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French Pages 407 [408] Year 2018
Agnès Lorrain Le Commentaire de Théodoret de Cyr sur l’Épître aux Romains
Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften
Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur (TU) Archiv für die Ausgabe der Griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte Begründet von O. von Gebhardt und A. von Harnack Herausgegeben von Christoph Markschies
Band 179
Agnès Lorrain
Le Commentaire de Théodoret de Cyr sur l’Épître aux Romains Études philologiques et historiques
Herausgegeben durch die Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften von Christoph Markschies
ISBN 978-3-11-053788-8 e-ISBN (PDF) 978-3-11-054065-9 e-ISBN (EPUB) 978-3-11-054001-7 ISSN 0082-3589 Library of Congress Control Number: 2018941737 Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http://dnb.dnb.de abrufbar. © 2018 Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston Druck und Bindung: CPI books GmbH, Leck www.degruyter.com
À mes parents
Avant-propos Commenter un commentaire : exercice étrange et hardi auquel je me serais d’abord volontiers dérobée, n’était le devoir doctoral. J’en ai finalement saisi l’intérêt et la nécessité, emportée par les petites trouvailles et les grands embarras liés à l’édition et à la traduction du commentaire de Théodoret. C’est en effet dans la familiarité avec la chair même de l’œuvre que les réflexions proposées ici ont trouvé leur origine. J’espère qu’en accompagnant l’édition critique et la traduction française, qui seront publiées respectivement dans la collection des Griechischen Christlichen Schriftsteller et dans celle des Sources Chrétiennes, elles en faciliteront l’accès et susciteront des recherches ultérieures. Le présent ouvrage est une version retravaillée des études menées dans le cadre d’une thèse d’Études grecques soutenue en décembre 2015 à l’Université de ParisSorbonne. Qu’il me soit permis de remercier vivement mon directeur de thèse, Olivier Munnich, pour ses conseils précieux, ses relectures minutieuses, et ses encouragements tout au long de ce travail. Ma reconnaissance est très grande à l’égard des membres du jury pour leurs remarques et suggestions très stimulantes, dont j’ai tenu compte autant que possible. Chacun d’eux m’a également aidée à des titres divers : Marie-Odile Boulnois en ayant toujours une excellente question pour lancer la recherche, Volker Drecoll en m’accueillant dans son équipe à Tübingen et en accompagnant mes premiers pas dans l’édition de textes, Jean-Noël Guinot en me faisant profiter de sa science sur Théodoret, Martin Wallraff en m’accueillant au sein du projet ERC ParaTexBib à Bâle, puis à Munich, et en me proposant de publier dans les séries Texte und Untersuchungen et Griechische Christliche Schriftsteller. Ce volume voudrait aussi être un hommage aux maîtres qui m’ont formée. Je nommerai ici quelques-uns de ceux qui m’ont fait profiter de leur science pendant ces années, à l’occasion de cours ou de rencontres personnelles : Patrick Andrist, Christian Förstel, Timothy Janz, Brigitte Mondrain, Ekkehard Mühlenberg, Lorenzo Perrone, Christophe Rico, Antonio Rigo, auxquels il faudrait ajouter les membres de la Section grecque de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes à Paris et ceux de l’Institut für neutestamentliche Textforschung à Münster. Plusieurs personnes ont eu la patience de relire des parties de ce livre, des premières ébauches aux épreuves finales. Qu’ils soient chaleureusement remerciés. Ce furent d’abord des professeurs de l’École biblique et archéologique de Jérusalem, le regretté P. Jerome Murphy-O’Connor, ainsi que les PP. Gregory Tatum et OlivierThomas Venard, puis des amis et collègues, l’Abbé Erwan Barraud, Ingrid Bergasa, Matthieu Cassin, Hélène Grelier-Deneux et Marie-Ève Geiger. Sans énumérer les lieux qui m’ont accueillie, c’est un plaisir de citer ceux qui ont été un véritable lieu de vie, la bibliothèque des Dominicains de l’École biblique et archéologique de Jérusalem, le Theologicum de Tübingen, l’Université de Bâle puis celle de Munich. Je sais aussi quel privilège représente l’accès au Patriarcat orthohttps://doi.org/10.1515/9783110540659-001
VIII
Avant-propos
doxe de Jérusalem : mes remerciements vont à son bibliothécaire, Mgr. Aristarchos, ainsi qu’à l’Abbé Émile Puech. Je suis reconnaissante envers les institutions grâce auxquelles j’ai bénéficié d’aides financières, le Deutscher Akademischer Austauschdienst (séjour de dix mois à Tübingen), l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (séjour de huit mois à Jérusalem), l’École française de Rome (séjour d’un mois à Rome et Venise), ainsi que l’équipe « Antiquité classique et tardive » du laboratoire de l’UMR Orient et Méditerranée et mon école doctorale. Je pense enfin avec gratitude aux parents et amis qui m’ont aidée et soutenue pendant cette période très riche, particulièrement les collègues de ParaTexBib, sans oublier le chef de cordée, Patrick Andrist, toujours prêt à m’aider et à accepter des aménagements horaires, et avec une mention spéciale pour Saskia Dirkse, si disponible et attentionnée toutes ces dernières années. Munich, le 31 mai 2018
Agnès Lorrain
Table des matières VII
Avant-propos Introduction
1
Conventions et notations
5
Chapitre premier : De l’explication littérale à l’interprétation 7 7 . Introduction . L’In Romanos dans son contexte 9 9 Éléments biographiques .. .. Place de l’œuvre dans la tradition exégétique 9 .. Datation de l’œuvre 11 12 .. Genre de l’œuvre . Un dialogue entre le commentaire et le texte biblique 17 Les outils de l’explication littérale . 21 . Une paraphrase interprétative .. La construction d’une cohérence 21 23 Un discours développé en filigrane .. ... Exemple 1 : discours sur la piété et la vertu 23 Exemple 2 : discours sur les passions 24 ... 26 ... Exemple 3 : discours sur la grâce . Synthèse 29 Chapitre 2 : La langue de Théodoret 30 . 30 Introduction . Mots et expressions hérités d’autres auteurs .. Influence chrysostomienne 33 ... Ἄγγελοι : τῶν ἀγγέλων ὁ δῆμος 33 ... Αἰτιολογικός αvec ἔκβασις 34 ... ᾿Aποστολικὴ σκηνή 34 ... Ἄφατος φιλανθρωπία 35 Εὔκομος : εὔκομα λήϊα 35 ... ... Mυστικὴ εὐχή 35 ... Παρακνίζειν 36 .. Autres influences 36 ... ᾿Aποκυεῖν θάνατον 36 ... ᾿Aχλὺς τῆς ἀπιστίας 37 ... Δυσκατόρθωτος 37 ... Ἐπισυλλογίζεσθαι 38 ... Τύπος θανάτου (βάπτισμα) 38
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X
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Table des matières
Le lexique de Théodoret 39 39 Préférences lexicales de Théodoret 39 ᾿Aνθρώπειος vs ἀνθρώπινος ᾿Aτημέλητος 39 Δειδίσσεσθαι 40 Μειρακύλλιον 40 Παρεξετάζειν vs συνεξετάζειν 40 Πολυθρύλητος vs περιθρύλητος 41 Προπάτωρ vs πρωτόπλαστος 41 Στέριφος vs στεῖρος 42 Autres mots relativement fréquents chez Théodoret 42 43 Emplois particuliers de certains mots chez Théodoret ᾿Aντιβολεῖν 43 Διεξέρχεσθαι, διέρχεσθαι 43 44 Κολοφών Expressions propres à Théodoret ou rares par ailleurs 45 Formules caractéristiques de l’exégèse de Théodoret 45 ᾿Aνάγραπτα ποιεῖν 45 45 Ἑξῆς : Τοῦτο γὰρ διὰ τῶν ἑξῆς δεδήλωκε, ἐδίδαξε Μεταφέρειν : τὴν προφητείαν μεταφέρειν 46 Συμφωνεῖν : συμφωνεῖ καὶ τὰ ἐπαγόμενα 47 48 Συνεχής : (᾿Aλλ’) ἐπὶ τὰ συνεχῆ τῆς ἑρμηνείας βαδίσωμεν Συντομία : συντομίας φροντίζειν 48 Τύπος : τύπον πληροῦν 49 49 Ὑφορμεῖν : τὸ ὑφορμοῦν λύειν Autres mots et formules caractéristiques de Théodoret 50 50 Αἴγλη τοῦ νοεροῦ φωτός ᾿Aκτὶς τοῦ νοεροῦ φωτός 51 ᾿Aξιέραστος καρπός 52 53 Ἐκπαιδεύειν ἀλήθειαν Ἔρις καὶ διαμάχη 53 Θεῖος Παῦλος βοᾷ 54 Θεός : σὺν θεῷ φάναι 55 Καταθέλγειν : δελεάζειν… καταθέλγειν 56 56 Κομᾶν : πλούτῳ κομῶν, πενίᾳ συζῶν Πάνυ : Ἠλίας ὁ πάνυ 57 57 Ταινιοῦν εὐφημίαις 58 Φιλοστοργίαν γυμνοῦν Φιλοτιμία : ἡ τῆς χάριτος φιλοτιμία 59 59 Φωστῆρες : οἱ τῆς οἰκουμένης φωστῆρες Formules exprimant un aspect de la doctrine 62 Formules touchant la doctrine sur Dieu, la Trinité, le Christ 62 ᾿Aμύητος : ἁμαρτίας ἀμύητος 62
XI
Table des matières
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... ... ... ... ...
... .
Ἰσότης : πατρὸς καὶ υἱοῦ ἡ ἰσότης, ἰσότης τῆς τριάδος 63 Προμηθεῖσθαι : προμηθούμενος διατελεῖν, ὠφελείας προμηθεῖσθαι 64 Formules concernant l’anthropologie 67 ᾿Aναγκαῖος : τὰ ἀναγκαῖα τοῦ νόμου 67 Γυμνασία τοῦ λογικοῦ 68 69 Διάγνωσις / διάκρισις τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων Nuance entre διάγνωσις et διάκρισις 71 71 Définition de διάγνωσις / διάκρισις au sens moral L’objet du discernement 73 74 Ἐντολή et ἡ περὶ τῶν δένδρων ἐντολή 75 Ὅρος : ὅρος τοῦ θανάτου, θεῖος ὅρος, ὅρος τοῦ δικαίου Περιττός : τὰ περιττὰ τοῦ νόμου 80 Σκοπός : ὁ τοῦ νόμου σκοπός 81 83 Συνειδός : μαρτυρία τοῦ συνειδότος Συνειδός, συνείδησις : les termes employés 84 Caractéristiques de la conscience d’après Théodoret 85 Φύσις : νόμος τῆς φύσεως, φυσικὸς νόμος 88 90 Synthèse
Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli 92 92 . Introduction . L’ouverture du Prologue 95 Justification de l’entreprise 95 .. 95 ... Une mise en scène apologétique L’accusation 96 97 La défense ... Le recours aux exempla 98 L’exemple d’Eldad et Modad 100 102 L’exemple de Samuel L’exemple d’Élie 104 ... L’appel à la grâce divine 105 .. Rappel des intentions exégétiques 108 ... Le texte biblique 108 111 ... Le lecteur ... Le commentateur 113 114 .. Conclusion 116 . Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres .. État de la question à l’époque de Théodoret 117 ... La chronologie des épîtres pauliniennes selon Origène ... La chronologie des épîtres pauliniennes selon Jean Chrysostome 118 ... Les manuscrits du corpus paulinien 121
118
XII
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Table des matières
Un exposé fidèle à la tradition 123 Postulats et enjeux 123 125 Méthode Un exposé systématique mais non dogmatique 127 Une approche systématique et rigoureuse 127 Des affirmations prudentes 129 L’argumentation 131 Les arguments simples à partir du lieu 135 135 Les cas plus complexes Arguments enchevêtrés 136 137 Des arguments moins probants 137 Arguments elliptiques Cas non justifiés 138 Les Arguments, prolongements de la réflexion du 140 Prologue Synthèse 141
Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome 143 143 Introduction . . Jean Chrysostome, source de Théodoret 149 .. Les grandes lignes de l’interprétation 149 150 ... Résumé comparatif des deux œuvres ... Exégèse morale 153 156 ... Antijudaïsme 158 .. Ressemblances et différences de détail ... Ressemblances portant sur l’explication d’un verset 159 161 ... Échos à distance ... Opposition 164 .. Une méthode semblable, des applications différentes 167 167 ... Les remarques d’ordre linguistique ... Les remarques d’ordre rhétorique 169 ... L’attention aux divisions du texte 169 .. Conclusion 172 . Théodoret et l’art de la réécriture 174 174 .. Réduction .. Substitution 180 182 .. Transposition 186 .. Amplification ... Réduction ou amplification : l’absence de règle 186 187 ... Clarification du propos ... Jean Chrysostome continué 189
Table des matières
.. .. . .. ... ... ... .. ... ... ... .. .
Un exemple : la réécriture du commentaire de Romains 6, 12 193 196 Conclusion Formes de l’autonomie 198 Construire une autre ligne interprétative : le commentaire de Romains 14 198 199 Une dépendance évidente Une différence d’accent essentielle 200 Jean Chrysostome, révélateur de l’interprétation de 203 Théodoret Quitter Chrysostome pour Chrysostome : l’interprétation de Ro208 mains 1, 18-2,16 Le choix d’une source hors de la série sur Romains 208 Caractéristiques de la réécriture 210 Le texte chrysostomien, point de départ de la réflexion de Théodoret 212 Conslusion 214 Synthèse 215
Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos 217 . Introduction 217 219 . Préliminaire : l’Argument sur Romains .. Le plan de l’Argument 219 221 .. Les dimensions polémiques de l’Argument 223 .. Conclusion . Le discours sur les Juifs 225 Propos sur les Juifs dans l’In Romanos 228 .. ... Désignations utilisées et adresse aux Juifs 228 ... Des griefs traditionnels 229 230 ... L’héritage exégétique .. Le rapport entre Paul et les Juifs selon Théodoret 234 .. L’interprétation de Romains et la vision du judaïsme 236 ... Le réquisitoire contre les Juifs et le discours sur la Loi 237 ... La promesse à Abraham et l’histoire du salut 238 243 .. Conclusion . « Marcion, Valentin et les manichéens » 245 248 .. La mise en scène de la polémique antimarcionite 251 .. Les thèmes de la polémique antimarcionite ... Unicité et bonté du Dieu Créateur et Sauveur 252 257 ... Apologie de la Loi ... Incarnation et continuité du dessein de Dieu 258 ... Vie sous la grâce 260 .. La polémique antimarcionite et l’exégèse de Romains 261
XIII
XIV
... ...
.. .. . .. ... ... ...
.. ...
...
.. ... ... .. . Conclusion
Table des matières
Quelques versets utilisés contre Marcion par Origène et par Théodoret 261 L’antimarcionisme, un élément structurant du commentaire 263 L’interprétation de Romains 1, 18-2, 16 264 L’interprétation de Romains 7, 4-13 264 268 Appendice : une polémique contre les manichéens ? Conclusion 270 Échos des controverses trinitaires et christologiques 273 Un témoignage sur les controverses trinitaires 277 Divinité du Fils 277 280 Égalité du Père et du Fils Égalité de la Trinité 282 282 L’interprétation de Romains 1,1 284 L’interprétation de Romains 8, 9 Échos des controverses christologiques 286 Union des natures et répartition des vocables 286 L’interprétation de Romains 3, 25 287 288 L’interprétation de Romains 8, 32 L’interprétation de Romains 8, 29 291 Impassibilité divine 296 296 L’interprétation de Romains 6, 4 et 4, 24 L’interprétation de Romains 5, 10 298 Un témoignage sur l’évolution des arguments 301 scripturaires L’interprétation de Romains 8, 34 301 303 L’interprétation de Romains 1, 3-4 Conclusion 308 Synthèse 311 314
Bibliographie Abréviations utilisées
323
325 Ouvrages cités Auteurs et textes anciens 325 335 Instruments de travail Études 335
XV
Table des matières
Indices Liste des associations sémantiques remarquables Index des mots et des associations sémantiques Index des personnages bibliques
349 351
358
Concordance entre la nouvelle édition, la PG et le texte de Romains Index des citations bibliques
363
Index des citations de Théodoret Index des citations d’auteurs anciens
370 384
Liste des manuscrits et des éditions de l’In epistulas Pauli Index des manuscrits
392
391
359
Introduction L’Interpretatio in XIV epistulas s. Pauli de Théodoret de Cyr, seul commentaire grec antique des épîtres de Paul qui nous soit transmis intégralement en langue originale, n’a guère retenu l’attention de la recherche récente. Pourtant, l’exégète, historien et théologien syrien du ve siècle a été l’objet d’un intérêt nouveau dans les dernières décennies. Outre diverses monographies, parmi lesquelles on mentionnera seulement l’étude majeure de J.-N. Guinot sur son exégèse, plusieurs éditions critiques, représentatives d’une œuvre très variée, sont maintenant disponibles – ou en cours de publication, comme l’Haereticarum fabularum compendium, édité par S. P. Bergjan et B. Gleede. Par ailleurs, les études modernes sur l’exégèse biblique des Pères grecs ne manquent pas. Toutefois, de même que la tradition chrétienne des commentaires vétérotestamentaires est plus abondante que celle des commentaires de Paul, le sens des épîtres semblant aller de soi, de même, jusqu’à présent, les recherches sur l’exégèse patristique se sont principalement intéressées à l’Ancien Testament, autour des questions de l’attention à la lettre et au contexte historique, du recours à l’allégorie, de l’interprétation messianique et christologique, et ont moins étudié les commentaires de l’Apôtre. Ainsi, les travaux relatifs à l’interprétation de l’évêque de Cyr sur les épîtres (ou tenant compte de ce corpus) ont surtout souligné les points communs avec son exégèse vétérotestamentaire ou bien examiné les positions doctrinales qui s’y expriment. Nous avons donc entrepris d’étudier le commentaire de Théodoret sur les épîtres pauliniennes afin de mieux appréhender la singularité de sa démarche à l’égard de ce corpus néotestamentaire. L’enquête est centrée sur la partie initiale de l’In epistulas Pauli, qui est à la fois essentielle et représentative de l’ensemble : d’une part le Prologue de toutes les épîtres, d’autre part le commentaire de l’Épître aux Romains, lui-même composé d’un Argument et d’une explication linéaire. En nous familiarisant avec cette œuvre, nous avons mieux compris pourquoi le type d’exégèse dont elle témoigne n’avait pas vraiment été étudié pour lui-même. Que constater de plus, en effet, que la précision des remarques littérales et l’attention au mouvement de l’épître ? Il faut l’avouer, le texte, dominé par la paraphrase, est à la fois morcelé et assez glissant, si bien qu’on a du mal à en dégager une idée directrice et à y discerner une autre pensée que celle de l’épître commentée. Progressivement, à la faveur des questions textuelles et des difficultés de traduction, notre curiosité pour les mots et pour les associations sémantiques du texte nous a cependant permis de découvrir des fils conducteurs. Nous avons été frappée par un certain paradoxe entre, d’une part, le style sobre, voire aride, semblable parfois à celui de scholies marginales, et, d’autre part, des tournures remarquables et des répétitions significatives tissant de véritables réseaux de cohérence. D’autres éléments apparaissaient aussi en relief au sein de la paraphrase : des réflexions polémiques à caractère parfois digressif. On sait l’importance des débats christologiques dans l’activité et l’œuvre de Théodoret. Ses affirmations théologiques aussi bien que sa terminologie ont été largement https://doi.org/10.1515/9783110540659-002
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Introduction
étudiées, sur la base de ses ouvrages proprement doctrinaux comme de ses commentaires. Toutefois, la nature de ces recherches transversales ne permettait guère une prise en compte de la situation de chaque extrait dans l’œuvre dont il provient. La tâche nous revenait donc de considérer l’aspect théologique sans le séparer de l’interrogation sur la démarche exégétique, mais au contraire en essayant de mieux saisir l’articulation entre préoccupations doctrinales et interprétation de l’Écriture, nous demandant notamment à quelles occasions les digressions intervenaient. Cette question de l’articulation entre exégèse et polémique, mais aussi, plus largement, celle de la méthode exégétique, nous ont conduite à prendre très au sérieux l’interrogation sur les sources, qui se trouve finalement au cœur de notre réflexion. Une telle approche est à la fois risquée et absolument indispensable. En effet, de la part d’un auteur du ve siècle, situé à la charnière entre ce qu’on a appelé l’« âge d’or de la patristique » et une période où la production exégétique consiste essentiellement à recueillir l’enseignement des Pères, on peut s’attendre à ce que les idées apparemment les plus remarquables ne soient pour ainsi dire que des emprunts, même si l’apport de l’évêque de Cyr n’est plus à démontrer. En réalité, on ne peut comprendre cet auteur sans s’intéresser à la tradition dont il hérite et dont il fait grand cas, ou, plus précisément, sans analyser les rapports complexes qu’il entretient avec celle-ci. C’est vraiment grâce à cette confrontation que nous avons perçu peu à peu les richesses de l’In Romanos. L’étude des sources est un travail délicat. D’abord, parmi les principales œuvres utilisées directement par Théodoret, certaines sont aujourd’hui perdues, si bien qu’il représente parfois le seul témoin restant d’une tradition par ailleurs disparue ; ou bien, à l’inverse, il n’a eu qu’un accès indirect aux textes actuellement conservés. Ensuite, dans l’exégèse de l’évêque de Cyr, les emprunts ne prennent jamais la forme de citations, on trouve même rarement des formulations semblables à celles d’autres œuvres transmises jusqu’à ce jour. Enfin, s’agissant d’un commentaire biblique, bien des ressemblances s’expliquent simplement par le texte commun interprété et par le recours aux mêmes outils exégétiques, surtout si la démarche essentielle consiste en explications de termes et paraphrase. Par conséquent, nous entendons le mot « source » dans un sens très large, en évitant le plus possible de parler véritablement d’« emprunt », c’est-à-dire de l’utilisation directe par l’auteur d’un texte connu de lui. Dans bien des cas, lorsque nous trouvons une interprétation semblable à celle de Théodoret dans une œuvre antérieure, nous pouvons tout au plus affirmer l’existence d’une tradition avant lui et supposer qu’il a pu avoir connaissance de celle-ci, soit par l’attestation que nous avons découverte, soit par une autre œuvre désormais perdue. Parmi les sources de l’exégèse de Romains, nous avons dû faire des choix. Plutôt que de viser l’exhaustivité, nous avons privilégié la variété des approches et avons engagé trois types d’enquêtes différents, en espérant qu’elles pourront servir d’exemple à des investigations ultérieures. La première enquête consiste à examiner le rapport entre l’œuvre étudiée et une de ses principales sources. Nous avons choisi Jean Chrysostome, qui tient naturellement une place prépondérante, puisque Théodoret a eu directement accès à ses œuvres. Comme les homélies de l’évêque de
Introduction
3
Constantinople sur Romains sont entièrement conservées, nous avons pu mener une comparaison systématique entre les deux œuvres. Nous avons renoncé, dans le cadre de cette étude, à faire le même travail avec les œuvres d’Origène ou de Théodore de Mopsueste. Une comparaison avec le commentaire de l’Alexandrin aurait été beaucoup moins fructueuse : outre le fait que cette œuvre ne nous est transmise entièrement que dans sa version latine, nous avons constaté qu’elle était fort différente de celle de Théodoret, et il est difficile de savoir si celui-ci l’a lue. Quant au commentaire de Théodore de Mopsueste, source directe probablement aussi importante que les homélies de Jean Chrysostome, il ne nous est parvenu que par fragments – de même que d’autres commentaires antérieurs à celui de l’évêque de Cyr –, ce qui ne permet pas d’acquérir une vision d’ensemble. Après avoir confronté l’œuvre de Théodoret à celle de Jean Chrysostome, nous avons préféré poursuivre la recherche des sources en explorant une deuxième piste, qui s’est révélée très intéressante. Constatant que les remarques polémiques étaient assez fréquentes, nous avons voulu savoir dans quelle mesure et sous quelle forme l’In Romanos portait la trace des controverses théologiques et de l’utilisation de l’Écriture dans ce cadre. À cette fin, nous avons effectué, chez les auteurs des premiers siècles, des recherches transversales sur les versets à partir desquels Théodoret faisait une remarque sur la doctrine ou introduisait un élément de polémique. Cela nous a permis de préciser sa démarche exégétique. Une troisième approche consiste à tenir compte d’un type de source d’un autre ordre, celui des instruments de travail. Nous nous sommes interrogée en particulier sur le contenu du manuscrit biblique avec lequel Théodoret travaillait, pour savoir si certains éléments de son commentaire livraient quelque témoignage sur les caractéristiques de son exemplaire. Nous avons été amenée à nous intéresser à ce sujet à la faveur de divers questionnements. Deux d’entre eux ont trait à la tradition manuscrite de l’œuvre, et seront donc abordés dans le volume présentant l’édition critique de l’In Romanos, qui paraîtra dans la collection des Griechischen Christlichen Schrifsteller : la question du texte biblique transmis par le commentaire, qu’il nous a paru important d’essayer de caractériser, et le problème de certaines additions trouvées dans plusieurs manuscrits de Théodoret, également transmises dans des témoins du corpus paulinien. Le troisième questionnement concernant le rapport aux manuscrits pauliniens est lié au thème traité dans le Prologue de l’In epistulas Pauli, à savoir l’ordre chronologique de rédaction des épîtres : est-il probable ou du moins vraisemblable que Théodoret ait recouru aux informations de son exemplaire du Nouveau Testament, ou peut-on supposer que son interprétation est plutôt la source de certaines notices accompagnant les épîtres ? En nous intéressant à ces différents aspects, nous nous plaçons résolument du point de vue de l’œuvre elle-même, en essayant de la situer dans la tradition exégétique et dans l’histoire des doctrines. Vu l’ampleur de la matière, nous avons renoncé, dans le cadre de cette étude, à explorer bien d’autres directions comme celle de la postérité de l’œuvre depuis le ve siècle, des chaînes exégétiques jusqu’aux débats conciliaires de l’époque moderne, postérité dont la tradition manuscrite
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Introduction
donne déjà un témoignage. Par ailleurs, une comparaison avec l’exégèse actuelle aurait sans doute sa pertinence : plusieurs critiques récents se sont intéressés à l’exégèse de Théodoret, qu’ils ont trouvée en consonance avec la leur plus que celle de bien d’autres auteurs patristiques. Cependant, une telle démarche consisterait de facto à adopter le point de vue contemporain, ce qui n’est pas notre propos : une étude portant essentiellement sur une œuvre ancienne nous semblerait quelque peu faussée par une mise en regard avec ce qui n’existait pas lors de sa composition. Le commentaire que nous proposons n’est pas une investigation unique, mais une série d’études à caractère monographique qui examinent sous des angles différents la méthode de l’auteur et le rapport de l’œuvre à la tradition exégétique et doctrinale. Il ne nous paraît pas approprié de commencer par une analyse linéaire du commentaire de Théodoret : une telle lecture conduirait à morceler davantage un texte dont on gagne au contraire à rechercher des fils conducteurs parfois ténus. Si toutefois on cherche un résumé succinct permettant d’acquérir rapidement une vue d’ensemble, on le trouvera au début de la comparaison avec Jean Chrysostome. Quant aux points de détail, une abondante annotation leur est consacrée dans le volume de traduction, qui paraîtra dans la collection des Sources chrétiennes. Seul le Prologue de l’In epistulas Pauli est l’objet d’un commentaire séparé, à cause de sa place particulière dans le corpus et de son intérêt eu égard à la méthode exégétique : il permet de faire le point sur le projet de Théodoret, mais aussi d’analyser son argumentation scripturaire, d’examiner sa façon de reconstituer l’histoire de la rédaction des épîtres, tout en replaçant ces aspects dans l’histoire de l’exégèse. Un chapitre est dédié à la langue de l’auteur, plus précisément à sa sémantique. Les notices qui y sont présentées, réalisées à l’occasion de questionnements très divers – établissement du texte, problèmes de traduction, recherches sur la méthode exégétique et sur l’interprétation de l’épître –, mettent en relief certains traits caractéristiques de l’évêque de Cyr. On ne fournit pas de généralités sur sa langue, ni d’analyse des principaux termes techniques issus de la tradition rhétorique et exégétique, qui ont déjà été bien étudiés et sont simplement énumérés dans le chapitre introductif. En revanche, on trouvera dans ce chapitre l’analyse de tournures singulières héritées d’autres auteurs et d’associations de mots apparemment propres à Théodoret ou rares par ailleurs, ainsi que des investigations plus amples, dans lesquelles la réflexion sémantique devient le point de départ d’un exposé sur un thème doctrinal. Ces dernières notices constituent le fondement de développements menés dans d’autres chapitres : nous les en avons détachées pour éviter que leur longueur et leur caractère technique ne nuisent à la progression de l’argumentation. Elles trouvent toute leur place dans une étude sur la sémantique de l’auteur. Nous avons consacré un chapitre à la comparaison avec Jean Chrysostome, pour les raisons que nous avons énoncées : il s’agit de mettre en regard non seulement des contenus mais aussi deux projets et deux méthodes, et d’essayer de découvrir comment Théodoret travaille à partir du commentaire qu’il a lu. Quant aux autres sources, elles sont traitées dans l’ensemble de ces pages à divers niveaux, à partir de points de vue assez
Conventions orthographiques
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différents en fonction des thèmes abordés. Ce questionnement est en particulier central dans le chapitre consacré aux controverses. Celui-ci est introduit par une analyse de l’Argument sur Romains, qui fait percevoir l’importance de la dimension polémique de l’œuvre. Puis on propose une lecture du commentaire scripturaire sous l’angle du discours sur les Juifs, des débats autour du marcionisme, des querelles trinitaires et christologiques, en observant l’importance de ces différents aspects, la manière dont ils sont intégrés à la démarche exégétique et l’orientent éventuellement. Un système de renvois entre les différents chapitres, ainsi que des indices en fin de volume, doivent permettre un parcours transversal, notamment sur certains points doctrinaux que l’organisation adoptée a conduit à traiter à plusieurs endroits selon des points de vue différents. Les pages qui suivent sont organisées en cinq études. Le chapitre introductif présente l’In Romanos dans son contexte et pose surtout quelques jalons essentiels sur l’exégèse néotestamentaire de Théodoret. Le deuxième chapitre rassemble des enquêtes sur la langue de l’auteur. Le troisième propose une analyse détaillée du Prologue de l’In epistulas Pauli. Le quatrième offre une comparaison entre le commentaire de Théodoret sur Romains et la grande série d’homélies de Jean Chrysostome sur la même épître. Le cinquième est une recherche sur l’articulation entre le projet exégétique et les aspects polémiques de l’œuvre.
Conventions et notations Traduction des auteurs anciens Les sources anciennes sont traduites par nos soins, sauf si nous nous référons à une édition dotée de traduction française (surtout SC, OPA) ou que nous donnons une autre précision en note. Lorsque nous traduisons nous-mêmes, nous fournissons le texte en langue originale dans son intégralité. La traduction de l’In Romanos de Théodoret est celle qui sera publiée dans la collection SC (en cas de différence, c’est le texte de SC qui fera référence).
Conventions orthographiques Nous adoptons l’orthographe des noms propres en usage dans la Bible de Jérusalem. Les noms de groupes religieux sont considérés comme des noms communs (chrétien, arien, marcionite). En revanche, nous écrivons « Juif » avec une majuscule, sans distinguer les cas où le mot désigne un peuple – ce qui est très fréquent dans notre texte – et ceux où il désigne une religion. Nous employons la majuscule pour le mot « Nation » lorsqu’il est au singulier sans déterminatif et se réfère à l’opposition entre Juifs et Nations. Nous écrivons « Loi », lorsque le mot désigne par lui-même – sans https://doi.org/10.1515/9783110540659-002
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Conventions et notations
épithète – la loi mosaïque. Dans certains cas il est difficile de déterminer en quel sens Théodoret emploie ce mot ou comprend le lemme biblique. De même, on a parfois hésité sur le sens donné à esprit / Esprit (au sens de la Personne divine).
Références aux œuvres anciennes Pour les abréviations utilisées, on se reportera à la liste fournie en fin d’ouvrage. Les œuvres anciennes sont citées avec la référence de la collection (PG, GCS, etc) ou, à défaut, avec le nom de l’éditeur. Pour les œuvres exégétiques, les versets bibliques commentés dans le passage mentionné sont indiqués entre parenthèses. Pour le Prologue de l’In epistulas Pauli et l’In Romanos, le texte cité est celui de notre édition critique (publiée prochainement dans la collection GCS). Celle-ci présente une division en paragraphes. On trouvera à la fin du présent ouvrage une concordance entre cette numérotation et les colonnes de la PG, édition de référence jusqu’à ce jour. Les chiffres romains renvoient aux sections, les chiffres arabes aux numéros de paragraphe. Exemples : prol., 12 : Prologue, paragraphe 12. arg., 5, 3 : Argument, paragraphe 5, ligne 3. IV, 3 : Section IV, paragraphe 3. Les références sans mention d’œuvre renvoient à l’In Romanos de Théodoret, les œuvres sans mention d’auteur, à d’autres œuvres de Théodoret. Dans le chapitre 4, la simple mention de Jean Chrysostome renvoie aux Homélies sur Romains.
Chapitre premier De l’explication littérale à l’interprétation Καὶ τὴν μάθησιν τῶν ζητουμένων ἀσύγχυτόν τε καὶ ἀδιασκέδαστον καὶ εὐχερῆ τοῖς ἀναλεγομένοις αὐτοῦ τὸν πόνον ἐμποιῶν. Photius¹
1.1 Introduction L’exégèse antiochienne a fait l’objet de nombreuses études², celle de Théodoret en particulier a été analysée en détail par J.-N. Guinot³. Cependant, aucun ouvrage n’a été consacré à l’exégèse néotestamentaire de l’évêque de Cyr. Lui-même, dans le Prologue de l’In epistulas Pauli, évoque par allusion les principes de son commentaire : on y trouve, outre les fondements traditionnels de l’exégèse patristique – origine divine du texte biblique et nécessité de dévoiler celui-ci –, des traits plus représentatifs de sa personnalité, comme l’exigence réelle de concision⁴. Toutefois, l’exégète ne présente pas sa méthode d’une manière approfondie comme il le fait dans d’autres prologues. C’est la lecture du texte lui-même qui permet de dégager quelques caractéristiques de cet unique commentaire néotestamentaire de l’auteur. Avant d’examiner différents aspects de cette question au fil de cet ouvrage, il convient de proposer ici quelques pistes de réflexion pour introduire à la lecture de l’In Romanos, en abordant trois aspects relatifs au genre de cette œuvre : la posture de l’exégète, les types d’explication et la manière de développer l’interprétation. Le genre du commentaire implique d’abord une certaine posture par rapport à l’œuvre commentée, considérée par l’auteur comme texte sacré. Nous nous interrogerons sur ce rapport en partant de quelques observations et hypothèses sur la manière dont le texte biblique est intégré au commentaire. Une œuvre exégétique se caractérise en outre par le type d’explications qu’elle fournit. Nous rappellerons rapidement quels outils Théodoret utilise pour conduire son explication littérale. Enfin, une visée essentielle de ce genre littéraire est d’offrir une interprétation du texte source. Nous montrerons comment, malgré la difficulté d’appréhender celle-ci dans le cadre de
« Et il rend l’étude des questions examinées claire, cohérente et aisée aux lecteurs de son ouvrage », Photius, Bibliothèque, III, 203, Henry, p. 103. On rappellera simplement les travaux de J. Guillet, « Les exégèses d’Alexandrie et d’Antioche : conflit ou malentendu ? », RecSR 34, 1947 ; C. Schäublin, Untersuchungen zu Methode und Herkunft der Antiochenischen Exegese, Köln-Bonn, 1974 ; M. Simonetti, Lettera e/o allegoria. Un contributo alla storia dell’esegesi patristica, Roma, 1985, p. 156-201. Cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse de Théodoret de Cyr, Paris, 1995, en particulier p. 253-376 et p. 435-448 ; id., Théodoret de Cyr, exégète et théologien, I, Paris, 2012. Sur le rapport entre les indications du Prologue et la tradition patristique, cf. infra, p. 108. https://doi.org/10.1515/9783110540659-003
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Chapitre premier : De l’explication littérale à l’interprétation
l’In Romanos, il est possible de repérer quelques éléments significatifs, et nous donnerons quelques exemples illustrant la manière dont ces éléments sont pour ainsi dire tissés en filigrane de l’explication linéaire. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce dernier aspect dans les chapitres qui suivront. En guise d’introduction avant d’aborder ces trois questions relatives à la méthode de Théodoret, nous présenterons très sommairement le contexte de l’œuvre.
1.2 L’In Romanos dans son contexte
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1.2 L’In Romanos dans son contexte 1.2.1 Éléments biographiques La vie de Théodoret, évêque de Cyr (393-459/460 ?), nous est connue par son propre témoignage : l’attrait pour la vie ascétique hérité de sa mère, les années de vie érémitique, puis, à son accession à l’évêché de Cyr en 423, le combat pour l’orthodoxie au sein de son diocèse, notamment contre les marcionites et les eunomiens. On retient surtout son rôle dans les débats christologiques de son temps. À la demande de Jean d’Antioche, il prit la défense de Nestorius contre Cyrille d’Alexandrie en répondant aux anathématismes de ce dernier. À celui qui refusait à la Vierge le titre de θεοτόκος, Cyrille reprochait de proclamer deux Fils : Théodoret accusa à son tour l’évêque d’Alexandrie de confondre la nature humaine et la nature divine dans l’unique Fils. À la suite du concile d’Éphèse (431), Théodoret œuvra à la réconciliation des deux partis, acceptant les affirmations théologiques que Cyrille lui adressa en réponse à sa réplique. Sans pour autant accepter de condamner Nestorius, qu’il jugeait innocent des accusations cyrilliennes, l’évêque de Cyr lutta pour rallier ses partisans à l’Acte d’Union de 433. En 438, il dut encore répondre aux attaques de l’Alexandrin contre Diodore de Tarse et Théodore de Mopsueste, accusés de nestorianisme avant l’heure. Après la mort de Cyrille en 444, il eut à se défendre contre les attaques d’Eutychès qui proclamait des doctrines monophysites et avait l’appui de Dioscore, évêque d’Alexandrie. Déposé par celui-ci, sans avoir été entendu, au concile de 449, qualifié de « Brigandage d’Éphèse », il dut se retirer au monastère d’Apamène, avant d’être réhabilité en 451 par le concile de Chalcédoine⁵.
1.2.2 Place de l’œuvre dans la tradition exégétique Comme il le dit lui-même, Théodoret n’est pas le premier, loin s’en faut, à interpréter l’Apôtre⁶. L’héritage paulinien est présent dès Justin, l’importance de Romains est évidente chez Marcion et chez les valentiniens, son utilisation est explicite chez Irénée puis chez Tertullien⁷. Le commentaire d’Origène sur cette épître, probablement le plus ancien, est conservé dans la version latine de Rufin et d’une manière fragmentaire dans les chaînes exégétiques, la Philocalie et le Papyrus de Toura⁸.
Sur la biographie de Théodoret et sur les sources de celle-ci (en particulier l’Histoire Philotée et la Correspondance), cf. P. Canivet, Le Monachisme syrien selon Théodoret de Cyr, Paris, 1977, p. 37-63 ; J.N. Guinot, L’Exégèse, p. 35-40. Cf. prol., 1. Voir l’introduction de M. Fédou à Origène, Com. in Rom., SC 532, p. 11-13. Sur la place de Romains dans la polémique contre Marcion et les valentiniens, cf. infra, p. 261. Sur la question de la fidélité de la version de Rufin, voir par exemple l’introduction de M. Fédou, ibid., SC 532, p. 25-42. Pour les fragments grecs issus de la chaîne vaticane (Vaticanus gr. 762), cf. A.
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Chapitre premier : De l’explication littérale à l’interprétation
Nous disposons également de la série des homélies de Jean Chrysostome sur l’épître⁹. Par ailleurs, grâce aux chaînes exégétiques, de nombreux fragments sont parvenus jusqu’à nos jours, en particulier de Diodore de Tarse, de Théodore de Mopsueste, de Sévérien de Gabala, ou encore de Cyrille d’Alexandrie¹⁰. En effet, les écrits pauliniens ont été l’objet d’une attention particulière aux ive et ve siècles, du reste aussi bien chez les auteurs grecs que chez les écrivains latins, à propos desquels cette période a pu être qualifiée de Paulusrenaissance ¹¹. Au sein de cette abondante production, l’In epistulas Pauli de Théodoret (CPG 6209) est le plus ancien commentaire des épîtres pauliniennes en grec à être conservé dans la langue d’origine. Les quatorze épîtres, y compris Hébreux, sont commentées l’une après l’autre dans une œuvre dont l’unité est soulignée par la présence d’un Prologue introduisant l’ensemble du corpus ¹². L’intérêt qui a été porté à cette œuvre se manifeste donc non seulement par la place qui lui est réservée dans les chaînes exégétiques, mais aussi par l’existence d’une tradition manuscrite directe, au sein de laquelle on ne manquera pas de mentionner les copies réalisées autour du Concile de Trente¹³. Or on sait à quel point Théodoret s’appuie sur l’hé-
Ramsbotham, « Documents : The Commentary of Origen on the Epistle to the Romans », JThS 13-14, 1912-1913. Sur les fragments issus de la Philocalie et la question de leur appartenance effective au commentaire sur Romains, voir l’introduction dans Origène, Com. in Rom., SC 532, p. 20-23. Sur le fragment conservé dans le Papyrus de Toura, cf. J. Scherer, Le Commentaire d’Origène sur Rom. III. 5V. 7 d’après les extraits du papyrus N° 88748 du Musée du Caire et les fragments de la Philocalie et du Vaticanus Gr. 762. Essai de reconstitution du texte et de la pensée des tomes V et VI du « Commentaire sur l’Épître aux Romains », Le Caire, 1957. Sur les rapports complexes entre cette œuvre et celle de Théodoret, cf. infra, p. 143. L’interprétation de Jean Chrysostome n’appartient pas au genre du commentaire au sens strict. Cf. infra, p. 146. Pour une édition des fragments par auteur, cf. K. Staab, Pauluskommentar aus der griechischen Kirche aus Katenenhandschriften, Münster, 19842. Pour les fragments de Cyrille d’Alexandrie, cf. PG 74. Pour les fragments du même auteur sur 1 Corinthiens, cf. K. F. Zawadzki, Der Kommentar Cyrills von Alexandrien zum 1. Korintherbrief. Einleitung, kritischer Text, Übersetzung, Einzelanalyse, LeuvenParis-Bristol (CT), 2015. Pour la version latine du commentaire de Théodore (à l’exception de Romains, 1 et 2 Corinthiens, Hébreux) cf. Theodore of Mopsuestia, The Commentaries on the Minor Epistles of Paul, Leiden-Boston, 2011 : R. A. Greer y reprend et traduit en anglais le texte de H. B. Swete, Theodori Episcopi Mopsuesteni In Epistolas B. Pauli Commentarii. The Latin Version with the Greek Fragments, Cambridge, 1880-1882. Sur cette notion, qui renvoie non seulement au nombre de commentaires (Marius Victorinus, l’Ambrosiaster, Jérôme, Pélage, Augustin) mais aussi à l’idée d’une appréhension nouvelle de la pensée paulinienne à cette époque, cf. B. Lohse, « Beobachtungen zum Paulus-Kommentar des Marius Victorinus und zur Wiederentdeckung des Paulus in der lateinischen Theologie des vierten Jahrhunderts », Kerygma und Logos. Beiträge zu den geistesgeschichtlichen Beziehungen zwischen Antike und Christentum. Festschrift für Carl Andresen zum 70. Geburtstag, éd. A. M. Ritter, Göttingen, 1979, p. 351-366. Sur le contenu du corpus paulinien à l’époque de Théodoret, cf. infra, p. 123. Pour une étude détaillée du Prologue, cf. infra, p. 92. Sur la tradition manuscrite directe et indirecte ainsi que sur les éditions anciennes, dont la première fut réalisée pendant le Concile de Trente (1552), cf. A. Lorrain, Théodoret de Cyr, Inter-
1.2 L’In Romanos dans son contexte
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ritage de ses prédécesseurs. Par conséquent, en conservant le commentaire de celuici dans son intégralité, on dispose d’un témoignage important relativement à l’exégèse ancienne de ce corpus. Toutefois, la perte d’une grande partie des commentaires grecs ne facilite guère la recherche de ses sources¹⁴.
1.2.3 Datation de l’œuvre Parmi l’abondante œuvre exégétique de Théodoret, l’In epistulas Pauli est le seul ouvrage conservé qui porte sur le Nouveau Testament. Si la plupart de ses commentaires ont été composés entre 433 (In Canticum) et 448, selon les listes fournies par deux lettres de Théodoret datant de fin 448 et de 449¹⁵, la date précise du commentaire de l’Apôtre est difficile à déterminer et plusieurs hypothèses ont été proposées. M. Richard suppose que c’est le dernier de la série¹⁶. P. M. Parvis soutient une rédaction entre 433 et 438, en s’appuyant sur une lecture de la Lettre 113 qui ne nous semble pas tout à fait convaincante¹⁷. F. Cocchini propose au contraire une datation proche de 448¹⁸. Selon elle, le Prologue témoigne d’une période où l’auteur est sur la défensive, alors que dans d’autres prologues la polémique, plus précise, porte sur l’exégèse. Elle remarque que l’évêque de Cyr insiste sur sa soumission à la tradition ainsi qu’à l’autorité de Rome, par le respect de l’ordre des épîtres et la remarque finale sur la Ville, détails sur lesquels il s’oppose à Théodore de Mopsueste. Mais cette différence entre les deux auteurs n’est-elle pas habituelle ? Enfin, elle voit des rapprochements avec l’Eranistes : emploi du titre de Monogène désignant l’humanité du Christ, et remarques christologiques relatives au théopaschisme. Sur le premier point, elle oppose l’Eranistes uniquement à des œuvres antérieures à 431 ; quant aux remarques christologiques, on peut également les rapprocher d’écrits datant de la querelle nestorienne¹⁹. Par conséquent, aucun des
pretatio in Epistulam ad Romanos : Édition, traduction et commentaire, diss. pro manuscripto, Paris, 2015, p. 30-98. Sur l’importance de l’œuvre à cette époque, mais aussi au Concile de Florence (1439), voir P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary on the Epistles of St. Paul : historical setting and exegetical practice, diss. pro manuscripto, Oxford, 1975, p. 341-357. Sur l’état de la recherche concernant les sources, cf. infra, p. 144. Sur nos choix à l’égard de cette tâche, cf. supra, p. 2. Cf. Corresp., II, 82, SC 98, p. 202 (à Eusèbe d’Ancyre) ; III, 113, SC 111, p. 64 (au pape Léon). Les Quaestiones in Octateuchum et in Reges et Paralipomenon sont postérieures à 451. Cf. M. Richard, « L’activité littéraire de Théodoret avant le concile d’Éphèse », RSPT 24, 1935, p. 101-106 ; id., « Notes sur l’évolution doctrinale de Théodoret », RSPT 25, 1936, p. 470-471, note 4. Cf. P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary, p. 322-339. Nous pouvons le suivre sur le parallélisme entre l’énumération des périodes (20 ans, 18 ans, 15 ans, 12 ans) et celle des œuvres, mais la phrase mentionnant le commentaire de Paul, introduite sans coordination à la suite de ce parallélisme, n’est pas nécessairement, nous semble-t-il, un élément appartenant au dernier groupe (12 ans). Cf. F. Cocchini, « L’esegesi paolina di Teodoreto di Cirro », ASE 11/2, 1994, p. 511-532. Cf. infra, p. 295 et note 450 p. 300.
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Chapitre premier : De l’explication littérale à l’interprétation
arguments de F. Cocchini ne nous a paru suffisamment solide. Nos observations sur la langue aussi bien que sur l’argumentation théologique du Prologue et de l’In Romanos nous ont permis de faire des rapprochements autant avec le début qu’avec la fin de la carrière de Théodoret²⁰. En attendant de trouver d’éventuels indices dans l’intégralité du corpus, nous devons donc laisser ouverte la question de la datation.
1.2.4 Genre de l’œuvre Le genre de l’In epistulas Pauli est décrit à la fin de l’Argument sur Romains par la formule ἡ κατὰ μέρος ἑρμηνεία, « l’interprétation linéaire », expression que l’on trouve fréquemment à la fin des Prologues exégétiques ou des Arguments de Théodoret²¹. Il s’agit effectivement d’un commentaire au sens strict du terme (ὑπομνήματα), c’est-à-dire de l’explication d’une œuvre de référence qui suit l’ordre du texte, avec une alternance entre citation du lemme et interprétation²². Théodoret utilise lui-même le terme technique désignant cette forme héritée de la littérature classique, dans un texte évoquant justement l’In epistulas Pauli : Πολλαχοῦ μὲν ἡμῖν εἴρεται περὶ τούτων (…) κἀν ταῖς τῶν προφητῶν ἑρμηνείαις, καὶ τοῖς τῶν ἀποστολικῶν ὑπομνήμασιν, « En bien des endroits ce sujet a été traité par nos soins (…), dans les interprétations des prophètes et le commentaire des écrits de l’Apôtre »²³. On notera que le titre de l’In epistulas Pauli transmis par la tradition manuscrite, ἑρμηνεία, « interprétation », n’est probablement pas de l’auteur, mais concorde avec la terminologie utilisée dès les premières lignes du Prologue (ἑρμηνεύειν, ἑρμηνεία). Si l’évêque de Cyr donne à certaines de ses œuvres un titre et le justifie – c’est le cas pour l’Eranistes, par exemple²⁴ –, il est assez naturel qu’il ne le fasse pas pour les œuvres exégétiques, suffisamment identifiables par leur genre et le livre biblique sur lequel elles portent²⁵. Cf. infra, p. 30 et p. 273. Cf. arg., 6. Voir J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 329 et la note 20. La même formule (per partes) est employée dans les arguments de Théodore de Mopsueste, Com. in minores epist. Pauli, Greer, p. 292 ; 364 ; 440 ; 526 ; 688. Sur le genre du commentaire et le terme technique ὑπομνήματα, cf. M.-O. Goulet-Cazé, Le Commentaire entre tradition et innovation. Actes du colloque international de l’Institut des traditions textuelles (Paris et Villejuif, 22-25 septembre 1999), Paris, 2000, et la brève présentation de G. Dorival, « Les formes et modèles littéraires », Histoire de la littérature grecque chrétienne, éd. B. Pouderon, E. Norelli, 2008, p. 159-161. Cf. Quaest. in Leu., I, FM I, p. 153. La leçon ἀποστόλων retenue par l’éditeur plutôt que ἀποστολικῶν nous semble peu probable. Ὄνομα δὲ τῷ συγγράμματι Ἐρανιστὴς ἢ Πολύμορφος, « Cet écrit a pour nom Mendiant (Eranistes) ou Polymorphe », Eranistes, prol., Ettlinger, p. 61 (28). Voir aussi Haer. fab., prol., PG 83, 340 B 6-10 ; Thérap., préf., 16, SC 57, p. 103. Pour une réflexion sur la pratique antique consistant à donner un titre à une œuvre, et sur l’absence fréquente de titre, cf. P. Hoffmann, « Titrologie et paratextualité », Titres et articulations du texte dans les œuvres antiques, éd. J.-C. Fredouille, M.-O. Goulet-Cazé et al., Paris, 1997, p. 581-589.
1.3 Un dialogue entre le commentaire et le texte biblique
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Il est difficile de caractériser plus précisément le genre de cette œuvre. Si l’on peut exclure la forme de l’homélie, il faut néanmoins remarquer une habitude rappelant ce genre : l’usage consistant à diviser les explications en grandes sections systématiquement terminées par une très brève parénèse suivie d’une doxologie²⁶. P. M. Parvis y voit un argument pour caractériser le commentaire comme la transcription de conférences plutôt que comme un ouvrage composé pour la lecture²⁷. En outre, il note l’énonciation utilisée dans les doxologies – emploi du « nous » faisant clairement référence à plusieurs personnes – et quelques allusions à des auditeurs, mais aussi à des lecteurs. Il estime que les différentes unités formées par les sections correspondent vraisemblablement au temps d’une conférence – environ une heure. En comparant ces caractéristiques avec des indices trouvés chez d’autres auteurs, il avance l’idée que le commentaire serait la transcription de conférences prononcées avec un objectif de publication. L’attention portée aux remarques permettant de supposer un auditoire ou un lectorat est louable, mais les indices nous paraissent trop rares pour être décisifs. À une époque où la lecture publique est probablement beaucoup plus courante que la lecture individuelle, et alors que la Bible est considérée comme une parole à entendre, ne peut-on pas considérer ces quelques références tantôt à la lecture, tantôt à l’audition, comme de simples manières de parler ? Nous préférons donc rester prudente sur la destination de l’œuvre et sur la forme qu’a pu prendre sa première réception. Nous n’avons pas pu davantage caractériser le public auquel s’adresse Théodoret²⁸.
1.3 Un dialogue entre le commentaire et le texte biblique Avant de s’interroger sur la méthode proprement dite, il convient de caractériser la posture de l’exégète à l’égard du texte biblique. Quelle relation Théodoret établit-il avec le texte qu’il commente, quel statut lui accorde-t-il au sein de son propre texte ? Cette relation au texte biblique se traduit concrètement par la présentation visuelle et par la manière d’intégrer stylistiquement les lemmes au commentaire. Citation intégrale ou partielle, distinction claire ou intégration syntaxique à l’explication, séparation ou absence de séparation visuelle entre le discours de Paul et celui de
J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 336, note que cette influence du genre homilétique se retrouve chez Cyrille d’Alexandrie, mais non chez Théodore de Mopsueste ni chez Jérôme. Cf. P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary, p. 253-270. À propos des Quaestiones in Octateuchum, J. F. Petruccione, « The Audience of Theodoret’s Questions on the Octateuch », La Littérature des questions et réponses dans l’Antiquité profane et chrétienne : de l’enseignement à l’exégèse. Actes du séminaire sur le genre des Questions et réponses (Ottawa, 27 et 28 septembre 2009), éd. M.-P. Bussières, Turnhout, 2013, p. 215-239, suppose une rédaction complexe, à savoir une mise en forme pour des clercs de discours d’abord adressés à un public plus large. Sur les destinataires des différents ouvrages exégétiques, cf. p. 111. Sur les hypothèses formulées par R. C. Hill à propos de l’In epistulas Pauli, cf. note 97 p. 112.
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Chapitre premier : De l’explication littérale à l’interprétation
Théodoret : de telles caractéristiques peuvent exprimer pour ainsi dire le degré de révérence ou de familiarité de l’exégète à l’égard du texte sacré ou, d’un autre point de vue, la manière dont il envisage le rôle du commentaire par rapport à la lecture du texte biblique²⁹. On ne saurait aborder ces questions sans admettre l’éventualité d’une intervention éditoriale postérieure à la rédaction, qui affecterait justement la présentation du texte biblique : un tel phénomène a été observé à propos d’autres œuvres, notamment dans le monde latin grâce à l’existence de manuscrits très anciens. Si les témoins de l’In epistulas Pauli de Théodoret livrent peu d’informations, c’est dans l’analyse du texte tel qu’il nous est parvenu qu’il nous faudra chercher des indices. Le genre du commentaire consiste dans l’alternance entre des sections du texte source prises dans l’ordre et des explications portant sur chaque lemme. À partir de ce principe général, on trouve dans les commentaires anciens toutes sortes de variations concernant la présentation visuelle et la manière de séparer ou d’intégrer le texte source au commentaire, ce qui n’est pas sans lien avec le statut conféré à l’œuvre ainsi expliquée³⁰. H. A. G. Houghton a remarqué une nette séparation entre les lemmes bibliques et leur explication chez Marius Victorinus ou Ambroise, alors que Jérôme, et plus encore Augustin, marquent selon lui une tendance croissante à intégrer le texte paulinien à leur propre discours, jusqu’à le modifier pour les besoins de la syntaxe. L’observation des manuscrits permet de supposer dans certains cas une intervention éditoriale dès le ve siècle, touchant l’organisation des lemmes, qui devaient être séparés du texte à l’origine – commentaires marginaux autour du texte biblique – puis ont été intégrés³¹. Dans le cas de Théodoret, l’observation des manuscrits conservés, tous postérieurs au ixe siècle, ne fournit pas d’information positive. D’une part, la présence des lemmes y est constante d’un témoin à l’autre, et cohérente : on n’a observé ni discordances entre le texte cité et le commentaire, suggérant un déplacement du lemme du fait d’un copiste, ni variations dans la
À propos de l’évolution des commentaires vétérotestamentaires patristiques aux chaînes exégétiques, L. Vianès, « Aspects de la mise en page dans les manuscrits de chaîne sur Ézéchiel », Le Commentaire entre tradition et innovation. Actes du colloque international de l’Institut des traditions textuelles (Paris et Villejuif, 22-25 septembre 1999), éd. M.-O. Goulet-Cazé, Paris, 2000, p. 86-87, considère que l’alternance entre lemme et commentaire, qui impose un rythme de lecture, va de pair avec l’idée patristique selon laquelle on ne peut lire la Bible sans l’aide d’un commentaire, alors que les chaînes encadrantes permettent un va-et-vient libre entre l’Écriture et ses interprétations. Sur la structure et l’évolution des commentaires païens les plus anciens, cf. M. Del Fabro, « Il commentario nella tradizione papiracea », Studia papyrologica XVIII.2, 1979, p. 69-130. L’auteur note en particulier (p. 87) que l’utilisation de signes distinguant le lemme du commentaire est attestée dans les papyrus bien avant le ve siècle. Voir aussi la mise à jour récente de T. Dorandi, « Le commentaire dans la tradition papyrologique : quelques cas controversés », Le Commentaire entre tradition et innovation. Actes du colloque international de l’Institut des traditions textuelles (Paris et Villejuif, 22-25 septembre 1999), éd. M.-O. Goulet-Cazé, Paris, 2000, p. 15-27. Cf. H. A. G. Houghton, « The Layout of Early Latin Commentaries on the Pauline Epistles and their Oldest Manuscripts », StudPatr XCI, Leuven, 2017, p. 71-112.
1.3 Un dialogue entre le commentaire et le texte biblique
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longueur ou le découpage des lemmes³². Soit Théodoret copiait lui-même entièrement les lemmes en rédigeant son commentaire, soit ceux-ci ont été fixés avant l’archétype commun aux manuscrits dont nous disposons. D’autre part, la présentation visuelle du commentaire – division en paragraphes – et la mise en valeur des lemmes sont inconstantes non seulement d’une famille à l’autre, mais aussi au sein d’un même groupe de manuscrits. Ceux-ci attestent donc l’intervention des copistes plus qu’ils ne nous renseignent sur la pratique de Théodoret³³. L’analyse du texte permet de faire quelques constats sur la manière dont Théodoret intègre le lemme au commentaire. Dans tous les cas, le texte biblique est fidèlement reproduit, complet et sans remaniements. Il est le plus souvent séparé syntaxiquement du commentaire, simplement juxtaposé à ce qui précède comme à ce qui suit. Il n’en reste pas moins indispensable à l’intelligibilité du texte : on ne peut comprendre le commentaire sans le lemme. Par conséquent, cette marque de respect pour la littéralité du texte doit être originelle. Parfois le texte paulinien est intégré à la syntaxe du commentaire, mais sans incidence sur les mots du lemme. La manière la plus simple est l’introduction par un verbe comme ἐπήγαγε ou φησί, ce mot étant très rarement placé en incise dans le lemme³⁴, ou encore la présence d’un mot de liaison – γάρ, mais aussi δέ, ou encore τουτέστι – en début d’explication. On trouve aussi des lemmes intégrés à une phrase de commentaire, souvent à la suite d’une formule de transition typique de Théodoret, soulignant une articulation du raisonnement paulinien. Un tel phénomène peut difficilement résulter de l’intervention postérieure d’un copiste³⁵. La longueur des lemmes est très variable, de deux mots à plusieurs versets. Tantôt le texte cité correspond à une unité autonome, tantôt il est segmenté, interrompu comme par une sorte de parenthèse ou de scholie. Il serait intéressant d’étudier de plus près l’aspect musical de cette alternance entre lemme et commentaire. La paraphrase va souvent de pair avec une reprise de certaines tournures binaires du texte biblique : l’exégète prolonge pour ainsi dire le Les deux seules exceptions trouvées doivent être considérées comme accidentelles. Une partie de Romains 14, 10 est omise, avec la courte explication qui suit, par la famille de Π (Ἢ καὶ σὺ τί ἐξουθενεῖς τὸν ἀδελφόν σου ; Τοῦτο τοῖς ἐξ ἐθνῶν), sans doute à cause de la ressemblance avec ce qui précède immédiatement (Σὺ δὲ τί κρίνεις τὸν ἀδελφόν σου ; Τῷ Ἰουδαίῳ ταῦτα λέγει). En I, 23, la fin de Romains 1, 23 est omise par la famille de Π, tandis que le manuscrit D comprend la citation du verset entier, selon l’habitude de Théodoret dans l’ensemble de l’œuvre. On laisse de côté ici l’exemple du manuscrit S, apographe de V, qui présente un traitement particulier des lemmes bibliques. Cf. A. Lorrain, L’In Romanos de Théodoret, p. 50-56. Pour les sigles utilisés, cf. infra, p. 391. La tradition de l’In Romanos fournit des exemples de servilité aussi bien que de liberté des scribes par rapport à leurs modèles. Ainsi, à la fin du xiie siècle, le manuscrit S utilise un exemplaire biblique en plus de son modèle (cod. V), et marque la distinction entre lemme et commentaire par la mention τὸ κείμενον / ἑρμηνεία dans le corps même du texte. Au xvie siècle, les apographes du manuscrit M reproduisent fidèlement le texte biblique de celui-ci ; certains en reproduisent les paragraphes (cod. O, P, Q), d’autres non (cod. B, E). Cf. ibid., p. 50-56 et p. 59-60. Cf. III, 4 ; III, 13 ; V, 61 (γάρ φησι) ; V, 63. On notera la différence de traitement des citations bibliques, qui sont beaucoup plus régulièrement intégrées à la syntaxe. Sur ces formules, que l’on retrouve dans tous les commentaires de Théodoret, cf. infra, p. 45.
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Chapitre premier : De l’explication littérale à l’interprétation
propos de Paul en épousant jusqu’à son rythme ou en offrant comme des variations sur un thème³⁶. Le commentaire de Théodoret manifeste donc à la fois un respect pour la littéralité du texte paulinien, une certaine variation dans la manière de le citer et une capacité à en prolonger le rythme. L’observation de l’énonciation confirme ces caractéristiques et permet de préciser la relation entretenue avec le texte sacré. Le plus souvent, Théodoret marque une certaine distance en parlant de Paul à la troisième personne, mais parfois il prolonge le « je » de l’Apôtre (en le signalant ou non par l’incise φησίν), ou bien l’interpelle³⁷. Au-delà de l’effet esthétique, l’intérêt exégétique est évident : l’alternance entre distance de l’explication et assimilation au discours de Paul, ou encore dialogue avec celui-ci, permet à l’exégète tantôt de s’identifier à l’Apôtre comme enseignant, tantôt de se placer lui-même en auditeur. On observe même le passage du « nous » dans le lemme (« Ayons la paix ») à un « vous » dans le commentaire, que l’on peut interpréter soit comme une manière de prolonger le « je » de l’Apôtre s’adressant aux Romains, auxquels Théodoret peut s’assimiler avec ses destinataires, soit comme un « je » de Théodoret s’adressant à ses destinataires³⁸. Ces différents points de vue peuvent se succéder sur un très court passage, et sans transition : explication suivie immédiatement d’une interpellation de l’Apôtre, ou bien prolongement de la voix de l’Apôtre interrompu par une explication à la troisième personne, puis repris³⁹. Le texte biblique est donc tantôt un discours à expliquer, tantôt une parole suscitant un dialogue. Si la citation intégrale des lemmes et leur place originelle dans le corps du commentaire ne peut guère être mise en cause sur la base de notre connaissance du texte, la question de la séparation visuelle entre le discours de Paul et celui de Théodoret reste ouverte. Dans les cas où le lemme est intégré syntaxiquement, on a peine à imaginer une présentation visuelle qui marque fortement la différence entre les deux niveaux, par exemple avec un retour à la ligne systématique. L’absence de toute marque visuelle – changement d’écriture ou d’encre, signe en marge – n’est pas sans difficulté, en particulier dans les passages où l’énonciation est complexe. En effet, l’Épître aux Romains est elle-même caractérisée par des changements de voix, auxquels s’ajoutent les jeux de l’exégète : en bien des endroits, à moins de connaître parfaitement l’épître, le lecteur peut perdre le fil et ne plus savoir distinguer le commentaire du lemme. Si une telle incertitude est admise, cela signifie que
Voir, par exemple, les structures binaires en I, 23 (Rm 1, 21-23), ou les variations sur les vices en I, 28 (Rm 1, 29-30). Cf. aussi infra, p. 205. Cf., par exemple, III, 6 (Rm 6, 17-18) ; III, 7 (Rm 6, 19) (prolongement de la voix de l’Apôtre) ; I, 22 (Rm 1, 19) ; II, 33 (Rm 6, 2-3) ; V, 2 (Rm 12, 1) (dialogue avec le texte). Cf. II, 20 (Rm 5, 1). On notera l’incertitude de la tradition manuscrite entre ἡμᾶς et ὑμᾶς, ainsi que le retour au « nous » à la fin du passage. Au sujet de la variante attestée par ce passage de Théodoret sur le texte de Romains 5, 1, cf. A. Lorrain, « Theodoret’s Text of Romans », Commentaries, Catenae and Biblical Tradition, éd. H. A. G. Houghton, Piscataway, 2016, note 19 p. 172. Cf. V, 44-45. Voir aussi, par exemple, I, 36.
1.4 Les outils de l’explication littérale
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la distance par rapport au texte biblique est totalement effacée dans certains passages. Sinon, il faut supposer la présence de marques dans le texte, destinées à se traduire par un changement de ton dans le cadre d’une lecture publique. Toutefois, l’inconstance avec laquelle la tradition manuscrite met en valeur les lemmes bibliques suggère plutôt que les marques ont été ajoutées postérieurement. N’existaientelles pas du tout ou n’étaient-elles pas systématiques lors de la rédaction ? Cela signifierait que la tendance à mettre en valeur le texte biblique, observée dans le monde latin après le ve siècle, se vérifie également à propos de la transmission de l’œuvre qui nous occupe. H. A. G. Houghton l’interprète en terme de sacralisation croissante⁴⁰. À cette raison peut s’ajouter le motif plus pratique de faciliter la lecture du texte aussi bien que la consultation d’une œuvre volumineuse. Quoi qu’il en soit de la présentation visuelle du commentaire lors de sa rédaction initiale, les caractéristiques syntaxiques et stylistiques observées indiquent que les lemmes ont dû être intégrés au commentaire dès l’origine, ce qui manifeste un souci de respecter la littéralité du texte biblique. Toutefois, celui-ci n’est pas mis à distance : l’exégète explique le texte, l’interroge, mais aussi l’intègre à son propos, le prolonge, ou en épouse le rythme. La liberté avec laquelle il entre parfois en dialogue avec l’Apôtre n’est pas sans rappeler celle de Jean Chrysostome, chez qui cette caractéristique est cependant beaucoup plus marquée⁴¹.
1.4 Les outils de l’explication littérale J.-N. Guinot souligne l’importance de la lettre du texte et du sens historique dans toute l’œuvre exégétique de Théodoret, conformément à la tradition antiochienne. Ce constat est particulièrement pertinent pour les épîtres pauliniennes, dans lesquelles l’exégète ne recherche pas de sens typologique ou métaphorique. Il ne propose qu’assez rarement, dans ce commentaire, une lecture actualisante de versets de l’épître, ce qui ne l’empêche pas de le faire par ailleurs, en particulier dans sa Correspondance ⁴². Dans l’In Romanos, il se cantonne la plupart du temps à une lecture historique et prend soin de situer le texte dans le contexte concret de la lettre, mentionnant par exemple la préséance de la ville de Rome⁴³, l’évangélisation de cette ville⁴⁴, l’attitude de Paul par rapport aux Romains ou aux aux Juifs⁴⁵, ou encore
Cf. H. A. G. Houghton, « The Layout of Early Latin Commentaries on the Pauline Epistles and their Oldest Manuscripts ». Cf. infra, p. 153. Cf. V, 24 (Rm 14, 5). Sur l’actualisation de versets de Romains dans la Correspondance, voir par exemple Corresp., III, 113, SC 111, p. 56-59 (Rm 1, 8) ; IV, 5, SC 429, p. 134-139 (notamment Rm 5, 3-4). Cf. V, 61 (Rm 16, 16). Voir aussi la remarque géographique à propos de Cenchrées (V, 55, Rm 16,1). Cf. I, 11 (Rm 1, 8). Cf. I, 9 (Rm 1, 7) ; IV, 2-6 (Rm 9, 1-5).
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les persécutions⁴⁶. La différence avec Jean Chrysostome est frappante, par exemple dans l’explication du réquisitoire contre les Nations (Romains 1, 18-2, 16) ou dans la lecture des salutations finales : le prédicateur met l’accent sur l’utilité morale des affirmations pauliniennes plus que sur l’explication historique⁴⁷. Les outils mis en œuvre pour expliquer le texte sont traditionnels. On peut facilement les repérer par l’emploi de termes techniques⁴⁸. L’exégète recourt à la grammaire, comme ses prédécesseurs, étant attentif au sens des mots (διάνοια, σημαντικός, δηλωτικός)⁴⁹, à leur emploi particulier chez l’Apôtre ou chez les prophètes (ἴδιος, κατὰ τὸ οἰκεῖον ἰδίωμα)⁵⁰, à la comparaison entre langage commun (κοινὴ συνήθεια)⁵¹ et langage biblique⁵², au caractère englobant (συμπεριβάλλειν)⁵³ d’une expression, à l’importance de l’ajout d’un mot (προσθήκη)⁵⁴. Il observe la construction des phrases (συνθήκη)⁵⁵, la place des mots – en tête (προτιθέναι⁵⁶), insérés (ἐντιθέναι, παρεντιθέναι, ἐν μέσῳ τιθέναι)⁵⁷ –, identifie la forme négative (ἀπαγόρευσις)⁵⁸, ou interrogative (κατ’ ἐρώτησιν)⁵⁹, précisions qui ne vont pas de soi
Cf. II, 21 (Rm 5, 3) ; III, 45 (Rm 8, 17). Voir notamment p. 155 et p. 171. Pour une liste plus complète des termes techniques utilisés par Théodoret, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 847-857. Certaines expressions stéréotypées sont indirectement héritées de la tradition païenne du commentaire et attestées dans les papyrus anciens, cf. M. Del Fabro, « Il commentario nella tradizione papiracea », p. 97-101. À propos de quelques expressions caractéristiques de l’exégèse de Théodoret au-delà des termes proprement techniques, cf. infra, p. 45. Cf. IV, 2 ; IV, 3 (διάνοια) ; V, 3 (σημαντικός) ; I, 45 (δηλωτικός). Théodoret emploie διάνοια (« sens, signification ») non seulement pour renvoyer au sens d’un mot, mais aussi pour désigner une signification supérieure, par exemple en I, 17. Cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 283, note 66. Voir aussi l’emploi de προσηγορία, au sens de dénomination particulière (I, 1 ; I, 2 ; IV, 3). On notera l’explication des mots par exemple en I, 28 ; IV, 39 ; V, 16 ; V, 18. Cf. II, 2 ; II, 31 ; III, 48 ; IV, 46. B. Neuschäfer, Origenes als Philologe, Basel, 1987, p. 145, note qu’Origène n’utilise pas le terme ἰδίωμα dans ce sens, bien qu’il ait le souci de repérer les termes propres. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 354-356 et 365-366 (avec la note 182), pense que ces remarques, particulièrement nombreuses dans l’In epistulas Pauli, sont pour beaucoup empruntées à Théodore de Mopsueste. Cf. IV, 3. L’expression, qui désigne, chez des grammairiens comme Sextus Empiricus, le langage quotidien, l’usage habituel d’un mot, est très fréquente chez Origène, qui accorde une grande attention aux habitudes de langage de l’Écriture aussi bien qu’à celles du langage courant, et relève souvent la différence entre les deux. Cf. B. Neuschäfer, Origenes als Philologe, p. 142-145. Sur l’attention portée à la langue particulière de la Bible par les exégètes anciens, cf. M. Harl, « Y a-t-il une influence du “grec biblique” sur la langue spirituelle des chrétiens ? Exemples tirés du psaume 118 et de ses commentateurs d’Origène à Théodoret », La Langue de Japhet, Paris, 1992, p. 186. Cf. III, 49 ; III, 57. Cf. I, 6. Cf. IV, 2. Cf. I, 1 ; I, 2. Cf. V, 67 ; I, 10 ; I, 14 ; II, 6. Cf. I, 46. Le mot désigne l’expression de la défense. Cf. aussi ἀπαγορευτικός, III, 17. Cf. II, 9 ; II, 13 ; IV, 19.
1.4 Les outils de l’explication littérale
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puisque le lecteur doit lui-même ponctuer (στίζειν, ὑποστίζειν)⁶⁰ un texte écrit d’une manière continue⁶¹. Théodoret utilise aussi les catégories de la logique, identifiant la cause (αἴτιον, αἰτία)⁶², la conséquence (« issue », ἔκβασις)⁶³ ou la finalité (αἰτιολογικός)⁶⁴, relevant une comparaison (παρεξέτασις)⁶⁵, une preuve (ἀπόδειξις)⁶⁶, un raisonnement logique (ἐπισυλλογίζεσθαι, συλλογιστικῶς)⁶⁷, un raisonnement par l’absurde (ἄτοπον)⁶⁸. Il est attentif à la rhétorique, en particulier à la structure de l’épître – préambule (προγραφή, προοίμιον)⁶⁹ –, aux figures – amplification (αὔξειν)⁷⁰, énallage (ἐναλλαγή)⁷¹, image (εἰκών)⁷², personnification (προσωποποιία)⁷³ –, au raisonnement par question (ἐρώτησις) et réponse (ἀπόκρισις)⁷⁴, ou par objection (ὑφορμοῦν)⁷⁵ et solution (λύσις)⁷⁶. Pour cela il identifie les différentes voix ou πρόσωπα de l’épître, montrant que l’Apôtre parle « du point de vue de l’adversaire » (ὡς ἐκ τοῦ τῶν ἐναντίων προσώπου)⁷⁷, « met en scène » (εἰσάγειν)⁷⁸ l’homme pécheur avant la grâce, ou en « endosse » lui-même le « rôle » (προσωπεῖον ἀναλαμβάνειν)⁷⁹. Il note le recours à un exemple (παράδειγμα)⁸⁰ ou à une citation scriptu-
Cf. II, 14 ; IV, 15 ; IV, 19. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 366, note 187, fait remarquer que l’identification des questions est parfois nécessaire à cause de l’absence d’accentuation, par exemple en Romains 3, 27 (II, 9). Cf. I, 26 ; II, 25. Cf. I, 45. Cf. I, 45. Sur ce terme, cf. infra, p. 34. Cf. infra, p. 40. Cf. II, 11 ; IV, 31. Cf. I, 45 ; IV, 12 ; V, 17. Sur le verbe ἐπισυλλογίζεσθαι, cf. infra, p. 38. Cf. I, 46. Cf. I, 10 ; V, 67. Cf. I, 23 ; IV, 12 ; IV, 13. Cf. II, 34. Sur la mention de l’énallage par Théodoret, beaucoup moins fréquente que chez Diodore, cf. J.-N. Guinot, « L’In Psalmos de Théodoret : une relecture critique du commentaire de Diodore de Tarse », Exégète et théologien, Paris, 2012, I, p. 292, avec la note 33 sur Diodore et Théodore. Cf. V, 5. Cf. III, 48. Sur cette figure, cf. A. Villani, « Origenes als Schriftsteller : ein Beitrag zu seiner Verwendung von Prosopopoiie, mit einigen Beobachtungen über die prosopologische Exegese », Adamantius 14, 2008, p. 130-150. Cf. II, 9 ; IV, 19. Cf. infra, p. 49. Voir aussi les termes « opposition » (ἀντίθεσις) en I, 46 ; III, 16 ; IV, 13 ; « embarras » (ἀπορία) en IV, 12 ; IV, 13 ; « recherche » (ζήτημα) en IV, 13. Cf. II, 31 ; III, 33 ; IV, 15. Sur les termes ἀπορία, ζήτημα et λύσις, caractéristiques de la littérature des questions et réponses, cf. G. Dorival, « Les formes et modèles littéraires », p. 162. Cf. I, 46. Cf. aussi III, 60. Cf. III, 26. Voir l’expression εἰς μέσον ἄγειν ou παράγειν (« mettre sur la scène »), en IV, 31 et IV, 9. Cf. III, 32. Sur le recours à ce type d’ « exégèse prosopologique », très fréquent chez Origène puis chez Jean Chrysostome, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 260 (avec note bibliographique 18), 291 ; A. Villani, « Origenes als Schriftsteller : ein Beitrag zu seiner Verwendung von Prosopopoiie », p. 130150. Cf. II, 17 ; II, 36 ; III, 12 ; III, 13 ; III, 19 ; IV, 1 ; IV, 42 ; V, 39.
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Chapitre premier : De l’explication littérale à l’interprétation
raire (γραφικὴ μαρτυρία)⁸¹, la présence d’une liste (κατάλογος)⁸², mais aussi les silences (σιγᾶν)⁸³. Attentif à la catégorie de l’ἔθος, il souligne les vertus de l’Apôtre – humilité (ταπεινός)⁸⁴, sagesse (σοφία)⁸⁵, magnanimité (μεγαλοψυχία)⁸⁶ – et son attitude à l’égard des destinataires – louange (ἔπαινος, εὐφημία)⁸⁷ ou blâme (ψόγος)⁸⁸ et accusation (κατηγορία)⁸⁹, capacité à consoler (παραμυθητικός)⁹⁰ ou à effrayer (δειδίσσεσθαι)⁹¹, supplication (ἱκετηρία)⁹² –, il remarque sa méthode consistant à entrelacer (ἐξυφαίνειν)⁹³ éloge et blâme, discours doctrinal (δογματικός) et moral (πρακτικός, ἠθικός)⁹⁴. Il porte un jugement sur la pertinence (εἰκότως, κατάλληλος, εἰς καιρόν, ἁρμοδίως)⁹⁵ du raisonnement, des exemples ou des mots employés, sur l’exactitude (ἀκριβῶς)⁹⁶ ou sur la concision (συντομία)⁹⁷. Bien sûr, ces remarques ne sont pas simplement explicatives ; elles sont parfois guidées par des présupposés théologiques plus que suscitées par des problèmes grammaticaux, par exemple lorsque l’exégète précise que « livrer » en parlant de Dieu signifie « permettre » car Dieu n’est pas à l’origine de la désobéissance ou de l’aveuglement des hommes⁹⁸. De même, l’exégèse prosopologique peut être l’occasion d’amplifier le texte en lui donnant une dimension dramatique⁹⁹. Il faut même aller plus loin : Théodoret ne se contente pas d’explications ponctuelles éventuel-
Cf. II, 1 ; II, 17 ; III, 60 ; IV, 1 ; IV, 17. Cf. I, 45. Cf. I, 43. Voir aussi l’idée d’omettre (παραλείπειν) en IV, 9. Le motif des exemples ou arguments que l’Apôtre pourrait donner mais tait se retrouve fréquemment, par exemple en II, 11 ; IV, 2 ; IV, 11 ; IV, 31. Cf. I, 13. Cf. II, 5. Cf. II, 21. Cf., IV, 21 ; IV, 1. Cf. IV, 21. Voir aussi l’expression « réprimer la jactance » (τὴν ἀλαζονείαν καταστέλλειν) en I, 9. Cf. aussi I, 42. Cf., par exemple, I, 23. Cf. III, 46. Voir aussi, dans le même passage, « réconforter » (ψυχαγωγεῖν, ψυχαγωγία, en II, 21) ; « encourager » (παρακαλεῖν). Cf. infra, p. 40. Cf. V, 2. Cf. III, 46. Voir aussi « mélanger » (ἀναμιγνύναι), en II, 20. L’idée d’entrelacement du raisonnement est encore exprimé par le même verbe (II, 10) ou par συνυφαίνειν (I, 33). Cf. II, 20 ; V, 1 ; V, 21. Cf. I, 14 ; I, 15 ; I, 21 ; II, 21 ; III, 10 ; III, 13 ; III, 38 ; III, 45 ; V, 32 (εἰκότως) ; III, 12 ; ΙΙΙ, 13; III, 60 (κατάλληλος) ; I, 15 ; IV, 1 ; IV, 18 ; IV, 32 ; V, 64 (εἰς καιρόν) ; II, 5 ; IV, 4 ; IV, 25 (ἁρμοδίως). Cf. II, 28 ; II, 30 ; III, 53 ; III, 54 ; V, 53 (ἀκριβῶς) ; I, 12 ; II, 2 ; III, 41 ; V, 11 (ἀκρίβεια). Cf. II, 9. Cf. aussi infra, p. 48. Cf., par exemple, I, 24 (Rm 1, 24) ; IV, 35 (Rm 11, 8). Voir J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 369. On notera surtout l’amplification de l’image paulinienne de la guerre avec un discours très construit permettant de mettre en valeur la violence de l’emprise des passions sur l’âme, en III, 25-31 (Rm 7, 14-23).
1.5 Une paraphrase interprétative
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lement portées par une motivation théologique, mais construit imperceptiblement un discours cohérent sur l’ensemble de l’épître, comme nous allons le voir à présent.
1.5 Une paraphrase interprétative Au premier abord, l’In Romanos déconcerte, non seulement par son caractère morcelé dû à l’accumulation de brèves remarques sur chaque verset, mais aussi parce qu’il semble en rester à l’explication, voire à la paraphrase d’un texte qui, certes, ne se prête pas à une interprétation figurée ni au dévoilement d’un sens caché, contrairement aux Prophètes, par exemple. Cependant, une étude plus approfondie permet de discerner des lignes d’interprétation. C’est ce que nous allons montrer à l’aide de quelques illustrations, en mettant au jour les moyens par lesquels Théodoret construit imperceptiblement son commentaire¹⁰⁰. Au-delà d’une simple description de la méthode, ces exemples donneront un aperçu de quelques notions développées par l’évêque de Cyr dans cette œuvre.
1.5.1 La construction d’une cohérence P. M. Parvis puis J.-N. Guinot ont été sensibles à l’attention portée par l’exégète à la structure du texte biblique, mise en valeur au moyen de transitions. Celles-ci peuvent-elles orienter l’interprétation ? À ce sujet, nous laisserons de côté la division de l’In Romanos en cinq sections, qui, sauf pour les deux dernières – la IVe section couvre Romains 9-11, la Ve, Romains 12-16 –, ne semble pas directement liée aux unités de sens de l’épître, contrairement à ce qui a pu être remarqué à propos d’autres commentaires¹⁰¹. En effet, la Ire section (Romains 1, 1-3, 8) s’arrête avant la fin du réquisitoire contre les Juifs, et Théodoret motive l’interruption par la nécessité du repos. La IIe section (Romains 3, 9-6, 11) se termine au milieu d’une parénèse, et la IIIe section commence sans introduction. Les articulations majeures de l’épître exposées dans l’Argument ne correspondent pas à ces sections¹⁰². Dans le commentaire, c’est surtout au sein de chaque section que le mouvement et la cohérence du texte biblique sont mis en valeur, par des transitions assez faciles à repérer à cause de leur formulation répétitive¹⁰³.
D’autres illustrations seront données dans la suite de cet ouvrage. Cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, entre autres p. 335-337. Cf. infra, p. 219. C’est essentiellement en nous appuyant sur ces transitions que nous avons divisé le texte de notre édition en paragraphes et proposé des titres de subdivisions dans la traduction, afin de faciliter la lecture. P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary, p. 72-79 et p. 202-209, a étudié les différents types de transitions dans l’In epistulas Pauli : transitions simples, par exemple avec εἶτα, transitions plus complexes, avec une participiale rappelant les propos précédents suivie de l’annonce de ce qui suit
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Chapitre premier : De l’explication littérale à l’interprétation
L’observation des divisions ainsi établies par Théodoret est très instructive. D’abord, soit dit en passant, elles ne correspondent pas nécessairement avec les capitula de « l’édition d’Euthalius », dont la datation pourrait remonter au ive siècle¹⁰⁴. Bien sûr, les coïncidences existent, en particulier au niveau des articulations majeures de l’épître : le début de la IVe section (Romains 9, 1) correspond au début du capitulum 14 d’Euthalius, le début de la Ve (Romains 12, 1), au début du capitulum 17. Le début de la IIe section correspond également au début d’un capitulum, mais on ne peut pas en dire autant du début de la IIIe section. L’indépendance de Théodoret à l’égard de ces divisions euthaliennes est manifeste dans le réquisitoire contre les Nations (Romains 1, 18-2, 16), unité très clairement délimitée par l’exégète qui ne coïncide pas avec une division d’Euthalius¹⁰⁵. Au-delà de cette observation, ces transitions qui parsèment le commentaire présentent un intérêt majeur eu égard au travail de l’exégète. En effet, loin d’être descriptives, elles sont l’occasion de construire une cohérence. Par exemple, dans la IIe section, elles servent à répéter que Paul montre la supériorité de la foi et de la grâce sur la Loi. Il commence par annoncer cette idée en anticipant sur le propos de l’Apôtre¹⁰⁶, puis il la reprend plusieurs fois¹⁰⁷. Le souci de faire apparaître les unités de sens se retrouve aussi l’échelle des phrases ou même des mots¹⁰⁸. Parfois, au milieu d’une simple reformulation du lemme, Théodoret construit subtilement la cohérence grâce à une anticipation discrète du verset suivant : « Alors qu’ils se disaient (φάσκοντες) sages, ils furent rendus fous (ἐμωράνθησαν) ». Il a augmenté l’accusation par le qualificatif. Car, alors qu’ils se caractérisaient (ὀνομάζοντες) eux-
(« participial bridge ») ; J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 337-338, fait des observations analogues sur l’ensemble de l’œuvre exégétique de Théodoret. On appelle « édition d’Euthalius » ou « apparat d’Euthalius » un ensemble d’éléments introductifs accompagnant le corpus paulinien (entre autres), dans un très grand nombre de manuscrits. Cf. N. A. Dahl, « The “Euthalian Apparatus” and the Affiliated “Argumenta” », Studies in Ephesians. Introductory Questions, Text- & Edition-Critical Issues, Interpretation of Texts and Themes, éd. D. Hellholm, V. Blomkvist et al., Tübingen, 2000, p. 231-275. L. C. Willard, A Critical Study of the Euthalian Apparatus, Berlin, 2009, p. 158-169, donne une liste détaillée des manuscrits concernés (plus de 400). Sur la datation, cf. ibid., p. 111-127. Les listes de capitula (κεφάλαια) sont considérées comme « major pieces » de cet apparat. Cf., entre autres, l’édition de H. von Soden, Die Schriften des Neuen Testaments in ihrer ältesten erreichbaren Textgestalt hergestellt aufgrund ihrer Textgeschichte, Berlin, 1902, I, 1, p. 462-469. Il est difficile de savoir si Théodoret avait connaissance de ces divisions. On notera l’emploi problématique du mot κεφάλαιον en II, 32, cf. infra, p. 221. Cf. I, 20-35. Sur la délimitation du passage par Théodoret, voir infra, p. 170. Εἶτα μέλλων δεικνύναι τὰ δῶρα τῆς πίστεως, δείκνυσι πρότερον ἅπαντας ταύτης προσδεομένους, « Ensuite, sur le point de montrer les dons de la foi, il montre d’abord que tous en ont besoin », II, 3. En II, 5 (avant Romains 3, 21), Théodoret anticipe sur le mot « grâce » employé en Romains 3, 24. Cf., pour ne citer que les transitions les plus importantes, II, 9 ; II, 12 ; II, 16 ; II, 20. Voir, par exemple, l’idée de vices s’engendrant les uns les autres (I, 28, Rm 1, 29-31), de gradation entre l’idole de forme humaine et celle de forme animale (I, 23, Rm 1, 23) ; la comparaison entre châtiment et récompense fondée sur la notion de persévérance (I, 33, Rm 2, 8-9).
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mêmes comme « sages », ils firent paraître (ἀπέφηναν) eux-mêmes, par leurs actes (ἀπὸ τῶν ἔργων), qu’ils étaient inintelligents. « Et ils changèrent la gloire du Dieu incorruptible à la ressemblance d’une image d’homme corruptible »¹⁰⁹.
L’expression « par leurs actes », seule partie de la phrase qui ne relève pas de la simple reformulation du lemme, et qui constitue un élément explicatif, renvoie à l’acte d’idolâtrie évoqué dans le verset suivant. La reconnaissance d’une structure dans le texte commenté implique déjà des choix de lecture. Toutefois, pour apprécier à quel point Théodoret fait œuvre d’interprétation, il faut pour ainsi dire évaluer la distance entre ces éléments et le discours paulinien.
1.5.2 Un discours développé en filigrane L’interprétation de Théodoret ne repose pas seulement sur l’identification, voire la reconstruction, de la structure du raisonnement paulinien. Au sein des explications ou de la paraphrase, l’exégète ajoute certaines notions qui ne sont pas explicitement présentes dans l’épître. Celles-ci lui permettent de construire son interprétation du texte et de transmettre ses propres idées. Ces éléments sont mis en valeur au moyen de la répétition. On exposera ici trois exemples représentatifs de discours développés en filigrane : sur la piété et la vertu, sur les passions, sur la grâce.
1.5.2.1 Exemple 1 : discours sur la piété et la vertu Lorsqu’il commente le réquisitoire contre les Nations (Romains 1, 18-2, 16), Théodoret affirme le lien indissociable entre piété et vertu – et entre impiété et vice – : il l’énonce à plusieurs reprises et de différentes manières qui convergent. Certes, cette idée n’est pas absente du discours paulinien, mais elle n’y est pas explicitement développée. L’insistance de l’exégète se manifeste par la répétition de procédés semblables. À chaque occurrence du verbe παραδιδόναι chez Paul (Dieu « livre » les impies au vice), la paraphrase utilise une structure binaire : « En effet, de même qu’“ils échangèrent la vérité de Dieu contre le mensonge”, de même ils changèrent la jouissance du désir conforme à la loi en jouissance contraire à la loi »¹¹⁰. Mais surtout, l’exégète multiplie, dans ce passage, les associations de mots désignant la piété et la vertu ou des termes analogues : « piété et vertu » (εὐσέβεια καὶ ἀρετή) des
« Φάσκοντες εἶναι σοφοὶ ἐμωράνθησαν ». Ηὔξησε τῇ προσηγορίᾳ τὴν κατηγορίαν. « Σοφοὺς » γὰρ ἑαυτοὺς ὀνομάζοντες, ἀνοήτους σφᾶς αὐτοὺς ἀπὸ τῶν ἔργων ἀπέφηναν. « Καὶ ἤλλαξαν τὴν δόξαν τοῦ ἀφθάρτου θεοῦ ἐν ὁμοιώματι εἰκόνος φθαρτοῦ ἀνθρώπου », I, 23 (Rm 1, 22-23). Ὥσπερ γὰρ « μετήλλαξαν τὴν ἀλήθειαν τοῦ θεοῦ ἐν τῷ ψεύδει », οὕτω τὴν ἔννομον τῆς ἐπιθυμίας ἀπόλαυσιν μετέβαλον εἰς παράνομον, I, 26. Comparer avec les parallélismes utilisés en I, 24 et I, 27.
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patriarches, des Grecs qui seront sauvés, abandon par Dieu de ceux qui sont tombés dans l’impiété et la vie contraire à la Loi¹¹¹. Il présente ainsi avec insistance les deux aspects, reconnaissance du Dieu créateur et pratique de la justice, comme le contenu d’un unique enseignement donné par la nature¹¹². Par un jeu sur les acceptions du mot φύσις, à la fois nature au sens de Création, qui fait connaître le Créateur, et nature humaine, capable de discernement moral, il affirme l’unité entre les deux fautes majeures de l’homme évoquées dans l’accusation contre les Nations : violation des lois morales et refus de reconnaître le Créateur.
1.5.2.2 Exemple 2 : discours sur les passions D’autre part, Théodoret propose une véritable doctrine sur les passions et sur leur lien complexe avec la notion de liberté. Il faut d’abord souligner avec quelle insistance il affirme la responsabilité humaine, en particulier chaque fois qu’il est question du péché. Cette responsabilité se fonde sur la « faculté de discerner entre le bien et son contraire » (διάκρισις τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων)¹¹³, qui met l’homme devant un choix. Le péché ne se situe pas tant au niveau de l’action qu’au niveau de l’acte de volonté qui la précède. Ceci apparaît notamment dans les définitions données à chacun des vices énumérés en Romains 1, 29-31, où l’exégète met l’accent sur l’intention, c’est-à-dire sur la volonté (ἐθέλειν), la préparation intellectuelle – γνώμη, « pensée », λογισμός, « raisonnement », προεπινοεῖσθαι, « préméditer », τεκταίνεσθαι, « machiner » – et l’« inclination de l’âme » (τῆς ψυχῆς ῥοπή), plutôt que sur la réalisation des vices¹¹⁴. De même, dans la paraphrase sur l’idolâtrie, il ajoute à plusieurs reprises l’idée de volonté (ἑκών, ἐθέλειν) ou d’acceptation (εἰσδέχεσθαι, « laisser entrer en soi »)¹¹⁵. Il faudrait mentionner à ce titre le rôle des exemples, dont le choix aussi bien que le traitement revêtent souvent une valeur interprétative¹¹⁶. Alors que les versets pauliniens décrivent des faits, l’exégète, par ces ajouts répétés, met l’accent sur la liberté qui est en jeu. Dans l’épître, l’idée de volonté est surtout présente à travers le problème de l’écart entre le vouloir et le faire : Paul insiste donc sur sa faiblesse, voire son échec (Romains 7). Pour expliquer cette faiblesse de la volonté, Théodoret introduit et reprend à plusieurs reprises la notion de passions, qui n’est pas centrale dans ce passage de Romains. Il évoque en particulier leur origine – la condition mortelle
Cf. I, 20 ; I, 24 ; I, 26 ; I, 27 ; I, 33 ; I, 34. Cf. I, 20 ; I, 21-22 ; I, 29. Sur cette notion centrale de l’œuvre, cf. infra, p. 69. Cf. I, 28. Cf. I, 23 (Rm 1, 21). Voir en particulier la paraphrase des récits de la Chute, de Caïn et Abel, ou des frères de Joseph, qui mettent l’accent sur les intentions, sur le déni, sur la conscience, alors que les faits passent au second plan. Cf. I, 20 ; I, 35.
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conséquence du péché¹¹⁷ –, leur lien avec le corps, leur nécessité pour la subsistance, mais aussi leur conséquence sur la faiblesse de l’esprit¹¹⁸. Il considère qu’elles sont neutres, et même utiles à l’homme, pour subsister mais aussi pour pratiquer la vertu¹¹⁹. Il souligne que les passions (πάθος, πάθημα), liées à la nature (φύσις), sont subies par l’homme, que celui-ci n’en est pas responsable, et n’a à rendre compte que de sa décision (γνώμη)¹²⁰. Théodoret exprime la même idée dans son ouvrage sur les ascètes : « Les mouvements de l’agressivité (τὰ τοῦ θυμοῦ κινήματα) dépendent de la nature (φύσις) et non de notre décision (γνώμη) »¹²¹. Dans le cadre de l’exégèse, l’idée de subir est évoquée par un réseau de termes indiquant que l’âme est vaincue (ἡττᾶσθαι), submergée (μεθύειν : litt. « être enivré »)¹²² par les passions, le caractère incontrôlable de celles-ci étant décrit par des mots désignant le mouvement (κίνησις)¹²³, l’assaut (προσβολή)¹²⁴ et le bondissement ou sursaut (σκιρτᾶν)¹²⁵, ce qui n’est pas sans rappeler le bondissement des Bacchantes ou le cheval indomptable du char platonicien¹²⁶. Il est intéressant d’observer comment Théodoret justifie l’introduction de cette notion : il en fait pour ainsi dire une traduction du vocabulaire paulinien. En effet, il reformule certaines occurrences du mot « chair » (σάρξ) par le terme « passions » et interprète l’expression « pensée de la chair » (τὸ φρόνημα τῆς σαρκός) comme le « sursaut des passions » (τὰ τῶν παθημάτων σκιρτήματα), c’est-à-dire le péché, défini comme esclavage à l’égard des passions¹²⁷. Plusieurs fois, alors même que Paul insiste sur l’impuissance, Théodoret, tout en reprenant l’idée de faiblesse, y
Sur ce point, on notera la complexité du discours de Théodoret. Celui-ci dissocie causalité et temporalité. En effet, il admet l’existence des passions avant la Chute, la mortalité ayant pour conséquence leur excitation « jusqu’à la démesure », cf. II, 25. De même, il considère que certaines caractéristiques de la Création existent avant la Chute même si elles en sont la conséquence. Cf. III, 47. On trouve le même type de raisonnement dans Quaest. in Gen., XXXVII, FM I, p. 38-39, où la nature sexuée et le besoin de se nourrir sont expliqués comme des anticipations de l’existence mortelle. Cf. surtout III, 28-30 (Rm 7, 17-18). On remarquera que Théodoret justifie la longueur de son explication (σαφηνείας δεῖται). On pourrait énumérer les associations de termes qui vont dans le sens de ces affirmations, comme θνητός et παθητός. La même idée est développée dans une synthèse sur la nature de l’homme, Thérap., V, 76-77, SC 57, p. 250-251. Cf. Philon d’Alexandrie, Mos., I, 26, OPA 22, p. 38. Cf. III, 1. Hist. Phil., IV, 11, SC 234, p. 319. Traduction légèrement modifiée. Cf. III, 26 (Rm 7, 15). Cf. III, 1 (Rm 6, 12) ; III, 7 (Rm 6, 19). Cf. III, 1 (Rm 6, 12). Cf. III, 29 (Rm 7, 17) ; III, 31 (Rm 7, 23) ; III, 37 (Rm 8, 5-7) ; III, 41 (Rm 8, 13). Voir aussi V, 20 (Rm 13, 14). Cf. Euripide, Bacchantes, v. 169, 446 ; Platon, Phèdre, 254a (σκιρτῶν δὲ βίᾳ φέρεται). Voir, à ce sujet, l’image en III, 29 et A. Lorrain, L’In Romanos de Théodoret, note 47 p. 242 (note à la traduction du passage). Cf. III, 37 (Rm 8, 5) ; III, 41 (Rm 8, 12). Sur l’arrière-plan antimanichéen, cf. infra, p. 268.
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ajoute la notion de volonté¹²⁸. D’une manière assez subtile, donc, il tient à la fois la neutralité des passions, données par Dieu et utiles à la vie, et leur lien avec le péché, qui se sert des passions pour asservir l’esprit. Et, surtout, il maintient le paradoxe entre l’impuissance de l’âme et sa liberté de choix. Tout en respectant les contraintes de l’explication linéaire, il construit sa propre interprétation grâce à l’ajout répété de certaines notions : celle de volonté, pour préciser à quel niveau se situe pour lui le péché, celle de passions, qui confère une épaisseur philosophique à l’expression paulinienne « pensées de la chair » et permet à l’exégète de rappeler sa doctrine à ce sujet.
1.5.2.3 Exemple 3 : discours sur la grâce La paraphrase interprétative est donc orchestrée, au moyen de la répétition. Il faut souligner encore la diversité des procédés utilisés d’une manière complémentaire. À ce titre, la manière dont Théodoret construit le discours sur la grâce par opposition à la Loi est assez caractéristique. La mise en parallèle de ces deux notions est constante, alors même qu’elles ne sont pas toujours explicitement mentionnées dans le lemme biblique, et elle se fait toujours en faveur de la grâce. Nous avons vu qu’elle intervenait au niveau des transitions. Elle s’exprime par divers parallélismes¹²⁹, par l’utilisation du comparatif ¹³⁰, par le vocabulaire du rapport de force¹³¹, ou encore par des échos lexicaux plus discrets, par exemple sur ἰσχύς : répétition de l’expression « [la Loi] n’a pas eu la force » (οὐκ ἴσχυσεν), à laquelle s’oppose la « force de la grâce » (ἡ ἰσχὺς τῆς χάριτος), elle-même en contraste avec la « faiblesse de la Loi » (ἡ ἀσθένεια τοῦ νόμου)¹³². On pourrait aussi observer les champs sémantiques fréquemment associés à chacun des deux termes : la Loi « enseigne » (διδάσκαλος), la grâce a essentiellement une fonction d’aide, d’assistance. Certes, le vocabulaire utilisé par Théodoret ne présente pas d’originalité, mais on est frappé par l’accumulation de termes imagés, notamment dans le passage suivant : Et le divin Apôtre montre aussi d’une autre manière la facilité de la victoire (τῆς νίκης τὴν εὐκολίαν). « Car le péché », dit-il, « n’exercera plus de souveraineté sur vous ». En effet, la nature n’est plus seule à lutter (παλαίει), mais elle a pour collaboratrice (συνεργοῦσαν) la grâce de l’Esprit (τὴν χάριν τοῦ πνεύματος). Car il a ajouté ceci : « En effet, vous n’êtes pas soumis à la
C’est l’âme (ψυχή) qui consent à être esclave (δουλεύειν ἀνέχεσθαι), et rejette sa liberté (τὴν ἐλευθερίαν ἀποβάλλειν), cf. III, 31 (Rm 7, 23) ; l’homme accepte (καταδέχεσθαι) et choisit (αἱρεῖσθαι) l’esclavage, cf. III, 37 (Rm 8, 7). Cf. II, 5 ; II, 13. Cf. II, 13 (πρεσβυτέρα). Cf. II, 9 (παραχωρεῖν, « céder la place ») ; II, 5 (νίκη, « victoire »). Cf. arg., 4 ; II, 4 ; II, 31 ; IV, 18 (la loi « n’a pas eu la force ») ; II, 5 ; (« la force de la grâce ») ; III, 11 (« force de la grâce » et « faiblesse » de la Loi). On trouve aussi la « force » de la foi (II, 20), ce qui correspond bien à l’opposition récurrente entre foi et Loi, et aux rapprochements fréquents entre « foi » et « grâce ».
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Loi, mais à la grâce ». Or il enseigne qu’avant la grâce, la Loi ne faisait qu’enseigner (ἐδίδασκεν) ce qu’il y avait à pratiquer, mais ne proposait pas de soutien (ἐπικουρίαν) aux sujets de la Loi. Au contraire, la grâce, en plus de légiférer, s’offre aussi comme alliée (τὴν συμμαχίαν παρέχει). Voilà donc pourquoi la législation de la grâce est aussi plus sûre que celle de la Loi, étant donné que son soutien en annule la difficulté (τῆς ἐπικουρίας τὴν δυσκολίαν λυούσης)¹³³.
La notion d’aide constitue le centre de l’explication du verset, alors qu’elle n’est pas nécessairement appelée par le lemme : Théodoret interprète les modes d’existence évoqués par Paul en termes d’aide ou d’absence d’aide. Or, il utilise aussi dans d’autres passages les différents termes employés ici, créant des échos significatifs. Par exemple, la mise en scène de l’homme avant la grâce, assiégé par ses ennemis, s’oppose à la description citée¹³⁴ : cet homme cherche en vain, dans sa solitude, une « alliance militaire » (συμμαχία), puisque la Loi est incapable d’« apporter un soutien » (ἐπικουρεῖν). Sa défaite totale, jusqu’à la servitude, contraste avec la « facilité de la victoire » dont il est question ici. Précisons que, selon Théodoret, la grâce ne dispense pas de lutter (παλαίειν) contre l’assaut des passions, mais assure la victoire. Il faut remarquer l’association de χάρις et du verbe συνεργεῖν et la distinguer d’un autre usage plus fréquent. Alors qu’Éphrem, par exemple, évoque parfois la « collaboration » comme une circonstance, au moyen d’une tournure absolue (τῆς χάριτος συνεργούσης), Théodoret fait de cette idée le propos même de la phrase : ἔχει γὰρ συνεργοῦσαν τὴν τοῦ πνεύματος χάριν, littéralement « elle a la grâce de l’Esprit qui collabore ». La construction attributive met en relief la réalité du travail commun et suggère que la nature dispose pour ainsi dire de cette aide. La grâce est en quelque sorte personnifiée, comme lorsque Théodoret, dans d’autres œuvres, emploie συνεργός (« collaboratrice ») comme attribut de χάρις¹³⁵. Cela accentue le caractère concret et effectif de l’assistance. Enfin, les termes de la famille d’ἐπικουρία constituent presque un leitmotiv de l’explication de Romains 6, 14-7, 24, ouvert par le passage que nous avons cité et clos par la scène de l’homme assiégé. Quoique le terme ait un sens abstrait, la proximité du vocabulaire guerrier devait rendre perceptible aux lecteurs le sens concret qu’il pouvait avoir à l’origine : « troupe de renfort »¹³⁶. Lorsque l’exégète associe ce mot
Ὁ δὲ θεῖος ἀπόστολος καὶ ἑτέρωθεν δείκνυσι τῆς νίκης τὴν εὐκολίαν. « Ἁμαρτία γὰρ ὑμῶν », φησίν, « οὐκέτι κυριεύσει ». Οὐκέτι γὰρ ἡ φύσις μόνη παλαίει, ἀλλ’ ἔχει συνεργοῦσαν τὴν χάριν τοῦ πνεύματος. Τοῦτο γὰρ ἐπήγαγεν · « Οὐ γάρ ἐστε ὑπὸ νόμον, ἀλλ’ ὑπὸ χάριν ». Διδάσκει δὲ ὡς πρὸ τῆς χάριτος ὁ νόμος μόνον τὸ πρακτέον ἐδίδασκεν, ἐπικουρίαν δέ τινα τοῖς νομοθετουμένοις οὐκ ὤρεγεν. Ἡ δὲ χάρις πρὸς τῇ νομοθεσίᾳ καὶ τὴν συμμαχίαν παρέχει. Διά τοι τοῦτο καὶ ἀκριβεστέρα τοῦ νόμου ἡ νομοθεσία τῆς χάριτος, ὡς τῆς ἐπικουρίας τὴν δυσκολίαν λυούσης, III, 4 (Rm 6, 14). Autre terme associé à la grâce : βοήθεια, III, 52. Cf. III, 32. Cf. Com. in Ier., prol., PG 81, 496 A 5-6 ; Com. in Dan., prol., PG 81, 1268 A 15 ; In epist. Pauli, PG 82, 497 A 6 (Ga 5, 17) ; 521 A 11 (Ep 2, 8) ; De prouid., VIII, PG 83, 688 A 13-14. Selon Chantraine, s. u, le mot serait à rapprocher de κόρος, désignant un jeune homme puis un guerrier.
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avec la grâce, il met l’accent sur l’efficacité du soutien¹³⁷. Il l’utilise aussi à propos de la Loi, mais toujours pour exprimer le manque de soutien. Encore une fois, le choix des mots est révélateur des liens créés entre les différentes notions et resserre la trame de l’argumentation¹³⁸. On pourrait multiplier ce type d’observations illustrant la manière dont Théodoret expose son interprétation du texte biblique et sa propre doctrine dans le cadre du commentaire linéaire : il ne s’autorise pas de longs développements mais fait entendre sa pensée d’une manière discrète, en particulier par le jeu de réseaux sémantiques parfois subtils. L’opposition entre le bien est le mal est constamment exprimée par des antithèses variées ou d’autres structures binaires, soulignant leur caractère incompatible, et en même temps, l’observation plus précise du vocabulaire associé à ces deux notions permet de montrer à quel point le théologien ne les met pas sur le même plan : pour lui, le bien est l’objet d’un choix et on peut être « amoureux » (ἐραστής) de la vertu. Au contraire, le mal consiste seulement à ne pas vouloir le bien, et du vice on ne peut être qu’« ouvrier » (ἐργάτης)¹³⁹.
Cf. en particulier III, 32 ; III, 52. Au sujet de la grâce, on sera encore sensible à l’idée de gratuité, exprimée par l’association constante avec les termes du champ lexical du don, parmi lesquels la famille de διδόναι tient une bonne place. Il faudrait bien sûr étudier la réflexion sur le paradoxe entre gratuité et mérite, qui touche le problème de l’élection (voir en particulier IV, 9-14 sur Romains 9, 10-21). Pour les termes ἐραστής et ἐργάτης, cf. I, 31. Sur l’opposition et l’asymétrie entre bien et mal, cf. notamment I, 20-33. L’étude de la notion complexe de châtiment, en lien avec celle de conscience morale, serait aussi très intéressante.
1.6 Synthèse
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1.6 Synthèse Cette première approche du commentaire de Théodoret nous a permis d’en définir quelques caractéristiques élémentaires et de percevoir la variété des techniques mises en œuvre pour expliquer l’Épître aux Romains. L’examen de la tradition manuscrite et du texte lui-même ne fournissent pas de raison de supposer une intervention éditoriale postérieure à la rédaction originelle, même s’il faut rester prudent : le commentaire se présente sous la forme d’un texte continu intégrant les lemmes bibliques copiés dans leur intégralité. Ceux-ci sont le plus souvent séparés syntaxiquement du commentaire, mais l’exégète entre parfois en dialogue avec l’Apôtre en variant les points de vue, selon la manière habituelle de Jean Chrysostome. Les techniques utilisées par Théodoret sont toutes traditionnelles. Cependant, au-delà du caractère attendu de certains types d’explication sur tel ou tel verset, il est bien difficile de saisir ce qui a pu déterminer chaque fois le choix d’un outil plutôt que d’un autre – paraphrase, explication d’un mot, attention à la syntaxe ou à la logique, ajout d’un exemple –, ou encore la délimitation d’un lemme tantôt très court, tantôt plus long. La comparaison avec Jean Chrysostome confirmera la convergence des méthodes employées, mais aussi la liberté de Théodoret dans le choix de celles-ci à propos de chaque verset¹⁴⁰. Par ailleurs, nous pourrons mettre en lumière certaines occasions saisies par le théologien pour faire quelque mise au point doctrinale, mais il faudra alors se souvenir qu’il en laisse passer d’autres, sans que l’on puisse en donner la raison¹⁴¹. Au fond, il faut souligner la richesse des outils employés par Théodoret comme par ses devanciers, mais aussi reconnaître que leur utilisation n’est pas systématique. La liberté du commentateur a pour corollaire le caractère surprenant de certaines remarques et contribue à la difficulté de discerner une cohérence d’ensemble. En effet, l’œuvre de Théodoret offre une explication apparemment très proche du texte, qui ne facilite pas une appréhension globale¹⁴². Il semble plus aisé de percevoir quelques grandes caractéristiques de l’ample commentaire d’Origène, dont on remarque de suite le goût pour l’interprétation spirituelle de l’Apôtre, ou bien de la grande série d’homélies de Jean Chrysostome, dont l’interprétation morale est fréquente. Le style extrêment sobre de Théodoret, ressemblant parfois à des notes non rédigées, accentue l’impression de morcellement de la réflexion. Par conséquent, les éléments interprétatifs peuvent facilement échapper au lecteur. C’est pour ainsi dire une lecture entre les lignes, mais aussi, nous le verrons, la comparaison avec d’autres commentaires de l’épître ou de versets particuliers, qui permettent de repérer des constantes dans la manière de reformuler, de structurer, d’amplifier ou d’infléchir le texte paulinien et, ainsi, de mettre au jour l’interprétation de l’évêque de Cyr. Cf. notamment infra, p. 167. Cf. infra, p. 273. L’Argument lui-même paraît être un simple résumé. Toutefois, on peut y repérer quelques grandes lignes de l’interprétation de Théodoret. Cf. infra, p. 219.
Chapitre 2 La langue de Théodoret Καὶ ἡ λέξις δὲ αὐτῷ καὶ ἡ συνθήκη τῆς ἀττικῆς εὐγενείας οὐ φεύγει τὰς γονάς. Photius¹
2.1 Introduction En lien avec le travail d’édition et de traduction, l’approche sémantique, qui repose sur l’attention aux mots et à leurs associations, est devenue un de nos principaux outils d’analyse de l’In Romanos, dont nous venons de souligner quelques caractéristiques et difficultés². En dépit de leur caractère technique et de leur organisation sous forme de notices autonomes, ces enquêtes constituent donc une composante essentielle de notre étude, et nous y faisons référence dans les autres chapitres. En particulier, les notices les plus développées, présentées dans la dernière partie de ce chapitre, examinent des notions théologiques qui tiennent une place centrale dans l’In Romanos : elles serviront de fondement à certaines argumentations menées dans la suite de cet ouvrage.
« Et son vocabulaire et sa construction ne renient pas leur origine, qui est un atticisme de bon aloi », Photius, Bibliothèque, III, 203, Henry, p. 103. Le principal outil utilisé pour cette étude est le TLG (toutes les enquêtes ont été réalisées ou révisées entre 2014 et 2017). On a recouru autant que possible aux éditions critiques et on a accordé une attention particulière aux œuvres de Théodoret dont l’authenticité est discutée. Sur l’attribution problématique de l’Expositio rectae fidei (CPG 6218) à Théodoret, cf. S.-P. Bergjan, « Theodoret von Cyrus, Apollinarius und die Apollinaristen in Antiochien », Apollinarius und seine Folgen, éd. S.-P. Bergjan, B. Gleede et al., Tübingen, 2015, note 92 p. 245-246. Sur l’auteur des Quaestiones et responsiones ad orthodoxos (CPG 6285), cf. J.-N. Guinot, « Sur un prétendu De Trinitate attribué à Théodoret de Cyr », Exégète et théologien, Paris, 2012, II, p. 142-143. L’attribution à Théodoret est clairement rejetée par S. J. Voicu, « Due Antiocheni periferici : le Quaestiones et responsiones ad Orthodoxos (CPG 6285) e Severiano di Gabala », Augustinianum 55.2, 2015. En revanche, P. Toth, « New Questions on Old Answers : Towards a Critical Edition of the Answers to the Orthodox of Pseudo-Justin », JThS 65.2, 2014, p. 550-599, en s’appuyant sur une nouvelle enquête dans la tradition manuscrite des Quaestiones, souligne les similarités entre les deux œuvres et admet provisoirement qu’elles puissent être du jeune Théodoret, en attendant un examen approfondi fondé sur l’édition critique. En l’absence d’édition critique pour des œuvres de Théodoret dont la tradition est notoirement défectueuse, nous avons utilisé les informations disponibles à ce jour. Ainsi, pour l’In Psalmos, l’usage des crochets dans la PG permet de se faire une idée de la recension longue, cf. S.-P. Bergjan, « Die dogmatische Funktionalisierung der Exegese nach Theodoret von Cyrus », Christliche Exegese, éd. J. van Oort, U. Wickert, Kampen (The Netherlands), 1992, p. 34-36. Pour l’In Canticum, cf. L. Bossina, Teodoreto restituito. Ricerche sulla catena dei Tre padri e la sua tradizione, Alessandria, 2008, p. 3-52 ; 123-128 ; id., « L’inizio del Cantico dei cantici e una pagina perduta di Teodoreto », Paideia LXV, 2010, p. 429-440. https://doi.org/10.1515/9783110540659-004
2.1 Introduction
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D’une manière générale, ces enquêtes sémantiques présentent trois intérêts principaux. Premièrement, elles contribuent à une meilleure connaissance de l’auteur, dont la langue ne nous semble pas encore avoir fait l’objet d’études approfondies. Précisons d’emblée que cette connaissance linguistique n’est pas notre objectif premier : nous avons plutôt eu recours à la sémantique comme à un outil pour résoudre différents problèmes. Par conséquent, nous ne prétendons pas caractériser la langue de Théodoret d’une manière globale et il ne s’agit en aucun cas ici d’une ébauche de recherche systématique³. Ce qui nous occupe, ce sont surtout quelques traits qui distinguent cet exégète d’autres auteurs : préférence de tel mot par rapport à tel autre, usage d’un terme dans tel sens particulier, et surtout associations sémantiques récurrentes. De telles recherches sont parfois indispensables à l’établissement du texte de l’In Romanos ⁴, et pourraient avoir quelque utilité pour l’édition d’autres œuvres, ou bien elles sont nécessaires en vue d’une traduction précise et qui tienne compte, autant que faire se peut, de la rareté d’un mot ou d’une expression. Par le biais des termes utilisés, on peut aussi découvrir des points de convergence ou de divergence avec des auteurs fréquentés par Théodoret, trouver des rapprochements avec d’autres de ses écrits, en vue de préciser, si possible, la datation de l’In epistulas Pauli, ou encore apporter des arguments concernant les questions d’authenticité d’autres œuvres dont la paternité est controversée⁵. Deuxièmement, s’intéresser aux associations sémantiques significatives permet de découvrir des expressions rares, voire uniques, et de mettre sur la piste de sources littéraires. Ceci est particulièrement utile à propos des commentaires bibliques de Théodoret : loin de citer des extraits de ses prédécesseurs ou de les nommer, l’exégète utilise ses sources si librement qu’il est très difficile de déceler des emprunts de manière certaine. Ceux-ci peuvent cependant être suggérés par l’emploi de termes semblables suffisamment rares pour exclure une coïncidence fortuite. Enfin, l’attention aux mots et expressions récurrents est indispensable pour aborder l’étude de ce corpus. Nous avons déjà évoqué le caractère lisse de l’In Romanos et l’importance des réseaux sémantiques introduits par l’exégète, grâce auxquels on découvre, en filigrane de l’explication linéaire, des lignes d’interprétation. Dans cette perspective, il est important non seulement de chercher à saisir précisément le sens des mots tels que Théodoret les emploie, mais aussi d’évaluer Un tel projet serait l’objet d’une thèse de linguistique, et nécessiterait notamment une enquête comparée dans la langue syriaque. Nous nous garderons de qualifier nous-même telle expression d’idiolectème (trait de langue caractéristique d’un individu), laissant aux linguistes le soin de juger dans chaque cas de l’opportunité d’une telle appellation. Sur la notion d’idiolecte, voir C. Rico, « La linguistique peut-elle définir l’acte de traduction ? À propos d’une version du quatrième évangile », L’Autorité de l’Écriture, éd. J.-M. Poffet, Paris, 2002, note 3 p. 212-213 ; C. Rico, « L’idiolecte paulinien. L’hypothèse de la pseudépigraphie des lettres deutéro-pauliniennes à l’aune de la linguistique », « Supportez-vous les uns les autres » (Col 3, 13). Éditer Paul dans la Bible en ses Traditions, éd. O.-T. Venard, à paraître. Pour les sigles des manuscrits et les références aux éditions anciennes, cf. infra, p. 391. Cf. supra, note 2 p. 30.
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
leur poids relatif dans l’œuvre étudiée, par comparaison avec d’autres auteurs mais aussi avec d’autres oeuvres de l’exégète. Un tel examen vise à mieux comprendre l’interprétation qu’il propose de cette épître, ou encore un aspect de sa doctrine. On l’aura compris, de telles recherches ont été suscitées par des questionnements très divers : cela explique le caractère hétérogène des notices présentées ici et leur longueur très inégale, l’unité étant la question de la langue. Tantôt il suffit d’une remarque sur la fréquence d’un mot, tantôt la découverte d’une expression récurrente conduit à une réflexion approfondie sur sa portée littéraire ou théologique. L’analyse détaillée de certaines notions trouve ici toute sa place, alors que, dans les chapitres thématiques, elle obligerait à des digressions trop longues. Le classement adopté repose sur le type d’informations fournies. Une première section est consacrée à des expressions manifestement héritées d’autres auteurs, illustrant l’influence de ces derniers sur la langue de Théodoret ou bien laissant supposer, par leur rareté, l’utilisation d’un texte comme source. Une deuxième partie relève certaines particularités lexicales de Théodoret : mots particulièrement fréquents chez lui, et termes auxquels il donne une signification peu habituelle par ailleurs. Dans un troisième temps, nous examinons certaines expressions ou associations de mots récurrentes, en particulier des tournures qui sont propres à Théodoret ou sont rares en dehors de son œuvre : expressions révélatrices de son exégèse et autres habitudes de langage. Nous rassemblons dans une dernière partie, plus développée, un petit nombre d’expressions engageant des aspects importants de la doctrine, et en particulier des notions centrales de l’In Romanos : le point de départ sémantique fournit l’occasion de courtes synthèses sur la théologie de Théodoret. À l’intérieur de chaque rubrique, nous avons adopté un classement alphabétique. Au début de chaque article sont rassemblées quelques données statistiques sur les expressions traitées et leurs occurrences⁶.
En l’absence d’autre précision, on considère toute la littérature grecque jusqu’au ve siècle, et on précise éventuellement chez quel auteur on a trouvé l’occurrence la plus ancienne. Sauf indication contraire, nous mentionnons en note toutes les occurrences des expressions considérées chez Théodoret, en commençant par l’In Romanos, suivi de l’ensemble de l’In epistulas Pauli, des œuvres exégétiques puis des autres œuvres.
2.2 Mots et expressions hérités d’autres auteurs
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2.2 Mots et expressions hérités d’autres auteurs Certains mots ou expressions peu fréquents trouvés dans l’In Romanos peuvent être considérés comme des emprunts soit à la langue d’un autre auteur, soit à une œuvre singulière, lorsqu’il s’agit de traits rarissimes employés dans un contexte semblable. Plusieurs de ces enquêtes ont donc contribué à la recherche des sources.
2.2.1 Influence chrysostomienne 2.2.1.1 Ἄγγελοι : τῶν ἀγγέλων ὁ δῆμος Τῶν ἀγγέλων ὁ δῆμος : environ 25 occurrences chez Jean Chrysostome⁷, 12 occurrences, toutes au pluriel, chez Théodoret⁸. Τῶν ἀγγέλων πληθύς : environ 27 occurrences chez Cyrille d’Alexandrie⁹. L’expression τῶν ἀγγέλων ὁ δῆμος, « l’assemblée des anges », est caractéristique de Jean Chrysostome, attestée seulement deux fois avant celui-ci¹⁰, et adoptée par Théodoret. Les deux auteurs la préfèrent aux expressions néotestamentaires λεγιῶνες ἀγγέλων, « légions d’anges » (Matthieu 26, 53), μυριάδες ἀγγέλων, « myriades d’anges » (Hébreux 12, 22), πλῆθος στρατιᾶς οὐρανίου, « multitude de l’armée céleste » (Luc 2, 13), ainsi qu’aux tournures plus fréquentes τῶν ἀγγέλων πλῆθος, χορός (χοροί) ou encore στρατία (στρατίαι), la « foule », le « chœur » ou l’« armée » des anges¹¹. Outre ces deux dernières expressions, Cyrille d’Alexandrie utilise surtout sa propre formule caractéristique, avec un terme poétique désignant la foule, τῶν ἀγγέλων πληθύς.
Cf., pour les commentaires de Paul, Jean Chrysostome, Hom. in Rom., XIV, PG 60, 537, 42 ; id., Hom. in I Cor., XII, PG 61, 99, 61 ; id., Hom. in II Cor., III, PG 61, 413, 6 ; 413, 17 ; id., Hom. in Hebr., XXVIII, PG 63, 199, 17. Cf. In Rom., arg., 1 ; In epist. Pauli, PG 82, 601 B 7 (Col 1, 20) ; 660 C 6-7 (2 Th 1, 7) ; Quaest. in Gen., IV, FM I, p. 9 ; Quaest. in Deut., XLII, FM I, p. 259 ; Com. in Ps., PG 80, 1849 B 11 (Ps 118, 89) ; 1929 C 3 (Ps 137, 1) ; Com. in Is., XII, SC 295, p. 440 (Is 42, 10) ; XV, SC 315, p. 88 (Is 49, 13) ; Eranistes, I, Ettlinger, p. 74 (48) ; De prouid., VII, PG 83, 684 C 2 ; X, PG 83, 752 B 7. Deux occurrences avant Cyrille. Cf. Ps.-Clément, Hom., III, 33, 2, GCS 42, p. 68 (δῆμοι τῶν ἀγγέλων καὶ πνευμάτων) ; Origène, Frg. in Prou., XI, PG 17, 192 B 14-15 (δῆμος τῶν ἀγγέλων καὶ πάντων τῶν δικαίων). On a aussi noté une occurrence de δῆμοι ἀγγελικοί dans Ps.-Macaire, Hom. spirituales, 15, 51, PTS 4, p. 156. On trouve chez Jean Chrysostome quelques occurrences de δῆμος τῶν δυνάμεων. Nous n’avons pas trouvé d’expression analogue avec δῆμος (archanges, puissances ou dieux) suffisamment fréquente pour parler d’une variante chrysostomienne. Théodoret et Jean Chrysostome ont aussi en commun δῆμοι τῶν μαρτύρων, « assemblée des martyrs ». Parmi ces expressions, seules μυριάδες ἀγγέλων et χορὸς τῶν ἀγγέλων sont attestées chez Théodoret.
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2.2.1.2 Αἰτιολογικός αvec ἔκβασις Αἰτιολογικός : 83 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 51 chez les grammairiens, 1 chez Jean Chrysostome, 1 chez Théodoret. Αἰτιολογία : 81 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 14 chez Jean Chrysostome, aucune chez Théodoret. Αἰτιολογία avec ἔκβασις : 9 occurrences chez Jean Chrysostome¹². Αἰτιολογικός avec ἔκβασις : 1 occurrence chez Jean Chrysostome, 1 chez Théodoret¹³. Le substantif αἰτιολογία, « causalité » – désignant notamment la cause finale –, rarement employé par les auteurs chrétiens, est bien attesté chez Jean Chrysostome. L’association de ce terme avec ἔκβασις, « issue », est propre au prédicateur, chez qui l’on trouve aussi une occurrence avec αἰτιολογικός, dans le cadre d’une précision sur l’emploi paulinien de ἵνα (Romains 5, 20). Par conséquent, l’unique attestation de cette affinité sémantique chez Théodoret, qui n’utilise par ailleurs ni αἰτιολογία ni αἰτιολογικός, à propos de ὅπως (Romains 3, 4), suggère une influence directe de Jean Chrysostome¹⁴.
2.2.1.3 ᾿Aποστολικὴ σκηνή ᾿Aποστολικὴ σκηνή : 2 occurrences chez Théodoret¹⁵. L’expression ἀποστολικὴ σκηνή, « tente apostolique » ou « tente de l’Apôtre », ne se trouve que chez Théodoret, dans deux formules conclusives de l’In epistulas Pauli. L’expression la plus proche, σκηνὴ τῶν ἀποστόλων, n’est attestée que chez Théodore le Studite (viiie siècle). Le choix de cette expression pour désigner la récompense éternelle, justement au sein d’un commentaire consacré au « divin Paul », n’est sans doute pas fortuit. On peut supposer une influence de Jean Chrysostome, chez qui la réminiscence de Luc 16, 9 (αἰώνιοι σκηναί, « tentes éternelles ») est particulièrement fréquente.
Cf., par exemple, Jean Chrysostome, Hom. in Rom., X, PG 60, 478, 31-32 (Rm 5, 20) ; id., In dictum Pauli : Oportet haereses esse, PG 51, 253, 52-254, 9 ; id., Hom. in Ioh., LXII, PG 59, 343, 35-36. Cf. In Rom., I, 45 (Rm 3, 4). Aucune autre occurrence de cette association (y compris avec les adverbes correspondants) jusqu’au ve siècle. Cf. infra, p. 161. Cf. In Rom., III, 62 (parénèse de la IIIe section) ; In epist. Pauli, PG 82, 373 D 6-7 (parénèse finale de l’In I Cor.).
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2.2.1.4 Ἄφατος φιλανθρωπία Ἄφατος φιλανθρωπία : notamment plus de 100 occurrences chez Jean Chrysostome, 10 chez Théodoret¹⁶. L’expression ἄφατος φιλανθρωπία est extrêmement fréquente chez Jean Chrysostome, bien attestée chez Théodoret et chez d’autres auteurs. En revanche, l’adjectif ἄφραστος n’est guère attesté comme épithète de φιλανθρωπία¹⁷.
2.2.1.5 Εὔκομος : εὔκομα λήϊα Κομῶντα λήϊα : 18 occurrences chez Jean Chrysostome¹⁸. Εὔκομα λήϊα : expression unique, chez Théodoret¹⁹. La formule κομῶντα λήϊα (« moisson chevelue ») est caractéristique de Jean Chrysostome, rare par ailleurs. L’expression unique trouvée chez Théodoret, εὔκομα λήϊα, « moisson à la belle chevelure », en est vraisemblablement une réminiscence. L’adjectif εὔκομος (« à la belle chevelure ») est presque inusité chez les auteurs chrétiens²⁰. Issu de la poésie épique, où il qualifie en particulier Hélène ou des déesses, il est utilisé, à partir du iie siècle de notre ère, à propos des animaux ou des plantes. Chez Jean Chrysostome comme chez Théodoret, il s’agit d’emplois métaphoriques.
2.2.1.6 Mυστικὴ εὐχή Mυστικὴ εὐχή : 3 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 1 chez Grégoire de Nysse²¹, 1 chez Jean Chrysostome²², 1 chez Théodoret²³.
Cf. In Rom., III, 45 (Rm 8, 17, cod. D) ; In epist. Pauli, PG 82, 412 A 5-6 (2 Co 6, 18) ; Quaest. in Leu., XVIII, FM I, p. 170 ; Com. in Ps., PG 80, 917 A 1-2 (Ps 8, 4) ; 1072 C 7 (Ps 29, 3-4) ; Com. in XII proph., PG 81, 1985 B 7 (Mal 4, 4) ; Com. in Is., XX, SC 315, p. 294 (Is 63, 7) ; De Inc., XIX (XVIII), SC 575, p. 90 ; Eranistes, Appendix, Ettlinger, p. 256 (321). Cf. In Rom., III, 45, famille de Π. Deux attestations trouvées jusqu’au ve siècle, dans Ps.-Grégoire de Nysse, Inuentio imaginis in Camulianis (CPG 3224) ; Ps.-Jean Chrysostome, In catechumenos (CPG 4623). Cf., par exemple, Jean Chrysostome, Sur la providence, 9, 3, 5, SC 79, p. 146 ; id., Homélies sur Ozias, I, 1, SC 277, p. 42 (et la note). Cf. aussi Théodoret, Com. in Ps., PG 80, 1900 A 3 (Ps 128, 8). L’expression est déjà attestée à partir du iie siècle, dans Julius Pollux, Onomasticon, I, 228, Bethe I, p. 71. Cf. In Rom., V, 47 (Rm 15, 21, cod. D : εὔκολα, adjectif assez fréquent). Avant Théodoret, une occurrence chez Grégoire de Nazianze et une chez Astérius le Sophiste. Cf. Grégoire de Nysse, Epistula canonica ad Letoium, can. 1, GNO III.5, p. 4 (SC 588, p. 70). Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., XIV, PG 60, 527, 2 (Rm 8, 15). Cf. In Rom., III, 44 (Rm 8, 15).
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Mυστικὴ εὐχή, « prière des initiés ». Cette expression semble rarissime. Grégoire de Nysse l’emploie dans un contexte disciplinaire pour évoquer la célébration eucharistique. Les deux autres occurrences se trouvent dans l’explication de Romains 8, 15 chez Jean Chrysostome et chez Théodoret, et dans ces deux cas l’expression désigne le Notre-Père. Cette coïncidence corrobore l’idée d’un emprunt direct : l’évêque de Cyr reprend l’interprétation du prédicateur en mettant en lien le verset paulinien sur « Abba, Père » et la prière dominicale. Théodoret affirme par ailleurs très clairement que cette prière n’est enseignée qu’aux baptisés (οὐ τοὺς ἀμυήτους, ἀλλὰ τοὺς μυσταγωγουμένους διδάσκομεν, « Nous l’enseignons non pas aux non-initiés, mais à ceux qui ont été initiés »), seuls capables, en vertu de l’« adoption filiale » (υἱοθεσία), d’appeler Dieu Père²⁴.
2.2.1.7 Παρακνίζειν Παρακνίζειν : 20 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 14 chez Jean Chrysostome, 2 chez Théodoret²⁵. Παρακνίζειν, « exciter ». Verbe rare attesté à partir d’Éphrem le Syrien, que l’on trouve surtout chez Jean Chrysostome. Les deux occurrences chez Théodoret sont des reprises de versets pauliniens contenant παραζηλοῦν et font écho à des utilisations du verbe par Jean Chrysostome à propos des mêmes passages²⁶.
2.2.2 Autres influences 2.2.2.1 ᾿Aποκυεῖν θάνατον ᾿Aποκυεῖν θάνατον : 1 occurrence dans le Nouveau Testament, 2 chez Théodoret²⁷. L’expression ἀποκυεῖν θάνατον, réminiscence de Jacques 1, 15 (Ἡ δὲ ἁμαρτία ἀποτελεσθεῖσα ἀποκυεῖ θάνατον, « Et le péché, étant consommé, enfante la mort »), n’est pas employée en dehors des citations de ce verset avant Théodoret. Celui-ci l’applique à « l’orientation vers le mal » et au « conseil du serpent ». Outre la mort, les impies « enfantent » (ἀποκυεῖν) « la vie contraire à la loi »²⁸.
Cf. Haer. fab., V, 28, PG 83, 552 C 15-D 4. Cf. In Rom., IV, 36, παρακνίσαι (Rm 11, 11, cod. D : παρακινῆσαι) ; In epist. Pauli, PG 82, 305 D 5, παρακνίζομεν (1 Co 10, 22, avec le cod. D). Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., XIX, PG 60, 587, 28 (Rm 11, 13-14) ; id., Hom. in I Cor., XXIV, PG 61, 202, 19-20 (1 Co 10, 22). Cf. In Rom., III, 20 (Rm 7, 10, sujet : ἡ δὲ περὶ τὸ χεῖρον τροπή) ; Haer. fab., I, 24, PG 83, 373 D 6-7 (sujet : ἡ τοῦ ὄφεως συμβουλή). Cf. In Rom., I, 24.
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2.2.2.2 ᾿Aχλὺς τῆς ἀπιστίας ᾿Aχλύς : environ 210 occurrences chez les auteurs chrétiens jusqu’au ve siècle, dont environ 30 chez Jean Chrysostome, environ 90 chez Cyrille d’Alexandrie, 14 chez Théodoret²⁹. ᾿Aχλὺς ἐκ τῆς ἀμαθίας : 7 occurrences chez Cyrille d’Alexandrie³⁰. ᾿Aχλὺς τῆς ἀπιστίας : 2 occurrences chez Théodoret³¹. La formule ἀχλὺς ἐκ τῆς ἀμαθίας (« brouillard issu de l’ignorance ») est propre à Cyrille d’Alexandrie, qui utilise le substantif poétique ἀχλύς beaucoup plus fréquemment que tous les auteurs chrétiens. On peut voir dans l’expression ἀχλὺς τῆς ἀπιστίας (« brouillard de l’incroyance »), employée à deux reprises par Théodoret et non attestée par ailleurs, une trace de sa fréquentation des écrits de Cyrille. Dans l’Argument de l’In Romanos, ἀχλὺς τῆς ἀπιστίας s’oppose αἴγλη τοῦ νοεροῦ φωτός (« rayon de la lumière intellectuelle ») pour exprimer d’une manière imagée le contraste entre croyance et incroyance³².
2.2.2.3 Δυσκατόρθωτος Δυσκατόρθωτος : environ 60 occurrences de Philon au ve siècle, dont 2 chez Diodore de Tarse³³, 22 chez Jean Chrysostome, 7 chez Cyrille d’Alexandrie, 1 chez Théodoret³⁴. Δυσκατόρθωτος, « difficile à mettre en place », est un adjectif peu fréquent, mais bien attesté chez Jean Chrysostome, notamment pour évoquer la difficulté – ou l’absence de difficulté – de la vertu ou de la virginité. L’unique référence chez Théodoret à propos de Romains 7, 12 (le commandement imposé à Adam n’était pas difficile à mettre en place) pourrait faire plus directement écho à la double occurrence trouvée chez Diodore soulignant la difficulté de la loi à propos de Romains 7, 21³⁵.
Substantif attesté dès Homère ; unique occurrence dans la Bible : Actes 13, 11. Les occurrences recensées chez les auteurs chrétiens comprennent les citations de ce verset. Cf., par exemple, Cyrille d’Alexandrie, Com. in Is., I, 4, PG 70, 177 A 14 ; III, 3, PG 70, 728 A 2. Cf. arg., 1 ; Thérap., VIII, 7, SC 57, p. 312. À rapprocher de ὥσπερ ἀχλύϊ τῇ ἀπιστίᾳ κατείχετο, Basile de Séleucie, Sermones, XXV, 3, PG 85, 293 D 3. Cf. infra, p. 50. Cf. Diodore de Tarse, Frg. in Rom., Staab, p. 89 (Rm 7, 21, bis). Cf. In Rom., III, 22 (Rm 7, 12). Le commentaire de Diodore sur Romains 7, 12 ne nous est pas parvenu.
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2.2.2.4 Ἐπισυλλογίζεσθαι Ἐπισυλλογίζεσθαι : 9 occurrences³⁶, dont 5 dans des commentaires de Romains ³⁷ ; 4 occurrences chez Théodoret³⁸. Ἐπισυλλογίζεσθαι, « raisonner », est un composé extrêmement rare. La majorité des occurrences est située dans des œuvres exégétiques d’auteurs issus de la même région, dont quatre dans des commentaires de Romains. L’influence directe du commentaire de Théodore de Mopsueste est vraisemblable. Dans tous les cas, le verbe sert à introduire une citation considérée comme une suite logique du raisonnement.
2.2.2.5 Τύπος θανάτου (βάπτισμα) Τύπος θανάτου (baptême) : notamment 7 occurrences chez Théodoret³⁹. L’utilisation de l’expression τύπος θανάτου « figure de la mort » (du Christ) pour désigner le baptême est assez rare, mais particulièrement bien représentée chez Théodoret. On la trouve d’abord chez Origène⁴⁰, puis chez Basile de Césarée, où le mot τύπος est répété trois fois, dans une réflexion sur le baptême et ses symboles⁴¹. L’auteur cite notamment Romains 6, 3-5 et Colossiens 2, 12. Il est remarquable que ces deux citations soient associées à la même expression chez Théodoret, ainsi que chez d’autres exégètes⁴². L’évêque de Cyr considère du reste que l’expression traduit exactement l’idée paulinienne : Θανάτου τύπον ἐκάλεσε τὸ σωτήριον βάπτισμα, τοῦτο γὰρ εἶπε, « συνταφέντες », « Il a appelé “figure de la mort” le baptême salutaire – car il a dit ceci : “ensevelis avec lui” »⁴³. Il n’est pas impossible que ces exégètes empruntent, directement ou indirectement, à Basile.
Jusqu’au xiiie siècle. Les deux emplois antérieurs au ive siècle (Apollonios Dyscole et Jamblique) sont mentionnés dans le LSJ. Cf. Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 144 (Rm 9, 16) ; p. 152 (Rm 10, 17) ; Gennade de Constantinople, Frg. in Rom., Staab, p. 364 (Rm 5, 17) ; et les occurrences chez Théodoret (note suivante). Cf. In Rom., I, 46 (Rm 3, 5) ; IV, 11 (Rm 9, 16) ; In epist. Pauli, PG 82, 704 C 12 (He 4, 8) ; Com. in Ps., PG 80, 1768 A 5 (Ps 109, 1, transition entre Mt 22, 42 et 43). Cf. In Rom., II, 34 (bis, Rm 6, 4) ; In epist. Pauli, PG 82, 353 A 11 (1 Co 15, 16-17) ; 609 C 5 (Col 2, 12) ; 717 B 5 (He 6, 5) ; Corresp., I, 47, SC 40, p. 114 (θανάτου καὶ ἀναστάσεως, citation Rm 6, 3. 5) ; De Inc., XXIX (XXVIII), SC 575, p. 138 (σκιαγραφία καὶ τύπος, citation Rm 6, 5). Cf. Origène, Frg. in Ioh., CXL, GCS 10, p. 574 (citations 1 Co 12, 13 ; Col 1, 18 ; Ep 5, 30). Cf. Basile de Césarée, Sur le Saint-Esprit, XV, 35, SC 17 bis, p. 366-371. L’eau, dit également Basile, fournit l’« image de la mort » (τοῦ θανάτου ἡ εἰκών). Cf. surtout Gennade de Constantinople, Frg. in Rom., Staab, p. 365 (Rm 6, 3-4, θανάτου καὶ ἀναστάσεως). La même idée est exprimée avec τύπος, par exemple dans Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 121 (Rm 6, 3). Pour cet auteur, le baptême est une figure (τύπος) du monde à venir ; le baptisé meurt avec le Christ et ressuscite en figure avec lui. Cf. id., Hom. catech., VI, 12-13, StT 145, p. 153-157. Théodoret, In epist. Pauli, PG 82, 609 C 5 (Col 2, 12).
2.3 Le lexique de Théodoret
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2.3 Le lexique de Théodoret Dans cette partie sont rassemblées des observations sur le lexique de Théodoret. Dans un premier temps, on s’intéresse à la fréquence relative de certains mots. Dans un second temps, on relève le sens particulier de quelques termes. La plupart de ces enquêtes ont servi à l’établissement du texte⁴⁴.
2.3.1 Préférences lexicales de Théodoret 2.3.1.1 ᾿Aνθρώπειος vs ἀνθρώπινος ᾿Aνθρώπειος : environ 1400 occurrences du ie au ve siècle⁴⁵, dont environ 300 chez Théodoret⁴⁶. ᾿Aνθρώπινος : plus de 9000 occurrences du ie au ve siècle⁴⁷, dont environ 450 chez Théodoret. L’adjectif ἀνθρώπειος, en général beaucoup moins employé que son doublet ἀνθρώπινος, est toutefois très fréquent chez Théodoret, plus que chez tout autre auteur.
2.3.1.2 ᾿Aτημέλητος ᾿Aτημέλητος : 53 occurrences d’Eschyle au ve siècle, dont 25 chez Théodoret⁴⁸. Le terme ἀτημέλητος, « livré à soi-même » est rare en général, mais particulièrement fréquent chez Théodoret. Il qualifie presque toujours, chez celui-ci, les hommes dans leur rapport avec Dieu : dans la majorité des cas (et en particulier dans l’In Romanos), il sert à exprimer l’idée que Dieu ne les laisse pas à l’abandon, malgré leur impiété. Parfois, cependant, il est utilisé pour reformuler un texte dans lequel il est question de Dieu délaissant son peuple.
Pour les sigles utilisés et les références aux éditions anciennes, cf. infra, p. 391. Dont environ 60 occurrences chez Philon, 9 chez Origène, moins de 40 chez Jean Chrysostome, environ 100 chez Cyrille d’Alexandrie. Occurrences de l’In Romanos : I, 6 (Rm 1, 3) ; II, 19 (Rm 4, 23-24, cod. D : ἀνθρώπινον) ; III, 35 (ter, Rm 8, 3) ; III, 57 (Rm 8, 32) ; III, 59 (Rm 8, 33, cod. D : ἀνθρώπινον) ; IV, 39 (Rm 11, 16) ; V, 50 (Rm 15, 27). Aucune occurrence dans les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos ni dans l’Expositio rectae fidei, qui ont respectivement 3 et 5 occurrences de ἀνθρώπινον. Dont environ 160 occurrences chez Philon, 450 chez Origène, 1400 chez Jean Chrysostome, 800 chez Cyrille d’Alexandrie. Occurrences de l’In epistulas Pauli, toutes situées dans l’In Romanos : In Rom., I, 22 (Rm 1, 19-20) ; II, 10 (Rm 3, 30) ; II, 31 (Rm 5, 20). Le mot est employé par Théodoret dans les œuvres exégétiques, sauf un petit nombre d’occurrences dans la Thérapeutique et dans le De prouidentia.
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
2.3.1.3 Δειδίσσεσθαι Δειδίσσεσθαι : environ 250 occurrences d’Homère au ve siècle, dont 92 chez Théodoret⁴⁹. Le verbe δειδίσσεσθαι, « effrayer », est peu courant en général, mais très fréquent chez Théodoret.
2.3.1.4 Μειρακύλλιον Μειρακύλλιον : environ 30 occurrences d’Aristophane au ve siècle⁵⁰, dont au moins 4 occurrences chez Théodoret⁵¹. Le substantif μειρακύλλιον, « jeune adolescent », est un diminutif rare, que l’on trouve en particulier chez les auteurs comiques. Contrairement à μειράκιον, terme très courant, il n’est pas attesté chez les auteurs chrétiens, si ce n’est chez Théodoret. Sauf dans l’Histoire ecclésiastique, celui-ci utilise le diminutif à propos de Samuel, qui est qualifié de παιδάριον dans le récit biblique⁵². L’emploi de μειράκιον à propos de Samuel ne semble pas attesté, sinon peut-être, toujours chez Théodoret, dans l’In Danielem ⁵³.
2.3.1.5 Παρεξετάζειν vs συνεξετάζειν Παρεξετάζειν : 75 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 40 chez Théodoret⁵⁴. Παρεξέτασις : 29 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 22 chez Théodoret⁵⁵. Συνεξετάζειν : environ 150 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 60 chez Origène.
Occurrences de l’In epistulas Pauli : In Rom., V, 14, ἐδεδίξατο (Rm 13, 2, cod. D : ἐδιδάξατο) ; In epist. Pauli, PG 82, 301 B 3 (1 Co 10, 1) ; 408 C 13 (2 Co 5, 10) ; 453 C 14 (2 Co 13, 1) ; 481 A 10 (Ga 3, 18) ; 552 B 4 (Ep 6, 9) ; 601 C 12-13 (Col 1, 23) ; 636 C 12-13 (1 Th 2, 11-12) ; 700 C 14 (He 3, 7-11) ; 701 C 12-13 (He 3, 17-19) ; 753 B 1 (He 10, 26) ; 821 B 1 (1 Tim 5, 21) ; 849 D 1 (2 Tim 4, 1). On trouve des occurrences dans tous les types d’œuvres de Théodoret. Aucune occurrence dans les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos ni dans l’Expositio rectae fidei. En tenant compte des citations. Occurrences chez Théodoret : In epist. Pauli, prol., 2 (cod. D : μειράκιον) ; Quaest. in I Reg., IX, FM II, p. 12 (codd. μειρακύλλιον, edd. anteriores μειράκιον) ; HE, III, 14, 1, SC 530, p. 136 ; V, 13, 5, SC 530, p. 394. Sur la réécriture de ce récit dans le Prologue, cf. infra, p. 102. Cf. Com. in Dan., PG 81, 1280 D 1-7 (Dn 1, 17). Occurrence à considérer avec prudence en l’absence d’édition critique. Παρεξετάζειν dans l’In Romanos : II, 1 ; III, 43 (Rm 8, 15, cod. D : συνεξετάζειν) ; V, 2 (Rm 12, 1). Παρεξέτασις dans l’In Romanos : II, 5 (Rm 3, 21) ; III, 11 (Rm 7, 1) ; IV, 1.
2.3 Le lexique de Théodoret
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Παρεξετάζειν , « comparer », est un verbe rare, plus employé par Théodoret que par tous les auteurs réunis avant lui⁵⁶. Le substantif, attesté à partir de Grégoire de Nysse, est rarissime en dehors de Théodoret. En revanche, le verbe συνεξετάζειν, fréquent chez Origène, n’est attesté ni chez Théodoret, ni chez Jean Chrysostome, de même que le substantif dérivé. On trouve de rares occurrences chez Théodore de Mopsueste.
2.3.1.6 Πολυθρύλητος vs περιθρύλητος Πολυθρύλητος : 230 occurrences de Thalès au ve siècle, dont 115 chez Théodoret⁵⁷. Περιθρύλητος : mot pratiquement inusité avant le xie siècle ; occurrences chez Théodoret⁵⁸ ? L’adjectif πολυθρύλητος (« fameux ») est particulièrement fréquent chez Théodoret. En revanche, περιθρύλητος ne paraît pratiquement pas attesté avant le xie siècle, sauf peut-être deux occurrences aux vie et au viiie siècle ainsi que dans l’In Romanos, d’après le manuscrit D, et une fois dans l’Haereticarum fabularum compendium, d’après la Patrologia Graeca. Le verbe θρυλεῖν (« murmurer, répéter sans cesse »), attesté dès Ésope et Thalès, se trouve aussi dans la Bible grecque (Job, 3 Maccabées) et est utilisé par les auteurs chrétiens à partir de Clément d’Alexandrie.
2.3.1.7 Προπάτωρ vs πρωτόπλαστος Προπάτωρ : classique, 41 occurrences chez Théodoret⁵⁹. Πρωτόπλαστος : biblique et patristique, 1 occurrence chez Théodoret⁶⁰.
Le mot est attesté en particulier chez Démosthène, Théodore de Mopsueste. Aucune occurrence dans les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos ni dans l’Expositio rectae fidei. Occurrences de l’In epistulas Pauli : In Rom., I, 43 (Rm 3, 2) ; IV, 5 (bis, Rm 9, 4-5, cod. D : περιθρύλητος bis) ; V, 55 (Rm 16, 1) ; In epist. Pauli, PG 82, 632 C 3 (1 Th 1, 8) ; 757 D 4 (He 11, 4). On trouve aussi bien l’orthographe πολυθρύλλητος. Aucune occurrence dans les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos ni dans l’Expositio rectae fidei. Cf. In Rom., IV, 5 (bis, Rm 9, 4-5, cod. D) ; Haer. fab., II, 8, PG 83, 393 D 4. Pour les occurrences de l’In epistulas Pauli, le cod. D ne présente pas de variante. Parmi les éditions critiques disponibles de Théodoret, seuls deux manuscrits du xiiie siècle, apparentés, attestent περιθρύλητος à la place d’une occurrence de πολυθρύλητος (sur 64 occurrences disponibles dans les éditions considérées) : HE, III, 23, GCS N. F. 5, p. 202. Occurrences de l’In epistulas Pauli : In Rom., II, 25 (Rm 5, 12) ; II, 27 (Rm 5, 14, cod. D : πρωτόπλαστος) ; IV, 5 (Rm 9, 4) ; In epist. Pauli, PG 82, 365 D 9 (1 Co 15, 48). Occurrence sûre de πρωτόπλαστος (outre les citations d’auteurs dans l’Eranistes) : In epist. Pauli, PG 82, 353 D 5-6 (1 Co 15, 22), où le mot répond à πρωτότοκος. Occurrence peu probable : In Rom., II, 27 (Rm 5, 14, cod. D). On trouve dans les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos deux occurrences consécutives (et aucune occurrence de προπάτωρ).
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
Théodoret emploie le mot προπάτωρ, « ancêtre », substantif attesté dès Pindare, et non πρωτόπλαστος (« premier façonné »), terme biblique attesté seulement chez les auteurs juifs et chrétiens. Au contraire, Jean Chrysostome emploie deux fois plus souvent πρωτόπλαστος que προπάτωρ.
2.3.1.8 Στέριφος vs στεῖρος Στέριφος : classique, 10 occurrences chez Théodoret⁶¹. Στεῖρος : biblique et patristique, inusité chez Théodoret. L’adjectif classique et non biblique στέριφος, « stérile », est employé seulement par Théodoret parmi les auteurs chrétiens antérieurs à Photius⁶². Le doublet biblique στεῖρος est très fréquent, spécialement chez les Pères, mais on ne le trouve chez Théodoret que dans les citations ou des paraphrases de citations bibliques⁶³.
2.3.1.9 Autres mots relativement fréquents chez Théodoret Mots dont la fréquence relative chez Théodoret est remarquable⁶⁴ : Αἴγλη chez les auteurs chrétiens : environ 130 occurrences, d’Origène jusqu’au ve siècle, dont 62 chez Théodoret. ᾿Aκίς chez les auteurs chrétiens : environ 55 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 16 chez Grégoire de Nysse, 24 chez Théodoret⁶⁵. ᾿Aξιέραστος : environ 160 occurrences de Xénophon au ve siècle, dont 51 chez Théodoret. Διαμάχη : environ 75 occurrences d’Isocrate au ve siècle, dont 28 chez Théodoret. Ἐκπαιδεύειν : notamment 250 occurrences du ive au ve siècle, dont 112 chez Théodoret. Καταθέλγειν : moins de 80 occurrences d’Homère au ve siècle, dont 41 chez Théodoret. Κολοφών : environ 100 occurrences de Platon au ve siècle, dont 28 chez Jean Chrysostome, 15 chez Théodoret.
Cf. In Rom., II, 18 (Rm 4, 18-19, cod. D : στεῖρος) ; Quaest. in Gen., LXVIII, FM I, p. 64 ; XC, FM I, p. 81 ; Com. in Ps., PG 80, 1788 B 8 (Ps 112, 9) ; Com. in XII proph., PG 81, 1604 C 1 (Os 9, 13) ; Com. in Is., XVI, SC 315, p. 114 (Is 51, 1) ; Hist. Phil., XI, 4, SC 234, p. 458 ; XIII, 16, SC 234, p. 502 ; XXVI, 21, SC 257, p. 202 ; Thérap., VIII, 63, SC 57, p. 333. On trouve une occurrence chez Philon d’Alexandrie et une chez Flavius Josèphe ; aucune dans les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos. On trouve στεῖρος dans l’intitulé d’une quaestio à propos de la stérilité des femmes des patriarches (Théodoret, Quaest. in Gen., LXXVI, FM I, p. 71). Une occurrence dans les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos. Voir les articles correspondants dans la suite de ce chapitre. Cf. infra, p. 83.
2.3 Le lexique de Théodoret
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Λειμών : environ 850 occurrences d’Homère au ve siècle, dont environ 260 chez les auteurs chrétiens, dont 18 chez Grégoire de Nysse, 88 chez Jean Chrysostome (54 au singulier, 34 au pluriel), 23 chez Théodoret (22 au pluriel)⁶⁶. Προμηθεῖσθαι : moins de 190 occurrences d’Archiloque au ve siècle, dont 122 chez Théodoret. Συνείδησις : notamment 30 occurrences dans le Nouveau Testament, 4 chez Philon, 4 chez Flavius Josèphe, moins de 40 chez Jean Chrysostome, aucune chez Théodoret (hors citations). Συνειδός : notamment 32 occurrences chez Philon, 17 chez Flavius Josèphe, plus de 600 chez Jean Chrysostome, environ 55 chez Théodoret. Ταινιοῦν : 54 occurrences de Thucydide au ve siècle, dont 17 chez Théodoret. Ὑφορμεῖν : 45 occurrences de Polybe au ve siècle, dont 13 chez Jean Chrysostome, 8 chez Théodoret.
2.3.2 Emplois particuliers de certains mots chez Théodoret 2.3.2.1 ᾿Aντιβολεῖν ᾿Aντιβολεῖν : notamment 7 occurrences dans l’In epistulas Pauli ⁶⁷. Le verbe ἀντιβολεῖν, « implorer », classique mais non biblique, se trouve, chez les auteurs chrétiens, à partir d’Eusèbe de Césarée. Son emploi chez Théodoret est différent de l’usage qu’en fait Jean Chrysostome. Celui-ci l’utilise surtout dans des apostrophes aux auditeurs, associé à δεῖσθαι, éventuellement à παρακαλεῖν : il s’agit d’implorer les fidèles. Théodoret l’utilise souvent pour évoquer une demande à Dieu, ce qui ne semble pas être habituel chez d’autres auteurs. C’est le cas de toutes les occurrences de l’In epistulas Pauli.
2.3.2.2 Διεξέρχεσθαι, διέρχεσθαι Διεξέρχεσθαι : notamment 6 occurrences dans l’In epistulas Pauli ⁶⁸. Διέρχεσθαι : notamment 4 occurrences dans l’In epistulas Pauli ⁶⁹.
Cf. infra, p. 97. Occurrences de l’In epistulas Pauli : prol., 1 ; 3 ; In Rom., V, 64 (Rm 16, 20) ; In epist. Pauli, PG 82, 529 C 10 (Ep 3, 14) ; 641 B 6 (1 Th 3, 9-10) ; 661 B 6 (2 Th 1, 11-12) ; 873 B 3 (Phm 1, 4-6). Aucune occurrence dans les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos ni dans l’Expositio rectae fidei. Occurrences de l’In Romanos et du Prologue de l’In epistulas Pauli : prol., 7 ; In Rom., Ι, 6 (Rm 1, 3) ; III, 32 (Rm 7, 24) ; IV, 48, διεξελθών (Rm 11, 33, cod. D : διελθών) ; V, 21, διεξελθών (Rm 14, 1, ed. Mg : διελθών). Dans l’In epist. Pauli, PG 82, 445 C 10 (2 Co 11, 28) : la famille de Π a διελθεῖν, le cod. D διεξελθεῖν. Occurrences de διέρχεσθαι au sens spatial dans l’In Romanos et le Prologue de l’In epistulas Pauli : prol., 13 ; au sens temporel : prol., 5 ; In Rom., I, 12 (Rm 1, 9) ; V, 19 (Rm 13, 13). Unique
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
Théodoret emploie habituellement διεξέρχεσθαι dans le sens intellectuel d’exposer, réservant διέρχεσθαι au sens d’un parcours dans l’espace ou dans le temps.
2.3.2.3 Κολοφών Κολοφών : environ 100 occurrences, de Platon au ve siècle, dont 12 chez Libanius, 28 chez Jean Chrysostome, 15 chez Théodoret (dont 5 dans la Correspondance). Κολοφὼν τῶν εὐεργεσιῶν : expression unique, chez Théodoret⁷⁰. Le substantif rare κολοφών, « couronnement »⁷¹, est très rare chez les Pères en dehors de Jean Chrysostome et Théodoret, peut-être sous l’influence de Libanius. Chez le prédicateur, il est le plus souvent question du couronnement des maux (τῶν κακῶν), des malheurs, des péchés, des châtiments, tandis que Théodoret évoque de préférence le couronnement des biens (τῶν ἀγαθῶν)⁷². Parmi les emplois dans ce sens positif, l’expression κολοφὼν τῶν εὐεργεσιῶν est apparemment unique.
occurrence chez Théodoret de διέρχεσθαι au sens d’« exposer » : Com. in XII proph., prol., PG 81, 1548 D 4, à prendre avec précaution en l’absence d’édition critique. Cf. In Rom., III, 57 (Rm 8, 32). On trouve toutefois, chez Libanius, Epistulae, 114, 8, Teubner, X, p. 116, Σὺ δὲ ταῖς πολλαῖς εὐεργεσίαις ἐπίθες τὸν κολοφῶνα, « Toi, ajoutant aux nombreux bienfaits le couronnement ». Occurrences de l’In epistulas Pauli : In Rom., III, 57 (Rm 8, 32) ; V, 59 (Rm 16, 10). Cf., par exemple, In Rom., V, 59 (Rm 16, 10).
2.4 Expressions propres à Théodoret ou rares par ailleurs
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2.4 Expressions propres à Théodoret ou rares par ailleurs Dans cette partie sont rassemblées des notices concernant des associations de mots caractéristiques de la langue de Théodoret et qui lui sont propres ou qui sont rares par ailleurs. Ces enquêtes ont parfois été occasionnées par une simple question d’établissement du texte. Dans un premier temps, nous présentons quelques tournures typiques de la langue exégétique de Théodoret, dont certaines sont révélatrices de ses principes – concision, importance accordée à la cohérence du texte. Suivent des expressions diverses.
2.4.1 Formules caractéristiques de l’exégèse de Théodoret 2.4.1.1 ᾿Aνάγραπτα ποιεῖν ᾿Aνάγραπτα ποιεῖν : 15 occurrences jusqu’au ve siècle⁷³, dont 11 chez Théodoret⁷⁴. L’expression ἀνάγραπτα ποιεῖν, « faire consigner par écrit », est caractéristique de Théodoret, très peu attestée avant lui. Le sujet est aussi bien l’auteur lui-même qu’un prophète, mais aussi Dieu, comme dans l’In Romanos ⁷⁵. Ainsi est exprimée clairement l’idée que la rédaction même des événements par les écrivains sacrés, c’est-àdire par Dieu lui-même moyennant l’inspiration des Écritures, fait partie de l’économie divine et de son dessein bienveillant⁷⁶. On peut y voir une réminiscence paulinienne⁷⁷.
2.4.1.2 Ἑξῆς : Τοῦτο γὰρ διὰ τῶν ἑξῆς δεδήλωκε, ἐδίδαξε Τοῦτο γὰρ διὰ τῶν ἑξῆς, avec δηλοῦν : 12 occurrences chez Théodoret⁷⁸.
Occurrences dans l’Aduersus Eunomium V du Pseudo-Basile et chez Jean Chrysostome. Cf. In Rom., II, 19 (Rm 4, 23-24) ; In epist. Pauli, PG 82, 304 B 13-14 (1 Co 10, 11) ; 492 D 1 (Ga 4, 30) ; Quaest. in Num., XLIX, FM I, p. 225 ; Com. in Ps., PG 80, 1509 B 5-6 (Ps 78, 13) ; 1681 A 15 (Ps 101, 19) ; Com. in XII proph., PG 81, 1596 D 1 (Os 8, 12) ; 1732 D 7 (Jon 2, 10) ; Com. in Dan., prol., PG 81, 1256 D 6 (ποιεῖσθαι) ; Corresp., III, 138, SC 111, p. 138 ; HE, IV, 29, 2, SC 530, p. 308. Cf. aussi Corresp., III, 138, SC 111, p. 138 ; In epist. Pauli, PG 82, 304 B 13-14. Le texte transmis depuis J. Sirmond en II, 19, remplaçant τά par ἅ (ἀνάγραπτα ἃ κατὰ… ᾿Aβραὰμ πεποίηκεν ὁ … θεός) exprime une idée plus banale : « Ce que Dieu (…) a fait concernant (…) Abraham est consigné par écrit ». Cf. Rm 15, 4 ; 1 Co 10, 11. À propos de Romains 15, 4, Théodoret affirme que Dieu a conservé les récits des saints pour « notre » utilité (cf. V, 39). Cf. In Rom., I, 2 (Rm 1, 1) ; Com. in Is., IV, SC 295, p. 32-34 (Is 10, 20-21) ; VI, SC 295, p. 136 (Is 19, 14) ; VIII, SC 295, p. 258 (Is 29, 17) ; IX, SC 295, p. 298 (Is 32, 11) ; X, SC 295, p. 308 (Is 33, 2) ; X, SC 295, p. 322 (Is 33, 19) ; XVII, SC 315, p. 176 (Is 54, 17) ; XVIII, SC 315, p. 228 (Is 59, 6) ; XX, SC 315, p. 338 (Is 66, 9) ; Com. in Ier., PG 81, 541 A 12 (Jr 6, 1, δηλοῖ δὲ ταύτην) ; 652 C 8 (Jr 36, 27).
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
Τοῦτο γὰρ διὰ τῶν ἑξῆς, avec διδάσκειν : 5 occurrences chez Théodoret⁷⁹. Τοῦτο γὰρ διὰ τῶν ἑξῆς, avec ἐκπαιδεύειν : 1 occurrence chez Théodoret⁸⁰. Τοῦτο γὰρ διὰ τῶν ἑξῆς, avec σαφέστερον ποιεῖν : 1 occurrence chez Théodoret⁸¹. Τοῦτο (γὰρ) δηλοῖ (καὶ) τὰ ἑξῆς : 9 occurrences chez Jean Chrysostome (plutôt avec τὸ ἑξῆς), 43 chez Théodoret. Τοῦτο διδάσκει καὶ τὰ ἑξῆς : environ 16 occurrences chez Théodoret⁸². Τοῦτο γὰρ διὰ τῶν ἑξῆς δεδήλωκε, « c’est ce qu’il a montré par ce qui suit » : comme phrase autonome, sans autre complément que τοῦτο, cette formule est un trait de langue caractéristique de Théodoret exégète, qu’on ne trouve pratiquement pas ailleurs⁸³. Ce n’est pas un tour figé. L’ordre des mots est presque toujours celui indiqué, la particule de liaison régulièrement γάρ. Les variantes consistent dans le choix du verbe et du temps verbal, dans la présence ou non d’un sujet exprimé et de l’adverbe καί⁸⁴. L’expression ne se rencontre, chez d’autres auteurs, que comme membre de phrase, souvent complété par une interrogation indirecte⁸⁵, ou bien, par exemple chez Jean Chrysostome, suivi de εἰπὼν ὅτι. Théodoret emploie aussi régulièrement τοῦτο δηλοῖ ou διδάσκει καὶ τὰ ἑξῆς, qui lui sont assez caractéristiques. Toutes ces expressions soulignent la cohérence du discours biblique.
2.4.1.3 Μεταφέρειν : τὴν προφητείαν μεταφέρειν Τὴν προφητείαν μεταφέρειν : 9 occurrences chez Théodoret⁸⁶.
