Regards croisés d'Orient et d'Occident: Les barrages dans l'Antiquité tardive 2701803578, 9782701803579

Là où l'eau est rare, donc précieuse, il s'agit d'en maîtriser le flot pour la diriger où elle est utile,

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French Pages 228 [233] Year 2013

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Table of contents :
Introduction
Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen
Annexe
Les ba rrages de l’Arab ie méridional e préisla mique. Architecture, datation et rapport au pouvoir
Dams for water and agriculture in Israel
Barrages d’époque omeyyad e au Proche-Orient
Évolution cl imatique et construction des ouvrages hydrauliques en Afrique romaine
L’approvisionnement en eau de Zama (Tunisie). Le barrage d’Aïn Jebour
Les barrages des Hautes Steppes tunisiennes : quelq ues observations préliminaires
Le ba rrage antique d’El Benian sur l’oued Berdi (wilaya de Bouira, Algérie)
Presas de Augusta Emerita y de sus alrededores*
La presa romana de Cubalmena (Biota, Zaragoza) y el abastecimiento de agua a la ciudad de Los Bañales
Le barrage de Muel (Saragosse, Espagne)*
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Regards croisés d'Orient et d'Occident: Les barrages dans l'Antiquité tardive
 2701803578, 9782701803579

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Orient & Méditerranée | Archéologie no 14

REGARDS CROISÉS D’ORIENT ET D’OCCIDENT LES BARRAGES DANS L’ANTIQUITÉ TARDIVE

Édités par François BARATTE, Christian Julien ROBIN et Elsa ROCCA

Éditions de Boccard

Regards croisés d’Orient et d’Occident les barrages dans l’Antiquité tardive

Dans la même collection Volume 1 | 2007 Job, ses précurseurs et ses épigones, par Maria Gorea. Volume 2 | 2008 D’ougarit à Jérusalem. Recueil d’études épigraphiques et archéologiques offert à Pierre Bordreuil, édité par Carole Roche. Volume 3 | 2008 L’Arabie à la veille de l’Islam, actes de la table ronde, édités par Jérémie Schiettecatte en collaboration avec Christian Julien Robin. Volume 4 | 2009 Sabaean Studies. Archaeological, epigraphical and historical studies, edited by Amida M. Sholan, Sabina Antonini, Mounir Arbach. Volume 5 | 2009 Les échanges à longue distance en Mésopotamie au Ier millénaire. Une approche économique, par Laetitia Graslin-Thomé. Volume 6 | 2011 D’Aden à Zafar. Villes d’Arabie du Sud préislamique, par Jérémie Schiettecatte. Volume 7 | 2012 Dieux et déesses d’Arabie. Images et représentations, édité par Isabelle Sachet en collaboration avec Christian Julien Robin. Volume 8 | 2012 Alessandro de Maigret. Saba’, Ma’în et Qatabân. Contributions à l’archéologie et à l’histoire de l’Arabie ancienne, choix d’articles scientifiques préparé par Sabina Antonini de Maigret et Christian Julien Robin. Volume 9 | 2012 Scribes et Érudits dans l’orbite de Babylone, édité par Carole Roche-Hawley et Robert Hawley. Volume 10 | 2012 South Arabian Art. Art History in Pre-Islamic Yemen, par Sabina Antonini. Volume 11 | 2012 Les préludes de l’Islam. Ruptures et continuités dans les civilisations du Proche-Orient, de l’Afrique orientale, de l’Arabie et de l’Inde à la veille de l’Islam, édité par Christian Julien Robin et Jérémie Schiettecatte. Volume 12 | 2013 Entre Carthage et l’Arabie heureuse. Mélanges offerts à François Bron, édités par Françoise Briquel Chatonnet, Catherine Fauveaud et Iwona Gajda. Volume 13 | 2013 Bijoux carthaginois III. Les colliers. L’apport de trois décennies (1979-2009), par Brigitte Quillard. En préparation Paradeisos. Genèse et métamorphose de la notion de paradis dans l’Antiquité, actes du colloque, édités par Éric Morvillez.

Orient & Méditerranée | Archéologie no 14

Regards croisés d’Orient et d’Occident les barrages dans l’Antiquité tardive

Actes du colloque, 7-8 janvier 2011 Paris, Fondation Simone et Cino del Duca organisé dans le cadre du programme ANR EauMaghreb

Édités par François Baratte, Christian Julien Robin et Elsa Rocca

Éditions de Boccard

11 rue de Médicis, 75006 Paris 2014

Illustration de couverture

L’Écluse méridionale de la Digue de Maʾrib vue depuis le lit du wādī Dhana. Elle est flanquée par le Pylône d’Abraha à son extrémité amont (à droite sur le cliché) [cliché : C. Robin] 

Le colloque et sa publication ont été assurés avec la contribution de l’Agence nationale de la recherche (CSD9 – Sciences humaines et sociales Projet 07-BLAN-10372)

Directeur de la collection Jean-Claude Cheynet, Université Paris-Sorbonne - UMR 8167 Orient & Méditerranée Responsable éditoriale Fabienne Dugast Création de la maquette et mise en page Fabien Tessier © Éditions de Boccard - 2014 ISBn : 978-2-7018-0357-9 ISSn : 2101-3195

Introduction François Baratte (Université Paris-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, Paris) Christian Julien Robin (CNRS, UMR 8167 Orient & Méditerranée, Ivry-sur-Seine)

Là où l’eau est rare, donc précieuse, il s’agit soit d’en maitriser le flot pour la diriger vers le lieu où elle est utile, soit de la retenir pour l’accumuler, puis la redistribuer le moment venu de manière efficace, c’est-à-dire en évitant les ravages dus à sa brutalité tout en en tirant le meilleur profit pour l’irrigation des terres. Dans cette perspective, les barrages constituent bien évidemment un outil privilégié de gestion des ressources hydriques, contribuant en bien des régions à l’aménagement du territoire, pour reprendre une notion moderne, aujourd’hui comme déjà dans l’Antiquité. Mais cet outil est d’une grande diversité. On retrouve en effet sous le même terme aussi bien des installations modestes, à l’échelle d’un terroir parfois très restreint, fruit efficace de l’expérience accumulée par les populations locales, que des constructions monumentales, parfois même grandioses, qui par leur ampleur affectaient tout un territoire, mais dont la complexité avait requis l’intervention d’ingénieurs spécialisés. Les informations techniques manquent cependant dans les textes anciens1. Le choix de leur implantation est essentiel, comme celui des techniques de construction mises en œuvre, parfois très simples, des murets de pierres sèches, ou plus élaborées. Des dispositifs permettent alors de rejeter l’eau en excédent, de prélever celle qui est retenue et de la distribuer en fonction des besoins, ou bien encore de vidanger l’ouvrage, une opération indispensable à intervalles réguliers pour en assurer le bon fonctionnement en évitant l’envasement des installations. Ces barrages ont été retrouvés en bien des endroits du Bassin méditerranéen  : il n’était pas question de passer en revue l’ensemble de ces édifices, mais de limiter dans le cadre de ce colloque le champ des investigations en le centrant sur la région qui constitue le point d’application de notre projet, l’Afrique du 1. On ne trouve guère à citer qu’un passage de Procope, décrivant rapidement le barrage que Justinien fait construire à Dara / Anastasiopolis en Haute Mésopotamie (aujourd’hui Oǧuz dans la province turque de Mardin) à la suite d’une désastreuse inondation du fleuve Kordès, en complément d’un système de digues et de murs destinés à briser la force de l’eau : Procope, Aed. II, 3. Sur ces aménagements : Whitby 1986, p. 737-783 ; Furlan 1984 ; Garbrecht, Vogel 1991.

Nord antique, en éclairant les questions par des comparaisons avec des régions qui lui ont toujours été très liées, comme la péninsule Ibérique, ou qui présentent des situations différentes, mais d’un particulier intérêt, comme la péninsule Arabique. Nous avons souhaité également étendre l’enquête au delà de la seule Antiquité, et prendre en compte quelques exemples datant des débuts de la période islamique. En Afrique du Nord, les barrages font partie des installations dont les traces ont été recherchées dès les premières explorations archéologiques du xixe siècle, dans la perspective qui était alors celle d’une réactivation des techniques hydrauliques développées par les Romains, considérées comme un modèle à retrouver pour la mise en valeur des terres agricoles2. Les diverses enquêtes conduites en Algérie comme en Tunisie3 n’ont pas manqué d’en relever les vestiges 4, modestes et innombrables murets ou ouvrages plus élaborés comme celui reconnu autrefois sur l’oued Derb à Kasserine, aujourd’hui disparu, dont il sera question plus loin. De fait, toutes ces installations, souvent très difficiles à dater, sont fragiles, menacées dès que la pression humaine moderne se fait plus forte. Depuis les prospections du xixe  siècle, beaucoup ont disparu irrémédiablement. Une documentation est conservée toutefois dans les archives, encore insuffisamment exploitées, notamment les dossiers des Brigades topographiques, qui sont loin d’avoir été utilisés autant qu’ils le mériteraient. Mais, plus surprenant encore, des installations parfois spectaculaires demeurent encore en place, mais à peu près inconnues, comme le barrage d’Ain Jebour, près de Siliana, en Tunisie, qui a fait l’objet au cours du colloque d’une riche présentation.

2. Très significative est à cet égard la conclusion du développement consacré aux barrages dans les Instructions adressées par le Comité des Travaux historiques et scientifiques aux correspondants du ministère de l’Instruction publique : CTHS 1929, p. 124. 3. Coudray de la Blanchère 1895 ; Gsell 1902 ; Gauckler (dir.) I, 1897-1901 ; II,1, 1902 ; II, 2, 1903 ; II, 3, 1904 ; II, 4, 1912 ; III, 1899 ; IV, 1900, et beaucoup d’autres travaux portant sur des régions particulières. 4. Le développement cité à la note 2 constitue une brève, mais pertinente, synthèse sur ces ouvrages en Afrique  : CTHS 1929, p. 123-124.

6 • INTRODUCTION

Tout ce matériel, encore trop peu connu, appelle un inventaire, une étude technique, mais aussi une remise dans un contexte plus large, celui de l’exploitation des ressources en eau du territoire concerné dans son ensemble, en amont comme en aval des barrages. La mise en œuvre de plus en plus fréquente de projets consacrés non plus seulement à un monument isolé ou à un site, mais à l’ensemble d’un territoire permet d’espérer des progrès en ce sens. C’est d’ailleurs la finalité même du programme de recherche consacré à l’eau dans les villes et les campagnes de l’Afrique du Nord romaine, vandale et byzantine (EauMaghreb), financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Dans une telle perspective, il nous avait paru utile, dans le cadre d’un colloque, de reprendre ce dossier pour présenter un certain nombre de sites africains, tenter d’apprécier l’état des vestiges et ce que l’on peut savoir des techniques utilisées, sous le regard croisé des archéologues, des historiens et des géographes. Mais il nous avait également semblé valoir la peine, pour mieux dégager le caractère de ces aménagements dans le Maghreb antique, de les confronter à ceux d’autres régions dans lesquelles la situation est très favorable à une telle étude : l’Asie mineure, où nombreux sont encore les barrages à découvrir, la péninsule Arabique et les régions arides de Syrie5, de Jordanie et d’Israël, qui comptent un grand nombre de barrages antiques ou proto-islamiques présentant tous une parenté évidente. Dans ces régions, en outre, apport inestimable, une vingtaine de barrages, souvent très spectaculaires, sont situés dans le temps de manière précise grâce à une inscription de fondation qui en donne la date ou fait mention d’un personnage connu par ailleurs. Au Yémen, la majorité des barrages remontent aux ier-ive  siècles6. En Arabie Séoudite en revanche, trois barrages datés re-montent au règne du premier calife umayyade, Mu‘âwiya b.  Abû Sufyân (661-680). Ces ouvrages offrent donc des repères chronologiques très précieux qui manquent ailleurs, notamment pour dater l’apparition de certaines innovations techniques : mur de retenue à degrés, dispositif de vidange à la base, prises d’eau à diverses hauteurs. L’Espagne, à son tour, a fourni quelques précieux points de comparaison, dont plusieurs sont intégrés déjà dans une étude d’ensemble d’un territoire7. C’est pour toutes ces raisons que nous avions souhaité une rencontre de spécialistes du monde romain occidental, du Levant et de la péninsule

5. Pour la Syrie, par exemple, Calvet, Geyer 1992. 6. Robin, Dridi, 2004. 7. Le Portugal livre également quelques beaux exemples de barrages d’époque romaine : Carvalho Quintela 2006.

Arabique, dans l’espoir de progresser sur deux points notamment  : observe-t-on la mise en œuvre des mêmes techniques de construction en Arabie et dans le monde romain, destinées notamment à assurer la stabilité du mur de retenue et son étanchéité ? Si ce sont bien elles que l’on rencontre en Arabie et dans le monde romain, où ont-elles été élaborées et selon quelles modalités peut-on penser qu’elles se sont diffusées ? Les contraintes inhérentes à tout colloque ont fait que le tableau qui a été brossé en fin de compte n’est pas tout à fait celui que nous espérions au départ : certaines des régions que nous avions pensé intégrer dans le panorama que nous souhaitions présenter ont été en définitive absentes. La Libye, en particulier, manque au sein de l’Afrique, absence d’autant plus regrettable qu’elle constitue une des pièces importantes du dossier des barrages au sud de la Méditerranée8. D’autres contrées de l’Occident romain pourraient également apporter leur contribution à la connaissance des barrages, même s’ils sont évidemment plus rares dans les régions de climat non-méditerranéen : ils sont ainsi exceptionnels en Gaule9, et même en Italie. Nous espérons au moins que le colloque aura permis d’attirer l’attention sur des ouvrages encore trop méconnus10. Les travaux se sont tenus dans le cadre très prestigieux de la Fondation Simone et Cino Del Duca : notre grande gratitude s’adresse à l’Institut de France, et tout particulièrement à son chancelier, M. Gabriel de Broglie, d’avoir permis à nos séances d’avoir lieu dans un environnement aussi favorable. L’ANR, en finançant le programme EauMaghreb en a permis la réalisation effective et la publication de ces actes. Le Conseil scien-tifique de l’université Paris-Sorbonne et l’UMR 8167, Orient et Méditerranée, ont également apporté une contribution importante à ces séances. Nous souhaiterions enfin remercier très sincèrement tous ceux qui se sont engagés dans la préparation du colloque, sa tenue, et dans la publication des actes, qui intervient dans l’une des collections de notre UMR : nous souhaitons mentionner tout particulièrement Mme Satenik Simonin, gestionnaire du Centre Antiquité classique et tardive, une des équipes constitutives de l’UMR  8167, qui a suivi le 8. À titre d’exemple : Vita-Finzi 1961 ; Id. 1969, p. 12-26 (“dams”) ; Bellwood 1996-1997. 9. Un bel exemple se voit à Glanum, mais isolé. Le dossier a été récemment publié en détail : Agusta‑Boularot, Paillet 1997, avec des observations plus générales sur la technique des barrages dans le monde romain, notamment p. 42-51. 10. Faute d’un ouvrage de synthèse, on trouvera de nombreuses études réunies dans Garbrecht (dir.) 1987-1991, et Garbrecht (dir.) 1991. Pour une introduction générale, on peut également renvoyer à Viollet 2000.

INTRODUCTION • 7

dossier du colloque de ses débuts jusqu’à la publication, Mme Isabelle Prieto, qui en a assuré la communication, ainsi que Mmes Elsa Rocca, docteur de Paris-Sorbonne,

et Fabienne Dugast, ingénieur d’études au sein de l’UMR, qui ont œuvré avec ténacité et efficacité pour la mise en forme des actes.

Bibliographie Agusta-Boularot S., Paillet J.-L. 1997 « Le barrage et l’aqueduc occidental de Glanum : le premier barrage-voûte de l’histoire des techniques ? », dans Revue archéologique, 1, p. 27-78. Bellwood P. S. 1996-1997 « A Roman dam in the Wadi Caam in Tripolitania », dans Libya antiqua, 3, p. 41-44. Calvet Y., Geyer B. 1992 Barrages antiques de Syrie (Collection de la Maison de l’Orient méditerranéen, 21), Lyon. Carvalho Quintela A. de 2006 « Barrages romains du Portugal, types et fonctions », dans Mélanges de la Casa de Velázquez, 36, 2, p. 17-38. Coudray de la Blanchère M.-R. du 1895 « L’installation de l’eau et l’aménagement rural dans l’Afrique ancienne, Rapport à M. le Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts », dans Nouvelles archives des missions scientifiques et littéraires, VII. CTHS 1929 Instructions adressées par le Comité des Travaux historiques et scientifiques aux correspondants du Ministère de l’Instruction publique. Recherches des antiquités dans le Nord de l’Afrique. Conseils aux archéologues et aux voyageurs, Paris. Furlan I. 1984 Accertamenti a Dara, I, Padoue. Garbrecht G., Vogel A. 1991 « Die Stadtmauern von Dara », dans G. Garbrecht (dir.), Historische Talsperren, 2, Suttgart, p. 263276. Garbrecht G. (dir.) 1987-1991 Historische Talsperren, Stuttgart. 1991 Historische Talsperren, 2, Stuttgart.

Gauckler P. (dir.) 1897-1901 Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie, Tunis, I. 1899 Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie, Tunis, III. 1900 Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie, Tunis, IV. 1902 Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie, Tunis, II,1. 1903 Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie, Tunis, II, 2. 1904 Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie, Tunis, II, 3. 1912 Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie, Tunis, II, 4. Gsell S. 1902 Enquête administrative sur les travaux hydrauliques anciens en Algérie, Paris. Robin C. J., Dridi H. 2004 « Deux barrages du Yémen antique », dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, p. 67-121. Vita-Finzi C. 1961 « Roman dams in Tripolitania », dans Antiquity, 35, p. 14-20. 1969 The Mediterranean Valleys. Geological Changes in Historical Times, Cambridge. Viollet P.-L. 2000 L’hydraulique dans les civilisations anciennes. 5000 ans d’histoire, Paris. Whitby M. 1986 « Procopius’ description of Dara », dans Ph. Freeman, D. Kennedy (dir.), The Defence of the Roman and Byzantine East, Proceedings of a Colloquium held at the University of Sheffield, April 1986 (BAR International Series, 297), Oxford, p. 737-783.

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen Christian Darles (École nationale supérieure d’architecture de Toulouse) Christian Julien Robin (CNRS, UMR 8167 Orient & Méditerranée, Ivry-sur-Seine) Jérémie Schiettecatte (CNRS, UMR 8167 Orient & Méditerranée, Ivry-sur-Seine) Annexe de Ghassan el Masri (Dahlem Humanities Center, Berlin)

I. Le « Pylône » construit par Abraha (février 548 de l’ère chrétienne)1 Christian Julien Robin

Dans la mémoire des Arabes, la Digue de Maʾrib, comme la fameuse Église de Ṣanʿāʾ2, est devenue un monument emblématique de l’Arabie préislamique. Elle le doit sans doute à ses dimensions colossales et à l’ingéniosité de ses constructeurs ḥimyarites, mais plus encore au fait que le Coran évoque une catastrophique et ultime rupture : Verset 14 (ou 15)3 – « Certes les Sabaʾ, dans leur habitat, avaient un signe. [C’étaient] deux jardins à dextre et à sénestre. “Mangez de l’attribution de votre Seigneur et soyez-lui reconnaissants ! [ce pays est] un pays délicieux. [Allāh] est un seigneur absoluteur”. 15 / 16 - Les Sabaʾ se détournèrent [cependant de Nous]. Nous déchaînâmes contre eux l’inondation d’al‑ʿArim et, au lieu de leurs deux jardins, Nous leur donnâmes deux jardins poussant [des végétaux aux] fruits amers, des tamaris et de rares baies de jujubier. 16 / 17 - Cela, nous leur avons donné en prix de ce qu’ils furent incrédules. Pourrions-nous « récompenser » [ainsi] un autre que l’Incrédule ? » (sourate XXXIV, « Les Sabaʾ »)4.

1. Abréviations : av. = avant ; è. chr. = ère chrétienne ; h. = ère hégirienne (qui commence en 622 è. chr.) ; ḥim. = ère ḥimyarite (qui commence en 110 av. è. chr.). 2. Pour la localisation des toponymes, se reporter à la carte figure 1. 3. Le premier nombre renvoie à l’édition du Coran par G. Flügel en 1870 et le second à l’édition du Caire de 1923. La traduction est celle de Régis Blachère. 4. La-qad kāna li-Sabaʾin fī maskani-him āyatun jannatāni ʿan yamīnin wa-shimālin kulū min rizqi rabbi-kum wa-ʾshkurū la-hu baladatun ṭayyibatun wa-rabbun ghafūrun. | Fa-aʿraḍū fa-arsalnā ʿalay-him sayla ʾl-ʿArimi wa-baddalnā-hum bi-jannatay-him jannatayni dhawātà ukulin khamṭin wa-athlin wa-shayʾin min sidrin qalīlin. | Dhālika jazaynā-hum bi-mā kafarū wa-hal nujāzī illā ʾl-kafūra.

L’identification d’al‑ʿArim avec la Digue de Maʾrib est assurée. Elle repose sur la mention de Sabaʾ, la commune5 dont Marib (aujourd’hui Maʾrib) était la résidence royale ; par ailleurs, al‑ʿArim est bien le nom que les Ḥimyarites6 donnaient à la Digue de Maʾrib comme le prouvent leurs inscriptions7. Dans ces dernières (qui sont rédigées en langue sabaʾique), la Digue est d’ordinaire appelée ʿrmn, ʿArimān ou « la Digue » (avec l’article sudarabique suffixé –n qui équivaut à l’article arabe préfixé al-), et une fois ʿrm Mrb, ʿArim Marib ou « la Digue de Marib »8. Il n’est guère douteux que ʿrm est un nom commun : les dialectes modernes du Yémen connaissent encore le substantif ʿarm / ʿurm, « digue »9. Cependant, il semblerait que, dans l’Antiquité, l’appellation ʿrmn / ʿrm Mrb ait aussi été employée comme un quasi nom propre ; c’était d’autant plus naturel que la Digue de Maʾrib est unique par ses dimensions et par sa complexité ; d’ailleurs, elle est le seul barrage du Yémen antique qui ait été désigné par ce nom dans les inscriptions10. 5. « Commune » ou, si l’on préfère, « tribu sédentaire », traduit le substantif saba’ique s²ʿb. 6. Le royaume de Ḥimyar (capitale Ẓafār) domine l’ensemble de l’Arabie méridionale à partir de la fin du iiie s. è. chr., après avoir conquis les royaumes de Sabaʾ (capitale Marib) et de Ḥaḍramawt (capitale Shabwat, aujourd’hui Shabwa). Il se considère comme l’héritier de Sabaʾ dont il a adopté la langue, le sabaʾique. D’ailleurs, dans leur titulature, les rois ḥimyarites mentionnent en premier Sabaʾ, puis dhu-Raydān (= Ḥimyar). 7. Dans l’ordre chronologique, ce sont Ja 671 + 788 / 11, 13 (c. 365-370) ; Sadd Maʾrib 3 = CIH 540/ 6, 23, 62, 64, 66 (janvier 456) ; ẒM 1 A / 11, 12 (décembre 462 ‒ dans Kitchen 2000, Zafar-Garbini 1) ; Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 / 43, 60, 68, 111, 118 (mars 548). 8. Sadd Maʾrib 6 = Ja 547 + 546 + 544 + 545 / 4 (w-k-ms¹rw b-ʿrm Mrb), texte réédité ci-dessous. 9. Piamenta 1991, s. v. 10. Noter aussi qu’aucun autre nom propre n’est attesté pour la Digue, alors que presque tous les monuments sudarabiques, même modestes, en ont un. Pour désigner les autres

Regards croisés d’Orient et d’Occident. Les barrages dans l’Antiquité tardive, édités par François Baratte, Christian Julien Robin et Elsa Rocca, 2013 — p. 9-70

10 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

Selon la sourate XXXIV, Dieu provoque une inondation qui emporte la Digue (al‑ʿArim) et ruine la vaste oasis de Maʾrib qui était divisée en deux « jardins » par le wādī Dhana (figure 2), pour punir les Sabéens de leur incrédulité. Ce châtiment entre dans la longue série des catastrophes que le Coran interprète comme des manifestations de la colère divine. Il est très exceptionnel que le Coran se réfère clairement au milieu dans lequel il est prêché, à savoir l’Arabie occidentale, que ce soit par la mention de personnes, de lieux ou d’événements. Il est encore plus rare qu’il fasse mention d’événements de portée universelle. On ne peut guère citer que la victoire (ou la défaite) des Romains évoquée dans la sourate XXX (« Les Romains »)11 ou, de manière moins assurée, l’expédition des « Gens de l’Éléphant » (Aṣḥāb al‑Fīl, sourate CV, « L’Éléphant »)12. La question se pose de savoir si la rupture de la Digue de Maʾrib entre dans la catégorie des événements historiques mentionnés par le Coran. La réponse est bien évidemment « oui » si on ne considère que la Digue. Cet ouvrage était encore en usage vers 560 de l’ère chrétienne, une cinquantaine d’années avant le début de l’activité prophétique de Muḥammad fils de ʿAbd Allāh, le prophète de l’islam. Son évocation dans le Coran n’est donc pas absurde. Mais il n’est nullement assuré qu’il se soit produit une « rupture » spectaculaire et catastrophique comme le sous-entend le Coran. La cessation de l’irrigation a pu résulter d’un lent processus de dégradation et d’abandon. Pour trancher entre ces deux options, notre seul recours est la poésie préislamique. A-t-elle conservé le souvenir d’une catastrophe retentissante qui aurait frappé les esprits ? M. Ghassan el Masri, dans sa contribution jointe en Annexe, montre que ce n’est pas le cas. Il n’est pas même évident que la Digue

barrages, tous beaucoup plus petits, la langue sabaʾique possède de nombreux termes : ḥrt, mʾḏnt, mʾgl, mʾẖḏ et mmnn (voir Robin, Dridi 2004). Le dernier, mmnn, se lit dans l’inscription de Hajar Ṣabāḥ, qui n’avait pas été déchiffrée correctement ; il est désormais possible de restituer ce substantif grâce à une inscription inédite découverte par M. Khaldūn Hazzāʿ ʿAbduh Nuʿmān. 11. Deux versions des premiers versets de cette sourate ont été transmises : - leçon A, versets 1-3 (ou 2-4) : « Les “Romains” ont été vaincus aux confins de notre terre. [Mais] eux, après leur défaite, seront vainqueurs dans quelques années » ; - leçon B, versets 1-3 (ou 2-4) : « Les “Romains” ont vaincu aux confins de notre terre. [Mais] eux, après leur victoire, seront vaincus dans quelques années ». Les deux leçons présentent le même texte consonantique, mais différent sur la vocalisation des verbes, lus à l’actif ou au passif (ḡulibat / ḡalabat et sa-yaghlibūna / sa-yughlabūna). 12. Sur les problèmes que pose cette expédition, voir Robin 2010a.

de Maʾrib ait été particulièrement célébrée par les poètes préislamiques. Il n’est donc pas assuré que l’abandon de la Digue de Maʾrib ait été provoquée par une « rupture » mémorable13. Pourtant, la rupture de la Digue de Maʾrib occupe une place importante dans les mythes étiologiques de la Tradition arabo-islamique. On y voit la cause de la désertification du Yémen et de la dispersion des tribus yéménites dans toute la péninsule, une fiction bien évidemment, puisque la perte de quelques milliers d’hectares de terres cultivables dans un pays relativement bien arrosé comme le Yémen ne pouvait pas avoir de conséquences économiques graves, sinon locales. On peut en conclure que ces mythes sont une simple amplification du texte coranique. Assez curieusement, la Tradition arabo-islamique ne s’est guère intéressée à la Digue elle-même. Elle ne donne aucune description du monument, de sa localisation ou de son fonctionnement. Ce n’est pas la Digue qui est significative, mais sa disparition, parce qu’elle offre une explication à l’anarchie et aux désordres de la fin du vie siècle. Un seul auteur, l’encyclopédiste yéménite al‑Ḥasan b. Aḥmad al‑Hamdānī (mort après 360 h. / 970-971 è. chr.), qui consacre le livre VIII de La Couronne à un inventaire minutieux de tous les vestiges illustrant le passé glorieux du Yémen, fait exception. Mais, bien qu’il ait visité personnellement Maʾrib, son témoignage est décevant. Sa notice, qui se borne à relever que les écluses sont toujours debout et qu’on reconnaît aisément les canaux qui en partaient, ne dit rien des dimensions ou du fonctionnement ; elle s’intéresse davantage au nom du bâtisseur ou à la flore locale. Un détail, cependant, est remarquable : al‑Hamdānī a observé que les blocs de fondation des écluses étaient liés par des tenons de métal14. Dans cette contribution, nous nous proposons, en offrant une nouvelle interprétation des derniers travaux de réfection effectués sur la Digue, ceux du souverain ḥimyarite Abraha (c. 535-c. 565) au début de l’année 548, de contribuer à l’histoire de ce monument prestigieux.

13. La ruine de la Digue de Maʾrib n’est pas la seule catastrophe évoquée par le Coran qui ait un arrière-plan historique incontestable : il en va de même de l’abandon de la ville d’al-Ḥijr (sourate XV, « al‑Ḥijr », versets 80-84), aujourd’hui le site archéologique de Madāʾin Ṣāliḥ. C’est que les ruines laissées par les civilisations antérieures devaient intriguer les contemporains de Muḥammad. Pour les réformateurs religieux, elles étaient un outil bien pratique de propagande puisqu’elles pouvaient être interprétées comme les vestiges de peuples punis et anéantis par Dieu à cause de leur incrédulité. 14. Al‑Iklīl 8, édition Fāris, p. 43, ligne 7 et suivantes (al‑Iklīl 8, traduction Fāris, p. 34).

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 11

A. La Digue de Maʾrib La Digue de Maʾrib tire son nom du bourg de Maʾrib, qui se trouve à 7 km en aval, sur la rive gauche du wādī Dhana (l’antique Adhanat, ʾḏnt) (voir la carte figure 1 et le plan figure 2). Ce bourg se trouve sur le site de la ville antique de Maryab (Mryb, nom qui devient Marib [Mrb] vers la fin du iie s. è. chr., puis Maʾrib en arabe), la capitale du royaume de Sabaʾ15. La Digue était un ouvrage gigantesque, barrant l’une des plus grandes vallées du Yémen, le wādī Dhana, dans un étroit défilé à la sortie des montagnes, juste avant que ce wādī se perde dans le bassin désertique du Ramlat al‑Sabʿatayn. Elle se composait d’une massive levée de terre barrant complètement la vallée et de deux énormes écluses construites en pierre sur la rive rocheuse, une à chaque extrémité (figures 2, 3, 5, 8). La levée de terre mesurait 650 m de longueur et atteignait 15 m de hauteur dans le lit du wādī ; à la base, sa largeur était d’une centaine de mètres16. C’était l’élément le plus fragile du dispositif. À chaque crue d’une ampleur exceptionnelle, cette levée se brisait et était emportée en plus ou moins grande partie. Mais elle était facile à reconstruire. Cependant, pour éviter que les ruptures ne soient trop fréquentes, elle était protégée par des pierres plates fichées à sa surface (figure 9). Aujourdhui, il n’en subsiste plus que le tiers septentrional, entre l’Écluse septentrionale et le lit du wādī Dhana. La massive levée de terre était flanquée à ses deux extrémités par deux dispositifs complexes, construits en pierre, que j’appellerai « écluses » par commodité. Ces deux écluses, toujours debout, conservent la trace de multiples réfections, surélévations et ajouts. Dans son dernier état, l’Écluse septentrionale se composait d’un déversoir pour évacuer un éventuel trop-plein et de deux ouvertures qui alimentaient le canal irriguant la partie nord de l’oasis. L’Écluse méridionale régulait la quantité d’eau destinée à l’oasis méridionale. Le wādī Dhana, que barre la Digue de Maʾrib, a son origine au sud de Ṣanʿāʾ. Parcourant près de 120 km en direction du nord-est jusqu’à Maʾrib, il draine les eaux d’un bassin versant d’une superficie de 8 200 km2 17. Dans ce bassin versant, les précipitations sont abondantes et régulières sur les Hautes-Terres de la région de Ṣanʿāʾ, mais très faibles et imprévisibles du côté de Maʾrib. Le débit du wādī Dhana est donc fonction de la quantité des pluies qui tombent sur les hauteurs du bassin versant.

15. C’est à Marib que se trouvait la résidence des rois de Sabaʾ, le palais Salḥīn (S¹lḥn). 16. Michael Schaloske (1995, Taf. 6) l’évalue précisément à 96 m. 17. Schaloske 1995, p. 15.

