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French Pages 351 [356] Year 1876
TROIS SIÈCLES DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE ILLUSTRÉS
PAR DES MORCEAUX CHOISIS DE LEURS MEILLEURS AUTEURS, ACCOMPAGNÉS
D'INTRODUCTIONS LITTÉRAIRES ET DE NOTICES BIOGRAPHIQUES.
ANTHOLOGIE FRANÇAISE » DESTINÉE
A L'USAGE DES CLASSES SUPÉRIEURES DE NOS ÉCOLES SECONDAIRES PAR
P.
KREYSSIG.
T O M E I.
DEUXIÈME ÉDITION.
BERLIN, CHEZ G. REIMER, LIBRAIRE-ÉDITEUR. 1876.
TROIS SIÈCLES DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE ILLUSTRÉS
PAR DES MORCEAUX CHOISIS DE LEURS MEILLEURS AUTEURS, ACCOMPAGNÉS
D'INTRODUCTIONS LITTÉRAIRES ET DE NOTICES BIOGRAPHIQUES.
ANTHOLOGIE FRANÇAISE I
DESTINÉE
A L'USAGE DES CLASSES SUPÉRIEURES DE NOS ÉCOLES SECONDAIRES PAR
F.
KREYSSIG.
T O M E I.
DEUXIÈME ÉDITION.
BERLIN, CHEZ G. REIMER, LIBRAIRE-ÉDITEUR. 1876.
PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION.
.Encore line anthologie française! Répondrait-elle à on besoin de nos écoles? Aurait-elle même un prétexte plausible pour prétendre à partager encore l'attention d'un public qui n'est que trop fatigué par l'industrie et la réclame littéraires? H serait peut-être téméraire d'affirmer la première de ces questions, en présence des excellents travaux qui, depuis une dizaine d'années, ont enrichi en Allemagne cette branche de la littérature pédagogique. Pour l'autre, il sera permis de rappeler qu'après tout, une anthologie sera toujours une affaire de tact et de goût, de tact pédagogique et de goût littéraire, que l'individualité de l'auteur y entre pour beaucoup, et qu'il est donc de l'intérêt de ceux qui en veulent faire usage, d'avoir le choix entre un assez grand nombre de ces collections, où tous les principes que l'objet admet se trouvent représentés. L'essentiel, c'est que l'auteur ait des vues et un goût à lui, et qu'il ait suivi un principe légitime. Peut-être que sous ce point de vue la collection que voici ne sera pas tout-à-fait indigne de l'indulgence des connaisseurs. L'auteur est d'avis qu'une bonne anthologie destinée à l'usage des classes supérieures de nos écoles secondaires, a la tâche assez difficile de concilier l'intérêt littéraire avec l'intérêt pédagogique, qu'elle doit initier les élèves à l'étude de l'histoire littéraire en leur présentant
IV
une série de morceaux qui soient propres à les intéresser, à les instruire, à former leur style, et qui caractérisent en même temps les écrivains. Quant au choix à faire entre ces derniers, il va sans dire, d'abord, qu'une anthologie destinée à des écoliers ne doit pas viser à être tant soit peu complète. Il ne s'agit pas, pour elle, de nommer un grand nombre d'auteurs, de distraire l'attention des élèves par une multiplicité de petits morceaux insignifiants, mais de leur montrer les auteurs éminents dans qui le génie des diverses époques s'est concentré, et de les encourager à en chercher une connaissance plus approfondie dans les litres que la bibliothèque de leur collège leur fournira à cet usage. Il faut donc que l'anthologie ne contienne que des morceaux assez étendus pour intéresser sérieusement les écoliers d'élite, et qu'elle fasse le sacrifice d'une richesse apparente pour concentrer l'attention sur l'essentiel. C'est surtout dans les parties dramatique et historique de cette collection que principe nous a imposé de grands sacrifices. Cependant nous croyons avoir bien mérité des élèves qui pourront se servir de ce recueil, en ne leur présentant que des analyses complètes de drames d'un petit nombre d'auteurs éminents ou caractéristiques, et des morceaux assez étendus et instructifs de quelques historiens de premier rang. Pour le drame moderne, les éditions à bon marché sont à portée de tout le monde et pourvoient abondamment aux besoins de l'enseignement. L'ommission de certains écrivains „philosophiques" bien illustres s'excusera encore plus facilement. L'auteur, pendant sa longue activité pédagogique, a connu bon nombre d'écoliers pleins de talent et de zèle; mais il serait embarrassé d'en nommer un seul qui se soit intéressé à la lecture de fragments p. e. de Joseph de Maistre ou de Lamennais, tels qu'ils se trouvent dans beaucoup d'anthologies. A ces restrictions près que le but spécial de ce recueil semblait préscrire, les lecteurs bénévolents que, malgré ses nombreuses imperfections, a trouvés notre Histoire de la littérature française (®ejcf)td)te ber franjöfij^en
ν SRationaítíteratur, 3 te Síufíage, Seríttt, Pilotai) ') trouveront que cette anthologie a été composée dans le sens d'illostrer et de justifier les jugements qu'on s'y est permis d'énoncer. C'est un complément dont aucun livre qui traite de littérature étrangère 11e devrait se passer. Cassel, Juin 1869.
PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉDITION. L e premier devoir de l'àuteur a été d'éloigner les nombreux errata que des circonstances fâcheuses avaient laissé s'introduire dans le texte de la première édition de cet ouvrage. On y a mis tout le soin possible. Pour le choix des morceaux qu'on offre à la lecture de nos classes et des amis studieux de la littérature française, les pièces dramatiques du dixseptième siècle dont on donne des analyses et des scènes choisies, ont été réduites de quatre à une seule par auteur, ce qui a rendu possible d'augmenter de beaucoup les morceaux de prose historique et descriptive d'auteurs de l'époque actuelle. Comme les éditions à bon marché des „classiques" du „grand siècle" sont à la portée de tout le monde, tandisque les bibliothèques de nos collèges se trouvent pour la plupart fort incomplètement garnies même des meilleurs ouvrages d'auteurs contemporains, on espère que cette modification de l'économie de ce recueil en augmentera l'utilité et l'intérêt. Enfin l'auteur a cru être agréable à beaucoup de précepteurs, en indiquant, en marge ' ) L a quatrième édition a paru en 18T3. C'est a elle que se rapportent les renvois qu'on trouvera dans la deuxième édition de cette anthologie.
VI
de la table des matières, les classes d'une „école réale de premier ordre" auxquelles, selon ses expériences, la lectrare des divers morceaux pourrait convenir. H va sans dire qjue ces indications n'ont rien d'exclusif ni de péremptoire. Ellies ne doivent s'entendre que comme des conseils qui poumont faciliter l'emploi de cette anthologie dans les classes de mos collèges, l'auteur sachant très bien que la capacité (des écoliers n'est jamais exactement la même, ni dans les clastses correspondantes de toutes les écoles, ni même dans les gémérations d'élèves qui, dans une même et seule école, passant par les mains des mêmes maîtres et en reçoivent la mêime instruction. En remplaçant le volume un peu gros de la première édition par deux tomes faciles à manier, om a seulement voulu rendre plus commode la lecture et le transport de l'anthologie. L'économie intérieure de l'touvrage n'a pas été altérée par cet arrangement dont, ncous l'espérons, nos élèves nous sauront grâce. Francfort sur le Mein, le 18 juillet 1876.
F. K r e y s s i g .
Table des auteurs et des matières,
Noms des auteurs
Livres et matières
Introduction. (Formation de la nation et de la langue françaises. Conp d'oeil sur la marche de la littérature française depuis son origine jusq'an commencement du dixseptième siècle) p. F. Kreyssig. Notice p. F. Kreyssig. François de Malherbe (1555 — 1628). Paraphrase du psaume 8. — 1604. Stances à Mr. le président de Verdun pour le consoler de la mort de sa première femme. 1621. Stances spirituelles. 1619. Stances. (Consolation à M. du Perrier.) Sonnet au roi Henri le Grand. 1607. Prosopopèe d'Ostende, imitée du latin de Hugues Grotius. 1604. Le Classicisme productif p. F. Kreyssig. Pierre Conseille Notice p. F. Kreyssig. (1606 - 1 6 - 8 4 ) . Le Cid, tragédie. 1637. Jean Racine Notice p. F. Kreyssig. (1639—16:99). Andromaque, tragédie. 1667. Jean Baptiste Poqnelin Notice p. F. Kreyssig. ( M o l i è r e ) ^1620—1673). Le Misanthrope, comédie. 1666. Jean François Regnard Notice p. F. Kreyssig. (1655 — 1709). Épitre 6. Le Joueur, comédie. 1696. Nicolas Β o i 1 e a η Despréaux Notice p. F. Kreyssig. (1636— 1711). Satire 2 à M. de Molière. (Sur la rime). Épitre 1 (au Roi). (Éloge de la paix). Épitre 7 à M. de Racine. L'Art Poétique. Le Lutrin.
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Classe
avec indication des classes (d'une „Ecole réale" de premier ordre) auxquelles la lecture des divers morceaux pourrait être recommandée.
1— 12 12 — 13 13 — 14 15 - 1 6
I Π Π π
16 - 1 7 17 — 18 18 10
π II π π
19 — 21 21 - 2 2 23 - 4 4 45- -46 47 - 6 7 68 — 70 71 - 9 0 91 91-- 9 4 9 4 - -103 1 0 4 - -105 1 0 5 - -107 1 0 7 - -112 1 1 2 - -115 1 1 5 - -124 124 - 130
I π II π II
π π I I I π I π π
π
ΠΙ
νπι
Livres et matières
Noms des auteurs
Tage
130- •132 132- •137 Notice p. F. Kreyssig. Jean Baptiste Rousseau 137- •138 (1C70— 1741). Ode tirée du psaume 90. 138- -140 Contre l'hiver, Cantate. 140- -141 Pour l'hiver. Cantate. 141- • 142 Epigrammes. 142 Notice p. F. Kreyssig. 143 Mme de Sévigné (1626—1696). Lettres. 144- •150 Notice p. F. Kreyssig. 151- •152 Jean de la Bruyère (1644 — 1696). Les Caractères ou les moeurs de ce 152- •158 siècle. (Préface — des ouvrages de l'esprit — de l'imitation des anciens — de l'éloquence — du mérite personnel — de la société et de la conversation — de la sotte vanité — l'esprit de la conversation — des biens de la fortune). Notice p. F. Kreyssig. 158 — 161 François de la Rochefoucauld (1612 — 1680). Maximes. 1 6 1 - 162 Jacques Bénigne Bossuet Notice p. F. Kreyssig. (1627 — 1704). Bataille de Bocroi. (Oraison funèbre de 1 6 2 - •163 Louis de Bourbon, prince de Condé). Éloge de la bonté. Discours. 164- -165 Discours sur .l'histoire universelle. (Les 165- -167 révolutions des empirés, réglées par la Providence). Biaise Pascal 167- 168 Notice p. F. Kreyssig. (1623—1662). Pensées. (De l'autorité en matière de 1 6 8 - 172 philosophie — misère de l'homme — vérité de la religion chrétienne. François de Saligna« de Notice p. F. Kreyssig. 173 Lamothe F é n é l o n Dialogues des morts. (Romulus et Numa 174—178 (1651 — 1715). Pompilius — Horace et Virgile — Henri IV et Sixte V). 178- •179 Le Fantasque. L e d i x h u i t i è m e s i è c l e . Tendances 179- 181 générales de cette époque, p. F. Kreyssig. 181- 184 François Marie Arouet de Notice p. F. Kreyssig. V o l t a i r e . (1694—1778). E s s a i s u r l ' e s p r i t e t l e s m o e u r s 184- -194 des n a t i o n s . (Plan et tendance de l'ouvrage — supplice des Templiers — de la Suisse et de sa révolution au commencement du quatorJean de Lafontaine (1G21 — 1G90.)
Xotice ]>. F. Kreyssig. Fables.
O ΙΠ
Noms des auteurs
Livres et matières
ziéme siècle — sur la vérité en matière d'histoire). Le S i è c l e de L o u i s X I V . (Gouvernement intérieur. Justice. Commerce. Police. Lois). Philosophie. (Si l'intolérance est de droit naturel? — Timon). D e In t r a g é d i e a n g l a i s e . Le m o n d e c o m m e i l v a . Vision de Babouc. A l z i r e ou les Américains. Tragédie. 1736. La H e n r i a d e. (Fragments). Épi tre au roi de Prusse. J e a n qui p l e u r e et q u i rit. Denis Diderot Notice p. F. Kreyssig. (1713—1784). De la poésie dramatique. Méthode ou Génie? J e a n J a c q u e s R o u s s e a u Notice p. F. Kreyssig. (1712-1778). L e s C o n f e s s i o n s . (Une amitié de jeunesse. — Premier voyage à Paris. — Vie et études aux Chprmettes). Émile. (De l'utilité d'apprendre un métier). Charlee de Secondât, baron Notice p. F. Kreyssig. de M o n t e s q u i e u Lettres Persanes. / « ΛΛ Λ dM^ fV (1689— 1755). C o n s i d é r a t i o n s sur les causes de là grandeur et de la décadence des Romains. (Guerre d'Hannibal. — Auguste.) D e l ' e s p r i t d e s l o i s : (Dn principe des divers gouvernements). Frédéric le Grand Notice p. F. Kreyssig. (1712—1786). Bataille de Hohenfriedberg Jean Jacques Barthélémy Notice p. F. Kreyssig. (1716 — 1795). Voyage du jeune Anacharsis. (Description d'Athènes). Notiee p. F. Kreyssig. George Louis Ledere, Comte de B u f f o n H i s t o i r e n a t n r e l l e . (Idée générale (1707—1788). de la nature. — Comparaison des animaux et des Végétaux. — Le cygne). Bernardin de St. P i e r r e Notice p. F. Kreyssig. (1737—1814). É t u d e s de la n a t u r e . (Harmonies humaines et alimentaires des plantes). P a u l et V i r g i n i e . (Ouragan et nau-
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ClasBe|
IX
1 9 4 - 199
II
199 — 201
Π
2 0 1 - 203 204 — 208
I ΠΙ
209 — 214
π
219 — 229 229 — 230 231 — 232 232 232 — 234 234 — 235 235 — 238 238 — 246
π π I I I I II π
246 - 250
I
250 — 252 2 5 2 - 256 256 — 261
π π π
262 — 265
I
265 --266 2 6 6 - •271 271 — 272 2 7 2 - 275 275 2 7 6 - •280
ΠΙ ΠΙ
π II
2 8 0 - 281 2 8 1 - -283
π π
2 8 3 - -285
ΙΠ
Noms des auteurs
Livres et matières
Notice p· F. Kreyssig. Fables. Don Quichotte de la Manche. Notice p. F. Kreyssig. Alain René Lesage (1G68 —1747). Gil Blas de Santillane. Pierre Augustin Caron de Notice p. F. Kreyssig. Beaumarchais Figaro ou la folle journée. — (Frag(1732—1799). ments). Jacques Montanier D e l i 11 e Notice p. F. Kreyssig. (1738— 1813). La Chasse au cerf. — Homère et Virgile. — Le café. Notice p. F. Kreyssig. Ponce Denis Écouchard Lebrun (Pindare). Ode sur le vaisseau „le Vengeur''. . 1729 — 1807. Exegi monumentimi. (Ode.) Épigrammes. Honoré Gabriel Riquetti, Notice p. F. Kreyssig. comte de M i r a b e a u Lettres à Sophie. (Bon sens ou esprit?— (1749 — 1791). De la Balance européenne. — Un mot sur les privilèges de la noblesse). Fragment du discours prononcé à la séance de l'assemblée nationale de 7 nevembre 1789. Notice p. F. Kreyssig. Constantin François de Chasseboeuf de V o l n e y V o y a g e en S y r i e e t en E g y p t e . (1757—1820). L'Egypte moderne. T a b l e a u d u s o l e t d u c l i m a t des États-Unis. (Aspect général du pays dans les États-Unis d'Amérique septentrionale). L e s R u i n e s . (Méditation sur les ruines de Palmyre). Jean Pierre Claris de F l o r i a n (1755— 1794).
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Classe
χ
286 2 8 6 - 291 291 — 298 299 299 — 304 304 — 306 306 — 316
ÏII III II II I I
316 — 317
II
321 322 — 323 3 2 3 - 325 325 — 326 3 2 6 - 328 328 — 329 329 - 330
II II I I I I
330 — 333
I
333 — 334 3 3 4 - 336
II II
336 — 338
III
338 — 341
III
INTRODUCTION. FORMATION DE LA NATION ET DE LA LANGUE FRANÇAISES. COUP D'OEIL SUR LA MARCHE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE DEPUIS SON ORIGINE JUSQU'AU COMMENCEMENT DU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE. 1.
C e sont trois races bien différentes dont l a fusion et la réaction
réciproque ont formé la nation française.
Les Celtes en ont fourni
la substance, les Romains l'ont marqée au cachet de leurs lois, de leur religion et de leur l a n g u e ; enfin, /'immigration germanique
est
venue décomposer la société gallo-romaine, pour en être absorbée à son tour et produire avec elle la France moderne. envahit la G a u l e ,
Lorsque César
il la trouva peuplée par les tribus d'une nation
dont le caractère, tel que les auteurs anciens le décrivent, rappelle en plus d'un
trait celui des Français de nos jours.
Ces
„Celtes",
(c'était là leur nom collectif), étaient un peuple hardi, entreprenant, avide d'émotions fortes, de guerre, de danger, d'aventures et de tout ce qui brille et fráppe les sens.
Ils se paraient volontiers de chaînes
d'or, de tissus rayés et bariolés, d'armures qui étincelaient d'or et d'argent.
Ils aimaient l'éclat et la bravade.
Il leur arrivait de lancer
leurs traits contre le ciel, quand il tonnait, de marcher, l'épée à la main, contre l'océan débordé, de vendre leur vie pour du vin qu'ils distribuaient à leurs amis, et de tendre ensuite leur gorge à l'acheteur, pourvu qu'un cercle nombreux les vît mourir.
Conteurs ingé-
nieux, ils aimaient passionnément la conversation, les récits merveilleux et piquants; aussi crédules qu'avides de nouvelles, ils forçaient les v o y a g e u r s de leur en débiter, et César s'avoue redevable d'une partie de ses succès à la légèreté avec laquelle ils se fiaient à des bruits mal fondés.
L e s anciens parlent d'un Hercule gaulois qui trai-
T r o i s siècles de ia l i t t é r a t u r e f r a n ç a i s e .
lImeEd.
1
2 nait après lui les nations attachées à des chaînes d'or qui sortaient de sa langue· C'est le symbole tout trouvé de cette éloquence sympathique, de cette facilité de plaire et de persuader qui a distingué de tout temps la race des Celtes. — Dans la langue française, l'influence celtique est représentée par quelques milliers de mots, mais aussi par quelques singularités de la flexion et de la construction. (Faire et aimer avec l'infinitif, la multiplication par vingt: quatrevingts, quinze-vingts etc., la construction du pronom régime sont celtiques). Enfin la prononciation française témoigne des origines celtiques de la nation par plusieurs sons caractéristiques ') 2. Les Romains, après avoir achevé la conquête du pays, releguèrentlalangue celtique dans les villages, dans les solitudes des landes et des forêts et dans les rangs du bas peuple. La société officielle, employés, soldats, gens de lettres, les villes, le commerce adoptèrent l'idiome des vainqueurs, et bientôt les écoles d'Arles, de Lyon, de Bordeaux, de Paris, de Trêves etc. étaient célèbres à cause de leur latin ¿légant. Les Gaulois, comprenant vite les avantages pratiques de l'érudition romaine, se faisaient avocats, grammairiens, rhéteurs, et la nation cçltfque semblait consentir à disparaître dans la grande et majestueuse unité de l'empire. Au troisième siècle, le christianisme vint achever l'oeuvre des Césars. La langue du culte pénétra plus avant encore que l'idiome des avocats et des rhéteurs dans le corps de la nation : la prédication et la prière firent une propagande plus efficace que les plaidoyers et les édits, et l'invasion des Germains, au cinquième siècle, trouva la Gaule presque entièrement latinisée. Borne, en se retirant, laissa au pays son administration, ses monuments, son principe politique, (celui de la centralisation monarchique et militaire), sa religion, sa science et sa langue : héritage que les conquérante germaniques n'avaient ni le dessein ni la puissance de remplacer par les institutions et les idiomes du nord. Trop peu nombreux pour altérer essentiellement le fond de la population, éloignés des villes par leurs penchants rustiques, isolés dans les campagnes et daos les forêts où leurs habitudes de chasseurs et de campagnards attiraient leur prédilection, ils subirent bientôt l'influence d'une civilisation supérieure à la leur, et qui finit par imposer aux vainqueurs la lingue des vaincue. La conversion des Franks et des Burgonds accéléra de beaucoup cette absorption de l'élément germanique. Au huitième ' ) cf. Demogeot,
histoire de la littérature française, chap. I.
