Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France ( VIIe- début du XIIe siècle ) 2503516289, 9782503516288

Les souscriptions sont un des éléments les plus importants des actes du Haut Moyen Age. Il s'agit en effet du princ

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France ( VIIe- début du XIIe siècle )
 2503516289, 9782503516288

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France cvne - début du xne siècle)

ARTEM (Atelier de Recherches sur les Textes Médiévaux)

9

Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France (VIIe - début du XIIe siècle)

BENOIT-MICHEL TOCK

BREPOLS

© 2005

BREPOLS @l PUBLISHERS, Turnhout (Belgium)

Ali rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording,

or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2005/005 5162 ISBN 2-503-51628-9 Printed in the E.U. on acid-free paper

Avant-Propos

Au bas des actes, jusqu'au xne siècle environ, figurent souvent quelques lignes très densément peuplées de noms de personnes. Des souscripteurs, des témoins, un scribe (qui est lui-même souscripteur, d'ailleurs). La présence de ce petit monde au bas de l'acte introduit une rupture. Rupture dans le texte, précisément parce qu'on entre dans une succession de noms. Rupture surtout dans l'organisation générale de l'acte, visible seulement sur les actes dont l'original est conservé : encre, écriture, mise en page sont alors affectées, ou peuvent l'être, tandis qu'aux caractères alphabétiques latins, peuvent s'ajouter d'autres signes graphiques. Ces noms, fictivement ou réellement, sont apposés à un moment particulièrement solennel : celui où l'acte, et par là l'action juridique qu'il rapporte, deviennent publics parce que leur auteur manifeste son geste devant tous, parce que l'acte lui-même est présenté aux yeux de tous. Celui où l'acte assume son rôle de memoria écrite d'une action verbale et gestuelle. En quelque sorte, avant une vie d'archive, la naissance de l'acte. C'est dire l'importance de ces noms et de ces souscriptions. Mais sur ce moment particulier de l'élaboration des actes, la bibliographie est finalement assez mince. Il faut cependant souligner la publication, très récente, de la superbe étude de Peter Worm sur les souscriptions des chanceliers dans les diplômes carolingiens des vrne et IXe siècles, issue d'une thèse soutenue à Münster. Cet intérêt simultané pour les souscriptions n'est pas tout à fait dû au hasard. Il est lié au développement des collections de photographies et de l'ou5

Avant-Propos

til informatique, qui seuls permettent l'étude et la comparaison d'un grand nombre d'actes dispersés. Dans le cas du présent travail, plus de 3600 actes ont été pris en compte. C'est dire que la diplomatique entre progressivement dans une ère nouvelle : à côté des recherches consacrées à des corpus d'actes assez restreints, au nombre de quelques centaines au plus (et il n'est, faut-il le dire, aucunement question de récuser ces études qui sont plus que jamais nécessaires), il y a de la place pour d'autres travaux, portant sur des échantillons plus vastes. Ces nouveaux développements de la diplomatique, et en particulier les travaux portant sur les souscriptions, sont liés, l'un au Lichtbildarchiv alterer Originalurkunden de Marbourg, l'autre à l'Artem de Nancy, et donc aux noms de Peter Rück et de Michel Parisse. Ce dernier m'a permis d'intégrer progressivement l'équipe de l'Artem. Il a aussi suivi l'avancement de ce travail, me donnant, comme il le fait toujours, beaucoup de temps, de conseils, de patience. Je lui dois beaucoup. Monique Bourin, Patrick Corbet, Olivier Guyotjeannin, Walter Prevenier et Michel Zimmermann ont, avec Michel Parisse, fait partie du jury lors de soutenance de vue de l'habilitation à diriger des recherches, en novembre 2001 à Paris : je les remercie pour les nombreuses remarques qu'ils m'ont adressées. Merci en particulier à Walter Prevenier, qui faisait déjà partie de mon jury de thèse et a toujours, depuis les temps lointains du FNRS, soutenu mes recherches ; et à Olivier Guyotjeannin, qui m'a accueilli avec générosité et amitié sur les terres de la diplomatique française. Merci aussi à l'équipe de l'Artem : en particulier à son directeur, Pierre Pegeot, grâce à qui le travail sur les chartes originales, que ce soit dans le cadre de cette étude ou dans celui de la constitution de la base de données des originaux, a pu progresser ; et à Marie-José Gasse-Grandjean, aujourd'hui à Dijon, qui a travaillé quotidiennement à faire avancer ce projet de base de données. Elle a également donné de son temps pour relire le présent travail, comme l'ont fait aussi Martin-Dietrich GleBgen et Véronique Leblanc: je les en remeroe. Je voudrais aussi évoquer quelques-uns au moins des maîtres que j'ai eus : Léopold Genicot, Gérard Fransen, Paul Tombeur, ainsi que René Noël et Guy Philippart. Je sais la dette que j'ai à leur égard, et n'oublie pas la chance que j'ai eue d'avoir de tels professeurs. 6

Introduction

Regardons, entre mille autres, la notice de la donation faite en faveur de l'abbaye de Marmoutier, entre 1034 et 1064, par Foulques de Louvigné (ill. n° 1} 1 . L'acte est plutôt petit (13 cm de haut sur 15,5 de large, environ), écrit avec soin et élégance, mais sans mise en page particulière. La donation, il est vrai, est relativement modeste : 8 acres de terre. Pourtant, l'œil le moins averti remarque immédiatement que l'acte est constitué de deux parties : un texte compact, d'abord; quelques noms ensuite, disposés en deux colonnes, occupant à eux seuls presque la moitié du parchemin. Si l'on prend autant de soin et de place pour tracer ces quelques noms, c'est qu'ils en valent la peine. De fait, ces noms, ces souscriptions, sont une des parties les plus importantes de l'acte. Car ce qui distingue fondamentalement un acte écrit d'un autre texte, davantage même que le contenu juridique et le formalisme de la rédaction, c'est surtout la présence de moyens de validation. Or quel autre moyen de validation, avant la généralisation de l'usage du sceau au xne siècle, que les souscriptions ? Encore faut-il définir la « souscription». Le mot, rare dans notre corpus 2 , a changé de sens au cours du Moyen Age. Sans le défi-

1 2

Arch. dép. Ille-et-Villaine, 16 H 6 n° 2 ; Artem 2807. Voir p. 126.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Ill. n° 1 : Arch. dép. Ille-et-Villaine, 6 H 16 n° 2 ; Artem 2807

nir, Giry comme de Boüard l'utilisent au sens de souscription écrite, le distinguant par exemple des seings manuels 3. Il en va de même dans une récente introduction à la diplomatique médiévale4. La définition du Vocabulaire international de la diplomatique est malheureusement insatisfaisante : « les souscriptions sont les formules par lesquelles les parties, les témoins de l'action juridique ou de l'acte écrit, le scribe, marquent la part qu'ils ont prise à cet acte en manifestant leur volonté personnelle, leur consentement ou leur présence » 5 . En effet, les souscriptions ne sont pas composées que de for-

Manuel de diplomatique, p. 592 ; DE BoüARD, Manuel de diplomatique, t. 1, p. 321-322. 4 GUYOTJEANNIN, PYCKE et TOCK, Diplomatique médiévale, p. 88. 5 CARCEL ÜRTf, Vocabulaire international de la diplomatique, p. 66, § 254. GUYOTJEANNIN, PYCKE et TOCK, La diplomatique médiévale, p . 88-90, ne définissent pas vraiment la souscription. 3 GIRY,

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Introduction

mules, mais aussi de signes graphiques 6 ; aux personnes énumérées on peut ajouter les proches des parties en présence, et d'éventuels chanceliers; l'intervention personnelle des souscripteurs étant, on le verra, assez rare, il serait préférable de parler, non seulement de personnes qui « marquent la part » qu'elles ont prise à l'acte, mais aussi de personnes dont on marque la part ; il ne s'agit d'ailleurs pas strictement de la part prise à l'acte écrit, mais aussi, éventuellement, à l'action juridique. Il faut élargir la perspective. Comme le rappelait W. Schlügl, toute intervention d'un scripteur sous un texte et en rapport avec ce texte est une souscription 7 . On considèrera donc comme souscription tout élément, écrit ou graphique 8 , voire immatériel, autographe ou allographe 9 , inscrit sous le texte de l'acte 10 , et servant à marquer l'intervention de différentes personnes (auteur, témoins, tiers, scribe, chancelier, voire bénéficiaire) dans l'action juridique et/ou dans l'acte instrumentaire. Peut-on détailler davantage ? Schlogl distingue la souscription écrite ( « Unterschrift ») de la souscription graphique ( « Unterzeichnung » ), l'ensemble étant appelé « U nterfertigung » u. La langue française ne permet pas une telle extension et précision du vocabu-

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CARCEL ÜRTf, Vocabulaire international de la diplomatique, p. 54, § 183, ne voit dans les formules que des «phrases, propositions ou groupes de mots», même si ailleurs (p. 3 7, § 83 ), la formule est incidemment définie comme un «élément formel des actes». 7 SCHLÔGL, Die Unterfertigung deutscher Kônige, p. 3 : «Grundsatzlich ist jedes Schreiberzeugnis, das unter einem Text steht, in Beziehung zu diesem Text eine subscriptio». 8 On reprend donc ici la distinction qui s'est opérée entre l'écrit et le graphique, ce dernier compris comme synonyme de non-écrit, malgré les réserves que l'étymologie permettrait d'élever contre une telle distinction. 9 Il a paru préférable de forger ce néologisme plutôt que d'utiliser la tournure «nonautographe», plus lourde. Voir déjà ScHLôGL, Die Unterfertigung deutscher Kônige, p. 8. 10 Le «texte» de l'acte est ici l'ensemble de l'acte, sauf protocole, souscriptions et date : voir la définition dans CARCEL ÜRTf, Vocabulaire international de la diplomatique, p. 53, § 181. Bien que la date se trouve généralement après les souscriptions, elle peut aussi les précéder. D'autre part, les souscriptions ne forment pas forcément un bloc homogène : celle du scribe a normalement sa place après la date, ou au sein d'une phrase mixte, date/souscription de scribe. 11 V. aussi SAUPE, Die Unterfertigung der lateinischen Urkunden, p. 2.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

laire. On est donc contraint de rester dans l'ambiguïté, où« souscription » désigne aussi bien l'ensemble du phénomène ( « U nterfertigung ») que la souscription écrite, surtout quand elle est subjective (Ego Talis subscripsi, ou ego Talis hanc donationem firmavi). La souscription graphique porte soit ce nom, soit celui de « signe graphique », soit enfin le nom du type de souscription graphique concerné (chrisme, monogramme, ruche ... ).

Les souscriptions ont suscité assez peu de recherches. Certes, les noms qu'elles livrent par dizaines ont servi aux travaux des généalogistes, des prosopographes, des anthroponymistes, des toponymistes et de bien d'autres. Mais, utilisés ainsi, ces noms propres sont extraits de leur contexte. Dans les documents, ils sont accompagnés d'un verbe, d'un nom commun, d'un signe graphique, qui précise à quel titre et pour quelle raison, le nom est repris. C'est là une donnée à laquelle on s'est trop peu intéressé. S'il n'y a pas de synthèse sur le sujet, il y a cependant de nombreuses monographies 12 . Elles portent généralement sur les souscriptions dans un corpus d'actes : actes pontificaux 13 , de souverains allemands14, des conciles carolingiens 15 , des ducs d'Aquitaine 16 , des comtes d'Anjou 17 , des seigneurs de Canossa 18 ; les chartes lucquoises du vrne siècle 19 , leurs homologues léonaises des xe-xre siècles 20 . Parfois très descriptives (elles détaillent qui souscrit, comment, avec

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Voir tout de même GIRY, Manuel de diplomatique, p. 591-621 ; DE BoüARD, Manuel de diplomatique, t. 1, p. 321-333; GUYOTJEANNIN, PYCKE et TocK, La diplomatique médiévale, p. 88-90. Il n'y a pas de chapitre spécifique chez BRESSLAU, Handbuch der Urkundenlehre, où les informations sont dispersées. FRAENKEL, La signature, ne parle pratiquement pas de la période sur laquelle nous travaillons, et qui, de fait, ne voit pas vraiment de signature. Sur ce sujet, voir plus récemment encore ]EAY, La naissance de la signature. 13 MAY, Ego NN. catholicae ecclesiae episcopus, qui remplace KATTERBACH et PEITZ, Unterschriften der Pàpste und Kardinàle, vieilli et purement chronologique. 14 ScHLôGL, Die Unterfertigung deutscher Kô"nige. 15 HARTMANN, Unterschriftslisten karolingischer Synoden. 16 PRELL, Les souscriptions des chartes des comtes de Poitou. 17 GUILLOT, Le comte d'Anjou, t. 2, p. 5-20. 18 SANTORO, Le sottoscrizioni dei signori di Canossa. l9 SUPINO MARTINI, Le sottoscrizioni testimoniali. 20 MENDO CARMONA, La suscripci6n altomedieval.

10

l ntroduction

quels signes graphiques ... ), elles abordent aussi souvent le problème de l'évolution de ces souscriptions et de la mutation du rôle des souscripteurs, de plus en plus extérieurs à l'action et à l'acte. On relèvera simplement au passage que rares sont les travaux portant sur les actes privés français. Il en va de même des travaux portant sur un élément des souscri prions : l' autographie 21 , le classement des témoins 22 , la souscription subjective23 , la souscription de chancellerie24 . Les signes graphiques, particulièrement importants dans les souscriptions, ont été au centre des travaux d'un colloque réuni à Marbourg en 1989 et qui a donné lieu à la publication d'un volumineux livre, riche de nombreuses contributions 25 , dont une synthèse sur l'histoire de l' invocation symbolique et des signes de récognition 26 ; d'autres études, en Espagne en particulier, ont vu le jour sur le même sujet 27 . En Italie, l'acte notarial a bénéficié d'études nombreuses, du fait notamment de sa relative continuité d'un bout à l'autre du Moyen Age, et celles-ci ont porté entre autres sur les souscriptions 28 . Les souscriptions des actes vénitiens ont aussi servi de base à une étude sur la maîtrise de l'écriture, et donc de l'alphabétisation 29 . De rares corpus d'actes du Haut Moyen Age ont bénéficié d'une étude diplomatique. Dans certains cas on peut y trouver des éléments sur la souscription 30 .

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ATSMA et VEZIN, Les autographes dans les documents mérovingiens. PARISSE, Croix autographes de souscription. 22 FICHTENAU, Die Reihung der Zeugen. 23 SCHMEIDLER, Subjektiv gefasste Unterschriften. 24 WoRM, Karolingische Rekognitionszeichen. 25 RücK, Graphische Symbole. 26 E!SENLOHR, Von ligierten zu symbolischen lnvokations- und Rekognitionszeichen. On le verra plus loin, cette synthèse concerne cependant très peu la France ; d'autre part, contrairement à ce que son titre indique, elle fait la part belle à l'invocation symbolique et laisse à la récognition la portion congrue. 27 CASADO DE ÜTAOLA, Per visibilia ad invisibilia. 28 Par exemple PETRONIO NICOLA], Il «signum» dei tabellioni romani ; LEONE, La genesi e Io sviluppo. Sur le notariat italien et ses origines, voir le récent travail de MEYER, Felix et inclitus notarius. 2 9 FEES, Eine Stadt lernt schreiben. 30 BRUCKNER, The Diplomatie of Barly Alemannian Charters, p. x-xr. GASNAULT, Les actes privés de Saint-Martin de Tours, p. 32-35 (et p. 25-32 sur les scribes souscripteurs). Rien toutefois chez LEMARIGNIER, Les actes de droit privé de Saint-Bertin. DESPY, Les chartes privées de Stavelot, examine surtout l'évolution du formulaire.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Bien entendu, de nombreuses réflexions sur les souscriptions se trouvent aussi dans des travaux ne portant pas spécifiquement sur ce thème, mais sur la diplomatique, le pouvoir 31 ... Quel bilan tirer de tout cela, et quelles perspectives peuvent être les nôtres ? L'histoire primitive de la souscription a été écrite autant que la rareté des sources le permet. Elle constitue un élément important des débats sur la transition de !'Antiquité au Haut Moyen Age, et à ce titre a recueilli l'attention de plusieurs historiens 32 . Un travail spécifique a même été consacré au sujet. Malheureusement, il sacrifie trop largement à une tradition de la diplomatique descriptive : malgré des conclusions partielles, il est dépourvu de conclusion générale 33 . Quoi qu'il en soit, l'ensemble de ces travaux, auxquels on peut ajouter l'introduction à l'édition de certains corpus de documents anciens 34 , montre bien l'évolution: la souscription apparaît au Bas-Empire, au détriment du sceau, et ce développement est lié au passage d'une diplomatique sur tablettes de cire à une diplomatique sur papyrus, qui imposait une souscription à l'encre. Les souscriptions étaient relativement longues, surtout celles de l'auteur. Le rôle des témoins, que l'on peut également appeler les « souscripteurs tiers », a lui aussi fait l'objet de nombreuses études : les souscripteurs sont-ils des témoins de l'action juridique, indépendants de l'acte écrit, ou des témoins de la validité de l'acte écrit ? Cette question a d'autant plus mobilisé les esprits qu'elle rejoint le problème de l'acte dispositif! acte probatoire, et qu'elle touche donc aussi bien à la fonction des souscripteurs qu'à celle de l'acte. Par l'acte dispositif en effet, les souscripteurs sont associés à l'action juridique, puisque aussi bien celle-ci n'existerait pas sans l'acte ; l'acte proba-

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Une des plus célèbres illustrations en est le livre de LEMARIGNIER, Le gouvernement royal. 32 CLASSEN, Fortleben und Wandel, p. 20-28. 33 SAUPE, Die Unterfertigung der lateinischen Urkunden. On peut aussi déplorer le manque d'intérêt pour les signes graphiques, ainsi que l'absence de reproductions. Un résumé en a été publié: Lothar SAUPE, Unterfertigung mit Handzeichen au/ Urkunden der Nachfolgestaaten des Westriimischen Reiches bis zur Mitte des 8. Jahrhunderts, dans RücK, Graphische Symbole, p. 99-105. 34 COURTOIS, Tablettes Albertini, p. 85-87. TJADER, Die nichtliterarischen lateinischen Papyri.

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Introduction

taire n'a d'autre fonction que de rappeler ce qui s'est passé et de donner le nom de témoins qui, le cas échéant, pourront le confirmer 35 . D'une manière générale, on considère que l'on passe, aux environs des xe-xie siècles, d'une souscription juridique à un témoignage instrumentaire : souscription juridique, parce que les souscripteurs interviennent eux-mêmes, fût-ce par un simple signe graphique, et parce que, s'engageant à défendre l'acte écrit, ils sont du coup associés à l'action juridique elle-même, dont ils font partie; témoignage instrumentaire, parce que, devenus simples témoins, c'est-à-dire purement passifs, ils prêtent leur nom à l'acte écrit, sans intervenir le moins du monde dans l'action juridique. Le passage de l'un à l'autre étant marqué par l'abandon des formules subscripsi ou signum talis, au profit d'une liste de noms 36 . On le voit, il y a donc une identité entre acte dispositif et souscription juridique, entre acte probatoire et témoignage instrumentaire. La question de l'autographie des souscriptions a évidemment déjà été abordée. Mais finalement pas autant qu'elle le mériterait. Car si on connaît assez bien son histoire à l'époque mérovingienne, où elle est largement répandue ; si on sait qu'elle disparaît ensuite, d'abord chez les laïcs, ensuite chez les clercs, l'histoire de cette disparition n'a pas encore été faite, pas plus que l'analyse de la survie, même très modeste, de l'autographie. Une exception : les croix de souscription, qui constituent au XIe siècle le principal élément autographe des actes, et dont M. Parisse a montré qu'elles étaient surtout caractéristiques de la vallée de la Loire et d'une diplomatique monastique 37 . En partie lié à la question de l'intervention personnelle, autographe, se situe le problème de l'usage des signes graphiques dans les souscriptions. En dépit de l'imposant volume évoqué ci-dessus, ce problème n'a pas encore été bien éclairci pour la France du Haut Moyen Age. Car le colloque de Marbourg a consacré l'essentiel de son attention aux actes royaux et pontificaux ; à la péninsule ibérique,

35 POSSE, Die Lehre von den Privaturkunden, p. 62-63 ; DE BoüARD, Manuel de diplomatique, t. 2, passim. 36 DE BoüARD, Manuel de diplomatique, t. 2, p. 89-94. GUILLOT, Le comte d'Anjou, t. 2, p. 6-8; PRELL, Les souscriptions des chartes des comtes de Poitiers, p. 214-217. 37 PARISSE, Croix autographes de souscription.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

l'Europe du Nord-Ouest et de l'Est ; aux actes notariaux. Pour la France à proprement parler, il n'y a, outre une étude sur le monogramme royal 38 , et une, citée ci-dessus, sur les croix de souscription autographes, qu'un travail sur les documents mérovingiens, qui présente méthodiquement chacun des signes graphiques utilisés à cette période 39 . Il y a donc place pour une étude des souscriptions en France, particulièrement pour le Haut Moyen Age. Le présent travail porte, plus précisément, sur les actes privés antérieurs à 1121 conservés en France. Ce qui appelle quelques explications. Passons sur la notion d'acte privé : elle est très contestée, et ceux qui l'utilisent ne sont pas d'accord sur le sens qu'ils lui donnent. Il serait d'ailleurs nécessaire de repenser une définition de ce concept. Disons simplement que par actes privés, je désigne ici, peut-être par facilité de langage, les actes qui n'ont été donnés ni par un roi (ou un empereur), ni par un pape. L'exclusion des actes royaux, impériaux et pontificaux s'explique par le fait qu'ils posent des problèmes très différents, et d'ailleurs déjà largement étudiés. L'aire géographique et chronologique couverte a été définie de manière arbitraire : 1120 n'est pas une année en soi très significative dans l'évolution de la diplomatique (serait-il même possible qu'il y en ait ?), et les frontières de la France actuelle sont évidemment tout à fait anachroniques. Mais pour être arbitraire, ce choix n'est pas innocent. Il est lié à l'utilisation d'une base de données informatisée, celle précisément des chartes originales antérieures à 1121 conservées en France, organisée à l'Atelier de recherches sur les textes médiévaux (ARTEM) de Nancy. Cette base de données réunit l'ensemble des textes diplomatiques conservés en original dans la France actuelle, et antérieurs à 1121. Elle est organisée en une base de données textuelle, qui permet les interrogations de vocabulaire ou de formules et une base analytique, qui permet l'interrogation selon les auteurs, les bénéficiaires, le genre diplomatique, la date, la région, le diocèse ... Enfin, elle s'accompagne d'une

38 GUYOTJEANNIN, 39 ATSMA et VEZIN,

Le monogramme dans l'acte royal français. Graphische Elemente.

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Introduction

collection de photographies, dont on peut espérer qu'elle sera numérisée. Bref, cette base de données offre d'excellentes conditions de travail, et permet de prendre connaissance de l'ensemble de la diplomatique française conservée en original 40 . L'utilisation de cette base de données offre de très grands avantages. Elle permet un panorama de l'ensemble de la diplomatique française, toutes régions confondues, du vue au début du xne siècle. Ce sont donc 3631 actes qui ont pu être étudiés, tous conservés en original, considérés comme authentiques et antérieurs à 1121 41 . C'est dire que le diplomatiste peut enfin s'affranchir du cadre chronologique, géographique (ou, plus rarement, typologique) étroit dans lequel il était obligé de s'enfermer jusqu'à la mise au point de telles bases de données. On peut enfin avoir, même dans des études ponctuelles, une vraie vision diachronique de la diplomatique 42 . Il est désormais possible de comparer, dans un même travail, Bourgogne, Normandie et Provence par exemple. Et donc de mieux faire ressortir, quand c'est possible, les caractéristiques de chaque région. Grâce à la base de données de l'Artem, le diplomatiste peut aussi se concentrer sur les originaux, les seuls à transmettre les signes graphiques 43 et la mise en

40

TocK, La diplomatique française du Haut Moyen Age. On a donc exclu les actes faux ou douteux, ainsi que les quelques copies figurées, ou simples copies sur feuilles volantes, présentes dans la base de l'Artem. Ont de même été exclus les quelques actes italiens ou espagnols conservés en France, qui représentent des diplomatiques différentes. Les actes catalans (transpyrénéens) et trévires ont eux été pris en compte, parce qu'ils constituent le prolongement géographique des actes du Roussillon et de la Lorraine. 42 Elle rejoint donc les préoccupations, relativement récentes, d'introduction de statistique dans les sciences auxiliaires de l'histoire (BISCHOFF, Unterwegs. Statistik und Datenverarbeitung). 43 MERSIOWSKY, GraphischeSymbole, p. 373-380, a mené l'enquête à propos des souscriptions dans les diplômes de Louis le Pieux. Il a pu étudier les copies de 106 diplômes, conservés en original : le texte seul se trouve dans 52 textes, le monogramme dans 33, la ruche dans 12, le chrisme dans 9. Sans être entièrement négatif, le bilan incite à la prudence. Encore s'agissait-il de diplômes, ce qui a pu encourager les cartularistes. Il est, à cet égard, intéressant de noter que le signe le plus reproduit est le monogramme, signe de pouvoir par excellence. 41

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

page, les seuls aussi, surtout pour le Haut Moyen Age, à garantir l'exactitude d'un texte44 . Toutefois, il faut reconnaître que le travail sur ces bases de données a un inconvénient : il n'autorise plus l'examen très approfondi de chacun des actes. Circonstance aggravante dans notre cas : le travail s'est fait, non sur les actes originaux eux-mêmes, mais sur des reproductions photographiques, ce qui prive, sans aucun doute, de certains renseignements 45 . Le jeu, néanmoins, a paru valoir la chandelle.

Le plan Reste la question essentielle : pourquoi étudier les souscriptions ? Quelles questions, tout d'abord, leur poser ? Et quel est le but de ce travail ? En bonne méthode diplomatique, il faut d'abord analyser la forme, pour comprendre ensuite quel était le processus et, surtout, quelle était la fonction. Analyser la forme, c'est, pour le diplomatiste, voir la place des souscriptions sur le parchemin ; étudier les mots utilisés, pour désigner

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IOGNA-PRAT, La confection des cartulaires, p. 42-44, conclut peut-être de manière globalement trop optimiste son enquête quant aux liens entre originaux et copies et quant à la fidélité des cartulaires de Cluny. BRUEL, Note sur la transcription, était plus réservé à cet égard, comme d'ailleurs NEISKE, La transcription des noms. GEARY, Auctor et auctoritas, p. 66 et 69, montre bien les transformations imposées au texte des actes par des cartularistes. ZERNER, L'abbaye de Saint-Victor, relève aussi quelques transformations. MORELLE, De l'original à la copie, est prudemment optimiste, mais parle surtout d'actes des xne-xnre siècles. Voir aussi FERNANDEZ FLÔREZ et HERRERO DE LA FUENTE, Libertades de los copistas en la confecci6n de cartularios ; KôLZER, Merowingerstudien !, p. 3-10. Autre exemple de transformation des souscriptions dans un cartulaire: GIRY, Manuel de diplomatique, p. 596. Sur la confection des cartulaires au xre siècle en général, MORELLE, The Metamorphosis of Three Monastic Charter Collections. 45 Car, quelle que soit la qualité des photographies (et toutes ne sont pas de bonne qualité ; certaines, par exemple, cadrent le seul texte, et pas d'éventuels éléments hors teneur), il y a des choses qui ne passent pas toujours bien, comme les nuances d'encre. Il est indiscutable qu'il eût été, en théorie, préférable d'étudier les originaux eux-mêmes, et non des reproductions. Mais il eût été impossible d'examiner des milliers d'actes dans des dizaines de dépôts d'archives. Et quand bien même c'eût été faisable, cela aurait fait perdre au travail l'essentiel de son intérêt, puisque cela aurait rendu impossible le travail de comparaison des actes.

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Introduction

les souscripteurs, mais aussi pour désigner l'action qu'ils posent; observer les signes non écrits, qui viennent en appui aux signes écrits ; mettre en évidence la part de l'autographie, et donc s'interroger sur l'écriture professionnelle et l'écriture occasionnelle ; analyser les différents types de souscription, leur nombre, leur place, leur contenu. Comprendre le processus, c'est reconstituer comment, concrètement, se déroulait la souscription: qui agissait, comment, dans quel ordre et dans quel cadre ? Comprendre la fonction, enfin, c'est comprendre à quoi servaient les souscriptions, quelle était leur place dans le droit et les habitudes du Haut Moyen Age, et plus encore voir par conséquent quelle était la place des actes écrits dans cette société.

Le corpus étudié : les actes ongmaux antérieurs à 1121 conservés en France Le corpus retenu est donc celui des chartes originales antérieures à 1121 conservées en France. Comme on l'a indiqué ci-dessus, on en a écarté les diplômes et les bulles, ainsi que les actes faux ou douteux. Il reste tout de même 3631 actes, s'échelonnant entre le 10 mars 673 et l'année 1120 - voire pour certains actes non datés les années suivantes. Quels sont les principales caractéristiques de ces actes ? Il a paru utile de les rappeler ici, même si on ne fait que résumer un travail paru ailleurs 46 . Les 3631 actes en question ne se répartissent évidemment pas équitablement dans l'ensemble des régions françaises, ni pour l'ensemble des quelque 450 années concernées. Un premier tableau devrait permettre de voir où et quand on trouve beaucoup d'actes, ou peu d'actes. Le classement géographique se fait, pour des raisons de facilité, sur les régions françaises actuelles 47 • C'est la région dans laquelle se trouve le bénéficiaire de l'acte qui est prise en compte. 46

TocK, La diplomatique franfaise du Haut Moyen Age. Les autres choix possibles étaient les principautés, mais dont les frontières étaient mouvantes et instables, ou les provinces ecclésiastiques, mais dont la superficie était très variable, entre les gigantesques provinces de Bourges ou Tours et les petites 47

17

Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Tableau 1. Répartition chronologique et géographique des actes Région

Alsace Aquitaine Auvergne Bourgogne Bretagne Centre Champagne Franche-Comté Ile-de-France Languedoc Limousin Lorraine Midi/Pyrénées Nord/Pas-de-C. Normandie Pays de la Loire Picardie Poitou Provence Rhône/ Alpes Total

vne_ VIIJe

IXe

2

4 1 1 15

S.

Xe

S.

1 6 0 11

12 2 4 4 1 1 1

1 1 13 165 66 12 2 6 33 11

1

14 2 4

10 26 1 1 7 1 107 31 24

20

67

518

S.

