Une cause sacrée: Le dialogue intercongolais, 2000–2003
 2343048436, 9782343048437

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Philip WINTER

UNE CAUSE SACRÉE LE DIALOGUE INTERCONGOLAIS, 2000-2003 Traduit de l’anglais par le professeur Norman Strike

UNE CAUSE SACRÉE LE DIALOGUE INTERCONGOLAIS, 2000-2003

Collection Études africaines dirigée par Denis Pryen et son équipe

Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection « Études africaines » fait peau neuve. Elle présentera toujours les essais généraux qui ont fait son succès, mais se déclinera désormais également par séries thématiques : droit, économie, politique, sociologie, etc. KOUNGOU Léon, Culture stratégique et concept de défense au Cameroun, 2015. EBALE (Raymond), La relation ACP (Afrique - Caraïbes - Pacifique) / UE (Union européenne) : la fin de l'illusion ?, Quel avenir à l'échéance 2020 ?, 2015. LOADA (Augustin) et WHEATLEY (Jonathan) (dir.), Transitions démocratiques en Afrique de l’Ouest. Processus constitutionnels, société civile et institutions démocratiques, 2014. SIAD (Arnaud), L’intervention en Libye : un consensus en Relations Internationales ?, 2014. KOUASSI (Yao-Edmond), Colonisations et société civile en Afrique, 2014. YOUGBARÉ (Sébastien), Attachement et délinquance des mineurs : déterminants psychosociaux au Burkina Faso, 2014. ANIGNIKIN (Sylvain Coovi), Les origines du mouvement national au Dahomey. 1900-1939, 2014. BONKENA BOKOMBOLA (Papy), Routes rurales et développement socioéconomique de la région de Mayombé (Ouest-RDC), 2014. MAKENGO NKUTU (Alphonse), L’essentiel de droit public. Le cas de la République démocratique du Congo, 2014. VILLASANTE CERVELLO (Mariella), Le passé colonial et les héritages actuels en Mauritanie. État des lieux de recherches nouvelles en histoire et en anthropologie sociale, 2014.

Ces dix derniers titres de la collection sont classés par ordre chronologique en commençant par le plus récent. La liste complète des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le site www.harmattan.fr

Philip WINTER

UNE CAUSE SACRÉE LE DIALOGUE INTERCONGOLAIS, 2000-2003

(Traduit de l’anglais par le professeur Norman Strike)

© L'HARMATTAN, 2015 5-7, rue de l'École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-04843-7 EAN : 9782343048437

« Tout au long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré notre vie. » Patrice Lumumba, à sa femme, peu avant son assassinat en 1961.

SOMMAIRE

INTRODUCTION .......................................................................... 13 PREMIÈRE PARTIE JANVIER 2000 – JANVIER 2001: DÉNI ET DÉSARROI.......... 17 CHAPITRE I “LE FACILITATEUR” ÉTABLIT LE CONTACT ...................... 19 CHAPITRE II UN CONTRETEMPS À COTONOU ET UNE OFFRE DE BRUXELLES .............................................. 33 CHAPITRE III LE PRÉSIDENT KABILA SE RETRANCHE .............................. 43 CHAPTRE IV MASIRE PREND L’OFFENSIVE ................................................ 53 CHAPITRE V LA FIN DU DÉBUT ...................................................................... 67 CHAPITRE VI UNE QUESTION DE PRINCIPE .................................................. 77 DEUXIÈME PARTIE JANVIER 2001 – AVRIL 2002 : DE PÈRE EN FILS .................. 90 CHAPITRE VII EN ROUTE, EN L’AIR OU EN RÉUNION ................................. 91 CHAPITRE VIII RRE MOGWE PART EN TOURNÉE ........................................ 105

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CHAPITRE IX RENDEZ-VOUS À GABORONE ............................................... 117 CHAPITRE X LE CHEMIN D’ADDIS-ABEBA ................................................ 133 CHAPITRE XI LE GOUVERNEMENT S’ENVOLE .......................................... 151 CHAPITRE XII « AVONS-NOUS LE CHOIX ? »................................................ 161 CHAPITRE XIII METTRE LE RIZ DANS LA MARMITE................................... 185 TROISIÈME PARTIE DE LA CONFUSION À LA CONCLUSION .............................. 197 CHAPITRE XIV DIX-SEPT JOURS À SUN CITY ................................................ 199 CHAPITRE XV RETOUR À LUSAKA ................................................................. 215 CHAPITRE XVI UN DIALOGUE REPORTÉ OU SABOTÉ ? .............................. 231 CHAPITRE XVII « NOUS NE POUVONS CONSTRUIRE UNE NOUVELLE AFRIQUE AVEC UN VIEUX CONGO » .................................. 247 CHAPITRE XVIII « IL NOUS FAUT UN CHEF D’ORCHESTRE » ...................... 263 CHAPITRE XIX LA MISSION NIASSE ................................................................ 275 CHAPITRE XX UNE GUERRE SANS FIN ? ....................................................... 295 10

CHAPITRE XXI DE NOUVEAU EN ROUTE ....................................................... 307 CHAPITRE XXII LE BOUT DU TUNNEL ? ........................................................... 329 CHAPITRE XXIII L’ACTE FINAL ........................................................................... 339 POSTSCRIPT............................................................................... 347

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INTRODUCTION

Un après-midi, vers la fin mars 2000, on vint me chercher au President Hotel à Gaborone, capitale du Botswana, et on m’emmena dans un complexe résidentiel moderne connu sous le nom de « Village parlementaire ». Malatsi, chef de sécurité de l’ancien président du Botswana, Sir Ketumile Masire, me salua d’un prudent « Bonjour, Excellence ». Je n’étais ni ambassadeur ni même diplomate, mais depuis ce jour-là, par plaisanterie entre nous, il n’a jamais cessé de m’accueillir avec cette formule. Il me conduisit à l’étage dans un bureau confortable, où me reçut un homme en costume, souriant et sans prétention. Sir Ketumile (« Quett ») Masire avait été choisi pour présider les discussions convenues par les trois parties belligérantes de la République démocratique du Congo lors de l’Accord de cessez-lefeu de Lusaka en 1999. Son nom avait été retenu sur une liste fournie aux parties par l’Organisation de l’unité africaine en vue de pourvoir le poste délicat de « Facilitateur du Dialogue intercongolais ». QM, comme je l’appellerai désormais, avait été le vice-président de Sir Seretse Khama, premier président du Botswana, anciennement protectorat britannique du Bechuanaland, depuis l’indépendance en 1966. À la mort de Seretse Khama en 1980, QM devint président du Botswana, position qu’il occupa jusqu’en 1998, lorsqu’il la céda au président actuel, Festus Mogae. Le pays que lui et son prédécesseur avaient dirigé depuis l’indépendance ne ressemblait à nul autre en Afrique. Pendant trente ans ce pays avait connu la paix, la stabilité et le taux moyen de croissance économique le plus élevé du monde, en avance même sur les économies du « tigre asiatique ». Son succès était dû à un leadership prudent, au respect d’une politique démocratique, à une population raisonnable et à une utilisation sage de l’aubaine provenant des gisements de diamants, exploités conjointement avec la méga-société De Beers. Les Batswana ont une tradition de consultation, une grande patience dans les débats et, sous leur extérieur placide, une compréhension pratique des réalités du pouvoir, qualités qui leur ont permis de surmonter ensemble les politiques raciales pernicieuses de l’Afrique australe et de voir la fin des guerres coloniales en Angola, au Mozambique et en Namibie, 13

l’effondrement de l’apartheid en Afrique du Sud, et la longue lutte des pays voisins pour atteindre cet état nébuleux du progrès que l’on appelle le « développement ». Après une discussion détendue, QM me demanda de revenir le lendemain pour rencontrer Archibald Mogwe, son ancien Ministre des affaires étrangères, un homme bourru presque octogénaire, qui, comme QM, avait fait ses études dans une école de missionnaires en Afrique du Sud dans les années 1940. Archibald Mogwe était venu rejoindre son ancien patron pour l’aider avec le projet Congo. Au bout d’un moment, QM consulta du regard son ancien collègue : – Alors, M. Mogwe, que pensez-vous de M. Winter ? – Monsieur, il est comme tous les consultants – il parle bien, mais encore faut-il savoir s’il sait agir. QM me regarda : – Quand pourrez-vous commencer ? – Dans quinze jours ? répondis-je, me demandant dans quoi je m’embarquais. – Huit jours ? répliqua-t-il. – Dix jours ? osai-je. – Marché conclu ! QM me confia trois ans plus tard : « Je n’étais pas du tout sûr d’avoir besoin d’un chef de cabinet, mais en fin de compte je suis bien content de m’en être procuré un. » Dans ce livre, le chef de cabinet propose son récit personnel d’une guerre de paroles qui dura trois ans et qui avait pour objectif d’aider à faire passer les dirigeants du Congo du cessez-le-feu au gouvernement de transition, de la guerre civile aux élections. Pour cela, il nous fallait comprendre les tristes héritages du colonialisme du dix-neuvième siècle et de la guerre froide du vingtième siècle, symbolisés par les ombres du roi Léopold de Belgique et de feu le président Joseph Mobutu ; en même temps, il nous faillait aider les dirigeants congolais à affronter ces héritages. Ce livre n’est pas une analyse politique des événements qui se sont déroulés au Congo ; il n’est pas non plus une étude de relations internationales ni un recueil de leçons tirées de négociations de paix intervenues à un moment particulier de l’histoire, bien qu’il contienne certains éléments de tout cela. C’est le récit de mon expérience personnelle de la préparation et de la conduite du Dialogue 14

intercongolais. Comme me le rappelait l’un des participants : « Ce que l’on voit dépend d’où on est assis. » J’ai eu la chance d’être assis auprès d’un grand nombre des personnes qui ont œuvré pour un nouvel ordre politique en RDC et d’observer de près bien d’autres qui ont cherché à le contrarier. Aussi ai-je écrit ce récit pour deux raisons : la première tient à la position particulièrement privilégiée qu’était la mienne, à savoir celle d’un Européen impliqué au centre du drame pendant qu’un groupe de pays africains s’évertuait, avec aide et ingérence venues de l’extérieur du continent, à empêcher l’un des géants de l’Afrique de sombrer encore plus profondément dans la violence et la ruine. Étant donné le caractère partisan d’une grande partie des reportages consacrés au processus, j’ai voulu placer dans le domaine public un témoignage aussi factuel que possible, de sorte que le peuple congolais puisse avoir accès à un compte rendu de ce qui s’est réellement passé, du point de vue de quelqu’un qui a vécu ces événements. Cela est important au moment où les leaders de ce peuple s’emploient à mettre en œuvre des accords négociés à grand-peine qui, au moment de la rédaction de ces pages, restent fragiles et incertains. Il m’a été donné d’être impliqué pendant une brève période dans un processus qui affectait le bien-être de quelques quatre-vingts millions de personnes dans quatre pays d’Afrique Centrale : j’estime que je leur dois de consigner par écrit ce que j’ai vécu. La seconde raison est que j’ai choisi de travailler et de faire ma vie dans le seul continent au monde qui, à l’aube du vingt-et-unième siècle, semble en grande partie incapable de moderniser ses institutions, de mettre à profit les énergies de ses populations et d’échapper aux séquelles d’un passé difficile. Pourtant, il y a au sein de ce continent des points lumineux – le succès du Botswana, l’émergence d’une Afrique du Sud démocratique, ou la reconstruction du Mozambique, par exemple. J’estime qu’il est important que les valeurs adoptées par ceux qui sont les forces agissantes de tels succès soient plus largement connues et respectées, tant en dehors du continent, où se décide une si grande part de ce qui l’affecte, qu’à l’intérieur, où si peu de dirigeants ont surmonté leur désir de rester au pouvoir.

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Ces valeurs – préférer le dialogue à la violence, reconnaître qu’il ne faut pas seulement diriger les électeurs mais aussi les consulter, et accepter de rendre des comptes et de céder le pouvoir au moment convenu – sont incarnées par peu d’anciens présidents du continent. L’un d’entre eux est Nelson Mandela qui, parmi les autres engagements pour lesquels il est si bien connu et respecté, s’était impliqué activement dans le processus de paix du Burundi. Un autre en est Quett Masire. Ce n’est pas un hasard si les parties congolaises ont choisi ce dernier pour présider leur dialogue politique. Lui et ses compatriotes incarnent aussi un reproche vivant face à l’avidité, à la violence et à l’incapacité qui ont si cruellement et pendant si longtemps marqué au fer le continent. Ce livre est donc dédié au peuple tant éprouvé de la République démocratique du Congo, dans l’espoir que ses dirigeants sauront s’inspirer de l’exemple de Sir Ketumile Masire et de ses compatriotes, dont les succès sont peu connus mais dont le respect des principes mérite d’être apprécié et émulé par quiconque voudrait revendiquer le leadership sur ce continent.

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PREMIÈRE PARTIE JANVIER 2000 – JANVIER 2001: DÉNI ET DÉSARROI

CHAPITRE I “LE FACILITATEUR” ÉTABLIT LE CONTACT

Dialogue Intercongolais : Arrivé à Kinshasa le jeudi 11 mai dernier, M. Masire a été reçu hier vendredi 12 mai 2000 par le ministre congolais des Affaires Etrangères, M. Yerodia. Le Chef de la diplomatie congolaise a dit à son hôte que pendant qu'il continuait son travail, le gouvernement congolais allait poursuivre son processus de démocratisation. Pour sa part, M. Masire a déclaré à la presse, au sortir de cette audience, qu'il allait continuer son travail et que le Dialogue intercongolais ne dépendait pas seulement de l'argent de la communauté internationale mais aussi de la volonté des Congolais : "Je ne veux pas dire que la tenue du Dialogue dépend uniquement de l'argent (de la bourse de la communauté internationale). Cela dépend aussi du peuple congolais qui doit se mettre d'accord sur le lieu où se tiendra de dialogue mais aussi sur la participation et la représentation des délégués". Mais, le problème des moyens financiers est en passe d'être résolu; ceux-ci sont disponibles, quitte à secouer quelque peu les bailleurs des fonds. (LE POTENTIEL, 15/11/00) En 1997 Laurent Désiré Kabila, jusqu’alors obscur rebelle congolais, renversa le Président Mobutu du Zaïre, avec l’aide des États voisins de l’Ouganda et du Rwanda, entre autres. Il s’empara de la présidence et rebaptisa son pays « la République démocratique du Congo ». Ses relations avec le Rwanda et l’Ouganda se détériorèrent ; ces derniers réenvahirent son territoire et une guerre régionale éclata. Avec le soutien de troupes venues du Zimbabwe, de la Namibie et de l’Angola, Laurent Kabila put conserver le pouvoir à Kinshasa, mais dès 1999, le Congo était divisé en fiefs. Le gouvernement tenait les centres de gravité économiques de Kinshasa et Lubumbashi, à l’Ouest et au Sud, tandis que deux groupes rebelles tenaient de grandes étendues de l’Est et du Nord du pays, à savoir le Ralliement pour la Démocratie congolaise, ou RDC, qui avait le soutien du Rwanda, et le Mouvement pour la Libération du Congo, ou MLC, soutenu par l’Ouganda. En outre, pour compliquer les choses, des groupes

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dissidents du RDC faisaient leur apparition dans le Nord-Est, comme ils le font encore à l’heure actuelle. Sous la pression des États-Unis et de l’Afrique du Sud, les combattants congolais avaient conçu et signé en 1999 un document appelé l’Accord de Cessez-le-Feu de Lusaka. Le Chapitre V dudit document esquissait dans ses grandes lignes un processus de négociations politiques entre Congolais, un « Dialogue intercongolais », ou DIC, qui devait amener un « nouvel ordre politique ». Le calendrier ambitieux prévu pour la mise en œuvre de l’Accord de Lusaka était de 360 jours, avec la stipulation que le dialogue devait commencer dans un délai de 45 jours après la signature originale de l’accord et qu’il devait se dérouler pendant 45 jours. D’autres chapitres traitaient des dispositions de cessez-le-feu, du retrait des troupes, de la libération des prisonniers, du maintien de la paix et du rétablissement de l’autorité de l’État sur toute l’étendue du territoire de la RDC. Trois dispositifs furent créés pour appuyer ces efforts : une Commission militaire mixte (CMM), une force de maintien de la paix de l’ONU (MONUC), et le Bureau du Facilitateur du Dialogue intercongolais. À la fin de 1999, QM avait accepté d’endosser le rôle de Facilitateur. Il écrivit à l’OUA pour demander des éclaircissements quant au rôle de facilitateur par opposition à ceux, par exemple, de médiateur ou d’arbitre. Je ne trouvai aucune réponse dans les dossiers lorsque, plus tard, j’y cherchais moi-même une élucidation à ce sujet. Le Gouvernement du Botswana détacha un jeune fonctionnaire, Augustine Makgonatsotlhe, du Bureau de l’Attorney général, ou Ministre de la Justice, pour aider l’ancien président. (Tout le monde l’appelait « Ten Ten », car même ses compatriotes trouvaient son nom un peu compliqué.) QM recruta également Archie Mogwe, qu’il avait connu quasiment toute sa vie, et qui avait été non seulement son ministre des Affaires étrangères mais aussi ministre des Mines – poste clé au Botswana si dépendant des minéraux – et, peu avant sa retraite, Ambassadeur du Botswana aux États-Unis. Par ailleurs QM pouvait faire appel aux ressources de son premier secrétaire particulier, Gilbert Motsemme, économiste motswana avec une longue expérience de l’administration ; comme ses autres collègues, Gilbert n’avait aucune connaissance du français.

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Avec cette petite équipe, qui pour l’instant était sans financement autre qu’un peu de crédit assuré par le Gouvernement du Botswana, QM avait déjà effectué des visites au Rwanda et en Ouganda pour rencontrer des représentants des rebelles et en RDC pour rencontrer le gouvernement. La visite en RDC se solda cependant par un échec : en s’embarquant pour Kinshasa, QM s’était fait dire qu’il ne pouvait poursuivre son voyage parce que le gouvernement n’avait pas été informé de sa venue, ce qui n’était pas vrai, puisque le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU à Kinshasa, Kamel Morjane, avait transmis trois « notes verbales » annonçant la visite envisagée de QM. Ces dernières avaient été passées sous silence. Ce fut la première de nombreuses indications que Laurent Kabila n’entendait pas présenter au Facilitateur les politesses d’usage. M. Mogwe fut obligé de débarquer ; QM tint bon et insista pour qu’on le laissât prendre l’avion pour Kinshasa, où il attendit plusieurs jours sans pouvoir rencontrer Laurent Kabila, ni se déplacer hors de la capitale ainsi qu’il l’avait prévu. Il ne réussit qu’à avoir une réunion difficile avec le ministre des Affaires étrangères de l’époque (actuellement Viceprésident du Gouvernement de Transition) Yérodia Abdullahi, et le ministre de l’Intérieur, Gaétan Kaikudji, compagnon d’armes de Kabila lors de la rébellion AFDL de 1997 contre Mobutu. À Kinshasa, le gouvernement canadien avait prêté à QM une secrétaire locale, Lola Mukendi, et la mission des Nations Unies, MONUC, détacha plus tard un administrateur, Mory Touré, pour mettre en place le Bureau du Facilitateur à Kinshasa. L’USAID, de son côté, accepta de fournir des téléphones satellites et des ordinateurs portatifs à ce bureau. À son retour à Gaborone, QM apprit que le gouvernement britannique lui avait fait don de 25 000 livres sterling afin de lui permettre de mettre en place ce bureau, d’acheter quelques ordinateurs et de recruter un chef de bureau. Ce dernier poste fut rempli par Malebogo Bakwena, qui avait travaillé auparavant dans le bureau du Président et était parfaitement au courant du fonctionnement de l’administration au Botswana. On avait trouvé à cette petite équipe des bureaux en bordure de la ville de Gaborone, dans un complexe spécialisé dans les expositions et les conférences appelé Boipuso Hall. Ainsi, au mois d’avril, lorsque j’arrivai, il y avait deux bureaux et une petite équipe déjà occupée à prendre contact avec les parties congolaises. Cependant, hormis la contribution initiale de 25 000 livres sterling du Royaume-Uni et un certain soutien en nature 21

de la part du Canada et des USA, le projet dépendait entièrement du crédit que lui avait octroyé le gouvernement du Botswana, malgré les promesses de financement d’environ 6 millions de $US de la part du groupe de gouvernements et d’organismes désignés collectivement sous le nom de « donateurs » ou « bailleurs de fonds »1. Le Gouvernement britannique accepta de me prendre en charge pendant une période initiale de six mois, afin de me permettre d’aider QM à recruter son personnel, à ouvrir son bureau en RDC et à obtenir les fonds nécessaires auprès des donateurs. Je n’avais jamais été employé pour le gouvernement britannique auparavant, hormis quelques missions consultatives pour le ministère du Développement, mais des diplomates britanniques réunis à Nairobi au début de 2000 avaient noté que QM avait besoin de plus d’aide qu’il n’en recevait et décidèrent de trouver une personne capable de l’épauler dans la mise en place de ses bureaux, le recrutement de son équipe, l’obtention de financements et l’organisation du Dialogue. Lorsqu’on m’approcha, j’insistai pour que QM me rencontrât et qu’il décidât lui-même si le type d’aide que je pouvais lui offrir correspondait à ce qu’il recherchait. Pour mon plus grand bonheur, il se trouva que j’étais disponible, avec 25 ans d’expérience dans la gestion de différents types de projets en Afrique, une connaissance du français et du kiSwahili, cinq ans d’expérience de négociations avec des mouvements rebelles au Soudan et cinq ans d’expérience de la guerre civile et de ses effets en RDC, au Rwanda et au Burundi, ayant mis en place ou géré des programmes dans chacun de ces trois pays au nom de l’organisation caritative britannique « Save the Children » (Sauver les Enfants). L’essentiel de la contribution du Gouvernement canadien était en nature. Avec le concours de Stephen Lewis, diplomate canadien et membre, comme QM, du Panel d’Éminentes Personnalités chargé d’enquêter sur le génocide au Rwanda en 1999, une petite équipe de délégués de la CIDA avait été expédiée à Gaborone pour aider QM à dresser un budget et un plan de travail qui servirait de base et à affiner ses estimations initiales. D’après ces estimations il lui faudrait, pour 1

Le Gouvernement japonais déposa en effet 300 000 $US dans un fonds fiduciaire à New York, mais la Facilitation n’a jamais eu le contrôle de ce fonds, qui fut par ailleurs réduit de 13% pour frais généraux, payables à l’ONU, chargé de le gérer.

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organiser le Dialogue intercongolais, un an, presque 6 millions de $US et un secrétariat doté d’un personnel de 21 personnes réparties dans deux bureaux. En l’occurrence, le processus prit trois ans, impliqua un personnel de 33 personnes dans deux bureaux et coûta presque 18 millions de $US, provenant de 24 donateurs différents. Étant donné l’accueil peu prometteur qui lui avait été réservé à Kinshasa, QM tenait à obtenir un soutien politique et financier plus solide en présentant ses plans au siège de l’OUA à Addis-Abeba et ensuite au Conseil de Sécurité à New York, lequel devait discuter de la RDC le 25 avril. Pendant ce temps, M. Mogwe avait réussi à se rendre à Kinshasa pour préparer le terrain sur le plan politique avec le gouvernement afin de s’assurer que le Facilitateur serait correctement reçu lors de sa prochaine visite. Gilbert Motsemme et moi-même restâmes à Gaborone pour réfléchir aux descriptions des postes à pourvoir pour le personnel que nous avions à recruter, et pour rédiger le projet du discours que QM prononcerait au Conseil de Sécurité. Les grandes lignes de notre programme pour les trois années à venir étaient déjà claires : un dosage très fluctuant de planification, d’organisation, de réorganisation, de rapports, d’explications, de persuasions et de voyages ; toutes nos réserves d’endurance, d’adaptabilité et de ténacité allaient être mises à contribution. Nos premiers objectifs étaient clairs. Il nous fallait tout d’abord persuader Laurent Kabila de rencontrer officiellement QM et de n’empêcher aucune réunion avec les deux groupes rebelles, les innombrables partis politiques et les groupes de la société civile, qui constituaient les quatre autres « composantes » du DIC. Nous devions également persuader les bailleurs de fonds de libérer les paiements qu’ils avaient promis pour le bureau de QM ; nous assurer du soutien politique nécessaire en Afrique ; recruter une équipe pour administrer le processus ; et veiller à ce que les parties congolaises soient présentes à une réunion préparatoire afin de discuter les modalités de mise en œuvre du DIC. Les parties auraient à convenir de qui serait présent au Dialogue, de la date et du lieu de sa tenue, de l’ordre du jour et des procédures à suivre, et des structures d’un « nouvel ordre politique ». Hormis les difficultés intrinsèques à notre tâche, nous nous trouvions face à un obstacle au niveau de notre image : le monde 23

francophone nous considérait déjà comme désespérément anglophones et fâcheusement mal informés sur la RDC. Nous décidâmes donc que QM irait à Paris après s’être adressé au Conseil de Sécurité, afin de chercher à obtenir le soutien du gouvernement français et de l’Organisation internationale de la Francophonie, dont Boutros Ghali était alors le Secrétaire général. Le gouvernement français, avec ceux des États-Unis et de la Belgique, formaient ce que certains Congolais appelaient la « Troïka », puissances qui depuis plus d’un siècle avaient été mêlées au destin du Congo. Nous ne pouvions nous permettre de risquer l’opposition ni même l’indifférence d’un seul des membres de cette troïka : nous avions besoin de leur soutien politique, de leur aide diplomatique et d’un peu de leur argent. Aussi une visite fut-elle organisée pour rencontrer Louis Michel, Premier Ministre belge, visite qui, plus tard, dut être reportée lorsque QM fut invité à la dernière minute à un mini-sommet de l’OUA en Algérie. En l’occurrence, aucune objection majeure ne fut avancée lors de l’exposé que QM fit de ses plans à l’OUA et au Conseil de Sécurité. À Paris nous eûmes une réunion cordiale avec des fonctionnaires du bureau du Premier ministre et du ministère des Affaires étrangères, bien que le soutien politique de la France ne fût jamais acquis. Leur position était claire : ils avaient des relations diplomatiques avec le gouvernement de Kinshasa ; aussi n’étaient-ils pas d’accord avec la partie de notre mandat qui, selon l’Accord de Lusaka, exigeait que nous traitions aussi bien avec le gouvernement qu’avec les insurgés, sur un pied d’égalité. De plus, la Facilitation leur paraissait peuplée d’anglophones – leur pré carré était rempli d’étrangers. Du point de vue français, et du celui de nombreux Congolais, la RDC étaient illégitimement occupée par ses voisins. De notre point de vue, les parties belligérantes en RDC ne sauraient être amenées à coopérer tant qu’elles ne seraient pas traitées à égalité avant la mise en place d’un gouvernement de transition. Le gouvernement en exercice, qui était arrivé au pouvoir à la force des armes, avec l’aide des mêmes voisins qui avaient alors renvoyé leurs troupes à l’Est, lutta de toutes ses forces pour s’imposer comme le représentant souverain et légitime du peuple congolais. Pour ma part, je fais une distinction entre un gouvernement reconnu, avec lequel d’autres gouvernements sont prêts à traiter, et un gouvernement légitime, qui a été mis en place par la voix du peuple, et non par la force armée. De mon point de vue, aucun 24

des groupes armés en RDC, y compris ceux de Kinshasa, ne représentait légitimement le peuple congolais : ils étaient au contraire des représentants autonommés. Ils avaient tous signé l’Accord de Lusaka sous la contrainte, n’ayant pas réussi à conserver le pouvoir ou à le prendre par la force des armes. Il était clair que le gouvernement de Laurent Kabila allait contrecarrer systématiquement les dispositions de Lusaka – il avait tout à perdre et les insurgés avaient beaucoup à gagner. En plus du soutien que nous devions gagner dans le monde de la diplomatie francophone, nous prîmes contact aussi, à Paris, avec le père Matteo Zuppei de Saint-Egidio, ordre religieux qui avait joué un rôle important dans les négociations de paix au Mozambique. Malgré l’encouragement de certains Européens et Américains pour que nous y recourions, au bout du compte nous ne pûmes jamais déployer aucune des ressources que Saint-Egidio aurait pu mettre en œuvre : il n’y eut pas moyen de les intégrer dans notre démarche. Ce fut là l’un des premiers exemples de la pression exercée sur nous pour que nous nous pliions à des vues occidentales alors que nous nous concentrions principalement sur le besoin de maintenir l’engagement africain dans le processus de paix : ni l’Europe ni les États-Unis n’avaient de troupes en RDC. La réunion d’Alger fut axée essentiellement sur les questions de savoir qui fournirait des troupes à MONUC et quel serait un calendrier réaliste pour le DIC. QM put toutefois rencontrer en privé Laurent Kabila et Yerodiah Abdullah. Il se plaignit du traitement qu’il avait reçu à Kinshasa, sur quoi Kabila suggéra que nous utilisions désormais son jet personnel et que nous travaillions par l’intermédiaire de son bureau à Kinshasa au lieu de celui de MONUC. Accepter une telle offre aurait détruit toute prétention à la neutralité de la part de QM en tant que facilitateur. Le Président Kabila annonça également que QM était entièrement libre de ses mouvements au Congo. QM et M. Mogwe revinrent d’Alger en passant par Lusaka, où ils firent un compte rendu au Président Chiluba, qui avait été l’un des parrains de l’Accord de Lusaka et, dans la hiérarchie en place, le Médiateur du processus de paix. Lorsque le Président Chiluba exprima son étonnement que QM eût un Anglais dans son équipe, le Facilitateur répondit qu’il l’avait embauché en désespoir de cause !

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De retour au Botswana nous nous concentrâmes sur le renforcement des capacités du bureau, sur l’organisation d’une visite en RDC pour rencontrer les groupes rebelles et sur la reprise de nos efforts pour convaincre nos donateurs d’honorer leurs promesses de financement. Nous n’avions toujours pas d’argent dans notre compte et je fus réduit à demander à Shelly Whitman, l’analyste canadienne recommandée par Stephen Lewis, si elle voulait bien payer elle-même son voyage au Botswana contre une promesse du bureau de la rembourser quand il aurait les fonds. C’est tout à son honneur qu’elle fût prête à prendre le risque, et elle resta avec nous jusqu’en 2002 ; elle mit en place dans le bureau une petite équipe chargée de contrôler les événements au jour le jour, de faire circuler un rapport quotidien sur les aspects essentiels et de faire des recherches autour des questions particulières sur lesquelles il nous fallait des renseignements supplémentaires. C’est à ce stade que je demandai à un de mes amis du monde humanitaire, Charles Petrie, qui était alors le Représentant humanitaire de l’UNO au Congo oriental, de nous aider à organiser des réunions avec les leaders des insurgés dans le Nord et dans l’Est de la RDC, à savoir Jean-Pierre Bemba du MLC à Gbadolite, Émile Ilunga du RCD à Goma et Wamba dia Wamba du groupe qu’il dirigeait alors et qui s’appelait le RCD Kisangani. Ce qui allait être la première mission de QM en territoire rebelle aurait pour objectif de faire connaissance avec les trois principaux dirigeants, de présenter son équipe embryonnaire et de discuter son plan, qui envisageait la convocation dans les plus brefs délais d’une réunion préparatoire en vue du DIC. Nous devions nous rendre au Congo oriental à partir du Kenya, où j’habitais ; je partis donc avant les autres pour Nairobi pour préparer une réunion entre QM et le Président Moi. Cela me parut drôle de devoir organiser une réunion avec le président du pays où normalement je vivais, le Kenya, au nom de l’ancien président du pays où je résidais temporairement, le Botswana, en mettant à profit les relations de mon passé humanitaire afin d’établir le contact avec trois groupes d’insurgés en conflit avec leur gouvernement dans une guerre régionale. Par exemple, je dus me servir de ma propre voiture vieillissante lorsque, pour accueillir QM à l’aéroport, le détachement chargé de la sécurité s’aperçut qu’il lui manquait une voiture ; je me vis donc traverser Nairobi à tombeau ouvert, les feux de détresse 26

clignotant fébrilement, en membre peu convaincant du cortège de Mercedes et de voitures de police qui nous transportait vers le Norfolk Hotel, où allaient descendre mes collègues. Comme QM le dit à Ten Ten à l’aéroport : « Vous feriez mieux de monter dans la voiture de Philip : ce n’est pas tous les jours que l’on se fait conduire par un blanc en Afrique. » Le Président Moi, en parfait homme d’État, fut attentif et promit de faire son possible quand il rencontrerait les Chefs d’État africains à leur prochaine réunion de l’OUA à Maurice. On nous prit tous en photo dans la cour de la State House et, à la grande surprise de mon personnel chez moi, on me vit ce soir-là à la télévision aux côtés du Président Moi. QM tint ensuite quelques briefings avec des représentants d’organismes humanitaires et de conservation travaillant au Congo oriental, donna une conférence de presse et une interview et dîna avec son équipe. Le rythme ne ralentit jamais, mais QM ne montra presque jamais de traces de fatigue. J’étais débordé par les appels, les demandes et les décisions à prendre. Notre équipe venait à peine de se former, nos chances de succès n’étaient pas très cotées, et nous n’avions pas de fonds : je mis 1 000 $ de notre note d’hôtel sur ma carte de crédit personnelle. Le lendemain matin, nous arrivâmes en avion à Goma, capitale du Kivu du Nord, au bord du lac et au pied des volcans, une ville qui, dans un avenir plus heureux, redeviendrait peut-être un centre touristique important. Une longue rangée de soldats du RCD, de leaders et de dignitaires locaux attendait en grand apparat de nous accueillir. QM dut dire quelques mots à la presse avant que nous ne soyons de nouveau emportés à grande vitesse dans un autre convoi, sous escorte armée, au modeste mais confortable hôtel Ishango. Nous y rencontrâmes un officier britannique robuste et cordial, le colonel Jim Baxter, qui faisait office de commandant intérimaire des forces de MONUC en attendant l’arrivée d’un général africain. Nous bavardâmes, déjeunâmes et nous reposâmes avant d’être de nouveau emportés de la même manière, cette fois au palais de Mobutu – le Musée – au bord du lac, où, dans une autre vie, j’avais négocié « l’accès humanitaire » avec Laurent Kabila, alors leader rebelle en pleine ascension, et à présent président réfractaire à notre rôle dans son pays.

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Notre manque de fonds avait jusqu’alors exclu l’emploi d’interprètes. J’avais par conséquent demandé que l’on nous en trouvât au moins un à Goma, mais lorsque nous nous retrouvâmes dans le saint des saints, assis à la table en face de ce qui semblait être l’entier leadership du RCD, il était clair qu’aucun interprète n’était disponible. Si mon français est courant, il est loin d’être impeccable et manque sans aucun doute de finesse en comparaison avec la diction élégante et le phrasé très sûr de tout Congolais instruit. Il n’empêche que, pendant les cinq heures qui suivirent, je dus non seulement interpréter ce que QM avait à dire au RCD, mais encore transmettre aussitôt ce qu’on avait à lui dire. Idéalement, les interprètes travaillent par couples, chacun ne traduisant que dans un sens ; ils font également une pause toutes les deux heures. Au bout d’une heure, je commençais à craindre l’effet que mon choix des mots pourrait bien avoir sur les perspectives de paix en RDC. En outre, je ne pus prendre de notes sur ce qui se disait, ce qui eût été fâcheux si ce n’était l’excellente mémoire de notre ancien président et de son collègue, dont la capacité à se souvenir des vues, voire, des paroles exprimées par d’autres longtemps après le fait me laissait toujours le sentiment de ne pas être à la hauteur de ma tâche. À cette époque, en mai 2000, le RCD était dirigé par le Dr Émile Ilunga, mais nous rencontrâmes aussi ses futurs dirigeants, le Dr Adolphe Onusumba et Maître Azarias Ruberwa (actuellement l’un des vice-présidents du gouvernement de transition). Assis de l’autre côté de la table se trouvaient aussi Moïse Nyarugabo, autrefois secrétaire particulier de Laurent Kabila, Bizima Karaha, autrefois son ministre des Affaires étrangères, Jean-Pierre Ondekane, commandant de l’armée, Sylvain Mbuki, chef d’état-major et beaucoup d’autres, dont Joseph Mudumbi, « ministre » de l’Intérieur et Jean-Marie Emmungu, « ministre » de la Justice. Nul doute que nous avions l’attention des cadres supérieurs du RCD. QM expliqua qu’une réunion préparatoire était indispensable, où il faudrait se mettre d’accord sur la représentation des délégués au DIC, choisir le lieu où celui-ci se tiendrait et adopter l’ordre du jour. Un point émergea clairement : le RCD estimait que les préparations devraient être dirigées par les combattants, à savoir le RCD lui-même, le MLC et le gouvernement, et non pas par ces trois conjointement avec la société civile et les partis politiques, qui avaient été introduits 28

à Lusaka par les belligérants dans une tentative d’élargir et de légitimer l’issue du processus.2 Le RCD posa plusieurs questions, nous servit des rafraîchissements et nomma MM. Onusumba, Mudumbi, Ruberwa et Mukalay pour le représenter à la réunion préparatoire. Le RCD nous informa aussi que les réunions que nous avions demandées avec les groupes de la société civile et les partis politiques étaient en cours d’organisation. Nous fîmes une pause, nous promenâmes sur la pelouse où autrefois Mobutu et plus tard Kabila père avaient flâné au bord du lac Kivu, et rentrâmes ensuite à notre hôtel, où un petit groupe d’hommes politiques et d’activistes attendaient de nous rencontrer. Une caractéristique de nos visites, tant à Kinshasa qu’à Goma ou à Gbadolite, était que nous ne pouvions jamais être certains du degré de représentativité réelle de tels groupes : dans quelle mesure les autorités locales avaient-elles bourré la salle de leurs propres partisans ? jusqu’où fallait-il croire ceux qui nous soufflaient dans les couloirs que l’image que l’on nous présentait était fausse ? Seuls ceux qui vivent dans des sociétés en guerre civile savent reconnaître rapidement qui représente quoi : il est impossible aux étrangers de juger à partir d’une brève visite, alors que tout un chacun se précipite pour présenter ses arguments à tout étranger qui veut bien l’entendre. On ne peut qu’écouter ce que l’on vous raconte et réserver son jugement. Ayant été moi-même employé dans un organisme d’entraide en RDC (le Fonds « Save the Children » du Royaume-Uni), je trouvais que ce qui me faisait le plus cruellement défaut était cette modeste compréhension locale qui s’accroît lorsqu’on vit dans une communauté ou qu’on la visite assez régulièrement pour commencer à la connaître. Le lendemain matin nous prîmes l’avion pour Bunia. La dernière fois que j’avais visité cette ville, en aide humanitaire, je m’y étais rendu en voiture au moment où des troupes de l’AFDL, marchant sur Kinshasa, traversaient le pays et qu’un groupe de miliciens appelés Maï-Maï commençait à renouveler ses apparitions dans l’Est. Nous fûmes reçus en grande pompe à l’aéroport par des foules en délire et on nous présenta au leader, le Pr. Wamba dia Wamba, qui avait formé 2

Contrairement aux récentes négociations de paix au Soudan, auxquelles seules les deux principaux belligérants ont assisté.

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le RCD Kisangani en attirant dans son camp ses proches partisans. Il ne m’appartient pas de faire la chronique des péripéties des groupes rebelles dissidents, ni des permutations des milices qui surgirent dans le Nord-Est de la RDC et allaient aboutir à plusieurs reprises au massacre d’un groupe ethnique par un autre, à Bunia et aux alentours, en 2003. Je me contenterai de dire que Wamba dia Wamba paraissait une figure tragique dans la mesure où lui et son bras droit, Jacques Depelchin, étaient des intellectuels et n’étaient pas faits pour la politique. Ils ne pardonnèrent jamais à QM de les avoir exclus d’une réunion des belligérants l’année suivante à Lusaka, mais ils étaient victimes du terrain impitoyable où la politique est exercée par des bandits armés et ils ne manquèrent jamais l’occasion de nous signaler poliment que nous capitulions devant une manipulation menée par des groupes de leurs compatriotes entièrement dépourvus de principes. Toutefois, au point où nous en étions de notre récit, c’était pour eux une aubaine que le Facilitateur eût fait le voyage à Bunia pour entendre leur point de vue. Nous fûmes installés sur une estrade dans la grand-rue pour entendre les discours de leur mouvement et pour permettre à QM de dire ce qu’il avait en tête. Ensuite, on nous conduisit à une maison pour nous reposer et prendre des rafraîchissements prévus par son chef de cabinet, Colette Madishi Ramm, dont j’avais fait la connaissance lorsque j’étais basé à Kinshasa en 1998. On nous conduisit ensuite à ce qu’on aurait appelé, dans un village anglais, une salle des fêtes, où QM expliqua son plan ; nous écoutâmes pendant trois heures et demie les points de vue locaux sur les questions de savoir qui devrait assister au Dialogue et où celuici devrait se tenir. Finalement on nous amena au Club grec de la ville, où nous attendait un buffet copieux. QM et Mogwe étaient ravis qu’on leur servît de la chèvre rôtie ; je découvris que QM était du genre couche-tôt lève-tôt : il quitta la soirée à 21 heures, mais les groupes de la société civile n’avaient pas encore terminé leurs discussions avec nous. Le lendemain matin il nous fallut encore assister à deux réunions – fortifiés par un petit déjeuner abondant et récompensés par un déjeuner servi aussitôt après, le tout prévu par Colette. Nous partîmes après le déjeuner et pendant deux heures nous survolâmes ce qui, du ciel, ressemblait à un plat de brocolis très serrés – la forêt du bassin du Congo, la plus grande qui nous reste sur la planète après la forêt amazonienne.

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À notre arrivée à Gbadolite, autrefois la retraite privée de Mobutu, nous fûmes accueillis par Olivier Kamitatu, affable et hospitalier, fils d’une personnalité bien connue en RDC, à l’époque secrétaire général du MLC et actuellement président de l’Assemblée de Transition. La piste d’atterrissage, qui avait été conçue à l’intention du jet de Mobutu, n’abritait désormais que quelques avions de combat abîmés et un ou deux gardes à moitié endormis. Au petit centre de Gbadolite, des femmes nous saluèrent avec des ululements pendant que la foule nous accueillait avec des danses de bienvenue. Finalement on nous conduisit à un petit pavillon pour rencontrer l’imposant personnage de Jean-Pierre Bemba, actuellement Vice-Président du Gouvernement de Transition, et à l’époque, comme encore de nos jours, figure fort controversée. M. Bemba nous salua chaleureusement, nous reçut à déjeuner, et se réunit ensuite en tête-à-tête avec QM pendant que nous nous dispersions dans les appartements modernes construits pour le personnel de Mobutu au centre de Gbadolite, nous reposions et bavardions avec nos nouveaux hôtes. Puis nous eûmes une longue discussion avec M. Bemba sur les proportions dans lesquelles les groupes congolais devraient être représentés au DIC, ainsi que leur nombre. Il était pour un groupe restreint de 50 délégués (moins du septième du nombre qu’on finirait par admettre à la suite de deux ans de négociations). Il exposa aussi sa vision d’un État congolais fort, centralisé mais équilibré par des responsabilités locales accrues pour chacune des 26 provinces. Le jeune leader rebelle était réfléchi, s’exprimant bien et clairement. Il cultivait une image d’homme moderne, assis entouré d’un fax, d’un téléphone satellite, d’un portable et d’appareils radio. Il était à l’aise en anglais et attentif, à la manière africaine, aux besoins de son aîné, QM, qui était logé dans la même villa que son hôte. Cette prévenance ne s’étendait toutefois pas jusqu’à Malatsi, qui passa une nuit peu confortable à assurer son rôle de garde devant la chambre de son patron, sur un banc de la véranda, piqué par les moustiques, mais trop fier pour s’en plaindre – du moins jusqu’au matin. Le lendemain nous rencontrâmes quinze membres de la direction du MLC, qui nous firent un compte rendu de leurs politiques, des élections qu’ils avaient tenues au niveau des villages et de leurs réussites administratives dans la province où nous nous trouvions, à 31

savoir, Équateur. À midi nous partîmes pour Nairobi, qui est à quatre heures et demie de vol et a, en plus, deux heures d’avance sur le fuseau horaire de Gbadolite. Ayant désormais rencontré les groupes rebelles clés sur leur propre terrain, nous avions largement de quoi réfléchir – ce que nous n’allions pas tarder à faire, car notre patron, contrairement à ses habitudes de couche-tôt, nous convoqua dans sa chambre d’hôtel à 21h30 pour réfléchir encore deux heures à notre visite. De retour au Botswana, nous fûmes happés par un tourbillon de tâches administratives : stage d’introduction pour le nouveau personnel, négociations relatives à l’accès au jet de MONUC utilisé par le SRSG à Kinshasa, calcul de nos besoins financiers immédiats, négociations avec une délégation de USAID et étude d’une offre du gouvernement du Bénin d’accueillir la réunion préparatoire dans ce pays. L’offre nous parvint par l’intermédiaire du professeur Albert Tevoedjre, alors haut fonctionnaire de l’ONU retraité, ancien ministre et personnalité connue, plus tard UN SRSG en Côte d’Ivoire. Il nous proposait son aide pour organiser la réunion préparatoire à Cotonou, capitale du Bénin. Notre première épreuve se profilait.

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CHAPITRE II UN CONTRETEMPS À COTONOU ET UNE OFFRE DE BRUXELLES

Réunion préparatoire du Dialogue intercongolais : le Gouvernement Kabila refuse d'aller à Cotonou. En effet, la position du Gouvernement de Kinshasa a été exprimée hier par M. Yerodia, Ministre d'Etat chargé des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale. D'après Yerodia, le Gouvernement auquel il appartient n'a pas été associé à la préparation de ces assises. Kinshasa dit n'avoir même pas été contacté au sujet de la date et des participants à ce forum. Le Chef de la diplomatie congolaise a aussi exprimé sa propre réticence à rencontrer les envoyés des différentes factions rebelles. À cet effet, il a dit : « Je me vois très difficilement assis à la même table que des gens qui perpètrent des massacres ou permettent que ces massacres se perpétuent ». Il faisait ainsi allusion aux tueries de Makobola, Walikale, Kasika et Katogota, imputées aux rebelles du Rcd et à leurs alliés rwandais. Toutefois, le Ministre Yerodia a tenu à spécifier que les autorités congolaises restent favorables à l'Accord de Lusaka et au Dialogue intercongolais. (LA TEMPÊTE, 21/5/01) Tandis que j’étais de retour au Botswana, QM avait enfin réussi à parler au gouvernement ainsi qu’à des partis politiques et à la société civile à Kinshasa, mais il n’avait pas pu voir le Président Kabila. Il avait cependant laissé à l’intention des groupes représentatifs des invitations à la réunion préparatoire qui devait se tenir à Cotonou du 5 au 7 juin 2000. On ne savait toujours pas qui exactement voudrait bien financer cette réunion, mais nous étions en pourparlers constants avec les États-Unis et le Canada pour établir ce que leurs procédures permettaient ou ne permettaient pas. (L’une des limitations imposées sur les fonds américains interdisait, par exemple, l’emploi de l’argent du contribuable américain pour financer les déplacements en avion, partout en Afrique, de groupes d’opposition armés.) Le Pr. Tevoedjre avait fait les réservations nécessaires à l’hôtel Sheraton de Cotonou ainsi qu’au centre de conférences où se tiendraient nos assises. À l’exception du gouvernement, qui ne nous avait pas encore répondu, 33

nous savions déjà que toutes les parties seraient présentes. Nous avions même la liste dite « du whisky », où figuraient les noms des personnalités attendues. Il ne s’agissait nullement des circonstances dans lesquelles les noms avaient été retenus, mais bien d’une allusion à l’effet produit sur les papiers de M. Mogwe par une bouteille de whisky qui s’était cassée dans ses bagages pendant le vol de retour de la RDC. C’était un document indispensable. Le 30 mai je reçus un appel de Kinshasa. Le gouvernement « ne pouvait s’asseoir à la même table que ceux qui étaient sponsorisés par des puissances étrangères afin de tuer des Congolais » – ce malgré le fait que c’était exactement ce que le gouvernement avait fait l’année précédente pour créer l’Accord de Cessez-le-feu de Lusaka. Gilbert Motsemme et moi-même rencontrâmes QM le soir même. (M. Mogwe était en visite en Angola et en Namibie pour informer les gouvernements de nos plans, puisque eux aussi étaient signataires de l’Accord de Lusaka et avaient des troupes sur le terrain en RDC pour soutenir le gouvernement congolais.) Ce qui nous incitait à poursuivre le projet était que : les préparatifs étaient déjà faits ; une telle réunion aurait au moins l’avantage de clarifier les positions ; et elle pouvait toujours servir de tremplin pour une réunion complète. On pouvait citer comme contre-arguments que : le gouvernement ne voulait manifestement pas être associé à la réunion préparatoire et pourrait empêcher d’autres d’y assister ; les invitations n’avaient pas encore toutes été reçues (les liens avec la RDC – par fax, courrier électronique et téléphone – étaient toujours incertains) ; et nous n’avions pas encore de donateur confirmé pour prendre en charge les frais, bien qu’il y eût désormais des promesses de 30 000 $ de l’ONU et de 35 000 $ des États-Unis. Après mûre réflexion, QM décida de prendre le risque et de continuer. Nous ne réussîmes jamais à négocier l’emploi d’un des avions de la MONUC, aussi affrétai-je un vieux Lear Jet pour emmener QM et son équipe à Cotonou. Si nous avions pris une ligne commerciale, nous aurions dû passer par Paris ou Accra et le voyage aurait pris plus d’une journée entière et coûté plus qu’un vol charter direct. Pendant que nous nous ravitaillions en carburant à l’ancienne base de défense sud-africaine à Ondangwa, dans le Nord de la Namibie, avant de traverser l’Angola et de nous engager dans le golfe de Guinée, QM nous raconta calmement comment, une fois, son avion avait été abattu 34

par l’armée de l’air angolaise alors qu’il survolait l’Angola. L’avis de survol n’avait pas été reçu et un missile lancé par un MiG avait emporté un moteur d’une des ailes de l’avion. Le pilote n’en avait pas moins réussi à atterrir. En débarquant de l’avion abîmé sur la terre ferme, QM se félicitait de s’en être tiré à si bon compte lorsqu’il s’aperçut que ses chaussures étaient remplies de sang. Un éclat d’obus avait traversé le dossier de son fauteuil pour venir se loger entre ses omoplates, blessure dont il lui arrive de souffrir encore aujourd’hui. Nous consultâmes notre pilote pour nous assurer que tout le nécessaire avait été fait pour obtenir l’autorisation d’entrer dans l’espace aérien angolais et décollâmes pour Pointe Noire au Congo, où nous reprîmes du carburant – et un bon café – avant d’atterrir à Cotonou en début de soirée. Bien entendu nous n’avions pas eu le temps de demander ni d’obtenir des visas, mais nous voyagions maintenant en compagnie d’un ancien chef d’État et les formalités furent prises en main par d’autres, pendant que nous nous détendions avec le Pr. Tevoedjre dans le salon d’honneur. QM adressa quelques mots à la presse et un convoi de Mercedes nous conduisit à notre hôtel. À l’hôtel QM réexamina la situation avec nous avant de nous laisser aller prendre un repas tardif et bavarder avec Howard Wolpe et Doug Scrafton, envoyés extraordinaires des États-Unis et du Royaume-Uni, qui dînaient à la terrasse et étaient venus prêter leur soutien moral à la première réunion en bonne et due forme du processus. Amama Mbabazi, à l’époque ministre ougandais de la Coopération régionale, actuellement ministre ougandais de la Défense, s’y trouvait aussi ; il était arrivé aux côtés de Jean-Pierre Bemba, ce qui confirma aux yeux de nombreux Congolais que Bemba était plus pantin que patriote. L’envoyé de l’UE, Aldo Ajello, était également présent ; ancien officier du PNUD, il s’était distingué en tant que UN RSSG (Représentant Spécial du Secrétaire Génerale) au Mozambique, où un processus tout aussi agité et aléatoire avait été mené à bien sous sa direction. La difficulté pour lui, pendant toute la durée des négociations dont la RDC allait faire l’objet, était que son statut était celui d’un envoyé, d’un observateur, et non d’un participant, ce qui demeura pour lui une frustration visible durant les trois années où nous le côtoyâmes. Le lendemain nous vit dans une frénésie de dispositions réajustées, de garanties renouvelées à l’hôtel que nous avions de quoi régler la 35

note, de réunions d’équipe, de coups de téléphone et de discussions au sujet de la réunion elle-même : la forme qu’elle prendrait, l’ordre du jour, le nombre précis de participants… Le gouvernement était soumis à des pressions pour changer d’avis, le MLC fut retardé, nous avions complètement perdu le contact avec le RCD et Wamba dia Wamba avait du mal à sortir de Bunia. Par ailleurs, une délégation se pointa sous la direction d’un colonel qui prétendait être le commandant en chef de l’Union des Nationalistes républicains pour la Libération du Zaïre, UNAREL, constituée en grande partie, d’après nos analystes, de membres des anciennes forces armées du Zaïre et de la garde présidentielle de Mobutu. QM se montrait d’une courtoisie inébranlable envers tout Congolais qui cherchait à le voir – après tout, ils lui avaient confié un rôle clé dans leur destin national – mais nous ne pûmes les admettre à nos réunions, pas plus que les représentants de la diaspora qui nous abordaient dans les couloirs, malgré l’insistance des uns et des autres sur le fait qu’ils étaient citoyens congolais et qu’ils avaient le droit de participer à toute réunion concernant le Congo. Quelles que fussent leurs réclamations, ils n’avaient pas été parties prenantes dans l’Accord de Lusaka. Le premier jour de la réunion arriva. Mais pas le gouvernement. Le RCD, lui, arriva, mais avec un membre supplémentaire dans sa délégation, tactique courante chez toutes les parties et à laquelle nous nous habituâmes au cours des années à venir. QM s’entretint avec Kofi Annan et son RSSG à Kinshasa, Kamel Morjane, qui tenait prêt un avion pour amener les représentants du gouvernement de Kinshasa et s’employait à les persuader d’en profiter. Pendant ce temps, en RDC, les armées ougandaise et rwandaise s’affrontaient à Kisangani, épisode honteux qu’aucun intérêt national ni de faction ne pouvait justifier – la population civile en souffrit atrocement. Nous poursuivîmes et, avec M. Akindes, ministre béninois des Affaires étrangères, ouvrîmes la réunion. Bien que j’eusse demandé des interprètes et que nous en eussions engagé un, Jacques Edjangue, pour accompagner QM, le personnel envoyé par l’ONU s’avéra être des secrétaires bilingues, non des interprètes professionnels. Je me retrouvai donc sur l’estrade, avec cinq minutes de préavis, à essayer de rendre dans un anglais acceptable le discours d’ouverture du ministre des Affaires étrangères, au fur et à mesure qu’il le prononçait. Une de ses phrases me désarçonna complètement, alors j’inventai quelque chose qui voulait transmettre un sentiment au diapason de la 36

teneur du discours et poursuivis vaille que vaille. Personne ne se plaignit, mais l’expérience me rappela que nous ne pouvions nous permettre de fonctionner encore longtemps sans des services adéquats de traduction et d’interprétariat. Malheureusement il nous manquait toujours les fonds nécessaires pour garantir un poste à quiconque et nous dûmes nous contenter d’engager quelqu’un à la journée : Jacques Edjangue. (Sa principale fonction était de rendre en français les énoncés de QM, non d’interpréter en anglais les discours prononcés en français.) Au sortir de l’ouverture officielle, nous passâmes dans une salle plus petite avec le RCD et le MLC. Nous avions réussi à trouver, dans l’intervalle, deux traducteurs et l’Ambassadeur Ki Doulaye, observateur de l’OUA, s’était joint à nous. Nous échangeâmes des idées quant à la voie à suivre. Les rebelles firent une déclaration conjointe dénonçant l’absence du gouvernement. Nous apprîmes ensuite que les représentants de la société civile et des partis politiques de Kinshasa avaient été obligés de débarquer de l’avion à l’aéroport ; des fonctionnaires leur avaient confisqué billets et passeports. Dans les circonstances, nous fîmes la seule chose possible – nous déclarâmes la réunion close. Nous nous dirigeâmes ensuite vers le restaurant de l’hôtel pour dîner ensemble sans cérémonie. Cela détendit nos futures relations avec les rebelles mais ne fut d’aucun secours pour aborder la difficulté qui nous confrontait désormais : le gouvernement de la RDC ne voulait rien avoir à faire avec nous ni avec le processus de Lusaka. Nous passâmes une journée agitée à nous dégager des ruines de la réunion et à composer un communiqué de presse et une lettre de QM aux chefs d’État signataires de l’Accord de Lusaka, leur expliquant ce qui venait de se passer. Nous partîmes ensuite pour Bruxelles en passant par Lagos et Paris. À Paris nous nous séparâmes de M. Mogwe, qui se dirigeait vers la Libye pour en savoir plus long sur l’offre d’aide que nous avions récemment reçue du gouvernement de ce pays. (Nous manquâmes nous séparer également de QM lorsqu’il découvrit par l’intermédiaire des agents de sécurité de l’aéroport que même les anciens chefs d’État n’avaient pas le droit de transporter de canif dans leur trousse de toilette.) À Bruxelles j’obtins un deuxième passeport, mon passeport original contenant des visas datant de mes séjours précédents au Rwanda et au Burundi, ce qui aurait pu fournir 37

au gouvernement de la RDC un prétexte pour me refuser un visa. Nous rendîmes visite à Aldo Ajello, qui partagea avec nous ses vues sur l’impasse, et évoqua notamment une suggestion d’origine angolaise selon laquelle les signataires non congolais de l’Accord de Lusaka devraient rencontrer Laurent Kabila et prendre les dispositions nécessaires pour que celui-ci, sous leur direction, menât un gouvernement de transition. Laurent Kabila ne s’était jamais trouvé sous la direction de qui que ce soit et cette idée, à ce moment précis, n’aurait fait que consolider les lignes de faille congolaises, détruire l’Accord de Lusaka et, sans aucun doute, inciter les rebelles à poursuivre les hostilités. La grande vertu de QM fut que, pendant les trois années à venir, il s’en tint fidèlement au texte qui légitimait sa tâche ; dans les limites de ce texte il agissait selon les principes d’honnêteté et de neutralité : il se distanciait de toute tentative de réécriture des règles du jeu.3 Ensuite nous eûmes une réunion d’information avec une équipe de représentants de l’UE et aussi plus tard avec deux diplomates français de l’Ambassade à Bruxelles, à qui QM expliqua de nouveau que nous avions un besoin pressant de recevoir de l’argent dans notre compte à Gaborone, et que nous ne pourrions survivre encore longtemps de promesses. Puis nous rencontrâmes le Pr. Weiss, éminent historien américain spécialiste du Congo, que nous espérions inclure dans une équipe discrète pour conseiller QM, au besoin et à l’occasion, sur le Congo. Le lendemain matin nous nous réunîmes pour la première fois avec un autre européen frustré par l’absence d’un rôle spécifique pour lui ou son pays dans la mise en œuvre de l’Accord de Lusaka, à savoir le ministre des Affaires étrangères et Premier ministre adjoint de la Belgique – actuellement Commissaire européen à la Coopération au Développement : Louis Michel. Une petite digression quant au rôle joué par le Congo dans la vie publique belge s’impose : je pense que la Belgique est le seul pays d’Europe où le sort d’une ancienne colonie continue à avoir un impact considérable sur la politique au niveau national. La France défend évidemment avec vigueur ses intérêts commerciaux en Afrique et le Royaume-Uni a gagné quelque crédit par suite de son intervention 3

à une exception près, plus tard, dans l’affaire de la représentation au Dialogue des Maï-Maï et de la Diaspora congolaise ; nous y reviendrons.

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énergique en Sierra Leone, mais l’Afrique a cessé désormais de compter aux yeux des électorats européens, à tel point que le Premier ministre britannique a pris sur lui-même de rétablir l’équilibre en déclarant l’Afrique une préoccupation clé pendant son mandat de Président du G8 et de l’UE en 2005. La Belgique est encore aux prises avec son passé et Louis Michel lui-même devait plus tard s’excuser auprès du peuple congolais, au nom de la Belgique, du rôle de son pays dans l’assassinat de Patrice Lumumba, premier dirigeant du Congo indépendant. La Diaspora congolaise était très visible à Bruxelles, les événements au Congo défrayaient la chronique dans les médias nationaux, beaucoup de Belges vivaient encore en RDC ou y avaient de la famille, beaucoup de Congolais instruits avaient fait leurs études en Belgique et la Belgique, toujours investisseur de taille au Congo, était par ailleurs fort bien informée des dessous de la politique congolaise. Le ministre des Affaires étrangères savait tout cela, voire, il en savait certainement beaucoup plus long sur le Congo que nous tous réunis. Il voulait que la Belgique joue un rôle constructif. Seulement, il ignorait quel était ce rôle. Louis Michel, tout comme Aldo Ajello, allait apparaître maintes fois dans nos délibérations en tant que représentant d’une partie prenante trop importante pour être ignorée, étant l’un des financiers du processus, mais partie frustrée aussi par la lenteur des progrès, agacée par le style humble et la démarche modeste de QM, et manifestement mécontente la façon générale de procéder. Notre première réunion eut lieu dans la splendeur d’une salle de réception du ministère des Affaires étrangères ; assis dans des fauteuils élégants, nous prîmes le café dans de la porcelaine fine en compagnie du ministre, de son chef de cabinet, M. Champenois, de son ambassadeur en RDC, M. de Koning et de son directeur pour l’Afrique, Paul van Goethem. QM passa en revue la suite des événements qui nous y avait conduits et fit état de son désir de tenter une deuxième réunion préparatoire le mois suivant. Le ministre tira sur sa pipe, réprimanda l’un de ses collègues d’avoir laissé sonner son téléphone portable et promit d’essayer de persuader Laurent Kabila de coopérer, lorsque lui-même et le Premier ministre se rendraient à Kinshasa, dans vingt jours, à l’occasion du 40ième anniversaire de l’indépendance du Congo. Aucun de nous n’ignorait que les hostilités à Kisangani entre les armées de l’Ouganda et du Rwanda arrangeaient 39

Kabila, qui prétendait n’être qu’une simple victime de l’agression étrangère : si les agresseurs étrangers voulaient bien partir, lui et son parlement nouvellement nommé dirigeraient tout processus nécessaire au rétablissement de la souveraineté nationale et convoqueraient un DIC à Kinshasa. Il voulait retenir le contrôle. Notre avis, en revanche, était que Laurent Kabila avait là une occasion précieuse de se légitimer, non seulement en tant que l’homme qui avait renversé Mobutu, mais encore comme celui qui acceptait le DIC, dont il pourrait émerger comme le seul leader crédible d’un éventuel gouvernement de transition. Il ne le voyait manifestement pas du même œil et refusait de coopérer Nous quittâmes le bureau de Louis Michel et nous rendîmes tout droit à celui du ministre de la Coopération au Développement, Eddie Boutmans, pour nous inquiéter de ce qu’il était advenu de la promesse belge de soutien financier. Le ministre nous réserva un accueil chaleureux – pas de costumes-cravates en vue – et on nous servit du jus de fruit « libre échange » dans des gobelets jetables disposés sur une table en formica. J’étais sorti du monde de la diplomatie pour me retrouver momentanément dans celui du « development-set ». La promesse belge de fonds n’avait pas encore été honorée. On nous assura qu’elle le serait. Plus tard nous rencontrâmes deux éminents érudits belges, Filip Reyntjens et Gauthier de Villars, spécialistes du Congo, avec qui nous discutâmes la possibilité de mettre à notre disposition un petit groupe d’experts, comme eux, pour nous conseiller à l’occasion. Nous préparâmes aussi QM à répondre aux revendications des membres de la diaspora, qu’il allait rencontrer le lendemain. Les membres de la diaspora se réunirent en masse, comme prévu, et se tassèrent dans une salle de réunion de l’Ambassade du Botswana. L’Ambassadeur, M. George, et son personnel s’étaient montrés extrêmement serviables en s’occupant des préparatifs, bien que notre irruption en surcharge dans leur emploi du temps dût être inopportune à plus d’un titre. Partout où nous allions, pour peu qu’il y eût une Ambassade du Botswana – Bruxelles, Londres, Washington, Pretoria et aussi, lors de notre mission au siège de l’ONU, New York – les diplomates du Botswana et leur personnel de soutien nous accueillaient, nous transportaient et s’occupaient généralement de 40

nous. Les Batswana protégaient leur ancien président ainsi que nousmêmes, ses aides, avec une sollicitude exemplaire – un jour une hôtesse de la compagnie aérienne nationale m’enjoignit même, au moment où nous embarquions à bord de son appareil, de prendre soin de leur ancien dirigeant – ; ils voulaient que QM leur revînt sain et sauf et avaient peur qu’il eût été entraîné dans un imbroglio où le Botswana n’aurait pas dû être mêlé. Je doute fort qu’il y ait beaucoup d’électorats qui soient si attachés à leurs anciens présidents. Les membres de la diaspora, exilés de leur propre pays de force ou de plein gré, étaient exigeants. Pendant trois heures ils se plaignirent à QM de leur exclusion du processus de paix et exaltèrent la contribution qu’ils feraient à sa mise en œuvre. Ils étaient prolixes et se répétaient. Je fis de mon mieux pour les traduire équitablement, car, même dans cette cité polyglotte, ma demande d’interprète s’était soldée par un nouvel échec. Le Facilitateur facilita. Il fut courtois, répondit aux questions sans céder de terrrain. Ce n’était pas lui qui les avait exclus, mais bien leurs compatriotes. (Personne ne pouvait amender l’Accord sans convoquer un sommet de tous les signataires, ce qui n’était envisageable qu’en cas d’effondrement imminent, stade que nous n’avions pas encore atteint.) S’ils voulaient être représentés au Dialogue, ils devraient figurer sous la rubrique d’un des groupes armés, ONG ou partis politiques. Il ne pouvait y avoir de représentation séparée pour la diaspora congolaise. Ce message de QM ne leur plut pas, mais je compris que ce vieil homme politique avait au moins réussi à ne pas aliéner ces représentants fiers et sensibles d’une nation humiliée. Un autre personnage fier et sensible se joignit à nous au déjeuner. Il nous avait été recommandé par Boutros Ghali à l’Organisation internationale de la Francophonie : le Pr. Mohamed el Hacen Ould Lebatt. Homme de droit et érudit, bilingue arabe-français, cet ancien ministre des Affaires étrangères de la Mauritanie était alors engagé dans un travail universitaire au Canada. Il avait été aussi observateur officiel aux négociations de paix du Burundi et observateur électoral auprès de l’OIF. Il avait toutes les qualités d’un futur directeur de notre bureau de Kinshasa, d’un plénipotentiaire pour représenter QM en RDC. Peut-être était-il la personne tout indiquée pour montrer au monde francophone incrédule que notre personnel n’était pas entièrement constitué d’anglophones monoglottes ayant une 41

expérience limitée de la filière hiérarchique, de l’étiquette et du protocole qui régissent encore la diplomatie de ce monde-là.4 Quand QM nous taquina en disant que le processus semblait dépendre encore de mes quelques pauvres mots de pidgin ou « français de cuisines », le Pr. Lebatt affecta d’être choqué et répliqua qu’il ne saurait dire – n’ayant « jamais mis les pieds dans une cuisine ». Il nous parut l’homme idéal pour tenir tête aux classes politiques congolaises avec leurs dures exigences, mais, pour l’instant, QM voulait encore réfléchir à la question de sa représentation en RDC ; par ailleurs, il y avait d’autres candidats. Nous décidâmes de rester en contact, puisque nous ne savions toujours pas si et quand Laurent Kabila consentirait à ce que nous reprenions les pourparlers avec son gouvernement et, à plus forte raison, à ce que nous envoyions un représentant de haut rang à Kinshasa. Notre autre compagnon au déjeuner était Kapembe Nsingo, un Zambien à la voix grave qui, de fonctionnaire de l’administration de son pays, était sorti du rang pour devenir ministre, conseiller du Président Kaunda et plus tard Ambassadeur auprès de l’UE. Il était prêt à nous être utile dans la mesure du possible, à partir de l’African Renaissance Institute au Botswana, dont il était le fondateur. Nous l’engageâmes comme consultant plutôt que comme employé et fîmes appel à ses services de temps à autre dans plusieurs domaines de la préparation et de la conduite du Dialogue.

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De nos jours, diplomates et fonctionnaires anglophones usent rarement, à ma connaissance, de la formule « Excellence » pour s’adresser à quelqu’un ; ils s’appellent volontiers par leur prénom et minimisent délibérément les différences de rang.

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CHAPITRE III LE PRÉSIDENT KABILA SE RETRANCHE

KINSHASA, le 11 juillet (Reuter) – Les Nations Unies ont déclaré mardi être préoccupées par les violations du cessez-le-feu en République démocratique du Congo et par le retard pris par le processus de paix durant sa première année d’existence. « L’impasse où se trouve le dialogue intercongolais, et les menaces qui continuent de peser sur un cessez-le-feu fragile, sont un sujet de grande inquiétude », a annoncé dans un communiqué la Mission d’observation militaire des Nations Unies au Congo, MONUC. Le communiqué a été publié un jour après le premier anniversaire de la signature de l’Accord de Lusaka (Zambie) par les six pays impliqués dans la guerre. Des rebelles ont adhéré l’an dernier en août à l’accord de paix, qui a marqué la fin officielle d’une guerre commencée en 1998 lorsque des rebelles soutenus par le Rwanda et l’Ouganda se sont soulevés contre le Président Laurent Kabila. Mais l’accord n’a pas réussi à arrêter les combats malgré des cessez-le-feu renouvelés, dont le dernier en date est entré en vigueur le 14 avril. L’accord prévoyait le déploiement d’observateurs de l’ONU ainsi qu’un dialogue sur l’avenir politique du Congo, qui est bloqué depuis juin, quand Kinshasa a rejeté le facilitateur convenu, l’ancien président botswanais, Ketumile Masire. Le ministre congolais des Affaires étrangères Yerodia Abdoulaye Ndombasi a dit lundi que la présence de Masire au sommet de l’Organisation de l’Unité africaine (OAU) cette semaine au Togo était une des raisons pour lesquelles le gouvernement de Kinshasa avait décidé de boycotter la réunion. Yerodia a ajouté que le boycott voulait être aussi un signe de solidarité avec l’Angola, l’allié de Kinshasa dans la guerre du Congo, qui boycottait le sommet de Lomé à cause du soutien prétendument accordé aux rebelles angolais par le président Togolais, Gnassingbe Eyadema. Kabila et les autres signataires de Lusaka ont approuvé en décembre la nomination de Masire comme facilitateur du dialogue, mais les relations de Masire avec le gouvernement se sont vite dégradées et l’ancien président botswanais a accusé Kinshasa de l’avoir empêché de se déplacer à l’intérieur du 43

Congo. Après avoir boycotté une réunion préparatoire avec les représentants rebelles en juin au Bénin en vue de planifier le dialogue, le gouvernement de Kabila a retiré sa confiance en Masire et annoncé qu’il voulait que l’OUA nomme un nouveau facilitateur, en accusant Masire d’avoir outrepassé son mandat et de ne pas être impartial. Des diplomates du Conseil de Sécurité ont déclaré après une réunion d’information vers la fin juin que l’OUA était contre la nomination d’un nouveau médiateur et voulait que Kinshasa règle ses différends avec Masire. le 11 juillet 2000 Dès notre retour au Botswana, QM informa la communauté diplomatique de l’échec de notre réunion à Cotonou et de l’écart entre les promesses de financement reçues et nos recettes effectives. Malgré l’aide fournie par le Royaume-Uni, les USA, l’ONU et le Canada pour régler nos factures, malgré le crédit que nous accordait le gouvernement du Botswana (environ 120 000 $), malgré les promesses que nous serions financés et malgré les contrôles très stricts en vigueur, nous n’avions toujours pas d’argent dans notre compte. QM avait établi un compte qui était sous le contrôle du ministère botswanais des Finances et était soumis à l’audit par le commissaire aux comptes de ce ministère, si bien que nous ne pouvions même pas libeller nos propres chèques : il fallait qu’ils soient signés par le premier fonctionnaire des finances du gouvernement. Cette procédure s’avéra encombrante, mais elle signifiait aux yeux des donateurs que toute dépense de fonds était surveillée par le gouvernement botswanais lui-même. (Dans les marchés des obligations mondiaux, le Botswana a reçu une cote de crédit « Triple A » – plus élevée que celle du Japon. Par ailleurs, à l’index mondial de la corruption, le Botswana figure à une position plus favorable que celle de l’Italie.) Un des problèmes que nous avions avec nos bailleurs de fonds était que plusieurs d’entre eux étaient non seulement financiers du processus mais aussi directement concernés par son issue, que ce fût en raison de pressions exercées par d’anciens ou d’éventuels investisseurs dans la RDC ou en raison de préoccupations concernant le coût et la disponibilité de troupes adéquates à déployer comme forces de maintien de la paix. Ainsi, trois d’entre eux, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, étaient membres permanents du Conseil de Sécurité et l’un d’entre eux, la Belgique, était l’ancienne puissance coloniale. Au sein de l’UE – notre donateur le plus important pendant 44

les deux premières années – quelques fonctionnaires estimaient manifestement que l’Union devrait avoir un poids plus important dans le processus. Plus tard, à mesure que l’Afrique du Sud assumait un rôle plus proéminent, des voix s’élevèrent pour clamer que l’Afrique du Sud, elle non plus, n’était pas entièrement désintéressée : ses sociétés minières pourraient tirer un grand profit des minéraux du Congo. De telles pressions font évidemment partie des réalités de la pacification dans le cadre où nous opérons aujourd’hui. Alors que nous résistions aux suggestions qui ne nous semblaient pas cadrer avec notre mission, il était en même temps manifeste que nous ne réussissions pas à inspirer confiance. Je rédigeai donc une définition d’emploi pour le poste de « directeur des relations avec les donateurs ». Le gouvernement suédois nous avait proposé de l’aide au niveau du recrutement, et ce fut ainsi que nous nous assurâmes les services de Bo Heineback, ancien Ambassadeur de Suède au Zimbabwe et, plus tard, pendant six ans, représentant de la Suède en Afrique du Sud. Bo avait commencé sa carrière au Katanga, dans les forces de maintien de la paix envoyées par l’ONU au Congo en 1962. Il comprenait bien la politique de l’Afrique australe et c’était un homme d’une probité, d’une diplomatie et d’un bon sens irréprochables. Il établit des relations avec un groupe de donateurs qui en compta bientôt vingtquatre, leur envoya des rapports mensuels, rédigea ces rapports dans le format qu’ils réclamaient, organisa des audits supplémentaires et les convainquit petit à petit que leurs fonds étaient judicieusement gérés et que toutes les dépenses étaient justifiables. Il ne se bornait pas à se concentrer sur les finances et offrait toujours des commentaires constructifs, lors de nos délibérations régulières, sur la voie à suivre ; il devint un conseiller extrêmement précieux et nous aida à rectifier l’image qu’avaient de nous certains donateurs, qui nous voyaient comme les pilotes d’un vaisseau maudit. Ce fut à ce moment précis que nous fîmes appel à la société Price Waterhouse pour nous détacher un directeur financier, en la personne de Gopi Kumar, un ressortissant indien installé depuis longtemps au Botswana. Gopi nous servit vaillamment pendant trois ans, dans un état de perplexité perpétuelle devant l’évidence que dans le monde de la politique et de la diplomatie il fallait parfois accomplir ses tâches sans passer forcément par solution la moins coûteuse – en opposition 45

totale avec le monde du commerce et de l’industrie, qui lui était plus familier. L’arrivée de Gopi coïncida avec la première tranche d’argent reçue dans notre compte : la contribution de 350 000 $ du gouvernement danois nous parvint début juillet 2000. Nous étions enfin solvables, six mois après le commencement du processus. Notre directeur financier avait désormais quelque chose à gérer. Au moment même où nous nous apprêtions à prendre notre essor au Botswana, le président Kabila ferma notre bureau à Kinshasa. Le 20 juin, notre personnel reçut l’ordre de partir, les portes furent fermées à clé et des agents de police montèrent la garde. Le sort de notre personnel fut notre première préoccupation. Toure était un ressortissant malien employé par les Nations Unies et jouissait ainsi d’un certain degré de protection diplomatique, mais Lola était congolaise et de ce fait susceptible d’être persécutée par ses compatriotes. Un appel de Toure et de l’Ambassade des États-Unis nous rassura sur le sort de notre personnel.5 QM trouva cette fermeture incompréhensible et appela Salim Salim, secrétaire général de l’OUA, et le président Chiluba, Médiateur du processus, pour les mettre au courant. Salim Salim regretta la fermeture, le gouvernement des USA la condamna et le Conseil de Sécurité adopta une résolution en ce sens. Nous en conclûmes que seuls les chefs d’État signataires de l’Accord de Lusaka avaient le poids nécessaire pour faire changer d’avis le président Kabila et remettre le processus sur les rails. Il faut croire qu’ils ont usé de ce poids car, trois jours après avoir fermé le bureau, le président Kabila en autorisa la réouverture. Entre-temps QM lança un processus d’information auprès des chefs d’État africains en allant rencontrer le président Kagame du Rwanda, qui avait récemment tenu une réunion avec le président Kabila au Kenya, le président Chissano du Mozambique et le président Mbeki de l’Afrique du Sud. Il partit ensuite début juillet 2000 pour un sommet de l’OUA à Lomé, passant par Paris à défaut d’un itinéraire plus direct ; mais la RDC, le Zimbabwe, l’Angola et la Namibie choisirent de ne pas y assister. En outre, la réunion sur la RDC prévue à Alger fut annulée peu après son arrivée. Toutefois, cet itinéraire épuisant, qui dura douze jours, ne fut pas une perte de temps totale 5

Toure me raconta plus tard qu’ils étaient pris en filature par des agents de sécurité, que leurs téléphones étaient mis sur écoute et qu’ils craignaient pour leur vie.

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dans la mesure où QM put informer et consulter Kofi Annan, le président Museveni, le président Obasanjo, le président Kagame et son propre président, Festus Mogae. Cela permit aussi à notre équipe de se rendre compte à quel point le président Kabila s’isolait et combien était faible le soutien sur lequel il pouvait compter en cherchant à fuir ses engagements aux termes de l’Accord de Lusaka. La position que le président Kabila avait annoncée le 30 juin, lors de la fête de l’Indépendance, était que, en l’absence d’un DIC, « il n’était pas question de faire attendre la démocratie » et il proposa, comme issue, une Assemblée constituante dont il avait nommé les membres. En fait de démocratie… ! Alors que dans les coulisses on faisait pression sur le président Kabila, nous autres ne pouvions, à ce stade, que nous regrouper et étudier des moyens de ressusciter la réunion préparatoire. Par ailleurs, la situation militaire était très préoccupante : nous assistâmes en juillet à un briefing au South African Institute of Strategic Studies, où nous apprîmes que les belligérants congolais étaient en train de réarmer, malgré l’évidence qu’aucun des groupes n’était capable de vaincre les autres et de prendre le pouvoir. On eût dit que le président Kabila, impuissant à détruire les dispositions de l’accord de cessez-le-feu par la force des armes, essayait d’y parvenir sur le plan politique. Les rebelles, eux aussi, réarmaient et les rapports humanitaires que nous recevions sur la détresse des populations civiles congolaises révélaient une détérioration constante. À peu près à la même époque, l’International Rescue Committee (Comité international de secours) basé aux États-Unis, qui conduisait des programmes dans l’Est du Congo, publia des estimations des effets de la guerre sur le peuple de la RDC, estimations résultant d’une comparaison du taux de mortalité prévu dans des populations comparables avec le taux de mortalité effectif de populations échantillonnées dans l’Est du Congo. Ces estimations indiquaient que le nombre de décès congolais, pendant les deux années précédentes, était de 1,7 millions supérieur au nombre que l’on aurait pu escompter en temps de paix. Les chiffres semblaient indiquer que seuls 200 000 de ces décès étaient imputables au recours aux armes de guerre : le reste résultait de l’effondrement des services de santé et des ressources alimentaires provoqué par la guerre.

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Nous n’étions pas le seul organisme de Lusaka à pâtir de l’intransigeance de Laurent Kabila. Depuis l’assassinat de Lumumba et l’échec de la première mission de maintien de la paix de l’ONU, les Congolais se méfiaient profondément de tout ce qui venait de l’ONU. Nous apprenions à présent que le président Kabila avait demandé à MONUC de cesser ses opérations en RDC et de quitter Kinshasa. Il fallait relancer d’urgence l’ensemble du processus pour éviter que la RDC ne rechutât dans la guerre régionale. Une option était d’inviter les signataires non congolais de l’Accord de Lusaka à constituer un « groupe de contact », qui pourrait étudier des moyens de remettre le processus sur les rails, puisque nous ne pouvions le faire tout seuls, étant donné la position implacable du président à Kinshasa vis-à-vis de QM. La personne tout indiquée pour convoquer une telle réunion était le président Chiluba de Zambie, qui était le Médiateur du processus. Aussi, à la fin juillet, nous fit-on entrer dans le confort colonial d’une petite salle de la State House à Lusaka. La disposition relative du bureau du président et des fauteuils des invités ne laissait nul doute sur qui était aux commandes. Le président Chiluba nous regardait du haut de son bureau pendant que QM résumait la situation. Le président conclut en déclarant que QM devrait rendre visite au président Kabila à Kinshasa avant le prochain sommet de la SADC à Windhoek. Plus tard, dans un tête-à-tête avec QM, le président Chiluba cita le reproche exprimé par Laurent Kabila que QM « s’entourait de blancs ». À ce moment-là j’étais le seul blanc de l’équipe et j’étais à la fois flatté que ma présence fût à ce point mise en valeur et irrité que mes origines pussent jouer contre moi – ce fut d’ailleurs la seule fois que cela arriva, du moins à ma connaissance. De retour à l’hôtel, nous nous réunîmes avec Kamel Morjane, alors SRSG chargé de la MONUC (actuellement Commissaire adjoint des Nations Unies aux Réfugiés, à Genève). Il estimait que l’expérience de l’Angola, lorsque le processus de paix mené par l’ONU s’était effondré et que les hostilités avaient repris, encourageait le président Kabila à s’engager dans la même voie. M. Morjane était d’accord pour admettre que nous avions besoin d’un haut représentant à Kinshasa, mais en nommer un à ce stade-là n’était clairement pas possible. Il avait demandé à l’OUA d’expédier un envoyé à Kinshasa afin d’établir la nature du problème, du point de vue du gouvernement. 48

Nous vîmes ensuite le ministre ougandais Amama Mbabazi, qui était alors président du Comité politique, groupe qui avait pour tâche de surveiller tout le processus du désengagement, du déploiement de l’ONU, du retrait des troupes étrangères et du dialogue politique. Ce comité était constitué de représentants des belligérants congolais et de ministres de chacun des pays qui avaient encore des troupes déployées en RDC, à savoir la Namibie, l’Angola, le Zimbabwe, l’Ouganda et le Rwanda. Amama Mbabazi nous assura que QM avait toujours le soutien de son comité, à l’exception du représentant de la RDC, Yerodia Abdullahi. Puis nous allâmes attendre la convocation de QM : on devait nous faire signe lorsque le Comité politique arriverait au point à l’ordre du jour où QM pourrait venir lui présenter ses vues. Nous étions en plein milieu du dîner à la résidence du hautcommissaire, Caesar Lekoa, lorsque nous reçûmes l’appel. J’estimai que ma présence n’était pas nécessaire et me détendis pendant trois heures avec mes hôtes en attendant le retour des autres. Le lendemain nous rentrâmes au Botswana pour continuer à chercher une issue à l’impasse. Il conviendrait peut-être à présent de dire un mot sur les structures et le contexte dans lesquels nous travaillions. Nous étions un bureau ad hoc, conçu par les signataires d’un accord de cessez-le-feu international qui n’avait pas encore été converti en accord de paix à part entière. En effet, nous ne fûmes jamais dotés d’un quelconque statut diplomatique hormis celui d’avoir pour directeur l’ancien chef très estimé d’un État africain prospère et de jouir plus ou moins du soutien de toutes les parties concernées sauf le président de la RDC. Il existait aussi d’autres organismes créés par l’accord : la JMC était, comme nous-mêmes, une entité ad hoc qui dépendait du bon vouloir des donateurs et du soutien de cette conception amorphe qu’est « la communauté internationale » ; le Comité politique était encore plus ad hoc, si on peut dire, ses réunions étant apparemment davantage déterminées par l’énergie et l’engagement de son président que par un calendrier régulier. Plus gros que tout le reste était – et reste encore – le lourd et encombrant moteur des Nations Unies, la MONUC, Mission onusienne à la République démocratique du Congo. La MONUC était l’un de plusieurs déploiements militaires, politiques et humanitaires massifs entrepris par la Section des Opérations de Maintien de la Paix de l’ONU. La MONUC pouvait 49

dépenser en un an plus d’un demi-milliard de dollars. Nous, en revanche, n’avions qu’une infime fraction d’une telle somme dans notre compte, et nos dépenses, en comparaison, étaient encore plus dérisoires. Nous estimions par conséquent que les critiques que l’on nous adressait de temps à autres sur notre soi-disant prodigalité étaient fort injustes. À ceux qui demandaient si nous ne coûtions pas trop cher, nous soutenions que, si nous réussissions à aider les Congolais à mettre fin aux hostilités et à rétablir leur souveraineté, nous réduirions la nécessité pour l’ONU de dépenser des sommes d’argent aussi énormes. Hélas ! avec le recul, je dirais que nous nous trompions. S’il fut difficile d’amener les Congolais à un accord, combien plus difficile a été sa mise en œuvre. Les structures du soutien international sont à ce jour insuffisantes pour étayer ce qui est à faire. Elles sont de par leur nature même amorphes, non coordonnées et concurrentielles, déterminées autant par des questions de personnalité et d’intérêt que par des besoins et des principes. Dans nos relations avec l’ONU, nous rencontrâmes à la fois un soutien sans concession, une coopération intelligente et une certaine hostilité. De l’ambition à l’engagement, des guerres de coterie à la collaboration, du dévouement à la négligence… nous connûmes tous les degrés. Nous ne faisions pas partie de l’ONU et ne cadrions qu’avec peu de ses systèmes bureaucratiques. Nous n’en étions pas moins obligés de travailler avec elle, et parfois à travers elle ; aussi avions-nous veillé à ce que le personnel de notre bureau de Kinshasa fût constitué d’employés détachés par l’ONU, ne fût-ce que pour que ce personnel à Kinshasa jouît d’une certaine protection diplomatique et entrât dans une structure toute faite, sans que nous eussions à en créer une. L’ONU rémunérait notre personnel de Kinshasa mais, typiquement, ne put jamais m’en préciser le coût total. Le bruit courait que l’on avait offert à l’ONU l’opportunité de diriger les négociations du dialogue, mais qu’elle l’avait refusée, prétextant que l’exercice se solderait le plus probablement par un échec et que, après l’Angola, le Rwanda et la Somalie, elle avait grand besoin de quelques réussites. Quoi qu’il en soit, sans le soutien constant du Secrétaire général de l’ONU et de certains de ses collègues, nous n’aurions pu mener à bien le processus. Hormis l’ONU, nous avions à traiter avec la structure fragile de l’OUA, qui devait bientôt renaître en tant que UA. Nous devions nous 50

occuper aussi du potentiel du groupement régional de la SADC ; de l’implication, favorable ou dubitative, d’une douzaine de présidents africains ; des ambitions de l’UE ; de deux envoyés extraordinaires de la « Troïka » (en l’occurrence de Belgique et des USA) ; d’un envoyé extraordinaire du Royaume-Uni ; et d’innombrables offres d’aide de la part de toutes sortes de groupes de réflexion, de groupes pour la paix et d’exilés. Il nous fallait, d’une manière ou d’une autre, atteler tous ces groupes disparates à notre tâche centrale – et les amener à interagir avec les combattants congolais de telle sorte que ces derniers trouveraient eux-mêmes une issue à la guerre. Comme le fit remarquer QM, nous étions « à la barre d’un bateau délabré, sur une mer indifférente. »

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CHAPTRE IV MASIRE PREND L’OFFENSIVE

RDC : Masire accélérera le processus de paix. Le facilitateur du dialogue intercongolais, l’ancien président botswanais Ketumile Masire, a annoncé une nouvelle tentative pour remettre le processus de paix sur les rails. Un communiqué du bureau du facilitateur, reçu mardi par IRIN, a annoncé que malgré l’hostilité du président Laurent-Désiré Kabila de la RDC à l’égard de Masire, les efforts se poursuivaient pour convoquer le dialogue intercongolais dans le but d’amener toutes les parties à la table des négociations. « Il est temps de continuer nos activités visant à rétablir la paix en RDC, » a dit Masire. « Les efforts du gouvernement Kabila pour lancer un processus politique et militaire parallèle en dehors du cadre de Lusaka vont à l’encontre des objectifs du processus de paix. Au bout du compte, c’est le peuple congolais … qui souffre. » Il a exhorté le gouvernement à revenir au processus de Lusaka dans l’intérêt du pays tout entier. Masire doit visiter les pays donateurs – notamment le Canada, la Grande-Bretagne, la France et la Belgique – la semaine prochaine afin d’informer leurs gouvernements des progrès réalisés jusqu’à présent. Il rentrera ensuite à Gaborone pour faire le point dans une réunion d’information avec la communauté diplomatique et les médias, a précisé le communiqué. (IRIN Update 1024, 3/10/01) Début août 2000, QM alla rendre visite au Président Mkapa de Tanzanie. Il s’employait à organiser des rencontres d’information avec autant de présidents africains que possible ; quand il ne pouvait s’y rendre en personne, il demandait à M. Mogwe de le représenter. La Tanzanie n’était pas signataire de l’Accord de Lusaka ; aussi, du moins au niveau officiel, n’était-il pas nécessaire de consulter son chef d’État. D’autre part, la Tanzanie avait fourni une base à Laurent Kabila dès les débuts de sa rebellion contre Mobutu ; son fils Joseph avait été élevé et éduqué dans ce pays. La Tanzanie partageait une longue frontière lacustre avec la RDC – le lac Tanganyika – et elle abritait, principalement à Kigoma et aux environs, un contingent 53

important de réfugiés de la guerre en RDC. Nos deux aînés, Masire et Mogwe, revinrent de Dar es Salaam quelque peu rassurés. La Tanzanie avait besoin de paix sur ses frontières, et elle n’estimait pas le comportement de Laurent Kabila favorable à la paix. Le Président tanzanien encouragea donc QM à ne pas céder et offrit de faire tout son possible pour l’aider. La prochaine occasion de discuter de la voie à suivre se présenta le 7 août lors de la réunion des chefs d’État de la SADC à Windhoek (Namibie). La SADC montrait une double personnalité vis-à-vis de la crise au Congo. Après l’arrivée au pouvoir de Laurent Kabila, Nelson Mandela avait essayé de lier la RDC à ses voisins les plus stables en l’intégrant dans la SADC. Mais le Président Mugabe du Zimbabwe avait profité de sa présidence du comité de sécurité de la SADC pour envoyer des troupes zimbabwéennes et namibiennes en RDC, afin de soutenir le nouveau président au moment où l’intervention de l’Ouganda et du Rwanda menaçait de le renverser. Les membres de la SADC n’étaient pas tous heureux de cette situation. Et le Botswana n’appréciait pas l’allusion récente de Yerodia Abdullahi à l’ancien chef d’État botswanais, qu’il avait qualifié de plus « complicateur » que « facilitateur ». En réponse, lors de la réunion de la SADC, le Président Mogae et son ministre des Affaires étrangères défièrent apparemment Yerodia lors d’un débat, lui demandant de préciser qui l’avait élu à sa position (ministre des Affaires étrangères) et lui faisant remarquer que s’il était là c’était grâce à l’intervention armée des puissances étrangères dans son pays. Les démocrates africains avaient mis Kinshasa au pied du mur. Il fut convenu que le problème de la RDC méritait son propre mini-sommet. QM se rendit donc de nouveau à Lusaka le 14 août pour être disponible au moment où les chefs d’État de la SADC discuteraient de la RDC. À Lusaka, le Président Kabila suggéra apparemment quatre noms comme remplacement éventuel de QM, à savoir les anciens présidents Kaunda, de Klerk et Diouf et le syndicaliste sud-africain devenu homme d’affaires, Cyril Ramaphosa. Ses pairs le réprimandèrent et même ses alliés ne montrèrent aucun enthousiasme pour un changement de facilitateur. Plus tard QM réunit sa petite équipe : nous devions persévérer. Nous passâmes donc en revue tous les candidats éventuellement susceptibles de pouvoir présider les 54

groupements humanitaire, politique, militaire et constitutionnel que QM estimait nécessaires au sein du DIC pour permettre à celui-ci de répondre à toutes les dispositions de l’Accord de Lusaka. Nous continuâmes à définir nos besoins en personnel, mîmes en place un comité financier et commençâmes à chercher un documentaliste pour s’occuper des médias et mettre en place un site Web. Tandis que QM s’employait à s’assurer du soutien diplomatique de l’Afrique, nous avions peur de négliger la société civile et les partis politiques, qui avaient été spécifiquement désignés comme participants au DIC tant par le gouvernement que par les rebelles. Il existait bien entendu une tension – comme dans tout processus de paix en situation de guerre civile – entre la nécessité de traiter avec ceux qui contrôlaient les forces armées et le besoin d’inclure tous ceux qui restaient dans des groupements non armés. Il n’existe pas de solution parfaite. Les négociations de paix somaliennes récemment conclues au Kenya semblent avoir été relativement inclusives, tandis que le médiateur actuel des pourparlers de paix au Soudan a apparemment jugé que les principaux belligérants devaient se mettre d’accord avant que d’autres intéressés ne soient invités à participer, ce qui a fait qu’un certain nombre de groupes armés ainsi que la société civile et l’opposition politique ont été exclus des principales négociations. Dans le cas de la RDC, les belligérants eux-mêmes avaient inclu les groupes non armés dans les négociations, au moment de conclure l’Accord de Lusaka, mais ils savaient aussi qu’ils étaient eux-mêmes les principales parties à satisfaire et faisaient parfois peu de cas de leurs compatriotes qui n’avaient pas pris les armes. De même, les politiciens congolais se voyaient apparemment supérieurs à ceux qui dirigeaient les organes de la société civile, les organisations non gouvernementales. L’un d’entre eux me fit même remarquer que la société civile était le dernier refuge de ceux qui avaient échoué en politique. De mon point de vue personnel, il ne restait plus un seul vrai homme politique en RDC, dans la mesure où il n’y avait plus eu d’élection après 1962, de sorte que quiconque se prétendait politicien n’avait pu être récemment élu par un corps électoral quelconque et devait bénéficier du soutien d’un patron plus important, ou bien être le représentant autoproclamé d’une ou plusieurs factions. À la décharge de la classe politique congolaise, il faut rappeler que l’acceptation du Président Mobutu à l’extérieur et l’impossibilité de s’opposer à lui à 55

l’intérieur s’étaient conjuguées pour exclure l’éventualité d’élections et par là même l’usage et le développement d’une opposition politique crédible. La Conférence souveraine nationale des années 1990 avait eu pour résultat de diviser la classe politique entre ceux qui soutenaient le président et ceux qui étaient en faveur du changement, ce qui eut pour effet que, pendant un certain temps, il y eut deux gouvernements au Zaïre. Ce fut à ce moment-là que le l’ancien chef de l’un de ces gouvernements fit son entrée dans notre vie. On nous avait demandé si QM voudrait bien rencontrer Kengo wa Dondo, qui avait été autrefois Premier ministre du Zaïre, mais n’avait pas participé à l’Accord de Lusaka. Il vivait alors en exil et, selon les bruits qui couraient, se serait livré à un pillage sans mesure des coffres de la nation, accusation qui s’appliquait sans doute à quiconque avait servi Mobutu. D’autre part, c’était une personnalité politique congolaise ; il avait sollicité une réunion et QM, neutre, tenait à voir tout Congolais ayant des motifs suffisants pour souhaiter un rendez-vous. Le soir de leur arrivée, j’allai accueillir la délégation de Kengo à l’hôtel, comme il se doit. Ils étaient cinq. Tous avaient travaillé dans telle ou telle fonction pour le Président Mobutu et tous respiraient un air de prospérité, Kengo en particulier, impeccable dans son costume immaculé. Ils étaient d’ailleurs bien préparés et expliquèrent à nous autres, intermédiaires ô combien moins élégants, la structuration idéale du DIC selon eux, en nous donnant leurs aperçus sur la question épineuse de savoir comment les Congolais devraient y être représentés. Kengo wa Dondo fit remarquer aussi la distance entre le consensus et l’unanimité, le consensus étant la méthode prévue pour le fonctionnement du DIC. Après des protestations réciproques d’amitié, nous nous quittâmes. Kengo wa Dondo ne devait plus jouer aucun rôle dans notre vie, quel que fût le rôle qu’il se choisit plus tard dans la restructuration du paysage politique de la RDC. Le groupe le plus organisé à s’attribuer le statut d’opposition crédible était l’UDPS d’Étienne Tshisekedi, le sphinx du désert politique, homme plutôt taciturne qui s’estimait au-dessus de la bataille, tel un dirigeant qui attendrait dans les coulisses. Il est vrai qu’il contrôlait un parti qui jouissait d’un soutien considérable, même si d’autres partis contestaient sa prétention d’être le représentant jusque-là le plus légitime et fiable de l’opposition politique en RDC. 56

Lui non plus n’avait pu résister à la tentation de se laisser sacrer Premier ministre par Mobotu moribond, poste qui ne tarda pas à être annulé par l’accession au pouvoir de Laurent Kabila à Kinshasa. Cependant, Tshisekedi avait souffert à cause de ses convictions ; on racontait que son dos avait été marqué au fer aux initiales du parti de Mobutu, le MPR, atrocité qui en dit long sur les dangers courus par l’opposition politique dans l’ancien Zaïre. Alors que nous essayions de trouver des moyens d’interagir avec l’opposition et la société civile, il était évident que, pour l’instant, QM ne pouvait ni retourner à Kinshasa ni même y envoyer un représentant. Pourtant il était important que nous ne perdions pas contact avec les rebelles que nous avions encore récemment rencontrés en RDC et au Bénin. Il fallait qu’ils sachent, de leur côté, que nous n’avions pas renoncé et nous, de notre côté, avions encore besoin de leurs vues pour nous aider à planifier la route à suivre. Il fut décidé que Ten Ten et moi rendrions visite aux MLC, RCD et RCD-Kisangani. (Je le taquinai en disant que nous étions évidemment les membres les plus ‘jetables’ de l’équipe.) Nous avions pour objectifs de garder ouvertes les voies de communication, d’expliquer nos préparations continues en vue d’un dialogue ultérieur, d’étudier les moyens d’aboutir à une participation plus importante de la société civile et de l’opposition non armée, de rencontrer leurs représentants dans la mesure du possible, et d’entendre les vues des rebelles quant à la voie à suivre. Vers le début septembre nous nous rendîmes en avion à Kigali, en passant par Paris. Nous allâmes en voiture de location jusqu’à Goma où nous prîmes un avion humanitaire pour Kinsangani et, de là, nous nous envolâmes pour Gbadolite, où Olivier Kamitatu nous accueillit avec un communiqué de presse annonçant la formation d’un front commun par les mouvements rebelles. Nous n’ignorions pas qu’il y avait à ce moment-là de violents combats à la rivière Ubangui entre le MLC et les forces du gouvernement, malgré l’accord de cessez-le-feu. Nous vîmes aussi les preuves des relations serrées entre Bemba et l’Ouganda lorsque nous rencontrâmes brièvement le général Katumba, un Ougandais chargé des troupes de l’Ouganda en RDC à ce momentlà6. Nous passâmes deux heures avec Jean-Pierre Bemba. Il était au courant des tentatives du gouvernement pour se débarrasser de QM 6

Actuellement chef de la Police ougandaise

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ainsi que des suggestions faites par certains selon lesquelles il faudrait donner à QM un adjoint francophone. À son avis, si QM voulait un adjoint, il n’avait qu’à en choisir un. Quant à lui, il continuerait à soutenir QM dans son rôle de facilitateur. Pour le dirigeant du MLC, il était très clair qu’il n’y avait effectivement que cinq partis politiques sérieux en RDC ; c’était pour cela, disait-il, que la formulation de l’Accord de Lusaka, s’agissant de la représentation au DIC, avait disposé que les représentants proviendraient des « principaux groupes et organisations de l’opposition politique reconnue et représentative ». Il expliqua que la première tâche du nouveau front commun serait d’organiser la coopération politique, avant de procéder à la coopération militaire. Nous prîmes congé du MLC et reprîmes l’avion pour Kisangani, où nous passâmes la nuit au Palm Beach Hotel, bâtisse autrefois confortable mais qui avait subi de graves dégâts au cours des combats récents entre les armées ougandaises et rwandaises. Le lendemain matin nous partîmes en avion pour Bunia, où, entourés d’une stricte sécurité, nous eûmes deux réunions avec le Pr Wamba et Jacques Depelchin, avant d’être installés dans une maison privée. Là aussi un officier ougandais gravitait en marge de nos réunions. Que l’Ouganda eût choisi de soutenir simultanément deux et, plus tard, davantage de factions rebelles dans la même guerre m’échappait et m’échappe encore. Cela n’a réussi qu’à compliquer les choses et à provoquer encore plus de souffrance. Nous fûmes accueillis et traités on ne peut plus courtoisement. Bunia était tendu et tous nos déplacements durent se faire sous escorte armée. Nous communiquâmes nos points de vue et le Pr Wamba parla du besoin d’avoir des principes et une charte pour le peuple congolais. Il suggéra aussi le nom de quelques personnes qui seraient éventuellement à même de présider quelques sections du DIC. (En l’occurrence nous ne pûmes donner suite qu’à une seule de ses suggestions.) Il voulait aussi que des diplomates des États signataires de l’Accord de Lusaka aillent visiter les régions de la RDC tenues par des rebelles. Sur ce point j’étais d’accord avec lui. Il faut du courage à un diplomate pour dire à son gouvernement hôte qu’il se voit comme ambassadeur auprès du pays entier et qu’il se prépare à rencontrer les rebelles dans la partie du pays qu’ils contrôlent. Manquer de faire 58

cela, ou ne pas le faire assez souvent – et c’était, à mon avis, le cas le plus fréquent en RDC – a pour effet que les diplomates résidant dans la capitale d’un État, et se concentrant trop sur celle-ci, ont une perspective restreinte de ce qui se passe dans le pays. Bien entendu, toute visite de ce type peut être interprétée comme un soutien et un encouragement adressés à une rébellion, mais, dans le contexte d’un processus de paix chancelant, il est essentiel que les envoyés professionnels d’autres pays impliqués soient exposés à un point de vue plus large que celui du seul gouvernement. Chose curieuse, notre bureau se trouva devant le dilemme contraire. Nous n’étions pas les bienvenus dans la capitale ; par conséquent, pendant plus d’un an, nous n’eûmes que peu d’occasions de faire connaissance avec les membres du gouvernement, de l’opposition et de la société civile dans les zones contrôlées par le gouvernement, situation que le gouvernement put nous reprocher plus tard quand il s’aperçut que nous avions forgé des relations de travail avec les rebelles. Ce qui faisait, d’ailleurs, partie de notre tâche. Le lendemain matin nous rencontrâmes en même temps des membres du RCD-K et de la société civile. Ils étaient reconnaissants de notre visite, s’étant sentis quelque peu laissés pour compte ; ils réclamaient plus de contact entre les signataires de Lusaka, entre la société civile et le bureau du facilitateur et entre les rebelles et l’opposition politique. Ils voulaient entendre des leçons tirées d’autres procédés de paix comparables et s’inquiétaient de savoir comment, à notre avis, on pourrait convaincre le Président Kabila d’autoriser la reprise du processus. Au retour, Ten Ten et moi prîmes un vol commercial intérieur de Bunia à Goma en passant par Béni. À Béni, une femme blessée dans une attaque récente au bord de la route fut montée à bord de l’avion sur une civière. Elle avait reçu des balles dans la jambe, souffrait beaucoup et ne savait plus comment se mettre, gémissant à chaque mouvement. Sa souffrance nous rappela que nous étions non seulement des envoyés dans un pays agité mais aussi des participants à une longue lutte pour créer un avenir plus stable pour des gens comme elle. J’avais l’habitude de voir des victimes de guerre civile du temps où je travaillais au Soudan, au Rwanda et au Burundi. Pour Ten Ten, qui venait d’un pays stable, sûr et respectueux des lois, c’était une révélation choquante de la réalité congolaise.