3 siècle, on prêchait encore çà et là l'évangile en langue tudesque; mais en 842, peu de temps après la mort du fils de Charlemagne, Louis le Germanique, pour se faire comprendre aux Franks de Neustrie, se vit déjà forcé de prononcer en langue romaine le serment qui confirma son alliance avec son frère Charles le Chauve. L'invasion des Normands', au commencement du dixième siècle, ne fit que répéter sur une moindre échelle le même phénomène historique. Les Normands oublièrent vite leur langue maternelle pour l'idiome des Franks romanisés qu'ils venaient de vaincre. Il ne reste maintenant dans la langue française qu'environ mille mots d'origine germanique (sans compter les dérivés et les composée), et encore la plupart en est tombée en désuétude. La France, il est vrai, devint redevable à l'invasion germanique de la renaissance de l'esprit guerrier qui retrempa les âmes gauloises. C'est par le contact des guerriers du Nord que la nation s'inspira du sentiment de l'honneur chevaleresque, de la passion de l'indépendance individuelle, balancée par le dévouement volontaire de l'homme à l'homme, et avec ce principe de la féodalité, les autres qualités chevaleresques, le respect pour les femmes, l'esprit d'aventures, le plaisir de se jouer du danger et des chances de la vie ne tardèrent pas à prendre leur essor dans les âmes françaises. Mais le fond de la langue resta latin, et les traditions romaines, bien loin de s'éteindre par tant d'influences étrangères, sont restées comme qui dirait l'élément ordonnateur de l'histoire française. 3. Il va sans dire, du reste, que la décomposition générale de la société antique n'avait pas été sans altérer profondément l'idiome qui en avait été l'âme et le symbole. Déjà pendant les jours glorieux de l'empire, le latin de la capitale n'avait pas été exactement celui des provinces, et de tout temps, la langue des écoles avait fait des concessions aux exigences de la vie pratique, et même au génie des nations barbares qui la parlaient plus ou moins à leur guise. Ces négligences et ces innovations augmentèrent en rapport direct au dépérissement de la société romaine. L'église chrétienne, en proscrivant, dans la première exaltation de sa victoire, la poésie antique, qui était toute païenne, ne fit qu'achever l'oeuvre des siècles. Au cinquième siècle, la grammaire latine était en pleine dissolution. On ne comprenait plus les constructions savantes de Cicéron et de Tite Live, on négligeait les désinences sonores dont on avait oublié la signification. Les documents de ce temps s'émancipent de plus en plus des lois de la grammaire classique. Au sixième siècle, le pape 1*
4 Grégoire le Grand, ayant appris que Didier, évêque de Vienne, •donnait des leçons de grammaire, écrivit à ce prélat: On me rapporte une chose que je ne puis répéter sans honte. On dit que ta Fraternité explique la grammaire ù quelques personnes. Nous en «omines affligés, car les louanges de Jupiter ne peuvent tenir dans; une seule et même bouche avec celles de Jésus-Christ. Je n'évite pas les désordres du barbarisme, je dédaigne d'observer les cas des· prépositions: car j e regarderais comme une indignité de plier la parole divine sous les lois du grammairien Donat. — Il est vrai que Charlemagne et ses amis littéraires firent de glorieuses tentatives pour arrêter cette décadence des lettres et de la langue latine. Germain de race et de moeurs, chrétien par la foi, et Romain par la science, Charlemagne représentait en lui-même la fusion qu'il espérait de réaliser dans l'Occident. Il fit le possible pour ranimer les études, encourager les savants, faire revivre dans ses Franks l'esprit de l'antiquité savante. Sa lettre circulaire de 787 ordonna aux évêques et aux abbés de fonder des écoles; l'empereur lui-même ne dédaigna pas de se faire écolier pour donner l'exemple à ses courtisane. Une impulsion généreuse fut donnée au clergé par les amis savante de l'empereur, les Alcuin, Luidrade (évêque de Lyon), Théodulphe (évêque d'Orléans), Angilbert, Eginhard, (l'historien de cette époque). Avec; une passion qui rappelle la „renaissance" du quinzième siècle, on· se mit à copier les manuscrits, à étudier la grammaire, à lire et à r imiter les auteurs antiques. Mais tous ces efforts vinrent trop tard pour ranimer ce qui était mort. On ne réussit qu'à renouer les traditions classiques, à leur assurer une certaine influence sur le clergé et les jurisconsultes, et à confier aux bibliothèques des couvents un dépôt précieux de manuscrits qui devait profiter à une époque plus avancée. Pour le moment, aucun élan de la nation, aucun besoin de savoir et de jouir par l'intelligence ne répondit aux desseins de l'empereur. Une langue vulgaire, faite avec les débris du latin classique, et adaptée aux besoins d'une société inculte, remplaçait déjà dans toutes les provinces et en Italie même l'idiome de Cicéron et de Virgile. L'influence des barbares et la destruction de la société antique n'avait fait qu'accomplir brusquement ce que le temps produit à la longue sur tous les idiomes. Du caractère synthétique, la langue: latine passa aux allures plus dégagées mais aussi plus pauvres dèj l'analyse. La préposition et le verbe auxiliaire remplacièrent les richesj désinences des cas, des modes et des temps, le vocabulaire se rétré-|
δ oit ;ϊ un choix des mots nécessaires ;i designer les objets les plus frappants et les idées les plus vulgaires. La petitesse des relations sociales eut son analogie dans la pauvreté de l'idiome. Telle était cette langue dont le serment célèbre de Louis le Germanique, (que nous avons cité plus haut), est un (les plus vieux documents écrits. Tant que les Franks maintenaient l'unité de l'empire, la „langue romane - ' était à peu près la même dans toutes les provinces; du moins les différences des dialectes n'empêchaient pas que Français, Provençaux, Italiens, Espagnols ne se comprissent au besoin. Mais l'empire s'étant dissous, et la vie s'étant localisée, la langue se divisa aussi. En Gaule, le dialecte du nord, „la langue Λ oeil" qui est devenue le français moderne, reçut son caractère distinct par l'influence des Normands qui l'adoptèrent au dixième siècle, et donnèrent bientôt •λ la France des auteurs et des maîtres de langue. La fondation du royaume d'Arles (871) contribua de l'autre côté à fixer plus vite l'individualité du dialecte méridional — ou „langue d'oc". Vers le onzième siècle, les langues et les nations modernes s'étaient formées, et la société du moyen-âge, la société féodale, sortait de la fermentation. Les papes, depuis Grégoire VII, surpassant l'idée de Charlemagne, s'érigèrent en chefs politiques et religieux de la chrétienté. L'Europe occidentale se leva à leur voix pour marcher contre l'Asie. Il s'établit un ordre politique où la fidélité d'hommes libres à leur parole donnée remplaçait la législation savante de l'antiquité. L'idéal de cette nouvelle société prit corps et s'organisa dans la chevalerie qui représentait la distinction sociale, ennoblie par la valeur personnelle jointe à la loyauté, la protection du faible par le fort, et le culte des femmes, qui exercent le double empire de la faiblesse et de la beauté. 4. Et cette nouvelle société ne tarda pas à se réfléter dans une nouvelle poésie, issue beaucoup moins des traditions du passé que des circonstances nouvelles où se trouvait la société. Au onzième siècle, la France du midi en donna le signal, et en vit éclore la première floraison. Les chants des Troubadours, qui célébraient la guerre et l'amour, les deux grandes pensées de l'époque, retentirent dans toute l'Europe occidentale, et excitèrent partout l'imitation. Bientôt la France du Nord ν ajouta ses chansons de geste", épopées de longue haleine qui rassemblaient dans le cadre spacieux de récits naïfs et un peu informes, mais pleins de verve, tout ce qui faisait battre les coeurs et chauffait l'imagination d'une race de guerriers
6 chevaleresques. Lee „jongleurs" charmaient la solitude dee manoirs, en chantant ce que tout le monde rêvait et aurait voulu exécuter. D'abord on débitait des récits isolés de Charlemagne et de ses paladins, du roi Arthur et des chevaliers de la table ronde, des chevaliers du St. Graal et des héros de l'antiquité; puis, les trouvères en composaient ces interminables poëmes épiques de vingt à cinquante mille vers, qui sont devenus la source intarissable des inspirations poétiques du moyen âge. On les a imitées en Angleterre, en Italie, en Allemagne, et si les imitations ont quelquefois surpassé les originaux, il n'en faut pas moins faire la part du génie créateur des Français et des Bretons, inventeurs de sujets poétiques par excellence. Ce talent national d'inventer des récits s'exerçait en même temps sur une plue petite échelle, mais non avec moins d'éclat, dans les „fabliaux", petits contes, pour la plupart en vers, satiriques et gaillards, premières étincelles du „génie gaulois", revanche que le bon sens français aimait à prendre des exagérations où il voyait s'égarer la pensée sérieuse et enthousiaste de l'époque. Ënfin, cette brillante jeunesse de la nation française ne s'est pas écoulée sans laisser quelques documents littéraires de ce bon sens pratique et de cet esprit des affaires, dot précieuse dont les Normands semblent avoir enrichi le caractère des Français comme celui des Anglais. Au commencement du treizième siècle, la série des historiens français fut ouverte par Geoffroy de Villehardouin. Sa chronique raconte dans un style mâle et naïf leg exploits de la cinquième croisade, (la prise de Constantinople en 1204), dont l'auteur avait fait partie. Et vers la fin des croisades, Joinville, sénéchal de Champagne, consacra à la mémoire de St. Louis un récit aussi aimable que spirituel qui, dans l'histoire de la littérature française, brille à la tête des „mémoires." 5. Cette fleur hâtive des lettres françaises fut altérée, sinon flétrie, par le réveil de l'esprit de science et de critique qui suivit de près l'élan enthousiaste des croisades. Il faut s'en tenir en partie à cette influence normande dont nous venons de parler. Dès le douzième siècle, le Normand Robert Wace avait remplacé l'épopée par la chronique rimée, en?écrivant „le Brut d'Angleterre" et „le Roman du Rou". Au treizième siècle, les fables de Marie de France, le Roman du Renard, et les fabliaux satiriques n'étaient pas moins goûtés que les récits merveilleux&des „chansons de geste". A côté de l'élan cbevaleresque, l'esprit scrutateur et philosophique se concentrait dans le clergé qei, au douzième siècle avait achevé sa séparation du monde
ι laïque. En France, la force morale de l'église résidait surtout dans les "Normands nouvellement convertis, comme en Allemagne les Saxons domptés par Charlemagne s'étaient vite changés en défenseurs zélés de la foi. Guillaume le Conquérant, . l e Bâtisseur", avait rempli la Normandie d'évéchés, de monastères, d'abbayes, asiles de la science et pépinières de penseurs et d'érudits. Au commencement du treizième siècle, l'Université de Paris réunit et organisa ces éléments d'érudition, et devint pour toute l'Europe le grand foyer de science théologique et philosophique. Les plus beaux génies de tous les pays s'y donnaient rendez-vous. Jean de Salisbury, Roger Bacon, Brunetto Latini, le maître du Dante, se mêlèrent aux étudiants de la rue du Fornare. Un tiers de la ville était occupé par l'Université. Il y avait jusqu'à dix mille suffrages, quand on votait pour une question de discipline ou de science. Ce fut là que la philosophie du moyen âge, „la scolastique", initia les longs et glorieux travaux de la science moderne. En mettant la pensée au service de la théologie, elle en exerça les forces pour les travaux plus sérieux d'un autre temps. Les Arabes apportèrent l'astrologie, l'alchimie et Aristote, le grand précepteur du moyen âge. Et bientôt l'esprit de l'analyse et de la réflexion, favorisé par la réaction naturelle qui suivit l'excitation des croisades, gagna le dessus sur l'élan poétique, et détermina à tout jamais le caractère des lettres françaises. Vers la fin du treizième siècle, le „Roman de la Rose" opposa victorieusement la froide allégorie, les jeux de mots, le luxe des allusions et des équivoques à la verve naïve des romans de chevalerie. Ce fut pour deux siècles le modèle de la „grande poésie" des Français. En même temps, la poésie lyrique des chevaliers, exclue du domaine de la pensée sérieuse par l'influence cléricale, dégénérait en un jeu futile de l'esprit, en cliquetis de mots, et en broderie assez insipide d'allégories. Le progrès national qui se cachait sous cette décadence du moyen âge poétique, n'a laissé de traces littéraires que dans l'historiographie et dans la renaissance du Drame, qui coïncide dans l'Europe moderne avec la dissolution de la société féodale et l'apparition de la bourgeoisie parmi les éléments constitutifs des états. Au quatorzième siècle, la féodalité française, prête à disparaître, trouva dans l'ingénieux chroniqueur Froissard l'Homère de ses luttes; un siècle plue tard, l'historien de Louis XI, Philippe de Comines, inaugura l'ère de la politique moderne dont l'historiographie appuie plus sur l'explication des motifs mie sur la rifiniture dea faits. Le drame fraurais. nui net ln
8 grande'création littéraire du quatorzième siècle, nacquit, comme jadis le drame des Grece, des cérémonies et des solennités du culte. Dès le onzième siècle le peuple chrétien voyait avec ravissement les miracles de la religion se reproduire pour ainsi dire sous ses yeux dans les églises. C'était à Noël l'office de la Crèche, celui de l'Etoile ou des trois Mages au jour de l'Epiphanie, celui du sépulcre ou des trois Maries à Pâques. Les fêtes des Saints donnèrent lieu à l'invention des „Miracles", célébrant les faits et les souffrances des martyrs dont on fêtait l a mémoire. Le goût de jeux scéniques burlesques, qui partout au midi de l'Europe avait survécu au drame classique, mêla de bonne heure des passe-temps assez mondains à ces saintes représentations. Les Saturnales antiques eurent leur équivalent dans la „fête des fous", où l'on déposait, pour quelques heures du moins, les puissances de la terre en parodiant les paroles du psaume: „deposuit potentes de sede et exaltavit humiles", et où l'esprit populaire prenait sa revanche des princes de l'Eglise. Au quatorzième siècle, tous ces éléments du drame moderne s'organisèrent pour faire éclore les coups d'essai de l'art dont la tâche est: „de montrer l'essence et le véritable corps de l'époque, sa forme et son caractère." Indépendamment de l'office divin, les „Confrères de la Passion", société d'acteurs privilégiée par Charles VI, jouèrent pour l'amusement de la foule dés „mystères", pièces d'une étendue monstrueuse, enfermant toute l'histoire sainte et entremêlées de scènes mondaines et bouffonnes. La science scolastique, encouragée par cet exemple, se réflétait bientôt, (dès le commencement du cinquième siècle), dans les „Moralités" qui étaient pour le drame ce que le Roman de la Rose avait été pour l'épopée du moyen âge. Les „ Clercs de la Bazoche", corps d'avocats, en eurent le privilège. Enfin les „Farces", pièces bouffonnes et satiriques, représentées par la société des „Enfants sans Soucy", préludèrent à la comédie française. C'étaient donc partout des tentatives qui témoignaient d'un riche fonds de vitalité dans la nation. Une fermentation générale se faisait sentir dans les éléments qui avaient formé la société du moyen âge. Tous les pouvoirs constitués ne semblaient attendre que le souffle de l'avenir pour faire place à un nouvel ordre de choses. La chevalerie française avait laissé sur les champs de bataille de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt plus que son sang. Elle y avait perdu le sentiment de la force, et la royauté, appuyée sur la bourgeoisie, sur des troupes mercénaires et sur son système financier, était prête à saisir l'héritage de la féoda-
9 lité. L'église, travaillée par l'esprit de «science et entamée par le relâchement de la discipline, ne semblait se soucier que de se maintenir en possession de ses immenses avantages matériels. Et comme dans l'Etat, la politique avait succédé à l'esprit chevaleresque, comme dans les âmes, les subtilités de la scolastique avaient remplacé la foi naïve du vieux temps, la poésie aussi, d'enthousiaste et passionnée, était devenue à la fois recherchée, artificielle et grossière. Il fallait une grande secousse pour en débrouiller les éléments confus et en faire sortir l'art national de la France moderne. 6. Cette secousse survint presque simultanément du midi et du nord. Elle remua de fond en comble la société française, se fit sentir avec une force égale dans les rapports de la vie matérielle, dans les travaux de l'esprit et dans les idées morales, et n'aboutit à constituer la France moderne qu'après avoir fait courir à la nation toutes les chances terribles de la guerre civile et de la discorde religieuse. D'abord ce ne fut qu'un réveil donné par le contact de la civilisation italienne aux hautes classes et à l'élite des gens lettrés. On sait que les grandes impulsions politiques et industrielles du quatorzième et du quinzième siècle avaient d'abord et le plus profité à l'Italie, fille aînée de l'antiquité, favorisée par les traditions séculaires d'une vieille civilisation, par une heureuse position géographique, par un climat délicieux, par le voisinage de la Grèce et par un système politique qui, entre le choc des grands pouvoirs du moyen âge, avait fait éclore un grand nombre de communautés indépendantes, et qui rappellaient à plus d'uu égard la Grèce antique, à l'époque de sa liberté et de sa puissance. La noblesse française qui y accourut sous les drapeaux de Charles VIII, de Louis XII et de François I, (depuis la fameuse expédition de Naples, 1494,) y connut les raffinements du luxe, enrichi et ennobli par les merveilles des arts, et ne tarda pas à profiter de ces modèles. La France commença à se couvrir d'élégants palais dans le goût italien. La Muette, St. Germain, Villers-Cotterets, Chantilly, Follembray, Chambord et d'autres éclipsèrent les vieux manoirs du moyen âge, et les artietes et les érudits y accoururent avec les grands seigneurs et les belles dames. Car l'Italie marchait alors à la tête de l'Europe par les travaux de la pensée aussi bien que par l'élan de l'imagination et l'élégance des moeurs. Elle venait de féconder les germes de son antique érudition en donnant une hospitalité richement récompensée aux savants
10 ritaient contre l'invasion des Turcs. L'imprimerie, importée de l'Allemagne immédiatement après son invention, avait multiplié ces trésors et ceux des vieilles bibliothèques de l'Italie, et un torrent de lumières sortit de ces reservoirs sacrés pour se répandre sur le reste de l'Europe. La France fut des premières à en profiter et à ν ajouter du sien. Déjà en 1458, Grégoire (le Tifcrno, (Napolitain), fut admis dans le sein de l'université de Paris, comme professeur de grec et de rhétorique. C'est d'un de ses disciples que notre fameux Reuchlin apprit les éléments du grec. Quelques ans plus tard, George Hennonyme enseignait à Paris la langue de Platon. Fichet, recteur de la Sorbonne, introduisit à Paris l'imprimerie en 14ß9. Bientôt les imprimeurs marchaient de pair avec les savants, comme p. e. Badius, Asceneius, Dolet, l'ami de Rabelais, et les quatre générations des Etienne dont l'un, Henri Etienne, traduisit le nouveau testament en allant à cheval de Paris à Lyon, et nous a laissé un „thesaurus linguae Graecae" qui jusqu'à ce jour est la base de tous les dictionnaires de cette langue. Sous François premier, „le pére des lettres", et sous ses successeurs, l'enthousiasme des études classiques s'empara jusqu'aux courtisans et aux femmes élégantes: et ce fut pendant cette effervescence générale des esprits que la France sentit à son tour le contre-coup du grand mouvement religieux de l'Allemagne. Jean Calvin, (1509—1560), devint l'apôtre de la réforme pour sa patrie. Son „Institution de la religion chrétienne", dédiée à François premier, en 1535, fut le còde du protestantisme en France, en Ecosse, en Hollande et dans la Suisse française. Il entraîna une partie des Français par l'esprit d'ordre et d'organisation qui règne dans ses doctrines. Mais son caractère dur et austère, contraire au génie sociable et peut-être un peu léger de sa nation, fit à la longue avorter la réforme en France. Ce pays en fut quitte pour sept guerres religieuses et pour la subordination définitive de la religion aux intérêts politiques et littéraires. — La littérature française a subi pendant le seizième siècle l'influence de tous ces éléments novateurs. Sous François I, Marot et son école unirent l'élégance italienne au vieux asprit gaulois. Plus tard, sous Charles IX, les études classiques firent mitre, comme leur premier fruit un peu hatif, la poésie savante de Ronsard et de ses amis de „la Pléiade". Les luttes politiques et religieuses de l'époque inspirèrent l'éloquence de Théodore Bèze, de Françoii Hotman, de Hubert Languet, de la Ramée, de la „Satire Ménippée" etc., et le bon sens scrutateur, satirique et un peu égoïste de la vieille France
11 créa au milieu de cette fermentation chaotique deux chefs d'oeuvre de génie et de style qui, seuls de tout ce que ce siècle si agité a produit, ont définitivement enrichi la „grande littérature française". Ce sont „le Gargantua" de Rabelais et „les Essays" de Montaigne. Ënfin le dix-septième siècle trouva la France en possession d'un système politique et religieux qui était issu du caractère même de la nation, enrichie de l'érudition de la „renaissance" et prête à s'élancer de toutes ses forces dans la carrière de travaux glorieux qui s'ouvrit devant elle par l'établissement de la monarchie absolue, la consolidation de la paix intérieure et l'accroissement de la puissance nationale qui en devait résulter.