Dans les montagnes du Yémen, le régime des précipitations dépend de la mousson, avec deux saisons de pluie, la première peu copieuse au printemps (mars à mai) et la seconde relativement abondante en été (juillet et août). À Ṣanʿāʾ, le niveau des précipitations est en moyenne de 20 mm en mars, 50 mm en avril et 20 mm en mai ; 40 mm en juillet et 70 mm en août ; tous les autres mois de l’année ont une pluviométrie inférieure à 10 mm18. Dans l’Antiquité, les eaux du fleuve Adhanat permettaient d’irriguer à Marib un périmètre dont la superficie approchait 100 km2 19. Aujourd’hui, la quantité d’eau qui parvient chaque année à Maʾrib est de l’ordre d’un million de m3. Redécouverte en 1843 par le Français Arnaud, la Digue de Maʾrib a été minutieusement étudiée en 1888 par l’explorateur autrichien Eduard Glaser. Moins de dix ans plus tard, Glaser publiait les deux grandes inscriptions qui commémoraient d’importantes réfections vers les milieux du ve et du vie siècle20. Mais ce n’est qu’après sa mort que paraissait sa description du monument21. De la fin du xixe siècle au début des années 1970, Maʾrib fut très difficile d’accès du fait de la fermeture du Yémen aux étrangers. En 1980, une équipe archéologique allemande, dirigée dans un premier temps par l’architecte Jürgen Schmidt, puis par l’archéologue Burkhard Vogt, reprenait enfin les travaux. Composée d’archéologues, d’architectes, de géographes et d’hydrauliciens, elle avait notamment pour ambition de construire un modèle illustrant comment l’irrigation était apparue et s’était développée dans l’oasis de Ma’rib. Pendant près de 25 ans, elle a accumulé les observations et les relevés, puis a procédé au dégagement et à la restauration de l’Écluse septentrionale. Elle a même réalisé une maquette de la Digue permettant de simuler l’irrigation antique. Aujourd’hui, seule une petite partie des études rédigées a paru, principalement dans la série Archäologische Berichte aus dem Yemen. On ne dispose toujours pas d’une description complète des diverses parties de la Digue, ni d’une localisation précise des pierres (inscrites ou sculptées) prises sur les monuments de la ville et remployées lors des diverses réfections, alors que ces pierres sont le meilleur moyen de datation. Pire, aucun plan d’ensemble, même schématique, n’a encore été publié. La mort de Jürgen Schmidt (2010),

18. Sanlaville 2000, p. 53, fig. 23c ; Robin 1981, fig. 2, p. 53. 19. Ueli Brunner évalue la superficie du périmètre irrigué à 9 600 ha (Schmidt 1987, p. 62 ; Müller 1991, p. 548 A), avec 5 300 pour l’oasis méridionale et 3 750 pour l’oasis septentrionale. Dans un premier temps, il avait proposé 9 000 ha : Brunner 1983, p. 74. 20. Glaser 1897. 21. Müller, Rhodokanakis 1913.

12 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

Figure 1 – Carte de l’Arabie méridionale. [Cartographie : J. Schiettecatte]

Figure 2 ‒ Plan de la région de Maʾrib localisant notamment la ville antique de Marib, la Digue et les deux périmètres irrigués (Abyan et Yasrān). [Cartographie : J. Schiettecatte, d’après H. David, M. Gerig, R. Schoch, M. Schaloske et U. Brunner]

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 13

la dispersion de la documentation et l’éparpillement de l’équipe font craindre que le projet ne soit définivement arrêté. Un désaccord sur la méthode à suivre explique en partie ce naufrage. À la démarche empirique de certains, qui voulaient accumuler les données avant d’élaborer un schéma explicatif, s’est opposée la volonté de prouver qu’un ouvrage barrant complètement la vallée existait dès une époque très reculée. L’hydraulicien H. Radermacher et ses élèves distinguaient trois phases dans l’histoire de la Digue. Pour dater le début de la phase 1, ils se fondaient sur la hauteur des dépôts d’alluvions anthropiques (plus de 33 m dans certaines zones)22 et la divisait par l’épaisseur moyenne de la sédimentation annuelle, estimée à 1,1 cm environ. Le nombre obtenu, soustrait à c. 600 de l’ère chrétienne (date approximative de la dernière rupture de la Digue), donnait 2400 avant l’ère chrétienne. C’était donc la date du barrage le plus ancien. Pour dater le dernier état de la Digue, Jürgen Schmidt s’appuyait sur les inscriptions qu’il estimait être in situ23. Ces hypothèses audacieuses impliquaient que l’on avait à Ma’rib le plus ancien barrage connu dans le monde ; quant aux vestiges encore visibles aujourd’hui, ils dataient de la troisième phase, c’est-à-dire du milieu du Ier millénaire avant l’ère chrétienne. Phase 1 : 2400-1800 av. è. chr. Phase 2 : 1800-1400 av. è. chr. Phase 3 : vers 530-500 av. è. chr. Dès 1988, j’avais émis des doutes sur cette chronologie, observant que le dernier état de la Digue de Maʾrib ne datait pas de la fin du vie siècle avant l’ère chrétienne, mais des réfections des ive, ve et vie siècles de l’ère chrétienne, avec les arguments ‒ de valeur inégale ‒ suivants : 1. la première mention épigraphique de la Digue date des années 360-370, quand un roi de Ḥimyar entreprend de réparer la première rupture documentée ; 2. la Digue n’est pas mentionnée par les auteurs classiques. Elle ne l’est pas même dans le récit de l’expédition du Romain Aelius Gallus qui a assiégé Maʾrib dans les années 20 avant l’ère chrétienne ; 3. les dimensions considérables de la Digue de Maʾrib et la violence des inondations du wādī Dhana

22. Brunner 1983, p. 64. 23. Ce sont deux inscriptions gravées en deux exemplaires dans la paroi rocheuse de la tranchée à l’intérieur de l’Écluse méridionale (Sadd Maʾrib 1 = CIH 623 et Sadd Maʾrib 2 = CIH 622) et deux autres sur des blocs mobiles, insérés dans la maçonnerie de l’Écluse septentrionale (CIH 627 et RES 4429). Ces deux dernières sont en réalité des remplois : voir Robin 1988, p. 98.

exigent une maîtrise technique bien supérieure à celle nécessaire pour édifier les petits barrages sabéens et ḥimyarites qui sont tous postérieurs au iie siècle avant l’ère chrétienne24 ; 4. enfin, la preuve la plus déterminante de la date tardive de la Digue était que des remplois remontant aux trois premiers siècles de l’ère chrétienne se voient à la base de diverses parties de l’ouvrage. Par ailleurs, si la hauteur des dépôts d’alluvions anthropiques pouvait dater le début de l’irrigation, rien n’impliquait que cette irrigation ait toujours été pratiquée par un ouvrage barrant complètement la vallée. Il semblait plus vraisemblable de postuler dans un premier temps l’existence de dispositifs ne détournant qu’une partie de la crue, extraordinairement puissante dans une vallée étroite. De tels dispositifs sont relativement simples à mettre en œuvre et peuvent être facilement reconstruits, tandis que la construction d’un barrage retenant la totalité de la crue exige un grand savoir-faire, aussi bien dans les techniques de construction que dans la gestion des eaux. Ces arguments n’ont pas convaincu les responsables de l’équipe allemande. Il a fallu attendre le début des années 2000 pour que la découverte de nouveaux blocs remployés, lors de travaux de dégagement et de consolidation sur l’Écluse septentrionale, sous la direction de Burkhard Vogt, leur fasse enfin admettre que la plupart des éléments composant les Écluses avaient été édifiés postérieurement aux premiers siècles de l’ère chrétienne. Aujourd’hui, il est reconnu par tous que la majeure partie des vestiges de la Digue que nous voyons date des ive-vie siècles, 1000 ans après la date retenue initialement par les archéologues allemands. Bien évidemment, cette conclusion n’exclut nullement que la Digue ait eu auparavant une longue histoire, remontant à une date encore incertaine, avant de prendre l’apparence que nous lui connaissons.

B. Le massif édifié par Abraha Dans cet exposé, mon propos ne vise pas à refaire l’histoire de la Digue de Maʾrib, mais seulement à mieux cerner l’ampleur des travaux réalisés par Abraha, le dernier souverain ḥimyarite qui soit intervenu sur la Digue. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qui est Abraha. Ce souverain qui règne sur Ḥimyar n’est pas un Ḥimyarite, mais un Africain arrivé en Arabie comme général d’une des armées du souverain d’Aksūm (Éthiopie). Son accession au trône intervient un peu après 531, à la suite d’une révolte. 24. Robin, Dridi 2004.

14 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

Figure 3a ‒ Plan du dernier état de la Digue. [Dessin : C. Darles et J. Schiettecatte]

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 15

Figure 3b ‒ Plan de l’Écluse septentrionale avec les noms antiques identifiés. [Dessin : C. Darles et J. Schiettecatte]

Figure 3c ‒ Plan de l’Écluse méridionale avec les noms antiques identifiés. [Dessin : C. Darles et J. Schiettecatte]

16 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

Bien qu’Abraha règne en s’appuyant sur l’armée aksūmite laissée en Arabie par le négus (mentionnée aussi bien dans les inscriptions que dans la tradition arabo-islamique), sa propagande le présente comme un véritable roi ḥimyarite : c’est ainsi qu’il rédige ses inscriptions en langue sabaʾique et adopte la titulature royale traditionnelle, assumant pleinement l’héritage politique et culturel de Ḥimyar. Les seules inflexions concernent la politique étrangère et la religion25. La durée du règne d’Abraha, sans doute de l’ordre d’une trentaine d’années, entre c. 535 et c. 565, est difficile à déterminer avec précision. Les inscriptions datées nous éclairent seulement sur la période 547-558. Pour situer approximativement la date de la mort d’Abraha, on dispose de deux indices. Tout d’abord, on sait que le pouvoir aksūmite s’effondre au tout début des années 570 si l’on en croit les sources byzantines, ou vers 575 d’après la tradition araboislamique. Par ailleurs, Abraha aurait deux successeurs, deux fils qui règnent peu de temps. Il est donc vraisemblable qu’Abraha meurt quelques années avant 570. La principale source sur le règne d’Abraha est constituée par six inscriptions, parmi lesquelles quatre ont été rédigées par le souverain lui-même. Je me cantonne ici aux trois qui mentionnent des travaux sur la Digue de Maʾrib, deux dont Abraha est l’auteur (DAI GDN 2002-20 et CIH 541) et une troisième composée par des chefs communaux (Ja 547 + 546 + 544 + 545). Ces trois inscriptions appartiennent au petit groupe des inscriptions monumentales in situ trouvées sur le site de la Digue, qu’il serait opportun de désigner par un sigle nouveau soulignant leur provenance commune, d’autant plus que les éditions anciennes sont dépassées. Ce sont dans l’ordre chronologique : CIH 623 = Sadd Maʾrib 1 CIH 622 = Sadd Maʾrib 226 CIH 540 = Sadd Maʾrib 327 DAI GDN 2002-20 = Sadd Maʾrib 428 CIH 541 = Sadd Maʾrib 529 Ja 547 + 546 + 544 + 545 = Sadd Maʾrib 630

25. Gajda 2009, p. 116-146. 26. Pour la bibliographie de Sadd Maʾrib 1 = CIH 623 et de Sadd Maʾrib 2 = CIH 622, voir Kitchen 2000, p. 133. 27. À la bibliographie de Kitchen 2000, p. 123, ajouter Müller 2010, p. 68-73. 28. Voir Nebes 2004 ; Müller 2010, p. 107-109 ; Nebes 2011, p. 385-387. 29. À la bibliographie de Kitchen 2000, p. 123-124, ajouter Müller 2010, p. 110-117 (qui donne la bibliographie complémentaire p. 110). 30. À la bibliographie de Kitchen 2000, p. 277-278, ajouter Müller 2010, p. 120-121, et voir la réédition ci-dessous.

1. Sadd Maʾrib 4 = DAI GDN 2002-20 La plus ancienne inscription d’Abraha, Sadd Maʾrib 4 = DAI GDN 2002-20, gravée sur les quatre faces d’un pilier de section rectangulaire, est datée de février 548. Elle a été découverte en 2002 par la Mission allemande lors du dégagement de la face nord de l’Écluse septentrionale. Le roi Abraha y commémore principalement la construction d’un imposant massif sur la Digue, opération qui aurait pris un mois exactement. La gravure de l’inscription n’est pas achevée. Face A 1 b-ẖyl w-n(ṣr) 2 w-rdʾ Rḥmnn 3 mrʾ vac. S¹myn 4 w-Ms¹ vac. ḥ-h(w) 5 (h)qḥ vac. mlk= 6 n ʾb(r)h Zb= 7 ymn mlk S¹= 8 [b](ʾ) w-ḏ-Rydn/ 9 (w-)[Ḥ](ḍ)rmwt w- 10 (Y)m(n)t w-ʾʿr= 11 [b-](h)mw Ṭwd= 12 [m w-](T)ht ʿw= 13 [dn b-]qdm mqḥ 14 [S²rḥb]ʾl Yʿf= 15 [r] w-(h)qḥ-hw b= 16 n mwṯr-hw ẓw=

Avec la puissance, le soutien et l’aide de Raḥmānān, seigneur du Ciel, et de son Messie, a édifié le roi Abraha, Zbymn, roi de Sabaʾ, dhu-Raydān, Ḥaḍramawt et Yamnat, et de leurs Arabes dans le Haut-Pays et sur la Côte, ʿAw[dān]31 devant l’ouvrage de [Shuriḥbi]ʾil Yaʿfu[r]. (Abraha) l’a édifié depuis son sol ro-

Face B 17 [r](n) ʿd(y ʾrʾs¹)- 18 hw ʾḥd w-ʾr= 19 bʿy ʾmm w-ṭw= 20 lm s¹-ḏhbn w= 21 rdm ẖms¹t w-ʾ= 22 rbʿy ʾmm w-ʾr= 23 bʿt ʿs²r ʾmm r= 24 ḥbm w-hwṯr-hw

cheux jusqu’à ses parties hautes, (sur une hauteur de) quarante-et-une coudées, et sur une longueur jusqu’au grand canal32 atteignant quarante-cinq coudées, et quatorze coudées en largeur. Il en a posé les fonda- tions

31. Afin de faciliter la lecture, nous vocalisons les termes sudarabiques, même quand aucun correspondant arabe ne permet de restituer avec assurance, comme ici, la prononciation antique. Voir l’arabe ʿawd, « retour, répétition » ou ʿawād, « récompense du retour » ? 32. Le substantif ḏhb, « courant (d’eau) », nomme aussi bien l’« inondation » (Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 55 et 58) que le « canal » qui la capte (Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 25 ; Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 / 112). Walter W. Müller le traduit ici par « lit » (d’un fleuve) / Flussbett (Müller 2010, p. 153).

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 17 25 26 27 28 29 30 31 32 33

b-qd(m) wrẖn ḏ- ḥltn ḏ-l-ṯmnt w-hs²qr-hw b-ʿ= ḏr-hw mbrʾm b-grbm w-gyrm mbrʾm (ḏ-h)q= m w-k-kl tl= wn ms³nd-h= mw w-mqḥ-hm=

Face C 34 [w] b-(R)[ḥbm w-]33 35 b-ʿrn w-qdm 36 Mʿqm[n] wrẖ- 37 hw ḏ-ḥltn 38 ʾẖ(r)[n] ḏ-l-(ṯ-) 39 mnt w-ẖ[ms¹=] 40 y w-s¹ṯ mʾ(t=) 41 m

au début du mois de dhuḥillatān de (l’an [65])8 et il l’a achevé à la fin de celui-ci, édifiant avec de la pierre et du mortier une construction élevée. Voici que l’achèvement complet de son inscription et de son intervention

à Ra[ḥbum,] sur la montagne et en avant de Maʿqamān34 (eut lieu) au mois dhu-ḥillatān, le dernier (jour du mois), en (l’an) six cent cinquante-huit35

Face D Trois monogrammes formés avec les noms du souverain (A, B et C) et les trois emblèmes royaux A : R[m]ḥ[s³] B : ʾbrh C : Zbymn

Dans ce texte Abraha commémore avant tout la construction d’un élément de la Digue appelé ʿAwdān, plus précisément d’un massif très élevé, qui fait sa fierté : il en donne les dimensions précises et croit bon de souligner que son édification complète n’a duré qu’un mois. À la fin de l’inscription, il mentionne brièvement qu’il est intervenu non seulement à (Ra)[ḥbum], mais aussi « sur la montagne et en avant de Maʿqamān ». Comme nous le verrons, Raḥbum peut désigner l’Écluse méridionale ; quant à Maʿqamān, ce serait l’Écluse septentrionale. On aurait ici un bref récapitulatif incluant d’autres travaux sur diverses parties de la Digue.

33. Norbert Nebes lit ici : [w] b-[ʿrmn w-]. Après le b, on reconnaît de fait le bas d’un r, mais il n’y a pas place pour un ʿayn entre le b et le r : comparer avec b-ʿrn à la ligne suivante. La restitution (R)[ḥbm], évidemment hypothétique, se fonde sur le fait que Rḥbm est, dans le lexique propre à la Digue, le seul mot commençant avec la lettre r. 34. Comme nous le verrons, nous supposons que Mʿqmn est un nom propre, désignant peut-être l’Écluse septentrionale. Pour Walter W. Müller, en revanche, ce serait un subtantif signifiant « exutoire » / Auslassschwelle (Müller 2010, p. 139). La racine arabe ʿQM exprime la « stérilité ». 35. Le début de l’ère ḥimyarite se situe probablement en 110 av. è. chr. Selon Norbert Nebes (2004), le premier mois de l’année serait février.

La signification de tous les termes techniques est problématique. Le seul moyen de les comprendre réside dans leur identification avec un dispositif de la Digue encore reconnaissable aujourd’hui. - Le terme désignant le massif L’inscription désigne le massif par le terme ʿw[dn] qui se trouve à de nombreuses reprises dans les inscriptions relatives à la Digue, surtout les deux grandes commémorant les réfections de Shuriḥbiʾīl Yaʿfur et d’Abraha36. La lettre [d] ne se voit plus sur la pierre, mais sa restitution semble assurée. Le verbe hqḥ qui régit ʿwd ne nous éclaire pas sur la nature de cet ouvrage : il est aussi neutre que possible comme le français « faire ». - La localisation du massif Le massif se trouve « devant l’ouvrage (mqḥ) de Shuriḥbiʾīl Yaʿfur »37. - Les dimensions du massif Il mesure 41 coudées (ʾmm) de hauteur, 45 de longueur et 14 de largeur. - La durée des travaux Je fais l’hypothèse qu’elle est d’un mois exactement, d’après les l. 25-28, si on accepte mon interprétation : w-hwṯr-hw 25 b-qd(m) wrẖn ḏ-26ḥltn ḏ-l-ṯmnt 27 w-hs²qr-hw b-ʿ28ḏr-hw mbrʾm 29 b-grbm w-gyrm 30 mbrʾm (ḏ-h)q31m, « il en a posé les fondations | au début du mois de dhu-|ḥillatān de (l’an [65])8 | et il l’a achevé à la fin | de celui-ci, construisant| avec de la pierre et du mortier | une construction éle|vée ». Cette interprétation repose sur une opposition supposée entre qdm et ʿḏr, le « début » et la « fin » du mois ; une telle opposition est de fait attestée dans Garb NIS 4 / 8, l-ẖmr-8hmw qdmm w-ʿḏ[rm] ks³ḥm[ ʾ]mn, « pour qu’il leur accorde | un début et une fin purs, amen ». On peut également se référer aux inscriptions de construction minéennes, où qdm et mʿḏr renvoient apparemment à « l’avant » et à « l’arrière ». Norbert Nebes traduit très différemment : « and he carried out the work on its foundation before the month of dhu | Ḥillatān in the year eight [i.e. 658]. | And he has erected it with | his followers as a building construction | in dressed stone and plaster, | a building construction which he completed ». Quant à Walter Müller (2010), il rend de même qdm par « vor (temp.) » (avant) et ʿḏr par « Untergebene » (subalterne).

36. Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 22, 25, 62, 77, 78‑79, 98 ; ẒM 1 A / 11, 12 ; Sadd Maʾrib 4 = DAI GDN 2002- 20 / 12-13 ; Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 / 43, 60‑61, 70, 71‑72, 104, 117‑118. 37. Roi ḥimyarite attesté de janvier 456 à janvier 465 et dont le règne a probablement duré de 450 à 468. Il est l’auteur de la plus importante réfection de la Digue, commémorée par Sadd Maʾrib 3 = CIH 540.

18 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

2. Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 L’inscription Sadd Maʾrib 5 (= CIH 541), datée de mars 54838 et donc postérieure d’un mois à la précédente, est plus soignée et beaucoup plus longue. Le texte est gravé sur une haute stèle qui se dressait sur une croupe rocheuse juste en amont de l’Écluse septentrionale de la Digue de Maʾrib. Sadd Maʾrib 5 (= CIH 541) commémore des réfections effectuées sur la Digue de Maʾrib qui venait de se rompre, mais aussi la réduction d’une révolte dans le Yémen oriental et la consolidation du pouvoir d’Abraha, comme en attestent la consécration d’une église dans la ville de Marib et l’organisation d’une conférence diplomatique. Les travaux de réfection sur la Digue sont beaucoup plus détaillés, sur le modèle de l’inscription de Shuriḥbiʾīl Yaʿfur (Sadd Maʾrib 3 = CIH 540). Abraha se complaît également, comme son prédécesseur, à faire le bilan de toutes les dépenses en nature occasionnées par les travaux. La confection de cette longue inscription, souvent très technique, trahit un besoin impérieux de consolider une légitimité contestée, notamment en restaurant l’un des monuments emblématiques de la civilisation sudarabique. Sadd Maʾrib 5 (= CIH 541), tout comme Sadd Maʾrib 3 (= CIH 540), emploie de très nombreux termes techniques dont aucun n’est compris de façon assurée. Il est donc malaisé de savoir où Abraha est intervenu et ce qu’il a fait. On retrouve cependant dans le bilan général des travaux le massif que mentionnait Sadd Maʾrib 4 (= DAI GDN 2002-20) : Face C 97 98

w-k-ʾs¹yw-hmw ʾs²ʿbn br-hmw ʿḏ= bw ḏ-ṯbr bn ʿwdn ḏ-tqh Yʿfr

Face D 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114

b-S¹bʾ w-ʾqwln ʾ= lht knw ʿm mlk= n w-nẓr-hmw w-k-ʿ= ḏb-hw bn tbʿl ʿ= rn ʿdy s²qrm w-k-ḏ-w= zʾw b-qdm ʿwdn Q= s²bnm ḏ-tqhw b-ʾs²= ʿbn ẖms¹ w-ʾrbʿy ʾmm ṭlm w-ẖms¹ wṯlṯy ʾmm rymm w-ʾ= rbʿt ʿs²r ʾmm rḥ= bm grbm w-ḥrrw ʿrmn w-ms¹r-hw w-s²= ṣn-hw w-hqs²bw ḏhb H̱bs²m ḡyr ʾqdmn wnmry Mflgm w-k-ḏ-

38. ḏ-mʿn 658 ḥim.

115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136

rzʾw bn ywmn ḏ-b-h= w yfʿn l-ḡzw-hmw w-qds¹ bʿtn w-ʿwd= n w-ʿrmn ẖms¹y ʾʾlf= m w-ṯmn mʾtm w-s¹dṯ= m dqqm w-s¹ṯt w-ʿs²= ry ʾʾlfm tmrm b-qntn Ydʿʾl w-ṭ= bẖm ṯlṯt ʾʾlfm ḏbyḥm w-bqrm w-q= ṭntm ṯty mʾtm w-s¹b= ʿt ʾʾlfm qṭntm w-ṯlṯ mʾtm ʾʾblm s¹qym ḡrbbm w-fṣym w-ʾḥd ʿs²r ʾʾlfm ʾl ḥlb s¹qym ḏ-tmrm w-k[ml=] w mqḥ-hmw b-ṯmny[t w-ẖ=] ms¹y ymtm w-qf[lw] b-ʾḥd ʿs²r ʾw[rẖ=] m b-wrẖ ḏ-mʿn ḏ-lṯmnyt w-ẖms¹y w-s¹= ṯ mʾtm

Face C ... Après que les communes lui eurent envoyé les forces requises,| il a réparé ce qui avait été détruit dans ʿAwdān que Yaʿfur avait entièrement reconstruit Face D avec Sabaʾ et les princes | qui étaient avec le roi | et ses compagnons. Il | l’a remis en état depuis les fondations creusées dans | le rocher jusqu’au sommet ; il a | ajouté, en avant de ʿAwdān, | Qishbānum qu’il a entièrement construit avec les | communes – quarante-cinq | coudées (’mm) de longueur, trente-|cinq coudés de hauteur et | quatorze coudées de largeur – | en pierre de taille. Il a relevé | la Digue, aussi bien le remblai de terre que le revête|ment ; il a remis en état le grand canal de | Khabashum sauf la partie initiale et | le déversoir39 de Maflagum. Voici | ce qu’il a dépensé depuis le jour où il | est parti pour son expédition, | la consécration de l’église, ʿAwdān | et la Digue : cinquante mille | huit cent six | (mesures) de farine ; vingt-six | mille (mesures) de dattes | en qnt de Yadaʿʾīl ; la vi|ande de trois mille | bêtes de boucherie et de vaches et, en petit | bétail, sept mille | deux cents têtes ;| trois cents (charges de) chameaux | de vins ḡrbb et fṣy ;| onze mille ʾl|ḥbb (outres ?) de vin de dattes. Il a | achevé [son travail] en cinquante-|huit jours et il est rentré | après onze mois.| Au mois dhu-maʿūn de l’an | six cent cinquante-huit.

39. Le substantif nmry qui est toujours au singulier semble être un dispositif dont la Digue ne présente qu’un unique exemple. Walter W. Müller (2010, p. 191) le rend par « (Wasser)auslass ».

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 19

À nouveau, Abraha mentionne la construction d’un massif dont il donne les dimensions. - Ce massif est nommé Qs²bnm, Qishbānum Qs²bnm, dont c’est la seule attestation, est formé sur la racine QS²B qui exprime la notion de nouveauté (arabe qashīb, « tout neuf, nouvellement fait ») ; il s’agit vraisemblablement d’un nom propre. - Ce massif se dresse « en avant de ʿAwdān » « que Yaʿfur avait entièrement reconstruit » Dans l’inscription Sadd Maʾrib 4 (= DAI GDN 2002-20), la formulation était différente : ʿAwdān désignait le massif qu’Abraha avait construit devant l’« ouvrage » (mqḥ) de Shuriḥbiʾīl Yaʿfur. - Ce massif est un peu moins élevé Le nouvel ouvrage appelé Qishbānum mesure « quarante-cinq | coudées de longueur, trente|cinq coudés de hauteur et | quatorze coudées de largeur ». La longueur et la largeur sont identiques à celles du massif mentionné dans Sadd Maʾrib 4 (= DAI GDN 2002-20), mais la hauteur diffère : 35 coudées au lieu de 41. Abraha fait une brève allusion à d’autres interventions sur la Digue : « Il a relevé | la Digue, aussi bien le remblai de terre que le revête|ment ; il a remis en état le grand canal de | Khabashum sauf la partie

initiale et | le déversoir de Maflagum ». Il peut s’agir des mêmes opérations que celles évoquées dans Sadd Ma’rib 4 : « voici que l’achèvement | complet de son inscription | et de son intervention | à Ra[ḥbum,]| sur la montagne et en avant de | Maʿqamān (eut lieu) au mois | dhu-ḥillatān ». Pour bien identifier la nature et l’ampleur de ces travaux, on dispose encore de l’annonce de la rupture, qui énumère les parties endommagées : « l’appel à l’aide de Sabaʾ | lui est parvenu après qu’|aient été détruits la Digue, ʿAwdān,| Khabashum et les vannes | de Dhaʾfān » (Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 / 41-46). Abraha indique également la durée des travaux : 58 jours au total (deux mois lunaires). C’est le double du temps qui avait été nécessaire pour construire le massif mentionné dans Sadd Maʾrib 4 (= DAI GDN 2002-20). Dans son édition de DAI GDN 2002-20, Norbert Nebes (2004) a considéré que les inscriptions Sadd Maʾrib 4 (= DAI GDN 2002-20) et 5 (= CIH 541) commémoraient la construction de deux massifs différents. Il a proposé de les identifier, d’après une proposition de l’architecte Werner Herberg, avec deux massifs de maçonnerie imbriqués l’un dans l’autre, au départ du long mur orienté ouest-est sur lequel vient s’appuyer l’Écluse septentrionale (figure 4). Cette proposition se fonde sur la localisation de l’inscription Sadd

Figure 4 ‒ Les deux massifs édifiés par Abraha dans l’Écluse septentrionale. Dans DAI GDN 2002-20, corriger la hauteur du massif B + C de 35 coudées en 41. [Selon Norbert Nebes 2004]

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Maʾrib 4 (= DAI GDN 2002-20) et sur l’hypothèse que les deux inscriptions se complètent et décrivent des constructions différentes. Sa faiblesse réside dans le fait que la longueur des deux massifs proposés diffère notablement40 et que la hauteur n’est pas vraiment prise en compte41. Norbert Nebes déduit de ses identifications que ʿAwdān (ʿwdn) désigne l’Écluse septentrionale, ce qui l’amène à rendre ce mot par « der Dreipfeilerbau » (l’édifice aux trois piliers) dans sa traduction de Sadd Maʾrib 5 (= CIH 541)42. 3. Sadd Maʾrib 6 = Ja 547 + 546 + 544 + 545 On dispose enfin d’une troisième inscription, Ja 544547, dans laquelle des sujets d’Abraha commémorent leur participation à des travaux d’entretien sur la Digue. Ce document, découvert et publié (sans photographie) par Albert Jamme, est daté de novembre 55843. Sa localisation avait été oubliée jusqu’à ce que Burkhard Vogt le retrouve en 2005 (voir la réédition dans la troisième partie de cette contribution).

C. L’identification de Qishbānum (Qs²bnm), le massif édifié par Abraha, avec le « Pylône » de la Digue de Maʾrib (figures 5-7, 36) À deux reprises, comme nous l’avons vu, Abraha célèbre la construction d’un massif dont il donne les dimensions en ammat ḥimyarites (ʾmt, pluriel ʾmm ou ʾmn), unité de longueur dont on ignore la valeur précise : Sadd Maʾrib 4 (février 548) longueur : 45 ; largeur : 14 ; hauteur : 41 Sadd Maʾrib 5 (mars 548) longueur : 45 ; largeur : 14 ; hauteur : 35 La donnée la plus sûre réside dans le rapport que présentent les trois dimensions : Sadd Maʾrib 4 longueur = largeur × 3,2 hauteur = largeur × 2,9 Sadd Maʾrib 5 longueur = largeur × 3,2 hauteur = largeur × 2,5

40. C’est manifeste sur le croquis publié par Norbert Nebes, qui ne donne malheureusement aucune dimension précise dans son texte. 41. « While sections B and C should in fact turn out to be 41 cubits hight after having been completly excavated, G2 does not reach the height mentioned in C 541 » (Nebes 2004, p. 226). On aurait aimé que l’architecte Werner Herberg, qui a restauré l’Écluse septentrionale (et auquel Norbert Nebes se réfère), donne un véritable plan et des mesures précises. 42. Nebes 2005, p. 362-367. 43. ḏ-mhltn 668.

Cependant, la ammat ḥimyarite ne peut certainement pas prendre une valeur quelconque. C’est une unité de mesure d’origine mésopotamienne, la ammatu, dont le nom signifie « avant-bras », d’où « coudée ». À l’origine, elle est divisée en 30 ubānu (« doigts ») et vaut à peu près 50 cm ; mais à l’époque néo-babylonienne, « probablement sous influence araméenne », elle n’en compte plus que 24 et mesure 40 cm environ44. Chez les Israélites, on retrouve le même terme pour désigner la « coudée » : ammāh. Il en existerait deux variétés. La première mesurerait six ṭefaḥ / ṭofaḥ (« palmes ») ou, si l’on préfère, 24 eṣbaʿ (« doigts »). La seconde vaudrait sept palmes et 28 doigts. La longueur de ces deux types de coudée serait de l’ordre de 45 et de 52 cm45. À l’époque islamique, la coudée change de nom. Appelée désormais dhirāʿ, elle connaît un grand nombre de variations : sa longueur initiale serait de 54,06 cm, mais elle à pu osciller ensuite entre 48 et 83 cm, dépassant même parfois le mètre. Cette coudée se divise en principe en six largeurs de main (qabḍa) et il faut quatre coudées pour obtenir une toise (bāʿ ou qāma) ou une canne (qaṣaba)46. En Arabie du Sud, vers la fin de l’Antiquité, il est vraisemblable que la ammat avait une longueur assez proche des « coudées » qui sont attestées antérieurement et varient de 40 à 52 cm. Si nous retenions pour la ammat ḥimyarite une longueur de 0,50 m, il en résulterait que les hauteurs mentionnées par Abraha équivalent à 17,50 et 20,50 m. Même si cette ammat était plus petite, il s’agirait de toute façon d’éléments de la Digue présentant une élévation remarquable. Un dernier argument à prendre en compte est le fait que les massifs mentionnés dans Sadd Maʾrib 4 (= DAI GDN 2002-20) et Sadd Maʾrib 5 (= CIH 541) sont manifestement pour Abraha une source de fierté. Il est donc peu vraisemblable que ce soit les bastions anodins, semblables à d’autres, insérés dans le mur sur lequel s’appuie l’Écluse septentrionale, que proposent Werner Herberg et Norbert Nebes. Le premier point à éclaircir est de savoir si Abraha a rédigé deux inscriptions pour commémorer la construction de deux massifs différents, ou si la seconde inscription répète ce que dit la première, en introduisant les diverses modifications déjà signalées. Quatre arguments conduisent à préférer l’hypothèse d’un seul et même massif.

44. The Assyrian Dictionnary of the Oriental Institute of the University of Chicago, 1968, s. v. « ammatu A ». 45. Trinquet 1957, col. 1213-1219. Sur cette question, on peut se reporter également à Mikhal Oren, « Poids et mesure dans le Proche-Orient ancien », décembre 2006 (http://languesanciennes.ens-lyon.fr/uploads/poids-mesures2.pdf). 46. Hinz 1977.

