consacrer à l’agriculture. Le nombre des cultivateurs est nécessairement limité par l’étendue du sol, et c’est une crainte bien puérile que celle de voir dépasser cette limite. Filangieri craint aussi que dans un tel pays l’industrie particulière ne se voue à des manufactures qui demandent trop de matières premières : que ceux qui partagent ses craintes se rassurent. Pour que ces craintes fussent raisonnables, il faudroit d’abord qu’elles reposassent sur un objet possible. Or, se peut-il que dans un pays stérile les manufacturiers emploient trop de matières premières ? D’où tireroient-ils ces matières premières ? Au premier essai ils les feroient renchérir, et le renchérissement seul les détourneroit de leurs projets. Qu’est-il besoin de lois pour seconder la marche si simple de la nature dans cette occasion ? On croit toujours bon de créer des lois pour entraver des essais que la nature défend d’une manière abso lue. La nature est plus forte que vos lois. En vain vous tenteriez d’anéantir une industrie qu’elle seconderoit, ou d’établir une industrie qu’elle proscrit. Filangieri, tombant toujours dans la même erreur, conseille aux gouvernements d’encourager les productions particulières de leurs états. Qu’est-il besoin de cet encouragement ? Si le territoire renferme quelque production que les étrangers n’aient pas ; si cette production convient aux étrangers, leurs demandes se multiplieront, et l’industrie se tournera nécessairement vers cette production, parceque c’est du côté de cette production qu’elle 1
SL1, livre II, chap. 16, p. 174 ; SL2, édition Dufart, t. II, pp. 57–58. Citation conforme.
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Chapitre II,11 – De la protection accordée à l’industrie
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verra les profits les plus assurés. On ne produit jamais que pour vendre ; et comme le fait apprend très vite au producteur s’il vend ou ne vend pas, la loi n’a nul besoin de l’avertir ; la seule chose qui puisse déranger les productions, c’est l’intervention de la loi. En encourageant telle production, elle peut tourner vers elle plus de bras qu’il n’en faut ; elle peut en même temps nuire à telle autre ; elle peut se tromper, et encourager quelquefois une industrie peu avantageuse, aux dépens d’une autre industrie qui le seroit davantage. Enfin, comme la demande varie et change d’objet, elle nuira à l’industrie en faisant toujours fabriquer en nombre égal telle production pour laquelle la demande aura considérablement diminué. Le mot même d’encouragement prouve le vice de ce système ; si l’encouragement est nécessaire, c’est qu’il y a perte à la production ; et il est évident qu’il seroit nuisible d’encourager une telle production. S’il y a gain, l’encouragement est inutile, la production porte son encouragement avec elle : des lois pour y suppléer seroient superflues. Dans l’autre cas, elles seroient pernicieuses. De pareilles lois ne peuvent avoir qu’un seul effet ; c’est de détourner l’attention du producteur par l’appât de la récompense, et de l’empêcher de juger avec impartialité la perte ou le gain de la production. «Les arts et les métiers ont donc besoin de la direction secrète des lois,» dit Filangieri1. Nous ne croyons pas que ses déclamations l’autorisent à conclure ainsi. Nous croyons que les raisonnements que nous lui avons opposés nous autorisent à prendre des conclusions toutes contraires. Non, elles n’ont pas besoin de l’influence secrète des lois, puisque l’influence de la nature leur suffit : non, elles n’ont pas besoin de l’influence secrète des lois ; car, si cette influence veut aider les lois de la nature, elle est superflue ; et, si elle veut les contrarier, elle est désastreuse. Filangieri le reconnoît lui-même bientôt. Il faut d’abord lever tous les obstacles, dit-il ; et il reconnoît qu’au nombre de ces obstacles, il faut d’abord placer la prodigieuse quantité de lois et de règlements qui tendent à tracer une route à l’industrie. Alors il donne un conseil salutaire ; mais ce conseil rentre dans notre système, et détruit complètement le sien. Cette contradiction est étrange, d’autant plus étrange que bientôt il nous dira que, si l’autorité fait éclore le génie, elle peut bien protéger les arts. L’autorité fait éclore le génie ! Où Filangieri a-t-il puisé cette sentence qu’il nous donne comme un fait certain ? Nous citera-t-on, comme à l’ordinaire, le siècle d’Auguste, ou celui de Louis XIV ? Mais les grands hommes du siècle d’Auguste appartenoient tous à la république, ils furent, pour ainsi dire, la dernière lueur qu’elle répandit sur le monde, avant de s’éteindre pour jamais. L’autorité de ses successeurs a en vain tenté de faire éclore le génie. Par cela seul qu’elle 1
SL1, livre II, chap. XVI, p. 178 ; SL2, édition Dufart, t. II, p. 61.
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Commentaire sur Filangieri
osoit le tenter, sa source étoit desséchée et ne pouvoit revivre. Le siècle de Louis XIV, précurseur du siècle de la liberté, est dû au besoin de cette noble faculté, qui déja se faisoit sentir ; personne n’attribue plus à l’or de Colbert la gloire des grands hommes, qui, pour la plupart, étoient déja couverts de gloire avant son1 ministère a. Ces vieilles flatteries ne sont plus de nos temps. Au fond, c’est une justice à rendre à Filangieri. A son époque et dans son pays, il ne pouvoit guère parler autrement qu’il ne fait. Il sentoit sans doute que l’influence des gouvernements étoit nuisible ; il n’osoit pas le dire formellement. Aussi voyons-nous que lorsqu’il parle de la nécessité de l’influence du gouvernement, il ne sort pas du domaine des réflexions générales et des déclamations vagues ; tandis que, lorsqu’il s’agit de détruire les obstacles opposés par les lois à la prospérite´ de l’industrie, il détaille des faits, combat pour ainsi dire corps à corps chaque règlement inutile, et alors son style emprunte de sa profonde conviction une couleur brillante et une chaleur persuasive qui ne lui sont pas habituelles.
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J’ai souvent éprouvé la tentation d’écrire un ouvrage intitulé Des obligations qu’a le génie à l’autorité. Je n’y parlerois point de la politique, sujet éternel de rivalité et de combat entre la puissance et la raison. Je me bornerois aux faits particuliers, indépendants de toute opposition de principes, et résultant simplement de la relation naturelle et constante qui existe entre la pensée et la force, entre le talent et le pouvoir. Je montrerois Callisthène ayant le nez et les oreilles coupées, et renfermé dans une cage de fer par l’ordre d’Alexandre ; Platon, appelé, puis chassé par le capricieux Denys ; Auguste, exilant Ovide ; plus tard, Le Tasse emprisonné à Ferrare ; Richelieu, persécutant le Cid à Paris ; Milton, pauvre, et sans cesse en danger sous Charles II ; Louis XIV, faisant mourir de chagrin Racine, et importuné de Fénélon ; enfin, de nos jours, M. de Châteaubriand menacé et madame de Staël proscrite par Bonaparte. Ces exemples contre-balancent un peu, ce me semble, les faveurs accordées à des poëtes adulateurs et à des historiens infidèles.
BC esquisse ici un beau sujet digne de Pascal, puisqu’il laisse entrevoir une réflexion philosophique profonde, à savoir le besoin de se libérer par la critique et de gagner ainsi une plateforme de jugement indépendant. Le refus de reprendre les clichés reçus en sont la preuve. On trouve dans les papiers de BC (voir Fragmens d’un essai sur la littérature dans ses rapports avec la liberté, OCBC, Œuvres, t. III, pp. 491–519) et dans les Mélanges (OCBC, Œuvres, t. XXXIII, chap. XX, à paraître) des traces de ce projet. Nulle part pourtant il n’aborde les relations des intellectuels et du pouvoir avec la hardiesse et la profondeur conceptuelle qu’on peut découvrir ici. Les exemples cités dans ce contexte parlent de cas fameux qui proviennent de l’arsenal de la critique littéraire et qu’on retrouve en partie dans d’autres écrits de BC. Cela prouve seulement qu’il peut les utiliser en les adaptant aux différents registres de ses démonstrations.
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Chapitre XII. Nouvelle preuve de l’erreur fondamentale de Filangieri.
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«Tel fut le sort des Indes et de la Chine, de la Perse et de l’E´gypte.» Liv. II, chap.
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p. 551.
Nous retrouvons toujours dans Filangieri cette admiration pour les peuples anciens et les pays éloignés que déja nous avons été forcés de combattre. La phrase qui sert de texte à ce chapitre, en est peut-être un des plus inconcevables exemples. Quel peuple a jamais souffert un despotisme plus avilissant qu’un peuple asservi par des chefs étrangers, à l’aide du honteux supplice de la bastonnade ; un despotisme plus absolu, qu’un peuple gouverné au nom des dieux par des corporations sacerdotales ; enfin, un despotisme plus brutal et plus extravagant, qu’un peuple traîné sur des terres étrangères par un tyran ridicule, et châtiant les éléments par ordre de son maître, comme les seuls obstacles opposés à ses volontés ! Dire que la Chine et l’E´gypte ont possédé avec les trésors de la nature les plus brillantes inventions des arts, n’est-ce pas donner un démenti formel, non seulement à toutes traditions historiques, mais encore à nos propres yeux ? Non, ils n’ont point possédé les plus brillantes in ventions des arts, ces peuples dont toute l’existence étoit réglée d’avance par la volonté de leurs prêtres : ils n’avoient pas même le pouvoir de quitter la profession de leurs pères, pour une profession plus analogue à leurs goûts. Comment auroientils pu faire de nobles et utiles découvertes ? Non, ils ne possèdent pas les plus brillantes inventions des arts, ces peuples qui n’ont point d’existence morale ; ils ne connoissent même pas les arts dans la noble acception de ce mot, puisque, bornant leurs desirs à la vie physique, ils sont également incapables d’enthousiasme et de jouissances intellectuelles. Jamais au contraire les arts, étonnante création de ce qu’il y a de divin dans notre nature ; les arts, non point ceux qui tiennent à la conservation physique de notre existence, mais ceux qui élèvent notre ame à la connoissance du beau, et lui offrent pour jouissance la seule idée de la perfection 1
SL1, livre II, chap. II, p. 171 ; SL2, édition Dufart, t. II, p. 55.
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sans utilité matérielle ; les arts, dont l’impression échappe à l’analyse ; jamais, dis-je, les arts n’ont fait moins de progrès, et ne sont restés dans un état plus imparfait qu’en Égypte et à la Chine. Les Égyptiens sont parvenus, il est vrai, assez vite à un degré élevé dans les découvertes nécessaires à la conservation ou à l’amélioration de notre vie physique ; ils ont toujours été médiocres et grossiers dans les arts proprement dits. Dans les travaux même d’une utilité commune, ils ont été bientôt arrêtés par le despotisme sacerdotal. Comment un peuple pourroit-il faire des progrès dans les sciences et dans les arts, quand les prêtres s’en emparent comme d’un monopole ? A peine alors on lui permet d’être l’instrument des découvertes du sacerdoce ; toute autre prétention lui est interdite. On en fait simplement une machine ; et si parfois on lui attribue quelque habileté, c’est encore la perfection d’une machine, puisque cette habileté peut exister avec un défaut complet d’intelligence. L’ouvrier habitué par un travail routinier et continu à polir l’acier, ou à le façonner en chaînes, en crochets, en roues, seroit aussi étranger à l’admirable mécanisme de la montre, que les ressorts isolés sortis de ses mains, si l’art qui les rassemble lui étoit caché, et si on lui faisoit une loi sévère de concourir sans cesse à ce travail sans en calculer l’utilité. Telle étoit en quelque sorte en Égypte l’organisation des classes laborieuses ; aussi n’ont-elles jamais fait de découvertes vraiment importantes. Aujourd’hui l’on reconnoît dans la concurrence une des plus grandes causes de perfectionnement. On combat avec raison les maîtrises, les corporations, et autres foibles entraves apportées à la concurrence ; et pourtant l’on vante avec emphase les insurmontables obstacles que la jalousie sacerdotale avoit opposés au génie inventeur des Égyptiens, tant les déclamations acquièrent de force en passant de bouche en bouche à travers les siècles. Quant à la Chine qu’on nous a si absurdement proposée pour modèle, et que Montesquieu seul a eu le bon esprit de juger au milieu des louanges générales, il est difficile d’expliquer la singularité qui en a fait un objet d’admiration1. Chose remarquable ! des amis de la liberté ont prodigué leurs éloges à un peuple insensible à la plus odieuse et à la plus dégoûtante oppression. Des hommes pleins d’enthousiasme pour les sciences et pour les arts, nous ont souhaité, au nom de la raison, le sort d’un peuple chez lequel l’absence de tout sentiment religieux et de toute idée généreuse, combinée avec le mécanisme que l’on a nommé civilisation, étouffe le germe de ce qu’il y a d’enthousiaste dans notre nature, c’est-à-dire le germe de tous les succès dans les arts comme dans les sciences, comme dans tout
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Pour l’allusion à Montesquieu, voir ci-dessus, p. 212, n. 5.
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Chapitre II,12 – Nouvelle preuve de l’erreur fondamentale de Filangieri
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ce qui ne tient pas à de vaines formes ; et le philanthrope Filangieri prend pour texte de ses panégyriques des institutions qui dégradent l’homme, et détruisent ce qui fait son excellence. Quelles grandes qualités rachètent donc une telle dégradation ? Quelles importantes découvertes de cette nation réclament notre admiration ? Seroit-ce une industrie matérielle qui ne tient pas plus à la nature humaine que celle de tel animal, des abeilles ou des castors ? Regarderoit-on ce triste avantage comme un dédommagement de la perte de tout ce qu’il y a de moral dans l’homme ? Élèveroit-on le mécanisme de nos sens au-dessus de la perfection de notre ame ? La religion de la Chine n’est plus qu’une forme : on l’avoue, et on s’extasie de voir cette forme commander encore quelque respect. On convient qu’elle ne s’appuie plus sur la croyance, et l’on assure qu’elle est un garant des mœurs. Erreur bizarre ! car si la religion n’est plus fondée sur la croyance, l’influence seule de la crainte ou de l’habitude retarde sa chute ; et alors, autant vaudroit s’en remettre à cette influence, et la laisser agir directement sur les mœurs, que de créer encore un intermédiaire inutile. La croyance rend les hommes meilleurs, non par la crainte des supplices, non par l’habitude de rites arbitraires, mais par la noble relation qu’elle établit entre l’homme et des puissances supérieures, plus parfaites aussi bien que plus fortes que lui. Une religion à laquelle on ne croit plus n’est jamais utile ; le respect qu’on lui témoigne est au contraire, sous un certain rapport, un symptôme de dégradation. Il annonce, ou le triomphe de l’habitude sur l’intelligence, ou une hypocrisie dangereuse et coupable. Mais examinons quelles mœurs ont ces peuples, dont on prétend que la religion garantit les mœurs. Chez eux, les mœurs et les vertus ne sont, comme la religion, que des formes extérieures ; aucune de leurs relations n’a de base morale : ils se contentent de l’apparence, et c’est ce que l’on nomme l’ordre. Si quelqu’un s’écarte de cet ordre, les supplices l’y font rentrer ; on dédaigne de créer une influence plus élevée. Il est vrai que l’uniformité du gouvernement, solidement établie sur l’abrutissement de ce peuple, ressemble à l’ordre, parcequ’elle est privée de mouvement ; il est vrai que tout se meut à un simple signe, émané de la volonté d’un seul ; il est vrai qu’au milieu des révolutions et des conquêtes, ce peuple façonné à cette obéissance passive est prêt à la vouer à qui la réclame, et qu’ainsi son caractère ne change pas ; mais c’est parcequ’il ne fait point de progrès. Enfin, il est vrai qu’un tel ordre de choses doit sembler merveilleux aux tyrans qui en profitent ; mais nous ne saurions concevoir comment il a pu s’attirer les éloges de philosophes éclairés et indépendants. Si telle est la perfection que l’on nous propose, mieux
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vaudroit peut-être la grossièreté des premiers âges, ou même le défaut absolu de civilisation1.
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Les arguments de BC ne sont pas compatibles avec une analyse historique des faits. Ils gagnent par contre en consistance si l’on y découvre les prémisses d’une philosophie de la subjectivité telle qu’on peut la retrouver dans la théorie de la religion, dans celle de la littérature et de l’art ou dans la philosophie politique de BC. Il reste vrai néanmoins que ce chapitre, à la fois une polémique contre une doctrine rationaliste des lumières et la défense enthousiaste d’une position idéaliste, ressemble d’une certaine manière à un texte romanesque.
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Chapitre XIII. Des jurandes et maîtrises.
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«Les plus grands obstacles qui s’opposent aux progrès des arts, ce sont tous les établissements, toutes les lois qui tendent à diminuer la concurrence des ouvriers ..... Tels sont sur-tout les droits de maîtrise et les corporations.» Liv. II, chap. XVI, p. 611.
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Trop d’écrivains avant nous se sont élevés contre les jurandes, les maîtrises, les apprentissages, pour que nous entrions à ce sujet dans de longs détails. Les apprentissages empêchent les individus d’exercer tel ou tel métier ; les maîtrises et jurandes sont des associations qui déterminent le nombre de leurs propres membres, et les conditions pour y être admis. Ces institutions sont des privilèges de l’espèce la plus inique et la plus absurde ; la plus inique, puisque l’on ne permet à l’individu le travail qui le préserve du crime que sous le bon plaisir d’un autre, et qu’une des conditions des apprentissages est de payer pour être reçu dans un métier, de sorte qu’on repousse du travail ceux qui ont le plus besoin de travailler ; la plus absurde, puisque, sous le prétexte du perfectionnement des métiers, on met obstacle à la concurrence, le plus sûr motif de perfectionnement, et qu’en fixant le nombre des hommes exerçant chaque profession, on s’expose à ce que ce nombre ne soit pas proportionné aux besoins des consommateurs. En effet, il peut y en avoir trop, ou y en avoir trop peu. S’il y en a trop, les hommes de cette profession ne pouvant pas en embrasser une autre travaillent à perte, ou ne travaillent pas, et tombent dans la misère ; s’il y en a trop peu, le prix du travail hausse suivant l’avidité de ces travailleurs. L’intérêt des acheteurs2 est une bien plus sûre garantie de la bonté des productions que des réglements arbitraires, qui, partant d’une autorité qui TR: 13-p. 272.10 Ces institutions ... coûteuses. ] Principes de politique, Livre XII, chap. 4. OCBC, Œuvres, t. V, pp. 429–430. 1 2
SL1, livre II, chap. II, p. 178 ; SL2, édition Dufart, t. II, pp. 61–62, («les droits de maîtrise ou les corporations»). Texte repris des Principes de politique et élargi ici. Comme nous l’avons dit dans une note (OCBC, Œuvres, t. V, p. 429, n. 1), Hofmann (Principes de politique, p. 578, n. 120) a montré que BC paraphrase un passage de Sismondi, De la richesse commerciale : «On lui [à savoir : au législateur] a donné à entendre, qu’il étoit nécessaire de repousser tous ceux qui ne donneroient pas une preuve de leur habileté, en faisant leur chef-d’œuvre ; sans quoi l’on
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confond nécessairement tous les objets, ne distingue point les divers métiers, et prescrit un apprentissage aussi long pour les plus aisés que pour les plus difficiles. Il est bizarre d’imaginer que le public est un mauvais juge des ouvriers qu’il emploie, et que le gouvernement, qui a tant d’autres affaires, saura mieux quelles précautions il faut prendre pour apprécier leur mérite. Il ne peut que s’en remettre à des hommes qui, formant un corps dans l’état, ont un intérêt différent de la masse du peuple, et qui, travaillant d’une part à diminuer le nombre de producteurs, et de l’autre à faire hausser le prix des productions, les rendent à-la-fois plus imparfaites et plus coûteuses. Les apprentissages sont oppressifs pour les consommateurs ; car, en diminuant le nombre des travailleurs, ils renchérissent le prix du travail. Ils vexent donc le pauvre, et coûtent au riche une surcharge de prix. Nous exceptons toutefois de nos observations sur l’entière liberté du commerce les professions qui intéressent la sûreté publique ; les architectes, parceque le peu de solidité d’une maison menace tous les citoyens ; les médecins, les pharmaciens, dont les conseils et les marchandises peuvent menacer la vie des citoyens ; les notaires, etc. Quant aux autres professions, l’expérience a par-tout prononcé contre cette manie réglémentaire. Les villes d’Angleterre où l’industrie est la plus active, qui ont pris dans un temps très court le plus grand accroissement, et où le travail a été porté au plus haut degré de perfection, sont celles qui n’ont point de chartres a, et où il n’existe aucune corporation b. a b
Birmingham, Manchester, V.Baert1. La plus sacrée et la plus inviolable de toutes les propriétés est celle de sa propre industrie,
TR: 13–17 Nous exceptons ... notaires, ] Principes de politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, p. 430. 18–22 Les villes ... corporation. ] Principes de politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 430–431. 23 Birmingham ... Baert. ] Principes de politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, p. 431, n. a. 24-p. 273.29 La plus sacrée ... ch. I. ] Réflexions sur les constitutions, Note Y, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1256. Principes de politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, p. 431, n. b.
1
verroit dégénérer rapidement les arts et l’industrie ; et c’est aussi pour cela qu’on a étayé cette première loi des corps de métiers d’une foule de réglemens sur la manière dont doivent travailler les artisans, sur les qualités que doit avoir leur ouvrage, et sur les visites de jurés auxquelles il convient de l’assujettir ; comme si les consommateurs auxquels il est destiné et qui n’achètent que ce qui leur convient, n’étaient pas les meilleurs de tous les jurés pour l’inspection des fabriques» (t. II, pp. 284–285). Cette idée se rencontre chez beaucoup d’auteurs d’orientation libérale de cette époque. BC l’a lu p. ex. chez Bentham. Passage plusieurs fois utilisé par BC. Nous reproduisons ici la note des Principes de politique qui résume les détails : le même passage se retrouve dans les «Additions et notes» des Réflexions sur les constitutions. L’éditeur explique : BC renvoie au tome premier de l’ouvrage de Baert (à savoir : Tableau de la Grande Bretagne, de l’Irlande et des possessions
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L’Angleterre, malgré son système de prohibition, a toujours tendu à libérer l’industrie. Les apprentissages ont été restreints aux métiers existants lors du statut d’E´lisabeth qui les a établis, et les tribunaux ont accueilli les distinctions les plus subtiles tendant à soustraire à ces statuts le plus de métiers qu’il étoit possible. Il faut, par exemple, avoir été en appren tissage pour faire des chariots, et non pour faire des carosses. Observons ici, comme la liberté, comme la simple absence de la loi mettent ordre à tout. Les associations d’individus exerçant des métiers sont d’ordinaire une ligue contre le public. En conclura-t-on qu’il faut interdire ces associations par des lois prohibitives ? Nullement. En les interdisant, l’autorité se condamneroit à des vexations, à une surveillance, à des châtiments, qui auroient des inconvénients graves ; mais que l’autorité ne sanctionne pas ces associations, qu’elle ne leur reconnoisse pas le droit de limiter le nombre des hommes de telle ou telle profession : par la` même ces associations n’auront plus de but. Si vingt individus de tel métier veulent se liguer pour porter à un taux trop élevé le prix de leur travail, d’autres se présenteront pour faire ce travail à meilleur compte, et l’intérêt des premiers les condamnera à céder. parcequ’elle est la source ordinaire de toutes les autres propriétés. Le patrimoine du pauvre est dans la force et l’adresse de ses mains ; et l’empêcher d’employer cette force et cette adresse de la manière qu’il juge la plus convenable, tant qu’il ne porte de dommage à personne, est une violation manifeste de cette propriété primitive. C’est une usurpation criante sur la liberté légitime, tant de l’ouvrier que de ceux qui seroient disposés à lui donner du travail ; c’est empêcher à-la-fois l’un de travailler à ce qu’il juge à propos, et l’autre d’employer qui bon lui semble. On peut bien en toute sûreté s’en fier à la prudence de celui qui occupe un ouvrier, pour juger si cet ouvrier mérite de l’emploi, puisqu’il y va de son intérêt. Cette sollicitude qu’affecte le législateur pour prévenir qu’on n’emploie des personnes incapables est évidemment aussi absurde qu’oppressive. Voyez Adam Smith. Voyez aussi Bentham, Principes du Code civil, part. III, ch. I1. TR: 1–6 L’Angleterre ... carosses. ] Principes de politique, Livre Œuvres, t. V, p. 430, n. c.
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angloises dans les quatre parties du monde, Paris : Maradan, 1802), et plus particulièrement aux pp. 90–93 et 105–108. «Birmingham n’ayant point de charte de corporation, ne nomme point de membres au parlement, et n’est gouverné que par des baillis et des constables. La liberté qu’on a de venir s’y établir et d’y exercer une profession quelconque, sans crainte d’être inquiété, ne contribue pas peu à son agrandissement et à sa prospérité» (pp. 92–93). Une observation tout à fait analogue concernant Manchester se lit pp. 107–108 (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1256, n. 1). Comme nous l’avons dit dans les Principes de politique (OCBC, Œuvres, t. V, p. 431, n. 2), BC cite tout un alinéa de Smith, Recherches, livre I, chap. 10, t. I, p. 198. Le renvoi à Bentham, Traités de législation, Principes du code civil, troisième partie, «Droits et obligations à attacher aux divers états privés», chap. 1, «Maître et serviteur» (t. II, pp. 176–178), sert à confirmer la position défendue par Smith. Bentham s’y oppose «à cette manie réglementaire» qui réclame l’apprentissage pour garantir la qualité du travail.
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Je n’ajouterois rien à ces raisonnements, si je ne savois que les motifs allégués publiquement en faveur des abus ne sont d’ordinaire que des tentatives pour tromper et désarmer l’opinion. La réfutation de ces arguments, dont la foiblesse est reconnue de ceux mêmes qui les emploient, n’a donc qu’une utilité très secondaire. Ce sont les calculs secrets qu’il faut attaquer ; ce sont les intérêts occultes qu’il faut rassurer. Dans le cas actuel, les défenseurs des maîtrises, des jurandes, des apprentissages, sont au fond très indifférents au perfectionnement des métiers ; et l’in térêt des consommateurs qu’ils prétendent préserver de fabrications maladroites ou trompeuses les touche fort peu. Ce qui les attache à ces institutions surannées, c’est qu’ils pensent y trouver des moyens de police et de surveillance sur la classe des ouvriers, classe toujours redoutée, parcequ’elle est toujours plus ou moins malheureuse. Pour leur répondre, en prenant pour base les craintes mêmes qui forment leur logique, et ferment leur égoïsme à la vérité, je leur citerai un écrivain qui occupe un rang distingué parmi ceux qui ont le mieux approfondi les questions d’économie politique. «Ne sait-on pas que si les maîtres subordonnés à la police locale peuvent contenir les ouvriers dans le devoir, ils peuvent aussi les exciter au soulévement et à la sédition, quand cela importe à leur intérêt ou convient à leurs opinions ? Combien de fois n’est-il pas arrivé que les maîtres ont opposé une résistance efficace aux vues des gouvernements les mieux intentionnés et les plus éclairés ! Que de séditions ont dû leur origine à la séduction et à la corruption des maîtres ! Les gouvernements qui connoissent bien leur force et leur puissance ne doivent plus se reposer sur l’intérêt mobile et varié de la classe des ouvriers. L’intérêt général de la nation, toujours certain, toujours immuable, leur offre un point d’appui plus solide et plus inébranlable.» Ganilh, des Systèmes d’économie politique, I, 233–2341.
1
Sur Charles Ganilh (1758–1836) voir OCBC, Œuvres, t. X/2, p. 1039. Avocat, puis homme politique, il fit partie comme Constant et J. B. Say des tribuns renvoyés par Bonaparte en 1802, car insuffisamment dociles. Il se spécialise dans les questions financières et est élu député à la Chambre par son Cantal natal en 1816. L’école libérale trouvera sa pensée insuffisamment «ferme». Du moins, Ganilh est-il ici dans le droit chemin lorsqu’il critique ce que Constant appelle «les institutions [...] quasi-corporatives [...] surannées» que sont les «maîtrises, les jurandes», qui ont partie liée contre la liberté économique. BC cite ici un passage de son ouvrage Des systèmes d’économie politique, de leurs inconvéniens, de leurs avantages, et de la doctrine la plus favorable aux progrès de la richesse des nations, Paris : Xhrouet, Déterville, Lenormant et Petit, 1809, livre deuxième, chap. VI, «Des apprentissages, des maîtrises et corporations», pp. 233–234. La citation est conforme, à l’exception des premières lignes où BC raccourcit le texte qui renvoie à des réflexions antérieures sans importance dans le contexte du Commentaire. BC possède cet ouvrage dans sa bibliothèque.
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Une vexation plus révoltante encore, parcequ’elle est plus directe et moins déguisée, c’est la fixation du prix des journées a. Cette fixation, dit Smith, est le sacrifice de la majeure partie à la plus petite1. Nous ajouterons que c’est le sacrifice de la partie indigente à la partie riche, de la partie laborieuse à la partie aisée, au moins comparativement ; de la partie qui est déja souffrante par les dures lois de la société à la partie que le sort et les institutions ont favorisée. On ne sauroit se représenter sans quelque pitié cette lutte de la misère contre l’avarice, où le pauvre, déja pressé par ses besoins et ceux de sa famille, n’ayant d’espoir que dans son travail, et ne pouvant attendre un instant sans que sa vie même et la vie des siens ne soit menacée, rencontre le riche, non seulement fort de son opulence et de la faculté qu’il a de réduire son adversaire en lui refusant ce travail qui est son unique ressource, mais encore armé de lois vexatoires qui fixent les salaires, sans égard aux circonstances, à l’habileté, au zèle de l’ouvrier ; et qu’on ne croie pas cette fixation nécessaire pour réprimer les prétentions exorbitantes et le renchérissement des bras : la pauvreté est humble dans ses demandes. L’ouvrier n’a-t-il pas derrière lui la faim qui le presse, qui lui laisse à peine un instant pour discuter ses droits, et qui ne le dispose que trop à vendre son temps et ses forces au-dessous de leur valeur ? La concurrence ne tient-elle pas le prix du travail au taux le plus bas qui soit compatible avec la subsistance physique ? Chez les Athéniens, comme parmi nous, le salaire d’un ouvrier étoit équivalent à la nourriture de quatre personnes ; pourquoi des règlements, lorsque la nature des choses fait la loi, sans vexations ni violence ? La fixation du prix des journées, si funeste à l’individu, ne tourne point à l’avantage du public. Entre le public et l’ouvrier s’élève une classe impitoyable, celle des maîtres : elle paie le moins et demande le plus possible, et profite ainsi seule tout à-la-fois et des besoins de la classe laborieuse et des besoins de la classe aisée. Étrange complication des institutions sociales ! Il existe une cause éternelle d’équilibre entre le prix et la valeur du travail, une cause qui agit sans contrainte, de manière à ce que tous les calculs soient raisonnables et tous les intérêts contents. Cette cause est la concura
Voyez sur les efforts des maîtres pour faire baisser, et sur ceux des ouvriers pour faire hausser le prix des journées, et sur l’inutilité de l’intervention de l’autorité à cet égard, Smith, I, 132–159, traduct. de Garnier.
TR: 1-p. 276.4 Une vexation ... rigueur. ] Réflexions sur les constitutions, Note Y, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1257–1258. Principes de politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 432–433. 1
BC renvoie à Smith, Recherches, livre I, t. I, pp. 137–150.
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rence ; mais on la repousse. On met obstacle à la concurrence par des règlements injustes ; et l’on veut ensuite rétablir l’équilibre par d’autres règlements non moins injustes, qu’il faut maintenir par les châtiments et par la rigueur.
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Chapitre XIV. Des privilèges en fait d’industrie.
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«Les malheurs que la compagnie des Indes a essuyés dans ce siècle sont assez connus.» Liv. II, chap. XXI, p. 1011.
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Qu’est-ce qu’un privilège en fait d’industrie ? C’est l’emploi de la force du corps social, pour tourner au profit de quelques hommes les avantages que le but de la société est de garantir à tous. C’est ce que faisoit l’Angleterre, lorsqu’avant l’union de l’Irlande à ce royaume, elle interdisoit aux Irlandois presque tous les genres de commerce étranger ; c’est ce qu’elle fait aujourd’hui, lorsqu’elle défend à tous les Anglois de faire aux Indes un commerce indépendant de la compagnie qui s’est emparée de ce vaste monopole ; c’est ce que faisoient les bourgeois de Zurich avant la révolution de la Suisse, en forçant les habitants des campagnes à ne vendre qu’à eux seuls presque toutes leurs denrées et tous les objets qu’ils fabriquoient. Il y a manifestement injustice en principe. Y a-t-il utilité dans l’application ? Si le privilège est le partage d’un petit nombre, il y a sans doute utilité pour ce petit nombre ; mais cette utilité est du genre de celle qui accompagne toute spoliation. Ce n’est pas celle qu’on se propose, ou du moins qu’on avoue se proposer. Y a-t-il utilité nationale ? Non sans doute ; car, en premier lieu, c’est la grande majorité de la nation qui est exclue du bénéfice. Il y a donc perte sans compensation pour cette majorité. En second lieu, la branche d’industrie ou de commerce qui est l’objet du privilège est exploitée plus négligemment, et d’une manière moins économique par des individus dont les gains sont assurés par l’effet seul du monopole, qu’elle ne le seroit, si la concurrence obligeoit tous les rivaux à se surpasser à l’envi par l’activité et par l’adresse. Ainsi la richesse nationale ne retire pas de cette industrie tout le parti qu’elle en pourroit tirer. Il y a donc perte relative pour la nation tout entière. Enfin les moyens dont l’autorité doit se servir pour maintenir le privilège, et pour repousser de la concurrence les individus non privilégiés, sont inévitablement oppressifs et vexatoires. Il y a TR: 6-p. 280.8 Qu’est-ce qu’un ... compense. ] Principes de politique, Livre OCBC, Œuvres, t. V, pp. 425–429. 1
XII,
chap. 4,
SL1, livre II, chap. XXI, p. 232 ; SL2, édition Dufart, t. II, p. 104 (et non 101). Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, traduction nouvelle avec des notes et observations par Germain Garnier, Paris : H. Agasse, an X (1802), t. IV, pp. 81– 133.
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donc encore pour la nation tout entière perte de liberté. Voilà trois pertes réelles que ce genre de prohibition entraîne, et le dédommagement de ces pertes n’est réservé qu’à une poignée de privilégiés. L’excuse banale des privilèges, c’est l’insuffisance des moyens individuels, et l’utilité d’encourager des associations qui y suppléent. Mais on s’exagère beaucoup cette insuffisance, et l’on ne s’exagère pas moins cette né cessité a. Si les moyens individuels sont insuffisants, quelques individus se ruineront peut- être, mais un petit nombre d’exemples éclairera tous les citoyens, et quelques malheurs particuliers sont bien préférables à la masse incalculable de malheurs et de corruption publique que les privilèges introduisent. Si l’état vouloit surveiller les individus dans toutes les opérations par lesquelles ils peuvent se nuire, il arriveroit à restreindre la liberté de presque toutes les actions ; et, s’érigeant une fois en tuteur des citoyens, il ne tarderoit pas à devenir leur tyran. Si les associations sont nécessaires pour une branche d’industrie ou de commerce éloigné, les associations se formeront, et les individus ne lutteront pas contre elles, mais chercheront à y entrer pour en partager les avantages ; que si les associations existantes s’y refusent, vous verrez naître de nouvelles associations, et l’industrie rivale en sera plus active ; que le gouvernement n’intervienne que pour maintenir et les associations et les individus dans leurs droits respectifs et dans les bornes de la justice : la liberté se charge du reste et s’en charge avec succès. On se trompe d’ailleurs, quand on regarde les compagnies de commerce comme une chose avantageuse de leur nature. Toute compagnie puissante, observe un auteur versé dans cette matière1, lors même qu’elle ne fait le commerce qu’en concurrence avec les particuliers, les ruine d’abord en baissant les prix des marchandises ; et quand les particuliers sont ruinés, cette compagnie, faisant seule ou presque seule le commerce, ruine la nation a
On a dit sans cesse que le commerce de l’Inde ne pouvoit être fait que par une compagnie ; mais, pendant plus d’un siècle, les Portugais ont fait ce commerce sans compagnie avec plus de succès qu’aucun autre peuple. Say, liv. I, chap. XXVII, p. 1832.
TR: 29–31 On a dit ... peuple. ] Principes de politique, Livre XII, chap. 4, OCBC, Œuvres, t. V, p. 429. 1
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Il s’agit probablement de l’abbé Morellet, comme le suppose Hofmann (p. 279, n. 9), qui est mentionné quelques lignes plus loin. BC pense, si cette hypothèse est exacte, à son Mémoire sur la situation actuelle de la Compagnie des Indes, Paris : Desaint, 1769, où l’on trouve une doctrine qui ressemble à ce que BC résume d’une manière très simplifiée. Il faut lire à la fin de la note : p. 193. Exemple pris chez Say, Traité d’économie politique, Première partie, chap. 27, «Des Compagnies et principalement de celles qui ont des privilèges exclusifs» : «Il ne faut pas non plus s’imaginer légèrement qu’un certain commerce ne puisse absolument être fait que par une compagnie ; cela a été dit bien souvent de celui de l’Inde, et cependant plus d’un siècle durant, les Portugais l’ont fait, sans compagnie, avec plus de succès qu’aucune autre nation» (p. 193).
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en haussant les prix ; ensuite ses gains excessifs portant ses agents à la négligence, elle se ruine elle-même. On voit dans Smith, liv. V, chap. I, par des exemples nombreux et incontestables1, que plus les compagnies angloises ont été exclusives, investies de privilèges importants, riches et puissantes, plus elles ont eu d’inconvénients pendant leur durée, et plus elles ont mal fini ; tandis que les seules qui aient réussi ou se soient soutenues, sont les compagnies bornées à un capital modique, composées d’un petit nombre d’individus, n’employant que peu d’agents, c’est-à-dire se rapprochant le plus possible, par leur administration et par leurs moyens, de ce que pourroient être des associations particulières. L’abbé Morellet comptoit en 1780 cinquante-cinq compagnies revêtues de privilèges exclusifs en différents pays de l’Europe, et qui, établies depuis 1600, avoient toutes fini par une banqueroute. Il en est des compagnies trop puissantes comme de toutes les forces trop grandes, comme des trop grands états, qui commencent par dévorer leurs voisins, puis leurs sujets, et qui ensuite se détruisent euxmêmes2. La seule circonstance qui rende une compagnie admissible, c’est lorsque des individus s’associent pour établir à leurs périls et risques une nouvelle branche de commerce avec des peuples lointains et barbares. L’état peut alors leur accorder en dédommagement des dangers qu’ils bravent un monopole de quelques années ; mais le terme expiré le monopole doit être supprimé, et le commerce redevenir libre3. On peut citer des faits isolés en faveur des pri vilèges ; et ces faits paroissent d’autant plus concluants, qu’on ne voit jamais ce qui auroit lieu si ces privilèges n’avoient pas existé. Mais j’affirme, en premier lieu, qu’en 1 2
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BC renvoie ici au livre V, chap. 1, section 3, article 3, § 2 des Recherches, pp. 355–365. BC reproduit un exemple qu’il a trouvé chez Smith, Recherches. L’auteur anglais cite Morellet qui parle des 55 compagnies de commerce, ayant «toutes failli par les vices de leur administration, quoiqu’elles eussent des privilèges exclusifs» depuis 1600. Ce qui n’est pas expliqué, c’est l’année 1780 mentionnée par BC dans son texte. La brochure qui semble avoir fourni à Smith l’information pourrait être Mémoires relatifs à la discussion du privilège de la Nouvelle Compagnie des Indes, Amsterdam et Paris : Demonville, 1787. Elle a paru sans nom d’auteur, mais est attribuée sur l’exemplaire conservé à la bibliothèque de l’université de Londres à Morellet. Dans les Principes de politique (OCBC, Œuvres, t. V, p. 428), BC indique la source de cette thèse : Smith. Il y renvoie au passage suivant : «Quand une sociéte´ de marchands entreprend, à ses propres dépens et à ses risques, d’établir quelque nouvelle branche de commerce avec des peuples lointains et non civilisés, il peut être assez raisonnable de l’incorporer comme compagnie en société de fonds, et de lui accorder, en cas de réussite, le monopole de ce commerce pour un certain nombre d’années. [...] Un monopole temporaire de ce genre peut être justifié par les mêmes principes qui font qu’on accorde un semblable monopole à l’inventeur d’une machine nouvelle, [...]. Mais à l’expiration du terme, le monopole doit être supprimé» (Smith, Recherches, t. II, pp. 379–380).
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admettant au nombre des éléments le temps dont on cherche vainement à se passer, et en ne se livrant pas à une impatience puérile, la liberté finiroit toujours par produire, sans mélange d’aucun mal, le même bien qu’on s’efforce d’arracher par les privilèges, au prix de beaucoup de maux ; et je déclare, secondement, que s’il existoit une branche d’industrie qui ne pût être exploitée que par l’introduction des privilèges, les inconvénients en sont tels pour la morale et la liberté d’une nation, qu’aucun avantage ne les compense.
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«Par-tout où il existe une société, il doit exister une autorite´ qui la gouverne au-dedans et la défende au-dehors. Cette administration et cette pro-
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tection exige des dépenses qui doivent être payées par la société à laquelle elles sont utiles.» Liv. II, chap.
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L’autorité ayant a` pourvoir à la défense intérieure et à la sûreté extérieure de l’état, a le droit de demander aux individus le sacrifice d’une portion de leur propriété, pour subvenir aux dépenses que l’accomplissement de ces devoirs nécessite. Les gouvernés ont droit de leur côté d’exiger de l’autorité, que la somme des impôts n’excède pas ce qui est nécessaire au but qu’elle doit atteindre. Cette condition ne peut être remplie que par une organisation politique qui mette des bornes aux demandes, et par conséquent à la prodigalité et à l’avidité des gouvernants. On trouve des vestiges de cette organisation dans les institutions des monarchies les moins limitées, comme la plupart des principautés de l’Allemagne, ou les états héréditaires de la maison d’Autriche ; et le principe en est solennellement reconnu par la constitution françoise2. Les détails de cette organisation ne sont pas de notre ressort. Une seule observation nous semble ne devoir pas être omise. Le droit de consentir les impôts peut être considéré sous deux points de vue : comme limite au pouvoir, et comme moyen d’économie. L’on a dit mille fois qu’un gouvernement ne pouvant faire la guerre, ni même exister dans l’intérieur, si l’on ne subvenoit à ses dépenses nécessaires, le refus des TR: 9-p. 297.26 L’autorité ... pauvreté. ] Principes de politique, Livre XI, chap. 2–10, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 390–415. 1 2
SL1, livre II, chap. XXVII, p. 275 ; SL2, édition Dufart, t. II, p. 140. Dans les Principes de politique, où cette phrase apparaît également, BC renvoie au Titre VII, art. 53 de la Constitution de l’an XII : «Le serment de l’Empereur est ainsi conçu : ‘Je jure [...] de ne lever aucun impôt, de n’établir aucune taxe qu’en vertu de la loi.’» Dans le Commentaire, il renvoie évidemment à la Constitution de la Restauration, Charte constitutionnelle du 5 juin 1814, art. 48.
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impôts étoit dans la main du peuple ou de ses représentants une arme efficace, et qu’en l’employant avec courage, ils pouvoient forcer le gouvernement, non seulement à rester en paix avec ses voisins, mais encore à respecter la liberté des gouvernés. L’on oublie en raisonnant ainsi que ce qui paroît au premier coup d’œil décisif dans la théorie est souvent d’une pratique impossible. Lorsqu’un gouvernement a commencé une guerre, fûtelle injuste, lui disputer les moyens de la soutenir ne seroit pas le punir seul, mais punir la nation innocente de ses fautes1. Il en est de même du refus des impôts pour malversations ou vexations intérieures. Le gouvernement se permet des actes arbitraires ; le corps législatif croit le désarmer en ne votant aucune contribution. Mais en supposant, ce qui est difficile, que dans cette crise extrême tout se passe constitutionnellement, sur qui retombera cette lutte ? Le pouvoir exécutif trouvera des ressources momentanées dans son influence, dans les fonds mis antérieurement à sa disposition, dans les avances de ceux qui, jouissant de ses faveurs ou même de ses injustices, ne voudront point qu’il soit renversé, et de ceux encore qui, croyant à son triomphe, spéculeront sur ses besoins du moment. Les premières victimes seront les employés subal ternes, les entrepreneurs de toutes les dénominations, les créanciers de l’état, et par contre-coup les créanciers de tous les individus de ces différentes classes. Avant que le gouvernement succombe ou cède, toutes les fortunes particulières seront bouleversées. Il en résultera contre la représentation nationale une haine universelle. Le gouvernement l’accusera de toutes les privations personnelles des citoyens. Ces derniers n’examineront point le motif de la résistance, et, sans se livrer au milieu de leurs souffrances à des questions de droit et de théorie, ils lui reprocheront leurs besoins et leurs malheurs. Le droit de refuser les impôts n’est donc point à lui seul une garantie suffisante pour réprimer les excès du pouvoir exécutif. On peut considérer ce droit comme un moyen d’administration pour améliorer la nature des impôts, ou comme un moyen d’économie pour en diminuer la masse : mais il faut bien d’autres prérogatives pour que les assemblées représentatives puissent protéger la liberté. Une nation peut avoir de prétendus représentants investis de ce droit illusoire, et gémir en même temps dans l’esclavage le plus complet. Si le corps chargé de cette fonction ne jouit pas d’une grande considération et d’une grande indépendance, il deviendra l’agent du pouvoir exécutif, et son assentiment ne sera qu’une formule vaine et illusoire. Pour que la liberté de voter des impôts soit autre chose qu’une frivole cérémonie, il faut que la liberté politique existe dans son entier, comme il faut dans le corps humain que toutes les parties soient saines et bien con1
Écho des débats très animés sur l’intervention militaire de la France en Espagne (1823) pour soutenir le roi Ferdinand VII contre les insurgés. La chambre vota à ces fins un crédit de cent
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stituées pour que les fonctions d’une seule se fassent régulièrement et complètement. Un second droit des gouvernés relativement aux impôts, c’est que leur nature et la manière de les percevoir soient les moins onéreuses qu’il est possible pour les contribuables, ne tendent ni à les vexer ni à les corrompre, et ne donnent pas lieu par des frais inutiles à la création de nouveaux impôts. Il résulte de ce droit que les gouvernés ont celui d’exiger que les impôts pèsent également sur tous, proportionnellement à leur fortune ; qu’ils ne laissent rien d’incertain ni d’arbitraire dans la quantité, ni dans le mode de perception ; qu’ils ne frappent de stérilité aucune propriété, aucune industrie ; qu’ils n’occasionnent que les frais de levée indispensables ; enfin, qu’il y ait dans leur assiette une certaine stabilité. L’établissement d’un nouvel impôt produit toujours un ébranlement qui se communique des branches imposées à celles même qui ne le sont pas. Beaucoup de bras et de capitaux refluent vers ces dernières pour échapper à la contribution qui frappe les autres : le gain des unes diminue par l’impôt ; le gain des secondes par la concurrence. L’équilibre ne se rétablit que lentement. Le changement quel qu’il soit est donc fâcheux pour un temps donné. C’est en appliquant ces règles aux diverses espèces de contributions, qu’on pourra juger de celles qui sont admissibles et de celles qui ne le sont pas. Il n’est pas de notre sujet de les examiner toutes. Nous choisirons seulement quelques exemples, pour donner une idée de la manière de raisonner qui nous paroît la meilleure. Des hommes éclairés du siècle dernier ont recommandé l’impôt sur la terre, comme le plus naturel, le plus simple, et le plus juste. Ils ont voulu même en faire l’impôt unique. Imposer la terre est en effet une chose fort séduisante, qui se présente d’elle-même, et qui paroît reposer sur une vérité incontestable. La terre est la source la plus évidente et la plus durable des richesses : pourquoi chercher des voies indirectes, artificielles, et compliquées, au lieu d’aller droit à cette source ? Si cette doctrine n’a pas été mise en pratique, c’est bien moins parcequ’on a cru remarquer des vices dans l’impôt territorial, que parcequ’on a senti que, même en le portant au taux le plus élevé, on ne pourroit en tirer les sommes qu’on vouloit arracher au peuple. On a combiné d’autres contributions avec celle-là ; mais, dans la plupart des pays de l’Europe, elle n’a TR: 27-p. 297.26 Des hommes éclairés ... sa pauvreté. ] Principes de politique, Livre chap. 4–15, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 393–415.
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millions et la convocation de vétérans. Voir Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. VI, pp. 272–303. Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration, pp. 351–358.
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pas cessé d’être la plus considérable de toutes, et en quelque façon la base du système financier. De la sorte, en rejetant le principe, on n’en a point rejeté, comme on l’auroit dû, toutes les conséquences ; et, pour concilier la contradiction de cette conduite, on a eu recours à une théorie dont le résultat étoit à-peu-près le même que celui des apologistes de l’impôt territorial. Ceux-ci prétendoient qu’en définitif tous les impôts retomboient sur la terre : quelques uns de leurs adversaires ont prétendu qu’en définitif tous étoient payés par le consommateur ; et comme les premiers affirmoient que les impôts tra versoient, pour ainsi dire, les consommateurs pour arriver à la terre, ils en concluoient qu’il falloit dès l’origine leur épargner ce détour, et les faire peser sur le sol ; les seconds, imaginant que, par une marche inverse, les impôts assis sur la terre remontoient aux consommateurs, ont pensé qu’il étoit inutile de décharger la terre d’un fardeau qu’elle ne supportoit pas en réalité. Si nous appliquons à l’impôt territorial les règles que nous avons établies, nous serons conduits à des conclusions très différentes. Il est faux, d’un côté, que tous les impôts sur les consommations retombent sur la terre. L’impôt sur la poste aux lettres n’est certainement pas supporté par les propriétaires du sol en leur qualité de propriétaires. Un possesseur de terres, qui ne prend ni thé ni tabac, ne paie aucune partie des impôts mis sur ces denrées, au moment de leur introduction, de leur transport, ou de leur vente. Les impôts sur les consommations ne pèsent en rien sur les classes qui ne produisent ni ne consomment la chose imposée. Il est également faux que l’impôt sur la terre influe sur le prix de la denrée, et retombe sur le consommateur qui l’achète. Ce qui détermine le prix d’une denrée, ce n’est pas toujours ce qu’elle coûte à produire, c’est la demande qu’on en fait. Lorsqu’il y a plus de demandes que de productions, la denrée hausse de prix ; elle baisse, lorsqu’il y a plus de productions que de demandes. Or, l’impôt sur la terre, quand il diminue la production, ruine le produc teur ; et quand il ne la diminue pas, il n’augmente en rien la demande. En voici la preuve. Lorsqu’un impôt porte sur les terres, il arrive de deux choses l’une : ou il enlève la totalité du produit net, c’est-à-dire que la production de la denrée coûte plus que sa vente ne rapporte ; alors la culture est nécessairement abandonnée. Mais le producteur qui abandonne sa culture ne profite point de la disproportion que cet abandon peut entraîner entre la quantité des demandes et celle de la denrée qu’il ne produit plus : ou l’impôt n’enlève pas la totalité du produit net, c’est-à-dire que la vente de la denrée rapporte encore après l’impôt plus que sa production ne coûte ; alors le propriétaire continue à cultiver. Mais, dans ce cas, la quantité de la production étant
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après l’impôt aussi abondante qu’elle l’étoit auparavant, la proportion entre la production et la demande reste la même, et le prix n’en sauroit hausser1. L’impôt territorial pèse en conséquence, quoi qu’on en ait pu dire, et continue toujours à peser sur le propriétaire foncier. Le consommateur n’en paie aucune partie, à moins que, par l’effet de l’appauvrissement graduel du cultivateur, les produits de la terre ne diminuent au point d’occasioner la disette ; mais cette calamité ne peut être un élément de calcul dans un système de contributions. L’impôt territorial, tel qu’il existe dans beaucoup de pays, n’est donc point conforme à la première règle que nous avons énoncée. Il ne pèse pas également sur tous, mais particulièrement sur une classe. En second lieu, cet impôt, quelle que soit sa quotité, frappe toujours de stérilité une portion quelconque des terres d’un pays. Il y a des terres qui, à raison du sol ou de la situation, ne rapportent rien, et par conséquent restent sans culture. Il y en a qui ne rapportent que le plus petit produit imaginable au-dessus de rien. Cette progression continue en s’élevant jusqu’aux terres qui donnent le produit le plus considérable possible. Figurez-vous cette progression comme une série de nombre[s] depuis 1 jusqu’à 100, ou représentant 1 comme une quotité de produit si petite, qu’elle soit indivisible. L’impôt territorial enlève une portion du produit de chacune de ces terres. En concevant qu’il soit aussi bas qu’on peut le concevoir, il ne sera pas au-dessous de 1 ; par conséquent toutes les terres qui ne rapportent que 1, et qui sans l’impôt auroient été cultivées, sont mises par l’impôt au rang des terres non productives, et rentrent dans la classe des terres qu’on laisse incultes. Si l’impôt s’élève à 2, toutes les terres qui ne rapportent que 2 éprouvent le même sort, et ainsi de suite. De manière que si l’impôt s’élevoit à 50, toutes les terres du produit de 50 inclusivement resteroient sans culture. Il est donc clair que, lorsque l’impôt hausse, il ôte à la culture une portion de terres proportionnée à sa hausse, et que, lorsqu’il baisse, il lui rend une portion proportionnée à sa baisse. Si l’on répondoit que l’impôt sur la terre n’est pas fixe, mais proportionnel, ce ne seroit pas résoudre notre objection. L’impôt proportionnel pèse sur le produit brut. Il en résulte toujours que si vous fixez l’impôt au huitième du produit brut, les terres qui coûtent 9 à cultiver pour produire 10 deviennent stériles par l’impôt ; si vous fixez l’impôt au quart, celles qui coûtent 8 pour produire 10, le deviennent de même, et ainsi de suite. V: 18 nombres ] la source porte nombre 1
Dans les Principes de politique, BC donne la source de cet axiome en renvoyant à JeanBaptiste Say. Il exploite effectivement de celui-ci le Traité d’économie politique, livre V, chap. 13, t. II, pp. 480–494.
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Que l’impôt ait cet effet, cela est prouvé par les précautions même des gouvernements. Les plus éclairés, comme l’Angleterre et la Hollande, ont exempté de tout impôt les terres louées au-dessous d’une certaine valeur a. Les plus violents on déclaré confisqués les terrains laissés incultes par les propriétaires. Mais quel propriétaire laisseroit sa terre inculte, s’il avoit à gagner en la cultivant ? Aucun ; car le riche même l’affermeroit, ou la cèderoit au pauvre. Les terrains ne restent incultes que pour une des raisons développées ci-dessus, ou parcequ’ils ne sont susceptibles d’aucun produit, ou parceque l’impôt enlève le produit dont ils sont susceptibles. Ainsi les gouvernements punissent les particuliers du mal qu’eux-mêmes leur ont fait. Cette loi de confiscation, odieuse comme injuste, est même absurde comme inutile ; car, en quelques mains que le gouvernement transporte les terrains confisqués, si ces terrains rapportent moins que leur culture ne coûtera, quelqu’un pourra bien essayer de les cultiver, mais assurément il ne continuera pas. Sous ce second rapport, l’impôt territorial s’éloigne encore de l’une des conditions nécessaires pour qu’une contri bution soit admissible ; car il rend la propriété stérile entre les mains des individus. En troisième lieu, le paiement de l’impôt repose sur la prévoyance du cultivateur, qui, pour être en état de le payer, doit économiser d’avance d’assez fortes sommes. Or, la classe laborieuse n’est point douée de cette prévoyance ; elle ne peut lutter sans cesse contre les tentations du moment. Tel qui chaque jour s’acquitteroit en détail, et presqu’à son insu, d’une portion de ses contributions, si elle se confondoit avec ses consommations habituelles, n’accumulera jamais pendant un certain temps la somme nécessaire pour s’en acquitter en masse. La perception de l’impôt foncier, quoique simple, n’est donc nullement facile ; les moyens de contrainte qu’il faut employer la rendent très dispendieuse. Sous ce dernier point de vue, l’impôt territorial est vicieux, en ce qu’il occasionne des frais de levée qu’un autre mode de contributions pourroit épargner. Je ne conclus point de là qu’il faille supprimer l’impôt sur les terres. Comme il y a des impôts sur les consommations auxquels les propriétaires de terres peuvent se dérober, il est juste qu’ils supportent une part des contributions publiques en leur qualité de propriétaires ; mais, comme les autres classes de la société ne supportent point l’impôt territorial, il ne faut pas que cet impôt excède la proportion qui doit retomber sur les propriétaires de terres. Il n’y a donc aucune justice à faire de l’impôt foncier l’impôt unique, ou même l’impôt principal. a
En Hollande, 30 s. ; en Angleterre, 20 s. sterl.1
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Nous ne connaissons pas la source de ces chiffres.
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Nous venons de dire que l’impôt sur la terre, porté à un certain point, rend la propriéte´ stérile entre les mains de ses possesseurs. L’impôt sur les patentes frappe de stérilité l’industrie ; il ôte la liberté de travail, et c’est un cercle vicieux assez ridicule. On ne peut rien payer si l’on ne travaille, et l’autorité défend à des individus le travail auquel ils sont propres, si auparavant ils n’ont payé. L’impôt sur les patentes est donc attentatoire aux droits des individus. Il ne leur enlève pas seulement une partie de leurs bénéfices, il en tarit la source, à moins qu’ils ne possèdent des moyens antérieurs d’y satisfaire, supposition que rien n’autorise. Cet impôt néanmoins peut être toléré, si on le restreint à des professions qui, par elles-mêmes, impliquent une certaine aisance antérieure. C’est alors une avance que l’individu fait au gouvernement, et dont il se paie par ses propres mains avec les profits de l’industrie ; comme le marchand qui paie les impôts sur la denrée dont il trafique, les comprend ensuite dans le prix de cette denrée, et les fait supporter aux consommateurs. Mais, dirigé sur des métiers auxquels pourroit se consacrer l’indigence, l’impôt sur les patentes est d’une révoltante iniquité. Les impôts indirects, ou portant sur les consommations, se confondent avec les jouissances. Le consommateur qui les paie en achetant ce dont il a besoin, ou ce qui lui fait plaisir, ne distingue pas au milieu du sentiment de la satisfaction qu’il se procure, la répugnance qu’inspire le paiement de l’impôt. Il le paie quand cela lui convient. Ces impôts s’accommodent aux temps, aux circonstances, aux facultés, aux goûts de chacun. Ils se divisent de manière à disparoître ; le même poids que nous supportons sans peine, lorsqu’il est réparti sur la totalité de notre corps, deviendroit intolérable s’il portoit sur une seule partie. La répartition des impôts indirects se fait, pour ainsi dire, d’elle-même ; car elle se fait par la consommation qui est volontaire. Considérés sous ce point de vue, les impôts indirects ne contrarient en rien les règles que nous avons établies ; mais ils ont trois graves inconvénients. Le premier, qu’ils sont susceptibles d’être multipliés jusqu’à l’infini d’une manière presque imperceptible ; le second, que leur perception est difficile, vexatoire, souvent corruptrice à plusieurs égards ; le troisième, qu’ils créent un crime factice, la contrebande. Le premier inconvénient trouve son remède dans l’autorité qui vote les impôts. Si vous supposez cette autorité indépendante, elle saura mettre obstacle à leur accroissement inutile ; si vous ne la supposez pas indépendante, quelle que soit la nature de l’impôt, n’espérez pas borner les sacrifices qu’on exigera du peuple. Il sera sans défense sous ce rapport comme sous les autres. Le second inconvénient est plus difficile à prévenir. Je trouve néanmoins dans le premier même une preuve que le second peut être prévenu ; car, si
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l’un des vices des impôts est de pouvoir être accrus sans mesure d’une manière presque imperceptible, il faut que leur perception puisse être tellement organisée qu’ils ne soient pas insupportables. Quant au troisième, je suis disposé moins que personne à l’atténuer. J’ai dit plus d’une fois que les devoirs factices tendoient à porter les hommes à s’affranchir des devoirs réels. Ceux qui transgressent les lois relativement à la contrebande, les transgressent bientôt relativement au vol et au meurtre ; ils ne courrent pas plus de dangers, et leur conscience se familiarise avec la révolte contre le pouvoir social. Cependant, si l’on y réfléchit bien, l’on verra que la véritable cause de la contrebande est moins dans les impôts indirects que dans le système prohibitif. Les gouvernements déguisent quelquefois leurs prohibitions sous la forme d’impôts1. Les impôts deviennent contraires aux droits des individus, lorsqu’ils autorisent nécessairement des vexations contre les citoyens. Tel est l’alcavala d’Espagne, qui assujettit à des droits la vente de toutes les choses mobiliaires et immobiliaires, chaque fois que ces choses passent d’une main à l’autre2. Les impôts deviennent encore contraires aux droits des individus, lorsqu’ils portent sur des objets qu’il est aisé de dérober à la connoissance de l’autorité chargée de la perception. En dirigeant l’impôt contre des objets d’une soustraction facile, vous nécessitez les visites, les inquisitions ; vous êtes conduit à exiger des citoyens un espionnage et des délations réciproques ; vous récompensez ces actions honteuses, et votre impôt retombe dans la classe de ceux qui ne sont pas admissibles, parceque leur perception nuit à la morale. Il en est de même des impôts tellement élevés qu’ils invitent à la fraude. La possibilité plus ou moins grande de la soustraction d’un objet à la connoissance de l’autorité, se compose et de la facilité matérielle qui peut résulter de la nature de cet objet, et de l’intérêt qu’on trouve à le soustraire. Lorsque le profit est considérable, il peut se diviser entre plus de mains, et la coopération d’un plus grand nombre d’agents de la fraude compense la 1 2
Il se peut que BC pense à Smith, Recherches, livre V, chap. 2/2, art. 4, § 2, p. 539. Les Principes de politique permettent d’identifier la source de ce théorème : l’ouvrage de Ganilh, Essai politique sur le revenu public des peuples de l’Antiquité, Paris : chez Guiguet et Michaud, 1806, t. II, pp. 306–307. L’alcavala espagnol dont il est question ici semble être, chez les théoriciens de l’impôt, un cas modèle d’impôt nuisible. Smith, Recherches, livre V, chap. 2, section 2, (t. II, p. 542) en parle longuement et renvoie dans ce contexte, comme d’ailleurs Ganilh, à l’ouvrage de Gerónymo de Ustáriz, Théorie et pratique du commerce et de la marine, traduction libre sur l’espagnol, Paris : Vve Estienne et Fils, 1753, ouvrage que BC cite également ci-dessous, p. 292.