LA LITTÉRATURE DU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE. (cf. @ef$invie. Quand avecque la force 011 perd aussi la vie. Sire, que l'âge apporte aux hommes généreux Avecque la faiblesse un destin malheureux! Moi, dont les longs travaux ont acquis tant ile gloire, Moi, que jadis partout a suivi la wctoire. Je nie vois aujourd'hui, pour avoir trop vécu. Recevoir un affront, et demeurer vaincu. Ce que n'a pu jamais combat, siège, embuscade. Ce que n'a pu jamais Aragon, ni (irénade, Ni tous vos ennemis, ni tous mes envieux. L'orgueil dans votre cour l'a fait presque Λ vos yeux, Et souillé sans respect l'honneur de ma vieillesse, Avantagé de l'âge, et fort de ma faiblesse. Sire, ainsi ces cheveux blanchis sous le harnois. Ce sang pour vous servir prodigué tant de fois, Ce liras jadis l'effroi d'une année ennemie, Descendraient au tombeau tous chargés d'infamie. Si je n'eusse produit un fils digne de moi, Digne de son pays et digne de son roi. 11 m'a prêté sa main, il a tué le comte; Il m'a rendu l'honneur, il a lavé 111a honte. Si montrer du courage et du ressentiment, Si venger un soufflet mérite un châtiment, Sur moi seul doit tomber l'éclat de la tempête. Quand le bras a failli, l'on en punit la tête. Du crime glorieux qui cause nos débats, Sire, j'en suis la tète, il n'en est que le bras. Si Chimène se plaint qu'il a tué sou père, Il ne l'eût jamais fait si je l'eusse pu faire. Immolez donc ce chef que les ans vont ravir, Et conservez pour vous le bras qui peut servir. Aux dépens de mon sang satisfaites Chimène; Je n'y résiste point, je consens à ina peine. Et loin de murmurer d'un injuste décret, Mourant sans déshonneur je mourrai sans regret. Le Roi. L'affaire est d'importance, et bien considérée, Mérite en plein conseil d'être délibérée. Don Sanche, leinetlez Chimène en sa maison. Don Diègue aura ma cum· et sa loi pour prison. Qu'oïl 111e cherche son Iiis. Je vous ferai justice. T r o i s « U r l i » .1.· l.i l i i r , i-.iinr.
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34 Chimène. Il est juste, grand roi, q u ' u n m e u r t r i e r périsse. Le R o i . P r e n d s du repos, nia lille, et calme tes d o u l e u r s . Chimène. M ' o r d o n n e r du r e p o s , c'est c r o î t r e mes meilleurs.
Dans la troisième scène du troÎMènir acte Cliiiuètie s'explique qui déterminent H$te ic. p. 1 9 7 - 2 0 8 . )
Jean Baptiste Poquelin („Molière" n'est que son nom d'acteur et d'écrivain) naquit à Paris 1620. Jusqu'à l'âge de quatorze ans il jouit de l'éducation modeste qui devait le mettre en état de continuer le métier de son père, fripier et valet de chambre tapissier du roi. Plus tard on accorda à ses instances quelques années d'études libérales au collège Clermont où il s'inspira des principes du célèbre mathématicien et philosophe épicurien Gassendi. La nécessité de remplir les fonctions de son père, affaibli par l'âge, pendantun voyage de la cour au midi de la France, interrompit ces études en 1641. De retour à Paris, on le voit essayer son talent de comédien parmi les jeunes gens de la troupe de „l'illustre théâtre". Il résolut alors de se livrer tout entier à l'art dramatique, et suivant la coutume des acteurs de son temps, il changea de nom, et s'appela „Molière". Douze ans de courses à travers les provinces de la France, faites à la tête d'une troupe de comédiens, achevèrent son éducation, et donnèrent à son génie, naturellement bon et naïf, la finesse d'observation et d'expérience qu'il fallait au peintre futur des moeurs do son temps. Comme auteur, il commença pendant cette époque de sa vie par imiter les farces italiennes dans des pièces comme „le Médecin volant" et „la jalousie de Barbouillé" premiers crayons du „Médecin malgré lui" et de „George Dandin". Parmi ses pièces imprimées, „l'Etourdi" (1G57) et „Le dépit amoureux" sont de ce genre et de ce temps. En 1G58, une représentation donnée au Louvre (24 Octobre) lui valut la permission du roi de s'établir avec sa troupe à Paris, au centre de la société française, et un peu plus tard (1659) le succès immense des „Précieuses ridicules", (pièce composée à quelques ans de là, en province), lui révéla sa vocation d'être le peintre et le censeur des moeurs de son temps. La vivante reproduction de la société française, vue de l'oeil du critique bienveillant, mais libre et franc, voilà désormais la tâche qu'il se propose. Subissant comme Racine l'impulsion de son époque, il fit de la cour un sujet principal de ses études. Ce qu'il y avait de plus intéressant et de plus fécond pour lui, c'étaient les femmes. Les „Précieuses ridicules" (1659) et plus tard „les Femmes savantes" (1672) s'attaquent à une certaine teinte pédantesque qui, vers le milieu du 17';'me siècle, menaçait d'en gâter les grâces naturelles. Le „Misanthrope" (1666)
69 leur dit leurs vérités sur leur coquetterie. En revanche, „l'École des maris" (1661) et „l'École des femmes" (1662) en défendent la dignité et le droit vis-à-vis de l'égoïsme et de la vanité ridicule des hommes. Un type non moins fécond que lui offrait la cour, c'étaient ceux des grands seigneurs qui n'avaient de noble que leur naissance. Il en saisit et peint impitoyablement les ridicules en nous montrant ces marquis „qui arrivent à la chambre du roi avec cet air qu'on nomme le bel air, peignant leur perruque et grommelant une petite chanson entre les dente ; la la la etc. Rangez-vous donc, vous autres, car il faut du terrain à deux marquis, et ils ne sont pas gens à tenir leur personne en petit espace." (cf. L'Impromptu de Versailles, 1663.) Les „Fâcheux", (1660), varient le même air, et en général il y a peu de comédies de Molière où le „marquis ridicule" n'occupe son coin. Au reste, pour se faire pardonner ces hardiesses plébéiennes, Molière a toujours soin de faire ses réserves en faveur des „vrais nobles", et de consoler la cour par les coups qu'il frappe siir les ridicules de la province et sur l'insolence des parvenus. La „Comtesse d'Escarbagnae" (1671), faisait pardonner „l'Impromptu de Versailles", et „le Bourgeois gentilhomme" (1670) et „George Dandin" (1668) guérissaient les blessures faites par les „Fâcheux". Enfin, le „grand siècle" était aussi une époque de classicisme et de dévotion, et Molière ne l'a pas oublié. Les Vadius, les Trissotin de ses „Femmes savantes", les médecins „doctissimes" de tant de ses comédies (cf. Msr. de Pourceaugnac, 1669, le Malade imaginaire 1673), divertissaient le public aux frais du pédantisme sot et frivole. Et, bien que Molière respectât sincèrement la religiosité véritable, il n'en a pas moins lancé son trait le plus acéré contre le pédantisme qui défigure la religion, et contre l'hypocrisie qui l'outrage, dans son „Tartuffe" (1667), la plus puissante de ses oeuvres et celle dont la popularité a survécu à toutes les révolutions des opinions et du goût. Pour la forme, les pièces de Molière sont en partie imitées des imbroglios espagnols (p. e. l'Étourdi, 1653, le dépit amoureux, 1656), des „lazzi" des Italiens (p. e. les fourberies de Scapin. Mnsr. de Pourceaugnac), ou des comédies de Plaute et de Térence (p. e. Amphitryon, l'Avare, l'École des maris, l'École des femmes). Mais la méthode de ses „pièces de caractères" est de son pays et de son époque, et il la partage avec Corneille et Racine. Au contraire de Sbakspeare et des maîtres du drame allemand, ce n'est pas de la
70 réalité des hommes et des choses qu'il fait ressortir les idées générales, mais il saisit une qualité d'an individu, en anéantit par la pensée toutes les autres, et la met ensuite en action et quelquefois en plaidoirie et en procès avec les qualités opposées. Tellement ses personnages, comme ceux de Corneille et de Racine, ne sont pas des individus vivants dont le poète nous fasse pénétrer les sentiments et les idées les plus intimes, et qui ne se distinguent des hommes ordinaires que par leur nature plus riche et plus puissante et par leurs traits plus finement dessinés; ce sont plutôt des abstractions vivifiées par le génie, mais qui vivent en effet de cette vie toute artificielle, pareeque l'observation du poète est fine et juste, que la verve en est brillante et chaude, la gaité intarissable, et que les conceptions en sont piquantes et hardies. Le sort de Molière aurait été des plus heureux, si la sensibilité et l'imagination vive et étendue qui font le charme de ses comédies ne s'étaient tournées contre lui dans les relations de sa vie intime. Il était protégé par le roi qu'il savait amuser, et par les grands qui s'empressaient d'imiter leur maître. Son théâtre avait la vogue, ses acteurs, (rare bonheur pour un principal de théâtre), le révéraient comme un père et l'aimaient comme un ami, et Boileau, le critique souverain du temps, lui était attaché d'une amitié inaltérable, et soutenait sa renommée contre les envieux. Mais Molière, le grand connaisseur du coeur humain, le censeur impitoyable du ridicule, ne sut pas éviter une faiblesse fatale dont personne peut-être ne s'était plus cruellement moqué que lui. A l'âge de 40 ans, il épousa une jeune actrice de 16 ans, Mlle Béjart, qui lui fit jouer chez lui les rôles des Arnolphe et des George Dandin de ses comédies. On prétend que Molière s'est peint en pärtie lui-même dans le rôle de son misanthrope „Alceste", que souvent son coeur saignait, quand son génie prodiguait les trésors de sa gaîté sympathique. Il mourut, comme un brave soldat qui meurt sur le champ de bataille, en faisant son métier et fidèle à son drapeau. La représentation du „Malade imaginaire", une des plus gaies de ses pièces, épuisa ses forces. Un spasme dangereux lui prit sur la scène même. On l'emporta chez lui où peu d'heures après un coup de sang mit fin à sa vie, 17 février 1672.
71
LE
MISANTHROPE. COMÉDIE.
(1666.)
PERSONNAGES. A l c e s t e . amant de Celimene. P h i l i n t e , ami d'Alceste. O r o n t e , amant de Oélimcne. C e l i m e n e , amante d'Alceste. É l i an t e , cousine de Célimène, A r s i n e , amie de Célimène. marquis. B a s q u e , valet de Célimène. Un g a r d e de la m a r é c h a u s s é e D u b o i s , valet d'Alceste.
de
France.
L a scène est a Paris, dans la maison de Célimène.
ACTE PREMIER. SCÈNE P R E M I È R E .
Philinte, Alcesle. Qu'est-ce donc?
Philinte. qu'avez-vous? Alcesle
assis.
Laissez-moi, j e vous prie. Philinte. Mais encore, d i t e s - m o i , quelle bizarrerie . . . Alceste. Laissez-moi
là, vous dis-jc, et courez-vous
cacher.
Philinte. Mais on rnteml
les gens au moins sans se fâcher. Alceste.
Moi,
je veux nie fâcher, et ne veux point
entendre.
Philinte. Dans vos brusques chagrins j e ne puis vous
comprendre,
Et, quoique amis, enfin, j e suis tout des premiers . . . Alcesle, Moi, J'ai
se levant brusquement.
votre, a m i ? Rayez cela de vos papiers. fait jusques
ici profession de l ' ê t r e ;
Mais après ce qu'en vous j e viens de voir Je
paraître,
vous déclare net que j e n e le suis plus,
E t ne veux nulle place eu des coeurs
corrompus.
Philinte. J e suis donc bien coupable, Alceste, à votre
compte?
72 Alceste. Allez, vous devriez mourir de pure limite, Une telle action ne saurait s'excuser, Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser. Je vous vois accabler un homme de caresses Et témoigner pour lui les dernières tendresses; De protestations, d'offres et de serments Vous chargez la fureur de vos embrassements: El quand je vous demande après quel est cet homme, λ peine pouvez-vous dire comme il se nomme; Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant, Et vous me le traitez, à moi, d'indifférent. Morbleu! c'est une chose indigne, lâche, infime, De s'abaisser ainsi jusqu'à trahir son Âme; Et si, par un malheur, j'en avais fait autant. Je m'irais, de regret, pendre tout à l'instant. Philinte. Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable, Et je vous supplierai d'avoir pour agréable Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt, Et ne me pende pas pour cela, s'il vous plail. Alceste. Que la plaisanterie est de mauvaise grâce! Philinte. Mais sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse? Alceste. Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur On ne lâche aucun mot qui ne parte du coeur. Philinte. Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie, 11 faut bien le payer de la même monnoie. Répondre comme on peut à ses empressements Et rendre offre pour offre, et serments pour serments. Alceste. Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode; Et je ne hais rien tant que les contorsions De tous ces grands faiseurs de protestations, Ces affables donneurs d'embrassades frivoles, Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles, Qui de civilités avec tous font combat, Et traitent du même air l'honnête homme et le lat. Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse, Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse, Et vous fasse de vous un éloge éclatant, Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant? Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située Qui veuille d'une estime ainsi prostituée; Et la plus glorieuse a des régals peu chers, Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers:
73 Sur quelque préférence une estime se fonde, Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde. Puisque vous y donnez dans ces vices du temps, Morbleu! vous n'êtes pas pour être de mes gens; J e refuse d'un coeur la vaste complaisance Qui ne fait de mérite aucune différence; J e veux qu'on me distingue; et, pour le trancher net, L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait. Philinle. Mais, quand on est du monde, il faut bien que l'on rende Quelques dehors nvils que l'usage demande. Alceste. Non, vous dis-je; on devrait châtier sans pitié Ce commerce honteux de semblant d'amitié. J e veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre Le fond de notre coeur dans nos discours se montre, Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments Ne se masquent jamais sous de vains compliments. Philinte. Il est bien des endroits où la pleine franchise Deviendrait ridicule, et serait peu permise; Et parfois, n'en déplaise à votre austère honneur, 11 est bon de cacher ce qu'on a dans la coeur. Serait-il à propos, et de la bienséance, De dire à mille gens tout ce que d'eux l'on pense? Et quand on a quelqu'un qu'on hait ou qui déplaît, Lui doit-on déclarer la chose comme elle est? Alceste. Oui Philinte. Quoil Vous iriez dire à la vieille Emilie Qu'à son âge il sied mal de faire la jolie, Et que le blanc qu'elle a scandalise chacun? Alceste. Sans doute. Philinle. A Dorilas, qu'il est trop importun; Et qu'il n'est, à la cour, oreille qu'il ne lasse A conter sa bravoure et l'éclat de sa race? Alceste. Fort bien. Philinte. Vous vous moquez. Alceste. J e ne me moque point, Et j e vais n'épargner personne sur ce point. Mes yeux sont trop blessés, et la cour et la ville Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffcr la bile; J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond, Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font.
74 Je ne trouve partout que lâche flatterie, Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie: Je n'y puis plus tenir, j'enrage; et mon dessein Est de rompre en visière à tout le genre humain. Philinte. Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage. Je ris des noirs accès où je vous envisage, Et crois voir en nous deux, sous mêmes soins nourris. Ces deux frères que peint l'École d e s m a r i s , Dont . . . Alceste. Mon Dieul laissons-là vos comparaisons fades! Philinte. Non, tout de bon, quittez toutes ces incartades. Le monde par vos soins ne se changera pas: El, puisque la franchise a pour vous tant d'appas, Je vous dirai tout franc que celte maladie, Partout où vous allez, donne la comédie, El qu'un si grand courroux contre les moeurs du temps Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens. Âlceste. Tant mieux, morbleu 1 tant mieux, c'est ce que je demande. Ce m'est un fort bon signe, et ma joie en est grande. Tous les hommes me sont à tel point odieux, Que je serais fâché d'être sage à leurs yeux. Philinte. Vous voulez un grand mal à la nature humaine. Alceste. Oui, j'ai conçu pour elle une effroyable haine. Philinle. Tous les pauvres mortels, sans nulle exception, Seront enveloppés dans cette aversion? Encore en est-il bien, dans le siècle où nous sommes . . . Alceste. Non, elle est générale, et je hais tous les hommes; Les uns pareequ'ils sont méchants et malfaisants, Et les autres, pour être aux méchants complaisants, El n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses Que doit donner le vice aux âmes vertueuses. De cette complaisance on voil l'injuste excès Pour le franc scélérat avec qui j'ai procès. Au travers de son masque on voit à plein le traître; Partout il est connu pour loul ce qu'il peut être; Et ses roulements d'yeux, et son ton radouci, N'imposent qu'à des gens qui ne soni pas d'ici. On sait que ce pied-plat, digne qu'on le confonde, Par de sales emplois s'est poussé dans le monde, Et que par eux son sort de splendeur revêtu, Fait gronder le mérite et rougir la vertu. Quelques titres honteux qu'en tous lieux on lui donne,
75 Sou misérable honneur ne voit pour lui personne : Noinmez-lc fourbe, infâme et scélérat maudit, Tout le monde en convient, et nul n'y contredit. Cependant sa grimace est partout bien venue; On l'accueille, on lui rit, partout il s'insinue; Et s'il est, pnr la brigue, un rang à disputer, Sur le plus honnête homme on le voit l'emporter. Tète-bleue! ce me sont de mortelles blessures, De voir qu'avec le vice on garde des mesures; El parfois il me prend des mouvements soudains, De fuir dans un désert l'approche des humains. Philinte. Mon dieu! des moeurs du temps mettons-nous moins en peine, Et faisons un peu grâce à la nature humaine; Ne l'examinons point dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts avec quelque douceur. Il faut, parmi le monde, une vertu traitable: A force de sagesse on peut être blâmable. La parfaite raison fuit toute extrémité, El veut que l'on soit sage avec sobriété. Celte grande roideur des vertus des vieux âges Heurte trop notre siècle et les communs usages; Elle veut aux mortels trop de perfection : II faul fléchir au temps sans obstination; Et c'est une folie à nulle autre seconde De vouloir se mêler de corriger le monde. J'observe, comme vous, cent choses tous les jours Qui pourraient mieux aller prenant un autre cours; Mais quoi qu'à chaque pas je puisse voir paraître, En courroux, comme vous, on ne me voit point être; J e prends tout doucement les hommes comme ils sont, J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font; Et je crois qu'à la cour, de même qu'à la ville, Mon flègme est philosophe autant que votre bile. Alceste. Mais ce flègme, monsieur, qui raisonne si bien, Ce flègme pourra-l-il ne s'échauffer de rien? Et s'il faut, par hazard, qu'un ami vous trahisse, Que pour avoir vos biens on dresse un artifice, Ou qu'on lâche à semer de méchants bruits de vous, Verrez-vous tout cela sans vous mettre en Courroux? Philinte. Oui, je vois ces défauts dont votre âme murmure, Comme vices unis à l'humaine nature; Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé De voir un homme fourbe, injuste, intéressé, Que de voir des vautours affamés de carnage, Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage. Alceste. Je me verrai trahir, mettre en pièces, voler,
76 Saos que je sois . . . . Morbleu! je ne veux point parler, Tant ce raisonnement est plein d'impertinence! Philinte. Ma foi, vous feriez bien de garder le silence. Contre votre partie éclatez un peu moins, Et donnez au procès une part de vos soins. Alceste. Je n'en donnerai point, c'est une chose dite. Philinte. Mais qui voulez-vous donc qui pour vous sollicite? Qui je veux?
Alceste. La raison, mon bon droit, l'équité.
Philinte. Aucun juge par vous ne sera visité? Non.
Alceste. Est-ce que ma cause est injuste ou douteuse?