1001- 1051- 1101- Total 1050 1100 4

1 41 126 8

2 2 40 79 3 583 24 18 28 53 27 16 51 57 69 150 18 104 229 8

489

1561

19 75 81 9 2 8 45 12 7 5 2 33 11

12 5 85 421 12 986 111 37 104 189 62 50 128 128 136 257

3 2 13 98 9 254 59 15 36 46 10 13 42 67 32 88 57 74 51 7

341 439 51

976

3631

77

d'Embrun ou de Tarentaise. En dépit de l'anachronisme que cela représente, on a donc préféré les régions actuelles. De toute façon, dans l'état actuel de nos connaissances sur la diplomatique du Haut Moyen Age, on ignore totalement si les principautés (le problème ne se pose d'ailleurs qu'à partir du xe siècle) ou les provinces ecclésiastiques avaient une certaine signification en matière de diplomatique. Le choix des régions actuelles peut donc aussi être considéré comme un choix neutre, ne préjugeant pas des résultats auxquels pourraient parvenir ce travail ou d'autres travaux menés sur le même corpus. Par exception, Haute et Basse-Normandie ont été réunies.

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Introduction

La diversité des situations saute aux yeux. Quelle différence entre les 5 actes aquitains, et les 987 actes de la région Centre ! Mais ces chiffres ne reflètent pas forcément une différence de production d'actes. Il faut d'abord tenir compte des différences de taille entre régions, ainsi que d'une couverture monastique variable. Un simple coup d'œil sur l'Atlas de la France en l'an mil montre qu'il y a des régions plus riches que d'autres en communautés monastiques 48 . Enfin, le nombre d'actes dépend aussi de la qualité de la conservation. Cluny, par exemple, avec 291 originaux, est le troisième fonds d'originaux conservés. Mais c'est, et de loin, le premier fonds si on tient compte de l'ensemble de la tradition manuscrite. Malgré tout, on peut considérer que la base de données des chartes originales reflète assez bien la France diplomatique. Il y a quelques régions qui émergent : ce sont celles où une abbaye importante a dû, pour contrôler un vaste réseau de prieurés, multiplier les actes : Marmoutier (région Centre), Saint-Victor de Marseille (Provence), Cluny (Bourgogne). Le Poitou est servi par l'exceptionnelle continuité de sa diplomatique, due à l'excellente conservation de plusieurs fonds d'archives. L'Ile-de-France illustre bien la précocité du chartrier de Saint-Denis et son essoufflement après les premiers carolingiens. Au contraire, l'essor de la diplomatique dans le Nord/Pasde-Calais est assez tardif et lié aux chartes épiscopales dont on reparlera plus loin. Enfin, le maigre score de l'Aquitaine, de l'Auvergne, du Limousin, est dû à la faible implantation monastique. Une région, plus que d'autres, est victime de l'injustice des hasards de la conservation des textes : la région Rhône-Alpes, dont presque tous les originaux sont en fait des actes entre particuliers conservés dans le fonds de Cluny, alors qu'ont disparu, entre autres, les originaux des archevêchés de Lyon et de Vienne, de l'évêché de Grenoble 49 ... Chronologiquement, on constate sans aucune surprise une croissance du nombre des actes conservés. En chiffres absolus, la croissance la plus impressionnante est celle de la deuxième moitié du XIe siècle : par rapport à la première moitié du siècle, le nombre

48 PARISSE, Atlas de 4 9 Pour lequel on

la France en l'an mil. a de superbes cartulaires : MARION, Cartulaires de l'Eglise de

Grenoble.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

d'actes augmente de 1072 unités, et fait plus que tripler. Mais en chiffres relatifs, les seuls vraiment importants, c'est le passage du 1xe au xe siècle qui est déterminant: le nombre d'actes fait plus que septupler. Les actes se partagent entre de très nombreux auteurs. Pour davantage de clarté, on les regroupera ici en quatre catégories principales.

Tableau 2. Répartition des actes selon les auteurs50 Période

Evêques Princes

Eglises

Autres

Total

-800 IXes. Xe S. 1001-1050 1051-1100 1101-

1 10 58 61 235 286

2 7 69 77 152 120

5 5 55 34 127 113

12 45 336 317 1047 457

20 67 518 489 1561 976

Total %

651 17,9

427 11,7

339 9,3

2214 60,9

3631

Les actes épiscopaux constituent un ensemble de toute première importance. Mais cette importance est relativement modeste dans les premiers siècles étudiés (d'autant que pour le IXe siècle 5 des 10 actes sont en fait des actes conciliaires), et ne croît réellement qu'à la fin de la période. Pour les deux premières décennies du XIIe siècle, les actes

50

La colonne «Evêques» comprend les actes donnés par des évêques, archevêques, conciles et légats pontificaux ; la colonne «Princes», les actes des ducs, comtes et vicomtes ; la colonne «Eglises», les actes donnés par des abbayes, des prieurés, des chapitres ou des dignitaires de ces églises. La catégorie «Autres» regroupe essentiellement des individus agissant à titre personnel, même si parfois ils annoncent un grade ecclésiastique, un titre chevaleresque ou une appartenance à la noblesse.

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Introduction

épiscopaux représentent 29,3 % des actes privés conservés en original. Il est vrai qu'on est alors en pleine application épiscopale de la réforme grégorienne. La répartition régionale des chartes épiscopales est également intéressante. Si pour le xe siècle Tours (18 actes) et Langres (8 actes) sont privilégiés, c'est sans doute en partie dû aux hasards de la conservation des archives. En revanche, le développement considérable des chartes épiscopales dans la province de Sens dans la première moitié du xre siècle, et plus encore dans celle de Reims dans la seconde moitié et au début du XIIe, est davantage lié à des mouvements de fond dans l'histoire de l'Eglise 51 . En ce qui concerne les actes princiers, l'évolution est très différente. C'est dans la première moitié du xre siècle qu'ils sont les plus nombreux (15,7 %). Mais au total les variations sont relativement faibles.Faut-il mettre en relation le léger rebond observé au début du XIIe siècle (12,2 au lieu de 9,7 %) avec le développement de l'acte princier scellé ? C'est possible, mais l'évolution n'est pas très nette. Pourtant, cette question du sceau est importante. Car tant que les actes épiscopaux et princiers ne sont pas scellés, ils servent essentiellement à consigner les actions juridiques des évêques et des princes. C'est l'adoption du sceau52 qui, en leur donnant une force supplémentaire, leur procure un net avantage sur les autres actes, fait perdre de l'importance aux actes non scellés, développe la juridiction gracieuse des évêques. C'est ce qui, a contrario, explique la part importante prise, jusqu'à la fin du xre siècle, par des actes donnés par des particuliers, même s'il s'agit souvent de riches et vraisemblablement nobles personnages. En ce qui concerne les bénéficiaires, le point sans doute capital est qu'il a été possible de mettre en lumière, plus crûment que cela

51 Il s'agit essentiellement du phénomène des chartes de donation d'autels. Cf. TocK, La diplomatique française du Haut Moyen Age, p. 19. 52 Le sceau épiscopal apparaît au début du siècle dans la vallée du Rhin inférieur (BAUTIER, Le cheminement du sceau, p. 59). Dans la base de données de l'Artem, on le remarque d'abord à Besançon en 1033 ; vers 1040 à Reims, en 1057 à Cambrai ... Mais c'est seulement dans les dernières années du XIe siècle qu'ils s'impose réellement, au moins dans la moitié septentrionale de la France. Les princes territoriaux suivent eux aussi à la fin du siècle (TOCK, La diplomatique française du Haut Moyen Age, p. 28-30).

xe

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

n'avait été fait jusqu'à présent, la part élevée occupée par la diplomatique laïque : au siècle, environ 16 % des originaux conservés sont destinés à des particuliers. Compte tenu de ce que seuls ont été conservés, en fin de compte, les actes qui ont intégré des archives ecclésiastiques (et encore, pas tous, bien entendu), cela signifie que sans aucun doute, au siècle encore, il existait une large production diplomatique à destination des particuliers, dont nous n'avons conservé que de rarissimes épaves 53 .

xe

xe

Un autre point important est la distinction, traditionnelle, entre charte et notice. Jusqu'à, grosso modo, l'an mil, la différence est nette : les chartes, c'est-à-dire les actes rédigés en style subjectif (Ego Talis concedo ... ), concernent les donations et les ventes ; les notices, c'est-à-dire les actes rédigés en style objectif (notum sit quod Talis ou placuit atque convenit inter Talem et Talem), portent sur des échanges ou des procès, cette règle trouvant son origine dans les formulaires mérovingiens. Après l'an mil, l'abandon de ces formulaires fait tomber en désuétude cette distinction. Dans le même temps, la diplomatique devient une affaire essentiellement monastique. Chaque abbaye, lorsqu'elle consigne une action juridique sous la forme d'un acte privé, choisit alors si elle lui donne la forme d'une charte (solution retenue par exemple à Saint-Victor de Marseille, et qui a l'avantage de mieux engager le disposant) ou d'une notice (cas de Marmoutier, avec l'avantage de mettre en avant le rôle du monastère).

Evolution générale des textes diplomatiques du Haut Moyen Age A la lumière de plusieurs travaux récents 54 , il est possible de proposer une esquisse de l'évolution des textes diplomatiques du

53

Conclusion suggérée aussi par BELMON, ln conscribendis donationibus, p. 290-291. GuYOTJEANNIN, «Penuria scriptorum», et l'ensemble de ce volume de la BEC, consacré à la diplomatique du XIe siècle ; TocK, L'acte privé; TocK, La diplomatique française du Haut Moyen Age ; MERSIOWSKY, Y-a-t-il une influence des actes royaux. Voir très récemment une superbe synthèse régionale, pour le Languedoc et le Toulousain : BELMON, In conscribendis donationibus. 54

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Introduction

début du Moyen Age au début du XIIe siècle. Il est inutile, sans doute, d'insister sur le caractère à la fois très simplificateur et très provisoire de cette esquisse, à propos d'une matière complexe et que des études en cours pourraient renouveler. Durant la première période, qui couvre les VIIe-xe siècles 55 , la diplomatique est sans doute largement aux mains de scribes non monastiques, dont on ne sait trop quels étaient leurs liens avec les pouvoirs publics, roi, évêque, comte 56 ; elle n'est d'ailleurs pas un monopole de l'Eglise, en ce sens du moins que les particuliers, laïcs comme ecclésiastiques, font instrumenter à leur profit 57 . Les actes doivent se conformer au carcan des formulaires mérovingiens, qui fixent des cadres précis en ce qui concerne le choix du style objectif ou subjectif, le temps des verbes, les formules à utiliser... Cependant, la perpétuelle évolution de ces formulaires et une certaine liberté reconnue à chaque scribe permettent au système d'évoluer et de vivre. Entre le milieu du xe et celui du XIe siècle, parfois plus tôt, parfois plus tard, quatre changements radicaux se produisent, qui font entrer la diplomatique dans le temps des moines. D'une part, les particuliers sont exclus de la diplomatique: ils ne reçoivent plus d'actes. D'autre part, les scribes non monastiques disparaissent à peu près totalement (sauf le cas des évêchés), et les abbayes assument ellesmêmes leur diplomatique. Troisièmement, les formulaires hérités des temps mérovingiens sont abandonnés. Enfin, l'abandon de l'autographie des souscriptions, même chez les ecclésiastiques, modifie le rapport entre les souscripteurs et les actes 58 . Devenues maîtresses de leur diplomatique, les abbayes vont chercher à produire les actes qui leur seront les plus utiles. Mais très vite, des tendances régionales apparaîtront. Dans certaines régions, on tentera de rester le plus fidèle possible à la tradition, gage de fiabilité. C'est le cas en Languedoc, en

55 En dépit de l'opinion de DESPY, Les chartes privées comme sources de l'histoire rurale, p. 592, pour qui «la période qui va de 750 à 800 constitue, à cet égard, une véritable rupture profonde entre deux époques». Il est vrai que les traditions mérovingiennes s'affaiblissent au IXe siècle, mais elles restent encore très vivaces. 56 GUYOTJEANNIN, «Penuria scriptorum», p. 32-33. Voir aussi ici, p. 298-303. 57 TocK, La diplomatique française du Haut Moyen Age, p. 25-28. 58 Ces évolutions sont évidemment liées, mais d'une manière qu'on ne comprend pas encore.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Provence, en Bourgogne, en Poitou. Dans d'autres au contraire, on cherchera des solutions entièrement nouvelles. La plus novatrice de ces abbayes, celle aussi pour laquelle nous avons gardé le plus d'originaux, est sans conteste Marmoutier 59. Celle-ci crée une diplomatique où la figure essentielle est l'abbaye bénéficiaire, et non les donateurs ; où les actes, parfois longs, parfois courts, sont au service d'une interprétation des faits favorable à l'abbaye. Mais si brillante que soit la diplomatique de Marmoutier au XIe siècle, elle est sur une voie de garage. Car dans le même temps, au Nord et à l'Est, se développe un nouveau modèle de charte épiscopale: l'imitation de modèles royaux et pontificaux, jusqu'à l'adoption du sceau, jointe à un développement de l'autorité politique des prélats, permet à cette charte de s'imposer comme un modèle et de développer l'importance de la juridiction gracieuse dans la diplomatique. C'est le modèle d'avenir, qui s'imposera tellement bien qu'il cessera d'être épiscopal pour s'imposer à toutes les composantes de la société: acte subjectif scellé, formulaire précis, écriture élégante. Ce sera la fin de l'acte monastique. Dans l'extrême Sud de la France cependant, l'acte de scribe, qui n'a pas entièrement disparu, renaîtra pour devenir l'acte notarial, promis à un plus bel avenir encore. En quelque sorte, les conservateurs, sans changer beaucoup, finiront par devenir les plus novateurs.

Quelques exemples d'actes Les actes du Haut Moyen Age ne sont pas encore assez connus. Il est sans doute utile de présenter quelques documents, pour donner une idée de ce qu'était cette diplomatique. C'est à travers eux qu'on esquissera une présentation synthétique6°.

59

Sur la diplomatique de Marmoutier, voir BARTHÉLEMY, La société dans le comté de Vendôme, p. 28-30. 60 Le lecteur est invité à consulter aussi les documents reproduits, transcrits, traduits et commentés dans TocK, Les grandes lignes. D'autres documents se trouvent par exemple dans GUYOTJEANNIN et PoULLE, dir., Autour de Gerbert d'Aurillac, et BRUNTERC'H, Le Moyen Age (V'-Xl' siècle).

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Introduction

1. Au IXe siècle : la donation du diacre Allibert à l'église cathédrale de Rodez (novembre 848) [ill. n° 2] 61 .

Texte: /01/ (C) Sacrosancte basilice Sanct~ Marie matris ecclesie in Rutenis civitate, ubi Ramnolenus episcopus, rector et pastor adesse /02/ videtur super ipsa congregatione canonicorum, ego [enim in] Dei nomen Allibertus diaconus dono ad ipsa casa Dei /03/ jamdicta Sancte Marie mansum [juris] mei qui me ... , qui [est] in pago Rutenico, in villa que vocatur /04/ Sagnas, ipsum mansum cum terris [cultis et] incultis, pratis et pascuis, silvis, garriciis, aguis aquarumve decursibus /05/ vel cum omnibus ajacenciis suis, quicquid ad ipsum mansum pertinet vel aspicere dinoscitur vel quantumcumque in ipsa villa /06/ jamdicta Sagnas visus sum habere vel possidere, totum et ab integrum, ad ipsa casaal Dei jamdicta Sancte Marie /07 / pro animam remedii mei in omnibus dono. Et, post hac die, si ego ipsél, inmutata more aut voluntate, aut ullus /08/ de heredibus vel propinquis meis vel quislibet homo qui contra hac donatione ista quem ego pro anima mea ad ipsa /09/ casa Dei scribere rogavi, ire aut infrangere conaverit, hoc ei non liceat vindicare, sed insuper componat /10/ partibus sancte M[arie] vel ad ipsum rectorem qui [ibidem]? ... adesse videtur, tantum et alium tantum /11/ quantum ipse mansus jamdictus eo tempore melioratus, valere potuerit, in duplum sit redditurus et si hoc /12/ reppetit vindicare non valeat, sed presens donatio ista omnique tempore firma et stabilis valeat per-/13/-durare. Facta donatione ista in mense novembri, anno VIIII quod domnus Hlotharius imperium sumpsit. /14/ Sign+um Alliberto diacono qui hac donatione ista scribere vel affirmare rogavit. Sign+um Adaleo. /15/ Sign+um Frederico. Bertegaudus subscripsit. Ermengaudus subscripsit. Sign+um Stabili. /16/ Sign+um Sigimundo. Bernardus subscripsit. (C) Simeon archidiaconus subscripsit. Sign+um Sigifredo. /1 7 / Sign + um Teuderico. Sign +um Ausiraldo. Sign +um Ingilranno /18/ (C) IN CHRISTI NOMINE, GERALDUS PRESBITER ROGATUS SCRIPSI UT SUBSCRIPSI. a) passage gratté avant Dei. - b) ipse ajouté en interligne sans doute par la même main.

61 BoNAL, Histoire des évêques de Rodez, n° 1, p. 500-501 ; Artem 3958.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Ill. n° 2 : Arch. dép. Aveyron, 3 G 300 n° 1 R 162 ; Artem 3958

Traduction : A la sacrosainte basilique de l'église de la sainte mère Marie dans la cité de Rodez, où l'évêque Ramnolenus est connu pour être le recteur et pasteur de cette congrégation de chanoines, moi, au nom de Dieu, le diacre Allibert, je donne à cette susdite maison de Dieu dédiée à sainte Marie un manse de mon droit, qui est dans le pagus de Rodez, dans la villa que l'on appelle Sagnas, avec les terres cultivées et non cultivées, les prés et les pâturages, les forêts, les garrigues, les eaux et les cours d'eau, et toutes ses dépendances, tout ce qui appartient et est connu appartenir à ce manse, et tout ce qu'on sait que j'ai ou possède dans cette villa de Sagnas, je le donne à cette maison de Dieu dédiée à sainte Marie pour le rachat de mon âme. Et après ce jour, si moi, ayant changé de comportement ou de volonté, ou si un de mes héritiers et ou de mes proches, ou si n'importe qui allait contre cette donation que j'ai demandé à cette maison de Dieu d'écrire pour mon âme, ou s'il cherchait à l'enfreindre, qu'il ne puisse revendiquer cela, mais qu'au contraire il verse à sainte Marie, c'est-à-dire au rec-

26

Introduction

teur qui paraît y être, une composition de la valeur que le manse, dans l'état amélioré où il sera à ce moment, pourra valoir, et d'encore autant; qu'il paye donc le double, mais s'il réclame le manse, qu'il ne puisse cependant le revendiquer, et qu'au contraire cette donation puisse perdurer ferme et stable en tout temps. Cette donation a été faite en novembre, la neuvième année après que Lothaire a pris l'empire. Signe du diacre Allibert qui a demandé d'écrire et de confirmer cette donation. Signe d'Adaleus. Signe de Frédéric. Bertegaudus a souscrit. Ermengaud a souscrit. Signe de Stabilis. Signe de Sigismond. Bernard a souscrit. L'archidiacre Siméon a souscrit. Signe de Sigefroi. Signe de Thierri. Signe d'Ausiraldus. Signe d'Enguerran. Au nom du Christ, le prêtre Géraud, sollicité, a écrit et souscrit. Commentaire : Le quadrilatère formé par cet acte n'est pas régulier : il fait 25 cm de haut, contre 31 de large en haut et 3 5 en bas. L'écriture court parallèlement au côté le plus long. On relève aussi la présence de marges à gauche et à droite. L'espace entre les lignes est à peu près de 10 mm, la hauteur moyenne des lettres d'environ 2 mm, ce qui donne à l'acte beaucoup de clarté. Le texte est simple : adresse, suscription, dispositif, clause comminatoire, date, souscriptions. Il est également très largement constitué à partir de formulaires mérovingiens, dont on sait qu'ils sont toujours en usage à l'époque carolingienne. Mais il n'y a pas d'annonce des souscriptions. L'acte est rédigé sous forme subjective: c'est le donateur lui-même qui s'exprime, c'est lui qui est l'auteur de la charte et qui s'engage. L'écriture est une minuscule caroline, qui offre l'avantage d'une grande lisibilité et, parce que son module est petit, qui dégage davantage d'espace. Les souscriptions sont le seul moyen de validation utilisé. Bien que l'auteur de l'acte soit un clerc, sa souscription est allographe. Elle se distingue cependant des autres souscriptions par le fait, justement, qu'Allibert revendique sa donation : qui hac donatione ista scribere vel affirmare rogavit. C'est lui qui a demandé que l'on mette l'acte par écrit, et qui a voulu que les témoins renforcent sa validité. Il s'agit là d'une formule fréquente, qui met à son comble l'engagement du donateur dans la charte. 27

Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Il y a douze tiers, dont huit souscrivent par signum, de manière objective et allographe, et quatre de manière subjective et autographe. Il n'y a rien de particulier à signaler à propos des signa, sinon attirer l'attention sur les croix qui suivent l'abréviation sign. Ces croix sont grandes, et donc visibles. Même s'il y a entre elles de menues différences (surtout en ce qui concerne le bas du montant), il ne semble pas y avoir d'intervention autographe de chacun des souscripteurs concernés, fût-ce sous la forme d'un petit trait, d'une sorte de « Vollziehungsstrich ». Les traits des croix sont en effet trop nets et trop souples. Aucun des 8 signa ne nous apprend sur son souscripteur plus que le seul nom. Les souscriptions subjectives, au nombre de quatre, sont très simples aussi : un signe initial, le nom du souscripteur, un signe final. Un seul des souscripteurs, l'archidiacre Siméon, précise sa fonction. Siméon est aussi le seul dont le signe initial ressemble à quelque chose de connu, en l'occurrence l'invocation symbolique in nomine Dei. Chez les autres souscripteurs il s'agit d'un trait complexe mais sans doute peu signifiant. Le signe final d'Ermengaud est aussi bizarre que son signe initial. Celui de Bernard est malheureusement peu lisible à cause de l'état du parchemin. Sans doute s'agit-il d'une sorte de grille. Bertegaud a écrit la syllabe sub qu'il a enfermée dans une double arche en forme de ruche : c'est donc une version un peu simplifiée, mais claire quand même, de la ruche traditionnelle. L'archidiacre Siméon a fait de même, mais dans une vraie ruche. On notera tout de même l'absence de notes tironiennes chez Bertegaud comme chez Siméon. Dans l'ensemble, la pratique et sans doute aussi la compréhension du système de la souscription autographe traditionnelle tendent à se perdre. Parmi les quatre souscripteurs autographes, Bertegaud et Siméon ont une écriture tout à fait régulière et élégante, tandis que chez Ermengaud et Bernard, elle est un peu plus hésitante. Rien de grave, mais assez que pour constater qu'il y avait des scripteurs plus entraînés que d'autres. La souscription la plus développée, la plus recherchée aussi, est celle du scribe, le prêtre Géraud : invocation symbolique initiale, puis, en lettres allongées, une invocation verbale, le nom et le grade du scribe, la mention de la demande (rogatus), et l'activité déployée (scripsi et subscripsi). Ce dernier mot, cependant, n'a pas été écrit, mais est rendu par la ruche, sans aucune note tironienne. 28

Introduction

L'ordre dans lequel les souscriptions ont ete apposées n'est pas clair. Les quatre souscriptions autographes constituent une sorte de groupe au milieu des signa : ce n'est sans doute pas un hasard, et sans doute ont-elles été apposées ensemble. Leur a-t-on laissé un espace blanc au milieu des signa ? Non, car les signa de fin de ligne s'adaptent très bien à elles. Ont-elles été écrites avant les signa ? Non, car elles-mêmes s'adaptent très bien aux signa de début de ligne. Enfin, la dernière ligne de signa serre de près la pénultième, sans doute pour ne pas trop empiéter sur la souscription du scribe. Il faut donc en déduire que le scribe a d'abord écrit sa propre souscription, puis celle de l'auteur (l'inverse est possible aussi) et celles de Frédéric et Sigismond. Il a ensuite laissé la plume aux quatre souscripteurs autographes, et l'a reprise pour insérer, où il le pouvait, les six signa qu'il lui restait à écrire. Pourquoi Frédéric et Sigismond ont-ils eu droit à ce traitement de faveur ? Est-ce dans un but esthétique, ou parce qu'ils jouaient un rôle particulier dans l'action (étaient-ils héritiers d'Allibert, par exemple ?) ? On ne le sait. Il est probable que le scribe a écrit la souscription de l'auteur en même temps que le texte de l'acte, et y a ajouté celles de Frédéric et Sigismond au moment de la cérémonie de la donation. C est en tout cas ce que suggère l'interligne, normal avant la souscription d'Allibert, plus grand après. Et cela correspondrait bien à ce qu'on peut imaginer : le scribe sait en effet que le donateur sera présent à la donation (comment celle-ci pourrait-elle se faire sinon ?), mais ne peut prévoir quelles autres personnes seront présentes.

2. Notice d'un plaid tenu devant Ebles, comte de Poitiers (avril 904) [ill. no 3}62. Texte: /01/ Noticia qualiter vel quibus praesentibus ubique veniens, Hisarnus, die veneris III kalendarum apriliarum, infra urbem Pictavam, ante domnum /02/ Ebolum, preveniente gratia Dei comitem et ibidem astantibus suis vassallis, interpellabat quendam diaconem nomine Launomen quod suum alodem /03/ quem suus consanguineus

62 MONSABERT, Chartes de Nouaillé,

n° 31, p. 55-57; Artem 1078.

29

Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Guazfredus injuste tenebat, unde semper in querelam erat, ipsius Launus propter sororem suam, quam hisdem /04/ Guazfredus habuerat ad conjugem, injuste et contra legis ordinem tenebat. Unde judicatum est a domno comite suis ab om-/05 /-nibus constantibus, quo predictus Launus eundem alodem, secundum legem et judicium per guadium suum eidem Isarnum reddidisset ; 1061 quare eum inquietaverat unacum lege et fide facta. Sic taliter fecit Launus sicut judicatum fuit a domno comite, videlicet et ad /07 / nobilissimis viris . Propterea necessitas fuit eidem Isarnum, ut hanc notitiam de ipsis viris firmam ad se recipere deberet, quod /08/ ita et fecit. His presentibus actum fuit. (SGM) Ebolus cornes firmavit. Signum Maingaudo viceco-/09/-mitis. Signum Adalardo auditore. Signum Sa[ ... ?... } vicecomitis. Signum Aimerico, vicarii . Signum Hennogio. Signum Frotbaldi. /10/ Signum Attoni vicecomitis Metulensi. Signum Hucberti. Signum Bosonis. Signum Adelelmi vicarii. /11 / Signum Amelii. Signum Begonis. Signum item [Adalardi}. Signum Ramnulfi. Signum Aeribaldi. /12/ Signum Teodrici . Signum Vuillelmi . Signum Drogoni . Signum Viviani. Signum Aboni . (C) Adraldi. /13/ Duobus annis Isarnus in mallis publicis fuit, et nullus eum interpellavit de hoc allode, unde hanc firmitatem a domno comite accepit. Signum Madagaudi. /14/ DATA IN MENSE APRILI ANNO X REGNANTE KAROLO REGE . (C) Emmo rogitus [scripsi et subscripsi} (RU).

Ill. n° 3 : Arch. dép. Vienne, C 8 n° 20; Artem 1078

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Introduction

Traduction : Notice relatant comment et en présence de qui Isarn vint, le vendredi, trois des calendes d'avril, à Poitiers, devant le seigneur Ebles, comte par la grâce de Dieu, et là, assisté de ses vassaux, interpella un diacre appelé Launon, disant que son alleu, que son cousin Geoffroi tenait injustement et pour lequel il était toujours en querelle, ce Launon le tenait injustement et contre l'ordre de la loi en raison de sa soeur, que ce Geoffroi avait épousée. Dès lors, il fut jugé par le seigneur comte et par tous ceux qui siégeaient avec lui que le susdit Launon rendrait à Isarn cet alleu pour lequel il l'avait lésé, selon la loi et le jugement, par son gage, en lui faisant loi et foi. Et Launon en fit ainsi qu'il avait été jugé par le seigneur comte et les très nobles hommes. C'est pourquoi il fut nécessaire pour Isarn de recevoir cette notice affermie par ces hommes, ce qu'il fit ainsi. Ce fut fait en présence de ceux-ci : le comte Ebles a affermi. Signe du vicomte Maingaud. Signe de l'auditeur Adalard. Signe du vicomte Sa[ ...... }. Signe du vicaire Aimeric. Signe d'Hennogius. Signe de Frotbaldus. Signe d'Atton, vicomte de Melle. Signe d'Hubert. Signe de Boson. Signe du vicaire Adeleme. Signe d'Amelius. Signe de Begon. Signe d'Adalrd. Signe de Ramnulfe. Signe d'Aribaud. Signe de Thierri. Signe de Guillaume. Signe de Drogon. Signe de Vivien. Signe d'Abon. (Croix) d'Adraldus. Pendant deux ans Isarn fut dans les tribunaux publics, et personne ne l'interpella au sujet de cet alleu, et dès lors il reçut cette confirmation du seigneur comte. Signe de Madagaudus. Donné au mois d'avril, la dixième année du règne du roi Charles. Emmo, sollicité, j'ai écrit et j'ai souscrit. Commentaire : Par rapport au document déjà étudié, il y a ici une innovation importante : les souscriptions et la date, ensemble, occupent plus de la moitié du parchemin. C'est dire l'importance qu'elles revêtent. Les souscriptions sont d'ailleurs le seul élément qui donne un peu de relief à un document par ailleurs assez terne : les lignes d'écriture sont plutôt tassées, la marge de droite inexistante, le document n'est introduit que par une lettrine sans grand intérêt. C'est avec les souscriptions que les lignes s'espacent, que quelques signes graphiques font leur apparition. Le texte même du document reste très imprégné des fameux formulaires mérovingiens. Mais ceux-ci ont subi des adaptations assez

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

fortes, ce qui montre bien qu'ils n'étaient aucunement contraignants, mais pouvaient être librement adaptés par les scribes, souvent d'ailleurs dans le cadre de traditions locales. L'acte se présente sous forme objective, donc comme une notice. C'est la règle pour les plaids, pour des raisons d'ailleurs pas entièrement claires. L'écriture est évidemment une minuscule caroline, mais la date a été tracée en capitales rustiques: c'est là une écriture qui, du fait de sa très grande élégance, reste en usage jusqu'au xe siècle pour certaines souscriptions ou certaines dates. Le Poitou constitue, on l'a vu, une région importante dans notre base, et caractérisée par une grande continuité. L'acte commenté ici est un acte passé entre deux particuliers, qui n'est entré dans les archives de l'abbaye de Nouaillé qu'ultérieurement, à la suite de circonstances inconnues. La souscription du comte semble autographe : l'écriture est plus grande, la formulation est subjective, il n'y a pas de signum mais une invocation symbolique sous la forme d'un chrisme orné. Mais s'agit-il vraiment d'une souscription autographe? On peut en douter. L'écriture, si elle a un module plus grand, a le même ductus que dans le texte de l'acte. La seule différence porte sur le « r » ou le « t » de firmavit, qui sont tracés d'une manière moins posée, moins rigoureuse, que d'habitude. Mais cela même veut dire qu'ils ont été tracés par un scripteur professionnel, pas par un grand personnage. Il n'est besoin que de comparer cette souscription avec celle du duc Guillaume le Pieux, apposée sur la charte de fondation de Cluny, pour se convaincre que la souscription d'Ebles a été tracée par un professionnel, qui a simplement voulu, sans doute, attirer l'attention sur cette souscription comtale en en agrandissant le module. Les autres souscriptions se font toutes par signum, et sont toutes allographes. Elles sont disposées de manière très aérée, grâce à un double interligne et un petit espace blanc qui suit chaque souscripteur. Chaque abréviation sign est suivie d'une croix, qui est cependant de dimensions assez modestes. Un élément intéressant est que la souscription de Maingaud est coupée en deux par une fin de ligne : le scribe n'a donc pas jugé utile (à moins qu'il ait été maladroit) de veiller à ce que chaque souscription constitue un ensemble physique.