Cf. In Rom., II, 9 (Rm 3, 27) ; III, 35 (Rm 8, 4, cod. D : omisit) ; In epist. Pauli, PG 82, 437 A 6-7 (2 Co 11, 13) ; Com. in Ps., PG 80, 1292 B 11-12 (Ps 56, 5) ; Com. in Is., VII, SC 295, p. 222 (Is 27, 4). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 696 B 8-9 (He 2, 16). Cf. De prouid., X, PG 83, 756 A 11. Cf. pour l’In Rom., II, 11 (Rm 4, 5) ; III, 38 (Rm 8, 9) ; IV, 38 (Rm 11, 16) ; V, 12 (Rm 12, 21). Eusèbe emploie plusieurs fois l’expression proche ταῦτα διδάσκει ἑξῆς λέγων (ou φάσκων). On a trouvé deux exemples en dehors de Théodoret, avec δηλοῦν, dans Jean Chrysostome, Sur l’incompréhensibilité de Dieu, I, 101, SC 28 bis, p. 104 ; id., Hom. in Matth., LV, PG 58, 541, 7. Sur l’emploi du mot ἑξῆς chez Théodoret, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 261-262. On trouve aussi la préposition ἐν à la place de διά, par exemple dans l’In Rom., I, 18, et τοῦτο γὰρ δηλῶν à la place de τοῦτο γάρ, cf. Com. in Ier., PG 81, 772 B 6-7 (Ba 3, 29). Théodoret en offre lui-même bien des exemples, entre autres In epist. Pauli, PG 82, 273 B 7-9 (1 Co 7, 6) ; 297 A 5-7 (1 Co 9, 15) ; Com. in Ps., PG 80, 1232 B 13-15 (Ps 49, 5-6) ; Com. in Is., III, SC 276, p. 270 (Is 6, 10) ; Com. in Ier., PG 81, 576 A 12-14 (Jr 11, 18) ; 720 B 11-12 (Jr 31, 10). Parfois, le complément est un substantif, par exemple en In Rom., IV, 2 (Rm 9, 3, τὴν τούτων διάνοιαν à la place de τοῦτο) ; In epist. Pauli, PG 82, 344 B 8-9 (1 Co 14, 23, δείκνυσι δὲ διὰ τῶν ἑξῆς τῆς προφητείας τὸ χρήσιμον). Cf. Com. in Is., V, SC 295, p. 64 (Is 13, 1) ; VI, SC 295, p. 128 (Is 19, 1) ; Com. in Ier., PG 81, 548 B 1 (Jr 6, 24) ; 716 C 3-4 (Jr 29, 1-7) ; Com. in Ez., PG 81, 1056 B 2-3 (Ez 24, 15) ; 1061 B 14 (Ez 25, 8) ; Com. in XII proph., PG 81, 1656 B 6-7 (Jl 2, 32) ; 1657 C 13 (Jl 3, 9) ; 1937 C 7 (Za 10, 15).
2.4 Expressions propres à Théodoret ou rares par ailleurs
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Τὸν λόγον μεταφέρειν : moins de 100 occurrences, de Strabon au ve siècle, dont 69 chez Théodoret⁸⁷. Τὸν λόγον τρέπειν : usuel chez Jean Chrysostome et Théodore de Mopsueste, 19 occurrences chez Théodoret⁸⁸. Τὴν προφητείαν μεταφέρειν, « orienter la prophétie vers », est une formule propre à Théodoret, utilisée avec les prépositions εἰς ou ἐπί ⁸⁹. C’est une variante de τὸν λόγον μεταφέρειν, « orienter son propos vers, changer de sujet », tournure rare en général, mais fréquente chez Théodoret, utilisée avec les prépositions εἰς, πρός ou ἐπί. L’évêque de Cyr préfère celle-ci à une autre expression qui sert également à signaler un changement de sujet, τὸν λόγον τρέπειν, beaucoup plus usuelle chez Jean Chrysostome et Théodore de Mopsueste, par exemple. L’évêque de Cyr emploie τὸν λόγον μεταφέρειν exclusivement dans ses œuvres exégétiques (τὴν προφητείαν μεταφέρειν, uniquement dans les commentaires des livres prophétiques), toujours pour mentionner un changement de sujet dans le texte commenté, notamment dans des transitions avec résumé de ce qui précède⁹⁰. On ne s’étonnera pas de ne pas la trouver dans les Quaestiones, mais seulement dans les commentaires, qui accordent de l’importance à l’enchaînement du texte. Il faut surtout remarquer son absence totale de l’In Canticum, et l’unique occurrence dans l’In Danielem, ses deux premiers commentaires.
2.4.1.4 Συμφωνεῖν : συμφωνεῖ καὶ τὰ ἐπαγόμενα Συμφωνεῖ καὶ τὰ ἐπαγόμενα : 7 occurrences chez Théodoret⁹¹.
Occurrences de l’In epistulas Pauli : In Rom., I, 36 (Rm 2, 17) ; I, 38 (Rm 2, 25) ; II, 20 (Rm 5, 1) ; III, 11 (Rm 7, 1) ; V, 24 (Rm 14, 5) ; In epist. Pauli, PG 82, 252 C 8-9 (1 Co 3, 21) ; 352 B 9-10 (1 Co 15, 11) ; 489 C 8-10 (Ga 4, 21) ; 568 A 15-B 1 (Ph 1, 27) ; 577 B 13-14 (Ph 3, 1) ; 601 B 12-13 (Col 1, 21) ; 617 C 14-D 1 (Col 3, 11) ; 661 B 14-15 (2 Th 2, 1) ; 689 A 6-7 (He 2, 1) ; 776 C 3 (He 12, 18) ; 861 A 4-5 (Tt 1, 10). On compte 8 occurrences dans l’In Psalmos, 13 dans l’In XII prophetas, 14 dans l’In Isaiam, 5 dans l’In Ieremiam, 11 dans l’In Ezechielem. On évitera de se lancer dans de fins calculs selon la longueur de ces œuvres pour essayer de supposer une datation relative. Aucune occurrence dans l’In epistulas Pauli et l’In Danielem ; 3 dans l’In Canticum, 8 dans l’In XII prophetas. Seules occurrences chez d’autres auteurs : une chez Hésychius (dans un titre), une chez Photius. Cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 337-338. L’emploi de μεταβαίνειν (avec λόγος comme sujet ou objet) est encore moins fréquent chez Théodoret que τὸν λόγον τρέπειν ; nous n’avons pas trouvé d’exemple de τὸν λόγον φέρειν. Cf. In Rom., III, 53 (Rm 8, 28, cod. D : σύμφωνα, omisit καί) ; Com. in Ps., PG 80, 1280 C 2-3 (Ps 54, 22, τὸ ἐπαγόμενον) ; 1456 C 10-11 (Ps 73, 3) ; 1584 C 2-3 (Ps 88, 16) ; Com. in XII proph., PG 81, 1620 A 7-8 (Os 12, 8) ; 1620 A 13-14 (Os 12, 8, τοῖς ἐπαγομένοις) ; Com. in Ier., PG 81, 796 C 10 (Lm 3, 28).
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
L’expression συμφωνεῖ καὶ τὰ ἐπαγόμενα, « ce qu’il ajoute concorde également », est propre à Théodoret⁹². Elle souligne la cohérence du discours biblique. L’adverbe καί semble constant, ainsi que le verbe conjugué.
2.4.1.5 Συνεχής : (᾿Aλλ’) ἐπὶ τὰ συνεχῆ τῆς ἑρμηνείας βαδίσωμεν (᾿Aλλ’) ἐπὶ τὰ συνεχῆ τῆς ἑρμηνείας βαδίσωμεν : 12 occurrences chez Théodoret⁹³. La clausule ἐπὶ τὰ συνεχῆ τῆς ἑρμηνείας βαδίσωμεν, « avançons dans la continuité de l’interprétation », est propre à Théodoret et fait écho aux tours τῆς κατὰ μέρος ἑρμηνείας ἐχώμεθα et τῆς ἀκολουθίας ἐχώμεθα, qui renvoient explicitement à l’interprétation linéaire⁹⁴. L’expression τὰ συνεχῆ τῆς ἑρμηνείας, qu’on ne trouve pas indépendamment de la clausule entière, évoque la continuité du commentaire. La clausule conclut des digressions ; elle est toujours présente sous cette forme exacte (sauf une occurrence où βαδίσωμεν est remplacé par ἐπανελθεῖν καιρός), et souvent précédée de ἀλλά.
2.4.1.6 Συντομία : συντομίας φροντίζειν Συντομίας (ὅτι μάλιστα) φροντίζειν : 7 occurrences chez Théodoret⁹⁵. Le substantif συντομία présente, chez Théodoret, une affinité particulière, qu’on ne trouve chez aucun auteur avant lui, avec le verbe φροντίζειν, souvent accompagné de la locution ὅτι μάλιστα : il s’agit d’« avoir soin d’être concis ». Φροντίζειν est presque le seul verbe dont ce nom soit le régime chez l’évêque de Cyr⁹⁶. Il est intéressant de noter que celui-ci évoque de la même manière sa propre pratique et
On a trouvé une seule autre occurrence antérieure au vie siècle, qui paraît suspecte : un fragment d’Origène sur le Psaume 54, 22, ressemblant assez au passage de Théodoret contenant la même expression. Cf. Origène, Frg. in Ps., Ps 54, 22. Cf. In Rom., I, 25 (Rm 1, 26) ; V, 14 (Rm 13, 2, ἐπανελθεῖν καιρός) ; V, 27 (Rm 14, 12) ; In epist. Pauli, PG 82, 361 A 8-9 (1 Co 15, 29) ; 448 D 2-3 (2 Co 12, 6) ; 573 A 12-13 (Ph 2, 12) ; 644 B 12-13 (1 Th 4, 3) ; 717 C 14-15 (He 6, 7) ; Com. in Ps., PG 80, 1409 C 1-2 (Ps 68, 27) ; 1464 B 3 (Ps 73, 16) ; 1988 A 9-10 (Ps 148, 2) ; Com. in XII proph., PG 81, 1768 C 12 (Mi 5, 3). Cf., par exemple, In Rom., I, 18 (Rm 1, 17) ; V, 37 (Rm 16, 27). Cf. In epist. Pauli, prol., 3 (avec ὅτι μάλιστα) ; In Rom., II, 1 (Sujet : Paul, avec ὅτι μάλιστα) ; Com. in Is., préf., SC 276, p. 140 (avec ὅτι μάλιστα, συντομίας καὶ σαφηνείας) ; arg., SC 276, p. 144 ; Com. in Ier., prol., PG 81, 496 A 8 (avec ὡς ἔνι μάλιστα) ; Hist. Phil., XXI, 35, SC 257, p. 122 (avec κομιδῇ) ; De prouid., V, PG 83, 624 C 9 (sujet : le discours de Théodoret). On trouve une occurrence avec θαυμάζειν : Théodoret invite à admirer la concision des Écritures, comparées aux textes des païens. Cf. Thérap., V, 76, SC 57, p. 251. Dans les cinq autres occurrences chez Théodoret, συντομία ne dépend pas d’un verbe. Cf. par exemple l’association avec ἀσαφῶς en III, 24 et III, 30.
2.4 Expressions propres à Théodoret ou rares par ailleurs
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celle de l’Apôtre Paul. On peut considérer cette formule comme une véritable maxime personnelle⁹⁷.
2.4.1.7 Τύπος : τύπον πληροῦν Τύπον πληροῦν : 25 occurrences, dont 8 chez Cyrille d’Alexandrie, 11 chez Théodoret⁹⁸. L’expression τύπον πληροῦν est assez rare, mais bien attestée chez Théodoret, ainsi que chez Cyrille d’Alexandrie⁹⁹. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, elle s’applique à la figure, qui « remplit » pour ainsi dire son rôle de « figure ». On signalera cependant deux exceptions chez Théodoret¹⁰⁰ : employée relativement à la vérité, l’expression signifie alors « accomplir la figure ». Ces exceptions sont d’autant plus surprenantes qu’elles sont situées juste après l’emploi dans le sens inverse¹⁰¹.
2.4.1.8 Ὑφορμεῖν : τὸ ὑφορμοῦν λύειν Ὑφορμεῖν : 45 occurrences de Polybe au ve siècle, dont 13 chez Jean Chrysostome et 8 chez Théodoret¹⁰². Τὸ ὑφορμοῦν λύειν : 3 occurrences chez Théodoret¹⁰³. Le verbe ὑφορμεῖν, assez récent (Polybe) et rare, évoque à l’origine le mouillage éventuellement dissimulé d’un navire, puis, chez Libanios, le soupçon. Le PGL note l’emploi du participe neutre substantivé au sens de problem, difficulty arising chez
Cf. infra, p. 113. Cf. In Rom., II, 7 (Rm 3, 25) ; In epist. Pauli, PG 82, 301 C 4-5 (1 Co 10, 1-4) ; 741 A 4-5 (He 9, 9) ; PG 82, 744 C 14-15 (He 9, 18-22) ; 781 D 6 (He 13, 11-12) ; Quaest. in Ex., XXXIV, FM I, p. 125 ; Com. in Cant., PG 81, 129 C 10-11 (Ct 4, 3) ; Com. in Ez., PG 81, 1057 A 8-9 (Ez 24, 18) ; Eranistes, II, Ettlinger, p. 122 (121) ; III, Ettlinger, p. 210 (253) ; III, Ettlinger, p. 211 (253). L’expression, attestée à partir de Basile de Césarée, Sur le Saint-Esprit, XIV, 32, SC 17 bis, p. 358, se trouve également une fois chez Sévérien, deux fois chez Jean Chrysostome, une fois dans une homélie attribuée à Épiphane, ainsi que chez Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 123 (Rm 6, 17) ; p. 124 (Rm 7, 4) ; p. 135 (Rm 8, 9). Une autre exception se trouve dans une homélie du Pseudo-Épiphane sur la résurrection du Christ. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 744 C 14-15 ; Eranistes, III, Ettlinger, p. 211 (253). Sur le vocabulaire de la typologie chez Théodoret, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 312-318 ; id., « La typologie comme technique herméneutique », Figures de l’Ancien Testament chez les Pères, Strasbourg, 1989, p. 1-34. Occurrences du verbe conjugué : In Rom., II, 31 (Rm 5, 20) ; In epist. Pauli, PG 82, 481 A 13 (Ga 3, 19). Occurrences du participe substantivé : In Rom., III, 24 (Rm 7, 13, avec τιθέναι, à proximité de ἀπαγορεύειν) ; In epist. Pauli, PG 82, 385 Β 1 (2 Co 1, 23) ; voir aussi note suivante. Toutes les occurrences se trouvent dans l’In epistulas Pauli. Cf. In Rom., II, 10 (Rm 3, 31) ; III, 5 (Rm 6, 15) ; In epist. Pauli, PG 82, 481 A 13 (Ga 3, 19). Voir aussi In Rom., II, 31 (Rm 5, 20, avec ἀντιτιθέναι, à proximité de λύσιν ἐπάγειν).
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
Basile de Césarée : on en trouve plusieurs attestations chez Jean Chrysostome. L’idée d’opposition est confirmée chez Théodoret par certains verbes associés, ἀντιτιθέναι et ἀπαγορεύειν. L’association avec le verbe λύειν ou avec λύσιν ἐπάγειν est propre à Théodoret, qui désigne ainsi les objections énoncées puis réfutées par Paul. Le verbe signifie pour ainsi dire « être soupçonné », et a pour sujet ce sur quoi porte le soupçon ou l’objection.
2.4.2 Autres mots et formules caractéristiques de Théodoret 2.4.2.1 Αἴγλη τοῦ νοεροῦ φωτός Αἴγλη chez auteurs chrétiens : environ 130 occurrences d’Origène jusqu’au ve siècle, dont 62 chez Théodoret¹⁰⁴. Αἴγλη τοῦ νοεροῦ φωτός : 5 occurrences chez Théodoret¹⁰⁵. Τοῦ θείου πνεύματος τὴν αἴγλην δέχεσθαι : 3 occurrences chez Théodoret¹⁰⁶. Αἴγλη τοῦ νοεροῦ φωτός, « éclat de la lumière intellective », est une expression propre à Théodoret. Le substantif αἴγλη, « éclat », attesté dès Homère et les Tragiques mais inconnu de la Bible, est particulièrement fréquent chez Théodoret. Le sens figuré, majoritaire chez celui-ci, est par ailleurs très rare chez les auteurs chrétiens. Origène l’emploie pour évoquer la divinité du Christ (τῆς θεότητος αἴγλη) et ses enseignements (αἴγλη δογμάτων)¹⁰⁷. Cyrille d’Alexandrie parle de l’« éclat de la connaissance de Dieu » (τῆς θεογνωσίας), que le Christ, soleil, envoie à ses disciples¹⁰⁸. Chez Théodoret, αἴγλη au sens figuré désigne la plupart du temps la lumière de la foi, ou de la grâce, de même que ἀκτὶς τοῦ νοεροῦ φωτός¹⁰⁹. Si le mot est parfois employé au sens propre, c’est dans le cadre de comparaisons entre l’aveuglement physique et l’ignorance : ces occurrences fondent, pour ainsi dire, l’adoption du sens figuré. Ainsi, les aveugles « ne voient même pas l’éclat de la lumière (τοῦ φωτὸς τὴν αἴγλην) ; à leur image sont ceux qui refusent de voir la lumière intellective de la
En comptant une occurrence dans l’Expositio rectae fidei. Grégoire de Nazianze totalise 15 occurrences. Cf. In Rom., arg., 1 ; In epist. Pauli, PG 82, 396 B 9 (2 Co 3, 13) ; 401 B 11-12 (2 Co 4, 6) ; Com. in Ps., PG 80, 1985 B 3 (Ps 147, 20) ; Thérap., I, 6, SC 57, p. 105. Seul autre exemple d’association sémantique entre αἴγλη et νοερός : une occurrence de νοερὰ αἴγλη chez le philosophe Proclus. Cf. Com. in Ps., prol., PG 80, 865 A 3-4 ; 1304 B 12 (Ps 58, 1) ; Com. in XII proph., PG 81, 1632 C 1 (Os 14, 10). On ne trouve par ailleurs que 10 occurrences de πνεύματος αἴγλη jusqu’au ve siècle, dont 7 chez Grégoire de Nazianze. Cf. Origène, Frg. in Ioh., XCIV, GCS 10, p. 557-558 (Jn 12, 46). Pour Jean Chrysostome, l’âme purifiée reçoit un éclat (αἴγλη τις) de la gloire de Dieu qu’elle réfléchit comme l’argent pur exposé aux rayons du soleil, cf. Jean Chrysostome, Hom. in II Cor., VII, PG 61, 448, 47-51. Cf. Cyrille d’Alexandrie, Com. in Is., V, 4, PG 70, 1321 C 10-13 (Is 60, 1-3). Cf. infra, p. 51.
2.4 Expressions propres à Théodoret ou rares par ailleurs
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vérité (τὸ νοερὸν φῶς τῆς ἀληθείας) et qui se complaisent dans les ténèbres de l’ignorance »¹¹⁰. On retrouve, dans certains emplois du mot au sens figuré, l’opposition explicite entre connaissance ou foi et ignorance ou incroyance¹¹¹, renvoyant à l’opposition traditionnelle entre lumière et ténèbres pour signifier celle entre connaissance et ignorance¹¹². On notera, dans l’Argument de l’In Romanos, l’antithèse entre αἴγλη τοῦ νοεροῦ φωτός et ἀχλὺς τῆς ἀπιστίας, « brouillard de l’incroyance »¹¹³. L’« éclat » est un don que l’on reçoit (δέχεσθαι), et Théodoret insiste sur le fait qu’il est accordé à tous ceux qui l’acceptent : Dieu est « celui qui fait don à tous, avec profusion, de l’éclat de la lumière intellective » (ὁ πᾶσιν ἀφθόνως τὴν τοῦ νοεροῦ φωτὸς δωρησάμενος αἴγλην)¹¹⁴. Le mot αἴγλη évoque le plus souvent la grâce nécessaire à la compréhension des Écritures¹¹⁵, et fait écho à « l’éclat de l’Esprit divin » (τοῦ θείου πνεύματος αἴγλη) reçu (δέχεσθαι) par David et les autres écrivains sacrés, selon une autre expression propre à l’évêque de Cyr. L’association remarquable du substantif αἴγλη avec l’adjectif νοερός, dans l’expression αἴγλη τοῦ νοεροῦ φωτός, permet à Théodoret d’affirmer que la compréhension des mystères de la foi relève de la grâce. Au contraire, la privation de celle-ci conduit au blasphème, manifesté par le rire¹¹⁶.
2.4.2.2 ᾿Aκτὶς τοῦ νοεροῦ φωτός ᾿Aκτὶς τοῦ νοεροῦ φωτός : 5 occurrences chez Théodoret¹¹⁷. Νοερὰ ἀκτίς : 1 occurrence chez Théodoret¹¹⁸. Φῶς νοερόν : 46 occurrences jusqu’au ve siècle¹¹⁹, dont 21 chez Théodoret.
Thérap., II, 1-2, SC 57, p. 137 (traduction légèrement modifiée). Cf. aussi In Rom., V, 8 (Rm 12, 11) ; In epist. Pauli, PG 82, 237 B 2-7 (1 Co 1, 24). Cf., entre autres, Théodoret, Com. in Ps., PG 80, 1465 A 11-15 (Ps 73, 19) ; Com. in XII proph., PG 81, 1572 A 13 (Os 4, 6) ; 1821 D 2-6 (Hab 2, 12-14) ; Hist. Phil., XXVIII, 5, SC 257, p. 230. Cf. aussi infra, note 114 p. 51. Sans parler de la caverne platonicienne, l’incroyance est explicitement associée à l’image de l’aveuglement en 2 Corinthiens 4, 4. Sur l’ignorance de Dieu comme obscurité, cf., par exemple, Origène, Cels., VI, 17, SC 147, p. 220 ; VI, 66, SC 147, p. 344. Cf. supra, p. 37. In epist. Pauli, PG 82, 401 B 11-12 (2 Co 4, 6). Aux croyants, cf. In Rom., IV, 31 (Rm 11, 2) ; In epist. Pauli, PG 82, 396 B 8-9 (2 Co 3, 13) ; à Raab, cf. Com. in XII proph., PG 81, 1720 B 11-13 (arg. in Ion.). Le terme se retrouve en particulier dans le cadre de prières pour recevoir la grâce, notamment dans les Prologues : Quaest. in Reg. et Par., prol., FM II, p. 3 ; Com. in Ps., prol., PG 80, 865 A 4. Cf. In Rom., arg., 1. Cf. In epist. Pauli, prol., 3 ; Com. in Ps., PG 80, 977 B 2 (Ps 17, 12-13) ; 1104 B 9-10 (Ps 33, 6) ; Com. in Is., IV, SC 295, p. 54 (Is 11, 14) ; Corresp., III, 147, SC 111, p. 222. Cf. Quaest. in Octat., prol., FM I, p. 3. Cf. Clément d’Alexandrie, Stromate, II, 20, 116, SC 38, p. 121 ; Corpus hermeticum, IV, Frg. 23, 4. On a trouvé sept occurrences chez Eusèbe, cinq chez Didyme l’Aveugle, une chez Cyrille d’Alexandrie,
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
᾿Aκτὶς τοῦ νοεροῦ φωτός, « rayon de la lumière intellective », est une expression caractéristique de Théodoret¹²⁰, à rapprocher de νοερὰ ἀκτίς, dont on n’a trouvé qu’une attestation. L’usage même de l’épithète νοερόν pour qualifier φῶς est assez caractéristique de Théodoret. Comme αἴγλη τοῦ νοεροῦ φωτός, la formule ἀκτὶς τοῦ νοεροῦ φωτός renvoie aux notions de foi et de grâce et, par conséquent, est associée à l’idée de don reçu¹²¹. Elle désigne la lumière divine envoyée par Dieu (ὁ τῶν ὅλων θεὸς τοῦ νοεροῦ φωτὸς τὰς ἀκτῖνας ἀφίησι), reçue (δέχεσθαι) dans la foi (μετὰ πίστεως), indispensable pour connaître la vérité¹²². L’image du rayon permet à Théodoret de suggérer le rapport entre le Christ et ses fidèles et de figurer le mouvement initié par l’Incarnation : « Car c’est au moment où le Fils Monogène de Dieu se fit homme qu’il reçut le nom de Christ, c’est alors que les hommes furent gratifiés des rayons de la lumière intellective, c’est alors que les hérauts de la vérité illuminèrent la terre »¹²³. Les apôtres, ayant reçu ce rayon, parcourent le monde pour le diffuser aux îles¹²⁴. L’image du rayon souligne donc ici l’idée de transmission de la foi.
2.4.2.3 ᾿Aξιέραστος καρπός ᾿Aξιέραστος : environ 160 occurrences de Xénophon au ve siècle, dont 51 chez Théodoret¹²⁵. ᾿Aξιέραστος καρπός : 1 occurrence chez Cyrille d’Alexandrie¹²⁶, 6 chez Théodoret¹²⁷. dix chez le philosophe Proclus. L’expression n’est pas employée dans les œuvres de Jean Chrysostome, Diodore de Tarse et Théodore de Mopsueste. Seule autre attestation : Ps.-Grégoire le Thaumaturge, Homilia II in annuntiationem Virginis Mariae, PG 10, 1161 A 7-11 (CPG 1776) : Πάντων ἡμῖν τῶν ἀγαθῶν ἀρχὴ γέγονεν ὁ εὐαγγελισμὸς τῆς κεχαριτωμένης Μαρίας, ἡ πολυύμνητος τοῦ σωτῆρος οἰκονομία (…). Ἐντεῦθεν ἡμῖν ἀνατέλλουσιν τοῦ νοεροῦ φωτὸς αἱ ἀκτῖνες, « Le commencement, pour nous, de tous les biens a été l’Annonciation à Marie comblée de grâce, l’Incarnation tant célébrée du Sauveur (…). De là se sont levés pour nous les rayons de la lumière intellective ». Cf. supra, p. 51. Voir les occurrences de l’In Psalmos, note 117 p. 51. Ὅτε γὰρ ἐνανθρώπησεν ὁ μονογενὴς τοῦ θεοῦ υἱός, τότε Χριστὸς ὠνομάσθη, τότε τῶν ἀνθρώπων ἡ φύσις τοῦ νοεροῦ φωτὸς τὰς ἀκτῖνας ἐδέξατο, τότε τῆς ἀληθείας οἱ κήρυκες τὴν οἰκουμένην κατηύγασαν, Corresp., III, 147, SC 111, p. 222-223 (traduction légèrement modifiée). On remarquera l’écho avec l’homélie du Pseudo-Grégoire le Thaumaturge, cit. supra, note 120 p. 52. Voir l’occurrence de l’In Isaiam, note 117 p. 51. Εn particulier 13 occurrences chez Philon, 37 chez Cyrille d’Alexandrie. Cf. Cyrille d’Alexandrie, Com. in XII proph., Pusey II, p. 537 (Za 14, 16-17) : Ὡραῖος καὶ ἀξιέραστος ὁ τῆς εὐαγγελικῆς πολιτείας καρπός, « Le fruit du régime de vie selon l’évangile est beau et délectable ». Cf. In Rom., III, 39 (Rm 8, 10, la vie, fruit délectable de la justice) ; Corresp., II, 17, SC 98, p. 65 (enfants laissés par un défunt) ; I, 1, SC 40, p. 74 (τῶν τῆς ἀγάπης καρπῶν τὸν ἀξιέραστον συλλέγειν ἐφιέμενος πλοῦτον, « recueillir l’adorable trésor que composent les fruits de l’amour », c’est-à-dire les lettres espérées de la part du destinataire) ; II, 95, SC 98, p. 248 (les mérites d’un préfet) ; III, 141, SC 111, p. 152 (τῶν ἀξιεράστων τούτων πόνων παρὰ τοῦ φιλανθρώπου κυρίου κομίσησθε τοὺς
2.4 Expressions propres à Théodoret ou rares par ailleurs
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L’expression ἀξιέραστος καρπός (« fruit délectable »), est caractéristique de la Correspondance de Théodoret. L’adjectif ἀξιέραστος (« digne d’être aimé avec passion ») est fréquent chez lui, alors qu’il est relativement rare par ailleurs. Dans cette expression, le substantif est toujours pris au sens figuré et l’expression est éventuellement hyperbolique. La recherche du trait de style, habituelle dans la Correspondance, est plus surprenante dans l’In Romanos.
2.4.2.4 Ἐκπαιδεύειν ἀλήθειαν Ἐκπαιδεύειν : notamment 250 occurrences du ive au ve siècle, dont 112 chez Théodoret. Ἐκπαιδεύειν associé à ἀλήθεια : 12 occurrences¹²⁸, dont 6 chez Théodoret¹²⁹. Le substantif ἀλήθεια semble présenter chez Théodoret une certaine affinité, rare par ailleurs, avec le verbe ἐκπαιδεύειν. Il est plus habituellement complément de διδάσκειν.
2.4.2.5 Ἔρις καὶ διαμάχη Διαμάχη : environ 75 occurrences d’Isocrate au ve siècle, dont 28 chez Théodoret. Ἔρις καὶ διαμάχη : 6 occurrences chez Théodoret¹³⁰. Ἔρις καὶ μάχη : 20 occurrences de Xénophon au ve siècle¹³¹, dont 3 chez Théodoret. Ἔρις καὶ διαμάχη, « querelle et combat acharné », est un trait de langue propre à Théodoret et une variante de l’expression ἔρις καὶ μάχη attestée par ailleurs. Le substantif διαμάχη est lui-même peu fréquent mais particulièrement bien représenté chez Théodoret.
καρπούς, « que vous receviez de la bonté du Seigneur les fruits de ces efforts bénis ») ; III, 142, SC 111, p. 155 (fruits de la tranquillité et de la solitude). Occurrences chez Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée, Astérius le Sophiste, Théodore de Mopsueste. Cf. In Rom., arg., 5 (cod. D : παιδεύειν, non attesté ailleurs avec ἀλήθεια) ; Com. in Is., II, SC 276, p. 194 (Is 2, 4) ; Com. in Ier., PG 81, 673 A 14 (Jr 39, 33) ; HE, III, 3, 5, SC 530, p. 106 (τὰ τῆς ἀληθείας μαθήματα) ; IV, 30, 3, SC 530, p. 312 ; Thérap., II, 22, SC 57, p. 144 (ἡ ἀλήθεια ἐκπαιδεύειν ἀνέχεσθαι). Cf. In Rom., V, 21 (Rm 14, 1, e cod. D) ; Quaest. in II Reg., XXXVII, FM II, p. 105 ; Hist. Phil., X, 8, SC 234, p. 450 ; Thérap. III, 101, SC 57, p. 199 ; V, 10, p. 228 ; V, 44, p. 241. On tient compte des occurrences avec divers compléments, mais non de celles où les deux mots font partie d’une liste plus large. Dans l’In Rom., V, 21, la famille de Π a ἔρις… καὶ δὴ καὶ μάχη.
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
2.4.2.6 Θεῖος Παῦλος βοᾷ Θεῖος Παῦλος (sans ἀπόστολος) : moins de 100 occurrences jusqu’au ve siècle, dont environ 25 chez Cyrille d’Alexandrie, environ 60 chez Théodoret¹³². Θεῖος ἀπόστολος (singulier, désignant Paul la plupart du temps) : 11 occurrences chez Clément d’Alexandrie, près de 100 chez Eusèbe de Césarée, au maximum 5 chez Jean Chrysostome, environ 500 chez Théodoret¹³³. Παῦλος βοᾷ : moins de 25 occurrences avant Jean Chrysostome, 65 chez Jean Chrysostome, 27 chez Cyrille d’Alexandrie, 38 chez Théodoret. Μακάριος Παῦλος βοᾷ : moins de 40 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 11 chez Jean Chrysostome, 2 chez Cyrille d’Alexandrie, 14 chez Théodoret. Θεῖος Παῦλος βοᾷ : 9 occurrences chez Théodoret¹³⁴. Θεσπέσιος Παῦλος βοᾷ : 2 occurrences chez Cyrille d’Alexandrie, 6 chez Théodoret¹³⁵. Παῦλος βοᾷ avec d’autres qualificatifs : 8 occurrences chez Cyrille d’Alexandrie (δοκιμώτατος, 2, ἱερώτατος, 1, σοφώτατος, 5), 1 chez Théodoret (νυμφόστολος)¹³⁶. Παῦλος βοᾷ avec ἀκούειν : 23 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 9 chez Jean Chrysostome, 2 chez Cyrille d’Alexandrie, 7 chez Théodoret¹³⁷. Παῦλος βοᾷ avec qualificatif et ἀκούειν : 1 occurrence chez Jean Chrysostome (μακάριος), 7 chez Théodoret. Les tournures utilisées par Théodoret lorsqu’il évoque l’apôtre Paul sont à la fois caractéristiques de ses habitudes de langage et représentatives des influences chrysostomienne et cyrillienne. Si Théodoret n’a pas introduit dans la langue chrétienne l’usage de l’adjectif θεῖος pour qualifier d’autres personnes que Dieu, il l’a cependant adopté plus que tout autre avant lui, spécialement à propos de Paul, alors que Jean Chrysostome et d’autres semblent l’éviter absolument, sans doute pour se
Aucune occurrence chez Jean Chrysostome. Occurrences sporadiques chez d’autres auteurs. Cf. Quaest. in Ex., XXIV, FM I, p. 120 ; Corresp., III, 146, SC 111, p. 178 (avec ἀκούειν) ; III, 147, SC 111, p. 220 ; De prouid., X, PG 83, 756 C 15 ; Eranistes, III, Ettlinger, p. 218 (268) (avec ἀκούειν) ; Haer. fab., V, 4, PG 83, 461 C 7-8 (avec ἀκούειν) ; V, 13, PG 83, 497 A 6 (avec ἀκούειν) ; V, 27, PG 83, 544 A 12 (avec ἀκούειν) ; Hist. Phil., XXXI, 13, SC 257, p. 292. Cf. Com. in Ps., PG 80, 1864 C 10-11 (Ps 118, 139) ; 1872 B 7 (Ps 118, 165) ; Com. in Cant., PG 81, 124 C 4 (Ct 3, 9-10) ; Com. in XII proph., PG 81, 1889 D 2 (Za 2, 11-12) ; Thérap., XI, 52, SC 57, p. 410 ; Eranistes, II, Ettlinger, p. 149 (164) (avec ἀκούειν). Cf. Corresp., III, 147, SC 111, p. 220 (avec ἀκούειν). Aucune occurrence jusqu’à Jean Chrysostome inclus. Le tour ἀκούειν Παῦλου βοῶντος est assez figé (sauf la place des mots et les insertions éventuelles), excepté chez Jean Chrysostome, chez qui on trouve par exemple τί σήμερον Παῦλος ἐβόα à la place du complément au génitif. Par ailleurs, chez le même auteur, le verbe βοᾶν est assez souvent coordonné à λέγειν.
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démarquer du langage païen et signifier la distance absolue entre le monde divin et le monde humain¹³⁸. L’association de θεῖος Παῦλος avec le verbe βοᾶν est propre à Théodoret. L’utilisation du verbe βοᾶν avec Παῦλος pour sujet est caractéristique de Jean Chrysostome, et repris aussi bien par Théodoret que par Cyrille d’Alexandrie. Dans le cadre de cette association, on observe des tendances assez marquées chez chacun de ces trois auteurs. Jean Chrysostome emploie majoritairement Παῦλος sans qualificatif. Le cas échéant, l’adjectif est toujours μακάριος. Chez Cyrille, l’emploi avec adjectif est presque aussi fréquent que sans. L’adjectif est assez variable et majoritairement au superlatif. Théodoret emploie l’expression de préférence avec un adjectif, la plupart du temps μακάριος, comme Jean Chrysostome, ou bien θεσπέσιος, de même que Cyrille, ou encore θεῖος, qui lui est propre. On pourrait multiplier les remarques de ce type, et noter par exemple la tendance chrysostomienne, reprise par Théodoret, à utiliser Παύλου βοῶντος comme complément de ἀκούειν, ou encore la fréquence de l’hyperbate entre le qualificatif et Παῦλος chez Cyrille comme chez Théodoret. Le cas de Παῦλος est représentatif d’habitudes de langue qui semblent s’appliquer dans des proportions comparables à propos d’autres personnages et écrivains bibliques, eux aussi très souvent qualifiés de « divins » par Théodoret. Une enquête sur les noms Πέτρος ou Δαυίδ, par exemple, confirme la prédilection caractéristique de l’évêque de Cyr pour θεῖος. Quant à l’épithète θεσπέσιος, très rarement employée avec ces deux noms avant le ve siècle, elle est également fréquente chez lui, mais plus encore chez Cyrille d’Alexandrie.
2.4.2.7 Θεός : σὺν θεῷ φάναι Σὺν θεῷ φάναι : 36 occurrences de Galien au ve siècle, dont 27 chez Théodoret¹³⁹. Σὺν θεῷ φάναι¹⁴⁰, « avec l’aide de Dieu », est une tournure caractéristique de Théodoret, et en particulier de ses prologues. Dans la grande majorité des emplois, la formule accompagne l’énoncé d’une tâche que se donne Théodoret. Dans deux cas seulement, elle se rapporte à un travail déjà réalisé¹⁴¹ ; dans deux autres autres cas, elle n’est pas directement liée à Théodoret lui-même¹⁴².
Sur l’emploi de l’épithète θεῖος à propos de Paul chez Jean Chrysostome et ses prédécesseurs, avec un rappel historique depuis le grec archaïque, cf. A. Heiser, Die Paulusinszenierung des Johannes Chrysostomus, Epitheta und ihre Vorgeschichte, Tübingen, 2012, p. 123-125 ; 180-181 ; 208 ; 256. Emplois de la formule pour demander l’aide de Dieu dans les Prologues : In epist. Pauli, prol., 17 ; Quaest. in Octat., prol., FM I, p. 3 ; Com. in Ps., prol., PG 80, 865 B 5 ; Com. in XII proph., prol., PG 81, 1548 B 12 ; Eranistes, prol., Ettlinger, p. 62 (29) ; Haer. fab., prol., PG 83, 337 C 4. Cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 330 et note 4 dans Com. in Is., SC 276, p. 141. Cf. Com. in Is., préf., SC 276, p. 140 ; De prouid., IX, PG 83, 717 C 1-2.
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2.4.2.8 Καταθέλγειν : δελεάζειν… καταθέλγειν Καταθέλγειν : moins de 80 occurrences d’Homère au ve siècle, dont 41 chez Théodoret. Δελεάζειν suivi de καταθέλγειν : 4 occurrences chez Théodoret¹⁴³. Le verbe καταθέλγειν (« charmer ») est rare, non biblique, et cependant assez fréquent chez Théodoret. Le charme dont il est question chez lui concerne généralement l’ouïe (paroles ou musique)¹⁴⁴, mais dans quelques cas il s’agit de la beauté d’une femme, d’une odeur, ou simplement du plaisir (ἡδονή)¹⁴⁵. Le charme exercé n’est pas toujours considéré comme négatif : c’est par exemple aussi celui de Paul, qui mêle des éloges à son enseignement¹⁴⁶, ou d’un saint moine qui, par ses paroles, mène à la conversion le cœur le plus dur¹⁴⁷. L’association des verbes δελεάζειν (« prendre à l’appât ») et καταθέλγειν est propre à Théodoret, les deux mots étant toujours placés dans cet ordre. Καταθέλγειν évoque alors le charme auditif, tandis que δελεάζειν désigne une séduction par les yeux.
2.4.2.9 Κομᾶν : πλούτῳ κομῶν, πενίᾳ συζῶν Πλούτῳ κομᾶν : 55 occurrences de Clément d’Alexandrie au ve siècle¹⁴⁸, dont 23 chez Théodoret¹⁴⁹. Πλούτῳ κομῶν, πενίᾳ συζῶν : 10 occurrences chez Théodoret¹⁵⁰. L’expression πλούτῳ κομᾶν (« se targuer de richesse »), est relativement fréquente chez Théodoret. Elle est figée sous la forme du participe, substantivé ou non, toujours placé après le nom sans préposition, alors qu’elle apparaît sous des formes plus diverses chez les autres auteurs¹⁵¹. L’affinité sémantique entre πλούτῳ κομῶν et Cf. Corresp., II, 37, SC 98, p. 102 ; III, 144, SC 111, p. 160. Ce sont les seuls emplois dans la Correspondance. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 536 C 15-D 1 (Ep 4, 14) ; 769 C 14-15 (He 12, 1) ; Quaest. in Num., XLIV, FM I, p. 222 ; Hist. Phil., prol., 6, SC 234, p. 134. Cf., par exemple, In Rom., I, 34 (Rm 2, 13). Cf., par exemple, In Rom., III, 27 (Rm 7, 15). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 605 D 11-12 (Col 2, 5). Cf. Hist. Phil., V, 7, SC 234, p. 340. Notamment 4 occurrences chez Grégoire de Nysse, 5 chez Jean Chrysostome, 6 chez Cyrille d’Alexandrie. Cf., par exemple, In Rom., I, 9 (Rm 1, 7). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 316 B 1-2 (1 Co 11, 20) ; Com. in Ps., PG 80, 1220 B 3-4 (Ps 48, 3) ; 1796 A 12-13 (Ps 113, 21-22) ; Com. in XII proph., PG 81, 1736 A 1 (Jon 3, 4) ; Com. in Ez., PG 81, 1005 C 2 (Ez 20, 47) ; De prouid., VI, PG 83, 660 A 10-11 ; Eranistes, I, Ettlinger, p. 86 (68) ; Haer. fab., V, 10, PG 83, 485 A 13 ; HE, IV, 15, 1, SC 530, p. 236 ; Hist. Phil., VIII, 2, SC 234, p. 378. La simple association des deux verbes n’est pas attestée par ailleurs. On peut trouver le verbe conjugué, un ordre des mots différent, l’ajout d’un adverbe. La préposition ἐπί est utilisée par Clément d’Alexandrie et Origène (2 occurrences).
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πενίᾳ συζῶν (« vivant dans la pauvreté ») est propre à Théodoret. Par cette association, celui-ci met en valeur, grâce au parallélisme rythmique, l’antithèse entre pauvres et riches, souvent au sein d’une accumulation d’oppositions semblables, pour souligner la participation commune à la foi et la vanité des différences sociales au regard de cette dernière.
2.4.2.10 Πάνυ : Ἠλίας ὁ πάνυ Πάνυ comme épithète d’un nom propre : 92 occurrences, de Xénophon au ve siècle¹⁵², dont 34 chez Théodoret. Ἠλίας ὁ πάνυ : 13 occurrences chez Théodoret¹⁵³. L’épithète ὁ πάνυ (« the very », « the famous », selon LSJ ; A. Bailly propose de sousentendre περιβόητος, « célèbre ») est utilisée pour qualifier un nom propre à partir de Xénophon. Son utilisation à propos d’Élie est propre à Théodoret. Celui-ci emploie aussi cette épithète, assez rare par ailleurs, pour d’autres personnages, surtout Jean le Baptiste ou les moines de l’Histoire Philothée.
2.4.2.11 Ταινιοῦν εὐφημίαις Ταινιοῦν : 54 occurrences de Thucydide au ve siècle¹⁵⁴, dont 17 chez Théodoret. Ταινιοῦν εὐφημίαις : 9 occurrences chez Théodoret¹⁵⁵. Εὐφημίαις στεφανοῦν : 14 occurrences, dont 9 chez Cyrille d’Alexandrie, 1 chez Théodoret¹⁵⁶. Ταινιοῦν εὐφημίαις, « enrubanner de louanges », est une expression propre à Théodoret. Le verbe rare ταινιοῦν est lui-même relativement fréquent chez lui, alors qu’il est presque inusité chez les autres auteurs chrétiens. On n’a pas trouvé d’uti-
Notamment 9 occurrences chez Lucien de Samosate, 8 chez Grégoire de Nazianze, 7 chez Libanios. Cf. In epist. Pauli, prol., 2 ; In Rom., IV, 43 (Rm 11, 25-26, cod. D : ὁ πάλαι, non utilisé par Théodoret comme épithète d’un nom de personne) ; In epist. Pauli, PG 82, 768 D 5 (He 11, 35) ; Quaest. in Ex., XLIV, FM I, p. 132 ; Quaest. in I Reg., XII, FM II, p. 18 ; Quaest. in II Par., I, FM II, p. 279 ; Com. in Ps., PG 80, 1705 B 6 (Ps 103, 30) ; 1836 B 13 (Ps 118, 45-46) ; Com. in Cant., PG 81, 113 B 15 (Ct 3, 1-2) ; Com. in XII proph., PG 81, 1557 B 13 (Os 1, 4) ; 1740 C 7 (parénèse finale de l’In Ion.) ; Corresp., II, 3, SC 98, p. 28 ; Hist. Phil., VI, 11, SC 234, p. 360. Trois occurrences chez les auteurs chrétiens hormis Théodoret (Clément d’Alexandrie, Philostorge, Cyrille d’Alexandrie). Cf. In Rom., III, 21 (Rm 7, 12) ; ΙΙΙ, 25 (Rm 7, 14) ; IV, 1 (cod. D : τιμᾶν) ; V, 59 (Rm 16, 9) ; In epist. Pauli, PG 82, 857 B 7-9 (arg. in Tit.) ; Com. in Is., XI, SC 295, p. 348 (Is 36, 2-3) ; Corresp., I, 20, SC 40, p. 92 ; II, 2, SC 98, p. 22 ; HE, V, 8, 2, SC 530, p. 358. Aucun autre exemple de l’association des deux mots avant le xiiie siècle. Autres occurrences : 1 chez Ménandre, 1 chez Libanius, 2 chez Jean Chrysostome.
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lisation de ταινιοῦν (ni de ταινία) au sens figuré avec un autre mot désignant l’éloge. En revanche, on peut rapprocher cette expression d’une formule caractéristique de Cyrille d’Alexandrie, qui utilise un verbe beaucoup plus fréquent : εὐφημίαις στεφανοῦν (« couronner de louanges »). Les deux expressions évoquent l’idée de récompense souvent associée à ces verbes, qui sont tous deux employés notamment à propos des couronnes de victoire. Lorsqu’il utilise cette expression, Théodoret parle en principe de l’éloge de personnes, mais dans l’In Romanos, il l’utilise aussi pour dire que Paul fait l’éloge de la Loi.
2.4.2.12 Φιλοστοργίαν γυμνοῦν Φιλοστοργία : environ 200 occurrences chez Jean Chrysostome¹⁵⁷, 61 chez Théodoret¹⁵⁸. Πατρικὴ φιλοστοργία : 33 occurrences, de Polybe au ve siècle, dont 16 chez Jean Chrysostome, 16 chez Théodoret¹⁵⁹. Φιλοστοργίαν ἐπιδείκνυσθαι : 26 occurrences chez Jean Chrysostome, 2 chez Théodoret (2 autres avec ἐπιδεικνύναι). Φιλοστοργίαν δεικνύναι : 23 occurrences jusqu’au ve siècle, dont 13 chez Jean Chrysostome, 9 chez Théodoret. Φιλοστοργίαν γυμνοῦν : 9 occurrences chez Théodoret¹⁶⁰. Φιλανθρωπίαν γυμνοῦν : 1 occurrence chez Théodoret¹⁶¹. Γυμνοῦν avec ἀγάπη : 4 occurrences chez Théodoret¹⁶². L’expression φιλοστοργίαν γυμνοῦν, « mettre à nu la tendresse » semble propre à Théodoret et est essentiellement employée dans l’In epistulas Pauli ¹⁶³. Ce verbe est également associé à φιλανθρωπία et ἀγάπη, toujours chez Théodoret. Φιλοστοργία est un terme caractéristique de Jean Chrysostome utilisé avant tout pour désigner
Moins de 150 occurrences avant Jean Chrysostome. Dont 19 dans l’In epistulas Pauli. Occurrences de l’In Romanos : IV, 2 (Rm 9, 1) ; IV, 7 (Rm 9, 6) ; V, 7 (Rm 12, 10). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 281 B 8 (1 Co 7, 28, γυμνοῦν) ; 388 A 7 (2 Co 2, 6, γυμνοῦν) ; 432 Α 14 (2 Co 9, 8) ; 476 B 10-11 (Ga 3, 1) ; 569 Α 5 (Ph 2, 1-2) ; 796 Α 11 (1 Tim 1, 18, γυμνοῦν). Dix autres occurrences dans les autres œuvres exégétiques et dans la Correspondance. Cf. In Rom., IV, 2 (Rm 9, 1) ; IV, 7 (Rm 9, 6) ; In epist. Pauli, PG 82, 281 B 8 (1 Co 7, 28) ; 388 A 7 (2 Co 2, 6) ; 456 C 15-D 1 (2 Co 13, 7) ; 605 B 1-2 (Col 2, 1) ; 796 Α 11 (1 Tim 1, 18) ; Haer. fab., V, 24, PG 83, 533 C 8-9 ; HE, V, 20, 1, SC 530, p. 416. Cf. In Rom., III, 45 (Rm 8, 17). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 389 A 3 (2 Co 2, 11) ; 429 A 12 (2 Co 8, 24, τὸν πλοῦτον τῆς ἀγάπης γυμνοῦν) ; Com. in Cant., PG 81, 72 C 15 (Ct 1, 6, ἀγάπην γυμνοῦν) ; Hist. Phil. XXXI, 12, SC 257, p. 288 (τῆς ἀγάπης τὴν φλόγα γυμνοῦν). Aucune autre occurrence avant le xiiie siècle. Aucune occurrence du verbe avec ἔρως (sauf une attestation dans la poésie épique au ve siècle), φίλτρον, φιλία. Théodoret l’utilise en particulier dans l’In Romanos pour souligner la tendresse de Paul à l’égard des Juifs. Cf. infra, p. 235.
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l’amour paternel de Dieu, puis la tendresse de Paul pour ses lecteurs ou celle du prédicateur pour ses auditeurs¹⁶⁴. Pour exprimer l’idée de manifester la tendresse, Jean Chrysostome emploie habituellement les verbes δεικνύναι et ἐπιδείκνυσθαι, que l’on trouve également chez Théodoret. L’association avec le verbe γυμνοῦν (« mettre au jour », littéralement « à nu ») rend l’expression plus concrète, soulignant l’idée de dévoilement et suggérant peut-être la vulnérabilité de l’amour.
2.4.2.13 Φιλοτιμία : ἡ τῆς χάριτος φιλοτιμία Ἡ τῆς χάριτος φιλοτιμία : 8 occurrences¹⁶⁵, dont 6 chez Théodoret¹⁶⁶. Φιλότιμος χάρις : 1 occurrence chez Basile de Césarée, 1 chez Gennade de Constantinople. L’expression ἡ τῆς χάριτος φιλοτιμία (« la libéralité de la grâce ») est caractéristique de Théodoret et peut être rapprochée de φιλότιμος χάρις, également rarissime. Le substantif φιλοτιμία est particulièrement souvent employé par Théodoret dans un sens positif ¹⁶⁷, en particulier pour désigner la générosité de Dieu, comme équivalent de φιλανθρωπία¹⁶⁸, mot extrêmement fréquent chez Jean Chrysostome ainsi que chez l’évêque de Cyr¹⁶⁹.
2.4.2.14 Φωστῆρες : οἱ τῆς οἰκουμένης φωστῆρες Οἱ τῆς οἰκουμένης φωστῆρες : environ 20 occurrences du ie au ve siècle¹⁷⁰, dont 12 chez Théodoret¹⁷¹.
Cf. la notice de L. Brottier dans Jean Chrysostome, Serm. in Gen., SC 433, p. 378 ; L. Brottier, L’Appel des « demi-chrétiens » à la « vie angélique », Jean Chrysostome prédicateur entre idéal monastique et réalité mondaine, Paris, 2005, p. 287-289 ; 308-311 et note 3, p. 287. Une occurrence chez Jean Chrysostome, une chez Basile de Séleucie. Cf. In Rom., II, 28 (Rm 5, 16) ; In epist. Pauli, PG 82, 449 B 9 (2 Co 12, 9) ; Quaest. in Gen., LXXVI, FM I, p. 72 ; Com. in Ps., PG 80, 1161 A 8-9 (Ps 39, 18) ; Com. in XII proph., prol., PG 81, 1548 C 3 (θείας χάριτος) ; Corresp., II, 38, SC 98, p. 102 (θείας χάριτος). Occurrences de φιλοτιμία dans l’In Romanos : II, 28 ; II, 32 (cod. D : φιλανθρωπία) ; IV, 8 ; IV, 33 ; IV, 42 ; IV, 45 ; V, 9 ; V, 47. Sur l’emploi du mot φιλανθρωπία et sur cette notion centrale chez Jean Chrysostome, voir surtout la notice et la bibliographie de L. Brottier dans Jean Chrysostome, Serm. in Gen., SC 433, p. 377-378. Cf. aussi J.-P. Cattenoz, Le Baptême, mystère nuptial. Théologie de saint Jean Chrysostome, Venasque, 1993, p. 101-143. Occurrences de φιλανθρωπία dans l’In Romanos, y compris dans les doxologies finales : arg., 1 ; I, 22 ; I, 45 ; I, 46 ; II, 11 ; II, 22 ; II, 28 ; III, 22 ; III, 44 ; III, 45 ; III, 62 ; IV, 14 ; IV, 16 ; IV, 25 ; IV, 40 ; IV, 46 (bis) ; IV, 48 (bis) ; V, 2 ; V, 41 ; V, 68. Occurrences de φιλάνθρωπος : III, 3 (appliqué à l’homme) ; IV, 46 ; IV, 48. Adverbe φιλανθρώπως : II, 8. Cf. aussi supra, p. 35. Notamment une occurrence chez Jean Chrysostome, où οὗτοι οἱ φωστῆρες τῆς οἰκουμένης désigne les moines, qui se lèvent avant le jour pour célébrer les louanges de Dieu (Jean Chrysostome, Hom. in Matth., LXVIII, PG 58, 644, 11-12) et trois chez Cyrille d’Alexandrie, renvoyant aux
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
L’expression οἱ τῆς οἰκουμένης φωστῆρες (« les astres de l’univers ») est rare en général, relativement fréquente chez Théodoret. L’occurrence de l’In epistulas Pauli est la seule située dans une œuvre exégétique de l’auteur, les autres œuvres étant caractérisées par un style plus recherché. On peut y voir une réminiscence du thème des disciples « lumière du monde » (φῶς τοῦ κόσμου) et de l’affirmation paulinienne, « Vous brillez comme des astres dans le monde » (Φαίνεσθε ὡς φωστῆρες ἐν κόσμῳ)¹⁷². Grégoire de Nysse donne à l’expression un relief particulier en mettant en regard le Christ comme soleil et les disciples comme astres : « Après Christ, les porteChrist, après le soleil de la justice, les astres de l’univers »¹⁷³. Ainsi sont donc qualifiés les dignes disciples du Christ. On trouve deux types d’emplois chez Théodoret. Dans sept cas, l’expression se réfère à un individu précis, unique et identifié. Elle est alors presque toujours apposée au nom de celui-ci¹⁷⁴. On notera un emploi remarquable, où elle désigne Théodoret lui-même, selon le qualificatif que lui donnaient, dit-il, ceux qui maintenant le calomnient¹⁷⁵. Dans quatre autres cas, utilisée au pluriel, l’expression prend une valeur générale, désignant les Pères sans précision¹⁷⁶, ou servant de formule englobante à la fin d’une liste de Pères¹⁷⁷.
Douze (Cyrille d’Alexandrie, Com. in Ioh., XI, 9, Pusey II, p. 699 (Jn 17, 12-13) ; XI, 10, Pusey II, p. 717 (Jn 17, 18-19) ; XII, Pusey III, p. 110 (Jn 20, 10-11). Cf. In epist. Pauli, prol., 1 ; Corresp., II, 11, SC 98, p. 38 (Flavien, destinataire de la lettre) ; II, 83, SC 98, p. 214 (général) ; II, 89, SC 98, p. 236-238 (général) ; III, 125, SC 111, p. 96 (Théodoret) ; III, 147, SC 111, p. 222-224 (Basile de Césarée) ; Lettre à Helladès et Théophile, 4, 2, SC 575, p. 326 (Basile de Césarée) ; Eranistes, Florilegium II, Ettlinger, p. 183 (213) (général) ; III, Ettlinger, p. 189 (220) (général) ; HE, IV, 19, 1, SC 530, p. 252 (Basile de Césarée) ; V, 28, 1, SC 530, p. 454 (Jean Chrysostome) ; V, 39, 15, SC 530, p. 488 (Jean Chrysostome). Mt 5, 14 ; Ph 2, 15. Μετὰ Χριστὸν οἱ Χριστοφόροι · μετὰ τὸν ἥλιον τῆς δικαιοσύνης οἱ φωστῆρες τῆς οἰκουμένης, Grégoire de Nysse, In sanctum Stephanum, PG 46, 721 A 6-7. Il s’agit des martyrs, qui ont suivi les pas du Christ, et dont le premier exemple est Étienne. Par exemple Ἰωάννης ὁ μέγας τῆς οἰκουμένης φωστήρ, Théodoret, HE, V, 28, 1, SC 530, p. 454. Καὶ ἐγὼ μέν, ὃν φωστῆρα ἐκάλουν, οὐ τῆς ἀνατολῆς μόνης, ἀλλὰ καὶ τῆς οἰκουμένης, « Et moi, qu’ils appelaient astre, non seulement de l’Orient mais de l’univers », Corresp., III, 125, SC 111, p. 96 (traduction modifiée). Σαφῶς ἡμᾶς ἡ θεία γραφὴ καὶ μέντοι καὶ τῶν ἐκκλησιῶν οἱ διδάσκαλοι καὶ τῆς οἰκουμένης οἱ φωστῆρες ἐδίδαξαν, « La divine Écriture nous [l’]a enseigné clairement, aussi bien que les docteurs des Églises et que les astres de l’univers », Eranistes, III, Ettlinger, p. 189 (220). Cf. aussi ibid., Florilegium II, Ettlinger, p. 183 (213). Cette deuxième occurrence suit immédiatement le florilège de citations des Pères. Ταῦτα δὲ ἡμῖν παρέδοσαν οὐ μόνον οἱ ἀπόστολοι καὶ προφῆται, ἀλλὰ καὶ οἱ τὰ τούτων ἡρμηνευκότες συγγράμματα, Ἰγνάτιος, Εὐστάθιος, ᾿Aθανάσιος, Βασίλειος, Γρηγόριος, Ἰωάννης, καὶ οἱ ἄλλοι τῆς οἰκουμένης φωστῆρες, « C’est ce que nous ont livré non seulement les apôtres et prophètes, mais aussi ceux qui ont interprété les écrits de ceux-ci, Ignace, Eustathe, Athanase, Basile, Grégoire, Jean et les autres astres de l’univers », Corresp., II, 89, SC 98, p. 236-238 (nous traduisons). Cf. aussi ibid., II, 83, SC 98, p. 214.
2.4 Expressions propres à Théodoret ou rares par ailleurs
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Autant qu’on peut juger des habitudes de langage d’un auteur à partir d’un petit nombre d’exemples disponibles, l’occurrence du Prologue de l’In epistulas Pauli représente donc un emploi inhabituel : μετὰ τὸν δεῖνα καὶ τὸν δεῖνα, τοὺς τῆς οἰκουμένης φωστῆρας, « après tel et tel, ces astres de l’univers ». La tournure μετὰ τὸν δεῖνα καὶ τὸν δεῖνα désigne des individus déterminés sans cependant les nommer ni même les compter. Ce n’est donc ni une généralisation, ni l’évocation d’une personne nommée et unique, mais la mention de deux individus connus dont on tait l’identité. Cela correspond tout à fait à la logique du contexte : Théodoret exprime la pensée des accusateurs qu’il met en scène, mais les discrédite en ne daignant pas rapporter précisément leur grief. Par conséquent, même si Jean Chrysostome et Théodore de Mopsueste sont probablement ses devanciers les plus éminents relativement à l’exégèse de l’Apôtre, le plus important ici n’est pas de dire qu’ils sont visés par cette expression, mais de percevoir le jeu rhétorique, renforcé par un emploi unique de l’expression¹⁷⁸.
Voir infra, p. 96.
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
2.5 Formules exprimant un aspect de la doctrine Dans cette partie, nous présentons des enquêtes sur la langue de Théodoret qui engagent des aspects importants de sa doctrine. Il s’agit de trois formules concernant la doctrine sur Dieu et la christologie, suivies de plusieurs expressions concernant l’anthropologie.
2.5.1
Formules touchant la doctrine sur Dieu, la Trinité, le Christ
2.5.1.1 ᾿Aμύητος : ἁμαρτίας ἀμύητος Ἁμαρτίας ἀμύητος : 11 occurrences chez Théodoret¹⁷⁹ (dont 4 avec φυλάττειν, 2 avec διαμένειν, 1 avec διατηρεῖν). Ἁμαρτίας ἀμύητος, « non initié au péché », est une expression propre à Théodoret. Le vocabulaire des mystères, adopté par Philon d’Alexandrie, est utilisé par les auteurs chrétiens dès Clément d’Alexandrie : c’est le cas de l’adjectif ἀμύητος, « non initié », qui qualifie notamment les non-baptisés. L’expression ἁμαρτίας ἀμύητος, à une exception près, se réfère à l’Incarnation du Christ : Théodoret insiste sur le fait que celui-ci a assumé la nature humaine mais non le péché. Le passage suivant expose très clairement la doctrine contenue dans cette expression : « La nature assumée (ἡ ληφθεῖσα φύσις) fut en tout point (κατὰ πάντα) semblable à la nôtre et n’en a différé (ἀνόμοιος) que par le seul fait qu’elle est demeurée (διαμεῖναι) à l’écart de toute initiation au péché (πάσης ἁμαρτίας ἀμύητος), puisque celui-ci ne provient pas de la nature (ἐκ φύσεως φύεται), mais de la volonté libre (ἐκ προαιρέσεως) »¹⁸⁰. On remarque l’affinité avec des verbes indiquant la conservation de cet état, φυλάττειν, διαμένειν et διατηρεῖν. L’idée, traditionnelle, s’appuie notamment sur les passages de Hébreux et 1 Pierre cités ou commentés par Théodoret en lien avec certaines occurrences de l’expression¹⁸¹. L’emploi de l’adjectif ἀμύητος, « non initié », exprime avec une force particulière le fait de ne pas avoir l’expérience du péché, de n’avoir aucune part avec celui-ci. Il s’agit bien ici de l’innocence effective, affirmée en particulier par Didyme¹⁸². Cf. In Rom., I, 18 (Rm 1, 17, avec φυλάττειν) ; In epist. Pauli, PG 82, 692 A 13-14 (He 2, 8, citation 1 Pi 2, 22) ; 708 D 6-7 (He 4, 15, avec διαμένειν) ; 733 B 8-9 (He 7, 27) ; Quaest. in Gen., XXVIII, FM I, p. 31 ; Corresp., III, 113, SC 111, p. 58-60 (avec διαμένειν) ; III, 145, SC 111, p. 166 (τῶν τῆς ἁμαρτίας κηλίδων φυλάξας ἀμύητον) ; De Inc., XXX (XXIX), SC 575, p. 140 (τῶν βελῶν τῆς ἁμαρτίας ἐφύλαξεν ἄγευστον καὶ ἀμύητον) ; De prouid., X, PG 83, 757 C 14 (loc. cit. infra, p. 78) ; Eranistes, III, Ettlinger, p. 204 (244) (avec φυλάττειν) ; III, Ettlinger, p. 205 (245) (avec διατηρεῖν). Corresp., III, 113, SC 111, p. 58-60. Traduction légèrement modifiée. Théodoret résume ici la doctrine du pape Léon, dont il approuve les écrits. Elle est encore clairement affirmée dans l’In Rom., III, 35 (Rm 8, 3). Cf. A. Grillmeier, Jesus der Christus im Glauben der Kirche, Freiburg-Basel-Wien, 19903, I, p. 532. L’auteur indique que Didyme souligne la possibilité de la tentation, et note que la question de
2.5 Formules exprimant un aspect de la doctrine
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Une seule occurrence fait référence, non au Christ, mais à l’état de l’homme originel. Théodoret distingue la simple connaissance par Adam de sa nudité, avant le péché, et l’expérience de celle-ci accompagnée de honte, après la chute : « Les gens de l’époque d’Adam, aussitôt après avoir été façonnés, comme des tout-petits, des nouveaux-nés et des gens qui sont à l’écart de toute initiation au péché, n’avaient pas honte de se promener sans vêtements »¹⁸³. L’absence d’expérience (πεῖρα) du péché est donc commune à Adam avant la chute et aux enfants, la notion de péché originel n’est pas envisagée¹⁸⁴. La particularité du Christ concernant le péché est donc d’avoir su « conserver » cet état de pureté. En employant, dans une de ses œuvres les plus tardives, cette tournure singulière à propos de l’état originel d’Adam, le théologien souligne la pureté originelle de la « figure du Christ », pureté perdue par la chute, offerte à nouveau aux hommes grâce à l’Incarnation.
2.5.1.2 Ἰσότης : πατρὸς καὶ υἱοῦ ἡ ἰσότης, ἰσότης τῆς τριάδος Πατρὸς καὶ υἱοῦ ἡ ἰσότης : 9 occurrences chez Théodoret¹⁸⁵. Ἰσότης χάριτος πατρὸς καὶ υἱοῦ καὶ ἁγίου πνεύματος : 2 occurrences chez Épiphane de Salamine¹⁸⁶. Ἰσότης (τοῦ υἱοῦ) πρὸς τὸν πατέρα : environ 10 occurrences au ive siècle¹⁸⁷, 2 chez Théodoret¹⁸⁸.
l’impeccabilité (impeccabilitas) du Christ, au-delà de son innocence effective (impeccantia de facto), ne sera posée qu’à partir de la scolastique. Καὶ οἱ περὶ τὸν ᾿Aδὰμ εὐθὺς μὲν διαπλασθέντες, οἷα δὴ νήπιοι καὶ εὐθυγενεῖς καὶ τῆς ἁμαρτίας ἀμύητοι οὐκ ᾐσχύνοντο δίχα περιβολαίων διάγοντες, Quaest. in Gen., XXVIII, FM I, p. 31. Cf. In Rom., II, 25 (Rm 5, 12). Sur l’interprétation difficile des lectures patristiques de ce verset, cf. K. H. Schelkle, Paulus Lehrer der Väter, die altkirchliche Auslegung von Römer 1-11, Düsseldorf, 19592, p. 169-171 ; J. Meyendorff, « Ἐφ’ ᾧ (Rom. 5, 12) chez Cyrille d’Alexandrie et Théodoret », StudPatr IV.2, 1961, p. 157-161 ; S. Zincone, Studi sulla visione dell’uomo in ambito antiocheno (Diodoro, Crisostomo, Teodoro, Teodoreto), Roma, 1988, p. 60-61 ; A. Viciano, Cristo el autor de nuestra salvacion. Estudio sobre el comentario de Teodoreto de Ciro a las epistolas paulinas, Pamplona, 1990, p. 170-171 ; J. A. Fitzmyer, Romans, A New Translation with Introduction and Commentary, New YorkLondon-Toronto-Sidney-Auckland, 1993, p. 414 ; B. Meunier, Le Christ de Cyrille d’Alexandrie. L’humanité, le salut et la question monophysite, Paris, 1997, p. 56 ; A. Lorrain, L’In Romanos de Théodoret, note 32 p. 208 (note à la traduction du passage). Sur le thème irénéen d’Adam enfant, que Théodoret ne suit pas entièrement, cf. infra, p. 73 et la note 261. Cf. In Rom., I, 10 (Rm 1, 7) ; In epist. Pauli, PG 82, 229 C 6-7 (1 Co 1, 3) ; 268 A 4-5 (1 Co 6, 11, τοῦ υἱοῦ καὶ τοῦ πνεύματος) ; 541 C 13-14 (Ep 5, 2) ; 641 C 3 (1 Th 3, 11) ; De sancta Trin., XI, SC 574, p. 266 ; XIII, SC 574, p. 276 (bis) ; p. 278 (ἰσότης ἐν πατρὶ καὶ υἱῷ γνωρίζεται). Cf. Épiphane de Salamine, Pan., 74, 4, 4, GCS Epiphanius III, p. 318 (sur les pneumatomaques), même texte dans id., Ancor., 67, 4, GCS Epiphanius I, p. 82. Avec ὀνομασίας et non χάριτος, cf. id., Pan., 76, 20, 12, GCS Epiphanius III, p. 367 (sur les anoméens). Expression attestée chez Épiphane de Salamine, Apolinaire (cité par Grégoire de Nysse), Jean Chrysostome (3 occurrences, 2 autres se trouvant dans des titres). Trois occurrences de l’expression attribuée à l’Esprit saint dans le De Trinitate du Pseudo-Didyme. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 569 B 13 (Ph 2, 6) ; Com. in Ps., PG 80, 1020 C 13 (Ps 21, 26).
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
Ἐν (τῇ μορφῇ καὶ) τῇ ἰσότητι τοῦ πατρός / πρὸς τὸν πατέρα : plus de 50 occurrences chez Cyrille d’Alexandrie. Ἰσότης τῆς τριάδος : 4 occurrences avant Photius, dont 2 chez Théodoret¹⁸⁹. L’expression πατρὸς καὶ υἱοῦ ἡ ἰσότης (« l’égalité du Père et du Fils ») est propre à Théodoret. Celui-ci la préfère à ἰσότης (τοῦ υἱοῦ) πρὸς τὸν πατέρα, expression attestée à partir du ive siècle. Quant à Cyrille d’Alexandrie, il utilise surtout des tournures du type ἐν (τῇ μορφῇ καὶ) τῇ ἰσότητι τοῦ πατρός ou πρὸς τὸν πατέρα, réminiscence paulinienne¹⁹⁰. On trouve chez Épiphane de Salamine une expression proche de celle de Théodoret, ἰσότης χάριτος πατρὸς καὶ υἱοῦ καὶ ἁγίου πνεύματος, « égalité de grâce du Père, du Fils et de l’Esprit saint ». Le tour ἰσότης πρὸς τὸν πατέρα est révélateur d’un débat sur la Trinité : il s’agit bien de défendre l’égalité du Fils ou du Saint-Esprit par rapport au Père. Dans l’expression de Cyrille d’Alexandrie, le thème est encore le Christ, l’égalité étant le propos. La formulation symétrique de Théodoret exprime d’une manière plus achevée l’égalité elle-même, témoignant pour ainsi dire d’un apaisement des débats, comme si la dignité du Fils et celle du Saint-Esprit n’étaient plus mises en cause et qu’il suffisait de rappeler l’égalité parfaite entre les Trois. On notera par ailleurs que l’expression ἰσότης τῆς τριάδος est rarissime. Il est intéressant de remarquer qu’en revanche, Augustin emploie plusieurs fois aequalitas Trinitatis ¹⁹¹. Le sens et l’emploi de τριάς ont évolué au cours du développement de la réflexion théologique, soulignant d’abord la distinction des Personnes puis en même temps l’unité¹⁹².
2.5.1.3 Προμηθεῖσθαι : προμηθούμενος διατελεῖν, ὠφελείας προμηθεῖσθαι Προμηθεῖσθαι : moins de 190 occurrences d’Archiloque jusqu’au ve siècle¹⁹³, dont 122 chez Théodoret¹⁹⁴.
Cf. In Rom., I, 3 (Rm 1, 1) ; In epist. Pauli, PG 82, 269 C 3-4 (1 Co 6, 19) ; Didyme l’Aveugle (?), De Trin., I, 18, 20, BkP 44, p. 110. Une occurrence se trouve dans une œuvre attribuée à Grégoire de Nysse (Ad imaginem dei et ad similitudinem, CPG 3218). Cf. Ph 2, 6 (ὃς ἐν μορφῇ θεοῦ ὑπάρχων). Cyrille emploie assez souvent ὑπάρχων avec cette formulation. Cf., par exemple, Augustin, De Trin., I, VII, 14, BAug 15, p. 120 ; II, XI, 20, p. 234. Cf. X. Morales, La Théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie, Paris, 2006, p. 463-513, qui remarque le rôle problématique d’Athanase dans cette évolution. Dont près de 40 occurrences dans la littérature médicale, 12 chez Philon, 1 chez Jean Chrysostome, aucune chez Cyrille d’Alexandrie. Tous les types d’œuvres de Théodoret sont concernés. Aucune occurrence dans les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos ni dans l’Expositio rectae fidei. Sauf indication contraire, les associations de mots relevées dans la suite semblent propres à Théodoret.
2.5 Formules exprimant un aspect de la doctrine
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Προμηθεῖσθαι avec le vocabulaire de la création : avec δημιουργεῖν, 6 occurrences, avec δημιουργός, 9 occurrences, avec διαπλάττειν, 2 occurrences, avec ποιητής, 6 occurrences, toutes chez Théodoret. Προμηθεῖσθαι avec ἄνθρωποι : 11 occurrences chez Théodoret. Προμηθούμενος διατελεῖν : 6 occurrences chez Théodoret¹⁹⁵. Τῆς σωτηρίας προμηθεῖσθαι : 18 occurrences jusqu’au ve siècle¹⁹⁶, dont 13 chez Théodoret¹⁹⁷. Τῆς ὠφελείας προμηθεῖσθαι : 14 occurrences chez Théodoret¹⁹⁸. Le verbe προμηθεῖσθαι, « être prévoyant », d’où « veiller sur », peu courant chez les auteurs grecs en général, est très fréquent chez Théodoret¹⁹⁹. Certaines affinités sémantiques sont intéressantes à deux titres : d’abord, elles attestent que Théodoret choisit volontiers ce mot pour évoquer la providence divine, ensuite elles mettent en lumière quelques aspects de sa doctrine à ce sujet²⁰⁰. Que plusieurs de ces affinités ne se trouvent que chez Théodoret peut s’expliquer par la rareté du verbe chez les autres auteurs. L’emploi de προμηθεῖσθαι pour décrire la providence divine est attesté chez quelques auteurs chrétiens et semble remonter à Philon d’Alexandrie, qui évoque la sollicitude de Dieu à l’égard de Moïse nourrisson²⁰¹, ou envers les hommes qu’il a créés et qui mènent une vie mauvaise, afin qu’ils se convertissent²⁰². L’évêque de Cyr utilise aussi ce verbe pour signifier la providence divine à l’égard de tous les hommes. C’est toujours dans ce sens qu’il emploie l’expression προμηθούμενος διατελεῖν,
Cf. In Rom., arg., 5 ; Com. in Ps., PG 80, 1600 B 9 (Ps 89, 1) ; 1989 A 4 (Ps 148, 6) ; Com. in XII proph., PG 81, 1720 A 9 (arg. in Ion.) ; Com. in Is., XX, SC 315, p. 294 (Is 63, 9) ; De prouid., III, PG 83, 597 A 7. On trouve quelques occurrences chez Flavius Josèphe, Clément d’Alexandrie, Apolinaire, Gélase de Cyzique. Cf. In Rom., II, 2 (Rm 3, 19) ; In epist. Pauli, PG 82, 380 A 9 (2 Co 1, 7) ; 404 D 4 (2 Co 4, 15) ; 564 C 2-3 (Ph 1, 16) ; Quaest. in II Reg., L, FM II, p. 126 ; Com. in XII proph., PG 81, 1781 A 3 (Mi 7, 6) ; 1829 A 14 (Ha 3, 9) ; 1865 B 11-12 (Ag 2, 10-11) ; Com. in Is., IV, SC 295, p. 18 (Is 9, 18) ; VII, SC 295, p. 204 (Is 25, 1) ; Corresp., II, 52, SC 98, p. 128 ; II, 78, SC 98, p. 177 ; De prouid., V, PG 83, 636 D 8. Cf. In Rom., V, 39 (Rm 15, 4) ; In epist. Pauli, PG 82, 389 B 3 (2 Co 2, 13) ; 432 C 10 (2 Co 9, 10-11) ; 448 B 2-3 (2 Co 12, 1) ; 449 A 11 (2 Co 12, 7) ; 472 B 11-12 (Ga 2, 14) ; 472 C 7 (Ga 2, 15-16) ; Com. in Dan., PG 81, 1381 B 10 (Dn 5, 9) ; PG 81, 1489 C 10-11 (Dn 10, 2-3) ; Corresp., II, 65, SC 98, p. 146 ; De prouid., V, PG 83, 628 B 3 ; HE, IV, 2, 5, SC 530, p. 186 ; Hist. Phil., XXVI, 12, SC 257, p. 188 ; Thérap., préf., 17, SC 57, p. 103. On remarquera que la moitié des occurrences se trouve dans l’In epistulas Pauli. L’étymologie de ce verbe dérivé de προμηθής, à rapprocher de la racine de μαθεῖν (cf. Chantraine, s. u.), renvoie à l’idée d’une connaissance anticipée. Sur l’importance de la notion de providence dans l’In Romanos, cf. infra, p. 252. Cf. Philon d’Alexandrie, Mos., I, 12, OPA 22, p. 32. Cf. id., Prou., II, 15, OPA 35, p. 228, cité par Eusèbe de Césarée, PE, VIII, 14, 6, SC 369, p. 144. Théodoret peut avoir connu le texte par Eusèbe. Sur douze occurrences de προμηθεῖσθαι chez Philon, huit évoquent, directement ou non, la providence divine. On trouve aussi une occurrence du verbe appliqué à Dieu chez Flavius Josèphe.
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
« continuer de veiller », soulignant la continuité du dessein de Dieu, notamment en lien avec l’acte créateur. L’affinité du verbe προμηθεῖσθαι avec le vocabulaire de la création – δημιουργεῖν, δημιουργός, διαπλάττειν, ποιητής – manifeste l’insistance du théologien sur ce lien entre création et providence. L’emploi fréquent du verbe προμηθεῖσθαι avec pour complément (ou partie de complément) le substantif pluriel ἄνθρωποι, ou d’autres termes et tournures totalisantes (tous ; Juifs et Nations), est révélateur de l’accent mis par l’auteur sur l’universalité du dessein providentiel. Deux formules récurrentes expriment la visée de l’action divine, à savoir le salut. La première, σωτηρίας προμηθεῖσθαι, « veiller au salut », se rapporte d’abord à la survie concrète – général se souciant du salut de ses soldats, individus cherchant à préserver leur vie. Ce sens, déjà attesté chez Flavius Josèphe, se retrouve plusieurs fois chez Théodoret²⁰³. Néanmoins, dans la plupart des cas, il s’agit du salut de l’âme, presque toujours comme objet de la sollicitude divine²⁰⁴. Il est probable que le souvenir du sens concret reste sous-jacent, avec un jeu sur le sens physique et le sens spirituel du mot σωτηρία. C’est ce que suggère la comparaison suivante de l’évêque avec un timonier – puis avec un chiliarque, puis avec Timothée, disciple de Paul –, reprenant évidemment un lieu commun : Lorsqu’un accident arrive au pilote, c’est le timonier ou le premier des matelots qui prend sa place, non pour s’instituer lui-même pilote, mais pour veiller au salut du vaisseau (τῆς τοῦ σκάφους προμηθούμενος σωτηρίας). (…) Il convient donc à ta Piété de déployer le zèle d’un pilote²⁰⁵.
C’est dans un contexte similaire que Clément d’Alexandrie utilise déjà σωτηρίας προμηθεῖσθαι, comparant le Pédagogue au général, puis au pilote²⁰⁶. Avec la seconde expression, προμηθεῖσθαι ὠφελείας, « veiller sur l’utilité », propre à Théodoret, il s’agit presque toujours d’une utilité spirituelle²⁰⁷, et l’auteur
Flavius Josèphe, Ant. Iud., XIX, 153, Niese, IV, p. 236 ; chez Théodoret, voir les occurrences de l’In Isaiam et la première occurrence de l’In XII prophetas, supra, note 197 p. 65. On sait que Théodoret a eu accès aux œuvres de Flavius Josèphe, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 414-415. Avec Dieu (ou le Christ) pour sujet, cf. In Rom., II, 2 ; In epist. Pauli, PG 82, 404 D 4 ; Com. in XII proph., PG 81, 1829 A 14 ; 1865 B 11-12 ; Corresp., II, 52, SC 98, p. 128 ; De prouid., V, PG 83, 636 D 8. Voir aussi l’occurrence trouvée chez Apolinaire et l’une des deux rencensées chez Gélase de Cyzique. Théodoret, Corresp., II, 78, SC 98, p. 176-177. Ὥσπερ οὖν κατευθύνει τὴν φάλαγγα ὁ στρατηγὸς τῆς σωτηρίας τῶν μισθοφόρων προμηθούμενος, καὶ ὡς ὁ κυβερνήτης οἰακίζει τὸ σκάφος σῴζειν προαιρούμενος τοὺς ἐμπλέοντας, οὕτως καὶ ὁ παιδαγωγὸς ἄγει τοὺς παῖδας ἐπὶ τὴν σωτήριον δίαιταν τῆς ἡμῶν αὐτῶν ἕνεκεν κηδεμονίας, « À l’image du général qui dirige sa phalange en veillant au salut de ses mercenaires, ou du pilote qui manœuvre son bateau avec la volonté de sauver ses passagers, le Pédagogue indique aux enfants un mode de vie salutaire, par sollicitude pour nous », Clément d’Alexandrie, Le Pédagogue, I, 7, 54, 2, SC 70, p. 208-209. Dans l’In Romanos, le terme ὠφέλεια désigne une utilité spirituelle, parfois explicitement liée à l’idée de salut. L’occurrence de l’Histoire ecclésiastique renvoie plutôt à l’utilité intellectuelle : l’auteur dit qu’il cite une lettre pour l’utilité des lecteurs.
2.5 Formules exprimant un aspect de la doctrine
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exprime alors la même idée que lorsqu’il emploie σωτηρία. Le sujet est Dieu dans la majorité des cas²⁰⁸. Il est intéressant de constater que dans les autres cas, il est question soit de Paul²⁰⁹, soit de l’apôtre Pierre²¹⁰, soit de Théodoret lui-même, en sa qualité d’auteur²¹¹, comme si l’évêque de Cyr voulait suggérer par ces mots que la sollicitude des apôtres et la sienne étaient à l’image de la providence divine, ou même en étaient une expression, tandis que les faux apôtres se caractérisent par leur absence de souci pour le salut des autres²¹².
2.5.2 Formules concernant l’anthropologie 2.5.2.1 ᾿Aναγκαῖος : τὰ ἀναγκαῖα τοῦ νόμου Τὰ ἀναγκαῖα τοῦ νόμου : 6 occurrences chez Théodoret, toutes dans l’In epistulas Pauli ²¹³. Οἱ ἀναγκαῖοι νόμοι : 6 occurrences chez Théodoret²¹⁴. L’expression τὰ ἀναγκαῖα τοῦ νόμου, « les préceptes nécessaires de la Loi », est caractéristique de l’In epistulas Pauli, presque inusitée par ailleurs ; on peut la rapprocher de οἱ ἀναγκαῖοι νόμοι, propre à Théodoret. On trouve une attestation, sous une forme un peu différente, chez Cyrille d’Alexandrie, à propos des pharisiens qui s’attachent à des détails de la Loi sans en observer l’essentiel : τὰ τοίνυν ἀναγκαῖα καὶ συνεκτικὰ μὴ τηροῦντες τοῦ νόμου (« alors qu’ils n’observent pas les préceptes nécessaires et principaux de la Loi »)²¹⁵. Jean Chrysostome, quant à lui, qualifie de ἀναγκαῖαι καὶ συνέχουσαι les « commandements » (ἐντολαί) ayant une valeur universelle²¹⁶. Il s’agit, parmi les lois données aux Juifs, des préceptes « inscrits dans la nature »²¹⁷, de ceux que « la nature enseignait » (ἡ φύσις ἐδίδασκε)²¹⁸, tels l’interdiction de tuer, de voler, de commettre
Cf. In Rom., V, 39 ; In epist. Pauli, PG 82, 432 C 10 ; 449 A 11 ; Com. in Dan., PG 81, 1381 B 10 ; PG 81, 1489 C 10-11 ; De prouid., V, PG 83, 628 B 3 ; Hist. Phil., XXVI, 12, SC 257, p. 188. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 389 B 3 ; 448 B 2-3 ; 472 C 7. Voir aussi, avec σωτηρία, ibid., PG 82, 380 A 9 (Paul et Timothée). Cf. ibid., PG 82, 472 B 11-12. Cf. Corresp., II, 65 SC 98, p. 146 ; HE, IV, 2, 5, SC 530, p. 186 ; Thérap., préf., 17, SC 57, p. 103. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 564 C 2-3 (avec σωτηρία). Cf. ibid., PG 82, 473 A 10-14 (Ga 2, 16) ; 481 C 12-D 2 (Ga 3, 21) ; 493 C 3-4 (Ga 5, 6) ; 496 C 1 (Ga 5, 13) ; 792 A 13-B 1 (1 Tim 1, 11, bis). Cf. Quaest. in Gen., LVII, FM I, p. 54 ; Quaest. in Ios., VII, FM I, p. 277 ; Com. in Ier., PG 82, 548 A 13 (Jr 6, 20) ; Com. in Ez., PG 81, 996 B 13 ; 996 C 5-6 (Ez 20, 25) ; Haer. fab., V, 17, PG 83, 509 B6-7. Cyrille d’Alexandrie, Frg. in Luc., PG 72, 716 A 9-10 (Lc 11, 42). Cf. Jean Chrysostome, De Stat., XII, PG 49, 131, 1 ab imo. Cf. Théodoret, Quaest. in Gen., LVII, FM I, p. 54. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 473 A 10-14 (Ga 2, 16). Cf. aussi In Rom., II, 3 (Rm 3, 20) ; In epist. Pauli, PG 82, 549 B 14-C 2 (Ep 6, 3).
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
l’adultère, ou le devoir d’honorer ses parents²¹⁹. Par opposition à ceux qui sont propres aux Juifs et « superflus » (τὰ περιττὰ τοῦ νόμου)²²⁰, ils donnent la vie (ζωοποιά)²²¹, sont conformes à l’évangile²²² et donc toujours valables dans la Nouvelle Alliance, puisque le Christ les indique encore à ceux qui veulent avoir la vie éternelle : « Il établit précisément les lois que, depuis le commencement, lorsqu’il créa la nature, il inscrivit en celle-ci »²²³.
2.5.2.2 Γυμνασία τοῦ λογικοῦ Γυμνασία avec τὸ λογικόν : 3 occurrences chez Théodoret²²⁴. Τὸ λογικὸν γυμνάζεσθαι : 1 occurrence chez Basile de Séleucie²²⁵. Γυμνασία τῆς παρακοῆς καὶ τῆς ὑπακοῆς : 3 occurrences chez Jean Chrysostome²²⁶. L’association des mots γυμνασία et τὸ λογικόν employés au sens moral (« entraînement de la faculté de raisonner ») se rencontre chez Théodoret, chaque fois à propos du commandement donné à Adam, ainsi que chez Basile de Séleucie, selon lequel la faculté de raisonner d’Adam s’est entraînée (τὸ λογικὸν γυμνάζεσθαι) avec l’arbre de la connaissance²²⁷. Il est intéressant de comparer cette expression avec le tour employé par Jean Chrysostome : pour lui, l’arbre a servi de γυμνασία τῆς παρακοῆς καὶ τῆς ὑπακοῆς, d’« entraînement de la désobéissance et de l’obéissance », ou encore c’est le commandement qui a exercé celles-ci. Le propos de Théodoret est très différent, soulignant d’une part le lien nécessaire entre le don de la raison et celui de la loi, d’autre part l’importance de la faculté de juger de ce qui est bien ou mal, en amont du choix entre obéissance et désobéissance.
Cf. In Rom., II, 3. Les expressions τὰ περιττὰ τοῦ νόμου (cf. infra, p. 80) et τὰ ἀναγκαῖα (τοῦ νόμου) sont explicitement opposées dans Théodoret, In epist. Pauli, PG 82, 496 C 1 ; 792 B 1-3. Cf. ibid., PG 82, 481 C 12-D 2. Cf. ibid., PG 82, 792 B 1. Νομοθετεῖ δὲ ἐκεῖνα, ἅπερ καὶ ἐξ ἀρχῆς τὴν φύσιν δημιουργήσας ἐνέγραψε ταύτῃ, ibid., PG 82, 524 B 13-14 (Ep 2, 15). Cf. aussi, par exemple, ibid., PG 82, 549 B 14-C 2 (Ep 6, 3) ; 732 A 1-3 (He 7, 18) ; 792 A 13-B 1 (1 Tim 1, 11). Sur cette distinction traditionnelle entre deux types de lois, cf. infra, p. 240. Cf. In Rom., II, 25 (Rm 5, 12, τοῦ λογικοῦ) ; III, 22 (Rm 7, 12, τῷ λογικῷ) ; Quaest. in Iud., VIII, FM I, p. 295 (τοῦ λογικοῦ). Cf. Basile de Séleucie, Sermones, III, PG 85, 53 A 4-5. Cf. Jean Chrysostome, Serm. in Gen., VII, SC 433, p. 316 (γυμνάζειν, sujet ἡ ἐντολή) ; VII, SC 433, p. 322 ; id., Hom. in Gen., XVI, PG 53, 133, 42 ; XVIII, PG 53, 151, 34. Ces occurrences, seuls emplois de γυμνασία à propos d’Adam dans ces deux œuvres, se situent dans des passages relatifs à l’expression « arbre de la connaissance ». On n’a pas rencontré d’autres expressions de sens équivalent avec γυμνασία ni avec γυμνάζειν. L’expression la plus proche se trouve en Hébreux 5, 14, τῶν… τὰ αἰσθητήρια γεγυμνασμένα ἐχόντων πρὸς διάκρισιν καλοῦ τε καὶ κακοῦ, « Ceux qui ont les facultés intellectuelles entraînées au discernement du bien et du mal ». Le Pseudo-Macaire parle de l’entraînement (γυμνάζειν) des capacités de raisonnement (τὰ λογικά), à propos de l’ascèse monastique.
2.5 Formules exprimant un aspect de la doctrine
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2.5.2.3 Διάγνωσις / διάκρισις τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων Διάγνωσις²²⁸ : notamment 12 occurrences chez Jean Chrysostome²²⁹, 17 chez Théodoret (dont 10 au sens de discernement moral²³⁰). Διάκρισις : notamment 31 occurrences chez Jean Chrysostome, 37 chez Théodoret (dont 16 au sens de discernement moral²³¹). Διάγνωσις / διάκρισις objet de (ἐν)τιθέναι, avec Dieu pour agent, Adam ou l’homme pour destinataire : 7 occurrences jusqu’au ve siècle²³², dont 5 chez Théodoret²³³. Διάγνωσις / διάκρισις avec φύσις / φυσικός : notamment 2 occurrences chez Théodore de Mopsueste, 13 chez Théodoret²³⁴. Γνῶσις καλοῦ καὶ πονηροῦ : 17 occurrences, dont 11 chez Jean Chrysostome²³⁵. Διάγνωσις / διάκρισις τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων : 10 occurrences chez Théodoret²³⁶.
D’après ses œuvres conservées en grec, Origène ne semble pas employer διάγνωσις et διάκρισις en dehors de citations ou de formules pauliniennes. Quatre occurrences sont situées dans un même passage commentant Matthieu 7, 15 (« Méfiezvous des faux prophètes »), et évoquent la facilité avec laquelle on distingue les bons arbres des mauvais d’après leurs fruits. Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Matth., XXIII, PG 57, 315, 47-317, 5. Quatre désignent le discernement moral, dont 3 dans un même paragraphe. Cf. In Rom., I, 20 (Rm 1, 18, τῶν πραγμάτων) ; I, 34 (Rm 2, 12, ἐντεθεῖσα τῇ φύσει) ; I, 43 (Rm 3, 2, ἐκ φύσεως) ; IV, 47 (Rm 11, 32, φυσική) ; In epist. Pauli, PG 82, 236 C 4-10 (1 Co 1, 21, τῶν πρακτέων). Voir aussi infra, note 236 p. 69. Cf. In Rom., I, 24 (Rm 1, 24, τῶν λογισμῶν) ; III, 17 (Rm 7, 7, φυσική) ; In epist. Pauli, PG 82, 561 C 9-13 (Ph 1, 9) ; Quaest. in Gen., XXVII, FM I, p. 31 (ἀγαθοῦ καὶ κακοῦ) ; Quaest. in Num., XIII, FM I, p. 200-201 (τῶν ἀγαθῶν καὶ κακῶν) ; Com. in Is., III, SC 276, p. 290 (Is 7, 16, τοῦ ἀγαθοῦ καὶ τοῦ χείρονος) ; Com. in Ez., PG 81, 849 B 14-C 1 (Ez 3, 19, τοῦ πρακτέου) ; 1160 A 7-9 (Ez 34, 16) ; De prouid., X, PG 83, 725 C 5-12 (τῶν γινομένων) ; Haer. fab., V, 17, PG 83, 509 B 6-10 (ἀγαθοῦ καὶ κακοῦ). Voir aussi infra, note 236 p. 69. Cf. Ps.-Macaire, Hom. spirituales, 29, 6, PTS 4, p. 238 ; id., Œuvres spirituelles, Hom. 26, 7, 2, SC 275, p. 310. Cet auteur a pu être actif vers 380-430 (voir l’introduction de V. Desprez, SC 275, p. 13). Le sens moral de διάκρισις ne s’impose pas dans ces exemples. On n’a trouvé qu’un cas avec un autre sujet que Dieu, et dans un sens très différent. Cf. In Rom., arg., 2 ; arg., 5 ; I, 20 (Rm 1, 18) ; I, 34 (Rm 2, 12) ; Thérap., XII, 43, SC 57, p. 432. Cf. Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 118 (Rm 5, 13) ; p. 125 (Rm 7, 5). Chez Théodoret, il s’agit donc de la moitié des occurrences de διάκρισις / διάγνωσις au sens moral. On trouve chez d’autres auteurs de rares occurrences de διάκρισις avec φυσικός et un assez grand nombre avec φύσις, mais pas toujours dans un sens moral. Cf., par exemple, Jean Chrysostome, Serm. in Gen., VI, SC 433, p. 286. Il faut ajouter les exemples avec γνωστός, directement hérités de Genèse 2, 9 (24 occurrences chez Jean Chrysostome). Les 2 occurrences de l’alternance avec γνῶσις chez Théodoret se situent dans des titres de quaestiones, cf. Quaest. in Gen., XXVII, FM I, p. 31 (ἀγαθοῦ καὶ κακοῦ) ; Théodoret (Dub.), Quaest. et respons. ad orthodoxos, XXIII, Papadopoulos-Kerameus, p. 35. Avec διάγνωσις, cf. In Rom., I, 20 (Rm 1, 18) ; I, 30 (Rm 2, 1) ; II, 25 (Rm 5, 12) ; III, 21 (Rm 7, 12, καλῶν) ; Thérap., XII, 43, SC 57, p. 432. Avec διάκρισις, cf. In Rom., arg., 2 ; arg., 5 ; I, 30 (Rm 2, 1) ; III, 21 (Rm 7, 12, τούτων reprenant l’alternative) ; Quaest. in Leu., XI, FM I, p. 164 (τὴν τῶν ἀγαθῶν πράξεων καὶ τὴν τῶν ἐναντίων διάκρισις).
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
Αἵρεσις τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων : 1 occurrence chez Théodoret²³⁷. Διακρίνειν / διακριτικός avec τὸ καλὸν καὶ τὸ ἐναντίον : 3 occurrences jusqu’au ve siècle²³⁸. Διάγνωσις / γνῶσις / διαγνωστικὸς / διάκρισις τοῦ καλοῦ καὶ μὴ τοιούτου (alternative au singulier ou au pluriel) : 1 occurrence chez Démosthène, 4 chez Grégoire de Nysse, 5 chez Jean Chrysostome, 1 chez Théodore de Mopsueste²³⁹. Les substantifs διάγνωσις et διάκρισις sont particulièrement fréquents chez Théodoret, notamment au sens de « discernement moral ». En réalité, l’In Romanos concentre la grande majorité des occurrences dans ce sens²⁴⁰. Ces mots y apparaissent le plus souvent dans des introductions ou des transitions, où l’exégète prend un certain recul par rapport au texte pour dégager une synthèse, ou bien encore dans des développements que l’on pourrait qualifier d’excursus. Ces chiffres confirment le caractère central de la notion dans cette œuvre : Théodoret crée un point d’attention manifeste, dès l’Argument de l’épître²⁴¹.
Il est question d’Adam : Τὴν αἵρεσιν τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων ἔχει ἡ γνώμη, Quaest. in Gen., XXXVI, FM I, p. 36. On trouve une expression proche, ἡ αὐθεκούσιος περὶ τὸ καλὸν ἢ τοὐναντίον αἵρεσις, dans Eusèbe de Césarée, DE, IV, 1, 4, GCS 23, p. 150. On notera encore chez Théodoret un emploi de la même alternative avec ἀντίδοσις, désignant la rémunération du Jugement dernier : ἀντίδοσις ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων, Com. in Ez., PG 81, 1217 B 13 (Ez 39, 29). Seules occurrences du tour « le bien et son contraire » au sens du choix entre bien et mal avec des mots de la famille de διάκρισις et διάγνωσις avant Théodoret. Cf. Eusèbe de Césarée, Com. in Ps., PG 23, 281 B 14-15 (Ps 32, 4-5, avec διακριτικός) ; 524 A 5-6 (Ps 57, 7-8, avec διακριτικός) ; Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, VII, SC 453, p. 184-185 (avec διακρίνειν). Jean Chrysostome et Cyrille d’Alexandrie opposent aussi τὸ ἀγαθόν et τὸ ἐναντίον, mais sans les termes διάκρισις et διάγνωσις. Cf. Démosthène, Sur la Couronne, 128 (ἢ καλῶν ἢ μὴ τοιούτων τίς διάγνωσις ;) ; Grégoire de Nysse, Hom. in Eccli., VIII, 2, l. 23-24, SC 416, p. 392-394 (διάκρισις) ; id., Adu. Eun. I, 14, GNO I, p. 26 (διάκρισις) ; id., Virg., XI, 2, 9, SC 119, p. 282 (citation inexacte de He 5, 14, διάκρισις) ; id., Vie de Moïse, II, 91, SC 1 bis, p. 57 (διάκρισις) ; Jean Chrysostome, De Stat., XII, PG 49, 131, 37-38 (γνῶσις) ; 132, 44 (γνῶσις) ; id., Hom. in Rom., XIII, PG 60, 510, 37 (Rm 7, 21, γνῶσις) ; id., Hom. in Gen., V, PG 53, 50, 29-30 (διάγνωσις) ; id., Hom. in Rom., V, PG 60, 425, 7-8 (Rm 2, 5, διαγνωστικός) ; id., Ad Stagirium, I, PG 47, 444, 37 (διαγνωστικός) ; Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 163 (διάκρισις). On se limite ici à l’étude de ce sens. Quant au « discernement des esprits » (cf. 1 Co 12, 10), Théodoret le définit ainsi : Τοὺς τοῦδε τοῦ χαρίσματος ἠξιωμένους διακρίνειν τὰ λεγόμενα, εἰ κατ’ ἐνέργειαν τοῦ θείου πνεύματος λέγεται, « Ceux qui ont été jugés dignes de ce charisme discernent si les paroles sont prononcées selon l’inspiration de l’Esprit divin », In epist. Pauli, PG 82, 345 B 8-10 (1 Co 14, 29). Cf. aussi ibid., PG 82, 325 A 6-10 (1 Co 12, 10). Les travaux modernes se sont davantage intéressés à ce sens. Voir, par exemple, J. Guillet, G. Bardy, « Discernement des esprits », DS, éd. M. Viller, F. Cavallera et al., Paris, 1957, III, col. 1222-1254. Cf. aussi G. Dautzenberg, « Zum religionsgeschichtlichen Hintergrund der διάκρισις πνευμάτων (1 Kor 12, 10) », BiZ 15, 1971, p. 93-104 ; A. D. Rich, Discernment in the Desert Fathers : διάκρισις in the Life and Thought of early egyptian Monasticism, Studies in Christian History and Thought, Milton Keynes, 2007. Cf. infra, p. 223.
2.5 Formules exprimant un aspect de la doctrine
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Nuance entre διάγνωσις et διάκρισις Lorsqu’ils évoquent le Jugement dernier, les deux mots, chez Théodoret, sont clairement spécialisés. Dans l’expression ἡμέρα διαγνώσεως²⁴², équivalent rare de la formule habituelle ἡμέρα τῆς κρίσεως désignant le jour du Jugement²⁴³, διάγνωσις se réfère à l’événement²⁴⁴. Διάκρισις évoque d’une manière plus concrète le processus de séparation entre les hommes après la résurrection commune entre les bons et les méchants²⁴⁵, entre les destinées éternelles qui les attendent²⁴⁶. En revanche, lorsqu’ils désignent le jugement moral, les deux substantifs semblent interchangeables chez Théodoret, présentant exactement les mêmes affinités sémantiques. On peut seulement supposer une nuance de sens liée à l’étymologie de chacun. Le verbe κρίνειν indique une idée de séparation concrète, de tri, puis de jugement et de décision ; le préfixe renforce l’idée de séparation. Le verbe γιγνώσκειν désigne d’abord une activité de l’intellect, consistant à connaître ou à comprendre, le préfixe ajoutant l’idée de séparation ou de distinction²⁴⁷. Le substantif διάγνωσις au sens de jugement moral est plutôt classique, tandis que διάκρισις est néotestamentaire²⁴⁸.
Définition de διάγνωσις / διάκρισις au sens moral L’emploi de ces termes au sens de discernement moral, c’est-à-dire de distinction, en particulier en soi-même, entre ce qui est moralement bon et ce qui est mauvais, n’est pas attesté dans l’Ancien Testament. En Hébreux 5, 14, le terme a un sens moral sans impliquer nécessairement l’introspection. En revanche, on trouve chez Philon d’Alexandrie une occurrence dans un sens semblable à celui trouvé chez Théodoret : il est question du jardin d’Éden, où l’homme doit distinguer entre des forces con-
Cf. Sg 3, 18 ; Théodoret, Com. in Dan., PG 81, 1485 C 5-8. On trouve 7 autres occurrences jusqu’au ve siècle, dont 3 chez Éphrem. Ἡμέρα τῆς κρίσεως : plus de 400 occurrences de la Bible grecque au ve siècle. Cf. Com. in Dan., PG 81, 1485 C 5-8. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 353 D 9-356 A 3 (1 Co 15, 22) ; Com. in Ps., PG 80, 1652 A 7-12 (Ps 95, 1314) ; Haer. fab., V, 11, PG 83, 496 A 13. Cf. Com. in Dan., PG 81, 1536 C 1-2 (Dn 12, 2). Cf. Chantraine, s. u. γιγνώσκω, κρίνω. L’équivalence entre les deux mots est attestée notamment par la reprise de διάκρισις avec γνῶσις. Cf. Quaest. in Gen., XXVII, FM I, p. 31. Au xiiie siècle, Ps.-Jean Zonaras, Lexicon, s. u., définit γνωμάτευμα (Le LSJ traduit γνωματεύω par discriminate, discern) comme διάκρισις, διάγνωσις ἀκριβής. Si l’adjectif porte bien uniquement sur le second substantif, alors διάκρισις est considéré comme équivalent de διάγνωσις ἀκριβής. Le premier mot comporterait alors, du moins à la fin du Moyen Âge, une nuance de précision par rapport au second. Les dictionnaires modernes ne traitent pas de la différence entre les deux termes. Le LSJ ne distingue pas entre le « discernement des esprits » (1 Co 12, 10) et le « discernement entre le bien et le mal » (He 5, 14), ni entre le jugement moral porté sur autrui ou dans l’absolu, et l’introspection. Le PGL indique, pour διάκρισις, trois significations à l’intérieur du sens de discernment : power of discrimination ; discretion, superior judgement et examination, scrutiny. Pour διάγνωσις, il précise le sens dérivé de judgement, sans signaler que les références citées évoquent le Jugement dernier.
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
traires, afin d’obtenir, suivant son choix, la gloire ou une « mort blâmable »²⁴⁹. Pour Philon, l’action de séparer, caractéristique de l’acte créateur, est une qualité de l’homme doué de raison²⁵⁰. Plusieurs affinités sémantiques permettent de saisir assez précisément le sens que Théodoret donne à ces mots. L’emploi régulier de ces termes comme objet d’ἔχειν ou de verbes signifiant « recevoir » suggère qu’ils évoquent non une action mais une capacité reçue et possédée²⁵¹. Cette faculté, contrairement au charisme de discernement caractéristique des écrits monastiques, existe en tout homme : il n’est pas question de son inégale répartition, ni de la difficulté de discerner ou des méthodes à mettre en œuvre²⁵². Les emplois comme objet du verbe (ἐν)τιθέναι, avec Dieu pour sujet et Adam ou l’homme comme destinataire, caractéristiques de Théodoret, soulignent qu’il s’agit d’un don fait à l’intérieur de tout homme et remontant à l’origine. La « loi naturelle », parfois objet du même verbe, représente pour ainsi dire le contenu de la connaissance sur laquelle se fonde le jugement. Le caractère naturel est exprimé par la proximité fréquente de φύσις ou φυσικός : de cette faculté provient l’enseignement des philosophes sur la justice, et tout homme, quoique pécheur, la possède en quantité suffisante²⁵³. Naturel n’est pas inné : l’apprentissage est nécessaire, aussi bien à Adam, grâce au « commandement des arbres », qu’à chaque enfant²⁵⁴. Néanmoins, la durée et les modalités de l’entraî-
Cf. Philon d’Alexandrie, Plant., 45, OPA 10, p. 45. Le lien entre la notion de discernement et le récit de la Chute se trouve aussi chez Flavius Josèphe : le serpent raconte à Ève qu’on trouve dans le fruit « la faculté de discerner le bien et le mal » (ἐν αὐτῷ λέγων εἶναι τήν τε τἀγαθοῦ καὶ τοῦ κακοῦ διάγνωσιν), cf. Flavius Josèphe, Ant. Iud., I, 42, Nodet, vol. 1 A, p. 8. Cf. M. Canévet, Philon d’Alexandrie, maître spirituel, Paris, 2009, p. 63-86. Cette étude met en lumière le lien entre la séparation créatrice originelle et le discernement moral (sans préciser les mots utilisés). Emplois avec ἔχειν pour l’In Romanos : I, 20 (Rm 1, 18) ; I, 30 (Rm 2, 1, bis) ; I, 43 ; II, 25 ; III, 21 (Rm 7, 12). Avec « recevoir » : In Rom., IV, 47 (Rm 11, 32, λαμβάνειν) ; In epist. Pauli, PG 82, 561 C 9-13 (Ph 1, 9, ἐμφορεῖσθαι) ; Com. in Is., III, SC 276, p. 290 (Is 7, 16, δέχεσθαι). L’idée de capacité, sinon toujours requise, n’est jamais exclue. Sur cette vertu monastique essentielle et recherchée, voir Les Apophtegmes des Pères, surtout X, SC 474, p. 14-135. Le terme employé est διάκρισις. Lorsqu’Évagre, dans le Traité pratique, étudie les signes permettant de reconnaître les assauts du démon, il emploie ἐπιγιγνώσκειν. Cf. A. D. Rich, « Discerning Evagrius Ponticus Discerning : Διάκρισις in the Works of Evagrius », StudPatr XLVII, 2010, p. 203-208. Sur le discernement chez Évagre, « scrutateur des pensées », cf. A. Guillaumont, Un philosophe au désert : Évagre le Pontique, Paris, 2004, p. 221 ; 242-247. Sur Antoine comme modèle de cette vertu, cf. Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine, 35, 4, SC 400, p. 230. Le thème n’apparaît qu’exceptionnellement (sans διάκρισις ni διάγνωσις) dans l’ouvrage de Théodoret sur les moines. Cf. Hist. Phil., III, 13, SC 234, p. 274 (τὸ διάφορον) ; XIII, 3, SC 234, p. 479 ; XXII, 1, SC 257, p. 124. Un emploi de διάκρισις évoque la prière pour obtenir la connaissance du meilleur : In epist. Pauli, PG 82, 561 C 913 (Ph 1, 9). Cf. In Rom., I, 30 (Rm 2, 1) ; Thérap., XII, 43, SC 57, p. 432. Cf. Com. in Is., III, SC 276, p. 290 (Is 7, 16).
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nement ne sont pas évoquées lorsque Théodoret veut prouver l’existence même de la faculté naturelle²⁵⁵. Cette faculté est une propriété essentielle de la raison, elle oppose l’homme à l’animal²⁵⁶. Honneur²⁵⁷ indissociable de la création à l’image de Dieu²⁵⁸, elle est présente en Adam dès avant la Chute. Théodoret, à la suite de Jean Chrysostome²⁵⁹, met ici l’accent sur la connaissance du bien et du mal avant la Chute, en la distinguant de l’expérience (πεῖρα) du mal consécutive à celle-ci²⁶⁰. C’est par cette distinction que les deux exégètes répondent à l’objection d’un châtiment subi par Adam alors qu’il avait agi avant de connaître le bien et le mal. Au contraire, selon la représentation irénéenne d’Adam enfant, qui suit davantage la lettre du texte biblique, la connaissance du mal passe par l’expérience de celui-ci, et la désobéissance a été une étape indispensable vers cette connaissance, elle-même nécessaire au discernement moral et au choix du bien²⁶¹.
L’objet du discernement Situé sur le plan de la raison, le discernement s’applique à l’action (πρᾶξις)²⁶². Jugement sur ce qui est à faire (τοῦ πρακτέου)²⁶³, en vue d’un choix (προαιρεῖσθαι, αἱρεῖσθαι)²⁶⁴, il intervient en amont de l’action. L’idée d’un choix, d’une alternative entre bien et mal, péché et justice, est une caractéristique constante de cette notion. Dans la plupart des cas, chez Théodoret comme chez Théodore de Mopsueste²⁶⁵, le substantif est complété par deux mots coordonnés au génitif indiquant cette alternative, selon la formule de Hébreux 5, 14 (διάκρισις καλοῦ τε καὶ κακοῦ), qui en est la première attestation. Notons que Jean Chrysostome utilise plutôt γνῶσις avec ce genre d’alternative, le tour le plus fréquent chez lui étant γνῶσις καλοῦ καὶ πονηροῦ. Caractéristique de Théodoret, et même de l’In Romanos, est la manière d’exprimer l’alternative : τῶν ἀγαθῶν (ou τῶν καλῶν) καὶ τῶν ἐναντίων, « du bien et de son La durée est invoquée comme explication de l’âge des Lévites, cf. Quaest. in Num., XIII, FM I, p. 200-201. Sur l’immaturité de la faculté chez les enfants, voir In Rom., III, 44 (Rm 8, 15). Cf., pour l’In Rom., I, 20 (Rm 1, 18) ; II, 25 (Rm 5, 12) ; III, 21 (Rm 7, 12). On notera la proximité du verbe τιμᾶν par exemple dans In Rom., I, 20. Cf. Quaest. in Gen., XXVII, FM I, p. 31. Cf. Jean Chrysostome, Serm. in Gen., VI, SC 433, p. 286-295. Dans ce passage se concentrent les occurrences de διάγνωσις. La faute et le châtiment ont procuré à Adam une connaissance plus claire, cf. ibid., VII, SC 433, p. 316-319. Cf. supra, p. 63. Cf. Irénée, Adu. Haer., IV, 39, 1, SC 100, p. 960-965. Sur Adam comparé à un enfant, cf. ibid., IV, 38, 1-2, SC 100, p. 942-951. Cf. Quaest. in Leu., XI, FM I, p. 164. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 236 C 4-10 (1 Co 1, 21) ; Com. in Ez., PG 81, 849 B 14-C 1 (Ez 3, 19). Cf. In Rom., I, 24 ; Com. in Ez., PG 81, 1160 A 7-9 (Ez 34, 16). Cf. par exemple, Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 128, l. 26 (Rm 7, 12) ; p. 145 (bis, Rm 9, 20). Nous avons recensé chez cet auteur 10 exemples de ce type de formule (dont un avec διάγνωσις), tous tirés de son In Romanos, sauf un, de son In XII prophetas.
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contraire », tournure par ailleurs rarissime avec des mots de la famille de διακρίνειν. Seule employée dans l’In Romanos, elle y apparaît comme un leitmotiv. De même que les tours du type τοῦ καλοῦ καὶ μὴ τοιούτου, « le bien et ce qui n’est pas tel », attestés avec des mots désignant le discernement chez Démosthène, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome et Théodore de Mopsueste, la formule « le bien et son contraire » introduit l’idée d’une certaine dissymétrie entre le bien, qui possède une existence propre, et le mal, qui ne se définit que relativement à son contraire. On perçoit l’accent antimanichéen. L’emploi systématique du pluriel par Théodoret permet de renvoyer à des réalités concrètes, évitant d’opposer deux principes abstraits. Enfin, « le contraire » met l’accent sur le caractère irréductible de l’opposition, soulignant ainsi la radicalité du choix à faire entre justice et injustice²⁶⁶. En faisant coexister les deux termes διάγνωσις et διάκρισις, Théodoret suggère que cette faculté naturelle de la raison permettant à l’homme de distinguer entre « le bien et son contraire » revêt deux aspects, d’une part la connaissance, d’autre part la décision qui en résulte.
2.5.2.4 Ἐντολή et ἡ περὶ τῶν δένδρων ἐντολή Ἐντολή, au sens de « commandement » donné à Adam : 19 occurrences dans l’In Romanos ²⁶⁷. Ἡ περὶ τῶν δένδρων ἐντολή : 1 occurrence chez Théodoret²⁶⁸. Ὁ περὶ τοῦ φυτοῦ νόμος : 1 occurrence chez Théodore de Mopsueste, 2 chez Théodoret²⁶⁹. Le sens d’ἐντολή au singulier comme « commandement » donné à Adam est le plus fréquent dans l’In Romanos ²⁷⁰. C’est en particulier dans ce sens que Théodoret interprète certaines occurrences du mot dans l’épître. À ce sujet, on remarquera le glissement entre l’occurrence de Romains 7, 8, qui désigne pour lui la loi mosaïque, et celle du verset suivant, qu’il comprend comme le « commandement relatif aux arbres ». Celui-ci est même désigné selon lui par la dernière occurrence du mot « loi » au verset 8. Néanmoins, dans la suite de son commentaire, il met l’accent sur la
Même idée avec ἐναντίος ἐκ διαμέτρου, « diamétralement opposé », In Rom., I, 27 (Rm 1, 29) ; III, 5 (Rm 6, 16). Cf. In Rom., I, 20 (Rm 1, 18) ; II, 25 (ter, Rm 5, 12) ; II, 27 (Rm 5, 14) ; III, 19 (bis, Rm 7, 9) ; III, 20 (bis, Rm 7, 10) ; III, 21 (quater) ; III, 22 ; III, 23 (Rm 7, 12) ; III, 24 (bis, Rm 7, 13) ; III, 28 (Rm 7, 17). Cf. In Rom., III, 19 (Rm 7, 9). Cf. Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 128 (Rm 7, 9-11) ; Théodoret, De prouid., X, PG 83, 764 C 2-3 ; Haer. fab., V, 17, PG 83, 509 C 5-6. Théodoret emploie aussi ce substantif, en référence à Matthieu 22, 36, pour parler du « premier commandement » (cf. V, 17, Rm 13, 10) ou de l’« unique commandement » de l’amour, cf. In epist. Pauli, PG 82, 496 C 7 (Ga 5, 14).
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distinction entre ἐντολή comme commandement donné à Adam et νόμος, comme loi mosaïque²⁷¹. L’expression elliptique ἡ περὶ τῶν δένδρων ἐντολή, « le commandement relatif aux arbres », est unique. On peut la rapprocher d’une formule de Théodore de Mopsueste, ἡ πρὸς ἐκεῖνον ἐντολὴ περὶ τοῦ φυτοῦ γενομένη, « le commandement qui a été donné [à Adam] à propos de la plante »²⁷², ainsi que de l’expression analogue également employée à propos du commandement donné à Adam, ὁ περὶ τοῦ φυτοῦ νόμος, « la loi relative à la plante ». Le pluriel, δένδρα, en incluant pour ainsi dire les arbres dont Adam pouvait manger le fruit, suggère-t-il la légèreté de la prescription, par ailleurs évoquée explicitement²⁷³ ? Théodoret utilise souvent le pluriel ἐντολαί pour désigner les commandements en un sens général, sans allusion à une loi particulière²⁷⁴, éventuellement caractérisés comme « divins » (θεῖαι)²⁷⁵, « du Christ » (τοῦ Χριστοῦ)²⁷⁶ ou « moraux » (πρακτικαί)²⁷⁷. Ce sens peut rejoindre l’idée du commandement non écrit suivi par les hommes avant la loi mosaïque, mais ce n’est pas explicite. Par ailleurs, le pluriel désigne parfois plus précisément les commandements de la loi mosaïque dans leur ensemble, l’exégète évoquant, par exemple, « ce que la loi a enseigné par de nombreux commandements » (ἃ (…) διὰ πολλῶν ἐντολῶν ὁ νόμος ἐπαίδευσε)²⁷⁸. Précisé par un complément, le mot désigne certains préceptes particuliers concernant exclusivement les Juifs, par exemple αἱ περὶ τῶν ἑορτῶν ἐντολαί, « les commandements concernant les fêtes »²⁷⁹. Apparemment, Théodoret n’emploie pas le mot ἐντολή quand il veut désigner précisément les commandements inscrits dans la nature, mais plutôt τὰ ἀναγκαῖα τοῦ νόμου²⁸⁰.
2.5.2.5 Ὅρος : ὅρος τοῦ θανάτου, θεῖος ὅρος, ὅρος τοῦ δικαίου Ὅρος τοῦ θανάτου : 19 occurrences jusqu’au viie siècle²⁸¹, dont 14 chez Théodoret²⁸².
Cf. In Rom., III, 21. Sur le désaccord entre Théodoret et ses devanciers, voir infra, p. 165. Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 126 (Rm 7, 7). Cf. In Rom., III, 22 (Rm 7, 12). L’unicité du commandement est parfois simplement soulignée par μία (II, 25), ou ἐκείνη (II, 27). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 620 B 4 (Col 3, 14). Cf. ibid., PG 82, 705 C 14-15 (He 4, 13). Cf. ibid., PG 82, 453 A 4 (2 Co 12, 19). Cf. ibid., PG 82, 593 C 13-14 (Col 1, 4) : πάση ἐντολή, singulier à sens collectif. In Rom., IV, 18 (Rm 9, 28). Cf. aussi II, 31 (Rm 5, 20) ; IV, 24 (Rm 10, 8). Le mot est parfois employé en ce sens dans le Nouveau Testament. Cf., par exemple, Mt 5, 19 ; Rm 13, 9 ; He 9, 19. In epist. Pauli, PG 82, 728 C 13 (He 7, 11). Cf. aussi ibid., PG 82, 737 D 2 (He 9, 1). Cf. supra, p. 67. En laissant de côté une occurrence dans le corpus hippocratique, où ὅρος signifie « définition », on n’a relevé que quatre attestations en dehors de Théodoret. Cf. infra, notes 304-305 p. 79. Voir les deux notes suivantes.
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Τὸν ὅρον τοῦ θανάτου δέχεσθαι : 10 occurrences chez Théodoret²⁸³. Ὑπὸ τὸν ὅρον τοῦ θανάτου : 6 occurrences, dont 4 chez Théodoret²⁸⁴. Τὸν ὅρον τῆς τελευτῆς δέχεσθαι : 1 occurrence chez Théodoret²⁸⁵. Ὁ ὅρος τῆς θνητότητος : 1 occurrence chez Théodoret²⁸⁶. Ψῆφος τοῦ θανάτου : 47 occurrences d’Ésope jusqu’au ve siècle, dont 10 chez Cyrille d’Alexandrie, 16 chez Théodoret²⁸⁷. Θεῖος ὅρος : 22 occurrences²⁸⁸, dont 12 à 17 chez Théodoret²⁸⁹. Ὁ ὅρος τοῦ δικαίου : 3 occurrences chez Théodoret²⁹⁰. Ὁ ὅρος τῆς δικαιοσύνης : 2 occurrences chez Théodoret²⁹¹. L’expression ὅρος τοῦ θανάτου, caractéristique de Théodoret, est très rarement attestée par ailleurs. Le terme ὅρος est lui-même particulièrement fréquent chez l’évêque de Cyr, souvent pour désigner, au sens premier, une borne, une limite, ou bien, dans un sens dérivé, un décret, limite imposée par une décision²⁹². Ces deux aspects semblent souvent liés, que ce soit à cause de la richesse de la notion dans la
Cf. In Rom., II, 25 (Rm 5, 12, tout homme) ; II, 29 (Rm 5, 18, tout homme) ; III, 1 (Rm 6, 12, le corps) ; In epist. Pauli, PG 82, 745 C 5 (He 9, 27, l’homme) ; Quaest. in Gen., XIII, FM I, p. 16 (Adam) ; XL, FM I, p. 41 (Adam) ; Com. in XII proph., PG 81, 1705 C 1-2 (Am 9, 11, Zorobabel) ; PG 81, 1877 C 11-12 (Za 1, 5-6, les prophètes) ; Corresp., II, 14, SC 98, p. 48 (la nature humaine) ; Eranistes, III, Ettlinger, p. 190 (221) (ce qui est mortel en Christ). Cf. In Rom., II, 25 (Rm 5, 12, Adam) ; II, 27 (Rm 5, 14, Adam) ; III, 22 (Rm 7, 12, Adam) ; Corresp., II, 65, SC 98, p. 146 (l’homme). Cf. In Rom., III, 19 (Rm 7, 9-10). Attestation unique. Cf. Quaest. in Gen., XXXVIII, FM I, p. 40. Occurrence unique avant le viiie siècle. Cf., par exemple, In Rom., III, 47 (Rm 8, 21) ; Quaest. in Gen., XXXVII, FM I, p. 39 ; Eranistes, III, Ettlinger, p. 193 (228). Au lieu du génitif τοῦ θανάτου, Jean Chrysostome dit περὶ ou ἐπὶ τὸν θάνατον. Attestations isolées chez Origène, Eusèbe de Césarée, Basile de Césarée, Astérius le Sophiste, Pseudo-Cyrille d’Alexandrie. Cf. Théodoret, Quaest. in Gen., XXVI, FM I, p. 30 (bis) ; Quaest. in Ios., XV, FM I, p. 281 ; Com. in Ps., PG 80, 1697 C 9 (Ps 103, 9) ; 1701 B 12 (Ps 103, 19) ; Com. in Dan., PG 81, 1388 A 5 (Dn 5, 19) ; Corresp., II, 14, SC 98, p. 46 ; De prouid., X, PG 83, 757 C 12 ; 757 C 13 ; Haer. fab., V, 6, PG 83, 468 C 6 ; V, 19, PG 83, 513 B 5 ; Thérap., V, 52, SC 57, p. 243. On compte 17 occurrences si les Quaestiones ad orthodoxos sont de Théodoret (5 occurrences concentrées sur deux questions, dont une concernant le décret assignant à la mer sa limite). Cf. Théodoret (Dub.), Quaest. et respons. ad orthodoxos, CXLIV, Papadopoulos-Kerameus, p. 133 ; p. 134 ; CXLVII, p. 135 (bis) ; p. 136. Cf. In Rom., II, 28 (bis, Rm 5, 15, φυλάττειν et Rm 5, 16, ὑπερβαίνειν) ; Haer. fab., V, 11, PG 83, 493 B 14-15 (ὑπερβαίνειν). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 584 B 7 (Ph 3, 19) ; Haer. fab., V, 11, PG 83, 492 D 6. Le sens de « limite » est attesté par exemple en In Rom., I, 29. Le sens dérivé classique de « définition » est aussi employé par Théodoret. Le sens de « décret », assez répandu chez les auteurs chrétiens (cf. PGL, s. u.), est bien attesté chez l’évêque de Cyr. Cf., par exemple, In epist. Pauli, PG 82, 669 D 1 (2 Th 3, 5) ; PG 82, 824 B 7-8 (1 Tim 6, 3) ; PG 82, 860 B 11-12 (Tt 1, 5). On trouve chez lui plus de 200 occurrences de ὅρος, un peu plus que chez Jean Chrysostome, dont l’œuvre est beaucoup plus volumineuse.
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langue grecque ou par un jeu de mots délibéré de la part de l’auteur²⁹³. En voici un exemple : « Il établit une prescription (πρόσταγμα ἔθετο) qui ne passera pas ». Non seulement il [les] créa, mais il continue de veiller sur eux ; c’est de là qu’ils tiennent leur permanence, comme lui-même l’a voulu. En effet, ils ne pourront même pas transgresser les décrets [ou franchir les limites] par lui établis (τοὺς ὑπ’ αὐτοῦ τεθέντας ὅρους παραβῆναι). Ainsi, les inanimés, ou bien encore toutes les autres espèces, ont honte devant les lois établies (τοὺς τεθέντας αἰσχύνεται νόμους) ; seule la nature des hommes, honorée d’une raison, transgresse les lois (παραβαίνει τοὺς νόμους). La mer connaît (ἐπίσταται) les décrets [ou ses limites] (τοὺς ὅρους) et a honte (αἰσχύνεται) devant le sable, nuit et jour observent les mesures établies (τὰ τεθέντα φυλάττουσι μέτρα) ; mais les hommes méprisent les lois divines (τῶν θείων νόμων καταφρονοῦσιν)²⁹⁴.
Ici, le jeu sur le double sens de ὅρος est évident. Le mot « prescription » (πρόσταγμα) employé dans le verset commenté est reformulé aussi bien par νόμος que par μέτρον, ainsi que par ὅρος. La loi de la nature concernant la nuit et le jour prend la forme concrète d’une « mesure » de temps et la règle suivie par la mer est une limite physique à ne pas franchir. La construction rhétorique oppose la variété d’attitudes des créatures à l’unique action divine (τιθέναι), mais aussi le respect de l’ordre divin par les êtres dépourvus de raison, au refus de l’homme (lemme οὐ παρέρχεσθαι repris par οὐ παραβαίνειν δύνασθαι, αἰσχύνεσθαι, ἐπίστασθαι, φυλάττειν vs παραβαίνειν, καταφρονεῖν). Εn attribuant un sentiment humain, la honte, à des créatures dépourvues de raison, l’exégète accentue encore l’opposition entre les hommes et le reste de la nature²⁹⁵. L’expression ὅρος τοῦ θανάτου, « arrêt de mort », joue également sur les sens de limite et de décret pour signifier avec concision une certaine théologie de la mort²⁹⁶,
Il faudrait réaliser une enquête plus large pour savoir si le jeu sur les deux sens est ou non caractéristique de Théodoret. « Πρόσταγμα ἔθετο, καὶ οὐ παρελεύσεται ». Οὐ μόνον δὲ ἐδημιούργησεν, ἀλλὰ καὶ προμηθούμενος αὐτῶν διατελεῖ · ὅθεν καὶ τὸ διαρκὲς ἔχουσιν, ὡς ἂν αὐτὸς ἐθελήσῃ. Οὐδὲ γὰρ τοὺς ὑπ’ αὐτοῦ τεθέντας ὅρους παραβῆναι δυνήσεται. Τὰ μὲν οὖν ἄψυχα, καὶ μέντοι καὶ τῶν ἄλλων τὰ γένη, τοὺς τεθέντας αἰσχύνεται νόμους · μόνη δὲ τῶν ἀνθρώπων ἡ φύσις, ἡ λόγῳ τετιμημένη, παραβαίνει τοὺς νόμους. Καὶ ἡ μὲν θάλασσα τοὺς ὅρους ἐπίσταται, καὶ τὴν ψάμμον αἰσχύνεται, καὶ νὺξ καὶ ἡμέρα τὰ τεθέντα φυλάττουσι μέτρα · ἄνθρωποι δὲ τῶν θείων νόμων καταφρονοῦσιν, Com. in Ps., PG 80, 1989 A 2-13 (Ps 148, 6). On notera aussi l’exemple de Sara, qui « connaissait les limites [ou les décrets] de la nature humaine » (τῆς ἀνθρωπείας φύσεως τοὺς ὅρους ἐπισταμένη) : la vieillesse et la stérilité lui interdisent (ἀπαγορεύειν) d’enfanter. Le verbe ἀπαγορεύειν rend le sens de « décret » vraisemblable, sans exclure celui de « limite ». Cf. In epist. Pauli, PG 82, 761 A 9-13. Voir aussi De prouid., VIII, PG 83, 688 C 6-9. L’expression ὅρος τῆς φύσεως serait elle-même à étudier, et notamment à comparer avec νόμος τῆς φύσεως (cf. infra, p. 88). On notera que G. Hervet rend l’expression par mortis decretum en II, 25-27 (PG 82, 99 A 11-D 11) et en III, 22 (PG 82, 119 C 14) ; par mortis lex en II, 29 (PG 82, 162 D 6). La traduction par « arrêt de mort » voudrait faire entendre le double sens, au-delà du caractère idiomatique de l’expression en français. Elle paraîtra hardie dans certains cas, mais il semble juste de mettre en relief une expression rare.
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à la fois limite humaine par excellence, et limite résultant d’une décision divine, à savoir le châtiment qui suit le péché d’Adam²⁹⁷. Plusieurs éléments invitent à considérer l’idée de « décret » comme prédominante. Un premier argument vient de la comparaison avec des mots proches des deux sens de ὅρος. L’emploi de ὅρος se distingue de celui de τέλος, « fin », et de πέρας, « terme », qui sont employés chez divers auteurs avec un génitif de sens partitif, dans τέλος ζωῆς, « fin de la vie »²⁹⁸, πέρας βίου, « terme de la vie »²⁹⁹, mais non avec θανάτου³⁰⁰. Au contraire, on trouve bien ὅρος τοῦ θανάτου mais les tournures ὅρος ζωῆς et ὅρος βίου sont apparemment inusitées. L’expression ὅρος τοῦ θανάτου est plutôt à rapprocher de la tournure ψῆφος τοῦ θανάτου, « sentence de mort », particulièrement fréquente chez Théodoret, et qu’il utilise notamment au sujet d’Adam. Le sens de décision divine est également suggéré par l’affinité fréquente de l’expression avec les idées de péché, de châtiment ou de sentence. La majorité des occurrences (cinq sur six dans l’In Romanos) évoque même explicitement les conséquences du péché d’Adam. À ce titre, on peut rapprocher ὅρος τοῦ θανάτου de l’expression θεῖος ὅρος (« décret divin »), également caractéristique de Théodoret, qui est un équivalent de θεῖος νόμος. Dans l’exemple suivant, où le Christ accuse l’ennemi du genre humain, il s’agit précisément du « décret » relatif à la mort des pécheurs : Aux autres, j’ouvre la prison de la mort, tandis que toi seul, je t’enferme, parce que tu as transgressé le décret divin (τὸν ὅρον τὸν θεῖον). Car le décret divin (θεῖος ὅρος) envoya à la mort ceux qui ont péché, mais toi, tu livras aussi celui qui n’était pas initié au péché, aux liens de la mort³⁰¹.
Le choix du mot ὅρος pour désigner le châtiment consécutif à la Chute est significatif : cette loi divine consiste bien à mettre une limite à la vie de l’homme. Le jeu sur ces notions de mort, de terme et de loi se retrouve notamment dans une variante de l’expression, ὅρος τῆς τελευτῆς, utilisée par Théodoret à propos d’Adam et d’Ève : c’est « le décret de leur fin », et même temps « le terme de la mort », littéralement « la
Au sujet de l’insistance de Théodoret sur ce châtiment, cf. infra, p. 253, notamment la note 196. Sur le péché d’Adam chez Théodoret, cf. G. Koch, Strukturen und Geschichte des Heils in der Theologie des Theodoret von Kyros, Eine dogmen- und theologiegeschichtliche Untersuchung, Frankfurt am Main, 1974, p. 250. Théodoret emploie l’expression avec ἔχειν, (6 occurrences, toutes dans l’Eranistes). Théodoret emploie l’expression avec δέχεσθαι (7 occurrences). Les mots τέλος et πέρας sont associés à θάνατος dans des constructions attributives. On trouve, certes, θανάτοιο τέλος chez Homère. Τοῖς ἄλλοις ἀνοίγω τοῦ θανάτου τὸ δεσμωτήριον, σὲ δὲ καθείρξω μόνον, ὡς τὸν ὅρον παραβεβηκότα τὸν θεῖον. Ὁ γὰρ θεῖος ὅρος τοὺς ἡμαρτηκότας τῷ θανάτῳ παρέπεμψε, σὺ δὲ καὶ τὸν ἁμαρτίας ἀμύητον παρέδωκας τοῖς τοῦ θανάτου δεσμοῖς, De prouid., X, PG 83, 757 C 10-15. Autre passage où le « décret divin » évoque la mort : Corresp., II, 14, SC 98, p. 46.
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limite de la fin », avec une sorte de tautologie³⁰². On ne doit donc jamais perdre de vue l’idée de limite, que l’on peut même considérer comme prédominante dans certains cas³⁰³. Cette expression ὅρος τοῦ θανάτου, caractéristique de Théodoret, et en particulier de l’In Romanos – d’ailleurs attestée dans deux fragments antiochiens sur la même épître³⁰⁴ – pourrait être issue de formulaires liturgiques. On trouve en effet deux attestations parallèles dans des prières de bénédiction transmises par les Constitutions apostoliques, avec un environnement sémantique et théologique très proche³⁰⁵. Il s’agit d’une évocation de l’homme, voué à la mort à cause du péché et délivré de ce « décret » par la promesse de la résurrection : l’expression est donc utilisée au sujet de la libération à l’égard du décret, alors que Théodoret s’en sert pour parler de son origine. Il est vraisemblable que ces textes utilisés dans la liturgie antiochienne soient familiers à Théodoret et qu’il en reprenne naturellement certaines tournures expressives³⁰⁶. On ne s’attardera pas sur les tournures ὅρος τοῦ δικαίου et ὅρος τῆς δικαιοσύνης, propres à Théodoret. L’idée de « décret » s’impose dans le cas suivant, et donc sans doute dans les autres, car le contexte thématique et sémantique est extrêmement proche :
Cf. In Rom., III, 19. Voir aussi l’expression unique ὅρος τῆς θνητότητος, par laquelle Théodoret reformule le mot θάνατος de Genèse 2, 17, cf. Quaest. in Gen., XXXVIII, FM I, p. 40. Dans une occurrence (III, 1), Théodoret met visiblement l’accent sur l’idée de cessation, évoquant « le caractère temporaire de la guerre » (τοῦ πολέμου τὸ πρόσκαιρον) contre les passions : lorsque « le corps (…) reçoit son arrêt de mort [ou la limite de la mort], l’assaut des passions cesse également » ([τοῦ σώματος] δεξαμένου τοῦ θανάτου τὸν ὅρον, παύεται καὶ τῶν παθημάτων ἡ προσβολή). Voir aussi les occurrences de l’In XII prophetas, note 283 p 76. Ἡ ὑπὸ τὸν ὅρον τοῦ θανάτου κειμένη, « celle qui est soumise à son arrêt de mort » est un des sens donnés au mot « chair » dans un fragment attribué à Théodore, cf. J. A. Cramer, Catenae Graecorum Patrum in Novum Testamentum. Tomus IV. In Epistolam S. Pauli ad Romanos, London, 1844, p. 81. « Σκεύη δὲ ὀργῆς κατηρτισμένα εἰς ἀπώλειαν » λέγει τοὺς ἀνθρώπους τοὺς ὑπὸ τὸν ὅρον τοῦ θανάτου ὄντας, « “Vases de colère préparés pour la perdition” : il veut dire les hommes qui sont soumis à leur arrêt de mort », Sévérien de Gabala, Frg. in Rom., Staab, p. 222 (Rm 9, 22). Le lien sémantique et exégétique avec les occurrences de Théodoret n’est pas flagrant. Παρακούσαντα δὲ τὸν ἄνθρωπον ἐμμίσθου ζωῆς ἐστέρησας, οὐκ εἰς τὸ παντελὲς ἀφανίσας, ἀλλὰ χρόνῳ πρὸς ὀλίγον κοιμίσας, ὅρκῳ εἰς παλιγγενεσίαν ἐκάλεσας, ὅρον θανάτου ἔλυσας, ὁ ζωοποιὸς τῶν νεκρῶν διὰ Ἰησοῦ Χριστοῦ τῆς ἐλπίδος ἡμῶν, « L’homme ayant désobéi, tu l’as privé du gage de la vie, sans toutefois le détruire entièrement, mais après un temps de sommeil, par serment tu l’as destiné à une nouvelle naissance et tu as révoqué son arrêt de mort, toi qui vivifies les morts par Jésus-Christ, notre espérance », Constit. apost., VII, 34, 8, SC 336, p. 74-75 (traduction légèrement modifiée). Ce texte serait une « transcription d’un formulaire liturgique d’origine juive » (voir l’introduction de M. Metzger, ibid., SC 320, p. 20). Cf. aussi ibid., VIII, 12, 16, SC 336, p. 184-187. Sur la datation (vers 380) et l’origine antiochienne des Constitutions apostoliques, cf. l’introduction, SC 320, p. 54-60.
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La libéralité de l’amour pour les hommes dépasse, dit-il, ce qui est juste. Car, alors qu’un seul avait péché, le décret de la justice (ὁ τῆς δικαιοσύνης ὅρος) livra à la mort toute la race de celuici³⁰⁷.
2.5.2.6 Περιττός : τὰ περιττὰ τοῦ νόμου Τὰ περιττὰ τοῦ νόμου : 13 occurrences chez Théodoret³⁰⁸. L’expression τὰ περιττὰ τοῦ νόμου (« les préceptes superflus de la Loi ») est propre à Théodoret, et rappelle deux assertions de Jean Chrysostome sur la Loi, qualifiée de « superflue »³⁰⁹. Cette formule suggestive désigne les commandements établis spécialement pour les Juifs « à ce moment-là », c’est-à-dire à l’époque de la loi mosaïque, et que l’évêque de Cyr appelle aussi τῇ σαρκὶ δεδομέναι νομοθεσίαι (« législations données pour la chair »)³¹⁰, ἴδια τοῦ νόμου (« propres à la Loi »)³¹¹, ou ἃ ἐκ περιουσίας εἶχεν ὁ νόμος (« ce que la Loi avait de surcroît »)³¹². L’exégète déclare que, selon Hébreux, ce sont eux qui cessent, à cause de leur faiblesse³¹³. En les définissant comme « précisément ceux que la nature n’a pas institués » (ἅπερ ἡ φύσις οὐ διηγόρευε), il affirme leur différence fondamentale avec les autres types de préceptes, τὰ ἀναγκαῖα τοῦ νόμου (« les préceptes nécessaires de la Loi »)³¹⁴, et leur caractère caduc³¹⁵. À propos de cette idée de commandements « superflus », Théodoret propose une analogie pour justifier le paradoxe d’une loi donnée par Dieu auquel les chrétiens ne se soumettent plus : ceux-ci vénèrent l’Ancien Testament comme on vénère le sein maternel alors qu’on ne se nourrit plus de son lait car il est devenu « superflu » (περιττόν). De même que les mères donnent d’abord le sein puis une nourriture solide, ainsi Dieu a donné l’Ancienne Alliance, puis des enseignements plus soli-
Ὑπερβαίνει, φησίν, ἡ τῆς φιλανθρωπίας φιλοτιμία τὸ δίκαιον. Ὁ μὲν γὰρ τῆς δικαιοσύνης ὅρος ἑνὸς ἡμαρτηκότος ἅπαν τὸ τούτου γένος τῷ θανάτῳ παρέδωκεν, Haer. fab., V, 11, PG 83, 492 D 6. Seule l’occurrence de l’In epistulas Pauli sur Philippiens 3, 19 présente un autre contexte, mais l’idée de décret y est aussi plus satisfaisante que celle de limite. Cf. In Rom., IV, 20 (Rm 9, 33) ; In epist. Pauli, PG 82, 460 B 5-6 (arg. in Gal.) ; 476 D 4 (Ga 3, 3) ; 484 A 6 (Ga 3, 21) ; 496 B 12-C 1 (Ga 5, 13) ; 549 B 14-C 2 (Ep 6, 3) ; 577 B 12-13 (Ph 3, 1) ; 593 B 2-3 (arg. in Col.) ; 729 D 7-9 (He 7, 18) ; 776 B 12-13 (He 12, 17) ; 792 B 2-3 (1 Tim 1, 11) ; Com. in Ier., PG 81, 548 A 12-13 (Jr 6, 20) ; 552 C 10-11 (Jr 7, 21-23). Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., V, PG 60, 427, 2 (Rm 2, 10, νόμος) ; id., Com. in Gal., PG 61, 643, 23 (Ga, 2, 16, περιττὸν τὸ τῆς περιτομῆς). Cf. In Rom., III, 14 (Rm 7, 5). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 473 A 14-B 3 (Ga 2, 16). Cf. ibid., PG 82, 481 C 12-D 2 (Ga 3, 21). Cf. ibid., PG 82, 729 D 7-9 (He 7, 18). Cf. supra, p. 67. In epist. Pauli, PG 82, 481 C 12-D 2 (Ga 3, 21). Cf. aussi ibid., PG 82, 473 A 14-B 3 (Ga 2, 16). Sur la distinction entre les préceptes propres aux Juifs et les préceptes universels de la Loi, voir infra, p. 240.
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des³¹⁶. On peut donc considérer l’expression « préceptes superflus » comme elliptique : pour Théodoret, ces commandements n’ont pas toujours été inutiles, et c’est leur observance après l’avènement du Christ qui est considérée comme superflue. Il parle en effet de l’« observance inopportune et superflue de la Loi » (ἄκαιρος τοῦ νόμου καὶ περιττὴ φυλακή)³¹⁷.
2.5.2.7 Σκοπός : ὁ τοῦ νόμου σκοπός Ὁ τοῦ νόμου σκοπός : 43 occurrences³¹⁸, dont 14 chez Cyrille d’Alexandrie³¹⁹, 23 chez Théodoret³²⁰. L’expression ὁ τοῦ νόμου σκοπός, « la visée de la loi », est rare en général mais fréquente chez Théodoret, ainsi que chez Cyrille d’Alexandrie³²¹. L’emploi que chacun d’eux fait de cette expression est représentatif de leurs exégèses respectives. La « visée de la loi », c’est d’abord, pour Théodoret, la raison pratique d’un précepte. Par exemple, stipuler que la femme venant d’accoucher est impure est le moyen le plus efficace de dissuader l’homme de s’approcher d’elle, afin de lui assurer un repos nécessaire³²². Cette explication contraste avec celle de Cyrille d’Alexandrie, qui se pose justement la question du σκοπός du même précepte, donnant à l’impureté rituelle un sens moral³²³. Ensuite, pour Théodoret, le σκοπός de la loi est son but relativement à la pédagogie divine. Ainsi, les sacrifices étaient faits pour guérir de l’idolâtrie païenne³²⁴. Comprendre ces raisons permet d’accéder, audelà de la lettre, au but ultime de la Loi, c’est-à-dire à son sens profond. Par exemple, les gens pieux, contrairement à ceux qui n’accomplissent que des préceptes exté-
Cf. Haer. fab., V, 17, PG 83, 509 C 12-512 A 2. La réminiscence de 1 Corinthiens 3, 2 est évidente. Cf. In Rom., V, 21 (Rm 14, 1). Auteurs représentés : Origène, Sévérien, Jean Chrysostome, Théodore de Mopsueste. Dont 7 occurrences dans le De adoratione et cultu in spiritu et ueritate. Cf. In Rom., arg., 4 ; I, 40 (Rm 2, 27) ; III, 20 (Rm 7, 10) ; III, 35 (Rm 8, 3, ὁ οἰκεῖος σκοπός) ; III, 36 (bis, Rm 8, 4) ; IV, 22 (Rm 10, 4) ; IV, 34 (Rm 11, 7) ; In epist. Pauli, PG 82, 616 A 10-11 (Col 2, 23) ; 789 D 2-5 (ter, 1 Tim 1, 8) ; Quaest. in Leu., XII, FM I, p. 166 ; XIV, FM I, p. 167 ; XXIII, FM I, p. 177 ; Quaest. in I Reg., XII, FM II, p. 18 ; Com. in Ps., PG 80, 869 B 6 (Ps 1, 2, ὁ ἐκεῖνος σκοπός) ; 1888 A 3 (Ps 124, 1) ; Com. in Dan., PG 81, 1329 C 14 (Dn 3, 38) ; De Inc., XI, SC 575, p. 50 (citation Rm 8, 3-4, σκοπὸς τῷ νόμῳ) ; Haer. fab., V, 25, PG 83, 537 D 4-5 ; Thérap., VII, 36, SC 57, p. 305 ; Théodoret (Dub.), Quaest. et respons. ad orthodoxos, CXV, Papadopoulos-Kerameus, p. 107. Sur le sens de σκοπός chez les Pères, cf. M. Harl, « Le guetteur et la cible : les deux sens de skopos dans la langue religieuse des chrétiens », La Langue de Japhet, Paris, 1992, p. 215-233. Cf. Quaest. in Leu., XIV, FM I, p. 167 (cf. Lv 12, 1-5). Cf. aussi ibid., XXIII, FM I, p. 177. Cf. Cyrille d’Alexandrie, De Ad., XV, PG 68, 1005 B 2. Pour lui, la femme est impure parce qu’elle enfante un être corruptible, et à cause du plaisir charnel lié à la conception ; cette impureté ne concerne pas la Vierge, cf. ibid., XV, PG 68, 1005 B 9-1008 A 11. Cf. Haer. fab., V, 25, PG 83, 537 D 4-5 ; Thérap., VII, 36, SC 57, p. 305. Cf. aussi Quaest. in Leu., XII, FM I, p. 166 ; Théodoret (Dub.), Quaest. et respons. ad orthodoxos, CXV, Papadopoulos-Kerameus, p. 107.
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rieurs³²⁵, sont capables soit d’être libres à l’égard de la lettre, comme Élie qui sacrifie loin de Jérusalem³²⁶, soit d’observer le précepte³²⁷, s’abstenant d’offrir des sacrifices en dehors de Jérusalem tout en accomplissant son sens spirituel, c’est-à-dire en offrant leurs cœurs contrits³²⁸. L’expression « visée de la Loi » s’entend encore de l’ensemble des commandements, et désigne alors l’intention générale de cette Loi, à savoir écarter ses sujets du péché et les rendre justes. C’est le sens donné à l’expression par les devanciers de Théodoret³²⁹. Celui-ci insiste sur la nécessité de distinguer cette fin et le résultat, c’est-à-dire l’échec, à cause de la faiblesse des sujets de la Loi³³⁰. Il explique que la Loi, poursuivant pour ainsi dire son but, conduit alors à celui qui peut l’accomplir, le Christ, qui en est lui-même le σκοπός³³¹. La visée de la Loi est alors la foi au Christ, « fin de la Loi » (τέλος τοῦ νόμου)³³². Celui qui observe les préceptes mais ne croit pas manque le but de la Loi³³³. Après le Christ, celui qui observe la visée de la Loi, qui est de conduire à celui-ci, ne peut plus observer les préceptes³³⁴. Certains emplois de l’expression rejoignent l’idée origénienne du sens spirituel de la Loi. L’équivalence apparaît explicitement chez Cyrille d’Alexandrie, qui parle d’interpréter spirituellement (πνευματικῶς) la visée de la Loi (ὁ τοῦ νόμου σκοπός)³³⁵. Cependant, Théodoret, en utilisant aussi la formule au sens de la raison concrète d’un précepte, contrairement à l’usage cyrillien, affirme clairement son attachement à l’exégèse antiochienne, qui s’intéresse d’abord au sens historique.
Cf. In Rom., I, 40 (Rm 2, 27) ; In epist. Pauli, PG 82, 616 A 10-11 (Col 2, 23). Cf. Quaest. in I Reg., XII, FM II, p. 18. Cf. Com. in Ps., PG 80, 869 B 6 (Ps 1, 2) ; 1888 A 3 (Ps 124, 1). Cf. Com. in Dan., PG 81, 1329 C 14 (Dn 3, 38). Voir les trois notes suivantes. On remarquera que l’expression est employée à propos des mêmes versets. Cf. In Rom., III, 20 (Rm 7, 10) ; III, 35 (Rm 8, 3) ; De Inc., XI, SC 575, p. 50 (citation Rm 8, 3-4). Même expression et même idée chez Sévérien de Gabala, Frg. in Rom., Staab, p. 219 (Rm 7, 5) et Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 134 (Rm 8, 3-4). Cf. In Rom., III, 36 (bis, Rm 8, 4) ; In epist. Pauli, PG 82, 789 D 2-5 (ter, 1 Tim 1, 8). Cf. Jean Chrysostome, Hom. in I Tim., II, PG 62, 510, 34 ab imo-511, 5 (1 Tim 1, 7-9). Rm 10, 4. Cf. In Rom., arg. 4 ; IV, 22 (Rm 10, 4). Cf. Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 151 (Rm 10, 1-4). Cf. In Rom., IV, 34 (Rm 11, 7). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 789 D 2-5 (ter, 1 Tim 1, 8). Ce paradoxe a été mis en lumière à propos de l’In Galatas par M.-O. Boulnois, « De la symphonie trinitaire à la symphonie apostolique. La loi et l’évangile dans l’exégèse de l’Épître aux Galates chez Théodoret de Cyr », L’Exégèse patristique de l’Épître aux Galates, éd. I. Bochet, M. Fédou, Paris, 2014, p. 59-82. Cf. Cyrille d’Alexandrie, De Ad., VIII, PG 68, 552 C 3-4. L’expression σκοπὸς τοῦ νόμου introduit chez cet auteur l’examen du sens spirituel ou christologique d’un précepte. Cf. par exemple ibid., XIV, PG 68, 917 C 7.
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2.5.2.8 Συνειδός : μαρτυρία τοῦ συνειδότος Συνειδός : notamment 32 occurrences chez Philon, 17 chez Flavius Josèphe, plus de 600 chez Jean Chrysostome, environ 55 chez Théodoret³³⁶. Συνείδησις : notamment 30 occurrences dans le Nouveau Testament³³⁷, 4 chez Philon, 4 chez Flavius Josèphe, moins de 40 chez Jean Chrysostome³³⁸, aucune chez Théodoret (hors citations). Μαρτυρία τοῦ συνειδότος : 1 occurrence chez Démosthène³³⁹, 6 chez Théodoret³⁴⁰. Συνειδός avec κεντεῖν : 22 occurrences, de Philon jusqu’au ve siècle³⁴¹, dont 10 chez Jean Chrysostome, 7 chez Théodoret³⁴². Συνειδός avec μαστίζειν : 19 occurrences jusqu’au ve siècle³⁴³, dont 13 chez Jean Chrysostome. Ἡ τοῦ συνειδότος ἀκίς : 3 occurrences chez Théodoret³⁴⁴. Ὁ τοῦ συνειδότος ἐπόπτης : 2 occurrences chez Théodoret³⁴⁵.
Occurrences dans l’In Romanos : I, 20 (Rm 1, 18) ; I, 35 (quater, Rm 2, 15) ; III, 21 (bis, Rm 7, 12) ; IV, 2 (Rm 9, 2). On trouve notamment 10 autres occurrences dans le reste de l’In epistulas Pauli, 12 dans la Correspondance. Occurrences dans l’Ancien Testament (écrits tardifs) : Sg 17, 10 ; Eccl 10, 20 (« pensée »). Le verbe συνειδέναι (5 occurrences), traduit l’hébreu י ד ע. Il signifie « avoir conscience », au sens moral (Jb 27, 6), « savoir » (Lv 5, 1). Trois occurrences sont des variantes de συνιδεῖν (1 M 4, 21 ; 2 M 4, 41 ; 3 M 2, 8). Hors citations et reprises. Les deux mots peuvent se suivre : Ἐννόει μοι ἐνταῦθα τοῦ συνειδότος τὴν κατηγορίαν, καὶ ὅπως ὠθούμενος, ὡς εἰπεῖν, ὑπὸ τῆς συνειδήσεως οὐκ ἔστη μέχρι τοῦ εἰπεῖν, « Οὐ γινώσκω », ἀλλ’ ἐπήγαγε, « Μὴ φύλαξ τοῦ ἀδελφοῦ μού εἰμι ἐγώ ; », « Songe donc ici à l’accusation de la conscience : combien, poussé, pour ainsi dire, par la conscience, il ne s’est pas borné à dire “Je ne sais pas”, mais a ajouté : “Suis-je par hasard gardien de mon frère ?” », Jean Chrysostome, Hom. in Gen., XIX, PG 53, 161, 26-29 (Gn 4, 9). Aucune autre occurrence jusqu’au ve siècle. Cf., In Rom., I, 35 (bis, Rm 2, 15) ; In epist. Pauli, PG 82, 380 D 7 (2 Co 1, 12) ; 789 B 12 (1 Tim 1, 5) ; Corresp., III, 96, SC 111, p. 10 ; III, 104, SC 111, p. 24. On trouve aussi μαρτυρεῖ (μοι) τὸ συνειδός, ibid., I, 51, SC 40, p. 120 ; II, 16, SC 98, p. 60. L’expression τὸ συνειδὸς εἰς μαρτυρίαν καλεῖν est attestée une fois chez Jean Chrysostome, une fois chez Théodoret (et une fois chez celui-ci avec συνείδησις). On trouve aussi 4 occurrences de ce verbe avec συνείδησις. Cf. In Rom., III, 21 (Rm 7, 12) ; Quaest. in Gen., XXXIII, FM I, p. 34 ; Com. in XII proph., PG 81, 1725 D 3 (Jon 1, 5) ; Com. in Ier., PG 81, 604 A 15-B 1 (Jr 17, 1) ; Com. in Ez., PG 81, 1004 A 15 (Ez 20, 43) ; Corresp., I, 8, SC 40, p. 80 ; De prouid., VIII, PG 83, 712 B 11. Auteurs représentés : Grégoire de Nysse, Athanase d’Alexandrie, Cyrille d’Alexandrie, PseudoJean Chrysostome. On trouve aussi 2 occurrences avec συνείδησις (Pseudo-Jean Chrysostome). Cf. Quaest. in Gen., XXVI, FM I, p. 30 ; Quaest. in I Reg., LIX, FM II, p. 53 ; Corresp., I, 8, SC 40, p. 80. Aucune autre occurrence, aucune non plus avec συνείδησις. On trouve aussi, avec un sens équivalent, les « aiguillons des pensées », ἡ τοῦ λογισμοῦ (ou τῶν λογισμῶν) ἀκίς. Cf. Com. in XII proph., PG 81, 1725 D 3-6 (Jon 1, 5) ; Hist. Phil., XIII, 3, SC 234, p. 478. Sur la fréquence relative du mot ἀκίς chez Théodoret, cf. supra, p. 42. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 400 B 14 (2 Co 4, 2) ; Corresp., III, 104, SC 111, p. 24.
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Συνειδός, συνείδησις : les termes employés Ces substantifs désignant la conscience sont rares en grec classique, même si le verbe correspondant est usuel³⁴⁶. Seul συνείδησις est attesté dans la Bible, principalement chez Paul. Philon et Flavius Josèphe emploient beaucoup plus souvent συνειδός. Il semble que Philon utilise συνείδησις au sens classique de connaissance par le sujet de ses fautes et préfère συνειδός quand il personnifie la conscience comme juge intérieur³⁴⁷. Chez les auteurs chrétiens, la proportion entre les deux mots, considérés comme équivalents, est variable³⁴⁸. Jean Chrysostome emploie beaucoup plus souvent συνειδός. Théodoret utilise souvent συνειδός, jamais συνείδησις, sauf dans les reprises de citations³⁴⁹ et dans certaines paraphrases de versets pauliniens le contenant³⁵⁰. Il préfère reformuler ceux-ci avec συνειδός, quitte à changer le mot même sur lequel il attire l’attention. Ainsi, à propos de ἐν καθαρᾷ συνειδήσει, « avec une conscience pure », il explique : « C’est au caractère sans mélange de sa disposition à l’égard de Dieu qu’il a fait allusion par l’expression “conscience pure” (καθαροῦ συνειδότος) »³⁵¹. Il témoigne donc d’une tendance à l’abandon d’un doublet. Le fait qu’il
Sur la notion de conscience en grec classique et hellénistique, jusqu’aux épicuriens et aux stoïciens, cf. A. Cancrini, Syneidesis, il tema semantico della « con-scientia » nella Grecia antica, Roma, 1970, qui cependant s’appuie souvent (par exemple p. 139) sur des textes non authentiques, ce qui rend fragiles certaines affirmations, par exemple sur l’existence de l’idée de conscience comme composante de l’âme avant Philon. Voir le jugement de R.-A. Gauthier, « Cancrini (Antonia). Syneidesis. Il tema semantico della “con-scientia” nella Grecia antica », REG 88, 1975, p. 328-329. Les nombreuses études sur cette notion sont centrées sur Philon, Paul et les Pères. Cf. la bibliographie de P. R. Bosman, Conscience in Philo and Paul, A Conceptual History of the Synoida Word Group, Tübingen, 2003, p. 285-302. Cf. A. Pelletier, « Deux expressions de la notion de conscience dans le judaïsme hellénistique et le christianisme naissant », REG 80, 1967, p. 363-368. L’auteur note la persistance de συνειδός à l’époque romaine, et voit dans la personnification de l’entité abstraite une influence certaine de la comédie, notamment de Ménandre en ce qui concerne la Preuve (ἔλεγχος), sorte de délégué de la conscience pour Philon. Le PGL a une entrée unique pour les deux mots. A. Pelletier distingue les Pères apostoliques, qui suivent l’usage de Paul, et Origène, chez qui l’emploi de συνειδός attesterait l’influence directe de Philon, à cause de l’image judiciaire. Cependant, n’oublions pas que celle-ci se trouve aussi en partie chez Paul. Cf. art. cit., p. 369-371. P. R. Bosman, Conscience in Philo and Paul, p. 9-10, considère les deux mots comme équivalents, quoiqu’il remarque la différence d’emplois. Cf. In Rom., V, 15 (Rm 13, 5). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 292 A 3 (1 Co 8, 7) ; 741 A 12 (He 9, 9) ; 741 D 4-5 (He 9, 14) ; 748 A 12 (He 10, 2) ; 784 C 14 (He 13, 18). Dans Théodoret (Dub.), Quaest. et respons. ad orthodoxos, XLVII, Papadopoulos-Kerameus, p. 53 (1 Co 8, 10-12), le mot se trouve dans une paraphrase du texte biblique sans que le verset soit cité. Τὴν εἰλικρινῆ περὶ τὸν θεὸν διάθεσιν διὰ τοῦ καθαροῦ συνειδότος ᾐνίξατο, In epist. Pauli, PG 82, 832 B 14-C 1 (2 Tim 1, 3). Autres emplois de συνειδός dans des paraphrases de versets contenant συνείδησις dans l’In Romanos : I, 35 (Rm 2, 15) ; IV, 2 (Rm 9, 2). Dans l’In epistulas Pauli : PG 82, 380 D 7 (2 Co 1, 12) ; 400 B 14 (2 Co 4, 2) ; 752 D 3 (He 10, 22) ; 789 B 12 (1 Tim 1, 5) ; 796 C 5 (1 Tim 1, 19) ; 808 D 11 (1 Tim 3, 9).
2.5 Formules exprimant un aspect de la doctrine
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ne relève pas la coexistence des deux mots suggère que le substantif ne présentait aucune difficulté, soit parce qu’il était encore utilisé, soit parce que l’équivalence entre le substantif et le participe était perçue comme évidente.
Caractéristiques de la conscience d’après Théodoret La notion est importante chez Théodoret, centrale dans l’In Romanos. L’exégète hérite de la conception traditionnelle issue de Paul, mais aussi de Philon. La conscience, composante de l’âme, est comparable à un tribunal intérieur³⁵², d’où l’association au vocabulaire judiciaire : « accusation » (κατηγορία), « défense » (ἀπολογία), « témoignage » (μαρτυρία), « juge » (κριτής, δικαστής)³⁵³. Théodoret parle volontiers du « témoignage de la conscience » (μαρτυρία τοῦ συνειδότος), expression qui lui est caractéristique, notamment pour reformuler le tour paulinien συμμαρτυρούσης αὐτῶν τῆς συνειδήσεως³⁵⁴. Comme fonction de l’âme, le terme « conscience » semble bien réservé, chez Théodoret de même que chez Philon ou chez Paul, à l’instance de jugement moral a posteriori ³⁵⁵. L’évêque de Cyr la distingue de la faculté utilisée en amont de l’action, διάγνωσις. Le mot semble avoir une acception plus large chez Jean Chrysostome : συνειδός est à la fois l’accusateur, équivalent de la loi naturelle³⁵⁶, le lieu où se trouve la loi qu’on apprend par soi-même³⁵⁷, et surtout l’instance de connaissance (ἡ τοῦ συνειδότος γνῶσις), d’apprentissage (μανθάνειν),
Philon, premier à employer souvent le substantif, introduit la métaphore du jugement situé dans l’âme, la conscience étant pour lui une composante de celle-ci. Cf. A. Pelletier, « Deux expressions de la notion de conscience dans le judaïsme hellénistique et le christianisme naissant », p. 363-371 ; H.-J. Klauck, « Ein Richter im eigenen Innern. Das Gewissen bei Philo von Alexandrien », Alte Welt und neuer Glaube, Beiträge zur Religionsgeschichte, Forschungsgeschichte und Theologie des Neuen Testaments, éd. H.-J. Klauck, Freiburg (Schweiz)-Göttingen, 1994, p. 33-58 ; P. R. Bosman, Conscience in Philo and Paul, p. 183-185. Cf., par exemple, In Rom., I, 35 (reprise des mots de Romains 2, 15, κατηγορεῖν, ἀπολογεῖσθαι, συμμαρτυρεῖν, et reformulation avec ἀπολογία, κατηγορία, μαρτυρία). Pour l’association de συνειδός et de δικαστής, cf. par exemple, In epist. Pauli, PG 82, 317 C 1 (1 Co 11, 28). Les termes κριτής et δικαστής sont associés à συνειδός chez Philon. Chez Paul, συνείδησις est sujet de συμμαρτυρεῖν (Rm 2, 5 ; Rm 9, 1), ou complément de μαρτύριον (2 Co 1, 12). Cf. P. R. Bosman, Conscience in Philo and Paul, p. 280. Οὐχὶ τοῦ νόμου κατηγοροῦντος, ἀλλὰ τῶν λογισμῶν καὶ τοῦ συνειδότος. Εἰ δὲ μὴ εἶχον νόμον τὸν τοῦ συνειδότος, οὐδὲ ἀπολέσθαι αὐτοὺς ἁμαρτάνοντας ἔδει (…) · οὐκ εἶχον νόμον γραπτόν, τὸν δὲ τῆς φύσεως νόμον εἶχον, « Ce n’est pas la Loi qui les accuse, mais les pensées et la conscience. Et s’ils n’avaient pas pour loi celle de la conscience, il ne faudrait pas qu’ils périssent lorsqu’ils pèchent. (…) Ils n’avaient pas de loi écrite, mais avaient la loi de la nature », Jean Chrysostome, De Stat., XII, PG 49, 133, 50-56 (sur Rm 2, 12). Αὐτοδίδακτος νόμος ἐν τῷ συνειδότι κείμενος, « Loi apprise par soi-même située dans la conscience », ibid., XII, PG 49, 133, 14-15.
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d’éducation (παιδεύειν) et d’enseignement (διδάσκειν) sur le commandement³⁵⁸. Dans ce sens, elle intervient aussi en amont de l’action³⁵⁹. Le mot désigne aussi chez Théodoret l’état moral de l’âme, conséquence du jugement. Cet emploi rappelle le sens classique du verbe, évoquant la conscience d’une faute commise, mais il est plus large, englobant la « conscience pure » (καθαρὰ συνείδησις) ou « bonne » (ἀγαθή)³⁶⁰. L’exégète explique même une occurrence de ἀγαθὴ συνείδησις comme désignant la vie dans la sagesse et la justice, ce qui souligne le lien direct entre conscience et vie morale³⁶¹. Théodoret met fortement l’accent sur la vérité du jugement rendu par la conscience et sa conformité avec celui de Dieu, idée déjà développée par Philon, qui l’explique par le lien entre cette instance et le λόγος divin³⁶². Il faut remarquer que la mention de la vérité dans la paraphrase de Romains 2, 15 est un ajout de l’exégète³⁶³. Quelques passages de la Correspondance permettent d’apprécier la portée de ce détail sous la plume de l’évêque de Cyr. Celui-ci affirme que si le jugement de la conscience est droit et juste (τοῦ συνειδότος ὀρθῶς καὶ δικαίως δικάζοντος³⁶⁴), alors il a beau être contraire à celui des hommes, il est conforme à celui de Dieu. À deux reprises, Théodoret nomme ce dernier ὁ τοῦ συνειδότος ἐπόπτης, « l’observateur de la conscience », expression dont on n’a pas trouvé d’attestations chez d’autres auteurs³⁶⁵. D’une telle situation résulte une alternative redoutable : « Ou bien offenser Dieu et faire tort à sa conscience (θεῷ προσκροῦσαι καὶ βλάψαι τὸ συνειδός), ou bien tomber sous le coup du jugement inique des hommes (ταῖς ἀδίκοις τῶν ἀνθρώπων περιπεσεῖν) »³⁶⁶. En tout cas, la sentence des hommes ne peut jamais altérer celle de la conscience. Face à l’injustice, l’individu reste fort, « confiant dans le témoignage de sa conscience » (τῇ τοῦ συνειδότος μαρτυρίᾳ θαρρῶν³⁶⁷). Cette éventualité est illustrée d’une manière saisissante dans les lettres où l’évêque de Cyr évoque sa déposition : certain de son innocence de par la primauté absolue du jugement de la Cf. ibid., XII, PG 49, 131, 41-134, 11 (passim). Par exemple, Abel a « appris de l’intérieur et de par sa conscience » (οἴκοθεν καὶ παρὰ τοῦ συνειδότος διδαχθείς) qu’il était bon d’offrir un sacrifice ; et la dissimulation de Caïn pour tuer Abel prouve la « connaissance de la conscience » (ἡ τοῦ συνειδότος γνῶσις). Cf. ibid., XII, PG 49, 132, 3539 ; 48-51. Ce sens correspond aux acceptions du mot « conscience » attestées par des expressions françaises comme « agir en conscience » et « cas de conscience ». Sur cette évolution d’une conception uniquement négative, liée à la faute, à une conception positive, cf. P. R. Bosman, Conscience in Philo and Paul, p. 76-79 ; 186-187. Cf. In epist. Pauli PG 82, 796 B 13-14 (1 Tim 1, 19). Cf. P. R. Bosman, Conscience in Philo and Paul, p. 188-189. « [Paul] a montré que (…) l’accusation portée par la conscience, aussi bien que sa défense, étaient parées de vérité (ἀληθείᾳ κεκοσμημένη) », I, 35 (Rm 2, 15). Cf. Corresp., III, 135, SC 111, p. 130. Dans l’occurrence issue de la Correspondance (cf. note 345 p. 83), Théodoret, pour défendre son orthodoxie, invoque d’abord le témoignage des milliers d’auditeurs de ses discours, pour souligner ensuite, non sans effet rhétorique, la supériorité du témoignage de sa propre conscience et de Dieu. Corresp., III, 110, SC 111, p. 38-39. Ibid., III, 96, SC 111, p. 10 ; cf. aussi ibid., III, 99, SC 111, p. 16.
