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German Pages 306 [308] Year 1999
Romania Judaica
Band 4
Studien zur jüdischen Kultur in den romanischen Ländern
Herausgegeben von Christoph Miething
Politik und Religion im Judentum Herausgegeben von Christoph Miething
Max Niemeyer Verlag Tübingen 1999
Die Deutsche Bibliothek - CIP-Einheitsaufnahme Politik und Religion im Judentum / hrsg. von Christoph Miething. Tübingen : Niemeyer, 1999 (Romania Judaica ; Bd. 4) ISBN 3-484-57004-0
ISSN 1435-098X
© Max Niemeyer Verlag GmbH, Tübingen 1999 Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Printed in Germany. Gedruckt auf alterungsbeständigem Papier. Druck: Weihert-Druck GmbH, Darmstadt Einband: Industriebuchbinderei Nadele, Nehren
Inhalt
Vorwort
IX
I Politisches Denken David Banon Pour sortir de lacrise: separer la religion et l 'Etat?
3
Maurice Kriege! Reflexion philosophique et appartenance identitaire chez lespenseursjuifsmedievaux
15
Pierre Bouretz La crise theologico-politique du judai'sme moderne: Sur les fondements de la pensee politique de Leo Strauss
37
Christoph Miething Franz Rosenzweigs (Messianische Politik) Anmerkungen zum Problem der Politischen Theologie
61
Andreas Kilcher Kafka, Scholem und die Politik der jüdischen Sprachen
79
II Gesellschaft und Geschichte Alessandro Guetta Le mythe du politique chez les Juifs dans l'Italie des Cites
119
Freddy Raphael Une entree singuliere dans la modernite: Les Juifs d'Alsace du XVIII6 au XXe siecles
133
VI
Inhalt
Beatrice Philippe Les Israelites francais et la Revolution de 1848
141
Regine Azria Identites juives et diaspora Le paradigme diasporique ä l'epreuve de la modernite
161
Ephraim Meir The Challenge of Religious Education in the Secular State of Israel
173
Guido Fubini Loi juive et loi de l'Etat: A la recherche d'une solution du conflit.
187
III Zionismus Moshe Zuckermann State and Religion: An Aporetic Relationship in Zionism
199
Marina Cavarocchi Arbib Sionisme et mysticisme: La controverse entre Gershom Scholem et Isaac Breuer
209
Amnon Raz-Krakotzkin The Golem of Scholem - Messianism and Zionism in the Writings of Rabbi Avraham Isaac HaKohen Kook and Gershom Scholem
223
Micha Brumlik Der jüdische Fundamentalismus
239
Michael Halevy Sioniste au parfum romanesque La vie tourmentee de David Shaltiel (1903-1969)
255
Inhalt
VII
Bernd Rother Sephardim of the Balkans and Zionism
265
Hermann-J. Stuckstätte Abschlußbericht über die Podiumsdiskussion «50 Jahre Israel - Vergangenheit und Zukunft» (19. Mai 1998)
277
Autoren
293
Vorwort
Anläßlich des fünfzig) ährigen Bestehens des Staates Israel organisierte die Forschungsstelle Romania Judaica an der Universität Münster vom 18.-20. Mai 1998 einen internationalen Kongreß zum Thema Politik und Religion im Judentum. Im Mittelpunkt der Veranstaltung stand die Frage, ob es im Judentum eine klare Trennung von Politik und Religion geben könne. Eine eindeutige Antwort auf diese Frage wurde nicht gefunden. Obwohl sich alle Teilnehmer der liberalen, rechtsstaatlichen Tradition verpflichtet wußten, derzufolge die Ausdifferenzierung eines religionsunabhängigen Bereichs des Politischen zu den wichtigsten Errungenschaften der Moderne gehört, blieb das Problem, inwiefern es überhaupt eine jüdische Identität ohne Bezug auf die religiöse Überlieferung und dementsprechend eine Autonomie des Politischen im Judentum geben könne, ungeklärt. Es stellt deshalb der innerjüdische, in Israel heute bis zum Kulturkampf gesteigerte Konflikt zwischen säkularer Emanzipation und religiösem Integralismus eine Herausforderung für die gesamte Spätmoderne dar; denn es geht hier beispielhaft um das Pro und Contra einer neuzeitlichen, auf Autonomie und Selbstbestimmung ausgerichteten Anthropologie. Die Beiträge gliedern sich in drei Abteilungen, die dem politischen Denken, der Gesellschaft und Geschichte