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difficulté physique sur laquelle le fisc auroit pu compter. Lorsque l’objet sur lequel porte l’impôt ne permet pas de l’éluder de cette manière, l’impôt anéantit tôt ou tard la branche de commerce ou l’espèce de transaction sur laquelle il pèse. Il faut le rejeter alors comme contraire aux droits de la propriété ou de l’industrie. Il est évident que les individus ont le droit de limiter leur consommation suivant leurs moyens ou suivant leurs volontés, et de s’abstenir des objets qu’ils ne veulent ou qu’ils ne peuvent pas consommer. En conséquence, les impôts indirects deviennent injustes, lorsqu’au lieu de reposer sur la consommation volontaire, on leur donne pour base la consommation forcée. Ce qu’avoit d’odieux la gabelle, qu’on a si ridiculement voulu confondre avec l’impôt sur le sel, c’est qu’elle ordonnoit aux citoyens de consommer une quantité déterminée de cette denrée. Il ne faut jamais pour établir un impôt sur une denrée, interdire à l’industrie ou à la propriété particulière la production de cette denrée, comme on le faisoit autrefois dans quelques parties de la France relativement au sel, et comme on le fait dans plusieurs pays de l’Europe relativement au tabac. C’est violer manifestement la propriété ; c’est vexer injustement l’industrie. Pour faire observer ces interdictions, l’on a besoin de peines sévères ; et ces peines sont alors révoltantes à-la-fois par leur rigueur et par leur iniquité. Les impôts indirects doivent porter le moins possible sur les denrées de première nécessité, sans quoi tous leurs avantages disparoissent. La consommation de ces denrées n’est pas volontaire ; elle ne se plie plus à la situation, et ne se proportionne plus à l’aisance du consommateur. Il n’est point vrai, comme on l’a dit trop souvent, que les taxes sur les denrées de première nécessité opérant le renchérissement de ces denrées, produisent la hausse de la main-d’œuvre ; au contraire, plus les denrées nécessaires à la subsistance sont chères, plus le besoin de travailler augmente. La concurrence de ceux qui offrent leur travail passe la proportion de ceux qui font travailler, et le travail tombe à plus bas prix, précisément quand il devroit être à un prix plus haut, pour que les travailleurs pussent vivre. Les impôts sur les denrées de première nécessité produisent l’effet des années stériles et de la disette. Il y a des impôts dont la perception est très facile, et qui cependant doivent être rejetés, parceque leur tendance directe est de corrompre et de pervertir les hommes. Aucun impôt, par exemple, ne se paie avec autant de plaisir que les loteries. L’autorité n’a besoin d’aucune force coercitive pour assurer la rentrée de cette contribution : mais les loteries offrant des moyens de fortune qui ne tiennent point à l’industrie, au travail, à la prudence, jettent dans les calculs du peuple le genre de désordre le plus dangereux. La multiplicité des chances fait illusion sur l’improbabilité du succès ; la mo-
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dicité des mises invite à des tentatives réitérées. Le dérangement, les embarras, la ruine, les crimes en résultent. Les classes inférieures de la société, victimes des rêves séduisants dont on les enivre, attentent à la propriété qui se trouve à leur portée, se flattant qu’un sort favorable leur permettra de cacher leur faute en la réparant. Aucune considération fiscale ne peut justifier des institutions qui entraînent de pareilles conséquences. De ce que les individus ont le droit d’exiger que la manière de recueillir les impôts soit la moins onéreuse possible pour les contribuables, il résulte que les gouvernements ne doivent pas adopter à cet égard un mode d’administration essentiellement oppressif et tyrannique ; je veux parler de l’usage d’affermer les contributions. C’est mettre les gouvernés à la merci de quelques individus, qui n’ont pas même autant d’intérêt que le gouvernement à les ménager ; c’est créer une classe d’hommes qui, revêtus de la force des lois et favorisés par l’autorité dont ils semblent défendre la cause, inventent chaque jour des vexations nouvelles, et réclament les mesures les plus sanguinaires. Les fermiers des impôts, dans tous les pays, sont, pour ainsi dire, les représentants nés de l’injustice et de l’oppression. De quelque nature que soient les impôts adoptés dans un pays, ils doivent peser sur les revenus, et ne jamais entamer les capitaux, c’est-à-dire, ils doivent n’enlever qu’une partie de la production annuelle, et ne toucher jamais aux valeurs accumulées antérieurement. Ces valeurs sont les seuls moyens de reproduction, les seuls aliments du travail, les seules sources de la fécondité. Ce principe méconnu par tous les gouvernements et par un grand nombre d’écrivains peut se prouver par l’évidence. Si les impôts portent sur les capitaux, au lieu de porter uniquement sur les revenus, il en résulte que les capitaux sont diminués chaque année de la somme égale à ce qu’on lève d’impôts. Par là même la reproduction annuelle est frappée d’une diminution proportionnée à la diminution annuelle des capitaux. Cette diminution de la reproduction diminuant les revenus, et l’impôt restant le même, il y a chaque année une plus grande somme de capitaux enlevée, et chaque année, par conséquent, une moins grande somme de revenus reproduite. Cette double progression est toujours croissante. Supposez un propriétaire de terres qui fait valoir sa propriété. Trois choses lui sont nécessaires : sa terre, son industrie, et son capital. S’il n’avoit point de terre, son capital et son industrie seroient inu tiles a ; s’il n’avoit a
Je suppose pour la facilité de l’exemple qu’il ne puisse employer son capital et son industrie ailleurs. S’il le peut, le raisonnement se portera sur la matière première, sur laquelle il emploiera son capital et son industrie.
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point d’industrie, son capital et sa terre seroient improductifs ; s’il n’avoit point de capital, son industrie seroit vaine et sa terre stérile, car il ne pourroit fournir les avances indispensables pour sa production ; il n’auroit point d’instruments aratoires, d’engrais, de semences, de bestiaux : ce sont toutes ces choses qui forment son capital. Quel que soit donc celui de ces trois objets que vous frappez, vous appauvrissez également le contribuable. Si, au lieu de lui enlever chaque année une portion de son capital, vous lui enleviez une portion de sa terre équivalente à telle somme déterminée, qu’arriveroit-il ? que l’année suivante, en lui enlevant la même portion de terre, vous le priveriez d’une partie relativement plus grande de sa propriété, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il se trouvât entièrement dépouillé. La même chose a lieu quand vous imposez ses capitaux ; l’effet est moins apparent, mais non moins infaillible. Le capital est pour tout individu, quelle que soit sa profession, ce qu’est pour un agriculteur sa charrue. Or, si vous prenez à l’agriculteur un sac de blé qu’il vient de recueillir, il se remet au travail, et en produit un autre l’année suivante ; mais, si vous lui prenez sa charrue, il ne peut plus produire de blé. Qu’on ne pense pas que l’économie des individus puisse remédier à cet inconvénient, en créant de nouveau des capitaux. En imposant les capitaux, on diminue le revenu des particuliers ; car on leur enlève les moyens reproducteurs de ce revenu. Sur quoi veut-on qu’ils économisent ? Qu’on ne dise pas non plus que les capitaux se reproduisent. Les capitaux ne sont que des valeurs accumulées, prises graduellement sur le revenu ; mais plus le capital est entamé, plus le revenu diminue : moins l’accumulation peut donc avoir lieu, moins les capitaux peuvent se reproduire. L’état qui impose les capitaux prépare donc la ruine des individus. Il leur enlève graduellement leur propriété. Or, la garantie de cette propriété étant l’un des devoirs de l’état, il est manifeste que les individus ont le droit de réclamer cette garantie contre un système de contributions dont le résultat seroit contraire à ce but. Prouvons maintenant que l’intérêt de l’état, en fait d’impôts, est d’accord avec les droits des individus ; car malheureusement il ne suffit pas d’indiquer ce qui est juste, il faut encore convaincre la puissance que ce qui est juste n’est pas moins utile. Nous avons démontré l’iniquité de l’impôt territorial, lorsqu’il dépassoit le taux nécessaire pour faire supporter aux propriétaires du sol leur part proportionnelle dans le paiement des contributions. Le même impôt nuit au gouvernement, et par la cherté de sa perception, et par ses mauvais effets sur l’agriculture. Il retient dans la pauvrete´ la majorité de la classe agricole ; il entretient dans une activité stérile une foule de bras qui ne sont employés
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qu’à le re cueillir ; il absorbe des capitaux qui, ne produisant rien, sont enlevés à la richesse particulière, et perdus pour la richesse publique. Nos frais de contrainte, nos innombrables garnisaires, la force armée répartie dans les campagnes pour opérer le recouvrement des taxes arriérées, doivent nous avoir convaincus de ces vérités. Il a été constaté que la levée de 250 millions d’impôts par ce mode entraînoit 50 millions de frais de contrainte. En conséquence, la nation la plus célèbre par l’habileté de son administration financière, loin de prendre l’impôt foncier pour la base de son revenu, ne le porte tout au plus qu’à la douzième partie de la totalité des impôts. Nous avons condamné, comme attentatoire aux droits sacrés du travail, l’impôt sur les patentes, dirigé sur des métiers que le pauvre pourroit exercer ; et cet impôt organisé de la sorte est un des moins faciles à recouvrer, et l’un de ceux qui entraînent le plus de non valeurs, c’est-à-dire le plus de pertes pour le trésor public. Nous avons dit que les impôts devenoient contraires aux droits des individus, quand il autorisoient des recherches vexatoires ; nous avons cité l’alcavala d’Espagne, impôt qui assujettissoit à un droit chaque vente, de quelque objet que ce fût, mobilier ou immobilier. Don Ustaritz le considère comme la cause de la décadence des finances espagnoles1. Nous avons rejeté les contributions qui provoquoient à la fraude2. Est-il besoin de prouver combien est funeste cette lutte entre le pouvoir et les citoyens ? Et ne voit-on pas du premier coup d’œil qu’elle est ruineuse même sous le rapport financier ? Nous avons ajouté que, lorsque les impôts anéantissoient par leur excès une branche de commerce, c’étoit un attentat contre l’industrie3. L’Espagne a été punie d’un attentat pareil. Plusieurs de ses mines du Pérou restoient sans être exploitées, parceque la taxe due au roi absorboit la totalité du produit des propriétaires : c’étoit un double dommage, et pour le fisc, et pour les particuliers. Nous avons réprouvé les loteries, bien que d’une perception facile, parceque leur effet est de corrompre les hommes : mais les gouvernements eux-mêmes portent la peine de cette corruption4. D’abord, le mal que les loteries causent à l’industrie diminue la reproduction, et par conséquent la richesse nationale ; en second lieu, les crimes qu’elles font commettre à la classe laborieuse sont, en mettant à part toute considération morale, et en ne les envisageant que fiscalement, une dépense publique ; troisièmement, les agents subalternes se laissent séduire à l’appât des loteries, et c’est aux frais des gouvernements. Il y eut dans une seule année, sous le directoire, pour douze millions de banqueroutes de percepteurs des contributions ; et l’on 1 2 3 4
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ci-dessus, ci-dessus, ci-dessus, ci-dessus,
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constata que la loterie avoit ruiné les deux tiers de ces percepteurs. Enfin, la perception d’un pareil impôt, pour être facile, n’en est pas moins chère. Pour que les loteries rapportent, il faut multiplier les tentations ; pour multiplier les tentations, il faut multiplier les bureaux : de là de grands frais de perception. Du temps de M. Necker, le revenu des loteries étoit de 11,500,000 fr., et les frais de recouvrement 2,400,000 fr., c’est-à-dire de vingt-un pour cent ; de sorte que l’impôt le plus immoral est en même temps le plus coûteux à l’état1. Nous avons établi, en dernier lieu, que les impôts ne devoient porter que sur les revenus2. Quand ils entament les capitaux, les individus sont ruinés d’abord, mais le gouvernement l’est ensuite. La raison en est simple. Tous les hommes qui ont quelques notions de l’économie politique savent que les consommations se réduisent en deux classes, les productives et les improductives. Les premières sont celles qui créent des valeurs ; les secondes, celles qui ne créent rien. Une forêt qu’on abat pour construire des vaisseaux ou une ville est aussi bien consommée que celle que dévore un incendie ; mais, dans le premier cas, la flotte ou la cité que l’on a construite remplace avec avantage la forêt qui a disparu ; dans le second, il ne reste que des cendres. Les consommations improductives peuvent être nécessaires. Chaque individu consacre à sa nourriture une portion de son revenu. C’est une consommation improductive, mais indispensable. Un état en guerre avec ses voisins consomme une portion de la fortune publique, pour subvenir à la subsistance des armées, et leur fournir des munitions de guerre pour l’attaque et la défense ; ce n’est point là une consommation inutile, bien que ce soit une consommation improductive. Mais si les consommations improductives sont nécessaires souvent à l’existence ou à la sûreté des individus et des nations, il n’y a cependant que les consommations productives qui puissent ajouter aux richesses des uns et des autres. Ce qui est consommé improductivement est toujours une perte excusable et légitime quand le besoin l’exige, insensée et sans excuse quand le besoin ne l’exige pas. Le numéraire qui s’est introduit entre les producteurs, comme moyen d’échange, a servi à répandre quelque obscurité sur cette question. Comme le numéraire se consomme sans s’anéantir, on a cru que, de quelque manière qu’il fût employé, la chose revenoit au même. On auroit dû penser que le numéraire pouvoit être employé à une reproduction, ou qu’il pouvoit être employé sans rien produire. Si un gouvernement dépense dix millions à faire marcher une armée en différents sens, ou à donner des fêtes magni1 2
BC prend l’exemple et les chiffres dans l’ouvrage de Necker, De l’administration des finances, t. I, pp. 84–88. Voir ci-dessus, p. 290.
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fiques, des spectacles, des illuminations, des danses, des feux d’artifices, les dix millions ainsi employés ne sont pas détruits. La nation n’est pas appauvrie de ces dix millions ; mais ces dix millions n’ont rien produit : il ne reste à l’état de cet emploi de capitaux, que les dix millions qu’il possédoit primitivement. Si, au contraire, ces dix millions avoient été employés à construire des usines, ou des bâtiments propres à un genre quelconque d’industrie, à améliorer les terres, à reproduire, en un mot, n’importe quelle denrée, la nation auroit eu, d’un côté, les dix millions consommés de la sorte ; et de l’autre, les valeurs que ces dix millions auroient produites. Je voudrois m’étendre davantage sur cet important sujet ; car c’est une opinion désastreuse, que celle qui représente tout emploi de capitaux comme indifférent. Cette opinion est favorisée par tous ceux qui profitent des dilapidations des gouvernements, et par tous ceux encore qui répètent sur parole des maximes qu’ils n’entendent pas. Sans doute, le numéraire, signe des richesses, ne fait que passer dans tous les cas d’une main à l’autre ; mais lorsqu’il est employé en consommations reproductives, pour une valeur il y en a deux : lorsque sa consommation est improductive, au lieu de deux valeurs il n’y en a jamais qu’une. De plus, comme pour être dissipé en consommations improductives, il est arraché à la classe qui l’eût employé productivement, la nation, si elle ne s’appauvrit pas de son numéraire, s’appauvrit de toute la production qui n’a pas eu lieu ; elle conserve le signe, mais elle perd la réalité : et l’exemple de l’Espagne nous apprend assez que la possession du signe n’est rien moins qu’une richesse réelle. Il est donc certain que le seul moyen de prospérité pour une nation, c’est l’emploi de ses capitaux en consommations productives. Or, les gouvernements, même les plus sages, ne peuvent employer les fonds enlevés aux individus qu’en consommations improductives. Le paiement des salaires dus aux fonctionnaires publics de toutes les dénominations, les dépenses de la police, de la justice, de la guerre, de toutes les administrations, sont des dépenses de ce genre. Lorsque l’état n’emploie à ces consommations qu’une portion des re venus, les capitaux, restant entre les mains des particuliers, servent à la reproduction nécessaire. Mais si l’état détourne les capitaux de leur destination, la reproduction diminue ; et comme il faut alors chaque année, comme nous l’avons démontré plus haut, enlever une portion de capitaux plus considérable, la reproduction finiroit par cesser entièrement, et l’état, aussi bien que les particuliers, se trouveroit ruiné. Comme le dissipateur qui dissipe au-delà de son revenu, dit M. Ganilh, dans son Histoire du revenu public, tom. II, pag. 289, diminue sa propriéte´ de tout ce dont il a excédé son revenu, et ne tarde pas à voir disparoître revenu et propriété, l’état qui impose les propriétés et consomme leur produit comme revenu, marche à une décadence certaine et rapide1. 1
Ganilh, Essai politique, t. II, pp. 289–290, citation conforme, à quelques petits détails près,
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Ainsi donc, en fait d’impôt comme en toute autre chose, les lois de l’équité sont les meilleures à suivre, dût-on ne les considérer que sous le rapport de l’utilité. L’autorité qui viole la justice, dans l’espoir d’un gain misérable, paie chèrement cette violation ; et les droits des individus devroient être respectés par les gouvernements, lors même que ces gouvernements n’auroient que leur propre intérêt en vue. En indiquant ainsi d’une manière nécessairement très abrégée, quelques unes des règles relatives aux impôts, nous nous sommes proposé plutôt de suggérer au lecteur des idées qu’il pût étendre, que d’en développer aucune. Ce travail nous eût entraînés fort au-delà des bornes dans lesquelles nous nous sommes renfermés. Un axiome incontestable, et qu’aucun sophisme ne peut obscurcir, c’est que tout impôt, de quelque nature qu’il soit, a toujours une influence plus ou moins fâcheuse. Si l’impôt produit quelquefois un bien par son emploi, il produit toujours un mal par sa levée. Il peut être un mal nécessaire ; mais, comme tous les maux nécessaires, il faut le rendre le moins grand possible : plus on laisse de moyens à la disposition de l’industrie des particuliers, plus un état prospère. L’impôt, par cela seul qu’il enlève une portion quelconque de ces moyens, est infailliblement nuisible. Plus on tire d’argent des peuples, dit M. de Vauban dans la Dîme royale, plus on ôte d’argent au commerce. L’argent du royaume le mieux employé est celui qui demeure entre les mains des particuliers, où il n’est jamais inutile ni oisif1. J. J. Rousseau, qui, en finances, n’avoit aucune lumière, a répété après beaucoup d’autres, que, dans les pays monarchiques, il falloit consommer par le luxe du prince l’excès du superflu des sujets, parcequ’il valoit mieux que cet excédant fût absorbé par le gouvernement que dissipé par les particuliers2. On aperçoit dans cette doctrine un mélange absurde de préjugés monarchiques et d’opinions républicaines. Le luxe du prince, loin de dé-
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sans importance pour le sens. BC cite Vauban, Projet d’une dixme royale, d’après Say, Traité d’économie politique, t. II, chap. 11, «De l’impôt en général», p. 465. Say écrit : «Plus on tire des peuples, disait Vauban avec beaucoup de raison, plus on ôte d’argent du commerce». La citation est tirée du livre III, chap. VIII du Contrat social, chapitre dont le seul titre ne pouvait que hérisser Constant : «Que toute forme de gouvernement n’est pas propre à tout pays». Rousseau écrit : «Dans tous les Gouvernemens du monde, la personne publique consomme et ne produit rien». L’excédent n’étant pas le même partout, il y a une cause de la diversité des natures de gouvernement. Les pays pauvres sont libres, alors que «ceux où le terroir abondant et fertile donne beaucoup de produit pour peu de travail veulent être gouvernés monarchiquement pour consommer par le luxe du prince l’excès de superflu des sujets», et il ajoute «il vaut mieux que cet excès soit absorbé par le gouvernement que dissipé par les particuliers» (Rousseau, Du contrat social, Œuvres complètes, sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, [Paris] : Gallimard, 1979, t. III, pp. 414 et 415–416). Voir OCBC, Œuvres, t. V, p. 411, n. 2.
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courager celui des individus, lui sert d’encouragement et d’exemple. Il ne faut pas croire qu’en les dépouillant il les réforme. Il peut les précipiter dans la misère, mais il ne peut les ramener à la simplicité. Seulement la misère des uns se combine avec le luxe des autres ; et c’est de toutes les combinaisons la plus déplorable. Des raisonneurs non moins inconséquents ont conclu, parceque les pays les plus chargés d’impôts, comme l’Angleterre et la Hollande, étoient les plus riches, qu’ils étoient plus riches parcequ’ils payoient plus d’impôts ; ils prenoient l’effet pour la cause. On n’est pas riche, parceque l’on paie ; on paie, parcequ’on est riche1. Tout ce qui excède les besoins réels, dit un écrivain dont on ne contestera pas l’autorité sur cette matière, cesse d’être légitime a. Il n’y a d’autre différence entre les usurpations particulières et celles du souverain, si ce n’est que l’injustice des unes tient à des idées simples, et que chacun peut aisément distinguer, tandis que les autres étant liées à des combinaisons dont l’étendue est aussi vaste que compliquée, personne ne peut en juger autrement que par des conjectures. Par-tout où la constitution de l’état ne met pas un obstacle à la multiplication arbitraire des impôts ; par-tout où le gouvernement n’est pas arrêté par des barrières insurmontables dans ses demandes toujours croissantes, quand on ne les conteste jamais, ni la justice, ni la morale, ni la liberté individuelle ne peuvent être respectées. Ni l’autorité qui enlève aux classes laborieuses leur subsistance chèrement acquise, ni ces classes opprimées qui voient cette subsistance arrachée de leurs mains pour enrichir des maîtres avides, ne peuvent rester fidèles aux lois de l’équité, dans cette lutte scandaleuse de la foiblesse contre la violence, de la pauvreté contre l’avarice, du besoin contre la spoliation. Tout impôt inutile est un vol que la force qui l’accompagne ne rend pas plus légitime que tout autre attentat de cette nature ; c’est un vol d’autant plus odieux, qu’il s’exécute avec toutes les solennités de la loi ; c’est un vol d’autant plus coupable, que c’est le riche qui l’exerce contre l’indigent ; c’est un vol d’autant plus lâche, qu’il est commis par l’autorité en armes contre l’individu désarmé. L’autorité ellemême ne tarde pas à en être punie. Les peuples dans les provinces romaines, dit Hume, étoient si opprimés par les publicains, qu’ils se jetoient avec joie dans les bras des barbares : a
M. Necker2.
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Dans les Principes de politique, BC cite sa source : Say, Traité d’économie politique, livre V, chap. 11 (t. II, pp. 465–466). BC renvoie à Necker, De l’administration des finances, [Lausanne : J.-P. Heubach], 1784, t. I, p. 43.
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heureux que des maîtres grossiers et sans luxe leur présentassent une domination moins avide et moins spoliatrice que les Romains1. L’on se tromperoit encore en supposant que l’inconvénient des impôts excessifs se borne a` la misère et aux privations du peuple. Il en résulte un mal plus grand, que l’on ne me paroît pas, jusqu’à ce jour, avoir suffisamment remarqué, et que j’ai développé dans un autre ouvrage2. La possession d’une très grande fortune, y ai-je dit, inspire aux particuliers des desirs, des caprices, des fantaisies désordonnées qu’ils n’auroient point eues dans une situation plus modique et plus restreinte. Il en est de même des gouvernements. Le superflu de leur opulence les enivre comme le superflu de leur force, parceque l’opulence est une force, et de toutes les forces la plus réelle. De là des plans chimé riques, des ambitions effrénées, des projets gigantesques, qu’un gouvernement qui n’auroit possédé que le nécessaire n’eût jamais conçus. Ainsi le peuple n’est pas misérable seulement parcequ’il paie au-delà de ses moyens ; mais il est misérable encore par l’usage que son gouvernement fait de ce qu’il paie. Ses sacrifices tournent contre lui. Il ne paie plus des impôts pour avoir la paix assurée par un bon système de défense ; il en paie pour avoir la guerre, parceque l’autorité, fière de ses immenses trésors, invente mille prétextes pour les dépenser glorieusement comme elle le dit. Le peuple paie, non pour que le bon ordre soit maintenu dans l’intérieur, mais pour que des favoris, enrichis de ses dépouilles, troublent au contraire l’ordre public par leurs vexations impunies. De la sorte, une nation qui n’a pas de garantie contre l’accroissement des impôts achète par ses privations les malheurs, les troubles, et les dangers : et dans cet état de choses, le gouvernement se corrompt par sa richesse, et le peuple par sa pauvreté.
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Nous reprenons ici la note que nous avons ajoutée à cette phrase dans les Principes de politique : Hofmann (Principes de politique, p. 272, n. 56) a montré que BC prend cet exemple chez Ganilh, Essai politique, t. II, pp. 403–404, n. 1, qui s’inspire de Hume, Essays and Treaties on several subjects, plus précisément du troisième essai «That Politics May be Reduced to a Science» (Basil[ea] : J. J. Tourneisen, 1793, pp. 10–27, surtout la p. 16 qui contient la phrase décisive : «What cruel tyrants were the Romans over the world during the time of the commonwealth.») La preuve pour cette hypothèse est d’une part la formulation de BC qui utilise en partie les termes de Ganilh et de l’autre le renvoi fautif au huitième essai. Allusion qui peut se rapporter soit aux Principes de politique (texte de 1815), OCBC, Œuvres, t. IX/2, pp. 811–812, soit aux Réflexions sur les constitutions, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1271–1272, soit encore aux Principes de politique (texte de 1806), alors inédit, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 412–413.
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Troisième Partie.
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Chapitre premier. De l’accusation confiée exclusivement à un magistrat.
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«Chez un grand nombre de nations ... l’intérêt commun que tous les membres d’une société ont à la conservation de l’ordre public, et par conséquent à voir observer les lois, diminuer les crimes, et effrayer les méchants, a fait croire aux législateurs les plus éclairés qu’on ne pouvoit refuser à un citoyen le droit d’en accuser un autre.» Liv. III, chap. II, p. 2321.
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L’accusation par chaque citoyen est impossible chez les modernes. La douceur de nos mœurs, la complication des relations sociales, le besoin du repos, enfin une certaine délicatesse ou mollesse de mœurs, qui ne permet pas qu’un homme nuise à un autre homme, quand il n’y a pas un intérêt direct, ou quand il n’y est pas obligé par ses fonctions (car chez les modernes les fonctions expliquent et excusent tout), ces diverses causes font que l’accusation confiée au citoyen deviendroit complètement illu soire. Si, dans certains cas, une vertu austère, ou, ce qui seroit beaucoup plus commun, des haines personnelles se mettoient au-dessus du sentiment général, ces cas seroient si rares qu’ils ne peuvent être mis en ligne de compte, et ils auroient un résultat si fâcheux pour celui qui se seroit imposé ce pénible devoir, l’animadversion sociale contre ce qui sembleroit une méchanceté désintéressée (car ce qu’on pardonne le moins, dans un temps d’égoïsme2, c’est l’air du désintéressement dans le mal comme dans le bien) le poursuivroit tellement qu’un seul exemple suffiroit pour détourner à jamais d’une si périlleuse carrière3. Établissement du texte : Imprimé : Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Deuxième partie, Paris : Dufart, 1824, [=F6]. 1 2
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SL1, livre III, chap. II, p. 9 ; SL2, édition Dufart, t. II, p. 232. Le titre du chapitre de Filangieri est «De l’accusation judiciaire chez les anciens». L’emploi du mot «égoïsme» chez BC semble annoncer un changement de sa signification. Même si le terme a ici probablement encore une connotation négative, on trouve aussi des emplois où la valeur négative est moins évident. On doit se demander si l’usage philosophique qu’en fait Charles de Villers dans son ouvrage Philosophie de Kant (Metz : Collignon, pp. 81–85) et qui établit que l’égoïsme est la source de l’idéalisme, ne s’annonce pas dans les textes de BC. Qu’il nous soit permis d’insérer ici une remarque d’ordre général. L’ensemble des chapitres
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Commentaire sur Filangieri
Il faut donc, quoi qu’en dise Filangieri, qui admire toujours tout ce qu’il trouve établi chez les anciens, une personne publique constituée par la loi pour poursuivre les coupables et en requérir la punition. Ce n’est pas que cette institution n’ait de graves inconvénients. Donnez à un homme une fonction, vous lui inspirez le desir de l’exercer, parcequ’il prouve seulement ainsi que cette fonction est nécessaire. Les militaires se croient obligés de se battre pour toutes les causes. Tout en convenant qu’une guerre est injuste, il la font de leur mieux ; cela est dans la nature. Il y a plus : il est bon, en thèse générale, que cela soit dans la nature ; car, sans vouloir contester à l’homme le droit d’examen pour lequel j’ai un grand respect, je conviens que si, dans tous les cas, chacun vouloit examiner ce qui lui est ordonné par l’autorité supérieure, dans la ligne de ses fonctions, il y auroit confusion et anarchie1. Mais de même que les militaires voudront se battre le plus souvent que la chose leur sera possible, les hommes constitués accusateurs voudront accuser dès qu’il y aura prétexte plausible. Si dix ans se passoient sans qu’aucun délit fût commis, que deviendroit l’importance de ceux qui n’ont d’importance que par la poursuite des délits ? En les supposant, ce que je fais, les hommes les plus humains et les plus honnêtes, une secrète affliction s’élèveroit dans leur ame, en se voyant réduits à une inaction qui leur ôteroit tout moyen de célébrité et de succès. Il en résulte que les magistrats accusateurs multiplieront, peut-être sans s’expliquer leurs propres motifs, les accusations et les poursuites. Les circonstances les plus légères, les indices les moins vraisemblables prendront à leurs yeux une gravité que n’y trouveroient pas des hommes désintéressés dans la question ; et si le système des anciens, transporté parmi nous, tend à ce que personne n’accuse, parceque tout le monde pourroit accuser, le système moderne doit faire que celui qui est chargé spécialement d’accuser accuse souvent, parceque c’est pour lui un privilège. Ce danger, qui existeroit toujours, jusqu’à un certain point, dans les temps les plus calmes, et lorsqu’il ne s’agiroit que de délits ordinaires, devient bien plus imminent, lorsque de violentes agitations ont laissé dans la société des germes de trouble et de dissensions. Lorsqu’un pays est assez malheureux pour qu’il puisse y avoir dans ce pays des crimes politiques, on peut être sûr que les accusations pour crimes politiques se multiplieront à l’infini. Les magistrats accusateurs étant dans la dépendance de l’autorité, ne voudront rien dédaigner de ce qui, de près ou de loin, en apparence ou
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de cette troisième partie est d’une actualité étonnante dans des circonstances où tout le système d’accusation, la valeur des témoignages et la responsabilité des magistrats, l’indépendance du parquet, l’institution du jury en matière correctionnelle sont à l’ordre du jour. Il ne s’agit pas seulement de questions techniques et juridiques relatives à la procédure, mais, au contraire de toute l’organisation politique et sociale propagée par la théorie politique de BC. Écho de la doctrine kantienne de l’emploi public et privé de la raison ?
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Chapitre III,1 – De l’accusation confiée exclusivement à un magistrat
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réellement, leur paroîtra menacer l’autorité. En laissant échapper une occasion d’accuser, ils se rendroient suspects de négligence ; en accusant légèrement, ils n’encourront tout au plus que le reproche de trop de zèle ; et c’est une faute qu’on pardonne. On m’objectera que presque par-tout le magistrat chargé d’accuser n’est pas investi du droit de mettre en accusation. Il soumet les indices à des juges, moins dépendants que lui, et l’accusation est leur ouvrage : mais il faut réfléchir que les formes tutélaires, en vigueur lorsque l’accusation est admise, sont supprimées quand il ne s’agit que de la convenance de l’accusation. C’est dans l’absence de l’accusé qu’on décide. Ce sont des magistrats vivant dans l’intimité de l’homme qui sollicite la mise en accusation, qui prononcent sur le sort d’un inconnu, sans l’entendre, et avec l’arrièrepensée qu’en définitive, s’il est innocent, il sera absous. Cette arrière-pensée les rend plus faciles. Quand on peut se dire que ce qu’on fait n’est pas irréparable, on est beaucoup plus accessible à la foiblesse, ou pour le moins à la complaisance. Si néanmoins il est aujourd’hui nécessaire, comme je le pense, de faire de l’accusation un devoir spécial, et en quelque sorte un monopole, il est desi rable d’écarter ou d’atténuer les inconvénients que ce mode présente. Quelques personnes voudroient que le ministère chargé d’accuser fût dans l’indépendance de l’autorité. Cette indépendance ne pourroit s’acquérir pour lui que s’il étoit inamovible. Mais cette inamovibilité seroit-elle efficace, et n’auroit-elle pas, outre son inefficacité, d’autres conséquences très fâcheuses ? En premier lieu, elle ne seroit pas efficace. L’inamovibilité, qui paroît au premier coup d’œil une garantie très rassurante, n’est au fond rien moins que cela. La position, les relations personnelles, le commerce habituel, les faveurs secrètes, détruisent ses effets d’une manière d’autant plus funeste qu’elle est inaperçue. Secondement, en repoussant toute idée d’influence occulte, et de connivence coupable, dès qu’il y a possibilité d’avancement, l’inamovibilité est illusoire. Enfin, de ce que nous voulons préserver les individus de l’activité indiscrète des magistrats institués pour accuser, il ne s’ensuit pas que nous voulions exposer la société aux tristes résultats de leur négligence ; et si ces magistrats étoient inamovibles, quel recours resteroit-il à la société contre leur inertie et leur inaction ? Le seul moyen de résoudre toutes ces difficultés est, à mon avis, de soumettre à la seule puissance également rassurante pour la sûreté de tous, et pour la tranquillité de chacun, la question de savoir si les citoyens seront accusés. L’accusateur public fera alors son devoir, et remplira ses fonctions avec un zèle dont l’exagération même sera sans péril. L’idée n’est assurément pas nouvelle, puisque c’est ce qui existoit en France, ce qui existe en Angleterre, et ce que le despotisme a détruit.
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Sans le jury d’accusation, les poursuites sans fondement, ou trop légèrement entreprises, menaceront sans cesse les citoyens. L’accusateur et les juges chargés d’examiner les motifs qu’il allègue, étant tirés d’une autre classe que les accusés, penseront toujours, comme je l’ai déja dit, qu’un jugement définitif devant avoir lieu, l’innocence sera reconnue. Ils ne réfléchiront pas sur les conséquences qu’une accusation entraîne, même quand elle est suivie d’un acquittement. Les membres d’un jury d’accusation étant dans la même position que celui qui est l’objet des poursuites, et pouvant se trouver exposés au même danger, sentiront que l’accusation seule, entraînant la captivité, l’interruption des affaires, l’ébranlement du crédit, la ruine peut-être, ou au moins un grand bouleversement de fortune, et ces maux n’étant nullement réparés par une tardive absolution, l’accusation est elle-même une peine à laquelle l’imperfection des lumières humaines contraint quelquefois les hommes de condamner un innocent, mais qu’on ne doit infliger à personne sans les plus grandes précautions et les plus grands scrupules. En général, quand vous voulez qu’une fonction se remplisse avec ardeur et activité, rendez-la spéciale, et confiez-la à un homme dont toute l’existence dépende de cette fonction. Mais quand vous voulez qu’une question s’examine avec impartialité, calme, et candeur, chargez de cet examen des hommes dont ce ne soit pas la profession habituelle, qui ne perdent rien de leur importance, et qui gagnent plutôt en sécurité, s’ils la décident négativement. Je me résume. Pour rechercher toutes les apparences qui peuvent motiver une investigation sévère et exacte, un magistrat accusateur d’office est utile. Pour écarter celles de ces apparences qui, légères ou trompeuses, entraîneroient des accusations mal fondées, un jury d’accusation est indispensable.
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Chapitre II. Du secret de l’instruction.
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«Cette opération se fait dans le secret ... Le citoyen sur lequel tombe, ou l’accusation de la partie, ou l’avis du dénonciateur, ou le soupçon du
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juge, ignore tout ce qui se trame contre lui ; et, s’il est innocent, il ne peut se défendre de l’orage qui menace sa tête.» Liv.
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III,
chap.
III,
p. 2491.
Tout ce chapitre est excellent. Quelques uns des abus que Filangieri relève avec éloquence ont été atténués depuis la publication de son livre. On ne laisse plus, ou du moins on ne devoit pas laisser durant des semaines ou des mois des détenus sans les interroger, et sans les instruire du soupçon qui cause leur captivité. Mais plusieurs, et les plus importants des vices contre lesquels l’auteur italien dirige ses réclamations, subsistent encore, et souvent les remèdes apportés aux autres sont éludés, soit par une négligence coupable, soit par des calculs et des considérations plus criminelles encore que la négligence. Lorsque, pour satisfaire en apparence au nom de la loi, l’on interroge un prisonnier dans l’espace de temps déterminé, et après lequel, si aucun interrogatoire n’avoit eu lieu, sa détention deviendroit illégale, et qu’après l’avoir interrogé une fois, on le laisse languir dans les cachots, sans commencer au cune poursuite, il est clair que l’accomplissement d’une vaine formalité ne change rien à l’iniquité dont ce détenu, coupable ou non, est victime. La société a le droit de priver de leur liberté ceux de ses membres qu’elle suppose les auteurs ou les complices d’un crime. C’est un terrible droit que la nécessité nous force à lui confier ; mais ce droit est inséparable d’une condition évidemment nécessaire pour le rendre légitime. Cette condition, c’est que la détention ne sera prolongée que durant le temps indispensable pour réunir tout ce qui peut tendre à la découverte de la vérité. Dans les causes qui peuvent influer sur la longueur de ce temps ne doivent être comprises, ni les autres affaires qui empêcheroient les juges de s’occuper de celle dont il s’agit, ni les convenances de ces juges, ni rien en un 1
SL1, livre III, chap. III, t. III, pp. 33, 35–36 ; SL2, édition Dufart, t. II, pp. 249 et 251. Le titre du chapitre de Filangieri est «De l’accusation judiciaire chez les modernes».
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mot de ce qui ne tient pas à l’affaire même, rien de ce qui est étranger à l’accusation et à l’accusé. C’est à la société à prendre des mesures pour qu’un homme soit jugé aussitôt que tous les éléments acquis pour la conviction des juges sont rassemblés. Si elle le retient dans les fers un jour de plus sans le mettre en jugement, elle est coupable envers lui d’injustice et d’arbitraire. C’est à elle à organiser les tribunaux de manière qu’il y ait toujours des juges disponibles, quand il y a des hommes en détention. Ce principe paroîtra incontestable sur-tout, si l’on réfléchit que la société, en s’arrogeant le droit d’arrêter ceux qu’elle soupçonne, ne croit pas avoir l’obligation de dédommager ceux qu’elle a soupçonnés injustement. Certes, en s’affranchissant ainsi de ce que tout homme équitable considéreroit comme un devoir, c’est bien le moins qu’elle ne prolonge pas les angoisses et les souffrances dont elle ne veut tenir aucun compte à l’innocent que son erreur a frappé. De ces réflexions dirigées contre un abus que les lois ont reconnu, mais qu’elles n’ont réprimé que d’une manière inefficace, et malheureusement trop facile à éluder, passons aux vices que les lois n’ont pas aperçus, et qu’en conséquence elles consacrent. Il m’est impossible de concevoir, je l’avoue, de quels raisonnements on peut se prévaloir, pour établir qu’il est juste de laisser prononcer sur la mise en accusation d’un homme, en l’absence de cet homme. Comment ne voiton pas qu’un mot de lui peut éclaircir une circonstance que toutes les pièces de l’instruction ne sauroient, s’il est absent, placer dans leur véritable jour ? Le juge d’instruction l’interroge. Il répond : mais il ne peut deviner quelles inférences on tirera de ses réponses. Ces réponses peuvent être incomplètes. Il ne prévoit pas les doutes qu’elles font naître, les nouveaux soupçons qu’elles peuvent suggérer. Il lèveroit ces doutes, il dissiperoit ces soupçons, s’il étoit admis à connoître le rapport d’après lequel la mise en accusation peut être prononcée ; et c’est précisément dans ce moment le plus important de tous pour lui, qu’on lui défend d’être présent à la détermination qui décide de son sort. On ne sauroit trop le répéter. Être mis en accusation est déja une peine ; mettre un homme en accusation sans l’entendre, et sur le compte rendu de ses réponses par celui-là même qui a intérêt à soutenir l’accusation qu’il a intentée, c’est prononcer un jugement, sans observer les formes prescrites par la raison de l’espèce humaine, et par les principes de justice gravés au fond des cœurs. Une remarque de Filangieri, pleine de vérité, et dont l’importance est extrême, c’est que, d’après les jurisprudences établies chez presque tous les peuples, l’état d’un coupable est souvent plus favorable que celui d’un innocent1. Le coupable sait ce dont on peut l’accuser ; il connoît toutes les 1
BC renvoie ici à SL1, livre
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«Parallèle des jugemens de Dieu et de la torture».
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Chapitre III,2 – Du secret de l’instruction
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circonstances de son crime ; il calcule tout ce qu’il doit dire pour obscurcir l’évidence que ces circonstances réuniroient contre lui ; il est en quelque sorte au niveau du juge. L’un et l’autre savent de quoi il s’agit. L’innocent, au contraire, se débat dans les ténèbres ; il ne lui est pas donné de prévoir quelle charge la réponse la plus innocente peut accréditer contre lui ; il n’a aucune idée de l’ensemble des faits dont on l’accuse ; il répond au hasard, tandis que le coupable sait ce qui lui est le plus utile de dire, pour parer les coups qu’on veut lui porter. Prenons un exemple. Un homme est accusé d’un assassinat ; la preuve d’un alibi lui vaudroit son acquittement : mais il y a trois mois que le crime a éte´ commis. On veut qu’il se rappelle où il étoit le jour de ce crime. Le coupable, certainement, se le rappellera sans peine. Ce jour est trop important dans sa vie pour que chaque minute et l’emploi de chaque minute ne soient pas empreints dans sa mémoire. Si donc il peut prouver, en avançant ou en reculant les heures indiquées, qu’il étoit alors dans un autre lieu, et il peut avoir pris ses précautions pour se faciliter cette preuve, il se dérobera à la rigueur des lois, et il s’y dérobera précisément parcequ’il est coupable. L’innocent au contraire, n’ayant aucune prévoyance de l’accusation qui lui rendra si important de rendre compte de sa conduite, et du lieu où il se trouvoit, tel jour de tel mois, pourra aisément avoir oublié tout ce qu’il faisoit à cette époque. Forcé de répondre avec une sorte de précision aux questions qu’on lui adresse, il est possible, il est probable même qu’il se trompera dans quelques détails. S’il avoue qu’il ne se souvient pas de ce qu’on lui demande, son oubli lui sera imputé à crime ; s’il fait effort sur luimême, et qu’il se trompe, son erreur lui sera reprochée comme une preuve évidente de sa culpabilité, il sera condamné précisément à cause de son innocence. En général, le parti que tire le magistrat accusateur, et les conséquences qu’il fait découler des contradictions des accusés, m’ont toujours paru un vice capital dans nos procédures1. Il y a toujours à parier que c’est l’innocent qui se contredit, et le coupable dont les réponses sont toujours d’accord, parceque le dernier sait, tandis que le premier ne sait pas, et qu’entre un homme qui sait et un homme qui ne sait pas, la chance est pour que le premier arrange ses réponses, et leur donne l’air de la cohérence. 1
L’objectif de cette remarque est la pratique de l’instruction criminelle, couverte par les articles 55 et suivants du Code de l’instruction criminelle de 1808. Ce chap. sur le secret de l’instruction montre que la conception de la procédure pénale chez BC s’inspire du modèle britannique. Il est d’une singulière actualité au moment des débats sur la suppression possible du juge d’instruction en France.
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Je ne veux pas dire, par tout ce qui précède, que, dans mon opinion, les coupables échappent, et qu’il n’y ait que les innocents qui soient condamnés ; mais si ce malheur n’arrive pas sans cesse, ce n’est pas aux lois que nous en sommes redevables, c’est à la nature humaine. La Providence a voulu qu’un trouble invincible accompagnât le crime, et que ce trouble fût d’autant plus irrésistible, que le forfait seroit plus odieux. Quiconque lira avec attention les procès criminels verra que ce n’est presque jamais à la vigilance des magistrats ni à la sagesse des lois, mais à l’imprudence des coupables et à l’espèce de délire qui s’empare d’eux, qu’est due la découverte de leurs attentats. Les lois doivent en conséquence prendre bien plus de précaution pour que l’innocence ne soit pas condamnée que pour que le crime ne soit pas absous ; car il est triste de dire que si le trouble est d’ordinaire associé au crime, comme destiné par le ciel à le trahir, c’est un lieu commun de toute fausseté que cette supposition trop légèrement admise, que le calme est le compagnon de l’innocence. L’accusation d’un crime dont on est incapable peut aussi-bien causer l’effroi qu’exciter l’indignation. Exiger qu’un infortuné contre lequel la société, sur des apparences trompeuses, se lève dans toute sa puissance et dans son appareil menaçant, demeure impassible, c’est demander ce qui est au-dessus des forces humaines. L’effort est possible, quand il s’agit de délits auxquels une opinion s’associe, et quand la pitié, la sympathie, l’admiration quelquefois, viennent dédommager la victime, et font du supplice une pompe triomphale. Mais quand il s’agit de crimes ignobles ou féroces, contre lesquels tous et chacun se soulèvent, dont le simple soupçon place une barrière entre l’accusé et ses concitoyens, et qui n’offre pour perspective que le mépris, la réprobation et l’échafaud, celui qui est accusé d’un tel crime est déja frappé au cœur par l’idée qu’il a pu être méconnu à un tel point. Sa douleur est naturelle, sa terreur excusable. Loin d’en rien conclure à son désavantage, il faudroit peut-être en tirer la conséquence opposée ; loin d’accroître son épouvante, il faudroit le rassurer ; loin d’interpréter contre lui ses contradictions, il faudroit rechercher comment il a pu se contredire sans être coupable.
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Chapitre III. De la dénonciation.
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«Pour être persuadé de l’injustice de la législation à cet égard (le retranchement du droit d’accusation), il suffit d’observer que, dans le même temps où l’on a aboli la liberté d’accuser, on a établi la liberté de dénoncer.» Liv.
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p. 2631.
Tout ce que dit ici Filangieri sur les inconvénients de la délation est parfaitement fondé ; cependant il y a, ce me semble, inexactitude dans quelques expressions. Reprocher aux lois d’établir la liberte´ de dénoncer me paroît absurde ; c’est une liberté qu’on ne sauroit interdire. Punirez-vous l’homme qui, instruit d’un crime, va le révéler au magistrat ? Vous feriez de tous les citoyens une nation de sourds et d’aveugles volontaires. On redouteroit autant le hasard qui feroit connoître un crime que le crime même. Prétendrez-vous que si la dénonciation ne peut être punie, elle doit être repoussée ? c’est-à-dire que vous obligeriez le magistrat chargé de la poursuite de tous les délits à fermer les yeux sur ceux dont il auroit souvent la connoissance la plus exacte et la plus positive. Exigerez-vous que le dénonciateur se porte accusateur ? Les mêmes raisonnements, par lesquels j’ai prouvé que de nos jours le droit d’accuser ne seroit pas exercé, démontreront facilement que la nécessité de se porter accusateur après avoir dénoncé un crime, imposeroit silence à tous les membres d’une société qui n’aspire qu’au repos et à l’exercice paisible de toutes les facultés, et où personne n’est disposé a` courir des risques, à subir des interruptions de travail ou de plaisir ; en un mot, à troubler sa vie commodément et doucement arrangée, pour ce qui ne concerne que l’intérêt public, qui n’est presque plus lié avec l’intérêt particulier, grace à l’indépendance et aux ressources individuelles, créées par la civilisation. Sans doute, la liberté de dénoncer a des inconvénients qui peuvent être infiniment graves. La haine, l’envie, toutes les passions basses ou malveilV: 26 doucement ] la source porte doucement, 28 grace ] la source porte graces nous n’avons pas rétabli l’accent circonflexe parce que la source imprime toujours ce mot sans accent 1
SL1, livre
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t. III, p. 50 ; SL2, édition Dufart, t. II, p. 263.
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lantes, se prévaudront de cette liberté. L’innocence pourra être calomniée ; les citoyens les plus irréprochables se trouveront à la merci d’un ennemi caché. Mais c’est à la prudence du magistrat auquel la dénonciation s’adresse à diminuer la masse de ces inconvénients ; c’est à lui d’apprécier la valeur des indices soumis à sa sagacité ; c’est à lui de réfléchir que c’est rarement par zèle et par désintéressement que les hommes se portent à des démarches qui ont quelque chose d’odieux, et que, sur cent dénonciations, il est probable qu’à peine une seule aura été dictée par l’amour de la justice ou la haine du crime. Remarquez de plus que, dans le système moderne qui charge spécialement un magistrat de poursuivre d’office les délits qui se commettent, le devoir de ce magistrat est de recueillir tout ce qui peut le conduire à la connoissance de ces délits. S’il rencontre un cadavre dans sa route, il conclut qu’il y a possi bilité d’assassinat, et il emploie sa vigilance à découvrir si, en effet, l’assassinat a eu lieu, et qui en est coupable. Une dénonciation n’est qu’une rencontre du même genre ; elle ne constate rien, ne prouve rien ; elle avertit seulement qu’il y a quelque chose à examiner. Le magistrat qui, sur une dénonciation secrète, fait jeter dans les fers l’homme dénoncé, commet un acte injuste et inexcusable ; mais celui qui reçoit la dénonciation, et recherche quel peut être son degré de vraisemblance et de vérité, s’acquitte d’une obligation qui lui est imposée. Filangieri a été trompé par l’aversion qu’inspirent naturellement à toute ame noble les dénonciations et les dénonciateurs. Dans notre état social actuel, un dénonciateur, même quand le fait qu’il révèle est vrai, quand le crime qu’il dévoile est grave, ne mérite ni estime ni approbation morale. La société est suffisamment pourvue d’instruments voués à ce métier rigoureux, pour que les citoyens se reposent sur le zèle de ceux qui s’y sont consacrés. En supposant que le dénonciateur ne soit animé par aucun intérêt de passion, de haine, de jalousie, il y a toujours en lui activité vicieuse, ardeur indiscrète, et peu louable, de se mêler de ce qui ne le regarde pas, besoin de se faire remarquer, espoir peut-être de se créer un jour quelque titre à la faveur de l’autorité, qu’il prétend avoir servie par ses révélations officieuses. Mais de ce qu’un dénonciateur même désintéressé, même utile, est toujours plus ou moins mésestimable, il ne s’ensuit pas que les lois eussent pu interdire la liberté de dénoncer, ni même entourer cette liberté de formes qui l’eussent rendue entièrement illusoire. Ce que Filangieri auroit dû flétrir de la réprobation la plus énergique, ce sont d’une part les récompenses destinées à encourager ; de l’autre, les menaces employées à commander les dénonciations.
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Chapitre III,3 – De la dénonciation
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Les récompenses ainsi promises sèment la corruption dans la société entière. L’homme qui dénonce ou livre son semblable, pour obtenir un salaire, commet une action plus vile, et pour le moins aussi odieuse, que le crime quelconque dont on a voulu faciliter la découverte, par cette prime accordée à l’infamie. Aucun intérêt de sûreté publique, aucun péril présent, ne donne à la société le droit de pervertir et de dégrader ses membres. Les individus la paient assez cher ; ils l’investissent de droits assez redoutables pour qu’elle fasse son métier, sans porter atteinte aux sentiments qu’elle doit respecter, à ces sentiments de pitié qui unissent l’homme à l’homme, et qui le font reculer devant l’idée qu’il traîneroit volontairement un concitoyen à l’échafaud. Étouffer cet instinct de notre nature, en armant contre lui le dénuement ou l’avidité, c’est saper la base de toutes les vertus, pour obtenir un moyen de plus de découvrir quelques crimes ; c’est sacrifier l’intérêt premier et permanent de l’espèce humaine à un intérêt passager et secondaire. C’est encore bien pis, quand le pouvoir social prétend par des menaces, par des châtiments, par des suppositions de complicité, forcer la dénoncia tion. Alors, après avoir essayé de nous corrompre, il nous punit d’avoir résisté à la corruption ; il nous assimile aux geôliers et aux bourreaux qu’il soudoie, avec cette seule différence qu’il veut obtenir de nous par la peur ce qu’il obtient d’eux par l’argent. Les gouvernements ont des instruments pour surveiller, dénoncer, arrêter, et poursuivre : il ne leur est permis d’imposer aucune de ces fonctions douloureuses à celui qui ne les a pas briguées volontairement. Nul ne peut être contraint justement à participer à des rigueurs dont il ne sauroit apprécier la justice. J’ai connoissance d’une action qui me semble un crime : mais suis-je certain que la connoissance que j’en ai soit bien exacte ? Puis-je apprécier une action que je ne connois qu’à demi, dont les circonstances les plus importantes, celles qui décident de son caractère de culpabilité ou d’innocence, sont ignorées de moi ? Et sur de simples apparences, que je suis sans moyen d’approfondir, on m’ordonnera de faire à la justice des révélations imparfaites qui peuvent attirer sur la tête d’un innocent la captivité, la ruine, l’humiliation d’un procès public, et toutes les chances incertaines qui accompagnent toujours l’exercice de la justice des hommes. Ceci s’applique à toutes les dispositions légales qui ordonnent la dénonciation, n’importe de quels délits. Mais ces raisonnements acquièrent bien plus de force, lorsqu’il s’agit de délits en quelque sorte factices, c’est-à-dire de délits qui ne sont considérés comme tels que parcequ’ils contrarient une opinion dominante. Je me suis demandé quelquefois ce que je ferois, si je
TR: 39-p. 312.5 Je me suis ... en vigueur. ] Réflexions sur les constitutions, première et deuxième éditions, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1026 et 1137.
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me trouvois enfermé dans une ville où il fût défendu, sous peine de mort, de donner asile à des hommes soupçonnés de crimes politiques, ou ordonné de les dénoncer ; je me suis répondu que, si je voulois mettre ma vie en sûreté, je me constituerois prisonnier aussi long-temps que cette mesure seroit en vigueur1.
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BC utilise ce raisonnement déjà dans les Rélexions sur les constitutions, OCBC, Œuvres, VIII/2, pp. 1026 et 1137, en note. Il s’agit évidemment d’une réflexion qui répond à une question de principe par un paradoxe. Un problème du même ordre est au centre de la fameuse querelle de 1797 entre Kant et BC, dans laquelle Kant adopte une position rigoriste : admettre le mensonge comme moyen de salut signifie saper les bases de la morale. Voir Immanuel Kant, «Über ein vermeintliches Recht, aus Menschenliebe zu lügen», Kleinere Schriften zur Geschichtsphilosophie, Ethik und Politik, herausgegeben von Karl Vorländer, Hamburg : Felix Meiner Verlag, 1973, pp. 199–206 (traduction française : «Sur un prétendu droit de mentir par humanité», texte traduit et annoté par Luc Ferry, dans Emmanuel Kant, Œuvres philosophiques, Les derniers écrits, édition publiée sous la direction de Ferdinand Alquié, t. III, pp. 435–441). L’attaque de BC se trouve dans le chap. VIII de son écrit Des réactions politiques (OCBC, Œuvres, t. I, p. 493). Même si Kant confesse au début de son écrit que l’opinion attaquée par BC pourrait se trouver dans ses écrits (il ne se souvient pas où il l’aurait formulée et la critique ne l’a pas retrouvée non plus ; Kant s’exprime sur cette question seulement dans sa Doctrine de la vertu, une œuvre qui ne paraît qu’en 1797), on peut douter de l’exactitude de l’hypothèse émise par M. Barberis (OCBC, Œuvres, t. I, p. 493, n. 1). BC pourrait très bien désigner par l’expression «un philosophe allemand» non pas Kant, mais Johann David Michaelis, qui soutient dans son ouvrage intitulé Moral déjà en 1792 l’opinion attaquée par BC (Johann David Michaelis Moral, herausgegeben und mit der Geschichte der christlichen Sittenlehre begleitet von Karl Friedrich Stäudlin, Göttingen : Vandenhoek und Ruprecht, 1792–1793). BC possède cet ouvrage dans sa bibliothèque.
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Chapitre IV. Nouvelles réflexions sur l’idée de confier à chaque citoyen le droit d’accuser.
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«Le premier objet d’une réforme, dans la procédure criminelle, doit donc être de rendre le droit
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d’accuser au citoyen en le combinant avec la difficulté d’en abuser.» Liv.
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Puisque Filangieri insiste toujours sur la nécessité de rendre aux citoyens le droit d’accuser, il faut continuer à examiner ses raisonnements, et à les réfuter. J’ai dit qu’un des inconvénients de ce droit, transporté dans nos temps modernes, seroit que les citoyens répugneroient à en faire usage. Filangieri répond par une phrase de Machiavel. «Le droit d’accuser, dit cet écrivain (Discours sur la première décade de Tite-Live, liv. I, chap. VII), ouvre une issue aux humeurs qui naissent dans une ville contre chaque citoyen2.» Il est évident qu’en s’exprimant ainsi, Machiavel avoit en vue les républiques anciennes, ou les républiques d’Italie, telles qu’elles subsistoient dans le moyen âge. Là, des humeurs pouvoient naître en effet contre les citoyens éminents. Le droit d’accuser, ce recours de la foiblesse contre la puissance, pouvoit être une consolation, un moyen de calme, un dédommagement pour un peuple envieux de ses supérieurs. Il est clair de plus que, dans la phrase citée par Filangieri, Machiavel ne pensoit nullement au droit d’accuser pour des délits privés ; il songeoit uniquement aux accusations politiques. Assurément, dans les questions de vol ou d’assassinat, il ne s’agit pas d’humeurs qui naissent contre un citoyen dans une ville. Notre publiciste a donc confondu deux questions qui n’ont entre elles aucun rapport a. a
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Filangieri, à la vérité, dans un autre endroit, distingue, ou plutôt promet de distinguer, entre les délits publics pour lesquels chaque citoyen peut devenir accusateur, et les délits privés, que la partie offensée a seule droit de poursuivre. Mais il règne tant d’incohérence dans ses idées, qu’il loue ici les Égyptiens d’avoir obligé tout témoin d’un homicide de se porter SL1, livre III, chap. III, t. III,. pp. 55–56 ; SL2, édition Dufart, t. II, p. 266. BC cite Machiavel d’après Filangieri, SL2, livre III, chap. IV, «Nouveau système sur l’accusation judiciaire», édition Dufart, t. II, p. 266. Gallois, plus proche de Machiavel, écrit : «contre quelque citoyen». Les raisonnements de BC qui suivent correspondent au texte du Discours sur la première décade de Tite-Live.