2.5 Formules exprimant un aspect de la doctrine
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conscience sur celui des hommes, il accepte patiemment l’injuste peine, dans l’espérance joyeuse d’expier ainsi ses fautes réelles³⁶⁸. À l’inverse, que les hommes disculpent d’une faute ou l’ignorent, elle continue de « déchirer » les coupables (ἀμύττειν)³⁶⁹, de les piquer toute leur vie de ses « aiguillons », ἀκίδες, mot que l’on ne trouve associé à συνειδός que chez Théodoret³⁷⁰. On notera l’affinité entre le terme συνειδός et des verbes évoquant une piqûre : si νύττειν est attesté chez divers auteurs, l’association avec κεντεῖν est typique de Jean Chrysostome puis adoptée par Théodoret³⁷¹, qui ne reprend pas l’emploi du verbe μαστίζειν, également caractéristique du prédicateur. Ces associations se présentent sous deux formes. Soit l’individu est piqué par la conscience, autrement dit par son jugement³⁷², soit c’est la conscience, comme lieu situé dans l’âme, qui est piquée³⁷³, ce qui suggère l’idée que la sentence n’est pas prononcée par l’individu, mais s’impose à lui comme étant reçue de Dieu. Les pécheurs sont « contraints par leur conscience » (ὑπὸ τοῦ συνειδότος ἀναγκαζόμενοι) à reconnaître leur tort, devant Dieu mais aussi devant les hommes, avant même d’être accusés³⁷⁴. Le témoignage de la conscience possède donc une irrésistible « puissance » (δύναμις)³⁷⁵ : « Rien de plus fort que la conscience ; car bien fixées sont les lettres qui y sont fichées. En effet, même si tous les hommes rendent un bon témoignage à leur conscience, la conscience ne supporte pas la perversité des propos mensongers, mais elle est piquée, aiguillonnée, et la sentence qu’elle prononce est intègre »³⁷⁶.
« Votre Piété s’indigne et s’afflige de la sentence (ψῆφον) inique (ἀδίκως) qui a été portée contre nous sans jugement (δίχα κρίσεως) : pour moi, c’est précisément cela qui me console. Car si j’avais été condamné (κατεκρίθην) selon la justice (δικαίως), j’aurais eu de la douleur à la pensée d’avoir fourni à mes juges (κατακρίνασιν) de justes motifs (ἀφορμὰς εὐλόγους) d’accusation. Mais comme sur ce point ma conscience est pure (καθαρόν μοι τὸ συνειδός), je suis dans la joie et l’allégresse et j’espère, grâce à cette injustice (ἀδικίαν), le pardon de mes autres fautes », ibid., II, 9, SC 98, p. 36-37. L’analogie avec Naboth achève de donner à la lettre la teneur du discours d’un martyr allant paisiblement vers sa mort. Cf. In Rom., I, 20. Ταῖς τοῦ συνειδότος ἀκίσι διὰ βίου κεντεῖσθαι, Corresp., I, 8, SC 40, p. 80. Sur l’importance des verbes κεντεῖν et νύττεσθαι dans la réflexion des Pères sur le repentir, cf. M. Harl, « Les origines grecques du mot et de la notion de “componction” », en particulier p. 87. Cf. Com. in XII proph., PG 81, 1725 D 3 (Jon 1, 5) ; Com. in Ez., PG 81, 1004 A 15 (Ez 20, 43) ; De prouid., VIII, PG 83, 712 B 11. C’est aussi la « mémoire » (μνήμη) ou la « mémoire du péché » (μνήμη τῆς ἁμαρτίας) qui pique l’individu. Cf. Com. in Ps., PG 80, 1173 Β 3-4 (Ps 41, 8) ; 1416 A 7-8 (Ps 69, 1). Ou encore « les douleurs du péché » (ὀδύναι τῆς ἁμαρτίας), cf. ibid., PG 80, 1144 A 4-5 (Ps 37, 18). Cf. In Rom., III, 21 ; Quaest. in Gen., XXXIII, FM I, p. 34. Cf. Corresp., I, 9, SC 40, p. 82. Cf. In Rom., I, 35. Οὐδὲν τοῦ συνειδότος ἰσχυρότερον · πάγια γὰρ τὰ ἐν τούτῳ πηγνύμενα γράμματα · κἂν γὰρ πάντες ἄνθρωποι μαρτυρήσωσιν ἀγαθὰ τῷ συνειδότι ἑαυτῶν, πονηρὰ τῶν ψευδολόγων τὸ συνειδὸς οὐκ ἀνέχεται, ἀλλὰ νύττεται, καὶ κεντεῖται, καὶ ἀδέκαστον ἐκφέρει τὴν ψῆφον, Com. in Ier., PG 81, 604 A 15-B 1 (Jr 17, 1). On retrouve la même idée de ne pas supporter l’accusation de la conscience dans In epist. Pauli, PG 82, 796 C 4-5 (1 Tim 1, 19). Autre occurrence de l’association entre συνειδός et νύττεσθαι, cf. ibid., PG 82, 808 D 10-11 (1 Tim 3, 9).
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
Enfin, il faudrait étudier dans l’In Romanos les exemples utilisés pour prouver l’existence de la conscience à partir de ses manifestations concrètes, dans les rapports sociaux – capacité de prononcer un jugement –, l’action humaine individuelle – dissimulation et aveu –, aussi bien que les sentiments – honte et malaise qui se substituent immédiatement au plaisir, même en l’absence de témoins³⁷⁷.
2.5.2.9 Φύσις : νόμος τῆς φύσεως, φυσικὸς νόμος Νόμος τῆς φύσεως : notamment 5 occurrences dans l’In Romanos de Théodoret³⁷⁸. Φυσικὸς νόμος : notamment 3 occurrences chez Théodoret³⁷⁹. Les expressions νόμος τῆς φύσεως (« loi de la nature ») et φυσικὸς νόμος (« loi naturelle ») sont traditionnelles à l’époque de Théodoret, issues de la philosophie stoïcienne³⁸⁰. La formule νόμος τῆς φύσεως est bien attestée dès Philon d’Alexandrie³⁸¹. La notion est essentielle chez cet auteur, qui s’attache à montrer que la loi mosaïque n’est rien d’autre que cette loi de la nature. Moïse, dit-il, montre deux choses : « que les ordonnances (διατάγματα) établies ne sont pas en désaccord avec la nature (φύσεως) » ; et « qu’un gros effort n’est pas demandé à ceux qui désirent vivre selon les lois telles qu’elles sont fixées (κατὰ τοὺς κειμένους νόμους) – puisque le code des lois non écrites (ἀγράφῳ τῇ νομοθεσίᾳ), avant qu’aucune des lois particulières ait été enregistrée par écrit, facilement et aisément les premiers hommes l’ont suivi. (…) Ces hommes, en effet, qui ne furent disciples ou écoliers de quiconque, n’apprirent pas chez des maîtres ce qu’il faut faire et dire, furent leurs propres auditeurs (αὐτήκοοι) et leurs propres élèves (αὐτομαθεῖς), s’attachèrent à
Voir notamment In Rom., I, 30 ; I, 20 ; III, 21. Cf. In Rom., arg., 2 (pluriel) ; Ι, 35 (Rm 2, 15) ; III, 12 (Rm 7, 3) ; IV, 1 ; IV, 42 (Rm 11, 24). Nombreuses occurrences dans les autres œuvres de Théodoret. Cf. In Rom., I, 40 (Rm 2, 27) ; II, 1 ; Com. in Ez., PG 81, 952 A 10 (Ez 16, 51). Aussi bien au sens moral qu’au sens cosmique, qui correspondrait plus ou moins à la notion moderne de « lois physiques ». Nous ne nous intéressons pas ici au deuxième sens. Sur la reprise par les Pères de la notion stoïcienne de « loi naturelle », cf. M. Spanneut, Le Stoïcisme des Pères de l’Église, de Clément de Rome à Clément d’Alexandrie, Paris, 19572, p. 252-254. Pour une approche historique de la notion, tenant compte des dimensions morale et cosmique, et en particulier sur le lien entre Philon et le stoïcisme, cf. W. Kullmann, « Antike Vorstufen des modernen Begriffs des Naturgesetzes », Nomos und Gesetz : Ursprünge und Wirkungen des griechischen Gesetzesdenkens. 6. Symposion der Kommission « Die Funktion des Gesetzes in Geschichte und Gegenwart » (Göttingen, 9. Juli 1993), éd. O. Behrends, W. Sellert, Göttingen, 1995, p. 36-111. Si l’on supprime, dit-il, les révoltes qui engendrent les guerres, « le genre humain aura usage et jouissance d’une profonde paix, instruit par la loi de la nature (ὑπὸ νόμου φύσεως διδασκόμενον), la vertu, à honorer Dieu et à s’attacher fortement à son culte car c’est là qu’est la source du bonheur et d’une longue vie », Philon d’Alexandrie, Poster., 185, OPA 6, p. 157. Voir aussi les figures de Jéthro et de Laban, qui donnent des lois contraires à celles de la nature (cf. id., Ebr., 37, OPA 11-12, p. 39 ; 47, OPA 11-12, p. 43), ou les gens de Sodome, qui ont rejeté les lois de la nature (cf. id., Abr., 135, OPA 20, p. 79), et bien d’autres emplois, en particulier dans le De Specialibus legibus.
2.5 Formules exprimant un aspect de la doctrine
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l’ordre de la nature (ἀκολουθίαν φύσεως ἀσπασάμενοι), pensèrent que la nature ellemême (τὴν φύσιν αὐτήν), ce qui est vrai, est l’institution la plus vénérable, ces hommes vécurent en fait sous de bonnes lois »³⁸². L’expression synonyme, φυσικὸς νόμος, est employée plusieurs fois par Origène, qui, à la suite de Justin, distingue clairement cette « loi naturelle » de la loi mosaïque : « Ιl me semble que ce n’est pas de la loi de Moïse que parle l’Apôtre, mais au sujet de la loi naturelle, qui est aussi écrite dans les cœurs des hommes »³⁸³. Théodoret suit la distinction, devenue traditionnelle, entre les préceptes de la Loi correspondant à ceux de la nature et ceux qui sont propres aux Juifs. C’est sur le fondement des premiers qu’il comprend l’accusation paulinienne contre les Grecs, coupables d’avoir « transgressé les lois de la nature » (τῆς φύσεως παραβεβηκότας τοὺς νόμους)³⁸⁴. Il met l’accent sur l’intention créatrice à l’origine de cette loi quand il déploie ainsi l’expression : « la loi établie dans leur nature par le Créateur » (ὁ ἐν τῇ φύσει παρὰ τοῦ δημιουργοῦ τεθεὶς νόμος)³⁸⁵, rejoignant ainsi la « loi inscrite dans les cœurs » dont parle Paul, et qu’il identifie explicitement à cette « loi de la nature »³⁸⁶. Ainsi, les Grecs comme les Juifs pèchent directement envers Dieu lorsqu’ils commettent quelque transgression, puisque non seulement la loi mosaïque, mais aussi la loi naturelle, sont données par Dieu.
Id., Abr., 5-6, OPA 20, p. 24-25. Sur l’identification entre loi naturelle et loi mosaïque chez Philon, voir V. Nikiprowetzky, Le Commentaire de l’Écriture chez Philon d’Alexandrie : son caractère et sa portée, observations philologiques, Leiden, 1977, p. 117-155. Δοκεῖ μοι μὴ τὸν Μωσέως νόμον νῦν λέγεσθαι τῷ ἀποστόλῳ ἀλλὰ περὶ τοῦ φυσικοῦ, ὃς καὶ γέγραπται ἐν ταῖς καρδίαις τῶν ἀνθρώπων, Origène, Frg. in Rom., XIV, JThS 13, p. 220 (Rm 3, 19-20). Cf. aussi, pour ne citer que le commentaire de Romains, ibid., X, JThS 13, p. 217 (Rm 2, 25) ; XXXVII, JThS 14, p. 13 (Rm 7, 7). Sur cette distinction et sa place dans la polémique contre les Juifs, voir infra, p. 240. Il est à noter que l’expression νόμος τῆς φύσεως n’apparaît qu’une fois chez Justin, dans la Seconde apologie. In Rom., arg., 2. In Rom., I, 20. In Rom., I, 35 (Rm 2, 15).
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Chapitre 2 : La langue de Théodoret
2.6 Synthèse Les enquêtes présentées dans ces pages, tantôt occasionnées par des questions d’établissement du texte ou de traduction, tantôt suscitées par l’étonnement devant la singularité d’une tournure ou sa récurrence, revêtent une importance capitale au sein de cette étude. Concernant la connaissance de Théodoret, une familiarisation progressive avec l’œuvre associée à l’utilisation d’outils de recherche systématique a permis de réaliser quelques trouvailles. Si certaines peuvent sembler anecdotiques, elles n’en sont pas moins importantes pour l’établissement du texte ou pour la traduction. Nous avons pu constater que certains mots rares se trouvaient assez souvent chez Théodoret (ex : ἀτημέλητος, μειρακύλλιον, πολυθρύλητος, προμηθεῖσθαι), ou encore observer des expressions qui lui sont apparemment propres (ex : ταινιοῦν εὐφημίαις, association de πλούτῳ κομῶν et de πενίᾳ συζῶν). Parmi celles-ci, nous avons observé avec intérêt quelques automatismes caractéristiques de ses principes exégétiques, notamment de son attachement à la cohérence du texte (ex : συμφωνεῖ καὶ τὰ ἐπαγόμενα, ἐπὶ τὰ συνεχῆ τῆς ἑρμηνείας βαδίσωμεν). Ce type de recherche mériterait d’être poursuivi : on s’efforce souvent de relever le vocabulaire technique d’un exégète, mais certaines formules apparemment banales sont révélatrices d’un auteur, car elles résultent peut-être moins d’une création délibérée que d’une habitude personnelle, du reste à distinguer des formules héritées d’autres auteurs. L’espoir de proposer une datation plus précise de l’In epistulas Pauli à partir de l’observation de la langue s’est révélé vain : en réalité, on trouve des ressemblances avec l’ensemble des autres œuvres. En revanche, nous avons été frappée de ne pas rencontrer de tours manifestement propres à Théodoret dans les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos (CPG 6285), ni dans l’Expositio rectae fidei (CPG 6218), deux œuvres dont l’authenticité est mise en doute : cela ne plaide pas en faveur de l’attribution à l’évêque de Cyr. Toutefois, seule une enquête partant d’expressions remarquables trouvées dans chacune de ces œuvres, en se fondant sur leur édition critique, permettra de confirmer cet argument e silentio, ou au contraire de l’infirmer. De même, pour autant qu’on puisse en juger, aucune des occurrences mentionnées de l’In Psalmos ne se trouve dans la recension longue de cette œuvre. Du point de vue de la compréhension de l’œuvre, l’attention portée aux mots employés, aux réseaux de signification que ceux-ci permettent de tisser et à leur relation avec le texte biblique commenté nous a permis de faire apparaître pour ainsi dire « en relief » certaines expressions de l’In Romanos. Par ce moyen, nous avons pu à la fois identifier des lignes d’interprétation de l’épître et découvrir la manière dont Théodoret construit son interprétation dans le cadre de l’explication linéaire. Ainsi, la formule récurrente διάκρισις / διάγνωσις τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων est d’autant plus significative qu’on ne la trouve jamais sous cette forme chez d’autres auteurs, et très rarement dans le reste de l’œuvre de Théodoret : cela suggère que la notion de discernement moral est centrale dans son exégèse de cette épître. C’est en partant de cette expression que nous avons été amenée à observer de près les termes
2.6 Synthèse
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utilisés par l’évêque de Cyr pour exprimer les notions de conscience et de loi naturelle, afin d’en saisir la signification précise et les implications doctrinales. Nous reviendrons sur ce fil directeur important de l’interprétation de Théodoret. Par ailleurs, nous avons pu constater que d’autres formules propres à cet auteur étaient révélatrices de sa théologie (ex : ἁμαρτίας ἀμύητος). Enfin, ces enquêtes nous ont permis de repérer des points de convergence avec différents auteurs. On n’a supposé une dépendance directe par rapport à une œuvre donnée que si une même formulation rare coïncidait avec un contenu identique. On retiendra, outre les traces d’exégèses antérieures, une expression que Théodoret semble emprunter à la liturgie antiochienne (ὅρος τοῦ θανάτου). Nous avons surtout été frappée par les échos manifestes avec Jean Chrysostome et Cyrille d’Alexandrie. La dépendance littéraire de Théodoret à l’égard de ceux-ci n’était certes pas à prouver, toutefois il est intéressant de constater combien leur fréquentation a laissé des traces non seulement dans ses idées mais aussi dans sa langue, vraisemblablement d’une manière plus ou moins inconsciente, puisqu’il ne s’agit pas de notions doctrinales importantes. À l’occasion de ces recherches, nous avons repéré quelques expressions caractéristiques de certains auteurs, en particulier de Jean Chrysostome (ex : κομῶντα λήϊα) ou de Cyrille (ex : ἀχλὺς ἐκ τῆς ἀμαθίας)³⁸⁷. Au-delà de ces tournures assez rares, nous avons parfois été amenée à comparer les habitudes de Théodoret avec celles de ces deux auteurs (ex : τῶν ἀγγέλων ὁ δῆμος, ὁ θεῖος Παῦλος βοᾷ). Il semble qu’aucune recherche systématique n’ait encore été réalisée dans ce domaine : c’est un champ qui mériterait d’être exploré.
Voir la liste infra, p. 349.
Chapitre 3 Le Prologue de l’In epistulas Pauli Item quaeritur unde apostolus hanc epistolam scripsit. Augustinus dicit quod de Athenis ; Hieronymus quod de Corintho. Nec est contradictio, quia forte Athenis incepit eam scribere sed Corinthi consummauit. Thomas d’Aquin¹
3.1 Introduction En plaçant un Prologue au seuil d’un commentaire complet des quatorze épîtres pauliniennes, Théodoret manifeste, de la même manière que dans le cas de l’In XII prophetas, non seulement l’unité de son entreprise, mais aussi celle du corpus étudié. Selon les lois du genre, les préfaces de Théodoret remplissent une triple fonction, à la fois de présentation du sujet, de justification de l’entreprise et d’exposé des principes². Ici, les deux derniers aspects sont mêlés et correspondent à la première partie du Prologue, qui est peu développée. Dans la seconde partie, de loin la plus importante en longueur, l’auteur présente l’œuvre commentée en établissant l’ordre chronologique de rédaction des épîtres. On reconnaîtra mieux le schéma scolaire des introductions aux commentaires exégétiques dans les Arguments (ὑποθέσεις) précédant le commentaire de chaque épître, qui annoncent le contenu de celles-ci³.
« On demande encore d’où l’Apôtre a écrit cette épître. Augustin dit que c’est d’Athènes ; Jérôme, que c’est de Corinthe. Et il n’y a pas de contradiction, vu qu’il a peut-être commencé d’écrire à Athènes, mais terminé à Corinthe », Thomas d’Aquin, Super ad Romanos, Opera omnia, V, ed. R. Busa et al., Stuttgart-Bad Cannstatt, 1980, p. 442, col. 2. Sur les fonctions du prologue dans la littérature antique et médiévale, voir la synthèse de P. Hoffmann, qui note aussi que le prologue est « facteur d’unité » d’un corpus. Cf. P. Hoffmann, « Épilogue sur les prologues ou comment entrer en matière », Entrer en matière : les prologues, éd. J.D. Dubois, B. Roussel, Paris, 1998, p. 487-493. La courte discussion de l’auteur sur le vocabulaire désignant les Prologues (cf. ibid., p. 485) confirme notre choix de traduire par « Prologue » le terme πρόλογος utilisé dans la tradition manuscrite de notre texte, « en donnant à ce mot le sens – minimal – d’“introduction à une œuvre écrite” ». Dans l’Argument sur Romains sont traitées les questions suivantes : σκοπός (but du livre), χρήσιμον (utilité), εἶδος (genre), διαίρεσις (division en parties). Voir infra, p. 219. La question de l’authenticité (γνήσιον) est brièvement abordée dans la deuxième partie de ce Prologue, l’ordre de lecture (τάξις τῆς ἀναγνώσεως) dans ses dernières lignes. Sur les schémas des Prologues exégétiques scolaires et leur illustration par les auteurs chrétiens, en particulier Origène, cf. I. Hadot, « Les introductions aux commentaires exégétiques chez les auteurs néoplatoniciens et les auteurs chrétiens », Les Règles de l’interprétation, éd. M. Tardieu, Paris, 1987, p. 99-122 ; G. Dorival, « Les formes et modèles littéraires », p. 160. Sur l’utilisation de ces schémas dans l’exégèse antiochienne, en https://doi.org/10.1515/9783110540659-005
3.1 Introduction
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Ce Prologue a déjà attiré l’attention de quelques chercheurs. J.-N. Guinot souligne sa singularité par rapport aux autres Prologues exégétiques de Théodoret, en remarquant en particulier l’absence de développement sur la méthode⁴. F. Cocchini s’interroge sur l’originalité de la seconde partie⁵ : comparant les résultats de Théodoret avec ceux de Jean Chrysostome, elle souligne l’autonomie du premier par rapport au second concernant la place de certaines épîtres. Mettant en perspective la question posée par Théodoret à la fin du Prologue – Pour quelle raison l’Épître aux Romains a-t-elle été placée en premier dans les livres ? – et le débat sur la primauté de Rome, elle propose de voir dans la position de l’auteur une volonté de séparer problèmes exégétiques et débats politiques. Elle replace la question de l’ordre des épîtres dans son contexte historique. Pour cela, elle évoque assez longuement les anciennes listes d’épîtres, dont l’ordre repose tantôt sur la longueur des lettres, tantôt sur des critères doctrinaux ou chronologiques, et conclut que Théodoret choisit de respecter dans son commentaire l’ordre traditionnel en usage dans l’Église d’Alexandrie. Certes, la question de l’ordre des lettres dans les livres, ou bien dans les listes d’épîtres, a son importance. Cependant, on peut regretter qu’elle tienne la plus grande place dans cette étude, aux dépens de la question de l’ordre de rédaction, qui constitue pourtant le point central du Prologue. En réalité, les deux questionnements, tout à fait distincts, semblent pour ainsi dire confondus lorsque F. Cocchini, en présentant la question traitée par Théodoret, mentionne Marcion comme le premier à proposer un ordre des épîtres, sans préciser la nature de l’ordre considéré⁶. De fait, Théodoret ne s’intéresse pas tant ici à l’ordre de la lecture (τάξις τῆς ἀναγνώσεως), question typique des prologues selon le schéma scolaire, qu’à l’histoire de la rédaction. C’est donc à des réflexions sur les circonstances de l’écriture, et non à des sources relatives à l’agencement des épîtres dans les livres, qu’il faut se référer. Or on trouve des témoignages non seulement chez des auteurs antérieurs mais aussi dans les manuscrits bibliques, qu’il faudra prendre en compte. Pour déterminer les influences subies par Théodoret et évaluer l’originalité de sa démarche, il faudra comparer non seulement les résultats obtenus, mais aussi le questionnement et les méthodes mises en œuvre.
particulier dans le Prologue de l’In Psalmos de Théodoret, cf. C. Schäublin, Untersuchungen zu Methode und Herkunft der Antiochenischen Exegese, p. 66-72. Sur les Prologues des œuvres exégétiques de Théodoret, voir la synthèse de J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 324-335. Cf. F. Cocchini, « L’Esegesi Paolina di Teodoreto di Cirro », Atti del II Simposio di Tarso su S. Paolo Apostolo, éd. L. Padovese, Roma, 1994, p. 145-153. Peu d’autres études sur le commentaire de Théodoret s’intéressent au Prologue. R. C. Hill, « Theodoret wrestling with Romans », StudPatr XXXIV, 2001, p. 347-348, qui le lit à l’aune de l’exégèse contemporaine, s’applique surtout à excuser Théodoret de ne rien apporter aux questionnements sur l’authenticité des lettres. Le Prologue est à peine évoqué par P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary, p. 67-69 et par A. Viciano, Cristo el autor, p. 22-24.
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Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
Un autre aspect de ce Prologue est le contraste entre ses deux parties. En effet, la seconde, que nous venons d’évoquer, se caractérise par une grande sobriété, qui convient à un raisonnement très technique. En revanche, la première partie, très courte, présente un caractère rhétorique évident. Il sera intéressant de comparer celle-ci, dans laquelle Théodoret justifie son entreprise, avec les autres Prologues exégétiques de l’auteur. En étudiant successivement chacune des deux parties, nous montrerons en quoi ce Prologue est révélateur de la démarche de Théodoret, à la fois simple héritier d’une tradition et auteur apportant une réelle « contribution personnelle à l’entreprise collective qu’est à ses yeux l’interprétation de l’Écriture »⁷.
J.-N. Guinot, introduction à Théodoret, Com. in Is., SC 276, p. 33.
3.2 L’ouverture du Prologue
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3.2 L’ouverture du Prologue Dans les œuvres exégétiques de Théodoret, le style des Prologues est en contraste avec la très grande sobriété du commentaire linéaire. Dans le Prologue de l’In epistulas Pauli, seule la première partie est écrite dans un style assez recherché. Théodoret suit la tradition rhétorique de l’exorde sous une forme que l’on pourrait trouver dans un discours épidictique⁸. En effet, de même que l’éloge rhétorique s’ouvre sur l’impossibilité de la tâche, causée par la grandeur du sujet, la qualité des orateurs qui l’ont déjà traité, et la faiblesse de l’orateur, celui-ci en appelant alors à l’aide des dieux, de même, Théodoret souligne la difficulté de l’entreprise, due à la grandeur de l’œuvre à commenter, à la qualité de ses devanciers ainsi qu’à sa propre faiblesse, et fait appel à l’assistance divine pour surmonter son embarras. Ensuite, de même que l’orateur exposerait l’utilité de l’éloge, Théodoret expose la motivation de l’écriture, à savoir l’utilité des lecteurs. Sans trop nous attarder sur les caractéristiques de cette rhétorique, nous soulignerons les points communs entre ce passage et d’autres Prologues de Théodoret, et mettrons l’accent sur quelques éléments qui font l’originalité de ce texte.
3.2.1 Justification de l’entreprise 3.2.1.1 Une mise en scène apologétique En premier lieu, suivant la tradition rhétorique, Théodoret évoque la difficulté de l’entreprise. Il la met pour ainsi dire en scène en lui donnant la forme d’une apologie⁹. Voici en effet les premières lignes : Οἶδα μὲν ὡς οὐ διαφεύξομαι τῶν μεμψιμοίρων τὰς γλώττας, τὴν τοῦ θείου Παύλου διδασκαλίαν ἑρμηνεῦσαι πειρώμενος, ἀλλ’ αὐθαδείας με τυχὸν καὶ θρασύτητος γράψονται, μετὰ τὸν δεῖνα καὶ τὸν δεῖνα, τοὺς τῆς οἰκουμένης φωστῆρας, τῆς ἀποστολικῆς ἑρμηνείας κατατολμῶντα. Ἐπιχειρήσω δὲ ὅμως, οὐκ ἐμαυτῷ θαρρῶν, ἀλλὰ τὴν θείαν χάριν ἀντιβολῶν, τῆς ἀποστολικῆς σοφίας ἐπιδεῖξαι τὸ βάθος καὶ τῶν τοῦ γράμματος καλυμμάτων ἀπογυμνῶσαι ἵνα τοῖς μεταλαχεῖν βουλομένοις πρόχειρον προσενέγκω τὸ κέρδος. Παρακαλῶ δὲ τοὺς τοῖς ἀλλοτρίοις ἐπιμέμφεσθαι πόνοις ἀνεχομένους, τὴν θείαν γραφὴν καταμαθεῖν ἀκριβῶς, Je sais que je n’échapperai pas aux langues des médisants, tandis que j’essaie d’interpréter l’enseignement du divin Paul ; qu’au contraire, il m’assigneront peut-être en justice pour outrecuidance et hardiesse, moi qui, après tel et tel, ces astres de l’univers, ai l’audace d’affronter l’interprétation de l’Apôtre. Cependant, j’entreprendrai, non pas en mettant ma confiance
Selon L. Pernot, La Rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993, p. 301-305, les éléments que nous citons dans les lignes qui suivent sont typiques des exordes épidictiques. Il s’agit somme toute d’une variation sur les thèmes constitutifs de la captatio beneuolentiae que l’on retrouve dans les discours judiciaires. À propos des procédés les plus communs de la rhétorique judiciaire, nous nous contenterons de renvoyer à Aristote.
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Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
en moi-même, mais en implorant la grâce divine, de montrer la profondeur de la sagesse de l’Apôtre et de lever les voiles de la lettre afin de rendre le gain accessible à ceux qui veulent y avoir part. Je prie ceux qui se plaisent à faire des reproches au labeur d’autrui d’étudier avec exactitude la divine Écriture¹⁰.
L’accusation Aux accusateurs, décrits d’une manière péjorative par la métonymie τῶν μεμψιμοίρων τὰς γλώττας (« les langues des médisants »), puis par une périphrase généralisante, τοὺς τοῖς ἀλλοτρίοις ἐπιμέμφεσθαι πόνοις ἀνεχομένους (« ceux qui se plaisent à faire des reproches au labeur d’autrui »), est associé le vocabulaire technique de la procédure pénale, γράφεσθαι (« assigner en justice »). Le grief, qui consiste dans une trop grande témérité de l’entreprise, est évoqué d’une manière insistante par deux expressions redondantes encadrant la phrase : αὐθαδείας (…) καὶ θρασύτητος (« outrecuidance et hardiesse »), τῆς ἀποστολικῆς ἑρμηνείας κατατολμῶντα (« [moi] qui ai l’audace d’affronter l’interprétation de l’Apôtre »). Oser commenter l’Apôtre, affirment les accusateurs, ce serait vouloir se mesurer avec « tel et tel, ces astres de l’univers » (τὸν δεῖνα καὶ τὸν δεῖνα, τοὺς τῆς οἰκουμένης φωστῆρας), c’està-dire avec les plus grands exégètes. Théodoret a-t-il en vue des noms précis ? Selon J.-N. Guinot, l’expression, quoiqu’elle « ne soit pas absolument limitative », « désigne respectivement Théodore de Mopsueste et Jean Chrysostome, dont les interprétations sont ici la source habituelle de Théodoret »¹¹. Certes, il est tout à fait vraisemblable que, s’il pense aux maîtres qui l’ont le plus influencé, ces deux noms lui viennent en premier à l’esprit. Cependant, pour saisir la portée de son propos, il faut noter l’emploi singulier d’une expression bien attestée chez lui par ailleurs, φωστὴρ τῆς οἰκουμένης (« astre de l’univers »)¹². En effet, les autres occurrences tantôt ont une valeur incontestablement généralisante, tantôt se réfèrent à un individu précis, unique et parfaitement identifiable. Au contraire, ici, on ne peut parler ni de généralisation, ni d’un qualificatif attribué à une personne nommée et unique : Théodoret désigne avec emphase des individus déterminés, sans les nommer. Or, c’est le grief des accusateurs qu’il ne daigne pas rapporter précisément : manière de les discréditer. Il serait vain de chercher à identifier ces adversaires, qui ne sont définis que par leur propension à faire des reproches : ils considèrent l’entreprise de Théodoret comme orgueilleuse, et celui-ci déclare qu’il ne saurait leur échapper. Il n’est question ni de doctrine, ni de méthode exégétique, ni d’une personnalité ou d’un groupe reconnaissable. On est loin des discours circonstanciés qui font la matière d’autres Prologues exégétiques de l’évêque de Cyr. Ainsi, dans l’In Canticum, Théo-
Prol., 1-2. Cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 645. Sur cette expression, cf. supra, p. 59.
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doret accuse longuement ceux qui refusent de voir dans ce livre un texte spirituel¹³. Dans l’In Psalmos, il prend ses distances par rapport à ce qu’il considère comme une pratique démesurée de l’allégorie et une lecture plus juive que chrétienne des prophéties¹⁴. Dans l’In Danielem, il adresse des reproches aux Juifs qui refusent de voir dans les prophéties de ce livre une annonce directe du Christ¹⁵. Dans notre texte, les adversaires semblent plutôt hypothétiques, voire purement fictifs, servant uniquement à représenter la difficulté de l’entreprise¹⁶.
La défense La mise en scène de la défense se compose de deux arguments correspondant à des τόποι de la réfutation judiciaire : Théodoret dénonce l’accusation comme mensongère, puis la retourne¹⁷. Pour prouver que l’accusation d’orgueil est mensongère, il recourt au lieu commun de l’humilité, décrivant son projet comme une simple tentative, avec les expressions « j’essaie d’interpréter » (ἑρμηνεῦσαι πειρώμενος), « j’entreprendrai » (ἐπιχειρήσω)¹⁸. La comparaison du moucheron parmi des abeilles accentue cette idée : « que, tel des moucherons (οἷόν τινας κώνωπας), nous aussi nous bourdonnions (περιβομβῆσαι), avec ces éminentes abeilles, parmi les prairies apostoliques (ἀποστολικοὺς λειμῶνας) »¹⁹. L’image est chargée de réminiscences. L’expression « prairies apostoliques » rappelle l’éloge du maître par Clément d’Alexandrie, seul autre texte, semble-t-il, dans lequel ἀποστολικός qualifie le
Le discours est introduit par les mots suivants : Ἐπειδὴ δέ τινες τῶν τὸ ᾎσμα τῶν ᾀσμάτων διαβαλλόντων, καὶ πνευματικὸν εἶναι τὸ βιβλίον οὐ πιστευόντων, μύθους δέ τινας οὐδὲ γραϊδίοις παραληροῦσιν ἁρμόττοντας ὑφαινόντων, καὶ λέγειν τολμώντων, ὡς σοφὸς Σολομὼν εἰς ἑαυτόν, καὶ τὴν τοῦ Φαραὼ θυγατέρα, τοῦτο συγγέγραφε, (…), ἀναγκαῖον τοίνυν ἡγησάμεθα, τῆς ἑρμηνείας ἀρχόμενοι, τὴν διεψευσμένην ταύτην καὶ βλαβερὰν πρότερον διελέγξαι διάνοιαν, εἶθ’ οὕτως σαφῆ τοῦ γράμματος τὸν σκοπὸν καταστῆσαι, « Puisque certains de ceux qui calomnient le Cantique des Cantiques, qui ne croient pas que ce livre soit spirituel, et qui tissent des histoires qui ne conviennent même pas à de vieilles radoteuses, qui osent dire que le sage Salomon, en le rédigeant, se visait luimême ainsi que la fille de Pharaon (…), nous avons considéré comme nécessaire, pour commencer l’interprétation, de réfuter d’abord cette compréhension mensongère et nuisible, puis, ainsi, de rendre claire la visée du texte », Com. in Cant., prol., PG 81, 29 A 8-B 7. Cf. Com. in Ps., prol., PG 80, 860 C 6-861 A 3. Cf. Com. in Dan., prol., PG 81, 1260 A 4-1264 B 10. L’argument de F. Cocchini, « L’esegesi paolina di Teodoreto di Cirro », p. 513-516, selon qui l’imprécision sur les adversaires dans ce Prologue serait intentionnelle et révélatrice d’une période de conflit, nous paraît un peu forcé. Sur la réfutation des accusations malveillantes, cf. Aristote, Rhétorique, III, 1416a. Cf. prol., 1. Sur l’humilité (ταπεινοῦσθαι) comme posture permettant d’obtenir la bienveillance de l’auditoire, cf. Aristote, Rhétorique, II, 1380a. Οἷόν τινας κώνωπας καὶ ἡμᾶς σὺν ταῖς μελίτταις ἐκείναις τοὺς ἀποστολικοὺς περιβομβῆσαι λειμῶνας, prol., 3.
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substantif poétique λειμών²⁰, prairie où butine l’éminente abeille pour engendrer la connaissance en ses auditeurs²¹. La prairie biblique renvoie au λειμών où se nourrit l’âme qui a réussi à accéder à la Plaine de la Vérité, dans le mythe platonicien de l’attelage ailé²². L’image des abeilles est souvent utilisée chez les Pères, notamment pour évoquer la fréquentation de la Parole, prairie ne contenant que des fleurs propres à faire du bon miel, mais nous n’avons pas trouvé de comparaison semblable à celle qu’utilise ici Théodoret, introduisant le personnage du moucheron²³. Avec cette variation sur le motif traditionnel, l’exégète se présente comme médiocre et inutile, contrairement à ses prédécesseurs qui seraient nobles et féconds. C’est ainsi que s’achève la réponse à l’accusation d’outrecuidance, marquée par le contraste croissant entre la description de l’entreprise prêtée aux accusateurs, placée sous le signe de l’orgueil, et celle que Théodoret fait de lui-même, caractérisée par la modestie. L’imputation des accusateurs consiste à les décrire d’une manière négative, et surtout à leur recommander, par un retournement ironique, « d’étudier (καταμαθεῖν) avec exactitude (ἀκριβῶς) la divine Écriture » (τὴν θείαν γραφὴν)²⁴, sous-entendant qu’ils ne l’ont pas fait auparavant. Ce reproche est très nettement renforcé par une série de témoignages bibliques qu’il est intéressant d’étudier de plus près, car ils illustrent bien la pratique de l’argumentation scripturaire.
3.2.1.2 Le recours aux exempla L’accumulation d’exempla, lieu commun de l’argumentation rhétorique, est caractérisée par une construction soignée qui lui confère sa valeur persuasive. On notera simplement l’encadrement par deux phrases parallèles : Πολλὰ γὰρ τοιαῦτα εὑρήσουσι παραδείγματα, « Car ils trouveront beaucoup d’exemples de ce genre » ;
Peu employé par les Pères, le substantif λειμών est cependant fréquent chez Jean Chrysostome puis chez Théodoret. Cf. supra, p. 43. Il serait intéressant d’étudier le réseau d’images construit autour de ce terme. Σικελικὴ τῷ ὄντι ἦν μέλιττα προφητικοῦ τε καὶ ἀποστολικοῦ λειμῶνος τὰ ἄνθη δρεπόμενος ἀκήρατόν τι γνώσεως χρῆμα ταῖς τῶν ἀκροωμένων ἐνεγέννησε ψυχαῖς, « C’était, à la lettre, une abeille de Sicile ; butinant les fleurs aux prairies des Prophètes et des Apôtres, il engendrait une science pure dans les âmes de ses auditeurs », Clément d’Alexandrie, Stromate, I, 11, 2, SC 30, p. 51. Le maître sicilien a été identifié par M. Caster à Pantène, cf. ibid., SC 30, note 4 p. 51. Cf. Platon, Phèdre, 248c. Sur la reprise de cette image classique par les auteurs chrétiens, cf. C. Gnilka, Der Begriff des « rechten Gebrauchs », Basel-Stuttgart 1984, p. 102-132. Cette étude ne mentionne pas notre passage parmi les emplois du motif par Théodoret. Cf. prol., 2.
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Καὶ μυρία δὲ τοιαῦτ’ ἐστὶν εὑρεῖν παρὰ τῇ θείᾳ γραφῇ διηγήματα, « Et on peut trouver des milliers de récits de ce genre dans la divine Écriture »²⁵.
La gradation de πολλά à μυρία met en valeur l’amplification hyperbolique qui conclut les trois exemples. On remarquera le point commun entre les trois illustrations : celles-ci mettent en scène des prophètes évoqués dans l’Ancien Testament – Eldad et Modad, Samuel, Élie²⁶ – et évoquent l’opposition entre le jugement de Dieu et celui des hommes : Καὶ γὰρ Ἐλδὰδ καὶ Μωδάδ, ψήφου μὲν ἀνθρωπίνης οὐκ ἔτυχον, οὐδὲ τοῖς ἑβδομήκοντα συνηριθμήθησαν, ἀλλὰ καὶ Μωσῆς αὐτοὺς ὁ μέγας σὺν τοῖς πολλοῖς καταλέλοιπε, θείας δὲ ὅμως ἠξιώθησαν χάριτος καὶ προφητικῆς ἀπήλαυσαν δωρεᾶς. Καὶ Σαμουὴλ ὁ προφήτης, ἔτι μειρακύλλιον ὤν, παρὰ μὲν τῶν ἱερέων οὐδὲ τῆς ἐσχάτης λειτουργίας μεταλαχεῖν ἐπετράπη, τὸ γὰρ ἄωρον τῆς ἡλικίας τὴν λειτουργίαν ἐκώλυε. Θεοφανείας δὲ ὅμως τετύχηκε, καὶ θείας ὀπτασίας ἀπήλαυσε, καὶ τοῦ δεσπότου θεοῦ τὴν φωνὴν εἰσεδέξατο τοῖς ὠσί, τί θεὸς οὐδέπω μεμαθηκώς. Καὶ μέντοι καὶ Ἠλίας ὁ πάνυ μόνος ἐτόπαζεν ὑπολελεῖφθαι προφήτης, ἀλλ’ ἤκουσεν ὡς ἦσαν ἑπτακισχίλιοι τῆς περὶ τὰ εἴδωλα πλάνης ἀπηλλαγμένοι, καὶ τῷ θεῷ τὸ προσῆκον προσφέροντες σέβας, Ainsi, Eldad et Modad n’obtinrent pas de suffrage des hommes, et ne furent pas comptés parmi les soixante-dix, et même le grand Moïse les a relégués parmi la foule ; cependant, ils furent jugés dignes d’une grâce divine, et ils bénéficièrent d’un don de prophétie. Et le prophète Samuel, encore tout gamin, ne fut même pas autorisé par les prêtres à prendre part au ministère suprême, car son trop jeune âge lui interdisait le ministère. Cependant, il a reçu une manifestation divine : il bénéficia d’une vision de Dieu, et accueillit en ses oreilles la voix de Dieu notre Maître, alors qu’il n’avait pas encore appris ce qu’était Dieu. Ou bien encore, le fameux Élie présumait qu’il restait le seul prophète ; mais il entendit qu’il y avait sept mille personnes qui s’étaient détournées de l’égarement des idoles et offraient à Dieu la vénération qui lui convient²⁷.
Le premier exemple introduit d’une manière expressive le contraste entre la décision de Dieu et l’opinion unanime des hommes, quelle que soit leur dignité sociale et religieuse – avec une gradation : les hommes en général, les soixante-dix, puis Moïse. La similarité entre cet exemple et le suivant est suggérée par l’utilisation d’une structure antithétique identique, et par la reprise de l’adjectif θεῖος et du verbe ἀπολαῦσαι, ce qui met en valeur la ressemblance entre les deux illustrations. Le
Prol., 2. Il serait incorrect, du point de vue de Théodoret, de désigner tous ces prophètes comme nonécrivains. En effet, l’exégète rappelle souvent que les prophètes évoqués dans les Règnes ont laissé des écrits qui ont servi de sources aux rédacteurs des livres historiques. Il affirme par exemple : Πλεῖστοι προφῆται γεγένηνται, ὧν τὰς μὲν βίβλους οὐχ εὕρομεν, τὰς δὲ προσηγορίας ἐκ τῆς Παραλειπομένων μεμαθήκαμεν ἱστορίας. Τούτων ἕκαστος εἰώθει συγγράφειν ὅσα συνέβαινε γίνεσθαι κατὰ τὸν οἰκεῖον καιρόν, « Il y a eu un très grand nombre de prophètes dont nous n’avons pas trouvé les livres, mais dont nous apprenons les noms à partir du récit des Paralipomènes. Chacun de ces prophètes avait coutume de consigner par écrit tout ce qui se trouvait arriver à son époque », Quaest. in Reg. et Par., prol., FM II, p. 3-4. Prol., 2.
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troisième exemple fournit une variation sur le thème, puisque cette fois c’est le prophète lui-même, Élie, qui comprend que son jugement ne correspond pas à celui de Dieu. Quant à l’association des trois récits, elle est originale et il semble qu’il n’en existe pas d’équivalent. Théodoret ne cite pas le texte biblique mais en donne une brève paraphrase qui ne correspond pas toujours exactement aux détails du récit originel, afin que l’exemple illustre mieux son propos. Pour saisir véritablement la portée argumentative de ces trois exemples, il faut comparer chacun avec sa source.
L’exemple d’Eldad et Modad Le premier exemple est celui qui paraît le plus éloigné du texte biblique. Il permet d’illustrer comment l’argumentation scripturaire se nourrit, sciemment ou non, des écarts entre le texte biblique et la tradition d’interprétation. Il s’agit d’Eldad et Modad, qui ont prophétisé parmi le peuple, alors qu’ils n’avaient pas été désignés pour cela : Ainsi, Eldad et Modad n’obtinrent pas de suffrage des hommes (ψήφου ἀνθρωπίνης), et ne furent pas comptés parmi les soixante-dix (οὐδὲ τοῖς ἑβδομήκοντα συνηριθμήθησαν), et même le grand Moïse les a relégués parmi la foule ; cependant, ils furent jugés dignes (ἠξιώθησαν) d’une grâce divine (θείας χάριτος), et ils bénéficièrent d’un don de prophétie (προφητικῆς ἀπήλαυσαν δωρεᾶς).
Or, voici en résumé le récit des Nombres ²⁸ : comme le Seigneur le lui a ordonné, Moïse rassemble soixante-dix Anciens et les place près de la Tente du témoignage. Dieu prend de l’esprit de Moïse pour le mettre sur les soixante-dix, qui commencent à prophétiser. « Et deux hommes avaient été laissés dans le campement, le premier du nom d’Eldad et le second du nom de Modad, et l’esprit avait reposé sur eux, et eux faisaient partie des inscrits et ils ne vinrent pas jusqu’à la Tente, et ils prophétisèrent dans le campement »²⁹. Alors, tandis qu’on vient rapporter l’affaire à Moïse, Josué demande de les empêcher de prophétiser, ce que Moïse refuse, se réjouissant plutôt à l’idée que le peuple entier puisse en être capable. On aura repéré quelques différences entre les deux récits : d’abord, la mention d’un « suffrage des hommes » – obtenu ou non – ne se trouve pas dans le texte biblique. On peut tout au plus y voir un écho des paroles de Josué. En tout cas, les deux textes se contredisent à propos de l’attitude de Moïse. De plus, dans notre passage, les deux prophètes « ne furent pas comptés parmi les soixante-dix », alors que dans les Nombres, ils font explicitement partie des « inscrits ». Ceci, exprimé
Cf. Nb 11, 16-30. Καὶ κατελείφθησαν δύο ἄνδρες ἐν τῇ παρεμβολῇ, ὄνομα τῷ ἑνὶ Ἐλδὰδ καὶ ὄνομα τῷ δευτέρῳ Μωδάδ, καὶ ἐπανεπαύσατο ἐπ’ αὐτοὺς τὸ πνεῦμα – καὶ οὗτοι ἦσαν τῶν καταγεγραμμένων καὶ οὐκ ἦλθον πρὸς τὴν σκηνήν – καὶ ἐπροφήτευσαν ἐν τῇ παρεμβολῇ, Nb 11, 26 (trad. BA).
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dans les mêmes termes, fait l’objet d’une des Quaestiones in Numeros de Théodoret, avec une explication conforme au sens de notre Prologue : Pourquoi donc Eldad et Modad prophétisèrent-ils, alors qu’ils ne furent pas comptés parmi les soixante-dix (μὴ συναριθμηθέντες τοῖς ἑβδομήκοντα) ? Ils étaient vraisemblablement d’une dignité égale à celle des soixante-dix, et c’est pourquoi ils ont bénéficié du don (ἀπολαῦσαι τῆς δωρεᾶς). L’histoire sous-entend que, souvent, celui qui connaît les choses cachées sait que sont estimables ceux qui sont désestimés auprès des hommes³⁰.
La teneur de cette explication ne permet pas de douter du sens de la question posée : il ne s’agit pas de savoir si les prophètes sont soixante-dix ou soixante-douze, comme chez certains auteurs, mais bien de savoir qui fait partie du groupe des élus³¹. Cette question semble reposer sur une mélecture du récit biblique, que l’on ne peut mettre en lien avec un problème de texte³². Pour mieux apprécier le décalage entre l’exemple et la source biblique, il est éclairant de replacer Théodoret dans la tradition d’interprétation du passage. Le recours aux figures d’Eldad et Modad pour montrer que le don de Dieu dépasse les raisonnements humains et leurs attentes n’est pas isolé. Cyrille de Jérusalem considère l’activité prophétique de ces deux personnages à l’extérieur du camp comme un signe attestant que la grâce n’a pas été donnée par Moïse mais par l’Esprit luimême³³. Cyrille d’Alexandrie utilise à deux reprises l’anecdote comme argument par
Ἐλδὰδ καὶ Μωδὰδ τί δήποτε προεφήτευσαν μὴ συναριθμηθέντες τοῖς ἑβδομήκοντα ; Εἰκὸς αὐτοὺς ἴσους εἶναι τὴν ἀξίαν τοῖς ἑβδομήκοντα, καὶ τούτου χάριν ἀπολαῦσαι τῆς δωρεᾶς. Αἰνίττεται δὲ ὁ λόγος, ὅτι πολλάκις τοὺς ἀδοκίμους παρὰ ἀνθρώποις νομιζομένους δοκίμους οἶδεν ὁ τὰ κεκρυμμένα γινώσκων, Quaest. in Num., XXI, FM I, p. 206. Dans l’annotation de la BA à Nombres 11, 26, l’explication de Théodoret est rapprochée un peu vite, nous semble-t-il, de deux textes d’Épiphane de Salamine comme représentant l’opinion suivante : les deux personnages « sont extérieurs au groupe des soixante-dix et les soixante-dix sont en réalité soixante-douze », par opposition aux Pères estimant qu’ils font partie des soixante-dix. Or, dans Épiphane de Salamine, De fide, IV, 5, GCS Epiphanius III, p. 500, seule la question du nombre total de prophètes est en cause, non l’appartenance d’Eldad et Modad au groupe. En effet, l’exemple sert d’illustration pour montrer que l’Écriture recourt à l’approximation : Καὶ εἰς τὸ ὄρος προσκεκλημένων ἑβδομήκοντα, ἑβδομήκοντα δύο εὑρίσκονται σὺν τῷ Ἐλδὰδ καὶ Μωδάδ. Καὶ ἑβδομήκοντα δύο ἑρμηνεύσαντες ἐπὶ Πτολεμαίου, διὰ δὲ τὴν συντομίαν εἰώθαμεν λέγειν τῶν ἑβδομήκοντα τὴν ἑρμηνείαν, « De même, alors que soixante-dix avaient été appelés sur la montagne, on en trouve soixante-douze avec Eldad et Modad, aussi bien que soixante-douze traducteurs sous Ptolémée ; cependant, par approximation, nous avons l’habitude de dire “la traduction des Septante” ». Théodoret semble donc être le seul à les considérer comme extérieurs au groupe des élus. Aucune variante connue ne permet de supposer que la lecture de Théodoret s’appuie sur un texte différent. Ce que nous conservons des Hexaples ne dit rien sur ces versets. Il serait intéressant de chercher dans les Quaestiones in Octateuchum d’autres exemples de questions s’écartant du texte biblique, ce qui permettrait d’envisager que l’auteur ait pu travailler en partie de mémoire, à partir du texte biblique lui-même, mais aussi à partir d’un recueil de questions traditionnelles. Ἑξήκοντα μὲν καὶ ὀκτὼ παρῆσαν καὶ προεφήτευσαν, Ἐλδὰδ δὲ καὶ Μωδὰδ οὐ παρῆσαν. Ἵνα τοίνυν δειχθῇ, ὅτι οὐ Μωυσῆς ἦν ὁ χαριζόμενος, ἀλλὰ τὸ πνεῦμα τὸ ἐνεργοῦν, Ἐλδὰδ καὶ Μωδάδ, οἱ κληθέντες μέν, οὔπω δὲ ἀπαντήσαντες, προφητεύουσιν, « Soixante-huit étaient présents et pro-
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analogie pour expliquer d’autres textes, soulignant toujours qu’Eldad et Modad font bien partie des soixante-dix choisis, mais ne se trouvent pas au même endroit que les autres³⁴. En commentant Luc, il rapproche le dialogue entre Josué et Moïse – le premier demandant au second de faire taire les deux hommes – de la scène où les apôtres proposent à Jésus d’empêcher quelqu’un de faire des miracles en son nom parce qu’il n’est pas des leurs. Dans le commentaire sur Jean, l’analogie avec Eldad et Modad lui permet d’affirmer que Thomas a pu recevoir l’Esprit saint après la Résurrection alors même qu’il n’était pas avec les autres apôtres quand Jésus l’a répandu³⁵. Enfin, évoquant le récit des Nombres dans les Glaphyra in Exodum, il fait des deux personnages une figure des Nations accueillant le Christ et restant incomprises des Juifs³⁶. Dans ce dernier cas, on n’est pas loin de l’idée qu’Eldad et Modad sont rejetés par les autres élus. Ces textes, qui offrent une interprétation assez proche de celle de Théodoret, permettent de supposer qu’il reprend une certaine tradition exégétique sur ce passage. Il a vraisemblablement pu se référer à l’épisode biblique de mémoire. Alors, de l’idée, représentée par Josué, d’incompréhension de la part des hommes, à celle d’exclusion réelle du groupe, il n’y a qu’un pas, qui permet d’ailleurs d’accentuer considérablement le motif. Finalement, en déclarant que Moïse lui-même a laissé Eldad et Modad parmi la foule, détail totalement absent du récit biblique, l’exégète ne fait que compléter la gradation rhétorique, tout en accommodant encore davantage l’exemple à son propos. Ajoutons que le texte des Quaestiones in Numeros souligne la dignité des deux personnages. De même, on peut considérer que, dans notre Prologue, Théodoret suggère discrètement qu’il n’a rien à envier aux autres commentateurs³⁷.
L’exemple de Samuel Le deuxième exemple est celui de Samuel. Théodoret remanie assez peu le récit, mais par le recours implicite à d’autres éléments bibliques, il fait de cette figure une illustration parfaite de son propos :
phétisèrent ; quant à Eldad et Modad, ils étaient absents. Afin donc qu’il fût prouvé que ce n’était pas Moïse qui accordait la grâce mais l’Esprit qui opérait, Eldad et Modad, qui avaient été appelés mais n’étaient pas encore arrivés, prophétisent », Cyrille de Jérusalem, Catech. ad illuminandos, XVI, 25, Reischl-Rupp II, p. 238, trad. J. Bouvet, p. 270, modifiée. Καὶ συνήχθησαν μὲν εἰς τὴν ἀρχαίαν ἐκείνην σκηνὴν οἱ ἐξειλεγμένοι πλὴν δύο τινῶν · ἀπέμειναν γὰρ ἐν τῇ συναγωγῇ, « Alors se rassemblèrent dans cette antique Tente ceux qui avaient été choisis, sauf deux ; en effet, ceux-ci restèrent dans l’assemblée », Cyrille d’Alexandrie, Frg. Hom. in Luc., TU 34, p. 90-91 (Lc 9, 49). Cf. id., Com. in Ioh., XII, 1, Pusey III, p. 139 (Jn 20, 22-23). Cf. id., Glaphyra in Pentat., in Ex., II, PG 69, 465 A-B. C’est surtout la tradition rabbinique qui s’attache à montrer la supériorité d’Eldad et Modad. Cf. note à Nombres 11, 26, dans la BA.
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Et le prophète Samuel, encore tout gamin (μειρακύλλιον), ne fut même pas autorisé par les prêtres à prendre part au ministère suprême, car son trop jeune âge lui interdisait le ministère. Cependant, il a reçu une manifestation divine (θεοφανείας δὲ ὅμως τετύχηκε) : il bénéficia d’une vision de Dieu (θείας ὀπτασίας ἀπήλαυσε), et accueillit en ses oreilles la voix de Dieu notre Maître, alors qu’il n’avait pas encore appris ce qu’était Dieu.
L’exégète s’appuie sur les motifs de la vision et de l’audition de Dieu présents dans le récit biblique, et, en insistant sur le fait que celles-ci précèdent la connaissance, il met l’accent sur la gratuité du don de Dieu, offert à ceux-là mêmes qui ne le connaissent pas encore³⁸. La dénomination de « prophète » anticipe en quelque sorte la conclusion du passage de 1 Règnes ³⁹. La modification apportée par Théodoret concerne l’idée de la jeunesse de Samuel, évoquée au début du récit biblique par ces mots : « Et le garçon Samuel accomplissait le service du Seigneur devant le prêtre Éli »⁴⁰. L’exégète fait de l’âge du jeune homme un élément saillant, de même que dans la quaestio relative à ce passage, dans laquelle il souligne le contraste entre l’âge et l’ignorance du garçon, d’une part, la vieillesse d’Éli et sa fonction de juge et de grand-prêtre, d’autre part, mettant ainsi l’accent sur la préférence de Dieu pour « la jeunesse ornée de vertu »⁴¹. Dans les deux textes, l’exégète souligne le motif par l’emploi du diminutif rare issu de la comédie, μειρακύλλιον (« jeune adolescent, gamin »)⁴². Dans notre texte, évoquée d’abord sous la forme d’une circonstance générale, « encore tout gamin » (ἔτι μειρακύλλιον ὤν), la jeunesse devient une raison expliquant que l’adolescent n’est pas admis au « ministère suprême » (ἐσχάτη λειτουργία). Or, justement, dans 1 Règnes il est précisé qu’il exerce un ministère. L’empêchement dû à l’âge fait référence au précepte des Nombres selon lequel les prêtres n’exercent pas leur ministère avant l’âge de vingt-cinq ans : Théodoret y a consacré une de ses Quaestiones ⁴³. Effectivement, si l’on met les deux passages en regard et que l’on considère le culte rendu par Samuel dans un sens aussi strict que celui des Lévites, on peut y voir une contradiction. Pourtant, à propos du même type de difficulté, cette fois tout à fait explicite, celle de l’ephod porté par Samuel, réservé habituellement au grand-prêtre, l’exégète admet qu’il le porte réellement et justifie le fait par la grâce particulière
Cf. 1 Rg 3, 4-10 ; 15. Théodoret évoque plusieurs fois la figure de Samuel pour montrer que le choix divin considère la vertu plus que l’âge. Καὶ ἐπιστεύθη Σαμουὴλ προφήτης γενέσθαι τῷ κυρίῳ, « Et l’on eut foi que Samuel était devenu prophète du Seigneur », 1 Rg 3, 21 (trad. BA). Cf. aussi 1 Rg 3, 20. Καὶ τὸ παιδάριον Σαμουὴλ ἦν λειτουργῶν τῷ κυρίῳ ἐνώπιον Ἠλὶ τοῦ ἱερέως, 1 Rg 3, 1 (trad. BA). Νεότης ἀρετῇ κοσμουμένη, Quaest. in I Reg., IX, FM II, p. 12-13. Sur l’emploi de ce terme, cf. supra, p. 40. Τοῦτό ἐστιν τὸ περὶ τῶν Λευιτῶν · ἀπὸ πεντεκαιεικοσαετοῦς καὶ ἐπάνω εἰσελεύσονται ἐνεργεῖν ἐν τῇ σκηνῇ τοῦ μαρτυρίου, « Voici ce qui est relatif aux Lévites : à partir de vingt-cinq ans et plus ils entreront pour œuvrer dans la Tente du témoignage », Nb 8, 24-25 (trad. BA, modifiée). Voir Quaest. in Num., XIII, FM I, p. 200-201.
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dont il est l’objet⁴⁴. Au contraire, dans notre Prologue, au lieu d’accepter de la même façon que le jeune homme puisse être associé au culte, comme le rapporte le récit, il exploite la difficulté de l’âge pour en faire un élément de premier plan. Pour cela, il introduit dans son récit une restriction – Samuel n’est pas admis au « ministère suprême » –, justifiée implicitement par la nécessité de garantir la cohérence avec les Nombres. De plus, en ajoutant au récit biblique la figure des prêtres qui n’admettent pas le jeune homme au culte, il illustre l’essentiel de son propos, c’est-à-dire l’inadéquation entre le jugement des hommes et celui de Dieu. En somme, Théodoret exploite le thème de la gratuité du don de Dieu présent dans le texte biblique. Toutefois, il étaie avec plus de force son argumentation sur l’opposition entre jugement de Dieu et jugement des hommes en ajoutant le motif des prêtres qui excluent l’enfant du culte. Cet ajout est subtilement fondé sur une difficulté trouvée dans le récit.
L’exemple d’Élie Le troisième exemple, celui d’Élie, se réfère à la fois à 3 Règnes et à Romains 11⁴⁵. La reformulation très concise du motif biblique et les modifications ténues sont encore une fois au service de l’argumentation. Voici le résumé de Théodoret : Ou bien encore, le fameux Élie présumait qu’il restait le seul prophète (μόνος ἐτόπαζεν ὑπολελεῖφθαι προφήτης) ; mais il entendit qu’il y avait sept mille personnes qui s’étaient détournées de l’égarement des idoles (ἦσαν ἑπτακισχίλιοι τῆς περὶ τὰ εἴδωλα πλάνης ἀπηλλαγμένοι) et offraient à Dieu la vénération qui lui convient.
L’exégète reformule sous la forme d’une pensée intériorisée les paroles d’Élie clamant sa solitude⁴⁶. En omettant, comme Romains, les paroles de Dieu relatives aux rois et prophète à oindre rapportées dans les Règnes, il met l’accent sur le détail qui l’intéresse, celui des sept mille fidèles, et sur le contraste entre ce nombre et la solitude d’Élie. Il met ainsi en valeur la distance inouïe entre les pensées humaines et la réalité annoncée par Dieu. Par ailleurs, il introduit une modification au sujet des sept mille : d’après les récits des Règnes et de Romains, ceux-ci « n’ont pas fléchi le genou devant Baal »⁴⁷ mais sont restés fidèles. L’exégète, avec le verbe ἀπαλλάττεσθαι (« se détourner ») au parfait, suggère que l’état de cette foule résulte d’un mouvement de conversion, et qu’ils ont pu suivre une autre voie auparavant. Il en résulte un autre contraste entre la permanence, représentée par la persévérance Εἰκὸς τὸν Ἠλί, τὴν θείαν αὐτῷ χάριν ἐπανθοῦσαν ἑωρακότα (…) καὶ κομιδῇ νέῳ μεταδοῦναι ταύτης τῆς τιμῆς, « Il était naturel qu’Éli, voyant que la grâce divine s’était épanouie en lui (…), lui communique cet honneur, bien qu’il fût si jeune », Quaest. in I Reg., VI, FM II, p. 8-9 (1 Rg 2, 18). Cf. 3 Rg 19, 14 ; 18 ; Rm 11, 2-4. Ὑπολέλειμμαι ἐγὼ μονώτατος, « Moi, je suis resté très seul », 3 Rg 19, 14. Κἀγὼ ὑπελείφθην μόνος, « Et moi je suis resté seul », Rm 11, 3. Οὐκ ὤκλασαν γόνυ τῷ Βάαλ, 3 Rg 19, 18. Οὐκ ἔκαμψαν γόνυ τῇ Βάαλ, Rm 11, 4.
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fidèle du prophète (ὑπολελεῖφθαι, « rester »), et le mouvement, celui de la conversion (ἀπηλλάχθαι, « se détourner ») : est-ce une façon d’évoquer à demi-mot une autre caractéristique de la pensée divine, la capacité de susciter un changement ? C’est du moins le sens de la citation qui suit : « Il abaisse et il élève ». En traitant cet exemple, l’exégète, sans modifier d’une manière significative les événements racontés, accentue les éléments qui lui permettent d’étayer son argumentation. Le choix de la figure d’Élie lui permet déjà de faire entrer son lecteur dans le monde paulinien – son résumé étant légèrement plus proche de Romains que des Règnes –, même si la portée argumentative de l’exemple n’est pas directement la même, puisque, dans Romains, il s’agit de fonder l’idée d’un « reste » d’Israël, sauvé par grâce. Ces trois exemples sont représentatifs de l’utilisation de l’Écriture à des fins argumentatives⁴⁸. Dans les deux premiers exemples, l’infléchissement du texte est motivé par l’idée à défendre et semble reposer sur une tradition d’interprétation, elle-même soucieuse de préserver le principe de la cohérence biblique (ἀκολουθία). En tentant de reconstituer le chemin du texte biblique à la version des récits donnée par ce Prologue, nous n’avons nullement prétendu imaginer le parcours mental réalisé par Théodoret, qui, rompu à l’utilisation de l’Écriture dans les débats doctrinaux, devait procéder d’une manière intuitive, presque naturelle⁴⁹. En revanche, cette analyse permet peut-être de mieux saisir ce qu’on pourrait prendre, par une lecture un peu simpliste, pour une falsification délibérée du texte à des fins argumentatives. Il s’agit plutôt, semble-t-il, d’un va-et-vient de la mémoire entre les textes et la tradition d’interprétation qui les accompagne. Pour revenir au propos de Théodoret, celui-ci affirme ainsi que les pensées de ses propres contradicteurs ne sont pas celles de Dieu, quand ils le croient incapable d’interpréter les épîtres de Paul. Quant à lui, conscient de l’ampleur de la tâche, il ne renonce pas pour autant à son projet, mettant sa confiance en Dieu.
3.2.1.3 L’appel à la grâce divine Dans les exordes rhétoriques, l’appel à l’assistance divine constitue une issue à l’embarras devant la difficulté de l’entreprise⁵⁰. Chez les auteurs chrétiens, au-delà
Cette liberté dans l’utilisation de l’Écriture à des fins argumentatives est une constante chez les Pères. O. Munnich a montré, par exemple, comment, chez Grégoire de Nysse, le prophète Élie pouvait être revêtu des traits de l’évêque Basile. Cf. O. Munnich, « La Bible dans l’élaboration d’un modèle de sainteté : l’exemple de l’Éloge de Basile », Grégoire de Nysse : La Bible dans la construction de son discours. Actes du Colloque de Paris (9-10 février 2007), éd. M. Cassin, H. Grelier, Paris, 2008, p. 202203. Certains passages de l’In Romanos font écho à l’utilisation de l’épître dans les débats théologiques. Cf. p. 273. Cf. L. Pernot, La Rhétorique de l’éloge, p. 303.
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du lieu commun, la prière pour obtenir l’aide de Dieu exprime la foi de l’auteur, notamment dans le cadre d’un commentaire biblique : l’exégète dit à la fois son impuissance à accéder au mystère et sa confiance dans la puissance de Dieu capable de l’y conduire⁵¹. Notre texte est représentatif des Prologues exégétiques de Théodoret, non seulement par les idées exprimées, mais aussi par les mots employés. La prière encadre pour ainsi dire l’ouverture de ce Prologue, avec la répétition du verbe ἀντιβολεῖν (« implorer »), souvent utilisé par l’évêque de Cyr pour évoquer les supplications adressées à Dieu⁵². Après avoir mis en lien sa faiblesse personnelle et la grâce à recevoir de Dieu (« non pas en mettant ma confiance en moi-même, mais en implorant (ἀντιβολῶν) la grâce divine »⁵³), Théodoret affirme, au moyen de citations scripturaires, que Dieu est capable de retourner les situations et les valeurs humaines : « Κύριος » γὰρ « πτωχίζει καὶ πλουτίζει, ταπεινοῖ καὶ ἀνυψοῖ, ἀνιστᾷ ἀπὸ γῆς πένητα, καὶ ἀπὸ κοπρίας ἐγείρει πτωχόν, τοῦ καθίσαι αὐτὸν μετὰ δυναστῶν λαοῦ, καὶ θρόνον δόξης κατακληρονομῶν αὐτόν », καὶ « Κύριος σοφίζει τυφλούς », καὶ « ᾿Aποστρέφει φρονίμους εἰς τὰ ὀπίσω, καὶ τὴν βουλὴν αὐτῶν μωραίνει », Car « Le Seigneur appauvrit et enrichit, il abaisse et élève, il fait lever de terre l’indigent, et du fumier il relève le pauvre, pour qu’il siège avec les puissants du peuple, et hérite d’un trône de gloire » ; et « Le Seigneur rend sages les aveugles », « fait reculer en arrière les gens sensés et rend leur décision folle »⁵⁴.
On trouve dans d’autres Prologues des associations de citations similaires, qui constituent un motif récurrent chez Théodoret. En voici deux exemples⁵⁵ : En effet, nous aussi, présentant cette supplication devant le Maître, qui « rend sages les aveugles », selon le divin David, ainsi que « ceux qui sont dans l’obscurité et la ténèbre », selon le bienheureux Isaïe, affrontons avec audace l’interprétation d’Ézéchiel l’inspiré⁵⁶ ; Donc puisque le Dieu de l’univers, lui qui « rend sage les aveugles », qui « révèle les mystères », qui « a donné une bouche à l’homme », qui « l’a fait sourd ou dur d’oreille, voyant et aveugle », a donné de mener à bien l’interprétation de ces paroles divines qui sont les siennes : allons, invoquons la grâce divine, qui « conduit des aveugles », selon la prophétie, « sur une route qu’ils
La prière joue un rôle central dans les commentaires d’Origène, non seulement dans les Prologues mais au cours des explications, notamment en lien avec une conception de l’interprétation de l’Écriture comme démarche spirituelle et comme grâce reçue de Dieu. L. Perrone, La Preghiera secondo Origene. L’impossibilità donata, Brescia, 2011, p. 281-358, va jusqu’à parler d’« esegesi orante ». Sur cet emploi particulier du verbe ἀντιβολεῖν par Théodoret, cf. supra, p. 43. Οὐκ ἐμαυτῷ θαρρῶν, ἀλλὰ τὴν θείαν χάριν ἀντιβολῶν, prol., 1. Prol., 3. Passages cités : 1 Rg 2, 7-8 ; Ps 145, 8 ; Is 44, 25b. Cf. aussi In Rom., I, 48. Ταύτην γὰρ καὶ ἡμεῖς τὴν ἱκετείαν τῷ δεσπότῃ προσφέροντες, ὃς « σοφίζει τοὺς τυφλούς », κατὰ τὸν θεῖον Δαβίδ, καὶ « τοὺς ἐν σκότει καὶ τῇ ὁμίχλῃ », κατὰ τὸν μακάριον Ἡσαΐαν, τῆς τοῦ θεσπεσίου Ἐζεκιὴλ κατατολμήσωμεν ἑρμηνείας, Com. in Ez., prol., PG 81, 809 D 9-812 A 4. Passages cités : Ps 145, 8 ; Is 29, 18.
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ne connaissaient pas, et les dispose à prendre des chemins qu’ils ne connaissaient pas », qui permet à ceux qui autrefois étaient sourds d’entendre les oracles divins, qui, à ceux qui vivaient dans l’obscurité et la ténèbre, dispense la vue, affrontons avec audace cette prophétie⁵⁷.
Cette assurance et confiance (καταθαρρεῖν) dans la puissance de la grâce permet à Théodoret d’assumer l’accusation d’audace (κατατολμᾶν⁵⁸) prêtée aux médisants. On trouve dans le Prologue de l’In XII prophetas le même encadrement par les verbes κατατολμᾶν et καταθαρρεῖν⁵⁹. En affirmant la nécessité de s’en remettre à Dieu, Théodoret met donc l’accent tout autant sur la légitimité de son audace que sur sa propre faiblesse, justifiant ainsi son entreprise. En quoi consiste la grâce demandée à Dieu par l’exégète ? Il l’exprime en recourant à l’image de la lumière, motif banal de la littérature sapientiale pour évoquer l’intelligence et la compréhension, et que l’on trouve souvent sous sa plume : « Après avoir imploré d’obtenir le rayon de la lumière intellective » (Τῆς ἀκτῖνος τοῦ νοεροῦ φωτὸς ἀντιβολήσας τυχεῖν)⁶⁰. Dans d’autres Prologues, il évoque par exemple le « rayon qui illumine et met à nu ce qui est caché » (φωτιζούση ἀκτὶς καὶ τὰ κεκρυμμένα γυμνούση)⁶¹. Cependant, on notera la singularité de l’expression ἀκτὶς τοῦ νοεροῦ φωτός employée ici, qui souligne l’idée d’un don reçu, indispensable pour connaître et annoncer la vérité⁶². L’appel à la grâce divine est exprimé en des termes très proches dans le Prologue des Quaestiones in Octateuchum : Οὐκ ἐμαυτῷ γε θαρρῶν (…) · παρὰ [θεοῦ] τοίνυν τῆς νοερᾶς ἀκτῖνος ἀντιβολήσας τυχεῖν, « Non pas, certes, en mettant ma confiance en moi-même (…) ; donc, après avoir imploré d’obtenir de la part de Dieu le rayon intellectif »⁶³. Cette notion de lumière fait écho aux « astres de l’univers » (οἱ τῆς οἰκουμένης φωστῆρες)⁶⁴ : est-ce une manière, pour
Ἐπειδὴ τοίνυν δέδωκεν ὁ τῶν ὅλων θεός, ὁ « σοφίζων τοὺς τυφλούς », καὶ « ἀποκαλύπτων μυστήρια », ὁ « δοὺς στόμα ἀνθρώπῳ », καὶ « ποιήσας δύσκωφον καὶ κωφόν, καὶ βλέποντα καὶ τυφλόν », τούτων αὐτοῦ τῶν θείων λόγων συμπεράναι τὴν ἑρμηνείαν · φέρε τὴν θείαν ἐπικαλεσάμενοι χάριν, τὴν « ἄγουσαν τυφλούς », κατὰ τὴν προφητείαν, « ἐν ὁδῷ ᾗ οὐκ ᾔδεισαν, καὶ τρίβους, ἃς οὐκ ἐπίσταντο, ὁδεῦσαι παρασκευάζουσαν », καὶ τοῖς πάλαι κωφοῖς τὸ τῶν θείων λογίων ἐπαΐειν παρέχουσαν, καὶ τοῖς ἐν σκότῳ καὶ ὁμίχλῃ διάγουσιν ὀφθαλμοῖς χορηγοῦσαν τὸ βλέπειν, καὶ τῆσδε τῆς προφητείας κατατολμήσωμεν, Com. in Ps., prol., PG 80, 860 B 8-C 6. Passages cités ou évoqués : Ps 145, 8 ; Si 27, 16 ; Ex 4, 11 ; Is 42, 16 ; Is 29, 18. Verbe régulièrement utilisé par Théodoret en lien avec l’appel à la grâce divine, par exemple dans les deux extraits cités, mais aussi dans Quaest. in Octat., prol., FM I, p. 1 ; Com. in Cant., prol., PG 81, 28 B 2 ; Com. in Is., préf., SC 276, p. 138. Cf. Com. in XII proph., prol., PG 81, 1545 B 2-3 ; 1548 C 15. Prol., 3. Sur l’emploi du verbe ἀντιβολεῖν, cf. supra, p. 43. Cf. Com. in Is., préf., SC 276, p. 140. Il affirme aussi que, si le « soleil sensible » (αἰσθητὸς ἥλιος) éclaire les hommes de tous les temps, celui qui l’a créé « illumine l’esprit » (καταφωτίζει τὸν νοῦν) de ceux qui lèvent les yeux vers lui, cf. Com. in XII proph., prol., PG 81, 1548 C 5-13. Sur cette expression, cf. supra, p. 51. Quaest. in Octat., prol., FM I, p. 3. Cf. supra, p. 96.
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l’exégète, de suggérer qu’en vertu de la grâce reçue il n’est pas moins qualifié que ses illustres prédécesseurs pour commenter l’Écriture ? Ces premières lignes du Prologue, dont on a souligné les éléments rhétoriques, restent caractérisées par un style assez sobre et très concis. Au-delà de la mise en scène apologétique, on peut déjà observer une introduction de certains thèmes pauliniens. De plus, quoique d’une manière elliptique, ce passage offre un aperçu des intentions exégétiques de l’auteur.
3.2.2 Rappel des intentions exégétiques Contrairement à d’autres Prologues de Théodoret, celui-ci ne présente pas d’exposé formel de la méthode⁶⁵. Est-ce un argument en faveur d’une datation tardive de ce texte, une nouvelle mise au point étant superflue après les précédentes⁶⁶ ? De fait, les Prologues des Quaestiones, dernières œuvres exégétiques de l’auteur, sont eux aussi très courts. Ou bien est-ce parce que la distinction entre les différents sens de l’Écriture ne s’applique pas de la même façon à propos de Paul et à propos de l’Ancien Testament ? Quoi qu’il en soit, on peut reconnaître dans ce texte, certes d’une manière assez elliptique, les principes essentiels concernant le texte biblique, le lecteur et le commentateur. Les lignes qui suivent mettront ces indications en perspective avec celles qu’on trouve dans les autres œuvres de Théodoret, mais aussi dans la tradition dont il hérite.
3.2.2.1 Le texte biblique Conformément à la tradition patristique, Théodoret considère le texte biblique comme parole de Dieu et enseignement pour les hommes⁶⁷. Ici comme ailleurs, il qualifie Paul de θεῖος (« divin »), selon une habitude qui le caractérise⁶⁸, et les épîtres, de διδασκαλία (« enseignement »)⁶⁹ : ces termes, également employés à propos des autres livres bibliques, suggèrent l’unité des Écritures par l’unicité de l’auteur divin. Ce présupposé fonde l’idée traditionnelle d’harmonie des Écritures, au-delà des contradictions apparentes, et, partant, le précepte de l’explication d’Homère à partir d’Homère, constamment appliqué par les Pères à la lecture de la Bible. On se souvient de sa formulation imagée chez Origène : « Il en est comme des
J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 263-281, présente les exposés d’autres commentaires (In Cant., In Dan., In Ps.). Sur la question de la datation, voir supra, p. 11. Sur les principes et les méthodes de l’exégèse patristique énumérés dans les lignes qui suivent, cf. G. Dorival, « Le sens de l’Écriture chez les Pères, les pères grecs », DBS, Paris, 1996, XII, col. 426-442. Sur l’emploi de l’épithète θεῖος à propos de Paul, cf. supra, p. 54. Cf. prol., 1.
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différentes cordes du psaltérion ou de la cithare : chacune d’elles produit un son qui lui est propre, en apparence sans ressemblance avec le son des autres ; l’ignorant, celui qui ne connaît pas les règles de l’harmonie musicale, croit qu’elles sont en dysharmonie, à cause de la dissemblance des sons ; de la même façon, ceux qui ne savent pas écouter l’accord de Dieu dans les Écritures sacrées croient que l’Ancienne Écriture est sans accord avec la Nouvelle (…), l’Apôtre sans accord avec l’Évangile, ou avec lui-même, ou avec les autres Apôtres »⁷⁰. Un deuxième postulat, celui de l’obscurité du texte, est évoqué par les mots τὰ τοῦ γράμματος καλύμματα, « les voiles de la lettre »⁷¹. Si on admet de trouver une telle expression concernant le Cantique, livre dont l’exégète donne une interprétation métaphorique⁷², ces mots surprennent à propos de l’Apôtre, dont il offre une lecture littérale. Origène appelle justement « voile de la lettre » le sens littéral⁷³, se référant à l’image paulinienne de l’Ancien Testament voilé pour les Juifs⁷⁴. Pour Théodoret, ces « voiles » sont les difficultés du texte. Au fil du commentaire, il fera remarquer que cette obscurité (ἀσαφής)⁷⁵ est liée au style, à la concision (συντομίαν)⁷⁶ ou à la syntaxe (συνθήκη)⁷⁷. Ce jugement, communément admis, est déjà exprimé par Irénée de Lyon⁷⁸. Origène considère le style elliptique de l’Apôtre comme la première raison expliquant la difficulté de Romains ⁷⁹. Or, cette obscurité n’est ni hasard ni faiblesse :
Origène, Philoc., 6, 2, SC 302, p. 310-311. Cf. B. Neuschäfer, Origenes als Philologe, p. 276-285. Cf. prol., 1. Cf. Com. in Cant., prol., PG 81, 32 D 7 ; PG 81, 136 B 3-4. Origène, Hom. in Ez., XIV, 2, SC 352, p. 438, citant 2 Corinthiens, 3, 14, évoque, par exemple, ceux « qui aiment le voile (velamentum) et haïssent ceux qui en donnent l’interprétation ». L’expression « voile de la lettre » (velamen litterae) est récurrente, cf. notamment id., Hom. in Leu., I, 1, SC 286, p. 66-71. Τὸ αὐτὸ κάλυμμα ἐπὶ τῇ ἀναγνώσει τῆς παλαιᾶς διαθήκης μένει, « Le même voile demeure sur la lecture de l’Ancien Testament », 2 Co 3, 14. Sur le terme ἀσάφεια, employé en particulier par Origène, et sur l’obscurité des Écritures, cf. M. Harl, « Origène et les interprétations patristiques grecques de l’“obscurité” biblique », Le Déchiffrement du sens, Paris, 1993, p. 89-126. Cf. In Rom., III, 24 ; III, 30. ᾿Aσαφῆ τὴν διάνοιαν ἡ συνθήκη πεποίηκε, « La construction rend le sens obscur », In epist. Pauli, PG 82, 832 C 9 (2 Tim 3, 4). Au sujet des livres prophétiques, il évoque, à la suite de Diodore de Tarse, les difficultés liées à la traduction : Αἴτιον δέ γε τῆς ἀσαφείας, καὶ τὸ σπουδάσαι τοὺς ἑρμηνεύσαντας περὶ πόδα τὴν ἑρμηνείαν ποιήσασθαι · ταὐτὸ δὲ τοῦτο πάσχουσι καὶ οἱ τὴν Ἰταλῶν φωνὴν εἰς τὴν Ἑλλάδα μεταφέροντες γλῶτταν, « Or, c’est aussi une cause du manque de clarté que l’effort des traducteurs pour faire une traduction à la lettre ; c’est cela même qui arrive aussi à ceux qui transposent la langue latine en grec », Quaest. in Reg. et Par., prol., FM II, p. 3. Cf. aussi Com. in Cant., PG 81, 120 A 13-15 (Ct 3, 6). Sur l’appréciation par les Antiochiens de la traduction des Septante, et en particulier sur le manque de clarté qui peut en résulter selon eux, cf. C. Schäublin, Untersuchungen zu Methode und Herkunft der Antiochenischen Exegese, p. 123-127. « L’apôtre use fréquemment d’inversions de mots à cause de la rapidité de ses paroles et de l’impétuosité de l’Esprit qui est en lui », Irénée, Adu. Haer., III, 7, 2, SC 211, p. 82-89. « Le fait que cette épître qu’il écrit aux Romains soit estimée plus difficile à comprendre que les autres épîtres de l’Apôtre Paul, me semble tenir à deux raisons. L’une est qu’il utilise parfois des
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l’Alexandrin évoque par ailleurs la « suprématie de puissance de Dieu » (ὑπερβολῆς δύναμις τοῦ θεοῦ) manifestée par l’Écriture, bien que le texte en soit « pauvre et méprisable aux yeux des Grecs » (εὐτελὴς καὶ εὐκαταφρόνητος παρ’ Ἕλλησι), et en dépit de ses fautes de grammaire (τῶν φωνῶν σολοικισμοί)⁸⁰. Le voile est même tenu pour essentiel, afin de stimuler la recherche et de protéger le trésor des regards indiscrets. Dans le Prologue de l’In Ezechielem, Théodoret développe cette idée au moyen d’analogies : la mer cache les pierres précieuses dans ses profondeurs, on conserve ses biens les plus précieux dans des coffres, on ne dévoile ses projets les plus chers qu’aux amis les plus intimes, et on ne doit pas donner les perles aux pourceaux⁸¹. Cette notion d’obscurité intentionnelle des Écritures est encore un lieu commun de l’exégèse biblique depuis Origène⁸². Les épîtres pauliniennes étant obscures, le travail exégétique est évoqué en termes de dévoilement, même s’il n’exige pas de recourir à l’interprétation figurée ou typologique utilisée pour l’Ancien Testament⁸³. Habituellement, Théodoret emploie des expressions comme τὸν νοῦν ou τὴν διάνοιαν ἀναπτύττειν (« déployer le sens ») ou τὸ κάλυμμα τοῦ γράμματος ὑπερβαίνειν (« dépasser le voile de la lettre »)⁸⁴. Toutefois, l’utilisation ici du verbe ἀπογυμνοῦν (« dépouiller ») dans le contexte exégétique, semble unique chez l’évêque de Cyr⁸⁵. On trouve des emplois assez proches chez Grégoire de Nysse, où il est appliqué à Jésus ou à Paul révélant le sens de l’Ancien Testament, chez Jean Chrysostome, appliqué à Paul ou au psalmiste⁸⁶, chez Cyrille d’Alexandrie, pour évoquer l’exégète passant à l’interprétation spiri-
manières de s’exprimer confuses qu’il explicite assez peu », Origène, Com. in Rom., I, 1, 1, SC 532, p. 138. Voir aussi, à propos de la difficulté des mots mêmes de Galates, Théodore de Mopsueste, Com. in minores epist. Pauli, Greer, p. 178. Cf. Origène, Philoc., 4, 1-2, SC 302, p. 270-273. Sur l’obscurité des Écritures sous l’aspect des difficultés du langage biblique, cf. M. Harl, « Origène et le langage biblique », p. 61-87. Cf. Théodoret, Com. in Ez., prol., PG 81, 809 A 8-14. Cf. Origène, Philoc., SC 302, passim. Sur les différentes causes de l’obscurité des Écritures chez Théodoret, qui reprend les motifs origéniens, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 151-164. Sur le motif analogue de l’obscurité des écrits d’Aristote chez les commentateurs néoplatoniciens, cf. P. Hoffmann, « Les prologues exégétiques néoplatoniciens », en particulier p. 219. J.-N. Guinot classe les types d’exégèse rencontrés dans l’œuvre exégétique de Théodoret selon les trois sens, littéral, figuré et typologique. Sur le premier, seul à l’œuvre dans l’In epistulas Pauli, cf. J.N. Guinot, L’Exégèse, p. 286-292. Occurrences du verbe ἀναπτύττειν dans les Prologues : Quaest. in Octat., prol., FM I, p. 3 ; Quaest. in Reg. et Par., prol., FM II, p. 3 ; Com. in Dan., prol., PG 81, 1256 C 1-2 ; Com. in Cant., prol., PG 81, 44 C 8 ; Com. in Is., préf., SC 276, p 140. Occurrence de τὸ κάλυμμα τοῦ γράμματος ὑπερβαίνειν : Com. in Cant., prol., PG 81, 32 D 7. Voir aussi τὴν ἐπιφάνειαν τοῦ γράμματος ὑπερβαίνειν, infra, note 88 p. 111. Cf. prol., 1. Ὁ δὲ πνευματικὸς νομοθέτης, ὁ κύριος ἡμῶν Ἰησοῦς Χριστός, ἀπογυμνῶν τῶν σωματικῶν προκαλυμμάτων τὸν νόμον, « Le législateur spirituel, notre Seigneur Jésus-Christ, dépouillant la loi des voiles corporels », Grégoire de Nysse, De oratione dominica, III, GNO VII.2, p. 31. Cf. aussi id., Vie de Moïse, II, 251, SC 1 bis, p. 112 ; II, 182, SC 1 bis, p. 88 ; Jean Chrysostome, Hom. in II Cor., VIII, PG 61, 454, 55 (2 Co 4, 1-2) ; id., Expos. in Ps., PG 55, 242, 45 (Ps 49, 2-3).
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tuelle⁸⁷. En parlant de « dépouiller » le texte du « voile de la lettre », Théodoret semble donc mettre ici l’obscurité de l’Apôtre sur le même plan que celle de l’Ancien Testament. De même, son intention d’accéder à la « profondeur » (βάθος) des paroles n’est pas différente de celle qu’il formule à propos de Daniel ⁸⁸. Là encore, c’est reprendre une expression de Paul lui-même : la « profondeur de la sagesse de l’Apôtre » (τῆς ἀποστολικῆς σοφίας τὸ βάθος) rappelle l’exclamation de l’Apôtre devant la sagesse divine⁸⁹. La principale qualité requise pour accéder à cette profondeur est l’ἀκρίβεια, à la fois « exactitude » et « rigueur ». Sans cesse rappelée par l’exégète dans le commentaire, elle est ici recommandée à ses détracteurs⁹⁰. Sorte d’acuité visuelle de l’âme issue de la foi, permettant de discerner le pieux de l’impie, le divin de l’humain, elle s’oppose à l’incrédulité considérée comme un aveuglement volontaire, car l’Écriture n’est véritablement voilée que pour ceux qui refusent de se tourner vers Dieu⁹¹. Il est donc significatif que Théodoret emploie ici, à propos des épîtres pauliniennes, les mêmes termes que dans ses introductions aux commentaires vétérotestamentaires pour évoquer l’obscurité du texte et la nécessité d’en dévoiler le sens.
3.2.2.2 Le lecteur Il est difficile de tirer du Prologue des informations sur les destinataires, même si le travail de dévoilement est explicitement destiné à des lecteurs, « afin de rendre le gain (κέρδος) accessible (πρόχειρον) à ceux qui veulent y avoir part (μεταλαχεῖν) »⁹². De même que dans l’In Isaiam, Théodoret ne fournit d’indications ni sur les destinataires de l’ouvrage, ni sur les circonstances immédiates de la rédaction, contrairement à ce que l’on trouve dans la plupart des Prologues de ses œuvres exégétiques, soit qu’il s’adresse à tel ami⁹³ ou à plusieurs personnes⁹⁴, soit qu’il se déclare mu par Τὴν ἐν τῷ γράμματι παχύτητα διαπτύσσοντες, τῆς ἐγκεχωσμένης αὐτῷ θεωρίας τὸ κάλλος ἀπογυμνοῦν σπουδάσωμεν, « Dégageant l’épaisseur de la lettre, appliquons-nous à mettre au jour la beauté du sens spirituel sous elle ensevelie », Cyrille d’Alexandrie, Glaphyra in Pentat., in Leu., PG 69, 565 C 8-9 (Lv 14, 48-53). Cf. aussi id., Com. in Is., III, 1, PG 70, 581 B 11 (Is 26, 14-15). Τοῦ μὲν γράμματος ὑπερβαίνειν τὴν ἐπιφάνειαν, εἰς δὲ τὸ βάθος καταδύειν, « Dépasser la surface de la lettre et se plonger dans la profondeur », Théodoret, Com. in Dan., prol., PG 81, 1256 C 2-3. Occurrence de βάθος dans notre texte : prol., 1. Cf. Rm 11, 33. La même expression se trouve chez Grégoire de Nysse, De anima et resurrectione, PG 46, 152 B 9-10 ; cf. aussi τὸ βάθος τῆς σοφίας τοῦ Παύλου, Jean Chrysostome, La Virginité, XIII, 1, SC 125, p. 134. Cf. prol., 2. Οὐ τοίνυν πᾶσίν ἐστιν ἀσαφῆ τὰ θεῖα, ἀλλὰ τοῖς ἐθελουσίως τυφλώττουσιν, « Ce n’est donc pas pour tous que les choses divines sont obscures, mais pour ceux qui sont volontairement aveugles », Com. in Ez., prol., PG 81, 809 A 8-10. Prol., 1 (texte grec cité supra, p. 95). Cf. Com. in Cant., prol., PG 81, 28 A 14 (à Jean de Germanicie selon J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 326) ; Quaest. in Octat., prol., FM I, p. 3 (à Hypatios) ; Quaest. in Reg. et Par., prol., FM II, p. 3 (à Hypatios).
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Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
un désir personnel⁹⁵. La diversité de ces situations et la manière dont elles sont évoquées suggèrent qu’elles renvoient à une certaine réalité, même si d’autres raisons que celles qui sont évoquées ont aussi pu motiver l’écriture⁹⁶. Rien de tout cela dans notre Prologue, et nous n’avons pas non plus repéré d’indices dans l’In Romanos ⁹⁷. L’œuvre, destinée à la « lecture » (ἀνάγνωσις)⁹⁸, est censée s’adresser à un public large, c’est-à-dire, selon le propos cité, à toute personne désireuse de lire les épîtres et d’en retirer quelque gain (κέρδος). On peut attribuer à l’In epistulas Pauli les deux principaux usages évoqués dans l’In Danielem : pour les uns, il s’agira de mieux saisir des passages difficiles, et les autres, déjà capables de comprendre par euxmêmes, sauront trouver des idées qui rejoignent les leurs et qui confirment ce qu’ils auront découvert⁹⁹. Même « ceux qui vivent dans l’indolence » (οἱ ῥᾳστώνῃ συζῶντας) sont invités à la lecture¹⁰⁰. L’expression, sans équivalent dans les autres Prologues, rappelle les « ignorants » (οἱ ἀγνοοῦντες) de l’In Danielem, qui donnent au travail de l’exégète son utilité, puisque tous n’ont pas reçu la même capacité de comprendre les textes sacrés¹⁰¹. Ce souci de s’adresser à tous rejoint les préoccupations d’un Jean Chrysostome, qui désire que tous les chrétiens lisent et étudient la Bible chez eux, et se plaint de l’ignorance de ses auditeurs au sujet de l’Apôtre : « Je suis affligé de douleur, parce que tous ne connaissent pas cet homme comme il faudrait le connaître : certains ignorent qui il est au point de ne même pas connaître avec certitude le nombre des épîtres »¹⁰².
Cf. Com. in XII proph., prol., PG 81, 1548 C 15-D 1 ; Com. in Ier., prol., PG 81, 496 A 2-5 ; Com. in Dan., prol., PG 81, 1257 C 7-9. Cf. Com. in Ps., prol., PG 80, 857 A 1-3. Sur le retard dû aux commentaires faits à la demande d’autres personnes, cf. ibid., prol., PG 80, 860 A 15-B 8. Sur les motivations polémiques de l’œuvre exégétique de Théodoret, voir l’introduction de J.-N. Guinot à Théodoret, Com. in Is., SC 274, p. 34. R. C. Hill, Theodoret’s Commentary on Paul, Madrid, 2000, p. 82, a recherché de tels indices dans l’ensemble de l’In epistulas Pauli. Selon lui, certains passages suggèrent qu’il n’y avait pas de femmes parmi les lecteurs, et de citer trois exemples, dont le commentaire de Romains 13, 9 (« Car celui qui est bien disposé à l’égard de quelqu’un (…) ne commet pas l’adultère avec sa femme », cf. V, 17). L’argument nous paraît anachronique. Cf. prol., 3. Il peut s’agir d’une lecture publique, et non pas nécessairement individuelle, cf. supra, p. 13. Cf. Com. in Dan., prol., PG 81, 1257 C 12-D 3. Cf. prol., 3. Μίαν μὲν ἅπαντες φύσιν ἐλάχομεν, οὐκ ἴσην δὲ ἅπαντες γνῶσιν ἐλάβομεν, « Tous, nous avons obtenu en partage une unique nature, mais nous n’avons pas tous reçu une égale connaissance », Com. in Dan., prol., PG 81, 1257 A 1-11. Le texte se poursuit avec la citation de 1 Corinthiens 12, 7 et 9 sur les différents dons de l’Esprit. ᾿Aλγῶ δὲ καὶ ὀδυνῶμαι, ὅτι τὸν ἄνδρα τοῦτον οὐχ ἅπαντες ἴσασιν, ὥσπερ εἰδέναι χρή, ἀλλ’ οὕτω τινὲς αὐτὸν ἀγνοοῦσιν, ὡς μηδὲ τῶν ἐπιστολῶν τὸν ἀριθμὸν εἰδέναι σαφῶς, Jean Chrysostome, Hom. in Rom., arg., PG 60, 391, 8-11.
3.2 L’ouverture du Prologue
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L’exigence de concision (συντομία), si importante pour l’évêque de Cyr, reçoit donc ici une motivation essentielle, celle de ne pas décourager les lecteurs : « J’aurai soin d’être le plus concis possible. Car je sais que la brièveté du discours incite à la lecture ceux qui vivent dans l’indolence »¹⁰³. Le précepte est formulé en des termes tout à fait semblables dans le Prologue de l’In Ieremiam ¹⁰⁴. On sait avec quelle constance Théodoret l’applique, plus qu’Origène qui formule la même intention dans ses homélies¹⁰⁵.
3.2.2.3 Le commentateur Enfin, Théodoret évoque son rôle de commentateur. Sa posture d’exégète est différente dans chaque œuvre : au sujet du Cantique, des Psaumes et de Daniel, il considère son commentaire nécessaire pour réfuter des interprétations erronées¹⁰⁶. Ici, avouant que sa contribution sera bien pauvre après les « astres de l’univers » (οἱ τῆς οἰκουμένης φωστῆρες)¹⁰⁷, il met l’accent sur sa position d’héritier. Il est intéressant de comparer notre texte avec le long développement de l’In XII prophetas sur l’utilité de l’entreprise malgré l’existence d’autres commentaires¹⁰⁸. En effet, après avoir employé des analogies – avec l’obole de la veuve et avec les poils de chèvre apportés pour la construction du sanctuaire par ceux qui n’ont ni or ni argent – l’auteur, rappelant que Moïse n’est pas le seul à avoir été prophète, énumère quelques figures de l’Ancien Testament : « Josué fils de Nun, Samuel, David, Nathan, Gad, Achia, Élie, Élisée et des milliers d’autres »¹⁰⁹. De même, continue-t-il, ce n’est pas seulement le chœur des apôtres qui a été envoyé par l’Esprit pour prêcher l’évangile, mais aussi Paul, Barnabé et leurs disciples, puis leurs successeurs jusqu’à aujourd’hui. Théodoret affirme donc que le même Esprit est à l’œuvre des prophètes aux enseignants de l’Église¹¹⁰. La triple comparaison de notre Prologue – Eldad et Modad, Samuel, Élie – prend un relief particulier à la lumière de ce texte. Au-delà du discours sur la grâce dépassant les catégories humaines, l’exégète considère son
Συντομίας δὲ ὅτι μάλιστα φροντιῶ. Οἶδα γὰρ τὴν βραχυλογίαν καὶ τοὺς ῥᾳστώνῃ συζῶντας προτρέπουσαν εἰς ἀνάγνωσιν, prol., 3. Συντομίας δὲ ὡς ἔνι μάλιστα φροντιῶ, Com. in Ier., prol., PG 81, 496 A 7. Cf. aussi Com. in Is., préf., SC 276, p. 140. Sur l’expression employée, cf. supra, p. 48. Sur l’importance de la concision pour Théodoret, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 329. Cf., par exemple, Origène, Hom. in Leu., I, 1, SC 286, p. 70-71 ; id., Hom. in Ex., I, 1, SC 321, p. 4445. Cf. supra, p. 96. Sur cette expression, cf. supra, p. 59. Cf. Théodoret, Com. in XII proph., prol., PG 81, 1545 B 1-1548 B 5. Ibid., prol., PG 81, 1548 A 1-4. On notera le choix exclusif de figures hors des auteurs de livres prophétiques, remarquable dans un Prologue sur les Douze Prophètes. À ce sujet, voir supra, note 26 p. 99. Gad apparaît en 2 Règnes 24, 11-18 ; Achia, en 3 Règnes 11, 29-39. Sur l’unicité de l’inspiration des Écritures chez Théodoret, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 102-105. Sur la nécessité d’accueillir ce même Esprit pour interpréter les Écritures, cf. ibid., p. 256-259.
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Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
activité comme étant du même ordre que celle des prophètes, et se met sous leur patronage. Cette continuité entre l’activité des prophètes et celle de l’exégète trouve son fondement dans l’idée traditionnelle que la compréhension de la parole inspirée par l’Esprit n’est possible que par l’accueil de ce même Esprit : « C’est à [Dieu] qu’il appartient d’expliquer le sens caché dans la lettre ; car c’est lui qui, dans les saints Évangiles mêmes, donnait son enseignement en paraboles et faisait l’interprétation de ce qu’il avait dit par énigmes »¹¹¹. D’un point de vue humain, Théodoret insiste sur sa position d’héritier à l’égard des exégètes précédents et affirme que leurs œuvres représentent non seulement une aide, mais un fondement de sa propre interprétation : « Je recueillerai les ressources des bienheureux Pères »¹¹². La notion de transmission est évoquée sous différents aspects dans d’autres Prologues : l’emprunt « n’est pas vol, mais héritage paternel »¹¹³, sa transmission est « une juste dette envers ceux qui viendront après nous, et il convient que nous l’acquittions généreusement »¹¹⁴. Toutefois, il ne nomme pas ses sources et il sera parfois difficile d’évaluer dans quelle mesure il fait appel aux commentaires plus anciens, d’autant plus que beaucoup d’entre eux ont en grande partie disparu¹¹⁵. Malgré sa brièveté, cette entrée en matière fournit donc quelques renseignements sur la méthode exégétique. On retiendra que les termes employés pour désigner les difficultés du texte biblique et le travail de dévoilement sont les mêmes que pour l’Ancien Testament, que l’œuvre est censée être accessible aux paresseux, et que l’auteur souligne son rôle de transmission plus que la nouveauté de son interprétation.
3.2.3 Conclusion Si la mise en scène apologétique à l’œuvre dans ce Prologue ne paraît pas correspondre à une accusation réelle, elle n’est pas pour autant un simple morceau d’éloquence destiné à orner le début d’une œuvre caractérisée par sa grande sobriété. Elle est au service d’un court enseignement sur la grâce, qui introduit un thème paulinien important. En effet, la prière de l’exégète au seuil de son commentaire révèle, au-delà du lieu commun de l’humilité, l’accent mis sur le boule-
Αὐτοῦ γάρ ἐστιν ἐπιδεῖξαι τὴν ἐν τῷ γράμματι κεκρυμμένην διάνοιαν · αὐτὸς γὰρ κἀν τοῖς ἱεροῖς εὐαγγελίοις, καὶ παραβολικῶς τὴν διδασκαλίαν προσέφερε, καὶ τῶν αἰνιγματωδῶς εἰρημένων ἐποιεῖτο τὴν ἑρμηνείαν, Quaest. in Octat., prol., FM I, p. 3. Τὰς ἀφορμὰς ἐκ τῶν μακαρίων συλλέξω πατέρων, prol., 3. Ἔστι δὲ (…) οὐ κλοπή, ἀλλὰ κληρονομία πατρῴα, Com. in Cant., prol., PG 81, 48 C 6-11. Χρέος δίκαιον τοῖς μεθ’ ἡμᾶς γενομένοις τε καὶ ἐσομένοις (…), καὶ προσήκει τούτου τὴν ἔκτισιν εὐγνωμόνως ποιήσασθαι, Com. in Dan., prol., PG 81, 1257 C 2-6 (ἡμᾶς correxi : ὑμᾶς ed.). Cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 644-666 pour l’In epistulas Pauli. D’une manière exceptionnelle, les commentateurs précédents sont nommés dans Com. in Cant., prol., PG 81, 32 B 2-15.
3.2 L’ouverture du Prologue
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versement de l’ordre humain opéré par l’intervention divine. Les exemples scripturaires suggèrent l’unité des Écritures. À travers l’accusation et la défense, l’auteur évoque quelques éléments de sa méthode et de ses principes exégétiques. L’étude de la première partie de ce Prologue fait apparaître des similarités méthodologiques, thématiques et sémantiques avec les autres introductions de Théodoret à ses œuvres exégétiques. Le Prologue avec lequel il présente le plus de similitudes est celui de l’In XII prophetas : réponse au reproche de venir après d’autres commentateurs, absence de polémique identifiable, accent mis sur la transmission de l’héritage exégétique plutôt que sur la nouveauté de l’interprétation. L’absence d’informations sur les circonstances de l’écriture aussi bien que sur d’éventuels destinataires le rapproche plutôt de l’In Isaiam, et le souci d’être lu par les paresseux fait penser à l’In Danielem. Par ailleurs, certaines formules ou affinités entre des mots ou des références scripturaires, utilisées par exemple pour désigner l’audace de l’entreprise, ou concernant l’appel à la grâce divine, constituent une sorte de signature de Théodoret, que l’on retrouve maintes fois dans ses autres Prologues. À l’inverse, on aura été sensible à la singularité de certaines tournures et images, et surtout à l’originalité du rapprochement de trois figures prophétiques, dont l’analyse a permis de mettre en évidence les liens subtils entre exégèse et argumentation, entre interprétation traditionnelle et lecture personnelle. Parmi les principes fondamentaux de son exégèse, l’évêque de Cyr met ici l’accent sur la simplicité et la brièveté. En analysant à présent la seconde partie du texte, nous pourrons déjà évaluer la mise en œuvre de ces exigences, à l’occasion d’un questionnement plutôt complexe, celui de l’ordre chronologique de rédaction des épîtres.
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Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
3.3 Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres La plus grande partie du Prologue est consacrée à la question de l’ordre de rédaction des épîtres pauliniennes. On retrouve le même type d’interrogation dans les différents Prologues bibliques de Théodoret, avec une réflexion cependant moins approfondie¹¹⁶. Ainsi, dans l’In XII prophetas, il s’appuie sur l’indication concernant les rois d’Israël mentionnés dans chaque livre, sans citer les textes ni les mettre explicitement en relation avec les informations des livres historiques¹¹⁷. À propos des livres des Règnes, il admet une rédaction complexe, affirmant que des auteurs ont composé l’œuvre finale en rassemblant les livres, désormais perdus, de chaque prophète¹¹⁸. Dans l’In Psalmos, il est question, très brièvement, d’un réagencement entre les différents psaumes, Théodoret se contentant de donner deux exemples pour montrer que la chronologie n’est pas respectée¹¹⁹. Le souci de situer la rédaction des livres bibliques dans l’histoire est lié à l’exigence d’établir la vérité historique des Écritures, afin qu’elles ne soient pas considérées comme de simples mythes¹²⁰. Plus d’un lecteur moderne sera tenté de mesurer la méthode et les résultats de Théodoret à l’aune de l’exégèse contemporaine, qui accorde une place importante à la chronologie des épîtres pauliniennes. Ce n’est pas ici notre propos. Toutefois, les analyses qui suivent pourront aussi être utiles en vue d’une étude comparative¹²¹.
Sur l’intérêt de Théodoret pour les questions de composition et de transmission des livres bibliques, voir J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 126-136. Cf. Com. in XII proph., prol., PG 81, 1548 D 5-1549 C 12. Cf. Quaest. in Reg. et Par., prol., FM II, p. 3-4. Cf. Com. in Ps., prol., PG 80, 865 A 4-B 1. Cf. J.-N. Guinot, « La place et le rôle de l’histoire événementielle », p. 145-160, en particulier p. 147-148 sur la datation des livres. La recherche contemporaine disposant des mêmes sources qu’Origène ou Théodoret, on ne s’étonnera pas des similitudes : accord des Anciens et relatif consensus moderne sur l’ordre des épîtres fondé sur les indices tirés de la collecte (1 Thessaloniciens, 1 et 2 Corinthiens, Romains), incertitude sur la place de Galates, aujourd’hui comme hier. On retiendra trois particularités des méthodes actuelles par rapport aux anciennes. D’abord, les exégètes cherchent à établir non seulement une chronologie relative (de la rédaction des épîtres et de la vie de Paul), mais aussi une datation absolue, à l’aide de sources extra-bibliques. Cf., par exemple, J. Murphy-O’Connor, Paul, A Critical Life, Oxford, 1996. Ensuite, ils repèrent des contradictions entre les Actes et les épîtres, et donnent généralement la priorité à celles-ci. Voir la tentative assez radicale de G. Lüdemann, Paulus, der Heidenapostel. Band I. Studien zur Chronologie, Göttingen, 1980. Enfin, le questionnement sur la chronologie est rendu plus complexe par les discussions sur l’authenticité des lettres. Cf., par exemple, la question soulevée par la réintégration des épîtres pastorales (1 et 2 Timothée, Tite) chez certains chercheurs : S. E. Porter, « Pauline Chronology and the Question of Pseudonymity of the Pastoral Epistles », Paul and Pseudepigraphy, éd. S. E. Porter, G. P. Fewster, Leiden-Boston, 2013, p. 65-88. Par ailleurs, on notera la différence de méthode entre ceux qui écartent toute considération sur une évolution de la pensée paulinienne (cf. G. Lüdemann, Paulus. Studien zur Chronologie, p. 4748) et ceux qui cherchent des indices dans cette direction (cf., par exemple, U. Borse, Der Standort des Galaterbriefes, Köln, 1972, p. 26-31, et la critique qu’en fait J. Murphy-O’Connor, Paul, notamment p. 180-181). Pour un aperçu des discussions actuelles, cf. M.-F. Baslez, Saint Paul, artisan d’un monde
3.3 Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres
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Pour analyser la démarche propre de Théodoret, nous commencerons par présenter la tradition antérieure. Puis nous montrerons en quoi il suit cette tradition. Ensuite l’observation de certains éléments structurants nous permettra de définir plus précisément la démarche qu’il adopte. Alors nous pourrons étudier les différents types de preuves mises en œuvre, avant d’évaluer les limites de l’argumentation.
3.3.1 État de la question à l’époque de Théodoret Avant d’examiner l’argumentation de l’évêque de Cyr sur la chronologie de rédaction des épîtres pauliniennes, il convient de le situer dans la tradition dont il hérite. La question de l’ordre (τάξις) de lecture des livres d’un auteur fait partie des lieux communs des introductions aux commentaires exégétiques, comme en témoigne le Prologue d’Origène à son commentaire du Cantique ¹²². Néanmoins, Théodoret ne s’étend pas sur ce point, se contentant, à la fin du Prologue, d’indiquer qu’il suivra l’ordre des livres bibliques, sans commenter ni même énoncer ce dernier. La chronologie de rédaction des épîtres pauliniennes est un sujet tout à fait différent sur lequel, à notre connaissance, parmi les auteurs de langue grecque antérieurs à Théodoret, seuls les témoignages d’Origène et de Jean Chrysostome, tirés de leurs commentaires respectifs sur Romains, sont parvenus jusqu’à nous¹²³. Cependant, Origène atteste déjà que d’autres se sont interrogés sur la question. Nous évoquerons donc les réflexions de ces deux auteurs, puis nous nous interrogerons sur le rôle éventuel des manuscrits du corpus paulinien à l’époque de Théodoret.
chrétien, Paris, 20122, p. 467-471 ; O.-T. Venard (éd.), « Supportez-vous les uns les autres » (Col 3, 13). Éditer Paul dans la Bible en ses Traditions, à paraître, chap. 4. Pour un état de la recherche sur la chronologie paulinienne depuis le xviie siècle et un exemple de méthode actuelle, cf. R. Riesner, Die Frühzeit des Apostels Paulus. Studien zur Chronologie, Missionsstrategie und Theologie, Tübingen, 1994, p. 1-30. « Essayons d’abord de chercher pour quelle raison, alors que les Églises de Dieu ont reçu trois livres écrits par Salomon, le livre des Proverbes est placé le premier d’entre eux, le deuxième est celui qu’on appelle l’Ecclésiaste, et le livre du Cantique des cantiques est à la troisième place », Origène, Com. in Cant., prol., 3, 1, SC 375, p. 129. Selon I. Hadot, « Les introductions aux commentaires exégétiques chez les auteurs néoplatoniciens et les auteurs chrétiens », p. 99-122, le commentaire d’Origène, bien avant les schémas d’introduction aux commentaires d’Aristote et de Platon codifiés par Proclus à la fin du ve siècle, reprend vraisemblablement une tradition païenne plus ancienne. Cf. Origène, Com. in Rom., I, 1, 2-4, SC 532, p. 140-145 ; Jean Chrysostome, Hom. in Rom., arg., PG 60, 392, 11-393, 35. Chez ce dernier, il est encore question de l’ordre des épîtres pauliniennes dans la première homélie sur Colossiens. Cf. id., Hom. in Col., I, PG 62, 299, 6-300, 2. On n’a pas conservé de Prologue de Théodore sur l’Apôtre. Certains Arguments donnent des informations sur le lieu d’expédition et la situation dans la vie de Paul, sans aborder la chronologie relative. Cf. Théodore de Mopsueste, Com. in minores epist. Pauli, Greer, p. 178 (Éphésiens écrite de Rome) ; p. 292 (Philippiens écrite de Rome) ; p. 682-685 (2 Timothée écrite de Rome). Sur les lieux d’expédition, Théodoret est d’accord avec Théodore, mais ce dernier distingue deux voyages à Rome.
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Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
3.3.1.1 La chronologie des épîtres pauliniennes selon Origène Pour déterminer à quel moment Paul a écrit les différentes épîtres, l’exégète d’Alexandrie s’appuie sur des considérations spirituelles, s’efforçant de discerner le degré de perfection atteint par l’Apôtre. Son principe de datation est le suivant : On remarque que Paul, dans chacune de ses lettres, se montre d’autant plus parfait (perfectior) que la lettre est tardive (posterior)¹²⁴.
Ce type d’argumentation devait déjà exister à son époque, puisqu’il dit : « Nous aborderons le début de cet exposé de Paul aux Romains, l’ayant fait précéder de ce qu’observent généralement ceux qui l’ont étudié : il semble que l’Apôtre, en cette épître, a été plus parfait que dans les autres »¹²⁵. Origène s’appuie sur des citations tirées de différentes épîtres, d’après lesquelles il juge des progrès de l’Apôtre vers l’assurance et la perfection. Ainsi, selon lui, Paul n’était pas parfait lorsqu’il écrivit 1 Corinthiens et Philippiens mais l’était davantage au moment d’envoyer 2 Corinthiens. L’exégète prend soin de distinguer deux types de perfection, et de répondre, toujours en s’appuyant sur des indices internes, à d’éventuelles objections, par exemple sur la brièveté du délai séparant la rédaction des deux épîtres aux Corinthiens. Il conclut en affirmant que le sommet de la perfection est atteint en Romains, quand l’Apôtre déclare : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? »¹²⁶. Les autres lettres ne sont pas mentionnées, l’auteur s’intéressant essentiellement à Romains, qu’il s’apprête à commenter. Il ne néglige pas les indices plus concrets, comme celui de la collecte prouvant que 1 et 2 Corinthiens ont été écrites avant Romains ¹²⁷. Précisons que la question du lieu de rédaction de Romains – Corinthe – est abordée séparément, et traitée grâce à des indices internes : la mention de Phébée de Cenchrées, celle de Gaïus, rapprochée de son évocation en 1 Corinthiens, celle d’Éraste, rapprochée d’un verset de 2 Timothée. Les passages correspondants sont cités¹²⁸.
3.3.1.2 La chronologie des épîtres pauliniennes selon Jean Chrysostome Jean Chrysostome propose une approche plus systématique et technique de la question. Bien que le but annoncé soit d’établir à quel moment a été composée l’Épître aux Romains, afin de réfuter l’opinion affirmant qu’elle a été écrite en pre Origène, Com. in Rom., X, 14, 2, SC 555, p. 351. Nous nous référons à la traduction latine de Rufin. Sur la question relative à la fidélité de celle-ci par rapport à l’original grec, nous renvoyons à l’introduction de M. Fédou, SC 532, p. 29-42. Ibid., I, 1, 1, SC 532, p. 141. Rm 8, 35. Cf. Origène, Com. in Rom., X, 14, 1-2, SC 555, p. 348-351. Cf. ibid., I, 1, 5, SC 532, p. 144-147. Passages invoqués : à propos de Phébée, Rm 16, 1 ; de Gaïus, Rm 16, 23 et 1 Co 1, 14 ; d’Éraste, Rm 16, 23 et 2 Tim 4, 20.
3.3 Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres
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mier, presque toutes les autres lettres sont également mentionnées¹²⁹. La réflexion ne repose pas sur une estimation de la perfection spirituelle, mais sur des informations concrètes contenues dans les lettres, comme la collecte évoquée en Romains, 1 et 2 Corinthiens, et 1 Thessaloniciens, la vieillesse de l’Apôtre en Philémon, ou encore la mention d’Onésime en Colossiens. Le prédicateur souligne avec insistance l’évidence (δῆλον, δηλοῦν) apportée chaque fois par le texte lui-même¹³⁰. Cependant, le raisonnement est difficile à suivre, parce qu’il n’est pas mené d’une manière chronologique. Le prédicateur commence par Romains : il déclare d’abord que 1 et 2 Corinthiens sont antérieures, puis que Thessaloniciens – il cite un extrait de la seconde – les précède toutes ; ensuite, il est question des lettres envoyées de Rome ; tout à la fin, il est précisé que Galates précède également Romains. De plus, pour certaines lettres, l’affirmation n’est pas justifiée ; ainsi de Galates ou d’Hébreux. Cette dernière, du reste, est simplement associée à Philippiens, sans qu’il soit question d’antériorité ou de postériorité. Voici l’ordre des épîtres proposé : Thessaloniciens, Corinthiens – la place de Galates parmi les lettres antérieures à Romains n’est pas précisée – ; Romains ; puis, envoyées de Rome, Philippiens et Hébreux, Philémon, Colossiens, Timothée ¹³¹. La position des lettres ayant un destinataire identique est incertaine. En effet, Jean dit d’abord que les deux (ἀμφότεραι) aux Corinthiens ont été écrites avant Romains ; puis que « celle » aux Thessaloniciens précède « celle » aux Corinthiens¹³². Alors, il cite des versets de 1 Thessaloniciens et de 2 Corinthiens. L’auteur considère-t-il tout simplement que ces lettres doubles sont écrites chaque fois l’une après l’autre ? Dans le cas de Corinthiens sont employés successivement le pluriel et le singulier. Quant aux lettres à Timothée, elles ne sont pas non plus distinguées. Enfin, Éphésiens et Tite ne sont pas mentionnées. Cela ne tient évidemment pas à un problème concernant les limites du corpus paulinien, puisque Jean Chrysostome commente toutes les épîtres et ne met pas en cause l’attribution à Paul. À l’issue de son exposé, le prédicateur ne manque pas d’évoquer brièvement la différence entre cet ordre chronologique et l’ordre d’apparition dans les livres. Sans proposer de raison à cela, il indique simplement le cas analogue des Petits Prophètes : « Que, dans les livres, [les épîtres] aient un autre ordre, rien d’étonnant : puisque les Douze Prophètes aussi, alors qu’ils ne se suivent pas chronologiquement
Οὐδὲ γάρ, ὡς πολλοὶ νομίζουσιν, πρὸ πασῶν τῶν ἄλλων ἐστίν, « Car elle n’est pas du tout, comme beaucoup le croient, antérieure à toutes les autres », Jean Chrysostome, Hom. in Rom., arg., PG 60, 392, 12-13. Le mot πολλοί désigne vraisemblablement l’opinion des auditeurs, sans référence à quelque réflexion d’érudit. Cf. par exemple ibid., arg., PG 60, 392, 17-18 ; 24-25 ; 27-28 ; 36 ; 44. Dans l’Hom. in Col., I, PG 62, 299, 28-300, 2, il évoque les lettres de la captivité et place Colossiens avant Philippiens. Καὶ ἡ πρὸς Θεσσαλονικεῖς δὲ ἐμοὶ δοκεῖ προτέρα τῆς πρὸς Κορινθίους ἐπιστολῆς εἶναι, id., Hom. in Rom., arg., PG 60, 392, 28-30.
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mais sont très éloignés les uns des autres, sont placés à la suite dans l’ordre des livres »¹³³. En réalité, pour le prédicateur antiochien, l’enjeu est moins historique que théologique. Il n’est absolument pas question, déclare-t-il avec force, de mener toute cette réflexion par vaine curiosité : « Mais que personne ne pense que cette peine est secondaire, ni qu’une telle investigation est le fait d’une curiosité superflue. Car l’époque des épîtres ne nous prête pas un concours négligeable eu égard aux recherches »¹³⁴. En effet, déclare-t-il, étudier la datation relative des épîtres permet de résoudre des difficultés de compréhension. Ainsi, Paul peut traiter un même sujet de différentes manières suivant les épîtres. Par exemple, la question des interdits alimentaires est abordée avec prudence en Romains, avec plus d’audace en Colossiens, car, déclare le prédicateur, la condescendance était nécessaire au début, mais plus ensuite¹³⁵. Par ailleurs, l’Apôtre, dit-il, s’adapte aux besoins des communautés comme un maître à l’âge de ses élèves. En somme, une place importante est accordée au contexte de l’écriture, que les exégètes modernes ont appelé la question du Sitz im Leben. La question de l’ordre chronologique de rédaction du corpus paulinien et celle des lieux d’expédition ont donc déjà intéressé les prédécesseurs de Théodoret. On constate une différence d’approche essentielle entre Origène, qui cherche des indices spirituels, et Jean Chrysostome, qui s’appuie sur des éléments historiques. Cependant, pour l’un comme pour l’autre, la visée théologique l’emporte clairement sur la recherche historique et l’enjeu implicite consiste à prendre au sérieux les apparentes contradictions de l’Écriture pour montrer la véritable harmonie de celle-ci. Origène cite différents passages dans lesquels Paul tient un discours contrasté sur les épreuves et les persécutions, et conclut qu’ils révèlent différents degrés de perfection de l’Apôtre. Jean Chrysostome, lui, affirme clairement que la connaissance de l’ordre des épîtres, ainsi que des communautés auxquelles elles s’adressent, constituent une clef pour comprendre les apparentes contradictions entre elles. La perspective théologique et non historique suffit à expliquer ce que nous pourrions être tentés de considérer comme un inachèvement – toutes les lettres ne sont pas mentionnées – ou un manque de rigueur. Rappelons aussi que, dans les deux cas, le but est simplement de situer Romains.
Εἰ δὲ ἐν ταῖς βίβλοις ἑτέραν ἔχουσι τάξιν, θαυμαστὸν οὐδέν · ἐπεὶ καὶ οἱ προφῆται οἱ δώδεκα οὐκ ἐφεξῆς ἀλλήλοις ὄντες κατὰ τοὺς χρόνους, ἀλλὰ πολὺ διεστηκότες ἀλλήλων, ἐν τῇ τῶν βιβλίων τάξει ἐφεξῆς εἰσι κείμενοι, ibid., arg., PG 60, 393, 27-31. Le prédicateur affirme notamment qu’Aggée et Zacharie ont prophétisé après Ézéchiel et Daniel, alors que les Douze Prophètes précèdent (dans la Bible grecque) les grands prophètes. Μηδεὶς δὲ πάρεργον τοῦτον ἡγείσθω τὸν πόνον, μηδὲ περιεργίας περιττῆς τὴν τοιαύτην ἔρευναν · συντελεῖ γὰρ ἡμῖν πρὸς τὰ ζητούμενα οὐ μικρὸν ὁ τῶν ἐπιστολῶν χρόνος, ibid., arg., PG 60, 393, 36-39. Il cite Romains 14, 1-2 et Colossiens 2, 20-23. Cf. ibid., arg., PG 60, 393, 39-54.
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Nous allons voir que Théodoret, s’appuyant à l’évidence sur la tentative chrysostomienne, offre une argumentation plus proche des méthodes exégétiques contemporaines. Mais auparavant, pour terminer ce tour d’horizon sur l’état de la question au ve siècle, il nous reste à chercher si les manuscrits anciens du corpus paulinien pourraient apporter quelque information.
3.3.1.3 Les manuscrits du corpus paulinien Eu égard aux sources de Théodoret, il convient de s’interroger non seulement sur les commentaires de ses prédécesseurs, mais aussi sur les instruments de travail utilisés par l’exégète, à commencer par son exemplaire biblique. Est-il vraisemblable que celui-ci ait contenu des informations relatives aux circonstances de la rédaction des épîtres ? En effet, les manuscrits du corpus paulinien portent la trace d’un intérêt pour ces questions. Des informations sur le lieu d’expédition des lettres de Paul se trouvent dans deux types de notices accompagnant souvent le texte biblique et considérées comme des éléments caractéristiques de ce qu’on appelle « l’édition d’Euthalius » : l’Argument, qu’on peut trouver en tête de chaque épître, et la subscriptio, placée à la fin de celle-ci, indiquant notamment le lieu d’où elle a été rédigée ; cependant, la datation de cette « édition » ainsi que l’authenticité de ses différentes composantes sont controversées¹³⁶. Par conséquent, c’est en consultant directement les manuscrits les plus anciens du corpus paulinien que nous pourrons chercher une réponse à la question suivante : Théodoret a-t-il pu avoir entre les mains un exemplaire biblique contenant ce qu’on appelle des « Arguments d’Euthalius », ou bien des subscriptiones ? Cela signifierait que la réflexion contenue dans notre Prologue rejoint la préoccupation des copistes du Nouveau Testament d’indiquer le lieu de rédaction des épîtres. En revanche, si cette habitude est plus tardive, on peut supposer que de telles notices dans les manuscrits du corpus paulinien constituent une forme de postérité d’une réflexion comme celle de l’évêque de Cyr. Les Arguments d’Euthalius ne semblent pas attestés dans des manuscrits antérieurs au vie siècle. En revanche, deux grands onciaux des ive et ve siècles présentent des subscriptiones à la fin des épîtres de Paul : le Codex Vaticanus et le Codex Alexandrinus ¹³⁷.
Sur l’« édition d’Euthalius » et sa datation (variant selon les estimations entre la fin du ive et le viie siècle), cf. supra, note 104 p. 22. Sur les subscriptiones, qui en font partie, cf. H. von Soden, Die Schriften des Neuen Testaments, I, 1, p. 300 [72]. Elles sont reproduites dans certains manuscrits de notre texte, cf. A. Lorrain, L’In Romanos de Théodoret, p. 57. Sur les « Arguments d’Euthalius » précédant les épîtres pauliniennes, caractérisés notamment par leur incipit stéréotypé (Ταύτην ἐπιστέλλει suivi de la mention du lieu de rédaction de l’épître concernée), voir notamment l’édition de H. von Soden, Die Schriften des Neuen Testaments, I, 1, p. 339-349 [140], et la traduction anglaise de V. Blomkvist, Euthalian Traditions : Text, Translation and Commentary, Berlin-Boston, 2012. Les manuscrits plus anciens (comme le P46), très fragmentaires, ne semblent pas conserver la trace de telles subscriptiones, cf. P. W. Comfort, D. P. Barrett, The Text of the Earliest New Testament
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Le Codex Vaticanus (ive siècle) contient une subscriptio pour chaque épître¹³⁸. Celle-ci se présente sous la forme suivante : mention de l’épître (πρός suivi du nom des destinataires) et du lieu de sa rédaction (ἐγράφη ἀπό, suivi du nom de lieu). Selon ces indications, Romains fut écrite de Corinthe, 1 Corinthiens, d’Éphèse, 2 Corinthiens, de Philippes, Galates, Éphésiens, Philippiens et Colossiens, de Rome, 1 et 2 Thessaloniciens, d’Athènes. La fin d’Hébreux et les autres épîtres font défaut. Les indications sont conformes à celles données par Théodoret, qui est cependant moins précis à propos de 2 Corinthiens, envoyée selon lui de Macédoine. Cependant, contrairement à la mention de l’épître, l’indication du lieu de rédaction ne semble pas être de première main et pourrait dater du vie siècle¹³⁹. Le Codex Alexandrinus (ve siècle)¹⁴⁰ présente des subscriptiones du même type (ἐγράφη étant omis pour Colossiens) pour les épîtres suivantes : Colossiens, de Rome, 1 et 2 Thessaloniciens, d’Athènes, Hébreux, de Rome, 1 et 2 Timothée, de Laodicée, Tite, de Nicopolis. Les premières épîtres et la dernière (Philémon) ne comportent pas de telles indications mais seulement la mention de l’expéditeur. Ces indications sont différentes de celles données par Théodoret pour 1 Timothée, qu’il localise en Macédoine, 2 Timothée, qu’il situe à Rome, et Tite, qu’il estime écrite de Macédoine, sans préciser la ville. Cette fois, les subscriptiones semblent être de première main, remontant alors au ve siècle¹⁴¹. L’origine géographique de ce manuscrit n’est pas établie, mais vu le nombre très réduit de manuscrits si anciens, il est déjà remarquable de trouver un témoin de ces notes qui soit contemporain de Théodoret¹⁴². Certes, cela ne constitue aucunement une preuve positive ; toutefois, on ne peut pas exclure que l’évêque de Cyr ait eu entre les mains un exemplaire du corpus paulinien contenant de telles subscriptiones. Le souci de situer chacune des épîtres pauliniennes dans le contexte de leur rédaction est donc attesté non seulement par les commentaires d’Origène et de Jean Chrysostome, mais aussi, vraisemblablement dès l’époque de Théodoret, par les
Greek Manuscripts. A corrected, Enlarged Edition of The Complete Text of the Earliest New Testament Manuscripts, Wheaton (Illinois), 2001, passim. Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticanus gr. 1209 (Aland B03). Pour une introduction aux multiples questions de paléographie relatives à ce manuscrit, cf. P. Canart, « Le Vaticanus graecus 1209 : notice paléographique et codicologique », Le Manuscrit B de la Bible, éd. P. Andrist, Lausanne, 2009, p. 19-45. Cf. C. Tischendorf, Novum Testamentum Vaticanum, Leipzig, 1867, ad loc. ; S. Pisano, « The Vaticanus graecus 1209 : A Witness to the Text of the New Testament », Le Manuscrit B de la Bible, éd. P. Andrist, Lausanne, 2009, p. 79, note 5. London, British Library, Royal 1 D. VIII (Aland A02). C’est ce que P. Versace, que nous remercions ici chaleureusement d’avoir répondu à nos questions, suppose à l’observation de 1 et 2 Thessaloniciens. Cf. S. McKendrick, « The Codex Alexandrinus or the dangers of being a named manuscript », The Bible as a Book. The Transmission of the Greek Text, éd. S. McKendrick, O. A. O’Sullivan, London, 2003, p. 1-16.
3.3 Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres
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indications qui pouvaient être portées dans certains manuscrits bibliques. La réflexion proposée par l’évêque de Cyr semble donc répondre à un questionnement en usage à son époque. Il convient maintenant de l’examiner de près afin d’évaluer l’originalité de sa démarche.
3.3.2 Un exposé fidèle à la tradition Théodoret s’inscrit assurément dans la tradition. Ceci apparaît clairement si l’on examine les présupposés sous-tendant la démarche, ainsi que la méthode utilisée.
3.3.2.1 Postulats et enjeux L’exégète reprend, sans servilité toutefois, la démarche de ses prédécesseurs. Au début de son raisonnement, il pose clairement les deux postulats justifiant l’entreprise, qui sont traditionnels : C’est le bienheureux Paul qui a écrit les quatorze épîtres ; quant à l’ordre (τάξιν) qu’elles ont dans les livres, ce n’est pas lui, je pense (ἡγοῦμαι), qui l’a déterminé¹⁴³.
Le premier postulat consiste à affirmer que Paul est bien l’auteur des quatorze lettres. Selon les témoignages d’Eusèbe de Césarée, de Cyrille de Jérusalem, puis d’Athanase d’Alexandrie, ce nombre fait l’unanimité au ive siècle¹⁴⁴, et l’attribution d’Hébreux à Paul est admise malgré les réflexions de Clément d’Alexandrie et d’Origène¹⁴⁵. Théodoret, comme ses prédécesseurs, ne cesse d’évoquer l’Apôtre en la commen Τὰς τέτταρας μὲν καὶ δέκα ἐπιστολὰς ὁ μακάριος γέγραφε Παῦλος, τὴν δὲ τάξιν ἣν ἐν τοῖς βιβλίοις ἔχουσιν οὐκ αὐτὸν ἡγοῦμαι πεποιηκέναι, prol., 4. Eusèbe de Césarée, HE, III, 3, 5, SC 31, p. 99 atteste cependant que les Romains n’admettent pas Hébreux. Pour une histoire du corpus paulinien, voir H. von Campenhausen, Die Entstehung der christlichen Bibel, Tübingen, 1968, p. 245-311. Pour un aperçu de différentes théories à ce sujet, voir S. E. Porter, « When and How was the Pauline Canon Compiled ? An Assessment of Theories », The Pauline Canon, éd. S. E. Porter, Leiden-Boston, 2004, p. 95-127. Concernant le témoignage apporté par les listes de livres sur la clôture progressive du corpus biblique et l’apparition de la notion de canon, voir la synthèse de E. Junod, « D’Eusèbe de Césarée à Athanase d’Alexandrie en passant par Cyrille de Jérusalem : de la construction savante du Nouveau Testament à la clôture ecclésiastique du canon », Le Canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur l’histoire de sa formation, éd. G. Aragione, É. Junod et al., Genève, 2005, p. 169-195. Cf. aussi la bibliographie de S. Morlet, L. Perrone, Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, Commentaire. Tome I : Études d’introduction, Paris, 2012, p. 339-340. Sur le canon des livres bibliques retenu par Théodoret, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 126-129. C’est Eusèbe qui transmet les opinions de Clément d’Alexandrie et d’Origène sur cette question, le premier considérant Hébreux comme écrite par Paul en hébreu et traduite en grec par Luc (cf. Eusèbe de Césarée, HE, VI, 14, 2, SC 41, p. 106), le second déclarant que la pensée est indéniablement paulinienne mais le style, à l’évidence, d’un autre rédacteur, et que, cependant, on peut tout à fait la recevoir comme paulinienne (cf. ibid., VI, 25, 11, SC 41, p. 127-128).
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tant¹⁴⁶. On comprend donc qu’il n’éprouve pas la nécessité, dans ce Prologue, de discuter du nombre des épîtres. On notera en revanche le long développement de l’Argument sur Hébreux, évoquant le refus de celle-ci par les ariens et leur répondant à l’aide d’arguments traditionnels – longue tradition de lecture de cette lettre dans l’Église, acceptation par Eusèbe de Césarée lui-même, que les ariens considèrent comme leur représentant, enfin explication de l’absence du nom de Paul par le fait que les Hébreux ne soient pas sous la juridiction de l’Apôtre des Nations¹⁴⁷. Le caractère polémique de cet Argument est donc évident, qu’il s’agisse d’un lieu commun ou d’une préoccupation réelle de l’évêque de Cyr¹⁴⁸. Le second postulat, selon lequel l’ordre des livres dans les recueils ne correspond pas à celui de la rédaction, est le point de départ nécessaire pour rechercher un ordre originel. Le fait que Théodoret ajoute « je pense » ne signifie pas une prétention à l’originalité. Au contraire, cette opinion s’inscrit dans une tradition dont il a connaissance. La comparaison qui suit immédiatement cette assertion mérite d’être relevée : De même que, pour les Psaumes sacrés, c’est le divin David (ὁ θεῖος Δαβίδ) qui les rédigea, lui qui avait reçu l’inspiration de l’Esprit très saint, mais d’autres (ἄλλοι τινὲς) les agencèrent les uns par rapport aux autres comme ils le voulurent (ὡς ἠβουλήθησαν), plus tard, et que, quoiqu’ils exhalent le parfum de l’Esprit (πνευματικὴν εὐωδίαν), ils ne sont pas dans l’ordre chronologique, de même aussi, on peut découvrir que ces épîtres de l’Apôtre ont été rassemblées¹⁴⁹.
Cette remarque fait écho au texte de Jean Chrysostome expliquant que les épîtres de Paul n’ont pas été classées dans l’ordre chronologique : le prédicateur rapprochait les Petits Prophètes et les Épîtres, deux recueils de différents livres¹⁵⁰. Théodoret ne fait pas référence aux Petits Prophètes, alors même que son Prologue de cet autre corpus présente bien des ressemblances avec celui de l’In epistulas Pauli, en particulier la réflexion sur l’ordre des livres¹⁵¹. Le rapprochement entre les épîtres pauliniennes et le livre des Psaumes lui permet peut-être de souligner que, dans les deux
À la fin de son Argument, il reprend l’opinion de Clément d’Alexandrie sur un original en hébreu, évoquant de plus la tradition selon laquelle la traduction serait de Clément de Rome, opinion rapportée par Origène, toujours selon Eusèbe (cf. ibid., VI, 25, 14, SC 41, p. 128). Cf. Théodoret, In epist. Pauli, PG 82, 677 B 9-11 (arg. in Hebr.). Cf. In epist. Pauli, PG 82, 673 C 1-676 C 8 (arg. in Hebr.). Sur la polémique antiarienne dans l’In epistulas Pauli, cf. p. 277. ᾿Aλλ’ ὥσπερ τοὺς ἱεροὺς Ψαλμοὺς συνέγραψε μὲν ὁ θεῖος Δαβίδ, τοῦ παναγίου πνεύματος δεξάμενος τὴν ἐνέργειαν, συνήρμοσαν δὲ τούτους ἀλλήλοις ἄλλοι τινὲς ὡς ἠβουλήθησαν ὕστερον, καὶ τὴν μὲν πνευματικὴν ἐκπέμπουσιν εὐωδίαν, τὴν ἀπὸ τοῦ χρόνου δὲ τάξιν οὐκ ἔχουσιν, οὕτω καὶ τὰς ἀποστολικὰς ταύτας ἐπιστολὰς συγκειμένας ἔστιν εὑρεῖν, prol., 4. Cf. supra, p. 119. Dans le Com. in XII proph., prol., PG 81, 1548 D 8-1549 A 1 ; C 6-12, il souligne avec insistance l’idée que les Douze Prophètes forment un livre unique, quoique les auteurs soient différents.
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cas, il s’agit de l’œuvre d’un auteur unique¹⁵². Il désigne ces écrivains sacrés par leur nom, David et Paul, accompagné du même qualificatif θεῖος¹⁵³. Il met aussi l’accent sur l’Esprit saint, inspirateur de David, reconnaissable au « parfum » (εὐωδία) exhalé à la lecture du livre, même réagencé. Ainsi, tout en affirmant en creux que les lettres de l’Apôtre sont elles aussi inspirées, il suggère le caractère anecdotique du classement fait, dit-il, par « d’autres » (ἄλλοι τινὲς), « comme il le voulurent » (ὡς ἠβουλήθησαν), et qui n’affecte pas la sainteté de l’écrit. N’est-ce pas un approfondissement de la pensée de Jean Chrysostome, qui invitait simplement ses auditeurs à ne pas s’étonner de la chose ? Par ailleurs, d’après la tradition manuscrite de l’In epistulas Pauli, l’ordre des livres dans l’exemplaire de Théodoret paraît avoir été semblable à celui devenu habituel jusqu’à nos jours, si on laisse de côté le problème d’Hébreux ¹⁵⁴. Mais cette question de l’ordre des livres est manifestement secondaire pour l’exégète, qui ne mentionne que la place de Romains, à la fin du Prologue¹⁵⁵. L’enjeu de la réflexion n’est pas évoqué dans ce Prologue. En revanche, dans l’Argument de certaines épîtres, on retrouve le souci chrysostomien de replacer celles-ci dans le contexte de l’écriture. Pour permettre au lecteur d’entrer dans l’intelligence du texte, Théodoret revient parfois non seulement sur le lieu de rédaction, mais aussi sur le messager, sur le rapport entretenu entre l’Apôtre et les destinataires, sur les circonstances de l’évangélisation ou celles de l’envoi de la lettre, sur les caractéristiques et les besoins de la communauté. Cependant, lorsqu’il pose la question de savoir si Paul avait rencontré les Colossiens avant de leur écrire, il affirme que l’essentiel est ailleurs, dans le contenu de la lettre plus que dans les circonstances de sa rédaction¹⁵⁶. Ainsi, malgré toute l’attention portée à cette réflexion sur l’ordre originel de rédaction, l’exégète n’en fait pas une question primordiale mais entend donner la priorité au contenu théologique des épîtres.
3.3.2.2 Méthode À la suite de Jean Chrysostome, Théodoret adopte le principe général de classement consistant à distinguer nettement les lettres écrites avant l’arrivée à Rome et celles
La question de l’auteur, unique ou pluriel, est évoquée dans le Com. in Ps., prol., PG 80, 861 C 5D 6. Tout en avouant qu’elle l’intéresse peu du moment que les auteurs, tous prophètes, sont mus par la même grâce de l’Esprit, Théodoret s’en tient, dit-il lui-même, à l’avis majoritaire, selon lequel l’ensemble a été écrit par David. Sur l’emploi de cette épithète, cf. supra, p. 54. Cf. A. Lorrain, L’In Romanos de Théodoret, p. 64 et 112-113. L’évêque de Cyr rapporte les opinions sur la cause de sa position remarquable en tête du recueil, et reprend à son compte celle qui allègue la richesse de son contenu, écartant celle d’un honneur rendu à la Ville, cf. prol., 17. ᾿Aλλὰ τοῦτο μὲν ὡς βούλεταί τις νοείτω · οὐδὲ γὰρ δογμάτων ποιεῖ διαφορὰν τὸ οὕτως ἢ ἐκείνως εἰπεῖν, « Mais que l’on comprenne cela comme on veut, car de dire qu’il en est comme ceci ou comme cela ne rend pas pour autant les doctrines différentes », In epist. Pauli, PG 82, 593 A 13-15 (arg. in Col.).
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envoyées de la Ville. Ce point de repère constitue un élément structurant l’exposé, comme le montrent les deux phrases encadrant le développement sur la première série d’épîtres : Ἡ γάρ τοι πρὸς Ῥωμαίους παρὰ τοῦ θειοτάτου Παύλου γραφεῖσα, τὴν μὲν πρώτην ἔλαχε τάξιν, ἐγράφη δὲ πασῶν ἐσχάτη τῶν ἐκ τῆς ᾿Aσίας καὶ Μακεδονίας καὶ ᾿Aχαΐας ἐκπεμφθεισῶν, « En effet, celle aux Romains, écrite par le très divin Paul, obtint la première place, mais elle fut écrite la dernière de toutes celles qui ont été expédiées d’Asie, de Macédoine et d’Achaïe »¹⁵⁷; Ἐσχάτη τοίνυν τῶν ἀπὸ τῆς ᾿Aσίας καὶ Μακεδονίας καὶ ᾿Aχαΐας ἡ πρὸς Ῥωμαίους ἐγράφη, καὶ τάξιν ἔχει τὴν ἑβδόμην, ὡς ἀπὸ τῶν ἀποστολικῶν γραμμάτων ἐδείξαμεν, « Donc la Lettre aux Romains fut écrite la dernière de celles envoyées depuis l’Asie, la Macédoine et l’Achaïe, et elle a la septième place, comme nous l’avons montré à partir des écrits de l’Apôtre »¹⁵⁸.
Ce principe de classement est confirmé juste après cette dernière phrase du développement sur la première série d’épîtres. En effet, après les « sept » premières lettres s’ouvre une nouvelle liste : Τὰς γὰρ δὴ ἄλλας ἀπὸ τῆς Ῥώμης ἐπέστειλε. Καὶ πρώτην μὲν ἡγοῦμαι τὴν πρὸς Γαλάτας γραφῆναι, « Car les autres lettres, il les envoya de Rome. Je pense que celle Aux Galates fut écrite en premier »¹⁵⁹.
Ainsi, Romains se trouve mise en valeur par sa position charnière, étant la dernière de la première série, avec le septième rang, chiffre symbolique. On peut d’ailleurs noter que cette épître est mentionnée à plusieurs reprises, non seulement dans l’ouverture et la clôture du développement sur la première série, mais aussi à la fin du Prologue. Serait-ce l’élément autour duquel se construit l’ensemble de la réflexion ? Cela suggère la dépendance à l’égard du développement de Jean Chrysostome, qui était situé dans l’Argument de cette épître. Mais on verra que l’évêque de Cyr prend ses distances par rapport à son maître. L’abondance de références à cette épître peut aussi s’expliquer par le fait qu’elle est non seulement la première à commenter, mais aussi celle à laquelle l’exégète accorde la plus grande importance et l’explication la plus longue¹⁶⁰. Quoi qu’il en soit, l’exposé met en valeur cette épître. Enfin, pour réaliser son classement, Théodoret cherche dans les différentes lettres non pas des indices spirituels mais des informations historiques. Il ne suit donc pas la méthode d’Origène, mais celle de Jean Chrysostome, qu’il précise, comme nous allons le voir.
Prol., 4. Prol., 12. Prol., 13. Cf. prol., 17. Alors que Romains occupe un peu moins de 16 % du corpus paulinien, le commentaire de Théodoret sur cette lettre occupe près de 22 % de l’ensemble de l’In epistulas Pauli.
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3.3.3 Un exposé systématique mais non dogmatique Au-delà de cette composition en deux parties, le raisonnement progresse d’une manière linéaire. On peut y repérer deux types d’éléments structurants : les uns mettent en valeur la rigueur de la démarche, les autres font apparaître, d’une manière discrète mais bien réelle, différents degrés de certitude et montrent avec quelle prudence Théodoret avance ses assertions.
3.3.3.1 Une approche systématique et rigoureuse La nouveauté de la démarche réside dans le fait de proposer un raisonnement systématique et de forme rigoureuse. Le but est explicitement annoncé au début du développement, puis rappelé à la fin, dans les mêmes termes, qui encadrent l’exposé : Πρῶτον δέ γε τὴν κατὰ τὸν χρόνον τάξιν τῶν ἀποστολικῶν ἐπιστολῶν ἐπιδεῖξαι πειράσομαι, « Et d’abord, j’essaierai d’expliquer l’ordre chronologique des épîtres de l’Apôtre »¹⁶¹ ; Ἡ μὲν οὖν τῶν ἀποστολικῶν ἐπιστολῶν κατὰ τὸν χρόνον τάξις ἐστὶν αὕτη, « Voilà donc l’ordre chronologique des épîtres de l’Apôtre »¹⁶².
Rappelons-le, chez Jean Chrysostome – et plus encore, avant lui, chez Origène –, la réflexion sur l’ordre des épîtres constitue une digression dans l’Argument sur Romains. En effet, c’est en s’interrogeant sur la datation relative de cette épître que le prédicateur en arrive finalement à classer presque toutes les lettres. Au contraire, pour Théodoret, la question mérite d’être posée pour elle-même au seuil d’un commentaire complet de l’ensemble des épîtres. Il en résulte un développement autonome et beaucoup plus ordonné que celui du prédicateur antiochien : l’exégète suit en principe l’ordre chronologique et le dit clairement. Le rang de plusieurs lettres est indiqué : πρώτη pour 1 Thessaloniciens, πέμπτη pour 1 Timothée, ἑβδόμη – employé deux fois – pour Romains, ou encore ἐσχάτη, pour cette même lettre puis pour 2 Timothée ¹⁶³. On trouve aussi des expressions évoquant la succession dans le temps : σμικροῦ δὲ πάλιν χρόνου διελθόντος (« peu de temps après »), et, le plus souvent, μετὰ ταύτας (« après celles-là »), ou encore une formule équivalente¹⁶⁴. L’ordre proposé est le suivant : 1 puis 2 Thessaloniciens, 1 puis 2 Corinthiens, 1 Timothée, Tite, Romains, pour les lettres envoyées de l’extérieur de Rome ; Galates, Philippiens, Philémon, Éphésiens et Colossiens, Hébreux, 2 Timothée, pour celles écrites de Rome. Le tableau ci-dessous donne un aperçu des similitudes et des différences entre ce classement et celui de Jean Chrysostome. On remarquera no-
Prol., 4. Prol., 17. Adjectifs numéraux, cf. prol., 5 ; 8 ; 10 ; 12. Adjectif ἐσχάτη, cf. prol., 12 ; 16. Cf. prol., 6 ; 9 ; 14 ; 16.
128
Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
tamment le désaccord majeur sur Galates, écrite hors de Rome selon Jean Chrysostome, à Rome selon Théodoret. La comparaison permet aussi de constater le caractère plus complet de l’exposé de Théodoret, qui aborde la totalité des épîtres et précise tous les lieux d’expédition¹⁶⁵. Tableau 1 : Ordre de rédaction des épîtres selon Jean Chrysostome et Théodoret Jean Chrysostome (Hom. in Rom., I) Ep et Tt non mentionnées
Théodoret (In epist. Pauli, prol.)
Épître
Épître
Lieu d’expédition
Th
Athènes
Th
Athènes / Corinthe
Co
Éphèse
Lieu d’expédition
Th ( et ?)
et Co
hors de Rome
Ga (avant Rm)
Co Tim
Macédoine
Tt Rm
Rm Ga
Ph, He Phm Col
Corinthe
Ph Rome
Phm Ep, Col
Rome
He Tim ( et ?)
Tim
L’analyse de l’évêque de Cyr repose généralement sur une recherche d’informations historiques relatives au lieu de rédaction (γράφειν) ou d’expédition (ἐπιστέλλειν) des épîtres¹⁶⁶. Le raisonnement étant répétitif, le style l’est aussi, ce qui renforce l’impression d’une construction très rigoureuse et logique, rythmée par la reprise des mêmes verbes et par l’indication du rang des lettres. Les seules variations résident dans l’agencement des différents éléments pouvant constituer chaque unité explicative : citations ou allusions, preuve précédant ou suivant l’affirmation, nombre d’indices utilisés.
On pourrait aussi mentionner les ressemblances et différences portant sur les arguments utilisés ou sur les lieux bibliques allégués. Nous en donnons des exemples dans les pages qui suivent. Le verbe γράφειν est employé onze fois dans ce sens ; ἐπιστέλλειν neuf fois.
3.3 Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres
129
3.3.3.2 Des affirmations prudentes Parmi les éléments répétitifs, certains méritent une attention toute particulière car ils permettent de percevoir une distance plus ou moins grande de l’exégète par rapport aux affirmations qu’il avance. On remarquera ainsi avec quelle nuance il développe son raisonnement, au-delà de l’apparence systématique. Le plus haut degré de certitude est associé à l’utilisation du témoignage scripturaire. Théodoret emploie souvent le verbe διδάσκειν, soulignant que les épîtres et les Actes fournissent un « enseignement », voire une preuve, sur le lieu de rédaction¹⁶⁷. On trouve régulièrement, associé à ce verbe ou employé seul, un modalisateur mettant en valeur l’évidence de la preuve, par exemple φανερόν, δῆλον, σαφῶς, γε, ou δή¹⁶⁸. Parfois, l’information donnée par le texte biblique est simplement introduite par le verbe δηλοῦν, ou encore par καταμανθάνειν¹⁶⁹. Or, ce qui est affirmé ainsi avec force, c’est le lieu où se trouvait Paul au moment où il a rédigé telle lettre, la présence de tel collaborateur auprès de lui, ou la chronologie des voyages de l’Apôtre, par exemple. Ainsi, à propos de Philippiens, on peut considérer que la certitude porte sur le lieu de rédaction et non sur le classement exact de la lettre : Aux Philippiens aussi, après ceux-ci, il envoya une lettre de Rome, et la fin de l’épître le rend évident (δηλοῖ) : « Ceux de la maison de César », dit-il, « vous saluent »¹⁷⁰.
La citation de Philippiens « rend évidente » (δηλοῦν) l’expédition de l’épître depuis Rome, non pas son rang après Galates. En somme, l’exégète atteste indirectement le statut de document historique solide accordé, à son époque, aux Actes et aux épîtres pauliniennes. Au contraire, quand il s’agit de proposer un classement des lettres, les affirmations de l’auteur sont beaucoup plus nuancées. Très souvent, surtout dans la première partie du texte, elles sont introduites par un verbe indiquant, sinon une véritable incertitude, du moins une certaine prudence des affirmations, voire une opinion : νομίζειν, ἡγεῖσθαι, ὑπολαμβάνειν¹⁷¹. Ce qui est frappant, c’est le contraste fréquent, à l’intérieur de la réflexion sur une même épître, entre l’assurance de l’auteur lorsqu’il apporte une information provenant du texte biblique, et sa modération lorsqu’il donne son opinion sur le classement. Cette opposition de termes est à l’œuvre dans les cas suivants : 1 Thessaloniciens, 1 Corinthiens, 2 Corinthiens, 1 Timothée. Voici ce qu’il dit sur 2 Corinthiens :
Cf. prol., 5 (bis) ; 6 ; 8 (bis) ; 10 ; 11 ; 16. Φανερόν, cf. prol., 6 ; δῆλον, cf. prol., 8 ; σαφῶς, cf. prol., 11 ; γε, cf. prol., 6 ; 15 ; 16 ; δή, cf. prol., 7 ; 8 ; 10. Δηλοῦν, cf. prol., 7 ; 14 ; καταμανθάνειν, cf. prol., 11 (avec εὐπετές) ; 16 (bis, la première fois avec ῥᾴδιον). Καὶ Φιλιππησίοις δὲ μετὰ τούτους ἀπὸ τῆς Ῥώμης ἐπέστειλε, καὶ δηλοῖ τῆς ἐπιστολῆς τὸ τέλος · « ᾿Aσπάζονται » γάρ, φησίν, « ὑμᾶς οἱ ἐκ τῆς Καίσαρος οἰκίας », prol., 14 (citation de Ph 4, 22). Νομίζειν, cf. prol., 5 ; ἡγεῖσθαι, cf. prol., 6 ; 7 ; 8 ; 13 ; ὑπολαμβάνειν, cf. prol., 9.
130
Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
Quant à la Seconde aux Corinthiens, je pense (ἡγοῦμαι) qu’elle a été écrite après celle-ci. Car, effectivement, alors que, conformément à ses engagements, il était en train de parvenir jusqu’à eux et séjournait un petit moment en Macédoine, il l’envoya de là-bas, et il l’a rendu évident (δεδήλωκε), encore une fois, dans l’épître elle-même¹⁷².
Ici, le classement de l’épître est donné comme une opinion (ἡγοῦμαι), tandis que le lieu d’expédition est certain (δεδήλωκε) car mentionné dans l’épître. À propos de Tite et de Galates, le classement est formulé respectivement par les verbes ὑπολαμβάνειν et ἡγεῖσθαι, indiquant une opinion, tandis que les preuves sont formulées comme de simples assertions, introduites sans modalisateur. Voici le cas de Tite : Après celle-ci, je suppose (ὑπολαμβάνω), a été écrite la Lettre à Tite. Car c’est alors qu’il séjournait encore en ces territoires, qu’il lui enjoignit de le rejoindre. Et voici ce qu’il dit : « Lorsque je t’enverrai Artémas, ou Tychique, hâte-toi de venir chez moi à Nicopolis, car c’est là que j’ai décidé de passer l’hiver »¹⁷³.
Quant à la place de Philémon, elle est indiquée à l’aide de l’impératif τετάχθω (« que l’on place »), que nous comprenons plutôt comme une proposition que comme une affirmation définitive¹⁷⁴. Concernant Hébreux, l’emploi de la particule γε dans la deuxième proposition ajoute une nuance d’incertitude à la première : Après ceux-là, il en envoya une aux Hébreux, et à eux aussi, en tout cas (γε), depuis Rome, comme l’enseigne (διδάσκει) la fin¹⁷⁵.
Ce qui est sûr pour Théodoret, ici encore, c’est que la lettre a été envoyée de Rome, et non qu’elle a été écrite après Éphésiens et Colossiens. Ce phénomène de différenciation entre certitude sur les lieux d’expédition, grâce au témoignage scripturaire, et simples hypothèses sur la datation relative des épîtres est remarquable par sa régularité. Il faut cependant signaler quelques exceptions. D’abord, dans le cas de 2 Thessaloniciens, d’Éphésiens et de Colossiens, l’opinion est exprimée sans modalisateur¹⁷⁶. D’autre part, pour 2 Timothée, c’est bien le rang de dernière lettre, et non simplement le fait qu’elle date des derniers moments de
Καὶ τὴν δευτέραν δὲ πρὸς Κορινθίους μετὰ ταύτην ἡγοῦμαι γεγράφθαι. Κατὰ γὰρ δὴ τὰς ὑποσχέσεις, πρὸς αὐτοὺς ἀφικνούμενος, καὶ σμικρὸν ἐν τῇ Μακεδονίᾳ χρόνον διάγων, ἐκεῖθεν ἐπέστειλε, καὶ τοῦτο πάλιν ἐν αὐτῇ τῇ ἐπιστολῇ δεδήλωκε, prol., 7. Pour les autres épîtres mentionnées, cf. prol., 5 ; 6 ; 8. Μετὰ ταύτην ὑπολαμβάνω τὴν πρὸς Τίτον γεγράφθαι. Ἐν ἐκείνοις γὰρ ἔτι διάγων τοῖς μέρεσι, καταλαβεῖν αὐτὸν παρηγγύησε. Λέγει δὲ οὕτως · « Ὅταν πέμψω ᾿Aρτεμᾶν πρὸς σὲ ἢ Τυχικόν, σπούδασον ἐλθεῖν πρός με εἰς Νικόπολιν, ἐκεῖ γὰρ κέκρικα παραχειμάσαι », prol., 9 (citation de Tt 3, 12). Pour Galates, cf. prol., 13. Cf. prol., 15. Μετὰ τούτους Ἑβραίοις ἐπέστειλε, καὶ τούτοις δέ γε ἀπὸ τῆς Ῥώμης, ὡς διδάσκει τὸ τέλος, prol., 16. Cf. prol., 5 ; 14.
3.3 Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres
131
l’Apôtre, que Théodoret entend prouver par la citation attestant que Paul se sent proche de la mort¹⁷⁷. Par ailleurs, l’idée selon laquelle toutes les lettres écrites après Romains l’ont été depuis Rome est clairement affirmée, mais n’est pas justifiée pour chaque lettre¹⁷⁸. Enfin, le cas le plus saisissant est celui de Romains. Au début de l’argumentation, le verbe διδάσκειν appliqué à Paul porte bien sur la place dans le classement (μετὰ… ταύτας… γεγραφέναι )¹⁷⁹. À la fin de ce développement, comme en écho avec la reprise de l’adjectif ἐσχάτη, Théodoret affirme avoir montré (ἐδείξαμεν) le rang de cette épître¹⁸⁰. De fait, c’est le cas auquel il a consacré le plus d’attention, à l’aide de cinq citations et de nombreuses allusions. En résumé, l’exégète souligne dans huit cas le caractère non définitif de son opinion, et au contraire affirme sa certitude dans deux cas seulement. Il ne faut pas voir dans cette modestie un simple jeu de rhétorique, ni dans les nuances que nous avons relevées, le fruit du hasard. L’expression ouvrant ce développement, ἐπιδεῖξαι πειράσομαι, « j’essaierai d’expliquer », invite le lecteur à une certaine indulgence devant une entreprise certes rigoureuse, mais sans prétention à l’infaillibilité¹⁸¹. Nous devons garder cela à l’esprit en examinant de plus près les différents arguments mis en œuvre.
3.3.4 L’argumentation Au-delà de la récurrence de certains termes, on peut observer une certaine diversité des indices employés par Théodoret pour justifier son opinion. On trouvera dans le tableau ci-dessous un aperçu des différentes situations rencontrées.
Cf. Cf. Cf. Cf. Cf.
prol., 16. prol., 13. prol., 10. prol., 12. prol., 4.
Co
Co
Tim Macédoine Tim , Ordre des voyages. Compagnon de voyage (TimoAc , cf. Ac , -a thée). Ac , b ; , ; ,
Co , - cf. Ac -
cf. Ac , .
Macédoine Co , - Co , Co ,
Éphèse
Corinthe ?
Lieu de séjour.
Lieu de séjour, ordre des lieux traversés (Macédoine, Athènes, Corinthe, Éphèse).
Lieu de séjour.
Th
Th , -
Athènes
Th
Argument sur…
Prol.,
Citations / allusions
Épître Lieu
Réf.
Hypothèse sur…
Lieu d’expédition Classement. (Macédoine, deuxième voyage).
Lieu d’expédition. Classement.
Lieu d’expédition. Classement.
Classement.
Lieu d’expédition. Classement.
Certitude sur…
Pas d’argument sur le classement par rapport à Co.
Sous-entendu : lettre postérieure à la première du même nom, elle-même postérieure au premier séjour en Macédoine. Donc il s’agit ici du premier séjour en Macédoine.
Le texte n’est pas clair sur le lieu : Corinthe ou Athènes ?
Sous-entendu : Paul est allé une seule fois à Athènes, avant les voyages mentionnés dans la suite.
Remarques
Tableau 2 : Les arguments de Théodoret sur la chronologie des épîtres pauliniennes Indications pour la lecture du tableau : L’ordre du tableau suit la chronologie établie par Théodoret. Les citations bibliques sont notées telles quelles, les allusions avec la mention « cf. ». La colonne « Argument sur… » indique sur quel aspect porte l’argumentation. Les colonnes « Certitude sur… » et « Hypothèse sur… » précisent les points sur lesquels Théodoret exprime une certitude et ceux sur lesquels il formule une simple hypothèse, selon la distinction opérée dans le paragraphe précédent. La colonne « Remarques » souligne certaines difficultés de l’argumentation.
132 Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
Tt
Citations / allusions
Rome
Ga
Ph
Phm
Rome
Rome
Corinthe
- Rm
Col , Phm -
Ph ,
cf. Ac , cf. Ac - cf. Ac , ; , cf. Ga , -
Rm , - Co , - Ac , cf. Ac , - ; , - ; , cf. Rm , Rm , Co ,
Macédoine Tt ,
Épître Lieu
Réf.
Lieu d’expédition.
Compagnons (Phébée, Gaïus).
Statut d’Onésime, prisonnier puis collaborateur.
Salutations « de la maison de César ».
Lieu d’expédition. Classement.
Classement. Lieux parcourus en vue de la collecte.
Circonstance de la lettre : confusion chez les Galates, qui ont reçu la prédication avant la Macédoine. Chronologie des voyages jusqu’à Rome.
Hypothèse sur…
Classement par rapport à Col (et donc à Ep).
Classement.
Lieu d’expédition. Classement.
Certitude sur…
Collecte (Macédoine, Achaïe, Milet, Jérusalem), transfert de Jérusalem à Rome.
Projet d’aller à Nicopolis.
Argument sur…
Tableau : Les arguments de Théodoret sur la chronologie des épîtres pauliniennes
Pas d’argument sur le classement.
Théodoret semble estimer que Paul a appris de Rome le problème des Galates. Pas d’argument sur l’antériorité par rapport aux autres lettres de Rome.
Pas d’argument sur le classement par rapport à Co et Tim.
Remarques
3.3 Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres
133
Ep, Col
Tim Rome
Tim ,
He ,
He
Rome
Tim ,
Ep , - cf. Col , -
Citations / allusions
Rome
Épître Lieu
Réf.
Annonce par Paul de sa mort prochaine.
Salutations d’Italie.
Messager (Tychique).
Argument sur…
Hypothèse sur…
Classement, lieu d’expédition.
Lieu d’expédition. Classement.
Simultanéité de l’envoi des deux lettres. Lieu d’expédition (le même que pour Tim).
Certitude sur…
Tableau : Les arguments de Théodoret sur la chronologie des épîtres pauliniennes
Pas d’argument sur le lieu d’expédition.
Pas d’argument sur le classement.
Remarques
134 Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
3.3 Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres
135
3.3.4.1 Les arguments simples à partir du lieu Le principal argument utilisé consiste à établir une relation entre le moment et le lieu d’expédition des lettres. L’exégète cherche dans chacune un indice et s’appuie alors, explicitement ou implicitement, sur les Actes des Apôtres, pour mettre l’information en lien avec les voyages de Paul et en déduire ainsi la date relative. Voici, par exemple, le raisonnement sur 1 Corinthiens, qu’il situe après 1 et 2 Thessaloniciens : Je pense (ἡγοῦμαι) que c’est après ces lettres que fut écrite la Première aux Corinthiens. Et, en tout cas (γε), il l’envoya alors qu’il passait du temps à Éphèse à cette époque-là. Et c’est luimême qui a rendu cela manifeste (φανερόν). Car, vers la fin de l’épître, il dit : « Et je demeurerai à Éphèse jusqu’à la Pentecôte. Car une porte grande et puissante s’est ouverte à moi, et les adversaires sont nombreux ». Or, il parvint à Éphèse après avoir prêché aux Macédoniens, aux Athéniens et aux Corinthiens, comme l’enseigne (διδάσκει) le récit des Actes ¹⁸².
On reconnaît aisément le schéma suivant : affirmation du lieu de rédaction, citation d’un passage de l’épître, allusion à la chronologie du récit des Actes. Le même type d’argumentation simple à partir du lieu est utilisé à plusieurs reprises. Pour 2 Corinthiens, Théodoret s’appuie sur trois citations de l’épître mentionnant la Macédoine. Pour Philippiens et Hébreux, il cite les salutations « de la maison de César » et « d’Italie » afin de montrer que les lettres ont été écrites de Rome. Au sujet de Tite, lettre dans laquelle Paul mentionne la ville de Nicopolis et déclare qu’il veut y passer l’hiver, Théodoret déduit que l’Apôtre se trouve non loin de là, donc en Macédoine.