und dem Zionismus gewidmet sind. Ein Bezug auf den Staat Israel ist naturgemäß in fast allen Beiträgen mitgedacht. Das historische Spektrum reicht vom Hochmittelalter bis zur gegenwärtigen Diskussion eines israelisch-palästinensischen Binationalismus oder zu jüngsten Plädoyers für die jüdische Existenz in der Diaspora. Der romanistischen Ausrichtung der Forschungsstelle entsprechend lag ein Schwerpunkt erneut auf der Darstellung französischer und italienischer Positionen. Eigentliches Ziel aller Reflexionen war jedoch die Frage nach der Zukunft Israels. Ihm galt auch eine Podiumsdiskussion, an der der Landesrabbiner von Westfalen, Dr. Henry Brandt, der ehemalige Botschafter der Bundesrepublik in Israel, Dr. Klaus Schütz und der Soziologe der Universität Tel Aviv, Prof. Moshe Zuckermann, teilnahmen. Ein Bericht über diese Diskussion bildet den Abschluß des vorliegenden Bandes.
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Vorwort
Der Stadt Münster, der Westfälischen Wilhelms-Universität, dem Westfälisch-Lippischen Sparkassen- und Giroverband, der Französischen Botschaft und der Italienischen Botschaft in der Bundesrepublik danken wir. Der Kongreß hätte ohne ihre Unterstützung nicht stattfinden können. Judith Görtz und Katharina von der Haar leisteten wichtige Hilfe bei der Vorbereitung und Durchführung des Kongresses. Ihnen sei besonders gedankt. Schließlich ist anzumerken, daß ohne die Lektorierungsarbeit von Judith Görtz dieser Band nicht hätte erscheinen können. Münster, im März 1999
I Politisches Denken
David Banon
Pour sortir de la crise: separer la religion et 1'Etat? Aujourd'hui, la Torah n'est pas un έΐέηηβηΐ frfderateur, mais un facteur de profonde division Yeshayahou Leibovitz'
Quiconque observe la societe israelienne ne manque pas d'etre frappe par son extreme raidissement. Raidissement consecutif aux incertitudes qui planent sur le processus de paix et de normalisation avec ses voisins, mais aussi au questionnement sur la forme de societe qui definit son identite. On ne compte plus les abces de fixation qui empoisonnent Γ atmosphere des rapports entre ce qu'il est convenu d'appeler laics et religieux depuis 1'assassinat d'ltshak Rabin. La societe israelienne parait de plus en plus fragilisee: deux communautes se font face dont les membres ne peuvent plus manger ensemble ( cause des lois de la cachroute: interdits alimentaires), se marier ensemble (regies de la purete familiale et revendication de l'instauration du mariage civil) et qui bient t, la paix aidant, ne mourront plus ensemble sur un champ de bataille et ne pourront meme plus etre enterres ensemble, puisque des voix se levent pour reclamer la creation de cimetieres laics. Israel va-t-il, des lors, vers (ou est-il deja dans) une societe desionisee et dejuda'isee conduite par des democrates liberaux et eclaires ou une societe integriste et obscurantiste dominee par des hommes en noir tyranniques et retrogrades? La possibilite d'un Etat d'Israel qui ne se comprendrait plus par reference la promesse biblique et au projet sioniste, qui tiendrait ceux-ci pour des mythes fondateurs la mort desquels Γ Etat puiserait s seule possibilite de survie en tant qu'Etat est-elle 1'unique horizon historique compatible avec la modernite? Est-ce la la seule alternative comme ne cessent de le seriner les medias israeliens et occidentaux? Ou alors, le conflit est-il imputable d'un cote la comprehension antireligieuse de la laicite
Yahdoute 'amyehoudi ownedinat ysrael, Tel Aviv 1975, 178. Une traduction fran^aise a έΐέ etablie par Gabriel Roth pour le compte des oditions Jean-Claude Lattes, Paris 1985, sous le litre: Judaisme, peuple juif et Etat d'Israel, mais eile est partielle et bourree d'inexactitudes, de faux-sens et de contresens. C'est plut t une libre adaptation utiliser avec d'innombrables procautions.