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Introduction

Certains des souscripteurs sont flanqués d'un titre : il y a trois vicomtes, un auditeur et deux vicaires. Ces souscripteurs sont nettement en début de liste, mais d'une part ils ne sont pas structurés (les vicomtes ne sont pas à la suite l'un de l'autre, pas plus que les vicaires), d'autre part quelques souscripteurs dépourvus de titre se sont intercalés entre eux. Aucun indice ne permet de déterminer si l'acte a été préparé avant l'action juridique : c'est intéressant parce que, s'agissant d'un plaid, dont on ne connaît évidemment pas l'issue, ni même l'existence, c'eût été impossible. La souscription du scribe est à nouveau la plus soignée. Une invocation symbolique (du type qu'on appellera ici « hnx »,mais qui signifie in nomine Dei), Emmo rogitus en letttres allongées, scripsi en note tironienne et subscripsi sous la forme d'une ruche très stylisée. Bien que soignée, cette souscription est très discrète, entièrement dissimulée dans le coin inférieur droit de l'acte. Deux ans plus tard, l'acte a reçu une addition : Duobus annis Isarnus in malfis publicis fuit, et nullus eum interpellavit de hoc allode, unde hanc firmitatem a domno comite accepit. C'est sans doute à ce moment que quelques souscriptions supplémentaires ont été écrites : celles de Hennogius et de Frotbald sous la ligne 8, celle de Madagaudus à la fin de l'addition et celle d'Adraldus juste au-dessus. Dans deux cas, faute de place sans doute, le traditionnel signum a été remplacé par une croix, qui constitue donc ce signum.

3. Une charte clunisienne: la donation de Sainte-Marie de Celsiaco par Guichard (février 967) [ill. n° 4J63_ Texte: 1011 (C) In nomine Verbi incarnati, notum sit omnibus fidelibus cristianis ejus cruore redemptis, quod /02/ ego Vuichardus, divinaa> tactus miseratione simulque reminiscens peccatorum meorum enor-/03/-mitatem, dono Deo et sanctis apostolis ejus Petro et Paulo et ad locum Cluniacum quem domnus Maiolus /04/ venerabilis pater

63 BERNARD

et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 1223, t. 2, p. 304-305 ; Artem

2529.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Ill. n° 4 : Bibl. nat. de France, n. a. l. 2154, n° 24 ; Arrem 2529 Cliché Bibl. nat. de France.

regere videtur, quandam ecclesiam in honore sanctœ Dei gemtnos Mariœ /05 / dicatam qu~ est in pago Lugdunensi ac in villa Celsiaco sitam super fluvium Arderiam, cum omnibus /06/ suis apenditiis, campis scilicet, pratis, silvis, aquis, farinaris, pascuis, exitibus et re/07 /-gressibus, cultum et incultum, qu~situm et adinquirendum, totum ad integrum, et quic-/08/-quid ad ipsam eclesiam aspicit vel aspicere videtur, a die presenti et in reliquo futuro tempore, 1091 pro animœ meœ remedio et patris ac matris atque fratris mei Unfredi, necnon etiam amit~ / 10/ meœ Sieburgis qu~ mihi hanc eclesiam delegavit, et faciant rectores supradicti mo-/ 11/-nasterii exinde in omnibus quicquid facere voluerint. Si quis autem contra hujus donatio/ 12/-nis cartam calumniam inferre voluerit, primitus iram Dei omnipotentis et sanctorum apostolorum Petri /13/ et Pauli incurrat, et cum Juda traditore Domini, cum Datan etiamb) et Abiron sit parc) 34

Introduction

ejus nisi emendaverit. /14/ Cogented) etiam potestate auri libras V persolvat et inantea firma et stabilis permaneat stipu-/15/-latione subnixa. Signum Vuichardi qui fieri et firmare rogavit. Signum Unfredi fratris ejus. /16/ Benzo sacerdos [subscripsit}. Signum Arulfi. Signum Tancradi. Signum Maalberti. Signum Landrici. Signum Rodlanni. /1 7 / Signum Ardradi. Signum Heldini. Signum item Arulfi. Signum Gisoni. Signum Vuidoni. Signum Annoni. /18/ Signum Arnaldi. Signum Tegrini. /19/ Data MENSE FEBRUARIO ANNO XXX Cohunradi regis. Rothardus scripsit ad vicem cancellar11. a) le scribe a d'abord écrit dina, puis ajouté ui en interligne. - b) etiam ajouté en interligne par la même main. - c) sic pour pars. il y a là un léger cafouillage du scribe, qui

a d'ailleurs écrit eius sur un passage gratté. - d) passage gratté après cogente.

Traduction : Au nom du Verbe incarné. Qu'il soit connu de tous les fidèles chrétiens rachetés par son sang que moi, Guichard, touché par la grâce divine, et en même temps me souvenant de l'énormité de mes péchés, je donne à Dieu et à ses saints apôtres Pierre et Paul et au lieu de Cluny que le seigneur Maïeul régit en venérable père aux yeux de tous, une église dédiée Marie, la sainte mère de Dieu, qui est dans le pagus de Lyon et dans la villa de Celsiaco, sur l'Arderia, avec toutes leurs dépendances, à savoir des champs, des prés, des forêts, des eaux, des moulins, des pâturages, des droits de sortie et d'entrée, des terres cultivées et à cultiver, des choses acquises et à acquérir, tout entier, et tout ce qui appartient ou paraît appartenir à cette église, à partir d'aujourd'hui et pour les temps futurs, pour le rachat de mon âme, de celles de mon père, de ma mère et de mon frère U nfredus, mais aussi de ma tante Sieburge qui me légua cette église, et que les gouvernants du monastère susdit en fassent en toute chose ce qu'ils veulent. Si quelqu'un voulait dresser une contestation contre cette charte de donation, qu'il encourre d'abord la colère du Dieu tout-puissant et des saints apôtres Pierre et Paul, et que, sauf s'il s'amende, il devienne l'égal de Judas qui trahit le Seigneur et de Dathan et Abiron. Contraint par le pouvoir, qu'il paie 5 livres et que cette donation reste cependant ferme et stable, la validation ayant été mise ci-dessous. Signe de Guichard qui demanda que cela soit fait et qu'on le

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

confirme. Signe d'Unfredus son frère. Le prêtre Benzo souscrivit. Signe d'Arulfus. Signe de Tancradus. Signe de Maalbertus. Signe de Landricus. Signe de Roland. Signe d'Ardradus. Signe d'Heldinus. Signe de l'autre Arulfus. Signe de Gison. Signe de Gui. Signe d'Annon. Signe d'Arnaud. Signe de Tégrin. Donné au mois de février, la 3oe année du roi Conrad. Rothard a écrit en tant que chancelier. Commentaire : Cet acte-ci est entièrement homogène, en ce sens que rien, au premier coup d'oeil, ne distingue les souscriptions du reste de l'acte. A part la date et la souscription de chancellerie, tout le document est écrit en un seul paragraphe, avec un interligne identique, une même écriture ... Un chrisme initial orne le début de l'acte, mais l'Ego du début de la deuxième ligne, insuffisamment en retrait, en gâche l'aspect. S'il n'y a donc pas de recherche particulière, il y a du moins une très grande régularité, dans l'organisation des lignes comme dans l'écriture. Des formulaires mérovingiens ne survivent plus que quelques bribes, dont l'origine est sans doute bien oubliée : la liste des dépendances, la clause comminatoire civile, menaçant d'une amende, l'expression stipulatione subnixa. Le reste est nouveau, et marqué par une forte religiosité : la double invocation initiale, l'une symbolique (et comme il s'agit du christogramme, son sens religieux ne fait pas de doute), l'autre verbale ; la notification ; la formule d'humilité précédant le dispositif ( « Kurzarenga ») ; la clause comminatoire. Ce gui, en revanche, survit des anciens formulaires, c'est la présentation de l'action juridique : une longue phrase, qui explique ce gui est donné, à gui, et qui décrit énumère les différentes composantes potentielles du domaine en question, et une phrase, en quelque sorte conclusive, qui précise bien que les nouveaux propriétaires ont toute liberté de faire de leur terre ce gu' ils veulent. Les souscriptions sont toutes allographes et toutes introduites par signum. Seule fait exception la souscription de Benzo, gui est aussi le seul gui possède un titre (sacerdos) : il s'agit de trois « s » successifs qui valent pour subscripsi. Mais cette souscription n'est en aucune manière autographe. Est-ce parce qu'il s'agit d'un clerc que le scribe a estimé préférable de donner à sa souscription une tournure subjec36

Introduction

tive ? C'est possible, voire probable, mais cela implique que tous les autres souscripteurs sont des laïcs. Parmi les nombreux actes reçus par Cluny aux xe-x1e siècles, on a choisi celui-ci parce qu'il a été écrit par Rothard, sans doute le plus prolifique de tous les scribes de Cluny. Sa souscription cependant est simple : il dit avoir écrit, et non souscrit. De fait, on peut identifier l'écriture de Rothard grâce aux nombreux autres actes dont il a revendiqué la réalisation. C'est une minuscule caroline tout à fait régulière, contrairement à d'autres écritures très rapides et peu soignées. Enigmatique est en revanche la formule ad vicem cancellarii, que l'on propose ici de traduire par « en tant que chancelier » 64 . Rien dans l'acte ne suggère une élaboration en plusieurs temps : on peut donc retenir l'hypothèse selon laquelle l'acte a été écrit en une fois par Rothard, après la cérémonie de la donation. 4. Une notice de Marmoutier : la renonciation aux coutumes de Gilliacum par Hervé, vicomte de Blois (vers 1042) [ill. n° 5} 65 . Texte: /01/ Notum sit omnium generationi futurorum, quod HERVEUS, vicecomes Blesensis, remisit /02/ Sancto Martino Majoris Monasterii, quando apud eundem locum devenir monachus, /03/ commendatisiam et omnes alias consuetudines quas habebat in villa ejusdem /04/ sancti, quae Gilliacus appellata est. Et ut h~c remissio firmior foret, Tedbaldus /05/ cornes eam auctorizavit, de cujus f~vo Herveus supradictas tenebat consuetudi-/06/-nes, et cuncti filii ipsius Hervei, id est Gelduinus qui in paternum successit ho-/07 /-norem, et Gausfredus, et Stephanus, fili~ quoque Ermengardis scilicet, atque Girberga quae 1081 nuncupatur etiam Claricia. Qu~ autem sunt he~ consuetudines, nominatim exprimi opus 1091 non fuit, quoniam caput earum ea est de qua pr~misimus commendatisia, et ex ejus occasione /10/ omnes pullulaverant. Sed hoc potius sciendum, quod et commendatisiam et si quam aliam /11/ pr~ter eam vel propter eam consuetudinem apud

64

Sur cette formule et son interprétation, voir p. 292-294. n° 104, p. 96-97 ; Artem 2236.

65 MABILLE, Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois,

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Ill. n° 5 : Arch. dép. Loir-et-Cher, 16 H 88/9 ; Artem 2236

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Introduction

Gilliacum memoratus vir juste vel injuste /12/ habuit et tenuit, universa Sancto MARTINO assensu et voluntate filiorum filiarumque suarum, necnon /13/ et auctoritate praefati comitis Tetbaldi, habenda sub quiete in reliquum dono perpetu, qutrnif' ma1or ..-us

J.,,U~c.r~fQI,

••

Illustration n° 18 : Arch. dép. Eure-et-Loir, H 2307 ; Artem 3177

Lorsque la mise des témoins en colonnes correspond à une structuration de ces témoins en catégories, cela témoigne d'une

6o TOCK,

Une notice en deux exemplaires.

6! MABILLE, Cartulaire de Marmoutier pour 62 MABILLE, Cartulaire de Marmoutier

le Dunois, n° 110, p. 101-102 ; Artem 3177. pour le Dunois, n° 32, p. 31 ; Artem 3201

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

réflexion préalable, d'une organisation délibérée des souscriptions. Mais certains actes, comme une notice de la donation d'une certaine Ermentrude pour Marmoutier, datant d'avant 1093 63 , montrent au contraire que la répartition de témoins en colonnes peut être le fruit d'une certaine improvisation. Les trois premières lignes sont en deux colonnes impeccables. Arrivé à la quatrième ligne (car il a écrit par lignes, et non par colonnes, comme en témoigne l'avant-dernière ligne), le scribe a réalisé que le nom prévu pour la deuxième colonne serait trop long (Gau/redus filius Guarnerii), alors que celui de la première colonne était très bref (Andreas). Il a donc commencé Gau/redus un peu plus à gauche. Les deux noms prévus pour la cinquième ligne étant longs (Bernardus frater Guidonis et Rainaldus Sequartus), le scribe n'a pas cherché à raffiner et les a écrits à la suite l'un de l'autre. Pour les trois dernières lignes, il n'a plus prêté d'importance aux colonnes [ill. n° 19}.

Ill. n° 19 : Arch . dép. Maine-et-Loire; Artem 4666.

63

Arch. dép. Maine-et-Loire, 39 H 2, A 51 ; Artem 4666

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La mise en page des souscriptions

Le phénomène des colonnes ne doit pas être surestimé. Il s'agit d'un artifice de mise en page, assez rare au demeurant, et en aucun cas d'une nécessité, ni juridique, ni même esthétique. D'ailleurs, lorsque des actes nous sont parvenus en deux versions, les deux versions diffèrent quant au nombre, voire à l'existence de colonnes 64 . Néanmoins, cet artifice, du fait même qu'il est le seul utilisé dans l'ensemble d'un acte, montre bien l'importance que les noms des témoins revêtaient pour les concepteurs et les commanditaires des actes. Il illustre la volonté de mettre les souscriptions en évidence.

64

Voir les deux versions de la charte de donation de l'évêque d'Angers Eusèbe pour Marmoutier en 1047-1056, Arch. dép. Maine-et-Loire, 45 H 1 n° 2 et 3 (MARCHEGAY, Chartes angevines, n° SA, p. 389-391 ; Artem 3589 et 3590), la première comptant quatre colonnes, la seconde une seule. Sur le peu de signification des colonnes, v. déjà PARISSE, Sur-noms en interligne, p. 10.

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Chapitre 2 La désignation

Par définition, la souscription vise essentiellement à donner des noms : ceux des intervenants, auteurs, éventuellement bénéficiaires, tiers, scribes, notaires ou chanceliers. La souscription est donc avant tout une désignation 1. Et une désignation sur une grande échelle. Au total, il y a peut-être, dans nos 3631 actes, plus de 50.000 noms. De quoi faire rêver tous les anthroponymistes, qu'ils soient linguistes ou historiens. Mon propos cependant n'est pas celui d'un anthroponymiste. Il ne peut donc être question pour moi, par exemple, d'étudier ici le choix des noms personnels (origine biblique, romaine, germanique ... ), la construction des noms germaniques, l'hérédité des noms personnels ou des fragments de nom personnels ... ni, a fortiori, leur structure linguistique. Nos connaissances ont fortement progressé ces dernières années, grâce surtout au dynamisme du groupe animé par Monique Bourin, rassemblant et suscitant des énergies dans de nombreuses régions 2 • Bien que les textes diplomatiques soient la princi-

1 Et la dé-signation elle-même renvoie à un signe, le nom étant compris comme un szgnum. 2 Synthèse générale dans BoURIN, France du Midi et dans BEECH, BüURIN et CHAREILLE, Persona! Names. Voir aussi BoURIN, Genèse médiévale de !'anthroponymie moderne, I ; BOURIN et CHAREILLE, Genèse médiévale de !'anthroponymie moderne, Il. ; ID., Genèse médiévale de !'anthroponymie moderne, Ill ; BECK, Genèse médiévale de !'anthroponymie moderne,

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

pale source utilisable en la matière 3 , il ne peut être question de se livrer ici à une étude exhaustive du sujet, qui sortirait du cadre de travail fixé. On se bornera dans le cadre de ce chapitre à rappeler les grandes lignes du processus de désignation : quels éléments choisiton, comment les ordonne-t-on ... ? Dans l'espoir, surtout, de pouvoir préciser qui désigne.

§ 1. Le nom personnel Au cœur du système anthroponymique du Haut Moyen Age, il y a le nom unique, qu'on appelle le nom personnel : Petrus, Johannes, Rainfredus ... Progressivement, aux environs des XIe-xne siècles, un deuxième nom (voire davantage, mais c'est alors surtout le cas en Italie), le surnom, vient s'y ajouter. A l'origine, ce deuxième nom semble très volatil : il n'est pas forcément héréditaire, et peut même ne pas être viager, dans la mesure où l'évolution de la fortune, du physique, de la popularité, de la personne à qui il est attribué peut le faire évoluer à son tour. Le surnom doit être compris comme un complément au nom personnel, qui garde toute sa force. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire pour nous, dans notre perspective attachée à la diplomatique, d'étudier ce nom personnel. Seules les quelques exceptions qu'on a pu relever valent d'être soulignées: noms absents, abrégés ou codés. Certains souscripteurs sont anonymes 4 . L'absence d'indication du nom peut être due à l'ignorance. On n'en trouve que deux traces certaines. L'une est dans un acte donné en 1039 par Guillaume de Riez, son épouse, ses neveux et sa sœur ou belle-sœur, à Saint-Victor de Marseille. La souscription d'auteur est : Ego vero Vile/mus Regensis et

IV; BOURIN, MARTIN et MENANT, L'anthroponymie. Document de l'histoire sociale; Voir aussi les Mélanges de !'Ecole française de Rome. Moyen Age, 106 (1994), p. 313-736 et 107 (1995), p. 331-633. 3 Et malgré l'intérêt que revêtirait l'étude de chartes originales, les travaux actuels portant presque toujours sur des cartulaires édités. 4 On ne tient pas compte ici des souscriptions collectives, du type signum cunctorum qui in capitulo aderant fratrum, ou évasives, comme et alii quamplures. Le sujet est évoqué au chapitre consacré aux souscriptions de tiers.

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La désignation

uxor mea et Petrus nepos meus, et omnes fratres sui [espace blanc} necnon mater illorum nomine [espace blanc}. La suscription se présente d'ailleurs de la même façon 5. L'autre dans une notice d'une vente effectuée pour Marmoutier par un chevalier Benoît avant 1093 6 ; ici cependant l'absence ne se trouve pas dans les souscriptions, mais dans le texte : Huius ergo terrae venditioni qui de foevo Francigen1 perhibetur esse Willelmi, Guarinus Cotella et uxor eius nomine [espace blanc} cum filiis [grand espace blanc} de quo Benedictus eam tenebat assensum prebuit. Il s'agit donc de là de cas rares, même si on y ajoute ceux dans lesquels des noms ont été ajoutés dans un deuxième temps, après que le scribe ait pris les renseignements qui lui manquaient 7 . Cas rares, cas, surtout, accidentels, qui ne méritent donc pas vraiment notre attention. Ils montrent simplement que lorsque le scribe se mettait au travail il ne disposait pas forcément de tous les éléments nécessaires 8 .

Dans d'autres cas, l'absence du nom est volontaire. Le phénomène apparaît dans des actes de l'Ouest de la France, à la fin de la période étudiée. Les individus dont le nom manque sont des abbés ou des évêques, en tout cas de hautes autorités, des personnages connus, dont on imagine mal que leur nom ait dû être recherché. Le cas le plus ancien date d'octobre 1084, dans un acte donné à Saintes par le légat apostolique Amat d'Oloron, et tranchant en faveur de Saint-Florent de Saumur un conflit qui opposait cette abbaye à Saint-Nicolas d'Angers 9 . Après quelques évêques, dont les noms sont donnés, le scribe indique les abbés présents : Oddo abbas Angeriacensis, Guido

5 GUÉRARD, Cartulaire de Saint-Victor de Marseille, t. 2, p. 535, n° 1065 ; Artem 4038. 6 Arch. dép. Maine-et-Loire, 39 H 2 n° 46 (cartul. vélin); Artem 4702. Les témoins n'offrent aucune particularité. 7 Cf. un exemple dans l'intitulation d'une charte de donation d'une certaine Tomasa pour Saint-Cyprien de Poitiers datable d'environ 1090 : il reste un peu de place blanche après les noms des filles de la donatrice, ce qui montre qu'ils ont été ajoutés ultérieurement (RÉDET, Cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers, p. 86, n. 1 ; Artem 1283). A ce sujet, voir surtour le chapitre consacré à la chronologie de la souscription. 8 Voir toutefois p. 369-412 à propos de la préparation des actes. 9 RAMACKERS, Papsturkunden in Frankreich 5, n° 16, p. 77-78; Artem 3374.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

abbas Novi Monasterii, Raina/dus abbas Sancti Cypriani, abbas Malleacensis, abbas Sancti Savini, abbas Luciacensis, abbas Sancti Michaelis, abbas Burguliensis, abbas Redonensis, abbas Cormari. Peut-on vraiment imaginer que le scribe - anonyme - de cet acte ait ignoré les noms des abbés de Maillezais, de Bourgueil ou de Redon, par exemple, et n'ait disposé d'aucun moyen de les trouver? Evidemment non: l'omission est donc volontaire. Les cas suivants sont tout aussi clairs. En 1088-1091 le duc d'Aquitaine tranche également un procès, en faveur de Nouaillé cette fois 10 . Tous les souscripteurs tiers sont indiqués par leur nom, saufles deux abbés, qui sont ceux de Saint-Cyprien de Poitiers et de SaintMaixent : Willelmus dux. Petrus, episcopus, et clerici ejus. Aimiricus, decanus. Radulfus, archidiaconus. Gau/redus, precentor. Odo, cellararius. Abbas Sancti Cypriani. Abbas Sancti Maxencii. Boso comes. Odo comes. Ugo de Lizigniaco ... Même principe dans un acte de 1092 par lequel l'abbé de Marmoutier relate des donations reçues par son abbaye 11 et dans un accord entre Sainte-Radegonde de Poitiers et Montierneuf en 1101 12 . En 1101-1105, une concession de foire faite par le duc de Normandie Robert Courteheuse à Saint-Etienne de Caen a pour témoins, outre l'archevêque de Rouen Guillaume et plusieurs laïcs, trois évêques, Rannulf de Durham, mais aussi ses collègues de Bayeux et de Coutances 13 . Enfin, en 1112-1113, dans un acte du comte de Pontieu pour Marmoutier, c'est l'évêque de Lisieux qui n'est pas nommément

10 MONSABERT,

Chartes de Nouaillé, n° 160, p. 254-256 ; Artem 1298. Signum Aymerici decani, S. Gaufredi precentoris, S. Leodegarii archidiaconi, S. Gosberti archipresbiteri, S. Beraudi presbiteri, S. abbatis Sanctae Mariae, S. abbatis Malliacensis, S. Rainerii capellani, S. Petri episcopi Pictavensis, S. Simonis episcopi Agennensis (MARCHEGAY, Cartulaires du Bas-Poitou, n° 5, p. 153-155 ; Artem 1029). 12 Abbas Sancte Marie, Garnerius cantor ejusdem ecclesi§, Arbertus, canonicus similiter ecclesi§ Lambertus, Aimericus vicecomes, Helia de Cauviniaco, Ademarus, vigerius et alii mufti qui presentes fuerunt (VILLARD, Recueil de documents de Montierneuf, n° 32, p. 51-52 ; Artem 1324). 13 S. Willelmi Rothomagensis archiepiscopi +. Signum Rannulfi episcopi Duhelmensis +. S. Willelmi camerarii +.S. episcopi Baiocensis +.S. Willelmi comitis de Warenna +.S. Roberti de Monteforti +. S. Gisleberti de Aquila +. S. Rainaldi de Aurea valle +. S. Willelmi de Ferreriis +. S. Rodulfi Taisson +. S. episcopi Constantiensis +.S. Roberti Marmion+ ... (HASKINS, Norman Institutions, n° 3, p. 286-287 ; Artem 2352). 11

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La désignation

désigné ; il est vrai que le scribe de cet acte s'est abstenu de tout stakhanovisme en écrivant les souscriptions 14 . Les raisons de cette absence de désignation par le nom restent mystérieuses. Sauf peut-être dans le dernier cas, ce n'est sans doute pas la simple paresse qui est en cause. On peut remarquer que seuls des témoins ecclésiastiques de haut rang, abbés et évêques, sont concernés. C'est-à-dire des personnages vraisemblablement très bien connus et clairement identifiables. Mais ce qui compte, plus que leur nom, c'est leur fonction. D'autres souscripteurs sont connus par leur initiale seulement15. C'est également une pratique tardive et rare. Le cas le plus ancien se trouve dans une concession de foire et de marché par le duc de Normandie Guillaume II au Mont-Saint-Michel en 1088 16 . Sauf exception, les témoins ne sont indiqués que par leur initiale : Signum R. comitis de Mellent +. Signum Simonis de Cymilleio +. Signum W. de Breteuil +. Signum R. vicecomitis +. Signum W. de Turnebu +. Signum Pagani de Vilers +. Signum R. Paganelli +. Signum R. filii Anschetilli +. Signum W. monachi de Archis +. Signum Alberici de Cuceio +. Signum R. comitis Normannie +. Signum R. capellani R. comitis +. Les autres actes qui présentent une semblable pratique sont au nombre de quatre. Aucun n'est daté, et trois d'entre eux sont vraiment très tardifs. Il

14 Episcopus de Lysoiis vidit hoc, et Balduinus archidiaconus, et plures alii (BRUNEL, Recueil des actes des comtes de Pontieu, n° 18, p. 32-33 ; Artem 1998). 15 Il faut écarter de l'étude de l'initiale les cas où l'initiale est une abréviation facilement résoluble, comme dans une charte de donation de Pierre II, évêque de Poitiers, pour Saint-Florent de Saumur en 1089, où l'auteur souscrit simplement Signum P. episcopi, alors que les noms de tous les autres souscripteurs sont indiqués en entier (MARCHEGAY, Cartulaire du Bas-Poitou, p. 11-12, n° 3 ; Artem 3409). L'auteur s'étant nommé dans la suscription, il n'était pas indispensable qu'il le refasse dans la souscription. On peut penser, de même, que lorsque seul un témoin a son nom abrégé, cela signifie l'abréviation est considérée comme facilement résoluble, même si pour nous W Bernad n'est pas clair (dans une notice de Grandselve en 1112-1148, Arch. dép. Haute-Garonne, 108 H 1 ; Artem 3925). Le phénomène est alors lié à l'émergence du surnom. 16 DELISLE, La commémoration, p. 179-184; Artem 2636.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

s'agit d'un acte de Brioude vers 1100 17 , d'une notice judiciaire clermontoise de 1119-1123 18 , d'une notice de donation à Chézal-Benoît en 1101-1133 19 et d'une notice de donation clermontoise de 1111115020. La désignation d'un souscripteur par l'initiale est donc une pratique rare, tardive, essentiellement auvergnate, liée à des actes non datés, c'est-à-dire des actes qui n'ont pas bénéficié d'un très grand effort de perfectionnement ou d'achèvement de la part de ceux qui les ont établis. Trois actes utilisent un codage des noms personnels 21 . Mais à chaque fois, ce codage n'est utilisé que pour le nom du scribe luimême. En 925 et 927 Adalbert, souscrivant des actes pour Nouaillé, a entrelardé chacune des syllabes de son nom d'une petite partie de

17 Hujus rei testes sunt: W. de Podempnac prepositus, B. abbas de Alsone, et O. de Mercorio decanus, S. de Paulac, et P. frater ejus, W. de Lespinassa, A. de la Rocha, S. de Lastic, et Stephanus nepos ejus, Garinus Malaura, et nepos ejus Garinus, A. de Rofiac, B. de Rochafort, Bonetz de Veza, Giris Laurenz, Alexander, A. de Luzernaias, U go de Lespinassa, D. Jauceranz, W. de Chambo, Ebrardus, B. de la Rocha, B. de Noacella, et W. frater ejus, W. de Chavanac, B. de Marminac, P. de Chambo, P. de Veilabriude, A. Aineils, P. de Lespinassa, Cantardus, Ricols, W. de Laiat, Bona Rocha, W. de Veza, Petrus clericus, Johannes de Blois, Profertz, et mufti alii (JACOTIN, Preuves de la maison de Polignac, t. 1,

n° 41, p. 98-99 ; Artem 3673). 18 G. abbas de Sarlatho, G. abbas de Brantosma archidiaconi Petrigoricenses, W. de Namclaro, ]. de Salis, G. prior monachus Buserchiœ, L. et G. monachi de Mirebello, G. prior de Vestencio clericus, R. legati nepos clericus, Hugo monachus Casœ Dei, Stephanus de Castello vicecomes Semovicensis et plures alii laici, prior de Cruacho monachus, A. decanus de Seliacho, S. archipresbiter de Cuciaco, P. prior de Buxera monachus (Arch. dép. Puy-de-

Dôme, arm. 18, sac B, cote 8; Artem 3743). l9 Al. canonicus, G. de Closis, R. de Sancta Maria, Eschivardus, et P. frater ejus, P. de Aecclesia, et Odo frater ejus, G. Turmellus, Rainaudus Garinus (BUHOT DE KERSERS, Statistique du Cher, t. 4, p. 41 ; Artem 4419). 20 P. de Fraxsino sacerdos. Ste. de Corent sacerdos. P. Bart. P. }oannes, ex parte canonicorum prepositus. ]oannes abas Sancti llidii. Arnaudus de Camaleria. El. decanus Portunensis. W. Brugnerius (Arch. dép. Puy-de-Dôme, arm. 18, sac B, cote 1, n° 5; Artem 3742). 21 L'usage du monogramme peut aussi être considéré comme un codage du nom, mais un codage particulier; à ce sujet, cf. p. 163-170, le chapitre sur les signes graphiques. Le problème du codage du nom dans les chartes n'est pas étudié par

FLOOD, Offene Geheimnisse.