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À Goma nous rencontrâmes à nouveau les dirigeants du RCD dans l’ancien palais présidentiel au bord du lac. Moïse Nyarugabo présida. Il expliqua que l’origine de leur nouveau front commun remontait à des réunions tenues deux ans auparavant à Kabale, en Ouganda, sous les auspices du Président Museveni. Il laissa entendre que, tout rebelles qu’ils étaient, ils coopéraient à présent avec la communauté internationale et que c’était le gouvernement qui était en révolte contre la volonté de celle-ci exprimée par l’intermédiaire de l’ONU, l’OUA, la SADC et l’Accord de Lusaka. Lui et ses collègues souhaitaient désormais harmoniser au maximum les positions vis-à-vis des questions à débattre dans les négociations politiques et s’engagèrent à nous envoyer le nom de personnes en mesure, selon eux, de présider le travail des commissions. Ils suggérèrent aussi que le DIC se tînt éventuellement à Maurice, en Afrique du Sud ou en Suisse. Il n’échappa pas à notre attention que ces pays, tous démocratiques, offraient aussi la possibilité d’un cadre très confortable pour des assises qui allaient sûrement durer plusieurs semaines. Ma préférence personnelle allait vers un compromis entre le confort et l’austérité, peut-être un ‘lodge’ dans un parc national, éventuellement au Botswana, de sorte que les installations fussent à la hauteur et les distractions minimales. Je n’eus pas gain de cause, car chaque fois que nous convoquions une réunion, le nombre éventuel de participants au DIC semblait grandir. Après notre réunion, nous nous entretînmes séparément avec deux membres d’un parti qui s’appelait le FRUONAR. Une fois sortis de l’Est, nos contacts congolais nous assurèrent que le FRUONAR n’était qu’un appendice du RCD et une façade pour les intérêts du Rwanda. Nous savions bien entendu qu’il y avait dans l’Est une opposition considérable à l’encontre de la domination du RCD, non seulement parce que ses troupes avaient maltraité la population civile mais aussi à cause d’un soupçon congolais profondément enraciné selon lequel le Rwanda chercherait à annexer les provinces orientales de la RDC. Nous allions mettre un certain temps à établir assez de contacts pour pouvoir commencer à former nos propres opinions. Notre statut de quasi-nouveaux venus était un avantage dans la mesure où nous n'avions pas de préjugés, mais c’était aussi un obstacle dans la mesure où nous avions encore beaucoup à apprendre.

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Sur le chemin du retour vers le Botswana, nous parlâmes avec Patrick Mazimhaka à Kigali. Il était à l’époque le premier conseiller du Président Kagame et dirige à l’heure actuelle la section de l’Union africaine chargée de la résolution des conflits. Lui aussi croyait que des positions communes entre Congolais étaient possibles et qu’il fallait faire valoir l’Accord de Lusaka, au besoin en imposant des sanctions au gouvernement de la RDC. Nous allâmes ensuite à Kampala pour voir Amama Mbabazi, qui nous conseilla de poursuivre nos préparations et de ne pas permettre à Laurent Kabila d’opposer son veto à notre travail. Il expliqua qu’il n’y avait pas encore eu de réunion avec les cinq pays ayant des troupes en RDC, à savoir son propre pays, le Rwanda, la Namibie, le Zimbabwe et l’Angola ; l’élan pour cette réunion avait peut-être été ralenti, disait-il, par l’accession du Zimbabwe à la présidence. Sans une telle réunion, nous sembla-t-il, aucun changement n’était probable. À Nairobi nous rencontrâmes des membres de la communauté humanitaire impliqués dans la région des Grands Lacs, comme on désigne parfois l’ensemble géographique formé par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, à la confusion des visiteurs venus d’Amérique du Nord. De telles réunions nous permirent de garder le contact avec des groupes restés en dehors du processus politique et ayant du personnel sur le terrain en RDC qui était chargé entre autres de rendre compte quotidiennement des effets de la guerre sur le peuple congolais. Dans ce contexte ils demandèrent pourquoi les Maï-Maï n’étaient pas impliqués en RDC. La réponse la plus simple était qu’ils n’étaient pas spécifiquement mentionnés dans l’Accord de Lusaka. Le mot ‘Maï-Maï’ signifie tout simplement ‘eau eau’ en kiSwahili accentué à la manière congolaise. Le nom remontait à la résistance opposée autrefois par la rébellion « Maji Maji » à la domination coloniale allemande dans ce qui fut le Tanganyika au début du vingtième siècle. Des groupes de milices dans l’Est de la RDC – qui s’opposaient tantôt au Président Kabila, tantôt au RCD, aux Rwandais et à d’autres étrangers impliqués en RDC – s’étaient approprié le nom depuis. Ils avaient des commandants locaux mais pas de structures politiques reconnues et se présentaient comme la face locale de la résistance patriotique à l’ingérence étrangère. Inévitablement, certains de ceux qui s’appelaient Maï-Maï usaient de leur pouvoir pour maltraiter leurs concitoyens. Quels que fussent leurs attributs ou revendications, nous finîmes par devoir négocier leur inclusion dans le 61

DIC, d’autant que le gouvernement exerçait sur nous des pressions à cette fin. De retour au Botswana, nous accueillîmes dans l’équipe Bo Heineback et Ten Ten et moi présentâmes à nos collègues un compte rendu de notre visite. Nous apprîmes que le financement de l’UE prévu pour la facilitation avait été bloqué, sans que nous fussions consultés, quelques fonctionnaires ayant déjà décidé, apparemment, que nous ne pourrions survivre à notre exclusion de Kinshasa. Bo allait mettre toute son habilité diplomatique à faire comprendre les défauts d’un tel raisonnement. Nous discutâmes aussi la nécessité pour QM de rendre visite aux « Alliés », comme certains partisans du gouvernement de la RDC appelaient la Namibie, le Zimbabwe et l’Angola, pays qui soutenaient le Président Kabila, à qui QM n’avait pas encore réussi à rendre visite. Nous espérions que le Président Chiluba arriverait à les convaincre d’amener le Président Kabila à réexaminer sa position. Nous décidâmes par ailleurs que QM irait informer et consulter les gouvernements de la France, du RoyaumeUni et de la Belgique au retour d’une visite au Canada qu’il devait effectuer en sa qualité d’ancien président, sans porter la casquette congolaise. Ainsi, le 8 octobre, Dan Sibongo, notre nouveau documentaliste, et moi-même rencontrâmes l’équipe à Londres, où nous prîmes ensemble le train pour Bruxelles par le tunnel sous la Manche. QM et ses collègues nous réunirent pour un briefing sur les discussions cordiales qu’ils avaient eues au Canada, où le gouvernement avait été l’un des premiers à répondre à son appel à l’aide pour mettre son bureau en place. Le lendemain matin nous prîmes un petit déjeuner de travail avec Louis Michel et ses aides dans son élégant bureau moderne au ministère des Affaires étrangères. Nous lançâmes des idées et il se proposa pour essayer à nouveau de convaincre le gouvernement du RDC que l’Accord de Lusaka et le DIC représentaient la seule issue réaliste. Il n’avait réalisé aucun progrès lors de sa visite en juin. Ses fonctionnaires tenaient à organiser des réunions entre Congolais non armés afin de trouver des positions communes pouvant plus tard faire l’objet de débats lors d’un dialogue. Le gouvernement belge essayait d’être constructif, mais de même que tous les autres impliqués jusqu’alors, il n’avait pas trouvé le moyen de faire changer d’avis au Président congolais. 62

QM donna une conférence de presse brève et sans cérémonies au centre de presse international et se rendit aussitôt après à l’ambassade du Botswana pour rencontrer vingt membres de l’opposition non armée – en gros, c’étaient les représentants en Belgique de partis tels que les FONUS, PDSC et UPDS. Ces derniers déclarèrent qu’ils recherchaient des positions communes qu’ils débattraient ensuite dans une réunion séparée avant d’en saisir les groupes armés et d’en faire un compte rendu à QM. Nous étions heureux de recevoir tout ce qui aiderait à démêler l’écheveau complexe de partis et de positions, de failles et de factions. Pendant ce temps, à Bruxelles, nous fûmes assaillis de demandes de réunions supplémentaires, de messages urgents de la part de Congolais prétendant avoir des affaires importantes à discuter avec QM et de mises en garde de la part d’autres Congolais concernant ceux avec qui nous venions de parler. Si tout cela était prévisible, ce n’en était pas moins fatigant et nous fûmes heureux de pouvoir nous dégager de ces pressions pour regagner le train qui nous ramènerait à Londres. Cela vaut la peine d’examiner la position du Royaume-Uni vis-àvis de la RDC. Le Royaume-Uni a peu de liens historiques avec le Congo. Cependant, comme me le reprocha une fois un agent de sécurité congolais à Bukavu, si Stanley n’avait pas rendu au roi Léopold le service d’ouvrir le fleuve Congo, le territoire serait peutêtre resté en paix. Je pus seulement lui répondre que Stanley était un Gallois devenu américain et que, si ce n’avait été lui, on aurait certainement trouvé quelque autre aventurier pour faire la même chose. Les soupçons à l’encontre du Royaume-Uni s’étaient à nouveau enflammés dès le renversement de Mobutu, orchestré par un voisin anglophone resté sous la domination britannique jusqu’en 1962 – l’Ouganda – et un voisin francophone dirigé désormais par d’anciens exilés pour la plupart anglophones – le Rwanda. Pour ne rien arranger, le Royaume-Uni avait ouvert une Ambassade au Rwanda à la suite du génocide, le Rwanda avait demandé à adhérer au Commonwealth et l’anglais avait été admis comme langue officielle après le kinyarwanda et le français. Pour exacerber les inquiétudes congolaises, les hommes chargés de mener le processus de paix – le Président Chiluba et l’ancien Président Masire – étaient anglophones et avaient été jusqu’à placer un Anglais au cœur de l’équipe de QM. (En 2000 nous avions invité aussi bien le gouvernement français que

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le gouvernement belge à fournir du personnel au bureau de QM, mais sans résultat.) Aussi étrange que cela puisse paraître aux personnes de langue maternelle anglaise, qui ont tendance à ne jamais remettre en question la place de leur langue dans le monde, toute diminution du rôle de la langue française constitue aux yeux de ceux qui l’ont en partage un défi politique et diplomatique. La langue française est protégée par l’Académie française avec un zèle qui n’a pas son pareil dans le monde anglophone, où il n’existe pas d’institution exclusivement réservée à la protection de la langue ; les francophones d’Afrique parlent en général un français d’un niveau très nettement supérieur à celui de l’anglais pratiqué par les anglophones d’Afrique. Cette rivalité est évidemment un symptôme de l’influence commerciale et culturelle des puissances européennes dans les pays pauvres. Tout anglophone traitant avec le monde francophone devrait reconnaître cette sensibilité et admettre que ce qui pourrait paraître une bagatelle est une réalité encore très importante. Peter Hain, ministre britannique délégué auprès du ministère des Affaires étrangères, avait bien conscience de cela, j’en suis certain. Quelles que fussent les sensibilités en jeu, il voulait, comme Louis Michel, aider à remettre le processus sur les rails, mais ignorait les moyens d’y parvenir. Nous eûmes une réunion cordiale et déjeunâmes plus tard avec l’Envoyé britannique dans la région des Grands Lacs, Doug Scrafton, la responsable du département des Grands Lacs, Sue Hogwood, et leur directeur Mark Lyall Grant. QM expliqua que seuls les alliés du Président Kabila pourraient lui faire changer d’avis mais qu’ils n’avaient apparemment pas encore décidé de s’y essayer. Il suggéra que les Britanniques parlent à ces alliés ainsi qu’à Kabila luimême, si possible. Nous prîmes ensuite un déjeuner de travail avec les fonctionnaires. Un point qui ressortit clairement était que l’Accord de Lusaka n’était pas bien compris et que sa diffusion était inadéquate ; qu’il serait très utile que ceux qui étaient affectés par l’accord puissent avoir un meilleur accès à ses dispositions, fût-ce par radio ou par voie de presse. Ce point pourrait paraître élémentaire, mais c’est précisément ce type de support pratique qui est souvent négligé dans l’élan général des négociations de paix. De petits exemplaires pratiques avaient été 64

imprimés et diffusés par la Ligue nationale pour les élections libres et équitables, LINELIT, à Kinshasa, grâce à des financements fournis par les États-Unis et le Royaume-Uni, mais il en fallait davantage et on pouvait faire mieux. 7 Plus tard ce même après-midi, nous retraversâmes la Manche en train à destination de Paris, où nous nous installâmes dans un modeste hôtel près de la tour Eiffel. Le lendemain matin nous nous réunîmes avec Boutros Boutros Ghali à l’OIF ; celui-ci demanda à voir QM en tête-à-tête. Il confirma, apparemment, que QM restait inacceptable aux yeux de Laurent Kabila, qui avait également refusé de recevoir un envoyé de l’OIF. Nous nous rendîmes ensuite au Quai d’Orsay pour rencontrer les homologues français des diplomates britanniques que nous avions vus la veille, à savoir MM. Sambrana, Serre, Roisin et Berthoux. Le gouvernement français restait peu enthousiaste à l’égard de QM et de son bureau ; toutefois, leur approche devait changer plus tard lorsqu’un ambassadeur plus positif, Pierre Coulont, ouvrit une Ambassade française au Botswana. Cependant, QM couvrit les mêmes sujets qu’il avait discutés avec Louis Michel et Peter Hain et demanda aux Français ce qu’ils pensaient pouvoir faire pour nous aider. Ils semblaient toujours s’intéresser à la possibilité de trouver un remplaçant à Masire ou bien de lui adjoindre un francophone. QM dit qu’il serait heureux de se retirer si cela changeait la situation, mais suggéra que l’objection du Président Kabila le visait moins lui-même que le DIC. Il affirma avoir fait avancer le processus un peu plus près de sa réalisation et que lui-même représentait une cible plus facile qu’un accord international. M. Mogwe fit remarquer que le retrait de tous les cinq contingents de troupes étrangères en RDC était indispensable pour qu’il y eût progrès vers la réalisation du dialogue. C’était un sujet controversé. En tant que facilitateurs des négociations politiques prévues dans l’Accord, nous estimions que celui-ci engageait toutes les forces étrangères à un retrait simultané. À ce propos, le texte de l’Accord ne faisait aucune différence entre les signataires, quels qu’ils fussent. 7

Finalement la MONUC lança une station de radio en RDC, Radio Okapi, qui réussit à devenir une source d’information, d’entretiens et d’opinions pour la population mal servie par les journaux et les stations de radio existants. (Il y avait à Kinshasa une presse florissante et plusieurs stations de télévision, mais leur portée était limitée aux grandes villes et elles ne brillaient pas par leur impartialité.)

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Plus tard, le Président Kabila et ses sympathisants devaient avancer que les agresseurs étrangers devraient se retirer les premiers, puisque les autres troupes étrangères étaient des « alliés » et des « forces invitées ». Quel que fût le camp où l’on se trouvait, il me semblait que personne n’avait reçu mandat d’inviter ni d’envoyer des troupes étrangères au Congo. Au contraire, l’objet même du cessez-le-feu et de l’opération de maintien de la paix était – si dérisoire que fût l’effectif de celle-ci – d’aider à créer les conditions propices au retrait des troupes, tandis que l’ONU superviserait et créerait l’espace politique pour la négociation. Bien que le gouvernement français ait généralement tendance à prendre le parti des gouvernements en exercice contre les rebelles, de quelque bord qu’ils soient, nos interlocuteurs n’en conclurent pas moins notre discussion en disant qu’ils soutenaient toujours Lusaka et la Facilitation du DIC, mais voyaient difficilement comment, en l’absence de la volonté politique nécessaire, le Dialogue pourrait se réaliser. La personnalité suivante sur notre liste était Abdou Diouf, ancien président du Sénégal. Il avait servi le légendaire Léopold Senghor, premier président du Sénégal indépendant, avant d’accéder lui-même à la présidence ; il avait ensuite pris sa retraite, événement rare au niveau des présidences africaines. Il avait un petit appartement à Paris et disait être très occupé avec ses nombreux petits-enfants, ainsi que l’apprentissage de l’anglais et des technologies de l’information – il n’en avait jamais eu le temps pendant sa présidence. On nous avait dit que son nom figurait sur une liste originale de dix personnes qui avaient été pressenties pour la tâche dont QM se voyait désormais chargé, mais je n’ai jamais su s’il l’avait refusée ou si l’une des parties congolaises l’avait rejeté. Il s’enquit des efforts qui avaient été faits jusqu’alors pour parler au chef d’État congolais et s’engagea à essayer de l’aborder lui-même. Il nous laissa même entendre que cela l’intéresserait éventuellement d’aider dans l’une des commissions du Dialogue, mais souligna que son temps était très limité. 8

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Abdou Diouf devait succéder à Boutros Ghali comme Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie.

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CHAPITRE V LA FIN DU DÉBUT

Suite à l'attentat perpétré contre LD Kabila, l'Udps, dans un communiqué rendu public hier, se prononce pour la convocation immédiate du dialogue intercongolais. (LA TEMPÊTE, 19/1/01)) Nous étions, semblait-il, dans une impasse que nous ne pouvions résoudre seuls ; ceux que nous avions abordés jusqu’à présent ne voyaient pas comment procéder ou étaient incapables d’intervenir. Le nom du Président Mbeki avait été avancé comme leader ayant assez d’influence et étant suffisamment intéressé pour lever le blocage. Son gouvernement avait joué un rôle important dans la formulation de l’Accord de Lusaka. Aussi QM demanda-t-il à le revoir. En attendant, nous nous occupions à organiser notre équipe grandissante et à élaborer un plan de travail destiné à renforcer nos capacités en matière de communications, d’analyse et d’administration. Une jeune Botswanaise diplômée en droit, Primrose Oteng, qui parlait un peu français, s’est jointe à nous et fut placée dans le Bureau de l’ancien président aux côtés de Gilbert Motsemme pour aider ce dernier à alléger ses fardeaux congolais – en tant que Premier secrétaire privé de QM, il avait déjà fort à faire, y compris l’organisation des prochaines visites au Nigeria et en Malaisie, qui n’avaient aucun rapport avec la RDC. À la fin de 2000, QM tînt une réunion d’information avec la communauté diplomatique à Gaborone, où il fut interrogé sur la possibilité d’amender l’Accord de Lusaka. Il répondit en disant : « Je sais composer un sermon basé sur la Bible mais je ne sais pas la réécrire. » L’Ambassadeur français suggéra que l’ONU, les USA et l’UE convoquent une conférence consacrée au problème de la RDC. Nous eûmes aussi une réunion de deux jours avec les deux fonctionnaires tanzaniens qui avaient participé aux pourparlers de paix au Burundi, le juge Bomani de la Fondation Nyerere et Adam Marwa du gouvernement. Les comparaisons que nous pûmes tirer étaient édifiantes : nos homologues tanzaniens nous assurèrent que les 67

contretemps tels que ceux que nous essuyions alors étaient tout à fait prévisibles et que nous devrions continuer à bâtir sur les fondements que nous avions réussi à jeter, jusqu’à ce que la situation tourne en notre faveur. Eux avaient mis deux ans à faire démarrer des pourparlers sérieux et deux ans de plus à parvenir à un accord. Le juge Bomani releva trois difficultés qui avaient retardé le progrès dans le cas du Burundi – une multiplicité de partis de tous bords ; un manque de clarté dans les États africains concernant la défense des principes ; et l’absence d’un système efficace de retour d’information permettant aux dirigeants impliqués de rester en liaison. Une de leurs anciennes collègues britanniques, Belinda Holdsworth, nous présenta également une vue d’ensemble des problèmes financiers et comptables rencontrés au cours du processus, avec quelques conseils pour nous aider à éviter nous-mêmes des difficultés du même ordre. Ses observations s’avérèrent pertinentes et, plus tard, lorsque nous y fûmes confrontés à notre tour, j’eus lieu de me rappeler ses mises en garde concernant les per diem, les fonds fiduciaires, la bureaucratie des bailleurs de fonds et l’imposition des employés. J’avais suggéré à l’un des aides d’Aldo Ajello qu’il fît un petit détour à Gaborone lors de sa visite à Pretoria, afin qu’il pût nous informer des résultats de ses voyages récents à Kinshasa et en République centrafricaine, car il était clair que le Président Kabila se tournait désormais vers ses voisins d’Afrique centrale afin qu’ils le soutiennent dans ses efforts pour se dérober à l’Accord de Lusaka. L’envoyé de l’UE arriva début novembre, avec deux aides, et fut rejoint par Robert Collingwood, le délégué de l’UE à Gaborone, qui s’était montré d’une aide constante dans notre lutte pour pousser la bureaucratie de l’UE à débloquer les fonds promis. Selon Ajello, Laurent Kabila voulait arrêter le processus de Lusaka et n’avait aucune intention de partager le pouvoir. Il passa en revue la position d’un certain nombre d’États clés et de groupes importants et exprima l’espoir que l’impasse ne deviendrait pas le statu quo. L’impasse paraissait grave : en RDC même, le cessez-le-feu était inopérant ; le MLC menaçait de prendre Mbandaka, dont la défense était apparemment assurée par l’Angola, qui, semblait-il, avait remplacé le Zimbabwe dans ce rôle ; le dirigeant du RCD Émile Ilunga avait démissionné ; Wamba dia Wamba était assiégé dans son propre quartier général par Mbusa Nyamwisi, l’un de ses lieutenants ; 68

le gouvernement congolais avait amené par la ruse le gouvernement zambien à autoriser le transit de « bateaux de pêche » qui s’avérèrent être de petites canonnières destinées à servir sur le lac Tanganyika ; enfin il y avait eu une résurgence des combats au Katanga entre les troupes du gouvernement et le RDC et ses alliés rwandais. La Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC)9 tînt une réunion à Kinshasa et annonça qu’une révision de l’Accord de Lusaka s’imposait. Nous devinâmes que le gouvernement français, qui était sur le point d’accéder à la présidence du Conseil de Sécurité de l’ONU, soutiendrait toute initiative de la part des États francophones visant à renégocier Lusaka, à démettre QM de ses fonctions et à imputer le problème entièrement à l’agression étrangère. Nous existions depuis presque dix mois, le DIC n’était pas plus près de se réaliser et le Congo était dévasté, son accord de paix ayant été rejeté par son propre gouvernement et ses dirigeants ayant repris les hostilités – c’était, du moins, notre impression. Telle était donc la situation lorsque QM, M. Mogwe et moi-même arrivâmes dans un avion léger à l’aéroport de Waterkloof, au Sud de Pretoria, un dimanche de novembre. Dans une belle vieille maison de style hollandais du Cap, dans l’enceinte gouvernementale à Pretoria, nous prîmes le thé avec le Président, Thabo Mbeki, son ministre adjoint des Affaires étrangères, Aziz Pahad, et l’un des ses premiers conseillers, Mojanku Gumbi ; celle-ci, juriste, parlant le setswana et ayant assisté aux négociations de Lusaka, devait rester une figure clé dans les coulisses au cours des années qui suivirent. Le Président Mbeki était cordial, bien informé et constructif. En tant que dirigeant africain, il témoigna à QM, son aîné, plus de déférence que je n’en percevais d’habitude chez ses interlocuteurs européens. Il nous parla de la réunion qui s’était récemment tenue à Maputo afin d’examiner les moyens disponibles aux États africains impliqués pour aider à résoudre les difficultés faisant obstacle au retrait des troupes de la RDC. L’un des moyens envisagés était d’absorber dans l’armée du gouvernement de la RDC les anciens membres de l’armée rwandaise et les anciens Interhamwe. Il accepta de nous tenir au courant à mesure que les discussions avançaient.

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Angola, République centrafricaine, RDC, République du Congo, Guinée équatoriale et Gabon. 69

Nous fîmes une dernière tournée de consultations diplomatiques cette année-là au Botswana. Il y eut une réunion conjointe des ministres de la SADC et de l’UE, qui nous fournit l’occasion de revoir un certain nombre de ministres européens ; ceux-ci ne pouvaient rien contre les combats en RDC mais pourraient peut-être bien se laisser convaincre d’honorer leurs promesses de financements. Nous rencontrâmes donc les uns après les autres Peter Hain, Anna Lindh, ministre suédoise des Affaires étrangères, 10 Louis Michel, Charles Josselin, ministre français de la Coopération au Développement (le premier ministre français que QM rencontrait depuis qu’il avait accepté sa mission congolaise), Ludger Volmer, ministre délégué au ministère allemand des Affaires étrangères, et un groupe de diplomates et fonctionnaires de haut niveau de l’UE. Louis Michel croyait percevoir dans la position du Président Kabila une nouvelle flexibilité ; c’est ainsi qu’il interprétait le récent remplacement de Yerodia Abdullahi, son ministre des Affaires étrangères, par la personnalité plus conciliante de Léonard She Okitundu. Nous espérions tous que Louis Michel avait raison. Après les réunions, QM, qui avait été président de la Commission internationale d’Enquête sur le Génocide au Rwanda, délivra un communiqué de presse où il rappela au monde entier qu’ « un manque de volonté et d’engagement de la part de la communauté internationale au Rwanda en 1994 était directement lié au génocide ultérieur. » Il poursuivit en soulignant les conséquences désastreuses de la guerre au Congo pour la population civile et en attribua l’entière responsabilité à l’incapacité des signataires du cessez-le-feu de Lusaka, dix-huit mois auparavant, à le mettre en œuvre. Pendant ce temps, nos collègues M. Mogwe et Ten Ten étaient à Lusaka pour assister à une réunion du Comité politique de l’Accord de Lusaka. Lorsque les pays ayant des troupes en RDC avaient assisté à la deuxième réunion au sommet, vers la fin novembre, à Maputo, il y avait eu un début d’entente entre eux pour donner suite à leurs engagements originaux en faveur d’un retrait. C’étaient les Zimbabwéens qui avaient entamé le processus et la MONUC était sollicitée à présent pour remplir le vide qui allait résulter du futur retrait des troupes. Elle n’y avait pas été invitée auparavant, le 10

Hélas, Anna Lindh fut assassinée en 2002 par un déséquilibré dans un grand magasin de Stockholm, alors qu’elle faisait ses courses. 70

gouvernement l’ayant jusqu’alors astreinte à ne déployer que des observateurs militaires. La Commission militaire conjointe était maintenant appelée à élaborer un plan détaillé et il fallait espérer que des progrès sur le plan militaire feraient avancer le processus politique. Nous avions prévu que, avant Noël, QM rendrait visite aux Présidents Mugabe, Nujoma et dos Santos. En l’occurrence il s’avéra impossible de programmer des réunions avec les deux premiers avant le nouvel an, mais, le 7 décembre, QM et M. Mogwe partirent voir le Président angolais, dos Santos, à Luanda. Nous regrettions toujours l’irrégularité de nos contacts avec les Angolais, mais nous n’étions pas les seuls à avoir du mal à nous rapprocher d’eux. Nous n’avions pas de langue commune et ils étaient préoccupés par leur propre guerre civile, qui leur avait permis de former l’une des armées de métier les plus aguerries du continent. Ils possédaient également les moyens d’assurer le déplacement rapide de leurs troupes par pont aérien afin de les positionner là où ils les voulaient en RDC, ce dont aucune autre nation n’était capable. Ils n’avaient donc pas besoin de déployer des troupes très nombreuses en RDC, mais le pouvaient, s’il le fallait ; et ils représentaient un allié important pour le régime de Kinshasa. Les Angolais semblaient redouter le processus politique envisagé comme solution à la guerre chez leurs voisins congolais. Ils avaient déjà fait l’expérience de l’échec d’un déploiement de maintien de la paix par l’ONU et allaient finalement résoudre leur conflit interne seulement après l’assassinat de Jonas Savimbi, dirigeant de l’UNITA. Leur démarche confortait sans doute la réticence de Laurent Kabila à s’engager en faveur du DIC. Toutefois, la réunion se passa apparemment bien. QM avait retracé les événements qui avaient abouti à la situation présente. Il avait expliqué qu’il n’en poursuivait pas moins ses préparations en vue d’un dialogue. Ensuite, le Président Dos Santos présenta sa propre interprétation des événements et releva l’inutilité des réunions alors que la bataille faisait rage. Il ajouta qu’il n’était pas impossible que le Président Kabila cherchât à obtenir des amendements au texte de Lusaka ; par ailleurs il était d’accord pour dire que seuls les alliés du Président congolais étaient susceptibles de l’influencer. Il demanda à QM pourquoi il n’avait pas engagé d’autres voisins de la RDC, tels que le Congo Brazzaville, la République centrafricaine et le Gabon. QM put répondre qu’un voyage était 71

précisément en voie de préparation dans le but de les consulter en janvier. De retour au Botswana, dans un discours prononcé le 11 décembre à Gaborone devant l’Académie internationale de la Paix, QM déclara qu’il y avait eu des réunions au sommet sur la RDC à Alger, Lomé, Windhoek, Lusaka, Maputo, Tripoli et Harare. Les engagements n’avaient pas été honorés, mais personne n’avait encore demandé jusqu’alors au Président Chiluba de reconvoquer les signataires en vue d’effectuer des modifications. Il n’y avait eu que des « coups de gueule au sommet ponctués de coups de fusil sur le terrain ». À Noël nous fermâmes le bureau pendant deux semaines et QM alla dans l’une de ses fermes. Lui et M. Mogwe se considéraient comme des agriculteurs et il n’était pas rare que je l’appelle à son portable pour le trouver au magasin général où il achetait des montants de clôture ou quelque objet de ce genre. Les Botswanais sont des éleveurs de bétail, comme lui et M. Mogwe aimaient à nous le rappeler, mais QM est un modernisateur – il élève également des autruches. Je rentrai au Kenya pour Noël et nous nous retrouvâmes tous à Gaborone en janvier 2001, curieux de savoir ce que nous réservait la nouvelle année. Elle nous apporta en premier lieu un nouveau membre du personnel, Ugo Solinas, qui, d’origine italolibérienne, parlait couramment l’anglais, le français et l’italien. Il était par ailleurs titulaire d’un diplôme en relations internationales de la SAIS à Washington. Dès son entrée en fonctions il apporta à ses collègues différentes formes de soutien et devint rapidement un analyste utile des événements au Congo. Le 16 janvier je rentrai chez moi la tête remplie de pensées concernant la « co-facilitation », concept souvent évoqué comme moyen de rendre QM plus acceptable à ses détracteurs. Cela ne nous paraissait pas réalisable ; QM, comme on pouvait s’en douter, n’était pas d’accord et, fort heureusement, ne dut jamais y faire face. Alors que je me détendais chez moi, je réglai mon poste de radio sur les informations du soir du World Service de la BBC et appris que Laurent Kabila avait été assassiné, quarante ans après l’assassinat de Patrice Lumumba, quasiment jour pour jour.

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J’appelai QM pour m’assurer qu’il avait bien entendu la nouvelle, alertai mes collègues et regardai le drame se jouer au journal télévisé des chaînes du CNN et de la BBC. La mort de Laurent Kabila ne fut pas confirmée d’emblée, puisque son corps avait été transporté au Zimbabwe, mais au cours des vingt-quatre heures suivantes, il apparut de plus en plus certain que l’un des ses jeunes gardes du corps, les kadagos, qui l’avait servi depuis l’époque de l’AFDL, l’avait effectivement abattu avec une arme à feu et qu’il avait succombé plus tard à ses blessures. L’assassin avait aussi été abattu. QM délivra un communiqué de presse déplorant l’assassinat et exhortant les Congolais à abandonner la violence et à œuvrer pour le dialogue. La voie à suivre n’avait jamais été aussi incertaine : quelqu’un avait décidé de supprimer l’homme qui était devenu le principal obstacle au Dialogue intercongolais – tel que nous le concevions – au moment même où nous commencions à détecter des signes indiquant que Laurent Kabila était sur le point de se laisser persuader de revoir sa position.

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DEUXIÈME PARTIE JANVIER 2001 – AVRIL 2002 : DE PÈRE EN FILS

CHAPITRE VI EN ROUTE, EN L’AIR OU EN REUNION

RDC : La faction Wamba salue la déclaration de principes. Le Rassemblement congolais pour la démocratie-Mouvement de libération (RCD-ML) d’Ernest Wamba dia Wamba a accueilli avec enthousiasme la déclaration de principes signée récemment entre le gouvernement de la RDC et les mouvements rebelles, bien que le RCD-ML n’ait pas été invité à la signer. L’accord, signé vendredi à Lusaka (Zambie), ouvre la voie au dialogue intercongolais. « Nous avons accepté de ne pas assister à cette réunion si cela pouvait aider ceux qui hésitent encore à s’associer complètement à l’appel à la paix lancé par notre peuple en détresse », a précisé le RCD-ML dans un communiqué reçu mardi par l’IRIN. « Nous avons cessé de nous armer afin de résoudre les problèmes (…) Nous avons donné la priorité à la lutte pour trouver des idées (…) L’événement de Lusaka doit donner naissance à un engagement contre la guerre comme moyen de résoudre les problèmes de pouvoir. » (IRIN Mise à jour 1173, 7/5/01.) Le 30 mars 2001, serrés dans un petit avion, QM, deux gardes du corps, Gilbert Motsemme, son secrétaire particulier, M. Mogwe, Ten Ten et moi-même nous envolâmes une fois de plus pour Goma, capitale de la province du Nord-Kivu. Une énorme foule de dignitaires nous accueillit avant que l’on nous emmène déjeuner à notre hôtel avec le gouverneur d’alors du Nord-Kivu. À 16h00 nous nous réunîmes dans le Musée avec vingt dirigeants du RCD, dont deux femmes. Malgré les efforts acharnés de QM pour encourager toutes les parties à nommer davantage de femmes, nous ne vîmes rarement plus d’une ou deux femmes dans une délégation du gouvernement ou du RCD, tandis que le MLC n’en comptait aucune, à notre connaissance. Le Congo était un monde d’hommes, semblait-il. QM informa le RCD de ses réunions avec Joseph Kabila. Les cadres laissèrent entendre que le nouveau président temporisait pendant que ses troupes menaçaient de nouveau leurs positions à 77

Pweto. Ils tenaient à ce QM fixât une date pour le commencement des pourparlers. Le Facilitateur sollicita leur avis sur la déclaration de principes envisagée, à laquelle ils proposèrent un ou deux amendements. Nous tînmes ensuite une séance avec les représentants des partis politiques, qui exprimèrent leur frustration devant les retards continus accusés dans chaque aspect du processus de Lusaka. Ce soirlà le RCD nous invita à un dîner somptueux à l’Hôtel Nyira où nous pûmes faire plus ample connaissance – Adolphe Onusumba avait été formé comme médecin en Afrique du Sud, Azarias Ruberwa avait exercé la profession de juriste à Lubumbashi, Jean-Pierre Ondekane avait été officier dans l’armée de Mobutu et Lunda Bululu, qui changea plus tard de camp et se joignit au MLC, avait été professeur de droit à l’Université de Lubumbashi. Le lendemain matin nous rencontrâmes Monsignor Ngabo, l’évêque de Goma, et allâmes ensuite dans une salle de l’ancien immeuble de la banque BEDGL pour nous adresser à la société civile et entendre ses vues ; faut-il préciser qu’il s’agissait de membres de la société civile qui se sentaient suffisamment à l’aise pour assister à une réunion publique. L’acoustique était mauvaise et l’interprétation difficile, mais ils soulevèrent quelques points valables et, comme leurs compatriotes armés, exprimèrent la frustration d’être ni en guerre ni en paix. Quand allions-nous convoquer le DIC ? Comment la société civile serait-elle représentée ? Le RDC nous invita à un déjeuner informel à la terrasse de la maison où logeait le Dr Onusumba et continua de plaider énergiquement sa cause. Pendant ce temps, j’essayais d’appeler le bureau de Jean-Pierre Bemba pour confirmer notre heure d’arrivée prévue à l’aéroport de Beni, puisque nous ne désirions nullement arriver à l’improviste pour provoquer une réponse armée de la part des gardes de Bemba postés à l’aéroport. N’ayant pas réussi à le joindre, nous nous retirâmes à notre hôtel, discutâmes des vues exprimées jusqu’alors au sujet d’une éventuelle cérémonie de signature et débattîmes de l’idée d’inviter le Professeur Weiss à prendre la tête de quelques initiatives de réconciliation dans les Kivu. Tous les contacts que nous avions pris jusqu’alors avaient indiqué que les affrontements ethniques et les conflits suscités par les ressources dans l’est de la RDC étaient une raison clé de l’instabilité continue de celle-ci et nécessiteraient à eux seul une facilitation séparée. Nous n’étions pas 78

contre, pourvu que cela se fît d’une manière intégrée, acceptable à toutes les parties, et que cela inclût la Province Orientale, qui était et demeure aussi instable que les Kivu. (Plus tard, je rédigeai un projet d’attributions en vue d’une initiative de réconciliation, mais celle-ci s’avéra impossible à réaliser quand le gouvernement y opposa son veto.) Le lendemain matin nous reçûmes notre autorisation et partîmes pour Beni, ville commerçante prospère, où des négociants nandi contrôlaient un gros commerce d’importation qu’ils finançaient avec leurs recettes provenant de l’or et du bois qu’ils exportaient de la région via Kampala. Le MLC était maintenant présent à Beni en raison de l’alliance passagère qu’il avait formée avec le RCDKisangani, lequel était désormais dirigé par John Tibasima et Mbusa Nyamwisi, à la suite du transfert de Wamba dia Wamba, contre son gré, à Kampala. Mbusa Nyamwisi avait une base en Afrique du Sud et ne se trouvait pas à Beni. John Tibasima avait été autrefois le directeur des importantes mines d’or à Kilo Moto, au nord-ouest de Bunia. Sa nouvelle alliance avec le MLC s’appelait le FLC, Front pour la Libération du Congo. Le père de Jean-Pierre Bemba, Bemba Saolona, avait un commerce de bois et était propriétaire de plusieurs maisons à Beni, le complexe ENRA. Sous un arbre du jardin de la maison familiale, Jean-Pierre Bemba expliqua comment le FLC a vu le jour. Il fit remarquer que le front commun avec le RCD ne marchait pas en réalité et qu’il était désormais impossible de compter sur Wamba dia Wamba comme faisant partie de l’opposition armée (affirmation que ce dernier contesta avec véhémence lorsqu’on la lui adressa). Il donna ensuite la parole à John Tibasima, qui reprit en grande partie les mêmes observations et déclara que Mbusa Nyamwisi était le chef du mouvement RCD-K, tandis que lui-même était responsable des Mines et de l’Énergie, Honoré Kadima des Affaires internes, Adrien Bokele des Affaires étrangères et Thomas Luhaka de la Défense, au sein du nouveau front. Ce dernier portefeuille était important au cas où l’alliance marcherait, dans la mesure où les troupes rebelles, depuis Gemena jusqu’à Beni, passeraient sous un seul commandement : autrement dit, Jean-Pierre Bemba, en tant que figure dominante du FLC, aurait étendu la zone de son contrôle effectif jusqu’à inclure le nord-est ainsi que le nord-ouest de la RDC. (Le RCD contrôlait l’est et 79

une grande partie du sud et du centre ; le gouvernement contrôlait l’ouest et le reste du sud et du centre. En traitant avec les mouvements rebelles aussi bien qu’avec un gouvernement impliqués dans une guerre civile, on a intérêt à ne pas oublier que le terme « contrôle » est relatif. Il peut signifier que les troupes se sentent suffisamment à l’aise pour se déplacer dans une certaine région, ou il peut signifier que les troupes défendent la région en question, jouissent d’un soutien local et que les dirigeants en assurent également l’administration ; ou bien il peut désigner une position située quelque part entre ces deux pôles.) QM fit alors un rapport sur sa première réunion avec Joseph Kabila à Kinshasa et expliqua la suite des événements qui faisait qu’un mois s’était écoulé entre l’annonce publique de l’invitation du nouveau président et l’arrivée de QM à Kinshasa. Il présenta ensuite une vue d’ensemble des questions qu’il voulait aborder : une cérémonie de signature de la déclaration de principes, des progrès en matière de désengagement et de dialogue, la position des milices Maï-Maï, la possibilité d’une mission de réconciliation régionale dans l’est et les rôles de la société civile et de l’opposition politique. Jean-Pierre Bemba fit remarquer que, hormis une patrouille zimbabwéenne, il n’y avait pas eu de vrai combat avec les forces gouvernementales depuis deux mois et demi. Il ajouta qu’il avait travaillé dur pour intégrer les Mai-Mai dans un accord, en avançant que, puisque leur principal grief portait sur la présence de forces étrangères en RDC et qu’il était luimême Congolais, comme eux, ils devraient collaborer avec lui pour assurer la création de conditions en RDC qui décourageraient les forces étrangères de s’aventurer sur le sol congolais. Il voulait que les Mai Mai eux-mêmes désarment les « forces négatives » – à savoir les Interhamwe et les autres groupes armés étrangers en RDC. Les Mai Mai avaient accepté à condition d’être formés par des soldats congolais plutôt que par des soldats ougandais. Jean-Pierre Bemba n’était pas contre l’initiative de réconciliation locale mais, comme le RCD, il avait proposé quelques amendements au projet de déclaration de principes que nous avions préparé. QM expliqua son idée de répartir le travail du DIC en quatre commissions, chacune avec son président, son rapporteur et son conseiller technique. J’expliquai la structure de notre bureau à Gaborone et nos projets pour augmenter notre personnel à Kinshasa. Peu après, JeanPierre Bemba, éternel vantard, nous emmena dans un hélicoptère 80

ukrainien poussif sur une colline voisine où il nous fit asseoir dans l’abondante herbe verte devant un panorama dominé dans le lointain par le Mont Ruwenzori, dont je rêvais de faire l’escalade du côté congolais, comme je l’avais fait treize ans auparavant du côté ougandais. Nos deux aînés, tous deux éleveurs de bétail, étaient plus impressionnés par la luxuriance de l’herbe, tellement frappante pour des hommes habitués à l’herbe courte et sèche du Kalahari. Cette diversion permit une discussion plus détendue de la question délicate de la représentation du RCD lors d’une éventuelle cérémonie de signature, puisque ce groupe était composé désormais du RCD Goma et du RCD-ML, dont la direction était contestée. Wamba dia Wamba contestait en effet toute prétention de Mbusa Nyamwisi à un rôle majeur dans le RCD. Peu après le retour de QM, début avril, il reçut un appel d’un nommé Roger Lumbala, qui affirmait contrôler 80 000 km² dans les environs de Bafwasende, région minière importante. C’était là le premier signe que nous recevions de l’émergence du RCD « National », encore un groupe dissident, semblait-il, du RCD original. L’énigme RCD allait nous tracasser pendant les deux années à venir, puisque l’Accord de Lusaka n’avait pas permis d’en tenir compte. Les membres de la délégation RCD avaient en effet signé l’accord original à titre individuel – tous les cinquante qu’ils étaient – plus de sept semaines après le gouvernement et le MLC, parce qu’ils ne pouvaient se mettre d’accord sur un seul dirigeant pour signer en leur nom. Le problème avait été aggravé par le fait que deux autres organes de l’Accord de Lusaka, le Comité politique et la Commission militaire mixte, avaient accepté des représentants désignés par le Pr. Wamba, ce qui équivalait à une reconnaissance de son groupe – de fait sinon de droit. À mesure que les partisans du RCD-K sur la colline devenaient de plus en plus passionnés dans la présentation de leur cause, Honoré Kadima s’échauffait tellement que Jean-Pierre Bemba lui dit : « Respirez, M. Kadima, respirez ». Chaque fois que nous le voyions par la suite, nous lui réitérions ce conseil dès qu’il prenait la parole. Heureusement, Honoré Kadima supportait bien la plaisanterie. Plus tard ce même après-midi et aussi le lendemain matin, QM rencontra séparément les représentants de la société civile et de l’opposition politique, qui s’étaient réunis dans le complexe. Ils n’étaient pas préoccupés par les scissions au sein du RCD mais s’inquiétaient, au contraire, que les Mai Mai soient intégrés dans le 81

processus, ce qui finit par arriver, à la suite de longues consultations et négociations, avant le commencement du DIC.11 Ce problème est familier aux autres théâtres de guerre civile : la souveraineté d’un pays est menacée par des groupes armés, ceux-ci sont amenés à la table des négociations grâce à l’aide internationale, puis ceux qui sont exclus pour une raison ou une autre forment leur propre groupe armé pour demander à être admis au processus, sachant qu’ils auront ainsi accès aux fruits des fonctions officielles. Ils justifient cette démarche en faisant valoir qu’ils sont des patriotes et qu’ils n’ont pris les armes contre leurs concitoyens qu’en raison de leur non-représentation. En outre, selon le même type de raisonnement, ceux qui prennent les armes méritent davantage que ceux qui s’en abstiennent. Après les discussions de QM avec les groupes non armés, dont les rangs avaient été gonflés par une délégation de la société civile venue de la ville voisine de Butembo, je travaillai sur les amendements au texte de la déclaration de principes avec Olivier Kamitatu et Dominique Kanku, qui a fait ses études universitaires à Bruxelles avec Kamitatu et Jean-Pierre Bemba. Arriva ensuite une autre délégation – cette fois il s’agissait d’un homme d’affaires et agriculteur de Goma, qui déclara être venu voir QM parce que le RCD ne lui avait pas permis d’opérer en tant que politicien à Goma. La liberté d’activité politique était l’un des principes fondamentaux que nous voulions faire accepter de toutes les parties, mais il y loin de la signature d’une déclaration au fait d’accepter de cesser l’arrestation, l’intimidation ou la détention de ceux qui ne partagent pas vos vues. Cela pourrait sembler évident, mais j’avais souvent conscience que, en traitant avec les parties impliquées dans un tel conflit, il fallait fonctionner à trois niveaux. D’abord, il fallait faire attention à ce qu’elles disaient en public ; ensuite il fallait confronter ces déclarations publiques avec ce que l’on vous disait en privé ; enfin il fallait suivre ce qui se passait 11

Nous mîmes le holà dix-huit mois plus tard à l’intégration de l’UPC, un groupe armé qui avait surgi dans la région d’Ituri ; il demandait à être reconnu et revendiquait le droit d’assister à la session finale du DIC. L’UPC se déchaîna dans une fureur destructrice, provoquant ainsi la formation d’autres milices et entraînant des souffrances immenses pour la population d’Ituri. Le saccage ne fut finalement arrêté que par la toute première intervention d’une force de l’UE, sous direction française, qui réussit à rétablir un certain ordre à Bunia, mais non dans l’arrière-pays environnant, vers la fin de 2003. L’UPC continue jusqu’à ce jour à combattre des milices ethniques rivales et de contribuer à d’atroces souffrances à Ituri.

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réellement sur le terrain, sans tenir compte de ce que pourraient dire les parties principales. Ces distinctions ne valent évidemment pas exclusivement pour les belligérants, mais elles prennent une importance particulière là où la presse est bâillonnée et le débat public est limité à défaut de canaux et d’institutions susceptibles de le favoriser. Avant de partir, nous réussîmes à obtenir du dirigeant du MLC son accord sur les principes amendés, qu’il nous restait maintenant à discuter avec le gouvernement à Kinshasa. De retour à Nairobi, nous dînâmes avec le Pasteur Mulunda, que nous appelions « Muruti » – l’équivalent de « pasteur » ou de « prêtre » en setswana (c’était le terme préféré de M. Mogwe pour désigner l’émissaire présidentiel). Il était revenu avec les amendements suggérés par le gouvernement au projet de déclaration de principes. Le gouvernement avait accepté notre proposition que QM et les membres de son équipe aillent non seulement à Kinshasa lors de leur prochaine visite en RDC, mais aussi à Lubumbashi et à Kananga, où ils espéraient rencontrer la société civile et l’opposition non armée, ainsi que des représentants du gouvernement. C’était le souhait de QM que la société civile élise ses délégués au DIC, ce qui, en soi, n’avait rien d’innovateur, certes, mais cela donnait matière à réflexion dans un pays qui, en quarante ans, n’avait pas été capable de tenir des élections nationales et dont la plupart des principaux dirigeants étaient arrivés à leur position actuelle par la force, d’une façon ou d’une autre. À minuit, QM appela Kofi Annan, qui était en visite à Nairobi, pour l’informer de nos progrès. Le lendemain matin nous prîmes un vol commercial pour rentrer au Botswana, optimistes quant à la possibilité de convoquer les belligérants pour la première fois vers le début mai, quelques dix-huit mois après la désignation de QM. Notre tâche suivante était de rédiger à nouveau la déclaration de principes en prenant compte des commentaires que nous avions reçus. Nous avions également à affréter un avion pour emmener QM, M. Mogwe, Dan Sibongo et Shelly dans la région de la RDC contrôlée par le gouvernement. Je restai à Gaborone pour préparer la réunion de signature des principes, laquelle nous semblait maintenant pouvoir se tenir vers la fin avril à Lusaka, ville où résidait le Médiateur et où les groupes en conflit étaient parvenus à un premier accord. Je recrutai aussi une seconde attachée de presse, cette fois-ci pour notre bureau 83

de Kinshasa. C’était une jeune femme du Congo Brazzaville qui s’appelait Nana Rosine Ngangoue ; calme et compétente, elle observait avec une compréhension de voisine ses cousins nerveux sur l’autre rive du fleuve Congo. Tandis que nos collègues visitaient les villes de Kinshasa, Lubumbashi et Kananga en tenant des réunions avec les autorités locales, la société civile et les partis politiques, Bo Heineback et moimême nous chargions d’informer Donald Payne, membre du Congrès des États-Unis en visite au Botswana, et plus tard l’Ambassadeur de France ; leur visite témoignait de l’intérêt grandissant suscité par le processus de paix. Ces visiteurs réitérèrent une des préoccupations des bailleurs de fonds, à savoir que les commissions envisagées au sein du Dialogue seraient coûteuses et interminables. Les Français craignaient par ailleurs que la Commission humanitaire et du développement, proposée par QM, fût en quelque sorte en contradiction avec leur appel à une Conférence de Développement des Grands Lacs et même avec les procédures de planification de tout nouveau gouvernement. En concevant une telle commission, en quoi certains estimaient qu’il outrepassait son mandat, QM avait réfléchi à la situation du Botswana après l’indépendance, quand un plan de développement indigène bien conçu avait attiré de la part des bailleurs de fonds un niveau de soutien bien supérieur, par exemple, au vague appel à l’aide lancé par l’État naissant du Lesotho, qui se trouvait à l’époque dans une situation comparable. Les parties congolaises elles-mêmes n’avaient rien contre l’idée d’une commission humanitaire et économique mais finirent par répartir les quatre commissions que nous avions suggérées en cinq.12 Personne ne suggéra jamais une alternative éventuellement moins coûteuse et plus efficace. Certes, devoir débattre de chaque question en session plénière aurait abouti à un dialogue sans fin. Pendant ce temps, l’équipe en RDC conclut sa mission et rentra au Botswana, emmenant avec elle le Pr. Lebatt, pour qu’il puisse commencer à planifier avec nous son programme de travail à Kinshasa, où il aurait non seulement à représenter QM auprès du gouvernement mais aussi à développer nos relations avec les partis 12

La Commission politique et constitutionnelle ; la Commission économique et financière ; la Commission humanitaire, sociale et culturelle ; la Commission de défense et de sécurité ; la Commission de paix et de réconciliation nationale.

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politiques et la société civile, dont la représentation au DIC était prévue par l’Accord de Lusaka, sans précision toutefois quant à la manière d’y procéder. Le Pr. Lebatt prit un mauvais départ. Quand je frappai à la porte de sa chambre d’hôtel le dimanche de Pâques 2001, j’eus du mal à le réveiller. Il était épuisé, avait une migraine et n’était pas du tout dans son assiette. Je le convainquis que la brousse africaine était une panacée pour tous les maux de l’homme, même pour un habitant des déserts lointains de la Mauritanie. Nous nous envolâmes donc pour Deception Valley, un petit lodge dans le Kalahari, où nous avions en tête d’élaborer un plan de dotation en personnel pour les deux bureaux et d’étudier les CV de ceux qui nous avaient adressé leur candidature et de ceux qui nous avaient été offerts par l’ONU. Au bout de deux jours de repos, de sommeil et de promenades dans la brousse, nous avions vu deux léopards, quelques koudous et un ratel ; la migraine du Pr. Lebatt était partie et nous avions un plan de dotation. Ce plan fut quelque peu modifié après nos consultations à Gaborone. Des voix s’élevaient pour dire que l’ONU était en train de prendre le contrôle de la Facilitation. À mon avis il s’agissait d’une crainte plutôt que d’une réalité : quelque modeste que fût la manière de procéder de QM, tout le personnel savait qu’au bout du compte c’était lui qui prenait les décisions clés. Le « Bureau du Facilitateur » à Kinshasa finit par compter 15 employés au total, dont un ou deux étaient recrutés localement alors que la majorité était ou devint des salariés à plein temps des Nations unies en détachement auprès de QM. L’ONU avait offert de nous aider au niveau du personnel ; c’était une institution existante ayant des ressources et des procédures en place, et elle était en mesure de nous offrir du soutien en matière d’organisation et de protection diplomatique à Kinshasa, tandis que nous étions un bureau temporaire qui cesserait d’exister à l’issue du Dialogue. À Gaborone notre personnel a fini par compter 17 personnes, de dix nationalités différentes, recrutées sur des bases diverses en fonction du financement de leur poste. Seules trois d’entre elles étaient des employées de l’ONU, le reste étant en détachement – comme Bo Heineback, Ten Ten et moi-même – ou bien rémunéré et recruté localement. C’était dans l’ensemble une structure désordonnée qui résultait du caractère ad hoc du bureau, de l’absence d’une base institutionnelle, et 85

de la difficulté que nous avions par conséquent à recruter du personnel pour une période indéterminée. Dans les deux bureaux, sur un personnel de 33 personnes au total, la moitié environ pouvait être classée professionnelle et la moitié personnel de soutien. Sur une période de trois ans, leurs salaires et allocations coûtèrent aux bailleurs de fonds 1,372 millions de $, environ 7% du total des fonds consacrés au DIC. Je cite ces chiffres car l’émissaire de l’UE et d’autres se seraient apparemment inquiétés que nous soyons en train de construire un empire institutionnel. Lorsque le processus échoua, pour ainsi dire, en avril 2002, à l’issue d’un marathon de sept semaines à Sun City, un jeune diplomate bailleur de fonds, dont les maîtres s’étaient montrés – en privé – très critiques à l’égard du facilitateur, me regarda tristement et observa : « Je suppose qu’il est toujours plus facile de piloter le navire quand on n’est pas sur la passerelle. » Comme il avait raison ! Après nos vacances de Pâques, trois cadres supérieurs de l’ACCORD passèrent deux jours avec nous pour nous accompagner dans un exercice d’apprentissage collectif destiné à faciliter l’organisation de notre première réunion des combattants congolais. La question de savoir comment réaliser une représentation équitable des régions disparates de la RDC n’était pas plus près d’être résolue et allait occuper de nombreuses heures au téléphone et empiéter sérieusement sur l’ordre du jour des réunions pendant les dix jours suivants. De surcroît, notre nouvelle équipe n’avait pas encore organisé d’événement majeur et avait encore beaucoup à apprendre. Par ailleurs, le contexte où nous opérions était en pleine évolution. L’ONU avait réuni un panel pour enquêter sur le pillage des ressources du Congo par les combattants au cours de la guerre civile. Les conclusions provisoires de ce panel venaient de paraître et l’effet en était d’augmenter la pression en faveur d’un retrait immédiat des troupes étrangères, en particulier celles de l’Ouganda et du Rwanda, qui avaient fait l’objet de fortes critiques, mais aussi celles du Zimbabwe. Le rapport et ceux qui suivirent contribuèrent à une condamnation internationale accrue de l’Ouganda et du Rwanda, où, estimait-on, le Royaume-Uni devrait exercer son influence, puisqu’il y était le principal donateur d’aide étrangère et aussi, à terme, un médiateur dans les désaccords entre les deux pays.

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C’est à ce moment là que nous eûmes la visite de François Lumumba, fils du légendaire Premier ministre du Congo assassiné. Il avait son propre parti politique, le MNC/L, mais, plus important encore, il avait le nom – un nom d’une telle résonance en Afrique, encore de nos jours, qu’aucune personne instruite ayant vécu le moment de l’indépendance ne pouvait l’oublier. Lumumba n’était-il pas l’homme qui avait tenu tête à l’arrogance des puissances coloniales et payé de sa vie son indépendance ? Son fils était un homme poli, à la voix douce, qui exprimait un souci que nous partagions, à savoir que nous n’avions pas eu un contact suffisant avec le peuple congolais et que celui-ci n’était pas suffisamment au courant des préparations du Dialogue. Il est vrai que nous étions en train d’élaborer un site Web et que nous publiions des communiqués de presse, mais nous savions que le média le plus efficace pour atteindre le plus grand nombre était la radio. Malheureusement, avant que la MONUC ne crée Radio Okapi, les stations de radio ainsi que la réception étaient limitées à un petit nombre de villes. François Lumumba nous avertit aussi que de nombreuses forces s’employaient à miner la facilitation, soit parce qu’elles tiraient avantage de la guerre soit parce qu’elles n’étaient pas persuadées que nous réussirions à mener le processus à bon terme. À son avis, il nous fallait d’urgence fixer des dates et arrêter un plan. Nous étions bien d’accord avec lui, mais nous ne pouvions que lui répondre que nous avancions aussi rapidement que les circonstances nous le permettaient. Entre-temps, dans un tourbillon de fax, de coups de téléphone satellite et de rédactions, nous mettions les touches finales à un texte destiné à la signature des combattants. Jean-Pierre Bemba m’appela pour se plaindre que le ministère des Affaires étrangères des ÉtatsUnis s’était procuré le texte et je lui assurai que celui-ci avait dû provenir d’une des parties signataires – à ma connaissance nous n’avions pas laissé sortir ce texte de nos bureaux. Le RCD appela la veille de son départ pour Lusaka pour nous communiquer trois modifications qu’il demandait ; il devait d’ailleurs savoir qu’il était trop tard pour que nous en tenions compte à ce stade. Nous avions consigné sur disque le texte définitif qui était déjà en route pour l’imprimeur de l’État à Lusaka, convaincus que toutes les parties nous avaient fait part de leurs vues et que celles-ci avaient été intégrées à la version finale. Impossible de le changer maintenant. Nous allions affronter aussi les premiers de nos obstacles : qui inviter au sein des 87

Nations Unies ? et la SADC, l’OUA, le gouvernement zambien… qui allait s’en occuper ? Le fait d’inviter quelqu’un à une cérémonie suppose-t-il que l’on prend en charge sa note d’hôtel ? Les Émissaires Spéciaux assisteraient-ils tous à la cérémonie ? Comment procéder pour l’acte même de la signature ? Que devrait dire QM dans son allocution d’ouverture ? Les détails de ce genre, pour peu qu’on les néglige, peuvent facilement ébranler, voire détruire une réunion comme celle que nous envisagions. Nous envoyâmes un petit groupe en éclaireur à Lusaka une semaine à l’avance et installâmes QM et son équipe le 2 mai à l’hôtel Pamodzi. Les trois jours suivants ne furent qu’une succession frénétique de réunions et de reports, d’annulations et de confusions, de postures et de proclamations. Le gouvernement n’était pas représenté par le président. À la place de ce dernier, c’était Mwenze Kongolo qui dirigeait l’équipe gouvernementale ; il était à l’époque ministre de l’Intérieur et, à ce que l’on disait, le principal interlocuteur de la RDC auprès du gouvernement zimbabwéen. Il était accompagné par Augustin Katumba Mwanke, ancien gouverneur du Katanga et à l’époque ministre au Bureau du Président, ainsi que par trois ministres de rang moins élevé, Vital Kamerhe, qui était le commissaire adjoint aux relations avec la MONUC, et le colonel Etumba, de l’organisme sinistre mis en place par Laurent Kabila, la DEMIAP (Détection militaire d’Activités anti-patriotiques). Les délégations rebelles étaient représentées à la signature par Dominique Kanku, pour le MLC, Joseph Mudumbi pour le RCD et John Tibasima, pour le RCD-ML. Jean-Pierre Bemba et Adolphe Onusumba restèrent à bouder dans leurs appartements, irrités que le nouveau jeune président ait jugé bon de ne pas assister à la première tentative de relance du dialogue national depuis Cotonou. Le gouvernement, quant à lui, s’inquiétait que le MLC ne procède pas au retrait des troupes ainsi qu’il l’avait promis. La délégation gouvernementale descendait dans un hôtel différent, en tant qu’invitée du gouvernement zambien, tandis que les rebelles partageaient le Pamodzi avec nous. Celui-ci avait les ascenseurs les plus lents d’Afrique australe, me semblait-il ; pendant qu’on les attendait, il était impossible de ne pas tomber sur une galaxie de rebelles, d’émissaires, d’observateurs et de journalistes, tous impatients de savoir quel serait le prochain contretemps. Le gouvernement arriva en retard et menaçait 88

sans arrêt de partir ; le RCD avait emmené une délégation beaucoup plus nombreuse que convenu et voulait que nous la prenions en charge ; le MLC n’était pas content que Wamba dia Wamba soit présent ; celui-ci, à son tour, n’était pas content que John Tibasima l’ait évincé de la cérémonie. De quelque côté que nous regardions, nous ne voyions que conflits, disputes et désaccords. Kamel Morjane y était aussi, venu de Kinshasa, et je voyais sur son visage l’inquiétude que lui inspirait tout ce désarroi autour de nous. Au milieu de tant d’acrimonie et d’incertitude, nous nous demandions si nous ne ferions pas mieux d’annuler le cocktail que nous avions programmé pour la soirée du jeudi 3 mai, date à laquelle nous avions osé croire que la signature serait déjà un fait accompli. Malgré l’absence de tout accord dans les salles des négociations, la soirée fut réussie. Elle opéra une certaine détente et les Congolais se montrèrent polis entre eux dans ce contexte moins formel, se mêlant sans gêne aux groupes rivaux et aux observateurs étrangers. Cela me permit d’espérer à nouveau que la négociation politique avait encore des chances d’être sauvée, malgré des indications assez visibles que le gouvernement pourrait partir en signe de protestation et que les rebelles risquaient de s’en aller dégoûtés. Les parties congolaises ne cessaient de se disputer au sujet des principes que nous avions si laborieusement rédigés avec elles : par ailleurs, de 6 elles étaient passées à 13 et les nuances et la phraséologie de chaque phrase s’avérèrent des champs très fertiles pour l’exercice de l’art de plaider tant prisé des Congolais. Les diplomates et observateurs se contentaient d’arborer un air perplexe pendant qu’ils attendaient patiemment dans l’enceinte de la Mulungushi Hall que quelque chose arrive. Nous les avertîmes que la cérémonie serait reportée de vingt-quatre heures tout en ignorant nous-mêmes si elle aurait lieu ou non. Le Président Chiluba était sur le point de venir – non seulement il était l’hôte, mais il devait aussi présenter un discours d’ouverture. Lui aussi fut prié d’attendre. La tension monta et les espérances faiblirent. Il y avait deux points de désaccord. Le premier était l’acceptation d’un texte définitif des principes. Sur ce point, le Pr. Lebatt fut magistral. D’abord il négocia pendant deux heures et demi avec Azarias Ruberwa – avocat francophone, comme lui, d’une grande 89

finesse d’esprit – au sujet de la question insoluble de la position du RCD-ML, dont les membres avaient été avec lui autrefois au sein du RCD. Le Pr. Lebatt réussit à retenir le RCD à la cérémonie et à obtenir que le RCD-ML signe aussi la déclaration de principes. C’était la quadrature du cercle au niveau politique. Ensuite, avec le Pr. Tevoedjre, de 12h30 à 02h00 du matin, le Pr. Lebatt remporta l’accord sur le texte des principes,13 assis à la table en face d’Azarias Ruberwa (RCD), Thomas Luhaka (RCD-ML), Olivier Kamitatu (MLC) et Vitale Kamerhe et le colonel Etumba (Gouvernement). Le deuxième obstacle était que le gouvernement annonçait sans arrêt qu’il avait perdu patience et repartait à Kinshasa ; Jean-Pierre Bemba déclara qu’il n’apparaîtrait pas, dans ce cas, et QM dut mettre toute sa patience à convaincre toutes les parties de sortir de leurs chambres d’hôtel et d’entrer dans la Mulungushi Hall. Nous restâmes assis à attendre, gênés, pendant que les portables chauffaient et les diplomates conféraient. Le Pr. Lebatt et moi sortîmes prendre l’air et voir si, contre toute attente, une délégation était en route. Je m’employai à éviter, en passant, les yeux interrogateurs de ceux que nous connaissions. Que se passait-il ? Allions-nous revivre la débâcle de Cotonou ? Même QM était à bout de patience. Il lâcha, dégoûté, que si les belligérants ne se présentaient pas à la signature, « autant jeter l’éponge. » C’était la première fois que je le voyais si abattu. Conscients que la communauté internationale ne serait pas tendre pour eux s’ils sabotaient leur propre processus de paix, les parties congolaises finirent par entrer en masse, penaudes, dans la salle et signèrent la déclaration, plus de vingt-quatre heures après « la dernière minute ». Le Président Chiluba les félicita. On prononça des discours. Un soulagement général gagna tout le monde. Cela avait été pour nous tous une expérience épuisante et ce n’était qu’un avant-goût du genre de tactique auquel nous allions être confrontés par la suite.

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Voir le texte intégral en Annexe II.

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CHAPITRE VII UNE QUESTION DE PRINCIPE

Voici donc ce que Joseph Kabila devrait faire : En politique intérieure (par exemple), le nouveau chef de l'État devrait réaffirmer son soutien aux Accords de Lusaka et au Dialogue intercongolais, avec comme objectif le nouvel ordre politique dont le fondement et la finalité devront être l'organisation des élections libres, démocratiques et transparentes. (LE POTENTIEL, 25/1/01)). Il nous sembla à Gaborone que nous devrions tenir compte de l’émergence d’un nouveau dirigeant en RDC et prévoir une période de deuil pour l’ancien avant d’essayer de rétablir le contact avec le gouvernement. Lorsqu’on annonça que Joseph Kabila succédait à son père comme Président, QM adressa au nouveau président une lettre officielle de condoléances, sans allusion à quelque autre affaire que ce soit. Pendant ce temps nous poursuivîmes notre plan pour visiter le Togo, le Bénin, le Congo Brazzaville et la République centrafricaine afin d’informer leurs présidents respectifs de nos préparations et d’entendre leurs vues. Nous dûmes omettre le Gabon car le Président Bongo se trouverait à l’étranger au moment de notre visite prévue. Le Pr. Tevoedjre prit les contacts nécessaires et demanda les rendez-vous. Il y avait eu un sommet France-Afrique au début de janvier à Yaoundé qui avait apparemment convenu de ne pas reconnaître les dirigeants qui étaient arrivés au pouvoir par un coup d’État. Depuis, Radio France Internationale aurait diffusé une discussion entre le Président Bongo et Louis Michel où il était question de l’éventuelle participation du premier, sous une forme ou une autre. Nous recevions également des rapports indiquant que le gouvernement du Niger était disposé à convoquer les parties dans une tentative de relance du processus de Lusaka. Les rebelles nous avaient signalé que, à leur avis, seule l’ONU avait la stature nécessaire à tout effort international pour ranimer le processus : ils ne faisaient pas confiance à ceux qui étaient à l’origine des initiatives présentes. En ce qui concernait l’Accord de Lusaka, disaient-ils, ni la francophonie, ni le Gabon, ni le 91

Niger, ni la Belgique n’avaient de position officielle dans cette affaire. Or, s’il y avait quelqu’un qui avait la responsabilité de re-convoquer les parties, ce n’était pas l’ONU mais bien le Président Chiluba de Zambie, le Médiateur. Par ailleurs, il était indispensable que les pays voisins et le monde francophone ne soient pas exclus de la discussion : ils avaient des intérêts au Congo et toute initiative parallèle aurait détruit son processus de paix. Nous estimions que QM devrait leur expliquer que seul le Médiateur avait l’autorité de reconvoquer tous les signataires de Lusaka au cas où l’Accord échouerait, tandis que lui, en sa qualité de Facilitateur, convoquerait les signataires congolais au Dialogue au fur et à mesure qu’ils seraient prêts. Pour l’instant, il devait attendre les vues du nouveau régime à Kinshasa. Le 27 janvier nous arrivâmes à Lomé dans un avion affrété, via Ndola, en Zambie, où nous reprîmes du carburant et reçumes nos autorisations de vol définitives à la toute dernière minute par téléphone satellite. Le Pr. Tevoedjre nous rejoignit à Lomé. Le lendemain matin nous fûmes conduits devant le Président Eyadema, l’un des chefs d’État africains restés le plus longtemps en exercice et, à l’époque, Président de l’OUA.14 Son fils nous servit d’interprète, à mon grand soulagement. Il était 10h30 et un verre de champagne fut placé devant chaque membre de notre groupe. QM ne boit pas d’alcool mais Gilbert, son secrétaire particulier, et moi-même, ainsi que le President Eyadema, en bûmes plus d’un verre. M. Mogwe se montra plus maître de lui-même. QM informa le Président des événements qui avaient précédé l’impasse en RDC et expliqua ses plans pour relancer le dialogue au cas où le gouvernement y serait disposé. Je donnai un exemplaire de l’Accord de Lusaka au ministre des Affaires étrangères, Kofi Panou. Le Pr. Tevoedjre fit remarquer qu’une profusion d’initiatives n’était guère utile. Le Président Eyadema dit qu’il avait reçu une délégation du nouveau gouvernement un jour ou deux auparavant et osait espérer qu’elle accepterait le DIC, malgré son allusion à l’idée d’une co-facilitation. Il produisit un calepin percé d’un trou de balle qui lui aurait sauvé vie dans un attentat, cita Victor Hugo et nous conseilla de croire en Dieu et en Allah. D’une utilité plus immédiate fut son coup de téléphone au 14

Le Président Eyadema décéda en février 2005, ce qui précipita une crise politique lorsque des officiers de l’armée togolaise modifièrent la constitution et installèrent son fils à la présidence.

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Président du Congo Brazzaville, Denis Sassou Nguessou, lui annonçant que nous étions en route. Après un déjeuner avec les fonctionnaires togolais, nous décollâmes pour Brazzaville et, les yeux encore sur les tours de Kinshasa sur l’autre rive du fleuve Congo, nous atterrissions à l’aéroport de Brazzaville. Le Président Sassou Nguessou et son ministre des Affaires étrangères, Adada, nous accueillirent et écoutèrent l’introduction du Pr. Tevoedjre. QM répéta son résumé de la suite d’événements qui avait abouti à la situation présente. Le Président Sassou Nguessou avait essayé discrètement d’assurer l’exécution du cessez-le-feu en RDC et nous fit bien comprendre qu’il n’appréciait pas qu’on l’ait exclu du processus de Lusaka – son pays était directement concerné par les événements en RDC, avec laquelle il partageait une longue frontière et beaucoup des soldats de l’ancien gouvernement de la RDC s’étaient réfugiés à Brazzaville. Nous discutâmes de la possibilité de prendre contact discrètement avec le nouveau président de l’autre côté du fleuve et un émissaire fut envoyé à Gaétan Kaekudji à Kinshasa, apportant les condoléances de QM et demandant s’il serait convenable que QM traverse le fleuve pour voir le nouveau président. Nous nous retirâmes à notre hôtel et attendîmes. Le ministre des Affaires étrangères revint avec la nouvelle que les Congolais remerciaient QM de son message de condoléances mais préféraient reporter toute réunion jusqu’à ce qu’ils aient organisé le nouveau gouvernement, après quoi ils nous feraient signe. Notre prochain arrêt fut la capitale nigériane Abuja, où nous dûmes attendre cinq heures, l’avion présidentiel transportant le Président Obasanjo ayant connu une défaillance technique, ce qui avait retardé son retour d’une réunion du Forum économique mondial à Davos. Les Nigérians se montrèrent très hospitaliers. Le ministre des Affaires étrangères nous servit le thé et expliqua son problème avant de nous installer dans une maison d’hôte et de nous inviter à déjeuner. Enfin on nous convoqua dans une salle pour attendre l’arrivée du Président Obasanjo, qui fit une entrée majestueuse, resplendissant dans ses habits traditionnels et suivi d’une escorte d’au moins vingt personnes. Lui et QM s’assirent au fond d’une grande salle de réunion et, de loin, visiteurs et escorte tendirent l’oreille pour entendre ce qu’ils se disaient. Il était évident que le dirigeant nigérian soutenait le processus de Lusaka et poussait pour que les signataires se réunissent 93

à nouveau, ce qui nous encouragea, mais la réunion avait à peine duré une vingtaine de minutes qu’il se dirigeait vers une autre. Il nous importait cependant qu’il y ait au Nigeria une certaine compréhension de nos difficultés. L’étendue du pays, ses richesses en pétrole et ses interventions bien connues dans le but de mettre fin aux guerres civiles dans la région font que, avec l’Afrique du Sud, il est considéré non seulement comme une puissance majeure sur le continent mais aussi comme candidat à un siège permanent au Conseil de Sécurité, en tant que représentant de l’Afrique, si tant est qu’une réforme du Conseil voie jamais le jour. S’il est vrai que personne ne met en doute la crédibilité démocratique du Président Obasanjo, les problèmes auxquels il se trouve confronté n’en sont pas moins nombreux et décourageants. Toutefois, nous allions profiter de son soutien au processus et aussi, plus tard, de celui de deux Nigerians éminents dans la Commission de Défense et de Sécurité du DIC, à savoir l’ancien président Abu Bakr et l’ancien ministre des Affaires étrangères Babagana Kingibe.15 D’Abuja nous prîmes l’avion pour Cotonou, capitale du Bénin, où résidait le Pr. Tevoedjre, et scène de notre tentative échouée, huit mois auparavant, pour réunir les Congolais dans une réunion préparatoire. Le lendemain matin nous rencontrâmes le Président Kerekou, son ministre des Affaires étrangères et son ambassadeur en RDC. Il nous fit remarquer que le discours inaugural du nouveau président à Kinshasa avait été suffisamment encourageant aux yeux de la « Troïka » pour lui valoir d’être invité immédiatement à Washington, Paris et Bruxelles. On l’avait ainsi effectivement reconnu comme chef d’État, malgré ce qu’avait décidé le sommet France-Afrique. Le Président Kerekou se méfiait de l’implication des puissances occidentales et conseilla à QM de chercher de l’aide auprès de Kofi Annan et de plusieurs présidents africains. Le ministre des Affaires étrangères avait prévu un déjeuner pour nous, à l’issue duquel nous quittâmes le Pr. Tevoedjre à Cotonou et poursuivîmes notre chemin pour Bangui, capitale de la République centrafricaine ; nous reçûmes une fois de plus nos autorisations de vol par téléphone, à la dernière minute. À l’aéroport de Bangui une garde 15

Babagana Kingibe est actuellement l’Emissaire spécial de l’UA au Soudan.

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d’honneur et un tapis rouge nous attendaient. QM passa en revue la garde et nous fûmes transportés en grand cortège devant les citoyens démunis de Bangui. On nous conduisit au palais, tristement célèbre depuis son occupation par le Président Bokassa, et on nous installa dans un ensemble d’appartements. Soucieux d’être correctement informé, je demandai au jeune homme poli qui nous avait reçus qui était le ministre des Affaires étrangères. Il me regarda et dit : « C’est moi ». Pour couvrir ma confusion, je lui demandai d’écrire son nom sur mon calepin. Il s’appelait Marcel Metefara. Une pause avait été prévue pour que nous nous reposions avant d’être convoqués dans ce qui s’avéra une réunion du cabinet, sous la présidence du Président Ange-Félix Patasse et en présence de deux hauts fonctionnaires de l’ONU, un RSSG, le Sheikh Tidiane Sy et le représentant résident du PNUD, Deolinda Almeida : la RCA se trouvait pour ainsi dire sous la tutelle de l’ONU, tant elle était devenue instable. QM présenta son résumé des événements désormais bien répété, que je traduisis. Le Président Patasse commença à répondre, par le truchement d’un interprète officiel du gouvernement. QM me donna un petit coup de coude et me demanda si je ne pouvais pas faire mieux. Je répondis par l’affirmative et QM demanda que l’on me permette de prendre la relève. Plus tard il me confia qu’il avait mieux compris le français du président que l’anglais de son interprète. À ce moment-là, le Président Patasse – destitué depuis – se trouvait dans une situation curieuse. Il soutenait le MLC de Jean-Pierre Bemba, qui avait des troupes le long de sa frontière, mais tenait en même temps à garder de bonnes relations avec le gouvernement de Kinshasa. Il débordait de louanges pour le Président Kadhafi de Libye, qui avait aidé la RCA lorsqu’elle avait subi un afflux de réfugiés congolais, mais il reconnaissait en même temps être désormais le client de l’ONU, en quelque sorte, depuis que les Français, ayant conclu qu’ils n’y pouvaient plus grand’chose pour améliorer la gouvernance en RCA, avaient transmis leur opération de maintien de la paix à l’ONU. Tout comme le Président Sassou-Nguessou, le Président Patasse n’était pas content que l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka, mené par la SADC, n’ait pas inclus tous les voisins de la RDC, puisque ceux-ci étaient touchés de près par la guerre du Congo. Son propre pays abritait 25 000 réfugiés venus de la RDC, avec laquelle il avait beaucoup plus de liens que quelques-uns des pays les plus éloignés de 95

la SADC. Par exemple, sa principale liaison de transport fluvial, le fleuve Oubangui, qu’il partageait avec la RDC, avait été bloqué à cause de la guerre. Ses factures d’importation avaient doublé en conséquence, et tous les produits importés devaient passer désormais par Douala au Cameroun, à 1 200 km de mauvaises routes. Comme tous les autres présidents que nous avions rencontrés, le Président Patasse était persuadé qu’il y avait suffisamment de dirigeants africains qui étaient prêts à exercer une pression sur le gouvernement de Kinshasa pour que QM reçoive enfin l’autorisation d’exécuter sa tâche. Lui aussi offrit son soutien. Vers 22h00, après une réunion prolongée, QM, Malatsi et moimême, les seuls survivants de son groupe, fûmes conduits dans une grande salle où nous attendait un banquet de poulet et de poissons, suivi de camembert de France, d’ananas et de vin de bordeaux. Je m’assis entre le ministre de la Défense et la mairesse de Bangui, me rappelant la vieille observation ambassadoriale selon laquelle il faut « apprendre à manger pour sa patrie ». Malgré ses habitudes de couche-tôt, QM resta imperturbable pendant que son équipe « mangeait pour le Botswana ». Quels que fussent la pauvreté et les problèmes de la RCA, son gouvernement se montra accueillant envers nous et hospitalier à l’excès. De retour dans nos bureaux, il nous fallut un certain temps pour digérer ce que nous avions appris, en discuter avec nos collègues et envoyer des lettres de remerciement à tous ceux qui nous avaient reçus ou aidés. Plus important encore, nous avions fait notre possible pour corriger toute négligence éventuelle à l’égard des pays voisins du nord-ouest de la RDC. Cependant, nous n’étions guère plus renseignés quant à la possibilité d’une réunion des États signataires de l’Accord de Lusaka ni sur les chances d’une initiative rivale de la part d’États non inclus. Nous convoquâmes donc une réunion d’un jour, dans un hôtel de Gaborone, pour l’ensemble de notre équipe ; le Pr. Lebatt fut invité à se joindre à nous pour remettre en question nos options. L’un des résultats fut que nous organisâmes pour QM une réunion avec le Président Bongo ainsi qu’avec un émissaire du gouvernement de Kinshasa, au sujet de qui nous avions commencé à recevoir des messages de la part du Pr. Tevoedjre. Cet émissaire désirait apparemment rencontrer QM en présence du Président Eyadema, ce 96

que nous réussîmes à organiser. La réunion avec le Président Bongo fut cordiale. Il ne se voyait pas comme un co-facilitateur, mais offrit toute l’aide qu’il pouvait nous accorder et dit qu’il acceptait volontiers d’accueillir la réunion préparatoire à Libreville. L’émissaire de Kinshasa s’avéra être un certain pasteur Mulunda, ecclésiastique congolais basé à Nairobi. En présence du Président Eyadema, il expliqua que le gouvernement, tout en trouvant que QM manquait d’objectivité, était prêt à aller de l’avant et à ouvrir un nouveau chapitre à condition que l’OUA identifie un co-facilitateur. QM expliqua qu’il avait été choisi par les signataires de Lusaka, non par l’OUA, et que c’était aux signataires de faire les changements qu’ils désiraient. Nous suggérâmes à l’émissaire comme préalable à tout progrès éventuel que le nouveau gouvernement invite QM à le rencontrer le plus tôt possible. Le pasteur Mulunda promit de nous appeler dès qu’il aurait parlé à son gouvernement. Nous reçûmes alors la visite à Gaborone de Kamel Morjane, le RSSG de l’ONU à Kinshasa et directeur de la MONUC. Il avait grand espoir que le nouveau gouvernement traiterait la MONUC et le Facilitateur autrement que ne l’avait fait son prédécesseur et que le prochain sommet de Lusaka débloquerait tout le processus. Son optimisme était bien fondé. Quand le sommet eut finalement lieu, le 15 février, le Président Kabila déclara publiquement qu’il acceptait désormais QM comme Facilitateur et que celui-ci serait invité à Kinshasa sous peu. Tous les signataires étaient présents à l’exception du Rwanda. (L’explication rwandaise était que le rôle de la Zambie, en permettant la retraite des forces du gouvernement congolais sur son territoire – après leur défaite contre la RDC et les forces du Rwanda, près de Pweto au sud-ouest de la RDC à la fin de 2000 – avait eu pour effet qu’il était désormais impossible de considérer la Zambie comme neutre.16) Hormis ce contretemps, il semblait y avoir un progrès. Le gouvernement congolais déclara qu’il était maintenant prêt à tenir ses promesses dans le cadre des plans de désengagement qui avaient été élaborés à Kampala et Harare après l’Accord de Lusaka et qu’il accepterait également que la MONUC déploie des troupes de maintien de la paix ainsi que des observateurs militaires. À première vue, le 16

Joseph Kabila, alors chef d’état-major de l’armée du gouvernement, avait luimême regagné ainsi Kinshasa en passant par la Zambie.