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David Banon
et de l'autre ä absence de culture religieuse de ceux qui font profession de penser? Nous nous proposons d'examiner ces questions en les reconduisant ä leur source avant de presenter la double reponse qu'a elaboree un grand penseur, juif et israelien, recemment disparu, Yeshayahou Leibovitz, et de tenter de prolonger sä reflexion par une critique.
Judai'sme et peuple juif Depuis l'Emancipation, notamment depuis le XIXe siecle, les notions de judaisme et de peuple juif ne sont plus congruentes: elles ne s'ajustent plus l'une ä l'autre. II y a distension, dissociation, voire rupture entre peuple juif et juda'isme. Celui-ci ne se considere plus comme peuple de la Torah et n'est meme plus considere comme tel par les nations.2 La presomption que le peuple juif est le peuple de la Torah s'est estompee, la societe faisant place aux Juifs, pas au juda'isme. II semble meme que ce soit sur ce flou ou cette disparition que l'Etat d'Israel s'est construit. Le peuple juif a eclate en une multiplicite de tendances et de factions s'excluant mutuellement tout en se revendiquant du ou d'un juda'isme - au point oü se demande si ces diverses manieres d'etre juif sont toujours rattachees ä un archetype, si les juifs peuvent encore vivre ensemble dans une communaute, une cite, un Etat. L'Emancipation qui, comme chacun le sait, a marque l'acces des Juifs d'Europe ä la citoyennete s'est doublee de entree dans la modernite dont l'une des caracteristiques consiste ä passer d'un monde dont le fondement social etait religieux ä un monde dans lequel la societe trouve son fondement en elle-meme et n'admet plus pour souverain que son representant. Ce que Max Weber a appele le n'est pas une simple separation institutionnelle entre le religieux et le politique. C'est le processus par lequel la rationalite conquerait de plus en plus de spheres du monde de la vie. Un tel mouvement peut etre identifie au projet de la raison critique - et done de la liberte - contre le dogmatisme et contre «Pautorite de l'eternel hier» (Max Weber): il devoile les croyances comme illusions.3 2
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«S'il y a un mystere du Juif croyant, il y a une 6nigme du Juif non croyant et qui se reconnait juif. Or, c'est sur cette e"nigme que semble devoir s'e"difier l'avenir d'Israel.», in: Paul Ricoeur, Lectures I. Autour du politique, Paris 1991, 364. Certes, Max Weber lui-meme voyait dans la rationalisation du monde un phonomene inquiotant, promoteur d'une bureaucratisation du politique et du triomphe de la raison instrumentale. Cette critique sera poussoe par Theodor Adorno et Max Horkheimer qui renversent le dosenchantement du monde en dosenchantement de la raison. Celle-ci fournit
Separer la religion et l 'Etat?
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Mais un tel mouvement fait de la raison un instrument et lui öte son Statut de sagesse pratique. C'est done un complet remodelage des idees, des moeurs et des comportements individuels. Dans I'univers democratique, la religion n'oriente plus 1'existence collective, eile est devenue une option individuelle parmi d'autres. Elle constitue une institution sociale au milieu des autres. Qui plus est, ses formes d'expression traditionnelles sont devenues de moins en moins comprehensibles ä homo democraticus. C'est sur la toile de fond de la modemite, saisie comme laminage du religieux et de l'Emancipation - comprise par la majorite du peuple juif comme emancipation et affranchissement de l Observance des commandements que Yeshayahou Leibovitz (1903-1994) pouvait dire: «La religion juive traverse une crise qui est peut-etre, ä Dieu ne plaise, la derniere.»4 Or, Leibovitz a consacre l'essentiel de sa reflexion et de son oeuvre ä la question de l'avenir du peuple juif, c'est-ä-dire de la continuite juive, du juda'isme face ä la modemite dont une des expressions les plus marquantes se trouve etre la faille introduite dans le couple peuple juif-judaisme, 1'eclatement ou la non-superposition qui n'a certes pas ete pensee par la halakha et que 1'Etat d'Israel n'a fait qu'accentuer. C'est pourquoi Leibovitz focalise son investigation sur la question du rapport de la religion ä 1'Etat.