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La désignation

l'alphabet 22 : abc AD efg AL hik BER lm TUS. En 1051, au bas d'une charte de donation de Guillaume et Adélaïde à Saint-Victor de Marseille, le moine Valfredus code les voyelles de son nom en indiquant un point à la place du« a», deux à la place du« e »,trois pour le « i »,quatre pour le « o » et cinq à la place du « u » [ill. n° 20} 23 . Tout à fait anecdotiques, ces codages illustrent un certain goût du mystère, ou du jeu, chez ces scribes.

Ill. n° 20 : Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 1 H 29 n° 134; Artem 4072.

§ 2. Le surnom et la fonction Le surnom 24 S'il n'est pas possible de mener ici une étude complète du surnom, il est tentant d'essayer de voir quand et où le phénomène, au moins de la naissance du surnom, apparaît. Les premiers cas recensés sont souvent un peu problématiques. Le premier surnom porté par un souscripteur apparaît dans un des plus illustres documents du corpus, la charte de fondation de Cluny 25 . Parmi les nombreux témoins de cet acte figure en effet un Urso Grecus. Urso ou Ursus n'ayant aucun équivalent grec connu, ni sous une forme Y cpcrnç, Y cpcruç, Ocpcroç ou Ocpcruç, ni sous une forme Acpxwç, le personnage en question n'avait

22

MONSABERT, Chartes de Nouaillé, n° 43-44, p. 76-79; Artem 1092-1093. GUÉRARD, Cartulaire de Saint-Victor de Marseille, n° 5 59, t . 1, p. 553-554 ; Artem 4072. 24 BOURIN et CHEVALIER, L'enquête : buts et méthodes, p. 11, suivis par l'ensemble des publications citées ci-dessous, distinguent quatre types de surnom : nom, caractéristique professionnelle, sobriquet, indication de lieu. Comme on le lira au paragraphe suivant, j'ai préféré traiter à part la caractéristique professionnelle. 25 BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 112, t. 1, p. 124-128; ATSMA et VEZIN, Les plus anciens documents, t. 1, n° 4, p. 33-39; Artem 1581. 23

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sans doute aucune attache avec la Grèce 26 . Il faut plutôt y voir un surnom figuré, peut-être parce que cet Ursus connaissait le grec 27 . Le cas suivant se situe en 937, dans une charte de donation d'Acbertus pour Cluny 28 . On y trouve, parmi les souscriptions: Signum Ermoalt Po/colt. Signum Girart Iteir. Signum Azilin Leotalt. Pour autant qu'il ne s'agisse pas d'un triple oubli de l'abréviation pour Signum, il faut y voir l'usage de surnoms tirés du nom paternel. On trouve ensuite des surnoms dans une charte de donation de Gerfroi, archevêque de Besançon, pour Tournus en 945 (Leytricus Adalsendis et Magnus Ermenardus) [ill. n° 21} 29 . C'est là une donnée étonnante, parce qu'en dehors de cet acte il faut attendre 107 6 pour retrouver un surnom dans un acte franc-comtois. Mais peut-être faudrait-il lire Leytricus, Adalsendis, Magnus, Ermenardus?

Ill. n° 21 : Arch. dép. Saône-et-Loire, H 177 n° 7 ; Artem 611.

26

Voir p. ex. FRASER et MATTHEWS, A Lexicon of Greek Persona/ Names, aux p . 80, 354 et 451. En sens inverse, ZIMMERMANN, La connaissance du grec, p. 496-497, confronté dans la Catalogne des environs de l'an mil à un Guitardus grecus, malgré la non hellénité de ce nom, accepte que ce soit un Grec. Il est vrai que la Catalogne était plus perméable que la Touraine aux influences méditerranéennes, et que l'épouse de ce Guitardus portait le nom, bien grec lui, de Pofemia. Ne pourrait-on imaginer que ce Guitardus, Franc comme son nom l'indique, ait cherché fortune et trouvé femme en Grèce, d'où le surnom qui lui aurait été attribué ? 27 Il est sans doute un peu facile, mais tentant tout de même, de rappeler que les milieux tourangeaux (avec lesquels la charte de fondation de Cluny est liée) témoignaient, au xe siècle, d'une certaine connaissance du grec. On renverra à cet égard à la souscription de l'archevêque Téotolon. 28 BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 471, t. 1, p. 457-458; Artem 2496. 29 MOYSE, Préhistoire d'une seigneurie épiscopale, n° 5, p . 24-25 ; Artem 611.

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En 985, les trois dernières souscriptions d'une mainferme du duc d'Aquitaine pour un clerc sont S. filius Bernefredi. S. filius Custantini. S. filius Toiobono. Il s'agit donc de trois individus désignés par le nom de leur père, alors même que ce dernier n'est aucunement renseigné dans le document 30 . Le même phénomène se produit la même année dans une charte du comte de Valence pour l'abbaye de Saint-Marcel-de-Sauzet, mais ici les noms personnels des souscripteurs en question sont indiqués : Signum Pontioni, filii Vuarnerii. Signum Hugoni, nepoti Gibuini. Signum Lanberti, filii Matfredi ... Signum Poncioni, filii Riperti. Signum Riperti, fratris ejus. Signum Lamberti, filii Raimberti .. .31. On trouve ensuite à Marmoutier en 987-995, dans une donation du comte de Blois, quelques souscriptions dotées de précisions géographiques : Signum Gelduini Salmurensis. Signum Gelduini Bretuliensis. Signum Raimundi Blesensis. Signum Girberti Brenensis. Signum Gauscelini Blesensis 32 . Au total, donc, les surnoms sont très rares au xe siècle: 8 actes sur 518, soit seulement 1,5 %. Dès le premier tiers du XIe siècle, les chiffres augmentent : on en est alors à 50 actes, soit 17 % des actes conservés. Et le phénomène ne fait que croître par la suite. Voyons la répartition géographique de l'apparition du surnom. Il y a deux manières d'aborder le problème : en examinant de quand, dans chaque région, date le premier surnom dans les actes ; ou en insistant plus sur l'installation du phénomène que sur son apparition. Pour combiner ces deux approches, le tableau suivant indique dans sa deuxième colonne la date de première apparition du surnom, dans sa troisième la date à laquelle on a pu trouver trois surnoms paternels 33 , trois sobriquets et trois surnoms toponymiques.

30

RÉDET, Documents de Saint-Hilaire, n° 46, p. 53-54 ; Artem 1146. BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 1715, t. 2, p. 735-738; Artem 1626. 32 Arch. Mun. Reims, coll. Tarbé, carton 1, n° 11 ; Artem 16. 33 Sous la forme Johannes filius Petri ou Johannes Petri. L'usage parfois hésitant des déclinaisons complique un peu la recherche. On exclut ici les personnes dont le père (ou, plus rarement, le frère ou l'oncle) sont mentionnés dans l'acte. 31

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Tableau Région Alsace 35 Aquitaine Auvergne Bourgogne Bretagne Centre Champagne Franche-Comté Ile-de-France Languedoc Limousin Lorraine Midi/Pyrénées Nord/Pas-de-Cal. Normandie Pays de la Loire Picardie Poitou Provence/A./C. Rhône/ Alpes

4. Les surnoms dans les actes34

1e apparition

1095 1016 1020 1058 995 1033 1076 1055 1023 1012 1050 1031 1066 1025 1040 1064 1002 1007 1092

3 mentions Nombre d'actes

3 1093 1081 1110 1034 1104 28 1090 1060 44 29 1063 1090 1043 1058 1104 1061 1033 10

39 93 2 35 34 13 27

8 28 17 14 20 39 44

Bien entendu, les régions ne sont pas égales, puisque le nombre d'actes peut varier fortement, de même que leur nature. Pour pallier cet inconvénient, on a indiqué dans une quatrième colonne le nombre d'actes reçu dans chaque région entre le premier surnom et le moment

34 On n'a pas pris en compte ici les mentions de surnoms du xe siècle, dont on a vu qu'elles étaient contestables, sauf la dernière, celle de 987-995 à Marmoutier. 35 Aucun cas n'est attesté en Alsace. Il est vrai que la région est très pauvrement représentée.

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La désignation

où on a pu compter trois surnoms dans chaque catégorie36. Il n'a en revanche pas été possible de tenir compte d'un autre inconvénient, lié à la différence de nature des actes. Une charte épiscopale, par exemple, comporte beaucoup de témoins ecclésiastiques, dont en général seul le nom personnel est indiqué. Les régions les plus riches en chartes épiscopales, comme le Nord/Pas-de-Calais, la Picardie, la Champagne, la Lorraine, sont donc un peu pénalisées. Il est difficile de percevoir une grande logique dans la géographie des premières apparitions du surnom. On peut quand même retenir la lenteur du Nord et de l'Est de la France, l'usage du surnom étant plus rapide dans la France du Centre et du Sud. Si on prend en compte les trois fois trois surnoms, le classement met encore plus nettement en avant la France du Sud et du CentreOuest. Cela confirme, du moins dans les grandes lignes, les observations déjà connues 37 . Deuxième remarque : on peut sans doute confirmer aussi que l'apparition du surnom n'est pas, ou du moins pas uniquement ni même principalement, liée à une contraction du stock de noms personnels utilisés 38 . On constate en tout cas que dans les plus anciens actes avec surnom, il n'y a aucun lien entre l'utilisation du surnom et la présence de deux noms personnels identiques. Troisième remarque : le surnom toponymique est le plus souvent le premier : c'est le cas dans 16 régions, soit seul (10 régions : Auvergne 39, Bourgogne, Centre, Franche-Comté, Ile-de-France, Limousin40 , Lorraine, Picardie, Poitou, Provence/Alpes/Côte d'Azur), soit en même temps qu'un autre type de surnom (6 régions : Bretagne, Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Nord/Pas-de-Calais, Pays-de-la-Loire). Ces autres surnoms, précisément, sont donc à la traîne. Le nom paternel apparaît en tête dans 5

36

Dans certaines régions, il n'a pas été possible de compter trois surnoms dans chaque catégorie avant 1120 ; dans ce cas, la troisième colonne reste vide, et dans la quatrième est indiqué le nombre d'actes reçus après la première apparition d'un surnom et avant 1120. 37 Voir BoURIN, France du Midi, p. 190-192 ; BouRIN, Bilan de l'enquête, p. 235. 38 BOURIN, France du Midi, p. 191. 39 Voir aussi TROTTIGNON, Le cartulaire de la Chapelaude, p. 114 et 117. 4 Ce qui confirme BARRIÈRE, L'anthroponymie en Limousin, p. 28.

°

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régions, dont deux fois seul (Aquitaine, Normandie4 1) ; le sobriquet 5 fois aussi, dont une fois seul (Champagne-Ardennes). Mais en règle générale, c'est le nom paternel qui apparaît le plus tardivement. Dans la mesure où c'est le surnom topographique qui apparaît le premier, cela pourrait être lié à l'émiettement du pouvoir et à la volonté de s'afficher de tel endroit parce qu'on domine cet endroit. Simple hypothèse cependant4 2 •

La fonction, le grade Différente du surnom est l'indication de la fonction. Il faut comprendre celle-ci d'une manière très générale : fonction proprement dite (episcopus,prepositus, maior ou encore comes, senescalcus, cementarius par exemple), mais aussi grade ecclésiastique (presbiter, diaconus ... ), voire indication difficilement classable, parce que certains mots connaissent une évolution sémantique d'ailleurs difficile à préciser exactement (miles). Cette fonction diffère du surnom en ce sens qu'elle n'est pas liée structurellement à un individu, mais qu'elle lui est attachée parce que c'est de fait cette fonction que, au moment où l'acte est écrit, il exerce. La situation est donc très différente de celle qu'on trouvera plus tard, au XIIe et surtout au XIIIe siècle, quand un grand nombre d'indications de fonctions sont devenues des surnoms héréditaires totalement indépendants de l'activité réelle de ceux qui les portent. Un Fournier ou un Fèvre pourront très bien ne jamais voir ni four ni forge, comme l'atteste d'ailleurs, au XIVe siècle, le pape Benoît XII, né Jacques Fournier. Comment peut-on être sûr qu'il y ait cette différence ? Le premier argument est que ces noms de fonction, dans nos textes, sont toujours en latin, alors que dès le premier tiers du x1e siècle certains toponymes 43 , noms du père 44 ou sobriquets45 sont en langue vernacu-

41

Ce qui ne confirme pas NEVEUX, Le système anthroponymique en Normandie, p. 132133. 42 Déjà avancée entre autres par BECK, Evolution des formes anthroponymiques, p. 81. 43 Le plus ancien exemple en est dans un acte de donation d'Hubert pour SaintMartial de Limoges, vers 1012 (LEROUX, Chartes du Limousin, n° 2, p. 205-206 ; Artem 661): Unbertus de Roncom. 44 Voir l'acte de Cluny en 937 cité ci-dessus. 45 Acte de donation de Robert pour Saint-Martial de Limoges en 1028 : S. Ainardi Baddamors (DELOCHE, Pagi et vicairies, n° 7, p. 12-13 ; Artem 668).

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La désignation

laire. Cette dernière atteste ici un usage commun, habituel, du surnom dans la vie quotidienne, qui se mène évidemment dans la langue vernaculaire. Le latin est propre aux structures de la société. Un autre argument est que ces noms de fonction sont souvent clairement des fonctions, et non des surnoms : episcopus, comes, subdiaconus ... Les cas les plus litigieux (molendinarius, coquus ... ) apparaissent d'abord à Marmoutier, dans un contexte où l'abbaye cherche ses témoins dans sa familia 46 . Ces noms de fonction apparaissent durant toute la période considérée, du vne au xne siècle. Mais leur usage se répand. Au début de notre période, les titres utilisés sont le plus souvent ecclésiastiques (episcopus,presbiter, diaconus ... ). S'ils sont laïcs, ils concernent presque toujours l'administration centrale ou locale du regnum. On ne trouve qu'un vir inluster47 et un fils de roi 48 , mais plusieurs comtes, toujours dans des actes d'une certaine importance 49 . Dans des actes moins importants, ou issus de personnes moins importantes, et ayant donc un retentissement essentiellement local, on trouve des vicaires, des vicedomini, des centeniers, des auditeurs 50 . Par la suite, on trouve de nombreuses indications de fonctions ou de métiers donnant à ceux

46

Voir p. 249-250. Dans la charte de Clotilde en 673 (ChLA, XIII, 564 ; Artem 4462). 48 C'est Louis le Pieux qui est dit nobilissimus filius domni Caroli, praecellentissimi regis dans l'acte de sa sœur Gisèle en 799 (ChLA, XVI, 636; Artem 2963). 4 9 Comme le testament de Fulrad de Saint-Denis en 777 (ChLA, XVI, 623 ; Artem 2949), ou l'acte de la comtesse Garemburge et de son fils Eudes en 859 (TARDIF, Monuments historiques, n° 170, p. 107-108; Artem 2030). 50 Quelques exemples : un vicedominus dans une notice d'échange de l'abbaye d'Argenteuil avec l'abbé Eginhard en 824 (TocK, La diplomatique française du Haut Moyen Age, n° 6, p. 70-73; Artem 2975). Un vicecomes dans une notice d'échange d'Ercamfredus et Gabilo avec Saint-Denis en 848 (TARDIF, Monuments historiques, n° 159, p. 102; Artem 2999). Un vicaire et deux centeniers dans une notice d'échange entre Saint-Denis et son vassal Louis en 852 (TARDIF, Monuments historiques, n° 163, p. 104; Artem 3001). On est évidemment intrigué de relever ici autant de notices d'échange. Il y a aussi un auditor dans une charte de donation de Salico et son épouse Teotrude pour Nouaillé vers 900 (MONSABERT, Chartes de Nouaillé, n° 26, p. 46-49; Artem 1177), et le titre devient alors récurrent en Poitou. 47

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

qui les exerçaient une pos1t10n à part, et sans doute privilégiée, au sein d'une communauté rurale 51 . Il faut insister sur le fait quel' absence d'indication de fonction ne signifie pas forcément que l'individu simplement désigné par son nom personnel ne détient pas de fonction. La charte de donation du comte de Mâcon Leotaldus et de sa femme Berthe en faveur de Cluny, datable de 944, porte simplement l' intitulation ego Leotaldus et uxor mea Berta, et comme souscription le signum Leotaldi et Bertae uxoris eius qui hanc donationem fieri et firmare rogaverunt 52 . Il faut alors toute la sagacité des historiens modernes pour identifier ces personnages. Le phénomène se trouve aussi dans les suscriptions 53 . D'autre part, l'étude des souscriptions de scribe permet aussi de constater que l'appartenance d'un même individu au clergé est parfois indiquée, parfois pass4_ Cela revient à dire que la désignation d'un individu telle qu'elle figure dans un acte n'est pas la seule désignation qui était possible. La disposition en interligne Dans 203 actes, le scribe a écrit les surnoms des souscripteurs, ou d'une partie de ceux-ci, immédiatement au-dessus du nom, en interligne. Ce phénomène a déjà bénéficié d'une étude approfondie due à M. Parisse, et consacrée essentiellement aux actes normands, ligériens et poitevins 55 . Le premier cas se produit en 1022, dans une

5l Un exemple parmi d'autres dans la notice d'un accord entre Humbert de Mansigné et l'abbaye de Marmoutier à la fin du XIe siècle : Hildegarius prepositus,

Herveus famulus, Alba/dus cementarius, Rodulfus carpentarius, Urso coquus, Almandus flobotomator, Herbertus sutor (LAURAIN, Cartulaire manceau de Marmoutier, n° 9, p. 124126 ; Artem 630). Ils sont d'ailleurs suivis de la mention Hi de nostra parte. On a donc là le prévôt, unfamulus (peut-être son adjoint), le maçon, le charpentier, le cui-

sinier, le préposé à la saignée (sans doute autant soigneur que saigneur), le cordonnier. 5 2 BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 655, t. 1, p. 609-610, également dans ATSMA et VEZIN, Les plus anciens documents originaux, t. 1, n° 19, p. 8891 ; Artem 1598, avec bibliographie sur ces personnages. 53 V. aussi BARTHÉLEMY, Vendômois : le système anthroponymique, p. 36. 54 Voir p. 279-280. 55 PARISSE, Sur-noms en interligne.

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La désignation

notice de donation de Landri de Beaugency pour Marmoutier [ill. n° 16} 56 . Les témoins y sont disposés en deux colonnes. La première comprend Drogo abbas Sancti Maximini, Goscelinus Botellus, Odo Malgherbg, la seconde Archembaldus Pejor Lupam, Odo filius Bertranni, Warnerius prepositus (une troisième colonne a été ajoutée par la suite, et ne nous intéresse donc pas ici). Sauf l'abbé Drogon, tous les témoins ont leur surnom indiqué en interligne. Le tableau suivant montre l'évolution de la présence de l'interligne.

Tableau 5. Nombre et pourcentage d'actes avec surnoms en interligne Période

Nombre d'actes Nombre avec surnom total d'actes en interligne

Pourcentage

1001-1025 1026-1050 1051-1075 1076-1100 1101-

1 9 42 101 50

181 308 501 1060 976

0,5 2,9 8,3 9,5 5,1

Total

203

3026

6,7

Si l'évolution est nette - croissance régulière à travers tout le XIe siècle, décroissance ensuite - il faut noter que le nombre d'actes concernés n'a jamais été très élevé. C'est surtout dans le Centre (95 actes) et en Poitou (47 actes) que le surnom en interligne se trouve ; dans une moindre mesure, en Limousin (15 actes), en Normandie (14 actes) et en Ile-de-France (12 actes). Si l'on tient cependant compte du nombre total d'actes conservés pour ces régions, et en ne calculant qu'à partir de 1050, quand le surnom en interligne devient une pratique assez régulière, on remarque qu'il caractérise 37 % des actes

56

Arch. dép. Loiret, Portef. n° 57 (H) ; Artem 2799.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

limousins, 25 % des actes poitevins, 18 % des actes franciliens, mais seulement 10 % des actes normands ou du Centre. C'est assurément en Limousin qu'il intrigue le plus. Dès 1028, dans un acte de donation d'un certain Robert pour Saint-Martial de Limoges, le surnom d'un des témoins, Ainardus Baddamors, est mis en interligne [ill. n° 22}5 7 .

Ill. n° 22 : Arch. dép. Haute-Vienne, 4 F 2/Rl ; Artem 668.

Mais pas ceux des autres : S. Giraldi Valentiae. S. ]ozfredi de Pairac. S.]ozfredi Peirere. Vers 1052, une charte de donation d'un certain Pierre pour le chapitre cathédral de Limoges se termine par une liste de 27 témoins. Six d'entre eux ont un surnom en interligne : Adalbert ]ambo, Adémar de Laron, Uncbert Carroj(ensis}, Ucbert Claviger, Hugues Masel, Pierre Maselli et Roger Bufa 58 . Il s'agit en fait de tous les témoins possédant un surnom, sauf Ucbert Rabazerus [ill. n° 23}.

Ill . n° 23 : Arch . dép. Haute-Vienne, 3 G 362 ; Artem 669.

Par la suite, l'usage de l'interligne est souvent systématique. On l'a mentionné pour le chapitre cathédral et pour Saint-Martial, mais il se trouve aussi à Solignac. Sauf quelques exceptions, d 'ailleurs

57 DELOCHE, Pagi et vicairies, n° 58 LEROUX, Chartes du Limousin,

7, p. 12-13; Artem 668 . n° 6, p. 208-209 ; Artem 669.

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La désignation

toutes localisées à Saint-Martial de Limoges, chaque fois qu'il y a en Limousin des témoins avec des surnoms, ceux-ci sont en interligne. Les exceptions s'expliquent en partie par l'inclusion de la liste de témoins à l'intérieur de l'acte, les listes terminales étant plus perméables aux surnoms en interligne. En Poitou aussi, l'inclusion de la liste des témoins à l'intérieur de l'acte est une donnée importante. Mais ce n'est pas la seule. Compte aussi le statut de l'auteur : aucun acte ducal, presque aucun acte épiscopal n'est concerné. Compte surtout le bénéficiaire: tous les actes de Saint-Maixent, sauf deux actes épiscopaux, ont des surnoms en interlignes, alors qu'à Nouaillé le bilan est plus contrasté, et qu'à Poitiers même, au contraire, la pratique est très rare. Il faut également noter que l'indication portée en interligne peut concerner plus d'une personne. Dans une charte de Bernier, doyen de Notre-Dame de Paris, vers 1120, Petrus et Herbertus sont surmontés par un commun accoliti, tandis qu'un peu plus bas Dagobertus et Bartholomeus l'est par de Christoilo 59 . Mais pourquoi les scribes indiquent-ils les surnoms en interligne ? Sauf dans quelques cas, il est difficile d'y voir la réparation d'un oubli 60 : les scribes de certains actes seraient vraiment de très grands distraits. Mais comme dans certains actes ces insertions en interligne ne sont pas systématiques, il est possible qu'elles correspondent à un souci de précision. Une notice de Saint-Ouen de Rouen, datable de 1112-1119, contient un certain nombre de surnoms en interligne. Mais tous les surnoms de cet acte ne sont pas en interligne. Le surnom topographique d'Ernulfus de Wargenvilla, par exemple, est en interligne, mais celui de Leo de Medante est sur la ligne d'écriture. De même, le sobriquet de Rainaldus Boet est en interligne, mais pas celui de Walterius Poiout. D'autres éléments sont en interligne. Ainsi, quand le scribe écrit : tempore Willelmi prioris, nepotis donni Willelmi abbatis Sancti Audoeni, il insère en interligne, entre Willelmi et abbatis le mot postea. Un peu plus loin, il écrit presente donno Helgoto abbate, et ajoute en

de Paris, t. 1, p. 382, n° 13; Artem 2908. Micy, pour Jumièges en 1023-1027, il y a un seul ajout en interligne : c'est, au-dessus de Signum Arnulfi archiepiscopi, la précision Turonis (VERNIER, Chartes de Jumièges, n° 9, p. 23-25 ; Artem 2684). S9 GUÉRARD, Cartulaire de Notre-Dame 60 Dans un acte d'Albert, abbé de

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

interligne Sancti Audoeni. C'est-à-dire qu'on a ici l'impression qu'après avoir écrit l'acte, le scribe (car l'écriture est bien toujours la même) l'a repris en y apportant des précisions supplémentaires, certaines permettant de mieux situer le document et l'action dans la suite des abbés de Saint-Ouen, d'autres ayant sans doute pour fonction de mieux identifier les témoins dont on pourrait avoir besoin [ill. no 24}61. Les additions non systématiques peuvent également être dues à un problème matériel, celui du manque de place. Ce manque de place est d'ailleurs souvent lié (21 cas) à une disposition des témoins en colonnes, qui contraint le scribe à travailler dans un cadre non extensible. Au total, seuls 26 actes sont, ou semblent, concernés par ce problème de manque de place, qui est donc marginal. Presque tous viennent de Marmoutier62 . On en citera un exemple ici : une notice de la donation de Foulques de Limeray pour Marmoutier entre 1032 et 1064 [ill. n ° 2 5}63 . Il faut souligner que l'acte le plus ancien dans cet ensemble date d'environ 1050 64 : ce n'est donc pas pour pallier un problème de manque de place qu'on a eu l'idée de l'interligne ; on a exploité cette idée, inventée à d'autres fins, pour répondre au problème de manque de place. Dans d'autres cas, on l'a dit, le dispositif est volontaire et prévu dès le départ. On en prendra quelques preuves. Dans une notice de Marmoutier, datable de 1034-1064, les témoins sont disposés en deux colonnes, la première comprenant quatre laïcs, membres sans

61

Arch. dép. Seine-Maritime, 14 H 314; Artem 2752. Marmoutier est même, jusqu'en 1086, le seul fonds d'archives concerné. Un cas extrême à Marmoutier est celui du scribe d'un accord entre l'abbaye et Adémar de Monteaux entre 1037 et 1064, qui écrit neuf témoins en trois colonnes égales, un seul d'entre eux ayant un surnom en interligne (le premier témoin, peut-être parce que le scribe n'avait pas encore bien organisé son travail). Le dernier témoin est Teodericus famulus de Chimiliaco, ce qui est un peu long. Distrait (il écrit d'ailleurs souvent is pour us), le scribe n'a vu qu'il n'aurait pas assez de place qu'après avoir écrit Teodericus famulus de Chimi, ce qui l'a obligé à écrire liaco en interligne (MÉTAIS, Marmoutier. Cartulaire blésais, n° 20, p. 24-25 ; Artem 2240). 63 MÉTAIS, Marmoutier. Cartulaire blésais, n° 18, p. 22-23 ; Artem 2241. 62

100

La désignation

Ill. n° 24: Arch. dép. Seine-Maritime, 14 H 314; Artem 2752.

101

Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

., .

Ill. n° 25 : Arch. dép. Loir-et-Cher, 16 H 88 n° 14 ; Artem 2241.

doute de la familia de l'abbaye, la seconde donnant les noms de trois moines. La disposition de la première colonne est éloquente : le scribe disposait de toute la place nécessaire pour écrire les noms, surnom ou fonctions des témoins sur la même ligne. S'il ne l'a pas fait, c'est qu'il avait dès le départ décidé de procéder autrement65 . Une notice d'un accord entre Marmoutier et Humbert de Mansigné, à la fin xre siècle, porte ainsi, entre autres, le nom de Bodino filio Aremburgis, ce dernier mot étant en interligne et ayant toujours prévu devoir être placé à cet endroit6 6 . D'autre part, il est curieux de constater que dans la donation d'Hugues de Chitré à Nouaillé en 1077-1091, qui existe en deux exemplaires, la disposition est identique : pour un des témoins, Elie de Chauvigny, le mot prepositus est en interligne6 7 . Il en va de même à propos des deux exemplaires de la donation de Villeberfeuil à Marmoutier par Nivelon, fils de Garin Sans Barbe en 1060-106668 . Mais l'inscription des surnoms en interligne n'est pas toujours systématique à l'intérieur d'un même acte. Dans 48 actes seulement,

64 Notice d'une vente de Salomon de Lavardin à Marmoutier (MÉTAIS, Marmoutier. Cartulaire blésais, n° 27, p . 33-34 ; Artem 2227). 65 LA BORDERIE et LA BIGNE DE VILLENEUVE, Chartes de la Sainte-Trinité de Fougères, n° 2, p. 185 ; Artem 2807 . 66 LAURAIN, Cartulaire manceau de Marmoutier, n° 9, p. 124-126 ; Artem 630. 67 MüNSABERT, Chartes de Nouaillé, n° 135 et 136, p . 215-217 ; Artem 1293 et

1294. 68 MABILLE, Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois, n° 107 et 108, p . 98-100 ; Artem 2268 et 2269.