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 21

Figure 5 ‒ L’Écluse méridionale de la Digue de Maʾrib vue depuis le lit du wādī Dhana. Elle est flanquée par le Pylône d’Abraha à son extrémité amont (à droite sur le cliché). [Cliché : C. J. Robin]

Figure 6 ‒ Vue du Pylone et des deux môles flanquant la vanne de l’Écluse méridionale depuis le jabal Balaq. Cette vanne était aménagée sur la prise d’eau Ḥabābiḍ. La hauteur du Pylône, qui dépasse de plus de 2 m celle des môles, n’a aucune utilité fonctionnelle ; on peut estimer qu’elle est ostentatoire. [Cliché : C. J. Robin]

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Figure 7 ‒ Vue de l’Écluse méridionale de la Digue de Maʾrib depuis l’amont. En descendant le wādī Dhana, seule cette Écluse est visible. On aperçoit d’abord le Pylone, du fait de sa grande hauteur. [Cliché : C. J. Robin, 1975]

Tout d’abord, les dimensions au sol (longueur et largeur) sont les mêmes : il peut donc s’agir d’un massif qui n’a pas été construit aussi haut qu’on l’envisageait initialement. En deuxième lieu, les deux textes situent la nouvelle construction au même endroit, « en avant » des ouvrages réalisés un siècle plus tôt par Shuriḥbiʾīl Yaʿfur. Le troisième argument est que Sadd Maʾrib 5 (= CIH 541) ne complète pas Sadd Maʾrib 4 (= DAI GDN 2002-20), mais prend sa place. Tout d’abord, on peut observer que la gravure de certaines lettres de Sadd Maʾrib 4 (= DAI GDN 2002-20) n’est pas achevée : l’inscription a été abandonnée avant d’être exposée. Par ailleurs, l’inscription semble avoir été enfouie dans le sable au pied de la Digue, comme si on avait voulu la faire disparaître. Si elle avait été une première commémoration, complétée par Sadd Maʾrib 5 (= CIH 541), comme le suppose Norbert Nebes, on aurait dû la trouver sur la croupe rocheuse en amont du môle septentrional, à côté de Sadd Maʾrib 3 (= CIH 540) et 5 (= CIH 541). On peut deviner qu’Abraha a été mécontent d’une première ébauche qui se bornait à relater la construction du massif et a demandé qu’on la remplace par un texte beaucoup plus détaillé, célébrant ses prouesses et sa puissance. Il fallait que son inscription surpasse par la taille et le contenu le superbe pilier du roi Shuriḥbiʾīl Yaʿfur (Sadd Maʾrib 3

= CIH 540), qui commémorait en détail les importantes réfections réalisées sur la Digue de Maʾrib un siècle plus tôt, en 455-456. Le dernier argument est qu’une seule partie de la Digue présente une très grande hauteur : le massif en forme de tour qui flanque à l’amont l’Écluse méridionale de la Digue (figures 5‑7). On notera que sa hauteur, qui ne répond à aucune exigence fonctionnelle, est ostentatoire. Nous proposons d’appeler ce massif « le Pylône ». Ce terme, qui désigne le portail monumental d’un sanctuaire égyptien, composé de deux massifs quadrangulaires, semble adapté pour le massif que nous supposons construit par Abraha et qui signalait au voyageur venant de l’ouest l’arrivée dans l’oasis de Maʾrib. Le caractère singulier du Pylône est souligné par le fait qu’il a reçu un nom propre (Qishbānum) lors de sa construction, mais aussi à l’époque moderne. Du temps d’Eduard Glaser, on l’appelait Marbaṭ al‑Dimm, « l’attache du chat ». Ce nom renvoyait à une antique légende (réétudiée ci-dessous, en Annexe, par Ghassan el Maṣri) selon laquelle les Sabéens, avertis par un oracle qu’un rat saperait leur Digue et provoquerait sa rupture, avait attaché là un chat pour se prémunir contre cette menace47. 47. Müller 1991, p. 548.

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 23

Il reste maintenant à expliquer les divergences que nous avons constatées entre les deux textes. La plus sérieuse concerne la différence de hauteur, qui passe de 41 ammat en février à 35 en mars. Cette différence de l’ordre de 2,5 à 3 m pourrait résulter d’une appréciation plus exacte de la hauteur finale : la première inscription a pu être composée alors que les travaux n’étaient pas encore complètement achevés, tandis que la seconde donnerait la hauteur effectivement réalisée. Les différences terminologiques posent moins de problème. Dans Sadd Maʾrib 4, Abraha n’a pas encore donné de nom à son massif. Pour le désigner, il se sert du terme ʿAwdān qui nomme la longue et puissante muraille qui flanque le grand canal partant de l’Écluse méridionale. Ce faisant, il triche quelque peu, donnant à penser qu’il a rebâti la totalité de cette muraille alors qu’il n’est intervenu que sur son extrémité en amont. En revanche, dans Sadd Maʾrib 5, Abraha, qui appelle désormais son massif Qishbānum, est plus précis, énonçant que son nouvel ouvrage se dresse en avant de ʿAwdān. Quant à la différence de durée, qui passe d’un mois à deux, elle s’explique sans problème. Sadd Maʾrib 4 ne commémore que la construction du Pylône tandis que Sadd Maʾrib 5 prend en compte des travaux exécutés le mois suivant. Depuis longtemps, je souhaitais localiser le massif construit par Abraha, puisque l’on avait là une clé pour mieux comprendre les inscriptions de la Digue. La publication par Norbert Nebes d’une nouvelle inscription d’Abraha avait ravivé mon intérêt pour la question. Le colloque sur les barrages offrait une excellente occasion de reprendre ce dossier. J’en parlai donc à l’architecte Christian Darles et à l’archéologue Jérémie Schiettecatte qui ne tardèrent pas à proposer le Pylône de l’Écluse méridionale. Il restait à délimiter précisément Qishbānum. Si on observe les modes de construction48, Qishbānum ne peut désigner que le seul Pylône, à savoir le massif de tête de l’Écluse méridionale, composé de trois éléments, un massif semi-circulaire au sud, un massif de plan triangulaire au centre et une tour carrée au nord-ouest (Ab12-14, figures 35‑36). En effet, le « môle sud-ouest », c’est-à-dire le môle maçonné qui se trouve au sud de la prise d’eau principale, appartient manifestement à un état antérieur. Les dimensions du Pylône sont : - longueur : 14,5 m ; - largeur : 4,5 m ; ce nombre peut varier quelque peu en fonction de la forme du rectangle dans lequel on inscrit le pylône ;

48. Voir ci-dessous, partie II par J. Schiettecatte.

- hauteur : de l’ordre de 11,5 m en incluant les quatre assises supérieures qui semblent être un ajout, mais sans compter le monolithe de 0,70 m fiché au sommet ; l’imprécision résulte du fait que le Pylône est planté sur un massif rocheux irrégulier. L’identification de Qishbānum avec le seul Pylône donne à la ammat ḥimyarite une longueur approximative de 0,32 à 0,33 m selon que l’on se fonde sur : - la longueur : 14,5 m pour 45 ammat, ce qui donne 1 ammat = 0,322 m ; - la largeur : 4,5 m pour 14 ammat, d’où 1 ammat = 0,321 m ; - la hauteur : 11,5 m pour 35 ammat, d’où 1 ammat = 0, 328 m. C’est un nombre notablement inférieur à celui des coudées proche-orientales qui dépassent 0,40 m. La longueur de la ammat ḥimyarite est plus proche du « pied » que de la « coudée ». Une démarche alternative – moins satisfaisante – consisterait à donner à la ammat ḥimyarite une longueur de 0,50 m et à rechercher un élément de la Digue qui correspondrait aux mesures données par Abraha : 22,5 m de longueur, 7 m de largeur et 17,5 m de hauteur. Ce peut être alors l’ensemble formé par le Pylône et le « môle sud-ouest », à condition de supposer que la hauteur est calculée à partir de la base de la prise d’eau entre le Pylône et le « môle sud-ouest» et non à partir du socle rocheux. Si on retenait cette hypothèse, il faudrait supposer qu’Abraha a quelque peu gonflé l’importance des travaux qu’il s’attribue. Une longueur de 0,32 ou 0,33 m pour la ammat ḥimyarite s’accorde bien avec l’unité de mesure utilisée dans le bâtiment A à Ḥaṣī (site archéologique qui se trouve à une quinzaine de kilomètres à l’est d’al‑Bayḍāʾ) : cette unité est évaluée de 1,96 à 1,98 m, soit exactement six ammat ḥimyarites. Or, dans les systèmes mésopotamien, israélite et islamique, l’unité de longueur immédiatement supérieure à la coudée, appelée « canne » (akkadien qanû ; hébreu qaneh ; arabe qaṣaba), mesure d’ordinaire six coudées (ammatu, ammāh, dhirāʿ). On peut ajouter que l’unité de longueur utilisée à Ḥaṣī pourrait être la s²wḥṭt, unité supérieure à la ammat, dont on ne connaît pas la valeur précise. L’inscription Ja 671 + 788 / 13-14 (citée ci-dessous, sous Rḥbm, p. 25) rapporte, par exemple, que ce sont 70 s²wḥṭt du mur de retenue de la Digue qui sont détruits vers 370. Il est vrai que toutes les « cannes » ne font pas nécessairement six coudées ; elles oscillent entre six et sept avant l’islam, puis entre quatre et sept un septième (7 1/7e) après49. Il n’est donc pas sûr que 49. Hinz 1977, p. 239.

24 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

la s²wḥṭt sudarabique fasse six coudées. D’ailleurs, dans son article consacré aux mesures sudarabiques, G. M. Bauer retenait le nombre de cinq (1 s²wḥṭt = 5 ammat), sans qu’on sache très bien pourquoi50. En résumé, je propose d’identifier Qishbānum avec le seul Pylône. On peut en déduire que la longueur de la coudée ḥimyarite (ammat) est de l’ordre de 0,32 à 0,33 m. L’unité de mesure de 1,96 à 1,98 m utilisée à Ḥaṣī correspond exactement à 6 ammat. Si c’était la s²wḥṭt, les 70 s²wḥṭt détruits sur le mur de retenue de la Digue vers 370 (Ja 671 + 788) mesureraient donc 138,6 m environ51.

le voir. Mais ce n’est pas un obstacle à notre interprétation, puisque le même passage cite également le canal Yasrān, à savoir celui qui irrigue l’oasis méridionale :

D. Les conséquences pour la compréhension de Sadd Maʾrib 3 et 5 (CIH 540 et 541)

Notre conclusion serait que ʿAwdān désigne non seulement la longue muraille de l’Écluse méridionale, mais aussi l’ensemble de cette écluse. L’ajout des déterminants Raḥbum ou Yasrān permettrait de distinguer un élément particulier dans cette écluse. 3. Cette Écluse méridionale, dans son état actuel, remonte en grande partie à la reconstruction opérée par le roi Shuriḥbiʾīl Yaʿfur. 4. Il en va de même pour l’Écluse septentrionale (voir la notice consacrée à Mʿqmn, ci-dessous p. 25).

L’identification du massif d’Abraha avec le Pylône permet de conclure d’emblée que : 1. La principale intervention d’Abraha sur la Digue a été la construction du Pylône. 2. La longue muraille qui flanque le grand canal partant de l’Écluse méridionale est appelée ʿAwdān (ʿwdn) ou, quand on veut être précis, le ʿAwd de Raḥbum (ẒM 1 A / 11, Rḥbm kl ʿwd-hw, « Raḥbum, tout son ʿAwd »). Le terme ʿwd est sans doute un nom commun que l’usage a transformé en quasi nom propre, comme ʿrmn, ʿArimān ou « la Digue ».

Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 24-27 : w-ʿḏbw 25 ʿwdn ḏ-mbrʾn w-gyrn ḏ-s³n wdyn gzʾn 26 ḏ-b-qdm kʾbtn Ḡyln w-qdm ḏhbn Ys¹27rn, « il a réparé | ʿAwdān – aussi bien la maçonnerie que l’enduit – le long du wādī, (c’est-à-dire) la partie | qui fait face à la pile Ghaylān et se trouve au début du canal Yas|rān ».

Pour confirmer que toutes les occurrences de ʿAwdān se rapportent bien à l’Écluse méridionale, il faut établir comment était appelée l’Écluse septentrionale. Cinq termes que nous examinons dans l’ordre alphabétiques sont des candidats potentiels :

Toutes les occurrences de ʿwd dans les inscriptions sudarabiques, sauf peut-être une, renvoient à cet ouvrage. La seule exception possible se trouve dans l’ouvrage appelé « le ʿAwd de Yasrān » (ʿwd Ys¹rn) dans Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 23 : w-ʿḏbw ʿwd 23 Ys¹rn ms¹rm w-s²ṣnm bn s¹fl-hw ʿdy 24 hs²qr-hw ḏ-bn mbrʾn w-qdm ʿrmn, « et il a réparé le ʿAwd de Yasrān – le remblai de terre et le revêtement – de sa base à | son sommet, entre la maçonnerie et le début de la Digue ». La référence à Yasrān implique que cet ouvrage se trouve bien dans la zone de l’Écluse méridionale, mais il s’agit d’un ouvrage en terre et non en maçonnerie. Notre hypothèse serait qu’il s’agit d’un dispositif protégeant l’ancrage de la Digue sur l’Écluse méridionale, dont il ne subsiste rien aujourdhui. Norbert Nebes traduisait ʿwd – du fait de son identification avec l’Écluse septentrionale – « Dreipfeilerbau »52 et Walter W. Müller « Auslassbauwerk » (ouvrage de captage)53. Il est vrai que ʿAwdān est mentionné une fois en relation avec Ghaylān, massif de maçonnerie appartenant à l’Écluse septentrionale comme nous allons

Ce toponyme, qui n’apparaît qu’une seule fois, n’est pas un bon candidat pour désigner l’Écluse septentrionale. Il renvoie plutôt à une zone où la levée de terre n’a pas cédé. Si nous supposons que cette levée de terre a été emportée là où l’inondation est la plus violente, à savoir dans le lit du wādī, entre l’Écluse méridionale (« les abords de Raḥbum ») et la partie protégée par la croupe rocheuse en amont de l’Écluse septentrionale, ʿAbrān pourrait nommer cette croupe rocheuse (figure 3).

50. Bauer 1976, p. 28. 51. Walter W. Müller (1991, p. 548 B) comptait 350 coudées équivalant à 180 m. 52. Nebes 2005, p. 365. 53. Müller 2010, p. 142.

54. Nous vocalisons ce nom comme le toponyme ʿAbrān (aujourd’hui al‑ʿAbr) à la limite occidentale du Ḥaḍramawt (Robin, Brunner 1997, L4 ; al‑Maqḥafī 2002, p. 1007-1008).

ʿbrn, ʿAbrān54 Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 7 : ʿḏbw ʿrmn bn qrb Rḥ7bm ʿdy wṣḥw qdm ʿbrn w-ʿḏb-8hw ms¹rm w-s²ṣnm ʿdy hs²qr-h9w bn s¹fln bn wdyn ṭmḥn, « il a réparé la Digue depuis les abords de Raḥ|bum jusqu’à ce qu’il parvienne devant ʿAbrān, réparant | de celle-ci le remblai de terre et le revêtement complètement, | depuis le fond du wādī en remontant »

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 25

Pour Walter W. Müller55, ʿbr serait un substantif qu’il traduit « andere (Ufer)seite (eines wādī) ».

en pierre de taille – | et la Digue depuis sa base en entier »

Ḏʾfn, Dhaʾfān56

Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 / 44-45, w-k-wṣḥ-hm42w ṣrẖm bn S¹bʾ k-43ṯbr ʿrmn w-ʿwdn 44 w-H̲bs²m w-mḍrft 45 Ḏʾfn b-wrẖ ḏ-mḏr46[ʾ]n ḏ-l-s¹bʿt,

Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 29-30 : w-zlw ms¹rn w-s²ṣnn b-s¹bʿt 29 w-ʿs²ry ymtm w-tqh-hw w-fqḥ mḍrft Ḏ30[ʾ]fn ʾbnm w-gyrm, « il s’est occupé du remblai de terre et du revêtement pendant vingt-|sept jours – qu’il a entièrement reconstruits – et de la moitié du partiteur57 de Dha|ʾfān avec des pierres et de l’enduit » Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 62-63 : ṯbr ʿglm62[n] w-nmryn w-ʿwdn w-ʿrmn w-Ḏʾ63fn bn mwṯr-hw mbrʾn w-grbn 64 w-ʿrmn bn s¹fl-hw ʾs²yḥ, « se rompirent alors les murs de dérivation58,| le déversoir, ʿAwdān, la Digue et Dhaʾ|fān depuis ses fondations – aussi bien la maçonnerie que la construction 55. Müller 2010, p. 133. 56. L’arabe dhaʾfān, dhiʾfān ou dhuʾfān signifie « poison, venin ; mort ». 57. Pour le Dictionnaire sabéen, mḍrf, pl. mḍrft, signifierait « élément d’un barrage » avec renvoi au texte cité ci-dessus et à Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 / 44 (mḍrft Ḏʾfn). Walter W. Müller fait la même analyse et traduit « Wasserfassung, Becken » (2010, p. 156). Pour mḍrf (sing.), il renvoie à MAFYS-Ḍuraʾ 3 = RES 4069 / 10 ; en fait, dans ce dernier texte, la lecture correcte est … w-hṣlḥw ḥrt-hw w-10ʾḍrf-hw w-mḍlʿ-hw w-ʿqr-hw... La seule occurrence de mḍrf se trouve dans Ja 671 + 788 / 12, w-ṯbr kl mḍrfn ḏ-bynn Ḥbbḍ w-13Rḥbm, « et se rompit la totalité du mḍrf (ou : se rompirent tous les mḍrf) entre Ḥabābiḍ et | Raḥbum ». Comme on le voit, aucun texte n’est décisif pour décider quel est le singulier et quel est le pluriel. Au Yémen, dans un dialecte de la région de ʿAmrān, on a relevé le terme maẓraf, pl. maẓāruf, avec le sens de « barrage » (Piamenta 1990, s. v., d’après Goitein). D’autres termes sont peut-être apparentés : maṣraf, maṣārif, « digue dans le lit d’un torrent » ; marḍafa [avec méthathèse], « lieu d’entrée de l’eau du canal dans la vasque » (Khawlān oriental) (Rossi 1939, p. 311). Dans la région de Laḥj, le maṣraf est un « contrefort » sur une digue (Maktari 1971, p. 57 et 58). De manière hypothétique, je retiens sing. mḍrft, pl. mḍrf (comme ʿglmt, pl. ʿglm ; mḍlʿt, pl. mḍlʿ etc.), ce qui s’accorde mieux avec le « tout » de Ja 671+ 788. Pour le sens, j’opte pour « vanne, partiteur ». 58. La signification précise de ʿglmt, pl. ʿglm, est discutée. Aux références anciennes de Sadd Maʾrib 3 (CIH 540) / 14, 16, 61‑62, 75, 78, ajouter MQ-Ḥarīr 1 / 2 et DAI-Jabal Balaq al‑Qiblī 1 / 3. Ce terme désigne un dispositif qui existe en plusieurs exemplaires et qui peut être couvert d’enduit (Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 78-79) ; il ne reçoit pas de nom propre. Le Dictionnaire sabéen rend ʿglmt par « digue de diversion ? » ; quant à Walter W. Müller, il propose « Erddamm (als Tosbeckenfassung) » et, au pluriel, « (durch Dämme gebildeter) Hauptkanal » ou « Kanalwange » (2010, p. 135). Dans les dialectes arabes du Yémen, ʿijlama (variante ʿijrama), pl. ʿajālim, est un muret (pour le drainage, contre l’érosion), ou un mur bas, construit en pierres, pour dévier l’eau, pour l’orienter vers un champ (Piamenta 1990, s. v.). Nous supposons que les ʿglmt sont les murs et les levées de terre guidant l’eau vers les vannes ou dans les canaux (« murs de dérivation »).

« l’appel à l’aide de Sabaʾ | lui est parvenu après qu’|aient été détruits la Digue, ʿAwdān,| Khabashum et le partiteur | de Dhaʾfān au mois de juil|let de (l’année six cent cinquante)-sept »

Norbert Nebes considère que ḏʾf est un nom commun et traduit mḍrft ḏʾfn par « die Seitenmauern der Südschleuse »59. Pour Walter W. Müller, la signification serait plutôt « Hauptverteiler » (partiteur principal)60. L’énumération ʿwdn w-ʿrmn w-Ḏʾfn semble localiser Dhaʾfān du côté de l’Écluse septentrionale. Il en va de même de ʿrmn w-ʿwdn w-H̲bs²m w-mḍrft Ḏʾfn, qui ajoute une relation entre Dhaʾfān et Khabashum. Comme Walter W. Müller, je crois que ces deux passages mentionnent bien le partiteur qui distribue l’eau du grand canal de Khabashum entre les canaux secondaires qui irriguent l’oasis nord (figures 2, 9). Mais nos analyses divergent sur un point : pour Walter W. Müller, c’est le substantif ḏʾf qui signifierait « partiteur » alors que, selon moi, ce serait mḍrft. Il me paraît vraisemblable, en effet, que Dhaʾfān est un nom propre ou un quasi nom propre, comme ʿArimān, ʿAwdān et Khabashum. H̲bs²m, Khabashum61 Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 / 44, w-k-wṣḥ-hm42w ṣrẖm bn S¹bʾ k-43ṯbr ʿrmn w-ʿwdn 44 w-H̲bs²m w-mḍrft 45 Ḏʾfn b-wrẖ ḏ-mḏr46[ʾ]n ḏ-l-s¹bʿt, « l’appel à l’aide de Sabaʾ | lui est parvenu après qu’|aient été détruits la Digue, ʿAwdān,| Khabashum et le partiteur | de Dhaʾfān au mois de juil|let de (l’année six cent cinquante)-sept » Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 / 113 : w-k-ḏ-w104zʾw b-qdm ʿwdn q105s²bnm ḏ-tqhw b-ʾs²106ʿbn ... w-ḥrrw 111 ʿrmn w-ms¹rhw w-s²112ṣn-hw w-hqs²bw ḏhb 113 H̲bs²m ḡyr ʾqdmn w114nmry Mflgm, « il a | ajouté, en avant de ʿAwdān, | Qishbānum qu’il a entièrement construit avec les | communes ... Il a relevé | la Digue, aussi bien le remblai de terre que 59. Nebes 2005, p. 365. 60. Müller 2010, p. 153. 61. La vocalisation Khabashum se fonde sur celle du wādī Khabash, tributaire du wādī Madhāb dans la région d’al‑Maṭamma (Jawf) (al‑Maqḥafī 2002, p. 560). Le verbe arabe khabasha signifie « ramasser de tous côtés ».

26 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

Figure 8 ‒ L’Écluse septentrionale avec le déversoir au premier plan et le départ du canal irriguant la partie nord de l’oasis. [Cliché : C. J. Robin, 1975]

Figure 9 ‒ L’Écluse septentrionale avec le déversoir au premier plan et le départ du canal irriguant la partie nord de l’oasis, après les travaux allemands. Les noms des diverses parties de cette Écluse (appelée Maʿqamān) sont reportés sur ce cliché. Noter aussi le départ de la massive levée de terre qui barrait le fleuve Adhanat, à droite (ʿArimān). [Cliché C. J. Robin, 2004]

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 27 le revête|ment ; il a remis en état le grand canal de | Khabashum sauf la partie initiale et | le déversoir de Maflagum »

Norbert Nebes considère qu’il s’agit d’un nom propre62 ; Walter W. Müller parvient à la même conclusion et commente « Name eines Teils der Südanlage des Staudammes von Mārib »63. Khabashum est vraisemblablement la zone du grand canal partant de l’Écluse septentrionale (figures 3, 9). On observera tout d’abord que Khabashum est une « vallée » (s¹r) dans Ja 851 / 5 (...]ʾs¹rr-hmw Ys¹rn w-Hbs²m[..., où il faut certainement corriger Hbs²m en H̲bs²m) et Sharaf 8 / 3 (copie apparemment composite dans laquelle on retrouve ʾs¹rr Mryb Ys¹rn w-H̲bs²m, « les vallées de Maryab, Yasrān et Khabashum »)64. Par ailleurs Khabashum est utilisé comme déterminant pour qualifier un « canal » (ḏhb) : voir ci-dessus, la seconde occurrence. Il est possible que Khabashum ait nommé également le grand canal lui-même, tout comme Yasrān désigne à la fois un périmètre irrigué et le canal qui l’arrose (voir la notice consacrée à Yasrān, ci-dessous p. 28). Mʿqmn, Maʿqamān Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 15-16 : w-ʿḏbw 14 ʿglmtn t-15bs²nf Mʿ(q)16mn w-kʾbt Ḡyln t-s³n ʿglm17tn w-Ḡyln hwr-hw w-kʾbtn 18 t-bn Ḡyln w-Mflgm w-kʾbt M19flgm t-s³n nmryn w-hwr Mfl20[g]m w-nmryn ḏ-qdm ʿrmn, « il a réparé | le mur de dérivation | à côté de Maʿqa|mān, la pile de Ghaylān contre le mur de dériva|tion, Ghaylān – son exutoire –, la pile | qui se trouve entre Ghaylān et Maflagum, la pile de Ma|flagum qui est contre le déversoir, l’exutoire de Mafla|gum et le déversoir qui est en avant de la Digue »

Ce texte mentionne manifestement les deux ouvertures (hwr) de l’Écluse septentrionale, appelées Ghaylān et Maflagum, ainsi que les trois piles (kʾbt) qui encadrent ces ouvertures. Ces piles, en allant du sud au nord, sont appelées : 1. « La pile de Ghaylān » (kʾbt Ḡyln), mais aussi « la pile Ghaylān » (kʾbtn Ḡyln dans Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 26) : Ghaylān est donc aussi bien le nom de l’exutoire méridional que celui de la pile qui le flanque au sud. 2. « La pile qui se trouve entre Ghaylān et Maflagum ». 3. « La pile de Maflagum » (kʾbt Mflgm) ; le nom de l’exutoire Maflagum sert d’identifiant non seulement

62. Nebes 2005, p. 365. 63. Müller 2010, p. 173. 64. Voir aussi MQ-Maʾrib 1 / 3-4 où ce toponyme est partiellement restitué (…H̲]|bs²m w-Rymn …).

pour cette pile, mais aussi pour le nmry que nous comprenons comme le « déversoir » qui s’appuie sur cette pile (voir Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 / 114) (figures 3, 9). ʿglmtn désigne apparemment le massif qui se trouve entre Ghaylān et le mur de retenue de la Digue (figure 9). L’identification de Ghaylān avec l’exutoire méridional et avec la pile qui le flanque au sud s’accorde bien avec Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 24-27 : w-ʿḏbw 25 ʿwdn ḏ-mbrʾn w-gyrn ḏ-s³n wdyn gzʾn 26 ḏ-b-qdm kʾbtn Ḡyln w-qdm ḏhbn Ys¹27rn, « il a réparé | ʿAwdān – aussi bien la maçonnerie que l’enduit – le long du wādī, (c’està-dire) la partie | qui fait face à la pile Ghaylān et se trouve au début du canal Yas|rān ». Sadd Maʾrib 4 = DAI GDN 2002-20 / 36 : w-k-kl tl32wn ms³nd-h33mw w-mqḥ-hm34[w] b-(R)[ḥbm w-]35b-ʿrn w-qdm 36 Mʿqm[n] wrẖ-37hw ḏ-ḥltn, « voici que l’achèvement | complet de son inscription | et de son intervention | à (Ra)[ḥbum,]| sur la montagne et en avant de | Maʿqamān (eut lieu) au mois | dhu-ḥillatān »

Nous faisons l’hypothèse que les interventions « sur la montagne et en avant de | Maʿqamān » sont une première ébauche de celles que Sadd Maʾrib 5 = CIH 541 / 110-114 décrit de façon un peu plus détaillée : « Il a relevé | la Digue, aussi bien le remblai de terre que le revête|ment ; il a remis en état le grand canal de | Khabashum sauf la partie initiale et | le déversoir65 de Maflagum ». Walter W. Müller analyse mʿqm comme un substantif, « Auslassschwelle » (exutoire)66. À mon avis, c’est plutôt un nom propre qui est un bon candidat pour désigner l’Écluse septentrionale au sens étroit, à savoir les deux exutoires et les piles qui les encadrent. Mḏʾbn, Madhʾabān67 Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 10, w-ʿḏbw Mḏʾbn bn s¹fl-hw 11 w-ẓr-hw mbrʾm grbm w-lbtm 12 w-ʾzyym frznm w-brrm mh13bḏlm b-lbt ʾzyyn, « il a réparé Madhʾabān depuis sa base | et le roc, construisant avec des pierres de taille, des monolithes,| des tenons en fer et des blocs li|és aux monolithes par les tenons »

65. Le substantif nmry qui est toujours au singulier semble être un dispositif dont la Digue ne présente qu’un unique exemple. Walter W. Müller (2010, p. 191) le rend par « (Wasser)auslass ». 66. Müller 2010, p. 139. 67. L’arabe madhʾaba signifie « pays qui abonde en loups ».

28 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

Comme les détails sur la construction l’indiquent, Madhʾabān est une structure puissante, susceptible de résister à la violence des inondations. Sa localisation est inconnue : aucune relation n’est établie avec un autre élément de la Digue. Tout au plus peut-on observer que sa réparation est mentionnée entre celle de la Digue (ʿrmn) et celle des exutoires de l’Écluse septentrionale (voir Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 13-21, examiné ci-dessus à propos de Maʿqamān). Si on accepte les identifications que nous avons déjà faites, la seule structure qui n’a pas encore été évoquée est le long mur qui flanque au nord le grand canal de Khabashum. De manière très hypothétique, nous identifions Madhʾabān avec cette puissante structure. Walter W. Müller reconnaît dans mḏʾb un substantif qui signifierait « Tosbecken »68. Nous faisons l’hypothèse que c’est un nom propre, sans plus de certitude. En résumé, nous supposons qu’il n’existe pas de nom pour l’Écluse septentrionale prise comme un tout, mais deux : a. Maʿqamān, qui serait le nom de l’Écluse au sens restreint, à savoir les trois piles qui encadrent les deux exutoires (Ghaylān et Maflagum) ; b. Madhʾabān, qui serait le nom du long mur flanquant le grand canal de Khabashum au nord. Quant aux trois autres noms propres examinés, ce serait un toponyme (ʿAbrān), le nom de la zone du grand canal (Khabashum) et le nom du grand partiteur (Dhaʾfān).

E. Récapitulatif des hypothèses toponymiques

Il subsiste cependant une difficulté : le dispositif hydraulique (nommé par les archéologues allemands Bau B) qui se trouve dans le lit du wādī Dhana à près de 2 km en aval de l’Écluse méridionale (et donc proche de la rive droite) (figure 2) s’appellait également Abyan (ʾbyn)69. Walter W. Müller résout la difficulté en distinguant deux Abyan, le périmètre irrigué de la rive gauche et le dispositif hydraulique de la rive droite, mais il faut garder à l’esprit que la localisation de ce périmètre irrigué n’est pas parfaitement sûre. Les mentions de Abyan se trouvent dans DAI Ṣirwāḥ 12 / 2005 / 1 ; RES 3943 / 5 ; RES 3946 / 6 et 6 ; CIH 611 / 3-4 ; RES 4815 / 3 ; RES 3911 / 4 (ʾbyn ḏ-Rymm), RES 4775 / 2. ʿrmn, ʿArimān, la Digue Le substantif ʿrm, à vocaliser probablement ʿarim, désigne la longue et massive levée de terre entre les deux écluses, mais aussi l’ensemble du dispositif. Il fonctionne comme un nom propre, ʿArimān, la Digue, ou (une fois) ʿArim Marib, la Digue de Marib (figure 3 et ci-dessus, p. 7). ʿwdn, ʿAwdān Nom commun, utilisé comme un nom propre, désignant la longue muraille qui flanque le grand canal partant de l’Écluse méridionale. Cette muraille est également appelée une fois le ʿAwd de Raḥbum (« Raḥbum – tout son ʿAwd – »). ʿAwdān nomme aussi l’ensemble de l’Écluse méridionale (figure 3 et cidessus, p. 22). Ḏʾfn, Dhaʾfān

Diverses hypothèses d’identification et de localisation viennent d’être proposées. Elles s’articulent avec des identifications plus anciennes. Il n’est pas inutile de récapituler l’ensemble et de le reporter sur un plan (figures 2, 3, 9), afin de faciliter la discussion et de susciter de nouvelles propositions.

Nom vraisemblable du partiteur qui distribue l’eau du grand canal de Khabashum entre les canaux secondaires de l’oasis nord (voir figure 2 et ci-dessus, p. 23).

ʾbyn, Abyan

Nom de l’exutoire sud aménagé dans l’Écluse septentrionale (voir figure 3 et ci-dessus, la notice consacrée à Mʿqmn, p. 25).

Nom de la partie de l’oasis de Maʾrib qui s’étendait sur la rive gauche du wādī Dhana (l’antique Adhanat) et était irriguée par l’Écluse septentrionale (figure 2). Cette identification se fonde sur la localisation de Yasrān (Ys¹rn) et sur la symétrie que suggèrent les mentions conjointes de Yasrān et Abyan.