Religion et Etat S'appuyant sur les philosophies politiques de Maimonide, Spinoza et Mendelssohn, Leibovitz entreprend de se livrer ä l'examen non point tant de la place de la religion dans 1'Etat, mais de la place de 1'Etat et de ses structures socio-institutionnelles dans la conscience et la tradition juives. Si bien qu'il inscrit la question de 1'Etat moderne dans la continuite juive en inversant le questionnement de ses predecesseurs, notamment Spinoza et Mendelssohn. En d'autres termes, il s'interroge sur eventuelle signification religieuse de 1'Etat et sur la non moins eventuelle possibilite d'etre administree par la loi juive (la halakha). Bien entendu, Leibovitz n'elude pas 1'obstacle constitue par le fait que la halakha teile quelle s'est concretised jusqu'ä nos jours est un produit de l'exil. Le mode de vie qu'elle propose et qui a ete sanctifie par des generations d'observants ne regit que la vie privee du Juif en tant aux hommes des rnoyens de plus en plus puissants de maitriser le monde au moment meme ou eile les prive de fins transcendantes qui les rassemblaient auparavant. In: Olam oumlo'o. Sih'ot 'im MichaelShashar, Jorusalem 1988, 86 (en hobreu), [trad. fse, Paris 1996, 2e ed., 148.] Cf. aussi: id., ibidem, 66 (en hobreu), [118-119 de la trad. fse.]
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David Banon
qu'individu, dans ses rapports ä Dieu, ä son prochain et ä lui-meme. Ce mode de vie est propre ä une communaute qui n'a pas ä assumer la responsabilite d'une societe souveraine et ä un individu dispense des devoirs du citoyen vis-ä-vis de l'Etat. Autrement dit, la pensee et la conscience religieuse juives, telles qu'elles sont formulees dans la halakha, n'ont pas prevu les problemes inherents ä une vie nationale et ä une souverainete socio-politique, si ce n'est au travers de deux modeles d'Etat: le premier situe dans un passe lointain, dans une sorte de prehistoire du juda'isme, le «Royaume de David» et le second projete dans un avenir incertain, dans une sorte de post-histoire du judai'sme, le «Royaume messianique». Comment sortir de cette aporie, se demande, des lors, Leibovitz? Comment vivre dans un Etat qui a sonne le glas du judai'sme confidentiel en lui conferant la dimension de ce que Hegel nomme l'Esprit Objectif? Comment, par exemple, passer de l'application de la loi juive au niveau microcosmique de individu, de la cellule familiale, voire de la communaute ä celui macrocosmique du peuple, de la societe et de l'Etat?
L'Etat selon la Torah Deux voies sont proposees. D'abord, et c'est ce qui ressort de ses ecrits des annees quarante ä cinquante, Leibovitz preconise la mise en place d'un «Etat selon la Torah» ou sous l'egide de la Torah, mais remplissant toutes les conditions d'un Etat moderne et souverain. II opte pour une application de la Torah et des commandements dans tous les domaines de la vie et defend sans reläche et avec force arguments l'idee que la halakha n'est pas dysfonctionnelle. Ceci, pour autant qu'on veuille bien s'engager dans une legislation halakhique renouvelee/h'aqiqa hilkhatit meh'oudeshete5 qui, seule, serait en mesure de porter des fruits capables d'aborder de front et sans faux-fuyants la question du rapport de individu envers ces grands corps anonymes que sont la societe, l'Etat, le peuple, la patrie, l'armee, etc... II insiste sur le fait qu'il ne convient pas de se limiter ä la consultation du corpus des responsa pour proposer des (solutions) selon le modele et dans le sillage des decisionnaires anciens ou contemporains. Plus encore, il condamne le recours ä la fameuse methode traditionnelle resumee par la formule: nite sefer venih'ze6/prenons un livre et voyons si on nous fraie un chemin pour y ancrer notre reflexion. Parce que ce sont des questions sans 5
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In: Emouna, historia va'arakhim (Croyance, histoire et valeurs), J6rusalem,1982, 71 (en hobreu). Id., in: Yahdoute, op. cit, 101 (en hobreu) et: Emouna, historia va'arakhim, op. cit., 74.