3.3.4.2 Les cas plus complexes La preuve par le lieu paraît évidente et sûre. Mais quand elle ne suffit pas, Théodoret se livre à une argumentation plus complexe. C’est le cas pour Romains et 1 Timothée. Le raisonnement sur Romains se compose de deux parties distinctes, à savoir la datation relative, puis la question du lieu d’expédition, suivant le schéma adopté par Origène¹⁸³. Dans la première partie, après avoir affirmé que cette épître était la septième, l’auteur s’appuie d’abord sur un événement, la collecte d’argent pour l’Église de Jérusalem. Il cite les passages de Romains et de 1 Corinthiens qui y font allusion, la première évoquant la réalisation du projet dont il est question dans la seconde¹⁸⁴. Ensuite, il évoque l’adieu aux Anciens d’Éphèse et le procès qui conduisit
Μετὰ ταύτας ἡγοῦμαι γραφῆναι τὴν πρὸς Κορινθίους προτέραν. Ἐν δέ γε τῇ Ἐφέσῳ τηνικαῦτα διατρίβων ταύτην ἐπέστειλε. Καὶ τοῦτο αὐτὸς πεποίηκε φανερόν. Περὶ γάρ τοι τὸ τέλος τῆς ἐπιστολῆς φησίν · « Ἐπιμενῶ δὲ ἐν Ἐφέσῳ ἕως τῆς Πεντηκοστῆς. Θύρα γάρ μοι ἀνέῳγε μεγάλη καὶ ἐνεργής, καὶ ἀντικείμενοι πολλοί ». Εἰς δὲ τὴν Ἔφεσον μετὰ τὸ κηρῦξαι Μακεδόσι καὶ ᾿Aθηναίοις καὶ Κορινθίοις ἀφίκετο, ὡς ἡ τῶν Πράξεων ἱστορία διδάσκει, prol., 6 (verset cité : 1 Co 16, 8-9). Cf. prol., 10-12. Voir supra, p. 118. Jean Chrysostome utilisait le même argument, mais associait aux citations une explication. Par exemple, après la citation de 1 Corinthiens 16, 4, il déclare : Ὅθεν δῆλον, ὅτι ἡνίκα μὲν ἐπέστελλε
136
Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
Paul de Jérusalem à Rome, montrant implicitement que le voyage motivé par les collectes est le dernier avant celui qui le mena au lieu de sa mort. Cette partie est très elliptique, parce que Théodoret raconte et cite mais laisse au lecteur le soin de déduire. Dans la seconde partie, établissant le lieu d’expédition, l’argumentation est fondée sur les personnes mentionnées dans la lettre. Théodoret commence par annoncer sa thèse, selon laquelle l’épître a été rédigée à Corinthe. Puis il évoque Phébée, de l’Église de Cenchrées – près de Corinthe, précise-t-il –, et rapproche deux mentions de Gaïus, l’une tirée de Romains, l’autre de 1 Corinthiens. On retrouve là les trois citations utilisées par Origène, alors que Jean Chrysostome ne précise ni dans l’Argument évoquant la chronologie des épîtres, ni à l’occasion du commentaire de ces différents passages, d’où a été écrite l’Épître aux Romains. Dans le cas présent, le seul argument du lieu ne pouvait suffire à classer la lettre, puisque Paul a été plusieurs fois à Corinthe, d’où le recours à l’indice sur la collecte. Le raisonnement conduit à propos de 1 Timothée se compose d’une remarque, de deux arguments illustrés par des citations tirées des Actes, et d’une conclusion. Il est plus facile de suivre le cheminement quand on a cette dernière à l’esprit : C’est donc évidemment (δῆλον) au moment où le bienheureux Paul arriva pour la deuxième fois d’Éphèse en Macédoine, qu’il a abandonné là-bas l’éminent Timothée¹⁸⁵.
Théodoret commence par citer un passage de la lettre où il est question des lieux : Timothée a dû rester à Éphèse tandis que l’Apôtre s’est rendu en Macédoine. Ensuite, comme Paul est allé deux fois dans cette région, il faut encore préciser de quel voyage il s’agit. Trois versets des Actes sont alors cités pour montrer qu’il s’agit du second voyage. L’un de ces versets lui permet de faire remarquer que, lors du premier, Paul n’était pas encore allé à Éphèse – il ne peut donc s’agir de celui-ci – ; les deux autres, que Timothée était bien avec Paul lors du second, et que c’est donc bien de celui-ci qu’il est question. Ces exemples illustrent bien le grand souci de rigueur à l’œuvre dans tous ces raisonnements, mais aussi la complexité de ceux-ci.
3.3.4.3 Arguments enchevêtrés La pensée est encore plus difficile à suivre quand elle ne suit plus la chronologie. Ainsi, à la fin de l’exposé, les arguments s’entrelacent. Les mots « avant ces deux-là »
Κορινθίοις, ἀμφίβολον ἦν τὸ τῆς τοιαύτης ἀποδημίας αὐτοῦ · ὅτε δὲ Ῥωμαίοις, ἦν κεκυρωμένον λοιπόν, « De là, il est évident que, lorsqu’il envoyait la lettre aux Corinthiens, la question dudit voyage était incertaine ; mais lorsqu’il envoyait la lettre aux Romains, elle était désormais tranchée », Jean Chrysostome, Hom. in Rom., arg., PG 60, 392, 15-28. Δῆλον τοίνυν ὡς, ἡνίκα τὸ δεύτερον ἀπὸ τῆς Ἐφέσου παρεγένετο εἰς τὴν Μακεδονίαν ὁ μακάριος Παῦλος, τότε τὸν πάντα ἄριστον Τιμόθεον ἐκεῖ καταλέλοιπεν, prol., 8.
3.3 Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres
137
(πρὸ τῶν δύο τούτων) signalent la rupture de la chronologie¹⁸⁶. Le raisonnement porte sur Philémon, Éphésiens, Colossiens et 2 Timothée, que Théodoret considère écrites dans cet ordre. Afin de prouver que Philémon est antérieure à Éphésiens et à Colossiens, il commence par montrer que ces dernières ont été écrites au même moment. Pour cela, il s’appuie sur la mention du messager Tychique, formulée de façon identique dans les deux lettres. Dans un deuxième temps, il compare Colossiens et Philémon, grâce aux renseignements sur Onésime, prisonnier dans la seconde, collaborateur dans la première, pour établir que Philémon est antérieure à Colossiens. Il peut alors conclure qu’elle est aussi antérieure à Éphésiens. Le raisonnement est ici d’autant plus difficile à suivre que la citation justifiant la place de Philémon est amenée sans transition : elle est extraite de Colossiens dont il vient d’être question, et on comprend seulement a posteriori qu’elle sert à établir la place de Philémon. Puis, à la fin du Prologue, Théodoret revient sur Éphésiens et Colossiens pour prouver qu’elles ont été écrites de Rome. Il cite pour cela 2 Timothée – qu’il vient de classer comme la dernière – : « J’ai envoyé Tychique à Éphèse »¹⁸⁷. Le lecteur doit alors faire lui-même le rapprochement avec le verset cité plusieurs lignes auparavant. L’exégète mentionnait Tychique pour montrer qu’Éphésiens et Colossiens étaient contemporaines. Puisque 2 Timothée a été expédiée de Rome, on est invité à en déduire qu’il en est de même d’Éphésiens et de Colossiens. En pratique, le raisonnement repose sur l’enchaînement des citations : après avoir parlé de Colossiens, l’exégète la cite pour évoquer Philémon ; et, de même, après avoir établi la place de 2 Timothée, il l’invoque pour apporter une nouvelle preuve sur Éphésiens et Colossiens. Dans l’ensemble, Théodoret propose donc un raisonnement clairement structuré, mais sans rigidité, tantôt simple, tantôt plus complexe, en fonction des indices dont il dispose. Cependant, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que, dans certains cas, la démonstration est moins convaincante.
3.3.5 Des arguments moins probants 3.3.5.1 Arguments elliptiques Parfois, on constate une ellipse dans le raisonnement. Voici par exemple ce qui est dit à propos de 1 Thessaloniciens : En effet, en premier (πρώτην), je crois (νομίζω), fut écrite la première des Lettres aux Thessaloniciens ; car le divin Apôtre envoya celle-ci d’Athènes, comme il l’enseigna (ἐδίδαξεν) en leur écrivant. En effet, au milieu de l’épître, il parle ainsi : « Voilà pourquoi, n’en pouvant plus, nous
Cf. prol., 15. Citation de 2 Tim 4, 12, cf. prol., 16.
138
Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
jugeâmes bon de rester seuls à Athènes et nous envoyâmes Timothée notre frère, fidèle serviteur de Dieu, notre collaborateur dans l’évangile du Christ, pour vous affermir et vous encourager au sujet de votre foi »¹⁸⁸.
L’argument consiste, comme nous l’avons vu pour les cas les plus simples, à mettre en lien l’ordre chronologique de rédaction (« en premier ») et le lieu (« d’Athènes »). L’auteur souligne que la preuve se trouve dans la lettre elle-même, et il cite un verset de l’épître évoquant la décision de demeurer dans cette ville. Cependant, il ne justifie pas la correspondance entre lieu et moment : la lettre a été envoyée en premier, parce qu’elle l’a été d’Athènes. Cela sous-entend que l’Apôtre n’est allé là-bas qu’une fois et avant de passer dans les villes dont il sera ensuite question. Soit le lecteur accepte l’affirmation, qui semble évidente, soit il doit se référer lui-même aux Actes. De même, le raisonnement concernant 2 Corinthiens est pour ainsi dire incomplet. L’auteur se fonde sur des mentions de la Macédoine dans la lettre, sans préciser de quel voyage dans cette région il s’agit. Au contraire, aussitôt après cela, il va développer toute une réflexion pour déterminer lors de quel séjour en Macédoine Paul a écrit 1 Timothée ¹⁸⁹. La question n’est pas posée pour 2 Corinthiens : Théodoret présuppose sans doute que la deuxième du nom ne peut avoir été envoyée qu’après la première, elle-même déjà postérieure au premier voyage en Macédoine : il appartient au lecteur de saisir aussitôt pourquoi cet indice est objet d’examen dans un paragraphe et ne l’a pas été dans le précédent.
3.3.5.2 Cas non justifiés Dans plusieurs cas, l’argumentation semble purement formelle. Voici par exemple le développement sur Galates : Car les autres lettres, il les envoya de Rome. Je pense (ἡγοῦμαι) que celle Aux Galates fut écrite en premier. Car avant son voyage en Macédoine, il parcourut la Phrygie et la région de Galatie, prêchant l’évangile. Ensuite, après avoir passé un certain temps en Macédoine et en Achaïe aussi bien qu’en Asie, il partit pour la Judée. De là, après Éphèse, il gagna Rome ; et, apprenant que certains mettaient de la confusion dans les dogmes de la religion, il leur apporta le traitement venant des Écritures¹⁹⁰.
Πρώτην γὰρ δὴ γεγράφθαι νομίζω τῶν πρὸς Θεσσαλονικέας τὴν προτέραν, ταύτην γὰρ ἐξ ᾿Aθηνῶν ἐπέστειλεν ὁ θεῖος ἀπόστολος, ὡς πρὸς αὐτοὺς γράφων ἐδίδαξεν. Ἐν γὰρ τῷ μέσῳ τῆς ἐπιστολῆς οὕτω φησί · « Διὸ μηκέτι στέγοντες εὐδοκήσαμεν καταλειφθῆναι ἐν ᾿Aθήναις μόνοι, καὶ ἐπέμψαμεν Τιμόθεον τὸν ἀδελφὸν ἡμῶν, καὶ πιστὸν διάκονον τοῦ θεοῦ, καὶ συνεργὸν ἡμῶν ἐν τῷ εὐαγγελίῳ τοῦ Χριστοῦ, εἰς τὸ στηρίξαι ὑμᾶς καὶ παρακαλέσαι ὑπὲρ τῆς πίστεως ὑμῶν », prol., 5 (verset cité : 1 Th 3, 1-2). Cf. prol., 7, voir supra, p. 136. Τὰς γὰρ δὴ ἄλλας ἀπὸ τῆς Ῥώμης ἐπέστειλε. Καὶ πρώτην μὲν ἡγοῦμαι τὴν πρὸς Γαλάτας γραφῆναι. Πρὸ γὰρ τῆς εἰς τὴν Μακεδονίαν ἀποδημίας, διῆλθεν τὴν Φρυγίαν καὶ τὴν Γαλατικὴν χώραν, κηρύττων τὸ εὐαγγέλιον. Εἶτά τινα χρόνον ἐν τῇ Μακεδονίᾳ καὶ τῇ ᾿Aχαΐᾳ καὶ μέντοι καὶ τῇ ᾿Aσίᾳ διατρίψας, ἀπῆρε μὲν εἰς τὴν Ἰουδαίαν. Ἐκεῖθεν δὲ μετὰ τὴν Ἔφεσον τὴν Ῥώμην κατέλαβε, καὶ
3.3 Une étude sur l’ordre de rédaction des épîtres
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Le lecteur qui a le texte biblique en mémoire ou sous les yeux peut suivre le trajet de Paul tel qu’il est rapporté dans les Actes, jusqu’au séjour à Jérusalem, qui correspond au récit fait en Galates. Cependant, on ne sait pas pourquoi Théodoret situe la crise galate à laquelle il fait allusion, et qui est racontée dans le début de la lettre, au moment où l’Apôtre était à Rome, et non, par exemple, lors de son séjour à Éphèse. Il ne donnera pas plus d’informations dans l’Argument de l’épître. Or, il est intéressant de préciser que Jean Chrysostome ne fournit aucune preuve, lui non plus, lorsqu’il place, pour sa part, Galates avant Romains ¹⁹¹. À propos de 2 Timothée, la question du lieu n’est pas évoquée, mais simplement le fait que Paul sent sa mort prochaine. Apparemment, cela suffit pour affirmer que l’Apôtre n’a pas écrit d’autres lettres après celle-là. Le lecteur insatisfait devra luimême trouver dans le texte biblique la mention de Rome, attestant que l’Apôtre y était effectivement¹⁹². Dans le cas de 2 Thessaloniciens, Théodoret dit simplement qu’elle a été envoyée après la première du même nom, sans argument. Puis il note : Et nous apprenons (διδασκόμεθα) par le récit des Actes qu’après avoir quitté Athènes, Paul l’inspiré gagna Corinthe, et y passa un très long moment. Je pense (ἡγοῦμαι) que c’est après ces lettres que fut écrite la Première aux Corinthiens ¹⁹³.
Ces indications servent-elles à préciser, sans justification particulière, que 2 Thessaloniciens a été écrite de Corinthe ? Ou bien sont-elles une transition vers l’évocation de 1 Corinthiens ? Dans ce cas, il faut constater que le lieu d’expédition de 2 Thessaloniciens n’est pas précisé et doit éventuellement être considéré comme identique (Athènes) à celui de la première du même nom. Peut-être faut-il garder l’ambiguïté du texte et considérer qu’il correspond à une incertitude de l’auteur luimême. De fait, l’épître ne contient ni mention de villes ni noms de personnes, si ce n’est « Silvain et Timothée » dans l’adresse. Il est donc commode de la classer après la première du nom, avec une incertitude sur le lieu. Enfin, plusieurs affirmations ne sont pas justifiées ; ainsi, la chronologie entre les différentes lettres envoyées d’un même endroit n’est pas toujours prouvée, quoique les mots employés indiquent clairement une succession, par exemple entre
μαθὼν ὥς τινες τὰ τῆς εὐσεβείας συνέχεον δόγματα, τὴν ἀπὸ τῶν γραμμάτων αὐτοῖς θεραπείαν προσήνεγκε, prol., 13. Δοκεῖ δέ μοι καὶ ἡ πρὸς Γαλάτας προτέρα εἶναι τῆς πρὸς Ῥωμαίους, « Et il me semble que celle aux Galates aussi est avant celle aux Romains », Jean Chrysostome, Hom. in Rom., arg., PG 60, 393, 26-27. Γενόμενος ἐν Ῥώμῃ σπουδαίως ἐζήτησέν με, « En arrivant à Rome, [Onésiphore] m’a cherché avec empressement », 2 Tim 1, 17. Cf. prol., 16. Διδασκόμεθα δὲ παρὰ τῆς ἱστορίας τῶν Πράξεων, ὡς τὰς ᾿Aθήνας καταλιπὼν ὁ θεσπέσιος Παῦλος κατέλαβε τὴν Κόρινθον, πλεῖστον δὲ ἐκεῖ διέτριψε χρόνον. Μετὰ ταύτας ἡγοῦμαι γραφῆναι τὴν πρὸς Κορινθίους προτέραν, prol., 5.
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Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
2 Corinthiens, 1 Timothée et Tite, ou encore entre Galates ou Hébreux et les autres lettres de Rome¹⁹⁴. Les flottements du raisonnement n’apparaissent pas à la première lecture : on est plutôt frappé par la continuité du développement. Celle-ci est assurée par le respect de la chronologie, grâce auquel il semble que Théodoret rédige un résumé des voyages de Paul. Les lacunes de l’argumentation sont aussi masquées par l’abondance de preuves généralement fournies. Seul un examen précis permet de s’en rendre compte. Celui-ci peut conduire le lecteur moderne séduit par la forme logique et rigoureuse à une certaine déception.
3.3.5.3 Les Arguments, prolongements de la réflexion du Prologue Après avoir mis au jour les forces et les faiblesses de l’argumentation, il faut signaler que Théodoret prolonge la réflexion dans les Arguments de certaines épîtres. À ce titre, l’Argument sur Colossiens mérite d’être mentionné, parce qu’il précise le moment de la rédaction¹⁹⁵. La méthode est tout à fait analogue à celle observée dans le Prologue. L’exégète rappelle que cette lettre a été envoyée en même temps que celle aux Éphésiens et déclare qu’elle se situe après que Paul a échappé au « premier danger » (πρῶτος κίνδυνος). Il se fonde sur le fait que Timothée est mentionné comme expéditeur et cite plusieurs versets de 2 Timothée. Ceux-ci lui permettent d’affirmer que ce collaborateur était absent lors de la première lutte, sous Néron – puisque Paul lui écrivait qu’il était alors seul –, et qu’il n’était pas non plus à Rome, mais en Asie, juste avant la mort de l’Apôtre ; en effet, celui-ci lui demande de venir et de lui rapporter de Troas le manteau et les livres¹⁹⁶. Ce n’est sans doute pas un hasard si Théodoret mène cette réflexion dans un Argument, et non dans le Prologue : on peut y voir une marque de sa rigueur. En effet, la précision apportée se réfère aux événements survenus pendant le séjour à Rome et n’est pas nécessaire au classement par rapport aux autres lettres. En ce sens, on peut considérer qu’elle n’avait pas directement lieu d’être dans le développement sur l’ordre chronologique. Dans le Prologue, Théodoret s’en tient donc strictement au but qu’il s’est proposé, pour ne pas prolonger un discours déjà ardu. Il évite ainsi de consacrer à Colossiens, en fin de Prologue, autant de temps qu’au développement sur la date de Romains, qui tient une place privilégiée.
Cf. prol., 7-9 ; 13-16. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 592 A 1-B 6 (arg. in Col.). Voici, dans l’ordre, les versets cités à l’appui : 2 Timothée 4, 16 ; 6 ; 9 ; 13. Suit une réfutation, assez longue elle aussi, de l’opinion selon laquelle Paul n’avait pas vu les Colossiens à qui il écrit.
3.4 Synthèse
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3.4 Synthèse Au terme de cette analyse, on ne peut que constater la richesse d’un tel Prologue. Audelà de l’aspect rhétorique, la première partie présente d’une manière succincte la visée de l’entreprise. On a montré à la fois les nombreux points de rapprochement de ce texte avec les autres Prologues exégétiques de Théodoret, et ses caractéristiques singulières, notamment l’image du moucheron parmi les abeilles ou l’association des figures d’Eldad et Modad, de Samuel et d’Élie comme exemples du choix de Dieu bouleversant les catégories humaines. L’exégète introduit le lecteur dans l’esprit du commentaire, caractérisé par une exigence de rigueur et de simplicité, et même, imperceptiblement, dans l’œuvre de Paul, puisqu’il se présente en quelque sorte luimême comme une illustration du mystère de l’élection divine. L’analyse de l’argumentation scripturaire à l’œuvre dans ces quelques phrases liminaires nous a permis de mettre en lumière un jeu subtil entre la source biblique et le propos à étayer, ainsi que l’influence de la tradition d’interprétation. Dans la seconde partie de ce Prologue, la précision avec laquelle Théodoret étudie les textes pour établir une chronologie des épîtres pauliniennes est remarquable, quelles qu’en soient les faiblesses. S’il reprend l’idée de Jean Chrysostome, il offre cependant le témoignage unique d’une approche systématique sur la question : dans un développement autonome, et non au détour d’une digression, il s’efforce d’établir une chronologie relative et de localiser la rédaction de toutes les épîtres de Paul, en se fondant sur un examen scrupuleux des informations parallèles fournies par les épîtres elles-mêmes et par les Actes. Le souci de situer les épîtres dans leur contexte, attesté dans la tradition manuscrite du Nouveau Testament dès le ve siècle, s’inscrit plus globalement dans une attention au caractère concret et matériel de ces lettres¹⁹⁷. La complexité de cette seconde partie invite à s’interroger sur les lecteurs « indolents » que l’exégète a conviés en commençant son Prologue. Pour profiter de ce raisonnement, ne faut-il pas le lire plusieurs fois, Bible en main, avec une grande attention ? Le destinataire paresseux de Théodoret ne ressemble peut-être pas à celui que nous imaginons : c’est probablement un lettré, de surcroît versé dans les Écritures. De plus, le texte n’est pas destiné uniquement à ces paresseux, et on peut aisément pratiquer différents niveaux de lecture : les uns en resteront au simple parcours donnant, en un développement somme toute assez bref, une idée de l’ordre des épîtres, les autres, stimulés par la présentation d’une méthode d’investigation, entreprendront des recherches complémentaires pour mieux comprendre les passages les plus elliptiques. Si d’autres lettrés, quelques siècles plus tard, surpris de voir un auteur antique intéressé par une question qu’ils croyaient moderne et décidés à le On trouve, dans des manuscrits du corpus paulinien postérieurs au xe siècle, des subscriptiones plus longues que celles trouvées dans les grands onciaux, comprenant notamment, outre la mention du lieu, celle du secrétaire. Les plus longues sont-elles des amplifications des plus courtes ? Une telle question demanderait une étude systématique de la tradition manuscrite.
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Chapitre 3 : Le Prologue de l’In epistulas Pauli
prendre au sérieux, ont l’audace d’en examiner les moindres recoins, ils admireront d’abord la prudence avec laquelle l’exégète avance ses hypothèses et la distinction qu’il opère entre certitudes et conjectures, et se garderont bien de tout jugement condescendant. Car, somme toute, l’évêque de Cyr ne prétend pas tout démontrer, mais simplement proposer un classement.
Chapitre 4 Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome Διό μοι καὶ ἀεὶ θαυμάζειν ἔπεισι τὸν τρισμακάριστον ἄνθρωπον ἐκεῖνον. Photius¹ Quoiqu’il ne songeast proprement qu’à mettre en peu de mots ce qu’il avoit recueilli des SS. Peres, et qu’il ne fasse le plus souvent qu’abreger S. Chrysostome, dont il suit exactement les explications, on ne laisse pas de juger que ce commentaire surpasse tous les autres qu’il a faits, pour sa solidité et sa netteté. Lenain de Tillemont²
4.1 Introduction La dette de Théodoret à l’égard de l’exégèse de Jean Chrysostome, particulièrement en ce qui concerne l’In epistulas Pauli, fait partie des évidences les plus largement acceptées, à tel point que les jugements sur cette œuvre consistent essentiellement à souligner le rapport entre les deux auteurs : tout en affirmant la valeur de l’évêque de Cyr, on a reconnu la part majoritaire des emprunts³. Théodoret lui-même ne cache ni sa dépendance ni son admiration à l’égard de Jean Chrysostome. En effet, il est communément admis qu’un des « astres de l’univers » (οἱ τῆς οἰκουμένης φωστῆρες)
« C’est pourquoi j’ai toujours à l’esprit de l’admiration pour cet homme trois fois bienheureux », Photius, Bibliothèque, II, 174, Henry, p. 170 (à propos de Jean Chrysostome). S. Lenain de Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, justifiez par les citations des auteurs originaux. Avec des notes pour éclaircir les difficultez des faits, et de la chronologie. Tome quinzième, qui comprend les histoires de Saint Germain d’Auxerre, de Saint Hilaire d’Arles, de Théodoret, de Saint Léon Pape, et de quelques autres Saints ou grands hommes qui sont morts depuis 448 jusques en 461, Venise, 1732, XV, p. 326. Cf. ibid. ; R. Simon, Histoire critique des principaux commentateurs du Nouveau Testament, depuis le commencement du christianisme jusques à nôtre tems : avec une dissertation critique sur les principaux actes manuscrits qui ont été citez dans les trois parties de cet ouvrage, Rotterdam, 1693, p. 314-319 ; J. A. Ernest, Institutio interpretis Novi Testamenti, editionem quintam suis observationibus auctam curavit Christoph Frider. Ammon, Leipzig, 1809, p. 334 ; M.-J. Lagrange, Saint Paul, Épître aux Romains, Paris, 1950, p. VIII ; C. E. B. Cranfield, A Critical and Exegetical Commentary on the Epistle to the Romans, Edinburgh, 1975, p. 34. Cependant, au seuil de sa courte monographie sur l’In epistulas Pauli, J. F. C. Richter, non sans intention rhétorique, met l’accent sur la différence radicale entre Théodoret, en qui il voit un véritable exégète, et Jean Chrysostome, dont l’œuvre est dominée, selon lui, par les préoccupations pastorales. Cf. J. F. C. Richter, De Theodoreto Epistolarum Paulinarum interprete commentatio historico-exegetica, Leipzig, 1822, p. 2-4. https://doi.org/10.1515/9783110540659-006
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du Prologue désigne le prédicateur d’une manière à peine masquée⁴. Celui-ci reçoit un hommage explicite dans la préface de l’In Canticum : c’est lui « Jean, qui, des flots de son enseignement, arrose, jusqu’à aujourd’hui encore, toute la terre habitée »⁵. Au-delà de ce constat, la recherche récente s’est efforcée d’identifier avec la plus grande objectivité possible les emprunts et d’en mesurer l’ampleur. P. M. Parvis a examiné le rapport à Théodore de Mopsueste et à Jean Chrysostome dans l’In epistulas Pauli – en laissant cependant de côté les trois premières épîtres, dont Romains, ainsi qu’Hébreux ⁶. Il en conclut que Théodoret doit davantage au premier pour les remarques techniques et les questions théologiques, et reprend davantage au second des structures de phrases ou encore des images, tout en montrant peu d’intérêt pour les questions pastorales liées au genre homilétique⁷. Par ailleurs, il affirme qu’aucune ressemblance entre Théodoret et Jean Chrysostome ne permet d’affirmer que le premier travaillait avec les homélies du second sous les yeux⁸. J.-N. Guinot, pour sa part, a consacré plusieurs travaux approfondis aux sources de l’œuvre exégétique de Théodoret dans son ensemble et de certains commentaires vétérotestamentaires en particulier⁹. S’il n’a pas proposé d’étude centrée exclusivement sur l’In epistulas Pauli, ni sur l’influence particulière de Jean Chrysostome, il offre cependant une vision précise des rapports entre l’évêque de Cyr et ses devanciers : par sa capacité d’aller à l’essentiel, dit-il, l’imitateur fait parfois preuve de plus de vigueur que ses modèles, et surtout son absence de servilité lui permet de s’écarter de ceux-ci, voire de s’opposer ouvertement à eux en donnant à son interprétation une orientation très différente de la leur¹⁰. Ces travaux cherchent aussi à appréhender « l’exégète au travail », posant des hypothèses sur la documentation dont celui-ci a pu disposer¹¹.
Cf. notamment R. Simon, Histoire critique des principaux commentateurs du Nouveau Testament, p. 314 ; J. A. Ernest, loc. cit. ; J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 645. Sur cette expression, cf. supra, p. 59 ; sur son emploi dans le Prologue, cf. p. 96. Ἰωάννης ὁ τοῖς ῥεύμασι τῆς διδασκαλίας μέχρι καὶ τήμερον πᾶσαν τὴν οἰκουμένην ἀρδεύων, Com. in Cant., prol., PG 81, 32 B 12-13. Cf. aussi Eranistes, Florilegium I, Ettlinger, p. 93 (77). Le portrait dressé dans HE, V, 28-36 ; 38, SC 530, p. 454-480, est tout aussi élogieux. Cf. P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary, p. 109-252. Cf. ibid., p. 195. Cf. ibid., p. 267 ; même conclusion à propos de Théodore, cf. ibid., p. 123. On consultera surtout le dossier sur l’identification des devanciers auxquels Théodoret fait référence dans l’ensemble de son œuvre par l’emploi du mot τινες, J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 631-799. Cf. aussi id., Théodoret de Cyr, exégète et théologien, Paris, 2012, I (voir les articles cités dans les notes suivantes). On signalera, à titre d’exemple, le choix d’une interprétation messianique et néotestamentaire des prophéties, contre Diodore et Théodore. Cf. id., « L’In Psalmos de Théodoret et de Diodore de Tarse », I, p. 277-306 ; id., « La cristallisation d’un différend : Zorobabel dans l’exégèse de Théodore de Mopsueste et de Théodoret de Cyr », Exégète et théologien, I, p. 257-275. Voir aussi id., « Les Questions sur l’Octateuque et les Règnes de Théodoret de Cyr : œuvre originale ou simple compilation ? », La Littérature des questions et réponses dans l’Antiquité profane et chrétienne : de l’enseignement à l’exégèse. Actes du séminaire sur le genre des Questions et réponses (Ottawa, 27 et 28 septembre 2009), éd. M.-P. Bussières, Turnhout, 2013, p. 177-214.
4.1 Introduction
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P. M. Parvis et J.-N. Guinot ont soulevé plusieurs difficultés de méthode. La première concerne le caractère fragmentaire de la documentation disponible. Certes, l’œuvre de Jean Chrysostome nous étant parvenue dans son intégralité, il semble que les meilleures conditions soit réunies pour une comparaison entre les deux exégètes. Cependant, P. M. Parvis fait remarquer que la perte d’une grande partie des commentaires de Théodore de Mopsueste, considéré comme le second « astre de l’univers », fausse notre vision. En effet, d’après les fragments conservés, lorsque le commentaire de Théodoret est proche de celui de Jean Chrysostome, il l’est parfois encore plus de celui de Théodore. C’est pour cette raison que P. M. Parvis a fait le choix de mener son enquête uniquement sur les épîtres sur lesquelles un commentaire complet de cet exégète était disponible, excluant en particulier Romains ¹². Néanmoins, les résultats qu’il propose sont probablement transposables, au moins en partie, à cette épître. Quoi qu’il en soit, cette lacune de la tradition ne saurait nous faire reculer devant la tâche. Elle invite simplement à la prudence : toute image que nous pouvons construire de l’influence de Jean Chrysostome sur Théodoret reste limitée et dépendante de l’état des sources disponibles. La deuxième difficulté est en partie inhérente à toute recherche de sources, surtout en matière d’exégèse biblique. Certes, il est indéniable que Théodoret a lu les homélies de Jean Chrysostome sur Paul, et hautement probable que celles-ci lui ont permis d’accéder à d’autres exégètes qu’il n’a pas directement consultés : J.-N. Guinot l’a montré à partir de plusieurs exemples¹³. Cependant, dans le détail, l’identification des sources directes est délicate pour deux raisons. Premièrement, beaucoup de ressemblances n’impliquent pas la dépendance, car elles correspondent à des passages obligés pour un auteur soucieux d’être fidèle à la tradition, comme l’est Théodoret, ou bien à des explications que plusieurs exégètes sont susceptibles d’avoir données indépendamment. La seconde raison, qui lui est liée, touche aux habitudes de l’évêque de Cyr. Non seulement, conformément à l’habitude antique, il ne nomme pas ses sources, mais il ne cite pas textuellement et use d’une grande liberté. Les critères permettant de déterminer dans quelle mesure on peut parler de sources – accumulation de ressemblances, invraisemblance d’une production indépendante, similitudes touchant le vocabulaire, la syntaxe, la structure du rai-
Cf., par exemple, id., L’Exégèse, p. 798 ; id., « Les sources de l’exégèse de Théodoret de Cyr », Exégète et théologien, I, p. 373-377. On signalera une approche théologique de la question, représentée en particulier par G. Kalantzis, « “The Voice So Dear to Me” : Themes from Romans in Theodore, Chrysostom, and Theodoret », Greek Patristic and Eastern Orthodox Interpretations of Romans, éd. D. Patte, V. Mihoc, London-New Dehli-New York-Sydney, 2013, p. 83-102. Cf. P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary, p. 171-174. Cf., pour le commentaire du corpus paulinien, J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 644-666. L’auteur vérifie la même hypothèse à propos d’autres sources directes : par exemple, les nombreuses sources des Quaestiones sont pour la plupart de seconde main. Cf. ibid., p. 748-797. Ou encore, c’est par l’intermédiaire d’Eusèbe de Césarée que Théodoret connaît Origène et Julius Africanus. Cf. id., « Théodoret imitateur d’Eusèbe : l’exégèse de la prophétie des “soixante-dix semaines” (Dan. 9, 24-27) », Exégète et théologien, I, p. 331-365.
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sonnement – n’échappent pas à la subjectivité¹⁴. Une fois encore, notre vision est faussée par le caractère très parcellaire de notre documentation. Si l’on reconnaît que telle interprétation est traditionnelle grâce au nombre de textes l’attestant, le manque de témoignages n’est jamais qu’une preuve négative. On peut regretter en particulier la perte des instruments de travail anciens comme les lexiques ou les bibles glosées, qui permettraient probablement de relativiser aussi bien l’originalité que certains liens de dépendance¹⁵. Si la réflexion sur les sources de Théodoret a déjà été menée d’une manière approfondie, la comparaison entre son commentaire et celui de Jean Chrysostome sur Romains ne semble pas avoir fait l’objet d’une étude systématique. Or, l’évêque de Cyr nous transmet un témoignage irremplaçable sur la réception quasi contemporaine d’une œuvre exégétique majeure du prédicateur antiochien. Nous devons donc préciser quel lecteur il est, ce qu’il apprécie ou rejette chez son maître mais aussi ce qu’il fait de cette source. Avant d’entrer dans le détail du texte, il faut donner sur cette œuvre quelques précisions qui permettront de mesurer la distance avec le commentaire de Théodoret. L’interprétation de Jean Chrysostome nous est transmise sous la forme d’une série de 32 homélies couvrant la totalité de l’épître, précédées d’un Argument¹⁶. Il faut noter le caractère hétérogène de ces discours, dont la partie exégétique est suivie d’une exhortation assez longue¹⁷. À la dissemblance des genres correspondent vraisemblablement des préoccupations divergentes. Cependant, ces différences relèvent en même temps de la personnalité des deux auteurs et de leur attitude pastorale. En effet, dans une œuvre non homilétique de Jean Chrysostome comme le Commentaire sur Job, la priorité de l’édification morale sur l’explication est très nette, et le style diatribique occupe une place importante¹⁸. On se gardera aussi d’opposer d’une
La question, discutée à maintes reprises par J.-N. Guinot, par exemple à propos du rapport à l’œuvre de Théodore, est bien résumée par la formule suivante : « La parenté est souvent pressentie, mais l’imitation difficile à établir avec certitude » (« L’importance de la dette de Théodoret de Cyr à l’égard de l’exégèse de Théodore de Mopsueste », Exégète et théologien, I, p. 234-235). Sur l’utilisation de tels instruments de travail par Théodoret, cf., entre autres, id., L’Exégèse, p. 798 ; id., « Les sources de l’exégèse de Théodoret de Cyr », I, p. 373-377. Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., PG 60, 391-682. Dans la suite de ce chapitre, nous renvoyons aux deux œuvres comparées sans répéter le titre, en indiquant simplement l’auteur et le paragraphe concerné (ou bien colonnes et lignes de la PG 60). Dans chaque homélie, l’exhortation occupe entre un quart et plus de la moitié du discours, sauf dans l’homélie XVI, à la fin de laquelle le prédicateur s’excuse de la longueur de ses explications et congédie ses auditeurs sans avoir prononcé de parénèse. Cf. Jean Chrysostome, XVI, PG 60, 564, 3649. Cf. l’introduction de H. Sorlin à Jean Chrysostome, Com. in Iob, SC 346, p. 44-53 et p. 65-68. Le commentaire sur Isaïe semble moins marqué par le style oral et par les développements parénétiques. J. Dumortier, dans son introduction à Jean Chrysostome, Com. in Is., SC 304, p. 11, suppose qu’il peut s’agir d’un « travail préparatoire à la prédication pastorale ». Cependant, l’exégèse d’Isaïe 7, pour ne prendre qu’un exemple, se caractérise par un souci de tirer des enseignements du texte, tandis que Théodoret, sur le même passage, donne davantage d’explications sur la lettre. Cf. ibid.,
4.1 Introduction
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manière simpliste le public des homélies aux lecteurs du commentaire : si l’on en croit Théodoret lui-même, l’In epistulas Pauli ne s’adresse pas à des érudits¹⁹. Quoi qu’il en soit, on observe une grande différence d’atmopshère et de style entre les deux œuvres qui nous intéressent. Qu’il suffise de mettre en regard la sobriété extrême de Théodoret avec, chez Jean Chrysostome, un enthousiasme palpable pour l’Apôtre, ou encore l’emploi très fréquent d’analogies, d’images et de dialogues fictifs propres à émouvoir les auditeurs. D’autre part, la longueur des deux textes est très inégale, le volume des développements exégétiques du prédicateur représentant environ le double du commentaire de l’évêque de Cyr. Enfin, il faut opposer à l’unité de celui-ci le caractère hétérogène du corpus d’homélies. En effet, la recherche récente a montré que les séries exégétiques de Jean Chrysostome ne correspondaient pas toujours à des cycles continus de discours mais regroupaient des prédications prononcées à différentes périodes, soit à Antioche, soit à Constantinople²⁰. En cherchant à caractériser Théodoret comme lecteur, nous devons tenir compte de ces aspects de l’œuvre chrysostomienne. N’ayant pas d’informations sur la date à laquelle les homélies ont été constituées en un corpus, nous ne pouvons pas exclure que cette tâche soit encore inachevée une génération après la mort de l’évêque de Constantinople. Il faut donc garder ouverte l’hypothèse selon laquelle Théodoret n’a pas eu accès à la totalité, ou bien a été contemporain du travail d’édition. Il faudra donc noter à quelles homélies il ne semble pas du tout emprunter, même si cela ne constitue pas en soit une preuve qu’il ne les a pas lues. Nous attacherons plus d’importance à l’unité constituée par l’homélie qu’aux divisions du commentaire de Théodoret. Notre tâche consiste donc d’abord à déterminer l’importance de la source chrysostomienne dans l’In Romanos de Théodoret, en tenant compte des problèmes déjà soulevés à propos d’autres œuvres. Cependant, la dette est à la fois si évidente d’une manière générale et si difficile à prouver par le détail que cette enquête risque fort de mener à une certaine déception. N’est-il pas nécessaire, pour caractériser le rapport de Théodoret à son maître, de changer de perspective pour se demander
VII, SC 304, p. 290-339, à comparer avec Théodoret, Com. in Is., III, SC 276, p. 278-299. L’In Galatas, qui se présente aussi sous la forme d’un commentaire et non d’homélies, est également très marqué par le style diatribique. Cf. supra, p. 112. Parmi les travaux de P. Allen et W. Mayer, qui ont profondément renouvelé la question de la datation des œuvres chrysostomiennes, on mentionnera, à titre d’exemple, P. Allen, W. Mayer, « The Thirty-four Homilies on Hebrews : the Last Series Delivered by Chrysostom in Constantinople ? », Byz LXV, 1995, p. 309-348 et la thèse de W. Mayer, The Homilies of St John Chrysostom : Provenance. Reshaping the foundations, Roma, 2005. Voir aussi la note bibliographique de C. Broc-Schmezer, « Le jaillissement de la miséricorde, formulations chrysostomiennes des rapports entre grâce et libre arbitre autour de Rm 9-11 », L’Exégèse patristique de Romains 9-11, éd. I. Bochet, M. Fédou, Paris, 2007, note 4 p. 84. Concernant la série sur Romains, l’auteur a noté par exemple une discontinuité entre l’homélie XVI et les homélies XVII à XIX, celles-ci étant marquées par un antijudaïsme très virulent. Cf. ibid., p. 84-86. Nous indiquerons par la suite un petit nombre d’exemples semblables.
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quelles formes prend la liberté de l’exégète dans l’In Romanos, autrement dit quelles transformations l’exégète fait subir à sa source ? En somme, il s’agit de passer de la recherche sur les sources à la question de la réécriture. Précisons ici que nous utilisons cette notion comme une catégorie commode en vue de la comparaison entre les deux textes et non avec la prétention que toute ressemblance implique un travail conscient de transformation. Par ailleurs, nous nous demanderons quel jugement l’évêque de Cyr émet sur la source chrysostomienne, ou plutôt comment s’exprime soit l’hommage qu’il lui rend par ailleurs explicitement, soit la distance qu’il prend en cas de désaccord. Nous procéderons en trois temps. D’abord, en observant les deux œuvres dans leurs grandes lignes puis en détail, nous évaluerons l’importance de la source chrysostomienne pour le commentaire de Théodoret. Ensuite, nous essaierons de comprendre, à partir de quelques exemples précis, de quelle manière l’évêque de Cyr travaille à partir des éléments qu’il emprunte, comment il se les approprie et les transforme. Enfin, nous nous interrogerons sur la voie qu’il suit en cas de désaccord. Tout en adoptant un point de vue littéraire et exégétique, nous garderons à l’esprit une interrogation sur les pratiques érudites au ve siècle : peut-on trouver des informations sur les modalités concrètes du travail de lecture précédant l’élaboration du commentaire et sur les documents utilisés lors de la composition ?
4.2 Jean Chrysostome, source de Théodoret
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4.2 Jean Chrysostome, source de Théodoret En premier lieu, il convient d’évaluer l’importance de la source chrysostomienne dans l’In Romanos de Théodoret, autrement dit ce que celui-ci doit aux homélies de Jean Chrysostome. Ayant rencontré les mêmes difficultés que nos prédécesseurs pour définir l’emprunt direct par opposition à des ressemblances fortuites ou à des références communes à la tradition exégétique, nous ne pensons pas qu’une liste exhaustive de lieux soit vraiment suggestive. Nous avons préféré relever quelques exemples caractéristiques des échos entre les deux auteurs qui ont pu conduire d’aucuns à ne voir dans l’œuvre de l’évêque de Cyr qu’une copie de son maître. Nous mentionnerons donc quelques passages attestant que Théodoret avait à l’esprit l’œuvre de Jean Chrysostome en rédigeant son commentaire. Puis nous verrons en quoi l’utilisation des mêmes outils peut donner une impression de dépendance, précisément là où les deux commentaires se distinguent. Néanmoins, avant d’aborder le détail du texte, nous dresserons un tableau de l’interprétation générale des deux auteurs, afin de comparer les grandes lignes de leur interprétation et d’en mesurer les ressemblances et différences fondamentales.
4.2.1 Les grandes lignes de l’interprétation La nature même du texte commenté ne facilite pas la comparaison globale entre les deux œuvres. En présence d’un texte néotestamentaire qui, contrairement à des prophéties de l’Ancien Testament ou à des récits, ne laisse pas la place à la recherche d’un sens figuré ou à l’identification des événements historiques visés par une prédiction, les deux exégètes s’attachent avant tout à expliquer le propos de Paul en un discours où semble dominer la paraphrase. On ne perçoit pas toujours d’autre orientation que celle du texte commenté lui-même. En outre, la division en homélies, aussi bien que le commentaire verset par verset, conduisent à un certain morcellement du texte, et il est difficile de percevoir une vision d’ensemble²¹. En réalité, c’est précisément la lecture comparative qui nous a permis de reconnaître certaines lignes de force de chacune des œuvres. Celles-ci prennent la forme de remarques récurrentes et d’accents portés sur tel ou tel aspect. C’est donc sur ces différents fils tissés par chacun des deux auteurs que nous concentrerons ici notre attention. Nous avons bien conscience que cette présentation fera ressortir les divergences plus que les points communs, mais la suite de cette étude rétablira un certain équilibre. Nous proposerons d’abord un résumé en parallèle des deux commentaires, suivant l’ordre du texte, préambule qui restera assez descriptif mais permettra de donner un aperçu D. Trakatellis, « Being Transformed : Chrysostom’s Exegesis of the Epistle to the Romans », Greek Patristic and Eastern Orthodox Interpretations of Romans, éd. D. Patte, V. Mihoc, London-New Dehli-New York-Sydney, 2013, p. 41-62, voit dans la notion de transformation de l’homme en Christ un thème unifiant l’ensemble des homélies de Jean Chrysostome sur Romains.
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sommaire, puis nous évoquerons deux aspects transversaux de l’interprétation chrysostomienne non repris par Théodoret.
4.2.1.1 Résumé comparatif des deux œuvres L’ouverture de l’épître (Romains 1, 1-17, homélies I et II) est interprétée d’une manière assez semblable par les deux auteurs, qui soulignent la grâce particulière de Paul et le soin qu’il met à bien disposer ses lecteurs. Jean Chrysostome, plus que Théodoret, met l’accent sur l’orgueil des Romains et propose l’Apôtre comme modèle de vertu. À propos du réquisitoire contre les Nations (Romains 1, 18-2, 16, homélies III à V) Jean Chrysostome souligne que la pédagogie de l’Apôtre utilise la crainte et la menace, et développe le discours paulinien sur le péché des païens. Il propose une application morale, le texte étant pour lui un appel à la vertu et une mise en garde contre le châtiment final. Pour Théodoret, ce passage est une démonstration de l’existence en tout homme de la faculté de discerner entre bien et mal. À l’occasion de l’accusation des Juifs (Romains 2, 17-3, 8, homélie VI), Jean Chrysostome amplifie les reproches, affirmant que l’Apôtre n’attaque pas ses adversaires de front mais d’une manière implicite. Théodoret met l’accent sur la réalité des privilèges des Juifs et souligne que ceux-ci sont inutiles sans l’accomplissement de la Loi. Les deux auteurs lisent Romains 3, 9-31 (homélie VII) comme une affirmation du salut promis à tous, mettant l’accent sur le fait que la Loi annonce la foi. Jean Chrysostome lit Romains 4, 1-21 (homélie VIII) comme une argumentation destinée aux Juifs ; il insiste sur le paradoxe de la circoncision qui annonce sa propre inutilité, et sur le caractère surnaturel de la paternité d’Abraham. Théodoret amplifie le propos sur la foi d’Abraham comme don de Dieu antérieur à la circoncision. Sur Romains 4, 23-5, 11 (homélie IX), les deux auteurs notent le passage à l’exhortation et l’appel à l’espérance. Jean Chrysostome insiste sur le fait que le don de Dieu précède et surpasse infiniment notre action. Il applique la parénèse paulinienne à ses auditeurs. Selon le prédicateur, la comparaison entre Adam et le Christ (Romains 5, 12-6, 4, homélie X) est une réfutation des Juifs, centrée sur la figure du Christ et sur la puissance salvifique de sa mort et de sa résurrection. L’échec de la Loi est due, selon lui, à la lâcheté de ceux qui l’ont reçue. Il considère que tous les hommes meurent à cause de la faute d’Adam, alors que, pour Théodoret, chacun meurt à cause de ses propres péchés, le premier péché ayant entraîné le dérèglement des passions. Sur Romains 6, 5-8, 11 (homélies XI à XIII), les deux auteurs mettent l’accent sur le fait que le mal ne vient pas du corps mais de la volonté mauvaise ; la Loi est bonne comme enseignante et accusatrice du péché. Pour Jean Chrysostome, son impuissance vient de la paresse des Juifs, pour Théodoret, de la faiblesse humaine. Tous deux soulignent que les passions doivent être contrôlées par l’âme, n’étant pas mauvaises en soi, mais même, ajoute Théodoret, utiles à la vie. Les interprétations des deux auteurs sur Romains 8, 12-39 (homélies XIV et XV) sont assez différentes, malgré quelques détails communs. Théodoret ne semble pas
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suivre les explications de Jean Chrysostome. Alors que celui-ci invite à la mortification de la chair, Théodoret insiste sur le fait que le mot « chair » désigne les passions. Pour le prédicateur, la création a été maudite à cause du péché, et son impatience doit stimuler notre propre attente. Pour l’évêque de Cyr, la corruptibilité de la nature est originelle, effet de la providence divine qui ne pouvait admettre qu’elle soit immortelle alors que l’homme, son maître, allait devenir mortel. Pour Jean Chrysostome, les gémissements de l’esprit relèvent du charisme de prière, alors que Théodoret en fait un phénomène habituel. À propos de Romains 8, 28, le prédicateur donne des exemples de malheurs qui se sont transformés en biens, Théodoret, des exemples de prières non exaucées. Enfin, l’évêque de Cyr ne suit pas les propos insistants de son maître sur l’augmentation de la gloire par les souffrances. Au sujet de Romains 9 (homélie XVI), le prédicateur développe le thème de l’amour de Paul pour le Christ. Selon lui, l’Apôtre soulève les paradoxes de l’Ancienne Alliance non pour les résoudre, ni pour nier la liberté humaine, mais pour faire accepter aux Juifs l’incompréhensibilité de l’élection divine, qui appelle l’humble soumission de l’intelligence humaine limitée. Théodoret développe, en filigrane, l’idée de parenté selon la chair et selon l’esprit, entre Paul et les Juifs, entre les Juifs et le Christ. Il est assez elliptique sur l’idée de paradoxe, et s’intéresse davantage à la question de la liberté elle-même, prouvée par la capacité de l’homme à s’opposer à Dieu. Il veut tenir ensemble liberté humaine et prescience divine²². Les deux exégètes affirment, en lisant Romains 10 (homélies XVII et XVIII), le caractère intempestif de la conservation de la Loi après le Christ, la responsabilité des Juifs qui ont refusé le salut, leurs crimes et leur haine de Dieu. Ils mettent l’accent sur la pédagogie divine consistant à susciter la jalousie des Juifs au moyen de la gloire des Nations. Le ton employé par Jean Chrystome est très polémique, avec une grande insistance sur les notions de faute et d’obstination, sur le caractère inexcusable car volontaire de leur rejet, qui contraste avec la sollicitude de Dieu désirant leur salut. Le prédicateur justifie la violence de son propos en arguant le fait que l’Apôtre parle avec ménagement et par sous-entendus²³. Théodoret, sur un ton beaucoup plus neutre, souligne le fait que les prophètes ont accusé les Juifs et annoncé la foi des Nations. Les deux exégètes font remarquer, en Romains 11 (homélie XIX), l’alternance entre reproches et consolation des Juifs, la possibilité pour ceux-ci de recevoir le salut jusqu’à la fin, moyennant la foi, et la pédagogie consistant à susciter leur jalousie envers les Nations, pour les attirer à la foi. Cependant, là encore, l’atmosphère entre les deux commentaires est très différente, Jean Chrysostome considé-
Sur l’exégèse de Romains 9-11 chez Jean Chrysostome, C. Broc-Schmezer, « Le jaillissement de la miséricorde », p. 83-100, souligne l’antijudaïsme et, par ailleurs, l’équilibre entre le discours sur la grâce et celui sur les œuvres. L’explication de Romains 9, 20 par Théodoret comme preuve de la liberté humaine est empruntée à Théodore de Mopsueste selon J.-N. Guinot, « Analyse textuelle et libre arbitre : l’exégèse patristique de Rm 9, 20 aux iiie-ve siècles », Exégète et théologien, I, p. 485-502. Sur la discontinuité entre les homélies XVII et XVIII et l’homélie XVI, voir supra, note 20 p. 147.
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rant les réprimandes aux païens toujours en même temps comme de très vifs reproches adressés indirectement aux Juifs. Théodoret épouse davantage le mouvement de balancement du texte paulinien et l’alternance entre les remontrances faites aux Juifs et celles faites aux païens. De plus, il met l’accent sur le fait que certains Juifs ont été croyants et que la prédication a été inaugurée par eux. Chez les deux auteurs, l’exclamation finale (Romains 11, 33) est l’occasion d’un développement assez semblable sur la philanthropie divine et sur l’incompréhensibilité des desseins de Dieu. Les chapitres 12 et 13 de l’épître (homélies XX à XXIV) ne font pas l’objet d’une interprétation différente, sinon que le prédicateur amplifie davantage l’exhortation et que Théodoret s’attache surtout à expliquer le détail du texte. Les deux exégètes développent la conception du prince comme bienfaiteur – faisant régner la vertu, dit Jean Chrysostome, châtiant le vice, dit Théodoret – et collaborateur de Dieu, ayant droit, à ce titre, à la soumission. Le prédicateur approfondit le thème en évoquant la possibilité, par une attitude d’humble obéissance, de provoquer la conversion de celui qui détient l’autorité. L’interprétation des deux auteurs sur Romains 14, 1-13 (homélie XXV) est très différente. Jean Chrysostome considère le respect des pratiques alimentaires comme une faute à l’égard de laquelle Paul ne fait que patienter avec indulgence. Selon lui, les reproches adressés à ceux qui sont affranchis de ces règles portent la marque d’un jugement très sévère de l’Apôtre contre les observants. Théodoret respecte l’équilibre de l’épître et voit dans le propos de Paul un appel à l’unité au-delà de la diversité des pratiques. L’atmosphère des homélies XXVI et XXVII (Romains 14, 14-15, 7) est beaucoup moins polémique, ce qui suggère une discontinuité éventuelle de la série à cet endroit²⁴. Comme à propos de la section précédente, le prédicateur considère que le but premier est d’amener les observants à la conversion ; toutefois, l’idée d’unité est aussi évoquée. Théodoret poursuit son explication en suivant la même ligne que sur le début du chapitre. À propos de Romains 15, 8-13 (homélie XXVIII), Jean Chrysostome affirme que le Christ a suivi la Loi pour nous affranchir de sa domination, alors que, selon Théodoret, il l’a fait pour garantir la vérité des promesses. Le prédicateur souligne la gratuité du salut, pour les Juifs comme pour les païens, affirme à la fois que tout est grâce et que les œuvres doivent confirmer la grâce reçue, et appelle à l’unité entre les forts et les faibles. L’évêque de Cyr met l’accent sur la tendresse de l’Apôtre et sur l’espérance du salut. Il semble que cette homélie, ainsi que les deux suivantes, n’ont pas été directement utilisées comme source par Théodoret. À l’occasion de Romains 15, 14-24 (homélie XXIX), Jean Chrysostome met en lien le propos paulinien et la personnalité de ses destinataires, affirmant que l’Apôtre
Voir notre analyse plus détaillée, infra, p. 202. Sur cette notion de discontinuité, cf. supra, note 20 p. 147.
4.2 Jean Chrysostome, source de Théodoret
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réprime l’orgueil des Romains. Théodoret insiste davantage sur la mission de Paul et sur son zèle. Les deux auteurs interprètent la fin de l’épître (Romains 15, 25-16, 24, homélies XXX à XXXII) et les salutations comme autant d’éloges adressés par Paul aux fidèles. Jean Chrysostome met en valeur le zèle de Paul pour l’œuvre de Dieu et son humilité, ainsi que sa pédagogie et son affection à l’égard des Romains ; il présente les différents personnages mentionnés comme des modèles de vertu pour ses propres auditeurs. Théodoret évoque également les qualités de l’Apôtre. Toutefois, il s’efforce surtout de donner des précisions historiques en s’appuyant notamment sur les Actes. Cette première comparaison fait apparaître d’emblée deux divergences fondamentales entre les homélies de Jean Chrysostome et le commentaire de Théodoret. D’une part, la lecture du prédicateur vise très souvent l’édification morale des fidèles alors que Théodoret cherche avant tout à rendre le texte compréhensible ; d’autre part, à la polémique antijudaïque parfois très virulente chez le prédicateur d’Antioche, qui n’hésite pas à infléchir le sens du texte, s’oppose une lecture beaucoup plus littérale du texte paulinien chez l’évêque de Cyr. Arrêtons-nous un instant sur ces deux aspects.
4.2.1.2 Exégèse morale L’importance de l’interprétation morale dans l’œuvre exégétique de Jean Chrysostome est souvent soulignée, le fait que Théodoret ne la suive pas a déjà été noté²⁵. Cependant, la dimension parénétique n’est pas absente chez ce dernier : pour comparer plus précisément les deux auteurs sur ce point, il faut considérer à la fois les occasions où intervient l’exégèse morale et la manière dont celle-ci est pratiquée. L’occasion la plus évidente du discours parénétique à l’intérieur de l’exégèse est la lecture actualisante de versets eux-mêmes parénétiques, du reste signalés comme tels par les deux exégètes²⁶. Grâce aux points de vue adoptés, tantôt le commentateur prolonge la parole de Paul, tantôt il s’assimile avec ses auditeurs aux destinataires de
Pour une courte synthèse et des indications bibliographiques sur la dimension morale de l’exégèse de Jean Chrysostome et sur les évolutions de la recherche à ce sujet, cf. C. Broc-Schmezer, Les figures féminines du Nouveau Testament dans l’œuvre de Jean Chrysostome : exégèse et pastorale, Paris, 2010, p. 21 et 23-24 ; ead., « Jean Chrysostome exégète : bilan bibliographique et état de la question », Colloque Chrysostomika II (Rome (6-8 novembre 2007)), à paraître. Sur la différence de préoccupations entre Jean Chrysostome et Théodoret dans leurs commentaires des épîtres pauliniennes, cf. P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary, p. 195-196. Οὕτω δείξας τῆς πίστεως τὴν ἰσχύν, καὶ τῆς χάριτος τὰ δῶρα γυμνώσας, ἐπὶ παραίνεσιν μεταφέρει τὸν λόγον καὶ τῆς πρακτικῆς ἀρετῆς φροντίζειν παρακαλεῖ, « Après avoir ainsi montré la force de la foi, et mis à nu les dons de la grâce, il oriente son propos sur l’exhortation, et encourage à s’efforcer de pratiquer la vertu », Théodoret, II, 20 (introduisant Romains 5, 1) ; cf. aussi, par exemple, III, 37 ; V, 1. Les deux auteurs soulignent que l’Épître aux Romains entrelace doctrine et parénèse. Voir, par exemple, Théodoret, arg., 5, et Jean Chrysostome, XI, PG 60, 483, 27-21 ab imo.
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ce dernier, évoqué à la deuxième ou à la troisième personne²⁷. On trouve cette technique chez les deux auteurs. C’est par exemple le cas chez Jean Chrysostome à propos de Romains 6, 5-18, où apparaît le « nous » rassemblant le prédicateur et son auditoire : Si donc tu es mort dans le baptême, reste mort ! Car, si chacun était mort, il ne pourrait plus pécher ; mais si tu pèches, tu souilles le don de Dieu. Donc, après avoir réclamé de nous une si haute philosophie, il a vite ajouté la couronne²⁸.
Théodoret utilise le même « nous », par exemple à propos de Romains 6, 12 : « Il nous ordonne, non pas de faire cesser la tyrannie du péché, mais de ne pas lui obéir »²⁹. Cependant, alors que le phénomène est très fréquent chez Jean Chrysostome, l’évêque de Cyr en reste plus souvent à la stricte explication du texte, distinguant sa propre parole d’exégète de celle de l’Apôtre : « Il a montré que le corps était, non pas mauvais, mais créature de Dieu qui est bon. En effet, il peut, pour autant qu’il est gouverné honorablement par l’âme, exercer un ministère envers Dieu »³⁰. Parfois, il semble s’inspirer de Jean Chrysostome sans adopter le même point de vue que celuici. C’est le cas des exemples illustrant que le corps est bon ou mauvais selon la manière d’en user : tandis que Jean Chrysostome les formule à la deuxième personne, Théodoret les présente comme des faits généraux et non comme une exhortation directe adressée aux lecteurs³¹. L’actualisation de la parénèse existe donc chez Théodoret, mais elle est moins fréquente que chez son maître. Une deuxième occasion de parénèse, fréquente chez le prédicateur, est rarement exploitée par Théodoret. Il s’agit de récits dans lesquels Paul évoque ses propres actions et attitudes : faisant alors l’éloge de l’Apôtre, Jean Chrysostome invite l’auditeur à reconnaître la distance entre la vertu du saint et son propre péché. Par exemple, il admire la charité de Paul, qui aime les Romains et prie constamment
Il n’est pas toujours possible de distinguer si l’exégète parle en son nom propre ou en celui de Paul. Ainsi en est-il du commentaire de Romains 6, 13 : Οὐκοῦν μέσον τὸ σῶμα κακίας καὶ ἀρετῆς, καθάπερ οὖν καὶ τὰ ὅπλα (…). Ἂν μὲν γὰρ περιεργάσῃ κάλλος ἀλλότριον, ὅπλον ἀδικίας γέγονεν ὁ ὀφθαλμός, « Donc, le corps est le milieu de vice et vertu, de même que les armes aussi (…). Si tu t’intéresses indiscrètement à une beauté étrangère, ton œil est devenu arme d’injustice », Jean Chrysostome, XI, PG 60, 487, 1-10. Εἰ τοίνυν ἀπέθανες ἐν τῷ βαπτίσματι, μένε νεκρός · καὶ γὰρ ἕκαστος ἀποθανών, οὐκέτι ἁμαρτάνειν δύναιτ’ ἄν · εἰ δὲ ἁμαρτάνεις, λυμαίνῃ τοῦ θεοῦ τὴν δωρεάν. ᾿Aπαιτήσας τοίνυν τοσαύτην ἡμᾶς φιλοσοφίαν, καὶ τὸν στέφανον ταχέως ἐπήγαγε, Jean Chrysostome, XI, PG 60, 485, 36-40 (Rm 6, 7). Κελεύει τοίνυν ἡμῖν οὐ παύειν τῆς ἁμαρτίας τὴν τυραννίδα, ἀλλὰ μὴ ὑπακούειν αὐτῇ, Théodoret, III, 1 (Rm 6, 12). Ἔδειξεν οὐ πονηρὸν τὸ σῶμα, ἀλλ’ ἀγαθοῦ θεοῦ δημιούργημα. Δύναται γὰρ εὖ καὶ καλῶς ὑπὸ τῆς ψυχῆς κυβερνώμενον τῷ θεῷ λειτουργεῖν, Théodoret, III, 3 (Rm 6, 13). Sur ces variations de points de vue, cf. supra, p. 16. Καὶ γὰρ ἡ γλῶττα, σωφρονοῦντος μὲν τοῦ μουσικοῦ, τὴν προσήκουσαν ὑμνῳδίαν προσφέρει τῷ τῶν ὅλων θεῷ, « La langue, si le musicien a de la réserve, offre au Dieu de l’univers l’hymne qui lui convient », Théodoret, III, 3 (Rm 6, 13).
4.2 Jean Chrysostome, source de Théodoret
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pour eux tout en étant parfaitement soumis à la volonté divine : « Voilà la charité authentique, non pas comme nous, qui nous écartons dans les deux cas des lois de la charité. Car, soit nous n’aimons personne, soit, chaque fois que nous aimons, nous aimons contre ce qui agrée à Dieu, agissant dans les deux cas contre la loi divine »³². Suit une digression sur le manque de charité envers les pauvres et sur la générosité démesurée envers les proches. En commentant le même verset, Théodoret introduit aussi comparaison entre l’attitude de Paul et « la nôtre », mais se limite à une phrase : « Or, si, là où se jouait le salut d’une si grande multitude, le divin Apôtre n’a aucunement adressé une demande sans restriction, mais qu’à sa demande il a associé la volonté divine, quel pardon méritons-nous, à propos d’affaires sensibles, quand nous discourons et adressons des prières, et ne faisons pas dépendre nos projets du dessein de Dieu ? »³³ D’autres occasions conduisent Jean Chrysostome à des développements parénétiques, tandis que Théodoret en reste au sens littéral. D’abord, le prédicateur n’hésite pas à actualiser l’exégèse de passages qui, sans être proprement parénétiques, traitent d’un sujet moral, comme le début de l’épître, sur la faute des Nations, lu comme un discours sur les vices³⁴. Ou bien il découvre un sens moral au-delà du sens littéral du texte, et affirme éventuellement que l’Apôtre lui-même délivre cet enseignement. À propos de la foi d’Abraham, il déclare : « Nous apprenons à partir de cela que, même si Dieu promet des milliers de choses impossibles, et que celui qui entend ne les accueille pas, la faiblesse ne vient pas de la nature des choses, mais de la folie de celui qui ne reçoit pas »³⁵. Enfin, chez lui, la parénèse peut véritablement prendre le pas sur l’explication du texte. Le commentaire des salutations finales de l’épître est caractéristique de ce phénomène. La transition entre l’évocation de Phébée et celle de Priscilla et Aquilas révèle le changement de perspective : « Imitons donc, hommes et femmes, cette sainte-là, ainsi que celle qui vient après elle avec son mari »³⁶. Si l’évocation de Phébée se termine ainsi par un très bref encouragement à imiter cette dernière, le commentaire sur Priscilla et Aquilas, lui, semble n’être qu’un
Αὕτη ἡ γνησία ἀγάπη, οὐχ ὡς ἡμεῖς οἱ ἀμφοτέρωθεν τῶν νόμων τῆς ἀγάπης ἐκπίπτοντες. Ἢ γὰρ οὐδένα φιλοῦμεν, ἢ ἐπειδὰν φιλήσωμέν ποτε, παρὰ τὸ τῷ θεῷ δοκοῦν φιλοῦμεν, ἀμφότερα παρὰ τὸν θεῖον ποιοῦντες νόμον, Jean Chrysostome, II, PG 60, 403, 43-47 (Rm 1, 10). Εἰ δὲ ὅπου σωτηρία μυριάδων τοσούτων, οὐδὲν ἀορίστως ᾔτησεν ὁ θεῖος ἀπόστολος, ἀλλὰ τῇ αἰτήσει τὸ θεῖον συνέταξε θέλημα, ποίας ἡμεῖς ἄξιοι συγγνώμης περὶ αἰσθητῶν πραγμάτων καὶ διαλεγόμενοι καὶ εὐχόμενοι καὶ τῆς θείας βουλῆς οὐκ ἐξαρτῶντες τὰ καθ’ ἡμᾶς ; Théodoret, I, 12 (Rm 1, 10). Sur l’exégèse de ce passage chez les deux auteurs, cf. infra, p. 170. ᾿Aπὸ τούτων μανθάνομεν, ὅτι κἂν μυρία ὁ θεὸς ἀδύνατα ἐπαγγέλληται, μὴ καταδέξηται δὲ ὁ ἀκούων, οὐ τῆς τῶν πραγμάτων φύσεώς ἐστιν ἡ ἀσθένεια, ἀλλὰ τῆς ἀνοίας τῆς τοῦ μὴ δεχομένου, Jean Chrysostome, VIII, PG 60, 461, 3-36 (Rm 4, 20). Μιμησώμεθα τοίνυν καὶ ἄνδρες καὶ γυναῖκες τὴν ἁγίαν ἐκείνην, καὶ τὴν μετ’ αὐτὴν δὲ σὺν τῷ ἀνδρί, Jean Chrysostome, XXX, PG 60, 664, 10-12 (Rm 16, 2-3).
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
prétexte à parler de l’imitation des saints³⁷. L’exhortation domine, marquée par l’alternance entre portrait et généralisation³⁸ et par l’adresse directe aux auditeurs, invités à admirer les personnages et à se comparer à eux³⁹. Le texte biblique passe au second plan. Comme ce verset était le dernier du passage commenté, immédiatement avant la partie consacrée à la parénèse, la frontière entre les deux parties de l’homélie semble ainsi abolie, le prédicateur passant simplement à un autre exemple biblique pour continuer l’exhortation. D’une manière générale, chez l’évêque de Cyr, les remarques d’ordre parénétique sont rares et brèves, elles ne conduisent pas l’exégète à infléchir le sens du texte. Il y a là une différence fondamentale entre les deux œuvres : celle de Jean Chrysostome est dominée par le souci d’édifier les âmes dont il a la charge, et le centre gravité du discours se déplace parfois de l’explication vers cette préoccupation pastorale, alors que le commentaire de Théodoret est centré sur la compréhension du texte biblique.
4.2.1.3 Antijudaïsme Une deuxième caractéristique marquante du commentaire de Jean Chrysostome, non reprise par l’évêque de Cyr, est son accent antijudaïque très marqué, peut-être à mettre en lien avec le contexte historique, en particulier à Antioche⁴⁰. Le prédicateur trouve dans l’épître bien des occasions ou des prétextes de s’en prendre aux Juifs,
Sur la figure de Priscilla dans l’œuvre de Jean Chrysostome, en particulier comme modèle proposé aux auditrices, et sur ce passage, commentaire le plus développé du prédicateur exégète à son sujet, on consultera l’étude détaillée de C. Broc-Schmezer, Les figures féminines du Nouveau Testament dans l’œuvre de Jean Chrysostome : exégèse et pastorale, p. 449-510. Ἔνι γὰρ καὶ ἐν γάμῳ ὄντα θαυμαστὸν εἶναι καὶ γενναῖον. Ἰδοὺ οὖν καὶ οὗτοι ἐν γάμῳ ἦσαν, καὶ σφόδρα ἔλαμψαν, καίτοι γε οὐδὲ τὸ ἐπιτήδευμα αὐτῶν λαμπρὸν ἦν · σκηνοποιοὶ γὰρ ἦσαν, « Car il est possible, même quand on est dans le mariage, d’être noble et admirable. Voici donc : eux aussi étaient dans le mariage, et ils ont brillé incomparablement, alors que leur activité n’était même pas brillante : ils étaient fabriquants de tentes », Jean Chrysostome, XXX, PG 60, 664, 54-58 (Rm 16, 3). Μὴ παράβαλε μόνον, ἀλλὰ καὶ ζήλου τὴν γυναῖκα, « Ne te contente pas de comparer, rivalise même avec cette femme ! », Jean Chrysostome, XXX, PG 60, 665, 56-57. Sur l’antijudaïsme antique et son interprétation problématique, voir les notes 19-22 p. 225-226. Concernant en particulier Jean Chrysostome, voir aussi les indications bibliographiques de C. BrocSchmezer, « Le jaillissement de la miséricorde », p. 84, note 2. Sur la question de la cible véritable du prédicateur antiochien (Juifs ou judaïsants), cf. notamment E. Soler, Le Sacré et le salut à Antioche au ive siècle apr. J.-C., Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité, Beyrouth, 2006, p. 91-135. V. Mihoc, « Paul and the Jews According to John Chrysostom’s Commentary on Romans 9-11 », Greek Patristic and Eastern Orthodox Interpretations of Romans, éd. D. Patte, V. Mihoc, London-New Dehli-New York-Sydney, 2013, p. 63-82, relativise beaucoup l’antijudaïsme de Jean Chrysostome dans les homélies sur Romains 9-11, ce qui nous paraît contestable. Sur le contraste entre Jean Chrysostome et Théodoret concernant la polémique antijudaïque, cf. J.-N. Guinot, « Les fondements scripturaires de la polémique entre Juifs et Chrétiens dans les commentaires de Théodoret de Cyr », Exégète et théologien, II, p. 25-36.
4.2 Jean Chrysostome, source de Théodoret
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notamment en Romains 9-11⁴¹. Certes, il met régulièrement l’accent sur le fait que Paul désire ardemment le salut des Juifs, ou encore qu’il cherche à les consoler⁴². Néanmoins, son discours dépasse bien souvent le cadre de l’explication littérale pour s’attacher à amplifier, par différents moyens, le caractère antijudaïque de l’épître, voire à le forger de toutes pièces. Une première technique consiste à caractériser les attitudes qui lui semblent visées par Paul : orgueil, ingratitude, obstination. Le prédicateur souligne la faute des Juifs et le fait qu’ils sont inexcusables : « Vois-tu comme il les prive de tout pardon ? En effet, quelle excuse pourraient-ils mériter, eux qui choisissent ce qui est pesant et sans effet, et passent à côté de ce qui est léger et peut les sauver, leur apporter exactement ce que la Loi n’a pas eu la force de leur apporter ? Oui, ce n’est rien d’autre que le propre d’une pensée querelleuse et en révolte contre Dieu »⁴³. Un deuxième moyen consiste à attribuer à Paul une stratégie : le commentateur affirme par exemple que l’Apôtre cite sciemment en entier le passage sur les sept mille sauvés au temps d’Élie, et qu’ainsi, « sans en avoir l’air, il augmente l’accusation contre eux » (λανθανόντως τὴν κατηγορίαν αὐτῶν αὔξει) et montre leur ingratitude⁴⁴. Jean Chrysostome illustre une forme extrême d’interprétation antijudaïque lorsqu’il formule une accusation explicite sous prétexte de dévoiler les implicites qu’il prétend trouver dans le texte. Ainsi, la consolation est interprétée comme accusation : « Toi, examine donc sa sagesse, comment, alors qu’il semble parler en leur faveur et songer à les consoler, il les frappe sans en avoir l’air et montre qu’ils sont privés de toute excuse, à partir de la racine, à partir des prémices »⁴⁵. Même les remontrances aux Nations sont lues plusieurs fois comme des accusations masquées contre les Juifs : Car, comme je l’ai dit, alors qu’il semble réfléchir à une faible ombre de consolation, et au moment même où il s’en prend à celui qui vient des Nations, il leur porte un coup mortel. Car en disant « Ne te glorifie pas à leurs dépens » et « Si tu te glorifies, ce n’est pas toi qui portes la racine », il a montré au Juif que ce qui s’était passé était digne de glorification, même s’il ne faut pas se glorifier⁴⁶.
Sur l’exégèse de ces chapitres chez Jean Chrysostome, cf. C. Broc-Schmezer, « Le jaillissement de la miséricorde », p. 83-100. Nous nous intéressons ici essentiellement aux homélies XVII à XIX, dans lesquelles l’accent antijudaïque est particulièrement marqué. Cf. par exemple Jean Chrysostome, XVII, PG 60, 563, 11 ab imo-564, 3 ab imo (Rm 10, 1). Εἶδες πῶς πάσης αὐτοὺς ἀποστερεῖ συγγνώμης ; Ποίας γὰρ ἂν εἶεν ἀπολογίας ἄξιοι, τὸ μὲν φορτικώτερον ἑλόμενοι καὶ ἀνήνυτον, παραδραμόντες δὲ τὸ κοῦφον καὶ δυνάμενον αὐτοὺς σῶσαι, κἀκεῖνα παρασχεῖν, ἅπερ ὁ νόμος οὐκ ἴσχυσε ; Ταῦτα γὰρ οὐδὲν ἕτερον, ἀλλ’ ἢ φιλονεικούσης γνώμης ἐστὶ μόνον, καὶ πρὸς τὸν θεὸν στασιαζούσης, Jean Chrysostome, XVII, PG 60, 567, 38-44 (Rm 10, 10). Cf. Jean Chrysostome, XVIII, PG 60, 577, 50-58 (Rm 11, 3). Σὺ δέ μοι σκόπει αὐτοῦ τὴν σοφίαν, πῶς δοκῶν ὑπὲρ αὐτῶν λέγειν, καὶ παραμυθίαν αὐτοῖς ἐπινοεῖν, καὶ πλήττει λανθανόντως, καὶ πάσης ἀπολογίας δείκνυσιν ἐστερημένους, ἀπὸ τῆς ῥίζης, ἀπὸ τῆς ἀπαρχῆς, Jean Chrysostome, XIX, PG 60, 588, 44-48 (Rm 11, 17). Ὅπερ γὰρ ἔφθην εἰπών, σκιάν τινα παραμυθίας ἀσθενῆ δοκῶν ἐπινοεῖν, καὶ ἐν αὐτῷ τῷ πρὸς τὸν ἐξ ἐθνῶν ἀποτείνεσθαι, καιρίαν αὐτοῖς δίδωσι πληγήν. Εἰπὼν γάρ, « Μὴ κατακαυχῶ », καὶ ὅτι « Εἰ
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Certes, le prédicateur lit aussi certaines paroles concernant les Juifs comme des accusations adressées aux païens, mais l’atmosphère générale du passage est antijudaïque, à la fois par le nombre des remarques et par la véhémence des termes utilisés. La lecture proposée par Théodoret est très différente. Il lui arrive, il est vrai, de pointer ici ou là l’ingratitude des Juifs ou leur orgueil. Toutefois, on ne trouve pas chez lui, sauf exception, de considérations sur des accusations implicites du texte⁴⁷. Son interprétation reste beaucoup plus fidèle à la lettre de l’épître. Il est intéressant de noter qu’il ne mentionne pas la lecture de Jean Chrysostome, mais la laisse simplement de côté, alors qu’il manifeste, par ailleurs, son désaccord avec lui ou d’autres auteurs sur des points de détail⁴⁸. Quoi qu’il en soit, le contraste entre les deux exégètes sur ce point témoigne d’une préoccupation pastorale différente⁴⁹. Cette première approche nous a permis de dégager les différences essentielles entre les deux œuvres. Toutefois, celles-ci ne doivent pas masquer les nombreux points communs de détail, probablement plus visibles que ces divergences, et qui ont fait dire aux lecteurs de Théodoret que celui-ci avait largement emprunté à son maître.
4.2.2 Ressemblances et différences de détail En effet, en comparant les deux œuvres, on ne peut que constater les échos. Il serait inutile de faire ici la liste de nombreux points communs qui, en eux-mêmes, sont dus au simple fait que les deux œuvres commentent le même texte, les mêmes phrases, les mêmes mots, au sein d’une même tradition exégétique. Par exemple, rappeler, à propos de Romains 16, 3, que Priscilla et Aquilas étaient fabriquants de tentes implique simplement un même souci d’identifier les personnages évoqués dans les salutations, et le même recours aux Actes des Apôtres ⁵⁰. Préciser que le terme ὀργή appliqué à Dieu n’est pas une passion relève du lieu commun d’une exégèse marquée par la polémique contre l’anthropomorphisme ou le marcionisme. Beaucoup d’images prises dans un fonds de lieux communs et utilisées à propos de versets assez semblables, même d’une manière différente, sont capables aussi de produire
κατακαυχᾶσαι, οὐ σὺ τὴν ῥίζαν βαστάζεις », ἔδειξε τῷ Ἰουδαίῳ, ὅτι καυχήσεως ἄξια τὰ γεγενημένα, εἰ καὶ μὴ κατακαυχᾶσθαι δεῖ, Jean Chrysostome, XIX, PG 60, 589, 32-39 (Rm 11, 18). Des exceptions importantes seront étudiées à propos du discours de Théodoret sur les Juifs, infra, p. 232. Sur les références à des interprétations de prédécesseurs dans l’In epistulas Pauli, certaines, y compris de Jean Chrysostome, étant rejetées, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 644-666. Sur le dialogue théologique avec Théodore de Mopsueste, cf. P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary, p. 130-164. Pour une comparaison plus détaillée des deux commentaires de Romains 14, voir infra, p. 198. Cf. Théodoret, V, 56 ; Jean Chrysostome, XXX, PG 60, 664, 16-17.
4.2 Jean Chrysostome, source de Théodoret
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une illusion de dépendance⁵¹. Il en va de même des écarts entre les deux auteurs : on peut être tenté d’y voir systématiquement une distance prise par l’évêque de Cyr. Pour supposer une influence directe, traduite sous la forme de l’imitation ou au contraire du rejet, il faut que les caractéristiques communes soient patentes et ne semblent pas directement appelées par le passage commenté ou par la tradition. Nous donnerons ici un petit nombre d’exemples typiques confirmant, s’il était besoin, la dépendance.
4.2.2.1 Ressemblances portant sur l’explication d’un verset Dans de rares cas, Théodoret affirme lui-même qu’il emprunte une explication, sans toutefois en donner la provenance. J.-N. Guinot a ainsi noté que l’expression τινές φασιν employée à propos de Romains 14, 2, au sujet de l’abstinence de toute viande observée par les judaïsants, renvoyait à Jean Chrysostome⁵². Il indique aussi que l’opinion rejetée sur Romains 5, 13 est déjà rapportée par le prédicateur, et que, d’une manière générale, Théodoret semble connaître les opinions des commentateurs précédents par l’intermédiaire de Jean Chrysostome. On peut alors admettre que, dans ces deux passages, Théodoret s’appuie directement sur les homélies de celui-ci. Cependant, sauf dans ces deux exemples, Théodoret ne revendique pas ses emprunts et les critères permettant de supposer une dépendance directe sont plus fragiles. En comparant les deux œuvres verset par verset, on pourra notamment rapprocher leurs explications de κατηργήθημεν (Romains 7, 6), qui offre un exemple assez rare de ressemblance littérale entre les deux œuvres : Jean Chrysostome
Théodoret
Ὁρᾷς πῶς πάλιν ἐνταῦθα τῆς σαρκὸς καὶ τοῦ νόμου φείδεται ; Οὐ γὰρ εἶπεν, ὅτι Κατηργήθη ὁ νόμος, οὐδ’ ὅτι Κατηργήθη ἡ σάρξ, ἀλλ’ ὅτι « Κατηργήθημεν ἡμεῖς ». Καὶ πῶς « ἡμεῖς κατηργήθημεν » ; Τοῦ κατεχομένου παρὰ τῆς ἁμαρτίας ἀνθρώπου παλαιοῦ ἀποθανόντος καὶ ταφέντος · τοῦτο γὰρ ἐδήλωσεν εἰπών · « ᾿Aποθανόντες ἐν ᾧ κατειχόμεθα »,
Πάλιν ἐπέμεινε τῇ φειδοῖ καὶ οὐκ εἶπε, Κατηργήθη ὁ νόμος, ἀλλ’, « Ἡμεῖς κατηργήθημεν ἀπὸ τοῦ νόμου ». Τουτέστιν ἀργὸς ἡμῖν ἐστιν, οὐκέτι κατ’ ἐκεῖνον πολιτευόμεθα. Καὶ πῶς κατηργήθημεν ;
« ᾿Aποθανόντες ἐν ᾧ κατειχόμεθα »,
Sur certains détails, la comparaison proposée par I. Sanna, « Spirito e grazia nel “Commento alla lettera ai Romani” di Teodoreto di Ciro e sua dipendenza, in quest’opera, da Giovanni Crisostomo e Teodoro di Mopsuestia », Lateranum XLVIII/1, 1982, p. 238-260, nous a semblé oublier un peu cet aspect. Cf. Théodoret, V, 22 et Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 627, 17-9 ab imo ; Théodoret, II, 26 et Jean Chrysostome, X, PG 60, 474, 6-3 ab imo. On consultera l’analyse détaillée de J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 646-647 et p. 799.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
suite Jean Chrysostome
Théodoret
« Vois-tu comment, ici encore, il épargne la chair et la Loi ? En effet, il n’a pas dit : “La loi a été rendue inactive”, ni : “La chair a été rendue inactive”, mais : “Nous, nous avons été soustraits à son action”. Et comment y avons-nous été soustraits ? Parce que le vieil homme, retenu par le péché, est mort et a été enseveli. C’est en effet ce qu’il a rendu évident en disant : “Étant morts à l’égard de celle en qui nous étions retenus” »⁵³.
« Encore une fois, il est resté modéré ; et il n’a pas dit : “La Loi a été rendue inactive”, mais : “Nous, nous avons été soustraits à l’action de la Loi”. C’est-à-dire : elle est pour nous inactive, nous ne vivons plus sous le régime de cette Loi. Et comment y avons-nous été soustraits ? “Étant morts à l’égard de celle en qui nous étions retenus” »⁵⁴.
Ici, non seulement l’idée est identique, mais les mots sont semblables (φείδεται / φειδοῖ) ainsi que l’enchaînement des phrases : πάλιν … οὐκ εἶπε, Κατηργήθη ὁ νόμος, … ἀλλ’ « Ἡμεῖς κατηργήθημεν » … Καὶ πῶς κατηργήθημεν ; … « ᾿Aποθανόντες ἐν ᾧ κατειχόμεθα ». L’accumulation de ces similitudes parle en faveur d’une dépendance directe. L’exemple suivant concerne le recours au témoignage scripturaire. En lisant parallèlement l’homélie XX et le commentaire de Théodoret sur la même section (Romains 12, 1-3), on est frappé de voir que celui-ci non seulement utilise certains termes identiques, en particulier ἱκετηρία (« supplication ») pour commenter παρακαλῶ, mais recourt à trois reprises aux mêmes citations que son maître⁵⁵. Les deux auteurs rapprochent le « corps » à offrir en « sacrifice » (θυσία) de deux versets du Psaume 49 : « Offre à Dieu un sacrifice (θυσία) de louange » et « Un sacrifice (θυσία) de louange me glorifiera » (Psaume 49, 14. 23). Puis, à l’occasion du verset « Ne vous configurez pas à ce temps-ci » (Καὶ μὴ συσχηματίζεσθε τῷ αἰῶνι τούτῳ), ils rappellent ensemble une autre parole de Paul, « Car la figure de ce monde-ci passe » (Παράγει γὰρ τὸ σχῆμα τοῦ κόσμου τούτου, 1 Corinthiens 7, 31). Enfin, à propos de l’appel à la modération (σωφρονεῖν), ils notent que l’humilité (ταπεινοφροσύνη) est la première vertu à être couronnée par le Maître dans les béatitudes. Et de citer tous deux : « Bienheureux les pauvres en esprit… » (Μακάριοι οἱ πτωχοὶ τῷ πνεύματι, Matthieu 5, 3). On pourrait soutenir que les deux premières citations sont appelées par les mots eux-mêmes, mais la troisième ne l’est pas, et l’accent mis sur le rang de la béatitude l’est encore moins⁵⁶. C’est donc cette dernière ressemblance qui rend remarquable la série des trois citations. Or, habituellement, Théodoret cite des passages différents, et n’utilise pas le témoignage scripturaire aux mêmes endroits que Jean. La rareté même du phénomène suggère la dépendance.
Jean Chrysostome, XII, PG 60, 498, 43-49. Théodoret, III, 15. Cf. Théodoret, V, 2-4 ; Jean Chrysostome, XX, PG 60, 595, 16-10 ab imo ; 597, 14-13 ab imo ; 599, 32-33. Pour une comparaison plus précise entre les deux auteurs, cf. infra, p. 178.
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Les exemples sont peu fréquents et nous ne pouvons que confirmer les résultats auxquels sont parvenus P. M. Parvis et J.-N. Guinot à propos d’autres œuvres. Les ressemblances littérales entre les deux commentaires sont rares et, dans bien des cas, rien ne permet d’affirmer avec certitude la dépendance directe, bien que celle-ci semble plus probable lorsqu’un même passage présente une accumulation de détails communs. L’aspect le plus évident de l’autonomie de Théodoret réside bien dans son habitude d’utiliser ses propres formulations.
4.2.2.2 Échos à distance Aux ressemblances à l’échelle d’un verset, il faut ajouter les échos différés, pour ainsi dire. Nous qualifions ainsi les remarques de détail de Théodoret dont on trouve un équivalent chez Jean à l’occasion d’autres versets. C’est le cas d’une remarque sur la conjonction ὅπως. Observons, dans quelques passages parallèles, à quels endroits chacun emploie les mots αἰτιολογικόν et ἔκβασις : Jean Chrysostome
Théodoret Τὸ δὲ « ὅπως » οὐκ αἰτιολογικόν ἐστιν ἐνταῦθα, ἀλλὰ τῆς ἐκβάσεως δηλωτικόν, « Et le mot “afin que” n’est pas final, ici, mais sert à indiquer une issue »⁵⁷.
Οὐ τοῦτό φησιν, ὅτι διὰ τοῦτο ἥμαρτον, ἵνα φραγῇ Τὸ « ἵνα » πάλιν κατὰ τὸ οἰκεῖον ἰδίωμα τέθεικεν, αὐτῶν τὸ στόμα, ἀλλὰ διὰ τοῦτο ἠλέγχοντο, ἵνα μὴ « Il a employé, encore une fois, le mot “afin que” ἀγνοῶσιν ἁμαρτάνοντες τοῦτο αὐτό, « Il ne dit dans son acception particulière »⁵⁹. pas qu’ils ont péché afin que leur bouche soit fermée, mais qu’ils ont été confondus, afin qu’ils n’ignorent pas qu’ils commettent ce péché même »⁵⁸. Τὸ δὲ « ἵνα » ἐνταῦθα οὐκ αἰτιολογίας πάλιν, ἀλλ’ Τὸ δὲ « ἵνα » οὐκ ἐπὶ αἰτίας τέθεικεν, ἀλλὰ κατὰ ἐκβάσεως ἐστιν⁶⁰. τὸ οἰκεῖον ἰδίωμα⁶¹. Τὸ δὲ « ἵνα » πάλιν κατὰ τὸ οἰκεῖον ἰδίωμα τέθεικεν⁶².
Théodoret, Ι, 45 (Rm 3, 4). Jean Chrysostome, VII, PG 60, 442, 40-43 (Rm 3, 19). Théodoret, II, 2 (Rm 3, 19). Jean Chrysostome, X, PG 60, 478, 31-32 (Rm 5, 20). Théodoret, II, 31 (Rm 5, 20). Théodoret, IV, 46 (Rm 11, 31).
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
Si l’explication sur le sens simplement résultatif des conjonctions de but fait partie du fonds commun de l’exégèse patristique⁶³, il faut cependant noter que la formulation employée par Théodoret à propos de ὅπως est unique et s’oppose à son expression habituelle « tour propre » (οἰκεῖον ἰδίωμα). En effet, c’est la seule occurrence du terme αἰτιολογικός dans toute son œuvre et le substantif dérivé n’est pas attesté chez lui ; le terme est opposé à ἔκβασις. Or, l’association des termes αἰτιολογία et ἔκβασις, propre à Jean Chrysostome, se trouve dans le second extrait cité, à propos de ἵνα⁶⁴. Par conséquent, on peut difficilement contester la réminiscence directe, avec cependant un double décalage, puisque la définition ainsi reprise l’est plus haut dans le texte de l’évêque de Cyr, et à propos d’un autre mot, ὅπως, qu’il ne relève dans aucun autre passage des épîtres pauliniennes. L’exégète a-t-il trouvé bon d’employer le tour chrysostomien pour distinguer les deux mots ? Plus suggestive encore est une des définitions de πνεῦμα. Théodoret prend soin de distinguer les différents sens de ce mot dans l’épître. Il est instructif de mettre en regard l’une de ces définitions récurrentes – l’esprit comme « grâce de l’Esprit » – avec celles données par son prédécesseur à propos des mêmes versets : Jean Chrysostome
Thédoret
Ὅταν δὲ εἴπῃ, « ᾯ λατρεύω ἐν τῷ πνεύματί μου, « Ἐν τῷ πνεύματι », τουτέστιν ἐν τῷ δεδομένῳ ἐν τῷ εὐαγγελίῳ τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ », ὁμοῦ μὲν τὴν χαρίσματι, « “En l’esprit”, c’est-à-dire avec le τοῦ θεοῦ χάριν, ὁμοῦ δὲ τὴν αὐτοῦ ταπεινοφρο- charisme qui lui a été donné »⁶⁶. σύνην ἐνδείκνυται ἡμῖν · τὴν μὲν τοῦ θεοῦ χάριν, ὅτι τοσοῦτον αὐτῷ πρᾶγμα ἐπέτρεψε, τὴν δὲ αὑτοῦ ταπεινοφροσύνην, ὅτι οὐχὶ τῇ ἑαυτοῦ σπουδῇ, ἀλλὰ τῇ τοῦ πνεύματος βοηθείᾳ τὸ πᾶν λογίζεται, « Lorsqu’il dit, “Lui à qui je rends un culte en mon esprit, dans l’évangile de son Fils”, il nous montre à la fois la grâce de Dieu, à la fois son humilité : la grâce de Dieu, parce qu’il lui a confié une si grande chose, et sa propre humilité, parce qu’il attribue tout non à son empressement, mais au secours de l’Esprit »⁶⁵.
Voir, par exemple, Origène, Com. in Rom., VIII, 12, 2, SC 543, p. 580 ; Diodore de Tarse, Frg. in Rom., Staab, p. 104-105 (Rm 11, 30-32). Cf. J.-N. Guinot, « Théodoret de Cyr : exégète ou compilateur ? », Exégète et théologien, Ι, note 29 p. 401. Cf. supra, p. 34. Jean Chrysostome, II, PG 60, 402, 38-44 (Rm 1, 9). Théodoret, I, 12 (Rm 1, 9).
4.2 Jean Chrysostome, source de Théodoret
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suite Jean Chrysostome
Thédoret
« Νόμον πνεύματος » ἐνταῦθα τὸ πνεῦμα καλῶν. Τοῦ θείου πνεύματος τὴν χάριν δεδέγμεθα, Ὥσπερ γὰρ « νόμον ἁμαρτίας » τὴν ἁμαρτίαν, « Nous avons reçu la grâce de l’Esprit divin »⁶⁸. οὕτω « νόμον πνεύματος » τὸ πνεῦμά φησι, « Appelant ici “loi de l’Esprit” l’Esprit. Car, de même qu’il appelle “loi du péché” le péché, ainsi, “loi de l’Esprit”, l’Esprit »⁶⁷. « Πνεῦμα » δὲ ἐνταῦθα τὴν χάριν λέγει τοῦ « Τὸ δὲ φρόνημα τοῦ πνεύματος ». Πάλιν κἀνταῦθα τὴν πνευματικὴν διάνοιαν λέγει (…). Καὶ πνεύματος, « Et, ici, par “Esprit”, il désigne la « φρόνημα τοῦ πνεύματος » τὴν χάριν τὴν δεδο- grâce de l’Esprit »⁷⁰. μένην [φησὶ] καὶ τὴν ἐνέργειαν τὴν τῇ προαιρέσει κρινομένην τῇ χρηστῇ, οὐδαμοῦ περὶ ὑποστάσεως καὶ οὐσίας διαλεγόμενος ἐνταῦθα, ἀλλὰ περὶ ἀρετῆς καὶ κακίας, « “La pensée de l’esprit”. De nouveau ici aussi il désigne l’intention spirituelle. (…) Il appelle “pensée de l’esprit”, la grâce donnée et l’action décidée par la volonté bonne, et ne discourt pas du tout, ici, sur hypostase et nature, mais sur vertu et vice »⁶⁹. Ὁ παράκλητός, φησί, τῷ χαρίσματι τῷ δεδομένῳ « Πνεῦμα » καλεῖ τὴν φύσιν τοῦ πνεύματος, ἡμῖν, « Le Paraclet, dit-il, [témoigne] avec le don « πνεῦμα » δὲ ἡμῶν τὴν δεδομένην χάριν, ὁμωde la grâce qui nous a été donné »⁷¹. νύμως γὰρ ταῦτα καλεῖται, « Il appelle “Esprit” la nature de l’Esprit ; et “notre esprit”, la grâce donnée ; effectivement, on les appelle du même nom »⁷². Περὶ ἀνθρώπου ὁ λόγος πνευματικοῦ, καὶ χάρισμα « Πνεῦμα » δὲ ἐνταῦθα οὐ τὴν ὑπόστασιν λέγει ἔχοντος εὐχῆς, « Le texte évoque un homme τοῦ πνεύματος, ἀλλὰ τὴν δεδομένην τοῖς πιστεύspirituel, qui a un charisme de prière »⁷³. ουσι χάριν, « Par “esprit”, ici, il ne désigne pas l’hypostase de l’Esprit, mais la grâce donnée aux croyants »⁷⁴.
Les cinq définitions de Théodoret renvoient clairement à la même réalité : une grâce (χάρις, χάρισμα) donnée (δεδόσθαι) par l’Esprit, grâce à ne pas confondre avec l’Esprit saint lui-même (ὑπόστασις). Cette définition fait évidemment écho à celle que donne Jean Chrysostome à propos de Romains 8, 16 ; on n’a pas trouvé d’équivalent
Jean Chrysostome, XIII, PG 60, 513, 14-17 (Rm 8, 1). Théodoret, III, 33 (Rm 8, 1). Jean Chrysostome, XIII, PG 60, 516, 3-5 ; 49-52 (Rm 8, 5-6). Théodoret, III, 37 (Rm 8, 5). Jean Chrysostome, XIV, PG 60, 527, 45-46 (Rm 8, 16). Théodoret, III, 44 (Rm 8, 16). Jean Chrysostome, XIV, PG 60, 533, 51-52 (Rm 8, 27). Théodoret, III, 52 (Rm 8, 27).
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
chez des auteurs antérieurs, et l’interprétation par Théodore de Mopsueste de Romains 8, 27, quoique proche, présente une formulation différente⁷⁵. On notera par ailleurs l’opposition par rapport à l’interprétation cyrillienne⁷⁶. Si l’on considère que Théodoret emprunte directement l’idée du prédicateur, et cela à cinq reprises, il faut cependant reconnaître que, à l’exception du commentaire de Romains 8, 16, où il suit du reste aussi l’explication de la première occurrence de πνεῦμα comme « hypostase », les extraits cités portent la marque de son autonomie plus que celle de sa dépendance. C’est ce qui apparaît à l’observation des commentaires du prédicateur sur les mêmes mots. D’abord, en effet, ce dernier donne à πνεῦμα le sens d’Esprit saint en Romains 8, 1, et de charisme particulier de prière en Romains 8, 27. Ensuite, et surtout, les deux autres extraits cités se caractérisent par une certaine imprécision des termes. À propos de Romains 1, 9, Jean Chrysostome ne donne pas explicitement de définition. Si l’évocation du « secours de l’Esprit » semble bien appelée par le lemme, on ne sait pas très bien si l’auteur considère que πνεῦμα renvoie à l’hypostase de l’Esprit ou bien à l’aide apportée par celui-ci. Quant au commentaire de Romains 8, 5-6, l’idée de grâce donnée y est certes présente, mais πνεῦμα semble désigner en même temps l’instance de décision. À cet endroit, Théodoret ne se contente pas de répéter l’explication du maître, mais construit sa propre réflexion. L’effet produit par les deux textes est très différent. Alors que Théodoret offre une définition claire, le développement de Jean Chrysostome est moins une explication raisonnée des mots qu’une méditation libre sur le verset. Certes, Théodoret emprunte visiblement à son maître une définition, mais il l’utilise pour éclairer différents passages, sans hésiter à s’écarter alors de l’interprétation du prédicateur. Cette ressemblance suggère donc à la fois une dépendance réelle et une autonomie fondamentale.
4.2.2.3 Opposition Un autre type de lien entre les deux œuvres est celui de la différence, voire de l’opposition entre les interprétations, qui peut être le signe soit d’une dépendance, soit d’une autonomie. On ne trouve pas, dans l’In Romanos, de rejet explicite d’une interprétation donnée par Jean Chrysostome⁷⁷. Il faut donc regarder avec prudence les divergences évidentes entre les deux auteurs, Théodoret pouvant mener sa propre
« Ἐντυγχάνειν δὲ τὸ πνεῦμα », τὸ χάρισμα λέγει τὸ ἐπὶ τοῦ παρόντος ἡμῖν δεδομένον βίου, ὃ καὶ ἀπαρχὴν τοῦ πνεύματος, οὐ τῆς ὑποστάσεως αὐτοῦ καλεῖ ἀλλὰ τῆς τότε ἡμῖν εἰς παντελῆ μετουσίαν τῶν ἀγαθῶν προσδοκωμένης δοθήσεσθαι χάριτος, « Par “L’esprit intercède”, il désigne la grâce qui nous est donnée pour l’existence présente, qu’il appelle aussi “prémices de l’esprit”, non de son hypostase, mais de la grâce dont on escompte qu’elle nous sera alors donnée en vue d’une entière participation aux biens », Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 141 (Rm 8, 27). Cf. infra, p. 293. Cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 646-647.
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réflexion, ou recourir à d’autres commentaires, sans avoir nécessairement l’intention de contester le prédicateur. Il arrive que les deux auteurs donnent à certains termes du texte des significations contraires. À propos de Romains 7, 12, « De sorte que la Loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon » (Ὥστε ὁ μὲν νόμος ἅγιος καὶ ἡ ἐντολὴ ἁγία καὶ δικαία καὶ ἀγαθή), l’opposition est particulièrement visible, puisque Théodoret retient un sens de « commandement » rejeté par Jean Chrysostome : Jean Chrysostome
Théodoret
᾿ λλ’, εἰ βούλεσθε, καὶ τῶν παραποιούντων τὰς A ἐξηγήσεις ταύτας εἰς μέσον τὸν λόγον ἀγάγωμεν · οὕτω γὰρ σαφέστερα ἔσται τὰ παρ’ ἡμῶν λεγόμενα. Τινὲς γὰρ ἐνταῦθα οὐ περὶ τοῦ νόμου Μωϋσέως αὐτόν φασι λέγειν τὰ λεγόμενα, ἀλλ’ οἱ μὲν περὶ τοῦ φυσικοῦ, οἱ δὲ περὶ τῆς ἐντολῆς τῆς ἐν τῷ παραδείσῳ δοθείσης,
« Νόμον » τὸν Μωσαϊκὸν καλεῖ, « ἐντολὴν » δὲ τὴν τῷ ᾿Aδὰμ δεδομένην. Οὗ δὴ χάριν καὶ πλείοσιν ἐταινίωσεν αὐτὴν εὐφημίαις, ὡς πλείους παρὰ πολλῶν δεχομένην κατηγορίας. Οἱ γὰρ ῥᾳθυμίᾳ συζῶντες καὶ τοὺς τῆς ἀρετῆς οὐκ ἀσπαζόμενοι πόνους, καὶ τοῦ δεσπότου θεοῦ κατηγοροῦσιν ὡς τεθεικότος τὴν ἐντολήν,
« Mais, si vous voulez bien, mettons sur le devant de la scène le propos de ceux qui contrefont ces explications. Car ce que nous disons sera ainsi plus clair. En effet, certains prétendent qu’ici il ne dit pas ces mots au sujet de la loi de Moïse, mais les uns disent que c’est au sujet de la loi naturelle, les autres au sujet du commandement donné dans le paradis »⁷⁸.
« Il appelle “Loi” la loi mosaïque, et “commandement”, le commandement donné à Adam. C’est bien pour cette raison qu’il l’a enrubanné de plus de louanges, étant donné qu’il reçoit davantage d’accusations de la part d’un grand nombre. Car ceux qui vivent dans la nonchalance, et qui n’embrassent pas les peines de la vertu, accusent encore Dieu notre Maître d’avoir établi le commandement »⁷⁹.
Ici, Jean Chrysostome rapporte deux interprétations de ἐντολή qu’il rejette, en les qualifiant de contrefaçons : le commandement désignerait soit la loi naturelle, soit le commandement donné dans le paradis. Ce sont les opinions respectives de Didyme l’Aveugle et de Sévérien de Gabala⁸⁰. Or, Théodoret retient cette deuxième lecture⁸¹. Il est assez peu probable que l’évêque de Cyr soit passé à côté de cette condamnation énergique du prédicateur. Cependant, son commentaire rejoint celui de Théodore de Mopsueste sur ce verset⁸². Par conséquent, on peut aussi supposer que l’évêque de Cyr choisit simplement l’explication de Théodore, plus qu’il ne s’oppose sciemment à celle de Jean Chrysostome⁸³. On trouve une situation différente à propos de Romains 7, 5, « Lorsque nous étions dans la chair » (Ὅτε γὰρ ἦμεν ἐν τῇ σαρκί) : Jean Chrysostome, XII, PG 60, 502, 11-17. Théodoret, III, 21. Cf. Didyme l’Aveugle, Frg. in Rom., Staab, p. 3 ; Sévérien de Gabala, Frg. in Rom., Staab, p. 219. Le témoignage de Diodore de Tarse fait défaut. Sur l’emploi de ἐντολή, cf. supra, p. 74. Voir aussi la notion de loi naturelle, p. 88. Cf. Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 128. Sur le commentaire de ce passage de l’épître, cf. p. 264.
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Jean Chrysostome
Théodoret
Καὶ οὐκ εἶπεν, Ὅτε ἦμεν ἐν τῷ νόμῳ, πανταχοῦ φειδόμενος δοῦναι αἱρετικοῖς λαβήν · ἀλλ’ « Ὅτε ἦμεν ἐν τῇ σαρκί », τουτέστι, ταῖς πονηραῖς πράξεσι, τῷ σαρκικῷ βίῳ,
Τουτέστι ἐν τῇ κατὰ νόμον πολιτείᾳ · σάρκα γὰρ τὰς τῇ σαρκὶ δεδομένας νομοθεσίας ὠνόμασε τὰς περὶ βρώσεως καὶ πόσεως καὶ λέπρας καὶ τὰ τούτοις προσόμοια,
« Il n’a pas dit, “Lorsque nous étions dans la Loi”, évitant par tous les moyens de donner prise aux hérétiques, mais “Lorsque nous étions dans la chair”, c’est-à-dire dans les pratiques perverses, la vie charnelle »⁸⁴.
« C’est-à-dire sous le régime de la Loi : en effet, il a dénommé “chair” les éléments de législation donnés pour la chair, sur la nourriture, la boisson, la lèpre, et tout ce qui ressemble à cela »⁸⁵.
En prenant soin de préciser que Paul n’a pas dit « dans la Loi » mais « dans la chair », Jean Chrysostome souligne que ce n’est pas la Loi qui est en cause, mais le péché, identifié à la « vie charnelle ». Tout en faisant de Paul un ennemi de Marcion, il s’oppose, sciemment ou non, à l’interprétation de Diodore de Tarse, selon lequel Paul appelle la Loi « chair » (ἀντὶ τοῦ ἐν τῷ νόμῳ), parce que « ceux qui étaient dans la Loi se complaisaient dans la chair » (οἱ γὰρ ἐν νόμῳ ἐχαρίζοντο τῇ σαρκί)⁸⁶. Or, Théodoret identifie justement, contre Jean Chrysostome, la « chair » à la Loi. Toutefois, il ne suit pas pour autant Diodore, puisqu’il donne à son explication un autre sens : pour lui, Paul appelle les sujets de la Loi « ceux qui sont dans la chair » à cause des prescriptions particulières auxquelles ils sont soumis, qui ne correspondent pas à la loi naturelle mais sont des législations concernant la chair. Il est important de noter qu’ici Théodoret ne s’inspire pas non plus Théodore, dont un long fragment sur ce verset nous est parvenu, en particulier sur le mot « chair » et son lien avec la mortalité. Par conséquent, autant que nous pouvons en juger d’après les sources disponibles, l’évêque de Cyr est isolé dans son interprétation. On ne peut donc pas considérer son opposition à Jean Chrysostome comme un simple choix parmi les exégèses à sa disposition. Soit il s’écarte sciemment de sa source, soit il mène sa réflexion personnelle sans l’aide d’autres commentaires. Si, en comparant simplement les deux œuvres, on a parfois l’impression que Théodoret marche délibérément dans la voie condamnée par son prédécesseur, il ne faut donc pas exclure l’hypothèse du simple recours à d’autres sources, même lorsque le manque de documentation ne permet pas de la vérifier. Ces exemples posent plusieurs questions déjà soulevées par nos prédécesseurs. D’abord, Théodoret ne cite pas littéralement Jean Chrysostome et n’utilise pas toujours à propos des mêmes versets les explications qu’il trouve chez lui. Faut-il mettre ce phénomène sur le compte d’une approximation due à des emprunts faits de
Jean Chrysostome, XII, PG 60, 498, 21-24. Théodoret, III, 14. Diodore de Tarse, Frg. in Rom., Staab, p. 86.
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mémoire et non avec le texte du maître sous les yeux ? La déduction semble un peu rapide et l’exemple de la définition de πνεῦμα témoigne plutôt d’un choix réfléchi. Ensuite, la comparaison entre certains extraits des deux auteurs fait apparaître une intention exégétique assez différente : l’un est soucieux de proposer des explications pour aider à l’intelligence du texte, l’autre ne semble pas d’abord viser la compréhension des mots, mais offre davantage une méditation. Divergence liée à la personnalité des auteurs, ou bien au genre des deux œuvres ? On ne tranchera pas. Néanmoins, pour l’instant, il faut revenir sur la question des ressemblances afin de souligner combien, au-delà des rapprochements portant sur le contenu, le recours à des outils communs accentue l’impression de dépendance.
4.2.3 Une méthode semblable, des applications différentes Une lecture successive des deux œuvres peut aisément produire une illusion de ressemblance, causée par la récurrence des mêmes procédés d’interprétation, ou d’expressions similaires que les deux auteurs héritent de la tradition antiochienne⁸⁷. Les formules communes contribuent évidemment à la ressemblance, alors même qu’elles n’apparaissent pas forcément à propos des mêmes versets. Pour illustrer l’effet de trompe-l’œil produit par l’application d’une même méthode, nous présentons ici quelques passages dans lesquels chacun des deux auteurs l’applique seul. Ainsi seront mises en lumière certaines différences de détail entre les deux commentaires.
4.2.3.1 Les remarques d’ordre linguistique Si les deux exégètes accordent une grande importance aux mots du texte biblique, il faut noter que Théodoret ne s’intéresse pas toujours aux mêmes termes que Jean Chrysostome. Ainsi, en Romains 8, 9, il ne relève pas avec le prédicateur l’emploi de εἴπερ pour ἐπείπερ, ni l’emploi de τις de préférence à ὑμεῖς, destiné à ne pas viser directement les lecteurs⁸⁸. En Romains 8, 11, Jean Chrysostome est seul à préciser qu’il est dit non pas ἀναστήσει, « il ressuscitera », mais ζωοποιήσει, « il fera vivre », et que Paul emploie non pas le verbe simple οἰκεῖν, mais ἐνοικεῖν, pour souligner la permanence de l’habitation de l’Esprit dans l’âme⁸⁹. De son côté, Théodoret définit chacun des vices énumérés en Romains 1, 29-31, alors que Jean Chrysostome n’en commentait qu’un petit nombre⁹⁰. Il fait remarquer qu’en Romains 15, 25-27, l’Apôtre appelle d’abord κοινωνία, puis λειτουργία l’aide
Voir quelques exemples p. 13-21. Cf. Jean Chrysostome, XIII, PG 60, 518, 12-5 ab imo. Cf. Jean Chrysostome, XIII, PG 60, 519, 8-6 ab imo ; 520, 30-32. Cf. Théodoret, I, 28.
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financière des Églises de Macédoine et d’Achaïe à Jérusalem⁹¹. Il souligne qu’Andronicos et Junie, en Romains 16, 7, sont qualifiés de remarquables « non parmi les disciples, mais parmi les enseignants ; et même, non parmi n’importe quels enseignants, mais “parmi les apôtres” »⁹². Ou bien encore, à propos de Romains 3, 24, il fournit une description du propitiatoire : « Le propitiatoire était une plaque en or ; il était posé sur l’arche ; et, de chaque côté, il portait les figures en relief des Chérubins. C’est de là que, pour le grand-prêtre qui exerçait le ministère, devenait visible la bienveillance de Dieu »⁹³. Au sujet de ce verset, on ne peut exclure que Théodoret ait eu directement ou indirectement accès au commentaire d’Origène, qui s’intéresse longuement à la notion de propitiatoire⁹⁴. Cependant, une telle source n’est pas nécessaire, le texte biblique appelant de soi une remarque sur ce terme vétérotestamentaire. On pourrait faire le même constat à propos des remarques grammaticales. Par exemple, Jean Chrysostome souligne seul le pluriel « nous savons » en Romains 7, 14, qui suggère, selon lui, que l’opinion est partagée par tous ; il relève la forme interrogative (κατὰ ἐρώτησιν) en Romains 8, 35 et affirme que c’est une manière de dire qu’il n’y a pas de contradiction possible (ἀναντίρρητον)⁹⁵. Quant à Théodoret, il note par exemple l’expression de la défense (ἀπαγόρευσις) en Romains 6, 2 et indique qu’elle permet de montrer l’absurdité de l’objection avancée⁹⁶. Ou bien il précise comment ponctuer le texte quand cela lui paraît nécessaire⁹⁷. Au-delà de ces quelques exemples, que l’on pourrait multiplier, quelques tendances se dégagent. D’abord, les remarques de langue sont plus fréquentes chez Théodoret que chez Jean Chrysostome. Il semble qu’on puisse attribuer cette différence en partie au goût personnel de chacun, en partie à la différence de genres, l’homélie se prêtant peut-être moins à des considérations techniques que le commentaire. D’autre part, force est de constater que Théodoret ne suit pas systématiquement Jean Chrysostome mais s’intéresse à des détails que ce dernier ne relève pas. C’est encore un aspect de son autonomie.
Cf. Théodoret, V, 50. Οὐκ ἐν τοῖς μαθηταῖς, ἀλλ’ ἐν τοῖς διδασκάλοις, οὐδὲ ἐν τοῖς τυχοῦσι διδασκάλοις, ἀλλ’ « ἐν τοῖς ἀποστόλοις », Théodoret, V, 58. Τὸ ἱλαστήριον πέταλον ἦν χρυσοῦν, ἐπέκειτο δὲ τῇ κιβωτῷ, ἑκατέρωθεν δὲ εἶχε τὰ τῶν χερουβὶμ ἐκτυπώματα. Ἐκεῖθεν τῷ ἀρχιερεῖ λειτουργοῦντι ἐγίνετο δήλη τοῦ θεοῦ ἡ εὐμένεια, Théodoret, II, 7. Cf. Origène, Com. in Rom., III, 5, 3-16, SC 539, p. 124-143. Cf. Jean Chrysostome, XIII, PG 60, 507, 25-21 ab imo ; XV, PG 60, 543, 46-49. Cf. Théodoret, II, 33. Cf. Théodoret, IV, 15 ; 19 ; 34.
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4.2.3.2 Les remarques d’ordre rhétorique Outre l’attention à la langue de Paul, les deux exégètes partagent une grande sensibilité à sa rhétorique. Ils soulignent tous deux sa démarche argumentative, mais, encore une fois, souvent à des endroits différents. Jean Chrysostome s’intéresse à l’intention présidant à l’argumentation de l’Apôtre. Par exemple, l’emploi d’une citation prophétique, dit-il, permet à Paul de ne pas donner l’impression qu’il parle de lui-même ; le fait de ne pas citer les prophètes appelant les Juifs « incirconcis » lui permet d’éviter l’objection selon laquelle ce n’est pas la circoncision elle-même mais les infidélités des Juifs qui l’ont fait rejeter⁹⁸. Ou encore, il se demande pourquoi Paul, au lieu de dire que le Grec vertueux n’est pas en reste par rapport au Juif vertueux, affirme que le Grec vertueux est meilleur que le Juif pécheur. C’est, répond-il, pour rendre la victoire incontestable (ἀναμφίβολος) en rejetant ainsi la circoncision de la chair, puisque le Grec n’en a pas eu besoin pour être sauvé et que le Juif est châtié alors qu’il avait celle-ci⁹⁹. Le prédicateur est surtout très sensible à l’ἔθος de Paul, soulignant, par exemple, tantôt son indulgence, tantôt sa sévérité¹⁰⁰. Théodoret ne reprend pas toujours ce type de remarques, mais il en introduit à d’autres endroits. Il insiste sur la tendresse (φιλοστοργία) dont l’Apôtre fait preuve à l’égard de ses frères Juifs au début de Romains 9¹⁰¹. Commentant le verset « Parce que j’ai un grand chagrin et une douleur incessante en mon cœur », il affirme : « La construction de la proposition est incomplète. En effet, il aurait fallu apposer “à cause du rejet des Juifs”, ou “de leur incrédulité”, au fait que son chagrin était incessant. Mais il a usé de ménagement, et, sans employer ces mots, il en enseigne la signification par ce qui suit »¹⁰². Il considère donc que le langage elliptique de Paul est intentionnel, destiné à ne pas brusquer ses destinataires. D’une manière générale, il semble que Jean Chrysostome évoque plus fréquemment que Théodoret l’intention argumentative de l’Apôtre, et affirme l’importance de bien la comprendre pour éviter des contresens sur le texte.
4.2.3.3 L’attention aux divisions du texte La comparaison entre les deux auteurs eu égard aux divisions de l’épître est difficile à cause de la segmentation du commentaire de Jean Chrysostome en homélies et des
Cf. Jean Chrysostome, VI, PG 60, 434, 27-32 ; 435, 1-4 (Rm 2, 24-25). Cf. Jean Chrysostome, VI, PG 60, 436, 1 ab imo-437, 8 (Rm 2, 28-29). Sur l’utilisation de ce type d’explication au service de l’antijudaïsme, cf. supra, p. 156. Cf. Théodoret, IV, 2 ; IV, 7. Sur ce mot, cf. supra, p. 58. Sur le rapport de Paul aux Juifs dans l’In Romanos selon Théodoret, voir infra, p. 234. ᾿Aτελὴς μὲν ἡ συνθήκη τοῦ λόγου. Ἔδει γὰρ προσκεῖσθαι, διὰ τὴν Ἰουδαίων ἢ ἀποβολὴν ἢ ἀπιστίαν τὴν ἀδιάλειπτον εἶναι λύπην. Φειδοῖ δὲ κεχρημένος, ταῦτα μὲν οὐ τέθεικε τὰ ῥήματα, τὴν δὲ τούτων διὰ τῶν ἑξῆς διδάσκει διάνοιαν, Théodoret, IV, 2 (Rm 9, 2).
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discontinuités de la série¹⁰³. Outre le fait que ce genre puisse imposer des extraits correspondant davantage aux conditions de la prédication qu’aux articulations du texte, on manque d’informations sur les usages relatifs à ce type de discours : le texte était-il imposé à l’orateur ou choisi par celui-ci¹⁰⁴ ? L’exemple suivant illustre la difficulté d’établir une dépendance de Théodoret à l’égard de Jean Chrysostome, malgré la ressemblance apparente. Il s’agit de la délimitation du passage de l’accusation contre les Nations, de Romains 1, 18-2, 16. Voici les phrases de transition encadrant cette section chez chaque auteur. Les extraits de Jean Chrysostome ouvrent respectivement les homélies III et VI, le second introduisant le commentaire de Romains 2, 17 et suivants. Jean Chrysostome
Théodoret
« Regarde l’intelligence de Paul, comme, après avoir exhorté à partir de ce qui est meilleur, il oriente son propos vers ce qui est sujet de crainte ! En effet, après avoir dit que l’évangile était cause de salut, qu’il était puissance de vie, puissance de Dieu, qu’il était capable de faire le salut et la justice, il dit aussi ce qui peut faire craindre ceux qui n’y prêtent pas attention »¹⁰⁵. « Après avoir dit que rien ne manque au Grec pour être sauvé, s’il est un exécutant de la loi, et avoir fait cet admirable rapprochement, il formule désormais ce qui fait la fierté des Juifs, à partir de quoi ils avaient du mépris vis-à-vis des Grecs »¹⁰⁷.
« De là donc, laissant de côté le Juif, il commence par accuser tous les autres hommes d’avoir transgressé sans crainte la loi établie dans leur nature par le Créateur »¹⁰⁶.
« Cependant, le divin Apôtre, après avoir donné ainsi cet enseignement, en vient au Juif »¹⁰⁸.
Ces transitions semblent montrer que les deux auteurs proposent la même délimitation du passage ; on ne trouve pas d’autres transitions majeures à l’intérieur du texte ainsi défini, même entre les différentes homélies concernées. Cependant, la ressemblance s’arrête à cette délimitation formelle.
Sur l’hétérogénéité de la série d’homélies, cf. supra, note 20 p. 147. Cf. C. Broc-Schmezer, « Jean Chrysostome exégète : bilan bibliographique et état de la question ». Ὅρα τὴν Παύλου σύνεσιν, πῶς ἀπὸ τῶν χρηστοτέρων προτρέψας, ἐπὶ τὰ φοβερώτερα τρέπει τὸν λόγον. Εἰπὼν γὰρ ὅτι σωτηρίας αἴτιον τὸ εὐαγγέλιον, ὅτι ζωῆς, ὅτι θεοῦ δύναμις, ὅτι σωτηρίας καὶ δικαιοσύνης ποιητικόν, λέγει καὶ τὰ φοβῆσαι δυνάμενα τοὺς οὐ προσέχοντας, Jean Chrysostome, III, PG 60, 411, 4-8. Ἐντεῦθεν τοίνυν τὸν Ἰουδαῖον ἀφείς, πρῶτον κατηγορεῖ τῶν ἄλλων ἁπάντων ἀνθρώπων, ὡς τὸν ἐν τῇ φύσει παρὰ τοῦ δημιουργοῦ τεθέντα νόμον ἀδεῶς παραβάντων, Théodoret, I, 20. Εἰπὼν ὅτι οὐδὲν λείπει τῷ Ἕλληνι πρὸς τὸ σωθῆναι, ἐὰν τοῦ νόμου ᾖ ποιητής, καὶ τὴν θαυμαστὴν σύγκρισιν ποιησάμενος ἐκείνην, τίθησι λοιπὸν καὶ τὰ σεμνὰ τῶν Ἰουδαίων, ἀφ’ ὧν κατὰ τῶν Ἑλλήνων ἐφρόνουν, Jean Chrysostome, VI, PG 60, 431, 4 ab imo-432, 8 ab imo. Ὁ μέντοι θεῖος ἀπόστολος οὕτω ταῦτα διδάξας, ἐπὶ τὸν Ἰουδαῖον μεταφέρει τὸν λόγον, Théodoret, I, 36.
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En effet, le résumé de l’homélie VI de Jean Chrysostome ne correspond pas à l’interprétation développée dans les homélies sur le passage. Elle fait entrer l’auditeur dans l’intelligence globale de Romains 1, 18-2, 16, présentant son thème central, à savoir la possibilité du salut pour les Nations, et soulignant sa portée argumentative et ses articulations principales. En revanche, les homélies III à V sont centrées sur les vices, la culpabilité et le châtiment futur. Et surtout, alors que le texte paulinien se présente comme un constat historique, Jean Chrysostome opère en quelque sorte une double actualisation. D’abord, selon lui, Paul identifie implicitement ses destinataires aux Nations, l’évocation des secondes n’étant qu’un prétexte pour exhorter les premiers à fuir le péché¹⁰⁹. Le propos de Paul sur la situation des Nations avant l’Incarnation semble totalement oublié lorsque l’« homme qui juge » est assimilé aux dirigeants de Rome¹¹⁰. Puis le prédicateur assimile ses propres auditeurs aux Nations et fait une lecture moralisante : la visée proprement exégétique est subordonnée à la visée parénétique, ce que l’introduction de l’homélie III suggère déjà. Le contraste entre la teneur de l’homélie V et l’ouverture de l’homélie VI est-il le signe discret d’une de ces ruptures indiquant la discontinuité de la série, impliquant que les deux homélies pourraient avoir été prononcées dans des circonstances et à une période différentes¹¹¹ ? Chez Théodoret, la division du texte est une composante importante de l’interprétation. L’exégète souligne avec insistance l’unité de la section, qui réside, selon lui, dans l’accusation de « tous les autres hommes ». Cette expression inclut selon lui les Juifs. En effet, lorsque l’Apôtre mentionne ces derniers et semble établir une dissymétrie par l’expression « le Juif d’abord, puis le Grec », Théodoret rapproche au contraire les deux groupes¹¹². En outre, il présente très clairement sa clef de lecture de tout le passage, à savoir : ce qui rend les hommes inexcusables, c’est la présence en eux de la faculté de discerner entre le bien et le mal. Cette affirmation est soigneusement mise en valeur grâce à un encadrement fort autour des transitions citées. En effet, chacune d’entre elles est renforcée par une paire d’exemples bibliques, d’une part Adam et Caïn, d’autre part les frères de Joseph et Abimélech. Les premiers illustrent la « capacité de discerner entre le bien et son contraire »
Καὶ ὥσπερ ἀεὶ τοῖς πιστοῖς διαλεγόμενος περὶ ἁμαρτημάτων, καὶ βουλόμενος ταῦτα δεῖξαι φευκτά, παράγει εἰς μέσον τὰ ἔθνη, « Et, comme toujours, lorsqu’il s’entretient avec les croyants au sujet des péchés, et qu’il veut montrer que ceux-ci sont à fuir, il met en scène les Nations », Jean Chrysostome, V, PG 60, 421, 24-21 ab imo (Rm 1, 28). Ταῦτα πρὸς τοὺς ἄρχοντας ἀποτεινόμενος ἔλεγεν, ἐπειδὴ καὶ ἡ πόλις τότε ἐκείνη τὴν ἀρχὴν ἦν ἐγκεχειρισμένη τῆς οἰκουμένης, « Il a dit cela en visant les gouvernants, puisque cette cité même avait alors en main le commandement de l’univers », Jean Chrysostome, V, PG 60, 423, 21-24 (Rm 2, 1). Sur cette notion de discontinuité, cf. supra, note 20 p. 147. Ὁμοίως δέ, φησί, καὶ Ἰουδαίους καὶ Ἕλληνας, καὶ παρανομοῦντας κολάσει, καὶ εὐσεβείας καὶ δικαιοσύνης ἐπιμελουμένους ἀξιώσει στεφάνων, « Et, Juifs comme Grecs, c’est d’une manière semblable, dit-il, qu’il les châtiera, s’ils transgressent, et les jugera dignes de couronnes, s’ils se soucient de la piété et de la justice », Théodoret, I, 33 (Rm 2, 9-10).
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
(διάγνωσις τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων)¹¹³, les seconds attestent « que la loi de la nature est inscrite dans les cœurs »¹¹⁴. Cette évocation des hommes ayant vécu avant la loi mosaïque souligne le fait que l’exégète mène ici une réflexion anthropologique globale. Cet exemple permet de mesurer l’écart entre les deux auteurs malgré la ressemblance. Si Théodoret indique une division du texte biblique déjà notée par le prédicateur, lui seul cependant considère la section comme une unité et en propose une interprétation d’ensemble¹¹⁵. En somme, une comparaison trop rapide des deux œuvres produit un effet paradoxal. Certains éléments contribuant à l’impression d’une proximité entre elles témoignent précisément aussi de l’autonomie de Théodoret et de la distance entre les deux auteurs. Si leur méthode exégétique est proche, elle n’est pas toujours appliquée aux mêmes détails. En outre, ces analyses nous ont permis de constater des différences générales dans la manière de commenter, Théodoret mettant davantage l’accent sur les mots employés, Jean Chrysostome attachant une plus grande importance à la rhétorique, c’est-à-dire aussi bien à la stratégie argumentative qu’à l’ἔθος de l’Apôtre. La comparaison des remarques sur la composition du texte est délicate. D’une part, il n’est pas sûr que la division en homélies corresponde aux divisions du texte selon l’exégète, et les transitions en début d’homélie peuvent être appelées par les nécessités de la prédication plus que par la présence d’une articulation majeure ; d’autre part, lorsque le souci d’édifier l’emporte sur la visée exégétique, l’unité de l’homélie peut reposer sur le message à transmettre plus que sur le texte commenté.
4.2.4 Conclusion La lecture comparée des homélies de Jean Chrysostome et du commentaire de Théodoret mène aux constats suivants. D’abord, il est indéniable que l’œuvre de Jean Chrysostome a constitué une source directe pour Théodoret, certains échos confirmant l’évidence historique. Ensuite, sa distance par rapport au maître est perceptible aussi bien par des détails qui lui sont propres que par des divergences touchant l’interprétation d’ensemble. Les écarts observés ne révèlent pas seulement une compréhension différente de certains versets ou de l’ensemble : elles portent souvent la marque de préoccupations particulières à chaque auteur, que l’on peut attribuer en partie à la différence de genre entre les deux œuvres, ainsi qu’aux circonstances pastorales. La dépendance sur tel détail est difficile à établir avec certitude, et la Cf. Théodoret, I, 20. Sur cette expression clef de l’œuvre, cf. supra, p. 69. Τὸν τῆς φύσεως νόμον ταῖς καρδίαις ἐγγεγραμμένον, Théodoret, I, 35. Sur quelques facteurs de cohérence dans le commentaire de Théodoret sur ce passage, cf. p. 23. Sur le recours à une source chrysostomienne extérieure à la série sur Romains, cf. infra, p. 208.
4.2 Jean Chrysostome, source de Théodoret
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ressemblance entre le commentaire de Théodoret et les homélies de son maître repose en partie sur la récurrence de procédés semblables. À cause de cette difficulté, P. M. Parvis suppose que Théodoret écrit sans avoir les homélies de Jean Chrysostome sous les yeux. Un travail de mémoire serait d’ailleurs, selon lui, un des indices suggérant que le commentaire est la transcription de conférences plutôt que le résultat d’une rédaction faite pour ainsi dire dans le scriptorium ¹¹⁶. On pourrait aussi bien invoquer l’habitude de l’auteur de ne pas citer ses sources. En réalité, à cause de la liberté de Théodoret, la question de savoir s’il a emprunté sciemment tel détail des homélies ne nous semble pas rendre suffisamment compte de la complexité des rapports entre les deux œuvres. Dans les pages qui suivent, nous proposons une comparaison plus précise pour tenter de caractériser l’évêque de Cyr comme lecteur de Jean Chrysostome, et certaines parties de son œuvre comme réécriture des homélies.
Cf. P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary, p. 171-195 et p. 265-267. Sur les autres arguments développés dans ce sens par P. M. Parvis, cf. supra, p. 13.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
4.3 Théodoret et l’art de la réécriture Dans cette partie, nous voudrions donc observer comment Théodoret travaille à partir de la source chrysostomienne. Nous avons choisi un petit nombre d’exemples parmi les passages dans lesquels l’utilisation des homélies comme source directe du commentaire est la plus manifeste. L’objectif est de comparer les deux textes tels qu’ils nous sont parvenus et de saisir les différences entre les deux auteurs précisément là où Théodoret semble avoir simplement puisé chez Jean Chrysostome, sans se prononcer sur le caractère délibéré ou fortuit des transformations observées. Ce qu’il a gardé et laissé de côté, comment il a résumé, transformé, réorganisé, amplifié son modèle : à travers ces différents aspects, nous cherchons à caractériser plus précisément le commentaire comme lecture des homélies, témoignant de ce qui a intéressé notre auteur, de la manière dont il s’est approprié son modèle, et de l’apport de sa réécriture¹¹⁷. En définitive, on n’a pas pu construire de modèle permettant de définir l’œuvre de Théodoret par rapport à celle de Jean Chrysostome. Le lien, complexe et changeant, témoigne à la fois de la liberté de l’évêque de Cyr par rapport à sa source, et de la fécondité de celle-ci pour son propre travail. Cette liberté ne manque pas de brouiller les pistes sur sa pratique concrète. Dans l’analyse qui suit, nous illustrerons les différentes composantes de la réécriture, réduction, substitution, transposition, amplification, et nous terminerons sur un passage montrant, à partir de celles-ci, la valeur propre du commentaire de Théodoret.
4.3.1 Réduction La différence de longueur entre l’œuvre de Jean Chrysostome et celle de Théodoret, mais aussi l’intention exprimée par celui-ci dès le Prologue de « [recueillir] les ressources des bienheureux Pères » et d’« [avoir] soin d’être le plus concis possible »¹¹⁸ laissent supposer que la réduction est le mode de réécriture le plus fréquent. Il reste cependant à en préciser les modalités. Nous avons déjà remarqué que l’évêque de Cyr supprimait généralement les passages antijudaïques et ne retenait pas les développements parénétiques, sur lesquels Jean Chrysostome a tendance à s’étendre. Voici quelques autres types de sélection et de synthèse¹¹⁹.
J.-N. Guinot, « Théodoret imitateur d’Eusèbe », I, en particulier p. 342-351, a étudié les « mécanismes de l’imitation » à l’œuvre chez Théodoret à propos d’un passage de l’In Danielem. Il souligne, au-delà de la reprise de la matière, non seulement des différences de détail, une disposition et un mouvement de la pensée différents, des clarifications et un souci d’aller à l’essentiel, la substitution d’un raisonnement déductif au raisonnement inductif, mais aussi l’adoption d’une perspective fondamentalement différente. Cf. prol., 3. Un cas extrême de réduction, où le recours au texte source devient nécessaire pour comprendre le propos de Théodoret, sera étudié à propos des pointes antijudaïques, cf. infra, p. 232.
4.3 Théodoret et l’art de la réécriture
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Théodoret va généralement à l’essentiel. Il se limite assez souvent à l’explication littérale d’un verset et ne retient pas tous les développements de Jean Chrysostome. Leurs commentaires de Romains 6, 19, « De même, en effet, que vous avez présenté (παρεστήσατε) vos membres à l’impureté (ἀκαθαρσίᾳ) et à l’iniquité (ἀνομίᾳ) comme esclaves, pour l’iniquité, de même, maintenant, présentez vos membres à la justice (δικαιοσύνῃ) comme esclaves, pour la sanctification (ἁγιασμόν) », sont représentatifs de ce phénomène. La ressemblance entre les deux textes n’est pas littérale mais concerne les idées : partant de la comparaison entre l’esclavage à l’égard du péché et celui à l’égard de la justice, les deux auteurs soulignent l’équivalence de l’effort à fournir, mais Jean Chrysostome va plus loin. Jean Chrysostome
Théodoret
« Or, grande est la distance entre ces maîtres, et cependant je requiers (ἀπαιτῶ) l’égale mesure (τὸ ἴσον μέτρον) de l’esclavage. En effet, il faudrait apporter beaucoup plus, et d’autant plus que cette seigneurie-ci est plus grande que celle-là, et meilleure ; eh bien pourtant je ne requiers (ἀπαιτῶ) rien de plus, à cause de la faiblesse. Et il n’a pas dit “de votre liberté”, ni “de votre ardeur”, mais “de votre chair”, rendant le propos moins pénible à supporter. Or (καίτοι), une chose est l’impureté, une autre la sanctification ; une chose l’iniquité, une autre la justice. Et qui serait assez malheureux et misérable pour ne pas apporter (εἰσενεγκεῖν) un aussi grand empressement (τοσαύτην σπουδὴν) à l’esclavage envers le Christ qu’à celui envers le péché et le diable ? Par conséquent, écoute ce qui suit, et tu sauras clairement que nous n’apportons (εἰσφέρομεν) même pas ce peu »¹²⁰.
« Et il ne requiert (ἀπαιτεῖ) rien d’impossible de notre part ; mais que, ce que nous avons fourni au péché, rien que cela, nous l’offrions (προσενεγκεῖν) à la justice.
Or (καίτοι), tandis que nous avons obéi à celui-là, qui nous donnait des ordres contraires à la loi, nous nous soumettons à celle-ci, qui est à l’origine de la sanctification »¹²¹.
Les deux auteurs mettent l’accent sur l’équivalence entre le dévouement exigé envers la justice et celui qu’on avait envers le péché, et sur l’indulgence de l’Apôtre. Ce-
Καίτοι πολὺ τῶν δεσποτῶν τὸ μέσον, ἀλλ’ ὅμως τὸ ἴσον τῆς δουλείας ἀπαιτῶ μέτρον. Ἔδει μὲν γὰρ καὶ πολλῷ πλέον εἰσενεγκεῖν, καὶ τοσούτῳ πλέον, ὅσῳ καὶ αὕτη μείζων τῆς δεσποτείας ἐκείνης καὶ ἀμείνων · πλὴν ἀλλ’ οὐδὲν πλέον ἀπαιτῶ διὰ τὴν ἀσθένειαν. Καὶ οὐκ εἶπε, τῆς προαιρέσεως ὑμῶν, οὐδὲ τῆς προθυμίας, ἀλλά, « τῆς σαρκὸς ὑμῶν », ἀνεπαχθέστερον ποιῶν τὸν λόγον. Καίτοι τὸ μὲν ἀκαθαρσία, τὸ δὲ ἁγιασμός · τὸ μὲν ἀνομία, τὸ δὲ δικαιοσύνη. Καὶ τίς οὕτως ἄθλιος καὶ ταλαίπωρος, ὡς μηδὲ τοσαύτην εἰσενεγκεῖν σπουδὴν τῇ τοῦ Χριστοῦ δουλείᾳ, ὅσην τῇ τῆς ἁμαρτίας καὶ τοῦ διαβόλου ; Οὐκοῦν ἄκουσον τῶν ἑξῆς, καὶ εἴσῃ σαφῶς, ὅτι οὐδὲ τὸ μικρὸν τοῦτο εἰσφέρομεν, Jean Chrysostome, XII, PG 60, 494, 9 ab imo-495, 5. ᾿Aπαιτεῖ δὲ οὐδὲν ἀδύνατον παρ’ ἡμῶν, ἀλλ’ ἅπερ τῇ ἁμαρτίᾳ παρεσχήκαμεν, ταῦτα μόνα τῇ δικαιοσύνῃ προσενεγκεῖν. Καίτοι ἐκείνῃ μὲν ὑπηκούσαμεν κελευούσῃ παράνομα, ταύτῃ δὲ πειθόμεθα τὸν ἁγιασμὸν προξενούσῃ, Théodoret, III, 7.
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pendant, Jean Chrysostome met en valeur le paradoxe impliqué par cette équivalence, en rappelant la distance inouïe entre les deux maîtres, la justice et le péché, ou même le Christ et le diable. Il affirme par conséquent le malheur qu’il y aurait, et qu’il y a en réalité, à ne pas mettre en pratique ce précepte. On ne trouve pas de trace de cette réflexion chez Théodoret. Le commentaire de Romains 6, 13 et 14 fournit aussi un bon exemple de sélection. En effet, certains motifs communs – bonté du corps, responsabilité de l’âme dans le péché, exemples de l’œil, de la langue et des mains pour montrer la neutralité du corps, présentation de la grâce comme une alliée – indiquent que Théodoret s’inspire de Jean Chrysostome. En même temps, il laisse de côté un certain nombre de développements du prédicateur : amplification de l’analogie paulinienne des armes, qui permettent au soldat de défendre sa patrie ou au bandit d’attaquer les habitants d’une maison, insistance sur le péché comme « injustice » – envers le prochain, et plus encore envers soi-même –, métaphore filée de la guerre (πόλεμος), qui nécessite une bonne armure, de la vaillance, une bonne connaissance des techniques de guerre, et surtout un général (στρατηγός), toujours là pour fournir les armes, et n’exigeant que l’obéissance de notre liberté¹²². Théodoret ne reprend ni dans ce passage, ni ailleurs, les deux motifs développés ici et à plusieurs endroits par Jean Chrysostome au sujet de la différence entre le régime de la Loi et celui de la grâce¹²³, à savoir que les luttes proposées sont plus grandes parce que le combat est devenu plus facile, et que la grâce, contrairement à la Loi, offre la couronne avant même d’engager au combat¹²⁴. L’évêque de Cyr ne sélectionne pas seulement les idées de Jean Chrysostome, il les formule d’une manière plus synthétique. La transposition des dialogues fictifs en simples affirmations y contribue fréquemment. En voici un exemple, tiré du même commentaire de Romains 6, 14, « Car le péché n’exercera plus de souveraineté (οὐκέτι κυριεύσει) sur vous », dans lequel on remarquera quelques ressemblances littérales : Jean Chrysostome
Théodoret
« Si donc le péché n’exerce plus de souveraineté « Et le divin Apôtre montre aussi d’une autre sur nous, pour quelle raison enjoins-tu de si manière la facilité de la victoire (τῆς νίκης τὴν
Cf. Jean Chrysostome, XI, PG 60, 487, 3-7 ; 15-17 ; 38-47. Cf. Théodoret, III, 2-3. Cf. en particulier Jean Chrysostome, XII, PG 60, 499, 3-31 (Rm 7, 6) ; XIII, PG 60, 512, 31-54 (Rm 7, 25) ; 513, 30-34 (Rm 8, 2) ; 517, 10-24 (Rm 8, 7). Cf. Jean Chrysostome, XI, PG 60, 488, 7-13 ; 17-21. Εἰ οὖν ἁμαρτία ἡμῶν οὐκέτι κυριεύει, τίνος ἕνεκεν τοσαῦτα παρεγγυᾷς, λέγων · « Μὴ βασιλευέτω ἡ ἁμαρτία ἐν τῷ θνητῷ ὑμῶν σώματι » · καὶ, « Μὴ παριστάνετε τὰ μέλη ὑμῶν ὅπλα ἀδικίας τῇ ἁμαρτίᾳ » ; Τί οὖν ἐστι τὸ λεγόμενον ; Σπερματικόν τινα καταβάλλεται λόγον ἐνταῦθα, ὃν ὕστερον ἀναπτύσσειν μέλλει, καὶ μετὰ πολλῆς ἐργάζεσθαι τῆς κατασκευῆς. Τίς οὖν ἐστιν οὗτος ὁ λόγος ; Τὸ σῶμα ἡμῶν πρὸ μὲν τῆς τοῦ Χριστοῦ παρουσίας εὐχείρωτον ἦν τῇ ἁμαρτίᾳ. Μετὰ γὰρ τὸν θάνατον καὶ πολὺς παθῶν ἐπεισῆλθεν ἐσμός · διόπερ οὐδὲ σφόδρα κοῦφον ἦν πρὸς τὸν ὑπὲρ τῆς ἀρετῆς δρόμον.
4.3 Théodoret et l’art de la réécriture
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suite Jean Chrysostome
Théodoret
grandes choses, disant, “Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel” et “Ne présentez pas vos membres au péché comme armes d’injustice” ? Qu’est-ce donc que cette parole ? Il dépose ici un raisonnement en germes, qu’il va déployer plus tard et mettre en œuvre avec grand art. Quel est donc ce propos ? Notre corps, avant l’avènement du Christ, était facile à soumettre, pour le péché. Car après la mort, un grand essaim de passions s’est introduit en plus. C’est pourquoi il n’était pas spécialement léger pour la course de la vertu. Car l’Esprit qui vient au secours (τὸ βοηθοῦν) n’était pas là, ni le baptême qui peut mortifier mais, comme un cheval dur au frein, il courait et cependant s’égarait souvent, parce que la Loi (νόμου), tout en instituant (διαγορεύοντος) ce qui est à pratiquer (τὰ πρακτέα) et ce qui n’est pas tel, n’apportait rien de plus aux combattants (τοῖς ἀγωνιζομένοις) que l’exhortation par les mots (τῆς διὰ τῶν ῥημάτων παραινέσεως) ; mais, lorsque le Christ est venu, les luttes (παλαίσματα) sont désormais devenues plus faciles (εὐκολώτερα) »¹²⁵.
εὐκολίαν). “Car le péché”, dit-il, “n’exercera plus de souveraineté sur vous”. En effet, la nature n’est plus seule à lutter (παλαίει), mais elle a pour collaboratrice (συνεργοῦσαν) la grâce de l’Esprit. Car il a ajouté ceci : “En effet, vous n’êtes pas soumis à la Loi, mais à la grâce”. Or il enseigne qu’avant la grâce, la Loi (νόμος) ne faisait qu’enseigner (μόνον ἐδίδασκεν) ce qu’il y avait à pratiquer (τὸ πρακτέον), mais ne proposait pas de soutien (ἐπικουρίαν) aux sujets de la Loi (τοῖς νομοθετουμένοις). Au contraire, la grâce, en plus de légiférer, s’offre aussi comme alliée (τὴν συμμαχίαν παρέχει). Voilà donc pourquoi la législation de la grâce est aussi plus sûre que celle de la Loi, étant donné que son soutien (ἐπικουρίας) en annule la difficulté (τὴν δυσκολίαν λυούσης) »¹²⁶.
Certes, Théodoret reprend les idées – différence entre la vie avant la grâce et la vie sous la grâce, assistance de cette dernière, facilité du combat. Toutefois, il laisse de côté la mise en scène du paradoxe entre exhortation à ne pas rester sous le règne du péché et affirmation de la victoire acquise, ainsi que l’analogie du cheval dur à manier.
Οὔτε γὰρ πνεῦμα παρῆν τὸ βοηθοῦν, οὔτε βάπτισμα τὸ νεκρῶσαι δυνάμενον, ἀλλ’ ὥσπερ τις ἵππος δυσήνιος, ἔτρεχε μέν, διημάρτανε δὲ πολλάκις, τοῦ νόμου τὰ πρακτέα καὶ τὰ μὴ τοιαῦτα διαγορεύοντος μέν, πλέον δὲ οὐδὲν τῆς διὰ τῶν ῥημάτων παραινέσεως τοῖς ἀγωνιζομένοις εἰσφέροντος · ἐπειδὴ δὲ ὁ Χριστὸς παραγέγονε, τὰ παλαίσματα λοιπὸν εὐκολώτερα γέγονε, Jean Chrysostome, XI, PG 60, 487, 56-488, 8. Ὁ δὲ θεῖος ἀπόστολος καὶ ἑτέρωθεν δείκνυσι τῆς νίκης τὴν εὐκολίαν. « Ἁμαρτία γὰρ ὑμῶν », φησίν, « οὐκέτι κυριεύσει ». Οὐκέτι γὰρ ἡ φύσις μόνη παλαίει, ἀλλ’ ἔχει συνεργοῦσαν τὴν χάριν τοῦ πνεύματος. Τοῦτο γὰρ ἐπήγαγεν · « Οὐ γάρ ἐστε ὑπὸ νόμον, ἀλλ’ ὑπὸ χάριν ». Διδάσκει δὲ ὡς πρὸ τῆς χάριτος ὁ νόμος μόνον τὸ πρακτέον ἐδίδασκεν, ἐπικουρίαν δέ τινα τοῖς νομοθετουμένοις οὐκ ὤρεγεν. Ἡ δὲ χάρις πρὸς τῇ νομοθεσίᾳ καὶ τὴν συμμαχίαν παρέχει. Διά τοι τοῦτο καὶ ἀκριβεστέρα τοῦ νόμου ἡ νομοθεσία τῆς χάριτος, ὡς τῆς ἐπικουρίας τὴν δυσκολίαν λυούσης, Théodoret, III, 4.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
On pourrait évoquer d’autres manières d’abréger pour ainsi dire le commentaire de Jean Chrysostome en gardant l’idée générale sans le détail des arguments. C’est le cas du recours à la citation de Matthieu 5, 3 à propos de Romains 12, 3¹²⁷ : Jean Chrysostome
Théodoret
« Il introduit ici la mère des biens, l’humilité (ταπεινοφροσύνην), imitant (μιμούμενος) son maître (διδάσκαλον). Car, de même que celui-ci, après être monté sur la montagne, sur le point de tisser son discours moral, a d’abord commencé par là (ἐντεῦθεν ἤρξατο πρῶτον), et a posé ces fondations, parlant ainsi : “Bienheureux les pauvres en esprit”, de même lui aussi, lorsque, des propos dogmatiques, il en est venu aux considérations plus morales, il a enseigné la vertu en général, réclamant de notre part le sacrifice admirable ; et, sur le point de la mettre sous les yeux en détail, comme à partir de la tête (ὥσπερ ἀπὸ κεφαλῆς), il commence (ἄρχεται) par l’humilité »¹²⁸.
« Or, il a cherché à imiter (ἐζήλωσε) son propre Maître (δεσπότην). Car le Seigneur, dans les saints Évangiles, a déclaré bienheureux en premier (πρώτους) ceux qui possèdent l’humilité (ταπεινοφροσύνην) : “Bienheureux”, dit-il en effet, “les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient” »¹²⁹.
Jean Chrysostome justifie longuement le rapprochement entre Paul et le Christ, soulignant qu’il s’agit dans les deux cas du début d’un discours moral, et que la vertu d’humilité est mentionnée en premier. Il précise la situation de la citation dans l’Évangile, au début du Discours sur la montagne, ainsi que celle du lemme, juste après l’appel à offrir son corps en sacrifice. Théodoret, lui, se contente d’affirmer la ressemblance et d’indiquer qu’il s’agit de la première béatitude. Néanmoins, on se gardera d’attribuer les suppressions opérées par Théodoret à la seule intention d’être concis, puisque la sélection est parfois assortie d’une amplification. Lorsqu’il ne garde qu’un des exemples proposés par Jean Chrysostome, il lui arrive de le développer. C’est le cas à propos de Romains 8, 26, « Nous ne savons pas prier comme il faut », où Jean Chrysostome évoque plusieurs personnages qui n’ont pas été exaucés dans leur demande :
Sur les autres points communs entre les deux commentaires de ce verset, cf. supra, p. 160. Τὴν μητέρα ἐνταῦθα εἰσάγει τῶν ἀγαθῶν, τὴν ταπεινοφροσύνην, τὸν διδάσκαλον τὸν ἑαυτοῦ μιμούμενος. Καθάπερ γὰρ ἐκεῖνος εἰς τὸ ὄρος ἀναβάς, καὶ τὸν ἠθικὸν μέλλων ὑφαίνειν λόγον, ἐντεῦθεν ἤρξατο πρῶτον, καὶ ταῦτα κατέβαλε τὰ θεμέλια, οὕτω λέγων · « Μακάριοι οἱ πτωχοὶ τῷ πνεύματι » · οὕτω καὶ αὐτὸς ἀπὸ τῶν δογματικῶν ἐπὶ τὰ ἠθικώτερα νῦν ἐκβάς, ἐδίδαξε μὲν καθόλου τὴν ἀρετήν, τὴν θαυμαστὴν θυσίαν παρ’ ἡμῶν ἀπαιτήσας · μέλλων δὲ αὐτὴν κατὰ μέρος ὑπογράφειν, ὥσπερ ἀπὸ κεφαλῆς, τῆς ταπεινοφροσύνης ἄρχεται, Jean Chrysostome, XX, PG 60, 599, 27-37. Τὸν οἰκεῖον μέντοι δεσπότην ἐζήλωσε. Καὶ γὰρ ὁ κύριος ἐν τοῖς ἱεροῖς εὐαγγελίοις τοὺς τὴν ταπεινοφροσύνην κεκτημένους ἐμακάρισε πρώτους. « Μακάριοι » γάρ, φησίν, « οἱ πτωχοὶ τῷ πνεύματι, ὅτι αὐτῶν ἐστιν ἡ βασιλεία τῶν οὐρανῶν », Théodoret, V, 4.
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Jean Chrysostome
Théodoret
« Car il n’a pas dit, Vous ne savez pas, mais “Nous ne savons pas”. Et qu’il ne disait pas cela par modération, il l’a rendu évident par d’autres passages. Par exemple, il demandait sans cesse dans ses prières de voir Rome, et il ne l’a pas obtenu au moment où il le demandait (οὐχ ὅτε ἐδεῖτο, τότε ἐπέτυχε) ; et, pour l’aiguillon qui lui avait été mis dans la chair, c’est-à-dire pour les dangers (κινδύνων), il a prié (παρεκάλεσε) plusieurs fois, et ne l’a absolument pas obtenu (ὁλοσχερῶς ἀπέτυχε) ; de même Moïse qui, dans l’Ancien Testament, demandait de voir la Palestine, Jérémie, qui suppliait pour les Juifs, et Abraham, qui intercédait pour les gens de Sodome »¹³⁰.
« Le divin Apôtre a écrit cela également à partir de ce qu’il a souffert. Car il a demandé (ᾔτησε), lui aussi, à être délivré d’épreuves (πειρασμῶν), non pas une seule fois, ni deux, mais même trois fois, et, il a été déçu (διήμαρτε) dans sa demande. En effet, il a entendu : “Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse”. Eh bien, apprenant cela, il a embrassé ce dont il avait prié (προσηύξατο) d’être délivré, et il affirme : “Donc je me glorifierai très volontiers plutôt en mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ” »¹³¹.
Notons que Théodoret place cet exemple dans le commentaire du verset suivant, « Celui qui scrute les cœurs sait quelle est la pensée de l’esprit, parce que c’est en accord avec Dieu qu’il intercède pour les saints ». Il en modifie ainsi légèrement la portée : il s’agit moins de souligner l’ignorance des saints eu égard à ce qui est bon pour eux, que de montrer comment leur prière est exaucée en fonction de la volonté de Dieu. D’autre part, si Théodoret sélectionne un unique exemple, c’est pour l’amplifier. Il cite en effet la parole du Christ entendue par l’Apôtre, comme pour affirmer que la déception n’est pas une absence de réponse, puis la conclusion de Paul, montrant que celui-ci a accueilli cette réponse paradoxale. Ici, l’exégète ne réduit donc pas purement et simplement le texte de Jean Chrysostome, mais en choisit une seule idée et la développe à sa guise. D’après ces exemples, il semble donc que Théodoret sélectionne quelques remarques au sein de l’abondant commentaire chrysostomien. Il choisit un petit nombre d’idées, non seulement pour être plus court, mais éventuellement pour se concentrer sur le point qui lui paraît important. D’autre part, il va à l’essentiel et supprime la
Οὐ γὰρ εἶπεν, Οὐκ οἴδατε, ἀλλ’, « Οὐκ οἴδαμεν ». Καὶ ὅτι οὐ μετριάζων ταῦτα ἔλεγεν, ἐδήλωσε δι’ ἑτέρων. Καὶ γὰρ ἀδιαλείπτως ἐπὶ τῶν προσευχῶν αὐτοῦ τὴν Ῥώμην ἰδεῖν ἐδεῖτο, καὶ οὐχ ὅτε ἐδεῖτο, τότε ἐπέτυχε · καὶ ὑπὲρ τοῦ σκόλοπος τοῦ δεδομένου αὐτῷ ἐν τῇ σαρκί, τουτέστι, ὑπὲρ τῶν κινδύνων πολλάκις παρεκάλεσε, καὶ ὁλοσχερῶς ἀπέτυχε · καὶ ὁ Μωϋσῆς δὲ ἐν τῇ παλαιᾷ ὑπὲρ τοῦ τὴν Παλαιστίνην ἰδεῖν δεόμενος, καὶ ὁ Ἱερεμίας ὑπὲρ Ἰουδαίων ἱκετεύων, καὶ ὁ ᾿Aβραὰμ ὑπὲρ Σοδομιτῶν ἐντυγχάνων, Jean Chrysostome, XIV, PG 60, 533, 9-18. Τοῦτο δὲ ὁ θεῖος ἀπόστολος καὶ ἀφ’ ὧν πέπονθε γέγραφεν. ᾜτησε γὰρ καὶ αὐτὸς ἀπαλλαγῆναι πειρασμῶν, οὐχ ἅπαξ, οὐδὲ δίς, ἀλλὰ καὶ τρίς, καὶ αἰτήσας διήμαρτε. Ἤκουσε γάρ · « ᾿Aρκεῖ σοι ἡ χάρις μου, ἡ γὰρ δύναμίς μου ἐν ἀσθενείᾳ τελειοῦται ». ᾿Aλλὰ τοῦτο μαθών, ἠσπάσατο ἐκεῖνα ὧν τὴν ἀπαλλαγὴν γενέσθαι προσηύξατο, καί φησι · « Ἥδιστα οὖν μᾶλλον καυχήσομαι ἐν ταῖς ἀσθενείαις μου, ἵνα ἐπισκηνώσῃ ἐπ’ ἐμὲ ἡ δύναμις τοῦ Χριστοῦ », Théodoret, III, 52.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
plupart du temps analogies, images, dialogues fictifs, ou énumérations d’exemples, en somme les moyens par lesquels le prédicateur rend le propos vivant et accessible, y compris à un auditoire sans instruction¹³².
4.3.2 Substitution En outre, nous l’avons déjà suffisamment montré, Théodoret ne cite jamais Jean Chrysostome, mais reformule avec ses propres mots. Or, les différences ne touchent pas seulement le vocabulaire, mais affectent souvent l’idée elle-même. Les quelques exemples qui suivent permettront de se convaincre non seulement de la liberté avec laquelle il s’approprie son modèle, si l’on se place du point de vue de la réécriture, mais aussi de la difficulté d’établir un principe constant permettant de caractériser les différences entre les deux œuvres. Si le commentaire de Théodoret, abandonnant analogies et exemples, semble généralement plus intellectuel et plus abstrait que celui de Jean Chrysostome, on trouve cependant des contre-exemples très suggestifs. Ainsi, en Romains 12, 9, « Abominant (ἀποστυγοῦντες) ce qui est pervers, vous attachant (κολλῶμενοι) au bien », les deux exégètes soulignent que la vigueur de l’exhortation paulinienne passe par les mots employés, notamment le verbe κολλᾶσθαι, qu’ils rapprochent de συνάπτειν. Il est surprenant de voir que c’est Théodoret qui revient au sens le plus trivial du terme, « coller », alors que le prédicateur fonde son explication sur le rapprochement scripturaire avec Genèse 2, 24 : Jean Chrysostome
Théodoret
« Il ajoute l’exercice de la vertu, en disant : “Vous attachant (κολλώμενοι) au bien”. Il n’a pas dit seulement “faites”, mais “soyez disposés” : c’est ce que l’ordre de “s’attacher” (κολλᾶσθαι) a rendu évident. De même Dieu aussi, unissant (συνάπτων) l’homme à la femme, disait : “Car il s’attachera (προσκολληθήσεται) à sa femme” »¹³³.
« Et il a prescrit de s’unir (συνῆφθαι) fortement à l’exercice du bien, usant de cette disposition comme d’une sorte de colle (οἷόν τινι κόλλῃ) »¹³⁴.
J.-N. Guinot fait un constat semblable en comparant Théodoret à Eusèbe (cf. « Théodoret imitateur d’Eusèbe », I, p. 351), ou encore à Théodore : « Souvent plus clair, plus concis que son modèle, il va d’ordinaire plus vite à l’essentiel » (« La dette de Théodoret à l’égard de Théodore », I, p. 238). Τὴν τῆς ἀρετῆς ἐργασίαν ἐπάγει λέγων · « Κολλώμενοι τῷ ἀγαθῷ ». Οὐκ εἶπε, Ποιοῦντες μόνον, ἀλλὰ καὶ διακείμενοι · τοῦτο γὰρ τὸ κελεῦσαι κολλᾶσθαι ἐδήλωσεν. Οὕτω καὶ ὁ θεὸς συνάπτων τὸν ἄνδρα τῇ γυναικί, ἔλεγε · « Προσκολληθήσεται γὰρ πρὸς τὴν γυναῖκα αὐτοῦ », Jean Chrysostome, XXΙ, PG 60, 604, 46-52. Τῇ δὲ τῶν ἀγαθῶν ἐργασίᾳ συνῆφθαι λίαν προσέταξεν, οἷόν τινι κόλλῃ τῇ διαθέσει χρωμένους, Théodoret, V, 7.
4.3 Théodoret et l’art de la réécriture
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Par ailleurs, Théodoret semble parfois clarifier une idée trouvée chez son maître. Les parentés déjà mentionnées entre l’homélie XI et le commentaire des versets correspondants chez l’évêque de Cyr autorisent à penser que celui-ci s’inspire de la remarque du prédicateur à propos de Romains 6, 7, « Celui qui est mort est acquitté du péché » : Jean Chrysostome
Théodoret
« Il déclare cela à propos de tout homme : comme celui qui meurt (ὁ ἀποθανὼν) est désormais délivré du péché, puisqu’il gît, mort (νεκρὸς), ainsi aussi celui qui remonte du baptême. Car, puisque, là, il est mort (ἀπέθανεν) une seule fois, il faut qu’il reste, en permanence, mort (νεκρὸν) au péché. Si donc tu es mort (ἀπέθανες) dans le baptême, reste mort (νεκρός) ! »¹³⁵
« En effet, qui a jamais contemplé un mort (νεκρόν) en train, soit de miner l’union d’autrui, soit de rougir ses mains du sang d’un meurtre, soit de commettre quelque autre absurdité ? »¹³⁶
Pour Jean Chrysostome, « acquitté » du péché signifie délivré, débarrassé, et s’explique par le fait d’être un cadavre (νεκρός) : le baptisé est comparé à un mort. Théodoret explicite l’idée et la rend percutante en développant le comparant. Il met sous les yeux une accumulation d’exemples capables de frapper l’imagination, et exprimés sous forme de question rhétorique¹³⁷. On pourrait donner d’autres exemples de ce qui apparaît comme une reformulation plus vigoureuse et plus concrète des affirmations chrysostomiennes¹³⁸. Certes, ils sont assez rares en comparaison avec les nombreuses analogies utilisées par Jean Chrysostome pour rendre ses explications suggestives, mais suffisamment significatifs pour rendre caduque l’idée selon laquelle la réécriture par Théodoret irait toujours dans le sens d’un texte plus abstrait.
Περὶ παντὸς ἀνθρώπου τοῦτό φησιν, ὅτι ὥσπερ ὁ ἀποθανὼν ἀπήλλακται τὸ λοιπὸν τοῦ ἁμαρτάνειν, νεκρὸς κείμενος, οὕτω καὶ ὁ ἀναβὰς ἀπὸ τοῦ βαπτίσματος · ἐπειδὴ γὰρ ἅπαξ ἀπέθανεν ἐκεῖ, νεκρὸν δεῖ μένειν διαπαντὸς τῇ ἁμαρτίᾳ. Εἰ τοίνυν ἀπέθανες ἐν τῷ βαπτίσματι, μένε νεκρός, Jean Chrysostome, XI, PG 60, 485, 30-35. Τίς γὰρ ἐθεάσατο πώποτε νεκρόν, ἢ γάμον ἀλλότριον διορύττοντα, ἢ μιαιφονίᾳ τὰς χεῖρας φοινίττοντα, ἢ ἄλλο τι τῶν ἀτόπων διαπραττόμενον ; Théodoret, II, 35. L’interprétation de Théodoret fait écho à Origène, Com. in Rom., VI, 1, 5, SC 543, p. 92-93, qui cite Romains 6, 7 en commentant 6, 12 : « Car un mort ne convoite pas et ne s’irrite pas, il ne vole pas ni ne pille des biens étrangers ». On citera en particulier le commentaire de Romains 13, 6 sur le tribut dû au prince, qui se justifie par le fait que celui-ci néglige ses propres affaires et ses loisirs pour s’occuper du bien commun, cf. Jean Chrysostome, XXIII, PG 60, 617, 43-48 ; Théodoret, V, 16.
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4.3.3 Transposition En outre, il est assez fréquent de trouver chez l’exégète un témoignage scripturaire, une définition, une explication déjà présents chez Jean Chrysostome, mais à un autre endroit. Nous avons déjà mentionné quelques exemples. Une observation plus approfondie permet de remarquer ou de confirmer certaines caractéristiques du texte de Théodoret par rapport à celui de Jean Chrysostome. Théodoret organise parfois autrement que Jean Chrysostome les idées trouvées chez celui-ci. Ainsi, son commentaire de Romains 1, 7 rassemble ce qu’a dit le prédicateur à propos de ce verset et à propos du précédent. Les deux extraits cités de Théodoret se suivent immédiatement : nous les mettons en regard avec deux passages de Jean Chrysostome commentant respectivement les versets 6 et 7 : Jean Chrysostome
Théodoret
« Et examine donc ceci : comme l’âme de Paul est débarrassée de toute flatterie ! En effet, alors qu’il parle aux Romains, qui étaient installés, pour ainsi dire, sur un sommet (ὥσπερ ἐν κορυφῇ τινι) de toute la terre habitée, il ne leur donne rien de plus qu’aux autres nations (τῶν λοιπῶν ἐθνῶν), et ne déclare pas, parce qu’alors ils dominaient et régnaient (ἐκράτουν καὶ ἐβασίλευον), que dans les choses spirituelles ils avaient aussi quelque chose de plus ; mais de même, dit-il, que nous prêchons à toutes les Nations, de même, à vous aussi, les comptant avec les Scythes et les Thraces, puisque, s’il ne voulait pas rendre cela évident, il serait superflu de dire “parmi lesquels vous êtes, vous aussi”. Il fait cela pour purifier leur orgueil, vider le gonflement de leur pensée et leur enseigner l’égalité d’honneur qu’ils ont par rapport aux autres »¹³⁹.
« À la fois, il les a honorés des dénominations divines, et il a réprimé leur jactance. Car, premièrement, il ne les a pas séparés des autres nations (τῶν ἄλλων ἐθνῶν), sous prétexte qu’ils dominaient (ὡς κρατοῦντας) la terre habitée, mais il les a mêlés (ἀνέμιξεν) aux autres ».
« Car puisque, vraisemblablement, il y avait parmi « Et ensuite, il écrit à tous en même temps (πᾶσιν les croyants des gouverneurs et des consuls, ainsi ὁμοῦ), mêlant (ἀναμιγνύς) domestiques, men-
Σκόπει δέ μοι κἀκεῖνο, πῶς κολακείας πάσης ἀπηλλαγμένη ἐστὶν ἡ τοῦ Παύλου ψυχή. Ῥωμαίοις γὰρ διαλεγόμενος τοῖς ὥσπερ ἐν κορυφῇ τινι τῆς οἰκουμένης ἁπάσης καθημένοις, οὐδὲν πλέον αὐτοῖς δίδωσι τῶν λοιπῶν ἐθνῶν, οὐδέ, ἐπειδὴ τότε ἐκράτουν καὶ ἐβασίλευον, καὶ ἐν τοῖς πνευματικοῖς φησί τι πλέον αὐτοὺς ἔχειν · ἀλλ’, Ὥσπερ, φησί, τοῖς ἔθνεσι πᾶσι κηρύττομεν, οὕτω καὶ ὑμῖν, μετὰ Σκυθῶν καὶ Θρᾳκῶν αὐτοὺς ἀριθμῶν · ἐπεὶ εἰ μὴ τοῦτο ἐβούλετο δηλῶσαι, περιττὸν ἦν τὸ εἰπεῖν, « ἐν οἷς ἐστε καὶ ὑμεῖς ». Ταῦτα δὲ ποιεῖ καθαιρῶν αὐτῶν τὸ φρόνημα, καὶ κενῶν τὸ φύσημα τῆς διανοίας, καὶ διδάσκων αὐτοὺς τὴν πρὸς τοὺς ἄλλους ἰσοτιμίαν, Jean Chrysostome, I, PG 60, 399, 1-11. Ἐπειδὴ γὰρ εἰκὸς ἦν ἐν τοῖς πιστεύουσι καὶ ἐξ ὑπάρχων εἶναι καὶ ὑπάτων, καὶ πένητας καὶ ἰδιώτας, ἐκβάλλων τὴν ἀνωμαλίαν τῶν ἀξιωμάτων, πᾶσι μίαν ἐπιστέλλει προσηγορίαν, Jean Chrysostome, I, PG 60, 399, 25-34.
4.3 Théodoret et l’art de la réécriture
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Théodoret
que des indigents et de simples particuliers, re- diants, ouvriers, gens qui se targuent de leur rijetant l’inégalité des dignités, il envoie à tous une chesse et gens revêtus de puissance »¹⁴¹. seule salutation (πᾶσι μίαν προσηγορίαν) »¹⁴⁰.
