Participation et asymétries dans l'interaction institutionnelle 2343117497, 9782343117492

Ce volume étudie différentes formes d'organisation de la participation dans des interactions institutionnelles. Il

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Table of contents :
Table des matières
Introduction • Lorenza Mondada et Sara Keel
Conventions de transcription
I. Contexte médical : enjeux de participation dans les domaines de la santé
Initiatives topicales du client aphasique au cours de séances de rééducation : pratiques interactionnelles et enjeux identitaires • Sara Merlino
« Moi, j’aurais en tout cas pas voulu… » : la participation du patient à la planification de sa sortie d’une clinique de réadaptation • Sara Keel
Managing resistance to transfer to geriatric residential care • David Monteiro
II. Contexte politique : enjeux participatifs dans les débats citoyens
Organiser le débat, favoriser la participation : analyse comparée des pratiques de deux animateurs de réunions politiques • Lorenza Mondada
Surveiller et corriger : l’accomplissement interactionnel de la révision d’une inscription publique • Hanna Svensson
Relancer une réponse : une démultiplication de la voix citoyenne en réunion publique • Nynke van Schepen
III. Contexte commercial : enjeux de participation dans les activités de service
« Vous coupez quand même pas trop hein ? » Quand la cliente conteste ou prévient une action du coiffeur • Anne-Sylvie Horlacher
The negotiation of poses in photo-making practices : Shifting asymmetries in distinct participation frameworks • Burak S. Tekin
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Participation et asymétries dans l'interaction institutionnelle
 2343117497, 9782343117492

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Sous la direction de

Lorenza Mondada et Sara KeeL

Participation et asymétries dans l’interaction institutionnelle

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Participation et asymétries dans l’interaction institutionnelle

Cahiers de la Nouvelle Europe 23/2017 Série publiée par le Centre Interuniversitaire d’Études Hongroises et Finlandaises Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Directeur de la publication Judit Maár

1, rue Censier 75005 Paris Tél : 01 45 87 41 83 Fax : 01 45 87 48 83

Sous la direction de Lorenza MONDADA et Sara KEEL

Participation et asymétries dans l’interaction institutionnelle

Cahiers de la Nouvelle Europe Collection du Centre Interuniversitaire d’Études Hongroises et Finlandaises N° 23

© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-11749-2 EAN : 9782343117492

Table des matières Introduction Lorenza Mondada et Sara Keel Conventions de transcription

9 49

I. Contexte médical : enjeux de participation dans les domaines de la santé Initiatives topicales du client aphasique au cours de séances de rééducation : pratiques interactionnelles et enjeux identitaires Sara Merlino

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« Moi, j’aurais en tout cas pas voulu… » : la participation du patient à la planification de sa sortie d’une clinique de réadaptation Sara Keel

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Managing resistance to transfer to geriatric residential care David Monteiro

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II. Contexte politique : enjeux participatifs dans les débats citoyens Organiser le débat, favoriser la participation : analyse comparée des pratiques de deux animateurs de réunions politiques Lorenza Mondada

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Surveiller et corriger : l’accomplissement interactionnel de la révision d’une inscription publique Hanna Svensson

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Relancer une réponse : une démultiplication de la voix citoyenne en réunion publique Nynke van Schepen

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III. Contexte commercial : enjeux de participation dans les activités de service « Vous coupez quand même pas trop hein ? » Quand la cliente conteste ou prévient une action du coiffeur Anne-Sylvie Horlacher

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The negotiation of poses in photo-making practices : Shifting asymmetries in distinct participation frameworks Burak S. Tekin

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Lorenza Mondada & Sara Keel

1. Introduction Ce volume étudie différentes formes d’organisation de la participation dans des interactions institutionnelles. Il s’intéresse en particulier aux échanges présentant une asymétrie entre professionnels et profanes, et détaille les conséquences du choix des formats d’action et des modes d’organisation de la séquence sur les occasions qu’ils offrent (ou dénient) de participer. Les interactions institutionnelles sont caractérisées par une asymétrie entre les participants (Drew & Heritage, 1992a) qui va de pair avec une distribution des tâches, droits et devoirs reconnus et attribués aux différents participants. Dans les entretiens télévisés par exemple, l’intervieweur est celui qui généralement pose les questions, alors que l’interviewé est celui qui y répond (Clayman & Heritage, 2002). Toutefois, cette distribution en termes d’actions et de catégories des participants n’est pas arrêtée une fois pour toutes ; elle est constamment accomplie et reproduite dans le formatage même de l’activité. Cela permet aux uns et aux autres non seulement de reproduire les formats attendus, mais aussi d’introduire des actions alternatives : notamment, les participants qui interviennent d’ordinaire en deuxième position (en répondant à des actions initiées par d’autres) peuvent effectuer des actions en première position. Les différents chapitres de ce livre explorent la manière dont les participants traitent, modifient et éventuellement renversent l’asymétrie qui caractérise les interactions institutionnelles dans lesquelles ils sont engagés. Ce volume discute ainsi plusieurs questions qui occupent actuellement une place centrale en ethnométhodologie et analyse conversationnelle (EMCA) – cadre conceptuel de chacun de ses chapitres. Dans leur ensemble, ces chapitres contribuent à la caractérisation de l’institutionnalité des interactions, non seulement en termes d’asymétrie générique, mais également dans la perspective des actions qui établissent et configurent de manière située des types spécifiques d’asymétrie institutionnelle. Ils contribuent aussi à préciser les dimensions concernées par une asymétrie qui touche les catégories pertinentes des participants (p. ex. interviewé versus intervieweur), les occasions qu’ils ont de prendre la parole, les formats des actions et des séquences qu’ils produisent, leurs statuts épistémiques (p. ex. expert versus novice) et les droits et obligations de chacun – toutes ces dimensions étant produites, reproduites et négociées à nouveau dans le cours de chaque interaction.