Separer la religion et l 'Etat?
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precedent pour le corpus halakhique, il appelait ä faire preuve d'audace et d'imagination pour legiferer. Pour employer ses propres termes, il exhorte non pas ä une pessiqa/ordonnance rabbinique, mais ä une «h'aqiqa h'adasha»/legislation nouvelle ou tout simplement ä une «h'aqiqat halakha».7 Legiferer ne voulant pas dire se referer ä la jurisprudence afin de decider la et seulement la ou il existe une decision d'une autorite anterieure selon la methode de comparaison des cas terme ä terme pour en tirer la conclusion en prenant appui sur un raisonnement formellement analogue. Legiferer ne consiste meme pas dans un processus d'ajustement permanent de la loi ä la realite et aux situations qui changent et se renouvellent chaque jour. Legiferer veut dire affronter les questions decisives de notre generation - celles qui relevent precisement de la sphere metahalakhique,8 neologisme forge plus tardivement par Y. Leibovitz - et oser: c'est-ä-dire faire preuve de creativite en proposant une loi pour le temps present dans un registre ou un domaine auxquels nos ancetres et nos maitres n'ont pas etc confrontes et qui est, par consequent, absent de la halakha traditionnelle. Legiferer, c'est se mesurer au remaniement de la halakha que reclamaient les bouleversements des conditions socio-politiques des Juifs en Israel. Precisons de suite, pour dissiper tout malentendu, qu'il ne s'agit aucunement, pour Leibovitz, de reformer le judai'sme, de l'alleger de quelques commandements consideres par certains comme surannes ou d'accommoder certains details de la codification religieuse aux besoins et aux interets de la vie dans Etat d'aujourd'hui. Son projet est, en revanche, de s'attaquer au probleme existentiel du judai'sme religieux dans cet Etat. De saisir au bond cette chance unique que 1'Etat d'Israel offre au judai'sme en lui assurant, par cette confrontation ideelle, une nouvelle jeunesse. De plus, Fouverture d'un champs de recherches et d'investigations inedit vivifierait et decuplerait les sources de creativite du peuple: c'est pourquoi la creativite halakhique est un devoir religieux qui s'impose ä chaque Juif pour qui 1'Etat represente une necessite. Et Leibovitz apporte la preuve de cette creativite en s'attaquant ä des questions ultra-sensibles telles que ou de tout acces ä la philosophic, mSme indirect, en leur interdisant de pratiquer une autre lecture des textes sacris que la plus litteraliste, precede d'une critique de la philosophic politique platonico-alfarabienne, critique elle-m6me ä l'origine de l'abandon par ] qu'apres avoir obtenu la premiere [qui consiste eile ]».8 Certes, dans le cas des Juifs, temporairement soumis ä un exil qui les prive de la maitrise collective de leur destin, les lois divines qu'ils observent ne constituent pas les fondements d'un ordre politique autonome. Au moins faut-il reconnaitre que cette deplorable situation complique la täche aux philosophes potentiels, et que I'instauration future, une fois mis fin ä exil, d'un tel ordre politique dont les lois divines definiront le cadre leur permettra au contraire de se consacrer dans les meilleures conditions ä la poursuite de leur entreprise propre.9 Par ailleurs, s'il ne soutient pas que les societes reglees par des lois humaines, telles «les lois des Grecs et les folies des Sabeens et d'autres (peuples)»,10 ne peuvent se maintenir en existence, conformement aux voeux de leurs fondateurs et legislateurs, et qu'elles sont condamnees ä terme ä se desagreger, il affirme fortement l'utilite superieure des lois divines y compris dans leurs effets sur I'ici-bas." Des societes ou les lois en vigueur se limitent ä preserver du chaos sans chercher ä encourager la realisation d'un ideal de connaissance ne poursuivent evidemment qu'une (cf. Ma'imonide, Epitres, Gallimard, coll. Tel, 60). II est d'autant plus remarquable que dans ce passage, Ma'imonide fasse la meme analyse des fins de la Torah que dans le Guide, en distinguant les deux buts: permanence d'une communauti politique et acquisition des intelligibles>, et utilise pour caractoriser la communaute" d'Israe'l 1'une des locutions alfarabiennes de r6fe"rence pour designer la (communaute' juste> (al-ijtima al-fadil) - cf. sur cet emploi Kraemer, J., «Alfarabi's Opinions of the virtuous City and Maimonides' Foundations of the Law», in: Studio Orientalia - Hommage a D. H. Baneth, Jerusalem 1979, [107-153] 151. Guide, II, 39. Secours de la religion (op. cit. supra n. 16), 37.