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La désignation

tous les surnoms sont en interligne. Dans 5 7 autres, il y a l'une ou l'autre exception, qui dans 42 cas paraît assez logique, la différence correspondant à une différence entre catégories de souscripteurs. Ainsi, quand échappent à l'interligne l'auteur, un vicomte, ou encore l'évêque. Dans un acte de donation d'Eudes Ru/us pour Saint-Père de Chartres daté de 1118, seuls les témoins ex parte Odonis ont un surnom en interligne69 . En revanche dans la charte de Gontard de Garancières pour Saint-Père en 1033-1069 ce sont les témoins ex parte monachorum qui ont leur surnom en interligne 70 . Exceptionnellement, la différence de traitement du surnom peut être liée au type de surnom. Ainsi, dans un accord entre Nouaillé et un certain Aimeric en 1081, les surnoms liés au père et à une fonction (à moins qu'il s'agisse d'un sobriquet ?) sont en interligne, tandis que les surnoms toponymiques, toujours introduits par de, sont sur la ligne d'écriture 71 . Mais il s'agit là d'un exemple rare. D'une manière générale, on trouve en effet en interligne aussi bien des surnoms en tant que tels (sobriquets) que des noms toponymiques, des noms paternels (avec ou sans l'indicationfi/ius) ou des noms de fonctions ; et cela dès les débuts de l'usage de l'interligne. Il reste que, dans 7 4 actes, seuls certains témoins ont un surnom en interligne, et rien ne permet de comprendre pourquoi il en va ainsi. Prenons l'exemple d'une donation de Hugues pour Troarn en 1079-1083, souscrite entre autres par l'archevêque Guillaume et l'évêque de Bayeux Eudes : arciepiscopi est en interligne, mais pas episcopi Baiocensis 72 . Dans un long acte d'échange entre Saint-Calais de Blois et Marmoutier en 1101, les 27 témoins ont tous un surnom

69 GUÉRARD,

Cartulaire de Saint-Père de Chartres, t. 2, p. 439-441, n° 48 ; Artem

3107. 70 GUÉRARD, Cartulaire de Saint-Père de Chartres, t. 2, p. 71 MONSABERT, Chartes de Nouaillé, n° 152, p. 239-241

413, n° 16 ; Artem 3108. ; Artem 1265 : audientibus

et videntibus Petra Senebaldi, Aimerico de Torciaco, Aimerico Benedicti, Walterio et Adelardo fratribus de Capella, Constantino Bernardi et Rotberto. Hanc vero cartam et guirpicionem coram abbate sepe memorato et fratribus hujus loci in capitula roboravit sepedictus Aimericus, et super altare obtulit, cernentibus Guillelmo de Chistriaco et Guibelino fratre ejus, Petra Gundoeni, Constantino Bernardi atque]ohanne iudice; les mots soulignés sont mis en

interligne sur l'original. 72 BATES, The Acta of William I,

p. 858-859, n° 283. ; Artem 2341.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

(toponyme, sobriquet, fonction, indication de filiation), mais trois seulement ont ce surnom en interligne : Raina/dus cocus (r dans la liste), Raina/dus maior et Gilduinus Ru/us (20e et 21 e), mais pas Goffredus Ru/us, Stephanus claviger ou Dotoinus venator73 . Autre exemple : dans une charte de donation d'un certain Geoffroi pour SaintMaixent en 1080, trois pueri sont repris parmi les moines : Signum Petri pueri, S. Ademari pueri, S. Ioscelmi pueri et monach{orum}. Pour Pierre et Ioscelmus,pueri est écrit sur la ligne d'écriture, alors que pour Adémar il est écrit en interligne 74 . Aucune raison ne paraît justifier cela. En fin de compte, à quelle préoccupation répondait l'inscription du surnom en interligne ? Avant d'essayer de répondre à cette question, il faut commencer par quelques remarques. Première remarque : l'interligne n'est pas un phénomène nouveau dans l'écriture au XIe siècle : il servait déjà à héberger des corrections et des ajouts, des compléments explicatifs dans le cadre des gloses interlinéaires, ainsi que des signes abréviatifs 75 . Deuxième remarque : L'idée de placer des surnoms en interligne apparaît une vingtaine d'années après le développement de l'usage même du surnom. Elle n'est donc pas contemporaine de l'intervention du surnom, mais la suit d'assez peu. Troisième remarque : L'usage du surnom en interligne était multiforme, ce qui doit amener une réponse multiple à la présente question. Il est probable que le scribe qui le premier a eu l'idée d'inscrire un surnom en interligne a repris un usage qu'il connaissait, et qu'il a simplement étendu. Il ne peut s'agir d'une correction ni d'une abréviation, mais il peut s'agir d'un ajout. Non pas, on l'a vu, qu'il ait ajouté le surnom quelques jours après avoir écrit le texte. Mais parce qu'il a estimé que le surnom, qui faisait son apparition, devait être considéré comme un complément au nom. En quelque sorte, on

73 MABILLE, Cartulaire de Marmoutier pour 74 RICHARD, Chartes de Saint-Maixent, n° 75 PARISSE,

le Dunois, n° 67, p. 60-62; Artem 2262. 149, p. 179-183 ; Artem 1262.

Sur-noms en interligne, p. 14. 104

La désignation

accepte de prendre en compte le surnom, mais en lui réservant une place différente, de moindre importance. En ce sens, l'usage de l'interligne marquerait donc une certaine réticence à l'égard du surnom76. Par la suite, les scribes y ont vu d'autres possibilités. Il y a tout d'abord la hiérarchie des témoins. Ce n'est pas un hasard si dans la notice de donation de Landri de Beaugency pour Marmoutier d'environ 1022 évoquée ci-dessus, seul l'abbé de Micy n'est pas inscrit sur deux niveaux. De même, dès 1031-1035, un acte du duc de Normandie Robert le Magnifique pour Fécamp met sur une seule ligne les souscriptions du duc, des évêques, des abbés, des comtes, mais sur deux lignes celles des personnages de moindre importance 77 .

76

On ne peut évidemment manquer de s'interroger sur l'origine du mot «surnom >>, habilement reconstruit en « sur-nom » par M. Parisse. Faut-il y voir un lien avec l'interligne ? Il ne semble pas. Le mot latin supernomen ou supranomen, absent du vocabulaire classique, apparaît, dans l'état actuel des informations, en Italie au IXe siècle: Charles Du CANGE, Glossarium mediae et infimae latinitatis, t. 7, p. 665 et 676 ; NIERMEYER, Mediae latinitatis lexicon, p. 1006 ; Francesco ARNALDI et P. SMIRAGLIA, Latinitatis italicae medii aevi inde ab a. CDLXXVI usque ad a. MXXII lexicon imperfectum, t. 3, Bruxelles, 1957-1964, p. 229 et 235. Mais supernomino, au sens de « surnommer », se trouve bizarrement déjà chez Tertullien (Apologeticum, chap. 18, l. 22 ; édit. Eligius DEKKERS, Turnhout, 1954 (Corpus Christianorum. Series Latina, 1) : Ptolomaeus, quam philadelphum supranominant). Dans d'autres sens, on le trouve chez Augustin (Locutiones in Heptateuchum, Iib. 2, Locutiones Exodi, !oc. 96 ; édit. ]. FRAIPONT, Turnhout, 1958 (Corpus Christianorum. Series Latina, 33) : Augustin le propose comme traduction du grec ÉrcovoµaÇm («nommer, désigner ») et chez Denys l'Aréopagyte, dans la traduction d'Hilduin. Quoi qu'il en soit, le supernomen italien des IXe-xe siècle n'est pas lié à l'interligne, inusité en Italie à l'époque. En revanche, peut-être le terme a-t-il donné une idée à l'inventeur du surnom en interligne. Mais supernomen comme supranomen sont absents de la base de données de l'Artem, ainsi que de la base de données des chartes « belges » (Thesaurus Diplomaticus). 77 + Signum Rotberti Nortmannorum ducis. + Signum Willelmi filii ejus. + Signum domni Rotberti archiepiscopi. + Signum Rotberti episcopi. Signum Gingoloi archiepiscopi. Signum domni J ohannis abbatis. + Signum Willelmi abbatis. + Signum Gradulfi abbatis. Signum Rainerii abbatis. + Signum Durandi abbatis. + Signum Isemberti abbatis. + Signum Eduuardi regis. Signum Balduini comitis. Signum lngelranni comitis. Signum Gisleberti comitis. Signum Negelli. Signum Osberti sinscalci. + Signum Unfredi Vetuli. Signum Richardi vicecomitis. Signum Gozilini vicecomitis. Signum Turstini vicecomitis. Signum Aymonis vicecomitis. Signum Toroldi constabilarii (FAUROUX, Recueil des actes des ducs de

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Une autre cause, on l'a vu, est le manque de place. A partir du moment où on a pris l'habitude d'écrire des surnoms en interligne, il paraît expédient de recourir à ce procédé quand on n'a pas la place d'écrire l'ensemble du nom et du surnom sur une ligne.

§ 3. La question du désignateur Rainard Hartel a soulevé, voici peu, un problème crucial pour !'anthroponymie : les noms qu'on trouve dans les actes sont-ils ceux par lesquels les personnes concernées se présentaient, ou ceux que le scribe leur attribuait, éventuellement sur la foi d'une rumeur entretenue par des tiers ? C'est ce que Hartel appelle le problème de l'autodénomination et de l'allodénomination78 . Cette question est importante aussi pour le diplomatiste. Car l'autodénomination interdit que le scribe prépare l'acte, ou du moins les souscriptions des tiers, avant la cérémonie solennelle au cours de laquelle l'action juridique est accomplie : si elle est établie, elle constituera un argument important lorsque nous essaierons de voir en quoi l'étude des souscriptions permet de mieux comprendre la chronologie de l'élaboration de l'acte. Mais l' autodénomination implique aussi qu'il y ait contact direct entre le scribe et chacun des souscripteurs : elle exclurait donc l'hypothèse de témoins involontaires, qui ignoreraient même être repris comme témoins d'un acte. Malheureusement, si la question est importante, les moyens d'y répondre, eux, sont rares. Car rien ne ressemble plus, à première vue, à une autodénomination qu'une allodénomination. Les données explicites sont très rares : aucun acte ne proclame qu'il y eut autodénomination. Il y une exception, dans une charte de donation donnée en Narbonnais sous le règne d'Hugues Capet par une certaine Eldiarde, accompagnée par son mari Hector, à son fils Bonifilius. La souscrip-

Normandie, n° 85, p. 223-226; Artem 2692); les mots soulignés correspondent aux noms mis en interligne sur l'original. 78 HARTEL, « Autodenominazione ». Le problème est abordé également par GUYOTJEANNIN, L'onomastique émilienne, p. 415-428. Mais s'agissant de l'Italie des x1e-xn1e siècles, les choses se présentent de manière très différente.

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La désignation

tion d'Hector est : Signum Ector {que} Domnutius vocor consenciens79. Mais dans la suscription de l'acte, la formulation est : Hector que Domnucius vocatur. L'autodénomination et l'allodénomination se rejoignent donc ici. En revanche, dans la notice de la dédicace, après restitution, du prieuré de Chalanne à Marmoutier, en 1047-1056, le scribe dit explicitement qu'il a sélectionné les témoins en choisissant ceux qu'il connaissait : Sed de plurimis, paucissimorum quorum nobis familiarior extitit notitia, subter inserta sunt nomina 80 . Mais les témoins étaient très nombreux : Dedicationis autem quam praefati sumus, vel eorum quae postea gesta narravimus, tot pene testes affuerunt, quot non Andecavensis tantum civitatis terminos, verum etiam circumjectas incolebant urbes et urbium pagos. Ces deux actes ne peuvent asseoir une règle générale. Reprenons donc la réflexion. On doit a priori distinguer trois cas de figure : il y a l'allodénomination complète (le scribe écrit le nom d'un individu sans en référer le moins du monde à l'intéressé, disposant donc d'une liberté totale aussi bien dans la graphie que dans le choix, éventuellement, d'un surnom), l'allodénomination partielle, ou autodénomination partielle (l'intéressé donne lui-même son nom et éventuellement son ou ses surnoms, mais le scribe garde toute liberté de retenir les éléments qu'il veut et d'adopter les graphies qu'il veut) et l'autodénomination complète (le scribe écrit sous la dictée et le contrôle de l'intéressé ; le cas le plus parfait est évidemment la souscription autographe, où le scribe et l'intéressé ne font qu'un). Mais pouvons-nous supposer que les personnes citées dans un acte, il y a un millénaire, se désignaient toujours de la même

79 B.N.F., n. a. lat., 2462 fol. 1 ; Artem 2588. Dans la suscription de l'acte, la formulation est : Hector que Domnucius vocatur. Mais c'est dû au contexte, puisque l'intitulation complète est : ego, Eldiardis et vir meus, Hector que Domnucius vocatur consenciens, donatrix sum. En sens inverse, on trouve dans un acte pour Lérins en 1060 une suscription Pontius, qui nuncupor Arbertus alors que la souscription correspondante est Signum domni Poncii Arberti (Arch. dép. Alpes-Maritimes, H 411 ; 3850). Sur ces formules, voir BILLY, Glossaire des formules de dénomination. 80 MARCHEGAY, Chartes angevines, n° 5A, p. 389-391, n° 5 A; Artem 3590. Il y a une autre version de cet acte, dont le texte n'est pas moins intéressant : Tocius rei

gestg testium non omnium qui ajfuerunt sed quorum apud plurimos videbatur excellere notitia, subter inserta sunt nomina (ibidem).

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

manière ? Nous ne pourrons sortir du problème que si nous pouvons constater qu'en cas d'autodénomination complète, le nom et éventuellement le surnom sont toujours rigoureusement identiques. Nous ne pouvons donc espérer de solutions que du côté des souscriptions autographes, à condition qu'on en ait conservé plusieurs pour un même individu. Et à condition qu'elles ne portent pas sur des ecclésiastiques, pour lesquels les surnoms sont à peu près exclus. De telles souscriptions n'existent malheureusement pas. Dans l'état actuel des recherches, il n'apparaît donc pas possible d'apporter une réponse à la question de l'auto- ou de l'allodénomination dans les actes du Haut Moyen Age.

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Chapitre 3 Le vocabulaire de la souscription

Un simple nom de personne ne suffit pas à faire une souscription. Pour cela, il faut qu'il soit précisé le rôle, l'action exacte, de la personne ainsi nommée. Cela peut passer par une formule un peu longue, cela peut aussi être un simple mot, un signe graphique. Mais il est rare que les noms figurent sans la moindre introduction. L'ensemble des mots caractérisant la souscription, indiquant que la personne citée peut être considérée comme ayant souscrit, ou ayant été souscrite, constitue une sorte de vocabulaire de la souscription. Les mots qui composent ce vocabulaire sont rarement propres aux souscriptions. On les trouve dans quantité de contextes et de sens différents. Ce sont également des mots connus, qui figurent dans tous les dictionnaires. Il n'en reste pas moins que leur sens exact, dans le cadre particulier de la souscription, n'est pas toujours clair. Aussi, à l'instar de travaux récents 1, va-t-on chercher à restituer la signification précise de ce vocabulaire dans le cadre de la souscription 2 .

1 GuYOTJEANNIN,

Le vocabulaire de la diplomatique, qui n'étudie cependant pas le vocabulaire de la souscription. BoURGAIN, Les verbes en rapport avec le concept d'auteur. BILLY, Glossaire des formules de dénomination. 2 Il n'a malheureusement pas été possible de donner systématiquement des indications chiffrées sur l'emploi des mots qui seront présentés ici. En effet, plusieurs d'entre eux ont des sens différents, ou ne s'emploient pas que dans les souscriptions et corroborations, de sorte que le résultat eût été faussé. D'autre part, il faut souligner qu'on ne

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

§ 1. Produire l'acte Ecrire L'acte est bien entendu d'abord un écrit, et c'est donc par là qu'il faut commencer. Mais comment faut-il comprendre Scribere ? Faut-il prendre ce mot au pied de la lettre ? Scribere désigne-t-il l'acte d'écrire, ou une intervention, une responsabilité, dans le processus d'élaboration d'un acte ? En réalité, on sait depuis longtemps que de telles mentions ne doivent pas forcément être prises au sens littéral, et qu'elles peuvent en fait signifier tout autre chose que ce qu'elles semblent dire 3 . Qu'en est-il dans notre corpus ? 566 souscripteurs, c'est-à-dire plus de la moitié des scribes ou chanceliers connus dans notre corpus 4 , prétendent avoir écrit les actes qu'ils souscrivent, soit qu'ils utilisent le verbe scribere, ou, très rarement, conscribere ou describere, soit qu'ils utilisent le substantif scriptor. Le problème est de voir s'ils ont réellement écrit les actes dont ils s'attribuent ainsi la scriptio, ou s'ils se sont contentés d'en organiser l'écriture. Une seule méthode s'offre à nous: la comparaison entre les écritures des actes qu'un même scribe prétend avoir écrits 5 . Ce qui limite la recherche aux scribes qui revendiquent au moins deux actes : ils sont 141 dans ce cas de figure. Pour 67 d'entre eux, soit presque la moitié, l'écriture est identique dans chacun des actes qu'ils ont souscrits 6 . On peut donc supposer, puisque l'écriture et le nom du scribe sont identiques dans ces actes, que le scribe est effectivement celui qui a écrit le document7. Ces 67 scribes se concentrent

trouve aucune des (très rares) souscriptions métriques que l'on peut, à partir de la fin du XIe siècle, trouver en Italie (MEYER, Felix et inclitus notarius, p. 97-99). 3 Voir par exemple ATSMA et VEZIN, Autour des actes privés, p. 51-60. 4 Sur ces souscripteurs, voir p. 271. 5 Sur les problèmes méthodologiques qui y sont liés, voir p. 310-324. 6 Ou dans une très forte majorité, comme chez Rothard de Cluny, où elle est identique dans 15 des 18 actes qu'il revendique (voir document 3, p. 33-37 un acte de Rothard reproduit et commenté). 7 Idéalement, il eût été utile de mener une contre-enquête en comparant les écritures en question avec celles de toutes les chartes conservées pour la même région et la même tranche chronologique, voire avec les écritures des manuscrits. Pour d'évidentes raisons pratiques, cette contre-enquête n'a pas pu être menée.

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Le vocabulaire de la souscription

sur le xe et la première moitié du xre siècle : seuls 15 d'entre eux exercent leur activité après 1050. C'est beaucoup, mais il n'en reste pas moins que dans 7 4 cas, le scribe n'a vraisemblable ment pas lui-même écrit les actes. Comment l'expliquer ? Peut-être certains d'entre eux ont-ils utilisé plusieurs écritures différentes. C'était techniquemen t possible 8 , et on peut envisager que des scribes aient disposé de plusieurs écritures, par exemple en fonction du client qui s'adressait à eux. Mais cela ne suffit sans doute pas à rendre compte des 74 cas recensés. Un autre facteur d'explication possible est qu'il y a eu identification abusive. Ainsi Etienne, à Marseille. On a gardé de lui trois originaux, datés de 1039, 1042 et 1060. L'acte de 1039 n'est pas utilisable, parce qu'il est dans une écriture diplomatique, alors que les deux autres sont dans une écriture livresque, d'ailleurs différente dans les deux cas. Mais est-ce parce qu'Etienne a dirigé les opérations, ou rédigé les actes, ou les a relus, mais ne les a pas écrits ? Ou bien parce qu'en 18 ans son écriture a changé, ou tout simplement parce qu'il y a eu, à deux décennies de distance, deux moines nommés Etienne à SaintVictor de Marseille ? On peut se poser les mêmes questions, toujours à Saint-Victor de Marseille, à propos de Jean en 1044-1070, de Maiamfredus en 1048 et 1062 ; à Cluny, à propos de Bernard, en 935 et 945, en Poitou pour Béraud, en 886-898, à La Grasse pour Aigo en 946 et 957. Dans d'autres cas, le scribe n'est pas dit avoir écrit, mais être scripteur (scriptor). Ce susbtantif peut-il renvoyer à une activité, on dirait presque une profession, et non à une action ? Ce n'est pas impossible. Certains actes, au sein de notre corpus général, le montrent même clairement. A Saint-Florent de Saumur, entre 1076 et 1096, un donateur remet un cimetière dans les mains de deux moines, le bouteiller Haimon et le scriptor Laurent 9. A Marmoutier, également entre 1076 et 1096, un très curieux texte raconte les manœu-

8

Voir p. 314-322. cymiterium Dei et Sancti Martini Trembliacensis quod ad damnum animg meg tenebam Deo et sancto Martino necnon Christi confessori Florentio ejusque monachis ibi servientibus Deo, scilicet Hamoni butellario atque scriptori Laurentio (Dom MoRICE, Mémoires pour servir de preuves, t. 1, col. 389 ; Artem 3460). 9

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

vres, au sens propre dégoûtantes, du prêtre de Fougères Aubri, et comment le prêtre Geoffroi et le scriptor Eudes ont retrouvé la croix d'autel qu'il avait dissimulée sous des déjections humaines 10 . La proximité géographique et chronologique entre ces deux documents est évidente. Elle l'est plus encore quand on constate quels sont les actes qui mentionnent un scriptor au sein de la liste des témoins, sans lui accorder d'importance particulière, sans lui attribuer l'écriture de l'acte, mais en le considérant comme un officier monastique : un acte de 1086 pour Saint-Florent de Saumur 11 ; un acte d'Eudes, évêque de Bayeux, pour Saint-Ouen de Rouen, donné entre 1050 et 1092 12 ; un acte de Guillaume, abbé de Saint-Florent de Saumur, pour Bourgueil en 1096 13 ; un acte de Baudri, abbé de Bourgueil, pour Saint-Mesmin de Micy entre 1096 et 1107 14 ; une pancarte de Saint-Amand de Rouen, datable du début du xne siècle, mais avec des donations très antérieures 15 . On le voit, on est toujours dans l'Ouest, Touraine et alentours, dans la deuxième moitié du XIe siècle. Dans cette région, à cette époque, il semble donc qu'il y ait un office de scriptor dans certains monastères, sans qu'on puisse dire exactement quel était le

10 et quomodo ipse abscondit crucem super a/tare illitam humano stercore, quam ibi invenit Gaufridus presbiter de Romaniaco et Eudo scriptor (LA BORDERIE et LA BIGNE DE VILLENEUVE, Chartes de Fougères, n° 5, p. 188-190 ; Artem 2812). 11 Hervisus prior, Laurentius, Gos/redus cellararius, Gausbertus cantor, item Gausbertus, Umbaldus et Willemus prepositi, Hugo elemosinarius, Benedictus secretarius, Briccius armarius, Rotbertus scriptor, Johannes frater domni Willelmi abbatis... (MARCHEGAY, Chartes angevines, p. 408-411, n° 16 ; Artem 3343) 12 S. Turstini. + S. Richardi. + S. Willelmi scriptoris ... (MABILLON, Annales Ordinis sancti Benedicti, t. 5, p. 615 ; Artem 2728). 13 S. Baudrici Burguliensis abbatis et monachorum ejus, Girardi scriptoris, Beringerii, et auctoritas totius capitulifamuli eorum (Arch. dép. Indre-et-Loire, H 24 n° 21; Artem

1408). 14

Hoc autem actum est in capitula Sancti Petri Burguliensi in presentia domni Baudrici abbatis, videntibus qui aderant fratribus Fulcherio monacho, Fulcone monacho, Guitberto priore, Hugone scriptore, Girardo elemosinario ... (Arch. dép. Loiret, Portefeuille n° 36 ; Artem 2789). 15 Hujus rei sunt testes, Robertus filius Hungeri, et Rannulfus Monetarius et Osbernus fi!ius ejus. + Willelmi Normannorum comitis. + Rogerii puellg patris. + Roberti scriptoris (LE CACHEUX (Marie-Josèphe), Histoire de l'abbaye de Saint-Amand de Rouen, n° 2, p. 243253 ; Artem 4559).

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Le vocabulaire de la souscription

contenu de cet office. Mais aucun scriptor attesté plus d'une fois ne semble correspondre à cette fonction 16 . Si l'on tient compte des problèmes d'identification évoqués cidessus, il reste tout de même 68 scribes qui prétendent avoir écrit les actes qu'ils ont souscrits, et qui apparemment ne l'ont pas fait. On doit donc en conclure que le verbe scribere ne renvoie pas forcément à l'action concrète de l'écriture, mais à une intervention plus vague dans le processus d'élaboration des actes. La pratique existe dès le IXe siècle (avec Géraud à Rodez), est faiblement attestée au xe siècle, (avec Arnaud et Siricus à Langres, qui préfigurent peut-être les chanceliers épiscopaux de la fin de notre période, et avec Evrard à Cluny et Landri à Nouaillé), mais est surtout présente au XIe et au début du XIIe siècle. A cette époque elle concerne surtout des chanceliers épiscopaux. Seize d'entre eux utilisent scripsi, souvent en parallèle avec subscripsi ou relegi, sans que l'analyse paléographique confirme qu'ils ont eux-même écrit les actes en question 17 . Il y a tout de même deux exceptions : Girard, à Sens, a souscrit en 1109 et 1112 deux actes dont l'écriture est la même. De Hugues, chancelier de Soissons, on a conservé trois originaux, datés de 1096 et 1100, et dont l'écriture semble identique. Ont-ils réellement écrit ces actes, ou bien ont-ils chacun été assistés par un scribe unique ? Il est peu probable que les chanceliers épiscopaux aient eux-mêmes écrit beaucoup d'actes 18 , mais le phénomène est possible 19.

16

Sauf peut-être le scriptor Hilaire, attesté dans les listes de témoins de deux actes de l'évêque de Poitiers Isembard II pour Montierneuf, en 1081 et 1083. Mais les deux actes sont proches et le plus récent recopie en partie le premier, et d'autre part Hilaire est le dernier des témoins monastiques, avant la souscription du duc (VILLARD, Recueil de documents de Montierneuf, n° 10, p. 19-20 et n° 14, p. 24-25 ; Artem 1263 et 1269). 17 Odalricus (105 3-1067), Godefroid (1084-1094) et Fulcrad à Reims (actes de 1096 à 1119) Garin (1079-1109) et Renaud (1114-1120) à Châlons, Girbert (1105 à 1110) et Pierre (1111 et 1113) à Sens, Gondroi à Amiens (1105 et 1106), Etienne à Langres (1088), Hugues à Noyon (1110-1116), Renaud à Soissons (1085 et 1086), Richard (1098), Tetbaudus (1119-1120) et Vulgrin (1088-1094) à Paris et les deux Werimboldus à Cambrai (l'un en 1057 et 1064, l'autre de 1089 à 1118). 18 D'autres chanceliers épiscopaux évitent soigneusement le verbe scribere. Anselme de Laon, par exemple, utilise les termes relegi, subscripsi ou confirmavi (DUFOURMALBEZIN, Actes des évêques de Laon, p. 28-29 et n° 79). Les actes originaux qu'il

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

On doit donc en conclure que scribere peut signifier l'acte concret et matériel d'écrire, mais peut aussi désigner la responsabilité générale de l'écriture d'un acte.

Notescere est utilisé dans deux textes hispano-clunisiens, l'un de 1087, l'autre de 1113 20 . Il s'agit sans doute d'un synonyme de scribere. A Scribere on peut opposer Dictare. Ce verbe n'apparaît que 20 fois, et pour la première fois en 1060 21 . C'est donc un verbe d'usage tardif. D'usage épiscopal aussi : 10 des 20 actes concernés sont des actes épiscopaux, et il faut y ajouter l'acte de 1060, souscrit par un chancelier épiscopal nivernais, et sans doute un autre acte nivernais de 1112 22 . L'usage répond aussi à des traditions locales, puisqu'on compte deux actes nivernais, trois actes lorrains (évêques de Metz et de Toul et comte de Bar), quatre actes langrois, deux actes saumurais ... A Saumur, il y a même une formule assez particulière : dictavit et linivit dans deux pancartes datées l'une de 1075-1080, l'autre de 1070-110023 .

souscrit s'échelonnent entre 1095 et 111 7). Le même phénomène est vrai avec Bernard à Besançon (actes de 1093 à 1111), un autre Bernard à Soissons (actes de 1111 et 1113), Gautier à Toul (1062 et 1073), Gui à Noyon (1086-1104), Hugues à Châlons (1079 et 1090), Robert à Laon (1087 et 1091), Vulgrin à Chartres (1099 etl115). l9 A Arras, un peu plus tard (entre 1113 et 114211146), Saswalon, qui ne porte pas le titre de chancelier parce que ce titre n'est pas utilisé dans cet évêché, mais qui en remplit les fonctions et est considéré comme tel dans le diocèse, écrit lui-même de nombreuses chartes épiscopales, ainsi d'ailleurs que quelques autres actes (TocK, Une chancellerie épiscopale, p. 174-179; TocK, Arras et Thérouanne, p. 12-13). 20 BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 3623, t. 4, p. 788-789 et n° 3906, t. 5, p. 255-257 ; Artem 1719 (Arnulfus presbiter notuit) et 1753. 21 Acte du chevalier Gausbert pour Aubigny-sur-Loire, Arch. dép. Cher, 4 H 788, n° 1 (Artem 4427) : Odo cancellarius scripsit et dictavit. Il s'agit d'Eudes, chancelier de l'évêque de Nevers. 22 Domnus Bernardus cantor et cancellarius dictavit (LESPINASSE, Les chartes de SaintEtienne de Nevers, n° 4, p. 79-80 ; Artem 2652). 23 BATES, Acta of William I, p. 797-803, n° 266 ; version 2 (Artem 3474). MARCHEGAY, Les prieurés anglais, p. 175-176, n° 12, p. 178-179, n° 16, p. 192, n° 31 (Artem 3494). Sur linire, voir infra, p. 101.

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Le vocabulaire de la souscription

Il paraît assez normal de penser que dictare signifie « dicter », et s'oppose à scribere. C'est en effet ce que certains actes disent explicitement : Rainaldus monachus, ad vicem Bertranni cancellarii dictavit. Johannes notarius scripsit, indique une notice d'une donation du seigneur de Tournan pour Saint-Maur-des-Fossés en 1088 24 , tandis qu'en 1090 une charte de l'archevêque d'Arles pour Montmajour précisait : Geraldus caputscole hanc cartam jubentibus cetum canonicis dictavit et Pontius Paulus notarius eisdem percipientibus scripsit2 5 . Mais le plus souvent, dictare est employé seul, ou avec subscribere ou recitare, mais pas avec scribere. Parce qu'il regroupe les deux gestes, ou parce que la rédaction paraît bien plus importante que l'écriture 26 ? Restons dans la technique de l'écriture avec Linire, qui se trouve dans les souscriptions de scribe de deux actes saumurais de la fin du XIe siècle, au sens du traçage de lignes, donc vraisemblablement de la réglure. On a déjà rencontré le premier cas, quand le chapelain du seigneur de Bray revendique en 1075-1080 la rédaction et la réglure de l'acte (Scri{p}tum hoc dictavit et linivit Prima/dus ejusdem Braiosensis Willelmi capellanus)2 7 . Dans l'autre acte, daté de 10701100, c'est incidemment, dans la liste de témoins, parmi les moines, que figure un Rannulfus qui hanc cartam dictavit atque linivit28 . On relèvera qu'aucun des deux personnages ne prétend avoir écrit l'acte en question. Parce qu'une formule saumuroise disait dictavit atque linivit, ou parce que de fait, un personnage rédigeait le texte et préparait le parchemin, tandis qu'un autre écrivait l'acte ?