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Le volume contribue aussi à une meilleure compréhension des enjeux de la participation : dans les approches interactionnistes, elle a été fortement influencée par l’approche des cadres participatifs de Goffman (1981), ensuite critiquée par différents auteurs en EMCA, puis revisitée par Goodwin & Goodwin (2004), qui ont à leur tour inspiré de nombreux travaux contemporains articulant participation, séquentialité et multimodalité. Le volume entend contribuer à ces débats, en s’intéressant à la manière dont l’organisation séquentielle des actions engendre les cadres participatifs tout en étant réflexivement rendue possible par eux – les transformations de cette organisation allant de pair avec la dynamique de ces cadres. Le volume entend donc développer les enjeux à la fois conceptuels et empiriques d’une analyse interactionnelle qui s’intéresse tout particulièrement à la manière dont le cadre institutionnel est à la fois établi et subverti par des participants censés occuper la position asymétrique de ceux qui sont souvent cantonnés à des actions en réponse (en deuxième position), ainsi qu’à des catégories opérant dans des positions relativement subordonnées au sein du cadre participatif et sans compétences expertes ni professionnelles – tels le patient dans la consultation médicale, le citoyen dans un débat participatif avec des professionnels de la politique, le client dans une interaction professionnelle spécialisée, l’aphasique dans une interaction avec des locuteurs non aphasiques, ou le demandeur d’aide dans des services sociaux. 2. La participation : un enjeu transversal pour plusieurs disciplines La notion de participation telle qu’utilisée dans la littérature interactionniste reconnaît généralement à Goffman (1974, 1978, 1979, 1981) la source principale de son inspiration. Nous allons ci-dessous en rappeler l’approche. Cependant, avant de développer la contribution de Goffman (§ 3.1) et sa réception en EMCA (§ 3.2), il convient de reconnaître que la notion de participation est utilisée de manière beaucoup plus large, notamment dans le monde de la politique, des institutions et de l’entreprise, en renvoyant à des valeurs éthiques et politiques à promouvoir, voire à des stratégies de gestion de situations et de communautés. La référence à la participation fonctionne de manière souvent normative et idéologique sur les terrains économiques et politiques. Elle a toutefois donné lieu là aussi à des travaux de réflexion et d’analyse – y compris d’évaluation critique – de la manière dont la participation est souvent invoquée dans les discours mais moins souvent implémentée dans les pratiques. Ainsi, pour ne donner que quelques exemples, dans l’entreprise le participation management renvoie à des stratégies de gestion du personnel visant à renforcer l’engagement et la motivation (Kahnweiler, 1991 ; Soonhee, 2002). Au niveau institutionnel, les domaines les plus divers sont discutés à l’aune de la participation des citoyens : dans le développement durable (Ghai & Vivian, 1992) ainsi que dans la gestion des ressources environnementales (Reed, 2008) la participation est devenue une clef pour tenter de promouvoir des prises de décisions partagées et équitables, intégrant les réseaux locaux dans les logiques globales ; dans la gestion des affaires de santé, la notion de community participation a joué un rôle important dans le développement de la prévention et pour la réduction des inégalités

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dans la définition des soins et leur accessibilité (Campbell & Jovchelovitch, 2000) ; dans le domaine de la recherche, la notion de participatory research incluant les personnes concernées comme des « partenaires », au lieu de les traiter comme des « informateurs » ou de simples « objets », a été développée comme un moyen de garantir un retour équitable au bénéfice du terrain (voir en médecine Minkler & Wallerstein, 2011 ; en sciences sociales Reason & Bradbury, 2008 ; en linguistique Cameron et alii, 1992). Dans la réflexion sur la gouvernance et la démocratie, la notion de participation permet de penser une philosophie politique qui reconnaît le rôle du citoyen dans l’élaboration de solutions et dans la prise de décision. La question est très débattue dans le domaine de la e-democracy (Coleman & Blumler, 2009) mais aussi de l’urbanisme participatif (Abbott, 1996 ; Healey, 1997) et plus généralement dans la réflexion sur les évolutions des modèles démocratiques (Parry, Mooyser & Day, 1992 ; Cornwall & Coehlo, 2007). Ces enjeux de participation dans l’entreprise et dans les institutions sont souvent débattus d’un point de vue philosophique, politique, normatif. Bien que les méthodes ethnographiques soient parfois mobilisées pour rendre compte d’expériences de participation citoyenne, les pratiques situées et incarnées par lesquelles la participation politique est implémentée restent ignorées, ainsi que celles des conditions effectivement mises en œuvre pour créer des opportunités de participation (mais voir Bovet, 2007 ; Mondada, 2013, 2015 ; Mondada, Svensson, van Schepen, 2017). Une manière de le faire consiste à s’interroger sur les pratiques interactionnelles par lesquelles la « participation » est effectivement organisée in situ par les participants, souvent sans aucun projet « participatif » explicite. Les enjeux soulevés par les réflexions sur la participation dans la vie institutionnelle concernant l’inclusion ou l’exclusion des personnes, le caractère partagé des activités, des prises de décision, de l’élaboration des problèmes et des solutions sont également visibles dans les micro-pratiques par lesquelles la participation à l’interaction sociale est organisée. C’est pourquoi cette question sera abordée dans le présent volume, à partir du cadre analytique élaboré d’abord par Goffman, puis repris et redéfini par différents auteurs, et notamment par Charles Goodwin et Marjorie Goodwin. 3. La contribution centrale de Goffman Dans les études interactionnistes, Goffman reste la référence fondamentale pour comprendre la notion de participation. Nous en retraçons ici les lignes principales (§ 3.1), puis nous nous intéressons à sa réception (§ 3.2) au sein de différentes sousdisciplines, avant de tenter de caractériser quelques enjeux contemporains (§ 3.3). 3.1 Façons de parler de Goffman La notion de participation est développée par Goffman plus particulièrement dans son dernier livre, Forms of Talk (1981) (bien qu’il renvoie lui-même à Goffman, 1974 : 496-559 pour une élaboration plus précoce), sur la base des notions de footing (chapitre publié deux ans plus tôt, 1979) – que l’on a traduit en français par « position » (Goffman, tr. fr. 1987) – et de participation framework – ou « cadre participatif ».