Ici encore, la concision de Théodoret est manifeste. Encore n’avons-nous pas cité la totalité du développement dans lequel Jean Chrysostome fait remarquer l’absurdité d’exclure de la société ceux qui sont égaux en dignité devant Dieu. Mais ce qui est surtout intéressant, c’est de constater à quel point les deux explications sont semblables chez les deux auteurs, alors qu’elles commentent des mots différents. En effet, c’est pour expliquer les versets 6-7, « Dans toutes les nations (…) parmi lesquels vous êtes, vous aussi » que Jean Chrysostome introduit la première réflexion. Il anticipe ainsi la mention de Rome. Pour Théodoret, c’est le verset 7, « À tous les bienaimés de Dieu qui sont à Rome » qui est l’occasion des deux remarques, la première étant appelée par la mention de Rome, la deuxième par le fait que « tous » soient salués. En rassemblant les deux observations, l’exégète, tout en mettant en valeur la mention de la Ville, souligne la pédagogie de Paul, qui mêle éloge et appel à l’humilité. On peut aussi noter que les catégories énumérées, différentes chez les deux auteurs, sont aussi classées dans un ordre inverse. En commençant non par les consuls mais par les pauvres, et en désignant riches et puissants d’une manière péjorative, Théodoret présente un ordre social inversé, ce qui donne encore plus de relief à l’idée déjà exprimée par le prédicateur. Le commentaire de Romains 9, 3, « Je prierais d’être moi-même anathème, loin du Christ », illustre bien, quant à lui, la différence de composition à l’intérieur d’une unité. Chez Jean Chrysostome, l’explication du mot ἀνάθεμα est encadrée par deux développements plus généraux. Le prédicateur commence par souligner le paradoxe de l’assertion paulinienne, sous forme de dialogue fictif entre l’Apôtre et ses auditeurs : comment peut-il vouloir être anathème, juste après avoir dit que rien ne pouvait le séparer du Christ ? Le dialogue permet de mettre au jour l’énigme (αἴνιγμα) de cette charité mystérieuse et extraordinaire (ἡ ἀπόρρητος καὶ παράδοξος ἀγάπη), la résolution de celle-ci impliquant d’abord (πρῶτον) de comprendre ce que signifie « anathème » (ἀνάθεμα). Cette entrée en matière rhétorique est propre à exciter la curiosité de l’auditoire avant une explication plus ardue, à la suite de laquelle le prédicateur revient sur le paradoxe. Théodoret, quant à lui, commence par l’explication du mot avant de proposer une lecture globale du verset, dans laquelle il rassemble les principaux éléments placés chez son maître de part et d’autre.
Καὶ ταῖς θείαις αὐτοὺς προσηγορίαις τετίμηκε, καὶ τὴν ἀλαζονείαν κατέστειλε. Πρῶτον μὲν γὰρ αὐτούς, οὐχ ὡς κρατοῦντας τῆς οἰκουμένης ἀπέκρινε τῶν ἄλλων ἐθνῶν, ἀλλὰ τοῖς ἄλλοις ἀνέμιξεν. Ἔπειτα δὲ πᾶσιν ὁμοῦ γράφει, καὶ οἰκέτας ἀναμιγνύς, καὶ προσαίτας, καὶ ἀποχειροβιώτους, καὶ τοὺς πλούτῳ κομῶντας, καὶ τοὺς δυναστείαν περικειμένους, Théodoret, I, 9.
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La différence de composition ne s’arrête pas à cette structure générale. On la remarque aussi à une échelle plus petite, celle de l’analyse du mot lui-même, les deux sens d’anathème étant annoncés par Théodoret, alors que Jean Chrysostome évoque le second avant celui qui est attesté dans le verset commenté : Jean Chrysostome
Théodoret
« Qu’est-ce donc que l’anathème (ἀνάθεμα) ? Écoute-le dire : “Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème”, c’est-àdire, qu’il soit séparé (κεχωρίσθω) de tous, qu’il soit étranger (ἀλλότριος) à tous. En effet, de même que personne n’oserait simplement toucher de ses mains l’offrande (ἀνάθεμα) consacrée (ἀνατιθεμένου) à Dieu, ni s’en approcher ; de même, celui qu’il sépare (χωριζόμενον) de l’Église, le coupant (ἀποτέμνων) de tous et l’écartant le plus loin possible (ὡς πορρωτάτω ἀπάγων), il l’appelle de ce nom, par antithèse, signifiant à tous, avec grande crainte, de se séparer (ἀποχωρίζεσθαι) de lui et de bondir loin de lui (ἀποπηδᾶν). Car, l’offrande, c’est à cause de son caractère honorable (τιμῆς ἕνεκα) que personne n’osait s’en approcher ; mais celui qui était privé d’honneur (τοῦ ἀποτιμηθέντος), c’est par une décision contraire que tous se séparaient (ἐχωρίζοντο) de lui. De sorte qu’il y a une seule séparation (χωρισμὸς), et aussi bien celui-ci que celui-là est rendu étranger (ἠλλοτρίωται) à la foule ; en revanche, il n’y a pas une seule sorte de séparation (τρόπος τοῦ χωρισμοῦ), mais celle-
« “Anathème” (ἀνάθεμα) a une double signification. En effet, ce qui est consacré (τὸ ἀφιερωμένον) à Dieu est dénommé anathème, et ce qui est étranger à celui-ci (τὸ τούτου ἀλλότριον) a la même dénomination. Le second, le divin Apôtre nous l’a enseigné dans la Lettre aux Corinthiens : “Car si quelqu’un n’aime pas notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème”. Quant au premier, c’est l’habitude commune qui l’enseigne – car nous appelons anathèmes les choses qu’on offre (τὰ προσφερόμενα) à Dieu – ; ainsi que le Dieu de l’univers lui-même, qui a ordonné que la ville de Jéricho soit anathème. Or, ici, le bienheureux Paul a employé la seconde signification, enseignant la disposition qu’il a à l’égard de ses frères de race »¹⁴³.
Τί οὖν ἐστι τὸ ἀνάθεμα ; Ἄκουσον αὐτοῦ λέγοντος · « Εἴ τις οὐ φιλεῖ τὸν κύριον Ἰησοῦν Χριστόν, ἔστω ἀνάθεμα » · τουτέστι, κεχωρίσθω πάντων, ἀλλότριος ἔστω πάντων. Καθάπερ γὰρ τοῦ ἀναθέματος τοῦ ἀνατιθεμένου τῷ θεῷ οὐδεὶς ἂν τολμήσειεν ἁπλῶς ταῖς χερσὶν ἅψασθαι, οὐδὲ ἐγγὺς γενέσθαι · οὕτω καὶ τὸν χωριζόμενον τῆς ἐκκλησίας, πάντων ἀποτέμνων, καὶ ὡς πορρωτάτω ἀπάγων, τούτῳ τῷ ὀνόματι ἀπὸ τοῦ ἐναντίου καλεῖ, μετὰ πολλοῦ τοῦ φόβου πᾶσιν ἀπαγορεύων αὐτοῦ ἀποχωρίζεσθαι καὶ ἀποπηδᾶν. Τῷ μὲν γὰρ ἀναθέματι τιμῆς ἕνεκα οὐδεὶς ἐτόλμα ἐγγίσαι · τοῦ δὲ ἀποτιμηθέντος, ἐξ ἐναντίας ἐχωρίζοντο γνώμης ἅπαντες. Ὥστε ὁ μὲν χωρισμὸς εἷς, καὶ ὁμοίως καὶ τοῦτο κἀκεῖνο τῶν πολλῶν ἠλλοτρίωται · ὁ δὲ τρόπος τοῦ χωρισμοῦ οὐχ εἷς, ἀλλὰ καὶ ἐναντίος οὗτος ἐκείνου. Τοῦ μὲν γὰρ ἀπείχοντο ὡς ἀνακειμένου θεῷ, τοῦ δὲ ὡς ἠλλοτριωμένου θεοῦ, καὶ ἀπορραγέντος τῆς ἐκκλησίας, Jean Chrysostome, XVI, PG 60, 549, 14-32 (verset cité : 1 Co 16, 22). Τὸ « ἀνάθεμα » διπλῆν ἔχει τὴν διάνοιαν. Καὶ γὰρ τὸ ἀφιερωμένον τῷ θεῷ ἀνάθημα ὀνομάζεται, καὶ τὸ τούτου ἀλλότριον τὴν αὐτὴν ἔχει προσηγορίαν. Καὶ τὸ μὲν δεύτερον ἐν τῇ πρὸς Κορινθίους ἡμᾶς ἐδίδαξεν ὁ θεῖος ἀπόστολος · « Εἴ τις » γὰρ « οὐ φιλεῖ τὸν κύριον ἡμῶν Ἰησοῦν Χριστόν, ἤτω ἀνάθεμα ». Τὸ δέ γε πρότερον καὶ ἡ κοινὴ διδάσκει συνήθεια, ἀναθήματα γὰρ καλοῦμεν τὰ τῷ θεῷ προσφερόμενα, καὶ αὐτὸς ὁ τῶν ὅλων θεός, τὴν Ἱεριχὼ πόλιν ἀνάθημα γενέσθαι κελεύσας. Ἐνταῦθα μέντοι ὁ μακάριος Παῦλος τὴν δευτέραν διάνοιαν τέθεικεν, ἣν ἔχει περὶ τοὺς ὁμοφύλους διδάσκων διάθεσιν, Théodoret, IV, 3 (verset cité : 1 Co 16, 22).
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suite Jean Chrysostome
Théodoret
ci est contraire à celle-là. Car de l’un on s’abstenait comme étant consacré (ἀνακειμένου) à Dieu, de l’autre, comme étant rendu étranger (ἠλλοτριωμένου) à Dieu et arraché (ἀπορραγέντος) à l’Église »¹⁴².
Les similitudes entre les deux textes sont évidentes : rappel des deux sens du mot, alors que le texte ne présente pas d’ambiguïté, citation du même verset de 1 Corinthiens ¹⁴⁴. Une fois encore, Théodoret est plus bref que Jean Chrysostome, qui se répète, vraisemblablement à des fins pédagogiques. Mais il faut surtout noter la différence dans l’agencement des idées. Le prédicateur suit un schéma intuitif. Il commence par une citation de Paul qui semble presque amenée par le paradoxe : dans Romains, l’Apôtre a dit qu’il voulait être anathème par amour du Christ, mais dans 1 Corinthiens, il condamne à l’anathème toute personne qui n’aime pas le Christ. La contradiction est soulignée. Suit la définition, donnée sous forme de reformulations de la citation. Puis le prédicateur introduit le second sens du mot en exposant deux motifs de séparation opposés : l’éloignement à l’égard des choses consacrées et celui à l’égard de ceux qui sont séparés de l’Église. L’accent est ainsi mis sur la notion de séparation. Le sens d’ἀνάθεμα comme offrande, présenté comme évident, sert de point d’appui à l’explication du sens d’exclusion mentionné d’abord, sans doute plus rare. Théodoret procède d’une manière plus analytique. Il commence par annoncer les deux sens, les énonce et fait remarquer leur opposition. Ces définitions sont données hors de tout contexte, comme elles pourraient l’être dans un dictionnaire. Ensuite, l’exégète illustre le second sens en citant 1 Corinthiens. Alors, il revient au premier pour préciser que c’est l’usage habituel du mot, et donne un exemple biblique. Enfin, il dit clairement dans quel sens Paul utilise le terme. La précision donnée par Théodoret sur l’usage habituel du mot « anathème » confirme l’impression produite par le développement du prédicateur : celui-ci ressent la nécessité d’expliquer le terme à cause de son sens peu fréquent, et s’aide pour cela du sens habituel. On peut remarquer enfin une nuance entre les définitions données par les deux auteurs. Jean Chrysostome met davantage l’accent sur la réalité humaine, évoquant le fait de ne pas toucher avec ses mains et de s’éloigner, et permet ainsi à l’auditeur de comprendre comment les deux réalités contraires peuvent être désignée par le même mot. L’évêque de Cyr voit la notion du point de vue de Dieu : être anathème c’est être consacré à Dieu ou au contraire étranger à celui-ci. Il en
Certes, ce type de développement à propos du mot ἀνάθημα fait partie des lieux communs de l’exégèse patristique. Cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 363 note 169 ; id., « L’exégèse de Cyrille d’Alexandrie et de Théodoret de Cyr : un lieu de conflit ou de convergence ? », Exégète et théologien, I, p. 193-194.
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reste ainsi à ce qui importe pour saisir le sens du texte. En effet, il n’est pas question ici d’exclusion de la communauté mais de rapport à Dieu, Paul désirant renoncer à l’union divine si ses frères de race pouvaient en retirer un bénéfice. Ces deux exemples illustrent la différence de perspective entre les deux œuvres. Pour schématiser, on pourrait dire que celle de Jean Chrysostome se caractérise par un raisonnement intuitif et une progression dominée par le souci pédagogique, ce qui convient à la pratique homilétique, alors que Théodoret organise sa pensée d’une manière analytique et plus rigoureuse, ce que permet le travail du commentaire écrit.
4.3.4 Amplification On pourrait s’attendre à ce que le dernier type de réécriture, l’amplification, soit très rare, puisque Théodoret est plus concis que Jean Chrysostome, et qu’il en reste souvent à l’explication littérale. Pourtant, le phénomène n’est pas isolé. Les exemples qui suivent voudraient corriger une représentation trop univoque du rapport entre les deux œuvres, puis, surtout, exposer un type d’amplification particulièrement intéressant eu égard à l’appréhension de Théodoret comme lecteur de Jean Chrysostome.
4.3.4.1 Réduction ou amplification : l’absence de règle Nous l’avons vu, l’évêque de Cyr s’étend parfois sur un exemple de Jean Chrysostome tout en supprimant les autres, conférant au discours un caractère plus concentré. Cependant, il ne s’agit pas là d’une règle absolue. L’exemple suivant permet de se convaincre de la liberté avec laquelle Théodoret utilise le texte de son maître sans se laisser enfermer dans un schéma. Nous avons déjà mentionné les exemples utilisés par les deux auteurs pour attester la neutralité morale du corps à propos de Romains 6, 13. En les regardant de plus près, on constate que Théodoret reprend l’idée sans être asservi au texte de Jean Chrysostome : Jean Chrysostome
Théodoret
« Car, si tu t’intéresses indiscrètement à une « Et en effet, la langue (γλῶττα), si le musicien a beauté étrangère, ton œil (ὀφθαλμός) est devenu de la réserve, offre au Dieu de l’univers l’hymne
Ἂν μὲν γὰρ περιεργάσῃ κάλλος ἀλλότριον, ὅπλον ἀδικίας γέγονεν ὁ ὀφθαλμός, οὐ παρὰ τὴν οἰκείαν ἐνέργειαν – ὀφθαλμοῦ γὰρ τὸ ὁρᾶν, οὐ τὸ κακῶς ὁρᾶν –, ἀλλὰ παρὰ τὴν τοῦ κελεύσαντος λογισμοῦ πονηρίαν · ἂν δὲ χαλινώσῃς αὐτόν, δικαιοσύνης γέγονεν ὅπλον. Οὕτω καὶ ἐπὶ γλώττης, οὕτω καὶ ἐπὶ χειρῶν καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων ἁπάντων, Jean Chrysostome, XI, PG 60, 487, 9-15. Καὶ γὰρ ἡ γλῶττα, σωφρονοῦντος μὲν τοῦ μουσικοῦ, τὴν προσήκουσαν ὑμνῳδίαν προσφέρει τῷ τῶν ὅλων θεῷ, μεθύοντος δὲ καὶ παραπαίοντος, μανικῶς ἀποτελεῖ τὴν δυσηχῆ τῆς βλασφημίας ἠχήν.
4.3 Théodoret et l’art de la réécriture
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suite Jean Chrysostome
Théodoret
arme d’injustice, non par son action propre – car il appartient à l’œil de voir, non de voir d’une manière mauvaise –, mais par la perversité du raisonnement qui l’a ordonné ; mais si tu lui mets un frein, il est devenu “arme de justice”. Ainsi aussi au sujet de la langue (ἐπὶ γλώττης), ainsi aussi au sujet des mains (ἐπὶ χειρῶν) et de tout le reste (ἐπὶ τῶν ἄλλων ἁπάντων) »¹⁴⁵.
qui lui convient ; mais s’il est ivre et perd le sens, elle produit, comme une folle, le bruit odieux du blasphème. De même, aussi bien elle se pare des propos vrais, aussi bien elle se souille avec les propos mensongers ; de même aussi, l’œil (ὀφθαλμὸς) regarde avec réserve ou avec impudence, avec cruauté ou avec humanité. De même aussi, la main (χεὶρ) commet le meurtre et fait l’aumône ; et en un mot, toutes les parties du corps (ἅπαντα τὰ τοῦ σώματος μόρια) deviennent armes de justice, si l’intellect le veut, et, au contraire, du péché, chaque fois que l’intellect s’adonne au pouvoir du péché »¹⁴⁶.
Loin de supprimer les exemples multiples, l’évêque de Cyr développe non seulement celui de l’œil mais aussi celui de la langue et de la main. À propos de l’œil, il évoque, certes plus brièvement que son maître, pudeur et impudeur, et ajoute cruauté et humanité. Il place les trois exemples dans un ordre différent, selon la longueur de l’évocation. Tous les types de réécriture sont ici représentés, y compris le changement d’énonciation déjà mentionné, qui confère au texte de Théodoret un ton moins moralisateur¹⁴⁷. Il n’est pas nécessaire, du reste, que l’exégète ait travaillé avec le texte de l’homélie sous les yeux. Certes, l’évocation des mêmes parties du corps donne clairement l’impression d’une réminiscence, outre le fait que l’ensemble du passage présente bien des similitudes avec le texte chrysostomien, mais il semble peu probable que l’exégète ait opéré les transformations évoquées à dessein : on peut supposer qu’il a repris librement les idées du prédicateur.
4.3.4.2 Clarification du propos Dans la plupart des cas, l’amplification, peu étendue, consiste à rendre l’explication plus claire ou plus concrète. Par exemple, à propos de Romains 9, 9, « Car cette parole est une parole de promesse : À ce moment-là, je viendrai et Sara aura un fils », Théodoret met en valeur un élément implicite dans le raisonnement de Jean Chrysostome :
Οὕτω καὶ τοῖς ἀληθέσι κοσμεῖται λόγοις καὶ τοῖς ψευδέσι μολύνεται, οὕτω καὶ ὀφθαλμὸς καὶ σῶφρον βλέπει καὶ ἀσελγές, καὶ ὠμὸν καὶ φιλάνθρωπον, οὕτω καὶ χεὶρ καὶ φονεύει καὶ ἐλεεῖ, καὶ ἁπαξαπλῶς ἅπαντα τὰ τοῦ σώματος μόρια καὶ δικαιοσύνης ὅπλα γίνεται, βουλομένου τοῦ νοῦ, καὶ αὖ πάλιν ἁμαρτίας, ὅταν ἐκεῖνος τῆς ἁμαρτίας τὴν δυναστείαν ἀσπάσηται, Théodoret, III, 3. Voir supra, p. 154.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
Jean Chrysostome
Théodoret
« En effet, à cause de quoi Isaac est-il seul appelé “descendance” (σπέρμα) ? Pourtant, assurément, [Abraham] était père d’Ismaël aussi, et de bien d’autres. — Mais il l’était d’une mère esclave (δούλης) ! — Et qu’est-ce que cela a à voir avec celui qui engendre ? »¹⁴⁸
« Or, il veut dire ceci, qu’Ismaël aussi était fils (υἱός) d’Abraham, fils premier-né (πρωτότοκος υἱός), même. Pour quelle raison t’enorgueillis-tu, ô Juif, disant que tu es seul à être nommé descendance (σπέρμα) d’Abraham ? Or, si tu crois que c’est parce qu’il était à moitié esclave (ἡμίδουλον) que celui-là a été rejeté de la parenté, tu n’as pas raison de le croire. Car c’est à partir des pères, et non des mères, que la divine Écriture a l’habitude de faire la généalogie (γενεαλογεῖν) »¹⁴⁹.
Contrairement à l’habitude, le texte de Théodoret est plus étendu que celui du prédicateur, avec un dialogue fictif un peu plus long, ainsi que la précision sur Ismaël, non seulement fils mais aîné. On remarque surtout que la dernière phrase de Jean Chrysostome est elliptique. Pour comprendre en quoi elle permet de rejeter l’explication selon laquelle Ismaël est né de la femme esclave, il faut savoir que seul compte, pour établir la descendance, « celui qui engendre ». C’est ce que Théodoret dit explicitement, en invoquant l’usage biblique. On trouve le même type d’éclaircissement sur Romains 16, 13, « Saluez Rufus, l’élu dans le Seigneur, ainsi que sa mère qui est aussi la mienne » (τὴν μητέρα αὐτοῦ καὶ ἐμοῦ) : Jean Chrysostome
Théodoret
« Car il n’aurait pas non plus dit simplement : “Sa mère, qui est aussi la mienne”, s’il ne cherchait pas à témoigner que la vertu (ἀρετήν) qu’avait cette femme était grande (πολλὴν) »¹⁵⁰.
« Et la mère de celui-ci brillait par de nombreux traits de vertu (πολλοῖς ἀρετῆς κατορθώμασιν). Car autrement, elle n’aurait pas été jugée digne d’être nommée mère de Paul. Car, de Rufus, c’est la nature (φύσις) qui la rendit mère ; mais, du divin Paul, c’est le caractère vénérable de sa vertu (τῆς ἀρετῆς τὸ αἰδέσιμον) »¹⁵¹.
Διὰ τί γὰρ ὁ Ἰσαὰκ σπέρμα καλεῖται μόνος, καίτοι γε καὶ τοῦ Ἰσμαὴλ οὗτος ἦν πατὴρ καὶ ἑτέρων πλειόνων ; ᾿Aλλ’ ἀπὸ δούλης ἦν μητρός ; Καὶ τί τοῦτο πρὸς τὸν γεγεννηκότα ; Jean Chrysostome, XVI, PG 60, 555, 20-23. Λέγει δὲ τοῦτο, ὅτι καὶ Ἰσμαὴλ τοῦ ᾿Aβραὰμ ἦν υἱός, καὶ πρωτότοκος υἱός. Διὰ τί τοίνυν μέγα φρονεῖς, ὦ Ἰουδαῖε, ὡς μόνος σπέρμα τοῦ ᾿Aβραὰμ προσαγορευόμενος ; Εἰ δὲ νομίζεις ἐκεῖνον ὡς ἡμίδουλον ἐκβεβλῆσθαι τῆς συγγενείας, οὐκ εἰκότως νομίζεις. Ἐκ πατέρων γάρ, ἀλλ’ οὐκ ἐκ μητέρων, γενεαλογεῖν ἔθος τῇ θείᾳ γραφῇ, Théodoret, IV, 8. Οὐδὲ γὰρ ἁπλῶς εἶπε, « Μητέρα αὐτοῦ καὶ ἐμοῦ », εἰ μὴ πολλὴν ἐμαρτύρει τῇ γυναικὶ τὴν ἀρετήν, Jean Chrysostome, XXXI, PG 60, 671, 17-19. Καὶ τὴν τούτου δὲ μητέρα πολλοῖς ἐλάμπρυνεν ἀρετῆς κατορθώμασιν. Οὐ γὰρ ἂν ἄλλως ἠξιώθη Παύλου μήτηρ ὀνομασθῆναι. Τοῦ μὲν γὰρ Ῥούφου ἡ φύσις αὐτὴν ἀπέφηνε μητέρα, τοῦ δὲ θείου Παύλου τῆς ἀρετῆς τὸ αἰδέσιμον, Théodoret, V, 60.
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Les deux exégètes sont d’accord sur l’interprétation, mais Théodoret expose clairement la différence entre la maternité naturelle à l’égard de Rufus et la maternité spirituelle, par la vertu, à l’égard de Paul.
4.3.4.3 Jean Chrysostome continué Un autre type d’amplification du discours chrysostomien mérite une attention particulière. Si les exemples ne sont ni fréquents ni spectaculaires, ils semblent toutefois porter la trace de l’hommage rendu au maître, comme en réponse à l’invitation formulée par ce dernier au seuil de la première homélie de la série : « Je vous laisse continuer à chercher (…). Car il ne faut pas non plus que vous appreniez tout de moi, mais il faut que vous travailliez et cherchiez vous-mêmes, afin de ne pas devenir trop nonchalants ! »¹⁵² Effectivement, dans certains cas, l’évêque de Cyr, tout en laissant de côté les développements de Jean Chrysostome, semble se saisir d’idées que celuici a à peine effleurées et les approfondit. Nous avons surtout repéré ce phénomène au début du commentaire. À propos de Romains 1, 1, « esclave de Jésus-Christ », Théodoret ne reprend pas les réflexions du prédicateur mais construit sa réflexion à partir de la remarque conclusive de celui-ci. Jean Chrysostome distingue trois manières d’être esclave, selon le rapport de la créature au Créateur, selon la foi, qui transforme l’esclave du péché en esclave de la justice, et selon le mode de vie. Il termine ainsi : Ἐπεὶ οὖν κατὰ πάντας τοὺς τρόπους τῆς δουλείας δοῦλος ἦν ὁ Παῦλος, ἀντὶ μεγίστου ἀξιώματος τοῦτο τίθησι λέγων · « δοῦλος Ἰησοῦ Χριστοῦ », Donc, puisque Paul était esclave selon toutes les formes d’esclavage, il met cela de préférence à une très grande dignité, en disant, « esclave de Jésus-Christ »¹⁵³.
L’explication de Théodoret est comme un développement, certes bref, des derniers mots de Jean Chrysostome, ἀντὶ μεγίστου ἀξιώματος. Il faut souligner la difficulté de cette expression. La préposition ἀντί peut suggérer aussi bien la substitution, l’échange, ou la comparaison ; autrement dit, Paul met « esclave » « à la place » d’une très grande dignité, considérant l’esclavage du Christ comme étant un grand honneur, digne d’être mentionné en tête de la lettre, ou bien « de préférence » à toute autre dignité sociale. C’est cette deuxième solution qui est reprise par Théodoret : Εἶτα « δοῦλον Ἰησοῦ Χριστοῦ », ὃν νεκρὸν ἐκάλουν ἅπαντες οἱ ἀπιστοῦντες καὶ ἐσταυρωμένον καὶ « τοῦ τέκτονος υἱόν ». ᾿Aλλ’ ὅμως τὴν τούτου δουλείαν ὑπὲρ πᾶσαν βασιλείαν ἠσπάζετο,
Τοῦτο ὑμῖν καταλιμπάνω λοιπὸν ἐπιζητεῖν (…). Οὐδὲ γὰρ ἅπαντα παρ’ ἐμοῦ χρὴ μανθάνειν ὑμᾶς, ἀλλὰ καὶ αὐτοὺς πονεῖν καὶ ἐπιζητεῖν, ἵνα μὴ νωθρότεροι γίνησθε, Jean Chrysostome, I, PG 60, 395, 20-23. Jean Chrysostome, I, PG 60, 395, 41-44.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
Puis [il s’appelle] « esclave de Jésus-Christ », lui que tous les incroyants appelaient « mort », « crucifié » et « fils du charpentier ». Et pourtant, il préférait embrasser l’esclavage envers celuici plutôt que toute royauté¹⁵⁴.
L’évêque de Cyr reformule l’idée en mettant au jour le paradoxe qu’elle représente. En effet, en énumérant les désignations formulées par des incroyants, il insiste sur l’humilité, voire l’opprobre du Christ aux yeux de ces derniers. De ce point de vue, être son esclave paraît donc être de la plus grande absurdité. D’un autre côté, l’exégète donne à l’idée de μέγιστον ἀξίωμα une forme concrète, celle de la royauté, βασιλεία. Le contraste entre esclavage et royauté souligne le caractère inouï du choix de Paul, caractérisé par sa détermination et par son amour (ἀσπάζεσθαι). Le commentaire de l’expression « évangile de Dieu » offre un exemple assez semblable d’amplification à partir d’une ébauche. En effet, Jean Chrysostome commente l’expression d’abord en faisant remarquer que les évangélistes n’ont pas l’exclusivité de l’annonce, puis que le mot « évangile » renvoie non seulement à des événements passés, mais aussi aux biens à venir. Enfin, il rappelle que l’évangile n’annonce pas des accusations et des reproches, mais des trésors : « Εὐαγγέλιον δὲ θεοῦ » καλεῖ, ἀπὸ τῶν προοιμίων ἀνορθῶν τὸν ἀκροατήν. Οὐ γὰρ ἦλθέ τι σκυθρωπὸν ἀπαγγέλλων, ὥσπερ οἱ προφῆται κατηγορίας καὶ ἐγκλήματα καὶ ἐπιτιμήσεις, ἀλλὰ εὐαγγέλια, καὶ εὐαγγέλια θεοῦ, μενόντων καὶ ἀκινήτων ἀγαθῶν θησαυροὺς μυρίους, Il l’appelle « évangile de Dieu », pour redresser l’auditeur dès l’introduction. Car il n’est pas venu annoncer quelque chose de triste, comme les prophètes – accusations, inculpations et reproches –, mais des bonnes nouvelles, et des bonnes nouvelles de Dieu, des milliers de trésors de biens qui demeurent, immuables¹⁵⁵.
Le commentaire de Théodoret pourrait en quelque sorte s’insérer après ces mots du prédicateur, puisqu’il prolonge l’affirmation en énumérant les biens dont il est question : « Εὐαγγέλιον » δὲ τὸ κήρυγμα προσηγόρευσεν, ὡς πολλῶν ἀγαθῶν ὑπισχνούμενον χορηγίαν. Εὐαγγελίζεται γὰρ τὰς τοῦ θεοῦ καταλλαγάς, τὴν τοῦ διαβόλου κατάλυσιν, τῶν ἁμαρτημάτων τὴν ἄφεσιν, τοῦ θανάτου τὴν παῦλαν, τῶν νεκρῶν τὴν ἀνάστασιν, τὴν ζωὴν τὴν αἰώνιον, τὴν βασιλείαν τῶν οὐρανῶν, Il a nommé « bonne nouvelle » la prédication, étant donné qu’elle garantit la dispensation de biens en grand nombre. Car elle annonce la réconciliation avec Dieu, la destruction du diable, la rémission des péchés, la cessation de la mort, la résurrection des morts, la vie éternelle, le royaume des cieux¹⁵⁶.
Théodoret, I, 2. Jean Chrysostome, I, PG 60, 396, 38-42. Théodoret, I, 4.
4.3 Théodoret et l’art de la réécriture
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Sans reprendre l’opposition avec les écrits des prophètes, Théodoret ne retient que l’abondance des biens promis, et donne une liste exemples qui n’est pas sans rappeler les définitions chrysostomiennes de l’évangile¹⁵⁷. Un peu plus loin, son commentaire de Romains 1, 4 semble faire écho à une remarque de Jean Chrysostome. Pour apprécier la pertinence du rapprochement, il est bon de noter que le propos de Théodoret n’est pas une paraphrase attendue : alors que le lemme évoque Jésus-Christ « défini comme Fils de Dieu (…) par la Résurrection des morts », l’exégète s’étend sur le regard porté sur Jésus par les apôtres avant la Résurrection. À l’occasion de ce verset, Jean Chrysostome rassemblait les affirmations des phrases précédentes pour énumérer cinq moyens par lesquels Jésus, homme, a été reconnu comme Fils de Dieu : par la voix des prophètes, par sa naissance extraordinaire, par ses miracles, par le don de l’Esprit sanctifiant les croyants, enfin par sa Résurrection. Cette liste n’est pas reprise par Théodoret. En revanche, son commentaire du verset 4 déploie une phrase qui se trouve dans l’explication du verset 3 par le prédicateur. En effet, se demandant pourquoi Paul évoque l’humanité du Christ avant sa divinité, Jean Chrystome note que c’est l’ordre adopté par les évangélistes, et même par Dieu dans l’économie : « On l’a donc vu d’abord homme sur la terre, et ensuite (τότε) on a compris qu’il était Dieu »¹⁵⁸. Cette phrase sert pour ainsi dire de point de départ au commentaire de Théodoret sur le verset 4 : Avant la Croix et la Passion, non seulement pour l’ensemble des Juifs, mais aussi pour les apôtres eux-mêmes, notre Maître le Christ ne semblait pas être Dieu. Car ils se heurtaient à ce qu’il avait d’humain, constatant qu’il mangeait et buvait, dormait, et était fatigué ; et même les miracles ne guidaient point leurs pas jusqu’à cette opinion. Ainsi donc, aussitôt après avoir constaté le miracle sur la mer, ils disaient : « D’où vient cet homme, que même la mer et les vents lui obéissent ? » (…) Donc, avant la Passion, c’est le genre d’opinions qu’ils avaient sur lui. En revanche, après la Résurrection, l’Ascension dans les cieux, la venue de l’Esprit très saint, et les œuvres miraculeuses de toutes sortes qu’ils réalisaient en faisant appel à son nom vénérable, tous les croyants reconnurent qu’il était aussi Dieu, et Fils Unique Engendré de Dieu¹⁵⁹.
Le propos de Théodoret amplifie la phrase citée de Jean Chrysostome : à la formule générale, « on l’a vu homme sur la terre », est susbstituée une série de détails concrets attestant « ce qu’il avait d’humain » (τὰ ἀνθρώπινα), en particulier les faiblesses, ainsi que l’embarras des apôtres devant les miracles, qui ne leur suffisaient pas à reconnaître la divinité. L’expression de la succession employée par le prédicateur, τότε, est précisée par Théodoret qui, situant la reconnaissance de la divinité au moment de la Résurrection, rejoint ainsi le propos de Paul qu’il est en train de commenter.
Cf., par exemple, Jean Chrysostome, Hom. in Matth., I, PG 57, 15, 50-57. Πρῶτον γοῦν εἶδον αὐτὸν ἄνθρωπον ἐπὶ τῆς γῆς, καὶ τότε ἐνόησαν θεόν, Jean Chrysostome, I, PG 60, 397, 26-28. Théodoret, I, 7. Texte grec de l’intégralité du passage : cf. infra, note 467 p. 305.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
Ici, il n’y a pas lieu de prétendre que Théodoret se soit véritablement aidé d’une explication du maître pour mieux comprendre le texte biblique. En revanche, si l’on admet qu’il travaille avec l’appui des homélies de Jean Chrysostome, il n’est pas impossible que cette simple phrase ait fourni comme un point de départ à sa réflexion. Or, cette insistance sur les traits humains du Christ à propos du verset évoquant sa divinité lui permet de construire un pendant à la réflexion sur le verset précédent. En effet, pour lui, de même que l’ajout de l’expression « selon la chair », renvoyant à l’humanité, indique en creux la divinité, de même « défini comme Fils de Dieu », indiquant la divinité, signifie que celle-ci a d’abord été voilée par l’humanité¹⁶⁰. On peut citer, pour finir, le commentaire de Romains 1, 8, « Votre foi est publiée dans le monde entier » : Jean Chrysostome
Théodoret
« Comment donc ? Est-ce que toute la terre a entendu parler de la foi des Romains ? Toute, d’après lui ! Et rien d’invraisemblable : car la Ville n’était pas obscure, mais comme si elle était située sur un sommet (κορυφῆς), elle était parfaitement visible de tous côtés. Mais toi, examine donc la puissance de la prédication, comment, en peu de temps, au moyen de publicains et de pêcheurs, elle s’est emparée du sommet (κορυφῆς) des villes lui-même, et que des Syriens sont devenus enseignants et précepteurs de Romains ! »¹⁶¹
« En effet, il n’était pas possible que ce qui arrivait à Rome échappât aux habitants de la terre habitée. Car c’est là qu’autrefois les empereurs romains avaient leurs palais, et de là qu’étaient envoyés les gouverneurs des provinces ainsi que ceux qui levaient l’impôt sur les cités. Ou bien encore, c’est vers elle qu’accouraient tous ceux qui sollicitaient des faveurs impériales. Et, par l’intermédiaire de tous ces gens-là, on faisait savoir partout que la ville de Rome aussi avait accueilli l’enseignement relatif au Christ. Cela rendait à ceux qui l’entendaient un très grand service. C’est pour cela que le divin Apôtre a célébré le Maître sur ce point »¹⁶².
Théodoret ne reprend pas le discours du prédicateur qui suit, sur le paradoxe de la Ville conquise par des simples avec un message peu attrayant, et sur l’extension extraordinaire de l’annonce. En revanche, il semble s’emparer de la première re-
Sur le commentaire de ces versets et le rapport à la tradition d’interprétation, voir p. 303. Τί οὖν ; πᾶσα ἡ γῆ τὴν πίστιν ἤκουσε τῶν Ῥωμαίων ; Πᾶσα ἐξ ἐκείνου · καὶ οὐδὲν ἀπεικός · οὐ γὰρ ἄσημος ἡ πόλις ἦν, ἀλλ’ ὥσπερ ἐπί τινος κορυφῆς κειμένη, διὰ πάντα κατάδηλος ἦν. Σὺ δέ μοι σκόπει τοῦ κηρύγματος τὴν δύναμιν, πῶς ἐν χρόνῳ βραχεῖ διὰ τελωνῶν καὶ ἁλιέων αὐτῆς τῆς τῶν πόλεων ἐπελάβετο κορυφῆς, καὶ ἄνδρες Σύροι Ῥωμαίων ἐγένοντο διδάσκαλοι καὶ καθηγηταί, Jean Chrysostome, II, PG 60, 401, 35-42. Οὔτε γὰρ οἷόν τε ἦν λαθεῖν τοὺς κατὰ τὴν οἰκουμένην τὰ ἐν τῇ Ῥώμῃ συμβαίνοντα. Ἐν ἐκείνῃ γὰρ εἶχον πάλαι Ῥωμαίων οἱ βασιλεῖς τὰ βασίλεια, κἀκεῖθεν οἵ τε τῶν ἐθνῶν ἄρχοντες ἐξεπέμποντο, καὶ οἱ τὸν δασμὸν τὰς πόλεις εἰσπράττοντες. Καὶ μέντοι καὶ εἰς ἐκείνην συνέτρεχον ἅπαντες οἱ βασιλικὰς ἐπαγγέλλοντες χάριτας. Καὶ διὰ τούτων ἁπάντων κατεμηνύετο πανταχοῦ, ὡς καὶ ἡ Ῥωμαίων πόλις τὴν κατὰ τὸν Χριστὸν διδασκαλίαν ἐδέξατο. Μεγίστην δὲ τοῦτο τοῖς ἀκούουσιν ὠφέλειαν προὐξένει. Ὅθεν ὁ θεῖος ἀπόστολος ἐπὶ τούτοις τὸν δεσπότην ἀνύμνησεν, Théodoret, I, 11.
4.3 Théodoret et l’art de la réécriture
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marque sur Rome comme point vers lequel convergent les regards du monde entier, et la réécrit d’une manière très concrète, mentionnnant les différentes catégories de personnes susceptibles, par leur métier ou leur mission, de faire circuler dans l’Empire la nouvelle de la foi de Rome. L’amplification, tantôt libre reprise des idées de Jean Chrysostome, tantôt explicitation de son propos, donne dans certains cas l’impression que Théodoret se met dans les traces du prédicateur pour continuer la réflexion de celui-ci.
4.3.5 Un exemple : la réécriture du commentaire de Romains 6, 12 Au terme de ce parcours sur les différents types de transformations que Théodoret fait subir au commentaire de Jean Chrysostome lorsqu’il s’en inspire directement, nous présentons ici un exemple complexe, dans lequel on observe à la fois la dépendance et l’autonomie de Théodoret à l’égard du prédicateur, et où apparaissent tous les modes de réécriture mentionnés. Il s’agit du commentaire de Romains 6, 12, « Donc, que le péché ne règne pas (μὴ οὖν βασιλευέτω) dans votre corps mortel, au point que vous obéissiez au premier conformément aux désirs du second »¹⁶³. La dépendance est assez probable par deux éléments significatifs non appelés par le texte commenté. Les deux auteurs, relevant le verbe βασιλεύειν, mettent l’accent sur la notion de royauté et définissent celle-ci par son opposition à la tyrannie (τυραννεῖν). Par ailleurs, ils interprètent la précision « corps mortel » (θνητὸν σῶμα), comme une indication du caractère temporaire (πρόσκαιρος) du combat contre le péché. Une comparaison plus détaillée montrera comment les idées de Jean Chrysostome servent de tremplin à Théodoret pour sa propre réflexion. On observe que celui-ci sélectionne certaines idées de l’homélie, laissant de côté plusieurs éléments. En effet, il ne reprend pas à cet endroit la précision sur le fait que l’Apôtre n’attaque pas la chair mais le péché¹⁶⁴, ni la méditation sur le « corps mortel », référence, selon le prédicateur, au premier péché, « racine de la mort » (ἡ τοῦ θανάτου ῥίζη), par opposition à « la profusion de la grâce du Christ » (ἡ περιουσία τῆς τοῦ Χριστοῦ χάριτος), par laquelle nous sommes capables de ne pas pécher, malgré notre corps mortel, alors qu’Adam est tombé, lui qui avait un corps immortel¹⁶⁵. En supprimant ces deux passages propres à Jean Chrysostome (signalés par les points de suspension), on obtient les textes suivants :
Nous avons déjà signalé certaines des nombreuses réminiscences chez Théodoret de l’homélie XI de Jean Chrysostome, de laquelle est tiré le passage étudié ici. Οὐκ εἶπε, Μὴ οὖν ζήτω ἡ σάρξ, μηδὲ ἐνεργείτω, ἀλλ’ « Ἡ ἁμαρτία μὴ βασιλευέτω » · οὐ γὰρ τὴν φύσιν ἦλθεν ἀνελεῖν, ἀλλὰ τὴν προαίρεσιν διορθῶσαι, « Il n’a pas dit, “Donc, que la chair ne vive pas et n’agisse pas”, mais “Que le péché ne règne pas”. Car il n’est pas venu pour faire périr la nature, mais pour redresser la volonté libre », Jean Chrysostome, XI, PG 60, 486, 31-34. Cf. Jean Chrysostome, XI, PG 60, 486, 47-53.
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Jean Chrysostome
Théodoret
« (…) Montrant ensuite que ce n’est pas par violence et nécessité (βίᾳ καὶ ἀνάγκῃ) que nous sommes retenus par la perversité, mais de notre plein gré (ἑκόντες), il n’a pas dit, “Qu’il ne tyrannise pas”, ce qui était propre à la nécessité, mais “Qu’il ne règne pas”. Et en effet, il serait absurde (ἄτοπον) que, conduits dans le royaume des cieux, nous ayons pour roi¹⁶⁶ le péché, et que, appelés à régner avec le Christ, nous choisissions (αἱρεῖσθαι) d’être captifs (αἰχμαλώτους) du péché : c’est comme si, ayant rejeté le diadème de sa tête, on consentait (ἐθέλοι) à être esclave (δουλεύειν) d’une mendiante possédée couverte de haillons !
« La royauté (βασιλεία) diffère de la tyrannie (τυραννίδος) en ceci que la tyrannie s’exerce contre le gré (ἀκόντων) des sujets, la royauté, elle, avec le consentement (βουλομένων) des gouvernés. Il exhorte donc à ne plus pactiser avec l’empire du péché ; car le Maître, par son Incarnation, en a détruit la royauté, et, puisqu’il établit des lois pour des gens encore mortels, avec un corps soumis aux passions (παθημάτων), il les établit proportionnées à notre faiblesse (ἀσθενείᾳ). Et il ne dit pas : “Que le péché ne tyrannise pas”, mais : “Qu’il ne règne pas”. Car l’un est propre au péché, l’autre à notre décision. Car mouvement et perturbation (κίνησίς τε καὶ ἐνόχλησις) des passions existent en nous selon la nature, mais la pratique de ce qui est défendu dépend de notre décision. Ensuite, puisqu’il est difficile (βαρὺ) de l’empor- Et il a montré le caractère temporaire (πρόσκαιter sur le péché, regarde comment il a montré que ρον) de la guerre (πολέμου) elle-même, en quac’était même facile (κοῦφον), et a encouragé à la lifiant le corps de “mortel”. Car une fois que peine, en disant : “En votre corps mortel”. En celui-ci reçoit son arrêt de mort, l’assaut (προσeffet, cela montre que les luttes (ἀγῶνας) sont βολή) des passions cesse (παύεται) également. temporaires (προσκαίρους), et se terminent rapidement (ταχέως καταλυομένους) (…). Et comment, dit-il, le péché règne-t-il ? Non pas à Par conséquent, il nous ordonne, non pas de faire partir de sa propre puissance (ἀπὸ τῆς οἰκείας cesser la tyrannie du péché, mais de ne pas lui
Litt. « reine », ἁμαρτία (le péché) étant féminin. D’où la comparaison qui suit avec la mendiante possédée. Εἶτα δεικνύς, ὅτι οὐ βίᾳ καὶ ἀνάγκῃ κατεχόμεθα ὑπὸ τῆς πονηρίας, ἀλλ’ ἑκόντες, οὐκ εἶπε, Μὴ τυραννείτω, ὅπερ ἀνάγκης ἦν, ἀλλά, « Μὴ βασιλευέτω ». Καὶ γὰρ ἄτοπον εἰς βασιλείαν ἀγομένους τῶν οὐρανῶν, βασιλίδα τὴν ἁμαρτίαν ἔχειν, καὶ καλουμένους συμβασιλεῦσαι τῷ Χριστῷ, αἱρεῖσθαι γενέσθαι τῆς ἁμαρτίας αἰχμαλώτους · ὥσπερ ἂν εἴ τις τὸ διάδημα ῥίψας ἀπὸ τῆς κεφαλῆς, δαιμονώσῃ γυναικὶ καὶ προσαιτούσῃ καὶ ῥάκια περιβεβλημένῃ δουλεύειν ἐθέλοι. Εἶτα, ἐπειδὴ βαρὺ τὸ περιγενέσθαι ἁμαρτίας, ὅρα πῶς καὶ κοῦφον ἔδειξε, καὶ τὸν πόνον παρεμυθήσατο εἰπών, « Ἐν τῷ θνητῷ ὑμῶν σώματι ». Τοῦτο γὰρ δείκνυσι προσκαίρους ὄντας τοὺς ἀγῶνας, καὶ ταχέως καταλυομένους (…). Καὶ πῶς βασιλεύει, φησίν, ἡ ἁμαρτία ; Οὐκ ἀπὸ τῆς οἰκείας δυνάμεως, ἀλλ’ ἀπὸ τῆς σῆς ῥᾳθυμίας. Διὰ τοῦτο εἰπών, « Μὴ βασιλευέτω », καὶ τὸν τρόπον δείκνυσι τῆς τοιαύτης βασιλείας, ἐπάγων καὶ λέγων · « Εἰς τὸ ὑπακούειν αὐτῇ ἐν ταῖς ἐπιθυμίαις αὐτοῦ ». Οὐ γάρ ἐστι τιμὴ τὸ μετ’ ἐξουσίας αὐτῷ πάντα χαρίζεσθαι, ἀλλ’ ἐσχάτη δουλεία καὶ ἀτιμίας ἐπίτασις. Ὅταν γὰρ ἃ βούλεται πράττῃ, τότε ἐλευθερίας ἐστέρηται πάσης · ὅταν δὲ κωλύηται, τότε μάλιστα τὴν οἰκείαν ἀξίαν διατηρεῖ, Jean Chrysostome, XI, PG 60, 486, 34-46 ; 53-62. Βασιλεία τυραννίδος ταύτῃ διαφέρει τῷ, τὴν μὲν τυραννίδα ἀκόντων γίνεσθαι τῶν ὑπηκόων, τὴν δὲ βασιλείαν βουλομένων τῶν ἀρχομένων. Παραινεῖ τοίνυν μηκέτι τῇ δυναστείᾳ τῆς ἁμαρτίας συντίθεσθαι, κατέλυσε γὰρ αὐτῆς τὴν βασιλείαν ὁ δεσπότης ἐνανθρωπήσας, καὶ ἅτε δὴ θνητοῖς ἔτι καὶ παθητὸν ἔχουσι σῶμα νομοθετῶν, σύμμετρα τῇ ἀσθενείᾳ νομοθετεῖ. Καὶ οὐ λέγει · Μὴ τυραννείτω ἡ ἁμαρτία, ἀλλά · « Μὴ βασιλευέτω ». Τὸ μὲν γὰρ ἴδιον ἐκείνης, τὸ δὲ τῆς ἡμετέρας γνώμης. Ἡ μὲν γὰρ
4.3 Théodoret et l’art de la réécriture
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suite Jean Chrysostome
Théodoret
δυνάμεως), mais à partir de ta nonchalance (ἀπὸ obéir, lui qui enflamme démesurément (ἀμέτρως τῆς σῆς ῥᾳθυμίας). Voilà pourquoi, après avoir dit ἐξαπτούσης) les appétits (ὀρέξεις) du corps »¹⁶⁸. “Qu’il ne règne pas”, il montre aussi le mode d’une telle royauté, en ajoutant : “Au point que vous obéissiez au premier conformément aux désirs du second”. Car ce n’est pas un honneur de le satisfaire abondamment en tout, mais un esclavage extrême et un déshonneur intense (ἀτιμίας ἐπίτασις). Car, chaque fois qu’il pratique ce qu’il veut (βούλεται), alors il est privé de toute liberté ; mais chaque fois qu’il se réprime (κωλύηται), alors, vraiment, il conserve sa propre dignité »¹⁶⁷.
Au-delà de l’opposition initiale entre royauté et tyrannie, le détail du raisonnement est assez différent, aussi bien du point de vue de l’ordre que de celui du contenu. Chez Jean Chrysostome, ladite opposition est amenée comme une preuve attestant que l’on pèche non par nécessité mais par consentement. Chez Théodoret, la différence entre « régner » et « tyranniser » est exposée d’une manière théorique, puis utilisée pour mettre en valeur le sens du texte. Les deux auteurs justifient l’exhortation à ne pas laisser le péché régner. Jean Chrysostome oppose cette royauté à celle des cieux et à l’appel à régner avec le Christ : l’analogie avec la mendiante possédée doit persuader les auditeurs de l’absurdité d’obéir au péché. Théodoret, lui, en reste à la royauté du péché, affirmant sa destruction par l’Incarnation. Ensuite, Jean Chrysostome commente « corps mortel », avant de revenir sur l’idée du règne : celuici est causé par la paresse et non par la puissance du péché. Citant la fin du verset, il énonce, avec un ton parénétique assez marqué, le paradoxe du corps perdant sa dignité lorsqu’il commande, la regagnant lorsqu’il est maîtrisé. Théodoret, lui, avant de commenter « corps mortel », introduit la notion, absente ici chez Jean Chrysostome, de passions (παθήματα) – renvoyant aux « désirs » (ἐπιθυμίαι) évoqués par Paul – à cause desquelles, dit-il, le péché exerce sa tyrannie. C’est ici que l’on constate une différence essentielle dans l’interprétation des deux auteurs. Jean Chrysostome met l’accent sur la volonté humaine (ἐθέλειν, αἱρεῖσθαι) et considère que le pécheur se fait volontairement esclave (αἰχμαλώτης, δουλεύειν) : le péché n’est donc pas puissant par lui-même (ἀπὸ τῆς οἰκείας δυνάμεως) mais par notre nonchalance (ῥᾳθυμία). Théodoret, tout en gardant la notion de décision (γνώμη), τῶν παθημάτων κίνησίς τε καὶ ἐνόχλησις κατὰ φύσιν ἡμῖν ἐγγίνεται, τῶν δὲ ἀπειρημένων ἡ πρᾶξις τῆς γνώμης ἐξήρτηται. Ἔδειξε δὲ καὶ τοῦ πολέμου τὸ πρόσκαιρον, « θνητὸν » τὸ σῶμα προσαγορεύσας. Τούτου γὰρ δεξαμένου τοῦ θανάτου τὸν ὅρον, παύεται καὶ τῶν παθημάτων ἡ προσβολή. Κελεύει τοίνυν ἡμῖν οὐ παύειν τῆς ἁμαρτίας τὴν τυραννίδα, ἀλλὰ μὴ ὑπακούειν αὐτῇ ἀμέτρως ἐξαπτούσῃ τὰς ὀρέξεις τοῦ σώματος, Théodoret, III, 1.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
liée à l’image de la royauté, exploite aussi celle de la tyrannie et affirme que le péché est puissant à cause des passions. Il met donc l’accent sur ces dernières, qui perturbent (κίνησίς τε καὶ ἐνόχλησις) et attaquent (προσβολή), aussi bien que sur le péché, qui « enflamme démesurément » (ἀμέτρως ἐξάπτειν). Il reconnaît la faiblesse humaine (ἀσθενεία) devant cette guerre (πόλεμος). Pour lui, le combat consiste moins à renverser la tyrannie du péché qu’à refuser de se soumettre à celui-ci. La réécriture de Théodoret n’offre donc pas une simple variation sur un thème, ni un approfondissement d’un motif chrysostomien : elle s’accompagne d’une modification discrète mais réelle de l’interprétation. S’appuyant sur le terme βασιλεύειν, le prédicateur lance l’idée de tyrannie, qui le conduit à une analogie suggestive, propre à impressionner son auditoire. Toutefois, il en reste finalement à l’idée de royauté lorsqu’il évoque le royaume des cieux. Il développe une conception plutôt optimiste du combat contre le péché, insistant sur la facilité (κοῦφος) de la lutte, et sur l’absurdité (ἄτοπον) et le déshonneur (ἀτιμίας ἐπίτασις) de la défaite. Théodoret, lui, s’empare de l’idée, en donne une présentation plus explicite et l’exploite d’une manière conséquente. La notion de tyrannie lui permet d’affirmer la puissance du péché et des passions. Il développe une conception plus dramatique du combat spirituel : certes, la victoire, dit-il, est assurée par l’Incarnation, mais la vie présente, marquée par la condition mortelle, est le lieu d’un combat dont la difficulté n’est pas relativisée.
4.3.6 Conclusion La comparaison du commentaire de Théodoret avec les homélies de Jean Chrysostome, précisément là où la dépendance est la plus visible, fait apparaître la complexité de leurs rapports. Non seulement l’évêque de Cyr ne cite pas, mais, au-delà de certaines tendances correspondant bien aux qualificatifs qui lui sont habituellement attribués – « concis », « rationnel », « sobre » –, les schémas simplifiés ne résistent pas à l’examen. Par exemple, on ne peut pas dire qu’il supprime systématiquement les réflexions concrètes ou les exemples. La liberté de l’exégète ne se manifeste pas seulement par les divergences, mais aussi là où il est apparemment le plus dépendant de sa source. La forme particulière de réécriture qui utilise certaines ébauches de Jean Chrysostome comme des pierres d’attente est peut-être celle qui manifeste le mieux tout à la fois la dette de Théodoret à l’égard de son maître, et l’apport de son propre commentaire. Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’intention explicite de l’évêque de Cyr, ce n’est pas seulement dans les ressemblances et dans les emprunts qu’il faut voir le profit tiré des homélies, mais aussi dans les ajouts et déploiements. En effet, laissant parfois de côté ce qui a été dit et bien dit, l’exégète peut se consacrer à des aspects non développés par son prédécesseur. En tout cas, une véritable complémentarité apparaît entre les deux exégèses à plus d’un endroit. Un des meilleurs exemples illustrant la fécondité de la réécriture par Théodoret des
4.3 Théodoret et l’art de la réécriture
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homélies chrysostomiennes sur Romains est sans doute son Prologue sur l’ordre de rédaction des épîtres pauliniennes¹⁶⁹. Par ailleurs, à partir de ce qu’on a observé, on peut s’interroger sur les modalités concrètes de l’emprunt. Les ressemblances littérales, certes rares, ne sont-elles pas assez probantes pour qu’on puisse supposer un recours à la source chrysostomienne sous une forme écrite ? Dans cette hypothèse, on pourrait se demander si Théodoret travaille avec les homélies sous les yeux ou s’il a d’abord pris des notes, par exemple en ajoutant des scholies à son exemplaire biblique, à moins qu’un autre ait réalisé ce travail préalable. Cette hypothèse pourrait expliquer en particulier les échos différés de quelques versets. Néanmoins, la possibilité de se reporter directement au texte chrysostomien pendant la rédaction pourrait avoir produit le même résultat. En constatant l’autonomie de Théodoret, qui, par exemple, change la portée d’une explication en l’utilisant à propos d’un autre verset ou en la modifiant, il est difficile de savoir si c’est le hasard qui féconde la pensée ou celle-ci qui commande une telle transformation. On peut se demander si l’utilisation d’explications à propos de versets différents implique un travail de réagencement ou de copie des gloses à plusieurs endroits pertinents. Cependant il est possible, à une époque où la mémoire était très exercée, que l’érudit ait retenu assez précisément certains passages importants à ses yeux, ou se soit approprié une définition qui lui paraissait convaincante, pour la répéter plusieurs fois. On se gardera donc de toute conclusion hâtive. Pour revenir à notre propos, nous avons regardé jusqu’ici la dépendance sous l’angle de l’accord entre les deux auteurs. Or, il s’avère que l’opposition révèle parfois des liens plus certains encore entre deux textes. Il nous reste donc à nous demander de quelles façons Théodoret manifeste son désaccord à l’égard de son maître.
Voir supra, p. 118.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
4.4 Formes de l’autonomie Nous avons mentionné plus haut des différences majeures entre Jean Chrysostome et Théodoret sur l’interprétation de Romains, en particulier en ce qui concerne le judaïsme. Dans cette partie, nous voudrions aborder le problème sous l’angle de la réécriture et observer de quelle manière l’évêque de Cyr entre en dialogue avec l’œuvre de son maître, précisément lorsqu’il s’écarte manifestement d’une de ses interprétations¹⁷⁰. En effet, on sait comment Théodoret affirme son opposition ou son indépendance par rapport à certaines exégèses, n’hésitant pas à lancer quelque remarque polémique, prenant systématiquement le contre-pied de Théodore de Mopsueste sur tel motif récurrent pour signifier son désaccord essentiel, utilisant le matériau même fourni par Eusèbe de Césarée pour réfuter son argumentation, ou encore marquant son opposition radicale à l’égard de l’interprétation du Psautier proposée par Diodore de Tarse, tout en empruntant ses explications de détail¹⁷¹. Cependant, le rapport à Jean Chrysostome, du moins au sujet de l’œuvre qui nous intéresse, semble différent. Sur des points de divergence fondamentaux, nous n’avons trouvé ni remarque polémique, ni contradiction explicite. Reste à se demander comment il exprime son désaccord, et surtout quelle démarche il suit le cas échéant. Notre analyse se limitera à deux larges extraits de son commentaire, illustrant deux manières différentes d’assumer le désaccord avec l’interprétation du maître. Le premier montrera comment Théodoret utilise le matériau offert par le prédicateur, c’est-à-dire ses explications de détail, sans pour autant suivre son interprétation d’ensemble. Le second nous invitera à sortir des limites de notre champ de recherche initial en nous intéressant à une exégèse de Jean Chrysostome située à l’extérieur des homélies sur Romains, et permettra de se convaincre que, sans se limiter à cette série exégétique, Théodoret puise dans les autres œuvres du prédicateur pour trouver le commentaire qu’il juge le meilleur sur un passage donné.
4.4.1 Construire une autre ligne interprétative : le commentaire de Romains 14 Lorsque le commentaire de Théodoret atteste la dépendance à l’égard de Jean Chrysostome, les divergences d’interprétation sont d’autant plus perceptibles : ce qui est retenu parle alors en creux de ce qui ne l’est pas. Le commentaire de Romains 14 fournit une bonne illustration de ce phénomène. Un faisceau de ressemblances entre les deux textes permet de supposer que les homélies de Jean Chrysostome sont bien présentes à l’esprit de Théodoret lorsqu’il commente ce passage, et même qu’il les a J.-N. Guinot, « Les sources de l’exégèse de Théodoret de Cyr », I, p. 375-377, souligne que les écarts sont parfois plus révélateurs de la dette de Théodoret à l’égard de ses devanciers que les emprunts. Cf. id., « La cristallisation d’un différend : Zorobabel », I, p. 257-275 ; id., « Théodoret imitateur d’Eusèbe », I, p. 331-365 ; id., « L’In Psalmos de Théodoret et de Diodore de Tarse », I, p. 277-306.
4.4 Formes de l’autonomie
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peut-être sous les yeux. Et pourtant, l’interprétation d’ensemble est nettement différente. Une analyse comparée confirmera certains aspects déjà observés sur la manière dont Théodoret réécrit l’œuvre de Jean Chrysostome, et permettra, dans un deuxième temps, d’étudier comment il s’en écarte. En somme, lorsque l’on met en regard les deux textes, celui du prédicateur agit comme une sorte de révélateur photographique sur celui de l’évêque de Cyr, rendant saillante une ligne d’interprétation qui risquait de passer inaperçue à cause de la paraphrase.
4.4.1.1 Une dépendance évidente L’emprunt direct est suggéré par un faisceau de ressemblances. Ainsi, les deux auteurs limitent la portée de Romains 14, 4, « Que chacun ait pleine certitude en son propre esprit », en disant que cette recommandation de liberté n’est pas universelle et ne s’applique pas à la doctrine. Et de rappeler la sévérité de l’Apôtre à l’égard de ceux qui développent des idées nouvelles : Jean Chrysostome
Théodoret
« Ne tirons donc pas en tous sens (εἰς πάντα) l’expression “Que chacun ait pleine certitude en son propre esprit”. Car lorsqu’il parle des doctrines (δογμάτων), écoute ce qu’il dit… »¹⁷²
« Il n’a pas formulé cela d’une manière universelle (καθολικῶς). En effet, il n’ordonne pas d’avoir cette pensée au sujet des doctrines (δογμάτων) sur Dieu »¹⁷³.
Théodoret retient alors la première des citations alléguées par le prédicateur sur la condamnation de toute personne qui se présenterait avec un évangile différent de celui de Paul (Galates 1, 8). Puis, à propos de Romains 14, 14, « Rien n’est profane (κοινός) en soi-même, si ce n’est que, pour celui qui considère (λογίζεσθαι) une chose comme profane, pour celui-là, elle est profane », les deux exégètes évoquent l’impureté (ἀκάθαρτος) due non pas à la nature (φύσις) de ce qui est consommé, mais à l’intention (προαίρεσις chez Jean, λογισμός chez Théodoret) de celui qui mange (ὁ μετίων chez Jean, ὁ μεταλαμβάνων chez Théodoret)¹⁷⁴. Plus loin, en identifiant le bien (τὸ ἀγαθόν) en Romains 14, 16 comme la foi (πίστις), l’évêque de Cyr retient en fait le premier des trois sens proposés par son prédécesseur, les deux autres étant l’espérance des récompenses à venir et la piété parfaite¹⁷⁵. L’exégèse de Romains 14, 2 représente un des rares cas de l’In Romanos où Théodoret rapporte explicitement l’opinion d’un autre exégète, justement celle de Jean Chrysostome, à savoir que les croyants venus du judaïsme dissimulaient leur
Μὴ τοίνυν εἰς πάντα ἕλκωμεν τό, « Ἕκαστος τῷ ἰδίῳ νοῒ πληροφορείσθω ». Ὅταν γὰρ περὶ δογμάτων ὁ λόγος ᾖ, ἄκουσον τί φησι, Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 630, 36-39. Οὐ καθολικῶς τοῦτο τέθεικεν, οὐδὲ γὰρ περὶ τῶν θείων δογμάτων τοῦτο κελεύει φρονεῖν, Théodoret, V, 24. Cf. Théodoret, V, 29 ; Jean Chrysostome, XXVI, PG 60, 637, 28-26 ab imo. Cf. Théodoret, V, 30 ; Jean Chrysostome, XXVI, PG 60, 638, 31-29 ab imo.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
refus de manger du porc en prétextant une abstinence de viande¹⁷⁶. Théodoret ne se prononce pas sur cette opinion. Néanmoins, il suggère discrètement qu’elle ne constitue pas un élément décisif pour la compréhension du texte, puisqu’il la rapporte à propos d’un verset particulier, alors que la remarque du prédicateur introduisait l’ensemble du passage. Enfin, la dépendance de Théodoret par rapport aux homélies de Jean Chrysostome est surtout évidente dans l’introduction de leurs commentaires respectifs de ce passage. Le fait même de présenter le contexte historique avant de citer le texte est suffisamment peu fréquent dans les deux œuvres pour être remarqué. La composition des deux introductions est semblable : les deux auteurs commencent par justifier leur démarche, puis ils présentent les faits à l’origine du problème, à savoir les comportements des fidèles par rapports aux interdits alimentaires, indiquent quel conflit est ainsi né, puis affirment que le discours de Paul est destiné à résoudre ce problème. Selon son habitude, Théodoret ne garde pas les redondances liées au caractère oral de la prédication. Par ailleurs, les deux textes se répondent terme à terme, et cependant on retrouve à peine deux mots communs, Théodoret employant systématiquement des synonymes. On notera qu’il énonce d’une manière positive le but de son explication – donner une vision d’ensemble du passage –, alors que le prédicateur en donne la cause – l’embarras des auditeurs : Jean Chrysostome
Théodoret
« Je sais que, pour beaucoup, ce qui a été dit est embarrassant (ἄπορον). C’est pourquoi il est nécessaire (ἀναγκαῖον) de dire d’abord le sujet (ὑπόθεσιν) de tout ce passage »¹⁷⁷.
« Mais il faut (χρὴ) d’abord (πρότερον) dire la visée (σκοπόν) de l’enseignement de l’Apôtre, afin qu’on puisse embrasser d’un regard (εὐσύνοπτος γένηται) l’interprétation des termes »¹⁷⁸.
On pourrait faire les mêmes constats à propos des autres éléments de l’introduction. Cependant, une comparaison plus détaillée des deux textes fera apparaître des différences bien plus essentielles, touchant la signification profonde du passage commenté.
4.4.1.2 Une différence d’accent essentielle Dès son introduction, le prédicateur propose une double clef de lecture du passage sur les interdits alimentaires. D’une part, il se focalise sur les remontrances des croyants issus des Nations à l’égard de ceux qui venaient du judaïsme, et considère
Cf. Théodoret, V, 22 ; Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 627, 17-9 ab imo. L’identification de τινες avec ce passage de Jean Chrysostome est établie par J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 647. Οἶδα ὅτι πολλοῖς ἄπορον τὸ εἰρημένον. Διὸ πρότερον ἀναγκαῖον εἰπεῖν τοῦ χωρίου τούτου παντὸς τὴν ὑπόθεσιν, Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 627, 20-18 ab imo. Χρὴ δὲ πρότερον εἰπεῖν τὸν τῆς ἀποστολικῆς διδασκαλίας σκοπόν, ἵν’ εὐσύνοπτος γένηται ἡ τῶν ῥητῶν ἑρμηνεία, Théodoret, V, 21.
4.4 Formes de l’autonomie
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que le but principal de Paul est de lutter contre l’effet pervers de tentatives de correction fraternelle qui risqueraient d’éloigner les « faibles » de la foi. D’autre part, il comprend les attaques de l’Apôtre d’une manière inversée : selon lui, il faut interpréter les pointes contre les uns comme des reproches indirects contre les autres. Et de louer l’efficacité psychologique de la méthode : « Car cette correction précisément est moins pénible à supporter : lorsque, tout en dirigeant son propos contre l’un, on en frappe un autre »¹⁷⁹. Nous ne reviendrons pas sur ce motif de l’attaque indirecte, « sans en avoir l’air » (λανθανόντως), déjà observé à propos de l’interprétation de Romains 11, repris sous diverses formes dans le commentaire de Romains 14¹⁸⁰. Ces remarques n’ont pas d’équivalent chez l’évêque de Cyr, qui se contente d’identifier les destinataires directs de chaque parole de Paul. La première clef de lecture, à savoir les risques de la correction fraternelle, caractéristique du commentaire de Jean Chrysostome sur Romains 14, est énoncée ainsi dans l’introduction : Par conséquent, le bienheureux Paul, craignant que, voulant corriger un peu, ils bouleversent tout, que, voulant les conduire à l’indifférence à l’égard des nourritures, ils les disposent à faillir dans la foi, que, s’empressant de tout redresser avant le moment qui convient, ils causent un dommage sur ce qui est essentiel, les faisant vaciller de leur adhésion au Christ par leurs reproches ininterrompus, et que des deux côtés ils restent incorrigibles,… regarde de quelle grande intelligence il fait preuve, comme il prend soin de chacune des deux parties, avec la sagesse qui lui est habituelle¹⁸¹ !
On ne trouve pas de trace de cette interprétation dans l’introduction de Théodoret. Pourtant, Jean Chrysostome insiste particulièrement sur le danger d’une tentative inopportune de réformer les judaïsants et affirme que ceux-ci étaient pourtant bel et bien fautifs. Il se fonde sur la sévérité de Paul, dans Colossiens et Galates, à l’égard de ceux qui suivent les prescriptions de la Loi, par opposition à son indulgence provisoire envers les Romains, à cause de la faiblesse de leur foi toute nouvelle¹⁸². Loin de tout esprit de querelle, il faut, dit-il, respecter la patience de Dieu : « Car si Dieu, dit-il, lui qui endure le dommage, ne fait rien jusque-là, comment ne serait-il
Αὕτη γὰρ μάλιστα ἡ διόρθωσις ἀνεπαχθεστέρα, ὅταν πρὸς ἄλλον τις τρέψας τὸν λόγον, ἕτερον πλήττῃ, Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 628, 12-10 ab imo. Cf., par exemple, Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 629, 11-12 (Rm 14, 1) ; 45-46 ; 53-54 (Rm 14, 4) ; 630, 60-61 (Rm 14, 6) ; 632, 21-23 (Rm 14, 10) ; 30-32 (Rm 14, 11-12). Δεδοικὼς τοίνυν ὁ μακάριος Παῦλος μὴ μικρὸν κατορθῶσαι βουλόμενοι, τὸ πᾶν ἀνατρέψωσι, καὶ θέλοντες εἰς τὴν τῶν βρωμάτων αὐτοὺς ἀδιαφορίαν ἀγαγεῖν, καὶ τῆς πίστεως αὐτοὺς ἐκπεσεῖν παρασκευάσωσι, καὶ πρὸ τοῦ καιροῦ τοῦ προσήκοντος τὸ πᾶν ἐπανορθῶσαι σπεύδοντες, περὶ τὰ καίρια ζημίαν ἐργάσωνται, ἀπὸ τῆς εἰς Χριστὸν ὁμολογίας αὐτοὺς παρασαλεύοντες τῷ συνεχῶς ἐπιτιμᾶν, καὶ ἐν ἑκατέροις μείνωσιν ἀδιόρθωτοι · ὅρα πόσῃ κέχρηται συνέσει, καὶ πῶς ἑκατέρων ἐπιμελεῖται τῶν μερῶν μετὰ τῆς συνήθους αὐτῷ σοφίας, Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 627, 5 ab imo-628, 19 ab imo. Cf. Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 630, 23-36 (Rm 14, 5) ; 631, 7 (Rm 14, 7-8).
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
pas inopportun et démesurément indiscret de ta part de l’étouffer et perturber ? »¹⁸³ Toutefois, l’attitude des judaïsants étant en réalité mauvaise aux yeux du prédicateur, celui-ci ne manque pas de corriger la parole de Paul au motif d’en extraire la vérité masquée par les nécessités pastorales du moment. Par exemple, selon lui, Paul ménage les faibles en disant que celui qui mange comme celui qui ne mange pas rendent grâces à Dieu, mais « bien évidemment, c’est celui qui mange qui rend grâce, non celui qui ne mange pas ! Comment ferait-il, puisqu’il s’en tient encore à la Loi ? »¹⁸⁴ Par conséquent, si le croyant issu des Nations doit s’abstenir de viandes impures, c’est pour réformer les faibles par une charité qui fait naître la confiance, au lieu de perdre le moyen de les convaincre en encourant leur mépris¹⁸⁵. En lisant ainsi le texte paulinien, Jean Chrysostome pratique une exégèse actualisante et vise les judaïsants de sa communauté. Or, autant ses explications sont constamment orientées dans ce sens, autant Théodoret est cohérent dans l’omission systématique de ces analyses. Habituellement attentif aux mots utilisés, il ne relève pas le contraste entre ἐξουθενεῖν (« considérer comme rien ») et κατακρίνειν (« mépriser ») en Romains 14, 3. Se contentant de reformuler le premier terme avec le verbe διαπτύειν (« conspuer »), qu’on trouve déjà chez Jean, il donne de l’exhortation de Paul une explication historique, en disant quel état de fait elle vient corriger, à savoir que les uns conspuaient les autres, et que ceux-ci méprisaient ceux-là. Pourtant, il ne peut pas être passé à côté de l’interprétation violemment antijudaïsante à laquelle la mise en regard des deux termes donne lieu chez Jean Chrysostome : selon celui-ci, l’emploi d’ἐξουθενεῖν sous-entend que l’attitude des judaïsants prêtait bel et bien à rire¹⁸⁶. Le double silence de l’évêque de Cyr, non seulement sur cette interprétation, mais sur l’explication des mots mêmes, manifeste, sinon son opposition à l’égard de la lecture chrysostomienne, du moins une différence de préoccupations évidente entre les commentaires des deux auteurs. La distance entre ces deux textes est renforcée par les termes désignant chacun des deux groupes. Les expressions employées par Jean Chrysostome contribuent largement à l’atmosphère polémique. La tournure descriptive, οἱ ἐξ Ἰουδαίων πεπιστευκότες (« les croyants issus des Juifs »), n’est utilisée que dans le paragraphe introductif. Ensuite, il faut distinguer entre les homélies XXV et XXVI. Dans la première, en utilisant régulièrement le terme ὁ ἰουδαΐζων, le prédicateur assimile implicitement aux croyants issus du judaïsme, dont parle Paul, les chrétiens du ive
Εἰ γὰρ ὁ θεός, φησίν, ὁ τὴν ζημίαν ὑπομένων, οὐδὲν ποιεῖ τέως, πῶς οὐκ ἂν εἴης ἄκαιρος σὺ καὶ πέρας τοῦ μέτρου περίεργος, ἄγχων αὐτὸν καὶ ἐνοχλῶν ; Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 630, 8-11 (Rm 14, 4). Εὔδηλον ὅτι ὁ ἐσθίων οὗτός ἐστιν ὁ εὐχαριστῶν, οὐχ ὁ μὴ ἐσθίων. Πῶς γάρ, ἔτι τοῦ νόμου ἐχόμενος ; Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 631, 1-3 (Rm 14, 6). Cf. Jean Chrysostome, XXVI, PG 60, 639, 60-640, 5 (Rm 14, 21). On trouve déjà le même type de réflexion sur la conversion par la charité en XXVI, PG 60, 637, 18-6 ab imo (Rm 14, 15). Cf. Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 629, 20-35.
4.4 Formes de l’autonomie
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siècle attachés aux traditions juives sans être issus du judaïsme¹⁸⁷. L’assymétrie entre les deux groupes est suggérée avec insistance par l’emploi répété des termes positifs οἱ τελειότεροι (« les parfaits »), ὁ ἰσχυρός et ἰσχυρότερος (« le fort ») pour désigner les chrétiens issus des Nations¹⁸⁸. La seconde homélie insiste davantage sur le faible (ὁ ἀσθενέστερος), et utilise souvent le substantif issu du texte commenté, ἀδελφός (« frère »)¹⁸⁹. Cette tendance correspond à une différence de ton entre les deux homélies, la seconde mettant davantage l’accent sur la miséricorde envers les judaïsants et sur la concorde¹⁹⁰. Quant à Théodoret, dans tout le commentaire de Romains 14, il appelle les uns οἱ ἐξ ἐθνῶν (πεπιστευκότες), une fois ὁ ἐθνικός, les autres οἱ ἐξ Ἰουδαίων (τῷ εὐαγγελικῷ προσεληλυθότες κηρύγματι ou πεπιστευκότες) ou ὁ Ἰουδαῖος¹⁹¹. Ce souci d’en rester au niveau de l’explication se retrouve dans le détail du commentaire, comme on l’a vu à propos du contraste entre ἐξουθενεῖν et κατακρίνειν, comme on pourrait aussi le montrer à partir de l’explication du mot ἀσθενοῦντα, Théodoret identifiant simplement le faible au croyant esclave des prescriptions légales, alors que Jean Chrysostome s’attarde sur l’idée de maladie et en souligne la gravité¹⁹². Le retrait par rapport à l’interprétation polémique de Jean Chrysostome ne signifie pas que l’évêque de Cyr se borne à un commentaire strictement explicatif. La lecture parallèle des deux textes permet de faire ressortir dans celui de Théodoret des éléments d’interprétation discrets.
4.4.1.3 Jean Chrysostome, révélateur de l’interprétation de Théodoret Après avoir remarqué quels éléments de l’interprétation chrysostomienne Théodoret laisse de côté, nous sommes en mesure de saisir les caractéristiques de sa propre interprétation de Romains 14. L’introduction des deux auteurs à ce passage fait déjà apparaître des différences significatives : la présentation de Théodoret n’est pas seulement plus systématique que celle de Jean Chrysostome. Voici en effet les introductions des deux exégètes :
Cf. Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 629, 27 ; 630, 61 ; 632, 7 ; 23. Sur la signification des appellations de « judaïsant » et « judéo-chrétien » et l’évolution de la réalité historique à laquelle elles ont pu correspondre, cf. E. Soler, Le Sacré et le salut à Antioche au ive siècle apr. J.-C., p. 119-124. Cf. Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 627, 8 ab imo ; 629, 25 ; 632, 22 (ὁ τελειότερος, singulier ou pluriel, cf. aussi XXVI, PG 60, 640, 12) ; XXV, PG 60, 628, 14 ab imo ; 2 ab imo ; 629, 42 ; 46 (ὁ ἰσχυρός). Cf. Jean Chrysostome, XXVI, PG 60, 637, 40 ab imo ; 639, 27 ; 48 ; 640, 23 ; 36 (occurrences de ὁ ἀσθενέστερος non liées au lemme) ; 637, 43 ab imo ; 23 ab imo ; 3 ab imo ; 638, 37 ab imo ; 29 ab imo ; 25 ab imo ; 8 ab imo ; 1 ab imo ; 639, 16 ; 21 (occurrences de ἀδελφός non directement liées au lemme). Faut-il supposer que chacune a été prononcée dans un contexte différent, l’une à Antioche dans un contexte de polémique contre les judaïsants, l’autre à Constantinople ? Cf. supra, note 20 p. 147. Occurrences de οἱ ἐξ ἐθνῶν et de οἱ ἐξ ἰουδαίων, cf. Théodoret, V, 21 ; 22 ; 26 ; 29 ; 30 ; 32 ; 33 ; 34 ; ὁ ἐθνικός, cf. V, 23 ; ὁ Ἰουδαῖος, au singulier ou au pluriel, cf. V, 23 ; 26 ; 30 ; 32 ; 34. Cf. Théodoret, V, 22 (Rm 14, 1) ; Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 629, 1-12.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
Jean Chrysostome
Théodoret
« Il y avait beaucoup de croyants issus des Juifs (πολλοὶ τῶν ἐξ Ἰουδαίων πεπιστευκότων) qui tenaient (κατεχόμενοι) à la Loi par conscience et, après avoir reçu la foi, observaient encore le respect des nourritures, n’ayant pas encore le courage de s’écarter parfaitement de la Loi (…). Il y en avait d’autres, au contraire, plus parfaits (τελειότεροι), et ne respectant (παρατηροῦντες) pas une seule des prescriptions de ce genre, qui étaient pesants et insupportables avec ces gens qui les respectaient (παρατηροῦσι), les injuriant, les inculpant, les jetant dans le découragement »¹⁹³.
« Les croyants issus des Nations (οἱ ἐξ ἐθνῶν πεπιστευκότες) embrassaient (ἠσπάζοντο) le mode de vie évangélique ; mais beaucoup de ceux issus des Juifs (πολλοὶ τῶν ἐξ Ἰουδαίων) qui s’étaient approchés de la prédication évangélique étaient esclaves des dispositions légales, embrassant (ἀσπαζόμενοι) l’observation (παραφυλακὴν) des jours et prenant de la nourriture que la Loi ordonnait. Delà naissaient querelle et combat acharné (ἔρις καὶ διαμάχη), ceux-ci condamnant les croyants issus des Nations pour leur consommation indifférenciée des aliments, ceuxlà conspuant (διαπτυόντων) ceux-ci à cause de leur observance (φυλακήν) inopportune et superflue de la Loi »¹⁹⁴.
L’équilibre dont fait preuve Théodoret en présentant les deux parties est particulièrement visible par contraste avec le texte de Jean Chrysostome. Celui-ci, sans thématiser la liberté des croyants issus des Nations à l’égard de la Loi, évoque l’attachement des croyants issus du judaïsme aux pratiques légales, puis les insultes dont les autres les accablaient. Quant à Théodoret, il présente les deux parties, en commençant par les croyants issus des Nations, puis décrit les reproches des Juifs à l’égard des Nations, et enfin ceux des Nations envers les Juifs. Ces deux manières d’exposer les faits correspondent bien à deux choix interprétatifs : d’un côté, une insistance sur le problème des judaïsants et sur la nécessité de le résoudre sans les brusquer, de l’autre, un accent mis sur la querelle qui menace l’unité entre deux groupes égaux en légitimité. Théodoret formule ce qu’il tient pour le problème essentiel à l’aide d’une brève remarque centrale qui contraste avec l’ampleur relative des propositions qui l’encadrent : ἔρις καὶ διαμάχη, « querelle et combat acharné »¹⁹⁵. Le ton est donné, et la présentation de l’intention de l’Apôtre, de son σκοπός, va dans
Ἦσαν πολλοὶ τῶν ἐξ Ἰουδαίων πεπιστευκότων, οἳ τῇ τοῦ νόμου κατεχόμενοι συνειδήσει καὶ μετὰ τὴν πίστιν τῶν βρωμάτων ἐφύλαττον ἔτι τὴν παρατήρησιν, οὔπω θαρροῦντες τέλεον ἀποστῆναι τοῦ νόμου (…).Ἕτεροι πάλιν ἦσαν τελειότεροι, οὐδὲ ἓν τοιοῦτον παρατηροῦντες, οἳ τούτοις τοῖς παρατηροῦσι φορτικοὶ καὶ ἐπαχθεῖς ἐγίνοντο, ὀνειδίζοντες, ἐγκαλοῦντες, εἰς ἀθυμίαν ἐμβάλλοντες, Jean Chrysostome, XXV, PG 60, 627, 17-5 ab imo. Οἱ ἐξ ἐθνῶν πεπιστευκότες τὴν εὐαγγελικὴν πολιτείαν ἠσπάζοντο, πολλοὶ δὲ τῶν ἐξ Ἰουδαίων τῷ εὐαγγελικῷ προσεληλυθότων κηρύγματι, ταῖς νομικαῖς ἐδούλευον διατάξεσι, καὶ τῶν ἡμερῶν τὴν παραφυλακὴν ἀσπαζόμενοι, καὶ τροφῆς μεταλαγχάνοντες, ἣν ὁ νόμος ἐκέλευσεν. Ἐντεῦθεν ἔρις ἐφύετο καὶ διαμάχη, καὶ τούτων κατακρινόντων τοὺς ἐξ ἐθνῶν ἐπὶ τῇ ἀδιαφόρῳ μεταλήψει τῶν ἐδωδίμων, κἀκείνων τούτους διαπτυόντων διὰ τὴν ἄκαιρον τοῦ νόμου καὶ περιττὴν φυλακήν, Théodoret, V, 21. Sur cette expression, cf. supra, p. 53.
4.4 Formes de l’autonomie
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le même sens : « Voulant donc soigner (ἰώμενος) cela, le divin Apôtre adresse à chacune des deux parties l’exhortation qui lui convient »¹⁹⁶. Théodoret développe cette ligne d’interprétation dans l’explication de tout le passage, soulignant l’équilibre des exhortations pauliniennes. Il reformule celles-ci en faisant ressortir les réalités qu’elles laissent deviner. Il affirme par exemple que les mises en garde contre la moquerie et le mépris supposent l’existence de ces attitudes. La paraphrase, épousant le rythme du texte marqué par les parallélismes, précise les comportements des deux parties, désignées par des périphrases descriptives, voire par de simples pronoms, chez Théodoret comme chez Paul : les uns mangeaient, les autres non, les uns contraignaient les autres ou les insultaient, les autres quittaient la foi¹⁹⁷. La symétrie entre les deux groupes se manifeste jusque dans l’emploi des mêmes termes pour chacun des deux groupes : si les uns « s’imaginaient » (ὑπολαμβάνειν) qu’il était mauvais de consommer certains aliments, les autres, à leur tour, « s’imaginaient » que leur consommation était le sommet de la vertu¹⁹⁸. Les termes désignant l’exhortation de Paul, tel ἀποτείνεσθαι (« s’expliquer avec »), sont utilisés tantôt à propos des Juifs, tantôt à propos des croyants issus des Nations, du reste plus souvent visés. Objets d’exhortations (προτρέπειν), d’injonctions (παρεγγυᾶν), de reproches (ἐπιμέμφεσθαι) et même d’accusations (ἔγκλημα), ils sont aussi loués (ἐπαινεῖν, εὐφημία)¹⁹⁹. Au milieu du passage, Théodoret souligne que l’Apôtre s’adresse aux deux parties, et utilise les mêmes termes que dans l’introduction (παραίνεσις, παραινεῖν)²⁰⁰. Il insiste donc sur l’état de conflit, sur les différences qui l’ont engendré, et sur le rôle de Paul comme pasteur exhortant les fidèles. Au-delà de cette paraphrase déjà significative, l’exégète met en valeur ce qui constitue pour lui la visée de l’Apôtre : l’unité, par opposition à la querelle. Dans cette perspective, le verset 17 apparaît comme la clef de voûte du chapitre. Théodoret le réécrit en mettant l’accent sur la paix : « Car le royaume de Dieu n’est pas nourriture et boisson, mais justice (δικαιοσύνη), paix (εἰρήνη) et joie (χαρὰ) dans l’Esprit saint ». En effet, ne croyez donc pas que c’est une très grande vertu, capable de procurer le royaume des cieux. Car c’est la vraie justice (δικαιοσύνη) qui le procure, ainsi que la concorde (συμφωνία) et l’empressement en vue de la paix (εἰρήνην) et de la charité, d’où naît la gaîté (εὐφροσύνη) selon Dieu²⁰¹.
Ταῦτα τοίνυν ἰώμενος ὁ θεῖος ἀπόστολος, τὴν προσήκουσαν ἑκατέρῳ μέρει προσφέρει παραίνεσιν, Théodoret, V, 21. Cf. Théodoret, V, 22 ; 24 ; 26 ; 32 ; 34. Cf. Théodoret, V, 22 ; 29. Cf. Théodoret, V, 22 ; 33 ; 30. Cf. Théodoret, V, 21 ; 28. « Οὐ γάρ ἐστιν ἡ βασιλεία τοῦ θεοῦ βρῶσις καὶ πόσις, ἀλλὰ δικαιοσύνη καὶ εἰρήνη καὶ χαρὰ ἐν πνεύματι ἁγίῳ ». Μὴ γὰρ δὴ νομίσητε τοῦτο εἶναι κατόρθωμα μέγιστον καὶ τῆς τῶν οὐρανῶν πρόξενον βασιλείας. Ἡ γὰρ ἀληθὴς ταύτην προξενεῖ δικαιοσύνη, καὶ ἡ κατὰ τὴν εἰρήνην καὶ τὴν ἀγάπην συμφωνία τε καὶ σπουδή, ἐξ ὧν φύεται ἡ κατὰ θεὸν εὐφροσύνη, Théodoret, V, 31.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
La question de la nourriture disparaît du commentaire de ce verset, comme si elle était purement anecdotique. L’élément du lemme le plus développé par l’exégète est εἰρήνη, la paix, à laquelle il associe la charité, toutes deux constituant le but ultime de la concorde (συμφωνία) et de l’empressement. L’idée d’unité, qui n’est pas directement appelée par le texte paulinien, ponctue véritablement l’ensemble du commentaire de ce chapitre, en faisant un véritable fil directeur, exprimé par le mot συμφωνία, mais aussi par ὁμονοία (« accord ») et φιλαδελφία (« amour fraternel »)²⁰². Vers la fin du passage, elle est étroitement associée à l’idée d’utilité du prochain : « Il convient donc que nous préférions plus que tout la concorde utile (τὴν ἐπωφελῆ συμφωνίαν), et que nous fassions tout en vue de l’utilité les uns des autres (τῆς ἀλλήλων ὠφελείας ἕνεκα) »²⁰³. Cette utilité consiste en réalité dans son salut (ἡ τοῦ πέλας σωτηρία), et s’oppose à la nuisance (βλάβη), au déshonneur (λυμαίνεσθαι, λώβη) et même à la simple négligence (ἀμελεῖν) à l’égard d’autrui²⁰⁴. Ces thèmes rappellent un passage de l’homélie XXVI de Jean Chrysostome déclarant que les querelles, divisions et insultes à l’intérieur de l’Église non seulement ne sont pas utiles (οὐκ ὠφελεῖν) au frère, mais conduisent les non croyants au blasphème, tandis que l’amour fraternel (φιλαδελφία), l’unité et la paix sont un bien²⁰⁵. Si Théodoret s’inspire de cette réflexion ponctuelle, son apport consiste à faire de la notion de concorde une véritable clef de lecture de l’ensemble du chapitre, grâce à la récurrence de ses remarques dans ce sens. Or, cet appel à l’unité n’est pas pour lui un idéal de morale sociale mais une vertu fondée en Christ. Le commentaire de Romains 14, 8, « Que nous vivions ou que nous mourrions, nous appartenons au Seigneur (τοῦ κυρίου) », établit un lien entre l’unité et la soumission au Christ : Nous ne sommes pas nos propres seigneurs (ἑαυτῶν κύριοι), nous avons été rachetés à prix. Donc, en vivant, nous appartenons au Seigneur (τοῦ κυρίου), en mourant, nous appartenons au Seigneur. Autrement dit : Ni toi tu n’es maître (δεσπόζεις) de celui-là, ni celui-là, de toi : tous, nous avons un seul Seigneur (ἕνα γὰρ πάντες ἔχομεν κύριον)²⁰⁶.
Ici, Théodoret prolonge le raisonnement de Paul, qui subordonnait à la relation au Seigneur tout choix particulier en matière de nourriture et d’observance, et jusqu’au fait de mourir ou de vivre. L’exégète, lui, se concentre sur l’idée d’appartenance au Seigneur en mettant l’accent sur l’idée de domination (κύριος, δεσπόζειν). Ainsi, la
Συμφωνία, cf. Théodoret, V, 31 ; ὁμονοία, cf. V, 24 ; φιλαδελφία, cf. V, 22. Προσήκει τοίνυν ἡμᾶς πάντων προτιμᾶν τὴν ἐπωφελῆ συμφωνίαν, καὶ τῆς ἀλλήλων ὠφελείας ἕνεκα πάντα ποιεῖν, Théodoret, V, 32. Cf. Théodoret, V, 33-34. Cf. Jean Chrysostome, XXVI, PG 60, 638, 30-20 ab imo. Le terme ὁμονοία apparaît en XXVI, PG 60, 638, 7 ab imo et 639, 12. Οὐκ ἐσμὲν ἑαυτῶν κύριοι, τιμῆς ἠγοράσθημεν. Καὶ ζῶντες οὖν τοῦ κυρίου ἐσμέν, καὶ ἀποθνῄσκοντες τοῦ κυρίου ἐσμέν. ᾿Aντὶ τοῦ, Οὔτε σὺ ἐκείνου δεσπόζεις, οὔτε ἐκεῖνος σοῦ, ἕνα γὰρ πάντες ἔχομεν κύριον, Théodoret, V, 25.
4.4 Formes de l’autonomie
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concorde, dont il a parlé juste avant, ne consiste pas en une domination d’un groupe sur un autre, mais en une soumission commune au seul Seigneur (ἕνα πάντες ἔχομεν κύριον). Les lignes qui suivent immédiatement énoncent l’origine de cette soumission (ὑποκεῖσθαι), et mettent l’accent sur l’acceptation par le Christ de sa mort et sur les fruits de la rédemption : destruction de la mort, promesse de la résurrection²⁰⁷. Le mouvement de tout ce passage suggère que le lien entre la soumission au Christ et l’action rédemptrice de celui-ci est important pour l’exégète. En effet, le thème du rachat est introduit d’une manière anticipée, à propos du verset 4, qui ne l’appelle pas : « Qui es-tu, toi qui juge le serviteur d’autrui ? C’est pour son propre seigneur qu’il se lève ou tombe ». Théodoret commente ainsi : « C’est donc celui-ci que le Seigneur de l’univers a acheté, donnant pour prix son propre sang »²⁰⁸. Pour l’évêque de Cyr, l’intérêt majeur du texte ne réside pas dans l’opposition entre deux groupes particuliers, encore moins dans une question de pratiques, mais dans l’exhortation paulinienne à l’unité en Christ, quelle que soit la nature des différences. Pour terminer sur ce point, il faut préciser qu’il ne s’agit pas pour l’exégète d’une simple spéculation intellectuelle, mais que cette interprétation rejoint une préoccupation pastorale. Un détail discret le suggère, exemple rare d’interprétation actualisante dans l’In Romanos. Théodoret évoque la diversité des pratiques et l’entente qui règne cependant : « En effet, cette coutume demeure jusqu’à aujourd’hui dans les Églises, et l’un embrasse la maîtrise de soi, l’autre, sans crainte, prend de tous les aliments ; et ni celui-ci ne juge celui-là, ni celui-là ne fait de reproche à celui-ci, mais on brille de la loi de l’unité (τῷ νόμῳ τῆς ὁμονοίας) »²⁰⁹. Au-delà du ton quelque peu idéaliste que permet sans doute l’évocation d’un sujet peu épineux, on sait à quelles difficultés l’évêque de Cyr a été directement confronté et avec quelle force s’exprime le souci de l’unité de l’Église dans sa Correspondance ²¹⁰. Sa lecture de Romains 14 constitue une sorte d’écho sur ce thème et témoigne du fondement christologique qu’il donne à cette unité. L’interprétation de ce chapitre illustre bien une certaine attitude de Théodoret par rapport à Jean Chrysostome. Le désaccord entre les deux interprétations est d’autant plus évident que l’utilisation des homélies par l’évêque de Cyr est incontestable de par les similitudes de détail. Toutefois, Théodoret ne fait pas la moindre allusion à
Cf. ibid. Καὶ τοῦτον τοίνυν ὁ τῶν ὅλων ἐπρίατο κύριος, τὸ οἰκεῖον αἷμα τιμὴν δεδωκώς, Théodoret, V, 23. Τοῦτο γάρ τοι καὶ μέχρι τοῦ παρόντος ἐν ταῖς ἐκκλησίαις τὸ ἔθος μεμένηκε, καὶ ὁ μὲν ἀσπάζεται τὴν ἐγκράτειαν, ὁ δὲ πάντων ἀδεῶς μεταλαμβάνει τῶν ἐδωδίμων, καὶ οὔτε οὗτος ἐκεῖνον κρίνει, οὔτε ἐκεῖνος ἐπιμέμφεται τούτῳ, ἀλλὰ τῷ νόμῳ τῆς ὁμονοίας λαμπρύνονται, Théodoret, V, 24 (Rm 14, 5). Voir, par exemple, son recours au pape Léon et le rappel de sa lutte contre les hérésies dans son diocèse, cf. Corresp., III, 113, SC 111, p. 56-67 ; ou encore son souci de « ramener à son ancienne harmonie (εἰς τὴν προτέραν συμφωνίαν) le corps de l’Église qui court le risque d’être déchiré (διασπασθῆναι κινδυνεῦον) », ibid., III, 120, SC 111, p. 82-83.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
l’interprétation de son maître mais la passe simplement sous silence. L’exégèse du prédicateur lui paraît-elle trop déterminée par des circonstances particulières ? Quoi qu’il en soit, on est loin de l’opposition explicite qu’il sait manifester par ailleurs à l’égard des choix interprétatifs d’autres auteurs.
4.4.2 Quitter Chrysostome pour Chrysostome : l’interprétation de Romains 1, 18-2,16 Pour terminer, et pour ainsi dire en forme d’ouverture, il nous faut mentionner une autre pratique de Théodoret à l’égard de Jean Chrysostome, celle qui consiste à privilégier une interprétation trouvée en dehors des séries exégétiques du prédicateur. L’exemple trouvé dans l’In Romanos, certes unique, nous a cependant semblé très convaincant. L’évêque de Cyr savait certainement, comme les lecteurs modernes, que les œuvres non exégétiques de Jean Chrysostome renferment des interprétations importantes de tel ou tel passage. Par conséquent, il est fort probable que l’on puisse trouver d’autres illustrations d’un tel phénomène dans l’ensemble de l’In epistulas Pauli ou dans d’autres commentaires de Théodoret.
4.4.2.1 Le choix d’une source hors de la série sur Romains L’exemple que nous avons trouvé concerne l’interprétation de Romains 1, 18-2, 16. Nous avons vu combien Théodoret s’écartait de l’actualisation moralisante à l’œuvre dans les homélies de Jean Chrysostome consacrées à ces versets. Il considère le passage comme une argumentation sur l’existence de la faculté de discerner entre le bien et le mal en tout homme et définit avec soin les limites du passage²¹¹. En réalité, il s’appuie assurément sur l’homélie XII De statuis, dont une partie importante est consacrée à l’argumentation sur l’existence de la loi naturelle, le prédicateur se fondant notamment sur une lecture de Romains 2²¹². La synthèse proposée par Théodoret dans son introduction à l’ensemble du passage fait écho à celle de Jean Chrysostome : Jean Chrysostome (De Statuis)
Théodoret
« Paul, voulant montrer qu’ils avaient une loi (νόμον) qu’ils avaient apprise par eux-mêmes (αὐτοδίδακτον), et qu’ils savaient clairement ce
« Il commence par accuser tous les autres hommes d’avoir transgressé sans crainte la loi établie
Cf. supra, p. 170. Cf. Jean Chrysostome, De Stat., XII, PG 49, 131, 30-134, 4. Βουλόμενος ὁ Παῦλος δεῖξαι, ὅτι αὐτοδίδακτον εἶχον νόμον, καὶ τὰ πρακτέα σαφῶς ᾔδεσαν, ἄκουσον πῶς φησίν, ibid., XII, PG 49, 133, 37-38. Πρῶτον κατηγορεῖ τῶν ἄλλων ἁπάντων ἀνθρώπων, ὡς τὸν ἐν τῇ φύσει παρὰ τοῦ δημιουργοῦ τεθέντα νόμον ἀδεῶς παραβάντων, Théodoret, Ι, 20.
4.4 Formes de l’autonomie
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suite Jean Chrysostome (De Statuis)
Théodoret
qu’il y avait à pratiquer… écoute comme il dit… »²¹³
dans leur nature par le Créateur (τὸν ἐν τῇ φύσει παρὰ τοῦ δημιουργοῦ τεθέντα νόμον) »²¹⁴.
Jean Chrysostome présente le discours de Paul comme une argumentation capable de convaincre les païens de l’existence de la loi naturelle. Toutefois, il s’est préalablement adressé aux chrétiens en argumentant à partir de figures bibliques, en particulier Adam et Caïn. Or, on retrouve ces deux figures dans l’introduction de Théodoret. Cette coïncidence n’est pas appelée par le texte paulinien : comme celuici traite des païens, on pourrait trouver des exemples tirés de l’hellénisme, comme c’est le cas dans les homélies de Jean Chrysostome sur le passage correspondant²¹⁵. Ajoutons que les deux auteurs fournissent la même précision à propos de la mention des Grecs en Romains 2, 10, quoique la formulation soit différente : Jean Chrysostome (De Statuis)
Théodoret
« Et ici, il appelle (καλεῖ) “Grec” (Ἕλληνα) non l’idolâtre (εἰδωλολάτρην), mais celui qui, tout en se prosternant devant le Dieu unique (τὸν προσκυνοῦντα μὲν τὸν θεὸν μόνον), n’est pas enchaîné par la nécessité des observances judaïques (τῇ τῶν Ἰουδαϊκῶν παρατηρήσεων ἀνάγκῃ), mais fait preuve de toute philosophie et piété (εὐσέβειαν) »²¹⁶.
« Maintenant, il appelle (καλεῖ) “Grecs” (Ἕλληνας) non pas ceux qui se sont approchés de la prédication divine, mais ceux qui ont vécu avant l’Incarnation divine. Cependant, il n’a pas promis la vie éternelle à ceux qui s’étaient prosternés devant les idoles (τοῖς τὰ εἴδωλα προσκυνήσασι), mais à ceux qui, tout en vivant en dehors du régime de la loi mosaïque (τοῖς ἔξω μὲν τοῦ Μωσαϊκοῦ πολιτευσαμένοις νόμου), ont embrassé la piété envers Dieu (θεοσέβειαν) et se sont préoccupés de la justice »²¹⁷.
Ligne d’interprétation identique, exemples et détail communs : le commentaire de Théodoret ressemble bien plus à l’homélie XII De Statuis qu’aux homélies de la série sur Romains. Que l’évêque de Cyr travaille avec le texte sous les yeux ou qu’il l’ait simplement en mémoire, la proximité entre les deux développements autorise une comparaison, qui permettra de mettre en lumière les traits propres à Théodoret.
Le prédicateur renchérit sur l’impiété des Grecs, en s’étendant sur les exemples tirés notamment des philosophes grecs, cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., III, PG 60, 414, 30-36. Καὶ « Ἕλληνα » ἐνταῦθα καλεῖ οὐ τὸν εἰδωλολάτρην, ἀλλὰ τὸν προσκυνοῦντα μὲν τὸν θεὸν μόνον, οὐκ ἐνδεδεμένον δὲ τῇ τῶν Ἰουδαϊκῶν παρατηρήσεων ἀνάγκῃ (…), ἀλλὰ φιλοσοφίαν καὶ εὐσέβειαν ἅπασαν ἐπιδεικνύμενον, Jean Chrysostome, De Stat., XII, PG 49, 133, 60-134, 2. « Ἕλληνας » δὲ νῦν καλεῖ, οὐ τοὺς τῷ θείῳ κηρύγματι προσεληλυθότας, ἀλλὰ τοὺς πρὸ τῆς θείας ἐνανθρωπήσεως γεγονότας. Οὐ μὴν τοῖς τὰ εἴδωλα προσκυνήσασι τὴν ζωὴν τὴν αἰώνιον ἐπηγγείλατο, ἀλλὰ τοῖς ἔξω μὲν τοῦ Μωσαϊκοῦ πολιτευσαμένοις νόμου, θεοσέβειαν δὲ ἀσπασαμένοις καὶ δικαιοσύνης πεφροντικόσι, Théodoret, Ι, 33.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
4.4.2.2 Caractéristiques de la réécriture Tout en reprenant l’idée du prédicateur d’Antioche, le développement de Théodoret opère nécessairement un changement de perspective, de la réflexion théologique fondée sur l’argumentation scripturaire à un texte proprement exégétique. Jean Chrysostome utilise Romains 2 pour étayer une thèse. Il présente même le texte paulinien comme un modèle d’argumentation à destination des païens. Résumons son propos. Comme les exemples scripturaires (ἀπὸ τῶν γραφῶν) ne touchent pas les païens, il faut se situer au niveau des raisonnements (ἀπὸ τῶν λογισμῶν). D’où viennent les différentes lois que les païens ont écrites ? Si l’on remonte à l’origine, on trouve la conscience et la loi mise en l’homme lors de la Création. En fait, Paul répond aux Grecs qui s’indignaient de ce que Dieu leur demande des comptes alors qu’il ne leur a pas donné de législateur²¹⁸. Et le prédicateur cite Romains 2, 14-16 : les païens sont à eux-mêmes leur propre loi lorsqu’ils agissent selon la loi. Il fait alterner la voix de Paul et la sienne en soulignant la similitude de leurs argumentations²¹⁹. Il se livre alors à une véritable exégèse du texte, avec un balancement entre citation et paraphrase. Cependant, contrairement à sa pratique dans les homélies exégétiques, il sélectionne certains versets au sein d’un large extrait (Romains 1, 32-2, 16) et ne suit pas l’ordre du texte biblique mais son propre raisonnement. Il évoque d’abord la conscience des païens (versets 1416), puis le jugement « sans loi » (ἀνόμως, verset 12), et met l’accent sur la distinction entre loi mosaïque et loi naturelle, avant de déclarer (versets 8-9) que le châtiment est juste, parce que les païens, dépourvus de la Loi, ont été enseignés par leur conscience²²⁰. Ensuite, avec l’appui des versets qui précèdent, il reformule sa thèse, l’illustre par des exemples et donne à son propos un accent de plus en plus parénétique. Chez Théodoret, le texte biblique est la raison même du discours. Selon les règles du genre, il est cité intégralement et dans l’ordre, et fait l’objet d’une explication assez systématique, alors que Jean Chrysostome a laissé certains éléments de côté. Par exemple, dans l’homélie, les versets 8 et 9 servent simplement à reformuler la thèse, tandis que Théodoret, soulignant l’expression « par esprit d’intrigue », affirme que châtiment et récompense ne sont pas dus à une circonstance ni à une décision timide, mais à un véritable empressement dans la vertu ou dans le vice²²¹. Dans la présentation même du but de l’Apôtre, Théodoret tient compte de la nature du discours paulinien – un réquisitoire –, alors que Jean Chrysostome affirme simplement que Paul montre l’existence de la conscience, ramenant le texte à son propre but. Chez le prédicateur, l’argumentation sur Romains occupe la deuxième moitié du raisonnement ; un développement de même longueur a d’abord illustré la thèse par
Cf. Jean Chrysostome, De Stat., XII, PG 49, 133, 8-37. Cf., par exemple, ibid., XII, PG 49, 133, 37-38 (loc. cit.) ; 134, 13-14 ; 33-34 ; 44 ; 50-51. Cf. ibid., XII, PG 49, 134, 3-11. Cf. Théodoret, I, 33.
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des figures vétérotestamentaires. Si Théodoret introduit cette partie de l’épître par les mêmes exemples, ce qui est inhabituel et semble plaider en faveur de la source chrysostomienne, ceux-ci sont traités beaucoup plus brièvement. L’exégète sélectionne certains points. Il ne reprend ni l’argumentation initiale de Jean Chrysostome sur la différence entre commandements universels, connus par la conscience, et commandements particuliers, objet d’une explication²²², ni la preuve finale par les lois civiles. Il ne retient que certains éléments au sein de la longue évocation d’Adam, d’Abel et de Caïn, ne gardant pas celle d’Abel qui sert au prédicateur à montrer la conscience à partir de la vertu (ἀπὸ τῆς ἀρετῆς), idée énoncée sans exemple par Théodoret²²³. L’évêque de Cyr opère également des sélections au sein du développement sur Adam. Il ne cite pas le texte biblique et ne retient ni le développement sur la pédagogie divine à l’œuvre dans le dialogue suivant la faute, ni l’attitude d’Ève²²⁴. Il reprend seulement les motifs de la dissimulation et du rejet de l’accusation sur la femme : Jean Chrysostome (De Statuis)
Théodoret
« Adam a commis le premier péché, et, après le péché, chercha aussitôt (εὐθέως) à se cacher (ἐκρύπτετο) ; or, s’il ne savait (ᾔδει) pas qu’il avait fait quelque chose de mal, pour quelle raison se cachait-il ? Car il n’y avait même pas d’Écritures, pas de Loi, pas de Moïse : d’où a-t-il donc connu (ἔγνω) le péché et se cache-t-il ? Et il ne se cache pas seulement, mais encore, lorsqu’il est inculpé (ἐγκαλούμενος), il tente de reporter (μετατιθέναι) l’accusation (αἰτίαν) sur un autre »²²⁵.
« Ainsi Adam, aussitôt (εὐθὺς) après avoir transgressé le commandement et goûté du fruit que celui-ci avait défendu, fut tenté de se cacher (λαθεῖν μὲν ἐπειράθη), parce que sa conscience (συνειδότος) le déchirait. Ensuite, lorsqu’il fut appelé (κληθεὶς) au tribunal (εἰς τὸ κριτήριον), il ne nia pas ce qui s’était passé ni n’essaya d’alléguer pour sa défense l’ignorance, mais il reporta (μετέθεικε) sur sa femme le chef d’accusation (τῆς κατηγορίας τὸ ἔγκλημα). Et cela enseigne clairement que sa nature possédait le discernement (διάγνωσιν) des choses »²²⁶.
La structure du récit est identique chez les deux auteurs : évocation de la faute, dont Théodoret précise l’objet, tentative de dissimulation (κρύπτεσθαι / λανθάνειν), dont
Cf. Jean Chrysostome, De Stat., XII, PG 49, 131, 36-132, 4. Exemple d’Abel, cf. ibid., XII, PG 49, 132, 30-48. Cf. Théodoret, I, 20. Cf. ibid., XII, PG 49, 132, 16-30. Ἥμαρτεν ὁ ᾿Aδὰμ τὴν ἁμαρτίαν τὴν πρώτην, καὶ μετὰ τὴν ἁμαρτίαν εὐθέως ἐκρύπτετο · εἰ δὲ μὴ ᾔδει κακόν τι ἐργασάμενος, τίνος ἕνεκεν ἐκρύπτετο ; Οὐδὲ γὰρ γράμματα ἦν, οὐ νόμος, οὐ Μωσῆς · πόθεν οὖν ἔγνω τὴν ἁμαρτίαν καὶ κρύπτεται ; Καὶ οὐ κρύπτεται μόνον, ἀλλὰ καὶ ἐγκαλούμενος, ἐφ’ ἕτερον πειρᾶται μετατιθέναι τὴν αἰτίαν, ibid., XII, PG 49, 132, 7-13. Καὶ γὰρ ὁ ᾿Aδάμ, εὐθὺς τὴν ἐντολὴν παραβὰς καὶ τοῦ καρποῦ γευσάμενος ὃν ἀπηγόρευσεν αὕτη, λαθεῖν μὲν ἐπειράθη τοῦ συνειδότος ἀμύξαντος, εἶτα κληθεὶς εἰς τὸ κριτήριον, οὔτε ἠρνήθη τὸ γεγονός, οὔτε μὴν τὴν ἄγνοιαν εἰς ἀπολογίαν προὐβάλλετο, ἀλλ’ ἐπὶ τὴν γυναῖκα μετέθεικε τῆς κατηγορίας τὸ ἔγκλημα. Σαφῶς δὲ τοῦτο διδάσκει ὡς εἶχεν ἡ φύσις τὴν τῶν πραγμάτων διάγνωσιν, Théodoret, Ι, 20.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
les deux soulignent la rapidité (εὐθέως / εὐθύς), accusation, rejet de la faute (μετατιθέναι). En revanche, la manière d’affirmer l’existence de la conscience est différente. Jean Chrysostome procède par questions rhétoriques. Selon lui, la dissimulation prouve la connaissance du mal commis. Le discours de Théodoret est plus bref et plus abstrait. Pour lui, l’attitude d’Adam est un signe de son état psychologique, du déchirement de sa conscience. De plus, en évoquant d’autres réponses possibles – nier les faits, alléguer l’ignorance –, l’évêque de Cyr montre plus explicitement que le rejet de la faute sur Ève manifeste la conscience du mal. Le développement de Théodoret, tout en étant concentré sur un aspect du récit, est donc à la fois plus concis et plus complet que celui de Jean Chrysostome, eu égard à la visée argumentative. On pourrait faire le même constat à propos de Caïn. Les deux auteurs utilisent les mêmes éléments du récit : dissimulation du meurtre, déni, puis reconnaissance de la faute. Toutefois, l’évocation du meurtre est beaucoup plus brève chez Théodoret – « C’est en cachette qu’il fit périr son frère »²²⁷ – que chez Jean Chrysostome, qui s’étend sur l’intention meurtrière et sur la ruse. Au lieu de citer le dialogue, Théodoret le résume, ce qui lui permet, d’une manière très concise, de souligner le déni, la dissimulation, puis l’accord avec le juge. À partir d’un discours long et répétitif, adapté à la prédication, Théodoret construit donc une réflexion très brève, concentrée sur quelques traits marquants et toute tendue vers son but.
4.4.2.3 Le texte chrysostomien, point de départ de la réflexion de Théodoret Les différences entre le texte de Théodoret et sa source dépassent la simple transposition voulue par le genre du commentaire. L’exégète ne se contente pas d’adapter l’idée à cette forme, mais il s’en sert de point de départ pour mener sa propre réflexion, à la fois en approfondissant sa lecture de l’épître et en donnant à la thèse une expression plus achevée. D’abord, il applique la clef de lecture proposée par Jean Chrysostome à un passage clairement identifié dont il souligne avec insistance la cohérence interne. En effet, alors que le prédicateur utilise certains versets (à partir de Romains 1, 32), sans définir les contours du texte, Théodoret délimite avec grand soin le passage de l’accusation contre les Nations (Romains 1, 18-2, 16)²²⁸. Dans l’homélie, le discours de Paul doit étayer l’affirmation d’une loi morale existant en tout homme : l’évêque de Cyr, lui, considère cette idée comme la thèse développée par l’Apôtre lui-même dans la section définie. Les différences de terminologie sont révélatrices du sens donné à certaines notions. Jean Chrysostome met l’acccent sur l’idée de connaissance du bien et du
Λάθρᾳ μὲν ἀνεῖλε τὸν ἀδελφόν, Théodoret, I, 20. Cf. supra, p. 170.
4.4 Formes de l’autonomie
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mal, en employant très fréquemment les mots γνῶσις et εἰδέναι²²⁹. Il insiste sur le fait que ce savoir ne nécessite pas d’apprentissage (μανθάνειν), car l’homme est déjà éduqué (διδάσκειν, παιδεύειν) et la loi s’enseigne d’elle-même (αὐτοδίδακτος)²³⁰. Or, les mots γιγνώσκειν et γνωστόν sont employés dans la Genèse pour désigner la connaissance du bien et du mal résultant de la consommation du fruit de l’arbre²³¹. Du reste, dans ses discours sur la Genèse, le prédicateur ne manque pas de souligner qu’Adam avait déjà cette connaissance avant la Chute²³². Pour lui, le discernement (διάγνωσις) est bien de l’ordre de la connaissance (γνῶσις) et les deux termes semblent synonymes²³³. Cette connaissance est pour ainsi dire à l’origine de la loi naturelle – les deux sont qualifiées d’αὐτοδίδακτος²³⁴. Le don originel est donc compris comme une connaissance de la norme, et son caractère contraignant est souligné. Quant au commentaire de Théodoret, il n’utilise pas γνῶσις dans ce sens, mais διάγνωσις et διάκρισις, l’alternance entre les deux mots suggérant peut-être la double dimension de cette faculté, à la fois connaissance, avec pour contenu la loi naturelle, et jugement, voire décision. Il en résulte une différence d’accent importante par rapport à Jean Chrysostome. La notion de loi naturelle passe au second plan derrière l’idée de discernement : l’exégète insiste davantage sur la responsabilité et sur la liberté que sur la norme et la contrainte²³⁵. Il faut également relever certains termes désignant l’objet de ce discernement, à savoir le bien et le mal, outre les antithèses habituelles comme bien et mal, vice et vertus. Jean Chrysostome parle « du bien et de ce qui n’est pas tel » (τῶν καλῶν καὶ τῶν οὐ τοιούτων), tournure peu fréquente introduisant une certaine dissymétrie entre ce qui possède une existence propre et ce qui n’est que relativement à son contraire. L’expression employée par Théodoret, τῶν ἀγαθῶν (ou τῶν καλῶν) καὶ τῶν ἐναντίων, « du bien et de son contraire », est encore plus rare, et semble faire l’objet d’un choix délibéré dans l’In Romanos : l’auteur ne l’emploie guère par ailleurs, et pourtant c’est la seule qu’il utilise dans cette œuvre pour exprimer l’alter-
Cf., par exemple, Jean Chrysostome, De Stat., XII, PG 49, 131, 30-35 ; 132, 44 ; 134, 29-31. On trouve aussi les mots de la famille d’ἐπίστασθαι. Cf., entre autres, ibid., XII, PG 49, 131, 35 ; 132, 39 ; 133, 37-38 ; 134, 11. Cf. Gn 3, 5 ; 2, 17 ; 2, 9 ; 3, 22. Il pose en effet la question de savoir « si c’est de [l’arbre] que vint à Adam la connaissance (γνῶσις) du bien et du mal, ou si Adam avait ce discernement (τὴν διάγνωσιν ταύτην) même avant d’en avoir consommé », Jean Chrysostome, Serm. in Gen., VI, SC 433, p. 286. Cf. aussi, par exemple, id., Hom. in Gen., V, PG 53, 50, 29. « Il possédait ce discernement (διάγνωσις) (…). Si en effet il n’avait pas su (εἰ μὴ ᾔδει) ce qu’était le bien ni ce qu’était le mal, il aurait été plus dépourvu de raison que les êtres dépourvus de raison eux-mêmes », id., Serm. in Gen., VI, SC 433, p. 286. Cf. aussi id., Hom. in Gen., V, PG 53, 50, 29. Association entre αὐτοδίδακτος et νόμος, cf. Jean Chrysostome, De Stat., XII, PG 49, 132, 6-7 ; 133, 14-15. Sur le sens donné à διάκρισις et διάγνωσις et leur emploi particulier dans l’œuvre, cf. supra, p. 69. Sur la notion de loi naturelle, cf. p. 88. Voir aussi la nuance de vocabulaire concernant l’« entraînement » par le commandement originel, cf. supra, p. 68.
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
native entre bien et mal avec διάγνωσις et διάκρισις²³⁶. Tout en reprenant, d’une certaine manière, l’idée de dissymétrie, il met davantage l’accent sur le caractère irréductible de l’opposition. La répétition de l’expression produit l’effet d’un refrain qui contribue encore à mettre en valeur l’idée directrice du commentaire. Enfin, le sens de συνειδός semble plus circonscrit dans le commentaire de Théodoret que dans l’homélie De statuis. Chez le prédicateur, le terme représente à la fois une instance qui accuse, un organe de la connaissance et un enseignant. En revanche, chez Théodoret, il est réservé à l’instance de jugement moral sur les actes accomplis, tandis que la faculté utilisée en amont de l’action est désignée par διάκρισις ou διάγνωσις. Les mots employés semblent ici témoigner d’une analyse plus rigoureuse, et la répétition de formules comme « discernement du bien et de son contraire » contribue à donner l’impression que l’évêque de Cyr cherche à fixer certaines notions²³⁷. En comparant le commentaire de Théodoret et l’homélie XII De statuis, non seulement nous avons pu montrer que l’évêque de Cyr puisait chez Jean Chrysostome audelà de la série exégétique sur Romains, mais nous avons encore illustré la liberté avec laquelle il utilisait sa source. Si la dépendance est indéniable, l’apport du disciple ne l’est pas moins. En effet, il ressaisit la pensée du prédicateur et lui donne cohérence et force en en faisant la clef de lecture d’une section de l’épître bien définie, en sélectionnant et en organisant les idées, en employant des termes plus précisément définis. Il rend donc honneur au maître à plusieurs égards : non seulement il donne aux intuitions de celui-ci une forme plus achevée, mais, en mettant l’accent sur des aspects différents et en imprimant sa touche personnelle, il manifeste la fécondité de cette pensée.
4.4.3 Conslusion Cette analyse de passages dans lesquels Théodoret s’écarte des homélies de Jean Chrysostome sur Romains a mis au jour quelques aspects importants du travail de l’exégète à partir de cette source essentielle. D’une part, un désaccord sur le fond ne l’empêche pas de tirer profit de certains détails, qu’il incorpore dans un commentaire témoignant de son interprétation personnelle et passant totalement sous silence celle du prédicateur. D’autre part, l’évêque de Cyr n’hésite pas à puiser dans les œuvres non exégétiques de son maître et en retient ce qu’il considère comme le meilleur.
Sur cette différence de terminologie, voir supra, p. 73. Sur l’emploi de συνειδός chez Théodoret, cf. supra, p. 83.
4.5 Synthèse
215
4.5 Synthèse Cette comparaison entre l’In Romanos de Théodoret et la grande série d’homélies de Jean Chrysostome sur la même épître conduit aux résultats suivants. En premier lieu, il faut souligner, outre les grandes différences de genre et de style entre les deux œuvres, que l’interprétation de Théodoret s’écarte de celle de son maître sur deux points essentiels : l’actualisation moralisante et les interprétations parfois violemment antijudaïques. Dans ces deux cas, le commentaire de l’évêque de Cyr reste beaucoup plus proche du texte paulinien, dont Jean Chrysostome n’hésite pas à infléchir fortement le sens. Néanmoins, les deux œuvres présentent de nombreuses similitudes dans le détail des explications. Dans la plupart des cas, il est difficile de définir avec certitude tel ou tel passage de Jean Chrysostome comme source directe de l’In Romanos : sur ce point, nous ne pouvons que confirmer ce qui a déjà été observé à propos d’autres commentaires de Théodoret. Parmi les nombreux échos, nous avons rencontré bien peu de ressemblances impliquant nécessairement une dépendance directe. On a pu remarquer d’assez grandes différences entre certaines homélies qui ne semblaient pas avoir été utilisées, et d’autres qui constituent une source essentielle. Il serait audacieux, en l’absence de tout autre indice, de proposer à partir de ce constat des hypothèses sur l’état de la source à laquelle l’évêque de Cyr a pu avoir accès, étant donné que de telles disparités peuvent relever d’un choix de l’exégète²³⁸. Au seuil de cette enquête, on s’est demandé si une telle lecture comparée pourrait apporter des informations sur les modalités concrètes du travail sur les homélies et offrir un témoignage sur les pratiques érudites du ve siècle. En réalité, nous n’avons guère trouvé de réponses solides. L’auteur travaille-t-il avec les séries exégétiques de Jean Chrysostome sous les yeux – ainsi qu’avec d’autres œuvres choisies –, ou bien avec une bible glosée – élaborée ou non de sa propre main –, ou encore avec des notes de lecture personnelle ? Les emprunts littéraux ne sont pas assez fréquents pour qu’on puisse y discerner des phénomènes réguliers et se prononcer en faveur d’une hypothèse plutôt que de l’autre. Le travail de mémoire, même si on a peine à croire qu’il explique toutes les ressemblances, joue certainement un rôle. Peut-on rapprocher les phénomènes observés de réduction, substitution et transposition, et surtout les emprunts les plus évidents, de la pratique des excerpta, qui jouiront d’une grande fortune à l’époque des chaînes exégétiques ? En tout cas, ils ne sont pas comparables à la technique du résumé telle que nous l’avons observée dans les Arguments attribués à Théodoret sur les épîtres pauliniennes, caractérisés par une servilité manifeste à l’égard de Jean Chrysostome, aussi bien dans l’agencement des idées que dans la structure des phrases et le vocabulaire²³⁹. Il appartient aux spécialistes de Jean Chrysostome de mettre en lien ces constats avec d’éventuels indices que pourrait offrir la tradition manuscrite, par exemple. Cf. A. Lorrain, « Des prologues bibliques d’origine chrysostomienne : Les Arguments attribués à Théodoret et à Théophylacte sur les épîtres pauliniennes », ZAC 19.3, 2015, p. 481-501. Ces textes
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Chapitre 4 : Théodoret, lecteur de Jean Chrysostome
En réalité, l’attitude habituelle de Théodoret n’est pas, loin s’en faut, celle d’un compilateur, mais bien celle d’un exégète qui fait une œuvre personnelle. Au-delà des généralités sur sa concision ou sur sa sobriété, opposées au style abondant et plein d’images du prédicateur, le travail de l’évêque de Cyr se distingue avant tout par une grande liberté et ne se laisse pas enfermer dans des catégories systématiques : nous n’avons pas pu définir une manière régulière de transformer la source chrysostomienne. Celle-ci lui fournit un matériau abondant capable de nourrir une réflexion autonome, comme des motifs musicaux qu’il utiliserait pour créer une nouvelle harmonie. Sélectionnant quelques détails, l’exégète rend à son maître, par son propre travail, le plus grand hommage qui soit, en approfondissant ou infléchissant certaines idées, en leur donnant une forme plus achevée et plus rigoureuse, en s’engageant aussi sur des pistes à peine ouvertes par le prédicateur, répondant ainsi au désir formulé par celui-ci de voir ses auditeurs chercher par eux-mêmes. L’œuvre de Théodoret met ainsi véritablement en valeur celle de Jean Chrysostome. L’honneur rendu au maître est encore perceptible lorsque l’évêque de Cyr, en lecteur soucieux de recueillir le meilleur chez son maître, recourt à l’ensemble de l’œuvre de celui-ci et rassemble ainsi les interprétations les plus riches qu’il trouve dans d’autres homélies que celles consacrées à Romains. La taille de notre corpus ne nous a permis d’en trouver qu’un exemple, cependant très convaincant à notre avis : on en trouverait probablement d’autres en élargissant le champ de l’enquête. Enfin, il faut souligner la fécondité de cette lecture comparée. Non seulement nous avons le témoignage rare d’une réception très ancienne des homélies de Jean Chrysostome, mais la mise en regard des deux œuvres a permis de mieux percevoir, par contraste, les lignes de force de chacune, en particulier celles de Théodoret, parfois difficiles à discerner dans le commentaire linéaire. En définitive, il nous a semblé que les deux œuvres présentaient une complémentarité très intéressante. Théodoret omet certaines explications données par Jean Chrysostome et se tourne vers certains détails laissés de côté par celui-ci. Il sélectionne des idées et leur donne parfois plus de force par la rigueur de son expression et par son esprit de synthèse. Il se saisit de remarques esquissées par le prédicateur et les utilise comme des pierres d’attente. Il propose, à la place de l’antijudaïsme, une lecture qui rend au texte paulinien son sens originel. Enfin, il complète Jean Chrysostome par Jean Chrysostome lui-même, là où d’autres interprétations du maître lui semblent plus convaincantes que celles proposées dans la série sur Romains.
témoignent, à leur façon, du lien entre le nom de Théodoret et l’œuvre de Jean Chrysostome. Bien sûr, la servilité des compilateurs n’est pas toujours aussi flagrante : cf., par exemple, M. Aussedat, M. Cassin, « Le prologue du Commentaire sur les petits prophètes de Théophylacte d’Achrida », REByz 68, 2010, p. 61-93.
Chapitre 5 Exégèse et polémique dans l’In Romanos 5.1 Introduction La dimension polémique de l’In Romanos apparaît dès l’Argument, qui évoque le combat de Paul contre les Juifs et contre « Marcion, Valentin et les manichéens ». Dans le cours du commentaire sont également cités « les partisans d’Arius et d’Eunome ». S’agissant d’une œuvre exégétique, il est intéressant d’observer d’abord la manière dont ces différents groupes sont représentés, voire mis en scène : adversaires de Paul ou adversaires de Théodoret ? L’exégète attaque-t-il à son tour ceux qu’il considère comme des cibles de l’Apôtre ? De quelle manière prend-il celui-ci comme défenseur contre ses propres adversaires ? Au-delà de cette mise en scène, il convient d’évaluer le rôle de la polémique dans l’interprétation du texte biblique. Quelles attaques peuvent être qualifiées de digressions ? Lesquelles orientent véritablement la lecture d’un passage, à tel point qu’on pourrait parler d’exégèse polémique ? Les cibles nommées correspondent-elles à des adversaires réels ou Théodoret recourt-il à de simples étiquettes traditionnellement utilisées en lien avec l’exposé de certaines doctrines ? On ne peut répondre à ces interrogations sans aborder la question de la tradition. Il s’agit d’étudier aussi bien l’héritage des argumentations polémiques que celui de l’interprétation de l’épître ou de l’utilisation d’un verset. Le commentaire, on s’en doute, n’offre guère de surprises concernant les positions doctrinales de Théodoret. Notre objectif est d’observer le travail de l’exégète à travers l’examen des passages qui ont une dimension polémique, et en particulier la question des versets qui lui fournissent des occasions : s’appuie-t-il sur des attaques pauliniennes ? Prend-il prétexte d’un mot pour affirmer ses convictions ? Procède-t-il par associations d’idées ? Ou bien se fonde-t-il sur une tradition d’utilisation d’un verset ? Ce questionnement nécessite une enquête sur les sources. Les résultats se révèlent très différents suivant le type de cible considéré, et nous verrons que la notion même de polémique s’applique d’une manière différente dans chaque cas. C’est pourquoi nous aborderons séparément les trois principaux groupes d’adversaires mentionnés dans l’In Romanos. D’abord, en étudiant le discours sur les Juifs dans ce commentaire, nous essaierons d’identifier précisément les passages où se manifeste l’hostilité puis d’analyser de quelle manière Théodoret comprend le propos de l’Apôtre à l’égard des Juifs et s’il le reprend à son compte. En ce qui concerne les marcionites, il s’agit d’évaluer jusqu’à quel point la polémique est déterminante pour la lecture même de l’épître, et dans quelle mesure la cible nommée correspond ou non à un véritable adversaire. Enfin, au sujet des remarques sur les questions trinitaires et christologiques, dont le commentaire est parsemé, nous évaluerons le caractère spontané ou orchestré des digressions en cherchant les sources de l’argumentation scripturaire. En nous intéressant à ces trois groupes, https://doi.org/10.1515/9783110540659-007
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
nous nous demanderons si l’on peut observer une hiérarchie entre eux et à quel point la dimension polémique est déterminante dans cette œuvre. Néanmoins, avant d’entrer dans le détail de l’In Romanos, un bref examen de l’Argument permettra de mesurer à quel point une telle approche de l’œuvre sous l’angle de la polémique est justifiée.
5.2 Préliminaire : l’Argument sur Romains
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5.2 Préliminaire : l’Argument sur Romains Au seuil d’un commentaire linéaire dont il est difficile de dégager les lignes de force, l’Argument offre, en quelques mots, une synthèse de l’épître¹. En analysant la structure de cette introduction, on observera comment l’exégète établit une hiérarchie, au sein du discours paulinien, entre ce qui constitue selon lui le message central et des aspects secondaires. Sur ce fondement, on pourra repérer les différents adversaires évoqués dans l’Argument et tenter de déterminer leur rôle respectif.
5.2.1 Le plan de l’Argument L’Argument sur Romains présente successivement la visée (σκοπός) de l’épître, puis ses parties, en même temps que la méthode suivie par l’auteur, et enfin les enseignements contenus dans l’épître. La dernière phrase précise quelle sera la forme de l’explication². Pour saisir ce qui constitue l’essentiel de l’épître selon Théodoret, il faut repérer les articulations discrètes de l’Argument afin de mettre en regard ses différentes parties et les passages de Romains auxquels il se réfère ainsi que les parties du commentaire. Le tableau ci-après fait apparaître la structure de l’Argument ainsi que les passages correspondants dans l’épître et dans le commentaire de Théodoret. Dans la partie centrale de l’Argument, l’exégète procède en deux temps. Il expose d’abord la méthode argumentative de l’Apôtre, en suivant l’ordre de l’exposé paulinien, au sein duquel il distingue trois moments : « avant tout le reste » (πρὸ τῶν ἄλλων ἁπάντων), accusation contre les Grecs et les Juifs (Romains 1, 18-3, 19)³, « après cela » (μετὰ ταῦτα), salut par l’Incarnation (Romains 3, 20-5, 21)⁴, « ensuite » (εἶτα), rôle de la foi comme accomplissement de la Loi (Romains 7, 1-8, 4)⁵. On remarquera l’absence de correspondance entre les articulations de l’épître ainsi définies et les sections du commentaire. En effet, bien que les premières lignes de la IIe section introduisent déjà le thème de l’Incarnation, l’explication de Romains 3, 9-19 est ensuite bel et bien centrée sur l’accusation des Juifs. Quant à la IIIe section, elle
On ne trouve pas de synthèse de ce type dans l’Argument de Jean Chrysostome, qui est consacré à la chronologie des épîtres pauliniennes (cf. supra, p. 118) puis à la question de savoir pourquoi Paul écrit aux Romains alors qu’il les considère comme instruits. Origène donne une liste de thèmes abordés : « Dans cette même épître sont entrelacés à la loi de Moïse bien des points concernant l’appel des païens, l’Israël selon la chair et l’Israël qui n’est pas selon la chair, la circoncision de la chair et du cœur, la loi spirituelle et la loi de la lettre, la loi de la chair et la loi des membres, la loi de l’âme et la loi du péché, l’homme intérieur et l’homme extérieur », Origène, Com. in Rom., I, 1, 6, SC 532, p. 147. Sur la conformité des parties de l’Argument aux schémas scolaires antiques, cf. note 3 p. 92. Cf. arg., 2. Cf. arg., 3. Cf. arg., 4.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
Tableau 3 : Structure de l’Argument sur Romains Réf. Arg. Contenu
Réf. Rm
Réf. In Rom.
La visée de l’épître
La prédication salvifique, enseignant l’Incarnation divine qui révèle l’amour de Dieu pour l’homme, est nécessaire pour le Juif comme pour le Grec. -
Les parties de l’épître et la méthode de Paul
Paul accuse les Grecs d’avoir transgressé la loi na- Rm , -, turelle, et les Juifs, d’avoir transgressé la loi mosaïque. Rm , -,
I, - I, -II,
Il montre que l’Incarnation apporte non le châtiment Rm , -, mais la rémission des péchés et la vie.
Par un discours équilibré sur la Loi, il combat à la Rm , -, ; II, - ; fois les Juifs et les hérétiques (Marcion, Valentin, les Rm , -, III, - manichéens).
Il montre que la foi accomplit la visée de la Loi.
Les enseignements de l’épître
a)
Rm , -,
II, -
III, -
Sollicitude divine, suscitant la vertu par le don de la faculté de discerner et la piété par le don de la Rm , -, création.
I, -
Constance du dessein de Dieu annoncé par les prophètes.
passim
passim a)
Cause du rejet des Juifs et exhortation des Grecs.
Rm -
IV
Enseignement moral disséminé dans l’épître
Rm Rm Rm Rm Rm Rm
II, - II, -III, III, - IV, - V, - V, -
, - , - , - , - , -, , -
Annonce du commentaire linéaire Cf. infra, p. 258.
commence in medias res, continuant la lecture du passage parénétique commencée à la fin de la IIe section. La division en sections – du moins en ce qui concerne les trois premières – n’est donc pas déterminée par la structure du texte commenté, comme le suggèrent les derniers mots de la Ire section, invitant à se reposer un moment⁶.
Cf. supra, p. 21.
5.2 Préliminaire : l’Argument sur Romains
221
Dans un second temps, l’exégète rassemble (« par tout cela », διὰ τούτων δὲ πάντων) les thèmes abordés dans toute l’épître, qui sont autant d’enseignements⁷. À cet effet, il reprend d’une autre manière les différents aspects du début de l’épître déjà évoqués, en y ajoutant la partie sur le rejet des Juifs (Romains 9-11) et les insertions parénétiques. Sans parler des parties de l’épître auxquelles il n’est pas fait allusion (ouverture et salutations finales), il est intéressant de constater que l’exposé sur la stratégie argumentative ne porte que sur Romains 1, 18-8, 4. Cela signifie qu’aux yeux de Théodoret, le cœur de l’enseignement doctrinal se trouve dans cette première partie de l’épître, même si la totalité fournit « un enseignement riche et varié »⁸. À partir de cette observation, le terme κεφάλαιον employé dans le commentaire de Romains 5, 21 prend tout son sens⁹ : il s’agit bien du « point central » et non d’un « chapitre », puisque l’exégète désigne ainsi la deuxième des trois parties définies dans l’Argument, portant sur l’Incarnation (Romains 3, 9-5, 21), et dans laquelle Paul accomplit selon lui la visée même de l’épître. Ce détail donné par Théodoret manifeste la cohérence entre l’Argument et le commentaire. Eu égard à l’extrême concision de cette introduction à l’In Romanos, et à son caractère très organisé, on ne peut qu’être frappé par la mise en scène, située exactement au milieu du texte, de l’Apôtre comme un général d’armée extraordinaire, victorieux de tous ses ennemis grâce à sa stratégie. La dimension polémique de l’épître est ainsi affirmée. Cependant, toutes les cibles ne sont pas présentées avec la même solennité.
5.2.2 Les dimensions polémiques de l’Argument En parcourant l’ensemble de l’Argument, on peut distinguer différentes cibles et différents niveaux de la polémique, qu’il faut mettre en relation avec la suite du commentaire. On peut opposer cibles explicites et cibles implicites. Les cibles explicites sont présentées sous forme de deux paires, situées d’emblée sur deux plans différents. Il s’agit d’une part des Grecs et des Juifs¹⁰, d’autre part des Juifs et des partisans de Marcion, de Valentin et des manichéens¹¹. Tous sont considérés comme des adversaires de Paul. Cependant, les premiers se situent sur le plan de l’histoire du salut avant l’Incarnation : l’accusation des Grecs et des Juifs les rend passibles d’un châtiment, mais à la place de celui-ci, ils ont reçu le salut par la manifestation du Christ. Il n’est donc question ni pour Paul, ni pour Théodoret,
Cf. arg., 5. Arg., 1. Ἐνταῦθα συνεπλήρωσε τὸ κεφάλαιον, « À cet endroit, il a achevé le point central », II, 32. Les traductions anglaise et italienne comprennent κεφάλαιον au sens de chapitre. Cf. arg., 2. Cf. arg., 3.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
d’une lutte à remporter contre des adversaires actuels. Au contraire, Théodoret dramatise le discours de Paul sur l’Ancien Testament, présenté comme une double bataille, d’une part contre les Juifs trop attachés à la Loi, d’autre part contre les « hérétiques » qui la méprisent : Ἐπειδὴ δὲ καὶ Ἰουδαίους ᾔδει λίαν ἀντεχομένους τοῦ νόμου, καὶ τοὺς τὰ Μαρκίωνος καὶ Βαλεντίνου νοσοῦντας, καὶ μέντοι καὶ μανιχαίους, λίαν τούτου κατηγοροῦντας, καθάπερ ἄριστός τις στρατηγὸς πάντοθεν ὑπὸ πολεμίων κυκλούμενος, καὶ τούτους βάλλει κἀκείνους, καὶ τὸ τρόπαιον ἵστησιν, οὕτως ὁ θεῖος ἀπόστολος καὶ τῶν αἱρετικῶν τὸ στίφος, καὶ τῶν Ἰουδαίων τὴν φάλαγγα διὰ τῆς θείας κατέλυσε χάριτος. Τί γὰρ ποιεῖ ; οὔτε ἄγαν ἐπαίρει τὸν νόμον διὰ τὴν Ἰουδαίων ἀναίδειαν, οὔτε πρόφασιν κατηγορίας παρέχει τοῖς δυσσεβέσιν αἱρετικοῖς, Et comme il savait à la fois que les Juifs s’attachaient excessivement à la Loi, et que ceux qui souffraient des maladies de Marcion et de Valentin, aussi bien que les manichéens, accusaient celle-ci à l’excès, de même qu’un excellent général encerclé de tous côtés par des ennemis, tout en chassant ceux-ci et ceux-là, dresse le trophée ; ainsi, le divin Apôtre dissolut, par la grâce divine, aussi bien la troupe des hérétiques que la phalange des Juifs. En effet, que fait-il ? D’un côté, il n’élève pas trop la Loi, à cause de l’effronterie des Juifs ; de l’autre, il ne fournit pas de prétexte d’accusation aux hérétiques impies¹².
La métaphore militaire est filée avec insistance. En mettant ainsi en scène l’Apôtre comme adversaire des Juifs, des marcionites, des valentiniens et des manichéens, l’exégète suggère que l’épître est par elle-même polémique¹³. C’est bien sûr une manière de justifier, dès l’ouverture du commentaire, sa propre lecture anti-hérétique¹⁴. Notons que Juifs et hérétiques sont ici présentés sur le même plan : Théodoret souligne ainsi la difficulté de tenir un discours équilibré sur la Loi. D’autre part, on trouve au début de l’Argument, sinon une polémique explicite, du moins la mention d’une opposition. L’exégète distingue trois attitudes à l’égard de l’Incarnation : celle des croyants, l’adoration devant l’amour de Dieu pour les hommes, celle des incroyants, le rire, celle des anges, la louange. Certes, les incroyants ne sont présentés ni comme des adversaires de Paul, ni comme des hérétiques, ni même directement comme des personnes que l’exégète se chargerait de convaincre, mais, d’une manière assez vague, et du reste avec un accent d’optimisme, comme des gens « enveloppés du brouillard de l’incroyance, et qui n’ont pas encore reçu l’éclat de la lumière intellective »¹⁵. À première vue, il s’agit des nonchrétiens en général, et le ton est celui du simple constat. Ceux qui ne croient pas en l’Incarnation peuvent aussi inclure les Juifs et les marcionites, mentionnés quelques
Arg., 3. Sur l’amalgame entre Marcion, Valentin et les manichéens, cf. infra, p. 245. Sur les différents niveaux de mise en scène et sur les métaphores employées dans l’In Romanos, cf. infra, p. 248. Τῆς ἀπιστίας τὴν ἀχλὺν περικείμενοι, καὶ τοῦ νοεροῦ φωτὸς τὴν αἴγλην μηδέπω δεξάμενοι, arg., 1. Sur les expressions employées, cf. supra, p. 37 ; p. 50.
5.2 Préliminaire : l’Argument sur Romains
223
lignes plus bas. Cependant, il faut souligner que l’Incarnation est justement au centre du débat théologique auquel Théodoret a pris part. C’est ce contexte qui autorise à s’interroger sur la présence, dans ces lignes, d’une allusion discrète aux querelles christologiques du ve siècle. Quelques indices, certes fragiles, autorisent à envisager cette hypothèse. D’abord, la désignation de chaque groupe n’est peut-être pas fortuite. L’ἀπιστία peut caractériser aussi bien les hétérodoxes que les nonchrétiens à proprement parler, les deux catégories étant facilement assimilées par l’hérésiologie. Quant aux croyants, leur foi est appelée « sans mélange » (εἰλικρινῶς), ce qui suggère la pureté de leur doctrine, peut-être par opposition à l’hétérodoxie. L’évocation des anges incapables de louer dignement amplifie l’idée de mystère et suggère la difficulté de discourir sur celui-ci. Autre indice d’une éventuelle polémique en sourdine, la distinction opérée par l’exégète est évoquée dès l’exposé du σκοπός, c’est-à-dire de ce qui constitue le cœur de l’épître, tandis que Juifs et marcionites sont représentés à propos de la méthode argumentative de l’Apôtre. Une telle discrétion s’agissant des querelles christologiques s’explique aisément d’un point de vue historique, que l’œuvre ait été écrite dans la période d’apaisement avec Cyrille d’Alexandrie, juste après 433, ou bien à la fin des années 440, où l’évêque de Cyr a dû défendre son orthodoxie contre les attaques d’Eutychès¹⁶.
5.2.3 Conclusion De ce rapide parcours sur l’Argument, on retiendra deux éléments. D’abord, on a pu constater avec quel soin l’exégète établissait une hiérarchie entre différents thèmes et aspects de Romains. Il s’agit déjà d’une véritable interprétation de l’épître. On observera que les points mentionnés dans cet Argument, voire certaines formulations – présence en tout homme de la faculté de discerner (τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων διάκρισις), bonté du Créateur, continuité du dessein de Dieu dans l’histoire, … – se retrouvent sous la forme de fils conducteurs que nous avons pu repérer dans le commentaire linéaire. Une lecture attentive de l’Argument permet donc de confirmer le caractère intentionnel de ces fils conducteurs et la dimension nettement interprétative de l’In Romanos, au-delà de la paraphrase. Cela signifie que Théodoret propose, en quelques lignes, un véritable guide de lecture non seulement de l’épître mais de son commentaire. Par ailleurs, la dimension polémique, très présente au seuil de cette œuvre, se situe à différents niveaux. Il est légitime de se demander quelle est la place de la rhétorique dans le contraste entre, d’une part, la dramatisation du combat contre les Juifs et les marcionites, et d’autre part, la simple mention des incroyants à propos de l’Incarnation, sujet le plus brûlant dans l’activité théologique de Théodoret. La polémique christologique pourrait-elle, malgré la discrétion
La prudence de Théodoret dans l’In epistulas Pauli, en particulier par le vocabulaire christologique employé, a été soulignée par les commentateurs. Cf. infra, notes 335, 338-339 p. 273-274.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
de Théodoret, être la plus essentielle dans ce commentaire ? Seule une enquête approfondie sur les trois types de cibles dans l’ensemble de l’œuvre permettra d’en décider.
5.3 Le discours sur les Juifs
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5.3 Le discours sur les Juifs Ἐκείνων, φησί, πατέρες οἱ πατριάρχαι, πρὸς ἐκείνους αἱ ἐπαγγελίαι γεγένηνται, οἱ ἐκείνων προφῆται τὰ κοινὰ προεθέσπισαν ἀγαθά, ἐξ ἐκείνων κατὰ τὴν ἀνθρωπείαν φύσιν ὁ δεσπότης Χριστός, ἐξ ἐκείνων οἱ ἀπόστολοι τῆς οἰκουμένης οἱ κήρυκες, δι’ ἐκείνων διενεμήθη τὰ τοῦ πνεύματος δῶρα. Théodoret¹⁷ « Chez [Théodoret] l’Écriture n’a pas vocation à illustrer ou à soutenir de son autorité une accusation initialement formulée : elle la commande plutôt, dans la mesure où l’exégète, en apparence au moins, paraît s’en tenir à l’explication du texte selon la méthode historico-littérale ». J.-N. Guinot¹⁸
La question de l’antijudaïsme dans l’In Romanos de Théodoret se situe à la croisée de deux controverses. D’une part, l’Épître aux Romains elle-même est au cœur du débat sur les racines pauliniennes de l’antijudaïsme chrétien, c’est-à-dire en particulier sur le problème de savoir si l’inclusion des Nations dans les promesses faites à Abraham implique nécessairement, pour l’Apôtre lui-même, une exclusion des Juifs non chrétiens, ou bien si cette lecture correspond à une fausse interprétation dès les origines du christianisme¹⁹. D’autre part, l’interprétation de l’hostilité contre les Juifs
« C’est de ceux-ci que les patriarches sont pères, c’est à l’égard de ceux-ci qu’ont eu lieu les promesses, ce sont les prophètes de ceux-ci qui ont prédit les biens qui nous sont communs, c’est de ceux-ci qu’est issu le Christ notre Maître selon la nature humaine, c’est de ceux-ci que sont issus les apôtres, les prédicateurs de la terre habitée, c’est par ceux-ci qu’ont été distribués les dons de l’Esprit », In Rom., V, 50. J.-N. Guinot, « Écriture et polémique antijuive chez Théodoret », II, p. 25-26. Le débat sur la responsabilité de Paul dans l’antijudaïsme chrétien naît à la suite des horreurs nazies. Pour R. R. Ruether, Faith and Fratricide. The Theological Roots of Anti-Semitism, New York, 1974, p. 64-107, le texte de Paul et son message théologique sont fondamentalement antijudaïques, les Juifs et la loi mosaïque étant tenus pour vieux, charnels et propres au vieil Adam. Au contraire, selon la Pauline School, le message de l’Apôtre, selon lequel les Nations atteignent le salut par la foi au Christ et les Juifs par la Torah, a été totalement incompris pendant vingt siècles. Cf. J. G. Gager, The Origins of Anti-Semitism, Attitudes Toward Judaism in Pagan and Christian Antiquity, New York-Oxford, 1983, p. 193-264 (sur Romains : p. 214-225). H. Schreckenberg, Die christlichen Adversus-Judaeos-Texte und ihr literarisches und historisches Umfeld (1.-11. Jh.), Frankfurt am Main, 19994, p. 82-154, souligne surtout que les lectures patristiques ont systématiquement tiré vers une interprétation antijudaïque ce qui était un débat interne, puisque judaïsme et christianisme n’existaient pas alors comme communautés distinctes. On trouvera un résumé détaillé des diverses positions dans D. Rokéah, Justin Martyr and The Jews, Leiden-Boston-Köln, 2002, en particulier p. 61-85. L’auteur souligne la réalité, chez Paul, d’une attaque contre les Juifs afin de donner consistance à la communauté
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chez les Pères est discutée : celle-ci est-elle l’expression d’un conflit idéologique et pratique entre deux communautés, d’un souci pastoral lié à la concurrence d’un judaïsme réellement attrayant²⁰ ? Les écrits antijudaïques témoignent-ils d’une véritable confrontation intellectuelle entre deux groupes²¹ ? Ou bien est-ce un élément essentiel du développement de la théologie chrétienne elle-même²² ? C’est en ayant à
chrétienne. On se reportera à la bibliographie récente en anglais dans A. M. Bibliowicz, Jews and Gentiles in the Early Jesus Movement. An Unintended Journey, New York, 2013, p. 265-281. Le désaccord entre les chercheurs actuels sur la place du judaïsme chez Paul atteste combien la question est sensible, mais renvoie peut-être aussi à la complexité de la pensée paulinienne. M. Simon, Verus Israel, Étude sur les relations entre chrétiens et Juifs dans l’Empire romain (135425), Paris, 1964, tout en reconnaissant les mesures vexatoires et les persécutions institutionnalisées dès le ive siècle, met l’accent sur la confrontation idéologique et pratique entre deux communautés : « La raison profonde de cet antisémitisme, c’est la vitalité religieuse du judaïsme » (p. 273). La thèse de la concurrence a été particulièrement développée au sujet de Jean Chrysostome, chez qui le discours antijudaïque atteint son paroxysme. Cf. A.-M. Malingrey, « La controverse antijudaïque dans l’œuvre de Jean Chrysostome d’après les discours Adversus-Judaeos », De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme contemporain, éd. V. Nikiprowetzky, Lille, 1979, p. 87-104 ; R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews : Rhetoric and Reality in the late Fourth Century, Berkeley-Los AngelesLondon, 1983 ; E. Soler, Le Sacré et le salut à Antioche au ive siècle apr. J.-C., p. 91-135. En ce qui concerne l’attitude des Juifs eux-mêmes, E. Will, C. Orrieux, « Prosélytisme juif » ? : histoire d’une erreur, Paris, 2004, réfutent l’idée, née selon eux au xixe siècle, d’une action missionnaire de leur part. Par exemple, selon P. Bobichon, Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon, Édition critique, Fribourg, 2003, vol. I, p. 103-108, Justin témoigne d’une confrontation réelle par sa connaissance de l’exégèse juive, même si la plupart de ses griefs sont d’origine biblique. Au sujet des dialogues Aduersus Iudaeos, P. Andrist, « Literary Distance and Complexity in Late Antique and Early Byzantine Greek Dialogues Adversus Iudaeos », Dialogues and Debates from Late Antiquity to Late Byzantium, éd. A. Cameron, N. Gaul, London-New York, 2017, p. 43-64, souligne que le caractère évidemment fictif de nombreux dialogues ne permet pas de se prononcer sur le rapport qu’ils entretiennent avec la réalité concrète. Cf. aussi S. Morlet, « The Dialogue of Timothy and Aquila : a catechetical handbook ? », Ancient and Medieval Disputations between Jews and Christians : Fiction and Reality, éd. S. Morlet, à paraître. C’est la thèse représentée en particulier par R. R. Ruether, Faith and Fratricide. V. Nikiprowetzky, « Réflexions sur la genèse du discours antisémite », De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme contemporain, éd. V. Nikiprowetzky, Lille, 1979, p. 277-290, souligne l’impact irrémédiable du discours chrétien sur l’histoire : « L’irréparable est accompli au sein du NT lui-même », dont les formules ont été « creusées, approfondies, systématisées par des siècles de méditation théologique » (p. 279-280). On consultera la bibliographie récente de S. Morlet, « L’antijudaïsme chrétien au ive siècle. À propos de quelques idées reçues », Chrétiens persécuteurs. Destructions, exclusions, violences religieuses au ive siècle, éd. M.-F. Baslez, Paris, 2014, p. 163-188, qui, distinguant notamment les données antiques et leur relecture postérieure, refuse d’assimiler l’attitude des chrétiens des premiers siècles à l’antisémitisme contemporain. Au sujet du Dialogue de Justin, O. Munnich, « Le judaïsme dans le Dialogue avec Tryphon : une fiction littéraire de Justin », Les dialogues Aduersus Iudaeos, permanences et mutations d’une tradition polémique. Actes du colloque international organisé les 7 et 8 décembre 2011 à l’Université de Paris-Sorbonne, éd. S. Morlet, O. Munnich et al., Paris, 2013, p. 95156, considère que la mise en scène est purement fictive, que l’auteur méconnaît les réalités juives de son époque et que le texte est « tout entier tourné vers les chrétiens ».
5.3 Le discours sur les Juifs
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l’esprit ces questions que nous voulons étudier le texte de Théodoret sous l’angle du discours relatif aux Juifs. J.-N. Guinot, étudiant la polémique antijudaïque dans l’œuvre exégétique, surtout vétérotestamentaire, de l’évêque de Cyr, remarque qu’elle est bien présente, témoignant d’une implication réelle dans le discours de son époque, puisqu’on retrouve pour ainsi dire chez lui tous les griefs habituels ; il souligne néanmoins le caractère conventionnel des invectives, leur dépendance par rapport au texte scripturaire, le fait qu’elles ne portent pas la trace d’une véritable actualité de la polémique et l’absence d’agressivité de l’auteur, à de rares exceptions près²³. Nous avons pu mesurer la distance entre le commentaire de Romains et les homélies de Jean Chrysostome sur la même épître²⁴. Apparemment, la dimension pastorale du rapport avec les Juifs n’est pas au centre de ses préoccupations. Il est donc d’autant plus intéressant de se demander comment il comprend le propos de Paul et quelle est la place des Juifs dans sa compréhension de l’histoire du salut. Dans cette perspective, la présente enquête sera centrée sur l’exégèse de Romains proposée par Théodoret. Il s’agit, à un premier niveau, de comparer son discours et celui de Paul, afin d’évaluer dans quelles mesures les assertions sur les Juifs sont amplifiées ou atténuées, ou encore si certains versets sont manifestement détournés de leur sens obvie. À un second niveau, nous nous demanderons comment l’évêque de Cyr interprète le discours paulinien sur les Juifs. Pour évaluer la force de l’antijudaïsme, la première enquête consiste, bien sûr, à relever les éléments proprement polémiques. Toutefois, il serait contraire à toute méthode d’analyser ces éléments en les isolant de leur contexte²⁵. Il est nécessaire de tenir compte des remarques positives, non pour relativiser la virulence de certaines piques, mais pour saisir l’œuvre dans sa complexité, y compris dans ses éventuelles contradictions. Nous commencerons donc par mettre en regard les accusations portées contre les Juifs et le texte paulinien à l’occasion desquelles elles sont formulées. Puis nous nous demanderons comment Théodoret comprend le discours de Paul sur les Juifs, d’abord en observant comment il appréhende la relation entre l’Apôtre et ces derniers, puis en essayant de replacer son propre discours sur les Juifs dans la cohérence de son interprétation de l’épître.
Cf. J.-N. Guinot, « Écriture et polémique antijuive chez Théodoret », II, p. 25-50. L’auteur laisse ouverte la question d’un Aduersus Iudaeos perdu de Théodoret, et montre que son agressivité se manifeste en réalité dans la controverse exégétique, qui, fustigeant l’exégèse juive, s’en prend en réalité à Diodore et à Théodore. Cf. aussi id., L’Exégèse, p. 484-522. Voir supra, p. 156 et p. 200. C’est l’écueil dans lequel est tombé, nous semble-t-il, H. Schreckenberg, peut-être à cause de l’ampleur de son enquête, qui ne permettait pas de proposer un examen nuancé sur chaque auteur. En lisant les pages sur Théodoret, on pourrait avoir l’impression que celui-ci est pratiquement aussi virulent contre les Juifs que Jean Chrysostome. Cf. H. Schreckenberg, Die christlichen AdversusJudaeos-Texte, p. 382-384.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
5.3.1 Propos sur les Juifs dans l’In Romanos Dans un premier temps, il convient d’observer comment Théodoret désigne les Juifs et de quelles accusations ceux-ci font l’objet dans l’In Romanos, puis d’évaluer dans quelle mesure son discours est marqué par telle ou telle tradition.
5.3.1.1 Désignations utilisées et adresse aux Juifs Les dénominations utilisées pour parler des Juifs et des judaïsants sont descriptives : il est question des « Juifs » (οἱ Ἰουδαῖοι), ou encore de « ceux, issus des Juifs, qui ont cru » (οἱ ἐξ Ἰουδαίων πεπιστευκότες), parfois simplement qualifiés de « juifs », quand le sens est évident²⁶, et de « ceux qui n’ont pas cru » (οἱ ἀπιστοῦντες). Le terme « judaïsant » n’apparaît pas dans le texte²⁷. La remarque faite par J.-N. Guinot à propos de l’In Isaiam, sur l’évitement du mot « Juif » lorsqu’il est question des Juifs qui ont cru, ne semble pas se vérifier ici : quand le terme est occasionnellement omis, c’est aussi bien pour parler de ceux qui n’ont pas cru que de ceux qui ont cru²⁸. En réalité, l’Épître aux Romains est dominée par l’opposition entre Juifs et Nations plus que par la distinction entre les Juifs qui ont cru et ceux qui n’ont pas cru. L’usage du mot « juif » au singulier est très rare dans le commentaire et correspond habituellement à une reprise du lemme²⁹. Théodoret reformule parfois au pluriel les expressions de l’épître au singulier³⁰. L’adresse directe aux Juifs est aussi à mettre en lien avec le système d’énonciation de l’épître, que Théodoret se contente souvent de prolonger, en le faisant éventuellement alterner, dans un même passage, avec l’évocation à la troisième personne³¹. Une exception doit cependant être citée. Dans le passage suivant, Théodoret s’adresse directement au Juif, interpelé explicitement, sans que ce soit une reprise de Paul. C’est l’unique occurrence du vocatif Ἰουδαῖε dans tout l’In epistulas Pauli : Λέγει δὲ τοῦτο, ὅτι καὶ Ἰσμαὴλ τοῦ ᾿Aβραὰμ ἦν υἱός, καὶ πρωτότοκος υἱός. Διὰ τί τοίνυν μέγα φρονεῖς, ὦ Ἰουδαῖε, ὡς μόνος σπέρμα τοῦ ᾿Aβραὰμ προσαγορευόμενος ; Εἰ δὲ νομίζεις ἐκεῖνον ὡς ἡμίδουλον ἐκβεβλῆσθαι τῆς συγγενείας, οὐκ εἰκότως νομίζεις. Ἐκ πατέρων γάρ, ἀλλ’ οὐκ ἐκ μητέρων, γενεαλογεῖν ἔθος τῇ θείᾳ γραφῇ, Il dit ceci : qu’Ismaël aussi était fils d’Abraham, fils premier-né, même. Pour quelle raison t’enorgueillis-tu, ô Juif, disant que tu es seul à être nommé descendance d’Abraham ? Or, si tu crois que c’est parce qu’il était à moitié esclave que celui-là a été rejeté de la parenté, tu n’as pas
Cf. V, 23 ; 26 ; 32 ; 34. Sur la complexité de la notion de « judaïsant » et son évolution, cf., par exemple, E. Soler, Le Sacré et le salut à Antioche au ive siècle apr. J.-C., p. 113-135. Cf. J.-N. Guinot, « Écriture et polémique antijuive chez Théodoret », II, p. 27-28 avec les notes 8 et 9. Cf. I, 36 (Rm 2, 17) ; I, 41 (Rm 2, 28-29) ; V, 23 (Rm 14, 4) ; V, 26 (Rm 14, 10). Cf. I, 15 (Rm 1, 16) ; I, 33 (Rm 2, 9). Cf. par exemple I, 36-37.
5.3 Le discours sur les Juifs
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raison de le croire. Car c’est à partir des pères, et non des mères, que la divine Écriture a l’habitude de faire la généalogie³².
Dans ce cas seulement, on peut parler de ton polémique de la part de Théodoret, l’invective étant en contraste avec le passage commenté, qui évoque les Juifs, ou, plus précisément, les Israélites (Romains 9, 4) à la troisième personne du pluriel. Peut-on l’expliquer par le contexte de la mention d’Ismaël, induisant une assimilation entre le Juif et Isaac ? Quoi qu’il en soit, l’apostrophe ὦ Ἰουδαῖε surprend, d’autant plus qu’elle est isolée³³. Elle n’est pas directement empruntée au commentaire de Jean Chrysostome sur ce passage. Le reproche de l’orgueil, quant à lui, fait partie des motifs récurrents de l’In Romanos, comme nous allons le voir à présent.
5.3.1.2 Des griefs traditionnels Sont mentionnés dans cette œuvre un certain nombre de griefs traditionnels contre les Juifs : premièrement des traits de caractère, comme l’effronterie (ἀναίδεια), la haute considération de soi-même (ὑψηλὸν φρόνημα), l’arrogance (ὀφρύς), la tendance à se pavaner (ἐναβρύνεσθαι), à se rengorger (μεγαλαυχεῖσθαι), la vantardise (σεμνύνεσθαι), l’orgueil (μέγα φρονεῖν), la gourmandise (γαστριμαργία)³⁴, deuxièmement des attitudes par rapport à Dieu, que ce soit l’incrédulité (ἀπιστία, ἄπιστος, ἀπιστεῖν), l’ingratitude (ἀχαριστία), la dureté de cœur (σκληροκαρδία), la violation de la loi (παράνομος βίος, παρανομία), l’aveuglement volontaire (αὐτοὶ τοὺς ὀφθαλμοὺς ἔμυσαν), l’esprit de contradiction (ἀντιλέγειν), le blasphème (βλασφημία), le rejet du salut (ἀποβολή), ou encore l’hostilité (δυσμενῶς, δυσμενής), jusqu’à la folie (μαίνεσθαι, μανία), au meurtre des prophètes (μιαιφονία, φονοῦν, ἀναιρεῖν), et à la haine de Dieu (μισεῖν)³⁵, troisièmement les conséquences de ces attitudes, en particulier les châtiments (δίκαι, τιμωρίαι) et la privation de la grâce (ἄμοιρος χάριτος, στερεῖσθαι)³⁶. Si l’on excepte l’extrait cité précédemment, le ton utilisé est presque toujours
IV, 8 (Rm 9, 4). L’apostrophe σὺ ὁ περιτετμημένος, « toi, le circoncis » (I, 39), en revanche, ne semble pas plus vive que le propos paulinien (Rm 2, 26). Cf. arg., 3 (ἀναίδεια) ; I, 36 ; II, 9 (ὑψηλὸν φρόνημα) ; I, 36 ; Ι, 42 ; II, 17 (ὀφρύς) ; I, 37 (ἐναβρύνεσθαι) ; I, 37 ; I, 42 (μεγαλαυχεῖσθαι) ; II, 9 (σεμνύνεσθαι) ; III, 42 ; IV, 8 (μέγα φρονεῖν) ; V, 62 (γαστριμαργία). Cf. IV, 2 ; IV, 30 ; IV, 35 (ἀπιστία) ; IV, 31 (ἄπιστος) ; IV, 33 (ἀπιστεῖν) ; IV, 45 (ἀχαριστία) ; III, 12 (σκληροκαρδία) ; I, 37 (παράνομος βίος) ; IV, 44 (παρανομία) ; IV, 35 (αὐτοὶ τοὺς ὀφθαλμοὺς ἔμυσαν) ; IV, 7 ; IV, 36 (bis, ἀντιλέγειν) ; V, 39 (βλασφημία) ; arg., 5 ; IV, 2 (ἀποβολή) ; IV, 32 (δυσμενῶς) ; IV, 45 (δυσμενής) ; IV, 30 (μαίνεσθαι) ; V, 53 (μανία) ; IV, 30 (μιαιφονία, φονοῦν) ; IV, 32 (ἀναιρεῖν) ; IV, 32 (μισεῖν). Cf. IV, 11 (δίκαι, τιμωρίαι) ; III, 42 (ἄμοιρος χάριτος) ; IV, 26 ; IV, 45 (στερεῖσθαι). Sur les griefs antijudaïques dans l’ensemble de l’œuvre exégétique de Théodoret, cf. J.-N. Guinot, « Écriture et polémique antijuive chez Théodoret », II, p. 29-31. Tous ces griefs sont traditionnels dans la polé-
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
celui de l’explication historique : c’est Paul qui accuse, et le discours sur les Juifs est au passé. On est donc loin de la « représentation anhistorique » et généralisante dont parle O. Munnich au sujet des propos de Justin sur les Juifs³⁷.
5.3.1.3 L’héritage exégétique Pour évaluer dans quelle mesure Théodoret lui-même fait œuvre de polémique, il faut préciser à quelles occasions ces reproches sont formulés et rechercher ce que telle interprétation antijudaïque doit à la tradition. Pour ce qui est des occasions, on peut distinguer trois catégories, qui correspondent à trois degrés de polémique : soit le grief est déjà contenu dans le verset commenté, soit il s’appuie sur une amplification ou un infléchissement du texte biblique, soit il prend prétexte d’un passage dans lequel il n’est pas question des Juifs. Eu égard à la tradition, certes les griefs sont stéréotypés, mais les versets faisant l’objet d’un infléchissement polémique chez Théodoret ne semblent pas être utilisés dans le même sens par la controverse antijudaïque des premiers siècles : on n’a pas trouvé de lectures semblables dans les œuvres polémiques de Justin, Tertullien, Irénée, ou Eusèbe, qui utilisent d’autres passages de Romains pour soutenir leurs attaques³⁸. Les sources de Théodoret sont plutôt des œuvres exégétiques, essentiellement de Jean Chrysostome. C’est ce dont on peut se convaincre en répertoriant les passages antijudaïques de l’In Romanos selon les trois catégories proposées. Dans un certain nombre de passages, le grief est énoncé à propos de versets visant eux-mêmes les Juifs. Le cas le plus fréquent et le degré le plus faible de la polémique consiste à paraphraser le discours paulinien, à expliquer un terme, éventuellement en mettant l’accent sur un détail³⁹. Il est alors inutile de chercher une
mique chrétienne antique, cf. M. Simon, Verus Israel, surtout p. 245-256. On les trouve presque tous chez Justin, cf. P. Bobichon, Justin Martyr, p. 88-91 avec les notes. L’accusation de gourmandise est attestée au moins depuis Tertullien, Adu. Marc., II, 18, 2, SC 368, p. 114-117. Pour une comparaison avec les attaques païennes, cf. J. Juster, Les Juifs dans l’Empire romain. Leur condition juridique, économique et sociale, Paris, 1914, I, p. 45-48. Cf. O. Munnich, « Le judaïsme dans le Dialogue avec Tryphon », p. 132-135. On a élargi l’enquête à l’Aduersus Marcionem de Tertullien, chez qui les pointes antijudaïques sont plus fréquentes que dans son Aduersus Iudaeos, selon D. P. Efroymson, « The Patristic Connection », Antisemitism and the Foundations of Christianity, éd. A. Davies, New York-Ramsey-Toronto, 1979, p. 98-117. Il faudrait en réalité examiner les citations des versets concernés dans l’ensemble des textes jusqu’à l’époque de Théodoret, ce que nous avons fait (sur la base des œuvres disponibles dans le TLG) pour Romains 16, 18 et Philippiens 3, 19. Pour Jean Chrysostome, nous avons recherché les versets étudiés dans l’ensemble de son œuvre. Sur l’argumentation scripturaire dans la polémique contre les Juifs, cf. par exemple P. Prigent, Justin et l’Ancien Testament. L’argumentation scripturaire du traité de Justin Contre toutes les hérésies comme source principale du Dialogue avec Tryphon et de la première Apologie, Paris, 1964 ; S. Morlet, La Démonstration Évangélique d’Eusèbe de Césarée. Étude sur l’apologétique chrétienne à l’époque de Constantin, Paris, 2009, p. 421-472. Cf. I, 37 (Rm 2, 21-24) ; IV, 33 (Rm 11, 5) ; IV, 35 (Rm 11, 8) ; IV, 36 (Rm 11, 11-12) ; IV, 44 (Rm 11, 2627) ; IV, 45 (Rm 11, 28, δυσμενής).