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Commentaire sur Filangieri
Les états modernes n’étant et ne pouvant être des états populaires, car il n’y a rien de moins populaire, c’est-à-dire rien qui mette moins la masse du peuple en action que le gouvernement représentatif, qui n’accorde au peuple qu’un droit d’élection exercé en peu de jours et suivi d’une inaction toujours assez longue, les états modernes n’étant, disons-nous, et ne pouvant être des états populaires, les humeurs, dont Machiavel parle, ne sauroient y naître dans la masse nationale. Il est très rare aujourd’hui dans les temps ordinaires qu’un citoyen prenne assez d’importance pour que le peuple s’occupe long-temps de lui. Cela deviendra tous les jours plus rare. Les progrès de l’in dustrie, offrant à chacun des moyens de bien-être qui dépendent de sa volonté et de son travail, créent pour chacun une sphère dans laquelle tous ses intérêts sont concentrés, et hors de laquelle il ne porte des regards qu’accidentellement. Il n’y a que les sociétés inoccupées qui prennent pour objet de leur enthousiasme ou de leur haine des individus, quelque marquants qu’ils soient. Les autres les blâment ou les approuvent dans des heures de désœuvrement : mais toute l’énergie sociale étant employée par des entreprises et des spéculations particulières, et en quelque sorte éparpillée, les humeurs pour lesquelles le droit d’accusation seroit une issue n’ont aucun besoin de cette issue, car elles n’existent pas. Mais si la phrase de Machiavel indique un inconvénient devenu imaginaire, et propose pour cet inconvénient un remède par-là même superflu, cette phrase est propre à nous faire apercevoir un danger qui a échappé à Filangieri, et qui rendroit le droit qu’il voudroit ressusciter singulièrement funeste. Des humeurs ne naîtroient pas dans le peuple contre les citoyens ; mais ces humeurs pourroient très bien naître contre eux dans les cours. Lorsque la sagesse d’un prince ou les nécessités d’un gouvernement auroient placé à la tête des affaires un ministre sage, ennemi des inégalités et de l’arbitraire, économe sur-tout, ne voit-on pas quelle nuée d’accusateurs soldés les courtisans pourroient soulever ? Lorsque le choix du peuple auroit porté aux fonc tions représentatives un citoyen incorruptible, un orateur éloquent par son talent et par sa conscience, la même nuée d’accusateurs l’environneroit et le réduiroit à défendre sans cesse devant les tribunaux sa vie, ou sa
accusateur, et les Francs d’avoir imposé le même devoir quiconque avoit connoissance d’un larcin1. 1
BC renvoie ici à SL2, livre III, seconde partie, chap. XVIII, «Des délits publics et des délits privés», où Filangieri dit «qu’il faudroit [...] l’ancienne distinction entre les délits publics et les délits privés», édition Dufart, t. III, p. 167. Le chap. suivant expose une «Division générale des délits» (pp. 169–172). La remarque sur les Égyptiens se trouve dans le livre III, première partie, chap. II, édition Dufart, t. II, p. 233, n. 2. Le droit d’accuser chez les Francs
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Chapitre III,4 – Sur l’idée de confier à chaque citoyen le droit d’accuser
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réputation, ou sa fortune. Croit-on qu’on ne trouveroit pas dans une société corrompue assez d’hommes perdus qui, sûrs sinon de l’impunité, au moins de l’indemnité, intenteroient les accusations les plus injurieuses et les moins fondées ? Ce que la haine et l’avidité font maintenant par des libelles, on le feroit par des accusations. On raviroit à l’innocent le droit du mépris ; au lieu de pouvoir comme aujourd’hui opposer le silence à des calomnies qui n’ont aucun caractère officiel ou légal, le ministre intègre, le député courageux, seroient contraints à consumer dans leur cause personnelle le temps et les forces qu’ils voudroient consacrer à leur patrie. Qui doute que Turgot et Malesherbes, Necker et Mirabeau, n’eussent été sans cesse arrachés du conseil des ministres ou de la tribune nationale, par des accusations effrontées et des poursuites que le scandale auroit couronnées d’une espèce de succès1 ? Ce ne seroit pas tout. Dans une association nombreuse, et parvenue à une civilisation excessive, tout devient métier ; si l’accusation étoit permise à tout citoyen, nul doute qu’il ne se formât bientôt une profession d’accusateurs. A Rome, le début de chaque jeune ambitieux étoit une accusation publique. Il choisissoit pour marchepied de sa gloire future un accusé, dont la perte l’illustroit d’autant plus que la victime étoit plus illustre : c’étoit en quelque sorte un sacrifice qu’il offroit à sa fortune à l’entrée de sa carrière. Il en seroit de même aujourd’hui par d’autres motifs et sous d’autres formes. Ce ne seroit ni l’amour du bien public, ni l’ardeur de se distinguer, ni une ambition qui pourroit avoir quelque chose de noble ; mais un intérêt âpre et vil. Ouvrir l’accusation à tous les citoyens, seroit armer d’un pouvoir terrible tous ceux qui n’ont rien à perdre contre quiconque auroit une fortune ou une réputation à conserver. C’est vainement que Filangieri accumule toutes les précautions contre les accusations injustes. Les peines n’épouvantent et ne contiennent que ceux dont ces peines empireroient la situation. Mais je l’ai déja dit : aucun homme recommandable, appelé à cultiver d’honorables relations sociales, ne profiteroit de la faculté d’accusation. Il n’y auroit que les hommes déja rejetés par la société qui s’en empareroient ; les peines ne les effraieroient
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est cité par Filangieri d’après les lois saliques dans le même chapitre p. 245, n. 1. Il mérite d’être relevé que BC souligne une fois de plus la nécessité de ne pas confondre les crimes politiques et les crimes de droit commun. Cette distinction est un des piliers de sa doctrine. Il est difficile d’expliciter ces allusions. Pour Malesherbes, on peut penser à l’affaire de contrebande de tabac et au procès contre les directeurs de la ferme du tabac en 1770. Voir Alphonse-Louis Dieudonné Martainville, Vie de Chrétien-Guillaume-Lamoignon Malesherbes, Paris : Barba, an X (1802), pp. 74–78. Il est évident d’ailleurs que BC cite ici des hommes dont l’excellente réputation peut servir à illustrer son idée.
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pas. Qu’importent des amendes pour qui n’a pas de quoi subvenir à sa subsistance de chaque jour ? Qu’importe la prison à celui qui, hors de la prison, n’a pas de domicile ? Filangieri croit porter un remède efficace à cet inconvénient, en restreignant le droit d’accuser ; il s’appuie de l’exemple des Romains, qui refusèrent ce droit aux femmes, aux affranchis, aux gens infames ; mais alors ma première objection reprend toute sa force. Vous voulez que les citoyens recom mandables puissent seuls accuser ; les citoyens recommandables n’accuseront pas. Vous repoussez les hommes dont le caractère et les intentions vous semblent suspects ; mais ces hommes sont les seuls qui, dans nos temps modernes, puissent consentir à remplir le rôle d’accusateur.
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Chapitre V. Du droit d’accuser confié aux mercenaires, quand il s’agit de crimes commis contre la société.
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«Dans le nombre des personnes qui étoient privées de cette liberté (de celle d’accuser), on comptoit une classe d’hommes qui heureusement n’existe plus aujourd’hui ; c’étoient les esclaves. Nous avons à la vérité une classe d’individus qui a tous les vices de la servitude, quoiqu’elle jouisse des droits de citoyen, qui vend pour un temps indéterminé sa liberté personnelle, en conservant la liberté civile, et qui, par conséquent, n’est pas digne de la confiance de la loi, quoiqu’elle ait droit à sa protection : cette classe est celle de nos serviteurs mercenaires. Ils devroient être privés du droit d’accuser, excepté dans le cas d’une offense personnelle, ou de crimes commis contre la société.» Liv. III, chap. IV, p. 2681.
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L’erreur dans laquelle Filangieri tombe au commencement de ce chapitre est malheureusement presque universelle. Tous les écrivains politiques ont admis à-la-fois deux propositions que le plus simple bon sens démontre inconciliables. L’une, qu’on devoit dans toutes les causes ordinaires et habituelles priver du droit d’accuser, et souvent même de témoignage, une classe d’hommes que son abjection volontaire entoure de mépris ; l’autre, qu’on pourroit admettre ces mêmes hommes comme accusateurs ou témoins, quand il s’agiroit du crime le plus facile à imputer et le plus rigoureusement puni. Cette contradiction singulière prend son origine dans une opinion qui, si elle étoit fondée, ne prouveroit guère, il faut l’avouer, en faveur de l’ordre social établi chez toutes les nations modernes. Cette opinion, c’est que la société est menacée sans cesse par des hommes qui n’aspirent qu’à la bouleverser et à la détruire2. 1 2
SL2, livre III, chap. IV, édition Dufart, t. II, p. 268. Citation conforme, mais deux coupures non signalées dans le texte, sans trop d’importance pour le sens du passage. L’observation de BC atteste bien que nous sommes en présence d’un phénomène dû au changement épistémologique de l’époque. Le soupçon analysé ici annonce effectivement que la pensée politique subit l’influence des idéologies qui apparaissent. Le raisonnement historique de BC ne serait compréhensible sans ce changement caractéristique pour une époque charnière.
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Commentaire sur Filangieri
Heureusement, rien n’est moins juste, rien n’est plus exagéré que cette supposition. L’espèce humaine est naturellement portée à l’ordre. Ses inclinations, ses intérêts, ses habitudes se groupent autour de ce qui existe. Quand un abus a duré long-temps, il perd aux yeux de ceux qui en souffrent, presque autant qu’aux yeux de ceux qui en jouissent, l’apparence d’un abus. La raison en est simple. Chaque génération et chaque individu de chaque génération entrent dans les institutions existantes comme dans un édifice où il est important de se loger ; et quelque déplorable que soient certaines parties de cet édifice, quelque noirs et malsains que soient les cachots qu’habite une grande portion de ceux qu’il renferme, on s’y abrite, on s’y arrange, on s’y accoutume. Que de siècles se sont écoulés sous les gouvernements les plus abusifs, sans que ces gouvernements eussent à se plaindre d’une seule tentative de renversement ! Et si l’on examinoit avec attention les tentatives de renversement, on verroit que, la plupart du temps, ce sont les gouvernements qui ont donné le signal. Sans doute, quand ce signal est donné, les se cousses sont fortes, les calamités quelquefois effroyables ; mais ce sont des exceptions à l’ordre habituel, et ce n’est pas pour des exceptions qu’il faut faire des lois. Considérons donc, sous ce point de vue, l’assentiment que Filangieri accorde à l’admission, comme accusateurs, dans le cas de crimes commis contre la société, d’hommes qu’il déclare lui-même souillés de tous les vices de la servitude. Certainement, de toutes les classes de la société, celle de ces mercenaires qui soumettent leur liberté personnelle aux fantaisies d’un maître, est la moins intéressée au maintien de l’ordre établi. Cet ordre est tout entier dirigé contre eux : il pèse sur eux plus que sur aucune autre classe. Le paysan a son champ, le fermier qui vit sur le champ d’un autre est garanti par les lois dans la possession plus ou moins durable qu’une convention lui a assurée ; l’artisan a son industrie, le journalier même ses bras. Les serviteurs mercenaires n’ont à faire valoir que leur docilité à servir ou à devancer les caprices, leur patience à supporter l’insolence d’un maître. On a remarqué souvent, et avec raison, que plus l’homme avoit à faire avec les choses, plus son caractère moral s’amélioroit ; tandis que, lorsqu’il avoit à faire principalement avec ses semblables, son caractère éprouvoit une détérioration sensible. C’est que, dans les relations avec les choses, tous les vices deviennent inutiles. La ruse, le calcul, la bassesse, ne sauroient être des éléments de succès ; l’agriculteur n’a qu’un moyen de rendre la terre productive, c’est de la labourer ; le courtisan en a mille d’obtenir la faveur du prince, et presque tous sont fondés sur la corruption, la présupposent ou la produisent. Les domestiques sont en petit les courtisans de ceux qui les
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Chapitre III,5 – Du droit d’accuser confié aux mercenaires
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paient ; et comme leur profession n’est pas entourée de l’éclat qui relève les courtisans à leurs propres yeux, ce qui est toujours une chose salutaire à la morale, la classe condamnée à la domesticité devient de toutes la plus abjecte. Ajoutez à cela qu’elle est aussi la plus irritée contre l’inégalité sociale qui cause son abjection, en contact perpétuel avec des supérieurs qui la froissent et l’humilient à chaque minute de la journée ; ce qui peut rester de bon dans son ame se tourne en haine. Le spectacle des vices dans la confidence desquels les mettent la nécessité ou l’indiscrétion, l’obligation d’en être l’instrument, la pensée qu’on lui sait bien plus de gré de son zèle en ce genre que de toutes les vertus qu’elle pourroit déployer, toutes les réflexions que ces déplorables relations doivent lui suggérer, mêlent à la haine le mépris. Filangieri le sent ; car, comme je l’ai dit plus haut, dans les causes ordinaires, il repousse le témoignage de ces mercenaires ; mais quand il s’agit de ce qu’il appelle des crimes politiques, il accueille non seulement leur témoignage, mais il provoque leur délation. Tout-à-l’heure ils n’étoient pas admissibles à dire ce dont la notoriété publique constatoit qu’ils avoient connoissance, et maintenant ils sont appelés à se porter dénonciateurs ou accusateurs, c’est-à-dire à raconter ce qu’ils peuvent avoir aussi bien inventé que découvert : c’est ainsi que le prestige du mot de sûreté publique aveugle les meilleurs esprits ; ils autorisent les hommes pervers à s’en emparer. Qu’on se rappelle ce qu’étoient les esclaves et les affranchis à Rome admis à dénoncer et à accuser leurs maîtres ; qu’on songe a` ce que la même classe, à quelques honorables exceptions près, a été durant la révolution. C’est déja un tort dans la société que de dégrader de certaines classes ; mais quand elle les a dégradées, elle doit les désarmer : et c’est bien le moins, quand on fait du mal, que de prendre des précautions contre le mal qu’on fait.
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Commentaire sur Filangieri
Chapitre VI. Que le magistrat accusateur doit être responsable, sinon de la vérité, du moins de la légitimité de l’accusation.
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«S’il y a dans l’état une seule personne qui puisse me calomnier impunément, ma liberté est en danger : la protection des lois n’est plus suffisante pour la défendre.» Liv. III, chap. IV, p. 2721.
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Il n’est personne, je le pense, qui ne sente la justesse de l’observation de Filangieri. Affranchi de toute responsabilité, le ministère accusateur seroit une dictature plus redoutable qu’aucune dictature politique ; car elle frapperoit en même temps l’honneur et la liberté de ceux qui seroient les objets de sa haine ou de sa vengeance. Plongés dans les cachots, et privés de la faculté de se défendre, ils verroient planer sur eux des soupçons qui coloreroient une captivité injuste ; et cette captivité leur enlèveroit tout moyen de dissiper ces soupçons. L’opinion publique, déja si distraite, si disposée à l’oubli, lorsque les vexations se prolongent, trouveroit dans les calomnies de l’oppresseur des prétextes pour se désintéresser de la victime ; l’égoïsme s’intituleroit respect pour la loi ou la chose jugée : et le magistrat prévaricateur lanceroit du haut de son tribunal ses foudres inviolables sur l’innocence inculpée et réduite au silence. Tel est cependant l’état de choses que la législation autorise, sinon de fait, au moins de droit, dans la plupart des pays civilisés. J’aime à croire que les magistrats n’abusent pas fréquemment de ces terribles prérogatives. Mais il suffit que l’abus soit possible pour qu’il soit urgent de le prévenir, et les droits les plus chers du citoyen doivent trouver leur garantie dans les lois, et non les chercher au hasard, dans la probité des hommes, dont les vertus même ne sont que des accidents heureux2. La société, au nom de laquelle le magistrat intente une action contre un innocent, doit à cet innocent une réparation proportionnée au dommage ; et lorsque l’action intentée n’est pas motivée par des indices et des probabilités suffisantes, le magistrat lui-même doit être responsable de la légèreté de l’accusation. On objectera qu’en soumettant à une responsabilité aussi périlleuse les hommes chargés de poursuivre les crimes au nom de l’état, on décourage1 2
SL2, livre III, chap. IV, édition Dufart, t. II, p. 272. Citation conforme. Idée chère à BC qui s’est toujours engagé pour la protection de la liberté individuelle. Il pense évidemment aux pratiques bien connues des détentions légalement possibles, mais en fait arbitraires, de personnes accusées de crimes politiques. On trouve un des exemples dans
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Chapitre III,6 – Le magistrat accusateur responsable de l’accusation
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roit leur zèle. Entourés de dangers, exposés à se voir punir d’une erreur commise avec les intentions les plus pures, ils ne rempliroient qu’en tremblant leur mission sévère, et leur marche incertaine et réservée multiplieroit le nombre des coupables, en multipliant les chances d’impunité. Cette objection n’est pas sans quelque force. Pour la résoudre, il faut distinguer entre la vérité et la légitimité d’une accusation. Une accusation peut être à-la-fois fausse et légitime, c’est-à-dire des circonstances malheureuses peuvent avoir entouré celui qui est soupçonné d’un délit de probabilités assez grandes pour que la raison commune, d’après laquelle les instruments du pouvoir social doivent se diriger, soit frappée de ces vraisemblances, et réclame une scrupuleuse investigation. Le magistrat qui procède à cette investigation, en commençant des poursuites et en s’assurant de l’individu suspect, commet une erreur sans doute si l’individu n’est pas coupable ; mais c’est une erreur qu’il lui étoit impossible de ne pas commettre. La victime de cette erreur a droit à des dédommagements, parceque sa souffrance a été injuste ; mais elle n’a pas le droit d’attaquer le magistrat auteur innocent et irréprochable de l’erreur dont elle a souffert. Que si, au contraire, l’accusation n’est appuyée d’aucune vraisemblance ; s’il est évident que le magistrat n’avoit pour commencer des poursuites aucun de ces motifs que la raison commune reconnoît pour valables ; s’il ne peut alléguer que l’excès du zèle et l’empressement de l’activité, ce n’est plus un simple dédommagement que la société doit à l’inculpé ; elle lui doit la punition exemplaire du magistrat trop léger, trop crédule, ou trop zélé. Et qu’on ne pense point que le principe que nous établissons ici ne soit pas d’une application pratique. Si on parcouroit les registres des cours de justice de toutes les contrées, on verroit d’innombrables exemples d’individus poursuivis, détenus, ruinés, parcequ’il a plu à des magistrats de les accuser de délits dont le plus simple bon sens auroit suffi pour les absoudre. Mais, dira-t-on, comment constater juridiquement la légitimité d’une accusation ? Comment décider si le magistrat qui l’a intentée n’étoit pas réellement convaincu qu’elle étoit fondée ? Ici, j’en conviens, la question est purement morale ; il est impossible que la loi fixe des bases. Aussi ne voudrois-je pas la soumettre à un tribunal astreint à prononcer d’après la lettre d’une loi. Toutes les fois qu’une question morale doit être résolue, elle est de la compétence des seuls juges qui puissent n’écouter que leur
les débats sur la liberté de la presse, où des détentions arbitraires peuvent ruiner une entreprise. Voir p. ex. l’introduction à la brochure Questions sur la législation actuelle de la presse, où l’on explique le procès contre Mathieu Noël Rioust, OCBC, Œuvres, t. X/2, pp. 661–667. Un autre cas est celui du journaliste Adolphe-Thierry-François Chevalier évoqué dans la même brochure (OCBC, Œuvres, t. X/2, pp. 689–690).
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Commentaire sur Filangieri
conscience, et qui n’aient de règle que leur conviction : je veux indiquer par-là les jurés1. C’est devant eux que seroient portées de pareilles causes ; ils prononceroient si le magistrat traduit à leur barre a eu des motifs suffisants pour commencer une poursuite, et pour exposer un citoyen à la honte, aux dommages, à la détention, à la douleur, résultats inévitables d’une accusation, même écartée par une absolution qui est toujours tardive.
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La question des jurés est très fréquemment discutée dans les textes politiques de BC. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII, IX, X, XI et ci-dessous, pp. 332–335. Le jugement par jurés est une des garanties les plus efficaces pour défendre les droits individuels dans les procès.
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Chapitre VII. Des prisons.
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«Jetez les yeux sur ces prisons, où des milliers de vos sujets languissent par le vice de vos lois et la négligence de vos ministres ; considérez ces tristes
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monuments de la misère des hommes et de la dureté de ceux qui les gouvernent ; approchezvous de ces murs épouvantables, où la liberté est entourée de fers, et où l’innocence est confondue avec le crime.»
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Il seroit impossible de rien ajouter à cette description pathétique, et malheureusement trop exacte, des souffrances de ceux que les imperfections de notre ordre social, et l’insensibilité des dépositaires du pouvoir, condamnent à languir dans les prisons. Mais en reconnoissant la fidélité effrayante du tableau, il est douloureux d’avoir à se dire que de toutes les améliorations que l’humanité réclame, celles qui concernent le sort des détenus sont les plus difficiles à effectuer. L’homme est frappé d’une singulière imprévoyance, qui semble en quelque sorte attachée à son égoïsme pour lui préparer un châtiment. Tant qu’il jouit de sa liberté, elle lui paroît à l’abri des atteintes de la destinée. On croiroit que ceux qui gémissent au fond des cachots sont d’une espèce différente de la sienne : ce n’est qu’après l’évènement qui le précipite au milieu de la race proscrite que les illusions de son orgueil se dissipent, et il est alors trop tard pour réparer ce qu’il a dédaigné de prévenir. Cependant les progrès de la civilisation ont cet avantage, que l’égalité qui résulte nécessairement de ces progrès soumet à des peines uniformes un plus grand nombre d’individus. Malgré les exceptions qui survivent, grace aux traditions du privilège, la prison s’ouvre de nos jours devant des classes qui jadis n’en franchissoient jamais le seuil ; et, soumises à des rigueurs qui les indignent et les étonnent, elles apprennent à compatir à des maux qu’elles ignoroient autrefois, parcequ’elles ne les avoient pas soufferts. Ainsi quelques principes de justice ou de pitié s’accréditent en théorie. C’est quelque chose ; car, quoi qu’on en dise, la pratique suit toujours la théorie, bien que d’un pas lent et interrompu. 1
SL2, livre
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p. 290. Citation conforme.
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Commentaire sur Filangieri
Déja c’est une vérité reconnue que les détenus pour diverses causes doivent êtres séparés les uns des autres, et traités diversement. Cette vérité qui semble évidente n’auroit peut-être jamais triomphé, si quelques hommes de bonne compagnie ne s’étoient trouvés confondus avec des criminels dont la grossièreté les scandalisoit plus que le crime. L’orgueil de la position sociale a corroboré les impressions du dégoût physique, et l’humanité a gagné aux réclamations de la vanité blessée. Bientôt on sentira de même que si la prison peut être nécessaire pour s’assurer de la personne des individus prévenus d’un délit, ou violateurs d’un engagement, cette mesure sévère n’étant qu’une précaution (car je ne parle pas ici de la détention comme peine légale), elle doit se borner à ce qui est indispensable pour atteindre le but qu’elle se propose. Tout ce qui excède les limites de la nécessité la plus stricte est une injustice ; tout ce qui peut adoucir le sort des détenus sans favoriser leur évasion est un devoir sacré. Mais lorsqu’on veut qu’un devoir s’accomplisse, il faut attacher des peines à son infraction. Or, dans aucun pays, les geôliers qui excèdent leurs pouvoirs légitimes, ou violent les lois de l’humanité, ne sont menacés de peines suffisantes. La société semble craindre de décourager ces instruments de rigueur ; elle les arme d’une autorité presque discrétionnaire, et met des obstacles de tout genre à ce qu’on leur demande compte de l’usage qu’ils font de cette autorité. Singulière tendance de l’esprit humain à raisonner faux, quand il s’agit de diriger le raisonnement contre la force. Plus un homme est puissant, plus on croit nécessaire de le déclarer inviolable ; et néanmoins il est manifeste que plus il est puissant, plus les abus de sa puissance peuvent s’étendre et se diversifier. Ceci ne s’applique pas à la royauté, parcequ’un monarque transmet la puissance, et ne l’exerce pas ; mais pour toutes les fonctions subordonnées, depuis le ministre jusqu’au geôlier ou jusqu’au gendarme, la responsabilité doit être d’autant plus sévère qu’il se mêle plus d’arbitraire dans l’exercice de cette fonction. Or, dans l’intérieur d’une prison, par la force des choses, par la nécessité de maintenir l’ordre entre des hommes qui tous sont mécontents de leur captivité, par la disproportion de leur nombre à celui de leurs gardiens, un geôlier se trouve investi d’une autorité presque indéfinie. Placez donc dans la gravité du châtiment le préservatif que vous ne pouvez introduire dans la limite de l’autorité. Vous êtes forcé de livrer le prisonnier sans armes à un homme dont le caractère est justement suspect d’insensibilité et d’avarice : car qui voudroit être geôlier, s’il n’avoit un cœur de bronze et une ame avide ? Jetez-vous donc entre le prisonnier et cet homme. Vous êtes responsable de toutes les injustices qu’il peut éprouver ;
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Chapitre III,7 – Des prisons
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car vous l’avez garrotté, vous l’avez mis hors d’état de se défendre contre l’injustice ; vous avez fermé devant sa personne toutes les issues. Ouvrez toutes les issues à ses plaintes et à ses réclamations, et sur-tout ne vous bornez pas à des formes qui ne sont qu’une dérision cruelle, à des visites d’étiquette qui ne sont que des pièges, puisque ce malheureux captif qui s’est plaint se retrouve sous le joug du maître qu’il vient d’irriter. Ce n’est pas à l’administration, toujours partiale envers ses agents, à prononcer sur les délits de ces agents qu’elle protège ; elle est toujours partie dans cette nature de causes. Quelque léger que soit le grief d’un prisonnier, c’est aux tribunaux, c’est à des jurés à l’examiner ; et ils doivent l’examiner avec d’autant plus de scrupule, que le plaignant est dans une situation qui lui ôte une portion de ses forces, qu’il est plutôt de son intérêt de se concilier la faveur d’un homme dont il dépend à chaque minute, et qui peut le vexer de mille manières en restant en-deçà d’un délit formel, et que, s’il brave les inconvénients inséparables d’une lutte tellement inégale, c’est qu’il y est contraint par une irrésistible et douloureuse nécessité. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, toutes les présomptions sont en faveur de l’accusateur et contre l’accusé.
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Chapitre VIII. De l’abréviation des formes.
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«Il est aisé de voir combien est absurde la règle des criminalistes, et combien sont injustes les lois de la plus grande partie de l’Europe, qui dispen-
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sent de la rigueur des preuves lorsqu’il s’agit de crimes atroces.» Liv.
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Le lecteur pensera facilement que sur ce point je suis tout-à-fait d’accord avec Filangieri. Il y a trente ans que je n’ai cessé de dire et d’imprimer que c’étoit par la plus étrange pétition de principe que dans certains cas on abrégeoit les formes, sous le prétexte de l’atrocité des crimes, ou de la sûreté de l’état2. Assurément les formes n’ont d’autre but que de conduire les juges à la connoissance de la vérité. Si elles n’atteignoient pas ce but, elles seroient inutiles. En ce cas, pourquoi les introduire, pourquoi les conserver dans les procès ordinaires ? En fait de procédures, tout ce qui n’est pas indispensable est nuisible : toute lenteur est un inconvénient, qui n’est excusable que par sa nécessité ; et si les faits pouvoient être constatés, le crime ou l’innocence reconnus avec autant de certitude par la justice sommaire des Turcs que par nos précautions multipliées, la justice sommaire des Turcs seroit préférable à la multiplicité de nos précautions3. Mais si la vérité ne peut être découverte que par une adhérence scrupuleuse aux formes, comment se fait-il que là où cette découverte intéresse la vie ou l’honneur vous supprimiez les formes tutélaires ? Une peine infamante ou capitale, qui bouleverse toute l’existence d’un citoyen, le retranche du nombre des vivants, ou ne lui laisse pour partage que les fers, l’isolement, et une honte qui rejaillit sur tout ce qui lui est cher, vous
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SL2, livre III, chap. IX, p. 319. Citation conforme. Ce chapitre, d’une grande actualité au moment où BC publie son Commentaire, exprime en fait une doctrine développée depuis longtemps déjà. Voir Réflexions sur les constitutions, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1204, Note L. Il s’agit d’une réminiscence de Montesquieu, De l’Esprit des lois, livre VI, chap. 2. BC avait déjà utilisé cette pensée dans ses Principes de politique. Voir OCBC, Œuvres, t. V, p. 305, n. 1. À rapprocher peut-être aussi de Bentham, Draught of a New Plan for the Organisation of the Judicial Establishment in France, [London] : s.éd., 1790, p. 49.
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paroît-elle exiger, pour être appliquée, moins d’investigation, moins de scrupule et de lenteur, qu’une légère amende ou quelques jours de prison ? A voir les dispositions de presque tous les codes, et la pratique constante de tous les gouvernements, on diroit que les législateurs ont raisonné de la sorte. Un homme est accusé d’un vol simple, d’une fraude, de quelque usurpation de la propriété ou des droits d’autrui, ou d’un acte de violence, d’un homicide dicté par la jalousie, la vengeance, le besoin : vous l’entourez de toutes les sauvegardes ; vous lui laissez le bénéfice de ses juges naturels ; vous ne lui enlevez ni la ressource protectrice du jury, ni le ministère secourable d’un défenseur ; vous ne hâtez, n’abrégez, ne précipitez rien. Ce même homme est accusé d’un crime plus grave, contre lequel la loi est plus sévère, la peine plus rigoureuse ; on met à sa charge la préméditation d’un attentat sur la vie du prince, ou une conspiration menaçante pour la sûreté de l’état : aussitôt vous lui refusez toutes les garanties qui peuvent le protéger, s’il est innocent ; plus de jury, souvent plus de défenseurs, des formes écourtées, des tribunaux extraordinaires, des jugements sommaires ! Ne diroit-on pas que plus une accusation est terrible, plus il est superflu de l’examiner attentivement1. Et remarquez bien que cette absurdité de vos procédés n’est que la première. Vous en accumulerez bien d’autres dès que vous vous serez lancés dans cette route, et chaque pas que vous ferez sera une contradiction et une injustice. Vous punissez un homme d’avance, et ce n’est qu’après l’avoir puni que vous recherchez s’il est convaincu. Car, ou les formes sont des sauvegardes, ou elles ne sont que des superfluités fort oiseuses. Si elles sont des sauvegardes, en priver un prévenu, c’est lui infliger une peine, c’est le placer avant la conviction dans une position plus défavorable que les autres membres de l’état social. Mais si vous êtes certain que ce prévenu mérite une peine, pourquoi le traitez-vous sous d’autres rapports comme si vous admettiez qu’il peut être innocent ? 1
BC vise les deux lois d’exception adoptées juste après la mort du duc de Berry et plus spécialement la loi d’exception contre la liberté individuelle votée le 15 mars 1820 (l’autre portait sur la censure en matière de presse et sera adoptée le 30 mars 1820). Cette loi de sûreté générale permettait au gouvernement d’arrêter et de détenir pendant trois mois tout individu prévenu de complot contre la personne du roi ou contre la sûreté de l’E´tat. L’ordre d’arrestation devait être délibéré en Conseil des ministres et porter la signature de trois ministres. Il faut noter que BC est intervenu à trois reprises contre le projet dans la discussion sur le projet de loi (discours des 7, 10 et 13 mars 1820 ; Discours de M. Benjamin Constant à la Chambre des Députés, Paris : Ambroise Dupont et J. Pinard, 1828, t. I, pp. 188–223). Pour lui, ce projet est contraire à la Charte et aux libertés. À noter une autre intervention de BC, cette fois contre le projet de loi tendant à changer l’article 351 du Code d’instruction criminelle, concernant les décisions du jury, lors de la séance du 7 mai 1821 (Discours, t. I, pp. 493–502).
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Me répondrez-vous que la peine, si c’en est une, qui résulte pour lui de l’abréviation de quelques formes, n’est pas comparable à celle qu’il subira s’il est trouve´ coupable ? A la bonne heure, je veux en convenir ; mais toujours est-ce une peine. S’il est innocent, il ne l’a pas méritée ; et tant que vous ignorez s’il n’est pas innocent, de quel droit la lui faites-vous subir ? Ceci tient à la manière dont les hommes se laissent perpétuellement tromper par des rédactions artificieuses. On dit dans les codes : les coupables de tels ou tels crimes seront jugés suivant tel ou tel mode de procédure ; et, en conséquence, on trouve tout simple que ceux qu’on accuse de ces crimes soient ainsi jugés. C’est cependant comme s’il étoit dit dans les codes : il dépendra du premier venu d’enlever à quiconque il choisira le bénéfice des formes protectrices, pourvu qu’il choisisse aussi le délit dont il lui plaira de l’inculper ; car un homme peut bien ne pas conspirer, ne pas assassiner ; mais il ne peut pas empêcher un autre de l’accuser d’assassinat ou de conspiration : et telle est la foiblesse de l’esprit humain, que la pétition de principe que cette rédaction fait apercevoir dans tout son odieux passe inaperçue, grace à un léger changement de rédaction1. Écoutez en effet les orateurs et les écrivains qui prennent sous leur protection les jugements sommaires, les cours spéciales, les commissions, en un mot, la suppression des garanties habituelles dans des cas particuliers. Ils reprochent à ceux qui réclament ces garanties de se déclarer les défenseurs de brigands, de conspirateurs, ou d’assassins. Mais avant de reconnoître que ce sont des assassins, des conspirateurs, ou des brigands, ne faut-il pas constater les faits ? Or que sont les formes, sinon les meilleurs moyens pour parvenir à ce que les faits soient constatés ? Que si vous croyez pouvoir vous en passer, ou y suppléer par des recherches plus rapides et moins minutieuses, j’y consens ; mais alors suivez la même marche pour toutes les causes. N’est-il pas insensé de prétendre que pour certains faits, et précisément les moins révoltants et les moins graves, on doit s’astreindre à des lenteurs ; tandis que pour d’autres faits, et précisément les plus graves et les plus odieux, on peut décider avec précipitation ? Soyez par pudeur d’accord avec vous-mêmes. La précipitation est-elle sans inconvénient, supprimez les lenteurs, car elles sont superflues : les lenteurs ne sont-elles pas superflues, abstenez-vous de la précipitation, car elle est dangereuse. 1
BC renvoie au Code d’instruction criminelle de 1808 et au Code pénal de 1810 qui étaient restés en vigueur sous la Restauration. C’est surtout le premier code qui est visé, puisqu’il détermine la procédure pour chaque crime ou délit. On pourrait se demander si BC ne critique pas la procédure inquisitoire en matière pénale qui conduit le ministère public à porter l’accusation et par conséquent à introduire une inégalité entre les parties, à la différence du procès pénal en common law. L’adversaire politique attaqué est Villèle, qu’on tient pour liberticide.
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Si la nature avoit voulu qu’on pût distinguer à des signes extérieurs et infaillibles les hommes innocents et les hommes coupables, les sophismes qu’on met sans cesse en avant pour abréger les formes auroient une excuse ou un prétexte ; mais alors ce ne seroient pas seulement les formes qu’il faudroit abréger, ce seroient les jugements eux-mêmes qu’il faudroit supprimer comme inutiles. Contre des criminels reconnus l’exécution suffit. Mais ces signes n’existent pas ; les formes sont l’unique moyen de discerner le crime de l’innocence : les abréger, les restreindre, les modifier dans la plus petite des sauvegardes qu’elles établissent, c’est déclarer qu’on se soucie peu d’arriver à ce discernement, et que, pourvu qu’on frappe, on ne se met guère en peine de ne frapper que le criminel. J’ai vu cent fois poser en principe que la nature du tribunal étoit déterminée par la nature du crime. Cette rédaction sentencieuse ne sert qu’à joindre la pédanterie à l’iniquité. Encore une fois, ce n’est pas la nature du crime qu’il faudroit dire, c’est la nature de l’accusation. Changer le tribunal en vertu de l’accusation, c’est mettre l’accusé à la merci de l’accusateur, c’est traiter le prévenu comme un condamné, c’est supposer la conviction avant l’examen, et faire précéder la faute par le châtiment ; car, je le répète, priver un citoyen de ses juges naturels, c’est lui infliger une peine, une peine très forte1.
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Ce passage ne résume pas le chapitre, comme on pourrait le croire, mais vise probablement les cours prévôtales qui privent les accusés de leurs juges naturels garantis par l’article 62 de la Charte. L’article suivant autorise l’institution des cours pévôtales «si leur rétablissement est jugé nécessaire». BC thématise donc la longévité d’une institution napoléonienne.
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Chapitre IX. Des témoins à décharge.
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«Les témoins qui déposent en faveur de l’accusé seront écoutés comme ceux qui déposent contre lui. L’accusateur et l’accusé seront présents à leurs dépositions. De même que l’accusé a le droit de discuter avec les témoins produits par l’accusateur, celui-ci aura le droit de discuter avec les témoins produits par l’autre. Toutes choses égales d’ailleurs, la preuve testimoniale en faveur de l’accusé détruira la preuve testimoniale contre lui.» Liv. III, chap. XVI, p. 3851.
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Toutes les règles que Filangieri établit dans ce chapitre sont parfaitement conformes aux lois de l’humanité et de la justice. Il est seulement fâcheux que dans certains pays elles soient continuellement enfreintes, et que dans d’autres l’ardeur du législateur à procurer des condamnations ait été telle qu’il n’ait pas même songé à ces précautions indispensables. On diroit qu’aux yeux de plus d’un magistrat la position des témoins à décharge est peu differente de celle de l’accusé ; que les uns participent de la défaveur qui entoure l’autre, et que rendre témoignage en faveur d’un homme qui est soupçonné d’un crime est un acte de complicité, ou du moins un quasi-délit. Tandis qu’on encourage les témoins à charge, qu’on les avertit des contradictions dans lesquelles ils tombent, afin qu’ils les fassent disparoître ou les concilient, qu’on leur suggère des explications, qu’on leur donne des éloges, les témoins à décharge sont menacés, interrompus, et même fréquemment accusés d’imposture. Le ministère public ou les présidents prennent au milieu des débats leurs réserves pour faux témoignage, et, de la sorte, l’épée de Damoclès est suspendue sur des hommes assermentés à dire la vérité, et auxquels on montre du geste et de la voix le banc des accusés préparé pour eux, s’ils ne mentent pas à leur conscience. V: 24 qu’ils les fassent ] qu’ils fassent 1
BC cite la règle IX des «Règles de jurisprudence pour la preuve testimoniale» exposées dans SL2, livre III, troisième partie, chap. XV, «Règles de jurisprudence qui doivent déterminer la certitude légale», édition Dufart, t. II, pp. 383–384. Citation conforme, à l’exception de la coupure d’une phrase non signalée, sans importance pour le sens.
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Chapitre III,9 – Des témoins à décharge
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Je ne connois rien de si scandaleux, de si criminel que cette conduite ; et, entre l’accusé et le magistrat qui se conduit ainsi, la culpabilité la plus grave me semble être du côté du dernier. Une règle qu’il seroit de toute équité de poser comme fondamentale et inviolable seroit celle qui obligeroit l’accusateur ou le magistrat, s’ils avoient inculpé de faux témoignage un témoin à décharge, à prouver leur assertion pendant les débats, et avant la sentence à rendre contre l’accusé. L’usage contraire a un inconvénient qui doit frapper tout esprit éclairé. La déposition d’un témoin inculpé de faux est nécessairement infirmée dans l’esprit du jury ; elle perd de son poids ; elle devient même une nouvelle présomption funeste à l’accusé, qui est soupçonné d’un crime de plus que celui pour lequel il est traîné devant la justice, je veux dire du crime d’avoir suborné des témoins, et de les avoir engagés au parjure : c’est avec cette prévention que le jury prononce. Préoccupé de cette idée, les circonstances qui l’au roient déterminé en faveur de l’accusé, il les tourne contre lui. L’alibi attesté par le témoin devenu suspect, cet alibi, qui d’ailleurs seroit une preuve d’innocence, se transforme en charge additionnelle, en probabilité de nouveaux délits1. Qu’ensuite, lorsque le jugement principal est prononcé, lorsque le bourreau a saisi la victime, lorsque le sang a rougi l’échafaud, une enquête tardive déclare véridique le témoin qu’un accusateur acharné ou un magistrat implacable avoient environné de soupçon, qu’importe au malheureux que la hache a frappé, et dont les derniers moments ont été aggravés par l’infamie ? Il est à remarquer que, pour comble d’absurdité et d’iniquité, le mode de procédure actuel, presque dans tous les pays du monde, sépare entièrement la cause du témoin de celle de l’accusé ; et que même, lorsque la véracité du premier est reconnue, on n’en tire aucune conséquence en faveur du second. N’est-il pas clair cependant que, si la déposition du témoin dont on avoit infirmé le témoignage est déclarée vraie, la situation de l’accusé est tout-àfait changée ? Si, par exemple, un témoin avoit attesté la présence de cet accusé dans un lieu éloigné du théâtre du délit, et qu’après avoir révoqué en doute la sincérité de sa narration, on l’eût admise comme incontestable par un jugement solennel, n’en résulteroit-il pas que la question de l’alibi seroit décidée en faveur de l’accusé ? Et ne seroit-il pas contraire à toute raison de persister dans la condamnation prononcée contre celui-ci, malgré le jugement qui auroit admis comme prouvée une circonstance d’après laquelle l’impossibilité du crime seroit démontrée ? 1
BC évoque dans cette page, sans nommer l’accusé, l’affaire Wilfrid Regnault. Voir OCBC, Œuvres, t. XI, pp. 469–681 et Étienne Hofmann, Une erreur judiciaire oubliée : L’Affaire Wilfrid Regnault (1817–1818), Genève : Slatkine, 2009.
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Commentaire sur Filangieri
Et c’est pourtant ce qui est arrivé dans un procès fameux1. Un homme prévenu de révolte à main armée produit trois témoins qui déposent de son alibi au moment où cette révolte avoit eu lieu. Le ministère public interrompt ces témoins, les menace, les accuse de faux témoignage, et fait contre eux ses réserves. En attendant, le procès continue, l’accusé est condamné. Quand la sentence est prononcée, et même, je crois, après qu’elle a reçu son exécution, on instruit le procès en faux témoignage, et les témoins sont acquittés. Leur témoignage n’étoit donc pas faux : donc l’alibi qu’ils avoient attesté étoit réel. N’est-il pas manifeste que, si cette dernière question eût été résolue avant la sentence prononcée contre l’accusé principal, la conviction du jury eût été autre, et autre aussi leur déclaration ?
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BC vise le procès contre le général Berton, le plus spectaculaire des procès contre les Carbonari ou Chevaliers de la liberté qui marquent l’année 1822. Ce procès contre Berton, le responsable principal de la conspiration de Saumur, concerne BC directement, parce que le procureur général Mangin a accusé, sans la moindre preuve, sept membres de l’opposition libérale de la Chambre des députés (La Fayette, Laffitte, le général Foy, Voyer d’Argenson, de Kératry, le général Demarçay et BC) d’avoir soutenu la conspiration en promettant un «gouvernement provisoire». Tout cela est sans fondement. Voir les plaidoiries de Mangin dans Le Moniteur no 213, 1er août 1822, pp. 1125a–1130c (l’acte d’accusation) et no 250, 7 septembre 1822, pp. 1309b–1310c (le plaidoyer final). BC a parlé de cette affaire dans son discours du 1er août 1822 à la Chambre (discours contre l’allocation demandée pour la pairie) et publié en septembre 1822 une fulminante brochure contre Mangin, Lettre à M. le Procureur-Général de la Cour royale de Poitiers, confisquée juste après l’impression. BC fut condamné finalement dans le procès entamé contre lui à 1.000 francs d’amende. On consultera, pour l’analyse de cette affaire les excellentes notes d’E´. Harpaz dans Corr. Goyet (voir l’index, entrée «Berton»), ainsi que Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. VI, chap. 2, pp. 68–127. Les témoins à décharge, accusés de faux témoignage par Mangin, s’appellent Baillargau et Bougoin, qui ont déposé dans le procès en faveur de Pierre Caffé, condamné à mort. Voir Le Moniteur no 251, 8 septembre 1822, p. 1313c. Nous n’avons pas réussi à identifier le troisième. – La critique de BC porte en fait sur un point très important de la procédure d’investigation. Jean-Marie Duvergier de Hauranne écrit dans son ouvrage De l’ordre légal en France et des abus de l’autorité (Paris : Baudouin frères, 1828) : «Les pouvoirs du président sont très étendus : il maintient l’ordre dans l’audience, il dirige tout le débat, et il a le pouvoir discrétionnaire de faire apporter toutes nouvelles pièces, et d’appeler devant la Cour toutes les personnes dont les déclarations peuvent être utiles. Il fait retirer, s’il le juge convenable, un ou plusieurs accusés pendant que les autres sont interrogés ou les témoins entendus ; mais, dans ce cas, il lui est prescrit d’instruire les accusés de qui s’est fait en leur absence. Il peut aussi faire arrêter à l’instant un témoin dont la déposition paraîtrait fausse, et, pour tout dire en peu de mots, la loi l’autorise à prendre toutes les mesures qui lui paraissent utiles à la découverte de la vérité.» (t. II, pp. 122–123). Il n’est pas dit que les accusations contre les témoins doivent être décidées avant de continuer l’instruction contre l’accusé pour lequel ils étaient censés témoigner.
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«L’examen du fait étoit (chez les Romains) réservé à quelques juges nommés par le sort, joint au consentement des parties ... Quatre cent cinquante citoyens, d’une probité reconnue, étoient nommés chaque année ... Le préteur ... jetoit leurs noms dans une urne ... Le juge tiroit au sort ... la quantité de noms que la loi prescrivoit ... L’accusateur et l’accusé rejetoient alors ceux qui leur paroissoient suspects ... On leur en substituoit d’autres tirés de l’urne comme auparavant ... Tant qu’il restoit des noms dans l’urne ... chaque partie avoit le droit de chercher par le sort un autre juge ...» Liv. III, chap. XVI, p. 3961.
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On voit que Filangieri ne suppose pas que les jurés puissent être nommés autrement que par le sort. Cependant depuis bien des années, c’est au choix de l’autorité, et d’une autorité subalterne, que cette nomination est confiée en France. Cette pratique, subversive de tous les principes, nous a été léguée par un homme de qui nous tenons toutes les mauvaises traditions qui défigurent ou dénaturent notre régime constitutionnel2. Cependant on ne peut se déguiser qu’une autorité, instituée, salariée, et révocable par la portion exécutive du gouvernement, est plus incapable que toute autre de procéder d’une manière rassurante au choix des hommes qui décident en dernier ressort de l’honneur et de la vie de tous les citoyens. La règle de tout fonctionnaire dépendant, c’est l’ordre qu’on lui donne ; son plus grand mérite, c’est son zèle ; la soumission est son premier devoir : au contraire, un juré ne doit prononcer que d’après sa conscience. Il ne reconnoît point de supérieurs ; la soumission seroit en lui le plus noir des crimes. Les jurés nommés par l’autorité sont des commissaires ; et, comme la corruption de ce qui est bon est la pire de toutes, les jurés, ainsi tirés dans un but, sont retenus par moins de freins, ont moins de pudeur, se dérobent plus facilement à toute responsabilité morale, que des juges permanents, 1 2
Montage de citations tirées de SL2, livre III, chap. XVI, édition Dufart, t. II, pp. 395–397. Il s’agit de Napoléon et de la «Loi relative au mode de nomination des jurés» du 6 germinal an VIII (27 mars 1800). BdL, 3e série, t. XVI, Bulletin 18, no 116, pp. 1–2. BC avait pris connaissance de ce texte au moment où il fut communiqué au Tribunat.
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Commentaire sur Filangieri
qui, du moins, demeurant exposés toujours aux regards publics, peuvent répugner à se charger de l’odieux de jugements iniques et de sentences dictées ; tandis que les jurés rentrant dans la foule s’y mêlent de nouveau, et se flattent, après les prévarications les plus scandaleuses, d’être oubliés ou de vivre inaperçus. On objecte que tous les hommes ne sont pas doués d’une instruction, ou ne possèdent pas une perspicacité suffisante pour décider des questions souvent compliquées. Je réponds que la plupart du temps ces questions ne sont telles que parcequ’on les complique à dessein. L’intelligence n’est pas répartie aussi inégalement entre les hommes que se plaisent à le supposer ceux qui voudroient établir une oligarchie intellectuelle, pour appuyer et perpétuer l’oligarchie sociale et politique. Il n’y a presque personne qui n’ait un sens assez juste et assez droit, quand la passion ou l’intérêt ne le vicient pas, pour juger sainement et facilement d’un fait clairement exposé, attesté ou combattu par des témoignages qui s’éclairent et se balancent, et placé sous tous ses points de vue par les débats respectifs de l’accusateur et de l’accusé. Mais quand il seroit vrai que le défaut d’intelligence entraîneroit de temps à autre des inconvénients partiels, ces inconvénients sont-ils comparables, je le demande, à ceux qui accompagnent la dépendance, la servilité, et même en écartant le soupçon fâcheux de motifs plus coupables, cette diposition sévère et hostile que les agents de l’autorité dans tous les pays apportent dans leurs relations avec les citoyens, disposition qui est un effet malheureux, mais naturel et inévitable, d’une position différente de la position commune à tous ? Certes, si on me proposoit d’être à mon choix jugé par douze artisans, sans connoissance aucune, ne sachant, si l’on veut, ni lire ni écrire, mais tirés au sort, et ne recevant d’ordre que de leur conscience, ou par douze académiciens les mieux façonnés à l’élégance, par douze hommes de lettres les plus exercés dans les finesses du style, mais nommés par l’autorité, qui tiendroit suspendus sur leurs têtes les cordons, les titres, et les salaires, je préfèrerois les douze artisans. Que si on me disoit que ces jurés ignorants et grossiers n’ont que trop montré ce que l’innocence devoit attendre d’eux dans les tribunaux révolutionnaires, je répliquerois que sans doute dans ces exécrables tribunaux révolutionnaires il y a eu tous les excès de l’ignorance unis aux excès de la férocité1. Mais ces hommes vulgaires et atroces n’étoient que les instruments d’une classe plus éclairée ; ils avoient dans leurs rangs comme con1
BC parle de l’institution des tribunaux révolutionnaires à plusieurs reprises dans ses écrits. Voir p. ex. OCBC, Œuvres, t. V, pp. 307–308.
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Chapitre III,10 – Du jugement par jurés
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seillers et comme guides des membres de ces classes supérieures, et le jury qui a condamné la Gironde étoit présidé par un marquis de l’ancien régime1. La classe instruite n’est plus d’ailleurs tellement peu nombreuse qu’elle n’offre le moyen de tirer au sort parmi des hommes doués de lumières. Vous avez deux écueils à craindre, la partialité et l’ignorance. Écartez les prolétaires qui sont ignorants ; écartez les agents de l’autorité qui seroient serviles, et laissez le hasard décider entre les autres, le hasard qui est impartial, parcequ’il est aveugle, qui ne distingue pas entre les causes ordinaires et les causes extraordinaires, entre les procès privés et les procès politiques, qui ne s’émeut pas au mot de conspiration, et qui seul pourra vous donner des jurés véritables et non des créatures du pouvoir. Il ne m’a point paru nécessaire d’entrer ici dans la question générale du jury. Cependant parmi les accusations auxquelles cette institution salutaire est en butte périodiquement, il en est une qui prouve une telle aberration de logique, et qui néanmoins est revêtue quelquefois de formes tellement captieuses, que je crois utile de la réfuter en passant, ou, pour mieux dire, de reproduire en peu de mots une réfutation déja publiée2. Si les jurés, a-t-on dit, trouvent une loi trop sévère, ils absoudront l’accusé, et déclareront le fait non constant contre leur conscience. Ainsi, quand les peines seront ou leur paroîtront excessives, ils prononceront contre leur conviction ; et l’auteur suppose le cas où un homme seroit accusé d’avoir donné asile à son frère, et auroit par cette action encouru la peine de mort3.
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BC désigne ainsi Antoine-Quentin Fouquier-Tinville (1746–1795), accusateur public du Tribunal révolutionnaire, «fils cadet d’une nombreuse famille de très petite noblesse picarde» (Dictionnaire historique de la Révolution française). Le procès contre les Girondins s’est tenu à Paris du 3 au 9 brumaire an II (24–30 octobre 1793) sous la présidence du juge Armand-Martial Herman. Fouquier-Tinville a demandé la peine de mort pour les 21 accusés de la Gironde, exécutés le lendemain sans que les défenseurs aient pu lire leurs plaidoiries, un des jurés, Antonelle, ayant déclaré, probablement sous la pression de Fouquier-Tinville, «que la conscience des jurés est suffisamment éclairée». Voir Gérard Walter, Actes du Tribunal révolutionnaire, recueillis et commentés par G. W., Paris : Mercure de France, 1968, p. 247 ; dossier du procès de la Gironde : pp. 147–256 ; noms du personnel du Tribunal révolutionnaire : p. 168. On consultera en outre l’ouvrage de H. Wallon, Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris avec le journal de ses actes, Paris : Hachette, 1880–1882, 6 vol, édition abrégée sous le même titre, Paris : Hachette, 1880, 2 vol. BC pense au chap. XIX des Principes de politique (texte de 1815), OCBC, Œuvres, t. IX/2, pp. 848–849. Allusion à l’ouvrage de Jean-Joseph Gach, Des vices de l’Institution du jury en France, Paris : Petit, an XIII – 1804. BC résume les pp. 40–41 de la brochure de Gach. Le même raisonnement est déjà discuté, en partie avec les mêmes formules, dans les Principes de politique livre IX, chap. I (OCBC, Œuvres, t. V, pp. 302–303, en note). On constate une fois de plus que BC ne réfute pas seulement un adversaire contemporain respectable, mais revient ici énergiquement à un des problèmes les plus importants de sa théorie politique, le pouvoir du jury («l’omnipotence du jury», comme on dit à l’époque) et l’obéissance à la loi. On consultera sur cette problématique et ses impacts pratiques et philosophiques Lucien
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Commentaire sur Filangieri
Qui ne voit qu’ici ce n’est pas le jury, mais la loi dont on fait une satire sévère. Il y a dans l’homme un certain respect pour la loi écrite ; il lui faut des motifs très puissants pour la surmonter. Quand ces motifs existent, c’est la faute des lois. Si les peines paroissent excessives aux jurés, c’est qu’elles le sont ; ils n’ont aucun intérêt à les trouver telles. Dans les cas extrêmes, c’est-à-dire quand les jurés sont placés entre un sentiment irrésistible de justice et d’humanité et la lettre de la loi, ce n’est point un mal qu’ils s’en écartent. Il ne faut pas qu’il existe une loi qui révolte l’humanité du commun des hommes, tellement que des jurés, pris dans le sein d’une nation, ne puissent se déterminer à concourir à l’application de cette loi ; et l’institution de juges permanents, que l’habitude réconcilieroit avec cette loi barbare, loin d’être un avantage seroit un fléau. L’exemple choisi par l’antagoniste du jury en fait, selon moi, le plus grand éloge. Il prouve que cette institution met obstacle à l’exécution des lois contraires à l’humanité, à la justice, et à la morale. On est homme avant d’être juré ; par conséquent, loin de blâmer le juré qui, dans ce cas, manqueroit à son devoir de juré, je le louerois de remplir son devoir d’homme, et de courir, par tous les moyens qui seroient en son pouvoir, au secours d’un accusé prêt à être puni d’une action qui, loin d’être un crime, est une vertu. Cet exemple ne prouve point qu’il ne faille pas de jurés ; il prouve qu’il ne faut pas de lois qui prononcent [la] peine de mort contre celui qui donne asile à son frère a.
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Cours de politique constitutionnelle, tom. I, p. 114–1151.
V: 20 prononcent la peine ] la source porte prononcent peine
1
Jaume, L’individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français, Paris : Fayard, 1997, pp. 393–396, ainsi que l’article de BC «De l’obéissance à la loi», OCBC, Œuvres, t. X/1, pp. 355–358 (l’introduction par L. Jaume) et 598–609. BC cite ici le texte de la deuxième édition de ses Réflexions sur les constitutions et les garanties, qu’il avait publiée dans le t. I de son Cours de politique constitutionnelle. Le passage s’y trouve p. 114. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1127.
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Chapitre XI. De la peine de mort.
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«Des principes dont nous avons déduit le droit de punir, dérive le droit de prononcer la peine de mort.» Liv. III, chap. V, p. 161.
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Indépendamment des raisonnements métaphysiques de Filangieri, beaucoup de considérations pratiques se réunissent pour nous engager à ne pas rejeter avec trop de précipitation, et sans distinguer la nature des crimes, la peine de mort, contre laquelle se sont élevés dans le dernier siècle les philosophes les plus estimables2. Rien n’est plus horrible assurément que la barbarie avec laquelle nos codes actuels prodiguent cette peine contre une foule de délits, que les lois de la nature et de la justice, les vices de nos organisations sociales, la misère des classes que ces organisations déshéritent, devroient faire considérer par le législateur avec indulgence et avec pitié. Mon premier soin sera donc d’indiquer soigneusement à combien peu de crimes cette peine doit être appliquée. La propriété est sans doute une chose sacrée. La société lui doit toutes les garanties qui lui sont nécessaires ; elle lui doit ces garanties par cela même qu’elle l’admet. Puisque l’abolir est impossible, ne la tolérer qu’imparfaitement seroit absurde. Plus l’égalité primitive peut se révolter contre un partage inégal dont l’origine remonte au droit de la force, plus cette inégalité une fois reconnue pour inévitable doit être défendue contre les protestations toujours renaissantes de la portion qu’elle dépouille. Cependant, il ne s’ensuit pas que la société puisse légitimement diriger contre ce genre de délits tous les genres de peines. Les atteintes portées à des conventions sociales, quelque respectables qu’elles soient, ne sont jamais aussi criminelles que la violation des règles éternelles imprimées dans tous les cœurs. De cela seul que la peine de mort est la plus sévère, il est injuste de l’appliquer indistinctement au vol et au meurtre prémédité. Au1 2
SL2, livre III, chap. V, p. 16. La citation est conforme. BC pense évidemment à Cesare Beccaria qui s’est prononcé contre le maintien de la peine capitale dans son traité Dei delitti e delle pene, paru en 1764. BC a consulté cet ouvrage dans la traduction d’André Morellet, Traité des délits et des peines, parue en 1797. Voir Principes de politique, OCBC, Œuvres, t. V, p. 311, n. 2. – Il faut ajouter que ce chapitre reprend les raisonnements de la note N de la deuxième édition des Réflexions sur les constitutions, parfois en reproduisant des phrases ou des morceaux de phrases (OCBC,
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Commentaire sur Filangieri
cune circonstance n’excuse celui qui arrache de propos délibéré la vie à son semblable. Mille causes peuvent se réunir pour que celui qui s’empare d’une portion de propriété que la loi lui refuse, y soit entraîné par des motifs qui, sans l’absoudre, atténuent sa faute. Sans doute, plus la civilisation fait de progrès, plus le travail offre de ressources à la classe qui n’a que ce moyen d’existence1 ; mais nous n’en sommes pas arrivés au point où le travail sera pour toute cette classe une ressource assurée : et par une complication déplorable, cette ressource devient d’ordinaire d’autant plus insuffisante que les malheureux en ont plus besoin. Plus il y a d’indigents auxquels le travail seroit nécessaire, plus ils rencontrent d’obstacles pour l’obtenir, et plus le salaire qu’ils en retirent est modique. Si maintenant nous nous les représentons poursuivis des angoisses et de l’agonie de leurs familles, pouvant ainsi se reprocher comme un crime de laisser périr de misère et de faim des êtres auxquels, en leur donnant la naissance, ils ont implicitement promis secours et protection ; si nous les suivons par la pensée dans les réduits misérables où toutes les souffrances les assiègent ; si nous réfléchissons que cent fois peut-être, avant de se déterminer à braver les lois, ils se sont traînés aux genoux du riche pour lui demander, non pas un don, mais une occupation quelconque ; peut-être jugerons-nous avec moins de rigueur des délits qui, loin de supposer, comme l’homicide, l’absence ou l’oubli des sentiments naturels, peuvent, dans cette situation extrême et terrible, être le résultat de la puissance de ces sentiments eux-mêmes. Il faut les punir ces délits, sans doute ; nous y sommes condamnés par notre état social. Mais faire monter sur le même échafaud l’homme devenu coupable parcequ’il a vu sa femme expirante faute d’aliments, et celui qui auroit égorgé la sienne, est une atrocité tellement stupide, qu’on s’étonne de la trouver encore aujourd’hui dans le code de plus d’une nation policée. Et ici une réflexion me frappe, qui n’est pas, ce me semble, sans quelque importance. Cette situation misérable d’une grande portion de l’espèce humaine n’est pas le résultat nécessaire de l’établissement de la propriété. Toutes les fois qu’il y a dans un pays paix et liberté, le pauvre laborieux y trouve sa subsistance. Mais lorsqu’un gouvernement entre prend des guerres inutiles, ou impose aux citoyens des entraves capricieuses, les ressources de la classe qui travaille disparoissent. Les entreprises agricoles, manufacturières, commerciales, périssent, échouent, ou sont au moins suspendues par les inquiétudes des spéculateurs, et la tentation du crime devient pour le pauvre la conséquence inévitable de l’impossibilité qu’il rencontre à se nourrir innocemment.
1
Œuvres, t. VIII/2, pp. 1206–1208). La nouvelle version qu’il donne ici démontre que le sujet lui importait beaucoup. Ce qui suit est un tableau et une analyse remarquables de la misère de la grande partie de la population qui vit dans les conditions les plus révoltantes.