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Il est intéressant de noter que la notion de footing est introduite dans le chapitre éponyme par des considérations empruntées à Gumperz (1976/1982 : 5999) sur le code-switching, illustrant des changements de perspective, qui peuvent être manifestés de façons différentes (la notion d’« indice de contextualisation », Gumperz, 1976/1982 : 82, n’est pas citée mais est très présente – cf. Goffman, 1981: 128), mais qui toutes opposent différentes « tonalités » de l’échange (comme le small talk en contraste avec un échange professionnel ou institutionnel, contraste qui nourrit le premier exemple ouvrant le chapitre). Ce changement de perspective est aussi rapporté à un « change in our frame for events » (Goffman, 1981: 128), qui établit ainsi un lien entre l’analyse des cadres participatifs et l’analyse des cadres (frame analysis, Goffman, 1974). Ces transformations du « cadrage » d’un évènement sont rapportées par Goffman aux définitions de la paire speaker/hearer, qu’il s’évertue ensuite à critiquer et à revisiter. Il y a une sorte de rupture entre cette première section du chapitre et la suite, qui systématise une nouvelle vision des rapports entre locuteur et auditeur. La critique à laquelle se livre Goffman porte sur une vision binaire de la conversation, dans laquelle un locuteur – dont l’activité typique est de parler – serait confronté à un auditeur – qui typiquement écoute – et qui alterneraient leurs positions respectives au fil des échanges de parole (Goffman, 1981 : 129). Les termes de locuteur et auditeur renvoient eux-mêmes à une vision qui réduit la conversation à un échange sonore, mais qui ignore sa dimension visuelle et même tactile (1981 : 129). En outre, celui que l’on appelle un auditeur peut très bien ne pas écouter, tout en étant ratifié – alors qu’un participant non ratifié peut très bien écouter (comme c’est le cas des overhearers) ou du moins entendre (comme c’est le cas des eavesdroppers) (1981 : 131-132). Goffman souligne l’importance de la présence « visuellement » perceptible de ces bystanders (1981 : 132). En outre, les participants « ratifiés » se distinguent selon qu’ils sont ou non « adressés » (Goffman, 1981 : 133). Goffman attire aussi l’attention sur différents types d’échanges qui peuvent avoir lieu, au sein ou entre des formes de communication « dominantes » et « subordonnées » (crossplay, byplay, sideplay, 1981 : 134). Ces possibilités permettent à Goffman de considérer des situations caractérisées par des engagements multiples – comme par exemple le passager qui s’adresse alternativement à ses compagnons assis sur la banquette arrière de la voiture et au conducteur du taxi (Goffman, 1981 : 135). Ces configurations définissent le cadre participatif (participation framework) – alors que le positionnement de chaque participant y est dénommé « statut participatif » (participation status) (1981 : 137). La conversation est caractérisée par un type de cadre participatif particulier (où des conversants s’adressent à des co-conversants), distinct par exemple du cadre de la scène de théâtre ou de l’église (où des orateurs – performers – s’adressent à un public – audience) (1981 : 140). Dans la dernière partie du chapitre, Goffman s’attaque à la notion de « locuteur » (1981 : 144 sq.). En faisant la critique d’une vision monolithique de cette entité, il caractérise le « format de production » en distinguant entre animator ou producteur sonore (mais aussi incarné) de l’énoncé, author ou sélectionneur des mots choisis, principal ou responsable qui s’engage dans la parole émise et adhère à elle (1981 : 144-145). Si la notion de locuteur présuppose la convergence de ces

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rôles dans un même individu, ceux-ci peuvent toutefois être distincts et autonomes, comme dans la lecture d’un communiqué ou dans la récitation d’un texte. Le chapitre de Goffman accomplit beaucoup plus qu’une typologisation des positions dans l’interaction sociale – il passe en revue une multitude de problématiques liées à l’organisation de l’interaction (dans un dialogue critique, et souvent agressif, avec l’analyse conversationnelle qu’il ne cite toutefois jamais), que nous ne développons pas ici. 3.2 Réception et critiques de Goffman La relation entre Goffman et l’ethnométhodologie et l’analyse conversationnelle n’a jamais été simple ni facile, tout en étant caractérisée par une forte proximité – Sacks et Schegloff, ainsi que C. Goodwin et M. H. Goodwin comptant parmi ses élèves à un certain point. Nous nous arrêterons ici sur la réception critique de Goffman dans différents domaines de recherche sur l’interaction, en nous concentrant essentiellement sur la notion de participation. 3.2.1 Différentes manières de lire Goffman La réception de la notion de « cadre participatif » a privilégié deux grandes options. Elle peut être comprise d’une manière qui en accentue la permanence – en invoquant son institutionnalité – ou d'une manière qui s’intéresse plutôt à sa dynamique et indexicalité (cf. Traverso, 2004). Ainsi, la notion de cadre participatif a d’une part été utilisée dans des analyses globales de situations d’échange, pour décrire des « structures » caractérisant une situation donnée : cela a été le cas notamment des travaux ethnographiques sur les contextes scolaires qui ont insisté dans les années ’80 sur la diversité des formes de communication possibles, avec des conséquences importantes pour certaines catégories d’élèves, comme les élèves appartenant à des cultures minoritaires (Philips, 1972, 1983 ; Erickson, 1982 ; Erickson & Mohatt, 1982). Philips (1983) par exemple montre que des élèves indiens-américains en échec scolaire ne sont pas à l’aise dans des situations de classe « traditionnelle » où l’enseignant gère centralement les activités, où les élèves interviennent l’un après l’autre, seuls, face à lui et à leurs camarades. En revanche, ils sont très à l’aise dans des situations de travail en petits groupes, où l’enseignant est un soutien davantage qu’un évaluateur ou un directeur de la situation, où les activités sont moins individualisées et plus collaboratives, où l’activité de l’enfant se fond dans une activité de groupe. Philips oppose alors deux structures de participation, caractéristiques de deux types de classe, impliquant deux « styles communicatifs » différents – avec des implications sur la performance scolaire. La participation a été d’autre part considérée comme un processus éminemment flexible et en transformation permanente, constamment incarnée dans une organisation fine des énoncés, des tours de parole et de l’action. Même si elle peut se stabiliser dans des structures institutionnelles, elle émerge toujours de la micro-organisation des tours et de la manière dont ils sont adressés voire ré-adressés moment par moment dans le déroulement de l’interaction. Cette approche a été