68. Müller 2010, p. 153.

Ḡyln, Ghaylān

H̲bs²m, Khabashum Nom de la zone que parcourt le grand canal partant de l’Écluse septentrionale (voir figures 3, 9 et ci-dessus, p. 23-25).

69. Id. 1986.

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 29

Ḥbbḍ, Ḥabābiḍ70

Qs²bnm, Qishbānum

Nom de la prise d’eau (AS1) creusée dans le rocher, entre le Pylône d’Abraha et le jabal Balaq al‑Awsaṭ. Sa localisation précise est connue grâce à deux inscriptions identiques in situ, gravées de chaque côté de la tranchée sur la paroi rocheuse (voir figure 3). Ces deux inscriptions ont reçu le même sigle, Sadd Maʾrib 2 = CIH 622 (c. vie s. av. è. chr.) :

Nom du Pylône construit par Abraha en amont de ʿAwdān (figures 2-6 et ci-dessus p. 18-22).

Yṯʿʾmr Byn bn S¹mhʿly Ynf mkrb Ḥbbḍ mnẖy Ys¹rn

2

S¹bʾ mẖḍ blq mʾẖḏn

« Yathaʿʾamar Bayān fils de Sumhūʿalī Yanūf mukarrib | de Sabaʾ a creusé dans le Balaq la prise d’eau Ḥabābiḍ pour irriguer Yasrān »

Dans ce texte, Blq est probablement le nom de la montagne sur le flanc de laquelle la prise d’eau est aménagée. Cette montagne est appelée aujourd’hui Jabal Balaq al‑Ayman (ou al‑Awsaṭ) au sud du wādī Dhana et Jabal Balaq al‑Aysar (ou al‑Qiblī) au nord71. Blq est également attesté comme substantif avec le sens de « calcaire ». Le mukarrib Yathaʿʾamar Bayān est le fils du mukarrib Sumhūʿalī Yanūf qui a creusé Raḥbum. On peut donc supposer que l’aménagement de Ḥabābiḍ est postérieur (peut-être d’une génération) à celui de Raḥbum. Ḥabābiḍ est également mentionné à deux reprises avec Raḥbum dans RES 3943 / 5 et Ja 671 + 788 / 11 et 12 (textes cités ci-dessous dans la notice consacrée à Rḥbm). Mʿ(q)mn Ce pourrait être le nom de l’Écluse septentrionale au sens étroit, à savoir des deux exutoires et des piles qui les encadrent (voir figures 3, 9 et ci-dessus, p. 25). Mḏʾbn, Madhʾabān De manière très hypothétique, ce pourrait être le long mur qui flanque au nord le grand canal de Khabashum (voir figures 3, 9 et ci-dessus, p. 25-26). Mflgm, Maflagum Nom de l’exutoire nord aménagé dans l’Écluse septentrionale (voir figures 3, 9 et ci-dessus, la notice consacrée à Mʿqmn, p. 25).

70. La vocalisation s’inspire de celle du wādī Ḥabābiḍ, affluent du wādī Dhana (al‑Maqḥafī 2002, p. 401-402). L’arabe ḥabbaḍa signifie « secourir quelqu’un, le soulager dans sa détresse ». 71. al‑Maqḥafī 2002, p. 194-195.

Rḥbm, Raḥbum Nom de la prise d’eau (AS4) creusée dans le rocher, constituant aujourd’hui la branche nord du canal en forme de Y à l’intérieur de l’Écluse méridionale. Sa localisation précise est connue grâce à deux inscriptions identiques in situ, gravées de chaque côté de la tranchée sur la paroi rocheuse (voir figure 3). Ces deux inscriptions ont reçu le même sigle, Sadd Maʾrib 1 = CIH 623 (c. vie s. av. è. chr.) : S¹mhʿly Ynf bn Ḏmrʿly mkrb S¹bʾ 2 mẖḍ Blq mʾẖḏn Rḥbm mnẖy Ys¹rn, « Sumhūʿalī Yanūf fils de Dhamarʿalī mukarrib de Sabaʾ a creusé dans le Balaq la prise d’eau Raḥbum72 pour irriguer Yasrān »

Le mukarrib Sumhūʿalī Yanūf est le père du mukarrib Yathaʿʾamar Bayān qui a aménagé Ḥabābiḍ. On peut donc en déduire que le creusement de Raḥbum a précédé (peut-être d’une génération) celui de Ḥabābiḍ. Le nom de Raḥbum apparaît dans cinq autres textes : RES 3943 / 5 (c. vie s. av. è. chr.), ... w-ywm mẖḍ Blq mʾẖḏn Ḥbḍḍ (lire : Ḥbbḍ) w-mẖḍ B(l)q mzf mʾẖḏn Rḥbm ḏ-ns¹r Blq mnẖy Ys¹rn, « quand il a creusé dans le Balaq la prise d’eau Ḥabābiḍ et creusé dans le Balaq la canalisation de la prise d’eau Raḥbum le long du Balaq pour irriguer Yasrān »

Le nom de l’auteur de ce texte a disparu. Il pourrait s’agir du mukarrib Yathaʿʾamar Bayān fils de Sumhūʿalī Yanūf, puique le texte évoque non seulement Raḥbum (aménagé par Sumhūʿalī Yanūf), mais aussi Ḥabābiḍ (aménagé par Yathaʿʾamar Bayān). Ja 671 + 788 / 11 et 13 (c. 370) : b-kn wqh-hw mrʾ-8hmw Ṯʾrn Yhnʿm w-bn-hw Mlkk9rb Yʾmn mlky S¹bʾ w-ḏ-Rydn w-Ḥ10ḍrmt w-Ymnt l-qtdmn ẖms¹n b-ʿrbn 11 b-kn ṯbrt ʿrmn b-Ḥbbḍ w-Rḥbm 12 w-ṯbr kl mḍrfn ḏ-bynn Ḥbbḍ w-13Rḥbm w-ṯbr bn ʿrmn s¹bʿy s²wḥ14ṭm, « quand lui a ordonné leur seign|eur Thaʾrān Yuhanʿim et son fils Malkīka|rib Yuʾmin rois de Sabaʾ, dhu-Raydān, Ḥa|ḍramōt et Yamnat de prendre le commandement de l’armée avec les Arabes,| quand s’était rompue la Digue à Ḥabābiḍ et Raḥbum, | que s’étaient rompues toutes les vannes entre Ḥabābiḍ et | Raḥbum et que s’étaient rompu sur la Digue soixante-dix s²wḥṭt »

72. L’arabe raḥb signifie « vaste, spacieux ».

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Ce texte offre un exemple de ʿArimān désignant aussi bien l’ensemble de la Digue (« quand s’était rompue la Digue à Ḥabābiḍ et Raḥbum ») que la levée de terre entre les deux écluses. Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 6-7 : ʿḏbw ʿrmn bn qrb Rḥ7bm ʿdy wṣḥw qdm ʿbrn, « il a réparé la Digue depuis les abords de Raḥ|bum jusqu’à ce qu’il parvienne devant ʿAbrān » Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 80 : w-k-lmdw kl ʿglmn w-nmryn w-ʿ79wdn b-gyrm ṣlw-hmw w-ʾrʾs¹-hmw 80 w-kʾbty Rḥbm, « quand il a recouvert tous les murs de dérivation, le déversoire et | ʿAwdān avec de l’enduit, aussi bien la face amont et que les parties supérieures | et les deux piles de Raḥbum » ẒM 1 A / 11, 12 : ʿḏbw ʿm-hw 11 ʿrmn ḏ-b-Mrb ms¹rm w-s²ṣnm w-brʾw Rḥbm kl ʿwd-hw w-hqs²bw rzḥm 12 s¹fl ʿrmn b-ʿwdn b-ẖrfm ʾḥd, « il a réparé avec cela | la Digue qui est à Marib – le remblai de terre et le revêtement –, a (re)bâti Raḥbum – tout son ʿAwd – et a fait de neuf des contreforts73 | en aval de la Digue dans ʿAwdān, (tout cela) en une seule année »

Dans ce texte, qui résume très brièvement Sadd Maʾrib 3 = CIH 540, la muraille de l’Écluse méridionale n’est pas appelée ʿAwdān, mais « Raḥbum (tout son ʿAwd) » ou si l’on préfère « tout le ʿAwd de Raḥbum ». Le dispositif appelé rzḥ est sans doute mentionné dans Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 sous un autre nom. De manière hypothétique, je l’identifierai avec l’opération décrite aux lignes 24-27 : w-ʿḏbw 25 ʿwdn ḏ-mbrʾn w-gyrn ḏ-s³n wdyn gzʾn 26 ḏ-b-qdm kʾbtn Ḡyln w-qdm ḏhbn Ys¹27rn, « il a réparé | ʿAwdān – aussi bien la maçonnerie que l’enduit – le long du wādī, (c’est-à-dire) la partie | qui fait face à la pile Ghaylān et se trouve au début du canal Yas|rān ».

73. Ce mot peut être lu rtḥm (Müller 2010, « Steinanker, Stütze ») ou rzḥm (Dictionnaire sabéen, « bassin de décantation ? »). C’est sa seule attestation en sabaʾique. Dans les dialectes du Yémen, le verbe rataḥa signifie « tenir, supporter, étayer » (to hold, prop back) et le verbe razaḥa « soutenir » (to support) ; voir aussi razḥ, « support » et « marzaḥ », « rondin disposé en diagonale pour verrouiller une porte de l’intérieur » (Piamenta 1990, s. v.). Nous retenons la lecture rzḥ parce que la racine RZḤ semble plus productive. Le substantif rzḥ, si on se fonde sur l’observation archéologique, pourrait signifier « contrefort » ou « surélévation ». Nous retenons le premier sens qui s’accorde mieux avec le texte de Sadd Maʾrib 3 = CIH 540.

Sadd Maʾrib 4 = DAI GDN 2002-20 /34 : w-k-kl tl32wn ms³nd-h33mw w-mqḥ-hm34[w] b-(R)[ḥbm w-]35b-ʿrn w-qdm 36 Mʿqm[n] wrẖ-37hw ḏ-ḥltn, « voici que l’achèvement | complet de son inscription | et de son intervention | à (Ra)[ḥbum,]| sur la montagne et en avant de | Maʿqamān (eut lieu) au mois | dhu-ḥillatān »

Ys¹rn, Yasrān Nom de la partie de l’oasis de Maʾrib qui s’étendait sur la rive droite du wādī Dhana (l’antique Adhanat) et était irriguée par l’Écluse méridionale (figure 3). Cette identification se fonde sur les inscriptions Sadd Maʾrib 1 et 2 (CIH 623 et 622), citées ci-dessus à propos de Raḥbum et Ḥabābiḍ. C’est aussi le nom du grand canal qui irrigue cette zone : voir Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 26-27 (ḏhbn Ys¹27rn). Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 23 : w-ʿḏbw ʿwd 23 Ys¹rn ms¹rm w-s²ṣnm bn s¹fl-hw ʿdy 24 hs²qr-hw ḏ-bn mbrʾn w-qdm ʿrmn, « et il a réparé le ʿAwd | de Yasrān – le remblai de terre et le revêtement – de sa base à | son sommet, entre la maçonnerie et le début de la Digue ».

Voir également CIH 457 / 19 (?) ; RES 3943 / 5 (cité ci-dessus, p. 27) ; RES 3946 / 6, 6, 6, 6 et 7 ; RES 4793 ; RES 5096 / 2 ; Fa 70 / 3 ; Ja 550 / 1 et 1 ; Ja 555 / 3 ; Ja 851 / 5 (...]ʾs¹rr-hmw Ys¹rn w-Hbs²m[..., où il faut certainement corriger Hbs²m en H̲bs²m) ; Sharaf 6 / 1 et 2 ; Sharaf 8 / 3 (copie apparemment composite dans laquelle on retrouve ʾs¹rr Mryb Ys¹rn w-H̲bs²m).

F. Sadd Maʾrib 6 (= Ja 547 + 546 + 544 + 545) : une réédition (figures 10‑17) Pour terminer, je joins une réédition de l’inscription Ja 547 + 546 + 544 + 545 que son inventeur, Albert Jamme, avait publiée sans la moindre photographie. Bibliographie : - Édition première : voir Jamme 1955, p. 265-266, 275-279, 280-281 et pl. II (fac-similé) ; - Bibliographie intermédiaire : Kitchen 2000, p. 277278 ; - En dernier lieu : Müller 2010, p. 120-121 qui adopte deux corrections à la lecture de Jamme proposées précédemment, ʾʿrbn S¹fln (l. 5-6 ; voir Robin 1988, p. 96) et ks³ḥm (l. 13 ; voir Sima 2004, p. 30). Pendant près de 50 ans, la localisation précise de ce texte avait été perdue. Il est vrai que Jamme le situait en se référant au pilier Sadd Maʾrib 5 (CIH 541) qui avait été déplacé entretemps : « sur une paroi

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 31

Figure 10 ‒ Le site de l’inscription Sadd Maʾrib 6 (= Ja 547 + 546 + 544 + 545). On reconnaît à l’arrière-plan l’Écluse septentrionale et le départ de la levée de terre. [Cliché : C. J. Robin]

verticale orientée vers le Sud ; dans la montagne, à 200 m environ au Nord-Ouest de la grande inscription de ʾAbraha »74. Finalement, c’est Burkhard Vogt qui a retrouvé ce texte au début des années 2000, lors des importants travaux de nettoyage et de restauration qu’il a dirigés sur l’Écluse septentrionale75. Il a eu l’amabilité de me signaler sa découverte et de me confier ses photographies. Qu’il trouve ici l’expression de ma gratitude. L’inscription, que j’ai pu examiner à mon tour en février 2008, est gravée sur la tranche d’une croupe rocheuse en bordure d’une ravine, à quelque 200-300 m au sud-ouest de l’Écluse septentrionale (figures 1011). Elle se compose de quatre parties numérotées de A à D, disposées de manière peu logique : B A



D

C

A [Ja 547] (figures 11, 16)75

1 2 3 4 5

Rbbm w-ʾfʿ ḏy Ms²ʿrn w-ʾs¹= dm ḏ-Ḏnmm ʾqdm w-kbwr s²ʿb ḏ-Hmdn w-mẖdr-h= mw Trym w-k-ms¹rw b-ʿrm Mrb b-ʿm< >s²ʿby-hmw Ḥs²dm w-Bklm w- = l. 5, le trait de séparation entre b-ʿm et s²ʿby-hmw est coupé par un segment horizontal qui lui donne l’apparence d’une croix l. 5-6, sur le rocher : w-S¹|wrbn 6 rbn S¹fln w-Ṣdn w-ʾẓrfn

B [Ja 546, au-dessus de Ja 547] (figures 13, 17)

7 8 9 10

w-ʿl-s¹m Rḥmnn mrʾ S¹myn w-ʾrḍ= n w-b-rdʾ mrʾ-hmw mlkn ʾbrh mlk S¹bʾw ḏ-Rdn w-Ḥḍrmt w-Ymnt w-ʾʿrb-hmw Ṭdm w-Thmt Rmḥs³ ʿl-s¹m Rḥmnn mlkn croix

C [Ja 544, à droite de Ja 545] (figure 15)

Le texte de D est entouré à droite, en haut et à gauche par un double trait aux segments quelque peu sinueux, qui pourrait évoquer un serpent (voir le fac-similé figure 12).

11 12 13 14

74. Jamme 1955, p. 275.

75. Vogt 2003, 2004a, 2004b, 2004c ; Vogt et al. 2003.

w-b-rdʾ ʾmrʾ-hmw ʿbt w-Nmrn/ w-Mrṯdʾl ʾlt Hmdn w-S¹ʾrn l-ẖmr-hmw ḥywm ks³ḥm croix w-mrḍytm l-Rḥmnn croix

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Figure 11 ‒ Vue d’ensemble de l’inscription Sadd Maʾrib 6 (= Ja 547 + 546 + 544 + 545). [Cliché : B. Vogt]

Figure 12 ‒ Fac-similé de l’inscription Sadd Maʾrib 6 (= Ja 547 + 546 + 544 + 545). [Dessin : D. Ky]

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 33

Figure 13 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib 6 (= Ja 546). [Cliché : B. Vogt]

Figure 14 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib 6 (= Ja 545). [Cliché : B. Vogt]

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Figure 15 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib 6 (= Ja 544). [Cliché : B. Vogt]

Figure 16 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib 6 (= Ja 547), détail. [Cliché : B. Vogt]

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 35

Figure 17 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib 6 (= Ja 546) . [Cliché : C. J. Robin]

D [Ja 545, à droite de Ja 547] (figure 16) 15 16 17 18

b-wrẖ ḏ-mh= ltn ḏ-l-ṯmnt w-s¹ṯy w-s¹ṯ mʾt= m s¹lm w-s¹lm « Rabbum et Afʿā (du lignage) dhu-Mishʿārān et Asadum | (du lignage) dhu-Dhanamum, les commandants et les kabīrs | des communes de dhu-Hamdān et de leur campement | Trym, alors qu’ils apportaient de la terre sur la Digue de Marib | avec leurs communes Ḥāshidum, Bakīlum, les Arabes Su|flān, Ṣaddān et ʾẓrfn || Au nom de Raḥmanān, seigneur du Ciel et de la Terre, | et avec l’aide de leur seigneur, le roi Abraha, roi de Sabaʾ,| dhu-Rēdān, Ḥaḍramōt, Yamnat et leurs Arabes dans le Haut-Pays | et sur la Côte, Rmḥs³ au nom de Raḥmanān qui règne,|| et avec l’aide de leurs seigneurs ʿbt, Nimrān | et Marthadʾīlān (du lignage) dhu-Hamdān et Suʾrān | – Puissent-ils leur accorder une vie digne | et satisfaisante pour Raḥmanān. || Au mois de dhu-mah|latān (novembre) de l’année 668. Paix, paix ».

Ce texte commémore la participation de travailleurs envoyés par les communes de Ḥāshidum et Bakīlum, et de divers autres groupes, probablement arabes, à une remise en état de la levée de terre de la Digue. Ces travailleurs résidaient dans un campement provisoire qui a néanmoins reçu un nom propre, Trym. Ils venaient des Hautes-Terres au nord de Ṣanʿāʾ et peut-être du Jawf. Ils étaient commandés par des personnages subalternes et non par leurs princes (simplement invoqués l. 11-12) qui ne semblent pas s’être déplacés. La religion des chefs de ces travailleurs n’est pas aisément reconnaissable. Ils appellent Dieu : « Raḥmanān, seigneur du Ciel et de la Terre » (l. 7-8, Rḥmnn mrʾ S¹myn w-ʾrḍ|n) ou « Raḥmanān qui règne » (l. 10, Rḥmnn mlkn). Leur texte ne comporte aucune allusion au Fils ou au Saint-Esprit. On pourrait éprouver des doutes sur leur adhésion au christianisme – la religion du roi – s’ils n’avaient pas gravé ici et là le symbole de la croix. La formule finale s¹lm w-s¹lm, « paix et paix », est unique en Arabie méridionale avec cette graphie. Les inscriptions juives utilisent le terme « paix » avec la graphie s²lwm, shalôm, empruntée à l’hébreu.

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On a ici la graphie sabaʾique, qui semble préférée par les chrétiens. L’exclamation « paix » se trouve également en guèze sur quelques monnaies aksūmites chrétiennes, celle du roi Armaḥ au début du viie siècle (Munro-Hay 1999, p. 45-46, argent et bronze, et p. 26 pour la date). Quant à la formule « le nom de Raḥmanān » (s¹m Rḥmnn), elle reprend une expression aussi bien juive (CIH 543 = ẒM 772 A + B / 1, [b]rk w-tbrk s¹m Rḥmnn ḏ-bS¹myn, « que bénisse et soit béni le nom de Raḥmanān qui est au Ciel » ; CIH 539 / 4, ...] w-mrḍym l-s¹m Rḥmnn, « ...] et satisfaction pour le nom de Raḥmanān ... » ; Ry 520 / 8, wld8m ṣlḥm s¹bʾm l-s¹m-Rḥmnn, « des enfant|s en bonne santé, militants pour le nom de Raḥmānān ») que chrétienne (Ist. 7608 bis = RES 3904 / 16, ...]b-s¹m Rḥmnn w-bn-hw Krs³ts³ Ḡlbn [..., « …] au nom de Raḥmānān et de son fils, le Christ Vainqueur [… »). Introduite par ʿl / ʿly, on ne la trouve que dans une inscription juive, Ja 1028 / 12 (wtf w-s¹ṭr w-qdm ʿly s¹m Rḥmnn …, « A consigné, écrit et supervisé au nom de Raḥmānān... »). Graphie Elle présente de très nombreux caractères étonnants. - Le lapicide n’a pas utilisé de règle de sorte que les caractères ne sont pas alignés. Les lignes sont irrégulières, montent et descendent et parfois se chevauchent : voir notamment le début des lignes 5 et 6. - La taille des caractères varie du simple au double, y compris dans une même ligne : comparer par exemple le yāʾ et le mīm avec le hāʾ dans s²ʿby-hmw (l. 5), ou les lettres de la ligne 7. - Un même caractère peut présenter des formes très différentes : comparer les nūn de Rḥmnn et celui de S¹myn (l. 7). - Certains caractères peuvent être dessinés soit avec un trait simple soit avec un trait double. Parmi eux, quelques-uns combinent les deux possibilités. - Le lapicide a plusieurs fois confondu un signe avec un autre : voir le trait de séparation entre bʿm et s²ʿby-hmw dessiné comme une croix (l. 5) ; ou S¹|wrbn à corriger probablement en ʾ|ʿrbn (l. 5-6). - Une lettre présente une forme inédite : voir le premier ḏ de ḏ-Ḏnmm (et peut-être le second) auquel on a ajouté une barre horizontale en dessous des deux barres inclinées (figure 16). - Certains caractères sont déformés au point d’être méconnaissables : voir le mīm de Bklm (l. 5) ; le yāʾ de Ymnt (l. 9) ou de w-s¹ṯy (l. 17) ; le lām de w-s¹lm (l. 18). Pour toutes ces raisons, il est manifeste que le lapicide qui a gravé le texte ne savait pas lire. Caractères dessinés avec un double trait (les nombres renvoient aux lignes) :

1 (w-ʾfʿ) 1 (deux fois dans Rbbm) 2 (w-ʾs¹|dm) 1 (ḏy), 2 (deux fois dans ḏ-Ḏnmm) (double trait pour la hampe qui est coupée par le simple trait d’un cercle complet ; cette forme se confond avec celle du qāf) : 6 (S¹fln), 6 (w-ʾẓrfn) fāʾ (double trait pour la hampe qui présente à mi-hauteur une double courbure esquissant un cercle incomplet ; la forme se confond avec celle du qāf) : 1 (w-ʾfʿ) lām (hampe à double trait avec un appendice en forme de triangle) : 7 (w-ʿl-s¹m), 13 (l-ẖmr-hmw) mīm : 1 (Rbbm), 2 (w-ʾs¹|dm) nūn : 2 (ḏ-Ḏnmm), 3 (ḏ-Hmdn), 6 (w-S¹|wrbn), 6 (w-Ṣdn), 6 (w-ʾẓrfn), 7 (deux fois dans Rḥmnn), 7 (S¹myn), 8 (w-ʾrḍ|n) nūn (double trait pour la hampe supérieure et double trait dédoublé pour la hampe inférieure) : 1 (Ms²ʿrn) qāf (simple trait pour la hampe supérieure et le cercle, mais double trait pour la hampe inférieure ; la forme se confond avec celle du fāʾ) : 2 (ʾqdm) rāʾ (de forme serpentine, avec les extrémités faisant retour vers l’arrière) : 1 (Rbbm), 1 (Ms²ʿrn) wāw : 1 (w-ʾf ʿ : le wāw est dessiné ici sans barre verticale, comme un ʿayn à double trait) ; 1 (w-ʾs¹|dm) yāʾ (double trait pour le cercle et double trait dédoublé pour la hampe) : 1 (ḏy) yāʾ (double trait pour la hampe et simple trait pour le cercle) : 4 (Trym), 5 (s²ʿby-hmw), 7 (S¹myn), 9 (w-Ymnt), 13 (ḥywm), 14 (w-mrḍytm), 17 (w-sṯy) alif : bāʾ : dāl : dhāl : fāʾ

Trait de séparation : 5 dans le texte A Manquent : ʿayn, ḍāḍ, gīm, hāʾ, khāʾ, ḥāʾ, kāf, sīn, shīn, s³, ṣād, tāʾ, thāʾ, ṭāʾ, zāʾ, ẓāʾ. Caractères dessinés avec un trait simple : alif : 1 (w-ʾs¹|dm), 2 (ʾqdm), 6 (w-ʾẓrfn), 7 (mrʾ), 7 (w-ʾrḍ|n), 8 (w-b-rdʾ), 8 (mrʾ-hmw), 8 (ʾbrh), 8 (S¹bʾ), 9 (w-ʾʿrbhmw), 11 (w-b-rdʾ), 11 (deux fois dans ʾmrʾ-hmw), 12 (w-Mrṯdʾl), 12 (ʾlt), 12 (w-S¹ʾrn), 17 (mʾt|m) ʿayn : 1 (w-ʾfʿ), 1 (Ms²ʿrn) , 3 (s²ʿb), 4 (b-ʿrm), 5 (b-ʿm), 5 (s²ʿby-hmw), 7 (w-ʿl-s¹m), 9 (w-ʾʿrb-hmw), 10 (ʿl-s¹m), 11 (ʿbt) bāʾ : 3 (s²ʿb), 4 (b-ʿrm), 4 (Mrb), 5 (b-ʿm), 5 (s²ʿby-hmw), 5 (w-Bklm), 6 (w-S¹|wrbn), 8 (w-b-rdʾ), 8 (ʾbrh), 8 (S¹bʾ), 9 (w-ʾʿrb-hmw), 11 (w-b-rdʾ), 11 (ʿbt), 15 (b-wrẖ) dāl : 2 (ʾqdm), 3 (w-mẖdr-h|mw), 5 (Ḥs²dm), 6 (w-Ṣdn), 8 (w-b-rdʾ), 9 (w-|ḏ-Rdn), 9 (Ṭdm), 11 (w-b-rdʾ), 12 (w-Mrṯdʾl), 12 (Hmdn) dhāl : 3 (ḏ-Hmdn), 9 (w-|ḏ-Rdn), 15 (ḏ-mh|ltn), 16 (ḏ-l-ṯmnt) ḍād : 7 (w-ʾrḍ|n), 9 (w-Ḥḍrmt), 14 (w-mrḍytm)

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 37

hāʾ : 3 (ḏ-Hmdn), 3 (w-mẖdr-h|mw), 5 (s²ʿby-hmw), 8 (mrʾ-hmw), 8 (ʾbrh), 9 (w-ʾʿrb-hmw), 10 (w-Thmt), 11 (ʾmrʾ-hmw), 12 (Hmdn), 13 (l-ẖmr-hmw), 15 (ḏ-mh|ltn) khāʾ : 3 (w-mẖdr-h|mw), 13 (l-ẖmr-hmw), 15 (b-wrẖ) ḥāʾ : 5 (Ḥs²dm), 7 (Rḥmnn), 9 (w-Ḥḍrmt), 10 (Rmḥṣ³), 10 (Rḥmnn), 13 (ḥywm), 13 (ks³ḥm), 14 (l-Rḥmnn) kāf (avec l’appendice courbé qui part du milieu du segment horizontal et s’incline vers la gauche) : 2 (w-kbwr), 4 (w-k-ms¹rw), 5 (w-Bklm), 8 (mlkn), 8 (mlk) kāf (avec un appendice rectiligne qui part du milieu du segment horizontal et est incliné vers la gauche) : 10 (mlkn) kāf (avec un appendice en angle droit qui part du milieu du segment horizontal et est orienté vers la gauche) : 13 (ks³ḥm) lām (avec appendice en forme de triangle) : 5 (w-Bklm), 6 (S¹fln), 8 (mlkn), 8 (mlk), 10 (ʿl-s¹m), 10 (mlkn), 12 (w-Mrṯdʾl), 12 (ʾlt), 13 (l-ẖmr-hmw), 14 (l-Rḥmnn), 16 (ḏ-mh|ltn), 16 (ḏ-l-ṯmnt), 18 (s¹lm), 18 (w-s¹lm) mīm : 1 (Ms²ʿrn), 2 (ʾqdm), 3 (ḏ-Hmdn), 4 (w-mẖdr-h|mw), 4 (Trym), 4 (w-k-ms¹rw), 4 (b-ʿrm), 4 (Mrb), 5 (b-ʿm), 5 (s²ʿby-hmw), 5 (Ḥs²dm), 5 (w-Bklm), 7 (w-ʿl-s¹m), 7 (Rḥmnn), 7 (mrʾ), 7 (S¹myn), 8 (deux fois dans mrʾ-hmw), 8 (mlkn), 8 (mlk), 9 (w-Ḥḍrmt), 9 (w-Ymnt), 9 (w-ʾʿrb-hmw), 9 (Ṭdm), 10 (w-Thmt), 10 (Rmḥṣ³), 10 (ʿl-s¹m), 10 (Rḥmnn), 10 (mlkn), 11 (deux fois dans ʾmrʾhmw), 11 (w-Nmrn), 12 (w-Mrṯdʾl), 12 (Hmdn), 13 (deux fois dans l-ẖmr-hmw), 13 (ḥywm), 13 (ks³ḥm), 14 (deux fois dans w-mrḍytm), 14 (l-Rḥmnn), 15 (ḏ-mh|ltn), 16 (ḏ-l-ṯmnt), 1718 (deux fois dans mʾt|m), 18 (s¹lm), 18 (w-s¹lm) nūn : 8 (mlkn), 9 (w-|ḏ-Rdn), 9 (w-Ymnt), 10 (deux fois dans Rḥmnn), 10 (mlkn), 11 (deux fois dans w-Nmrn), 12 (Hmdn), 12 (w-S¹ʾrn), 14 (deux fois dans l-Rḥmnn), 16 (ḏ-mh|ltn), 16 (ḏ-l-ṯmnt) rāʾ (de forme serpentine, avec les extrémités faisant retour vers l’arrière) : 2 (w-kbwr), 3 (w-mẖdr-h| mw), 4 (Trym), 4 (w-k-ms¹rw), 4 (b-ʿrm), 4 (Mrb), 6 (w-S¹|wrbn), 6 (w-ʾẓrfn), 7 (Rḥmnn), 7 (mrʾ), 7 (w-ʾrḍ|n), 8 (w-b-rdʾ), 8 (mrʾ-hmw), 8 (ʾbrh), 9 (w-| ḏ-Rdn), 9 (w-Ḥḍrmt), 9 (w-ʾʿrb-hmw), 10 (Rmḥṣ³), 10 (Rḥmnn), 11 (w-b-rdʾ), 11 (ʾmrʾ-hmw), 11 (wNmrn), 12 (w-Mrṯdʾl), 12 (w-S¹ʾrn), 13 (l-ẖmr-hmw), 14 (w-mrḍytm), 14 (l-Rḥmnn), 15 (b-wrẖ) sīn : 1 (w-ʾs¹|dm), 5 (w-S¹|wrbn), 6 (S¹fln), 7 (w-ʿl-s¹m), 7 (S¹myn), 8 (S¹bʾ), 10 (ʿl-s¹m), 12 (w-S¹ʾrn), 17 (w-s¹ṯy), 17 (w-s¹ṯ), 18 (s¹lm), 18 (w-s¹lm) shīn : 1 (Ms²ʿrn), 3 (s²ʿb), 5 (s²ʿby-hmw), 5 (Ḥs²dm) s³ : 10 (Rmḥṣ³), 13 (ks³ḥm) ṣād : 6 (w-Ṣdn) tāʾ : 4 (Trym), 9 (w-Ḥḍrmt), 9 (w-Ymnt), 10 (deux fois dans w-Thmt), 11 (ʿbt), 12 (ʾlt), 14 (w-mrḍytm), 16 (ḏ-mh|ltn), 16 (ḏ-l-ṯmnt), 17 (mʾt|m)

thāʾ : 12 (w-Mrṯdʾl), 16 (ḏ-l-ṯmnt), 17 (w-s¹ṯy), 17 (w-s¹ṯ) ṭāʾ : 9 (Ṭdm) wāʾ : 2 (deux fois dans w-kbwr), 3 (w-mẖdr-h|mw), 4 (w-mẖdr-h|mw), 4 (deux fois dans w-k-ms¹rw), 5 (s²ʿby-hmw), 5 (w-Bklm), 5 (w-S¹|wrbn), 6 (w-S¹| wrbn), 6 (w-Ṣdn), 6 (w-ʾẓrfn), 7 (w-ʿl-s¹m), 7 (w-ʾrḍ|n), 8 (w-b-rdʾ), 8 (mrʾ-hmw), 8 (w-|ḏ-Rdn), 9 (w-Ḥḍrmt), 9 (w-Ymnt), 9 (deux fois dans w-ʾʿrb-hmw), 10 (w-Thmt), 11 (w-b-rdʾ), 11 (ʾmrʾ-hmw), 11 (wNmrn), 13 (l-ẖmr-hmw), 13 (ḥywm), 14 (w-mrḍytm), 15 (b-wrẖ), 17 (w-s¹ṯy), 17 (w-s¹ṯ), 18 (w-s¹lm) ẓāʾ : 6 (w-ʾẓrfn) Trait de séparation : 12 dans le texte A ; tous dans les textes B, C et D Croix verticale : l. 5 (entre b-ʿm et s²ʿby-hmw) ; fin de la ligne 14 Croix en forme de tāʾ : fin de la ligne 10 ; fin de la ligne 13 Manquent : fāʾ, gīm, qāf, yāʾ, ẓāʾ. Le texte Sadd Maʾrib-Vogt 5 (publié ci-dessous) qui est apparemment un exercice préparatoire de notre document, suggère que le lapicide a d’abord eu l’intention de graver les lettres en relief, ce qui expliquerait le double trait utilisé pour de nombreuses lettres au début, puis qu’il s’est ravisé, du fait de la complexité et de la longueur de la tâche. Commentaire philologique l. 1, Rbbm : voir l’arabe Rabīb (Caskel 1966-II, p. 483). Se reporter aussi à Sadd Maʾrib-Vogt 5 / 1 ci-dessous (...]/Trym mẖdr ḏ-Ms²ʿr Rbb). ʾfʿ : le fāʾ se présente comme un qāf. La lecture fāʾ paraît cependant assurée : comparer avec S¹fln, l. 6. Nom de personne, attesté dans Ry 547 / 1 avec un –w final : ... ḏʾ]t Ls2ms1 s1nt ṯntn S1lk mlkʾ ʾfʿw b(n)[... L’anthroponyme Afʿà qui signifie « vipère »76 est associé avec Najrān77. Dans les généalogies d’Ibn al‑Kalbī78, on relève un Afʿà b. Nabl79 et un al‑Afʿà b. al‑Ḥuṣayn80. La graphie ʾf ʿ illustre que le timbre /a/ en finale de mot n’a pas de transcription graphique régulière : comparer avec ʿl et ʿlh (arabe ʿUla) (Ry 506 / 4 et 509 / 10) ; Bd et Bdy (arabe Baddāʾ) (Ja 2110 / 9 et Ir 16 / 1 et 3) ; Ḥgy et Ḥgyt (arabe Ḥujayya) (Ry 512 / 1 et Ja 1031 a / 1) ; Abraha