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gouvernement était maintenant disposé à œuvrer pour l’application de l’Accord que son leader précédent avait d’abord signé puis frustré. En vérité, le nouveau président se voyait contraint d’accepter de reprendre ce que son père avait signé, étant donné la pression politique de toutes parts en faveur de la paix, les défaites militaires au Katanga, et sa propre accession encore incertaine à la présidence. QM émit un communiqué de presse saluant la nouvelle avant de partir pour New York, avec M. Mogwe et Bo Heineback, pour informer le Secrétaire général de l’état d’avancement des négociations. Il avait été invité à s’adresser aussi au Conseil de Sécurité, ce qu’il fit le 23 février. Il rencontra ensuite un groupe de vingt bailleurs de fonds, donna une interview à la chaîne CNN et convint, avec l’organisation mère de la MONUC, le DPKO, du détachement de dix membres du personnel en vue de suppléer notre bureau de Kinshasa, le moment venu. D’une utilité plus immédiate fut son entretien avec le nouveau ministre des Affaires étrangères de la RDC, Léonard She Okitundu, avec qui il discuta du moment idoine pour une visite à Kinshasa et de la possibilité de rencontrer Joseph Kabila pour la première fois lorsqu’ils se trouveraient tous les deux – le Président et le Facilitateur – en Libye au début de mars. (QM allait en Libye pour recevoir une décoration.) La réunion eut lieu comme prévu et le Président Kabila annonça à QM qu’il l’inviterait officiellement à Kinshasa. QM rentra au Botswana en passant par Bruxelles, où il mit au courant un Louis Michel inquiet. Celui-ci nous offrit toute l’aide dont nous pourrions avoir besoin. Comme jusqu’alors la moitié seulement de nos bailleurs de fonds avaient tenu leurs promesses, QM fut obligé de suggérer qu’une augmentation des financements belges serait fort appréciée. J’allai à Nairobi, à Kampala et à Kigali avec trois membres de notre équipe pour parler à la communauté humanitaire, informer les bailleurs de fonds et les diplomates et assurer à notre réseau de contacts en pleine expansion que nous comptions bien pouvoir avancer, installer un représentant à Kinshasa et convoquer bientôt une réunion préparatoire plénière. Compte tenu des événements qui se déroulaient maintenant, nous décidâmes qu’il nous faudrait faire une autre visite en Europe pour parler plus en détail à l’UE et aux Belges en particulier de nos besoins 98

en financements et comment ils pourraient nous aider. Nous voulions également aborder les préoccupations qui s’exprimaient dans les pays donateurs au sujet de la structure que nous avions planifiée pour le DIC, que l’on disait trop lourde du haut avec des commissions trop coûteuses. Les commissions au Burundi s’étaient apparemment avérées impopulaires auprès des bailleurs en raison de leur coût et de leur durée excessifs. Effectivement, nous avions déjà décidé de ne pas payer d’indemnité quotidienne aux Congolais pour rester assis dans des hôtels confortables à débattre de leur avenir. Nous préférâmes le système bien moins coûteux qui consistait à payer le gîte et le couvert seulement, tout en versant une modeste allocation (appelée faux frais) pour couvrir les menues dépenses comme la lessive et pour permettre à tout délégué démuni de se payer une tasse de café de temps en temps. Il nous fallait aussi discuter nos plans plus en détail avec les parties congolaises. Une fois réunis au Botswana, nous reçûmes la visite du Dr Adolphe Onusumba, nouveau chef du RCD, qui arriva avec son prédécesseur, le Dr Émile Ilunga, et leur nouveau représentant sudafricain, Thomas Nziratimana. Ils étaient venus voir l’ANC en Afrique du Sud et faire leur première visite au Botswana. À l’issue d’une réunion de trois heures, QM nous invita à déjeuner et prit des dispositions pour que notre chauffeur fasse visiter Gaborone à nos invités. Leur petite excursion dans une ville propre, ordonnée et qui fonctionnait leur fit se demander tout haut ce qu’aurait pu être le Congo s’il avait été doté d’une bonne gouvernance. Cela donnait à réfléchir. Lors de l’indépendance, en 1960, le produit national brut du Congo était comparable à celui de l’Afrique du Sud. Quarante et un ans plus tard, les villes du Congo étaient en ruines, ses mines fonctionnaient à peine, ses populations mourraient de maladies et de malnutrition et ses ressources étaient détournées par ses propres citoyens et par ses voisins. L’intérêt grandissant suscité par notre travail assurait un flux de plus en plus important de visiteurs alors que nous étions fort occupés à réexaminer les structures du dialogue et les meilleurs moyens de nous y préparer, de le financer et de l’organiser. Alors M. Mogwe emmena une équipe aux bureaux de l’ACCORD (Africa Centre for the Constructive Resolution of Disputes) à Durban (Afrique du Sud), pour des discussions sur leur expérience en matière de résolution des 99

conflits. Le directeur de l’ACCORD, Vasu Gounden, homme habile et expérimenté, suggéra qu’il pourrait être utile de commencer par réunir encore une fois les rebelles et le gouvernement afin de réaffirmer leur engagement à respecter les principes de Lusaka. Ils pourraient faire une déclaration publique collective ou signer un document et relancer effectivement le processus. Cette démarche aurait pour objectif de forger des relations et d’établir les niveaux minimum de confiance avant que nous nous appliquions à discuter avec toutes les parties d’une réunion préparatoire pour convenir des détails. Pendant ce temps, QM rencontra le père Zuppei, venu à Gaborone à son invitation pour voir où nous en étions. Peu après, le 14 mars, le pasteur Mulunda, émissaire de Joseph Kabila, arriva au Botswana après un préavis de quelques heures seulement, et suggéra à QM de l’accompagner à son retour à Kinshasa. Nous avions déjà pris la précaution de nous assurer qu’un avion affrété serait toujours en stand-by et, sitôt réglé un nouveau problème d’autorisation de vol, QM put s’envoler pour Kinshasa, avec le pasteur, M. Mogwe et le Pr. Lebatt. Ils furent reçus avec courtoisie dans la capitale et logés dans la maison d’hôte présidentielle, à la différence de leur dernière visite. Ils eurent une réunion fructueuse avec le jeune président et passèrent toute la matinée avec lui ; ils firent savoir qu’ils avaient le sentiment que se profilait une relation plus constructive que celle qu’il y avait eu avec Kabila père. QM partit ensuite rencontrer le commissaire au développement de l’UE, Poul Nielson, à une réunion de l’UE/ACP au Gabon, avant de continuer sur Bruxelles pour les réunions de suivi que nous avions prévues avec l’UE, les Belges et le nouvel émissaire spécial britannique, Ian Whitting. À ce stade, nous étions établis depuis un plus d’un an et avions dépensé environ 20% du budget prévisionnel originel estimé à 6 millions de dollars pour un an. Malheureusement, notre travail ne faisait que démarrer et nous avions de nouveau à nous plaindre des promesses non tenues – nous avions en effet reçu moins de la moitié (46%) de ce qui nous avait été promis et il était désormais évident que tout le processus durerait au moins deux fois plus longtemps que ce que nous avions prévu à l’origine. Le rythme effréné des voyages, des réunions, de la planification et de l’organisation commençait à nous mettre à rude épreuve. Comme 100

les politiciens ou les artisans de la paix partout ailleurs, nous étions disponibles 24 heures sur 24, travaillions les week-ends aussi d’habitude, n’accomplissions jamais tout à fait la liste des tâches que nous nous étions fixées et étions constamment obligés de changer nos plans pour répondre à de nouveaux événements. Nos deux hommes d’État plus âgés étaient, du moins en apparence, les plus détendus. J’étais fatigué, non seulement en raison des exigences du processus, mais aussi à cause des difficultés à souder une nouvelle équipe d’individus très volontaires qui n’avaient jamais rien fait de comparable – comme moi, du reste. J’étais rassuré en parlant à quelques-uns de nos collègues plus jeunes qui avouaient se ressentir eux aussi de ce rythme impitoyable. Un jour que je quittais le bureau de QM en lui disant qu’il valait peut-être mieux le laisser se reposer un peu, il répondit : « Vous me laisserez me reposer le jour où vous verrez ma tombe. » Du coup nous continuâmes. À Bruxelles nous commençâmes par Chris Patten, commissaire aux relations extérieures. QM récita à nouveau son résumé du chemin parcouru jusqu’alors et nous examinâmes ensemble quelques-uns des obstacles qui nous attendaient. Par exemple, nous n’avions pas encore de représentant à Kinshasa et il y avait à l’évidence des forces au sein du nouveau gouvernement qui se cramponnaient à la ligne adoptée par l’ancien : QM n’était pas digne de foi, le pays était purement et simplement victime de l’agression étrangère et il appartenait exclusivement au gouvernement d’organiser tout dialogue national. Le commissaire fut calme et constructif, à la différence de l’énorme foule des membres de la Diaspora congolaise qui nous attendaient après à la Mission botswanaise auprès de l’UE, foule bien trop nombreuse pour entrer dans la modeste salle de réunion prévue. Finalement l’ambassadeur, d’une patience à toute épreuve, les persuada de se regrouper et de nous rencontrer à notre hôtel le lendemain matin. J’eus une brève réunion avec le nyimi ou roi des Bakuba, de l’est du Kasaï, qui lança un vif appel pour que QM soit soutenu par le biais d’un comité d’autorités traditionnelles congolaises, tels que les chefs de clan et les anciens. C’était une idée que nous ne pûmes jamais adopter, en grande partie en raison du rythme auquel nous étions tenus d’avancer. Ensuite nous rencontrâmes Ian Whitting, le nouvel émissaire britannique, qui expliqua que le Premier ministre et le ministre des 101

affaires britanniques venaient de rencontrer le Président Kabila et surveillaient donc les événements avec intérêt. QM évoqua les pressions exercées sur lui de tous les côtés alors qu’il devait en même temps avancer avec prudence afin d’obtenir le feu vert pour procéder à l’organisation de la réunion préliminaire des trois belligérants congolais. Cette réunion était, à son avis, indispensable pour obtenir la réaffirmation de leur engagement. Il ignorait encore si Joseph Kabila accepterait cette démarche, bien qu’il lui en eût fait part. Il lui restait encore à rendre une nouvelle visite aux rebelles afin de leur présenter l’idée en personne. Il n’était pas prêt à risquer un nouveau Cotonou. Nous allâmes revoir Louis Michel au ministère belge des Affaires étrangères. Il nous mit au courant de ses contacts récents avec Joseph Kabila et des plans belges pour aider à la reconstruction de la RDC. QM lui expliqua que l’un des problèmes qu’il prévoyait était l’exigence qui lui était imposée aux termes de l’Accord de Lusaka d’accorder à chaque partie un statut égal dans le cadre des négociations et de n’accorder de veto à aucune d’entre elles. Il sentait que le nouveau président n’était pas content d’être traité sur un pied d’égalité avec les rebelles. Jean-Pierre Bemba craignait l’inverse : que Joseph Kabila participe au Dialogue en tant que président, présidence à laquelle le MLC à laquelle le MLC refusait toute légitimité. (En l’occurrence, le jeune président n’assisterait jamais au Dialogue proprement dit ; il fit cependant une apparence gênée à l’ouverture de la réunion préparatoire plus tard cette année-là. Voir plus bas le Chapitre IX.) Louis Michel était en contact régulier avec les parties congolaises et nous tenions fort à ce qu’il comprenne les principes que nous devions respecter dans l’hypothèse où nous les réunirions pour débattre d’un nouvel ordre politique. À la fin de la discussion, Le Soir interviewa les deux hommes ensemble. Il n’y eut aucune autre allusion à une réunion au Gabon, à un co-facilitateur ni à une initiative du Niger. Le lendemain matin nous rencontrâmes un britannique, Brian Crow, directeur général du département des relations extérieures de Javier Solana, département qui chevauchait avec celui de Chris Patten, à la grande confusion de quiconque n’avait pas affaire aux structures de l’UE sur une base quotidienne. Avec l’expansion de l’UE, ce problème a été résolu depuis. Javier Solana était en voyage officiel en Macédoine, mais nous réussîmes à le rencontrer plus tard à Kinshasa. 102

Nous informâmes M. Crow du processus et écoutâmes son explication des limites imposées au budget de l’EU jusqu’en 2006. L’après-midi, le Pr. Tevoedjre présenta QM et M. Mogwe présida la séance pour recevoir les questions lancées par les membres turbulents de la Diaspora, dans une salle de réunion de notre hôtel. M. Mogwe les obligeait à se présenter et prenait leurs questions par lots de quatre ; ensuite QM y répondait. Les questions portaient principalement sur manière dont nous organiserions la représentation des parties congolaises au Dialogue, le statut des parties et la date où les réunions commenceraient. Ils désiraient également que la Diaspora y soit représentée, mais QM dut réitérer qu’il leur faudrait se trouver des places aux côtés de leurs compatriotes dans l’une des catégories suivantes : gouvernement, opposition armée, opposition non armée ou société civile – aucune autre possibilité n’avait été prévue pour la participation des membres de la Diaspora, aussi regrettable que cela pût leur paraître. QM et moi-même dûmes alors sortir discrètement en laissant le Pr. Tevoedjre et M. Mogwe affronter le feu de la discussion pendant que nous allâmes rencontrer Poul Nielson, ce Danois cérébral à la voix douce qui dirigeait le département du développement de l’UE. Comme c’était lui qui exerçait le contrôle final des fonds que nous recevions de l’UE, il importait, de notre point de vue, que les deux hommes se comprennent. Il s’entendirent à merveille, à tel point que je perdis complètement le fil de la conversation et ne réussit à le rattraper que lorsque Poul Nielson se reprocha de s’être laissé aller à spéculer sur des affaires où il n’avait qu’une expérience limitée – « je suis comme un aveugle parlant de couleurs », observa-t-il. Ce sentiment me parut pouvoir s’appliquer aussi bien à l’électorat congolais privé depuis quarante ans du droit de choisir ses dirigeants. Le commissaire était formel : les Congolais ne pouvaient s’attendre de la part de l’UE à des contributions substantielles tant qu’il n’y aurait pas eu de réels progrès sur la voie d’un nouvel ordre politique. En ce qui nous concernait, nous avions reçu maintenant 40% de ce que l’UE nous avait promis, et il nous fallait rendre compte de comment nous avions dépensé cette tranche avant que le reste puisse être débloqué. Nous en prîmes note. Réunis à nouveau la semaine suivante dans notre bureau de Gaborone, nous mîmes en branle des plans pour rendre visite au RCD 103

et au MLC dans l’est du Congo, mais prîmes également le temps d’organiser ce que l’ONU appelle un atelier et que les Américains appelleraient une retraite. Nous fîmes venir Vasu Gounden et son collègue Jerome, de l’ACCORD, pour deux jours et nous nous cachâmes dans la petite réserve naturelle de Mokolodi, à quelque distance de la capitale, sous un abri en toile, entouré de verdure. Ici nous identifiâmes nos fonctions primaires – stratégie, recherche, communications, et administration – ainsi que les niveaux auxquels elles devraient être conduites – et les différents domaines de responsabilité personnelle. Nous réexaminâmes aussi notre public principal, les parties congolaises ayant signé l’Accord de Lusaka, ainsi que les groupes secondaires auxquels il nous fallait néanmoins nous adresser, gouvernements régionaux, bailleurs de fonds, organisations internationales, gouvernements non africains, aussi bien que les analystes, journalistes et autres commentateurs qui observaient. Nous nous mîmes également d’accord sur les six principes que nous demanderions aux belligérants d’approuver, si toutefois nous parvenions à les rassembler dans une réunion pour qu’ils réaffirment publiquement leur engagement en faveur du processus : l’intégrité souveraine de la DRC ; une nouvelle armée nationale ; des élections ; des contrôles de l’utilisation des ressources ; et la liberté d’activité politique. Munis d’une vision revue et corrigée de nos responsabilités et d’un projet de principes destiné à la discussion, nous prîmes un vol pour Nairobi, où nous attendait un avion affrété, et nous nous dirigeâmes encore une fois vers l’est de la DRC pour consulter les rebelles au sujet de leur participation à une telle réunion.

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CHAPITRE VIII RRE MOGWE PART EN TOURNÉE

Dialogue intercongolais/Comité préparatoire : A dater du 10 juin, une importante délégation du bureau du facilitateur entreprend une tournée dans les 11 provinces de la Rdc en vue de superviser la désignation des représentants des parties. A cet effet, l'on parle déjà des premières difficultés de Masire! Comment va-t-il procéder à cette désignation? (LE POTENTIEL, 6/6/01) Rre Mogwe17 a connu beaucoup de choses dans sa vie – l’école de missionnaires, l’époque coloniale, l’apartheid, l’administration locale, l’indépendance, les diamants, les Affaires étrangères, les incursions armées, les disputes de frontière, la diplomatie et maintenant la tentative de résolution du plus grand conflit de l’Afrique. Il est d’une résistance à toute épreuve. Quand la facilitation était encore à ses débuts, vers la mi-juin 2000, alors que je me trouvais à Bruxelles et que QM était en mission en Malaisie, il fallut que Rre Mogwe se rende à New York pour prononcer un discours devant le Conseil de Sécurité. Or il se trouvait en Libye ; je finis par le joindre sous une tente où il attendait de voir le colonel Kadhafi. Sans plus de cérémonie il quitta la Libye et rentra au Botswana en passant par l’Afrique du Sud. Son épouse Serara lui remit une valise d’habits propres et il reprit aussitôt un vol direct pour New York, rédigea son discours dans l’avion et le présenta sans hésitation, avec, en plus, une phrase invitant les ambassadeurs de cet organisme controversé à visiter le Botswana afin de goûter la viande de bœuf si réputée de ce pays. Des hommes de la moitié de son âge auraient eu du mal à suivre, mais lui, dans sa quatre-vingtième année, parut imperturbable, se plaignant seulement que, le temps d’arriver au Botswana après 24 heures de voyage, il ait grandement besoin d’une douche et de vêtements frais.

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Rre est la formule polie pour s’adresser à un homme mûr en setswana.

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QM décida que Rre Mogwe et le Pr. Lebatt partiraient en tournée dans les onze provinces du Congo pour rencontrer la société civile et l’aider à désigner ses représentants au DIC. Malgré la confusion à Lusaka, nous avions réussi à tenir quelques discussions avec le RCD et le MLC, pendant que nous attendions l’arrivée du gouvernement, au sujet de la composition de la société civile en RDC. On nous assura que le terme anglais civil society ne rendait pas toute la portée de forces vives en français. Nous avions affaire à quelque chose qui, tel l’éléphant, est plus facile à reconnaître qu’à décrire. Plusieurs éléments furent identifiés – groupes religieux, autorités traditionnelles, associations professionnelles, syndicats, chambres de commerce, associations de jeunes et formations d’ONG. J’avais vu moi-même, en travaillant dans l’est de la RDC, que la société civile était devenue la principale source de prestation de services d’éducation et de santé face à un système d’État qui imposait la population mais ne lui fournissait rien en échange. Au Soudan du Sud, dans les années 1990, l’ONU avait presque créé la société civile en finançant la mise en place d’ONG soudanaises, alors qu’il en avait existé très peu jusqu’alors. De façon générale, en abordant n’importe quel mal social, il était devenu de bon ton d’invoquer l’implication de la société civile. Quelles qu’elles soient, ces forces vives, M. Mogwe et le Pr. Lebatt les dépisteraient dans chaque province et superviseraient leur choix de représentants au DIC. Pour leur faciliter la tâche, ils seraient accompagnés par Mory Toure du bureau de Kinshasa, et par Ugo Solinas et Nana Rosine, qui s’étaient joints à nous à Gaborone plus tôt dans l’année et apporteraient leur jeunesse et leur énergie à la sagesse et à l’expérience de leurs aînés. En outre, Haïfa Beddredine, jeune libanaise détachée de la MONUC, irait avec eux pour faire l’interprète aux côtés de Rre Mogwe. Un avion fut affrété et un itinéraire établi. À le dire ainsi, cela évoque des actions très simples, mais rien n’était simple au Congo. Certaines provinces étaient tenues par des rebelles, d’autres par le gouvernement et d’autres encore par deux, voire trois des belligérants. Nous ne savions même pas s’il était possible de nous rendre en avion dans toutes les provinces, et encore moins d’y organiser des réunions de la société civile. L’administration locale était le plus souvent en panne, les communications étaient presque inexistantes et la sécurité était incertaine dans certaines régions. Même la MONUC et les organisations humanitaires n’avaient pas tenté une 106

tournée complète du pays entier. C’était certainement la première fois que le peuple congolais en dehors de Kinshasa et des grandes villes avait l’occasion de s’exprimer réellement au sujet de ses préoccupations en ayant la certitude de pouvoir les faire connaître plus tard à un forum plus large, international, par le truchement de leurs représentants. Au cours de la planification de cette expédition, nous nous réunîmes à Gaborone pour étudier les leçons tirées de la rencontre que nous venions de tenir à Lusaka et les moyens de les appliquer à notre prochain défi – la réunion préparatoire destinée à obtenir l’accord de toutes les parties sur le nombre de représentants qui participeraient au Dialogue, la date et le lieu de sa tenue, le contenu exact de l’ordre du jour et le règlement intérieur. Le Pr. Lebatt nous fit part de ses vues ; il apprenait encore l’anglais à ce stade et inventa malgré lui deux nouveaux termes : il nous mit en garde contre le danger de « complifier » (complify) les choses à force de « hâtisme » (hurryism). Dans sa réunion d’information avec le corps diplomatique à son retour au Botswana, QM le formula plus poétiquement : « Ne courez point si vite, sinon vous laisserez votre chance derrière vous ». L’une des tâches immédiates de QM fut de faire le tour des principaux chefs d’État afin de les informer des progrès réalisés en vue du DIC et de les encourager à remplir les engagements qu’ils avaient pris collectivement lors de l’Accord de Lusaka. À la mi-mai, en Afrique du Sud, il fit un compte rendu à une délégation du Conseil de Sécurité en visite dans la région. Début juin, QM informa son propre gouvernement, expliquant au Président Festus Mogae et au ministre des Affaires étrangères, Mompati Merafhe, les tribulations qui avaient précédé la signature de la Déclaration de Principes à Lusaka. Il expliqua aussi la vue du gouvernement congolais selon laquelle il ne saurait y avoir de DIC avant le retrait des troupes étrangères de la RDC et l’intention de Joseph Kabila de faire pénétrer son gouvernement dans les régions ainsi évacuées pour les administrer. C’était le contraire de ce qui était prévu dans l’Accord de Lusaka, qui envisageait, avant le DIC, un retrait des troupes jusqu’à des positions surveillées par l’ONUet le retrait de toutes les forces

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étrangères dans 90 jours à compter de la fin du DIC – il était à espérer qu’il y aurait alors de nouvelles institutions pour remplir le vide18. Un certain nombre d’événements commençaient à affaiblir l’Accord de Lusaka et par ricochet la confiance de toutes les parties qui le voyaient comme la garantie d’un nouvel ordre politique en RDC. Bien que le gouvernement eût accepté maintenant l’idée du DIC et de mettre en œuvre l’Accord de Lusaka, il s’acharnait à en modifier les prévisions et rechignait à accorder un statut égalitaire aux rebelles dans les discussions. Par ailleurs, il maintenait la distinction entre « forces d’agression » et « forces invitées », qui ne figurait nulle part dans l’Accord de Lusaka ; il était encouragé dans cette voie par la publication continue des rapports du Panel de l’ONU insistant sur le caractère rapace de l’implication de l’Ouganda et du Rwanda en RDC. En même temps, le jeune nouveau président avait réussi à convaincre les grands et les forts de la Banque mondiale, du FMI, du PNUD et de quelques gouvernements donateurs qu’une reprise de l’aide multilatérale et bilatérale était en cours – et ce malgré l’absence, jusque-là, d’une disposition politique susceptible de produire un gouvernement à large base pour gérer cette aide. C’était à mon avis une erreur de donner la priorité aux besoins économiques – incontestables, certes – de l’ouest sur le processus politique qui intéressait le pays entier, au moment où il y avait des besoins humanitaires très forts, croissants et en grande partie ignorés, notamment dans l’est, où l’IRC continuait à produire des analyses fort inquiétantes d’une surmortalité provoquée par la guerre. Si, sous la férule du Président Mobutu, la vie avait été dure pour les petites gens, elle était désormais insupportable pour des millions de personnes, qui n’avaient pas de sécurité alimentaire, peu de sécurité personnelle et un accès très aléatoire aux soins médicaux et à l’éducation. QM profita aussi de sa réunion avec le Président Mogae pour lancer l’idée de tenir la réunion préparatoire du DIC au Botswana à la mi-juillet. Le Botswana est neutre, bien équipé pour gérer des 18

Le retrait le plus rapide possible des forces ougandaises et rwandaises était bien entendu le but principal de la politique gouvernementale. Toutefois, lorsque la force de défense ougandaise se retira effectivement de l’Ituri au milieu de 2003, en laissant à sa place des mandataires armés, il n’y avait pas d’autorité centrale établie pour mettre fin aux massacres qui s’en suivirent à Bunia et dans la campagne environnante.

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conférences et possède un système de sécurité publique efficace, ce dont ne pouvaient se vanter tous les autres lieux que l’on proposait. Il avait en plus l’avantage d’être notre terrain de base, ce qui nous aurait évité de déplacer la moitié du bureau dans quelque capitale éloignée pour l’y réinstaller à partir de zéro. Le gouvernement du Botswana releva le défi. La date du 16 juillet fut retenue pour la réunion initiale du DIC. À la fin de mai, QM et Bo allèrent à Kigali et à Kampala pour informer les Présidents Kagame et Museveni. À la mi-juin QM rencontra coup sur coup les Présidents Chissano à Maputo, dos Santos à Luanda, Nujoma à Windhoek, Mugabe à Harare et Mbeki à Pretoria. Nous aurions aimé que le Président Chiluba rassemble les chefs d’État régionaux avec les présidents de l’Afrique de l’Est, afin de passer en revue les progrès réalisés en vue du DIC, le déploiement de la MONUC et le désengagement de forces étrangères. Un tel sommet améliorerait, estimions-nous, la capacité des combattants congolais à se concentrer, lorsqu’ils se rencontreraient, sur les questions politiques auxquelles ils étaient confrontés. Aucun des présidents ne s’opposa à l’idée, mais le sommet n’eut jamais lieu. QM voulait entendre leurs vues sur la position du « RCD-K-ML » et l’attitude que nous devions adopter à son égard, puisque le Comité politique de l’Accord de Lusaka avait pu confirmer seulement que la faction de Wamba dia Wamba avait été reconnue de fait dans les autres forums de Lusaka, ce qui nous obligeait à lui accorder une reconnaissance du même ordre. Cela allait jusqu’à un certain point, mais cela faisait abstraction du leadership contesté de la faction et de l’émergence, peu après, d’un autre RCD, le RCD National, qui était considéré par tout le monde comme un groupe soutenu par le MLC en contrôle des diamants dans la région de Bafwasende. Cette faction était sous la direction de Roger Lumbala (qui devint plus tard ministre du Commerce extérieur dans le gouvernement de transition). À peu près en même temps, pendant le mois de juin, nous apprîmes que les troupes du MLC combattaient maintenant celles du RCD-K-ML, sous le commandement de MM. Nyamwisi et Tibasima, à Beni. De toute évidence le FLC ne fonctionnait pas ; quoi qu’en disent les rebelles, les deux hommes luttaient pour prendre le contrôle des ressources dans le nord-est du Congo et essayaient de se positionner de façon à émerger du DIC avec un poste au gouvernement. 109

Pendant ce temps nous développions le bureau de Kinshasa, renforcions le bureau de Gaborone, tout en cherchant énergiquement des personnalités africaines de haut rang pour présider le travail en commissions au DIC et en négociant avec l’USAID sa proposition de financer la réunion préparatoire. Nous avions un problème avec l’USAID et l’UE, chose assez courante lorsqu’on a affaire à des donateurs multiples. Elles avaient tendance à trier sur le volet les projets ou éléments qu’elles voulaient bien financer et à exclure ceux qu’elles ne voulaient pas financer. Si bien que les gestionnaires des finances n’avaient jamais vraiment une quantité d’argent à gérer, mais se voyaient bien plutôt chargés d’affecter un patchwork de dépenses entre les domaines que les principaux bailleurs de fonds voulaient bien ou ne voulaient pas financer. Cela laissait les domaines moins intéressants, tels que les frais de bureaux, aux donateurs les moins exigeants, qui envoyaient de l’argent sans préalables et n’attendaient en retour qu’un rapport financier et politique mensuel. Si les procédures de l’UE et de l’USAID reflètent, certes, un système de contrôle de l’utilisation de l’argent des contribuables occidentaux, ils exigent en même temps des bénéficiaires un travail supplémentaire énorme au niveau des négociations financières et de la présentation des rapports sur les projets. Dans la RDC proprement dite, notre équipe passa la plus grande partie de juin-juillet à visiter 18 villes plus ou moins importantes, dans les 11 provinces.19 En général la visite commençait par le gouverneur, ensuite on rencontrait les organisations internationales présentes, puis les leaders religieux ; enfin on expliquait notre mission aux représentants de la société civile et on attendait qu’ils se consultent entre eux, puis on se réunissait à nouveau pour entendre le résultat de leurs délibérations quant à qui les représenterait à la réunion préparatoire et, plus tard, au DIC proprement dit. L’initiative fut, pour autant que nous puissions en juger, sans précédent. Plus d’une fois l’équipe s’entendit dire par ses interlocuteurs locaux que c’était la première fois que des gens venus de Kinshasa les consultaient sur quoi que ce soit. Il est certain que depuis très longtemps aucun homme

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L’équipe a visité Bandundu, Beni, Bakavu, Bunia, Buta, Dimbelengu, Gemena, Goma, Kalemie, Kananga, Kikwit, Kindu, Kinshasa, Kisangani, Lodja, Lubumbashi, Matadi, Mbandaka, et Mbuji Mayi.

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politique congolais n’avait pu faire le tour du pays entier et tenir des consultations d’une telle ampleur avec des électeurs. Ce fut bien évidemment pour notre équipe une expérience inestimable de voir et d’entendre en direct les préoccupations des Congolais en dehors de Kinshasa et de se faire une idée de l’immensité du pays, des ravages de la guerre et du manque de développement. L’équipe souffrit de malaria et d’épuisement ; il y avait une pénurie de carburant d’aviation et les brumes matinales empêchaient de décoller de bonne heure ; le frère de M. Mogwe décéda et celui-ci dut rentrer pour assister à son enterrement ; l’assurance avion se périma et tout prit plus longtemps que prévu, mais lorsque l’équipe réapparut vers la fin juillet, elle avait avec elle une liste convenue de 54 représentants de la société civile choisis sur place qui avaient été désignés d’un bout à l’autre du pays quasiment sans ingérence de la part des leurs compatriotes armés.20 (La plupart de ces représentants siègent aujourd’hui à l’Assemblée de transition – ou Sénat – de la RDC.) Vers la fin de la mission, QM se joignit à son équipe à Lubumbashi afin de s’assurer personnellement de la manière dont elle s’aquittait de sa tâche. Il l’accompagna jusqu’à Kinshasa, où les attendait leur prochain défi : les partis politiques devaient également désigner un « groupe reconnu et représentatif » pour les représenter au DIC. Étant donné le comportement peu coopératif de ces derniers et leur exclusion du pouvoir jusqu’alors, il n’était guère surprenant qu’ils représentent pour MM. Mogwe et Lebatt un exercice encore plus épuisant que la société civile. Tout ce travail préparatoire indispensable en RDC voulait dire que nous ne pourrions respecter la date proposée du 16 juillet pour la réunion préparatoire. Nous dûmes par conséquent reporter la date au 20 août, après des consultations systématiques avec les parties congolaises, par téléphone et en personne. Les bailleurs de fonds étaient déconcertés : l’ambassadeur américain au Botswana, par exemple, me téléphona pour me communiquer l’inquiétude de 20

À un moment donné l’équipe se trouvait dans un hélicoptère de la MONUC en route pour Dimbelenge – endroit autrement peu connu mais le lieu de naissance du Dr Onusumba, chef du RCD.

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Washington devant le report de la prochaine étape du DIC. Tout atermoiement risquait d’être interprété par ceux qui ne désiraient pas voir le DIC se réaliser comme une raison de passer à l’action. Selon l’un des bruits qui nous parvinrent le retard allait servir de prétexte pour monter à un coup d’État à Kinshasa et faire échouer complètement l’Accord de Lusaka. C’était un risque que nous ne pouvions éviter. Les dégâts occasionnés par une réunion avortée seraient plus importants que ceux qui pourraient découler d’un report. Les opposants n’y pouvaient pas grand-chose et nous non plus : QM dit : « Cela prendra le temps que cela prendra. » Après sa visite à Kinshasa, QM se rendit à Lusaka pour la trenteseptième et dernière réunion de l’ancienne Organisation de l’unité africaine et la naissance de la nouvelle Union africaine. Au milieu de l’agitation générale les organisateurs de la réunion avaient omis de réserver un créneau à un ancien chef d’État venu avec une mission séparée. Je me joignis à lui à ce moment-là et nous nous trouvâmes parqués dans une antichambre confortable du Mulungushi Hall au moment où passait une procession de chefs d’État. Je trouvais quelque peu inconvenant que QM, qui autrefois avaient été des leurs, doive attirer leur attention à partir de la salle d’attente, mais cela réussit. En peu de temps nous parvînmes à tenir de brèves discussions avec les Présidents Bouteflika de l’Algérie, Museveni de l’Ouganda, Kagame du Rwanda, Sassou-Nguessou du Congo Brazzaville, Zenawi de l’Éthiopie, Chissano du Mozambique, Jakaya Kikwete, ministre tanzanien des Affaires étrangères, Ibrahima Fall du département des Affaires politiques de l’ONU et Aldo Ajello, l’émissaire spécial de l’UE. La journée eut pour moi quelques moments divertissants. Tous les hôtels de Lusaka étant complets, je descendais dans une modeste maison d’hôte à la périphérie de la ville. À la fin d’une longue journée, QM eut la gentillesse de demander à son escorte de police zambienne de bien vouloir me raccompagner, puisqu’il était tard et qu’il n’avait pas de voiture à Lusaka. J’étais épuisé par ma journée de rencontres présidentielles et ne me rappelais pas exactement où se trouvait mon logement. Alors je me vis sillonner un faubourg de Lusaka avec un inspecteur de police divisionnaire et deux agents de sécurité dans une berline Mercedes, à la recherche de ma maison d’hôte. Lorsque nous la trouvâmes, le hall et la réception se vidèrent à 112

une vitesse remarquable pendant que mes compagnons attendaient de voir si j’étais bien au bon endroit et bien reçu. Le lendemain matin ils revinrent me chercher. Je surpris quelques regards curieux au petit déjeuner et bénéficiai, avant de partir, d’un service particulièrement rapide. Ce matin-là nous eûmes une réunion avec le Président Mbeki, qui prenait la relève en tant que président de la nouvelle Union africaine et avait donc maintenant une plate-forme à partir de laquelle il pouvait essayer d’aider les Congolais et ses collègues chefs d’État à se sortir de la sale guerre dans laquelle ils s’étaient aventurés. QM lui expliqua les trois raisons principales du report de la prochaine étape. Premièrement, la désignation des représentants de la société civile avait pris plus longtemps que prévu ; deuxièmement, les désignations des partis politiques s’avéraient tout aussi longues à Kinshasa ; et troisièmement, ni les signataires de Lusaka ni leur Comité politique n’avaient pu l’aider à résoudre le dilemme créé par le leadership contesté du RCD-K-ML et l’émergence du RCD-N, qui prétendaient tous devoir être représentés au DIC.21 Le Président Mbeki écouta attentivement ; il pensait que la question du RCD pourrait se résoudre avec de la patience. Il expliqua alors à QM les mesures qu’il avait prises avec les autres chefs d’État pour essayer de s’assurer que les retraits militaires procéderaient conformément aux plans de désengagement négociés à Harare et à Kampala. Sa confiance nous rassura quelque peu, mais nous étions toujours préoccupés par la méfiance considérable et manifeste entre les principaux belligérants, à savoir le gouvernement, le RCD et le MLC. Pour dissiper quelque peu les soupçons, nous décidâmes de convoquer une dernière réunion des trois belligérants congolais, puisque nous voulions leur résumer de vive voix notre mission dans les provinces et les problèmes auxquels était confronté notre bureau de Kinshasa pour réussir à faire sélectionner leurs représentants par les 21

Puisque Wamba dia Wamba, Mbusa Nyamwisi et Roger Lumbala avaient tous été signataires de l’Accord de Lusaka, et que cet accord ne prévoyait pas de scissions ultérieures, leur représentation à toute réunion du DIC dépendrait d’un jugement politique plutôt que d’un jugement juridique.

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partis politiques. Nous tenions également à entendre leurs idées sur l’énigme RCD-K-ML et la représentation des Mai Mai et de la Diaspora congolaise au DIC, en dépit de l’absence de ces deux groupes dans l’Accord de Lusaka. Notre justification d’une telle réunion se trouvait à l’Article 5.4.b de l’Accord de Lusaka, qui disposait que nous devions organiser, avec les parties à l’Accord, des consultations en vue d’inviter les représentants principaux de l’opposition politique et de la société civile à participer aux négociations. Si c’était là la raison officielle, le sous-texte était que nous voulions faire notre possible pour réduire les tensions que nous avions connues à la réunion de signature de la Déclaration de Principes à Lusaka ; plus nous discuterions à l’avance les difficultés des partis, mieux cela vaudrait. Nous avions maintenant réussi, semblait-il, à susciter une certaine confiance auprès des rebelles, mais le Pr. Lebatt n’avait guère passé de temps à Kinshasa, pour cause de mission dans les provinces, et il avait par conséquent peu d’occasions de travailler avec le gouvernement, qui continuait à se méfier de nous. Les trois groupes convinrent d’envoyer des représentants pour conférer avec nous à Gaborone au début d’août. À ce moment, on nous informa que le gouvernement français, qui présidait alors le Conseil de Sécurité, avait eu une excellente idée : la ville de Kisangani devrait être démilitarisée et le Dialogue intercongolais devrait s’y tenir. Kisangani a sa résonance propre dans l’histoire du Congo, depuis l’époque de Patrice Lumumba, lorsque la ville s’appelait Stanleyville. Sa population avait beaucoup souffert pendant les batailles honteuses entre les armées rwandaise et ougandaise. Elle était nominalement sous le contrôle du RCD, dont les troupes avaient été accusées de violations massives des droits de l’homme contre ceux qui contestaient leur présence – on ne comptait plus le nombre de cadavres qui avaient descendu le fleuve Congo sous le Pont de Tschopo. Le Conseil de Sécurité appelait à la démilitarisation de Kisangani depuis juin 2000. Ses appels étaient restés sans réponse. C’eût été en effet une bonne idée de démilitariser la ville et d’y tenir les réunions, mais ce n’était tout simplement pas réalisable, puisque le RCD ne coopérait pas et les exhortations de New York n’avaient eu que peu d’effet sur lui. En revanche le RCD suggéra que Kinshasa soit démilitarisé afin que le DIC s’y déroule. C’était malgré tout la capitale nationale. Le Conseil de Sécurité avait

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reconnu que le choix du lieu incombait aux partis et l’idée de Kisangani devait réapparaître plus tard, mais elle ne se réalisa jamais. La suggestion s’inscrivit dans le contexte plus large d’un soutien occidental grandissant en faveur de Joseph Kabila. Cela créait une tension pour nous dans la mesure où notre mandat nous obligeait à rester neutre, tandis que la Belgique, les États-Unis ou la France, par exemple, n’étaient nullement astreints à la neutralité vis-à-vis de la RDC. S’ils estimaient que c’était dans leur intérêt national de soutenir le nouveau président, parce qu’ils avaient conclu qu’il offrait au peuple congolais plus d’espoir que les rebelles, ils étaient en droit de s’en prévaloir et d’agir en conséquence, quitte à nuire au processus que nous menions. Le Conseil de Sécurité n’est pas un organisme neutre ; c’est une collection de membres permanents et intérimaires avec des capacités et des intérêts différents. La valeur de ses déclarations, exhortations et résolutions constantes a été réduite par sa capacité limitée à les faire respecter, même quand ses membres sont unanimes. Lorsque les membres ne sont pas unanimes, le Conseil n’a pas de réponse. Israël en est l’exemple le plus flagrant et l’Iraq le plus récent. On présente alors au monde soit une position à peine acceptable, soit le veto de l’un des membres permanents – ce qui n’est guère propice au progrès. Les États s’occupent, certes, de ce qu’ils perçoivent comme leurs intérêts propres, mais les artisans de la paix ne devraient poursuivre que la concorde, quelles que soient leurs vues privées. Si ces derniers sont perçus comme étant partiaux, le processus de paix a toutes les chances de s’effondrer. Comme l’avait dit QM, notre vaisseau était branlant et il naviguait sur une mer qui ne se souciait guère de nous. Et pourtant nous nous maintenions tout juste à flot.

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CHAPITRE IX RENDEZ-VOUS À GABORONE

Pré-dialogue intercongolais : De chaudes empoignades s'annoncent dès aujourd'hui. La délégation gouvernementale est partie à Gaborone hier. Elle est composée des Ministres She Okitundu (Chef de délégation), Augustin Katumba Mwanke, Ntumba Luaba, et Mme Marie-Ange Lukiana Mufwankolo. Par ailleurs la délégation est constituée de: professeur Balanda Mikwin, Vital Kamerhe, Vangu Mambweni, Mme Philomène Omatoku, Paul Makela, le colonel Didier Etumba, Samba Kaputo et Kikuba Akilimali. Pour cet événement, il faudra éviter de se quereller sur des questions qui devront être débattues au plan général. Le souhait de tous les Congolais est qu'il y ait compréhension entre les parties en présence. (LE PALMARES, 20/8/01) Pour la première réunion des belligérants depuis la Déclaration de Lusaka, nous voulions une réunion fermée, sans presse niobservateurs. Les lieux appropriés et discrets n’étaient pas nombreux à Gaborone, petite ville de peu de secrets. Nous finîmes par tomber d’accord sur un restaurant indien appelé le Maharajah, avec une grande salle de conférence attenante. Nous avions acquis un nouveau membre du personnel en Malik Dechambenoit, jeune analyste politique ivoirien, et nous l’employâmes ainsi que Ugo Solinas comme interprètes pendant les deux jours que nous passâmes au Maharajah. En l’occurrence, cette solution était préférable à l’emploi d’interprètes professionnels, qui auraient été moins au courant des questions concernées, et elle permettait une compréhension plus rapide de part et d’autre. Pour Malik, qui rejoignit notre équipe seulement après la Déclaration de Principes, cette solution servit aussi de cours intensif en relations politiques congolaises. La délégation gouvernementale était composée d’Augustin Katumba Mwanke, du colonel Etumba et de Vital Kamerhe, qui avaient tous assisté à notre dernière réunion à Lusaka, avec un conseiller politique et un secrétaire. Le RCD était représenté par 117

Azarias Ruberwa et Joseph Mudumbi, qui avaient également été présents à Lusaka, et Thomas Nziratimana, le représentant du RCD en Afrique du Sud. Le MLC nous avait envoyé Valentin Senga, son représentant auprès de la CMM à Lusaka. Il y avait donc neuf représentants congolais au total, et nous étions neuf du côté du bureau du Facilitateur – en somme, un nombre suffisamment petit pour que nous ayons, à la fin, l’impression d’avoir fait plus ample connaissance. QM présenta dans leurs grandes lignes les questions sur lesquelles nous désirions entendre les vues des Congolais et le Pr. Lebatt leur résuma la mission dans les provinces en soulignant les difficultés que nous avions eues à identifier les « membres représentatifs et reconnus de l’opposition politique », ce que prétendaient être tous les politiciens, bien entendu. Au cours d’une pause déjeuner, le ministre Katumba m’appela à lui : pour qui travaillais-je, au juste ? Je lui expliquai que je travaillais pour le Facilitateur, tout en étant rémunéré par le gouvernement britannique. Pourquoi avais-je de bonnes relations avec les rebelles ? Je répondis que nous avions passé une année à nous connaître pendant que Kinshasa nous était interdit et que j’avais été engagé auparavant dans des projets humanitaires dans l’est du pays. Il me demanda si j’aurais l’obligeance de transmettre au gouvernement britannique la perception du gouvernement congolais qui était que l’attitude britannique à l’égard du Congo était « difficile ». Je lui répétai que je ne représentais pas le gouvernement du Royaume-Uni mais que j’étais bien placé, certes, pour communiquer la préoccupation de son gouvernement, si cela pouvait lui faire plaisir.22 L’attitude du ministre montrait combien il est difficile pour un gouvernement d’accepter que l’on puisse être financé par un autre gouvernement et pourtant rester fidèle à l’achèvement d’un processus de paix et à l’homme qui le menait. Personnellement, tout en me rendant compte que beaucoup supposaient que je devais être, d’une manière ou d’une autre, un instrument des Britanniques, je ne trouvais pas la position difficile, puisque la Facilitation et son chef constituaient le seul mécanisme convenu et internationalement accepté susceptible d’apporter la paix à cinquante millions de personnes en 22

Je m’exécutai et je suppose que cette information fit partie du briefing que reçut Clare Short lorsque, en tant que secrétaire d’État britannique au Développement international, elle alla à Kinshasa plus tard cette année-là rencontrer le nouveau gouvernement.

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RDC. Par ailleurs, ayant élu domicile et poursuivant ma carrière en Afrique, je portais un certain intérêt personnel à toute tentative sérieuse pour mettre fin au conflit dans cette région. Quel que fussent les motifs des 24 gouvernements qui payaient la note, il me semblait que notre rôle à nous, dans la Facilitation, était proprement désintéressé – mais, certes, je n’étais pas un Congolais se démenant pour changer le status quo et persuadé que ceux qui n’étaient pas avec lui ne pouvaient être que contre lui. Le lendemain matin nous en vînmes aux détails. Tout d’abord : l’équilibre régional du nombre de délégués de la société civile et l’éventuelle sous-représentation de quelques segments de la société civile. Ce problème fut confié au jugement de QM, pour qu’il en décide comme bon lui semblerait. Ensuite, il sembla y avoir quelque contradiction entre le Chapitre V de Lusaka, qui nous obligeait à identifier les « principales organisations et formations de l’opposition politique représentative et reconnue », et son Préambule, qui relevait l’engagement des belligérants et, par implication, des organisations civiles et politiques en faveur d’un dialogue national sans exclusive. C’était sous cette rubrique que la Diaspora, les Mai Mai et une foule de partis politiques finirent plus tard par devenir délégués au DIC. L’inclusion est un attribut désirable des pourparlers de paix, mais la décision de savoir où mettre le holà – et qui exclure en conséquence – est entièrement politique.23 En pratique, ce fut une décision que QM dut prendre sur le conseil de son représentant à Kinshasa et de son ancien ministre des Affaires étrangères, car c’étaient eux qui avaient rencontré et négocié avec les politiciens à Kinshasa. S’agissant des Mai Mai, le gouvernement les considérait comme des civils qu’il fallait désarmer dans les neuf mois à compter de l’issue du DIC tandis que le MLC et le RCD les prenaient pour des groupes

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Inévitablement, l’un des journaux de Kinshasa nous accusa plus tard d’avoir fait un marché avec les belligérants, à Gaborone, concernant les partis politiques. Notre bureau de Kinshasa dut faire remarquer qu’il n’en était rien et qu’en réalité nous avions tenu les consultations qui nous incombaient avant que les groupes politiques ne choisissent eux-mêmes leurs représentants. Étant donné la méfiance réciproque inhérente à la politique congolaise, il est permis de douter que beaucoup nous aient crus.

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armés qu’il fallait désarmer dans les six mois après la fin du DIC.24 Les rebelles avaient tendance à voir les Mai Mai comme des milices gouvernementales et le gouvernement à les dépeindre comme des patriotes congolais. Par moments, les rebelles aussi concluaient des marchés avec les formations des Mai Mai. À vrai dire, il s’agissait d’un phénomène plutôt que d’un groupe clairement défini, sans vues politiques évidentes autres que leur insistance sur la nécessité d’expulser les étrangers du sol congolais, et ils avaient tendance à travailler séparément plutôt qu’ensemble, suivant leurs propres circonstances locales. Quant à la vaste Diaspora congolaise, pour une fois les trois groupes étaient d’accord : elle devrait s’aligner sur l’une ou l’autre des cinq « composantes » invitées au DIC. En ce qui nous concernait, nous aurions apprécié, dans cette hypothèse, que ce message soit communiqué à tous les membres de la Diaspora qui faisaient constamment pression sur nous pour que nous leur permettions de participer au DIC. Les partis convinrent par ailleurs que, dans une certaine limite, des observateurs internationaux seraient admis au DIC. L’ONU, l’OUA, la SADC et l’État hôte avaient été présents à Lusaka et s’étaient déclarés contents de poursuivre cette formulation, avec la stipulation que QM devait les informer à l’avance afin d’éviter toute « surprise ». Ils soulignèrent aussi qu’en aucun cas un observateur ne devait être considéré comme un participant. Aucun de ces deux accords ne survécut aux événements des quelques mois suivants, comme nous le verrons, mais pour l’heure nous étions heureux d’avoir affaire à un ensemble relativement raisonnable de combattants et nous n’avions pas rencontré d’obstacle majeur jusque-là. À ce stade, nous nous attendions à ce que la réunion préparatoire implique 65 à 70 délégués, 13 par composante avec quelques ajustements, et que le Dialogue proprement dit en implique 275 à 280, soit 55 par composante avec une marge comparable pour d’éventuels ajustements. Les partis acceptèrent d’admettre ce degré de flexibilité dans les limites du chiffre total, si nous l’estimions nécessaire et pouvions le justifier. 24

Cela fit effectivement une différence, en fin de compte, dans la mesure où les groupes Mai Mai furent bien plus facilement intégrés dans la nouvelle armée naissante que les forces du RCD, avec des conséquences qui se font encore sentir à ce jour.

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Après une pause nous nous interrogeâmes sur le sens exact du terme « consensus ». Les quelques cerveaux juridiques présents furent mis à l’épreuve, et j’appris que l’on distingue différentes formes de consensus : « consensus suffisant », « consensus de travail », « consensus majoritaire » et « consensus moins un ». Avant que le débat ne s’éternise, QM avança que le consensus ferait un digne sujet de devoir à faire à la maison en vue de notre prochaine réunion. Nous présentâmes ensuite un projet d’ordre du jour pour la réunion préparatoire et QM s’assura le soutien de tous pour inviter le Président Kabila, le Dr Onusumba et Jean-Pierre Bemba à participer, au motif que cela revêtirait une grande valeur symbolique pour le peuple congolais. Lorsque Maître Ruberwa suggéra, au cours de son long commentaire sur l’ordre du jour, que la prochaine réunion devrait se dérouler sur trois jours, QM l’admonesta gentiment en lui faisant remarquer que, si tout le monde parlait autant que lui, la réunion demanderait dix jours, pas trois. Malin, Ruberwa le remercia de sa sagesse et de son dynamisme et salua le climat de respect mutuel et de dignité qui avait été instauré. QM les remercia tous et déclara que « l’amitié avance à mesure que la formalité recule ». Pour une fois nous commencions à éprouver une petite pointe d’optimisme pour alléger les doutes qui planaient depuis si longtemps de tous les côtés. Les Congolais repartirent à leurs bases et nous commençâmes une série de réunions avec des fonctionnaires du gouvernement du Botswana afin qu’ils sachent à quoi s’attendre au cours des semaines à venir. Je les avertis que, selon les critères en vigueur au Botswana, les Congolais étaient indisciplinés et qu’ils risquaient d’arriver plus nombreux que prévu ; que beaucoup d’entre eux n’auraient pas de documents de voyage ou porteraient des passeports de provenance et de validité douteuses ; que certains pourraient être armés. Par ailleurs, il était peu probable que nous recevions la liste des participants avant qu’ils n’arrivent et que, même à ce moment tardif, la liste serait susceptible d’être modifiée à la dernière minute. J’avais raison. Nous eûmes alors une réunion avec le nouveau et tout premier ambassadeur de France au Botswana, Pierre Coulont. Il voulut, bien entendu, savoir comment notre réunion au Maharajah s’était passée. QM, à son tour, l’interrogea sur le soutien français en faveur de la 121

proposition que le dialogue se déroule à Kisangani, sans toutefois contester qu’il devrait idéalement se tenir quelque part sur le sol congolais. Il craignait que la pression en faveur de Kisangani risque de « sacrifier le tout pour sauver la partie ». L’ambassadeur s’engagea à étudier la question en disant ignorer si, en effet, c’était là la politique française. Alors que nous ne nous attirâmes jamais d’admirateurs au Quai d’Orsay ni à l’Élysée, la présence de Pierre Coulont à Gaborone nous fut favorable dans la mesure où elle nous permit de limiter les malentendus par la suite. La semaine suivante nous reçûmes une « démarche » de la part des ambassadeurs de l’UE auprès du Botswana, nous transmettant l’inquiétude de Bruxelles au sujet du temps démesuré que prenait tout le processus. Or cette démarche datait d’avant notre réunion au Maharajah – laquelle, fîmes-nous remarquer, était une indication que, contrairement aux apparences, des progrès se réalisaient. Le Pr. Lebatt et Rre Mogwe retournèrent à Kinshasa faire de leur mieux pour traiter avec les partis politiques qui se bousculaient pour être inclus. Ils abordèrent leur tâche en suggérant un accroissement du groupe qui avait été représenté à Cotonou, dans le cadre mis en place par les Principes de Lusaka, lesquels disposaient que les partis politiques choisiraient leurs représentants d’une « manière juste et équitable ». Ils demandèrent aux parties d’aider en parvenant euxmêmes à un consensus, mais ceux-ci n’avaient pas de terrain d’entente et leurs manigances, réclamations et rétorsions ne leur laissèrent aucun répit. (À un moment, le médecin du Pr. Lebatt lui ordonna de rester au lit afin de se reposer.) À Gaborone ce fut à un autre groupe que nous dûmes faire face au sujet de l’inclusion – une délégation de l’UNIFEM, composée de leur conseillère en gouvernance, une conseillère juridique, deux directrices régionales et la conseillère à l’équité entre les sexes de la SADC. Elles nous firent part de leur expérience dans les négociations de paix au Burundi, où elles avaient pu faire inscrire à l’ordre du jour un certain nombre de leurs préoccupations. Ensuite elles identifièrent neuf domaines où elles espéraient contribuer à la pacification en RDC, telles que l’équité entre les sexes au niveau de la constitution et du système électoral, l’impact du désarmement sur les femmes, la démobilisation et la réintégration des combattants et le classement récent du viol comme crime de guerre. Elles tenaient particulièrement 122

à s’assurer que les femmes seraient équitablement représentées au Dialogue intercongolais. En l’occurrence, malgré un tout petit nombre de femmes dans toutes les délégations, leur représentation était minime. QM se montrait systématiquement compatissant et adressait des rappels réguliers aux cinq groupes qui allaient participer, pour qu’ils veillent à ce qu’au moins 30% de leurs délégués soient des femmes. Nous donnâmes tout le soutien possible, mais les Congolais n’accordèrent pas l’attention voulue à cette question et le nombre de déléguées femmes qui finirent par participer au DIC ne dépassa pas la douzaine. (Dans les bureaux du Facilitateur à Gaborone et à Kinshasa, il y avait cinq femmes sur les dix-sept membres du personnel professionnel, de même qu’il y en avait huit sur les quinze membres du personnel de soutien.) Au milieu de nos préparations, le Président Kabila invita QM à Kinshasa, en vue de renforcer les relations du gouvernement avec la Facilitation, d’après ce qu’on nous dit. C’était un tournant encourageant, certes, mais il se produisit à un moment difficile, surtout pour moi. Je tenais à dissiper tout nouveau soupçon que le gouvernement de Kinshasa pouvait encore nourrir à mon égard, mais j’étais dans l’impossibilité totale de m’éloigner du crescendo de préparations qui battaient leur plein à Gaborone. Lusaka nous avait bien appris non seulement que nous avions des lacunes dans nos propres capacités mais aussi que nous avions affaire à des maîtres dans l’art de la plaidoirie spéciale qui étaient fort habiles à exploiter toute déviation par rapport à ce qu’ils percevaient comme le cadre correct. Si la réunion préparatoire était aussi tendue que celle de Lusaka, ou pis, si elle ne produisait pas un certain degré de consensus, notre crédibilité risquait d’être réduite au point où tout le processus commencerait à s’effondrer. Les politiciens ont tendance à négliger les questions pratiques et à en charger leur personnel, mais il suffit d’un transport mal organisé, d’une réception inadéquate ou d’un logement inacceptable pour déclencher une tempête politique, ce qu’il nous fallait éviter à tout prix. Par exemple, pour la réunion préparatoire, le MLC et le RCD prirent soin de nous faire remarquer que tout traitement de faveur témoigné au Président Kabila dans le cadre de la réunion les obligerait à quitter les assises, vu que Lusaka exigeait que tous bénéficient du même traitement. Ils durent cependant reconnaître que le gouvernement du Botswana ne pouvait faire autrement que de

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recevoir le Président Kabila avec la courtoisie d’usage réservée à tout chef d’État. Les discussions avec le Président Kabila à Kinshasa se déroulèrent bien, apparemment, et QM put répondre aux questions concernant la sécurité lors de la prochaine réunion ; la sécurité serait en effet assurée par le gouvernement du Botswana. QM put également s’assurer que le jeune Président assisterait à l’ouverture de la réunion. Celui-ci arriverait dans l’un des avions de son gouvernement en tant qu’invité du Botswana. Les rebelles, la société civile et les politiciens arriveraient dans divers avions de la MONUC ou dans des avions affrétés, Rre Mogwe et le Pr. Lebatt ayant finalement obtenu un résultat auprès des partis politiques.25 Nous avions demandé que le Pr. Wamba dia Wamba et John Tibasima représentent tous deux le RCDML, sans ignorer que les soldats de celui-ci avaient essayé de tuer celui-là peu de temps auparavant. Ils acceptèrent à contre-cœur. Nous savions désormais, du moins en théorie, qui assisterait à la réunion. Notre bureau de Kinshasa eut la tâche difficile de coordonner les départs en avion de la capitale. Une fois les délégués arrivés sur le sol botswanais, le défi consisterait à les recevoir et loger convenablement. Étant donné le nombre des participants, nous dûmes loger la délégation gouvernementale dans un hôtel séparé, ce qui m’inquiétait, puisque j’estimais qu’ils devraient tous être logés à la même enseigne, afin d’encourager l’entente, mais cela s’avéra peu pratique en définitive. Notre équipe et une multitude d’agents du protocole et de sécurité passèrent la plus grande partie du dimanche 19 août à recevoir les délégations. Pas un seul avion n’arriva à l’heure prévue. Nous attendions 72 délégués congolais au total ; pourtant, les agents de l’immigration botswanaise m’assurèrent avoir admis 162 congolais dans le pays. Même en tenant compte des assistants personnels, des gardes du corps et des conseillers, c’était excessif et nous comprîmes que nous aurions à contrôler très strictement l’accès à la salle de réunion. La délégation gouvernementale à elle seule – alors que chaque composante avait le droit à une délégation de 13 personnes – étaient accompagnée d’un supplément de 52 personnes, dont 6 pilotes. 25

Les partis politiques qui participèrent étaient : UDPS, PALU, MPR, ROC, PDSC, MNC/L, FRUONAR, FSD, CODEP, UNAFEC/CPF, PDS/ROM, FONUS et les Pionniers de l’Indépendance.

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Les agents d’immigration furent calmes et efficaces ; les agents de sécurité contrôlèrent le port d’armes et retinrent sur récépissé une grande quantité d’armes de poing jusqu’au départ des Congolais. S’il y eut violation d’un protocole quelconque, personne ne s’en plaignit à moi. Je ne sais trop comment, mais au bout du compte tout le monde fut transporté en ville et logé. À 01h30 du matin, nous rentrâmes nous coucher dans l’espoir que le processus politique se déroulerait aussi bien que l’arrivée de ses architectes. Le lendemain matin fut consacré à l’inscription et à l’installation, l’ouverture officielle étant programmée pour l’après-midi. Devaient y assister non seulement le Président Kabila mais aussi l’hôte, le Président Mogae, et le sponsor de l’Accord de Lusaka, le Président Chiluba. Il y eut un brouhaha considérable au sujet de l’estrade, de la préséance et de l’ordre de placement, mais on ne sait trop comment, ces questions furent résolues à la satisfaction générale. Le contraste entre les différents styles ne cessait de m’intriguer. Les Botswanais, à l’instar de leur Président, sont sobres et discrets, tranquilles et stables. Ils apprécient davantage la consultation que la déclamation et ont davantage l’habitude de la déclaration que de la rhétorique. Les Congolais sont à tout point de vue plus turbulents, comme on s’en douterait à considérer leur histoire ; ils prisent l’art oratoire, estiment autant l’apparence que la substance et sont farouchement protocolaires. J’en étais très conscient en manœuvrant pour placer Léonard She Okitundu, ministre congolais des Affaires étrangères, qui dirigeait la délégation, avec Jean-Pierre Bemba et le Dr. Adolphe Onusumba, puisque la valeur symbolique de voir assis ensemble gouvernement et rebelles était importante. Il y eut une longue attente. Nous savions que le Président Kabila était arrivé, mais il n’y avait aucun signe du Président Chiluba. Les présidents attendaient dans une antichambre. La tension monta. Que s’était-il passé ? Enfin le Président Chiluba arriva, le remue-ménage se calma et Joseph Kabila s’assit entre le Président Chiluba et le Président Mogae. Le jeune Président congolais ne participait pas en tant que chef de sa délégation ; il était là pour assister à l’ouverture d’une discussion d’une importance primordiale pour son avenir. Nous savions que s’il prenait la parole lors de

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l’ouverture, ses homologues rebelles exigeraient le même droit. Il ne parla pas.26 Lorsque QM, le Président Chiluba et le Président Mogae eurent terminé leur allocution d’ouverture, il y eut une brève pause. La réunion était ouverte, mais les travaux ne commenceraient que le lendemain, le mardi 21 août. Pendant ce temps, QM réussit à réunir le Président Kabila, Jean-Pierre Bemba et le Dr Onusumba dans la même salle pendant 45 minutes. C’était, à ma connaissance, la toute première fois qu’ils se rencontraient. On ignore ce qui s’y passa ; toujours est-il que le Président Kabila rentra à Kinshasa et que les délégués levèrent la séance pour se rendre à une réception au Boipuso Hall, local de notre premier bureau. L’atmosphère était amicale et le Botswana avait réussi avec mention à la première partie de son épreuve congolaise. Notre équipe avait l’habitude de rencontrer QM de bonne heure le matin dans sa suite pour parcourir le programme du jour, résoudre des problèmes, le cas échéant, et veiller à ce que chacun sache ce qu’on attendait de lui. Notre politique concernant les observateurs commençait à rencontrer quelques difficultés. J’avais demandé poliment mais fermement à un jeune diplomate belge de quitter la salle, pour me voir aussitôt obligé de le réadmettre lorsque les Congolais décidèrent que, tout compte fait, ils aimeraient que l’UE soit présente. La Belgique occupait à ce moment-là la présidence à roulement de l’UE. Je ne me faisais pas d’illusions sur la volte-face congolaise. Les Congolais considéraient l’UE comme une source de finance pour la reconstruction et estimaient qu’il valait mieux les impliquer dans le débat que de les avoir dehors et mal informés. Comme l’UE avait déjà précisé que son offre d’aide avait pour condition des progrès en vue du DIC, les Congolais n’avaient peutêtre pas tort. Finalement nous descendîmes, nous nous identifiâmes à la police postée à la porte et prîmes nos places pour entendre le chef de chaque composante présenter son discours. Wamba dia Wamba présenta le discours au nom du RCD-ML. Les classes politiques congolaises s’expriment bien et ne sont jamais à court de paroles. 26

On me dit plus tard qu’il n’était pas content de n’avoir pas été accueilli à Gaborone avec les pleins honneurs militaires. Il n’assista jamais à aucune autre réunion du DIC, laissant cette tâche à des ministres de premier plan.

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Aucun d’entre eux ne fit de remarques inopportunes ou offensantes. Au contraire, ils se concentrèrent sur leur patriotisme et leur désir ardent de paix et de démocratie. Les discours occupèrent toute la matinée. L’interprétation simultanée semblait fonctionner et l’atmosphère était encourageante. Nous avions demandé au Pr. Tevoedjre et à Kapembe Nsingo de faire office de rapporteurs. L’après-midi le Pr. Tevoedjre présenta un exposé sur les implications du consensus, qui était le mode d’accord convenu, et les débats démarrèrent. Nous avions préparé et distribué l’ordre du jour et le règlement intérieur mais nous mîmes longtemps à dépasser ceux-ci, qui n’étaient cependant que le cadre qui devait nous guider. La salle était pleine de juristes amateurs et professionnels privés depuis longtemps d’un tel forum et ils se firent un plaisir de marquer des points de procédure les uns sur les autres alors que nous espérions en arriver à la substance : où se tiendrait le DIC ? quand ? avec quel ordre du jour ? comment serait réparti le travail à fournir ? qui y participerait ? Nous avions l’impression de ne pas avancer bien vite. Cette nuit-là nous reçûmes une délégation de John Tibasima, de Roger Lumbala et de leurs aides. Ils voulaient que la question du RCD-ML soit résolue. Nous aussi. Bien qu’ils prétendissent contrôler à eux deux un territoire abritant 12 millions de personnes, c’était le RCD, de quelque façon qu’on le définît, qui était l’organisme autorisé à assister au Dialogue. QM avança que cela aiderait tout le monde s’ils mettaient de l’ordre dans leurs affaires, ce qu’ils ne parvinrent jamais à faire. De notre côté, nous ne réussîmes jamais à trouver un compromis qui plût à tous. Il existe parfois des problèmes que l’on ne peut pas résoudre mais seulement maîtriser. Le lendemain la réunion accepta quelques modifications au règlement intérieur, mais s’embrouilla ensuite lorsque le sujet du retrait des troupes étrangères fut soulevé ; QM dut expliquer qu’il s’agissait d’une question à étudier par le Comité politique et la CMM, non par la réunion préparatoire du DIC. Il y avait, certes, un fort soutien en faveur du retrait des troupes étrangères avant le DIC proprement dit, mais ceux qui avaient les moyens d’effectuer un tel retrait n’étaient pas présents dans la salle. Le Conseil de Sécurité avait adopté plus d’une résolution, après l’Accord de Lusaka, exigeant le 127

retrait des forces étrangères. Pourtant l’Accord de Lusaka envisageait le retrait des forces étrangères après le Dialogue, et il n’était pas possible de faire de l’un une condition préalable de l’autre. On exprima également des inquiétudes au sujet des prisonniers politiques, de la liberté de mouvement et de la liberté d’expression. QM fit remarquer que rien n’empêchait la réunion de faire une déclaration collective relative à toutes ces préoccupations, ce qu’elle fit finalement, bien qu’en n’évoquant qu’indirectement le retrait des troupes étrangères sous forme d’un appel au respect de l’article en question dans l’Accord de Lusaka et des résolutions du Conseil de Sécurité (voir plus bas). Ce soir-là le ministre botswanais des Affaires étrangères, Mompate Merafhe, nous offrit une réception et nous pûmes voir le gouvernement se mêler amicalement aux rebelles. Plus tard j’emmenai deux délégués à mon modeste appartement au centre de Gaborone pour qu’ils constatent eux-mêmes que les bruits qui couraient sur le luxe où vivaient prétendument le personnel de la Facilitation étaient sans fondement. Notre manque de progrès à expédier l’ordre du jour m’inquiétait, mais des personnes plus expérimentées me dirent que, à mesure que la date limite approcherait, les délégués accéléreraient le rythme. Le jeudi, pénultième jour de la réunion, Bo Heineback présenta un exposé sur les finances disponibles pour le DIC. Pendant ce temps, j’étais en contact avec l’OUA à Addis-Abeba, le bureau du Président Mbeki à Pretoria et l’Île Maurice, ces trois destinations ayant été retenues comme les favorites pour tenir le DIC et il nous fallait au moins les avertir de l’éventualité que les délégués les choisissent. À contre-cœur, les délégués acceptèrent que le Dialogue se tienne en dehors de la RDC, mais ils exprimèrent l’espoir de le voir se conclure soit à Kinshasa soit à Kisangani. Le lobbying en coulisse allait bon train entre les délégués mais la décision serait prise le lendemain. En attendant, Malik et Ugo travaillaient avec les délégués congolais à la rédaction de l’ordre du jour et du règlement intérieur du DIC, qui devraient être prêts dans les 24 heures pour pouvoir être pris en compte à la fin des travaux prévue le vendredi. C’est là que les deux jeunes commentateurs politiques s’épanouirent : présidant des groupes de délégués beaucoup plus âgés qu’eux, ils travaillèrent toute la nuit,

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avec une fermeté étonnante pour leur âge, jusqu’à ce qu’ils arrivent à un jeu de textes acceptables. Il nous attendait encore une réception. Ian Khama, Vice-Président du Botswana, donna un dîner à l’hôtel Gaborone Sun, où descendait la délégation gouvernementale, à l’intention de tous ceux qui avaient participés aux travaux à quelque niveau que ce soit. Encore une fois, une atmosphère cordiale régnait et les Congolais furent témoins d’un phénomène auquel ils ne pouvaient guère s’attendre. Vers 22h00 QM se lança sur la piste de danse avec son épouse, Rre Mogwe invita de même Malebogo, notre chef du bureau et, ne voulant pas être en reste, j’invitai Selwana, notre conductrice, à danser avec moi. Les délégués applaudirent. Ils avaient l’habitude de voir une formalité raide et distante chez leurs dirigeants lors d’événements publics et ils bénéficiaient à présent d’un aperçu inattendu d’une culture plus démocratique, où la sécurité n’excluait pas le contact personnel entre dirigeants et dirigés. Le lendemain matin je me demandai si nous viendrions jamais à bout de l’ordre du jour. La journée sembla durer une éternité et nous avions l’impression de ne jamais approcher de la fin des nos délibérations. Néanmoins, le Pr. Lebatt conduisit les délégués point par point à travers les quatorze articles de leur engagement public en faveur du rétablissement de la liberté en RDC, intitulé l’Acte d’Engagement. ( Si cet Acte avait été respecté en entier, la RDC serait aujourd’hui bien mieux dans sa peau, mais l’écart entre la rhétorique et la substance s’avéra grand.) Quant à la question de savoir où le Dialogue se tiendrait, nous passâmes en revue plusieurs lieux possibles du point de vue des installations et des équipements, de la langue nationale, de la sécurité de tous les délégués et, plus important encore, de la bonne volonté du gouvernement hôte. Kisangani fut éliminé au motif qu’il faudrait six à huit mois pour sécuriser la ville et l’équiper convenablement. (Pour illustrer le peu de cas que les hommes politiques font des questions pratiques, le ministre congolais des Affaires étrangères proclama que les difficultés logistiques que présentait Kisangani étaient « dérisoires ».) Le gouvernement avait des doutes sur l’Afrique du Sud. Celle-ci était, certes, une démocratie, mais c’était un pays anglophone avec lequel beaucoup de Congolais avait des liens et qui, du point de vue du gouvernement, pourrait se montrer moins accommodant qu’un allié traditionnel. Maurice avait 129

généreusement proposé ses installations et avait en plus l’avantage d’une culture bilingue, mais au bout du compte ce fut Addis-Abeba, siège de l’Union africaine et de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (l’UNECA), qui fut retenue. Une clause fut ajoutée stipulant que, dans la mesure du possible, le dialogue devrait être clos en RDC, que ce soit à Kinshasa, à Kisangani ou ailleurs. Le gouvernement s’engagea par ailleurs à contribuer 1 million de dollars au coût du DIC (promesse qu’il honora intégralement). Cet obstacle surmonté, on me demanda d’expliquer combien de temps prendrait l’organisation du DIC à Addis-Abeba. J’avançai 90 jours, ce que j’estimai sérieusement être un délai réaliste. Nos financements étaient incertains et les locaux encore inconnus ; les parties avaient besoin d’un intervalle suffisant pour préparer leur position relative aux points à l’ordre du jour et nous aurions préféré que nos commissaires visitent la RDC afin de se familiariser avec les questions clés et les principaux participants avant d’entreprendre la présidence de pourparlers aussi ambitieux. Les délégués huèrent. L’un après l’autre ils se mirent à marchander, évoquant des chiffres allant de quinze à cinquante jours. Rre Mogwe vint à ma rescousse et leur fit remarquer qu’il nous avait fallu soixante jours pour organiser la réunion préparatoire et que même celle-ci avait dû être reportée. N’était-il pas pire de fixer une date peu réaliste que nous risquerions de ne pas respecter que de reconnaître l’énorme préparation qu’il nous faudrait ? Le Pr. Lebatt proposa soixante jours. Le marchandage s’arrêta à cinquante jours. Le Dialogue intercongolais commencerait à Addis-Abeba le 15 octobre. Nos maîtres avaient parlé. Il s’agissait ici d’une question plus importante que celles de la logistique, du financement ou de la préparation. Malgré les discussions relativement cordiales que nous avions menées, nous n’avions reçu aucun document écrit de la part d’aucune composante congolaise indiquant une position ou un ensemble d’options relatifs à un point quelconque de l’ordre du jour ; pourtant nous invitions régulièrement toutes les composantes à décider et à harmoniser leurs positions à l’avance, dans la mesure du possible. À ma connaissance, nous ne reçûmes jamais, d’aucune partie, de déclaration de position, ni écrite ni orale, sur aucun point de fond. La raison en était simple. Les Congolais étaient au seuil des négociations politiques les plus 130

importantes de leur vie et aucune partie ne pouvait se permettre de révéler quoi que ce soit dans un forum congolais avant le commencement des discussions. Ils savaient par ailleurs que s’ils révélaient une position quelconque, celle-ci pourrait être divulguée. QM aurait beau vouloir arbitrer, il n’était pas en mesure de le faire avant la réunion plénière. À partir de ce moment-là, nous reçûmes des indications beaucoup plus claires sur les positions de négociation, mais la médiation que nous envisagions alors ne pouvait réussir dans le climat qui régnait. (Voir plus loin, Chapitre XVII.) Ensuite, l’ordre du jour et le règlement intérieur furent approuvés tels que les avaient rédigés les groupes de travail – même les Congolais n’avaient plus l’énergie de les contester. Ugo présida l’une des séances, Malik l’autre : un beau coup pour de si jeunes hommes face à des parties tellement difficiles. Puis il y eut une discussion animée au sujet des nombres et de l’équilibre, mais tous les délégués n’étaient pas présents dans la salle et nous nous demandions quels marchés pouvaient bien se tramer au dehors. Deux des femmes présentes proposèrent une représentation féminine à 30% dans les délégations. Personne ne s’y opposa, mais personne n’y donna suite. Nous annonçâmes qu’il n’y aurait pas de pause dîner, bien que les délégués fussent libres de s’absenter brièvement pour se restaurer quand ils en auraient envie. La faim est l’un des moyens de mener une réunion à sa conclusion. Enfin nous vînmes à bout de l’ordre du jour et le Pr. Tevoedjre produisit un résumé magistral et éloquent, dans un français élégant, des conclusions de la semaine relatives à la date, à l’ordre du jour, au règlement intérieur, au lieu et à la représentation – le Rapport final. Ugo lut à haute voix l’Acte d’engagement et tous le signèrent. La fatigue se lisait sur tous les visages. À 23h00, après une conférence de presse triomphante, nous pûmes rentrer nous reposer, sachant que nous avions enfin pris un pas décisif en avant ; l’« Esprit de Gaborone » serait invoqué désormais chaque fois que l’une ou l’autre des parties estimait que le progrès se bloquait.

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CHAPITRE X LE CHEMIN D’ADDIS-ABEBA

RDC : la faction RCD annonce qu’elle boycotte le dialogue. La faction dissidente du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Kisangani) sous la direction de Mbusa Nyamwisi a annoncé qu’elle boycottait le dialogue intercongolais, qui a commencé lundi, en réclamant la participation des milices Mai Mai congolaises, a déclaré le journal d’État ougandais ‘The New Vision’. « Nous ne sommes pas à Addis-Abeba parce que le facilitateur [Ketumile Masire, ancien président du Botswana] ne semble pas prendre au sérieux les affaires de la République démocratique du Congo, » a précisé Nwamwisi lundi à des journalistes à Kampala. « Nous lui avons conseillé d’inviter les Mai Mai. Les Mai Mai sont une force militaire et politique que nous ne pouvons ignorer dans la recherche de la paix au Congo. » Il ajouta : « Nous devons aussi intégrer les chefs traditionnels et les leaders religieux des principales confessions ainsi que l’opposition extérieure. Nous estimons que ceux qui ont mené ce pays depuis [l’indépendance du Congo en] 1965 et même ceux qui ont vécu avec Mobutu ne doivent pas être exclus. » Toutefois, Masire a dit la semaine dernière que cette première semaine de pourparlers porterait spécifiquement sur la résolution des questions restées en suspens, telles que l’inclusion des milices mai mai congolaises, le mouvement dissident d’opposition armée RCDML (Mouvement de libération), soutenu par l’Ouganda, et les groupes de la société civile qui estiment avoir été injustement exclus. Aux quelque 80 représentants du gouvernement de la RDC, de l’opposition armée et non armée, et des organisations de société civile participant aux réunions cette semaine viendra s’ajouter lundi un contingent bien plus nombreux. Environ 330 délégués des quatre coins de la RDC participeront par la suite au dialogue. Entre-temps, il a été signalé qu’une faction rivale du RCD-Kisangani, sous la direction de Ernest Wamba dia Wamba, se trouvait à Addis-Abeba (Éthiopie), à la suite de nouveaux événements. » (IRIN, NAIROBI, 16 octobre 2001)

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La réussite de la réunion de Gaborone était davantage une affaire de préparation que de politique. Les questions de fond n’avaient pas encore été abordées. Malgré le consensus atteint au Botswana au niveau des procédures et des détails pratiques, il ressortait clairement que la stratégie du gouvernement de Kinshasa consistait à faire durer les négociations le temps de renforcer suffisamment sa crédibilité nationale et internationale pour pouvoir se permettre d’invalider les éléments de Lusaka qui lui déplaisaient – notamment le fait d’avoir le même statut que les rebelles, la non-distinction entre « forces d’agression » et « forces invitées » et les dispositions prévoyant le dialogue et les nouvelles institutions avant le retrait des troupes étrangères. Bien entendu, la délégation gouvernementale désirait que Joseph Kabila et son gouvernement existant restent au pouvoir et contrôlent aussi bien le dialogue que les élections, pendant que les forces étrangères qui soutenaient les rebelles seraient obligés de se retirer en affaiblissant ainsi les adversaires du régime. Le gouvernement avait de bonnes chances de remporter les élections, étant donné l’impopularité probable des rebelles soutenus par des étrangers. Mais ce n’était pas ce dont il avait été convenu à Lusaka. Ce n’était pas non plus une issue que les rebelles accepteraient. Donc, le gouvernement ne pouvant les battre sur le champ de bataille, il lui fallait parvenir à ses fins par le débat, par la temporisation et par l’érosion des dispositions de Lusaka. La différence d’intérêts était claire et elle sous-tend encore la faiblesse du gouvernement de transition depuis le DIC. Les rebelles qui ne réussissent pas à prendre la capitale nationale sont désavantagés, puisque le régime en exercice a des chances de jouir d’un soutien national et international plus important que ceux qui cherchent à le renverser, à moins qu’il ne viole les droits de ses citoyens de manière si flagrante qu’il engendre une certaine sympathie pour les rebelles et leur cause. Une compréhension de la nécessité de traiter tous les camps avec impartialité était au centre de la démarche de QM, dictée par sa nature, d’une part, et par la tâche à accomplir, d’autre part. Cette démarche fit l’objet de critiques fréquentes de la part de l’UE, de la Belgique et de quelques chefs d’État africains. On disait qu’il faisait une interprétation trop étroite de son mandat, qu’il n’avait pas une compréhension suffisante des questions, qu’il se concentrait trop sur la logistique et le manque de fonds – tout cela au détriment de la question centrale de savoir comment délivrer la RDC de la guerre 134

civile. Puisque j’avais moi-même une formation en gestion plutôt qu’en politique, ces critiques auraient pu s’adresser à moi plutôt qu’à QM. Toutefois, comme QM, je me trouvais devant un texte que d’autres Africains l’avaient chargé d’appliquer, en facilitant des négociations congolaises selon des lignes convenues par des Congolais, non pas en tranchant lui-même les questions comme arbitre. Dans l’environnement où nous travaillions – peuplé d’anciens politiciens, de politiciens ratés, de politiciens en herbe et de commentateurs politiques professionnels – il était facile d’avancer que nous ne comprenions pas les questions ou que nous n’avions pas les capacités nécessaires pour mener les négociations à bonne fin. Personne sauf Mobutu n’avait mené de question politique à sa conclusion depuis que les Belges avaient quitté le pays, et la conclusion de Mobutu – qui consistait à tenir à lui seul les rênes du pouvoir – était l’image même du problème : l’absence d’autorité politique légitime dans le pays. Même la Conférence nationale souveraine, malgré les délibérations prolongées de centaines de participants, avait laissé le pays entre les mains de deux gouvernements, le premier dirigé par Mobutu, le second en opposition au premier. Pour une personne de l’extérieur, il était en effet facile, dès lors, de tomber dans le piège de percevoir nos efforts comme une intervention néo-coloniale, où les parties étrangères intéressées feraient pression sur les Congolais – comme l’avaient toujours fait les étrangers – pour qu’ils se conforment à la lecture que ferait quelqu’un d’autre de leurs difficultés et au règlement que quelqu’un d’autre trouverait à leur conflit. Les Congolais eux-mêmes encourageaient cette interprétation. Ils avaient l’habitude d’importuner les étrangers et consacraient beaucoup d’énergie à faire appel à des étrangers puissants et influents alors qu’ils auraient dû s’adresser à leurs concitoyens. Quand ils auront compris cette erreur, il sera possible d’évoquer un nouvel ordre politique. Il est vrai que les parties avaient signé l’Accord de Lusaka à la suite de certaines pressions et manipulations, mais maintenant on leur avait permis de trouver eux-mêmes la voie à suivre, avec, de la part des étrangers, leur soutien désintéressé plutôt que leur ingérence. QM est non seulement l’ancien chef d’un État qui fonctionne bien, mais aussi un démocrate. Il savait par instinct que la manipulation 135

continue des Congolais – que ce fût dans le sens d’une dilution des dispositions de Lusaka ou d’une consolidation du statu quo – reviendrait à une répétition des procédés tant déplorés du passé. S’il y avait des divergences dans l’Accord de Lusaka, c’était aux Congolais de les résoudre ensemble – il n’était pas prêt à plaider pour une modification de texte ou de calendrier à moins que ce ne fût par la décision de tous les Congolais qui avaient produit les textes. Nous avions pour tâche de faciliter, d’interpréter, de persuader, de convoquer et de soutenir ; QM ne pouvait prendre l’initiative d’une solution. Quelles que fussent les tentations de la realpolitik, il adhérerait aux principes inhérents au texte de Lusaka. On lui reprocha cette démarche, mais le choix lui revenait de droit. Il y eut pour nous un moment de répit après le succès mitigé de Gaborone. Celui-ci démontra encore une fois qu’il n’était pas impossible de conduire les Congolais à une entente, toutefois il nous restait à prouver maintenant que nous étions capables non seulement de préparer le débat proprement dit mais aussi de le mener à une conclusion congolaise. Sur le plan pratique, nous envoyâmes immédiatement une équipe s’entretenir avec les organisateurs de conférence professionnels de l’ONU et de l’UA à Addis-Abeba et commençâmes à planifier les innombrables tâches destinées à assurer le déplacement de quelque 300 délégués et d’un personnel de soutien d’une centaine de personnes en Éthiopie, dans l’espace de sept semaines, avec tous les services nécessaires – interprètes, traducteurs, photocopieuses, bureaux, salles de réunion, chambres d’hôtel, sécurité, faux frais, secrétariat, rapporteurs et ainsi de suite. Sur le plan politique, il nous fallait informer les intéressés – la Zambie, l’ONU, l’UA, l’UE, la Belgique, les États-Unis, le RoyaumeUni et la France – qui fourniraient non seulement les fonds que nous avions demandés, mais aussi – du moins, nous l’espérions – le soutien continu dont nous avions besoin. QM commença par le Président Chiluba en Zambie, l’informa de la réunion préparatoire et demanda à nouveau son aide pour convaincre la CMM et le Comité politique de nous guider pour décider comment intégrer le RCD-ML au DIC. La CMM devait se réunir prochainement à Kigali et son président kenyan, le général Mwaniki, nous avait invités à y assister. Rre Mogwe alla observer la discussion. Ensuite QM tint une réunion d’information avec la communauté diplomatique et plus tard avec les 136

chefs de toutes les missions diplomatiques botswanaises à l’étranger, qui se trouvaient à Gaborone pour leur réunion annuelle. Je remarquai avec quelle facilité il traita avec ces derniers dans sa langue maternelle et à quel point il les mit à l’aise. S’il avait pu en faire autant en français, ses critiques auraient peut-être été mieux disposés à son égard. Le 2 septembre nous partîmes pour Kinshasa où nous commençâmes un programme de visites de six pays dans trois continents afin de maintenir l’élan. Le Pr. Lebatt nous installa pour la journée dans quelques pièces de ce qui fut autrefois l’Hôtel Intercontinental, devenu maintenant le Grand Hôtel, et nous fîmes un déjeuner de travail avec Kofi Annan, Jean-Marie Guéhenno, soussecrétaire général au Maintien de la paix et leurs cadres supérieurs, y compris le SRSG sortant, Kamel Morjane, et son remplaçant, Amos Namanga Ngongi, un Camerounais ayant une longue expérience de service auprès du Programme alimentaire mondial. Le Secrétaire général félicita QM des progrès réalisés et lui dit qu’il avait ainsi réussi à convaincre les sceptiques. Il posa un certain nombre de questions concernant l’équilibre de la représentation et la transformation des groupes armés en partis politiques, renvoyant à l’exemple des mouvements Frelimo et Renamo au Mozambique. Nous expliquâmes quelques-unes des nuances et demandâmes qu’un organisateur de conférences de l’ONU nous soit détaché pour nous aider à Addis-Abeba, ce qui fut fait. Kofi Annan, homme à la voix douce, fut attentif et alerte. Lorsque nous lui communiquâmes un message congolais formulé lors de la réunion préparatoire demandant de l’aide à l’UA aussi bien qu’à l’ONU, il répliqua : « Là où il y a deux responsables, aucun ne l’est. » En tant que serviteur de 190 chefs d’État, à la tête d’une organisation qui est loin d’honorer toutes ses promesses, il avait un travail parfaitement ingrat ; pourtant il me parut un modèle de calme malgré les pressions énormes qui pesaient sur lui. Après le déjeuner, Kofi Annan s’adressa à une réunion de la société civile et des partis politiques, pris congé de nous et s’en alla. Nous rendîmes visite au personnel de notre bureau et prîmes un vol de nuit pour Bruxelles, en compagnie du Pr. Lebatt. À 09h00 le lendemain matin, nous nous présentâmes au bureau de Poul Nielson, le Commissaire au développement, l’un des rares à l’UE qui n’étaient pas constamment tentés de dire quoi faire à QM. Au contraire, il 137

écouta QM et le Pr. Lebatt expliquer comment nous avions mis plus de dix-huit mois à en arriver là, et il félicita QM de sa « calme obstination », comparant notre stratégie à la longue marche de Ghandi jusqu’à la mer pour faire du sel, au mépris du gouvernement de l’empire britannique aux Indes. Je n’étais pas sûr de la justesse de cette comparaison, mais les réunions avec le Danois cérébral demandaient pour le moins toute notre attention. Notre prochain rendez-vous était dans l’environnement élégant du ministère belge des Affaires étrangères, avec Anne-Marie Neyts, ministre déléguée qui revenait à peine de Kinshasa. En l’absence de Louis Michel, l’équipe belge n’avait pas grand-chose à dire. Elle entendit notre résumé de la position actuelle et posa des questions au sujet des délégués de la société civile et des partis politiques. Nous débattîmes de l’impartialité et le ministre reconnut que la Belgique avait appris à ses dépens qu’elle ne devait pas paraître avantager l’une ou l’autre formation dans une telle situation. Nous rencontrâmes plus tard un groupe beaucoup plus expressif : nous avions prévu de nous réunir à nouveau avec la Diaspora et elle n’était pas du tout contente qu’il n’y ait pas encore eu de progrès en ce qui concernait leur propre représentation séparée au DIC. L’un des leurs fit l’erreur d’avancer que leur exclusion pourrait aboutir à la violence et il fut aussitôt admonesté par QM pour avoir envisagé une telle possibilité dans la conjoncture actuelle. Après une nuit de sommeil et une conférence de presse peu nombreuse, nous partîmes pour New York. Par hasard, j’étais logé dans une chambre spacieuse à l’angle de l’immeuble, donnant sur le fleuve Hudson que l’on apercevait au-delà du siège de l’ONU. Je me mettais à l’aise, admirant la ligne d’horizon de New York, lorsque le téléphone sonna. Quelqu’un du bureau de Jean-David Leavitte voulut discuter les détails de notre visite au Conseil de Sécurité le lendemain. M. Leavitte, plus tard ambassadeur de France aux États-Unis, était à l’époque le Représentant permanent de la France auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU et la France présidait le Conseil ce mois-là. Le lendemain matin, après avoir finalisé le discours de QM, nous nous rendîmes au siège de l’ONU pour une réunion d’information avec Ibrahima Fall, du DPA, et ensuite pour rencontrer une foule de hauts fonctionnaires de l’UNICEF, du PAM, de l’OCHA de 138

l’UNIFEM et de l’UNHCR. J’expliquai plus tard à des fonctionnaires quelque peu consternés ce que nous espérions obtenir de l’ONU, au niveau du soutien organisationnel, afin de respecter le délai fixé pour Addis-Abeba. Une fois rassurés que le Secrétaire général avait donné son aval, ils firent de leur mieux. Au cours de nos discussions nous évoquâmes aussi les mécanismes qu’il faudrait en RDC afin d’aider à mettre en œuvre les éventuelles décisions des Congolais, mais je trouvai que personne, ni à ce moment-là, ni plus tard, ne produisit jamais d’idées claires sur ce sujet, que ce soit au sein de l’ONU ou dans notre équipe. Ce défaut reflète peut-être une « architecture internationale de pacification » insuffisamment développée. Il se peut que seul un État puissant soit capable d’assurer une paix branlante. Au point où nous en étions, il n’y avait pas de candidats évidents pour étayer les progrès en RDC, ni en Somalie, à la différence de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire et des Balkans. À 15h45 QM, Rre Mogwe, le Pr. Lebatt, Gilbert Motsemme et moi-même nous rendîmes à pied de notre hôtel au Conseil de Sécurité et nous assîmes dans une antichambre avec Jean-David Levitte. Il suggéra qu’il y ait davantage d’aide au développement pour la RDC, mais il mettait la charrue avant les bœufs. L’aide au développement aurait été canalisée par l’intermédiaire du gouvernement et elle n’est jamais neutre. L’aide humanitaire, en revanche, est censée être neutre, même si elle exige de ses administrateurs de collaborer avec des groupes rebelles. La RDC avait besoin d’aide humanitaire et d’un règlement politique, non d’un ensemble routinier de mesures d’assistance livré à un gouvernement sur le point de négocier une transition vers le partage du pouvoir. Ce fut une rencontre révélatrice. À l’intérieur de la salle du Conseil de Sécurité il y eut des discours de félicitation de la part des ambassadeurs de douze nations, entrecoupés de questions adressées à QM sur le degré d’engagement des Congolais, l’importance de l’Acte d’engagement et de son Comité de suivi, le rôle des femmes, le financement du processus, la représentation des Mai Mai, de la Diaspora et du RCD-ML, le retrait des forces étrangères, DDRRR,27 et les dispositions en vue de la transition. Les réponses furent données par différents membres de 27

Acronyme encombrant pour le désarmement, la démobilisation, le rapatriement, la réintégration (et plusieurs variantes approximatives).

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l’équipe suivant le sujet en question. S’agissant de la transition, QM dit qu’elle regardait les Congolais, mais qu’elle serait lente et qu’ils auraient besoin d’aide en raison du manque d’infrastructures. L’ambassadeur du Bangladesh, mettant le doigt sur le cœur du problème, fit remarquer qu’un dialogue séparé s’imposait entre Kinshasa et Kigali.28 L’ambassadeur russe nous remercia du « dialogue interactif ». Au bout de deux heures et demie, M. Levitte déclara la réunion close, en relevant qu’il n’y avait aucun lien précis entre le DIC et les progrès sur le plan militaire et en suggérant que le Conseil de Sécurité donne de l’« élan » à la RDC. QM s’adressa à la presse et nous nous retirâmes avec le sentiment d’avoir encore réussi à un examen. Nous eûmes d’autres réunions le lendemain à l’ONU avec le personnel chargé de l’organisation des congrès ; ensuite nous prîmes l’avion pour Washington. Le lendemain matin nous prîmes le petit déjeuner avec Ahmed Ould Abdallah, ancien SRSG au Burundi, qui avait accepté de présider la Commission économique et financière du DIC. Puis nous rencontrâmes une ONG qui essayait discrètement d’aider les parties congolaises à maîtriser leurs divergences en leur proposant des voies de communication à titre confidentiel. L’aprèsmidi on nous conduisit au ministère des Affaires étrangères où on nous sortit le tapis rouge. Ma première réaction était de suivre QM mais un peu sur le côté, de façon à éviter de marcher sur le tapis rouge, n’ayant jamais bénéficié d’un tel traitement auparavant. Cependant, me rendant vite compte que c’était vraisemblablement la seule fois de ma vie que je serais accueilli de la sorte dans la capitale de la superpuissance du monde, je repris le tapis et emboîtai fermement le pas à mon patron. On nous fit passer en coup de vent les barrières de sécurité, sans nous contrôler, vers un ascenseur qui nous monta directement dans les bureaux du chef de l’USAID, Andrew Natsios, et de ses collègues de haut rang. Quatre jours plus tard, Al Quaeda détruisais les tours jumelles de New York ; je doute qu’une telle réception soit encore facilement accordée aux visiteurs.

28

L’Afrique du Sud accueillit un tel dialogue en 2002 ; il se poursuit encore de nos jours, puisque aucun camp n’a encore convaincu l’autre qu’il a rempli ses engagements : la cessation d’interventions du gouvernement rwandais en échange de l’arrêt des activités des milices gouvernementales anti-rwandaises en RDC.

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M. Natsios était retenu, mais nous eûmes une conversation utile avec ses collègues de l’AID au sujet de leur politique en RDC. Ensuite nous montâmes d’un niveau, dans le bureau du ministre adjoint des Affaires africaines, Walter Kansteiner, où Andrew Natsios nous rejoignit et où nous rencontrâmes aussi Charlie Snyder, qui était considéré, dans le contexte américain, comme un « vieux routier » de l’Afrique. Sa formation et son expérience étaient dans le domaine militaire et du renseignement, mais il était à présent le haut fonctionnaire chargé d’appuyer les candidats politiques nommés audessus de lui ; il allait s’avérer un point de référence important au cours des mois à venir 29. Walter Kansteiner, homme d’affaires blond à l’allure sportive, avait travaillé dans le domaine de la privatisation en Afrique du Sud et ne prétendait pas posséder une maîtrise approfondie des questions congolaises. Toutefois, il nous rassura quant à la ferme volonté des États-Unis de nous aider par tous les moyens que nous estimerions possibles et alla jusqu’à nous confier qu’il était très impressionné par ce que nous faisions. Notre prochain arrêt fut à l’étage où siégeait Colin Powell et son adjoint, Richard Armitage. Nous avions demandé à rencontrer le ministre des Affaires étrangères, mais il était à l’étranger. À mesure que nous montions dans le ministère des Affaires étrangères, le décor changeait du fonctionnel au moderne, et ensuite à ce que je ne pourrais appeler que baroque ; nous passâmes sous des chandeliers et dans des antichambres aux sombres peintures murales d’où nous regardaient des générations antérieures de soldats et d’hommes d’État américains. Dick Armitage, amiral à la retraite, fut accueillant et enjoué. Il s’excusa de nous avoir fait attendre et nous offrit à boire. En versant le café, il expliqua que l’un des ses ambassadeurs venait malheureusement de tomber malade – il avait perdu l’usage de ses pieds et avait dû être emmené en ambulance. M. Mogwe leva un regard innocent en prenant sa tasse et dit à son hôte un peu étonné : « Lui avez-vous servi du café ? » La discussion fut détendue et les États-Unis étaient enthousiastes pour nous offrir un supplément d’aide, tant politique que financière, en plus du million de dollars qu’ils avaient déjà contribué à nos frais. M. Armitage estimait que les 29

Quand je lui demandai comment il avait commencé sa carrière africaine, il me répondit, d’un air de quelqu’un qui avait déjà employé cette réplique : « J’ai envahi l’Angola ».