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développée par les critiques de Goffman issues de l’analyse conversationnelle (cf. Drew & Wootton, 1988) et de l’analyse multimodale (cf. Goodwin & Goodwin, 2004). Une attention aux détails de l’organisation séquentielle in situ est alors nécessaire pour rendre compte de cette flexibilité et de ces dynamismes que Goffman ne nie pas mais pour lesquels il n’offre pas d’outils conceptuels ou analytiques. Cette dualité de la participation – entre structures institutionnelles et flexibilité interactionnelle – a été particulièrement discutée dans une série de travaux français sur la notion de « polylogue » (Grosjean & Traverso, 1998 ; KerbratOrecchioni, 2004), qui à la fois proposent des typologies de cadres participatifs et suggèrent que les catégories qui les constituent sont graduelles. Ces analyses proposent aussi une description des dynamiques de transformation des cadres, par exemple dans les coalitions (Bruxelles & Kerbrat-Orecchioni, 2004), les schismes (splitting) et les condensations (crowding) (Traverso, 2004), explorant les conséquences du nombre des participants à l’interaction pour son organisation (Traverso, 1997). De manière générale, la réception critique de Goffman a largement repris et discuté les catégories qu’il avait introduites pour penser la participation, convergeant avec sa critique du binarisme entre « locuteur » et « auditeur », mais divergeant souvent quant à l’évaluation de la pertinence des catégories qu’il avait proposées. C’est ainsi qu’en linguistique Levinson propose des catégories alternatives fondées sur les marquages grammaticaux d’une diversité de langues, que les ethnométhodologues critiquent la vision plutôt etic, c’est-à-dire exogène (versus emic, c’est-à-dire endogène) des catégories goffmaniennes et que l’analyse conversationnelle lui reproche de ne pas suffisamment tenir compte de l’organisation endogène précisément de la séquentialité de l’action. Dans ce qui suit, nous nous proposons de discuter brièvement ces différentes perspectives. 3.2.2 La réception de Goffman en linguistique : Levinson Levinson montre que l’approche du footing par Goffman est susceptible de contribuer à une description des participant roles essentielle pour comprendre des phénomènes de deixis personnelle et de perspectivisation en linguistique. Il rapporte ainsi la typologie de Goffman détaillant différentes « positions » au sein du cadre participatif à des marqueurs linguistiques dans les langues du monde. En gros, sa démarche consiste à fonder la pertinence des catégories sur la base d’évidences fournies par les systèmes grammaticaux d’une diversité de langues. Cela lui permet de constater que la typologie goffmanienne, tout en étant source d’inspiration importante, n’est ni suffisamment fondée empiriquement ni suffisamment détaillée conceptuellement (Levinson, 1988 : 169). Sa façon de revisiter Goffman lui permet de montrer/établir le lien entre la typologie des différentes positions et les modèles de la communication antérieurs, de Jakobsonet Bühler à Shannon et Weaver – ainsi qu’au passage, de tisser une multiplicité de liens avec la notion de speakership que suppose le modèle du turn-taking, les analyses subtiles que fait Goodwin sur la manière d’organiser de façon multimodale de multiples formes de recipientship, et la distinction scheglovienne entre participants et parties (Levinson, 1988: 175-8).

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Cela aboutit à un travail de distinction et de systématisation conceptuelle fondé sur une analyse compositionnelle des termes minimaux constituant le participant role, eux-mêmes légitimés par référence à des systèmes de marquage grammaticaux de ces rôles, tels qu’on peut les trouver dans des langues typologiquement différentes, ainsi qu’à leurs usages interactionnels. 3.2.3 La réception de Goffman en ethnométhodologie L’ethnométhodologie (EM) reconnaît aux travaux de Goffman un statut pionnier et un potentiel de renouvellement radical de la sociologie dite orthodoxe. Elle est en premier lieu sensible à l’attention nouvelle accordée par Goffman aux pratiques quotidiennes (Sharrock, 1999 : 120). Cette attention a le mérite, en outre, d’avoir produit des intuitions fondamentales sur les situations sociales caractérisant les espaces publics (Goffman, 1963, 1973) – par exemple sur l’organisation des déplacements piétonniers (Relieu, 2008 : 8). Elle a aussi le mérite de s’intéresser à l’organisation des interactions communicatives (Goffman, 1981 ; Watson, 1983 : 104 ; 2009 : 101). Néanmoins, cette reconnaissance va de pair avec un profond agacement face à ses travaux. Pour le comprendre, il est nécessaire de rappeler quelques-unes des visées qui distinguent de manière radicale l’ethnométhodologie d’autres approches sociologiques. La première renvoie à son insistance à examiner l’organisation méthodique du langage-en-interaction in its own right (c’est-à-dire comme un objet d’analyse, un « topic » – Pollner, 1991 : 371) au lieu de l’utiliser comme une « ressource » pour organiser et rendre intelligible des descriptions sociologiques (Watson, 1983 ; 2009). La sociologie traditionnelle est ainsi critiquée pour sa tendance à mobiliser le langage naturel et les explications du sens commun comme des ressources descriptives et explicatives sans d’abord chercher à les comprendre comme un « phénomène/topic » d’investigation en soi (Mackay, 1975 : 182). Or, de ce point de vue, Goffman partage la démarche traditionnelle : en traitant le style d’écriture de Goffman comme un objet d’investigation, Watson relève (1983 : 104), que celui-ci puise massivement dans le langage ordinaire, mobilisant des dispositifs et procédures de catégorisation (Watson, 2009 : 111 sq.) et des méthodes de production du sens – telle que la méthode documentaire d’interprétation – qui relèvent du sens commun. Ce faisant, il mêle une approche du langage comme objet et son utilisation comme ressource. De plus son utilisation du sens commun aboutit à des généralisations qui n’appartiennent plus au sens commun, mais qui relèvent du modèle de Goffman lui-même (que l’on peut donc qualifier d’etic). Ce dernier point concerne aussi la seconde critique ethnométhodologique (Sharrock, 1999). L’ethnométhodologie se caractérise par sa volonté de rendre compte de l’organisation et de l’intelligibilité de l’action du point de vue des membres, c’est-à-dire d’un point de vue qui est inhérent à cette action et publiquement manifesté par elle – de façon endogène (Garfinkel, 1967). Ce point de vue (emic) refuse de faire valoir une autorité épistémologique supérieure à celle des participants, celle du sociologue professionnel par exemple qui serait seul apte à porter un regard à la fois objectif et explicatif sur les situations sociales qu’il observe (Sharrock, 1999). Or l’approche de Goffman – alors même qu’elle déclare tenir