Philinte. J'en demeure d'accord; mais la brigue est fâcheuse, Et . . . Alceste. Non. J'ai résolu de n'en pas faire un pas. J'ai tort, ou j'ai raison. Philinte. Ne vous y fiez pas: Alceste. Je ne remuerai point. Philinte. Votre partie est forte, Et peut, par sa cabale, entraîner . . . . Alceste. Il n'importe. Philinte. Vous vous tromperez. Alceste. Soit. J'en veux voir le succès. Philinte. Mais . . . Alceste. J'aurai le plaisir de perdre mon procès. Philinte. Mais enfin . . . A lcesle. Je verrai dans cette plaiderie, Si les hommes auront assez d'effronterie, Seront assez méchants, scélérats, et pervers, Pour me faire injustice aux yeux de l'univers. Philinte. Quel homme 1
77 Alceste. Je voudrais,
m'en coûtât-il
grand'chose,
P o u r la beauté (lu Tait avoir perdu nia cause. Phil inte. On se rirait de vous, Alceste, tout de bon, Si l'on vous entendait parler de la façon. Alceste. Tant pis pour qui
rirait. Philinte. Mais cette rectitude
Que vous voulez en tout avec
exactitude,
Cette pleine droiture oil vous vous renfermez, La t r o u v e z - v o u s ici dans ce que vous aimez? Je m'étonne, pour moi, qu'étant, c o m m e il l e semble, V o u s et le genre humain, si fort brouillés Malgré tout ce qui peut vous le rendre
ensemble,
odieux.
V o u s ayez pris chez lui c e qui charme vos
yeux;
E t ce qui me surprend encore davantage, C'est cet étrange choix où votre c o e u r s'engage. L a sincère Éliante a du penchant p o u r
vous,
L a prude Arsinoé vous voit d'un oeil fort d o u x : Cependant à leurs voeux votre i m e se refuse, Tandisqu'en ses liens Célimène
l'amuse,
De qui l'humeur coquette et l'esprit médisant Semblent si fort donner dans les moeurs d'à
présent.
D'où vient que, leur portant une haine m o r t e l l e , Vous pouvez bien souffrir c e qu'en tient cette b e l l e ? N e s o n t - c e plus défauts dans u n objet si d o u x ? Ne les v o y e z - v o u s pas, ou les
excusez-vous? Alceste.
Non.
L ' a m o u r que je sens p o u r cette jeune
veuve
Ne ferme point mes yeux aux défauts q u ' o n lui Et je suis, quelque ardeur qu'elle m ' a i t pu
treuve;
donner,
L e premier ì les voir, c o m m e à les condamner. Mais avec tout cela, quoi q u e j e puisse faire, Je confesse mon faible; elle a l ' a r t de me
plaire:
J'ai beau voir ses défauts, et j'ai beau l ' e n
blâmer,
En dépit qu'on en ait, elle se fait aiiner; Sa grâce est la plus f o r t e ; et sans doute ma De ces vices du temps pourra purger son
flamme
âme.
Philinte. Si vous faites cela, vous ne ferez pas peu. Vous croyez être donc aimé
d'elle? Alceste. Oui,
parbleu!
Je ne l'aimerais pas, si je ne croyais l'être. Philinte. Mais si son amitié pour vous se fait paraître, D'où vient que vos rivaux vous causent de l ' e n n u i ?
78 Alceste. C'est qu'un coeur bien atteint veut qu'on soit tout à lui, Et je ne viens ici qu'à dessein de lui dire Tout ce que là-dessus ma passion m'inspire. Philinte. Pour moi, si je n'avais qu'à former des désirs, Sa cousine Éliante aurait tous nies soupirs; Son coeur, qui vous estime, est solide et sincère, Et ce choix plus conforme était mieux votre affaire. Alceste. Π est vrai: ma raison me le dit chaque jour. Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour. Philinte. Je crains fort pour vos feux, et l'espoir où vous êtes Pourrait . . . . SCÈNE Π.
Oronie, Alceste,
Philinte.
Oronte, grand seigneur de la cour, offre à Alceste son amitié et lui demande la sienne. Comme Alceste parle de la nécessité de se bien connaître avant de serrer un noeud si sacré, il l'approuve, se déclare enchanté de la sincérité de cet aveu, et pour commencer le commerce intime et franc qu'il prétend vouloir lier avec son interlocuteur, il lui demande son avis sur un sonnet de sa façon. Alceste s'y refuse encore. A lceste. Monsieur, je suis mal propre à décider la chose. Veuillez m'en dispenser. Oronte. Pourquoi? Alceste. J'ai le défaut D'être un peu plus sincère en cela qu'il ne faul. Oronte. C'est ce que je demande; et j'aurais lieu de plainte, Si m'exposant à vous pour me parler sans feiute Vous alliez me trahir, et me déguiser rien. Alceste. Puisqu'il vous plaît ainsi, monsieur, je le veux liien. Oronte. Sonnet. C'est un sonnet. L ' E s p o i r . . . c'est une dame, Qui de quelque espérance avait flatté ma flamme. L'espoir . . . Ce ne sont point de ces grands vers pompeux, Mais de petits vers doux, tendres et langoureux. Alceste. Nous verrons bien. Oronte. L'espoir . . . Je ne sais si le style Pourra vous en paraître assez net et facile, Et si du choix des mots vous vous contenterez, Alceste. Nous allons voir, monsieur.
79 Oronte. Au reste, vous saurez Que je n'ai demeuré qu'un quart d'heure à le faire. Alceste. Voyons, monsieur, le temps ne fait rien à l'affaire. O r o n t e (lit). L'espoir, il est vrai, nous soulage, Et nous berce un temps notre ennui; Mais, Philis, le triste avantage, Lorsque rien ne marche après luil Philinte. Je suis déjà charmé de ce petit morceau. A l c e s t e (bas à Philinte). Quoi? vous avez le front de trouver cela beau? Oronte. Vous eûtes de la complaisance: Hais vous en deviez moins avoir, Et ne vous pas mettre en dépense Pour ne me donner que l'éspoir. Philinte. Ahl qu'en termes galants ces choses là sont misesI A l c e s t e (bes à Philinte). Morbleu! vil complaisant, vous louez des sottisesl Oronte. S'il faut qu'une attente étemelle Pousse à bout l'ardeur de mon zèle, Le trépas sera mon recours. Vos soins ne m'en peuvent distraire: Belle Philis, on désespère Alors qu'on espère toujours. Philinte. La chute en est jolie, amoureuse, admirable. A l c e s t e . (bes, it part). La peste de ta chute, empoisonneur, au diable! En eusses-tu fait une à te casser le nez! Philinte. Je n'ai jamais ouï des vers si bien tournés. A l c e s t e (bas, à part). Morbleu ! O r o n t e (à Philinte). Vous me flattez; et vous croyez peut-être . . . Philinte. Non, je ne flatte point. A l c e s t e (bas, à part). Eh! que fais-tu donc, traître? O r o n t e (à Alceste). Hais pour vous, vous savez, quel est notre traité. Parlez-moi, je vous prie, avec sincérité. Alceste. Monsieur, cette matière est toujours délicate.
80 Et sur le bel esprit nous aimons qu'on nous flatte. Hais un jour, à quelqu'un dont je tairai le nom, Je disais en voyant des vers de sa façon, Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire: Qu'il doit tenir la bride aux grands empressements Qu'on a de faire éclat de tels amusements; Et que, par la chaleur de montrer ses ouvrages, On s'expose à jouer de mauvais personnages. Oronte. Est-ce que vous voulez me déclarer par là Que j'ai tort de vouloir . . . . Alceste. Je ne dis pas cela. Hais je lui disais, moi, qu'un froid écrit assomme; Qu'il ne faut que ce faible à décrier un homme; Et qu'eût-on d'autre part cent belles qualités. On regarde les gens par leurs méchants côtés. Oronte. Est-ce qu'à mon sonnet vous trouvez à redire? Alceste. Je ne dis pas cela. Hais pour ne point écrire, Je lui mettais aux yeux comme, dans notre temps, Cette soif a gîté de fort honnêtes gens. Oronte. Est-ce que j'écris mal? et leur ressemblerais-je? Alceste. Je ne dis pas cela. Hais enfin lui disais-je, Quel besoin si pressant avez-vous de rimer? Et qui diautre vous pousse à vous faire imprimer? Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livre. Ce n'est qu'aux malheureux qui composent pour vivre. Croyez-moi, résistez à vos tentations, Dérobez au public ces occupations, Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme, Le nom que dans la cour vous avez d'honnête hoinme, Pour prendre, de la main d'un avide imprimeur, Celui de ridicule et misérable auteur. C'est ce que je tâchai de lui faire comprendre. Oronte. Voilà qui va fort bien et je crois vous entendre. Hais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet . . . Alceste. Franchement, il est bon à mettre au cabinet '). l ) Un grand nombre de termes out vieilli depuis Molière, et leur signification a été considérablement altérée. A cette époque, le mot de „ c a b i n e t " exclusivement consacré à un lieu de recueillement et d'étude, n'avait point encore été détournée à l'acception qu'il a reçue des utiles et commodes innovations de l'architecture moderne. D o temps de Molière des vers bons à m e t t r e au c a b i n e t ne signifiaient autre chose que des vers indignes de voir le jour et de recevoir les honnenrs de l'impression.
81 Vous vous «"tes r é g l é sur de El
vos expressions ne sont Qu'est Et
ce q u e :
que:
Que:
ne
que:
Alors
me
pas
Pliilis,
un
temps
après
mettre
on
modèles,
naturelles.
berce
marche
donner
qu'on
C e s t y l e figuré, Sort
ne
Ne v o u s
Pour Et
Nous
Rien
méchants
point
en
que
dépense,
l'espoir?
toujours?
dont on fait
vanité. vérité;
Ce n ' e s t q u e j e u de uiots, q u ' a f f e c t a t i o n Et
ce n'est point
Le
m é c h a n t g o û t du siècle en cela m e
Et je
ainsi q u e parle la
tout g r o s s i e r s ,
l'avaient
prise bien moins tout
Qu'une
le roi m ' a v a i t
P a r i s , sa g r a n d '
dirais au roi
J'aime
m'en
vais vous
mie,
Paris;
mieux ma m i e ,
Λ gai!
mie.
pas r i c h e et le style en est
Q u e c e s colifichets dont que
le b o n sens
la passion p a r l e là t o u t e Si
le roi
m'avait
P a r i s sa g r a n d ' Et
qu'il me L'amour
Je
vieux:
Voilà
pure?
ville,
de ma votre
mieux
murmure.
donné
fallût
dirais au roi
Reprenez
dire.
Henri:
Mais n e v o y e z - v o u s pas q u e cela vaut bien Et
meilleur;
admire.
quitter
J'aime mieux ma La rime n'est
peur;
ville.
L ' a m o u r de m a Reprenez votre
fait
beaucoup
donné
E t q u ' i l m e fallût Je
pure.
nature.
c e q u e l'on
vieille chanson q u e j e Si
ennui?
désespère,
espère
du b o n c a r a c t è r e et de la
Nos p è r e s ,
notre
lui?
quitter mie, Henri:
Paris;
J'aime
mieux
ma m i e ,
J'aime
mieux nia
mie.
ce que
peut
un c o e u r
dire
ò gai ! vraiment
épris,
(à P h i l i n t e qui rit) Oui, m o n s i e u r le r i e u r , J'estime
malgré
vos b e a u x
plus cela q u e la p o m p e
esprits,
fleurie
De t o u s ces faux brillants o ù chacun
se
récrie.
Comme on le pense bien, Oronte n'est guère édifié de cette sincérité. Il s'y récrie en termes peu obligeants et s'en r a , décidé à en prendre sa revanche à la première occasion. Sans se rebuter à cause de ce succès médiocre de sa méthode, Alceste procède à l'essayer sur Célimène dont il veut guérir la coquetterie et l a médisance. Pendant qu'il y travaille de son mieux, l'arrivée de quelques visiteurs le rend témoin de la conversation à i a mode que v o i c i : T r o i b siècles de la litttirnture f r a n ç a i s e .
I I m e Ed.
6
82 ACTE DEUXIÈME. SCÈNE V. Élianie,
Philinle,
Acaste,
ClUandre,
Alcesle,
Célimène,
Clitandre. Parbleu! Je viens du Louvre, où Cléonte, au lové, Madame, a bien paru ridicule achevé. N a - t - i l point quelque ami qui pAt, sur ses manières, D'un charitable avis lui prêter les lumières? Célimène. Dans le monde, à vrai dire, il se barbouille fort; Partout il porte un air qui saute aux yeux d'abord ; Et lorsqu'on le revoit après un peu d'absence. On le retrouve encor plus plein d'extravagance. Acaste. Parbleu! s'il Taut parler de gens extravagants, Je viens d'en essuyer un des plus fatigants: Damon le raisonneur, qui m'a, ne vòus déplaise, Une heure, au grand soleil, tenu hors de ma chaise. Célimène. C'est un parleur étrange, et qui trouve toujours L'art de ne vous rien dire avec de grands discours; Dans les propos qu'il tient on ne voit jamais goutte, Et ce n'est que du bruit que tout ce qu'on écoute. É l i a n t e (à Philinte). Ce début n'est pas mat: et contre le prochain, La conversation prend un assez bon train. Clitandre. Timante encore, Madame, est un bon caractère. Célimène. C'est de la tête aux pieds un 'homme tout mystère, Qui vous jette, en passant, un coup d'oeil égaré, Et sans aucune affaire, est toujours affairé. Tout ce qu'il vous débite en grimaces abonde; A force de façons, il assomme le monde; Sans cesse il a tout bas, pour rompre l'entretien, Un secret à vous dire, et ce secret n'est rien; De la moindre vétille il fait une merveille, Et jusques au bon jour, il dit tout à l'oreille. Acaste. Et Géralde, madame? Célimène. O l'ennuyeux conteur! Jamais on ne le voit sortir du grand seigneur; Dans le brillant commerce il se mêle sans cesse, Et ne cite jamais que duc, prince ou princesse. La qualité l'entête, et tous ses entretiens Ne sont que de chevaux, d'équipages et de chiens, 0 tutoie en parlant, ceux du plus haut étage, Et le nom de monsieur est chez lui hore d'usage.
Basque.
83 Cl i t a n d r e . On dit qu'avec Belise il est du dernier bien. Cé l i m è n e . Le pauvre esprit de femme, et le sec entretien ! Lorsqu'elle vient me voir, je souffre le martyre ; Il faut suer sans cesse à chercher que lui d i r e ; Et la stérilité de son expression Fait mourir à tous coups la conversation. En vain, pour attaquer son stupide silence, De tous les lieux communs vous prenez l'assistance. Le beau temps et la pluie, et le froid et le chaud Sont des fonds qu'avec elle on épuise bientôt. Cependant sa visite, assez insupportable, Traîne en une longueur encore épouvantable; Et l'on demande l'heure, et l'on bâille vingt fois, Qu'elle grouille aussi peu qu'une pièce de bois. -Acaste. Que vous semble d'Adraste? Célimène. Ah, quel orgueil extrême! C'est un homme gonflé de l'amour de soi-même. Son mérite jamais n'est content de la cour; Contre elle il fait métier de pester chaque jour, Et l'on ne donne emploi, charge ni bénéfice. Qu'à tout ce qu'il se croit on ne fasse injustice. Clitandre. Mais le jeune Cléon, chez qui vont aujourd'hui Nos plus honnêtes gens, que dites-vous de lui? Célimène. Que de son cuisinier il s'est fait un mérite, Et que c'est à sa table à qui l'on rend visite. É l i a n te. Il prend soin d'y servir des mets forts délicats. Célimène. Oui; mais je voudrais bien qu'il ne s'y servit p a s : C'est un fort méchant plat que sa sotte personne, Et qui g î t e , à mon goût, tous les repas qu'il donne.
Célimène semble disposée it continuer encore longtemps snr ce ton. Mais Alceste, qui ne peut plus se retenir, coupe la parole aux deux marquis galants qui applaudissent à ces prouesses d'esprit" de la belle veuve. Aie este. Allons, ferme, poussez, mes bons amis de c o u r ; Vous n'en épargnez point, et chacun a son tour; Cependant aucun d'eux à vos yeux ne se montre, Qu'on ne vous voie en hâte aller à sa rencontre, Lui présenter la main, et d'un baiser flatteur Appuyer les serments d'être son serviteur.
6*
84 Clitandre. Pourquoi s'en prendre à nous? Si ce qu'on dit vous Messe, Π faut que le reproche à madame s'adresse. Alceste Non, morbleu! C'est à vous; et vos ris complais mis Tirent de son esprit tous ces traits médisants. Son humeur satirique est sans cesse nourrie Par le coupable encens de votre flatterie; Et son coeur à railler trouverait moins d'appas. S'il avait observé qu'on ne l'applaudît pas. C'est ainsi qu'aux flatteurs il faut partout se prendre Des vices où l'on voit les humains se répandre. La dispute qui s'engage là-dessus entre Alceste et le reste (le la compagnie est interrompue d'une manière fort fâcheuse pour cet ami de la sincérité, par un exempt qui vient lui annoncer que la maréchaussée de France lui demande raison de sa querelle avec Oronte. Bientôt il trouve de plus graves raisons encore de refléchir sur le mérite de sa méthode de traiter le monde. On lui annonce la perte de son procès, et le poëte profite de cette occasion pour nous faire voir au fond de la pièce et de sa pensée morale.
ACTE CINQUIÈME. SCÈNE I
Alceste,
Phtlinte.
A l c e s te. La résolution en est prise, vous dis-je. Philinte. Mais, quel que soit ce coup, faut-il qu'il vous oblige . . . A Iceste. Non, vous avez beau faire et beau me raisonner; Rien de ce que je dis ne peut me détourner. Trop de perversité règne au siècle où nons sommes, Et je veux me tirer du commerce des hommes. Quoi! contre ma partie on voit tout à la fois L'honneur, la probité, la pudeur et les lois; On publie en tous lieux l'équité de ma cause; Sur la foi de mon droit mon âme .se repose; Cependant je me vois trompé par le succès, J'ai pour moi la justice et je perds mon procès! Un traître, dont on sait la scandaleuse histoire, Est sorti triomphant d'une fausseté noire! Toute la bonne foi cède à sa trahison! Il trouve en m'égorgeant, moyen d'avoir raison! Le poids de sa grimace où brille l'artifice, Renverse le bon droit et tourne la justice! 11 fait par un arrêt couronner son forfait! Et, non content encore du tort que l'on me fait, Il court parmi le monde un livre abominable, E t de qui la lecture est même condamnable;
85 l'ii livre à mériter la dernière rigueur, Dont le fourbe a le front de nie faire l'auteur! El là-dessus on voit Oronte cjui murmure, Et tâche méchamment d'appuyer l'imposture! Lui qui d'un honnête homme à la cour tient le rang, A qui je n'ai rien fait qu'être sincère el franc, Qui me vient malgré moi d'une ardeur empressée, Sur des vers qu'il a faits demander nia pensée; Et parce que j'en use avec honnêteté, El ne le veux trahir, lui, ni la vérité, Il aide à ni'accahler d'un crime imaginaire! Le voilà devenu mon plus grand adversaire! E l jamais de son coeur j e n'aurai de pardon, Pour n'avoir pas trouvé que son sonnet fut bon! Et les hommes, morbleu! sont faits de celte sorte! C'est à ces actions que la gloire les porte! Voilà la bonne foi, le zèle vertueux, La justice el l'honneur que l'on trouve chez eux! Allons, c'est trop souffrir les chagrins qu'on nous forge. Tirons-nous de ce bois et de ce coupe-gorge. Puisque entre humains ainsi vous vivez en vrais loups, Traîtres, vous ne m'aurez de ma vie avec vous. Ρ hilinle. J e trouve un peu bien prompt le dessein où vous êtes; Et tout le mal n'est pas si grand que vous le faites: Ce que votre partie ose vous imputer N'a point eu le crédit de vous faire arrêter; On voit son faux rapport lui-même se détruire, Et c'est une aclion qui pourrait bien lui nuire. Alcesle. Lui? de semblables tours il ne craint point l'éclat: Il a permission d'être franc scélérat; El loin qu'à son crédit nuise son aventure, On l'enverra demain en meilleure posture. Philinte. Enfin, il est constant qu'on n'a point trop donné Au bruit que contre vous sa malice a tourné; De ce côté déjà vous n'avez rien à craindre: Et pour votre procès, dont vous pouvez vous plaindre, Il vous est en justice aisé d'y revenir, Et contre cet arrêt . . . Alceste. Non, j e veux m'y tenir. Quelque sensible tort qu'un tel arrêt me fasse, J e nie garderai bien de vouloir qu'on le casse; On y voit trop à plein le bon droit maltraité, Et je veux qu'il demeure à la postérité Comme une marque insigne, un fameux témoignage De la méchanceté des hommes de notre âge. Ce sont vingt mille francs qu'il m'en pourra coûter;
86 Mais pour vingt mille francs j'aurai droit de pester Contre l'iniquité de la nature humaine, El de nourrir pour elle une immortelle haine. Philinte. Mais enlin . . . Alcesle. Mais enfin vos soins sont superUus. Que pouvez-vous, monsieur, me dire là-dessus? Aurez-vous bien le front de me vouloir, en face, Excuser les horreurs de tout ce qui se passe? Philinte. Non, je tombe d'accord de tout ce qu'il vous plaît. Tout marche par cabale et par pur intérêt; Ce n'est plus que la ruse aujourd'hui qui l'emporte, El les hommes devraient êlre faits d'autre sorte. Mais est-ce une raison que leur peu d'équité, Pour vouloir se tirer de leur société? Tous ces défauts humains nous donnent, dans la vie, Des moyeas d'exercer notre philosophie; C'est le plus bel emploi que trouve la vertu; Et si de probité tout était revêtu, Si tous les coeurs étaient francs, justes et dociles, La plupart des vertus nous seraient inutiles, Puisqu'on en met l'usage à pouvoir, sans ennui, Supporter dans nos droits l'injustice d'autrui; Et de même qu'un coeur d'une vertu profonde . . . Alceste. Je sais que vous parlez, monsieur, le mieux du monde; En beaux raisonnements vous abondez toujours; Mais vous perdez le lenips et tous vos beaux discours. La raison, pour mon bien, veut que je me retire: Je n'ai point sur ma langue un assez grand empire; De ce que je dirais, je ne répondrais pas, Et je me jetterais ceni choses sur les bras. Laissez-moi, sans dispute, attendre Célimène. 11 faut qu'elle consente au dessein qui m'amène; Je vais voir si son coeur a de l'amour pour moi; Et c'est ce moment-ci qui doit m'en faire foi. Philinte. Montons chez Élianle, attendant sa venue. Alceste. Non, de trop de souci je me sens l'âme émue, Allez-vous-en la voir, et me laissez enfin Dans ce petit coin sombre avec mon noir chagrin. Philinte. C'est une compagnie étrange pour attendre; Et je vais obliger Élianle à descendre. Cette attente tourne mal pour les voeux d'Alceste. Elle le fait témoin d'un entretien d'amour et de jalousie entre Oronte et Celimene. Comme il en demande raison
87 à cette lemme qu'il aime toujours m a l g r é lui, le malin hasard le met a une épreuve encore plus cruelle. Les marquis galants A c a s t e et C l i t a n d r e , suivis de la prode A r s i n o ë , ennemie de C e l i m e n e . viennent assaillir de leurs reproches cette coquette, et A l c e s t e ne voit que trop qu'on s'est moquée de lui c o m m e de tout le monde.