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Chapitre III,11 – De la peine de mort
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Ce n’est donc pas à cet infortuné qui n’est pas consulté sur le sort qu’on lui impose, et qui ne sauroit en avoir la responsabilité, c’est au pouvoir ambitieux ou arbitraire qui pése sur lui qu’on doit s’en prendre, en bonne justice, si les lois sont violées, la propriété menacée ; et c’est ce pouvoir qui se charge de punir, avec une sévérité impitoyable, les désordres dont il est le véritable et l’unique auteur ! On diroit que plus les besoins sont pressants, les angoisses déchirantes, le malheur sans reméde, plus l’autorité se croit en droit de redoubler de rigueur. Voyez quel mécontentement se manifeste dans la classe aisée à la moindre diminution ou interruption de son aisance. Quand les fonds baissent, quand les calculs commerciaux sont dérangés, que de murmures, que de menaces même contre l’autorité, dont les fausses mesures ont amené cet état de crise ! Et toutefois, ceux qui murmurent, ceux qui menacent ne sont atteints que dans une portion de leurs jouissances ! Ils ont le temps d’attendre des circonstances plus favorables ; ils ne périssent pas eux et leurs familles avant que ces circonstances se présentent. Et l’on exige moins d’impatience, plus de résignation, plus de scrupule dans le pauvre qui n’a pas un jour devant lui, dans le pauvre que la faim presse, dont elle dévore les chétives ressources, dont elle moissonne les enfants ! Non, jamais la peine de mort ne peut être dirigée avec justice contre les simples violations de la propriété. La loi doit s’armer pour maintenir cette base actuelle des sociétés humaines ; mais elle ne doit pas confondre toutes les gradations de la culpabilité, frapper du même glaive l’homicide farouche qui s’est montré sans pitié, et le malheureux qu’a peut-être entraîné la pitié pour des êtres souffrants dont les cris déchiroient son ame et bouleversoient sa raison. J’en dirai autant des délits politiques1. Ces délits, en supposant le gouvernement organisé de manière à ne pas précipiter les peuples dans le désespoir, prouvent une absence de raison qu’il faut mettre hors d’état de nuire, et causent des désordres qu’il faut réprimer ; mais ces délits ne décèlent souvent aucune perversité véritable, et quelquefois ils sont compatibles avec de hautes vertus privées ou publiques. La peine de mort est d’autant plus injuste contre ce genre de délits, lorsqu’ils sont séparés de l’homicide et de l’attaque à main armée, que cette peine a peu d’empire sur les ames assez exaltées pour concevoir le projet d’établir ce qui leur paroît la liberté, ou assez ambitieuses pour méditer la conquête du pouvoir. V: 2 et ] la source porte te 1
3 pése sur ] la source porte pésesur
Voir sur cette question Principes de politique, OCBC, Œuvres, t. V, livre IX, pp. 297–318, et surtout Réflexions sur les constitutions et les garanties, deuxième édition, note N, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1208.
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Commentaire sur Filangieri
Le prix d’une révolution qui réussit est toujours, pour celui qui en est le chef, fort au-dessus des risques qu’elle entraîne. Ce ne seroit donc que comme sûreté, et pour se délivrer d’adversaires dangereux, que les gouvernements appliquent aux délits politiques la peine capitale. Mais de nos jours ce calcul est très incertain, et il est inutile. Il est incertain, parceque dans un pays où l’opinion réprouve la marche de l’autorité assez fortement pour que les conspirations y soient dangereuses, une autorité ainsi réprouvée n’échappe au sort qui la menace que pour un temps nécessairement fort court. On dresse des échafauds, on verse du sang ; l’opinion surnage, trouve d’autres organes, revient à la charge, plus forte qu’auparavant par ses souvenirs, et elle triomphe. Lorsqu’au contraire, les conspirations ne sont que l’œuvre de quelques ambitions personnelles, il est inutile de frapper de mort les coupables qu’on est parvenu à désarmer. Sans racines dans la masse du peuple, ils cessent d’être redoutables. L’exil ou la prison peuvent en faire justice sans péril pour la société ; l’exil est la peine naturelle, celle que motive le genre même de la faute, et qui, en écartant du coupable toutes les causes d’irritation, le replacent, pour ainsi dire, dans un état d’innocence, et lui rendent la faculté d’y rester. Un écrivain de nos jours, M. Guizot, a très bien prouvé que l’influence des individus étoit nulle dans notre siècle ; les masses seules sont à craindre, et, comme on ne sauroit les condamner à mort, c’est à les satisfaire qu’il faut travailler1. Plusieurs codes punissent de mort l’intention du crime qu’ils assimilent à l’exécution. Cette disposition décèle une grande ignorance de la nature de l’homme. Long-temps après qu’il s’est familiarisé avec la pensée d’une action criminelle, il peut reculer devant cette action. Le besoin qui le tourmente, la passion qui l’agite, lui ont suggéré l’affreux projet d’un assassinat : mais qui vous répond qu’il n’auroit pas laissé échapper le fer en la présence de sa victime ? Le législateur a reconnu cette possibilité, puisqu’il mitige la peine lorsqu’il est prouvé que des circonstances dépendantes de la volonté de l’accusé ont suspendu l’accomplissement de son attentat. Mais lorsque des obstacles imprévus, indépendants de cette volonté, ont produit ce résultat, rien ne constate que, si ces obstacles ne s’étoient point présentés, la conscience ne se fût pas réveillée. Le malheureux qui, dans son exaltation 1
Voir François Guizot, Des moyens du gouvernement et d’opposition dans l’état actuel de la France, Paris : Ladvocat, 1821, p. 244 : «Dans la France nouvelle, j’ai considéré les masses». Guizot appelle «masses» tous ceux qui s’opposent aux privilèges hérités de l’Ancien Régime. Guizot, dont le nom apparaît à plusieurs reprises dans le Carnet de travail pour la religion, était un ami de BC ; il possède cet ouvrage dans sa bibliothèque.
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Chapitre III,11 – De la peine de mort
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coupable, s’est encouragé au crime, et se croit la force de le commettre, éprouve à travers cette résolution déplorable une agitation, une terreur, un remords, dont on ne peut calculer les effets. Jusqu’au dernier moment, il peut abjurer un projet qui jette le désordre dans son ame, et le rend à ses propres regards un objet odieux. Méconnoître ce retour possible, c’est augurer trop mal de l’espéce humaine : ne pas y avoir égard, dans les lois, c’est exclure de la rédaction des lois toute considération de justice, et tout sentiment d’équité. Ces diverses règles établies, la peine de mort me paroît admissible. Disputer à la société le droit de l’infliger, et prétendre qu’elle excèderoit par-là sa juridiction, seroit établir un principe qui nous conduiroit plus loin qu’on ne semble le prévoir. Le chagrin, la détention, le travail forcé, la déportation, l’exil même, toutes les souffrances morales ou physiques, abrègent la vie ; et si l’état n’a aucun droit sur celle de ses membres, il n’est pas plus autorisé à l’abréger qu’à y mettre un terme. De plus, la peine de mort est la seule qui dispense les gouvernements de multiplier à l’infini une classe d’hommes vouée d’office à des fonctions odieuses, qui, remplies volontairement et briguées avec ardeur, sont une preuve de perversité et de corruption. Je l’ai dit ailleurs1, j’aime mieux quelques bourreaux que beaucoup de geôliers, de gendarmes, de sbires ; j’aime mieux qu’un petit nombre d’agents infames se fassent des machines de mort que l’horreur publique entoure, que si par-tout on voyoit pour un misérable salaire des hommes réduits à la qualite´ de dogues intelligents, et qui, ennemis soldés de leurs semblables, exercent une surveillance ombrageuse et farouche sur les malheureux livrés à leur merci.
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BC pense aux Réflexions sur les constitutions, note N, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1206.
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Commentaire sur Filangieri
Chapitre XII. Des travaux publics.
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«La condamnation aux travaux publics est une peine qui procure à la société deux sortes d’avantages. Elle offre l’exemple des maux attachés au
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crime, et elle fait tourner au profit de la société les occupations de celui qui l’a offensée.» Liv.
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III,
part. II, chap.
IX,
p. 581.
En combattant l’opinion de Filangieri, relativement aux travaux publics, je ne me déguise pas que je me mets en opposition avec les idées les plus accréditées par beaucoup d’écrivains amis de l’humanité. Cependant des objections graves s’élèvent selon moi, et contre le principe sur lequel ces idées reposent, et contre leur application pratique. Quel est le droit de la société sur les individus qui violent ses lois, et jettent dans son intérieur le trouble et le désordre ? Celui de les mettre hors d’état de nuire. Ce droit peut s’étendre, comme on l’a vu plus haut, jusqu’à la privation de la vie. Mais de ce que j’ai le droit, dans ma défense légitime, de tuer un homme, ai-je celui de l’obliger au travail, c’est-à-dire, de le réduire à la condition d’esclave ? Une maxime qui me semble incontestable, et sans laquelle l’esclavage aboli par la religion et le progrès des lumières seroit chaque jour à la veille de renaître, c’est que l’homme ne peut aliéner sa personne et ses facultés que pour un temps limité, et par un acte de sa volonté propre. Si l’usage qu’il en fait est nuisible, ôtez-lui en l’usage ; si le mal dont il est l’auteur est tel que la sûreté publique exige qu’il en soit privé pour jamais, condamnez-le à la mort. Mais tourner ses facultés à votre profit, vous servir de lui comme d’une bête de somme, c’est revenir aux époques les plus grossières, c’est consacrer la servitude, c’est dégrader la condition humaine. Et qu’on ne se laisse pas tromper par de fausses apparences de philantropie : ou le travail imposé aux condamnés est différent de celui que la nécessité impose aux classes innocentes et laborieuses de la société, ou il n’en diffère ni par son excès ni par sa nature.
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SL2, livre
III,
deuxième partie, chap. IX, édition Dufart, t. III, p. 58. Citation conforme.
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Chapitre III,12 – Des travaux publics
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Dans le premier cas, c’est la mort plus lente et plus douloureuse. On voit, et on voyoit sur-tout sous Joseph II, des prisonniers demi-nus, le corps à moitié dans l’eau, traînant avec effort des vaisseaux sur le Danube. Certes, le malheureux périssant sur l’échafaud subissoit des souffrances moins affreuses et moins prolongées1. Dans le cas opposé, le travail modéré, transformé en châtiment, est à mon avis d’un dangereux exemple. L’organisation de nos sociétés actuelles oblige une classe assez nombreuse à des travaux souvent au-delà des forces humaines. Il y a quelque imprudence à lui montrer la position dans laquelle, sans avoir commis de faute ou même de crime, elle se trouve placée, comme la punition des désordres les plus honteux ou des actions les plus coupables. Dans plusieurs contrées d’Allemagne et de Suisse, les condamnés aux travaux publics sont traités avec douceur, leur subsistance est assurée ; on les soigne dans leurs maladies. Ils sont physiquement plus heureux que le pauvre ; et bientôt surmontant le seul mal véritable de leur situation, la honte qui les entoure, ne travaillant pas plus ou travaillant moins qu’ils ne le faisoient en liberté, on les voit à-la-fois contents et dégradés, avilis et satisfaits, sans inquiétude sur l’avenir, et se consolant par cette sécurité de l’opprobre du présent. Un pareil spectacle ne doit-il pas corrompre la classe laborieuse dont l’innocence ne lui sert qu’à rendre son existence non moins pénible et plus incertaine2 ? TR: 1–5 On voit ... prolongées. ] Réflexions sur les constitutions, première et deuxième 13–22 Dans plusieurs contrées ... éditions, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1020 et 1132. incertaine ? ] Réflexions sur les constitutions, première et deuxième éditions, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1021 et 1132. 1
2
Ce n’est pas la première fois que BC utilise cet exemple. Nous reprenons ici la note que nous avons ajoutée au texte précédent (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1020, n. 1). BC fait allusion à une peine en vigueur sous l’empereur d’Autriche Joseph II. Voir Hinrich Rüping, Grundriß der Strafrechtsgeschichte (München : C. H. Beck, 1981, «Reform und Revolution», Teil 4, § 1, p. 72), sur les réformes qui sont introduites dans le droit pénal pendant les Lumières : «Der aus der Orientierung an der öffentlichen Wohlfahrt folgende Utilitarismus läßt in den neuzeitlichen Territorialstaaten die Verurteilung zu Zwangsarbeit als rechtlich legitim und wirtschaftlich sinnvoll erscheinen.» Les travaux forcés remplaçaient à partir de 1800 environ, et pour des motifs utilitaires et non humanitaires, les condamnations à mort. Une forme de travaux forcés était le traînage de bateaux sur les rivières. Nous reprenons ici la note que nous avions ajoutée à ce passage dans les Réflexions sur les constitutions, (OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1021, n. 1). Paul Sauer, Im Namen des Königs. Strafgesetzgebung und Strafvollzug im Königreich Württemberg von 1806 bis 1871 (Stuttgart : Konrad Theiss, 1984, p. 18), explique que la réforme pénale a considérablement adouci la pratique des peines à partir de 1806. Dans le royaume du Wurtemberg, peut-être encore dans d’autres états allemands, certains détenus privilégiés pouvaient être employés pour des travaux dans les domaines de la noblesse. On les traitait avec ménagement, les soignait et ils pouvaient parfois passer la nuit en liberté. BC peut avoir eu connaissance de cette pratique.
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Commentaire sur Filangieri
Chapitre XIII. De la déportation.
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«Quand l’expérience de toute l’antiquité, et surtout les exemples d’un grand nombre de colonies de la Grèce, ne nous attesteroient pas que le rebut
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d’une nation peut devenir une excellente société politique ; quand l’histoire de nos temps modernes ne nous offriroient pas un pareil spectacle, la raison seule nous feroit sentir qu’il est possible de faire d’un malhonnête homme un homme de bien,
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en l’éloignant du théâtre de ses crimes, de son infamie, et de sa condamnation.» Liv.
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Il n’est personne qui, en descendant au fond de son ame, et en reportant ses regards sur toute sa vie, n’ait trouve´ que la plupart du temps ses fautes, celles sur-tout qui, commises à l’entrée d’une carrière encore incertaine, influent de la manière la plus décisive sur tout l’avenir, n’ont eu d’origine que l’opposition qui existe entre la nature primitive de l’homme et les institutions que la société lui a imposées. Ceci n’est point dit en blâme ou en haine de ces institutions. Il y en a qui sont nécessaires, et qui cependant ne sont pas gravées dans les cœurs ni indiquées par l’instinct. Ce sont des conventions, devenues sacrées parceque le bon ordre repose sur elles, mais néanmoins factices dans leur essence. Il en résulte que l’inexpérience de la jeunesse est exposée souvent à franchir des barrières dont elle se doute à peine, malgré les avertissements qu’on lui prodigue, avertissements qu’elle n’a guère, au milieu des impressions qui l’ébranlent et des passions qui l’entraînent, le loisir d’écouter ; elle pèche tantôt par ignorance, tantôt par impétuosité. Alors, excusable aux yeux de la justice morale, elle n’en est pas moins coupable devant les lois positives, ou, si elle ne va pas jusqu’à provoquer leur sévérité, elle est poursuivie par celle de l’opinion qui juge avec distraction et flétrit sans examen.
V: 25 avertissements ] la source porte avertissemenst
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SL2, livre
III,
deuxième partie, chap. IX, édition Dufart, t. III, p. 62. Citation conforme.
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Chapitre III,13 – De la déportation
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De là résulte, entre ceux qu’atteint cette triste destinée et la société, une opposition, une hostilité, qui s’accroît par le sentiment même qu’elle produit. Ses formes varient ; mais on la retrouve dans des individus de toutes les classes. Pour les individus des rangs inférieurs, qu’on ne daigne pas même instruire des lois qui les régissent, et qui ne connoissent ces lois que lorsqu’elles les frappent, cette opposition, cette hostilité deviennent la source de beaucoup de crimes. Ces crimes punis avec une rigueur qu’accompagne toujours plus ou moins d’infamie, creusent aussitôt derrière le criminel un abyme qui rend impossible tout retour à la vertu, toute vie paisible, toute existence innocente et inoffensive. La conviction que tout est irréparable est un obstacle à toute tentative de réparation ; et de la sorte, il arrive fréquemment qu’une seule faute précipite un individu, qui étoit destiné à un meilleur sort, dans une série de délits toujours plus graves. Arracher à cet état déplorable ceux que l’ignorance, un instant de passion, les angoisses du besoin, y ont jetés malgré eux, est le plus grand bienfait que la société, qui n’est peut-être pas à leur égard tout-à-fait sans reproche, puisse leur conférer. En les arrachant à la pression d’institutions désobéies et de relations à jamais viciées, on leur rendroit un calme, une sécurité, une espèce d’innocence anticipée qui rétabliroit dans leur être moral l’ordre et l’harmonie. Je le dis avec une conviction profonde : si l’on pouvoit par miracle replacer un homme qui vient de se souiller d’un crime, au moment qui a précédé cet acte funeste, à peine en est-il un sur mille qui persistât à le commettre. La déportation ou la colonisation ont cet avantage. C’est pour ainsi dire une nouvelle naissance, une ère nouvelle, où l’homme affranchi d’importuns souvenirs a de nouveau le choix du bien ou du mal ; l’expérience a prouvé combien cette régénération est salutaire. N’a-t-on pas vu, dans la colonie de Botany-Bay, des criminels couverts d’opprobre en Europe, recommencer la vie sociale, et ne se croyant plus en guerre avec la société en devenir des membres utiles1. Tout ce que dit Filangieri sur ce point est donc parfaitement juste ; mais il auroit dû ajouter que, pour que les bienfaits de la colonisation soient ce qu’ils peuvent être, il faut que d’un côté les criminels, rentrés dans l’état d’innocence, oublient leur honte et leurs délits antérieurs, et que de l’autre TR: 27–31 l’expérience ... utiles.] Réflexions sur les constitutions, première et deuxième éditions, OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 1019 et 1131. Principes de politique, Livre IX, chap. 3, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 314. 1
Sur la colonie pénitentiaire de Botany-Bay, voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 1019, n. 1 et t. V, p. 314, n. 1.
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Commentaire sur Filangieri
la société, autant que le tolère la sûreté publique, couvre du même oubli ce triste passé. Sans doute, des précautions sont permises contre des hommes dont on n’est pas sûr ; mais moins ces précautions seront vexatoires, plus l’amélioration sera facile et rapide. La première condition, pour que l’homme se relève d’une dégradation qui ne serviroit qu’à le corrompre de plus en plus, c’est qu’il réapprenne à s’estimer. Or, pour s’y encourager, commencez par lui montrer la possibilité qu’il regagne votre estime. Si dans le nouvel hémisphère où vous l’avez transporté, vous le persécutez du spectre de vos défiances et de votre réprobation, il se lassera bientôt de marcher dans la bonne route, et il deviendra de nouveau coupable aujourd’hui, parceque vous lui aurez trop laissé apercevoir que vous vous rappelez qu’il fut coupable autrefois. Les gouvernements européens s’écartent trop souvent de cette maxime. L’arbitraire exercé sur les déportés, les mépris qu’on leur prodigue, les entraves inutiles qui les vexent, les châtiments humiliants qu’on leur inflige, la conviction qu’on leur montre qu’on les croit capables de tout ce dont le hasard les fait soupçonner, sont des commémorations d’infamie que la prudence autant que l’humanité devroient interdire. Vous avez rendu à ces malheureux un nouveau ciel, une nouvelle terre ; laissez-les contempler ce ciel, cultiver cette terre, en leur montrant que l’océan qui les sépare de leur ancienne patrie les sépare aussi de leurs fautes, et que c’est vraiment un avenir nouveau qui se présente à eux.
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Quatrième partie.
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Chapitre premier. De l’éducation.
«Si les oreilles des enfants pouvoient être inaccessibles à l’erreur, les vérités pénètreroient facilement dans leur ame. Il n’y a qu’une éducation
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réglée par le magistrat et par la loi qui puisse produire cet effet dans le peuple ; et une telle éducation ne peut être qu’une éducation publique.» Liv. IV, part. I, chap. II, pp. 15 et 16.
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Tout le livre de Filangieri sur l’éducation est empreint de son admiration pour l’antiquité, et par conséquent atteint du même vice que j’ai eu trop souvent occasion de relever. Je n’en parlerai donc plus ici. Je reconnoîtrai même qu’il ose quelquefois blâmer quelques unes des institutions qu’il rencontre chez les anciens, et que de plus il indique des mesures de détail qui peuvent avoir leur utilité ; mais l’erreur fondamentale n’en existe pas moins. Il n’en veut pas moins confier à l’autorité la direction presque exclusive de l’éducation. C’est cette erreur surtout qu’il est important de réfuter1. L’éducation peut être considérée sous deux points de vue. On peut la regarder en premier lieu comme un moyen de transmettre à la génération Établissement du texte : Imprimé : Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, Deuxième partie, Paris : Dufart, 1824, [=F6]. TR: 19-p. 357.29 L’éducation ... marcher avec succès. ] Principes de politique, Livre XIV, chap. 6, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 541–550. article du Mercure de France, 11 octobre 1817, pp. 53–63. Mélanges de littérature et de politique, pp. 240–254. 1
Sous le prétexte de critiquer l’admiration trop marquée de Filangieri pour l’Antiquité s’annonce un changement radical de paradigme. L’éducation confiée à l’autorité selon une vision rationaliste de l’E´tat est pour BC contraire à l’idée de liberté et d’indépendance individuelles. Et pourtant on s’aperçoit aussi que BC ne réussit pas à trouver de réponse satisfaisante à toutes les questions qui se posent dans ce contexte. Car les «mesures de détails qui peuvent avoir leur utilité» proposées par Filangieri visent sans doute le programme d’une éducation et d’une formation professionnelle de 13 ans pour les enfants des classes pauvres aux frais de l’E´tat, qui se lit comme une utopie sociale. BC n’a pas de solution à ce problème, il attribue tout au plus à l’E´tat le rôle de celui qui se voit obligé d’offrir les moyens matériels de l’instruction pratique, comme on pourra s’en apercevoir en lisant ce chapitre qui reprend un article du Mercure de 1817 lancé dans un contexte poli-
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naissante les connoissances de tout genre acquises par les générations antérieures. Sous ce rapport, elle est de la compétence du gouvernement. La conservation et l’accroissement de toute connoissance est un bien positif ; le gouvernement doit nous en garantir la jouissance. Mais on peut voir aussi dans l’éducation le moyen de s’emparer de l’opinion des hommes pour les façonner à l’adoption d’une certaine quantité d’idées, soit religieuses, soit morales, soit philosophiques, soit politiques. C’est sur-tout comme menant à ce but que les écrivains de tous les siècles lui prodiguent leurs éloges. Nous pourrions d’abord, sans révoquer en doute les faits qui servent de base à cette théorie, nier que ces faits fussent applicables à nos sociétés actuelles. L’empire de l’éducation dans la toute-puissance qu’on lui attribue, et en admettant cette toute-puissance comme démontrée chez les anciens, seroit encore parmi nous plutôt une réminiscence qu’un fait existant. L’on méconnoît les temps, les nations, et les époques, et l’on applique aux modernes ce qui n’étoit praticable qu’à une ère différente de l’esprit humain. Parmi des peuples qui, comme le dit Condor cet a, n’avoient aucune notion de la liberté personnelle, et où les hommes n’étoient que des machines dont la loi régloit les ressorts et dirigeoit tous les mouvements, l’action de l’autorité pouvoit influer plus efficacement sur l’éducation, parceque cette action uniforme et constante n’étoit combattue par rien. Mais aujourd’hui la société entière se souléveroit contre la pression de l’autorité, et l’indépendance individuelle que les hommes ont reconquise réagiroit avec force sur l’éducation des enfants. La seconde éducation, celle du monde et des circonstances, déferoit bien vite l’ouvrage de la première b. a b
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Mémoires sur l’instruction publique1. Helvétius, de l’Homme2.
tique où les aspects sociaux du programme pédagogique n’avaient pas encore éveillé l’attention du public. En 1829, lorsqu’il reprend ce texte dans les Mélanges, il n’en parle pas non plus. Allusion au passage suivant : «Les anciens n’avoient aucune notion de ce genre de liberté ; ils sembloient même n’avoir pour but dans leurs institutions que de l’anéantir. Ils auroient voulu ne laisser aux hommes que les idées, que les sentimens qui entroient dans le systême du législateur. Pour eux la nature n’avoit créé que des machines, dont la loi seule devoit régler les ressorts et diriger l’action» (Bibliothèque de l’homme public, 1791, t. I, p. 47). Claude-Adrien Helvétius, De l’homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation, Londres : [chez la société typographique], 1776. BC ne cite pas un passage précis, mais pense surtout à la «Première section» de l’ouvrage, où l’auteur parle de l’éducation des jeunes gens de par le monde.
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De plus, il seroit possible que nous prissions pour des faits historiques les romans de quelques philosophes, imbus des mêmes préjugés que ceux qui, de nos jours, ont adopté leurs principes ; et alors ce système au lieu d’avoir été, du moins autrefois, une vérité pratique, ne seroit qu’une erreur perpétuée d’âge en âge1. Où voyons-nous en effet cette puissance merveilleuse de l’éducation ? Est-ce à Athènes ? Mais l’éducation publique, consacrée par l’autorité, y étoit renfermée dans les écoles subalternes, qui se bornoient à la simple instruction. Il y avoit d’ailleurs liberté complète d’enseignement. Est-ce à Lacédémone ? L’esprit uniforme et monacal des Spartiates tenoit à un ensemble d’institutions dont l’éducation ne faisoit qu’une partie ; et cet ensemble, je le pense, ne seroit ni facile ni desirable a` renouveler parmi nous. Est-ce en Crète ? Mais les Crétois étoient le peuple le plus féroce, le plus inquiet, le plus corrompu de la Grèce. On sépare les institutions de leurs effets, et on les admire, d’après ce qu’elles étoient destinées à produire, sans considérer ce qu’elles ont produit en réalité. On nous cite les Perses et les Égyptiens ; mais toutes nos traditions sur les institutions égyptiennes et persanes sont quelquefois démontrées fausses par la seule impossibilité manifeste des faits qu’elles contiennent, et presque toujours rendues très douteuses par des contradictions inconciliables. Ce que nous savons d’une manière certaine, c’est que les Perses et les Égyptiens étoient gouvernés despotiquement, et que la lâcheté, la corruption, l’avilissement, suites éternelles du despotisme, étoient le partage de ces nations misérables. Nos philosophes en conviennent dans les pages mêmes où ils nous les proposent pour exemples, relativement à l’éducation : bizarre foiblesse de l’esprit humain, qui, n’apercevant les objets qu’en détail, se laisse tellement dominer par une idée favorite, que les effets les plus décisifs ne l’éclairent pas sur l’impuissance des causes dont il lui convient de proclamer le pouvoir. Les preuves historiques ressemblent pour la plupart à celle que M. de Montesquieu allègue en faveur de la gymnastique. L’exercice de la lutte, dit-il, fit gagner aux Thébains la bataille de Leuctres2. Mais 1
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Le terme «roman» ne renvoie pas à Rousseau, comme on pourrait le croire, mais désigne d’une manière générale les historiens qui parlent de l’éducation des civilisations anciennes d’une manière peu fiable, peut-être à la Cyropédie de Xénophon, qui parle des institutions pédagogiques des Perses. Il est impossible de préciser les ouvrages mentionnés par la suite. Il s’agit probablement de publications récentes ou de brochures politiques du Directoire ou du Consulat, qui font état d’un savoir plus ou moins courant et peu critique sur les nations citées comme modèles (Athéniens, Spartiates, Crétois, Perses et E´gyptiens), d’après Platon, Aristote et d’autres traditions. Les mêmes tendances se rencontrent sous la Restauration. Voir Gabriel Compayré, Histoire critique des doctrines de l’éducation en France depuis le seizième siècle, t. I, pp. 3–25, t. II, pp. 281–363. BC cite une phrase du livre VIII, chap. 11 de De l’Esprit des lois de Montesquieu (Œuvres complètes, t. II, p. 359) en partant, comme l’a bien vu É. Hofmann (Principes de politique,
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sur qui gagnèrent-ils cette bataille ? Sur les Lacédémoniens qui s’exerçoient à la gymnastique depuis quatre cents ans. Le système qui met l’éducation sous la main du gouvernement, repose sur deux ou trois pétitions de principe. On suppose d’abord que le gouvernement sera tel qu’on le desire. On voit toujours en lui un allié, sans réfléchir qu’il peut devenir un ennemi. L’on ne sent pas que les sacrifices qu’on impose aux individus peuvent ne pas tourner au profit de l’institution que l’on croit parfaite, mais au profit d’une institution quelconque. Cette considération est d’un poids égal pour les partisans de toutes les opinions. Vous regardez comme le bien suprême le gouvernement absolu, l’ordre qu’il maintient, la paix que, selon vous, il procure ; mais si l’autorité s’arroge le droit de s’emparer de l’éducation, elle ne se l’arrogera pas seulement dans le calme du despotisme, mais au milieu de la violence et des fureurs des factions. Alors le résultat sera tout différent de ce que vous espérez. L’éducation soumise à l’autorité n’inspirera plus aux générations naissantes ces habitudes paisibles, ces principes d’obéissance, ce respect pour la religion, cette soumission aux puissances visibles et invisibles que vous considérez comme la base du bonheur et du repos social. Les factions feront servir l’éducation, devenue leur instrument, à répandre dans l’ame de la jeunesse des opinions exagérées, des maximes farouches, le mépris des idées religieuses qui leur paroîtront des doctrines ennemies, l’amour du sang, la haine de la pitié. Ce raisonnement n’aura pas moins de force, si nous l’adressons aux amis d’une liberté sage et modérée. Vous voulez, leur dirons-nous, que, dans un gouvernement libre, l’autorité domine l’éducation pour former les citoyens dès l’âge le plus tendre à la connoissance et au maintien de leurs droits, pour leur apprendre à braver le despotisme, à résister au pouvoir injuste, à défendre l’innocence contre l’oppression. Mais le despotisme emploiera l’éducation à courber sous le joug ses esclaves dociles, à briser dans les cœurs tout sentiment noble et courageux, à bouleverser toute notion de
p. 371, n. 28), de Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs (Berlin : G.-J. Decker & Fils, 1788, t. I, pp. 150–151), où il a trouvé le passage suivant : «M. de Montesquieu dit que l’exercice de la lutte fit gagner aux Thébains la bataille de Leuctres ; mais il avait oublié que cette bataille fut livrée en la cent-deuxième olympiade ; de sorte qu’on comptait alors plus de quatre cents ans depuis le moment où les Lacédémoniens s’étaient aussi exercés à la lutte, qui ne put cependant les sauver d’une défaite totale.» Les emprunts textuels font comprendre que BC s’approprie l’argument de de Pauw sans recourir au texte original de l’Esprit des lois. Il avait copié ce passage dans le dossier des Additions aux Principes de politique (BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 124ro).
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justice, à jeter de l’obscurité sur les vérités les plus évidentes, à repousser dans les ténèbres ou à flétrir par le ridicule tout ce qui a rapport aux droits les plus sacrés, les plus inviolables de l’espèce humaine. Dans toutes ces hypothèses, ce que l’on desire que le gouvernement fasse en bien, le gouvernement peut le faire en mal. Ainsi les espérances peuvent être déçues, et l’autorité qu’on étend à l’infini, d’après des suppositions gratuites, peut marcher en sens inverse du but pour lequel on l’a créée. L’éducation qui vient du gouvernement doit se borner à l’instruction seule. L’autorité peut multiplier les canaux, les moyens de l’instruction, mais elle ne doit pas la diriger. Qu’elle assure aux citoyens des moyens égaux de s’instruire ; qu’elle procure aux professions diverses l’enseignement des connoissances positives qui en facilitent l’exercice ; qu’elle fraie aux individus une route libre pour ar river à toutes les vérités de fait constatées a, et pour parvenir au point d’où leur intelligence peut s’élancer spontanément à des découvertes nouvelles ; qu’elle rassemble pour l’usage de tous les esprits investigateurs les monuments de toutes les opinions, les inventions de tous les siècles, les découvertes de toutes les méthodes ; qu’elle organise enfin l’instruction de manière à ce que chacun puisse y consacrer le temps qui convient à son intérêt ou à son desir, et se perfectionner dans le métier, l’art ou la science auxquels ses goûts ou sa destinée l’appellent ; qu’elle ne nomme point les instituteurs ; qu’elle ne leur accorde qu’un traitement qui, leur assurant le nécessaire, leur rende pourtant desirable l’affluence des élèves ; qu’elle pourvoie à leurs besoins lorsque l’âge ou les infirmités auront mis un terme à leur carrière active ; qu’elle ne puisse point les destituer sans des causes graves, et sans le concours d’hommes indépendants d’elle b ; car les instituteurs soumis au gouvernement seront à-la-fois négligents et serviles : leur servilité leur fera pardonner leur négligence. Soumis à l’opinion seule, ils seroient à-la-fois actifs et indépendants c. a b
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On peut enseigner les faits sur parole, mais jamais les raisonnements1. Pour les détails de l’organisation de l’instruction publique, qui ne sont pas du ressort de cet ouvrage, je renvoie le lecteur aux Mémoires de Condorcet, où toutes les questions qui se rapportent à cette matière sont examinées. Smith, Richesse des nations2.
V: 7 lequel ] la source porte le quel 1 2
Dans les Mélanges, BC attribue cette phrase à Condorcet. La citation n’est pas identifiée. BC pense surtout au livre V, chap. 1, «Des dépenses à la charge du souverain ou de la république», section 3, article 2 : «Des dépenses qu’exigent les institutions pour l’éducation de la jeunesse». Voir Smith, Recherches, t. II, pp. 384–413. Le passage qui parle des imperfections des institutions publiques se lit pp. 386–388.
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En dirigeant l’éducation, le gouvernement s’ar roge le droit et s’impose la tâche de maintenir un corps de doctrine. Ce mot seul indique les moyens dont il est obligé de se servir. En admettant qu’il choisisse d’abord les plus doux, il est certain du moins qu’il ne permettra d’enseigner dans ses écoles que les opinions qu’il préfère a. Il y aura donc rivalité entre l’éducation publique et l’éducation particulière. L’éducation publique sera salariée : il y aura donc des opinions investies d’un privilège. Mais si ce privilège ne suffit pas pour faire dominer les opinions favorisées, croyez-vous que l’autorité, jalouse de sa nature, ne recoure pas à d’autres moyens ? Ne voyezvous pas, pour dernier résultat, la persécution plus ou moins déguisée, mais compagne constante de toute action superflue de l’autorité1 ? Les gouvernements qui paroissent ne gêner en rien l’éducation particulière, favorisent néanmoins toujours les établissements qu’ils ont fondés, en exigeant de tous les candidats aux places relatives à l’éducation publique une sorte d’apprentissage dans ces établissements. Ainsi, le talent qui a suivi la route indépendante, et qui, par un travail solitaire, a réuni peut-être plus de connoissances, et probablement plus d’originalité qu’il ne l’auroit fait dans la routine des classes, trouve sa carrière naturelle, celle dans laquelle il peut se communiquer et se reproduire, fermée tout-à-coup devant lui b.
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Condorcet, premier Mémoire, p. 552. Tout ce qui oblige ou engage un certain nombre d’étudiants à rester à un collège ou à une université, indépendamment du mérite ou de la réputation des maîtres, comme d’une part, la nécessité de prendre certains degrés qui ne peuvent être conférés qu’en certains lieux, et de l’autre, les bourses et assistances accordées à l’indigence studieuse, ont l’effet de ralentir le zèle, et de rendre moins nécessaires les connoissances des maîtres ainsi privilégiés sous une forme quelconque. Smith, V, 13.
Allusion sans doute au Plan d’éducation nationale de Michel Lepelletier, présenté à la Convention par Robespierre, au nom de la commission d’instruction publique (Paris : Imprimerie nationale, s.d.) au cours de la séance du 13 juillet 1793, où Lepeletier évoque les institutions de Lycurgue. Dans ce Premier Mémoire, on trouve le passage suivant : «Il est bien plus important que la puissance publique ne dicte pas la doctrine commune du moment comme des vérités éternelles, de peur qu’elle ne fasse de l’instruction un moyen de consacrer les préjugés qui lui sont utiles et un instrument de pouvoir de ce qui doit être la barrière la plus sûre contre tout pouvoir injuste» (Bibliothèque de l’homme public, 1791, t. I, p. 55). A. Smith, Recherches. BC cite presque littéralement le début d’une phrase de Smith du livre V, chap. 1 («Tout ce qui ... des maîtres» ; t. IV, p. 146), le reste développe les observations de Smith (voir A. Smith, Recherches, t. II, p. 388). Le même passage se trouve dans les Additions aux Principes de politique (BCU, Fds Ct II, 34/5, fo 109vo).
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Ce n’est pas que, toutes choses égales, je ne préfère l’éducation publique à l’éducation privée. La première fait faire à la génération qui s’élève un noviciat de la vie humaine plus utile que toutes les leçons de pure théorie, qui ne suppléent jamais qu’imparfaitement à la réalité et à l’expérience. L’éducation publique est salutaire sur-tout dans les pays libres. Les hommes rassemblés à quelque âge que ce soit, et sur-tout dans la jeunesse, contractent, par un effet naturel de leurs relations réciproques, un sentiment de justice et des habitudes d’égalité, qui les préparent à devenir des citoyens courageux et des ennemis de l’arbitraire. On a vu, sous le despotisme même, des écoles dépendantes de l’autorité, reproduire, en dépit d’elle, des germes de liberté qu’elle s’efforçoit en vain d’étouffer. Mais je pense que cet avantage peut être obtenu sans contrainte. Ce qui est bon n’a jamais besoin de privilèges, et les privilèges dénaturent toujours ce qui est bon. Il importe d’ailleurs que si le système d’éducation que le gouvernement favorise est ou paroît être vicieux à quelques individus, ils puissent recourir à l’éducation particulière, ou à des instituts sans rapports avec le gouvernement. La société doit respecter les droits individuels, et dans ces droits sont compris les droits des pères sur leurs en fants a. Si son action les blesse, une résistance s’élèvera qui rendra l’autorité tyrannique, et qui corrompra les individus en les obligeant à l’éluder. On objectera peutêtre à ce respect que nous exigeons du gouvernement pour les droits des pères, que les classes inférieures du peuple, réduites par leur misère à tirer parti de leurs enfants, dès que ceux-ci sont capables de les seconder dans leurs travaux, ne les feront point instruire dans les connoissances les plus nécessaires, l’instruction fût-elle même gratuite, si le gouvernement n’est autorisé à les y contraindre. Mais cette objection repose sur l’hypothèse d’une telle misère dans le peuple, qu’avec cette misère rien ne peut exister de bon. Ce qu’il faut, c’est que cette misère n’existe pas. Dès que le peuple jouira de l’aisance qui lui est due, loin de retenir ses enfants dans l’ignorance, il s’empressera de leur donner de l’instruction. Il y mettra de la vanité, il en sentira l’intérêt. Le penchant le plus naturel aux pères, c’est d’élever leurs enfants au-dessus de leur état. C’est ce que nous voyons en Angleterre, et ce que nous avons vu en France pendant la révolution. Durant cette époque, bien qu’elle fût agitée, et que le peuple eût beaucoup à souffrir de son gouvernement, cependant, par cela seul qu’il acquit plus d’aisance, l’instruction fit des progrès étonnants dans cette classe. Par-tout l’instruction du peuple est en proportion de son aisance. a
Condorcet, premier Mémoire, p. 441 .
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BC renvoie à la Bibliothèque de l’homme public (1791, t. I, p. 44) en résumant une page du Premier Mémoire.
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J’ai dit au commencement de ce chapitre que les Athéniens n’avoient soumis à l’inspection des magistrats que les écoles subalternes ; celles de philosophie restèrent toujours dans l’indépendance la plus absolue, et ce peuple éclairé nous a transmis à ce sujet un mémorable exemple. Le démagogue Sophocle ayant proposé de subordonner à l’autorité l’enseignement des philosophes, tous ces hommes, qui, malgré leurs erreurs nombreuses, doivent à jamais servir de modèles, et comme amour de la vérité et comme respect pour la tolérance, se démirent de leurs fonctions. Le peuple réuni les déclara solennellement affranchis de toute inspection du magistrat, et condamna leur absurde adversaire à une amende de cinq talents a. Mais, dira-t-on, s’il s’élevoit un établissement d’éducation reposant sur des principes contraires à la morale, vous disputeriez au gouvernement le droit de réprimer cet abus ? Non sans doute, pas plus que celui de sévir contre tout écrit et toute action qui troubleroient l’ordre public. Mais la répression est autre chose que la direction ; et c’est la direction que j’interdis à l’autorité. D’ailleurs, on oublie que, pour qu’un établissement d’éducation se forme ou subsiste, il faut des élèves ; que, pour qu’il y ait des élèves, il faut que leurs parents les y placent : et qu’en mettant à part, ce qui néanmoins n’est nullement raisonnable, la moralité des parents, il ne sera jamais dans leur intérêt de laisser égarer le jugement et pervertir le cœur de ceux avec lesquels ils ont, pour toute la durée de leur vie, les relations les plus importantes et les plus intimes. La pratique de l’injustice et de la perversité peut être utile momentanément, et dans une circonstance particulière ; mais la théorie ne peut jamais avoir aucun avantage. La théorie ne a
Diogène Laërce, Vie de Théophraste1.
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BC cite cette anecdote d’après Cornelius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Grecs, t. I, pp. 232–233 (Principes de politique, p. 380, n. 52). La même histoire est rapportée, dans des termes très semblables, par Leonard von Dresch, dans son ouvrage Uebersicht der allgemeinen politischen Geschichte, insbesondere Europens, Weimar : LandesIndustrie-Comptoir, 1814, t. I, p. 215. Pauw était donc l’auteur qui faisait autorité dans cette matière. BC cache ses lectures en renvoyant à la source commune, Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, livre V, chap. 2, «Vie de Théophraste» (voir la traduction par Robert Genaille, Paris : Garnier-Flammarion, 1965, t. I, p. 242). Il faut dire toutefois que le texte de Diogène Laërce est moins univoque que ne le prétend BC et qu’il ignore un certain nombre des détails. Il ne parle ni d’une démission des philosophes, mais d’un exil, ni de l’affranchissement des philosophes de l’inspection du magistrat, mais de l’abolissement, à l’initiative d’un Philon, de la loi acceptée l’année précédente (307/306) sur la proposition de Sophocle de Sounion, fils d’un certain Amphikleides dont on ne sait par ailleurs rien d’autre (LGPN, II, Attica). Il faut ajouter encore que l’exégèse des faits exposée ici n’est pas confirmée par la recherche moderne. Voir Matthias Haake, Der Philosoph in der Stadt. Untersuchungen zur öffentlichen Rede über Philosophen und Philosophie in den hellenistischen Poleis, München : C. H. Beck, 2007, pp. 16–43.
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sera jamais professée que par des fous, que repousseroit incontinent l’opinion générale, sans même que le gouvernement s’en mêlât. Il n’auroit jamais besoin de supprimer les établissements d’éducation où l’on donneroit des leçons de vice et de crime, parcequ’il n’y auroit jamais d’établissements semblables ; et que, s’il y en avoit, ils ne seroient guère dangereux, car les instituteurs resteroient tout seuls. Mais, à défaut d’objections plausibles, on s’appuie de suppositions absurdes, et ce calcul n’est pas sans adresse : s’il y a du danger à laisser les suppositions sans réponse, il paroît y avoir, en quelque sorte, de la niaiserie à les réfuter. J’espère beaucoup plus pour le perfectionnement de l’espèce humaine des établissements particuliers d’éducation, que de l’instruction publique la mieux organisée par l’autorité. Qui peut limiter le développement de la passion des lumières dans un pays de liberté ? Vous supposez aux gouvernements l’amour des lumières. Sans examiner ici jusqu’à quel point cette tendance est leur intérêt, nous vous demanderons seulement pourquoi vous ne supposez pas le même amour dans les individus de la classe cultivée, dans les esprits éclairés, dans les ames généreuses ? Par-tout où l’autorité ne pèse pas sur les hommes, par-tout où elle ne corrompt pas la richesse, en conspirant avec elle contre la justice, les lettres, l’étude, les sciences, l’aggrandissement, et l’exercice des facultés intellectuelles, sont les jouissances favorites des classes opulentes de la société. Voyez en Angleterre comme elles agissent, se coalisent, s’empressent de toutes parts ; contemplez ces musées, ces bibliothèques, ces associations indépendantes, ces savants voués uniquement à la recherche de la vérité, ces voyageurs bravant tous les dangers pour faire avancer d’un pas les connoissances humaines. En éducation, comme en tout, que le gouvernement veille et qu’il préserve, mais qu’il reste neutre ; qu’il écarte les obstacles, qu’il aplanisse les chemins : on peut s’en remettre aux individus pour y marcher avec succès.
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Commentaire sur Filangieri
La partie de l’ouvrage de Filangieri qui va nous occuper est de toutes la plus imparfaite1. Ses défectuosités ne tiennent pas uniquement à ce qu’une mort prématurée a empêché l’auteur d’y mettre la dernière main, mais à ce que cet auteur écrivoit à une époque moins susceptible qu’aucune autre d’adopter sur la religion des vues impartiales ou des idées justes. Le dogme et l’incrédulité se partageoient les pays civilisés de l’Europe ; le dogme armé des moyens grossiers, vexatoires, et toujours insuffisants de la loi ; l’incrédulité, forte des ressources et de la souplesse de l’esprit, et encouragée par l’indignation que l’oppression intellectuelle produit sur les hommes. Ainsi la portion de la société que le hasard ou la tradition avoit investie de la puissance, ne voyoit dans le raisonnement que sédition et révolte ; et la masse des gouvernés, trompée par l’usage que l’autorité faisoit des croyances, ne vouloit reconnoître dans la religion qu’une ennemie de la liberté. En même temps l’intolérance, assez menaçante pour exciter l’irritation, n’étoit plus assez redoutable pour inspirer la crainte. De là résultoit je ne sais quel désordre moral dans toutes les têtes. L’hypocrisie prétendoit commander la soumission ; mais elle se trahissoit elle-même, parceque toutes les fois que l’incrédulité est la pensée générale, les vanités individuelles, même dans ceux qui luttent contre la tendance irréligieuse, aiment à laisser deviner le doute. D’une autre part, l’hostilité philosophique, violente et passionnée, interdisoit l’examen comme une foiblesse, et l’impartialité même comme une trahison2. Aucun écrivain du dix-huitième siècle n’a pu marcher d’un pas ferme à travers ce chaos : les uns se sont précipités dans une irréligion dogmatique, aussi absurde que les croyances positives des peuplades les moins éclairées ; les autres n’ont évité cet excès qu’en se jetant tour-à-tour dans les
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Et c’est pourtant cette partie que BC a lu avec intérêt bientôt après la parution de la seconde édition française de l’ouvrage de Filangieri. Voir ci-dessous, pp. 409–416, l’extrait qu’il a fait copier dans le t. V des Œuvres manuscrites. Analyse serrée des opinions et des idées qui dominaient autour de 1800 d’une manière manifeste, mais pas toujours explicite, la conscience collective. Elle est un thème majeur de Schleiermacher dans ses Reden über die Religion an die Gebildeten unter ihren Verächtern (1799) que BC a lus avec attention. Elle revient à plusieurs reprises sous la plume de BC (voir ci-dessus, p. 75, n. 2), mais n’est développée nulle part aussi longuement qu’ici.
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contradictions les plus évidentes. Voltaire, qui tenoit beaucoup à la partie législative et pour ainsi dire pénale de la religion, parceque, devenu membre des classes supérieures de la société, il craignoit pour les jouissances du riche l’athéisme du pauvre ; Voltaire n’en verse pas moins le mépris et l’ironie, non seulement sur tel ou tel culte en particulier, mais sur des idées et des émotions sans lesquelles aucun culte ne peut subsister. Rousseau, dominé par son ame, tandis que Voltaire n’étoit dominé que par son esprit, détruit avec emportement ce qu’il relève avec enthousiasme. Montesquieu ne se tire de la difficulté qu’en apparence, par sa mesure extrême, sa raillerie fine, son laconisme calculé, et la distance qu’il place à dessein entre des assertions opposées1. Ce qui étoit impossible aux premiers hommes de cette époque devoit l’être plus encore à Filangieri, qui se présentoit dans la lice avec un cœur pur, les intentions les plus louables, une érudition sans critique, et une intelligence médiocre. Aussi le voyons-nous, ignorant de la portée des principes qu’il proclame, reculer sans cesse devant leurs conséquences. Il emprunte à la philosophie ses hypothèses dégradantes, et qui sont heureusement fausses, sur la première source des idées religieuses ; puis, ayant de la sorte, dès son début, avili la religion, il se réunit au parti des dévots, ou plutôt des hommes d’état, qui vouloient imposer la dévotion aux nations incrédules, pour reproduire des systèmes erronés sur l’application des croyances à la législation positive. Relever ses incohérences, ses préjugés tour-à-tour philosophiques et religieux, ses assertions sur parole, ses nombreuses erreurs lorsqu’il traite de l’antiquité, et remplacer la compilation confuse qu’il nous a léguée par une doctrine claire partant de la nature de l’homme, et corroborée par les faits2, seroit entreprendre un livre plus volumineux que le sien. Telle n’est pas la tâche d’un commentateur ; je me suis efforcé d’ailleurs de remplir la dernière partie de cette tâche dans un autre ouvrage, dont un premier volume a déja paru a. Ce que je puis essayer ici, c’est de dévoiler en peu de mots a
De la Religion, de sa source, de ses formes, et de ses développements, tome I3.
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BC n’hésite pas à reproduire ici des lieux communs en parlant de trois représentants éminents des Lumières françaises. Ceci n’est pas sans nuire à l’exactitude. La spiritualité religieuse de Rousseau qu’on peut découvrir dans La Nouvelle Héloïse contredit le jugement rapporté ici et qui repose plutôt sur les spéculations philosophiques du Vicaire savoyard et sur quelques chapitres du Contrat social. C’était aussi le programme des trois lectures sur la religion à l’Athénée royal en 1818. Voir OCBC, Œuvres, t. XI, pp. 35–118. Le premier t. de De la Religion est sorti le 30 mars 1824 (date du dépôt légal), les parties 2 à 4 du Commentaire paraissent le 16 août 1824, de sorte que nous pouvons dater de l’été 1824 la rédaction de ce texte sans trop de risque d’erreur. BC était libéré du travail de rédaction pour ce premier volume qui lui pesait beaucoup.
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chaque erreur de détail, en indiquant la vérité par laquelle, dans mon opinion, Filangieri auroit dû la remplacer. «La religion, dit-il, n’est chez l’homme sauvage que le culte de la crainte rendu par lui à l’objet de ses vagues terreurs1.» L’auteur italien ne fait dans cette phrase que répéter l’axiome trivial sur lequel les incrédules de tous les siècles ont bâti leurs systèmes. Observateurs superficiels et juges prévenus, ils ont vu que le sauvage avoit peur de ce qu’il adoroit, et ils en ont conclu qu’il n’adoroit que ce dont il avoit peur. Mais en attribuant ainsi uniquement à la crainte les idées religieuses du sauvage, ils ont négligé précisément la question fondamentale ; ils n’ont point recherché pourquoi l’homme étoit la seule créature que préoccupât cette terreur des puissances cachées qui agissent sur lui ; ils n’ont point rendu compte du besoin que seul il éprouve de découvrir, d’adorer ces puissances occultes2. Si la religion n’étoit qu’une conséquence des frayeurs de l’homme, ceux des animaux sur lesquels ces frayeurs exercent encore plus d’empire, devroient n’être pas complètement étrangers aux notions religieuses ; car remarquez que les philosophes supposent toujours que l’homme diffère des animaux seulement parcequ’il possède à un degré supérieur les facultés dont ils sont aussi doués. Or, si son intelligence est de même nature que la leur, si elle n’est que plus exercée et plus étendue, tout ce qui résulte pour lui de cette intelligence, elle devroit le produire en eux à un degré inférieur sans doute, mais toutefois à un degré quelconque. De deux choses l’une, ou l’homme a des facultés, des instincts, des sentiments auxquels les animaux ne sauroient atteindre ; alors il faut chercher la cause de ce qu’il éprouve dans les facultés, les sentiments, les instincts qui lui sont particuliers : ou il n’a sur les animaux qu’une prééminence relative ; alors plus les animaux se rapprocheront de cette prééminence, plus on doit retrouver en eux tout ce qu’on aperçoit dans l’homme. Si la religion n’a d’autre origine que la crainte, comme la crainte est une émotion commune à l’homme et aux animaux, la religion ne devroit pas rester complètement étrangère à ces derniers : si elle leur reste étrangère, c’est qu’elle a sa source dans un sentiment exclusivement réservé à l’homme, et ce sentiment n’est pas la crainte3. Et en effet, examinez les objets que le sauvage adore ; ce ne sont pas uniquement ceux qu’il craint, mais tous ceux qu’il rencontre. Qu’il en ait peur ensuite, parcequ’il les croit remplis d’une nature divine plus forte que 1 2
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SL2, t. V, p. 48. Les raisonnements qui suivent exploitent sans doute les ms préparatoires de De la Religion (nous indiquons sommairement dans l’apparat des TR les passages en cause, sans risquer des hypothèses sur les procédés de composition). Voir pour ce qui est dit ici le t. I, p. 17. Allusion à sa théorie du sentiment religieux.
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lui, rien n’est plus simple : mais sa terreur est une suite de son adoration ; elle en est le résultat et non le principe. Cette adoration a une autre cause : cette cause ne peut être passagère, extérieure, et accidentelle ; car une cause passagère, accidentelle, extérieure, ne changeroit pas la nature intérieure et permanente de l’homme, ne lui donneroit pas une autre nature. Cette cause est en lui ; c’est un instinct qui lui est propre. Cet instinct se manifeste dans l’état le plus brut comme dans le plus civilisé, au sein de l’ignorance la plus profonde comme au milieu des lumières les plus étendues. Il se développe suivant le degré de ces lumières, il se proportionne à cette ignorance, mais il ne cesse jamais d’agir ; et aux époques mêmes où il paroît le plus étouffé par l’opinion dominante, il surnage encore, il lutte, et il triomphe. «Chez les sociétés barbares, continue Filangieri, la religion est le principe de cette autorité dont on ne sauroit tolérer l’exercice de la part des hommes, mais que l’on dépose avec plus de confiance dans la main des dieux1.» En s’exprimant d’une manière aussi générale, Filangieri semble avoir méconnu les différences essentielles, qui distinguent entre elles les sociétés barbares, dont nous avons conservé quelque souvenir. Parmi ces sociétés, plusieurs sans doute n’ont dû leur civilisation qu’aux prêtres ; mais la plus remarquable, celle que nous connoissons le mieux, celle de qui nous tenons nos doctrines en philosophie, celle qui nous sert de guide et de modèle dans la carrière du génie et des arts (on devine que je veux parler des Grecs), loin de déposer, en sortant de l’état sauvage pour passer à la barbarie, premier échelon de l’état social ; loin de déposer, dis-je, entre les mains des dieux l’autorité qu’elle ne vouloit pas confier aux hommes, a toujours accordé au pouvoir temporel une prééminence incontestée sur la puissance sacerdotale. Rien de plus subordonné que les prêtres dans les âges que décrit Homère. Ce n’est qu’en tremblant, et après avoir invoqué la protection d’Achille, que Calchas se hasarde à résister a` la volonté d’Agamemnon. «Je ne suis, dit-il, qu’un homme vulgaire, et je ne puis affronter la colère d’un roi2.» Ce sont les chefs politiques qui président habituellement et de droit aux cérémonies religieuses. Les prêtres n’y prennent souvent aucune part quelconque ; et lorsqu’on les appelle, c’est à cause de quelque terreur subite, de quelque calamité imprévue, qui rejette les peuples dans une superstition inaccoutu-
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BC cite une phrase de la première page du texte de Filangieri sur la religion. SL2, t. V, p. 48. BC cite un vers de l’Iliade (I, 80). L’exemple de la dispute entre Agamemnon et le devin Calchas, racontée dans le premier chant de l’Iliade, est récurrent chez BC pour soutenir que «l’ordre privilégié des guerriers» s’est soustrait à la puissance des prêtres. Voir De la Religion, t. II, livre V, chap. 2, p. 316 (OCBC, Œuvres, t. XVIII, p. 220 ; il y revient encore à d’autres endroits dans ce même volume). Voir aussi ci-dessous, p. 369.
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mée. Aussi Homère place-t-il les prêtres dans la catégorie des mercenaires, vivant des bienfaits et de la libéralité du public, avec les chanteurs, les cuisiniers, et d’autres professions également précaires et subalternes a. Voilà déja par conséquent une société barbare, à laquelle la règle établie par Filangieri ne sauroit s’appliquer. Ce n’est pas ici le lieu d’examiner si, antérieurement aux siècles héroïques, les Grecs n’avoient pas été soumis à une domination sacerdotale. Quelques traditions sont favorables à cette hypothèse ; mais il n’en est pas moins vrai que la Grèce dans la barbarie n’a point fait de la religion la base du pouvoir social1. Ce pouvoir social purement militaire trouvoit son appui dans l’attrait qu’avoient pour des hordes belliqueuses les expéditions qui satisfaisoient leur soif de pillage. La religion et le sacerdoce exerçoient sans doute beaucoup d’influence ; mais cette influence étoit accidentelle et interrompue. La religion grecque a pu accélérer la civilisation, en consacrant des trèves, des asiles, des cérémonies communes ; mais il n’a jamais existé en Grèce rien de pareil à cette théocratie dont l’auteur napolitain pose le principe, et qu’il indique dans la phrase suivante, comme un passage nécessaire entre l’état sauvage et l’état policé. «Sous les auspices de cette théocratie, la religion, suivant lui, prépare et effectue par degrés le passage difficile, lent, et progressif de l’état d’indépendance naturelle à la dépendance sociale2.» Rien n’est plus faux. Ce n’est nullement sous les auspices de la théocratie que la transition de l’état sauvage a` l’état social est lente et graduelle. Il n’y a au contraire rien de graduel dans cette transition, quand elle s’effectue sous l’empire de la théocratie ; alors elle est subite. Le sauvage entre dans l’état de société comme dominé par une force extérieure ; mais il s’arrête au plus bas échelon. La même force qui lui fait faire les pas indispensables pour assurer sa subsistance physique et sa sécurité matérielle contre les fléaux de la nature, lui interdit tout perfectionnement ultérieur, et le frappe en quelque sorte d’immobilité. Ce n’est que lorsqu’il arrive à la civilisation par des causes indépendantes de la théocratie, par les progrès naturels de l’intelligence, ou, ce qui est plus fréquent, par la communication des peuples entre eux, que sa marche est lente et graduelle. Comparez la Grèce à l’E´gypte, vous aurez la preuve de ce que j’affirme ; examinez la constitution du sacerdoce en a
Je développerai cette vérité avec plus d’étendue dans le second volume de mon ouvrage sur la religion3.
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Thèse chère à BC. Sur les limites et le fondement fragile de cette opinion, voir l’Introduction de Pierre Deguise dans le t. II de De la Religion (OCBC, Œuvres, t. XVIII, pp. 42–46). SL2, t. V, p. 48. Voir De la Religion, t. II, livre V, OCBC, Œuvres, t. XVIII, pp. 207–208.
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Égypte et en Grèce, vous aurez l’explication de ce dont les faits vous offrent la preuve.
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Chapitre III. De la marche du polythéisme.
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«L’homme, pénétré de la crainte qu’excitoient en lui les terribles phénomènes de la nature, ... a dû supposer une puissance, une force qui les produi-
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soit ... Il a dû lui adresser ses invocations, comme les seules armes qu’il pût employer contre elle. Tel est le premier pas que l’esprit humain, abandonné à lui-même, ... a dû faire vers la religion, et qu’il a fait en réalité ... C’est ... l’époque où la
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force inconnue, qui agitoit la nature et épouvantoit les hommes, étoit l’unique objet des vœux et du culte dictés par la terreur aux premiers humains ... Mais bientôt, ... les hommes, contemplant l’espèce de guerre que les diverses puissances de la nature
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paroissent se livrer entre elles, et ne pouvant l’expliquer que par la supposition de plusieurs intelligences chargées de présider à ces forces et à ces puissances diverses, ... personnifièrent les unes et les autres, leur donnèrent une vie et des sens, les
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invoquèrent, les adorèrent comme plus fortes qu’eux-mêmes. Telle est, telle fut, et telle sera toujours la première origine du polythéisme ... C’est l’époque de ce second culte, dans lequel la force inconnue cessa de recevoir seule les vœux et
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les hommages des mortels, ... et dut les partager avec plusieurs puissances de la même nature ... L’erreur a une marche progressive comme la vérité ... Une fois que l’esprit humain a fait le premier pas dans le polythéisme, il doit nécessairement arriver au dieu Crepitus et au dieu Sternutius.» Liv. V, chap. 1
IV,
p. 62–731.
Montage de citations légèrement arrangées de l’ouvrage de Filangieri. BC renvoie au t. V de SL2, édition de 1822. Sur les dieux Crepitus et Stercutius (BC copie incorrectement), voir ci-dessous, pp. 367–368, n. 2.