5.3 Le discours sur les Juifs
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autre source que le texte biblique. On peut noter une légère amplification du lemme lorsque la remarque lexicographique est justifiée par une considération de type historique. Voici, par exemple, le commentaire de Romains 3, 27 : Paul « appelle “glorification” (καύχησις) la haute considération des Juifs pour eux-mêmes. Car ils se vantaient d’être les seuls à bénéficier de la prévenance divine »⁴⁰. Ou bien, pour évoquer l’absence d’injustice dans le choix de Dieu, l’exégète mentionne l’épisode du Veau d’or et rappelle qu’un petit nombre seulement a été châtié, afin que tous soient corrigés⁴¹. Par ailleurs, Théodoret met l’accent sur le grief d’orgueil en l’utilisant comme motif pour résumer diverses accusations pauliniennes⁴². Le deuxième degré de polémique, reposant sur une amplification de l’accusation paulinienne, voire sur un infléchissement du sens du texte, est représenté par trois cas dans l’In Romanos ⁴³. Dans deux de ces trois cas, la lecture de Théodoret n’est pas isolée. À propos de Romains 11, 2-4, si l’évocation du meurtre des prophètes et de la destruction des autels est une paraphrase du lemme, en revanche la signification qui en est donnée, la haine de Dieu (μισεῖν), dépasse largement le propos de l’Apôtre⁴⁴. Le verset est déjà utilisé contre les Juifs par Justin, qui l’allègue pour reprocher à ceux-ci de haïr (μισεῖν) les chrétiens⁴⁵, mais l’interprétation la plus proche de celle de Théodoret se trouve dans le commentaire de Jean Chrysostome, qui ajoute au meurtre des prophètes celui du Christ⁴⁶. Au sujet de Romains 10, 20, Théodoret concentre toute son attention sur le verbe ἀποτολμᾶν, affirmant que l’« audace » d’Isaïe dont parle Paul consiste à parler librement (παρρησία) aux Juifs, sans craindre leur folie meurtrière (μιαιφονία, φονῶντες Ἰουδαῖοι καὶ μεμηνότες)⁴⁷. L’accusation, très insistante, s’appuie sur le contexte historique de la prophétie – à savoir les persécutions dont Isaïe a été l’objet – mais sans y faire explicitement référence, ce qui a pour effet de généraliser l’accusation à tous les Juifs. L’idée de meurtre fait penser aussi bien aux attaques de Justin qu’au grand réquisitoire de
« Καύχησιν » δὲ καλεῖ τὸ ὑψηλὸν τῶν Ἰουδαίων φρόνημα. Ἐσεμνύνοντο γὰρ ὡς μόνοι τῆς θείας ἀπολαύοντες προμηθείας, II, 9. Cf. IV, 11 (Rm 9, 14). Dans l’In Romanos, le recours au témoignage de l’Ancien Testament est traditionnel et n’amplifie généralement pas la polémique. Voir, par exemple, les citations de Jérémie 4, 4 et 9, 25 à propos de Romains 3, 25 (I, 38). Cependant, certaines citations vétérotestamentaires de l’épître sont l’occasion d’attaques, comme celles de 1 Règnes 19 (Romains 11, 3). La lecture antijudaïque de l’Ancien Testament fait partie des lieux communs de la polémique. Cf. M. Simon, Verus Israel, p. 254. Cf. I, 36 (Rm 2, 19-20) ; I, 42 (Rm 2, 17-29). Cf. aussi arg., 3. ; II, 17 (Rm 4, 16). Un quatrième cas (IV, 45) doit être replacé dans le contexte plus large. Cf. infra, p. 242. Cf. IV, 32. Cf. Justin, Dial. Tryph., 39, 1, Bobichon I, p. 280, cité dans P. Bobichon, « Persécutions, calomnies, “Birkat Ha-Minim” et émissaires juifs de propagande antichrétienne dans les écrits de Justin Martyr », REJ 162 (3-4), 2003, p. 405. Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., XVIII, PG 60, 577, 58-578, 39. Cf. IV, 30.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
Méliton de Sardes, mais ceux-ci n’utilisent pas le même verset⁴⁸. En réalité, Théodoret s’appuie sur la tradition exégétique du verset. Origène, dans son commentaire de l’épître, souligne déjà le terme ἀποτολμᾶν utilisé par Paul, rappelant le contexte de la vie d’Isaïe et expliquant que celui-ci connaissait l’imminence de sa persécution et de sa mort⁴⁹. Jean Chrysostome reprend l’idée d’une manière plus acerbe : pour lui, Isaïe annonce aux Juifs qu’ils vont crucifier le Christ⁵⁰. Enfin, en Romains 15, 3031, Théodoret opère une double amplification du texte. Premièrement, tout en assimilant « la Judée » aux Juifs, il ajoute aux « incrédules » visés par Paul les croyants issus du judaïsme, alléguant qu’ils étaient mal disposés à l’égard de l’Apôtre. Deuxièmement, il impute purement et simplement à la « folie des Juifs » le combat évoqué (συναγωνίζεσθαι)⁵¹. Cette interprétation est la seule dont nous n’avons pas trouvé de parallèle. Enfin, trois passages relèvent de la polémique gratuite, puisqu’ils s’appuient sur des versets dans lesquels il n’est pas question des Juifs. Si la source est chrysostomienne, le type de réécriture aboutit parfois à une accentuation de la polémique. La citation du Psaume 68, 10 en Romains 15, 3 (« Les insultes de ceux qui t’insultent sont retombées sur moi »), qui permettait à Paul d’attester que le Christ ne faisait pas ce qui lui plaisait, est l’occasion d’attribuer aux Juifs les insultes endurées pendant la Passion⁵². Or, ce verset ne fait apparemment pas partie des passages traditionnellement utilisés dans les ouvrages contre les Juifs. L’exégèse d’Origène attribue aux Juifs les insultes contre Dieu qui retombent sur le Christ, sans cependant faire référence à la Passion⁵³. En revanche, Jean Chrysostome y fait clairement allusion⁵⁴ : c’est de lui qui Théodoret se rapproche le plus. La virulence de Théodoret à propos de Romains 8, 14 (« En effet, tous ceux qui se laissent diriger par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ») se comprend mieux lorsqu’on lit l’homélie de Jean Chrysostome sur le même passage. En effet, l’évêque de Cyr considère ce verset comme une « pique » (νύττειν) contre les Juifs, qui, dit-il, s’ils ont aussi été appelés « fils de Dieu », sont pourtant exclus de la grâce⁵⁵. Or, Jean Chrysostome introduit une remarque polémique à partir du verset 15 (« Car vous n’avez pas reçu un esprit d’esclavage, encore une fois en vue de la crainte, mais vous
Les Juifs y sont accusés d’avoir mis à mort (ἀποκτείνειν) Jésus, « meurtre » (φόνος) commis par « ingratitude » (ἀχαριστία), cf. Méliton de Sardes, Sur la Pâque, 72-100, SC 123, p. 100-121. Sur cette thématique chez Justin, cf. P. Bobichon, « Persécutions, calomnies, “Birkat Ha-Minim” », p. 403-419. Cf. Origène, Com. in Rom., VIII, 5, 9-10, SC 543, p. 494-497. Cf. Jean Chrysostome, De proph. obscur., I, PG 56, 172, 52-173, 20. Cf. V, 53. Cf. V, 39. Théodoret évoque la Passion notamment en citant Matthieu 26, 39. Sur le grief traditionnel de déicide, cf. M. Simon, Verus Israel, p. 246. Cf. Origène, Com. in Rom., X, 6, 6, SC 555, p. 302-305. L’auteur cite le reproche de manger avec les pécheurs (Mt 9, 11) et de ne pas reconnaître que la femme qui lui lave les pieds est une pécheresse (Lc 7, 39). Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., XXVII, PG 60, 646, 25-38. Cf. III, 42.
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avez reçu un esprit d’adoption filiale »), en établissant un lien étroit entre les versets 14 et 15. Selon lui, le second permet à Paul de souligner la différence d’honneur (μέσον τῆς τιμῆς) entre deux types de filiation. La filiation accordée aux Juifs, attestée par des citations vétérotestamentaires, n’est pour lui qu’un mot (ῥῆμα), puisqu’ils ont un « esprit d’esclavage », tandis que celle des chrétiens est une réalité (πρᾶγμα)⁵⁶. La polémique est donc menée à partir du verset 15 et soutenue par une argumentation. Il semble ici que Théodoret résume cette interprétation. Cependant, chez lui, l’attaque semble gratuite à cause de l’absence d’explication et de l’utilisation du seul verset 14, dans lequel on ne peut trouver aucune allusion aux Juifs. C’est un cas remarquable de réécriture par allusion⁵⁷. Le dernier exemple de polémique gratuite résulte encore de l’accentuation d’un développement chrysostomien. Alors que Romains 16, 18 (« Car les gens de ce genre ne sont pas esclaves de notre Seigneur Jésus-Christ, mais de leur propre ventre ») ne parle pas des Juifs, Théodoret donne l’explication suivante : « Et de là il est évident que c’est au sujet des Juifs qu’il déclare cela, car il accuse toujours leur gourmandise. En effet, il dit ailleurs : “Eux dont le ventre est leur dieu” »⁵⁸. Le commentaire du prédicateur est beaucoup moins assertif. Certes, il cite Philippiens 3, 19, mais simplement pour le rapprocher du lemme, et non pour affirmer qu’il s’agit des Juifs. Notons que l’application de ces deux versets aux Juifs ne semble pas attestée avant Jean Chrysostome⁵⁹. On la retrouve chez Théodore de Mopsueste, chez qui cependant l’identification ne repose pas sur la gourmandise mais sur le conflit évoqué au verset 17⁶⁰. Ce relevé des attaques contre les Juifs dans l’In Romanos, certes peu fréquentes relativement au sujet de l’épître, mais parfois très acerbes, permet de confirmer le caractère traditionnel des accusations, et de supposer que Théodoret puise plutôt dans la tradition exégétique de l’épître que dans des œuvres de controverse pro Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., XIV, PG 60, 525, 49-526, 56. Ce type de réécriture de Jean Chrysostome par Théodoret n’est apparemment pas isolé : M. de Dieuleveult, « Theodoret’s Quaestiones on 2 Reigns : Tradition and Innovation », StudPatr XCVI, Leuven, 2017, p. 95-102, fait état de quelques observations similaires. Καὶ ἐντεῦθεν δῆλον ὡς περὶ Ἰουδαίων ταῦτά φησιν, ἀεὶ γὰρ αὐτῶν τῆς γαστριμαργίας κατηγορεῖ. Καὶ γὰρ ἀλλαχοῦ φησίν · « Ὧν ὁ θεὸς ἡ κοιλία », V, 62. Théodoret cite Philippiens 3, 19. Sur le lien entre l’accusation traditionnelle de gourmandise et l’ascétisme chrétien, cf. M. Simon, Verus Israel, p. 250253. J.-N. Guinot, « Écriture et polémique antijuive chez Théodoret », II, p. 30, souligne que ce type d’accusation est rare chez Théodoret, et habituellement en lien avec le texte scripturaire. Ici, cependant, on peut dire que le lien est infondé. Jean Chrysostome, Hom. in Phil., XIII, PG 62, 277, 46-47, semble témoigner que le verset 3, 19 a été appliqué par certains (τινες) à la circoncision (περιτομή). Il écarte alors cette interprétation, ce qui ne l’empêche pas d’utiliser ailleurs le verset avec le même accent antijudaïque. Cf. id., Hom. in Ioh., XLVI, PG 59, 257, 42-31 ab imo ; id., De fato et prouidentia, VI, PG 50, 769, 31-27 ab imo. Théodoret retient l’application aux Juifs dans son commentaire de Philippiens. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 584 B 29. Cf. Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 172.
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prement dites. Certes, il emprunte rarement à l’interprétation antijudaïque de Jean Chrysostome. Cependant, lorsqu’il le fait, son propos semble parfois encore plus violent, du fait de sa brièveté, et plus arbitraire, par l’absence d’argumentation. Néanmoins, on ne peut se contenter de cette liste de griefs extraits du propos de l’exégète pour caractériser son discours sur les Juifs. Il faut revenir à une lecture globale et mettre celle-ci en lien avec la visée interprétative de l’auteur.
5.3.2 Le rapport entre Paul et les Juifs selon Théodoret Pour mieux saisir l’image du judaïsme dans cette œuvre, examinons d’abord comment Théodoret représente la relation de l’Apôtre aux Juifs. En effet, il accorde une grande importance à l’attitude de Paul, cherchant à la caractériser dans ses nuances afin de mieux comprendre son projet argumentatif. L’évêque de Cyr ne manque pas d’évoquer un affrontement entre Paul et les Juifs, qui se situe essentiellement, selon lui, sur un plan théologique et moral. Les Juifs sont d’abord décrits comme des adversaires (ἐναντίοι), objets d’accusations (διελέγχειν, κατηγορία) de même que les païens⁶¹ : l’exégète rappelle souvent le parallèle entre le réquisitoire contre les Nations et celui contre les Juifs⁶². Dans l’Argument de l’épître, l’opposition contre les Juifs est placée sur le même plan que la lutte contre les « hérétiques »⁶³. Toutefois, les premiers sont traités un peu moins durement que les seconds, malades dont l’impiété semble être une caractéristique intrinsèque, et par ailleurs qualifiés de δυσώνυμοι (« au nom infâme »)⁶⁴. Contrairement aux autres adversaires, dont le portrait est uniquement négatif, les Juifs sont aussi représentés dans leur rapport personnel avec Paul : Théodoret répète ou reformule les termes de l’épître évoquant la parenté (ὁμόφυλοι, συγγενεῖς, συγγένεια)⁶⁵ et fait remarquer, à propos de la dénomination d’« Israélite » (Romains 11, 1), la fierté de Paul d’appartenir au peuple juif (σεμνύνεσθαι)⁶⁶. Cette notion de parenté constitue pour l’exégète un fil directeur de Romains 9 : il relève l’opposition entre parenté charnelle, avec Paul mais aussi avec le Christ⁶⁷, et parenté selon la foi⁶⁸, dont les Juifs sont exclus. Le lien familial implique des sentiments caractéris-
Cf. I, 46 (ἐναντίοι) ; II, 1 (διελέγχειν) ; I, 37 ; II, 1 (κατηγορία). Suivant les divisions proposées par Théodoret, le réquisitoire contre les Nations s’étend sur Romains 1, 18-2, 16, l’accusation contre les Juifs, sur Romains 2, 17-3, 19. Théodoret évoque ces accusations parallèles notamment en arg., 2 ; II, 1 ; IV, 1 ; IV, 47. Cf. supra, p. 221. On retrouve à plusieurs reprises le parallèle entre Juifs et hérétiques : cf. infra, p. 250. Cf. III, 40. Cf. IV, 3 (ὁμόφυλοι) ; IV, 4 (συγγενεῖς) ; IV, 37 (συγγένεια). Cf. IV, 31. Cf. IV, 6 ; V, 50. Cf. IV, 19.
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tiques : Théodoret souligne la bonne disposition de Paul (διάθεσις⁶⁹) et même sa tendresse (φιλοστοργία⁷⁰), dont il fait la clef d’interprétation des premiers versets du chapitre. Cet amour a pour corollaire une certaine modération (μετρίως, φειδώ) des propos⁷¹. L’exégète note, au début de l’épître, le passage du reproche (Romains 2, 1729) à l’éloge (Romains 3, 1-2) et considère le second comme un moyen de montrer que le premier n’est pas motivé par la malveillance et l’inimitié (δυσμένεια καὶ ἀπέχθεια)⁷². On a là, en filigrane, un éloge de la charité de l’Apôtre, qui n’est pas sans faire penser au portrait dressé par Jean Chrysostome⁷³. Certes, qualifier un propos de « modéré » peut être l’occasion de le reformuler d’une manière plus directe pour charger les adversaires, technique argumentative très fréquente chez Jean Chrysostome⁷⁴. On trouve chez Théodoret de telles remarques, mais beaucoup plus rarement. Ainsi, à propos de Romains 9, 2 (« Parce que j’ai un grand chagrin et une douleur incessante en mon cœur »), il commente : « La construction de la proposition est incomplète. En effet, il aurait fallu apposer “à cause du rejet des Juifs”, ou “de leur incrédulité”, au fait que son chagrin était incessant. Mais il a usé de ménagement, et, sans employer ces mots, il en enseigne la signification par ce qui suit »⁷⁵. Ou bien, à propos de Romains 9, 14 (« Y a-t-il par hasard de l’injustice chez Dieu ? »), il donne deux exemples de châtiments dus à l’infidélité des Juifs, que Paul, dit-il, a évité d’évoquer pour ne pas les effrayer⁷⁶. Cependant, l’exégète relève également des sous-entendus en faveur des Juifs. C’est le cas à propos de Romains 3, 2, où Théodoret énumère les « avantages » des Juifs, passés sous silence par l’Apôtre : élection des patriarches, libération de la puissance égyptienne, miracles, don de la loi et des prophètes⁷⁷. De même, à propos de Romains 11, 1-2, il remarque que, pour prouver que Dieu n’a pas rejeté son peuple, l’Apôtre, qui mentionne sa propre personne, aurait pu invoquer les nombreux Juifs qui ont cru⁷⁸. Une autre manifestation de la charité de l’Apôtre, selon Théodoret, est son désir (ποθεῖν, ἐπιθυμεῖν) de salut (σωτηρία) pour ses frères⁷⁹, salut dont l’importance est
Cf. IV, 3 ; IV, 21. Cf. IV, 2 ; IV, 7. Sur ce terme chrysostomien et l’association avec γυμνοῦν chez Théodoret, cf. supra, p. 58. Cf. IV, 21 (μετρίως) ; III, 15 ; IV, 2 ; IV, 9 (φειδώ). Cf. I, 42. Remarque analogue en IV, 21 (δυσμένεια), juste avant Romains 10, 1. Cf. Jean Chrysostome, Laud. Pauli, III, 3, SC 300, p. 166-169. Voir supra, p. 156. ᾿Aτελὴς μὲν ἡ συνθήκη τοῦ λόγου. Ἔδει γὰρ προσκεῖσθαι, διὰ τὴν Ἰουδαίων ἢ ἀποβολὴν ἢ ἀπιστίαν τὴν ἀδιάλειπτον εἶναι λύπην. Φειδοῖ δὲ κεχρημένος, ταῦτα μὲν οὐ τέθεικε τὰ ῥήματα, τὴν δὲ τούτων διὰ τῶν ἑξῆς διδάσκει διάνοιαν, IV, 2. Exemple analogue : III, 15 (Rm 7, 6). Cf. IV, 11. On trouve aussi le motif de l’accusation indirecte, en IV, 26 et IV, 31. Cf. I, 43. On trouve aussi une liste de six privilèges, justifiant la « dette » que les Nations doivent acquitter sous forme d’aumônes à l’Église de Jérusalem, cf. V, 50 (Rm 15, 27). Cf. IV, 31. Cf. IV, 4 (ποθεῖν, σωτηρία) ; IV, 21 (ἐπιθυμεῖν).
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soulignée dès l’Argument et répétée tout au long du commentaire de Romains 9-11⁸⁰. Il faut remarquer notamment l’encadrement de Romains 11, 13-24 par l’énoncé de la double visée de l’Apôtre, réprimer l’orgueil des Nations et amener les Juifs au salut⁸¹. Le désir d’un accomplissement de la parenté charnelle par la parenté spirituelle prend la forme de l’encouragement (προτρέπειν, προτροπή)⁸², de l’éloge (ἔπαινος), appât (δέλεαρ) qui dissimule l’hameçon (ἄγκιστρον) du reproche (ψόγος)⁸³, de la main tendue (χεῖρα ὀρέγειν)⁸⁴, mais aussi de la lamentation funèbre (θρηνεῖν)⁸⁵ devant le refus des Juifs. En somme, la représentation par Théodoret de la relation entre Paul et les Juifs est plus orientée vers l’éloge de l’Apôtre que vers l’accusation des Juifs. Ceux-ci apparaissent comme des adversaires, mais surtout comme des frères à sauver, au moyen de la tendresse et grâce à l’ardeur que procure l’espérance de leur salut. Notons que l’exégèse de Romains 9-11 est l’occasion à la fois du plus grand nombre de piques antijudaïques et de la plupart des remarques sur l’affection de Paul pour ses frères. Au contraire, en commentant l’invective du début de l’épître contre les Juifs, Théodoret s’intéresse beaucoup moins à la rhétorique et adopte un point de vue historique sur les accusations. Comment interpréter cette différence dans la manière d’aborder les diverses parties de l’épître ? Plus largement il faut à présent se poser la question de l’articulation entre le discours sur les Juifs et la visée exégétique de l’évêque de Cyr.
5.3.3 L’interprétation de Romains et la vision du judaïsme La coexistence, dans l’In Romanos, de pointes antijudaïques et d’un discours plus modéré, voire positif, conduit à se demander à quelle interprétation globale ces propos apparemment contradictoires sont subordonnés. Nous l’avons montré, la lecture du conflit sur les pratiques alimentaires (Romains 14) est centrée sur la notion d’unité de l’Église, avec un équilibre entre ceux issus des Nations et ceux issus du judaïsme : contrairement à Jean Chrysostome, Théodoret ne s’intéresse pas à la question des interdits alimentaires en eux-mêmes⁸⁶. Il convient de se pencher à présent sur les autres passages de Romains relatifs au Juifs : d’une part le réquisitoire du début de l’épître et le discours sur la Loi et sur la grâce, d’autre part la question des promesses et de l’histoire du salut.
Théodoret relève en particulier le mot du lemme, en Romains 10, 1 ; 11, 1. Cf. IV, 37 ; IV, 42. Cf. arg., 5 ; IV, 42 (προτρέπειν) ; IV, 45 (προτροπή). Cf. IV, 21. Cf. IV, 38. Cf. IV, 6. Voir supra, p. 200.
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5.3.3.1 Le réquisitoire contre les Juifs et le discours sur la Loi La visée interprétative du commentaire sur l’accusation contre Juifs (Romains 2, 17-3, 8) explique que le discours de Théodoret soit souvent moins virulent que celui de Paul. En effet, l’exégète met l’accent sur l’égalité fondamentale entre Juifs et Nations. Certes, il souligne très fréquemment l’inutilité (οὐδεμία ὠφέλεια, ὄνησιν οὐ δέχεσθαι, οὐδὲν ὄφελος)⁸⁷ de la Loi, de la circoncision et du nom de Juif, à cause des transgressions⁸⁸. Toutefois, il prend soin aussi d’énumérer les privilèges des Juifs, c’est-àdire l’élection et la préférence (προτιμᾶν, προτίμησις)⁸⁹, qui s’est traduite par le don de la Loi, qualifié de « très grand honneur » (μεγίστη τιμή⁹⁰), et par l’envoi des prophètes⁹¹. En soulignant l’orgueil des Juifs qui n’admettaient pas la participation des Nations au salut, l’exégète n’interprète pas le texte dans le sens d’un rejet des Juifs, mais souligne souvent l’inclusion, en mettant les deux groupes en parallèle : « Il veut dire que même par le passé, Dieu ne laissa pas les hommes livrés à euxmêmes, mais que, tout en ayant donné aux Juifs la Loi, par ses soins à leur égard, il montrait aux autres nations aussi la lumière de la piété »⁹². À propos de la « multitude » pécheresse (Romains 5, 19), il précise que les justes se trouvent aussi bien chez les gens qui ont vécu sous la Loi que sous les patriarches, et ajoute même que beaucoup, à l’inverse, pèchent sous le régime de la grâce : Avec exactitude, ici, tant pour Adam que pour la grâce, il a employé le mot « multitude ». Oui, car même parmi les Anciens, nous en trouvons certains qui ont été assez forts pour ne pas commettre de trop grands péchés, comme Abel, Énoch, Noé, Melchisédech, les patriarches, et, naturellement, ceux qui ont rayonné du temps de la Loi. Et après la grâce, nombreux sont ceux qui embrassent un mode de vie contraire à la loi⁹³.
L’énumération des justes antérieurs à la Loi rappelle la liste d’incirconcis de Justin, ou celle d’Eusèbe de Césarée⁹⁴. Il ne semble pas ici que le discours soit hostile aux Juifs. Théodoret, en soulignant la réalité des privilèges accordés à ceux-ci, ne profite
Cf. I, 37 (οὐδεμία ὠφέλεια) ; I, 38 (ὄνησιν οὐ δέχεσθαι, οὐδὲν ὄφελος). Cf. I, 36-41 (Rm 2, 17-29). Cf. I, 36 (προτιμᾶν) ; I, 42 (προτίμησις). Cf. I, 43. Cf. I, 36 ; I, 42 ; I, 43, ainsi que I, 15 ; V, 50. Βούλεται δὲ εἰπεῖν, ὡς οὐδὲ κατὰ τὸν ἔμπροσθεν χρόνον ἀτημελήτους εἴασεν ὁ θεὸς τοὺς ἀνθρώπους, ἀλλὰ δέδωκε μὲν Ἰουδαίοις τὸν νόμον, διὰ δὲ τῆς ἐκείνων ἐπιμελείας καὶ τοῖς ἄλλοις ἔθνεσιν ὑπεδείκνυ τῆς εὐσεβείας τὸ φῶς, II, 31 (Rm 5, 20). Cf. aussi II, 10 ; II, 14 ; II, 17. ᾿Aκριβῶς ἐνταῦθα καὶ ἐπὶ τοῦ ᾿Aδὰμ καὶ ἐπὶ τῆς χάριτος τὸ « πολλοὶ » τέθεικε. Καὶ γὰρ ἐν ἐκείνοις εὑρίσκομέν τινας κρείττους τῶν μειζόνων ἁμαρτημάτων γεγενημένους, ὡς τὸν Ἄβελ καὶ τὸν Ἐνὼχ καὶ τὸν Νῶε καὶ τὸν Μελχισεδὲκ καὶ τοὺς πατριάρχας, καὶ μέντοι καὶ τοὺς ἐν νόμῳ διαλάμψαντας. Καὶ μετὰ τὴν χάριν εἰσὶ πολλοὶ τὸν παράνομον ἀσπαζόμενοι βίον, II, 30. Cf. Justin, Dial. Tryph., 19, 3-4, Bobichon I, p. 230 (Adam, Abel, Énoch, Lot, Noé, Melchisédech) ; Eusèbe de Césarée, DE, I, 2, 3-4, GCS 23, p. 7-8 (Énoch, Noé, Sem, Japhet, Abraham, Isaac, Jacob, Job). Sur la fonction de ces « Hébreux » dans l’argumentation d’Eusèbe, cf. S. Morlet, La Démonstration Évangélique d’Eusèbe de Césarée, p. 170-177.
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pas de l’occasion pour blâmer leur ingratitude, mais affirme simplement, en suivant la lettre du texte paulinien, l’égalité entre Juifs et Nations⁹⁵. De même, à propos de l’argumentation sur l’infériorité de la Loi par rapport à la grâce (Romains 3, 9-4, 25 et 7, 1-8, 4), il suit le propos de l’Apôtre et insiste sur le fait que la grâce est seule à apporter un soutien⁹⁶. Toutefois, il répète volontiers que la loi mosaïque n’est pas détruite, qu’elle est témoin de la grâce, par là même exempte d’accusation, et même digne de louanges⁹⁷. On assiste, en somme, à une certaine apologie de la Loi. Ce constat est à mettre en lien avec la ligne d’interprétation annoncée au début de la IIe section : pour Théodoret, le but de l’Apôtre est de montrer la nécessité de l’Incarnation et l’amour de Dieu pour l’humanité, à l’œuvre dès les origines par l’attention portée aussi bien aux Juifs qu’aux païens : l’Alliance mosaïque fait partie intégrante de ce dessein bienveillant⁹⁸. La « phalange des Juifs » et la « troupe des hérétiques » évoqués dans l’Argument ne représentent pas une menace égale, comme l’atteste un autre passage : « [Paul] s’inquiétait de la faiblesse des Juifs – car ils faisaient grand cas de la Loi – et ne voulait pas donner de prétexte d’accusation aux hérétiques, qui faisaient la guerre à l’Ancien Testament »⁹⁹. Derrière l’Apôtre, il s’agit bien ici du point de vue de l’exégète, qui voit dans l’attachement à la Loi une simple faiblesse sur laquelle il faut veiller, tandis que les adversaires de l’Ancien Testament sont des ennemis. En somme, la modération par rapport aux Juifs peut s’expliquer par l’orientation essentiellement antimarcionite de son interprétation. On est loin de l’argumentation de Tertullien, qui, pour prouver, contre Marcion, la bonté du Dieu de l’Ancien Testament, attribue l’impuissance de la Loi à la méchanceté des Juifs. Théodoret, lui, considère qu’elle est due à la nature « mortelle et soumise aux passions » : ce n’est pas un peuple particulier qui est en cause¹⁰⁰.
5.3.3.2 La promesse à Abraham et l’histoire du salut Le commentaire de Romains 9-11 est le lieu où se concentrent à la fois la majorité des griefs et les propos les plus positifs sur les Juifs et sur la tendresse de Paul à leur
Cf., par exemple, Romains 3, 29-30 ; 4, 11-12. Cf., par exemple, II, 5 ; III, 4 ; III, 14. Sur l’importance de la réflexion sur la grâce dans l’In Romanos, cf. supra, p. 26. Cf., par exemple, II, 4 ; II, 5 ; III, 18. Sur la notion complexe de « visée de la Loi », cf. supra, p. 81. Cf. II, 1. Cf. aussi II, 10. Τῆς Ἰουδαίων ἀσθενείας κηδόμενος, σφόδρα γὰρ περιεῖπον τὸν νόμον, καὶ τοῖς τῇ παλαιᾷ διαθήκῃ πολεμοῦσιν αἱρετικοῖς πρόφασιν εἰς κατηγορίαν οὐ βουλόμενος δοῦναι, III, 13 (Rm 7, 4). Cf. III, 35. Sur l’antimarcionisme dans l’In Romanos, cf. infra, p. 245. L’accentuation paradoxale de l’antijudaïsme lors de la controverse contre Marcion, en particulier chez Tertullien, qui a été remarquée par D. P. Efroymson, « The Patristic Connection », p. 98-117, et D. Cerbelaud, « Thèmes de la polémique chrétienne contre le judaïsme au iie siècle », RSPT 81, 1997, p. 193-218, ne s’applique donc pas ici à Théodoret.
5.3 Le discours sur les Juifs
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égard. C’est donc là qu’il est le plus nécessaire de dégager le projet exégétique d’ensemble. L’introduction de la IVe section fournit un bon point de départ : « Mais puisque les Juifs alléguaient encore le patriarche Abraham et les promesses qui lui avaient été adressées par Dieu et tentaient de montrer que la prédication des apôtres était contraire à celles-ci, parce qu’elle était apportée, en dépit de l’engagement divin, aux Nations, il est obligé de porter aussi ces propos sur la scène ; et il réfute avec une grande sagesse »¹⁰¹. Il s’agit d’affirmer, contre les Juifs, la compatibilité entre les promesses faites à Abraham et l’appel des Nations. Pour l’exégète, l’argumentation de l’Apôtre consiste à montrer la liberté souveraine de Dieu dans ses desseins, l’élection des Nations n’étant pas plus paradoxale que les choix attestés par l’Ancien Testament : « C’est lui qui a laissé Ismaël et les fils nés de Qetura, et a élu Isaac ; lui qui a aussi honoré Jacob plus qu’Esaü, quoiqu’ils aient été façonnés dans un seul ventre au même moment. Pourquoi donc t’étonnes-tu de ce qu’il fait cela même maintenant aussi, et de ce qu’il a accueilli ceux d’entre vous qui sont croyants, et repoussé loin de lui ceux qui n’ont pas accueilli ce rayon lumineux ? »¹⁰² Dieu considère la parenté non selon la chair mais selon la vertu, qu’il connaît par avance¹⁰³. Il épargne ou châtie qui il veut, toujours en vue du salut, et toujours avec justice, c’est-à-dire en tenant compte de la liberté humaine¹⁰⁴. Le commentaire de ce chapitre est donc centré non pas tant sur les Juifs que sur l’articulation entre providence et prescience divine d’une part, liberté humaine d’autre part. L’exégète, sur ce fondement, développe une réflexion sur le salut en distinguant trois périodes : le passé, temps précédant l’Incarnation, le présent, qui semble inclure à la fois l’époque de Paul et celle de Théodoret, et l’avenir, lui aussi assez indéterminé. Le passé est marqué par la noblesse (εὐγένεια) des Juifs, héritage (κληρονομία) que le peuple actuel n’a pas gardé et vers lequel il doit revenir, puisqu’il n’est rien d’autre que celui de la foi (πίστις)¹⁰⁵. Les Nations, elles, n’ont pas joui de ces avantages de la Loi, des prophètes et de la foi d’Abraham¹⁰⁶. En soulignant les privilèges des Juifs, Théodoret met en valeur l’action de Dieu. Il ne reprend pas la
Ἐπειδὴ δὲ πάλιν Ἰουδαῖοι, τὸν πατριάρχην ᾿Aβραὰμ προβαλλόμενοι καὶ τὰς πρὸς αὐτὸν ὑπὸ τοῦ θεοῦ γεγενημένας ἐπαγγελίας, ἐναντίον ταύταις ἐπειρῶντο δεικνύναι τῶν ἀποστόλων τὸ κήρυγμα, παρὰ τὴν θείαν ὑπόσχεσιν τοῖς ἔθνεσι προσφερόμενον, ἀναγκαίως καὶ τούτους εἰς μέσον προφέρει τοὺς λόγους. Καὶ σοφῶς ἄγαν διαλύει, IV, 1. La IVe section coïncide exactement avec l’explication de Romains 9-11. Αὐτὸς καταλιπὼν τὸν Ἰσμαὴλ καὶ τοὺς ἀπὸ τῆς Χεττούρας, τὸν Ἰσαὰκ ἐξελέξατο, αὐτὸς καὶ τὸν Ἰακὼβ τοῦ Ἡσαῦ προτετίμηκε, καίτοι ἐν μιᾷ γαστρὶ κατὰ ταὐτὸν τὴν διάπλασιν αὐτῶν δεξαμένων. Τί τοίνυν θαυμάζεις εἰ καὶ νῦν ταὐτὸ τοῦτο πεποίηκε, καὶ τοὺς ἐξ ὑμῶν πεπιστευκότας ἐδέξατο, τοὺς δὲ τὴν ἀκτῖνα ταύτην μὴ δεξαμένους ἀπώσατο ; IV, 12. Le même rapprochement entre la situation actuelle et les événements de l’Ancienne Alliance se trouve en IV, 17 (Rm 9, 25-26) et IV, 32 (Rm 11, 24). Cf. IV, 8 ; 10 ; 11 ; 19. Cf. surtout IV, 13-16. Cf. IV, 5 (εὐγένεια) ; IV, 37 (κληρονομία) ; IV, 40 (πίστις). Cf. IV, 42.
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tradition, représentée notamment par Eusèbe de Césarée, qui voit dans patriarches des chrétiens avant la Loi, et il ne considère pas la période mosaïque comme un fâcheux intermédiaire entre les patriarches et l’Église¹⁰⁷. Le présent se caractérise par le refus des Juifs et leur attachement intempestif à la Loi, ainsi que par l’appel des Nations et leur accueil de la prédication évangélique. C’est le temps du transfert des promesses¹⁰⁸. Tout en paraphrasant le discours paulinien, l’exégète met particulièrement l’accent sur le rejet (ἀποβολή) délibéré (ἑκόντες) des Juifs, qui « n’ont pas voulu » (οὐ βούλεσθαι, οὐκ ἐθέλειν) accueillir le salut¹⁰⁹. Ce grief constitue pour lui une preuve que Dieu regarde la liberté humaine et que le rejet des Juifs ne met pas en cause les promesses divines. Du reste, Théodoret ne manque pas d’affirmer que beaucoup de Juifs ont cru et qu’ils ont même été les premiers à répandre l’évangile¹¹⁰. Cette dernière idée est exprimée avec force à plusieurs reprises dans le reste de son œuvre exégétique¹¹¹. Quant à l’attachement « inopportun » (ἄκαιρος¹¹²) à la Loi et à ses préceptes « superflus » (τὰ περιττὰ τοῦ νόμου¹¹³), il équivaut pour lui à un mépris (καταφρονεῖν¹¹⁴) de la foi, qui est un « don » (δωρεά)¹¹⁵. Théodoret ne dit pas, contrairement à une certaine interprétation antijudaïque, que les préceptes parti-
À propos de Romains 5, 19-21, Théodoret souligne l’introduction « furtive » de la Loi entre la promesse à Abraham et son accomplissement en Christ : pour lui, l’augmentation du péché qui en résulte est l’occasion pour Dieu de montrer l’excellence de sa bonté par la grâce « surabondante » accordée. Cf. II, 31-32. Sur l’idée d’un christianisme précédant la Loi, en particulier chez Eusèbe, voir les références de la note 94 p. 237. Sur l’importance de ce thème chez Théodoret, voir J.-N. Guinot, « Écriture et polémique antijuive chez Théodoret », II, p. 34-36. Cf. M. Simon, Verus Israel, p. 203-207. Cf. IV, 2 (ἀποβολή) ; IV, 26 (ἑκόντες) ; IV, 7 (οὐ βούλεσθαι) ; IV, 20 ; IV, 26 ; IV, 35 (οὐκ ἐθέλειν). Sur l’accueil du salut par les Juifs, cf. IV, 31-33 ; IV, 43. Sur les Juifs premiers destinataires de la prédication, cf. I, 15. Sur l’identité juive des apôtres prédicateurs, cf. V, 50. Cf., par exemple, Quaest. in Ios., XVI, FM I, p. 281 ; Com. in Ps., PG 80, 1428 B 7-11 ; PG 80, 1808 A 11-B 15 ; Com. in Is., VII, SC 295, p. 224 ; Com. in Ez., PG 81, 1200 A 9-B 11. Cf. IV, 22 (Rm 10, 3). L’adjectif s’applique encore à l’observation (φυλακή) ou à l’enseignement (διδασκαλία) de la Loi dans V, 21 (Rm 14, 1) ; In epist. Pauli, PG 82, 608 B 13 (Col 2, 8) ; 616 A 4 (Col 2, 22) ; 813 C 4-5 (1 Tim 4, 7). On trouve ἄκαιρος (ou ἀκαίρως) qualifiant la Loi ou son observation chez Eusèbe de Césarée, Frg. in Gal., Staab, p. 47 (Ga 1, 4), puis chez Jean Chrysostome, Com. in Gal., PG 61, 613, 56 (Ga 1, 1) ; id., Adu. Iud., II, 1, PG 48, 858, 16-19. Cf. IV, 20 (Rm 9, 33). Sur cette expression, cf. supra, p. 80. Sur l’expression opposée, τὰ ἀναγκαῖα τοῦ νόμου, cf. supra, p. 67. Cf. IV, 19 (Rm 9, 32). Cf. ibid. La distinction soigneuse, dans l’In Galatas de Théodoret, entre les préceptes superflus et ceux qui sont nécessaires s’inscrit, selon M.-O. Boulnois, « De la symphonie trinitaire à la symphonie apostolique », p. 59-82, dans une lecture originale de cette épître, consistant en particulier à soutenir le paradoxe suivant : continuer de suivre la Loi après l’avènement du Christ reviendrait à la transgresser, puisqu’elle enjoint de suivre ce dernier. La distinction entre commandements universels et préceptes provisoires propres aux Juifs joue un rôle essentiel dans la polémique antijuive dès Justin, cf. M. Simon, Verus Israel, p. 196-203 ; P. Bobichon, « Préceptes éternels et loi mosaïque dans le Dialogue avec Tryphon de Justin Martyr », RBi 111, 2004, p. 238-254.
5.3 Le discours sur les Juifs
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culiers de la loi mosaïque, dont il dresse une liste traditionnelle¹¹⁶, sont dus à la dureté des Juifs, ni qu’ils sont un châtiment¹¹⁷. Il reprend simplement l’idée que leur utilité est limitée à une certaine époque¹¹⁸, et qu’ils sont des symboles des lois universelles. À la suite de Paul, il souligne le caractère gratuit du salut, moyennant la foi, alors que la Loi réclame les œuvres et châtie les transgresseurs. Par ailleurs, il prend très au sérieux les affirmations pauliniennes relatives à l’avenir, marqué par une réelle possibilité de salut pour les Juifs, comme par un risque de rejet des Nations¹¹⁹. Les deux groupes sont sans cesse mis en parallèle¹²⁰. C’est ensemble qu’ils constitueront le « tout Israël » des croyants¹²¹. En soulignant cela, Théodoret s’oppose à Justin¹²². C’est par leur bonne volonté que les Juifs pourront être de nouveau intégrés¹²³. Leur repentir (μεταμέλεια) est possible s’ils y consentaient (εἰ θελήσαιεν) et provoquera la résurrection des morts (τῶν νεκρῶν ἡ ἀνάστασις)¹²⁴. Ce temps correspondra au moment du retour d’Élie : « Car, lorsque les Nations auront accueilli la prédication, eux aussi croiront, quand le fameux Élie apparaîtra et leur apportera l’enseignement de la foi »¹²⁵. Malgré les avantages des Juifs, il faut re Cf. II, 3 : Οἷον περιτομήν, λέγω, καὶ σάββατον καὶ τὰς θυσίας καὶ τὰ περιρραντήρια καὶ τὰ περὶ λεπροῦ καὶ γονορρυοῦς καὶ τὰ τούτοις προσόμοια, « Tels la circoncision, je veux dire, ainsi que le sabbat, les sacrifices, les ablutions, les préceptes sur la lèpre et les pertes séminales, et tous ceux qui leur sont semblables ». On comparera avec les préceptes passés en revue dans Ps.-Barnabé, Épître, 710, SC 172, p. 128-159 (en particulier jeûne, sacrifices, circoncision, prescriptions alimentaires), ou encore avec les listes de Justin, à propos desquelles P. Bobichon, Justin Martyr, I, p. 75-78, souligne que « la référence biblique est constante ». L’idée que la circoncision notamment serait une marque infâmante se trouve chez Justin, Tertullien, Irénée. Cf. en particulier S. Morlet, La Démonstration Évangélique d’Eusèbe de Césarée, p. 179-192. Cf. II, 3. Dans les Quaest. in Leu., I, FM I, p. 153-159, il consacre un long passage à la question des sacrifices et de leur raison d’être. Sur les différentes interprétations des préceptes particuliers, cf. M. Simon, Verus Israel, p. 196-203 ; S. Morlet, La Démonstration Évangélique d’Eusèbe de Césarée, p. 192-194. Ps.-Barnabé, Épître, 7-10, SC 172, p. 128-159, tantôt lit les prescriptions comme des préfigurations (τύποι) de la Passion, tantôt en donne une signification spirituelle. L’interprétation des préceptes comme « symboles » des réalités à venir se trouve aussi, par exemple, chez Justin, Dial. Tryph., 42, 4, Bobichon I, p. 288 (τύποι καὶ σύμβολα καὶ καταγγελίαι), chez Origène, Cels. V, 44, SC 147, p. 128 ; V, 49, SC 147, p. 140 (σύμβολα), ou encore chez Eusèbe, cf. S. Morlet, La Démonstration Évangélique d’Eusèbe de Césarée, p. 569-570. Cf., par exemple, IV, 40-42 (Rm 11, 21-24). Cf. IV, 41 ; IV, 45 ; IV, 46 ; IV, 47. Cf. IV, 44 (Rm 11, 26). Pour Justin, le transfert des promesses fait des chrétiens le véritable Israël, à l’exclusion des Juifs. Cf. O. Munnich, « Le judaïsme dans le Dialogue avec Tryphon », p. 135. Cf. IV, 17 ; IV, 38 ; IV, 46 ; IV, 47. Cf. IV, 38 (Rm 11, 15). Τῶν γὰρ ἐθνῶν δεξαμένων τὸ κήρυγμα, πιστεύσουσι κἀκεῖνοι, Ἠλία τοῦ πάνυ παραγινομένου καὶ τῆς πίστεως αὐτοῖς τὴν διδασκαλίαν προσφέροντος, IV, 43 (Rm 11, 25-26). Sur la figure d’Élie comme précurseur de la Parousie et sur son rôle dans le salut des Juifs, en particulier dans la tradition antiochienne, cf. J. A. Weaver, Theodoret of Cyrus on Romans 11 : 26, Recovering an Early Christian Elijah Redivivus Tradition, New York, 2007, p. 119-143.
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marquer leur égalité fondamentale avec les Nations, par la nécessité de la foi. Sur ce point, on peut rapprocher Théodoret d’Origène, qui va cependant plus loin, transposant contre les chrétiens les accusations portées contre les Juifs¹²⁶. L’autre élément commun aux deux groupes, en fait le plus essentiel si l’on regarde l’argumentation dans son ensemble, est l’action divine, dont la puissance (δύναμις) peut faire revenir les Juifs facilement (εὐκολία)¹²⁷. Certes, Théodoret n’envisage pas d’autre moyen de salut pour les Juifs que par la foi au Christ, mais on a l’impression d’un certain optimisme sur la possibilité de cette conversion. C’est dans ce contexte qu’il faut lire l’interprétation paradoxale de Romains 11, 29 (« Car les dons de grâce et l’appel de Dieu sont sans repentir »)¹²⁸. À première vue, Théodoret semble inverser le sens du verset en le tournant contre les Juifs¹²⁹. En effet, considérant la phrase comme une parole de consolation (προτροπή) pour ceux-ci, il en nie la pertinence réelle en vertu de l’harmonie des Écritures : Saül et Salomon attestent que Dieu reprend ses dons en cas d’ingratitude (ἀχαριστία), comme il arrive actuellement (ἐπὶ τοῦ παρόντος) aux Juifs¹³⁰. Cette lecture fait penser à Jean Chrysostome, qui restreint aussi la portée du verset en déclarant que les promesses de Dieu ne s’accomplissent pas pour ceux qui se rebellent, en particulier les Juifs, à cause de leur ingratitude (ἀγνωμοσύνη)¹³¹. Cependant, Théodoret, juste après avoir mentionné ceux-ci, cite Romains 11, 22 pour attester que les Nations sont l’objet de la même menace (ἀπειλεῖν). Peut-on donc admettre que l’interprétation paradoxale est moins guidée par l’intention polémique que par un réel souci de comprendre le texte dans sa cohérence ? L’inclusion explicite des Juifs dans le « tout Israël », quelques lignes plus haut, et surtout peut-être les lignes qui suivent, semblent le confirmer : ᾿Aναμνήσθητε δή, ὡς ἅπαντες ἐπὶ πλεῖστον ἠσεβήσατε χρόνον, καὶ οὐκ ἀπέβλεψεν ὁ φιλάνθρωπος δεσπότης εἰς τὴν μακρὰν ἐκείνην καὶ χαλεπὴν ἀσέβειαν, ἀλλὰ τῆς ἀρρήτου φιλανθρωπίας τοὺς βουληθέντας ἠξίωσε, καὶ τούτων ἀπιστησάντων, ὑμᾶς ἀντὶ τούτων ἐκάλεσεν. Οὐδὲν τοίνυν ἀπεικός, καὶ τοὺς νῦν ἀντιλέγοντας δεχθῆναι παρὰ τοῦ θεοῦ πιστεῦσαι θελήσαντας, καὶ τῆς αὐτῆς φιλανθρωπίας τυχεῖν,
Cf., par exemple, Origène, Com. in Rom., II, 8, 7, SC 532, p. 364-365. Origène insiste sur l’équilibre entre Juifs et païens au début de l’épître, qualifiant Paul d’arbiter entre les deux. Cf. ibid., II, 10, 1, SC 532, p. 418 ; II, 10, 4, SC 532, p. 422. Sur la modération à l’égard des Juifs dans cette œuvre d’Origène, cf. C. P. Bammel, « Die Juden im Römerbriefkommentar des Origenes », Christlicher Antijudaïsmus und jüdischer Antipaganismus. Ihre Motive und Hintergründe in den ersten drei Jahrhunderten, éd. H. Frohnhofen, Hamburg, 1990, p. 145-151. Cf. IV, 42 (Rm 11, 23). Cf. IV, 45. Cette interprétation a retenu l’attention de H. Schreckenberg, Die christlichen Adversus-Judaeos-Texte, p. 382-384. Cf. supra, note 25 p. 227. Cf. IV, 45. Cf. Jean Chrysostome, Hom. in I Cor., II, PG 61, 19, 55-20, 5. On retrouve la même interprétation paradoxale, mais non appliquée aux Juifs, par exemple dans id., De decem millium talentorum debitore, PG 51, 29, 16-25.
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Souvenez-vous donc que tous, vous avez été impies pendant très longtemps, et que le Maître, dans son amour pour les hommes, n’a pas fixé les yeux sur la durée de cette fâcheuse impiété, mais qu’il a jugé ceux qui le voulurent dignes de son indicible amour pour les hommes et que, lorsque ceux-ci furent incroyants, il vous a appelés à leur place. Il n’est donc pas du tout malséant que ceux qui maintenant contredisent soient reçus par Dieu s’ils acceptent de croire, et qu’ils obtiennent le même amour pour les hommes¹³².
Théodoret insiste avant tout sur l’amour de Dieu pour les hommes (φιλανθρωπία), capable d’oublier l’impiété pour accorder le salut aussitôt que les hommes l’acceptent. Le commentaire de l’exclamation conclusive (Romains 11, 33) confirme le point essentiel de cette exégèse, en affirmant à nouveau l’amour de Dieu à l’œuvre dans l’économie divine¹³³. Le commentaire du verset 29 n’est donc pas antijudaïque mais prend place dans une réflexion équilibrée sur Juifs et Nations, qui, selon l’exégète, courent le même risque de s’exclure eux-mêmes du salut par leur ingratitude, et sont l’objet de la même promesse de miséricorde dès l’instant qu’ils acceptent de la recevoir.
5.3.4 Conclusion En résumé, le discours de Théodoret sur les Juifs dans l’In Romanos n’est pas homogène. Tout d’abord, cette œuvre porte indéniablement la marque de l’antijudaïsme, qui se manifeste par la présence de griefs traditionnels. Comme dans les autres œuvres exégétiques de Théodoret, le ton est très rarement virulent, et on ne trouve pas de trace d’une confrontation réelle de l’évêque de Cyr avec les Juifs. En ce qui concerne l’utilisation du texte biblique, la dépendance par rapport à la tradition exégétique de l’épître et surtout par rapport à Jean Chrysostome est frappante et donne lieu à des emprunts assez surprenants : là où les pointes semblent les plus arbitraires chez Théodoret, elles sont pour ainsi dire des caricatures de propos du prédicateur, utilisant une idée sans l’argument correspondant, ou reprenant une citation mal à propos. En réalité, cela ne ressemble guère à l’évêque de Cyr, qui, d’une part, laisse le plus souvent de côté l’interprétation antijudaïque de son maître, et, d’autre part, exerce habituellement sur ses sources un certain esprit critique. Quoi qu’il en soit, ces remarques parfois gratuites attestent la part de Théodoret dans l’antijudaïsme de son époque. En dehors de ces traits, l’interprétation globale de l’épître est caractérisée par une certaine modération par rapport aux Juifs. L’exégète ne suit généralement pas la lecture antijudaïque de certains versets que l’on peut trouver chez Justin, Tertullien
IV, 46 (Rm 11, 30-31). Cf. IV, 48.
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ou Jean Chrysostome¹³⁴. Il insiste volontiers sur l’affection de l’Apôtre pour ses frères et sur son désir de leur salut, envisagé comme possible, même s’il souligne leur refus actuel de l’évangile et leur privation de la grâce. Tout en affirmant l’inutilité de la Loi, il évite de la rejeter complètement, et souligne à plusieurs reprises les privilèges des Juifs, sans que ce soit l’occasion, comme dans l’In Isaiam, d’accuser ces derniers ni d’opposer leur situation présente à la prospérité passée¹³⁵. En mettant l’accent sur le dessein bienveillant de Dieu non seulement au moment de l’Incarnation mais dans toute l’histoire, l’exégète se montre moins préoccupé par le judaïsme que par le marcionisme. Par ailleurs, plutôt que de charger les judaïsants attachés aux pratiques alimentaires, il met en avant l’exigence d’unité entre les croyants, affirmant du reste à plusieurs reprises que la véritable séparation se situe entre croyants et incroyants, non entre Juifs et Nations. En somme, on ne peut pas dire que l’In Romanos de Théodoret représente une interprétation antijudaïque de cette épître, ce sujet n’étant pas pour lui au cœur du discours paulinien, contrairement à l’antimarcionisme, dont il faut à présent définir le rôle.
Sur l’utilisation de Romains par Justin, qui « infléchit considérablement » le sens des propos pauliniens, cf. O. Munnich, « Le judaïsme dans le Dialogue avec Tryphon », en particulier p. 135-138 et p. 148. Comparer, par exemple, IV, 35 avec Com. in Is., VIII, SC 295, p. 252-255 (Is 29, 10) ; I, 42 avec Com. in Is., III, SC 276, p. 314 (Is 8, 20). Sur la polémique antijudaïque dans l’In Isaiam, voir la synthèse de J.-N. Guinot dans l’introduction à Théodoret, Com. in Is., SC 276, p. 80-85, ainsi que J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 495-504.
5.4 « Marcion, Valentin et les manichéens »
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5.4 « Marcion, Valentin et les manichéens » Κώμας ὀκτὼ τῆς Μαρκίωνος καὶ τὰς πέριξ κειμένας ἀσμένως πρὸς τὴν ἀλήθειαν ἐποδήγησα. Théodoret¹³⁶ « Theodoret von Cyrus, der letzte bedeutende griechische Kämpfer gegen Marcion und Berichterstatter über die Sekte ». A. von Harnack¹³⁷
« Marcion, Valentin et les manichéens » sont presque toujours nommés ensemble dans l’In epistulas Pauli ¹³⁸. Certes, en vertu du motif hérésiologique de l’amalgame entre toutes les erreurs¹³⁹, Théodoret est aussi capable d’assimiler les monophysites aux valentiniens¹⁴⁰, mais ce n’est pas le cas dans l’In Romanos ¹⁴¹. Les trois hérésies considérées sont directement apparentées aux yeux de l’exégète, puisqu’elles appartiennent selon lui à l’une des deux principales erreurs doctrinales, celle qui introduit une division en Dieu¹⁴². Quoi qu’il en soit, leur association au seuil du commentaire de Romains invite à la fois à les considérer ensemble et à se demander s’il s’agit d’attaques générales ou si l’un des groupes est plus particulièrement visé. Précisons que notre ambition n’est pas d’étudier l’hérésiologie de notre auteur, ni d’en mesurer la pertinence à l’aune des reconstructions contemporaines qui se sont efforcées de mieux connaître ces groupes, grâce à la découverte récente de sources « J’ai eu la joie d’amener à la vérité huit bourgs infestés par l’erreur de Marcion, ainsi que les régions avoisinantes », Corresp., II, 81, SC 98, p. 196-197. A. von Harnack, Marcion. Das Evangelium vom fremden Gott. Eine Monographie zur Geschichte der Grundlegung der katholischen Kirche, Leipzig, 19242, p. 369-370. Cf., pour l’In Romanos, arg., 3 ; III, 41. Dans le reste de l’In epistulas Pauli, on trouve une autre occurrence des trois noms, deux occurrences où les trois sont nommés avec d’autres (Simon, Ménandre, Cerdon, Basilide, Bardesane), une occurrence des manichéens seuls. Sur les neuf occurrences du mot « hérétique » dans l’In Romanos, six désignent ces groupes (arg., 3, bis ; III, 13 ; III, 16 ; IV, 1 ; V, 20). En utilisant le terme d’hérésie dans toutes ces pages, nous nous référons évidemment au point de vue de Théodoret sans porter de jugement sur les groupes et opinions concernés. Cf. A. Le Boulluec, « Remarques sur les notions d’hérésie et d’orthodoxie », Histoire du christianisme. Tome 1, Le Nouveau peuple, éd. J.-M. Mayeur, C. Pietri et al., Paris, 2000, p. 267-272. Sur ce procédé, cf., par exemple, id., La Notion d’hérésie dans la littérature grecque, iie-iiie siècles, Paris, 1985, p. 119-134 ; 332-353 ; A. Pourkier, L’Hérésiologie chez Épiphane de Salamine, Paris, 1992, p. 491-492. Cf. Corresp., II, 82, SC 98, p. 198-201. En revanche, on trouve une telle assimilation à propos du refus de l’Incarnation dans l’In epist. Pauli, PG 82, 572 D 2-4 (Ph 2, 11) ; 712 D 1-5 (He 5, 7-10) ; 812 B 5-12 (1 Tim 3, 16). L’autre erreur portant sur le Fils. Sur la distinction entre deux sources hérétiques différentes, reprise originale par Théodoret de l’idée traditionnelle d’un lien généalogique entre les hérésies, cf. H. Sillett, « Orthodoxy and Heresy in Theodoret of Cyrus’ Compendium of Heresies », Orthodoxie, christianisme, histoire, éd. S. Elm, É. Rebillard et al., Roma, 2000, p. 261-273, repris par F. Vinel, « Augustin, De Haeresibus, Théodoret de Cyr, un Abrégé des fables hérétiques : des listes stéréotypées sans intention de nuire ? », Écrire contre, éd. F. Vinel, Strasbourg, 2012, p. 127-130.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
directes, surtout en ce qui concerne les courants gnostiques¹⁴³ et le manichéisme¹⁴⁴, mais aussi grâce à une lecture critique des sources secondaires, pour ce qui est de Marcion et du marcionisme¹⁴⁵. Ces études se sont notamment intéressées aux liens complexes entre les groupes qui nous intéressent¹⁴⁶. Pour notre part, nous voulons surtout examiner la relation de l’In Romanos à la tradition polémique, sans chercher à déterminer l’écart entre le discours de l’exégète et la doctrine réelle de ses adversaires. Par conséquent, pour identifier les groupes visés, nous attachons autant d’importance au portrait de chacun véhiculé par cette tradition qu’aux définitions actuelles. En parcourant le commentaire de Théodoret sur Romains, on constate l’absence totale de thèmes développés spécifiquement par les gnostiques ou les manichéens, touchant par exemple à la cosmologie, à la lutte entre lumière et ténèbres, ou encore, comme c’est le cas chez Origène, à la distinction entre différentes natures humaines¹⁴⁷. On trouve au contraire la réfutation de certains thèmes centraux du marcionisme comme la dualité de Dieu ou le caractère mauvais de la Loi¹⁴⁸. Certes, ceux-ci Pour une introduction sur la gnose, cf., par exemple, M. Scopello, « Courants gnostiques », Histoire du christianisme. Tome 1, Le Nouveau peuple, éd. J.-M. Mayeur, C. Pietri et al., Paris, 2000, p. 331-366 ; C. Markschies, Die Gnosis, München, 2010. Sur l’écart entre le discours des hérésiologues et les sources retrouvées à Nag Hammadi au sujet des valentiniens, voir aussi, par exemple, E. Thomassen, « Le valentinisme à Nag Hammadi », CRAI 152.4, 2008, p. 1759-1770. Pour une introduction sur ce groupe, cf. M. Tardieu, Le Manichéisme, Paris, 19972. Pour une introduction sur Marcion et sur l’évolution postérieure de la doctrine, cf., par exemple, B. Aland, « Marcion und die Marcioniten », TRE 22, Berlin-New York, 1992, p. 89-101. Les différentes positions sur Marcion depuis A. von Harnack sont recensées par S. Moll, The Arch-Heretic Marcion, Tübingen, 2010, p. 1-10. Voir surtout la synthèse et le dossier bibliographique de M. Tardieu, « Marcion depuis Harnack », Marcion, A. von Harnack, Paris, 2003, p. 419-561. Parmi les reconstructions récentes sur ce courant, adoptant un regard critique sur les sources hérésiologiques, cf., par exemple, B. Aland, « Sünde und Erlösung bei Marcion und die Konsequenz für die sog. beiden Götter Marcions », Marcion, éd. G. May, K. Greschat, Berlin-New York, 2002, p. 147-157 et les autres contributions du même ouvrage, que nous citons dans la suite de ces pages. P. Maraval, « Le mouvement de Jésus hors du judaïsme : le christianisme aux iie et iiie siècles », Le Christianisme des origines à Constantin, éd. S. C. Mimouni, P. Maraval, Paris, 2006, p. 363-384, souligne d’une part les débats concernant les liens entre Marcion et les gnostiques, d’autre part la différence radicale du manichéisme par rapport au christianisme, quoiqu’il soit « tenu par l’Église de l’époque comme une hérésie chrétienne » (p. 381). Pour A. Böhling, « Der Manichäismus und das Christentum », Gnosis und Manichäismus, éd. A. Böhling, C. Markschies, Berlin-New York, 1994, p. 265-282, c’est l’adaptation de son langage mythologique au langage religieux local qui fait du manichéisme un danger aux yeux de l’Église. Sur le rapport entre les valentiniens et Marcion, voir par exemple par F.-M.-M. Sagnard, La Gnose valentinienne et le témoignage de saint Irénée, Paris, 1947, p. 88-94 et, plus récemment, C. Markschies, « Die valentinianische Gnosis und Marcion – einige neue Perspektiven », Marcion, éd. G. May, K. Greschat, Berlin-New York, 2002, p. 159-175, qui trouve chez les successeurs de Valentin des traces de polémique antimarcionite, en particulier à cause de l’accent mis sur l’unité divine. Cf. Origène, Com. in Rom., I, 1, 1, SC 532, p. 138. Nous ne pouvons pas suivre A. Viciano, « Theodoret von Kyros als Interpret des Apostels Paulus », Th&Gl 80, 1990, p. 305 (cf. aussi id., Cristo el autor, p. 166-167 ; 220), qui accentue l’anti-
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se rencontrent aussi dans la polémique contre les gnostiques et les manichéens, mais ils y sont moins caractéristiques. De même, certains arguments traditionnels peuvent être utilisés contre différents groupes. C’est ce qui autorise, si l’on peut parler ainsi, Théodoret à associer les trois noms¹⁴⁹. Par conséquent, à des fins de clarté, nous parlerons désormais simplement du marcionisme. Nous nous contenterons de signaler les points de rencontre avec les deux autres groupes, et de repérer éventuellement les nuances de l’argumentation permettant de reconnaître plus précisément une cible. Nous nous proposons d’analyser les caractéristiques de l’antimarcionisme dans le cadre particulier de l’exégèse. Nous avons d’abord cherché si l’In Romanos portait la trace d’un contact avec des adversaires concrets. En effet, on sait que Théodoret a lutté activement, au début de son épiscopat, pour convertir des villages marcionites¹⁵⁰ – on connaît aussi son combat contre les manichéens¹⁵¹. Cependant, rien dans l’œuvre qui nous occupe ne témoigne d’une confrontation directe. Cette question étant résolue, notre objectif est d’évaluer le rôle de cette polémique dans l’exégèse de l’épître. Quels aspects de la doctrine retiennent l’attention de l’auteur ? Comment argumente-t-il ? Quelle est la place de la réfutation dans l’interprétation du texte biblique ? Dans quelle mesure, par ces différents aspects, l’exégète suit-il une certaine tradition ? Ce questionnement est particulièrement pertinent au sujet de Romains. En effet, cette épître occupe une place de choix dans certains traités contre Marcion, et Origène fait aussi la part belle aux attaques contre cet adversaire dans son propre commentaire. Il s’agit enfin de déterminer dans quelle mesure, chez l’évêque de Cyr, cette polémique est anecdotique ou bien essentielle, si elle se limite à des digressions ou si elle informe l’interprétation globale du texte. Lorsque les thèmes abordés peuvent être utilisés contre différentes cibles, il est difficile de faire la part entre une véritable réfutation et l’utilisation d’un ton polémique comme mode manichéisme de l’In epist. Pauli sur le seul fondement de la division de l’In Romanos en cinq livres. Cette division n’est ni thématisée, ni même annoncée, contrairement à ce que l’on observe dans Haer. fab., prol., PG 83, 337 C 3-4 ; de plus, les titres donnés par A. Viciano à chacune des cinq sections correspondent moins au commentaire de Théodoret qu’à l’épître. Sur le chiffre cinq dans la doctrine manichéenne, cf. M. Tardieu, Le Manichéisme, p. 106-111. Voir aussi la récente monographie : T. Pettipiece, Pentadic Redaction in the Manichaean Kephalaia, Leiden-Boston, 2009. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 530-535, traite de la polémique contre les gnostiques dans l’ensemble de l’œuvre exégétique de Théodoret, sans faire de distinction entre ces trois groupes. Il note que cette préoccupation est beaucoup plus présente dans l’In epistulas Pauli et les Quaestiones que dans les autres commentaires. Voir exergue, supra, p. 245. Au sujet du témoignage de Théodoret sur le marcionisme, on consultera l’étude critique de M. Tardieu, « Marcion depuis Harnack », p. 458-469. Sur les ouvrages de l’évêque de Cyr, aujourd’hui perdus, consacrés au combat contre différentes hérésies, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 553-560. P. Canivet, Monachisme syrien, p. 264-273, évoque la lutte de l’évêque de Cyr contre l’influence de la pensée manichéenne sur la vie monastique en Syrie et rappelle, dans son introduction à Théodoret, Thérap., SC 57, p. 24-25, que l’auteur a écrit un traité contre ce groupe. Sur l’actualité de cette polémique, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 555.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
d’exposition d’une doctrine : alors la mention d’un adversaire ne serait qu’un artifice rhétorique. Par conséquent, l’étude même de cette polémique se fera parfois prétexte pour examiner le propos de Théodoret sur certains thèmes importants. Quoi qu’il en soit, une telle enquête nécessite une comparaison non seulement avec le traité de l’évêque de Cyr contre les hérésies qui nous est parvenu¹⁵², mais aussi avec quelques textes antimarcionites antérieurs, dont plusieurs sont connus de lui¹⁵³, ainsi qu’avec le commentaire d’Origène, afin d’évaluer en particulier les points communs touchant à l’argumentation scripturaire et à l’utilisation de Romains. Nous montrerons le caractère prépondérant de thèmes antimarcionites dans l’In Romanos à partir de trois aspects, d’abord en étudiant la mise en scène qui en est faite, puis en présentant les thèmes développés, enfin en soulignant son rôle déterminant dans l’interprétation même de l’épître. Nous indiquerons, sous forme d’appendice, un élément qui semble plutôt viser les manichéens.
5.4.1 La mise en scène de la polémique antimarcionite Les différentes mises en scène du conflit avec Marcion dans l’In Romanos sont tout à fait traditionnelles. En voici un exemple : Ταῦτα ὁ θεῖος ἀπόστολος εἰρηκὼς καὶ προορῶν, ὡς πνευματικῆς χάριτος ἠξιωμένος, ὅτι τῶν αἱρετικῶν τινες εἰς κατηγορίαν ταῦτα τῆς παλαιᾶς λήψονται διαθήκης, καὶ νομιοῦσιν ἄλλου τινὸς εἶναι θεοῦ τὸν νόμον τὸν παλαιόν, ἀναγκαίως καὶ τὰς ἀντιθέσεις τίθησι καὶ ἐπιφέρει τὰς λύσεις. « Τί οὖν ἐροῦμεν ; ὁ νόμος ἁμαρτία ; » Πολλὰ τέθεικεν ἐν τοῖς πρόσθεν εἰρημένοις, ἃ τοῖς βλασφημεῖν τὸν νόμον ἐθέλουσι παρέσχεν ἂν πρόφασιν εἰς τὴν τοῦ νόμου κατηγορίαν, εἰ μὴ τὴν προκειμένην τῶν ζητημάτων ἐποιήσατο λύσιν · « Νόμος » γὰρ « παρεισῆλθεν ἵνα πλεονάσῃ τὸ παράπτωμα », καὶ « Ὁ νόμος ὀργὴν κατεργάζεται », καὶ « Ἐξ ἔργων νόμου οὐ δικαιωθήσεται πᾶσα σάρξ ἐνώπιον αὐτοῦ », καὶ τὰ τούτοις προσόμοια. Ὅθεν ἐπὶ τῇ λύσει τούτων αὐτῶν τέθεικε τὴν ἀντίθεσιν, Le divin Apôtre, après avoir dit cela, et comme il prévoyait, parce qu’il était digne de la grâce de l’Esprit, que certains des hérétiques s’en saisiraient pour accuser l’Ancienne Alliance, et qu’ils penseraient que la loi ancienne était le fait d’un autre dieu, est contraint d’énoncer ces oppositions et de proposer ses solutions. « Que dirons-nous donc ? Que la Loi est péché ? » Il a énoncé, dans ce qu’il a dit précédemment, beaucoup de déclarations qui auraient fourni, à qui souhaitait blasphémer la Loi, prétexte à accuser cette Loi, s’il n’avait apporté aux recherches la solution qui suit : « Car la Loi s’est introduite furtivement, afin que foisonne la faute », « La Loi produit la colère », « Par les œuvres de la Loi, aucune chair ne sera justifiée devant lui », et tous
L’Haereticarum fabularum compendium fait partie des dernières œuvres de Théodoret (vers 453). Cf. id., L’Exégèse, p. 63. Parmi les auteurs mentionnés par Théodoret lui-même dans son traité, nous avons surtout consulté Irénée, Origène et Éphrem, auxquels il nous a paru indispensable d’ajouter Tertullien et Épiphane, quoiqu’il ne les cite pas.
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les passages semblables. De là, en vue d’apporter la solution à ces déclarations mêmes, il a énoncé cette opposition¹⁵⁴.
Théodoret utilise le vocabulaire de la logique et de la recherche intellectuelle : les adversaires se distinguent par leur opposition (ἀντίθεσις)¹⁵⁵, et leur recherche (ζήτημα), tandis que l’Apôtre est celui qui apporte les solutions (λύσεις). On pense ici au reproche de vaine recherche formulé traditionnellement à l’égard des hérétiques¹⁵⁶. Mais surtout, les interrogations sont mises en scène et présentées, ici comme dans d’autres passages de l’In Romanos, au moyen de la métaphore judiciaire : l’accusation (κατηγορία)¹⁵⁷ portée par les marcionites contre Paul est considérée comme calomnieuse (συκοφαντία¹⁵⁸). On trouve aussi les métaphores de la maladie (νοσεῖν¹⁵⁹) ou de la guerre (πολεμοῦντες¹⁶⁰), les adversaires étant assimilés à une « troupe » (στίφος¹⁶¹) : autant de lieux communs de l’hérésiologie¹⁶². L’exégète qualifie leur propos de « blasphème » (βλασφημεῖν)¹⁶³ et souligne l’inimitié (ἀπεχθῶς διακείμενοι¹⁶⁴) ou l’impiété (δυσσεβεῖς¹⁶⁵) de leurs auteurs¹⁶⁶. Il pointe plusieurs fois, comme ici, leur méthode consistant à pervertir les Écritures en prenant prétexte (πρόφασις¹⁶⁷) de certains propos de l’Apôtre, ou leur reproche, dans d’autres passages, de donner au texte un sens supposé (ὑπολαμβάνειν¹⁶⁸) : dans l’In Romanos, ce
III, 16 (Rm 7, 1). Les versets cités sont Romains 5, 20 ; 4, 15 et 3, 20. Sur la mise en scène de l’Argument, cf. supra, p. 222. Il serait probablement exagéré de voir dans ce mot une allusion au titre de l’ouvrage de Marcion. En effet, on le trouve aussi bien au sujet d’autres adversaires, par exemple dans Eranistes, prol., Ettlinger, p. 62 (29) ; I, Ettlinger, p. 79 (57) ; II, Ettlinger, p. 141 (149). Voir, par exemple, Irénée, Adu. Haer., II, 25, 2-28, 9, SC 294, p. 252-293. Cf. A. Le Boulluec, La Notion d’hérésie, p. 384-385. On trouve encore κατηγορία en III, 13 ; κατηγοροῦντες, arg., 3 ; V, 20. Cf. IV, 1. Cf. arg., 3. Sur la maladie comme lieu commun de l’hérésiologie, cf. A. Le Boulluec, La Notion d’hérésie, p. 415 ; p. 437 ; p. 507. La comparaison est empruntée à la seconde sophistique, cf. la remarque d’A.-M. Malingrey dans Jean Chrysostome, Sur la providence, SC 79, note 1, p. 54. Cf. III, 13. Cf. arg., 3. Sur la présentation de Marcion comme un « accusateur » du Dieu de l’Ancien Testament et de la Loi, cf., par exemple, Tertullien, Adu. Marc., II, 1, 2, SC 368, p. 22 ; II, 2, 3, SC 368, p. 24. L’auteur voit son projet comme un combat. Cf. ibid., I, 1, 7, SC 365, p. 106 ; V, 1, 8, SC 483, p. 79. On trouve aussi βλάσφημον, III, 17 ; βλασφημία, III, 41. Cf. Haer. fab., I, 24, PG 83, 376 A 3-4 ; B 13. Cf. IV, 1. Cf. arg., 3. Sur l’hérésie comme blasphème et impiété, voir A. Le Boulluec, La Notion d’hérésie, en particulier p. 64-67 (Justin) ; p. 124-125 (Irénée) ; p. 339-341 (Clément d’Alexandrie). Cf. aussi arg., 3 ; II, 20 ; III, 13 ; IV, 1. Cf. Ι, 42 ; II, 4 ; III, 18 ; III, 20.
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grief vise presque toujours les marcionites, ainsi accusés d’être de mauvais exégètes¹⁶⁹. La lutte contre ce groupe, parfois mise en parallèle avec celle contre les Juifs, est la seule à être dramatisée dans l’In Romanos. C’est Paul lui-même qui en est l’acteur principal, présenté tantôt comme un héros guerrier¹⁷⁰, tantôt comme un avocat plaidant (ἀπολογεῖσθαι¹⁷¹) pour la Loi. Dans l’extrait cité, c’est un visionnaire (προορῶν) qui compose son texte pour répondre d’avance aux accusations. L’idée de contrainte (ἀναγκαίως¹⁷²) ou de tentative (πειρᾶσθαι¹⁷³), qui revient à plusieurs reprises, souligne l’intention fondamentalement polémique de Paul et l’âpreté de la lutte. Toutefois, l’exégète met aussi en valeur l’efficacité de l’Apôtre, dont quelques mots suffisent à fermer la bouche (τὸ στόμα ἐμφράττειν¹⁷⁴) aux adversaires. En mettant ainsi en scène Paul luttant lui-même contre les marcionites, l’exégète affirme discrètement, suivant la tradition polémique, que non seulement les écrits rejetés, mais aussi les écrits sélectionnés par Marcion – ici l’Épître aux Romains –, le condamnent. La polémique se fait parfois plus discrète, lorsqu’une affirmation de l’Apôtre est décrite comme la négation de l’attitude hérétique, ces derniers apparaissant alors en creux : « Il a montré qu’il n’accusait pas la chair, mais le péché »¹⁷⁵. Par ailleurs, l’exégète se présente lui-même implicitement comme acteur de la lutte, prenant la défense de l’Apôtre contre une compréhension du texte considérée comme erronée. Même lorsque la polémique n’est pas explicite, on peut parfois reconnaître la cible marcionite. Il déclare ainsi, à propos de « La Loi fut exclue » (Romains 3, 27) : « Il n’a pas dit : “Εlle fut détruite”, mais “Εlle fut exclue”, autrement dit, elle n’a plus de place »¹⁷⁶. En mettant en scène l’Apôtre comme adversaire principal de Marcion, Théodoret suggère que l’épître est elle-même polémique. Lorsqu’il prend la défense de Paul, il affirme que Romains a été l’objet de lectures tendancieuses, et qu’il lui incombe de rétablir la vérité. Ces deux niveaux de la polémique, celui de l’épître elle-même et celui de sa lecture, correspondent à la fois à la tradition hérésiologique, qui pratique une réfutation verset par verset des positions marcionites et montre que le texte reçu par l’hérésiarque le condamne, et à la tradition exégétique de l’Épître aux Romains
Sur ce lieu commun de l’hérésiologie, notamment contre les gnostiques, cf. A. Le Boulluec, La Notion d’hérésie, p. 218-234 (Irénée) ; p. 282-288 et p. 401-405 (Clément d’Alexandrie) ; p. 515-516 (Origène). Cf. arg., 3. Cf. supra, p. 222. Cf. III, 20. Cf. aussi II, 20 ; III, 18 ; IV, 1. Cf. III, 18. Cf. V, 20. Ἔδειξεν, ὡς οὐ τῆς σαρκὸς κατηγορεῖ, ἀλλὰ τῆς ἁμαρτίας, III, 39 (Rm 8, 10). Sur ce thème, qui concerne plus directement les manichéens, cf. p. 268. Οὐκ εἶπε · Κατελύθη, ἀλλ’ · « Ἐξεκλείσθη », ἀντὶ τοῦ, οὐκ ἔτι χώραν ἔχει, II, 9. Cf. aussi, par exemple, III, 15 ; III, 20 ; III, 37.
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représentée par le témoignage d’Origène, chez qui les attaques contre Marcion sont fréquentes¹⁷⁷. Puisque Théodoret fait de Marcion l’adversaire principal de l’Apôtre, on fera l’hypothèse qu’il peut y avoir des allusions au-delà des attaques explicites, sans pour autant voir de l’antimarcionisme au détour de chaque explication. La question de la polémique sera l’occasion de s’attarder sur certains thèmes majeurs de ce commentaire.
5.4.2 Les thèmes de la polémique antimarcionite En observant dans l’In Romanos les griefs énoncés par Théodoret contre Marcion, on note d’abord l’absence de toute allusion à la mutilation des Écritures, et notamment du texte de cette épître¹⁷⁸. Ce thème, central chez les hérésiologues, qui relèvent en particulier les versets de l’Apôtre laissés de côté par Marcion¹⁷⁹, apparaît aussi à plusieurs reprises dans le commentaire d’Origène¹⁸⁰. Dans son résumé sur cette hérésie, Théodoret indique seulement le choix d’un seul Évangile, Luc mutilé de ses premiers chapitres, et le rejet de l’Ancien Testament¹⁸¹. Le manque d’intérêt pour cette question dans l’In Romanos, de la part d’un exégète versé dans les questions de critique textuelle, pour étonnant qu’il soit, invite en tout cas à ne pas faire de ce commentaire un écrit fondamentalement antimarcionite. La polémique reste subordonnée à l’exégèse, et Théodoret sélectionne les thèmes qui lui semblent importants pour l’interprétation du texte. Au demeurant, mis à part le motif de la mutilation des Écritures, on retrouve l’essentiel des attaques portées contre les accusateurs de l’Ancien Testament. L’introduction de chacun de ces thèmes dès l’Argument suggère leur caractère central au sein du corpus. Cf., par exemple, Origène, Com. in Rom., I, 21, 2-4, SC 532, p. 248-253 (Rm 1, 24) ; VI, 7, 19, SC 543, p. 156 (Rm 7, 6) ; VI, 8, 10, SC 543, p. 170 (Rm 7, 11). Voir aussi supra, note 174 p. 236. Le thème de la mutilation des Écritures est utilisé contre les manichéens, mais il est beaucoup moins central que dans la polémique antimarcionite. M. Tardieu, « Principes de l’exégèse manichéenne du Nouveau Testament », Les Règles de l’interprétation, éd. M. Tardieu, Paris, 1987, p. 123146, souligne le rejet de l’Ancien Testament par les manichéens et étudie le contenu de leur Nouveau Testament ainsi que les caractéristiques de leur exégèse. Cf. Irénée, Adu. Haer., I, 27, 4, SC 264, p. 352. Sur les versets supprimés de Romains, cf. Tertullien, Adu. Marc., V, 14, 6, SC 483, p. 276 (Rm 8, 2-10, 1) ; V, 14, 9, SC 483, p. 280 (Rm 10, 5-11, 32). Cf. Origène, Com. in Rom., I, 21, 3, SC 532, p. 250 et la note 2 (Rm 1, 19-2, 1) ; III, 4, 2, SC 539, p. 108 et la note 1 (Rm 3, 31-4, 25) ; X, 43, 1, SC 555, p. 440 (toute la fin de l’épître à partir de Romains 14, 23). On trouvera une reconstruction moderne de l’Apostolikon de Marcion à partir d’un examen critique des sources hérésiologiques, en particulier sur la part des variantes dues à l’état du texte dont il a pu lui-même hériter, dans U. Schmid, Marcion und sein Apostolos. Rekonstruktion und historische Einordnung der marcionitischen Paulusbriefausgabe, Berlin-New York, 1995, notamment, sur Romains, p. 244 ; 249 ; p. I/331-I/334. L’auteur note (p. 289-294) que l’absence de la fin de Romains est attestée par des sources plus anciennes et ne peut donc pas être imputée à Marcion lui-même. Cf. Théodoret, Haer. fab., I, 24, PG 83, 376 A 6-10.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
5.4.2.1 Unicité et bonté du Dieu Créateur et Sauveur Les adversaires sont d’abord accusés d’introduire une division entre un Créateur malveillant et un Dieu bon venu sauver les hommes de l’emprise de celui-ci¹⁸². Théodoret vise explicitement cette doctrine lorsqu’il mentionne la croyance en un « autre dieu » (ἄλλου τινὸς θεοῦ)¹⁸³. L’allusion à Marcion est assez évidente lorsque l’exégète proclame l’absence en Dieu de toute intention mauvaise et de toute passion, sa « colère » désignant simplement le châtiment¹⁸⁴, ou bien quand il met l’accent sur l’association entre bonté et justice (καὶ ἀγαθότης… καὶ ἡ δικαιοσύνη et δικαίως καὶ φιλανθρώπως), à propos d’un verset dans lequel il est surtout question de justice¹⁸⁵. La thèse marcionite est pratiquement mise en scène à propos de la sainteté du commandement : Car ceux qui vivent dans la nonchalance et qui n’embrassent pas les peines de la vertu accusent encore Dieu notre Maître d’avoir établi le commandement. En effet, d’un côté, s’il ignorait, diton, ce qui allait se passer, comment est-il Dieu, celui qui ne connaît pas d’avance l’avenir ? D’un autre côté, s’il a établi le commandement alors qu’il prévoyait la transgression, il est lui-même cause de la transgression¹⁸⁶.
Le problème de l’articulation entre liberté humaine et prescience divine est traditionnel dans la polémique antignostique, chez Justin, Irénée ou Origène¹⁸⁷. Toutefois,
La représentation d’un « démiurge » éventuellement mauvais fait aussi partie des motifs gnostiques, mais prend place dans un système complexe d’émanations divines. Cf. C. Markschies, Die Gnosis, p. 25. Quant au système manichéen, il est lui-même construit sur un dualisme dans lequel le monde créé est l’œuvre des Ténèbres. Cf. III, 16. Voir, par exemple, Justin, Apol., I, 58, SC 507, p. 280-283 ; Origène, De princ., II, 4, 1-2, SC 252, p. 278-285. Toute la réfutation d’Éphrem le Syrien, Adu. Marc., I-III, Mitchell II, p. xxiii-lxv, est bâtie sur la négation du dieu étranger. Théodoret, Haer. fab., I, 24, PG 83, 376 A 9-10, décrit ainsi Marcion : Τὴν παλαιὰν πᾶσαν ἐκβέβληκεν, ὡς ὑπ’ ἀλλοτρίου δεδομένην θεοῦ, « Il a rejeté tout l’Ancien Testament, disant qu’il avait été donné par un Dieu étranger ». Cf. I, 21. Voir aussi I, 24 ; IV, 15 (Dieu ne suscite pas le mal, mais y consent) ; II, 2 ; II, 31 (il ne légifère pas en vue de châtier) ; III, 22 (il n’est pas jaloux). Cf., par exemple, Origène, De princ., II, 4, 4, SC 252, p. 288. Cf. II, 8 (Rm 3, 25-26 : « Pour prouver sa justice, grâce à la rémission des péchés passés, au temps de la patience de Dieu, afin de prouver sa justice à l’époque actuelle. Pour être juste et justifier celui qui vient de la foi en Jésus-Christ »). Cf. aussi II, 28 ; IV, 14. On trouve une réfutation assez longue de la séparation faite par Marcion entre le dieu juste et le dieu bon dans Haer. fab., V, 16, PG 83, 505-508. Cf. Origène, De princ., II, 5, SC 252, p. 290-307. W. A. Löhr, « Did Marcion distinguish between a just god and a good god ? », Marcion, éd. G. May, K. Greschat, Berlin-New York, 2002, p. 131-146, affirme que ce motif hérésiologique est une déformation de la doctrine de Marcion, qui n’opposait pas « juste » et « bon » mais « mauvais » et « bon ». Οἱ γὰρ ῥᾳθυμίᾳ συζῶντες καὶ τοὺς τῆς ἀρετῆς οὐκ ἀσπαζόμενοι πόνους, καὶ τοῦ δεσπότου θεοῦ κατηγοροῦσιν ὡς τεθεικότος τὴν ἐντολήν. Εἰ μὲν γὰρ ἠγνόει, φησί, τὸ γενησόμενον, πῶς θεός, ὁ μὴ προγινώσκων τὰ μέλλοντα ; Εἰ δὲ προορῶν τὴν παράβασιν τέθεικε τὴν ἐντολήν, αὐτὸς τῆς παραβάσεως αἴτιος, III, 21 (Rm 7, 12). Sur l’articulation entre liberté humaine et prescience divine dans la polémique antignostique, voir, par exemple, Justin, Apol., I, 43, SC 507, p. 241-243 ; Irénée, Adu. Haer., IV, 37-39, SC 100, p. 918-
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ici, l’accusation contre Dieu ne porte pas directement sur la liberté, mise en cause par les gnostiques, mais plutôt sur le don du commandement lui-même. Ainsi, c’est Dieu comme législateur qui est visé, ce qui renvoie davantage aux marcionites, nous semble-t-il¹⁸⁸. Du reste, au-delà de la mention dépréciative des paresseux refusant de pratiquer la vertu, qui pourrait faire penser que l’exégète vise une attitude pratique plus qu’une posture intellectuelle, cette cible marcionite se déduit aussi du contexte, comme nous le verrons. À la suite de Jean Chrysostome, Théodoret répond qu’une loi était nécessaire à l’être doué de raison pour que celui-ci reconnaisse sa condition de dépendance, que la règle unique et facile à appliquer prouve la clémence du législateur, et que celui-ci n’était pas guidé par la jalousie¹⁸⁹, mais par le désir du salut des hommes¹⁹⁰. L’évêque de Cyr met constamment l’accent sur l’innocence de Dieu¹⁹¹ et sur le fait qu’il ne laisse pas l’homme livré à lui-même (ἀτημέλητος)¹⁹². Son amour de l’humanité (φιλανθρωπία) préside à la Création¹⁹³, puis se manifeste par le don de la raison (τὸ λογικόν), avec la faculté de discerner entre le bien et le mal (ἡ τῶν καλῶν καὶ τῶν ἐναντίων διάγνωσις), et par le commandement (ἐντολή) permettant d’entraîner (γυμνασία) cette capacité¹⁹⁴ : c’est la première marque de la sollicitude divine après la création¹⁹⁵. La bonté de Dieu est même à l’œuvre dans le châtiment de la Chute, c’est-à-dire dans la mort elle-même¹⁹⁶. Théodoret souligne que celui-ci est
973 ; et surtout Origène, Philoc., 23, 7-13, SC 226, p. 153-175 ; id., Frg. in Rom., I, JThS 13, p. 210-213 (Rm 1, 1) (= Philoc., 25, SC 226, p. 212-233). Voir la synthèse de E. Junod sur ce point (SC 226, p. 75-93). Les thèses de Cyrille d’Alexandrie sur la question de la prescience divine (cf. M.-O. Boulnois, « Liberté, origine du mal et prescience divine selon Cyrille d’Alexandrie », REAug 46/1, 2000, p. 61-82) semblent tout à fait proches de celles de Théodoret. S. Morlet, « Pourquoi Dieu a-t-il interdit la connaissance du bien et du mal ? La critique porphyrienne de Gn 2, 17 : le problème de ses sources et de sa postérité », SemClas 4, 2011, p. 143-144, reconnaît plus précisément dans cette alternative entre absence de prévoyance et don d’un commandement superflu le rappel d’une aporie d’Apelle, disciple de Marcion. Sur la jalousie de Dieu, argument utilisé à la fois par les marcionites, les gnostiques et les païens contre le Dieu de l’Ancien Testament, et sur les réfutations diverses suscitées par cet argument, chez les Pères, cf. M.-O. Boulnois, « “Dieu jaloux” : Embarras et controverses autour d’un nom divin dans la littérature patristique », StudPatr XLIV, 2010, p. 297-313. Cf. I, 20 ; III, 21 ; Jean Chrysostome, Hom. in Gen., XIV, PG 53, 114, 30-115, 12 ; XVI, PG 53, 133, 829 ; XVII, PG 53, 139, 50-53. Cf., par exemple, I, 24 ; I, 27 ; III, 21-22. La Thérap., V, 33-38, SC 57, p. 236-239, reprend (après Justin, Apol., I, 44, 8, SC 507, p. 245 ; voir la note 2 p. 244), le postulat de Platon (République, II, 379 b-d ; 380 b-c) : Dieu, étant bon, ne peut être à l’origine du mal, mais c’est l’homme qui a eu l’audace de la transgression. Cf. Ι, 20 ; I, 22 ; II, 10 ; II, 31. Sur l’adjectif employé, cf. supra, p. 39. La φιλανθρωπία est explicitement attribuée au Créateur en I, 22 et III, 44 (associée à ἀγαθότης) ; au législateur (τοῦ νομοθέτου) en III, 22. Cf. III, 21-22 (Rm 7, 12). Sur les termes employés, cf. supra, p. 69 ; 74 ; 68. Cf. arg., 5 ; I, 20 ; II, 31 (Rm 5, 20) ; III, 23 (Rm 7, 12). L’affirmation de la clémence du châtiment est d’autant plus saisissante que Théodoret parle seulement de la mort, et non des autres châtiments mentionnés dans la Genèse (douleurs de l’en-
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
juste¹⁹⁷, proportionné et toujours orienté vers le salut. Juste, parce qu’il avait été annoncé¹⁹⁸. Proportionné, puisqu’en interdisant seulement une plante, il était facile à accomplir¹⁹⁹ – bien plus que les lois du Nouveau Testament, dit ailleurs l’évêque de Cyr à l’intention des marcionites²⁰⁰. Orienté vers le salut, par son rôle d’exemple dissuasif ²⁰¹. Pour prouver que le châtiment est ordonné au dessein de salut, Théodoret compare le péché de Pharaon à un venin que le médecin utilise pour préparer des remèdes, sans pour autant l’avoir créé : de même, Dieu a utilisé l’endurcissement de Pharaon pour montrer sa puissance à tous les hommes²⁰². Ce personnage joue déjà un rôle essentiel dans la polémique contre les gnostiques au sujet de la bonté de Dieu, chez Irénée puis chez Origène²⁰³. À l’objection concernant la prescience, qui rendrait l’auteur du commandement coupable du péché, l’évêque de Cyr répond en particulier par l’analogie de la prévision humaine : si, en voyant un cheval fougueux, je prévoie qu’il va finir par créer un accident, et que cela arrive, ce n’est pas moi qui aurai provoqué la chute²⁰⁴. Éloges et châtiments humains prouvent que l’on n’agit pas par nécessité²⁰⁵ : cet argument aristotélicien²⁰⁶ est constamment repris, notam-
fantement, peine du travail, expulsion du paradis), ici comme dans les Quaestiones in Genesim. Cf. supra, p. 78. On comparera avec les longs développements de Jean Chrysostome, Hom. in Gen., XVII, PG 53, 143, 31-147, 43, sur la douceur de ces autres sentences. Cf. II, 28 (Rm 5, 15) ; III, 35 (Rm 8, 3). Théodoret oppose la mort juste des pécheurs et celle, injuste, du Christ. Cf. II, 25 (Rm 5, 12). Cf. III, 22 (Rm 7, 12). Cf. aussi Quaest. in Gen., XXXVII, FM Ι, p. 39 : Πάντων αὐτῷ τῶν φυτῶν ἐδεδώκει τὴν ἐξουσίαν, ἑνὸς δὲ μόνου τὴν ἐδωδὴν ἀπηγορεύκει. Ὁ δὲ τὰ ἄλλα πάντα καταλιπών, τοῦτον καὶ πρῶτον καὶ μόνον ἐτρύγησε τὸν καρπόν, « Ιl lui avait donné abondance de toutes les plantes, et n’avait interdit la consommation que d’une seule. Quant à lui, laissant de côté toutes les autres, il ne cueillit que ce fruit, en premier et uniquement ». Cf. ibid., loc. cit. Sur ce lieu commun de la supériorité des exigences néotestamentaires sur les lois antérieures, cf. D. P. Efroymson, « The Patristic Connection », p. 113-114. Cf. Quaest. in Gen., loc. cit. Le commandement est bon, dit Théodoret, puisque, par lui, le péché se révèle mauvais par le fruit de mort qu’il produit, cf. III, 24 (Rm 7, 13). Cf. IV, 15 (Rm 9, 24). Selon Origène, Dieu met tout en œuvre pour sauver Pharaon ; son engloutissement même, ultime châtiment qui doit lui permettre de rejeter ses péchés et de remonter des eaux allégé, prouve que Dieu veut le salut des pécheurs. Cf. M. Harl, « La mort salutaire du Pharaon », p. 269-277. On se reportera aussi à la synthèse d’E. Junod sur le sujet, dans Origène, Philoc., SC 226, p. 110-120, en particulier les notes 1 p. 110 et 1 p. 120. Cf. III, 56 (Rm 8, 30). Cette image rappelle l’analogie employée par Origène, Philoc., 23, 8, SC 226, p. 156-157, d’un homme qui voit un marcheur s’aventurer sur un chemin glissant, avec la même conclusion. Cependant, le propos de l’Alexandrin est dirigé contre les gnostiques et développe à partir de cet exemple la théorie des possibles. Cf. III, 56 ; IV, 13-14 (Rm 9, 20-21). Cf. Thérap., V, 80, SC 57, p. 252, où sont aussi évoqués éloges et châtiments humains. Cf. Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 7, 1113b23-1114a2, mentionné, ainsi que de nombreuses autres références, par M.-O. Boulnois, « Liberté, origine du mal et prescience divine selon Cyrille d’Alexandrie », p. 66-67.
5.4 « Marcion, Valentin et les manichéens »
255
ment par Justin contre les païens²⁰⁷, par Irénée contre la doctrine gnostique des natures²⁰⁸ ou encore par Origène contre le fatalisme astrologique²⁰⁹. Théodoret concilie ainsi, conformément à la tradition, prescience divine et liberté humaine, la première ne pesant pas sur la seconde comme une nécessité. De cette manière sont dissociés le don du commandement et les conséquences fatales du péché. Tandis que l’innocence de Dieu est préservée, c’est l’homme qui est responsable de son péché et s’attire la punition²¹⁰. Reste alors l’objection suivante : comment Dieu, s’il est bon et puissant, a-t-il pu laisser le mal se produire ? Théodoret ne répond pas directement à la question, mais argumente dans deux directions complémentaires. D’abord, il s’efforce de dissocier la réalité du mal et l’intention divine. Ainsi, à propos de Romains 7, 10 (« Ce commandement qui conduit à la vie s’est trouvé pour moi conduire à la mort »), il affirme : Ζωῆς γάρ, φησίν, ἡ ἐντολὴ χορηγός, ἡ δὲ περὶ τὸ χεῖρον τροπὴ τὸν θάνατον ἀπεκύησε. Διὰ τοῦτο κυρίως τὸ « εὑρέθη » τέθεικεν, ἵνα δείξῃ, ἄλλον μὲν τὸν τοῦ νόμου σκοπόν, ἄλλο δὲ τὸ διὰ τὴν ἁμαρτίαν συμβάν, Le commandement est dispensateur de vie, alors que l’orientation vers le mal a enfanté la mort. Voilà pourquoi, à juste titre, il a employé l’expression « s’est trouvé », afin de montrer qu’une chose est la visée de la loi, une autre ce qui est arrivé à cause du péché²¹¹.
En mettant au jour, dans le propos de Paul, la distinction entre la visée (σκοπός) et ce qui s’est réellement produit (τὸ συμβάν), Théodoret souligne que providence²¹² divine et liberté humaine se situent sur deux plans différents. Le commandement, don de la providence divine, est dispensateur de vie (ζωῆς χορηγός) : on ne peut l’appeler mauvais et accuser Dieu sous prétexte que l’homme a fait mauvais usage de sa liberté, de même que le médecin n’est pas responsable si le malade ne suit pas la prescription²¹³. Le deuxième argument concernant le rapport entre Dieu et le mal
Cf. Justin, Apol., I, 43, 2, SC 507, p. 241. Cf. aussi II, 6 (7), 6-7, SC 507, p. 337, avec l’argument de l’existence des lois humaines. Cf. Irénée, Adu. Haer., IV, 37, 1-2, SC 100, p. 918-925. Cf. Origène, Philoc., 23, 1, SC 226, p. 130-135 ; 23, 7, SC 226, p. 155 ; 23, 8, SC 226, p. 156-159. Voir aussi, entre autres, id., De princ., III, 1, 19, SC 268, p. 122-125 ; III, 1, 21, SC 268, p. 130-133. Cf. III, 22 ; II, 2. III, 20 (Rm 7, 10). Voici la définition qu’il donne lui-même de cette notion : « Car c’est le Créateur lui-même qui gouverne (κυβερνᾷ) la Création (κτίσιν), et il n’a point laissé (οὐ κατέλιπεν) sans pilote (ἀκυβέρνητον) le vaisseau (σκάφος) qu’il a construit, mais, comme il est lui-même à la fois le constructeur du vaisseau (ναυπηγός) et le créateur de la matière dont il est fait (τῆς ὕλης φυτουργός), et comme il a tout ensemble créé la matière (τὴν ὕλην δημιουργήσας) et construit le vaisseau (τὸ σκάφος ὑφάνας), il ne cesse d’en tenir dans sa main le gouvernail (πηδάλια) », De prouid., Ι, PG 83, 564 C 13-D 3, trad. Y. Azéma. Cf. III, 22. Sur ce motif, cf. J.-N. Guinot, « Le recours à l’argument médical dans l’exégèse de Théodoret de Cyr », Regards sur le monde antique : hommages à Guy Sabbah, éd. M. Piot, Lyon, 2002,
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
consiste à affirmer que Dieu, dans sa providence, intègre le péché dans son plan de salut (οἰκονομία), comme le montre l’exemple de Pharaon²¹⁴. Ainsi est proclamée l’unité du dessein de Dieu, Créateur et Sauveur, dans l’histoire des hommes, manifesté d’abord par sa sollicitude pour tous lors de la Création, puis par le don de la Loi, enfin par l’Incarnation. Cette argumentation n’est pas sans rappeler un autre développement de l’évêque de Cyr contre Marcion, en particulier au sujet de l’origine unique des commandements donnés aux différents âges de l’humanité²¹⁵. Pour terminer sur la bonté et l’unicité de Dieu, il vaut la peine de mentionner quelques détails qui pourraient passer inaperçus mais qui acquièrent un relief particulier lorsqu’on a réalisé l’importance de ce thème dans l’In Romanos. Ainsi, la doxologie finale de la IVe section, « Glorifions notre Créateur et Sauveur » (Τὸν ἡμέτερον δημιουργόν τε καὶ σωτῆρα δοξάσωμεν)²¹⁶, qui n’est pas usuelle, semble particulièrement appropriée à ce contexte polémique et fait penser à la formule par laquelle Théodoret résume sa réfutation de Marcion : « Montrons que notre Seigneur Jésus-Christ est Créateur et Sauveur » (Δείξωμεν τὸν κύριον ἡμῶν Ἰησοῦν Χριστὸν καὶ δημιουργὸν καὶ σωτῆρα)²¹⁷. D’autre part, on peut remarquer que Théodoret relève le mot « Père » en Romains 8, 15 (« Nous crions : Abba, Père »), et identifie explicitement celui-ci avec le Créateur, dont la bonté est soulignée avec insistance : Διὰ τὴν ἄρρητον αὐτοῦ φιλανθρωπίαν καὶ ἀμέτρητον ἀγαθότητα, πατέρα μὲν καλοῦμεν ὡς προσετάχθημεν τῶν ὅλων τὸν ποιητήν, Grâce à son indicible amour pour les hommes et à son immense bonté, nous appelons « père », comme il nous a été prescrit, l’Artisan de l’univers²¹⁸.
L’utilisation de l’appellation « Père » dans le contexte antimarcionite n’est pas nouvelle : pour Origène, l’invitation à prier « Notre Père qui es au cieux » signifie qu’il faut chercher Dieu dans la Création, ce qui est une des preuves de l’unité de Dieu²¹⁹. Enfin, si l’on admet l’arrière-plan polémique, l’évocation de l’impossibilité de connaître la nature divine, qui suit immédiatement la phrase de Théodoret citée,
p. 148-149. L’image se trouve, par exemple, chez Origène, Com. in Rom., II, 5, 14, SC 532, p. 318-321 (Rm 2, 8-9). Cf. IV, 15 (Rm 9, 22-24). Dans l’Haer. fab., V, 17, PG 83, 508-512, il montre que la Nouvelle Alliance ne subvertit pas l’Ancienne, mais rend les commandements plus parfaits. Il compare les différentes étapes (d’Adam à l’évangile en passant par Noé, Abraham et Moïse) aux diverses nourritures que les mères donnent à leurs enfants selon les âges de la vie. IV, 50. Haer. fab., V, 16, PG 83, 505 B 4-6. III, 44. Cf. Origène, De princ., II, 4, 1, SC 252, p. 278 (voir aussi la note 6 p. 278, qui fait référence à Clément d’Alexandrie). Sur le contexte antimarcionite et antivalentinien de ce passage, voir le commentaire de H. Crouzel et M. Simonetti, SC 253, p. 159.
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acquiert une cohérence supplémentaire, la dénonciation de la « recherche curieuse » constituant un thème important de la lutte contre les hérésies²²⁰.
5.4.2.2 Apologie de la Loi Selon les hérésiologues, la loi mosaïque est au centre de l’argumentation marcionite sur la méchanceté du Créateur et Législateur, et partant sur l’opposition irréductible entre Ancien et Nouveau Testament²²¹. À ce sujet, Théodoret prend résolument le contrepied de Marcion : « Ce n’est pas une accusation, mais une louange, que mérite la Loi ! »²²² Parmi les affirmations sur la bonté de la Loi et sa défense par Paul²²³, on retiendra la répétition d’une expression singulière, « enrubanner de louanges » (εὐφημίαις ταινιοῦν), employée à propos de la loi mosaïque aussi bien qu’à propos du commandement donné à Adam²²⁴. Ces propos élogieux font écho à Tertullien, qui ne manque pas de s’exclamer : O summum praeconium legis ! (« Ô le suprême éloge de la Loi ! »)²²⁵. Pour justifier cette louange de la Loi, Théodoret met en avant son origine divine²²⁶ et insiste volontiers sur son rôle d’enseignant (διδάσκαλος)²²⁷, consistant à indiquer le bien²²⁸ et à susciter de l’ardeur (προθυμία) pour lui²²⁹, à accuser (κατηγορία) le mal et à susciter la haine du péché²³⁰. En outre, en jouant sur les différents sens de Loi, à la fois législation et désignation de l’Ancien Testament – ce dernier étant compris comme un écrit, dont l’origine divine est affirmée (ἡ παλαιὰ θεία γραφή)²³¹, mais aussi comme l’Alliance – Théodoret attribue à cette « Loi » un
᾿Aγνοοῦμεν δὲ ὅσον αὐτοῦ τε καὶ ἡμῶν τὸ διάφορον, οὔτε ἡμᾶς αὐτοὺς ἀκριβῶς ἐπιστάμενοι καὶ αὐτοῦ τὴν φύσιν παντελῶς ἀγνοοῦντες, « Et nous ignorons comme est grande la différence entre lui et nous, puisque nous ne nous connaissons pas exactement nous-mêmes, et que nous ignorons totalement sa nature », III, 44. Cf. supra, note 156 p. 249. L’unité entre Ancien et Nouveau Testament ainsi que l’origine divine de la Loi sont des thèmes importants de la polémique chrétienne contre les manichéens. Cf., par exemple, Épiphane de Salamine, Pan., 66, 42, 1-43, 4, GCS Epiphanius III, p. 78-80 ; 66, 70, 1-85, 11, GCS Epiphanius III, p. 111-128. En réalité, les positions des gnostiques et des manichéens sur la loi mosaïque semblent avoir été variables. W. A. Löhr, « Die Auslegung des Gesetzes bei Markion, den Gnostikern und den Manichäern », Stimuli, éd. G. Schöllgen, C. Scholten, Münster, 1996, p. 77-95, évoque, par exemple, chez Ptolémée, une interprétation spirituelle ; chez le manichéen Faustus, une insistance sur les contradictions entre Ancien et Nouveau Testament. Οὐ κατηγορίας ἄξιος, ἀλλ’ εὐφημίας ὁ νόμος, III, 36. Cf., par exemple, III, 27 ; III, 30 ; III, 31 ; III, 35. Cf. III, 25 ; IV, 1 (loi mosaïque) ; III, 21 (« commandement des arbres »). Sur εὐφημίαις ταινιοῦν, voir supra, p. 57. Sur l’expression « commandement des arbres », cf. supra, p. 74. Tertullien, Adu. Marc., V, 13, 14, SC 483, p. 270-271. Cf., par exemple, I, 36 ; II, 2. Cf. II, 5 ; III, 17 ; III, 24. Cf. aussi I, 36 ; III, 4 ; III, 30. Cf. I, 40 ; II, 5. Cf. III, 30. Cf. II, 4 ; II, 31 ; III, 14 ; III, 17 ; III, 24 ; III, 27 ; III, 31. Cf. I, 5. Cf. aussi III, 25.
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sens plus profond, elle qui a « parlé en faveur de la grâce » (συνηγορεῖν τῇ χάριτι)²³² et « enjoint de s’unir au Christ » (παρεγγυᾶν τῷ Χριστῷ συναφθῆναι)²³³. Évitant, dans l’In Romanos, de parler de l’incompatibilité fondamentale entre l’observation des préceptes mosaïques et la vie en Christ²³⁴, il met au contraire l’accent sur la compatibilité (σύμφωνος)²³⁵ et sur la continuité entre la Loi et la foi²³⁶. On rappellera ici l’absence d’argument antijudaïque à ce propos, contrairement à la tradition qui, de Tertullien à Jean Chrysostome, fonde la défense de la Loi, nécessitée par la polémique contre les marcionites, sur la bonté du Créateur, tout en justifiant sa désuétude par l’idée qu’elle a été donnée à cause de la perversité essentielle des Juifs²³⁷. Pour Théodoret, au contraire, la Loi fait partie intégrante du dessein de Dieu conduisant à l’Incarnation.
5.4.2.3 Incarnation et continuité du dessein de Dieu Concernant l’Incarnation, le docétisme et l’idée d’un dieu étranger ne jouent pas un rôle central dans l’In Romanos ²³⁸ ; la réalité de la chair du Christ et sa mort pour les péchés sont évoqués, mais non thématisés²³⁹. Théodoret insiste davantage sur la continuité du dessein de Dieu : le Créateur veut le salut, l’homme et sa liberté mettent celui-ci en péril, Dieu tient compte des détours de sa créature et continue de la guider. Cependant, l’évêque de Cyr s’élève contre le soupçon d’un Dieu soumis au changement et aux passions, qui corrigerait les erreurs humaines au cours de l’histoire. Au contraire, souligne-t-il, toutes les dispositions divines font partie de son plan déterminé dès le commencement. L’absence de « repentir » (μεταμέλεια) en Dieu, qui rejoint un motif important de l’argumentation de Tertullien contre Marcion²⁴⁰, est affirmée dès l’Argument²⁴¹. Elle se manifeste, selon Théodoret, dans la Création elle-même, dont certaines caractéristiques montrent que Dieu a intégré dès l’origine les conséquences fatales du libre arbitre. Par exemple, il a créé mortelle la
Cf. II, 5. Voir aussi II, 13. Cf. III, 13. Au contraire, ce thème sera développé par Théodoret dans l’In Galatas, cf. M.-O. Boulnois, « De la symphonie trinitaire à la symphonie apostolique », p. 59-82. Cf. IV, 22. Cf. arg., 4 ; II, 9 ; II, 10. Cf. supra, p. 237. Sur le docétisme, reproché aussi bien à Cerdon et à Marcion qu’à Manès, voir Théodoret, Haer. fab., I, 24, PG 83, 376 A 13-15 ; V, 11, PG 83, 488 D 10-12. Cf., par exemple, Tertullien, Adu. Marc., III, 8, 1-11, 9, SC 399, p. 94-119. Voir, par exemple, II, 19 ; II, 22 ; III, 35. En réalité, Tertullien, Adu. Marc., II, 24, 1-8, SC 368, p. 140-149, accepte l’idée de repentir de Dieu, tout en le distinguant fermement de l’aveu d’une faute : c’est un changement d’état d’esprit à la suite des changements de l’homme. Théodoret, cependant, ne peut tenir cette idée, de peur de ruiner la notion d’immutabilité divine. Cf. arg., 5, cité plus bas.
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nature visible en prévision de la transgression d’Adam, qui allait devenir mortel mais devait rester supérieur aux autres créatures²⁴². Néanmoins, la notion est surtout développée à propos de l’histoire du salut, et mise en valeur par une formule raccourcie qui fait de l’Incarnation le remède à la chute d’Adam lui-même : Eh bien ! Dieu notre Maître a jugé qu’Adam lui-même, ainsi que toute sa race, étaient dignes de tous ses soins (πάσης ἐπιμελείας ἠξίωσε). Et, pour laisser le reste de côté et en venir au plus important (ἵνα τὰ ἄλλα ἀφεὶς ἐπὶ τὸ κυριώτατον ἔλθω), c’est à cause de lui et de sa race que le Verbe Unique Engendré s’est fait homme, a fait cesser l’empire de la mort, empire qui avait reçu son autorité à partir d’Adam, a promis la résurrection et nous a préparé un royaume dans les cieux. Par conséquent, à la fois il savait qu’Adam allait transgresser (τὴν ἐκείνου παράβασιν ᾔδει), et il nous a préparé d’avance la guérison à venir (τὴν ἐσομένην ἴασιν προηυτρέπισε)²⁴³.
Le rôle des prophètes est souligné à plusieurs reprises, en particulier comme envoyés pour annoncer de la part de Dieu l’avènement du Christ, « dès le début » (ἄνωθεν)²⁴⁴. Ils sont pour ainsi dire une preuve de la continuité du dessein de Dieu : « Ce n’est pas à la suite d’un changement d’avis (οὐκ ἐκ μεταμελείας) que le Dieu de l’univers en est venu à ce plan de salut ; mais il le prédit, dès le début, par les divins prophètes »²⁴⁵. On peut voir là une pique contre l’opinion marcionite selon laquelle le Christ apparaît soudainement²⁴⁶. Les prophètes sont aussi décrits comme guides (ποδηγεῖσθαι) vers la foi en lui²⁴⁷, ce qui met l’accent sur le rôle préparatoire indispensable de l’Ancienne Alliance. Si, en affirmant que le Christ est l’accomplissement (τὸ πέρας, πληροῦν) des promesses faites à Abraham et de la visée (σκοπός) de la Loi²⁴⁸, et que la grâce confirme (βεβαιοῦν) les promesses²⁴⁹, Théodoret s’adresse aux Juifs, centrés sur l’Ancien Testament, en revanche, lorsqu’il insiste sur le fait que le Christ
Cf. III, 47 (Rm 8, 20). Le même type de raisonnement est à l’œuvre dans Quaest. in Gen., XIII, FM I, p. 16, évoquant la création des plantes médicinales pour l’usage de l’homme soumis à la souffrance, et surtout en XXXVII, FM Ι, p. 38-39, où l’exégète remarque que certaines caractéristiques de l’homme lui-même sont créées en prévision de sa mortalité, ainsi la nature sexuée, ou l’appel à se nourrir. C’est selon lui une preuve de l’absence de repentir (μεταμέλεια) en Dieu et de son immutabilité (ἄτρεπτος φύσις). Ὁ μέντοι δεσπότης θεὸς καὶ αὐτὸν τὸν ᾿Aδὰμ καὶ ἅπαν τὸ ἐκείνου γένος πάσης ἐπιμελείας ἠξίωσε. Καὶ ἵνα τὰ ἄλλα ἀφεὶς ἐπὶ τὸ κυριώτατον ἔλθω, δι’ ἐκεῖνον καὶ τὸ ἐκείνου γένος ὁ μονογενὴς ἐνηνθρώπησε λόγος, καὶ τοῦ θανάτου τὴν δυναστείαν κατέπαυσεν, ἐξ ἐκείνου τὴν ἀρχὴν δεξαμένην, καὶ τὴν ἀνάστασιν ἐπηγγείλατο καὶ βασιλείαν ηὐτρέπισεν οὐρανῶν. Ὥστε καὶ τὴν ἐκείνου παράβασιν ᾔδει καὶ τὴν ἐσομένην ἴασιν προηυτρέπισε, III, 23 (Rm 7, 12). Cf., par exemple, arg., 5 ; I, 6 ; I, 16 ; I, 19 ; V, 36. Οὐκ ἐκ μεταμελείας ὁ τῶν ὅλων θεὸς ἐπὶ ταύτην ἐλήλυθε τῆς σωτηρίας τὴν μέθοδον, ἀλλ’ ἄνωθεν αὐτὴν διὰ τῶν θείων προηγόρευσε προφητῶν, arg., 5. Cf. aussi l’idée d’antiquité (ἀρχαιότης) du mystère, en V, 35. L’argument se trouve développé par Tertullien, Adu. Marc., III, 2, 3-4, SC 399, p. 58-61. Cf. I, 17 ; I, 19. Cf. II, 16 ; III, 36. Théodoret affirme que la circoncision du Christ était nécessaire pour montrer, par le signe de la parenté, la vérité des promesses (cf. V, 41). Cf. II, 17.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
ne vient pas par surprise, mais qu’il a été annoncé par les prophètes, il semble plutôt viser les marcionites, qui cherchent à s’affranchir de l’Ancien Testament.
5.4.2.4 Vie sous la grâce Enfin, dans certains passages commentant des versets parénétiques, il est tentant de reconnaître en toile de fond, au-delà de la simple exhortation destinée à tout fidèle, une polémique contre les marcionites ou les gnostiques, sans qu’on puisse l’affirmer avec certitude. Il faut préciser que la dépravation morale fait traditionnellement partie du portrait de l’hérétique quel qu’il soit, particulièrement chez Épiphane²⁵⁰. La mise en garde de « ceux qui vivent dans l’indolence » sur l’insuffisance de la foi sans la pratique de la vertu, juste après l’évocation de la foi d’Abraham, est-elle de la part de Théodoret une simple interpellation morale ou un rappel des conceptions hérétiques²⁵¹ ? En effet, les valentiniens sont généralement accusés d’immoralité sous prétexte qu’« ils sont sauvés par la seule connaissance »²⁵². L’allusion au mépris des autorités civiles sous prétexte de « connaissance » (γνῶσις) renvoie-t-elle à l’attitude de certains gnostiques²⁵³ ? En effet, selon Théodoret, c’est par sa capacité prophétique (προειδέναι) que l’Apôtre a eu connaissance de cette attitude. Ou bien l’exégète évoque-t-il simplement, selon les lignes qui suivent immédiatement, le dédain de certains prêtres, évêques, ou moines à l’égard du pouvoir temporel²⁵⁴ ? D’autre part, lorsqu’il déclare, à deux endroits différents, qu’il n’y a pas de deuxième baptême²⁵⁵, il pourrait s’agir, certes, d’un simple avertissement pour appeler à la fidélité dans la vertu, mais l’affirmation, que l’exégète fonde sur la mort unique du Christ, semble
Cf. A. Pourkier, L’Hérésiologie chez Épiphane de Salamine, p. 487-489. Cf. II, 20 (Rm 5, 1). Ceux qui se croient dispensés de pratiquer la vertu sont qualifiés de « chicaneurs » (φιλαίτιοι, III, 5), et leur propos d’absurde (ἄτοπον, II, 33 ; ἀτοπία, III, 5). ᾿Aπὸ μόνης τῆς γνώσεως σώζεσθαι, Haer. fab., I, 7, PG 83, 357 C 9-13. Voir Irénée, Adu. Haer., I, 6, 2-4, SC 264, p. 92-101 ; Clément d’Alexandrie, Stromate, III, 4, 30-39, GCS Clemens II, p. 209-214. Cf. V, 13-14 (Rm 13). Les gnostiques se caractérisent par « un refus du monde sociopolitique (…), qui n’est pas révolte ouverte, mais totale indifférence », selon P. Maraval, « Le mouvement de Jésus hors du judaïsme », p. 379. Nous n’avons pas trouvé d’attestations concernant précisément le reproche d’insoumission des gnostiques. M. Scopello, Femme, gnose et manichéisme : de l’espace mythique au territoire du réel, Leiden, 2005, p. 206, indique que le De scorpiace de Tertullien évoque « l’attitude gnostique face à l’État ». Ce petit traité exhorte les gnostiques à ne pas prendre prétexte de soumission aux autorités civiles (cf. Romains 13) pour échapper au martyre, mais ne dit rien sur un éventuel refus de soumission, cf. Tertullien, De scorpiace, XIV, 2, Azzali Bernardelli, p. 160. Voir C. Lepelley, « Les chrétiens et l’Empire romain », Histoire du christianisme. Tome 1, Le Nouveau peuple, éd. J.-M. Mayeur, C. Pietri et al., Paris, 2000, p. 255-256. Théodoret suit largement la tradition de ses prédécesseurs, et en particulier de Jean Chrysostome, à propos de Romains 13, 1-7. Irénée témoigne probablement d’une interprétation gnostique en réfutant l’idée selon laquelle les puissances auxquelles il faudrait se soumettre seraient des puissances invisibles. Cf. K. H. Schelkle, « Staat und Kirche in der patristischen Auslegung von Röm 13, 1-7 », ZNW, 1952, p. 227-238. Cf. II, 36 (Rm 6, 9-10) ; V, 19 (Rm 13, 14).
5.4 « Marcion, Valentin et les manichéens »
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avoir plus de force si l’on considère qu’elle renvoie à une pratique réelle notamment dans l’Église marcionite, selon le témoignage d’Épiphane²⁵⁶. La polémique contre Marcion est donc assez présente dans cette œuvre, tout au moins à travers l’insistance sur l’unité de Dieu, manifestée par la continuité de son dessein bienveillant, de la Création à l’Incarnation en passant par le don de la loi mosaïque.
5.4.3 La polémique antimarcionite et l’exégèse de Romains Pour mieux saisir le rôle de cette polémique dans l’In Romanos, il reste à examiner son articulation avec l’exégèse de l’épître. Pour cela, il faut non seulement observer quels versets particuliers fournissent l’occasion d’accusations contre les adversaires, mais évaluer la place de l’intention polémique dans l’interprétation elle-même. Il aurait été intéressant de repérer d’éventuels liens avec la tradition hérésiologique ou exégétique. En effet, non seulement l’argumentation scripturaire joue un rôle important dans la réfutation de Marcion, mais Tertullien puis Épiphane procèdent à un examen systématique de sa Bible²⁵⁷. Néanmoins, en comparant notre texte avec ces deux œuvres, on constate que Théodoret ne suit pas leur interprétation, qui consiste essentiellement à montrer, non sans ironie, la contradiction entre les versets mêmes retenus par Marcion et sa doctrine²⁵⁸. La comparaison avec l’exégèse d’Origène donne à peine plus de parallèles. Après avoir signalé ceux-ci, nous nous attacherons à montrer la relation, chez Théodoret, entre cette polémique et l’interprétation de l’épître.
5.4.3.1 Quelques versets utilisés contre Marcion par Origène et par Théodoret Il est intéressant de relever un groupe de trois versets, Romains 5, 20 ; 4, 15 et 3, 20, rassemblés par Théodoret comme étant susceptibles d’être utilisés, avec ceux qu’il vient de commenter (Romains 7, 1-6) pour accuser la Loi : [Paul] a énoncé, dans ce qu’il a dit précédemment, beaucoup de déclarations qui auraient fourni, à qui souhaitait blasphémer la Loi, prétexte à accuser cette Loi, s’il n’avait apporté aux recherches la solution qui suit : « Car la Loi s’est introduite furtivement, afin que foisonne la
Cf. Épiphane de Salamine, Pan., 42, 3, 6-10, GCS Epiphanius II, p. 98-99. Chez Tertullien, Luc est l’objet du livre IV, les épîtres pauliniennes, du livre V. Chez Épiphane, le passage en revue des versets de l’Apostolikon occupe la plus grande partie de la réfutation de Marcion. Les deux hérésiologues adoptent l’ordre des livres tel qu’il se présente dans l’Apostolikon, à savoir Romains en quatrième position après Galates, 1 et 2 Corinthiens. Cf., pour Romains, Tertullien, Adu. Marc., V, 13-14, SC 483, p. 256-287 ; Épiphane de Salamine, Pan., 42, 12, 3, refutationes 2835, GCS Epiphanius II, p. 175-178. Rappelons que ni Tertullien ni Épiphane ne sont mentionnés dans l’œuvre de Théodoret.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
faute », « La Loi produit la colère », « Par les œuvres de la Loi, aucune chair ne sera justifiée devant lui », et tous les passages semblables²⁵⁹.
Recourant implicitement à l’argument de la cohérence des Écritures, l’exégète considère Romains 7, 7-13 comme la preuve qu’une interprétation de ces trois versets contre la Loi serait sans fondement. Seul Romains 5, 20 est utilisé par Tertullien, qui ne met pas tant l’accent sur la Loi que sur l’unité de Dieu²⁶⁰. Dans le commentaire d’Origène, les versets 3, 20 et 5, 20 sont l’occasion de charger explicitement les marcionites en réfutant leur condamnation de la Loi, faisant remarquer que la connaissance du péché ne vient pas « de la loi » (ex lege), mais « par le biais de la loi » (per legem)²⁶¹, ou indiquant simplement que l’hérésiarque veut « mettre la Loi en accusation » (accusare legem) à partir de ces paroles²⁶². Marcion est aussi nommé à propos de Romains 4, 15, mais l’argument origénien concerne la fin du verset, « Là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de transgression »²⁶³. Il existe donc bien, avant Théodoret, une lecture antimarcionite de ces versets, attestée par le commentaire d’Origène. Il se peut que celui-ci réponde aux Antithèses de l’hérésiarque si, comme le suppose A. von Harnack, il les avait à sa disposition²⁶⁴. Or, l’évêque de Cyr a eu, lui aussi, une connaissance au moins indirecte des écrits de Marcion : il a notamment lu, parmi les ouvrages aujourd’hui perdus, la réfutation de Bardesane²⁶⁵. Le recours à Origène est donc loin d’être nécessaire. Quoi qu’il en soit, force est de constater que la ressemblance entre les deux commentaires de Romains s’arrête là en ce qui concerne l’antimarcionisme : non seulement l’Alexandrin met l’accent sur la mutilation des Écritures, thème absent de l’In Romanos de Théodoret, mais leur polémique ne s’appuie généralement pas sur les mêmes versets. Il faut souligner à ce titre la différence de lecture, voire l’opposition, concernant Romains 7, 4. L’Alexandrin affirme avec insistance la mort de la Loi et précise qu’il s’agit de « la lettre de la loi ». Marcion est totalement absent de son explication²⁶⁶. Théodoret, quant à lui, insiste sur le fait que, même si la mort de la Loi est suggérée par le texte, au moyen de l’analogie avec la loi sur le mariage,
III, 16 (texte grec cité supra, p. 248). Cf. Tertullien, Adu. Marc., V, 13, 10-11, SC 483, p. 266-269. Épiphane n’utilise aucun de ces versets. Cf. Origène, Com. in Rom., III, 3, 10, SC 539, p. 104-105 (Rm 3, 20). Cf. ibid., V, 6, 1-2, SC 539, p. 444-447 (Rm 5, 20). Cf. ibid., IV, 4, 3, SC 539, p. 224-227 (Rm 4, 15). Voir S. Moll, The Arch-Heretic Marcion, p. 61. Cf. A. von Harnack, Marcion, p. 83, note 2. L’auteur fait la même remarque à propos de Tertullien. Ἐντετύχηκα δὲ κἀγὼ λόγοις αὐτοῦ (…) πρὸς τὴν Μαρκίωνος αἵρεσιν, « Moi-même, j’ai eu en main des discours de lui (…), contre l’hérésie de Marcion », Haer. fab., I, 22, PG 83, 372 C 1-3. Cf. M. Tardieu, « Marcion depuis Harnack », p. 458-459. Cf. Origène, Com. in Rom., VI, 7, 9-10, SC 543, p. 146-149.
5.4 « Marcion, Valentin et les manichéens »
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Paul cependant se garde bien de la mentionner clairement, justement à cause des marcionites²⁶⁷. D’une manière générale, les versets à l’occasion desquels Théodoret charge implicitement ou explicitement les marcionites ne sont pas les mêmes que ceux que l’on trouve dans l’exégèse d’Origène, ni dans les traités polémiques d’autres auteurs.
5.4.3.2 L’antimarcionisme, un élément structurant du commentaire Dans l’In Romanos, la polémique contre Marcion ne se limite pas à des remarques sur certains versets mais constitue véritablement un facteur structurant de l’interprétation. Les désignations explicites de cette cible, parfois avec la mention de l’hérésiarque, sont fréquentes, non seulement à l’occasion de versets particuliers, mais aussi à des moments clef du commentaire. À ce titre, nous l’avons vu, l’Argument est révélateur de la place que Théodoret accorde à cette polémique et de la signification qu’il lui donne eu égard à l’interprétation de Romains, à la fois avec sa mise en scène d’un combat guerrier, qui permet de présenter la question centrale de la Loi, et par les thèmes évoqués, que l’on trouve dans la polémique antimarcionite – sollicitude du Créateur à l’égard des hommes, accomplissement de la Loi par la foi, constance des desseins divins et révélation de ceux-ci par les prophètes²⁶⁸. De plus, l’hérésie est clairement visée dans l’ouverture de la IVe section, dans laquelle Théodoret résume les chapitres précédents : il confirme ainsi l’importance pour lui de la réflexion sur l’Ancienne Alliance dans la partie centrale de l’épître²⁶⁹. Nous avons constaté que cette polémique jouait un rôle plus déterminant que l’antijudaïsme dans le discours sur la loi mosaïque, ainsi que dans l’exégèse des chapitres 9 à 11, centrée sur l’articulation entre liberté humaine et prescience divine²⁷⁰. Nous pourrions aussi évoquer l’insistance sur l’amour de Dieu pour l’humanité, à l’œuvre depuis Adam et manifestée pleinement par le Christ, dans l’exégèse de Romains 5, 6-21. Théodoret attribue clairement au Père l’affection (φίλτρον²⁷¹), l’amour de l’humanité (φιλανθρωπία²⁷²), la bonté (ἀγαθότης²⁷³), et évoque la sollicitude du Créateur et législateur, à propos de versets dans lesquels il n’en est pas directement question : cette insistance est donc bien une marque de l’interprétation
Cf. III, 13. Cf. arg., 3-5. Voir supra, p. 219. Voir l’expression οἱ περὶ τὴν παλαιὰν ἀπεχθῶς διακείμενοι διαθήκην αἱρετικοί, « les hérétiques qui ont de l’inimitié à l’égard de l’Ancienne Alliance » ou « du Nouveau Testament », IV, 1. Dans ce passage, Théodoret résume Romains 7, 4-13. Voir supra, p. 238. Cf. II, 22 (Rm 5, 6-8, bis). Cf. II, 28 (Rm 5, 15). Cf. II, 32 (Rm 5, 20).
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
de Théodoret²⁷⁴. Nous nous arrêterons sur deux autres passages dans lesquels il est question du Créateur et du problème de la loi.
L’interprétation de Romains 1, 18-2, 16 D’abord, la défense du Créateur représente, pour l’exégète, une clef de lecture du réquisitoire contre les Nations (Romains 1, 18-2, 16), corollaire de l’accusation d’avoir transgressé la loi naturelle. En effet, voici comment l’exégète introduit l’interprétation du passage : Πρῶτον κατηγορεῖ τῶν ἄλλων ἁπάντων ἀνθρώπων, ὡς τὸν ἐν τῇ φύσει παρὰ τοῦ δημιουργοῦ τεθέντα νόμον ἀδεῶς παραβάντων. Ἡ δέ γε τούτων κατηγορία καὶ ἀπολογίαν ἔχει τοῦ ποιητοῦ. Δημιουργήσας γὰρ αὐτούς, οὐκ ἀλόγων δίκην εἴασε βιοτεύειν, ἀλλὰ τῷ λόγῳ τετίμηκε καὶ διάκρισιν δέδωκε καὶ τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων ἐντέθεικε τὴν διάγνωσιν, Il commence par accuser tous les autres hommes d’avoir transgressé sans crainte la loi établie dans leur nature par le Créateur. À la vérité, l’accusation de ceux-ci contient aussi la défense de l’Artisan. Car lorsqu’il les créa, loin de les laisser mener une vie à la manière d’êtres privés de raison, il les honora de la raison, leur donna une faculté de juger et a introduit en eux la capacité de discerner entre le bien et son contraire²⁷⁵.
Dans le cadre d’un commentaire linéaire où les transitions sont généralement peu développées, ces lignes, encore amplifiées par les exemples d’Adam et de Caïn qui les suivent, apparaissent comme une introduction particulièrement importante qui met en valeur l’articulation du texte paulinien mais aussi l’interprétation qu’en donne Théodoret, et en particulier le thème de la « défense de l’Artisan » (ἀπολογίαν τοῦ ποιητοῦ)²⁷⁶. Le point de rencontre entre cette idée et « l’accusation » (κατηγορία) des païens formulée par l’Apôtre se trouve, selon l’exégète, dans la faculté de discerner entre le bien et le mal, donnée par le Créateur dès l’origine, mal utilisée par l’homme, qui porte ainsi la pleine responsabilité de son péché. Or, la faculté de discerner constitue non seulement le fil directeur de l’interprétation de tout ce passage, mais une notion centrale que l’on retrouve plus loin dans le commentaire²⁷⁷, notamment à propos de Romains 7, 12, dont le caractère antimarcionite est très marqué. C’est dire que la défense du Créateur constitue pour ainsi dire l’horizon de cette interprétation.
L’interprétation de Romains 7, 4-13 La polémique est explicite dans le commentaire de Romains 7, 4-13, passage dans lequel il est question de libération à l’égard de la Loi par le baptême, du lien entre
Cf. II, 25 (Rm 5, 12) ; II, 31 (Rm 5, 20). I, 20. Voir notre analyse sur la structure de ce passage, p. 170. Sur le caractère structurant des termes διάκρισις et διάγνωσις dans l’In Romanos, cf. supra, p. 69.
5.4 « Marcion, Valentin et les manichéens »
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Loi, péché et mort, et de la sainteté de la Loi. Théodoret considère tous ces versets comme une attaque de Paul contre les détracteurs de l’Ancien Testament. Non seulement ceux-ci sont clairement désignés²⁷⁸, mais l’explication est rythmée par le rappel constant de l’arrière-plan polémique, à travers le vocabulaire de l’accusation calomnieuse : Paul évite de donner « prétexte d’accusation » à ceux qui « accusent l’Ancienne Alliance » et « pensent que la loi ancienne est le fait d’un autre Dieu », qui « blasphèment la Loi » et « imaginent » qu’elle est responsable du péché, qui « accusent » aussi Dieu d’avoir donné un commandement à Adam²⁷⁹. Grâce au don de prophétie²⁸⁰, l’Apôtre répond à ces accusations « avec habileté » (σόφως)²⁸¹, en « restant modéré » (ἐπιμένειν τῇ φειδοῖ)²⁸², il apporte les « solutions » (λύσεις)²⁸³, plaide pour la Loi (ἀπολογεῖσθαι)²⁸⁴ et montre qu’elle est « exempte d’accusation » (τῆς κατηγορίας ἐλεύθερος)²⁸⁵. Ce postulat d’une lutte de Paul contre les accusateurs de l’Ancienne Alliance fonde l’interprétation de Théodoret, qui met l’accent sur l’apologie de la Loi plutôt que sur son caractère caduc²⁸⁶. Précisons que cette interprétation est caractérisée par un certain flottement sur le sens du mot « loi », alors qu’Origène s’emploie à préciser, à propos de plusieurs occurrences, de quelle loi il s’agit²⁸⁷. Chez Théodoret, au sujet de l’affranchissement de la Loi par le baptême (Romains 7, 4-6), la référence à la loi mosaïque est claire par l’évocation des Juifs, des préceptes particuliers, de l’opposition entre Ancienne et Nouvelle Alliance²⁸⁸. Cependant, lorsque Paul évoque la vie sans la loi et le péché qui apparaît avec celle-ci (Romains 7, 9), l’évêque de Cyr, à la suite de Théodore de Mopsueste, considère qu’il évoque ainsi l’exemple d’Adam, lui qui, « avant la transgression, n’avait pas la peur de la mort » (πρὸ τῆς παραβάσεως οὐκ εἶχε τοῦ θανάτου τὸ δέος), puis est mort à cause de la transgression²⁸⁹. Par conséquent, si les versets 7 et 8 semblent être plutôt compris comme relatifs à la loi mosaïque, ce sens n’est pas exclusif. Le verset 12 (« Si la Loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon… ») permet à Théodoret de passer de l’apologie de la Cf. III, 13 et III, 16 (transition entre Romains 7, 1-6 et 7, 7-13), cf. supra, p. 248. Cf. III, 13 ; III, 16 ; III, 17 ; III, 18 ; III, 21. Cf. III, 16. Cf. III, 13. Cf. III, 15. Cf. III, 16. Cf. III, 20. Cf. III, 18. Voir supra, p. 237. Voir la synthèse de M. Fédou dans l’introduction à Origène, Com. in Rom., SC 532, p. 51-62. Cf. III, 13-15. Cf. III, 19. Εἶτα ὑποδείγματι κέχρηται τοῖς περὶ τὸν ᾿Aδὰμ εἰς μείζονα τοῦ λεγομένου σαφήνειαν · νόμος γὰρ ἦν καὶ ἡ πρὸς ἐκεῖνον ἐντολὴ περὶ τοῦ φυτοῦ γενομένη, « Ensuite, il prend pour exemple ce qui est arrivé au sujet d’Adam, pour une plus grande clarté de son propos : car le commandement qui lui a été donné à propos de la plante était aussi une loi », Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 126. Opinion mentionnée et fermement rejetée par Jean Chrysostome, Hom. in Rom., XII, PG 60, 502, 11-49.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
Loi à celle du commandement originel²⁹⁰. En effet, selon lui, les deux sont mentionnés dans la même phrase – « Il appelle “Loi” la loi mosaïque, et “commandement”, le commandement donné à Adam »²⁹¹ –, mais le second est davantage exposé aux accusations, ce qui justifie une assez longue apologie du législateur et du commandement des arbres. En somme, eu égard à l’utilité de la loi et de sa capacité à accuser le péché, la distinction entre les deux lois ne paraît pas jouer un rôle fondamental. Il faut souligner ici le paradoxe : l’exégète affirme à la suite de Paul que la loi naturelle donne un enseignement suffisamment clair et qu’il n’est pas nécessaire de disposer d’un autre enseignement²⁹². Il relativise même le propos de Paul sur l’ignorance à l’égard du péché en dehors de la Loi : « Les expressions “je ne savais pas”, et “je n’ai pas connu”, ne servent pas ici à indiquer une ignorance totale (παντελοῦς ἀγνοίας), mais veulent dire : J’ai reçu par la Loi une connaissance plus exacte (ἀκριβεστέραν γνῶσιν) que celle qu’offre le jugement naturel »²⁹³. En même temps, il souligne souvent l’avantage de la loi mosaïque. En effet, non seulement, comme nous l’avons vu, il met en garde contre une utilisation abusive des propos négatifs sur la loi mosaïque, mais il n’hésite pas à amplifier certains propos en faveur de celle-ci. Ainsi, quand Paul affirme : « Je n’ai pas connu le péché sinon au moyen d’une loi », l’exégète renchérit en disant, non pas que celle-ci fait connaître, mais qu’« elle est un accusateur du péché » (ἁμαρτίας κατήγορος)²⁹⁴. Ou bien, il reformule « Le vouloir est à ma portée » avec un terme plus fort, en déclarant que la Loi donne « l’ardeur pour le bien » (περὶ τὰ καλὰ προθυμία)²⁹⁵. Pour lui, le verset « Je trouve la Loi, pour moi qui veut faire le bien » manifeste une véritable admiration pour la Loi : « Il veut dire : Même la Loi me semble être belle. Car je loue ce qui a été institué par elle comme étant bon »²⁹⁶. Ou encore, il interprète « La Loi est spirituelle », en déclarant qu’elle a été écrite « par un esprit divin » (θείῳ πνεύματι)²⁹⁷. En un mot,
Épiphane de Salamine, Pan., 42, 12, 3, refutatio 32, GCS Epiphanius II, p. 177, invoque aussi ce verset contre Marcion, en mettant l’accent sur les adjectifs associés à la loi mosaïque, mais pour lui le « commandement » désigne un élément de cette Loi. « Νόμον » τὸν Μωσαϊκὸν καλεῖ, « ἐντολὴν » δὲ τὴν τῷ ᾿Aδὰμ δεδομένην, III, 21. Théodoret suit ici encore Théodore de Mopsueste et s’oppose à Jean Chrysostome. Cf. supra, p. 165. Cf. I, 22. Une formule tirée de Com. in Ez., PG 81, 849 C 2 (Ez 3, 19), résume cette idée : ᾿Aρκεῖ γὰρ ἡ φύσις εἰς τὴν τοῦ πρακτέου διάκρισιν, « Car la nature suffit pour la faculté de juger ce qui est à pratiquer ». Τὸ « οὐκ ᾔδειν » καὶ « οὐκ ἔγνων » οὐ παντελοῦς ἀγνοίας ἐνταῦθα δηλωτικά, ἀλλὰ τοῦτο λέγει, ὅτι ἀκριβεστέραν τῆς φυσικῆς διακρίσεως ἐδεξάμην γνῶσιν διὰ τοῦ νόμου, III, 17 (Rm 7, 7). Cf. aussi I, 36. Cf. III, 17 (Rm 7, 7). Cf. III, 30 (Rm 7, 18). Λέγει δὲ ὅτι · Καὶ ὁ νόμος μοι καλὸς εἶναι δοκεῖ. Ἐπαινῶ γὰρ τὰ ὑπ’ αὐτοῦ διηγορευμένα, ὡς εὖ ἔχοντα, III, 30 (Rm 7, 21). Cf. III, 25 (Rm 7, 14). La majorité des Pères interprètent ce verset en disant que la loi n’est pas charnelle ; Diodore connaît les deux interprétations, celle de Théodoret étant déjà attestée chez Clément d’Alexandrie puis Athanase. Cf. K. H. Schelkle, Paulus Lehrer der Väter, p. 254-255.
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loin d’atténuer l’utilité de la loi mosaïque, en bien des endroits, il va plus loin que l’Apôtre dans l’éloge de celle-ci. Il justifie le rapprochement surprenant entre les deux lois en affirmant leur commune origine divine. En effet, l’évocation du législateur est la deuxième caractéristique importante de cette interprétation de Romains 7, 4-13. Il faut préciser qu’il n’est pas question de Dieu dans les versets concernés, plutôt centrés sur les effets de la Loi. Au contraire, Théodoret argumente à partir du législateur, en rappelant l’établissement du commandement : cela est très visible au sujet de la défense contre ceux qui accusent Dieu d’avoir donné le commandement à Adam, en Romains 7, 12, de même qu’à propos de Romains 5, 12 et 20²⁹⁸. L’exégète associe en effet constamment et avec insistance l’utilité de la loi, par son effet, et la bonté de celui qui l’a donnée. La logique antimarcionite est perceptible : à l’attaque de la loi comme imposée par un « autre dieu »²⁹⁹, celui-ci étant considéré comme cause de la transgression, l’exégète oppose l’affirmation de l’utilité de la loi, donnée pour la vie³⁰⁰ par un Créateur bon, par un législateur aimant les hommes³⁰¹. Dans cette perspective, le commandement donné lors de la Création et la loi mosaïque sont considérés comme des preuves de la même sollicitude (ἐπιμέλεια, κηδεμονία, κηδεμών, προμηθεῖσθαι³⁰²) divine. La tendance à une certaine assimilation entre le commandement donné à Adam et la loi mosaïque renforce donc l’apologie de Dieu en suggérant la cohérence de son dessein d’amour, d’Adam à l’Incarnation³⁰³. Terminons par une remarque à propos du personnage d’Adam. Celui-ci, évoqué dans l’épître au chapitre 5, tient une place essentielle dans le commentaire de Théodoret. Figure liminaire de l’interprétation du réquisitoire contre les Nations, il est bien sûr évoqué à partir de Romains 5, 12, puis on le retrouve, de même que chez Théodore de Mopsueste³⁰⁴, à propos de Romains 7, 9-12³⁰⁵. Pour l’Apôtre, c’est celui qui, par sa désobéissance, a introduit le péché et la mort, qui ont régné jusqu’au Christ, lui par qui au contraire les hommes ont été rendus justes. Théodoret non seulement explique ce propos³⁰⁶, mais introduit dans l’In Romanos le récit relatif au don du commandement et à la Chute avec ses conséquences sur les passions.
Cf. II, 25 ; II, 31. Cf. III, 16. Cf. III, 20. Cf. III, 21-22. Le substantif ἐπιμέλεια est appliqué à Dieu en I, 45 ; II, 31 ; III, 23, le verbe ἐπιμελεῖσθαι en II, 10. La κηδεμονία de Dieu est évoquée en I, 36 et III, 47. Dieu est caractérisé comme κηδεμών en II, 17. Le verbe προμηθεῖσθαι, appliqué à Dieu comme Créateur et législateur, se trouve en arg., 5 ; II, 2 ; ΙΙ, 9 ; V, 39. Voir supra, p. 64. Cf. III, 23. Cf. Théodore de Mopsueste, Frg. in Rom., Staab, p. 126-128. Théodoret pourrait donc avoir emprunté à cet auteur le jeu sur la figure d’Adam. Les fragments sur Romains 1 ne contiennent pas d’allusion à ce personnage. Cf. I, 20 (ouverture sur le réquisitoire contre les Nations) ; II, 25 (Rm 5, 12) ; III, 19-23 (Rm 7, 9-12). Cf. II, 25. Sur l’interprétation de ce verset controversé, cf. supra, note 184 p. 63.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
L’évocation, que l’on ne trouve pas dans l’épître, du Créateur donnant à l’homme une raison et un commandement, apparaît donc à trois reprises dans le commentaire, chaque fois avec une intention apologétique évidente. Or, on sait l’importance du motif de la Chute dans la polémique antimarcionite, en particulier dans la réfutation de Tertullien, même si l’argumentation de celui-ci est différente³⁰⁷. Ce jeu d’échos internes, d’autant plus perceptible qu’il porte sur un personnage, a, nous semble-t-il, une fonction structurante : Théodoret construit ainsi une cohérence dans son commentaire autour de la bonté du Créateur et législateur. Le motif antimarcionite informe donc, pour ainsi dire, l’ensemble de l’interprétation de l’épître. Au-delà des mentions explicites et des allusions ponctuelles, on le perçoit aussi bien dans l’utilisation récurrente de la figure d’Adam ou dans la constance avec laquelle l’exégète accentue les propos sur l’utilité de la Loi, que dans sa manière de fonder sa compréhension de l’épître sur le principe de la bonté de Dieu à l’égard des hommes, depuis la Création.
5.4.4 Appendice : une polémique contre les manichéens ? Les thèmes que nous avons étudiés jusqu’ici correspondent surtout à la cible marcionite, tout en rejoignant parfois la polémique traditionnelle contre les gnostiques. Cependant, il faut mentionner une attaque récurrente qui semble viser plus directement les manichéens, à savoir ceux qui condamnent la chair, quoique Théodoret attribue aussi à Marcion ainsi qu’aux païens le mépris de la matière³⁰⁸. Peut-on considérer que les manichéens sont plus spécialement visés ? Les trois hérésiarques sont nommés à propos du verset « Si vous mettez à mort les pratiques du corps (τὰς πράξεις τοῦ σώματος) » (Romains 8, 12)³⁰⁹ ; l’exégète évoque par ailleurs « ceux qui Cf. Tertullien, Adu. Marc., II, 5-10, SC 368, p. 40-79. Selon l’auteur, les marcionites voient dans la transgression originelle la preuve que Dieu n’est ni bon, ni prescient, ni puissant (Deum neque bonum credendum neque praescium neque potentem, II, 5, 2, SC 368, p. 42). Il les réfute en voyant notamment dans le don de la loi la confirmation de la liberté humaine, accordée par Dieu pour que sa créature soit digne de connaître Dieu (cf. II, 5-6, SC 368, p. 40-55). Une argumentation assez semblable se trouve déjà chez Irénée, Adu. Haer., IV, 37, 1-7, SC 100, p. 918-943. Cf. aussi Éphrem le Syrien, Adu. Marc., I, Mitchell II, p. xxvii-xxix, qui présente l’objection selon laquelle la création même de l’homme prouve que le Créateur ignorait que celui-ci allait pécher, et affirme que les neuf cent trente ans de vie d’Adam prouvent la bonté de Dieu capable de tempérer le châtiment initial. Τὴν ὕλην κακὴν οὖσαν, « [Ils disent que] la matière est mauvaise », Haer. fab., I, 24, PG 83, 373 C 2-3. Cf. aussi I, 24, PG 83, 376 A 15-B 2 ; V, 5, PG 83, 464 B 4-5 (où Marcion et Manès sont associés). Sur le caractère mauvais de la chair selon les manichéens, cf. ibid., I, 26, PG 83, 377 B 2-380 C 11. Cf. aussi, par exemple, Épiphane de Salamine, Pan., 66, 86, 1-87, 7, GCS Epiphanius III, p. 129-131. Théodoret, Thérap. V, 12-15, SC 57, p. 229-230, évoque l’ancienneté d’une conception traditionnellement négative du corps, punition et tombeau de l’âme, mentionnant les pythagoriciens et Platon. Cf. III, 41.
5.4 « Marcion, Valentin et les manichéens »
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accusent la chair (οἱ τῆς σαρκὸς κατηγοροῦντες) »³¹⁰. La polémique est encore visible lorsqu’il prend pour ainsi dire prétexte d’un verset, « Présentez vos membres à Dieu, comme armes de justice » (Romains 6, 13). En effet, il énonce le postulat sur lequel, selon lui, cette recommandation repose – si on présente son corps à Dieu, c’est qu’il n’est pas mauvais – et fait de ce postulat l’objet principal de son propos : Ἔδειξεν οὐ πονηρὸν τὸ σῶμα, ἀλλ’ ἀγαθοῦ θεοῦ δημιούργημα. Δύναται γὰρ εὖ καὶ καλῶς ὑπὸ τῆς ψυχῆς κυβερνώμενον τῷ θεῷ λειτουργεῖν. Οὐκοῦν ἡ τῆς προαιρέσεως ἐπὶ τὸ χεῖρον ῥοπή, οἷόν τινα ὅπλα τῇ ἁμαρτίᾳ παρέχει τὰ μέλη, [Paul] a montré que le corps était non pas mauvais, mais créature de Dieu qui est bon. En effet, il peut, pour autant qu’il est gouverné honorablement par l’âme, exercer un ministère envers Dieu. Donc c’est l’inclination du libre choix au mal qui fournit au péché, comme des armes, nos membres³¹¹.
Ces mots résument bien la pensée exprimée à plusieurs reprises dans l’In Romanos ³¹². D’abord, le corps est appréhendé comme positif, puisqu’il est créé par Dieu, ou du moins neutre, car c’est par lui que s’accomplissent les œuvres, bonnes ou mauvaises³¹³. Ensuite, Théodoret refuse clairement, selon la tradition aussi bien antimarcionite qu’antimanichéenne³¹⁴, d’identifier le corps au péché³¹⁵, et met pour cela en garde contre une méprise sur le langage paulinien, reformulant plusieurs fois l’expression « selon la chair » (κατὰ σάρκα) par « en suivant les passions de la chair » (τοῖς τῆς σαρκὸς ἑπόμενοι πάθεσι )³¹⁶, ou bien « pratiques du corps » (πράξεις τοῦ σώματος) par « pensée de la chair » (τὸ φρόνημα τῆς σαρκός )³¹⁷. Il attribue ainsi le péché à « l’inclination de l’âme au mal » (ἡ τῆς ψυχῆς ἐπὶ τὸ χεῖρον ῥοπή)³¹⁸, à la décision libre (προαίρεσις³¹⁹), à la « pensée perverse » (πονηρὰ γνώμη), qu’il distingue nettement de la nature (φύσις)³²⁰. On perçoit ici le souci de défendre non seulement le corps, mais le Créateur, et de proclamer aussi la responsabilité de
Cf. V, 20. Voir aussi III, 39. III, 3 (Rm 6, 13). Voir aussi la réfutation explicite de la lecture manichéenne de « siècle mauvais » (αἰὼν πονηρός) dans In epist. Pauli, PG 82, 461 D 2-8 (Ga 1, 4). Pour Théodoret, l’expression évoque l’inclination de la nature mortelle au péché. Cf. aussi II, 11 ; III, 7. Cf., par exemple, Épiphane de Salamine, Pan., 42, 12, 3, refutatio 6, GCS Epiphanius II, p. 157 (Marcion) ; 66, 86, 3-4, GCS Epiphanius III, p. 129 (manichéens). Cf. par exemple III, 7 ; III, 39. Cf. III, 41. Cf. aussi III, 37 ; III, 38. Théodoret considère que le mot « chair » employé par Paul est une reprise de l’expression « pensée de la chair » qui se trouve en Romains 8, 7. Cf. III, 37. Ou bien le mot « chair » est considéré comme une désignation des passions (cf. III, 7), celles-ci constituant le lien entre le corps et le péché (cf. III, 1). Cf. III, 41. Cf. III, 14. Cf. aussi III, 3 ; III, 7. Cf. III, 3 ; III, 24. Cf. II, 35.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
l’homme devant le châtiment, ce dont témoignent Adam, Caïn, ou encore l’homme « qui réplique à Dieu » de Romains 9, 20³²¹ : il semble que l’on puisse donc encore rattacher ces affirmations aux thèmes antimarcionites. Quoi qu’il en soit, l’exégète tire une conséquence pratique de cette innocence du corps : l’acceptation de la condition charnelle, y compris dans la vie ascétique³²². Le corps ne doit pas être nié, ni rejeté, mais soigné³²³ ; il est promis à une résurrection³²⁴. Pour écarter une compréhension triviale du mot « chair » employé par l’Apôtre, Théodoret, non sans humour, s’appuie sur une remarque de bon sens concernant les destinataires de l’épître, et confirme cette lecture par une interprétation analogue de l’invitation évangélique à ne pas être du monde : Δῆλον δὲ ὡς οὐκ ἀσώματοι ἦσαν οἱ τήνδε τὴν διδασκαλίαν δεχόμενοι. ᾿Aλλὰ κρείττους αὐτοὺς ἔφη εἶναι τῶν σαρκικῶν παθημάτων, καὶ τοῦ παναγίου πνεύματος ἔνοικον ἔχειν τὴν χάριν. Οὕτω καὶ τοὺς ἀποστόλους ἔφη ὁ κύριος μὴ εἶναι ἐκ τοῦ κόσμου, οὐκ ἐπειδὴ ἄλλοθέν ποθεν ἦσαν, ἀλλ’ ὅτι νεκροὶ ἦσαν τῷ κόσμῳ, À l’évidence, ils n’étaient pas sans corps, les destinataires de cet enseignement ! Mais, dit-il, ils étaient au-dessus des passions charnelles, et ils portaient, habitant en eux, la grâce de l’Esprit très saint. De même aussi, le Seigneur a dit aux apôtres de ne pas être du monde, non qu’ils soient de je ne sais quel autre endroit, mais parce qu’ils étaient morts à l’égard du monde ³²⁵.
D’une manière remarquable ici, l’interprétation se fait très concrète, invoquant la réalité humaine et charnelle, pour écarter, justement, une lecture trop littérale du mot « chair », qui serait, en fait, selon l’exégète, purement abstraite³²⁶. Quant à l’idée combattue ici d’un affranchissement du corps, elle correspond aussi bien à un idéal gnostique qu’au manichéisme.
5.4.5 Conclusion Si Théodoret affirme que l’Apôtre, en écrivant aux Romains, dissout aussi bien la « troupe » des marcionites que la « phalange des Juifs », lui-même, en réalité, se préoccupe bien plus des premiers que des seconds. En les mettant en scène comme des adversaires de Paul, il ne donne pas seulement une force rhétorique à sa propre polémique, mais aussi une légitimité à son interprétation de l’épître, car les thèmes
Cf. I, 20 ; IV, 13-14. P. Canivet, Monachisme syrien, p. 265-269, montre la distance prise par Théodoret à l’égard de l’idéal monastique de vie angélique, et affirme le lien entre le refus du corps et les théories sur la préexistence des âmes. Cf. III, 38 ; V, 20. Cf. II, 32. III, 38 (Rm 8, 9). Sur le procédé hérésiologique consistant à faire appel au bon sens pour ridiculiser l’adversaire, cf. A. Pourkier, L’Hérésiologie chez Épiphane de Salamine, p. 494-495.
5.4 « Marcion, Valentin et les manichéens »
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antimarcionites, bien au-delà des pointes explicites portant sur des détails, déterminent sa compréhension de larges passages. En s’appuyant sur la présentation paulinienne de l’histoire du salut depuis la faute des païens et des Juifs jusqu’à la grâce manifestée en Christ, l’exégète insiste sur l’unicité de Dieu, Créateur et sauveur, et sur la continuité de son dessein, caractérisé par un amour offert à tous les hommes, aussi bien en Adam que par le don de la Loi, puis dans l’Incarnation. À partir de cette notion de continuité, Théodoret propose de comprendre le paradoxe paulinien de la Loi, à la fois privilège réel des Juifs et institution caduque, à la fois aide utile et collaboratrice impuissante : la solution réside pour lui dans l’unique providence divine à l’œuvre à travers l’histoire. Cette unicité de Dieu semble avoir pour corollaire, dans ce commentaire, l’unité de l’humanité, comme le souligne la notion centrale de discernement³²⁷, faculté commune à tous, Juifs et païens. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’exégète insiste tant, par ailleurs, sur l’équilibre de l’exhortation paulinienne entre Juifs et païens, à propos des chapitres 11 et 14³²⁸ : on pourrait y voir une ultime prolongation du thème de l’unité à la fin de l’In Romanos. Unicité de Dieu, utilité du commandement originel et de la loi mosaïque, cohérence entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliances : les motifs sont traditionnels. En revanche, en ce qui concerne la lecture polémique de Romains, Théodoret ne semble s’appuyer ni sur les hérésiologues ni sur un commentaire antérieur de l’épître. En effet, chez les deux auteurs qui font usage de l’épître dans le cadre de leur réfutation, les préoccupations sont différentes. Alors que Tertullien et Épiphane, s’attaquant à la mutilation des Écritures, s’emploient à montrer l’absurdité des choix de Marcion et affirment que son texte de Romains contredit ses propres idées, alors qu’Origène passe en revue les versets refusés par l’hérésiarque, l’évêque de Cyr, quant à lui, utilise l’épître pour réfuter la doctrine de l’adversaire, ce que ses prédécesseurs font sans recourir à cette épître. Est-ce à dire qu’il déserte la tradition pour proposer une nouvelle argumentation scripturaire au service de cette polémique ? En réalité, si l’on y regarde de plus près, il rejoint à sa manière la tradition exégétique antimarcionite, puisqu’il fonde son argumentation notamment sur l’évocation de la Chute, motif important dans la polémique dès Tertullien. L’utilisation récurrente de la figure d’Adam, peut-être empruntée au commentaire de Théodore de Mopsueste³²⁹, contribue à la fois, semble-t-il, à dessiner une ligne d’interprétation cohérente de l’épître et à souligner la dimension polémique de cette interprétation. Bien que Théodoret évoque ensemble « Marcion, Valentin et les manichéens », selon l’habitude hérésiologique de l’amalgame, on peut dire qu’au-delà des motifs traditionnels communs aux trois, le premier représente l’adversaire principal, non
Sur cette notion, cf. supra, p. 69. Cf. supra, p. 151 et p. 203. Cf. supra, note 304 p. 267. Le caractère fragmentaire du commentaire de Théodore ne permet pas de savoir quelle place pouvait y tenir la polémique antimarcionite. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 531, considère que l’importance particulière de la polémique antignostique dans l’Interpretatio in epistulas Pauli s’explique en partie par l’influence probable de Théodore.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
seulement dans les passages où ces noms sont cités, mais dans l’ensemble de l’œuvre. Là encore, la différence avec le commentaire d’Origène est remarquable, puisque celui-ci s’attaque non seulement à Marcion mais aussi aux gnostiques, comme il le dit dès le Prologue. Par ailleurs, si, on le sait, la Correspondance de l’évêque de Cyr témoigne d’une lutte réelle contre les marcionites de son diocèse, on n’a cependant pas trouvé dans ce commentaire d’indices permettant de supposer une motivation pastorale, destinataires à convaincre ou lecteurs à affermir contre ce qui serait perçu comme un danger hérétique concret. Sur cette question en particulier, il faudrait étendre l’enquête à l’ensemble de l’In epistulas Pauli. Une telle étude permettrait de préciser si l’accent mis sur la polémique antimarcionite est propre à la lecture de Romains ou si elle traverse l’interprétation de tout le corpus paulinien. À ce sujet, l’observation des passages dans lesquels les noms des hérésiarques sont explicitement cités semble déjà indiquer une différence importante entre l’In Romanos, où Marcion est évoqué à propos de la Loi – thème correspondant directement à la polémique contre ce personnage –, et le reste de l’œuvre, où sa mention est à l’évidence une stratégie littéraire visant à condamner une christologie qui ne prendrait pas assez au sérieux la réalité de l’Incarnation³³⁰. Par ailleurs, il serait intéressant de voir si Valentin et les manichéens sont plus spécialement visés dans le commentaire d’autres épîtres. On pourrait ainsi évaluer plus précisément le rôle de ces adversaires dans l’interprétation de l’Apôtre et la part éventuellement liée aux circonstances pastorales³³¹. À présent, toutefois, il faut revenir à l’In Romanos pour examiner si la polémique trinitaire et christologique joue un rôle semblable à la polémique antimarcionite dans l’interprétation même de Romains.
Cf. supra, p. 245. L’existence même d’une polémique proprement antignostique ne fait pas de doute (cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 530-535).
5.5 Échos des controverses trinitaires et christologiques
273
5.5 Échos des controverses trinitaires et christologiques Ὅτι γὰρ ἃ φρονοῦμεν γεγράφαμεν, μαρτυρεῖ καὶ τὰ παρ’ ἡμῶν συγγραφέντα εἴς τε τὰς θείας γραφὰς καὶ κατὰ τῶν τὰ ᾿Aρείου καὶ Εὐνομίου φρονούντων. Théodoret³³² « Ainsi, au fil de ses commentaires, Théodoret s’attache-t-il à relever dans l’Écriture tous les passages qui lui paraissent établir soit la perfection de la nature divine du Verbe, soit la perfection de la nature assumée ». J.-N. Guinot³³³
L’implication de Théodoret dans les controverses christologiques de son temps constitue un centre d’intérêt majeur de la recherche moderne sur cet auteur : sa réfutation vigoureuse des douze anathématismes formulés par Cyrille contre Nestorius puis son combat pour restaurer l’unité entre Antioche et Alexandrie après le Concile d’Éphèse³³⁴, sa condamnation et son exil lors de la querelle eutychienne puis sa réhabilitation ont suscité des débats autour de la question de son orthodoxie et de l’évolution de sa doctrine³³⁵. Outre les études transversales, des travaux ont été consacrés à la christologie qu’il développe dans les écrits relatifs à ces questions³³⁶,
« Que ce que nous avons écrit ici correspond bien à ce que nous pensons, c’est ce qu’attestent aussi bien les livres que nous avons composés sur la sainte Écriture que ceux que nous avons écrits contre les sectateurs d’Arius et d’Eunomius », Corresp., II, 83, SC 98, p. 218-219 (à Dioscore, évêque d’Alexandrie et partisan d’Eutychès, été 448). J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 592. La liste des anathématismes se trouve notamment dans Cyrille d’Alexandrie, Ep. ad Nest., III, 12, ACO I, 1, 1, p. 40-42. Dans les pages qui suivent, nous les citerons simplement par leur numéro. Cf., entre autres, A. Bertram, Theodoreti episcopi Cyrensis doctrina christologica, Hildesheim, 1883 ; M. Richard, « Notes sur l’évolution doctrinale de Théodoret » ; P. B. Clayton, The Christology of Theodoret of Cyrus. Antiochene Chrystology from the Council of Ephesus (431) to the Council of Chalcedon (451), Oxford, 2007 ; J.-N. Guinot, « La christologie de Théodoret de Cyr : essai de bilan illustré par un florilège de textes », Exégète et théologien, II, p. 469-522 ; V. Vranic, The Constancy and Development in the Christology of Theodoret of Cyrrhus, Leiden-Boston, 2015. Voir la bibliographie récente de P. B. Clayton (op. cit., p. 300-324), dans laquelle cependant J.-N. Guinot n’est pas mentionné. Pour une première approche de l’histoire des controverses christologiques, cf. A. Grillmeier, Jesus der Christus im Glauben der Kirche, I. Sur les relations entre Cyrille et Théodoret et leur dimension théologique, personnelle et politique, voir notamment J.-N. Guinot, « Une “pomme de discorde” à l’origine de la crise nestorienne », Exégète et théologien, II, p. 225-239 ; « La réception antiochienne des écrits de Cyrille d’Alexandrie d’après le témoignage de Théodoret de Cyr », ibid., II, p. 241-264 ; « Rétablir l’unité après la déchirure : Cyrille d’Alexandrie et Théodoret de Cyr, des modèles pour le dialogue entre les Églises ? », ibid., II, p. 373-397. Cf. J. L. Stewardson, The Christology of Theodoret of Cyrus according to his Eranistes, diss. pro manuscripto, Evanston (Illinois), 1972 ; J.-N. Guinot, « L’Expositio rectae fidei et le traité Sur la Trinité
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
mais aussi dans la Thérapeutique ³³⁷, ainsi que dans ses œuvres exégétiques³³⁸, y compris dans l’In epistulas Pauli ³³⁹. On s’est essentiellement attaché à examiner les formules utilisées pour évoquer l’humanité et la divinité du Christ³⁴⁰, remarquant une évolution vers une terminologie plus acceptable pour Cyrille : en renonçant aux termes concrets comme « homme assumé » et « Verbe assumant l’homme » au profit des catégories abstraites d’humanité et de divinité, l’évêque de Cyr échappait à l’accusation de ruiner l’unité de la personne du Christ, voire de confesser « deux Fils ». Cette évolution est alors interprétée soit comme la marque d’un véritable infléchissement de la doctrine, soit comme un compromis de langage³⁴¹. Sans vouloir répéter ce qui a déjà été étudié d’une manière approfondie, et surtout sans prétendre nous aventurer sur un terrain proprement théologique, nous avons adopté un point de vue différent, nous intéressant à la fonction des développements doctrinaux, aussi bien trinitaires que christologiques, dans l’interprétation de Romains. L’analyse conjointe des passages traitant de théologie trinitaire et de christologie se justifie à plusieurs titres, à commencer par la continuité entre la querelle arienne et les controverses christologiques du ve siècle³⁴². Le fait que l’assimilation polémique d’hérésies contemporaines à des erreurs anciennes relève du
et l’Incarnation de Théodoret de Cyr : deux types d’argumentation pour un même propos ? », Exégète et théologien, II, p. 149-190. Cf. P. Canivet, Histoire d’une entreprise apologétique au ve siècle, Paris, 1958, p. 333-343. Sur la christologie de Théodoret dans l’ensemble de son œuvre exégétique, cf. J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 563-629 ; dans l’In Isaiam, cf. K. Jüssen, « Die Christologie des Theodoret von Cyrus nach seinem neuveröffentlichten Isaiaskommentar », Th&Gl 27, 1935, p. 438-452 ; P. B. Clayton, The Christology of Theodoret, p. 169-179 ; dans l’In Canticum, cf. J.-N. Guinot, « La christologie de Théodoret de Cyr dans son Commentaire sur le Cantique », Exégète et théologien, II, p. 207-223. Cf. P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary, p. 273-307 ; A. Viciano, Cristo el autor, p. 67-91 ; P. B. Clayton, The Christology of Theodoret, p. 179-207. Pour toutes les questions de vocabulaire trinitaire et christologique dans l’In Romanos, voir les études citées, ou encore J.-N. Guinot, « De quelques réflexions de Théodoret de Cyr sur les notions d’ousia et d’hypostasis », Exégète et théologien, II, p. 191-206. Nous avons relevé deux expressions caractéristiques de Théodoret qui ne nous semblent pas avoir attiré l’attention, cf. supra, p. 62 et p. 63. Parmi les tenants d’une véritable évolution doctrinale, on peut citer A. Bertram, K. Jüssen, P. Canivet et A. Viciano, tandis que M. Richard, P. B. Clayton et J.-N. Guinot mettent l’accent sur la constance doctrinale de l’évêque de Cyr malgré l’évolution de sa terminologie. Sur les opinions des auteurs modernes et contemporains, voir J. L. Stewardson, The Christology of Theodoret of Cyrus according to his Eranistes, p. 346-365 ; P. B. Clayton, The Christology of Theodoret, p. 33-52. Sur l’histoire de la recherche à ce sujet, cf. S.-P. Bergjan, Theodoret von Cyrus und der Neunizänismus. Aspekte der altkirchlichen Trinitätslehre, Berlin-New York, 1994, p. 105-111. À ce sujet, et en particulier sur le lien entre les débats autour d’Apolinaire et la querelle nestorienne, cf. M. Simonetti, « La controversia cristologica da Apollinare a Giustiniano », Studi di cristologia postnicena, Roma, 2006, p. 325-351. S.-P. Bergjan, Theodoret und der Neunizänismus, p. 172-210, souligne la complexité du lien entre christologie et doctrine de la Trinité chez Cyrille et Théodoret, et en particulier la difficulté de parvenir à une terminologie cohérente entre les deux domaines.