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États-Unis avait la réputation injustifiée de se désintéresser de l’Afrique, où il n’y avait pas seulement des raisons humanitaires de s’impliquer mais aussi de réels intérêts américains. Il nous souhaita bonne chance et nous partîmes avec le sentiment que cela n’aurait pu mieux se passer. Ce soir-là Ahmed Ould Abdallah nous invita à dîner. C’était un compatriote du Pr. Lebatt mais qui eut le malheur de l’embarrasser involontairement au point de le faire fuir lorsque le restaurant qu’il avait choisi s’avéra produire une danseuse du ventre pour divertir les convives après leur repas. Rre Mogwe supporta avec une endurance admirable le foulard rouge qu’elle lui étala sur la tête et réussit à paraître tout à fait imperturbable. Les deux gardes du corps botswanais furent visiblement intrigués. À la suite d’un petit déjeuner de travail avec Tony Gambino, le fonctionnaire de l’USAID chargé de couvrir la RDC à partir de Washington, nous eûmes guère le temps de nous détendre avant de nous diriger vers l’aéroport pour prendre l’avion pour Londres, où nous avions essayé de convoquer les quatre émissaires spéciaux restants chargés de la région des Grands Lacs, du Canada, de la Belgique, du Royaume-Uni et des États-Unis. (Les services de Howard Wolpe n’étaient plus demandés par la nouvelle administration républicaine de Washington, qui ne croyait pas au émissaires spéciaux, préférant travailler par l’intermédiaire de ses ambassadeurs.) Nous essayions depuis un moment de réunir tous les émissaires spéciaux à un endroit en même temps, mais cela ne se fit pas. Pendant l’entière durée du processus, je ne rencontrai jamais l’émissaire spécial canadien et à l’occasion en question Aldo Ajello était représenté par son aide, Lauren Contini, un diplomate détaché du Quai d’Orsay auprès de l’UE. Il fut rejoint par Ian Whitting du RoyaumeUni et Frank de Koninck de Belgique. Nous nous rencontrâmes à la Haute Commission du Botswana à Londres, dirigée par Roy Blackbeard, un Botswanais de troisième génération d’origine européenne, qui parlait couramment le setswana et était un exemple vivant de la tolérance raciale et de la politique pragmatique du Botswana. Nous expliquâmes une fois de plus les implications du processus que nous venions de superviser et parcourûmes quelques-unes des 142

difficultés qu’il nous restait à résoudre avant le rendez-vous d’AddisAbeba. Un nouveau facteur se profilait : certaines sources nous signalaient avec persistance que le Président Kabila, ou ses représentants, avaient récemment conclu un marché avec le Nigeria en vue de créer un « Conseil présidentiel » avec le MLC, déstabilisant ainsi le DIC afin d’éviter un partage plus étendu du pouvoir dans un gouvernement de transition ; le concept d’un tel partage du pouvoir avait toujours fortement déplu au gouvernement. J’ignore totalement si ces bruits qui couraient étaient fondés, mais si c’était le cas, ils présageaient les manœuvres auxquelles recourraient plus tard le MLC et le gouvernement et qui allaient retarder d’un an la conclusion du processus de paix. L’après-midi nous eûmes une réunion au département du Développement international, avec la ministre, Clare Short, la ministre déléguée pour l’Afrique, la baronne Amos, et leurs fonctionnaires. À ce stade l’anglais du Pr. Lebatt n’était pas bien fort et sa maîtrise des styles diplomatiques anglo-saxons n’était encore qu’à ses débuts ; cependant, il fut très impressionné par l’approche informelle et directe de la ministre et par le fait que, à l’évidence, elle avait été bien informée et avait réfléchi aux questions. (À tel point, du reste, que je fus rapidement corrigé lorsque je commis l’erreur élémentaire de mettre dans le même panier le retrait des forces étrangères et le retrait des groupes armés congolais jusqu’à des positions convenues. La ministre comprenait les détails.) De bonne heure, le lendemain matin, le 11 septembre, nous prîmes Eurostar pour Paris. Nous nous dirigeâmes vers la tour disgracieuse de notre hôtel, QM dans une Mercedes du gouvernement et nous autres dans un fourgon conduit de façon à servir de bouclier à la Mercedes à chaque instant. À peine installés, nous allâmes rencontrer Charles Josselin, ministre de la Coopération au développement que nous avions rencontré l’année précédente à Gaborone. Étaient présent aussi Georges Serre.30 Le style était très différent de celui de Washington ou de Londres. Le ministre, plutôt guindé et froid, au départ, se dégela progressivement. Il ne nous félicita pas pour la réunion préparatoire, comme l’avaient fait d’autres. Il reconnut que la France avait attendu 30

Ambassadeur plus tard de France à Kinshasa

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trop longtemps avant de se distancier de Mobutu et déclara qu’elle voulait désormais collaborer avec ses partenaires de l’UE à la recherche de la paix et du développement en RDC. Il décelait, disaitil, une plus grande convergence qu’auparavant dans les politiques du Royaume-Uni, des États-Unis et de l’Afrique du Sud à l’égard de la RDC. À ce moment-là un aide fort agité fit irruption dans le bureau avec un message pour le ministre, sur un bout de papier. Celui-ci n’était pas content d’avoir été interrompu, mais lut le message et continua. L’aide revint, un téléphone portable à la main. Le ministre prit l’appel, eut l’air très préoccupé et arrêta sa conversation pour nous informer qu’il avait eu des attentats contre le World Trade Centre à New York par des avions suicide et que la Maison Blanche avait été évacuée. Nous poursuivîmes machinalement la réunion, parcourant les questions que nous avions si souvent répétées, mais il était difficile de nous concentrer alors que l’aide revenait et que le ministre nous tenait au courant. QM releva que nous n’avions reçu que 250 000 dollars sur la promesse française de 350 000. C’était très important pour nous autres mais cela commençait à paraître insignifiant au fur et à mesure que les implications de ce qui se passait peut-être dans les villes que nous venions de quitter se faisaient jour.31 Nous quittâmes le confortable bureau donnant sur la cour, de la rue Monsieur, méditant les implications pour nous tous de ce que nous venions d’apprendre. Dans la voiture en route pour l’hôtel, le Pr. Lebatt et moi écoutions la radio. Les informations devenaient de plus en plus consternantes. Le Pentagone, aussi, avait été attaqué. Revenus dans notre tour, nous nous assîmes devant la télévision pour voir les images épouvantables qui nous venaient des États-Unis. Déjà nos plans changeaient à mesure que les vols s’annulaient et que la vraie nature de la catastrophe s’éclaircissait. Il fut décidé que QM rentrerait le plus tôt possible à Gaborone, tandis que je continuerais sur Addis-Abeba pour m’y entretenir avec nos collaborateurs. Nous continuerions de notre mieux tant qu’il n’y aurait pas de raison majeure d’arrêter. Je retournai à Londres pour aller chercher mon visa éthiopien et pour m’arranger avec les fonctionnaires du DFID pour qu’ils envoient le plus vite possible 500 000 dollars à Addis-Abeba, puisque les hôtels Sheraton et Hilton exigeaient des arrhes avant de nous retenir 300 à 400 chambres. Mon vol direct pour l’Éthiopie fut annulé mais je 31

Nous ne reçûmes jamais l’intégralité de la contribution française.

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réussis à m’y rendre avec Alitalia en passant par Rome et le Caire – un voyage épuisant, depuis la confusion d’un Heathrow automnal, frénétique à cause de la reprogrammation de tous les vols, jusqu’à l’air léger et clair des hauts plateaux africains où j’atterris le lendemain matin. Ma collègue Almaz Atnafu vint me chercher et me conduisit à l’immense nouvel hôtel Sheraton, dont le confort luxueux présentait un contraste frappant avec les baraques des petites gens démunis à flanc de colline, en contrebas. Almaz, Éthiopienne elle-même et fonctionnaire de l’ONU spécialisée dans les élections, était venue de notre bureau à Kinshasa, où elle allait devenir l’adjointe du Pr. Lebatt. Elle était là pour m’aider à traverser les eaux parfois agitées sur lesquelles nous naviguions avec l’ONU à New York, d’une part, et l’ONU, l’UA et le gouvernement de l’Éthiopie à Addis-Abeba, d’autre part. Naturellement nous créâmes un comité, mais nous lui donnâmes le titre plus motivant de « groupe de travail » 32. Qu’il y eût un certain chaos ne surprendra personne qui ait été chargé d’organiser une grande réunion en peu de temps dans un pays pauvre, avec un comité organisateur représentant quatre organismes disparates : le gouvernement d’Éthiopie, les Nations unies, l’Union africaine et le bureau du Facilitateur. Nous convînmes de partager le logement des délégués entre trois hôtels et nous utilisâmes les équipements modernes du nouveau Centre de Conférences de l’ONU. Nous fûmes rejoints par Taye Zerihoun, Éthiopien lui-même, haut fonctionnaire dans le Département des Affaires politiques, qui suivait nos progrès à partir de New York, au nom du système de l’ONU. (Selon la coutume, le DPKO gère la participation de l’ONU une fois que les négociations de paix font place au renforcement de la paix, avec le déploiement concomitant des Casques bleus.) Ensemble, nous fîmes appel à Said Djinnit, secrétaire général adjoint de l’UA et au ministre des Affaires étrangères pour qu’ils revoient nos plans. Je laissai tout entre les mains d’Almaz et repartis pour le Botswana afin d’informer mes collègues. De retour à notre base, nous revîmes nos finances. Nous attendions 1 million de dollars du gouvernement de Kinshasa, un demi-million 32

En effet, le groupe de travail fonctionna assez bien et la plupart des préparations dont nous étions chargés étaient presque achevées lors de l’arrivée des délégués et, à quelques détails près, tout était en bon état de marche dans les trois ou quatre jours suivants.

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chacun des gouvernements américain et britannique et 1 million de l’UE, soit 3 millions au total. Nous avions estimé qu’une réunion de six semaines, conformément aux dispositions de l’Accord de Lusaka, coûterait environ 4,5 millions de dollars. Dix-huit jours avant le commencement prévu du Dialogue, nous n’avions rien reçu de nouveau à Gaborone, sans parler d’Addis-Abeba, où le besoin était le plus pressant. En outre, l’ONU n’avait pas encore identifié un organisateur de conférences à nous détacher, le Comité politique n’avait toujours pas produit de décision quant au statut du RCD-ML et aucune partie congolaise n’avait encore respecté notre délai relatif à leurs listes de délégués. Nous pesâmes le pour et le contre d’un nouveau report, ou d’une réunion des chefs de parties seulement – avec un minimum de personnel, ou d’une restriction de la durée prévue (rien n’interdisait que nous fassions une pause au milieu des négociations). Nous conclûmes que le prix politique à payer pour tout report ou pour une réunion restreinte serait élevé et que nous n’étions pas obligés de prendre déjà une décision immédiate à ce sujet. Cependant, un bruit courait que nous avions reporté la réunion pour cause de « manque de sécurité à Addis-Abeba ». Jean-Pierre Bemba appela afin de nous mettre en garde contre tout report ; il ajouta que certains diplomates nous accusaient à présent de prolonger le processus pour augmenter les allocations que nous touchions, ce qui – à supposer que ce fût vrai – aurait été une interprétation singulièrement erronée du désir chez l’équipe du facilitateur de conclure honorablement et complètement le projet.33 Le Pr. Lebatt et plusieurs de nos collègues se trouvaient à ce moment-là à Nairobi où ils supervisaient le Comité de Suivi relatif à l’Acte d’Engagement de Gaborone. C’était à plusieurs égards une corvée de plus, mais cela ouvrit à notre personnel un canal de communication avec un groupe représentatif de douze Congolais, lui évitant de devoir poursuivre tous les contacts de manière bilatérale, comme cela avait été le cas jusqu’alors. Plus ils pouvaient travailler ensemble, mieux cela valait pour nous et pour eux. Une nouvelle difficulté se dégagea de ce forum : les délégués déclarèrent que toutes les Commissions devaient être présidées par des Congolais et que les 33

Il apparaît que les diplomates en question auraient regardé une évaluation des coûts sur un budget qui avait été montré au Comité de Suivi et qu’ils en avaient conclu que nous allions payer 60 000 de dollars à chaque Commissaire. C’était tout simplement faux.

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conseillers techniques, eux aussi, devaient être congolais ; seuls les rapporteurs seraient alors de notre bureau. Nous en discutâmes avec QM. Il n’était pas entièrement contre l’idée, mais elle aurait suscité de nombreuses allégations de partialité et elle aurait été difficile à mettre en œuvre au stade avancé où nous étions ; heureusement, l’idée s’évanouit d’elle-même. Nous reçûmes un nouveau visiteur au Botswana : le nouveau SRSG à Kinshasa, Amos Ngongi, venu échanger des impressions avec QM. Si la facilitation réussissait, sa mission se transformerait progressivement : d’observation du cessez-le-feu et du désengagement, elle deviendrait soutien à un gouvernement basé sur le partage du pouvoir et, pour finir, soutien à la reconstruction et aux élections. Notre tâche, certes complexe, était au moins discrète et non interminable. Sa tâche à lui était herculéenne et sans fin. Malgré les combats dans plusieurs endroits du pays, en violation de tous les accords, M. Ngongi parut remarquablement enjoué. L’un de mes collègues, dans un moment de cynisme, avança que, à ce niveau-là, les hauts fonctionnaires de l’ONU voyaient toujours le bon côté des choses. Sans cela, ils seraient incapables de fonctionner. Au moment de la rédaction du présent ouvrage, il y a toujours un SRSG MONUC à Kinshasa, William Swing, ancien ambassadeur des États-Unis en RDC, aux prises avec une transition difficile dans un pays en ruines, dans un monde devenu las de la guerre civile en Afrique, et dépourvu de mécanismes pour y mettre fin. Pendant ce temps, nos Commissaires et leur personnel de soutien avaient été engagés. Trois d’entre eux réussirent à faire le voyage de reconnaissance en RDC ainsi que nous le leur avions proposé en vue de les aider à comprendre les questions sur lesquelles ils auraient à diriger les débats. Moustapha Niasse et Babagana Kingibe se rendirent auparavant à Gaborone pour un briefing, où se joignit à nous le général Mwaniki de la CMM. Celui-ci nous remercia du succès de la réunion de Gaborone, disant que l’atmosphère améliorée qui en avait résulté l’avait aidé à commencer le déplacement tant attendu de la CMM vers Kinshasa, où elle serait beaucoup plus efficace. Cela aurait pour effet la présence à Kinshasa des représentants rebelles aussi bien que des diplomates rwandais et ougandais pour la première fois depuis qu’ils avaient commencé la guerre.

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Nos nouveaux collègues avaient acquis une longue expérience dans les affaires africaines. Moustapha Niasse s’inquiétait que nos communications publiques soient inadéquates pour nos besoins. Il avait raison et nous fîmes notre possible pour y remédier, avec le résultat que nos difficultés de trésorerie étaient publiées dans plusieurs journaux tant en Europe qu’en Afrique. Babagana Kingibe, ancien ministre des Affaires étrangères du Nigeria, représentant du général Abu Bakr, voulut savoir pourquoi il fallait payer le voyage et le logement à des personnes voulant assister à une réunion destinée à résoudre un problème qu’elles avaient créé dans leur propre pays. Il n’avait pas tort. Au moins, nous ne payions que le voyage, le gîte et le couvert – pas les indemnités journalières. Le général Mwaniki nous fit un briefing militaire dans le contexte des trois « D » censés guider les progrès à partir de ce point : le Désengagement, le Dialogue et le Désarmement, défis militaire, politique et économique de la paix. Il ajouta qu’il y avait malheureusement un quatrième « D » : la Malhonnêteté (en anglais : Dishonesty), lorsque les parties prenaient des engagements qu’ils n’honoraient pas. Après cette réunion, QM partit pour la RDC avec MM. Niasse, Kingibe et Ould Abdallah. Ils avaient pour objectif de consulter les parties congolaises au sujet des options, étant donné notre triste trésorerie, et de familiariser nos trois représentants de commissions avec les derniers événements. Nos finances étaient on ne pouvait plus claires34 : nous n’avions tout simplement pas encore les fonds nécessaires pour nous installer à Addis-Abeba, quelles que fussent les promesses. C’était un bon exemple du cas où l’élan politique en faveur du commencement du dialogue l’avait emporté sur les questions pratiques qu’il fallait régler avant que le dialogue ne pût être convoqué. Cette situation n’était due ni à quelque incompétence ou fraude de notre part, ni à quelque malhonnêteté ou réticence de la part des bailleurs de fonds, mais bien plutôt à une autre faiblesse de l’architecture de la « communauté internationale ». Nous ne faisions pas partie du Département du maintien de la paix de l’ONU, qui 34

Nous avions reçu et dépensé pres de 2,6 millions de dollars au cours des 21 mois précédents, sur les 8 millions promis au cours de l’année 2000 ; le solde promis n’était pas encore arrivé.

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dépend de « contributions évaluées » des États membres ; nous n’étions pas non plus affiliés à un autre État ou institution qui pût nous financer ou subventionner. Il nous fallait au contraire lancer un appel aux fonds et les fonds qui nous étaient promis étaient le plus souvent tirés des budgets d’aide des donateurs occidentaux. Ces budgets n’étaient pas normalement conçus pour défrayer les négociations de paix (ce qui est en train de changer au fur et à mesure que le règlement des conflits devient un poste de budget.) Les mesures de vérification et de contrôle en place dans les ministères chargés de l’aide, pour nécessaires qu’elles fussent, étaient encombrantes et inaptes à répondre aux demandes d’une institution ad hoc, quel que fût par ailleurs le soutien politique dont elle pouvait bénéficier. Bien que généreuse, la contribution des États-Unis, par exemple, était soumise aux procédures de l’USAID, qui opérait par l’intermédiaire de ses sous-traitants habituels ; cela voulait dire que nous devions dépenser d’abord l’argent et remettre ensuite les factures concernées, ce qui ne nous arrangeait nullement, dans l’immédiat. L’UE nous avait averti que nous pouvions compter six mois avant que ses contributions ne se matérialisent. Même le DFID du Royaume-Uni, qui avait été jusqu’alors notre donateur le plus rapide, était incapable d’identifier un mécanisme, ainsi qu’il s’était engagé à le faire, pour nous envoyer de l’argent comptant à Addis-Abeba.35 Nous envoyâmes des mémorandums expliquant ces difficultés à l’ambassadeur de Belgique en Afrique du Sud, au gouvernement sud-africain, à la SADC et aux gouvernements français, britanniques, américains, suédois et allemands, ainsi qu’à l’UE. Dans la plupart des cas, l’esprit diplomatique était ardent mais la chair procédurière était faible. À Kinshasa, le Président Kabila écouta l’explication que QM présenta de nos difficultés et exprima sa préférence pour une réunion complète des délégués, plutôt qu’un groupe initial plus petit auquel se joindrait l’effectif complet lorsque les fonds seraient reçus. Il en laissa la décision finale à QM. Il sembla préférable de démarrer, et de nous arrêter s’il le fallait, plutôt que d’attendre indéfiniment que notre caisse se remplît – ne fût-ce que parce que la guerre en RDC était en 35

Au moment de la rédaction de cet ouvrage, un appel vient d’être lancé par l’Union africaine aux mêmes bailleurs de fonds pour qu’ils tiennent leurs promesses de financer un déploiement plus important et plus rapide de l’UA au Darfour, dans l’ouest du Soudan.

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train de renaître de ses cendres. À Bandundu, Bunia, Kindu et Fizi, il y avait ce que l’ONU appelait de l’« insécurité ». Je retournai à Addis-Abeba pour présider le Groupe de Travail. Entre-temps, l’ONU nous avait envoyé un organisateur de conférences professionnel, un nommé Aidar Karatabanov, qui prétendait être le seul Kazakh à l’ONU et avait été formé dans l’ancienne URSS. Il apportait sans conteste une note exotique à notre équipe à dominante africaine. Mes collègues restés au Botswana appelèrent pour dire qu’à son retour QM avait pris la décision d’aller de l’avant, en commençant avec un groupe restreint pour étudier les questions techniques de la représentation des Mai Mai et du RCD-ML, et en espérant que les promesses se traduiraient vite en argent. Ils ajoutèrent que 900 000 euros venaient d’arriver de l’UE et que les risques politiques et militaires d’un report l’emporteraient sur les risques financiers de poursuivre le projet. Le ministère des Affaires étrangères éthiopien me somma d’expliquer pourquoi j’étais incapable de produire une liste des Congolais qui devaient arriver. Ne devrions-nous pas annuler l’ouverture jusqu’à ce que nous ayons une telle liste ? C’était une question raisonnable et je ne pouvais y répondre. Au Botswana, un communiqué de presse imprudemment formulé et une télécopie manquée firent qu’un Pr. Lebatt très inquiet arriva en trombe pour discuter sa décision avec QM. À son avis, ni le gouvernement ni les partis politiques n’étaient prêts. Le gouvernement voulait maintenant reporter une session plénière mais commencer avec les discussions techniques ; la RDC voulait une ouverture officielle à la suite de laquelle une décision pouvait être prise sur la manière de procéder ; et le MLC voulait une session plénière avec un effectif réduit. QM conclut que le processus devait tout au moins démarrer et qu’ensuite les Congolais eux-mêmes devraient réexaminer les options quant à la manière de procéder. Une semaine avant l’ouverture, prévue pour le 15 octobre, mon journal personnel note mon état d’angoisse : « Rien n’est prêt, rien n’est clair. Peu de choses sont consignées par écrit, nous manquons d’argent et je me demande comment nous tiendrons la semaine. »

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CHAPITRE XI LE GOUVERNEMENT S’ENVOLE

RDC : l’ICG analyse l’impasse dans le processus de paix. L’échec du Dialogue intercongolais à Addis-Abeba (Éthiopie) en octobre était prévisible, d’après un nouveau rapport de l’International Crisis Group (ICG) intitulé « Le Dialogue intercongolais : négociations politiques ou partie de poker ? » « Le Président Joseph Kabila et ses commanditaires refusent de considérer le partage du pouvoir au moyen du dialogue avec des rebelles opposés au gouvernement sans garantie du retrait complet du Rwanda et de l’Ouganda de la RDC, » précise le communiqué du 16 novembre. « En même temps, les rebelles et leurs sponsors, y compris le Rwanda et l’Ouganda, refusent de considérer un retrait complet avant qu’un gouvernement de transition ne soit mis en place au moyen du dialogue et que leur sécurité soit garantie. En conséquence, le conflit à faible intensité reste l’option préférée pour la plupart des acteurs extérieurs. » « Ni les alliés du Président Kabila, ni ses ennemis ne permettront un rétablissement complet de la souveraineté congolaise et de l’intégrité territoriale tant que leurs propres exigences politiques, économiques et sécuritaires n’auront pas été satisfaites, » a déclaré François Grignon, directeur de projets pour l’Afrique centrale de l’ICG. « La communauté internationale devrait se faire plus proactive en répondant à la dynamique qui entretient le conflit aux Kivus. Jusqu’à ce que cela se produise, le dialogue restera une partie de poker. » (IRIN Update 100, 23/11/01.) Afin d’assurer du logement tout au moins aux premiers délégués attendus, nous acceptâmes l’offre de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique (UNECA), qui envoya donc à l’hôtel Hilton une lettre garantissant la prise en charge du logement. Le gouvernement éthiopien fit preuve d’une grande flexibilité en acceptant d’accorder des visas à un premier groupe de 81 délégués dont nous ne pouvions pas encore fournir les noms. On ne sait trop comment, nos préparations commençaient à porter fruit, même si, le jour venu, les 81 délégués arrivèrent accompagnés de 82 aides, 151

partisans et autres collègues de fonction inconnue. Arrivèrent aussi des diplomates qui commencèrent à exiger des briefings. Le Président Chiluba accepta à nouveau d’ouvrir les assises. Après avoir renseigné QM et présidé le groupe de travail la veille de l’ouverture, j’allai me coucher, épuisé. On me réveilla pour me conduire à l’aéroport où je dus me porter garant de la délégation du MLC, qui était arrivée en pleine nuit. À 07h00 le lendemain matin j’y retournai pour accueillir la délégation gouvernementale, sous la direction de Léonard She Okitundu, ministre des Affaires étrangères, et Augustin Katumba Mwanke, ministre auprès de la Présidence. Inévitablement, les membres de leur délégation ne correspondaient pas tout à fait à la liste qu’ils nous avaient donnée pour l’autorisation du gouvernement éthiopien. Nous n’avions reçu aucune nouvelle concernant l’arrivée des délégués du RCD. Notre prochaine réunion fut avec Amara Essy, ancien ministre ivoirien des Affaires étrangères, qui dirigeait maintenant l’OUA pendant la période précédant la transformation de celle-ci en Union africaine. Il était flanqué des fonctionnaires Said Djinnit et Sam Ibok. Pour une raison inconnue le ministre libyen des Affaires étrangères, Ali Treichi, était également présent et QM lui extorqua très habilement une promesse de 300 000 dollars, dans un échange rapide de solidarité africaine. Ensuite nous nous rendîmes directement à la maison d’Amara Essy, où il avait eu la bonté de prévoir un déjeuner fort apprécié, au cours duquel je reçus un appel du ministère des Affaires étrangères. Un avion affrété d’Egypt Air approchait de la capitale, mais n’avait pas reçu d’autorisation d’atterrissage. On voulut savoir si je savais quel groupe il transportait ? Je pensais que cela ne pouvait être que l’avion du RCD, mais je m’attendais à les voir arriver dans un avion de la MONUC ; personne ne m’avait dit qu’ils arrivaient par Egypt Air. Il n’y avait que 34 jours depuis l’attentat contre les tours jumelles de New York et je ne voulais pas prendre la responsabilité de persuader les autorités éthiopiennes d’admettre dans leur espace aérien un avion qui pourrait être un autre que celui que nous attendions. J’avalai ma salive et recommandai qu’on autorise l’atterrissage. C’était bel et bien la délégation du RCD. Elle était en retard. Nous reportâmes en conséquence l’ouverture officielle de 15h00 à 18h00, et puis à 19h30. On fit passer le RCD par les contrôles de 152

sécurité et par le système d’enregistrement par badges afin que toute la délégation puisse être admise à l’heure dans la salle. Il y eut ensuite une discussion impromptue avec le gouvernement, le RCD et le MLC pour déterminer jusqu’où on pouvait restreindre le nombre de participants à la réunion. Finalement, à 20h30 le Président Chiluba se leva et prit la parole. Je ne me souviens pas du contenu de son allocution en dehors de sa promesse d’une contribution de 50 000 dollars à nos frais. Le Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, le SRSG de l’ONU, Amos Ngongi et, au nom de l’OUA, Amara Essy prirent aussi la parole. Puis nous quittâmes la salle avec soulagement pour nous diriger vers une réception à l’étage, où nous restâmes debout à nous regarder les uns les autres, rompant la glace avec ceux que nous ne connaissions pas, notre assiette à la main et, pour ce qui me concerne, essayant de paraître plus détendu que je ne l’étais. Enfin, le Dialogue intercongolais tant attendu, était ouvert. Les six jours suivants ne furent qu’un tourbillon de sessions plénières retardées, de motions et de contre-propositions, de réunions en coulisses, de briefings dans les chambres d’hôtels, de déclarations à la presse, de désinformation, de plaintes et de compromis – le tout joué dans les salles de conférence de l’ONU, les suites du Hilton et les espaces publics du Sheraton. Il n’y avait aucune entente commune sur la forme que devrait prendre la réunion. Les parties venaient présenter leurs vues à QM dans sa suite à l’hôtel. Il consultait les commissaires. Les commissaires consultaient les parties. Les plénières commençaient toujours en retard pour être reportées ensuite. Les « mandats » de délégués étaient « validés », c’est-à-dire qu’ils devaient se lever pour que leurs compatriotes puissent vérifier qu’ils n’étaient pas des imposteurs. Nous tenions des réunions pour revoir les options, mais il n’y eut pas de rencontre des esprits. La confusion régnait. Selon le gouvernement, la réunion n’aurait même pas dû aborder l’ordre du jour et le règlement intérieur, puisqu’une session plénière complète était hors de question. Le gouvernement ne se présenta pas à l’une des séances et nos commissaires eurent beaucoup de mal à les convaincre de se réengager. Les rebelles voulaient commencer, soumettre toutes les questions au débat et faire démarrer les Commissions, avançant qu’il y aurait ainsi quelques questions à présenter à une plénière, le moment venu. Si nous n’avions pas les 153

fonds pour continuer à Addis-Abeba, où pourrions-nous aller lorsque nous les aurions ? Il y eut force coups de téléphone à Pretoria de la part de notre bureau et des Congolais. Après mûre réflexion, l’Afrique du Sud accepta d’accueillir et de financer le DIC, si cela pouvait aider. Les sud-africains exigeaient un préavis d’au moins un mois et firent remarquer que les vacances de Noël viendraient interrompre toute réunion plénière de la durée prévue de 45 jours ; pour eux, janvier conviendrait le mieux. Les rebelles préféraient novembre. Le gouvernement congolais annonça qu’il lui fallait rentrer à Kinshasa. QM reçut la délégation gouvernementale à titre privé afin de lui demander de rester, car il y avait encore le temps de s’accorder sur l’Ordre du Jour et du Règlement intérieur du DIC. Les cinq Commissaires prièrent chacun les ministres Okitundu et Lukiana d’aider à sauver quelque chose de la réunion. QM dit que pendant trente-cinq ans, d’abord en tant que Vice-Président et ensuite en sa qualité de Président, il avait dû se prononcer sur des disputes qui lui étaient présentées. Dans le cas actuel, il ne discernait que la moindre distance psychologique entre les parties. QM demanda au gouvernement d’assister au moins à la plénière qu’il avait prévue pour 15h00. La réunion commença finalement peu avant 17h00. Une large gamme d’opinions fut exprimée sur la voie à suivre et le gouvernement écouta. Néanmoins, à 18h35, le gouvernement retira sa délégation et annonça qu’elle rentrait à Kinshasa. Tous les efforts pour l’en dissuader furent vains et la délégation s’envola au milieu de la nuit. Avant de partir, Vital Kamerhe dit que le gouvernement encourageait QM à continuer et espérait se réunir à nouveau avec toutes les parties en Afrique où ses conditions pourraient être satisfaites. Il précisa que la Conférence nationale souveraine avait été « même plus chaude » que ce dialogue manqué. C’était une bien maigre consolation. QM interrompit la réunion et dit qu’il consulterait chacune des autres parties à tour de rôle, ce qu’il fit. Chacune s’exprima longuement. Le MLC et le RCD pensaient que nous devrions nous réunir à nouveau dans trente jours.36 Finalement, QM déclara la réunion officiellement close le dimanche après-midi. Il remercia les 36

De fait, il fallut 138 jours pour rassembler à nouveau toutes les parties en Afrique du Sud.

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Commissaires et le personnel de soutien qu’ils avaient réuni, en notant que leur tâche convenait peut-être davantage à ses ennemis qu’à ses amis. Il sollicita leurs commentaires sur les éventuelles améliorations que nous pourrions effectuer et la direction à prendre afin de garantir le succès d’une nouvelle réunion. Plus tard, Rre Mogwe fit remarquer que cet échec, bien que décevant, n’était pas trop surprenant : il y avait eu une trop grande précipitation à l’issue de la réunion de Gaborone. Toutefois, le processus ne s’était pas effondré et les parties nous accordaient en fait un répit, le temps de nous réorganiser et de nous occuper des questions qui continuaient à les diviser. Pendant que tout cela se passait, les alliances au sein de la RDC dérivaient. D’après les bruits qui couraient, le RCD-ML de Mbusa Nyamsisi, qui avait boycotté la réunion en Éthiopie, s’alliait avec le gouvernement. Si cette alliance prenait une forme militaire, avec les troupes gouvernementales sur le terrain dans le fief de Nyamwisi à Beni et un accès aérien vers l’est du pays à partir de Kinshasa, le MLC et le RCD ne manqueraient pas de répondre à ce qui représenterait un changement stratégique à l’avantage du gouvernement. Le MLC et le RCD se voyaient donc rapprochés face à cette nouvelle menace, qui rouvrirait toutes les options militaires, entraînerait plus avant le Rwanda et l’Ouganda dans la situation catastrophique de l’Est et détruirait probablement à tout jamais l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka. Quelques membres du gouvernement auraient sans doute salué une telle évolution. Cette nouvelle menace militaire augmenta la pression exercée sur nous pour relancer le dialogue, ce qui demanderait une nouvelle offensive diplomatique de la part de QM, à la fois pour traduire les promesses en argent comptant et pour garantir que les sceptiques ne détruiraient pas nos chances de réunir à nouveau les parties. QM tint une réunion d’information avec la communauté diplomatique avant de partir. Quelques observateurs diplomatiques se montrèrent sensibles aux difficultés de gérer une réunion précipitée et sous-financée de délégués irritables et exigeants. Mustapha Niasse observa que l’on était en train de forcer QM dans un rôle de médiateur ; même nos Commissaires étaient abasourdis par le caractère inflexible de tout cet exercice. De la part d’autres personnes, je reçus des plaintes sur la façon dont QM présidait les réunions, nos faiblesses en matière d’organisation et notre incapacité à faire avancer 155

le processus, malgré tout l’argent dépensé, le temps consacré et le soutien diplomatique accordé. Aucune de ces plaintes n’était sans fondement. Elles étaient le plus amèrement exprimées par trois représentants de l’UE relativement peu expérimentés, dont l’irritation à notre égard fut ouvertement discutée avec les délégués. Ce qui eut pour résultat que deux des délégués congolais vinrent me demander de faire exclure ces hommes de l’assemblée. Nous décidâmes que cela ne servirait à rien, mais ce fut pour tout le monde une expérience inacceptable et très stressante. Le réalignement des alliances n’était pas limité aux Congolais. L’UE, malgré le soutien personnel considérable du Commissaire Nielson en faveur de QM, comportait un grand nombre de fonctionnaires et de diplomates qui ne cachaient plus leur impatience et leur manque de confiance en nous. Une partie de leur frustration tenait peut-être à l’absence d’un rôle bien défini pour l’UE, en dehors de son statut de bailleur de fonds actuel et futur et, à ce moment-là, notre bailleur de fonds le plus important. Personne n’aime être estimé seulement pour son argent et peu savent résister, lorsqu’ils tiennent les cordons de la bourse, à la tentation d’agir selon le dicton : « l’argent c’est le pouvoir ». Pendant ce temps, la République sud-africaine devenait un participant plus important. Tous – les rebelles, le gouvernement, la société civile et les parties politiques – avaient des liens avec les SudAfricains et ce fut leur acceptation de l’offre sud-africaine d’accueillir un DIC à part entière qui fit que l’Afrique du Sud remplaça finalement l’UE comme notre bailleur de fonds le plus important et le plus influent. Tous les observateurs qui croyaient détecter une conspiration anglo-saxonne dans la conduite du processus de paix congolais virent confirmer leurs craintes. Pour ceux-là, il y avait un axe d’influence anglophone qui allait de Londres à Gaborone, en passant par Kampala, Kigali et Pretoria. Comme il n’est pas possible de réfuter l’existence d’une conspiration, je suis sûr que beaucoup y croient encore. La République sud-africaine est devenue en Afrique ce que Madeleine Albright, en parlant du rôle des États-Unis dans le contexte de la pacification mondiale, appelait « l’indispensable partenaire ». Le gouvernement sud-africain ouvre des ambassades dans tous les pays africains. Sa nouvelle compagnie aérienne nationale planifie des 156

liaisons aériennes avec chaque capitale africaine. Son président a été le premier à diriger l’UA et le NEPAD. Son économie est de loin supérieure à n’importe quelle autre du continent. Ses hommes d’affaires investissent sur toute l’étendue de l’Afrique. Ses forces armées sont déployées au Burundi et en RDC. Ses classes politiques, en luttant pendant un siècle contre l’apartheid et en négociant leur propre nouvel ordre politique, ont acquis une expérience approfondie et un pragmatisme inégalés ailleurs sur le continent, où même des luttes armées prolongées pour l’indépendance n’ont pas abouti à la formation d’une classe politique compétente pour succéder aux puissances coloniales sortantes. En un mot, c’était le géant africain qui reprenait à son compte le rôle des Européens. Pour ceux qui préconisaient des solutions africaines aux problèmes africains, cette évolution aurait dû être la bienvenue. Au niveau de l’organisation, nous payions le prix de la décision soudaine d’interrompre la réunion. Le pire aspect de cette décision fut mon accord précipité pour permettre l’emploi d’un avion Yak appartenant au Burundi pour ramener les autres délégations à Kinshasa ; c’était le premier avion disponible. La délégation gouvernementale s’était retirée dans son propre avion et les autres tenaient à repartir le plus tôt possible, bien que le RCD et le MLC fussent occupés à travailler indépendamment à une « harmonisation des vues » 37, destinée à la presse, avant leur départ. Peu avant le décollage prévu du vol charter, il y eut une alerte de sécurité à propos de bagages non contrôlés et le vol fut remis au lendemain. Lorsqu’il partit enfin, le Yak dut s’arrêter à Nairobi, pour des « raisons techniques ». Les passagers, y compris quelques membres de notre propre personnel à Kinshasa, eurent très peur lorsque des nuages de fumée ou de vapeur apparurent tout à coup dans la cabine. L’équipage déclara qu’un fusible avait sauté dans le système de climatisation. L’avion dut donc atterrir à Nairobi et les passagers, très nerveux, finirent par être transférés le lendemain dans un vol de Kenya Airways. Le vol fut annulé. À la fin, le gouvernement envoya son propre avion de Kinshasa pour prendre les délégués et l’équipe de notre bureau. Ce fut une expérience très désagréable pour les 37

Celle-ci fut publiée comme communiqué et exposait leurs suggestions relatives à la représentation et à l’équilibre des cinq composantes qui participeraient au DIC complet, avec les extras du RCD-ML, de la diaspora et de la société civile.

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passagers et une leçon pour moi : ne pas sauter sur la première option parce que les gens sont pressés de rentrer chez eux. Il apparut plus tard que Ethiopian Airways aurait fourni un avion pour transporter nos délégués mais que personne ne leur avait demandé un devis, pour des raisons qui m’échappent encore38. Entre-temps je négociais avec les rebelles le meilleur moyen de les ramener rapidement à Gbadolite et à Goma, ce que nous réussîmes à faire sans encombre par l’intermédiaire d’un vol charter de Ethiopian Airways. Il nous fallut en tout presque une semaine de plus pour tout ranger après la réunion chaotique. Le seul moment de détente pour notre équipe fut une soirée dans un restaurant éthiopien organisée par nos deux membres éthiopiens du personnel. Le tej coulait à flots et les danseuses traditionnelles réussirent même à attirer le Pr. Lebatt sur la piste de danse avec elles. Je passai un jour ou deux de plus dans la capitale pour m’assurer que tous les derniers détails étaient réglés, les factures payées d’une manière ou d’une autre, et les fonctionnaires et employés du gouvernement, des organisations internationales, des hôtels et des entreprises qui nous avaient aidés étaient remerciés de leur contribution. Restait le bilan. Côté positif, nous avions officiellement ouvert le DIC et les parties avaient convenu de le poursuivre en Afrique du Sud. En réalité nous devions recoller les morceaux, rétablir le soutien diplomatique, régler une fois pour toutes avec les parties congolaises le problème de la représentation, résoudre notre déficit financier, améliorer nos communications et collaborer avec toutes les parties pour nous assurer que le prochain événement produirait des résultats. Dans les ving-quatre heures après notre retour, une équipe du ministère sud-africain des Affaires étrangères vint nous voir pour étudier avec nous ce qu’il y avait à faire. Elle était dirigée par Lindiwe Zulu et comprenait Dayanand Naidoo, du service des conférences, et Caesar Ngombane, ambassadeur sud-africain en RDC, qui allaient tous devenir de proches collaborateurs au cours des mois à venir.

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« La Lettre du Continent » du 25 octobre 2001 m’accusa personnellement de « gabégie massive ». J’ai été heureux d’ignorer une telle allégation, qui était fausse, et soulagé de ne pas me voir accuser d’une gestion catastrophique des transports.

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La semaine d’après QM et les membres principaux de son équipe allèrent passer la journée à Pretoria où ils eurent une discussion de deux heures et demie avec le Président Mbeki, son ministre des Affaires étrangères Nkosazana Dlamini Zuma, Welihle Nhlapo, également des Affaires étrangères, et Mojanki Gumbi, du Bureau du Président. QM rendit compte de la réunion qu’il venait d’interrompre et nous passâmes en revue la possibilité d’initiatives rivales. (Nous avions entendu dire, par exemple, que la Belgique invitait les trois principaux belligérants à Bruxelles pour des pourparlers et d’autres bruits couraient au sujet d’une initiative comparable impliquant le Président Bongo.) Nous discutâmes le sort des 3 000 ex-FAR et des Interahamwe qui se trouvaient alors parqués sous surveillance gouvernementale dans un camp à Kamina en RDC et nous convînmes d’envoyer une équipe sud-africaine, en compagnie des organisateurs de conférences gouvernementaux, examiner des lieux éventuels. Les Sud-Africains s’engagèrent à nous envoyer leurs estimations dès qu’ils auraient eu l’occasion de calculer le coût des options. En introduisant les Sud-Africains pour accueillir le processus au moment de son apogée, les Congolais avaient réussi à s’assurer l’engagement d’un État puissant qui emploierait toutes les ressources diplomatiques, militaires, de renseignement et financières à sa disposition afin de mener le processus à terme. Un filet de sécurité avait été créé qui survit encore à ce jour. En Afrique du Sud même, la transition politique avait exigé que l’ANC acceptât FW de Klerk comme président afin d’aboutir à une transition entre un régime minoritaire et des élections ; l’ANC était, par conséquent, entièrement pragmatique en ce qui concernait le fait de travailler avec ses ennemis au service d’un but plus élevé. Inévitablement, beaucoup de Congolais donnaient l’impression de lutter pour le pouvoir plutôt que pour un nouvel ordre politique. À Gaborone, le Pr. Lebatt et moi rencontrâmes successivement le haut-commissaire britannique, l’ambassadeur de France et Mike Morrow de l’ambassade des États-Unis afin de nous assurer qu’ils entendraient notre côté de l’histoire. Nous fîmes remarquer que nous avions réussi à réunir les parties congolaises à quatre reprises au cours des six mois écoulés depuis que QM avait rencontré Joseph Kabila pour la première fois ; s’il n’y avait pas eu de progrès à la cinquième occasion à Addis, c’était, d’une part, parce que la préparation avait été 159

inadéquate et, d’autre part, que le gouvernement avait préféré différer le dialogue le temps de s’assurer un avantage militaire et politique en jouant des coudes. Nous expliquâmes que, ayant mis en route notre coopération avec les Sud-Africains, notre prochaine étape serait d’envoyer une équipe en Europe pour voir l’UE, les Belges et le Groupe de Travail pour l’Afrique de l’UE, en revenant par la RDC pour tenir des réunions à Kinshasa, Gbadolite et Goma. Nous aurions ensuite à nous assurer que toute question de procédure restée en suspens serait résolue avant de nous rassembler en Afrique du Sud. À cette fin nous pourrions nous servir du Comité de Suivi mis en place après la réunion de Gaborone. En outre, nous devions trouver les 5 millions de dollars que nous estimions nécessaires pour financer une réunion complète. Nous allions mettre encore quatre mois et entreprendre force voyages avant d’avoir l’impression d’approcher suffisamment de nos propres critères du succès pour nous permettre de relancer le DIC. Toutefois, même à cette époque tardive, la question de savoir qui participerait était loin d’être résolue.

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CHAPITRE XII « AVONS-NOUS LE CHOIX ? »

RDC : Kabila cherche à s’assurer le soutien de la Belgique, de la France et des États-Unis Le Président Joseph Kabila de la RDC vient de terminer ses visites en France et en Belgique où il a cherché à obtenir un soutien tant politique que financier en faveur des efforts de paix en cours dans son pays. Lundi, Kabila a fait une brève visite à Paris, où il a rencontré le Président Jacques Chirac et Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, pour discuter la position du Dialogue intercongolais. Selon AP, l’Élysée a déclaré que Chirac a encouragé Kabila à poursuivre le Dialogue intercongolais et qu’il a exhorté les institutions financières internationales à débloquer l’aide promise au pays. Mardi, Kabila a eu des discussions prolongées avec Guy Verhofstadt, Premier ministre belge, et Louis Michel, ministre des Affaires étrangères. Verhofstadt a promis que la Belgique continuerait à accorder une place prioritaire aux efforts pour rétablir la paix en RDC dans l’ordre du jour de l’Europe parce que sa nation était « pleinement consciente de la sévérité de la crise humanitaire et politique qui ravage » la région des Grands Lacs. Michel a cité les nombreuses forces armées opérant dans l’est de la RDC comme l’obstacle le plus sérieux à la paix. Parmi ces « forces négatives » on compte les milices Interahamwe des Hutus rwandais et les anciens éléments de l’armée rwandaise, qui se sont réfugiés en RDC après leur implication dans le génocide de 1994. (IRIN Weekly Roundup 98, 9/11/01.) Le 10 novembre 2001 le Pr. Lebatt, Rre Mogwe et Ten Ten se rendirent à New York pour assister à la réunion du Comité politique de l’Accord de Lusaka, forum des ministres des Affaires étrangères des États qui avaient signé l’Accord de Lusaka, et les trois parties belligérantes. Ils observèrent les travaux mais ne prirent pas la parole. Plus tard ils rencontrèrent MM. Okitundu, Kamerhe, Etumba (gouvernement), Ruberwa (RCD), et Kamitatu (MLC) dans le bureau d’Ibrahima Fall, sous-sécrétaire général adjoint aux Affaires 161

politiques. Ils discutèrent de la voie à suivre depuis que nous avions interrompu le processus. Il en résulta un processus de consultations informelles ayant pour objectif de dégager un consensus quant aux questions appelées désormais « les questions restées en suspens ». Dans la mesure du possible, ils avaient également pour tâche de procéder à un examen préliminaire de l’éventuelle organisation du gouvernement de transition. La première session devait avoir lieu à Abuja sous la présidence d’Ibrahima Fall, pendant la première quinzaine de septembre. S’il en résultait des réponses, celles-ci pourraient être soumises à l’aval d’un sommet des dirigeants du gouvernement et des deux groupes rebelles, de sorte qu’il y eût sur la table quelques positions communes préalables au DIC ; les réunions plénières du DIC constitueraient le forum approprié pour approuver tout accord conclu par consensus et y conféreraient autant de légitimité que possible. Pendant qu’ils étaient à New York, le Conseil de Sécurité adopta une résolution sur la RDC affirmant sans équivoque son soutien en faveur de QM et du processus qu’il dirigeait. Pour l’instant, tout allait donc pour le mieux. Le 12 novembre, munis de tous les états financiers et autres prévisions budgétaires que nous estimions nécessaires, Bo Heineback et moi prîmes l’avion pour Bruxelles où nous devions nous réunir avec l’UE et le ministère belge des Affaires étrangères. Le personnel du Commissaire évoqua une prochaine visite de Louis Michel et des commissaires Patten et Solana dans la région des Grands Lacs. Pendant sa présidence de l’UE, la Belgique fit tout son possible pour retenir l’attention sur cette région. Elle alla jusqu’à organiser à Bruxelles une conférence de la Banque mondiale pour les bailleurs de fonds, peu avant Noël, ce qui nous rendit nerveux dans la mesure où l’aide à la reconstruction pourrait ainsi recevoir la priorité sur le besoin d’élaborer des dispositions politiques plus représentatives. Lorsque Bo et moi rencontrâmes les fonctionnaires belges, ils mentionnèrent la prochaine mission de la « troïka »40 dans la région des Grands Lacs. Nous leur demandâmes pourquoi QM n’était pas 40

Ce terme s’employait pour désigner les représentants des présidences sortantes, actuelles et prochaines de la Commission de l’UE. En l’occurrence, c’était le ministre belge des Affaires étrangères qui allait mener la mission avec des collègues espagnols et suédois, mais l’équipe serait renforcée par la présence de deux commissaires de l’UE chargés des affaires étrangères, MM. Solana et Patten.

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inclus dans l’itinéraire, nous doutant bien que les Belges pourraient chercher une occasion de négocier quelque marché indépendamment du processus laborieux en cours en Afrique. Ils nous demandèrent s’ils pouvaient nous être utiles en convoquant une réunion tripartite des belligérants et nous expliquâmes qu’une telle réunion venait d’avoir lieu, la veille, à New York, au niveau immédiatement inférieur à celui des dirigeants. Nous les informâmes de nos plans en vue de relancer le processus dans la nouvelle année, persuadés qu’une date avant Noël ne serait pas possible. Il nous assurèrent que la mission de la Troïka avait pour objectif de soutenir le DIC, faire avancer la DDRR et maintenir l’intérêt dans le DIC. Nous rencontrâmes ensuite nos collègues de la mission du Botswana auprès de l’UE, où M. George, l’ambassadeur, nous présenta son homologue sud-africain, Gerry Matjila, qui nous encouragea à ne pas nous laisser abattre par les contretemps inévitables, parce que, en vérité, « nous avions réussi à mettre le riz congolais dans la marmite du DIC et qu’il n’y avait pas moyen de faire cuire ce riz en dehors de cette marmite. » Il releva aussi que nous avions tous tendance à négliger le rôle de l’Angola, comme il a été dit plus haut. Le gouvernement de l’Angola était un allié important du gouvernement de Kinshasa, mais il était difficile à contacter et difficile à déchiffrer. Nous ne réussîmes jamais à établir des voies de communication régulières avec lui. Notre prochain rendez-vous fut avec les fonctionnaires de Chris Patten. Nous discutâmes avec eux la mission de la Troïka – question controversée au sein de l’UE – et nous leur demandâmes comment nous devrions aborder notre rapport au Groupe de travail pour l’Afrique le lendemain. Le AWG était une réunion régulière de diplomates européens qui couvrait le continent et était en général renseigné par son émissaire attitré, Aldo Ajello. Puisque nous avions éprouvé de sérieux problèmes de trésorerie en Éthiopie, et puisque c’était l’UE qui fournissait la majeure partie de nos financements, soit directement soit par le biais des contributions bilatérales des États membres, notre réunion avec le AWG était la meilleure occasion que nous aurions d’expliquer nos difficultés. Nous allâmes ensuite à la rencontre de Rre Mogwe et du Pr. Lebatt, qui venaient d’arriver de New York pour compléter notre équipe en vue de notre réunion avec le AWG le lendemain matin. Nous briefâmes aussi QM par téléphone, 163

au Botswana, et lui demandâmes s’il pouvait se rendre à Kinshasa à temps pour la visite de la Troïka. Il accepta et nous assura qu’il y serait. À 09h45 le lendemain matin Rre Mogwe nous présenta à une trentaine de diplomates et de fonctionnaires du Groupe de travail pour l’Afrique. Le Pr. Lebatt présenta sa vue des événements en Éthiopie et mit le groupe au courant de ce qui venait de se passer à New York. Nous couvrîmes aussi les questions administratives et financières au sujet desquelles des inquiétudes avaient été exprimées ; celles-ci portaient notamment sur l’effectif de notre personnel, le fait que nous semblions toujours manquer de fonds et la question de savoir si les rapports de Bo étaient effectivement parvenus à tous les membres du groupe. Une discussion politique s’ensuivit après qu’Aldo Ajello eut annoncé qu’il n’y avait plus besoin de s’attarder sur les questions administratives. Il s’excusa de toute offense qu’avaient pu nous occasionner ses observations par le passé et reconnut que nous faisions un travail quasiment impossible et qu’il faudrait par conséquent nous donner un maximum de soutien. Il nous avertit que le Président Kabila était à la recherche de garanties aussi bien militaires que politiques, parce qu’il connaissait bien les faiblesses de sa propre armée (ayant été le chef d’état-major de son père). Mme Boivineau du Quai d’Orsay nous interrogea sur la discussion apparemment interminable autour de la question de savoir qui exactement devrait participer au DIC et Ian Whitting, émissaire spécial du Royaume-Uni, voulait des renseignements sur les initiatives rivales et les réunions tripartites – aideraient-elles ou entraveraientelles le processus ? Le Pr. Lebatt dit que nous étions en gros d’accord avec l’analyse d’Aldo Ajello et expliqua ce qu’il estimait possible avant Noël ; cela comprenait une résolution relative à qui devait assister à la prochaine session et éventuellement quelques progrès sur des questions de plus grande importance. Il fit remarquer que les initiatives parallèles ne nous posaient aucun problème à condition qu’elles fussent coordonnées par le Facilitateur et les Nations Unies. Pour m’assurer que le message financier était passé, je soulignai qu’il nous fallait désormais 4 millions de dollars dans les 8 semaines à venir si nous voulions être prêts à reprendre le processus en janvier en Afrique du Sud. La réunion se termina sur un accord général quant à la nécessité d’améliorer nos communications de part et d’autre et nous 164

partîmes avec l’espoir d’avoir réussi à convaincre les diplomates que nous savions ce que nous faisions. Rre Mogwe rentra au Botswana et Bo et moi prîmes un vol de nuit par Londres et Nairobi pour arriver à Kinshasa à l’heure du déjeuner, portant toujours les habits dans lesquels nous avions dormi, en raison d’un problème de bagages. Notre directeur financier, Gopi Kumar, se joignit à nous, ce qui nous permit d’étudier avec nos collègues de Kinshasa les systèmes de comptabilité et de financement en place, de rencontrer les fonctionnaires de l’USAID et de nous préparer à l’arrivée de QM et de la mission de l’UE dans les quatre jours. Bo et moi eûmes ensuite une réunion avec le général Mwaniki, président de la Commission militaire mixte, et son adjoint zambien, le général Chitomfwa. Le général Mwaniki, soldat professionnel, était toujours prêt à nous donner ses vues d’une manière claire et structurée. Il affirma qu’il était frustrant de traiter avec la RDC, car c’était comme une bataille où aucun plan de survivait au premier contact avec l’ennemi. Chrétien fervent, il dit qu’il commençait tout engagement par une prière. Nous discutâmes du soutien ougandais à Mbusa Nyamwisi et de la possibilité que le RCD ou le gouvernement veuille combler tout vide susceptible de surgir dans la région de BeniButembo du Nord Kivu. Il nous apprit qu’il restait à présent peu de forces ougandaises dans l’est, mais que le Rwanda restait fort préoccupé par la présence interahamwe. Le Pr. Lebatt était maintenant revenu à Kinshasa et il organisa un dîner pour moi – c’était mon anniversaire – avec notre personnel de Kinshasa, dans un restaurant congolais qui se spécialisait dans le gibier indigène. J’appréciais le geste mais je mis le holà devant un plat de crickets frits. Par contre, la chair de porc-épic est probablement sous-estimée. Le lendemain, Bo et moi rencontrâmes Peter Swarbrick, le haut fonctionnaire de l’ONU chargé du DDRRR. Celui-ci expliqua que le désarmement et la démobilisation des ex-FAR et des Interahamwe devaient se faire sur une base volontaire ; que, si la MONUC était sans doute capable de s’en occuper, les phases du rapatriement, de la réinsertion et de la réintégration demanderaient au contraire la collaboration du gouvernement du Rwanda et de la communauté internationale. Le processus était de toute évidence aussi encombrant 165

que son appellation. Si c’était la MONUC qui devait lancer le processus et les bailleurs de fonds, la Banque mondiale et le PNUD qui devaient intégrer les Rwandais et assurer la suite, alors, comme l’avait remarqué Kofi Annan lors de notre dernier entretien, plus personne ne serait en charge.41 L’Accord de Lusaka avait réparti la responsabilité du progrès tant politique que militaire sur toute une gamme d’institutions ad hoc et permanentes, sans préciser avec assez de clarté qui était en charge en fin de compte. Tous les problèmes ne pouvaient se poser au niveau des chefs d’État qui l’avaient signé et personne n’occupait, en pratique, la position de directeur général de l’Accord de Cessez-le-feu de Lusaka. Peut-être les Congolais se seraient-ils refusés à une telle nomination et que tout autre candidat aurait fait de même. Peut-être aussi que cela est inévitable dans une guerre civile impliquant tant de parties et où la « communauté internationale » est tellement diffuse et disparate. Quoi qu’il en soit, les structures auxquelles nous nous cramponnions admettaient une marge très large pour les retards, les débats et le laxisme. Le Pr. Lebatt et moi déjeunâmes ce jour-là avec Aubrey Hooks, le nouvel ambassadeur des États-Unis à Kinshasa, qui devait jouer un rôle controversé quand le DIC reprendrait. Son collègue Jim Swann avait lu nos analyses financières et avait posé quelques questions pénétrantes sur nos difficultés de financement. M. Hooks était raffiné et plein de savoir-faire. Il nous présenta son analyse de la situation actuelle, avec laquelle nous n’étions pas en désaccord. Ils nous demandèrent en quoi les États-Unis pouvaient être utiles au processus. Nous répondîmes qu’il fallait convaincre le gouvernement que la mise en place d’un gouvernement basé sur le partage du pouvoir était le seul moyen de s’en sortir. Qu’il le veuille ou non, il lui fallait faire des concessions pour que cela ait lieu. Nous savions que le gouvernement estimait avoir déjà trop cédé en acceptant de rencontrer et de traiter 41

Comme le Facilitateur, Peter Swarbrick avait une tâche quasiment impossible. Le jour où j’ai rédigé ces lignes en novembre 2004, trois ans plus tard, je l’ai entendu par hasard au cours d’un entretien dans un bulletin d’information à la radio. Il expliquait que le désarmement des groupes armés restants dans l’est continuait à se faire sur une base volontaire. Pour s’occuper de ceux qui y étaient réfractaires, il y avait à présent une brigade congolaise nouvellement intégrée qui patrouillerait conjointement avec la MONUC mais qui était autorisé à recourir à la force. Le processus est loin d’être terminé et la transition restera compromise jusqu’à ce qu’il le soit.

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avec les rebelles. Il restait sur ses positions : les agresseurs étrangers avaient provoqué le conflit actuel ; celui-ci ne se résoudrait que s’ils retiraient leurs troupes. Dans la mesure où je pouvais prétendre connaître un tant soit peu les Congolais, je suppose que la plupart partageaient cette position. Il n’en était pas moins vrai qu’il existait des groupes congolais en révolte contre le gouvernement de Kinshasa – quelles que fussent leurs sources de soutien –, qu’ils contrôlaient de vastes étendues du pays et que le gouvernement n’avait pas pu les neutraliser. Par conséquent, des négociations pour calmer ces groupes, aussi désagréable qu’en fût la perspective, restaient la seule issue. Personne n’avait eu de meilleure idée. Si l’on pouvait avaler cette pilule amère, les Congolais fixeraient des élections et choisiraient eux-mêmes ceux de leurs dirigeants autonommés qu’ils préféraient. En l’absence d’un vainqueur militaire incontestable, cette formule paraît la seule disponible, que ce soit en RDC, au Burundi, en Côte d’Ivoire, au Soudan ou même en Afrique du Sud. Chaque conflit a, certes, ces propres dimensions locales et ses variantes ; la guerre en RDC était et reste encore exacerbée par les retombées du génocide rwandais. Les Congolais doivent non seulement se débarrasser des groupes rwandais armés sur leur territoire, mais aussi s’occuper de la question des Congolais d’origine rwandaise, dont le droit à la nationalité fut ratifié pour la première fois dans les années 1990 et retiré ensuite par le régime Mobutu. Le lendemain le Pr. Lebatt organisa une réunion d’information dans son bureau à l’intention du corps diplomatique, après quoi nous allâmes chercher QM à l’aéroport Ndjili. Quand je travaillais en Afrique pour la première fois, je fus étonné du nombre de ministres qui étaient obligés d’accompagner le président à l’aéroport lors de son départ vers un pays étranger – quel qu’il soit – ou d’aller à sa rencontre à son retour. J’y étais habitué désormais et je savais que ce serait un manque de politesse de la part des membres principaux de son équipe que de l’accueillir dans la capitale plutôt que de faire l’effort d’aller le saluer à son point d’arrivée. Nous retournâmes en ville à toute vitesse, toutes lumières clignotant, voitures d’escorte klaxonnant, pendant que l’on écartait la foule. C’est là une caractéristique de la vie politique africaine : il semble que l’on y fête les dignitaires en raison directe de la pauvreté de l’État qu’ils visitent. 167

Se faire conduire en trombe – visibles mais intouchables et protégés par des motards armés – devant le peuple dont le sort fait l’objet de votre visite n’est pas une expérience typique au Botswana ou en Afrique du Sud, mais de tels cortèges restent un spectacle commun dans des pays plus pauvres. Plus l’État est riche et démocratique, et plus la réception est calme. Ensemble dans la suite de QM, nous passâmes en revue les derniers événements et appelâmes Bo Heineback, qui se trouvait en Afrique du Sud avec les autres membres de notre bureau de Gaborone pour examiner avec les fonctionnaires sud-africains les lieux pouvant se prêter éventuellement à la reprise du DIC. Nous étudiâmes également le carnet de voyage de QM. En tant qu’ancien chef d’État il avait d’autres engagements, bien que la RDC occupât le plus clair de son temps. Pour l’instant, nous devions nous concentrer sur la Troïka. La réunion prévue avec celle-ci pour le lendemain matin ne s’avéra pas une rencontre des esprits. QM expliqua les étapes précédant l’ouverture du DIC et dit que, à son avis, le dialogue s’était bloqué non seulement à cause du manque de financements et de préparation mais aussi en raison du manque de confiance entre les parties et des progrès insuffisants en matière de DDRRR. Aldo Ajello et Louis Michel semblaient tenir leur propre dialogue, ignorant QM, qui entrait trop dans les détails au sujet des manœuvres et stratagèmes de la réunion d’Addis-Abéba. MM. Patten et Solana écoutaient, n’étant pas aussi au courant des détails que leurs collègues, et posèrent des questions sur le manque de fonds et l’absence de positions claires, consignées par écrit, entre les parties congolaises au DIC. La différence de démarche entre QM et Louis Michel était claire. Ce dernier estimait que, si les Congolais ne voulaient ou ne pouvaient pas avancer leur propre idée quant à la forme que prendrait la transition, nous devrions proposer des modèles. QM soutenait que tout modèle qu’avancerait la facilitation risquerait de nous faire perdre notre impartialité. La discussion s’étant terminée de façon peu concluante, nous nous arrangeâmes pour prendre le petit déjeuner avec eux à leur hôtel le lendemain matin, après qu’ils auraient rencontré le Président Kabila. Nous eûmes ensuite un entretien avec l’ambassadeur canadien, Pierre Goulet, à la suite d’un appel téléphonique à QM de la part de Pierre Chrétien, Premier ministre canadien. Ces échanges illustraient 168

un problème que nous rencontrions couramment : comment aborder les offres d’aide authentiques dans un processus déjà surchargé de parties intéressées. Les Canadiens avaient préparé le plan de travail originel, ils avaient des experts pouvant nous aider – au niveau des négociations, de l’équité entre les sexes, du recensement, des élections – il nous suffisait de dire de quoi nous avions besoin. Puisque notre personnel était passé de 4 à 32 membres en 18 mois, l’augmentation du personnel n’était pas pour nous une priorité ; nous avions davantage besoin de souder ensemble notre personnel existant dans une équipe unie et d’améliorer nos communications. Dans un sens, c’étaient les parties congolaises qui avaient besoin de plus d’aide. Celles-ci se disputaient sur des questions de procédure alors qu’il leur fallait s’affronter sur le fond. Nous ne pouvions que les attirer vers la table qu’elles avaient construite elles-mêmes. D’autres voulaient peutêtre ajouter des plats sur la table, mais c’étaient elles-mêmes qui devaient fournir la nourriture de base, pour ainsi dire. L’ambiance du petit déjeuner avec la Troïka à l’hôtel Memling fût plus informelle et la réunion fut plus fructueuse. Chris Patten était déprimé que la réunion d’Addis-Abeba eût échoué en raison, entre autres, du manque d’argent liquide pour effectuer des réservations d’hôtel adéquates ; il promit de trouver de l’argent rapidement accessible dans son propre fonds de prévention des conflits afin de garantir qu’il n’y eût pas une répétition de cette situation, et il tint parole. Nous réexaminâmes la question de la politique d’entraide – était-il trop tôt pour que la RDC ait ce que l’UE appelle un « plan indicatif national » ? Louis Michel souleva à nouveau l’idée d’exposés de principe pour présenter dans leurs grandes lignes les différentes positions de négociation et s’engagea à en discuter avec Joseph Kabila, Paul Kagame et Jean-Pierre Bemba. (Qu’il évoquât le Président rwandais et non le dirigeant du RCD en disait long sur sa propre analyse.) Le lendemain nous allâmes voir le Président Kabila dans son bureau du Palais du Peuple. C’était pour moi la première rencontre avec le jeune homme en qui tant de Congolais plaçaient désormais leurs espoirs. Le Président Kabila avait alors à peine trente ans. Il avait un tempérament calme, une apparence impassible et peu de formation. (Il était aussi, comme me l’avait dit le personnel féminin de nos deux bureaux, plutôt bel homme.) Il avait passé une bonne partie 169

de sa vie en Tanzanie, d’où son père avait mené ses batailles infructueuses contre Mobutu. Kabila fils avait la sagesse d’écouter plus qu’il ne parlait. Étant donné l’historique des relations de son père avec QM, il n’est pas étonnant qu’il n’eût jamais l’air entièrement détendu avec nous. C’est un jeune homme qui se trouve dans une position dangereuse et peu confortable, luttant contre vents et marées pour calmer et stabiliser son pays turbulent, courtisé implacablement par des concitoyens et des étrangers cherchant à obtenir de lui ce qu’ils désirent. L’ambivalence de son gouvernement vis-à-vis du dialogue reflétait à la foi la réticence de celui-ci à lâcher le pouvoir et la vérité, dure à avaler, que « faute de grives on mange des merles ». Un téléphone portable sonna sur les premières mesures de l’ouverture de Guillaume Tell. C’était celui du Président. Dans la bibliothèque derrière lui, pendant qu’il parlait au téléphone, j’aperçus plusieurs titres en anglais, y compris « Scoop », récit burlesque d’Evelyn Waugh d’une guerre civile dans un lointain pays africain peu comprise des journalistes européens et américains envoyés la couvrir. Même les présidents ont droit à des lectures légères. QM commença en s’excusant que nous n’ayons pas appelé le Président Kabila lorsque nous avions déjeuné à Kinshasa avec Kofi Annan. Dans un pays mieux dans sa peau, je pense que cela n’aurait eu aucune importance. Étant donné le rôle de QM, son rejet par Laurent Kabila et le caractère délicat du DIC, cela semblait rétrospectivement avoir été un faux pas diplomatique. Nous remerciâmes aussi le gouvernement de sa promesse de contribuer d’un million de dollars aux frais du dialogue et QM plaisanta en disant que que l’ambassadeur Heineback était le « gardien de la bourse, parce que nous autres indigènes sommes toujours soupçonnés de détournement de fonds ». (Chose intéressante, à la fin du dialogue nous avions plusieurs donateurs africains – l’OUA, la Zambie, le Malawi, la RDC, la Libye, le Mozambique et l’Afrique du Sud – qui payèrent près de 40% des à peu pres18 millions de dollars de la facture finale. L’Afrique du Sud devint le principal bailleur de fonds individuel, en fournissant près de 30% ; l’UE finit par contribuer 22% des frais et les États-Unis 10%) QM fit ensuite le résumé des éternelles questions restées en suspens. Le Président le remercia et passa en revue quelques-unes des 170

revendications reçues des Musulmans, de Mbusa Nyamwisi et de nombreux partis politiques demandant à être présents en Afrique du Sud. Il parla de la difficulté de résoudre en même temps les problèmes de la démocratie et de l’agression, en la présence de troupes étrangères. Il souleva aussi la question des garanties : quelles garanties avait-on que le partage du pouvoir aboutirait à la fin d’une guerre d’agression ? La réponse de QM à cette question était toujours la même : de telles garanties n’existent pas. Le seul moyen pour la RDC de recouvrer son intégrité territoriale était d’écarter les différences internes, de construire une administration de transition, de réintégrer l’armée et de tenir des élections. C’est la faiblesse des États déchirés par le conflit civil qui permet aux armées étrangères de s’établir. Le Président confirma que son gouvernement se préparait au DIC et avertit qu’il valait mieux le différer jusqu’à ce que tout fût prêt plutôt que de le bâcler. Le Pr. Lebatt appela à l’aide pour savoir comment identifier et intégrer les Mai Mai dans le processus, question juridique épineuse dans la mesure où le statut de ce groupe se prêtait à diverses interprétations – « groupe armé », « civils armés », voire « société civile » avaient tous été proposés comme la composante appropriée à laquelle il fallait les incorporer, conformément aux spécifications de l’accord de cessez-le-feu. Il n’y avait pas davantage de clarté sur la manière d’entrer en contact avec les dirigeants des Mai Mai, qui prétendaient constamment que d’autres que nous mentionnions n’étaient pas les « vrais Mai Mai ». Nous avions besoin aussi qu’on nous aide avec les revendications de la Diaspora et des partis politiques non représentés par les 15 qui étaient venus à AddisAbeba. Le Président dit qu’il ne pouvait répondre à toutes nos questions à ce stade-là mais que son gouvernement préparait un document exposant ses idées. En partant, je remerciai le Président dans le kiSwahili formel de la Tanzanie et reçus en échange un sourire inattendu, qui éclaira l’expression sérieuse des deux dernières heures. Plus tard ce jour-là, à l’aéroport, en attendant un avion qui n’arriva jamais, nous estimâmes que nous pouvions attendre au total 360 délégués au DIC, en tenant compte de l’ « inclusivité » que nous avions été encouragés à prévoir, et en ajoutant ainsi 15 délégués chacun pour le RCD-ML et les Mai Mai, et 5, 7 et 8 respectivement pour les chefs traditionnels, les dirigeants religieux et la diaspora. Nous espérions que les trois belligérants se laisseraient persuader de 171

réduire leur délégation de 20 membres chacun, de manière à nous retrouver avec le chiffre de 300 tout rond. Cela ne devait pas être : notre plan, pour reprendre la formule du général Mwaniki, ne survécut pas au contact de la réalité congolaise. Le vol Cameroun Air qu’attendait QM n’arriva pas non plus, et il retourna donc en ville et réussit finalement à partir de bonne heure le lendemain matin. Plus tard le même jour, le Pr. Lebatt, Ugo Solinas et moi-même voyageâmes dans un avion de la MONUC à Gbadolite pour rencontrer le MLC. Nous eûmes un entretien préliminaire avec le Pr. Bululu, François Mwamba et Maître Nimy, et ensuite un échange plus informel au dîner. Le MLC nous recevait toujours à Gbadolite – je crois qu’il n’y avait qu’un seul hôtel – et partageait avec nous les repas dans le petit complexe résidentiel que le Président Mobutu avait fait construire pour ses fonctionnaires. Jean-Pierre Bemba habitait pas loin de là dans son pavillon. Après le dîner, les fonctionnaires du MLC dessinèrent une carte grossière de la RDC et la déchirèrent en quatre, pour représenter la manière dont le contrôle du Congo était divisé désormais entre le gouvernement, le MLC, le RCD et les milices disparates en conflit dans les « Bantoustans » du nord-est. (Il était évident que le FLC, le front qu’ils avaient formé avec le RCD-ML, n’avait pas marché.) Nous discutâmes aussi des moyens de partager le pouvoir dans un gouvernement de transition. Les options qui avaient été avancées étaient les suivantes : un système comportant un président et deux vice-présidents ; un président, un premier ministre et un président du parlement ; ou bien une présidence collégiale tournante. Il faudrait qu’il y eût, à terme, accord sur l’une de ces options – ou bien sur une variante de l’une ou l’autre d’entre elles – pour que la transition se traduise en réalité. Le lendemain matin suivit une discussion détaillée sur ce nous appelions désormais « the numbers game » (littéralement : « le jeu des nombres », mais expression désignant aussi le truquage des chiffres) : qui devait assister au DIC ou, plutôt, qui ne devait pas assister au DIC ? En l’absence de tout document écrit formulant les vues du gouvernement, le MLC souhaitait s’en tenir au compromis qu’il avait élaboré avec le RCD à Addis-Abeba, après le départ du gouvernement. En fin de compte, le Bureau du Facilitateur aurait à dégager un compromis que les parties puissent accepter. On nous 172

conduisit ensuite dans une salle de réunion pour voir Jean-Pierre Bemba. Il n’était pas de bonne humeur. Irrité par le départ du gouvernement à Addis-Abeba, il dit qu’il ne fallait pas traiter les Congolais comme des « gamins » ou des « imbéciles », qu’ils n’allaient pas en Afrique du Sud en touristes et que quelque confirmation préalable, par écrit, du cahier des charges du DIC s’imposait. Il accepta néanmoins de se rendre à Abuja pour rencontrer Joseph Kabila et le Dr Onusumba, si leurs lieutenants pouvaient d’abord négocier un consensus sur les questions restées en suspens, sous la présidence d’Ibrahima Fall. Il était également heureux d’envoyer une équipe au Comité de suivi à Nairobi au début du mois prochain. Il demanda ce que nous pensions du Président Kabila et j’eus l’imprudence d’observer qu’il avait un sourire lumineux. Je me fis dire que, quoi que j’eusse remarqué, moi, le Président du MLC, lui, n’avait d’yeux que pour les sourires du sexe opposé, et non de son propre sexe. « Par ailleurs, ajouta-t-il, si vous me dites que Joseph Kabila est légitime parce qu’il est à Kinshasa, je prendrai Kinshasa. » Il fit remarquer énergiquement qu’aucune partie n’avait gagné ou perdu la guerre et qu’il n’y avait pas de puissance légitime dans le pays. Il nous présenta aussi un exemplaire du livre qu’il avait écrit au sujet de sa décision de prendre les armes : « Le choix de la liberté. » Le temps que Jean-Pierre Bemba termine, les pilotes nous avertissaient qu’un orage approchait et qu’ils préféreraient décoller le lendemain matin. Cela nous laissa un peu de temps libre et on nous conduisit à une vingtaine de kilomètres pour voir les ruines des palais de l’ancien Président Mobutu. Nous visitâmes sa résidence et inspectâmes les pièces du lit qui s’escamotait autrefois dans le plafond en appuyant sur un bouton ; nous vîmes l’immense piscine désormais laissée à l’abandon et allâmes inspecter le pavillon chinois à côté, abîmé mais pas irréparable, recréation bizarre de la grande vie à la chinoise dans le parc des loisirs personnel du dictateur qui avait ruiné l’un des pays les mieux dotés du continent. Cela me rappelait l’observation plaisante que l’on me fit lors de ma première visite à Kinshasa : « Les Américains ont l’économie la plus forte du monde, les Chinois ont la population la plus importante, mais notre Président est le plus grand voleur de tous les temps. Il a volé un pays entier. » Ce soir-là nous eûmes une longue conversation informelle avec Jean-Pierre Bemba dans son salon ou, plus précisément, lui et le Pr. 173

Lebatt débattirent de la politique de la paix. Je commençais à m’enrhumer et j’avais mal à la gorge ; mon français n’était pas assez rapide pour contribuer grand-chose à l’escrime verbale de notre professeur de droit et de son interlocuteur rebelle courroucé. JeanPierre Bemba refusa avec dédain d’évoquer le jeune président, le rôle joué par les Belges et la fréquentation présumée des salons ambassadoriaux de Kinshasa par le Pr. Lebatt. Il débita les noms de tous les présidents qu’il avait été voir – cinq au cours de la semaine passée – comme preuve du soutien et du conseil sur lesquels il pouvait compter et, d’une manière générale, déchargea sur nous son mécontentement. Le lendemain matin nous prîmes le vol désormais familier audessus de l’immense forêt ininterrompue, forêt qui devait sa conservation au manque de stabilité et de « développement », à ce jour, en RDC. Je n’ignorais pas que la Banque mondiale était déjà en pourparlers avec le gouvernement de Kinshasa en vue d’attribuer des concessions d’exploitation forestière. À en juger par l’expérience de l’Afrique de l’Ouest, des entreprises étrangères et quelques politiciens allaient en profiter jusqu’au bout et se retirer quand les populations locales appauvries n’auraient plus que les ruines de leur forêt, mangeant le dernier gibier ou l’exportant vers les villes, et subissant l’arrivée du SIDA tout en pleurant la perte de la seule richesse qu’ils aient connue et l’absence de toute compensation. À notre arrivée à Goma on nous conduisit à l’hôtel où nous déjeunâmes et nous reposâmes avant de présenter notre rapport au RCD – de nouveau au Musée – et d’entendre les vues de ce groupe. Nos interlocuteurs nous écoutèrent attentivement et demandèrent à nous revoir le lendemain matin. L’un des paradoxes de Goma ce sont les belles maisons et les beaux restaurants cramponnés aux rives du lac Kivu ; si on a de l’argent, vivre à Goma n’est guère un calvaire ! Je gardais un tendre souvenir de mes bains matinaux dans le lac Kivu avant le petit déjeuner à la terrasse, devant le panorama des montagnes bleues dans le lointain. Ce soir-là nous dînâmes à la terrasse du Stella Matutina, qui appartient à José Endondo, ancien membre du RCD devenu membre du MLC qui s’était amèrement plaint à moi à Addis-

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Abeba que nous ne sachions pas gérer nos finances42. Le Pr. Lebatt se retira et Ugo et moi accompagnâmes deux fonctionnaires du RCD dans un bar que j’avais connu du temps où je travaillais dans l’aide humanitaire. Quand les prostituées commencèrent à se rassembler, nous battîmes dignement en retraite vers notre hôtel, où deux jeunes soldats montèrent la garde devant ma chambre toute la nuit ; j’ignore si c’était pour me protéger des assassins ou des prostituées. À 09h00 le lendemain nous prîmes le petit déjeuner sur la pelouse du Chalet, autre hôtel au bord du lac. Nous fûmes rejoints cette fois par le Dr Onusumba et ses collègues de haut rang. Il nous dit que la Troïka avait visité Kigali où elle avait rencontré le RCD. Louis Michel aurait attribué la responsabilité du contretemps d’Addis-Abeba au Bureau du Facilitateur, invoquant notre piètre direction et notre manque de dynamisme, que le gouvernement avait su exploiter. Le Dr Onusumba déclara qu’il continuait à avoir confiance en nous mais demanda néanmoins à QM de diriger plus fermement les réunions et de consulter les participants. Il convint de l’utilité d’une réunion à Abuja si toutefois elle pouvait réussir à dégager un consensus sur la transition et il affirma qu’il était disposé à y rencontrer les dirigeants du gouvernement et du MLC. Ses collègues confirmèrent n’avoir reçu jusqu’alors aucune réponse du gouvernement à la suite de la communication conjointe envoyée par les deux groupes rebelles lors de la clôture de la réunion d’Addis-Abeba. Le Pr. Lebatt défendit son patron : l’UE avait tort, dit-il, de se plaindre de l’incompétence de QM tout en réitérant le soutien qu’elle lui témoignait. Si le style de QM manquait de vigueur, poursuivit-il, il était patient, incorruptible et il avait connu, en tant que chef d’État, un succès éclatant. Le Pr. Lebatt enchaîna sur la planification qui continuait à nous occuper afin d’éviter en Afrique du Sud ce qui s’était passé en Éthiopie et sollicita des vues sur la transition. J’ai abordé l’éventuelle réduction du nombre de représentants des belligérants en vue de la reprise des négociations, mais ni le gouvernement, ni le MLC, ni le RCD n’était prêt à en discuter. Eux aussi devaient tenir compte des aspirations de leurs partisans. Le RCD 42

Il devint ministre des Travaux publics du gouvernement de transition, ce qu’il avait été autrefois, je crois, sous le Président Mobutu, jusqu’à ce qu’il fût démis de ses fonctions avec plusieurs autres ministres en réponse à des allégations de corruption.

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restait soupçonneux à l’égard du gouvernement de Kinshasa et du gouvernement belge, et impatient de reprendre les négociations, de même que le MLC. Le Pr. Lebatt retourna à Kinshasa avec Ugo et je restai pour attendre un vol pour le Kenya. À l’hôtel je parlai à François Grignon, l’analyste régional associé à’International Crisis Group. Les rapports de ce groupe étaient toujours riches en renseignements et bien argumentés, bien que nous ne partagions pas toujours leurs analyses. J’eus aussi le temps de visiter la base de la MONUC à la sortie de Goma. Elle me rappela la logistique frénétique d’Operation Lifeline Sudan à quelques centaines de kilomètres de là : fonctionnaires stressés, logisticiens occupés, hangars vides et réserves débordantes, exprimant l’inquiétude de la communauté internationale quand la guerre civile crée une faim et une mauvaise santé chroniques dans une économie aux pénuries périodiques et aux ressources limitées. À la base je pus toucher un mot à deux membres de la MONUC des problèmes pratiques que posait la représentation des Mai Mai, étant donné que notre bureau de Kinshasa aurait à produire un plan quelconque à soumettre lorsque le sujet serait abordé bientôt à Abuja, et qu’il était très difficile, et très délicat, de contacter les Mai Mai. J’appelai QM à Johannesburg, sachant qu’il venait de voir le Président Mbeki. Il était possible qu’une décision fût prise le lendemain quant au lieu de la reprise du dialogue. Je reçus aussi un appel du Pr. Lebatt disant que Katumba Mwanke lui avait enfin remis une lettre exposant la position du gouvernement vis-à-vis des questions à résoudre. Nous nous rencontrâmes trois jours plus tard à Nairobi et eûmes une longue conversation avec l’un des fonctionnaires de l’UE qui avaient critiqué si sévèrement notre prestation à Addis-Abeba. Il suggéra que nous ayons, lors de la prochaine réunion, un « maître de cérémonies », que nous fassions des rapports politiques réguliers aux bailleurs de fonds – qui, en tant qu’observateurs, n’assistaient pas aux discussions politiques – et que nous désignions un porte-parole. À l’exception du maître de cérémonies, ces suggestions figuraient déjà dans notre plan pour l’Afrique du Sud. En l’occurrence, le chef du protocole sud-africain, Billy Modise, fit office de maître de cérémonies à l’ouverture et à la clôture des négociations ainsi que lorsqu’il y avait des séances de signature à animer. 176

À Nairobi notre nouveau collègue Bakary Dabo nous rejoignit. Il nous avait soutenus lors des sessions d’Addis-Abeba et voulait bien recommencer l’expérience. Il avait réussi sa carrière d’administrateur et d’homme politique en Gambie, où il était devenu Vice-Président, poste qu’il occupa jusqu’à ce que le gouvernement de Daouda Jawara fût renversé dans un coup d’État mené par Yahya Jammeh en 1994. M. Dabo, qui avait été obligé de se réfugier en Grande-Bretagne, nous avait été recommandé afin d’ajouter le poids de son expérience à nos dispositions pour organiser les Commissions du DIC. Il finit par endosser le rôle de Rapporteur et ce fut en grande partie grâce à sa démarche patiente et méticuleuse que les dernières étapes du DIC furent rapportées avec tant de soin. M. Dabo est aussi à l’aise en anglais qu’en français et se trouvait à Nairobi pour assister au Comité de suivi avant de se déplacer à Gaborone pour y rejoindre notre équipe. Il était très à cheval sur notre mandat et, bien que n’étant pas prompt au jugement, il n’avait pas peur de s’y livrer le cas échéant. Sa formule préférée pour désigner quelqu’un qui ne répondait pas à ses critères était « useless fellow, useless fellow. » (« il est nul, ce type, nul ! »). Nous échangeâmes nos impressions avec le Pr. Lebatt dans un café de Nairobi et eûmes des nouvelles de notre patron inlassable, qui avait été voir le Président Muluzi au Malawi ; ce dernier avait annoncé une contribution de 100 000 dollars au processus. Il est rare qu’un pays aussi pauvre que le Malawi figure sur une liste de donateurs. Le geste fut très apprécié. J’avais cru que le Président Muluzi reprendrait le rôle du Président Chiluba lorsque celui-ci accéderait à la présidence de la SADC dans la nouvelle année. En l’occurrence, la surveillance du DIC resta la responsabilité de la Zambie, passant du Président Chiluba à son successeur, le Président Levy Mwanawasa. Alors que le Pr. Lebatt se rendait à Abuja pour continuer à assister aux « consultations informelles », je rentrai à Gaborone par Pretoria, où je devais briefer Mojanku Gumbi sur notre voyage en RDC et vérifier avec elle les dispositions à prendre par les Sud-africains et nous-mêmes au cas où le DIC reprendrait à la fin janvier. Notre rapport commun avait déjà recommandé Sun City comme le lieu le plus approprié pour la prochaine réunion, au niveau de l’accès, des installations et de la sécurité. Le Président Mbeki, qui s’était engagé à payer le gîte et le couvert, soit 35% environ du coût total estimatif, 177

avait pris la décision finale. Compte tenu de la réputation de Sun City pendant les années de l’apartheid – d’être un centre de jeu et de prostitution – nous savions que nous pouvions nous attendre à des commentaires négatifs dans certains milieux. Nous nous résignâmes à affronter cette crise le moment venu. Nous le fîmes et, en l’occurrence, le lieu s’avéra idéal à tout point de vue. Maître Gumbi est une personne extrêmement occupée et je me retrouvai dans sa voiture à discuter de ces questions avec elle en route pour la cérémonie commémorative que l’ANC avait organisée à l’hôtel de ville de Pretoria en l’honneur de feu le ministre de la Défense, Joe Modise. C’était pour moi le premier vrai contact avec la nouvelle Afrique du Sud, avec la foule qui faisait le « toyi-toyi » dans les allées du sombre siège de l’ancienne administration municipale impériale. Mon travail comportait, certes, un certain stress, mais il élargissait indéniablement mes horizons. De retour au Botswana, nous restâmes pendus au téléphone, attendant des nouvelles d’Abuja. Chacun des trois belligérants avait sélectionné une équipe de quatre hauts fonctionnaires, qui se réunissaient à présent sous la présidence d’Ibrahima Fall, avec le soutien de son collègue Yasir Sabra, en présence de M. Mogwe et du Pr. Lebatt. Leur première inquiétude, comme celle des États-Unis et de la Belgique, du RCD et du MLC, concernait le choix de Sun City – inquiétude qui finit par se dissiper, comme prévu. Puis on avança que QM devrait assister à toute réunion tripartite dans le cas où les lieutenants seraient parvenus à un consensus à approuver publiquement par leurs dirigeants. QM resta sur ses positions. Il était facilitateur, il n’était pas médiateur et ne voulait pas alarmer la société civile et les partis politiques en marginalisant effectivement leur participation. Ses instincts étaient, comme toujours, démocratiques. Nous ne pouvions opposer d’objections à d’éventuelles ententes entre les combattants, mais le DIC avait pour objectif d’élargir le débat et, dans la mesure du possible, de donner une voix aux Congolais non armés. Le 14 décembre le Pr. Lebatt et Rre Mogwe nous briefèrent dans notre bureau de Gaborone sur le Comité de suivi et les discussions à Abuja. Bo Heineback et Aidar Karatabanov présentèrent un rapport sur les options de logement en Afrique du Sud. Mojanku Gumbi et le 178

haut-commissaire sud-africain au Botswana se joignirent à nous pour les discussions. Les pourparlers d’Abuja, nous dit-on, se poursuivraient à Genève dans la nouvelle année. Les parties s’étaient d’abord rencontrées entre elles et ensuite avec l’ONU et les représentants du Facilitateur. Elles n’étaient pas encore parvenues à des conclusions majeures quant au gouvernement de transition, mais avaient convenu du chiffre de neuf délégués pour le RCD-ML ; d’une représentation spécifique pour les sept principales formations religieuses en RDC ; et d’une ventilation du quota des 55 délégués pour l’opposition politique entre les partis qui avaient été présents à Gaborone, ceux qui n’avaient pas assisté, et la diaspora. Il semblait que nous eussions enfin obtenu des belligérants un accord sur la question de savoir qui assisterait au DIC et en quelle qualité. Ces ajustements étaient tout à fait conformes à l’Accord de Lusaka, ce qui nous obligeait à collaborer avec les signataires en vue de fixer la représentation au dialogue. À Nairobi, le Comité de suivi avait proposé une mission commune de toutes les parties pour évaluer la conformité des autorités dans chaque partie du Congo avec les engagements pris à Gaborone. L’annonce récente par le gouvernement de son intention d’installer un gouverneur dans chaque province du pays entier manquait de tact – le gouvernement ne contrôlait pas le pays entier. Le RCD demanda que les nominations fussent révoquées jusqu’à ce qu’un gouvernement de transition fût mis en place. Le gouvernement les maintint. Il y avait eu aussi à Nairobi un progrès discret dans l’identification de certains Mai Mai qui pourraient assister au dialogue sous la rubrique – les Congolais y tenaient absolument – des forces vives. Nos inspecteurs des lieux susceptibles d’abriter le DIC expliquèrent que, bien que Sun City convînt tout à fait, ce centre était déjà réservé jusqu’à la fin janvier et ne serait entièrement disponible qu’à la mifévrier. Le Pr. Lebatt fit remarquer que les Congolais ne seraient pas prêts avant la fin janvier non plus. Une complication supplémentaire était que la salle principale était déjà réservée plus tard dans la période de six semaines prévues pour la durée du DIC. Les Sud-africains suggérèrent que nous déplacions toutes nos activités dans des tentes climatisées installées dans le parc de Sun City : je doute fort qu’ailleurs en Afrique on ait la capacité d’installer rapidement des 179

installations de cette envergure dans un parking, ce qui fut le cas, au bout du compte. Côté finances, en chiffres ronds, la somme totale promise s’élevait alors à 9 millions de dollars ; nous avions reçu environ 6 millions et dépensé quelques 5 millions en deux ans. Il nous restait donc une solde d’environ 1 million dans notre compte et il nous fallait encore 4 millions pour poursuivre. Nous étions presque à Noël et nos efforts pour obtenir assez d’argent avant février perdraient sûrement l’élan pendant la période des fêtes. Nous savions également que nous allions peut-être devoir marquer une pause au milieu des travaux avec, éventuellement, une plénière finale en RDC – ou bien une prorogation des négociations. Rre Mogwe, faisant preuve d’une certaine prescience, demanda si le gouvernement sud-africain prendrait en charge d’éventuelles prorogations ? Maître Gumbi répondit : « Avonsnous le choix ? »

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M. Mogwe accueille les délégués à la réunion préparatoire au Botswana. Le Professeur Lebatt et QM l'écoutent.

Jean-Pierre Bemba, chef du MLC, et Maitre Ruberwa du RCD s'entretiennent.

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Dr. Onusumba, alors chef du RCD, écoute pendant que l'auteur lit une déclaration de la Facilitation, après notre première visite aux rebelles, à l'aéroport de Goma.

Mwenze Kongolo, homme fort du gouvernement congolais, et le feu Katumba Mwanke, éminence grise de Joseph Kabila, avec Léonard Shé Okitundu, à la réunion préparatoire a Gaborone.

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M. Mogwe et "Ten Ten"arrivent à Bunia, en route pour une réunion avec Wamba Dia Wamba, chef de sa propre faction RCD.

QM ouvre une séance aux tentes à Sun City.

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Thabo Mbeki, Président de l'Afrique du Sud, explique aux Congolais "qu'ils ne peuvent pas construire une nouvelle Afrique avec un vieux Congo".

QM et l'auteur à Sun City.

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CHAPITRE XIII METTRE LE RIZ DANS LA MARMITE

« C’est un poisson bien stupide celui qui se fait prendre deux fois dans le même filet. » (QM, au sujet des préparations de la reprise du Dialogue intercongolais, janvier 2002) La nouvelle année, 2002, commença pour nous par une multiplicité de réunions. On nous informa le 10 janvier que le gouvernement de la RDC souhaitait voir QM et que nous pourrions attendre leur délégation le lendemain matin à 10h00. Ils arrivèrent finalement à 19h00. C’était une équipe de huit personnes qui était en route pour la réunion à Bruxelles décrite plus bas, sous la direction d’Augustin Katumba Mwanke et incluant le Pr. Samba Caputo, l’un des plus proches conseillers du Président Kabila. Ils étaient d’une humeur conciliante. Ils transmirent les salutations de leur président et dirent que nous avions tous tiré une leçon de l’expérience d’Addis-Abeba et que eux voulaient regarder désormais vers l’avenir: en quoi le gouvernement pouvait-il aider le Bureau du Facilitateur ? Le ministre était positif à l’égard de la réunion d’Abuja et estimait que les questions de la représentation avaient été résolues. QM, de son côté, avait quelques demandes très pratiques à leur adresser : par exemple, quand pouvions-nous attendre leur contribution financière promise ? Quand recevrions-nous leur liste de délégués ? Pourraient-ils répartir leurs représentants entre les Commissions à l’avance, plutôt qu’à la réunion même ? Il leur expliqua aussi qu’il souhaitait visiter Kinshasa prochainement afin de discuter avec le Président Kabila la date de la reprise du DIC. On lui répondit qu’il était le bienvenu. Tout cela était bien encourageant, mais la discussion avait commencé à 20h20 et dura jusqu’à 22h50. Nous étions tous fatigués et affamés. QM invita tout le monde à déjeuner avec lui. Nous nous quittâmes bien après minuit ; jusqu’à ce jour j’ignore s’il s’agissait d’une douce vengeance de la part de QM d’avoir dû attendre toute la journée ou de l’hospitalité magnanime d’un hôte africain.