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compte de la perspective de l’acteur – en puisant dans le langage dramaturgique et en recourant à des métaphores, des paraboles, et autres figures de style, utilise un langage exogène (etic), qui fait apparaître des traits formels apparemment communs à des situations sociales qui sont en réalité fondamentalement distinctes. Watson remarque que l’établissement d’une « perspective par incongruité » (2009 : 106) implique des « erreurs d’appellation planifiées / planned misnomers » et des « erreurs d’appellation méthodiques / methodical misnamings ». Elle rend des phénomènes ordinaires « anthropologiquement étranges » (2009 : 107), alors que ceux-ci n’ont rien d’étrange pour les participants à la situation. Ces critiques sont complémentaires de celles adressées par l’analyse conversationnelle à Goffman, vers lesquelles elles convergent. 3.2.4 La réception de Goffman en analyse conversationnelle Du point de vue de l’analyse conversationnelle, Goffman a sans doute eu le mérite de revendiquer l’« ordre interactionnel » des échanges en face-à-face comme un objet sociologique digne d’attention et méritant qu’on y consacre une approche spécifique, micro-analytique : « We owe to him that through the integrity of his purpose and the standards which he expected of his own and others’ work, he is largely responsible for making the meticulous, naturalistic and unsponsored study of ordinary social interaction a respectable enterprise, ‘respectable’ not at all in that distorted meaning of conventionally, almost solidly well mannered, but in that it is deserving of our respect, indeed an enterprise in which we would ourselves wish to engage. » (Drew & Wootton, 1988 : 10). Cette reconnaissance, toutefois, ouvre immédiatement sur des critiques : un premier motif de désaccord concerne la dimension « empirique » et « naturaliste » des travaux de Goffman. Il est reconnu que Goffman avait un sens de l’observation très aiguisé, ainsi qu’une intelligence des situations ordinaires au sein desquelles il s’installait parfois comme un « observateur participant » ; toutefois cela ne l’a jamais porté à recueillir des données empiriques naturalistes, ses travaux étant plutôt fondés sur des récits, des rapports, des descriptions de situations, des vignettes, etc. Comme le montre Schegloff (1988 : 101-104), ces matériaux soulèvent plusieurs problèmes. D’une part, loin d’être « empiriques », ils ne sont peut-être qu’« exemplaires », « typiques » voire « stéréotypés » : ils ne documentent aucune pratique précise mais renvoient à des représentations de sens commun qui renvoient moins à des pratiques spécifiques qu’à leur vision générique. D’autre part, l’absence de documents empiriques ne permet pas d’atteindre analytiquement le niveau de détail nécessaire pour comprendre l’organisation située et endogène de l’ordre interactionnel (dans ce sens, la critique de Schegloff rejoint celle des ethnométhodologues) : Goffman s’éloigne ainsi à la fois de l’analyse approfondie de cas singuliers et de l’analyse systématique des pratiques. Cela suscite un autre point de désaccord dans la réception de Goffman par l’analyse conversationnelle. L’importance jouée par la préservation des faces chez