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Il est impossible d’intervertir plus complètement toutes les idées, et d’attribuer à l’intelligence de l’homme une marche plus différente de celle que les raisonnements indiquent, et que les faits démontrent. Quoi ! les hommes auroient commencé par adorer exclusivement une seule force, inconnue et générale dans la nature, avant de rendre hommage aux puissances diverses qui semblent se contrarier et se combattre mutuellement ! Et d’où seroit donc venue au sauvage la notion de cette unité mystérieuse, quand tout ce qui frappoit ses sens et ses regards lui suggéroit au contraire celle de la division, de l’opposition, et de la lutte ? C’est bien vainement que notre auteur veut s’appuyer des traditions réunies par Hésiode, dans un ordre entièrement arbitraire, ou plutôt sans aucun ordre quelconque. Je ne puis entrer ici dans les développements qui seroient nécessaires pour expliquer comment il paroît que la Théogonie a été compilée, et ce qu’est en réalité ce poëme confus et1 bizarre a. Il me suffit de dire (ce qui, je crois, ne sera nié par aucun de ceux qui ont étudié la mythologie grecque, ailleurs que dans les ouvrages systématiques de nos écrivains françois) que tandis qu’Homère nous offre la peinture exacte de la religion des premiers temps de la Grèce, sortant de l’état sauvage, Hésiode nous présente le recueil très incohérent, et rédigé sans discernement et sans critique, de toutes les traditions apportées par les colonies, empreintes de l’esprit sacerdotal des pays dont ces colonies étoient originaires, et par conséquent sans aucun rapport, soit avec l’esprit national des Grecs, soit avec leurs croyances indigènes. Des dix parties ou a
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Dans la troisième partie de mon ouvrage sur la religion, j’aurai à traiter de la formation du polythéisme grec. Je montrerai que les habitants de la Grèce, préservés par d’heureuses circonstances, ou affranchis par quelque révolution maintenant oubliée, de toute influence sacerdotale, ont passé du fétichisme au polythéisme homérique, par le seul effet de la proportion toujours existante entre ce polythéisme et leurs progrès politiques et moraux ; qu’Hésiode, postérieur, quoi qu’on en ait dit, à l’auteur ou aux auteurs de l’Iliade et de l’Odyssée, n’a fait que rassembler des traditions et des dogmes, pour la plupart étrangers ; que ces dogmes et ces traditions n’ont jamais fait partie de la croyance publique, et que, si on en retrouve beaucoup de traces dans les mystères, c’est que les mystères étoient en quelque sorte le dépôt de tout ce que les émigrants égyptiens, phéniciens et thraces n’avoient pu introduire dans le culte national. On doit en conséquence considérer Homère seul comme le poëte de la religion populaire, et regarder Hésiode comme celui de la religion occulte, que le génie grec a toujours repoussée. Mais tout ceci m’entraîneroit trop loin dans ce Commentaire. Aussi ne saurois-je trop recommander à mes lecteurs de ne voir dans mes assertions actuelles que des fragments d’un grand ensemble, fragments qui perdent nécessairement beaucoup de leur vraisemblance, en n’étant pas appuyés de toutes les preuves, et accompagnés de tous les éclaircissements indispensables pour les entourer de l’évidence qui leur appartient. BC esquisse ici ce qu’il va développer de manière bien plus détaillée dans les livres VIII du t. III de De la Religion.
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époques dont la Théogonie se compose, neuf sont étrangères à la religion populaire ; et ce n’est qu’à la dernière, au règne de Jupiter, qu’apparoît enfin le polythéisme professé dans les âges héroïques. Cet arrangement très naturel dans un compilateur, plus curieux qu’éclairé, qui rassembloit toutes les réminiscences, toutes les relations des voyageurs, toutes les légendes des prêtres vagabonds, missionnaires des corporations sacerdotales d’E´gypte, de Phénicie, et de Thrace, pour chanter à des tribus barbares des doctrines mystérieuses, a trompé la troupe studieuse, mais crédule, du vulgaire de nos érudits. Ils ont pensé, parceque Hésiode plaçoit avant les dieux de l’Olympe une sorte d’unité cosmogonique, de la mutilation de laquelle ces dieux étoient descendus, qu’en effet cette unité abstraite et obscure avoit été le premier objet de l’adoration. Ils n’ont pas vu que cette conception étoit visiblement empruntée de la Phénicie, et autres contrées soumises aux prêtres, dans le langage desquels les mutilations des dieux servoient d’emblèmes à la cessation des forces créatrices ; que ces dogmes appartenoient aux systèmes scientifiques des grandes corporations de physiciens et d’astronomes, fondues dans le sacerdoce, qui réclamoit le monopole de toutes les sciences, et que rien n’avoit moins de rapport avec la religion grecque, libre de toute corporation, et propriété commune du peuple en masse, qui sans s’en rendre compte, et sans apercevoir les altérations, la façonnoit, la plioit, la modifioit, la perfectionnoit, suivant le progrès de ses lumières et l’adoucissement de ses mœurs a. Cette méprise fondamentale les a entraînés dans toutes les erreurs qui diminuent, sinon l’utilité de leurs recherches, du moins le mérite de leurs résultats. Il leur a fallu trouver des explications à un phénomène inexplicable, et rendre concevable l’hypothèse du genre humain passant du culte de l’unité au culte des parties, tandis qu’il a toujours passé au contraire du a
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Tout ceci, je le sens, demanderoit bien des explications, et les lacunes, que je laisse malgré moi sans les remplir, fourniront des prétextes à des objections plus ou moins plausibles. On allèguera, par exemple, en faveur de l’existence de corporations sacerdotales en Grèce, les Eumolpides, les Branchides, et tant d’autres familles, dans lesquelles la prêtrise se transmettoit comme un héritage, et qui présidoient seules, soit aux mystères, soit même à des cérémonies du culte public. On croira prouver l’influence redoutable du sacerdoce grec par les persécutions qu’il a exercées, et les noms de Socrate, de Prodicus, de Diagoras, accourront se ranger sous la plume de mes adversaires. J’en suis fâché, mais je ne puis tout dire à-la-fois, ni sur-tout dans ce livre. Ceux qui me combattroient pour le seul plaisir de me combattre sont les maîtres de profiter de l’avantage que je leur donne ; ceux qui recherchent la vérité sont invités à parcourir, avant de me juger, l’ouvrage que j’ai indiqué dans la première note annexée à ce chapitre1. On consultera sur cette question De la Religion, t. II, livre V, chap. 1, pp. 298–300 (OCBC, Œuvres, t. XVIII, pp. 210–213).
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culte des parties à celui de l’unité. Les fétiches, d’abord dieux individuels, et sans nombre fixe comme leurs adorateurs ; ensuite des dieux plus génériques et en moindre nombre ; puis une assemblée de dieux limitée, et qui régulièrement ne pouvoit s’accroître ; puis un dieu, chef de cette assemblée, et tous les autres sous son empire ; plus tard ce dieu seul véritablement nature divine, et le reste génies inférieurs : voilà la marche réelle de l’intelligence, marche interrompue et troublée, tantôt par les résistances intérieures de la superstition, tantôt par l’effet des calamités extérieures, mais cependant suivie ou reprise, et conduisant enfin l’homme à la notion du théisme. Filangieri, comme bien d’autres, a été trompé par une apparence qui pourtant n’auroit dû faire illusion qu’à un observateur très superficiel1. Il a vu, lors de la décadence du polythéisme, les dieux se multiplier à l’infini, et il a imaginé que cette progression étoit un effet de la marche religieuse des idées, tandis qu’elle n’étoit que le résultat de l’incrédulité. Quand le discrédit des croyances est complet, les poëtes se servent et se jouent de ces croyances ; ils inventent des dieux que personne ne conteste, parceque chacun sait qu’on ne prétend point lui imposer l’adoration de ces dieux fantastiques. A quelle époque Filangieri trouve-t-il le dieu Percutius, et les déesses Prema, Pertunda, et Perfica ? A l’époque où le polythéisme alloit cesser d’exister. Quand nul n’adoroit plus le Jupiter très grand et très bon, il étoit permis à tous de supposer des dieux ridicules. Si dans un siècle antérieur, dans un siécle encore grave et religieux, sous la république des Cincinnatus et des Camille, quelqu’un eût parlé du dieu Crépitus, il eût excité le scandale. Du temps des empereurs, il excitoit le rire ; c’est que la religion étoit vaincue. Les rats et les reptiles se glissent dans les bâtiments en ruines. Il n’en faut pas conclure qu’ils y sont admis, quand ces bâtiments sont debout et habités par les hommes2. 1
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BC reprend ici deux passages de Filangieri : SL2, t. V, p. 73 et la note justificative qui expose des détails, pp. 208–210. La critique de BC est fondée, le raisonnement de Filangieri effectivement superficiel quand il dit : «On ne peut expliquer des faits si étranges qu’en suivant les hommes dans les pas successifs qui les ont conduits d’une erreur à une autre, et insensiblement dans une longue série d’extravagances et de folies» (p. 210). On voit bien que Filangieri ne parle nullement sans critique des dieux cités ici (avec une faute chez BC qui écrit «Percutius» au lieu de «Stercutius») mais, comparable aux pères de l’E´glise qui citaient ces dieux à leurs yeux ridicules pour en souligner le côté absurde, avec le parti pris d’un grand sceptique en matière de religion, ce qui n’est pas surprenant chez un adepte maçonnique. La critique de BC repose néanmoins sur de fausses prémisses. Voir la note suivante. BC se trompe. Stercutius, fils de Faunus, est un dieu de l’agriculture attesté par Pline l’Ancien dans sa Naturalis historia (livre XVII, chap. 4) et par Lactance, Inst. divin., (livre I, chap. 20) et appartient aux dieux de l’ancienne Rome. Voir Hederich, Lexicon Mythologicum, col. 1787). Les trois déesses romaines mentionnées dans ce contexte appartiennent également à la tradition ancienne des Romains (Hederich, col. 1658, 1564, 1531). L’opinion
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Il n’y a presque pas une phrase de Filangieri qui ne soit une erreur. Il cite Porphyre sur le culte primitif des Grecs1. Or, tout le monde sait que Porphyre ne travailloit qu’à réconcilier ses contemporains, non pas avec les dogmes de l’ancien culte, mais avec ses formes, en lui attribuant une pureté qu’il n’avoit jamais eue, et en substituant au sens populaire, que la raison ne vouloit plus tolérer, des interprétations allégoriques, telles qu’il en apparoît toujours, quand les religions sont déchues, leur promettant un appui trompeur. Filangieri convient que, suivant Hérodote, les Pélages, premiers habitants de la Grèce, adoroient une multitude de divinités qu’ils ne dinstinguoient pas les unes des autres, et auxquelles ils ne donnoient au cun nom ; mais il demande si plusieurs dieux que rien ne distingue, et qui ne sont désignés par aucun nom particulier, peuvent représenter autre chose que la force inconnue adorée dans le principe, et qu’Hérodote, imbu des notions du polythéisme, n’avoit pas su deviner2 ? Oui, sans doute, les dieux des Pélages représentoient autre chose que cette unité abstraite de la force inconnue. Les nègres aussi adorent des milliers de fétiches ; ils ne les appellent aussi que du nom générique de fétiches : et certes ce n’est point l’unité de la force inconnue que les nègres adorent, mais une foule de forces divisées, ennemies entre elles, qu’ils croient résider dans la pierre, le morceau de bois, ou la peau de bête, devant laquelle ils se prosternent, en offrant des sacrifices, ou murmurant des prières.
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soutenue par Hederich dès 1724 est confirmée par la recherche moderne. Voir Hermann Usener, Götternamen. Versuch einer Lehre von der religiösen Begriffsbildung (Bonn : Friedrich Cohen, 1896), pp. 76 et 370 avec une réflexion très suggestive sur la puissance des adjectifs primitifs. Wissowa, Religion und Kultus der Römer (München : C. H. Beck, 1912), confirme ces opinions, de même K. Latte, Römische Religionsgeschichte (München : C. H. Beck, 21967). La critique de Filangieri n’est pas plus fondée non plus. BC renvoie dans cet alinéa aux «Notes justificatives des faits» de Filangieri, en l’occurrence à la première de ces notes qui commence par exposer d’une manière moins synthétique l’opinion résumée ici. Quelques expressions (pureté du culte ; interprétations allégoriques) reprennent des formulations de Filangieri. SL2, t. V, p. 147. BC résume Filangieri en composant un montage de morceaux de phrases tirés de la même note justificative. SL2, t. V, p. 148.
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«Lorsque le culte public fut établi ... diverses causes obligèrent les pères de famille, d’abord les seuls prêtres, ... à se démettre du ministère du
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culte, et à choisir un certain nombre d’individus, pour leur confier exclusivement les fonctions sacrées. Le sacerdoce forma donc un orde distinct.» Liv. V, chap. V, p. 951.
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Ce n’est pas toujours conformément au mode que Filangieri indique, c’està-dire comme délégation du pouvoir politique, que la puissance sacerdotale parvient à constituer un ordre distinct. Chez plusieurs nations, la marche est précisément inverse ; c’est le sacerdoce qui, se constituant avant tout autre pouvoir, remet entre des mains subalternes le soin de diriger les affaires du monde visible, en se réservant néanmoins sur ses agents l’inspection suprême au nom de la religion. Cette différence tient à une distinction que, jusqu’à ce jour, tous les écrivains ont méconnue. Suivant les climats et les circonstances locales ou accidentelles, le pouvoir sacerdotal suit ou précède le pouvoir temporel. Quand les peuplades sortent du fétichisme par les seuls progrès de l’intelligence, alors les prêtres, qui ont peu d’autorité dans le fétichisme, demeurent long-temps dans une position secondaire. Ainsi chez les Grecs des temps héroïques, l’armée entière souffre qu’Agamemnon insulte et chasse le père de Chryséis ; ce n’est que lorsque la peste ramène dans les ames effrayées une superstition plus qu’ordinaire, que le fils d’Atrée se voit forcé à rendre au pontife sa fille captive. Même alors, Calchas tremble de s’expliquer et d’encourir la colère d’un roi ; et dans l’Odyssée, Ulysse tue sans scrupule le prêtre qui assistoit aux festins des prétendants2.
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BC renvoie au t. V de SL2, édition de 1822. Pour l’anecdote tirée de l’Iliade, voir ci-dessus, p. 361, n. 2. Quant à celle de l’Odyssée, il faut se souvenir que c’est Leiodès, le prêtre de l’entourage de Pénélope, qui est tué par Ulysse de retour dans sa maison (chant XXII, vv. 310–329). BC utilise cette anecdote à plusieurs reprises (De la Religion, t. II, livre V, chap. 1, p. 296 ; OCBC, Œuvres, t. XVIII, p. 209 et placard 15, p. 470).
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Il n’est pas de notre sujet de rechercher si, antérieurement aux temps héroïques, les Grecs n’avoient pas été soumis à des corporations sacerdotales comme les Égyptiens, et presque tous les peuples de l’antiquité. Lors même que ce fait, qui est assez probable, seroit démontré, il n’en resteroit pas moins certain qu’une révolution, dont les détails sont inconnus et les traces obscures, délivra les Grecs de ce joug, et qu’en le brisant ils retombèrent dans le fétichisme. Leur marche fut dès-lors ce qu’elle eût été, s’ils n’eussent jamais eu de grands corps de prêtres. Quand au contraire par un effet du climat, de la difficulté de se procurer la subsistance physique, du besoin de repousser, à l’aide d’ouvrages qui supposent des calculs plus ou moins scientifiques et qui exigent des travaux assidus et pénibles, les attaques d’une nature toujours menaçante, et sur-tout par le genre de religion que ces circonstances favorisent, je veux dire l’adoration des astres et des éléments, des corporations sacerdotales se forment à côté du berceau de la société naissante ; les prêtres, d’abord seuls rois, seuls juges, seuls législateurs, délèguent à des subordonnés qu’ils choisissent le pouvoir temporel, l’administration de l’état, la conduite de la guerre. C’est ce qui est arrivé en E´gypte, où le règne des dieux précéda celui des rois, et dura dix-huit mille ans, si nous en croyons les annales de cette contrée a ; en Éthiopie, où les prêtres envoyoient au prince l’ordre de se tuer, et probablement aux Indes, que toutes les traditions religieuses nous présentent comme long-temps gouvernée par les bramines2. Quand le pouvoir temporel se constitue ainsi, le sacerdoce dont il est l’ouvrage s’applique toujours, et il réussit momentanément à le tenir dans sa dépendance. Mais tôt ou tard les rivalités éclatent, et les délégués deviennent les émules et bientôt les ennemis de leurs maîtres. L’histoire nous offre par-tout le spectacle de cette lutte acharnée. Tantôt les livres indoux racontent que les Cutteries ou guerriers, enfants du soleil, devinrent orgueilleux, secouèrent le joug des bramines3, et firent peser sur eux des vexations cruelles. Parasurama, le sixième Avatar de la a
Diod., I, 2, 31.
TR: 18–20 C’est ce qui ... contrée ; ] De la Religion, Livre t. XVIII, p. 151, en note. 1
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chap. 9, OCBC, Œuvres,
L’argument sur le règne des dieux apparaît dans le livre IV, chap. 9, de De la Religion, t. II, p. 179, n. 1 (OCBC, Œuvres, t. XVIII, p. 151). Le renvoi à Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, n’est pas tout à fait correct. BC pense sans doute au chap. 44 du premier livre où l’auteur parle «d’un peu moins de 18.000 ans» d’un règne des dieux (voir la traduction par Yvonne Vernière, Paris : Les Belles Lettres, 1993, p. 96). La même observation se trouve dans De la Religion, t. II, livre IV, chap. 9, p. 181 (OCBC, Œuvres, t. XVIII, p. 152). Un des passages où BC reprend dans ce livre quasi littéralement des morceaux qu’il utilisera dans le t. II de De la Religion, en l’occurrence des réflexions qu’il donnera dans le
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race de la lune a, bramine lui-même, mais courageux comme un Cutterie, vengea sa caste opprimée. Il vainquit ses adversaires en vingt et une batailles rangées, remplit de leur sang des lacs entiers, partagea leurs biens, et poussa si loin la sévérité que les bramines mêmes dont il réta blit l’empire s’affligèrent de la destruction qu’il avoit opérée b. Tantôt ces livres rapportent que Bein ou Vena, fils de Ruchnan, parvenu au trône par la fuite de son père, défendit tout culte envers les dieux et toute justice entre les hommes1. Il imposa silence aux bramines, et les chassa d’auprès de lui. Il contracta ensuite avec une femme de leur caste une union sacrilège. Il permit que d’autres suivissent cet exemple, et que les enfants des dieux se confondissent avec les enfants des hommes. Quarante-deux castes mêlées naquirent de ces alliances coupables ; alors les bramines le maudirent, et lui ôtèrent la vie. Comme il étoit sans postérité, ils frottèrent ses mains l’une contre l’autre, et de son sang naquit un fils tout armé, savant dans les saintes sciences, et beau comme un dieu ; de sa main gauche les bramines firent sortir une fille qu’ils lui donnèrent en mariage. Il gouverna avec justice, protégeant ses sujets, maintenant la paix, punissant les désordres, et honorant les bramines c. On ne peut méconnoître dans ces traditions le souvenir des combats que se livrèrent aus Indes les deux pouvoirs d.
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Schlegel, Sagesse des Indiens, p. 184. Mythologie des Indoux, I, 280–2902. Rech. asiat., V, 2523. Nous pourrions multiplier les citations. Souvent les livres indiens attribuent la destruction
livre IV, chap. 9, pp. 176 et 177 en note (OCBC, Œuvres, t. XVIII, pp. 148–149). Les renvois à Schlegel, Weisheit der Indier, et aux Asiatic Researches y apparaissent également, à côté d’autres ouvrages cités dans ce contexte. Le même texte apparaît dans le t. II de De la Religion, livre IV, chap. 9, pp. 178–179 en note (OCBC, Œuvres, t. XVIII, pp. 150–151). BC cite Antoine Louis Henri de Polier de Bottens, Mythologie des Indous, travaillée par M me la cha nesse de Polier, sur des manuscrits authentiques apportés de l’Inde, par feu M. le Colonel de Polier, Roudolstadt : librairie de la Cour et Paris : F. Schoell, 1809, 2 vol. BC renvoie ici à une page de l’étude de Francis Wilford, «On the Chronology of the Hindus», Asiatic Researches, t. V, 1807, pp. 241–295. Le texte présente pourtant une version quelque peu différente sur Vena : «Vena, being an impious and tyrannical prince, was cursed by the Bra’hmens ; in consequence of which curde he died without leaving issue. To remedy this evil, they opened his left arm, and with a stick churned the humours till they at last produced a son, who proved as wicked as his father, and was of course set aside : then opening the right arm, they churned till they produced a beautiful boy, who proved to be a form of Vishnu under the name of Prı˘thu» (p. 253). Le père de Vena s’appelle Anga et non Ruchnan. BC choisit, semble-t-il, une des versions de cette histoire.
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Commentaire sur Filangieri
L’impiété des rois d’E´gypte envers les dieux du pays, dit Diodore, a donné lieu à de fréquentes révoltes a. Deux rois que les annales écrites par les prêtres traitent de tyrans et de rebelles, Chéops et Chéphren, firent
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du monde à la diminution du respect pour l’ordre sacerdotal. Lors de cette catastrophe, dans le second âge, disent-ils, il y eut un petit nombre d’individus de la caste des bramines, de celle des commerçants, et de celle des artisans qui furent épargnés ; mais il n’y en eut aucun de la caste des guerriers ou princes, parcequ’ils avoient tous abusé de leur force et de leur autorité. Au renouvellement du monde, une nouvelle caste de gouvernants fut créée ; mais pour qu’elle ne fût plus aussi disposée à s’égarer, elle fut tirée de la caste des bramines, et Rama, le premier de cette nouvelle caste, fut le protecteur des prêtres, et ne se dirigea que par leurs conseils. Voyez Mayer, Dictionnaire mythologique, art. Yog, pag. 482–484. Les lois de Menou font mention de plusieurs races de guerriers devenues sauvages et barbares, c’est-à-dire s’étant affranchies du pouvoir sacerdotal et de la division en castes. Schlegel, loc. cit., p. 184–185 ; Lois de Menou X, 43–45. Les livres indoux parlent encore d’un bramine de Magadha qui fit périr Nanda, roi du pays, et plaça sur le trône une dynastie nouvelle. As. Res., II, 1391. Diodore. I, 2, 32. BC affiche ici une érudition qui repose partiellement sur la lecture des sources, en partie sur l’information des manuels. Il est intéressant de voir que BC renvoie encore à l’ouvrage de Friedrich Majer, Allgemeines mythologisches Lexicon, aus Originalquellen bearbeitet, Weimar : Verlag des Landes-Industrie-Comptoirs, 1803–1804, qu’il possède dans sa bibliothèque. Cette référence, d’ailleurs capitale, disparaîtra dans De la Religion. BC cite trois pages de l’article «Jogs» (t. II, pp. 452–492) qui contiennent presque tous les faits dont il est question. Une autre source est l’ouvrage de Friedrich Schlegel, Über die Sprache und Weisheit der Indier. Ein Beitrag zur Begründung der Alterthumskunde, Heidelberg : Mohr und Zimmer, 1808. Il renvoie au livre III, chap. 3, pp. 184–185, où Schlegel expose ce que BC cite, y compris les lois de Menou, citées par Schlegel d’après l’édition de Johann Christian Hüttner (Hindu Gesetzbuch oder Menu’s Verordnungen nach Cullucas Erläuterung, ein Inbegriff des Indischen Systems religiöser und bürgerlicher Pflichten, aus der Sanscrit-Sprache wörtlich ins Englische übersetzt von Sir William Jones, und verteutscht nach der Calcuttischen Ausgabe, und mit einem Glossar und Anmerkungen begleitet von Joh. Christ. Hüttner, Weimar : Industrie-Comptoir, 1797). Le chap. X est intitulé : «Über die vermischten Classen und über schwere, betrübte Zeiten». Les entrées 43–45 se trouvent pp. 379–380. Nous ne savons pas si BC a lu le texte de ces lois. Quant aux Asiatic Researches, BC cite ici l’étude du même William Jones, «On the Chronology of the Hindus» (written in January 1788 by the President). Il a consulté le t. II de ce périodique, l’édition de Londres, 1807, pp. 111–147. Nanda est le dernier roi de la famille fondée par Pradyota, roi de Magadha. «This prince [=Nanda], of whom frequent mention is made in the Sanscrit Books, is said to have been murdered after a reign of a hundred years, by a very learned and ingenious, but passionate and vindictive, Brahman, whose name was Chanacya, and who raised to the throne a man of the Maurya race, named Chandragupta. By the death of Nanda and his sons, the Cstuatriya family of Pradyota became extenct.» Provient de De la Religion, t. II, livre IV, chap. 9, p. 179, n. 3, et p. 180, n. 1 et 2 (OCBC, Œuvres, t. XVIII, p. 151, n. c et n. d, p. 152, n. a). – Les «fréquentes révoltes» sont une interprétation contestable d’un passage du livre I, chap. 44, de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile. Elles ont eu lieu pendant la domination des Perses en Égypte qui «com-
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fermer les temples pendant trente années a. Le prêtre Sethos, à son tour, s’étant emparé du trône, enleva aux soldats les terres qu’ils possédoient b ; mais après sa mort il y eut contre les prêtres une nouvelle révolution. Douze rois furent institués ; l’un d’eux se replaça sous l’autorité ou la protection sacerdotale pour supplanter ses collègues, et il obtint, par le secours des oracles, le gouvernement de l’E´gypte entière c. Il est même à croire que, dès le temps de la théocratie, avant l’établissement des rois temporels, de pareilles révolutions avoient agité l’E´gypte, et que ces révolutions s’étoient opérées, tantôt entre les prêtres, et tantôt contre eux d. a
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Hérodote, II, 124–127. M. Denon remarque que ce fut durant cette lutte religieuse que fut construit le seul palais qui ait appartenu aux rois d’E´gypte. Voyage en Égypte, II, 1151. Hérod., II, 1152. Hérod., II, 141–152. Heeren Africa, 6873. Tel est le sens le plus naturel du récit d’Hérodote sur le règne des huit anciens dieux, des douze dieux postérieurs, et des divinités subséquentes qui naquirent de ces douze dieux. «Dans les temps anciens, dit-il, les dieux avoient régné en Égypte ; ils avoient habité avec
V: 13 Heeren ] ce nom en italique dans la source
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mandaient pendant 135 ans, avec des révoltes de la part des Égyptiens, que ceux-ci déclenchaient parce qu’ils ne pouvaient tolérer la dureté de leur domination et leur impiété envers les dieux du pays» (édition des Belles Lettres, 1993, p. 97). BC utilise pour justifier ses renvois à Hérodote l’édition de Pierre-Henri Larcher, Histoire d’Hérodote traduite du Grec, avec des remarques historiques et critiques, un essai sur la chronologie d’Hérodote, et une table géographique, nouvelle édition revue, corrigée et considérablement augmentée, à laquelle on a joint la Vie d’Homère, attribuée à Hérodote, les extraits de l’Histoire de Perse et de l’Inde de Ctésias, et le traité de la malignité d’Hérodote : le tout accompagné de notes, Paris : C. Crapelet, an XI (1802), 9 vol. Ici, il renvoie au t. II, pp. 102–105 pour les chap. 124 à 127. BC aurait dû inclure encore le chap. 128 où commence le récit du règne de Chéphren. Les «trente années» dont il est question résument ce qui est raconté dans les chap. cités. Le chiffre se retrouve chez Denon. Le renvoi à l’ouvrage de Vivant Denon, Voyage dans la basse et haute Égypte pendant les campagnes du général Bonaparte, Paris : Didot l’aîné, an X (1802), est d’ailleurs erroné. BC pense sans doute à un passage du t. I, p. 147a, où l’on peut lire : «Le palais des cent chambres, le seul palais cité dans l’histoire de l’E´gypte, fut l’ouvrage d’une nouvelle forme de gouvernement où les prêtres ne pouvoient avoir la même influence». Cette note fournit la preuve pour notre opinion que BC utilise l’édition Larcher des œuvres d’Hérodote, car il renvoie a` la p. 115 du t. II. BC se trompe d’ailleurs. Il aurait dû citer le chap. 141 du livre II d’Hérodote qui commence à la p. 116 : «Après Anysis, un Prêtre de Vulcain nommé Sithos, monte, à ce qu’on m’a dit, sur le trône. Il n’eut aucun égard pour les gens de guerre, et les traita avec mépris, comme s’il eût dû n’en avoir jamais besoin. Entr’autres outrages, il leur ôta les douze «aroures» [mesure égyptienne de surface] de terre que les Rois, ses prédécesseurs, leur avoient données» (pp. 116–117). BC cite les chap. 141–152 du livre II d’Hérodote (pp.116–129). L’histoire de Psamméticus (que BC ne nomme pas) est racontée dans les chap. 151–152. BC résume en outre un passage de l’ouvrage d’Arnold Heeren, Ideen über die Politik, den Verkehr und den Handel der vornehmsten Völker der alten Welt, Theil 2 : Africanische Völker. Dans la troisième édition (Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 1815), le passage en cause se trouve
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Commentaire sur Filangieri
L’E´thiopie, qui, sous le rapport de la religion, ne doit guère être distinguée de l’E´gypte, fut le théâtre de dissensions encore plus meurtrières1 ; les prêtres de Méroé condamnèrent à mort les rois, et l’un de ces derniers,
les hommes, et il y en avoit toujours un qui exerçoit la souveraineté ;» c’est-à-dire que, dans ces temps, l’E´gypte avoit été gouvernée par les prêtres, et que ce gouvernement théocratique aura été appelé du nom du dieu auquel étoit attaché le grand-prêtre qui jouissoit de l’autorité souveraine. Larcher, Essai de chronol., chap. I, §. 10. Vraisemblablement ces grands-prêtres se disputèrent et s’arrachèrent l’autorité suprême. La caste des guerriers, la seconde de l’état, paroît aussi s’être soulevée contre la première ; mais celle-ci remporta la victoire. Hérodote, II, 41. Voyez Larcher, Notes, II, 460, qui mentionne une inscription destinée à conserver la mémoire de cet évènement. Malgré le mauvais succès de cette tentative, le gouvernement sacerdotal devenant chaque jour plus oppressif, le peuple chercha un refuge dans l’autorité royale. Le premier roi de l’E´gypte fut Menès. Ses lois sur la religion limitoient l’empire du sacerdoce. Diodore, I. Elles lui attirèrent le courroux de cet ordre, qui, ayant regagné son influence sous ses successeurs, autorisa ou obligea Technatis à faire graver sur une colonne des malédictions contre Menès. Plut., De Is. et Osir ; Larcher, Chronol. d’Hérod., VI, 180–207. Depuis ce temps, la lutte entre les deux pouvoirs fut constante et acharnée2.
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pp. 658–659. Le roi vainqueur des dodecarchontes est Psammetique Ier qui fonda la 26e dynastie (vers 660 av. J.C.). Heeren et BC ne pouvaient connaître que la tradition d’Hérodote, de Diodore de Sicile et d’autres auteurs grecs qui ont parlé de l’E´gypte. Même argument dans De la Religion, t. II, livre IV, chap. 9, p. 181 (OCBC, Œuvres, t. XVIII, p. 152). BC résume dans cette note beaucoup de lectures. La source principale est encore Larcher. La première citation renvoie à Hérodote, chap. 144, p. 120. «dans les temps antérieurs à ces hommes (= il s’agit d’hommes fabuleux), des dieux avoient régné en E´gypte, qu’ils avoient habité avec les hommes, et qu’il y en avoit toujours eu un d’entr’eux qui avoit eu la souveraine puissance.» – Pour ce qui est du renvoi à Larcher, Histoire d’Hérodote, BC reproduit ici les indications que Larcher donne lui-même. – Quant au renvoi à Hérodote, il faut lire : II, 141, ce qui renvoie à l’histoire de Séthos et évoque le mépris de celui-ci pour la caste des guerriers. (La note «Larcher, Notes, II, 460» est énigmatique). – La mention de Diodore qui suit repose probablement sur ce que dit Larcher dans son Histoire d’Hérodote, t. VII, p. 52, où l’on trouve cette indication : «Diodor. Sicul. lib. I, § 62, 65 et 45» ainsi que le renvoi à Plutarque, cité plus bas. Diodore parle dans sa Bibliothèque historique, livre I, chap. 94, p. 172, des lois de Ménès, mais l’idée que ces lois limitaient le pouvoir du sacerdoce est une interprétation de BC. La stèle avec la condamnation de Ménès, le fondateur de la 1re dynastie, réunissant en la personne du pharaon l’administration politique et les cultes religieux du pays, considéré comme vivant dans le luxe, fut érigée par le pharaon Technaktis (ou Tefnachte, vers 730–720, 24e dynastie) dans le temple de Thèbes, avec la permission des prêtres. BC se rapporte à Plutarque, De Iside et Osiride, chap. 8, 354 A-B. Voir Plutarque, Œuvres morales, t. V/2 : Isis et Osiris, texte établi et traduit par Christian
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Ergamenès, contemporain du second Ptolémée, fit massacrer dans leurs temples mêmes tous les prêtres de Méroé a. On connoît la fête annuelle célébrée en Perse en commémoration du renversement des mages, et pen dant laquelle les membres de cette caste, bien qu’elle eût reconquis un grand pouvoir, étoient obligés de se dérober aux regards du peuple b. La même lutte s’aperçoit plus obscurément en Étrurie, parceque son histoire nous est moins connue1 ; mais l’ordre donné aux Rutules par leur roi Mézence de lui présenter les prémices qu’ils avoient coutume de consacrer aux dieux, pourroit bien n’avoir été qu’un effort de la royauté contre le sacerdoce c.
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Diodore, III, 62. Hérodote, III, 793. Macrobe, Saturn.,
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Froidefond, Paris : Les Belles Lettres, 1988, p. 184. – Le renvoi à la Chronologie vise dans le t. VII les pp. 52–53. Ce qui suit est une hypothèse formulée par BC, s’il ne s’agit pas d’un passage non identifié. Même argument dans De la Religion, t. II, livre IV, chap. 9, p. 181 (OCBC, Œuvres, t. XVIII, p. 152). BC renvoie au livre III, chap. 6 de Diodore, Bibliothèque historique où l’on trouve ceci : «A Méroé, en effet, les prêtres qui s’occupent du culte et des honneurs divins, puisqu’ils tiennent le rang le plus important et le plus puissant, envoient, quand cela leur paraît opportun, un messager au roi pour lui ordonner de mourir. Tel est, en effet, disent-ils, l’oracle rendu par les dieux et l’ordre des immortels ne doit, sous aucun prétexte, être négligé par une créature mortelle. [...] Ainsi donc, dans les temps anciens, les rois obéissaient aux prêtres, non parce qu’ils étaient vaincus par les armes ni par la violence, mais parce que précisément leur peur superstitieuse prévalait sur leur faculté de raisonner.» Suit encore la note sur Ergamenès, élevé en Grèce et philosophe. «[...] il pénétra avec des soldats dans la partie interdite où se trouvait le temple d’or des Éthiopiens, massacra tous les prêtres et, après avoir aboli cet usage, gouverna selon sa propres volonté» (Bibliothèque historique, livre III, texte établi et traduit par Bibiane Bommelaer, Paris : Les Belles Lettres, 1989, pp. 7–8). BC cite le livre III, chap. 79 (Larcher, t. III, p. 68) de l’Histoire d’Hérodote qui raconte la mort des «mages», et se termine ainsi : «Les Perses célébrent, avec beaucoup de solennité, cette journée : cette fête, l’une de leurs plus grandes, s’appelle Magophanie. Ce jour-là, il n’est pas permis aux Mages de paraître en public» (p. 68). Mézence, roi légendaire des Étrusques, dont l’histoire héroïque est racontée par Virgile dans l’Énéide. BC renvoie ici à un passage des Saturnales : «ait enim Mezentium Rutilis imperasse ut sibi offerrent quas dis primitias offerebant» (Ambrosii Theodosii Macrobii Saturnalia apparatu critico instruxit, in Somnium Scipionis commentarios selecta varietate lectionis ornavit Iacobus Willis. Lipsiæ : In ædibus B. G. Teubneri, MCMLXIII, p. 176).
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Commentaire sur Filangieri
Si nous voulions passer des peuples de l’antiquité aux nations modernes, ou, pour parler plus exactement, aux nations découvertes dans les temps modernes, nous rappellerions que les Mexicains, après leurs migrations, durant lesquelles ils avoient, comme les Juifs, été conduits par des prêtres, se choisirent, les uns plutôt, les autres plus tard, des chefs temporels b. Au Japon, le dairi ou micaddo réunissoit anciennement au pouvoir spirituel l’autorité politique la plus absolue. Il délégua l’administration des intérêts terrestres à un ministre qui, despote d’abord au nom de son maître, le devint bientôt en son propre nom. Une garde placée auprès du pontife, sous prétexte de lui rendre hommage, le mit hors d’état de rien entreprendre c ; et depuis trois siècles, réduit à des titres illusoires, privé de toute influence réelle, il n’a conservé que le privilège de créer des dieux qu’il charge du gouvernement de l’univers, et qui, dans des entrevues secrètes, lui soumettent les comptes de leur gestion. Sur la terre, il confère des dignités sacerdotales à ceux que lui indique le koubo (c’est le nom du chef temporel), et il fait l’apothéose de ce dernier quand la mort le frappe d. Le grand lama a éprouvé le même sort au Thibet, et tel a été encore celui des califes dépossédés par les Emir-al-omra. b c d
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C’est ainsi qu’Acamapitzin fut choisi par les Tenochkan, l’an 1352 de J. C1. Mayer, Dictionn. mythol., art. Dairi ou Coubo2. La chronologie de cette révolution se trouve très clairement exposée dans le Dictionnaire mythologique, article Japon. La puissance du dairi commença à décliner sous le soixanteseizième dairi, nommé dans les annales de cet empire Koujac. Il régnoit l’an 1142 après J. C. Le quatre-vingt-unième dairi nomma un koubo ou général temporel ; et le cent septième, l’an 1585 de notre ère, céda la puissance à l’un des successeurs de ce koubo. Ce nouveau monarque se fit appeler maître absolu, régna despotiquement, soumit le clergé même à des prêtres institués par lui, et réunit toutes les principautés auparavant indépendantes3. Le fait cité par BC est correct. Il faudrait corriger le nom du peuple et écrire «Tetonochas». Nous ne savons pas quel est l’ouvrage sur le Mexique consulté par BC. Dans De la Religion, t. II, il en cite trois : José de Acosta, Histoire naturelle et moralle des Indes tant Orientalles qu’Occidentalles, composée en castillan par Joseph Acosta, et traduite en françois par Robert Regnault, Paris : M. Orry, 1598. Francesco Saverio Clavigero, The History of Mexico, collected from Spanish and Mexican historians, from manuscripts and ancient Paintings of the Indians, illustrated by Charts, and other Copper Plates, to which are added, critical Dissertations on the Land, the Animals, and Inhabitants of Mexico, translated from the original Italian by Charles Cullen, London : G. G. J. Robinson and J. Robinson, 1787. Alexander von Humboldt, Voyages aux régions équinoxiales du nouveau continent, faits en 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804, Paris : F. Schoell, 1814–1815. ` nouveau BC retourne à l’ouvrage de Majer pour le résumé de ses informations. Il a A consulté les longs articles «Dairi» (t. I, pp. 407–416) et «Japaner» (t. II, pp. 366–404) ; il n’y a pas d’article «Coubo». Il y trouve les informations qu’il donne sur les rois de descendance divine du Japon qui portent le titre de «Dairi» ou «Micaddo» et sur le terme «Coubo» qui est un titre militaire (article «Japaner», pp. 383–384). Les faits qu’il mentionne ne se trouvent pas tous chez Majer. Voir l’article «Japaner», dans Majer, Allgemeines mythologisches Lexicon, t. II, pp. 366–404,
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On voit combien la marche du pouvoir sacerdotal est loin d’être dans tous les cas aussi régulière que Filangieri le prétend1. Il n’a été dirigé dans ses observations sur cette matière que par une étude assez superficielle du polythéisme grec et romain, les autres polythéismes n’étant que très imparfaitement connus à l’époque à laquelle il écrivoit. Encore, en traitant de la religion romaine, a-t-il tout-à-fait méconnu l’esprit du sacerdoce, tel qu’il résultoit à Rome de la combinaison de deux cultes opposés entre eux. Les suites de cette combinaison demanderoient pour qu’elle fût expliquée (ce qu’elle n’a encore été nulle part) des détails qui nous entraîneroient trop loin de notre sujet. Le sacerdoce romain se ressentoit des éléments constitutifs d’une religion dans laquelle s’étoient fondues à-la-fois les fables grecques et les institutions étrusques2. En Grèce, comme je l’ai dit plus haut, le sacerdoce n’étoit point un corps et n’avoit aucune influence politique. En Étrurie comme en Égypte, le sacerdoce étoit le premier corps de l’état, et le pouvoir politique étoit dans ses mains en très grande partie. Numa transporta à Rome le sacerdoce étrusque ; les Tarquins y firent triompher les légendes, et sur-tout l’esprit de la religion grecque. Le sacerdoce survécut à cette révolution, mais fut modifié par elle. Il s’ensuivit que, sans être aussi étranger qu’en Grèce à la constitution du corps social, ni aussi identifié qu’en Étrurie avec cette constitution, il demeura un pouvoir régulier, qui marcha dans la direction imprimée à tous les pouvoirs par les circonstances. Lors donc que Filangieri attribue au sacerdoce la disposition belliqueuse du peuple romain, vu l’intérêt que le sacerdoce trouvoit, dit-il, dans la guerre, parceque les dieux des peuples vaincus étant adorés dans le Capitole, et les Romains croyant réparer les outrages faits aux nations en adoptant le culte de leurs divinités tutélaires, le sacerdoce voyoit se multiplier avec les conquêtes les dieux, les temples, les offrandes, source féconde de richesses a, il prend un effet pour une cause. Le sacerdoce obéissoit à la tendance guerrière : il ne la créoit pas. La guerre se faisant sans cesse dominoit le sacerdoce, comme les autres pouvoirs de l’état. Les grandes dignités de la prêtrise appartenant, non de droit, mais de fait, aux hommes éminents dans l’armée, et ces hommes étant en même temps investis des a
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Voyez liv. I, chap. 7, p. 783. plus particulièrement pp. 382–383 sur Konjei (et non Koujac), sur le dai An-toku qui nomme un Koubo (général) puissant, enfin pp. 385–387 pour la nomination de Fide Jos, le général qui s’appellera «maître absolu» ou «Taiko». BC se rapporte ici au Livre V, chap. 4 et 5 de la Science de la législation (SL2, t. V, pp. 60–107). Il excuse la vision simplifiée de Filangieri en soulignant que celui-ci ne pouvait connaître les matériaux découverts par les historiens des religions asiatiques. Il est rare que BC dise d’avoir fait une découverte. BC cite, avec de légères modifications qui n’affectent pas le sens, le passage indiqué (renvoi à l’édition Dufart de 1822).
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Commentaire sur Filangieri
hautes fonctions civiles, la religion devint un instrument de leur politique conquérante. Le motif que Filangieri allègue entroit pour si peu dans les déterminations du sacerdoce, que nulle part les dieux étrangers ne furent plus constamment et plus violemment repoussés qu’à Rome. Les ordonnances du sénat à cet égard sont connues, et elles sont innombrables. Les divinités des peuples vaincus ne surmontoient les obstacles que leur opposoient ces ordonnances que de deux manières : quelquefois publiquement, dans les temps de grandes calamités, parcequ’il est dans l’esprit du polythéisme de chercher alors des secours de toutes parts ; et c’est ainsi, par exemple, que s’introduisit à Rome la Cybèle de Pessinunte : d’autres fois secrètement, et par contrebande, parcequ’il est aussi dans l’esprit du polythéisme de persuader à ses sectateurs, en dépit du sacerdoce qui voudroit le monopole, qu’un dieu de plus est un protecteur de plus ; et c’est de la sorte que se glissèrent dans l’empire les dieux égyptiens : mais le sacerdoce romain croyoit si peu que ses moyens d’influence et de richesse se multipliassent par l’introduction des dieux étrangers, que ces dieux arrivoient toujours malgré lui avec leurs propres prêtres, rivaux et ennemis des anciens. Il n’y a qu’à remarquer combien fréquemment furent chassés les dieux et les prêtres de l’E´gypte. L’adoration des divinités étrangères étoit pour les prêtres romains une diminution de profit et de pouvoir. Ceci, je l’ai reconnu déja, ne tient qu’indirectement à l’ouvrage de Filangieri, et je n’ai cru devoir me permettre ces courtes réflexions que pour prouver combien ses méprises sont nombreuses. Que si quelqu’une de mes assertions choquoit sur certains points l’opinion de mes lecteurs ; si, par exemple, ils s’étonnoient de ce que je refuse au sacerdoce grec toute participation au pouvoir politique, et m’objectoient la mort de Socrate, je répondrois que ce n’est pas ma faute si nos philosophes ont, la plupart du temps, voulu assigner aux faits remarquables de l’histoire ancienne des causes qui n’existoient pas, et ont ainsi accrédité des erreurs grossières. La mort de Socrate ne fut point l’ouvrage des prêtres, mais d’une faction politique : les prêtres la servirent, comme des instruments servent la faction qui les soudoie, comme les tribunaux dans tel ou tel pays servent le gouvernement. La religion fut bien le prétexte de la mort de Socrate ; mais le sacerdoce comme corps n’y trempa en rien. Il n’auroit pu y tremper ; les causes même religieuses étoient décidées par des juges civils. Mais je m’arrête. Pour établir une erreur, il ne faut qu’une ligne ; pour la réfuter, il faut des volumes.
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Chapitre V. Des mystères.
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«Ce fut ... un effet de la prévention de faire croire ... que les mystères renfermoient des vérités religieuses, inconnues à la multitude. Cette préventi-
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on, combinée avec les lumières de la civilisation naissante, fit imaginer les principes théologiques, ... fruits des spéculations des adeptes déja éclairés et civilisés ; et ces principes ... finirent en effet par convertir les mystères en une école, en un
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temple, où l’on enseignoit, où l’on professoit une religion différente de celle du profane vulgaire.» Liv. V, chap.
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p. 1391.
Le point de vue sous lequel Filangieri considère les mystères, cette portion importante, si mal connue, si chimériquement expliquée, de presque tous les cultes de l’antiquité, est beaucoup plus juste qu’on ne pouvoit l’attendre d’un écrivain dont le défaut principal étoit de contempler avec un respect superstitieux les doctrines, les institutions, la sagesse en un mot des peuples anciens. Il est surprenant qu’ainsi disposé il ne se soit pas prosterné devant les hypothèses qui font des mystères le dépôt d’une religion épurée et sublime, professée dès l’origine du monde, méconnue par les peuples tombés on ne sait comment dans l’ignorance, et conservée dans un sanctuaire, à travers les extravagances des profanes et les révolutions des siécles, par des philosophes possesseurs, on ne devine pas à quel titre, de lumières supérieures et privilégiées. Mais si l’auteur italien s’est rapproche´ de la vérité à cet égard, il s’en est amplement dédommagé dans le roman qu’il s’est complu à tracer deux pages plus loin, sur la coopération de la législation et du sacerdoce pour employer les mystères à détruire l’ancienne religion, et à la remplacer par une nouvelle. Dans ce roman se trouvent des impossibilités de tous les genres. Premièrement, l’alliance entre le pouvoir politique et le sacerdoce pour abolir la religion en vigueur ne peut jamais se réaliser.
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Citation conforme. Les coupures n’affectent pas le sens, renvoi à l’édition Dufart de 1822.
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Elle ne sauroit se réaliser du côté du pouvoir politique, parcequ’il voit dans cette religion et sa sanction et son instrument, ni du côté du sacerdoce, parcequ’il y trouve la garantie de son influence. Si les prêtres de l’antiquité faisoient entrer dans leurs mystères des doctrines ou des rites différents de la religion publique, ce n’étoit certes point pour préparer dans l’ombre, et loin des regards indiscrets et curieux, l’abandon de cette dernière ; c’étoit au contraire pour avoir un moyen de plus de la maintenir dans son imperfection et sa grossièreté, tout en déposant dans un lieu sûr leurs découvertes en fait de science, leurs subtilités métaphysiques, et les raisonnements et les faits qui, utiles à conserver comme parties de leur monopole, auroient ébranlé la croyance qui faisoit la base de leur pouvoir. Tous les progrès de l’esprit humain sont des ennemis du sacerdoce ; mais il désarme ces ennemis en les adoptant, parcequ’il les adopte sous la condition expresse qu’ils ne franchiront pas l’enceinte impénétrable dans laquelle il les renferme. Aussi les adopte-t-il sans distinction d’origine et de tendance. Il fait coexister tous les systèmes et tous les récits, quelque contradictoires qu’ils soient, et leurs contradictions l’embarrassent peu, parcequ’ils sont déposés dans le sanctuaire, à côté l’un de l’autre, sans se toucher, et par conséquent sans se combattre. C’est pour cette raison que tous ceux qui ont voulu découvrir dans les mystères une doctrine unique, et toujours la même, se sont perpétuellement trompés. Ces mystères étoient en quelque sorte une encyclopédie sacerdotale, se grossissant toujours de tout ce que les prêtres y inséroient successivement. Ainsi, quand le sacerdoce grec, toujours sans influence légale, et comprimé par l’autorité politique, trouvoit dans les anciennes traditions de la Grèce des souvenirs qui, en le présentant comme investi de plus de puissance, lui faisoient honneur de la sortie de l’état sauvage et du premier établissement de la civilisation, il introduisoit dans les mystères la commémoration de l’état sauvage, la découverte d’aliments plus sains et plus agréables que la chair crue, la culture de la terre et de la vigne, et l’adoucissement des mœurs. Quand par un effet naturel et progressif de la communication des peuples entre eux, des prêtres étrangers, membres de corporations bien plus puissantes que le sacerdoce ne l’étoit en Grèce, apportoient dans cette contrée des hypothèses cosmogoniques et théogoniques, le sacerdoce grec enrichis soit les mystères de ces théogonies et cosmogonies ténébreuses. Plus tard, lorsque la philosophie, empruntée aussi des barbares par les premiers philosophes grecs, enfantoit des systèmes de théisme, de panthéisme, et même d’athéisme, ces systèmes étoient aussi accueillis dans les mystères.
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De là un chaos dont la confusion échappoit néanmoins aux initiés, parcequ’on ne leur communiquoit qu’isolément et partiellement ce qui s’adaptoit le mieux à leurs idées antérieures. Les prêtres se montroient ainsi toujours comme ayant devancé l’intelligence, et dépositaires de tout ce qu’elle avoit conçu de plus sublime et de plus abstrait. En confiant comme un secret religieux aux néophytes qu’ils admettoient le résultat de ses méditations et même de ses rêves, ils séparoient ces néophytes du reste de l’espéce humaine ; et désormais, loin de les avoir pour ennemis, ils les possédoient comme auxiliaires. Mais il est évident que ce travail du sacerdoce n’avoit pour but que sa propre autorité ; car, en même temps qu’il suivoit les progrès de la pensée et de la science, pour s’en emparer et les couvrir d’un voile, il maintenoit au-dehors, autant que la crédulité individuelle et les institutions qui existoient à côté de lui le rendoient possible, la croyance reçue dans toute son intégrité a. Filangieri part donc d’une donnée fausse, en supposant le législateur se coalisant avec le sacerdoce, pour détruire une religion grossière et en établir une plus pure ; mais il ne s’égare pas moins, en prêtant une intention pareille au législateur lui-même. Durant l’intervalle de temps assez long pendant lequel les mystères ont subsisté, nous ne rencontrons pas un exemple d’une tentative des législateurs pour épurer la religion b. Elle s’épure d’elle-même ; et la législation, comme la société entière, cède à cette action inévitable de la raison qui s’éclaire et de la morale qui devient meilleure. Mais la législation même cède en résistant, et dès qu’elle découvre le terme vers lequel elle est entraînée, sa résistance devient violente et souvent furieuse. Observez les efforts des empereurs pour maintenir le polythéisme, bien que toutes les opinions spéculatives que le christianisme révéla aux hommes fussent enseignées dans les mystères c.
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Je n’ai pu ici qu’indiquer très rapidement, et par-là même très imparfaitement, le point de vue sous lequel les mystères de l’antiquité doivent être étudiés. J’entrerai dans l’examen des faits, et je rapporterai les preuves qui me semblent appuyer cette manière de les concevoir, lorsque, dans mon ouvrage sur la religion, je serai appelé à traiter de la décadence du polythéisme. On m’objecteroit à tort Julien et les philosophes de l’école d’Alexandrie, qui, étant sur la défensive, expliquoient de leur mieux par des subtilités et des allégories le polythéisme déchu. Le christianisme, apparoissant dans toute sa pureté, contraignoit ses adversaires à cet infructueux et difficile travail. Il est tout simple qu’une religion naissante réduise un culte vieilli à se modifier ; mais cette espèce de réforme involontaire et forcée ne ressemble en rien au projet que Filangieri, dans son utopie, prête au gouvernement et au sacerdoce. En réfutant Filangieri, je ne prétends pas nier que les mystères n’aient contribué à la chute
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Enfin, lors même, ce que nous avons démontré être chimérique, lors même, disons-nous, que le pouvoir politique et le sacerdoce, abdiquant leur propre intérêt et saisis d’un philantropique enthousiasme, voudroient renoncer aux avantages d’une religion déja fondée, et qu’ils ont façonnée et assouplie, pour lui substituer des dogmes plus purs, et par-là même plus indociles, au moins dans leur nouveauté, ce n’est pas ainsi qu’une religion triomphe. Il faut autre chose pour que les hommes croient, que les invitations, soit doucereuses, soit menaçantes, qui viennent de ceux qui les gouvernent. Filangieri retombe ici dans son erreur éternelle. Il pose toujours en fait que l’autorité doit vouloir le bien, et qu’elle peut le faire. Il n’est pas toujours sûr malheureusement qu’elle le veuille ; et lorsqu’elle le veut, c’est en laissant faire, c’est par son inaction, c’est par son respect pour l’indépendance sans laquelle aucune amélioration ne sauroit s’opérer, qu’elle a quelque chance de voir ses vœux satisfaits et ses intentions remplies.
de la religion publique en Grèce et à Rome ; mais ce fut contre la volonté et du sacerdoce et du gouvernement. Le peuple apprit qu’on enseignoit dans les mystères autre chose que ce qu’on lui ordonnoit de croire. Or, dès que le peuple se doute que ses chefs n’ont pas la même croyance que lui, il la repousse comme une absurdité et comme une insulte1.
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BC reprendra cette question avec beaucoup de perspicacité dans le chap. XVI des Mélanges.
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Chapitre VI et dernier. Conclusion.
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Je termine ici ce Commentaire, imparfait sans doute, mais dans lequel j’ai tâché d’établir une idée principale, qui me paroît s’appliquer à tout, et sans laquelle nous ne parviendrons à rien d’utile, ni à rien de durable. Cette idée, c’est que les fonctions du gouvernement sont négatives ; il doit réprimer le mal, et laisser le bien s’opérer de lui même. L’instinct assez juste et assez droit de Filangieri l’a conduit quelquefois à ce résultat ; mais les préjugés qui existoient encore, et l’appel imprudent adressé par beaucoup de philosophes ses contemporains à une autorité dont ils croyoient parvenir à s’emparer, l’ont fait sans cesse dévier de la bonne route. Il passe de la sorte à chaque instant d’une vérité à une erreur. Reconnoît-il que les mœurs d’un siècle n’étant celles ni du siècle qui l’a précédé ni de celui qui le suit, le législateur doit céder à ces modifications nécessaires ? aussitôt il veut placer le législateur en tête de ces modifications, et c’est Lycurgue ou Solon qu’il nous cite1. Je découvre bien, à travers le vague de ses expressions, qu’il ne veut, pas plus que moi, métamorphoser les modernes en Athéniens ni sur-tout en Spartiates ; mais il n’en tombe pas moins dans cette erreur grave, de montrer les mœurs des peuples comme des effets de la volonté des législateurs. On diroit à l’entendre que les Lacédémoniens n’ont repoussé les richesses que parceque Lycurgue les détestoit ; qu’ils n’ont renoncé au commerce que parcequ’il l’avoit proscrit ; qu’ils n’ont été guerriers que parcequ’il les avoit voués à une oisiveté guerrière. De même, il attribue l’esprit industrieux des Athéniens à l’appel fait à l’industrie par leur législateur, ne réfléchissant pas que lorsque l’industrie est indispensable à l’existence d’un peuple, ou lorsqu’un peuple est parvenu à l’époque industrielle de son état social, il n’y a pas besoin d’appel à son industrie par l’autorité et par les lois. Que l’autorité demeure neutre, que les lois se taisent, le nécessaire se fera de reste ; et en fait d’institutions, il n’y a de bon et durable que le nécessaire. En prenant à la lettre le système de Filangieri, il s’ensuivroit que les gouvernements devroient proportionner les lois à l’esprit des peuples comme des précepteurs proportionnent leurs leçons à l’intelligence de leurs élèves. Les gouvernements ne demandent pas mieux, et ils tirent de ce principe deux conséquences également fausses et funestes. 1
Les renvois à Lycurgue et Solon sont fréquents dans l’ouvrage de Filangieri.
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Le plus souvent ils perpétuent des lois absurdes, sous prétexte qu’il faut attendre pour leur amélioration une plus grande maturité dans les peuples ; et comme il est de l’intérêt des gouvernements exerçant le pouvoir de ne jamais reconnoître cette maturité dans ceux sur qui ils l’exercent, et de la retar der quand ils le peuvent, ils se livrent avec délices à cette politique stationnaire et de temporisation. Voyez la France jusqu’en 1789, à quelques exceptions près, qui prouvoient de l’inconséquence plutôt qu’un système ; et c’est ainsi que l’ancienne monarchie a laissé se préparer la révolution. Voyez d’autres empires, dont les ministres ne sont occupés qu’à étouffer dans l’intérieur de l’état, et à poursuivre au-dehors, les moindres germes d’améliorations progressives, et dont les autres marchent de promesses en promesses, et de rétractations en rétractations. D’autres fois, lancés par une commotion imprévue, ou par des intérêts de circonstances et d’individualité, hors de l’immobilité qui leur plaît si fort en thèse générale, les dépositaires du pouvoir franchissent le but au lieu de l’atteindre. Ils se déclarent juges compétents du degré de maturité auquel les peuples sont parvenus, et se trompent, tantôt sur l’époque, en croyant le peuple préparé à des réformes quand il ne l’est pas, tantôt sur le principe, en adoptant comme des réformes ce qui est le contraire. Voulez-vous un exemple de cette vérité dans un pays despotique ? consultez l’histoire de la nation portugaise sous le ministère du marquis de Pombal. «Vous verrez, à la mort de Jean V, le Portugal plongé dans l’ignorance, et courbé sous le joug du sacerdoce. Un homme de génie arrive à la tête de l’état1. Il ne calcule pas que, pour briser ce joug et pour dissiper cette ignorance, il faut avoir un point d’appui dans la disposition nationale. Il cherche ce point d’appui dans l’autorité. En frappant le rocher, il veut en faire jaillir la source vivifiante. Son imprudente précipitation révolte contre lui les hommes les plus dignes de le seconder. L’influence des prêtres s’accroît de la persécution dont ils sont victimes ; la noblesse se soulève : le ministre est en butte à la haine de toutes les classes. Après vingt ans d’efforts inutiles, la mort du roi lui ravit son protecteur. Il échappe à l’échafaud par l’exil ; et la nation bénit le moment où, délivrée du gouvernement qui prétendoit l’éclairer en dépit d’elle-même, elle peut se reposer de nouveau dans la superstition et dans l’apathie a.» a
De l’Esprit de conquête, 4e édit., pag. 2002.
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Il s’agit de Sebastiao José de Carvalho e Melo, marquis de Pombal (1699–1782). Voir OCBC, Œuvres, t. V, p. 586, n. 1 ; t. VIII/2, pp. 806–807, n. 5, et ci-dessous, p. 434. Quelques changements mineurs du texte. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 806–807.
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J’ai puisé un exemple dans un gouvernement absolu ; je pourrois en prendre un non moins frappant dans une autorité animée d’un esprit de liberté qui, encore aujourd’hui, excuse les fautes qu’elle a commises. Relisez l’histoire de l’assemblée constituante. «L’opinion sembloit réclamer depuis long-temps plusieurs des améliorations que cette assemblée tenta d’opérer. Trop avide de lui complaire, cette réunion d’hommes éclairés, mais impatients, crut ne pouvoir aller trop loin ni trop vite. L’opinion s’effaroucha de cet empressement de ses interprètes ; elle recula, parcequ’ils vouloient l’entraîner. Délicate jusqu’au caprice, elle s’irrite quand on prend ses velléités pour des ordres a. De ce qu’elle se plaît à blâmer, il ne s’ensuit pas toujours qu’elle veuille qu’on détruise. Souvent, comme les rois qui seroient fâchés que chaque mot qu’ils prononcent fût converti en acte par le zèle de leurs alentours, elle prétend parler, sans que ses paroles tirent trop à conséquence, afin de pouvoir parler librement. Les décrets les plus populaires de l’assemblée constituante furent quelquefois désapprouvés par une portion du peuple ; et parmi les voix qui s’élevèrent contre ces décrets, il y en avoient beaucoup sans doute qui les avoient provoqués jadis b.» Au moment où j’écris, le hasard fait tomber entre mes mains un plaidoyer qui n’est pas sans adresse, contre l’indépendance que je veux qu’on laisse à l’opinion publique, et en faveur de l’action exclusive du pouvoir. En y répondant, j’achèverai d’entourer ma doctrine d’évidence. «Lorsque l’esprit public, dit un écrivain moderne, est perverti par la vanité, l’égoïsme, et la manie de l’égalité ; lorsque les opinions dominantes repoussent la supériorité indispensable des vertus et des lumières ; lorsqu’une tourbe d’écoliers rejette toutes les institutions politiques et religieuses ; lorsque l’esprit du jour ne demande au législateur que de consacrer des systèmes d’anarchie, que doit faire le législateur ? En appeler de la nation trompée à la nation redevenue maîtresse de ses sens, de l’esprit du
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Quand l’autorité dit à l’opinion, comme Séide a` Mahomet, J’ai devancé ton ordre, l’opinion lui répond comme Mahomet à Séide, Il eût fallu l’attendre ; et si l’autorité refuse ce délai, l’opinion se venge1. De l’Esprit de conquête, pag. 2022.