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À Bruxelles, le gouvernement belge avait réussi à réunir pendant trois jours, au Palais Egmont, bon nombre des représentants de la société civile et de l’opposition politique (mais pas tous), dans une « consultation informelle », en présence d’observateurs de l’ONU, de l’UA, de St. Egidio et du gouvernement de la RDC. Ils produisirent un texte de 17 pages, repris dans une brochure de 54 pages, qui exposait leurs conclusions sur la transition, la constitution, le processus électoral et l’armée. Les travaux furent ouverts par Guy Verhofstadt, Premier ministre belge, et présentés comme réunion préparatoire en vue du DIC. Louis Michel présida les sessions, ayant expliqué aux participants que QM était au courant de cette réunion conçue en parfaite conformité avec les paramètres de l’Accord de Lusaka. Suivant le point de vue que l’on adoptait, cette réunion constituait soit un soutien au travail que nous faisions, soit une initiative parallèle face aux progrès limités réalisés jusqu’alors sur les questions de fond. Quoi qu’il en fût, nous y avions envoyé en observateurs Ugo Solinas et George Ola Davies, et nous étudiâmes les recommandations parfaitement sensées qui en résultèrent. Celles-ci allaient être ensevelies par des événements ultérieurs, de même que les engagements de Gaborone relatifs à la liberté de mouvement et à la restitution des biens pillés furent oubliés plus tard dans la ruée vers les fonctions officielles. QM se rendit ensuite au Malawi pour assister à un sommet de deux jours de la SADC sur la RDC. Les Présidents Museveni et Kagame étaient également invités. QM présenta aux chefs d’État un rapport sur les différentes mesures qu’il avait prises et leur demanda de réfléchir à la meilleure façon pour la communauté internationale d’aider les Congolais à rétablir leur souveraineté et à mettre en œuvre les décisions qui émaneraient de leur dialogue, questions restées presque entièrement sans réponses encore aujourd’hui. Il déclara que le DIC pourrait reprendre à la mi-février, sous réserve d’une résolution de toutes les questions restées en suspens, ce qui n’allait pas tarder. Il exprima aussi son inquiétude au sujet de nouveaux combats dans le nord-est de la RDC, où les forces armées ougandaises et rwandaises soutenaient de part et d’autre des groupes rebelles congolais. Le Président Museveni aurait répondu que l’ONU avait demandé au UPDF de garder ses forces à Buna, Buta et dans les Montagnes Ruwenzori. Le Président Kabila dit que l’ONU ne lui en avait rien dit et qu’il était important que le DIC commence le plus tôt possible. Le 186

ministre des Affaires étrangères du Président Kagame affirma qu’ils avaient des forces en RDC pour traquer les génocidaires, mais que le Président Kabila n’avait pas rempli ses engagements pour aider dans cette affaire. Entre-temps, à Kinshasa, le Pr. Lebatt et Rre Mogwe étaient de nouveau engagés dans des discussions laborieuses pour désigner des représentants de l’opposition politique, tandis que deux de nos collègues plus jeunes assistaient à une réunion de quatre jours de l’Electoral Institute of South Africa pour considérer des « Perspectives électorales » en RDC. Le 17 janvier, je reçus un appel téléphonique du Pr. Lebatt disant que le volcan Nyiragongo était entré en éruption et envoyait des coulées de lave rougeoyantes à travers Goma. J’avais fait l’escalade de ce volcan pendant les derniers jours du régime Mobutu, peu avant qu’il n’envoyât des coulées de lave dans les hectares de bivouacs et de cabanes fragiles, à la sortie de Goma, construits en 1994 par des réfugiés rwandais en fuite, dans les champs de lave déjà inhospitaliers laissés par l’éruption précédente. Ces réfugiés abritaient un grand nombre d’individus qui avaient participé au génocide rwandais, de sorte que, si l’on croyait à la colère de Dieu, les coulées de lave ressemblaient fort à un châtiment divin, comme si les feux de l’enfer avaient percé l’écorce terrestre pour consumer les misérables structures des pécheurs et des déshérités. Cette fois la lave avait percé un chemin, tel un bulldozer gigantesque, jusque dans le centre commercial de Goma, détruisant arbitrairement tel ou tel immeuble, et laissant son voisin debout43. La lave monta au premier étage des immeubles, des stations d’essence explosèrent, des pillages commencèrent et des résidents s’enfuirent au Rwanda voisin, où ils ne reçurent pas un accueil universellement chaleureux, à cause des tensions continues entre les deux pays. Peu après il revinrent pour commencer à reconstruire leurs habitations et leurs vies, faisant preuve d’une résistance physique remarquable. L’éruption était comme une variante naturelle dans la longue succession de calamités dues à l’homme qui avaient frappé la ville au cours des années précédentes. 43

La lave occupa aussi une bonne partie de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Goma, ayant pour résultat que seuls les petits avions pouvaient s’en servir. Cela allait affecter notre capacité à transporter des délégués de l’Est vers l’Afrique du Sud.

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Quatre jours plus tard, Louis Michel nous rendit visite pour rendre compte de sa réunion de Bruxelles. Il expliqua comment les pourparlers s’étaient déroulés et QM le remercia. QM fit remarquer qu’il lui serait difficile à ce stade d’être impliqué dans une réunion de seulement deux des cinq « composantes » convenues à Lusaka. Il expliqua par ailleurs que c’était la raison pour laquelle la réunion récente des trois principaux combattants, à Abuja, n’avait pas été présidée par lui. Il précisa cependant que tout soutien accordé au processus était le bienvenu. Louis Michel dit qu’il tenait beaucoup à ce que la société civile et l’opposition politique ne se sentent pas marginalisées dans les discussions et qu’il continuerait, en passant par Pretoria, Kigali et Kisangani, à briefer quelques-unes des autres parties qui n’étaient pas présentes, sur les conclusions de Bruxelles. Pour lui, les trois questions clés du DIC étaient l’armée, la nationalité et les Kivus. C’était incontestable. Nos membres du personnel plus jeunes interrogèrent le ministre sur le Comité de suivi prévu à la suite de la réunion de Bruxelles et de la manière dont les deux groupes allaient travailler afin de préparer leur participation au Dialogue, puisqu’ils étaient inquiets que les Belges reproduisent inutilement des structures qui étaient déjà assez difficiles à manier. Nous enchaînâmes sur la question de savoir si les obstacles à une reprise du DIC avaient été écartés. Inévitablement, nous dûmes discuter aussi de la mesure dans laquelle les promesses monétaires qui nous avions reçues avaient été tenues. À ce moment-là, Louis Michel sortit son téléphone portable, appela le Premier ministre belge, son patron Guy Verhofstadt, et demanda tout de go que 1,25 millions d’euros soient versés immédiatement dans notre compte. Après ce geste, dont j’eus du mal à croire qu’il était entièrement spontané, nous montrâmes les comptes au ministre, pour lui faire comprendre que, quelles que fussent les promesses spécifiées par d’autres bailleurs de fonds, nous n’avions toujours pas reçu les fonds nécessaires pour reprendre le dialogue. La nouvelle déléguée de l’UE au Botswana, Claudia Wiedey-Nippold nous avait avertis que les Européens étaient las de nous entendre dire que nos financements étaient insuffisants. Nous aussi, nous étions las de devoir le répéter – mais cette fois-ci nous pûmes montrer à un donateur clé une colonne de chiffres exposant clairement la réalité financière. Nous conclûmes la discussion sur le type de présidence que les Congolais pourraient choisir et QM exprima l’espoir que les combattants feraient quelques 188

progrès sur ce chapitre lors de leur prochaine réunion trilatérale en Suisse. Pendant ce temps, dans un autre geste trahissant l’inquiétude européenne vis-à-vis de la région, les ministres français et britannique des Affaires étrangères, MM. Védrine et Straw, entreprenaient la première visite conjointe aux capitales concernées.44 Louis Michel déclara que la visite voulait démontrer que les Européens s’exprimaient de plus en plus d’une seule voix en ce qui concernait la guerre en RDC, et qu’il avait lui-même rencontré dernièrement Clare Short à cette fin. Je ne suis pas certain qu’il en fût exactement ainsi. Les visites de Louis Michel et de ses homologues britannique et français étaient, à mon avis, révélatrices. Le ministère belge des Affaires étrangères estimait sincèrement que la Belgique devrait jouer un rôle plus important en résolvant la crise des Grands Lacs et fit de son mieux pour y veiller. Tout succès obtenu augmenterait bien entendu sa stature sur la scène internationale ainsi qu’à l’intérieur de son pays, et il voyageait constamment à la recherche d’un moyen diplomatique d’avancer, profitant de la présidence belge de l’UE, à peine terminée, pour soulever la question chaque fois qu’il le pouvait. En revanche, les Britanniques et les Français, tout en s’accrochant à leurs différences historiques dans les affaires importantes au niveau intérieur, essayaient manifestement de collaborer sur des questions qui auraient, pour eux, moins d’éventuelles conséquences électorales, telles que les conflits dans la région des Grands Lacs. Ils savaient par ailleurs que les solutions étaient désormais entre les mains des Africains et que les opportunités d’une implication européenne, autre que financière, étaient limitées. Le 24 janvier, avec trois collègues, je descendis en voiture à Sun City en Afrique du Sud pour notre première réunion dans ce centre avec nos nouveaux collègues sud-africains. Le voyage dura environ trois heures à travers brousse et champs cultivés jusqu’à ce que les collines abritant le complexe de Sun City apparaissent à l’horizon. Une fois les portes passées, le visiteur tombe sur un foisonnement d’hôtels à l’architecture fantastique et d’attractions pour tous les goûts 44

Un diplomate impliqué dans cette visite conjointe m’expliqua la répartition des tâches : les Britanniques organisaient les réunions pendant que les Français s’occupaient des repas, des vols et de l’hébergement – apparemment, ils avaient jugé que ce serait là une exploitation optimale de leurs talents nationaux.

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– jeux, promenades à cheval ou en bateau, randonnées, bains, paravoile, cinémas, cabaret, boutiques, gymnastique, massages, restaurants, golf... L’environnement est une sorte de Disneyland africain, à la fois tape-à-l’œil et grandiose. Nos collègues organisateurs de conférences reflétaient aussi la variété résultant de l’histoire et du développement de leur pays. Si je devais suggérer une image type de l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, image que j’ai vue sous différentes formes dans divers forums, ce serait celle d’une femme africaine en charge, un homme ou une femme d’origine britannique chargé(e) de l’organisation, et un homme d’origine afrikaner travaillant avec des collègues africains plus jeunes sur les questions de sécurité. J’ai du mal à éviter d’employer les termes « noir » et « blanc », réducteurs au point d’être dénués de sens ; mais en Afrique du Sud, à cause de son histoire, c’est une seconde nature de désigner les gens comme « noir », « blanc » ou « de couleur » (métis). En Afrique de l’Est, quelles que soient les tensions historiques qui persistent, le terme mzungu s’emploie pour désigner une personne d’origine européenne et « Asian » est réservé aux gens originaires du sous-continent indien. Ni l’un ni l’autre de ces termes n’est nécessairement péjoratif, pas davantage que les mots « noir » et « blanc », mais ils sont un peu plus riches de sens – tout en étant moins hérissés de connotations. Dans l’environnement un peu irréel d’un faux palais construit sous l’ancien régime, je présidai une réunion très soignée à laquelle assistèrent des fonctionnaires du gouvernement du nouvel ordre et les directeurs de Sun City. Cette réunion était la première de trois autres semblables en vue de garantir que tout serait prêt lorsque le DIC reprendrait finalement le 24 février. Lindiwe Zulu, du ministère des Affaires étrangères, présida la prochaine réunion de cette série avec une grande fermeté. Lorsqu’un fonctionnaire des services de l’immigration réagit à ma mise en garde contre la probabilité que beaucoup de Congolais seraient munis de documents de voyage d’une validité douteuse, il se fit dire sans ambages que beaucoup de SudAfricains avaient lutté à partir de leur lieu d’exil contre un régime enraciné, avec les mêmes difficultés de passeport, mais que de telles préoccupations devraient être subordonnées au but supérieur, en l’occurrence de faire fonctionner le DIC. Notre collaboration prit un bon départ et ensemble, malgré nos origines et notre formation très 190

différentes, nous nous attaquâmes aux nombreux défis inhérents à l’organisation de telles réunions – vols, visas, sécurité, accès, accréditation, badges, logement, repas, salles de réunion, voitures, interprétariat, traduction, documentation, connexions Internet, systèmes de sonorisation, protocole, plantons, argent liquide, factures… : une foule de décisions pratiques à prendre et de procédures à établir. QM alla alors lui-même en RDC pour évaluer le niveau de préparation des parties et, dans la mesure du possible, annoncer une date pour la reprise du DIC. Le 29 janvier, je pris un vol par l’Afrique du Sud pour me joindre à lui, au Pr. Lebatt et à M. Mogwe à Kinshasa; ils étaient alors occupés à reconsidérer la difficulté de toute formule d’expansion des partis de l’opposition politique au-delà du nombre de ceux de leurs représentants qui étaient venus à Gaborone en 2001. Ce groupe avait même adressé une lettre de protestation à QM concernant la manière dont la question avait été abordée. Nous n’avions donc toujours pas de résolution finale sur les questions de représentation – Ugo Solinas rencontrait pendant ce temps la diaspora à Pretoria et à Bruxelles pour les aider avec leur sélection ; John Tibasima demandait plus que les neuf places allouées au RCD-ML ; les partis politiques n’étaient pas d’accord avec la formulation proposée par le Pr. Lebatt – et nous n’avions même pas encore commencé avec les Mai Mai. La réunion de QM avec le Président Kabila souleva apparemment aussi des doutes quant à la date et à la durée prévue de 45 jours. QM devait tenir compte de tout cela et, de surcroît, fixer une date ; il finit par choisir le 25 février, ce qui ne nous laissait plus que 27 jours, et il prit ses dispositions pour l’annoncer lors de sa conférence de presse à Kinshasa. Je trouvais toujours décevante les productions des journalistes de Kinshasa. Ils avaient du mal à faire la différence entre la propagande et la plaidoirie, d’une part, et l’information et l’analyse, d’autre part ; ils semblaient prêts à imprimer presque n’importe quelle rumeur et ne faisaient apparemment presque aucune recherche. Par conséquent, malgré leur grande variété de publications, la concurrence ne semblait pas aboutir à des niveaux très élevés. Nana Rosine et George Ola Davies, nos deux attachés de presse, avaient prévenu QM que les médias allaient peut-être lui rendre la vie dure, alléguant qu’il était vieux et fatigué et qu’il avait échoué à Addis-Abeba. QM montrait 191

pourtant peu de signes de fatigue ou de vieillesse en traitant des questions. Il expliqua qu’il n’était pas à la recherche d’un emploi lorsque les Congolais l’avaient (eux-mêmes) nommé, et que les Congolais pouvaient également le renvoyer, quand il leur plairait. Il n’était pas sans travail et reprendrait avec joie sa vie d’agriculteur s’ils le souhaitaient. Pour l’heure, il entendait continuer de son mieux. Notre vol de retour vers l’Afrique australe comportait une escale à Nairobi. Je proposai à QM de rester chez moi, sachant qu’il aimerait mieux voir une ferme kenyane avec bétail et gibier plutôt que de passer la nuit à l’hôtel. Cette décision troubla quelque peu les autorités kenyanes peu habituées à voir un ancien chef d’État qui ne filait pas droit vers les grands hôtels de Nairobi. Lorsque je leur assurai que je résidais normalement au Kenya et que nous n’avions aucun problème de sécurité chez moi, on me crut sur parole et on expédia QM en Mercedes officielle dans le sillage de ma Land Rover vieillissante. Nous fîmes le tour du ranch en voiture en deux heures et nous étions en train de dîner, plus tard, lorsqu’on vint m’annoncer qu’il y avait une voiture pleine de policiers qui attendait dehors. Je sortis voir quel était le problème, pour découvrir que c’était l’équipe gouvernementale de sécurité, venue s’assurer que l’ancien chef d’État était en mains sures dans cet endroit isolé à 40 km de la grande ville avec ses hôtels internationaux.45 Le lendemain matin nous rencontrâmes Bo Heineback et Gopi Kumar dans le salon d’honneur de l’aéroport de Johannesburg. Ils étaient venus nous informer que les directeurs de Sun City faisaient pression pour que nous leur versions un acompte important afin de garantir nos réservations. Nous n’avions pas encore assez d’argent, semblait-il, dans le compte que nous avions ouvert à Sun City pour payer un tel acompte. Nous réussîmes à joindre au téléphone le directeur général de la Standard Chartered Bank en Afrique du Sud et QM lui demanda de bien vouloir fournir une caution bancaire à Sun City en attendant l’arrivée des fonds. Cela fait, QM se rendit à une autre réunion au Cap et nous trois allâmes au ministère des Affaires étrangères à Pretoria afin de nous assurer, entre autres, que les fonds promis par l’Afrique du Sud arriveraient sans délai. Nous rentrâmes 45

Je devrais peut-être ajouter que je ne suis pas propriétaire d’un ranch au Kenya, mais que je loue tout simplement une maison dans un ranch.

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ensuite au Botswana tandis que M. Mogwe et le Pr. Lebatt quittèrent Kinshasa pour Genève pour essayer une dernière fois de résoudre toutes les questions de représentation avec le gouvernement, le RCD et le MLC. Ugo Solinas continuait tout seul à Bruxelles d’aider la diaspora à décider comment répartir un quota entre les membres de la diaspora se trouvant en Amérique du Nord, en Europe et en Afrique et ensuite comment désigner leurs délégués au dialogue. Cela fait, sa tâche suivante consistait à se rendre à Nairobi pour préparer la désignation des Mai Mai qui assisterait au dialogue. (Il eut la bonne fortune que la diaspora sud-américaine – si tant est qu’il y en ait une – ne mît pas le grappin sur lui pour ajouter à ses fardeaux.) Pendant que nos collègues se colletaient avec toutes ces tâches à l’étranger, George Ola Davies conduisit une conférence de presse à partir du Botswana pour expliquer ce que QM faisait en RDC. George commença par la presse locale et réunit ensuite une douzaine de journalistes venus d’Europe pour s’informer sur le DIC et pour poser des questions. Il leur organisa des entretiens avec QM et leur présenta le « Rapport du Facilitateur, décembre 2001 », en français et en anglais – rapport qui essayait en 30 pages de faire la chronique de nos efforts pour aborder les complexités de notre tâche au cours des 21 mois écoulés depuis l’ouverture du bureau. La plupart des questions posées par les Congolais et les autres sur notre mandat et nos décisions étaient traitées dans le livret. L’information, toutefois, n’est pas la même chose que la communication, et il y avait quelques notions, telles que le rôle du facilitateur, que nous ne réussîmes jamais vraiment à transmettre à un public plus large, peut-être parce que QM, d’entrée de jeu, ne pouvait faire autrement que de décider, chemin faisant, ce que, raisonnablement, il pouvait et ne pouvait pas faire pour servir la cause du DIC. Nous avions par ailleurs le sentiment inquiétant que la plupart des 50 millions de Congolais au nom de qui nous croyions travailler n’avaient pas la moindre idée de qui nous étions ni de ce que nous faisions. L’alphabétisme limité et le faible accès aux médias avaient pour suite que nous évoluions dans un monde à part, même dans des circonstances telles que celles de la mission prolongée dans les provinces, où nous avions affaire à d’autres comme nous, ayant pour la plupart accès à des voitures, à des téléphones portables, à des hôtels et à des avions. C’était pourtant cela, la réalité, et nous n’y pouvions pas grand-chose sinon en tenir compte et veiller à en informer les médias congolais autant que 193

possible. QM, pour sa part, ne refusa jamais aucun Congolais cherchant à le rencontrer et à lui présenter son point de vue ou à l’interroger sur le processus. L’un des visiteurs qui le sollicitait était précisément John Tibasima, l’un des deux dirigeants qui avaient écarté Wamba dia Wamba et insistaient pour que la délégation RCD-ML au dialogue soit aussi importante que celles des trois autres combattants. Il arriva à Gaborone avec quatre collègues et expliqua que le RCD-ML contrôlait un demi-million de kilomètres carrés de la RDC abritant 12 millions de personnes. Le ministre angolais des Affaires étrangères, dit-il, soutenait sa participation en tant que composante à plein titre et il ne pouvait accepter les 9 places convenues lors de la réunion d’Abuja. Mbusa Nyamwisi était le président de leur mouvement, luimême était le second vice-président et Wamba dia Wamba avait été nommé président honoraire. QM lui répondit qu’il acceptait que son mouvement fût ce que nous avions fini par appeler une « entité », mais qu’il n’était pas une composante à plein titre, aux termes de l’Accord de Lusaka ; qu’il serait donc invité à assister le 25 février, mais qu’aucune décision définitive n’avait encore été prise quant aux chiffres exacts. Nous nous quittâmes en bons termes mais le RCD-ML ne cessa jamais d’essayer d’accroître le nombre de ses délégués46. Peu après leur départ, je reçus un appel téléphonique de Roger Lumbala, dirigeant de la nouvelle faction RCD National, disant qu’il contrôlait 150 000 kilomètres carrés de la RDC et qu’il revendiquant à ce titre une pleine représentation. Il devint plus tard ministre du Commerce extérieur dans le gouvernement de transition. Les groupes rebelles prolifèrent devant le partage imminent du pouvoir. Pendant ce temps, à Genève, la réunion trilatérale des combattants rencontrait des difficultés. Il y avait encore des combats dans l’Est de la RDC entre le gouvernement et le RCD, ce qui eut pour résultat que le RCD se retira de la discussion, bien qu’il soit resté en observateur. Le MLC n’était pas content de deux des 20 délégués supplémentaires choisis par les partis politiques à Kinshasa et boycotta cette 46

Son dirigeant, Mbusa Nyamwisi, devint ministre de la Coopération régionale dans le gouvernement de transition.

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discussion-là. Le problème découlait de la réticence des partis présents à la réunion préparatoire à Gaborone à admettre la représentation de tout autre parti. Notre position était que, en travaillant avec les composantes, nous avions suivi les Principes et l’Accord de Lusaka. Nous devions, certes, consulter les trois combattants en finalisant les listes, mais ne pouvions changer celles-ci à la demande de l’un d’entre eux souhaitant opposer son veto à deux individus47, puisque toutes les parties avaient convenu à Lusaka de ne tolérer aucune ingérence et de laisser à la composante concernée le libre choix de ses délégués. Si le MLC croyait fermement que certains des noms avancés n’étaient pas des « principales organisations et formations de l’opposition politique représentative et reconnu « , il aurait l’occasion de contester leur nomination au début de la réunion à Sun City, lorsque les mandats seraient « validés » dans la plénière initiale. Par suite de ce marchandage, le « sommet » envisagé pour le Président Kabila et les deux dirigeants rebelles semblait de plus en plus improbable. Deux semaines avant la date prévue de la reprise du DIC, nous conduisions des préparations simultanément dans sept villes : à Genève, discussions informelles sous la présidence de l’ONU ; à Bruxelles, désignation des délégués de la diaspora; à Kinshasa, organisation des vols pour tous les participants, bien que notre personnel n’eût toujours pas reçu d’aucune partie les listes de ceux qui assisteraient au dialogue ; à Nairobi, organisation des contacts avec les Mai Mai ; à Pretoria et à Sun City même, logistique et financement des assises ; à Gaborone, coordination de l’ensemble de l’exercice. QM fit à ce stade-là un briefing complet au Président Mogae du Botswana, qui eut l’air plutôt étonné devant les bouffonneries que son prédécesseur avait à superviser. QM briefa plus tard le corps diplomatique à Gaborone et se rendit ensuite au Parlement du Botswana pour expliquer à la législature ce qui était sur le point de se produire. Je dus expliquer qui étaient les Mai Mai et ce que représentait le RCD-ML. QM couronna mon explication en précisant quelque peu irrévérencieusement aux députés que les Mai Mai étaient comme Dieu : « Vous y croyez mais vous ne les voyez pas nécessairement. » Comme leur Président, les honorables membres de 47

Pour Jean-Pierre Bemba, MM. Vunduawe te Pemako et Frédéric Kibassa Maliba n’étaient pas d’authentiques membres de l’opposition, mais plutôt de simples membres de la « classe politique » au sens large.

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la législature botswanaise eurent l’air très étonné devant la complexité du conflit. Le Botswana se sent, et il est à tout point de vue, très loin de la RDC. Plus tard ce même soir, Jean-Pierre Bemba m’appela pour se plaindre longuement que les signataires congolais aient créé l’Accord de Lusaka et qu’ils aient nommé QM ; les représentants des trois combattants avaient accepté vingt membres supplémentaires de l’opposition politique, non pas des politiciens qui soutenaient le gouvernement. Si nous n’acceptions pas cette logique, déclara-t-il, le MLC ne viendrait pas à Sun City, parce que le consensus était une question de nombres et que le gouvernement aurait un avantage sur ce plan. J’écoutai et j’expliquai que QM ne bougerait pas : celui-ci estimait, je le savais bien, qu’il ne pouvait pas céder devant ce qu’il concevait comme une tentative pour l’empêcher de procéder dans la neutralité. Ce point pourrait paraître obscur, mais cette lutte était une indication que les enjeux montaient au fur et à mesure que nous approchions de la possibilité d’un vrai dialogue politique. Jean-Pierre Bemba appela les Présidents Mbeki, Chissano et Muluzi pour se plaindre. Le Président Mbeki l’invita en Afrique du Sud pour expliquer le problème, étant donné qu’aucune décision ne pouvait être prise tant que les participants étaient dispersés et communiquaient par notre intermédiaire les différentes combinaisons possibles de représentation politique. C’était en Afrique du Sud qu’il allait falloir trancher la question de la composition finale. Quel prélude inquiétant à notre reprise des négociations ! Je me réveillai au milieu de la nuit dans la crainte de revoir le processus s’effondrer.

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TROISIÈME PARTIE DE LA CONFUSION À LA CONCLUSION

CHAPITRE XIV DIX-SEPT JOURS À SUN CITY

« Nous ne devons jamais oublier que le problème congolais est un marathon, pas un sprint. » (Nkosazana Dlamini Zuma, ministre sudafricaine des Affaires étrangères, à l’occasion du DIC.) Les questions restées sans solution pesaient sur nous au moment où nous déplacions l’essentiel de notre bureau à Sun City, vers la fin février 2002. Jean-Pierre Bemba avait dit que lui et le MLC n’assisteraient pas au DIC ; la sélection des représentants de la diaspora et des Mai Mai n’était pas encore terminée ; et les installations de Sun City ne seraient pas disponibles pendant toute la période prévue, de sorte que nous serions peut-être obligés de partir au milieu de tout dialogue déjà démarré. Nous discutâmes de nos difficultés et conclûmes qu’une annulation ou un report n’étaient pas des options valables. Nous devrions continuer et résoudre toute difficulté subsistante en collaboration avec les Congolais à Sun City. Au fur et à mesure que nous nous installions, les choses empiraient. Le Pr. Lebatt était l’objet de critiques personnelles virulentes de la part de certains Congolais à propos de la façon dont il s’était occupé des partis politiques. Nous passâmes deux heures et demie dans la suite de QM à Sun City à écouter une attaque acrimonieuse de la part de Joseph Olenghankoy de FONUS. Le Pr. Lebatt écouta impassible pendant que son interlocuteur se déchaînait. Joseph Olenghankoy avait été incarcéré sous le régime Mobutu, s’en était tiré tout juste vivant, et était un populiste passionné. Mais il était incapable de fournir des preuves démontrant que notre équipe avait traité abusivement la désignation des parties politiques ou que le Pr. Lebatt avait fait quoi que ce fût d’impropre. QM dit qu’il ne pouvait changer une chose pour la simple raison qu’elle ne convenait pas à l’une des parties, à moins que – et pas avant que – on ne lui présentât quelque preuve à l’appui des plaintes, lesquelles restaient, en l’occurrence, indéterminées.

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Le dirigeant de FONUS partit et les Sud-Africains firent de leur mieux pour aider. La ministre des Affaires étrangères s’adressa directement à Jean-Pierre Bemba, mais il ne voulut rien entendre. Je l’appelai à minuit, après notre arrivée à Sun City, pour proposer que lui et les chefs de délégation du gouvernement et du RCD se rencontrent pendant le week-end, en présence du Président Mbeki et sous la présidence de QM, afin de trouver une solution. Il répliqua que s’il quittait Gbadolite pour l’Afrique du Sud, ce serait pour voir le Président Mbeki ; qu’il préférerait que MM. Katumba, Ruberwa et Kamitatu trouvent une solution préalable à présenter aux chefs. Il ajouta que le nombre de partis politiques étaient passé de 8 à 15 et qu’il y avait désormais une majorité qui était pour Kinshasa. Il n’était pas près à accepter cette situation. À deux heures du matin, je communiquai à QM, dans sa suite, les réponses du dirigeant du MLC. Peu de gens sont au mieux de leur forme à cette heure-là, et il fut abattu. Je ne l’avais vu aussi découragé qu’une autre fois : c’était quand les parties l’avaient malmené à Lusaka avant de signer finalement la Déclaration des Principes. À ce stade, nous ne pûmes pas grand-chose sinon essayer de nous reposer un peu et voir si les Sud-Africains réussiraient à faire changer d’avis à quelques personnes au cours du week-end, lorsque tous les délégués arriveraient. Les Sud-Africains nous informèrent le lendemain que Jean-Pierre Bemba avait été à Paris et à Bruxelles, mais qu’il reviendrait et assisterait à la reprise du DIC à condition que les vingt extra contestés dans les rangs des parties politiques ne soient pas présents. Augustin Katumba me dit que le gouvernement n’accepterait pas l’exclusion des « Vingt » et je répondis qu’il nous faudrait parvenir à un compromis quelconque entre les trois combattants, sinon il serait impossible de commencer les travaux. Il soutenait que la liste n’était pas négociable. Pendant ce temps, le gouvernement sud-africain avaient installé les négociateurs du RCD et du MLC dans une maison d’hôte à Pretoria : nous voulions que les négociateurs du gouvernement de Kinshasa se joignent à eux pour chercher à sortir de l’impasse. Le gouvernement n’arriva pas. Lorsque j’ai signalé l’absence du gouvernement, Nkosazana Zuma dit la patience de son propre gouvernement était « élastique ». C’était tant mieux – son élasticité allait être mise à rude épreuve pendant l’année à venir.

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Le soir avant la reprise prévue du DIC, QM m’accompagna en voiture à la maison d’hôte à Pretoria où attendaient les équipes du MLC et du RCD envoyées en éclaireur. Nous les saluâmes et conférâmes avec Rre Mogwe et le Pr. Lebatt. Ils étaient catégoriques sur le fait que la dispute était une tentative pour affaiblir la facilitation au début du processus et ils étaient déterminés à ne pas céder sur le principe de non-interférence par un belligérant dans les choix des deux autres. Il était évident que la seule option qui nous restât à présent était de poursuivre, de rouvrir les assises, et d’espérer que nous trouverions le moyen de surmonter les obstacles lorsque tous les représentants seraient présents. Nous demandâmes à notre bureau de Kinshasa de retenir les « Vingt » à Kinshasa afin de nous laisser une marge de négociation un peu plus large. Le gouvernement arriva de Kinshasa, comme à son habitude, au milieu de la nuit, après nous avoir précisé qu’ils arriveraient à 16h30. Au moins, nous avions désormais en Afrique du Sud, des représentants du gouvernement, du RCD et du MLC : c’étaient les seules parties en mesure de trouver une issue. Le lendemain matin, 25 février, le DIC devait reprendre. L’ambassadeur de la RDC en Afrique du Sud, Bene’t Mpoko, exprima le mécontentement de son gouvernement devant la concession accordée à Jean-Pierre Bemba. Je ne voyais pas pour l’instant en quoi nous aurions fait une prétendue concession, mais j’espérais bien que l’une des parties congolaises en ferait une. Le groupe de politiciens qui avaient assisté à la réunion de Gaborone ne voulut pas partager un quota de places avec ceux qui n’y avaient pas assisté. Apparemment, ils s’y opposèrent davantage pour des raisons d’intérêt personnel que par principe. Quant à lui, Jean-Pierre Bemba avait toujours voulu restreindre la représentation de l’opposition politique à ceux qui avaient assisté à la réunion préparatoire. J’avais l’impression que le DIC ne commencerait jamais tant que les parties resteraient si inflexibles. Dès lors que les décisions étaient à prendre par consensus, et non par voie de scrutin, quelle importance qu’il y eût dans la salle quelques politiciens de plus qui « soutenaient le gouvernement » ? Or, selon le calcul politique congolais, c’était très important, car les participants au DIC étaient déjà considérés comme le noyau d’une future assemblée nationale. Mon téléphone portable sonnait sans arrêt pour me communiquer un mélange de décisions coûteuses à prendre – par exemple : retenir 201

des avions affrétés ou les repositionner – et de casse-tête politiques que nous ne pouvions résoudre. Les dirigeants régionaux étaient maintenant engagés aussi. Personne ne pouvait se permettre encore autre réunion coûteuse qui ne produirait aucun résultat concret. Le matin, nous réorganisâmes la cérémonie d’ouverture. Katumba Mwanke nous dit que le Président Kabila était en route. Les Présidents Mwanawasa, Muluzi et Mbeki arrivèrent. Un déjeuner de bienvenu fut offert à tous ceux qui étaient arrivés et nous installâmes les Présidents dans une salle d’attente réservée aux personnalités, dans les coulisses du Sun City « Superbowl ». Pendant qu’ils se consultaient, nous attendions. Le corps diplomatique arriva, pressé de savoir ce qui se passait. À vrai dire, je n’en savais rien. Finalement, les Présidents émergèrent et l’événement fut rouvert dans une atmosphère plutôt sobre. Les sièges du MLC et de quelques partis politiques étaient vides. La salle était dans la pénombre et le Président Kabila avait l’air tendu en écoutant les remarques de circonstance prononcées par le Président Mwanawasa, le Président Muluzi et Amara Essy, dirigeant de l’UA. Haile Menkerios, qui représentait l’ONU, lut un message de Kofi Annan et la séance fut levée. Ce ne fut pas une occasion inspirante. Pendant la nuit, les « Vingt » arrivèrent en Afrique du Sud et furent conduits dans un hôtel à la sortie de Johannesburg ; ils ne furent pas amenés à Sun City. Le lendemain matin, nous discutâmes du meilleur moyen d’aborder les négociations qui, espérions-nous, résoudraient l’impasse. On m’envoya présider la session plénière, qui était à 60% complète, et je communiquai toute l’information dont je disposais, avant de lever la séance jusqu’au lendemain. Ensuite, nous envoyâmes des représentants auprès de chaque composante afin de solliciter leurs vues – c’était, après tout, leur processus. Au cours des 8 jours à venir, le DIC entrait tous les matins en séance formelle ; puis la séance était levée et nous entreprenions des négociations patientes avec chaque composante en cherchant à parvenir à un consensus qui permettrait au dialogue proprement dit de redémarrer – sans pour autant détruire notre position morale en tant que gardiens de l’Accord et des Principes de Lusaka ni accorder aux trois principaux belligérants le droit d’opposer un veto à une décision à laquelle nous serions arrivés avec l’une des autres composantes.

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C’était, certes, ce que je voyais de mon propre point de vue, mais les enjeux étaient élevés et toutes sortes de consultations privées impromptues avaient lieu aussi entre les dirigeants régionaux et les Congolais, entre nous et les parties et entre nous et les Sud-africains. Le stress physique engendré par ces négociations constantes était épuisant. Le temps perdu, frustrant et coûteux, avalait les fonds des donateurs ainsi que leur bonne volonté, sans porter visiblement de fruits. À un moment je trouvai l’une de mes collègues en larmes après avoir écouté un appel personnel émouvant lancé par QM aux Congolais : il leur avait demandé de ne pas détruire leur seul espoir de légitimité politique et de reconstruction nationale en se perdant dans des arguments techniques et de procédure. Bien entendu, ce n’étaient pas des arguments de procédure, en réalité ; ils en prenaient l’apparence, parce que c’était plus acceptable que de reconnaître ouvertement que les parties étaient engagées dans la lutte pour s’assurer des fonctions et s’accrocher ainsi au pouvoir. En fin de compte, quand les Congolais finirent par s’apercevoir qu’ils avaient tout l’air de vouloir détruire non seulement leur processus de paix mais aussi l’homme d’État neutre qu’ils avaient choisi pour le présider, ils commencèrent à se demander comment s’en tirer sans trop perdre la face. Pendant ce temps, le Pr. Lebatt recevait des menaces et fut même bousculé dans un ascenseur. À propos de cet incident ainsi qu’au sujet de toutes les questions de sécurité, je me retrouvai être le point focal de discussions avec les services de sécurité sud-africaines. Quelques membres de notre personnel étaient inquiets que ces derniers fussent apparemment omniprésents. Pour ma part, j’estimais que nous n’avions rien à cacher, et j’étais content que notre État hôte surveillât d’aussi près que possible le processus. Les services de sécurité étaient responsables de la sécurité de tous, et nous devions accepter qu’ils fussent, quoique d’une manière discrète, partout. Cela avait son côté comique. Un agent de sécurité, pas habitué aux grands centres touristiques, était entré dans des toilettes pour dames pour se soulager et s’était assis sur le siège en posant soigneusement son pistolet à ses pieds. La dame dans le cabinet voisin poussa un cri et s’enfuit terrifiée. Au bout de quelques minutes il y eut un cordon de police et le bruit courait que les services de sécurité avaient appréhendé un assassin.

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Mais il y avait des inquiétudes plus graves. La délégation gouvernementale de la RDC se plaignit à moi qu’il y eût partout des agents des services de renseignement rwandais et je dus demander à nos hôtes de restreindre l’admission à Sun City. Sun City était une entreprise privée et son activité principale – fournir loisirs et plaisirs aux touristes et aux vacanciers, aux joueurs et autres viveurs – battait son plein autour de nous et de nos réunions. Sun City ne voulait pas perdre d’affaires et le gouvernement sud-africain ne voulait pas monter une opération de sécurité plus agressive et visible. Le gouvernement congolais, en revanche, était plus habitué à un concept de sécurité où figuraient des cercles d’hommes armés imposants autour de chaque dignitaire. Le gouvernement sud-africain s’y prenait autrement. Son approche semblait efficace dans la mesure où il n’y eut aucun incident majeur de sécurité. Au début, je vis les agents de sécurité confrontés à un défi, où j’eus moi-même un rôle aussi bref qu’insignifiant. Les partisans du UPDS d’Étienne Tshisekedi étaient nombreux en Afrique du Sud et savaient se faire entendre. En tant que citoyens congolais, ils décidèrent qu’ils assisteraient au Dialogue inter-congolais. Nous ne pouvions les empêcher de venir à Sun City, mais nous ne pouvions pas non plus admettre en plénière un grand groupe de partisans d’un seul élément d’une des cinq composantes, même si nous trouvions souhaitable par ailleurs que les Congolais surveillent les débats de leurs dirigeants. Ces partisans étaient déjà représentés par leur leader, et ils allaient devoir se contenter d’être dans les couloirs, mais pas dans la salle plénière. Ils étaient mécontents et se mirent à manifester, à investir les espaces réservés à l’accréditation et à effrayer les vacanciers. Très vite un groupe de robustes policiers les affronta dans le couloir. Les directeurs du centre me demandèrent d’aller parler aux Congolais, puisque ni eux ni les policiers ne parlaient français. Avant de me lancer, j’échangeai quelques mots à voix basse avec l’un des policiers. Il me demanda d’aller attirer le manifestant le plus bruyant dans une salle sur le côté de manière à pouvoir lui parler et à lui demander de disperser ses collègues. « Soyez sans crainte, » me dit le policier, devinant mon inquiétude, « nous serons juste derrière vous ». Je réussis à calmer l’homme et à le dégager de son groupe. Dans la salle sur le côté, les policiers expliquèrent par mon intermédiaire qu’en Afrique du Sud on avait le droit de manifester mais non pas d’empêcher autrui d’exercer ses fonctions. Auraient-ils donc 204

l’obligeance de se calmer, de sortir et d’adresser leurs plaintes à nousmêmes ou à leurs dirigeants ? L’homme accepta de partir mais fut vite submergé par un flot de partisans scandant des slogans et demandant d’entrer. À ce moment-là, les policiers se déployèrent de façon à bloquer le couloir d’une manière qu’il faut bien appeler menaçante, montrant qu’ils étaient prêts, au besoin, à recourir à la force. Les Congolais comprirent et ma piètre tentative pour négocier une solution fit place à une démonstration de force – stratégie parfois nécessaire pour désamorcer un conflit. Il n’y eut plus de manifestations notables. QM présida une réunion des partis politiques qui avaient été présents à Gaborone et leur demanda de trouver eux-mêmes une solution. Rre Mogwe et le Pr. Lebatt briefèrent les groupe des « Vingt ». Kofi Annan téléphona pour encourager QM à ne pas se laisser abattre. Je discutai avec Olivier Kamitatu des dispositions à prendre pour la délégation du MLC au cas où elle accepterait de venir. Il dit que le MLC se déciderait dès qu’il aurait vu la liste des délégués des partis politiques. Nous parlâmes de tactique avec trois sudafricains de haut rang. Ils affirmèrent que dans leur propre lutte contre l’apartheid, ils avaient dû apprendre à accepter des compromis tactiques vis-à-vis de leurs principes, dans l’intérêt d’obtenir un avantage stratégique plus important. QM répondit que c’était en adhérant à ses principes que le Botswana avait survécu – de cette façon-là, dit-il, si quelque chose allait de travers, on avait toujours une défense. Ce fut un échange révélateur. Dans le cas des partis congolais, je comprenais pourquoi QM était aussi têtu que Jean-Pierre Bemba. Il savait bien que s’il s’écartait de ses principes – neutralité et traitement égal conformément à Lusaka, ainsi que non-ingérence des belligérents dans les affaires des autres composantes – chaque base sur laquelle il avait construit son rôle commencerait à s’effondrer. Pendant ce temps, au Botswana, Rre Mogwe et Ugo étaient aux prises avec la désignation des délégués Mai Mai. Nos collègues devaient identifier un groupe suffisamment représentatif et créer une sorte de collège électoral qui tiendrait compte de la fragmentation considérable des Mai Mai. Certains tiraient l’essentiel de leur soutien de l’un ou l’autre des belligérants. Donc, quoi que l’on suggérât, d’autres s’y opposaient. Les belligérants eux-mêmes avaient proposé huit noms. Nous en ajoutâmes encore six et réussîmes à en faire venir

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au Botswana onze sur le total de quatorze.48 Il fallait couvrir cinq axes géographiques d’activités Mai Mai : le Grand Nord ; WalikaleBunyakiri-Shabunda ; Fizi-Uvira-Kabambare ; Mwenga ; et LubutuPunia. Lorsque le groupe fut réuni, il apparut clairement que tous n’étaient pas des Mai Mai. L’un d’entre eux, par exemple, se dit chef traditionnel tandis qu’un autre prétendit avoir été prisonnier du RCD. Sur ce, l’observateur du RCD refusa de continuer à participer. Un autre « Mai Mai » demanda l’asile au Botswana. Un autre encore se déclara « guerrier mongol », c’est-à-dire un Hutu luttant pour obtenir la nationalité congolaise, non pas un Congolais combattant les Banyarwanda. Finalement, un rapport de 13 pages fut rédigé exposant de quelle manière huit représentants avaient été sélectionnés. Le RCD contesta ce rapport et accusa Ugo Solinas de privilégier le gouvernement et d’être « malin ». Il semblait que nous eussions trouvé une solution acceptable à tous sauf au RCD, qui menaça de partir si nous poursuivions sur cette base. Le Pr. Lebatt alla en discuter avec Azarias Ruberwa. Nous avions aussi d’autres problèmes à résoudre. Nos présidents de commission étaient tous des personnes occupées, expérimentées et importantes à part entière. Tandis que nous nous agitions à essayer d’éteindre des feux politiques, ils restaient assis dans leurs hôtels à se demander ce qu’ils faisaient là ou bien vaquaient à leurs affaires à l’extérieur, en attendant d’être rappelés et sommés de se mettre au travail. Ils estimaient qu’ils auraient pu être plus directement impliqués et peut-être avaient-ils raison. Je compris leur frustration quant à cette inactivité mais, en l’occurrence, ils allaient être mis à rude épreuve dans leurs commissions Autre groupe frustré : trois bailleurs de fonds importants – les États-Unis, le Canada et la Belgique. Ils souhaitaient assister aux sessions plénières, si tant est que celles-ci aient lieu, avec les autres observateurs accrédités à Gaborone (à savoir le pays hôte, la Zambie, l’ONU, l’UE et l’UA). Je compris également les frustrations de ce trio, mais nous ne faisions que suivre les directives des Congolais, nous ne les élaborions pas. 48

Si les Mai Mai n’étaient pas habitués à descendre dans des hôtels confortables, ils savaient très bien faire fonctionner les téléphones : leurs notes étaient astronomiques. Ils étaient aussi très exigeants et Malebogo Bakwena, notre chef du bureau, dut s’armer de patience pour s’occuper des leurs demandes incessantes.

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Nous nous engageâmes à soulever la question avec les parties, mais elle ne pouvait être résolue tant que nous n’aurions pas réussi à les réunir autour de la table. Or cela commençait à nous paraître impossible. De nouvelles pressions sur les parties affluaient à présent de leurs régions respectives ; on leur faisait comprendre qu’ils pourraient avoir du mal à rentrer au pays s’ils ne commençaient pas à montrer quelques résultats de leurs interminables discussions. Une plénière fut convoquée et les Congolais qui y assistèrent dirent que les partis politiques étaient presque arrivés à une solution à la question de leur propre représentation. Nous levâmes la séance pour attendre leur « procès verbal ». L’après-midi du 5 mars, à 16h30, nous commençâmes une réunion de six heures avec les belligérants. Azarias Ruberwa, Bizima Karaha et Jean-Marie Emmungu représentaient le RCD ; Vital Kamerhe et Augustin Katumba le gouvernement ; et Olivier Kamitatu, François Mwamba et Alexis Thambwe le MLC. Quelque temps après le début de la réunion nous reçûmes une déclaration de la part des partis politiques disant qu’ils avaient décidé d’être représentés comme une seule composante par 68 délégués. Cela fut longuement débattu par les belligérants jusqu’à ce QM fût obligé d’avancer qu’ils perdaient leur peine et leur temps. Accepteraient-ils oui ou non comme une possibilité d’avancer ce que leurs compatriotes proposaient ? Notre attention fut détournée ensuite par une discussion sur les combats continus dans le Sud-Est de la RDC, les décisions de QM relatives aux huit représentants pour la totalité des Mai Mai et seize pour le RCD-ML et la question de savoir si cela était contraire aux souhaits des belligérants tels qu’exprimés à Abuja. Finalement, nous réussîmes à ramener la discussion sur le compromis, qui fut accepté. Le nombre de représentants pour chaque composante allait donc monter de 55 à 68 et les « Vingt » seraient admis, moins MM. Kibassa et Vunduawe. Le nombre total de délégués s’élèverait donc à 361. Je trouvai cela inélégant et coûteux, mais cela ouvrait effectivement une possibilité et nous devions accepter que la continuation fût à ce prix. Les parties remercièrent QM de sa patience et s’en allèrent convoquer leurs cohortes supplémentaires. Bo Heineback et Gopi Kumar firent les calculs et expliquèrent les implications aux bailleurs de fonds. Le gouvernement sud-africain accepta de prendre en charge 207

les frais supplémentaires. Nos collègues de Kinshasa se remirent à affréter des avions, pour aller chercher aussi bien la délégation complète du MLC que les extra de chaque groupe. Le 6 mars à 09h30 la plénière du DIC relança le processus, avec une prière. Nous demandâmes à chaque délégué de se lever pour être validé par ses pairs. Le seul problème était les divisions internes du RCD-ML. Mbusa Nyamwisi s’opposa au nombre de 16 délégués alloué à son groupe, mais son objection fut rejetée par QM et il fut prié de s’en occuper en dehors de la plénière. Un sous-comité fut alors mis en place pour approuver le règlement intérieur et l’ordre du jour – au motif que ce serait plus rapide de procéder ainsi que de passer par la plénière. Khalifa Sall, jeune politicien sénégalais à l’esprit agile, qui siégeait à notre Commission économique et financière, fut nommé président de ce comité et se montra très efficace ; il réussissait à intégrer dans sa démarche un respect de la procédure et du protocole ainsi qu’une énergie pragmatique focalisée sur la nécessité d’avancer dans l’ordre du jour. Les délégués supplémentaires commençaient à arriver et à recevoir leur accréditation. Un certain nombre de Congolais qui avaient apparemment obtenu des badges d’observateur par des moyens frauduleux furent renvoyés. Les Mai Mai arrivèrent et demandèrent d’emblée à changer de chambre : ils avaient été alarmés par le message qui les attendaient à l’écran de la télévision dans chacune de leurs chambres – « Bienvenue aux Mai Mai » – et par la découverte d’une douille de cartouche dans l’une des chambres ; c’était de mauvais augure, selon eux. Ce ne fut pas notre seul problème de logement : en raison d’une réservation préalable de Sun City, nous dûmes déplacer environ un quart des délégués de leurs chambres et les loger ailleurs pendant deux nuits. Nous avions nommé un membre du personnel pour assurer la liaison avec chacune des composantes et « entités » et, avec l’aide de Toure de notre bureau de Kinshasa et le personnel sud-africain très efficace chargé de l’organisation de la conférence, cet exercice plutôt compliqué et peu commode fut mené à bien, on ne sait trop comment. Ce fut un grand dérangement, mais il y eut peu de plaintes. Le prochain obstacle allait être la perte du « Superbowl », également en raison d’une réservation préalable, et la création une sorte de réplique – grande salle plénière avec salles de travail et de service attenantes – dans le parking de Sun City, par l’intermédiaire d’entrepreneurs privés chargés d’ériger un complexe de tentes climatisées, véritable « Tent City ». 208

À la session plénière, un groupe de femmes congolaises s’étaient procuré notre accord pour faire une présentation aux délégués sur les réalités de la guerre au Congo. Elles investirent la zone centrale entre les délégations et évoquèrent un tableau dramatique de mort, de viol, de pillage et de désespoir – tableau qui n’eut aucun impact perceptible sur l’assistance, en majeure partie masculine, et nous reprîmes nos travaux. Nous obtînmes un accord sur l’ensemble du Règlement intérieur à l’exception de la question d’une augmentation du nombre d’observateurs internationaux, au sujet duquel s’ensuivit une longue discussion qui n’aboutit pas à un consensus. Nous entendîmes ensuite les discours d’ouverture des chefs de délégation. Dans le monde anglophone, l’art oratoire a cédé le pas à la culture du numérique et aux simplifications télévisuelles. De moins en moins d’anglophones connaissent les parties du discours, savent analyser une phrase ou écrire sans fautes d’orthographe – encore moins s’adresser avec confiance et conviction à une assistance. Quelques-uns se montrent à la hauteur lors d’un dîner privé ou d’un mariage, mais l’art oratoire est en voie de disparition. Dans le monde francophone d’Afrique, en revanche, l’éloquence est encore très importante. Les dirigeants congolais parlent un très beau français. Pendant trois heures, leur rhétorique prenait son essor, plongeait, planait – élégante, éloquente, convaincante. Si les guerres n’étaient que des paroles, tous seraient vainqueurs. Au nom du gouvernement, She Okitundu présenta un historique clair du chemin qui a mené jusqu’à Sun City, et il demanda qu’il y ait un Tribunal criminel international pour le RDC et que « les agresseurs » quittent le pays avant le 12 avril. Jean-Pierre Bemba eut un ton à la fois plus rhétorique et plus nationaliste. Il compara les luttes des Congolais avec les souffrances des Sud-africains pendant leur lutte contre l’apartheid. Le Dr Onusumba remercia la Facilitateur et son équipe de leur patience et détermination. Il passa ensuite en revue l’histoire du Congo et quelques-uns des problèmes que les Congolais avaient à résoudre. Il présenta aussi un résumé des ses vues sur la transition, qui comporterait une constitution fédérale, un Premier ministre et des Vice-Présidents, un Sénat et des Députés du DIC – c’était la première fois que nous recevions une vraie indication de ce que pensait une partie sur la composition du gouvernement de transition. Le Pr. Wamba dia Wamba se lança sur une longue analyse de l’essoufflement de la politique mais QM coupa court à son 209

intervention qui avait dépassé le temps prescrit. À un autre moment s’éleva le cri de « Motion d’ordre, motion d’ordre ! » À ma grande surprise, QM passa outre à cette objection en expliquant : « Si je n’ai pas au moins cette autorité-là, je n’ai rien à faire ici. » Il voulait venir à bout des discours d’ouverture et éviter d’aggraver le retard déjà pris. Comme nous avions pris les dispositions nécessaires pour que tout le DIC fût enregistré, il y a dans les archives un trésor qui attend d’être transcrit : pas moins de trente-quatre discours pour donner à réfléchir aux futurs étudiants de la politique congolaise. Ce soir-là, nous avions prévu un braai (barbecue sud-africain) dans la réserve voisine du Pilanesberg, mais le risque de pluie fut jugé trop grand et nous nous retrouvâmes dans l’environnement fantastique du « Hall of Treasures », tout en grottes artificielles et en sculptures oniriques. Cela faisait plaisir de voir les délégués commencer à se détendre et de pouvoir bavarder avec eux en dehors du cadre qui nous réunissait normalement où il fallait répondre aux incessantes requêtes pour changer tel règlement, faire telle exception ou reprendre tel débat. J’espérais qu’ils commenceraient à arriver ensemble à quelques conclusions, mais j’avais sous-estimé la propension des différents camps d’une guerre civile arrivée dans l’impasse à gagner, à force de manigances, ce qu’ils n’avaient pas réussi à gagner par les armes. La lutte était à peine commencée. Le lendemain, samedi, une réunion plénière fut convoquée. Elle traîna en longueur sans que l’on accomplît grand-chose ; toutefois, l’ordre du jour fut approuvé en grande partie, avec une ou deux divergences, qui furent dûment notées en annexe. Finalement, la question épineuse des observateurs étrangers fut soumise à un souscomité, avec un « bureau » pour représenter chaque groupe. Les gens étaient fatigués et pas encore bien installés. Nous avions pris des dispositions pour passer le film remarquable sur Patrice Lumumba du cinéaste cubain Raoul Peck, à l’intention de tous ceux qui désiraient le voir le lendemain, dimanche. QM et Rre Mogwe rentrèrent chez eux au Botswana pour 24 heures et les seuls travaux officiels prévus furent les discussions du sous-comité que nous venions de former. Ce fut le Pr. Lebatt qui présida celles-ci. Au bout de trois heures, les vingt participants firent une pause café et je me joignis à eux. On m’appela pour que je me charge d’un dirigeant Mai Mai autoproclamé qui était arrivé à Sun City et demandait le remboursement de son ticket 210

d’avion, du logement et son accréditation. Je lui dis que nous n’avions aucune connaissance préalable de ses requêtes et qu’il ne pouvait pas se bombarder représentant Mai Mai sans crier gare, mais il mit longtemps à comprendre que nous ne plaisantions pas. Je dus appeler Ugo à l’aide et j’étais content que l’individu ne fût pas armé. Le souscomité continua jusqu’à 02h00 et, selon l’observation inscrite dans mon journal, « revint au point de départ ». Il ne pouvait se mettre d’accord sur ce qui avait été convenu à Gaborone et, en fin de compte, s’en tint là. Le lendemain matin nous étrennâmes notre cité de tentes, qui s’avéra confortable et ne suscita aucune plainte. Nous achevâmes l’approbation de l’ordre du jour et réussîmes enfin à répartir les Congolais en Commissions, travaillant dans des tentes séparées disposées autour du parking, sous la direction de Commissaires et avec l’aide d’un personnel de soutien fourni par notre bureau ou recruté à l’extérieur. Ces commissions étaient les suivantes : Défense et Sécurité : général Abu Bakr, Babagana Kingibe, colonel Seck et Ten Ten. Politique et Juridique : Mustapha Niasse, Pr. Mbodj, Cedric Mirzel et Primrose Oteng. Humanitaire, Sociale et Culturelle : Ellen Johnson Sirleaf, MarieAngélique Savanné, A. Atsain, Shelly Whitman. Paix et Réconciliation : Pr. Albert Tevoedjre, Alain Sigg, Thomas Ridaeus, Ugo Solinas Économique et Financière : Ahmed Ould Abdallah, Khalifa Sall, Malik Dechambenoit.. La nomenclature et la répartition des Commissions ne me plaisaient pas. À mon avis, il aurait été plus utile de n’en avoir que quatre, comme nous l’avion proposé à l’origine : Défense, Politique, Économique, Paix et Réconciliation. Une telle répartition était plus simple et suivait de près les divisions naturelles impliquées par l’Accord de Lusaka. Cependant, nous étions là pour servir les Congolais, non pour leur dire quoi faire ; aussi les cinq commissions 211

étaient-elles conçues conformément à leurs souhaits, chacune composée d’environ 75 délégués. Par ailleurs, nos Commissaires ne pouvaient pas tous rester pendant les six semaines prévues pour la durée du DIC. Ainsi Khalifa Sall et Marie-Angélique Savannée durent-ils assurer respectivement une bonne partie de la présidence de la Commission Économique et Financière et la Commission Humanitaire, Sociale et Culturelle. Les deux Commissions les plus controversées furent naturellement la Commission Politique et Juridique et la Commission Défense et Sécurité. Les autres semblaient fonctionner dans une certaine harmonie et une relative bonne volonté – contre les attentes de certains sceptiques. Ce soir du 11 mars, à 18h00, QM eut des nouvelles de ses Commissaires. La Commission Politique et Juridique n’avait pas vraiment commencé et Mustapha Niasse reconnut que ce serait une commission particulièrement difficile. L’équipe Défense et Sécurité avait déjà été retardée par la réticence du gouvernement à commencer sans certains conseillers qui n’étaient pas encore arrivés – réticence qui n’augurait rien de bon pour la suite. Les membres de cette commission ne pouvaient jamais s’entendre sur le sens des prévisions de l’Accord de Lusaka relatives au traitement des forces armées. Allaient-ils former une nouvelle armée ? ou une armée intégrée ? La différence principale tenait à ce que le gouvernement voulait que les rebelles s’engagent dans les forces armées congolaises tandis que les rebelles voulaient que tous les groupes armés soient amalgamés dans une nouvelle armée nationale, non pas dans l’armée existante. D’une part, leurs approches reflétaient la vue du gouvernement selon laquelle il cédait pouvoir et position à des personnes qui avaient collaboré avec des agresseurs étrangers dans une invasion non provoquée ; d’autre part, elles reflétaient la vue des rebelles, qui contestaient la légitimité de toutes les parties tant que le DIC n’aurait pas eu lieu et qu’il n’aurait pas organisé un nouvel ordre politique et de nouvelles structures pour toutes les forces de sécurité. Ayant assisté à la prestation de Mwenze Kongolo à Addis-Abeba, je trouvai que le durcissement apparent des positions du gouvernement avait un rapport avec l’arrivée dans la délégation de cet homme, alors ministre de l’Intérieur, personnage bien moins conciliant que She Okitundu ou même Katumba Mwanke.

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Les délégués continuèrent à travailler en commissions pendant trois jours et les Commissaires rendaient compte chaque soir à QM. Les trois commissions plus « douces », chargées de l’économie, de la réconciliation et des affaires humanitaires et sociales, semblaient bien travailler et faire de bons progrès. Les militaires passèrent trois jours et demi bloqués sur la définition et la composition d’une nouvelle armée. Le gouvernement rejeta son ordre du jour tel qu’il avait été formulé par la plénière. Mwenze Kongolo s’absenta, ce qui ralentit encore davantage le progrès. Babagana Kingibe et le Pr. Lebatt partirent à la recherche de Mwenze Kongolo et de Katumba Mwanke pour essayer de résoudre leur aversion pour le mot « nouvelle », s’agissant de l’armée. Les politiciens et hommes de loi, selon les rapports de Mustapha Niasse, mirent sept heures à expédier le premier des 21 points à leur ordre du jour – processus impliquant 38 intervenants et pas moins de 40 « motions d’ordre ». Au cours des deux journées suivantes, la composition des délégations du gouvernement commença à changer et un ministre, au moins, MarieAnge Lukiana, fut rappelé à Kinshasa. Jean-Pierre Bemba retourna à Gbadolite et le Dr Onusumba partit au Gabon, pour des raisons qui ne nous furent pas communiquées. 49 Le Président Mbeki prit des dispositions pour voir le Président Kagame et voulut que les parties en fussent averties. Nous ne comprîmes pas ce qui se tramait, mais cela devint plus clair lorsque le gouvernement retira complètement ses équipes du travail en commissions, mais non pas du DIC, en se plaignant que le RCD avait attaqué ses troupes dans le sud-est du Katanga. L’attention des délégués était désormais ailleurs : les chiens de guerre n’étaient plus en laisse.

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On nous informa plus tard qu’il était allé discuter de l’aide gabonaise pour la reconstruction de Goma à la suite des dégâts subis par la ville lors de l’éruption du Nyiragongo. Nous apprîmes aussi que d’autres délégués au DIC avaient été reçus par le Président Bongo au Gabon. Cela dut être en partie une tentative pour identifier d’éventuels éléments de quelque marché susceptible d’être présenté au DIC.

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CHAPITRE XV RETOUR À LUSAKA

Echos du Dialogue Intercongolais: En prévision de la réunion du Comité politique et celle des belligérants et pays signataires de l'Accord de Lusaka prévues dans la capitale zambienne ces 20 et 27 mars, les chefs rebelles réagissent. En effet, MM. Ruberwa (Rcd/Goma) et Kamitatu (Mlc) affirment que le Dialogue ne doit pas échapper aux Congolais. La délégation du gouvernement a quitté Sun City mardi matin pour Lusaka, tandis que les rebelles font le déplacement ce mercredi. Entre-temps, le Facilitateur Masire a reçu les délégués des composantes et quelques personnalités politiques mardi après-midi pour envisager la voie de sortie. (LE POTENTIEL, 19/3/02) Le général Mwaniki arriva à Sun City et nous présenta une évaluation militaire. Les combats avaient sans aucun doute repris dans le sud-est, entre le gouvernement, d’une part, et le RCD et ses alliés rwandais, de l’autre. Le gouvernement avait déplacé des troupes à travers la Zambie jusqu’à Moliro, un village de pêcheurs sur le lac Tanganyika. Elles avaient attaqué un endroit appelé Kamamba, à 120 km de là, situé sur la ligne de front du RCD. Le général Diallo, commandant de la force de la MONUC, s’était plaint auprès du ministre congolais de la Défense. Le gouvernement congolais avoua la violation du cessez-le-feu et retira ses troupes. Par ailleurs, des troupes rwandaises combattaient des Interahamwe près de Moba. Malgré la pression exercée par le Conseil de Sécurité et les États-Unis, le Rwanda renforçait ses positions, bien qu’il eût déclaré qu’il retirerait deux de ses cinq brigades de l’est de la RDC entre janvier et juin 2002. 50 50

Au moment de la rédaction de ces lignes, en novembre 2004, le président rwandais menace à nouveau de renvoyer ses troupes en RDC pour faire partir les exFAR et Interahamwe que l’ONU ne parvient pas à désarmer. La MONUC est obligée par son mandat à ne procéder qu’au désarmement volontaire et les unités nouvellement formées de l’armée du gouvernement viennent d’être autorisées à recourir à la force, le cas échéant. Les ententes précédentes entre le Rwanda et la

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QM tint plusieurs consultations. Malgré ses encouragements, le sommet des chefs d’État signataires de l’Accord de Lusaka n’avait jamais été reconvoqué. Aussi décida-t-il d’envoyer deux équipes auprès des Présidents ayant des troupes en RDC pour les exhorter à restreindre leurs alliés de sorte que le cessez-le-feu fût respecté et que le DIC pût reprendre. C’étaient eux qui avaient signé l’Accord et personne d’autre qu’eux ne pouvait le garantir. Rre Mogwe fut envoyé briefer les Présidents Mwanawasa, Mugabe, dos Santos et Nujoma, en compagnie du général Mwaniki et Katherine Jones, première conseillère auprès du SRSG Amos Ngongi. Le Pr. Lebatt, Haile Menkerios et le général Diallo furent envoyés auprès des Présidents Museveni, Kagame et Kabila. Haile Menkerios, diplomé de Harvard et ancien brigadier dans le EPLF, avait été envoyé au DIC par le Département des Affaires politiques de l’ONU pour représenter Kofi Annan. S’étant frayé un chemin jusqu’au pouvoir et étant devenu diplomate, il quitta le service de son pays en signe de protestation contre le style dictatorial de son ancien compagnon d’armes, le Président Issaias Afewerki. Il avait été auparavant ambassadeur d’Érythrée au Rwanda et connaissait donc le Président Kagame et l’establishment rwandais. Il avait été aussi, brièvement, l’un des conseillers de Laurent Kabila lorsque celui-ci faisait campagne pour renverser le Président Mobutu. Pendant son séjour en RDC il fit également la connaissance de Kabila fils. M. Menkerios s’avéra être un conseiller habile et un négociateur lucide. Dans nos discussions internes sur la meilleure voie à suivre, quelques membres de l’équipe estimaient que QM déchargeait toutes ses munitions diplomatiques en une seule salve. Les missions étaient la première action conjointe entreprise par les organes de l’Accord de Lusaka, le Bureau du Facilitateur, la CMM et la MONUC. Pour la première fois les aspects militaires et politiques de LUSAKA étaient reliés d’une manière explicite. Si la salve ne portait pas, il resterait peu d’options. Je sentais que QM était las de la dissimulation et de la procrastination constantes et voulait transférer une partie du fardeau sur les épaules de ceux qui avaient signé Lusaka et qui, par la suite, s’étaient montrés peu pressés de l’honorer. Il n’y avait aucun espoir de RDC n’ont pas marché. Plus vite la question sera résolue, moins le Rwanda aura de raisons de déployer des soldats en RDC.

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voir réussir le DIC s’il n’y avait pas, tout au moins, quelque preuve concrète d’un début de désengagement et de retrait étrangers effectifs. L’une des raisons de la réticence des armées étrangères à se retirer était évidemment leur capacité à se faire de l’argent avec les ressources congolaises. Cela faisait justement l’objet d’une révélation publique de la part d’une équipe de l’ONU chargée d’enquêter sur le pillage de la RDC. Peu avant cette crise, l’ambassadeur Kassem, président du Panel des Nations Unies sur l’exploitation illégale des ressources de la RDC, nous avait demandé si son équipe pouvait venir à Sun City pour s’adresser aux Congolais. Après mûre réflexion, nous refusâmes. Nous estimions la situation si délicate que l’arrivée d’une équipe d’enquête de l’ONU ne ferait que compliquer les choses, déséquilibrer la coopération fragile qui s’était fait jour et rendre plus difficile la tâche de maintenir le dialogue entre les parties. À Sun City nous fîmes rapidement des préparatifs de voyage pour les deux missions pour lesquelles Kofi Annan mit à notre disposition deux avions de l’ONU. Nous autres passâmes alors deux jours à attendre, préoccupés et tendus, des nouvelles de nos émissaires. Quelques membres de notre personnel, fatigués et frustrés, en profitèrent pour rentrer faire une pause rapide au Botswana. (Le voyage en voiture à Gaborone était agréable et ne durait que trois heures.) Le samedi matin nous apprîmes qu’il n’y avait pas eu de combat à Moliro mais que le RCD et les FAC avaient combattu à Pepa ainsi qu’au Katanga et à Mwenga dans le Sud-Kivu. On me demanda de parler au téléphone en kiSwahili à un « dirigeant Mai Mai » au Burundi, qui voulait que j’informe QM que leurs forces étaient attaquées du côté du Rwanda, à Uvira, dans le Sud-Kivu, près de la frontière entre le Congo et le Burundi. Jean David Leavitte, ambassadeur de France auprès du Conseil de Sécurité, avait annoncé dans le reportage à la une à la BBC et à CNN ce matin-là qu’une offensive rwandaise majeure se déroulait en RDC, impliquant entre sept et dix mille soldats qui attaquaient Moliro. La MONUC nous informa par la suite que, en vérité, les deux parties avaient violé le cessez-le-feu – le RCD en prenant le petit port de pêche de Pweto sur le lac Tanganyika et le gouvernement en occupant Moliro, qui se trouvait dans le secteur tombant sous le contrôle du RCD. Nous entendîmes dire par la suite que le RCD avait repris Moliro, ce qu’il 217

démentit. Pour l’instant, il semblait que la vérité fût l’une des premières victimes du brouillard de la guerre. Au milieu de tout cela, notre propre équipe eut une expérience fort désagréable. Notre secrétaire haïtienne, Margalie Germain, qui avait été détachée auprès de nous par la MONUC, était rentrée à Gaborone, avec Ugo Solinas, George Ola Davis et Primrose Oteng, pour revoir sa famille et s’accorder un petit repos. Vers 18h00 le soir du dimanche, mon portable sonna. C’était Primrose, sous le choc, qui me raconta que, en revenant vers Sun City, à peine entrés en Afrique du Sud, leur voiture avait capoté. Ils étaient quelque part non loin de la frontière du Botswana et Margalie avait une fracture du fémur. Je l’entendais qui hurlait dans le fond. Ugo et George, couverts de coupures et de bleus, étaient également en état de choc. Notre chef du bureau à Gaborone, Malebogo Bakwena, était le membre de notre équipe le plus proche, et nous la joignîmes pour lui demander d’accompagner un service appelé Medi-rescue afin de stabiliser Margalie et de l’amener à l’hôpital. En attendant, nous assurâmes à nos collègues que l’aide arrivait. Malebogo réussit à les trouver et à les évacuer, mais ce ne fut qu’après minuit qu’on nous confirma qu’ils étaient tous arrivés à l’hôpital à Gaborone. Il fallut opérer Margalie tard dans la nuit pour lui mettre une broche dans la jambe. Il y eut des complications, la chirurgie dut être refaite et il fallut longtemps à Margalie pour se remettre. Les autres se remirent du choc et de leurs bleus et blessures et purent retourner à Sun City après une période de repos. Le même soir, à 23h00, je m’assis dans la suite de QM pour entendre ce que le Pr. Lebatt et Rre Mogwe avaient à nous dire de leurs deux jours de tournée diplomatique en coup de vent. À 23h45 se joignirent à nous les généraux Diallo et Mwaniki, ainsi que Haile Menkerios et Katherine Jones. En un mot, ils avaient été bien reçus et il avait été convenu que le Comité politique se réunirait de nouveau à Lusaka le 20 mars ; une réunion au sommet des signataires de Lusaka suivrait. Le gouvernement de la RDC avait retiré ses forces de Moliro et avait publié une déclaration en ce sens. Le RCD aurait également à se retirer, de sorte que Pweto et Moliro pussent être démilitarisés et supervisés par les observateurs militaires de la MONUC ; il lui faudrait aussi publier une déclaration. Le lendemain matin QM briefa ses commissaires. Les raisons qui sous-tendaient la reprise des combats furent examinées ainsi que l’éventuel impact de la réunion du 218

Conseil de Sécurité prévue le lendemain pour discuter de la RDC. Une fois de plus, les commissaires sentaient qu’ils pouvaient faire davantage pour aider et ils soutenaient vigoureusement l’idée de faire envoyer par QM des directives écrites à Kofi Annan et à Amara Essy (chef de l’UA). L’un des commissaires releva aussi que les Congolais s’attendaient à un apport plus tangible de la part du Facilitateur au niveau d’une solution. QM, en revanche, estimait que c’était aux Congolais eux-mêmes de prendre la responsabilité principale. Aussi préparai-je un rapport de quatre pages, qui fut révisé par Mustapha Niasse, Babagana Kingibe et Haile Menkerios, approuvé par QM et envoyé à Kofi Annan le soir même, de sorte que ce dernier eût le temps de l’étudier avant la réunion du Conseil de Sécurité. Le rapport présentait un historique des événements intervenus depuis Addis-Abeba. En réponse au fait que le gouvernement s’était retiré des commissions et à la reprise des combats, nous avions envoyé, en l’espace de trois jours, deux missions conjointes – une mission MONUC/ CMM/ OF51, d’une part, et une mission OF/ ONU/ MONUC, d’autre part – auprès des sept chefs d’État signataires de l’Accord de Lusaka. Ces missions avaient pour objectif que les trois manifestations opérationnelles dudit Accord, à savoir la MONUC, le Bureau du Facilitateur et la CMM, préviennent les signataires que l’Accord commençait à se désagréger et qu’il leur fallait se réunir à nouveau afin de sauver le processus. Il leur fallait, en particulier, retirer leurs forces de la RDC, ainsi qu’ils en avaient convenu près de trois ans auparavant. Le quatrième bras de l’Accord de Lusaka, le Comité politique, ferait le travail préparatoire avant qu’ils ne se réunissent. Le DIC siégeait depuis trois semaines, la moitié de la durée totale prévue, et dix jours de cette période écoulée avaient déjà été perdus à cause de la dispute à propos du Groupe de Vingt et de la participation de la délégation du MLC. Par ailleurs, le RCD nous avait retardés avec leurs griefs concernant les observateurs et voilà que maintenant le gouvernement s’était retiré, sinon du DIC, du moins des commissions. Une fois de plus, les négociations étaient arrivées à une impasse. Il nous restait beaucoup à faire et peu de temps pour y parvenir, à moins que les parties ne fassent preuve d’un engagement plus entier. Il était important que le Secrétaire général de l’ONU et le Conseil de Sécurité comprennent cette série d’événements et ses 51

Bureau du Facilitateur (Office of the Facilitator)

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implications avant de voter une résolution sur la RDC. Dans sa lettre d’accompagnement, QM remerciait Kofi Annan du soutien qu’il avait déjà réussi à nous accorder et demandait aux membres permanents du Conseil de Sécurité d’exercer une pression sur les gouvernements de la RDC, du Rwanda et du Zimbabwe ainsi que sur le RCD et le MLC pour qu’ils respectent les dispositions de l’Accord de Lusaka. (L’Ouganda et l’Angola ne semblaient alors impliqués dans aucune violation grave du cessez-le-feu. Les troupes de la Namibie avaient été retirées.) QM réclamait par ailleurs de nouvelles résolutions visant au maintien de l’élan en faveur de la paix dans la région des Grands Lacs, par l’intermédiaire des processus de Lusaka et d’Arusha. 52 QM était aussi en rapport avec le Président Mwanawasa, qui avait repris la supervision de l’Accord de Lusaka assurée jusque-là par la Zambie. Le Président Mwanawasa contacta les chefs d’État impliqués, mais les Président Kabila et Mugabe n’étant pas disponibles, le sommet ne put avoir lieu que le 3 avril. Le Président Mwanawasa dit aussi à QM que la Zambie recevait un afflux de plus en plus important de soldats et de civils qui fuyaient les combats au Katanga. Plus tard, le Pr. Lebatt rencontra MM. Kongolo et Katumba de la délégation de la RDC, en présence du général Diallo, commandant de la force de la MONUC. Ils se plaignirent de la MONUC et il fit de son mieux pour répondre à leurs préoccupations. Ils dirent qu’ils étaient prêts à reprendre le travail si le Comité politique se réunissait pour aborder les questions qui les avaient obligés à se retirer des commissions. Le Président Kabila avait posé trois conditions préalables à l’éventuelle reprise des travaux par la délégation gouvernementale : le retrait militaire du RCD des positions qu’il avait occupées au Katanga ; une déclaration publique en ce sens ; et une réunion du Comité politique de l’Accord de Lusaka. Les deux premières conditions ayant été remplies, nous affrétâmes rapidement des avions pour Lusaka afin de nous assurer que les parties y arriveraient à temps pour assister à la réunion du Comité politique, aux côtés de Rre Mogwe et de Malik Dechambenoit de notre bureau, en tant qu’observateurs. Le 19 mars le Conseil de Sécurité adopta à l’unanimité une résolution réclamant le retrait « immédiat et inconditionnel » des troupes du RCD de Moliro, ville située sur la rive sud-ouest du lac 52

Le processus d’Arusha portait sur la guerre civile au Burundi.

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Tanganyika, au Katanga, dans le sud-est de la RDC. Cette résolution qualifiait la prise de la ville par le RCD de « violation majeure » de l’accord de paix de Lusaka. Dans nos discussions internes, l’un de nos conseillers avait peur que la situation militaire serve de prétexte pour perturber les négociations et intensifier la pression sur le Rwanda pour qu’il se retire de la RDC, première préoccupation du gouvernement. D’autres estimaient que, si c’était le cas, le DIC était condamné à ne pas pouvoir fonctionner et qu’il serait donc peut-être préférable de profiter du prochain sommet pour faire dégager par un groupe plus petit les rudiments d’un ensemble de compromis que les parties pourraient accepter afin de mettre en place un gouvernement de transition et de nouvelles institutions. D’autres relevèrent qu’il nous restait 21 jours et que nous étions donc arrivés à mi-chemin de la durée prévue du dialogue, que nous avions 360 délégués présents, et que, avec de la patience, nous devrions pouvoir obtenir d’eux un effort accru. QM décida de voir séparément les chefs de chacune des composantes dans l’espoir de les convaincre de reprendre les travaux, sous réserve des résultats du Comité politique. Si cela échouait, nous pourrions envisager l’option d’un groupe restreint de négociateurs.53 Il les rencontra donc tous et fut encouragé à poursuivre dès que le Comité politique aurait terminé sa révision. Les composantes n’étaient pas contre une forme quelconque de comité négociateur, si celui-ci pouvait aider à avancer sur les questions centrales telles que la composition du gouvernement de transition. Comme on pouvait s’y attendre, étant donné la complexité du processus, nous eûmes à régler plusieurs problèmes « domestiques ». L’interprète de QM, Haïfa Bedreddine, d’une patience à toute épreuve, était complètement épuisée et avait besoin de se ressourcer. Heureusement, elle put prendre quelques jours de repos et nous revint revigorée. De surcroît, le personnel de notre bureau des finances avait reçu des menaces de la part d’un des délégués, à qui je dus réclamer une lettre d’excuses par l’intermédiaire de son chef de délégation avant que notre personnel accepte de traiter à nouveau avec lui. Étant donné qu’une centaine de personnes étaient impliquées et qu’elles devaient se tenir à disposition pendant de très longues heures, le stress 53

Cette idée est commune à toute négociation de ce genre : ce fut en effet la constitution d’un groupe plus petit avec un objectif clairement défini et plus restreint qui permit, en fin de compte, de conduire l’ensemble du processus à sa conclusion. Comme quoi les sous-comités peuvent être utiles.

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éprouvé par le secrétariat de la conférence était inévitable ; les difficultés étaient de plusieurs ordres : conditions et modalités divergentes pour la facilitation et pour le personnel de l’ONU, telles que le droit à une voiture, les factures soins médicaux, mais aussi toutes les tensions humaines normales lorsque des groupes ad hoc importants sont mis sous pression dans une espèce de vivier pacificateur. Par exemple, j’avais pris la décision de régler les factures soins médicaux d’un Congolais à Sun City qui s’était effondré devant notre bureau – il s’avéra être conseiller, non pas délégué, et de ce fait n’y avait pas droit. Sans doute mes antécédents humanitaires refaisaient-ils surface. L’intéressé se montra extrêmement reconnaissant. Toutefois, les 361 délégués avaient déjà fait venir, toutes parties confondues, 201 conseillers accrédités, et le nombre croissait. Nous n’avions pas accepté de prendre en charge leurs frais d’hébergement et de transport, à plus forte raison leurs frais médicaux, et nous dîmes à chaque composante que nous n’accepterions et n’accréditerions plus de « conseillers ». Par ailleurs, nous ne pouvions exiger de nos commissaires d’attendre plus longtemps que leurs commissions reprennent, et plusieurs d’entre eux avaient besoin de s’occuper d’autres affaires dans l’intervalle54. (Nous nous étions assurés qu’il y aurait des remplaçants compétents, le cas échéant.) Nous dûmes aussi redistribuer nos responsabilités pour répondre à l’absence temporaire de quatre membres de notre personnel à la suite de l’accident de voiture. Toutefois, à la différence de la réunion d’Addis-Abeba, nous ne dûmes pas, cette fois-ci, affronter beaucoup de critiques de la part des bailleurs de fonds en matière d’administration et de finances. Nous faisions tout notre possible pour contrôler les coûts de nos délégués, ayant entendu des histoires épouvantables à propos d’autres négociations où des délégués s’étaient entassés à plusieurs par chambre dans les logements les moins chers possible afin de consacrer leurs économies à d’autres fins. Aussi continuions-nous à insister pour dire que nous ne paierions jamais d’indemnité journalière (per diem), en ne versant au lieu de cela qu’une allocation minimale pour les fauxfrais, juste assez pour permettre aux délégués de s’acheter une tasse de

54

Le général Abu Bakr, par exemple, dirigeait l’équipe du Commonwealth chargée d’observer les élections au Zimbabwe.

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café, donner quelques coups de téléphone et faire faire leur blanchissage ou leur nettoyage à sec. Le 21 mars à 09h15, QM prit l’initiative d’ouvrir la première plénière depuis plusieurs jours. Il voulait remettre la responsabilité du dialogue fermement sur les épaules des Congolais. Au cas où cela n’aurait pas marché, nous avions prévu une « Équipe de négociation de haut niveau », sous la direction du général Abu Bakr en matière de défense et de Mustapha Niasse en matière de questions politiques, afin d’accélérer le pas sur les deux questions les plus ardues dans leurs commissions, à savoir la forme que prendrait l’armée et le caractère du gouvernement de transition. Un quart environ de la délégation gouvernementale assista à la plénière – en tout cas, plus que je n’en avais attendu. QM demanda aux chefs des délégations de rester pour des consultations tandis que les délégués rejoignaient leurs commissions pour reprendre le travail. Pendant ce temps, le Comité politique à Lusaka venait d’achever le travail qu’il aurait dû commencer la veille au matin. En l’occurrence, il avait commencé à 21h00 et avait travaillé toute la nuit jusqu’à 05h00. Comme on pouvait s’y attendre, les représentants du gouvernement et du RCD s’étaient disputés à propos du pour et du contre des combats au Katanga. Mais, plus important encore en ce qui nous concernait, les délégués avaient accepté une formule qui leur permettait de retourner à Sun City à condition que la MONUC contrôle et fasse un compte rendu sur la mesure dans laquelle chaque partie se conformait au retrait des troupes de Moliro et de Pweto, ainsi qu’il en avait été convenu. Les commissions reprendraient leurs travaux. Lors de la session plénière le lundi après-midi suivant, toutes sauf la Commission de Défense et de Sécurité ont présenté des comptes rendus positifs de leurs progrès. Que les trois Commissions les moins controversées puissent effectivement venir à bout de leur ordre du jour commençait à paraître possible et nous commençâmes à examiner nos plans pour une cérémonie de clôture dans les dix-huit jours. Les vacances de Pâques approchaient et nous avions convenu que nous ne pouvions exiger que les gens travaillent en session officielle le samedi et le dimanche, sachant que des consultations informelles sur les modalités du partage du pouvoir se poursuivaient en sourdine. 223

Mustapha Niasse dut retourner au Sénégal pendant une semaine, en raison de son implication dans les élections locales dans ce pays. Il confia au Pr. Mbodj la tâche d’essayer de motiver les politiciens à avancer. Le professeur put faire état d’un certain avancement dans l’ordre du jour au cours des trois prochains jours. La Commission économique et financière poursuivit son travail et, dans la Commission sociale et culturelle, Marie-Angélique Savanné put constater que les Mai Mai et le RCD avait enfin atténué leur hostilité réciproque au point de pouvoir collaborer effectivement à des textes. À mesure que l’éventualité d’une clôture se profilait, de nouvelles préoccupations sécuritaires se faisaient jour. Un membre de la délégation de l’opposition non armée se plaignit qu’un délégué gouvernemental de haut rang l’eût menacé : nous dûmes soulever ce problème aussi bien avec la délégation gouvernementale qu’avec nos hôtes sud-africains. La police sud-africaine interrogea les deux parties et nous dûmes leur expliquer que les menaces de mort étaient contre la loi dans notre pays hôte. Un autre problème tenait à ce que certains délégués avaient réussi à s’éloigner de Sun City pour trouver les bars dans la campagne environnante et la police avait peur pour leur sécurité – il était à craindre que les classes criminelles sud-africaines fussent beaucoup plus redoutables que les Congolais ne s’imaginaient et je dus par conséquent émettre une mise en garde, en plénière, à propos de l’éventuel niveau de violence dans de tels endroits. Augustin Katumba rentra à Kinshasa avec une partie de son équipe à Pâques afin de briefer et de consulter le Président Kabila. Notre équipe de recherche nous présenta maintenant dans leurs grandes lignes les positions des protagonistes quant aux options relatives à la transition, à une nouvelle constitution et au degré de fédéralisme éventuellement acceptable aux uns et aux autres – information que les protagonistes avaient hésité à partager auparavant. Les parties étudiaient donc apparemment les concessions nécessaires au partage du pouvoir, mais il était évident que la composition, l’équilibre et les fonctions de la présidence seraient violemment disputées. Devant l’évidence de cette réalité, les bruits commençaient maintenant à courir que nous prolongerions le DIC. Sachant que, pour tenir le coup jusqu’au bout, j’aurais besoin de me ressourcer, j’obtins l’autorisation de QM de m’éclipser vers le 224

Kalahari, où je passai le week-end de Pâques sous une tente à rattraper un peu de sommeil. Me promener dans les vastes étendues désertes et me coucher sur le sable à regarder poindre les étoiles à la nuit tombante étaient pour moi un changement bienvenu après la frénésie artificielle de Sun City. Au moment où j’en revenais, QM partait avec une petite équipe pour le sommet des signataires de Lusaka dans la capitale zambienne. Il espérait pouvoir briefer les trois principaux belligérants à titre privé et examiner les options de partage du pouvoir que leurs lieutenants abordaient enfin à Sun City. S’ils pouvaient se mettre d’accord sur les grandes lignes d’une structure transitionnelle du pouvoir, cela contribuerait à la pression exercée sur les présidents étrangers pour retirer leurs troupes. Il était peu réaliste de s’attendre à un retrait sérieux tant qu’il n’y aurait pas en place une structure de gouvernance congolaise, quelle qu’elle fût, une structure qui inclurait les rebelles dont les forces occupaient tant de zones du pays. Les réunions au sommet ne sont nullement une panacée et ont tendance à produire de belles phrases et peu de suivi. On nous avait informé que le Président Kabila n’était pas enthousiasmé à l’idée du sommet et qu’il n’y assisterait peut-être pas si Jean-Pierre Bemba et le Dr Onusumba étaient présents. D’autre part, une réaffirmation publique de la part des chefs d’État vis-à-vis de leur engagement en faveur de la paix pourrait donner un nouvel élan. Une certaine léthargie avait gagné le processus, les engagements n’étaient pas respectés et il était grand temps de marquer des progrès tangibles. Je remarquai que les Sud-Africains n’attachaient pas beaucoup d’importance à de tels sommets ; leur propre expérience était sans doute faite d’engagements pris à titre privé à la suite de discussions judicieuses sur l’équilibre des forces, de calculs méthodiques des obstacles et d’évaluations pratiques des moyens de pression. Je trouvais fascinant de voir en action leur démarche systématique et éprouvée. C’était eux, le peuple qui avait négocié son chemin jusqu’au pouvoir et qui avait mis fin à l’apartheid. En revanche, les Congolais, du fait de leur histoire, n’étaient que des débutants jouant des coudes pour s’assurer une position sur l’épave de l’État, amèrement divisés quant à la manière de le remettre à flot, vers où mettre le cap et qui garder à bord. C’était aux niveaux les plus élevés que cela était le plus évident, comme on pouvait s’y attendre. Là où les enjeux étaient moindres, 225

nous savions que nous réussirions probablement à obtenir de trois Commissions qu’elles terminent leurs délibérations. La solution à l’impasse dans la Commission de Défense et la Commission Politique serait à chercher dans des réunions, tard le soir, de petits groupes d’hommes – des femmes étaient rarement impliquées – où il serait possible de conclure des marchés que les délégués seraient invités à ratifier par la suite en plénière. La question pour QM était de savoir s’il devait proposer lui-même une formule, faire appel à une médiation, ou laisser les Congolais trouver tout seuls une solution, quelles que fussent les pressions exercées par les dates limites du DIC et par les messages provenant du Congo. Il demanda aux trois principaux belligérants de venir le voir séparément pour lui faire part de leurs vues. Au même moment, le RCD et le MLC étaient également en train de tenir des consultations informelles sur les options de partage du pouvoir, ce qui représentait un pas dans la bonne direction. À Lusaka, toutes les parties se rendirent compte que le rythme du retrait des forces étrangères devait s’accélérer. Les Présidents Kagame et Kabila, prenant une perspective plus large, soulevaient la question de la mise en œuvre – et non simplement de l’invocation – des DDRRR, ce qui impliquait un mandat plus ferme pour la MONUC, discussion qui garde encore toute sa teneur aujourd’hui. QM rencontra le Président Kabila et l’invita à nous rejoindre à Sun City. Plus tard, il rendit compte aux chefs d’État de ce qui s’était passé là-bas. Le Président Nujoma lut un texte préparé où le Président Kabila était reconnu comme président de la transition. Le RCD en fut offensé, se demandant s’il ne s’était pas fait piéger. Les chefs d’État délivrèrent un communiqué réclamant une amélioration du statut de la MONUC et encourageant le retrait des troupes ainsi que la poursuite des négociations. Le MLC n’était pas présent. Les Congolais allaient devoir reprendre leurs négociations avec, dans leurs carquois, rien d’autre que des encouragements. À tout le moins, le blocage au sujet des combats au Katanga avait été écarté. De retour à Sun City, à mesure que se répandaient les conjectures quant à la constitution éventuelle de la présidence, Étienne Tshisekedi émergeait comme l’une des personnalités les plus plausibles à déclarer publiquement qu’il entendait se présenter. Moins plausible était la candidature de l’homme d’affaires chevronné Raphaël Katebe Katoto. Il était célèbre en RDC pour la fortune qu’il avait amassée dans les 226

mines du Katanga et pour l’équipe de football qu’il y soutenait. Il voyageait partout dans son jet privé et avait suivi la facilitation à Bruxelles, à Addis-Abeba et jusqu’à Sun City. À vrai dire, les candidats perdaient leur temps. Il était désormais évident que le gouvernement posait comme préalable minimum aux négociations le maintien de Joseph Kabila à la présidence ; il refusait de négocier jusqu’à devoir renoncer au pouvoir. Les rebelles parlaient de faire table rase, de sorte que toutes les positions fassent l’objet de négociations, mais petit à petit ils concédèrent le point, de même que le gouvernement dut accepter la présence de dirigeants rebelles à la présidence. Ils n’avaient cependant pas encore fait de progrès quant à la forme d’État dont ils devraient convenir – unitaire ou fédéral – ni sur la question délicate mais essentielle de la nationalité congolaise des rwandaphones qui avaient été dépouillés de leur droit de cité congolais du temps de Mobutu. Dans les trois commissions les plus faciles, les progrès se poursuivaient et elles commencèrent à vérifier leur résultats par rapport à ceux des autres, de sorte que leurs résolutions ne se chevauchent pas. Par exemple, la Commission sociale et culturelle avait formulé un projet de résolution concernant l’amnistie pour les crimes commis au cours de la guerre ; cette résolution dut être étudiée par la Commission Paix et Réconciliation. La Commission économique avait terminé ses tâches, résolu quelques disputes à propos de l’effet de la guerre sur l’environnement et même prévu un dîner pour tous les membres dès que leurs projets de résolutions seraient prêts. Dans la Commission Paix et Réconciliation, il y eut une dispute sur la nécessité ou non de reconnaître publiquement le nombre de morts provoqué par la guerre dans l’Est, chiffre qui rendait nerveux le RCD, comme on pouvait s’y attendre ; toutefois, ces trois commissions, travaillant dans les coulisses, en quelque sorte, avancèrent bien et produisirent plus de trente résolutions qui constituent aujourd’hui la base sur laquelle est construite la transition. Les Commissions de Défense et de Sécurité tournaient en rond. Elles n’avaient traité que quatre des dix-neuf points à leur ordre du jour, ce qui exaspéra même le flegmatique général Abu Bakr et le très vif Babagana Kingibe. J’ai trouvé ce dernier une fois en dehors de la tente de la Commission de Défense, fumant une cigarette et faisant manifestement un effort pour se ressaisir. Tout ce qu’il put me dire 227

lorsque je lui demandai comment cela se passait, ce fut : « Ah ! ces Congolais, ces Congolais ! ». On pourrait affirmer que l’incapacité des Congolais à intégrer promptement et à reformer leurs forces armées reste l’une des plus grandes menaces qui pèsent encore aujourd’hui sur la transition. Un vaste État doté d’amples ressources naturelles et de forces de sécurité inopérantes est faible et vulnérable à l’ingérence étrangère. Aucune puissance étrangère n’allait résoudre le problème de l’intérêt du Rwanda dans les Kivus : les Congolais allaient devoir trouver le moyen d’y parvenir tout seuls. Il fut un moment où les alliés du gouvernement – le Zimbabwe, la Namibie et l’Angola – auraient pu faire basculer la balance au désavantage des rebelles et de leurs alliés ougandais et rwandais, mais ce moment était passé depuis que les forces rwandaises et angolaises s’étaient affrontées sur le champ de bataille. Ces deux armées, les plus compétentes et aguerries d’Afrique (à l’exception, peut-être, des armées éthiopienne et érythréenne), avaient reculé, me dit-on, lorsqu’elles s’étaient affrontées sur le sol congolais, sachant que l’issue aurait été incertaine, les combats prolongés et les pertes lourdes. On ne pouvait attendre de ces troupes qu’elles meurent pour la souveraineté congolaise. Alors que j’entrais dans toutes les Commissions pour entendre ce qui s’y disait, je gardais mes distances par rapport au processus politique, à la fois parce que j’étais déjà suffisamment préoccupé par des problèmes quotidiens de gestion et parce que je ne voulais pas que les Congolais croient que je pouvais – ou même que je souhaitais – exercer quelque influence que ce fût sur l’issue de leurs négociations politiques. Toutefois, je m’efforçais d’assister autant que possible aux sessions plénières, afin de pouvoir comprendre ce qui se passait, mais la contrepartie de la distance que je gardais est que je ne peux pas, à présent, construire une analyse détaillée des positions des parties. Nos collègues dans l’équipe de recherche compilèrent toutefois, à notre demande, un ensemble de compromis suggérés, pouvant servir éventuellement de guide au nouveau gouvernement pour refléter l’équilibre des forces. Après mûre réflexion, QM, conscient de sa décision de rester neutre en tant que président de séance, résolut de ne pas recourir à ce document et préféra appeler le Président Mbeki pour lui demander de venir à Sun City afin d’user de son influence et servir de médiateur. Il espérait que le Président sud-africain réussirait à fixer les esprits des parties sur les décisions clés à prendre en l’espace de 228

quelques jours et à dégager un consensus sur la défense et sur la présidence. Le Président Mbeki était et reste le président le plus puissant d’Afrique ; il était sur le point d’accéder à la présidence de l’Union africaine, il était le président du pays hôte et en passe de devenir rapidement notre plus important bailleur de fond. Il était de surcroît un négociateur très expérimenté, qui surveillait le conflit en RDC depuis la malheureuse rencontre de Nelson Mandela, Laurent Kabila et Joseph Mobutu à bord du Outeniqua, navire de guerre sudafricain, pendant les derniers jours de Mobutu mourant en 1997. Il avait déjà reçu tous les principaux acteurs à Pretoria et était au fait des questions ; par ailleurs, il avait besoin d’une réussite à l’issue de cette réunion prolongée et coûteuse dans son pays. Mais il avait aussi à diriger son propre pays et ne pouvait être convoqué pour un oui, pour un non, afin de payer les pots cassés des Congolais. Il fut convenu qu’il viendrait à Sun City le 8 avril pour essayer d’arbitrer les progrès réalisés vers la construction d’un gouvernement de transition pour la RDC.