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Goffman, reconnue comme mécanisme fondamental régissant l’interaction sociale, impose à l’organisation de l’interaction un cadre d’analyse à la fois limité et toutpuissant, qui, selon la critique de Schegloff (1988 : 93-94), oscille entre une focalisation sur l’individu et ses motivations psychologiques et une focalisation sur les rituels permettant de rééquilibrer les problèmes de face. Or l’un et l’autre contrastent avec le projet de l’analyse conversationnelle, qui consiste plutôt à rendre compte du comment de l’action, au sein d’enchaînements d’actions – d’une syntaxe praxéologique – sans les définir a priori par rapport à une motivation ou une ritualisation de ces actions. « Goffman’s focus on patterns of talk and action was tied to ritual and face, and resisted ‘secularization’ to the syntax of action. » (Schegloff, 1988 : 94). Ainsi par exemple, alors que Goffman définit la réparation comme une manière de remédier aux problèmes de face (Goffman, 1981 : 197-327), l’analyse conversationnelle la conçoit comme un mécanisme beaucoup plus général et fondamental, qui permet de restaurer des problèmes d’intersubjectivité pouvant se poser à tout moment et à tous les niveaux de l’organisation de l’interaction (Schegloff, 1992). C’est sans doute à cause de ces divergences que le texte de Footing prend la forme d’une critique implicite mais féroce de l’analyse conversationnelle – à qui elle impute une vision restrictive des cadres participatifs qu’elle traite dans ses analyses et documente dans ses corpus, ainsi qu’une vision mécaniciste de l’organisation de l’action. En retour, c’est ainsi que l’analyse conversationnelle ne reprend pas à son compte la notion de cadre participatif, trop liée à une typologie a priori de positions, et trop peu regardante aussi bien de l’organisation des tours de parole que de l’organisation de la séquence. 3.2.5 Reprises et ré-élaborations de Goffman par l’analyse de la multimodalité Goffman offre des pages très éclairantes sur les rencontres entre inconnus dans les espaces publics ou institutionnels, ainsi que sur l’importance de modes de communication ne se réduisant pas à la parole, mais faisant intervenir le visible et le sensible. Cette importance des corps et des espaces a favorisé la réception de Goffman par les analystes de la vidéo et de la multimodalité. Parmi eux, Goodwin et Goodwin (2004) représentent un cas particulier – en étant d’anciens étudiants de Goffman – et développent une position à la fois critique et constructive. Ils invitent à développer la manière dont la production et la réception sont réflexivement et dynamiquement imbriquées dans la conduite active de tous les « participants ». Cela est particulièrement frappant dans l’analyse que fait C. Goodwin (1979, 1981) de la manière dont un simple énoncé est interactionnellement produit par un locuteur qui intègre les postures et les regards des interlocuteurs dans l’organisation incrémentale de son tour. Il en va de même dans l’analyse que développe M. H. Goodwin (1997) d’un épisode de byplay et de la manière dont il affecte la structuration du tour du narrateur engagé dans une histoire à la recherche de son public. L’organisation interactionnelle du récit est un autre champ qui démontre la manière dont la participation est activement accomplie par une multiplicité de participants pouvant changer de position au fil de l’interaction : tel est le cas de l’épouse initiant une histoire dont son mari pourra prendre le relais (Goodwin, 1984, 1986), des histoires collectivement distribuées parmi les co-participants en appui d’un narrateur

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(principal) aphasique (Goodwin, 1995) ou des histoires qui agencent des niveaux multiples de parole rapportée (M. H. Goodwin, 1990 ; Goodwin, 2007a). En outre, Goodwin et Goodwin approfondissent la dimension corporelle de la gestion de la participation, accomplie à l’aide d’une variété de ressources multimodales au-delà de la seule organisation des énoncés. La notion de embodied participation frameworks (Goodwin, 2007b) renvoie au fait que les participants exhibent leur engagement dans l’interaction en organisant activement des arrangements corporels et matériels, où ils positionnent leur corps et les objets éventuellement pertinents pour l’activité de manière à rendre possibles des engagements mutuels. Par exemple, la lecture collective d’un livre par le père et sa fille est accomplie non seulement par une disposition particulière des corps, mais aussi par la mobilisation d’un artefact au moyen de gestes et l’orientation des regards vers cet artefact (2007b : 56). Duranti également (1997) souligne le rôle du corps dans la constitution des cadres participatifs. Dans son étude d’interactions cérémonielles à Samoa, accomplies non seulement par la parole mais crucialement par le placement des corps, par les regards et par des ressources matérielles : « […] the notion of participation, that is, the idea that to study human behavior, including speech, means to engage in the detailed and systematic study of the semiotic and material resources that go into the constitution of usually multi-party joint activities. To make sense of what people do as members of particular groups – and to be members of such groups – means to understand not only what one person says to another, but how speaking and non-speaking participants coordinate their actions, including verbal acts, to constitute themselves and each other in particular spatio-temporally fluid but bounded units. » (Duranti, 1997 : 329). La dimension corporelle du cadre participatif invite ainsi à prendre en compte l’espace interactionnel qui est localement défini par leurs agencements : Mondada (2009a) en rend compte de manière systématique dans l’établissement d’une relation réciproque en ouverture de la rencontre – en élaborant le thème goffmanien de l’interaction non focalisée versus focalisée et la transition de l’une à l’autre. 3.3 Enjeux contemporains en analyse conversationnelle Si la notion de participation en tant que telle n’a pas fait formellement l’objet d’une redéfinition spécifique en analyse conversationnelle, le terme y est utilisé de manière très fréquente pour décrire des configurations variables de participants. Pour une part il intervient dans des analyses d’objets classiques en analyse conversationnelle, comme la machinerie des tours de parole (notamment en ce qui concerne les modes de sélection du prochain locuteur), le fonctionnement d’actions chorales ou de groupe (cf. Lerner, 1993, 2002 par exemple qui parle d’« assemblées de participants »), et la question de la différentiation entre « participants » et « parties » (Schegloff, 1995) ainsi que la gestion de cadres de participation complexes, faisant intervenir des médiateurs (Heritage & Clayman, 2010).