V: 16 portion du peuple ] portion nombreuse du peuple Esprit de conquête
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Voltaire, Le Fanatisme ou Mahomet le prophète, acte II, scène 3. BC cite la quatrième édition. Voir OCBC, Œuvres, t. VIII/2, p. 808.
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jour à l’esprit des siécles ; et loin de flatter les préjugés populaires, les réformer, les comprimer, les extirper1.» Pour juger le sophiste, reprenons et pesons chacune de ses paroles. L’esprit du jour est perverti par la vanité. Il ne l’est jamais que lorsque les institutions favorisent la vanité. Sans doute, quand un système repose sur des distinctions que la vanité brigue et que le pouvoir accorde ; quand, pour lutter contre le bon sens du siècle qui ne veut plus être vaniteux, et qui repousse ces distinctions, on les accompagne de préférences qui en font des avantages positifs ; quand on force ainsi l’homme dont le caractère seroit supérieur à ces puérilités de se rabaisser à leur niveau ; quand la manifestation de la vanité est devenue une espèce d’hommage envers le pouvoir, un moyen de succès, une route de profit : l’esprit public peut être et sur-tout il peut paroître perverti par la vanité. Mais la faute en est au travail que le pouvoir fait sur lui pour le pervertir. Au reste, il est possible que nous ne nous entendions pas sur le sens des mots. Appelleroit-on par hasard vanité le mépris des distinctions dont jusqu’à présent la vanité se montroit avide ? Nous nous en assurerons tout-àl’heure, et nous verrons alors que la vanite´ ne réside pas dans ceux qu’on en accuse, mais dans ceux qui s’en plaignent. L’esprit public est perverti par l’égoïsme. Laissez l’égoïsme à lui-même ; les égoïsmes privés se combattront entre eux : ils se neutraliseront les uns par les autres. L’égoïsme, comme la vanité, n’est dangereux que lorsque les institutions l’encouragent. L’esprit public n’est perverti par l’égoïsme que lorsqu’un mauvais gouvernement ameute tous les égoïsmes contre toutes les idées de justice : la nature, qui a donné à l’homme l’amour de lui-même pour sa préservation personnelle, lui a donné aussi la sympathie, la générosité, la pitié, pour qu’il ne s’immolât pas ses semblables. L’égoïsme ne devient funeste que lorsque ce contre-poids est détruit. Il l’est, quand l’autorité appelle l’égoïsme autour de ses bannières, et lui promettant l’impunité pourvu qu’il s’enrôle sous ses étendards, transforme de la sorte un instinct nécessaire en une passion féroce et effrénée. L’esprit public est perverti par la manie de l’égalité. Ce reproche est plus clair que les précédents ; et, comme je l’avois annoncé, nous arrivons à découvrir que ce qu’on veut flétrir sous le nom de vanité et d’égoïsme, c’est l’amour de l’égalité. Maintenant, je le demande, est-ce à l’amour de l’égalité que la vanité peut être imputée ? N’y auroit-il pas plus de vanité dans la prétention contraire ? Vous appelez vains et présomptueux ceux qui veulent être vos égaux ; et vous vous trouvez raisonnables et modestes, vous qui voulez être leurs supérieurs ! 1
La citation est tirée d’un article anonyme du Journal des Débats du 5 juillet 1822, p. 1b. L’article répond à un autre paru dans Le Constitutionnel du 4 juillet. BC copie soigneusement, avec quelques coupures qui simplifient la rhétorique, mais n’affectent pas le sens. Il
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Qu’est-ce que l’égalité ? c’est la justice distributive. Ce n’est point l’absence de toute différence dans les avantages sociaux. Nul n’a réclamé, nul ne réclame ce genre d’égalité. C’est l’aptitude à conquérir ces avantages suivant les moyens et les facultés dont on est doué ; et ce seroit là une vanité qui pervertiroit l’esprit public ! Cet esprit public seroit bien plutôt perverti par la manie de l’inégalité, par cette manie qui place une poignée d’hommes dans une position nécessairement hostile, et qui, les condamnant à défendre cette position contre les droits de la masse, fausse les idées de cette minorité toujours militante, nuit à ses lumières, empreint ses jugements de partialité. Aussi comparez les excès qu’ont produit ces deux manies ; je me sers de l’expression consacrée. La manie de l’égalité cause des bouleversements, j’en conviens. L’homme qui gémit sous un poids énorme ne peut se relever avec assez de scrupule et de délicatesse pour ne pas déranger le poids qui l’oppresse. Mais voyez le peuple après ces mouvements impétueux : il est étonné de sa victoire, il cherche la justice, il la demande, il y revient dès qu’on la lui montre ; c’est que son intérêt est dans la justice, parceque la justice est la garantie du plus grand nombre, et que sa suspension ne profite qu’à une minorité qui se crée à ses dépens des privilèges ou des exemptions. La manie de l’inégalité entraîne, je l’avoue, beaucoup moins de violence. Mais c’est que jusqu’à présent les vices de nos institutions, l’imperfection de nos lumières, avoient donné à l’inégalité l’avantage de la possession. Or, on fait moins de bruit en main tenant ce qui existe qu’en établissant ce qui n’existe pas. Pour maintenir, l’immobilité suffit ; pour édifier, il faut d’abord détruire. Aussi ce sont les opprimés qu’on accuse toujours de tous les désordres : aussi long-temps que les nègres demeurent entassés à fond de cale, le vaisseau négrier et son équipage jouissent d’une paix édifiante ; les nègres étouffent, mais l’ordre n’est point troublé. Quand les nègres veulent respirer, le désordre commence, et on leur reproche la manie qui fait qu’ils ne peuvent vivre privés d’air. Il est si vrai que la modération apparente des partisans de l’inégalité tient à ce qu’ils ont jusqu’à ce jour été d’ordinaire en possession presque incontestée, que lorsque cette possession s’est trouvée momentanément interrompue, ils se sont précipités avec autant de fureur et avec bien plus de ténacité dans tous les excès et tous les attentats qu’on nomme populaires. Les patriciens de Rome assommant les tribuns étoient de dignes rivaux de Mazanielle et de Wat-Tyler ; et les Des Adrets et les Tavanes1 de la Saint-Bar-
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attaque une doctrine dont un des représentants est Bonald. L’article nous fournit en outre le troisième indice qui nous permet de dater le travail de rédaction à cette dernière partie : autour de début juillet 1822. BC cite ici les noms de quatre personnages connus pour leur cruauté. Thomas Aniello, surnommé Mazaniello (1623–1647), leader d’une révolte à Naples en 1647 ; Wat Tyler
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thélemy, qui n’étoit que l’action du privilège contre l’égalité religieuse, valoient sous tous les rapports les assassins du 2 septembre 1792. Ce n’est donc point la manie de l’égalité qui pervertit l’esprit public. Mais voyez le système d’inégalité travaillant à se conquérir des partisans, soldant le sophisme, semant la corruption, créant pour chaque transfuge un intérêt privé qui l’isole de l’intérêt général ; divisant l’espèce humaine en corps ennemis les uns des autres, pour la gouverner ; la par quant, pour ainsi parler, en une foule innombrable de corporations investies chacune d’un privilège, c’est-à-dire enrichies d’une spoliation et gratifiées d’une iniquité ; excitant les passions viles, développant les passions insolentes, récompensant les actions basses ; c’est dans cette atmosphère que l’esprit public se corrompt, et qu’on voit éclore tout ce qu’il y a d’ignoble dans le cœur de l’homme. Les opinions dominantes aujourd’hui repoussent la supériorité des vertus et des lumières. Jamais l’opinion n’a repoussé la supériorité des vertus. Dans les temps de l’immoralité la plus révoltante, la vertu est toujours respectée en théorie. Quant à la supériorité des lumières, où sont les lumières ? C’est là la question. L’opinion n’est autre chose que l’assentiment donné aux principes qu’on croit vrais ; les lumières ne sont que la connoissance de la vérité. L’opinion doit donc se croire en possession des lumières. Vous venez lui dire que vous en êtes les propriétaires uniques : persuadezla ; elle ne repoussera plus votre supériorité. Elle la repousse, parcequ’elle ne la reconnoît pas pour la supériorité des lumières. Trancher la question n’est pas la résoudre ; la trancher vous-même en votre faveur, ce n’est pas du raisonnement, c’est de l’impertinence. On rejette les institutions politiques et religieuses. Ne diroit-on pas qu’on rejette toutes les institutions politiques et toutes les institutions religieuses ? En gouvernement comme en religion, n’y a-t-il pas des institutions de différentes sortes ? Ne peut-on pas rejeter les unes et vouloir les autres ? Les partisans de la suprématie intellectuelle et de l’action exclusive du pouvoir ne rejettent-ils pas aussi les institutions qui sont contraires à ce monopole ? La question demeure donc toujours la même. Les deux partis ont des institutions qu’ils rejettent, et des institutions qu’ils adoptent : reste à savoir lequel a raison. Mais accuser les hommes qui veulent le gouvernement de (?–1381), chef de paysans révoltés à Londres ; François de Beaumont, baron d’Adrets (1512 ou 1513–1587), réputé pour sa cruauté dans les guerres de religion ; le dernier est Gaspard de Saulx, seigneur de Tavannes (1509–1573), maréchal de France, adversaire farouche des protestants et un des inspirateurs de la Saint-Barthélémy. Les assassins du 2 septembre 1792 évoquent l’exécution en masse d’environ 1.100 détenus dans les prisons de Paris sous le prétexte qu’ils tendaient la main aux ennemis qui assiégeaient alors Verdun. Voir A. Soboul, La Révolution française, t. I : De la Bastille à la Gironde, Paris : Gallimard, 1964, pp. 306–309.
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l’opinion, accuser cette opinion même de rejeter toutes les institutions politiques et religieuses, c’est avancer précisément l’inverse de la vérité. Ce qui caractérise les amis du pouvoir, c’est leur confiance en certaines classes et en certains hommes. Ce sont des droits innés et des lumières privilégiées qu’ils leur attribuent. En conséquence, ils se mettent assez peu en peine des institutions, et ils ne les invoquent tout au plus que comme défense, quand ils craignent que l’autorité concentrée dans quelques mains ne leur soit enlevée. Ceux qui, au contraire, pensent que l’opinion doit être obéie, que les gouvernements ne doivent être que ses interprètes, et que leur mission est de marcher avec elle d’améliorations en améliorations, demandent qu’on place derrière chaque amélioration qui s’opère une institution qui la garantisse, en empêchant le pouvoir d’enlever de nouveau à l’espèce humaine ce qu’elle a conquis. Ils ne veulent pas à la vérité que ces institutions soient immuables ; ils veulent que l’opinion, grace à la force progressive de laquelle elles se sont établies, puisse aussi par une progression ultérieure les améliorer encore. Mais en attendant, et précisément parcequ’ils ne reconnoissent point au pouvoir la science infuse et la supériorité des lumières, ils ne s’en fient point à lui, et ils recourent aux institutions pour enregistrer et protéger des progrès faits presque toujours en dépit de ses efforts pour les retarder. L’opinion pervertie veut substituer à ces institutions des systèmes d’anarchie. Qu’est-ce que l’anarchie ? C’est un état de choses durant lequel la société est livrée à l’action irrégulière de forces opposées et ennemies. Or, l’égalité qui soumet toutes les classes, tous les individus d’un état à des lois uniformes, et qui par-là même écarte toute cause permanente de lutte et d’hostilité entre ces individus et entre ces classes, n’est-elle pas bien mieux calculée pour réprimer l’anarchie que l’inégalité qui arme des minorités, tantôt les unes contre les autres, tantôt contre la majorité ? Le gouvernement de l’opinion est de tous celui qui met le plus complètement les peuples à l’abri de l’anarchie. L’opinion n’avançant que par degrés, tout ce que l’autorité fait sous son influence est préparé, arrive à propos, trouve des antécédents dans les esprits, s’enchaîne au passé, se lie à l’avenir, corrige ce qui est vicieux, s’ente sur ce qui est bon. Quand au contraire c’est à l’autorité, déclarée indépendante de l’opinion et au-dessus d’elle, que vous vous abandonnez, vous êtes à la merci des intérêts privés et des conceptions fortuites. Le système de la suprématie de l’autorité, décidant seule d’après des lumières prétendues, n’est qu’une espèce de consécration de l’anarchie du hasard. Le législateur doit en appeler de la nation trompée à la nation redevenue maîtresse de ses sens. Mais le législateur est-il un être abstrait, impassible ? N’a-t-il pas d’intérêt à s’arroger la plus grande somme de pouvoir que les circonstances placent à sa portée ? Toutes les fois que la nation lui disputera quelque parcelle de ce pouvoir, ne dira-t-il pas qu’elle se trompe et qu’elle
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s’égare ? J’ai déja traité ce sujet (1re partie, ch. VIII, p. 66)1. J’ai prouvé que les gouvernements, et par le mot de législateur c’est toujours ici du gouvernement qu’on parle, j’ai prouvé, dis-je, que les gouvernements avoient plus de chances d’erreur que les individus, et ils en ont plus sur-tout que les peuples. L’opinion d’un peuple est le résultat de chaque opinion individuelle, séparée des intérêts privés qui la faussent dans chacun, et qui, se rencontrant dans ce centre commun, se combattent et se détruisent mutuellement. Le gouvernement ou le législateur a au contraire en lui-même ces intérêts privés dans toute leur intensité. Rien ne l’en garantit ; rien ne dégage les idées générales qu’il peut avoir conçues de cet alliage funeste. Vous le chargez de déclarer quand la nation se trompe : mais qui vous répond que ce n’est pas lui qui se trompera ? Il déclarera la nation trompée, toutes les fois que les lumières de cette nation devanceront les siennes, toutes les fois que cette nation ne voudra pas se soumettre à ses fantaisies et à ses caprices. Albert d’Autriche disoit sûrement que la nation helvétique étoit trompée, quand elle ne plioit pas le genou devant le chapeau de Gessler2. Le sultan dit probablement aujourd’hui que les Grecs sont trompés, parcequ’ils résistent au pal, au viol, et au cordon ; et nous avons vu en France, à toutes les époques, des gens qui, lorsque la nation se plaignoit de quelqu’une de nos innombrables tyrannies, on dit qu’elle se trompoit. Le législateur doit opposer à l’esprit du jour l’esprit des siècles. Si le législateur oppose à l’esprit du jour l’esprit des siècles passés, nous sommes rejetés dans cette politique stationnaire qui paralyse toutes les facultés de l’homme, repousse toutes les améliorations, éternise toutes les erreurs ; si le législateur oppose à l’esprit du jour l’esprit des siècles futurs, nous sommes exposés à toutes les innovations précipitées, prématurées, fantastiques, dont j’ai peint le danger au commencement de ce chapitre. Pourquoi donc ne pas vouloir laisser à l’esprit du jour son domaine ? L’esprit du jour se compose des opinions du jour, telles qu’elles se sont formées par l’action des circonstances, à l’aide des antécédents ; car elles ne naissent pas spontanément et isolément dans la tête des hommes : l’esprit du jour naît des intérêts du jour, tels que les habitudes, les spéculations, les progrès de l’industrie les ont faits ; l’esprit du jour est l’expression des besoins du jour. N’essayez donc ni d’évoquer péniblement l’esprit de la veille, ni d’appeler trop vite et imprudemment celui du lendemain. 1 2
BC se trompe. Il aurait dû renvoyer à la p. 46. Voir ci-dessus, pp. 140–146. Ces deux personnages appartiennent au mythe fondateur de la Confédération helvétique, le premier : Albrecht Ier, duc d’Autriche et roi germanique (1255–1308), le second, le «Landvogt» Hermann Gessler, tué, d’après la légende, en 1307 par Guillaume Tell près de Küssnacht.
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Loin de flatter les préjugés populaires, le législateur doit les réformer, les comprimer, les extirper. Ici, deux questions se présentent. Le législateur a-t-il une certitude ou même une probabilité de suc cès, quand il veut extirper les opinions dominantes ? Et si le succès étoit certain, seroit-il de nature à ce que la société dût s’en féliciter ? C’est par des faits que j’aime à répondre aux assertions dogmatiques. Je vais donc prendre dans l’histoire l’exemple le plus mémorable qu’elle nous ait transmis de la lutte de l’autorité contre l’opinion ; je le choisis d’autant plus volontiers que, dans ce cas particulier, l’autorité avoit raison à beaucoup d’égards. Je veux parler des mesures sévères adoptées par le sénat romain contre l’introduction de la philosophie grecque. Certes, il y avoit beaucoup de vérités, mais il y avoit aussi de graves erreurs dans la philosophie apportée à Rome par l’ambassade athénienne, dont Carnéade faisoit partie1. D’un côté, les progrès des lumières avoient conduit les philosophes grecs à rejeter des fables absurdes, à s’élever à des notions religieuses plus épurées, à séparer la morale du polythéisme vulgaire, et à en placer la base et la garantie dans le cœur et l’intelligence de l’homme ; d’une autre part, l’abus d’une dialectique subtile avoit, dans les écoles de plusieurs philosophes, ébranlé les principes naturels et incontestables de la justice, soumis tout à l’intérêt, et de la sorte flétri le motif de toutes les actions, et dépouillé la vertu même de ce qu’elle a de plus noble et de plus pur. Ainsi le sénat de Rome avoit de justes motifs pour desirer qu’une doctrine mêlée de tant d’alliage ne s’emparât point, sans discernement et sans restriction, de l’esprit de la jeunesse romaine. Que fit-il ? Il commença par confondre le vrai avec le faux, le bien avec le mal : c’étoit une première méprise que l’autorité ne pouvoit éviter, puisqu’il n’est ni de sa mission ni en sa puissance de se livrer à l’examen approfondi d’aucune opinion ; elle ne peut jamais en saisir que les dehors. Le sénat ayant pris la philosophie en masse, fut beaucoup plus frappé de ses inconvénients que de ses avantages : TR: 13-p. 393.32 Certes, ... d’abord arrêter.« ] De la philosophie chez les Romains, Co 3408 ; Principes de politique, Livre XIV, chap. 3, OCBC, Œuvres, t. V, pp. 527–530. 1
On consultera l’Introduction au chap. 1er des Mélanges de littérature et de politique, qui explique les filiations des textes sur l’introduction de la philosophie à Rome (OCBC, Œuvres, t. XXXIII, à paraître). – Carnéade de Cyrène (214/3–129/8 av. J.-C.), fondateur de la Troisième Académie (ou Académie nouvelle), continua l’orientation sceptique qu’Archésilas avait déjà imprimée à l’école fondée par Platon. L’ambassade des philosophes athéniens à Rome, dont faisaient partie également Critolaüs de Phaselis, péripatéticien, et Diogène de Babylone, stoïcien, eut lieu en 155 av. J.-C.
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cela devoit être. Les sophismes de Carnéade, qui, se faisant une gloire du talent méprisable d’attaquer indifféremment les opinions les plus opposées, parloit en public, tantôt pour, tantôt contre la justice, devoient inspirer contre une science jusqu’alors inconnue des préventions très défavorables. Le sénat proscrivit donc toute la philosophie grecque. Ainsi, en premier lieu, il repoussa sur de trompeuses apparences la chose qui, principalement à l’époque où les mœurs se corrompoient, pouvoit seule rappeler les Romains à l’amour de la liberté, de la vérité, et de la vertu. Caton l’ancien, qui décida la proscription de la philosophie grecque, ne se doutoit pas qu’un siécle après lui, cette même philosophie, mieux approfondie et mieux connue, seroit le seul asile de son petit-fils contre les trahisons de la fortune et la clémence insolente de César1. En second lieu, les mesures de rigueur prises par le sénat contre la philosophie grecque ne faisoient que lui préparer un triomphe, qui, retardé, n’en devint que plus complet. Les députés d’Athènes furent renvoyés précipitamment dans leur patrie. Des édits rigoureux contre toute doctrine étrangère furent fréquemment renouvelés. Efforts inutiles, l’impulsion étoit donnée, les moyens de l’autorité ne pouvoient l’arrêter. Supposons maintenant que le sénat de Rome n’eût voulu ni réformer, ni comprimer, ni extirper par la force, et qu’il ne fût intervenu ni pour ni contre la philosophie, que seroit-il arrivé ? Les hommes éclairés de la capitale du monde auroient examiné impartialement la nouvelle doctrine ; ils auroient séparé les vérités qu’elle contenoit d’avec les sophismes qui s’étoient introduits à la faveur de ces vérités. Il n’étoit, certes, pas difficile de prouver que les raisonnements de Carnéade contre la justice n’étoient que de misérables arguties ; il n’étoit pas difficile de réveiller dans le cœur de la jeunesse romaine les sentiments indélébiles qui sont dans celui de tous les hommes, et de soulever l’indignation de ces ames encore neuves contre une théorie qui, consistant tout entière en équivoques et en chicanes, devoit par la plus simple analyse se voir bientôt couverte de ridicule et de mépris. Mais cette analyse ne pouvoit être l’ouvrage de l’autorité. L’autorité devoit seulement la rendre possible en laissant l’examen libre ; car l’examen, lorsqu’il est proscrit, ne s’en fait pas moins, mais se fait imparfaitement, avec trouble, passion, ressentiment, et violence. On veut suppléer à cet examen par des édits et des soldats. Ces moyens sont commodes et paroissent sûrs ; ils ont l’air de tout réunir, brièveté, facilité, dignité ; ils n’ont qu’un seul défaut, celui de ne jamais réussir. 1
Caton l’Ancien : Marcus Porcius Cato, homme politique et orateur romain (234–149 av. J.-C.), dit «le Censeur». Il se voulut le défenseur des mœurs romaines traditionnelles, en critiquant leur corruption parmi les aristocrates et le peuple, en dénonçant en particulier l’influence croissante dans la culture romaine d’éléments venant de la Grèce. En 155 av. J.-C., il parla au Sénat contre l’ambassade des philosophes.
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Les jeunes Romains conservèrent d’autant plus obstinément dans leur mémoire les discours des sophistes, qu’on leur sembloit avoir injustement éloigné leurs personnes : ils regardèrent la dialectique de Carnéade, moins comme une opinion qu’il falloit examiner que comme un bien qu’il falloit défendre, puisqu’on menaçoit de le leur ravir. L’étude de la philosophie grecque ne fut plus une affaire de simple spéculation ; mais, ce qui paroît bien plus précieux encore à l’époque de la vie ou` l’ame est douée de toutes les forces de résistance, un triomphe sur l’autorité. Les hommes éclairés d’un âge plus mûr, réduits à choisir entre l’abandon de toute étude philosophique, ou la désobéissance au gouvernement, furent forcés à ce dernier parti par le goût des lettres, passion qui s’accroît chaque jour, parceque sa jouissance est en elle-même. Les uns suivirent la philosophie dans son exil d’Athènes ; d’autres y envoyèrent leurs enfants : et la philosophie, revenue ensuite de son bannissement, eut d’autant plus d’influence qu’elle arrivoit de plus loin, et qu’on l’avoit acquise avec plus de peine. L’histoire moderne nous fournit un exemple qui vient à l’appui des leçons que nous puisons dans l’histoire ancienne. J’emprunte les réflexions d’un écrivain impartial et modéré. «La métaphysique d’Aristote fut frappée d’anathème par cette redoutable puissance qui faisoit plier sous son joug et les passions et les pensées, et les souverains et les sujets. C’est contre la cendre insensible d’un philosophe mort depuis vingt siécles que le concile de Paris, sous Philippe-le-Bel, dirigea ses foudres, et cette poussière inerte sortit victorieuse du combat. La métaphysique du précepteur d’Alexandre fut plus que jamais adoptée dans les écoles ; elle devint l’objet d’une vénération religieuse ; elle eut ses apôtres, ses martyrs, ses missionnaires : et les théologiens eux-mêmes courbèrent les dogmes du christianisme pour les concilier avec les maximes des péripatéticiens ; tant l’opinion est irrésistible dans sa marche progressive, tant le pouvoir civil, religieux et politique, est forcé malgré lui de suivre cette marche : heureux, pour sauver les apparences, de sanctionner ce qu’il vouloit interdire, et de se mettre en tête du mouvement qu’il prétendoit d’abord arrêter1.» Abandonnons maintenant cette question. Renonçons à la victoire que nous croyions avoir remportée. Supposons le succès de l’autorité contre l’opinion probable ou possible : supposons de plus que l’autorité ait raison, que l’opinion ait tort ; que la première combatte en effet pour la vérité ; que la seconde soit du parti de l’erreur ; et voyons, dans cette hypothèse, quelle seroit la suite du triomphe de la vérité même imposée par le pouvoir. 1
L’auteur de cette citation n’est pas identifié. Dans les Principes de politique (OCBC, Œuvres, t. V, p. 530), BC ne signale pas la citation. Rappelons en outre que le concile de Paris se tenait en 1210, sous le règne de Philippe Auguste.
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Le soutien naturel de la vérité, c’est l’évidence. La route naturelle vers la vérité, c’est le raisonnement, la comparaison, l’examen. Persuader à un homme que l’évidence, ou ce qui lui paroît l’évidence, n’est pas le seul motif qui doive le déterminer dans ses opinions, que le raisonnement n’est pas la seule route qu’il doive suivre, c’est fausser ses fa cultés intellectuelles, c’est établir une relation factice entre l’opinion qu’on lui présente et l’instrument avec lequel il doit la juger. Ce n’est plus d’après la nature intrinsèque de cette opinion qu’il prononce, mais d’après des considérations étrangères, et son intelligence est pervertie dès qu’elle suit cette direction. Supposez infaillible le pouvoir qui s’arroge le droit d’enseigner la vérité ; il n’en emploie pas moins des moyens qui ne sont pas homogènes : il n’en dénature pas moins et la vérité qu’il proclame, et l’intelligence à laquelle il ordonne sa propre renonciation. M. de Montesquieu a dit avec raison a qu’un homme condamné à mort par les lois qu’il a consenties est politiquement plus libre que celui qui vit tranquille sous des lois instituées sans le concours de sa volonté. On peut dire avec la même justesse que l’adoption d’une erreur d’après nousmêmes, et parcequ’elle nous paroît la vérité, est une opération plus favorable au perfectionnement de notre esprit, que l’adoption d’une vérité sur la parole d’une autorité quelconque b. Dans le premier cas, nous nous forma b
Esprit des lois, liv. XII, chap. 121. C’est dans ce sens que je disois une fois à la tribune : l’erreur libre vaut mieux que la vérité imposée. Ceux que cette phrase a fait murmurer ne m’ont pas compris ; j’aurois été étonné qu’ils me comprissent2.
TR: 1-p. 396.27 Le soutien ... s’exclure. ] Principes de politique, Livre OCBC, Œuvres, t. V, pp. 523–526. 1
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XIV,
chap. 3.
BC aurait dû renvoyer à De l’esprit des lois, livre XII, chap. 2. «un homme à qui on feroit son procès, et qui devroit être pendu le lendemain, seroit plus libre qu’un bacha ne l’est en Turquie» (p. 432). Allusion à son discours du 22 mars 1822 à la Chambre des députés sur le budget de l’instruction publique. BC a dit ceci : «D’abord j’avoue que, dans un pays de liberté, et nous devons toujours parler comme s’il y avait réellement de la liberté ou espoir d’y arriver, je ne crois pas que les lettres aient besoin d’encouragements. L’esprit humain, quand il n’est pas entravé par l’autorité, s’encourage lui-même, et les encouragements donnés par l’autorité ne peuvent que lui nuire. Le gouvernement ne doit pas imposer des doctrines ; il doit laisser les doctrines libre. En thèse générale, l’erreur libre vaudrait mieux que la vérité imposée» (Archives parlementaires, deuxième série, t. XXXV, p. 583a). Les murmures en cause venaient de la droite. BC continue son discours en répétant cette phrase. Signalons encore que la même phrase est citée dans un compte rendu de la séance du 22 mars qui paraît dans La France chrétienne, journal religieux, politique et littéraire, t. II, 1822, p. 399.
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ons à l’examen. Si cet examen, dans telle circonstance particulière, ne nous conduit pas à des résultats heureux, nous sommes toutefois sur la route. En persévérant dans notre investigation scru puleuse et indépendante, nous arriverons tôt ou tard. Mais dans la seconde supposition, nous ne sommes plus que le jouet de l’autorité devant laquelle nous avons courbé notre propre jugement. Non seulement dans la suite nous adopterons des erreurs, si l’autorité qui domine se trompe, ou trouve utile de se tromper ; mais nous ne saurons pas même tirer des vérités que cette autorité nous aura fait connoître les conséquences qui doivent en résulter. L’abnégation de notre intelligence nous aura rendus des êtres misérablement passifs. Le ressort de notre esprit se trouvera brisé ; ce qui nous restera de force ne servira qu’à nous égarer. Un écrivain, doué d’une pénétration remarquable, observe à ce sujet qu’un miracle opéré pour démontrer une vérité ne produiroit point de conviction réelle dans les spectateurs, mais détérioreroit leur jugement a ; car il n’existe entre une vérité et un miracle aucune liaison naturelle. Un miracle n’est point la démonstration d’une assertion, mais une preuve de force. Requérir par un miracle l’assentiment à une opinion, c’est exiger qu’on accorde à la force ce qu’on ne doit accorder qu’à l’évidence ; c’est renverser l’ordre des idées, et vouloir qu’un effet soit produit par ce qui ne sauroit être sa cause. Je n’applique ce raisonnement qu’aux idées politiques et morales ; mais dans cette sphère il ne sauroit être contesté. La morale ne se compose que de l’enchaînement des causes et des effets. De même, la connoissance de la vérité ne se compose que de l’enchaînement des principes et des conséquences. Toutes les fois que vous interrompez cet enchaînement, vous détruisez la morale et vous dénaturez la vérité. Tout ce qui est imposé par l’autorité à l’opinion ne peut être utile et devient nuisible, la vérité comme l’erreur. La vérité n’est pas alors nuisible comme vérité ; elle est nuisible comme n’ayant pas pénétré dans l’esprit humain par la route naturelle. On objecte qu’il y a une classe dont les opinions ne peuvent être que des préjugés, une classe qui, n’ayant pas le temps de réfléchir, ne peut apprendre que ce qu’on lui enseigne ; une classe qui doit croire ce qu’on lui affirme, et qui, ne pouvant se livrer à l’examen, n’a nul intérêt à l’indépendance intellectuelle. C’est, dira-t-on, cette classe ignorante dont le gouvernement doit diriger l’opinion, en laissant à la classe éclairée toute liberté. a
Godwin, Political justice1.
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Voir Godwin, De la justice politique, livre III, chap. 1, OCBC, Œuvres, t. II/1, p. 103.
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Mais un gouvernement qui s’arrogera ce droit exclusif prétendra nécessairement faire respecter son privilège. Il ne voudra pas que des individus, quels qu’ils soient, agissent dans un sens différent du sien. J’accorde que, dans les premiers moments, il couvre cette volonté de formes tolérantes. Dès lors néanmoins il en résultera quelque entrave : ces entraves iront toujours en croissant. De la préférence pour une opinion à la défaveur pour l’opinion contraire, l’intervalle est impossible à ne pas franchir. Ce premier désavantage est la cause d’un second. Les hommes éclairés ne tardent pas à se séparer d’une autorité qui les blesse. Ceci est dans la nature de l’esprit humain, sur-tout lorsqu’il est fortifié par la méditation et cultivé par l’étude. L’action de l’autorité, même la mieux intentionnée, a quelque chose de rude et de grossier, et froisse mille fibres délicates qui souffrent et se révoltent. Il est donc à craindre que, si l’on attribue au gouvernement le droit de diriger, fût-ce vers la vérité, l’opinion des classes ignorantes, en séparant cette direction de toute action sur la classe éclairée, cette classe qui sent que l’opinion est de son domaine, ne se mette en lutte contre le gouvernement. Mille maux alors en résultent. La haine d’une autorité qui intervient dans ce qui n’est pas de son ressort peut tellement s’accroître, que, lorsqu’elle agit en faveur des lumières, les amis des lumières se rangent du côté des préjugés. Nous avons, comme je l’ai déja rappelé, vu ce spectacle bizarre à quelques époques de notre révolution. Un gouvernement fondé sur les principes les plus évidents, et professant les théories les plus saines, mais qui, par la nature des moyens qu’il emploieroit, auroit aliéné la classe cultivée, deviendroit infailliblement ou le gouvernement le plus avili, ou le gouvernement le plus oppresseur. Souvent même il réuniroit ces deux caractères qui semblent s’exclure. Rayons donc, pour tout ce qui n’a pas rapport à des crimes positifs, les mots de comprimer, d’extir per, et même de diriger, du vocabulaire du pouvoir. Pour la pensée, pour l’éducation, pour l’industrie, la devise des gouvernements doit être : Laissez faire et laissez passer. FIN DU COMMENTAIRE.
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[E´bauche de la conclusion de l’ouvrage] 1822 ?
12. Fragments du premier folio, seul conservé, d’une première version de la Conclusion du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Le folio est reconstitué jSDUWLUGHWURLVIUDJPHQWVGXPDQXVFULWVXU¿FKHV&RG¶XQ/LYUH IV, „Du prétendu Théisme des peuples soumis aux prêtres“ de l’ouvrage sur la religion. Constant utilise, comme pour le manuscrit de la Première Partie, des feuilles de grand format, mais la disposition du texte est différente, ce qui permet de dater ce texte de 1824. Bibliothèque Cantonale et Universitaire, Lausanne, Co 3278, fos 29vo, 50vo et 87vo.
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Introduction
Les trois fragments seuls conservés d’une version du texte sans doute beaucoup plus longue du dernier chapitre de l’ouvrage constituent un document intéressant, en dépit du fait que nous ne connaissons pas la suite et arrivons à peine à deviner le début de ce morceau. Ce qui subsiste nous permet néanmoins de soutenir avec une plausibilité suffisante que le Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri a été entrepris par Constant dans un but polémique. Le traité de Filangieri est pour lui un prétexte de plus pour attaquer indirectement des adversaires politiques. Le fait qu’il parle ouvertement «de la difficulté très grande aujourd’hui non seulement de dire tout ce qu’on pense, mais d’être inébranlable soi-même dans sa façon de penser» est une attaque teintée d’ironie amère contre la prédominance d’une opinion oppressive. Les fragments sont difficilement datables. Constatons toutefois que, si le format du papier utilisé est identique à celui du manuscrit pour la première partie de l’ouvrage, la distribution du texte sur la feuille est différente. Constant utilise tout l’espace disponible, se ménageant seulement une marge de trois centimètres à gauche. Le fait qu’il cite dans la conclusion définitive un article du Journal des Débats du 5 juillet 1822 pour rédiger la fin de l’ouvrage peut nous inviter à dater ces fragments également de cette année. Mais la date que nous proposons avec beaucoup d’hésitation est purement hypothétique pour signifier que cette ébauche précède sans aucun doute le texte publié que nous connaissons. Nous ne savons pas ce qui a décidé Constant à renoncer à cette première tentative. Serait-ce le choix de l’article du Journal des Débats pour organiser la conclusion ? C’est possible. Nous pouvons constater que la nouvelle conclusion souligne la supériorité philosophique et théorique de la doctrine libérale. Les analyses de Constant tendent à démontrer la conformité de cette théorie avec l’esprit de l’époque et à montrer ainsi la tendance rétrograde des doctrines du parti conservateur.
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Ébauche de la conclusion
Établissement du texte Nous reproduisons ici les trois fragments de la première page de l’ancienne conclusion de l’ouvrage. Les mots entre crochets ne prétendent point reconstituer les parties des phrases qui sont perdues ; ils n’ont d’autre but que d’aider le lecteur à chercher lui-même les tournures qui font défaut. Chacune des lignes tronquées doit être complétée par une séquence de mots comprenant entre vingt et trente signes. Nous nous sommes inspirés pour notre proposition de lecture de la phraséologie constantienne, supposant qu’il compose souvent ses textes en utilisant des éléments presque stéréotypés pour exprimer ses idées. Manuscrit : Chapitre [VI et dernier]. BCU, Co 3278, fos 29vo, 50vo et 87vo, 3 fragments d’un ancien fo de 310 × 200 mm découpé pour en faire des fiches. K. K.
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Chap. [VI et dernier] Conclusi[on]
Je termine ici ce Commen[taire, imparfait sans] doute mais independam[ment des circonstances] qui tiennent à l’auteur, [on peut alléguer deux causes :] La première, ce sont les [préjugés ... sa doctrine] qui, bien en arrière des [opinions et des idées répan-] dues aujourd’hui, m’a f[orcé ... de réfuter] des assertions tellement [...] que je dois paraître à [aborder ... des] chimères pour les com[battre .... et] pour démontrer longuement des lieux communs. La seconde cause, c’est la difficulté très grande aujourd’hui non seulement de dire tout ce qu’on pense, mais d’être inébranlable soi même dans sa facon de penser1. Quant à la difficulté de dire ce qu’on pense, elle est évidente. Des vœux imprudens, des tentatives insensées ont semé la défiance dans l’esprit de tous ceux qui possèdent à un titre quelconque, une portion quelconque d’autorité. La masse de la Nation, masse toujours égoïste, & par consequent toujours modérée, se trouve placée entre deux partis, dont l’un veut la faire reculer, l’autre la faire avancer outre mesure. Les hommes du premier parti se disent ses maîtres, les [hommes du second ...]
E´tablissement du texte : Manuscrit : Chapitre 29vo, 50vo et 87vo.
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et dernier. Conclusion. BCU, Co 3278, fos
À rapprocher d’un passage de la lettre du 22 septembre 1824 à Rosalie : «Je travaille à force au second volume [à savoir : de De la Religion], plus scabreux que le premier. On ne peut prévoir ni calculer aujourd’hui ce qu’il sera permis d’imprimer ou de dire, mais il faut travailler en attendant» (Corr. Rosalie, pp. 256–257).
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Première annexe Morceau de Filangieri sur la religion.
Introduction
Le texte qui suit n’est pas une œuvre de Benjamin Constant. Il s’agit d’un extrait du «Livre cinquième» de la Science de la Législation de Filangieri. Ce livre porte chez l’auteur italien le titre «Des lois qui concernent la religion» et comprend en tout huit chapitres qui exposent une théorie de la genèse de la pensée religieuse1. Constant utilise pour son extrait sans aucun doute la traduction française de Gallois qu’il a connue dans l’édition de 1798 et qu’il utilise également pour rédiger son Commentaire. Mais au lieu de copier ou de faire copier littéralement le texte imprimé, il le rédige une nouvelle fois, en change profondément la syntaxe et raccourcit les phrases. Le résultat est une version nettement plus énergique, plus concise, voire plus élégante par rapport au modèle. Le travail de rédaction est interrompu assez brusquement après les six premières pages du chapitre 4 consacré au polythéisme. Constant sacrifie ainsi environ quatre cinquièmes du texte de Filangieri (82 pages sur 98) ainsi que 117 pages de notes très fournies que Filangieri appelle des «Notes justificatives des faits». Nous ignorons si Constant a utilisé ces matériaux pour la rédaction de son ouvrage sur la religion. De même ignorons-nous pourquoi Constant a entrepris ce travail d’adaptation. Les hypothèses soutenues par Filangieri ne pouvaient le satisfaire, même si l’on trouve chez l’auteur italien des axiomes proches de la pensée de Constant2. La date de ce travail est difficile à établir. Nous le placerions volontiers avant son séjour à Weimar, sans pourtant pouvoir apporter aucune preuve matérielle à cette hypothèse. Nous ne savons pas non plus pourquoi Constant le fait porter dans le t. V de ses Œuvres manuscrites. Nous transcrivons le texte fidèlement sans signaler les innombrables variantes qui existent entre la traduction de Gallois et la version constantienne. Nous renonçons également à toute annotation explicative, nous contentant de voir dans ce document une étape intermédiaire des recherches de Constant sur la religion. Il découvre la direction à prendre au cours d’une soirée 1
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Voir Œuvres de G. Filangieri, traduites de l’Italien, nouvelle édition accompagnée d’un Commentaire par M. Benjamin Constant et de l’éloge de Filangieri par M. Salfi, t. V, pp. 48–266. Le texte du livre V de Filangieri se lit pp. 48–146, les notes justificatives occupent les pp. 147–263. La partie reprise par BC se trouve pp. 48–65. L’exemple le plus significatif se trouve au début de ce morceau : «la religion [...] qui est si inhérente à la nature humaine». Voir ci-dessous, p. 407.
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Annexes
chez la duchesse mère, Anna-Amalia de Weimar, où il a l’intuition décisive qui lui permettra de formuler l’axiome fondamental de sa théorie sur la religion. Nous apprenons cette percée par une note du Journal Intime : «Distinction heureuse et à conserver entre le sentiment religieux et les religions positives. Cette distinction éloigne la brutalité de l’athéisme, en laissant toute liberté. L’athéisme dogmatique est l’ennemi de tout ce qui est beau ; le positif de dans la religion de tout ce qui est beau et de tout ce qui est libre»1.
Établissement du texte Manuscrit : BnF, NAF 14362, fos 172vo–182ro. Morceau de Filangieri sur la religion. 11 fos, 20 pp. de la main d’Audouin, 265 × 200 mm. Cette copie se trouve dans le t. V des Œuvres manuscrites. Date : après 1798, avant 1804 (?). Hofmann, Catalogue, II/1. K.K.
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Voir le J. I. du 18 février 1804 (OCBC, Œuvres, t. VI, p. 71). Sur la signification profonde de cette note, on consultera notre étude «Benjamin Constant et l’Allemagne», Œuvres & critiques, 33, 2008, 1, pp. 19–38.
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Morceau de Filangieri sur la religion.
La religion qui précède de l’origine, le progrès et les développemens de la société civile, qui la prépare, l’opère, l’accompagne et la suit, la religion qui consiste chez le sauvage en une adoration tremblante qu’il offre en hommage aux objets inconnus de son étonnement et de son effroi, pour en arrêter ou en détourner l’influence funeste, qui dans les sociétés barbares, est le principe de l’autorité, qu’on aime à placer dans la main des Dieux, parcequ’on ne peut pas encore la supporter dans la main des hommes, et qui sous les auspices de la théocracie coordonne, prépare et produit graduellement le passage difficile, lent et progressif de l’indépendance naturelle à l’assujettissement social, qui dans les sociétés où ce passage a déja eu lieu, c’est à dire dans celles qui sont déja perfectionnées, peut venir au secours de l’autorité publique, soit pour étendre la sanction des loix, soit pour persuader ce qui ne peut être l’objet d’un commandement, soit pour détourner les hommes de ce que la loi seule ne peut pas toujours empêcher ; la religion enfin qui, pendant qu’elle produit tous ces avantages, peut devenir une source féconde des maux les plus horribles, tels que sont ceux que l’on a déja vu si souvent résulter, et qu’on voit encore chaque jour être l’effet de la corruption des idées religieuses et du fanatisme ; la religion, dis-je, qui est si inhérente à la nature humaine, si nécessaire à la civilisation, au perfectionnement et à la conservation de la société, et cependant si terrible dans sa dégénération, ne doit elle pas être considérée comme l’un des objets les plus imposants du systême législatif. Puisque ce systême embrasse tous les siècles et tous les peuples, ne doit-il pas comprendre dans cette partie de ses principes, toutes les religions et toutes les manières d’adorer la divinité. L’auteur de ce systême, né dans le sein de la vraie religion, doit il à cause de ce privilège, négliger l’examen des religions fausses ? n’est il pas évident, au contraire, que chez les peuples où règnent ces dernières, il faut plus d’art dans le législateur et plus de sagesse dans la législation pour tirer parti des avantages moins grands qu’elles lui procurent, et pour réparer les maux plus considérables qu’elles entrainent. Le systême qui doit servir de guide au législateur et à la légisÉtablissement du texte : Manuscrit : BnF, NAF 14362, fos 172vo–182ro. V: 6 en détourner ] en 〈déterminer〉 détourner
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lation ne peut en conséquence pas laisser de cote´ les religions fausses. Personne ne peut donc crier anathême contre l’auteur, si idolatre et le payen, le sectateur de Mahomet et celui de Jesus Christ, trouvent également dans cet ouvrage, les principes d’après lesquels doivent se diriger les loix qui ont rapport à des religions et à des cultes si différens. Puisqu’ils sont les enfans du même père, les membres de la même famille, devais-je négliger une partie si considérable de mes frères, parcequ’ils n’ont pas le bonheur de prendre part à la plus belle partie de l’héritage paternel ? Devais-je oublier mes devoirs envers l’espèce humaine toute entière, pour échapper aux jugemens insensés d’une ignorance étroite et d’une superstition calomnieuse ? mon amour, ma vénération, ma déférence pour la religion sublime que je professe, ne doivent elles pas augmenter mon courage, plutot que le diminuer ? Je suis convaincu que cette partie de mon ouvrage déplaira également à ceux qui méconnaissent la vérité, a` ceux qui veulent en faire un instrument de leur interêt, et à ceux qui la regrettent absolument. Mais je sais mépriser à la fois les clameurs des ignorans, les calomnies des hypocrites et les sarcasmes d’une certaine classe d’hommes, qui trop faibles pour penser d’après eux mêmes pour ne pas se laisser assugettir et entrainer par les opinions de leur siècle, ont adopté la religion par leur respect pour la mode, comme ils auraient favorisé les croisades, s’ils avaient vécu sept siècles plutot. Loin de craindre de pareils censeurs, j’aime à suivre les conseils du sage. J’oserai paraitre dévot aux yeux de l’impie, et impie aux yeux du fanatique. si je suis seul de mon parti, j’aurai dans ma conscience, un témoignage qui m’absoudra des jugemens des hommes. Comme écrivain, je dois remplir tous les devoirs de cette mission publique. Je dois chercher la vérité, la professer et la répandre. Si elle se trouve également éloignée des partis opposés, je dois me tenir également éloignée de ces partis. Que m’importent les railleries des uns, les invections des autres ? ce qui intéresse l’homme véritablement, c’est l’accomplissement de son devoir ; et plus il oublie les considérations qui lui sont personnelles, plus il travaille pour lui même.
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Chape 2e Considérations générales sur les avantages que le législateur doit chercher dans la religion.
Quels avantages le législateur doit il chercher dans la religion ? quelle est la protection qu’il a droit d’attendre d’elle ? Quelle part cette force peut elle avoir à la combinaison des forces ? quelle part ce moyen peut il avoir dans la réunion des moyens que le législateur doit mettre en usage et diriger, pour atteindre le grand but de la vertu et du bonheur de son peuple, et pour donner à son ouvrage une durée éternelle ? C’est la première question qui doit être résolue pour établir dans cette partie de nos principes législatifs, l’ordre, la précision et l’universalité nécessaire. Dans le 39ème chapitre de notre IIIe livre, nous avons eu l’occasion de parler du secours que la législation peut trouver dans les idées religieuses, et de celui qu’elle a réellement trouvé chez tous les peuples dans les différentes périodes de leur état de barbarie pour opérer le passage lent et progressif de l’indépendance naturelle à l’assujettissement social, ou à cette dépendance absolue que l’on peut considérer comme la constitution perfectionnée des sociétés humaines, relativement au secours considérable que la religion prête à la législation dans l’espace qui s’écoule entre l’indépendance sauvage et la dépendance civile. Nous pouvons nous en référer à ce que nous avons établi dans ce chapitre d’après une expérience évidente et éternelle qui s’étend sur l’origine de tous les peuples et dans tous les tems. Notre but actuel consiste donc uniquement à résoudre la question que nous nous sommes proposée dans ses rapports avec la société déja formée, c’est à dire avec les sociétés déja parvenues à leur développement, chez lesquelles l’autorité publique a déja complettement triomphé sur les forces individuelles, et peut agir librement, et sans obstacle. Que doit, que peut être la religion dans cet état de la société ? Les loix ordonnent, les loix défendent, les loix punissent, les loix récompensent : mais la loi ne peut pas ordonner tout ce qui est nécessaire. Elle ne peut pas défendre tout ce qui serait désirable d’éviter, elle ne peut ni toujours punir, ni récompenser toujours. La loi ne peut prescrire que l’accomplissement des devoirs positifs, mais il y a des devoirs d’une autre nature dont elle ne peut pas commander de même l’accomplissement. La loi peut défendre le crime, mais elle ne peut pas sévir de même contre le vice. La loi ne punit pas l’homme vicieux, mais le criminel, quand le crime reste caché. Enfin la loi V: 8 de son ] de son 〈peuple〉 peuple
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ne peut pas découvrir tous les hommes vertueux, ni récompenser toutes les vertus. Mais l’art du législateur consiste précisement à obtenir plus qu’il ne commande, à éviter beaucoup de choses qu’il ne défend pas, à effrayer même, lorsqu’il ne peut pas punir, à encourager même lorsqu’il n’offre pas de récompenses. Lorsqu’il a découvert les loix qui doivent diriger l’éducation, et celles qui doivent assujettir et comprimer les deux passions dont nous avons traité dans le livre précédent, dans quelle force peut il encore chercher de nouveaux moyens pour assurer davantage le succès de ses vues ? La religion est cette force, et tels sont les avantages que doit y chercher le législateur : mais quels sont les inconvéniens qu’il doit éviter ?
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Chapitre 3ème Considérations générales sur les inconvéniens que le législateur doit éviter dans la religion.
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1o La doctrine d’une autre vie, d’un juge qui voit tout, qui punit et qui récompense. Cette doctrine, la base de tous les avantages de la religion peut devenir inutile et même funeste : inutile, lorsque l’idée du bien que ce juge récompense, ou du mal que ce juge punit, n’ont point de rapport avec le bien et le mal, tels qu’ils doivent être conçus pour l’utilité sociale : funeste, lorsque les idées du bien ou du mal religieux non seulement n’ont point de rapport avec le bien et le mal social, mais lui sont opposées, de manière que la religion défende ou paraisse défendre ce que le législateur doit commander, ou qu’elle commande ou paraisse commander ce que le législateur doit défendre. Tel est le premier inconvénient que le législateur doit éviter dans la religion. 2o Même lorsque les idées religieuses du bien et du mal sont d’accord avec la véritable morale et l’interêt des sociétés, l’idée d’une autre vie et d’un Dieu vengeur et rémunérateur peuvent encore être funestes, si des principes de pénitence faux ou mal entendus détruisent l’influence utile de la sanction que la religion donne a` la morale. Second inconvénient à éviter. 3o Nous avons renvoyé le lecteur à l’endroit de ce livre où nous avons montré de quelle nature et de quelle importance est l’assistance que la religion donne à la législation dans les différentes périodes de l’état de barbarie, soit pour atténuer une partie des dangers de l’indépendance naturelle qui sont encore dans toute leur force, lors de l’enfance des sociétés, soit pour la diminuer successivement jusqu’a` ce qu’elle arrive à cet anéantissement complet qu’exige la constitution perfectionnée de l’état social. Nous avons vu qu’au défaut d’une force politique, le législateur doit avoir recours à une force théocratique, qu’il doit considérer les crimes publics comme des crimes religieux, qu’au lieu de punir ceux qui les commettent, comme criminels, il doit les immoler à la divinité comme sacrilèges. Nous avons vu que pour imposer un frein à la vengéance, pour accoutumer l’homme à la réconciliation et pour le préparer ainsi à s’en remettre à la force publique pour la protection de ses droits, et pour le chatiment des offenses dont il peut être l’objet, le législateur doit introduire des azyles, des expiations, des immunités sacrées, des trêves commandées par la religion. Nous avons vu que le législateur, pour donner à ses loix une force qu’il ne V: 9 du bien ou ] du bien 〈au d〉 ou
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pouvait pas tirer d’ailleurs, devait les faire descendre du ciel, les représenter comme envoyées par les Dieux, se retirer dans des antres et dans des cavernes où il persuadait à la multitude, que la divinité dont il lui communiquait les oracles, avait établi son habitation, ou se ferait connaitre à lui. Enfin nous avons vu que pour obtenir ces avantages, la corporation qui dirige la religion, doit avoir une influence principalle dans les affaires qui dans un autre état de société doivent appartenir exclusivement à l’autorité politique. Il est évident que tout ce qui se fait, et tout ce qui doit se faire pour la formation et pour le développement de la société, est directement opposé à tout ce qui doit avoir lieu, lorsqu’une fois la société se trouve formée, est parvenue à son développement. Malheureusement beaucoup de restes de ces anciennes institutions se conservent, lorsque leur utilité n’existe plus, puisqu’elles ne servent plus à l’usage pour lequel elles avaient été introduites, et même lorsqu’elles sont devenues funestes à la société, et devraient en être tout à fait bannies. Troisième inconvénient que doit éviter le législateur. 4o À ces inconvéniens qui sont le résultat des institutions introduites dans la barbarie des sociétés, vient s’en joindre un autre qui est de même une suite de cet état barbare, mais qui vient plutot de la manière de penser des hommes à cette époque, et de l’influence de cette manière de penser sur la religion que de leurs usages religieux et politiques. Chez les barbares, l’idée de l’orore qui doit être précédée de l’idée de la justice, n’existe pas, ou existe très obscurement. Le barbare ne desire, n’estime, ne révère que la force ; il n’est frappé que par les signes qui annoncent une force supérieure. En conséquence le plus grand mérite du faible à l’égard du plus fort consiste dans la reconnaissance de sa force et dans les témoignages extérieurs d’obéissance et de soumission qui constatent qu’il se reconnait le plus faible. Les peuples barbares n’appercevant donc dans la divinité qu’un être plus fort, lui prêtent leurs dispositions, donnent à la religion l’esprit qui les anime, et place dans le culte extérieur tout le mérite de la piété. Cette erreur qui devrait se dissiper avec la cause qui l’a produite lorsque les opinions des hommes et l’état social se modifient, survit souvent aux tems et aux circonstances qui l’avaient occasionnée, et cet héritage [ ] d’une époque moins éclairée se transmet plus ou moins aux peuples civilisés soit par la nature de la religion qu’ils ont reçue de leur père, soit par l’ignorance et l’intetrêt des prêtres. Quatrième inconvénient. 5o Toute religion est menacée de deux espèces de dangers, de l’esprit d’incrédulité qui enlève à la société son utile influence, et de l’esprit de V: 33 héritage ] après ce mot une lacune pour y inscrire un qualificatif qu’Audouin n’a su lire ; Filangieri parle dans ce contexte de «pernicieuses conséquences».
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fanatisme qui rend la religion l’instrument du malheur et de la dépravation publique et particulière. C’est la dernière classe d’inconvéniens, mais peutêtre la plus funeste dont le législateur doit préserver la religion. Nous avons exposé avec toute la brièveté possible les avantages généraux que le législateur doit chercher dans les idées religieuses, et les inconvéniens qu’il doit éviter. Il faut maintenant aller plus loin, et découvrir quels sont les rapports qui existent, ou qui peuvent exister entre les différentes religions et ces avantages, et quels sont aussi les rapports des différentes religions avec ces inconvéniens. Cette recherche nous fera connaitre les moyens du législateur dans chaque religion pour assurer les uns et se garantir des autres. Mais il faut d’abord déterminer la nature des diverses religions. La difficulté de cette entreprise ne doit pas nous en détourner. Il est commode d’éviter les difficultés ; mais le mérite est de les vaincre. Nous commencerons donc par ce qui parait le plus difficile, par les religions fausses, et lorsque nous aurons développé tout ce qui a rapport à cet objet, nous suivrons la même marche pour la religion seule véritable.
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Chape 4e Du Polythéisme.
Pour donner une vue générale des principes législatifs qui concernent cette religion, pour découvrir au milieu des variétés innombrables dont elle est susceptible, les rapports généraux de toutes les espèces de polythéisme d’après la nature de cette croyance, quelque dissemblables que les formes puissent être ent’elles avec les inconvéniens et les avantages dont nous avons parlé ci dessus, enfin pour passer de cette recherche à celle de l’action législative qui doit en être la suite, et qui, par conséquent doit avoir pour baze des principes d’une utilité et d’une convenance éternelle. Il est nécessaire de généraliser, le plus possible, le sujet qui nous occupe. Il faut nous composer de tous les polythéismes qui ont existé, ou qui pourront exister encore, un polythéisme abstrait qui puisse être regardé comme le genre dont les polythéismes particuliers sont, pour ainsi dire, les individus. Il faut porter sur cette multitude d’objets dont les ressemblances sont si cachées, et les différences si évidentes, ce regard pénétrant et compréhensif qui fait appercevoir au philosophe l’uniformité dans les choses où le vulgaire ne remarque que les dissemblances. Il faut découvrir la nature et l’origine de ce culte et les trouver dans la nature immuable de l’homme, et dans la situation universelle de l’espèce humaine. Nous considérons l’homme comme livré à lui même sans connaissance, sans facultés intellectuelles, et entouré de ces ténèbres de l’ignorance qui précèdent et accompagnent l’origine et l’enfance des sociétés. Nous le ramènerons à l’état dans lequel tous les peuples ont du se trouver, et dans lequel se trouve encore une partie considérable du genre humain. Nous combinerons nos considérations sur l’effet de cette situation universelle avec celles que nous fourniront les qualités non moins universelles de la nature humaine, et dans cette combinaison, nous trouverons le premier anneau de cette chaine théologique à laquelle se rattache le polythéisme de tous les peuples et de tous les tems. Il règne dans la nature humaine un contraste entre le fini et l’infini qui dévoile à l’observateur philosophe la cause de beaucoup de phénomènes nouveaux, et l’origine de beaucoup de faits, lorsque nous contemplons nos forces et notre puissance, nous trouvons notre nature finie et bornée, mais lorsque nous réfléchissons sur notre faculté de concevoir et sur nos désirs, nous voyons que leur nature tient à l’infini, car elle part d’une certaine manière embrasser l’infinité des êtres, et desirer un bien infini et un nombre
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Quatrième chapitre.
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infini des choses. L’homme ignorant ne peut certainement pas méditer comme nous sur ce contraste. Il ne le remarque pas, mais il lui est propre comme à nous. Les sentimens opposés que produit cette participation de la nature humaine au fini et à l’infini, agissent sur l’homme ignorant comme sur l’homme civilisé ; et quand même elle n’est pas le sujet de ses réflexions, elle n’en exerce pas moins sur ses opinions une grande influence. Cette influence est même d’autant plus forte, parcequ’en proportion de ce que la raison a moins de puissance, les sensations en ont davantage. En nous arrêtant à cette pensée, et en l’appliquant à l’objet qui nous occupe, nous découvrirons facilement la source, l’origine, la nature et la cause de l’universalité du polythéisme. Nous trouvons que le sentiment de sa propre faiblesse a conduit l’homme à ces premières idées de la divinité, et que le sentiment opposé de la perfection a entouré cette idée des erreurs sur lesquelles l’ignorance adulatrice de l’homme a construit le monstrueux édifice de cette religion insensée qui, malgré les modifications multiformes qu’elle a éprouvée en différens lieux et en différents tems, est toujours une et la même dans son origine et par sa nature. Plein de sentiment de sa faiblesse, pénétré de l’effroi qu’excitent en lui les terribles phénomènes dont il est victime, succombant à la conscience de l’insuffisance de ses forces pour leur résister, l’homme doit reconnaitre une puissance qui les occasionne. Il doit reconnaitre de plus la supériorité de cette puissance, et dans le désespoir où le jette le sentiment de sa faiblesse, lorsque cette puissance le menace de l’anéantir, il doit l’invoquer parcequ’il ne voit autour de lui nulle autre ressource. C’est le premier pas que doit faire vers la religion l’esprit humain livré à lui même et dans la situation générale dans laquelle nous l’avons placé. C’est la réalité, le premier pas qu’il doit faire. C’est le royaume d’Uranus, le ciel des anciens Romains, c’est l’époque où la force inconnue qui met la nature en mouvement et jette les hommes dans l’épouvante, fut l’objet unique des vŒux et de l’adoration des premiers mortels effrayés. Ce premier pas aurait pu être le seul, car nous verrons bientot chez les peuples qui avaient des mystères, que les initiés qui étaient choisis parmi les plus sages du peuple, revinrent après de longues erreurs, et au milieu des lumières de la civilisation la plus rafinée au point où leurs ancêtres étaient arrivés naturellement. Mais d’autres causes devaient jetter l’homme dans une route différente. L’esprit humain frappé des deux sensations opposés qui naissent du contraste que nous avons remarqué dans la nature humaine entre le fini et l’infini devait bientot être dirigé dans ses idées religieuses par le sentiment opposé à celui qui leur avait donné naissance. La conviction de sa propre faiblesse l’avait conduit à invoquer et à adorer la force et la puisance inconnue qui mettait la nature en mouvement, et qui le remplissait d’épouvante ; mais le sentiment contraire de sa propre perfection, combiné
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avec son ignorance, devait le porter au polythéisme et à l’anthropomorphisme, et c’est en effet ce qui est arrivé. Dans cet état de choses, les hommes n’avaient aucune connaissance des loix naturelles ; ils n’avaient surtout pas la connaissance que nous acquérons toujours la dernière, et qui est le plus haut dégré de la science humaine. Ils ne savaient pas que nous sommes, et que sous serons toujours incapables de tout savoir ; ils manquaient des moyens et de la prudence que donne le progrès des sciences et l’expérience des erreurs humaines dans la recherche des causes des phénomènes de la nature. Ils étaient remplis de ce délire orguilleux de tout approfondir et de tout connaitre qui est le résultat du sentiment de la perfection, combiné avec l’ignorance. Voyant la guerre apparente entre les forces opposées de la nature, ils ne pouvaient se l’expliquer qu’en imaginant différens êtres intelligens qui gouvernaient ces différentes forces et ces différentes puissances. Ils devaient d’après le sentiment de leur propre perfection, prêter à ces êtres une nature pareille à la leur. Ils personnifièrent en conséquence ces êtres et ces puissances, ils leur donnèrent le sentiment et la vie, ils les invoquèrent, ils les adorérent, ils leur pretèrent, comme le dit Aristote, non seulement la figure humaine, mais les passions et les manières de vivre des hommes ; et lorsqu’ils donnèrent à ces êtres un chef, lorsqu’ils inventèrent une divinité supérieure entre ces divinités, s’ils donnèrent quelquefois la préférence aux plus anciennes, ils changèrent souvent jusqu’à leur nom, parcequ’ils s’en firent une idée nouvelle, bornée, limitée, et peu différente malgré quelque supériorité proportionnelle de celle qu’ils se faisaient des autres divinités. Telle fut et sera toujours l’origine du polythéisme qui se combine toujours avec l’antro pomorphisme. Tels furent, sont et seront toujours les premiers anneaux de la chaine théologique à laquelle se rattache dans tous les tems le polythéisme de tous les peuples. C’est là le royaume de Saturne et des Titans qui détruisirent cet antique empire, et mutilèrent le père des Dieux. Ce qui désigne l’époque de cette modification religieuse dans laquelle les mortels orgueilleux n’adorèrent plus la force inconnue et universelle, mais la partagèrent entre diverses puissances particulières. Le père des Dieux mutilé nous représente la limitation de cette force inconnue et universelle.