5.5 Échos des controverses trinitaires et christologiques
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lieu commun ne suffirait pas à autoriser un tel rapprochement. En revanche, il est indéniable que l’argumentation de Théodoret sur la distinction des natures est indissociable de son affirmation de la divinité du Fils. Du reste, les deux aspects sont imbriqués dans certains passages de l’In Romanos. Notre question est donc la suivante : quelle place tiennent ces développements dans la cohérence générale de ce commentaire ? Certes, au début de l’Argument, Théodoret affirme que l’Incarnation est au cœur de l’épître et fait peut-être allusion à des opposants³⁴³. Toutefois, dans le cours de l’explication linéaire, les développements renvoyant aux querelles trinitaires et christologiques sont épisodiques et ne constituent jamais, contrairement à la polémique antimarcionite, un fil directeur, au point qu’on puisse parler d’une exégèse christologique de l’épître³⁴⁴. Les mises au point apparaissent bien souvent comme des ajouts par rapport à l’explication du texte, plus que comme un principe de lecture de l’ensemble³⁴⁵. Bien sûr, certains passages par eux-mêmes christologiques appellent évidemment un développement de ce type. Cependant, plus d’une remarque est inattendue et semble étrange au lecteur peu habitué à une argumentation scripturaire qui utilise un mot pour ouvrir une réflexion apparemment sans lien avec le verset considéré. C’est à ce phénomène que nous nous intéressons particulièrement : peut-on trouver un principe présidant à ces réflexions ? Est-ce à dire que l’exégète, rompu à l’exercice théologique, parsème arbitrairement son œuvre de remarques destinées à rappeler son orthodoxie ? Ou bien suit-il, dans le cadre du commentaire, une lecture traditionnelle des versets, que ce soit celle des interprétations de l’épître ou celle que l’on trouve dans les controverses doctrinales ? Si les études portant sur les débats théologiques s’intéressent volontiers à la question de savoir quels versets sont au centre des débats, et sur quelle exégèse repose telle ou telle doctrine³⁴⁶, à l’inverse, nous n’avons pas trouvé, à l’exception d’une étude de S.-P. Bergjan, de travaux portant sur une œuvre exégétique de Théodoret et examinant les versets qui fournissent le point de départ de dévelop-
Sur cette hypothèse, cf. supra, p. 222. Au contraire, en ce qui concerne le commentaire sur les Psaumes, J.-N. Guinot, « L’In Psalmos de Théodoret et de Diodore de Tarse », I, p. 277-306, souligne que Théodoret, à la différence de ses prédécesseurs, met particulièrement l’accent sur l’interprétation christologique. En faisant de la vénération à l’égard du mystère de l’Incarnation la « visée » (σκοπός) de Romains (cf. arg., 1), Théodoret ne fait pas, à notre avis, de la christologie « le thème central » de cette épître, contrairement à ce que dit A. Viciano, Cristo el autor, p. 68 (qui applique du reste l’assertion à l’ensemble des épîtres). L’exégète considère plutôt l’Incarnation du point de vue de l’histoire du salut, de la création à la grâce en passant par le don de la Loi (cf. arg., 2-5). Sur l’interprétation de l’Écriture comme fondement des débats théologiques, cf. V. H. Drecoll, « Exegese als Grundlage der Theologie in der Alten Kirche und im Mittelalter », Schriftauslegung, éd. F. Nüssel, Tübingen, 2014, p. 105-122. En ce qui concerne Théodoret, voir, par exemple, J.-N. Guinot, « Théodoret de Cyr et le signe du Temple (Jn 2, 19) dans le débat christologique de son temps », Exégète et théologien, II, p. 431-468.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
pements doctrinaux³⁴⁷. Or, l’examen de la polémique dans son articulation avec la tradition exégétique et théologique se justifie particulièrement chez cet auteur, à cause de son affirmation expresse du lien entre son activité de théologien et son activité d’exégète³⁴⁸. Une telle enquête doit permettre d’étudier ce lien du point de vue très concret de la méthode, à travers la question du prétexte des excursus. À propos de l’In Psalmos de Théodoret, S.-P. Bergjan montre que l’exégèse tend à mettre l’accent sur l’interprétation doctrinale de manière à ce que le commentaire corresponde à l’utilisation doctrinale des mêmes versets, et note que le phénomène se vérifie aussi dans l’In epistulas Pauli ³⁴⁹. C’est cette hypothèse qu’il convient d’examiner ici, en tenant compte non seulement des versets qui tiennent une place centrale dans les discussions théologiques, mais aussi de ceux à propos desquels les remarques de l’exégète sont les plus inattendues. L’In Romanos fournit, par son ampleur, un champ d’étude significatif au sein de cette œuvre et porte sur une épître dans laquelle la christologie, tout en n’étant pas absente, n’est du moins pas aussi importante que dans Hébreux, par exemple³⁵⁰. Ainsi, il offre d’assez nombreux exemples du caractère digressif des remarques doctrinales. Notre recherche s’apparente à une enquête sur les sources : il s’agit d’abord de savoir si les versets occasionnant des remarques sur la Trinité et la christologie font déjà l’objet d’interprétations similaires, soit dans des commentaires de l’épître, soit dans des œuvres doctrinales, quel est ensuite l’apport éventuel de Théodoret par rapport à ces sources, et enfin quels débats ces différents textes révèlent. Nous utilisons la notion de « source » en un sens très large : il n’est pas question de supposer des liens de dépendance directe, mais de repérer l’existence d’une certaine tradition de lecture d’un verset. Notre étude s’appuie sur une recherche, dans la littérature patristique, des citations de Romains sur lesquelles portent les remarques
S.-P. Bergjan, « Funktionalisierung der Exegese bei Theodoret », p. 41-47, rapproche l’interprétation trinitaire de certains versets des Psaumes dans le commentaire de Théodoret et leur utilisation dans des œuvres doctrinales du même auteur ou non. K. H. Schelkle, Paulus Lehrer der Väter, dans son examen des exégèses patristiques de Romains 1-11, fait régulièrement le point sur l’interprétation christologique des différents passages, sans toutefois différencier entre sources proprement exégétiques et écrits doctrinaux. R. A. Greer, The Captain of our Salvation. A Study in the Patristic Exegesis of Hebrews, Tübingen, 1973, s’intéressant à l’influence réciproque de la christologie antiochienne et de son exégèse d’Hébreux, se concentre sur un petit nombre de versets dont le contenu est par lui-même christologique. À titre d’exemple, cf. supra, exergue p. 273. « Dass Exegese auf eine dogmatische Schwerpunktsetzung hinzielt und auf diese Weise die Auslegung der biblischen Texte ihrer dogmatischen Inanspruchnahme entspricht, ist exemplarisch zu zeigen », S.-P. Bergjan, « Funktionalisierung der Exegese bei Theodoret », p. 41. Cf. aussi p. 47. Sur la place particulièrement importante que l’exégète accorde aux questions trinitaires et christologiques dans l’In epistulas Pauli, cf., par exemple, J.-N. Guinot, L’Exégèse, p. 576-577. La christologie est au centre de l’ouvrage de R. A. Greer, The Captain of our Salvation, sur l’exégèse patristique d’Hébreux.
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de Théodoret³⁵¹. Nous accordons une importance particulière aux œuvres de l’évêque de Cyr lui-même, afin de trouver des constantes ou des variations dans son recours au témoignage scripturaire. L’In epistulas Pauli ayant été écrit, comme la plupart des œuvres exégétiques, entre la controverse nestorienne et la querelle eutychienne, il convient d’être attentif aux rapprochements avec l’une ou l’autre, qui pourraient suggérer une datation plus précise³⁵². Ce faisant, notre démarche est pour ainsi dire une contribution à l’histoire des doctrines centrée sur l’argumentation scripturaire dont témoigne l’In Romanos. Pour des raisons de clarté, nous présentons les résultats de cette enquête sous forme thématique, en traitant dans un premier temps les remarques relatives à la Trinité, dans un deuxième temps celles touchant à la christologie. Dans le premier cas, Théodoret rend compte de discussions passées, dans le second, il est lui-même acteur des débats. La troisième partie évoque quelques cas où l’exégète témoigne de l’évolution des débats entre le ive et le ve siècles.
5.5.1 Un témoignage sur les controverses trinitaires Quoique peu de passages de Romains aient été au centre des débats trinitaires, Théodoret saisit plusieurs fois l’occasion d’un verset pour rappeler un élément de doctrine à ce sujet. Or, au-delà du caractère inattendu de certaines digressions, il n’est pas une seule remarque qui ne fasse écho à une lecture analogue, dont on trouve la trace le plus souvent dans le cadre de traités théologiques et polémiques du ive siècle. L’exégète ne rend donc pas seulement compte d’une tradition doctrinale, mais de l’utilisation à cette fin de versets particuliers.
5.5.1.1 Divinité du Fils Quelques versets sont l’occasion d’affirmer simplement la divinité du Fils, ou plutôt de fustiger ceux qui la nient. Ainsi, à partir de la leçon Χριστοῦ en Romains 14, 10 (« Tous, nous paraîtrons devant l’autel du Christ »)³⁵³, Théodoret affirme que la citation d’Isaïe introduite au verset suivant (« Moi, je vis, dit le Seigneur, parce que
Sauf exception, notre enquête se limite à la littérature de langue grecque. Dans la plupart des cas, nous avons effectué une recherche systématique des citations jusqu’au ve siècle, grâce au TLG et à des indices comme celui des ACO, éventuellement complétée par Biblindex. Dans quelques cas, nous nous appuyons sur des études consacrées à l’utilisation doctrinale d’un verset. Sur la datation de l’In epistulas Pauli, cf. p. 11. L’Eranistes date de 447-448. Voir l’introduction de G. H. Ettlinger à l’édition de Théodoret, Eranistes, p. 3-4. Pour la Correspondance, lorsque c’est possible et utile, nous précisons en note la date de rédaction. Le texte alexandrin présente la leçon θεοῦ. Sur cette caractéristique du texte de Romains de Théodoret, cf. A. Lorrain, « Theodoret’s Text of Romans », p. 168-171. Sur le corpus paulinien possédé par Théodoret, cf. ead., L’In Romanos de Théodoret, p. 106-117.
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tout genou fléchira devant moi… », amalgame d’Isaïe 49, 18 et 45, 23) prouve la divinité du Christ³⁵⁴. À cette fin, l’exégète rappelle le contexte, en citant d’autres passages comme « Avant moi il n’y a pas eu d’autre dieu, et après moi il n’y en aura pas »³⁵⁵. On notera que dans l’In Isaiam, il attribue d’abord au Père les paroles prononcées, puis, faisant remarquer que Paul les rapporte au Fils, il en déduit l’unicité de la divinité et l’égalité du Père et du Fils³⁵⁶. Le verset de Romains, rarement utilisé dans un contexte trinitaire, est toutefois cité par l’auteur du De Trinitate attribué à Didyme dans une liste de testimonia sur l’éternité du Fils ; le passage d’Isaïe est employé par Cyrille d’Alexandrie dans un développement sur l’égale adoration due au Père et au Fils³⁵⁷. Il est plus difficile d’affirmer que la digression antiarienne sur Romains 14, 18 (« Celui qui est esclave du Christ plaît (εὐάρεστος) à Dieu ») suit une tradition connue de Théodoret. Celui-ci, par un argument a fortiori, note : « Or, si être esclave du Christ plaît à Dieu, alors honorer le Christ plaît aussi à Dieu. Donc blasphémer le Christ et essayer de diminuer sa dignité est désagréable au Dieu de l’univers »³⁵⁸. On n’a pas trouvé d’interprétation équivalente dans le monde grec. Néanmoins, cette remarque fait écho au commentaire de l’Ambrosiaster, qui interprète à deux reprises le verset comme une preuve de la divinité du Fils, quoique son raisonnement soit différent, reposant sur un rapprochement avec le précepte de n’être esclave que de Dieu seul³⁵⁹. Même si l’on ne peut affirmer que Théodoret ait eu accès, directement ou indirectement, à ces textes, ceux-ci attestent du moins que la lecture antiarienne du verset n’est pas isolée. En revanche, la remarque à propos de Romains 1, 25 offre un exemple tout à fait traditionnel de l’utilisation polémique de l’Écriture, alors même qu’elle paraît être une pointe gratuite :
Cf. V, 27. Le texte de Théodoret est un amalgame de citations d’Isaïe, probablement écrites de mémoire. Cf. Com. in Is., XIV, SC 315, p. 40. Cf. Didyme l’Aveugle (?), De Trin., I, 15, 3, BkP 44, p. 47. L’attribution de ce texte est discutée, cf. M. Cassin, L’Écriture de la controverse chez Grégoire de Nysse. Polémique littéraire et exégèse dans le Contre Eunome, Paris, 2012, p. 310. Sur l’utilisation du verset d’Isaïe en contexte trinitaire, cf. Cyrille d’Alexandrie, Dial. Trin., VI, 625b-c, SC 246, p. 122-125. Εἰ δὲ τὸ δουλεύειν τῷ Χριστῷ εὐάρεστον τῷ θεῷ, καὶ τὸ τιμᾶν ἄρα τὸν Χριστὸν εὐάρεστον τῷ θεῷ. Οὐκοῦν καὶ τὸ βλασφημεῖν τὸν Χριστόν, καὶ σμικρύνειν αὐτοῦ τὴν ἀξίαν ἐπιχειρεῖν, ἀπαρέσκον τῷ τῶν ὅλων θεῷ, V, 31. Qui in his servit Christo, placet deo, scriptum est enim : Dominum deum tuum adorabis et ipsi (illi) soli servies. Si ergo soli deo serviendum dicit, et Christo serviri (servire) praecepit, in unitate dei est Christus nec dispar aut alter deus, quando cum soli deo serviendum lex conminetur, Christo serviens deo placere dicatur, « Celui qui est esclave du Christ en cela plaît à Dieu. Il est écrit, en effet : “C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras et de lui seul que tu seras esclave” (Dt 6, 13). Si donc il dit d’être esclave de Dieu seul et commande d’être esclave du Christ, le Christ est dans l’unité de Dieu et non inégal ou un second dieu, puisque, la Loi ordonnant d’être esclave de Dieu seul, celui qui est esclave du Christ est déclaré plaire à Dieu », Ambrosiaster, Com. in Rom., CSEL LXXXI, 1, p. 162-164 (Rm 5, 12). Cf. aussi id., Quaest. Vet. et Nou. Test., XCI, 6, CSEL L, p. 155-156.
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« Οἵτινες (…) ἐσεβάσθησαν καὶ ἐλάτρευσαν τῇ κτίσει παρὰ τὸν κτίσαντα ». (…) Ταύταις ὑπόκεινται ταῖς κατηγορίαις καὶ οἱ τὸν μονογενῆ τοῦ θεοῦ υἱὸν κτίσμα μὲν ἀποκαλοῦντες, ὡς δὲ θεὸν προσκυνοῦντες. Δεῖ γὰρ ἢ θεολογοῦντας, μὴ τῇ κτίσει συντάττειν, ἀλλὰ τῷ γεγεννηκότι θεῷ, ἢ κτίσμα προσαγορεύοντας, τὸ σέβας αὐτῷ μὴ προσφέρειν τὸ θεῖον. ᾿Aλλὰ ἐπὶ τὰ συνεχῆ τῆς ἑρμηνείας βαδίσωμεν, « Eux (…) qui vénérèrent la création et lui rendirent un culte plutôt qu’au Créateur ». (…) Voilà à quelles accusations s’exposent aussi ceux qui, tout en appelant le Fils Unique Engendré de Dieu « créature », se prosternent devant lui comme étant Dieu. Car il faut, ou bien le dire « Dieu » et ne pas le classer avec la création, mais avec Dieu, qui l’a engendré, ou bien le nommer « créature », et ne pas lui offrir la vénération due à Dieu. Mais avançons dans la continuité de l’interprétation³⁶⁰.
On peut parler de prétexte à différents niveaux. D’abord, il s’agit véritablement d’une digression par rapport à l’interprétation d’ensemble. On notera que Théodoret signale l’excursus et s’en excuse, en quelque sorte, au moyen de la formule de transition qui clôt l’extrait cité³⁶¹. Après avoir expliqué le sens littéral et historique en évoquant l’« idole faite de main d’homme », l’exégète, contrairement à ce qu’il fait pour l’ensemble du passage, ajoute à cette lecture une interprétation pour ainsi dire actualisante, faisant implicitement de l’arianisme une nouvelle forme d’idolâtrie, assimilation typique de la polémique contre les hérétiques³⁶². Le point de départ est l’opposition entre κτίσις et ὁ κτίσας. En reformulant κτίσις (« création ») par κτίσμα (« créature »), Théodoret réduit la notion générale de création à un élément unique et renvoie directement à l’affirmation arienne selon laquelle « le Fils » est une « créature »³⁶³ : les adversaires sont ainsi accusés d’adorer la création au lieu de son auteur, puisqu’il acceptent cependant de parler de divinité du Fils³⁶⁴. Malgré le refus de nommer ce dernier « créature » et le rappel implicite de la formule nicéenne par l’antithèse entre κτίσμα et γεγεννηκώς³⁶⁵, l’accent est plutôt mis sur l’attaque que sur une argumentation de fond, d’où le contraste avec le ton général du commentaire. Cependant, l’utilisation de ce verset précis, loin d’être fortuite, correspond à un lieu commun de la polémique contre les hérétiques, et surtout contre les ariens et eunomiens. On trouve par exemple le raisonnement suivant chez Grégoire de Nysse :
I, 25 (Rm 1, 25). Sur cette formule, cf. supra, p. 48. Cf. A. Le Boulluec, La Notion d’hérésie, p. 119-134. Dans l’HE, I, 2, 7, SC 501, p. 146-147, Théodoret évoque ainsi l’origine de l’hérésie : « Le démon (…) ramena nombre de gens à leur première erreur, non pas en leur faisant adorer à nouveau la création, mais en leur faisant mettre le créateur et démiurge au même rang qu’elle (τὸν ποιητὴν καὶ δημιουργὸν συταχθῆναι τῇ κτίσει) ». Sur l’intention antiarienne de l’Histoire ecclésiastique, cf. A. Martin, « L’origine de l’arianisme vue par Théodoret », L’Historiographie de l’Église des premiers siècles, éd. B. Pouderon, Y.-M. Duval, Paris, 2001, p. 349-359. Sur la définition arienne du Fils comme créature, voir aussi, par exemple, Haer. fab., IV, 1, PG 83, 413 A 3. Cf. Eunome, Apol., 18, SC 305, p. 268 (Vaggione, p. 54-57). Cf. id., Apol., 21, SC 305, p. 276-279 (Vaggione, p. 60-63). Formule de Nicée : γεννηθέντα οὐ ποιηθέντα, cf. Denzinger 125.
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Et s’il fallait croire que le Fils est créé (κτιστὸν) (…), comment se fait-il que le divin apôtre, en adorant le Christ, affirme que ceux qui « rendent un culte à la créature au lieu du Créateur » sont idolâtres ? Car ou bien l’apôtre, s’il était créé (κτιστὸς), ne l’aurait pas adoré, ou bien il n’aurait pas rangé parmi les idolâtres « ceux qui rendent un culte à la créature », pour ne pas donner l’impression d’être lui-même un idolâtre en adorant une créature (τῷ κτιστῷ). (…) Par conséquent, de deux choses l’une : ou bien, que ceux qui affirment qu’il est créé ne le confessent pas comme Dieu, afin de se montrer clairement les sectateurs des doctrines judaïques, ou bien, s’ils confessent que celui qui a été créé (τὸν κτισθέντα) est Dieu, qu’ils ne nient pas leur idolâtrie³⁶⁶.
Au-delà de ce type d’argumentation, le verset finit par faire partie de l’arsenal de citations régulièrement employées, hors de leur contexte, dans les attaques ad hominem ³⁶⁷. Ce qui est donc remarquable, c’est que Théodoret introduit cette lecture, qui lui est certainement familière, dans le cadre d’un commentaire en principe soucieux de la cohérence du texte³⁶⁸.
5.5.1.2 Égalité du Père et du Fils Bien des formules sont pour l’exégète l’occasion d’affirmer l’égalité entre le Père et le Fils à partir du caractère interchangeable de leurs attributs et de leurs opérations³⁶⁹. On en trouve divers exemples dans l’In Romanos, tous traditionnels. Ainsi, le rapprochement entre « évangile de Dieu » (Romains 1, 1) et « évangile du Christ » (Romains 1, 9) pour montrer l’égalité du Père et du Fils est un lieu commun aussi bien des commentaires que des ouvrages sur la Trinité³⁷⁰. Chez Jean Chrysostome, on le trouve à propos de Romains 1, 9, avec l’utilisation de l’adverbe ἀδιάφορον pour souligner le caractère interchangeable des expressions, justifié par la formule jo-
Εἰ κτιστὸν αὐτὸν εἶναι πιστεύειν ἐχρῆν, (…) πῶς δὲ προσκυνῶν τὸν Χριστὸν ὁ θεῖος ἀπόστολος « τοὺς τῇ κτίσει λατρεύοντας παρὰ τὸν κτίσαντα » εἰδωλολατρεῖν διορίζεται ; Ἢ γὰρ οὐκ ἂν προσεκύνησεν, εἰ κτιστὸς ἦν, ἢ οὐκ ἂν τοῖς εἰδωλολάτραις συνέταξε τοὺς τῇ κτίσει λατρεύοντας, ἵνα μὴ καὶ αὐτὸς εἰδωλολατρεῖν δόξῃ προσάγων τῷ κτιστῷ τὴν προσκύνησιν. (…) Ὥστε ἢ μηδὲ θεὸν ὁμολογείτωσαν αὐτὸν οἱ κτιστὸν εἶναι διοριζόμενοι, ἵνα φανῶσιν ἰουδαΐζοντες, ἢ εἴπερ ὁμολογοῦσι τὸν κτισθέντα εἶναι θεόν, εἰδωλολατρεῖν μὴ ἀρνείσθωσαν, Grégoire de Nysse, Ref., 108-109, SC 584, p. 186-189. Voici quelques-uns des nombreux exemples présentant une argumentation semblable : Épiphane de Salamine, Pan., 69, 36, 2-4, GCS Epiphanius III, p. 184 ; 76, 8, 6-8, GCS Epiphanius III, p. 348-349 ; Cyrille d’Alexandrie, Dial. Trin., IV, 527-528, SC 237, p. 208-211. Nous n’avons pas trouvé de trace d’une telle lecture de ce verset dans ce qui reste des commentaires de ses prédécesseurs. Sur l’importance de l’argumentation à partir de l’identité d’opérations – d’abord entre le Père et le Fils, puis entre les Trois – dans les débats trinitaires depuis Athanase, voir en particulier X. Morales, La Théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie, p. 182-187 ; M.-O. Boulnois, Le Paradoxe trinitaire chez Cyrille d’Alexandrie. Herméneutique, analyses philosophiques et argumentation théologique, Paris, 1994, p. 280-286. Cf. I, 4 (Rm 1, 1).
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hannique « Tout ce qui est à toi est à moi »³⁷¹. Origène, sans parler explicitement d’égalité de la Trinité, s’étend déjà sur la question, ajoutant bien d’autres versets pour attester l’équivalence entre l’évangile du Père et celui du Fils, et relevant encore « mon évangile » (Galates 2, 10), qui indique, selon lui, que Paul est cohéritier du Christ³⁷². De même, l’évocation de « l’égalité du Père et du Fils »³⁷³ à propos de Romains 1, 7 et des versets semblables (« grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ ») est traditionnelle aussi bien dans les commentaires que dans les écrits doctrinaux³⁷⁴, avec éventuellement, comme dans l’In Romanos, le même terme « dispensateur » (χορηγός) appliqué au Père et au Fils³⁷⁵. On pourrait encore mentionner la pointe antihérétique, elle aussi commune, à l’occasion de Romains 16, 27 : l’appellation « Sagesse », dit Théodoret, convient pleinement au Fils aussi bien qu’au Père³⁷⁶. En Romains 11, 36, « Parce que tout est de lui, par lui et pour lui » (Ὅτι ἐξ αὐτοῦ καὶ δι’ αὐτοῦ καὶ εἰς αὐτὸν τὰ πάντα), Théodoret ne suit pas l’interprétation consistant, d’Irénée aux Cappadociens en passant par Origène et Athanase, à attribuer, notamment à partir de ce verset, une préposition à chacun des Trois, dans le cadre d’une réflexion sur la répartition des opérations au sein de la Trinité et donc sur la distinction entre les Personnes³⁷⁷. Il préfère rendre compte de la lecture consistant à mettre en valeur l’unité, en argumentant sur l’égalité entre le Père et le Fils à propos des doxologies de l’Écriture. En effet, sur fond de polémique contre les ariens, accusés de s’emparer de certaines locutions qui suggèreraient une infériorité du Fils, Basile de Césarée affirme qu’elle sont compensées par d’autres soulignant son égalité
Jn 17, 10. Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., II, PG 60, 403, 26-31 (Rm 1, 9). Théodoret dit ἀδιαφόρως. Le mot est utilisé assez souvent par Jean Chrysostome, sous ses deux formes, pour évoquer l’égalité du Père et du Fils. Cf. Origène, Com. in Rom., I, 5, 4, SC 532, p. 170. L’argument est utilisé aussi dans des œuvres de théologie trinitaire, comme Didyme l’Aveugle (?), De Trin., I, 25, 8, BkP 44, p. 154 ; Cyrille d’Alexandrie, Dial. Trin., III, 497b-c, SC 237, p. 116. Sur l’expression singulière ἰσότης πατρὸς καὶ υἱοῦ, cf. supra, p. 63. Cf. I, 10. Comparer, par exemple, pour l’exégèse, avec Jean Chrysostome, Hom. in Rom., I, PG 60, 400, 7-11 (Rm 1, 7) et surtout id., Com. in Gal., PG 61, 614, 48-615, 25 (Ga 1, 3) ; pour les écrits doctrinaux, avec Athanase d’Alexandrie, Contra arianos, II, 42, 1, AthW I, 1, 2, p. 218 ; III, 11, 5, AthW I, 1, 3, p. 319 ; III, 13, 3, AthW I, 1, 3, p. 322 ; Théodoret, Corresp., III, 147, SC 111, p. 206. Cf. In epist. Pauli, PG 82, 229 C 4-7 (1 Co 1, 3) ; Cyrille d’Alexandrie, Dial. Trin., III, 503a, SC 237, p. 134 (συγχορηγός). Cf. V, 36 (Rm 16, 27). Le même verset est cité et rapproché, comme chez Théodoret, de la notion d’immortalité chez Didyme l’Aveugle (? ), De Trin., II, 5, 8, BkP 52, p. 80 ; Grégoire de Nazianze, Or., XXX, 13, SC 250, p. 252. Sur la conception arienne et eunomienne de la sagesse du Fils comme « participation » à celle du Père, voir Athanase d’Alexandrie, Contra arianos, I, 5, 4-5, AthW I, 1, 2, p. 114 (cf. X. Morales, La Théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie, p. 456-457) ; Eunome, Apol., 21, SC 305, p. 276-279 (Vaggione, p. 60-63). Sur l’utilisation des prépositions pour penser la répartition des opérations au sein de la Trinité, et notamment sur le rôle central de Romains 11, 36 chez Origène, qui a pu inspirer Athanase, on consultera le dossier de X. Morales, La Théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie, p. 155-192.
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avec le Père³⁷⁸. En disant « tout est de lui, par lui et pour lui », Paul montre, selon Théodoret, « qu’il ne connaît pas de différence entre les prépositions “issu de qui” (ἐξ οὗ) et “par l’intermédiaire de qui” (δι’ οὗ), l’une, parce qu’elle signifierait quelque chose de plus grand (μεῖζόν τι), convenant au Père, l’autre, parce qu’elle enseignerait quelque chose de plus petit (ἔλαττόν τι), étant adaptée au Fils. En effet, il a attribué l’une et l’autre à une seule personne (ἑνὸς προσώπου) »³⁷⁹. Aux yeux de l’exégète, ariens et eunomiens sont ainsi pris à leur propre piège, eux qui prétendent que « de qui » convient au Père et montre la supériorité, tandis que « par l’intermédiaire de qui » conviendrait au Fils. Basile de Césarée utilise précisément le même verset, qui, dit-il, se rapporte au Fils, et en tout cas à une seule et même Personne, prouvant l’« égale dignité » (ἡ ἴση ἀξία) des prépositions, et l’égalité d’honneur (ὁμότιμοι) des Personnes³⁸⁰. Le refus des catégories d’infériorité et de supériorité est clairement exprimé par l’adversaire d’Eunome³⁸¹. Si Théodoret reprend ici le propos de Basile, on peut cependant considérer qu’il est plus conséquent dans le raisonnement, se gardant d’emblée d’attribuer la doxologie à l’une ou l’autre des Personnes divines³⁸².
5.5.1.3 Égalité de la Trinité Enfin, deux passages évoquent l’égalité non plus seulement entre le Père et le Fils, mais entre les trois Personnes divines, rappelant des controverses déjà anciennes, mais aussi, pour le second, un débat dont Théodoret a été lui-même acteur.
L’interprétation de Romains 1,1 Dès la première page du commentaire, l’exégète s’empare du participe ἀφωρισμένος (Romains 1, 1) pour prouver l’« égalité de la Trinité » (ἡ τῆς τριάδος ἰσότης )³⁸³. En Basile de Césarée, Sur le Saint-Esprit, II, 4, SC 17 bis, p. 260-263, affirme que son traité, qui repose essentiellement sur cette argumentation, est une réfutation des vaines réflexions d’Aèce sur les particules, et en particulier sur 1 Corinthiens 8, 6. Cf. aussi Eunome, Apol., 5, SC 305, p. 240 (Vaggione, p. 38) ; 25, SC 305, p. 286 (Vaggione, p. 66-69). Sur cette argumentation de Basile, cf. V. H. Drecoll, Die Entwicklung der Trinitätslehre des Basilius von Cäsarea. Sein Weg vom Homöusianer zum Neonizäner, Göttingen, 1996, p. 212-218. Théodoret connaît le Traité sur le Saint-Esprit au moins par extraits, puisqu’il le cite dans l’Eranistes. Sur la question de son accès direct aux écrits de Basile, cf. S.-P. Bergjan, Theodoret und der Neunizänismus, p. 147-154. Ὡς οὐκ οἶδε τῆς ἐξ οὗ καὶ τῆς δι’ οὗ προθέσεως διαφοράν, καὶ τὴν μὲν ὡς μεῖζόν τι σημαίνουσαν προσήκουσαν τῷ πατρί, τὴν δὲ ὡς ἔλαττόν τι διδάσκουσαν ἁρμόττουσαν τῷ υἱῷ. ᾿Aμφοτέρας γὰρ ἐφ’ ἑνὸς προσώπου τέθεικεν, IV, 49 (Rm 11, 36). Cf. Basile de Césarée, Sur le Saint-Esprit, V, 7-8, SC 17 bis, p. 272-279. Cf. id., Adu. Eun., I, 25, SC 299, p. 260-263. Voir aussi, par exemple, Théodoret, De sancta Trin., XI, SC 574, p. 268 ; XII, SC 574, p. 274-277 ; XVI, SC 574, p. 290 ; XVII, SC 574, p. 296-299. On trouve ce type de raisonnement par exemple dans Théodoret, In epist. Pauli, PG 82, 229 A 38 (1 Co 1, 1). Le commentaire de 1 Corinthiens 8, 6 est aussi antiarien mais s’intéresse davantage aux dénominations θεός et κύριος qu’aux prépositions. Cf. ibid., PG 82, 289 A 5-D 1. Cf. I, 3. Sur cette expression, voir supra, p. 63.
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effet, il relève le mot pour préciser que l’agent de cette « mise à part » de l’Apôtre est Dieu, c’est-à-dire à la fois le Père, le Fils et le Saint-Esprit, comme le montrent les autres textes dans lesquels le mot est employé : Celui qui l’a mis à part, c’est à la fois le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Que le Père l’a mis à part, il l’enseigne lui-même dans la Lettre aux Galates : « Et lorsque Dieu a jugé bon, lui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère, et m’a appelé par sa grâce, de révéler son Fils en moi, afin que je porte son évangile parmi les Nations… » (Galates 1, 15-16a) Que le Fils Unique Engendré aussi a fait précisément cette même chose, c’est encore l’Apôtre qui le dit dans les Actes, déclarant que le Seigneur, tout en se donnant à voir à lui dans le sanctuaire, l’a prié de s’empresser de sortir, étant donné que les Juifs n’accueillaient pas la prédication, et a ajouté : « Va, parce que je t’enverrai au loin vers les Nations » (Actes 22, 21). Il dit aussi précisément la même chose à Ananias qui se dérobait : « Va, parce que celui-ci m’est un vase d’élection pour exalter mon nom à la face de nations, de rois, ainsi que de fils d’Israël » (Actes 9, 15). Quant au bienheureux Luc, il nous enseigne que, alors que les prophètes, à Antioche, exerçaient le ministère envers le Seigneur et jeûnaient, l’Esprit saint dit : « Mettez-moi donc à part Barnabé et Saul, pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés » (Actes 13, 2). Donc, par là aussi est évidente l’égalité de la Trinité (ἡ τῆς τριάδος ἰσότης)³⁸⁴.
La pratique consistant, en vertu de la cohérence des Écritures, à interpréter un verset en le rapprochant d’autres passages contenant le même mot, voire la même idée, est tout à fait traditionnelle. Ce qui surprend ici, par rapport à l’habitude de Théodoret, c’est la longueur du développement plus encore que la question elle-même, qui ne semble pas avoir préoccupé les commentateurs précédents. Or, là encore, l’exégète ne crée pas lui-même l’occasion d’une telle réflexion sur l’égalité d’opérations dans la Trinité, mais il fait état d’une tradition existant à propos de ce verset, comme en témoignent deux textes traitant de la même question en des termes semblables, l’un attribué à Athanase, l’autre à Basile de Césarée. Au sujet du Saint-Esprit, les trois auteurs citent le même verset (Actes 13, 2) ; à propos du Père, Théodoret suit le Pseudo-Athanase (Galates 1, 15-16) ; en ce qui concerne le Fils, il invoque Actes 9, 15 avec le Pseudo-Basile, ainsi que Actes 22, 21³⁸⁵. Romains 1, 1, rapporté par Théodoret à la Trinité dans son unité, et point de départ de sa réflexion, est utilisé différemment
᾿Aφώρισε δὲ αὐτὸν καὶ ὁ πατὴρ καὶ ὁ υἱὸς καὶ τὸ ἅγιον πνεῦμα. Καὶ ὅτι μὲν αὐτὸν ὁ πατὴρ ἀφώρισεν αὐτός, ἐν τῇ πρὸς Γαλάτας διδάσκει · « Ὅτε δὲ εὐδόκησεν ὁ θεὸς ὁ ἀφορίσας με ἐκ κοιλίας μητρός μου, καὶ καλέσας διὰ τῆς χάριτος αὑτοῦ, ἀποκαλύψαι τὸν υἱὸν αὑτοῦ ἐν ἐμοί, ἵνα εὐαγγελίζωμαι αὐτὸν ἐν τοῖς ἔθνεσιν ». Ὅτι δὲ καὶ ὁ μονογενὴς υἱὸς ταὐτὸ τοῦτο πεποίηκε, πάλιν ὁ ἀπόστολος ἐν ταῖς Πράξεσι λέγει, ὡς ὤφθη μὲν αὐτῷ ἐν τῷ ἱερῷ ὁ κύριος, παρεκελεύσατο δὲ σπεῦσαι καὶ ἐξελθεῖν, ὡς Ἰουδαίων μὴ δεχομένων τὸ κήρυγμα, καὶ προστέθεικε · « Πορεύου, ὅτι εἰς ἔθνη μακρὰν ἐξαποστελῶ σε ». Ταὐτὸ δὲ τοῦτο καὶ πρὸς τὸν ᾿Aνανίαν ἔφη ἀναδυόμενον · « Πορεύου, ὅτι σκεῦος ἐκλογῆς μοί ἐστιν οὗτος, τοῦ βαστάσαι τὸ ὄνομά μου ἐνώπιον ἐθνῶν καὶ βασιλέων υἱῶν τε Ἰσραήλ ». Ὁ δέ γε μακάριος Λουκᾶς διδάσκει ἡμᾶς ὡς, τῶν ἐν ᾿Aντιοχείᾳ προφητῶν λειτουργούντων τῷ κυρίῳ καὶ νηστευόντων, εἶπε τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιον · « ᾿Aφορίσατε δή μοι τὸν Βαρνάβαν καὶ τὸν Σαῦλον εἰς τὸ ἔργον ὃ προσκέκλημαι αὐτούς ». Δήλη τοίνυν καὶ ἐντεῦθεν ἡ τῆς τριάδος ἰσότης, I, 3. Le Pseudo-Basile cite les versets 13 et 14. Le verset 17 atteste que l’auteur des Actes parle bien du Fils.
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par les deux autres auteurs. Le Pseudo-Athanase cite le verset en l’attribuant implicitement au Fils, sans préciser pour quelle raison : L’Orthodoxe : Toutes les œuvres appartiennent au Père, au Fils et au Saint-Esprit ; et c’est pour cela qu’elles sont dites tantôt du Père, tantôt du Fils, tantôt du Saint-Esprit. Par exemple, le saint apôtre Paul dit : « Et lorsque Dieu a jugé bon, lui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère, de révéler son Fils en moi… » (Galates 1, 15) ; et le même dit à nouveau : « Paul, esclave de JésusChrist, appelé apôtre, mis à part pour l’évangile de Dieu » (Romains 1, 1). / Le Macédonien : Qu’est-ce que cela fait ? / L’Orthodoxe : Je veux te montrer que tantôt il dit qu’il est un être mis à part du Père, tantôt, du Fils³⁸⁶.
Chez le Pseudo-Basile, Romains 1, 1 se trouve entre les citations sur le Père et celle sur l’Esprit, le Fils ayant été évoqué en premier, et son rôle n’est pas clair, si ce n’est comme simple ajout d’un verset contenant le même verbe, et afin d’évoquer l’appel³⁸⁷. Quant à l’argumentation, elle est beaucoup plus explicite chez Théodoret que dans chacun des deux autres textes. En effet, si le but du raisonnement est, chaque fois, clairement exposé, seul l’évêque de Cyr annonce que l’argument porte sur la « mise à part » et indique chaque fois à quelle Personne il rapporte telle citation. Théodoret offre donc une expression à la fois plus convaincante et plus didactique du raisonnement.
L’interprétation de Romains 8, 9 D’autre part, la mise en regard des expressions « Esprit de Dieu » et « Esprit du Christ » en Romains 8, 9 permet à Théodoret d’affirmer l’« unique nature de la
Ὀρθόδοξος. Πάντα τὰ ἔργα τοῦ πατρός, καὶ τοῦ υἱοῦ, καὶ τοῦ ἁγίου πνεύματός ἐστι · καὶ διὰ τοῦτο ποτὲ τοῦ πατρὸς λέγεται, ποτὲ τοῦ υἱοῦ, ποτὲ τοῦ ἁγίου πνεύματος. ᾿Aμέλει λέγει Παῦλος ὁ ἅγιος ἀπόστολος · « Ὅτε δὲ ηὐδόκησεν ὁ θεός, ὁ ἀφορίσας με ἐκ κοιλίας μητρός μου, ἀποκαλύψαι τὸν υἱὸν αὐτοῦ ἐν ἐμοί » · καὶ πάλιν ὁ αὐτὸς λέγει · « Παῦλος δοῦλος Ἰησοῦ Χριστοῦ, κλητὸς ἀπόστολος, ἀφωρισμένος εἰς εὐαγγέλιον θεοῦ ». / Μακεδόνιος. Τί τοῦτο ποιεῖ ; / Ὀρθ. Βούλομαί σοι δεῖξαι, ὅτι ποτὲ ἑαυτὸν ἀφόρισμα λέγει τοῦ πατρός, ποτὲ τοῦ υἱοῦ, Ps.-Athanase, De sancta Trin., III, 25, PG 28, 1241 B 8-C 3 (cf. 1241 B 7-C 12). Εἰσιόντι δὲ εἰς Δαμασκὸν ᾿Aνανίας ἔφη · « Σαὺλ ἀδελφέ, ἀνάβλεψον · ὁ θεὸς τῶν πατέρων προεχειρίσατό σε ». Καὶ ἵνα μὴ περὶ Χριστοῦ νομισθῇ τὸ ῥῆμα, ἐπιλέγει · « Τοῦ ποιῆσαι τὸ θέλημα αὐτοῦ, καὶ γνῶναι τὸν δίκαιον αὐτοῦ Ἰησοῦν ». Ὃς δὴ τὴν κλῆσιν καὶ τὴν προχείρησιν ἀνάγραπτον ποιούμενος ἔφη · « Παῦλος δοῦλος Ἰησοῦ Χριστοῦ κλητὸς ἀπόστολος ». Εἶτα καὶ ἄλλο τι πρὸς τῇ κλήσει λέγει · « ᾿Aφωρισμένος εἰς εὐαγγέλιον θεοῦ ». Τὸ δὲ ἀφορίσαν τὸ πνεῦμα τυγχάνειν αἱ Πράξεις τῶν ἀποστόλων ἐδίδαξαν, « Alors qu’il arrivait à Damas, Ananias lui dit : “Saul, mon frère, recouvre la vue : le Dieu des Pères t’a choisi”. Et pour qu’on ne croie pas que la parole est dite du Christ, il ajoute : “Pour faire sa volonté et connaître son Juste, Jésus”. Et [cet Apôtre], mettant par écrit l’appel et le choix, dit : “Paul, esclave de Jésus-Christ, appelé apôtre”. Ensuite, il dit encore autre chose sur l’appel : “Mis à part pour l’évangile de Dieu”. Et les Actes des apôtres ont enseigné que la mise à part concerne l’Esprit », Ps.-Basile, Adu. Eun., V, PG 29, 720 C 6-D 1 (cf. 720 C 1-721 A 3).
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divinité » (ἡ μία τῆς θεότητος φύσις)³⁸⁸. En peu de mots, mais non sans verve polémique, sont rassemblés les principaux éléments de sa doctrine sur l’Esprit : consubstantialité (ὁμοούσιος) avec le Père et le Fils³⁸⁹, contre l’idée macédonienne selon laquelle il est créé (δημιουργεῖσθαι)³⁹⁰ « à partir de Dieu par l’intermédiaire du Fils » (ἐκ τοῦ θεοῦ διὰ τοῦ υἱοῦ), procession du Père (ἐκ πατρὸς ἐκπορεύεσθαι), « selon l’enseignement des évangiles » (κατὰ τὴν τῶν εὐαγγελίων διδασκαλίαν) – c’est-à-dire Jean 15, 26 – et, plus précisément, conformément à la formule du symbole de Constantinople³⁹¹, don de sa grâce « à ceux qui le méritent » (τοῖς ἀξίοις)³⁹². Les Pères retiennent généralement les dénominations « Esprit de Dieu » et « Esprit du Christ » parmi les noms de l’Esprit³⁹³. Cependant, lorsque Basile souligne ce point, il cite Romains 8, 9 à propos de la deuxième expression, mais choisit 1 Corinthiens 2, 12 pour la première³⁹⁴. Quant à Cyrille de Jérusalem, en énumérant les noms de l’Esprit, il rapproche explicitement les deux appellations et cite entièrement le verset de Romains à cet effet³⁹⁵. Quoi qu’il en soit, au-delà des controverses du ive siècle, l’affirmation de la procession à partir du Père et le refus de voir dans l’Esprit une créature rejoignent l’argumentation contre le ixe anathématisme de Cyrille d’Alexandrie – condamnant l’opinion selon laquelle l’Esprit est une puissance étrangère au Fils et non « propre à lui » – : Théodoret lui reprochait de faire renaître l’hérésie macédonienne³⁹⁶. En effet, la formule même « à partir de Dieu par l’inter-
Cf. III, 40. Sur l’emploi par Théodoret de l’expression μία φύσις, cf. S.-P. Bergjan, Theodoret und der Neunizänismus, p. 131-132. Cf., par exemple, Grégoire de Nazianze, Or., XXXI, 10, SC 250, p. 292. Cf. ibid., XXXI, 8, SC 250, p. 290 ; 12, SC 250, p. 298. L’Esprit est dit créature (ποίημα), par exemple dans Eunome, Apol., 25, SC 305, p. 286 (Vaggione, p. 66-69). Sur la doctrine des macédoniens ou pneumatomaques (évoqués dans Théodoret, Haer. fab., IV, 5, PG 83, 424 A 3-17), cf., par exemple, R. P. C. Hanson, The Search for the Christian Doctrine of God. The Arian Controversy, 318-381, Edinburgh, 1988, London, 2005, p. 760-772. Sur l’argumentation antimacédonienne des Cappadociens et sa réception par Théodoret, cf. S.-P. Bergjan, Theodoret und der Neunizänismus, p. 160-164. Sur le rôle central de Jean 15, 26 dans la pneumatologie, à partir de l’Ad Serapionem d’Athanase, sur la substitution, chez celui-ci et dans le symbole de Constantinople (cf. Denzinger 150), de la préposition ἐκ à la préposition παρά employée dans Jean, par analogie avec la formule de Nicée sur l’origine du Fils, cf. X. Morales, La Théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie, p. 104-153. Le verset johannique est cité avec exactitude puis reformulé avec ἐκ dans Théodoret, Haer. fab., V, 3, PG 83, 456 A 2-7. Ces éléments sont particulièrement développés dans Haer. fab., V, 3, PG 83, 453 D 1-457 D 5. Théodoret répète plusieurs fois que l’Esprit est incréé (ἄκτιστος) et précise que la « procession » (ἐκπορεύεσθαι) du Père, implique l’identité de nature (τῆς φύσεως ταυτότης). Concernant la doctrine de Théodoret sur l’Esprit et le débat avec Cyrille à ce sujet, cf. S.-P. Bergjan, Theodoret und der Neunizänismus, p. 133-138. Cf., entre autres, Athanase d’Alexandrie, Ad Serap., I, 11, 1, AthW I, 1, 4, p. 479. Cf. Basile de Césarée, Adu. Eun., II, 34, SC 305, p. 142. Basile fait aussi allusion à Jean 15, 26 dans ce passage. Cf. Cyrille de Jérusalem, Catech. ad illuminandos, XVII, 4, Reischl-Rupp II, p. 254. Cf. Théodoret, Corresp., IV, 4, SC 429, p. 102. Sur le conflit autour de cette question, cf. M.-O. Boulnois, Le Paradoxe trinitaire, p. 482-492, qui cite entre autres ces deux extraits de Théodoret. Elle
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médiaire du Fils », ἐκ τοῦ θεοῦ διὰ τοῦ υἱοῦ, utilisée ici par Théodoret pour exprimer l’opinion de ceux qui considèrent l’Esprit saint comme créature, rappelle l’emploi de ces prépositions par Cyrille pour évoquer la procession de l’Esprit³⁹⁷. Or, dans sa réponse à la réfutation de Théodoret, Cyrille allègue lui-même le verset de Romains, ainsi que Jean 16, 15, pour attester que l’Esprit est celui du Fils aussi bien que du Père : Car l’Esprit était et est le sien, de même, en réalité, qu’il est celui du Père. Et c’est ce que Paul l’inspiré explique fort bien en écrivant : « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu. Quant à vous, vous n’êtes pas dans la chair, mais dans l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Or, si quelqu’un n’a pas l’Esprit du Christ, celui-là ne lui appartient pas ». En effet, l’Esprit saint procède (ἐκπορεύεται ἐκ) du Dieu et Père, selon la parole du Sauveur, mais il n’est pas étranger au Fils : car [celui-ci] possède tout avec le Père ³⁹⁸.
Cyrille utilise encore la même citation dans la lettre Laetentur cæli, que l’évêque de Cyr a jugée comme un retour à une position acceptable³⁹⁹. La digression de l’In Romanos peut donc être considérée comme un écho à la querelle avec l’Alexandrin et comme un rappel de l’accord obtenu.
5.5.2 Échos des controverses christologiques 5.5.2.1 Union des natures et répartition des vocables La pratique exégétique de la répartition des vocables – attribution des titres du Christ tantôt à son humanité, tantôt à sa divinité –, qui joue un rôle important dans la controverse arienne depuis Marcel d’Ancyre puis Athanase d’Alexandrie⁴⁰⁰, est reprise avec force par les Antiochiens, qui voient dans une affirmation trop forte de l’union des natures et dans la communicatio idiomatum un prolongement de l’ariamontre que l’incompréhension porte sur l’idée d’Esprit « propre au Fils », que Théodoret interprète comme l’affirmation d’une création de l’Esprit par le Fils, et repose sur l’opposition entre les deux christologies. Sur l’importance de l’expression chez l’Alexandrin et le soupçon qu’elle a suscité chez Théodoret, cf. ead., Le Paradoxe trinitaire, p. 515-522. Ἦν γὰρ καὶ ἔστιν αὐτοῦ τὸ πνεῦμα, καθάπερ ἀμέλει καὶ τοῦ πατρός. Καὶ τοῦτο ἡμῖν εὖ μάλα σαφηνιεῖ γεγραφὼς ὁ θεσπέσιος Παῦλος · « Οἱ δὲ ἐν σαρκὶ ὄντες θεῷ ἀρέσαι οὐ δύνανται. Ὑμεῖς δὲ οὐκ ἐστὲ ἐν σαρκί, ἀλλ’ ἐν πνεύματι, εἴπερ πνεῦμα θεοῦ οἰκεῖ ἐν ὑμῖν. Εἰ δέ τις πνεῦμα Χριστοῦ οὐκ ἔχει, οὗτος οὐκ ἔστιν αὐτοῦ ». Ἐκπορεύεται μὲν γὰρ ἐκ τοῦ θεοῦ καὶ πατρὸς τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιον κατὰ τὴν τοῦ σωτῆρος φωνήν, ἀλλ’ οὐκ ἀλλότριόν ἐστιν τοῦ υἱοῦ · πάντα γὰρ ἔχει μετὰ τοῦ πατρός, Cyrille d’Alexandrie, Apol. adu. Theodoretum, 64, ACO I, 1, 6, p. 134-135. Voir M.-O. Boulnois, Le Paradoxe trinitaire, p. 483. Cf. Cyrille d’Alexandrie, Ep. ad Ioh., 127, 10, ACO I, 1, 4, p. 19-20. Cf., en particulier, Athanase d’Alexandrie, Contra arianos, III, 26-58, AthW I, 1, 3, p. 336-371. Sur la répartition des vocables chez Athanase et l’héritage de Marcel d’Ancyre, cf. X. Morales, La Théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie, p. 415-419. On retrouve, par exemple dans Grégoire de Nysse, Adu. Eun., III, 4, 9-14, GNO II, p. 136-139, une explication de la répartition des vocables.
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nisme⁴⁰¹ : ainsi, pour Théodoret, le ive anathématisme de Cyrille, refusant la répartition des vocables, conduit à répéter que le Fils est une créature⁴⁰². Toutefois, la crise nestorienne conduit Théodoret à admettre l’importance de l’union des deux natures et à se défendre clairement de proclamer « deux Fils », accusation contre laquelle il devra aussi se justifier lors de la querelle eutychienne⁴⁰³. Les passages que nous allons étudier sont révélateurs de cette double préoccupation de l’unité et de la distinction, et les rapprochements entre différents textes de Théodoret montrent souvent la continuité de son argumentation d’une querelle à l’autre.
L’interprétation de Romains 3, 25 La représentation paulinienne du Christ comme « propitiatoire » (ἱλαστήριον) est l’occasion pour Théodoret d’affirmer l’importance de la répartition des vocables : Ἁρμόττει δὲ αὐτῷ ὡς ἀνθρώπῳ τὸ ὄνομα, οὐχ ὡς θεῷ. Ὡς γὰρ θεός, αὐτὸς διὰ τοῦ ἱλαστηρίου χρηματίζει, ὡς δὲ ἄνθρωπος, καὶ ταύτην δέχεται τὴν προσηγορίαν, καθάπερ καὶ τὰς ἄλλας, οἷον « πρόβατον » καὶ « ἀμνὸς » καὶ « ἁμαρτία » καὶ « κατάρα » καὶ ὅσα τοιαῦτα. Καὶ τὸ μὲν παλαιὸν ἱλαστήριον αὐτὸ μὲν ἄναιμον ἦν, ἐπείπερ καὶ ἄψυχον, τοῦ δὲ τῶν ἱερείων αἵματος τὰς ῥανίδας ἐδέχετο, ὁ δὲ δεσπότης Χριστὸς καὶ θεός ἐστι καὶ ἱλαστήριον καὶ ἀρχιερεὺς καὶ ἀμνός, καὶ ἐν τῷ οἰκείῳ αἵματι τὴν ἡμετέραν ἐπραγματεύσατο σωτηρίαν, πίστιν μόνην παρ’ ἡμῶν ἀπαιτήσας, Mais ce nom lui convient comme homme, non comme Dieu. En effet, comme Dieu, c’est lui qui répond par le propitiatoire ; tandis que comme homme, il reçoit encore cette dénomination, de même que les autres, telles « brebis », « agneau », « péché », « malédiction », et toutes celles de ce genre. Et, alors que l’ancien propitiatoire était lui-même dépourvu de sang, puisque précisément il était aussi inanimé, mais qu’il recueillait les gouttes du sang des sacrifices, notre Maître le Christ, quant à lui, est à la fois Dieu, propitiatoire, grand-prêtre, agneau, et en son propre sang il a réalisé notre salut, en requérant seulement de notre part la foi⁴⁰⁴.
L’attribution du terme « propitiatoire » à l’humanité du Christ (ὡς ἄνθρωπος) est suggérée par Nestorius dans un texte contre la thèse des « deux Fils »⁴⁰⁵, et le xe anathématisme de Cyrille, portant justement sur le titre de « grand-prêtre », condamne celui qui déclare qu’il a été « un autre séparément distinct [du Verbe], homme né d’une femme »⁴⁰⁶. Au-delà de cet arrière-plan explicitement polémique, il est très intéressant de comparer le développement de Théodoret avec un texte exégétique de
Cf., par exemple, M. Simonetti, « La controversia cristologica da Apollinare a Giustiniano », p. 325-346. Cf., par exemple, Théodoret, Corresp., IV, 4, SC 429, p. 100. Sur la réfutation par Théodoret de la théorie des « deux Fils », voir, entre autres, ibid., IV, 4, SC 429, p. 104-127 (lors de la querelle nestorienne, vers 431), et ibid., II, 83, SC 98, p. 206-215 (lors de la controverse eutychienne, vers 448). II, 7 (Rm 3, 25). Cf. Nestorius, Frg. serm., IX, Loofs, p. 260-261. Ὡς ἕτερον παρ’ αὐτὸν ἰδικῶς ἄνθρωπον ἐκ γυναικός, Cyrille d’Alexandrie, Ep. ad Nest., III, 12, ACO I, 1, 1, p. 41, trad. A. J. Festugière, Éphèse et Chalcédoine, p. 67, légèrement modifiée.
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Cyrille bien antérieur à la querelle nestorienne, à savoir une interprétation du mot « propitiatoire » reposant sur le même verset paulinien, à l’occasion d’une explication d’Exode 25, 17-22 : Nous déclarons que le propitiatoire, si on le comprend d’une manière spirituelle, est celui qui est devenu homme à cause de nous (…). Sauf que, même si le Verbe Unique Engendré de Dieu est devenu comme nous, se rabaissant jusqu’à l’humanité et à l’anéantissement, il est aussi propre à lui, par nature, d’être compris dans la gloire qui convient à Dieu, et d’exister dans sa prééminence par rapport à la création, de même, assurément, qu’avant [de devenir] chair. Voilà pourquoi les chérubins entourent le propitiatoire, le couvrant de leurs ailes, tournés vers lui et reposant toujours sur lui leur visage⁴⁰⁷.
La différence entre les deux textes est caractéristique de la divergence entre deux christologies. Bien avant Éphèse, Cyrille, tout en évoquant l’Incarnation, selon la terminologie alexandrine renvoyant à Jean 1, 14 – « celui qui est devenu (γενόμενον) homme »⁴⁰⁸ –, n’hésite pas à rapporter certains éléments de la figure à la divinité, par exemple le fait qu’il est contemplé par les chérubins et recouvert par leurs ailes. En somme, le propitiatoire représente pour lui inséparablement l’humanité et la divinité du Christ. En revanche, Théodoret, s’intéressant au titre lui-même, l’attribue à la nature humaine, et en profite pour énumérer d’autres titres convenant à celle-ci, tandis que la nature divine « répond par le propitiatoire ». Toutefois, affirmant clairement l’union par la coordination entre « Dieu » et « propitiatoire », l’évêque de Cyr n’encourt pas la suspicion de proclamer « deux Fils ».
L’interprétation de Romains 8, 32 Il prend la même précaution à propos de Romains 8, 32 (« Lui qui, à vrai dire, n’épargna pas son propre Fils, mais le livra en notre faveur à tous »), avant de distinguer, dans la Passion, ce qui convient à l’humanité et ce qui convient à la divinité : Τὸν υἱὸν ἐχαρίσατο, καὶ τῶν κτημάτων ἀποστερήσει ; Εἰδέναι μέντοι χρή, ὡς ἓν μὲν τοῦ υἱοῦ τὸ πρόσωπον, δέδοται δὲ ὑπὸ τῆς θεότητος ἡ ἀνθρωπεία φύσις ὑπὲρ ἡμῶν. « Ὁ γὰρ ἄρτος », φησίν,
Φαμὲν δὲ εἶναι τὸ ἱλαστήριον, εἰ νοοῖτο πνευματικῶς, τὸν δι’ ἡμᾶς γενόμενον ἄνθρωπον (…). Πλὴν εἰ καὶ γέγονε καθ’ ἡμᾶς, καθιεὶς ἑαυτὸν εἰς ἀνθρωπότητά τε καὶ κένωσιν ὁ μονογενὴς τοῦ θεοῦ λόγος, ἀλλ’ ἔστι καὶ ἴδιον αὐτοῦ φυσικῶς τὸ ἐν δόξῃ νοεῖσθαι τῇ θεοπρεπεῖ, καὶ ἐν ὑπεροχαῖς ὑπάρχειν ταῖς ὑπὲρ τὴν κτίσιν, καθάπερ ἀμέλει καὶ πρὸ τῆς σαρκός. Διὰ τοῦτο τὰ χερουβὶμ περιεστᾶσι τὸ ἱλαστήριον, πυκάζοντα ταῖς πτέρυξι, καὶ πρὸς αὐτὸ τετραμμένα, καὶ ἀεὶ τὸ πρόσωπον ἐπερείδοντα, id., De Ad., IX, PG 68, 600 C 4-604 B 6 (Ex 25, 17-22). P. Évieux, dans l’introduction à Cyrille d’Alexandrie, Lettres festales, SC 372, p. 66, situe le De Adoratione en 412. Οn trouve l’expression Γέγονε γὰρ ἡμῖν ἱλασμός τε καὶ ἱλαστήριον ὁ Χριστός, « Le Christ est devenu pour nous propitiation et propitiatoire », dans Cyrille d’Alexandrie, De Ad., X, PG 68, 688 D 1-2. Cf. aussi id., Ad Dominas, 148, ACO I, 1, 5, p. 98-99.
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« ὃν ἐγὼ δώσω, ἡ σάρξ μού ἐστιν, ἣν ἐγὼ δώσω ὑπὲρ τῆς τοῦ κόσμου ζωῆς ». Καί · « Ἐξουσίαν ἔχω θεῖναι τὴν ψυχήν μου, καὶ ἐξουσίαν ἔχω πάλιν λαβεῖν αὐτήν », [Le Père] nous gratifia du Fils, et nous enlèvera nos acquisitions !? Au demeurant, il faut savoir que, si la personne du Fils est une, la nature humaine est donnée en notre faveur par la divinité. « Car le pain », dit-il, « que moi, je donnerai, c’est ma chair, que je donnerai moi-même pour la vie du monde ». Et : « J’ai la liberté de déposer mon âme, et j’ai la liberté de la reprendre »⁴⁰⁹.
On commencera par s’étonner que Théodoret évoque la distinction entre la divinité du Christ et son humanité, après avoir mis en regard, dans les mots qui précèdent, le Père et le « Fils », conformément à la lettre du texte expliqué. On peut voir là, malgré le caractère elliptique de la remarque, une appropriation implicite de la tradition rapprochant, dès Origène, ce verset avec les passages disant qu’il s’est livré lui-même (Galates 1, 4 ; 2, 20), pour affirmer que ce n’est pas seulement le Père qui livre son Fils, mais le Fils lui-même qui se donne⁴¹⁰. C’est en tout cas pour Théodoret l’occasion de souligner la répartition des vocables : il rejoint en cela l’interprétation polémique du verset par Grégoire de Nysse contre Eunome, précisant que Paul se réfère ici à l’humanité du Christ⁴¹¹. Toutefois, on peut supposer que Théodoret se souvient ici encore de débats plus récents, comme l’atteste l’utilisation du verset par Cyrille d’Alexandrie contre les thèses antiochiennes : Si c’est « son propre fils » (τὸν ἴδιον υἱόν) – et évidemment c’est celui qui est issu de sa substance (ἐκ τῆς οὐσίας αὐτοῦ) – qu’a « donné en notre faveur » notre Dieu et Père, s’il a souffert selon la chair (κατὰ σάρκα) et non avec la nature de la divinité (φύσει θεότητος), alors le corps qui a souffert (τὸ πεπονθὸς σῶμα) était propre à lui, afin que l’on comprenne que celui qui ne connaissait pas la souffrance (ὁ παθεῖν οὐκ εἰδώς) a lui-même souffert (παθὼν) selon l’économie (οἰκονομικῶς). Donc diviser l’unique (τὸν ἕνα) en deux est impie : car ce n’est plus son « propre fils » que le Père se trouve « donner en notre faveur » si précisément c’est un homme à part (ἄνθρωπος διῃρημένως) et non pas, bien plutôt, le Verbe issu de Dieu, qui a assumé la chair (ὡς ἐν προσλήψει σαρκὸς)⁴¹².
Pour Cyrille, le Père ne livre pas un simple homme, mais bien le Verbe, Dieu, qui a souffert en sa chair. La division en deux Fils est fermement condamnée. Un fragment antinestorien souligne en des termes similaires le caractère « un et indivisible » (ἕνα καὶ ἀδιαίρετον) du Christ, et rapporte l’expression « son propre Fils » à la divinité et
III, 57 (Rm 8, 32). Versets cités : Jn 6, 51 et Jn 10, 18. Cf. Origène, Com. in Matth., XIII, 8, GCS 40, p. 200 (Mt 17, 22) ; Didyme l’Aveugle, Frg. in Ps., 894, PTS 16, p. 177 (Ps 88, 39-46). Cf. Grégoire de Nysse, Adu. Eun., III, 4, 9-10, GNO II, p. 136-137 ; III, 4, 14, GNO II, p. 138-139. Εἰ « τὸν ἴδιον υἱόν », δῆλον δὲ ὅτι τὸν ἐκ τῆς οὐσίας αὐτοῦ, δέδωκεν ὑπὲρ ἡμῶν ὁ θεὸς καὶ πατήρ, πέπονθε δὲ κατὰ σάρκα καὶ οὐ φύσει θεότητος, ἴδιον ἄρα ἦν αὐτοῦ τὸ πεπονθὸς σῶμα, ἵνα καὶ αὐτὸς νοῆται παθὼν οἰκονομικῶς ὁ παθεῖν οὐκ εἰδώς. Τὸ τοίνυν ἀπομερίζειν εἰς δύο τὸν ἕνα δυσσεβές · οὐκέτι γὰρ « ἴδιον υἱὸν » εὑρίσκεται δοὺς ὑπὲρ ἡμῶν ὁ πατήρ, εἴπερ ἐστὶν ἄνθρωπος διῃρημένως καὶ οὐχὶ δὴ μᾶλλον ὡς ἐν προσλήψει σαρκὸς ὁ ἐκ θεοῦ λόγος, Cyrille d’Alexandrie, Ad Dominas, 163, ACO I, 1, 5, p. 103.
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le verbe « livrer » à l’humanité, tout en reprenant la tradition origénienne mentionnée plus haut⁴¹³. Or un fragment de Diodore atteste l’interprétation du verset distinguant l’homme du Verbe : Lorsque le livre divin dit que le Seigneur de la gloire lui-même a été crucifié et que Dieu n’a pas épargné son propre Fils, en nous attachant à la profondeur de la pensée du livre, nous ne sommes pas amenés par l’expression à croire que c’est Dieu le Verbe qui a souffert, mais que (c’est) l’homme qui (est) de Marie, lequel a obtenu l’appellation de Fils⁴¹⁴.
Pour Diodore, le mot « Fils » ne désigne pas ici le Verbe, de substance divine, mais l’homme issu de Marie qui a été appelé Fils. C’est bien cette distinction entre deux Fils que Cyrille condamne. On comprend donc la précaution de Théodoret, qui commence par énoncer l’unité de la personne du Christ – ἓν μὲν τοῦ υἱοῦ τὸ πρόσωπον, « la personne du Fils est une » – avant de distinguer, par des termes abstraits, la « nature humaine » (ἀνθρωπεία φύσις), livrée à la souffrance, et la divinité (θεότης), impassible. Quant au recours, dans le même extrait de l’In Romanos, aux versets johanniques pour évoquer le don de l’humanité du Christ par sa divinité, il fait écho à l’Eranistes, dans lequel l’Orthodoxe cite aussi Jean 6, 51 pour évoquer « la libéralité de la divinité et le don de la chair »⁴¹⁵. Dans notre passage, l’association des deux versets de Jean est remarquable en ce qu’elle suggère la perfection de la nature humaine du Christ par la mention de la « chair » (σάρξ) et de l’« âme » (ψυχή). En effet, si cette affirmation est ici implicite, le rapprochement n’est cependant pas fortuit, comme le confirme un développement de la Correspondance de Théodoret dans lequel les deux versets sont cités conjointement, l’un pour prouver que le Christ a assumé un corps (σῶμα), l’autre pour attester qu’il a « une âme immortelle » (ψυχὴν ἀθάνατον)⁴¹⁶.
Εἶπεν · « Ὅς γε τοῦ ἰδίου υἱοῦ οὐκ ἐφείσατο », δηλῶν « ἴδιον » εἶναι τὸν τῆς αὐτῆς οὐσίας ὑπάρχοντα καὶ μὴ ἀλλότριον, ἔπειτά γε τὸ ὑφειμένον καὶ οἰκονομικὸν τὸ « Ὑπὲρ ἡμῶν πάντων παρέδωκεν αὐτόν », « [Paul] a dit “Lui qui, à vrai dire, n’épargna pas son propre Fils”, montrant que celui qui est de la même substance est “propre” et non étranger ; ensuite, il est vrai, [il a dit] ce qui est inférieur et selon l’économie : “Il l’a livré pour nous tous” », Ps-Sévérien de Gabala, Frg. in I Tim., Staab, p. 336-337 (1 Tim 2, 5-6). L’attribution du fragment à Sévérien ne tient pas à cause d’une mention de Nestorius, comme l’a fait remarquer H.-D. Altendorf, Untersuchungen zu Severian von Gabala, Inaugural-Dissertation zur Erlangung der Doktorwürde, Tübingen, 1957, p. 21-29, qui, à partir d’une enquête théologique et stylistique, affirme que la scholie, très probablement antérieure à 451, dépend incontestablement de Cyrille, qu’elle soit ou non de lui. Diodore de Tarse, Frg., 15, ROC XXX (trad. M. Brière), p. 264. Ἡ τῆς θεότητος φιλοτιμία καὶ ἡ δωρεὰ τῆς σαρκός, Théodoret, Eranistes, III, Ettlinger, p. 221 (269) ; cf. aussi ibid., Appendix, p. 261 (329) (citation de Jn 6, 51 et Jn 10, 14-15). Cf. Corresp., III, 146, SC 111, p. 186-189 (vers 451). Cf. aussi, seulement à propos de l’âme raisonnable (ψυχὴ λογική), ibid., IV, 4, SC 429, p. 112-115 (vers 431).
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Par ailleurs, Romains 8, 32 est également cité dans les débats sur l’impassibilité divine, au même titre que les citations que nous examinerons plus loin à ce sujet et avec les mêmes affirmations de la part de chaque auteur⁴¹⁷.
L’interprétation de Romains 8, 29 L’union des natures et la répartition des vocables est aussi au centre de l’interprétation de Romains 8, 29, dans laquelle on peut distinguer deux étapes, rappelant toutes deux la querelle nestorienne. Dans un premier temps, l’évêque de Cyr relève l’expression « conforme à l’image de son Fils » : Et, exprimant tout avec exactitude, il n’a pas dit « conformes à son Fils » (συμμόρφους τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ), mais « conformes à l’image de son Fils » (τῆς εἰκόνος τοῦ υἱοῦ αὑτοῦ). Il a énoncé cela plus clairement dans l’Épître aux Philippiens. En effet, après avoir dit : « Notre citoyenneté se trouve dans les cieux, d’où nous attendons encore avec fébrilité le Sauveur, le Seigneur JésusChrist », il a ajouté : « qui transformera notre corps d’humiliation pour qu’il devienne conforme à son corps de gloire » (σύμμορφον τῷ σώματι τῆς δόξης αὑτοῦ). Car, bien sûr, ce n’est pas à sa divinité (τῇ θεότητι) que notre corps sera conforme, mais « à son corps de gloire ». De même, ici aussi, il a nommé ceux qui ont été jugés dignes de l’appel « conformes à l’image du Fils », c’està-dire au corps du Fils. Car, puisque la nature divine (ἡ θεία φύσις) est invisible, et le corps (τὸ δὲ σῶμα), visible, c’est comme en une image (ὡς ἐν εἰκόνι τινὶ) qu’on l’adore par l’intermédiaire de son corps⁴¹⁸.
Théodoret souligne qu’il est question d’être conformes à l’« image de son Fils » (τῆς εἰκόνος τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ), non au Fils, et s’appuie sur l’expression de Philippiens 3, 21, « conforme à son corps de gloire » (σύμμορφον τῷ σώματι τῆς δόξης αὐτοῦ). Il reprend ainsi l’argument lu chez Eustathe d’Antioche⁴¹⁹. Même s’il note que dans Philippiens il s’agit de la conformité de notre corps humain au corps du Fils, Théodoret affirme, en vertu du rapprochement des deux versets sur l’adjectif σύμμορφος, que l’homme ne peut être conforme qu’au corps du Fils, visible comme l’est une
Cf., par exemple, Cyrille d’Alexandrie, Ad Dominas, 10, ACO I, 1, 5, p. 66 ; 163, p. 103 ; Théodoret, Eranistes, III, Ettlinger, p. 207-208 (249). C’est déjà le propos de Grégoire de Nysse, aussi bien que du Pseudo-Sévérien, op. cit. ᾿Aκριβῶς δὲ πάντα φθεγγόμενος, οὐκ εἶπε συμμόρφους τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ, ἀλλὰ « τῆς εἰκόνος τοῦ υἱοῦ αὑτοῦ ». Σαφέστερον δὲ τοῦτο τέθεικεν ἐν τῇ πρὸς Φιλιππησίους ἐπιστολῇ. Εἰρηκὼς γάρ · « Ἡμῶν δὲ τὸ πολίτευμα ἐν οὐρανοῖς ὑπάρχει, ἐξ οὗ καὶ σωτῆρα ἀπεκδεχόμεθα κύριον Ἰησοῦν Χριστόν », ἐπήγαγεν · « Ὃς μετασχηματίσει τὸ σῶμα τῆς ταπεινώσεως ἡμῶν εἰς τὸ γενέσθαι αὐτὸ σύμμορφον τῷ σώματι τῆς δόξης αὑτοῦ ». Οὐ γὰρ δὴ τῇ θεότητι αὐτοῦ σύμμορφον ἡμῶν ἔσται τὸ σῶμα, ἀλλὰ « τῷ σώματι τῆς δόξης αὐτοῦ ». Οὕτω κἀνταῦθα τοὺς τῆς κλήσεως ἀξιωθέντας « τῆς εἰκόνος τοῦ υἱοῦ συμμόρφους » ὠνόμασε, τουτέστι τοῦ σώματος τοῦ υἱοῦ. Ἐπειδὴ γὰρ ἀόρατος ἡ θεία φύσις, τὸ δὲ σῶμα ὁρατόν, ὡς ἐν εἰκόνι τινὶ διὰ τοῦ σώματος προσκυνεῖται, III, 54 (versets cités : Ph 3, 20. 21). Voir l’extrait qu’il cite dans Eranistes, Florilegium II, Ettlinger, p. 158 (176). Dans l’extrait précédent, Eustathe dit que ce n’est pas l’esprit incorporel qui peut être conforme à l’homme corporel, mais seulement le « caractère humain » (ἀνθρώπινος χαρακτήρ).
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image, tandis que la divinité (θεότης) est invisible. Cette exégèse s’oppose clairement à celle que Cyrille développe, dans le cadre de la réfutation des « deux Fils », pour prouver que la ressemblance au Christ est ressemblance à l’égard de son humanité mais aussi de sa divinité. Situant la conformité au niveau de la nature et non au niveau de la qualité de l’individu, il déclare que, dans la mesure où le Christ s’est fait homme, tous les hommes sont conformes à lui à l’égard de l’humanité. Pourtant, tous ne sont pas prédestinés et sanctifiés, « donc le problème de la conformité à l’égard du Fils ne saurait se comprendre selon la seule nature de la chair ou de l’humanité » ⁴²⁰. Selon lui, en exhortant ceux qui portent « l’image du terrestre », c’est-à-dire d’Adam, à porter aussi « l’image du céleste » (1 Corinthiens 15, 49), celle du Christ, Paul évoque bien la victoire sur les passions et sur la mort, et la sanctification ; et ces caractéristiques conviennent à la nature divine. « Le Verbe issu de Dieu le Père nous élève à cela, nous rendant participants de sa nature divine par l’Esprit. Il a donc des frères qui lui ressemblent et qui portent une image de sa nature divine, du moins selon le mode de la sanctification » ⁴²¹. Par conséquent, limiter la ressemblance à l’humanité est une grave erreur : Comment donc ne rougis-tu pas de nous accorder seulement et uniquement la ressemblance de la chair, négligeant la forme divine et spirituelle, ou plutôt la détruisant complètement ? Mais le Seigneur de l’univers et Dieu unique engendré s’est abaissé jusqu’à l’anéantissement à cause de nous, afin de nous gratifier de la dignité d’être ses frères et de la beauté délectable de la noblesse qui est en lui⁴²².
On remarquera en passant que l’opposition entre deux christologies, l’une soulignant la distinction entre ce qui relève de l’humanité et ce qui est propre à la divinité, l’autre mettant l’accent sur l’union des natures, va de pair avec une différence d’approche notable en ce qui concerne la sotériologie et la description de l’expérience spirituelle : tandis que Théodoret mentionne la ressemblance avec l’humanité du Christ, Cyrille évoque la participation à la divinité par l’action de l’Esprit saint⁴²³. À ce titre, il est significatif que Théodoret ne cite pas une seule fois dans toute son œuvre l’expression « participants de la nature divine » (θείας κοι-
Oὐκ ἄρα τῆς πρὸς υἱὸν συμμορφίας τὸ χρῆμα κατὰ μόνην ἂν νοοῖτο τὴν τῆς σαρκὸς φύσιν ἢ γοῦν τῆς ἀνθρωπότητος, Cyrille d’Alexandrie, Adu. Nest., III, 2, ACO I, 1, 6, p. 60. ᾿Aναφέρει δὲ καὶ ἡμᾶς ἐν τούτοις ὁ ἐκ θεοῦ πατρὸς λόγος, τῆς θείας ἑαυτοῦ φύσεως κοινωνοὺς ἀποφαίνων διὰ τοῦ πνεύματος. Ἔχει τοίνυν ἀδελφοὺς ἐοικότας αὐτῷ καὶ τῆς θείας αὐτοῦ φύσεως φοροῦντας εἰκόνα κατά γε τὸν τοῦ ἡγιάσθαι τρόπον, ibid., III, 2, ACO I, 1, 6, p. 60. Τί τοίνυν ἡμῖν γυμνήν τε καὶ μόνην τῆς σαρκὸς τὴν ἐμφέρειαν ἀπονέμων οὐκ ἐρυθριᾷς, τῆς θείας τε καὶ νοητῆς μορφώσεως κατημεληκώς, μᾶλλον δὲ καὶ εἰς ἅπαν αὐτὴν ἀναιρῶν ; ἀλλ’ ὁ μὲν τῶν ὅλων κύριος καὶ θεὸς μονογενὴς καθῆκεν ἑαυτὸν εἰς κένωσιν δι’ ἡμᾶς, ἵνα ἡμῖν χαρίσηται τῆς πρὸς αὐτὸν ἀδελφότητος τὸ ἀξίωμα καὶ τῆς ἐνούσης αὐτῷ εὐγενείας τὸ ἀξιέραστον κάλλος, ibid., III, 2, ACO I, 1, 6, p. 60. Sur l’articulation entre christologie et sotériologie chez Cyrille, cf. B. Meunier, Le Christ de Cyrille d’Alexandrie, notamment, au sujet de la notion de participation spirituelle, p. 195-213. L’auteur mentionne la différence d’accent entre la sotériologie alexandrine et l’approche antiochienne, p. 212.
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νωνοὶ φύσεως, 2 Pierre 1, 4), tandis qu’on en trouve plusieurs dizaines d’occurrences chez Cyrille⁴²⁴. Eu égard à cette différence de conception, on pourrait comparer aussi les interprétations de versets relatifs à l’habitation de l’Esprit comme Romains 8, 9 chez les deux auteurs : pour Théodoret, c’est « la grâce de l’Esprit » qui habite en l’homme⁴²⁵, tandis que Cyrille affirme l’habitation de l’Esprit lui-même⁴²⁶. Mais revenons à la question christologique. En effet, la deuxième partie de Romains 8, 29 fournit à Théodoret une nouvelle occasion d’affirmer la répartition des vocables et l’union des natures : « Pour qu’il fût le premier-né parmi de nombreux frères ». La vérité de l’enseignement atteste aussi cela : il se dénomme « premier-né » comme homme (ὡς ἄνθρωπος). En effet, comme Dieu (ὡς θεός), il est l’Unique Engendré. Car si, comme Dieu (ὡς θεός), il n’a pas de frères, comme homme (ὡς ἄνθρωπος), il appelle « frères » les croyants. De ceux-là, il est le premier-né, non qu’il soit autre que l’Unique Engendré (οὐκ ἄλλος ὢν παρὰ τὸν μονογενῆ), mais c’est le même (ἀλλ’ ὁ αὐτὸς) qui est à la fois l’Unique Engendré et le premier-né⁴²⁷.
On ne s’étendra pas ici sur l’importance de la réflexion opposant les termes πρωτότοκος et μονογενής, en particulier avec l’utilisation de ce verset, dans la controverse arienne : le dossier a déjà été étudié en détail⁴²⁸. Alors que l’interprétation de Jean Chrysostome se fait encore l’écho de ces débats⁴²⁹, le commentaire de Théodoret témoigne de l’évolution des discussions. En effet, par le vocabulaire employé, il met l’accent sur la distinction des natures, « premier-né » s’appliquant au Christ « comme homme » (ὡς ἄνθρωπος), « Unique Engendré » à sa divinité (ὡς θεός). En même temps, il affirme clairement l’union des natures : « non qu’il soit autre que l’Unique Engendré, mais c’est le même qui est à la fois l’Unique Engendré et le premier-né » (οὐκ ἄλλος ὢν παρὰ τὸν μονογενῆ, ἀλλ’ ὁ αὐτὸς καὶ μονογενὴς ὢν καὶ πρωτότοκος). Pour apprécier l’arrière-plan polémique de ce développement, il faut noter que l’évêque de Cyr utilisait déjà le verset dans des écrits antérieurs à l’Union de 433,
Sur l’usage par Cyrille de ce verset et d’autres passages relatifs à l’idée de participation, cf. ibid., p. 163-178. Cf. III, 38. Sur le rapport de cette interprétation à la source chrysostomienne, cf. supra, p. 162. Cf. M.-O. Boulnois, Le Paradoxe trinitaire, p. 488, note 180. « Εἰς τὸ εἶναι αὐτὸν πρωτότοκον ἐν πολλοῖς ἀδελφοῖς ». Μαρτυρεῖ καὶ τοῦτο ἡ ἀλήθεια τῆς διδασκαλίας · πρωτότοκος γὰρ ὡς ἄνθρωπος ὀνομάζεται. Μονογενὴς γάρ ἐστιν ὡς θεός. Οὐκ ἔχει γὰρ ἀδελφοὺς ὡς θεός, ὡς δὲ ἄνθρωπος ἀδελφοὺς τοὺς πεπιστευκότας καλεῖ. Τούτων ἐστὶ πρωτότοκος, οὐκ ἄλλος ὢν παρὰ τὸν μονογενῆ, ἀλλ’ ὁ αὐτὸς καὶ μονογενὴς ὢν καὶ πρωτότοκος, III, 54. Cf. M. Cassin, L’Écriture de la controverse, p. 275-317. L’auteur montre l’originalité de la lecture nysséenne. Par ailleurs, il rapproche notre extrait des exégèses antiariennes de Didyme, du PseudoBasile, ainsi que du Thesaurus de Cyrille (p. 312-313). Sur le vocable « premier-né » comme argument contre la divinité du Fils, cf. Eunome, Apol., 24, SC 305, p. 282-284 (Vaggione, p. 64-67). Ταῦτα δὲ πάντα περὶ τῆς οἰκονομίας εἰρῆσθαι νόμιζε · κατὰ γὰρ τὴν θεότητα μονογενής, « Pense que tout cela est dit au sujet de l’économie : selon la divinité, il est Unique engendré », Jean Chrysostome, Hom. in Rom., XV, PG 60, 541, 47-48. Les termes sont comparables à ceux de Didyme, cf. M. Cassin, L’Écriture de la controverse, p. 311.
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avec le même type d’argumentation sur l’union et la distinction des natures⁴³⁰, et citer deux des passages dans lesquels Cyrille commente le même verset, le premier précédant le concile d’Éphèse, le second datant de la querelle nestorienne : Quand donc le Fils et Unique Engendré coéternel au Père et antérieur à tout siècle aux derniers temps est devenu homme (γέγονεν ἄνθρωπος), qu’il a été engendré à partir d’une femme, qu’il a été prédestiné comme Fils, qu’il a été nommé aussi premier-né et qu’il est venu « dans une multitude de frères », alors aussi son Père par nature lui fixe un nom, suivant, si je puis dire, les lois de la paternité. Le même donc est à la fois Unique Engendré et premier-né (Ὁ αὐτὸς οὖν ἄρα καὶ μονογενής ἐστι καὶ πρωτότοκος). Celui en effet qui, comme Dieu (ὡς θεός), est Unique Engendré, est premier-né parmi nous selon l’union conforme à l’économie (καθ’ ἕνωσιν οἰκονομικὴν) et il est « dans une multitude de frères », comme homme (ὡς ἄνθρωπος), afin que nous soyons pour ainsi dire en lui et par lui Fils de Dieu par nature et selon la grâce, par nature pour ainsi dire en lui et en lui seul, par participation et selon la grâce, nous par lui, dans l’Esprit. De même donc que la qualité d’Unique Engendré est devenue propre à l’humanité (ἴδιον τῆς ἀνθρωπότητος) dans le Christ du fait que cette humanité a été unie au Verbe selon une conjonction résultant de l’économie, de même le fait d’être dans une multitude de frères et la qualité de premier-né est devenue propre au Verbe (ἴδιον τοῦ λόγου) du fait qu’il a été uni à la chair. (…) Il est adoré comme Unique Engendré (ὡς μονογενὴς) même s’il est appelé premier-né, dénomination qui à l’évidence convient éminemment aux limitations de l’humanité (τῆς ἀνθρωπότητος)⁴³¹. [Les apôtres] n’ont pas transmis par la tradition un autre et un autre (ἕτερον καὶ ἕτερον), comme j’ai dit, mais un seul et le même (ἕνα καὶ τὸν αὐτὸν) à la fois Dieu et homme, Unique Engendré et premier-né, pour qu’il ait une de ces qualités de manière divine (θεϊκῶς), l’autre de manière humaine (ἀνθρωπίνως), quand il vint « dans une multitude de frères », s’étant revêtu de la ressemblance avec nous et n’ayant pas attaché à lui un autre homme, comme certains l’ont pensé, mais devenu réellement un homme, sans s’être éloigné d’être ce qu’il était⁴³².
Cf., par exemple, Corresp., IV, 4, SC 429, p. 122 ; De sancta Trin., X, SC 574, p. 262-265. Ὅτε τοίνυν ὁ συναίδιος τῷ πατρὶ καὶ πρὸ παντὸς αἰῶνος υἱὸς καὶ μονογενὴς ἐν ἐσχάτοις τοῦ αἰῶνος καιροῖς γέγονεν ἄνθρωπος, γεγέννηται δὲ καὶ ἐκ γυναικὸς καὶ ὡρίσθη μὲν υἱός, κεχρημάτικε δὲ καὶ πρωτότοκος καὶ γέγονεν « ἐν πολλοῖς ἀδελφοῖς », τότε καὶ ὁ φύσει πατὴρ ὁρίζει τοὔνομα, τοῖς τῆς πατρότητος, ἵν’ οὕτως εἴπωμεν, ἑπόμενος νόμοις. Ὁ αὐτὸς οὖν ἄρα καὶ μονογενής ἐστι καὶ πρωτότοκος. Ὁ γάρ τοι μονογενὴς ὡς θεός, πρωτότοκος ἐν ἡμῖν καθ’ ἕνωσιν οἰκονομικὴν καὶ « ἐν πολλοῖς ἀδελφοῖς » ὡς ἄνθρωπος, ἵνα καὶ ἡμεῖς ὡς ἐν αὐτῷ τε καὶ δι’ αὐτοῦ υἱοὶ θεοῦ φυσικῶς τε καὶ κατὰ χάριν, φυσικῶς μὲν ὡς ἐν αὐτῷ τε καὶ μόνῳ, μεθεκτῶς δὲ καὶ κατὰ χάριν ἡμεῖς δι’ αὐτοῦ ἐν πνεύματι. Ὥσπερ οὖν γέγονεν ἴδιον τῆς ἀνθρωπότητος ἐν Χριστῷ τὸ μονογενὲς διὰ τὸ ἡνῶσθαι τῷ λόγῷ κατὰ σύμβασιν οἰκονομικήν, οὕτως ἴδιον τοῦ λόγου τὸ ἐν πολλοῖς ἀδελφοῖς καὶ τὸ πρωτότοκος διὰ τὸ ἡνῶσθαι σαρκί. (…) Προσκυνεῖται γὰρ ὡς μονογενὴς κἂν εἰ καλοῖτο πρωτότοκος, ὅπερ ἐστὶν ἐναργῶς τοῖς τῆς ἀνθρωπότητος μέτροις ὅτι μάλιστα πρέπον, Cyrille d’Alexandrie, De recta fide ad Theodosium, 29-30, ACO I, 1, 1, p. 61-62, trad. A. J. Festugière, Éphèse et Chalcédoine, p. 93-94, modifiée. Οὐ γὰρ ἕτερον καὶ ἕτερον, ὡς ἔφην, παρέδοσαν (…), ἀλλ’ ἕνα καὶ τὸν αὐτὸν θεόν τε ὁμοῦ καὶ ἄνθρωπον, μονογενῆ καὶ πρωτότοκον, ἵνα τὸ μὲν ἔχοι θεϊκῶς, τὸ δὲ ἀνθρωπίνως, ὅτε γέγονεν « ἐν πολλοῖς ἀδελφοῖς », τὴν πρὸς ἡμᾶς ὁμοίωσιν ὑπελθὼν καὶ οὐκ ἄνθρωπον ἄλλον συνάψας ἑαυτῷ, καθὰ φρονεῖν ἔδοξέ τισιν, ἀλλ’ αὐτόχρημα γενόμενος ἄνθρωπος καὶ οὐκ ἀποστὰς τοῦ εἶναι ὃ ἦν, id., Ep. ad Ioh., 133, ACO, I, 1, 4, p. 38, trad. A. J. Festugière, Éphèse et Chalcédoine, p. 516, modifiée.
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La formule employée par Théodoret pour dire l’union des natures est exactement celle de Cyrille avant la querelle, de même que les alternatives ὡς θεός / ὡς ἄνθρωπος. Cependant, l’évêque de Cyr ne souscrit pas à l’échange des noms affirmé par l’Alexandrin avant Éphèse. En effet, selon celui-ci, Unique Engendré devient, en vertu de l’union, « propre à l’humanité », et premier-né devient « propre au Verbe ». Dans le deuxième extrait, en s’adressant à Jean d’Antioche pour combattre la théorie des « deux Fils », Cyrille utilise, certes, des formules abstraites pour désigner les deux natures, mais en même temps, son propos est moins audacieux sur l’union et, partant, plus acceptable pour les Antiochiens. L’interprétation de Théodoret peut donc être considérée comme un rappel de la querelle et de l’accord obtenu. On pourrait ajouter que le souvenir des débats avec Cyrille est également sous-jacent dans le commentaire déjà cité des mots qui précèdent immédiatement, « l’image du Fils » étant comprise comme son corps et l’exégète concluant : « Puisque la nature divine est invisible, et le corps, visible, c’est comme en une image qu’on l’adore par l’intermédiaire de son corps »⁴³³. En confessant ici l’adoration unique, il rappelle qu’il ne tombe pas sous le coup du viiie anathématisme, qui condamne l’adoration de l’homme assumé conjointement à Dieu le Verbe⁴³⁴. Toutefois, la similarité du propos et des termes employés avec une argumentation menée par l’évêque de Cyr lors de la querelle eutychienne relativise l’impression d’une allusion directe à Cyrille. Dans ce développement le plus tardif est à nouveau réfuté l’échange des noms, qu’on trouvait dans le texte le plus ancien de Cyrille : En effet, nous ne disons pas deux Fils, dont l’un serait le Monogène et un autre le premier-né, mais nous confessons qu’il est à la fois Monogène et premier-né, non pas sous le même rapport toutefois : le Monogène n’est pas pour autant premier-né, et le premier-né n’est pas pour autant Monogène⁴³⁵.
Quoi qu’il en soit, en commentant le verset dans l’In Romanos, l’exégète rend compte de son activité doctrinale et polémique.
III, 54. On trouve une remarque analogue dans la Lettre 4 (cf. supra, note 430 p. 294). Pour Origène, « l’image du Fils » désigne l’âme du Christ. Cf. Origène, Com. in Rom., VII, 5, 6, SC 543, p. 308 (Rm 8, 29) ; id., Frg. in Rom., I, JThS 13, p. 211 (Rm 1, 1) (= Philoc., 25, 2, SC 226, p. 218). Pour Jean Chrysostome, Hom. in Rom., XV, PG 60, 541, 39-41, il s’agit de devenir « selon la grâce » (κατὰ χάριν) ce que l’Unique Engendré est « par nature » (φύσει). Cyrille n’utilise cependant pas Romains 8, 29 dans ce contexte. Οὐ δύο γὰρ υἱοὺς λέγομεν, ἄλλον μὲν τὸν μονογενῆ καὶ ἄλλον τὸν πρωτότοκον, ἀλλ’ αὐτὸν ὁμολογοῦμεν καὶ μονογενῆ καὶ πρωτότοκον, οὐ κατὰ τὸ αὐτὸ μέντοι · οὔτε ὁ μονογενὴς ταύτῃ πρωτότοκος, οὔτε ὁ πρωτότοκος ταύτῃ μονογενής, Théodoret, Lettre à Helladès et Théophile, 3, 6, SC 575, p. 312. La même réfutation se trouvait dans le De sancta Trinitate (cf. supra, note 430 p. 294).
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
5.5.2.2 Impassibilité divine Si l’impassibilité de la nature divine du Christ⁴³⁶ constitue déjà un thème important de la polémique contre les ariens et Apolinaire⁴³⁷, elle devient un point d’affrontement essentiel aussi bien dans la controverse nestorienne⁴³⁸ que dans la querelle eutychienne⁴³⁹. Trois courtes digressions, situées à peu d’intervalle dans la IIe section de l’In Romanos, font clairement allusion à ces discussions : Théodoret affirme que la Passion se rapporte à la nature humaine du Christ, la divinité étant impassible. Ces remarques sont peut-être les plus représentatives du décalage entre l’apparente gratuité d’une parenthèse et son importance réelle eu égard aux controverses auxquelles elle renvoie. En effet, les versets qui les occasionnent, Romains 4, 24 ; 6, 4 et surtout 5, 10, jouent un rôle important dans ces discussions.
L’interprétation de Romains 6, 4 et 4, 24 Concernant les deux premiers versets mentionnés, la comparaison entre l’interprétation de Théodoret et celle de ses adversaires est significative de la différence de perspective. Au sujet de Romains 6, 4, « Le Christ a été ressuscité d’entre les morts au moyen de la gloire du Père », il met en garde contre le risque de diminuer la divinité du Fils en la déclarant passible. Pour cela, il souligne encore la distinction des natures et attribue la résurrection comme la Passion à la nature humaine :
Pour une histoire rapide (et inégalement documentée) de la réflexion sur l’impassibilité divine dans la christologie aux ive et ve siècles, cf. J. M. Hallman, The Coming of the Impassible God. Tracing a Dilemma in Christian Theology, Piscataway (NJ), 2007, p. 71-159. Pour l’arien Eudoxe, la souffrance du Christ prouve l’infériorité de sa divinité ; pour Apolinaire, si l’on en croit la réfutation de Grégoire de Nysse, l’union entre la chair et la divinité, celle-ci remplaçant l’âme intellectuelle, implique la passibilité de la divinité. À ce sujet, et en particulier sur la reconstruction polémique par Grégoire de Nysse des idées apolinaristes, voir l’étude de H. Grelier, L’Argumentation de Grégoire de Nysse contre Apolinaire de Laodicée : Étude littéraire et doctrinale de l’Antirrheticus adversus Apolinarium et de l’Ad Theophilum adversus apolinaristas, diss. pro manuscripto, Lyon, 2008, p. 707-729. À propos d’Apolinaire, l’évêque de Cyr évoque surtout l’absence d’âme intellectuelle. Cf. Haer. fab., IV, 8, PG 83, 425 B 12-428 A 9. Sur la réception d’Apolinaire chez Théodoret et en particulier sur les citations dans les florilèges de l’Eranistes, cf. S.-P. Bergjan, « Theodoret von Cyrus, Apollinarius und die Apollinaristen in Antiochien », p. 229-258. Cyrille d’Alexandrie, Ep. ad Nest., III, 6, ACO I, 1, 1, p. 37, affirme : Κατὰ φύσιν ἰδίαν ὑπάρχων ἀπαθής, σαρκὶ πέπονθεν ὑπὲρ ἡμῶν κατὰ τὰς γραφάς (…), τὰ τῆς ἰδίας σαρκὸς ἀπαθῶς οἰκειούμενος πάθη, « Bien que (…) par nature impassible, il a souffert dans sa chair pour nous selon les Écritures (…), s’appropriant impassiblement la passion de sa propre chair », trad. A. J. Festugière, Éphèse et Chalcédoine, p. 60. Théodoret, Corresp., IV, 4, SC 429, p. 100, considère que, pour Cyrille, « la divinité du Christ elle-même, qui est impassible et immuable, a souffert » (αὐτὴν τὴν ἀπάθη καὶ ἄτρεπτον τοῦ Χριστοῦ θεότητα (…) παθεῖν). C’est le sujet du troisième dialogue de l’Eranistes. Voir aussi, par exemple, Corresp., III, 131, SC 111, p. 114-121 ; III, 145, SC 111, p. 164-173 ; III, 146, SC 111, p. 186-193. En revanche, la synthèse sur l’hérésie d’Eutychès met surtout l’accent sur le fait que, pour l’hérésiarque, le Christ n’a pas été pleinement homme. Cf. Haer. fab., IV, 13, PG 83, 436 D 1-437, C 13.
5.5 Échos des controverses trinitaires et christologiques
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Il appelle « gloire du Père » la divinité (τὴν θεότητα) du Christ. Car il dit aussi dans une autre épître : « Afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire… ». Et le Seigneur, dans les Évangiles : « Détruisez le temple que voici, et en trois jours je le relèverai ». Si les hérétiques ne peuvent admettre cette interprétation, cela n’altérera même pas la gloire de l’Unique Engendré. En effet, même si c’est le Père qui le ressuscita, c’est comme homme (ὡς ἄνθρωπον) qu’il le ressuscita ; car c’est comme homme (ὡς ἄνθρωπος) qu’il accueillit aussi la souffrance (τὸ πάθος ἐδέξατο)⁴⁴⁰.
En déclarant que la « divinité du Christ » (θεότης τοῦ Χριστοῦ) opère la résurrection, Théodoret souligne la plénitude de cette divinité et s’oppose à la conception arienne. Il n’admet de dire que le Père l’a opérée qu’à condition de préciser que le bénéficiaire est l’humanité du Christ (ὡς ἄνθρωπος). Il apparaît ici clairement que la confusion des natures conduit pour lui à affaiblir la divinité par les attributs humains. Or, on trouve chez Cyrille un développement sur l’action commune des Trois lors de la Résurrection, justement à partir de Romains 4, 24, et notamment avec la citation de Jean 2, 19 : On dit donc que le Père a ressuscité Christ des morts, mais nous ne trouverons pas le Fils inactif eu égard à la résurrection de son propre corps ; et il a bien affirmé aux Juifs : « Détruisez le temple que voici, et en trois jours je le relèverai ». (…) L’Unique engendré est devenu homme et a enduré (ὑπέμεινε) charnellement la mort ; il est toutefois revenu à la vie, non selon la puissance de la chair ou de l’humanité, mais pour ainsi dire dans la force de la divinité qui fait naître les morts à la vie et appelle à l’être ce qui n’est pas⁴⁴¹.
Ici, le propos est très proche de celui de Théodoret, mais l’expression souligne davantage l’union, notamment en attribuant l’Incarnation et la mort directement à l’Unique Engendré. De même, à propos de Romains 4, 24, « Nous qui croyons en celui qui a ressuscité des morts notre Seigneur Jésus », l’évêque de Cyr met l’accent sur l’attribution à la nature humaine (κατὰ τὸ ἀνθρώπειον), et non à la divinité (οὐ τῆς ἀπαθοῦς θεότητος), de la Passion et de la Résurrection⁴⁴². Or, les deux versets (Romains 4, 24
« Δόξαν » δὲ « τοῦ πατρὸς » τὴν θεότητα καλεῖ τοῦ Χριστοῦ. Καὶ γὰρ ἐν ἑτέρᾳ φησὶν ἐπιστολῇ · « Ἵνα ὁ θεὸς τοῦ κυρίου ἡμῶν Ἰησοῦ Χριστοῦ, ὁ πατὴρ τῆς δόξης ». Καὶ ὁ κύριος ἐν τοῖς εὐαγγελίοις · « Λύσατε τὸν ναὸν τοῦτον καὶ ἐν τρισὶν ἡμέραις ἐγερῶ αὐτόν ». Εἰ δὲ ταύτην οἱ αἱρετικοὶ τὴν ἑρμηνείαν μὴ δέξαιντο, οὐδὲ οὕτω λυμανοῦνται τῇ τοῦ μονογενοῦς δόξῃ. Εἰ γὰρ καὶ ὁ πατὴρ αὐτὸν ἤγειρεν, ὡς ἄνθρωπον ἤγειρεν, ὡς ἄνθρωπος γὰρ καὶ τὸ πάθος ἐδέξατο, II, 34 (Rm 6, 4). Versets cités : Ep 1, 17, Jn 2, 19. Οὐκοῦν λέγεται μὲν ὁ πατὴρ ἀναστῆσαι Χριστὸν ἐκ νεκρῶν, οὐχ εὑρήσομεν δὲ τὸν υἱὸν ἀεργῆ περὶ τὴν ἀνάστασιν τοῦ ἰδίου σώματος, καὶ γοῦν ἔφη πρὸς Ἰουδαίους · « Λύσατε τὸν ναὸν τοῦτον, καὶ ἐν τρισὶν ἡμέραις ἐγερῶ αὐτόν » (…). Γέγονεν ἄνθρωπος ὁ μονογενὴς καὶ ὑπέμεινε μὲν σαρκικῶς τὸν θάνατον, ἀνεβίω γε μὴν οὐ κατὰ σαρκὸς ἢ γοῦν ἀνθρωπότητος δύναμιν, ἀλλ’ ὡς ἐν ἰσχύι θεότητος τῆς ζωογονούσης τοὺς νεκροὺς καὶ καλούσης τὰ μὴ ὄντα ὡς ὄντα, Cyrille d’Alexandrie, R. F. ad Aug., 40, ACO I, 1, 5, p. 55-56 (verset cité : Jn 2, 19). Le texte est daté de 430, cf. J. Quasten, Patrology, Utrecht-Westminster (Maryland), 1951-1960, III, p. 126. Cf. II, 19 (Rm 4, 24).
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
et 6, 4) sont utilisés dans une œuvre attribuée à Cyrille⁴⁴³ pour combattre la théorie des deux Fils et affirmer que celui-là même qui subit la Passion est appelé « Seigneur », ce qui équivaut, pour lui, à proclamer sa divinité, argument justifiant pour lui l’appellation de la Vierge comme θεοτόκος⁴⁴⁴ : Et si l’expression « Dieu l’a ressuscité des morts » scandalise les gens sous prétexte qu’elle se dit d’un homme (ὡς περὶ ἀνθρώπου λεγόμενον), qu’ils écoutent encore l’Apôtre lui-même détruire la suspicion (…). Il était Seigneur celui qui a souffert et est ressuscité avec sa chair (τῇ σαρκὶ), et non, comme eux l’affirment, un homme ayant l’habitation du Verbe en lui (ἄνθρωπος ἐνοίκησιν ἔχων τοῦ λόγου)⁴⁴⁵.
L’interprétation de Romains 5, 10 Parmi les affirmations sur l’impassibilité de la divinité, c’est surtout la digression sur Romains 5, 10 (« Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils ») qui mérite une attention spéciale. En effet, au delà de son caractère apparemment gratuit et répétitif, c’est peut-être elle qui offre le plus bel exemple de référence discrète aux débats contemporains. Théodoret, une nouvelle fois, affirme clairement l’unité de la personne du Christ avant de rappeler, sur le mode de l’allusion qui souligne le caractère incontestable de l’assertion, l’impassibilité de la nature divine et l’attribution de la souffrance, ou plus précisément de la Passion (πάθος) à l’humanité du Christ : Bien sûr, de nouveau il appelle « Fils » notre Maître le Christ, qui est à la fois Dieu et homme, le même (ὁ αὐτός). Et quelle nature (ποίαν φύσιν) a été concernée par la souffrance (τὸ πάθος), c’est évident, je crois, même pour les gens par trop querelleurs⁴⁴⁶.
Cf. Ps.-Cyrille d’Alexandrie, Contra eos qui Theotocon nolunt confiteri, 23, ACO I, 1, 7, p. 29. L’argumentation de G. M. de Durand contre l’authenticité cyrillienne de ce texte (dans Cyrille d’Alexandrie, Deux dialogues christologiques, SC 97, p. 522-524) paraît convaincante. Le refus de l’appellation θεοτόκος, point de départ de la querelle nestorienne, est l’objet du ier anathématisme de Cyrille. Cet élément constitue le cœur de la notice sur l’erreur nestorienne dans Haer. fab., IV, 12, PG 83, 436 A 9-C 9 (daté après 451). Sur la question de l’authenticité douteuse de cette notice, cf. A. Martin, « L’origine de l’arianisme vue par Théodoret », note 3 p. 350 ; F. Vinel, « Augustin, Théodoret de Cyr : des listes stéréotypées sans intention de nuire ? », p. 129-130. Quel qu’en soit l’auteur, le texte offre le témoignage d’une synthèse hérésiologique sur la doctrine nestorienne. Εἰ δὲ καὶ τὸ « ὁ θεὸς αὐτὸν ἤγειρεν ἐκ νεκρῶν » σκανδαλίζει τοὺς ἀνθρώπους ὡς περὶ ἀνθρώπου λεγόμενον, αὐτοῦ πάλιν τοῦ ἀποστόλου καὶ ταύτην ἀκουέτωσαν ἀναιροῦντος τὴν ὑπόνοιαν (…). Κύριος ἦν ὁ τῇ σαρκὶ καὶ πάσχων καὶ ἀνιστάμενος καὶ οὐχ, ὡς αὐτοί φασιν, ἄνθρωπος ἐνοίκησιν ἔχων τοῦ λόγου, Ps.-Cyrille d’Alexandrie, Contra eos qui Theotocon nolunt confiteri, 24, ACO I, 1, 7, p. 2930. La citation de Romains 4, 23-24 est introduite immédiatement à la suite de ces mots. Πάλιν μέντοι « υἱὸν » καλεῖ τὸν δεσπότην Χριστόν, ὃς θεός τέ ἐστι καὶ ἄνθρωπος ὁ αὐτός. Δῆλον δέ, ὡς οἶμαι, καὶ τοῖς ἄγαν ἐριστικοῖς, περὶ ποίαν φύσιν τὸ πάθος γεγένηται, II, 23 (Rm 5, 10).
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En réalité, cette remarque prend tout son relief si l’on observe l’usage de ce verset dans les débats du ve siècle – il ne semble pas avoir joué un rôle particulier auparavant. Son interprétation a d’abord fait l’objet d’un débat entre Nestorius et Cyrille. Le premier l’utilise en effet comme exemple montrant que le titre de Fils peut désigner l’humanité du Christ, afin de montrer que la mort n’est pas attribuée à Dieu : Nous avons donc rendu évident le fait que, en ce qui concerne la naissance à partir de la Vierge mère du Christ, la divine Écriture met l’expression « Fils » ; écoute si, en ce qui concerne la mort, est mis une fois « Dieu », pour que nous introduisions la passibilité de Dieu ! « Alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils » : il n’a pas dit « par la mort du Dieu Verbe »⁴⁴⁷.
Cyrille cite ce passage comme preuve que son adversaire, niant la véritable Incarnation de Dieu, proclame en réalité deux Fils. Et, en effet, en tirant l’extrait de son contexte, on peut croire que Nestorius fait du « Verbe » et de celui qui a souffert deux sujets séparés. Voici l’accusation de Cyrille touchant le fragment cité : Toi, encore une fois, tu tiens en piètre estime ce qui est vrai et, nous montrant que ton propos se porte sans frein vers la sottise, tu affirmes que le monde a été réconcilié avec Dieu non pas, certes, par l’Unique engendré, c’est-à-dire le Verbe né du Père, mais, entendant « mort de son Fils », puis mettant à l’épreuve minutieusement, à ce que tu crois, les vocables de celui qui parle de Dieu, tu n’as pas craint de dire : « Il n’a pas dit “par la mort du Dieu Verbe” ». Ensuite, comment, dis-moi, un tel propos serait-il sage, ou plutôt, comment ne serait-il pas empli d’une parfaite folie ? Car comment serait-il cohérent de montrer la vie retenue par la mort ? (…) La pensée des saints ne suit absolument pas tes minuties, ou plutôt tes histoires saugrenues sur ce point, mais elle sait, elle sait que le Verbe de Dieu a souffert en la chair à cause de nous et, par la mort de son propre corps, appelle le monde à la réconciliation⁴⁴⁸.
Cependant, un autre fragment de Nestorius, citant précisément le même verset, permet de mieux comprendre le propos de l’accusé :
Ὅτι μὲν οὖν ἐπὶ τῆς γεννήσεως τῆς ἐκ τῆς χριστοτόκου παρθένου τίθησι τὸ « υἱὸς » ἡ θεία γραφή, δεδηλώκαμεν · ἄκουσον δὲ καὶ ἐπὶ τοῦ θανάτου, εἰ ἔστι ποτὲ κείμενος « ὁ θεός », ἵνα παθητὸν τὸν θεὸν εἰσαγάγωμεν. « Ἐχθροὶ ὄντες κατηλλάγημεν τῷ θεῷ διὰ τοῦ θανάτου τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ » · οὐκ εἶπε διὰ τοῦ θανάτου τοῦ θεοῦ λόγου, Nestorius, Frg., ACO I, 1, 6, p. 11 (cf. Loofs, p. 357 ; cité par Cyrille d’Alexandrie, Adu. Nest., V, 1, ACO I, 1, 6, p. 92). Σὺ δὲ πάλιν ἐν σμικρῷ πεποίησαι λόγῳ τὸ ἀληθὲς καὶ ἀχάλινον εἰς ἐξιτηλίαν ἀποφαίνων ἡμῖν τὸν σεαυτοῦ λόγον κατηλλάχθαι φὴς τῷ θεῷ τὸν κόσμον οὐ διά γε τοῦ μονογενοῦς, τουτέστι τοῦ ἐκ πατρὸς φύντος λόγου, ἀκούων δὲ « θάνατον τοῦ υἱοῦ », εἶτα βασανίζων, ὡς οἴει, λεπτῶς τὰς τοῦ θεηγόρου φωνάς, οὐ κατέδεισας εἰπεῖν · « Οὐκ ἔφη διὰ τοῦ θανάτου τοῦ θεοῦ λόγου ». Εἶτα πῶς ἦν, εἰπέ μοι, σοφός, μᾶλλον δὲ πῶς οὐχ ἁπάσης ἐμβροντησίας ἔμπλεως ὁ τοιόσδε λόγος ; Θανάτῳ γὰρ κάτοχον ἀποφῆναι τὴν ζωὴν πῶς ἦν ἀκόλουθον ; (…) Οὐκοῦν ἥκιστα μὲν ταῖς σαῖς εἰς τοῦτο περιεργίαις ἢ γοῦν εἰκαιομυθίαις ὁ τῶν ἁγίων ἕπεται νοῦς, οἶδε δὲ οἶδε παθόντα σαρκὶ δι’ ἡμᾶς τὸν τοῦ θεοῦ λόγον καὶ τῷ θανάτῳ τοῦ ἰδίου σώματος κεκληκότα τὸν κόσμον εἰς διαλλαγάς, Cyrille d’Alexandrie, Adu. Nest., V, 1, ACO I, 1, 6, p. 93.
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
Et de façon générale, dit-il, si tu scrutais ensemble tout le Nouveau Testament, tu ne trouverais nulle part la mort (θάνατον) attribuée à Dieu (τῷ θεῷ προσαπτόμενον), mais ou au Christ, ou au Fils, ou au Seigneur. En effet les mots de « Christ », de « Fils », de « Seigneur », assumés par l’Écriture dans le cas du Monogène, sont significatifs des deux natures et désignent tantôt la divinité, tantôt l’humanité, tantôt les deux. Par exemple, quand Paul dans sa lettre proclame « Étant ennemis nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils », il exprime l’humanité du Fils⁴⁴⁹.
Si le souci de répartir les vocables afin de distinguer les natures, du reste désignées d’une manière abstraite, apparaît ici clairement, l’unité est aussi suggérée incontestablement par la désignation « Monogène ». Le caractère polémique de ces textes est patent, de même que l’incompréhension entre les deux partis. Quant à Théodoret, il suit bien l’idée de Nestorius consistant à distinguer les natures, mais se préserve de toute accusation cyrillienne en affirmant d’abord explicitement l’unité. Après la controverse nestorienne, le même verset a dû jouer un rôle central dans la querelle eutychienne, si l’on en croit la mise en scène et la structure du dialogue de l’Eranistes sur l’impassibilité, où la citation sert de fil directeur d’une grande partie de la discussion sur l’impassibilité⁴⁵⁰. En effet, le Mendiant, prétendant à plusieurs reprises que sa thèse, selon laquelle le Fils de Dieu a souffert, est fondée sur l’Écriture⁴⁵¹, s’appuie justement sur cette citation. Par exemple, lorsque l’Orthodoxe l’invite à distinguer ce qui convient à la divinité et ce qui convient au corps, de la même façon qu’en disant qu’une personne est malade ou morte, on parle en réalité de son corps et non de son âme, il répond : « La divine Écriture ne nous a pas enseigné à séparer de cette manière, mais elle a dit que le Fils de Dieu était mort »⁴⁵². Et de citer Romains 5, 10. Théodoret souligne avec ironie le caractère obtus du Mendiant : celui-ci revient sans cesse à son affirmation de départ et invoque toujours le même verset, tandis que l’Orthodoxe tente patiemment, non sans condescendance, de rafraîchir sa mémoire sur les points déjà discutés et considérés comme évidents « même pour un barbare ». Il s’agit bien de présenter une querelle sur un
Καὶ ὅλως, φησίν, εἰ πᾶσαν ὁμοῦ τὴν καινὴν μεταλλεύοις, οὐκ ἂν εὕροις οὐδαμοῦ παρὰ ταύτῃ τὸν θάνατον τῷ θεῷ προσαπτόμενον, ἀλλ’ ἢ Χριστῷ ἢ υἱῷ ἢ κυρίῳ. Τὸ γὰρ Χριστὸς καὶ τὸ υἱὸς καὶ τὸ κύριος, ἐπὶ τοῦ μονογενοῦς παρὰ τῆς γραφῆς λαμβανόμενον, τῶν φύσεών ἐστι τῶν δύο σημαντικὸν καὶ ποτὲ μὲν δηλοῦν τὴν θεότητα, ποτὲ δὲ τὴν ἀνθρωπότητα, ποτὲ δὲ ἀμφότερα, οἷον ὅταν Παῦλος ἐπιστέλλων κηρύττῃ « Ἐχθροὶ ὄντες κατηλλάγημεν τῷ θεῷ διὰ τοῦ θανάτου τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ », τὴν ἀνθρωπότητα βοᾷ τοῦ υἱοῦ, Nestorius, Frg. serm., ACO, I, 1, 2, XXIII, p. 51 (cf. Loofs, p. 269), trad. A. J. Festugière, Éphèse et Chalcédoine, p. 244, modifiée. Verset cité : Rm 5, 10. F. Cocchini, « L’esegesi paolina di Teodoreto di Cirro », p. 428-429, a repéré cette ressemblance entre l’In Romanos et l’Eranistes et en fait un argument en faveur d’une date assez tardive du commentaire, sans mentionner le parallèle dans la querelle nestorienne. Πῶς οὖν ἡ θεία γραφὴ τὸν υἱὸν τοῦ θεοῦ πεπονθέναι φησίν ; « Comment donc la divine Écriture dit-elle que le Fils de Dieu a souffert ? », Eranistes, III, Ettlinger, p. 198 (233). Cf. aussi p. 200 (237) ; p. 204 (244). Οὐκ ἐδίδαξεν ἡμᾶς οὕτω διαιρεῖν ἡ θεία γραφή · ἀλλὰ τὸν υἱὸν τοῦ θεοῦ εἴρηκε τεθνάναι, ibid., III, Ettlinger, p. 202 (241).
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sujet somme toute déjà résolu et évident. Le ton même adopté dans ce dialogue suggère le rapprochement avec l’extrait cité de l’In Romanos, dans lequel l’accent ironique est plus perceptible que dans la plupart des passages polémiques du commentaire. Sans que l’on puisse en déduire un ordre chronologique entre les deux œuvres, l’écho est évident, et le terme « querelleur » du commentaire prend un relief particulier grâce à cette mise en perspective⁴⁵³. Cet exemple n’est pas seulement révélateur du poids insoupçonné de tradition contenu dans une digression apparemment anodine : il illustre aussi la continuité entre les deux grandes controverses dont Théodoret a été acteur, sans que l’on puisse situer plus précisément l’In Romanos dans la chronologie relative. En somme, les remarques christologiques trouvées dans l’In Romanos représentent des échos des querelles auxquelles Théodoret lui-même a eu part. Si le ton n’est généralement pas virulent et si l’on peut percevoir une prise en compte des susceptibilités de l’ancien adversaire, le rappel des discussions et des désaccords, aussi bien que des points de convergence enfin trouvés, n’en demeurent pas moins précis, quoique imperceptibles au premier abord, grâce à l’association des remarques à tel ou tel verset.
5.5.3 Un témoignage sur l’évolution des arguments scripturaires Puisque les débats théologiques se sont pour ainsi dire engendrés les uns les autres et qu’au fil des discussions, telle affirmation destinée à en réfuter une autre a été à son tour considérée comme exagérée ou comme présentant un risque de méprise, il n’est pas étonnant que les arguments soient sans cesse repris, approfondis et affinés, et, en particulier, que certains versets soient utilisés avec une nouvelle interprétation en fonction du débat du moment. Plusieurs passages de l’In Romanos témoignent de cette évolution même, en faisant état de plusieurs interprétations. Nous attirons ici l’attention sur quelques exemples caractéristiques de ce phénomène.
5.5.3.1 L’interprétation de Romains 8, 34 À propos de Romains 8, 34, « C’est [le Christ] qui intercède même pour nous », Théodoret commence par distinguer la nature humaine (κατὰ τὸ ἀνθρώπειον) et la nature divine (ὡς θεός), l’une « demandant » (αἰτεῖν), l’autre « dispensant » (χορηγεῖν), puis il concède aux « hérétiques » la possibilité d’attribuer l’intercession à la divinité du Fils, pour mieux montrer que celle-ci n’en est pas diminuée. Il utilise Cf. II, 23 (e cod. D). La leçon de la famille de Π, αἱρετικοῖς, perd quelque chose de ce ton, outre le fait que le mot soit plus banal dans le contexte. Rappelons que Clément d’Alexandrie oppose la dispute (ἐριστικός), caractéristique de l’hérétique, à la recherche de la vérité (ζητητικός), propre au vrai philosophe. Cf. A. Le Boulluec, La Notion d’hérésie, p. 384-385.
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à cette fin l’image de deux rois offensés : si l’un intercède auprès de l’autre pour l’appeler à la clémence envers le sujet repentant, les deux souverains n’en restent pas moins égaux en « dignité » (ἀξία). Puis l’exégète renchérit en ajoutant l’union des volontés (συνδοκεῖν, συναρέσκειν) entre le Père et le Fils : l’idée même d’intercession est alors interprétée comme une expression figurée (σχηματίζεσθαι) utilisée par l’Apôtre pour montrer l’amour de Dieu⁴⁵⁴. Si le refus de distinguer les natures fait penser au ive anathématisme de Cyrille déjà mentionné, l’idée d’une gloire « moindre » (δόξα ἐλάττων) du Fils vise directement l’arianisme. Sur ce deuxième point, Théodoret suit la lecture du verset par Jean Chrysostome. Celui-ci, sans se préoccuper de la différence des natures, souligne que parler d’intercession de la part de celui qui, siégeant à la droite du Père, lui est égal en dignité (ὁμοτιμία καὶ ἰσότης) et n’a donc pas besoin (δεῖσθαι) d’intercéder, est une manière « plus humaine et condescendante » (ἀνθρωπινώτερον καὶ συγκαταβατικώτερον) d’évoquer son amour (ἀγάπη) pour nous⁴⁵⁵. Sévérien de Gabala, invoquant le même verset dans une polémique contre les ariens, raisonne sur l’idée d’intercession, qu’il distingue de la prière et de la demande et définit comme un appel à témoin (προσκαλεῖσθαι) contre un offenseur. Pour prouver que l’intercesseur n’est pas inférieur à celui à qui il s’adresse, il rappelle que Dieu lui-même « intercède » auprès d’un prophète⁴⁵⁶. Basile de Césarée recourt déjà au même verset contre les pneumatomaques, pour attester que l’intercession de l’Esprit ne signifie pas une infériorité, puisque le Fils lui-même intercède : il suppose donc admise l’égalité du Fils⁴⁵⁷. Par conséquent, on peut dire qu’en admettant la possibilité de référer l’intercession à la divinité, Théodoret rend compte de l’utilisation du verset dans les controverses trinitaires. Quant à la lecture proposée d’abord, l’attribution à l’humanité, elle rappelle Nestorius, qui, après avoir cité le même verset, affirme explicitement : Car c’est notre nature, revêtue comme d’un vêtement par le Christ, qui intercède pour nous, brillante, absolument libre de tout péché et irréprochable par la défense de son origine, de même que celui qui a été formé en premier s’est manifesté à cause de sa race en vue du châtiment dû au péché. C’était l’occasion d’assumer l’homme, afin que l’homme dissolve par la chair la corruption qui était née par la chair. Ce sont les pieds de celui-ci qui ont été retenus par les clous, c’est celui-ci que l’Esprit saint a formé dans le sein ; c’est au sujet de cette chair que le Seigneur dit aux Juifs : « Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai »⁴⁵⁸.
Cf. III, 59 (Rm 8, 33-34). Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., XV, PG 60, 543, 45-544, 6. Cf. Sévérien de Gabala, De Inc., Regtuit, p. 274-280. Cf. Basile de Césarée, Sur le Saint-Esprit, XIX, 50, SC 17 bis, p. 422. Interpellat namque pro nobis a Christo tanquam uestis induta natura nostra, libera prorsus ab omni peccato et inculpabilis originis suae defensionibus nitens, sicut ad poenam ex peccato ille, qui prior figuratus est, suo generi exstitit causa. Haec suscepti hominis occasio, ut homo per carnem dissolueret, quae per carnem orta est corruptio. Huius pedes detenti sunt clauis, hunc spiritus sanctus in utero figurauit ; de hac carne dominus ad Judaeos : « Soluite, inquit, hoc templum, et in triduo suscitabo illud », Nestorius, Frg. serm., IX, Loofs, p. 258-259 (verset cité : Jn 2, 19).
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Théodoret, en présentant deux interprétations du verset, montre la continuité qu’il perçoit entre les hérésies successives. Par le raisonnement concessif, il affirme que la distinction des natures est l’argument le plus puissant contre les ariens, même si le théologien ne reste pas sans ressources au cas où l’on rejette celui-ci.
5.5.3.2 L’interprétation de Romains 1, 3-4 Les versets Romains 1, 3-4, « Au sujet de son propre Fils, né de la descendance de David selon la chair, défini comme Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de sainteté, par la Résurrection des morts, Jésus-Christ notre Seigneur », constituent en eux-même une affirmation christologique, et il n’est donc pas étonnant qu’à ce titre ils jouent un rôle central dans les débats des premiers siècles, l’opposition entre κατὰ σάρκα et κατὰ πνεῦμα étant très tôt interprétée comme une affirmation des deux natures du Christ. Il serait trop long d’évoquer l’histoire de leur utilisation dans les débats doctrinaux⁴⁵⁹. Du côté des ouvrages proprement exégétiques, selon Origène, « né de la race de David selon la chair » suggère l’humanité, « établi Fils de Dieu… », la divinité et la préexistence du Fils⁴⁶⁰. Les commentaires postérieurs à la crise arienne font clairement allusion à celle-ci par les termes employés, Jean Chrysostome refusant l’appellation de « simple homme » (ἄνθρωπος ψιλός)⁴⁶¹, Cyrille affirmant que la filiation divine du Christ est une filiation « selon la nature » (κατὰ φύσιν) et non par grâce (ἐν χάριτος μοίρᾳ), comme l’est celle des baptisés⁴⁶². L’accent antiarien est aussi perceptible dans l’interprétation de Théodoret, dont voici les premières lignes : Par tous les prophètes, affirme-t-il, le Père a prédit ce qui concernait le Fils qui, par nature engendré de lui avant les siècles (ἐξ αὐτοῦ φύσει πρὸ τῶν αἰώνων γεγεννημένος), prit également le nom de fils de David, puisque c’est à partir de la descendance de David qu’il assuma la nature humaine (τὴν ἀνθρωπείαν φύσιν ἀναλαβών). Or, comme il a mentionné David, il a été tout à fait obligé d’ajouter « selon la chair », afin qu’on ne croie pas qu’il est fils de David par nature (φύσει) et fils de Dieu selon la grâce (κατὰ χάριν)⁴⁶³.
Cf. A. Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrétienne, Paris, 2003, p. 130-135 ; K. H. Schelkle, Paulus Lehrer der Väter, p. 21-26. Concernant les trois premiers siècles, cf. R. Cantalamessa, « La primitiva esegesi cristologica di Romani I, 3-4 e Luca I, 35 », RSLR II.1, 1966, p. 69-80. Cf. Origène, Com. in Matth., XI, 16, 1-12, SC 162, p. 360 ; id., Com. in Rom., I, 7, 1-2, SC 532, p. 178181, avec la note sur l’intervention de Rufin et les passages parallèles du De principiis sur la préexistence du Verbe. Cf. Jean Chrysostome, Hom. in Rom., I, PG 60, 397, 19. Cf. Cyrille d’Alexandrie, Frg. in Rom., Pusey III, p. 175-176. Le motif se trouve par exemple dans Basile de Césarée, Adu. Eun., II, 19, SC 305, p. 76 ; II, 23, SC 305, p. 96 ; II, 24, SC 305, p. 98. Notons que le ve anathématisme de Cyrille condamne l’opinion selon laquelle le Christ serait « théophore » et non Dieu par nature. Διὰ πάντων, φησί, τῶν προφητῶν τὰ περὶ τοῦ υἱοῦ προεθέσπισεν, ὃς ἐξ αὐτοῦ φύσει πρὸ τῶν αἰώνων γεγεννημένος, καὶ τοῦ Δαβὶδ υἱὸς ἐχρημάτισεν, ὡς ἐκ σπέρματος Δαβὶδ τὴν ἀνθρωπείαν φύσιν
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L’engendrement du Père avant les siècles (ἐξ αὐτοῦ πρὸ τῶν αἰώνων γεγεννημένος) renvoie à la formule de Nicée, l’affirmation de la divinité « par nature » (φύσει) et non « selon la grâce » (κατὰ χάριν) rejoint l’interprétation mentionnée de Cyrille. Toutefois, c’est surtout la suite de l’interprétation des deux versets qui est intéressante. En effet, l’exégète propose une lecture paradoxale, un premier retournement consistant à affirmer la divinité au moyen de l’expression désignant le plus concrètement l’humanité, « selon la chair » : Car l’ajout de l’expression « selon la chair » (κατὰ σάρκα) sous-entend (αἰνίττεται) qu’il est vraiment Fils de Dieu le Père selon la divinité (κατὰ τὴν θεότητα). En effet, à propos de ceux qui sont uniquement ce que l’on voit, on ne saurait trouver l’apposition « selon la chair ». Et le bienheureux Matthieu l’Évangéliste en est témoin. Car, lorsqu’il a dit : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda » et qu’il a exposé dans l’ordre l’ensemble de la généalogie, il n’a ajouté nulle part « selon la chair ». Car un tel ajout ne leur convenait pas, à eux qui n’étaient qu’hommes. Mais là, puisque le Dieu Verbe fait homme n’est pas seulement homme, mais aussi Dieu avant les siècles, après avoir mentionné la « descendance de David », le divin Apôtre a été obligé d’ajouter « selon la chair », nous enseignant clairement, à la fois comment il est Fils de Dieu et comment il a pris le nom de fils de David⁴⁶⁴.
L’expression paulinienne « selon la chair » (κατὰ σάρκα), tout en désignant par ellemême l’humanité, est ainsi considérée comme une manière suffisante d’affirmer en même temps la divinité (θεότης). Certes, l’idée est esquissée chez Jean Chrysostome : « Car, dit [Paul], notre propos ne concerne pas un simple homme. Voilà donc pourquoi j’ai ajouté l’expression “selon la chair”, sous-entendant qu’il y a aussi un engendrement du même selon l’esprit »⁴⁶⁵. Cependant, Théodoret l’exprime plus fermement, en opposant explicitement humanité et divinité, et la justifie par une comparaison avec la manière de désigner la génération lorsqu’il s’agit d’un simple homme, à savoir sans la précision « selon la chair ». Or, l’évêque de Cyr formule la même idée dans l’Eranistes :
ἀναλαβών. Τοῦ μέντοι Δαβὶδ μνημονεύσας, ἄγαν ἀναγκαίως τὸ « κατὰ σάρκα » προστέθεικεν, ἵνα μὴ φύσει μὲν τοῦ Δαβὶδ υἱὸς νομισθῇ, κατὰ χάριν δὲ τοῦ θεοῦ, I, 6. Ἡ γὰρ τοῦ « κατὰ σάρκα » προσθήκη αἰνίττεται ὡς τοῦ θεοῦ καὶ πατρὸς υἱός ἐστιν ἀληθῶς κατὰ τὴν θεότητα. Οὐδὲ γὰρ ἐπὶ τῶν τοῦτο μόνον ὄντων ὅπερ ὁρῶνται, ἔστιν εὑρεῖν τὸ « κατὰ σάρκα » προσκείμενον. Καὶ μάρτυς ὁ μακάριος Ματθαῖος ὁ εὐαγγελιστής. Εἰρηκὼς γάρ · « ᾿Aβραὰμ ἐγέννησε τὸν Ἰσαάκ, Ἰσαὰκ δὲ ἐγέννησε τὸν Ἰακώβ, Ἰακὼβ δὲ ἐγέννησε τὸν Ἰούδαν », καὶ πᾶσαν ἐφεξῆς τὴν γενεαλογίαν διεξελθών, οὐδαμοῦ τὸ « κατὰ σάρκα » προστέθεικεν. Οὐχ ἥρμοττε γὰρ αὐτοῖς ἀνθρώποις οὖσιν ἡ τοιαύτη προσθήκη. Ἐνταῦθα δέ, ἐπειδὴ οὐκ ἄνθρωπος μόνον ἐστίν, ἀλλὰ καὶ θεὸς προαιώνιος ὁ ἐνανθρωπήσας θεὸς λόγος, « τοῦ σπέρματος τοῦ Δαβὶδ » μνημονεύσας ὁ θεῖος ἀπόστολος ἀναγκαίως τὸ « κατὰ σάρκα » προστέθεικε, σαφῶς ἡμᾶς διδάξας πῶς μὲν υἱός ἐστι τοῦ θεοῦ, πῶς δὲ τοῦ Δαβὶδ ἐχρημάτισε, I, 6 (Verset cité : Mt 1, 2). Οὐ γὰρ περὶ ἀνθρώπου ψιλοῦ, φησίν, ὁ λόγος ἡμῖν. Διά τοι τοῦτο προσέθηκα τὸ « κατὰ σάρκα », αἰνιττόμενος ὅτι καὶ κατὰ πνεῦμα γέννησίς ἐστι τοῦ αὐτοῦ, Jean Chrysostome, Hom. in Rom., I, PG 60, 397, 19-22.
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Il suffit de dire « selon la chair » (κατὰ σάρκα) pour faire voir ouvertement la divinité (θεότητα) qu’on ne nomme pas. Car, pour indiquer la filiation du commun des hommes (κοινοῦ ἀνθρώπου), je ne dis pas : « un tel, fils d’un tel selon la chair », mais simplement : « fils ». De même également le divin Évangéliste a écrit la généalogie : « Abraham », dit-il en effet, « engendra Isaac », sans ajouter « selon la chair » : car Isaac était seulement homme (μόνον ἄνθρωπος)⁴⁶⁶.
Affirmer que l’expression « selon la chair » atteste la divinité permet à l’exégète à la fois de nommer les deux natures dans leur distinction et de proclamer subtilement leur union, puisque l’assertion n’a de sens que s’il est question d’un seul Christ. L’interprétation du verset 4 permet à Théodoret de continuer sa lecture paradoxale au moyen d’un retournement inverse. Alors que l’Apôtre évoque la divinité du Christ, l’exégète, tout en recevant ce sens, s’attarde longuement sur son humanité et même sur ses traits charnels : Avant la Croix et la Passion, non seulement pour l’ensemble des Juifs, mais aussi pour les apôtres eux-mêmes, notre Maître le Christ ne semblait pas être Dieu. Car ils se heurtaient à ce qu’il avait d’humain, constatant qu’il mangeait et buvait, dormait, et était fatigué ; et même les miracles ne guidaient point leurs pas jusqu’à cette opinion. Ainsi donc, aussitôt après avoir constaté le miracle sur la mer, ils disaient : « D’où vient cet homme, que même la mer et les vents lui obéissent ? » C’est bien à cause de cela que le Seigneur lui-même leur disait : « J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter en ce moment. Lorsqu’il viendra, lui, l’Esprit de vérité, c’est lui qui vous guidera vers la vérité tout entière ». Et ailleurs : « Restez dans cette ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance d’en haut », « quand l’Esprit saint viendra vers vous ». Donc, avant la Passion, c’est le genre d’opinions qu’ils avaient sur lui. En revanche, après la Résurrection, l’Ascension dans les cieux, la venue de l’Esprit très saint et les œuvres miraculeuses de toutes sortes qu’ils réalisaient en faisant appel à son nom vénérable, tous les croyants reconnurent qu’il était aussi Dieu, et Fils Unique Engendré de Dieu. C’est donc ce que le divin Apôtre a enseigné ici aussi, à savoir que celui qui a pris, « selon la chair », le nom de fils de David, fut défini et désigné comme « Fils de Dieu » au moyen de la puissance exercée par l’Esprit très saint après la résurrection des morts de notre Seigneur JésusChrist lui-même⁴⁶⁷.
Πλὴν ἀρκεῖ τὸ φάναι « κατὰ σάρκα » παραδηλῶσαι τὴν σεσιγημένην θεότητα. Κοινοῦ γὰρ ἀνθρώπου διδάσκων συγγένειαν, οὐ λέγω · τοῦ δεῖνος ὁ δεῖνα κατὰ σάρκα υἱός, ἀλλ’ ἁπλῶς υἱός. Οὕτω καὶ ὁ θεῖος εὐαγγελιστὴς τὴν γενεαλογίαν συνέγραψεν · « ᾿Aβραὰμ γάρ, φησιν, ἐγέννησε τὸν Ἰσαάκ », καὶ οὐ προστέθεικε κατὰ σάρκα, μόνον γὰρ ἄνθρωπος ὑπῆρχεν ὁ Ἰσαάκ, Eranistes, I, Ettlinger, p. 88 (69), trad. J.-N. Guinot, « La christologie dans le Commentaire sur le Cantique », II, note 33, p. 215-216, modifiée. Πρὸ μὲν τοῦ σταυροῦ καὶ τοῦ πάθους ὁ δεσπότης Χριστός, οὐ μόνον τοῖς ἄλλοις Ἰουδαίοις, ἀλλὰ καὶ αὐτοῖς τοῖς ἀποστόλοις, οὐκ ἐδόκει εἶναι θεός. Προσέπταιον γὰρ τοῖς ἀνθρωπίνοις, ἐσθίοντά τε καὶ πίνοντα καὶ καθεύδοντα καὶ κοπιῶντα θεώμενοι, καὶ οὐδὲ τὰ θαύματα αὐτοὺς πρὸς ταύτην ἐποδήγει τὴν δόξαν. Αὐτίκα τοίνυν τὸ κατὰ τὴν θάλατταν θεασάμενοι θαῦμα ἔλεγον · « Ποταπός ἐστιν οὗτος ὁ ἄνθρωπος, ὅτι καὶ ἡ θάλασσα καὶ οἱ ἄνεμοι ὑπακούουσιν αὐτῷ ; » Διά τοι τοῦτο καὶ ὁ κύριος ἔλεγε πρὸς αὐτούς · « Πολλὰ ἔχω λέγειν ὑμῖν, ἀλλ’ οὐ δύνασθε βαστάζειν ἄρτι. Ὅταν δὲ ἔλθῃ ἐκεῖνος, τὸ πνεῦμα τῆς ἀληθείας, ἐκεῖνος ὑμᾶς ὀδηγήσει εἰς πᾶσαν τὴν ἀλήθειαν ». Καὶ πάλιν · « Μείνατε ἐν τῇ πόλει ταύτῃ ἕως ἂν ἐνδύσησθε δύναμιν ἐξ ὕψους », « ἐπελθόντος τοῦ ἁγίου πνεύματος ἐφ’ ὑμᾶς ». Πρὸ μὲν οὖν τοῦ πάθους τοιαύτας εἶχον περὶ αὐτοῦ δόξας. Μετὰ δὲ τὴν ἀνάστασιν καὶ τὴν εἰς
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Certes, dans les dernières lignes, Théodoret atteste que le verset évoque la divinité du Fils manifestée aux apôtres après la Résurrection. Cependant, on ne peut qu’être frappé par l’accent mis sur l’humanité à propos de ce verset. La liste des traits humains, faim, soif, fatigue, fait penser aux énumérations d’Athanase contre les ariens, telle « avoir faim et soif, être fatigué, ne pas savoir, se reposer, pleurer, demander, fuir, être enfanté, supplier à propos de la coupe, bref, éprouver toutes les faiblesses de la chair »⁴⁶⁸, et on en retrouve de semblables sous la plume de l’évêque de Cyr⁴⁶⁹. Néanmoins, cette évocation à l’occasion du verset 4 est plutôt paradoxale. Chez Jean Chrysostome, c’est le verset 3 qui était l’occasion de montrer que Paul, de même que Matthieu et Luc, commençait par évoquer l’humanité, selon l’ordre de l’économie, car « en vérité, ils l’ont d’abord vu homme sur la terre, et alors ils ont compris qu’il était Dieu »⁴⁷⁰. En insistant à propos de Romains 1, 4 sur les traits humains du Christ et sur l’ignorance des apôtres à son sujet avant la Résurrection, Théodoret met à nouveau l’accent sur la distinction des natures, évoquée à travers l’expérience des apôtres, et en même temps sur l’union, puisqu’il s’agit bien de l’unique personne contemplée par ces mêmes apôtres. L’interprétation du verset 4 forme donc le symétrique de celle du verset 3. La lecture des deux versets constitue ainsi une sorte de diptyque paradoxal, le premier retournement appelant le second, et chacun des deux pans aussi bien que l’ensemble soulignant la tension entre l’union des natures et leur distinction. Pour terminer, notons que l’interprétation originale de Romains 1, 3 est rappelée à propos de Romains 9, 5, « Desquels est issu le Christ selon la chair, qui est pardessus tous, Dieu béni pour les siècles ». Théodoret voit en effet dans ce verset le même mouvement que dans l’ouverture de l’épître : Et l’ajout de l’expression « selon la chair » (ἡ τοῦ κατὰ σάρκα προσθήκη) aurait suffi à laisser entendre la divinité (τὴν θεότητα) du Maître, le Christ. Mais, de même que dans l’introduction, après avoir dit : « Lui qui est né de la descendance de David selon la chair », il a continué : « Défini comme Fils de Dieu avec puissance », de même ici, après avoir dit l’expression « selon la chair », il a ajouté l’expression « qui est par-dessus tous, Dieu béni pour les siècles. Amen », à
οὐρανοὺς ἀνάβασιν καὶ τὴν τοῦ παναγίου πνεύματος ἐπιφοίτησιν καὶ τὰς παντοδαπὰς θαυματουργίας ἃς ἐπετέλουν, καλοῦντες αὐτοῦ τὸ σεβάσμιον ὄνομα, ἔγνωσαν ἅπαντες οἱ πιστεύσαντες ὅτι καὶ θεός ἐστι καὶ τοῦ θεοῦ μονογενὴς υἱός. Τοῦτο τοίνυν κἀνταῦθα ἐδίδαξεν ὁ θεῖος ἀπόστολος, ὅτι ὁ « κατὰ σάρκα » τοῦ Δαβὶδ χρηματίσας υἱός, ὡρίσθη καὶ ἀπεδείχθη « τοῦ θεοῦ υἱὸς » διὰ τῆς ὑπὸ τοῦ παναγίου πνεύματος ἐνεργουμένης δυνάμεως, μετὰ τὴν ἐκ νεκρῶν ἀνάστασιν αὐτοῦ τοῦ κυρίου ἡμῶν Ἰησοῦ Χριστοῦ, I, 7 (Versets cités : Mt 8, 27 ; Jn 16, 12-13 ; Lc 24, 49 ; Ac 1, 8). Athanase d’Alexandrie, Contra arianos, III, 34, 2, AthW I, 1, 3, p. 345, trad. A. Rousseau, p. 272. Cf. X. Morales, La Théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie, p. 414-417. Voir la longue énumération opposant terme à terme les traits humains et les traits divins, par exemple la faim et la multiplication des pains, dans Corresp., IV, 4, SC 429, p. 114-119. Οὕτω γὰρ καὶ τὸ πρᾶγμα ᾠκονομήθη. Πρῶτον γοῦν εἶδον αὐτὸν ἄνθρωπον ἐπὶ τῆς γῆς, καὶ τότε ἐνόησαν θεόν, Jean Chrysostome, Hom. in Rom., I, PG 60, 397, 26-28. Sur le rapport entre l’interprétation chrysostomienne et celle de Théodoret, voir supra, p. 191.
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la fois montrant la différence des natures (τῶν φύσεων δεικνὺς τὴν διαφορὰν) et enseignant le bien-fondé de la lamentation funèbre⁴⁷¹.
Ni le rapprochement entre les deux versets de la même épître, ni l’importance accordée au contexte de la lamentation sur les Juifs ne sont propres au commentaire : on les retrouve à plusieurs reprises chez Théodoret⁴⁷². Concernant cette exégèse de Romains 9, 5, on pourrait faire les mêmes constats que sur l’interprétation christologique d’autres versets. D’abord, l’évêque de Cyr s’approprie la tradition de lecture antiarienne, à savoir l’application au Fils de « qui est par-dessus tous, Dieu béni », utilisée par Athanase contre les ariens⁴⁷³, ou encore par Grégoire de Nysse contre Eunome⁴⁷⁴, et qui semble ici aller de soi, de même que pour Jean Chrysostome ou Cyrille d’Alexandrie⁴⁷⁵. Ensuite, il reprend l’interprétation de Nestorius, selon qui Paul confesse dans ce verset la distinction des natures⁴⁷⁶, sans toutefois utiliser les
Καὶ ἤρκει μὲν ἡ τοῦ κατὰ σάρκα προσθήκη παραδηλῶσαι τοῦ δεσπότου Χριστοῦ τὴν θεότητα. ᾿Aλλ’ ὥσπερ ἐν τῷ προοιμίῳ, εἰρηκώς · « τοῦ γενομένου ἐκ σπέρματος Δαβὶδ κατὰ σάρκα », ἐπήγαγε · « τοῦ ὁρισθέντος υἱοῦ θεοῦ ἐν δυνάμει », οὕτως ἐνταῦθα εἰπών · « τὸ κατὰ σάρκα », προστέθεικε τό · « ὁ ὢν ἐπὶ πάντων θεὸς εὐλογητὸς εἰς τοὺς αἰῶνας. ᾿Aμήν », καὶ τῶν φύσεων δεικνὺς τὴν διαφορὰν καὶ τοῦ θρήνου διδάσκων τὸ εὔλογον, IV, 6. Rapprochement explicite entre Romains 1, 3 et 9, 5 dans Haer. fab., V, 14, PG 83, 501 C 9-504 A 12 ; Corresp., II, 83, SC 98, p. 210-213 ; III, 147, SC 111, p. 212 ; IV, 4, SC 429, p. 120. Mention du contexte immédiat de Romains 9, cf. Eranistes, I, Ettlinger, p. 72 (45). Voir aussi Cyrille d’Alexandrie, Dial. Trin., III, 503c-d, SC 237, p. 134-137. Cf. Athanase d’Alexandrie, Contra arianos, I, 11, 6, AthW I, 1, 2, p. 120. Sur l’évolution de la compréhension nysséenne du verset – antérieurement compris comme une affirmation sur le Père – en lien avec la polémique contre Eunome, cf. A. Le Boulluec, « Enjeux trinitaires chez les Pères Cappadociens : l’exégèse de Rm 9, 5b », L’Exégèse patristique de Romains 911, éd. I. Bochet, M. Fédou, Paris, 2007, p. 67-81. Cependant, M. Cassin, L’Écriture de la controverse, p. 360-361, rectifie cette idée d’une évolution continue de l’exégèse nysséenne et montre que le verset est de nouveau attribué au Père dans des écrits plus tardifs de Grégoire. Cf. Jean Chrysostome, Sur l’incompréhensibilité de Dieu, III, 101-112, SC 28 bis, p. 194-197 ; id., Hom. in Rom., XVI, PG 60, 552, 37-46 ; XIX, PG 60, 593, 35-40 ; Cyrille d’Alexandrie, Dial. Trin., III, 503c-d, SC 237, p. 134-137 ; Théodoret, In epist. Pauli, PG 82, 589 B 1-8 (Ph 4, 20) ; Corresp., IV, 4, SC 429, p. 106. Cf. aussi les notes qui suivent. Ἄκουσον ἀμφότερα τοῦ Παύλου κηρύττοντος · Von den Juden nämlich < stammt > der Christus nach dem Fleische < ὁ ὢν ἐπὶ πάντων θεός, εὐλογητὸς εἰς τοὺς αἰῶνος >. Was also ? Ein einfacher Mensch ist der Christus, o seliger Paulus ? Nein doch ! Sondern ein Mensch ist der Christus im Fleische ; in der Gottheit aber ist er Gott über alles. Ὁμολογεῖ τὸν ἄνθρωπον πρότερον καὶ τότε τῇ τοῦ θεοῦ συναφείᾳ θεολογεῖ τὸ φαινόμενον · ἵνα μηδεὶς ἀνθρωπολατρεῖν τὸν χριστιανισμὸν ὑποπτεύῃ. ᾿Aσύγχυτον τοίνυν τὴν τῶν φύσεων τηρῶμεν συνάφειαν · ὁμολογῶμεν τὸν ἐν ἀνθρώπῳ θεόν, σέβωμεν τὸν τῇ θείᾳ συναφείᾳ τῷ παντοκράτορι θεῷ συμπροσκυνούμενον ἄνθρωπον, « Écoute Paul prêcher l’une et l’autre choses : en effet, c’est des Juifs qu’est “issu le Christ selon la chair, lui qui est par-dessus tous, Dieu béni pour les siècles”. Quoi donc ? Le Christ est-il un simple homme, bienheureux Paul ? Non ! mais le Christ est un homme dans la chair ; dans la divinité, cependant, il est Dieu au-dessus de tout. Il confesse d’abord l’homme, et alors il dit que ce qui apparaît est Dieu, par sa conjonction (συναφείᾳ) avec Dieu ; afin que personne ne soupçonne le christianisme d’anthropolâtrie. Par conséquent, nous préservons la conjonction (συνάφειαν) des natures sans confusion
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formulations rejetées par Cyrille⁴⁷⁷. Par ailleurs, quoi qu’en dise ce dernier⁴⁷⁸, pour Nestorius comme pour Théodore de Mopsueste⁴⁷⁹, ce verset atteste en même temps l’unicité du Fils, ce que Théodoret aussi souligne à plusieurs reprises⁴⁸⁰.
5.5.4 Conclusion Au terme de cette étude sur les échos de controverses trinitaires et christologiques, plusieurs remarques s’imposent. D’abord, si l’évêque de Cyr peut alléguer cet écrit exégétique pour clamer son orthodoxie, c’est bien parce que son commentaire, en plus d’expliquer la cohérence du texte, et souvent en marge de cette explication, porte le souci de rendre compte de l’interprétation de certains versets dans le cadre des discussions théologiques de son temps, voire de l’évolution des lectures qui ont pu en être faites. Or, dans la plupart des cas, autant que l’état des sources permet de l’affirmer, ces remarques ne sont pas empruntées à des commentaires de ses prédécesseurs, mais à des ouvrages doctrinaux. Par conséquent, en ce qui concerne l’Épître aux Romains, qui ne joue pas dans les débats un rôle aussi central que l’Épître aux Hébreux ou l’Évangile de Jean, on peut dire que cette intégration des lectures trinitaires et christologiques est une particularité de ce commentaire, révélatrice du lien inséparable, chez l’auteur, entre ses activités d’exégète et de théologien. Nous avons rencontré des situations diverses par la longeur ou le ton employé, mais aussi par le lien avec le verset utilisé comme point de départ : texte contenant par lui-même une affirmation christologique, mot apparemment insignifiant relevé et confronté à d’autres expressions bibliques pour déclencher une argumentation inattendue, jusqu’au verset manifestement extrait de son contexte en vue d’une actualisation polémique. Ce dernier cas est le plus étonnant dans un commentaire de
(ἀσύγχυτον). Confessons le Dieu qui est dans l’homme (τὸν ἐν ἀνθρώπῳ θεόν), vénérons l’homme qui est adoré en même temps que (συμπροσκυνούμενον) le Dieu tout-puissant, par l’union divine (θείᾳ συναφείᾳ) », Nestorius, Frg. serm., VIII, Loofs, p. 247-248 (les parties en allemand sont traduites du syriaque par l’éditeur). Le terme συνάφεια est visé par le iiie anathématisme comme étant une expression trop lâche de l’union des hypostases du Christ ; le préverbe συν- pour dire l’adoration conjointe de l’homme assumé, par le viiie anathématisme. Cf. Cyrille d’Alexandrie, Quod unus sit Christus, 741 a-b, SC 97, p. 390, et la note 1 p. 390-391 sur l’ignorance, voulue ou non, à l’égard de la lecture de Théodore. Cf. aussi ibid., 765c, SC 97, p. 470473. Sur la querelle au sujet de Diodore et Théodore, contexte de cet écrit de Cyrille, cf. L. Abramowski, « Der Streit um Diodor und Theodor zwischen den beiden ephesinischen Konzilien », ZKG LXVII, 1955/56, p. 252-287. Cf. Théodore de Mopsueste, Hom. catech., VI, 4, StT 145, p. 137 ; III, 6, StT 145, p. 61 ; VIII, 10, StT 145, p. 201. Cf. Théodoret, Corresp., II, 83, SC 98, p. 210-213 (été 448) ; III, 147, SC 111, p. 212 (vers 449). Voir aussi Com. in Is., XII, SC 295, p. 436-439 (Is 42, 6).
5.5 Échos des controverses trinitaires et christologiques
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Théodoret eu égard à son exigence de s’en tenir à la cohérence du texte biblique. Or, en cherchant de possibles échos de l’interprétation de chacun de ces versets – y compris de ceux qui, à cause de leur caractère secondaire dans les débats, n’ont pas forcément attiré l’attention des chercheurs qui étudient les controverses –, nous avons constaté que, dans l’In Romanos, aucune de ces interprétations n’était isolée : l’occasion est pour ainsi dire créée non pas simplement par un mot ou une expression, mais par une tradition d’interprétation de ce mot. Ainsi, les digressions elles-mêmes ne sont jamais gratuites, contrairement aux apparences. En effet, ce n’est pas seulement le contenu des affirmations qui renvoie à tel débat sur la Trinité ou sur la double nature du Christ : les versets mêmes à l’occasion desquels elles apparaissent représentent autant de références, délibérées ou non, souvent imperceptibles au premier abord, à l’utilisation de ces mêmes passages dans les controverses. C’est là le point commun essentiel entre tous les extraits étudiés. Il dévoile peut-être un aspect du travail de l’exégète : là où on croyait voir une pointe gratuite ou une réflexion spontanée apparaît au contraire l’appropriation d’une tradition. Le rapport à la tradition est lui-même variable et l’originalité n’est pas forcément où l’on s’attendrait à la trouver. Si Théodoret est toujours libre dans l’utilisation de ses sources et peut offrir par exemple une argumentation plus rigoureuse ou plus achevée que celle de ses prédécesseurs, il n’en reste pas moins que plusieurs remarques sont de simples reprises de lectures traditionnelles. C’est au contraire un passage essentiel pour les controverses, Romains 1, 3-4, qui fournit à l’exégète l’occasion de construire un diptyque paradoxal dont nous n’avons pas trouvé d’équivalent. Un autre point, mentionné en commençant, doit être évoqué ici : la continuité chronologique et théologique entre les débats trinitaires et christologiques ne va pas sans une évolution de l’argumentation scripturaire au gré des discussions. Théodoret en offre parfois un témoignage assez explicite. Nous avons trouvé aussi bien des rappels d’exégèses assez anciennes que des allusions à des querelles entre le théologien lui-même et ses adversaires. Or, ni la longueur du développement ni le ton employé dans le commentaire ne constituent de bons indicateurs de cette implication personnelle. Nous avons été étonnée de voir à quelles confrontations intenses renvoyaient certaines remarques qui auraient presque pu passer inaperçues. C’est l’enquête sur l’utilisation des versets qui a permis de percevoir des enjeux insoupçonnés. En ce qui concerne les références aux controverses auxquelles l’exégète a luimême pris part, on ne peut que souligner la continuité de l’argumentation scripturaire de Théodoret. À partir des versets que nous avons étudiés, nous avons observé que, d’Éphèse à Chalcédoine, l’évêque de Cyr tenait un discours identique. Quand on voudrait voir dans l’In Romanos une allusion aux discussions avec Cyrille, on trouve un texte plus tardif attestant le même argument dans l’Eranistes ou dans une lettre d’exil. Toute tentative de datation plus précise de ce commentaire à partir de cette première enquête s’est révélée vaine. Il faudrait étendre la recherche à l’ensemble de l’In epistulas Pauli, soit pour trouver des résultats plus positifs, soit pour confirmer ce
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
constat. Par ailleurs, en ce qui concerne l’évolution doctrinale de notre auteur, il nous semble que l’approche adoptée ici, fondée sur l’argumentation scripturaire, pourrait compléter les enquêtes jusqu’ici essentiellement centrées sur le vocabulaire employé. Cette étude a permis de mettre en lumière les liens entre l’activité du théologien et celle de l’exégète et de faire apparaître, au détour du commentaire scripturaire, comme un dialogue continué avec ses adversaires, que ces remarques soient véritablement orchestrées à des fins apologétiques ou relèvent simplement de l’habitude du théologien. En essayant de faire entrer en résonance ces extraits, remarques fugitives ou développements plus importants, avec d’autres œuvres de Théodoret, de ses adversaires ou de ses prédécesseurs, nous avons pu découvrir dans ce commentaire une étonnante variété d’harmoniques.
5.6 Synthèse
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5.6 Synthèse En étudiant les différentes cibles de Théodoret dans l’In Romanos, nous avons été sensible à la différence entre les trois groupes. On ne peut parler de trois polémiques juxtaposées, puisque l’exégète ne les situe pas sur le même plan. D’abord, la représentation de chaque groupe est différente. Les Juifs sont clairement identifiés comme une communauté, dont Paul parle et à laquelle il s’adresse. À travers l’analyse du propos de l’Apôtre, de la situation à laquelle il est confronté, de sa pédagogie et de ses sentiments, les Juifs sont pour ainsi dire représentés avec une certaine épaisseur humaine. L’exégète évoque leur rôle dans l’économie, leur foi ou leur refus de croire, leur attachement à la Loi, et la possibilité de leur salut. Son interprétation en reste à l’explication historique : il est question des Juifs du temps de Paul, sans actualisation. Ce sont donc essentiellement des adversaires ou des interlocuteurs de Paul, non de l’exégète. Les marcionites, quant à eux, sont présentés comme une cible de l’Apôtre sur un plan très différent, à savoir en vertu du don de prophétie prêté à celui-ci. Ils n’ont pas d’existence comme interlocuteurs de Paul, et n’en ont pas davantage comme adversaires concrets dans le propos de l’exégète : représentés uniquement par la doctrine qu’ils véhiculent, ils restent abstraits, quelle que soit par ailleurs la réalité pastorale de la lutte de Théodoret. En faisant de Paul leur contradicteur par anticipation, l’exégète accentue la distance par rapport à ce qui est moins un groupe qu’un « blasphème » ou une « accusation ». Enfin, les « partisans d’Arius et d’Eunome », mais aussi ceux d’une christologie qui néglige la distinction des natures, sont l’objet d’attaques ponctuelles, à l’occasion d’un verset. En ne les présentant pas comme des cibles de l’Apôtre, Théodoret les combat en quelque sorte sans intermédiaire. Le caractère parfois digressif des attaques accentue l’impression d’une lutte actuelle, puisqu’il s’agit alors moins d’expliquer le texte que de l’utiliser pour réfuter. Si ces adversaires ont une existence tout intellectuelle, le caractère personnel peut néanmoins être reconnu par la précision de certaines allusions aux débats contemporains. Ensuite, les trois cibles ont un poids très inégal dans le commentaire. Concernant le rapport au judaïsme, certes, les traits violents existent, témoignages de l’antijudaïsme chrétien à l’époque de Théodoret. Dans l’ensemble, toutefois, l’exégète, loin de prendre prétexte de certains versets pauliniens chargeant les Juifs, adopte un point de vue historique et considère l’épître dans sa cohérence, mettant l’accent sur le mouvement de la réflexion paulinienne, dont il souligne en particulier la symétrie : équilibre entre accusation des Juifs et accusation des païens, entre appel des uns à la conversion et mise en garde des autres contre l’abandon de la foi. Attentif à la psychologie de l’Apôtre et à son rapport aux interlocuteurs, il replace affirmations, reproches et exhortations dans leur contexte. On ne peut donc pas parler d’interprétation antijudaïque de l’Épître aux Romains dans ce commentaire. En revanche, les charges contre les marcionites occupent une place importante. L’interprétation du discours paulinien sur l’histoire du salut, sur la Loi et sur le rapport entre liberté et prescience divine est marquée par cette polémique. On peut penser
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Chapitre 5 : Exégèse et polémique dans l’In Romanos
que celle-ci est un cadre rhétorique traditionnel permettant à l’exégète d’exposer sa doctrine sur ces thèmes. En tout cas, l’analyse de l’œuvre sous l’angle de l’antimarcionisme a permis non seulement de mettre en relief certaines explications ponctuelles, mais aussi de percevoir l’importance du thème de l’unité, qui constitue un fil directeur discret de l’interprétation : unité de Dieu, unité des deux alliances, destin commun des Juifs et des païens à l’égard du péché, appel à l’unité entre eux dans le Christ au-delà des différences de pratiques. Quant à la polémique trinitaire et christologique, elle se situe à un tout autre niveau. Le nombre de versets donnant lieu à des remarques sur ces sujets témoigne de l’importance de cette préoccupation pour l’exégète, à tel point qu’on serait tenté de parler d’un autre fil directeur subtil, introduit d’une manière très discrète dans l’Argument. Cependant, à l’intérieur d’un commentaire respectueux de la cohérence du texte biblique, ces réflexions frappent souvent par leur caractère digressif. On ne peut parler d’une exégèse trinitaire ou christologique de l’épître, mais plutôt d’une utilisation par l’évêque de Cyr de certains versets comme prétexte pour affirmer son orthodoxie. Enfin, le discours sur les Juifs, la polémique contre les marcionites et les digressions sur la Trinité et la christologie se distinguent par le rapport à la tradition qu’ils manifestent. Au sujet du judaïsme, on a montré la dépendance totale de Théodoret par rapport à celle-ci : les griefs qu’il énonce aussi bien que les quelques versets fournissant l’occasion d’attaques se trouvent chez ses prédécesseurs. Toutefois, on a surtout observé la distance de l’exégète par rapport à des lectures polémiques antérieures : les versets de Romains invoqués par Tertullien ou Justin contre les Juifs ne le sont pas chez lui, et il ne suit pas l’interprétation antijudaïque de longs passages de l’épître par Jean Chrysostome. On n’a pas trouvé d’équivalent de son interprétation de Romains sur cette question : le commentaire d’Origène est modéré, lui aussi, mais on ne peut pas faire de rapprochement précis, les interprétations étant très différentes. En ce qui concerne l’antimarcionisme, Théodoret ne s’est manifestement inspiré ni de l’utilisation de Romains dans les traités polémiques, ni du commentaire de l’Alexandrin, qui utilise contre Marcion des arguments différents. En revanche, l’évêque de Cyr introduit dans son œuvre des motifs traditionnels de la réfutation antimarcionite, comme la figure d’Adam. Il est possible qu’il s’inspire, sur ce point, du commentaire perdu de Théodore de Mopsueste. Enfin, la recherche sur les sources de la polémique trinitaire et christologique est celle qui a donné les résultats les plus intéressants concernant le travail de l’exégète. Nous avons notamment montré que même les digressions les plus surprenantes n’étaient jamais fortuites mais que Théodoret prenait toujours occasion d’une utilisation traditionnelle d’un verset. Le rapprochement entre les réflexions souvent très courtes de l’In Romanos et des lectures parallèles des versets correspondants dans d’autres de ses œuvres ou chez d’autres auteurs ont permis de mettre en valeur l’importance dans les débats contemporains de remarques apparemment anodines, ainsi que la continuité de l’argumentation de l’évêque de Cyr entre les deux controverses qui ont marqué le début et la fin de son activité de théologien.
5.6 Synthèse
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Cette étude sur la dimension polémique de l’In Romanos, grâce à laquelle nous avons pu à la fois mieux percevoir certaines lignes directrices du commentaire et observer le rapport de Théodoret à l’histoire des doctrines, ne doit pas faire oublier que ces débats n’occupent pas la place la plus importante dans cette œuvre, du moins d’un point de vue quantitatif. Conformément au projet qu’il annonce, l’exégète présente avant tout une explication linéaire du texte. On peut se demander si le ton parfois polémique, et en particulier la cible marcionite, sont un prétexte pour exposer sa compréhension de l’Apôtre. Quant aux remarques sur la christologie, sontelles une manière de répertorier pour mémoire l’utilisation de certains versets dans les controverses doctrinales ? Ne sont-elles pas plutôt des lieux où le texte à commenter devient prétexte pour défendre une doctrine, leur brièveté permettant de ne pas perdre de vue le but annoncé, leur caractère de quasi-citations des débats leur conférant toute leur force polémique ?