24

TARDIF, Monuments historiques, n° 303, p. 188-189; Artem 2099. ou ROURE, Histoire de l'abbaye de Montmajour, p. 217-218 ; Artem 4141. Voir aussi la notice d'une donation de Guienoc de Monmouth pour Saint-Florent de Saumur entre 1070 et 1100 (BATES, Acta of William I, n° 270, p. 813-814 ; Artem 3492) : Hanc cartam dictaverunt Rannulfus atque Gilbertus Sancti Florentii monachi. Hanc etiam descripsit Noius diaconus, nnto idus marcii, videlicet in festivitate sancti Gregorii papae. 26 Sur l'ambiguïté de dictare, HAMESSE, Le vocabulaire de la transmission, p. 171-176; BOURGAIN, Les verbes en rapport avec le concept d'auteur, p. 3 71. 27 BATES, Acta of William I, p. 797-803, n° 266; version 2 ; Artem 3474. 28 MARCHEGAY, Les prieurés anglais, p. 175-176, n° 12, p. 178-179, n° 16, p. 192, n° 31. Artem 3494. 25

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Réaliser et donner La revendication qui figure dans la souscription de chancellerie peut porter sur l'accomplissement général de l'acte. Edere se trouve au bas d'une charte du duc d'Aquitaine Guillaume le Grand pour Saint-Hilaire de Poitiers en 997, souscrite par Raino, qui semble avoir été un responsable de l'écriture à Saint-Hilaire de Poitiers. Cela correspond bien à l'idée de publier, et concerne donc bien un responsable. Mais on trouve aussi ce mot dans une charte de Saint-Maixent en 1061 : S. Ramnulfi monachi qui hanc edidit29 . Ramnulf était-il le responsable de la publication de l'acte, ou un simple scribe ? A moins qu'à Saint-Maixent, pour des actes de petite importance, les deux fonctions soient confondues. Facere se trouve dans quatre actes, sans lien entre eux, qui utilisent la souscription plus classique en art qu'en diplomatique: N. me fecit. Curieusement, ces quatre actes, bien que sans rapport entre eux, sont situés dans une tranche chronologique assez étroite : le plus ancien date de 991, le plus récent de 1005-1020 30 . Le verbe complere, au sens de « réaliser, accomplir », se trouve fréquemment dans les dispositifs. Mais ce verbe a aussi un sens plus technique, lié à la completio, qui chez Justinien désigne l'approbation finale de l'acte. Seules les régions qui connurent le droit de Justinien sont donc susceptibles d'utiliser ce verbe dans un cadre diplomatique31. De fait, dans la base de données de l'Artem, il ne se rencontre que dans des actes italiens 32 . Mais la limite entre un usage général

2

9 RICHARD, Chartes de Saint-Maixent, n° 118, p. 148-150; Artem 774. chapitre du Puy en 991 (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 1926, t. 3, p. 145-146; Artem 2580); charte de vente de Bernard et Eldearde à Cluny en 997 (Ibid., n° 2388, t. 3, p. 485 ; Artem 2589); charte de donation de Durand à Cluny en 1010 (Ibid., n° 2674, t. 3, p. 704705 ; Artem 2604) ; charte provençale partiellement détruite de 1005-1020 (DU ROURE, Histoire de l'abbaye de Montmajour, p. 168-169 ; Artem 4107). Voir BOURGAIN, Les verbes en rapport avec le concept d'auteur, p. 362, qui parle de « terme le plus plat », mais « pas le plus fréquent ». 31 SAUPE, Die Unterfertigung der lateinischen Urkunden, p. 92-93, à propos de l'Italie lombarde.

° Charte de vente d'Eudes, écolâtre, au

3

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Le vocabulaire de la souscription

( « accomplir ») et un usage juridique ( « approuver en fin de compte ») est parfois mince. Que penser de la phrase suivante, qui figure dans la notice d'un procès perdu face à Marmoutier par un chevalier Gerbert, entre 1032 et 1064 : Hoc itaque dictum est, scriptum est, firmatum est, completum est, discessum est. Testes citati, cartul1 sunt subpositi33 ? Seule l'absence complète, au Nord des Alpes, de tout emploi clairement juridique du terme, permet de l'exclure aussi dans ce cadre.

Quatre actes seulement utilisent le verbe componere dans la souscription de scribe ou de chancellerie : un acte du comte de Bayeux pour Saint-Ouen de Rouen de 1015 34 , un acte de l'archevêque d'Arles pour Montmajour en 1040 35 , un acte du duc d'Aquitaine pour SaintMaixent vers 1045 36 et un acte de l'évêque de Cambrai pour son chapitre en 1089 37 . Le sens de ce verbe doit être celui de « composer, fabriquer », comme le suggère l'acte de 1011 qui parle de composuit et scripsit. Dans d'autres contextes, on parle d'ailleurs clairement de cartam componere, et l'on suppose que cela recouvre plus que la simple écriture 38 . Il y a bien, dans la notice d'un accord passé entre un certain Gui et l'abbaye de la Bonne Nouvelle d'Orléans, datable d'environ 103 7, l'expression crucem componere, ce qui peut signifier « tracer, écrire », mais aussi « composer, faire » la croix 39.

32 Par exemple une charte de donation pour Cluny, datée de 967, et émanant d'un prêtre de Pavie, Adalgise. La souscription du scribe est (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 1229, t. 2, p. 313-319; ATSMA et VEZIN, Les plus anciens documents originaux, t. 2, n° 41, p. 59-63; Artem 1618): Ego, qui supra, Liuprandus, nota-

rius sacri palacii, scriptor hujus cartula ordinacionis, post tradita complevi et dedi Liuprandus notarius. 33 MABILLE, Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois, n° 98, p. 91 ; Artem 2291. 34 FAUROUX, Recueil des actes des ducs de Normandie, n° 13, p. 86-89; Artem 2665. 35 DU ROURE, Histoire de l'abbaye de Montmajour, p. 129-130; Artem 4115. 36 RICHARD, Chartes de Saint-Maixent, n° 108, p. 134-136; Artem 1223. 37

Arch. dép. Nord, 4 G 106 n° 1459 ; Artem 408.

38

Et hec carta servata sit in ecclesia sancte Marie Baljoci, jussu mei pastoris, et amore mei, et jungatur hec cum carta que est composita de dimissione pro redenptione anime mee, dit le testament de Léotard, vers 1080 en Beaujolais (GUIGUE, Cartulaire lyonnais, n° 10,

t. 1, p. 21-22 ; Artem 542). Acte orléanais vers 1037, VASSAL DE MüNTVIEL, Recherches sur Bonne-Nouvelle, p. 221-223 ; Artem 2797.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

On peut associer à cette revendication générale la formule Datum (ou actum) per manum (ou manus), suivie du nom d'un individu. On trouve Datum per manum dans les rescrits impériaux du nre siècle, dans les collections canoniques des rve-vre siècles, et dans les bulles pontificales à partir de 782 au plus tard. C'est semble-t-il en France qu'elle est le plus rapidement adoptée par la diplomatique privée40. Elle reste très rare, puisqu'on ne la trouve que 47 fois dans notre corpus. Et ces occurrences sont concentrées dans deux types d'actes. Le premier type d'actes, le plus important, est défini selon des critères géographiques : il correspond à la région burgondo-rhodanienne, évidemment dominée par Cluny. On y trouve 36 occurrences de la formule, depuis une charte du duc d'Aquitaine Guillaume pour un abbé Archenoldus, datée de 916, et qui se termine par la souscription Actum Lugduni VIII Kalendas augusti per manum Egyl sancti Pauli notarii41 , suivie en 949, d'une charte d'un particulier pour Cluny42 et d'une charte de l'archevêque de Lyon pour l'abbaye de Savigny43 , puis par 33 autres chartes bourguignonnes, presque toutes clunisiennes, jusqu'en 1066. Manum est nettement majoritaire au xe siècle, manus au xre. Le deuxième type d'actes, beaucoup moins nombreux puisqu'il ne regroupe que 9 documents, est défini selon l'auteur : il s'agit de chartes épiscopales de la fin du xre ou du début du xne siècle, la première étant une charte de Pibon, évêque de Toul, en 1073 44 . On trouve aussi des occurrences dans des actes des évêques de Laon, de Chartres, de Langres ou de Châlons et des archevêques de Besançon.

40

P.-J. SCHULER, in LMA, t. 3, col. 582-583.

41 B.N.F.., lat. 11829, n° 2a; Artem 1814. 42 BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 745, t. 1,

p. 700-701 ; ATSMA et VEZIN, Les plus anciens documents originaux, t. 1, n° 22, p. 97-99 ; Artem 1601 : Data per manum Berardi. 43 BERNARD, Cartulaire de Savigny, n° 38, t. 1, p. 35-38 ; Artem 538 : Datum per manum Cristani sacerdotis et monachi jussu Eilmari archicancellarii. 44 BAUTIER, Les origines de l'abbaye de Bouxières, n° 41, p. 124-126; Artem 225 : Data per manus cancellarii et archidiaconi Walteri.

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Le vocabulaire de la souscription

L'usage de la formule Datum per manum est sans aucun doute ici lié à une volonté d'imitation des bulles pontificales 45 . Enfin, deux chartes isolées utilisent elles aussi la formule. Cela se passe en 1080 à Saint-Victor de Marseille, dans une charte donnée par un comte de Besalu (Data per manum Beraldi, Massiliensis monachi)46 et en 1120 dans une charte de Boson, abbé de Fleury-sur-Loire, pour Saint-Jean-en-Vallé e de Chartres (Data per manum Franberti armarii) 47 . Ces deux actes appartiennent à un contexte monastique. En dehors de ces 47 occurrences, il faut relever une grande quantité de cas où per manum renvoie à l'action juridique, et non à l'établissement de l'acte. C'est très clair dans le dispositif de centaines de chartes 48 , ce l'est moins dans des souscriptions. Mais lorsqu'on a une phrase comme Actum est hoc per manum Odonis tune temporis prioris nostri apud Balgentiacum49, on peut supposer qu'il s'agit ici de l'action juridique, et non de l'établissement de la charte. Que désigne l'expression Datum per manum ? Le personnage qui « donne» est-il celui qui a établi l'acte ? Dans un cas au moins, ce n'est sûrement pas le cas. Il s'agit d'une charte souscrite, sur son lit de mort, par l'évêque du Mans Hoël 50 . Le texte précise : Data VIII kalendas augusti, per manum Hoelli episcopi, decubantis in egritudine, post unctionem, et poscentis incaustum ad crucem, et per manum Gosfridi, decani. L'acte est donc « donné » par l'évêque et le doyen, qui n'ont sûrement

45

Le problème n'est cependant guère traité dans Papsturkunde und europaîsches Urkundenwesen ... , ni dans GUYOTJEANNIN, L'influence pontificale. Voir cependant, pour Salzbourg dans la seconde moitié du XIIe siècle, FICHTENAU, Das Urkundenwesen, p. 183 et 227. 46 GUÉRARD, Saint-Victor de Marseille, n° 252, t. 2, n° 820, p. 172-174; Artem

4281. PROU et VIDIER, Recueil des chartes de Saint-Benoît-sur-Loire, n° 118, p. 291-292 ; Artem 4536. 48 Un exemple parmi tant d'autres dans une charte d'Odon, évêque de Cambrai, pour Anchin en 1111 (GERZAGUET, Les chartes d'Anchin, n° 27, p. 123-124; Artem 460) : fratre quoque suo Symone per manum meam aecclesig Aquicinensi contulit. 4 9 Notice de Marmoutier en 1069 (MABILLE, Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois, n° 15, p. 16; Artem 3153). 5 Charte de renonciation du chapitre cathédral du Mans en faveur de Saint-Julien de Tours en 1096 (DENIS, Chartes de Saint-Julien de Tours, n° 49, p. 68-71 ; Artem 1553). 47

°

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

pas établi le document eux-mêmes, d'autant que l'évêque réclame de l'encre pour tracer sa croix (ce qui signifie bien qu'il n'en a pas eu besoin pour autre chose), et d'autant qu'un autre personnage, le secondicier de l'école de Saint-Martin de Tours, revendique l'écriture de l'acte ? Ego Aderbal, scolg sancti Martini Turonensi secundicerius, jussu totius capituli sancti J uliani, et Raina/di cancellarii, vice ejusdem, scripsi et firmavi. Ce que le mot datum vise ici, c'est peut-être la confirmation par la croix autographe, plus sûrement la remise de l'acte au bénéficiaire, l'abbaye Saint-Julien de Tours, voire simplement l'autorisation donnée à la renonciation. Mais le plus souvent, Datum per manum désigne un simple « scribe », comme dans les nombreuses souscriptions clunisiennes. S'agit-il ici de la remise matérielle du document au bénéficiaire, ou de l'établissement de l'acte ? On ne le sait trop, car rares sont en la matière les cas parlants. Il faut des souscripteurs dont on trouve le nom au bas de plusieurs actes, associés tantôt à scripsi, tantôt à Datum per manum. Cela ne se produit que trois fois. Joslenus dit avoir écrit deux actes, qui sont de fait de la même main, et en avoir donné un troisième, qui est d'une main différente ; Aldebaldus a souscrit six actes (trois écrits, trois donnés), dont un seul est d'une écriture différente, et c'est un acte donné. Parmi les nombreux actes que Rotard a souscrits, il en est trois qu'il dit avoir donnés, et non écrits. Mais on y retrouve quand même son écriture. Les indications sont donc trop contradictoires que pour permettre de comprendre cette expression. Datare est étymologiquement lié à datum, mais c'est un faux ami. Dans nos textes, il n'est utilisé que dans la date, et a donc clairement le sens de «dater», et non plus celui de« donner» qu'il avait en latin classique. On doit traduire datavi die jovis III id. januarii par « et je l'ai daté du jeudi 12 janvier », et non « je l'ai donné le jeudi 12 janvier ». Toutes les occurrences, au nombre de 73, se trouvent à Langres, en Bourgogne et dans la région lyonnaise, sauf une en Franche-Comté et cinq, tardives, en Auvergne. Ce verbe n'est donc utilisé que dans une aire géographique précise et continue. Chronologiquement, ce sont les IXe et xe siècles qui sont concernés, la première attestation se situant en 826 51 . Au XIe siècle, on ne trouve que les cinq textes 120

Le vocabulaire de la souscription

auvergnats et trois textes bourguignons ou rhodanien datables de 998-1026 ou 994-1032, et qui devraient plutôt appartenir au début de ces fourchettes de datation. Dans cet ensemble, Cluny occupe une place importante. Autre élément: dans 52 cas, c'est-à-dire dans leur grande majorité, ces actes émanent de particuliers, laïcs ou ecclésiastiques. C'est particulièrement vrai pour le IXe siècle, où sur les 9 actes concernés seule la donation de Cluny par l'abbesse Ava à son frère le duc Guillaume, en 893 émane d'une personne exerçant une charge 52 . Encore n'est-ce peut-être pas comme abbesse qu'elle donne ce document. Par la suite, des abbés, dignitaires de chapitres, princes et prélats feront usage du mot datare, particulièrement les évêques de Langres (4 actes) et de Nevers (2 actes) et les comtes de Nevers (3 actes). Lire et reconnaître

Enfin, la production de l'acte suppose que celui-ci soit promulgué, donc lu, et par là approuvé, vérifié. Recitare, au départ, c'est simplement « lire ». Ce verbe est utilisé lorsque, à l'occasion d'un procès par exemple, des documents sont produits et lus 53 . Entre 1073 et 1081, dans une charte de donation de l'évêque du Mans Arnaud pour Marmoutier, acte donné d'abord au Mans, ensuite à Marmoutier, on trouve pour la première fois recitare dans le cadre d'un document promulgué à deux reprises, devant deux assemblées différentes, et qui est lu la première fois 54 . Comme il est peu probable que l'acte n'ait

51

Charte d'un particulier pour l'église de Torcenay (Arch. dép. Haute-Marne, 2 G 1666 ; Artem 124). 52 BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 53, t. 1, p. 61-63 ; ATSMA et VEZIN, Les plus anciens documents originaux, t. 1, n° 2, p. 26-29; Artem 1579. Encore Ava intervient-elle plus comme personne privée que comme abbesse. 53 Cum ergo monachi de Cultura suum clamorem fecissent, prgceptum quoque quod antiquitus conscriptum habebant de his qug donata fuerant cellg sug de Sollemmis audientibus omnibus recitassent dit vers 1076 la notice d'un jugement rendu en faveur de Marmoutier par l'archevêque de Tours Raoul (LAURAIN, Cartulaire manceau de Marmoutier, t. 2, n° 5, p. 69-76; Artem 1480). 54 Feci autem hujusmodi auctoramentum in urbe Cenomannis, in domo mea, rogatu venerabilis Bartholomei abbatis predicti monasterii, anno incarnationis domini MLXVJIJV 0 presentibus et audientibus istis: Guandelberto, Hugone Bicola, Odone, Hoello, Guicherio,

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

pas été lu lors de la première cérémonie, en l'occurrence au Mans, il faut en conclure que recitare caractérise bien la te-lecture, la récitation. C'est pourtant en contradiction avec les 5 actes qui comprennent recitare dans une souscription de chancellerie. Ce sont des actes tardifs (le plus ancien date de 1083) et solennels (ils émanent tous d'évêques ; deux d'entre eux disent clairement avoir été donnés en synode, et la chose est plus ou moins probable pour les trois autres). Il n'y est pas question de relecture, mais de lecture solennelle. Ces actes marquent donc le fait que la promulgation, en tout cas d'une charte épiscopale, est un événement important et ritualisé 55 . Recitare se trouve aussi avec le simple sens de « lire» dans d'autres actes, par exemple une charte de donation de Gérard II, évêque de Cambrai, pour Anchin en 1089 56 .

Religere et, moins fréquent, legere, sont eux aussi des verbes essentiellement utilisés dans les souscriptions de scribe. C'est particulièrement le cas dans un ensemble de chartes épiscopales des x1e ou XIIe siècles, provenant de Laon (11 actes, dont un où il est question de legi et relegi), Soissons (4 actes), Arras, Beauvais, Cambrai, NoyonTournai et Senlis (1 acte chacun; pour Noyon, on peut ajouter 3 souscriptions en legi), le plus ancien datant de 1087 57 . On peut ajouter à ces documents une notice de l'évêque d'Orléans Isembard en 10331063, que le chancelier Hervé dit avoir legi 58 . Dans ces actes, c'est le chancelier qui relit, et qui souvent dit aussi avoir souscrit. C'est aussi

Grentone, Lamberto. Postea recitatum est hoc auctoramentum in capitula Majoris Monasterii (BALUZE, Miscellanea, t. 3, p. 50 ; Artem 2625). 55 Actes cambrésien de 1083 (Arch. dép. Nord, 36 H 62/661 ; Artem 403), toulois de 1096 (Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 1 G 171 ; Artem 4404), langrois de 1115, 1118 et 1120 (Arch. dép. Haute-Marne, 2 G 243 ; Arch. dép. Côte-d'Or, 7 H 1915 et G 209; Artem 197, 4972 et 896). 56

Hanc autem kartam sicut illas de libertate predictg aecclesig et de his qug illi tam a me quam ab aliis fidelibus attributa sunt, coram me et abbatibus mihi sulfraganeis et archidiaconis, presentibus etiam Hugone decano sanctg Mariae et canonicis et quampluribus aliis in synodo Cameraci habita anno ab incarnatione Domini l'n°LXXXm0VIIII, indictione XII, recitari feci (GERZAGUET, Les chartes d'Anchin, n° 4, p. 92-93). 57 DUFOUR-MALBEZIN, Actes des évêques de Laon, n° 38, p. 113-114 ; Artem 50. 58

Arch. dép. Loiret, Portef. 44 ; Artem 4853.

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Le vocabulaire de la souscription

le chancelier qui annonce avoir relu trois actes parisiens, et plus précisément germanopratins 59. Mais ce peut être un simple scribe, comme dans la charte de donation du comte Grifon et de son neveu Rostaing, qui était évêque il est vrai, pour Montmajour en 955 60 . Dans un acte et un seul, religere va de pair avec scribere : un acte de 813 pour l'abbaye de Psalmodi 61 . On peut supposer qu'ici religere indique que le scribe a relu avec soin son travail afin d'en éliminer d'éventuelles fautes. Religere est donc un verbe essentiellement utilisé par le responsable de la mise par écrit d'un acte, afin de certifier qu'il a pris sa tâche au sérieux. A l'occasion cependant, l'auteur de l'acte aussi peut utiliser le terme. On en a quelques rares exemples dans des actes dotés de souscri prions épiscopales autographes, dans un cadre conciliaire ou non 62 . Insistance, peut-être pas très significative, sur le fait qu'ils n'ont pas souscrit les yeux fermés ? Religere se trouve cependant aussi dans la souscription subjective mais allographe d'Erlulfus au bas de la charte de la donation de biens sis en Viennois qu'il fait en 882 à son frère

59

Chartes d'Abbon, doyen de Saint-Germain-des-Prés, en 914 (POUPARDIN, Recueil des chartes de Saint-Germain-des-Prés, n° 40, t. 1, p. 67-68 ; Artem 2047), d'Aubri, abbé de Saint-Germain-des-Prés, en 994-995 (ibid., n° 46, t. 1, p. 75-76; Artem 2054) et de Geoffroi, évêque de Paris, pour Saint-Germain-des-Prés en 1070 (ibid., n° 65, p. 106-108 ; Artem 2920). 60 Nortaldus subpraemus monachorum rogitus relegit et subscripsit (DU ROURE, Histoire de Montmajour, p. 30-31 ; Artem 4077). 61 Aldemarus clericus a suprascripto hanc paginam testamenti scripsi et relegi (HGL, t. 2, n° 24 ; Artem 982). 62 Acte de l'archevêque de Sens vers 846 (PROU, Le transfert de Saint-Rémy, n° 3, p. 307-311 ; Artem 1780), avec souscription de l'évêque d'Autun. Actes du concile de Chalon en 887 (ROSEROT, Chartes inédites, n° 19 ; Artem 146) avec souscription de l'évêque de Langres, bénéficiaire de cet acte. Charte de donation de Gerbaud à Cluny en 926, souscrit entre autres par l'archevêque de Lyon Anséric et l'évêque de Mâcon, où la souscription archiépiscopale, autographe, est : Anschericus humilis archipresul hanc donationem relegit et subscripsit (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 269, t. 1, p. 261-263 ; Artem 1820). Enfin, il y a un ensemble de 7 chartes épiscopales arrageoises (sur la souscription des évêques d'Arras, voir TOCK, V ne chancellerie épiscopale, p. 216-21 7).

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Vuarnefredus 63 . Curieusement, on retrouve la même formule dans une charte de vente datant de 891, où les vendeurs sont les prêtres Erlenus et Vualdo et les acheteurs Sieboto et son épouse Gotestiva, mais où le bien vendu est le même qu'en 888, et où Erlulfus, le donateur de 882, figure parmi les témoins 64 ! Un autre laïc, Aimeric, vicomte de Thouars, annonce également avoir relu la charte de donation qu'il concède en 1093 à Saint-Florent de Saumur65 . La relecture par ces laïcs est étrange, mais il est impossible de savoir si c'est une formule vide de sens (mais alors on peut d'étonner de sa rareté), s'il faut traduire relegi par « j'ai fait relire » ou si Erlulfus et Aimeri de Thouars font partie des rares laïcs sachant lire. Recensere n'est utilisé que dans trois actes épiscopaux cambrésiens, à chaque fois dans une souscription de chancelier66 . Très rare, l'usage est donc assez peu significatif, mais exprime les activités de contrôle du chancelier. Recognoscere n'apparaît que trois fois hors des souscriptions de chancellerie. Il s'agit de deux actes proches de la chancellerie royale, où on connaît l'importance de la recognitio : le concile de Pîtres en 864 67 et la notice du plaid tenu en faveur de Saint-Denis en 868 par

63 Ego Erlulfus voluntate mea donacione ista relegi et {subscripsi} et firmare in presente rogavi (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 26, t. 1, p. 31-32; Artem 1792). Bien que l'acte n'en dise rien, on sait par ailleurs qu'Erlulfus était marié, donc qu'il était laïc (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 23, t. 1, p. 27-28; Artem 1578). 64 Ego Vualdo presbiter venditione ista a me Jacta relegi et subscripsi et firmare rogavi (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 42, t. 1, p. 49-50; Artem 1800). 65 V t autem donationes et concessiones istae perhennem optineant firmitatem, eas litteris annotari prgcepi, et annotatas in audientia plurimorum relegi, et relectas signo meo auctorizavi, et a fratribus filiisque meis feci auctorizari (MARCHEGAY, Cartulaires du Bas-Poitou, p. 1517, n° 134. ; Artem 3411). 66 Chartes de Liébert pour le Saint-Sépulcre de Cambrai en 1064 (Arch. dép. Nord, 3 H 56 n° 704; Artem 377), d'Odon pour Saint-Amé de Douai en 1110 (Arch. dép. Nord, 1 G 194 n° 1010 ; Artem 454) et de Burchard pour Anchin en 1117 (GERZAGUET, Les chartes d'Anchim, n° 39, p. 136; Artem 480). 67 Vuanilo, munere divino Sennensis episcopus, hoc privilegium recognovi et subscripsi (HARTMANN, Die Konzilien 860-874, n° 19, p. 169-174 ; Artem 720).

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Le vocabulaire de la souscription

le comte Geilon 68 . Le dernier acte est une charte de Baudri, évêque de Noyon-Tournai, pour Saint-Barthélemy de Noyon en ll05 69. 41 actes utilisent le verbe recognoscere dans la souscription de scribe, selon une pratique fréquente à la chancellerie royale. Si l'on excepte trois actes qui ont été reconnus par des chanceliers royaux, les 40 autres actes peuvent être distingués en deux groupes principaux. La première mention, toutefois, échappe à ces groupes : il s'agit d'un acte du maire du palais Pépin en 751 70 . Le premier des deux groupes homogènes comprend 8 actes clunisiens donnés entre 950 et 103 7, tous ad vicem cancellarii. Le deuxième groupe réunit 28 actes épiscopaux à partir de 1041, donnés par les archevêques de Reims (12 actes) et de Besançon (7 actes) et les évêques de Cambrai (6 actes), de Châlons (2 actes) et de Verdun (1 acte), ainsi que deux actes non épiscopaux souscrits par le chancelier rémois. L'usage du terme paraît donc étroitement circonscrit à quelques traditions, accompagnées, dans le deuxième cas, d'influences entre chancelleries. Il est d'autre part remarquable que recognoscere s'accompagne toujours (sauf dans les deux premiers cas), du mot cancellarius ou, rarement, d'un autre terme désignant un responsable d'écriture ou à tout le moins un haut dignitaire ecclésiastique. Il désigne donc bien une action strictement diplomatique: le contrôle de l'acte après production et avant promulgation. Pour bien comprendre le terme, il est intéressant d'en noter un emploi cicéronien: «faire un examen critique d'un ouvrage, réviser». Plutôt que par « j'ai reconnu», on doit donc plutôt traduire recognovi par « j'ai révisé ».

Cognoscere, utilisé dans une seule souscription de scribe, dans un acte de Saint-Arnoul de Metz daté de 958 71 (Ego Adelardus ad vicem Normanni cancellarii cognovi), est évidemment démarqué de recognoscere, avec le même sens.

68

Hermenricus recognovit

(TESSIER,

Recueil des actes de Charles le Chauve, n° 314, t. 2,

p. 194-196; Artem 3031). 69 Hgc eadem traditio in sequenti anno VI kl. martii, nostra in presentia, nostra in camera iterum innovata et recognita atque confirmata est (PONTHIEUX, Histoire de l'abbaye de Saint-Barthélémy, n° 3, p. 27-28 ; Artem 258). 7 ChLA, XV, 597 ; Artem 2921. 71 Histoire de Metz, t. 3, Pr., p. 71-73; Artem 212.

°

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

§ 2. Souscrire l'acte Subscribere, verbe très fréquent dans nos actes, c'est écrire dessous. Les deux éléments sont importants. C'est écrire, et donc écrire soi-même, et c'est écrire sous le texte de l'acte, après celui-ci, et donc, d'une manière ou d'une autre, implicitement ou explicitement, c'est l'approuver, le confirmer, le valider. On trouvera dès lors subscribere soit dans des souscriptions autographes d'auteurs ou de tiers, soit dans des souscriptions de chancellerie. Subscribere s'emploie généralement à la première ou la troisième personne, mais avec un sens réfléchi : subscripsi ou subscripsit, mais dans les deux cas c'est le sujet qui accomplit l'action. Parfois cependant, c'est le scribe qui souscrit les noms des témoins. Il peut le faire à l'actif, mais surtout au passif (subscripti sunt testes). Dans ce cadre cependant, il est possible que subscribere n'ait qu'un sens topographique, « écrire dessous » 72 , sans référence à une intervention personnelle. Il en va de même pour la plutôt rare (35 attestations) subscriptio, utilisé dès le vne siècle, sans doute sous influence royale 73 , pour désigner la souscription autographe ou prétendue telle ; en 1028, pour la première fois, le mot est utilisé pour désigner une souscription qui n'est pas autographe et ne se prétend pas telle 74 . On utilise beaucoup, en français, le terme « souscripteur ». Son équivalent latin, subscriptor, est très rare. 17 actes semblent l'utiliser au génitif pluriel, par exemple dans l'expression testimonio subscriptorum. Mais dans 8 cas, toujours des chartes épiscopales du nord de la province de Reims à la fin du XIe ou au début du XIIe siècle, il s'agit clairement du participe passé de subscribo, comme par exemple dans la charte de donation d'autel de l'évêque d'Arras Lambert pour Saint-

72 Charte d'Agobert, évêque de Chartres, pour Marmoutier en 1060: Quod etiam ut inconcussum et irrefragabile in seculum perseveret, in capitulo doming nostrg Virginis perpetue MARI!; coram canonicis nostris quibus illud presentavimus lectum testimonio cunctorum approbatum et corroboratum est, quorum non nulli in assignationem subscribuntur veritatis (GASSE-GRANDJEAN, Retour sur trois actes de Philippe l'r, p. 542-544 ; Artem 4884). 73 GIRY, Manuel de diplomatique, p. 594.

74

Olri, évêque d'Orléans, pour St-Euverte d'Orléans (GC, VIII, col. 492-493 Artem 2790).

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Le vocabulaire de la souscription

Denis de Reims en 1097 : Nos siquidem istius paging auctoritatem ratam et inconvulsam permanere volentes, in presentia subscriptorum testium eam consignavimus 75 . Dans les 9 autres cas, il est impossible de dire s'il faut voir dans subscriptorum un substantif subscriptor ou un participe subscriptus. Que faire entre autres de Nos etiam quod ordinavimus testimonio subscriptorum corroboramus dans une charte de donation d'autel de Richer, évêque de Verdun, pour Saint-Mihiel en 1098 76 ? La présence dans ce groupe de 4 chartes d'évêques de Noyon-Tournai incite à penser que, parfois au moins, il y a un testium sous-entendu, et donc qu'il s'agit d'un participe passé. Mais il est un subscriptor indubitable, parce qu'il est au génitif singulier. Dans la liste des témoins d'une charte de donation d'une église, faite par un certain Hugues, fils de Geoffroi, à Saint-Maixent en 1080, figure : Signum Ademari subscriptoris hujus donationis 77 . Que signifie cela ? Aucune indication explicite ne précise qui est cet Adhémar, qui n'apparaît pas ailleurs dans l'acte. En revanche, on peut constater qu'il fait partie de la série des moines, et qu'il suit une souscription libellée comme suit : Signum Giraldi diaconi, qui dictavit hanc cartam. Dans la mesure où Adhémar est le seul subscriptor de cette charte, alors qu'il y a 12 signa de moines et 17 noms de témoins clercs et laïcs, et où sa souscription suit le signum du dictator, on doit penser que subscriptor est en rapport avec l'élaboration de cette charte. Sans doute a-t-il contrôlé l'acte.