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CHAPITRE XVI UN DIALOGUE REPORTÉ OU SABOTÉ ?

… un sondage effectué à Bakuvu (Sud-Kivu) a montré que la majeure partie de la population est mal renseignée sur le DIC. Des 1 548 personnes interrogées entre les 5 et 7 avril par le Centre pour la transformation des conflits, agence non gouvernementale basée à Kinshasa, 70% se considéraient mal informées. Par ailleurs, selon le sondage, 70% d’entre elles croyaient que le dialogue n’avançait pas. En réponse à la question « Qu’espérez-vous en premier lieu du dialogue ? », 89 pour cent ont cité soit la paix, soit le départ des troupes rwandaises, ougandaises et burundaises. Seuls 1,5 pour cent espéraient avoir un tribunal criminel pour la RDC. En réponse à la question « Qui, selon vous, bloque le dialogue ? », 52 pour cent accusaient les rebelles, 16 pour cent le gouvernement rwandais, 11 pour cent la communauté internationale, 11 pour cent les anciens politiciens (de l’époque Mobutu), 2 pour cent le gouvernement, et 0,7 pour cent les Tutsis ethniques de la RDC, les Banyamulenge. À la question « Au cas où le dialogue échouerait, que proposeriez-vous ? » 69 pour cent ont proposé une guerre populaire, 11 pour cent une mise en tutelle sous la direction de l’ONU, et 11 pour cent un autre dialogue. IRIN, 16/4/04.) Avant l’arrivée du Président Mbeki le 8 avril à Sun City, les membres de l’équipe de la facilitation dînèrent avec le Roi des Bafokeng. Ce fut pour nous une trêve bienvenue que de pouvoir nous tourner vers un contexte différent ne serait-ce qu’un moment. Les Bafokeng était un peuple dont les terres comprenaient des mines de platine. Lorsque les Sud-Africains avaient négocié leur nouvel ordre politique, les Bafokeng avaient gagné le droit de toucher des royalties sur les mines exploitées sur leur territoire. Il en résulta un groupe de tswanaphones fort aisés, quelque 600 000 personnes répandues dans 29 villages, dont la Reine Mère était la fille de Tsehekedi Khama, autrefois régent des Bamangwato au Bechuanaland colonial (actuellement le Botswana) et oncle de Seretse Khama. Nos hôtes 231

avaient donc des liens serrés avec le pays dont provenaient nos aînés et la moitié de notre équipe. En effet, pendant les années de l’apartheid, la Reine Mère s’était réfugiée au Botswana. Le dîner fut décontracté et informel ; nous essayâmes d’expliquer au Roi les vicissitudes de la RDC. Ce dernier fit un bref discours après le dîner et nous souhaita bonne chance. Le Président Mbeki arriva à Sun City et commença à recevoir les Congolais au « Palace », le plus fantastique des hôtels du complexe, pour entendre ce qu’ils estimaient être des structures de gouvernement praticables pour la transition. QM eut une réunion avec lui avant de recevoir Aubrey Hooks, ambassadeur des États-Unis auprès de la RDC, qui venait d’arriver à Sun City. QM lui expliqua le peu de progrès réalisé sur les questions de la défense et de la politique ainsi que le succès relatif obtenu par les trois autres commissions. L’ambassadeur signala que les États-Unis commençaient à durcir leur attitude à l’égard du Rwanda. Il ajouta que les États-Unis pourraient, avec l’UE, aider à restructurer les forces armées congolaises de sorte qu’elles puissent se charger de la sécurité des frontières, en collaboration avec les forces de l’ONU ou d’autres forces, ce qui répondrait aux préoccupations sécuritaires du Rwanda. Il déclara aussi qu’il maintiendrait la pression, pendant son séjour à Sun City, sur toutes les parties congolaises, pour parvenir à un accord sur les questions clés des structures d’une gouvernance de transition et des forces armées. Normalement, on se serait plutôt attendu à la présence à Sun City de l’ambassadeur des États-Unis en Afrique du Sud, mais à ce stade il n’y avait aucune raison de supposer que les raisons de la présence d’Aubrey Hooks étaient autres que pratiques. QM alla ensuite rejoindre Rre Mogwe et le Pr. Lebatt, qui avait convoqué un « bureau » du DIC, une formation représentative plus petite des composantes, qui était utile pour résoudre les impasses et faire des sondages. Il semblait y avoir quelque espoir de « débloquer » la Commission de Défense et de Sécurité, mais plus tard dans la journée la délégation gouvernementale décida qu’elle voulait amender un compromis – relatif à l’armée – que les autres composantes avaient jugé apte à résoudre le problème. Ce soir-là, il y eut une séance plénière à 18h00 et le Pr. Tevoedjre rendit compte des 8 séances plénières et des 21 sessions en 232

commission entreprises par ses délégués de la Paix et Réconciliation. Khalifa Sall rendit compte des résolutions formulées par la Commission économique et financière. À 23h30, les deux ensembles de résolutions avaient été adoptés par la plénière et le DIC avait enfin quelque chose de concluant à montrer à la suite d’un mois de réunions. Comme le constatèrent les autres commissions, il apparut clairement que ni les discussions sur la politique ni celles sur la défense n’avançaient. La Commission humanitaire, sociale et culturelle s’engagea à présenter ses résolutions le lendemain. À minuit QM leva la séance plénière. Nous commençâmes à planifier une cérémonie de clôture, dans l’espoir qu’un accord cadre puisse être proposé et ratifié dans les quatre jours à venir et que nous puissions terminer le 12 avril comme prévu. Nous dûmes également prendre les dispositions nécessaires pour assurer la disponibilité d’avions en vue du départ de quelque quatre cents personnes le soir du 12 et le lendemain. En outre, par simple précaution, nous commençâmes à nous pencher sur la logistique d’un éventuel prolongement du dialogue, le cas échéant, y compris la possibilité de retenir les deux commissions bloquées afin de leur permettre d’achever leurs travaux, quitte à faire ratifier leurs résolutions par la suite, éventuellement en RDC. Le lendemain la Commission de Défense et Sécurité poursuivit son travail séparément alors que la plénière fut convoquée à 15h30. Celleci continua jusqu’à 02h00, sans pause dîner. Les amendements mineurs, « modestes contributions » et « motions d’ordre » parurent interminables, mais il y avait des indications que le groupe de la Défense faisait des progrès dans la session séparée. Le lendemain matin nous passâmes en revue un ensemble de compromis que le Président sud-africain avait extrait à la suite d’entretiens diligents et patients avec toutes les composantes. Le document en question était désigné comme « Mbeki I » et il importe de souligner qu’il n’avait pas été conçu par le Président Mbeki ; c’était, au contraire, une synthèse effectuée par lui et ses conseillers après avoir entendu ce que les Congolais avaient à dire, composante par composante. Le trait essentiel de « Mbeki I » était une présidence soutenue par un « Conseil d’État », où seraient représentées quatre des cinq composantes du DIC (à l’exclusion de la société civile), avec un Premier ministre provenant de l’opposition non armée. Ce Conseil d’État surveillerait effectivement le processus de transition et à terme 233

l’organisation des élections. Il mettrait également en place un Conseil de Défense, avec un président tournant, pour conseiller sur le retrait des forces étrangères et l’intégration des forces armées. Le Parlement serait constitué de députés tirés des cinq composantes et la société civile fournirait le président d’une assemblée monocamérale. À la fin du document, les postes clés sont attribués : la présidence à Joseph Kabila ; le Président, les dirigeants du MLC et du RCD et le Premier ministre sont membres du Conseil d’État ; les Premiers ministres adjoints sont assurés par le RCD-N et le RCD-ML. Un effort serait fourni pour « assurer une représentation féminine de 30% dans les structures de transition. » Le lendemain matin j’accompagnai QM au Palace Hotel pour rencontrer le Président Mbeki et Nkosazana Zuma, ministre des Affaires étrangères. Ils donnèrent à entendre que « Mbeki I » pourrait être un compromis acceptable, bien que le RCD réclamât une représentation plus importante dans les structures proposées par le document. Les commentaires continuaient encore à arriver de la part des parties, mais le Président et la ministre étaient d’avis que, si l’on parvenait à un accord, le Président Kabila viendrait à Sun City pour assister à sa ratification. Nous abordâmes ensuite la question de savoir comment les médiateurs sud-africains pourraient nous confier le processus à nouveau et nous discutâmes des implications pratiques d’une éventuelle décision de retenir les participants une semaine de plus à Sun City afin d’achever la tâche. Nous convînmes qu’aucune décision ne serait prise sur une éventuelle prolongation tant que toutes les parties n’auraient soumis leurs commentaires. L’un des problèmes était tout simplement l’insuffisance du nombre de chambres d’hôtel. Un autre problème, que je fus obligé de relever, était que la contribution sud-africaine promise de 10 millions de rands n’était pas encore arrivée dans notre compte. La ministre des Affaires étrangères m’honora d’un regard pénétrant alors que son patron disait qu’ils s’en occuperaient. Elle m’appela plus tard au téléphone pour me poser quelques questions et l’argent fut versé dans notre compte l’aprèsmidi même. Toutes nos difficultés financières ne furent pas aussi vite résolues. À peine eus-je communiqué à Gopi Kumar que les fonds sud-africains serait dans notre compte cet après-midi-là, qu’il dut me prévenir qu’il y avait eu fraude dans le bureau des finances et que quelque 15 000 dollars avaient été détournés sur plusieurs semaines, apparemment par un employé local engagé à titre temporaire pour 234

aider avec la multitude de paiements que nous effectuions pour les nombreux services que nous avions à régler.55 Plus tard ce soir-là il y eut une longue plénière où les Congolais soulevèrent des doutes au sujet de « Mbeki I ». Azarias Ruberwa se déclara contre Kabila comme président ; l’UDPS, parti d’Étienne Tshisekedi, nous présenta une critique raisonnée de douze pages qui relevait entre autres tout le pouvoir que cela ferait gagner à ceux qui avaient pris les armes, d’une part, et le peu de chances que cela avait d’aboutir à un gouvernement cohérent, d’autre part. Ce parti voulait, bien entendu, que le président provienne de l’opposition non armée et il suggérait son propre dirigeant pour le poste. 56 Quarante minutes après minuit, Rre Mogwe et moi-même fûmes convoqués par la ministre sud-africaine des Affaires étrangères et nous dûmes sortir de la plénière : les fonctionnaires sud-africains s’étaient évertués à trouver des logements alternatifs et il était désormais possible de retenir l’ensemble du groupe encore une semaine, afin de garantir que nous parvenions à une conclusion. Il faudrait déplacer 362 personnes. J’avais mes doutes quant à la logistique d’une telle opération, mais en l’occurrence, c’était le politique qui allait déterminer le pratique et non vice versa. Plus tard, nous rendîmes compte de notre discussion à QM, qui estimait qu’un groupe de négociateurs devrait être capable de résoudre les différences et qu’il n’était pas impossible que nous concluions encore toutes les questions dans le délai nouvellement alloué. Le lendemain matin nous briefâmes notre personnel : il y aurait une prolongation d’une semaine ; le cocktail final aurait lieu ce soir-là comme prévu ; et nous escomptions que le Président Mbeki terminerait ses consultations ce matin-là, de sorte qu’une plénière puisse décider l’après-midi des résolutions de compromis qui avaient enfin été soumises par la Commission de Défense et Sécurité. Si celles-ci étaient adoptées, il ne resterait qu’à trouver une formule pour retenir les négociateurs politiques afin d’arrêter la forme du gouvernement de transition – tâche qui allait prendre presque une année de plus, en l’occurrence. Toutefois, au point où nous en étions, 55

À notre demande, la police entreprit une enquête. L’employé fut renvoyé et l’affaire fut amenée plus tard devant le tribunal. 56 Étienne Tshisekedi est resté en dehors du gouvernement de transition et, à ce qu’on dit, réserverait son énergie pour d’éventuelles élections, prévues pour 2005.

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nous estimions que les autres Commissions pouvaient se disperser et que leurs membres pouvaient rentrer chez eux. QM expliqua cela et félicita les quatre Commissions d’avoir mené à bien leur tâche.57 Il demanda que les groupes qui avaient terminé règlent les derniers détails et exhorta la Commission politique et juridique à parvenir à une conclusion de sorte qu’un accord puisse être signé au bout de la semaine de prolongation. La plénière se dispersa alors et QM alla s’inquiéter des progrès des consultations finales du Président Mbeki. Celui-ci avait été assez direct avec les parties congolaises, apparemment, parce qu’il estimait qu’elles se bousculaient pour s’assurer le pouvoir bien plus qu’elles ne se souciaient de planifier une transition démocratique. Le Président expliqua qu’il devait partir ce soir-là pour une réunion du NEPAD au Sénégal : puisque les Congolais avaient déclaré souhaiter que la participation de l’Afrique du Sud continue, la ministre Zuma remplacerait le Président à son départ. Il était désormais évident que, quand la Ministre remettrait la négociation entre les mains de QM, celui-ci aurait à concevoir un groupe plus petit afin de parvenir à un consensus sur les structures politiques. Le résultat pourrait alors être soumis à l’approbation de la plénière. Ce soir-là, le jeudi 11 avril, nous étions censés célébrer la conclusion du DIC. Nous n’en fêtâmes pas moins l’occasion et j’allai à la réception dans la « Royal Ballroom » (Salle de bal royale) où il y avait un chanteur, un buffet très abondant et où l’on pouvait danser pour soulager ses soucis. L’ambiance était détendue et je lis dans mon journal que le local était « une salle de bal bleue comme un bordel à Berlin ». Comme je n’ai jamais mis les pieds dans un bordel à Berlin, j’en conclus que le stress des négociations commençait à affecter ma vision. Le lendemain, de bon matin, QM me demanda de contacter Mustapha Niasse, qui était encore au Sénégal, pour lui demander de revenir présider les discussions finales sur la nature du gouvernement de transition. Je réussis à le joindre au téléphone au Togo et établis qu’il pourrait vraisemblablement revenir le dimanche ou le lundi. QM 57

Malheureusement, les conclusions de la Commission de Défense et Sécurité restent à mettre en œuvre à ce jour. C’est l’une des raisons de la fragilité de la transition. Sans une armée intégrée et restructurée, la RDC ne peut ni défendre ses frontières ni s’occuper des Interahamwe subsistants.

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prit le petit déjeuner avec Amos Ngongi avant le retour de celui-ci à Kinshasa et nous nous réunîmes avec les Sud-Africains pour étudier la version amendée de la synthèse du Président Mbeki, à savoir « Mbeki II ». Ce document était une modification du précédent et remplaçait le Conseil d’État par un Conseil Supérieur, présidé par le Président et deux Vice-Présidents, qui superviseraient respectivement les dispositions relatives aux domaines suivants : Défense et Sécurité ; l’Intérieur et les Élections ; Finance, Économie et Reconstruction. Il y aurait également un Conseil de Défense et cinq « Vice-Premiers ministres » (Premiers ministres adjoints). « Mbeki II » répertoriait pas moins de 32 ministères, dont chacun offrirait, bien entendu, une occasion d’avancement à un délégué du DIC. De même que dans « Mbeki I », cinq commissions étaient également prévues, à savoir, Élections, Médias, Paix et Réconciliation, Droits de l’Homme, Vérité et Réconciliation. Ce n’était pas un document élégant, mais la RDC ne présentait pas un problème élégant. La structure révisée était une tentative pour permettre à tous de prendre part à la gouvernance de leur pays de sorte qu’ils puissent quitter Sun City sans avoir l’impression que quiconque avait gagné ou perdu la guerre ou la course politique. S’ils pouvaient réussir à conserver intact une telle structure et à organiser des élections, la RDC pourrait alors se doter d’un gouvernement légitime pour la première fois en quarante ans. La vue sud-africaine sur la question de savoir qui devrait occuper la présidence était un bon exemple de leur démarche pratique en matière de médiation. Beaucoup de Congolais n’aimaient pas l’apparence de succession dynastique qui fut créée lorsque Joseph Kabila succéda à son père assassiné. D’autre part, le but de l’accord était, à terme, de mettre en place un gouvernement élu. Pourquoi perdre du temps à se disputer sur qui serait le président de la transition alors qu’il y avait déjà un président de facto et que la dispute serait résolue, finalement, par les élections ? Ce n’était sans doute pas idéal, mais n’était-ce pas mieux que d’ajouter à des négociations déjà fort controversées une dispute quant au choix d’un président de transition ? La plupart des Congolais en acceptaient la logique, qui satisfaisait à la principale condition préalable du gouvernement, à savoir que Joseph Kabila soit retenu comme président, mais cela laissait un lourd fardeau sur les épaules de l’intéressé et était dur à accepter pour le MLC et le RCD.

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Au cours de la discussion avec la ministre Zuma et le conseiller du Président Mbeki, nous commencions à nous rendre compte que ni l’Accord de Lusaka, ni l’Afrique, ni le monde en général ne s’était soucié de trouver une forme de garantie pour les parties. Comment demander des comptes à toute partie qui violerait un quelconque accord auquel elles seraient arrivées ? Il faudrait peut-être prévoir la possibilité de recourir à la force contre quiconque prendrait les armes pour saboter l’accord. Il semblait souhaitable que des troupes africaines soutiennent le déploiement inadéquat de la MONUC, étant donné que les puissances occidentales ne pouvaient ou ne voulaient accorder à Kofi Annan le nombre de troupes qu’il avait demandé au Conseil de Sécurité.58 La raison en était, je crois, que les États-Unis devaient payer environ un quart des frais de la MONUC, tout en estimant que celle-ci était la force de maintien de la paix la plus coûteuse du monde et qu’elle était inefficace. Plus tard, le Président Mbeki téléphona beaucoup par la suite à ses pairs africains et reçut des offres de troupes au cas où un accord serait conclu. Une deuxième difficulté fut soigneusement analysée pour nous par Haile Menkerios, qui avait vécu un processus semblable dans son propre pays ; les Sud-Africains offrirent des commentaires, tirés de leur propre expérience de négociations menées en vue d’un gouvernement de transition et d’élections. Comment organiser exactement la « transition vers la transition » ? Qui assurerait la sécurité des parties quand ils arriveraient à Kinshasa ? Quand les Congolais eux-mêmes pourraient-ils commencer à planifier la mise en œuvre de leur accord ? Quelles méthodes appliquer pour susciter et renforcer la confiance ? La MONUC « garantirait »-elle la transition ? Comment le processus serait-il financé ? L’ONU est effectivement le seul organisme capable de recruter, de déployer, de payer et de gérer toute la gamme d’expertise nécessaire dans de telles circonstances. Elle a eu un certain succès, au Timor oriental, au Mozambique, en Namibie et au Cambodge, en aidant à stabiliser des pays pauvres à la suite de conflits internes. Son opération en Angola a échoué et il reste à voir comment la MONUC 58

Le déploiement a été augmenté de façon régulière depuis les débuts de la MONUC mais il n’a pas encore atteint le niveau correspondant au nombre de gardiens de la paix réclamé par le Secrétaire général. Le déploiement est actuellement de 10 500, soit une brigade en moins du nombre requis.

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sera appréciée en RDC et, à terme, l’UNMIS au Soudan. À l’époque post-coloniale, aucun État ne peut, en pratique, assumer tout seul le fardeau. Même les États-Unis furent obligés cette année de demander à l’ONU de revenir aider à la reconstruction de l’Iraq.59 Si toutefois les membres permanents du Conseil de Sécurité n’ont pas confiance en la capacité de l’ONU à superviser une telle tâche, quelles pourraient être les alternatives ? Un puissant État intéressé pourrait en être une, mais le Congo n’avait pas de « parrain » international pour jouer ce rôle, malgré les aspirations de la Belgique à un rôle plus important, à l’instar de la France en Côte d’Ivoire et de la Grande Bretagne en Sierra Leone.60 L’UE est en mesure d’offrir principalement des fonds destinés à la reconstruction et au « développement », bien que, sans l’Opération Artémis, déploiement rapide de l’UE dans l’Ituri en 2003, sous commandement français, Bunia et ses populations environnantes auraient peut-être souffert encore davantage. L’UA n’a pas encore les ressources ni l’expertise pour étayer un accord qui est au stade de passer de la discussion à la mise en œuvre. Son déploiement récent au Darfour, au Soudan, par exemple, a été sérieusement retardé en raison de sa capacité restreinte. Par conséquent, en RDC, à l’heure actuelle, ce sont la MONUC et le gouvernement sud-africain qui, ensemble, font de leur mieux pour veiller à ce que la transition n’échoue pas. En ce sens, l’Afrique du Sud est pour les Congolais ce qui se rapproche le plus d’un patron international. La MONUC et l’Afrique du Sud ne voient pas toujours les choses du même œil, mais elles continuent à faire le nécessaire quand personne d’autre ne peut ou ne veut le faire. Je consacrai le reste de la journée à prendre des dispositions pour le déménagement des délégués dans plusieurs autres hôtels dans les environs, afin que le DIC pût se poursuivre encore une semaine. Mes collègues et l’équipe du gouvernement sud-africain chargé d’organiser les conférences avaient fait un excellent travail, mais l’un des hôtels se trouvait à 74 km de Sun City, toutes les chambres n’étaient pas prêtes et il y eut inévitablement des plaintes, des confusions et des 59

Demande qui lui coûta les services de l’un de ses rares fonctionnaires de haut rang ayant l’expérience et le profil nécessaires pour mener une opération de la complexité de la MONUC, lorsque Sergio Vieira de Mello fut tué par une bombe dissimulée dans une voiture à Bagdad. 60 Au moment de la rédaction, la France a dû adopter un profil plus modeste en Côte d’Ivoire et le Président Mbeki a visité le pays dans un rôle de médiateur.

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malentendus à régler. Parmi les sollicitations d’ordre administratif, je commençai à capter des bruits qui couraient sur un prétendu soutien des États-Unis et de l’UE en faveur d’un marché entre le gouvernement et le MLC qui se négocierait séparément. Un diplomate m’avertit que l’ambassadeur des États-Unis, mécontent de la prolongation insatisfaisante du DIC, suivait à présent son propre chemin vers une solution. Quoi qu’il en fût, Nkosazana Zuma remit le processus à QM lors d’une session plénière l’après-midi. Elle déclara aux délégués que son président avait participé aux problèmes de la RDC depuis qu’il était Président adjoint et que les Sud-Africains n’abandonneraient jamais la RDC. Elle nous souhaita bonne chance à tous pour l’achèvement des travaux et resta pour entendre QM demander aux Congolais de lui remettre par écrit leurs commentaires sur « Mbeki II » jusqu’à dimanche à midi, dans moins de 48 heures. Le lendemain matin je dus aller voir le Dr Onusumba pour régler quelques questions de paiement et il exprima son inquiétude au sujet d’un marché partiel qui se tramait, qui pourrait exclure le RCD. Pendant ce temps, nous réunîmes notre propre équipe de planification au Sun City Hotel, dans une salle de conférence équipée d’ordinateurs portables, d’interprètes et de traducteurs, pour nous préparer à la synthèse des vues des parties sur « Mbeki II ». À mesure que nous nous préparions, les rumeurs au sujet d’un marché partiel évoluaient ; une variante circulait à présent : les États-Unis et quelques membres de l’UE poussaient le RCD à s’engager dans une entente déjà négociée entre le MLC et le gouvernement. Si le RCD hésitait, le gouvernement des États-Unis soutiendrait un accord bilatéral et ferait pression sur le Rwanda pour qu’il fasse reculer le RCD. QM invita Aubrey Hooks dans sa suite pour voir si ces rumeurs étaient fondées. L’ambassadeur ne les démentit pas et dit que ses discussions avec le RCD avaient amené celui-ci à exprimer non pas ce qu’il voulait mais seulement ce qu’il ne voulait pas. À son avis, un accord bilatéral valait mieux qu’aucun accord, et le RCD serait bien obligé d’y adhérer tôt ou tard. Nous étions maintenant en pleine crise. Une équipe nommée par des Africains s’évertuait depuis deux ans à obtenir de parties multiples qu’elles mettent en œuvre un plan congolais soutenu par les État-Unis destiné à mettre fin à une guerre et à réunifier le troisième pays d’Afrique. Face à la lenteur mortelle d’un processus qui aboutissait 240

apparemment à une impasse, un ambassadeur des États-Unis avait soutenu un processus de négociations alternatif à Sun City, déstabilisant du même coup et le Facilitateur, que son gouvernement prétendait soutenir, et le président régional, qui, en arbitre, essayait de favoriser une solution. Cette intervention donnait au Congolais un forum alternatif et, en excluant la partie qui commandait les forces armées les plus puissantes sur le terrain, elle était inévitablement vouée à l’échec. Par ailleurs, en se moquant du principe convenu selon lequel la prise des décisions dans le DIC se ferait sur la base du consensus, cette intervention allait détruire la fragile légitimité que nous essayions d’encourager. Certains Européens soutenaient apparemment cette initiative parce qu’ils n’avaient plus confiance en la capacité de la Facilitation, des Sud-Africains et des Congolais à trouver une voie de sortie dans ce labyrinthe de guerre et de destruction. Mes collègues sud-africains plus âgés étaient plus habitués que moi à de telles interventions dans un continent affaibli et restaient philosophiques. Pour ma part, je trouvais cette initiative mal fondée, mal conçue et malencontreuse ; pourtant elle avait bien lieu. Puisque nous étions encore en charge du processus, quelle que fût la subversion dont il faisait l’objet, nous poursuivîmes et organisâmes une série de réunions séparées avec toutes les parties au DIC, entre midi et minuit, le dimanche 14 avril. Notre équipe travaillerait ensuite toute la nuit pour produire la synthèse à partir des vues exprimées par les parties au sujet du plan Mbeki amendé. Puis nous soumettrions notre synthèse aux parties et à Mustapha Niasse, qui devait arriver le lundi et essaierait de l’examiner avec sa Commission, avant qu’elle ne soit soumise à la plénière pour adoption. Pendant que les parties présentaient leurs vues, je recevais des dépositions et des notifications de candidatures relatives à des postes allant depuis la présidence jusqu’au bas de l’échelle. Manifestement certains Congolais croyaient encore non seulement que nous négocierions un accord mais aussi que nous pourvoirions les postes dans un nouveau gouvernement. Toutes les parties vinrent présenter à notre équipe leurs vues sur « Mbeki II », à l’exception du gouvernement et du MLC. À l’évidence, ils avaient d’autres plans. Après que le gouvernement nous eut enfin envoyé un résumé de ses vues, nous produisîmes une synthèse qui tentait de prendre en compte les préoccupations soulevées à propos des deux documents soumis par les Sud-Africains ; 241

cependant cette synthèse fut rédigée sans que nous ayons pu mettre à profit une contribution du MLC, qui continuait à frustrer tout effort pour l’inciter à répondre. La synthèse bâtissait sur les principes et valeurs élaborés dans les versions antérieures et envisageait un système présidentiel, avec un Premier ministre appuyé par des Premiers ministres adjoints, dont chacun serait chargé de secteurs spécifiques de la transition, et un Conseil d’État dirigé par le président et les vice-présidents tirés du MLC et du RCD. La synthèse signalait également les points de divergence concernant le Conseil d’État et le Conseil de Défense. Les États-Unis et quelques Congolais jugeaient que les documents Mbeki étaient trop compliqués, mais à notre avis il n’était pas impossible de les peaufiner et de combler les lacunes. Les Sud-Africains étaient d’accord et le Président Mbeki dit qu’il reviendrait nous aider dans ce sens. Nous espérions que le Président Mbeki, QM, le Président Kabila, le Dr Onusumba et Jean-Pierre Bemba parviendraient à un consensus autour de la même table. Malgré force incitations, le Président Kabila préféra ne pas paraître. Au milieu de nos efforts pour réaliser une conclusion, notre directeur financier, Gopi Kumar, tomba malade et dut être hospitalé. Le stress de s’entendre dire qu’il était corrompu, de recevoir des menaces de divers groupes armés et puis de nous voir dépouiller de 15 000 dollars par un employé temporaire l’avait mis à rude épreuve. Heureusement, il se rétablit complètement, mais il n’était pas le seul à souffrir physiquement de l’ambiance tendue de ces négociations prolongées où il y avait gros à gagner – ou à perdre : le taux de maladie parmi notre personnel était nettement au-dessus de la normale. Pendant que je m’occupais de cela, nous étions tous en train d’étudier les implications de tout accord qui n’inclurait pas le RCD. Cela violerait en premier lieu la disposition formulée par les Congolais eux-mêmes à Gaborone selon laquelle toute décision devait être prise sur la base du consensus et, en second lieu, cela exclurait du processus le groupe armé le plus important. (Il y avait aussi des indications que l’UDPS d’Étienne Tshisekedi s’opposait à un tel accord.) Tout accord bilatéral tomberait en dehors de la légitimité élaborée par l’Accord de Lusaka et ne serait pas durable, car basé sur une interprétation complètement erronée de l’équilibre des forces. Si le gouvernement des États-Unis pensait que le fait d’exercer une 242

pression sur le Rwanda aurait pour résultat que le RCD céderait le pas et adhérerait à ce que le gouvernement proposait, il se trompait, comme les événements allaient le montrer61. Je demandai à la ministre sud-africaine des Affaires étrangères si elle connaissait un mot de Winston Churchill qui était très pertinent pour la situation où nous nous trouvions. Elle me regarda d’un air incertain et dit que non – elle ne débordait pas d’enthousiasme, je crois, pour l’un des grands impérialistes du 20ième siècle. « On peut toujours compter sur les Américains pour faire ce qu’il faut, Madame la Ministre, » dis-je, « quand ils ont épuisé les alternatives. » Lorsque je la croisai dans le couloir de l’hôtel le lendemain matin, elle sortait d’un entretien avec l’ambassadeur des États-Unis. En passant, elle dit : « Ils en sont encore à épuiser les alternatives » et s’en alla. QM briefa Mustapha Niasse, à son retour, sur ce qui s’était passé et lui demanda de veiller à ce que ses commissions se mettent à l’œuvre le plus tôt possible le lendemain. Nous consultâmes les Sud-Africains pour savoir quand réunir le Président Mbeki avec QM et les « trois grands » : le Président Mbeki réserva toute la journée du 18 avril, qui était censée être la clôture finale de la réunion, afin d’essayer de trouver une solution inclusive. Nkosazana Zuma dit que les Congolais étaient « comme des canards, calmes en surface, mais ramant à toutes palmes en dessous, magouillant tant qu’ils pouvaient. » Elle avait rencontré elle-même les délégations du gouvernement, du MLC et du RCD, mais dit qu’Augustin Katumba était encore à Kinshasa en consultation avec son président. Ayant eu affaire auparavant aux complexités du dossier congolais à Lusaka et à Goma, elle ne semblait pas s’alarmer outre mesure de toutes ces manigances. Cependant, à ce moment-là, des nouvelles arrivèrent de Belgique : ce pays offrait d’amener les belligérants à Bruxelles pour y conclure les négociations. En quoi cela aurait été utile m’échappe ; mais le gouvernement de la RDC avait déclaré à l’ONU qu’il était prêt à se rendre à Bruxelles pour « sauver le dialogue ». Il ne nous en avait rien dit, ni aux Sud-Africains. Heureusement qu’il n’y avait qu’un soutien médiocre en faveur de ce qui s’avéra une complication inutile de plus et qui aurait affaibli encore 61

Un diplomate américain me dit que le gouvernement des États-Unis trouvait que le RCD manquait de réalisme en visant le portefeuille de la Défense – c’est pourtant exactement ce qu’il obtint presque un an plus tard à Pretoria.

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davantage le seul processus légitime disponible. Personne d’autre que les parties congolaises ne pouvait « sauver le dialogue ». L’ingérence extérieure, quelque bien intentionnée fût-elle, ne faisait que le miner. Le lendemain, nous apprîmes qu’Augustin Katumba était revenu de Kinshasa et briefait sa délégation. Rre Mogwe et le Pr. Lebatt allèrent le voir quand il eut fini, mais il fut évasif au sujet de la contribution gouvernementale à la synthèse que nous préparions et expliqua que les parties congolaises se consultaient encore. Il affirma qu’il continuait à croire qu’un accord émergerait et que QM pourrait convoquer une réunion plénière pour le ratifier. Augustin Katumba et le Pr. Samba Caputo expliquèrent que le MLC était le premier à reconnaître que Joseph Kabila resterait Président et que le MLC essayait par conséquent de négocier un accord avec le gouvernement ; ce duo voulait que le RCD y adhère aussi, mais celui-ci demandait trop. Nos collègues revinrent de cet entretien avec l’impression qu’un consensus congolais était peut-être sur le point d’émerger malgré tout. Le soir, QM passa en revue avec les chefs de chaque délégation l’essentiel des rapports qui lui avaient été remis. Il n’y avait rien du MLC. Il expliqua que les présidents de la Commission Défense et Sécurité et de la Commission Politique et Juridique croyaient pouvoir arriver au bout de leur ordre du jour le lendemain de sorte que leurs résolutions pussent être adoptées l’après-midi. Des inquiétudes furent exprimées au sujet de l’emploi du temps très serré et Mbusa Nyamsisi proposa que les Congolais nous aident avec la documentation parce qu’ils comprenaient mieux le français que nous !62 QM répliqua qu’il comprenait mieux le français de M. Nyamwisi qu’il n’en avait l’air. À ce moment-là deux délégués du MLC apparurent juste à temps pour entendre QM s’engager à tout faire pour achever et présenter sa synthèse de toutes leurs vues bien avant la plénière du lendemain. Le lendemain fut une journée de réaction et d’analyse sans relâche. Nous convoquâmes une plénière pour la soirée pendant que notre équipe travaillait à la dernière version d’un éventuel consensus. Nous passâmes en revue des options au cas où nous parviendrions ou non à 62

Cela malgré le fait que sept sur dix membres de notre personnel professionnel au Botswana et l’ensemble de notre personnel à Kinshasa parlaient français : les idées reçues ont la vie dure.

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un accord de dernière heure ; nous discutâmes aussi de la flexibilité d’interprétation à laquelle se prêtait le concept de Conseil d’État, que seuls le gouvernement, les Mai Mai et peut-être le MLC rejetaient, mais nous avions perdu l’initiative. Le MLC convoqua une conférence de presse dans l’une des tentes et annonça à 19h20 un accord avec le gouvernement, sans le RCD. Joseph Kabila serait Président et JeanPierre Bemba Premier ministre ; le RCD aurait un rôle dans le Parlement et les ministères. Le gouvernement donna une conférence de presse immédiatement après. En RDC, les Banyamulenge des Hauts Plateaux avaient commencé à combattre le RCD et les Rwandais ; ils auraient pu compter sur le soutien de ces derniers mais ils avaient décidé de s’en passer. L’accord partial qu’on venait d’annoncer à Sun City pourrait relancer la guerre. Comme l’observa QM, d’un ton désabusé : « Nous voilà dans de beaux draps ! » À 20h00, je ne sais trop comment, nous convoquâmes une plénière. Elle commença par des prières. Le colonel Seck de la Commission Défense et Sécurité informa la réunion qu’il ne restait que trois domaines de divergence dans les Commissions : les niveaux organisationnels où devait intervenir la mise en œuvre des engagements, le retrait des forces étrangères et la formation des services de sécurité, de police, et de secours. La séance fut suspendue à 00h30 pour reprendre à 01h30. Mustapha Niasse annonça alors que la discussion sur la constitution devait être reportée parce qu’aucun accord politique n’avait encore été conclu mais que sa Commission espérait formuler encore quatre projets de résolution pour adoption cet après-midi-là. Il présenta ce qui était déjà prêt pour l’adoption et la réunion continua jusqu’à 03h00. Lors de notre réunion de bureau quotidienne, à 08h00 le lendemain matin, nous comprîmes qu’il n’y aurait pas de clôture officielle : il allait falloir imaginer une forme d’ajournement quelconque. Un certain nombre de chefs d’État s’étaient attendus à assister à la clôture du Dialogue intercongolais et il fallait maintenant annuler leurs invitations ainsi que les dispositions officielles prises à cette fin. Nous fîmes ensuite le nécessaire pour que QM passe une journée avec le Président Mbeki au « Palace » dans une ultime tentative pour peaufiner un accord susceptible d’emporter l’adhésion de toutes les parties. Celles-ci seraient consultées d’abord à titre individuel et ensuite conjointement. Par ce moyen, nous espérions encore réaliser notre but de parvenir à un accord général. 245

CHAPITRE XVII « NOUS NE POUVONS CONSTRUIRE UNE NOUVELLE AFRIQUE AVEC UN VIEUX CONGO »

Pour le Président Thabo Mbeki en effet, le DI est bloqué pour question de positionnement de principaux leaders qui n’entendent pas revoir leurs ambitions à la baisse. Il trouve donc « immoral de sacrifier 60 millions de Congolais pour des ambitions personnelles ». (LA RÉFÉRENCE, 12/4/02) La suite présidentielle du Palace Hotel est située en haut du bâtiment et donne sur une cour ; par les baies vitrées de ses tourelles on aperçoit gargouilles et sculptures. Elle est spacieuse et un peu sombre. Pendant sept heures, les groupes de belligérants s’y sont succédé pour présenter leurs vues. Je pris 24 pages de notes. Ce fut un privilège que de faire partie d’une telle négociation, mais j’avais peur de l’issue. Les dirigeants congolais ne semblaient pas à l’aise dans leurs rôles, et ils ne se distinguaient pas par un esprit généreux à l’égard de leurs compatriotes qui n’étaient pas de leur avis. Au contraire, ils se regardaient d’un air nerveux, faisaient des cérémonies et se disputaient sans cesse, souvent avec une éloquence et une perspicacité remarquables, comme si la répartition des postes et le retrait des troupes étrangères suffisaient à résoudre la crise du pays. Malgré leur grande vigueur et leur dynamisme, et malgré le réservoir considérable de talents où ils pouvaient puiser, les Congolais n’avaient encore produit aucun homme ou femme d’État, aucun Mandela ni même un Nyerere, pour symboliser leurs aspirations et les mener à un nouvel ordre. Beaucoup d’entre eux espéraient indubitablement que le jeune Kabila saurait se montrer à la hauteur, mais il ne revint plus jamais à Sun City. Faute de mieux, les Congolais durent se contenter du souvenir de Patrice Lumumba, dont l’assassinat avait contribué à mettre en place une kleptocratie catastrophique au Congo. Le Président Mbeki commença par la délégation gouvernementale de MM. Katumba, Mbemba, Kaputo, Kamerhe et du Pasteur Mulunda. Augustin Katumba fut bref et rapide, méticuleux dans le débat et 247

intransigeant. Il avait été Gouverneur du Katanga, position puissante dans toute administration congolaise, et il avait également travaillé en Afrique du Sud. Il était, avec Mwenze Kongolo, l’un des membres clés de l’équipe de Joseph Kabila. Théophile Mbemba était le chef de cabinet du jeune président et serait promu plus tard ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de transition. Le Pr. Kaputo était le théoricien de l’équipe ; il était professeur d’administration publique à l’Université de Lubumbashi. Vital Kamerhe est avocat ; sûr de lui et s’exprimant bien, il avait été nommé Commissaire aux Relations avec la MONUC. En publique il pouvait se montrer dur, mais il était aussi capable de compromis. Le Pasteur Mulunda avait été l’émissaire du Président Kabila auprès de notre bureau lors de l’établissement des premiers contacts, mais il joua un rôle moins proéminent plus tard, quand le DIC était en cours. Le Président Mbeki commença par dire que QM l’avait invité à présider cette réunion destinée à établir s’il y avait une possibilité que le gouvernement, le MLC et le RCD puissent aboutir à un compromis commun. Les représentants du gouvernement passèrent en revue les options et expliquèrent qu’ils pensaient devoir parvenir à une conclusion parce qu’ils ne pouvaient rentrer au bout de 40 jours sans un accord à montrer comme justification de leurs efforts. De leur point de vue, le contrôle du portefeuille de la défense, les positions du Premier ministre adjoint et du président du Parlement étaient une option valable pour le RCD, qui avait tout bloqué parce qu’il ne voulait pas accepter la présidence de Joseph Kabila et voulait que tous les postes soient pourvus par le DIC, autrement dit, faire la soi-disant table rase. L’équipe gouvernementale voulait que le Président Mbeki et QM usent de leur autorité pour rectifier la situation. QM dit qu’il était facilitateur et ne prendrait pas parti dans les affaires congolaises. Il ajouta qu’il n’estimait pas que le poste de président du parlement comportait une grande autorité et que c’était plutôt un poste d’apparat ; le gouvernement répondit qu’il n’en était pas ainsi dans la culture congolaise. Le Président Mbeki renvoya aux différences entre les cultures politiques des mondes anglophone et francophone et il s’ensuivit une discussion sur la question de savoir qui, exactement, initiait la législation. L’équipe gouvernementale affirma que, selon son interprétation, le président de la chambre pouvait initier la législation, contrairement au système en vigueur en 248

Grande-Bretagne, où le président du parlement était neutre et ne faisait que présider les débats. À ce qu’elle prétendait, cette équipe offrait au MLC la position de Premier ministre et au RCD le contrôle de la défense et des affaires du gouvernement. C’était là une concession qui ne la réjouissait pas, disait-elle, mais qu’elle n’en était pas moins prête à faire dans l’intérêt de la paix. Le Pr. Caputo fit allusion aux dix ans de transition à l’issue de la Conférence Nationale Souveraine, au cours desquels le Président Mobutu avait combattu son Premier ministre, Étienne Tshisekedi, pendant sept ans. Je me demandais si Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba ne feraient pas exactement la même chose dans le cadre du plan qu’ils avaient annoncé. QM dit qu’il n’avait pas de conseil particulier pour le RCD mais qu’il ne pensait pas que l’option présentée fût réalisable. M. Mbemba déclara que QM voyait les choses d’une perspective britannique ou botswanaise, à quoi QM répondit que ce n’était pas à lui, mais bien aux Congolais, de prendre la décision. Le Président Mbeki fait remarquer que QM se souciait de l’équilibre – il fallait qu’aucune partie ne fût humiliée et que le pouvoir fût partagé d’une manière équitable. Il ajouta que lui-même et QM feraient tout leur possible pour trouver une voie de sortie acceptable. Toute cette discussion dura environ deux heures. La délégation suivante fut celle du MLC. Jean-Pierre Bemba arriva avec MM. Kamitatu, Thambwe et Mwamba. Olivier Kamitatu, Secrétaire général du MLC, était aux côtés de Jean-Pierre Bemba depuis qu’ils faisaient leurs études à Bruxelles et beaucoup d’observateurs le considéraient plus souple que son patron, qui tendait à rester sur ses positions et à sermonner son auditoire. Tous les deux étaient réfléchis et excellaient dans les débats. Alexis Thambwe avait été membre du RCD originel et l’un des signataires de l’Accord de Lusaka ; il avait été aussi Ministre dans le gouvernement de Mobutu. Toutefois, je finis par mieux connaître ses collègues au cours de nombreuses réunions. L’un d’entre eux, François Mwamba, était quelqu’un avec qui il était toujours possible de rire un bon coup. Par exemple, lorsque je me plaignis à lui que les comptes du MLC dans notre bureau63 aboutissaient toujours à une demande de 63

Le Bureau de la Facilitation avait accepté de prendre en charge les frais de voyage et de logement associés aux déplacements entrepris pour les besoins du DIC ; le

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remboursement d’une chose ou d’une autre alors que le MLC ne semblait jamais payer quoi que ce soit, il expliqua que ce n’était pas pour rien qu’il avait servi de ministre adjoint aux finances dans le gouvernement de Mobutu. Je le saluais désormais comme « Monsieur l’ancien ministre des Finances », formule qu’il prenait en bonne part. Des petites plaisanteries de ce genre peuvent paraître sans importance, mais elles font partie de la lubrification sociale nécessaire à toute négociation. Puisque nous connaissions les membres de l’équipe gouvernementale depuis moins longtemps que les rebelles, et qu’ils étaient de toutes façons plus circonspects envers nous, je regrettais que nous ne puissions pas nous détendre davantage et plaisanter avec eux. À leurs yeux, bien entendu, le gouvernement était sur le point de partager le pouvoir et les rebelles étaient sur le point de le saisir – et ce parti n’avait pu être imposé au gouvernement qu’en raison de l’existence des sponsors étrangers qui appuyaient les rebelles. Ce n’était guère étonnant qu’ils ne trouvent pas le temps de se dérider. Certains d’entre eux allaient sans aucun doute perdre leurs postes. Jean-Pierre Bemba expliqua que le MLC était arrivé à la conclusion que le RCD ne souhaitait pas une solution et que le MLC avait par conséquent accepté l’offre du gouvernement et avait passé quatre jours à négocier les principes avec le gouvernement. La raison pour laquelle il ne nous avait pas donné de déclaration écrite sur la position du MLC était qu’il avait été au téléphone avec le Président Kabila jusqu’à 1 heure du matin à essayer de s’accorder avec lui sur une structure de commandement pour l’armée, en vue de l’accord qu’ils avaient annoncé. En réponse à une question au sujet des attributions du Président de l’Assemblée, Jean-Pierre Bemba confirma la description du gouvernement : le Président de l’Assemblée avait l’autorité de convoquer le Premier ministre et les autres ministres, de mettre en doute le budget et en effet de contrôler le gouvernement. Le Président Mbeki souligna à nouveau la nécessité de parité et d’équilibre. Chose intéressante : selon le MLC, il ne serait pas possible que le RCD occupe le poste de Premier ministre, à cause des

gouvernement, toutefois, s’occupait lui-même de son propre transport. Tandis que beaucoup des personnes à qui nous avions affaire étaient suffisamment aisées pour régler elles-mêmes ces frais, beaucoup d’autres ne l’étaient pas. Subventionner les riches nous semblait un moindre mal que d’exclure les pauvres.

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relations du RCD avec le Rwanda ;64 cependant le MLC n’avait pas de mal à envisager un Munyamulenge comme chef du parlement de transition. Jean-Pierre Bemba, comme l’ambassadeur des États-Unis, prédisait que le RCD ne survivrait pas à la déclaration d’un accord entre le MLC et le gouvernement. Il estimait que 50% des membres du RCD partiraient si l’accord réussissait, mai nous ne saurons jamais s’il avait raison, parce que l’accord était impraticable. François Mwamba nous assura que 70-80% de la Plénière soutiendraient l’accord. En l’occurrence, je crois qu’elle le soutint aux deux-tiers environ, en signant l’accord que l’on faisait circuler au moment même où nous discutions. (Néanmoins, tout accord qui excluait jusqu’à un tiers de la plénière ne pouvait se prévaloir du consensus.) Parlant en sa qualité d’avocat, Alexis Thambwe déclara alors que le Président de l’Assemblée avait la préséance sur le Premier ministre et qu’il pouvait même remplacer le Chef d’État, en cas du décès de celui-ci. Il présenta aussi un concept que j’ignorais – les « portefeuilles de la souveraineté », qui désignaient les ministères clés : Mines, Énergie, Budget, Plan, Finance, Intérieur, Défense et Affaires étrangères. Ces ministères, ainsi que d’autres ministères clés, seraient partagés équitablement entre les parties dans le cadre de l’accord que le gouvernement et le MLC essayaient de faire accepter au RCD. Le Président Mbeki dit qu’il pensait qu’il était possible de parvenir à un accord et que nous parlerions ensuite au RCD. Il mentionna aussi qu’il comptait sur ses pairs africains pour aider à garantir tout accord ; tous, dit-il, se montraient en faveur, tant la RDC était importante pour l’ensemble du continent. Si l’accord ne marchait pas, tout le pays 64

Plus tard, après que Azarias Ruberwa fut devenu chef du RCD, il devint également l’un des quatre Vice-Présidents du gouvernement de transition. À mon avis personnel, c’était un mythe congolais que les Rwandais contrôlaient le RCD. Le gouvernement du Rwanda avait, certes, des liens serrés avec les rebelles, mais le RCD était une coalition assez vague de patriotes et d’opportunistes, d’hommes de principes et d’hommes sans scrupules, de Tutsis congolais et de combattants exAFDL, d’anciens soldats du gouvernement et d’hommes d’affaires prospères. Dans cette mesure, il reflétait la réalité d’une bonne partie de la classe politique congolaise et n’était probablement pas sous le contrôle effectif du gouvernement voisin ni de qui que se fût d’autre, malgré l’existence d’une équipe de « conseillers » rwandais à proximité, à Sun City, et malgré sa dépendance militaire vis-à-vis du Rwanda.

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souffrirait et des étrangers arriveraient de nouveau pour le piller comme ils l’avaient fait par le passé. Au bout de deux heures, le MLC partit et le RCD entra, à 13h00. Le RCD envoya sept délégués à la réunion avec le médiateur et le facilitateur. Le Dr. Onusumba était accompagné d’Azarias Ruberwa, Secrétaire général du RCD, le seul leader congolais au sujet duquel je n’avais jamais entendu de rumeurs de corruption, et ce malgré le fait que beaucoup lui reprochaient d’être un laquais rwandais. Chrétien fervent, personnage austère et penseur rusé, Maître Ruberwa excellait dans les débats, malgré une tendance à la verbosité. Jean-Pierre Ondekane, le commandant militaire du RCD était, par contre, beaucoup plus taciturne. Il avait été militaire de carrière dans l’armée de Mobutu et venait de l’Équateur, comme beaucoup des leaders du MLC65. À l’époque, il détenait probablement sur le champ de bataille une puissance supérieure à celle du MLC ou du gouvernement, un fait que ces deux derniers auraient sans doute contesté, mais qui rendait essentiel la participation du RCD. Il y avait aussi Jean-Marie Emmungu, chargé du portefeuille de la Justice – concept qui, en RDC, se distinguait davantage par les infractions que par le respect – et Émile Ilunga, prédécesseur du Dr Onusumba. En ce sens, le RCD était moins monolithique que le MLC ou le gouvernement, ayant changé de dirigeants plus d’une fois en réponse aux circonstances changeantes. Les critiques du RCD croyaient naturellement que le gouvernement du Rwanda imposait et remplaçait à son gré tous les leaders du RCD. Le RCD se distinguait aussi par une autre différence de ses homologues à exclusivité masculine : il arriva en effet avec une femme dans sa délégation, Mme Gertrude Kitembo, qui deviendrait plus tard ministre des Postes et Télécommunications dans le gouvernement de transition. Le Dr Onusumba remercia QM et le Président Mbeki du rôle qu’ils jouaient et Me Ruberwa présenta dans leurs grandes lignes les arguments contre un accord bilatéral. Il estimait que c’était un coup porté aux procédures de Lusaka et dit que le RCD avait transigé en acceptant que la présidence reste entre les mains de Joseph Kabila ; son équipe estimait que « Mbeki II » offrait une voie de sortie réaliste 65

Il fut plus tard ministre de la Défense dans le gouvernement de transition, jusqu’à ce qu’il fût remplacé par Adolphe Onusumba dans un remaniement ministériel à la fin de 2004.

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et qu’un groupe plus petit pourrait encore le peaufiner après le départ des autres. Ils se sentaient trahis par le changement de position du MLC et avaient peur que cet accord aboutisse à une partition effective du pays, en plus du fait de ne pas cadrer avec les paramètres fixés pour le DIC en se moquant des principes de consensus et d’inclusivité. Puisque les négociations MLC/ gouvernement étaient privées, ils ne connaissaient pas les détails et trouvaient difficile par conséquent de répondre à la question de QM de savoir où il souhaiterait apporter des modifications à un tel accord. Le Président Mbeki résuma les points principaux de l’accord gouvernement/ MLC tel qu’il l’avait compris en s’entretenant plus tôt avec les parties responsables. Cet accord offrait effectivement au RCD le portefeuille de la Défense, par le biais du poste de premier Premier ministre adjoint, dans une structure classique de Président + Premier ministre + Parlement. Ce trio dirigerait l’Assemblée, tandis que les partis politiques auraient à fournir un leader pour le sénat. Le Président de l’Assemblée aurait la préséance sur le Premier ministre. La délégation du RCD rit et le Dr Onusumba observa : « Ils sont malins ». Le Président Mbeki ajouta que le MLC s’attendait à ce que le RCD soit chargé du « portefeuille de la souveraineté » de l’Intérieur, de la Justice, de la Défense et des Affaires Étrangères. Le Président exercerait son pouvoir de désignation sous réserve de l’autorisation du Premier ministre, et il serait conseillé par l’intermédiaire du Conseil des Ministres. Le Président Mbeki expliqua que les réunions du matin étaient destinées à identifier clairement les divergences entre les parties de manière à pouvoir les soumettre à la négociation pendant l’après-midi. Le Dr Onusumba dit qu’ils avaient une réponse à chaque position présentée jusque-là mais qu’ils réserveraient leurs vues pour la négociation. Me Ruberwa voulait savoir ce que deviendrait « Mbeki II » et aussi ce qui se passerait si le RCD acceptait le cadre offert par les deux autres parties mais n’était pas d’accord, ensuite, pour les candidats aux postes. Les autres seraient-ils incités à conclure que quatre sur cinq suffisaient à constituer le consensus ? Si oui, les autres belligérants réunis ne contrôlaient pas une plus grande partie du territoire que le RCD à lui tout seul et l’accord menait tout droit à la partition. Le RCD avait rejeté « Mbeki I » parce que le Conseil Supérieur était un organe consultatif ; par contre, il avait accepté « Mbeki II » parce que son Conseil d’État avait des pouvoirs exécutifs. Ils pouvaient maintenant, au besoin, ajuster leur tir et 253

présenter à nouveau leurs ambitions dans le cadre d’un schéma classique, si « Mbeki II » n’était plus valable. À ce stade, cela faisait deux heures que nous parlions et QM demanda au RCD d’abréger parce que, sinon, les autres parties seraient déjà reparties pour la RDC avant qu’il n’ait terminé. Émile Ilunga plaça la dispute dans la perspective historique de la destruction de Lumumba par une classe politique qu’il fallait remplacer à présent par une élite politique nouvelle et honnête. Jean-Marie Emmungu écarta la prétendue sensibilité des autres belligérants aux liens du RCD avec le Rwanda, en faisant remarquer que José Endundo ainsi que Alexis Thambwe avaient eu ce même soutien quand ils étaient membres du RCD. (Azarias Ruberwa, de même, écarta toute sensibilité à l’égard des Tutsis de la part de personnes qui n’avaient rien objecté lorsque les Rwandais avaient porté Laurent Kabila au pouvoir.) Ensuite, le RCD insista sur des garanties que ni QM ni le Président sud-africain ne chercherait à obtenir une prolongation ou à nommer un groupe plus petit pour continuer, tant qu’un consensus inclusif n’aurait pas été assuré. QM et le Président Mbeki précisèrent clairement les obligations et les restrictions du rôle du Facilitateur prévues dans l’Accord de Lusaka. Sans le consensus de toutes les parties, QM ne pouvait donner son aval à aucun accord. Il fit observer que le fait de procéder à des négociations par l’intermédiaire d’une conférence de presse, ce que venaient de faire, en effet, le gouvernement et le MLC, était une démarche destinée davantage à plaire à un public qu’à engager ceux qui devaient y participer. À 16h15, plus de trois heures après l’arrivée du RCD, et sept heures après le début des consultations, il fut convenu que le Président Mbeki convoquerait plus tard les trois belligérants, avec QM, afin d’essayer de négocier un ensemble de compromis acceptable. Nous fûmes contents de pouvoir faire une brève pause, le temps de courir trouver un sandwich ; ensuite nous fîmes un compte rendu à nos collègues et rassemblâmes nos forces pour la négociation. Notre personnel nous informa que la plénière avait refusé d’autoriser Mustapha Niasse à assurer la présidence pendant que QM était en consultation avec les belligérants : les délégués attendaient l’issue de cette tentative de dernière minute. Il régnait une grande confusion à propos des cars, des vols et d’autres dispositions pour le départ, mais il était plus important d’essayer d’arriver à un accord que de 254

reprogrammer les transports. Nous nous réunîmes de nouveau à 18h15 au rez-de-chaussée du Palace Hotel, dans une salle de réunion appelée le Royal Salon, avec des sièges placés autour d’une table rectangulaire et un tableau de conférence installé à l’un des bouts. Nous allions y passer six heures. Chaque équipe avait été agrandie. Le gouvernement avait ajouté Mwenze Kongolo et Theodore Mbuyu ; le RCD, Bizima Karaha et Joseph Mudumbi ; et le MLC, José Endundo. Le Président Mbeki fut rejoint par sa ministre des Affaires étrangères et Mojanku Gumbi, femmes d’une force remarquable et ayant une expérience solide des complexités du Congo. Le Président sud-africain prit la parole et dit que deux propositions avaient été présentées et qu’elles étaient difficiles à réconcilier. La première était une version modifiée de sa première synthèse : une présidence Kabila étayée par un Conseil d’État exécutif, avec un Premier ministre tiré de l’opposition politique. Le gouvernement, pour sa part, proposait une présidence Kabila, mais avec un Conseil de Défense et de Sécurité plutôt qu’un Conseil d’État, un Premier ministre tiré du MLC et, des rangs du RCD, le président de l’Assemblée nationale et un premier Premier ministre adjoint responsable de la Défense. Le Président Mbeki précisa que les deux propositions ne pouvaient être fusionnées et demanda s’il y avait une possibilité de compromis ; les parties accepteraient-elles d’examiner les deux propositions conjointement, d’analyser le partage du pouvoir, de prendre des décisions et d’aller de l’avant ? En l’absence de toute dissension, le Président Mbeki se leva devant le tableau de conférence, tel un professeur devant sa classe, pendant qu’Augustin Katumba répétait l’essentiel de la seconde proposition, et dessina un schéma pour représenter les éléments en cause et expliquer l’interface entre les postes de président et de Premier ministre en matière de défense et de sécurité. Jean-Pierre Bemba et Mwenze Kongolo s’étendirent sur les détails et le Dr Onusumba dit que c’était la première explication qu’ils entendaient de ce que proposaient le gouvernement et le MLC. Son collègue Joseph Mudumbi fit une contribution plus passionnée – des gens mouraient en RDC et l’essentiel était la réunification du pays et l’organisation des élections, mais les parties ne se faisaient pas confiance : c’était un dialogue de sourds. Mwenze Kongolo répondit et QM essaya de les ramener à la 255

sollicitation du Président Mbeki : chercher un compromis que le RCD puisse accepter. Alexis Thambwe dit qu’il craignait bien que la partition du pays arrange beaucoup de ceux qui étaient présents dans la salle et que 50 jours de pourparlers se soldent par un échec. Je sortis à ce stade-là pour établir le degré de chaos qui régnait dans les dispositions pratiques que nous devions communiquer aux délégués. Personne ne savait ce qui allait se passer et nos avions avaient été mis en attente. Lorsque je revins, vingt minutes plus tard, ce fut pour trouver une ambiance atteinte par la répétition et la fatigue. Les enjeux ne pouvaient pas être plus élevés, le cadre était très rationnel, la date limite avait sonné, mais les parties étaient incapables de conclure. Azarias Ruberwa demanda que QM convoque une plénière pour passer en revue sa synthèse, puisque la proposition qu’on leur demandait de revoir à présent était extérieure, non consensuelle et non inclusive. Il prétendit qu’un membre de sa délégation avait reçu une offre de 1 000 dollars pour appuyer le document gouvernement/ MLC (affirmation qui fut souvent répétée par d’autres mais jamais prouvée publiquement). Pourquoi les parties ne pouvaient-elles travailler ensemble pendant les quelques heures supplémentaires qu’il faudrait pour parvenir à un consensus ? QM dit qu’il trouvait navrant d’entendre des discours éloquents qui échouaient lamentablement en s’attaquant au problème. Me Mudumbi avait défini le problème, sinon la solution : s’ils partaient maintenant, ils réarmeraient et reprendraient les hostilités. Il précisa qu’ils avaient fait de bons briefings pendant la matinée mais qu’ils perdraient le temps de leur hôte s’ils n’arrivaient pas maintenant à une conclusion. Il enchaîna en résumant les principaux points de convergence dans sa synthèse de « Mbeki II » et précisa que les principaux points de divergence restaient le Conseil d’État et le Conseil de Défense. Le Pr. Caputo fit allusion aux pourparlers convoqués plus tôt dans l’année à Bruxelles et dit qu’ils s’étaient servis des conclusions de cette réunion-là pour élaborer un modèle qui avait été largement soutenu par les parties ainsi que sur le plan international. Pourquoi recommencer avec un autre modèle ? Pour ma part, il me semblait que cette approche visait implicitement à écarter le facilitateur et tout ce qu’il représentait. Elle confirmait les dangers de tout processus parallèle ou de tout forum alternatif. Ce n’était pas que ses conclusions fussent impraticables ou erronées, mais leur existence 256

offrait des alternatives et présentait une échappatoire au moment où les débats atteignaient une étape décisive, qui devait s’achever obligatoirement dans le cadre convenu. Le Dr Onusumba affirma que s’ils ne pouvaient pas faire de concessions, ils n’avaient qu’à rentrer, tous. Contrairement à son collègue professionnel, Augustin Katumba suggéra que QM présentât sa synthèse des amendements à la plénière. Me Ruberwa, d’autre part, voulait que les parties présentes dans la salle quittent la séance et se réunissent à nouveau, solution en main, plutôt que de manipuler la plénière. À ce moment-là Olivier Kamitatu mit la proposition du gouvernement/ MLC sur le tableau de conférence et demanda au RDC de préciser en quoi elle était déséquilibrée et ne répondait pas à leurs besoins. Chacun des belligérants, insista-t-il, siégerait au Conseil de Défense, aurait un Premier ministre adjoint et huit postes ministériels. L’opposition assurerait la direction du sénat, nommerait huit ministres et un Premier ministre adjoint. La société civile dirigerait les cinq institutions de la commission électorale et celles chargées de la vérité et de la réconciliation, des médias, des droits de l’homme et de la lutte contre la corruption. Bizima Karaha dit que le MLC avait enfin donné une réponse partielle à leurs questions mais qu’elle n’avait pas été communiquée préalablement au facilitateur et que le MLC était le seul groupe à ne l’avoir pas fait. Il poursuivit en signalant que le RCD était numériquement désavantagé dans la salle (12 contre 8) et que l’incapacité à arriver à un consensus aboutirait également à un échec en plénière. À 22h30 nous levâmes la séance pour une heure. Lorsque nous nous réunîmes à nouveau, il sembla qu’il n’y eût pas de progrès. Les délégués rentraient à leurs hôtels ; nous n’étions pas sûrs de pouvoir les retenir encore un jour et, compte tenu de la tournure que prenait la réunion, nous étions encore moins sûrs que cela en vaudrait la peine. Le Président Mbeki encouragea les délégués à continuer à travailler, et ajouta : « Le sommeil n’est pas plus important que l’avenir du Congo. » La réunion se termina après minuit sur une demande de la part de QM que les parties se réunissent en plénière dans quelques heures ; une solution n’était pas loin, mais il n’en voyait pas encore poindre la volonté. Un petit groupe du bureau de la facilitation passa ensuite les petites heures du matin à réveiller fonctionnaires et collègues endormis afin de reporter les vols suffisamment longtemps pour 257

permettre à la plénière de se réunir. Je détectai des signes de colère devant l’absence d’une résolution et je redoutais qu’un échec à Sun City provoquât des violences en RDC. À 08h00 nous passâmes en revue avec QM ce que nous pouvions faire en plénière. Ce que nous pouvions souhaiter de mieux était d’adopter toutes les résolutions n’ayant pas encore été ratifiées, créer un groupe de suivi pour continuer les négociations, clore les travaux et renvoyer tout le monde chez soi. Il régnait une grande confusion dans les tentes qui avaient vu formuler avec tant d’élégance toutes ces aspirations au cours des six semaines passées. À midi, le Président Mbeki arriva à la grande tente de la plénière et QM demanda aux Congolais de commencer par une prière. J’avais parlé avec QM pendant qu’il attendait que les Congolais s’assemblent et j’ignorais totalement comment il entendait aborder la réunion. Il pouvait, à ce qu’il me semblait, soit démissionner, soit consulter les Congolais sur ce qu’ils voulaient, soit les convaincre d’accepter un groupe plus petit de négociateurs. Mustapha Niasse réussit je ne sais comment à faire ratifier par la plénière les dernières résolutions de sa commission inachevée. Le gouvernement et les Mai Mai relevèrent une faute d’impression ou de transcription dans l’un de nos documents et le RCD fit inscrire une réserve à propos des détails du retrait des forces étrangères. À 14h15, le Pr. Lebatt put faire annoncer que 37 résolutions avaient pu être formulées et ratifiées par toutes les parties mais qu’il restait à créer un nouvel ordre politique. QM demanda que 33 délégués représentant les composantes, entités et groupes présents restent pour négocier les questions restées en suspens, mais l’élan n’y était plus. Olivier Kamitatu remercia le Président Mbeki de sa patience mais déclara que la realpolitik nécessitait désormais un autre format. Augustin Katumba, de même, exprima la reconnaissance du gouvernement pour tout ce qui avait été fait mais précisa que les participants n’étaient pas encore prêts à finaliser les choses et que le gouvernement rentrerait maintenant à Kinshasa. Lorsque QM prit la parole ce fut avec beaucoup de conviction et les Congolais l’écoutaient comme des écoliers pris en défaut. « On a monté un coup en dehors » dit-il. « Nous ne pouvons rentrer tant que nous n’aurons pas de consensus et tant que nous n’aurons pas en place les institutions pour mettre en œuvre les résolutions adoptées ici. » Seul le RCD applaudit. Ensuite, il lut le rapport de la facilitation sur 258

ce qui avait été accompli et rappela aux délégués les dispositions de l’Accord de Lusaka. Le Président Mbeki demanda leurs vues aux parties. Alexis Thambwe dit que le MLC ne participerait pas à d’autres négociations. Il avait toujours confiance dans le facilitateur, dit-il d’un air entendu, mais pas dans certains membres de l’équipe de celui-ci. Tout procès supplémentaire serait mené à un autre niveau, ajouta-t-il. Vital Kamerhe observa que le DIC n’était pas un échec mais que la délégation devait partir – « le peuple attend. » Les débats furent clos à 15h30. QM convoqua à nouveau la plénière quelque deux heures plus tard, en présence du Président Mbeki et de Nkosazana Zuma. Il expliqua qu’il faudrait d’autres discussions avant que les participants ne partent. Il rappela comment nous étions arrivés à la situation actuelle, les efforts qui avaient été déployés pour la résoudre et la raison pour laquelle il n’avait pas distribué plus tôt la synthèse des amendements apportés à « Mbeki II » que sa propre équipe avait rédigée : l’une des parties n’y avait toujours pas répondu officiellement (le MLC). QM me demanda de lire la synthèse à la plénière. Nerveux et sans avoir été averti à l’avance, je commençai en anglais, m’arrêtai et repris en français. Le document comptait plus de 12 pages. Lorsque j’eus fini, QM expliqua que nous étions bloqués par le fait que le gouvernement et le MLC n’avaient pas soumis la proposition opposée. Sans elle il ne pouvait y avoir de consensus ; sans consensus il n’y aurait pas de mécanisme légitime pour mettre en place les nouvelles institutions. Tenace jusqu’au bout, il redonna la parole aux Congolais. Mwenze Kongole demanda que QM clôture le DIC sous sa forme actuelle et qu’il continue son rôle en mettant en contact des personnes pour résoudre le problème de la RDC. Olivier Kamitatu dit que le paysage politique avait changé. Ce qu’il fallait c’était une « structure plus légère, plus petite, plus professionnelle. » (J’étais plutôt d’accord avec lui, mais les structures que nous avions érigées étaient davantage une réponse aux exigences des Congolais eux-mêmes qu’une invention de l’équipe de facilitation.) Azarias Ruberwa félicita enfin QM pour la version amendée de « Mbeki II ». Il dit qu’ils devraient se souvenir des paroles du Président Mbeki de la veille et remarqua : « Nos problèmes seront toujours là demain, quand nous aurons dormi. » Mais François Muamba déclara que, alors que le DIC n’était pas un échec et avait permis de progresser vers une solution 259

inclusive, le gouvernement et le MLC avaient conclu qu’il était clos sous sa forme actuelle. Quelques-uns qui prirent la parole par la suite étaient d’accord, d’autres ne l’étaient pas. Avant que QM ne lèvât la séance, le Président Mbeki prit la parole. Il remercia le facilitateur, son équipe et les commissions pour tous leurs résultats positifs, toutes les choses sur lesquelles ils s’étaient accordés. Il exprima son inquiétude quant aux attitudes à l’égard de Lusaka. Il ne devrait pas être si facile de tourner le dos à un accord international ; Lusaka était un document de base de l’OUA. On pouvait changer ce document, mais avec prudence. Il appartenait au peuple congolais. Il leur souhaita bon voyage et « Welcome back ». « Nous ne cesserons pas de vous soutenir. Vous connaissez la souffrance de votre peuple. » Puis il les admonesta avec plus de sévérité, je crois, qu’ils ne le soupçonnaient : « Nous ne pouvons construire une nouvelle Afrique avec un vieux Congo. » C’était fini. Ce n’était ni une réussite ni un échec ; 52 jours de procrastination et de manigances, de rhétorique et d’éloquence, de nuits de travail et de débats sans fin. Le RCD était ouvertement enthousiasmé par la position de QM, à savoir que l’Accord de Lusaka exigeait un consensus et ne pouvait être abandonné parce qu’une solution partielle avait été proposée ailleurs. Le gouvernement était prudent au sujet de ce à quoi il avait souscrit. Le MLC était visiblement embarrassé. Au moment où nous quittions la grande tente de la plénière, je vis des délégués qui faisaient la queue pour signer l’accord partiel, tandis que d’autres tenaient une conférence de presse à quelques mètres de là pour le dénoncer. Il me semblait que chaque fois que Jean-Pierre Bemba avait formé une alliance avec d’autres Congolais, elle n’avait pas duré. Le MLC s’était allié à différents stades au cours des deux dernières années avec le RCD, le RCD-ML et la formation de partis politiques appelée UFAD. Jean-Pierre Bemba serait incapable de travailler avec Joseph Kabila. Ils étaient comme le jour et la nuit. Le Rwanda n’allait pas en rester là. Je ne voyais pas comment le gouvernement et le MLC, fût-ce en collaboration avec d’autres composantes, réintégreraient le RCD dans le processus sans aide extérieure. Cela semblait une base peu réaliste pour un nouveau départ. J’aperçus Olivier Kamitatu qui se frayait péniblement un chemin vers la sortie. « Olivier, comment allez-vous réussir à faire marcher ça ? » demandai-je. Il sembla ne pas savoir quoi répondre.

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Pour l’équipe désormais moins nombreuse de la facilitation, le travail était loin d’être fini. Il nous fallait reconduire les délégués chez eux dans des avions affrétés dont les propriétaires ne faisaient plus confiance aux horaires que nous leur soumettions. On démantelait la cité des tentes. Il fallait régler la note à Sun City. Nous devions finaliser notre rapport sur deux ans de travail et attendre de voir comment la situation allait évoluer. Il allait nous falloir encore trois jours pour distribuer les corvées avant que notre personnel pût enfin songer à s’aménager un peu de repos. Le lendemain matin, nous attaquâmes nos tâches et j’organisai une petite fête pour les survivants de la facilitation. La première heure me vit accroché à mon téléphone portable, mais ensuite je l’éteignis. La direction de Sun City nous avait offert des billets gratuits pour un concert ce soir-là. Plus tard, un reste de notre équipe – sept en tout et pour tout – se retrouva dans l’auditorium. Nous écoutâmes un concert donné par UB 40, le groupe reggae anglais, et dansâmes avec hésitation, incertains de ce qui allait suivre ; mais ce fut tout de même une détente. Le lendemain, lorsque je remerciais l’équipe de direction de Sun City, on me demanda comment cela s’était terminé. J’expliquai que ce n’était pas vraiment terminé et je fus surpris d’entendre dire par la direction que les Congolais seraient les bienvenus si jamais ils revenaient – ils s’étaient bien comportés et avaient créé très peu d’ennuis. Il était bon de savoir qu’il y avait quelqu’un de satisfait. Le DIC nous réservait cependant une mauvaise surprise : le RCD et l’UDPS annoncèrent la formation d’une Alliance pour la Sauvegarde du Dialogue (ASD), il y eut des tentatives pour retenir en Afrique du Sud un groupe représentatif de délégués et nos téléphones sonnèrent sans relâche avec des demandes pour que nous prenions telle ou telle mesure pour sauver la situation. Nous n’étions plus en mesure de sauver la situation mais, en revanche, nous commençâmes à analyser nos options. Nous dûmes également expliquer à tous ceux qui téléphonaient ce que pourrait signifier un ajournement. Alors que je rattrapais du sommeil le lendemain, le téléphone me réveilla. C’était la très directe et pratique Clare Short, ministre britannique, qui se trouvait à Washington. Elle ne pensait pas beaucoup de bien du rôle joué par les États-Unis mais elle estimait qu’il n’était pas impossible que les dirigeants de l’UA, l’ONU et d’autres puissent ramener les parties à la table pour un ultime effort. Je dis que je pensais que le processus avait été perturbé en partie à cause d’un encouragement de 261

l’extérieur et en partie parce que les problèmes étaient particulièrement difficiles et que les Congolais n’étaient pas encore prêts à les aborder de d’une manière réaliste. Le bureau du Président Mbeki téléphona aussi, pour demander des copies de toutes les résolutions : lui non plus n’avait pas renoncé. QM essayait de joindre Joseph Kabila, sans succès. Je ne pus qu’admirer leur détermination en me rendormant. Ce soir-là je m’en fus faire un tour de paravoile sur le lac artificiel qui bordait l’un des terrains de golf à Sun City, avec Jill Fleming, l’organisatrice de conférences sud-africaine efficace et travailleuse que nous avions engagée afin de nous aider pour la réunion, et Ugo Solinas, dont le diplôme en sciences politiques venait d’être agrémenté d’une bonne dose de réalité politique, le tout servi dans le décor irréel où nous étions suspendus à présent, entre ciel et eau, prisonniers du travail des deux dernières années, pendant que les Congolais ruminaient ce qu’ils avaient fait.

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CHAPITRE XVIII « IL NOUS FAUT UN CHEF D’ORCHESTRE »

Déclaration du porte-parole du Quai d'Orsay (Paris, le 23 avril 2002) “A l'issue du point de presse, le porte-parole a rendu publique la déclaration conjointe de la France, de la Grande-Bretagne et de la Belgique faite à l'occasion de la conférence euroméditerranéenne de Valence au sujet de la clôture des travaux du dialogue national à Sun City : “La France, la Grande-Bretagne et la Belgique saluent les importantes avancées obtenues dans le cadre du dialogue national dont les travaux se sont achevés a Sun City en Afrique du sud le 19 avril. Elles louent les efforts de médiation déployés par le président Mbeki et le facilitateur. L'accord politique conclu à cette occasion entre le gouvernement et le MLC, et auquel s'est ralliée la majorité des participants, pourrait faciliter la transition politique et contribuer à consolider le processus de paix régional en RDC fondé sur l'accord de Lusaka et les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies. La France, la Grande-Bretagne et la Belgique notent que quelques participants, et notamment le RCD, n'ont pas accepté de se joindre à cet accord. Ce désaccord menace l'espoir de paix né à Sun City. Elles appellent toutes les parties congolaises à continuer les négociations et à rejoindre la dynamique politique qui vient de s'engager et à s'abstenir de toute initiative susceptible de l'entraver ou de conduire à une reprise des hostilités. Elles engagent vivement tous les Etats signataires de Lusaka et les pays de la région à respecter et à soutenir la volonté d'unité, de démocratie et de paix que les Congolais viennent ainsi de manifester sans ambiguïté à Sun City.”” L’ambivalence de la déclaration de l’UE susmentionnée provient de la nécessité pour ses trois signataires de trouver, malgré leurs perspectives différentes, une voix commune pour louer les progrès réalisés à Sun City tout en annonçant que seul un accord pleinement inclusif résoudrait le problème. Certains le lurent comme une

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déclaration de soutien en faveur de l’accord partiel tandis que d’autres le virent plutôt comme une incitation à réengager le RCD. Au Cap, le Président Mbeki accueillit une réunion de ceux qui n’avaient pas signé l’accord, les membres de l’ASD, et à Matadi, le port atlantique de la RDC, le MLC et le gouvernement essayèrent, avec les membres de la société civile et de l’opposition politique qui soutenaient leur accord, de collaborer à un projet de constitution afin de faire avancer cet accord. Ils trouvèrent cette coopération difficile. Par exemple, la version signée de l’accord du gouvernement/ MLC divergeait apparemment de celle qui avait été négociée, dans la mesure où elle accordait à la présidence plus de pouvoirs que convenu. Pendant ce temps, Jean-Pierre Bemba resta à Gbadolite, invoquant ses préoccupations au sujet de la sécurité comme raison de ne pas se rendre à Kinshasa pour entrer dans ses fonctions de Premier ministre. Louis Michel visita Kinshasa ; on voyait de nouveau des cadavres qui descendaient la rivière sous le pont de Tshopo à Kisangani, -région tombant sous le commandement de Laurent Nkunda, un resonsable du RCD qui allait réapparaître dans les Kivu en 2004 dans une rébellion contre le gouvernement de transition. Tandis que les combattants marchandaient, il était salutaire de se souvenir du sort de la plupart de ceux qu’ils prétendaient diriger – nés pauvres au milieu de grandes richesses naturelles, privés de médicaments et d’enseignement, la proie des bandits armés qui violaient leurs femmes et leurs filles, volaient leurs biens dérisoires, mangeaient leurs réserves de nourriture et pillaient leurs centres de santé. Puisque cela succédait à quarante ans de pillages perpétrés par l’État, il n’y avait rien de surprenant à ce que l’IRC, une agence des États-Unis, continuât à publier des calculs de mortalités indiquant que le conflit en RDC était probablement le plus meurtrier du globe. Le Conseil de Sécurité visita la région et QM alla à sa rencontre à Luanda (Angola), où il assista d’abord à une réunion du Comité politique de l’Accord de Lusaka, qui lui témoigna apparemment son soutien et salua son travail. Il put ensuite présenter ses vues à une équipe du Conseil de Sécurité sous la direction de Jean David Levitte. Il me dit au téléphone avoir reçu un accueil chaleureux. Cependant, personne n’ignorait que Jean-David Levitte ne prévoyait plus de rôle pour QM ni pour la facilitation et estimait que l’affaire serait désormais résolue par le Conseil de Sécurité qui ferait pression sur le

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Président Kagame, ce qui viserait apparemment à conduire le RCD à adhérer à l’accord partiel. Selon cette vue, la realpolitik l’avait emporté sur les questions légalistes de procédure dans le cadre de Lusaka. Je trouvais que cette approche sous-estimait la difficulté à former un gouvernement de transition et surestimait l’influence des Rwandais sur le RCD, lequel, avec l’UDPS, était en train de former des alliances avec des personnalités telles que François Lumumba et Raphaël Katebe Katoto dans un effort pour convoquer à nouveau les négociations et les faire aboutir à un accord inclusif. Aux yeux de ceux qui souscrivaient à ce que l’on pourrait appeler l’approche de la realpolitik, toute autre tentative de la part de QM pour invoquer l’accord qui lui donna son mandat serait en contradiction flagrante avec les faits ; cela le cantonnerait également dans une minorité réunissant apparemment l’Afrique du Sud, le Rwanda, le RCD et quelques partis politiques qui se regrouperaient contre un monde plus sage, plus large – un monde qui trouvait qu’il y avait du mérite à ménager une place au RCD afin qu’il se joignît à un accord concocté en privé, en dehors du seul cadre de référence convenu. À mon avis, c’était une démarche extrêmement dangereuse : si l’on sacrifiait les principes à des faits prétendument concrets et reconnus, mais en réalité contestés,66 au nom de la realpolitik, aucun accord n’était alors durable et rien ne valait la peine d’être signé. On peut ne pas respecter les principes, comme on peut 66

À mon avis, l’équilibre des forces aurait tout aussi bien pu être invoqué en faveur de l’ASD, plutôt qu’à l’avantage du pacte fragile entre le MLC et le gouvernement, pacte dont les promoteurs étaient aveuglés par l’illusion du pouvoir qui réside le plus souvent dans les villes capitales. En réalité le gouvernement de la RDC exerçait en RDC un contrôle effectif limité et ses forces étaient d’habitude vaincues lorsqu’elles essayaient d’attaquer le RCD ou le RPA sur le champ de bataille. Le gouvernement survécut à la guerre civile grâce aux soldats angolais et zimbabwéens ; pourtant, le Zimbabwe s’affaiblissait et l’Angola se lassait, préférant se concentrer sur ses propres conflits. Des calculs plus réalistes auraient pu montrer que l’exclusion de la force la plus puissante à ce stade ne manquerait pas de miner tout pacte entre, d’une part, un groupe rebelle qui ne contrôlait guère plus qu’une province, malgré ses efforts pour s’étendre vers l’Est et ses menaces de prendre Kinshasa et, d’autre part, un gouvernement qui surestimait systématiquement ses propres capacités, cherchant à créer ou à s’assurer l’aide de mandataires autant pour combler ses faiblesses que pour ajouter à ses forces. Certains, convaincus que les États-Unis pourraient ramener de force le gouvernement rwandais dans le rang, pensaient que les Rwandais aussi bien que leurs mandataires en RDC seraient obligés de céder devant l’élan du pacte partiel.

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ignorer la loi, mais une telle approche contient les germes de son propre effondrement, parce qu’il n’y a plus alors de point de référence, de norme, d’étalon communs à partir desquels juger une option. QM avait déjà appelé Kofi Annan pour le briefer sur les événements à Sun City et le Secrétaire général l’invita à lui rendre visite à New York, quand le Conseil de Sécurité serait revenu d’Afrique. QM soutenait que le processus devait être conduit à une conclusion convenable, qu’il était lui-même disponible pour aider de son mieux, mais qu’il ne se cramponnerait pas à son poste et qu’il admettait que d’autres qui étaient susceptibles d’aider devraient y être encouragés. En cela, il démontrait son humilité habituelle, qualité qui distinguait rarement les leaders politiques ayant détenu le pouvoir aussi longtemps que lui. Peut-être son humilité était-elle liée à la population relativement petite du Botswana et à son expérience de coexistence avec une voisine plus puissante qui avait convoité longtemps son territoire et ses ressources. Comme il le disait luimême, il n’était pas à la recherche d’un emploi au moment d’accepter de faciliter les négociations congolaises – il pouvait toujours retourner à sa exploitation agricole. QM prévint cependant qu’aucune puissance étrangère ne pourrait résoudre le problème – seuls les Congolais, ensemble, pourraient effectivement mettre fin à leur conflit. Le Président Mbeki avait signalé sa volonté d’aider en quelque qualité que ce fût, mais seulement dans le contexte prévu par l’Accord de Lusaka, comme il l’avait fait à Sun City : aucun autre cadre de référence congolais n’existait, avait-il dit, malgré ce qui avait pu être avancé à Sun City. Pendant ce temps Bakary Dabo préparait notre rapport sur le DIC, j’examinais de quoi pouvait avoir l’air une « structure plus petite, plus légère, plus professionnelle » et le Président Kabila déclarait le DIC terminé. Toutefois, personne ne doutait de la nécessité de négociations supplémentaires, position qui fut également adoptée, à terme, par le Conseil de Sécurité. On nous dit que même Horst Kohler de la FMI avait proclamé que l’allégement de la dette avait pour condition qu’il y eût davantage de dialogue. Tandis que nos critiques souhaitaient notre disparition, l’ASD se cramponna à nous et au Président Mbeki comme principal espoir d’un accord convenable. Cela ne voulait pas dire que nous avions pris position, mais plutôt que deux groupes 266

avaient essayé de changer notre terrain d’entente. À un diplomate qui disait avoir peur que QM n’échouât, je répliquai : « Il échouera si vous le minez ». Face à un large consensus en faveur d’un nouveau tour de négociations afin d’intégrer à l’accord ceux qui ne l’avaient pas accepté, il fallait concevoir un nouveau dispositif en vue de nouveaux pourparlers. À ce moment, les sept semaines que j’avais passées à Sun City sans exercice véritable me rattrapèrent et je fus alité pendant quelques jours par une vieille blessure au dos, après quoi je pris une semaine de congé, n’ayant pu prendre que quatre jours pendant les trois derniers mois. Mes collègues discutèrent de l’évolution de la situation et en conclurent que nous devrions prendre une pause pour réfléchir, rester discrets et tout doucement consulter les parties intéressées sur la manière de procéder. Comme l’un deux me le dit : « Nous devrions rester au frigo pour l’instant ». Le Pr. Lebatt appela pour dire que le DPKO de l’ONU organisait le 17 mai à New York une revue de la situation en RDC. Un haut fonctionnaire nous dit que le DPKO se réunirait pour étudier le meilleur moyen de soutenir la transition aux élections, puisqu’« un accord avait été conclu ». À notre avis c’était, bien entendu, prématuré, puisque les parties dont nous avions sollicité les vues avaient presque toutes admis la nécessité de négociations supplémentaires et que l’accord partiel ne semblait pas faire beaucoup de progrès. En l’occurrence, le Secrétaire général décida d’une réunion sur le RDC à New York afin de trouver une entente sur les prochaines démarches à effectuer. À ce stade, il n’était pas clair qui serait invité à participer. Entre-temps les Sud-Africains avaient convoqué une réunion des parties congolaises au Cap et nous informèrent que le gouvernement et le MLC avaient pris le parti de s’abstenir ; les résultats étaient par conséquent limités. La position des États-Unis était difficile à déchiffrer – il y a beaucoup de sources d’autorité dans le gouvernement des États-Unis67 – mais ils semblaient en effet penser 67

Je n’ai jamais pu établir si l’ambassadeur Hooks agit de sa propre initiative et qu’il en informa ensuite ses supérieurs, ou si quelqu’un à Washington avait décidé qu’il s’y rende afin de promouvoir un accord partiel, étant donné qu’un accord global s’avérait si difficile à négocier.

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qu’une personnalité de haut rang des Nations unies pourrait réunir de nouveau les parties congolaises et les laisser dans une salle conclure un accord final, bien que les États-Unis eux-mêmes, comme le MLC, la France et la Belgique n’aient plus prévu de rôle pour la facilitation. La Grande-Bretagne estimait que les Nations unies et la jeune UA devraient convoquer les parties et que QM devrait présider la ratification de tout ce dont elles pourraient convenir, afin de résoudre le dénouement chaotique de Sun City. Des fonctionnaires de la SADC offrirent d’aider, par le biais de la prochaine réunion des chefs d’État à Maputo (Mozambique), et nous suggérâmes quelques points en vue de toute résolution qu’ils souhaiteraient éventuellement prendre. À Kisangani, les souffrances de la population congolaise continuaient. Un conflit éclata, provoqué, dit-on, par l’émergence d’un groupe qui s’appelait le RCD originel. Il y eut au moins trente morts dans une ville qui avait déjà subi le plus fort des combats inutiles entre les armées rwandaises et ougandaises. Certains y voyaient le début de l’implosion du RCD censée avoir été précipitée par Sun City, tandis que d’autres y détectaient la main du gouvernement, qui faisait son possible pour encourager une telle implosion. Quoi qu’il en fût, il était difficile d’y apercevoir la main du Conseil de Sécurité. Là où aucun intérêt russe, chinois ou occidental n’est menacé, où le conflit est prolongé et complexe, le Conseil de Sécurité n’a guère dans son arsenal que résolutions et exhortations. Ses injonctions fréquentes au RCD de démilitariser Kisangani n’avaient aucun effet visible sur la situation dans la ville. Elles favorisaient au contraire l’illusion cruelle que la communauté internationale pouvait faire quelque chose pour alléger les souffrances, alors qu’en réalité il n’y a que dans très peu de cas que le Conseil de Sécurité est à la fois prêt à imposer sa volonté et équipé pour le faire.68 J’arrivai à New York un jour avant QM, Rre Mogwe, Gilbert Motsemme et Ten Ten, afin d’essayer de tâter le pouls diplomatique, pour ainsi dire. Haile Menkerios me mit au courant des perspectives provenant du siège des Nations unies et le lendemain je vis ses collègues du Département des Affaires politiques, qui continuait à 68

La situation au Darfour (Soudan) est, au moment de la rédaction de ces lignes, un exemple encore plus cruel de l’impuissance du Conseil de Sécurité lors de tels conflits.

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superviser le dossier politique du Congo. Le conseil de Sécurité n’avait aucun rôle officiel dans le DIC, mais sans une réussite dans le DIC, les tâches qu’il supervisait, par l’intermédiaire du DPKO, à savoir DDRRR et le retrait des troupes étrangères, n’avaient pas beaucoup de chances d’avancer. Aussi le mandat de la MONUC continuait-il à être lié aux progrès ou à l’échec du DIC. Ce soir-là, le 16 mai, je rencontrai mes collègues arrivant du Botswana et les briefai, mais nous tombions tous de sommeil et nous nous revîmes donc le lendemain matin. Ils allèrent ensuite rencontrer Sir Kieran Prendergast, sous-secrétaire général pour les Affaires politiques et Jean-Marie Ghéhenno, son homologue pour les Opérations de Maintien de la Paix, pendant que je revoyais un texte qui allait servir à QM dans la réunion convoquée par le DPKO ; celleci était désignée « consultation informelle » mais était devenue une rencontre de toutes les parties intéressées non congolaises. J’étais sûr que le DPA avait poussé le DPKO à convoquer une réunion à participation assez large, parce que le DPKO semblait présumer que le DIC était fini et que le nouveau gouvernement était en voie de formation. Ni nous ni le DPA ne pensions que ce fût le cas. Les luttes d’intérêt entre ces deux départements de l’ONU n’étaient pas un secret et découlaient d’une décision de Boutros Ghali de séparer les préparations politiques pour la paix et le déploiement opérationnel des pacificateurs et des forces de maintien de la paix, décision qui devrait être inversée, selon une proposition récente.69 La direction de deux des trois agences humanitaires les plus importantes de l’ONU était confiée par tradition à des ressortissants américains : à l’UNICEF il y avait Carol Bellamy et au PAM Catherine Bertini, la troisième agence géante étant l’UNHCR. L’organisme qui les dépassait toutes par sa taille était, cependant, le DPKO, avec ses déploiements toujours plus nombreux dans le sillage de la guerre froide et avec la résurgence des conflits civils partout dans le monde, à la différence des guerres entre États. Autrefois, le DPKO avait été géré par un Britannique, Marrack Goulding, et ensuite par Kofi Annan, à l’époque où cet organisme essuya son échec le plus tristement célèbre au Rwanda. Il était géré à présent par un 69

Dans le rapport de Lakdar Brahimi (2000) sur les opérations de maintien de la paix de l’ONU.

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ressortissant français, Jean-Marie Guéhenno, tandis que le poste de sous-secrétaire général était assuré par Sir Kieran Prendergast.70 Mes collègues racontèrent que les échanges avec les deux soussecrétaires généraux avaient été cordiaux et nous peaufinâmes les détails du rapport que présenterait QM. En particulier, le manque d’un point focal pour tout le processus de Lusaka se faisait à présent clairement sentir: il y avait un grand nombre d’organismes qui avaient un rôle à jouer mais il n’y avait effectivement pas de coordinateur, malgré ce que le gouvernement zambien avait pu accomplir au cours des trois années précédentes. Si QM était retenu pour garder la responsabilité des aspects politiques des négociations de paix, et que la MONUC restait en charge de DDRRR, de la sécurité des frontières et du cessez-le-feu, qui donc pouvait en pratique encourager le retrait des troupes étrangères et surveiller l’ensemble ? Personne ne pensait que ce rôle devrait incomber à la Zambie, et l’UA n’en avait pas la capacité, ni la SADC non plus. Le Comité politique se situait au niveau des ministres des Affaires étrangères, au-dessus duquel se trouvait le sommet des chefs des États signataires de l’Accord de Lusaka. Ces derniers étaient tous des combattants et s’étaient avérés difficiles à mobiliser en pratique. L’Afrique du Sud n’était probablement pas acceptable à la RDC ; par conséquent, il semblait que l’affaire se situât quelque part entre le Secrétaire général et le Conseil de Sécurité auquel il rendait des comptes. Comme le Secrétaire général se trouvait à ce moment-là au Timor oriental, nous eûmes une réunion avec son chef de cabinet, Iqbal Riza, pour résumer le processus que nous avions mené jusqu’à une paix partielle. QM insista encore une fois sur un point qui se perdait en général dans la confusion qui entourait les médiateurs, les facilitateurs et les présidents : s’il avait impliqué le Président Mbeki, c’était parce qu’il estimait impropre d’avancer lui-même des propositions. Sa tâche à lui était, dit-il, de persuader, de cajoler, de suggérer, de soutenir et d’aider, non d’arbitrer ou de servir de médiateur, ce que d’autres étaient mieux placés pour faire. S’il pouvait toujours être utile, précisa-t-il, il était prêt à continuer. Lorsque nous nous réunîmes avec 70

Ancien haut-commissaire britannique au Kenya. Il avait également été hautcommissaire au Zimbabwe et fut plus tard ambassadeur en Turquie, avant de rejoindre l’ONU comme sous-secrétaire général.