Conclusion Pour conclure cette lecture du commentaire de Théodoret sur l’Épître aux Romains, il convient de revenir sur les choix que nous avons faits en commençant, avant de rappeler certains résultats obtenus et de présenter quelques perspectives. Concernant la méthode adoptée, l’attention portée aux mots s’est révélée profitable à plusieurs égards. D’une part, elle nous a permis de mettre au jour des tournures caractéristiques de Théodoret ou héritées d’autres auteurs afin de mieux connaître sa langue propre. Dans certains cas, cela nous a fourni des arguments décisifs pour l’établissement du texte critique. Nous avons pu aussi vérifier nos intuitions sur des expressions saillantes, que nous avons essayé de rendre dans la traduction. Mais surtout, l’observation d’expressions répétées et de réseaux sémantiques nous a donné une orientation dans un texte apparemment lisse, nous mettant sur la piste de lignes interprétatives insoupçonnées et nous permettant de mieux comprendre le propos de l’auteur. La recherche d’autres éléments structurant l’œuvre a confirmé l’impression d’un commentaire beaucoup plus construit que ce qu’une première lecture laisse percevoir. Les investigations sur le rapport entre l’In Romanos et la tradition antérieure ont été particulièrement fructueuses. Nous avons été peu à peu convaincue de l’importance d’un tel dialogue avec d’autres œuvres, particulièrement au sujet d’un commentaire dont il est difficile d’appréhender l’unité. La comparaison systématique avec Jean Chrysostome, notamment, a permis de faire ressortir, par contraste, certains éléments discrets mais significatifs que nous n’aurions pas perçus sans ce vis-à-vis. Le choix de cette perspective sur l’In Romanos a fait apparaître certains passages comme des allusions à d’autres commentaires ou encore à des débats théologiques, ce qui leur confère un relief particulier. En somme, loin de conduire à une relativisation de la valeur du corpus étudié, au motif qu’il serait essentiellement transmission d’un héritage connu par ailleurs, la recherche des sources a permis d’en découvrir les richesses. Pour en venir aux principaux résultats de ces enquêtes, nous commencerons par mentionner le contexte de l’œuvre : ni les enquêtes sur la langue, ni les rapprochements faits avec d’autres ouvrages ou avec des débats théologiques auxquels l’exégète a eu part au cours de sa carrière n’ont permis de préciser la date de composition de l’In epistulas Pauli, du moins à partir de l’étude du commentaire sur Romains : nous restons sur l’hypothèse la plus large, entre 433 et 448. Si nous devions caractériser la langue et le style de cette œuvre, nous rappellerions sa sobriété, liée au genre du commentaire et à l’exigence de concision de l’auteur, phénomène peut-être accentué par la prédominance de l’interprétation littérale. Le style est plus travaillé au début du Prologue ainsi que dans certains développements plus amples. Par ailleurs, la langue de Théodoret, au-delà de certains tours qui lui sont propres et que l’on retrouve dans toute son œuvre, est évidemment marquée par l’influence de la langue biblique. En même temps, nous avons repéré quelques https://doi.org/10.1515/9783110540659-008
Conclusion
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termes issus du grec classique inusités chez les autres auteurs chrétiens des premiers siècles. Enfin, des traits communs avec Jean Chrysostome et Cyrille d’Alexandrie, notamment, soulignent la familiarité de l’évêque de Cyr avec ces auteurs. Au sujet du rapport à la tradition d’interprétation de Romains, nos observations confirment ce qui a déjà été constaté à propos de Théodoret. Incontestablement, il « recueille les ressources des bienheureux Pères », selon l’expression du Prologue ; toutefois, il les exploite avec une grande liberté, ce qui brouille les pistes, surtout dans le cas d’un commentaire où l’explication de la lettre tient une place essentielle. Si l’utilisation de l’exégèse chrysostomienne était évidente, la lecture parallèle a fait apparaître des préoccupations pastorales très différentes, probablement liées à la fois à la personnalité de chacun, au contexte historique et au genre littéraire : lecture destinée à l’édification des fidèles et accent antijudaïque très marqué chez Jean Chrysostome, exégèse plus orientée vers la compréhension intellectuelle chez Théodoret, notamment avec l’exigence d’offrir une réflexion complète sur l’ordre chronologique des épîtres pauliniennes dans le Prologue, et une tendance à insister sur des thèmes traditionnels de la polémique antimarcionite dans l’In Romanos. Lorsque Théodoret s’inspire de son maître, les liens entre les deux œuvres sont complexes et on ne saurait définir de véritables constantes sans rester très général : si Théodoret est plus bref, il ne résume pas toujours, mais reprend par exemple l’explication d’un terme en l’appliquant à une autre occurrence du mot, sélectionne parmi une accumulation d’illustrations un seul exemple qu’il amplifie à son tour, ou prolonge une idée à peine esquissée par le prédicateur. Au-delà de ces constats sur la réécriture, trois observations ont particulièrement retenu notre attention. D’abord, nous avons vu comment Théodoret pouvait reprendre plusieurs détails d’une explication tout en laissant résolument de côté l’interprétation fondamentale de l’ensemble pour proposer sa propre compréhension du passage : c’est le cas du chapitre sur les observances alimentaires. Ensuite, nous avons trouvé un exemple de recours manifeste à une exégèse de Jean Chrysostome située non pas dans la grande série d’homélies sur Romains, mais dans l’homélie XII De Statuis : il s’agit du commentaire du réquisitoire contre les Nations. Enfin, nous avons trouvé une reprise évidente d’un propos chrysostomien, si brève et allusive qu’on ne peut en saisir la logique interne sans retourner à la source. Le raccourci porte sur un énoncé antijudaïque : comme Théodoret laisse de côté l’argumentation qui l’accompagne, l’effet polémique n’en est que plus violent. Ces trois phénomènes mériteraient d’être confirmés par d’autres cas semblables que l’on pourrait rechercher en élargissant le corpus. À l’égard des autres sources, les points communs avec Origène sont trop lointains ou fortuits pour qu’on puisse affirmer que Théodoret a eu un accès direct au commentaire de l’Alexandrin. En revanche, malgré le caractère fragmentaire du commentaire de Théodore de Mopsueste, qui a certainement été une source majeure pour l’évêque de Cyr, nous avons pu observer quelques points de contact, en particulier concernant l’importance de la figure d’Adam. Sur certains détails, c’est la mise en évidence de formulations rares qui nous a permis de supposer un emprunt.
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Conclusion
Enfin, la recherche des sources qui porte sur des passages de l’œuvre abordant des thèmes polémiques a permis de situer Théodoret dans l’histoire des doctrines et de mettre en relief certains éléments de son commentaire. Rappelons que notre but était de trouver dans la littérature antérieure ou contemporaine une tradition d’interprétation des versets concernés, c’est-à-dire des traits de polémique ou des assertions semblables s’appuyant sur les mêmes versets. Concernant le judaïsme, thème très présent dans l’épître elle-même, les quelques versets interprétés par Théodoret dans un sens polémique trouvent généralement leur origine dans l’exégèse chrysostomienne, qu’il reprend cependant très rarement sur ce point. Pour ce qui est de l’interprétation globale, contrairement à Justin ou à Jean Chrysostome, l’évêque de Cyr, attentif à l’équilibre de l’argumentation paulinienne, en reste à une lecture historique, et son exégèse de Romains n’est pas antijudaïque. Si le même constat a été fait à propos d’Origène, les deux commentaires sont cependant trop différents à ce sujet pour qu’on puisse véritablement percevoir une parenté. La polémique contre le marcionisme est difficile à qualifier. Théodoret n’utilise pas les arguments avancés à l’aide de l’Épître aux Romains par Tertullien ou par Épiphane de Salamine, ni ceux que l’on trouve dans le commentaire d’Origène : mutilation du texte paulinien et sens antimarcionite de versets retenus par l’hérésiarque. Toutefois, la cible est nommée plusieurs fois, avec les valentiniens et les manichéens, et la réfutation des thèses marcionites semble orienter l’interprétation de larges passages, avec une insistance particulière sur l’unité de Dieu et de son dessein dans l’histoire humaine, depuis la Création jusqu’à l’Incarnation en passant par le don de la Loi, l’utilité de celle-ci étant fortement soulignée. La figure d’Adam, importante dans la polémique antimarcionite, est un des fils conducteurs du commentaire. Par conséquent, on peut à la fois reconnaître que Théodoret accorde une grande place à ces thèmes, et se demander si le nom des marcionites n’est pas, plutôt qu’une cible réelle, une sorte d’étiquette traditionnelle associée à l’exposé de certaines doctrines. Il n’en va pas de même des interprétations trinitaires et christologiques, qui constituent des développements ponctuels, parfois même des digressions au sein d’un commentaire soucieux de respecter le mouvement du texte paulinien. Notre enquête a cependant montré que celles-ci n’étaient jamais fortuites. Certes, dans ces passages, le texte biblique devient bel et bien un prétexte pour rappeler une doctrine de l’auteur et défendre son orthodoxie ; toutefois, les occasions sont toujours des versets dont l’interprétation théologique est attestée par ailleurs dans l’histoire des débats. Interprétation, ou simple utilisation polémique, car nous avons trouvé un cas où la pique de Théodoret correspond pour ainsi dire à un lieu commun de l’attaque ad hominem contre les ariens : remarque particulièrement insolite que cette sorte d’actualisation polémique au sein d’une exégèse soucieuse d’en rester au sens historique. Certaines digressions sont très intéressantes car l’association entre l’argument et le verset qui l’occasionne renvoie très précisément aux débats qui ont opposé Théodoret à Cyrille d’Alexandrie puis à Eutychès, que cette dernière querelle précède ou suive la composition de l’In Romanos. Du reste, nous avons été très frappée par la
Conclusion
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continuité des arguments scripturaires de l’évêque de Cyr entre ces deux périodes. En somme, certaines remarques, parfois courtes, voire lapidaires, constituent de véritables allusions aux controverses, et ne révèlent leur importance que si on les identifie comme telles en retrouvant la discussion à laquelle elles font écho. Grâce à une familiarisation progressive avec cette œuvre, et au moyen d’une mise en regard avec la tradition, nous avons pu définir quelques caractéristiques de la méthode de Théodoret et de son exégèse de Romains. Les explications littérales tiennent une grande place, et la prise en compte du contexte historique est particulièrement visible dans la lecture du préambule de l’épître et des salutations finales, mais aussi dans le Prologue précédant le commentaire du corpus paulinien. Dans cette ouverture, en effet, Théodoret s’applique à déterminer l’ordre chronologique de la rédaction des épîtres. S’il hérite évidemment des développements de ses prédécesseurs mettant en relation les récits des Actes et les indices trouvés dans les épîtres, il offre cependant à cette réflexion une forme achevée, en proposant un exposé complet sur la question, tout en étant nuancé dans ses affirmations, laissant chaque fois entendre discrètement le degré de certitude de ce qu’il avance. Il existe un lien manifeste entre un tel questionnement et certaines notices que l’on trouve dans la tradition manuscrite du corpus paulinien, mais les témoins anciens de ce dernier sont trop rares pour qu’on puisse se prononcer sur l’existence de tels paratextes dans l’exemplaire de Théodoret ou de ses prédécesseurs ; à l’inverse, les réflexions patristiques ont pu être à l’origine de ces brèves annotations transmises par les manuscrits bibliques. Pour en revenir au commentaire de Romains, nous sommes de plus en plus convaincue de son caractère très construit. L’attention à la structure du texte biblique et à sa cohérence se manifeste non seulement par le soin apporté aux résumés et aux transitions, mais aussi par des réseaux sémantiques qui se développent imperceptiblement au fil du texte et lui procurent une direction. L’Argument, très agencé sous une apparence assez lisse, introduit déjà les grandes lignes de l’épître. En mettant celles-ci en valeur, la paraphrase de Théodoret se fait habilement interprétative, par l’accentuation de certains aspects ou par des ajouts récurrents dans le cadre de la reformulation. L’interprétation s’appuie aussi sur des exemples, souvent empruntés à des récits bibliques : la manière de paraphraser ceux-ci est alors révélatrice de l’intention argumentative, comme nous l’avons vu notamment à propos de l’ouverture du Prologue. Parfois, l’interprétation tend à devenir prétexte à un exposé de la doctrine, même si la tâche exégétique n’est jamais perdue de vue. Parmi les fils conducteurs que nous avons repérés dans l’œuvre, nous rappellerons d’abord l’affirmation forte de l’existence de la conscience morale et de la faculté de discernement entre le bien et le mal, en tout homme, dès l’origine. Théodoret considère que cette faculté est une preuve de la bonté du Créateur et le fondement de la liberté humaine, c’est-à-dire de la capacité à accomplir la vertu et de la responsabilité devant le péché. Le discours sur les passions est également assez développé. Théodoret souligne leur lien avec la mortalité héritée du premier péché, leur neutralité morale en même temps que leur rôle à l’égard du péché. C’est en lien
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Conclusion
avec cette anthropologie que l’évêque de Cyr considère l’économie divine, définie comme un ensemble de manifestations de la sollicitude du Créateur à l’égard de l’homme. Son propos est beaucoup plus marqué par les thèmes traditionnels de la polémique antimarcionite que par l’antijudaïsme. Il insiste fortement sur la comparaison entre la Loi et la grâce, pour mettre en valeur l’efficacité de celle-ci comme secours dans la pratique de la vertu et dans la lutte contre les passions. Sur la question de l’élection, il développe l’idée paradoxale d’un choix fondé sur la providence divine, à la fois gratuit et reposant sur la prescience concernant la vertu de l’individu. À l’égard de l’élection d’Israël et de la question de son rejet, il souligne le contexte du discours paulinien, l’affection de l’Apôtre envers les Juifs, et, surtout, comme à propos de l’accusation des Nations et des Juifs au début de l’épître, il est sensible à l’équilibre du discours paulinien, considérant que les remontrances ou les menaces formulées à l’égard des uns valent également pour les autres. À l’unité du dessein de Dieu dans l’histoire correspond pour ainsi dire l’unité entre Juifs et païens, avec pour conséquence, dans la lecture du chapitre sur les observances alimentaires, l’appel à l’unité dans l’Église, quelle que soit la différence des pratiques. Redisons-le, ces différents éléments, que l’on retrouve ailleurs dans l’œuvre de Théodoret, sont présentés par l’exégète comme une doctrine contenue dans l’épître, et s’expriment d’une manière non systématique, essentiellement sous forme de filigranes qui apparaissent en arrière-plan du commentaire linéaire. Voici pour terminer quelques pistes de recherche parmi les perspectives que ce travail a pu ouvrir. Concernant la langue de notre auteur, sujet peu étudié jusqu’à présent, une enquête plus systématique sur les associations sémantiques propres à Théodoret, grâce à une bonne connaissance de l’auteur et à une utilisation des outils informatiques actuels, pourrait aider notamment à répondre à des questionnements sur l’authenticité de certaines œuvres – par exemple les Quaestiones et responsiones ad orthodoxos ou l’Expositio rectae fidei, dont l’attribution est discutée – et à éditer des œuvres dont la tradition est complexe, comme l’In Psalmos avec sa double recension. Plus généralement, les réflexions sur les problèmes d’authenticité, qui recourent traditionnellement à l’argument du style, parfois subjectif, gagneraient sans doute à s’appuyer sur la méthode que nous avons suivie. Dans la perspective d’une enquête plus large sur les habitudes de langage de Théodoret, qui serait précieuse pour la connaissance de cet auteur, une approche comparative, surtout avec Jean Chrysostome et Cyrille d’Alexandrie, serait stimulante et permettrait d’apprécier la dimension linguistique des influences littéraires et doctrinales entre ces auteurs. En ce qui concerne l’étude littéraire et historique, si le choix de limiter notre étude au Prologue de l’In epistulas Pauli et à l’In Romanos nous a permis d’acquérir une certaine familiarité avec le corpus et de réaliser des enquêtes assez précises sur différents aspects, une prise en compte de l’ensemble du commentaire des épîtres serait nécessaire pour confirmer des phénomènes dont nous avons trouvé peu d’exemples, notamment certains types de rapports avec l’œuvre de Jean Chrysos-
Conclusion
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tome. Eu égard à la christologie de Théodoret, nous avons déjà trouvé des illustrations convaincantes montrant que la question de l’évolution de la doctrine gagne à être étudiée du point de vue de l’argumentation scripturaire et non pas seulement de celui de la terminologie : une étude de l’ensemble de l’In epistulas Pauli sous cet angle serait certainement bénéfique. Ce qui est en jeu, c’est à la fois un approfondissement des connaissances historiques sur les débats théologiques et une appréhension plus précise de l’exégèse néotestamentaire de Théodoret. Notre tentative de caractériser la méthode et le projet à l’œuvre dans le corpus choisi, loin d’épuiser la question, a, nous l’espérons, ouvert un champ de recherche, en particulier sur la question de savoir comment développer un discours cohérent sur un type d’exégèse dont la distance par rapport au texte commenté est minimale. Ces enquêtes centrées sur la méthode et la pratique du commentaire ont montré à quel point il est indispensable de considérer l’œuvre dans son ensemble, sans se limiter à l’explication de tel ou tel verset, comme la forme semble inviter à le faire. Il est également nécessaire de confronter le commentaire à d’autres œuvres de l’auteur, qui présentent de nombreux échos et éclaircissements. Sur ces fondements, il reste bien des investigations à mener au sujet de la doctrine de Théodoret et de son interprétation de Romains, par exemple sur la notion de grâce, sur la question du péché d’Adam et de ses conséquences, sur l’Incarnation et la mort rédemptrice du Christ. La comparaison avec Cyrille d’Alexandrie mérite elle aussi d’être approfondie au-delà des questions de christologie : nous avons constaté des divergences concernant la doctrine spirituelle. Il serait intéressant d’élargir l’enquête à d’autres auteurs et d’étudier dans quelle mesure on peut mettre en relation des désaccords sur l’expression de la doctrine christologique et une différence d’approche de l’expérience spirituelle. Les enquêtes menées aussi bien que les nouveaux questionnements qu’elles suscitent montrent encore, s’il en était besoin, à quel point, chez Théodoret, l’activité de l’exégète et celle du théologien sont liées. De nombreuses investigations ont déjà été et doivent encore être menées sur l’usage des Écritures dans les débats théologiques des ive et ve siècles. La question suivante a été largement négligée jusqu’à présent : de quelle manière ces débats, et même les arguments scripturaires qui les ont nourris, ont-ils été assumés dans des œuvres exégétiques ? Dans quelles mesures ont-ils éventuellement influencé l’interprétation ? En esquissant une réponse à propos de Théodoret, nous espérons avoir montré l’intérêt d’examiner sous cet angle l’exégèse biblique de l’Antiquité tardive.
Bibliographie
Abréviations utilisées Pour les références scripturaires, les abréviations des livres bibliques sont celles recommandées par la collection des Sources Chrétiennes, cf. http://www.sourceschre tiennes.mom.fr, février 2015 (ex : 1 Rg, Mt). Les titres latins des œuvres exégétiques (ex. : Com. pour les commentaires, Frg. pour les fragments, Quaest. pour Quaestiones) suivent les abréviations des livres bibliques en latin recommandées par la collection Corpus Christianorum, cf. http://www.corpuschristianorum.org, septembre 2016 (ex : Hom. in Matth). Pour les autres œuvres anciennes, les abréviations sont indiquées dans la bibliographie. Pour les sigles des manuscrits, voir la liste des manuscrits (cod. : codex). ACO Acta Conciliorum Œcumenicorum Adamantius Adamantius : Rivista del Gruppo Italiano di Ricerca su « Origene e la tradizione alessandrina » AKG Arbeiten zur Kirchengeschichte Aland numéro donné à un manuscrit dans K. Aland, Kurzgefasste Liste der griechischen Handschriften des Neuen Testaments ASE Annali di storia dell’esegesi AthW Athanasius Werke BA La Bible d’Alexandrie BAug Bibliothèque augustinienne Biblindex Biblindex, Index des références bibliques dans les textes patristiques, en ligne BiZ Biblische Zeitschrift BkP Beiträge zur klassischen Philologie Byz Byzantion, Revue internationale des Études Byzantines Chantraine P. Chantraine et al., Dictionnaire étymologique de la langue grecque CPG M. Geerard et al., Clavis Patrum Graecorum CRAI Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres CSEL Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum CUF Collection des Universités de France DBS Dictionnaire de la Bible, Supplément Denzinger Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum DS Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, doctrine et histoire FM I Théodoret, Quaest. in Octateuchum, ed. N. Fernández Marcos et al. FM II Théodoret, Quaest. in Reges et Paralipomena ed. N. Fernández Marcos et al. FRLANT Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testaments GCS Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten (drei) Jahrhunderte GNO Gregorii Nysseni Opera INTF Institut für neutestamentliche Textforschung IRHT Institut de recherche et d’histoire des textes LSJ H. G. Liddell, R. Scott, H. S. Jones, A Greek-English Lexicon JbAC Jahrbuch für Antike und Christentum JThS Journal of Theological Studies OPA Les Œuvres de Philon d’Alexandrie Orpheus Orpheus : rivista di umanità classica e cristiana PG Patrologia Graeca https://doi.org/10.1515/9783110540659-010
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PGL Pinakes PTS RBi REAug REByz RecAug RecSR REG REJ ROC RSLR RSPT SC SemClas STAC StT StudPatr Th&Gl TLG TRE TU VChr VMR WUNT ZAC ZKG ZNW
Abréviations utilisées
G. W. H. Lampe, A patristic Greek Lexicon Pinakes, Textes et manuscrits grecs, en ligne Patristische Texte und Studien Revue Biblique Revue des Études Augustiniennes Revue des Études Byzantines Recherches Augustiniennes Recherches de Science Religieuse Revue des Études Grecques Revue des Études Juives Revue de l’Orient Chrétien Rivista di storia e letteratura religiosa Revue des Sciences philosophiques et théologiques Sources Chrétiennes Semitica et classica Studien und Texte zu Antike und Christentum Studi e Testi Studia Patristica Theologie und Glaube Thesaurus Linguae Graecae, en ligne Theologische Realenzyklopädie Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur Vigiliae Christianae New Testament Virtual Manuscript Room, en ligne Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament Zeitschrift für Antikes Christentum Zeitschrift für Kirchengeschichte Zeitschrift für neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche
Ouvrages cités 1 Auteurs et textes anciens 1.1 Théodoret 1.1.1 Interpretatio in XIV epistulas s. Pauli (= In epist. Pauli) Éditions, version ancienne G. Hervet, Beati Theodoreti Cyrensis episcopi in quatuordecim Sancti Pauli epistolas Commentarius nunc primum Latine versus, Firenze, 1552. J. Sirmond, Beati Theodoreti episcopi Cyri Operum Tomus III, prior pars continet Interpretationem quatuordecim Epistolarum S. Pauli Apostoli. Posterior ecclesiasticam Historiam, Philotheum seu Vitas Sanctorum, & Epistolas ad diversos, Paris, 1642. J. A. Noesselt, B. Theodoreti episcopi Cyri opera omnia ex recensione Iacobi Sirmondi, denuo edidit graeca e codicibus locupletavit, antiquiores editiones adhibuit, versionem latinam recognovit, et variantes lectiones adjecit Io. Augustus Noesselt, III, Halle, 1771. C. Marriott, Theodoreti episcopi Cyri Commentarius in omnes B. Pauli epistolas, Pars I. continens epistolas ad Romanos, Corinthios et Galatas, Oxford, 1852. C. Marriott, P. E. Pusey, Theodoreti episcopi Cyri Commentarius in omnes B. Pauli epistolas, Pars II. continens epistolas ad Ephesios-Hebraeos, Oxford, 1870. J. P. Migne, B. Theodoreti episcopi Cyrensis Interpretatio XIV epistularum Sancti Pauli Apostoli, PG 82, 36-877, Paris, 1864. A. Lorrain, Théodoret de Cyr, Interpretatio in epistulam ad Romanos : Édition, traduction et commentaire, diss. pro manuscripto, Université de Paris-Sorbonne, Paris, 2015, p. 119-328.
Traductions en langue moderne Teodoreto di Cirro, Commentario alla Lettera al Romani, trad. di L. Scarampi, introd. di F. Cocchini, Roma, 1998 (italien). Theodoret of Cyrus, Commentary on the Letters of Paul, transl. R. C. Hill, 2 vol., Brookline (Mass.), 2001 (anglais). Theodoret z Cyru, Komentarz do Listu św. Pawła Apostoła do Rzymian, tł. S. Kalinkowski, oprac. A. Baron, Źródła Myśli Teologicznej 5, Kraków, 1997 (polonais). Theodoret z Cyru, Komentarz do I i II listu do Koryntian, tł. S. Kalinkowski, oprac. A. Baron, Źródła Myśli Teologicznej 9, Kraków, 1998 (polonais). Theodoret z Cyru, Komentarz do listów św. Pawła do: Galatów, Efezjan, Filipian i Kolosan, tł. S. Kalinkowski, oprac. A. Baron, Źródła Myśli Teologicznej 14, Kraków, 1999 (polonais). Theodoret z Cyru, Komentarz do listów Pawłowych do Tesaloniczan, Tymoteusza, Tytusa, Filemona i Hebrajczyków, tł. S. Kalinkowski, oprac. A. Baron, Źródła Myśli Teologicznej 20, Kraków, 2001 (polonais).
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Ouvrages cités
1.1.2 Autres œuvres exégétiques de Théodoret Nous ne mentionnons les traductions en langue moderne que si elles sont citées dans cet ouvrage. On trouvera les références des traductions actuellement disponibles des œuvres de Théodoret dans C. Scholten, Theodoret. De Graecorum affectionum curatione, Heilung der griechischen Krankheiten, Supplements to Vigiliae Christianae 126, Leiden-Boston, 2015, p. 753-755. — Quaestiones in Octateuchum (= Quaest. in Octat.), ed. N. Fernández Marcos y A. Sáenz‑Badillos, Textos y estudios « Cardenal Cisneros », Madrid, 1979. — Quaestiones in Reges et Paralipomena (= Quaest. in Reg. et Par.), ed. N. Fernández Marcos y J. R. Busto Saiz, Textos y estudios « Cardenal Cisneros », Madrid, 1984. — Interpretatio in Psalmos, PG 80, 857-1997, Paris, 1864. — Explanatio in Canticum Canticorum, PG 81, 28-213, Paris, 1864. — Interpretatio in duodecim prophetas minores (= Com. in XII proph.), PG 81, 1545-1988, Paris, 1864. — Commentaire sur Isaïe, éd. A. Möhle (Berlin, 1932) revue par J.-N. Guinot, trad. J.-N. Guinot, SC 276, 295, 315, Paris, 1980, 1982, 1984. — Interpretatio in Ieremiam, PG 81, 496-805, Paris, 1864. — Interpretatio in Ezechielem, PG 81, 808-1256, Paris, 1864. — Interpretatio in Danielem, PG 81, 1256-1546, Paris, 1870.
1.1.3 Autres œuvres de Théodoret — Correspondance (= Corresp.) : I-II-III, éd. et trad. Y. Azéma, SC 40, 98, 111, Paris, 1955, 1964, 1965. IV, éd. E. Schwartz, trad. Y. Azéma, SC 429, Paris, 1998. Lettre à Helladès et Théophile, prêtres et moines (= Lettre à Helladès et Théophile), éd. et trad. J.-N. Guinot, SC 575, Paris, 2015, p. 277-329 (= Exégète et théologien II, p. 342-371, Paris, 2012). — L’Incarnation du Seigneur (= De Inc.), éd. et trad. J.-N. Guinot, SC 575, Paris, 2015. — De prouidentia (= De prouid.) : De prouidentia orationes decem, PG 83, 556-773, Paris, 1864. Discours sur la providence, trad. Y. Azéma, Paris, 1954. — La Trinité (= De sancta Trin.), éd. et trad. J.-N. Guinot, SC 574, Paris, 2015. — Eranistes : Eranistes, ed. G. H. Ettlinger, Oxford, 1975. Eranistes, transl. G. H. Ettlinger, Washington (D.C.), 2003. — Haereticarum fabularum compendium (= Haer. fab.), PG 83, 336-556, Paris, 1864. — Histoire des moines de Syrie (= Hist. Phil.), éd. et trad. P. Canivet et A. Leroy-Molinghen, SC 234, 257, Paris, 1977, 1979. — Historia ecclesiastica (= HE) : Kirchengeschichte, hrsg. von L. Parmentier, GCS N. F. 5, Berlin, 1998, 3., durchgesehene Aufl. von G. C. Hansen. Histoire ecclésiastique, I-II, introd. A. Martin, trad. P. Canivet, rév. et notes J. Bouffartigue, A. Martin, L. Pietri et F. Thelamon, SC 501, 530, Paris, 2006, 2009. — Thérapeutique des maladies helléniques (= Thérap.), éd. et trad. P. Canivet, SC 57 (2 vol.), Paris, 1958.
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1.2 La Bible — Septuaginta, id est Vetus Testamentum graece iuxta LXX interpretes (= Septuaginta), ed. A. Rahlfs, emendauit R. Hanhart, Stuttgart, 2006. La Genèse, trad. du texte grec de la Septante, introd. et notes par M. Harl, BA 1, Paris, 20103. Les Nombres, trad. du texte grec de la Septante, introd. et notes par G. Dorival et al., BA 4, Paris, 1994. Premier livre des Règnes, trad. du texte grec de la Septante par B. Grillet et M. Lestienne, BA 9.1, Paris, 1997. — Nouum Testamentum : Novum Testamentum Graece, based on the work of E. and E. Nestle ; ed. by B. and K. Aland, J. Karavidopoulos, C. M. Martini et al., 28th revised ed. by the Institute for New Testament Textual Research, Münster ; dir. H. Strutwolf, Stuttgart, 2012. Novum Testamentum Graecum : Editio Critica Major. IV, Die Katholischen Briefe, 6, ed. B. Aland, K. Aland et al., Stuttgart, 1997-2003.
1.3 Chaînes exégétiques et recueils de textes — Acta Conciliorum Œcumenicorum I, ed. E. Schwartz, Berlin-Leipzig, 1927-1929. — Éphèse et Chalcédoine. Actes des conciles, trad. A. J. Festugière, Paris, 1982. — Catenae Graecorum Patrum in Novum Testamentum. Tomus IV. In Epistolam S. Pauli ad Romanos, IV, ed. J. A. Cramer, London, 1844. — Pauluskommentar aus der griechischen Kirche aus Katenenhandschriften, gesammelt und hrsg. von K. Staab, Neutestamentliche Abhandlungen 15, Münster, 19842.
1.4 Auteurs chrétiens de la période patristique Ambrosiaster — Quaestiones Veteris et Noui Testamenti CXXVII (= Quaest. Vet. et Nou. Test.), ed. A. Souter, CSEL L, Wien-Leipzig, 1908. — Commentarius in epistulas paulinas, ed. H. J. Vogels, CSEL LXXXI, Wien, 1966. Les Apophtegmes des Pères, éd. et trad. J.-C. Guy, SC 387, 474, 498, Paris, 1993, 2003, 2005. Athanase d’Alexandrie — Epistulae ad Serapionem (= Ad Serap.) : Epistulae ad Serapionem, hrsg. von K. Savvidis, AthW I, 1, 4, Berlin-New York, 2010. Lettres à Sérapion sur la divinité du Saint-Esprit, trad. J. Lebon, SC 15, Paris, 1947. — Contra arianos : Orationes I-III contra Arianos, hrsg. von K. Metzler und K. Savvidis, AthW I, 1, 2-3, Berlin-New York, 1998, 2000.
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Ouvrages cités
Les Trois Discours contre les ariens, introd. R. Lafontaine, trad. A. Rousseau, Donner raison 15, Bruxelles, 2004. — Vie d’Antoine, éd. et trad. G. J. M.Bartelink, SC 400, Paris, 1994. Ps.-Athanase De sancta trinitate (= De sancta Trin.), PG 28, 1116-1285, Paris, 1857. Augustin La Trinité (livres I-VII) (= De Trin.), trad. et notes M. Mellet et Th. Camelot, introd. E. Hendrikx, BAug 15, Paris, 1955. Ps.-Barnabé Épître, éd. R. A. Kraft, trad. P. Prigent, SC 172, Paris, 1971. Basile de Césarée — Contre Eunome (= Adu. Eun.), éd. G.-M. de Durand et L. Doutreleau, trad. B. Sesboüé, SC 299, 305, Paris, 1982, 1983. — Sur le Saint-Esprit, éd. et trad. B. Pruche, SC 17 bis, Paris, 19682. Ps.-Basile Aduersus Eunomium (= Adu. Eun.), PG 29, 671-768, Paris, 1857. Basile de Séleucie Sermones, PG 85, 27-474, Paris, 1864. Clément d’Alexandrie — Le Pédagogue : I, éd. H.-I. Marrou et M. Harl, trad. M. Harl, SC 70, Paris, 1960. II, éd. C. Mondésert et H.-I. Marrou, trad. C. Mondésert, notes H.-I. Marrou, SC 108, Paris, 1965. III, éd. C. Mondésert, H.-I. Marrou et C. Matray, trad. C. Mondésert et C. Matray, notes H.-I. Marrou, SC 158, Paris, 1970. — Stromates : Stromata, I-VI, hrsg. von O. Stählin, neuhrsg. von L. Früchtel, 4. Aufl. mit Nachträgen von U. Treu, GCS Clemens Alexandrinus II, Berlin, 1985. Stromate I, introd. C. Mondésert, trad. M. Caster, SC 30, Paris, 1951. II, introd. Th. Camelot, éd. et trad. C. Mondésert, SC 38, Paris, 1954. IV, introd., éd. et notes A. van den Hoek, trad. C. Mondésert, SC 463, Paris, 2001. V, introd. et éd. A. Le Boulluec, trad. P. Voulet, SC 278, Paris, 1981 ; commentaire et index A. Le Boulluec, SC 279, Paris, 1981. VI, éd. et trad. P. Descourtieux, SC 446, Paris, 1999. VII, éd. et trad. A. Le Boulluec, SC 428, Paris, 1997. Ps.-Clément Die pseudoklementinen Homilien (= Hom.), hrsg. von B. Rehm, 3., verbesserte Aufl. von G. Strecker, GCS 42, Berlin, 19923. Les Constitutions apostoliques (= Constit. apost.), éd. et trad. M. Metzger, SC 320, 329, 336, Paris, 1985, 1986, 1987.
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Cyrille d’Alexandrie — Glaphyra in Pentateuchum (= Glaphyra in Pentat.), PG 69, 9-678, Paris, 1864. — Commentarius in XII prophetas minores (= Com. in XII proph.), ed. P. E. Pusey, vol. 1-2, Oxford, 1868, Bruxelles, 1965. — Commentarius in Isaiam prophetam, PG 70, 9-1449, Paris, 1864. — Commentarii in Lucam : Commentarii in Lucam (in catenis), PG 72, 476-950, Paris, 1864. Fragmente der Homilien zum Lukasevangelium, hrsg. von J. Sickenberger, TU 34, Leipzig, 1909. — Commentarii in Iohannem, ed. P. E. Pusey, vol. 3-5, Oxford, 1872, Bruxelles, 1965. — Fragmenta in epistulam ad Romanos, ed. P. E. Pusey, vol. 3, 173-248, Oxford, 1872, Bruxelles, 1965. — Der Kommentar zum 1. Korintherbrief, hrsg. und übers. von K. F. Zawadzki, Traditio Exegetica Graeca 16, Leuven-Paris-Bristol (CT), 2015. — De adoratione et cultu in spiritu et ueritate (= De Ad.), PG 68, 133-1125, Paris, 1864. — Deux dialogues christologiques (= De Inc. / Quod unus sit Christus), éd. et trad. G. M. de Durand, SC 97, Paris, 1964. — Dialogues sur la Trinité (= Dial. Trin.), éd. et trad. G. M. de Durand, SC 237, 246, Paris, 1977, 1978. — Lettres festales : I-VI, introd. P. Évieux, éd. W. H. Burns, trad. L. Arragon, M.-O. Boulnois, P. Évieux, M. Forrat, B. Meunier, SC 372, Paris, 1991. VII-XI, dir. P. Évieux, éd. W. H. Burns, trad. L. Arragon, P. Évieux, R. Monier, SC 392, Paris, 1993. XII-XVII, éd. W. H. Burns, trad. M.-O. Boulnois, B. Meunier, SC 434, Paris, 1998. — Epistulae ad Nestorium (= Ep. ad Nest.), ed. E. Schwartz, ACO I, 1, 1, p. 23-42, Berlin-Leipzig, 1927. — De recta fide ad Theodosium, ed. E. Schwartz, ACO I, 1, 1, p. 42-72, Berlin-Leipzig, 1927. — Epistulae ad Iohannem Antiochenum (= Ep. ad Ioh.), ed. E. Schwartz, ACO I, 1, 4, 127, p. 15-20 et 133, p. 37-39, Berlin-Leipzig, 1928. — Oratio ad Augustas de fide (= R. F. ad Aug.), ed. E. Schwartz, ACO I, 1, 5, p. 26-61, Berlin-Leipzig, 1927. — Oratio ad dominas (= Ad Dominas), ed. E. Schwartz, ACO I, 1, 5, p. 62-118, Berlin-Leipzig, 1927. — Libri V Contra Nestorium (= Adu. Nest.), ed. E. Schwartz, ACO I, 1, 6, p. 13-106, Berlin-Leipzig, 1928. — Apologia pro XII capitulorum aduersus Theodoretum (= Apol. adu. Theodoretum), ed. E. Schwartz, ACO I, 1, 6, p. 107-146, Berlin-Leipzig, 1928. Ps.-Cyrille d’Alexandrie Contra eos qui Theotocon nolunt confiteri, ed. E. Schwartz, ACO I, 1, 7, p. 19-32, Berlin-Leipzig, 1929. Cyrille de Jérusalem Catecheses ad illuminandos (= Catech. ad illuminandos), ed. J. Rupp, Opera omnia quae supersunt II, München, 1967. Les Catéchèses baptismales et mystagogiques, trad. J. Bouvet, Les Pères dans la foi 53-54, Paris, 1993.
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Ouvrages cités
Didyme l’Aveugle — Psalmenkommentare aus der Katenenüberlieferung, hrsg. von E. Mühlenberg, PTS 15-16, Berlin-New York, 1975, 1977. — Fragmenta in epistulas Pauli (in catenis), ed. K. Staab, Münster, 19842. Didyme l’Aveugle (?) — De Trinitate (= De Trin.) : I, hrsg. und übers. von J. Hönscheid, BkP 44, Meisenheim am Glan, 1975. II, Kapitel 1-7, hrsg. und übers. von I. Seiler, BkP 52, Meisenheim am Glan, 1975. Diodore de Tarse — Fragmenta in epstulas Pauli (in catenis), ed. K. Staab, Münster, 19842. — Quelques fragments syriaques (= Frg.), éd. et trad. M. Brière, ROC XXX, Paris, 1935, 1946, p. 231-283. Éphrem le Syrien — Prose refutations of Mani, Marcion, and Bardaisan, ed. (syriac) and transl. C. W. Mitchell, A. A. Bevan and F. C. Burkitt, Text and Translation society, 2 vol., Oxford, 1912, 1921, réimpr. Westmead, 1969. — Aduersus Marcionem (= Adu. Marc.), ed. (syriac) and transl. C. W. Mitchell, A. A. Bevan and F. C. Burkitt, vol. II, Oxford, 1921, réimpr. Westmead, 1969. Épiphane de Salamine — Ancoratus (= Ancor.), hrsg. von K. Holl, 2., erw. Aufl., hrsg. von M. Bergermann und C.-F. Collatz, GCS Epiphanius I, Leipzig, 2013. — Panarion (Pan.) : 1-33, hrsg. von K. Holl, 2., erw. Aufl., hrsg. von M. Bergermann und C.-F. Collatz, GCS Epiphanius I, Leipzig, 2013. 34-64, hrsg. von K. Holl, 2., bearbeitete Aufl. hrsg. von J. Dummer, GCS Epiphanius II, Berlin, 1980. 65-80, hrsg. von K. Holl, 2., bearbeitete Aufl. hrsg. von J. Dummer, GCS Epiphanius III, Berlin-New York, 2009. The Panarion, transl. F. Williams, Nag Hammadi and Manichaean Studies 64, 79, Leiden-Boston, 20092, 20132. — De fide, hrsg. von K. Holl, 2., bearbeitete Aufl. hrsg. von J. Dummer, GCS Epiphanius III, Berlin-New York, 2009. Eunome Apologie (= Apol.) : Apologie, éd. G.-M. de Durand et L. Doutreleau, trad. B. Sesboüé, SC 305, Paris, 1983. Liber apologeticus, ed. and transl. R. P. Vaggione, Oxford, 1987. Eusèbe de Césarée — Commentaria in Psalmos, PG 23, 72-1396, 1857. — Fragmenta in epistulas Pauli (in catenis), ed. K. Staab, Münster, 19842. — Demonstratio euangelica (= DE), hrsg. von I. A. Heikel, GCS 23 (Eusebius VI), Leipzig, 1913. — Histoire ecclésiastique (= HE) : I-II-III, éd. et trad. G. Bardy, SC 31, 41, 55 Paris, 1952, 1955, 1958. IV, introd. G. Bardy, index P. Périchon, SC 73, Paris, 1960.
1 Auteurs et textes anciens
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Ouvrages cités
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Ouvrages cités
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3 Études
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2 Instruments de travail K. Aland, Kurzgefasste Liste der griechischen Handschriften des Neuen Testaments, Berlin, 19942. B. Altaner, Patrologie. Leben, Schriften und Lehre der Kirchenväter, Freiburg, 19585. W. Bauer, Griechisch-deutsches Wörterbuch zu den Schriften des Neuen Testaments und der frühchristlichen Literatur, 6., völlig neu bearb. Aufl. / im INTF, Münster, u. bes. Mitwirkung v. V. Reichmann ; hrsg. v. K. Aland u. B. Aland, Berlin-New York, 1988. P. Chantraine et al., Dictionnaire étymologique de la langue grecque : histoire des mots, Paris, 20092. H. Denzinger, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, Freiburg im Breisgau-Basel-Rom-Wien, 201444. M. Geerard, Clavis Patrum Graecorum, Turnhout : I, 1983 ; II, 1974 ; III, 1979 ; IV, 1980. M. Geerard, F. Glorie, Clavis Patrum Graecorum, V, Turnhout, 1987. M. Geerard, J. Noret, Clavis Patrorum Graecorum, Supplementum, Turnhout, 1998. G. W. H. Lampe, A patristic Greek Lexicon, Oxford, 2010, 23rd impr. H. G. Liddell, R. Scott, H. S. Jones, A Greek-English Lexicon with a revised supplement, Oxford, 1996. J. Quasten, Patrology, 3 vol., Utrecht-Westminster (Maryland), 1951-1960. H. J. Sieben, Voces : Eine Bibliographie zu Wörtern und Begriffen aus der Patristik (1918-1978), Berlin-New York, 1980. http://www.biblindex.mom.fr/ (= Biblindex) http://pinakes.irht.cnrs.fr/ (= Pinakes) http://stephanus.tlg.uci.edu/ (= TLG) http://ntvmr.uni-muenster.de/ (= VMR)
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Ouvrages cités
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3 Études
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— « Le recours à l’argument médical dans l’exégèse de Théodoret de Cyr », Regards sur le monde antique : hommages à Guy Sabbah, éd. M. Piot, Lyon, 2002, p. 131-151. — « De quelques réflexions de Théodoret de Cyr sur les notions d’ousia et d’hypostasis », Munera amicitiae, Soveria Manelli, 2003, p. 213-227, (= Exégète et théologien, II, p. 191-206). — « Une “pomme de discorde” à l’origine de la crise nestorienne », Autour de Lactance : Hommages à Pierre Monat, Besançon, 2003, p. 109-122, (= Exégète et théologien, II, p. 225-239). — « La réception antiochienne des écrits de Cyrille d’Alexandrie d’après le témoignage de Théodoret de Cyr », Comunicazione e ricezione del documento cristiano in epoca tardoantica, Studia Ephemeridis « Augustinianum » 90, Roma, 2004, p. 157-180, (= Exégète et théologien, II, p. 241-264). — « Sur un prétendu De Trinitate attribué à Théodoret de Cyr », Ad Contemplandum Sapientiam, Soveria Mannelli, 2004, p. 319-335, (= Exégète et théologien, II, p. 129-147). — « Rétablir l’unité après la déchirure : Cyrille d’Alexandrie et Théodoret de Cyr, des modèles pour le dialogue entre les Églises ? », Les Pères de l’Église dans le monde d’aujourd’hui, Paris, 2006, p. 183-208, (= Exégète et théologien, II, p. 373-397). — Théodoret de Cyr, exégète et théologien (= Exégète et théologien), 2 vol. (Patrimoines. Christianisme), Paris, 2012. — « Une lettre inédite de Théodoret de Cyr (Moscou, Bibl. Synod. 509 [Vladimir 247]) », Exégète et théologien, II, p. 333-371. — « Théodoret de Cyr et le signe du Temple (Jn 2, 19) dans le débat christologique de son temps », Exégète et théologien, II, p. 431-468. — « La christologie de Théodoret de Cyr : essai de bilan illustré par un florilège de textes », Exégète et théologien, II, p. 469-522. — « Les Questions sur l’Octateuque et les Règnes de Théodoret de Cyr : œuvre originale ou simple compilation ? », La Littérature des questions et réponses dans l’Antiquité profane et chrétienne : de l’enseignement à l’exégèse. Actes du séminaire sur le genre des Questions et réponses (Ottawa, 27 et 28 septembre 2009), éd. M.-P. Bussières, Turnhout, 2013, p. 177-214. R. C. Hill, « Theodoret’s Commentary on Paul », Estudios Bíblicos 58, Madrid, 2000, p. 79-99. — « Theodoret wrestling with Romans », StudPatr XXXIV, Leuven, 2001, p. 347-352. K. Jüssen, « Die Christologie des Theodoret von Cyrus nach seinem neuveröffentlichten Isaiaskommentar », Th&Gl 27, Paderborn, 1935, p. 438-452. G. Koch, Strukturen und Geschichte des Heils in der Theologie des Theodoret von Kyros, Eine dogmen- und theologiegeschichtliche Untersuchung (Frankfurter theologische Studien 17), Frankfurt am Main, 1974. A. Lorrain, Théodoret de Cyr, Interpretatio in Epistulam ad Romanos : Édition, traduction et commentaire, diss. pro manuscripto, Université de Paris-Sorbonne, Paris, 2015. — « Theodoret’s Text of Romans », Commentaries, Catenae and Biblical Tradition, éd. H. A. G. Houghton (Text and Studies 13), Piscataway, 2016, p. 165-176. A. Martin, « L’origine de l’arianisme vue par Théodoret », L’Historiographie de l’Église des premiers siècles, éd. B. Pouderon, Y.-M. Duval (Théologie historique 114), Paris, 2001, p. 349-359. J. Meyendorff, « Ἐφ’ ᾧ (Rom. 5, 12) chez Cyrille d’Alexandrie et Théodoret », StudPatr IV.2, Berlin, 1961, p. 157-161. P. M. Parvis, Theodoret’s Commentary on the Epistles of St. Paul : historical setting and exegetical practice, diss. pro manuscripto, Oxford, 1975. J. F. Petruccione, « The Audience of Theodoret’s Questions on the Octateuch », La Littérature des questions et réponses dans l’Antiquité profane et chrétienne : de l’enseignement à l’exégèse.
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Indices
Liste des associations sémantiques remarquables Les expressions mentionnées sous plusieurs auteurs sont signalées par une astérisque. BASILE DE CÉSARÉE τύπος θανάτου (βάπτισμα)* φιλότιμος χάρις* BASILE DE SÉLEUCIE τὸ λογικὸν γυμνάζεσθαι φιλοτιμία τῆς χάριτος* CLÉMENT D’ALEXANDRIE λειμὼν ἀποστολικός* Constitutions apostoliques ὅρος τοῦ θανάτου* CYRILLE D’ALEXANDRIE ἀξιέραστος καρπός ἀχλὺς ἐκ τῆς ἀμαθίας ἐν (τῇ μορφῇ καὶ) τῇ ἰσότητι τοῦ πατρός / πρὸς τὸν πατέρα τοῦ νόμου σκοπός* Παῦλος βοᾷ avec ἀκούειν* θεσπέσιος Παῦλος βοᾷ* μακάριος Παῦλος βοᾷ* πληθὺς τῶν ἀγγέλων στεφανοῦν εὐφημίαις τύπον πληροῦν* φωστὴρ τῆς οἰκουμένης* ψῆφος τοῦ θανάτου* DÉMOSTHÈNE τοῦ συνειδότος μαρτυρία* DIDYME L’AVEUGLE ( ?) ἰσότης τῆς τριάδος* ÉPIPHANE DE SALAMINE ἰσότης χάριτος / ὀνομασίας πατρὸς καὶ υἱοῦ καὶ ἁγίου πνεύματος EUSÈBE DE CÉSARÉE ταῦτα διδάσκει ἑξῆς λέγων / φάσκων GENNADE DE CONSTANTINOPLE τύπος θανάτου (βάπτισμα)* φιλότιμος χάρις*
https://doi.org/10.1515/9783110540659-013
GRÉGOIRE DE NAZIANZE αἴγλη πνεύματος GRÉGOIRE DE NYSSE μυστικὴ εὐχή* JEAN CHRYSOSTOME αἰτιολογία avec ἔκβασις* αἰτιολογικός avec ἔκβασις * γνῶσις καλοῦ καὶ πονηροῦ γυμνασία τῆς παρακοῆς καὶ τῆς ὑπακοῆς δῆμος τῶν ἀγγέλων* δῆμος τῶν δυναμέων δῆμος τῶν μαρτύρων* τοῦτο δηλοῖ τὸ / τὰ ἑξῆς* κομῶντα λήϊα μυστικὴ εὐχή* Παῦλος βοᾷ avec ἀκούειν* μακάριος Παῦλος βοᾷ* σκηναὶ αἰώνιοι* τὸ συνειδὸς εἰς μαρτυρίαν καλεῖν* συνειδός avec κεντεῖν* / μαστίζειν φιλοστοργία πατρική* φιλοστοργίαν δεικνύναι* / ἐπιδείκνυσθαι* φιλοτιμία τῆς χάριτος* φωστὴρ τῆς οἰκουμένης* ψῆφος περὶ / ἐπὶ τὸν θάνατον PS.-MACAIRE δῆμος ἀγγελικός NOUVEAU TESTAMENT ἀποκυεῖν θάνατον* σκηναὶ αἰώνιοι* ORIGÈNE τύπος θανάτου (βάπτισμα)* PROCLUS αἴγλη νοερά SÉVÉRIEN DE GABALA ὅρος τοῦ θανάτου*
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Liste des associations sémantiques remarquables
THÉODORE DE MOPSUESTE νόμος περὶ τοῦ φυτοῦ* τύπος θανάτου (βάπτισμα)* THÉODORE LE STUDITE σκηνὴ τῶν ἀποστόλων THÉODORET DE CYR τὴν αἴγλην τοῦ θείου πνεύματος δέχεσθαι αἴγλη τοῦ νοεροῦ φωτός αἵρεσις τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων αἰτιολογικός avec ἔκβασις* ἀκτὶς νοερά ἀκτὶς τοῦ νοεροῦ φωτός ἀμύητος ἁμαρτίας ἀνάγραπτα ποιεῖν ἀντίδοσις ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων ἀξιέραστος καρπός ἀποκυεῖν θάνατον* ἀχλὺς τῆς ἀπιστίας γυμνασία avec τὸ λογικόν γυμνοῦν avec ἀγάπη δελεάζειν suivi de καταθέλγειν δῆμος τῶν ἀγγέλων* δῆμος τῶν μαρτύρων* διάγνωσις τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων διάκρισις τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων ἐκπαιδεύειν avec ἀλήθεια ἐντολὴ περὶ τῶν δένδρων τοῦτο γὰρ διὰ τῶν ἑξῆς avec δηλοῦν / διδάσκειν / ἐκπαιδεύειν / σαφέστερον ποιεῖν τοῦτο δηλοῖ / διδάσκει τὰ ἑξῆς* ἔρις καὶ διαμάχη εὔκομα λήϊα Ἠλίας ὁ πάνυ σῦν θεῷ φάναι ἰσότης πατρὸς καὶ υἱοῦ ἰσότης τῆς τριάδος* κολοφὼν τῶν εὐεργεσιῶν λειμὼν ἀποστολικός*
μεταφέρειν τὴν προφητείαν μεταφέρειν τὸν λόγον μυστικὴ εὐχή* νόμος περὶ τοῦ φυτοῦ* νόμοι ἀναγκαῖοι τοῦ νόμου τὰ ἀναγκαῖα τοῦ νόμου τὰ περιττά τοῦ νόμου σκοπός* ὅρος θεῖος ὅρος τῆς δικαιοσύνης / τοῦ δικαίου ὅρος τῆς θνητότητος / τῆς τελευτῆς ὅρος τοῦ θανάτου* Παῦλος βοᾷ avec ἀκούειν* θεῖος Παῦλος βοᾷ θεσπέσιος Παῦλος βοᾷ* μακάριος Παῦλος βοᾷ* νυμφόστολος Παῦλος βοᾷ πλούτῳ κομῶν πενίᾳ συζῶν προμηθεῖσθαι σωτηρίας προμηθεῖσθαι ὠφελείας προμηθούμενος διατελεῖν σκηνὴ ἀποστολική συμφωνεῖ καὶ τὰ ἐπαγόμενα τὸ συνειδὸς εἰς μαρτυρίαν καλεῖν* συνειδός avec κεντεῖν* τοῦ συνειδότος ἀκίς τοῦ συνειδότος ἐπόπτης τοῦ συνειδότος μαρτυρία* ἐπὶ τὰ συνεχῆ τῆς ἑρμηνείας βαδίσωμεν συντομίας (ὅτι μάλιστα) φροντίζειν ταινιοῦν εὐφημίαις τύπον πληροῦν* τύπος θανάτου (βάπτισμα)* τὸ ὑφορμοῦν λύειν φιλανθρωπίαν γυμνοῦν φιλοστοργία πατρική* φιλοστοργίαν γυμνοῦν φιλοστοργίαν δεικνύναι* / ἐπιδείκνυσθαι* φωστὴρ τῆς οἰκουμένης* ψῆφος τοῦ θανάτου*
Index des mots et des associations sémantiques ἀγάπη 52 n.127, 155 n.32, 183, 205 n.201, 302, cf. γυμνοῦν ἄγγελος τῶν ἀ. δῆμος 33, 91 τῶν ἀ. πληθύς 33 ἀδιάφορον 204 n.194, 280 ἀδιαφόρως 281 n.371 αἴγλη 42, 50 νοερὰ αἴ. 50 n.105 αἴ. τοῦ νοεροῦ φωτός 37, 50-52, 222 n.15 πνεύματος αἴ. 50 n.106 τοῦ θείου πνεύματος τὴν αἴγλην δέχεσθαι 50-51 αἱρεῖσθαι 26 n.128, 73, 194-195, 157 n.43, cf. διάγνωσις, διάκρισις αἵρεσις 92 n.3, 262 n.265 αἵ. τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων 70 αἰτία 19, 161, 211 αἰτιολογία 34 avec ἔκβασις 34, 161-162 αἰτιολογικός 19, 34 αvec ἔκβασις 34, 161-162 αἴτιος 19, 109 n.77, 170, 252 n.186 ἄκαιρος 202 n.183, cf. νόμος ἀκαίρως cf. νόμος ἀκίς 42, cf. λογισμός, συνειδός ἀκολουθία 48, 89, 105 ἀκρίβεια 20 n.96, 111 ἀκριβής 27 n.133, 71 n.248, 177 n.126, 266 ἀκριβῶς 20, 95, 98, 257 ἀκτίς 239 n.102 νοερὰ ἀ. 51-52 ἀ. τοῦ νοεροῦ φωτός 50-52, 107 ἄκτιστος 285 n.392 ἀλαζονεία 20 n.88, 183 n.141 ἀμαθία cf. ἀχλύς ἁμαρτία 27 n.133, 36, 154 n.29, 159, 163, 175 n.120-121, 176 n.125, 177 n.126, 181 n.135, 187 n.146, 193 n.164, 194 n.166-168, 195 n.168, 211 n.225, 248, 250 n.175, 255, 266, 269, 287, cf. ἀμύητος, κεντεῖν ἀμύητος 36 ἁμαρτίας ἀ. 62-63, 78 n.301, 91 ἀμύττειν cf. συνειδός ἀναγκαῖος 97 n.13, 200, cf. νόμος ἀνάγραπτος ἀνάγραπτα ποιεῖν 45, 284 n.387 ἀνάθεμα (ἀνάθημα) 183-185 https://doi.org/10.1515/9783110540659-014
ἀναμιγνύναι 20 n.93, 182, 183 n.141 ἀναπτύττειν 110, 176 n.125 ἀνθρώπειος 39, 297, 301 ἀ. φύσις 77 n.295, 225, 288, 290, 303 ἀνθρώπινος 39, 99, 100, 191, 291 n.419, 302, 305 n.467 ἀνθρωπίνως 294 ἄνθρωπος 23 n.109, 77 n.294, 79 n.304-305, 87 n.376, 101 n.30, 143, 159, 163, 181 n.135, 191 n.158, 237 n.92, 287, 288 n.407, 289, 293-295, 297-298, 303, 304 n.464-465, 305, 306 n.470, 307 n.476, cf. προμηθεῖσθαι ἀντιβολεῖν 43, 95, 106-107 ἀντίδοσις ἀ. ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων 70 n.237 ἀντίθεσις 19 n.75, 248-249 ἀξιέραστος 42, 292 n.422 ἀ. καρπός 42, 52-53 ἀπαγορεύειν 49 n.102, 50, 77 n.295, 184 n.142, 211 n.226, 254 n.199 ἀπαγόρευσις 18, 168 ἀπαγορευτικός 18 n.58 ἀπαθής 296 n.438, 297 ἀπαθῶς 296 n.438 ἀπιστία 169 n.102, 223, 229, 235 n.75, cf. ἀχλύς ἀπογυμνοῦν 95, 110, 111 n.87 ἀπόδειξις 19 ἀπόκρισις 19 ἀποκυεῖν ἀ. θάνατον 36, 255 ἀπολογία 85 n.353, 157 n.43.45, 211 n.226, 264 ἀπορία 19 n.75-76 ἀπόστολος 12 n.23, 60 n.177, 89 n.383, 168 n.92, 225, 239 n.101, 270, 283 n.384, 284 n.386-387, 298 n.445, 305 n.467, cf. θεῖος, σκηνή ἀποτολμᾶν 231-232 ἀρετή 23, 103 n.41, 153 n.26, 154 n.27, 163, 165, 176 n.125, 178 n.128, 180 n.133, 188, 211, 252 n.186 ἁρμοδίως 20 ἀσάφεια 109 n.75.77 ἀσαφής 109, 111 ἀσαφῶς 48 n.96 ἀσθένεια 155 n.35, 175 n.120, 179 n.131, 194, 196, 238 n.99, cf. νόμος
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Index des mots et des associations sémantiques
ἀσθενής 157 n.46, 203 ἀσθενοῦν 203 ἀτημέλητος 39, 90, 237 n.92, 253 ἄτοπον 19, 181 n.136, 194, 196, 260 n.251 ἄτρεπτος 259 n.242, 296 n.438 αὔξειν 19, 23 n.109, 157 αὐτοδίδακτος cf. νόμος ἄφατος cf. φιλανθρωπία ἀφορίζειν 282, 283 n. 384, 284 n.386-387 ἀχαριστία 229, 232 n.48, 242 ἀχλύς ἀ. ἐκ τῆς ἀμαθίας 37, 91 ἀ. τῆς ἀπιστίας 37, 51, 222 n.15 βάθος 95, 111 βάπτισμα 154 n.28, 177 n.125, 181 n.135, cf. τύπος βασιλεύειν 182, 193, 194 n.167, 196 βλασφημεῖν 248-249, 278 n.358 βλασφημία 186 n.146, 229, 249 n.163 βλάσφημον 249 n.163 βοᾶν 300 n.449, cf. θεῖος, θεσπέσιος, μακάριος, νυμφόστολος Παῦλος βοᾷ avec ἀκούειν 54 βοήθεια 27 n.133, 162 βοηθεῖν 177 γνώμη 24-25, 70 n.237, 157 n.43, 184 n.142, 194 n.168, 195, 269 γνῶσις 71 n.247, 98 n.21, 112 n.101, 213, 260, 266, cf. συνειδός γ. καλοῦ καὶ πονηροῦ 69, 73 γ. τοῦ καλοῦ καὶ μὴ τοιούτου 70, 73 γνωστός 69 n.235, 213 γράμμα 87 n.376, 97 n.13, 110 n.84, 111 n.8788, 114 n.111, 126, 139 n.190, 211 n.225, cf. κάλυμμα γραφή 210, 296 n.438, 300 n.449, cf. θεῖος γυμνάζεσθαι τὸ λογικὸν γ. 68 γυμνασία γ. τῆς παρακοῆς καὶ τῆς ὑπακοῆς 68 γ. avec τὸ λογικόν 68, 253 γυμνοῦν 107, 153 n.26, cf. φιλανθρωπία, φιλοστοργία avec ἀγάπη 58 δειδίσσεσθαι 20, 40 δελεάζειν cf. καταθέλγειν δένδρον cf. ἐντολή
δηλωτικός 18, 161, 266 n.293 δημιουργεῖν 68 n.223, 255 n.212, 264, 285, cf. προμηθεῖσθαι δημιουργός 89, 170 n.106, 208 n.214, 209, 256, 264, 279 n.363, cf. προμηθεῖσθαι δῆμος cf. ἄγγελος δ. ἀγγελικός, δ. τῶν δυναμέων, δ. τῶν μαρτύρων 33 n.10 διάγνωσις 69-74, 85, 211, 213-214 δ. τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων 69, 73, 90, 172, 213-214, 253, 264 δ. τοῦ καλοῦ καὶ μὴ τοιούτου 70, 74 ἡμέρα διαγνώσεως 71 objet de « recevoir », « avoir » 72 avec αἱρεῖσθαι, προαιρεῖσθαι 73 avec (ἐν)τιθέναι 69, 72, 264 avec πρακτέον, πρᾶξις 73 avec φυσικός, φύσις 69, 72 διαγνωστικός δ. τοῦ καλοῦ καὶ μὴ τοιούτου 70 διακρίνειν δ. τὸ καλὸν καὶ τὸ ἐναντίον 70, 74 διάκρισις 68 n.227, 69-74, 213-214 δ. τῶν ἀγαθῶν καὶ τῶν ἐναντίων 24, 69, 73, 90, 213-214, 223 δ. τοῦ καλοῦ καὶ μὴ τοιούτου 70, 74 objet de « recevoir », « avoir » 72, 264, 266 n.293 avec αἱρεῖσθαι, προαιρεῖσθαι 73 avec (ἐν)τιθέναι 69, 72 avec πρακτέον, πρᾶξις 69 n.236, 73, 266 n.292 avec φυσικός, φύσις 69, 72, 266 n.292-293 διακριτικός δ. τοῦ καλοῦ καὶ τοῦ ἐναντίου 70 διαμάχη 42, cf. ἔρις διάνοια 18, 46 n.85, 97 n.13, 109 n.77, 110, 114 n.111, 163, 169 n.102, 182 n.139, 184 n.143, 235 n.75 διαπλάττειν cf. προμηθεῖσθαι διατελεῖν cf. προμηθεῖσθαι διδάσκαλος 60 n.176, 168 n.92, 178, 192 n.161, cf. νόμος διεξέρχεσθαι 43-44, 304 n.464 διέρχεσθαι 43-44, 127, 138 n.190 δίκαιος 33 n.10, 83 n.307, 114 n.114, 165, 284 n.387, cf. ὅρος δικαιοσύνη 60 n.173, 170 n.105, 171 n.112, 175, 186 n.145, 187 n.146, 205, 209 n.217, 252, cf. ὅρος
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δογματικός 20, 178 n.128 δουλεύειν 26 n.128, 194-195, 204 n.194, 278 n.358 δυσκατόρθωτος 37 εἰκών 19, 23 n.109, 38 n.41, 291, 292 n.421 εἰσάγειν 19, 178 n.128, 299 n.447 ἔκβασις 19, cf. αἰτιολογία, αἰτιολογικός ἐκπαιδεύειν 42, cf. ἑξῆς ἐ. avec ἀλήθεια 53 ἐκπορεύεσθαι 285-286 ἐλευθερία 26 n.128, 194 n.167 ἐναλλαγή 19 ἐναντίος 19, 184 n.142, 234, 239 n.101, cf. ἀντίδοσις, αἵρεσις, διάγνωσις, διακρίνειν, διάκρισις, διακριτικός ἐ. ἐκ διαμέτρου 74 n.266 ἐντιθέναι 18, cf. διάγνωσις, διάκρισις ἐντολή 67, 68 n.226, 74-75, 165, 211 n.226, 252 n.186, 253, 255, 266 n.291 θεῖαι ἐντολαί 75 περὶ τῶν δένδρων ἐ. 74-75 avec φυτόν 75, 265 n.289 ἑξῆς 175 n.120 τοῦτο γὰρ διὰ τῶν ἑ. avec δηλοῦν / διδάσκειν / ἐκπαιδεύειν / σαφέστερον ποιεῖν 4546, 169 n.102, 235 n.75 τοῦτο δηλοῖ / διδάσκει τὰ ἑ. 46 ἐξυφαίνειν 20 ἐπαινεῖν 205 ἔπαινος 20, 236, 266 n.296 ἐπικουρεῖν 27, cf. χάρις ἐπικουρία 27, 177, cf. χάρις ἐπιμέλεια 237 n.92, 259, 267 ἐπιμελεῖσθαι 171 n.112, 201 n.181, 267 n.302 ἐπισυλλογίζεσθαι 19, 38 ἐπόπτης cf. συνειδός ἐραστής 28 ἐργάτης 28 ἔρις ἔ. καὶ διαμάχη 53, 204 ἔ. καὶ μάχη 53 ἐριστικός 298 n.446, 301 n.453 ἑρμηνεία 12, 15 n.33, 95-96, 97 n.13, 101 n.31, 106 n.56, 107 n.57, 109 n.77, 114 n.111, 200 n.178, 297 n.440, cf. συνεχή ἡ κατὰ μέρος ἑ. 12, 48 ἐρώτησις 18-19, 168 εὐεργεσία cf. κολοφών
353
εὔκομος εὔκομα λήϊα 35 εὐσέβεια 23, 139 n.190, 171 n.112, 209, 237 n.92 εὐφημία 20, 205 στεφανοῦν εὐφημίαις 57-58 ταινιοῦν εὐφημίαις 57-58, 90, 165, 257 εὐχή 163, cf. μυστικός ζήτημα
19 n.75-76, 248
ἠθικός 20, 178 n.128 ἡμέρα 77 n.294, 204 n.194, 297 n.440-441, cf. διάγνωσις, κρίσις θάνατος 80 n.307, 176 n.125, 190, 193, 259 n.243, 265, 297 n.441, 299 n.447-448, 300, cf. ἀποκύειν, ὅρος, τύπος, ψῆφος θεῖος 99, 103, 107 n.57, 111 n.91, 155 n.33, 183 n.141, 199 n.173, 209 n.217, 231 n.40, 239 n.101, 279, 292 n.422, 307 n.476, 308 n.476, cf. αἴγλη, ἐντολή, νόμος, ὅρος, πνεῦμα, χάρις θ. ἀπόστολος 27 n.133, 54, 138 n.188, 155 n.33, 170 n.108, 177 n.126, 179 n.131, 184 n.143, 192 n.162, 205 n.196, 222, 248, 280 n.366, 304 n.464, 306 n.467 θεία γραφή 60 n.176, 95, 98-99, 188 n.149, 228, 257, 273, 299 n.447, 300 n.451-452 θ. Δαυίδ / Παῦλος / Πέτρος 54-55, 106 n.56, 108, 124-126, 188 n.151 θ. εὐαγγελιστής 305 n.466 θ. Παῦλος βοᾷ 54-55, 91, 95 θ. προφήτης 259 n.245 θεία φύσις 291-293 θεός passim σὺν θεῷ φάναι 55 θεότης 50, 285, 288-292, 293 n.429, 296 n.438, 297, 300, 304-306, 307 n.471 θεοτόκος 9, 298 θεσπέσιος 106 n.56, 139 n.193, 286 n.398 θ. Παῦλος βοᾷ 54-55 θνητός 176 n.125, 193, 194 n.167-168, 195 n.168, cf. παθητός θνητότης cf. ὅρος ἴδιος 18, 194 n.168, 199 n.172, 288 n.407, 289, 290 n.413, 294, 297 n.441, 299 n.448 ἰδίωμα 162 κατὰ τὸ οἰκεῖον ἰ. 18, 161 ἱκετηρία 20, 160
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ἱλαστήριον 168 n.93, 287, 288 n.407-408 ἰσότης 302 ἰ. τῆς τριάδος 63-64, 282-283 avec πατήρ et υἱός 63-64, 281 n.373 ἰσχύειν cf. νόμος ἰσχυρός 87 n.376, 203 ἰσχύς 153 n.26, 297 n.441, cf. χάρις καθαρός cf. συνείδησις, συνειδός καιρός 20, 48, 99 n.26, 201 n.181, 294 n.431 κάλυμμα 95 τοῦ γράμματος καλύμματα 95, 109-110 καρπός 211 n.226, 254 n.199, cf. ἀξιέραστος καταδέχεσθαι 26 n.128, 155 n.35 καταθαρρεῖν 107 καταθέλγειν 42 avec δελεάζειν 56 κατάλληλος 20 κατάλογος 20 κατατολμᾶν 95-96, 106 n.56, 107 κατηγορεῖν 85 n.353.356, 165, 170 n.106, 208 n.214, 222, 233 n.58, 249 n.157, 250 n.175, 252 n.186, 264, 269 κατηγορία 20, 23 n.109, 83 n.338, 85, 157, 165, 190, 211, 222, 234, 238 n.99, 248-249, 257, 264-265, 279 κατήγορος 266 κεντεῖν 87 n.371, cf. συνειδός avec ἁμαρτία 87 n.372 κεφάλαιον 22 n.104, 221 κηδεμονία 66 n.206, 267 κηδεμών 267 κίνησις 194, 195 n.168, 196 κοινός 199, 225, 305, cf. συνήθεια κολλᾶσθαι 180 κόλλη 180 κολοφών 42, 44 κ. τῶν ἀγαθῶν, κ. τῶν εὐεργεσιῶν, κ. τῶν κακῶν 44 κομᾶν πλούτῳ κ. 56, 183 n.141 πλούτῳ κομῶν πενίᾳ συζῶν 56-57, 90 κομῶντα λήϊα 35, 91 κρίσις 87 n.368 ἡμέρα τῆς κρίσεως 71 κτίζω 279-280 κτίσις 255 n.212, 279, 280 n.366, 288 n.407 κτίσμα 279 κτιστός 280 κώνωψ 97
λειμών 43, 97-98 λήϊον cf. εὔκομος, κομᾶν λογικός 253, cf. γυμνάζεσθαι, γυμνασία λογισμός 24, 69 n.231, 85, 186 n.145, 199, 210 τοῦ λογισμοῦ / τῶν λογισμῶν ἀκίς 83 n.344 λύειν 27, 79 n.305, 177, 248, 297 n.440-441, cf. ὑφορμεῖν λύσις 19, 49 n.103, 50, 248-249, 265 μακάριος 106 n.56, 114 n.112, 123 n.143, 160, 178 n.128-129, 184 n.143, 201 n.181, 283 n.384, 304 n.464 μ. Παῦλος βοᾷ 54-55 μαρτυρεῖν 188 n.150, 273, 293 n.427, cf. συνειδός μαρτυρία 20, cf. συνειδός μάρτυς 304 n.464, cf. δῆμος μαστίζειν cf. συνειδός μάχη cf. ἔρις μεγαλοψυχία 20 μειράκιον 40 μειρακύλλιον 40, 90, 103 μέσος 138 n.188, 154 n.27, 175 n.120, 233, 239 n.101 εἰς μέσον ἄγειν 19 n.78, 165 εἰς μέσον παράγειν 19 n.78, 171 n.109 ἐν μέσῳ τιθέναι 18 μεταμέλεια des Juifs 241 de Dieu 258-259 μεταφέρειν 109 n.77 τὴν προφητείαν μ. 46-47 τὸν λόγον μ. 47, 153 n.26, 170 n.108 μισεῖν 229, 231 μονογενής 52 n.123, 259 n.243, 279, 283 n.384, 288 n.407, 292 n.422, 293-294, 295 n.435, 297 n.440-441, 299 n.448, 300 n.449, 306 n.467 μυστικός μυστικὴ εὐχή 35-36 νοερός cf. αἴγλη, ἀκτίς νόμος 27 n.133, 77, 85 n.356-357, 89 n.383, 110 n.86, 155 n.32, 159, 163, 165-166, 170 n.106-107, 177, 202 n.184, 204 n.193-194, 207, 208 n.214, 209, 211 n.225, 222, 237 n.92-93, 238 n.99, 248, 257 n.222, 264, 265 n.289, 266 n.291.293.296, 294 n.431 ἀναγκαῖοι νόμοι 67
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θεῖος ν. 77-78, 155 n.32 φυσικὸς ν. 88-89, 165 ν. διδάσκαλος 26, 257 ν. τῆς φύσεως 77 n.295, 85 n.356, 88-89, 172 n.114 περὶ τοῦ φυτοῦ ν. 74-75 ἀναγκαῖα τοῦ νόμου 67-68, 75, 80, 240 n.113 ἀσθένεια τοῦ νόμου 26 τὰ περιττὰ τοῦ νόμου 68, 80-81, 240 σκοπός τοῦ νόμου 81-82, 255, 259 τέλος τοῦ νόμου 82 avec ἄκαιρος 81, 204 n.194, 240 avec ἀκαίρως 240 n.112 avec αὐτοδίδακτος 85 n.357, 208, 213 n.234 avec ἰσχύειν 26, 157 n.43 νυμφόστολος ν. Παῦλος βοᾷ 54 νύττειν 87 n.371, 232, cf. συνειδός οἰκεῖος 81 n.320, 99 n.26, 178 n.129, 207 n.208, 287, cf. ἰδίωμα ὅρος 75 n.281, 76-78 θεῖος ὅ. 75-76, 78 ὅ. τῆς δικαιοσύνης 76, 79-80 ὅ. τοῦ δικαίου 75-76, 79 ὅ. τοῦ θανάτου 75-79, 91, 195 n.168 ὅ. τῆς θνητότητος 76, 79 n.302 τὸν ὅρον τῆς τελευτῆς δέχεσθαι 76, 78 ὅ. τῆς φύσεως 77 n.295 πάθημα 25, 79 n.303, 194-195, 270, cf. σκίρτημα παθητός 194, 299 n.447 avec θνητός 25 n.118 πάθος 25, 176 n.125, 269, 296 n.438, 297298, 305 n.467 παιδάριον 40, 103 n.40 παλαίειν 26-27, 177 πάνυ Ἠλίας ὁ π. 57, 99, 241 n.125 παράδειγμα 19, 98 παραδιδόναι 23, 60 n.177, 78 n.301, 80 n.307, 290 n.413 παραζηλοῦν 36 παρακαλεῖν 20 n.90, 43, 95, 138 n.188, 153 n.26, 160, 179 παρακνίζειν 36 παραλείπειν 20 n.83 παραμυθητικός 20
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παρεντιθέναι 18 παρεξετάζειν 40-41 παρεξέτασις 19, 40 πάσχειν 109 n.77, 179 n.131, 289, 296 n.438, 298 n.445, 299 n.448, 300 n.451 πατήρ 114 n.112, 188 n.148-149, 225, 228, 256, 282 n.379, 283 n.384, 284 n.386-387, 285, 286 n.398, 289 n.412, 292 n.421, 294 n.431, 297 n.440-441, 299 n.448, 304 n.464, cf. ἰσότης πατρικός cf. φιλοστοργία πενία cf. κομᾶν πέρας 202, 259 π. βίου 78 περιθρύλητος 41 περιττός 120 n.134, 182 n.139, 204 n.194, cf. νόμος πληθύς cf. ἄγγελος πληροῦν 259, cf. τύπος πλοῦτος 52 n.127, 58 n. 162, cf. κομᾶν πνεῦμα 33 n.10, 63-64, 100 n.29, 101 n.33, 124 n.149, 160, 162, 164, 167, 177 n.125, 178 n.128-129, 205 n.201, 225, 270, 283 n.384, 284 n.386, 286 n.398, 292 n.421, 294 n.431, 303, 304 n.465, 305 n.467, 306 n.467, cf. αἴγλη, χάρις θεῖον π. 50-51, 70 n.240, 163, 266 ποιητής 170 n.107, 256, 264, 279 n.363, cf. προμηθεῖσθαι πολυθρύλ(λ)ητος 41, 90 πρακτέον 27 n.133, 177, 208 n.213, cf. διάγνωσις, διάκρισις πρακτικός 20, 75, 153 n.26 πρᾶξις 195 n.168, 268-269, cf. διάγνωσις, διάκρισις προαιρεῖσθαι 66 n.206, cf. διάγνωσις, διάκρισις προαίρεσις 62, 163, 175, 193 n.164, 199, 269 προγραφή 19 προεπινοεῖσθαι 24 προκάλυμμα 110 n.86 προμηθεῖσθαι 43, 64-65, 90, 267 προμηθούμενος διατελεῖν 64-67, 77 n.294 σωτηρίας π. 65-67 ὠφελείας π. 64-66 avec ἄνθρωποι, δημιουργεῖν, δημιουργός, διαπλάττειν, ποιητής 65-66, 77 n.294 προοίμιον 19, 190, 307 n.471 προπάτωρ 41-42 προσβολή 25, 79 n.303, 195 n.168, 196
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Index des mots et des associations sémantiques
προσηγορία 18 n.49, 23 n.109, 99 n.26, 182 n.140, 183, 184 n.143, 287 προσθήκη 18, 304 n.464, 306, 307 n.471 προσκολλᾶσθαι 180 προσωπεῖον 19 πρόσωπον 19, 282, 288, 290 προσωποποιία 19 προτιθέναι 18 πρωτόπλαστος 41-42 πρωτότοκος 41 n.60, 188, 228, 293-294, 295 n.435 ῥᾳστώνη 112, 113 n.103 ῥοπή cf. ψυχή σάρξ 80, 159, 165-166, 175 n.120, 179 n.130, 193 n.164, 248, 250 n.175, 269, 286 n.398, 288 n.407, 289-290, 292 n.420.422, 294 n.431, 296 n.438, 297 n.441, 298, 299 n.448, 303-306 φρόνημα τῆς σαρκός 25, 269 σαφήνεια 25 n.118, 48 n.95, 265 n.289 σημαντικός 18, 300 n.449 σιγᾶν 20, 305 n.466 σκηνή 100 n.29, 102 n.34, 103 n.43 αἰώνιος σ., ἀποστολικὴ σ., τῶν ἀποστόλων σ. 34 σκιρτᾶν 25 σκίρτημα τῶν παθημάτων σκιρτήματα 25 σκοπός 92 n.3, 97 n.13, 200, 204, 219, 223, 275 n.345, cf. νόμος σοφία 20, 95, 111, 157 n.45, 201 n.181 στεῖρος 42 στέριφος 42 στεφανοῦν cf. εὐφημία στίζειν 19 συζῆν 112, 113 n.103, 165, 252 n.186, cf. κομᾶν συλλογιστικῶς 19 συμμαρτυρεῖν 85 συμμαχία cf. χάρις συμμορφία 292 n.420 σύμμορφος 291 συμπεριβάλλειν 18 συμφωνεῖν συμφωνεῖ καὶ τὰ ἐπαγόμενα 47-48, 90 συμφωνία 205-206, 207 n.210 σύμφωνος 47 n.91, 258 συνάφεια 307 n.476, 308 n.476-477
συνείδησις 43, 83-86, 204 n.193 καθαρὰ σ. 84, 86 συνειδός 43, 83-85, 214 καθαρὸν σ. 84 n.351, 87 n.368 τοῦ συνειδότος ἀκίς 83, 87 τοῦ συνειδότος ἐπόπτης 83, 86 τοῦ συνειδότος μαρτυρία 83, 85-86 avec ἀμύττειν, νύττειν 87, 211 n.226 avec γνῶσις 85, 86 n.359 avec κεντεῖν, μαστίζειν 83, 87 avec μαρτυρεῖν, μαρτυρία 83 n.340, 85, 87 n.376 avec le vocabulaire judiciaire 85-86 συνεξετάζειν 40-41 συνεργεῖν cf. χάρις συνεργός 138 n.188, cf. χάρις συνεχής ἐπὶ τὰ συνεχῆ τῆς ἑρμηνείας βαδίσωμεν 48, 90, 279 συνήθεια κοινὴ σ. 18, 184 n.143 συνθήκη 18, 30, 109, 169 n.102, 235 n.75 συντομία 20, 48 συντομίας φροντίζειν 48 συνυφαίνειν 20 n.93 σωτηρία 66, 155 n.33, 170 n.105, 206, 235, 259 n.245, 287, cf. προμηθεῖσθαι ταινιοῦν 43, 57, cf. εὐφημία ταπεινός 20 τεκταίνεσθαι 24 τελευτή cf. ὅρος τέλος 129 n.170, 130 n.175, 135 n.182, cf. νόμος τ. ζωῆς 78 τρέπειν τὸν λόγον τ. 47, 170 n.105, 201 n.179 τριάς cf. ἰσότης τύπος 241 n.118 τ. θανάτου (βάπτισμα) 38 τύπον πληροῦν 49 τυραννεῖν 193, 194 n.167-168 ὑπόμνημα 12 ὑπόστασις 163, 164 n.75 ὑποστίζειν 19 ὑφορμεῖν 19, 43 τὸ ὑφορμοῦν λύειν 49
Index des mots et des associations sémantiques
φιλανθρωπία 59, 80 n.307, 242-243, 253, 256, 263 ἄφατος φ. 35 φιλανθρωπίαν γυμνοῦν 58 φιλάνθρωπος 52 n.127, 59 n.169, 187 n.146 φιλανθρώπως 59 n.169, 252 φιλοστοργία 58, 169, 235 πατρικὴ φ. 58 φιλοστοργίαν γυμνοῦν, φ. δεικνύναι, φ. ἐπιδείκνυσθαι 58-59 φιλοτιμία 59, 80 n.307, 290 n.415, cf. χάρις φιλότιμος cf. χάρις φρόνημα 163, 182 n.139, 229, 231 n.40, cf. σάρξ φυσικός cf. διάγνωσις, διάκρισις, νόμος φυσικῶς 288 n.407, 294 n.431 φύσις 24-25, 52 n.123, 62, 67, 68 n.223, 77 n.294, 80, 89, 112 n.101, 155 n.35, 163, 170 n.106, 177 n.126, 188, 193 n.164, 195 n.168, 199, 208 n.214, 209, 257 n.220, 259 n.242, 264, 269, 285, 289, 292 n.420, 294 n.431, 295 n.433, 296 n.438, 298, 300 n.449, 307, cf. ἀνθρώπειος, διάγνωσις, διάκρισις, θεῖος, νόμος, ὅρος, χάρις φυτόν 254 n.199, cf. ἐντολή, νόμος φῶς 60, 237, cf. αἴγλη, ἀκτίς φωστήρ 60 τῆς οἰκουμένης φ. 59-61, 95-96, 107, 113, 143
357
χάρις 27 n.133, 63-64, 153 n.26, 162-163, 164 n.75, 177 n.126, 179 n.131, 192 n.162, 193, 229, 237 n.93, 248, 258, 283 n.384 χ. πνεύματος 26-27, 163, 177 n.126, 270, 294 n.431, 295 n.433 χ. συνεργός 27 θεία χ. 59 n.166, 95, 99-100, 104 n.44, 106 n.53, 107 n.57, 222 φιλότιμος χ. 59 ἰσχὺς τῆς χάριτος 26 φιλοτιμία τῆς χάριτος 59 avec ἐπικουρία / ἐπικουρεῖν 27 n.133, 177 n.126 avec συμμαχία 27, 177 avec συνεργεῖν 26-27, 177 opposée à φύσις 27 n.133, 303-304 χορηγεῖν 107 n.57, 301 χορηγία 190 χορηγός 255, 281 ψῆφος 87 n.368.376, 99, 100 ψ. περὶ / ἐπὶ τὸν θάνατον 76 n.287 ψ. τοῦ θανάτου 76, 78 ψόγος 20, 236 ψυχαγωγεῖν 20 ψυχαγωγία 20 ψυχή 26 n.128, 98 n.21, 154 n.30, 182 n.139, 269, 289-290 τῆς ψυχῆς ῥ. 24, 269 ὠφέλεια 66 n.207, 192 n.162, 206, 237, cf. προμηθεῖσθαι
Index des personnages bibliques Abel 24 n.116, 86 n.359, 211, 237 Abimélech 171 Abraham 45 n.76, 150, 155, 179, 188, 225, 228, 237 n.94, 238-240, 256 n.215, 259260, 304-305 Adam 37, 63, 68-69, 70 n.237, 72-75, 76 n.283-284, 78, 150, 165, 171, 193, 209, 211-213, 225 n.19, 237, 256 n.215, 257, 259, 263-268, 270-271, 292, 312, 315-316, 319 Andronicos 168 Aquilas 155, 158 Caïn
24 n.116, 86 n.359, 171, 209, 211-212, 264, 270
Eldad 99-102, 113, 141 Éli 103, 104 n.44 Élie 57, 82, 99-100, 104-105, 113, 141, 157, 241 Éraste 118 Ève 72 n.249, 78, 211-212 Gaïus
Jean le Baptiste 57 Joseph (le patriarche) Josué 100, 102, 113 Junie 168
24 n.116, 171
Modad 99-102, 113, 141 Moïse 65, 88-89, 99-102, 113, 165, 179, 211, 219 n.1, 256 n.215 Onésime
119, 133, 137
Pharaon 97 n.13, 254, 256 Phébée 118, 133, 136, 155 Priscilla 155, 156 n.37, 158 Rufus
188-189
Salomon 97 n.13, 117 n.122, 242 Samuel 40, 99, 102-104, 113, 141 Sara 77 n.295, 187 Saül 242
118, 133, 136
Isaac 188, 229, 237 n.94, 239, 304-305 Ismaël 188, 228-229, 239
https://doi.org/10.1515/9783110540659-015
Thomas 102 Timothée 66, 67 n.209, 132, 136, 138-140 Tychique 130, 134, 137
Concordance entre la nouvelle édition, la PG et le texte de Romains Dans cet ouvrage, les références au Prologue de l’In epistulas Pauli et à l’In Romanos de Théodoret renvoient aux paragraphes adoptés dans la nouvelle édition critique (GCS)¹. On trouve ici une concordance entre ces paragraphes et les colonnes de la PG 82, ainsi que l’indication des lemmes bibliques cités dans le commentaire.
Prologue GCS
PG A - A - A A -B B -C C -D D - A A -B B -C C -D
GCS
PG D - B B - B - B -C C -D D - A A -B B -
GCS
PG C - C - A A -
GCS
PG D - A A -B B -C C - A B -C C -D D - C C -D
Argument GCS
PG C - A A -B B -C
Section I GCS
PG A -B B -C C - A A -B B - B -D A -C C -
Lemme (Rm) , a , b , , , ,
-
Lemme (Rm) , a , b , , - , - , - , , a
En attendant la parution de l’édition critique dans la collection des Griechischen Christlichen Schriftsteller et du texte avec traduction dans la collection des Sources Chrétiennes, voir A. Lorrain, L’In Romanos de Théodoret, p. 120-328. https://doi.org/10.1515/9783110540659-016
360
GCS
Concordance entre la nouvelle édition, la PG et le texte de Romains
PG D - A A - A -B B -D D - A A -C C - A A -B B -C C - A A - A -D A - A -B B -D D - A
Lemme (Rm)
, b , , , , , , , , , , , ,
- - - -a b- - -
GCS
PG A -C C - A A -C C - A A -B B -D D - A A -B B -C C - C - A A - A -C C - A A -B B -C
Lemme (Rm) , - , - , - , - , - , , , , - , , , -a , b , - ,
GCS
PG D - B B -D D - B B -C C -D D - B B -C C - A A -C C -D D - A A -B B -D D - A A -C C - A A - B B -
Lemme (Rm) , - , - , - , - , , , , , - , - , , a , b- , - , - , - , -
GCS
PG B -C C -D D - A
Lemme (Rm) , , - , -
Section II GCS
PG C - B B -C C - A A - A -B B -C C - A A -B B -C C - A A -C C - A A -B B -D D - A A -C C - A A -C C -D
Lemme (Rm) , - , , a , b , , - , -a , b- , , - , - , , , , , , ,
-a b-a b - - - -
Section III GCS
PG C -D D - A A -B
Lemme (Rm) , , a , b
Section IV
GCS
PG A -B B -C C -D D - A A -B B -C C - A A -B C -D D - A A -B B -C C -D D - A A -C C -D D - A A -C C - C - A A - B -C C - A A -C C -D D - B B - B -C
Lemme (Rm) , - , a , b- , , , - , , , , a , b , a , b-a , b- ,
, , , , ,
a b-a b-
, , , , ,
- - -a b-,
GCS
PG C - A A -B B -D D - A A -C C - C - A A -B B -C C - A A -C C - C - B B - B -C C - A A -B B -D D - A A -C C -D D - B B -C C - D D - A A -C C - A A -B
Lemme (Rm) , , , - , - , -
GCS
PG C -D D - B B -D D - A A -B B -D D - B B -C C -D D - B B -C C -D D - B B -C C - B B -D
Lemme (Rm) , - , - , -a , b- , - , - , -a , b- , - , - , - , , , - , -a , b-
, , , , , , , , , , , , , , ,
- a b- -a b - -
, - , - , - , -
Section IV GCS
PG B -D D - A A -B B -C C - A A -B B -C C - A A -B B -D D - B B -D D - A A -C C - A A -C
Lemme (Rm) , - , , , , ,
-a b - -
, , , , , ,
- - - a b- -
361
362
GCS
Concordance entre la nouvelle édition, la PG et le texte de Romains
PG D - A A -B B -D D - B B -C C -D D - B B -C C -D
Lemme (Rm) , - , , - , - , - , , - , - , a
GCS
PG D - B B -C C -D A -B B -C C -D D - B B -C C -D
Lemme (Rm) , b- , -a , b- , - , - , , - ,
Lemme (Rm)
GCS
PG A -B B -C C - C -D D - B B -C C -D D - A A -B B -C C - A A -B B -C C - A A -B B -C C -D D - B B -C C - C - A A -C C - C -D A -B B -C C -D A -B B -C C - C -D A -B B - B -C
Lemme (Rm) , - ,
Section V GCS
PG D - A A -B B - A A -B B -C D - B B -C C -D D - A A -B B -C C - A A -B B -D D - B B -C C - A A -B B -C C -D D - A A -C C - C - B B -C C - C -D D - A A -B B -C D - A A -B B -C C - A
, , , , , , , , , , ,
-a b-a b-a b- -a b- -
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- - - - - -a b
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- - - -
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- - - -a b- -
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- - - -a b- - -a b- - - - - - -a b- - - - -
Index des citations bibliques Les références et l’ordre des livres sont ceux de la Bible grecque. Les chiffres en gras indiquent des lieux étudiant l’exégèse du verset ou du passage cité. Dans ces cas, les références englobées par le passage ne figurent pas dans l’index (ex. : les références à Nombres 11, 26 aux p. 100-102 sont implicites dans la mention « Nombres 11, 16-30 : 100-102 »). Ne figurent pas dans cet index les références servant uniquement à localiser le passage d’un commentaire (simples occurrences de mots).
Ancien Testament Gn 2, 9 2, 17 2, 24 3, 5 3, 22 4, 9
69 n.235, 213 n.231 79 n.302, 213 n.231 180 213 n.231 213 n.231 83 n.338
Ex 4, 11 25, 17-22
107 n.57 288
Lv 5, 1 12, 1-5 14, 48-53
83 n.337 81 n.322 111 n.87
Nb 8, 24-25 11, 16-30
103 n.43 100-102
Dt 6, 13
278 n.359
1 Rg 2, 7-8 2, 18 3, 1 3, 4-15 3, 20-21 19
106 n.54 104 n.44 103 n.40 102-104 103 n.39 231 n.41
2 Rg 24, 11-18 3 Rg 11, 29-39 19, 14-18
113 n.109
113 n.109 104-105
https://doi.org/10.1515/9783110540659-017
1M 4, 21
83 n.337
2M 4, 41
83 n.337
3M 2, 8
83 n.337
Ps 1, 2 21, 26 32, 4-5 37, 18 41, 8 49, 2-3 49, 14 49, 23 57, 7-8 68, 10 69, 1 88, 39-46 95, 13-14 103, 9 103, 19 109, 1 124, 1 145, 8 148, 6
81 n.320, 82 n.327 63 n.188 70 n.238 87 n.372 87 n.372 109 n.86 160 160 70 n.238 232 87 n.372 289 n.410 71 n.245 76 n.289 76 n.289 38 n.38 81 n.320, 82 n.327 106 n.54.56, 107 n.57 77 n.294
Eccl 10, 20
83 n.337
Jb 27, 6
83 n.337
364
Index des citations bibliques
Sg 3, 18 17, 10
71 n.242 83 n.337
Si 27, 16
107 n.57
Am 9, 11
76 n.283
Jon 1, 5
83 n.342.344, 87 n.372
Za 1, 5-6
76 n.283
Is 7, 16 8, 20 26, 14-15 29, 10 29, 18 42, 6 42, 16
69 n.231, 72 n.251.254 244 n.135 111 n.87 244 n.135 106 n.56, 107 n.57 308 n.480 107 n.57
44, 25b 45, 23 49, 18
106 n.54 278 278
Jr 4, 4 6, 20 7, 21-23 9, 25 17, 1
231 n.41 67 n.214, 80 n.308 80 n.308 231 n.41 83 n.342, 87 n.376
Ez 3, 19 16, 51 20, 25 20, 43 34, 16 39, 29
69 n.231, 73 n.263, 266 n.292 88 n.379 67 n.214 83 n.342, 87 n.372 69 n.231, 73 n.263 70 n.237
Dn 3, 38 5, 19 12, 2
81 n.320, 82 n.328 76 n.289 71 n.246
Jn 1, 14 2, 19 6, 51 10, 14-15 10, 18 15, 26 16, 12-13 16, 15 20, 22-23
288 297, 302 n.458 289 n.409, 290 n.415 290 n.415 289 n.409 285 306 n.467 286 102 n.35
Ac 1, 8 9, 15 13, 2 13, 11 16-18 16, 6 17, 13-14a 17, 14b 18, 1 18, 11
306 n.467 283 283 37 n.29 132, 133 132, 133 132 132 132 132
Nouveau Testament Mt 1, 2 5, 3 5, 19 7, 17 8, 27 9, 11 17, 22 22, 36 22, 42-43 26, 39 26, 53 Lc 2, 13 7, 39 9, 49 11, 42 16, 9 24, 49
304 n.464 160, 178 75 n.278 69 n.229 306 n.467 232 n.53 289 n.410 74 n.270 38 n.38 232 n.52 33
33 232 n.53 102 n.34 67 n.215 34 306 n.467
Index des citations bibliques
18, 4-5 20, 1 20, 25 21, 27-32 22, 13-14 22, 21 25, 11-12 28, 14 Rm 1, 1-3, 8 1, 1-17 1, 1 1, 1, 1, 1, 1, 1, 1, 1,
3-4 3 4 6-7 6 7 8 9
1, 1, 1, 1,
10 16 17 18-2, 16
1, 18
1, 1, 1, 1, 1, 1, 1, 1,
19-2, 1 19-20 19 21-23 21 22-23 23 24
1, 25 1, 29-31 1, 29-30 2, 1 2, 5 2, 8-9 2, 9 2, 10 2, 12
132 132, 133 133 133 283 283 133 133
21 150 64 n.189, 189-191, 253 n.187, 280, 282-284, 295 303-308, 309 191, 306 191-192, 305-306 182 182-183 17 n.45, 63 n.185, 281 17 n.42.44, 192-193 162 n.65-66, 164, 280, 281 n.371 155 n.32-33 228 n.30 62 n. 179 18, 22, 23, 150, 169-172, 208-214, 234 n.62, 264 69 n.230.233.236, 72 n.251, 73 n.256, 74 n.267, 83 n.336 251 n.180 39 n.48 16 n.37 16 n.36 24 n.115 23 n.109 15 n.32, 22 n.108 20 n.98, 69 n.231, 251 n.177 278-280 22 n.108, 24, 167 16 n.36 69 n.236, 72 n.251.253 70 n.239, 85 n.354 22 n.108, 256 n.213 228 n.30 80 n.309 69 n.230.233, 85 n.356
2, 15
2, 2, 2, 2, 2, 2, 2, 2, 2, 2,
17-3, 19 17-3, 8 17-29 17 19-20 21-24 24-25 25 26 27
2, 3, 3, 3, 3, 3, 3, 3, 3, 3, 3, 3,
28-29 1-2 2 4 5 9-6, 11 9-5, 21 9-4, 25 9-31 19-20 19 20
3, 21 3, 24 3, 25-26 3, 25 3, 27 3, 29-30 3, 30 3, 31-4, 25 4, 1-21 4, 11-12 4, 15 4, 16 4, 20 4, 23-5, 11 4, 23-24 4, 24 5 5, 1 5, 5, 5, 5,
3-4 3 6-21 6-8
365
83 n.336.340, 84 n.351, 85 n.353, 86, 88 n. 378, 89 n.386 234 n.62 150, 237 231 n.42, 235, 237 n.88 228 n.29 231 n.42 230 n.39 169 n.98 89 n.383 229 n.33 81 n.320, 82 n.325, 88 n.379 169 n.99, 228 n.29 235 69 n.230, 235 34, 161 n.57 38 n.38 21 221 238 150 89 n.383 161 n.58-59 67 n.218, 249 n.154, 261263 22 n.106 22 n.106, 168 252 n.185 231 n.41, 287-288 231, 250 238 n.95 39 n.48 251 n.180 150 238 n.95 249 n.154, 261-263 231 n.42 155 n.35 150 45 n.74, 298 n.445 296-298 267 16 n.38, 153 n.26, 260 n.251 17 n.42 18 n. 46 263 263 n.271
366
5, 10 5, 12-6, 4 5, 12
5, 13 5, 14 5, 15 5, 5, 5, 5, 5, 5,
16 17 18 19-21 19 20
5, 21 6, 2-3 6, 2 6, 3-5 6, 4 6, 5-8, 11 6, 5-18 6, 7 6, 9-10 6, 12 6, 13-14 6, 13 6, 14-7, 24 6, 14 6, 17-18 6, 19 7, 1-8, 4 7 7, 1-6 7, 1 7, 3 7, 4-13 7, 4 7, 5 7, 6 7, 7-13
Index des citations bibliques
296, 298-301 150 63 n.184, 68 n.224, 69 n.236, 73 n.256, 74 n.267, 76 n.283-284, 254 n.198, 264 n.274, 267, 278 n.359 69 n.231.234, 159 74 n.267, 76 n.284 76 n.290, 254 n.197, 263 n.272 76 n.290 38 n.37 76 n.283 240 n.107 237 34, 39 n.48, 75 n.278, 161 n.60-61, 249 n.154, 253 n.195, 261-263, 264 n.274, 267 221 16 n.37 168 38 296-298 150 154 154 n.28, 181 260 n.255 25 n.123-124, 76 n.283, 154, 181 n.137, 193-196 176-177 154 n.27.30-31, 186-187, 269 27 27 n.133 16 n.37 16 n.37, 25 n.123, 175-176 238 24 261, 265 n.278 249 n.154 88 n.378 263 n.269, 264-267 238 n.99, 262 69 n.234, 80 n.310, 82 n.330, 165-166 159-160, 176 n.123, 235 n.75, 251 n.177 262, 265 n.278
7, 7 7, 7, 7, 7, 7, 7,
8-9 9-12 9-11 9-10 9 10
7, 11 7, 12
7, 13 7, 14-23 7, 14 7, 15 7, 17-18 7, 17 7, 18 7, 21 7, 23 7, 25 8, 1 8, 2-10, 1 8, 2 8, 3-4 8, 3 8, 8, 8, 8, 8,
4 5-7 5-6 5 7
8, 9 8, 8, 8, 8, 8, 8, 8,
10 11 12-39 12 13 14 15
8, 16 8, 17
69 n.231, 75 n.272, 89 n.383 74 267 74 n.269 76 n.285 74 n.267-268, 265 74 n.267, 81 n.320, 82 n.330, 255 251 n.177 37, 68 n.224, 69 n.236, 72 n.251, 73 n.265, 74 n.267, 75 n.272, 76 n.284, 83 n.336.342, 165, 252-253, 254 n.199, 259 n.243, 264, 265-267 74 n.267, 254 n.201 20 n.99 168, 266 n.297 25 n.122 25 n.118 25 n.125 266 n.295 37, 70 n.239, 266 n.296 25 n.125, 26 n.128 176 n.123 163 n.67-68 251 n.179 176 n.123 82 n.330 62 n. 181, 81 n.320, 254 n.197 81 n.320, 82 n.331 25 n.125 163 n.69, 164 25 n.127, 163 n.70 26 n.128, 176 n.123, 269 n.316 167, 270 n.325, 284-286, 293 250 n.175 167 150 25 n.127, 268 25 n.125 232-233 35 n.22-23, 36, 73 n.255, 232-233, 256-257 163 n.71-72, 164 18 n.46
Index des citations bibliques
8, 21 8, 26 8, 27 8, 29 8, 30 8, 32 8, 33-34 8, 34 8, 35 9-11 9 9, 1-5 9, 1 9, 2 9, 3 9, 4 9, 5 9, 9 9, 10-21 9, 14 9, 16 9, 20 9, 22-24 9, 22 9, 24 9, 27 9, 28 9, 33 10 10, 1 10, 4 10, 5-11, 32 10, 8 10, 17 10, 20 11 11, 1-2 11, 1 11, 2-4 11, 5 11, 7 11, 8 11, 11-12 11, 11 11, 13-24 11, 13-14 11, 24 11, 26-27
76 n.287 178-179 163 n.73-74, 164 291-295 254 n.204 288-291 302 n.454 301-303 118 n.126, 168 21, 156-158, 236, 238-243, 263 151 17 n.45 22, 85 n.354 83 n.336, 84 n.351, 169 n.102, 235 183-186 229 306-308 187-188 28 n.138, 254 n.205 231 n.41, 235 38 n.37-38 73 n.265, 151 n.22, 270 256 n.214 79 n.304 254 n.202 76 n.283 75 n.278 80 n.308 151 235 n.72 81 n.320, 82 n.332 251 n.179 75 n.278 38 n.37 231-232 151, 201, 271 235 234 104-105, 231 230 n.39 81 n.320, 82 n.333 20 n.98, 230 n.39 230 n.39 36 n.25 236 36 n.26 88 n.378 230 n.39
11, 28 11, 29 11, 31 11, 32 11, 33 11, 36 12-16 12-13 12, 1-3 12, 1 12, 3 12, 9 13 13, 1-7 13, 5 13, 9 13, 10 13, 14 14 14, 1-13 14, 1-2 14, 1 14, 2 14, 3 14, 4 14, 14, 14, 14,
5 6 8 10
14, 11-12 14, 14-15, 7 14, 14 14, 15 14, 16 14, 17 14, 18 14, 21 15, 3 15, 4 15, 8-13 15, 14-24 15, 25-16, 24 15, 25-27 15, 25-26 15, 27 15, 30-31 16, 1
367
85 n.353, 230 n.39 242-243 161 n.62 69 n.230, 72 n.251 111 n.89 281-282 21 152 160 16 n.37, 22 178 180 260 n.253 260 n.254 84 n.349 75 n.278, 112 n.97 74 n.270 25 n.125, 260 n.255 198-208, 236, 271 152 120 n.135 81 n.317, 201 n.180, 240 n.112 159, 199 202 199, 201 n.180, 202 n.183, 207, 228 n.29 17 n.42, 207 n.209 201 n.180, 202 n.184 206-207 15 n.32, 201 n.180, 228 n.29, 277-278 201 n.180 152 199 202 n.185 199 205-206 278 202 n.185 232 45 n.77 152 152 153 167 133 235 n.77 232 17 n.43, 118 n.128, 133
368
16, 16, 16, 16, 16, 16, 16, 16,
2-3 3 7 13 16 18 23 27
1 Co 1, 1 1, 3 1, 14 1, 20 1, 21 2, 12 3, 2 6, 11 6, 19 8, 6 8, 7 8, 10-12 10, 11 10, 22 12, 7 12, 9 12, 10 12, 13 15, 16-17 15, 22 15, 49 16, 2-3 16, 4 16, 8-9 16, 22 2 Co 1, 12
Index des citations bibliques
155 n.36 156 n.38, 158 168 188-189 17 n.43 230 n.38, 233 118 n.128, 133 281
282 n.382 63 n.185, 281 n.375 118 n.128, 133 69 n.230 73 n.263 285 81 n.316 63 n.185 64 n.189 282 n.378.382 84 n.350 84 n.350 45 n.74.77 36 n.25-26 112 n.101 112 n.101 70 n.240, 71 n.248 38 n.39 38 n.39 71 n.245 292 133 135 n.184 132, 135 n.182 184 n.142-143
3, 14 4, 1-2 4, 2 4, 4 7, 5-7 8, 1 9, 4 12, 19
83 n.340, 84 n.351, 85 n.354 109 n.73-74 109 n.86 83 n.345, 84 n.351 51 n.112 132 132 132 75 n.276
Ga 1, 1
240 n.112
1, 3 1, 4 1, 6-7 1, 8 1, 15-16 1, 15 2, 10 2, 16 2, 20 3, 3 3, 21 5, 6 5, 13 5, 14 Ep 1, 17 2, 15 5, 2 5, 30 6, 3 6, 21-22 Ph 1, 9 2, 6 3, 1 3, 19 3, 3, 4, 4,
20 21 20 22
Col 1, 4 1, 18 2, 8 2, 12 2, 20-23 2, 22 2, 23 3, 14 4, 7-8 4, 9
281 n.374 240 n.112, 269 n.312, 289 133 199 283 284 281 67 n.213.218, 80 n.309.311.315 289 80 n.308 67 n.213, 80 n.308.312.315 67 n.213 67 n.213, 80 n.308 74 n.270
297 n.440 68 n.223 63 n.185 38 n.39 67 n.218, 68 n.223, 80 n.308 134
69 n.231, 72 n.251-252 63 n.185, 64 n.190 80 n.308 76 n.291, 80 n.307, 230 n.38, 233 291 n.418 291 307 n.475 129 n.170, 133
75 n.277 38 n.39 240 n.112 38 120 n.135 240 n.112 81 n.320, 82 n.325 75 n.274 134 133
Index des citations bibliques
1 Th 3, 1-2 3, 11 1 Tim 1, 3 1, 5 1, 7-9 1, 8 1, 11
132, 138 n.188 63 n.185
2, 5-6 3, 9 4, 7
132 83 n.340, 84 n.351 82 n.331 81 n.320, 82 n.331.334 67 n.213, 68 n.223, 80 n.308 84 n.351, 86 n.361, 87 n.376 290 n.413 84 n.351, 87 n.376 240 n.112
2 Tim 1, 3 1, 17 3, 4 4, 6 4, 9 4, 12 4, 13 4, 16 4, 20
84 n.351 139 n.192 109 n.77 134, 140 n.196 140 n.196 134, 137 n.187 140 n.196 140 n.196 118 n.128
1, 19
Tt 3, 12
133
369
Phm 10-17
133
He 2, 8 4, 13 4, 15 5, 14 6, 5 7, 11 7, 18 7, 27 9, 1 9, 9 9, 14 9, 19 10, 2 10, 22 12, 17 12, 22 13, 18 13, 24
62 n.179 75 n.275 62 n.179 68 n.227, 70 n.239, 71, 73 38 n.39 75 n.279 68 n.223, 80 n.308.313 62 n.179 75 n.279 84 n.350 84 n.350 75 n.278 84 n.350 84 n.351 80 n.308 33 84 n.350 134
Jc 1, 15
36
1 Pi 2, 22
62 n.179
2 Pi 1, 4
293
Index des citations de Théodoret Les chiffres en gras indiquent des lieux centrés sur l’étude du passage cité. Dans ces cas, les références englobées par le passage ne figurent pas dans l’index (ex. : les références à l’In epist. Pauli, prol., 1 aux p. 95-98 sont implicites dans la mention « prol., 1-3 : p. 95-98 »).
In epist. Pauli Prol. prol., 1-3 prol., 1 prol., 2 prol., 3 prol., prol., prol., prol., prol., prol., prol., prol., prol., prol.,
4-17 5 6 7 8 10-12 13 14-16 16 17
In Rom. arg., 1-6 arg., 1
arg., 2-5 arg., 2
arg., 3-5 arg., 3
arg., 4 arg., 5
95-98, 105-115 43 n.67, 60 n.171 40 n.51, 57 n.153, 98105 43 n.67, 48 n.95, 51 n.117, 174 n.118 116-134, 139-140 43 n.69, 137-139 135 43 n.68, 138 136 135-136 43 n.69, 138-139 136-137 139 55 n.139
219-224 33 n.8, 37 n.31, 50 n.105, 51 n.116, 59 n.169, 222-223, 275 n.345 275 n.345 69 n.233.236, 88 n.378, 89 n.384, 234 n.62 263 n.268 221-222, 229 n.34, 231 n.42, 245 n.138, 249 n.157.159.161.165.167, 250 n.170 26 n.132, 81 n.320, 82 n.332, 258 n.236 53 n.129, 65 n.195, 69 n.233.236, 153 n.26, 229 n.35, 236 n.82, 253 n.195, 258 n.241, 259 n.244-245, 267 n.302
https://doi.org/10.1515/9783110540659-018
arg., 6 I, 1 I, 2 I, I, I, I, I,
3 4 5 6-7 6
I, 7 I, 9 I, 10 I, 11 I, 12 I, 13 I, 14 I, 15 I, 16 I, 17 I, 18 I, 19 I, 20-35 I, 20
I, 21-22 I, 21
12 n.21 18 n.49.56 18 n.49.56, 45 n.78, 189-190 64 n.189, 282-284 190-191, 280 n.370 257 n.231 303-308 18 n.54, 39 n.46, 43 n.68, 259 n.244 191-192 17 n.45, 20 n.88, 56 n.149, 182-183 18 n.57, 19 n.69, 63 n.185, 281 n.374 17 n.44, 192-193 20 n.96, 43 n.69, 155 n.33, 162 n.66 20 n.84 18 n.57, 20 n.95 20 n.95, 228 n.30, 237 n.91, 240 n.110 259 n.244 18 n.49, 259 n.247 46 n.84, 48 n.94, 62 n.179 259 n.244.247 22 n.105, 170-172, 208214, 264 24 n.111-112.116, 69 n.230.233.236, 72 n.251, 73 n.256-257, 74 n.267, 83 n.336, 87 n.369, 88 n.377, 89 n.385, 208-209, 211212, 253 n.190.192.195, 267 n.305, 270 n.321 24 n.112 20 n.95, 252 n.184
Index des citations de Théodoret
I, 22
I, 23
I, 24
I, 25 I, 26 I, 27 I, 28
I, 29 I, 30 I, 31 I, 33 I, 34 I, 35
I, 36-41 I, 36-37 I, 36
I, 37 I, 38 I, 39 I, 40 I, 41 I, 42
16 n.37, 39 n.48, 59 n.169, 253 n.192-193, 266 n.292 15 n.32, 16 n.36, 19 n.70, 20 n.89, 22 n.108, 23 n.109, 24 n.115 20 n.98, 23 n.110, 24 n.111, 36 n.28, 69 n.231, 73 n.264, 252 n.184, 253 n.191 48 n.93, 278-280 19 n.62, 23 n.110, 24 n.111 23 n.110, 24 n.111, 74 n.266, 253 n.191 16 n.36, 18 n.49, 22 n.108, 24 n.114, 167 n.90 24 n.112, 76 n.292 69 n.236, 72 n.251.253, 88 n.377 28 n.139 20 n.93, 22 n.108, 24 n.111, 209, 228 n.30 24 n.111, 56 n.144, 69 n.230.234 24 n.116, 83 n.336.340, 84 n.351, 85 n.353, 86 n.363, 87 n.375, 88 n.378, 89 n.386 237 n.88 228 n.31 16 n.39, 47 n.87, 170 n.108, 228 n.29, 229 n.34, 231 n.42, 237 n.89.91, 257 n.226227, 266 n.293, 267 n.302 229 n.34-35, 230 n.39, 234 n.61, 237 n.87 47 n.87, 231 n.41, 237 n.87 229 n.33 81 n.320, 82 n.325, 88 n.379, 257 n.228 228 n.29 20 n.88, 229 n.34, 231 n.42, 235 n.72, 237
I, 43
I, 45
I, 46
II, 1
II, 2
II, 3 II, 4 II, 5
II, 6 II, 7 II, 8 II, 9
II, 10
II, 11 II, 12 II, 13 II, 14 II, 16
371
n.89.91, 244 n.135, 249 n.168 20 n.83, 41 n.57, 69 n.230, 72 n.251, 235 n.77, 237 n.90-91 18 n.49, 19 n.63-64.67, 20 n.82, 34 n.13, 59 n.169, 161 n.57, 267 n.302 18 n.58, 19 n.68.75.77, 38 n.38, 59 n.169, 234 n.61 20 n.81, 40 n.54, 48 n.95, 88 n.379, 234 n.61-62, 238 n.98, 269 n.313 18 n.50, 20 n.96, 65 n.197, 66 n.204, 161 n.59, 252 n.184, 255 n.210, 257 n.226, 267 n.302 22 n.106, 67 n.218, 68 n.219, 241 n.116.118 26 n.132, 238 n.97, 249 n.168, 257 n.230 20 n.85.95, 22 n.106, 26 n.129.131-132, 40 n.55, 238 n.96-97, 257 n.227-228, 258 n.232 18 n.57 49 n.98, 168 n.93, 287-288 59 n.169, 252 n.185 18 n.59, 19 n.61.74, 20 n.97, 22 n.107, 26 n.131, 46 n.79, 229 n.34, 231 n.40, 250 n.176, 258 n.236, 267 n.302 20 n.93, 39 n.48, 49 n.103, 237 n.92, 238 n.98, 253 n.192, 258 n.236, 267 n.302 19 n.66, 20 n.83, 46 n.82, 59 n.169 22 n.107 18 n.59, 26 n.129-130, 258 n.232 19 n.60, 237 n.92 22 n.107, 259 n.248
372
II, 17
II, 18 II, 19 II, 20
II, 21 II, 22 II, 23 II, 25-27 II, 25
II, 26 II, 27 II, 28
II, II, II, II,
29 30 31-32 31
II, 32
II, 33 II, 34 II, 35
Index des citations de Théodoret
19 n.80, 20 n.81, 229 n.34, 231 n.42, 237 n.92, 259 n.249, 267 n.302 42 n.61 39 n.46, 45 n.74.76, 258 n.239, 296-298 16 n.38, 20 n.93-94, 22 n.107, 26 n.132, 47 n.87, 153 n.26, 249 n.167, 250 n.172, 260 n.251 18 n.46, 20 n.86.90.95 59 n.169, 258 n.239, 263 n.271 298-301 77 n.296 19 n.62, 25 n.117, 41 n.59, 63 n.184, 68 n.224, 69 n.236, 72 n.251, 73 n.256, 74 n.267, 75 n.273, 76 n.283-284, 254 n.198, 264 n.274, 267 n.298.305-306 159 n.52 41 n.59-60, 74 n.267, 75 n.273, 76 n.284 20 n.96, 59 n.166167.169, 76 n.290, 252 n.185, 254 n.197, 263 n.272 76 n.283, 77 n.296 20 n.96, 237 n.93 240 n.107 18 n.50, 19 n.76, 26 n.132, 39 n.48, 49 n.102-103, 75 n.278, 161 n.61, 237 n.92, 252 n.184, 253 n.192.195, 257 n.230, 264 n.274, 267 n.298.302 22 n.104, 59 n.167, 221 n.9, 263 n.273, 270 n.324 16 n.37, 168 n.96, 260 n.251 19 n.71, 38 n.39, 296298 181, 269 n.320
II, 36 III, 1
III, 2-4 III, 3
III, 4 III, 5 III, 6 III, 7
III, 10 III, 11 III, 12 III, 13-24 III, 13
III, 14
III, 15 III, 16
III, 17 III, 18 III, 19-23 III, 19 III, 20
III, 21-22 III, 21
19 n.80, 260 n.255 25 n.120.123.124, 76 n.283, 79 n.303, 154 n.29, 193-196, 269 n.316 176-177 59 n.169, 154 n.30-31, 186-187, 269 n.311.318319 15 n.34, 27 n.133, 238 n.96, 257 n.227 49 n.103, 74 n.266, 260 n.251 16 n.37 16 n.37, 25 n.123, 175176, 269 n.313.315316.318 20 n.95 26 n.132, 40 n.55, 47 n.87 19 n.80, 20 n.95, 88 n.378, 229 n.35 264-267 15 n.34, 19 n.80, 20 n.95, 238 n.99, 245 n.138, 249 n.157.160.167, 258 n.233, 263 n.267 80 n.310, 165-166, 238 n.96, 257 n.230, 269 n.318 159-160, 235 n.71.75, 250 n.176 19 n.75, 245 n.138, 249 n.154, 252 n.183, 261-263 18 n.58, 69 n.231, 249 n.163, 257 n.227.230 238 n.97, 249 n.168, 250 n.172-173 267 n.305 19 n.80, 74 n.267-268, 76 n.285, 79 n.302 36 n.27, 74 n.267, 81 n.320, 82 n.330, 249 n.168, 250 n.171.176, 255 253 n.191.194 57 n.155, 69 n.236, 72 n.251, 73 n.256, 74
Index des citations de Théodoret
III, 22
III, 23 III, 24
III, 25-31 III, 25 III, 26 III, 27 III, III, III, III,
28-30 28 29 30
III, 31 III, 32 III, 33 III, 35
III, 36 III, 37
III, 38
III, 39 III, 40 III, 41
n.267, 75 n.271, 83 n.336.342, 87 n.373, 88 n.377, 165, 252-253 37 n.34, 59 n.169, 68 n.224, 74 n.267, 75 n.273, 76 n.284, 77 n.296, 252 n.184, 253 n.193, 254 n.199, 255 n.210.213 74 n.267, 253 n.195, 259 n.242 48 n.96, 49 n.102, 74 n.267, 109 n.76, 254 n.201, 257 n.227.230, 269 n.319 20 n.99 57 n.155, 257 n.224.231, 266 n.297 19 n.78, 25 n.122 56 n.145, 257 n.223.230 25 n.118 74 n.267 25 n.125-126 48 n.96, 109 n.76, 257 n.223.227.229, 266 n.295-296 25 n.125, 26 n.128, 257 n.223.230 19 n.79, 27 n.134, 28 n.137, 43 n.68 19 n.76, 163 n.68 39 n.46, 46 n.79, 62 n.181, 81 n.320, 82 n.330, 238 n.100, 254 n.197, 257 n.223, 258 n.239 81 n.320, 82 n.331, 257 n.222, 259 n.248 25 n.125.127, 26 n.128, 153 n.26, 163 n.70, 250 n.176, 269 n.316 20 n.95, 46 n.82, 269 n.316, 270 n.323.325, 293 n.425 52 n.127, 250 n.175, 269 n.310.315 234 n.64, 284-286 20 n.96, 25 n.125.127, 245 n.138, 249 n.163,
III, 42 III, 43 III, 44
III, 45
III, 46 III, 47 III, 48 III, 49 III, 52 III, III, III, III,
53 54 56 57
III, 59 III, 60 III, 62 IV, 1-50 IV, 1
IV, 2-6 IV, 2
IV, 3 IV, 4 IV, 5 IV, 6 IV, 7
373
268 n.309, 269 n.316317 229 n.34.36, 232-233 40 n.54 35 n.23, 59 n.169, 73 n.255, 163 n.72, 253 n.193, 256-257 18 n.46, 20 n.95, 35 n.16-17, 58 n.161, 59 n.169 20 n.90.93 25 n.117, 76 n.287, 259 n.242, 267 n.302 18 n.50, 19 n.73 18 n.53 27 n.133, 28 n.137, 163 n.74, 178-179 20 n.96, 47 n.91 20 n.96, 291-295 254 n.204-205 18 n.53, 39 n.46, 44 n.70-71, 288-291 39 n.46, 301-303 19 n.77, 20 n.81.95 34 n.15, 59 n.169 238-243 19 n.80, 20 n.81.87.95, 40 n.55, 57 n.155, 88 n.378, 234 n.62, 245 n.138, 249 n.158.164.167, 250 n.172, 257 n.224, 263 n.269 17 n.45 18 n.49.55, 20 n.83, 46 n.85, 58 n.158.160, 83 n.336, 84 n.351, 169 n.101-102, 229 n.35, 235 n.70-71.75 18 n.49.51, 183-186, 234 n.65, 235 n.69 20 n.95, 234 n.65, 235 n.79 41 n.57-59 234 n.67, 236 n.85, 306-308 58 n.158.160, 169 n.101, 229 n.35, 235 n.70
374
IV, 8 IV, 9-14 IV, 9 IV, 11
IV, IV, IV, IV, IV,
12 13-14 13 14 15
IV, 16 IV, 17 IV, 18 IV, 19 IV, 20 IV, 21
IV, 22 IV, IV, IV, IV, IV,
24 25 26 30 31
IV, 32 IV, 33 IV, 34 IV, 35 IV, 36 IV, IV, IV, IV, IV,
37 38 39 40 42
IV, 43
Index des citations de Théodoret
59 n.167, 187-188, 229 n.32.34 28 n.138 19 n.78, 20 n.83, 235 n.71 20 n.83, 38 n.38, 229 n.36, 231 n.41, 235 n.76 19 n.67.70.75 254 n.205, 270 n.321 19 n.70.75 59 n.169, 252 n.185 19 n.60.76, 168 n.97, 252 n.184, 254 n.202, 256 n.214 59 n.169 20 n.81 20 n.95, 26 n.132, 75 n.278 18 n.59, 19 n.60.74, 168 n.97, 234 n.68 80 n.308 20 n.87-88, 235 n.69.71-72.79, 236 n.83, 257 n.224 81 n.320, 82 n.332, 258 n.235 75 n.278 20 n.95, 59 n.169 229 n.36, 235 n.76 229 n.35, 231-232 19 n.66.78, 20 n.83, 51 n.114, 229 n.35, 234 n.66, 235 n.76.78 20 n.95, 229 n.35, 231 59 n.167, 229 n.35, 230 n.39 81 n.320, 82 n.333, 168 n.97 20 n.98, 229 n.35, 230 n.39, 244 n.135 36 n.25, 229 n.35, 230 n.39 234 n.65, 236 n.81 46 n.82, 236 n.84 18 n.49, 39 n.46 59 n.169 19 n.80, 59 n.167, 88 n.378, 236 n.81-82 57 n.153
IV, 44 IV, 45
IV, 46 IV, 47 IV, 48 IV, 49 IV, 50 V, 1 V, 2-4 V, 2 V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V,
3 4 5 7 8 9 11 12 13-14 14 15 16 17
V, 18 V, 19 V, 20
V, 21-37 V, 21
V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V,
22 23 24 25 26 27 31 32 34 35 36 37
229 n.35, 230 n.39 59 n.167, 229 n.35-36, 230 n.39, 231 n.43, 236 n.82, 242-243 18 n.50, 59 n.169, 161 n.62 69 n.230, 72 n.251, 234 n.62 43 n.68, 59 n.169 281-282 256 n.216 20 n.94, 153 n.26 160 16 n.37, 20 n.92, 40 n.54, 59 n.169 18 n.49 178 19 n.72 58 n.158, 180 51 n.110 59 n.167 20 n.96 46 n.82 260 n.253 40 n.49, 48 n.93 84 n.349 18 n.49, 181 n.138 19 n.67, 74 n.270, 112 n.97 18 n.49 43 n.69, 260 n.255 25 n.125, 245 n.138, 249 n.157, 250 n.174, 269 n.310, 270 n.323 198-208 20 n.94, 43 n.68, 53 n.130, 81 n.317, 200, 203-205, 240 n.112 159 n.52 228 n.26.29 17 n.42, 47 n.87 206-207 228 n.26.29 48 n.93, 277-278 205-206, 278 20 n.95, 228 n.26 228 n.26 259 n.246 259 n.244, 281 n.376 48 n.94
Index des citations de Théodoret
V, 39
V, V, V, V,
41 44-45 47 50
V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V,
53 55 56 58 59 60 61 62 63 64 67 68
In I Cor. – in Hebr. in I Cor. 229 A 229 C 236 C 237 B 252 C 268 A 269 C 273 B 281 B 289 A-D 292 A 297 A 301 B 301 C 304 B 305 D 316 B 317 C 325 A 344 B 345 B 352 B 353 A 353 D-356 A 353 D
19 n.80, 45 n.77, 65 n.198, 67 n.208, 229 n.35, 232, 267 n.302 59 n.169, 259 n.248 16 n.39 35 n.19, 59 n.167 39 n.46, 168 n.91, 225 n.17, 234 n.67, 235 n.77, 237 n.91, 240 n.110 20 n.96, 229 n.35, 232 17 n.43, 41 n.57 158 n.50 168 n.92 44 n.71-72, 57 n.155 188-189 15 n.34, 17 n.43 229 n.34, 233 15 n.34 20 n.95, 43 n.67 18 n.57, 19 n.69 59 n.169
282 n.382 63 n.185, 281 n.375 69 n.230, 73 n.263 51 n.110 47 n.87 63 n.185 64 n.189 46 n.85 58 n.159-160 282 n.382 84 n.350 46 n.85 40 n.49 49 n.98 45 n.74-75 36 n.25 56 n.150 85 n.353 70 n.240 46 n.85 70 n.240 47 n.87 38 n.39 71 n.245 41 n.60
361 A 365 D 373 D
48 n.93 41 n.59 34 n.15
in II Cor. 380 A 380 D 385 Β 388 A 389 A 389 B 396 B 400 B 401 B 404 D 408 C 412 A 429 A 432 Α 432 C 437 A 445 C 448 B 448 D 449 A 449 B 453 A 453 C 456 C-D
65 n.197, 67 n.209 83 n.340, 84 n.351 49 n.102 58 n.159-160 58 n.162 65 n.198, 67 n.209 50 n.105, 51 n.114 83 n.345, 84 n.351 50 n.105, 51 n.114 65 n.197, 66 n.204 40 n.49 35 n.16 58 n.162 58 n.159 65 n.198, 67 n.208 46 n.79 43 n.68 65 n.198, 67 n.209 48 n.93 65 n.198, 67 n.208 59 n.166 75 n.276 40 n.49 58 n.160
in Gal. 460 B 461 D 472 B 472 C 473 A-B 473 A 476 B 476 D 481 A 481 C-D 484 A 489 C 492 D 493 C 496 B-C 496 C 497 A
375
80 n.308 269 n.312 65 n.198, 67 n.209 65 n.198, 67 n.209 80 n.311.315 67 n.213.218 58 n.159 80 n.308 40 n.49, 49 n.102-103 67 n.213, 68 n.221, 80 n.312.315 80 n.308 47 n.87 45 n.74 67 n.213 80 n.308 67 n.213, 68 n.220, 74 n.270 27 n.135
376
in Eph. 521 A 524 B 529 C 536 C-D 541 C 549 B
Index des citations de Théodoret
552 B
27 n.135 68 n.223 43 n.67 56 n.143 63 n.185 67 n.218, 68 n.223, 80 n.308 40 n.49
in Phil. 561 C 564 C 568 A-B 569 Α 569 B 572 D 573 A 577 B 584 B 589 B
69 n.230, 72 n.251-252 65 n.197, 67 n.212 47 n.87 58 n.159 63 n.188 245 n.141 48 n.93 47 n.87, 80 n.308 76 n.291, 233 n.59 307 n.475
in Col. 592 A-B 593 A 593 B 593 C 601 B 601 C 605 B 605 D 608 B 609 C 616 A 617 C-D 620 B
140 n.195 125 n.156 80 n.308 75 n.277 33 n.8, 47 n.87 40 n.49 58 n.160 56 n.146 240 n.112 38 n.39.43 81 n.320, 82 n.325, 240 n.112 47 n.87 75 n.274
in I Thess. 632 C 636 C 641 B 641 C 644 B
41 n.57 40 n.49 43 n.67 63 n.185 48 n.93
in II Thess. 660 C 661 B 669 D
33 n.8 43 n.67, 47 n.87 76 n.292
in Hebr. 673 C-676 C 677 B 689 A 692 A 696 B 700 C 701 C 704 C 705 C 708 D 712 D 717 B 717 C 728 C 729 D 732 A 733 B 737 D 741 A 741 D 744 C 745 C 748 A 752 D 753 B 757 D 761 A 768 D 769 C 776 B 776 C 781 D 784 C in I Tim. 789 B 789 D 792 A-B 792 B 796 Α 796 B 796 C 808 D 812 B 813 C 821 B 824 B
124 n.147 124 n.146 47 n.87 62 n.179 46 n.80 40 n.49 40 n.49 38 n.38 75 n.275 62 n.179 245 n.141 38 n.39 48 n.93 75 n.279 80 n.308.313 68 n.223 62 n.179 75 n.279 49 n.98, 84 n.350 84 n.350 49 n.98.101 76 n.283 84 n.350 84 n.351 40 n.49 41 n.57 77 n.295 57 n.153 56 n.143 80 n.308 47 n.87 49 n.98 84 n.350
83 n.340, 84 n.351 81 n.320, 82 n.331.334 67 n.213, 68 n.223 68 n.220.222, 80 n.308 58 n.159-160 86 n.360 84 n.351, 87 n.376 84 n.351, 87 n.376 245 n.141 240 n.112 40 n.49 76 n.292
Index des citations de Théodoret
in II Tim. 832 B-C 832 C 849 D in Tit. 857 B
84 n.351 109 n.77 40 n.49
860 B 861 A
76 n.292 47 n.87
in Philem. 873 B
43 n.67
377
57 n.155
Quaest. in Octat. prol., 1 prol., 3
107 n.58 51 n.118, 55 n.139, 107 n.63, 110 n.84, 111 n.93, 114 n.111 in Gen., IV, 9 33 n.8 in Gen., XIII, 16 76 n.283, 259 n.242 in Gen., XXVI, 30 76 n.289, 83 n.344 in Gen., XXVII, 31 69 n.231.235, 71 n.247, 73 n.258 in Gen., XXVIII, 31 62 n.179, 63 n.183 in Gen., XXXIII, 34 83 n.342, 87 n.373 in Gen., XXXVI, 36 70 n.237 in Gen., XXXVII, 38-39 25 n.117, 259 n.242 in Gen., XXXVII, 39 76 n.287, 254 n.199201 in Gen., XXXVIII, 40 76 n.286, 79 n.302 in Gen., XL, 41 76 n.283 in Gen., LVII, 54 67 n.214.217 in Gen., LXVIII, 64 42 n.61 in Gen., LXXVI, 71 42 n.63 in Gen., LXXVI, 72 59 n.166
in in in in in in in in in in in in
Gen., XC, 81 Ex., XXIV, 120 Ex., XXXIV, 125 Ex., XLIV, 132 Leu., I, 153-159 Leu., I, 153 Leu., XI, 164 Leu., XII, 166 Leu., XIV, 167 Leu., XVIII, 170 Leu., XXIII, 177 Num., XIII, 200-201
in in in in in in in in
Num., XXI, 206 Num., XLIV, 222 Num., XLIX, 225 Deut., XLII, 259 Ios., VII, 277 Ios., XV, p. 281 Ios., XVI, 281 Iud., VIII, 295
42 n.61 54 n.134 49 n.98 57 n.153 241 n.118 12 n.23 69 n.236, 73 n.262 81 n.320.324 81 n.320.322 35 n.16 81 n.320.322 69 n.231, 73 n.255, 103 n.43 101 n.30 56 n.143 45 n.74 33 n.8 67 n.214 76 n.289 240 n.111 68 n.224
Quaest. in Reg. et Paral. prol., 3-4 prol., 3 in I Reg., VI, 8-9 in I Reg., IX, 12-13 in I Reg., IX, 12
99 n.26, 116 n.118 51 n.115, 109 n.77, 110 n.84, 111 n.93 104 n.44 103 n.41 40 n.51
in I Reg., XII, 18 in in in in
112 n.95 112 n.95 107 n.57 97 n.14 125 n.152
865 A-B 865 A 865 B 869 B 917 A
I Reg., LIX, 53 II Reg., XXXVII, 105 II Reg., L, 126 II Par., I, 279
57 n.153, 81 n.320, 82 n.326 83 n.344 53 n.130 65 n.197 57 n.153
Com. in Ps. 857 A 860 A-B 860 B-C 860 C-861 A 861 C-D
116 n.119 50 n.106, 51 n.115 55 n.139 81 n.320, 82 n.327 35 n.16
378
Index des citations de Théodoret
977 B 1020 C 1072 C 1104 B 1144 A 1161 A 1173 Β 1220 B 1232 B 1280 C 1292 B 1304 B 1409 C 1416 A 1428 B 1456 C 1464 B 1465 A 1509 B 1584 C
51 n.117 63 n.188 35 n.16 51 n.117 87 n.372 59 n.166 87 n.372 56 n.150 46 n.85 47 n.91 46 n.79 50 n.106 48 n.93 87 n.372 240 n.111 47 n.91 48 n.93 51 n.111 45 n.74 47 n.91
1600 B 1652 A 1681 A 1697 C 1701 B 1705 B 1768 A 1788 B 1796 A 1808 A-B 1836 B 1849 B 1864 C 1872 B 1888 A 1900 A 1929 C 1985 B 1988 A 1989 A
65 n.195 71 n.245 45 n.74 76 n.289 76 n.289 57 n.153 38 n.38 42 n.61 56 n.150 240 n.111 57 n.153 33 n.8 54 n.135 54 n.135 81 n.320, 82 n.327 35 n.18 33 n.8 50 n.105 48 n.93 77 n.294
111 n.93 107 n.58 97 n.13 114 n.115, 144 n.5 109 n.72, 110 n.84 110 n.84 114 n.113
72 C 113 B 120 A 124 C 129 C 136 B
58 n.162 57 n.153 109 n.77 54 n.135 49 n.98 109 n.72
1596 D 1604 C 1620 A 1632 C
45 n.74 42 n.61 47 n.91 50 n.106
in Ioel 1656 B 1657 C
46 n.86 46 n.86
in Am. 1705 C
76 n.283, 79 n.303
in Ion. 1720 A 1720 B
65 n.195 51 n.114
Com. in Cant. 28 A 28 B 29 A-B 32 B 32 D 44 C 48 C
Com. in XII proph. Prol. 1545 B-1548 B 1545 B 1548 A 1548 B 1548 C-D 1548 C 1548 D 1548 D-1549 C 1548 D-1549 A 1549 C
113 n.108 107 n.59 113 n.109 55 n.139 112 n.94 59 n.169, 107 n.59.61 44 n.69 116 n.117 124 n.151 124 n.151
in Os. 1557 B 1572 A
57 n.153 51 n.111
Index des citations de Théodoret
1725 D 1732 D 1736 A 1740 C
83 n.342.344, 87 n.372 45 n.74 56 n.150 57 n.153
in Mich. 1768 C 1781 A
48 n.93 65 n.197, 66 n.203
in Hab. 1821 D 2-6 1829 A
379
in Agg. 1865 B
65 n.197, 66 n.204
in Zach. 1877 C 1889 D 1937 C
76 n.283, 79 n.303 54 n.135 46 n.86
in Mal. 1985 B 7
35 n.16
107 n.58 48 n.95, 55 n.141, 107 n.61, 110 n.84, 113 n.104 48 n.95 53 n.129 46 n.85 147 n.18 69 n.231, 72 n.251.254 244 n.135 65 n.197 45 n.78 51 n.117 46 n.86 46 n.86 45 n.78 65 n.197
VII, 222 VII, 224 VIII, 252-255 VIII, 258 IX, 298 X, 308 X, 322 XI, 348 XII, 436-439 XII, 440 XIV, 40 XV, 88 XVI, 114 XVII, 176 XVIII, 228 XX, 294 XX, 338
46 n.79 240 n.111 244 n.135 45 n.78 45 n.78 45 n.78 45 n.78 57 n.155 308 n.480 33 n.8 278 n.356 33 n.8 42 n.61 45 n.78 45 n.78 35 n.16, 65 n.195 45 n.78
27 n.135, 48 n.95, 112 n.94, 113 n.104 45 n.78 67 n.214, 80 n.308 46 n.86 80 n.308 46 n.85
604 A-B 652 C 673 A 14 716 C 720 B 772 B 796 C
83 n.342, 87 n.376 45 n.78 53 n.129 46 n.86 46 n.85 46 n.84 47 n.91
110 n.81, 111 n.91
809 D-812 A
106 n.56
51 n.111 65 n.197, 66 n.204
Com. in Is. préf., 138 préf., 140
arg., 144 II, 194 III, 270 III, 278-299 III, 290 III, 314 IV, 18 IV, 32-34 IV, 54 V, 64 VI, 128 VI, 136 VII, 204
Com. in Ier. 496 A 541 A 548 A 548 B 552 C 576 A
Com. in Ez. 809 A
380
Index des citations de Théodoret
849 B-C 849 C 952 A 996 B 996 C 1004 A 1005 C
69 n.231, 73 n.263 266 n.292 88 n.379 67 n.214 67 n.214 83 n.342, 87 n.372 56 n.150
1056 B 1057 A 1061 B 1160 A 1200 A-B 1217 B
46 n.86 49 n.98 46 n.86 69 n.231, 73 n.264 240 n.111 70 n.237
110 n.84, 111 n.88 45 n.74 112 n.101 112 n.99 112 n.94, 114 n.114 97 n.15 27 n.135
1280 D 1329 C 1381 B 1388 A 5 1485 C 1489 C 1536 C
40 n.53 81 n.320, 82 n.328 65 n.198, 67 n.208 76 n.289 71 n.242.244 65 n.198, 67 n.208 71 n.246
52 n.127 83 n.342.344, 87 n.370 87 n.374 57 n.155 38 n.39 83 n.340 57 n.155 57 n.153 87 n.368 60 n.171 76 n.289, 78 n.301 76 n.283 83 n.340 52 n.127 56 n.142 59 n.166 65 n.197, 66 n.204 65 n.198, 67 n.211, 76 n.284 66 n.204 65 n.197 245 n.136, 247 n.150 245 n.140 11 n.15 287 n.403 307 n.472, 308 n.480 60 n.171.177
II, 83, 218-219 II, 89, 236-238 II, 95, 248 III, 96, 10 III, 99, 16 III, 104, 24
273 n.332 60 n.171.177 52 n.127 83 n.340, 86 n.367 86 n.367 83 n.340.345, 86 n.365 86 n.365 207 n.210 17 n.42 62 n.179-180 11 n.15 207 n.210 60 n.171.175 296 n.439 86 n.364 45 n.74-75 52 n.127 53 n.127 56 n.142 296 n.439 62 n.179 54 n.134 296 n.439 290 n.416 281 n.374 307 n.472, 308 n.480 54 n.134.136
Com. in Dan. 1256 C 1256 D 1257 A 1257 C-D 1257 C 1260 A-1264 B 1268 A
Corresp. I, 1, 74 I, 8, 80 I, 9, 82 I, 20, 92 I, 47, 114 I, 51, 120 II, 2, 22 II, 3, 28 II, 9, 36-37 II, 11, 38 II, 14, 46 II, 14, 48 II, 16, 60 II, 17, 65 II, 37, 102 II, 38, 102 II, 52, 128 II, 65, 146 II, II, II, II, II, II, II, II,
78, 176-177 78, 177 81, 196-197 82, 198-201 82, 202 83, 206-215 83, 210-213 83, 214
III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III, III,
110, 38-39 113, 56-67 113, 56-59 113, 58-60 113, 64 120, 82-83 125, 96 131, 114-121 135, 130 138, 138 141, 152 142, 155 144, 160 145, 164-173 145, 166 146, 178 146, 186-193 146, 186-189 147, 206 147, 212 147, 220
Index des citations de Théodoret
III, 147, 222-224 III, 147, 222-223 III, 147, 222 IV, 4, 100 IV, 4, 102 IV, 4, 104-127
60 n.171 52 n.123 51 n.117 287 n.402, 296 n.438 285 n.396 287 n.403
IV, IV, IV, IV, IV, IV,
4, 106 4, 112-115 4, 114-119 4, 120 4, 122 5, 134-139
381
307 n.475 290 n.416 306 n.469 307 n.472 294 n.430, 295 n.433 17 n.42
Lettre à Helladès et Théophile 3, 6
295 n.435
4, 2
60 n.171
81 n.320, 82 n.330 35 n.16
XXIX (XXVIII), 138 XXX (XXIX), 140
38 n.39 62 n.179
255 n.212 65 n.195 48 n.95 65 n.198, 67 n.208 65 n.197, 66 n.204 56 n.150 33 n.8 27 n.135 77 n.295
VIII, 712 B IX, 717 C X, 725 C X, 752 B X, 756 A X, 756 C X, 757 C X, 764 C
83 n.342, 87 n.372 55 n.141 69 n.231 33 n.8 46 n.81 54 n.134 62 n.179, 76 n.289, 78 n.301 74 n.269
294 n.430, 295 n.435 63 n.185 282 n.381 282 n.381
XIII, 276 XIII, 278 XVI, 290 XVII, 296-299
63 n.185 63 n.185 282 n.381 282 n.381
12 n.24 55 n.139, 249 n.155 307 n.472 33 n.8 249 n.155 56 n.150 305 n.466 144 n.5
II, 122 II, 141 II, 149 Florilegium II, 158 Florilegium II, 183 III, 189-229 III, 189 III, 190
49 n.98 249 n.155 54 n.135 291 n.419 60 n.171.176 296 n.439 60 n.171.176 76 n.283
De Inc. XI, 50 XIX (XVIII), 90
De prouid. Ι, 564 C-D III, 597 A V, 624 C V, 628 B V, 636 D VI, 660 A VII, 684 C VIII, 688 A VIII, 688 C
De sancta Trin. X, 262-265 XI, 266 XI, 268 XII, 274-277
Eranistes prol., 61 prol., 62 I, 72 I, 74 I, 79 I, 86 I, 88 Florilegium I, 93
382
III, III, III, III, III, III, III,
Index des citations de Théodoret
193 198 200 202 204 205 207-208
76 n.287 300 n.451 300 n.451 300 n.452 62 n.179, 300 n.451 62 n.179 291 n.417
III, 210 III, 211 III, 218 III, 221 Appendix, 256 Appendix, 261
49 n.98 49 n.98.101 54 n.134 290 n.415 35 n.16 290 n.415
55 n.139, 247 n.148 12 n.24 260 n.252 262 n.265 268 n.308 36 n.27 268 n.308 249 n.163, 251 n.181, 252 n.183, 258 n.238 268 n.308 41 n.58 279 n.363 285 n.390 296 n.437 298 n.444 296 n.439 285 n.392 285 n.391 54 n.134 268 n.308
V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V, V,
76 n.289 56 n.150 258 n.238 76 n.291, 80 n.307 76 n.290 71 n.245 54 n.134 307 n.472 252 n.185 256 n.217 256 n.215 67 n.214, 69 n.231 74 n.269 81 n.316 76 n.289 58 n.160 81 n.320.324 54 n.134 36 n.24
56 n.143 72 n.252 25 n.121 56 n.147 57 n.153 56 n.150 53 n.130 42 n.61 72 n.252, 83 n.344
XIII, 16 XXI, 35 XXII, 1 XXVI, 12 XXVI, 21 XXVIII, 5 XXXI, 12 XXXI, 13
42 n.61 48 n.95 72 n.252 65 n.198, 67 n.208 42 n.61 51 n.111 58 n.162 54 n.134
279 n.363 53 n.129
III, 14, 1 III, 23
40 n.51 41 n.58
Haer. fab. prol., 337 C prol., 340 B I, 7, 357 C I, 22, 372 C I, 24, 373 C I, 24, 373 D I, 24, 376 A-B I, 24, 376 A I, 26, 377 B-380 C II, 8, 393 D IV, 1, 413 A IV, 5, 424 A IV, 8, 425 B-428 A IV, 12, 436 A-C IV, 13, 436 D-437 C V, 3, 453 D-457 D V, 3, 456 A V, 4, 461 C V, 5, 464 B
6, 468 C 10, 485 A 11, 488 D 11, 492 D 11, 493 B 11, 496 A 13, 497 A 14, 501 C-504 A 16, 505-508 16, 505 B 17, 508-512 17, 509 B 17, 509 C 17, 509 C-512 A 19, 513 B 24, 533 C 25, 537 D 27, 544 A 28, 552 C-D
Hist. Phil. prol., 6 III, 13 IV, 11 V, 7 VI, 11 VIII, 2 X, 8 XI, 4 XIII, 3
HE I, 2, 7 III, 3, 5
Index des citations de Théodoret
IV, 2, 5 IV, 15, 1 IV, 19, 1 IV, 29, 2 IV, 30, 3 V, 8, 2
383
65 n.198, 67 n.211 56 n.150 60 n.171 45 n.74 53 n.129 57 n.155
V, V, V, V, V,
12 n.24 65 n.198, 67 n.211 50 n.105 51 n.110 53 n.129 53 n.130 53 n.130 268 n.308 253 n.191 53 n.130
V, 52 V, 76-77 V, 76 V, 80 VII, 36 VIII, 7 VIII, 63 XI, 52 XII, 43
76 n.289 25 n.119 48 n.96 254 n.205 81 n.321.324 37 n.31 42 n.61 54 n.135 69 n.233.236, 72 n.253
CXLIV, 134 CXLVII, 135 CXLVII, 136
76 n.289 76 n.289 76 n.289
13, 5 20, 1 28-38 28, 1 39, 15
40 n.51 58 n.160 144 n.5 60 n.171.174 60 n.171
Thérap. préf., 16 préf., 17 I, 6 II, 1-2 II, 22 III, 101 V, 10 V, 12-15 V, 33-38 V, 44
Quaest. et respons. ad orthodoxos XXIII, 35 XLVII, 53 CXV, 107 CXLIV, 133
69 n.235 84 n.350 81 n.320.324 76 n.289
Index des citations d’auteurs anciens Les chiffres en gras indiquent des lieux centrés sur l’étude du passage cité. Dans ces cas, les références englobées par le passage ne figurent pas dans l’index. AMBROSIASTER Quaest. Vet. et Nou. Test. XCI, 6 278 n.359 Com. in Rom. 162-164 278 n.359 Les Apophtegmes des Pères X 72 n.252 ARISTOTE Éthique à Nicomaque III, 7, 1113b-1114a Rhétorique II, 1380a III, 1416a ATHANASE D’ALEXANDRIE Ad Serap. I, 11, 1 Contra arianos I, 5, 4-5 I, 11, 6 II, 42, 1 III, 11, 5 III, 13, 3 III, 26-58 III, 34, 2 Vie d’Antoine 35, 4 PS.-ATHANASE De sancta Trin. III, 25, 1241 B-C AUGUSTIN De Trin. I, VII, 14 II, XI, 20 PS.-BARNABÉ Épître 7-10
254 n.206 97 n.18 97 n.17
285 n.393 281 n.376 307 n.473 281 n.374 281 n.374 281 n.374 286 n.400 306 n.468
BASILE DE CÉSARÉE Adu. Eun. II, 19 II, 23 II, 24 II, 34 Sur le Saint-Esprit II, 4 V, 7-8 XIV, 32 XV, 35 XIX, 50
282 n.378 282 49 n.99 38 n.41 302 n.457
PS.-BASILE Adu. Eun. V, 720 C-721 A
283-284
BASILE DE SÉLEUCIE Sermones III, 53 A XXV, 3, 293 D
68 n.225 37 n.31
303 n.462 303 n.462 303 n.462 285 n.394
72 n.252
CLÉMENT D’ALEXANDRIE Le Pédagogue I, 7, 54, 2 Stromates I, 11, 2 II, 20, 116 III, 4, 30-39
98 n.21 51 n.119 260 n.252
283-284
PS.-CLÉMENT Hom. III, 33, 2
33 n.10
CONCILE DE NICÉE (325) Symbole de foi Denzinger 125
279 n.365
64 n.191 64 n.191
66 n.206
CONCILE DE CONSTANTINOPLE (381) Symbole de foi Denzinger 150 285 n.391 241 n.116.118 Constit. apost. VII, 34, 8 VIII, 12, 16
https://doi.org/10.1515/9783110540659-019
79 n.305 79 n.305
Index des citations d’auteurs anciens
Corpus hermeticum IV, Frg. 23, 4
51 n.119
CYRILLE D’ALEXANDRIE Glaphyra in Pentat. in Ex., II, 465 A-B 102 n.36 111 n.87 in Leu., 565 C Com. in XII proph. 537 52 n.126 Com. in Is. 37 n.30 I, 4, 177 A 111 n.87 III, 1, 581 B 37 n.30 III, 3, 728 A V, 4, 1321 C 50 n.108 Frg. in Luc. 716 A 67 n.215 Frg. Hom. in Luc. 90-91 102 n.34 Com. in Ioh. XI, 9, 699 60 n.170 60 n.170 XI, 10, 717 XII, 110 60 n.170 XII, 1, 139 102 n.35 Frg. in Rom. 175-176 303 n.462 De Ad. VIII, 552 C 82 n.335 IX, 600 C-604 B 287-288 X, 688 D 288 n.408 82 n.335 XIV, 917 C XV, 1005 B-1008 A 81 n.323 81 n.323 XV, 1005 B Quod unus sit Christus 741 a-b 308 n.478 765c 308 n.478 Dial. Trin. III, 497b-c 281 n.372 III, 503a 281 n.375 III, 503c-d 307 n.472.475 IV, 527-528 280 n.367 VI, 625b-c 278 n.357 Ep. ad Nest. III, 6 296 n.438 III, 12 273 n.334, 287 n.406 De recta fide ad Theodosium 29-30 294-295 Ep. ad Ioh. 127, 10 286 n.399 133 294-295
385
R. F. ad Aug. 40 297 Ad Dominas 10 291 n.417 148 288 n.408 163 289-290, 291 n.417 Adu. Nest. III, 2 292 V, 1 299-300 Apol. adu. Theodoretum 64 286 PS.-CYRILLE D’ALEXANDRIE Contra eos qui Theotocon nolunt confiteri 23-24 297-298 CYRILLE DE JÉRUSALEM Catech. ad illuminandos XVI, 25 102 n.33 XVII, 4 285 n.395 DÉMOSTHÈNE Sur la couronne 128 DIDYME L’AVEUGLE Frg. in Ps. 894 Frg. in Rom. 3 DIDYME L’AVEUGLE (?) De Trin. I, 15, 3 I, 18, 20 I, 25, 8 II, 5, 8
70 n.239
289 n.410 165 n.80
278 n.357 64 n.189 281 n.372 281 n.376
DIODORE DE TARSE Frg. in Rom. 86 89 104-105 Frg. 15
290
ÉPHREM LE SYRIEN Adu. Marc. I-III I
252 n.183 268 n.307
166 n.86 37 n.33 162 n.63
386
Index des citations d’auteurs anciens
ÉPIPHANE DE SALAMINE Ancor. 67, 4 63 n.186 Pan. 42, 3, 6-10 261 n.256 42, 12, 3, refutatio 6 269 n.314 42, 12, 3, refutationes 28-35 261 n.257 42, 12, 3, refutatio 32 266 n.290 257 n.221 66, 42, 1-43, 4 66, 70, 1-85, 11 257 n.221 66, 86, 1-87, 7 268 n.308 269 n.314 66, 86, 3-4 69, 36, 2-4 280 n.367 74, 4, 4 63 n.186 280 n.367 76, 8, 6-8 76, 20, 12 63 n.186 De fide IV, 5 101 n.31 EUNOME Apol. 5 18 21 24 25
282 n.378 279 n.363 279 n.364, 281 n.376 293 n.428 282 n.378, 285 n.390
EURIPIDE Les Bacchantes v. 169 v. 446
25 n.126 25 n.126
EUSÈBE DE CÉSARÉE Com. in Ps. 281 B 524 A Frg. in Gal. 47 DE I, 2, 3-4 IV, 1, 4 HE III, 3, 5 VI, 14, 2 VI, 25, 11 VI, 25, 14 PE VIII, 14, 6
70 n.238 70 n.238 240 n.112 237 n.94, 240 n.107 70 n.237 123 n.144 123 n.145 123 n.145 124 n.146 65 n.202
EUSTATHE D’ANTIOCHE cf. Théodoret, Eranistes, 158 291 n.419 FLAVIUS JOSÈPHE Ant. Iud. I, 42 XIX, 153
72 n.249 66 n.203
GENNADE DE CONSTANTINOPLE Frg. in Rom. 364 38 n.37 365 38 n.42 GRÉGOIRE DE NAZIANZE Or. XXX, 13 XXXI, 8 XXXI, 10 XXXI, 12
281 n.376 285 n.390 285 n.389 285 n.390
GRÉGOIRE DE NYSSE Hom. in Eccli. VIII, 2 70 n.239 Adu. Eun. I, 14 70 n.239 III, 4, 9-14 286 n.400 III, 4, 9-10 289 n.411, 291 n.417 III, 4, 14 289 n.411, 291 n.417 De oratione dominica III, 31 110 n.86 Virg. XI, 2, 9 70 n.239 De anima et resurrectione 152 B 111 n.89 Discours catéchétique VII, 184-185 70 n.238 Epistula canonica ad Letoium can. 1 35 n.21 In sanctum Stephanum 721 A 60 n.173 Vie de Moïse II, 182 110 n.86 II, 91 70 n.239 II, 251 110 n.86 Ref. 108-109 280 n.366 PS.-GRÉGOIRE LE THAUMATURGE Homilia II in annuntiationem Virginis Mariae 1161 A 52 n.120
Index des citations d’auteurs anciens
IRÉNÉE DE LYON Adu. Haer. I, 6, 2-4 I, 27, 4 II, 25, 2-28, 9 III, 7, 2 IV, 37-39 IV, 37, 1-7 IV, 37, 1-2 IV, 38, 1-2 IV, 39, 1 JEAN CHRYSOSTOME Hom. in Gen. V, 50 XIV, 114-115 XVI, 133 XVII, 139 XVII, 143-147 XVIII, 151 XIX, 161 Serm. in Gen. VI, 286-295 VI, 286 VII, 316 VII, 316-319 VII, 322 Expos. in Ps. 242 Com. in Is. VII Hom. in Matth. I, 15 XXIII, 315-317 LV, 541 LXVIII, 644 Hom. in Ioh. XLVI, 257 LXII, 343 Hom. in Rom. arg., 391 arg., 392-393 arg., 392 arg., 393 I, 395 I, 396 I, 397
260 n.252 251 n.179 249 n.156 109 n.78 252 n.187 268 n.307 255 n.208 73 n.261 73 n.261
70 n.239, 213 n.232233 253 n.190 68 n.226, 253 n.190 253 n.190 254 n.196 68 n.226 83 n.338 73 n.259 69 n.235, 213 n.232233 68 n.226 73 n.259 68 n.226 110 n.86 147 n.18 191 n.157 69 n.229 46 n.83 59 n.170 233 n.59 34 n.12 112 n.102 117 n.123, 118-120 136 n.184 139 n.191 189-190 190-191 191, 303 n.461, 304 n.465, 306 n.470
I, 399 I, 400 II, 401 II, 402 II, 403 III, 411 III, 414 V, 421 V, 423 V, 425 V, 427 VI, 431-432 VI, 434 VI, 435 VI, 436 VII, 442 VIII, 461 X, 474 X, 478 XI, 485 XI, 486 XI, 487-488 XI, 487 XII, 494-495 XII, 498 XII, 499 XII, 502 XIII, 507 XIII, 510 XIII, 512 XIII, 513 XIII, 516 XIII, 517 XIII, 518 XIII, 519 XIII, 520 XIV, 525-526 XIV, 527 XIV, 533 XIV, 537 XV, 541 XV, 543-544 XV, 543 XVI, 549 XVI, 552 XVI, 555 XVI, 564 XVII, 563-564 XVII, 567 XVIII, 577-578
387
182-183 281 n.374 192-193 162 n.65 155 n.32, 281 n.371 170 n.105 209 n.215 171 n.109 171 n.110 70 n.239 80 n.309 170 n.107 169 n.98 169 n.98 169 n.99 161 n.58 155 n.35 159 n.52 34 n.12, 161 n.60 154 n.28, 181 193-196 176-177 154 n.27, 186-187 175-176 159-160, 165-166 176 n.123 165, 265 n.289 168 n.95 70 n.239 176 n.123 163 n.67, 176 n.123 163 n.69 176 n.123 167 n.88 167 n.89 167 n.89 232-233 35 n.22, 163 n.71 163 n.73, 178-179 33 n.7 293 n.429, 295 n.433 302 n.455 168 n.95 183-186 307 n.475 187-188 146 n.17 157 n.42 157 n.43 231 n.46
388
Index des citations d’auteurs anciens
XVIII, 577 XIX, 587 XIX, 588 XIX, 589 XIX, 593 XX, 595 XX, 597 XX, 599 XXI, 604 XXIII, 617 XXV, 627-628 XXV, 627 XXV, 629 XXV, 630-632 XXV, 630 XXVI, 637 XXVI, 638 XXVI, 639-640 XXVI, 639 XXVI, 640 XXVII, 646 XXX, 664 XXX, 665 XXXI, 671 Hom. in I Cor. II, 19-20 XII, 99 XXIV, 202 Hom. in II Cor. III, 413 VII, 448 VIII, 454 Com. in Gal. 613 614-615 643 Hom. in Phil. XIII, 277 Hom. in Col. I, 299-300 Hom. in I Tim. II, 510-511 Hom. in Hebr. XXVIII, 199 De Stat. XII, 131-134
157 n.44 36 n.26 157 n.45 158 n.46 307 n.475 160 n.55 160 n.55 160 n.55, 178 180 181 n.138 200-201, 203-205 159 n.52 201 n.180, 202 n.186, 203 n.187-188.192 201-203 199 n.172 199 n.174, 202 n.185, 203 n.189 199 n.175, 203 n.189, 206 n.205 202 n.185 203 n.189, 206 n.205 203 n.188-189 232 n.54 155 n.36, 156 n.38, 158 n.50 156 n.39 188-189 242 n.131 33 n.7 36 n.26 33 n.7 50 n.107 110 n.86 240 n.112 281 n.374 80 n.309 233 n.59 117 n.123, 119 n.131 82 n.331 33 n.7 208-214, 86 n.358
XII, 131 67 n.216, 70 n.239 XII, 132 70 n.239, 86 n.359 XII, 133 85 n.356.357 Ad Stagirium I, 444 70 n.239 Adu. Iud. II, 1, 858 240 n.112 De decem millium talentorum debitore 29 242 n.131 De fato et prouidentia orationes VI, 769 233 n.59 De proph. obscur. I, 172-173 232 n.50 Homélies sur Ozias I, 1 35 n.18 In dictum Pauli : Oportet haereses esse 253-254 34 n.12 La Virginité XIII, 1 111 n.89 Laud. Pauli III, 3 235 n.73 Sur la providence de Dieu 9, 3, 5 35 n.18 Sur l’incompréhensibilité de Dieu I, 101 46 n.83 III, 101-112 307 n.475 PS.-JEAN ZONARAS Lexicon γνωμάτευμα
71 n.248
JULIUS POLLUX Onomasticon I, 228
35 n.18
JUSTIN Apol. I, 43 I, 43, 2 I, 44, 8 I, 58 II, 6 (7), 6-7 Dial. Tryph. 19, 3-4 39, 1 42, 4 LIBANIUS Epistulae 114, 8
252 n.187 255 n.207 253 n.191 252 n.183 255 n.207 237 n.94, 240 n.107 231 n.45 241 n.118
44 n.70
Index des citations d’auteurs anciens
PS.-MACAIRE Hom. spirituales 15, 51 29, 6 Œuvres spirituelles Hom. 26, 7, 2 MÉLITON DE SARDES Sur la Pâque 72-100 NESTORIUS Frg. serm. VIII, 247-248 IX, 258-259 IX, 260-261 X, 269 Frg. 357 ORIGÈNE Hom. in Ex. I, 1 Hom. in Leu. I, 1 Frg. in Ps. In Ps 54, 22 Frg. in Prou. XI, 192 B Com. in Cant. prol., 3, 1 Hom. in Ez. XIV, 2 Com. in Matth. XI, 16, 1-12 XIII, 8 Frg. in Ioh. XCIV CXL Com. in Rom. I, 1, 1-5 I, 1, 1 I, 1, 2-4 I, 1, 6 I, 5, 4 I, 7, 1-2 I, 21, 2-4 I, 21, 3 II, 5, 14 II, 8, 7
33 n.10 69 n.232 69 n.232
232 n.48
308 n.476 302-303 287 n.405 299-300 299-300
113 n.105 109 n.73, 113 n.105 48 n.92 33 n.10 117 n.122 109 n.73 303 n.460 289 n.410 50 n.107 38 n.40 118 110 n.79, 246 n.147 117 n.123 219 n.1 281 n.372 303 n.460 251 n.177 251 n.180 256 n.213 242 n.126
II, 10, 1 II, 10, 4 III, 3, 10 III, 4, 2 III, 5, 3-16 IV, 4, 3 V, 6, 1-2 VI, 1, 5 VI, 7, 9-10 VI, 7, 19 VI, 8, 10 VII, 5, 6 VIII, 5, 9-10 VIII, 12, 2 X, 6, 6 X, 14, 1-2 X, 14, 2 X, 43, 1 Frg. in Rom. I X XIV XXXVII Cels. V, 44 V, 49 VI, 17 VI, 66 Philoc. 4, 1-2 6, 2 23, 1 23, 7-13 23, 7 23, 8 25 25, 2 De princ. II, 4, 1-2 II, 4, 1 II, 4, 4 II, 5 III, 1, 19 III, 1, 21
252 n.183 256 n.219 252 n.184 252 n.185 255 n.209 255 n.209
PHILON D’ALEXANDRIE Abr. 5-6 135
89 n.382 88 n.381
389
242 n.126 242 n.126 262 n.261 251 n.180 168 n.94 262 n.263 262 n.262 181 n.137 262 n.266 251 n.177 251 n.177 295 n.433 232 n.49 162 n.63 232 n.53 118 n.127 118 n.124 251 n.180 253 n.187, 295 n.433 89 n.383 89 n.383 89 n.383 241 n.118 241 n.118 51 n.112 51 n.112 110 n.80 109 n.70 255 n.209 253 n.187 255 n.209 254 n.204, 255 n.209 253 n.187 295 n.433
390
Index des citations d’auteurs anciens
Ebr. 37 47 Plant. 45 Poster. 185 Prou. II, 15 Mos. I, 12 I, 26 PHOTIUS Bibliothèque II, 174 III, 203 PLATON Phèdre 248c 254a La République II, 379 b-d II, 380 b-c SÉVÉRIEN DE GABALA Frg. in Rom. 219 222 De Inc. 274-280
88 n.381 88 n.381 72 n.249 88 n.381 65 n.202 65 n.201 25 n.119
143 n.1 7 n.1, 30 n.1
98 n.22 25 n.126 253 n.191 253 n.191
82 n.330, 165 n.80 79 n.304 302 n.456
PS.-SÉVÉRIEN DE GABALA Frg. in I Tim. Staab, 336-337
289-290, 291 n.417
TERTULLIEN Adu. Marc. I, 1, 7, 106 II, 1, 2, 22 II, 2, 3, 24 II, 5-10, 40-79 II, 18, 2, 114-117 II, 24, 1-8, 140-149
249 n.162 249 n.162 249 n.162 268 n.307 230 n.36 258 n.240
III, 2, 3-4, 58-61 III, 8, 1-11, 9, 94-119 V, 1, 8, 79 V, 13-14, 256-287 V, 13, 10-11, 266-269 V, 13, 14, 270-271. V, 14, 6, 276 V, 14, 9, 280 De scorpiace XIV, 2 THÉODORE DE MOPSUESTE Frg. in Rom. 118 121 123 124 125 126-128 126 128
259 n.246 258 n.238 249 n.162 261 n.257 262 n.260 257 n.225 251 n.179 251 n.179 260 n.253
69 n.234 38 n.42 49 n.99 49 n.99 69 n.234 267 n.304 75 n.272, 265 n.289 73 n.265, 74 n.269, 165 n.82 134 82 n.330 135 49 n.99 141 164 n.75 144 38 n.37 145 73 n.265 151 82 n.332 152 38 n.37 163 70 n.239 172 233 n.60 Cramer IV, p. 81 79 n.304 Com. in minores epist. Pauli 178 110 n.79, 117 n.123 292 12 n.21, 117 n.123 364 12 n.21 440 12 n.21 526 12 n.21 682-685 117 n.123 688 12 n.21 Hom. catech. III, 6 308 n.479 VI, 4 308 n.479 VI, 12-13 38 n.42 VIII, 10 308 n.479
Liste des manuscrits et des éditions de l’In epistulas Pauli Tradition directe Ω
Archétype.
D
Paris, Bibliothèque nationale de France, gr. 217, xie-xiie siècle.
Π C
Ancêtre supposé de C, V, S, M, B, E, O, P, Q, J. Paris, Bibliothèque nationale de France, Coislin 82, xie siècle.
Σ
Ancêtre supposé de V, S, M, B, E, O, P, Q, J.
V S
Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticanus gr. 1649, milieu du xie siècle. Paris, Bibliothèque nationale de France, Supplément gr. 1299, fin du xiie siècle.
Ψ M
Ancêtre supposé de M, B, E, O, P, Q, J. Venezia, Biblioteca Nazionale Marciana, gr. Z. 36, xiie siècle.
B E
München, Bayerische Staatsbibliothek, gr. 18, xvie siècle (1547). Besançon, Bibliothèque Municipale, 169, xvie siècle.
Θ O P Q
Ancêtre supposé de O, P, Q. Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Ottobonianus gr. 17, milieu du xvie siècle. Paris, Bibliothèque nationale de France, gr. 849, xvie siècle. Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Ottobonianus gr. 74, xvie siècle.
J
Jerusalem, Patriarchikê Bibliothêkê, Hagiou Saba 217, xive siècle.
Tradition indirecte (chaînes) K A
Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vaticanus gr. 762, xe siècle. München, Bayerische Staatsbibliothek, gr. 412, xiie siècle.
Éditions Sirmond Noesselt Marriott Mg
J. Sirmond, 1642. J. A. Noesselt, 1771. C. Marriott, 1852. J. P. Migne, 1864.
https://doi.org/10.1515/9783110540659-020
Index des manuscrits Le Parisinus gr. 217 est souvent mentionné en opposition à la „ famille de Π “, sans mention détaillée des manuscrits correspondants : on se reportera à la liste des manuscrits de l’In epist. Pauli. ANN ARBOR University Library Inv. Nr. 6238 (P46)
121 n.137
BESANÇON Bibliothèque municipale Ms 169 15 n.33, 391 DUBLIN Chester Beatty Library CBL BP II (P46) 121 n.137 JERUSALEM Patriarchikê bibliothêkê Hag. Saba 217 391 LONDON British Library Royal 1 D. VIII
121-122
MÜNCHEN Bayerische Staatsbibliothek gr. 18 15 n.33, 391 gr. 412 391
https://doi.org/10.1515/9783110540659-021
PARIS Bibliothèque nationale de France Coisl. 82 391 gr. 217 15 n.32, 35 n.16.19, 36 n.25, 39 n.46, 40 n.49.51.54, 41, 42 n.61, 43 n.68, 46 n.79, 47 n.91, 53 n.129, 54 n.130, 57 n.153, 58 n.155, 60 n.167, 301 n.453, 391 gr. 849 15 n.33, 391 Suppl. gr. 1299 15 n.32-33, 391 VATICANO Biblioteca Apostolica Vaticana Ottob. gr. 17 15 n.33, 391 Ottob. gr. 74 15 n.33, 391 Vat. gr. 762 9 n.8, 391 Vat. gr. 1209 121-122 Vat. gr. 1649 15 n.32-33, 391 VENEZIA Biblioteca Nazionale Marciana gr. Z. 36 15 n.33, 391