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Deuxième annexe Prospectus
Introduction
Le texte de ce Prospectus nous est connu seulement par la notice qu’on trouve dans la Bibliographie de la France à la date du 16 septembre 1820. Il est intéressant de noter que la collaboration de Benjamin Constant au projet d’une nouvelle édition de la traduction française de La Science de la législation de Filangieri a déjà été arrêtée environ deux années ou presque avant la parution du premier volume. Peut-on le mettre en rapport avec la dégradation du climat politique en France après l’assassinat du duc de Berry ? Ceci n’est pas exclu. Il est également intéressant de constater que la nouvelle édition ne devait comprendre d’abord que des «notes» de Benjamin Constant. Ces notes sont en fait des chapitres. Le manuscrit de la Première partie du Commentaire atteste cette présentation. La déclaration de l’imprimeur, datée du 31 mars 1821, parle de six volumes en tout. Le dépôt légal du 9 janvier 1822 annonce la parution de la Première partie du Commentaire1. Constant a travaillé à cet ouvrage par conséquent en 1821, en dépit de ses lourdes charges de député. La publicité que l’éditeur imprime sur la couverture extérieure de ce volume confirme ce que nous venons de dire : «Cette édition de Filangieri avec le Commentaire comprendra six volumes, qui paraîtront en trois livraisons, de deux en deux mois. Le prix de chaque volume est fixé à 6 francs pour les souscripteurs. Le Commentaire formera séparément un volume in– 8o, qui paroîtra par cahiers avec chaque livraison2.» Même si ce plan de publication n’a pu se réaliser sans changements, car l’état définitif du Commentaire comprendra quatre et non trois parties, et si le rythme de la publication se ralentira considérablement, nous voyons que le Commentaire deviendra en fait une nouvelle publication de Constant. Le Prospectus est la source unique pour dater le début du travail de Constant à son Commentaire, sorti d’un projet beaucoup plus modeste au début. K. K. 1 2
Courtney, Bibliography, p. 118. Voir Courtney, Bibliography, pp. 115–116. La publicité est confirmée et précisée par une note de la Bibliographie de la France du 19 janvier 1822, p. 45, qui dit ceci : «Les deux premières livraisons se composeront chacune de deux volumes et d’un tiers ou environ du Commentaire. La troisième livraison n’aura qu’un volume et la dernière partie du Commentaire» (p. 116).
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Prospectus
ŒUVRES de Filangieri ; traduites de l’italien. Nouvelle édition accompagnée de notes par M. Benjamin Constant, et de l’Éloge de Filangieri par M. Salfi. Six volumes in–8o imprimés par M. P. Didot aîné. (Prospectus.) In–8o d’un quart de feuille. Imp. de P. Didot, à Paris. – A Paris, chez P. Dufart. Les six volumes paraîtront en trois livraisons ; la première en décembre, les autres de deux en deux mois. Prix de chaque livraison pour les souscripteurs ... 12–01.
Établissement du texte : Imprimé : Bibliographie de la France, 16 septembre 1820, p. 503.
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Nous ignorons la signification de ces chiffres.
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Troisième annexe Censure romaine
13. Page de titre de la première édition de la traduction italienne du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Biblioteca della Scuola Normale Superiore, Pisa, 914 C 757.
Introduction
La récente étude de Kurt Kloocke sur la censure de plusieurs écrits de Benjamin Constant par la Congrégation romaine de l’Index a éclairé en profondeur la question de la perception romaine de l’auteur au cours des années cruciales de la Restauration, ainsi que les modalités de fonctionnement de l’Index1. On se limitera donc à retracer le contexte historique de la censure du commentaire sur La Science de la législation de Gaetano Filangieri, œuvre sur laquelle nous nous sommes d’ailleurs penche´ dans un précédent article2. Grâce à l’imposant travail d’archives accompli par Hubert Wolf et son groupe de recherche de l’université de Münster, nous connaissons bien à présent l’activité de la Congrégation de l’Index durant le siècle compris entre sa reconstitution en 1814 après la fin de l’occupation française de Rome et son abolition définitive en 1917 (avec un certain transfert de compétences à sa «sœur aînée», la Congrégation du Saint-Office, jusqu’à la suppression en 1965 de l’Index des livres prohibés)3. Cette période récente de l’histoire de l’Index ressortit aux règlements édictés en 1753 par la constitution Sollicita ac provida, de Benoît XIV, afin de rationnaliser la procédure de l’institution et de l’adapter à des réalités telles que l’expansion du marché éditorial, l’apparition de nouveaux usages du livre et de nouveaux modes de lecture. 1
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K. Kloocke, «Trois écrits de Benjamin Constant mis a` l’Index, un quatrième condamné par l’Inquisition espagnole», ABC 34, 2009, pp. 9–44. Les textes censurés par l’Index romain sont : l’essai «Du développement progressif des idées religieuses», publié en 1826 dans l’Encyclopédie progressive de Guizot ; l’ouvrage De la religion considérée dans sa source, ses formes et ses développements et le Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, examinés en juin 1827. La prohibition est publiée en septembre de la même année et intégrée dans les éditions successives de l’Index, promulgué par Grégoire XVI en 1835. Dès 1817 l’Inquisition espagnole avait condamné les Principes de politique (texte de 1815). Voir María-Luisa Sanchez-Mejía et Kurt Kloocke, «Le dossier de l’Inquisition espagnole relatif a` l’ouvrage de Benjamin Constant Principes de politique applicables à tous les gouvernemens repré– sentatifs», ABC, 35, 2010, pp. 9–41. «Le condanne inquisitoriali della Scienza della legislazione», Diritti e costituzione, pp. 291– 335. Ce travail a abouti aux cinq volumes de la série Römische Inquisition und Indexkongregation. Grundlagenforschung : 1814–1917, hrsg. von Hubert Wolf, Paderborn et al. : Ferdinand Schöningh, 2005–2007, où sont recueillis les bans, le répertoire des œuvres soumises à examen, ainsi que la prosographie de l’Index et du Saint-Office pour la période en question, conservés dans les Archives de la Congrégation pour la doctrine de la foi (ACDF) en deux grands fonds Index et S.O. (Sanctum officium).
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Annexes
De fait, depuis sa fondation en 1571, les dispositions qui réglementaient les travaux de l’Index s’étaient accumulées de façon assez incohérente, engendrant de fréquents conflits de compétences avec l’Inquisition, autorité supérieure qui décidait en dernier ressort de la répression des thèses contraires au dogme, ainsi qu’avec le Maître du Sacré Palais, à qui revenait de contrôler la production éditoriale romaine1. Surtout, les avis étaient formulés verbalement par les cardinaux de l’Index réunis en séances pléniaires. On manquait donc des moyens de consulter rapidement les textes incriminés, comme pouvaient le faire le Saint-Office ou même la Compagnie de Jésus, laquelle conservait les Censurae librorum préliminaires au nihil obstat des œuvres de ses propres membres, et généralement la Congrégation s’en tenait à une censure systématique des auteurs protestants, dont elle pouvait repérer par exemple les textes dans les catalogues des marchés de Francfort2. Mais de toute évidence, au milieu du XVIIIe siècle, la distinction canonique entre catholicisme et protestantisme avait cessé d’être un critère suffisant en matière d’hétérodoxie. Elle ne correspondait plus à l’évolution bouillonnante et rapide d’un contexte culturel où les atteintes à la doctrine provenaient maintenant des sciences naturelles et humaines, de la science du droit et plus largement de la «philosophie des modernes», à travers des canaux de production et de diffusion des idées qui ne s’arrêtaient plus aux anciennes frontières confessionnelles. Le secrétaire de la Congrégation de l’Index, Agostino Ricchini, fut chargé par Benoît XIV de proposer une nouvelle formulation des normes de censure. Il en résulta une profonde réforme des règles de l’Index, qui devait permettre la mise en place d’un appareil de procédure rationnel et bureaucratique3. Avant tout, les avis devaient être formulés par écrit (et dans un second temps ils furent imprimés, afin de faciliter leur circulation parmi 1
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Les divergences au sein de la curie romaine en ce qui concerne l’interdiction des traductions de la Bible en langue vulgaire ont été amplement analysées par exemple dans Gigliola Fragnito, La Bibbia al rogo. La censura ecclesiastica e i volgarizzamenti biblici (1471– 1605), Bologna : il Mulino, 1997, pp. 199–202. Römische Inquisition und Indexkongregation, Einleitung 1814–1917, 2005, p. 147. Sur la constitution Sollicita ac provida, outre Römische Inquisition und Indexkongregation, Einleitung 1814–1917, pp. 147–164, Johann Paarhammer, «Sollicita ac provida. Neuordnung von Lehrbeanstandung und Bücherzensur in der katholischen Kirche im 18. Jahrhundert», Ministerium iustitiae. Festschrift für Heribert Heinemann, hrsg. von André Gabriels und Heinrich J. F. Reinhardt, Essen : Ludgerus Verlag, 1985, 343–361 ; Bruno Neveu, L’erreur et son juge. Remarques sur les censures doctrinales à l’époque moderne, Naples : Bibliopolis, 1993, pp. 413–415 ; Patrizia Delpiano, Il governo della lettura. Chiesa e libri nell’Italia del Settecento, Bologna : il Mulino, 2007, pp. 80–92. Pour l’effet de la réforme de l’Index sur le traitement de la question copernicienne – bien que partielle, ce fut l’unique nouveauté doctrinale concernée par les travaux préparatoires de la bulle – voir Pierre-Noël Mayaud, La condamnation des livres coperniciens et sa révocation à la lumière de documents inédits des Congrégations de l’Index et de l’Inquisition, Rome : Editrice Pontificia Università Gregoriana, 1997, pp. 189–190.
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les membres de la Congrégation). Tombée en désuétude, la pratique qui consistait à expurger les textes en supprimant ex officio les passages suspects, alternative «bienveillante» à l’interdiction pure est simple, fut remplacée par un mécanisme de négociation entre les organes ecclésiastiques et les auteurs dont la foi catholique était notoirement attestée, integrae famae et clari nominis : l’intervalle du donec corrigatur (la circulation de l’ouvrage étant suspendue en attendant les corrections recommandées) laissait le temps à ces derniers d’apporter les amendements que l’on exigeait d’eux1. La pratique de la censure fut encadrée de manière précise. En principe, n’importe quel fidèle pouvait prendre l’initiative de signaler un livre à l’autorité. Les instances centrales ou périphériques qui recevaient la dénonciation (évêques, nonces apostoliques, supérieurs des ordres religieux, puis dans le courant du XIXe siècle la Secrétairie d’E´tat chargée des relations diplomatiques, ou le pape lui-même) la transmettaient à l’Index ou au SaintOffice. Un premier examen s’ensuivait, au cours duquel deux consulteurs décidaient s’il y avait lieu de donner suite à la procédure. Dans l’affirmative, la censure était confiée à deux ou plusieurs experts de la Congrégation, ou extérieurs à celle-ci quand le texte requérait des compétences particulières. Les rapports étaient discutés au cours de séances ad hoc qui, dans le cas de l’Index, se tenaient au couvent romain des dominicains de Santa Maria sopra Minerva, deux ou trois fois par an. Chaque texte était accompagné d’un avis soumis aux cardinaux de la Congrégation : un simple prohibeatur («à prohiber») ou un dilata («à renvoyer», dans l’attente d’un examen plus approfondi). En cas d’avis divergents, le différend était tranché en séance plénière. Cependant, le pape avait le dernier mot : les délibérations lui étaient soigneusement rapportées de vive voix. S’il confirmait le plus souvent les décisions antérieures, il ne s’agissait pas d’une pure formalité ou d’un hommage convenu à son autorité suprême. Le pape, juge et gardien de la doctrine de la foi, devait être informé régulièrement des perpétuelles variations de l’hérésie. À Rome, les titres condamnés étaient inscrits au ban, liste que les nonces diffusaient bientôt dans toute la chrétienté (on distinguait nommément les textes prohibés de ceux qui étaient susceptibles d’amendements). Les bans étaient intégrés pour finir à l’Index librorum prohibitorum, dont les deux principales éditions au XIXe siècle, celles de Grégoire XVI et de Léon XIII, furent régulièrement mises à jour2. 1
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Römische Inquisition und Indexkongregation, Einleitung 1814–1917, p. 152 ; B. Neveu, L’erreur et son juge, p. 414. Dans Il governo della lettura, P. Delpiano remarque avec pertinence que cette disposition, loin d’être une marque de modération, répondait à une stratégie d’encouragement de l’autocensure auprès des auteurs – et des lecteurs – inaugurée sous le pontificat de Lambertini en remplacement de la précédente, strictement répressive. La procédure de censure de la Congrégation de l’Index prévue par la constitution Sollicita ac provida est analysée par Wolf, Römische Inquisition und Indexkongregation, Einleitung 1814–1917, pp. 148–150.
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Malgré, ou plus probablement en raison de cette logique bureaucratique et impersonnelle – car on sait combien la curie romaine se montrait réticente aux nouveautés qui mettaient en cause les rapports de pouvoir établis entre ses divers organes ou qui affectaient simplement la procédure traditionnelle – la constitution Sollicita ac provida resta lettre morte jusqu’au début du XIXe siècle, quand la souveraineté pontificale, de nouveau restaurée sur l’E´glise universelle, dut prendre en compte (songeons à la figure du Secrétaire d’E´tat Ercole Consalvi) l’expérience modernisatrice de la domination napoléonienne. La Congrégation de l’Index fut reconstituée en 1814 et s’affirma, au cours du siècle qui précéda son abolition comme une imposante institution de contrôle et d’encadrement des idées : elle compta en tout quelque deux cents cardinaux, deux cent cinquante consulteurs (soit une cinquantaine de consulteurs régulièrement employés au cours de la période) et une centaine de rapporteurs (experts désignés ad hoc qui ne participaient pas aux réunions préparatoires où étaient rédigés les avis transmis aux cardinaux). Cette machine fonctionnait autour du très actif Secrétaire de l’Index, qui diligentait la gestion et l’archivage des actes de censure. L’index prohiba environ mille cinq cents titres entre 1814 et 1917, et le même titre pouvait concerner plusieurs livres, dans le cas des opera omnia, notamment1. Voilà le cadre où s’inscrivit la censure et l’interdiction du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri ainsi que celle de sa traduction italienne, publiée une première fois sous le manteau à Livourne en 1826 (avec pour seule indication de lieu «Italia») sous le titre de Commentario alla Scienza della legislazione di G. Filangieri, puis réimprimée en 1828 sous un titre légèrement différent (Comento sulla Scienza della legislazione di G. Filangieri). C’est cette traduction italienne qui fit l’objet d’un examen et d’une censure de l’Index, l’original français se trouvant frappé du même coup par cette décision. En outre, deux autres titres de Constant furent également mis au ban : la Religion considérée dans sa source, ses formes et ses développements et l’essai Du développement progressif des idées religieuses, publié dans l’Encyclopédie progressive de Guizot. Ce fut ce dernier texte, d’ailleurs, qui entraîna l’interdiction de l’Encyclopédie dans son ensemble, si l’on en juge au moins par ce qu’écrivait le consultant en charge, Paolo Polidori : «Si les titres examinés jusqu’à présent2 peuvent être jugés tolé1
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Herman H. Schwedt, «Die Römischen Kongregationen der Inquisition und der Index : die Personen (16.–20. Jh.)», Inquisition, Index, Zensur. Wissenskulturen der Neuzeit im Widerstreit, hrsg. von Hubert Wolf, Paderborn et al. : Ferdinand Schöningh, 2001, pp. 89–101, 91–94. Voir également H. Wolf, Storia dell’Indice. Il Vaticano e i libri proibiti, Roma : Donzelli, 2006 (édition originale : Index. Der Vatikan und die verbotenen Bücher, München : C. H. Beck, 2006), pp. 39–42. Il s’agit des articles «Law» de Louis-Adolphe Thiers et «Irritation» de François-JosephVictor Broussais.
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rables, le titre «Religion» qui a Benjamin Constant pour auteur ne mérite certes pas la même indulgence». «Se i titoli finora esaminati potrebbero giudicarsi tali da essere tollerati, non può certamente formarsi cosìbenigno giudizio del titolo sulla Religione, che ha per autore Beniamino Constant»1. Avant de reproduire le rapport concernant le Commentaire, il nous faut préciser l’arrière-plan de ce document à partir des pièces conservées dans les archives de l’Index. Les rapports sur les trois écrits de Constant précités furent présentés à la Congrégation générale du 11 juin 1827 (les congrégations préparatoires s’étaient tenues les 2 et 12 mai). La même année, une seconde Congrégation générale fut réunie : trois mois après jour pour jour, le 11 septembre (et la congrégation préparatoire le 8 août précédent). Les actes de censure afférents sont conservés dans le volume 109 de la série des protocoles de l’Index. La simple liste des titres examinés et mis au ban au cours de ces séances (28 pour celle du mois de juin, 11 en septembre), suffit à rendre compte de l’ampleur du contrôle exercé par l’Index, comme des formes multiples que revêtait alors la menace pesant sur le dogme et sur la discipline, aux yeux de l’institution romaine. Outre les œuvres théologiques au sens strict, les ouvrages pastoraux ou d’ecclésiologie (les catéchismes pour l’école primaire et le gymnase du royaume lombardo-vénitien, celui du janséniste PierreSébastien Gourlin, ainsi que le catéchisme anglican publié à Malte en langue italienne, la Controverse pacifique sur les principales questions qui divisent et troublent l’E´glise gallicane de Pierre-Louis Blanchard, l’introduction au Nouveau Testament du grand bibliste de Halle, Johann David Michaelis), on trouve de vieux adversaires du temps des Lumières (les traductions italiennes de l’History of England de Hume et de la Kritik der reinen Vernunft de Kant, l’Esquisse de Condorcet), d’autres de la période révolutionnaire, ces ennemis de l’intérieur, membres du clergé constitutionnel dont on achevait de régler les comptes (Pradt, archevêque de Malines, ou l’abbé Grégoire) et quelques figures de proue de la nouvelle culture juridique et littéraire italienne : la Genesi del diritto penale de Giandomenico Romagnosi, la Storia dei popoli italiani di Carlo Botta, le Panegirico di Plinio a Traiano et Del principe e delle lettere de Vittorio Alfieri2.
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Rapport de P. Polidori, in ACDF, Index, Protocolli, 109 (1827), fos 16ro–18vo, cité par Kloocke, «Trois écrits de Benjamin Constant mis à l’Index», pp. 19–26, 21–22. Kloocke reproduit également le rapport de Domenico Buttaoni sur De la religion (pp. 28–30) et celui de Giovanni Battista Piccadori sur le Commentario (pp. 31–32 ; ci-dessous, pp. 433–434) ; voir aussi Jésus-Martínez de Bujanda, Index des livres interdits, XI : Index librorum prohibitorum 1600–1966, Montréal : Médiaspaul et Genève : Droz, 2002, p. 243. Römische Inquisition und Indexkongregation, t. II : Systematisches Repertorium zur Buch-
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Au reste, la conjoncture historique est ici essentielle. Après le «fléau» français, et une fois tournée la page de la tentative réformatrice de Consalvi, le pontificat de Léon XII (Annibale della Genga, 1823–1829) inaugure et représente sans doute le sommet d’un projet de restauration radicale de l’autorité du magistère sur la catholicité au nom d’un combat intransigeant contre la modernité, projet qui sera poursuivi en somme jusqu’à la mort de Pie IX. Della Genga, cardinal vicaire de 1820 à 1823 et à ce titre préfet du tribunal romain de la Vicairie (compétent en matière de justice criminelle et d’atteintes à la morale) «zélateur» sui generis, au point de caresser l’utopie néoféodale» (il rêve de ressusciter les juridictions seigneuriales dans les territoires du Saint-Siège), est sans conteste une figure emblématique de la romanité pontificale du XIXe siècle, imbue de tradition tridentine mais également nourrie de thèmes singulièrement modernes1. Avec une ardeur digne d’un Borromée, le pontife réforme en profondeur le tissu des églises urbaines en instituant des archives générales des livres paroissiaux et l’obligation pour toutes les paroisses de disposer de fonds baptismaux (constitution Super universam du 1er novembre 1824). L’année précédente, en tant que cardinal vicaire, il avait prohibé le jeu aux heures de célébrations liturgiques, condamné la somptuosité excessive de certaines cérémonies du clergé régulier et rétabli la prédication forcée auprès des juifs du ghetto2. Mais dans le même temps, ses décrets en matière d’ordre public, dont la sévérité visait à éradiquer des rues de la ville les causes d’une violence endémique, présentent les caractères de cette tendance à la réduction des conflits internes qui est le propre de l’E´tat moderne – de l’Absolutisme tardif, en particulier – et à laquelle l’historiographie allemande a appliqué le concept de Policey-Staat. «Prévenir les délits, bannir leurs causes et éradiquer leurs effets, voilà le but qui intéresse le plus le gouvernement, et le
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zensur 1814–1817. Indexkongregation, bearb. von Sabine Schratz, Jan Dirk Busemann und Andreas Pietsch, 2005, pp. 127–139. Sur Léon XII, voir l’article de Giuseppe Monsagrati dans Enciclopedia dei Papi, Roma : Istituto dell’Enciclopedia italiana, 2000, t. III, pp. 529–538 ; Philippe Boutry, «Une théologie de la visibilité. Le projet zelante de resacralisation de Rome et son échec (1823– 1829)», Cérémonial et rituel à Rome (XVI e-XIX e siècle), sous la direction de Maria Antonietta Visceglia et Catherine Brice, Rome : École française de Rome, 1997, pp. 317–367. La citation est tirée de Gabriella Bonacchi, Legge e peccato. Anime, corpi, giustizia alla corte dei Papi, Roma e Bari : Laterza, 1995, p. 200. Ph. Boutry, «Une théologie de la visibilité» ; Domenico Rocciolo, «La costruzione della città religiosa : strutture ecclesiastiche a Roma tra la metà del Cinquecento e l’Ottocento», Roma, la citta` del papa. Vita civile e religiosa dal giubileo di Bonifacio VIII al giubileo di papa Wojtyła, a cura di Luigi Fiorani e Adriano Prosperi, Torino : Einaudi, 2000, pp. 365– 393.
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plus avantageux à la société». «Prevenire i delitti, allontanare le cause e rimuoverne radicalmente gli effetti è lo scopo più interessante di un governo, come il più vantaggioso alla società» : tel est l’incipit de l’E´dit sur les auberges (Editto sulle osterie, promulgué en 1824) qui introduit les «cancelletti», ces grilles tristement célèbres disposées à l’entrée des lieux de sociabilité populaire pour empêcher la consommation d’alcool sur place1. La bibliothèque d’Annibale della Genga contenait les ouvrages des théoriciens du droit naturel et les écrits des Lumières, mais d’autres auteurs guidèrent son action : De Maistre, Bonald, Lamennais, les inspirateurs d’un catholicisme qui refuse de transiger avec la modernité et la révolution2. C’est dans le domaine symbolique et sacral que la restauration pontificale de Léon XII s’exprime dans toute sa plénitude : purification rituelle de la ville, où messes et processions se multiplient pour effacer les traces de la présence napoléonienne ; efforts de reconstruction de la basilique San Paolo détruite par l’incendie de 1823 ; célébrations, surtout, de l’année sainte 1825 (la première depuis cinquante ans), au cœur du projet de refondation d’une papauté qui devait retrouver sa position centrale dans l’Europe catholique3. C’est dans cette perspective qu’il faut considérer le large éventail des titres censurés et mis à l’Index en 1827 : la lutte est de nouveau à l’ordre du jour contre «le tolérantisme», «l’indifférence», le «pur déisme», «le pur naturalisme», tels que les énumère la première encyclique du pape, Ubi primum (5 mai 1824), contre l’ennemi du siècle précédent, l’esprit des Lumières, et son incarnation la plus récente, l’individualisme libéral4. Sa cohérence hiérarchique retrouvée, l’E´glise de Rome peut partir résolument au combat, y compris contre la stupide défiance des chancelleries de la Restauration. De ce point de vue, l’analyse de Kurt Kloocke mérite d’être rappelée, pour qui la mise à l’Index de Constant procède de la volonté de l’E´glise romaine d’affirmer le haut magistère de son autorité spirituelle sur l’opinion publique française, contre la politique des libéraux et en faveur de Charles X, et de renouer ainsi avec la tradition d’interventionnisme politique de la potestas indirecta5. 1
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Cité par Ph. Boutry, «Une théologie de la visibilité», p. 352. Sur la catégorie historiographique de Policey-Staat voir Policey im Europa der frühen Neuzeit, hrsg. von Michael Stolleis unter Mitarb. von Karl Härter und Lothar Schilling, Frankfurt am Main : Klostermann, 1996. G. Monsagrati, «Leone XII», Enciclopedia dei Papi, p. 533. Ph. Boutry, «Une théologie de la visibilité», pp. 349–350 ; G. Monsagrati, «Roma nel crepuscolo del potere temporale», Roma, la città del papa, pp. 1005–1058, 1017. Ph. Boutry, «Une théologie de la visibilité», p. 348. K. Kloocke, «Trois écrits de Benjamin Constant mis à l’Index», pp. 37–38. En ce sens, les considérations de B. Neveu paraissent moins convaincantes. L’erreur et son juge, p. 415 : «Plus tard les bouleversements révolutionnaires eurent des suites durables sur l’activité des congrégations romaines, qui restèrent longtemps très discrètes dans leurs interventions hors
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Établissement du texte Nous reproduisons ici la seule source connue de ce texte, conservée aux Archives de la Congrégation de la Foi (Archivio della Congregazione per la Dottrina della Fede) du Vatican. Imprimé : ACDF, Index, Protocolli, 109 (1827), fos 136vo–137ro, censura di Giovanni Battista Piccadori1. F. M.
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des États de l’E´glise. Il fallut les sollicitations des ultramontains français et de L’Univers pour les tirer de leur léthargie et obtenir d’elles entre 1850 et 1853 des mesures d’autorité». Giovanni Battista Piccadori (1766–1829), des clercs mineurs réguliers, dits caracciolini, est titulaire en 1794 de la chaire de droit naturel et d’éthique à la Sapienza de Roma. En 1803, il devient membre de l’Accademia di religione cattolica, centre de la faction «dure» animée par Filippo Anfossi. En 1817, il rejoint les consulteurs de l’Index et, en 1819, les qualificateurs du Saint-Office. À la demande de Léon XII, il publie en 1828 ses cours universitaires sous le titre de Ethicæ seu moralis philosophiæ institutiones. Voir Ph. Boutry, Souverain et pontife. Recherches prosopographiques sur la Curie romaine à l’âge de la Restauration (1814–1846), Rome : École française de Rome, 2002, p. 736. Sur le Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri, voir Mauro Barberis, Il liberalismo empirico di Benjamin Constant. Saggio di storiografia analitica, Genova : ECIG, 1984, pp. 182–185 ; Pierre Cordey, «Benjamin Constant, Gaetano Filangieri et la Science de la législation», Révue européenne des sciences sociales, 18, 1980, pp. 55–79 ; Vincenzo Ferrone, La società giusta ed equa, pp. 284–314.
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Giovanni Battista Piccadori Censure du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri de Benjamin Constant 136vo
Tre soli passi censurabili ho trovato nel Commentario alla scienza di legislazione del Filang[i]eri di Beniamino Constant, Italia 18261. Eccoli2. Pag. 348 : I. Il dogma, e l’incredulità dividonsi i paesi civilizzati dell’Europa il dogma armato de’ mezzi grossolani vessanti e sempre insufficienti della legge ; l’incredulità forte per risorse e per destrezza di spirito, ed incoraggita dalla indignazione che l’oppressione intellettuale produce su gli uomini. In tal guisa quella porzione di società investita del potere dal capo o dalla tradizione altro non vedeva nel raziocinio che sedizione e ribellione, e la massa dei governati ingannata dall’abuso3 che l’autorità faceva delle opinioni religiose non voleva riconoscere nella religione se non un’inimica della libertà. Nel tempo stesso l’intolleranza sufficientemente minacciosa per eccitare l’irritazione non era abbastanza formidabile per ispirare il timore. Quindi ne risultava un non so qual disordine morale in tutte le menti4. Pag. 356 : E che ; avranno dunque gli uomini incominciato dall’adorare esclusivamente una sola forza incognita e generale nella natura prima di tributare i loro omaggi a diversi poteri, che sembrano contrariarsi, e combattersi a vicenda ! E d’onde sarebbe mai venuta al selvaggio la nozione di questa misteriosa unità, allorché tuttociò, che feriva i di lui sensi, ed i di lui Établissement du texte : Imprimé : ACDF, Protocolli, vol. 109, 1827, fo 136vo–137ro. 1
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Traduction : «Je n’ai trouvé que trois passages à censurer dans le Commentario ... 1826. Les voici.» – K. Kloocke, «Trois écrits de Benjamin Constant mis à l’Index», p. 17, note que nous ignorons par quelles voies les écrits de Constant parvinrent a` la connaissance de la Congrégation de l’Index. On se souvient cependant qu’en avril 1826, le même Piccadori rédige un rapport favorable à l’interdiction de la Scienza della legislazione de Filangieri, édition romaine de Poggioli, 1798–1799 (ACDF, Index, Protocolli, 108 [1826], 51ro–52ro ; voir Motta, «Le condanne inquisitoriali della Scienza della legislazione»,pp. 332–334). Il se peut que ce rapport émanant du même consulteur ait été le truchement «interne» qui attira l’attention sur les œuvres de Constant. Les trois passages censurés par Piccadori sont tous extraits de la quatrième partie du Commentaire, qui traite des livres de la Scienza della legislazione consacrés à l’éducation et à la religion. Il est évident que le consulteur a choisi de se concentrer d’emblée sur la section où se trouvaient exposés les arguments les plus sensibles. Pour «uso» dans l’original (cité ici d’après la réimpression Comento sulla scienza della legislazione di G. Filangieri, prima traduzione italiana, seconda edizione, Italia : s.éd., 1828, p. 348). Pour le texte, voir ci-dessus, p. 358, lignes 7–18.
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sguardi suggerivagli all’opposto quella della divisione, dell’opposizione, e del contrasto1 ? Pag. 381 : Voi vedrete alla morte di Giovanni V il Portogallo immerso nell’ignoranza, ed incurvato sotto il giogo del clero. Un uomo di genio prende in mano il timone degli affari. Egli non calcola che per ispezzar questo giogo e per dissipare questa tenebrosa ignoranza a forza trovare nelle disposizioni della nazione un punto d’appoggio. Egli lo cerca nell’autorità. Battendo la rocca ei pretende farne scaturire una viva sorgente. La di lui imprudente precipitazione solleva contro di lui gli uomini i più meritevoli di secondarlo. L’influenza del clero si aumenta in ragione della persecuzione di cui questo è vittima ; la nobiltà si rivolta, il ministro diviene il bersaglio dell’odio di tutte le classi. Dopo 20 anni d’inutili sforzi la morte del re gli rapisce il suo protettore. Egli si sottrae al patibolo coll’esilio, e la nazione benedice il momento in cui libera dal governo, che pretendeva illuminarla a malgrado di lei può di bel nuovo riposarsi in braccio alla superstizione, ed all’apazia2. Per tali passi son di parere, che l’opera sia proibita assolutamente, se altrimenti non piaccia all’E[minenze] V[ostre] R[everendissi]me, di cui bacio umilmente le sag[re] porpore, e con profonda venerazione, ed ossequio mi ripeto3. Dell’E[minenze] V[ostre] R[everendissi]me Um[ilissi]mo Dev[otissi]mo Ob[bligatissi]mo serv[itor]e G. B. Piccadori de’ C.R.M. preposito gen[erale]
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Pour le texte, voir ci-dessus, p. 365, lignes 3–9. Pour le texte, voir ci-dessus, p. 384, lignes 23–25. – Alinéa tiré de De l’esprit de conquête et de l’usurpation (Paris : Le Normant, 1814 ; OCBC, Œuvres, t. VIII/2, pp. 806–807). Piccadori ignore ce fait. BC parle ici du marquis de Pombal, sous le règne du successeur de Jean V, Joseph Ier, Premier ministre du royaume. Il poursuit une politique de despotisme éclairé, mais sera disgracié à la mort du roi en 1777. Traduction : «Je suis de l’avis que pour des passages de cette nature, l’ouvrage devrait être défendu absolument, s’il ne plaisait à vos Éminences révérées d’en décider autrement.» Suivent des salutations obséquieuses et la signature «G. B. Piccadori».
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Quatrième annexe Filangieri, La Science de la législation Plan raisonné de l’ouvrage
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On peut trouver facilement beaucoup de raisons valables pour réimprimer avec le texte du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri l’œuvre majeure du philosophe napolitain auquel il se rapporte. Un recours facile aux arguments de Filangieri aurait évidemment les plus grands avantages, la critique que Constant adresse à son illustre prédécesseur aurait pu gagner ainsi plus de relief encore. Mais l’étendue de ce traité nous oblige à renoncer à cette solution. Les reproductions électroniques disponibles permettent de consulter l’ouvrage de Filangieri, même si les inconvénients subsistent. Pour que le lecteur du Commentaire puisse se faire une idée succincte du texte de Filangieri, nous reproduisons ici le «Plan raisonné de l’ouvrage» que Filangieri a placé en tête de son traité. Il s’agit d’une présentation condensée de sa théorie politique, de ce qu’il entend par «législation». C’est un mot qui évoque effectivement une théorie complète de ce qui est ou pourrait être l’organisation d’un état bien organisé sur tous les plans, une théorie de la société ainsi constituée, en définissant la place du sujet respecté dans sa liberté dans un état fondé sur des conventions, des lois, dérivées des lois de la nature. Il s’agit d’une théorie fondamentalement différente de celle qui sera soutenue par Constant, ce qui est justement l’intérêt incontestable de cette confrontation. Filangieri parle dans ces pages denses et nuancées avec l’autorité du maître de l’œuvre de ce qu’il va développer en détail dans les sept livres projetés. Ainsi, le «Plan raisonné» est un guide fiable pour orienter le lecteur dans le vaste édifice qu’il se propose de lire, qui a l’avantage d’avoir été écrit par l’auteur lui-même et dans lequel on peut admirer d’ailleurs l’échafaudage solide d’un ouvrage gigantesque. À cela s’ajoute, à la fin de ce texte, une profession de foi optimiste et idéaliste, une invitation adressée aux «sages de la terre, philosophes de toutes les nations, écrivains, ô vous tous à qui fut confié le dépôt sacré des connoissances humaines», d’avancer hardiment sur la route qui mènera vers la liberté et le bonheur des peuples. Filangieri ne défend pas les prérogatives des dirigeants, mais les intérêts des citoyens dans un État gouverné à l’aide de structures héritées de l’Histoire. C’est la raison pour laquelle on peut abuser de la doctrine de ce philosophe des Lumières. Quatre livres seulement ont été achevés par l’auteur, le cinquième, déjà assez avancé, a fait l’objet d’une publication posthume. Les deux derniers
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Quatrième annexe
livres sont restés à l’état d’ébauche que nous connaissons seulement à travers les pages du «Plan raisonné». Constant revient souvent à ce plan, en cite des morceaux, discute les thèses émises par Filangieri, s’inspire de ce vaste ensemble théorique qui lui permet d’exposer avec beaucoup de fermeté sa propre théorie, contraire à celle défendue par ses adversaires politiques dans la France de la seconde Restauration dont les idées peuvent être rapprochées de celles de Filangieri, à tel point qu’on peut y trouver abusivement des justifications pour une politique rétrograde.
Établissement du texte Nous reproduisons ici le texte de l’édition Dufart de 1822, avec les variantes les plus importantes des éditions précédentes. Constant a utilise´ pour son travail l’édition de 1798. Imprimés : 1. La Science de la législation, par M. le Chevalier Gaetano Filangieri. Ouvrage traduit de l’italien, d’après l’édition de Naples, de 1784. Tome premier, Paris : Cuchet, 1786, pp. 1–47. Nous désignons cette édition par le sigle TF1. 2. La Science de la législation, par M. le Chevalier Gaetano Filangieri. Ouvrage traduit de l’italien, d’après l’édition de Naples, de 1784. Seconde édition, revue et corrigée. Tome premier, Paris : Dufart, 1798, pp. 1–39. Nous désignons cette édition par le sigle TF2. 3. Œuvres de G. Filangieri traduites de l’italien. Nouvelle édition, accompagnée d’un Commentaire par M. Benjamin Constant et de l’E´loge de Filangieri par M. Salfi. Tome premier. Paris : P. Dufart, M.DCCCXXII, pp. 15– 42. Nous désignons cette édition par le sigle TF3. K. K.
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Il n’est point de science qui ne doive être précédée de quelques données, qui sont comme la base de l’édifice que l’on veut élever. Conservation et tranquillité, tel est l’objet unique de la science de la législation. Des premiers principes de l’association primitive, et de la nature même de l’homme, nous déduirons cette vérité préliminaire, qui, dans la science du gouvernement, est le point auquel doivent aboutir toutes les opérations de l’autorité publique. Mais l’homme ne peut se conserver sans moyens, et il ne peut être tranquille que lorsqu’il est sûr de n’être pas inquiété. Ainsi, la possibilité d’exister, et d’exister d’une manière agréable ; la liberté d’accroître, d’améliorer, et de conserver sa propriété ; la facilité d’acquérir les choses nécessaires ou utiles à la vie ; la confiance dans le gouvernement, dans les magistrats, dans les autres citoyens ; la certitude de ne pouvoir être troublé, en agissant suivant les décrets de la loi : voilà les résultats du principe universel de la conservation et de la tranquillité. Chaque partie de la législation doit donc se rapporter à l’un de ces résultats ; toute loi qui ne procure pas à la société un de ces bienfaits, est donc inutile. Nous passerons ensuite au développement rapide des règles générales, sans lesquelles la science de la législation n’auroit que des principes indéterminés et une marche incertaine. C’est en distinguant avec précision la bonte´ absolue des lois, de leur bonté relative, c’est-à-dire les rapports de la loi avec les principes de la nature, des rapports de la loi avec l’état de la nation qui la reçoit ; en développant les principes plus généraux qui dépendent de ces deux caractères de bonté que doit avoir toute loi ; en observant les conséquences qui en dérivent ; en déduisant de là toutes les erreurs de la législation, la diÉtablissement du texte : Imprimés : 1. La Science de la législation, par M. le Chevalier Gaetano Filangieri. Ouvrage traduit de l’italien, d’après l’édition de Naples, de 1784. Tome premier, Paris : Cuchet, 1786, pp. 1–47 [TF1]. 2. La Science de la législation, par M. le Chevalier Gaetano Filangieri. Ouvrage traduit de l’italien, d’après l’édition de Naples, de 1784. Seconde édition, revue et corrigée. Tome premier, Paris : Dufart, 1798, pp. 1–39 [TF2]. 3. Œuvres de G. Filangieri traduites de l’italien. Nouvelle édition accompagnée d’un Commentaire par M. Benjamin Constant et de l’E´loge de Filangieri par M. Salfi. Tome premier, Paris : Dufart, 1822, pp. 15–42 [TF3].
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versité nécessaire, et les fréquentes contrariétés de tous les systèmes de lois, les variations des codes, la nécessité de les corriger, les obstacles qui rendent difficiles ces réformes, les précautions qui dissipent ces obstacles : c’est en considérant tous ces objets, que nous donnerons une idée générale de la bonté absolue des lois, et que nous nous préparerons au développement de la théorie plus compliquée de leur bonté relative ; ce qui est, pour ainsi dire, l’assemblage de toutes les règles générales de la science de la législation. Si cette bonté des lois consiste dans leur rapport avec l’état de la nation à laquelle on les donne, il faut donc voir quelles sont les parties constitutives de cet état : nous les trouverons dans la nature du gouvernement, et par conséquent dans le principe qui le fait agir, dans le génie et le caractère des peuples, dans le climat, dont l’influence est une force toujours active et toujours cachée, dans la nature du sol, dans la situation des lieux, dans la plus grande ou la moindre étendue du pays, dans l’enfance ou la maturité du peuple, et dans la religion, cette puissance divine, qui, agissant sur les mœurs des hommes, mérite de fixer la première l’attention du législateur. Ceux qui liront ce livre ne doivent pas être surpris qu’on ait traité quelques uns de ces objets après l’auteur de l’Esprit des Lois, qui en a parlé d’une manière si détaillée. Quand ils seront arrivés à cette partie de mon ouvrage, ils verront que le but que je me propose est tout différent de celui de cet illustre écrivain. Montesquieu, dans ces rapports, cherche l’esprit des lois, et moi j’en cherche les règles ; il s’occupe à montrer la raison de ce qu’on a fait, et moi je tâche d’en déduire les règles de ce que l’on doit faire. Mes principes mêmes seront le plus souvent différents des siens, et j’examinerai tous ces objets sous un autre point de vue. Ne cherchant que ce qui peut m’être utile, et abandonnant avec plaisir tout ce que le faste scientifique pourroit usurper sur cette espèce de sobriété qui doit régner dans les ouvrages consacrés à l’utilité générale, je renfermerai dans quelques pages une théorie qui, traitée d’une autre manière, demanderoit plusieurs volumes. Je ne dois pas oublier de dire que je suis infiniment redevable aux travaux du grand homme que je viens de nommer. Cette marque de reconnoissance est un tribut que j’offre à un philosophe dont les pensées ont précédé les miennes, et qui, par ses erreurs même, m’a enseigné le chemin qui conduit à la vérité. Après avoir considéré le rapport que doivent avoir les lois avec ces différents objets, nous en déduirons les règles générales de la science de la Législation. C’est dans cette partie que l’on en rendra l’usage propre à tous les gouvernements, à tous les climats, à tous les temps, à toutes les circonstances particulières de la situation, de l’étendue, de la fertilité d’un pays, du culte, du génie, de l’enfance ou de la maturité des peuples. Elle sera l’as-
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semblage de tous ces principes généraux auxquels les principes particuliers doivent constamment être rapportés. C’est là que, généralisant nos idées, nous ferons voir les différents objets, les différentes vues, le caractère différent de la législation chez les différents peuples, ou chez les mêmes peuples, mais dans des temps différents ; c’est là que nous montrerons, dans la diversité des constitutions politiques, tous les vices qui y sont attachés, et la diversité des remèdes par lesquels on peut les combattre ; le principe unique d’où naît le mouvement dans toute société, et la différence de direction qu’il faut donner à ce principe dans les divers gouvernements ; l’influence que doit avoir sur l’esprit d’une législation le génie universel des nations, l’esprit des siècles et le caractère particulier du peuple à qui on la donne ; l’influence du climat, soit pour en seconder les effets, lorsqu’ils sont utiles, soit pour les combattre, lorsqu’ils sont dangereux. C’est là que nous verrons de quelle manière la nature du sol, sa fertilité, sa stérilité, son étendue, sa situation, doivent régler la partie économique de la législation ; quelle différence doivent produire, dans le caractère des hommes, les dogmes imposteurs des fausses religions et les principes du vrai culte ; comment, chez un peuple enchaîné par des erreurs religieuses, il faut soutenir d’une main ce qu’on veut détruire de l’au tre ; et comment, au milieu d’une nation éclairée par les vrais dogmes, il faut garantir ces principes contre les imposteurs qui les altèrent, ou contre les mécréants qui les attaquent. Ce sera enfin cette partie de la législation qui, nous faisant connoître les différents âges des peuples et les différents périodes de leur vie, nous montrera comment les lois doivent suivre ces differents périodes, comment elles doivent s’adapter à leur enfance, suivre les mouvements de leur puberté, attendre l’époque favorable de leur maturité, en profiter, et prévenir celle de leur décrépitude et de leur mort. Telles sont les premières vues de cet ouvrage. Elles ne nous donneroient cependant qu’une idée confuse de l’ensemble, ou, pour mieux dire, de la surface seule de cet immense édifice : pour le bien connoître, il faut encore en observer toutes les parties, considérer les rapports que chacune d’elles doit avoir avec les autres, les matériaux dont elles doivent être formées, et les fondements sur lesquels on doit les élever. Nous commencerons donc par décomposer la grande machine de la législation, afin d’observer distinctement les parties qui la composent. Tout sera soumis à un examen rigoureux ; les objets les plus cachés et les moins connus ne seront pas négligés dans cette discussion. Nous parlerons d’abord des lois politiques et économiques. V: 2 nos idées ] les idées législatives TF1 TF2 3–4 caractère ... législation ] ton différent que doit prendre la législation TF1 TF2 7 par lesquels ... combattre ] qui doivent les détruire TF1 TF2
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La population et la richesse sont les objets de ces deux sortes de lois. L’état a besoin d’hommes, et les hommes ont besoin de subsistances ; leur nombre est toujours en proportion de leur bonheur. Ces deux objets, qui composent la félicité nationale, ont donc une influence réciproque. C’est sur la population que nous fixerons nos premiers regards. Après quelques courtes réflexions sur le système de la législation des anciens, et en particulier des Juifs, des Perses, des Grecs, et des Romains, nous démontrerons que tous les efforts du gouvernement pour encourager la population sont inutiles, lorsqu’on n’ôte pas les obstacles qui doivent l’arrêter. Le plus grand nombre des législateurs est tombé dans cette erreur. Si nous parcourons les poudreux et immenses volumes qui contiennent le chaos de la législation de l’Europe, nous ne trouverons pas un seul gouvernement qui n’ait réservé des prérogatives aux pères de famille, qui n’accorde des privilèges et des exemptions aux citoyens qui ont donné beaucoup d’enfants à l’E´tat, et qui n’ait des lois dont l’objet est d’augmenter le nombre des mariages. Mais, malgré tant d’encouragements, la stérilité de la nature se perpétue, la reproduction est lente, les mariages sont rares dans le sein même de la volupté. Chaque jour s’ouvre au milieu de nous un vaste tombeau, où une génération entière court s’engloutir avec toute sa postérité, et il manque encore a` l’Europe plus de cent millions d’habitants qu’elle pourroit contenir. Après ces faits, que nous démontrerons par les calculs les plus exacts, qui pourra douter qu’il n’y ait sur cet objet un vice énorme dans tous les systèmes de législation ? Je ne nie pas que les moyens employés jusqu’à pré sent par les législateurs n’aient quelque degré d’utilité ; mais l’intensité de ces foibles agents ne peut vaincre la résistance des obstacles qu’ils rencontrent. Il fait donc découvrir ces obstacles, et trouver les moyens de les surmonter : c’est à ces deux objets que nous réduirons la partie de la législation qui regarde la multiplication de l’espèce. En observant les malheurs des peuples, et l’état déplorable de l’agriculture ; le luxe des cours, et la misère des campagnes ; l’excès de l’opulence dans quelques citoyens, et le défaut de subsistance dans la plus grande partie ; le petit nombre des propriétaires, et le nombre immense des nonpropriétaires ; le mauvais emploi du sol, la bizarrerie des lois, et l’esprit avide de la fiscalité ; l’établissement des armées sur pied, et le célibat des gens de guerre ; le double obstacle que cet abus oppose à la population, et la terreur qu’il inspire à la liberté du citoyen : en observant l’origine et les progrès de l’incontinence publique, la pauvreté qui la fait naître, le célibat forcé de quelques classes de citoyens qui la fomente, les erreurs de la
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jurisprudence qui la protègent, et la stérilité qui en est la suite : en observant, dis-je, ces maux, et d’autres semblables qui accablent l’Europe, nous trouverons aisément les causes destructives de sa population, et nous découvrirons ensuite les véritables remèdes qu’une sage législation devroit leur opposer. Après avoir développé, dans cet ordre et suivant ces principes, la partie des lois politiques et économiques qui concerne la multiplication des hommes, nous nous occuperons de l’autre objet de ces lois ; nous commencerons à parler des richesses. Si les richesses ne pouvoient être un objet d’intérêt pour la politique des siècles où la pauvreté étoit le premier degré de la vertu de l’homme et du citoyen, elles sont aujourd’hui le premier principe du bonheur des peuples. Cette réflexion nous conduira à l’examen d’une vérité qu’il nous importe essentiellement de connoître, et cette vérité est que nous devons tout à la corruption, et que, pour arriver à la grandeur, il a fallu abandonner ces vertus qui y faisoient parvenir les anciens. Étrange prodige de l’inconstance et de la mobilité des choses humaines ! L’industrie, le commerce, le luxe et les arts, tous ces moyens qui contribuoient autrefois à affoiblir les états, et qui peut-être rendirent Tyr la proie d’Alexandre, et Carthage celle de Scipion, sont devenus aujourd’hui les plus fermes appuis de la prospérité des peuples. En effet, depuis que le temps de la fondation et de la ruine des empires est passé ; depuis qu’on ne trouve plus cet homme devant lequel la terre se taisoit ; depuis que les nations, enfin sorties de cette lutte continuelle de l’ambition contre la liberté, se sont fixées elles-mêmes dans un état de repos qui les invite à chercher la félicité plutôt que la grandeur ou la gloire ; depuis que l’or est devenu la mesure de tout, que l’on calcule la force des empires, que les nations agricoles et commerçantes règnent sur les nations guerrières ; depuis que le privilège exclusif d’un aromate est devenu la seule cause de toutes les guerres de l’Europe ; enfin, depuis que les richesses ne corrompent plus les peuples, puisqu’elles ne sont plus le fruit de la conquête, mais le prix d’un travail assidu et d’une vie entièrement oc cupée ; depuis cette époque, dis-je, les richesses et les canaux qui les transportent sont regardés avec raison comme le premier objet de la législation. Quels seront donc les soins du législateur sur cet objet important ? Créer les richesses dans l’état, et les distribuer avec équité. Mais quels moyens devra-t-il employer pour parvenir à ce double but ? Si l’agriculture, les arts, le commerce, sont les trois sources des richesses, quelle est l’espèce de V: 2 accablent ] oppriment TF1 TF2 Fixer TF1 TF2
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protection qui leur convient ? laquelle de ces richesses mérite la préférence des lois ? quelles circonstances doivent la déterminer ? comment est-il possible de combiner les progrès de l’une avec ceux de l’autre ? protéger l’agriculture dans un pays agricole, sans négliger les arts ? concilier ses progrès avec les progrès du commerce ; étendre les vues de l’agriculteur sur le commerce, et les vues du négociant sur la culture ; unir enfin tous ces objets par des rapports indivisibles ? Quels sont les obstacles que leur opposent les abus de l’administration, la manie règlementaire, l’absurdité des lois civiles, la barbarie de ces codes féodaux, où respire encore l’ancien esprit de chasse et de pâturage de nos aïeux, les attentats légaux contre la propriété personnelle et la propriété réelle, les vices de la procédure judiciaire, les abus du crédit public, l’aliénation des revenus du prince, les dettes nationales, les privilèges exclusifs, les corporations, les fausses maximes de politique, et le système actuel des finances ? Si ce système erroné cause en même temps la ruine de la population, de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, s’il éloigne les hommes du mariage, dépeuple les campagnes, décourage l’artisan, ferme les ports des nations, met en danger la sûreté du citoyen et la liberté de l’homme ; s’il prive le voyageur du repos, et le marchand de sa propriété ; s’il les expose l’un et l’autre à tous les pièges d’une législation artificieuse, qui sème les délits avec les prohibitions, et les peines avec les délits ; s’il sépare les villes des villes, les bourgs des bourgs, les villages des villages ; s’il répand la discorde entre les membres d’un même corps, et crée un état de guerre entre les sujets d’un même empire, et les enfants d’une même famille ; si le droit des gens est violé par ceux qui devroient le défendre ; si les droits du citoyen sont attaqués par le citoyen, ceux de l’homme d’E´tat par l’homme du prince, ceux du négociant par le financier ; si, en un mot, sous quelque point de vue que l’on considère le système actuel des impôts, on y trouve toujours la cause prochaine de l’oppression, de la misère et de la ruine des peuples, malgré l’esprit de modération et d’humanité de ceux qui les gouvernent ; quelles réformes la science de la législation peut-elle indiquer sur cet objet, et d’après quels principes doit être établie la grande théorie de l’impôt ? Sur quels objets doit-il être placé ? quelle classe y doit immédiatement contribuer ? comment peut-il être proportionné aux facultés du peuple ? par quels moyens doit-on le percevoir sur le produit net du revenu national ? de quelle manière peut-on connoître ce produit net ? comment diminuer le nombre des contribuables directs, en facilitant le paiement de l’impôt ; combiner dans un nouveau système la répartition la plus juste avec la perception la plus facile, la moins coûteuse, et la moins arbitraire ; le soulagement du peuple avec l’opulence du corps politique ; la prospérité de l’agriculture, des arts, du commerce, en un mot, la richesse de la nation avec la richesse du souverain ? comment
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faciliter, par ce moyen, la distribu tion des richesses ? quels obstacles arrêtent cette distribution, et quelles sont les atteintes qu’elle peut recevoir du luxe ? sous quel aspect le législateur doit-il considérer le luxe ? comment doit-il le diriger, sans blesser la liberte´ du citoyen ? de quelle manière peut-il, par son intervention, prévenir l’excès de l’opulence, qui d’ordinaire amène l’excès de la misère ? dans quel cas le luxe même, qu’on alimente par les produits de l’industrie étrangère, doit-il être regardé comme un instrument nécessaire à la prospérité d’un état ? quelles sont, en Europe, les nations qui, dans le luxe passif, auroient dû voir le soutien de leur agriculture, de leur industrie, de leur commerce ? Tel est en raccourci le tableau des principales matières renfermées dans le second livre de cet ouvrage. Livre
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Si la population et les richesses sont les objets des lois politiques et économiques, la sûreté et la tranquillité sont le but des lois criminelles ; les premières ont rapport à la conservation, les autres à la tranquillité des citoyens. En développant ce qu’il faut entendre par le mot de tranquillité, nous verrons qu’elle est inséparable de la sûreté, laquelle ne peut être autre chose que la conscience ou l’opinion d’un citoyen qui croit ne pouvoir être troublé, tant qu’il agit conformément aux ordres de la loi. Or, cette espèce de liberté politique qui rassure toutes les conditions et toutes les classes de la société, qui met un frein à l’autorité du magistrat, et défend le citoyen le plus foible par l’activité de toute la force publique ; cette voix qui dit à l’hom me puissant, tu es esclave de la loi, et rappelle au riche que le pauvre est son égal ; cette force qui balance toujours, dans les actions de l’homme, l’intérêt qu’il pourroit avoir de violer la loi, par l’intérêt qu’il a de l’observer, ne peut être que le résultat des lois criminelles. C’est donc sur ce plan que nous traiterons cette partie de la science de la législation. Nous examinerons d’abord comment doivent être dirigées, dans un nouveau système de lois, l’accusation et la défense judiciaire ; quel devroit être l’ordre des jugements criminels, les principes et les règles propres à en déterminer la procédure, la nature et la forme des actes qui devroient la constituer ; quels seroient les moyens les plus sûrs d’extirper du sein d’une nation le germe fatal des calomnies ; s’il conviendroit d’adopter sur cet objet quelques lois des anciens ; si la lenteur des jugements est favorable à la liberté du citoyen ; si c’est un usage contraire à la liberté, que celui de traîner l’accusé
V: 28 science de la législation ] science législative TF1 TF2
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dans une prison, avant d’être assuré du délit, et de l’y retenir pendant toute la durée de l’instruction ; si le magistrat, suivant la disposition de la loi, peut d’abord priver le citoyen de sa liberté personnelle, afin d’acquérir ensuite plus à son aise des preuves de son innocence ou de son crime ; si la loi doit le supposer coupable, parcequ’il a le malheur d’être accusé ; si, avant de le condamner, elle a droit de l’avilir par les outrages et par la honte ; si, dans les seuls crimes capitaux, il pourroit être permis d’exercer cet acte violent, mais peut-être alors nécessaire, parceque, quelques peines dont on menaçât l’accusé, quelque sûreté qu’on exigeât de lui, tous ces moyens seroient insuffisants pour empêcher sa fuite ; si, dans tous les autres cas, il conviendroit d’adopter la loi d’habeas corpus des Anglois ; quelles modifications elle pourroit recevoir, tant en faveur de la liberté du citoyen que pour l’intérêt de la sûreté publique ; dans quelles circonstances on devroit exiger l’aveu du coupable, quelle seroit la manière d’y procéder ; si enfin il seroit plus juste et plus raisonnable de négliger cet aveu, que de le lui arracher par l’excès de la douleur. Après avoir examiné les principes d’après lesquels il conviendroit, dans une sage législation, de diriger l’ordre de la procédure criminelle, de régler la forme de l’accusation, et de la défense judiciaire, nous passerons aux principes propres à établir la nature des actions que la loi devroit considérer comme délits, ainsi que la manière de les punir. Nous distinguerons ceux que l’on doit regarder comme publics, d’avec ceux que l’on doit regarder comme privés ; ceux qui blessent la divinité, le souverain, le gouvernement, l’ordre public, la foi publique, le droit des gens ; et ceux qui attaquent la sûreté particulière du citoyen, sa vie, son honneur, ses biens, sa propriété et tous ses droits. Nous examinerons ensuite comment la loi devroit proportionner la peine à chaque espèce de délit ; comment la sanction légale devroit constater la personne du délinquant, les circonstances du délit, la facilité de le commettre, le dommage qui en résulte, le plus grand ou le moindre espoir d’impunité qu’il inspire, le concours des évènements malheureux qui ont entraîné le coupable dans le crime ; de quelle manière, en quel temps, et avec quelle modération le législateur doit faire usage des peines capitales ; pour quels délits il conviendroit et il seroit nécessaire de prescrire la peine d’infamie ; comment cette peine devroit résulter de l’opinion publique, et non la contrarier ; avec quelle réserve, quelle solennité, quelle modération, le législateur devroit en faire usage ; comment l’infamie diminue à mesure que le nombre des gens infames augmente ; comment devroient être prescrites les peines pécuniaires ; si elles pourroient aussi avoir lieu dans le plan d’une bonne législation criminelle ; si, voulant faire V: 35 la contrarier ] la détruire TF1 TF2
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usage de ces peines, on doit avoir égard et aux richesses de l’offenseur et aux richesses de l’offensé, ainsi qu’à la nature du délit ; si les peines qui privent le coupable de la communication des autres citoyens, et le rendent utile à la société, sont préférables à toutes les autres ; si, dans le nombre des délits, il en est quelques uns que le législateur ne doive pas punir ; si, dans les délits secrets, la proportion avec les peines peut être altérée par le plus grand espoir de l’impunité que ces délits font naître ; si dans les vrais délits de félonie, et non dans ceux auxquels le despotisme a donné ce nom, il convient de mettre pour un instant un voile sur la modération, comme on couvroit autrefois les statues des dieux ; enfin, si l’impunité est l’effet nécessaire de la rigueur excessive des lois pénales, et si la certitude d’une peine médiocre a plus de force pour éloigner l’homme des délits, que la crainte d’une peine plus grande, lorsque cette crainte est unie à l’espoir de l’impunité. Tous ces objets seront traités dans le troisième livre de cet ouvrage : nous passerons ensuite aux lois qui concernent l’éducation, les mœurs, l’instruction publique, lesquelles seront comprises dans le quatrième livre. Livre
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Si les lois criminelles préviennent les délits en effrayant le citoyen par l’appareil des peines, elles ne peuvent certainement créer les vertus. Cette espèce d’honnêteté négative qui est le fruit de la crainte, conserve toujours le caractère de son origine ; elle est pusillanime, vile, foible, et incapable de ces efforts que demande la hardiesse, la liberté de la vertu, lorsqu’elle est inspirée par de grandes passions. La crainte pourra donc diminuer le nombre des coupables, mais elle ne fera jamais naître la vertu : cette production sublime ne peut être l’effet que du concours de plusieurs autres forces dirigées vers cet objet unique. L’éducation, considérée comme la première de ces forces, mérite d’abord notre attention ; elle est ou publique ou privée. La première appartient au gouvernement, la seconde appartient aux chefs de la famille : les lois ne peuvent diriger que la première, parcequ’elles ne doivent pas pénétrer dans l’enceinte des foyers domestiques. Ici le père est roi, magistrat, législateur pour tout ce qui regarde l’éducation des enfants. Puisque les lois ne peuvent diriger que l’éducation publique, et que d’elle seule néanmoins peut naître l’uniformité d’institution, de préceptes et de sentiments, elles ne doivent abandonner à l’éducation domestique que le
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plus petit nombre des citoyens. Pour remplir cet objet, nous proposerons un plan d’éducation publique, relatif à toutes les classes de l’état. Je prévois qu’au premier aspect cette idée sera considérée comme le fruit des pénibles et oiseuses recherches d’un philosophe qui croit tout circonscrire dans le petit cercle de ses pensées : mais lorsque l’on verra ce plan développé, lorsque l’on connoîtra les moyens de le mettre en exécution, et que l’on saura que ces moyens sont les plus simples et les plus faciles, alors j’espère qu’on en jugera d’une autre manière, et que l’on conviendra, pour l’honneur de l’écrivain, que son plan n’est point un vain projet. Passant ensuite à la direction des passions, nous ferons l’analyse de la seconde force productive des vertus. Sans la connoissance et l’usage de cette force, la législation sera toujours l’objet le plus imparfait, le plus inutile, et même le plus dangereux qui puisse sortir de la main des hommes. Cette partie sera une des plus intéressantes de l’ouvrage, parceque c’est d’elle que dépendent et la solution de tous les problèmes moraux de la science de la législation, et la réfutation de plusieurs erreurs que la politique de ce siècle a malheureusement adoptées, malgré le progrès des lumières, et l’établissement d’une vérité qu’il nous importe sur-tout de connoître, mais qui a besoin d’être développée fort au long, parcequ’elle heurte un préjugé très commun. Toute le monde croit que la vertu ne peut exister au sein de l’opulence nationale, et c’est peut-être à cette opinion funeste que nous devons l’état déplorable de notre législation. L’humanité sera-t-elle donc nécessairement dans la cruelle alternative d’être pauvre ou corrompue ? Aujourd’hui que les richesses sont nécessaires à la conservation et à la prospérité des États, la vertu devra-t-elle être exclue de la sociéte´ ? L’agriculture, les arts et le commerce ne pourront-ils pas être exercés par des mains honnêtes ? Le luxe même, qui, en ce moment, est nécessaire à la distribution des richesses, sera-t-il incompatible avec les bonnes mœurs ? L’esprit guerrier et féroce des anciens, parcequ’il étoit uni à l’esprit de frugalité, devoit-il être plus propre à la vertu que ce caractère pacifique et laborieux des modernes, uni au goût du luxe ? Telle est en effet l’opinion commune des moralistes ; mais nous prendrons la liberté de démontrer que c’est là plutôt leur erreur commune. Nous ferons voir que cette idée, affligeante pour l’humanité, n’a pu naître parmi les philosophes que parcequ’ils ont ignoré que ces différentes routes, contraires en apparence, partent du même point et conduisent au même but ; nous montrerons comment une sage législation, en se servant du grand mobile du cœur humain, en donnant une direction, telle que l’état des choses l’exige, à cette passion dominante d’où dérivent toutes les autres, à V: 16 de la législation ] législative TF1 TF2
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cette passion qui est en même temps le germe fécond de tant de biens et de tant de maux, de tant d’affections utiles et de tant d’habitudes dangereuses, en se servant, dis-je, de l’amour de soi, pourra allier la vertu aux richesses, de la même manière dont les législateurs anciens surent l’introduire dans leurs armées. Après avoir développé la grande théorie de la direction des passions, d’où dépend celle des mœurs, nous tournerons nos regards sur l’instruction publique, qui forme le troisième objet de ce quatrième livre. Qui ne voit l’influence de cette instruction sur la prospérité des peuples, sur leur liberté, et leurs mœurs même ? Si l’homme, dirigé et persuadé par la raison, agit avec plus d’énergie que lorsque la force ou la crainte le pousse, sans qu’il sache où il est conduit ; si les temps d’ignorance ont toujours été des temps de férocité, de bassesse, et d’imposture ; si le défaut de lumières obscurcissant toutes les choses, rendant incertains tous les droits, altérant et corrompant les maximes et les dogmes, a souillé de sang le trône et les autels, a fait naître les tyrans et les rebelles, a donné à l’erreur tant de martyrs, à la vérité tant de victimes, au fanatisme tant de bûchers, aux imposteurs tant de prosélytes, à la religion tant d’hypocrites et d’ennemis ; si, dans les ténèbres de l’ignorance, le prince n’est jamais sûr du peuple, ni le peuple du prince ; si le respect n’est que bassesse, l’obéissance que crainte, l’empire que force ; si alors la magistrature est arbritraire, si les erreurs sont éternelles et respectées, les réformes dangereuses et tournées en ridicule ; si l’opinion publique est méprisée ; si l’administration devient le patrimoine des adulateurs qui environnent le trône, et qui trahissent le trône d’une main, et la nation de l’autre ; si, d’un autre côté, la véritable instruction, si la sagesse unie à la justice, à l’humanité, et à la prudence, n’invite jamais au crime ; si, sûre d’obtenir tôt ou tard le triomphe qu’elle mérite, elle n’a pas besoin, comme l’imposture, de l’acheter par le sang et le malheur des hommes ; si la philosophie, annonçant la vérité avec un zèle intrépide, soit qu’elle réclame contre les fureurs de la tyrannie et de la superstition, contre les délires des rois, les préjugés des peuples, l’ambition des grands, la corruption des cours, soit qu’elle montre aux princes leurs véritables intérêts, et les fasse rougir quelquefois de leurs défauts ; si la philosophie, dis-je, dans ces différentes circonstances, n’a jamais créé de factions au sein des empires, et ne s’est jamais armée, comme l’ignorance, du couteau régicide ; si, en un mot, et ceux qui commandent, et ceux qui obéissent, trouvent leurs intérêts dans les progrès de la raison, il est juste que la science de la législation ne se taise pas sur cet objet si important, trop négligé dans nos codes. Il faut donc qu’elle examine par quelle sorte d’obstacles est arrêtée la marche de l’insV: 13–14 obscurcissant toutes ] jetant un voile épais sur toutes TF1 TF2
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truction ; quelle est la méthode qu’il faut suivre pour les surmonter, quelle direction on doit donner aux talents, comment on peut les rappeler à l’étude du bien public, sous les auspices de la liberté, et les détourner des autres occupations plus fastueuses qu’utiles ; comment les méditations du sage doivent précéder les opérations du gouvernement, et de quelle manière les ministres de la philosophie doivent préparer la voie aux ministres des princes, dans tout ce qui regarde l’intérêt public ; comment on peut se servir de cet auguste emploi de la raison pour disposer les esprits aux réformes nécessaires et aux innovations utiles, et profiter de cette discussion, source féconde de la vérité, qui naît de la diversité des opinions ; comment on doit guider tous les talents des hommes vers le même objet, faire concourir les beaux arts à l’utilité publique, former et multiplier les canaux propres à répandre dans les provinces les lumières de la capitale, et rendre ainsi plus commun le précieux dépôt des connoissances utiles, faire parvenir jusqu’aux dernières classes de l’E´tat la science des devoirs de l’homme envers Dieu, envers lui-même, sa famille, et sa patrie ; donner à chaque membre de la société une véritable idée de l’homme et du citoyen, et lui faire connoître toute la dignité de son caractère, et le respect qui lui est dû. Ces questions sont trop intéressantes pour être négligées dans un ouvrage destiné à analyser tous les anneaux qui composent cette chaîne mystérieuse dont les lois doivent se servir pour conduire les hommes au bonheur. Nous passerons ensuite à la religion. Les principes d’après lesquels on doit régler cette partie de la législation qui regarde le culte des peuples, seront compris dans le cinquième livre de cet ouvrage.