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Pour une autre part, le terme de participation a subi des développements intéressants dans le cadre des approches multimodales. Nous allons ici en discuter quelques-uns, en partant des conséquences de la prise en compte du corps des participants en interaction, conduisant – au-delà des corps eux-mêmes – à la reconnaissance de l’importance de leur localisation dans l’espace, ainsi que de son caractère dynamique, notamment en situation de mobilité. 3.3.1 Participation et gestion des tours de parole dans des collectifs Bien que l’article princeps de Sacks, Schegloff et Jefferson (1974) présentant le modèle des tours de parole, ne mentionne pas du tout la notion de participation, il y a un lien fort entre ces deux termes. On peut ainsi dire que les modalités qui organisent l’alternance des tours configurent la participation : ainsi la possibilité de s’auto-sélectionner offre à un locuteur des possibilités de participation très différentes par rapport à la possibilité ou à la nécessité d’être hétéro-sélectionné. La conversation est un parmi d’innombrables systèmes d’échange de la parole (speech exchange system, Sacks, Schegloff & Jefferson, 1974 : 696) mais peut-être le plus « central » (1974 : 701) parce qu’il permet de recourir à une variété de techniques d’allocation du tour. D’autres systèmes contraignent cette distribution et avec elle les opportunités de participation. Les systèmes d’allocation des tours de parole ont fait l’objet de nombreux travaux, dans une diversité de contextes. Toutefois ceux-ci se sont souvent limités à la prise en compte d’un nombre restreint de participants : les mécanismes de la gestion des tours, ainsi que l’organisation de la séquence, ont longtemps été démontrés sur la base d’interactions multi-party qui faisaient intervenir plus que deux participants – car c’est à partir de trois participants qu’émergent des enjeux de sélection et de prise de parole – mais moins que six, car au-delà le risque de schisme est significativement augmenté, (Egbert, 1997 ; Goffman, 1981 : 135 ; Traverso, 2004). Dans ce cadre, les interactions avec des groupes comportant un nombre relativement élevé de participants pose des défis intéressants, tant aux participants eux-mêmes qu’aux analystes. Deux solutions à ce problème : la première, dans les grands groupes les participants n’interagissent pas directement entre eux, mais font intervenir des modérateurs, animateurs ou médiateurs (dans des mediated turntaking systems) (Heritage & Clayman, 2010) ; la seconde, ce ne sont pas les participants individuels eux-mêmes qui interagissent, mais des parties (Schegloff, 1995). Ainsi l’activité dans une salle de classe, de théâtre, de concert, de débat ou de réunion est souvent organisée en deux parties – constituées par exemple d’un performeur et d’un public – qui s’adressent l’une à l’autre. L’interaction ne se déroule pas entre la multitude des individus co-présents, mais entre un nombre limité de parties : c’est cela qui permet à l’alternance des tours de fonctionner. Ces solutions posent des problèmes intéressants aux analyses du turn-taking comme à celles de la participation, que le recours aux données vidéo permet d’approfondir de manière nouvelle. Ainsi les enregistrements vidéo permettent d’accéder à ce qui se passe dans l’« assemblée des participants » (Lerner, 1993, 2002) et d’y identifier et documenter des mouvements individuels par lesquels un

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participant se détache de sa partie : c’est le cas d’une pré-sélection précoce, éventuellement reconnue ensuite par le modérateur (Mondada, 2013), d’un bidder à une vente aux enchères qui renchérit dans la foule du public (Heath, 2012), ou du travail progressif que fait un participant pour permettre la sélection d’un autre participant demeuré silencieux jusque-là (Mondada, 2012). À ces occasions, la distinction entre participants individuels redevient pertinente (voir aussi Mondada, 2015). De manière cruciale, leur reconnaissance par l’analyste passe par l’exploitation des détails visuels restitués par la vidéo, documentant des postures corporelles et des orientations réciproques des participants bien avant que la parole leur soit donnée. 3.3.2 Participation incarnée et spatialisée Ces détails visuels que met à disposition la vidéo montrent l’importance des corps participants et de leur participation. Cette dimension incarnée a bien été décrite par Goodwin et Goodwin (2004), Ch. Goodwin (2000, 2006a, 2006b, 2007), M. H. Goodwin (1989, 1990, 1991, 1997, 1998, 1999, 2001, 2006). Ainsi, l’embodied participation est constituée à travers l’orientation corporelle mutuelle du locuteur et de son interlocuteur (Goodwin, Ch., 2000 : 1500). Cela n’est pas sans rappeler la notion de ecological huddle dont parle Goffman : « an ecological huddle wherein participants orient to one another and away from those who are present in the situation but not officially in the encounter » (1964: 135). En effet, la dimension incarnée de la participation concerne la manière dont les interlocuteurs sont orientés les uns par rapport aux autres, que ce soit par les regards, l’orientation des têtes, les expressions faciales, gestes, torses, et mouvements du bas des corps. Car tout le corps est mobilisé. Ces orientations peuvent indiquer la réciprocité, mais aussi être plus complexes, comme dans le body torque (Schegloff, 1998) où des engagements – et donc des orientations corporelles – multiples sont observables (par exemple du haut versus du bas du corps) (voir aussi Mondada, 2015, accepté). Cette approche multimodale et holiste des corps en interaction lance plusieurs défis à l’analyse conversationnelle : elle permet de documenter les orientations réciproques à une diversité de niveaux, à la fois inter-reliés et relativement autonomes (leurs temporalités, en particulier, ne correspondent pas de manière isomorphe ou isochrone, mais sont coordonnées séquentiellement et réflexivement, en ayant un effet configurant les unes sur les autres). Cela complexifie à la fois ce que l’on considère comme des ressources pertinentes pour l’interaction (Mondada, 2014a) et la conception de l’organisation séquentielle qui les régit (Mondada, 2016). En outre, dès que l’analyse prend en compte non seulement des ressources multimodales limitées mais les corps des interactants dans leur globalité, d’autres aspects sont rendus observables et pertinents. En particulier, les orientations relatives des corps impliquent leur localisation et leur distribution dans l’espace ainsi que leur directionnalité. L’orientation mutuelle des corps suppose en effet leur arrangement relatif dans l’espace. L’attention ainsi portée à la spatialité de l’interaction remonte aux travaux pionniers de Goffman (1963) sur l’espace public et sur la manière dont les interactions focalisées ou non focalisées sont établies ; ceux de Ashcraft et Scheflen (1976) analysant la façon dont la disposition des corps