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Maurice Kriege!
identitaire, lä encore ä caractere d'evidence, guide manifestement la conclusion, et Poliqar assigne ä l'usage des notions philosophiques, au moins dans ce contexte precis, une fonction limitee qui consiste ä retrouver, par les moyens d'un discours adapte aux exigences de milieux , cette conclusion acquise par avance. II semble reprendre ä la suite, sans y faire reference explicitement, la position d'Alfarabi que sa definition de la religion comme ensemble d'images de fa9on plus ou moins etroite et ä l'intention de peuples differents la verite philosophique conduit ä admettre l'idee d'une pluralite de religions acceptables52 - si bien que la philosophic est universelle, et la religion necessairement particuliere - et qui hierarchise ensuite ces ensembles d'images selon leur degre de proximite ä la verite qu'ils «imitent».53 Mais chez Poliqar, il s'agit seulement d'etablir que les religions rivales peuvent etre placees dans une serie descendante selon le degre de distance accru par rapport au judaisme.54 Une appartenance identitaire que Poliqar avait tenu ä souligner, en apposant la mention: , en guise de signature au bas de son texte de defense et illustration du judai'sme destine ä repondre aux attaques du juif convert! Avner de Burgos.55 Mais celui-ci, que la version du judaisme en vogue dans les milieux du rationalisme avait laisse insatisfait, en contrariant chez lui un puissant , et qui avait trouve une issue a son malaise dans la conversion au christianisme, ne vit qu'une manoeuvre dans la campagne lancee par Poliqar centre lui: son adversaire pensait y trouver l'occasion de rentrer en grace aupres de sa communaute, tout en n'abandonnant rien de ses convictions philosophiques. Mais Poliqar echouerait: on sait trop bien que les philosophes , ce qui se produira peut-etre en sa faveur avec les debuts de edition savante de ses ceuvres.2 Aux Etats-Unis enfm, si la posterite polemique de Strauss a longtemps structure la vie universitaire autour de sa philosophic politique et d'une critique des sciences sociales, il faut noter un renouveau recent d'attention pour une dimension cachee de son heritage ou un fil occulte de son oeuvre: une preoccupation envers la situation du juda'isme dans le monde moderne, dont l'exhumation Oriente notamment l'ambitieux projet editorial des presses de l'Universite d'Etat de New York recemment inaugure par le volume Jewish Philosophy and the Crisis of Modernity? 1
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Voir: Bloom, Allan, «Un vrai philosophe, Leo Strauss» (1974), Trad. Manent, in: Commentaire, N 1, 1978, 104. Bloom ovoque Platon, Apologie de Socrate, 39c. Voir, pour ce qui conceme ce dont il sera question ici: Strauss, Leo, Philosophie und Gesetz. Frühe Schriften. Gesammelte Schriften, Band 2, Stuttgart 1997. Strauss, Leo, Jewish Philosophy and the Crisis of Modernity. Essays and Lectures in Modern Jewish Thought, Ed. with an introduction of Kenneth Hart Green, Albany 1997. La serie annonce quatre autres volumes: les ocrits juifs de la periode allemande (1921-
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Pierre Bouretz
Partageant les attendus de cette derniere entreprise, je ne souhaite rappeler ces donnees concernant la reception contrastee de Leo Strauss que pour en venir ä mon veritable point de depart et au fait qu'il me semble que les fondements de sä pensee politique se trouvent precisement dans une interrogation au sujet de la crise theologico-politique du judai'sme moderne. En premier lieu, la lecture de Leo Strauss suppose que prenne au serieux, s'agissant de l'oeuvre entiere, cette proposition liminaire de Philosophie und Gesetz qui fut son second livre: «il n'est aucune recherche d'histoire de la philosophic qui ne soit en meme temps une recherche de philosophie».4 Plus precisement meme, on peut alors faire l'hypothese que l'integralite du travail d'historien de la philosophie de Strauss est un travail philosophique sur une seule question, declinee sous differentes modalites: question des