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lui ce soir-là, il ajouta une anecdote personnelle : pendant sa jeunesse, il avait été exposé accidentellement à un pesticide. Les médecins lui avaient donné 50% de chances de survie, mais ils n’avaient pas « jeté l’éponge ». Or, il était également décidé à ne pas jeter l’éponge à présent ; il était donc venu à New York et ne renoncerait pas tant qu’il y avait encore une lueur d’espoir. Avant d’affronter la réunion principale, QM briefa une réunion des représentants de la SADC aux Nations unies. On lui demanda si les non signataires devraient être amenés à signer l’accord contesté ou si l’accord devrait être intégré au cadre de l’Accord de Lusaka. Il répondit prudemment en disant qu’il ne croyait pas vraiment que certains belligérants essayaient d’en exclure d’autres, mais qu’ils avaient bien à régler leurs divergences. L’ambassadeur de la RDC avança que l’accord final pourrait être signé dans les 45 jours, en RDC, le 30 juin, à savoir le jour du 42ième anniversaire de l’indépendance. Cela paraissait improbable. À 15h15 nous entrâmes en masse dans une salle de conférence plutôt lugubre au sous-sol du gratte-ciel vieillissant qui abrite le siège des Nations unies. Je comptai 56 personnes autour de la table, assemblée plus adaptée aux déclarations, craignais-je, qu’à la communication. Nous devions y passer trois heures, en liaison vidéo avec des fonctionnaires du FMI et de la Banque mondiale à Washington. Jean-Marie Guéhenno et Amos Namanga Ngongi présidaient à tour de rôle. Malgré le cadre peu prometteur, la réunion fut, de notre point de vue, positive. Elle aurait pu être l’occasion de l’exécution diplomatique du Facilitateur. En revanche, ce dernier présenta un récit lucide de comment nous avions abouti à l’impasse, Mojanku Gumbi fit une présentation convaincante du soutien sud-africain et Charlie Snyder, sous-secrétaire d’État adjoint des États-Unis pour l’Afrique, alla jusqu’à reconnaître les erreurs de son ambassadeur en RDC. Ce fut tout ce que nous pouvions souhaiter de mieux en guise d’excuses publiques pour l’intervention à Sun City. Même Aldo Ajello salua ce que le Facilitateur avait accompli. Sa propre expérience au Mozambique lui avait certainement donné une bonne idée du caractère rebelle de tels processus et de la facilité avec laquelle ceux qui les dirigent peuvent être critiqués lorsqu’ils ne produisent pas 271

immédiatement ce que l’on attend d’eux – ce qui permet donc de les faire échouer. Cela vaut la peine de réfléchir aux observations de Charlie Snyder qui confirment l’adage de Churchill concernant la propension des États-Unis à faire, à terme, la bonne chose, après s’être trompés pour commencer. « Nous avons besoin d’un chef d’orchestre, » dit M. Snyder. « Nous chantons tous dans la chorale, mais il y a des divergences d’analyse, qui donnent un mal de tête au Facilitateur. Il a besoin que nous chantions tous le même air. Les Nations unies ne peuvent-elles mettre en place un chef d’orchestre pour superviser les différents éléments du processus ? » Il enchaîna en disant qu’il fallait se charger des préoccupations sécuritaires du Rwanda, que Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba devaient agir de bonne foi en ce qui concernait la question des génocidaires vivant à Kinshasa et qu’il fallait susciter et renforcer la confiance de sorte que le « rideau de sécurité » proposé pour les frontières orientales puisse être mis en place. Il faudrait que les États-Unis soutiennent QM et collaborent avec l’Afrique du Sud en s’assurant qu’aucune fausse note ne serait jouée. Ce fut à la fois un appel pour obtenir un Directeur général de l’Accord de Lusaka et un encouragement à achever, de la manière prévue, ce qui avait été commencé. M. Ngongi, le SRSG à Kinshasa, dit que le Conseil de Sécurité de l’ONU avait fait preuve d’unité de vision et que le Président Kabila s’était engagé à cesser son soutien aux groupes armés et à collaborer avec le Rwanda. Il y avait des tensions en RDC, raison de plus pour chercher à obtenir rapidement un accord – cela serait d’autant plus difficile si les parties divergeaient. Il précisa que la MONUC n’avait pu déployer que 3 660 troupes jusqu’à présent, tandis qu’il y avait encore quelque 32 000 soldats étrangers en RDC. Les émissaires de la Grande Bretagne, de l’UE et de la Belgique prirent également la parole. L’ambassadeur belge avança que la réunion de Bruxelles avait lancé la dynamique de Sun City, tandis que Aldo Ajello reconnut que c’étaient les synthèses du Président Mbeki qui avaient obligé les Congolais à se mettre au travail. Ajello fit remarquer aussi que deux des parties avaient changé de position : le gouvernement avait abandonné son appel à des élections rapides et avait accepté une transition basée sur le partage du pouvoir tandis que le MLC avait accepté une présidence Kabila. Le RCD n’avait pas encore bougé car 272

il était le plus sensible aux préoccupations sécuritaires du Rwanda. Toutefois, un consensus se dégageait désormais quant à la voie à suivre : convoquer un petit groupe de négociateurs, impliquer de nouveau le RCD et ratifier le résultat par l’intermédiaire du DIC. Ian Whitting, émissaire de la Grande Bretagne, préconisa qu’un émissaire de haut rang fût désigné pour rendre visite aux dirigeants régionaux, rester en contact avec les autres acteurs et agir promptement pour susciter et renforcer la confiance. Mojanku Gumbi expliqua que QM avait invité son Président à servir de médiateur et décrivit la genèse des documents – l’Afrique du Sud n’était pas du tout d’accord sur certaines parties de ces documents, mais c’étaient, au moins, des documents congolais et ils avaient bien donné lieu à une troisième synthèse, après quoi le gouvernement avait indiqué qu’il voulait qu’un processus informel continuât – d’où les pourparlers au Cap et à Pretoria, dont les résultats avaient été communiqués au Président Kabila. Elle ajouta qu’elle percevait malgré tout dans la salle un sentiment d’accord quant au rôle cardinal joué par le Bureau du Facilitateur et à l’importance essentielle des fondements solides jetés par QM. Il ne restait plus que la question de savoir quelles tactiques employer pour aboutir au résultat désiré. Après la clarté et le bon sens de la plupart des contributions, je trouvai celles du FMI et de la Banque mondiale très loin du but. Le représentant du FMI dit carrément qu’un « environnement macroéconomique stable » était important pour qu’il y ait la paix, ce qui me semblait mettre la charrue économique avant les bœufs de la sécurité, pour ainsi dire. La position de la Banque mondiale était que la paix et l’économie devaient avancer la main dans la main et une réunion des bailleurs de fonds était prévue pour la semaine suivante à Paris. Jean-Marie Guehénno dit d’un air entendu que l’aide internationale était le dernier point à l’ordre du jour et ramena la discussion sur la nécessité de trouver un mécanisme approprié pour aller de l’avant. (En toute justice, je précise que l’idée à l’origine de la réunion était d’étudier les moyens de reconstruire la RDC et d’organiser des élections.) À tout lecteur congolais de ce récit, cela pourrait paraître étrange qu’il n’y eût pas de voix congolaise dans cette réunion, mais il s’agissait en effet de l’un des premiers exemples d’une réunion de 273

cette « communauté internationale », si nébuleuse, à pouvoir engendrer une cohérence internationale quant aux moyens d’aider la RDC sur le plan politique. Les positions congolaises étaient désormais bien connues et, au cas où certains craindraient encore que la voix de l’Afrique ne se fît pas suffisamment entendre, il fut porté à l’attention de tous que le Président Mwanawasa convoquait une réunion des dirigeants régionaux à Lusaka dans deux semaines pour passer en revue les options. Le résultat de la réunion de New York fut donc, en fin de compte, une issue proprement diplomatique, avec quelque chose pour chacun mais pas de gagnant absolu. La nécessité d’une cohérence internationale dans la mise en œuvre de Lusaka avait été reconnue ainsi que la nécessité d’une médiation continue. Les critiques de QM respectaient sa dignité et acceptaient ses succès mais auraient préféré qu’il restât en marge jusqu’à ce qu’il pût conclure honorablement le DIC, tandis que ses partisans voyaient que les principes qu’il avait défendus étaient sauvegardés mais reconnaissaient la nécessité de faire appel à des renforts afin qu’il pût achever ce qu’il avait commencé. Les modalités de sélection et de déploiement des renforts étaient laissées à la discrétion du Secrétaire général.

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CHAPITRE XIX LA MISSION NIASSE

Le secrétaire Général de l'Onu, M. Kofi Annan, a nommé mercredi 5 juin 2002 deux médiateurs au conflit en Rdc. Il s'agit de l'ancien Premier ministre sénégalais Moustapha Niasse, et de l‘Erythréen Menkerios. Investis d'un mandat de 20 jours avec possibilité d'extension jusqu'à 2 mois, ces deux personnalités ont mission de ramener les différentes parties au conflit congolais à la table des négociations pour la conclusion d'un accord politique global et inclusif. (LE POTENTIEL, 7/6/02) L’équipe de la Facilitation n’avait pas encore terminé son travail à New York. Nous avions convenu que, quelle que fût la rubrique sous laquelle réunir un groupe de négociateurs, ce groupe aurait besoin du soutien de QM, de l’ONU et de l’UA, dont la présidence allait être assumée prochainement par le Président Thabo Mbeki. Jean-David Levitte vint nous voir, ainsi qu’Amos Ngongi. Nous leur demandâmes leurs vues et discutâmes des combats qui continuaient dans plusieurs parties de la RDC et de la nécessité d’un accord inclusif étayé par un soutien international diplomatique et militaire, sans lequel il avait peu de chances de réussir. Il fallait un négociateur, mais il n’était pas clair qui pourrait faire l’affaire, bien que plusieurs noms fussent avancés. Une réunion des signataires de Lusaka était programmée pour le 30 mai, qui leur donnerait une occasion d’approuver un émissaire afin de poursuivre les pourparlers. Avant de quitter New York, je fis le brouillon d’une lettre destinée au Secrétaire général et le soumis à l’approbation de QM. Elle exprimait essentiellement notre reconnaissance envers les Nations unies pour ce qu’elles avaient fait pour soutenir QM et résumait les conclusions que nous avions tirées de la réunion de la veille : un émissaire spécial était nécessaire pour réduire les divergences restantes ; les dirigeants régionaux devraient soutenir la personne en question ; il faudrait s’employer tout particulièrement à rapprocher les présidents du Rwanda et de la RDC dans une relation plus constructive ; c’était une affaire urgente mais nous pensions que les négociations pourraient se terminer dans 6 à 12 275

semaines, tout en admettant qu’elles pussent durer beaucoup plus longtemps. QM était sur le départ pour aller consulter Amara Essy, nouveau directeur de l’Union africaine, à Addis-Abeba, après quoi il espérait voir le Président Kabila à Kinshasa et assister ensuite au Sommet des signataires congolais et régionaux prévu à Lusaka. Il espérait que le Secrétaire général était d’accord avec son analyse et que, de concert avec Amara Essy, il pourrait agir rapidement pour désigner un émissaire spécial. Une fois le texte approuvé, QM partit pour Addis-Abeba, où Malik Dechambenoît s’était occupé de préparer la réunion avec Amara Essy. Je restai pour imprimer et transmettre la lettre au bureau de Kofi Annan avant de rentrer au Botswana. Nous étions dimanche aprèsmidi et tout était apparemment fermé. Je finis par trouver un bureau qui voulait bien s’en occuper et remis ma disquette au personnel. Les uns après les autres, l’ordinateur, l’imprimante et la photocopieuse se mirent à mal fonctionner. Il fallut s’y reprendre plusieurs fois, mais le préposé n’arrivait pas à empêcher la machine de facturer chaque nouvelle tentative à ma carte de crédit, les mécanismes de comptabilité étant irréversiblement liés. Enfin, le travail fut fait, mais pas avant que ma facture ne montât à 111 dollars, pour quelques copies d’une lettre qui ne comptait guère plus d’une page. Même à New York les technologies de l’information ne sont pas infaillibles. Quand notre équipe fut rassemblée au Botswana huit jours plus tard, QM nous informa que les réunions avec l’UA et avec le Président Kagame à Addis-Abeba s’étaient bien passées ; il avait également pu parler au Président Mugabe au téléphone. Sa réunion avec le Président Kabila avait été moins satisfaisante : celui-ci avait annoncé qu’il n’assisterait pas au sommet des signataires.71 Le jeune président s’était par ailleurs offensé de l’absence de tout Congolais à la réunion à laquelle nous venions d’assister à New York. La nouvelle principale était cependant que Kofi Annan avait désigné Mustapha Niasse comme son émissaire spécial et Haile Menkerios comme son adjoint. C’était une nomination diplomatique dans tous les sens du terme. Les détracteurs de QM pouvaient pousser un soupir de soulagement dans la mesure où la tâche de conduire les Congolais pendant la dernière étape serait désormais entre des mains 71

Plus tard, le Président Mwanawasa reporta cette réunion.

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expérimentées et francophones, tandis que ses partisans pouvaient se dire que M. Niasse était invité à conclure seulement ce qu’il n’avait pu faire à Sun City, cette fois avec des renforts (non seulement Haile Menkerios mais aussi Gerry Bennett, qui travaillait dans notre bureau de Kinshasa, et Yasir Sabra, fonctionnaire du Département des Affaires politiques, qui surveillait le processus depuis le début.) Mustapha Niasse avait été candidat, je crois, au poste de Facilitateur en 1999 et avait déjà été employé comme émissaire spécial par l’ONU. Il avait été aussi chef de cabinet de Léopold Senghor, l’éminent intellectuel et poète qui devint le premier Président du Sénégal, et il avait été lui-même ministre des Affaires étrangères et Premier ministre du Sénégal, à la tête de son propre parti, dans une coalition, jusqu’à sa démission. Il avait donc une expérience considérable. En effet, certains Congolais avaient suggéré qu’il remplaçât Amos Ngongi à la direction de la MONUC. Il était bien connu des classes politiques congolaises et avait aussi des liens avec le président du Gabon et avec le milieu des affaires au Moyen-Orient. Comme on pouvait s’y attendre, M. Niasse avait eu du mal à faire avancer la Commission politique et juridique à Sun City. Doté d’une forte personnalité, il avait obligé les membres de ce groupe à progresser jusqu’à un certain point, mais ils s’étaient emballés dès qu’un certain nombre d’entre eux avaient repéré une éventuelle sortie, tels un cheval indompté qui fait un écart devant la selle et la bride approchées très doucement par ses entraîneurs. L’équipe de Mustapha Niasse allait avoir besoin de toute son expérience et plus au cours des six mois à venir. Non seulement le processus de paix congolais est un marathon, pour développer l’analogie ministérielle sud-africaine, mais c’est aussi une course de relais : avec de la chance, le bâton change de main, mais il y toujours le danger qu’on le laisse tomber. Quelquefois les spectateurs essaient de s’en emparer, et aucun coureur ne peut terminer la course tout seul. À la fin de notre réunion à Gaborone, QM déballa un cadeau qu’on venait de lui présenter en RDC : un portrait en cuivre de lui-même, en reconnaissance des services qu’il avait rendus. C’était de la part des Mai Mai. Le portrait fut suspendu au mur de notre salle de réunion. Désormais, tout travail entrepris autour de la table de facilitation à Gaborone était mené sous l’œil vigilant de QM lui-même ou bien de son double en cuivre, avec les compliments des Mai Mai. 277

Pour le moment, notre équipe put se regrouper. Le Pr. Lebatt prit un mois de congé et Bo Heineback annonça qu’il devrait nous quitter en juin : il avait atteint l’âge de la retraite et le gouvernement suédois terminerait son service. Nous discutâmes la possibilité de le garder un peu plus longtemps, ce que nous réussîmes à faire, en partie parce qu’il avait convaincu les bailleurs de fonds qu’ils pouvaient lui confier leur argent impunément. Shelly Whitman avait également envie de changer un peu : elle avait dû subir une opération du dos pendant que nous étions à Sun City et l’incertitude des mois à venir l’inquiétait. Pour être juste envers notre personnel, j’encourageai ceux d’entre eux qui souhaitaient commencer à chercher un nouvel emploi, car j’étais incapable de leur dire si nous aurions besoin d’eux pour six semaines ou six mois. Je dus donc produire une sorte de plan de dotation révisé à la baisse tout en rassurant nos collègues qu’il restait du travail à faire : contrôle des progrès, maintien du soutien international, rédaction et publication de ce qui avait été accompli à Sun City et préparation de la ratification de ce qui pouvait résulter de la Mission Niasse. En RDC, des fonctionnaires du gouvernement se déplacèrent pour la première fois depuis quelques années dans l’Est, dans la région contrôlée par leurs nouveaux alliés, le RCD-ML ; Kisangani restait tendu. Olivier Kamitatu produisit une liste de dix points de désaccord avec le gouvernement à Matadi et le peuple congolais devait se demander si le nouveau gouvernement entrerait jamais dans ses fonctions. On aurait dit que les parties principales à l’accord s’étaient contentées d’échanger les heures de débat à Sun City contre des heures de dispute à Matadi, tandis que rien n’avait changé sur le terrain. À New York on finalisait les attributions de Mustapha Niasse, qui planifia un premier circuit de New York à Kinshasa, via AddisAbeba, Lusaka et Gaborone. Pendant ce temps, QM entreprit un voyage éclair à Lusaka pour briefer le Président Mwanawasa sur l’issue du DIC, la réunion de New York et sa visite au Président Kabila. Dans les environs de State House à Lusaka, le Président zambien remercia QM de ses efforts et expliqua les contacts qu’il avait établis lui-même en vue de remettre le

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processus sur les rails.72 Il décrivit la réticence de Joseph Kabila à se rendre au sommet qu’il avait prévu et nous interrogea sur les différentes options proposées à Sun City. Il avait lui-même l’intention de visiter bientôt Kinshasa et Kigali et il espérait que nos deux bureaux pourraient travailler en plus étroite collaboration. QM expliqua qu’il fallait accorder aux émissaires de l’ONU le temps de se mettre au travail et nous rappela qu’« on invite les oncles et les amis lorsque le mariage bat de l’aile. » Nous quittâmes le Président pour rencontrer une délégation de l’ASD delegation dirigée par Étienne Tshisekedi, qui était venu avec ses collègues voir le Président Mwanawasa. Ils écoutèrent QM qui expliqua ce qu’il tâchait de faire afin de remettre le processus sur les rails. M. Tshisekedi, lui aussi, avait fait la navette entre plusieurs présidents, cinq en tout, en leur demandant d’user de leur influence pour relancer le DIC avec un groupe réduit. Il dit à QM de ne pas se laisser décourager et donna ensuite la parole à Franck Diongo, porteparole de l’ASD, et membre du Mouvement lumumbiste progressiste. À son avis, les Mobutistes s’étaient alliés avec les Kabilistes (le MLC avec le gouvernement), mais le silence des Lumumbistes ne devrait pas être perçu comme une faiblesse : ils pourraient, s’ils le désiraient, rendre Kinshasa ingouvernable en l’espace de trois jours. Ce n’était sans doute pas du bluff – dans les années 1990, Kinshasa avait subi deux pillages par des soldats qui n’avaient pas reçu leur solde, au cours desquels l’ambassadeur français avait été abattu et des quantités de biens avaient été pillées et détruites. Les successeurs de ces soldats en 2002 seraient probablement incapables de contenir une éruption sérieuse de mécontentement fomentée par n’importe quel parti. Mustapha Niasse et Haile Menkerios purent prendre leurs fonctions le 3 juin, pour une mission programmée sur deux mois. Entre-temps le sommet inaugural de l’UA à Durban, au début juillet, donnerait à de nombreuses parties l’occasion de faire le point sur la situation. Le sommet rehausserait également la position du Président Mbeki dans le processus, où il avait joué jusqu’alors les rôles d’hôte du DIC, de 72

Il avait hérite de son prédécesseur la surveillance de l’Accord de Lusaka et était aussi sur le point de terminer l’année de la Zambie à la présidence de l’OUA ; il était donc important que son implication se poursuivît bien qu’il fût sur le point de passer la main au Président Mbeki, premier président de l’Union africaine nouvellement constituée.

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bailleur de fonds le plus important et, plus récemment, de médiateur invité. Il serait désormais le premier président de l’Union africaine naissante, présidence qu’il assurerait pendant un an, et une solution au conflit figurait en tête de son ordre du jour. L’ONU était venue à la rescousse après l’ajournement insatisfaisant de Sun City mais le Président sud-africain voudrait s’assurer que l’Afrique fût pleinement impliquée dans tout remède à cette conclusion inachevée, quel qu’il fût. On avait le sentiment que les dirigeants africains s’étaient contentés de laisser l’ONU et la « communauté internationale » prendre l’initiative après Sun City. Par exemple, un diplomate américain nous informa que Colin Powell avait écrit aux Présidents Kabila et Kagame en les exhortant à retourner à la table des négociations et sa lettre avait été suivie d’autres semblables de la part des ministres britannique, français et belge des Affaires étrangères. Les dirigeants africains s’étaient tenus plutôt cois ; aussi, début juin, QM adressa-t-il une lettre aux cinq chefs d’État ayant des troupes en RDC, avec copie aux présidents de l’Afrique du Sud, du Mozambique, du Malawi, de la Tanzanie, de la Zambie, de la RDC, ainsi qu’aux dirigeants du MLC et du RCD, et à Kofi Annan et à Amara Essy. Dans cette lettre il présentait son récit de l’issue des pourparlers de Sun City, sa compréhension de la situation actuelle et du rôle de l’émissaire spécial de l’ONU ainsi que de la nécessité d’une ratification en bonne et due forme de tout accord final. Il faisait ensuite appel à l’aide des chefs d’État africains pour réussir à faire passer le dernier obstacle aux Congolais et insistait sur l’importance de la stabilisation d’une région clé du continent. La lettre était un rappel diplomatique que, si les dirigeants africains ne réagissaient pas aux événements où ils avaient des intérêts directs sur leur propre continent, ils ne devraient pas s’étonner si d’autres intervenaient, d’autres qui pourraient avoir des intérêts autres et une compréhension insuffisante. Entre-temps nous espérions tous qu’aucune guerre régionale ne serait relancée. Nous expédiâmes deux membres de notre personnel à Kinshasa pour discuter de l’évolution de la situation avec notre bureau local et avec toute partie congolaise accessible. À leur retour, ils racontèrent que Kinshasa était tendu, que la société civile et les partis politiques avaient été marginalisés et que le Gabon, la France, la Belgique, les États-Unis et la Libye se mêlaient tous de la transition 280

tant contestée.74 Pour nous, cela revenait, pour ainsi dire, à troubler les eaux de Lusaka. Pour eux, c’était l’occasion de démontrer qu’ils étaient capables d’aider la RDC à résoudre ses difficultés. Pour les Congolais, cela ne changeait rien. Nos deux collègues firent également état de nouvelles difficultés avec les autorités à l’aéroport et affirmèrent qu’ils avaient été placés sous surveillance à notre bureau et à l’hôtel. Ce fut à peu près à cette époque que le quotidien congolais Le Potentiel publia un extrait remarquable d’une lettre personnelle écrite par le Président Mbeki à Joseph Kabila. La lettre était une explication réfléchie des raisons de l’implication de l’Afrique du Sud en RDC et de la manière dont cette implication fut conduite ; elle exprimait également de la déception à l’égard de certaines allégations selon lesquelles l’Afrique du Sud aurait fait preuve de parti pris pour le Rwanda. Le texte expliquait aussi pourquoi le Président Mbeki estimait que Lusaka offrait le seul cadre disponible pour résoudre le problème et pourquoi le gouvernement de la RDC ne pouvait pas s’en écarter chaque fois qu’il en avait envie. Le ton était franc, réprobateur et personnel. Les Sud-Africains ne nous donnèrent pas à croire que la lettre était un faux et confirmèrent confidentiellement qu’il ne leur était jamais arrivé auparavant une fuite de cet ordre dans les échanges personnels entre chefs d’État. Au bureau du Facilitateur nous spéculâmes sur ce qui avait dû se passer. Les uns pensaient que, puisque rien, de toutes façons, ne semblait confidentiel en RDC, une telle fuite n’importait à personne. Par ailleurs, il était facile de glisser une petite somme d’argent à quelqu’un pour obtenir n’importe quelle information. Les autres soupçonnaient quelque chose de plus machiavélique – quelqu’un dans la présidence était si furieux contre le jeune président que la fuite fut délibérément orchestrée, non pas pour détruire la confiance des Sud-Africains dans les voies de communication qui les reliaient au président, mais bien pour leur confirmer, ainsi qu’au reste du globe, que le président de la RDC était considéré comme n’étant ni honnête ni compétent dans sa conduite

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En vérité on nous dit plus tard que les États-Unis, la France, la Belgique et la Grande-Bretagne disaient tous la même chose à Joseph Kabila : Vous avez tout intérêt à reprendre les négociations afin de trouver un accord inclusif.

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des affaires de la nation75. L’affaire fut vite oubliée, mais pendant un bref instant, elle ouvrit une petite fenêtre qui révéla bien plus qu’il n’était possible de dire en public. Il n’y avait plus, désormais, de rôle véritable pour quelqu’un du rang du Pr. Lebatt en ce qui concernait la représentation de QM en RDC, et il décida de prendre du congé non payé afin de chercher une nouvelle position. Au cours du processus de Sun City, il s’était fait des ennemis, avait reçu des menaces et avait subi des attaques verbales féroces de la part de Jean-Pierre Bemba et de Joseph Olenghankoy. Il avait également été accusé de partialité et d’implication excessive dans le processus. Il reçut de nombreuses excuses après, mais avait bien compris qu’il était temps de s’en aller. Pour notre part, les exposés très professionnels dont il nous régalait allaient nous manquer, exposés dont le style résultait probablement de son éducation religieuse et universitaire, et où le « professeur » présentait pour commentaire, au début de la réunion, son analyse du rapport des forces et les éventuelles issues. J’avais été élevé dans un système bien différent, où l’hypothèse préliminaire était soumise à la critique de ceux qui étaient réunis pour l’entendre et ensuite reconstruite et présentée à nouveau à la fin, approche moins élégante et formelle mais rigoureuse sous d’autres rapports. J’espérais que le Professeur resterait dans les mémoires – davantage pour ses succès tels que la résolution de l’impasse précédant la Déclaration de Principes de Lusaka et pour l’énergie qu’il avait apportée à la « mission dans les provinces » que pour les querelles interminables de Sun City. À la fin juin, le Pr. Lebatt vint au Botswana pour entendre avec nous le rapport de Mustapha Niasse et de son équipe. Les objectifs de Mustapha Niasse étaient triples : • Aider les parties congolaises à parvenir à un accord inclusif au moyen de consultations informelles • Utiliser les bons offices de l’ONU pour réduire les divergences entre Kinshasa et Kigali 75

Selon l’interprétation la plus machiavélique de toutes, c’étaient bien entendu les Sud-Africains eux-mêmes qui avaient divulgué la lettre, par frustration devant la conduite cavalière de la présidence congolaise. Cela semblait improbable.

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• Consulter les présidents régionaux, l’UA et QM pour établir comment ils pourraient aider à parvenir à un accord inclusif M. Niasse décrit ses visites dans sept capitales ainsi qu’à Goma, Gemena et Matadi dans la poursuite de ces objectifs. Il affirma que toutes les parties admettaient désormais que le DIC était inachevé et que les pourparlers à Matadi ne marchaient pas, bien qu’il ne pût pas le déclarer publiquement. Jean-Pierre Bemba soutenait qu’il était Premier ministre mais il semblait peu probable qu’il prît ses fonctions dans un proche avenir. En ce qui concerne le besoin d’inclusion, JeanPierre Bemba avait dit que le gouvernement et le MLC avaient construit la maison et que la porte était ouverte au RCD. Le RCD luimême ne divergeait plus que sur deux points du gouvernement et du MLC, à savoir les rôles d’un Conseil d’État et d’un Conseil de Défense. Par ailleurs, les Présidents Kabila et Kagame avaient accepté l’idée d’un « rideau » de forces de sécurité le long de la frontière rwandaise. M. Niasse s’attendait à ce qu’il y eût assez prochainement une réunion entre le gouvernement et le RCD et il escomptait que les autres composantes fussent intégrées dans les discussions par la suite. La prise de conscience du fait que l’accord partiel de Sun City était impraticable faisait son chemin. Des changements de perspective sur la voie à suivre avaient été pris en compte dans la nouvelle résolution 1417 du Conseil de Sécurité de l’ONU : le mandat de la MONUC avait été prorogé d’un an et la nécessité d’une conclusion finale du DIC avait été reconnue, ainsi que la nécessité de négociations entre les gouvernements du Rwanda et de la RDC. À la suite de son résumé, M. Niasse et son équipe partirent pour Harare, tandis que nous nous préparâmes avec QM à la prochaine réunion de l’UA, à laquelle il avait été convié par le Président Mbeki. Malheureusement, pendant que les échanges diplomatiques se poursuivaient, des bruits couraient que des combats avaient repris à Beni et Butembo, au Nord Kivu, et aussi au Sud Kivu, où le RCD, qui avait beaucoup compté sur le soutien Banvamulenge par le passé, était maintenant confronté à une rébellion des forces Banvamulenge sous la direction de Patrick Masunzu, sur les Hauts Plateaux. On racontait que ces forces s’étaient lassées du RCD et de ses alliés rwandais et que, pour survivre, elles engageaient de nouvelles alliances avec les autres groupes congolais autour d’elles. Plus au nord, dans les environs de 283

Bunia, il y avait eu des combats entre une nouvelle milice Hema et le RCD-ML. Cette milice était apparemment dirigée par un nommé Thomas Lubanga et on disait qu’elle était soutenue par l’UPDF. Elle allait devenir tristement célèbre dans les mois à venir à mesure que les intérêts concurrents de l’Ouganda et du Rwanda s’exprimaient, par l’intermédiaire de mandataires congolais, dans une prolifération de nouveaux groupes armés bâtis sur l’effondrement du gouvernement central et la vénalité des chefs de milices locaux. Une incitation supplémentaire était probablement fournie par l’annonce du gouvernement congolais du commencement prochain des forages envisagés par Heritage Oil pour trouver du pétrole, tout près de l’endroit où cette société effectuait déjà des forages en Ouganda, juste au-delà de la frontière, dans la zone théoriquement contrôlée par le toujours problématique RCD-ML, désormais allié avec le gouvernement de Kinshasa. Ce concours d’intérêts eut pour résultat une intensification atroce de la violence, qui dépassait la capacité de la MONUC à la contenir et qui ne put être étouffée, enfin, que par la première intervention en Afrique de l’UE depuis son existence, à savoir l’Opération Artemis. Des irruptions semblables de milices en Somalie et au Soudan ont également eu lieu quand les processus de paix approchaient du moment du partage du pouvoir. Certains ne peuvent résister à la tentation d’utiliser leurs armes une dernière fois pour se faire reconnaître et s’assurer une fonction, à plus forte raison qu’ils n’ont pas d’avenir et se sentent exclus d’une manière ou d’une autre. L’inauguration de l’UA était en principe un bon forum où confirmer un soutien plus large en faveur d’un achèvement inclusif des négociations, par l’intermédiaire de la mission Niasse et le retrait des troupes étrangères encore déployées en RDC. Toutefois, ce que l’on pouvait attendre d’un tel sommet n’était pas clair, étant donné le nombre de points à l’ordre du jour, tels que les crises à Madagascar et au Zimbabwe. La réunion préalable des ministres des Affaires étrangères avait apparemment passé cinq heures à discuter de la Palestine et quinze minutes de la RDC. Finalement, QM fut briefé par le Président Mbeki sur les discussions qu’il avait eues à Kinshasa et avec Kofi Annan et il put parler au Président Kagame. Le président rwandais pensait qu‘un Congo réunifié était une condition préalable à la retraite des troupes étrangères, tandis que le président congolais voulait que les Rwandais se retirent afin qu’une réunification pût avoir 284

lieu. À mon avis, seule une puissante force étrangère non soumise au contrôle de l’ONU pourrait maintenant rétablir la sécurité aux Kivus et à Ituri, mais une telle force n’était pas encore en perspective.) La nouvelle UA jouerait désormais son rôle en préconisant une solution inclusive, principalement par l’intermédiaire de la présidence sudafricaine, travaillant de pair avec l’ONU et l’équipe de Mustapha Niasse. Les Sud-Africains œuvraient déjà pour réunir Paul Kagame et Joseph Kabila, puisqu’une certaine coopération entre eux était une condition sine qua non pour la résolution des problèmes de sécurité de la RDC.76 On racontait également que des contacts discrets avaient lieu aux États-Unis entre le gouvernement et le RCD, évolution apparemment positive. Vers la fin juillet 2002, je fis un voyage de deux semaines à Kinshasa, Pretoria , Kigali et Goma. QM devait assister à des réunions en Asie, sans rapport avec le DIC, et Rre Mogwe était en congé, mais il nous fallait consulter le Pr. Lebatt et les bailleurs de fonds à Kinshasa au sujet d’administration et de financement, tout en gardant le contact avec la MONUC, le RCD et les Sud-Africains. Quant aux autres Congolais impliqués, nous restions toujours « au frigo ». À Kinshasa, dans les bureaux de l’USAID, nous examinâmes les contributions de cette agence à notre travail et expliquâmes ce qui, à notre avis, restait encore à faire – nous ne voulions pas que le gouvernement des États-Unis bloquât toute promesse de fonds restée en suspens, au motif que nous n’aurions peut-être plus de rôle, comme l’avaient fait les fonctionnaires de l’UE l’année précédente. Le Pr. Lebatt et moi-même allâmes ensuite voir l’ambassadeur des États-Unis, Aubrey Hooks, à qui j’avais imputé une bonne part de l’élan en faveur du marché gouvernement / MLC, qui s’avérait actuellement impraticable. La réunion révéla encore une fois des divergences prononcées entre nous et l’ambassadeur. J’expliquai que la facilitation était en suspens mais qu’elle n’en était pas moins obligée de se tenir disponible, ne fût-ce que sous une forme réduite, pour organiser la ratification finale de tout accord susceptible de résulter de la médiation 76

Ils ont été réunis plusieurs fois par la suite, mais l’existence continue en RDC du groupe rwandais anti-gouvernement ALIR et les faibles progrès réalisés dans la création d’une armée congolaise intégrée restent des obstacles majeurs à la résolution du problème.

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de Mustapha Niasse. M. Hooks fit remarquer que le gouvernement et le MLC avaient dit qu’il n’y aurait plus besoin de nous dès la fin de la réunion de Sun City. Il estimait que le Rwanda n’était pas encore prêt à retirer ses forces et que les efforts diplomatiques sud-africains pour faire partir les rwandais échoueraient. Il pensait aussi que le gouvernement de Joseph Kabila réussirait à faire marcher son accord avec le MLC et que Jean-Pierre Bemba deviendrait, dans deux mois, Premier ministre à Kinshasa. Les délégués du DIC constitueraient alors une assemblée, d’après lui, et celle-ci ratifierait l’accord ; il n’y avait donc plus de rôle pour le Bureau du Facilitateur. Les institutions financières internationales pourraient retenir les fonds au cas où les parties ne mettraient pas en œuvre leur accord. L’ambassadeur eut tort sur tous les points. Je crois qu’il se voyait comme un réaliste habile et nous prenait pour des représentants d’une vaine tentative africaine pour résoudre la crise en RDC. En tout cas, il est certain qu’il croyait que les intérêts des États-Unis et même de la RDC seraient le mieux servis par un duo Kabila/Bemba au pouvoir à Kinshasa, pendant que les États-Unis et d’autres alliés du même bord feraient pression sur le Rwanda pour qu’il quitte l’Est du Congo. Cela me parut à la fois simpliste au niveau de l’analyse et improbable au niveau de l’application. L’ambassadeur de France, Georges Serre, que nous avions rencontré la première fois au Quai d’Orsay en 2000, était plus accommodant ; il loua la nouvelle dynamique lancée par Sun City et soutint notre point de vue selon lequel le RCD devait être réintégré au processus et que tout accord était à ratifier par une plénière du DIC. L’ambassadeur de Belgique, Renier Nijskens, comme son homologue des États-Unis, pensait qu’il était possible de faire marcher l’accord partiel conclu à Sun City, tout en reconnaissant que le RCD et le Rwanda devaient, d’une manière ou d’une autre, être impliqués dans l’ensemble du plan. Il nous assura que Louis Michel y travaillait dur, avec l’US, l’UE et Mustapha Niasse. L’ambassadeur britannique, Jim Atkinson, confirma que les ambassadeurs de l’UE trouvaient la position des États-Unis sur la voie à suivre très intransigeante. Il confirma aussi que le manque de progrès réalisé jusque-là par la MONUC en matière de DDRRR avait conduit Kofi Annan à prévoir une mise en question de la MONUC par une mission du DPKO, qui devait arriver à Kinshasa d’un moment à l’autre. 286

Dans la table ronde que nous tînmes avant mon départ, mon collègue le Pr. Lebatt présenta un résumé on ne pouvait plus lucide d’où en étaient les choses à Kinshasa. Il fit remarquer que le jeune président avait réussi, en moins de 18 mois, à neutraliser la « vieille garde » dont il avait hérité de son père ; à stabiliser l’économie ; à gagner le soutien des États-Unis et de l’UE ; à ramener les institutions financières internationales en RDC ; à superviser la reprise de l’aide au développement ; à dissoudre l’alliance RCD/MLC ; à engager des négociations directes avec le Président Kagame ; et à retenir l’engagement de l’Afrique du Sud dans le processus. Il estimait que le Président Kabila avait plutôt bien réussi la consolidation de sa position. Néanmoins, aucun de nous ne voyait très bien comment les préoccupations du RCD et du Rwanda allaient être abordées dans la nouvelle situation. C’était précisément cette question-là qui préoccupait le Président Mbeki au moment même où nous parlions à Kinshasa. Un accord Rwanda/ RDC sur le retrait des troupes devait à tout prix être non seulement signé, mais encore mis en œuvre. Par conséquent, mon prochain arrêt après Kinshasa, fut Pretoria, pour assister à la cérémonie où les Présidents Kagame et Kabila signèrent l’accord aux termes duquel le gouvernement de la RDC devait aider à neutraliser définitivement « les forces négatives » sur son territoire, tandis que le gouvernement rwandais retirait ses troupes du sol congolais. La cérémonie se tint à la Presidential Guesthouse (hôtel présidentiel) et je fus fasciné par les différences de style qui s’y exprimaient. L’ambiance était informelle, malgré la présence des Présidents Mbeki, Kabila, Kagame et Muluzi. Le Président Kabila avait emmené avec lui en Afrique du Sud les ministres Katumba Mwanke, Ntumba Luaba et Léonard She Okitundu. Assistaient aussi, entre autres, Jacob Zuma, Président adjoint sud-africain, Nkosazana Zuma, ministre sud-africaine des Affaires étangères et Aziz Pahad, son adjoint, Amara Essy de l’UA, le général Mwaniki de la CMM, Aldo Ajello de l’UE, Lena Sundh, SRSG adjointe auprès de la MONUC, Haile Menkerios de l’équipe de M. Niasse et Clare Short, ministre britannique du Développement.77

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La ministre britannique rendit visite au Président Kabila le lendemain à Kinshasa dans le cadre des tentatives pour améliorer les relations entre les deux gouvernements.

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Le Président Kabila engagea son gouvernement à soutenir l’accord et à résoudre le problème des Interahamwe ; il parlait français mais n’était pas entièrement à l’aise, en raison, peut-être, de la proximité de Paul Kagame. Le Président Mbeki insista sur l’importance de cet événement pour l’Afrique ; son adjoint parla de la guerre et de l’humiliation sur le continent, mais ajouta qu’il voyait cependant des lueurs d’espoir au Soudan, en Sierra Leone, en Angola et en RDC (il ne mentionna pas le Burundi, où il avait pris la relève des anciens Présidents Nyerere et Mandela et avait du mal à faire des progrès dans une zone similaire marquée par des conflits quasi insolubles). Parlant en sa qualité de président en exercice de la SADC, le Président Muluzi ajouta son soutien. Lorsque les deux présidents eurent signé le document, il y eut un moment de gêne pour Lena Sundh – elle était la réprésentante de haut rang de l’ONU, mais comme il s’agissait d’un accord où l’ONU n’avait aucune part, elle était mal à l’aise pour le signer au nom de l’ONU. Finalement, le pragmatisme l’emportant sur le protocole, elle y ajouta son nom, puisqu’elle ne pouvait guère refuser en public de soutenir la disposition, bien que, plus tard, certains de ses collègues ne fussent pas contents que l’ONU fût associée à un accord bilatéral dans lequel elle n’avait joué aucun rôle. Les journalistes posèrent ensuite leurs questions et on entra dans le vif du sujet. Puisque la plupart des ex-FAR et des Interahamwe se trouvaient sur des territoires non contrôlés par Kinshasa, en quoi pouvait être utile l’engagement pris par Kinshasa de les neutraliser ?78 Comment procéder pour les localiser, les désarmer et les faire partir ? En réponse, le Président Mbeki introduisit le concept de « mécanisme de vérification par des tiers » ou TPVM, comme on le désigna par la suite, qui était une initiative conjointe de son gouvernement et de l’ONU destinée à suivre les progrès. Le Président Kagame dit que les efforts se concentreraient en premier lieu sur les meneurs et sur l’arrestation des génocidaires, ce qui revenait à une question de volonté politique. Ceux qui n’étaient pas coupables de génocide devaient rentrer chez eux. Si les meneurs étaient immobilisés, les forces qui choisissaient de rester dans les refuges forestiers ne présenteraient pas une menace sérieuse pour le Rwanda ou quiconque.

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Étant donné que le gouvernement de transition n’a toujours pas réussi à mettre en place une armée intégrée et à réunifier son territoire, la question reste pertinente.

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Cet accord à Pretoria était un important pas en avant dans la mesure où il obligea encore une fois les deux côtés à faire une déclaration publique de bonne volonté relative à une coopération pour mettre fin à la violence réciproque. L’Accord de Lusaka avait comporté des dispositions semblables, qui n’avaient pas été respectées. L’ONU, dans la conjoncture actuelle, ne pouvait faciliter qu’un désarmement volontaire, inutile pour ce qui était d’immobiliser les bandits armés qui continuent à ce jour à entraver la mise en œuvre des accords passés. Le gouvernement sud-africain allait maintenant ajouter son poids à ce qu’essayait de faire l’ONU, avec l’accord renouvelé et public des deux présidents impliqués, et un engagement à y envoyer ses propres troupes au besoin.79 La relation entre le TPVM et l’ONU était donc née de la prestation insuffisante de l’ONU et des Congolais dans la mise en œuvre d’un programme de DDRR ; elle laissait donc inévitablement à désirer ; toutefois, elle permit effectivement d’arrêter à Kinshasa quelques-uns des leaders clés de l’ALIR et donna aux SudAfricains, qui comptent parmi les principaux garants des Accords de Lusaka, de Pretoria et de Sun City, une bien meilleure compréhension des réalités des forêts de l’Est aussi bien que des villas de Kinshasa. Le lendemain matin je pris l’avion pour Kigali, en route pour Goma, pour briefer le RCD sur nos préparations en vue de la reconvocation du DIC – au cas et au moment où la mission Niasse achèverait son travail. Je me retrouvai par hasard assis à côté de Patrick Karegeya, chef des services rwandais de sécurité extérieure. Je lui demandai qui, en réalité, pouvait désarmer et disperser les Interahamwe opérant dans les territoires de la RDC orientale contrôlés par le RCD. Il répondit que le Rwanda essaierait d’abord la persuasion mais qu’il était prêt à recourir à la force si cela ne marchait pas. Le chef d’état-major de l’ALIR était en état d’arrestation à Kigali et avait confirmé que ses hommes recevaient du soutien du gouvernement de Kinshasa80. M. Karegeya soutenait qu’il y avait encore 40 000

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Sans doute l’ambassadeur Hooks attribuerait-il le retrait, à terme, des forces rwandaises de la RDC à la pression exercée par les États-Unis et le FMI plutôt qu’à la diplomatie africaine. Je suis certain que les deux ont joué un rôle, de même que la prise de conscience du Président Kagame que le Rwanda avait davantage à perdre en restant qu’il n’avait à gagner en partant. 80 Des diplomates me dirent plus tard que le gouvernement de Kinshasa avait été jusqu’à transporter par pont aérien des membres haut placés de l’armée rwandaise

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Interahamwe en DRC, chiffre dépassant de loin les autres que l’on citait, mais il prétendait qu’ils sortiraient des forêts et iraient dans des camps une fois coupé le soutien logistique qu’ils recevaient de Kinshasa. Depuis les dix dernières années, quels que soient leurs énoncés publics, ni le Rwanda ni les gouvernements successifs à Kinshasa n’ont jamais déployé une volonté suffisante ou les ressources adéquates pour mettre fin au problème des milices hutu restées dans l’Est de la RDC. Tant que le Rwanda et le gouvernement congolais – ou bien une troisième force quelconque – n’auront pas évacué ces groupes et qu’ils n’auront pas rétabli la sécurité publique, la RDC ne saura être ni réunifiée ni gouvernée effectivement. À Kigali je consultai l’ambassadeur britannique, Sue Hogwood, au sujet des développements politiques. J’avais connu Sue à Nairobi, lorsqu’elle couvrait le PNUE et Operation Lifeline Sudan à partir du haut-commissariat britannique, et je l’avais retrouvée plus tard lorsqu’elle était directrice du service chargé des Grands Lacs au ministère des Affaires étrangères à Londres. Elle était la moins formelle et la plus communicative des émissaires professionnels, inlassable et pleine d’entrain. Il semblait que Yoweri Museveni, Président de l’Ouganda, eût avancé un plan qui commençait à trouver des échos, selon lequel un gouvernement de transition en RDC impliquerait 4 viceprésidents, dont un tiré du gouvernement, un des partis politiques, un du MLC et un du RCD. C’était une construction plutôt grossière, mais elle commençait apparemment à faire des adeptes. De Kigali je me rendis en voiture à Goma et m’installai à l’hôtel Nyira, où j’appris aux informations à la BBC que le représentant permanent de la Grande-Bretagne auprès du Conseil de Sécurité, Sir Jeremy Greenstock, avait présenté à ses collègues un éléphanteau kenyan blessé, pour veiller à ce qu’ils se souviennent aussi bien des choses qui allaient bien que des choses qui allaient mal en Afrique. Quelque peu perplexe, je racontai cela à la délégation de l’USAID et à une équipe humanitaire mixte que je rencontrai dehors à la terrasse. Personne n’en savait plus long que moi quant à la signification de cette présentation mais, même si elle ne contribuait pas à la gaieté des nations, elle éclaira de quelques sourires nos discussions sur les dans la zone du Nord Kivu contrôlée par son nouvel allié Mbusa Nyamwisi, action malhonnête et destructrice, s’ils disaient vrai.

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combats continus dans l’Est, les besoins humanitaires qui montaient en flèche, les échecs du DDRR, les interminables négociations pour s’assurer une position et les autres défis de nos occupations respectives. (Plus tard l’équipe humanitaire dut fuir sous la menace d’un lance-fusées lorsqu’elle atterrit quelque part près de Baraka pour se rendre compte elle-même de la situation.) Ce soir-là je vis Azarias Ruberwa, alors encore secrétaire général du RCD, dans sa maison au bord du lac. Nous ne nous rencontrions normalement que dans les réunions officielles et il était utile d’apprendre de lui, officieusement, que le RCD ne s’opposait pas à la suggestion relative aux quatre vice-présidents actuellement en pourparlers, bien qu’il estimât évidemment que son allié de l’ASD, Étienne Tshisekedi, devrait être l’un des quatre dans tout cadre de cet ordre. Le lendemain matin un chauffeur du RCD me fit faire le tour de Goma pour que je mesure moi-même la dévastation extraordinaire provoquée partout dans la ville par l’éruption du volcan Nyiragongo quelques mois plus tôt. Dans quelques quartiers des maisons avaient été complètement anéanties ; dans d’autres la lave était montée jusqu’au niveau du premier étage et dans d’autres endroits encore on aurait pu croire qu’il ne s’était rien passé. Au milieu des ruines, les Congolais étaient occupés à acheter, à vendre, à se promener, à circuler en vélo, à se disputer, à regarder les passants… rappel utile que la survie quotidienne importait davantage au citoyen congolais moyen que la question de savoir s’il y aurait deux ou quatre viceprésidents à Kinshasa. Je rencontrai ensuite le Dr Onusumba et MM. Mudumbi, Karaha et Ilunga au bord du lac dans le palais désormais familier de Joseph Mobutu. J’expliquai que nous restions prêts à conduire le processus à une conclusion convenable mais que nous étions à présent en suspens pendant que la mission Niasse cherchait ce que l’on désignait maintenant du terme « accord global et inclusif ». Le fait d’être impliqués dans la recherche d’un tel accord était aussi une admission tacite de la part du MLC et du gouvernement que leur marché de Sun City s’était avéré impraticable. Le RCD commenta favorablement l’accord de Pretoria entre les Présidents Kabila et Kagame, mais il doutait de la bonne foi du régime à Kinshasa. Au moment où je partais, un journaliste demanda apparemment ce que j’y faisais, question non déraisonnable mais qui 291

demandait une réponse prudente dans l’atmosphère chargée et sensible des négociations congolaises. Du point de vue du gouvernement et du MLC, tel qu’exprimé à la fin de Sun City, nous n’avions plus de rôle. De notre point de vue, on nous avait officiellement confié la conduite du processus ; le gouvernement et le MLC ne pouvaient contester ce rôle s’ils recherchaient maintenant un règlement inclusif pour remplacer leur propre accord défaillant. Bien que le gouvernement et le MLC n’aient pas encore abandonné leur projet, il n’était en aucune manière incorrect pour nous de maintenir le contact avec les parties que nous avions si souvent convoquées. En effet, nous avions encore un représentant à Kinshasa, qui avait pour tâche de représenter QM auprès du gouvernement. Inévitablement, la presse de Kinshasa fit état de ma visite le lendemain et le Pr. Lebatt dut expliquer au Président Kabila ce que j’avais fait à Goma. La visite fut vite oubliée, mais il fallait à tout moment garder à l’esprit ce type de susceptibilités. À mon retour, début août, je briefai mes collègues au Botswana sur ce que j’avais appris au cours des deux dernières semaines. Nous débattîmes de la question de publier ou non les 34 résolutions adoptées à Sun City, mais décidâmes que ce serait prématuré et qu’elles pourraient faire l’objet d’un mauvais usage. M. Niasse téléphona à QM pour dire que Jean-Pierre Bemba avait maintenant accepté une structure à quatre vice-présidents comme moyen d’inclure toutes les parties. Il pensait que le RCD l’accepterait aussi et il conservait l’espoir que le DIC pourrait être convoqué à nouveau sous une forme quelconque en septembre ou octobre. Cela représentait un progrès, certes, mais il allait falloir attendre encore quatre mois pour qu’il y ait une entente suffisamment ferme pour conduire le processus à une conclusion. La raison en était que, même quand il y avait accord sur le cadre et les principes proposés, il fallait encore des négociations sur les attributions de chaque fonction à pourvoir et sur la compétence des candidats présentés par chaque partie. À Gaborone et à Kinshasa, pendant ce temps, nous avions réussi à réduire notre personnel d’environ un quart. Ceux qui restaient étaient inévitablement énervés par le temps que cela prenait pour conduire les Congolais au point de décider comment ils allaient partager le pouvoir. Combien plus énervant pour le peuple congolais ! Malgré dix-huit mois de négociations renouvelées, il ne voyait aucun changement concret dans sa situation. À la fin du mois, Kofi Annan 292

visita le Botswana. QM lui dit qu’il était inquiet : le temps passait et le processus semblait se ralentir ; l’accord restait hors d’atteinte. Le Secrétaire général était au courant des détails et affirma que des discussions continuaient à avoir lieu avec les parties congolaises à propos de la formule 1+4 lancée par le Président Museveni. Il restait optimiste quant à la capacité de la communauté internationale à exercer suffisamment de pression sur les parties pour qu’elles n’aient pas d’autre choix que de conclure le processus. J’espérais que le public congolais faisait clairement comprendre son mécontentement vis-à-vis de ses dirigeants, phénomène auquel j’attachais plus d’importance qu’à la pression diplomatique étrangère. Kofi Annan invita ensuite QM à New York pour examiner la voie à suivre – après son prochain briefing avec Mustapha Niasse (qui eut lieu en l’occurrence quelque six semaines plus tard). Le Secrétaire général voulait s’assurer que le Conseil de Sécurité, les autres membres de l’ONU et le Facilitateur soutiendraient à part entière tout ce qui serait décidé par la suite : nous avions tous vu ce qui pouvait se passer quand la communauté internationale « ne chantait pas à partir de la même partition ». La partition de Lusaka avait déjà était modifiée dans la mesure où, sous la pression de Kinshasa et de ses bailleurs de fonds, et par suite de l’indiscipline et de la mauvaise conduite de ceux-ci, les troupes ougandaises et rwandaises étaient incitées à se retirer avant la constitution d’un gouvernement de transition ayant autorité sur l’ensemble du territoire, alors que l’accord originel prévoyait le retrait des troupes étrangères seulement après le rétablissement de la gouvernance centrale sur toute l’étendue du territoire. L’exigence de Joseph Kabila – à savoir que le retrait des troupes eût lieu avant – était maintenant exaucée, mais la population, du moins celle d’Ituri, allait en faire les frais, car le retrait de l’UPDF, quels que fussent les défauts de celle-ci, ouvrit la voie aux massacres commis par les milices autour de Bunia, ce qui aboutit ensuite à l’intervention de l’UE avec l’Opération Artémis. À Iturie la tuerie continue. En revanche, les troupes étrangères venues au Congo pour soutenir Laurent Kabila – celles de la Namibie, du Zimbabwe et de l’Angola – avaient fait l’objet de bien moins d’accusations de vol et de sévices contre les civils que celles du Rwanda et de l’Ouganda ; leur départ 293

n’entraîna donc pas une augmentation évidente de l’insécurité.81 Les soldats namibiens, jamais nombreux, avaient alors été retirés. Les Angolais, cependant, restaient importants pour la sécurité de Joseph Kabila. Ce fut le gouvernement angolais qui négocia aussi le marché relatif au retrait de l’UPDF. Comme d’habitude, cela avait été fait discrètement à Luanda et l’accord attira bien moins d’attention que l’accord relatif au retrait rwandais deux semaines auparavant. Au moment où Kofi Annan quittait le Botswana, la presse de Kinshasa affirmait ce qui suit : Le gouvernement a publié hier une déclaration dans laquelle le Président de la République, tirant les conclusions des consultations menées avec la classe politique et de la nouvelle dynamique née après la signature de l’accord de Pretoria, invite les diverses composantes aux négociations politiques à s’investir pour un compromis global. Les journaux parus ce jour affirment unanimement que le gouvernement « renonce définitivement à l’Accord de Sun City ». Résumant la déclaration du gouvernement, Le Potentiel note que « pour l’essentiel, le chef de l’Etat considère que la classe politique consultée retient l’Accord de Sun City comme une étape importante vers le règlement de la crise congolaise, mais qu’après quatre mois, il n’a pu être mis en application en raison des divergences entre signataires ». Pour Le Potentiel, « cette déclaration n’est ni moins ni plus un nouveau signal du gouvernement pour qui l’accord de Sun City a vécu ». Plus clairement, explique le journal, « l’on devrait clore les débats sur la possibilité de son application car le gouvernement s’en est manifestement désengagé pour de bon ». La politique pratique l’avait enfin emporté ; la seconde phase de la Mission Niasse allait pouvoir attaquer désormais ce qui était resté inachevé à Sun City.

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Il y avait toutefois de nombreuses preuves, pour ceux qui ont étudié le rapport de l’ONU à ce sujet, d’un détournement considérable de biens congolais par les soldats zimbabwéens aussi.

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CHAPITRE XX UNE GUERRE SANS FIN ?

Malgré le retrait quasi complet des troupes rwandaises et ougandaises de la République démocratique du Congo (RDC) au cours des dernières semaines, les combats se sont intensifiés dans toutes les régions orientales du pays, où se trouve la majorité des quelque 2,27 millions de personnes déplacées intérieurement (PDI), selon un communiqué du Bureau des Nations unies pour la coordination des Affaires humanitaires (OCHA) du mois d’août 2002. Cependant, selon OCHA, ce chiffre est probablement en deça de la réalité du déplacement, car les PDI sont difficiles à compter en RDC en raison de l’accès limité aux régions concernées et de l’étendue de la dispersion. Par ailleurs, le chiffre ne tient pas compte des nombres affectés par d’importants déplacements récents dans l’est et le nordest, tels que les nouvelles PDI dispersées dans la région de l’Ituri dans la Province Orientale à la suite des affrontements récents. Il ne reflète pas non plus le fait que beaucoup de personnes qui ont fui leurs villages aient pu reprendre la fuite pour échapper à de nouvelles violences. Le 30 juillet 2002, les gouvernements de la RDC et du Rwanda ont conclu un accord de paix pour rétablir la souveraineté de la RDC et la sécurité du Rwanda ; la RDC et l’Ouganda ont signé un accord du même ordre le 6 septembre 2002. Alors qu’on attendait de la mise en œuvre des ces accords une amélioration de la situation qui permettrait à beaucoup des PDI de regagner leurs villages, la situation humanitaire reste aussi désespérée que jamais. Contrainte par l’insécurité et l’insuffisance des financements, la réponse internationale est loin de suffire aux besoins des personnes déplacées. Les commentateurs affirment que les niveaux consternants des déplacements intérieurs en RDC résultent des affrontements entre divers groupes rivaux – tant extérieurs qu’intérieurs – dans la course au pouvoir, en vue de contrôler et d’exploiter les ressources naturelles ; ce genre de situation a souvent exacerbé les rivalités ethniques. 295

Selon le rapport le plus récent du Panel des Nations Unies sur l’Exploitation Illégale des Ressources Naturelles et des Autres Richesses de la RDC, les conséquences humanitaires de ce conflit d’origine financière ont été atroces : rien que dans les cinq provinces de l’est de la RDC, le nombre de décès excédentaires (surmortalité) pendant la période de la présence rwandaise et ougandaise depuis le commencement de la guerre jusqu’en septembre 2002 a été de 3–3,5 millions de personnes. Depuis lors, une ruée pour remplir le vide du pouvoir résultant du retrait des troupes rwandaises et ougandaises a eu pour effet que les civils continuent à faire les frais de la guerre, se déplaçant de village en village, de ville en ville et de province en province dans l’espoir d’échapper aux attaques et aux représailles des diverses forces armées. (IRIN, 14/11/02) Malgré le retrait des troupes rwandaises, zimbabwéennes et ougandaises, il régnait en RDC une insécurité généralisée et il ne se profilait encore aucune équipe gouvernementale ayant la vision et la capacité nécessaires à la reconstruction du pays. Au contraire, il y avait un groupe de dirigeants qui se méfiaient les uns des autres, semblaient incapables de conclure ce qui avait été commencé à Lusaka trois ans auparavant et incapables d’offrir beaucoup d’espoir à leurs compatriotes. Comme mes collègues, épuisé et inquiet devant la lenteur exaspérante des progrès, je pris du congé. Le Pr. Lebatt était déjà en congé sans solde. Rre Mogwe s’occupait de son bétail. Primrose Oteng nous quitta pour un poste à la MONUC. Bo Heineback revint sur un contrat à court terme, pour remplacer ceux qui étaient en congé et tenir au courant les bailleurs de fonds. Je rentrai à Nairobi pour rattraper une foule de tâches personnelles, avant de mettre le cap sur un centre de culture physique sur la côte kenyane. Pendant quinze jours je courus le long des plages, traversai des bras de mer à la nage, bondis sur des ballons suisses, fis des poids et haltères, tapai sur des entraîneurs de boxe, et ne bus pas une goutte d’alcool. Au milieu il y eut séances de yoga et massages, nourriture saine et sommeil régulier. À la fin de mon séjour, j’étais détendu, bronzé et en bien meilleure santé qu’à mon arrivée. Il était temps de reprendre le travail. À mon retour au Botswana, j’eus l’impression que les quatre mois d’efforts de médiation menés par Mustapha Niasse avaient réussi à réengager les parties dans ce qu’on appelait des « discussions 296

informelles » mais non pas encore à les conduire à une conclusion. Jean-Pierre Bemba ne s’était pas rendu à Kinshasa, inquiet pour sa sécurité et fâché que l’accord qu’il avait conclu s’avérât creux. Les accords de Pretoria et de Luanda relatifs au retrait des troupes rwandaises et ougandaises avaient modifié l’équilibre des forces, bien que le RCD ne se fût pas effondrée et que personne ne mît en doute qu’elle devait faire partie intégrante de toute solution. Il était même question d’une visite à Kinshasa du Président Kagame, dans le cadre de la surveillance de l’accord de Pretoria, ce qui eût été impensable plus tôt dans l’année. Il y avait donc une nouvelle flexibilité dans l’air, mais les médiateurs avaient tout de même eu du mal à obtenir des parties qu’elles soumettent par écrit leurs positions sur la manière dont elles concevaient la répartition des responsabilités de la gouvernance entre les structures de transition. (Le gouvernement et le RCD étaient apparemment prêts à faire part de leurs positions au gouvernement sud-africain, mais étaient quelque peu réticents à livrer des informations aux médiateurs des Nations Unies. Cela rappelait les difficultés que nous avions eues à obtenir des positions écrites de la part des parties avant le DIC.) Le MLC était mécontent des quatre vice-présidents et continuait à maintenir qu’il fallait un Premier ministre ou que l’un des vice-présidents devrait assurer les fonctions de chef de gouvernement. Jean-Pierre Bemba cherchait à obtenir du soutien en faveur de sa position auprès des Présidents du Gabon, du Congo Brazzaville, de la République centrafricaine et même de la Libye, laquelle s’était toujours sentie quelque peu exclue de l’Accord de Lusaka. Cela était typique de la nature retorse de la politique congolaise que les dirigeants cherchent à obtenir du soutien étranger ; ils avaient des opportunités trop restreintes ou des moyens trop limités pour s’assurer leur propre groupe de supporters, à l’intérieur du pays. Les parties voulaient aussi discuter chaque position disponible, jusqu’aux niveaux les plus bas de l’administration. La lutte pour avoir une place dans le gouvernement de transition aurait dû avoir moins d’importance que la mise en place de circonscriptions en vue des élections envisagées, mais dans un pays avec une histoire comme celle du Congo, les fonctions officielles représentaient à peu près le seul moyen concevable d’ascension ou de sécurité financière. C’était donc également une voie sûre pour s’assurer une position à partir de 297

laquelle obtenir éventuellement un avantage électoral. Un poste dans l’administration, quelque dépourvu de pouvoir réel fût-il, était aussi la seule incitation susceptible de décourager ceux qui risquaient de reprendre les armes. Le 10 octobre, Le Président Mbeki examina avec les membres de la mission Niasse la possibilité de passer d’une procédure de démarches diplomatiques à la réunion d’un groupe restreint de négociateurs, à Pretoria, ce qui laissait espérer que le travail pourrait être mené à bon terme avant la fin de l’année. Nous commençâmes à étudier la possibilité de reconvoquer les 362 délégués à Kinshasa en vue d’une ratification finale des décisions du Dialogue, ou bien de prévoir la ratification ailleurs. Le 12 octobre, Mustapha Niasse amena ses collègues à Gaborone pour briefer l’équipe de la facilitation. Il dit que le dossier était un « enfer » qui les avait tous vieillis de dix ans. À ce moment-là il y eut un contretemps qui illustra combien il était difficile de maîtriser les événements au Congo. Le 14 octobre, neuf jours après que le gouvernement rwandais eut enfin retiré quelque 23 000 soldats de la RDC, la malheureuse ville frontalière d’Uvira, située sur le lac Tanganyika à quelques kilomètres de Bujumbura, capitale du Burundi, fut attaquée et prise au RCD par un groupe de Mai Mai. Le RCD accusa le gouvernement de Joseph Kabila d’avoir soutenu l’attaque et refusa de participer à la prochaine étape – cruciale – des discussions, que Mustapha Niasse allait présider à Pretoria. Le gouvernement nia toute responsabilité et les équipes de propagande des deux parties mirent en circulation des histoires d’atrocités – commises par la partie adverse. Je descendis en avion au Cap pour une brève réunion avec Mojanku Gumbi, dont le but était de passer en revue les options organisationnelles pour la clôture du Dialogue ; cependant nous dûmes inévitablement examiner d’éventuelles réponses à cette difficulté inattendue. Le représentant du RCD en Afrique du Sud, Thomas Nziratimana, me dit que le RCD était résolu à reprendre Uvira et ne retournerait aux négociations que lorsque la ville serait à nouveau sous son contrôle. Il prétendit que Uvira était l’extrémité d’une longue voie d’approvisionnement militaire traversant le lac Tanganyika à partir de Moliro au Katanga. Il déclara que la prise d’Uvira était une menace déstabilisante pour les gouvernements du 298

Burundi et du Rwanda, parce qu’Uvira n’était pas loin de la centrale électrique Rusizi II, qui fournissait 70% de l’énergie électrique du Rwanda et était la copropriété de la RDC, de la Tanzanie et du Rwanda. Nous apprîmes par d’autres voies que des groupes d’ex-FAR et d’Interahamwe fusionnaient et avançaient vers l’est, avec le soutien du gouvernement, les forces du gouvernement rwandais étant parties. Les négociations ne s’étaient pas conclues et la reprise des combats était un indice des attitudes qui régnaient dans certaines régions de la DRC. Katumba Mwanke, le principal négociateur du gouvernement était malade dans un lit d’hôpital en Afrique du Sud. En coulisse, les ministres des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Afrique du Sud appelèrent Joseph Kabila pour l’inciter à prendre des mesures pour redresser la situation s’il voulait éviter d’avoir à subir les conséquences de l’effondrement du processus de paix. Puis les Mai Mai se retirèrent, le RCD réoccupa la ville et la délégation du RCD accepta d’assister aux discussions de Pretoria.82 Le retrait des Mai Mai en réponse à la pression exercée par le Président congolais confirmait à la fois que le gouvernement avait un certain pouvoir sur les Mai Mai et qu’il existait encore des groupes au sein du gouvernement qui croyaient à la possibilité d’une solution militaire maintenant que les Rwandais s’étaient retirés. Cela confirmait une fois de plus que, dans de tels conflits, il vaut mieux faire attention à ce qui se passe sur le terrain qu’écouter ce que disent les dirigeants dans les salles de réunion. La MONUC semblait avoir été mise sur la touche au cours des combats et n’avait pas assez de connaissances sur la situation locale pour expliquer ce qui se passait. À peu près au même moment, l’ONU publia un autre volume d’enquêtes sur le pillage illicite des ressources congolaises, en nommant deux des collègues de haut rang du Président Kabila – Mwenze Kongolo et Katumba Mwanke – comme membres de réseaux criminels d’élite qui continuaient à piller les richesses de la RDC. Le Président suspendit tous ses fonctionnaires mentionnés dans le rapport et lança une enquête.83 Malgré sa suspension, Katumba Mwanke, tout au moins, continua à exercer une influence considérable – non plus en public, cependant. 82

MM. Ruberwa, Ondekane, Mudumbi, Emungu et Nziratimana. L’équipe gouvernementale était dirigée par Théophile Mbemba et le groupe du MLC par Olivier Kamitatu. 83 Les conclusions n’ont jamais été rendues publiques, à ma connaissance.

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QM passa en revue les derniers développements avec le Président Mbeki, lors de la visite de celui-ci à Gaborone, deux jours plus tard, pour signer un accord dans le cadre de l’Union douanière sudafricaine. QM mentionna les appels que nous avions reçus de la part de Thomas Lubanga, chef de la milice UPC à Bunia, prétendant qu’il lui fallait assister à la session finale du DIC au motif qu’il avait écarté Mbusa Nyamwisi et contrôlait désormais une population de plus de 5 millions de personnes. Nous aurions à nous occuper tôt ou tard de cette revendication, mais ce n’était pas le moment, malgré les combats continus aux environs de Bunia. Nous examinâmes la position des principales parties étrangères et conclûmes qu’il n’y avait désormais plus de soutien étranger important en faveur d’une quelconque issue alternative pour les belligérants congolais. Malgré les derniers combats, le Président Mbeki restait optimiste quant à la possibilité d’un accord final ; il nous avait déjà confirmé être prêt à accueillir de nouveau la session finale du DIC à Sun City, au cas où les conditions à Kinshasa ou ailleurs en RDC seraient inacceptables à l’une ou l’autre des parties. Le 26 octobre, Mustapha Niasse entama des « consultations informelles » avec toutes les parties à Pretoria. Quarante représentants des cinq composantes étaient présents, plus deux chacun pour les Mai Mai et le RCD-N et trois pour le RCD-ML. Le gouvernement sudafricain envoya Sydney Mufamadi, ministre du gouvernement local, pour apporter son assistance. Enfin, on réussit à faire accepter par toutes les parties la formule 1+4 pour la présidence, mais le MLC et le RCD exigèrent en échange, entre autres, le partage égal de toutes les fonctions officielles entre les composantes et des garanties sécuritaires à Kinshasa. Lors d’une visite à Pretoria, le Président Kabila déclara publiquement se réjouir d’avance de l’inauguration d’un nouveau gouvernement à Kinshasa en janvier 2003. Je suppose que c’est le lot de tout président d’assumer l’optimisme public. Nous autres étions moins optimistes après une visite d’un jour à Pretoria avec QM, dans l’attente de la signature d’une nouvelle déclaration de principes, laquelle, en l’occurrence, n’eut pas lieu. Nous procédâmes néanmoins, avec le Président Mbeki, sa ministre des Affaires étrangères, Mustapha Niasse et Haile Menkerios, à la revue des progrès réalisés. Il y avait eu, certes, des retraits militaires importants – les forces zimbabwéennes avaient aussi quitté le pays à 300

présent et il y avait, semblait-il, accord général sur les principes de transition ; cependant, le problème du partage du pouvoir au niveau de l’ensemble des fonctions officielles et les options relatives à l’amélioration de la sécurité à Kinshasa étaient des questions qui n’allaient pas connaître une solution rapide. Le Président Mbeki souleva aussi la question des garanties relatives à toute transition. À Sun City, l’année précédente, il avait abordé ses collègues présidents africains en vue d’obtenir des engagements afin de pouvoir offrir aux Congolais une sorte de garantie extérieure, ce qu’ils avaient souvent réclamé étant donné le peu de confiance qu’ils avaient dans les engagements qu’ils prenaient les uns vis-à-vis des autres. Les Congolais ajoutaient d’ailleurs peu de foi à l’ONU et les performances médiocres de la MONUC en matière de DDRR n’avaient rien fait pour arranger les choses. Il n’existe pas de réponses simples à de telles réclamations, car il est difficile de convaincre les hommes politiques et les soldats d’un pays de se mettre en danger à la suite de l’incapacité des hommes politiques et des soldats d’un autre pays à régler leurs différences. Il n’y a pas de force permanente compétente de l’ONU84, aussi chaque cas est-il traité séparément. Par exemple, la Sierra Leone et le Liberia reçurent un soutien militaire étranger adéquat, à terme, pour leur transition post-conflit, tandis que le Congo ne peut commander un nombre suffisant de troupes de maintien de la paix ni même une fraction de l’aide humanitaire dont il a besoin. Au Soudan, au moment de la rédaction de ces lignes, une petite force de l’AU, insuffisamment soutenue, a du mal à répondre aux aspirations à des solutions africaines face à des conflits africains. En RDC ainsi qu’au Soudan, le manque de moyens suffisants et de volonté politique se reflète dans la persistance de niveaux inacceptables de « surmortalité ». Les discussions de Pretoria furent ajournées début novembre après que M. Niasse eut demandé aux parties de consigner par écrit leurs suggestions en vue d’un partage « vertical » du pouvoir, dans l’espoir de les mener au consensus avant le 20 novembre. Il retourna au

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Une telle force était prévue dans la charte de l’ONU mais n’a jamais vu le jour, bien que l’on assiste aux débuts de brigades permanentes disponible pour le maintien de la paix..

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Sénégal en laissant sur place des membres de son équipe pour aider les Congolais le cas échéant. Au Botswana, début novembre, QM donna une réception pour remercier le Pr. Lebatt du travail qu’il avait accompli et pour lui souhaiter beaucoup de chance pour l’avenir.85 Almaz Atnafu assura la relève de la responsabilité de notre bureau de Kinshasa, dont certains équipements avaient déjà servi à accueillir la TPVM et, à l’occasion, l’équipe de M. Niasse. Je fis une visite à Kinshasa pour revoir avec Almaz et un groupe réduit de collègues nos tâches qui restaient à accomplir là-bas, pour maintenir le contact avec les bailleurs de fonds et pour prendre la température de la capitale congolaise. J’expliquai aux ambassadeurs et fonctionnaires donateurs que nous avions réduit notre personnel quasiment de moitié mais que nos capacités resteraient suffisantes pour reprendre la relève quand M. Niasse aurait réussi à obtenir un accord de la part des parties congolaises. L’attitude de l’ambassadeur des États-Unis fut sensiblement différente de celle qu’il avait adoptée lors de notre rencontre plus tôt dans l’année. Il ne fit aucune allusion à l’échec de l’accord gouvernement/ MLC mais parla de la nécessité d’instruire son propre gouvernement au sujet du processus, du besoin de patience et des difficultés que posait la culture politique de la RDC. À ma question concernant la réticence du Conseil de Sécurité à donner à la MONUC les ressources nécessitées par le conflit en RDC, il répondit que l’ONU n’était pas populaire à Washington, que la MONUC était l’opération de maintien de la paix la plus coûteuse par soldat dans le monde entier et qu’elle avait besoin de montrer davantage de progrès en matière de DDRR. Avec plusieurs ambassadeurs et membres de la TPVM je discutai aussi de la question des mécanismes de surveillance et d’appel à l’intention les parties au gouvernement de transition. Tandis que Lena Sundh, de la MONUC, avait des réserves quant à l’exploration du rôle que l’ONU pourrait être appelée à jouer, les ambassadeurs et fonctionnaires acceptaient tous qu’un mécanisme quelconque de soutien et d’appel était nécessaire. Alors que cela dépassait à 85

Le Pr. Lebatt fut nommé par la suite ambassadeur de Mauritanie auprès de l’Union africaine, étant accrédité également dans plusieurs pays en Afrique de l’Est.

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proprement parler, et de loin, le mandat de la Facilitation, il était normal que nous soyons préoccupés par la fragilité probable de tout accord que nous réussirions éventuellement à faire ratifier par les Congolais – préoccupations qui allaient s’avérer bien fondées ; aussi le besoin d’un soutien étranger nous semblait-il évident. Nous n’avions pas envie de disparaître ni de voir les progrès s’effondrer par manque d’attention de la part de ceux qui avaient soutenu ces négociations prolongées. En l’occurrence, un organisme appelé la Commission pour l’Appui à la Transition, CIAT, fut constitué à partir du corps diplomatique à Kinshasa. La CIAT devait s’avérer moins efficace comme appui à la mise en œuvre de l’accord que la participation continue du Président Mbeki et de ses collègues.86 C’est l’Afrique du Sud qui est devenu le filet de sécurité des aspirations congolaises à la paix et au progrès. En rentrant à Gaborone à la fin novembre, je m’arrêtai à Pretoria, où Yasir Sabra et Gerry Bennet me briefèrent sur les progrès réalisés dans les négociations. Les parties avaient interrompu la session jusqu’au 9 décembre mais elles avaient laissé sur place 52 des anciens délégués de Sun City répartis entre quatre comités pour discuter des structures politiques, des entreprises publiques, des dispositions sécuritaires et de la commande militaire, ainsi que de la rédaction d’un projet de constitution de transition. Le travail fut facilité par la participation intensive de Sydney Mufamadi et de Mojanku Gumbi du côté sud-africain et par le retour du Pr. Mbodj, qui avait servi de remplaçant à M. Niasse à Sun City et par la collaboration de MM. Sigg et Mirzel, qui avaient été mis à la disposition des commissions à Sun City par le gouvernement suisse et avaient été d’une aide précieuse au niveau de l’élaboration d’un projet de constitution en particulier. À vrai dire, un Dialogue intercongolais en miniature était de nouveau à l’œuvre à Pretoria, dans le cadre duquel des commissions présenteraient leur conclusion lors d’une plénière avant le 14 décembre. Le fait qu’une telle structure fût nécessaire témoigne du niveau de détail et de complexité où évoluait encore le travail. 86

Au cours de la rédaction de cet ouvrage, le Président Mbeki a effectué deux voyages à Kinshasa. Le premier avait pour but de convaincre Azarias Ruberwa d’inverser la suspension de sa participation au gouvernement de transition. Le second était pour discuter avec le Président Kabila et Jean-Pierre Bemba la menace de ce dernier de se retirer à moins que les élections ne soient organisées en juin 2005, conformément à l’accord final.

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Sur le terrain en RDC, il y avait eu des affrontements entre le RCDN et le RCD-ML et l’on observait une intensification des combats entre les groupes Hema et Lendu dans et autour de Bunia. Le Conseil de Sécurité, conscient de la nécessité de soutenir les progrès réalisés, autorisa un doublement de la capacité de la MONUC, de 4 240 à 8 700. Il salua le retrait des troupes par l’Ouganda, le Rwanda, le Zimbabwe et l’Angola, mais exprima son inquiétude au sujet de la violence dans l’Ituri, en incitant spécifiquement l’UPC de Thomas Lubanga à coopérer avec la Commission de Pacification d’Ituri, que la MONUC était en train de mettre en place avec les leaders locaux de la région. S’inspirant de la conclusion de la revue de la MONUC effectuée par le DOMP, le Secrétaire général ordonna à la MONUC de déplacer son centre d’opérations à l’Est, où on en avait le plus grand besoin, avec des corps expéditionnaires à Kindu et à Kisangani, et à refocaliser ses efforts de manière à se concentrer davantage sur le DDRR, ou, pour emprunter la formule inélégante des bureaucrates onusiens, « to mainstream DDRR » (à intégrer le DDRR dans le courant principal de leurs activités). Les pressions exercées sur les négociateurs à Pretoria augmentaient au fur et à mesure que l’on dépassait les délais et que les vacances de Noël approchaient. Il y avait des mouvements inexpliqués de troupes à Kinshasa et des rumeurs de dangers pesant sur la ville en raison de la nouvelle alliance du MLC avec la Libye. Il y eut des accrocs de dernière minute et des bruits contradictoires. QM dut se rendre à une réunion de la Coalition Mondiale pour l’Afrique à Londres et profita de cette occasion pour solliciter un entretien avec le ministre britannique chargé de l’Afrique, qui était alors la baronne Amos. Nous tenions à expliquer que nous ne voulions pas transmettre le processus dans le vide et que la communauté internationale devait considérer la manière dont elle soutiendrait l’implantation d’un accord final ; c’était là le message que nous destinions à tous nos contacts diplomatiques. J’accompagnai QM et nous restâmes en contact téléphonique continu avec Rre Mogwe, Bakary Dabo et Malik Dechambenoît, qui surveillaient les progrès à Pretoria en attendant d’assister à la signature d’un « accord global et inclusif », ainsi qu’on allait l’appeler. Notre arrivée à la House of Lords à Londres pour rencontrer la baronne Amos avait quelque chose de surréel. Je m’y étais rendu par 304

les transports en commun et fus conduit au Parlement par un tunnel souterrain afin d’éviter que les voies d’accès à la surface ne soient bloquées par des manifestants. QM devait arriver dans une voiture du haut-commissariat botswanais, mais fut coincé dans un embouteillage provoqué par deux démonstrations, l’une contre la chasse au renard et l’autre contre la politique britannique en Iraq. Je l’attendis dans la cour du Parlement. La grisaille d’un après-midi d’hiver ordinaire à Londres semblait le disputer à la pâle lueur d’un orage qui approchait. Derrière les hauts remparts les nuages s’amoncelaient et le ciel s’assombrit tout d’un coup. Le décor gothique fut complété par l’apparition d’un messager en culotte médiévale et portant l’épée, venu nous chercher pour nous conduire devant la ministre ; j’expliquai que l’ancien président était retenu quelque part à l’extérieur, dans la circulation. Un agent de police fort obligeant fut envoyé à sa recherche. Enfin, on nous conduisit dans un petit bureau à l’étage pour rencontrer la baronne, qui nous reçut d’une manière posée, attentive et informelle. QM la remercia du soutien que la Facilitation avait reçu de la Grande-Bretagne et expliqua qu’il serait de nouveau mis en charge du processus dans le cas où un accord inclusif serait conclu. Il organiserait alors, après consultation de l’ONU et des parties congolaises, une session plénière finale du Dialogue intercongolais afin d’adopter l’Accord de Pretoria, ce qui constituerait effectivement la dernière des résolutions du DIC ; les travaux seraient ensuite ratifiés dans un Acte Final, après quoi la tâche de QM serait accomplie : un gouvernement de transition serait alors responsable de la mise en œuvre de ce qui aurait été convenu après un si long processus. Il évoqua la possibilité de tenir la session finale à Kinshasa et exprima l’espoir que le processus serait conclu en janvier 2003. Il termina en soulignant l’importance pour la communauté internationale d’adopter une position déclarant clairement son soutien en faveur de l’accord et n’admettant aucune alternative – contrairement à ce qui s’était passé à Sun City. La ministre affirma qu’elle était en communication régulière avec ses homologues américains, français et belges. De retour à mon hôtel, je fus réveillé à 4h30 le lendemain matin, 17 décembre, par un collègue ravi à Pretoria me téléphonant pour me dire que les Congolais avaient enfin signé un accord inclusif. À peine je m’étais à rendormi que d’autres m’appelaient avec la même nouvelle. Nous voilà à présent contraints d’agir devant l’heureuse issue de trois ans de négociations au moment même où une bonne partie du globe 305

fermait boutique et rêvait aux vacances de Noël. Il nous fallut d’abord féliciter Mustapha Niasse et son équipe et nous assurer ensuite que nous comprenions exactement le contenu du texte final. Il y aurait 36 ministres et 25 ministres-adjoints dans le nouveau gouvernement de transition ; le gouvernement nommerait les ministres des Finances et de l’Intérieur, le RCD nommerait ceux de la Défense et de l’Économie, le MLC désignerait le président de l’Assemblée et la Société Civile désignerait le Président du Sénat. Le président de la République présiderait un Comité de Suivi afin de prendre des dispositions avec les autres parties pour l’investiture du gouvernement de transition. Nous rentrâmes au Botswana le plus tôt possible, juste à temps pour pouvoir assister au mariage de notre collègue ivoirien Malik Dechambenoît avec Wame, une jeune diplomate botswanaise. Tous les membres de notre bureau qui le pouvaient prirent la route vers le sud, en passant par Lobatse, jusqu’à Hebron, un village à deux heures de la capitale, entouré de pâturages sauvages verdoyants. Des membres de la famille de Malik étaient venus de France, des ÉtatsUnis et de Côte d’Ivoire et étaient réunis dans une grande tente avec leur nouvelle belle-famille, dégustant courges et seswa, plat botswanais à la viande de bœuf pilé. C’était un soulagement que de s’éloigner pendant un bref instant de la frénésie de la résolution des conflits. Nous savions tous que nous devrions nous apprêter bientôt à accompagner les Congolais dans la dernière étape de la course. À en juger par les étapes déjà courues, il y aurait d’autres accrocs et obstacles, mais nous espérions, comme tout le monde, que l’exercice se terminerait avant la fin janvier. Cela ne devait pas être.

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CHAPITRE XXI DE NOUVEAU EN ROUTE

Quelqu’un aurait-il jamais parié un seul franc congolais sur le retour de Ketumile Masire au lendemain de la signature de l’Accord dit cadre de Sun City ? Et pourtant, Masire est bien a Kinshasa pour faire tout ce qui est bien et qui doit bien finir avec les Congolais têtes de mule. Tshidibi Ngongdavi, Le Potentiel, 13/1/03 Je passai une bonne partie de la semaine entre Noël et le Nouvel An au téléphone à essayer d’organiser les visites de QM à Kinshasa, Goma, Gbadolite, Pretoria et New York dans le plus bref délai possible. Nous avions à présent pour tâche d’intégrer l’accord inclusif portant sur les structures de la transition dans les résolutions adoptées à Sun City en avril et de faire ratifier le tout sans plus tarder. À cet effet, il fallait que les belligérants nous fassent savoir où ils souhaitaient que la ratification ait lieu et que nous nous assurions que les principaux acteurs extérieurs soutenaient à part entière les démarches finales. Notre mission était donc de consulter les parties au sujet du lieu, de la date, du format, du règlement intérieur et de l’ordre du jour de la plénière finale du DIC, ainsi que de la représentation. Il nous faudrait par la suite veiller à ce qu’il y ait une pression internationale pour garantir l’adhésion à ce qui avait été convenu. Ceux qui n’avaient pas suivi le processus présentaient parfois l’« accord inclusif et global » et l’« Accord de Pretoria » comme la fin de la guerre : ce n’était pas le cas. Il ne s’agissait que de deux des nombreuses phases d’un processus consacré à désamorcer progressivement la crise. Dans une guerre où il n’y a ni gagnant ni perdant, la signature d’un accord de paix ne fait que marquer le début de la création de la confiance, de la reconstruction des institutions de la gouvernance et de la réhabilitation de l’économie. Elle marque aussi le début d’une phase qui risque d’être même plus difficile que les négociations qui l’ont précédée. Il y une tendance compréhensible

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à oublier cela dans l’enthousiasme du moment… les difficultés n’allaient pas tarder à se révéler. Par exemple, on ne s’était pas encore mis d’accord sur Kinshasa comme lieu de la session finale – choix pourtant évident pour la clôture du DIC – et il n’y aurait pas accord tant que des dispositifs sécuritaires acceptables à toutes les parties n’auraient pas été élaborés et mis en place. Par ailleurs, la réorganisation des forces armées du pays n’était pas encore entièrement réglée – comment, au juste, les forces adverses allaient-elles être réunies sous un contrôle commun et, à terme, sous un commandement conjoint ? En outre, le gouvernement et ses alliés avaient signé le dernier accord « sous réserve », pour protester contre l’attribution de la présidence de l’Assemblée nationale au MLC. D’autres parties avaient également soumis des réserves par écrit. Il nous fallait établir quel effet celles-ci étaient susceptibles d’avoir sur les démarches suivantes. De plus, le projet de constitution devait être rédigé en forme de résolution en vue de son adoption par la plénière, et le comité de rédaction n’en était encore qu’au stade des commentaires sur ce document. On ne pouvait vraiment estimer le temps qu’il faudrait pour produire une version acceptable. Comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle menace apparut – le MLC et le RCD-N lancèrent une offensive militaire qui menaçait les territoires de l’Ituri contrôlés par le RCD-ML. Ils prétendaient que le gouvernement avait envoyé trois avions militaires chargés de matériel de guerre pour renforcer la position de Mbusa Nyamwisi dans la région de Beni, en violation de tous les accords récents. Le Conseil de sécurité exhorta les parties à cesser les hostilités et les ambassadeurs « P5 » 87 du Conseil de sécurité convoquèrent une réunion du RCDML et du MLC à Gbadolite pour obtenir une trève. Une réunion des chefs d’état-major à Kisangani fut proposée afin d’essayer de résoudre les questions de contrôle militaire mais les rebelles la rejetèrent au motif que c’était à Mustapha Niasse ou à QM de convoquer une telle réunion, non aux « P5 », puisque les parties avaient convenu à Sun City d’un « mécanisme » destiné au contrôle militaire, sans pourtant avoir précisé quel serait ce mécanisme. Les rebelles n’acceptèrent pas 87

P5 renvoie ici aux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans le contexte congolais, cela devenait souvent P5+2, l’Afrique du Sud et la Belgique étant étroitement impliquées dans la transition en RDC.

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davantage l’invitation du président à se rendre à Kinshasa pour discuter la voie à suivre. Ces questions restées en suspens et la violence à Bunia et aux alentours, malgré les efforts de la MONUC pour désamorcer la situation, ne faisaient que souligner l’évidence que la signature d’un accord de transition dans un pays étranger était une chose, tandis que l’arrêt effectif des hostilités et la mise en marche de la gouvernance au Congo en étaient une autre. Les parties ne semblaient pas prêtes à assumer ce changement d’optique. Entre-temps, il était impossible de joindre le Président Kabila pendant la période des vacances, ce qui anéantit notre espoir que QM puisse le rencontrer à Kinshasa le 5 janvier. Le Président avait choisi cette date pour inviter les rebelles à Kinshasa en vue de consultations. Il envoya ensuite une invitation à QM à se rendre à Kinshasa le 12 janvier, que nous fûmes heureux d’accepter. Le jeune président essayait de prendre l’initiative et d’affirmer son autorité, en tant que Président de la République aussi bien qu’en tant que président du comité de suivi, mais les rebelles ne voulurent pas encore se rendre à Kinshasa, insistant sur la nécessité de garanties sécuritaires préalables. Nous étions par ailleurs entravés par un autre problème : bien que Mustapha Niasse soit allé rendre des comptes à Kofi Annan à New York, le processus ne nous avait pas encore été confié à nouveau, principalement à cause de la période des vacances. Il était évident qu’une sorte de vide était en train de se former, sans qu’il y ait encore un seul leader en place pour définir la voie à suivre : une fois de plus, l’absence d’un « patron » pour gérer l’ensemble du processus se faisait sentir. À ce moment-là, agacé par la confusion générale, l’inlassable Louis Michel rendit publique une déclaration à Kigali regrettant l’absence de ce qu’il appelait une « puissance invitante » pour conduire l’affaire à l’étape suivante. Nous partagions ses préoccupations, sans toutefois nous associer à leur expression publique, et nous allâmes le rencontrer le 8 janvier en Afrique du Sud, au haut-commissariat botswanais à Pretoria. Louis Michel et QM étudièrent comment les intéressés pourraient aider les Congolais à faire des progrès sur les trois principales questions restées en suspens et aussi sur le calendrier de l’investiture du gouvernement de partage du pouvoir. Le ministre belge des Affaires étrangères ne put cacher sa consternation devant la lenteur des événements. 309

Nous nous rendîmes ensuite auprès du Président Mbeki, avec ses ministres Sydney Mufamadi et Aziz Pahad. Le Président sud-africain dit que la nécessité d’un leadership pendant la période fragile entre la fin du DIC et l’investiture du nouveau gouvernement était généralement admise ; que Kofi Annan prolongerait donc le rôle de Mustapha Niasse pour cette période afin d’assurer une certaine continuité d’autorité sur le processus, et de garantir que la logique du DIC et l’accord global seraient respectés au cours de la « transition vers la transition ». Il ajouta que l’Afrique du Sud et les Nations unies aideraient à organiser la réunion des chefs d’état-major chargée de dégager un consensus sur une structure de commandement militaire. Étant donné l’opinion du gouvernement vis-à-vis de QM et de son rôle après Sun City, je supposai que c’était le gouvernement qui était à l’origine de l’initiative de retenir M. Niasse – initiative que Louis Michel avait annoncée entre-temps à la presse internationale. Cette annonce dans la presse nous surprit dans la mesure où, à notre connaissance, ni Kofi Annan ni Mustapha Niasse n’avaient dit quoi que ce soit en public et que les hauts fonctionnaires que nous contactâmes plus tard n’en savaient rien à ce moment-là. Pendant ce temps, QM dut s’employer à convaincre les parties congolaises d’officialiser tout ce dont elles avaient convenu plutôt que d’étoffer les principes qu’elles venaient d’accepter à Pretoria ; il était donc soulagé d’apprendre que l’ONU et les Sud-Africains s’occuperaient de cette dernière tâche. Nous étions d’accord avec les Sud-Africains sur la fin janvier comme date provisoire pour la session finale, tout en sachant que ce ne serait faisable que si les problèmes de la sécurité des rebelles à Kinshasa, du contrôle militaire conjoint et du projet de constitution étaient résolus dans les deux semaines suivantes. Même s’il fallait changer de date, il importait de maintenir l’élan. Depuis six mois, l’émissaire spécial de l’ONU et le Président sudafricain, avec leurs collègues, abordaient systématiquement chaque obstacle érigé par l’une ou l’autre des parties congolaises au cours des négociations. Au point où nous en étions, cependant, les parties n’avaient pas réussi à faire avancer elles-mêmes le processus et il n’y avait effectivement pas de « puissance invitante » en place. Encore une fois, il me semblait que nous avions besoin d’un directeur général pour superviser l’ensemble de l’Accord de Lusaka, sous tous ses aspects.