.SCÈNE I V .
Arsinoë,
Célimène, Elianle,
Alcesle, A cas le
Madame,
nous
Éclaircir
avec
venons vous
tous
une petite
Clitandre vous êtes
déplaire,
(à Oronte et à A l c e s t e . )
vous vous trouvez
mêlés dans c e l t e
vous
sans v o u s
affaire.
affaire
Arsinoë Madame,
vue;
Mais ce sont ces m e s s i e u r s qui c a u s e n t ils m ' o n t t r o u v é e ,
ici;
aussi.
(à Célimène).
serez s u r p r i s e de ma
ma
deux
D'un
trait à q u i m o n c o e u r ne saurait p r ê t e r votre
et se s o n t
venue:
Tous
J'ai du fond d e
ont démenti
Et,
l'amitié
J'ai
bien
Pour
d'un
voulu
chez v o u s
voir
tel
leurs témoins
passant s u r d e petits
vous
plaints à
âme une trop haute
P o u r vous croire jamais capable Mes y e u x
Oronte.
(a C é l i m è n e ) .
deux,
F o r t à [»ropos, messieurs, Et
Philiitte, Acaste, Clilandre,
leur
moi
foi.
estime crime;
les
plus
forts,
discords,
faire
compagnie,
vous laver de celle
calomnie.
Acaste. Oui,
madame,
Comment
voyons
d'un
esprit
adouci,
v o u s vous p r e n d r e z à s o u t e n i r
Cette l e t t r e ,
par vous, est écrite à
ceci:
Clilandre.
Clitandre. Vous
avez p o u r A c a s l e é c r i t c e b i l l e t A c a s te
Messieurs, Et je A
ces
traits
pour
vous n ' o n t p o i n t
ne d o u t e pas q u e sa
c o n n a î t r e sa main n ' a i t
Mais ceci
vaut assez la
reprocher
„vous.
11
mander „grand
t r o p su v o u s
n'y
a rien de
plus
injuste;
de cette offense j e ne
flandrin
de
condamner
m o n e n j o u e m e n t et
de
et si
vous
ne
venez
vous la p a r d o n n e r a i
ne
suis pas
bien de ma
vite vie.
de
avec
me
de-
Notre
vicomte . . .
être ici :
„ N o t r e grand Mandrin d e v i c o m t e , „ e s t un h o m m e qui ne saurait me r e v e n i r ; „d'heure
durant,
„prendre
b o n n e opinion
cracher
C'est m o i - m ê m e , „Pour „qu'il n'y
instruire.
peine d e le l i r e :
q u e je n'ai j a m a i s tant de j o i e q u e l o r s q u e j e
pardon
Il d e v r a i t
d'obscurité,
civilité
„ V o u s èles un é t r a n g e h o m m e , „me
tendre.
(à Oronte et a A l c e s t e ) .
p a r qui v o u s c o m m e n c e z
dans un puits p o u r de
lui.
Pour
vos p l a i n t e s ,
et, d e p u i s q u e j e l'ai v u , trois q u a r t s faire d e s r o n d s , j e
le p e t i t m a r q u i s
messieurs, sans nulle
n'ai p u
vanité.
le polii m a r q u i s qui m e tini hier l o n g t e m p s la m a i n , j e
a rien
„ q u i n'ont que la
de si m i n c e q u e t o u t e sa p e r s o n n e , cape et l ' é p é e .
Pour
jamais
. . .
l'homme
aux
et ce sont d e ces rubans
verts
. . .
trouve mérites
88 ta AlceMe A
v o u s le d é , -Pour
„brusqueries
monsieur.
l'homme
et son
..le plus fâcheux
aux
chagrin
rubans
verts,
bourru;
du m o n d e .
il me d i v e r t i i
mais il est cent
Et p o u r l ' h o m m e
q u e l q u e f o i s avec
m o m e n t s où j e
ses
le t r o u v e
à la
veste
. . .
jeté
dans
le bel esprit
(à Oronte) Voici
votre
„Et „être
paquet.
pour
auteur
l'homme
malgré
,.ce
qu'il
„en
tète que je
dit;
à la
veste qui s o t
t o u t le m o n d e ,
e l sa
prose me
je
fatigue
ne m e divertis
pas
puis
autant toujours
donner
la
q u e ses
vers.
si
que
vous
toutes
les
Mettez-vous pensez;
que
..que
la
présence
des gens qu'un
dans
et
veut
d'écouler
un m e r v e i l l e u x assaisonnement aux plaisirs qu'on
c'est
voudrais
bien
peine
. . v o u s t r o u v e à d i r e plus que
ne
me
..m'entraîne;
el
je
ne
parties
donc, que je
où
l'on
goûte,
aime. Clitandre.
Me voici
maintenant,
-Votre
Clitandre,
„est
le
dernier
-de
se
persuader
„Changez, „le
des
pour
moi. dont
hommes
qu'on
l'aime;
D'un fort
beau
Madame;
et
Il suffit.
qui
vos sentiments c o n t r e les
p o u r m'aider
caractère
et qui fait tant le
j'aurais de l'amitié.
à porter
o n voit là le
v o u s savez c o m m e n t
cela
votre
J'aurais
quoi
coeur
le p o r t r a i t
doucereux, extravagant
ne v o u s a i m e
siens;
et
le c h a g r i n d'en ê t r e
pas.
voyez-moi obsédée."
modèle, s'appelle.
N o u s allons, l'un et l'autre, en tous
M o n t r e r de
Il est
et vous l'êtes de c r o i r e q u ' o n
être raisonnable,
plus q u e v o u s p o u r r i e z ,
vous me parlez,
pour
lieux
glorieux.
Acaste. de
Mais j e ne
v o u s tiens
Et j e v o u s Ont,
vous d i r e , pas
d i g n e de ma
ferai v o i r q u e
pour
se c o n s o l e r ,
et belle est la les petits
matière,
colère;
marquis
d e s c o e u r s du plus haut
prix.
T a n d i s q u e tout le monde abandonne maintenant la perfide C e l i m e n e , l a constance d ' A l c e s t e . pour le malheur de ce brave homme, n'est point ébranlée. Il prom e t de tout oublier, à la seule condition que Celimene le suive dans la retraite où il veut se consoler, par son amour et sa philosophie, de tous les outrages que le moDde a fait subir à sa probité. Mais voici comment Célimènc l'en récompense et comment Molière, (dont, du reste, les rapports domestiques n'avaient que trop de ressemblance avec c e u x d ' A l c e s t e et de Celimene), fait justice, au n o m de l ' o p i n i o n de son époque, des plaintes de son brave et malheureux „ M i s a n t h r o p e " .
SCÉNE VII.
Célimène, Elianto, Alceste, A Ice sie Eh
bien! je
m e suis l u ,
malgré
E t j'ai laissé p a r l e r tout l e A i - j e pris sur Et
puis-je
moi-même
maintenant
Philinte.
(à Célimènc). ce que je
monde
avant
un assez l o n g
vois,
moi. empire?
. . . Célimènc. Oui,
V o u s en
vous p o u v e z t o u t
êtes e n d r o i t , l o r s n u e v o u s v o u s
Dlaindrez.
dire;
89 Et de me reprocher tout te que vous voudrez. J'ai tort, je le confesse; et mon âme confuse Ne cherche à vous payer d'aucune vaine excuse. J'ai des autres ici méprisé le courroux ; Mais je tombe d'accord de mon crime envers vous: Voire ressentiment sans doute est raisonnable: Je sais combien je dois vous paraître coupable, (Juc toute chose dit que j'ai pu vous trahir, Et qu'enlin vous avez sujet de nie haïr. Faites-le, j'y consens. Alceste. Eli! le puis-je, traîtresse? Puis-je ainsi triompher de toute ma tendresse? El quoique avec ardeur je veuille vous haïr, Trouvé-je un coeur en moi tout prêt à m'obéir? (à E l i a n t e et à P b i l i n t e )
Vous voyez ce que peut une indigne tendresse, Et je vous fais tous deux témoins de ma faiblesse. Mais, à vous dire vrai, ce n'est pas encore tout, Et vous allez me voir la (tousser jusqu'au bout, Montrer que c'est à tort que sages on nous nomme, Et que dans tous les coeurs il est toujours de l'homme. (a Celimene.) Oui, je veux bien, perlide oublier vos forfaits; J'en saurai, dans mon âme, excuser tous les traits, Et me les couvrirai du nom d'une faiblesse Où le vice du temps porte votre jeunesse, Pourvu que votre coeur veuille donner les mains Au dessein que j'ai fait de fuir tous les humains, Et que dans mon désert, où j'ai fait voeu de vivre, Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre. C'est par là seulement que, dans tous les esprits, Vous pouvez réparer le mal de vos écrits, Et qu'après cet éclat qu'un noble coeur abhorre, 11 peut m'étre permis de vous aimer encore. Célimène. Moi, renoncer au monde avant que de vieillir, Et dans votre désert aller m'ensevelir! Al c e s t e . Et s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde, Que vous doit importer tout le reste du monde? Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contents? Céli m è n e . La solitude effraie une Ame de vingt ans. Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte, Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte. Si le don de ma main peut contenter vos voeux, Je pourrai me résoudre à serrer de tels noeuds; Et l'hymen . . .
90 A1 c e s t e . Non. Mon coeur à présent vous déteste, Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste. Puisque vous n'êtes point, en des liens si doux, Pour trouver tout en moi, comme moi tout eu vou-s Allez, je vous refuse; et ce sensible outrage De vos indignes fers pour jamais me dégage. SCÈNE VIII.
Éliante, Alcesle, Philinte. A le e si e > Éliante). Madame, cent vertus ornent votre beauté, Et je n'ai vu qu'en vous de la sincérité; De vous depuis longtemps je fais un cas extrême. Mais laissez-moi toujours vous estimer de même, Et souffrez que mon coeur, dans ses troubles divers, Ne se présente point à l'honneur de vos fers; Je m'en sens trop indigne, et commence à connaître Que le ciel pour ce noeud ne m'avait point fait naître; Que ce serait pour vous un hommage trop bas Que le rebut d'un coeur qui ne vous valait pas; Et qu'enfin . . . Eliante. Vous pouvez suivre cette pensée: Ma main de se donner n'est pas embarrassée; Et voilà votre ami, sans trop m'inquiéler, Qui, si je l'en priais, la pourrait accepter. Philinte. Ah! cet honneur, madame, est toute mon envie, Et j'y sacrifierais et mon sang et ma vie. Alcesle. Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements, L'un pour l'autre à jamais garder ses sentiments! Trahi de toutes parts, accablé d'injustices, Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices, Et chercher sur la terre un endroit écarté Où d'être homme d'honneur on ait la liberté. Philinte. Allons, madame, allons employer toute chose Pour rompre le dessein que son coeur se propose. FIN.
91 REGNARD.
(1655—1709.)
Regnard, né ä Paris le 8. février 1655, fils unique d'un pére aisé, et jouissant à la fleur de l'âge d'une heureuse indépendance, en profita pour satisfaire son goût pour les voyages et les aventures. 11 passa deux fois en Italie. L'ayant quittée, en 1678, à la suite d'une femme mariée dont il était tombé amoureux, il fut pris, avec ses compagnons de voyage, par des corsaires d'Alger, vendu comme esclave et retenu quelque temps dans une captivité assez dure, dont il ne fut délivré qu'en sacrifiant une partie considérable de sa fortune. De retour à Paris, il pensait épouser la femme qu'il aimait, et qui lui devait sa délivrance, lorsque l'arrivée de son époux qu'on croyait mort à Alger, le détermina à quitter encore une fois la France. Il voyagea en Flandre, en Hollande, en Danemark, en Suéde, alla voir la Laponic, passa ensuite à Dantzig, parcourut la Pologne, la Hongrie, l'Allemagne, et finit par s'établir à Paris, entièrement guéri de son amour et du goût des voyages, et ne se souciant plus que de jouir en paix des plaisirs de la bonne cére, des lettres, et d'un commerce agréable avec des amis de son choix. Sa maison, au pied du Montmartre, devint le rendez-vous dee gens du monde et des gens de lettres, et les succès littéraires ne tardèrent pas à ajouter aux charmes de cette retraite philosophique. De tous les auteurs de ce temps, Regnard approche le plus de Molière, sans toutefois en atteindre ni la grâce ni la verve. Il fit 19 comédies (p. e. le Joueur, le Légataire, le Distrait, Démocrite), des épîtres, des satires, des poésies fugitives, le roman biographique „la Provençale", et le récit de ses voyages.
ÉI'ITRE
6.
A. M Si lu peux te résoudre à quitter ton logis, Où l'or et l'outremer brillent sur les lambris, Et laisser cette table avec ordre servie, Viens, pourvuque l'amour ailleurs ne te convie, Prendre un repas chez moi, demain, dernier janvier, Dont le seul appétit sera le cuisinier. Je te garde avec soin, mieux que mon patrimoine, D'un vin exquis, sorti des pressoirs de ce moine Fameux dans Ovilé, plus que ce ne fut jamais Le défenseur des clos vanlé par Rabelais. Trois eomives connus, sans amour, sans affaires,
92 Discrets, qui n'iront point révéler nos mystères, Seront par moi choisis pour orner ce festin. Si, par cent mots piquants, enfants nés dans le vin, Nous donnerons l'essor à cette noble audace Qui fait sortir la joie, et qu'avouerait Horace. Peut-être ignores-tu dans quel coin reculé J'habite dans Paris, citoyen exilé, Et me cache aux regards du profane vulgaire? Si tu le veux savoir, je vais le satisfaire. Au bout de celle rue où ce grand cardinal, Ce prêtre conquérant, ce prélat admirai, Laissa pour monument une triste fontaine, Qui fait dire au passant que cet homme, en sa haine, Qui du trône ébranlé soutint tout le fardeau, Sut répandre le sang plus largement que l'eau, S'élève une maison modeste et retirée, Dont le chagrin surtout ne connaît point l'entrée: L'oeil voit d'abord ce moni dont les antres profonds Fournissent à Paris l'honneur de ses plafonds, Où de trente moulins les ailes étendues M'apprennent chaque jour quel vent chasse les rues. Le jardin est étroit; mais les yeux satisfaits S'y promènent au loin sur des vastes marais. Cesi l ì qu'en mille endroits laissant errer ma vue, Je vois croître à plaisir l'oseille et la laitue: C'est là que, dans son temps, les moissons d'artichauts Du jardinier actif secondent les travaux, Et que de champignons une couche voisine Ne fait, quand il me plaît, qu'un saut dans ma cuisine. Là, de Vertumne enfin les trésors précieux Charment également et le goftt et les yeux. Dans le sein fortuné de ce réduit tranquille, Je ne veux point savoir ce qu'on fait dans la ville. Dans ce logis pourtant, humble, et dont les tentures Dans l'eau des Gobelins n'ont point pris leurs teintures, Où Mansard de son art ne donne point les lois, Sais-tu, quel hôte, ami, j'ai reçu quelquefois? Enghuien, qui, ne suivant que la gloire pour guide, Vers l'immortalité prend un vol si rapide, Et que Neervinde a vu, par des faits inouis. Enchaîner la victoire aux drapeaux de Louis; Ce prince, respecté, moins par son rang suprême Que par tant de vertus qu'il ne doit qu'à lui-même, A fait plus d'une fois, fatigué de Marly, De ce simple séjour un autre Chantilly. Condé, le grand Condé, que la gloire environne, Plus orné par son nom que par une couronne, Qui voit, de tous côtés, du peuple et des soldats Et les coeurs et les yeux voler devant ses pas;
93 ι Λ qui Mars et l'Amour donnent, quand il commande, De myrte et de laurier une double
guirlande:
Dont l'esprit pénétrant, vif, et plein de Est un rayon sorti de la
clarté.
divinité.
A daigné quelquefois, sans liruit, dans le silence, Honorer ce réduit de sa noble
présence.
Ces héros méprisant tout l'or de leurs
buffets,
Contents d'un linge blanc, et de verres bien
nets,
Qui ne recevaient point la liqueur infidèle Que Rousseau ' ) (it chez lui d'une main Ont souffert un repas simple et non Où l'art des cuisiniers, sainement
criminelle.
préparé.
ignoré,
N'étalait point au goût la funeste élégance De cent ragouts divers que produit l'abondance; Mais où le sel altiqiie, à propos
répandu.
Dédommageait assez d'un entremets
perdu.
C'est à de tels repas que j e te sollicite; C'est dans cette maison q u e ma lettre Ma servante déjà, dans ses nobles
t'invite.
transports,
A fait à deux chapons passer les sombres
bords.
Ami, viens donc demain, avant qu'il soit une heure. S i le hasard te fait oublier ma d e m e u r e , Ne va pas t'aviser, p o u r trouver ma
maison,
Aux gens des environs d'aller n o m m e r mon Depuis trois ans et plus, dans tout le
nom;
voisinage,
On ne sait, grâce au ciel, mon nom ni mon
visage;
Mais demande d'abord où loge dans ces lieux Un h o m m e qui, poussé d'un désir
curieux.
Dès ses jeunes ans sut percer où l ' A u r o r e Voit de ses premiers feux les peuples du Qui, parcourant
le sein des infidèles
Bosphore;
iners,
F a r le fier Ottoman se vit chargé de
fers:
Qui prit, rompant sa chaîne, une nouvelle
course
Vers les tristes Lappons que g è l e et transit Et s'ouvrit un chemin jusqu'aux bords Où les feux du soleil sont six mois
ignorés.
Mes voisins ont appris l'histoire de ma Dont mon valet causeur souvent les
vie,
désennuie.
Demande-leur encore où loge, en ce Un magistrat ' ) qu'on voit rarement
l'Ourse,
retirés
marais, au
palais;
Qui, revenant chez lui l o r s q u e chacun
sommeille,
Du bruit de ses chevaux bien souvent
les
réveille;
Chez qui l'on voit entrer, pour o r n e r ses
celliers,
F o r c e quartants de vins, et point de créanciers. Si
tu veux, cher ami, leur parler de la
Aucun ne manquera de te montrer ma
sorte, porte.
') Marchand de vin. ) Regnard avait acheté la charge de trésorier de France au bureau des de Paris. 2
finances
94 C'est là qu'au premier coup tu verras accourir l'n valet diligent qui viendra pour l'ouvrir : Tu seras aussitôt conduit dans une chambre Où l'on lirave à loisir les fureurs du décembre. Déjà le feu, dressé d'une prodigue main. S'allume en pétillant. Adieu, jusqu'à demain.
L
E
J
O
U
E
U
R
.
COMÉDIE EN CINQ ACTES ET EN VERS. Représentée, pour lit première fois, le 19. décembre 1696.