liens entre philosophie et Loi, raison et Revelation, religion et politique. Cette hypothese est d'ailleurs confortee s'il le faut par une remarque de Strauss lui-meme, dans la preface redigee en 1965 pour son ouvrage sur la philosophie politique de Hobbes elabore entre 1934 et 1935 en Angleterre: «depuis lors, le probleme theologico-politique est demeure le theme de mes investigations».5 La difficulte propre ä l'oeuvre de Leo Strauss tient alors au double phenomene de la permanence d'une preoccupation en faveur de cette question et de la diversite des formes de son deploiement, avec un point crucial qui conceme l'articulation entre permanence du probleme et diversite des modes d'interpretation, dans une perspective qui ressemble ä une retrospection de plus en plus longue au sein de l'histoire de la philosophie. A titre d'indication provisoire sur la permanence d'un questionnement des liens entre philosophie et religion ancre dans les dilemmes de la pensee contemporaine et la situation du juda'isme, on peut se souvenir que Tun des premiers textes de Strauss, public dans Der Jude de Martin Buber en 1924, concernait interpretation de Spinoza par Hermann Cohen et que Tun des derniers, moins d'un an avant sä mort et cinquante ans plus tard, n'etait autre que l'introduction ä la traduction anglaise de la Religion de la raison tiree des sources du juda'isme de ce meme Hermann Cohen.6 Quant au 1932); une nouvelle traduction de Philosophie und Gesetz; l'ensemble des textes sur Mendelssohn, puis de ceux sur Maiimonide. Strauss, Leo, «La philosophie et la loi» (1935), in: Maimonide, Trad. R. Brague, Paris 1988, 34. Ibid., «Preface to Hobbes' Politische Wissenschaft» (1965), in: Jewish Philosophy and the Crisis of Modernity, op. cit, 453. Voir respectivement «L'analyse par Cohen de la science de la Bible de Spinoza» (1924), in: Strauss, Leo, Le testament de Spinoza, Trad. G. Almaleh, A. Baraquin et M. DepadtEjchenbaum, Paris 1991, 51-78; «Essai d'introduction ä la Religion de la raison tiree
La crise theologico-politique dujuda'isme moderne
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deploiement du proces de interpretation chez Leo Strauss, il semble etre structure en trois moments d'inegales longueurs: un sejour dans la pensee judeo-allemande moderne et contemporaine au miroir de heritage spinoziste; un retour vers Mai'monide et la decouverte des formes de l'ecriture esoterique; une exploration enfm des sources grecques de la philosophie occidentale, en contrepoint d'une analyse des fondements de la politique moderne. Mais si prend la peine de retraduire aussitöt ces questions d'histoire de la philosophie dans le langage des questions philosophiques qu'elles traitent comme des versions d'un unique probleme, ces trois moments sont alors les suivants: la mise au jour de l'obstacle qu'installe Spinoza pour la philosophie moderne devant toute solution harmonieuse au conflit entre raison et Revelation; la recherche chez Mai'monide et dans la perspective des Lumieres pre-modemes d'une alternative ä la destruction de la raison issue du triomphe des Lumiere radicales sur les Lumieres moderees; l'exploration enfm des conditions de possibilite d'une poursuite de la , de la (conscience) ou de la . Face ä cette forme de retour contrarie de Heidegger ä la comprehension biblique de l'homme, la balance semblait done pencher en faveur de la conception de la nouvelle pensee propre ä Rosenzweig, avec son souci authentique de redecouverte des verites de la Revelation. A nouveau pourtant, une difficulte surgissait au sein meme de la pensee de Rosenzweig, liee au fait que son retour au juda'isme n'etait pas veritablement inconditionnel, mais demeurait encore attache a la rupture instauree depuis Mendelssohn. De ce qui pourrait ressembler ä une contradiction interne au discours de la nouvelle pensee, qui affirme rompre avec la tradition philosophique dans son ensemble mais conserve un element de son contenu moderne s'agissant du rapport ä la foi, le Symptome est offert par la maniere dont Rosenzweig affirmait que L'etoile de la Redemption est un