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En l’absence d’un directeur général pour la paix au Congo, le rôle de plus en plus proéminent du Président Mbeki comme protecteur des négociations lui revenait de droit, d’autant plus légitimement qu’il était nommé chef de l’UA nouvellement constituée, pour la première année de l’opération de cette organisation. Il continue à assurer ce rôle à ce jour. Ses détracteurs ont suggéré que l’intérêt que portait l’Afrique du Sud aux minéraux de la RDC était à l’origine de son implication dans le processus de paix. Pour ma part je préférais y voir un exemple bienvenu de leadership de la part de la première puissance économique du continent, très consciente des implications pour l’Afrique d’une éventuelle paralysie de la région des grands lacs suite à la guerre civile. Par ailleurs, les dirigeants africains commencent, d’une part, à se tourner moins vers les puissances extérieures au continent – puissances qui déformaient depuis si longtemps son développement politique interne, tant sous le colonialisme que pendant la guerre froide – et, d’autre part, à espérer un apport de leadership plus important de l’Afrique du Sud. Le fait que l’Afrique du Sud ait des chances de tirer profit de la reconstruction de l’économie de la RDC est, certes, une retombée favorable, mais ce n’est pas la raison principale de la volonté sud-africaine de consacrer des ressources politiques, diplomatiques et militaires considérables à soutenir les tortueux processus de paix dans la région des Grands Lacs d’Afrique. (À l’heure actuelle l’Afrique du Sud préside également le comité de l’UA chargé de superviser la reconstruction de l’économie soudanaise et son Président est le principal médiateur dans la recherche d’une solution pour mettre fin aux hostilités en Côte d’Ivoire.) Après notre réunion avec le Président Mbeki et Mustapha Niasse, nous profitâmes de l’occasion pour voir Étienne Tshisekedi, qui se trouvait à Pretoria avec Franck Diongo et sept autres représentants des partis UDPS et MLP, qui constituaient une part importante de l’« Alliance pour sauvegarder le Dialogue ». Étienne Tshisekedi complimenta QM sur sa détermination et sur son insistance pour que le Dialogue fût mené à une conclusion appropriée. Comme tout le monde, il exprima son inquiétude quant à la sécurité à Kinshasa et la nécessité d’agir rapidement pour éviter qu’un nouveau fauteur de guerre ne vînt perturber les progrès réalisés. Ses collègues avancèrent ensuite des arguments en faveur de la nomination de M. Tshisekedi au poste de vice-président, poste à pourvoir parmi les rangs de 311

l’opposition politique. Conscient de faire l’objet d’une sollicitation, QM fut obligé de rappeler les limites qui lui étaient imposées de par son rôle de facilitateur. Il s’agissait d’une question à régler par l’opposition dans son ensemble, non pas par lui, comme ils le savaient fort bien. QM sollicita ensuite leurs vues au sujet du lieu de la session finale. Ils étaient pour la clôture du processus en Afrique du Sud, comme la plupart de ceux que nous avions consultés d’une manière informelle. Nous avions demandé que Haile Menkerios se joigne à nous après un bref repos. Le lendemain il arriva en avion au Botswana pour nous présenter sa vue des négociations et nous donner toute l’aide qu’il pouvait. Ensemble nous passâmes en revue les mesures nécessaires pour parvenir à la transition, y compris l’addition de l’accord global aux 34 résolutions adoptées à Sun City. Nous reçûmes aussi une analyse de cinq pages de la part de Moustapha Niasse, pour nous aider dans notre planification. Lui-même serait à Kinshasa pendant la dernière semaine de janvier pour s’occuper des points restés en suspens. Le lendemain, Bakary Dabo commença à préparer l’ordre du jour et le programme pour la session plénière finale pendant que QM s’apprêtait à faire, une dernière fois, le tour des quartiers généraux des belligérants, afin de recueillir leurs vues ainsi que celles des autres composantes avant de finaliser les dispositions qu’il devait prendre, si possible avant la fin janvier. Il communiqua par écrit à Kofi Annan son emploi du temps. Nous quittâmes Gaborone le 11 janvier et prîmes un vol régulier de Pretoria à Kinshasa le matin du 12. Ce soir-là QM rencontra le personnel qui lui restait et dîna ensuite avec le SRSG, Amos Ngongi, qui était sur le point de partir en retraite. Nous examinâmes les nombreuses difficultés auxquelles le processus devait encore faire face. Par exemple, les forces de Jean-Pierre Bemba étaient accusées de cannibalisme parmi les pygmées de l’Ituri, allégation qui était largement diffusée – et crue. En 2004 l’accusation fut publiquement retirée à Kinshasa par les pygmées, qui affirmèrent avoir été achetés pour la lancer. Quoi qu’il en fût, les soldats de Jean-Pierre Bemba étaient également critiqués pour leur inconduite au-delà du fleuve Ubangui, où il avait soutenu le régime d’Ange Félix Patasse, qui s’effondrait à présent sous les attaques de François Bozize. Ces

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accusations, vraies ou fausses, n’aidaient en rien à favoriser un climat de réconciliation et de coopération. Nous rencontrâmes le Président Kabila le lendemain matin, 13 janvier, au Palais du Peuple, avec son chef de cabinet et le Pr. Samba Kaputo. Le président parut plus détendu que lors de nos réunions précédentes. Il affirma qu’il était d’accord avec le calendrier envisagé par QM et voyait moins d’obstacles politiques que de points restant à élucider. Il ajouta que le gouvernement était d’avis que le processus devrait être conclu à Kinshasa ou à Kisangani. QM fit remarquer que les rebelles exprimaient des inquiétudes au sujet de leur sécurité à Kinshasa et craignaient qu’il n’y ait pas à Kisangani les installations nécessaires. Le président répondit que le MLC et le RCD-ML avaient eu des représentants à Kinshasa pendant neuf mois sans problèmes sécuritaires et avança que la communauté internationale pourrait être mise à contribution en ce qui concernait les installations nécessaires pour faire venir pendant une journée 362 délégués à Kisangani afin de signer un accord. À la question de Rre Mogwe au sujet du calendrier, le président répondit par un proverbe en kiSwahili selon lequel il ne faut pas laisser tomber la gourde et renverser le lait au moment d’entrer dans la maison. Nous ne pouvions qu’en convenir. QM lui promit de revenir dans une semaine pour l’informer des réponses des autres parties à ses questions concernant la date, le lieu et la sécurité. De retour à notre hôtel, nous vîmes John Tibasima et Honoré Kadima du RCD-ML. Ils voulaient que la session finale du DIC soit convoquée avant la fin du mois, si possible. Comme d’autres que nous avions consultés, ils avaient peur que tout temps perdu n’avantage ceux qui n’étaient pas contents de l’accord pour une raison ou une autre. Ils déclarèrent que l’Ituri était dans le désarroi, que le Comité de Pacification de l’Ituri devait se réunir avant le DIC et que toutes les troupes devaient être consignées au quartier le plus vite possible. Quant au lieu de la réunion finale, « cela devrait être un lieu qui ne soulève aucune controverse. » Encore une fois, nous ne pouvions qu’en convenir. Nous étions en contact aussi avec Roger Lumbala du RCD-N, mais son invitation à venir le voir à Isiro ne put aboutir car il n’y avait pas de vols jusqu’à Isiro et les compagnies opérant en affrètement auxquelles nous avions recours ne pouvaient obtenir d’assurance pour 313

s’y rendre88. Si nous en avions eu le temps, nous aurions pu résoudre ce problème d’une manière ou d’une autre, mais le temps manquait, justement, et nous devions accorder la priorité au gouvernement, au MLC et au RCD, sachant que les autres composantes et « entités » ne s’opposeraient probablement pas à la date et au lieu convenus par les belligérants. Le lendemain QM consulta trente-cinq représentants de l’opposition politique à notre bureau de Kinshasa. S’agissant du choix du lieu, Kisimba Ngoy résuma bien le problème, à mon avis, en disant que « le symbolisme ne doit pas être privilégié aux dépens de la sécurité ». Il préférait donc Gaborone à Kinshasa ou à Kisangani comme lieu de clôture du DIC. La plupart des autres exprimèrent une préférence pour un retour à Sun City. QM réexamina les frontières entre les tâches qu’il lui restait à accomplir et celles de Mustapha Niasse, ainsi que le rôle probable et les responsabilités du Comité de Suivi et de M. Niasse après la clôture du dialogue. Les politiciens n’ayant fait ni obstacle ni difficulté, QM les remercia et s’apprêta à consulter les représentants de la société civile. Les préoccupations de celle-ci portaient essentiellement sur des questions pratiques concernant le harcèlement et l’incarcération de délégués s’étant opposés au marché de Sun City, la perte des bagages et le manque de billets pour rentrer chez eux depuis Sun City, ainsi que la liberté de voyager, qui n’était pas encore devenue une réalité. L’après-midi nous rencontrâmes feu Sergio Vieira de Mello à notre hôtel. Il était à l’époque Haut-commissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme et en pleine ascension au sein de l’ONU ; certains voyaient en lui un futur Secrétaire général. Il nous fit part des préoccupations que le RCD venait de discuter avec lui à Kisangani au sujet de sa sécurité dans le cas où il se rendrait à Kinshasa. Il espérait que son bureau pourrait aider à surveiller la situation des droits de l’Homme en RDC dès le commencement de la transition. Nous encourageâmes son personnel à étudier les résolutions votées à Sun City, qui détaillaient nombre des droits de l’Homme auxquels les Congolais aspiraient dans leur nouvel ordre politique, ainsi que l’Acte d’Engagement de la réunion de Gaborone. Nous expliquâmes aussi notre perception de la manière dont le processus serait mené à sa conclusion, puisque, comme tant d’autres, Sergio Vieira de Mello 88

Isiro avait été le théâtre d’affrontements récents entre le RCD-ML et le RCD-N.

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ignorait comment l’Accord de Pretoria cadrait avec le processus plus long de Lusaka. Sa mort à Baghdad en 2003 mit une triste fin à une carrière pleine de promesses. Notre dernière réunion à Kinshasa fut avec cinq représentants Mai Mai, sous la direction d’Anselm Enerunga89. Ils savaient que les Mai Mai n’avaient pas été désignés comme composante dans l’Accord de Lusaka et étaient reconnaissants au bureau du Facilitateur du travail effectué pour assurer leur représentation à Sun City. Ils demandèrent que QM exhorte la communauté internationale à s’assurer que les accords conclus seraient mis en œuvre, en soulignant que leur objectif principal était l’intégrité territoriale du RDC et qu’eux-mêmes n’avaient aucune aspiration politique. Par ailleurs, ils se plaignirent que la communauté internationale avait été prompte à les obliger à se retirer d’Uvira mais qu’elle était bien moins visible à présent que le MLC se battait contre le RCD-ML dans l’Ituri. Ils proposèrent que la clôture du Dialogue ait lieu à Gaborone, dont ils gardaient un excellent souvenir. Notre tâche étant pour ainsi dire accomplie, le lendemain, après trois heures de vol, nous arrivâmes à Gbadolite. Nous avions tous acquis l’habitude de lire, pendant les longs vols jusqu’à et à travers la RDC, une partie des tas de documents que nous avions amassés au cours de notre travail ; cependant, même les plus dévoués des artisans de la paix ne peuvent lire des analyses politiques, des argumentations spéciales et des plaidoyers à longueur de journée. J’étais content de pouvoir fournir une alternative, étant devenu depuis pas mal de temps enthousiaste des derniers romans d’Alexander McCall Smith, qui raconte d’un style léger et avec une perspicacité remarquable la vie et les aventures de son personnage fictif Mma Ramotswe, dame à la silhouette « traditionnelle » et première femme détective du Botswana. J’avais beaucoup aimé le premier roman et l’avais prêté à Rre Mogwe, à qui je demandai par la suite si l’auteur connaissait réellement la vie botswanaise. Il répondit par l’affirmative et les quatre romans publiés jusqu’alors ne tardèrent pas à circuler dans toute l’équipe de facilitation et même parmi les gardes du corps, jusqu’à ce que QM luimême devînt un enthousiaste inconditionnel. À un moment donné, je m’aperçus que sur les sept membres de l’équipe dans l’avion, quatre 89

Actuellement ministre de l’Environnement au gouvernement de transition.

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lisaient un roman sur Mma Ramotswe – un peu de divertissement inspiré par un lieu plus heureux, pendant que nous survolions la foule des tragédies politiques, économiques et personnelles qui nous étaient si tristement familières. À Gbadolite nous réexaminâmes avec Jean-Pierre Bemba et son équipe les démarches qui restaient à accomplir et le délai nécessaire pour chacune d’elles. Il estimait que nous pouvions conclure le processus en Afrique du Sud, si toutefois les Sud-Africains acceptaient d’« accueillir encore une fois ces turbulents Congolais ». Malgré la présence du MLC à Kinshasa, il ne voulait pas prendre de risques inutiles : Laurent Désiré Kabila y avait été tué par ses propres agents de sécurité. Il fut demandé à Haile Menkerios d’expliquer les plans prévus pour la médiation des questions constitutionnelles et militaires restées en suspens. Sous réserve de l’achèvement de ce travail, il était désormais clair que le principal problème auquel nous étions confrontés était l’éventuelle insistance du gouvernement sur Kinshasa comme lieu de la conclusion du processus, tandis que toutes les autres composantes optaient pour l’Afrique du Sud ou le Botswana. Ce fut Jean-Pierre Bemba lui-même qui évoqua les accusations de cannibalisme et d’inconduite lancées contre ses soldats dans l’Ituri. Il affirma avoir recouru à l’action militaire parce que c’était le seul moyen d’empêcher le gouvernement de se servir de l’aéroport de Beni pour acheminer par avion des armes à l’usage des rebelles RCD-ML devenus alliés du gouvernement. Lorsque les allégations de pillage et de brutalité avaient éclaté, poursuivit-il, il avait arrêté l’officier responsable et lancé sa propre enquête, épouvanté par la nature des accusations et l’atteinte à la réputation du MLC. Il avait découvert des preuves de viol et de massacre de civils, mais non de cannibalisme. Il avait proposé son entière coopération au SRSG et tenait à rassurer la communauté internationale : toute personne impliquée serait jugée par un tribunal militaire, lors d’un procès public90. Jean-Pierre Bemba nous invita ensuite à dîner et nous eûmes une discussion agréable avec lui, en sa qualité de Vice-président en titre de 90

Au moment de la rédaction de cet ouvrage, j’ignore encore le résultat de l’enquête.

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la RDC, responsable de la reconstruction économique de son pays, Gani Are, directeur du bureau de l’ONU à Gbadolite, et l’ancien chef d’État du pays le plus performant de l’Afrique subsaharienne depuis quarante ans, le Botswana. Jean-Pierre Bemba était très intéressé par la démarche botswanaise pour attirer l’investissement étranger. QM expliqua que l’attrait pour les investisseurs résidait dans les salaires modestes, l’État de droit et la stabilité. M. Are, un Nigérian, avança que les bas salaires menaient à l’exploitation et QM riposta en se prévalant de sa longue expérience, pour faire remarquer que les salaires modestes pouvaient aussi servir à attirer de nouveaux investisseurs, ce qui stimulait la concurrence en matière de maind’œuvre qualifiée, entraînant en conséquence l’augmentation des salaires. (La main-d’œuvre qualifiée fait défaut au Botswana, tandis que le contraire vaut pour le Nigeria, j’imagine.) M. Are demanda alors pourquoi, cela étant, et étant donné aussi les huit à neuf milliards de dollars d’avoirs en devises du Botswana, 45% des Botswanais vivaient, selon les rapports, au-dessous du seuil de la pauvreté. Avec beaucoup de patience, QM expliqua que, lors de l’indépendance, 90% de la population vivaient au-dessous du seuil de la pauvreté et que, par conséquent, la pauvreté avait été réduite de moitié en 36 ans. Quant aux réserves en devises, poursuivit-il, il y avait des limites à leur utilité dans la lutte contre la pauvreté, puisque le pays avait une capacité limitée à absorber de nouveaux investissements. Le moyen d’y remédier était de s’assurer que la population entière bénéficierait d’une éducation gratuite aux niveaux primaire, secondaire et supérieur. L’économie serait ainsi équipée pour absorber et profiter d’investissements accrus ; en attendant, les réserves du pays étaient judicieusement investies et contribuaient aux revenus du gouvernement. Jean-Pierre Bemba voulut savoir comment le Botswana avait négocié avec de puissantes compagnies minières étrangères lorsqu’il avait commencé à exploiter ses réserves de diamants. QM expliqua que le gouvernement avait insisté sur la mise en place de Debswana, entreprise conjointe montée avec de Beers et que le gouvernement, en tant qu’actionnaire, prenait part aux dividendes. En outre, l’entreprise était redevable de l’impôt sur les bénéfices, ce qui profitait aussi aux coffres de l’État. Enfin, les nouveaux emplois créés avaient pour effet une augmentation des recettes sous forme d’impôt sur le revenu. 317

Aussi, QM estimait-il que le gouvernement avait construit le dispositif le plus profitable possible pour les deux parties. J’espérais que JeanPierre Bemba réfléchissait à la manière dont un tel système pourrait s’appliquer aux ressources minérales de la RDC, l’exploitation et les bénéfices de celles-ci étant alors réservés à un tout petit groupe d’hommes d’affaires jouissant de relations importantes ; par ailleurs ces exploitations et ces bénéfices étaient infiniment moindres qu’ils ne l’avaient été dans les années 1960 et 1970. Ce que QM n’avait pas relevé, bien entendu, c’était que les Botswanais et leurs dirigeants avaient créé une culture où la corruption était l’exception plutôt que la règle, alors que le Président Mobutu avait poussé le détournement de fonds publics à un niveau tel que l’État était en faillite totale et l’économie au bord de l’effondrement. J’aurais voulu que la discussion se poursuive, mais nous devions rencontrer le lendemain autant de représentants de la Société civile qu’il était possible de réunir à Gbadolite, conclure notre discussion avec le MLC et nous envoler ensuite pour Goma. Le lendemain matin QM présenta les questions qu’il voulait soulever et répondit à de nombreuses questions posées par une douzaine ou plus de membres de la Société civile, dont certains étaient des délégués au DIC. Ensuite il fut à nouveau en contact avec M. Bemba et ses collègues : ils préféraient que la réunion ait lieu en Afrique du Sud. Si toutefois elle devait se tenir en RDC, il faudrait que ce soit à Kisangani et, de toutes les façons, il faudrait la convoquer le plus tôt possible après la conclusion du travail de M. Niasse sur les questions militaires et constitutionnelles. À Goma, le RCD nous logea dans un hôtel au bord du lac près de la frontière rwandaise et nous invita à dîner. (Pour ceux qui peuvent se le payer, l’un des plaisirs du Nord-Kivu est le niveau remarquable des hôtels et des restaurants de Goma.) Le lendemain nous rencontrâmes une équipe de 14 personnes, sous la direction d’Azarias Ruberwa. Après avoir écouté QM et ensuite Haile Menkerios présenter dans leurs grandes lignes les question restées en suspens, le Secrétaire général du RCD nous mis en garde contre le danger d’une nouvelle éruption de la guerre dans l’Est, qui impliquait désormais jusqu’à 10 000 Interahamwe, lesquels recevaient des armes du gouvernement. Le RCD avait saisi un avion à Baraka à Noël et avait averti la MONUC et le TPVM que l’avion servait à fournir des armes et des munitions au 318

FDD et aux Mai Mai. Des troupes étaient transportées de Kamina à Lulembwe dans un Antonov du gouvernement. Si cela continuait, ce serait la mort du processus de paix. En attendant le RCD était prêt à travailler sur les questions constitutionnelles et militaires encore non résolues, mais précisa que le gouvernement devait coopérer à la fusion des forces armées et qu’il ne devait pas imposer l’intégration à partir de Kinshasa. Par ailleurs, le RCD se plaignit que sa sécurité à Kinshasa ne fût pas encore entièrement réglée. Pour que le RCD se sente en sécurité à Kinshasa, déclara-t-il, il fallait que les troupes gouvernementales soient désarmées ou consignées au quartier. Sans cela, le RCD se verrait contraint d’amener ses propres soldats de l’Est ou de créer des unités mixtes. Ruberwa lança aussi un appel pour que Thomas Lubanga et l’UPC soient inclus dans le processus, prétendant qu’il disposait à présent d’une force de 10 000 soldats et contrôlait 6 millions de personnes dans une région de 65 000 km². Azarias Ruberwa ne fut jamais bref. Quand il eut fini son « tour d’horizon », QM le regarda du côté opposé de la table et lui dit : « Très long, mais très lucide ». QM expliqua ensuite la difficulté qu’il avait eue à obtenir le moindre progrès rapide pendant la période de Noël et accepta la critique qu’il y avait eu une absence de leadership. Il poursuivit en prévenant le groupe que toute réouverture de la question de la représentation lors de la session finale ouvrirait la porte aux agitateurs. Il ne voyait aucune possibilité, à ce stade avancé, d’inclure l’UPC et estimait par conséquent que le Comité de Suivi aurait à trouver le moyen de l’accommoder pendant la transition. M. Ruberwa insista, mais QM ne céda pas et la réunion se termina avec les remerciements du RCD à l’adresse de leur facilitateur, qu’ils espéraient revoir bientôt à Sun City avec son marteau, « pour frapper les mauvaises idées, et non pas les mauvaises gens ». À notre retour de Kinshasa, après un vol de quatre heures à travers le pays, j’assistai à une réception offerte par l’ambassadeur américain à sa résidence pour marquer le Jour de Martin Luther King. Le grand jardin était rempli d’ambassadeurs, de politiciens et de diplomates. Papa Wemba et une formation gospel venue des États-Unis chantèrent. Lindiwe Zulu et Thembe Madola, les fonctionnaires sudafricains du TPVM étaient sur leur trente et un. Conscientes du goût 319

des habits flamboyants et somptueux des Congolais, elles ne comptaient pas être en reste et ont fait honneur à leur pays. Pendant que je me détendais grâce à la généreuse hospitalité du gouvernement américain, QM était au téléphone avec Kofi Annan, expliquant que tout le monde, à l’exception du gouvernement congolais, était prêt à s’abattre de nouveau sur Sun City et que les questions restées en suspens devaient être résolues au plus vite, compte tenu de la dégradation de la situation militaire. Le lendemain matin QM rencontra les deux fonctionnaires du TPVM pour un briefing. Ils confirmèrent qu’il y avait une avance vers l’Est de deux brigades d’Interahamwe en provenance de la région de Kamina, avec le soutien de certains éléments dans le gouvernement. Encore une fois, je me disais que dans un tel conflit, il fallait distinguer entre ce que les gens disaient en public, ce qu’ils disaient en privé et ce qui se passait réellement sur le terrain. Alors que le pays se trouvait au seuil d’un accord de paix inclusif, toutes les parties91 étaient en train de réapprovisionner et de redéployer des forces mandataires, se réservant ainsi l’option militaire au cas où la paix ne leur conviendrait pas. Sous couvert de la rhétorique de la souveraineté ou de la sécurité nationales, des bandits armés, privés de vraies victoires militaires, continuaient à manœuvrer pour améliorer leur position ou reprendre les hostilités. Dans un tel contexte, la résolution des conflits devient une sorte d’escroquerie – susciter à l’intérieur et à l’extérieur du pays la confiance en un accord de paix global réalisable et créer ainsi l’élan nécessaire à sa réalisation. Ensuite, augmenter le volume de la rhétorique publique en faveur de la paix, de la démocratie et de la reconstruction afin d’étouffer le bruit de fond des armes et des troupes. Dans la mesure où l’on y parviendra, tout nouveau recours à l’option militaire deviendra trop coûteux pour les belligérants sur le plan politique. Ceux-ci devront alors adopter à leur tour la rhétorique de la paix et de la démocratie, créant ainsi un espace pour construire les mécanismes nécessaires afin de maintenir cette rhétorique et, si possible, pour rendre les bandits en quelque sorte responsables devant leurs compatriotes dans l’avenir. C’est une démarche instable, 91

Les gouvernements de la RDC, de l’Ouganda et du Rwanda, ainsi que le MLC et le RCD.

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désordonnée, d’une exécution improbable ; si on l’adopte, c’est seulement parce que l’alternative est encore pire. La RDC, le Burundi, la Somalie, la Côte d’Ivoire et le Soudan subissent tous actuellement des transitions de ce type. Notre réunion suivante fut avec le Président dans le Palais du Peuple, pour le renseigner sur ce que les autres parties nous avaient dit. La réunion fut cordiale, mais il était clair que le Président n’était pas prêt à accepter que la ratification finale de tout ce dont il avait été convenu eût lieu en dehors de la RDC. J’avoue que j’avais une certaine sympathie pour son point de vue – si tout le monde s’apprêtait à venir à Kinshasa pour former un gouvernement, pourquoi ne pas donner d’emblée le ton, en se réunissant dans la ville capitale pour célébrer la fin des hostilités et le commencement du nouvel ordre ? En réalité il n’y avait pas entre les parties la confiance nécessaire pour venir à Kinshasa ou à Kisangani tant qu’elles n’auraient pas reçu de garanties extérieures. Tout le processus semblait sur le point de s’effondrer pour une question technique et symbolique. L’après-midi, QM fit au corps diplomatique un briefing un peu terne sur les résultats qu’il avait obtenus jusqu’alors. Il eut ensuite une discussion beaucoup plus animée avec les journalistes de Kinshasa. Il expliqua que Mustapha Niasse lui ferait signe dès que ses tâches approcheraient de leur fin, que le lieu de la réunion n’avait pas encore été fixé, que la durée en serait probablement de trois jours et que nous avions suffisamment de fonds. Mark Dummett de la BBC demanda pourquoi le DIC était encore nécessaire après l’Accord de Pretoria et QM expliqua avec patience le cadre de Lusaka et la différence entre un médiateur et un facilitateur. Il fit également remarquer qu’à chaque réunion avec les parties congolaises, il avait essayé de les convaincre d’augmenter le nombre de femmes dans leurs délégations – avec très peu de succès. Nous rencontrâmes ensuite Lena Sundh, l’adjointe de Amos Ngongi. Elle confirma que les troupes MLC avaient été très cruelles envers les pygmées et la population Nande à l’ouest de Béni, mais elle ne pouvait confirmer l’allégation de cannibalisme. Elle nous donna aussi plus de détails sur les difficultés du désarmement volontaire. Un encouragement pour nous tous était le fait qu’elle détectait à présent un début de coopération entre les gouvernements du Rwanda et de la 321

RDC, sans quoi, bien entendu, il ne pouvait être question de DDRR. Jusqu’alors, seulement 4500 membres d’ALIR étaient rentrés au Rwanda, 800 personnes si l’on comptait les personnes à leur charge ; l’ONU estimait à 12 000 ces troupes, tandis que le Rwanda prétendait qu’il y en avait 30 000. La suite de notre programme prévoyait un briefing sur nos résultats, avec le Président Mbeki, sur le chemin de retour vers le Botwana et ensuite des visites aux États-Unis, en France et en Belgique afin de nous assurer que nos interlocuteurs dans ces pays étaient parfaitement au courant et ne risqueraient pas de permettre, à aucune des parties congolaises, d’autre issue que celle prescrite par l’Accord de Lusaka. Le Président Mbeki s’excusa de devoir nous demander de patienter, ce qui nous donna l’occasion de revoir, dans le cadre confortable des Union Buildings (palais du gouvernement), ce que nous pouvions encore envisager pour faire la quadrature du cercle. Le gouvernement de la RDC voulait que la paix soit conclue en RDC et les quatre autres composantes, auxquelles notre mandat nous obligeait d’accorder un poids égal, estimaient que ce serait plus rapide et plus sûr de conclure le processus en dehors du pays. Nous effleurâmes le manque manifeste de confiance persistant encore entre les parties et mentionnâmes que le Président et le SRSG avaient accepté d’aider à organiser à l’intention des parties des visites à leurs quartiers généraux respectifs, comme moyen de susciter et de consolider la confiance. (Je ne pense pas que cela ait jamais eu lieu.) C’était un problème difficile à traiter, comme en témoigne la manière dont le gouvernement de transition continue à fonctionner depuis lors. Cette semaine-là il y eut justement une querelle mineure, quand le gouvernement expulsa la délégation du MLC du Grand Hôtel à Kinshasa, apparemment au motif qu’il n’y avait pas eu de réciprocité et que le gouvernement n’avait pas pu rendre visite au quartier général du MLC. Le gouvernement alla jusqu’à donner au représentant du MLC 24 heures pour quitter Kinshasa, acte curieux au moment même où le Président incitait les rebelles à se rendre à Kinshasa pour clore le DIC. Nous apprîmes par ailleurs que le gouvernement avait posté 120 de ses propres soldats à Beni, fief de Mbusa Nyamwisi, désormais îlot gouvernemental dans un océan de rebelles. Les tensions montaient. Nous avions vu le Président Mbeki un lundi matin ; de retour à Gaborone le jeudi, nous avions arrêté un programme provisoire pour 322

la Belgique, la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Le dimanche soir nous étions en route pour Bruxelles. Nous avions eu un interlude intéressant à Gaborone – la projection du film de Raoul Peck sur la vie et la mort de Patrice Lumumba. Je l’avais trouvé bien fait et déprimant dans la mesure où la faiblesse des institutions congolaises nouvellement indépendantes était la porte par laquelle l’ingérence étrangère était entrée. J’avais été frappé par la pertinence contemporaine de la scène du film où l’ambassadeur américain à Kinshasa prépare le jeune Mobutu à prendre le contrôle du Congo. Il y avait des échos de ce parrainage dans la manière dont l’ambassadeur américain avait traité avec le gouvernement à Kinshasa et les parties à Sun City. Résolu à ce que la position des États-Unis fût plus équilibrée et plus réaliste, dans la mesure où nous pourrions avoir une influence quelconque sur cette position, je récris attentivement dans mon blocnote ce que j’avais noté au cours du mois de mai, à New York, lorsque Charlie Snyder avait réclamé un chef d’orchestre et demandé que la communauté internationale chante le même air. J’analysai également dans mes notes les positions adoptées par les ministres français et belges dans leurs discussions précédentes avec nous, de sorte que nous soyons munis, tout au moins, d’une « partition » à laquelle QM pourrait renvoyer. À Bruxelles, nous commençâmes par Aldo Ajello, émissaire spécial de l’UE. Nous passâmes en revue les possibilités de solutions aux questions constitutionnelles et militaires restées en suspens et expliquâmes que nous étions dans l’impasse en ce qui concernait le lieu de la réunion de clôture. Pour une fois, l’impatience de M. Ajello visait davantage la MONUC que nous – l’ONU n’avait pas encore désigné le successeur de M. Ngongi partant en retraite et n’avait tout simplement pas fait assez pour assurer la mise en œuvre de DDRR. Nous parlâmes plus tard à des fonctionnaires européens, QM donna une conférence de presse et nous dînâmes avec deux spécialistes belges du Congo. Même ces derniers ne voyaient pas la nécessité d’une nouvelle réunion du DIC. De toute évidence, nous avions complètement échoué dans nos tentatives pour expliquer, même aux observateurs les plus attentifs, comment les différents éléments du processus cadraient avec l’ensemble. Au moins, nos principaux interlocuteurs congolais le comprenaient ; toutefois, j’aurais été plus 323

heureux si nous avions réussi à convaincre l’homme de la rue, ainsi que les professeurs de sciences politiques et les correspondants à l’étranger que l’ensemble (Lusaka) était plus large qu’aucune des parties de Pretoria. Le lendemain matin nous nous rendîmes au palais d’Egmont pour rencontrer Louis Michel. Il entra dans les détails de comment la Belgique pourrait aider à la démobilisation et à la formation dans l’armée et passa en revue les tâches qui attendaient Mustapha Niasse. Nous convînmes qu’il serait utile que le comité de soutien international envisagé fût mis en place le plus rapidement possible et discutâmes de la question de savoir si une résolution du Conseil de Sécurité pourrait aider aussi à obtenir une certaine cohérence dans les positions internationales. Nous étions tous conscients que la guerre imminente en Irak occupait de plus en plus de temps dans le Conseil de Sécurité et regrettions que le Comité politique de Lusaka ne fonctionnât apparemment plus. Louis Michel annonça qu’il partait le lendemain voir Kofi Annan pour lui parler de l’Afrique Centrale et de l’Irak. Nous quittâmes Bruxelles en Eurostar pour Paris, où nos rendezvous étaient toujours plus difficiles à organiser qu’à Bruxelles, New York, Washington ou Londres, où les missions diplomatiques botswanaises étaient présentes pour nous aider. Après de nombreux coups de téléphones et pas mal de confusion, nous nous retrouvâmes le lendemain à l’Élysée pour discuter avec Michel de Bonnecorse, conseiller pour l’Afrique auprès du Président Chirac. Malheureusement, la crise en Côte d’Ivoire approchait de son apogée et il fut appelé dans un autre bureau. Ses collègues firent de leur mieux pour le remplacer mais, même après son retour, nous sentîmes qu’il ne pouvait se concentrer entièrement sur les besoins de la RDC. Il était difficile aussi pour Malik, qui nous servait d’interprète à ce moment-là, de se concentrer sur cette crise africaine alors que sa patrie devenait le centre d’une autre. Il avait sa famille à Abidjan, où il y avait désormais un grave problème de sécurité. Tous nos déplacements commençaient à se faire sentir : notre collègue George Ola Davies pensait avoir attrapé la grippe au moment d’embarquer pour Washington. Arrivé de l’autre côté de l’Atlantique, il dut quitter l’avion en fauteuil roulant et consulter un médecin ; il 324

semblait plus probable qu’il avait la malaria. Enfin, il se mit au lit à Washington et fut ensuite hospitalisé à New York, où il y avait du personnel de l’ONU pour l’aider en tant qu’employé de l’ONU. Nos deux aînés, MM. Masire et Mogwe, semblaient peu perturbés par l’usure constante des voyages, sans doute à cause de tant d’années d’expérience. Le lendemain matin, malgré le décalage horaire et une nuit passée dans l’avion, nous nous présentâmes en assez bon état au ministère des Affaires étrangères pour rencontrer Walter Kansteiner et Charlie Snyder. QM expliqua que le risque militaire grandissant en RDC, les piètres progrès en matière de DDRR, le nombre de questions encore irrésolues et la possibilité d’une dispute au sujet du lieu de la réunion finale l’avaient obligé à entreprendre cette tournée destinée à assurer une certaine solidarité internationale et à faire respecter certains délais aux Congolais. Non sans malice, à mon avis, il me demanda ensuite de lire mot à mot les remarques que Charlie Snyder avait faites à l’ONU au mois de mai précédent. Le message était clair, exprimé dans le langage employé par le gouvernement américain luimême : « les États-Unis soutiendront Masire … en s’assurant qu’il n’y aura aucune fausse note. » L’équipe des États-Unis se contenta alors de débattre de la manière optimale de mener à une conclusion chaque question qui nous confrontait. Ensuite nous allâmes rencontrer le Dr Jendayi Frazier et son collègue le Dr Courville au Conseil national de Sécurité, à proximité. Bien qu’ils fussent d’accord avec toutes les remarques de QM, il était édifiant de se rendre compte de la différence de perspective qui intervenait lorsqu’on abordait les questions du point de vue de Washington. Par exemple, alors qu’en Europe il avait été question de l’aide éventuelle des forces armées du Maroc, du Nigeria et de l’Éthiopie pour assurer la sécurité à Kinshasa, le Dr Frazier se demandait s’il ne fallait par faire appel à l’Angola. Nous avions toujours considéré l’Angola comme l’un des cinq belligérants et donc comme n’étant pas neutre. Nous en aurions conclu, par conséquent, que les Angolais seraient peut-être inacceptables comme garants de la sécurité de ceux qu’ils avaient affrontés sur le champ de bataille, tandis que le Dr Frazier appréhendait la situation sous un angle différent.

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Nous allâmes ensuite à New York. Nous apprîmes à l’ONU que M. Niasse, lui aussi, était aux prises avec des problèmes de lieu – le gouvernement voulait que la réunion des chefs d’état-major convoquée pour discuter de la coopération militaire ait lieu en RDC, non pas à l’extérieur, de même que pour le DIC. À mesure que les questions à résoudre étaient comprises, il apparaissait de plus en plus clairement aux parties auxquelles nous rendions visite que cette fois-ci il n’y avait réellement pas d’autre issue. Aussi, même s’il nous arrivait de rencontrer des nuances d’interprétation, personne ne contesta réellement l’analyse que QM présentait de la voie à suivre et la nécessité d’une coopération internationale en vue de maintenir la pression sur les parties congolaises afin de minimiser tout atermoiement et d’inaugurer leur transition sans plus tarder. À l’ONU nous discutâmes, avec les fonctionnaires du Département des Affaires politiques ainsi qu’avec le représentant permanent de la Grande-Bretagne de l’époque, Sir Jeremy Greenstock, de la question de savoir si une résolution du Conseil de Sécurité serait utile pour augmenter la pression sur les parties congolaises et, si oui, comment, en gros, une telle résolution serait formulée. Bien que les résolutions du Conseil de Sécurité soient rédigées et minutieusement examinées par des diplomates partout dans le monde, j’arrivais à la conclusion qu’elles ne servaient plus à grand-chose en RDC – la disparité manifeste entre les ressources déployées en RDC et dans des crises de moindre envergure mais hautement médiatisées y était pour quelque chose. À cause de leur histoire aussi, ni les fonctionnaires rwandais, d’une part, ni les fonctionnaires congolais, de l’autre, n’avaient beaucoup de respect pour l’ONU, mais ils savaient bien qu’ils ne pouvaient pas non plus se permettre de l’ignorer. En l’occurrence, la crise irakienne éclipsa la question d’une résolution sur le besoin de presser le pas en RDC et le processus continua avec sa lenteur habituelle. Le président du Conseil de Sécurité délivra toutefois un communiqué de presse faisant état de ses préoccupations. On nous avait alloué 15 minutes avec Kofi Annan le vendredi après-midi du 31 janvier. En l’occurrence, nous eûmes une réunion un peu plus longue avec lui et ses collègues de haut rang, laquelle, une fois de plus, ne révéla pas de différences d’opinion quant à ce qu’il fallait faire mais pas non plus de nouvelles idées sur les moyens d’y parvenir. La patience n’est pas une doctrine bienvenue lorsqu’un pays 326

se retrouve à nouveau au bord de la guerre civile, mais nous nous voyions contraints de l’exercer. Kofi Annan demanda si le processus avait des chances de continuer après la fin février et QM dut lui répondre qu’il pensait que oui. Après nos réunions, Malik et moi allâmes rendre visite à notre collègue George à l’hôpital. Il se rétablit complètement plus tard et put nous rejoindre peu de temps après au Botswana. Notre prochain arrêt fut Londres, où la ministre du Développement international, la très directe et informelle Clare Short, nous accueillit et partagea avec nous ses inquiétudes au sujet de l’état du monde. Nous partageâmes alors avec elle nos préoccupations au sujet de la lenteur des progrès des Congolais vers l’inauguration d’un nouveau gouvernement et nous réexaminâmes ensemble les pressions qui pourraient être utiles ou pas. En plus de ses responsabilités à la tête du programme britannique d’aide à l’étranger, Clare Short négociait une réduction des tensions entre le Rwanda et l’Ouganda et était en contact permanent avec les présidents de ces pays. Elle avait été aussi à Kinshasa pour rencontrer Joseph Kabila et la Grande-Bretagne était sur le point d’augmenter de manière significative la présence de son aide à Kinshasa. Nous étant bien amusés de quelques indiscrétions ministérielles, nous nous remîmes en route et QM donna une conférence de presse. Le rédacteur du bulletin Africa Confidential demanda à QM comment les parties pourraient former un gouvernement à Kinshasa si elles ne se faisaient même pas suffisamment confiance pour y tenir une réunion. C’était une question raisonnable. QM répondit que le processus avait toujours avancé au rythme de « deux pas en avant, un pas en arrière » – dès avant le début de sa participation en 2000. Parfois j’avais l’impression que la politique était autant l’art de l’illusion que l’art du possible.

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CHAPITRE XXII LE BOUT DU TUNNEL ?

KINSHASA, le 7 mars (IRIN) – À la suite de 11 jours de discussions tenues à Pretoria (Afrique du Sud), les parties au Dialogue intercongolais (DIC) ont convenu jeudi d’un programme relatif à la rédaction d’un projet de constitution et à la mise en place d’une armée unifiée pour la période de gouvernement de transition qui doit aboutir, à terme, à des élections démocratiques en République démocratique du Congo (RDC). Les délégués représentant le gouvernement de Kinshasa, le Mouvement de libération du Congo (MLC) soutenu par l’Ouganda, le Rassemblement congolais pour la démocratie-Kisangani/ Mouvement de libération (RCD-K/ML), les milices Mai Mai, l’opposition politique non armée, et la société civile ont signé les deux documents en présence de Moustapha Niasse, émissaire spécial du Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, pour le processus de paix en RDC. Les deux documents ont été signés plus tard, pendant la nuit, par le groupe rebelle RCD-Goma, soutenu par le Rwanda ; cette partie avait quitté les discussions plus tôt en signe de protestation contre la prise de Bunia dans le nord-est de la RDC, jeudi, par les Forces de Défense du Peuple ougandais, qui avaient expulsé de la ville l’Union des patriotes congolais, avec laquelle le RCD-Goma est allié. Le RCD-Goma prétend qu’il s’agissait d’une manœuvre de la part de Kinshasa pour l’empêcher de signer les deux accords. « Nous avons signé parce que nous sommes venus à Pretoria pour la paix, mais le gouvernement a essayé de nous en dissuader, avec ses troupes à Beni, Butembo et Lubero. Bien que notre sécurité soit menacée, nous voulons avant tout donner une chance à la paix, » a dit le général Jean-Pierre Ondekane, chef de la délégation RCDGoma. M. Niasse a dit à la presse : « Nous sommes convaincus que ce deuxième tour de négociations a eu pour résultat l’approbation, par toutes les parties au Dialogue intercongolais, d’un programme pour la constitution de transition et un mémorandum relatif à l’armée. » M. Niasse a ajouté qu’il aurait des discussions ce week-end à Gaborone (Botswana) avec l’ancien président du Botswana, Ketumile Masire, facilitateur du Dialogue intercongolais, au sujet de la date et du lieu 329

de la plénière finale du DIC, ce dialogue qui se sera distingué jusqu’au bout par son caractère pour le moins intermittent. Alors que nous arrivions au bout de notre tournée de cinq capitales en huit jours, Bakary Dabo et Almaz Atnafu s’étaient occupés de rencontrer des diplomates étrangers à Kinshasa, et ce à titre individuel, parce que nous craignions que la communauté internationale n’ait toujours pas une compréhension suffisante de ce qui se passait. De retour au Botswana, nous échangeâmes nos impressions. Il était désormais généralement admis qu’il fallait maintenir la pression sur les Congolais pour qu’ils finalisent les détails de leurs dispositifs de sécurité, militaires et constitutionnels sans plus tarder. Pendant notre tournée, les parties congolaises avaient accepté le règlement intérieur, le format et l’ordre du jour que nous leur avions suggérés pour la session finale du DIC, et toutes les parties à l’exception d’une seule étaient disposées à tenir la réunion en Afrique du Sud. Notre priorité absolue était donc d’arriver, dans la mesure du possible, à un compromis sur la question du lieu : nous établîmes une matrice des avantages et des inconvénients de la RDC, de l’Afrique du Sud, du Botswana et de l’Éthiopie. En RDC, Kisangani constituait une option possible, malgré son manque d’infrastructures. La ville était contrôlée par le RCD et nous décidâmes que j’irais à Goma pour évaluer la faisabilité d’y organiser la plénière finale. Si cela semblait possible, il nous faudrait ensuite examiner les implications sécuritaires et pratiques. Avant de partir, je pris la précaution de demander à une entreprise sud-africaine un devis pour l’érection d’une nouvelle « cité des tentes » pour le DIC, cette-fois ci dans les forêts de l’Est du Congo, au cas où cela deviendrait nécessaire. Avec Malik Dechambenoît, je pris l’avion pour Kigali, organisai une voiture et me fis déposer le lendemain à « La Grande Barrière » à Gisenyi, le passage de frontière où l’énorme RDC rencontre son minuscule voisin, le Rwanda. Les villes jumelles de Goma et de Gisenyi sont à l’ombre des grands volcans qui s’étendent sur les frontières de l’Ouganda, de la RDC et du Rwanda. Les eaux calmes du lac Kivu caressent le pied des vertes collines, et la luxuriance de l’environnement contredit la pauvreté du peuple. Nous traversâmes la frontière et nous nous installâmes à l’hôtel au bord du lac, dont le propriétaire était José Endundo du MLC. On nous conduisit une fois de plus à la salle au bord du lac où nous avions si souvent rencontré 330

les dirigeants du RCD ; nous fûmes accueillis par le Dr Onusumba, Joseph Mudumbi et Jean-Pierre Ondekane. Ils félicitèrent Malik pour son mariage et me taquinèrent sur le fait que j’avais réussi à échapper au mariage jusqu’à présent. Nous expliquâmes que nous étions venus leur demander leur avis quant à la faisabilité de la clôture du DIC à Kisangani. Ils répondirent que cela retarderait la clôture, en raison de l’absence d’une sécurité neutre et d’infrastructures adéquates. Ils préféraient clore le dialogue en Afrique du Sud. Je leur demandai si Goma elle-même serait une possibilité, mais ils répondirent à nouveau que le problème de la sécurité l’excluait. Le lendemain matin je me baignai dans le lac Kivu avant le petit déjeuner. Nous prîmes ensuite le chemin du retour pour Gaborone, en passant par Kigali et par chez moi, au Kenya. Le lundi suivant, 24 février, la médiation se remettait en route à Pretoria et nous réexaminâmes avec QM la réponse du RCD et le devis que nous venions de recevoir : la construction d’une « cité de tentes » à Kisangani coûterait environ cinq millions de dollars US et demanderait entre six et huit semaines. Cela ne nous semblait pas une option réaliste. QM décida de consulter les dirigeants régionaux qui avaient signé l’Accord de Lusaka et de reparler au Président Kabila avant de trancher. Malik Dechambenoît et Bakary Dabo se rendirent à Pretoria pour observer les développements sur place, comme le firent les ambassadeurs des P5 qui s’y trouvaient. Rre Mogwe et Ten Ten allèrent briefer l’UA tandis que j’avais moi-même l’impression d’être en permanence au téléphone à évaluer les options et à m’inquiéter des progrès réalisés dans la finalisation des structures militaires et de la constitution de transition. Une guerre en Irak semblait de plus en plus probable et la possibilité d’une nouvelle flambée de la guerre au Congo était loin d’être exclue. À Paris, il y eut une réunion de l’Organisation internationale de la Francophonie, à laquelle devait assister Kofi Annan et le Président Mbeki entre autres. Nous savions bien qu’ils pousseraient le Président Kabila vers une conclusion rapide. Aussi prîmes-nous des dispositions pour que QM rencontre les dirigeants régionaux, en commençant par les Présidents Kagame et Museveni, et je me retrouvai de nouveau à Kigali. Le Président Kagame nous reçut dans son complexe moderne dans le centre-ville, accompagné de Charles Murigande, son ministre des Affaires 331

étrangères et Patrick Mazimhaka, à l’époque son conseiller pour les Grands Lacs. QM expliqua que nous étions proches de la fin du processus mais que c’était un problème pour le gouvernement de le conclure en dehors de la RDC. Le Président Kagame estimait manifestement que le Président Kabila ne pouvait se permettre de traîner pour une question semblable, si le Congo ne voulait pas risquer de devenir une nouvelle Somalie, État sans gouvernement, où différents groupes armés se disputent le pouvoir. Il espérait par conséquent qu’il y aurait bientôt un gouvernement de transition à Kinshasa. Beaucoup attribuent au Président Kagame et à son régime la responsabilité de l’essentiel de la violence et du pillage des ressources en RDC. Pour d’autres, le Président Kagame et son armée sont pour les Tutsis d’Afrique Centrale le seul garde-fou contre un nouveau génocide. Il est notoire que le Rwanda avait fermé les yeux sur les Interahamwe, pendant les années où ses troupes étaient dans l’Est de la RDC et soutenaient le RCD. Il est vrai que ses troupes avaient tué un grand nombre de leurs concitoyens dans l’Est de la RDC après les avoir expulsés des camps sur sa frontière en 1998. L’implication du Rwanda dans des affaires commerciales – telle que l’exportation croissante du coltan – indiquait clairement que la sécurité n’était pas, contrairement à ce que prétend le gouvernement rwandais92, sa seule motivation pour se mêler du sort de sa voisine agitée. On nous a aussi informés que Thomas Lubanga, le chef UPC en Ituri, ne s’entendait plus avec ses patrons ougandais et qu’il recevait maintenant le soutien du Rwanda. Si c’était vrai, ce soutien aurait contribué énormément a la déstabilisation de la RDC. Quoi que l’on pense du régime à Kigali, on ne peut nier l’efficacité et l’ordre qu’il a apporté à la reconstruction d’un pays ravagé par le génocide. Toutefois la RDC a payé cher l’ordre apporté par son minuscule voisin : ses provinces orientales continueront d’être subordonnées aux intérêts rwandais tant que les Congolais ne produiront pas un gouvernement uni et légitime à Kinshasa, ayant l’autorité de contrôler les groupes instables et violents qui ont proliféré dans les Kivus et l’Ituri. 92

Le rapport du Panel de l’ONU d’octobre 2002 sur le pillage de la RDC fournit des preuves contre cette assertion. 332

Nous quittâmes Kigali pour Kampala, où nous avions rendez-vous avec un autre chef d’État dont les troupes avaient été déployées en RDC pour raison de sécurité, avant d’être détournées par la poursuite de la richesse et des opportunités commerciales – à savoir le Président Museveni. C’est précisément cet aspect-là de la crise du Congo que je trouvais le plus décourageant : après des années d’exploitation par l’Europe et ensuite par son propre président, le Congo se voyait maintenant de nouveau exploité – par ces mêmes voisins venus le sauver de ses propres divisions. S’il est vrai que le Rwanda et l’Ouganda avaient été sous les projecteurs, les soldats zimbabwéens, eux aussi, étaient très impliqués dans le commerce dans l’Ouest et le Sud de la RDC. Dans chaque cas, les dirigeants qui étaient arrivés au pouvoir par la force des armes ou qui avaient mis fin au conflit civil dans leur propre pays avaient déployé ensuite leurs troupes en RDC où elles étaient devenues une partie du problème, non pas de la solution. Quarante ans après la fin de la domination européenne en Afrique, c’étaient d’autres pays africains qui profitaient des richesses du Congo tout en invoquant la paix et la sécurité pour justifier leur présence. Le Président Museveni avait mis un hélicoptère à notre disposition pour nous transporter d’Entebbe jusqu’à son ranch dans le Sud-Ouest du pays, à Kisozi. C’était un hélicoptère russe, équipé de tapis et de fauteuils rouges. Nous étions accompagnés par le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale de l’époque, Kahinda Otafiire. Le Président Museveni, en bottes en caoutchouc, parka et écharpe, en parfait gentilhomme campagnard, nous reçut dans une salle de réunion modeste et taquina QM sur la sécheresse et la pénurie alimentaire en Afrique australe : « la région des Grands Lacs n’a qu’à y exporter ses excédents. » QM expliqua qu’il rendait visite à tous les signataires de Lusaka, présenta un aperçu de l’état actuel des choses et exprima l’espoir d’une conclusion prochaine. Le Président Museveni le remercia et dit que ses relations avec Kinshasa s’étaient améliorées. Il était, à l’évidence, moins content du Rwanda et discuta de l’armement des Lendu ainsi que des Hema, dans l’Ituri. Il nous proposa de nous aider autant que possible et se lança ensuite dans une discussion fascinante avec QM sur l’histoire coloniale, les missionnaires, l’éducation, le SIDA, les régimes à parti unique et les structures pouvant éventuellement servir aux Congolais pour leur gouvernement de transition. Le Président Museveni est un orateur 333

lucide qui sait retenir l’attention de son public par sa conviction et sa force de caractère. Il savait que le Botswana avait une prévalence du SIDA très élevée et expliqua que les succès qu’avait eus l’Ouganda dans la lutte contre le fléau avaient commencé dès le jour où l’on avait cessé de le traiter comme un problème de santé et que l’on avait commencé à le voir davantage comme une question d’éducation. Nous retournâmes en hélicoptère à Entebbe, où nous prîmes l’avion pour Nairobi et ensuite pour l’Afrique australe, en passant par Pretoria où j’allai m’informer moi-même des progrès de la médiation. Didier Etumba et Vital Kamerhe, de l’équipe gouvernementale, m’assurèrent que ce serait bientôt terminé. Mes collègues, qui observaient les négociations aussi bien constitutionnelles que militaires, me dirent que la médiation était très focalisée et pleine de ressources et eux aussi étaient persuadés que les questions restées en suspens seraient résolues, même si les progrès restaient lents. Par exemple, le projet de constitution de transition contenait plus de 200 articles, que l’on discutait un à un. Le Pr. Mbodj et Alain Sigg mettaient leur aide à a la disposition de la médiation et l’Afrique du Sud et l’ONU fournissaient du personnel militaire pour présider et accompagner les discussions militaires, qui semblaient avancer un peu plus rapidement que les discussions constitutionnelles. Les Congolais avaient relevé à plusieurs reprises que la Commission Défense et Sécurité, lors de la réunion de Sun City, n’avait pas traité tous les points à l’ordre du jour au moment où les travaux avaient été ajournés – il restait donc, théoriquement, du travail du DIC inachevé. La réponse à cette objection était que le travail militaire ne pouvait être conclu dans le détail tant que les structures de partage du pouvoir n’avaient pas été décidées, et que les détails devraient être traités dans le cadre des discussions militaires et sécuritaires continues présidées par le général Motau, un sud-africain, et le général Diallo, commandant de la force de la MONUC. De retour au Botswana la semaine suivante, nous évaluâmes avec QM les progrès réalisés. Nous ne voulions pas que le lieu devienne à nouveau le principal obstacle au processus, mais il faudrait bientôt arriver à une décision si nous devions être à même de convoquer 362 personnes et une foule de témoins, d’invités, d’observateurs et de personnel de soutien. De façon caractéristique, QM préférait malgré tout chercher à obtenir un consensus plutôt qu’imposer sa décision. 334

Nous obtînmes l’accord de l’ONU pour réintégrer à notre équipe, à titre temporaire, Ugo Solinas, Nana Rosine Ngangoue et Primrose Oteng, en vue de nous aider à gérer la session finale et pour garder Malik Dechambenoît, qui devait rejoindre la MONUC, jusqu’à la conclusion du DIC. QM lui-même dut se rendre à nouveau en Afrique du Sud pour présenter un discours à un groupe de Congolaises. Il en profita pour voir Sydney Mufamadi et Mustapha Niasse le 6 mars. Il fut convenu qu’ils viendraient la semaine suivante au Botswana pour confier de nouveau le processus à QM. Le même jour il vit aussi le Président Mbeki et ensemble ils appelèrent le Président Kabila, qui continuait à insister pour que la session finale du DIC soit tenue au Congo. Plus tard cette nuit-là, le RCD quitta la réunion de Pretoria parce que l’UPDF avait attaqué Bunia et expulsé les forces de Thomas Lubanga, nouvel allié du RCD. Toutes les autres parties congolaises présentes signèrent l’accord « inclusif et global » et, pendant la nuit, le RCD revint et le signa aussi. Les parties avaient à présent conclu leur accord sur tout ce dont il fallait convenir, en groupe restreint, moyennant une médiation intensive, dix mois après que QM leur avait suggéré, lors de l’ajournement de la session-marathon à Sun City, que c’était la seule issue. Il avait fallu les efforts conjugués de Mustapha Niasse, Haile Menkerios, Sydney Mufamadi et Mojanku Gumbi, avec tout le soutien qu’ils avaient pu rassembler auprès de l’ONU et du gouvernement sud-africain, pour leur arracher les compromis nécessaires. Nous disposions maintenant de deux semaines pour nous assurer que les parties congolaises ratifieraient collectivement cette réussite si durement acquise. Il leur restait encore à terminer leur réunion militaire et aussi à demander l’aide de la communauté internationale pour garantir la sécurité de Kinshasa en vue de la transition. Autrement, les questions restées en suspens semblaient avoir été résolues. QM se rendit à Harare pour briefer le Président Mugabe et la semaine suivante nous accueillîmes Mustapha Niasse et son équipe au Botswana. Ceux-ci animèrent à notre intention une séance de comptes rendus, et nous nous préparâmes à une transmission publique des responsabilités, au Botswana. La réunion devait être ouverte à la presse et devait avoir lieu au nouveau siège de la Botswana TV. Juste avant la cérémonie, nous convoquâmes une réunion avec Mustapha 335

Niasse, Haile Menkerios, Amos Ngongi, les Présidents Mbeki et Mogae, Sydney Mufamadi, QM, Rre Mogwe, Makary Dabo et moimême. Bakary et Haile avaient préparé un aide-mémoire comportant treize points sur les actions qui s’imposaient entre la conclusion du DIC et la mise en place des institutions de transition. Le document était dans le fond un jeu d’attributions à l’usage du Comité de Suivi congolais et de l’organisme international destiné à le soutenir. Alors que la Facilitation n’aurait plus aucune responsabilité à la suite du DIC, nous avions désormais acquis une bonne compréhension de la manière dont l’élan du processus pourrait être maintenu et nous tenions beaucoup à ce que l’expérience collective d’au moins une partie de notre personnel soit retenue dans un secrétariat de la MONUC à l’intention du comité international de soutien. Il y avait par ailleurs des inquiétudes au sujet de l’aptitude du CIAT93, comité constitué principalement des ambassadeurs d’un grand nombre de pays intéressés basés à Kinshasa, à assurer le suivi, la supervision et le soutien des mesures qui s’imposaient aux Congolais afin de créer et ensuite de gérer un gouvernement de partage du pouvoir jusqu’à l’organisation des élections. Il avait été proposé qu’un groupe de ministres des Affaires étrangères soit créé à cette fin, mais cela ne se fit pas – pas davantage que la prorogation du mandat de Mustapha Niasse jusqu’après l’investiture du nouveau gouvernement. Malgré une brève tentative pour créer un secrétariat de soutien, l’idée ne fit jamais son chemin et le CIAT n’a pas joué le rôle envisagé pour lui. Il en a résulté que la présidence sud-africaine est restée le filet de sécurité effectif pour la transition en RDC. Amos Ngongi avait apporté un message du Président Kabila disant que les Congolais participeraient pleinement à la clôture du DIC mais que, si celle-ci devait avoir lieu en dehors de la RDC, lui-même n’y assisterait pas. L’installation du nouveau gouvernement serait célébrée dans la capitale, bien entendu, et le président serait tenu de promulguer la nouvelle constitution immédiatement à l’issue de l’inauguration. Il était regrettable que le président du nouveau gouvernement de transition n’assiste pas à la clôture du processus qui l’avait créé, mais il était clair que QM pouvait à présent aller de l’avant et annoncer que la clôture du DIC aurait lieu en Afrique du 93

Comité international d’Appui à la Transition

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Sud sans risque d’absence du gouvernement. Le Président Mbeki et QM convinrent donc que la session finale se tiendrait à Sun City dans les deux semaines. Nous passâmes ensuite dans la salle publique où Mustapha Niasse et le Président Mbeki remirent les documents de Pretoria à QM devant la presse et les ministres du Botswana et de l’Afrique du Sud, ainsi que les membres de l’équipe de médiation. QM remercia l’ONU et le gouvernement sud-africain de leur contribution et annonça qu’il espérait tenir la session finale à Sun City dans les quinze jours. Au cours des trois jours suivants, je contactai plusieurs fois le bureau du Président à Kinshasa mais ne réussis pas à mettre QM en contact direct avec le Président Kabila, avec l’accord de qui la date devrait tre fixée. Kikaya bin Karubi, ministre de l’Information à Kinshasa, avait à vrai dire annoncé une date pour la clôture du DIC avant même que QM n’y arrive pour voir le président. C’était une erreur, car cela impliquait qu’il n’y avait besoin de consulter personne d’autre, alors qu’il s’agissait d’une annonce que seul QM pouvait faire. Cela servit aussi à confirmer la vue selon laquelle le gouvernement continuait à retarder le progrès chaque fois qu’il en avait l’occasion. Ce type de comportement cadrait cependant avec la position que le gouvernement avait adoptée depuis le début, à savoir que c’était lui qui commandait en RDC et que s’il négociait avec des rebelles, ce n’était qu’en raison de la pression internationale. La possibilité que la date soit reportée de trois ou quatre jours n’était donc pas un secret et je me retrouvai tout à coup sous la pression téléphonique de Jean-Pierre Bemba m’avertissant qu’il ne fallait tolérer plus aucun retard parce que, d’après lui, les Ougandais et les Rwandais étaient sur le point de reprendre les armes sur le sol congolais, à Bunia cette fois-ci. Finalement, nous réussîmes à fixer un rendez-vous pour QM avec le Président Kabila à Kinshasa. Pendant ce temps, je me rendis en voiture à Sun City avec trois collègues pour commencer à planifier l’événement final avec les fonctionnaires du ministère sud-africain des Affaires étrangères et le personnel du complexe touristique. Pour la plupart, nous nous connaissions déjà assez bien, et pûmes nous mettre rapidement d’accord sur la location d’une grande tente climatisée pour la plénière, le « Super-Bowl » étant déjà retenu pour un autre événement, et sur la quasi-totalité des autres dispositions. Nous dûmes prévenir le personnel de Sun City que la date ne pouvait être confirmée qu’après la rencontre de QM et du 337

Président Kabila. Le personnel nous avertit que la tente comportait un délai d’exécution de dix jours ; aussi semblait-il de plus en plus probable que la première date réalisable serait le 29 mars. J’appelai QM à Kinshasa pour l’en avertir et il me rappela le lendemain pour dire qu’il avait eu une réunion constructive avec le Président Kabila et que les dates du 31 mars au 2 avril avaient été convenues. Jean-Pierre Bemba rappela aussi pour nous prévenir que les Rwandais étaient effectivement retournés en RDC. Comme il avait l’air consterné, je passai un bon moment au téléphone pour vérifier si c’était bien le cas. Il semblait que non, mais le lendemain, à Gaborone, nous avertîmes néanmoins un groupe de diplomates intéressés qu’il fallait faire pression de tous les côtés pour faire cesser le déploiement des troupes ; QM les briefa sur ce qui avait été convenu au cours des derniers jours, pendant lesquels il avait également réussi à visiter Goma et Gbadolite pour briefer le RCD et le MLC. D’autres événements commençaient à peser sur notre vie quotidienne à mesure que le monde entier suivait avec une inquiétude grandissante l’invasion imminente de l’Irak. Quelle que fût la possibilité d’une reprise des combats en RDC, il n’y avait maintenant plus moyen, pour nous, de revenir en arrière. QM donna le feu vert et plusieurs centaines d’employés, dans trois pays, commencèrent à préparer l’acte final du drame du DIC : envoi d’invitations, réservation de chambres, location de tentes, mise en place de systèmes de sonorisation, préparation de documents, organisation d’équipements de bureau, affrètement d’avions, installation de dispositifs de sécurité. Au milieu de cette activité intense, il y eut un engagement qui n’avait rien à voir avec la RDC. À Mokolodi, une réserve voisine, nous assistâmes à une lecture de l’écrivain Alexander McCall Smith, dont les quatre romans nous avaient divertis lorsque nous survolions le Congo. QM avait apporté tous ses exemplaires pour les faire signer par l’auteur, et pendant un moment nous pûmes nous détendre dans une ambiance plus littéraire que politique. Je tirai le meilleur parti de cette pause, sachant qu’il n’y aurait plus de détente jusqu’à ce que la dernière signature fût apposée sur l’Acte Final que mes collègues étaient en train de préparer.

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CHAPITRE XXIII L’ACTE FINAL

IRIN, 9/4/03……. 3 - RDC: 15 morts dans des conflits à Bukavu 4 - RDC: 700,000 enfants seront vaccinés contre la fièvre jaune 5 - RDC: Arrivée d’ingénieurs chinois à Bukavu 6 - RDC: « Le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale » selon un organisme d’entraide 7 - RDC: Kabila est investi chef du gouvernement de transition 8 - RDC: La MONUC distribue des paquets secours aux rescapés du massacre 9 - RDC: L’observatoire des droits de l’Homme exhorte l’Ouganda à protéger les civils dans l’Ituri 10 - RDC: Les rebelles déclarent « nulle » l’investiture de Kabila 11 - RDC: L’ONU fait sauter des mines 12 - RDC: L’ONU apporte de l’aide aux rescapés du massacre de l’Ituri 13 - RDC: L’ONU : les auteurs du massacre de l’Ituri pourraient comparaître devant un tribunal international 14 - RDC -RWANDA: Kagame nie la présence des troupes en RDC…… Les combats en RDC n’allaient pas cesser avec la signature imminente de l’Acte Final par toutes les parties. Jean-Pierre Bemba nous avertit, par exemple, que la situation dans l’Ituri était explosive et dit qu’il était sous pression pour autoriser l’emploi de l’aérodrome d’Isiro pour le transit d’armes par le gouvernement aussi bien que par le RCD et l’UPC. Le Rwanda menaça à un moment de retourner en RDC si les troupes ougandaises n’étaient pas sorties du nord-est avant le 20 mars. Beaucoup étaient persuadés que les Rwandais n’étaient jamais partis. Par ailleurs, les problèmes entourant la commande militaire n’étaient pas encore résolus par la réunion des chefs d’étatmajor. Jean-Pierre Bemba déclara que la répartition finale envisagée des responsabilités militaires était déséquilibrée et qu’il ne viendrait 339

pas à Sun City pour ajouter sa signature.94 Les chefs d’état-major poursuivirent leurs négociations. S’ils ne parvenaient pas à un accord, le document final du DIC ne serait pas complet. Le Président Mbeki ajouta son poids et fit pression sur les parties pour achever l’attribution des premiers postes dans les forces armées. Toutefois, il y avait désormais un soutien international généralisé en faveur de ce qui avait été convenu jusqu’alors et la pression diplomatique exercée sur les Congolais et leurs voisins était suffisante pour que personne ne pût compromettre les acquis. Ce n’en furent pas moins quelques journées extrêmement tendues, menacées par la possibilité que la guerre éclate à nouveau ou que les divergences au sujet des postes militaires provoquent un nouveau changement de date. Les belligérants ne se faisaient pas confiance ; personne n’était dupe : la paix qui se concluait était une paix forcée. La seule vue rationnelle possible était que les alternatives paraissaient bien pires encore. À la suite d’un effort administratif monumental, notre équipe se réunit une dernière fois à Sun City, le 29 mars. Le 31, jour où nous attendions l’arrivée de la majorité des délégués, nous travaillions encore à la forme finale des résolutions qu’ils auraient à adopter sur la constitution et le partage du pouvoir. Nous décidâmes de leur distribuer des copies témoins en invitant leurs commentaires, afin de nous assurer qu’il n’y avait pas d’erreurs, mais nous n’admettrions ni comité de rédaction ni débat – le travail était accompli et sa substance avait été rédigée sous forme de résolutions. L’adoption de celles-ci n’allait pas servir de prétexte à soumettre des motions d’ordre qui, quels qu’en fussent par ailleurs les mérites, risqueraient de compromettre les progrès concrets réalisés. En ce qui concernait l’organisation de l’événement, c’était une chance pour nous que nos homologues sud-africains aient accumulé une expérience considérable de telles occasions, qu’ils soient absolument résolus à ce que celle-ci réussisse et assez souples pour s’occuper des inévitables accrocs et changements de plan qui caractérisent ce genre de réunion. Par exemple, j’allai accueillir des délégations au petit aérodrome de Sun City et fus pris à part par des 94

Si les dirigeants de l’une ou l’autre des composantes choisissaient de s’absenter de Sun City, il était probable, à ce stade, qu’ils en ressentiraient davantage les répercussions que nous. C’était, tout compte fait, leur pays, leur accord et leur décision.

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agents de sécurité sud-africains me priant de venir les aider à s’occuper d’un délégué congolais qui refusait que l’on inspecte ses effets personnels. Je me retrouvai en face d’un Congolais embarrassé qui tenait un fétiche hérité de son grand-père. Cela avait l’air d’être une corne de vache remplie d’objets non identifiables sur les images radiographiques qui en avaient été prises. À la suite d’une discussion des raisons pour lesquelles la corne ne pouvait être ouverte et son contenu examiné, où je dus faire office d’interprète, les agents de sécurité renoncèrent et le délégué, soulagé, se remit en route. Un exemple plus sérieux de la détermination sud-africaine était la volonté manifestée par le gouvernement de nous tirer d’affaire lors d’un problème de trésorerie provoqué par le non versement de fonds de la part de deux de nos bailleurs. Nous nous engageâmes à rembourser l’argent – cinq millions de rands – dès que les fonds seraient reçus, ce que nous fîmes, mais pas avant que Nkosazana Zuma ne soit interrogée dans son propre parlement, plus tard dans l’année, sur les raisons pour lesquelles le Bureau du Facilitateur devait de l’argent au contribuable sud-africain. Nous avions eu la prudence de faire en sorte que la signature finale ne tombe pas le 1er avril – April Fools’ Day – jour où, dans le monde anglo-saxon, être victime d’un « poisson d’avril » se dit carrément « être un idiot d’avril ». Quelque rationnels que nous fûmes, il valait mieux éviter les éventuelles connotations associées au fait de signer ce jour-là. Avant la cérémonie nous avions discuté avec QM de la manière dont il entendait procéder pour l’adoption des résolutions, étant donné qu’il avait tendance à être un peu trop tolérant, en tant que président, à l’égard des contributions verbeuses et souvent mal articulées des orateurs. Je lui rappelai l’amiral britannique Nelson, qui, à la bataille de Copenhague avait reçu le signal de retirer ses navires au moment même où il estimait que la flotte ennemie perdait l’engagement. Alors, mettant son télescope à son œil borgne, il aurait déclaré : « Je ne vois aucun signal » et poursuivit la bataille jusqu’à ce qu’il remporte la victoire. QM se passa de commentaire et je m’inquiétai que ses instincts démocratiques n’aboutissent à une très longue réunion. La majorité des délégués arriva le 31 mars, comme prévu, bien que, en l’occurrence, ni Joseph Kabila ni Jean-Pierre Bemba n’aient été présents. Nous organisâmes une réception de bienvenue et espérions 341

que la session plénière du lendemain ne rouvrirait pas les vieux débats et les vieilles plaies. Le lendemain matin, nous réussîmes à rassembler tout le monde dans la nouvelle tente réservée à la plénière, chacun à sa place attribuée, à 11h15. Dans une démonstration de solidarité, nous flanquâmes Sir Ketumile et Rre Mogwe de Mustapha Niasse, d’un côté, et de la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, de l’autre. Aucun de nous ne savait quelle difficulté pourrait éventuellement se présenter à la plénière au moment où le Cardinal Etsou, premier ecclésiastique de la RDC, prononçait les prières d’ouverture. La presse prit des photographies et partit à 11h35. À 11h40 Malik Dechambenoît fut invité à lire la première résolution, l’approbation de l’ « accord inclusif et global » signé à Pretoria trois mois et demi auparavant. Quand Malik eut fini, QM balaya du regard la salle, haussa les sourcils, ne fit pas attention à une main incertaine qui hésitait à se lever dans un coin éloigné et prononça énergiquement le mot français « Adopté ». L’assistance parut incertaine mais n’eut pas le temps de réagir que Malik lisait déjà la seconde résolution, l’adoption de la constitution de transition. Encore une fois, QM regarda les délégués et prononça fermement le mot « Adopté ». Il était 11h45. Le travail du jour était accompli. Les Congolais ne s’était pas attendus à une tactique pareille de la part de leur président d’habitude si accommodant. Ils savaient s’être laissés avoir ; le modérateur de leurs disputes interminables y mettait fin à présent. Ils eurent le réflexe de rire, d’applaudir et ensuite de commencer à se féliciter les uns les autres, ainsi que l’ONU, l’UA et les Sud-Africains, les médiateurs, les facilitateurs et tous ceux qui avaient œuvré pour réaliser cette journée. Nous avions prévu de réserver le reste de la journée et le lendemain matin pour le cas où il y aurait des querelles à démêler ; or, tout le monde était maintenant libre jusqu’au lendemain après-midi, à l’exception de QM, qui reçut des délégations du RCDML, de la Société civile, des Mai Mai et des partis politiques jusqu’après 22h00 ce soir-là. D’après mon bloc-note, j’accordai un entretien à un reporter de l’Associated Press, dont je n’ai pas le moindre souvenir. Pour la première fois depuis la réunion de Gaborone, nous nous permîmes de penser que le DIC avait de vraies chances de parvenir à une conclusion réussie. Il nous resta encore beaucoup à faire pour préparer la signature de l’acte final. Celui-ci devait être signé, avec pour témoins, QM en sa qualité de Facilitateur, le Président Mbeki en sa qualité de Président 342

de l’Union africaine, et Mustapha Niasse, en tant que représentant du Secrétaire général de l’ONU, en présence des Présidents Nujoma, Mwanawasa, Mugabe et Mogae ainsi que des ministres des Affaires étrangères de la Tanzanie et de l’Ouganda. Le Rwanda était représenté par son ambassadeur en Afrique du Sud. Le chef sud-africain du Protocole, Billy Modise, ferait office de maître des cérémonies, avec le concours de Ugo Solinas et de Malik Dechambenoît, qui connaissaient tous les délégués. Au moment où nous finalisions les détails, nous reçûmes une déposition de la diaspora congolaise : elle souhaitait porter des modifications à l’accord de Pretoria. On dit poliment mais fermement à son porte-parole que cela n’était plus possible. Je retournai à ma chambre dans l’intention de prendre une douche ; à peine m’étais-je mis en sortie de bain que le téléphone sonnait. Je passai les quatre heures suivantes à mon bureau, au téléphone, incapable de prendre ma douche, jusqu’à 19h00. Pour une fois, les appels concernaient des détails de l’organisation – pour l’instant, il ne semblait pas y avoir de divergences majeures à l’horizon. Le lendemain matin, vingt-quatre membres actuels et anciens de la facilitation et des équipes de soutien de Sun City se rencontrèrent pour passer en revue les dispositions pour la journée. Nous commençâmes par féliciter QM d’avoir conduit avec tant de maîtrise l’adoption des résolutions. Ensuite Haile Menkerios nous précisa le nom du signataire pour chaque composante ou entité. George Ola Davies expliqua que la signature serait diffusée en direct à la télévision, de sorte que tout Congolais ayant accès à la télévision pourrait également l’observer ; il ajouta que l’événement serait couvert par 270 journalistes. Bakary Dabo avait le document qui devait être signé par 40 délégués et parcourait avec nous le programme de clôture, dont il avait été le principal architecte. Le MLC nous demanda de prévoir la désignation des Vice-Présidents et autres membres du gouvernement lors de la cérémonie de clôture. Estimant qu’il s’agissait d’une question qui intéressait le Comité de Suivi, nous accusâmes réception de leur demande mais ne la poursuivîmes pas. Nous en étions arrivés au point où, nous semblait-il, nous devions nous retirer, dans l’espoir que les Congolais commenceraient à collaborer pour mettre en œuvre ce dont ils avaient convenu.

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QM continuait à recevoir des délégations, à donner des interviews et à fignoler son discours. À 15h30 les chefs d’État et les ministres étaient prêts et quittèrent leur tente réservée aux personnalités pour la tente plénière. La séance s’ouvrit avec des prières et Popo Molefe, Premier ministre du Nord-Ouest sud-africain – province où est situé Sun City – souhaita la bienvenue à l’assistance. Ensuite Ugo, aidé par Malik, appela les délégués à tour de rôle pour venir signer l’Acte final. Cela prit quelque 40 minutes. Signèrent ensuite, en tant que témoins, le Président Mbeki, Mustapha Niasse et QM. Puis les dirigeants, l’un après l’autre, montèrent sur l’estrade pour prononcer un discours sur ce jour qui symbolisait toutes leurs attentes de paix au Congo. Je trouvai certains discours, dont l’ensemble dura deux heures et demie, décevants dans la mesure où le ton paraissait amer et récriminatoire, par contraste avec les discours plus dignes d’hommes d’État qui avaient ouvert le DIC un an auparavant. Les dirigeants congolais n’étaient pas encore tous prêts pour la tâche énorme qui les confrontait, ni disposés à surmonter leurs divisions et à collaborer pour le bien de leur pays. Par exemple, le chef de la délégation gouvernementale, Léonard She Okitundu, ministre des Affaires étrangères, remercia toutes les personnes concernées mais ne put s’empêcher de se plaindre du comportement de l’Ouganda et du Rwanda et de chanter les louanges de Laurent et Joseph Kabila. Le chef des Mai Mai, Anselme Enerunga renvoya aux diplomates ougandais et rwandais, présents, en parlant des « représentants des agresseurs » et des « milito-affairistes ». Il ajouta qu’il n’y aurait pas la paix dans la région des Grands Lacs tant que les Présidents Museveni, Kagame et Buyoya restaient au pouvoir. Adolphe Onusumba, représentant du RCD, parla de la nécessité d’unité et de réconciliation et regretta l’absence de Joseph Kabila. (Il renvoya par ailleurs à l’équipe de la facilitation en évoquant les « héros de l’ombre. ») Olivier Kamitatu félicita QM pour sa « persévérance face à l’incompréhension » et se proposa au nom de Jean-Pierre Bemba de collaborer avec Joseph Kabila. Antoine Gizenga, doyen des partis politiques, qui allait devenir Premier Ministre dans le gouvernement elu en 2006, évoqua les modalités de mise en place du Comité de Suivi, du partage des postes au gouvernement, de la création du parlement et de l’organisation de l’armée. Ce fut le Président Mwanawasa qui avertit l’assistance que le DIC « n’était pas une fin mais un commencement. » Le Président 344

Mbeki lança un appel au patriotisme congolais et déclara que ce qui se passait dans l’Ituri était inacceptable. QM prit la parole pendant vingt minutes, citant, en français, à la perplexité de l’assistance, un poème de Patrice Lumumba, le leader assassiné. Suivirent un discours de remerciement au nom de la Société civile et, pour finir, une allocution de dernière minute soulignant la détresse des femmes au Congo. Une photo de groupe avait été prévue, mais l’assistance était difficile à rassembler et la séance ne fut pas aussi bien organisée que l’avaient souhaité nos hôtes. À 20 heures le Dialogue intercongolais était terminé et tous les participants se rendirent dans une salle de réception pour un dîner et un bal sur la musique du musicien congolais Werrason, que nous avions fait venir du Congo pour l’occasion. Comme la plupart de mes collègues, j’avais davantage besoin de sommeil que de musique. À mon retour au Botswana une semaine plus tard, je dînai avec un couple avec qui je m’étais lié d’amitié. Ils me dirent qu’ils avaient vu blanchir mes cheveux au cours des trois ans que nous nous connaissions. Cela me parut un prix modeste à payer.

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POSTSCRIPT Douze ans après ma première visite au Botswana, décrite dans l’Introduction au présent ouvrage, je me retrouvai à nouveau dans un hôtel chic à Addis-Abeba, devant le spectacle de Thabo Mbeki s’efforçant de trouver un terrain d’entente entre des parties récalcitrantes, avec le soutien de Haile Menkerios, alors envoyé spécial de l’ONU, et Abdu Salami Abu Bakr, en présence des envoyés de l’UE, du Royaume-Uni et des États-Unis. Cette fois-ci les parties étaient des Soudanais et des Sud-Soudanais et la situation régnant à la suite de la sécession du Soudan du Sud était très différente de celle en RDC. En 2011, les Sudistes avaient voté massivement en faveur de la création de leur propre État, mais de nombreux désaccords entre les deux États restaient en suspens. Si le ton des discussions entre ces adversaires d’une guerre civile et le cadre où elles se déroulaient rappelaient les trois années du Dialogue intercongolais, le contexte dans lequel l’avenir de l’Afrique se joue et se dirige désormais est sensiblement différent de celui où nous travaillions alors. Nous assistons en particulier à la diminution du rôle des vieux pouvoirs. La montée de la Chine et de l’Inde comme puissances militaires et économiques nous entraîne dans un monde multipolaire où les États-Unis et l’Europe perdent le pouvoir et l’influence qu’ils exercent depuis les trois derniers siècles. Pendant le DIC, du moment que la Russie et la Chine ne s’y opposaient pas et que le reste de la « communauté internationale » partageait une même lecture du processus, nous pûmes mobiliser du soutien et joindre nos forces pour convaincre les parties congolaises de signer les accords – dont beaucoup furent oubliés aussitôt que les protagonistes eurent goûté au pouvoir. Aujourd’hui les Nations Unies et leur Conseil de Sécurité ont l’air de plus en plus divisés et inefficaces dans leurs efforts pour affronter le « Printemps arabe », les tensions interminables au Moyen-Orient, le terrorisme et le changement climatique. L’ONU, quels qu’en soient les défauts, reste néanmoins le seul forum mondial que nous ayons et, en tant que tel, c’est à son Secrétaire général, Ban Ki-moon, qu’il incomba d’appeler au calme en RDC en 2011, après que le Président Joseph Kabila eut remporté des élections qu’aucun observateur extérieur ne jugea entièrement libres ou équitables. Les missions de maintien de la paix mandatées par le Conseil de Sécurité en RDC et 347

aux deux Soudans se démènent cependant pour remplir des mandats compliqués basés sur la « responsabilité de protéger » les civils. Aussi, bien que le DIC y eût mis en place un gouvernement transitionnel fondé sur le partage du pouvoir et qu’il eût ouvert la voie aux élections de 2006, la RDC reste, dix ans plus tard, politiquement instable et – dans l’Est – perturbée par des restes de milices et de groupes armés qui s’en prennent aux civils. Ces mêmes civils voient leurs dirigeants piller les ressources minérales tandis que leurs femmes, leurs filles et leurs sœurs sont violées à une échelle inimaginable ; la population reste l’une des plus pauvres au monde tout en étant entourée de ressources naturelles qui comptent parmi les plus riches au monde. Ceci dit, il règne un certain calme dans une bonne partie du pays. Au moment de la rédaction de ce Postscriptum, les tensions post-électorales n’ont pas encore abouti à une reprise de la guerre et les groupes de milices dans l’Est sont tout de même moins nombreux et moins puissants qu’ils ne l’ont été. Par ailleurs, grâce à un suivi amélioré, des efforts sont déployés pour contrôler et formaliser le commerce des minerais, d’une importance cruciale pour le pays. La mission de l’ONU à laquelle j’étais rattaché en tant que conseiller de 2008 à 2010 est l’une des plus importantes et des plus critiquées au monde ; je crois toutefois que, sans elle, la situation aurait été encore pire. S’il y a de l’espoir, il faut sûrement le chercher dans la transformation économique du continent, laquelle, pour la première fois depuis le départ des pouvoirscoloniaux, commence à paraître plausible. Alors que l’Europe et les États-Unis sont aux prises avec leurs propres crises financières et politiques, la soif de développement et l’extension de l’éducation en Afrique sont en train de produire une croissance rapide de la classe moyenne et un assouplissement, de la part du gouvernement, des contrôles et de l’ingérence dans la vie quotidienne. À cela s’ajoute une prise de conscience que, dans l’Afrique actuelle, son manque même de développement constitue désormais une bonne raison d’investir dans sa croissance, qui, pour la première fois, a dépassé celle de toute autre région du globe pendant la première décennie de ce siècle. Il y a, bien entendu, un prix à payer, notamment au niveau de l’inégalité croissante et des dommages environnementaux, mais il semble que ce soit là un prix que laplupart des Africains paieraient volontiers en échange de l’accès, pour un nombre croissant d’entre eux, aux avantages qu’apporteront les améliorations en matière de communications, de santé, d’éducation et de revenus plus élevés. La 348

sécurité publique reste, de toute évidence, un préalable essentiel à tous ces avantages et, à ce titre, le tableau reste mitigé ; toutefois, les guerres inter-étatiques et intra-étatiques sont, tout au moins, de moins en moins fréquentes en Afrique de nos jours. Qu’en est-il des protagonistes de la Facilitation ? Sir Ketumile Masire, plus qu’octogénaire et membre du Global Leadership Forum, suit son chemin d’ancien homme d’État. Lorsque je l’ai appelé récemment, il avait l’air en pleine forme et m’a assuré que Rre Mogwe – plus âgé que lui et bien occupé avec sa famille et son bétail – l’était tout autant. Le Pr Lebatt est devenu ambassadeur et Bo Heineback s’est retiré en Australie. Les membres plus jeunes de l’équipe poursuivent leurs carrières, George Ola Davies, Ugo Solinas et Nana Rosine à l’ONU, par exemple, et « Ten Ten » dans la fonction publique au Botswana. Comme il a été dit plus haut, l’ancien Président Mbeki s’évertue, au nom de l’Union africaine, à assurer la médiation dans les complexités des deux Soudan dans le sillage de la sécession. Le Président Kabila est aux prises avec les séquelles des élections douteuses présidées par son pasteur turbulent, Ngoy Mulunda, nommé président de la Commission électorale indépendante en 2011 ainsi qu’avec la perte, cette année dans un accident d’avion à Bukavu, de son conseiller le plus puissant, Katumba Mwanke. Jean-Pierre Bemba est jugé à la Haye pour crimes de guerre, tandis qu’Olivier Kamitatu dirige un petit parti au sein d’une alliance qui soutient Laurent Kabila. En revanche, Vital Kamerhe fait actuellement partie de l’opposition au régime du Président Kabila, bien qu’il se soit moins bien défendu dans les élections contestées que le vieux guerrier Étienne Tshisekedi, toujours à la tête de l’UDPS, qui s’est proclamé le véritable Président élu de la RDC en réponse aux revendications de victoire de son jeune adversaire. Plus ça change, plus c’est la même chose ? Il serait d’ailleurs question d’un nouveau Dialogue intercongolais, cette fois-ci sous la direction de John Kufuor, ancien Président du Ghana et visant à régler l’impasse résultant des élections contestées de 2011. Le DIC a-t-il valu la peine ? C’est à d’autres d’en juger ; pour ma part, je ne regrette pas notre tentative. P.E. Winter, Juba, Soudan du Sud, le 26 février 2012.

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République démocratique du Congo aux éditions L’Harmattan

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Dans ce livre qui scrute l’économie de l’agriculture de l’Afrique et du Congo, l’auteur insiste sur l’urgence de promouvoir le développement rural sur le même rythme du déploiement agricole. Ainsi donc le renouveau agricole pourrait progressivement freiner l’exode rural, redonner vie et qualité de vie aux villages et, à long terme, améliorer les recettes et les habitudes alimentaires. (Coll. Comptes Rendus, 24.00 euros, 204 p.) ISBN : 978-2-343-04392-0, ISBN EBOOK : 978-2-336-35764-5 Entre ciel et terre Confidences d’un pilote de ligne congolais

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Ce livre constitue une tentative d’appréhender la situation macroéconomique de la République démocratique du Congo au cours de ces dernières décennies. Le marasme économique y sévissant, après 50 ans d’indépendance, mérite que l’on s’arrête sur les causes structurelles de sa pérennisation, afin de dégager les pistes adéquates d’une politique visant à assurer un réel renversement. (Coll. Cahiers Africains, 27.00 euros, 258 p.) ISBN : 978-2-343-04106-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-35588-7 procédures (Les) de dédouanement en RDC L’expérience du «guichet unique» au poste de Matadi

Tenday Lupumba Alain Préface de Déo Rugwiza Magera ; Postface d’Ahmed Boilil

Régie financière de première importance, la Direction générale des douanes et accises se positionne comme le chaînon principal de la fiscalité congolaise, dans le dispositif stratégique de maximisation des recettes de l’État. Le besoin de réformer l’administration fiscale et ses servitudes subséquentes s’est avéré d’une extrême nécessité pour protéger les recettes intérieures et consolider la souveraineté financière et la fierté nationale. Ce sont ces aspirations légitimes que l’auteur met ici en avant. (L’Harmattan RD Congo, Coll. Comptes Rendus, 31.00 euros, 296 p.) ISBN : 978-2-343-04124-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-35383-8 pédagogie (La) générale

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Ce manuel de pédagogie générale vient enrichir les outils d’encadrement pédagogique et didactique dans les écoles congolaises, où les supports d’enseignement ne sont pas légion. Il propose de s’intéresser successivement à la définition des concepts clés, à un aperçu historique du domaine, aux rapports existant entre la pédagogie et certaines sciences, à quelques considérations importantes de l’éducation, aux principaux types d’éducation, aux grands courants de la pédagogie actuelle, à la connaissance de l’enfant, aux méthodes pédagogiques et à l’importance d’une vraie collaboration entre l’école, la famille et la société. (Coll. Notes de cours, 14.50 euros, 144 p.) ISBN : 978-2-343-02698-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-35516-0 Je reviens de l’enfer Reportage de guerre à l’est de la RD Congo (août-septembre 1998)

Namujimbo Déo

Le monde entier convoite et fait main basse sur les incommensurables richesses de la RDC (dont le coltan, nécessaire à nos téléphones et ordinateurs) - plus de huit millions de morts en moins de quinze ans. Entre août et septembre 1998, en pleine «rébellion-mutinerie» visant à destituer le président Laurent-Désiré Kabila, l’auteur s’est glissé dans la brigade «rebelle» du Rassemblement Congolais pour la Démocratie. Seul civil au milieu de 5000 soldats assoiffés de sang et de rapines, il a vécu, pendant deux mois, ce qu’il qualifie des «pires horreurs de sa vie». (20.00 euros, 192 p.) ISBN : 978-2-343-02619-0, ISBN EBOOK : 978-2-336-35328-9

justice (La) congolaise face aux crimes internationaux commis en RDC

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Ntumba Musuka Zacharie - Préface de Benjamin Mulamba Mbuyi

Le juge en général et le juge administratif en particulier sont des artisans de l’État de droit. Le contrôle juridictionnel qu’ils exercent sur l’administration demeure la garantie effective de l’État de droit et en conditionne la réalisation. Par sa mission délicate, après saisine, d’annuler les décisions des autorités administratives qui causent grief aux administrés, le juge administratif incarne un rôle cardinal dans l’émergence de l’État de droit. (Coll. Notes de cours, 36.00 euros, 364 p.) ISBN : 978-2-343-02992-4, ISBN EBOOK : 978-2-336-35501-6 Amélioration du climat des affaires en RDC ? Recueil d’exceptions congolaises contre-productives à l’investissement

Kabongo Mujika Blaise - Préface de A.L. kitenge

Ce livre objective le cadre général d’investissements en RDC, en passant en revue les obstacles à surmonter pour encourager l’investissement national et étranger. Conçu comme un recueil didactique portant sur les stratégies politico-économiques susceptibles d’aider le pays à attirer davantage d’investissements en vue d’améliorer le sort socio-économique des Congolais, cet ouvrage vise l’éveil de la conscience civique du peuple congolais afin qu’il participe au décollage économique du pays. (Coll. Comptes Rendus, 16.00 euros, 156 p.) ISBN : 978-2-343-03960-2, ISBN EBOOK : 978-2-336-35165-0 PME et développement en RDC Atouts, contraintes institutionnelles et perspectives

Bukavu Journal of Economics and Social Sciences 2 Faculté des sciences économiques et de gestion, Université catholique de Bukavu

L’objectif de la revue est de collecter des données, d’organiser des connaissances sur différents aspects de la vie socioéconomique de la région du Kivu. Ce deuxième numéro porte sur les PME et le développement en RDC, plus particulièrement dans le Kivu, et présente un certain nombre d’articles sur cette thématique. (Coll. Harmattan RDC, 30.00 euros, 289 p.) ISBN : 978-2-343-03884-1, ISBN EBOOK : 978-2-336-35296-1 Économie mondialisée, coopératives délaissées Sociologie du développement et de la coopération en République démocratique du Congo

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Voici une brève histoire politique, sociale et économique de la RDC, ainsi que l’analyse de la sociologie du développement et de la coopération. L’économie extractive, qui profite aux étrangers et à l’élite au pouvoir, a été survalorisée au détriment de l’économie coopérative qui profiterait à l’immense majorité des Congolais survivant grâce aux activités vivrières et informelles. Pour l’État, l’avantage des organisations associatives est de faire prendre en charge par les producteurs eux-mêmes la réorganisation de leurs activités productives. (Coll. Études africaines, 15.50 euros, 148 p.) ISBN : 978-2-343-03488-1, ISBN EBOOK : 978-2-336-35210-7

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L’HARMATTAN ARMATTAN SÉNÉGAL L’H SÉNÉGAL 10 VDN en face Mermoz, après le pont de Fann « Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E BP 45034 Dakar Fann 45034 33BP825 98 58Dakar / 33 FANN 860 9858 (00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08 [email protected] / [email protected] [email protected] www.harmattansenegal.com L’HARMATTAN BÉNIN ISOR-BENIN 01 BP 359 COTONOU-RP Quartier Gbèdjromèdé, Rue Agbélenco, Lot 1247 I Tél : 00 229 21 32 53 79 [email protected]

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UNE CAUSE SACRÉE LE DIALOGUE INTERCONGOLAIS, 2000-2003 En mars 2000, Philip Winter est sollicité pour assumer le rôle de chef de cabinet de Sir Ketumile (‘Quett’) Masire, ancien président du Botswana, pressenti pour présider et faciliter le dialogue auquel avaient consenti les trois principales parties belligérantes de la République démocratique du Congo lors de l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka en 1999. Les discussions longues et compliquées qui s’ensuivront, avec le concours de tant d’autres parties intéressées, évolueront en une négociation marathon qui durera plus de trois ans pour aboutir en avril 2003 à la signature de l’Accord de Sun City. L’auteur et son patron étaient particulièrement sensibles au besoin de maintenir une attitude neutre entre toutes les parties impliquées – tâche difficile pour tous ceux et celles qui œuvraient sans relâche pour mener à bien l’accord. Ce récit des négociations, basé sur les notes prises par l’auteur à l’époque ainsi que sur de nombreux procès verbaux et rapports de réunions, constitue un compte rendu définitif qui met puissamment en valeur l’importance de la patience et de la diplomatie dans la mise en place d’un cadre pour un avenir meilleur pour les quatre-vingts millions d’habitants de la République démocratique du Congo. Tous ceux et celles qui s’intéressent à l’étude des négociations et au développement de l’Afrique devraient lire ce livre. Né au Royaume-Uni, Philip Winter a fait ses études aux universités de Cambridge et de Londres. Il travaille en Afrique depuis 1976 et est basé au Kenya. Il a travaillé pour des gouvernements et des ONG ainsi que pour le secteur privé dans les domaines de l’aide, du développement commercial, des secours d’urgence, de la consolidation de la paix et de la diplomatie, en Afrique tant anglophone que francophone. À la suite de son travail en tant que chef de cabinet du Facilitateur du Dialogue intercongolais, décrit dans le présent ouvrage, il a été détaché auprès de la MONUC comme conseiller principal. Plus tard, il a été nommé représentant de Juba auprès du groupe de conseil en diplomatie Independent Diplomat. Membre fondateur du Rift Valley Institute, il a été codirecteur du cours sur le Soudan offert en2004 par cet Institut et directeur du premier cours sur les Grands Lacs en 2010. Philip Winter est un conservationniste passionné.

ISBN : 978-2-343-04843-7

36,50 €