Valére, fils de famille, mais brouillé avec ses parente, mène une vie dissipée. Il joue les nnits entières, fait des emprunts usuriers et néglige Angélique, sa fiancée, à tel point qu'elle est près de perdre patience et de se donner à Dorante, oncle de Valére, homme mûr, riche et rangé. Pour empêcher ce mariage, Géronte, père de Valére, résout de faire un dernier effort en faveur de son fils dissolu. Valére, découragé pour le moment par les pertes qu'il vient de faire au jeu, entre dans les desseins de son pére et essaie de rattrapper les bonnes grâces d'Angélique. Il la trouve avec sa soeur la comtesse, veuve d'un âge mûr, mais qui ne renonce pas pour cela aux hommages des hommes.
ACTE DEUXIÈME. SCÉNE IX. Valére,
la
Comtesse.
Angélique,
Nérine,
(suivante d'Angélique).
Nérine. Je crois Voir Valére. La C o m t e s s e . L'amour auprès de moi le guide. Nérine. Il tremble en approchant. Le c o m t e s s e . J'aime un amant timide. (à Valére) Cela marque un bon fonds. Approchez, approchez; Ouvrez de votre coeur les sentiments cachés. (à Angélique) Vous allez voir, ma soeur. V a l é r e (à la Comtesse). Ah quel bonheur, madame, Que vous me permettiez d'ouvrir toute mon âmel (à Angélique) Et quel plaisir de dire en des transports si doux, Que mon coeur vous adore et n'adore que vous!
95 La C o m t e s s e . Eli quoi, que faites-vous, Valére? Valére. t> que vous même ici m'avez permis de faire, N é r i n e (à part). Voici du qui pro quo. V a l é r e C» Angélique). Que je serais heureux Sil vous plaisait encor de recevoir mes voeux! La C o m t e s s e 0» Valére). Vous vous méprenez V a l é r e ('» la Comtesse). Non. Enfin, belle Angélique, Entre mon oncle et moi que votre coeur s'explique. Le mien est tout à vous, et jamais dans un coeur . . . La C o m t e s s e . Angélique! Valére. On ne vit une plus noble ardeur. La C o m t e s s e . Ce n'est donc pas pour moi que votre coeur soupire? Valére. Madame, en ce moment je n'ai rien i vous dire. Regardez votre soeur; et jugez si ses yeux Ont laissé dans mon coeur de place à d'autres feux. La C o m t e s s e . Quoi! d'aucun feu pour moi votre ime n'est éprise? Valére. Quelques civilités que l'usage autorise . . . La C o m t e s s e . Comment? Angélique. Il ne faut pas avec sévérité Exiger des amants trop de sincérité. Ma soeur, tout doucement avalez la pilule. La C o m t e s s e . Taisez-vous, s'il vous plaît, petite ridicule. V a l é r e $ >» Comtesse). Vous avez cent vertus, de l'esprit, de l'éclat; Vous êtes belle, riche et . . . La C o m t e s s e . Vous êtes un fat. Angélique. La modération, qui fut votre partage, Vous ne la mettez pas, ma soeur, trop en usage. La C o m t e s s e . Monsieur vaut-il le soin qn'on se mette en courroux? ("est un extravagant ; il est tout fait pour vous. L'amour le ironhle.
(Elle sort).
96 SCÈNE XI.
Valére, Angélique, Nérine
Nérine.
part).
Elle connaît ses gens. Valére. Oui, pour vous je soupire, Et je voudrais avoir cent bouches pour le dire. N é r i n e (bas, à Angélique). Allons, Madame, allons, ferme, voici le choc. Point de faiblesse, au moins, ayez un coeur de roc. A n g é l i q u e (bas, à Nérine). Ne m'abandonne point. N é r i n e (bas, à Angélique). Non, non, laissez-moi faire. Valére. Mais que me sert, hélas! que mon coeur vous préfère? Que sert à mon amour un si sincère aveu? Vous ne m'écoutez point, vous dédaignez mon feu; De vos beaux yeux pourtant, cruelle, il est l'ouvrage. Je sais qu'à vos beautés c'est faire un dur outrage De nourrir dans mon coeur des désirs partagés, Que la fureur du jeu se mêle où vous régnez. Mais . . . Angélique. Cette passion est trop forte en votre Âme, Pour croire que l'amour d'aucun feu vous enflamme. Suivez, suivez l'ardeur de vos emportements; Mon coeur n'en aura point de jaloux sentiments. N é r i n e (bas, & Angélique). Optirae. Valére. Désormais, plein de votre tendresse, Nulle autre passion n'a rien qui m'intéresse: Tout ce qui n'est point vous me paraît odieux. A n g é l i q u e ( d ' n n ton plue tendre'. Non, ne vous présentez jamais devant mes yeux. N é r i n e (bas, à Angélique). Vous mollissez. Valére. Jamais! Quelle rigueur extrême! Jamais! Ahl que ce mot est cruel quand on aime! Eh quoi! rien ne pourra fléchir votre courroux? Vous voulez donc me voir mourir à vos genoux? Angélique. Je prends peu d'intérêt, monsieur, à votre vie. N é r i n e (bas, à Angélique). Nous allons bientôt voir jouer la comédie . . . Valére. Ma mort sera l'effet de mon cruel dépit.
97 Nérine Qu'un amant
mori
pour
(bas, à A n g é l i q u e ) .
nous nous
mettrait
en
crédit!
Valére. Vous
le v o u l e z ?
Cruelle!
il faut
Eli b i e n ! il faut v o u s
satisfaire,
mourir. (Il veut
Angélique
tirer son
(l'arrêtant).
Que f a i t e s - v o u s , Nérine Eli b i e n ! Qui
épée\
Valére?
(bas, à A n g é l i q u e ) .
ne voilà pas votre t e n d r e
vous prend à la g o r g e !
maudit
Euh!
Angélique
(bas, à Nérine). T u ne m ' a s pas
Nérine, Et j e
qu'il
viendrait se p e r r e r à ma
t r e m b l e de p e u r ,
quand une épée est Nérine
Q u e les amants s o n t
dit,
vue; nue.
(à part).
sols! Valére. Puisqu'un
soin
généreux
Vous
intéresse e n c o r e a u x j o u r s d ' u n
Non,
ce n'est p o i n t assez de me r e n d r e la
Il faut q u e p a r l ' a m o u r Vous
désarmée,
Nérine,
précieux.
sans q u i le j o u r m e devient Angélique
qu'en
odieux.
(bas, à Nérine).
dis-tu? Nérine
¡bas, à A n g é l i q u e ) .
Je dis qu'en la Vous avez
vie;
attendrie,
me r e n d i e z e n c o r ce c o e u r si
Ce c o e u r
malheureux.
mêlée
m o i n s d e c o e u r qu'une poule
mouillée.
Valére. Madame,
au u o m
des d i e u x , au n o m de vos attraits
. . .
Angéli que. Si v o u s
me p r o m e t t i e z
. . . Valére. Oui, j e vous le
Que
la f u r e u r du j e u sortira de m o n
Et q u e j'aurai
p o u r vous la plus ardente Nérine
Pour
promets
Âme,
(à
flamme
. . .
part).
faire des s e r m e n t s il est t o u j o u r s
tout
prêt.
vous
platt.
Angélique. Il f a u t encore,
ingrat,
vouloir ce q u ' i l
Oui, j e vous rends m o n Valére
coeur. (baisant la main d ' A n g é l i q u e ) . Ah, quelle joie
extrême!
Angélique. Et p o u r
vous faire voir à q u e l p o i n t j e v o u s
Je j o i n s à ce présent celui de m o n
aime,
portrait.
(Elle lui donne son portrait enrichi de diamants.) Nérine Hélas,
de mes s e r m o n s
(à part).
voilà q u e l est
T r o i s siècles de la littérature française.
lime Ed.
l'effet! 1
98 Valére. Quel excès de faveurs! Angélique. Gardez-le, je vous prie. V a l é r e (le baisant). Que je le garde, ô ciel! le reste de ma vie, Que dis-je? je prétends que ce portrait si beau Soit mis avec moi dans le mêruc tombeau. Et que même la mort jamais ne nous sépare. N é r i n e (à part). Que l'esprit d'une fille est changeant et bizarre. Angélique. Ne me trompez donc plus, Valére; et que ninii coeur Ne se repente point de sa facile ardeur. Valére. Fiez-vous aux serments de mon âme amoureuse. N é r i n e (à part).
Ahl que voilà pour l'oncle une époque fâcheuse! P e u de moments après,'Valère met en gages ce portrait précieux, pour la s o m m e de mille écus dont il a besoin pour continuer à jouer.
ACTE TROISIÈME. SCÈNE VI.
Valére,
Hector (valet de Valére).
Valére entre en comptant beaucoup d'urgent dans son chapeau.
H e c t o r (à part).
Mais le voici qui vient poussé d'un heureux vent : Il a les yeux sereins et l'accueil avenant. (haut)
Par votre ordre, monsieur, j'ai vu monsieur Géronte, Qui de notre mémoire ' ) a fait fort peu de compte; Sa monnaie est frappée avec un vilain coin; Et de pareil argent nous n'avons pas besoin. J'ai vu, chemin faisant, aussi monsieur Dorante; Morbleu, qu'il est fâché! Valére
(comptant toujours).
Mille deux cent cinquante. H e c t o r (à part.)
La flotte est arrivée avec les galions: Cela va diablement hausser nos actions. (haut)
J'ai vu pareillement, par votre ordre, Angélique; Elle m'a dit . . . ' ) H e c t o r ayant présenté h Géronte le mémoire des dettes de son fils et ne s'y étant p a s oublié l u i - m ê m e avait attra'ppé un bon soufflet au lieu de l'argent qu'il a v a i t espéré de tirer du vieillard économe.
99 Valére
(frappant du pied).
Morbleu! ce dernier coup me pique; Sans les cruels revers de deux coups inouïs. J'aurais encore gagné plus de deux cents louis. Hector. Cette fdle, monsieur, de votre amour est folle. Val ère. Damon m'en doit encor deux cents sur la parole. Hector
(le tirant par la manche).
Monsieur, écoutez-moi, calmez un peu vos sens: Je parle d'Angélique, et depuis fort long-temps. V a l é r e (avec distraction). Ah! d'Angélique. Eli bien! comment suis-je avec elle? Hector. On n'y peut être mieux. Ali ! monsieur! qu'elle est belle 1 Et que j'ai de plaisir à vous voir raccroché! V a l é r e (avec distraction). t A te dire le vrai, je n'en suis pas fâché. Hector. Comment! quelle froideur s'empare de votre ime! Quelle glace! tantôt vous étiez tout de flamme. Ai-je tort, quand je dis que l'argent de retour Vous fait faire toujours banqueroute à l'amour? Vous vous sentez en fonds, ergo plus de maîtresse. Valére. Ah ! juge mieux, Hector, de l'amour qui me presse. J'aime autant que jamais, mais sur ma passion J'ai fait, en te quittant, quelque réflexion. Je ne suis point du tout né pour le mariage: Des parents, des enfants, une femme, un ménage; Tout cela me fait peur. J'aime la liberté. Hector. Et le libertinage. Valére. Hector, en vérité, Il n'est pas dans le monde un état plus aimable Que celui d'un joueur; sa vie est agréable; Ses jours sont enchaînés par des plaisirs nouveaux! Comédie, opéra, bonne chère, cadeaux ; Il traîne en tous les lieux la joie et l'abondance; On voit régner sur lui l'air de magnificence, Tabatières, bijoux: sa poche est un trésor; Sous ses heureuses mains le cuivre devient or. Hector. Et l'or devient à rien. Valére. Chaque jour mille belles Lui font la cour par lettre, et l'invitent chez elles: La porte, à son aspect, s'ouvre à deux grands battants; Là, vous trouvez toujours des gens divertissants,
7*
100 Des femmes q u i jamais n'ont pu fermer la bouche, Et qui sur le prochain vous tirent à cartouche. Des oisifs de métier, et qui toujours sur eux Portent de tout Paris le lardon scandaleux, De vieux seigneurs toujours prêts à vous cajoler. Des plaisants qui font rire avant que de parler. Plus agréablement peut-on passer la vie? Hector. D'accord.
Hais quand on perd, tout cela vous ennuie. Valére.
Le jeu rassemble tout; il unit à la fois Le turbulent marquis, le paisible bourgeois: La femme du banquier, dorée et triomphante, Coupe orgueilleusement la duchesse indigente. L à , sans distinction, on voit aller de pair Le laquais d ' u n commis avec un duc et pair; Et, quoi qu'un sort jaloux nous ait fait d'injustices. De sa naissance ainsi l'on venge les caprices. Hector. A ce q u ' o n peut j u g e r de ce discours charmant. Vous voilà donc en grâce avec l'argent comptant, Tant mieux.
P o u r se conduire en bonne
Il faudrait retirer le portrait
politique.
d'Angélique. Valére.
Nous verrons. Hector. Vous savez . . . Valére. Je dois jouer
taDtôt.
Hector. T i r e z - e n mille écus. Valére. Oh! n o n :
c'est un dépôt
. . .
Hector. P o u r mettre quelque chose à l'abri des orages. S'il vous plaisait du moins de me payer mes g a g e s ? Val ère. Q u o i ! j e te dois? Hector. Depuis que je suis avec vous, Je n'ai pas, en cinq ans, encor reçu cinq
sous.
Valére. Mon p è r e te paiera; l'article est au
mémoire.
Hector. Votre p è r e ? A h ! monsieur, c'est une mer à boire; Son argent n'a point cours quoiqu'il soit liien de poids. Valére. Va, j'examinerai ton compte une autre fois. J'entends venir quelqu'un.
101 Hector. Je vois votre sellière. Elle a flairé l'argent. V a l é r e (mettant promptement son argent dans sa poche). Il faut nous en défaire. Hector. Et monsieur Galonier, votre honnête tailleur. Valére. Quel contre-temps!
SCÈNE VII.
Madame Adam, M. Galonier,
Valére,
Hector.
Valére. Je suis votre humble serviteur. Bonjour, madame Adam. Quelle joie est la mienne 1 Vous voir! c'est du plus loin, parbleu, qu'il me souvienne. M a d a m e Adam. Je viens pourtant ici souvent faire ma cour; Mais vous jouez la nuit, et vous dormez le jour. Valére. C'est pour cette calèche à velours à ramage? Madame
Adam.
Oui, s'il vous plaît. Valè re. Je suis fort content de l'ouvrage, (bas, à Hector) 11 faut vous le payer . . . Songe par quel moyen Tu pourras me tirer de ce triste entretien. (haut) Vous, monsieur Galonier, que] sujet vous amène? M. G a l o n i e r . Je viens vous demander . . . H e c t o r (à M. Galonier). Vous prenez trop de peine. M. G a l o n i e r Valere). Vous . . . H e c t o r (à M. Galonier). Vous faites toujours mes habits trop étroits. M. G a l o n i e r (à Valére). Si . . . H e c t o r (à M. Galonier). Ma culotte s'use en deux ou trois endroits. M. G a l o n i e r (à Valere). Je . . . H e e l o r. Vous cousez si mal . . . Madame Adam. Nous marions ma fille.
102 Valére. Q u o i ! v o u s la m a r i e z ? Elle est vive et g e n t i l l e ; E t son é p o u x
f u t u r doit en être
content.
Madame N o u s a u r i o n s grand besoin d ' u n
Adam.
peu d'argent
comptant.
Valére. Je veux, m a d a m e A d a m , Si j ' a i
m o u r i r à votre
vue,
. . . Madame
Adam.
Depuis l o n g - t e m p s cette s o m m e m'est
due.
Valére. Q u e j e s o i s u n maraud, d é s h o n o r é cent Si l'on m ' a
v u toucher un s o u
lois,
depuis six
mois,
Hector. Oui, nous
avons tous deux,
par pitié profonde,
F a i t v o e u d e p a u v r e t é : n o u s r e n o n ç o n s au M.
monde.
Galonier.
Q u e v o t r e c o e u r p o u r moi se laisse un peu N o t r e f e m m e est, monsieur, s u r le point
toucher!
d'accoucher.
D o n n e z - m o i cent écus sur et tant moins de dettes. Hector F a i t e s - m o i des
(à M. Galonier).
habits. M.
Galonier.
S e u l e m e n t deux cents
francs.
Valére. Eh,
mais
. . .
si j ' e n avais . . . c o m p t e z que dans la
Personne de payer Demandez
n'eut jamais tant
vie
d'envie.
. . . Hector. S'il avait q u e l q u e s derniers
N e me p a i e r a i t - i l pas mes g a g e s de cinq Votre
dette n ' e s t pas meilleure q u e la Madame
comptants,
ans?
mienne.
Adam.
Mais quand f a u d r a - l - i l donc monsieur,
q u e je
revienne?
Valére. Mais . . . quand il
vous plaira, dès demain; q u e
sait-on?
Hector. Je v o u s avertirai,
quand
il y fera M.
Pour
bon.
Galonier.
m o i , j e ne sors pas d'ici, q u ' o n ne m'en Hector
Non, j e ne vis jamais d'animal si
oliasse.
(à part). tenace.
Valére. É c o u t e z , j e v o u s dis un secret, q u i , j e
crois,
V o u s plaira dans la suite autant et plus qu'à Je vais m e m a r i e r
t o u t - à - f a i t ; et mon
père
A v e c mes c r é a n c i e r s doit m e tirer d'affaire.
moi:
103 Hector P o u r le coup . . . Madame Adam. 11 me faut de l'argent cependant. Hector. O t t e raison vaut mieux que de l'argent comptant. Montrez-nous les talons. M. G a i o n i e r . Monsieur, ce mariage Se f e r a - t - i l b i e n t ô t ? Hector. Tout au plutôt. J'enrage. Madame Adam. Sera-ce dans ce j o u r ? Hector. Nous l'espérons. Adieu! Sortez, nous attendons la f u t u r e en ce lieu! Si l'on vous trouve ici. vous gâterez l'affaire. Madame Adam. Vous me promettez donc . . . Hector. Allez, laissez-moi faire. M a d a m e A d a i n et M. G a l o n i c r (ensemble). Mais, Monsieur . . . H e c t o r (les mettant dehors). Que de b r u i t ! Ob! parbleu, détalez.
SCÈNE V i l i .
Valére, Hector. H e c t o r (riant.) Voilà des créanciers assez bien régalés! Vous devriez pourtant, en fonds comme vous êtes . . . Valére. Rien ne p o r t e malheur comme payer ses dettes. Hector. Ah ! je ne dois donc plus m'élonner désormais, Si tant d'honnêtes gens ne les paient jamais. Valere joue de nouveau, perd tout son argent, et pense s'en dédommager aux L'rais d'Angélique. M U Í S par un heureux hasard, sa fiancée a vu le portrait qu'elle vient de lui donner, entre les mains d'une usurière. Cette cruelle expérience l'a guérie de son aveugle amour. Elle donne sa main à Dorante, Valere est ignominieusement congédié, son pere le maudit, et le joueur s'éloigne, formant le dessein de se consoler au plutôt par le jeu des pertes de l'amour.
104 NICOLAS BOILEAU DESPRÉAUX. (1636—1711.) (cf. «tfítcfrte κ. p. 211-217.) Nicolas Boileou Despréaux naquit le 1. novembre 1636 à F'aris, (ou selon d'autres à Crosne, près de Paris), au vrai coeur de «cette bourgeoisie respectable qui alors, en France, formait déjà „le lest du navire", et dont il représente l'énergie, la droiture et l'esprit juste, mais un peu froid et étroit. Il était „fils, frère, oncle, cousin, beaufrère de greffier". Pendant ses jeunes années, des circonstances particulières vinrent aggraver pour lui les austérités qui étaient alors dans lee coutumes de cette basse magistrature modeste et honorable. Il perdit sa mère, et longtemps les ressources très-médiocres de son père lui imposèrent les privations avec le travail. Reçu avocat à l'âge de 21 ans, il sentit bientôt son peu d'aptitude aux affaires, et résolut, à tout risque et malgré ses parents, de suivre sa vocation littéraire et poétique. Ses coups-d'essai dans la tragédie, le sonnet et l'ode ne furent pas heureux. Il réussit mieux, sans toutefois s'élever à la hauteur de son talent, dans ses „Satires", imitées d'Horace, dont les neuf premières furent composées de 1660—68. Ensuite il écrivit douze ,¿¡pitres", de 1669—1695, développements poétiques de préceptes moraux ou d'observations psychologiques. Son „Art poétique", composé de 1669—1674, établit sur des bases inébranlées son autorité de législateur et de critique souverain du classicisme français. Enfin il donna l'épopée comique „le Lutrin", satire assez hardie des petites faiblesses d'une partie du clergé, composée de 1672—74 et, (poulies deux derniers chants), de 1681—83. L'élégance de son langage et la justesse de ses vues, jointes à un remarquable „esprit de conduite", lui valurent le respect du public et des écrivains, l'amitié des grands et la protection du roi qui le nomma, avec Racine, son historiographe, et lui donna une pension, faveur que Boileau erat devoir payer de quelques éloges dans le style du temps, sans déroger toutefois à la droiture et à la franchise qui étaient dans son caractère. Parmi ses écrite en prose il faut remarquer la traduction du „Traité du sublime", par Longin, suivie de remarques critiques, le dialogue „sur les héros 'de roman", le „discours sur la satire", et le recueil de ses lettres, surtout de celles à Racine, son ami intime. Boileau a aussi composé des odes (p. e. „Ode sur la prise de Namitr"), et quelques épigrammes. Il ne fut pas grand poëte, mais il continua, pour la langue poétique et pour la versification, l'oeuvre de Malherbe, et il posa à tout jamais
105 les principes du goût un peu froid et borné, il est vrad, mais sobre, pur et raisonnable qui distingue les chefs-d'oeuvre du classicisme français. Consulter sur Boileau : la Notice de Daunou et le chapitre consacré à Boileau, dans le cinquième volume de „Port-Royal" p. SainteBeuve. — Oeuvres complètes publiées par Daunou, Paris, Langlois, 1830—33. 4 vol. 8V0.