76. Kopf 1960. 77. Robin 2010b, p. 59-61 78. Caskel 1966, vol. I. 79. Ibid., tabl. 290. 80. Ibid., tabl. 176.

38 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

écrit ʾbrh et non ʾbrhh (comme on l’attendrait si on se reporte au guèze Ella Aṣbəḥa transcrit ʾlʾbḥh dans Ist. 7608 bis = RÉS 3904 / 6) ; guèze Gdr (RIÉth 180) et sabaʾique Gdrt (CIH 308 / 11, 12 et 14), représentant sans doute *Gadara, etc. Walter W. Müller lit ʾqʿ et vocalise Awqaʿ81. ḏy Ms²ʿrn : grand lignage de la commune de Ḥāshidum, encore connu par al‑Hamdānī sous la forme Āl dhī ʾl‑Mishʿār (voir CIH 353 / 2 et 4 ; RobinKāniṭ 5 / 1 et commentaire). Voir aussi SaddMaʾrib-Vogt 5 (ḏ-Ms²ʿr) et 6 / 2 (ḏ-Ms²ʿ[r]n). l. 2, ḏ-Ḏnmm : au premier ḏāl et peut-être au deuxième, on a ajouté un segment horizontal, en dessous des deux segments inclinés (figure 16). La lecture dhāl est d’autant plus vraisemblable qu’un lignage de même nom est attesté dans la tribu de Hamdān (dhū Dhanam : al-Hamdānī, Mushtabih, n° 1297, p. 52). Un lignage homonyme est connu à Ḥnn (voir Ry 542 = CIAS 39.11 / o6 n°7 : bny Ḏnmm). l. 3, s²ʿb ḏ-Hmdn : il ne faut pas comprendre la ou les communes (tribus sédentaires) appelées dhu-Hamdān, mais la ou les communes placées sous l’autorité du prince dhu-Hamdān. Dans la mesure où ce prince a autorité sur un grand nombre de communes, il est possible que s²ʿb soit ici un pluriel (décalquant sans doute l’arabe shuʿūb, pluriel de shaʿab) : parallèlement à s²ʿb ḏ-Hmdn (ici et dans Ja 1028 / 7, b-s²ʿb ḏ-Hmdn), on relève de fait ʾs²ʿb ḏ-Hmdn dans Ry 508 / 7 (w-b-ʾs²ʿb ḏ-Hmdn), avec le pluriel sabaʾique régulier (s²ʿb, pl. ʾs²ʿb). mẖdr : sans doute un emprunt au guèze aksūmite où ce terme est attesté avec le sens de « campement » d’une armée en campagne (RIÉth 186 / 19 et 187 / 6). En guèze médiéval, māẖ(ə)dar signifie « place of habitation, residence, tabernacle, tent, etc. » (Leslau 1987). Dans notre texte, le Dictionnaire sabéen traduisait mẖdr par « résidence (?) », alors que ce substantif signifie d’ordinaire « chambre funéraire ». À une époque où un roi de Ḥimyar d’origine aksūmite exerce le pouvoir grâce à la présence de troupes également aksūmites, l’emprunt d’un tel terme n’a rien pour surprendre. Voir aussi Sadd MaʾribVogt 5 / 1 ci-dessous (...]/Trym mẖdr ḏ-Ms²ʿr Rbb). L’équivalent sabaʾique, ḥyrt, se trouve ci-dessous dans Sadd Maʾrib-Vogt 3 = Ja 548.

81. Müller 2010, p. 229.

l. 5, Trym : nom du campement hamdānide, à vocaliser Turaym, Taryam ou Turayyim. Voir aussi Sadd Maʾrib-Vogt 5 / 1 ci-dessous (...]/Trym mẖdr ḏ-Ms²ʿr Rbb). Trait de séparation entre b-ʿm et s²ʿby-hmw : on lui a ajouté un segment horizontal qui le fait ressembler à une croix. l. 5-6, sur la pierre w-S¹|wrbn S¹qln (ou S¹fln), que nous corrigeons en w-ʿʾrb S¹fln (voir déjà Robin 1988, p. 96). La lecture d’Albert Jamme (w-S¹|wrbn S¹qln), qui paraissait erronée, était bien correcte. Malheureusement, sa traduction (« et [avec l’aide de] Sa|wrabân Saqlân et Ṣiddân et ʾAsraqan ») ne veut rien dire. Le second terme doit sans doute être lu S¹fln, toponyme ou ethnonyme qu’on relève cinq fois. Deux fois, il désigne un groupe parmi les « Arabes » : - Ir 32 / 13, s²ʿb12n S¹bʾ ʾbʿl Mrb w-ʾʿrb mlk S¹bʾ w-Kd13t w-Ngrn w-S¹fln, « la commu|ne de Sabaʾ, c’est-à-dire les gens de Marib, et les Arabes du roi de Sabaʾ, aussi bien Kin|da que Nagrān et Suflān » ; - Gl 1177 / 7 (al-Ghirās) : ...]tn w-hlqḥn gys² hmt S¹fln w-ḏ-kyn kwn-hmw bn ʾʿrbn ..., « ...]tn et mettre en déroute l’armée de ces Suflān et de ceux qui avaient pris leur parti parmi les Arabes ... ». Dans deux autres textes, il qualifie le substantif ʿs²rt, pluriel ʿs²r, qui désigne la « tribu » arabe par opposition à la « commune » de culture sudarabique (s²ʿb, pluriel ʾs²ʿb ou s²ʿb) : - CIH 353 / 10, ...]ʾrydn w-ʿs²r S¹fln w-ʾʿrb Mrb w-Ḏʾbn ʾr[..., « ...] les hommes de Raydat, les tribus de Suflān, les Arabes de Marib et Dhiʾbān ʾr [... » ; - Ir 17, par. 2, b-ʿly ʿs²r S¹fln w-Yʾmm w-ḏ-Qryt w-Ḏʾbn w-ʾrs²m, « contre les tribus de Suflān, de Yaʾmum (aujourd’hui Yām), de dhu-Qaryat, de Dhiʾbān et de ʾrs²m ». On trouve enfin S¹fln qualifié de « commune » dans un texte datant du milieu du iiie siècle, d’interprétation incertaine : - Ja 716 / 7 : ... ʿbdy-hw Yrm w-Ns²ʾkrb bny ḏ-Hmdn w-ḏ-Ḡymn b-kn hr7bb-hmy s²ʿbn S¹fln, « ... ses serviteurs Yarīm et Nashaʾkarib banū dhuHamdān et dhu-Ghaymān, quand les a enlevés (ou : les a pris en nourrice ?) la commune S¹fln ...» S¹fln désigne incontestablement des personnes dans Gl 1177, dans Ja 716 et dans notre texte ; dans les trois autres inscriptions, ce sont des personnes ou des lieux. Une identification plus précise n’est pas impossible : S¹fln est souvent mentionné en relation avec Samʿī (qui se divise en trois composantes : Ḥāshidum, princes banū Hamdān ; Yursam ; et Ḥumlān).

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 39





Au iie siècle de l’ère chrétienne, S¹fln est mise en déroute à lʾest de Yursam (Gl 1177). Vers le millieu du iiie siècle, la tribu capture (ou accueille) deux princes dhu-Hamdān. Vers la fin du iiie siècle, elle participe à une coalition qui attaque Ḥāshidum et est défaite à Kawranhān (Ir 17 par. 2 et CIH 353 / 10). Elle fournit des troupes auxiliaires au ive siècle (Ir 32 / 13). Enfin, S¹fln est un groupe tribal sous l’autorité de dhu-Hamdān (prince de Ḥāshidum et Bakīlum), dans le texte dont nous traitons. Tous ces éléments suggèrent une localisation dans le Jawf, au nord-est de Samʿī. Al-Hamdānī mentionne de fait une région appelée al-Sufl dans le Jawf supérieur (Ṣifa, p. 110 / 6), qui offre une identification possible. La racine S¹FL exprime l’idée de « bas, en aval » par rapport à « haut, en amont ». A. F. L. Beeston (1976, p. 32 et 54) en déduit que s¹fln est un nom commun qu’il traduit « lowland » ou « lowlanders ». Il est malaisé de conclure. De manière hypothétique, je suppose que S¹fln est le nom antique du Jawf. La lecture S¹fln conduit à corriger le mot précédent en ʾʿrbn. La graphie S¹wrbn s’explique par la proximité des formes du ʾ et du ʿ avec celles du sīn et du wāw.

Ṣdn : ce nom peut être rapproché de Ṣaddān, wādī affluent du wādī Mawr à l’ouest de Ḥūth82. Ṣaddān relève aujourd’hui d’al-ʿUsaymāt, fraction de Ḥāshidum ; dans l’Antiquité, on ignore à quelle commune appartenaient les territoires à l’ouest de Ḥūth. ʾẓrfn : la lecture de ce mot présente deux difficultés : la deuxième lettre qui peut être lue ẓ ou ṣ et la quatrième, f ou q. Du fait du petit cercle qui couronne l’appendice de la deuxième lettre, il ne semble pas que la lecture de Jamme (ʾs¹rqn) puisse être retenue. ʾẓrf peut être rapproché d’Āl al-Ẓurāfī, lignage qui tire son nom du village d’al-Ẓarafa dans le jabal al-Sawd à l’ouest de Khamir (ville qui est aujourd’hui le centre de Ḥāshidum, mais qui relevait dans l’Antiquité de Bakīlum) (al‑Maqḥafī 2002, p. 973) : ʾẓrf pourrait désigner les habitants de cette agglomération. Si on préfère lire ʾṣrf, on peut penser au village du wādī ʾl-Sirr (banū Ḥushaysh) qui se nomme Ṣarif (al‑Maqḥafī 2002, p. 902) : ses habitants pouvaient être nommés *Aṣruf (ʾṣrf) dans l’Antiquité. Noter également que les généalogies 82. al‑Maqḥafī 2002, p. 899.



d’Ibn al-Kalbī enregistre un anthroponyme Ṣarīf (Caskel 1966-I, tableau 219). La lecture ʾṣrqn, enfin, pourrait donner le terme arabique dont dérive le grec Sarakênoi, d’origine tellement discutée. Mais il est préférable d’attendre une attestation mieux assurée avant de s’engager dans cette voie.

l. 10, mlkn croix : la croix a la forme d’un tāʾ, comme si on avait écrit mlknt. Le terme mlkn peut-être compris comme un substantif, « le roi » (arabe malik) ou comme un participe, « régnant, celui qui règne » (arabe mālik). l. 11-12, ʿbt w-Nmrn/ 12 w-Mrṯdʾl ʾlt Hmdn w-S¹ʾrn : ces princes ne semblent pas avoir laissé de trace dans les traditions. Le nom de ʿbt, dont la lecture est sûre, n’est pas attesté autrement ; il dérive probablement du verbe sabaʾique wʿb, « terminer entièrement un ouvrage ». En revanche, les anthroponymes Nimrān et Marthadʾil sont encore connus d’al-Hamdānī (al-Iklīl 10, index p. 347 et 339). l. 13, l-ẖmr-hmw : on attendrait Raḥmanān comme sujet du verbe ẖmr, mais ce n’est guère possible si on analyse l-Rḥmnn (l. 14) comme un complément de ks³hm et de mrḍytm (l. 13 et 14). Nous supposons donc que ce sont Dieu, le roi et les trois princes dhu-Hamdān qui sont le sujet du verbe. ḥywm ks³ḥm croix : Jamme avait lu ʾs³ḥmt. La lecture ks³ḥm, déjà proposée par Alexander Sima (2004, p. 30), se fonde notamment sur l’expression parallèle qu’on trouve dans ẒM 2000 / 9-10, w-l-(ẖ)10mr-hmw b-hw Rḥmnn ḥywm ks³ḥ[m], « et que Raḥmanān leur accorde dans (ce palais) une vie pure ». Le caractère qu’Albert Jamme avait lu comme un t est décalé vers le haut : il vaut mieux l’interpréter comme une croix. Walter W. Müller qui croyait reconnaître dans l-ẖmr-hmw ḥywm ʾs³ḥmt 14 w-mrḍytm l-Rḥmnn une expression de style paulinien (1980) a abandonné cette hypothèse (2010). l. 17, w-s¹ṯy : Jamme avait lu w-s¹ṯm.

G. Quelques graffites relevé par Burkhard Vogt au voisinage de Sadd Maʾrib 6 (= Ja 547 + 546 + 544 + 545) Dans la même zone, Burkhard Vogt a relevé toute une série de petits textes plus ou moins soignés. L’un présente l’intérêt d’avoir été tracé par le lapicide de Sadd Maʾrib 6.

40 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

Figure 18 ‒ Les inscriptions Sadd Maʾrib-Vogt 1 et 2. [Cliché : B. Vogt]

Figure 19 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib-Vogt 2. [Cliché : C. J. Robin]

J’ai pu localiser les quatre premiers sur le même banc rocheux que Sadd Maʾrib 6, en allant vers la gauche.

par la main d’œuvre réquisitionnée) dans la zone de la Digue à diverses époques. Noter que ʾyfʿ et Yhrm orientent vers le pays de Ḥāshidum. Il est donc vraisemblable que le camp mentionné dans Sadd MaʾribVogt 3 a accueilli des travailleurs venant de la même région que celui nommé Trym (Sadd Maʾrib 6 / 4 et Sadd Maʾrib-Vogt 5 / 1), cinq siècles plus tard.

Sadd Maʾrib-Vogt 1 (figure 18) Lettre isolée : ḥ (en haut sur la photographie) Sadd Maʾrib-Vogt 2 = Ja 543 (figures 18‑19) Monogramme composé des lettres h/ẖ ; n/ʾ ; b/s¹/ʾ ; m (deux fois) (en bas sur la photographie). Albert Jamme le localise « à 20 mètres environ au nord-ouest de Ja 546 » (= Sadd-Maʾrib 6). Il propose la lecture Ḥṭmm, nom de lignage qui se retrouve dans le texte suivant. C’est possible sans être sûr puisqu’il faut supposer que le ṭ a perdu son segment horizontal inférieur. Sadd Maʾrib-Vogt 3 = Ja 548 (figure 20) 1 ḥyrt ʿlmn w-ʾbkrb w-ʾ= Camp de ʿAlmān, d’Abīkarib et de Ay2 yfʿ bn Yhrm w-H̲ṭmm faʿ b. Yhrm et H̲ṭmm Le principal intérêt de ce texte réside dans sa date, vers le ier siècle de l’ère chrétienne d’après la graphie. Il y a donc eu des « campements » (occupés

l. 1, ʿlmn : nom d’homme comme dans CIH 718 / 1, BRYanbuq 4 ou Maʿīn 1 / 1 etc. ; voir aussi l’arabe ʿAlmān (al-Hamdānī, al-Iklīl 10, p. 109 et 111). l. 1-2, ʾ|yfʿ : nom d’homme comme dans Ir 71 (Nāʿiṭ, centre de la commune Ḥāshidum) ; voir aussi l’arabe Ayfaʿ (al-Hamdānī, al-Iklīl 10, p. 96 et 103 ; Caskel 1966-II, p. 149). l. 2, Yhrm : Albert Jamme lit Ẓhrm. De fait, un segment incliné semble partir du cercle du yāʾ, mais le trait, qui est discontinu, n’est pas l’appendice habituel du ẓāʾ. Il semble préférable de lire Yhrm, nom de lignage comme dans CIH 287 / 4 (jabal Thanayn, près de Nāʿiṭ, centre de la commune Ḥāshidum) ou CIH 331 / 1. C’est un nom d’homme dans Ja 842. Il peut être analysé comme dérivé des racines HRM (vocaliser Yahram ?) ou RYM (vocaliser Yuharīm ?). H̲ṭmm : nom de lignage dont c’est la première attestation ; comparer avec l’arabe Khaṭma ou al-Khaṭīm (Caskel 1966-II, p. 345).

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 41

Figure 20 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib-Vogt 3. [Cliché : B. Vogt]

Sadd Maʾrib-Vogt 4 (figure 21)

Sadd Maʾrib-Vogt 6 (figure 24)

1 Ḥzr w2 ʿqn

1 ....... 2 ḏ-Ms²ʿ[r]n

l. 1, Ḥzr : comparer avec Ḥzrm, anthroponyme (MuB 657 = CSAI I, 53) et nom de lignage (Ja 391 = CSAI, I, 618), l’un et l’autre qatabānites. l. 2, ʿqn : c’est le nom d’un lignage arabique de la région du Golfe (ḏ-ʾl Ḥddn ḏ-ʾl ʿqn dans A-20-216 / 1 ; ʾlwt ʾl ʿqn dans Ry 547 / 8).

l. 1, série de six ou sept caractères de petites dimensions, parmi lesquels on reconnaît de gauche à droite yāʾ (?), sīn (?), mīm, puis des traces difficiles à identifier. l. 2, ḏ-Ms²ʿ[r]n : voir Sadd Maʾrib 6 / 1 (ḏy Ms²ʿrn) et Sadd-Maʾrib-Vogt 5 / 1 (ḏ-Ms²ʿr).

Sadd Maʾrib-Vogt 5 (figures 22‑23)

Sadd Maʾrib-Vogt 7 (figure 25)

1 ...]/Trym mẖdr ḏ-Ms²ʿr Rbb 2 ...](ʿ)r

Monogramme composé des lettres ḥ, ʿ/q et n. Il est peu vraisemblable que le cercle représente un y : si cela avait été le cas, il aurait été placé au sommet de la hampe centrale du ḥ. La lecture Ḥyn est donc peu vraisemblable. Ma suggestion serait Ḥqn. Comparer avec l’anthroponyme arabe Ḥiqq (Caskel 1966-II, p. 324).

l. 1, Trym : mẖdr : ḏ-Ms²ʿr : Rbb :

voir Sadd Maʾrib 6 / 1. voir Sadd Maʾrib 6 / 1. voir Sadd Maʾrib 6 / 1 (ḏy Ms²ʿrn) et Sadd-Maʾrib-Vogt 6 / 2 (ḏ-Ms²ʿ[r]n). voir Sadd Maʾrib 6 / 1 (Rbbm w-ʾfʿ ḏy Ms²ʿrn).

Dans ce texte, les lettres, qui présentent de grandes parentés avec celles de Sadd Maʾrib 6, sont en léger relief. Elles montrent que le double trait avait pour finalité de graver le texte en relief.

Sadd Maʾrib-Vogt 8 (figure 26) 1 Mʾws¹m 2 grbyn

Mʾws¹m le tailleur de pierre

l. 1, Mʾws¹m : comparer avec l’anthroponyme maʿīnique Mʾws¹ (Maʿīn 84 / 4 ; YM 26 604) ; pour le sabaʾique, voir RES 4668 / 1 (Mʾws¹[...).

42 • Christian Darles / Christian Julien Robin / Jérémie Schiettecatte / Ghassan el Masri

Figure 21 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib-Vogt 4. [Cliché : B. Vogt]

Figure 22 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib-Vogt 5. [Cliché : B. Vogt]

Figure 23 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib-Vogt 5, détail. [Cliché : B. Vogt]

Figure 24 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib-Vogt 6. [Cliché : B. Vogt]

Figure 25 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib-Vogt 7. Cliché : B. Vogt]

Figure 26 ‒ L’inscription Sadd Maʾrib-Vogt 8. [Cliché : B. Vogt]

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 43

Conclusion L’identification du massif construit par Abraha permet quelques observations, qui confirment ce qu’on pressentait déjà. L’intervention d’Abraha sur la Digue n’a pas été massive, comme les dépenses en nature complaisamment énumérées pouvaient donner à le croire. Il s’est contenté de faire les réparations nécessaires à la reprise de l’irrigation, sans doute de la façon la plus sommaire. Néanmoins, il a souhaité montrer qu’il assumait pleinement son rôle de souverain ḥimyarite en laissant une signature visible de son intervention : c’est le haut Pylône qui flanque l’Écluse méridionale et la signale de loin. Le caractère relativement modeste des travaux effectués par Abraha pouvait déjà se déduire de certains silences : par exemple, le roi n’indique pas combien d’hommes il a mobilisés, à la différence de Shuriḥbiʾīl Yaʿfur qui en mentionne 14 600 (Sadd Maʾrib 3 = CIH 540 / 32-33).

Les réfections accomplies par Shuriḥbiʾīl Yaʿfur, en revanche, semblent avoir été importantes : leur description est plus précise ; par ailleurs, dans ses deux inscriptions, Abraha rappelle que Shuriḥbiʾīl Yaʿfur a reconstruit l’Écluse méridionale. Il est désormais plus facile d’identifier sur cette Écluse méridionale, en se fondant sur les différences d’appareil et de technique, les parties qui pourraient remonter à chacun de ces deux rois (se reporter à la partie II par J. Schiettecatte, ci-dessous). Shuriḥbiʾīl Yaʿfur et Abraha sont également intervenus sur l’Écluse septentrionale. Il est clair que le premier a effectué des réparations considérables à Maʿqamān, Madhʾabān et Dhaʾfān. En revanche, Abraha semble s’être limité à quelques consolidations puisqu’il ne donne guère de détails sur ses travaux dans ce secteur de la Digue. L’identification des interventions de chacun des deux rois et, de manière plus générale, l’histoire de l’Écluse septentrionale pourront être la prochaine étape.

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Pour les autres sigles d’inscription, se reporter à K itchen 2000, Müller 2010 et à « Corpus of South Arabian Inscriptions » (http://csai.humnet.unipi.it/csai/html/index.html).

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 47

II. L’identification archéologique de Qishbānum, le massif construit par Abraha

Jérémie Schiettecatte

Christian Robin a montré dans sa contribution que le massif construit par Abraha peut selon toute vraisemblance être identifié au pylône qui domine l’ensemble de l’Écluse méridionale de la digue de Maʾrib. Nous allons voir que l’approche architecturale et archéologique de la structure semble aller dans ce sens. Nous proposons pour ce faire de structurer notre propos en trois temps : 1. présenter les éléments constitutifs de l’Écluse sud ; 2. restituer la succession des phases architecturales ; 3. voir si certaines de ces phases peuvent être identifiées aux phases de construction ou de réparation que mentionnent les textes.

démantelées ou restaurées au cours des siècles. Les éléments s’interpénètrent, se recouvrent et intègrent les matériaux de structures démantelées sur place ou dans le reste de l’oasis de Maʾrib, si bien que la lecture de cette Écluse sud n’est pas aisée. Les composantes de cet ensemble ont été décrites à travers différents travaux auxquels nous renvoyons le lecteur83 (figure 27-28). Nous en proposons ici la synthèse. 1. La prise d’eau amont (AS1)84

Nous signalons auparavant que notre approche est uniquement fondée sur des sources bibliographiques. Elle aurait nécessité de pouvoir se rendre sur place pour effectuer les vérifications nécessaires, ce qui ne saurait être envisagé dans le contexte actuel.

À l’extrémité ouest de l’Écluse, une prise d’eau est excavée dans la roche. Large de 5,5 m et profonde de 5 m, elle se prolonge vers l’est sous la forme d’un canal creusé dans la roche. Le fond de la prise d’eau domine de plus de 10 m le lit du wādī, à la cote d’altitude 1 191 m. Le creusement de cette prise d’eau est commémoré par l’inscription CIH 622, gravée en deux exemplaires sur chacune des parois latérales de cette tranchée au vie siècle avant J. C. Dans une phase d’aménagement ultérieure, la partie inférieure de la prise d’eau a été bouchée par un massif maçonné d’une hauteur de 3 m, plus tard rehaussé pour culminer à la cote d’altitude 1 195,56 m85.

Éléments constitutifs de l’Écluse sud

2. Les prises d’eau et canalisations aval (AS3, AS4)

L’Écluse sud de la digue de Maʾrib est bâtie sur un affleurement de roche calcaire, en bordure et en rive droite du lit du wādī Dhana. La base de la structure domine le lit du wādī de plusieurs mètres : 5 m au point le plus bas du long mur ; 15 m au pied du môle sud-ouest. Sa fonction était d’alimenter en eau le canal qui irriguait la moitié sud de l’oasis de Maʾrib (figures 2‑ 3) et une contrainte majeure s’imposait donc à cet ensemble architectural : ses composantes devaient être rehaussées à mesure que la plaine irriguée s’exhaussait par apports réguliers d’alluvions. Par ailleurs, une Écluse nord lui faisait pendant à l’autre extrémité de la digue, alimentant la moitié nord de l’oasis. Les deux écluses étaient étroitement dépendantes l’une de l’autre, les deux prises d’eau devant toujours se trouver à une même altitude pour qu’aucune ne soit lésée. En d’autres termes, lorsque la sédimentation de la moitié nord de l’oasis rendait nécessaire le rehaussement de la prise d’eau de l’Écluse nord, l’Écluse sud devait aussi être surélevée. Les phases d’aménagements furent donc multiples, sans faire mention des reconstructions qu’imposèrent ponctuellement de trop violentes crues. Aussi, l’impression de monumentalité qui se dégage de cet édifice ne résulte pas d’un édifice conçu en une fois mais de l’accumulation d’un ensemble de structures architecturales remaniées, agrandies,

En aval de la première prise d’eau, le canal d’adduction prolongeant la prise d’eau amont se subdivise en deux, formant un Y. Il en résulte deux canaux creusés dans la roche. Le premier canal (AS4) part en direction du nord-est. Il est creusé sur une profondeur de 7 m et mesure 7 m de large. Sa réalisation est commémorée par l’inscription CIH 623, également gravée en deux exemplaires sur les parois rocheuses du canal. Cette inscription est antérieure d’une génération à CIH 622, ce qui implique soit un travail réalisé sur deux générations, soit l’existence d’un premier système repensé et modifié une génération plus tard. Lors d’un réaménagement, ce premier canal fut bouché par un massif maçonné qui n’était franchissable qu’à une altitude de 1 191,50 m dans un premier temps, puis 1 193,74 m dans un second temps.

83. Pour la description des structures architecturales : Schmidt et al. 1982, p. 9-14, 17-19. Pour la description des prises d’eau creusées dans la roche et des seuils aménagés dans ces prises d’eau : Schmidt et al. 1986, p. 25-32 ; Schaloske 1995, p. 46-65. 84. Les éléments composant l’Écluse sud ont été nommés AS1 à AS5 par M. Schaloske (1995, p. 46). Nous reprenons ici cette nomenclature. 85. Schaloske 1995, p. 50.

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Figure 27 ‒ Écluse sud : localisation des éléments AS1 à AS5 et du Bau S3. Vue depuis le sud-est. [Restitution : C. Darles, J. Laban-Bonayre et J. Schiettecatte]

Figure 28 ‒ Localisation des éléments constitutifs du long mur et des môles associés. [Restitution : C. Darles, J. Laban-Bonayre et J. Schiettecatte]

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 49

Ce massif, aujourd’hui disparu, n’est identifiable que par ses points d’ancrage visibles sur les parois latérales du canal86. Le second canal (AS3) part vers l’est. Creusé dans la roche, l’eau ne pouvait s’y engager qu’en franchissant un seuil naturel d’une altitude de 1 191,4 m. Il alimentait le canal d’irrigation de l’oasis sud. Le canal d’alimentation de l’oasis, réaménagé par la suite, imposait que l’eau atteigne une altitude de 1 193,22 m pour s’y écouler87. À la lecture de ces altitudes, l’aménagement du massif maçonné dans le premier canal (AS4) trouve tout son sens : il devait permettre d’éviter que l’eau ne parte uniquement dans ce premier canal (AS4) en lui permettant d’atteindre un niveau suffisamment élevé pour s’engouffrer dans le second canal (AS3). Ce massif fut surélevé lorsque le canal d’irrigation de l’oasis le fut lui aussi. Nous sommes enclins à suivre l’interprétation de M. Schaloske88 : la prise d’eau AS4, creusée au vie siècle avant J. C., alimentait le canal principal d’irrigation de l’oasis sud de Maʾrib. L’exhaussement du niveau des zones cultivées imposa l’aménagement d’un canal plus élevé qui entraîna le creusement d’une seconde prise d’eau également plus élevée, AS3, et le bouchage par la même occasion d’AS4 à l’aide d’un massif. AS4 a pu alors servir de décharge de trop-plein en direction du lit du wādī. 3. Un môle entre les prises d’eau (AS5) Les prises d’eau AS3 et AS4 sont séparées par un éperon rocheux qui constitue un môle naturel. Il était surmonté d’un môle maçonné presque entièrement disparu aujourd’hui. Seules subsistent les tranchées qui permettaient d’ancrer la structure dans la roche, quelques pierres équarries de la première assise et quelques monolithes verticaux qui renforçaient la structure. 4. Le long mur et les môles associés (AS2) En bordure nord des percées AS1 et AS4, une structure de 65 m de long borde les prises d’eau et canaux associés. C’est sur elle que s’ancrait la levée de terre de la Digue de Maʾrib. Elle est composée de plusieurs éléments juxtaposés : un môle nordest, un long mur, un môle nord-ouest et un pylône (figure 28)89. Dans sa description architecturale,

86. Ibid., p. 54. 87. Ibid., p. 59. 88. Ibid., p. 54-55. 89. M. Schaloske (1995, p. 46) nomme cet ensemble « Anschlussbauwerk » ou AS2 ; J. Schmidt fait une description détaillée de son appareil et de son architecture dans Schmidt et al. 1982, p. 9-14.

J. Schmidt subdivise cette structure en sections (Abschnitte) que nous faisons apparaître en figure 28 et dont nous reprendrons la numérotation par commodité (Ab1 à Ab11). a- Le môle nord-est (Ab1 et Ab2) Deux massifs de maçonnerie font corps et présentent un parement arrondi à l’ouest. Ils s’appuient sur une saillie du rocher. La section Ab3 du long mur n’est pas chaînée à Ab2 mais s’appuie contre ce dernier. Ab1 et Ab2 constituaient un môle avant que ne soit surélevé le long mur. Deux phases de construction peuvent être distinguées : la première apparaît avec Ab1 et le parement nord de Ab2, la maçonnerie est soignée, régulière et ne semble pas avoir connu de remaniement. Le parement sud de Ab2 est à l’inverse constitué de pierres de remploi ajustées avec approximation. En plan, la courbure du parement sud n’est pas symétrique au parement nord. Le môle a donc fait l’objet d’une restauration avant (ou à l’occasion de) l’exhaussement du long mur qui s’appuie contre lui. b- Le long mur (Ab3 à Ab10) Long de 45 m, ce mur est constitué de parements en pierre de taille et d’un comblement interne fait de blocage calé par des caissons en pierre. Son épaisseur varie de 2 m (Ab9) à 6 m (Ab4 à Ab6). Chacun des deux parements est autonome et présente un tracé en crémaillère marqué par sept décrochements successifs qui séparent huit sections de mur. Les décrochements des parements nord et sud ne sont pas symétriques. L’ensemble du mur est bâti au moyen de pierres de remploi : pierres lisses, à bossage, à panneau piqueté bordé d’un bandeau lisse, éléments de corniche à denticule ou blocs inscrits. Trois phases de construction au moins sont observables90. La première phase est visible sur la moitié inférieure des sections Ab3 à Ab8 au nord et Ab3 à Ab9 au sud. Sous la cote d’altitude 1 195,4 m, l’appareil comporte, côté sud, de grands blocs réguliers aux joints étroits parfois enduits de mortier et, côté nord, une alternance de panneresses en retrait et de boutisses en saillies. Une inscription datée du ier siècle de l’ère chrétienne est remployée dans la 6e assise de la section Ab3 (sud) ; elle fournit un terminus post quem à l’édification de cette structure91. Notons également 90. Schmidt et al. 1982, p. 10, 12-13, 18. 91. Il s’agit de l’inscription RES 3959, dont l’emplacement est noté S1 sur le relevé du mur par J. Schmidt (Schmidt et al. 1982, Taf. 130). Elle date du règne du roi sabéen Halakʾamar. Voir à ce propos Robin 1988, p. 100.