Subnotare, c'est simplement « écrire ci-dessous », comme on peut s'en apercevoir notamment dans certains dispositifs, où il est question, par exemple, de subnotata prgdia et possessiones sive decimas 78 . Dans les corroborations, ce verbe s'utilise surtout pour annoncer que les témoins sont indiqués au bas de l'acte79 . On n'en relève qu'une

75

TocK, Les chartes des évêques d'Arras, n° 1, p. 3-4 ; Artem 64. EVRARD, Les actes des évêques de Verdun, n° 80, p. 164-165 ; Artem 119. 77 RICHARD, Chartes de Saint-Maixent, n° 149, p. 179-183; Artem 4967. 78 Diplôme de Guillaume le Conquérant pour Jumièges, entre 1079 et 1087 (BATES, The Acta of William I, n° 164, p. 535-547; Artem 4558). 7 9 Notice de la donation d'Hélinand de Fréteval pour Marmoutier entre 1050 et 1087 (MÉTAIS, Marmoutier. Cartulaire blésais, n° 31, p. 37; Artem 2228): Horum 76

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

seule occurrence dans une souscription de chancellerie : un acte épiscopal cambrésien de 1100, souscrit par Werimboldus.

Signum remonte déjà à la période romaine. Le mot dit bien ce qu'il veut dire : à défaut de souscription autographe 80 , il s'agit du signe attestant qu'une personne a effectivement assisté à la transaction, qu'elle est présente au moment où l'acte qui concerne cette transaction est émis, et que, si elle le pouvait, elle serait prête à laisser un signe sur ce document. Le terme ne me paraît pas devoir être traduit, parce qu'il a un sens précis : il introduit le nom d'un souscripteur et remplace un subscripsi autographe 81 . Autant donc le garder dans ce cas. Dans certains cas exceptionnels, signum signifie sans doute «le nom». Signa testium sunt Agnus de Monte et Ugo de Fonteleone, dit ainsi une charte de donation pour l'abbaye bourguignonne de SaintRigaud en 1065 82 . Mais peut-être le rédacteur de cette charte savaitil déjà que le nom est un signe ? La formule stipulatione subnixa constitue un des vieux problèmes de la diplomatique du Haut Moyen Age. On sait qu'elle a des origines romaines (la stipulatio est dans la Rome impériale la promesse orale d'accomplir une action juridique)83 , on sait aussi que, les promesses orales disparaissant au Bas-Empire au profit du droit écrit 84 , elle a pris au Haut Moyen Age une forme et un sens différents, l'expression devenant stipulatione subnixa ou interposita. A-t-elle alors perdu toute signification, et n'est-elle plus conservée que de manière rituelle, comme d'aucuns le pensent à propos des actes lombards 85 ?

autem omnium testes, donationis videlicet et auctoramenti, presenti cartula subnotantur. Herveus de Lavarzino, Hugo filius Galdrici, Mainardus, Fulcradus filius Fulberti, Guido de Braana, Hugo filius Fulberti. 80 L'opposition entre signum et autographie se trouve aussi en Catalogne : ZIMMERMANN, Ecrire et lire, t. 1, p. 91. 81 Même opposition entre Signum et autographie en Catalogne : ZIMMERMANN, Ecrire et lire, t. 1, p. 91. 82 Arch. dép. Saône-et-Loire, H 142 n ° 3 ; Artem 61 7. 8 3 BRANDILEONE, La « stipulatio ». 84 CLASSEN, Fortleben und Wandel, p. 20. 85 SCHIAPARELLI, La formula sub stipulatione.

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Le vocabulaire de la souscription

C'est peu probable. Il semble plutôt que le sens de l'expression est devenu« confirmation par les souscriptions ayant été indiquée ci-dessous » 86 . On relève en effet que les rédacteurs jouent avec cette expression, un acte parlant même de plenissima constipulatione87 . Deux actes de Marmoutier, tardifs il est vrai pour ce problème, montrent bien qu'il s'agit de souscriptions en utilisant la formule suivante : atque muniendam testificationibus suis, stipulatoribus tradidimus subter ascriptis, où stipulatoribus désigne clairement les souscripteurs 88 . Cette expression est très fréquente dans les chartes des VIIIeIXe siècles. Elle se raréfie après l'an mil 89 , mais reste en usage de manière sporadique jusqu'à la fin de notre période, le dernier exemple dans notre corpus se situant dans une charte de Moissac en 111390_ D'autres termes sont plus ou moins souvent en rapport avec le sceau. Dans la mesure où le sceau porte toujours une légende et un dessin, c'est-à-dire un signe graphique, on pourrait d'ailleurs le considérer lui aussi comme une souscription 91 . D'ailleurs, certains termes sont ambigus. Signare, c'est apposer son signum, sa marque, au bas d'un document 92 . Ce signum est souvent un sceau93 . Mais signare peut

86

GIRY, Manuel de diplomatique, p. 572-574. Charte de donation de Gerberge pour Cluny en 935 : BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 434, t. 1, p. 422-423 ; ATSMA et VEZIN, Les plus anciens documents, t. 1, n° 13, p. 70-72; Artem 1591. 88 Charte de Thibaud 1er, comte de Champagne, datable de 1043-1048, Arch. dép. Marne (dépôt de Reims), 58 H 2 (Artem 29), et notice datable de 1032-1060, éd. BARRET, Cartulaire de Marmoutier pour le Perche, n° 5, p. 13-16 (Artem 1972). 89 Même constatation dans le cartulaire de Lézat : OURLIAC, La tradition romaine, p. 69. 90 Arch. dép. Tarn-et-Garonne, G 633 (4); Artem 4615. On la trouve aussi, à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, en Provence, Bourgogne, Franche-Comté et dans la vallée de la Loire. On compte encore 47 occurrences dans la première moitié du x1e siècle, 16 occurrences dans la seconde moitié et 3 pour le début du xne, actes italiens non compris. 9! Sur l'assimilation entre sceau et souscription, mais pas au sens étymologique de celle-ci, voir GUILLOT, Le comte d'Anjou, t. 2, p. 12. 92 Dans le testament de Dadila en 813, certains souscripteurs utilisent le verbe signare, d'autres l'expression signum feci, de manière semble-t-il indifférenciée : S. Dadilani qui hanc paginam testamenti mei fieri volui, manu mea signavi, feci, et testes 87

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

aussi intervenir seul, sans complément, dans des actes où il n'y a en général aucun signe autographe 94 . Signare doit alors être pris au figuré. A moins que le nom, à lui seul, soit considéré comme un signe9 5 . Signare est rare dans les souscriptions de scribe, peut-être justement parce que cela ne rend pas assez compte du travail accompli. Cela n'apparaît que dans trois actes : une charte de Lambert, évêque de Langres, en 1022 96 et deux notices de Marmoutier vers 102097 .

adfirmare rogavi. S. Armigerius diaconus rogatus a suprascripto in hac pagina testamenti manu mea. S. Ausebertus in hac pagina testamenti manu mea. S. Basila rogatus manu mea. S. Bonus ac si indignus presbyter rogatus a suprascripto in hac pagina testamenti manu mea. S. Bertha teste in hac pagina testamenti manu mea. Didannus rogatus scripsi. In Christi nomine j oannes ac si indignus episcopus signum feci. Ilarinus presbyter qui rogatus hoc testamentum signavit. Audesindus ac si indignus presbyter rogatus hanc paginam testamenti manu mea signum feci. In Christi nomine Marteres ac si indignus diaconus testamentum rogatus signavi (HGL, t. II/1, n° 24-XVIII; Artem 982). 93

Acte de Pépin le Bref, maire du palais, pour Saint-Denis en 751, où l'influence du diplôme est évidente : Et ut haec auctoritas vel preceptio nostra, quod nobis postulaverunt, circa ipsa sancta casa proficiat et aevis et futuris temporibus inconvulsa vel /irma debeat permanere, manu propria subter firmavimus et anuli nostri inpressione signavimus (ChLA, XV, 595 ; Artem 2922). On retrouve signare dans ce sens dans des actes épiscopaux ou abbatiaux du XIe et du début du XIIe siècle, comme à Besançon en 1033 (VRÉGILLE, Hugues de Salins, n° XI, p. 33*-37*; Artem 939 et 940). 94 Ut autem hgc kartula in perpetuum firma constaret manibus propriis signavimus et nobilibus viris adsignandum tradidimus dit dans le dernier tiers du XIe siècle la charte de donation de Raimond Forbandit à Saint-Cyprien de Poitiers (Arch. dép. Vienne, Carton 12, dos-

sier 3, pièce 16; Artem 1316), par ailleurs dépourvue de signe autographe. 9 5 C'est explicite dans trois actes parisiens. Voir la charte d'Hubert, évêque de Senlis, confirmant en 1106 un don fait à Saint-Martin-des-Champs par le vicomte Robert (DEPOIN, Recueil des chartes de Saint-Martin-des-Champs, n° 116, t. 1, p. 182185 ; Artem 262): Ut autem hgc cartula perpetuam firmitatem obtineat, eam nominibus et signis nostris signavimus. Celle du chapitre cathédral de Paris concédant l'église d'Orly aux prêtres du lieu, datée de 1107 (Guérard, Cartulaire de Notre-Dame de Paris, t. 1, p. 385-386; Artem 2125): Ut autem hgc diffinitio inviolabilem in posterum obtineat firmitatem, presenti scripto memorig commendavimus, et nominum nostrorum inscriptione cartam istam signavimus. Ou enfin celle de l'évêque de Paris pour Saint-Martindes-Champs en 1108 (DEPOIN, Recueil des chartes de Saint-Martin-des-Champs, n° 124, t. 1, p. 197-199; Artem 2130): Ut autem hgc concessio et conditio perpetug stabilitatis muniantur privilegio, presentem cartam fieri decrevimus, et in testimonium veritatis figuris nominum nostrorum illam signavimus.

Arch. dép. Haute-Savoie, SA 128 ; Artem 622. Arch. dép. Eure-et-Loir, H 2269 et MABILLE, Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois, n° 52, p. 47-48; Artem 3150 et 3151. 96

97

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Le vocabulaire de la souscription

Subsignare, ou subtersignare, sont évidemment des dérivés de signare. Eux aussi peuvent être en relation avec le sceau, mais de manière plus rare que signare. Ils servent surtout à annoncer les témoins. Il est intéressant de relever que, à une exception près 98 , toutes ces occurrences portent sur des actes souscrits par signum 99 : le sens pourrait donc être « écrire un signum ci-dessous ». Il y a en outre quatre souscriptions de chancellerie, toutes dues à Werimboldus et présentes dans des actes épiscopaux cambrésiens entre 1105 et 1116, qui utilisent ces termes. On trouve même une occurrence de subsignum, au sens de « signum tracé ci-dessous » dans les annonces de témoins 100 . Sigillare est très rare quand il est appliqué au scribe d'une charte, alors qu'on le trouve plus régulièrement attribué à l' auteur 101 . Deux cas seulement apparaissent, tous deux tardifs, ce qui n'étonne pas. Le plus ancien est un acte de l'évêque de Metz Poppon pour l'abbaye de Gorze, daté de 1095, où figure la souscription: Ego Andreas, cancellarius, dictavi et sigillavi, ex precepto serenis{simi dom}ini mei Popponis gratia Dei Mediomatricorum pontificis 102 . Dans un acte

98

Actes du concile de Barcelone de 906 pour Sant Joan de les Abadesses (GUÉRARD,

Cartulaire de Saint-Victor de Marseille, n° 1039, t. 2, p. 505-507 ; Artem 3970) : Hec igitur omnia nos prgscripti atque subsignati presules, secundum hoc quod sancti patres kanonicis legibus instituerunt, confirmamus eidem monasterio. Il ne faut pas tenir compte

d'une charte de l'évêque Liébert pour le chapitre cathédral de Cambrai en 1075, où il n'y a pas de signum, mais des croix ; or la croix est aussi un signum (COURTOIS, Chartes originales du Nord, p. 95 ; Artem 389). 99 Un exemple parmi beaucoup d'autres, dans la charte de donation d'Odon, évêque de Cambrai, pour le chapitre cathédral de Cambrai en 1111 (Arch. dép. Nord, 4 G 107 /1467 ; Artem 4805): Hgc autem ut rata permaneant subsignatorum clericorum roboratum est presentia. Signum Erleboldi prepositi. Signum ]ohannis ejusdem altaris archidiaconi. Signum Radulfi archidiaconi. Plus de la moitié des occurrences de subsigno et subtersigno sont cambrésiennes.

°

10

Charte de donation d'Eudes 1er, comte de Blois, pour Bourgueil en 995 (GC, XIV, col. 148 ; Artem 1416) : Praesens autem auctoritas manu propria subsigno sanctae crucis manibusque fidelium nostrorum roborata, perpetualiter maneat firma et inconvulsa. 101 I:étude de l'apparition du sceau pose encore d'épineux problèmes de critique, dans lesquels je préfère ne pas m'engager ici ; je ne traiterai donc pas du sigillare d'auteur, les premières mentions étant suspectes. 102 o'HERBOMEZ, Cartulaire de Gorze, n° 140, p. 245 ; GASSE-GRANDJEAN, Le mot bannus, p. 56-58; Artem 118.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

d'Hugues, comte de Troyes, de 1118 pour Marmoutier figure Albertum capellanum qui sigillavit 103 . On en retiendra simplement que c'est bien, du moins dans ces deux cas, le chancelier ou un autre proche de l'auteur de l'acte qui appose le sceau sur le document. Et on peut comprendre cela aussi comme une marque de contrôle exercé sur la production. Enfin, il faut présenter un mot rare, mais très polysémique :

adsignare, qui a deux sens possibles : celui d'assigner, de donner, et celui de mettre un signe sur (signare ad). Dans le premier sens, on le trouve non dans les souscriptions, mais dans des dispositifs et dans des annonces de mise par écrit ? Ego Petrus Dei gratia Belvacensis episcopus memorig futurorum adsignans, sigillo nostro corrobora quatinus, dit ainsi une charte de Pierre, évêque de Beauvais, pour le chapitre Saint-Michel de cette ville en 1119 104 . Dans les souscriptions proprement dites, on ne le trouve que deux fois, et à chaque fois en Poitou dans une souscription de scribe. Il est utilisé dans une charte du duc d'Aquitaine Guillaume II en 970 105 , par le souscripteur Gausbert, dont on trouve la souscription dans trois autres actes, sans ce verbe. Il faut remarquer que l'acte de 970 est le seul dont l'écriture diffère des trois autres actes, et n'est peut-être pas imputable à Gausbert. Adsignare renverrait donc à une

l03 D' ARBOIS DE JUBAINVILLE, Histoire des ducs et des comtes de Champagne, n° 87, t. 3, p.420-421 ; Artem 7 67. 104 Arch. dép. Oise, G 6164 ; Artem 281. Ad noticiam posterorum notis memoriae litteris assignamus trouve-t-on aussi dans une charte de donation de Geoffroi, évêque d'Auxerre, pour Cluny en 1059 (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 3357, t. 4, p. 451-453; Artem 1686). 105 RÉDET, Documents de Saint-Hilaire de Poitiers, n° 38, p. 42-43 ; Artem 1138 : Gosbertus adsignavi. Gausbert a écrit (scripsit) renferment trois actes donnés en 965 et 967, tous pour Saint-Hilaire de Poitiers (RÉDET, Documents de Saint-Hilaire de Poitiers, n° 31, 33 et 34, p. 36, 38-39; Artem 1128, 1132, 1133.). Au bas d'une charte donnée en 970 par le duc d'Aquitaine en faveur d'un particulier, le même souscripteur utilise le verbe adsiganvi (Ibid., n° 38, p. 42-43 ; Artem 1138) Dans tous les cas, il s'agit d'une écriture très carrée, très rapide, que l'on peut attribuer au même scribe. Seul l'acte de 970 a une écriture un peu plus ronde. Le même Gausbert souscrit aussi une charte reçue en 964 par Saint-Hilaire, mais dont l'original est perdu (Ibid., n° 30, p. 34-35).

132

Le vocabulaire de la souscription

validation par un responsable de chancellerie, et non à une production personnelle du document. C'est aussi l'impression que dégage une charte de Saint-Hilaire de Poitiers vers 976, que Raino adsignavit 106 . En effet, le même Raina a souscrit deux autres chartes. Dans l'une, il est dit qu'il a demandé que l'acte fût écrit (rogabat scribere), dans l'autre le verbe utilisé est edidit. Mais l'écriture de ces actes est chaque fois différente, ce qui montre que Raina a certes souscrit, qu'il a sans doute dirigé, mais qu'il n'a pas écrit lui-même. Le sens exact d'adsignare, toutefois, n'apparaît pas clairement dans ces deux souscriptions. Mais le mot est beaucoup plus fréquent dans les corroborations, voire les préambules. Malheureusement, il en ressort l'impression d'une forte polysémie du terme. On le trouve en effet dans le sens de« mettre un signe, souscrire» dès 932-941, dans la charte d'Hersende pour Bouxières-aux-Dames 107 . On trouve aussi adsignatio au sens de« souscription »,par exemple dans une charte de donation de Dado pour Moissac en 986-987 108 ; mais le sens est plutôt celui de « tout moyen de validation » 109 . Il signifie aussi « confier, donner » dans une charte de précaire de Maïeul, abbé de Cluny, pour Amauri et Arnoul en 976 110 . Cela peut aboutir à« renforcer, confirmer», dans la charte de donation d'Agobert, évêque de

106

RÉDET, Documents de Saint-Hilaire de Poitiers, n° 44, p. 51 ; Artem 1144.

107

Ut autem haec dationis scriptio firmius perseveret longo temporis spacio, manu propria roborando eam assignavimus ac signari jussimus (BAUTIER, Les origines de Bouxières-auxDames, n° 8, p. 77-78; Artem 207). 108 Facta carta ista donationis cum assignacione testium (Arch. dép. Tarn-et-Garonne, G 571 (3) ; Artem 4585). 109 Notice d'une restitution faite par Gui de Pithiviers à Sainte-Euverre d'Orléans en 1033-1063 (Arch. dép. Loiret, Portef. 44 ; Artem 4853) : commendavit hoc scriptum iterum quasi panchartum memorabile fieri, et subscriptione proprii nominis, et SUf sororis Belin[, necnon Guiddonis mariti ejus filiorumque ejus quorum subscripta sunt nomina manumissione, subscriptione, et diversa assignatione corroboravit. 110 Quatinus autem hujus conlationis scriptum inconvulsum obtinead vigorem, manu propria subter firmavimus et quod roborandam aliis adsignavimus (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 1423, t. 2, p. 479-480; Artem 2539). Autre exem-

ple dans une notice de donation de Guillaume, duc de Normandie, pour SaintFlorent de Saumur en 1051-1066 (Deinde vero suorum militum manibus assignandum tradidit : FAUROUX, Recueil des actes des ducs de Normandie, n° 199, p. 386-387 ; Artem 3396).

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Chartres, pour Marmoutier en 1060 111 , ou à valider par le sceau 112 , qui se trouve aussi dans certains diplômes 11 3. Adsignare seul peut aussi signifier « écrire », comme dans une charte d'achat de Landri, abbé de Saint-Père de Chartres, antérieure à

1069 114 .

§ 3. Témoins et témoignages Témoigner On a coutume de traduire testimonium par « témoignage ». Le sens de ce terme est en fait plus riche. Car il ne s'agit pas seulement du témoignage que les témoins, le cas échéant, vont apporter en justice, pour soutenir et défendre l'action juridique à laquelle ils avaient précédemment assisté, mais aussi de « l'acceptation de ce rôle de témoignage ». C'est du moins ainsi qu'on comprend une phrase comme : placuit ad posterum memoriam litteris commendare easque archiepiscopalis auctoritatis sigillo cum clericorum et laicorum qui adfuerunt testimonio corroborare 115 . Il en va de même pour les témoins, testes, dont le rôle est à la fois présent (accepter de témoigner) et futur (témoigner).

111 Quod etiam ut inconcussum et irrefragabile in seculum perseveret, in capitula doming nostrg Virginis perpetue MARI§ coram canonicis nostris quibus illud presentavimus lectum testimonio cunctorum approbatum et corroboratum est, quorum non nulli in assignationem subcribuntur veritatis (GASSE-GRANDJEAN, Retour sur trois actes de Philippe Ier, p. 542-544; Artem 4884). 112 Hoc scriptum fieri voluimus nostroque et nostrorum assensu corroboratum et sigillo assignatum reddidimus (Notification d'une donation du chevalier Christian par l'évêque de Laon Hélinand, à Saint-Denis en 1091 ; DUFOUR-MALBEZIN, Actes des évêques de Laon, n° 40, p. 115-116; Artem 3072). 113 Par exemple dans un diplôme de Charles le Chauve pour Hriculfus en 847 : Et ut haec auctoritas largitionis nostrae per curricula annorum inviolabilem obtineat firmitatem, manu propria nostra eam subter firmavimus et anuli nostri inpressione adsignari jussimus (TESSIER, Recueil des actes de Charles le Chauve, n° t. 1, n° 98, p. 261-262 ; Artem 603). 114 Prius vero assignare curavimus quia Giraldus ipsius presbiteri filius adnisus est reclamare (GUÉRARD, Cartulaire de Saint-Père de Chartres, t. 1, p. 162-163; Artem 3119). 115 Charte de donation de l'archevêque Gui pour Saint-Rémi de Reims en 1053 (DEMOUY, Actes, n° 26, p. 87-89; Artem 32.)

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Le vocabulaire de la souscription

Mais pour testis, il convient de noter que le terme est présent durant toute la période considérée, et que, à part quelques exceptions, c'est le seul substantif qui désigne les tiers qui souscrivent. Du début à la fin de la période, ces souscripteurs sont donc bien des témoins. Etre présent est la première chose que l'on demande aux témoins. Sauf dans l'une ou l'autre exception, toujours dans un contexte conciliaire, interesse n'est cependant pas utilisé avant le x1e siècle. C'est normal, puisqu'il ne peut être envisagé que quand une souscription proprement dite, même fictive (par signum), n'est plus indispensable. Il s'agit simplement de dire la présence des souscripteurs, donc leur capacité à dire ce qui s'est vraiment passé. De quo auctoramento et de nostro simul dono, isti si necesse fuerit qui interfuere producantur testes dit une charte datable de 1040-1064 par laquelle le comte de Bretagne Conan II confirmait une donation faite à Marmoutier par un chevalier116. Interesse n'est pas vraiment à sa place dans la souscription d'un scribe. Il n'est en effet pas totalement indispensable qu'il ait été présent à l'action juridique, ce qu'on lui demande c'est d'établir un document conforme à la demande qui lui est adressée par l'auteur et/ou le bénéficiaire du document. Pourtant, on trouve une occurrence dans une charte de l'évêque de Noyon-Tournai Radbod en 1084 : Ego Guido cancellarius interfui et subscripsi 117 . C'est dans le même sens qu'un autre acte précise que Raimond a dicté, qui haec vidit et audivit118. Il s'agit en fait d'ajouter à la fonction de scribe celle de témoin.

Valider Le rôle des témoins est de renforcer la validité de l'acte. Cela peut s'exprimer de différentes façons.

Arch. dép. Ille-et-Villaine, 6 H 2 ; Artem 4966. B.N.F., coll. Picardie, t. 352, n° 2 ; Artem 2413. 118 Acte de l'archevêque de Narbonne, vers 1120 (HGL, t. 5, col. 860-865 ; Artem 2470). l16

117

135

Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Confirmare est un verbe assez fréquent, nullement limité aux souscriptions, et dont le sens peut être « confirmer » ou « valider » 11 9. Corroborare est un des nombreux autres verbes qui expriment le renforcement, la consolidation : Ut autem haec carta rata et inconvulsa permaneat sigilli mei inpressione est consignata et fidelium meorum subtersignatorum testimonio est corroborata, dit ainsi une charte de donation de l'évêque Liébert pour le Saint-Sépulcre de Cambrai en 1070 120 . Fréquent dans les corroborations, auxquels il a donné son nom, ce verbe est cependant rare dans les souscriptions. D'autre part, il ne s'emploie que dans un cadre juridique, à propos d'un document ou d'une action juridique, mais pas dans un sens plus matériel. Firmare, bien plus que confirmare, est extrêmement fréquent. C'est surtout dans les corroborations, associées souvent aux souscriptions d'auteur, qu'on le trouve. Il exprime l'idée d'affermir, de solidifier121. Comme on l'avait vu pour confirmare, ce peut être le cas au propre (ad castrum firmandum, dans la notice d'un accord entre Renaud, comte de Bar, et Saint-Mihiel en 1116 122 ) comme au figuré (Ego Vuarinus abba et praepositus hanc cartam traditionis feci et manu propria firmavi, et nominibus subscriptorum firmare rogavi, dans la charte de donation de l'abbé Garin à l'église de Langres en 907 123 ). C'est donc pratiquement le verbe idéal pour annoncer les souscriptions, puisque la fonction essentielle de celles-ci est de renforcer la validité de l'acte ; voire pour exprimer la souscription : au lieu d'exprimer le moyen (subscribere), on exprime la fin ifirmare). De manière plus étrange, on trouve aussifirmare, comme confirmare, dans des souscriptions de scribe ou de chancellerie. Ce n'est bien

11 9 Sur le sens «valider», v. MORELLE, La main du roi, p. 291. COURTOIS, Chartes originales, p. 83 ; Artem 382. 121 D'après FrcHTENAU, « Carta » et « notitia »,p. 113, dans la Loi des Bavaroisfirmare signifie jurer (Lex Baiwariorum, XVI, 12 (éd. Ernst VON SCHWIND, Hanovre, 1926 (MGH LL 1, 5-2), p. 440). Cependant, l'expression étant si firmare promiserit emptori, id est suiron ... , il n'est pas sûr que suiron concerne uniquement firmare, et non firmare promiserit, voire promiserit seul. De toute façon, dans notre corpus, aucune mention ne va clairement dans ce sens. 122 LESORT, Chronique et chartes de Saint-Mihiel, n° 64, p. 228-231; Artem 121. 12 3 ROSEROT, Chartes inédites, n° 2 ; Artem 128. 12

°

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Le vocabulaire de la souscription

sûr pas le contenu de l'acte qui est alors affermi, solidifié, mais le document lui-même qui est ainsi assumé par un individu. C'est en ce sens qu'on trouve le mot dans la souscription d'une charte de l'évêque du Mans pour Saint-Julien de Tours en 971 124 , dans une charte de l'abbaye de Fos-sur-Mer datable de 993-1032 125 , dans une charte de l'évêque de Marseille pour Montmajour en 1048 126 et, sous la forme firmare ou subterfirmare, dans quatre chartes épiscopales noyonnaises de 1086 à 1101, sous la plume du chancelier Gui.

Laudare est assez fréquent dans les dispositifs, mais aussi dans les souscriptions. Le sens général est clair : louer, approuver. Mais selon les actes, le concept s'applique seulement à certains témoins, sans doute parce que la laudatio, en ce sens, est proche du consentement que seuls quelques proches ont à donner 127 , ou bien à l'ensemble des témoins, parce que témoignage et approbation vont intimement de pair 128 . Dans ce deuxième sens, il faut d'ailleurs noter que la laudatio ne s'achève pas le jour de la donation : elle est appelée à

124

GRANDMAISON, Fragments de chartes de Saint-Julien de Tours, n° 23, p. 231-234 ; Artem 1529. 125 AMARGIER, Chartes de St-Victor de Marseille, n° 121 ; Artem 4015 : Ermenricus presbiter scripsit et firmavit. 126 DU ROURE, Histoire de l'abbaye de Montmajour, p. 168-169 ; Artem 4119. 127 Dans la notice d'un jugement rendu en 1035 par Thibaud, comte de Champagne, en faveur de Saint-Germain d'Auxerre, un seul des souscripteurs est qualifié de laudator: QUANTIN, Cartulaire général de l'Yonne, t. 1, n° 89, p. 169-171 ; Artem 728. 128 Acta publice in sinodo Viennensi in presentia domni Leodegarii archiepiscopi et canonicorum ipsius gcclesig multorumque fidelium, abbatum, monachorum, aliorumque clericorum diversorum graduum fore quingentorum omni ajfectu ea que hic {habetur) genti{um} inserta acclamantium atque laudantium dans une charte de Léger, archevêque de Vienne, pour Saint-Victor de Marseille en 1036 : GUÉRARD, Saint-Victor de Marseille, n° 1064, t.

2, p. 534-535 ; Artem 4026. Une charte d'Hugues, archevêque de Lyon pour l'IleBarbe en 1092 dit d'ailleurs : Hujus autem carte testes et laudatores sunt hii (GUIGUE, Cartulaire Lyonnais, n° 11, p. 23-24; Artem 543). 12 9 C'est du moins ce qu'explique la charte de donation de Theza pour son époux Drogon : Qui autem laudatores extiterunt, recipient mercedem ab ipso qui cuncta creavit ex nihilo simulque a beatis apostolis Petro et Paulo omnibusque sanctis jugiter regnantibus cum Christo (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 1430, t. 2, p. 486-487 (Artem 2541).

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

accompagner l'acte durant toute sa vie, et à le défendre face à ceux qui le contesteraient 129 . Pas plus qu'il n'a à confirmer un acte, le scribe n'a à le louer. Aussi bien, laudare n'apparaît que dans une seule souscription de scribe. Encore cela se comprend-il. Il s'agit en effet de la lettre adressée par l'abbaye de Tonnerre à l'évêque de Langres pour lui notifier l'élection d'un abbé et lui en demander confirmation. Arembertus, qui souscrit l'acte vice cancellarii, faisait certainement partie de l'abbaye, et à ce titre était fondé à préciser qu'il approuvait le choix effectué par sa communauté 130.