SATIRE 2. A. M. DE MOLIÈRE.
Rare et fameux esprit, dont la fertile veine Ignore en écrivant le travail et la peine, Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts, Et qui sais à quel coin se marquent les bons vers; Dans les combats d'esprit savant maître d'escrime, £nseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime. On dirait, quand tu veux, qu'elle te vient chercher. Jamais au bout du vers on ne te voit broncher, Et sans qu'un long détour t'arrête, ou t'erabarasse, A peine as-tu parlé, qu'elle même s'y place. Hais moi, qu'un vain caprice, une bizarre humeur Pour mes péchés, je crois, fit devenir rimeur: Dans ce rude métier, où mon esprit se tuë, En vain, pour la trouver, je travaille et je suë. Souvent j'ai beau rêver du matin jusqu'au soir: Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir, Si je veux d'un galant dépeindre la figure, Ma plume pour rimer trouve l'abbé de Pure ' ) ; Si je pense exprimer un auteur sans défaut, La raison dit Virgile, et la rime Quinaut *). Enfin quoi que je fasse, ou que je veuille faire, La bizarre toujours vient m'offrir le contraire. De rage quelquefois, ne pouvant la trouver, Triste, las, et confus, je cesse d'y rêver: Et maudissant vingt fois le démon qui m'inspire, Je fais mille serments de ne jamais écrire.
' ) Michel de Pure de Lyon, mauvais écrivain du temps de Boileau, avait publié des traductions d'écrits latins et un roman qui avait pour titre „les Précieuses'1. J ) Philippe Quinault, (1635—1688) écrivit des tragédies et des comédies d'un ordre inférieur et des opéras (p. e. Alceste, Thésée, Alys etc.). Il n'y prétend qu'à donner les éléments d'un spectacle dont son poëme n'est que le canevas, et Boileau a raison de blâmer la laxe morale de la plupart de ses sujets. Mais les vers de Quinault, adaptés à merveille à la musique de Lulli, l'emportent en suavité et en douceur harmonieuse sur tout cc que le dix-septième siècle a produit dans ce genre. — cf.
®ef$ians ravager la terre. Il est plus d ' u n e gloire. Kn vain aux conquérants L ' e r r e u r p a r m i les rois donne les premiers rangs. E n t r e les g r a n d s héros ce sont les plus \ulgaires. Chaque siècle est fécond en heureux téméraires. Chaque climat produit des favoris de Mars. La Seine a des Bourbons, le Tihre a des Césars. On a vu m i l l e fois des fanges Méotides S o r t i r des conquérants, (ïoths, Vandales, (iépides. Mais un roi vraiment roi, qui. sage en ses projets. Sache en un calme heureux maintenir ses sujets. Qui du b o n h e u r public ait cimenté sa gloire. Il faut, p o u r le trouver, courir toute l'histoire. La t e r r e c o m p t e peu de ces rois bienfaisants. Le ciel à les former se prépare longtemps. Tel f u t cet e m p e r e u r , sous qui Rome adorée Vit r e n a î t r e les jours de Saturne et de Hliée: Qui r e n d i t d e son joug l'univers a m o u r e u x : Q u ' o n n'alla jamais voir saus revenir heureux: Qui s o u p i r a i t le soir, si sa main fortunée N'avait p a r ses bieul'aits signalé la journée '). Le c o u r s n e f u t pas long d ' u u empire si doux. Mais où cherclié-je ailleurs ce qu'on trouve chez nous? Grand r o i , sans recourir aux histoires antiques, Ne t ' a v o n s - n o u s pas vu dans les plaines belgiques. Quand l ' e n n e m i vaincu, désertant ses remparts, Au devant d e ton joug courait de toutes parts, T o i - m ê m e te borner au f o r t de ta victoire, Et c h e r c h e r dans la paix une plus juste g l o i r e ? Ce sont là les exploits que lu dois avouer. Et c'est p a r là, grand roi, q u e je te veux louer. Assez d ' a u t r e s sans moi, d ' u n style moins timide. S u i v r o n t aux champs île Mars ton courage rapide : I r o n t d e ta valeur effrayer l'univers, Et c a m p e r devant Dole au milieu des hivers 5 ). P o u r moi, loin des combats, s u r un ton moins terrible, J e dirai les exploits de ton règne paisible. J e p e i n d r a i les plaisirs en foule renaissants: Les o p p r e s s e u r s du peuple à leur tour gémissants 3 ) . On v e r r a p a r quels soins ta sage prévoyance
') Titus, empereur de Rome, surnommé ,,1'amour et les délices du genre humain' , se ressouvenant un soir qu'il n'avait fait du bien à personne ce jour-là: Mes amis, dit-il, j'ai perdu cette journée. (Amici, diem ptrdidi). ') Allusion à la campagne de la Franche - Comté, de 1668. Louis XIV. partit de St. Germain en Laye, le 2 Février et revint le 28, après avoir conquis cette province. •) La chambre de justice, établie au mois de décembre, 1661, pour reconnaître les malversations commises par les traitants, dans le recouvrement et dans l'administration des deniers publics.
Ill Au fort J e la famine entretint l'abondance ' ) . On verra les abus par ta main réformés, l.a licence et l'orgueil en tous lieux réprimés, Du débris des traitants ton épargne grossie, Des subsides affreux la r i g u e u r adoucie. Le soldat dans la paix sage et laborieux. Nos artisans grossiers rendus industrieux : Et nos voisins frustrés de ces tributs s e n i l e s Que payait à leur art le luxe de nos villes. Tantôt je tracerai tes pompeux bâtiments. Du loisir d'un héros nobles amusements. J ' e n t e n d s déjà frémir les deux mers étonnées De voir leurs flots unis au pied des Pyrénées Déjà de tous côtés, la chicane aux abois S'enfuit au seul aspect de tes nouvelles lois. 0 , q u e la main par là va sauver de pupilles! Que de savants plaideurs désormais inutiles! Qui ne sent point l'effet de tes soins g é n é r e u x ? L'univers sous ton règne a - t - i l des m a l h e u r e u x ? Est-il quelque vertu dans les glaces de l'ourse, Ni dans ces lieux brûlés où le j o u r p r e n d sa source, Dont la triste indigence ose encore approcher 5 ) Et q u ' e n foule tes dons d ' a b o r d n'aillent c h e r c h e r ? C'est p a r toi qu'on va voir les muses enrichies, He l e u r longue disette à jamais affranchies. Grand roi, poursuis toujours, assure leur repos. Sans elles un héros n'est pas longtemps héros. Bientôt, quoiqu'il ait fait, la m o r t d'une ombre noire Enveloppe avec lui son nom et son histoire. En vain, p o u r s'exempter de l'oubli du cercueil, Achille mil vingt fois t o u t Ilion en deuil. En vain, m a l g r é les vents, aux bords de l'Hespérie ftnée enfin porta ses dieux et sa patrie. Sans le secours des vers leurs noms tant publiés Seraient depuis mille ans avec eux oubliés. Non, à quelques hauts faits q u e ton destin t'appelle, Sans le secours soigneux d ' u n e muse fidèle, P o u r l'immortaliser tu fais de vains efforts. Apollon te la d o i t : ouvre-lui tes trésors. En poëtes fameux rends nos climats fertiles. Un Auguste aisément peut faire des Virgiles. ') En 1662, la ville de Paris étant ménacée d'une grande famine, causée par une stérilité de deux années, Louis XIV. fît venir de Prusse et de Pologne une grande quantité de blé. On fit construire des fours dans le Louvre, et le pain fut distribué au peuple à un prix modique. *) C'est le canal de Languedoc, qui joint la Méditerranée à la Garonne. Le dessein de ce canal fnt proposé en 1664 par Paul Riquet, de Béziers, et l'on commença à y travailler en 1665. *) En 1665 Louis XIV. donna des pensions à un grand nombre de gens de lettres, dans toute l'Europe.
112 Que d'illustres témoins de ta vaste bonté Vont pour toi déposer à la postérité! Pour moi, qui sur ton nom déjà brûlant d'écrire Sens au bout de ma plume expirer la satire, Je n'ose de mes vers vanter ici le prix. Toutefois, si quelqu'un de mes faibles écrits Des ans injurieux peut éviter l'outrage, Peut-être pour la gloire aura-t-il son usage. Et comme tes exploits, étonnant les lecteurs. Seront à peine crus sur la foi des auteurs, Si quelque esprit malin les veut traiter de fables, On dira quelque jour pour les rendre croyables: Boileau qui, d.ins ses vers pleins de sincérité, Jadis à tout son siècle a dit la vérité. Qui mit à tout blâmer son étude et sa gloire, A pourtant de ce roi parlé comme l'histoire.
É P I T R E 7. À. M. RAOINK '). Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur. Émouvoir, étonner, ravir un spectateur! Jamais Iphigénie, en Aulide immolée. N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée. Que dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé, En a fait sous son nom verser la Chaumeslé *). Ne crois pas toutefois, par tes savants ouvrages, Entraînant tous les coeurs, gagner tous les sutïrages. Sitôt que d'Apollon un génie inspiré Trouve loin du vulgaire 1111 chemin ignoré. En cent lieux contre lui les cabales saluassent. Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent; Et son trop de lumière importunant les veux, De ses propres amis lui fait des envieux. La mort seule ici-bas, en terminant sa vie. Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie; Faire au poids du bon sens peser tous ses écrits, Et donner à ses vers leur légitime prix. Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière,
') Cette épitre fut composée à l'occasion de la tragédie de Phèdre, que Racine fit représenter pour la première fois le premier jour de l'an 1677. Quelques personnes de la première distinction, ennemis de Racine, avaient poussé Pradon, poète médiocre, & faire une tragédie sur le même sujet, et cette pièce, quelque mauvaise qu'elle fut, ης laissa pas d'être applaudie par ceux qui enviaient la gloire de Racine, et par une partie du public abusé. Aujourd'hui la Phèdre de Pradon est oubliée, tandisque celle de Racine brillera toujours parmi les chefs-d'oeuvre de la scène française. *) Célèbre actrice, formée par Racine lui-même.
113 P o u r jamais sous la tombe eût enfermé Molière ' ) , Mille de ces beaux traits, aujourd'hui si vantés, F u r e n t des sots esprits à nos yeux rebutés. L'ignorance et l ' e r r e u r Λ ses naissantes pièces, E n habits de marquis, en robes de comtesses, Venaient p o u r difTamer son chef-d'oeuvre nouveau, Et secouaient la tète à l'endroit le plus beau. Le commandeur voulait la scène plus exacte, Le vicomte indigné sortait au second acte. L ' u n , défenseur zélé des bigots mis en jeu, P o u r prix de ses bons mots, le condamnait au f e u . L ' a u t r e , fougueux marquis, lui déclarant la g u e r r e , Voulait venger la cour immolée au p a r t e r r e . · Mais sitôt que d ' u n trait de ses fatales mains La P a r q u e l'eut rayé du n o m b r e des humains, On reconnut le prix de sa muse éclipsée. L'aimable comédie, avec lui terrassée, En vain d ' u n coup si rude espéra revenir, Et sur les brodequins *) ne put plus se tenir. Tel fut chez nous le sort du théâtre comique. Toi donc, qui t'élevant sur la scène tragique, Suis les pas de Sophocle, et seul de tant d'esprits, De Corneille vieilli sais consoler P a r i s ; Cesse de t ' é t o n n e r , si l'envie animée, Attachant à ton nom sa rouille envenimée, La calomnie en main, quelquefois te poursuit. En cela, c o m m e en tout, le ciel qui nous conduit, Racine, fait briller sa profonde sagesse: Le m é r i t e en repos s'endort dans la paresse: Mais par les envieux un génie excité Au comble de son art est mille fois monté. Plus on veut l'affaiblir, plus il croît et s'élance. Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance; Et p e u t - ê t r e ta p l u m e aux censeurs de P y r r h u s Doit les plus nobles traits dont tu peignis B u r r h u s ' ) . M o i - m ê m e , dont la gloire ici moins répandue Des pâles envieux ne blesse point la vue, Mais q u ' u n e h u m e u r trop libre, un esprit peu soumis,
') Molière étant mort, les comédiens se disposèrent à lui faire un convoi magnifique; mais M. de H a r l a i , archevêque de Paris, ne voulut pas permettre qu'on l'inhumât en terre sacrée. La veuve de Molière s'en plaignit au r o i , et celui-ci, bien que renvoyant l'affaire à la décision de l'archevêque, fit dire à ce prélat d'éviter l'éclat et le scandale. M. de Harlai révoqua donc sa défense à condition que l'enterrement serait fait sans pompe et sans bruit. *) „Brodequin" remplace ici le latin „ s o c c u s h a b i l l e m e n t de pied des comédiens et symbole de la comédie, comme „le cothurne" l'est de la tragédie. *) Une partie des connaisseurs ayant blâmé le caractère de Pyrrhus, dans l'Andromaque de Racine, comme trop violent et trop rude, Racine prouva par le caractère de Burrhus, dans son Britannicus, qu'il savait très bien peindre un homme sage et honnête. T r o i i libeles d e la l i t t é r a t u r e f r a n ç a i s e .
II"leEd.
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114 De bonne heure a pourra d'utiles ennemis: Je dois plus à leur haine, il faul que je l'avoue, Qu'au faible et vain talent dont la France ine loue. Leur venin, qui sur moi brûle de s'épancher, Tous les jours en marchant m'empêche de broncher. Je songe à chaque trait que ma plume hasarde, Que d'un oeil dangereux leur troupe me regarde. Je sais sur leurs avis corriger mes erreurs, Et je mets à profit leurs malignes fureurs. Sitôt que sur un vice ils pensent me confondre, C'est en me guérissant que je sais leur répondre; Et plus en criminel ils pensent m'ériger, Plus croissant en vertu 'je songe à me venger. Imite mon exemple; et lorsqu'une cabale, Un flot de vains auteurs follement te ravale, Profite de leur haine et de leur mauvais sens: Ris du bruit passager de leurs cris impuissants. Que peut contre tes vers une ignorance vaine? Le parnasse français, ennobli par ta veine. Contre tous ces complote saura te maintenir, Et soulever pour toi l'équitable avenir. Et qui, voyant un jour la douleur vertueuse De Phèdre malgré soi perfide, incestueuse, D'un si noble travail justement étonné, Ne bénira d'abord le siècle fortuné Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles, Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles? Cependant laisse ici gronder quelques censeurs Qu'aigrissent de tes vers les charmantes douceurs. Et qu'importe à nos vers que Perrin ' ) les admire, Qu'ils charment de Senlis le poète idiot *), Ou le sec traducteur du français d'Amyot 3 ). Pourvu qu'avec éclat leurs rimes débitées Soient du peuple, des grands, des provinces goûtées; Pourni qu'ils puissent plaire au plus puissant des rois; Qu'à Chantilly Condé les souffre quelquefois: Qu'Enguien en soit louché, que Colbert et Vivonne, Que La Rochefoucault, Marsillnc et Pomponne, Et mille autres qu'ici je ne puis faire entrer, A leurs traits délicats se laissent pénétrer;
') L'abbé Perrin, poëte médiocre, traduisit en vers français l'Enéide de Virgile. En 1669 il obtint, le premier en France, le privilège de fair jouer des opéras il l'imitation de Venise, mais en 1672 il fut obligé de le céder au célèbre Lulli qui l'exploita avec un graud succès, aidé par la coopération du poète Quinault. *) Linier, surnommé l'athée de Senlis, ne réussissait qu'à faire des chansons impies. a ) L'abbé Taillemant osa en 1665 „mettre en meilleur langage" la célèbre traduction de Plutarque, chef-d'oeuvre de goût et de style, par laquelle Amyot au 16ième siècle avait enrichi la littérature française.
115 Et plût au ciel encore, p o u r couronner l'ouvrage, Que M o n t a u s i e r 1 ) voulût lui donner son suffrage! (l'est à ilf tels lecteurs que j'offre mes écrits. Mais pour nn tas grossier île frivoles esprits, Admirateurs zélés de Ionie oeuvre insipide, Que non loin de la (dace où Brioche *) réside, Sans elierclier dans les vers ni cadeuce ni son, Il s'en aille admirer le savoir de Pradou.
L'ART POÉTIQUE. CHANT PREMIER. C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire a u t e u r Pense de l'art des vers atteindre la h a u t e u r . S'il ne sent point du ciel l'influence secrète. Si son astre en naissant ne l'a formé poète, Dans son génie étroit il est toujours captif. P o u r lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif. O vous donc qui, brûlant d ' u n e ardeur périlleuse, Courez du bel esprit la carrière épineuse, N'allez pas sur des vers sans fruit vous consumer, Ni p r e n d r e p o u r génie un a m o u r de r i m e r . Craignez d ' u n vain plaisir les trompeuses amorces, Et consultez longtemps votre esprit et vos forces. Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant, ou sublime, Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime. L ' u n l'autre vainement ils semblent se h a ï r ; La rime est une esclave et ne doit q u ' o b é i r . Lorsqu'à la bien chercher d ' a b o r d on s'éverluë, L'esprit à la trouver aisément s'habituë. Au joug de la raison sans peine elle fléchit, Et loin de la gêner, la sert et l'enrichit. Mais lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle, Et p o u r la rattraper, le sens c o u r t après elle. Aimez donc la raison. Que toujours vos écrits E m p r u n t e n t d'elle seule et leur lustre et leur prix. La plupart emportés d'une fougue insensée, T o u j o u r s loin du droit sens vont chercher leur pensée. Ils croiraient s'abaisser dans leurs vers monstrueux, S'ils pensaient ce qu'un a u t r e a pu penser comme eux.
') Le duc de Montausier était célèbre parmi les courtisans de Louis XIV. à cause de l'extrême franchise de ses propos et de la justesse de son esprit. Le vers qu'on vient de lire valut à Boileau l'amitié de ce censeur redouté. *) Brioche, joueur de marionettes, logeait non loin du théâtre où les comédiens du roi jouèrent la Phèdre de Pradon.
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116 Évitons ces excès. Laissons ì l'Italie De tous ces faux brillane l'éclatante folie. Tout doit tendre au bon sens: mais pour y parvenir, Le chemin est glissant et pénible à tenir. Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie. La raison, pour marcher, n'a souvent qu'une voie. Poursuivant cette pensée B. fait remarquer plusieurs défauts capitaux qu'ils faut éviter en écrivant. Il ne faut être ni prolixe ni obscur, ni trop omé ni trop nu. Dne élégance soutenue, maie animée par la vaiiété des tons empêchera que l'attention du lecteur ne languisse. Puis le poète pose les lois fondamentales de la versification française, et fait une critique rapide des auteurs qui avaient contribué it la former.
N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. Ayez pour la cadence une oreille sévère. Que toujours dans vos vers, le sens coupant les mots, Suspende rhémistiche, en marque le repos. Gardez qu'une voyelle, à courir trop hâtée, Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée. Il est un heureux choix de mots harmonieux. Fuyez de mauvais sons le concours odieux. Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée Ne peut plaire à l'esprit, quand l'oreille est blessée. Durant les premiers ans du Parnasse françois, Le caprice tout seul faisait toutes les lois. La rime, au bout des mots assemblés sans mesure. Tenait lieu d'ornements, de nombre et de césure '). Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers. Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers '). Marot *) bientôt après fit fleurir les ballades. Tourna des triolets, rima des mascarades, A des refrains réglés asservit les rondeaux, Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux. Ronsard 4) qui le suivit, par une autre méthode, Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode: Et toutefois longtemps eut un heureux destin. Mais sa muse, eu français parlant grec et latin, Vit dans l'Âge suivant, par un retour grotesque, Tomber de ses grands mots le faste pédantesque. Enfin Malherbe vint; et le premier en France Fit sentir dans les vers une juste cadence, D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, Et réduisit la muse aux règles du devoir. ') B. contrastait *) V. p. 6 7 - 7 2 . *) V. 4 ) V.
est injuste envers la vieille poésie française dont l'esprit libre et hardi par trop avec le génie du siècle classique. V. ©e[djid)te ?r. p. 19 — 51. sur Villon, poëte lyrique et satirique du temps de Louis XI., „©efdjicfite" je. ,,@ef$i($te" ic. p. 1 0 5 - 1 0 7 . „@e[ersonnes, aux bienséances, que chacun a son fait sans qu'il ait eu intentioi de le lui donner: il n'est pas encore assis, qu'il a, à son insu, désobligé bute l'assemblée. A - t - o n servi, il se met le premier à table et dans la prenière place; les femmes sont à sa droite et à sa gauche, il mange, il boit, il cmle, il plaisante, il interrompt tout à la fois: il n'a nul discernement des persomes, ni du maitre, ni des conviés; il abuse de la folle déférence qu'on a pour lui.