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la présence d’un second texte remployé dans la section Ab9, daté des viie-vie siècles avant J. C.92 La deuxième phase correspond à la moitié supérieure du mur, sur l’ensemble des sections Ab3 à Ab10 au sud, Ab3 à Ab8 au nord. Sur le parement nord, l’appareil est toujours fait d’une alternance de panneresses et boutisses, ces dernières étant en saillie. Le format des pierres diffère de celui observé dans la moitié inférieure et les joints sont plus larges et moins réguliers. Au sud, panneresses et boutisses alternent sur une surface plane. Les joints sont irréguliers, le mortier est absent. La maçonnerie est de moins en moins soignée à mesure que l’on va vers l’ouest (Ab8 à Ab10). Plusieurs inscriptions sont remployées dans cette construction, la plupart sur le parement sud : une sur la section Ab3, quatre sur la section Ab8 et une sur la section Ab993. La dernière est d’un intérêt tout particulier car elle offre le terminus post quem le plus récent à la construction du mur (iie-iiie siècles de l’ère chrétienne). Non localisée sur le relevé de l’élévation du mur94, elle se trouve à l’interface des phases 1 et 2. Une vérification de terrain pourrait éventuellement permettre de l’attribuer à la 1re phase de construction. Par défaut, nous l’associerons à cette 2e phase. Le sommet des sections Ab8 à Ab10 a été surélevé de quelques pierres noyées dans du mortier lors d’une dernière phase de réfection. La moitié inférieure du long mur (phase 1) n’est jointive d’aucune autre structure, elle s’appuie uniquement sur la roche. La moitié supérieure (phase 2) s’appuie contre le môle nord-est. Elle lui est donc postérieure. La dernière réfection (phase 3) n’est jointive d’aucun autre élément. Notons enfin que les sections Ab9 et Ab10 du parement nord ne peuvent pas être mises en relation avec d’autres éléments de l’Écluse sud faute de description ou de photographie suffisamment précise. Un effondrement du parement à la jonction des sections Ab8 et Ab9 ne permet pas de dire laquelle des deux sections est antérieure à l’autre. Seul un retour sur le terrain le permettra.

92. Inscription CIH 437 notée S7 sur le relevé du mur par J. Schmidt (Schmidt et al. 1982, Taf. 130). 93. Section Ab3 : RES 3954 (notée S2 sur le relevé du mur – Schmidt et al. 1982, Taf. 130), pierre tombale non datée (Robin 1988, p. 100). Section Ab8 : CIH 870 (S3 sur le relevé du mur), inscription non datée ; CIH 869 et CIH 384 (S4 et S5 sur le relevé du mur), datées par la graphie des viie-vie s. av. J. C ; RES 4417 (S6 sur le relevé du mur) datée par la graphie des viie-ve s. av. J. C. Section Ab9 : RES 4416, non localisée sur le relevé du mur, datée par la graphie des iie-iiie s. ap. J. C. 94. Schmidt et al. 1982, Taf. 130.

c- Un môle nord-ouest (Ab11) ? Plusieurs structures dominent la prise d’eau AS1 et offraient au long mur une protection face à la crue. Elles ont alternativement été nommées Westbau ou Kopfbau dans les descriptions antérieures95. Nous y distinguons d’une part le pylône (voir ci-dessous), d’autre part un massif maçonné, Ab11. L’articulation entre ce massif Ab11 et le long mur n’est pas claire. Nous pouvons soit considérer que le long mur vient buter contre lui, soit que le long mur s’est effondré vers l’ouest et que le massif Ab11 a été bâti contre le long mur, de manière à en renforcer l’extrémité. Il peut donc soit être antérieur, soit être postérieur au long mur. La seconde hypothèse a notre préférence. Le massif Ab11 pourrait trouver son prolongement vers l’ouest dans la partie basse du pylône. Il apparaîtrait ainsi comme un môle antérieur à l’aménagement du pylône, plus tard inséré dans la construction de ce dernier. Nous reviendrons plus bas sur ce point. d- Le pylône (Ab12-Ab14) Dominant l’Écluse sud au nord-ouest, le pylône est constitué de trois éléments maçonnés hauts et effilés (figure 36) dont la base domine de 17 m le lit du wādī et qui s’élèvent sur plus de 12 m de haut si l’on inclut le monolithe de 0,70 m planté à son sommet. Les éléments qui constituent le pylône sont : - un massif semi-circulaire au sud, dans le prolongement de Ab11 et séparé de cette dernière section par un escalier ménagé dans l’épaisseur du mur. Sur ce massif, J. Schmidt distingue les assises inférieures, qu’il qualifie d’assises d’origine (« genuin »96) du reste de la construction. Il pourrait s’agir du prolongement du premier môle nordouest, Ab11, dont ne serait ici conservée que la partie inférieure. - un massif de plan triangulaire au centre du pylône (Ab12 : parements nord et est ; Ab14 : parement ouest). - une tour carrée accolée à l’extrémité nord-ouest du massif précédent (Ab13 : parements nord et est ; Ab14 : parement ouest). Ces trois éléments sont bâtis au moyen de pierres de remploi et, si les sections Ab12 et Ab13 ne sont pas toujours chaînées, la technique employée semble indiquer une même phase de construction pour les trois éléments du pylône97, à deux exceptions près : la base du massif semi-circulaire, que nous associons à

95. Schmidt et al. 1982. 96. Ibid., p. 13. 97. Voir ibid., p. 13-14.

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un môle nord-ouest antérieur ; et les quatre dernières assises au sommet du pylône, qui sont décrites comme un ajout postérieur98. Du point de vue fonctionnel, rien ne justifie les quatre dernières assises de cette structure, tous les systèmes d’ancrage de madriers et panneaux de vanne se situent en effet sous cette limite. Par ailleurs, le sommet de la digue en terre était de 3 m inférieur au sommet du pylône. L’élévation donnée à cette structure apparaît donc inutile et délibérément ostentatoire. Deux inscriptions remployées dans la maçonnerie du pylône offrent des termini post quem. Le premier texte, RES 4418, est remployé à la base de la tour carrée au nord-ouest du pylône. Il daterait par sa graphie du ier siècle de l’ère chrétienne99. Le second texte, Robin-Digue de Maʾrib 5, est inséré dans la 4e assise de la partie centrale du pylône. Antérieur d’un siècle à l’inscription remployée quelques assises plus bas, RES 4418, il est difficilement concevable qu’il soit en place, même si son contenu pourrait le laisser croire. 5. Le môle sud-ouest

un môle antérieur qui présentait, lui, ce point d’ancrage, et dont il ne subsiste aujourd’hui que le massif Ab11 et les premières assises au pied de la tour semicirculaire du pylône.

Étapes de construction Les observations architecturales formulées précédemment permettent de définir huit phases au moins de construction / aménagement / réparation dans le secteur de l’Écluse sud. La plupart du temps, rien ne permet de définir le temps écoulé entre ces opérations ; il a pu être de quelques mois ou de plusieurs siècles. Ce découpage repose sur les différences d’appareil, sur le chaînage ou non des éléments et sur les inscriptions qui permettent quelques calages chronologiques. Il reprend en partie celui que propose J. Schmidt100, il s’en éloigne à propos du massif ouest (Ab11 à 14) que J. Schmidt considère comme un tout, sans distinguer le môle nord-ouest d’une part du pylône d’autre part et qu’il dit antérieur à l’élévation du long mur. 1re étape : l’aménagement de la rive du wādī (avant le vie s. av. J. C.) (figure 29)

Indépendant des autres structures, un môle est maçonné au sud de la prise d’eau principale AS1. Son parement est fait de pierres remployées soigneusement ajustées. Son côté ouest, exposé à la crue, est arrondi. Ce môle a plusieurs traits communs avec Ab11 (vestige du môle nord-ouest) qui lui fait face de l’autre côté de la prise d’eau : une même hauteur, un parement relativement similaire et le même usage du mortier pour en couvrir le sommet. Ils appartiennent vraisemblablement à une même phase de construction. Un autre élément, fonctionnel, indique la contemporanéité de ce môle avec un môle nord-ouest dont Ab11 serait le vestige. Le môle sud-ouest est isolé. Il ne protège aucune structure en aval ; il n’offre de protection à aucun élément de l’Écluse sud qui s’y rattacherait latéralement. Il ne sert pas plus à guider le trajet de l’eau puisqu’en son absence, la pente du rocher ramène naturellement le flot vers le canal en aval de la prise d’eau AS1. L’unique intérêt de ce môle nous semble donc indiqué par un point d’ancrage visible au sommet de son parement nord, à l’aplomb de la prise d’eau. Cet ancrage était destiné à recevoir une poutre qui surplombait la prise d’eau et qui devait s’inscrire dans un système de vanne. La logique voudrait qu’un point d’ancrage soit visible en vis-àvis, au nord de la prise d’eau, à même hauteur. Or, le pylône qui lui fait face n’en présente pas. Il est donc vraisemblable que le pylône se soit substitué à

Une première structure, que nous n’avons pas évoquée jusqu’à présent, est partiellement visible en bordure du lit du wādī, au nord-est de l’Écluse sud, au pied de l’affleurement rocheux. En 1897, sur son croquis, E. Glaser l’interprétait comme un ensemble de marches menant à l’Écluse sud. La structure est en réalité plus complexe. Il n’en reste que les tranchées de fondation dans la roche et quelques blocs maçonnés au pied du rocher. Nommée Bau S3 par la mission archéologique allemande, elle apparaît comme une prise d’eau située à 1 180,8 m d’altitude et flanquée d’un môle sur son flanc nord101. Il est difficile d’établir une relation entre cette structure et l’un ou l’autre des éléments de l’Écluse sud, situé au mieux 5 m plus haut. Nous pourrions avoir affaire à une prise d’eau antérieure à l’aménagement de la zone de l’Écluse sud, avant que la nécessité de prendre l’eau à une altitude plus importante se fasse sentir. Nous pourrions également avoir affaire à un système contemporain de la première phase de l’Écluse sud destiné à récupérer les eaux évacuées par le trop-plein de la prise d’eau AS4 et à irriguer des zones de culture marginales102. Quoi qu’il en soit, son abandon peut s’expliquer par un exhaussement du niveau des zones mises en culture qui nécessitait une prise d’eau plus élevée. Il peut aussi être lié au fait que l’aménagement d’une

98. Ibid., p. 13. 99. Robin 1988, p. 100.

100. Schmidt et al. 1982, p. 17-19. 101. Schaloske 1995, p. 92, Abb. 39 ; Vogt 2004 p. 258 102. Sur la fonction du Bau S3 : Schaloske 1995, p. 92.

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Figure 29 ‒ 1re étape de fonctionnement de l’Écluse sud. [Schéma : C. Darles]

Figure 30 ‒ 2e étape de fonctionnement de l’Écluse sud. [Schéma : C. Darles]

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 53

digue en travers du wādī, fonctionnant avec l’Écluse sud, en condamnait l’alimentation en eau. Le matériau de construction a très certainement été remployé lors de l’une des phases d’aménagement de l’Écluse sud. 2e étape : creusement d’une première prise d’eau (mi-vie s. av. J. C.) (figure 30) Au cours du vie siècle avant J. C., sous le règne du souverain sabéen Sumhūʿalī Yanūf fils de Dhamarʿalī, une prise d’eau (AS4) est creusée dans la roche à 1 186 m d’altitude et commémorée par l’inscription CIH 623. Si l’on suppose qu’elle fut conçue indépendamment d’AS1, creusée sous le règne suivant, on peut alors supposer qu’elle était alimentée en eau depuis le nord, là où la roche forme une cuvette plus tard fermée par le long mur. Un barrage seuil traversait certainement dès cette époque le wādī Dhana de part en part. On imagine mal en effet que le niveau des eaux ait été élevé à 6 m au-dessus du lit du wādī sans l’aide d’un mur de barrage et l’aménagement d’une retenue. 3e étape : creusement d’une seconde prise d’eau, aménagement du long mur (fin vie s. av. J. C.) (figure 31) Sous le règne de Yathaʿʾamar Bayān, successeur de Sumhūʿalī Yanūf, une nouvelle prise d’eau (AS1) est creusée plus en amont, captant l’eau à 11 m audessus du lit du wādī (1 191 m). Cette réalisation implique une surélévation de 5 m de la digue en travers du wādī. Elle implique également la construction d’un premier long mur bloquant la cuvette rocheuse au nord du canal reliant AS1 à AS4. Rien ne subsiste de ce premier long mur. Il ne peut pas s’agir, tel que le propose M. Schaloske103, de la moitié inférieure du long mur actuellement conservé entre les sections Ab3 à Ab8, celui-ci étant nécessairement postérieur au ier siècle de l’ère chrétienne d’après le remploi d’inscriptions dans sa maçonnerie (voir ci-dessus). 4e étape : reconstruction du long mur, creusement d’une nouvelle canalisation, érection de deux môles à l’est (figure 32) Deux événements sont regroupés dans une 4e étape. Rien ne permet toutefois de préciser s’ils relèvent d’une intervention unique ou de deux interventions distinctes. 1/ Une nouvelle prise d’eau est excavée dans la roche (AS3), formant un Y avec la prise d’eau AS4. L’eau 103. Ibid., p. 54.

ne s’y écoule qu’en atteignant la cote d’altitude de 1 191,4 m ce qui nécessite par la même occasion la fermeture de la prise d’eau voisine AS4 par un massif de maçonnerie dont le sommet se trouve à 1 191,5 m d’altitude. AS4 devient alors un déversoir de trop-plein et AS3 le départ du canal d’alimentation de l’oasis sud. Au cours de ces travaux, un môle aujourd’hui démantelé (AS5) est bâti entre les deux prises d’eau AS3 et AS4. Par ailleurs, le môle nord-est, qui lui fait face à l’aplomb de la prise d’eau AS4, est probablement bâti au même moment. 2/ Le long mur est rebâti ; cette reconstruction est visible depuis la roche jusqu’à la cote d’altitude 1 195,4 m. Elle a lieu au plus tôt à la fin du ier siècle comme l’indique le remploi dans son parement de l’inscription RES 3959. 5e étape : réparation du môle nord-est et surélévation du long mur (post. iiie s. ap. J. C.) (figure 33) Le parement sud du môle nord-est, à la suite d’un effondrement, est rebâti dans un appareil médiocrement ajusté. À la suite de cette restauration, peut-être dans la foulée, le long mur est exhaussé de 4 à 5 m, prenant appui contre le môle nord-est. Cette intervention a lieu au iiie siècle de l’ère chrétienne au plus tôt, d’après le remploi de l’inscription RES 4416 dans sa maçonnerie. Le long mur se poursuivait vraisemblablement vers l’ouest au-delà de sa dernière section visible aujourd’hui (Ab10) et se terminait probablement par un premier môle. Les jointures des pierres, de plus en plus larges et lâches vers l’ouest, sont révélatrices de l’effondrement probable à un moment donné de l’extrémité ouest de ce long mur. 6e étape : construction des môles nord-ouest et sud-ouest, peut-être du parement nord des sections Ab9-10 (figure 34) Faisant suite à l’effondrement de la tête du long mur dans sa partie ouest, un nouveau môle nord-ouest (Ab11) est érigé ; il est plaqué contre le long mur afin d’en stabiliser l’extrémité. Le môle sud-ouest est bâti comme pendant au môle nord-ouest, de manière à permettre la mise en place d’un système de vanne. Il est possible que ce soit à cette même phase qu’il faille rattacher l’aménagement d’un nouveau parement nord aux sections Ab9 et Ab10 du long mur. Le parement antérieur se serait effondré en même temps que l’extrémité ouest du long mur.

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Figure 31 ‒ 3e étape de fonctionnement de l’Écluse sud. [Schéma : C. Darles et J. Laban-Bonayre]

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Figure 32 ‒ 4e étape de fonctionnement de l’Écluse sud. [Schéma : C. Darles, J. Schiettecatte et J. Laban-Bonayre]

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Figure 33 ‒ 5e étape de fonctionnement de l’Écluse sud. [Schéma : C. Darles et J. Laban-Bonayre]

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Figure 34 ‒ 6e étape de fonctionnement de l’Écluse sud. [Schéma : C. Darles et J. Laban-Bonayre]

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7e étape : construction du pylône (figure 35)

8e étape : exhaussement du pylône (figure 35)

Après un probable nouvel effondrement de la partie ouest du môle nord-ouest, l’ensemble du massif de tête de l’Écluse sud (pylône) est aménagé. Cet événement intervient après le ier siècle de l’ère chrétienne d’après le remploi dans la maçonnerie des inscriptions Robin-Digue de Maʾrib 5 et RES 4418.

Quatre assises et un monolithe vertical sont ajoutés au pylône de manière à en augmenter la hauteur dans un but ostentatoire (voir ci-dessus). Nous y voyons volontiers une étape qui vient immédiatement après la 7e étape, dans le but d’accroître l’impression de monumentalité donnée au pylône (voir ci-dessous).

Figure 35 ‒ 7e et 8e étapes de fonctionnement de l’Écluse sud. [Schéma : C. Darles et J. Laban-Bonayre]

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Quelques étapes indéterminées Plusieurs interventions visibles dans l’Écluse sud ne peuvent pas être précisément calées les unes par rapport aux autres. Ce sont : - la surélévation de quelques assises des sections Ab8 à Ab10 du long mur. Elle intervient nécessairement après l’étape 5 et elle est donc postérieure au iiie siècle. - l’aménagement, en aval de la prise d’eau AS3, d’un nouveau canal primaire d’irrigation de l’oasis sud qui présente un seuil à la cote d’altitude 1 193,22 m et implique l’exhaussement du blocage de la prise d’eau AS4 à 1 193,74 m. Elle intervient après l’aménagement d’un premier blocage moins élevé dans la prise d’eau AS4 et donc après l’étape 4. - l’aménagement d’un seuil bloquant partiellement la prise d’eau principale AS1 qui connaît au moins deux phases de construction. Le niveau de ce seuil est déterminé par les réaménagements de l’Écluse nord, de manière à maintenir l’altitude des deux prises d’eau à la même hauteur104. Indépendant des cotes d’altitude requises pour l’irrigation de l’oasis sud, il peut difficilement être lié à l’une ou l’autre des étapes mises en évidence ici. La seule chose certaine est qu’il intervient après l’étape 2.

Croisement des données épigraphiques et archéologiques Nous proposons ici d’examiner les inscriptions évoquant une intervention sur l’Écluse sud et de voir, par élimination, ce qui peut être attribué à Abraha. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés est la suivante : d’une part, les inscriptions ne commémorent pas l’ensemble des interventions effectuées sur l’Écluse sud ; d’autre part, les huit étapes que nous avons dissociées ne correspondent qu’au nombre minimum des interventions dans le secteur de l’Écluse sud d’après une étude bibliographique. Elles furent, selon toute vraisemblance, plus nombreuses. Les interventions avant Abraha Dans l’inscription RES 3946 (l. 6), le souverain sabéen Karibʾīl Watār fils de Dhamarʿalī commémore, vers 680 avant J. C., la construction de plusieurs structures d’irrigation dans le wādī Dhana permettant l’irrigation des cultures de l’oasis sud de Maʾrib. Les éléments les plus anciens de l’Écluse sud sont datés du vie siècle avant J. C. Les ouvrages mentionnés dans ce texte sont donc à chercher ailleurs. Il peut s’agir du Bau S3 mentionné ci-dessus (1re étape). 104. Hehmeyer 1991, p. 78, Abb. 10 et Schaloske 1995, p. 73.

Ce peut également être l’une des prises d’eau monumentales étudiées par la mission archéologique allemande en aval dans le wādī. Le Bau B2 pourrait être un bon candidat si l’on considère la similitude des graphies des inscriptions rupestres gravées à proximité immédiate du Bau B2 et de RES 3946105. Les deux premières interventions clairement liées à l’Écluse sud sont le creusement dans la roche des prises d’eau AS4 d’abord puis AS1, commémorées par des textes gravés in situ (respectivement CIH 623 et CIH 622) et datés des règnes des souverains sabéens Sumhūʿalī Yanūf fils de Dhamarʿalī et Yathaʿʾamar Bayān fils de Sumhūʿalī Yanūf. Ils permettent de dater les étapes 2 et 3 (figure 30-31) du vie siècle avant J. C. Il est vraisemblable que la mention du creusement de la prise d’eau Ḥabābiḍ et de la prise d’eau Raḥbum pour irriguer Yasrān dans l’inscription RES 3943 se rapporte au même événement. Si l’on se fie à l’identification des toponymes proposée par C. Robin, nous n’avons plus aucune mention de travaux concernant l’Écluse sud avant le ive siècle de l’ère chrétienne. Cinq textes évoquent alors successivement quatre interventions : - Ja 671 + 788 (milieu du ive siècle) : une intervention ; - CIH 540 (455 de l’ère chrétienne) : deux interventions en une année, résumées dans ZM 1 (462 de l’ère chrétienne) ; - DAI GDN 2002-20 et CIH 541 (548 de l’ère chrétienne) : une intervention. Ja 671 + 788 : Cette intervention a lieu sur ordre et sous les règnes de Thaʾrān Yuhanʿim et son fils Malkīkarib Yuʾmin rois de Sabaʾ, dhu-Raydān, Ḥaḍramawt et Yamanat. L’inscription fait état de la rupture de la Digue à Ḥabābiḍ et Raḥbum – c’est-à-dire de la levée de terre vers son point de jonction avec l’Écluse sud – et de la rupture des mḍrfn entre Ḥabābiḍ et Raḥbum. La nature des réparations n’est pas précisée. Si nous acceptons la traduction du terme mḍrfn par « vannes », comme le propose C. Robin, il ne s’agirait alors que d’une intervention mineure pouvant avoir porté sur les seuils maçonnés maintes fois remaniés dans les prises d’eau que nous avons mentionnés dans l’étape 4 (figure 32) et dans les étapes indéterminées.

105. Concernant cette structure : Schmidt et al. 1982, p. 22-24 ; Schmidt et al. 1986, p. 33-58. W. W. Müller émet quelques réserves concernant l’identification du Bau B2 avec l’ouvrage mentionné dans RES 3946 sur la base de l’interprétation du nom ʾbyn, qui apparaît dans RES 3946 et dans une inscription rupestre proche du Bau B2, et qui aurait selon lui un sens différent dans les deux contextes (Müller, dans Schmidt et al. 1986, p. 57-58).

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Si ce terme devait être rendu par « Seitenmauern » comme le fait N. Nebes106, l’inscription pourrait renvoyer : - à l’effondrement puis à la réfection du parement sud du môle nord-est (phase initiale de la 5e étape) ; - à la reconstruction de la moitié inférieure du long mur (4e étape) ou de sa moitié supérieure (2e phase de l’étape 5 – figure 33), en considérant qu’un effondrement ait précédé et justifié la reconstruction ; - à la 6e étape si l’on considère que le terme est employé au pluriel et qu’il implique l’effondrement de plusieurs parements de murs (parement nord des sections Ab9-10 ; extrémité ouest du parement sud – figure 34). Si l’on devait retenir cette option, nous verrions alors difficilement à quoi pourrait correspondre les réparations majeures mentionnées un siècle plus tard dans CIH 540 et ZM 1. CIH 540 et ZM 1 : Sous le règne du souverain ḥimyarite Shuriḥbiʾīl Yaʿfur fils d’Abīkarib Asʾad, deux réparations majeures sont réalisées la même année (455 de l’ère chrétienne) sur l’Écluse sud à la suite de deux crues dévastatrices. La nature des dégâts provoqués par la première crue n’est pas connue. Les réparations sont en revanche mentionnées (CIH 540 / 24-27). Elles portent principalement sur l’Écluse nord ; pour celle au sud, il est question de la réparation « de la maçonnerie et de l’enduit le long du wādī (c’est-à-dire) la partie | qui fait face à la pile Ghaylān ». Il s’agirait donc d’une réfection du parement nord du long mur (étape 6 - figure 34). Les dégâts provoqués par la seconde crue semblent bien plus dévastateurs (CIH 540 / 62-63). Sont évoquées des ruptures majeures des Écluses Nord et Sud et de la levée de terre sur toute leur hauteur. Les réparations effectuées sur l’Écluse sud (CIH 540 / 77-80 et ZM 1 / 11-12) seraient : - une reconstruction de ʿAwdān [l’Écluse sud] en pierres de taille et pierres équarries (CIH 540 / 77) ; - le recouvrement des murs de soutènement, du déversoir et des deux môles de Raḥbum avec de l’enduit (CIH 540 / 78-80). - la remise à neuf du mur de protection (ZM 1 / 11-12).

- la date concorde : les étapes 5 et 6 sont postérieures aux iie-iiie siècles or l’inscription CIH 540 date de 455 ; - les travaux nécessitent un matériau de construction considérable, exclusivement issu de remplois. Or le souverain qui les entreprend est le fils d’Abīkarib Asʾad sous le règne duquel une réforme religieuse fut entreprise, rejetant le polythéisme107. Les vieux temples païens de l’oasis de Maʾrib constituait dès lors des sources de pierres taillées abondantes. Abraha, la dernière réalisation d’ampleur C. Robin a formulé l’hypothèse que l’ouvrage construit sur ordre d’Abraha devait être le pylône de l’Écluse sud. La plupart des éléments vont dans ce sens. Les textes DAI GDN 2002-20 et CIH 541 précisent que l’intervention d’Abraha est effectuée : - « devant l’ouvrage de [Shuriḥbi]ʾil Yaʿfu[r] » (DAI GDN 2002-20 /13-14). Si l’on accepte d’identifier l’intervention de Shuriḥbiʾīl Yaʿfur avec l’étape 5 ou 6, l’ouvrage d’Abraha devrait se trouver en tête du long mur, là où se trouve le pylône ; - « en avant de l’Écluse sud (ʿwdn) » (CIH 541 / 104), ce qui s’applique au pylône ; - « depuis le rocher jusqu’au sommet » (DAI GDN 200220 /16-17), ce qui s’applique également au pylône à l’exception des assises inférieures de la tour semi-circulaire au sud du pylône. - en pierre et en mortier (DAI GDN 2002-20 /29) ou en pierre de taille (CIH 541 / 110). Le pylône est bâti au moyen de pierre de taille et était initialement enduit de mortier comme en témoigne une plaque d’enduit préservée sur le parement de la tour semi-circulaire, entre 3,5 et 5,5 m de hauteur.

L’ensemble de ces travaux évoque fortement les étapes 5 ou 6 mentionnée ci-dessus : - il est question de môles qui sont enduits – postérieur à l’étape 4 donc – et de la reconstruction d’un long mur or, dans l’étape 5, la moitié supérieure du long mur est érigée ; l’étape 6 conviendrait également avec la consolidation de la partie ouest du long mur.

Tout converge jusqu’ici pour identifier le monument construit par Abraha avec le pylône de l’Écluse sud. La comparaison des dimensions de la structure évoquées par les textes à celles du pylône (figure 36) va également dans ce sens. L’observation du tableau montre une très grande proximité entre les proportions du massif d’Abraha telles qu’évoquées dans l’inscription CIH 541 et les proportions du pylône de l’Écluse sud : la structure est dans les deux cas trois fois plus longue que large et la hauteur équivaut à deux fois et demi la largeur. Si l’on accepte de voir dans le pylône de l’Écluse sud de Maʾrib le monument Qishbānum de l’inscription CIH 541, cela permet de donner une valeur approximative à l’unité de mesure sudarabique « ʾmt » oscillant entre 0,31 et 0,33 m, ce qui se rapprocherait du pied

106. Nebes 2005.

107. Robin 2004, p. 857 et 869.

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 61

Inscription

DAI GDN 2002-20 / 18-24

CIH 541 / 107-108

Pylône

Longueur

45 ʾmt

45 ʾmt

14,5 m

Largeur

14 ʾmt

14 ʾmt

4,5 m

Hauteur

41 ʾmt

35 ʾmt

11,5 m

plus que de la coudée, terme habituellement employé à la traduction de « ʾmt ». L’étude métrologique récente du Bâtiment A du site de Ḥaṣī (région d’al‑Bayḍāʾ, Yémen, fin du Ier millénaire av. J. C.) que j’ai réalisée a montré que la construction y était rythmée par des modules de 6 pieds de 32,7 cm (env. 1,96 m). La valeur de l’unité obtenue à Ḥaṣī est très proche de celle proposée pour le « ʾmt » à Maʾrib. Si l’on se penche sur l’inscription DAI GDN 2002-20, on constate que le rapport longueur / largeur est le même que celui du pylône ou de l’inscription CIH 541. Le rapport hauteur / longueur s’éloigne en revanche de ceux de CIH 541 et du pylône. Comment l’expliquer ? C. Robin voit dans CIH 541 une version améliorée, plus complète et postérieure d’un mois au texte DAI GDN 2002-20. Dans ce cas, nous pouvons imaginer que la construction fût inachevée au moment de la rédaction du texte DAI GDN 2002-20 et que les 41 ʾmt évoqués correspondent à un objectif fixé. Nous avons vu qu’au cours de la 8e phase, le pylône a manifestement été augmenté de quatre assises dans un appareil

Figure 36 ‒ Localisation et dimensions du pylône identifié comme le massif réalisé par Abraha. [Schéma : C. Darles]

qui se distingue de celui des assises inférieures ; un monolithe curieux fiché à son sommet le rehausse de 0,70 m. Ces deux éléments, inutiles du point de vue hydraulique, donnent le sentiment d’une tentative hâtive de donner au pylône des dimensions plus imposantes. Ne peut-on imaginer que lors du mois qui sépare la rédaction de DAI GDN 2002-20 de celle de CIH 541, on ait cherché à donner plus de hauteur à une structure qui fait la fierté de son commanditaire et en légitime le pouvoir ? Pour terminer, il nous faut discuter une dernière hypothèse de localisation du massif d’Abraha qui a été développée par N. Nebes108 : celle d’un massif sur l’Écluse nord109. Celui-ci voit dans DAI GDN 2002-20 et CIH 541 l’évocation de la construction de deux édifices distincts (figure 4) : les éléments B et C de l’Écluse nord dans le premier ; l’élément G2 dans le second110. Cette identification n’emporte pas la conviction : l’élément G2 est deux fois plus étroit que l’élément B de l’Écluse nord, là où les textes donnent une largeur identique. La question de la hauteur est rapidement évincée. Pour les éléments B et C, associés à la construction mentionnée dans DAI GDN 2002-20, N. Nebes envisage que ceux-ci « should in fact turn out to be 41 cubits high after having been completely excavated »111. Si l’on considère, comme le propose N. Nebes, que la coudée d’Abraha avait une longueur de 40 cm, la structure devrait avoir une hauteur de 16,4 m. Un sondage (S3) au pied de la prise d’eau a montré que la structure ne dépassait pas 13 à 14 m112. Les éléments B et C mesurent ainsi 20 × 12 × 14 m, soit, sur la base d’une coudée de 40 cm, 50 × 30 × 35 coudées. Nous sommes bien loin des mesures de l’inscription (45 × 14 × 41 coudées). Quelle que soit la longueur donnée à la coudée, les proportions des éléments B et C ne sont de toute façon pas celles évoquées par DAI GDN 2002-20.

108. Ibid. 109. Ce dernier n’envisage pas d’autre possibilité du fait de la découverte du texte CIH 541 à proximité de l’Écluse nord et du remploi de DAI GDN 2002-20 dans cette même écluse. 110. Nebes 2004, p. 226 et fig. 1. 111. Ibid., p. 226. 112. Vogt et al. 2003, p. 57.

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En ce qui concerne la hauteur de l’élément G2, que N. Nebes identifie avec la construction mentionnée dans CIH 541, il nous dit que « G2 does not reach the height mentioned in C[IH] 541. Architectural details suggest to Werner Herberg a secondary reduction in height soon after the completion of Abraha’s building project »113. À moins d’un nouvel examen de la structure, rien ne permet pour le moment de discuter cet argument. Se pourrait-il alors que l’élément de l’Écluse nord G2 corresponde à la construction d’Abraha, en partant du principe que DAI GDN 2002-20 et CIH 541 évoquent un seul et même édifice ? Nous pourrions

répondre affirmativement à la condition toutefois d’accepter une réduction de hauteur de la structure peu après son édification telle que la mentionnent W. Herberg et N. Nebes, mais aussi et surtout à la condition de voir dans le long mur D (Tosbeckenmauer) de l’Écluse nord la réparation de Shuriḥbiʾīl Yaʿfur contre laquelle vient s’appuyer la construction d’Abraha et de voir dans ʿAwdān la prise d’eau de l’Écluse nord et non l’Écluse sud. C. Robin a montré dans sa contribution que les contextes dans lesquels ce dernier nom apparaît dans les inscriptions relatives au barrage de Maʾrib ne vont guère dans ce sens.