Jurare implique davantage encore l'intéressé dans l'action. Aussi bien le terme est-il rare. Il concerne d'ailleurs une liste particulière, comme dans une charte de l'évêque Adalbéron III pour SaintClément de Metz en 1058, où il s'agit des paysans qui ont juré que le bien contesté par l'avoué appartenait bien à l'abbaye 131 . En revanche, l'auteur d'une charte peut par ce verbe renforcer son engagement, comme dans le cas la notice d'une renonciation de Roger II de Foix en faveur de Saint-Antonin de Fredelas en 1111 132 . Mais c'est très rare. Enfin, la notice d'une déposition de témoins lors d'une contestation immobilière en 833 133 parle de jurantestes? Erreur plus ou moins significative, ou volonté d'associer jurare et testes ? Les dictionnaires en tout cas ne connaissent pas ce mot. Consentire et adsentire sont très rares dans les corroborations et souscriptions. Par définition, ils ne peuvent être utilisés qu'à propos de proches de l'auteur, qui exercent un droit sur le bien donné. Ce

130 QUANTIN,

Cartulaire de l'Yonne, p. 182-183 ; Artem 176. Histoire générale de Metz, t. 3, Pr., p. 91-92 ; Artem 2405. 1 2 3 Ego Rogerius cames Fuxensis banc guerpicionem et redditionem et suprascriptam promissionem tenebo, sicut superius scriptum est, per fidem sine ullo inganno, juro per Deum et per istos sanctos (HGL, V, 438 ; Artem 3841). 133 Musée des Archives départementales, n° 5, p. 10-13; Artem 3773. 134 clericis nostris presentibus et assentientibus dans la charte de donation de Baudri, évêque de Noyon-Tournai, pour Saint-Martin-des-Champs en 1106 (DEPOIN, Recueil des chartes de Saint-Martin-des-Champs, n° 117, t. 1, p. 185-186 ; Artem 2120). Il peut aussi s'agir de l'ensemble des moines, comme dans cet accord entre Saint131

138

Le vocabulaire de la souscription

peuvent être les chanoines du chapitre cathédral à propos d'une donation épiscopale 134 , le comte de Narbonne au sujet de la donation de Saint-Paul de Narbonne à Saint-Victor de Marseille par l'archevêque135, le fils du défunt dans l'acte d'exécution testamentaire du comte de Carcassonne Acfred en 906 136 . Jusqu'au rxe siècle cependant, ils sont assez souvent utilisés soit pour qualifier individuellement tous, ou presque tous, les souscripteurs 137 , soit enfin, et c'est le cas le plus fréquent, pour qualifier quelques souscripteurs 138 .

Le langage du corps Loin de faire seulement de la figuration, le témoin, ou a fortiori l'auteur, peut clairement montrer son adhésion à l'acte ou à l'action. Sa main ou sa bouche seront les parties du corps qu'il mettra à contribution.

Nicolas d'Angers et Saint-Florent de Saumur en 1093 : monachis omnibus assentientibus et eandem cartam tangentibus (MARCHEGAY, Chartes angevines, p. 413-414, n° 134; Artem 3375). 135 Factum est hoc in monasterio Sancti Egidii, Vllll 0 kl. mai, presente et consentiente Raimundo comite Rotenensi et Narbonensi dans une charte de l'archevêque Dalmace, vers 1086 (AMARGIER, Chartes de Saint-Victor de Marseille, n° 94; Artem 4768) 136 Signum Acfredi filio Acfredo comite, qui consentiens {fuit in} ista carta donacione (HGL, t. 5, col. 113-114 ; Artem 2369) 137 Dans la charte de donation de Frotgaire pour Saint-Denis en 848, à part deux exceptions, tous les souscripteurs sont dits consentants : Signum Rothardi fratri suo consentiente. Signum Richardi fratri suo consentiente. Signum Heirvici fratri suo assentiente. Signum Hugoni fratri suo consentiente. Signum. Signum Herimanni consentiente. Signum Vuarini. Signum Arnulfi. Signum Vuinarii consentiente. Signum Alparii assentiente. Signum Romaldi. Signum Vuigonis (TARDIF, Monuments historiques, n° 157, p. 101 ; Artem 2998). 138 Charte d'Agerad, évêque de Chartres, pour Notre-Dame de Chartres en 696: In Christi nomene, Gripho, etsi peccator episcopus, hune privilegium consensi et subscripsi. Ansebercthus, servus]esu Christi, hoc privilegium rogitus subscripsit. In Dei nomene, Ebarcis, etsi peccatur aepiscopus, hoc privilegium {... ?... 1341 ... ? ... }. In Christi nomine, Ayglibercthus, acsi peccator episcopus, hoc privylegium consentiens subscripsit. In Christi nomine, Beracharius, episcopus, hoc privilegium consenciens subscripsit. Tretecor, per meserecordia Dei episcopus, hoc privilegium, subscripsit. ln Dei nomene, Ansoaldus, etsi peccator, hoc privelegium subscripsit. In Dei nomine, Attur, gracia Dei episcopus, hoc privelegium rogetus subscripsit. In Christi nomine, Ermeno, peccator, subscripsit. Soabericus, peccator episcopus, hoc privylegio consenciens subscripsit. Turnochaldus, acsi peccator episcopus, hoc privilegio subscripsit. Constantinus, peccator episcopus, hoc prevelegio subscripsit. Chaino, gracia Dei abba, hoc privilegyum subscripsit (ChLA, XIV, 580 ; Artem 4475).

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Manus est un terme tout à fait essentiel dans ce vocabulaire, et c'est un des rares mots qui ne soit pas un verbe. Sans compter l'expression datum per manum, on le trouve dans plusieurs centaines d'actes, souvent dans le cadre de l'expression manus propria ou manibus propriis. Mais pas toujours. Une formule présente dans plusieurs actes d'archevêques de Tours au xe siècle le montre bien: Ut autem haec auctoritas firmior sit firmiorque in perpetuum sit observata, manu propria eam subter firmavimus manibusque fidelium nostrorum utriusque ordinis adfirmari rogavimus 139 . L'archevêque fortifie la charte de sa propre main, et la confie à ses fidèles pour qu'ils la fortifient de la leur. Cette importance de la main dans les souscriptions, récemment soulignée par L. Morelle 140 , n'est pas isolée. On songe aux autres occurrences de la main dans les actes, à savoir les formules juridiques per manum, in manu qui expriment la réalisation d'une transaction, ou les termes manumissio ou manufirma qui désignent une action juridique.Au-delà du cadre diplomatique et juridique, la main est, dans la civilisation médiévale comme dans beaucoup d'autres, un symbole essentiel de l'action. Manu propria, ou manibus propriis, est une expression qui intrigue depuis longtemps. Elle semble indiquer une intervention personnelle du souscripteur, un auteur ou un tiers. Pourtant, dans de très nombreux cas, elle se trouve au bas de documents qui ne présentent aucune trace uia"'"t(HK" fu.l,..'t"~A •titit~-cr p.-rhl~ p-.~n:·o,,;,n· •..,•,., Ul",,.,f,.fn 1r:r ., 1,fiJ· ..,-l~ a 1 [......,.,..~ 11 ..:.'""" ..-m..:n"l cfil·u("f"t•ic .~.i...\ ...,J"~,,., .

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Ill. n° 36 : Arch. dép . Puy-de-Dôme, 3 G arm. 14 sac A n° 5 ; Artem 3688

De la forme du monogramme on a déjà touché un mot à propos des scribes languedociens qui y inscrivaient leur titre et par leur nom. Le monogramme étant très variable selon les personnes, il n'est guère possible de tirer de règle générale. Tout au plus peut-on relever que plus on avance dans le temps, et moins les monogrammes sont organisés autour de croix92 , et que la plupart des monogrammes ne contiennent que le nom, et pas la fonction, de la personne concernée93 .

Arch. dép. Puy-de-Dôme, 3 G arm. 14 sac A n° 5 ; Artem 3688 . Une exception tardive est celle de l'évêque de Genève en 1091 dans son acte pour Saint-Claude en 1091 (A.D. Jura, paquet 124, liasse 1, 1er classement; Artem 968). 93 Une exception, tardive elle aussi, dans une charte de Hugues III, archevêque de Besançon, pour Saint-Vincent de Besançon en 1092 (GC, XV, col. 14; Artem 943): l'inscription est Hugo Crisopolitanus archiepiscopus. 9!

92

169

Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

En fin de compte, le monogramme, bien que d'usage modeste, joue un rôle important : non seulement il sert à valider, à confirmer, mais il sert aussi à manifester un pouvoir : celui du roi, de l'évêque, du duc. En ce sens, l'apparition de monogrammes de scribes permet peut-être de voir le développement d'un nouveau rapport du scribe à son produit : il y a appropriation de la charte par le scribe, qui s'arroge sur ce document le pouvoir de celui qui l'a conçu.

§ 6. La rota La rota ne se trouve que dans deux actes. Curieusement, bien que géographiquement éloignés, ils ont quelques points communs : ils datent de 1111, sont rédigés sous forme de notices, et concernent des chapitres collégiaux. L'un est un accord entre le chapitre SaintAmé de Douai et le chevalier Nicolas d'Aubigny [ill. n° 37}94 , l'autre crée le chapitre Saint-Jean de Sens [ill. n° 38}9 5 .

Ill. n° 37 : Arch. dép. Nord, 1 G 631 n° 3136; Artem 4806.

94

Arch. dép. Nord, 1 G 631 n° 3136; Artem 4806. et PARISSE, Actes originaux de l'Yonne, p . 72-74 ; Artem 732 .

9S COURTOIS, DUCHENNE

170

Signes graphiques et autres écritures

Ill. n° 38: Arch. dép. Yonne, H 13 n° 6; Artem 732.

Si l'on retrouve dans les deux cas la croix centrale et le double cercle concentrique, constitutifs de la rota pontificale96, on ne trouve pas de nom de souscripteur. Dans l'acte sénonais cependant, la rota est à côté de la souscription allographe de l'archevêque Daimbert, et entre les deux cercles se trouve la légende Celi firmati sunt verbo Domini (Ps. 32, 6), c'est-à-dire la légende de la rota de Pascal II9 7 . Dans l'acte douaisien, la légende est Sigillum Sancti Amati : il n'y a dans cet acte ni annonce de sceau, ni sceau, et la rota fonctionne donc sans doute comme substitut du sceau. Dans trois autres actes, cependant, on trouve un signe proche de la rota. Dans une charte de l'évêque de Cambrai Gérard II pour le chapitre Saint-Amé de Douai datée de 1081 [ill. n° 39}9 8 , on trouve un double cercle concentrique, dont le centre est cependant occupé non par une croix, mais par un monogramme (GERARDUS). La légende inscrite entre les deux cercles est Sigillum secundi Gerardi episcopi Cameracensis ecclesie.

96

Sur celle-ci, DAHLHAUS, Aufkommen und Bedeutung, dont il existe un résumé sous le titre Aufkommen und Verbreitung der Rota in der Papsturkunde dans RüCK, Graphische Symbole, p. 407-423. 97 DAHLHAUS, Aufkommen und Bedeutung, p. 79. 9B Arch. dép. Nord, 1 G 109/282 ; Artem 400.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Ill. n° 39 : Arch. dép. Nord, 1 G 109 n° 282 ; Artem 400.

Dans un acte du même eveque pour l'abbaye d'Anchin en 107999 il y a, à droite de la date, un cercle unique entourant une croix, dépourvu de légende, mais le cercle et la croix étant surchargés d'un trait ondulé. On est donc ici assez loin de la rota pontificale. Il est bon de noter que les deux actes sont scellés. En revanche, l'acte donné en 1079 par Hubert, évêque de Thérouanne, pour l'abbaye d'Auchy a sans doute reçu un sceau postérieur; en tout cas, au centre et en bas de l'acte figure une croix à l'intérieur d'un ovale. Dans chaque canton ainsi dessiné, le texte suivant : s.!hulberti!episcopi. Les. initial désigne-t-il signum ou sigillum ? Si l'influence pontificale est évidente dans les deux premiers cas évoqués, elle est donc plus forte à Sens. Mais le plus important est cependant l'extrême rareté de ce signe.

§ 7. Le seing et les autres signes D'autres signes existent. La plupart peuvent être interpretes comme des signes personnels, que l'on peut qualifier de seings 100 , qui se distinguent des signes plus ou moins clairement identifiables

99 GERZAGUET, Les chartes d'Anchin, n° 1 ; Artem 396. Sur cet acte, « charte longue de fondation» d'Anchin, GERZAGUET, L'abbaye d'Anchin, p. 43-45, qui ne parle cependant pas de la rota.

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Signes graphiques et autres écritures

(ruche, monogramme, invocation symbolique ... )101 par la très grande liberté de leur trait et de leur place 102 . Pour en étudier la présence, il convient cependant de distinguer ici ces signes, selon qu'ils accompagnent la souscription d'un scribe ou celle d'un autre souscripteur, auteur ou tiers. En effet, ces seings sont traditionnellement surtout associés aux scribes, et pour certains préfigurent les seings notariaux.

Tableau 8. Evolution de la présence des seings de scribes Période Nombre Pourcentage d'actes concernés

801-900 901-950 951-1000 1001-1050

3 4,4

37

21

20,2

6,2

13 2,6

Total

74 6,8

D'après le corpus des chartes originales, c'est en Poitou que ce signe apparaît, au rxe siècle : un acte de donation pour Nouaillé en

100

Il est difficile de donner une définition claire et universelle du« seing». CARCEL p. 67, § 25 7, y voit une « marque personelle qui est apposée ou qui est censée être apposée par les parties ou les témoins d'un acte», et le distingue du «seing manuel», qui est une «marque figurée personnelle » (Ibid., § 258). Mais par « seing » elle traduit simplement signum. Je préfère ne pas traduire signum, qui a un sens technique très précis, et appeler « seing » tout signe graphique, autre que les signes clairement identifiés (invocation symbolique, ruche, monogramme ... ), qui accompagne une souscription. On peut alors réserver l'expression de « seing manuel » aux seuls notaires publics et scribes professionnels (Ibid., p. 49, § 151). 101 La distinction seing/invocation symbolique est sans doute un peu forcée : l'invocation symbolique est évidemment aussi un signe, elle peut aussi caractériser ; elle est même la source du signum tabellionatus italien (COSTAMAGNA, Scritture tachigrafiche, p. 116). Il n'en reste pas moins que la distinction est fondamentale, puisqu'elle sépare les signes qui ont une signification chrétienne évidente de ceux qui n'en ont pas, ou chez qui elle est moins évidente. 102 Encore la diversité est-elle apparemment plus forte en Italie : HARTEL, Zu Transformation und Bedeutungswandel, p. 128, 131-132. ÜRTf, Vocabulaire international de la diplomatique,

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

866, un pour Saint-Hilaire de Poitiers en 878 [ill. n° 29}, un acte entre particuliers en 893 [ill. n° 40} 10 3.

Ill. n° 40 : Arch. dép. Vienne, G 591 C 2 n° 8 ; Artem 1072

Le xe siècle voit le maintien de cette pratique en Poitou, mais aussi son développement progressif dans d'autres régions : la Catalogne à partir de 904 104 , le Midi à partir de 906 105 , la Bourgogne à partir de 940 106 , le Languedoc et le Limousin à partir de 941 107 , la vallée du Rhône en 944 108 , la Provence à partir de 957 10 9. Le Poitou

103 MüNSABERT, Chartes de Nouaillé, n° 18, p. 34-35 ; Artem 1063. RÉDET, Documents de Saint-Hilaire, n° 8, p . 11-12 ; Artem 1065. RÉDET, Documents de SaintHilaire de Poitiers, n° 11, p. 15 ; Artem 1072. 104 Acte de l'évêque de Gérone pour Camprodon (OMONT, Diplômes carolingiens, n° 6, p . 382-383 ; Artem 2486). 105 Notice d'échange entre Hector et l'église de Rodez (BONAL, Histoire des évêques de Rodez, n° 3, p. 509-510; Artem 3941). 106 Acte de donation pour Cluny (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 508, t . 1, p . 493-494 ; Artem 2499). 107 Charte de l'abbaye de La Grasse (MAGNOU-NORTIER et MAGNOU, Recueil des chartes de La Grasse, n° 5 3, p. 88-89 ; Artem 3 784). Charte de donation au vicomte de Limoges (RIVAIN, Textes bas-latins, p. 339-340 ; Artem 647). 108 Charte de vente entre particuliers (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 654bis, t. 1, p. 839-840; Artem 2504). l09 Charte de donation pour Montmajour (Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 2 H 15 n° 10 ; Artem 4078).

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Signes graphiques et autres écritures

et le Midi-Pyrénées (c'est-à-dire l'église de Rodez) sont, dans la première moitié du xe siècle, les régions où on rencontre le plus de seings de scribes. Mais dès la deuxième moitié du xe siècle, les tendances s'inversent : le seing se fait plus rare d'une manière générale, il disparaît de Rodez, et est en perte de vitesse très nette en Poitou. Le Midi-Pyrénées (c'est-à-dire essentiellement l'église de Rodez), première région en nombre de seings de scribes durant le premier tiers du siècle, disparaît totalement du tableau après 933. Le déclin du seing personnel du scribe se poursuit dans la première moitié du xre. Cela apparaît de manière plus claire encore si on raisonne en quarts de siècle : le pourcentage d'actes concernés passe, du premier au deuxième quart de siècle, de 5,4 à 0,9, ce qui explique pourquoi on n'a pas jugé utile de continuer le dénombrement au-delà de 1050. D'autre part, il y a à la même période un rétrécissement géographique : 10 des 13 actes en question concernent le Languedoc (dont les trois actes du deuxième quart du siècle) 110 . Par la suite, le seing ne se trouve plus qu'en Languedoc. Les scribes ne sont pas les seuls à utiliser des seings personnels. Auteurs et tiers le font parfois aussi, mais plus rarement.

Tableau 9. Evolution de la présence des seings autres que de scribes Période Nombre Pourcentage d'actes concernés

801-900 901-950 951-1000 1001-1050

3 4,4

24 7,1

15 8,1

6 1,2

Total

48 4,4

110 Un acte de 1009 pour Saint-Bénigne de Dijon (CHEVRIER et CHAUME, Chartes de Saint-Bénigne, n° 242, p. 35-36 ; Artem 804), un acte pour Nouaillé en 992-1014 (MONSABERT, Chartes de Nouaillé, n° 78, p. 131-132; Artem 1198), une charte pour Saint-Victor de Marseille en 1019 (GUÉRARD, Cartulaire de Saint-Victor de Marseille, n° 1055, p. 527-528; Artem 3997).

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

Comme pour les seings de scribe, c'est en Poitou que les seings des autres souscripteurs, auteurs ou tiers, apparaissent, et au IXe siècle on ne les trouve même qu'en Poitou 111 . Par la suite ils apparaissent en Midi-Pyrénées en 905 112 (mais c'est le seul acte concerné pour cette région), en Languedoc en 909 113 , en Bourgogne en 940 114 , en Catalogne en 962 115 , dans le Centre en 978 116 , sans cependant mettre fin à la prépondérance poitevine (21 des 39 actes concernés au Xe S. viennent du Poitou). Cette généralisation plus tardive fait que la décroissance de l'utilisation du seing par les auteurs et les tiers est, dans la seconde moitié du xe siècle, plus lente que chez les scribes. Au XIe siècle, il y a également un déclin rapide de l'usage. Mais le Languedoc, représenté par un seul acte n'est pas ici aussi important. Au contraire, il y a même apparition d'une nouvelle région, la Champagne 117 . Ces seings sont souvent liés à un important niveau social. C. Mendo avait remarqué qu'en Le6n, aux xe-x1e siècles, le seing d'auteur caractérisait les membres de la hiérarchie ecclésiastique ou de la cour royale 118 . La chose est également largement valable pour la France, du moins pour la hiérarchie ecclésiastique et les membres de la très haute noblesse. Mais s'agit-il bien de seings personnels, propres à un individu et présents dans chaque souscription de celui-ci ? Certains scribes ont

111 On retrouve l'acte de donation pour Nouaillé en 866, et celui pour Saint-Hilaire de Poitiers en 878 cités ci-dessus (MONSABERT, Chartes de Nouaillé, n° 18, p. 34-35 ; Artem 1063. RÉDET, Documents de Saint-Hilaire, n° 8, p. 11-12 ; Artem 1065). Il faut y ajouter une notice d'échange de Nouaillé datée de 886 (MONSABERT, Chartes de Nouaillé, n° 20, p. 37-39; Artem 1067). 112 Charte des exécuteurs testamentaires d' Arnoul pour l'église de Rodez (BONAL, Histoire des évêques de Rodez, t. 1, n° 1, p. 506-507 ; Artem 3939). 11 3 Au concile de Jonquières (HGL, t. V, c 0 36, col. 126-127; 2371). 114 Charte du comte de Nevers pour Cluny (BERNARD et BRUEL, Recueil des chartes de Cluny, n° 511, t. 1, p. 496-498; Artem 2501). llS Procès-verbal d'une élection abbatiale (OMONT, Diplômes carolingiens, n° 8, p. 385-387 ; Artem 2523). 116 Charte de l'archevêque de Bourges pour l'église d'Orléans (THILLIER et ]ARRY, Cartulaire de Sainte-Croix d'Orléans, n° 62, p. 121-122 ; Artem 2783). 117 Charte de Mainard, évêque de Troyes, pour Montier-en-Der, en 1035 (LALORE, Cartulaire de La Chapelle-aux-Planches, n° 26, p. 155-156; Artem 167). 118 MENDO CARMONA, La suscripciôn altomedieval, p. 212-213.

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Signes graphiques et autres écritures

très clairement un signe personnel. C'est le cas de Jean, moine de Ripoll et Marseille vers 1050, qui souscrit plusieurs actes en dessinant après sa souscription, dans ses actes les plus récents, une croix cantonnée de larmes 119 . A Montmajour dans la deuxième moitié du xe siècle, Lambert a deux seings caractéristiques : un « M » fermé vers le bas avant sa souscription, et un groupe de trois chaînons après (ill. n° 41 à 44}.

Ill. n° 41 : Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 2 H 15 n° 45 ; Artem 4078.

Ill. n° 42 : Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 2 H 12 n° 14 ; Artem 4083.

Ill. n° 43 : Arch . dép. Bouches-du-Rhône, 2 H 12 n° 11 ; Artem 4088.

Ill . n° 44 : Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 2 H 14 n° 29 : Artem 4091. l l9 Actes de particuliers en 105 5, 1069 et 1070 (GUÉRARD, Cartulaire de Saint-Victor de Marseille, n° 591, t. 1, p . 582-583; n° 742, t . 2, p. 90-91. Artem 4182, 4247 . AMARGIER, Chartes de St-Victor de Marseille, n° 69; Artem 4251). Acte de l'évêque de Marseille en 1060 (AMARGIER, Chartes de St-Victor de Marseille, n° 49 ; Artem 4217).

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

A Reims en 10 5 3, les trois actes souscrits par le chancelier archiépiscopal Odalric ont, après la souscription du dit Odalric, un signe qui combine une croix cantonnée et un « L » 120 . Il faut y ajouter les souscriptions des évêques au bas des actes conciliaires des années 860 : Vuanilo de Sens et Raoul de Bourges font précéder leur souscription d'une croix cantonnée, Fréculfe de Saintes d'un chrisme cantonné, Actard de Nantes d'un chrisme augmenté d'un alpha et d'un omega 121 . D'autre part, on verra ci-dessous que, vers 1030 en Provence, le scribe Durand usait d'un monogramme, qu'on peut considérer comme un signe personnel très particulier. Faut-il y voir une préfiguration du seing personnel ? Ce n'est pas impossible. Il ne faut cependant pas croire trop facilement à l'individualité des scribes 122 . Il arrive en effet que le signe se trouve non seulement plusieurs fois chez le même scribe, mais aussi ailleurs. Ainsi, dans les trois actes souscrits par le prêtre narbonnais Giscafredus en 10361043 on trouve, avant la souscription, une sorte d'étoile à quatre branches 123 . Mais cette étoile se trouve aussi en 971, également dans un acte narbonnais 124 . L'étoile à huit branches entourant une croix de saint André cantonnée de boules se trouve aussi bien chez Béraud que chez Emmo, tous deux en Poitou, l'un à la fin du IXe, l'autre au début du xe siècle. A la même époque et dans la même région, l'invocation symbolique en « hnx » se trouve aussi bien chez Adalbert que chez Emmo.

120 Actes de l'archevêque Gui pour Saint-Remi de Reims, éd. DEMOUY, Actes des archevêques de Reims, n° 26 et 27, p. 87-91 (Artem 32 et 34). Acte de l'abbé de SaintRemi Hérimar, ibid., n° 28, p. 92-94 (Artem 33). Odalric souscrit encore un acte en 1067 (pour Saint-Denis ; ibid., n° 39, p. 124-128 (Artem 40), mais sans ce signe. 121 On ne tient pas compte ici des nombreux évêques qui écrivent une croix ou un chrisme simple en tête de leur souscription. 122 Même remarque chez HARTEL, Zu Transformation und Bedeutungswandel, p. 135138, qui relève, comme c'est le cas par exemple dans notre corpus pour Durand, qu'un scribe n'use pas toujours du même signe. 12 3 B.N.F., Mélanges Colbert, t. 414, n° 896, 897 et 898 ; Artem 2394, 2395, 2396. Giscafredus a souscrit un autre acte (même dépôt, lat. 5211D n° 5 ; Artem 1905), mais qui est sans doute transmis en copie. 124 B.N.F., Mélanges Colbert, t. 414, n° 886 (Narbonne 7); Artem 2378. Il s'agit d'une charte d'échange entre particuliers, souscrite par un certain Deusde.

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Signes graphiques et autres écritures

On remarque d'autre part que plusieurs des signes utilisés connaissent une large diffusion, et n'ont donc rien de personnel. Le plus célèbre est formé de trois ou quatre « 8 » concentriques [ill. n° 7]. Il est très largement utilisé en Languedoc et en Catalogne : à La Grasse 125 , mais aussi dans des actes pour d'autres églises 126 , et dans des actes entre particuliers en Cerdagne 127 , Narbonnais 128 et Roussillon 12 9. Un autre signe important est le double ovale enlacé ou « Signe de Salomon», qu'on trouve en Languedoc, Catalogne et Provence, et même en Auvergne: à Saint-Victor de Marseille 130 , à La Grasse 131 , à Vilar 132 , dans une autre abbaye roussillonnaise inconnue133, dans un acte de douaire du comte de Roussillon en 1107 134 , dans un acte entre particuliers dans le Narbonnais 135 , et dans un

125

Le signe est attesté à La Grasse à partir de 1085 à 1111 : MAGNOU-NORTIER et MAGNOU, Recueil des chartes de La Grasse, n° 126, 160, 161, 168, 171, 181, 185, 189; p. 182, 221, 222, 228-229, 231-232, 241-242, 244-245, 251 ; Artem 528, 3811, 3818,3819,3820,3827,3829,3831. 126 Acte en 962 pour Saint-Martin-Lys (B.N.F., ms. lat. 11830, n° 1 ; Artem 1842), en 991 pour Ripoll (OMONT, Diplômes carolingiens, n° 9, p. 387-389; Artem 2582), en 1023 pour Saint-Martin du Canigou (ALART, Cartulaire roussillonnais, n° 27, p. 43-44; Artem 508), en 1106 pour le chapitre de Carcassonne (Arch. dép. Aude, G 76/1 ; Artem 3821). 127 Actes de 1066 à 1078 (ALART, Cartulaire roussillonnais, n° 47-49, 55, 60, p. 6974, 82, 89; Artem 518-521). 128 Actes de 955 à 1035 (MAGNOU-NORTIER, La société laïque, p. 576-578; Artem 2376. B.N.F., Mélanges Colbert, t. 414, n° 886 (Narbonne 7) ; Artem 2378. B.N.F., Mélanges Colbert, t. 414, n° 889, 891, 895 ; Artem 2383, 2385-2386, 2392. HGL, V, col. 398-399 ; Artem 2390. 12 9 Acte en 1100: ALART, Cartulaire roussillonnais, n° 79, p. 111-112; Artem 530. 130 Actes de 1067, 1107 et 1120. AMARGIER, Chartes de Saint-Victor, n° 66 ; Artem 4243. GUÉRARD, Cartulaire de Saint-Victor de Marseille, n° 820, t. 2, p. 172-174; Artem 4281 (Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 1 H 80 n° 387 et 388; Artem 4378 et 4379). 131 En 1086-1108 (MAGNOU-NORTIER et MAGNOU, Recueil des chartes de La Grasse, n° 130, p. 185-186 ; Artem 3826) et en 1120 (Arch. dép. Pyrénées-Orientales, B 35 n° 615 ; Artem 536). 132 Acte de 1114: Arch. dép. Pyrénées-Orientales, B 65; Artem 532. 133 Acte de 1119 : Arch. dép. Pyrénées-Orientales, H 200 ; Artem 535. l34 B.N.F., Mélanges Colbert, t. 414, n° 903 ; Artem 2443. l35 B.N.F., Mélanges Colbert, t. 414, n° 906 ; Artem 2459.

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Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France

accord entre l'évêque de Nîmes et l'abbaye de la Chaise-Dieu en 1100 [ill. n° 45} 136 .

Ill. n° 45 : Arch. dép. Haute-Loire, 1 H 179 n° 2 ; Artem 3671.

L'hypothèse selon laquelle la fonction de ces signes est d'individualiser les souscripteurs, de conférer une marque personnelle permettant de distinguer le souscripteur des autres, et principalement le scribe des autres souscripteurs, est infirmée par le fait que ces signes peuvent ne pas avoir de lien avec une souscription. Ainsi trouve-t-on, dans certains actes poitevins de la fin du IXe siècle, avant la date, une croix de saint André fleuronnée 13 7 . La même pratique, de l'inscription d'un signe avant la date, se trouve dans l'acte de l'évêque de Toul Ludelme en 898 138 . Dans l'acte de Leterius pour Aigrammus en 893, cité ci-dessus, le seing placé avant la souscription répond peut-être à celui qui est placé avant la date [ill. n° 40}. Dans le même genre, on trouve parfois une série de signes successifs, qui perdent du coup beaucoup de leur poids. Ainsi en 907, dans un acte pour l'église de Rodez, y a-t-il trois signes après la souscription du scribe [ill. n° 46} 13 9, et quatre en 992-1014 dans un acte pour Nouaillé [ill. n° 47} 14°. 13 6 HGL, t. V, n° 405, col. 762-764; Artem 3671. On se demande évidemment si l'acte traduit un usage nîmois ou auvergnat : le seul élément de réponse est que le scribe est un moine de la Chaise-Dieu, et que l'acte, conservé dans les archives de la Chaise-Dieu, était destiné à cette abbaye. 137 Actes datés de 892 et 893 (MONSABERT, Chartes de Nouaillé, n° 22, p. 41-42; Artem 1070. RÉDET, Documents de Saint-Hilaire de Poitiers, n° 11, p. 15 ; Artem 1072). 138 BENOIT-PICARD, Histoire ecclésiastique de Toul,pr., p. 60-61; Artem 205. l39 BONAL, Histoire des évêques de Rodez, t . 1, n° 4, p . 511- 512 ; Artem 3942. 140 MONSABERT, Chartes de Nouaillé, n° 82, p. 138-139 ; Artem 1199. Voir aussi, ibid., le n° 100, p. 165-167 (Artem 1216).

180

Signes graphiques et autres écritures

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