157 E s t - c e lui, e s t - c e E u t i d è m e qui donne le r e p a s ? Il r a p p e l l e à soi toute l ' a u t o rité d e la talile, et il y a un moindre inconvénient à la lui laisser entière q u ' à la lui d i s p u t e r : le vin et les viandes n'ajiintent rien à son c a r a c t è r e . Si l'on joue, il gagne nu j e u : il veut railler relui qui p e r d , et il Γ offense: les r i e u r s sont p o u r lui: il n'y a sorte de l'aluiié qu'on 11e lui passe. J e cède enfin et je disparais incapable de souffrir plus l o n g - t e m p s T h é o d e c t e , et ceux q u i le soutirent.
L'ESPRIT DE Ι.Λ CONVERSATION. L'esprit d e la conversation consiste bien moins à en m o n t r e r b e a u c o u p , q u ' à en faire t r o u v e r aux a u t r e s : celui qui sort de v o t r e entretien content d e soi et de son e s p r i t , l'est de vous parfaitement. Les h o m m e s n ' a i m e n t p o i n t à vous a d m i r e r , ils veulent p l a i r e : ils cherchent moins à ê t r e instruits et m ê m e réjouis qu'à ê t r e goûtés et a p p l a u d i s : et le plaisir le p l u s délicat est de faire celui d ' a u t r u i . 11 n e faut pas qu'il y ait t r o p d'imagination clans nos conversations ni dans nos é c r i t s : elle ne p r o d u i t souvent (pie des idées vaines et puériles q u i n e servent point à perfectionner le g o û t , et à nous r e n d r e m e i l l e u r s : nos pensées doivent ê t r e prises dans le bon sens et la droite raison et ê t r e un effet d e notre jugement. C'est u n e g r a n d e misère q u e de n'avoir pas assez d ' e s p r i t p o u r bien p a r l e r , ni assez d e j u g e m e n t p o u r se taire. Voilà le p r i n c i p e d e t o u t e i m p e r t i n e n c e . Dire d'une chose m o d e s t e m e n t ou qu'elle est bonne, ou q u ' e l l e est mauvaise, et les raisons p o u r q u o i elle est telle, demande du bon sens et d e l ' e x p r e s s i o n ; c'est u n e affaire. Il est p l u s court de prononcer d ' u n ton décisif et qui e m p o r t e la p r e u v e d e ce qu'on a v a n c e , on qu'elle est e x é c r a b l e , ou qu'elle est m i r a culeuse.
DES
BIENS
DE
FORTUNE.
UN HOMME D ' A F F A I R E S ET UN HOMME D E LETTRES. J e vais, O l i p h a n t e , à votre p o r t e ; le besoin q u e j ' a i d e vous me chasse de mon lit et d e ma c h a m b r e : plût aux dieux q u e je 11e fusse ni votre client ni votre fâcheux ! Vos esclaves me diseul q u e vous êtes e n f e r m é et q u e vous n e pouvez m ' é c o u l e r (pie d ' u n e h e u r e entière; je reviens avant le temps q u ' i l s 111'ont m a r q u é et ils me disent que vous êtes sorti. Q u e f a i t e s - v o u s , Clitiphon, dans cet e n d r o i t le plus r e c u l é de votre a p p a r t e m e n t , de si l a b o r i e u x qui vous e m p ê c h e de m ' e n t e n d r e ? Vous enfilez quelques mémoires, vous collationnez u n r é g i s t r e , vous signez, vous p a r a p h e z ; je n'avais q u ' u n e chose à vous d e m a n d e r , et vous n'aviez qu'un mot à nie r é p o n d r e , o u i , ou n o n . Voulez-vous être r a r e ? rendez servie« à ceux qui dépendent d e v o u s : vous les servez d a v a n tage par cette conduite q u e par 11e vous pas laisser v o i r . O homme important et chargé d'affaires, qui à votre tour avez besoin d e m e s offices, venez dans la s o l i t u d e d e mon c a b i n e t , le philosophe est accessible, j e ne vous remettrai point à un a u t r e j o u r . Vous 111e trouverez s u r les livres de P l a t o n
158 ou la p l u m e à la m a i n p o u r calculer les distances de Saturne el de J i u p i t e r ; j ' a d m i r e Dieu dans ses ouvrages et je cherche par la connaissance de la v é rité, à r é g l e r mon esprit et Λ devenir meilleur. Entrez, toutes les p o r t e s vous sont ouvertes: m o n a n t i c h a m b r e n'est pas faite pour s'y ennuver en m'atttendant, passez jusqu'à moi sans me faire a v e r t i r : vous m'apportez quelque chiose de p l u s précieux q u e l'arpent et l'or, si c'est une occasion de vous o b l i g e r : parlez, q u e voulez-vous q u e j e fasse p o u r vous? Faut-il quitter mes livres, mes éludas, m o n o u v r a g e , cette ligne qui est c o m m e n c é e ? q u e l l e interruption h e u r e u s e p o u r moi q u e celle qui vous est u t i l e ! Le manieur d'argent, l'homme d ' a f f a i r e s est u n o u r s q u ' o n n e saurait a p p r i v o i s e r : on ne le voit dans sa loge (qu'avec p e i n e ; q u e d i s - j e ? on ne le voit point : car d'abord on ne le voit pas encore et bientôt on ne le voit plus. L'homme de lettres, au c o n t r a i r e , est trivial c o m m e u n e b o r n e au coin des places; il est vu de tous el à toute h e u r e et en tous é t a t s , à t a b l e , au l i t , n u , h a b i l l é , sain ou malade; il ne petut ê t r e i m p o r t a n t , et il ne le veut point être.
LE DUC FRANÇOIS DE LA ROCHEFOUCAULT.
(1612-1680.) Le duc François de la Rochefoiicault, un des cbefs de la Fronde, ami de madame de Sévigné, se consola des déceptions de sa vie politique par la composition du livre curieux „Réflexions, Sentences et Maximes morales de M. de la Rochefoucault," qu'il publia en 1665, et où il dit leurs vérités à ses contemporains et à lui-même. Cet auteur explique toutes nos vertus et tous nos vices par des motifs d'égoïsme et de vanité. Il ne voit guère que le côté faible de la nature humaine, niais il le voit bien et sait le peindre avec beaucoup d'esprit et de justesse de vues et d'expression.
E X T R A I T S DES „MAXIMES" ETC. DE LA ROCHEFOUCAULT. 1. Quoique les h o m m e s se flattent de leurs grandes actions, elles ne s o n t pas souvent des effets d'un grand dessein, mais des effets du h a z a r d . 2. Q u e l q u e éclatante que soit une a c t i o n , elle ne doit pas passer p o u r g r a n d e , lorsqu'elle n'est pas l'effet d'un grand dessein. 3. Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions, si le m o n d e voyait tous les motifs qui les produisent. 4. On n'est jamais si ridicule par les qualités qu'on a , q u e par celles q u e l'on affecte d'avoir. 5. Nous g a g n e r i o n s plus de nous laisser voir tels q u e nous sommes, q u e d'essayer d e p a r a î t r e ce que nous ne sommes pas. 6. Les ambitieux se t r o m p e n t , quand il se proposent des fins Je l e u r a m b i t i o n : ces fins deviennent des moyens, quand ils y sont arrivés.
159 7. Ce qui paraît générosité n'est souvent qu'une ambition déguisée qui méprise des petits intérêts pour aller Λ de plus grands. 8. Ce que les hommes ont nommé amitié n'est qu'une société, qu'un ménagement réciproque d'intérêt, et qu'un échange de lions offices; ce n'est enfin qu'un commerce où l'amour propre, se propose toujours quelque chose à gagner. 9. Il ne faut pas regarder epici bien nous fait un a m i , mais seulement le désir qu'il a de nous en faire. 10. Encore que nous ne devions pas aimer nos amis pour le bien qu'ils nous font; c'est une marque qu'ils ne nous aiment guères, s'ils ne nous en font point, quand ils en ont le pouvoir. 11. Dans l'adversité de nos amis nous trouvons toujours quelque chose qui lie nous déplaît pas. 12. Il est plus honteux de se défier de ses amis, que d'en être trompé. 13. Quand nous exagérons la tendresse que nos amis ont pour nous, c'est souvent moins par reconnaissance que par le désir de faire juger avantageusement de notre mérite. 14. Nous aimons toujours ceux qui nous admirent; et nous n'aimons pas toujours ceux que nous admirons. 15. Quelque rare que soit le véritable a m o u r ; il l'est encore moins que la véritable amitié. 16. II est difficile d'aimer ceux que nous n'estimons point; mais il ne l'est pas moins d'aimer ceux que nous estimons beaucoup plus que nous. 17. Nous sommes plus près d'aimer ceux qui nous haïssent que ceux qui nous aiment plus que nous ne voulons. 18. Les amitiés renouées demandent plus de soins que celles qui n'ont jamais été rompues. 19. L'amour, partout où il est, est toujours le maître. 11 forme l'âme, le coeur et l'esprit, selon ce qu'il est. Il n'est ni petit ni grand selon le coeur et l'esprit qu'il occupe, mais selon ce qu'il est en lui-même: et il semble véritablement que l'amour est à l'âme de celui qui aime, ce que l'âme est au corps de celui qu'elle anime. 20. On doit ne pas s'étonner si quelques nations, qui n'étaient pas éclairées de la foi, ont fait une divinité de l'amour. Ses effets et ses sentiments sont étranges, extraordinaires, et paraissent surnaturels. 21. L'amour du prochain est de tous les sentiments le plus sage et le plus habile; il est aussi nécessaire dans la société civile pour le bonheur de notre vie, que dans le christianisme pour la félicité éternelle. 22. L'amour propre est l'amour de soi-même, et de toutes choses pour soi; il rend les hommes idolâtres d ' e u x - m ê m e s , et les rendrait les tyrans des autres, si la fortune leur en donnait les moyens. Il ne se repose jamais hors de soi, et ne s'arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les Ileurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Il n'est rien de si impétueux que ses désirs, rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites. Ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphose, et ses raffinements ceux de la chimie. On ne peut sonder la profondeur, ni percer les ténèbres de ses abîmes. Là il est à couvert des yeux les plus pénétrants, il fait mille insensibles tours et retours. Là il est souvent invisible à l u i - m ê m e ; il y conçoit, il y nourrit, et il y élève, sans le savoir, un grand nombre d'affections et de haines. Il en forme de si monstrueuses, que lorqu'il les ;i mises au j o u r , il les méconnaît, ou il ne peut se
160 résoudre à les avouer. De cette nuit qui le couvre naissent les ridiculees p e r suasions qu'il a île l u i - m ê m e ; de là viennent ses erreurs, ses ignorancces, ses grossièretés et ses niaiseries sur son sujet. De là vient qu'il croit qque ses sentiments sont morts, lorsqu'ils ne sont qu'endormis, qu'il s'imagine n'avouir plus envie de courir dès qu'il s e repose, et qu'il pense avoir perdu tous les go A tits qu'il a rassasiés. Mais celte obscurité épaisse qui le r a d i e à lui-même, n'ennipèclie pas qu'il ne voie parfaitement ce qui est hors de lui, en quoi il est senmblable à nos yeux qui découvrent tout et sont aveugles seulement pour e u x - m ê t m e s . 23. Rien ne nous peut tant instruire du dérèglement général de l'huoinme, que la parfaite connaissance de nos dérèglements particuliers. Si nous vvoulons faire réflexion sur nos sentiments, nous reconnaîtrons dans notre âme le· principe de tous les vices que nous reprochons aux autres: si ce n'est paar nos actions, ce sera du moins par nos mouvements. Car il n'y a point de malice que l'amour propre ne présente à l'esprit pour s'en servir aux occasioins; et il y a peu de gens assez vertueux, pour n'être pas tentés. 24. Ceux qui s'appliquent trop aux petites choses, deviennent o r d i n a i r e ment incapables des grandes. 25. L'avarice est plus opposée à l'économie que 'la libéralité. 26. Souvent les bienfaits nous font des ennemis, et l'ingrat ne l'est p>resque jamais à demi: car il ne se contente pas de n'avoir point la reconnaissance qu'il d o i t ; il voudrait même n'avoir pas son bienfaiteur pour témoin die son ingratitude. 27. Presque tout le monde prend plaisir à s'acquitter des petites o b l i gations: beaucoup de gens ont de la reconnaissance pour les médiocres:: mais il n'y a presque personne qui n'ait de l'ingratitude pour les grandes. 28. La bienséance est la moindre de toutes les lois, et la plus suiivie. 29. Rien ne sert tant au bonli^ir de la vie, que de connaître les choses c o m m e elles sont: cette connaissance s'acquiert par de fréquentes réfllexions sur tout ce qui se passe dans le monde, et fort peu par les livres. 30. Rien n'est plus rare que la véritable b o u t é ; eux-mêmes qui croient en avoir, n'ont ordinairement que de la complaisance ou de la faiblesse. 31. Nul ne mérite le titre de bon, s'il n'a pas la force et la hardiesse d'être méchant. Toute autre bonté n'est le plus souvent qu'une paresse ou une impuissance de la volonté. 32. Chacun dit du bien de son coeur, et personne n'en ose dire de son esprit. 33. L'esprit ne saurait jouer longtemps le personnage du coeur. 34. Ce qui nous fail aimer les nouvelles connaissances, n'est pas tant le dégoût que nous avons des vieilles, ou le plaisir de changer, que le chagrin d e n'être pas assez admirés de ceux qui nous connaissent trop, et l'espérance de l'être davantage de ceux qui ne nous connaissent pas tant. 35. Il n'y a point de celui de lui donner conseil.
plaisir
qu'on fasse plus volontiers à un ami que
36. La contradiction doit éveiller l'attention, et non pas la colère. 11 faut écouler, et non fuir celui qui contredit. Notre cause doit toujours être celle de la vérité, de quelque façon qu'elle nous soit montrée. 37. Une chose qui fait que l'on trouve si peu de gens raisonnables et agréables dans la conversation, c'est qu'il n'y a presque personne qui ne pense plutôt à ce qu'il veut dire, qu'à répondre précisément à ce qu'on lui dit. L e s plus habiles et plus complaisants se contentent de montrer seulement une
161 mine
attentive,
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38.
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La véritable é l o q u e n c e a
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o n p o u r r a i t s e m o n t r e r tel
et
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bon
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simple
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pouvons 41.
Nous
pardonnons souvent
pardonner
L'espérance
toute
à la lin par un c h e m i n 42. les p l u s dédire
à
43.
trompeuse
1'opiniátreté.
et a b a n d o n n e r
nous
ennuient,
mais n o u s
ne
ennuyons. qu'elle est, sert au moins à n o u s
mener
agréable.
Les esprits m é d i o c r e s , sujets
à
à ceux q u e n o u s
mais m a l f a i t s , s u r t o u t Il
un mauvais
Le vrai m o y e n
d'être
n'y
a
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les
Âmes
les d e m i - s a v a n t s , fortes
qui
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sachent
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parti. trompé,
c'est
de
se
croire
p l u s fín q u e
les
autres.
JACQUES BÉNIGNE BOSSUET.
(1627—1704.)
(cf. ©ef$ite JC. p. 2 3 3 s q u . )
Bossuet naquit à Dijon, le 27 septembre 1627, d'une grande et vieille famille de robe. Il fit ses premières études aux jésuites de Dijon. Puis il vint faire à Paris ses cours de philosophie et de théologie. Il fut nommé archidiacre, ensuite doyen de l'église de Metz. En 1G69, Louis XIV. le nomma évêque de Condon, et peu de temps après, il lui confia l'éducation du dauphin. En 1682, Bossuet fut élevé à l'évêché de Meaux, et après le mariage du dauphin, son élève, il reçut la place de premier aumônier de Mme. la dauphine. Épuisé de travaux, il succomba en 1704 à une cruelle maladie dont il avait senti depuis 1702 les atteintes. Bossuet se distinguait par une aptitude prodigieuse au travail, par un talent eminent d'orateur et d'écrivain didactique, et par le zèle infatigable avec lequel il mettait ces qualités au service de l'église et de la royauté absolue. Son orthodoxie ne l'empêchait pas de défendre les privilèges du roi de France et de l'église gallicane contre le pape lui-même. Mais en revanche, il soutint vigoureusement la cause de Rome contre les hérétiques calvinistes, jansénistes et quiétistes, et quiconque s'éloignait tant soit peu des dogmes de l'église. Le savoir solide, l'élégance austère et, qu'on nous permette cette expression, la dévotion royaliste du siècle de Louis XIV. se personuiT r o i s s i è c l e s d e la i i l t t T a l u r e f r a n ç a i s e .
lImt'Ed.
11
162 fient dans lui plus complètement que dans aucun autre écrivain de cette époque. Son „discours sur l'histoire universelle1- et ses „oraisons funèbres" lui ont assuré, sur le goût littéraire et sur les opinions religieuses et politiques des Français, un ascendant sérieux que les révolutions de deux siècles n'ont pas encore réussi à paralyser. Oeuvres complètes (oraisons, oeuvres de théologie, de philosophie et d'histoire) à Versailles, Lebel, 1805—19, 43 vol. 8vo.
FRAGMENTS DE LORAISON FUNÈBRE DE LOUIS DE BOURBON, PRINCE DE CONDÉ. Prononcée en l'église de Notre-Dame de Paris, le dixième jotir de mars 1687. BATAILLE DE ROCBOI. Dieu nous a révélé que lui seul fait les conquérants, cl que seul il les fait servir à ses desseins. Quel autre a fait un Cyrus, si ne n'est Dieu, qui l'avait nommé deux cents ans avant sa naissance dans les oracles d'Isaie? ,,Tu n'es pas encore," lui disait-il, „mais je te vois et je t'ai nommé par leut
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G É N É R A L E
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COMPARAISON DES ANIMAUX E T DES V É G É T A U X . Dans la infini
des
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par
inanimés. vement, n'en
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supériorité Les
animaux
beaucoup
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o n t les v é g é t a u x :
nous présente
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dont
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connaissons
l e u r s sons, par
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qu'ils ont
sur
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dans
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les
êtres
forme,
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développement,
les par
le
nombre
peuplée, avec
végétaux
par leur
environnent, leur figure,
les
nous, ou
mouque par
leur accroissement ι.Ί par leurs il ι llórenles p a r l i e s , out aussi im plus g r a n d n o m b r e île r a p p o r t s avw: l o objets extérieurs q u e n'en out les minéraux ou les p i e r r e s , qui n'ont .incline sorte «le vie ou c. p. 2 9 1 - 2 9 2 . )
Jean Pierre Claris de Florian, né eu 1755 au château de Florian dans les Cévennes, dans sa jeunesse page du duc de Penthiévre, ensuite officier de cavalerie dans l'armée, quitta le service militaire pour rester attaché, en qualité de „gentilhomme ordinaire," à son premier protecteur. Les travaux littéraires qui l'occupaient dans les heureux loisirs de cette position, lui ouvrirent 1788 les rangs de l'académie française. La révolution le priva de l'appui de son bienfaiteur, et menaça même pendant quelque temps sa vie et sa liberté. Il mourut, jeune encore, en 1794. — Florian rivalisait avec Marmontel dans ses „romans historiques" ou histoires romanesques „Numa Pompile" et „Guillaume Tell" qui, commele „Bélisaire" du premier, ont dû et doivent encore à leur style facile et élégant une grande vogue, surtout dans nos écoles. Mais ces compositions qui ne sont pas libres d'une certaine rhétorique sentimentale, n'égalent pas le mérite de l'idylle „Estelle" (1788) et surtout des jolies „Fables" de Florian, imitation heureuse de celles de Lafontaine. La traduction libre que l'auteur donna du célèbre roman „Don Quichotte ') de la Mancha" de l'Espagnol Cervantes, lui assure, plus encore que ses propres romans et nouvelles, une place honorable parmi les prosateurs de sa nation.
F A B L E S. LE BOEUF, LE CHEVAL ET L'ANE.
(Livre I, 7.)
Un boeuf, un baudet, un cheval Se disputaient la préséance. Un baudet? direz-vous, tant d'orgueil lui sied mal. A qui l'orgueil s i e d - i l ? et