Livre V. L’ordre public, la tranquillité particulière, et la sûreté du citoyen, exigent que la loi ne cherche pas à tout voir et à tout connoître. Ils veulent que l’autorité s’arrête devant le seuil des foyers domestiques, qu’elle respecte cet asile de la paix et de la liberté de l’homme, qu’elle ne cherche point à sonder ses pensées, qu’elle laisse un libre cours à ses desirs, qu’elle le considère comme innocent, quoiqu’il soit coupable, toutes les fois que son crime n’est pas évidemment démontré, et qu’elle détourne ses regards de ce qui se cache devant elle. Mais l’ordre public exige en même temps qu’un autre frein supplée à l’inaction de l’autorité ; qu’un autre tribunal, un autre juge, un autre code, règlent les habitudes cachées du citoyen, arrêtent ses passions secrètes, encouragent ses vertus obscures, dirigent vers le bien général les desirs même qu’il ne doit pas exprimer, et le forcent enfin à être juste, honnête, et vertueux, même dans les lieux, les moments, et les cir-
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constances où il est loin des yeux de la loi et de ses ministres. Voilà l’ouvrage de la religion, lorsqu’elle n’est point affoiblie par l’incrédulité, ou altérée par la superstition. Ces deux extrêmes, dont l’un est toujours la suite de l’autre, comme nous l’apprend une expérience constante ; ces deux extrêmes, dont l’un ôte à la religion sa force, et l’autre en fait l’instrument de ces injustices et de ces horreurs qui, à la honte de l’humanité, remplissent les annales sanguinaires de la superstition ; ces deux extrêmes, dis-je, doivent être prévenus par les lois. Tel est l’objet général auquel viendront se lier les principes que nous aurons à développer dans ce livre. Nous examinerons quelle espèce de protection la loi devroit accorder au culte religieux ; par quels moyens directs et indirects elle préviendroit les deux excès dont nous avons parlé ; quelles prérogatives elle pourroit accorder au sacerdoce, et quelle dépendance il lui conviendroit d’en exiger ; quels droits seroient accordés à ses chefs, et quelle magistrature veilleroit sur l’usage qu’ils en feroient ; sur quels principes on devroit régler l’immunité ecclésiastique, établir les bornes de cette immunité réelle et personnelle, et les restrictions propres à cette immunité locale, qui ne semble créée que pour encourager au crime : nous parlerons des qualités que la loi doit exiger des membres du sacerdoce, et d’après quelle règle on peut en déterminer le nombre ; quelles classes de ce corps méritent plus particulièrement la protection des lois ; quelles sont celles qui doivent être ou abolies ou réformées ; à quel âge on doit fixer l’admission au service des autels ; avec quelle réserve la loi doit confier, à ceux qui s’y dévouent, le ministère important de la parole sacrée. Nous dirons enfin de quelle manière on doit pourvoir a` leurs besoins, objet intéressant, pour lequel on a tenté des réformes sans nombre, qui a donné matière à tant d’écrits, mais qui restera toujours imparfait, tant qu’on ne songera point à porter le remède à la source du mal, tant que la réforme ne tombera pas sur la nature même du revenu du sacerdoce. Après avoir développé toutes ces parties avec le respect que méritent le sanctuaire et ses ministres, nous nous occuperons des lois qui regardent la propriété ; elles seront comprises dans le sixième livre.
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On appelle propriété, le droit exclusif de disposer d’une chose ; elle ne peut être transmise à quelqu’un, ni pour un temps ni pour toujours, sans le libre consentement de celui à qui elle appartient. Ce consentement est ou exprimé, ou tacite, ou présumé. Protectrices des droits de chaque citoyen,
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les lois préviennent la violence et le vol par la crainte des peines, et arrêtent dans leur source l’artifice et la fraude, en déterminant les circonstances qui doivent accompagner ce consentement, pour lui imprimer le caractère de la validité. De là dérivent toutes les formes prescrites par la loi, lorsque le consentement est exprimé ; les signes qui le manifestent, lorsqu’il est tacite ; les conjectures qui le font supposer, lorsqu’il est présumé. De là toutes les conditions auxquelles la loi a soumis le consentement de celui qui transfère à un autre sa propriété, les différents titres par lesquels il peut en disposer, ou pour toujours ou pour un temps limité ; les divers droits qui naissent de ces divers titres, et les obligations qui en découlent : de là la différence légale entre les pactes et les contrats, les privilèges en faveur des mineurs et de tous ceux que la loi considère comme tels, les moyens établis contre les lésions, la théorie des prescriptions, l’origine, le motif, et la solennite´ des testaments et des successions ab intestat : de là, en un mot, tous les secours inventés par les lois, pour garantir la propriété de chaque citoyen des pièges de la fourberie, et tous les moyens établis par elle pour dis tinguer les droits sacrés de la propriété, des envahissements de l’usurpation. Voilà, ramenés à un seul point de vue, les motifs de ces lois innombrables qui composent aujourd’hui les codes écrits de l’Europe, et qui manquent toutes leur but, parcequ’elles n’ont embrassé que des objets puérils et minutieux. Dans cette partie de la science de la législation, nous n’aurons donc à proposer que des réductions. En développant cette théorie, en la débarrassant de tout ce qui lui est étranger, et réduisant à un petit nombre de principes généraux toutes les théories particulières dont elle est composée, nous tâcherons de faire voir aux législateurs combien il est facile, avec un petit nombre de lois, d’assurer cette propriété, qui sera toujours incertaine et précaire, tant que les armes destinées à la défendre seront supérieures aux forces de ceux qui doivent s’en servir ; tant que la multiplicité des lois, leur obscurité, et le langage dans lequel elles sont écrites, les déroberont à la connoissance du peuple ; tant que les oracles de la justice auront besoin d’interprètes, et qu’une main sage et hardie, après avoir cueilli quelques fleurs qui s’élèvent du milieu des ronces de la jurisprudence, ne lancera pas tout le reste dans le sein des flammes, pour en faire un sacrifice au dieu de la concorde et de l’équité. Après avoir parlé de la propriété, nous pourrons enfin terminer cet ouvrage par un court essai sur les lois relatives à la puissance paternelle et au bon ordre des familles. V: 17 des envahissements ] des rapines secrètes TF1 TF2 TF1 TF2
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VII.
Comme le bien-être d’un corps dépend du bien-être des parties qui le composent, ainsi le bon ordre de l’état dépend du bon ordre des familles. Or, de même qu’une société ne sauroit se soutenir sans un chef qui la gouverne, ainsi une famille, qui n’est autre chose qu’une société plus petite, a besoin d’un chef qui la dirige ; ce chef est le père de famille. Considéré sous cet aspect, il faut donc qu’il ait des droits sur les individus qui la composent. Aujourd’hui que la religion, la politique et l’humanité se sont réunies pour proscrire l’esclavage domestique, les membres de la famille sont la femme et les enfants. Nous examinerons donc quels sont les droits que la loi devroit accorder au père de famille sur la première et les seconds. L’amour ordinaire des hommes pour les choses extrêmes a fait naître sur ce point une grande contrariété entre la législation ancienne et la législation moderne. Les anciens législateurs accordèrent sans doute aux pères de famille des privilèges trop considérables. Mais qui peut douter aussi que les législateurs modernes ne les aient resserrés dans des bornes trop étroites ? Ces deux excès sont également dangereux. La démonstration de cette vérité intéressante sera placée au commencement de ce septième livre, dans lequel, parcourant rapidement les systèmes des lois anciennes et modernes, nous exposerons leurs défauts avec la plus grande impartialité. Nous ferons voir que si la justice, l’intérêt public et la morale étoient blessés par les droits excessifs que les premiers législateurs des nations avoient accordés aux pères de famille ; si le trône qu’ils cherchèrent à élever au père, au milieu de ses foyers, étoit trop indépendant ; si le droit de disposer de la vie de ses enfants étoit un attentat à l’autorité publique ; si le droit de les exposer et de les vendre étoit un outrage fait à la nature, sous la protection même de la loi ; si le pouvoir qu’ils accordèrent au mari sur sa femme étoit trop étendu, et ressembloit à une propriété plutôt qu’à une prééminence a ; si c’étoit commettre une injustice atroce, que de faire du contrat destiné à la multiplication de l’espèce, un titre par lequel l’un des contractants eût le droit de disposer à sa volonté de la vie de l’autre ; si c’étoit une loi scandaleuse que celle qui attribuoit au mari, dans les premiers temps de la république, le pouvoir de tuer sa compagne, parcequ’elle avoit bu, quelquefois avec modération, d’une liqueur dont l’abus même n’étoit pas interdit au mari ; si le droit du divorce, presque chez toutes les nations, exclusivement accordé au mari, lui donnoit sur l’existence de sa femme le pouvoir le plus terrible, sans que celle-ci pût avoir quelque recours contre l’abus de son autorite´ b ; si, en un mot, les anciens législateurs ont passé les a b
Transibant in mancipium viri. CICER. pro Muren. Il est vrai que dans la suite on accorda aux femmes, chez plusieurs peuples, le droit de
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bornes du juste et de l’honnête, en déterminant l’éten due de la puissance paternelle, nous ferons voir que les modernes n’en sont pas moins blâmables pour l’avoir resserrée d’une manière si despotique, qu’elle semble anéantie. On pourroit même dire avec vérité que la tranquillité publique a reçu des atteintes plus dangereuses, par l’affoiblissement de l’autorité paternelle, que par l’ancien abus de ses droits. L’amour naturel des pères pour leurs enfants étoit un grand préservatif contre les suites funestes d’un pouvoir si étendu, et la crainte même qu’il inspiroit devoit rendre très rares les occasions de l’exercer. Les délits devoient être moins fréquents dans les familles, lorsqu’on réfléchissoit que la main armée pour les punir étoit libre, et toujours prête à les réprimer. La grandeur du pouvoir, et la qualité de la personne qui en étoit revêtue, devoient donc en restreindre l’usage, et en éviter les abus. Mais quel instrument, suppléant la puissance paternelle, pourroit prévenir le désordre des familles, qui, comme on l’a dit, entraîne aussi celui de l’état ? Où trouver une autorité qui, comme celle des pères, pût agir dans tous les temps, et agir avec tant de vigueur ; qui pût, comme elle, tout voir et tout connoître ; qui n’eût besoin ni de secours pour faire respecter ses ordres, ni de formalités pour les transmettre ; qui pût confier l’exécution de ses décrets à un bras si voisin de la bouche qui les prononce ; qui n’admît ni prévention dans le juge, ni lenteur dans l’exécution ; dont les ordres, à peine exprimés, fussent déja connus et remplis ; qui fût enfin tellement fixée par des lois dans de justes limites, qu’il n’y eût plus d’usurpation à craindre dans celui qui en seroit revêtu ? C’est de toutes ces raisons que nous déduirons la nécessité de relever l’édifice de la puissance paternelle, que les anciens législateurs avoient trop agrandi, et qu’une défiance mal fondée a depuis presque entièrement renversé. Mais sur quelle base, avec quels matériaux, dans quel ordre devroit-il être construit ? quels devroient être les droits de la nouvelle magistrature des pères ? quels devroient être les droits des maris ? jusqu’où pourroient s’étendre leurs soins ? de quelle nature seroient les bornes de leur juridiction, le véritable emploi de leur autorité, et les remèdes propres à en prévenir l’abus ? quelle influence cette innovation auroit-elle sur l’ordre social et sur les mœurs ? quels obstacles le système actuel des successions opposeroit-il à ce changement ? quels sont ceux qui naîtroient de quelques lois féodales, chez les nations où existe encore le simulacre de ce colosse antique ? réclamer le divorce ; mais les motifs qu’on exigeoit, et les obstacles qu’on opposoit à leur demande, étoient si considérables et si puissants, que le bienfait de la loi étoit presque toujours perdu pour elles. Il suffit de lire la Novelle XXII, chap. 15, et la Novelle CXVII, chap. 8, chap. 13, et chap. 14, pour voir combien, chez les Romains, il étoit difficile à une femme d’obtenir le divorce qu’elle sollicitoit, et combien il étoit facile au mari de voir sa demande accueillie. Nous observerons tout cela lorsqu’il en sera temps.
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Tels seront les objets de nos recherches dans le septième et dernier livre, et tel est le plan général de cet ouvrage. Le sujet en est trop vaste et trop difficile pour être traité par moi comme il mérite de l’être. Il est, je l’avoue, supérieur à mes forces, a` mes connoissances, à mes talents, mais, j’ose le dire, inférieur à mon zèle. A travers les erreurs qui peut-être y seront répandues, malgré la foiblesse du style avec lequel seront exposées les plus grandes vérités ; malgré les défauts sans nombre qu’on y pourra rencontrer, on verra toujours le cœur d’un écrivain que l’ambition n’a pas souillé, que l’intérêt n’a pas séduit, que la crainte n’a pas avili. Le bien général est le seul objet de cet ouvrage, et le zèle avec lequel il est écrit est son unique ornement. Voilà la source de mes espérances, voilà le titre qui me donne quelque droit à l’attention du public. Sages de la terre, philosophes de toutes les nations, écrivains, ô vous tous à qui fut confié le dépôt sacré des connoissances humaines ; si vous voulez que votre nom soit gravé dans le temple de mémoire, et que l’immortalité couronne vos travaux, occupez-vous de ces objets qui, après des milliers d’années et malgré la distance des lieux, intéressent encore. N’écrivez jamais pour un homme, mais pour les hommes ; unissez votre gloire aux intérêts éternels du genre humain ; abhorrez ces talents si souvent possédés par des ames esclaves, qui brûlent un encens honteux sur l’autel de l’adulation. Fuyez cet esprit vénal et timide qui ne connoît d’autre aiguillon que l’intérêt, et d’autre frein que la crainte ; méprisez les applaudissements éphémères de la multitude, la reconnoissance mercenaire des grands, les menaces de la persécution, et les mépris de l’ignorance. Instruisez avec courage vos frères, et défendez leurs droits avec liberté. Alors tous les hommes, émus par l’espoir du bonheur dont vous leur enseignez la route, vous écouteront avec transport ; alors la postérité, reconnoissante de vos travaux, distinguera vos écrits dans les immenses dépôts des productions de l’esprit humain. Ni la rage impuissante de la tyrannie, ni les clameurs intéressés du fanatisme, ni les sophismes de l’imposture, ni les critiques de l’ignorance, ni les fureurs de l’envie, ne pourront les décrier ou les ensevelir dans l’oubli. Ils seront lus, et peut-être mouillés des larmes de ces peuples qui, sans vos ouvrages, ne vous eussent jamais connus ; et votre génie, toujours utile, sera contemporain de tous les âges, et citoyen de tous les lieux.
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12 quelque droit ... public. ] de véritables droits à la gloire.
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Instruments bibliographiques
Abréviations
ABC : Annales Benjamin Constant, 1, 1980 (se continue). Archives parlementaires : Archives parlementaires de 1787 à 1860. Recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, sous la direction de Jérôme Mavidal et Emile Laurent, Paris : Paul Dupont, 1867 et sv. BdL : Bulletin des lois. Corr. Rosalie : Benjamin et Rosalie de CONSTANT, Correspondance, 1786– 1830, publiée par Alfred et Suzanne Roulin, Paris : Gallimard, 1955. Corr. Goyet : Benjamin Constant et Goyet de la Sarthe, Correspondance, 1818–1822, publiée avec une introduction, des notes etun index par Éphraïm Harpaz, Genève : Droz, 1973. Cours de politique constitutionnelle : Benjamin CONSTANT, Collection complète des ouvrages publiés sur le Gouvernement représentatif et la Constitution actuelle de la France, formant une espèce de Cours de politique constitutionnelle, Paris : Plancher, 1818–1820. Courtney, Bibliography : Cecil Patrick COURTNEY, A Bibliography of Editions of the Writings of Benjamin Constant to 1833, London : Modern Humanities Research Association, 1981. Courtney, Bibliography, Supplement : Cecil Patrick COURTNEY, A Bibliography of Editions of the Writings of Benjamin Constant to 1833, A Supplement, second edition revised, Cambridge : privatly printed, 1985. Courtney, Guide : Cecil Patrick COURTNEY, A Guide to the published Works of Benjamin Constant, Oxford : Voltaire Foundation, 1980. Dictionnaire historique de la Révolution française : Albert SOBOUL, Dictionnaire historique de la Révolution française, publié sous la direction de Jean-René Suratteau et François Gendron, Paris : PUF, 1989. Harpaz, Recueil d’articles, Mercure : Benjamin CONSTANT, Recueil d’articles, Le Mercure, La Minerve et La Renommée, introduction, notes et commentaires par Éphraïm Harpaz, Genève : Droz, 1972, 2 vol. Harpaz, Recueil d’articles, 1820–1824 : Benjamin CONSTANT, Recueil d’articles, 1820–1824, introduction, notes et commentaire par Ephraïm Harpaz, Genève : Droz, 1981. Hederich, Lexicon Mythologicum : M. Benjamin HEDERICH, Gründliches Lexicon Mythologicum, Worinne So wohl die fabelhafte, als wahrscheinliche und eigentliche Historie derer alten und bekannten Römischen, Griechischen und Egyptischen Götter und Göttinnen, wie auch Helden und Heldinnen, seltsamen Wunder=Thiere, merkwürdigen Flüsse, Brun
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Instruments bibliographiques
nen, Berge und dergleichen zur Mythologie, oder sogenannten Historia Poëtica gehörenden Dinge, Mit ihren unterschiedlichen Nahmen und Beynahmen, eigentlichen Bildungen, physicalischen und moralischen dienlichen Deutungen und anderen mehr, Aus sicheren und zuverläßlichen Auctoribus, mit dieser durchgänglichen und genauen Anführung erfasset, Anbey ein so nöthiges, als nützliches Genealogicon Mythistoricum mit angehänget, Alles aber zum Nutzen und Gebrauch nicht nur derer Studirenden, sondern auch fürnehmlich vieler Künstler und anderer politischer Leute nicht weniger zulänglich, als deutlich zusammen gebracht ist, Leipzig : Verlegts Joh. Friedrich Gleditschens seel. Sohn, Anno 1724. Hofmann, Catalogue : Étienne HOFMANN, Catalogue raisonné de l’œuvre manuscrite de Benjamin Constant, établi à partir des originaux avec une préface, une introduction et des index, Genève : Slatkine, 1992. Hofmann, Supplément : Étienne HOFMANN, Supplément au Catalogue raisonné des œuvres manuscrites de Benjamin Constant. Consultable sur le site de l’Institut Benjamin Constant. Kloocke, Biographie : Kurt KLOOCKE, Benjamin Constant. Une biographie intellectuelle, Genève : Droz, 1984. Montesquieu, Œuvres complètes : Charles-Louis de Secondat de MONTESQUIEU, Œuvres complètes, texte présenté et annoté par Roger Caillois, Paris : Gallimard, 1964–1966, 2 vol. (Pléiade). OCBC : Benjamin CONSTANT, Œuvres complètes, Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 1993 (se continue). Principes de politique : Benjamin CONSTANT, Principes de politique applicables à tous les gouvernements, texte établi par Étienne Hofmann, Genève : Droz, 1980, t. II. SL1 : Gaetano FILANGIERI, La Science de la législation, par M. le Chevalier Gaetano Filangieri, ouvrage traduit de l’Italien, d’après l’édition de Naples, de 1784, seconde édition, revue et corrigée, Paris : Dufart, an septième [1798], 7 vol. SL2 : Gaetano FILANGIERI, Œuvres de G. Filangieri, traduites de l’italien, nouvelle édition, accompagnée d’un Commentaire par M. Benjamin Constant et de l’E´loge de Filangieri par M. Salfi, Paris : P. Dufart, M.DCCCXXII, 5 vol. [2M.DCCCXXIII, pour les t. III et IV, 2M.DCCCXXIV, pour le t. V]. Smith, Recherches : Adam SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, traduction de Germain Garnier, revue par Adolphe Blanqui, introduction et index par Daniel Diatkine, Paris : Garnier-Flammarion, 1991, 2 vol. Waresquiel/Yvert, Histoire de la Restauration : Emmanuel de WARESQUIEL et Benoît YVERT, Histoire de la Restauration, 1814–1830, Naissance de la France moderne, Paris : Perrin, 1996.
Bibliographie
Sous les noms des auteurs, cités dans l’ordre alphabétique, les publications, volumes d’abord, articles de revues et contributions à des collectifs ensuite, sont classées dans l’ordre chronologique de leur parution ; les différentes éditions d’un même texte sont regroupées sous la première d’entre elles.
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Instruments bibliographiques
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Nous répertorions dans cette rubrique les ouvrages dont Benjamin Constant fait explicitement mention ainsi que ceux qu’il a utilisés sans nécessairement les citer. L’identification des éditions est parfois hypothétique.
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Instruments bibliographiques
quinzième édition par N. M. Chompré, Paris : Bossange, Rey et Gravier, Aillaud, 1822–1823, 6 vol. BROGLIE, Victor de, Chambre des Pairs de France. Session de 1821. Séance du jeudi 28 mars 1822. Développement d’une proposition faite à la Chambre par M. le duc de Broglie, et relative à l’exécution des lois prohibitives de la traite des noirs, [Paris : L. E. Herhan], 1822. CICE´ RON, Traité des lois – De legibus. CLAVIGERO, Francesco Saverio, The History of Mexico, collected from Spanish and Mexican historians, from manuscripts and ancient Paintings of the Indians, illustrated by Charts, and other Copper Plates, to which are added, critical Dissertations on the Land, the Animals, and Inhabitants of Mexico, translated from the original Italian by Charles Cullen, London : G. G. J. Robinson and J. Robinson, 1787. COBBETT, William, «Cobbett’s Letters to Landlords on the Agricultural Report and Evidence», Cobbett’s Weekly Political Register, t. XXXX, septembre 1821, pp. 150–151. CONDORCET, Jean-Antoine-Nicolas de Caritat de, Mémoires sur l’instruction publique, dans Bibliothèque de l’homme public, ou analyse raisonnée des principaux ouvrages françois et étrangers, sur la politique en général, la législation, les finances, la police, l’agriculture et le commerce en particulier, et sur le droit naturel et public, par M. Condorcet, Paris : Buisson, 1791 («Nature et objet de l’instruction publique», t. I, 1791, pp. 3–80 ; «De l’instruction commune pour les enfans», t. II, 1791, pp. 3– 128 ; «Sur l’instruction commune pour les hommes», t. III, 1791, pp. 3–74 ; «Sur l’instruction relative aux professions», t. IX, 1791, pp. 3–48 ; «Sur l’instruction relative aux sciences», t. IX, 1791, pp. 49– 83). CONSTANT, Benjamin, De l’Esprit de conquête et de l’usurpation, dans leurs rapports avec la civilisation européenne , Paris : Le Normant, 1814. – Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la constitution actuelle de la France, par M. Benjamin Constant, Paris : A. Eymery, 1815, 4 vol. – Collection complète des ouvrages publiés sur le gouvernement représentatif et la constitution actuelle de la France, formant une espèce de Cours de politique constitutionelle, Paris : Plancher, 1818. – De la religion considérée dans sa source, ses formes et ses développements, par M. Benjamin Constant, Paris : Bossange père, Pichon et Didier, 1824–1831, 5 vol. – Mélanges de littérature et de politique, Paris : Pichon et Didier, 1829. – «Conspirations des contre-révolutionnaires contre le trône et la vie du roi d’Espagne», La Minerve française, t. IX, 27 mars 1820, pp. 381–385.
Ouvrages cités par Constant
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– «Idées sur la souveraineté, l’autorité sociale, et les droits individuels», Lettres normandes, ou correspondance politique et littéraire, t. XI, 92e livraison, 14 juillet 1820, pp. 49–53 ; 93e livraison, 25 juillet 1820, pp. 97–105 ; 94e livraison, 5 août 1820, pp. 145–152 ; 95e livraison, 17 août 1820, pp. 193–204 ; 97e livraison, 11 septembre 1820, pp. 289–295. CORNEILLE, Horace (1640). DENON, Vivant, Voyage dans la basse et haute Égypte pendant les campagnes du général Bonaparte, Paris : Didot l’aîné, an X (1802). DE PAUW, Cornelius, Recherches philosophiques sur les Grecs, Berlin : G.-J. Decker & Fils, 1788, 2 vol. DIODORE DE SICILE, Bibliothèque historique – Ιστορικη Βιβλιοθη κη. DIOGE` NE LAE¨ RCE, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres. Foreign Slave Trade. Abstract of the Information recently laid on the Table of the House of Commons on the Subject of the Slave Trade, being a Report made by a Committee specially appointed for the Purpose, to the Directors of the African Institution on the 8th of May, 1821, and by them ordered to be printed, as a Supplement to the Annual Report of the present Year, London : Ellerton and Henderson, 1821. FOX, Charles James et PITT, William, Recueil de discours prononcés au Parlement d’Angleterre, par J. C. Fox et W. Pitt, traduit de l’anglais et publié par MM. H. de J[anvry], et L. P. de Jussieu, Paris : Le Normant, 1819–1820, 12 vol. GACH, Jean-Joseph, Des vices de l’Institution du jury en France, Paris : Petit, an XIII – 1804. GALIANI, Ferdinando, Dialogue sur le commerce des bleds, par l’abbé Galiani, revus par Grimm et Diderot, London [i. e. Paris] : Merlin, 1770. GANILH, Charles, Essai politique sur le revenu public des peuples de l’Antiquité, du Moyen Age, des siècles modernes, et spécialement de la France et de l’Angleterre, depuis le milieu du 15 e siècle jusqu’au 19 e, par Ch. G., Avocat, ex-tribun, Paris : chez Guiguet et Michaud, 1806, 2 vol. – Des systèmes d’économie politique, de leurs inconvéniens, de leurs avantages, et de la doctrine la plus favorable aux progrès de la richesse des nations, Paris : Xhrouet, Déterville, Lenormant, Petit, 1809, 2 vol. GUILLIE´ , Sébastien, Bibliothèque ophtalmologique, ou Recueil d’observations sur les maladies des yeux, faites à la clinique de l’institution royale des jeunes aveugles, Paris : impr. par les Jeunes aveugles, 30 novembre 1819. GUIZOT, François, Des moyens du gouvernement et d’opposition dans l’état actuel de la France, Paris : Ladvocat, 1821. HEEREN, Arnold H. L., Ideen über die Politik, den Verkehr und den Handel der vornehmsten Völker der alten Welt, Theil 2 : Africanische Völker, troisième édition, Göttingen : Vandenhoeck und Ruprecht, 1815.
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Instruments bibliographiques
HELVE´ TIUS, De l’homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation, ouvrage posthume de M. Helvétius, publié par le prince Galitzin, Londres : [chez la société typographique], 1776. HOME` RE, Iliade. – Odyssée. HUMBOLDT, Alexander von, Voyages aux régions équinoxiales du nouveau continent, faits en 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804, par Al. de Humboldt et A. Bonpland, rédigé par Alexandre de Humboldt, Paris : F. Schoell, 1814–1825, 3 vol. JONES, William, «On the Chronology of the Hindus» (written in January 1788), Asiatic Researches, t. II, 1807, pp. 111–147. Journal des Débats, 5 juillet 1822. LARCHER, Pierre-Henri, Histoire d’Hérodote traduite du Grec, avec des remarques historiques et critiques, un essai sur la chronologie d’Hérodote, et une table géographique, nouvelle édition revue, corrigée et considérablement augmentée, à laquelle on a joint la Vie d’Homère, attribuée à Hérodote, les extraits de l’Histoire de Perse et de l’Inde de Ctésias, et le traité de la malignité d’Hérodote : le tout accompagné de notes, Paris : C. Crapelet, an XI (1802), 9 vol. LE PELETIER DE SAINT-FARGEAU, Michel, Plan d’éducation nationale de Michel Le Peletier, présenté à la Convention nationale par Maximilien Robespierre au nom de la Commission d’instruction publique [le 13 juillet 1793], Paris : Impr. nationale, [1793]. LINGUET, Simon-Nicolas-Henri, Théorie des lois civiles ou principes fondamentaux de la société, London : s.éd., 1767, 2 vol. MABLY, Gabriel Bonnot de, Parallèle des Romains et des Français par rapport au gouvernement, La Haye : Van Duren, 1741, 2 vol. – Droit public de l’Europe fondé sur les traitez conclus jusqu’en l’année 1740 (1748). – Observations sur l’histoire de France, nouvelle édition, continuée jusqu’au règne de Louis XIV, précédée de l’E´loge historique de l’auteur par M. l’abbé Brizard, Kehl [i. e. Paris] : [Denis Volland], 1788. MACHIAVEL, Discours politiques de Machiavel sur la première décade de Tite-Live. Benjamin Constant a peut-être utilisé les Réflexions de Machiavel sur la première décade de Tite-Live, nouvelle traduction, précédée d’un discours préliminaire par M.D.M. M.D.R. (de Meng), Paris : Bachelier-Le Normant, 1806 (Première édition chez Alex Jombert jeune, Amsterdam, 1782). MACROBE, Saturnales – Saturnalia. MAJER, Friedrich, Allgemeines mythologisches Lexicon, aus Originalquellen bearbeitet, Weimar : Verlag des Landes-Industrie-Comptoirs, 1803– 1804, 2 vol.
Ouvrages cités par Constant
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MALTHUS, Thomas Robert, Essai sur le principe de la population, ou Exposé des effets passés et présens de l’action de cette cause sur le bonheur du genre humain, traduit de l’anglois par P. Prevost, Paris : J. J. Paschoud, 1809, 3 vol. MAUVILLON, Jacob, Physiokratische Briefe an den Herrn Professor Dohm und Erläuterungen der wahren staatswirtschaftlichen Gesetze, die unter dem Namen des Physiokratischen Systems bekannt sind, Braunschweig : Fürstl. Waisenhaus-Buchhandlung, 1780. ME´ ZARD, Pierre-François, Du principe conservateur, ou de la liberté considérée sous le rapport de la justice et du jury, par M. le Chevalier Mézard, Paris : Béchet aîné et Rouen : Béchet fils, 1820. MIRABEAU, Honoré-Gabriel Riqueti, comte de, De la monarchie prussienne sous Frédéric le Grand, avec un appendice contenant des recherches sur la situation actuelle des principales contrées de l’Allemagne, par le comte de Mirabeau, Londres [i. e. Paris] : [Lejay], 1788, 7 tomes en 8 vol. MIRABEAU, Victor Riqueti, marquis de, L’Ami des hommes, ou Traité de la population, nouvelle édition corrigée, Avignon [i. e. Paris] : Herissant, 1756–1758, 6 tomes en 5 vol. MONTESQUIEU, Charles-Louis de Secondat de, Lettres persanes (1721). – De l’esprit des lois (1748). MORELLET, André, Mémoire sur la situation actuelle de la Compagnie des Indes, par M. l’abbé Morellet, Paris : Desaint, 1769. NECKER, Jacques, Sur la législation et le commerce des grains, Paris : Pissot, 1776. – De l’administration des finances de la France, [Lausanne : J.-P. Heubach], 1784, 3 vol. PLINE LE JEUNE, Panégyrique de Trajan – Panegyricus Traiani. PLUTARQUE, Sur Isis et Osiris – De Iside et Osiride. POLIER, Antoine-Louis-Henri de et POLIER, Marie-E´lisabeth de, Mythologie des Indous, travaillée par M me la cha nesse de Polier, sur des manuscrits authentiques apportés de l’Inde, par feu M. le Colonel de Polier, Roudolstadt : librairie de la Cour et Paris : F. Schoell, 1809, 2 vol. ROUBAUD, Pierre-Joseph-André, Représentations aux magistrats contenant l’exposition raisonnée des faits relatifs à la liberté du commerce des grains et les résultats respectifs des réglements de la liberté, [Paris : Lacombe], 1769. SAY, Jean-Baptiste, Traité d’économie politique ou simple exposition de la manière dont se forment, distribuent et se consomment les richesses, Paris : Impr. de Crapelet, an XI (1803). SCHLEGEL, Friedrich, Ueber die Sprache und Weisheit der Indier. Ein Beitrag zur Begründung der Alterthumskunde, nebst metrischen Uebersetzungen indischer Gedichte, Heidelberg : Mohr und Zimmer, 1808.
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Instruments bibliographiques
SISMONDI, Jean-Charles-Léonard Simonde de, De la richesse commerciale, ou Principes d’économie politique, appliqués à la législation du commerce, par J. C. L. Simonde, Genève : J. J. Paschoud, an XI (1803), 2 vol. – Histoire des républiques italiennes du moyen âge, par J. C. L. Simonde de Sismondi, Paris : Treuttel & Würtz, 1818, 16 vol. – Nouveaux principes d’économie politique, ou De la richesse dans ses rapports avec la population, par J. C. L. Simonde de Sismondi, Paris : Delaunay, Treuttel & Würtz, 1819, 2 vol. – Histoire des Français, par J. C. L. Simonde de Sismondi, Paris : Treuttel & Würtz, 1821–1844, 31 vol. SMITH, Adam, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, traduction nouvelle avec des notes et observations par Germain Garnier, Paris : H. Agasse, an X (1802). STAE¨ L-HOLSTEIN, Anne-Louise-Germaine de, De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800). TACITE, La Germanie – De origine et situ Germanorum. TURGOT, Anne-Robert-Jacques, Réflexions sur la formation et la distribution des richesses (1766). – Lettres sur les grains, écrites à M. l’abbé Terray, contrôleur général, par M. Turgot, intendant de Limoges, s.l.n.d. [1788]. USTA´ RIZ, Gerónimo de, Théorie et pratique du commerce et de la marine, traduction libre sur l’espagnol de don Geronymo de Ustáriz, sur la seconde édition de ce livre à Madrid en 1742, Paris : Vve Estienne et Fils, 1753. VAUBAN, Sébastien Le Prestre, Projet d’une dixme royale, qui supprimant La Taille, Les Aydes, les Doüanes d’une Province à l’autre, les Décimes du Clergé, les Affaires extraordinaires ; & tous autres Impôts onereux & non volontaires : et diminuant le prix du Sel de moitié & plus, produiroit au Roy un Revenu certain et suffisant, sans frais ; & sans être à charge à l’un de ses Sujets plus qu’à l’autre, qui s’augmenteroit considerablement par le meilleure Culture des Terres, par Monsr. le Maréchal de Vauban, s.l. : s.éd., 1707. VOLTAIRE, Le Fanatisme ou Mahomet le prophète (1736). – Lettres chinoises, indiennes et tartares à Monsieur Pauw (1776). WILFORD, Francis, «On the Chronology of the Hindus», Asiatic Researches, t. V, 1807, pp. 241–295.
Index
Index des noms de personnes Cet index contient les noms des personnes re´elles ou fictives mentionne´es dans les textes et dans les notes, a` l’exclusion de ceux des critiques modernes, de Benjamin Constant et de Gaetano Filangieri. Les graphies ont e´te´ uniformise´es, en principe sous la forme franc¸aise la plus usite´e aujourd’hui. Les noms ne sont suivis de la profession ou de la fonction que lorsqu’il faut distinguer des homonymes ou pre´ciser une identification. L’absence de toute pre´cision signifie, soit que la personne est parfaitement connue, soit au contraire qu’elle n’a pu eˆtre identifie´e.
Acamapitzin, roi du Mexique pre´colombien 376 Ache´me´nides, dynastie des 206 Achille 361 Acton, sir Francis 97–98 Adams, John 116 Agamemnon 361, 369 Albert Ier, duc d’Autriche et roi germanique 390 Alexandre le Grand 123, 206, 266, 393, 443 Alfieri, Vittorio 429 Amphikleides 356 An-toku, empereur (dairi) japonais 377 Anga, pe`re de Vena, personnage de la mythologie hindou 371 Aniello, Thomas, surnomme´ Mazaniello 387 Arche´silas, philosophe athe´nien 391 Argenson, Marc-Rene´ de Voyer de Paulmy d’ 117, 332 Aristote 243, 351, 393, 416 Antonelle, Pierre-Antoine d’ 335 Argout, Antoine-Maurice-Apollinaire, comte d’ 195 Artaud, Nicolas-Louis-Marie 60 Atre´e, roi de Myce`ne 369 Audouin, Joseph 412 Auguste, empereur romain 208, 265–266 Baert-Duholant, Charles-Alexandre-Balthasar-Franc¸ois de Paule, baron de 272 Baillargau, accuse´ de faux te´moignage 332 Bailly, Jean-Sylvain 36 Balzac, Honore´ de 127 Bathurst, Charles 198 Beaumont, baron d’Adrets, Franc¸ois de 388 Beccaria, Cesare 27, 36, 63, 338 Bein, fils de Ruchnan, personnage de la mythologie hindou 371 Benoıˆt XIV, pape (Lambertini, Prospero Lorenzo) 425, 426–427
Bentham, Je´re´mie 108, 116, 272–273, 327 Benzenberg, Johann Friedrich 238–239 Berry, Charles Ferdinand d’Artois, duc de 13–14, 79, 99, 327, 419 Berton, Jean-Baptiste 332 Blackstone, William 178 Blanchard, Pierre-Louis 429 Bonald, Louis-Gabriel-Ambroise de 387, 431 Bonaparte voir Napole´on Ier Borrome´e, Charles 430 Bosset-De Luze, Abraham 47 Botta, Carlo, historien 429 Bourbon, Louis-Henri, duc de 172 Bougoin, accuse´ de faux te´moignage 332 Branchides, famille sacerdotale de Delphes 366 Broglie, Victor, duc de 88, 195, 198–200, 202–204 Broussais, Franc¸ois-Joseph-Victor 428 Buchez, Philippe-Joseph 68 Burke, Edmund 41 Buttaoni, Domenico, rapporteur de l’Inquisition romaine 429 Caffe´, Pierre, me´decin, Chevalier de la liberte´ 332 Calchas, devin home´rique 361, 369 Callisthe`ne, philosophe 266 Camille, homme d’E´tat romain 367 Carli, Gianrinaldo 30 Carne´ade 391–393 Castlereagh, Henry Robert Stewart, vicomte 50, 175 Catherine II, impe´ratrice de Russie 61 Caton l’ancien 392 Ce´crops, fondateur d’Athe`nes 151 Ce´sar, Jules 392 Chanacya, un Brahman 372 Chandragupta, roi indien 372
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Index des noms de personnes
Charles II, roi d’Angleterre et d’E´cosse 266 Charles III, roi d’Espagne 95 Charles-Quint 160–161, 172 Charles X, roi de France 24, 44, 101 Chaˆteaubriand, Franc¸ois Rene´ de 71, 266 Chatham voir Pitt, William Che´ops, roi d’E´gypte 372 Che´phren, roi d’E´gypte 372–373 Chevalier, Adolphe-Thierry-Franc¸ois 321 Chryse´is 369 Cice´ron 232 Cincinnatus 367 Clarkson, Thomas 204 Cobbett, William 187 Colbert, Jean-Baptiste 169, 266 Condorcet, Antoine Caritat, marquis de 36, 47, 71, 74, 115–116, 151–152, 219, 350, 353–355, 429 Condorcet, Sohie de 40 Consalvi, Ercole, cardinal 428, 430 Corneille, Pierre 218 Cre´pitus, dieu romain 364, 367 Critolau¨s de Phaselis 391 Cstuatriya, famille des 372 Cuchet, Pierre, e´diteur 47 Cuoco, Vincenzo, historien 37 Curiace, personnage d’Horace 218 Cybe`le 378 Cyne´as 123 Cyrus II roi de Perse 206 Damocle`s 331 Darius 206 Daubin, Bruno, capitaine du ne´grier l’Ange´lique 204 De Felice, Fortunato Bartolomeo 46 Delfico, Melchiorre 30 Demarc¸ay, Marie-Jean, baron 332 Denon, Dominique-Vivant 373 Dentu, capitaine d’un ne´grier 195 Denys, tyran de Syracuse 266 Diagoras de Melos, poe`te 366 Didot, Pierre aıˆne´. 421 Diodore Siculus 370, 372, 374–375 Dioge`ne Lae¨rce 356 Dioge`ne de Babylone 391 Dohm, Christian Wilhelm 115–116 Doria, Paolo Mattia 30 Dresch, Leonard von, historien 356 Dufart, Pierre, e´diteur 13, 19, 23–24, 38, 40, 47, 49, 59, 77, 90, 92–93, 421 Dupaty, Charles 47 Duvergier de Hauranne, Jean-Marie 332
Elisabeth Ire, reine d’Angleterre 173, 177– 178, 273 Ergame´ne`s, philosophe e´gyptien 375 Eschyle 206 Eumolpides, descendants du rhapsode Eumolpe 366 Faunus, dieu romain 367 Fe´nelon, Franc¸ois de Salignac de la Mothe 266 Ferdinand IV, roi de Naples, sous le nom de Ferdinand Ier, roi des Deux Siciles 95, 97, 99, 101 Ferdinand VII, roi d’Espagne 44, 52, 167, 282 Ferrant, J., armateur 195 Fide Jos, ge´ne´ral japonais 377 Filangieri, Antonio, fre`re de Gaetano Filangieri 46 Filangieri, Carlo, fils de Gaetano Filangieri 47 Filangieri, Roberto, fils de Gaetano Filangieri 47 Fouquier-Tinville, Antoine-Quentin 335 Fourcroy, Antoine-Franc¸ois de 72 Fox, Charles James 175, 194 Foy, Se´bastien-Maximilien, comte 332 Franklin, Benjamin 116 Fre´de´ric II, roi de Prusse 61, 124 Fre´de´ric-Guillaume III, roi de Prusse 238 Gach, Jean-Joseph 335 Galanti, Giuseppe Maria, philosophe napolitain 62 Galiani, Ferdinando 40, 63, 155, 253 Gall, Franz Joseph 216 Gallois, Jean-Antoine 38, 46–48, 79, 108, 313, 405 Ganilh, Charles 274, 288, 294, 297 Garnier, Germain 275 Genga, Annibale della voir Le´on XII Genovesi, Antonio, philosophe napolitain 30–33, 39, 43–45, 62, 95 Gessler, Hermann 390 Ginguene´, Pierre-Louis 40, 48 Godwin, William 210, 219, 395 Gorani, Giuseppe, homme de lettres milanais 36 Gourlin, Pierre-Se´bastien 429 Gournay, Vincent de 117 Gravina, Gianvincenzo, jurisconsulte napolitain 57 Gre´goire, Henri 429 Gre´goire XVI, pape (Spondrati, Niccolo) 425, 427
Index des noms de personnes Grimm, Melchior 61 Guillie´, Se´bastien 199–200 Guizot, Franc¸ois 40, 340, 425, 428 Hansard, Thomas Curson 194 Hardenberg, Karl August von 238–239 Helve´tius, Claude-Adrien 350 Herman (ou Hermann), Armand-Martial-Joseph 335 He´rodote 206, 368, 373–375 He´siode 365–366 Hillerin, Antoine de 37 Home`re 361–362, 365 Hüttner, Johann Christian 372 Humboldt, Wilhelm von 72 Hume, David 111, 296–297, 429 Hyde, Thomas 207 Jean V, roi du Portugal 384, 434 Jefferson, Thomas 116 Je´roˆme, saint 77, 221 Jesus Christ 408 Jones, William 372 Joseph Ier, roi du Portugal 434 Joseph II, empereur germanique 61–62, 121, 137, 343 Joseph Bonaparte, roi de Naples, puis roi d’Espagne 98–99 Julien l’apostat 381 Jullien, Marc-Antoine 60 Jupiter 366–367 Kant, Immanuel 34, 112, 122, 312, 429 Ke´ratry, Auguste-Hilarion, comte de 332 Konjei, empereur (dairi) japonais 377 Koreff, David Ferdinand 238–239 Lactance 367 La Fayette, Marie-Joseph, marquis de 332 La Fisse, Claude 46 Laffitte, Jacques 332 La Harpe, Jean-Franc¸ois 75 Lambertini, Prospero Lorenzo voir Benoıˆt XIV
Lamennais, Fe´licite´ de 431 Larcher, Pierre-Henri 373–374 Law, John 428 Le Chapelier, Isaac-Rene´-Guy 71 Le Denter, capitaine d’un ne´grier 195 Leibniz, Gottfried Wilhelm 151 Leiode`s, preˆtre 369 Le´on XII, pape (Genga, Annibale della) 430– 432
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Le´on XIII, pape (Vicenzo, Giocchino, comte Pecci) 427 Le Pel(l)etier de Saint-Fargeau, Michel 72, 354 Linguet, Simon-Nicolas-Henri 250 Littleton, Edward John 187 Liverpool, Robert Banks Jenkinson, comte de 198 Louis XIV, roi de France 69, 169–172, 265– 266 Louis XV, roi de France 172, 254 Louis XVI, roi de France 167, 172, 254 Louis XVIII, roi de France 101 Louis-Philippe, roi des Franc¸ais 195 Lycurgue 354, 383 Mably, Gabriel Bonnot de 45, 56, 133–134, 136, 212 Machiavel, Niccolo Machiavelli, dit 30, 313– 314 Macrobe 375 Mahomet 151, 385, 408 Maintenon, Franc¸oise d’Aubigne´, marquise de 171–172 Maistre, Joseph de 431 Majer, Friedrich 372, 376 Malesherbes, Chre´tien-Guillaume de Lamoignon de 315 Malthus, Thomas Robert 67–68, 210, 215– 217, 219–220, 222–223, 228 Mangin, Jean-Marie-Claude 332 Mani voir Me´ne`s Marie-Caroline d’Autriche, reine de Naples 95, 97 Marie-The´re`se d’Autriche, impe´ratrice d’Autriche 95 Maupeou, Rene´-Nicolas de 254 Mauvillon, Jacob 76, 116 Mazaniello voir Aniello Me´ne`s, premier roi d’E´gypte 374 Merlin, Philippe-Antoine 145 Me´zard, Pierre-Franc¸ois 153 Me´zence, roi des E´trusques 375 Michaelis, Johann David 312, 429 Michaud, Louis-Gabriel 40 Milton, John 266 Mirabeau, Victor Riqueti de 36, 115–117, 147–148, 154, 205, 223, 315 Montesquieu, Charles de Secondat, baron de 26, 36–37, 45, 47–48, 57, 59, 66–67, 105– 106, 108, 159, 161, 205, 212, 268, 326, 351, 359, 394, 440 Morellet, Andre´ 258, 278–279, 337
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Index des noms de personnes
Murat, Joachim, roi de Naples 40 Muratori, Ludovico Antonio, historien de Modena 30 Nanda, roi de l’Inde 372 Napole´on Ier 47, 98–99, 160, 166, 168, 182, 186, 193, 266, 274, 333 Necker, Jacques 250, 253, 293, 296, 315 Newton, Isaac 63, 145 Numa Pompilius, roi de Rome 151, 377 Orgie, Duval, avocat 46 Ostervald, Fre´de´ric Samuel 47 Ovide 266 Pagano, Franceso Mario, jurisconsulte napolitain 32, 37, 39, 62 Page`s, Jean-Pierre 60 Paine, ou Payne, Thomas 116 Palmieri, Nicolo, historien et e´conomiste sicilien 62 Paoli, Pasquale, re´volutionnaire corse 41 Parasurama ou Para Surama, personnage de la mythologie hindou 370 Pascal, Blaise 266 Pasquier, Etienne-Denis 50–51 Pastoret, Claude 47 Pauw, Cornelius de 352, 356 Payne voir Paine Peckard, Peter 204 Pe´ne´lope 369 Percutius, dieu romain 367 Perfica, de´esse romaine 367 Pertunda, de´esse romaine 367 Peyssonnel, Charles de 71 Philippe Auguste, roi de France 393 Philippe II, roi d’Espagne 160–161 Philippe II, roi de Macedoine 123 Philippe-le-Bel 393 Philon 356 Piccadori, Giovanni Battista, rapporteur de l’Inquisition 429, 432, 434 Pierre Ier, le Grand, empereur de Russie 61, 137 Pio, Luigi, secre´taire d’ambassade napolitain a` Paris 46 Pitt, William, lord Chatham 175–176, 194 Platon 112, 266, 351, 391 Pline l’ancien 367 Pline le jeune 213 Plutarque 374 Polidori, Paolo, rapporteur de l’Inquisition 428–429
Polier de Bottens, Antoine 371 Pombal, Sebastiao Jose´ de Carvalho e Melo, marquis de 61–62, 137, 384, 434 Porphyre, philosophe 368 Pradt, abbe´ Dominique de 429 Pradyota, roi de Magadha 372 Prema, de´esse romaine 367 Prie, Jeanne-Agne`s Berthelot de Ple´neuf, marquise de 172 Prie, marquis de 172 Prodicus de Che´os, sophiste 366 Prı˘thu, personnage de la mythologie hindou 371 Psamme´ticus, fondateur de la XVIe dynastie e´gytienne 373–374 Ptole´me´e 375 Pufendorf, Samuel 57, 143 Pyrrhus 123 Quesnay, Franc¸ois 61, 65, 148 Racine, Jean 266 Rama, dieu hindou 372 Regnault, Wilfrid 331 Ricchini, Tommaso Agostino, secre´taire de la Congre´gation de l’Index 426 Richelieu, Armand Emmanuel de 50, 51, 79, 170, 266 Rioust, Mathieu-Noe¨l 321 Robespierre, Maximilien 72 Rocafuerte, Vicente, homme politique e´quatorien 45 Romagnosi, Gian Domenico (ou Giandomenico), jurisconsulte italien 429 Rothschild, Carl Mayer 101 Roubaud, Pierre-Joseph-Andre´ 258 Rousseau, Jean-Jacques 56–57, 72, 143, 295, 351, 359 Royer-Collard, Pierre-Paul 73 Ruchnan, roi hindou 371 Russo, Vincenzo 37 Salfi, Francesco Saverio 23, 31, 38–40, 49, 55–56, 59–60, 93, 421 Sanguines, Olympe 200 Saturne 416 Say, Jean-Baptiste 62, 64, 210, 216, 243, 251, 261, 274, 278, 285, 295–296 Schlegel, Friedrich 371–372 Schleiermacher, Friedrich 358 Scipion 443 Se´ide, personnage de la pie`ce de Voltaire, Le Fanatisme ou Mahomet le prophe`te 385
Index des noms de personnes Se´thos, preˆtre du dieu e´gytien Phtas 373–374 Sismondi, Jean-Charles-Le´onard Simonde dit de 40, 62, 67, 223–224, 242, 271 Smith, Adam 74, 106, 108, 173, 178, 191– 192, 232, 242, 256, 258, 261, 273, 275, 279, 288, 353–354 Socrate 366, 378 Solon 383 Sophocle 356 Stae¨l, Albertine de 195 Stae¨l, Auguste de 195 Stae¨l, Germaine de 47, 52, 62, 195, 202, 216, 253, 266, 335 Stendhal, Marie-Henri Beyle, dit 127 Stercutius, dieu romain 364, 367 Stylite, Sime´on 221 Tacite 212 Talleyrand, Charles-Maurice de 71 Tanucci, Bernardo, homme politique napolitain 95, 97 Tarquins, dynastie des 377 Tasse, Torquato Tasso, dit le 266 Tavannes, Gaspard de Saulx, seigneur de 387–388 Technaktis ou Tefnachte 374 Tell, Guillaume 390 Terray, Joseph-Marie, abbe´ 254, 256 The´ophraste 356 Thiers, Louis-Adolphe 428 Tite-Live 313 Tommasi, Donato Antonio, marchese di Casalicchio, jurisconsulte et homme politique napolitain 48
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Tudor, famille des 177 Turgot, Anne-Robert-Jacques 115–117, 192, 254, 256, 315 Tyler, Wat 387 Ulysse 369 Uranus 415 Ustariz, Geronymo de 288, 292 Vauban, Se´bastien Le Prestre de 295 Vena, un Brahman 371 Verri, Pietro 30, 56 Vico, Jean-Baptiste 48 Vieusseux, Gian Pietro 40, 46, 77 Ville`le, Joseph, comte de 51, 327 Villers, Charles de 301 Vinde´, Charles-Gilbert-Terray Morel de 68 Virgile 375 Vichnou ou Vishnu, dieu hindou 371 Voltaire, Franc¸ois-Marie Arouet, dit 151, 212, 359 Vulcain 373 Walpole, Robert 161 Wat-Tyler, chef de paysans re´volte´s de Londres 387 Wellington, Arthur Wellesley, duc de 168 Wilberforce, William 192, 198, 202–203 Wilford, Francis 371 Winnington, Thomas Edward 185 Wolf, August 151, 216 Xe´nophon 206, 351 Xerxe`s Ier, roi de Perse 206
7a.
Le folio 1 du chapitre 3 de la Première Partie du Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Le folio est reconstitué à partir de quatre fragPHQWVGXPDQXVFULWVXU¿FKHV&RG¶XQ/LYUHIVÄ'XSUpWHQGX7KpLVPHGHVSHXSOHVVRXPLVDX[SUrWUHV³GHO¶RXYUDJHVXUODUHOLJLRQ 2QUHFRQQDvWXQHDQFLHQQHQXPpURWDWLRQGXIROLRXQHFRUUHFWLRQELIIpHHWOHVWUDFHVG¶XQSDSLOORQFROOpHQKDXWVXUODFRORQQHGHJDXFKH %LEOLRWKqTXH&DQWRQDOHHW8QLYHUVLWDLUH/DXVDQQH&RIosYoYoYoHWYo.
E /HYHUVRGXIROLRGXFKDSLWUHGHOD3UHPLqUH3DUWLHGXCommentaire sur l’ouvrage de Filangieri. La page du manuscrit était EODQFKH%HQMDPLQ&RQVWDQWO¶DGpFRXSpHSRXUHQIDLUHGHV¿FKHV&HOOHVFLRQWpWpXWLOLVpHVSRXUODUpGDFWLRQGXWH[WHVXUODUHOLJLRQ %LEOLRWKqTXH&DQWRQDOHHW8QLYHUVLWDLUH/DXVDQQH&RIosUoUoUoHWUo.