113. Nebes 2004, p. 226.

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Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 63

Annexe The Dam of Maʾrib in Pre-Islamic Arabic sources114 Ghassan el Masri

Is the dam at Maʾrib mentioned in early Arabic sources on pre-Islamic Arabia? If so, how is it described, in what manner and with what connotations? The same questions apply to the story of the breaking of the dam, particularly to elements relating to the Qurʾanic narrative in sūra XXXIV Sabaʾ. This annex offers material that might help answer the above questions. The method followed for collecting the material was to look up any mention of the relevant elements in the oldest known anthologies of pre-Islamic poetry. The anthologies that I looked in were al-Mufaḍḍaliyyāt115 and al‑Aṣmaʿiyyāt.116 I then consulted slightly later sources, i.e. Ibn Mubārak’s Muntahà ʾl‑ṭalab fī ashʿār al‑ʿArab,117 Ibn Qutayba’s al‑Shiʿr wa-ʾl‑shuʿarāʾ118 and al‑Qurashī’s Jamharat ashʿār alʿArab;119 I found that Maʾrib and its dam receive little mention in the earlier anthologies of pre-Islamic poets. For this reason I took the second step of examining the poetry that is recorded in the early sīra, early philological sources and Qurʾān commentaries as well as some known geographical sources. These sources often adduce some poetic verses to support claims they make about Maʾrib or the dam, so I examined the historical authenticity of these verses by checking them in other sources in which they appear as well as the context of the poems form which they are taken and what is known about the poets behind them. The poets’ and the authors’ year of death is noted in order to facilitate dating the material for the reader. I begin by a short citation of the earliest description of al‑ʿArim that I was able to find. This appears in Abū ʿUbayda’s (d. 150 AH) Majāz al‑Qurʾān120, the earliest extant philological commentary on the Qurʾān. In his comments on the sūra Sabaʾ XXXIV, he provides some verses that mention the dam, as well as brief information of the structure of the edifice (tr. mine): “Sayl al-ʿarim, the singular ʿarima, is a

114. Abbreviations: AH, anno Hegirae; BH, before al-hijra; d., died; tr., translation. 115. Al-Mufaḍḍal al-Ḍabbī (ed. Beirut 2003). 116. Abū Saʿīd al-Aṣmaʿī (ed. Beirut 2005). 117. Ibn al-Mubārak (ed. Beirut 1999). 118. Ibn Qutayba al-Dīnawarī (ed. Cairo 1958). 119. Abū Zayd al-Qurashī (ed. Cairo n.d). 120. Abū ʿUbayda (ed. Cairo n.d).

structure like al-mashār used to hold back water in the middle of the land, in it there is a path for a boat. These [structures] are called al-ʿarimāt or al-mashār in the foreign tongue” (prob. Persian mshāreh). Perhaps a more accurate description of the dam is relayed by the philologist al‑Farrāʾ (d. 207 AH); in his Maʿānī ʾl‑Qurʾān121 he writes: “sayla ʾl‑ʿarim was a musannāt that withholds water behind three gates, they would [open] the first gate for watering, and then the second gate and finally the third gate; thus the water in the reservoir would not run out until it is time for the next rain season”. In poetry anthologies, we find that Maʾrib and the dam are not mentioned in al‑Mufaḍḍaliyyāt, a very early anthology of some 120 poems collected by al‑Mufaḍḍal al‑Ḍabbī (d. 178 AH). The first reference to Maʾrib is to be found in the second earliest anthology al‑Aṣmaʿiyyāt of Abū Saʿīd al‑Aṣmaʿī (d. 216 AH). The poet is Salāma b. al‑Jandal (d. ca. 23 BH), the poem begins with a regular amorous prelude (nasīb), then a short wine section (khamr) followed by a boasting section (mufākhara) about his tribe’s performance in battle; this last section opens with the mention of Maʾrib (n. 42, v. 9-10, p. 133): A-lā hal atat anbāʾu-nā ahla Maʾribin // ka-mā qad atat ahla ʾl-Dabā wa-ʾl-Khawarnaqi Bi-annā manaʿnā bi-ʾl-Furūqi nisāʾa-nā // wa-naḥnu qatal-nā man atā-nā bi-Mulziqi Did our news reach the inhabitant of Maʾrib, the way it reached the people of al‑Dabā and al‑Khawarnaq That we have protected our women in [the battle] of al‑Furūq // and that we have killed those who assailed us in Mulziq

From poetic and literary considerations alone, the reference of Maʾrib here considers it to be a prosperous place. This is indicated by two elements: first, the position of the mention of Maʾrib in the boasting section of the poem, and not in the amorous prelude section where the ruin is normally mentioned. Second, the mention of Maʾrib along with al‑Dabā (a famed marketplace in Oman) and al‑Khawarnaq (the famous palace of al‑Ḥīra) is most probably meant to heighten the value of the poet’s boasting, who is referring to established and prosperous places, some of which boast military might, each in a different corner of 121. al-Farrāʾ (ed. Beirut 1955), p. 358.

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Arabia (Oman, Iraq and Yemen). It is very possible that there is a menacing undertone in the verse, but that cannot be completely ascertained, since the two battles the poet mentions al‑Furūq and Mulziq, where in the context of the Dāḥis war, and were rather intratribal affairs within the tribe of Qays and not in the context of the wars with Yemen, in which the poet was occasionally involved. The mention of Ma‘add in the 32nd verse of the poem, is likely to be related to the Yemenite campaigns against the tribe that eventually ended with routing them out of their territories. The next recorded mention of Maʾrib appears in the dīwān of al‑Samawʾal (d. mid 6th century AD).122 Unlike the verses above from Salāma, the verse here mentions Maʾrib as a ruined place, whose glory is lamented in the amorous prelude section (nasīb), but the language suggests it is lamenting an older – more ancient – Maʾrib (p. 86): In imriʾan amin al-ḥawādithi jāhilun // yarjū ʾl-khulūda ka-ḍāribin bi-qidāḥi Min baʿdi ʿAdiyāʾ al-duhūri wa-Maʾribin //wa-Maqāwilin bīḍi ʾl-wujūhi ṣibāḥi If a man felt secure against the events [of fate]… ignorantly // hoping for eternity, then he is like a player of chance. [What] after the [people] of ʿĀd of ages [gone by] and Maʾrib // and the princes, all white of faces… radiant!

The poem from which the verse was taken, reflects the typical features of the poetry of al‑Samawʾal and employs some distinctly pre-Islamic expressions and motifs, which argues for reliability and authenticity of the source. This is despite a general but identifiable problem surrounding some of al‑Samawʾal’s poems: it is not always possible to ascertain his authorship of some of these poems, but we do know that they often do relate to him either through the lineage of his close kin or one of his descendants.123 Whether this is indeed al‑Samawʾal’s verses or those of his close kin, they reflect a typically pre-Islamic character and are unlikely to be later inventions; their language, style, motifs and the spirit of the author say otherwise. About the verse in question, note that putting Maʾrib in the context of the very ancient ʿAdiyāʾ al‑duhūr might be a reference not to Maʾrib under Abyssinian influence but rather to a much older instance of the capital of the Kingdom of Sabaʾ. As such the two poets that we have seen so far seem to be referring to a Maʾrib of two different historical 122. Hirschberg 1931. The verse is also mentioned in al‑Hamdānī (ed. Beirut 1978), v. VIII, p. 46. 123. Kowalski 1931; Levi Della Vida 1931, and Nöldeke 1864, pp. 52-86.

contexts, one against the background of its past glory, of which little remains; and the other in comparison with other living places, in which case the city has much to boast. The third mention of Maʾrib is delivered to us in Abū ʿUbayda’s Majāz al‑Qurʾān, who cites a verse from the poet al‑Aʿshà (d. 7 AH) mentioning al‑ʿarim:124 1. Wa-fī dhālika li-lmuʾtasī uswatun // wa-Maʾribu qaffā125 ʿalay-hā ʾl-ʿarim 2. Rukhāmun banā-hu la-hum Ḥimyarun // idhā jāsha duffāʿa-hu lam yarim 1. In it there is console for the grieving // and Maʾrib was ‘served’ by the dam 2. From marble did Ḥimyar build it for them // should its assailants come to stir it, they do not achieve [their purpose].

What treatment was Maʾrib “served” is not easily determinable from the two verses. Also, the term duffāʿa‑hu, which I translated as “assailants” can refer to the water behind the dam, or to enemies trying to destroy the dam, notably Jaylān.126 This ambiguity is conveyed by the use of verb jāsha (“to be or become turbulent”), which can be used with both. In his sīra127 (p. 122), Ibn Hishām (d. 213), himself of Ḥimyarite origin, adds two verses to the two above: 3. Fa-arwā ʾl-zurūʿa wa-ʾaʿnāba-hā // ʿalà siʿatin māʾu-hum idhā qusim 4. Faṣārū ayādiya mā yaqdirūn // min-hu ʿalà shurbi ṭiflin fuṭim 3. It watered the crops and the raisins // … their water was plenty if [fairly] divided 4. But they were dispersed/divided and became unable // to give a drink to a weaned child

The two added verses draw a certain picture of the events of the dam. In his comments Ibn Hishām leaves little reason to doubt as he believes that the dispersion/division of the people of Yemen happened before the so-called breaking of the dam. The sequence of events as described in the four verses he 124. The verses are also mentioned in the poet’s Dīwān (al‑Aʿshà [ed. Vienna 1927], n. 4, vv. 67-68, p. 34); Abū ʿUbayda (ed. Cairo n. d.), p. 146; Ibn Hishām (ed. Beirut n.d.), p. 122; Al-Jāḥiẓ (ed. Cairo n.d.), vol. 6, p. 154. 125. The term qaffā is read as ʿaffā in the other sources, and the verse thus produces two possible, contradictory, meanings. The poem in general tolerates widely divergent readings as its recension history in the poet’s dīwān demonstrates (pp. 28-34). 126. Al-Jāḥiẓ (ed. Cairo n.d.), vol. 6, pp. 152-153. 127. Ibn Hishām (ed. Beirut n.d.).

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 65

cites indicates that the dam has “served” the people of Maʾrib rather well. The reason they became unable to “provide water for a weaned child” is not the breaking of the dam, but the division of the people faṣārū ayādiya (more on this expression below) and the unfair distribution of water (māʾu-hum… idhā qusim).128 The same verses are cited in al-Jāḥiẓ’s (d. 255 AH) Kitāb al-ḥayawān (vol. 6, pp. 154-155) in a yet longer format. Between the third and fourth verses al‑Jāḥiẓ’s adds two verses: Fa-ṭāra ʾl-fuyūl wa-fayyālu-hā // bi-yahmāʾ fī-hā sarābun yaṭim Fa-kānū bi-dhālika ḥiqbatan // fa-māla bi-him jārifun munhadim And the elephants and their riders were swept away // in a desert full of catastrophic mirages As such, they were an epoch // but then they were swayed by a rockslide

Ibn Hishām’s convictions about the events of the dispersal of the people of Maʾrib are shared by al‑Jāḥiẓ, who added verses that introduce Abraha’s military campaign to the pictures. The rock slide that swayed them is arguably the breaking of the dam, yet note that it is placed after the dispersal of the people of Maʾrib (ṣārū ayādī). The reference to Abraha’s campaign is not found in all recensions of the poem however, in the poet’s dīwān129 (n. 4, v. 71, p. 34) the verse reads: fa-ṭār al-quyūl wa-qīlatu-hā // … and the princes and their cronies were swept.

I am more inclined to accept the version of the verse that appears in the dīwān. First because of the improbability of the combination of all these Qurʾanic elements pertaining to Yemen in a single poem by al‑Aʿshā; and second because of the credentials of al‑Aʿshà’s dīwān which was compiled by a very reliable source, i.e. Abū ʾl‑ʿAbbās Thaʿlab (d. 291 AH). Yet determining the poem’s original shape is beyond the scope of this annex, generally however, one notices that the verses follow a progression from Abū ʿUbayda (d. 150), then Ibn Hishām’s (d. 213), then al‑Jāḥiẓ’s (d. 255) and Abū ʾl‑ʿAbbās Thaʿlab (d. 291 AH). We notice that, with the exception of the first two, who 128. Ibn Hishām, however, does not use the term qaffā in the first verse, but substitutes it with ʿaffā meaning “to destroy” or “make derelict”, “erode” or “render unrecognizable”, notwithstanding that he got his poetic source from Abū ʿUbayda (fī-mā ḥaddatha-nī Abū ʿUbayda). 129. Kitāb al-ṣubḥ… (ed. Jena 1927).

were contemporaries in contact, the verses cited increase in length and progressively stir in the direction of the narrative of the Qurʾān with every new citation. Furthermore, the fact that al‑Aʿshà is a mukhaḍram raises the question about the literary influence of the Qurʾān on his compositions, but it can also raise the issue of a popular literary culture that circulated in Arabia at the time.130 After all, al‑Ḥīra where al‑ʿAshà spent most of his years and took his learning from was an important center of learning and might have had a circulating legend about the destruction of al‑ʿarim and the subsequent destruction of some or one of the governing dynasties at Maʾrib. Regardless of the verdict, the verses of al‑ Aʿshà are the most cited, and among the most reliable mentioning the event of the destruction that one can find in the early sources that I have consulted. The fourth mention comes from Ibn Hishām and Abū ʿUbayda131 who cite a verse referring to Sabaʾ and Maʾrib; the latter does not provide the author’s credentials and the former attributes it to either Umayya b. Abī ʾl‑Ṣalṭ or al‑Nābigha al‑Jaʿdī. The verse was not included in the dīwān of Umayya b. Abī ʾl‑Ṣalṭ (d. ca. 5 AH) by later compilers but is found in the dīwān of al‑Nābigha al‑Jaʿdī132 (d. ca. 50 AH) (n. 71, vv. 14-16, p. 149):133 Min Sabaʾi ʾl-ḥāḍirīna Maʾriba idh // yabnūn min dūni sayli-ha ʾl-ʾarimā From Sabaʾ, the residents of Maʾrib, as // they built the dam underneath its torrent

The verse as such is probably genuine, but a look at the context in the dīwān leaves no doubt about the rest of the poem being Islamic. That however does not justify us dismissing the verse as inauthentic, as often genuine pre-Islamic verses are inserted in later poems, or serve as seeds for later compositions and restorations. Whatever its status is, the verse does not tell us much, except that the poet knew that the dam was called al‑ʿArim, which according to him was built by the Sabaean inhabitants of Maʾrib. 130. According to Blachère, who speaks about the problem of authenticity in the poetry of al-Aʿshà: “… il s’agit du thème sur les peuples impies anéantis par la justice divine. Des développements de même allure et de même inspiration se retrouvent dans le Diwan mis sous le nom d’Umayya ibn Abi l-Salt ; le style de ces derniers poèmes autorise à découvrir dans les développements mis sous le nom d’Aʿša une origine commune. Dans un cas comme dans l’autre il s’agit sans nul doute d’une poésie semi-populaire d’inspiration monothéiste reprenant très souvent des récits édifiants figurants dans le Coran” (Blachère 1963). 131. Ibid. 132. Dīwān al-Nābigha… (ed. Beirut 1998). 133. The verse is also cited in Al-Jāḥiẓ (ed. Cairo n.d.), vol. 6, p. 153, and al-Bakrī (ed. Beirut n.d.), p. 1170.

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In Kitāb al‑ḥayawān, al‑Jāḥiẓ who has a relatively long entry on Sayl al‑ʿArim cites several of the verses that Ibn Hishām, Abū ʿUbayda and the poetry anthologies cite, but relays in addition the legend of the rodent(s) that was the cause of the destruction of the dam, to which I will come back shortly. Al‑Jāḥiẓ contributes no pre-Islamic verses mentioning the edifice, the earliest verse he cites is from Abū ʾl‑Ṭamḥān al-Qīnī134 (d. ca. 30 AH), the verse is cited as an example of the use of the name “Maʾrib” to designate the palace, and not the town as a whole, it does however describe an important water source that provides the inhabitants around it, and that it was not immune to the vicissitudes of time. The verses also mention that the destruction occurred after they ‘slept’, a common metaphor for falling into- or being blinded by error: A-lā tarà Maʾriban mā kāna aḥṣana-hu // wa-mā ḥawālay-hi min sūrin wa-bunyāni ẓalla ʾl-ʿibādiyu yusqà fawqa qullati-hi // wa-lam yahab rayba dahri ḥaqqi khawwāni ḥattà tanāwala-hu min baʿdi mā hajaʿū // yurqà ilay-hi ʿalà asbābi kittāni Have you not seen (the palace of) Maʾrib how invincible it was / and the walls and the built houses that surrounded it! The ʿIbādī’s were given water from the top of their tower // and they did not fear the vicissitudes of fate, [which are] indeed treacherous. Until it was taken, after the people had slept // and now, [people] climb it using ropes of linen

The last source that I will be presenting here is also the latest, i.e. al‑Bakrī’s (d. 487 AH) Muʿjam mā ʾstaʿjam.135 The first is a verse from al‑Afwah al‑Awdī (d. 54 BH), a Yemenite poet from the descendants of Madhḥij: Fa-sāʾil bi-nā ḥayya Marībin fa-Maʾribin // bi-Rāʾisi Ḥijrin ḥaznu-hā wa-suhūlu-ha Should you ask about us the two quarters of Marīb and then Maʾrib // at Rāʾisi Ḥijr in its rugged terrain and its valleys

Al‑Bakrī notes the use of the toponym Marīb in contrast to Maʾrib but does not provide additional information about the two appellations. He also cites a two verse fragment from the poet al‑Sulayk b. al‑Salka (d. ca. 17 BH) who, according to the editor of his dīwān136 was often engaged in ghāra 134. Also in al-Hamdānī (ed. Beirut 1978), vol. VIII, p. 45. 135. Al-Bakrī (ed. Beirut n.d). 136. Dīwān al-Ṣaʿālīq (ed. Beirut 1992).

in Yemen. Here he mentions the area around Maʾrib, but adds nothing significant… except that he is vexed by his adversary: A-muʿtaniqī raybu ʾl-manūni wa-lam aruʿ // ʿaṣāfīra wādin bayna Jaʾshin wa-Maʾribi Wa-adhʿara Kallāban yaqūdu kilāba-hu // wa-Marjata lammā altamis-hā bi-minqabi Are we to embrace the vicissitudes of fate when I have perturbed // not [one] bird in the valley between Jaʾsh and Maʾrib While Kallāb and his dogs sow fear // and I am unable to reach Marja even with a host of cavalry

This concludes137 the mention of Maʾrib and the dam in pre-Islamic poetry. I will add a few notes about two elements that are often mentioned in relation to the dam at Maʾrib in traditional sources that might help understand the literary elements of the legend as described in sūra Sabaʾ and the poetry we saw. These are the legend of the rodent and the expression ayādī Sabaʾ. First, the legend, the earliest mention that I was able to find is al‑Jāḥiẓ in Kitāb al‑ḥayawān (p. 151), who claims that the dam was destroyed by a mouse, and that this mouse was God’s agent for destroying al‑ʿarim. According to al‑Jāḥiẓ, this is meant to heighten the effect of the incredible act (uʿjūba) and make it more salient (aẓhar). He however adduces no pre-Islamic verse mentioning the legend but offers verses from his contemporary al‑Ḥakam b. ʿAmr al‑Bahrānī (d. 222 AH) who mentions some of the legends of the Arabs in a long poem.138

137. There is another famous occurrence in al-Āmidī (ed. Cairo 1961), n. 282 p. 128 attributed to al‑Muraqqim al-Dhuhli (alt. al-Muraqqish al-Sadūsī), where the poet, from his comfortable residence in Maʾrib, is calling upon ʿAmr b. Laʾy to fight: Ṭāla ʾl-thiwāʾu bi-Maʾribin // wa-ẓanantu annī ghayru zāʾimi [My] stay in Maʾrib has lasted long // and I have thought that I will no longer be scared

The verse is also cited in Abū ʾl-ʿAlāʾ al-Maʿarrī (ed. Cairo 1984), p. 273. Both sources are sufficiently late to make us suspect the authenticity of the verse. I, however, listed it because of its fame and recurrent mention in the sources. 138. The poem is cited in full in Al-Jāḥiẓ (ed. Cairo n.d.), vol. 6, p. 81. The relevant verses are:

Kharaqat fāratun bi-ʾanfin ḍaʾīlin // ʿariman muḥkama ʾl-ʾasāsi bi-ṣakhri Fajjarat-hu wa-kāna Jaylāna ʿan-hu // ʿājizan law yarūmu-hu baʿda dahri A mouse with a meager nose has pierced // a dam, whose foundations were established with rocks [the mouse] ruptured [the dam], when Jaylān had been // unable to attain it, even [if they tried] for an eternity.

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 67

Ibn Hishām (d. 213 AH) is the second to mention the legend in his description of the exodus of the tribes of Azd from Maʾrib in the sīra (p. 121). He relays the story of ʿAmr b. ʿĀmir who decided to leave Maʾrib after a vision he had of a rodent digging at the foundations of the dam. He interprets his vision as a bad omen and decides to leave Yemen, he uses a ruse to justify his departure, sell his property and get his family and eventually his clan, Azd, out of Yemen. According to this narrative the dam was weakened by rodents digging at its foundations, a claim that need not be taken literally, although the possibility that rodents can destroy a dam cannot be entirely ruled out. It is more likely however that the rodent legend is meant as a metaphor, either for the hidden forces gnawing at the foundations of the kingdom or for prosperity which ended up having adverse effects on those who enjoyed it. In Arabia, rodents were perceived as a positive sign of wealth in certain cases, as the house they invade is normally one of abundance, hence the expression akthara Allāhu jurdhānak, “may god multiply your rodents” (see the entry faʾr in Encyclopaedia of Islam). This legend is important as it is an alternative to the Qurʾanic narrative of the destruction of Sabaʾ. Exegetes took the legend rather seriously and tried to incorporate it into their commentaries and reconcile it with the Qurʾanic narrative. This can be seen in the oldest extant commentaries, like the one of Muqātil (see his commentary on sūra Sabaʾ), which suggests that the legend was known to the first listeners of the Qurʾān, and is not a later invention. Some later exegetes even claimed that al‑ʿArim is actually the name of the rodent, otherwise referred to as Juradh. Al‑Masʿūdī’s (d. 346 AH) in Murūj al‑dhahab139 presents the legend in a longer and more elaborate version that coheres with the one of Ibn Hishām, with one notable difference: the vision is not that of ʿAmr b. ʿĀmir as Ibn Hishām claims but of his soothsayer wife Ṭarīfa al-kāhina, who relays her vision and prophecy in a typical rhymed prose sajʿ kuhhān, thus setting the legend, both in form and content, in contrast to Qurʾanic language and narrative. Similarly, in Ṣifat Jazīrat al‑ʿArab,140 al‑Hamdāni cites a thirteen verse poem by an unnamed man from banū ʿAmr b. al‑Ghawth who elaborates the story of the exit from Maʾrib with more parallels with the Qurʾanic narrative but again with additions and twists to the story. The most noticeable of which is the reference 139. Al-Masʿūdī (ed. Beirut 1973), vol. 2, pp. 180-191. Al-Masʿūdī gives a relatively elaborate description of the dam, its history, and its gradual destruction, which he attributes to the weakening water conduit al-mikhraq caused by the eroding force of water (ibid., p. 181). 140. Al-Hamdānī (ed. Baghdad 1989), pp. 327-328.

to the destruction of the two gardens which are mentioned in the sūra. Also, and unlike the version of Ibn Hishām, here ʿAmr b. ʿĀmir spurs the soothsayer141 to make the prophecy, which makes him the author of an even more mischievous ruse. The ʿArim itself is not mentioned, nor is the flood, but we have a description of the departure from Maʾrib instead, followed by some verses on the misfortunes the clans met wheresoever they went.142 In the same book al‑Hamdānī mentions a second poem by a certain ʿĀʾidh b. ʿAbd Allāh from the banū Mālik who laments his people’s departure from Yemen and reproaches them for it. The poem follows the previous one in that it refers to the two gardens and the kāhin, but unlike the previous poem it is not ʿAmr b. ʿĀmir who incites the ruse but the soothsayer awwal kādhib, perhaps to innocent the chieftain from some of the guilt. The structure of the poems is certainly worth a more detailed inquiry, but their language is clearly not pre-Islamic. Nevertheless, the versions of the events collected from the different sources convey that there were significant disagreements over the political and social events that lead up to the breaking of the dam, in al‑Masʿūdī’s words: wa-ʾl-nāsu fī qiṣṣati halāki-him yakhtalifūn, wa-fī siyāqati akhbāri-him yatabāyanūn, “and people differ in the story of their destruction, and vary in the reports they relay [about them].”143 Beside the legend, the second element that might be worth mentioning is the common use of the expression ayādī Sabaʾ in Ḥijāz at the time of the prophet. We find the expression used with the verbs dhahabū or tafarraqū … ayādī Saba’, and employed to convey the idea of being “dispersed”, “separated”, “divided” or “at odds”. We have already seen it used by al‑Aʿshà and cited by the philologist al‑Farrāʾ in his work Maʿānī ʾl‑Qurʾān (p. 385) who associates the expression with Q34:19: fa-jaʿalnā-hum aḥādītha wa-mazzaqnā-hum kulla mummazaqin, “we have made their fate a byword and scattered them in countless fragments.”144 Most of the verses that I found containing the expression did not employ it in relation to the history of the Kingdom of Sabaʾ or the Arabs and the Yemenites for that matter, which I believe reflects a long history of the use of the

141. The kāhin is referred to as himself and thus not identifiable as Ṭarīfa al-kāhina. 142. It might be worth noting that the poem supposedly appears in a relatively early work, Kitāb al-Waṣāyā attributed to Daʿbal al-Khazʿalī (d. 246 AH) (ed. Damascus 1997). Note also that there is a controversy about the authenticity of the book, the prose in Kitāb al-Waṣāyā is very similar – at times identical – to al‑Hamdānī’s Ṣifat Jazīrat al-ʿArab, which at best invites the thesis that the latter used the book as a source, otherwise it could very well be al-Hamdāni’s own. 143. Al-Masʿūdī (ed. Beirut 1973), p. 180. 144. Abdel Haleem 2004, p. 273.

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expression, sufficiently long that it almost becomes an abstract expression. The mukhaḍram poet ʿUtayba b. Mirdās (d. ca. 40 AH) uses it to speak of some common affairs and interests that the poet had with the agent of the Caliph in Baṣra, and how they “diverged” and their stances “became irreconcilable” (al‑Akhfash d. 315 AH, al‑Ikhtiyārayn145, n. 59, v. 23).146 Dhū ʾl‑Rumma (d. 117 AH) uses the expression147 to refer to the abodes of the beloved after the people were dispersed.148 The expression is also used in a similar spirit in verse by Jamīl Buthayna talking about a separation from his beloved attested in Ibn Mubārak’s (d. 597 AH) Muntahà ʾl‑ṭalab (vol. 2, n. 114, v. 21, p. 380). Beside the verses that I was able to locate, al‑Zamakhsharī (d. 538 AH) in his al‑Mustaqṣà min amthāl al‑ʿArab149 gives five examples of the use of the expression dhahabū ayādī Sabaʾ in poetic verse. Al‑Zamakhsharī adduces another verse from Dhū ʾl‑Rumma150 (d. 117); second, by Kuthayyir ʿAzza151 (d. 105 AH); third a verse from the mukhaḍram ʿAmr b. Ḥumayl al‑Azdī152 (date of death undeterminable); fourth a hemistich that I believe al‑Zamakhsharī knew from the much earlier but very well-known work Maʿānī ʾl‑Qurʾān by al‑Farrāʾ (d. 207 AH) who attributes the verse to Dakīn al‑Rājiz153 (d. ca. 100 AH);

145. Al-Akhfash Al-Aṣghar (ed. Beirut 1974). 146. Fa-lammā ʿaraftu ʾl-ya’sa min-hum wa-qad badat // ayādī Sabā ‘l-ḥājātu li-l-mutadhakkiri When I realized that there was no hope in them, and [that] the // objectives were like the hands of Saba’ (irreconcilable)… [and the matter] was visible to he who heeds a reminder. 147. Fa-yā la-ki min dārin taḥammal ahlu-hā // ayādī Saba’ baʿdī wa-ṭāla ʾḥtiyālu-ha What an abode you are! After your inhabitants were gone // like the hands of Saba’… (dispersed) and long years have passed upon you. 148. Abū Bishr b. Qanbar a.k.a Sībawayh (ed. Cairo n.d.), vol. 3, p. 304. 149. Al-Zamakhsharī (ed. Ḥaydar Ābād 1962), vol. 2, pp. 88-90. 150. Amin ajli dārin ṣayyara ʾl-baynu ahla-hā // ayādī Sabaʾa baʿdī wa-ṭāla ʾḥtimālu-hā. Is it because of an abode whose people were changed when they departed! // [they became] the hands of Sabaʾ (dispersed) after me that chagrin has endured. 151. Ayādī Sabaʾ mā kuntu yā ʿIzzu baʿda-kumu // fa-lam yaḥlu li-l-ʿaynayn baʿda-ki manẓaru The hands of Sabaʾ! How am I to live, oh ʿIzz, after you [have departed]! // My eyes… they no longer see beauty around them now that you are gone. 152. Fa-ʾjtabadhtu aqrāna-hum jabādhi // aydī Sabaʾ ʾabraḥa ma ʾjtibādhi So I snatched [and seized] the temples [of their heads] to me, and snatched [their souls] // they were dispersed… [oh how] I did not hold back from snatching [them]. 153. ʿAynan tarà ʾl-nāsa ʿalay-hā naysaban // Min ṣādirin aw wāridin aydī Sabaʾ A water source to which you see people beat a path // those approaching [it] and those departing [from it]: the hands of Sabaʾ.

the fifth verse comes from the poet Ruʾba al‑Thaʿlabī (ca. 65 AH).154 The expression seems to have been known and to have been in wide circulation from very early on in Islamic history. I was unable to find pre-Islamic poets using the verse, but the sheer volume of its use in very early Islamic history makes it unlikely that it was born out of the Qurʾān. Also, the poets who use the expression hail from different parts of Arabia, from early on after the Mohammedan mission and prior to the standardization of Qurʾanic legends which ensued in exegetical practices that could produce and fix such catch phrases and proverbs. Prof. Christian Robin suggested an interpretation of the expression according to Sabaean uses of the roots involved; where the verb sbʾ would mean to “go on an expedition”, which derives from the same root that gives us the appellation Sabaʾ itself. The Sabaean meaning might be comparable to the Arab use of the verb sabā, which is to “move a person or a population from one place to another”, or to “travel far” as attested in Ibn Manẓūr’s Lisān al‑ʿArab on the authority of al‑Azharī’s al-Tahdhīb155 (entry SBʾ). For ayādī one can suggest that it might be glossed as “routes” or “paths” (“ṭarīq”, see Lisān al‑ʿArab, entry ydy), in which case the expression dhahabū ayādī sabaʾ would mean “they went on paths of expedition”, which remains more or less close to the meaning of the expression as used by the poets around Ḥijāz that we saw above, but whereas the Sabaean reading implies positive connotations of exploration and discovery, the Ḥijāzī use has negative ones of dispersal and loss. I suppose that it is possible that the expression is originally Sabaean and survived in the use of the Arabs of Ḥijāz but with a different connotation. The popularity of the expression is to be noted, whether the expression was related to the events of al‑ʿArim, as some might choose to conclude through al‑Aʿshà’s poem, or were they welded together through ad hoc literary devices in light of the Qurʾanic narrative remains undeterminable. Whatever is its exact meaning or origin, the expression, along with the legend and the poetic mention of Maʾrib in the early sources warrant the following conclusion: Maʾrib is rarely mentioned in poetry surviving from pre-Islamic times, al‑ʿarim is even less mentioned, and the narrative of its destruction

154. Marrā janūban wa-shamālan tandaqim // ayādī Sabaʾ baʿda aʿāṣīrin diyam They passed {dual} north and south, hustling through: // the hands of Sabaʾ (dispersed) after some long-enduring storm. For an alternative reading of the verse, see Dīwān Ruʾba… (ed. Berlin 1903), n. 82, p. 182. 155. Abū Manṣūr Al-Azharī (ed. Cairo n.d.).

Contribution à une meilleure compréhension de l’histoire de la Digue de Maʾrib au Yémen • 69

does not consider the event of the destruction to be the cause of the dispersal of the people of Maʾrib, but is rather presented as a convenient pretext that was foreseen and used by internal political forces who wanted to leave Yemen and even spur a wave of migration from it. This is the understanding portrayed in the earliest sources, and is in harmony with the strict order of the events as relayed by sūra XXXIV Sabaʾ. Narratives that attribute the dispersal of the tribes of Ghassān and Azd to the breaking of the dam appear only in later etiological accounts and seem to be the product of a combination of the pre-existing elements that I listed with the new elements that

the Qurʾanic narrative introduced. As far as the sūra goes, the breaking of the dam is associated in general terms with Sabaʾ, Solomon and David, and not with the immediate inhabitants of Arabia. This last remark is not intended to claim that the event described in the Qurʾān belongs to a much earlier history, but rather to suggest and invite alternative hypotheses, the narrative in sūra XXXIV Sabaʾ about the destruction of the dam can be of a recurrent event that has been condensed into a legend with the final disuse of an edifice that symbolized Sabaʾ for centuries, alternatively it can be understood as an ahistorical story that is primarily meant for edification purposes.

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Les barrages de l’Arabie méridionale préislamique. Architecture, datation et rapport au pouvoir Julien Charbonnier (Durham University / UMR 7041, ArScAn, Nanterre) Jérémie Schiettecatte (CNRS, UMR 8167 Orient & Méditerranée, Ivry-sur-Seine)

Dans l’Arabie orientale et méridionale, l’agriculture est pratiquée dès le début du iiie millénaire avant J. C. Dans ce milieu aride, à de rares exceptions près, l’irrigation est une condition nécessaire. Elle a pour finalité la mise à profit de ressources en eau ponctuelles (pluies saisonnières, crues de wādīs, sources artésiennes, nappes de sous-écoulement). Elle s’est faite par la réalisation de structures variées : puits, citernes, canaux, murs de déviation dans un premier temps, puis, à partir de l’âge du Fer, par le creusement de canalisations souterraines (falaj ou qanāt). Au tournant de l’ère chrétienne, un nouveau type d’ouvrage hydraulique fait son apparition : le barrage. Ce dernier point fait l’objet de notre contribution. Durant la période préislamique, on ne note leur présence que dans l’Arabie du Sud et, à l’exception notoire de Maʾrib, uniquement sur les Hautes-Terres. Cette région de montagnes et de hauts-plateaux, d’une altitude moyenne de 2 000 m, est arrosée par les pluies de mousson au printemps et en été. Avec plus de 200 à 400 mm d’eau par an, il s’agit de la seule région d’Arabie où l’agriculture sèche est possible. Afin de limiter l’érosion et le lessivage des sols, des terrasses agricoles y ont été bâties dès l’âge du Bronze. Les barrages viennent donc s’inscrire dans un paysage déjà largement anthropisé. Leurs bâtisseurs bénéficient par ailleurs d’une expérience plurimillénaire en matière d’irrigation acquise principalement dans les vallées et dans les Basses-Terres du pourtour désertique. Le développement de systèmes de déviation des crues de plus en plus élaborés permettait de tirer profit des crues saisonnières et d’irriguer des oasis de plusieurs centaines ou milliers d’hectares. Élaborés à partir du IIIe millénaire, ces systèmes d’irrigation atteignirent leur apogée au cours du Ier millénaire avant J. C., en garantissant la subsistance des populations des royaumes sudarabiques de Sabaʾ, Maʿīn, Qatabān ou du Ḥaḍramawt. Les barrages apparaissent comme des structures monumentales et élaborées, dont le but n’est pas seulement de dévier les écoulements mais aussi de

les retenir. Depuis les années 1970, une soixantaine d’entre eux ont été recensés (figure 1). Comme l’indique leur architecture, leur localisation et leur datation, l’apparition de ces structures est liée à l’évolution de la société sudarabique et des sphères du pouvoir au début de l’ère chrétienne. Nous nous intéresserons donc dans un premier temps à leur mode de construction et à leur typologie. Dans un second temps, les barrages seront replacés dans leur contexte géographique et historique. Le lien sera établi entre leur apparition et la mise en place de l’État ḥimyarite.

Les techniques de construction des barrages

Tous les barrages découverts en Arabie du Sud sont des barrages-poids, c’est-à-dire qu’ils opposaient leur masse à la poussée de l’eau1. Les ouvrages de ce type sont larges à la base et se rétrécissent au sommet. Un barrage se compose de deux éléments principaux : un mur de retenue et des aménagements permettant d’évacuer liquides et solides accumulés dans son réservoir. Les dispositifs de franchissement peuvent être installés dans le corps de maçonnerie du mur de retenue ou aménagés latéralement.

Les murs de retenue Les barrages d’Arabie du Sud sont le plus souvent implantés au niveau du rétrécissement d’une vallée. La plupart sont posés à même le rocher et sont rectilignes (figure 2). Dans de rares cas comme Sadd Yehjil, Sadd Sijin (région de Ẓafār) ou al‑Ghunaymiyya (wādī Shirjān, région d’al‑Bayḍāʾ)2, le barrage est bâti en deux parties, de part et d’autre d’un saillant rocheux au milieu de la vallée. Sadd Tamīm, sur le plateau de

1. Calvet, Geyer 1992, p. 139 ; Smith 1972, p. 263-265. 2. Robin, Dridi 2004, p. 89 ; Gibson, Wilkinson 1995, p. 176.

Regards croisés d’Orient et d’Occident. Les barrages dans l’Antiquité tardive, édités par François Baratte, Christian Julien Robin et Elsa Rocca, 2013 — p. 71-91

72 • Julien Charbonnier / Jérémie Schiettecatte

Figure 1 ‒ Carte de répartition des barrages préislamiques dans les Hautes-Terres du Yémen. [Cartographie : J. Charbonnier et J. Schiettecatte]

Dhamār, et le barrage du wādī dhū‑ʾl‑Qayl (figure 3), non loin d’al‑Bayḍāʾ, adoptent pour leur part un plan en L3. Les barrages des Hautes-Terres mesurent entre 20 m de long (mur de retenue situé en partie supérieure du wādī dhū‑ʾl‑Qayl) et 280 m (Sadd dhū‑Ḥadīd, près de Qāniya)4. Ils sont en général maçonnés, à l’exception notable d’un ouvrage situé à proximité du site d’al‑Hadīm et de celui d’al‑ʿAqr al‑Maksūr, dans le Khawlān5. Tout comme le barrage de Maʾrib, ces derniers sont des barrages en remblais, c’est-à-dire constitués d’une levée de terre recouverte de blocs de pierre non équarris. Les barrages maçonnés se classent en deux groupes : - ceux composés d’un noyau de terre et/ou de moellons flanqué de deux parements de pierre ;

- ceux formés de deux ou trois murs (à double parement) parallèles. L’espace entre ces murs est comblé à l’aide de blocs de pierre, de briques crues ou de terre. Dans le premier groupe on peut inclure les barrages des wādīs Dawdhān et Ghaylān au nord de Sanaa, Sadd Ajmaʾ, Sadd Sijin et Sadd Yehjil dans la région de Dhamār, l’ouvrage de Hajar Ṣabāḥ, près de Radāʿ, ou encore Sadd Asfal non loin de Qāniya6. Les barrages du deuxième type, constitués de deux ou trois murs successifs, sont : Sadd al‑Dhiraʿa et Sadd Bāb al‑Salaba sur le plateau de Dhamār, l’ouvrage situé en aval du wādī dhū‑ʾl‑Qayl et Sadd dhū‑Hadīd près d’al‑Bayḍāʾ, Sadd ʿĀmir et le barrage supérieur du wādī Dawdhān au nord de Sanaa7.

3. Lewis 2005, p. 204 ; Robin, Dridi 2004, p. 69. 4. Robin, Dridi 2004, p. 91. 5. Ibid., p. 90 ; De Maigret (éd.) 1990, p. 25 et pl. 37a.

6. Voir respectivement Siewert 1982 ; Lewis 2005 ; Gibson, Wilkinson 1995 ; De Maigret 1985 ; Robin, Dridi 2004 ; Ghaleb 1990. 7. Gibson, Wilkinson 1995 ; Robin, Dridi 2004 ; Robin, Breton, Audouin 1981.

Les barrages de l’Arabie méridionale préislamique • 73

Figure 2 ‒ Le barrage de Sadd al‑Kawla depuis l’aval. [Cliché : J. Charbonnier]

Figure 3 ‒ Façade aval du barrage supérieur du wādī dhūʾl‑Qayl. [Cliché : J. Charbonnier]

Les parois amont du barrage supérieur du wādī dhū‑ʾl‑Qayl et du mur barrant le wādī Ḥisāya (au nord de Radāʿ) sont verticales8, tout comme celles de Sadd al‑Kawla dans la région de Dhamār. Les parements de l’ouvrage du wādī Ghaylān, de Sadd ʿĀmir, de Sadd Sijin et de Sadd Yahjil présentent un léger fruit. Les assises des murs de retenue peuvent aussi être disposées en gradins, comme c’est le cas pour les barrages des wādīs al‑Sidd, Dawdhān, dhū‑ʾl‑Qayl (ouvrage supérieur), Ḥisāya et pour le Sadd dhū‑Hadīd. 8. Robin, Dridi 2004.

Les dispositifs de franchissement Les barrages des Hautes-Terres sont généralement munis de dispositifs de franchissement permettant à l’eau de s’écouler hors de leur réservoir soit pour alimenter des canaux, soit pour assurer l’entretien de la retenue et curer les sédiments accumulés à l’arrière du barrage – nous parlerons dans ce cas d’exutoires. D’autres avaient pour fonction d’évacuer le trop-plein d’eau et d’éviter la rupture d’un barrage submergé par les flots – nous parlerons de déversoirs.

74 • Julien Charbonnier / Jérémie Schiettecatte

Les déversoirs de trop-plein prennent la forme de canalisations aériennes taillées dans la roche (Sadd ʿĀmir, figure 4, al‑Jifjif dans le wādī Shirjān9), plus rarement d’un tunnel creusé dans la roche (barrage du wādī Ghaylān10). Lorsqu’il n’était pas équipé de déversoir, le mur de retenue était le plus souvent conçu de manière à pouvoir être submergé. Peu élevé et très large à sa base, le barrage du wādī Ḥisāya en est une parfaite illustration. Les exutoires alimentant les canaux d’irrigation étaient soit taillés dans la roche au voisinage immédiat des murs de retenue, soit aménagés dans le corps de maçonnerie des barrages. Il est à noter qu’aucun des différents types d’exutoires n’est propre à une région particulière (figure 5). Le premier type (exutoire taillé dans la roche) s’observe sur des ouvrages du Khawlān (Sadd dhū‑ Ḥadīd11), de la région de Ẓafār (Sadd Yahjil et Sijin) et de Dhamār (Sadd Bāb al‑Salaba, al‑Wastā, Sadd Abū Yābis, Sadd al‑Qāʿima, Sadd Harrān, Sadd Dhī Ahwad et Sadd Mājil12). Certains exutoires étaient munis

d’un système de vannes permettant de réguler le flot. Des encoches verticales encore visibles recevaient un panneau amovible. Le second type (exutoire aménagé dans l’épaisseur du mur de retenue) est visible à Sadd Tamīm, Sadd Kharfān, Sadd al‑Ghul, Sadd Yehjil, Sadd al‑Dhiraʿa et sur le barrage du wādī dhū‑ʾl‑Qayl (figure 3)13. Les dimensions de ces aménagements sont rarement connues. Sur le barrage amont du wādī dhū‑ʾl‑Qayl, l’exutoire mesure 45 cm de large et 15 cm de haut ; sur le barrage aval, la conduite ne dépasse pas 15 cm de large à son débouché. L’exutoire de Sadd al‑Dhiraʿa est d’un type particulier (figure 6). Le barrage fermait une petite vallée au sud de la plaine de Dhamār. Il mesurait 60 m de long, 19 m de haut et 20 m d’épaisseur à la base. Le mur de retenue a été en partie arraché par les crues14. Un massif de plan carré de 6 m de côté était accolé à la paroi amont de l’ouvrage. Cette construction était munie de trois prises d’eau étagées, reliées à une canalisation de 8 cm de diamètre qui devait permettre à

Figure 4 ‒ Le barrage de Sadd ‘Āmir depuis la rive droite. [Cliché : Mission Qatabān]

9. Robin, Breton, Audouin 1981, p. 39 ; Robin, Dridi 2004, p. 85. 10. Siewert 1982, p. 194. 11. Ghaleb 1990, p. 237. 12. De Maigret 1985, p. 357-359 ; Lewis 2005, p. 201-202.

13. Lewis 2005, p. 201 ; Gibson, Wilkinson 1995, p. 176 ; Robin, Dridi 2004, p. 72-73. 14. Siewert 1979, p. 169.

Les barrages de l’Arabie méridionale préislamique • 75

Figure 5 ‒ Carte de répartition des différents types de dispositifs de franchissement de barrage dans les Hautes-Terres du Yémen. [Cartographie : J. Charbonnier]

Figure 6 ‒ Façade amont du barrage de Sadd al‑Dhiraʿa. [Cliché : C. J. Robin, Mission Qatabān]

76 • Julien Charbonnier / Jérémie Schiettecatte

l’eau de s’écouler hors du réservoir. Le barrage romain de Cornalvo (Espagne) était équipé d’une tour similaire, avec des exutoires installés à différentes hauteurs, alimentant une conduite unique. Pour N. Smith, un tel aménagement permettait à l’eau de continuer à s’écouler malgré l’accumulation de sédiments en amont de l’ouvrage15. Indépendamment des exutoires alimentant les canaux d’irrigation, de larges ouvertures ont été observées à la base des barrages de Hajar Ṣabāḥ et des wādīs dhū‑ʾl‑Qayl16, ʿAlma (région d’al‑Bayḍāʾ), Ghaylān et dhū‑Ḥadīd. T. Wilkinson mentionne la présence d’ouvertures similaires sur des ouvrages de la région de Dhamār sans toutefois préciser lesquels17. Dans les wādīs dhū‑ʾl‑Qayl et ʿAlma, ces passages sont obturés à l’aide de blocs de pierre. Quelques hypothèses ont été formulées sur l’utilité de telles ouvertures, notamment pour les barrages du wādī dhū‑ʾl‑Qayl18. H. Dridi propose de voir, dans la large galerie (1,20 m de haut ; 0,80 m de large) située à la base du barrage, un aménagement permettant de curer les sédiments accumulés dans le réservoir19. Elle est en effet trop large pour avoir servi de conduite d’irrigation. Il aurait été difficile de retirer les éventuelles vannes l’obturant sans mettre en danger la vie des personnes en charge de cette tâche. Par ailleurs, nous avons indiqué que le barrage était équipé d’un exutoire de petite dimension en rive gauche du wādī, destiné à relâcher progressivement l’eau du réservoir. Il est donc probable que la large conduite implantée à la base de l’ouvrage servait à vidanger la retenue. N. Smith signale la présence d’aménagements similaires sur des barrages espagnols bâtis au Moyen Âge et toujours en activité au xxe siècle. Ces ouvertures étaient utilisées lorsque les réservoirs des barrages étaient partiellement alluvionnés. Des ouvriers retiraient alors les panneaux les obturant, les limons déposés en arrière empêchant l’eau de s’écouler. Depuis le sommet des murs de retenue, ils brisaient ensuite les sédiments à l’aide de longues barres de fer. En s’engouffrant dans la galerie, par effet de chasse d’eau, l’eau emportait avec elle les alluvions20. 15. Smith 1972, p. 44. 16. Le barrage supérieur du wādī dhū-ʾl‑Qayl en est muni et il en reste de probables vestiges sur le barrage inférieur (Robin, Dridi, 2004, p. 90-91). 17. Wilkinson 2002, p. 192. 18. Situé à environ 20 km à l’est d’al‑Bayḍāʾ et à 8 km du site antique de Ḥaṣī, le barrage supérieur du wādī dhū-ʾl‑Qayl (fin du iiie siècle ap. J. C.) présente un plan en L (fig. 3). L’angle droit est disposé en amont, face aux flots. L’aile la plus courte (11,20 m de long ; 4,60 m de large) se cale contre le rocher situé au sud-ouest de la vallée tandis que l’aile la plus longue (16,30 m de long ; 7,40 m de large) rejoint la paroi rocheuse qui limite le wādī au nord-est. En aval, le barrage mesure 8 m de haut (Robin, Dridi 2004, p. 69). 19. Robin, Dridi 2004, p. 72 et 78-79. 20. Smith 1972, p. 109-110.

Peu de dispositifs de ce type sont attestés au Yémen, sans doute parce que de nombreux murs de retenue ont été emportés par les flots.

Une typologie des barrages À partir du corpus des barrages recensés, trois types architecturaux distincts apparaissent, chacun caractérisé par un appareil spécifique. Le contexte géologique et les possibilités d’approvisionnement en matériaux de construction conditionnent certes les différences constatées dans la taille ou la mise en œuvre des blocs de pierre, mais celles-ci sont aussi liées à des choix opérés par les maçons. Type 1 : Les ouvrages sont faits de blocs de pierre taillés quadrangulaires, disposés en panneresse, sans mortier apparent. La longueur des blocs est variable ; ils forment des assises de hauteur irrégulière. Appartiennent à ce groupe l’ouvrage situé en amont du wādī Ghaylān et le Sadd ʿĀmir (figure 4)21. Le barrage de Sadd ʿĀmir est daté des iie-ier siècles avant J. C. (tableau 1). Type 2 : Les ouvrages présentent en façade des blocs de pierre non équarris, rectangulaires ou polygonaux, de dimensions variables. L’appareil en opus incertum ne forme pas d’assise régulière. Ce groupe intègre les barrages de Sadd al‑Kawla (figure 2), de Yanaʿīm (Hajar Ṣabāḥ) et de Sadd al‑Dhiraʿa22. Ces deux derniers présentent une façade à plusieurs degrés. Sadd Yanaʿīm est daté du ier siècle après J. C. (tableau 1). Type 3 : Il est constitué de barrages ayant des assises régulières disposées en gradins. Les blocs sont grossièrement taillés – dans un granit local – et à peu près quadrangulaires. Ce mode de construction caractérise soit les deux faces, soit le seul parement aval du mur de retenue. Ce sont les ouvrages des wādīs ʿAlma, dhū‑ʾl‑Qayl (figure 3), Ḥisāya, Samhā et Shirjān. Les deux premiers sont munis de dispositifs de vidange très similaires. Les barrages appartenant à ce groupe sont datés des ier-iiie siècles après J. C. Chaque type de barrage est propre à une région des Hautes-Terres (figure 7). Les deux barrages du Type 1 sont implantés au nord de Sanaa, dans la région du Nihm. Au début de l’ère chrétienne, cette région était territoire de la tribu de Samʿī, dans l’orbite du royaume de Sabaʾ. Les barrages du Type 2 sont localisés au sud de la plaine de Dhamār, dans le cœur de l’antique royaume de Ḥimyar. Ceux du Type 3 sont situés dans les régions de Radāʿ et d’al‑Bayḍāʾ, au sud-est des Hautes-Terres. Cette région était territoire des tribus de Maḍḥā et de Radmān-et-Khawlān aux premiers siècles de l’ère chrétienne, dans l’orbite ḥimyarite. 21. Siewert 1982, pl. 72a ; Robin, Dridi 2004, fig. 48. 22. Gibson, Wilkinson 1995, p. 174.

Les barrages de l’Arabie méridionale préislamique • 77 Tableau 1 ‒ Barrages datés par une inscription de fondation.

Barrage

Datation

Critère de datation

Inscription

Sadd ʿĀmir

iie-ier s. av. J. C.

paléographique

CIH 566

Wādī ʿAlma

ier s. ap. J. C.

paléographique

MQ‑ʿAlma 2

Hajar Ṣabāḥ : Sadd Yanʿīm

ier

 s. ap. J. C.

mention d’un roi

MAFRAY‑Hajar Ṣabāḥ 1

Wādī dhū‑Ḥadīd

74-85 ap. J. C.

mention d’un qayl

MAFRAY‑ḏī‑Ḥadīd 1

al‑Hadīm : Barrage Taʿūd

74-85 ap. J. C.

mention d’un qayl

BaBa al‑Ḥadd 2

Wādī Kharfān

85-100 ap. J. C.

mention de qayls

MAFRAY‑ḏī‑Ḥadīd 2

Wādī Makhliq

100-120 ap. J. C.

mention d’un roi et de qayls MAFRAY‑Makhliq 1

Ghayl Qaṭṭar 100-120 ap. J. C. Wādī Ḥisāya : barrage d’al‑Asʿadī 100-120 ap. J. C. Wādī Ḥarīr : barrage inférieur23 Wādī Shirjān : barrage d’al‑Jifjif

mention d’un roi et de qayls Ṣanāʿ Āl Zayn 3 mention de qayls MAFRAY‑al‑Ḥisāya 1 ; MAFRAY‑al‑Maktūba 1 mention d’un roi et d’un qayl Wādī Ḥarīr 1 MQ‑al‑Jifjif 1

Wādī Shirjān : barrage d’al‑Ḥāṭ

100-120 ap. J. C. Réparation en mention de l’année 242 ap. J. C. (+/- 11 ans) 268 ap. J. C. (+/- 11 ans) mention de l’année

Sadd al‑Khanūq

279 ap. J. C.

mention de l’année

OI Nūna 1

Wādī dhū‑ʾl‑Qayl : barrage amont 283 ap. J. C.

mention de l’année

MQ‑Ḥayd Mūsà 1

Wādī dhū‑ʾl‑Qayl : barrage aval Wādī Shirjān : barrage d’al‑Ghunaymiyya

mention de l’année mention de qayls

MQ‑Ḥayd Mūsà 1 MQ‑Shirjān 26 Ja 1819

24

283 ap. J. C. ive s. ap. J. C.

Plusieurs traditions architecturales régionales de construction de barrages semblent ainsi avoir coexisté.2324

MQ‑al‑Ḥāt 1

Il semble que la plupart des barrages des HautesTerres aient eu pour fonction de créer des retenues d’eau. Ils fermaient entièrement les vallées dans lesquelles ils étaient implantés. Un indice suggérant que l’eau était stockée dans les réservoirs est la présence, sur certains d’entre eux, en général les mieux conservés, d’exutoires permettant de relâcher l’eau progressivement. Ces canalisations sont de petites dimensions. Dans certains cas, la trace de dispositifs permettant de les fermer est visible. Par ailleurs, du mortier étanche recouvrait les parements amont des ouvrages de Sadd Sanaban, Sadd al‑Ayma, Sadd Bāb al‑Salaba, Sadd Sijin, Sadd al‑Asfal, Sadd al‑Dhiraʿa et wādī dhū‑ʾl‑Qayl25.

L’eau était employée à l’irrigation des terres. Des vestiges de systèmes d’adduction ont été découverts en aval de Sadd Ajmaʾ et Sadd al‑Dhiraʿa26. Les barrages situés au pied du site de Baynūn, au nord-est de la plaine de Dhamār, étaient quant à eux associés à des canaux, dont certains creusés en tunnel27. Nous ne sommes pas en mesure de dire combien de temps l’eau était stockée dans les réservoirs ni suivant quelles règles elle était utilisée. Il est possible que les ouvrages n’aient servi qu’à arrêter les flots pour alimenter immédiatement les canaux d’irrigation. Les champs n’auraient alors été mis en culture qu’après le passage de la mousson. Ces barrages auraient également pu permettre l’irrigation des terres pendant une plus longue période, jusqu’à la saison sèche28. Les rendements et le nombre de récoltes annuelles s’en seraient trouvés augmentés29. Dans les inscriptions sudarabiques, ces structures sont désignées par trois termes différents30 : - Mʾḏnt : le terme désigne des ouvrages généralement médiocres ou d’envergure moyenne (wādī Shirjān : MQ‑al‑Jifjif 1 et MQ‑al‑Ḥāt 1) ;

23. Charloux et al. 2009, p. 245-246. 24. Wilkinson, Edens 1999, p. 9. 25. Lewis 2005, p. 205 ; Robin, Dridi 2004, p. 72.

26. Gibson, Wilkinson, 1995, p. 176. 27. Pirenne 1987, p. 100-101. 28. Rigot 2006, p. 24. 29. Charbonnier 2009, p. 87. 30. Sur ce lexique : Robin, Dridi 2004, p. 100-108.

Les fonctions des barrages Les barrages de retenue

78 • Julien Charbonnier / Jérémie Schiettecatte

Figure 7 ‒ Carte de répartition des barrages par type dans les Hautes-Terres du Yémen. [Cartographie : J. Charbonnier]

- Mʾḫḏ : le terme désigne les barrages en pierre les plus massifs (Sadd ʿĀmir : CIH 566 ; wādī ʿAlma : MQ‑ʿAlma 2 ; wādī dhū‑Ḥadīd : MAFRAY‑ḏī‑Ḥadīd 1 ; Ghayl Qaṭṭār : Ṣanāʿ Āl Zayn 3) ; - Mʾgl : le terme désigne aussi bien les structures massives du wādī dhū‑ʾl‑Qayl (MQ‑Ḥayd Mūsà 1) que celles plus modestes d’al‑Ghunaymiyya (Ja 1818).

Les barrages-seuils sont peu nombreux sur les Hautes-Terres de l’Arabie du Sud. Leur fonction était de dévier une partie des crues des wādīs vers une prise d’eau. À la différence d’une digue déflectrice, ils barraient entièrement les vallées et formaient une retenue temporaire. Ces ouvrages présentent une forme distincte de ceux destinés à stocker l’eau. Dans les inscriptions sudarabiques, ces structures sont nommées ḥrt (wādī Kharfān : MAFRAY-ḏīḤadīd 2 ; wādī Makhliq : MAFRAY-Makhliq 1 ; wādī Ḥisāya : MAFRAY-al‑Ḥisāya 1)31.

Le barrage implanté dans le wādī Ḥisāya, bâti au début du iie siècle de l’ère chrétienne, est l’un des plus représentatifs32. Long de 140 m, son mur de retenue ne dépasse pas 2 m de haut. Il permettait de hausser le cours des crues du wādī Ḥisāya, de manière à pénétrer dans une prise d’eau taillée dans la paroi rocheuse à l’est de la vallée (figure 8). Le flot se déversait ensuite dans un canal creusé dans le roc puis s’écoulait dans un autre wādī qui le menait dans une large plaine cultivée, au pied du site ḥimyarite d’al‑Miʿsāl, 10 km à l’est du barrage. Ce barrage, long et bas, était conçu pour pouvoir être submergé sans se rompre. En aval du mur, les assises en gradins réduisaient la vitesse de l’eau qui s’y déversait et limitaient la formation de tourbillons, selon une technique maîtrisée dès le Ier millénaire avant l’ère chrétienne en Arabie du Sud (figure 9). Cette technique est notamment employée sur le Bauanlage A dans l’oasis de Maʾrib33 et dans le système d’irrigation du wādī Ṣurbān34. À l’inverse des barrages de retenue, le barrage-seuil du wādī Ḥisāya était implanté à

31. Ibid., p. 96-100.

32. Robin, Dridi 2004, p. 90. 33. Herberg 1987, fig. 26 et 28. 34. Darles 2000, fig. 3.

Les barrages-seuils

Les barrages de l’Arabie méridionale préislamique • 79

Figure 8 ‒ Le barrage du wādī Ḥisāya depuis la rive gauche. Une prise d’eau, taillée dans le rocher, est visible à droite de l’image. [Cliché : J. Charbonnier]

Figure 9 ‒ Façade aval du barrage du wādī Ḥisāya vue depuis la rive droite. [Cliché : C. J. Robin, Mission Qatabān]

80 • Julien Charbonnier / Jérémie Schiettecatte

un endroit où la vallée s’élargit. Ainsi, l’étalement de la crue et le ralentissement conséquent du flot étaient moins susceptibles d’endommager le mur de retenue ; de plus, lorsqu’il était submergé, la pression exercée par l’eau était répartie sur une plus grande largeur. Par ailleurs, il fallait que le mur de retenue soit suffisamment long pour pouvoir évacuer rapidement l’excédent d’eau lors des grosses crues. Ce surplus aurait sinon pénétré dans la prise d’eau et menacé le système d’irrigation en aval. L’ouvrage entravant le cours du wādī Kharfān, daté de la fin du ier siècle après J. C., fonctionnait également comme un barrage-seuil. Il détournait les crues vers la vallée du wādī dhū‑Ḥadīd, où elles étaient utilisées pour irriguer des parcelles via un canal dont les vestiges sont encore visibles en rive droite35. Le barrage de Maʾrib, au débouché du wādī Dhana, l’un des rares barrages des Basses-Terres, semble également entrer dans cette catégorie d’ouvrages. Fait d’une levée de terre longue de 600 m, son mur de retenue élevait le niveau de l’eau de sorte qu’elle s’engouffre par deux prises d’eau latérales vers des canaux d’irrigation. Complété et remanié à diverses reprises, cet ouvrage ne prit sa forme définitive qu’à la fin de la période préislamique36. La nécessité d’exhausser le niveau du cours d’eau était imposée par une surélévation progressive des zones de culture due à la sédimentation37.

L’une de leur fonction fut apparemment d’éviter l’érosion des sols en retenant les sédiments et / ou de ralentir les eaux de ruissellement afin de leur permettre de s’infiltrer dans le sol pour favoriser les cultures de fond de vallée39. Long de 310 m, Ḥarrat al‑Sadd est implanté en travers d’une vallée en aval du barrage ḥimyarite de Sadd al‑Hanūq, non loin du site ḥimyarite de Nūna (nord de la plaine de Dhamār)40. Ḥarrat Haqi partage en deux la vallée d’al‑Shalāla, à une quinzaine de kilomètres au nord de Ẓafār. Il mesure environ 900 m de long et 6 m de large41.

Des barrages datant

de la période himyarite

Les ḥarrat (ar., singulier : ḥarra) sont des murs rectilignes pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres de long et barrant entièrement une vallée. Leur fonction n’est pas assurée. Aujourd’hui, ils jouent le rôle de murs de terrasse. À l’origine, ces structures étaient peut-être des barrages-seuils, que le sabéen désigne par le même terme, ḥrt. Contrairement aux barrages-seuils évoqués précédemment, ces murs sont généralement très longs et étroits et ne présentent pas nécessairement un parement aval en degrés.

Une partie des barrages peut être datée grâce aux inscriptions de fondation gravées soit sur un rocher voisin, soit sur le mur de retenue. Certaines indiquent la date d’achèvement de l’ouvrage, d’autres permettent d’établir une fourchette chronologique par la mention d’un souverain ou d’un seigneur (qayl) commanditaire du barrage. Dans quelques cas, seule une datation fondée sur des comparaisons paléographiques peut être proposée. Une première liste des barrages datés avait été dressée par C. Robin et H. Dridi42 (tableau 1 et figure 10). À une exception près, les barrages datés à l’aide d’une inscription ont tous été bâtis entre le ier et le ive siècle de l’ère chrétienne. Seul Sadd ʿĀmir pourrait être plus ancien. La datation proposée pour ce dernier n’est toutefois pas totalement assurée ; elle repose uniquement sur des critères paléographiques. Des comparaisons architecturales permettent par ailleurs d’associer d’autres ouvrages à la période ḥimyarite : - l’appareil des murs de retenue de Sadd al‑Kawla et Sadd al‑Dhiraʿa évoque celui de Sadd Yanʿīm (Hajar Ṣabāḥ), tous du Type 2. Ces trois barrages sont par ailleurs implantés à proximité les uns des autres ; - le barrage du wādī Samhā rappelle ceux des wādīs Shirjān, ʿAlma et dhū‑ʾl‑Qayl, dont il est voisin. Tous sont du Type 3 ; - la retenue du wādī Ghaylān rappelle celle de Sadd ʿĀmir (Type 1). Les barrages de Sadd Ajmaʾ, Sadd Yehjil, Sadd Sijin et Sadd Bāb al‑Salaba ont également été considérés comme ḥimyarites (début de l’ère chrétienne)

35. Robin, Dridi, 2004, p. 91. 36. Robin 1988. Voir également la contribution de Darles et al. dans ce même ouvrage. 37. Brunner, Haefner 1986, p. 81 ; Brunner 2005, p. 4. 38. Robin, Dridi, 2004, p. 90 et 100-101.

39. Lewis 2005, p. 207 ; Wilkinson, Edens 1999, p. 11 ; Wilkinson 2003, p. 193. 40. Wilkinson, Edens 1999, p. 8. 41. Wilkinson 2003, p. 193. 42. Robin, Dridi 2004.

Les digues protectrices Certains barrages avaient pour fonction la protection d’installations humaines face aux crues des wādīs. C’est le cas de l’ouvrage Taʿūd, implanté non loin du site d’al‑Hadīm, l’antique Hidū, daté de la fin du ier siècle de l’ère chrétienne38.

Les ḥarrat

Les barrages de l’Arabie méridionale préislamique • 81

Figure 10 ‒ Carte de répartition des barrages datés de la période préislamique grâce à une inscription. [Cartographie : J. Charbonnier]

d’après leur appareil, similaire à celui des constructions datées de cette époque43.

À l’exception du barrage de Maʾrib, la carte de répartition des barrages montre qu’on ne les trouve que dans une aire géographique bien délimitée, celle des Hautes-Terres du Yémen et principalement la moitié sud de ces hauts plateaux. Les inscriptions de fondation et la tradition architecturale nous montrent que ces structures furent bâties en majorité aux premiers siècles de l’ère chrétienne. Or, à cette époque, la région était déjà largement mise en culture par le biais d’autres ouvrages hydrauliques ou de terrasses. Les travaux de l’Oriental Institute de Chicago, sous les directions successives de McG. Gibson et de T. J. Wilkinson ont mis en avant la présence de premières surfaces agricoles cultivées dès la fin du IVe et le début du IIIe millénaire avant J. C. T. J. Wilkinson

mentionne notamment un champ sédimenté daté de 3955-3630 cal-BC dans le secteur de Sadd adh‑Dhiraʿa44. L’association de ces accumulations avec de petits murets indiqueraient la mise en place des premières terrasses agricoles dès le début de l’âge du Bronze45. À partir de ces premiers développements, trois systèmes d’exploitation des sols se sont développés sur les Hautes-Terres46 : - dans les zones très humides des Hautes-Terres (> 500 mm/an) se mettent en place des terrasse agricoles ; les eaux de pluie et les ruissellements de pente suffisent aux cultures. Ce système ne nécessite pas la mobilisation d’une main d’œuvre importante. Pouvant être géré à l’échelle familiale, il est souple, durable et aisément extensible. - dans les zones moyennement arrosées (> 200 mm/ an), on observe la présence de terrasses tirant profit d’écoulements de pente ou de fond de vallée. Un bassin hydrographique plus large est nécessaire à leur mise en eau. Ce système présente la même souplesse de mise en œuvre que le précédent.

43. Gibson, Wilkinson 1995, p. 172 ; Lewis 2005, p. 213.

44. Wilkinson 1999, p. 186 ; voir également Gibson, Wilkinson 1995, p. 180-181. 45. Wilkinson 2003, p. 190 ; Id. 2006, p. 55. 46. Wilkinson 2006, p. 43.

Barrages sudarabiques

et stratégies de subsistance

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- dans les zones peu arrosées (