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dans l’espace dessine un territoire défendu par ceux qui l’occupent et reconnu par les autres ; ceux de Kendon (1977, 1990) qui reprend ces idées au sein de la notion de F-formation, constituée par les positions des corps et leurs arrangements de manière à favoriser la relation mutuelle et l’engagement commun dans l’activité. De manière plus contemporaine, Goodwin (2000, 2003, 2007a, 2007b) parle de contextual configurations, constituées par la position des corps, les gestes et le recours à des objets de différents types, notamment graphiques. De même, Mondada (2005, 2009a, 2013) propose la notion d’« espace interactionnel » pour décrire la façon dont les cadres participatifs s’ancrent dans l’espace, à travers l’arrangement détaillé et dynamique des corps des participants, sensible à l’organisation de la parole en interaction, à l’attention mutuelle, aux focus d’attention conjointe et aux objets manipulés au cours de l’activité. Cet espace interactionnel est constamment établi, transformé et rétabli au fil de l’interaction (De Stefani, 2010 ; De Stefani & Mondada, 2007 ; LeBaron & Streeck, 1997 ; Mondada, 2009a, 2011b ; Hausendorf, Mondada & Schmitt, 2012). Cela est d’autant plus le cas lorsque l’interaction implique de la mobilité, les participants se déplaçant dans le cours de leur action. L’intérêt pour la totalité du corps et pour l’espace interactionnel a conduit naturellement à l’étude de situations où les participants se déplacent – alors que jusqu’ici l’analyse conversationnelle avait surtout privilégié des situations statiques d’interaction. Si différentes formes de mobilité sont analysables (Haddington, Mondada & Nevile, 2012), la marche en interaction, elle, est intéressante pour différentes raisons, qui tiennent à la fois à son organisation systématique, articulant la progressivité des pas sur celle de la parole (Mondada, 2014a), et au fait que marcher ensemble, i.e. constituer un cadre participatif appelé with (Goffman, 1971), implique une action concertée consistant à faire converger les trajectoires au début de la rencontre (Mondada, 2009a), puis à avancer, accélérer et ralentir, s’arrêter et repartir ensemble, en maintenant une proximité et un rythme commun (De Stefani, 2010 ; Haddington, Mondada & Nevile, 2012), jusqu’à s’en aller, quitter le groupe, s’éloigner (Broth & Mondada, 2013 ; Deppermann, Schmitt & Mondada, 2010). L’intérêt pour la marche à plusieurs est justifié par le fait qu’elle rend particulièrement observables les contraintes et ajustements du cadre participatif en mouvement. Ainsi par exemple, Mondada (2017, accepté) montre que le cadre participatif de la visite guidée – typiquement articulée entre un guide (performer) et un groupe de personnes guidées (audience) – peut subir des transformations radicales en fonction des actions effectuées et de la situation de mobilité ou de sédentarité où elles sont accomplies : des questions posées guide et groupe encore à l’arrêt reçoivent du guide des réponses collectives, alors que des questions posées guide et groupe en marche reçoivent plutôt des réponses individuelles données tout en marchant. À quelques secondes près, une question d’un visiteur au guide peut émerger dans des cadres participatifs radicalement différents, affectant la valeur de l’action initiale. 4. Interactions institutionnelles Les interactions institutionnelles sont un type de contexte particulièrement intéressant pour l’étude des cadres participatifs, caractérisées comme elles le sont par une certaine stabilité, tout en étant le fruit d’un accomplissement constant.

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4.1 L’accomplissement local du contexte institutionnel Au début des années quatre-vingt-dix, Drew et Heritage (1992) éditent une collection de travaux AC portant sur l’organisation du parler-en-interaction dans divers contextes institutionnels, depuis des entretiens d’embauche conduits par des employeurs en entreprise (Button, 1992 : 212-234), ou des arrangements entre avocats et représentants du ministère public (plea bargaining) (Drew, 1992 : 470520), jusqu’à la production et la réception de diagnostics lors de consultations médicales (Heath, 1992 : 235-268). Ces recherches empiriques se focalisent sur l’accomplissement d’une tâche particulière, qui implique au moins un participant représentant une organisation institutionnelle, par exemple l’entreprise, la justice ou la médecine, pour reprendre les exemples cités ci-dessus. Afin d’analyser l’organisation interactive et séquentiellement ordonnée des comportements des participants dans de tels contextes, ces travaux se fondent sur des enregistrements audio ou audiovisuels. L’objectif central est de décrire comment le caractère institutionnel de l’interaction n’est pas déterminé par un contexte spécifique – le bureau de l’employeur, la salle d’audience, le cabinet médical – mais bien au contraire « produit » et « rendu pertinent » par les participants eux-mêmes, lorsque « participants’ institutional or professional identities are somehow made relevant to the work activities in which they are engaged. » (Drew & Heritage, 1992 : 3). Avec la publication de cette collection de travaux AC sur le parler-en-interaction institutionnel – par contraste avec la conversation ordinaire – Drew et Heritage (1992 : 4, 19) visent à développer une perspective de recherche cohérente et cumulative, autorisant un travail de comparaison empirique, suivant la suggestion de Sacks, Schegloff et Jefferson (1974 : 629), au terme de laquelle l’organisation interactive de contextes institutionnels distincts impliquerait une variation et une restriction systématique des actions et de leur formatage par rapport à l’organisation de l’interaction dite ordinaire. En se focalisant sur l’accomplissement interactif, séquentiel et local des séquences d’actions, cette approche insiste sur le caractère doublement contextuel de l’organisation interactive, qui est à la fois a) structurée par le contexte et b) structurant, renouvelant ce même contexte (context shaped et context renewing, Drew & Heritage, 1992 : 18-19). Il découle de cette double articulation la relative stabilité des attentes par rapport aux actions à accomplir à un moment séquentiel particulier – lors d’un entretien d’embauche, par exemple, suite à la question de l’intervieweur, une réponse par l’interviewé est conventionnellement attendue – et en même temps, les possibilités de transformation à chaque moment de l’interaction de ce même contexte à travers l’accomplissement d’une action, plus ou moins distincte, de ce qui est conventionnellement attendu. Par ailleurs, les travaux AC cherchent à rendre compte de la perspective emic des participants (Drew & Heritage, 1992 : 20-21 ; voir § 3.2.3 et § 3.2.4 ci-dessus), notamment en démontrant empiriquement que ces derniers s’orientent, dans leur manière d’organiser leurs interactions, vers une situation institutionnelle spécifique, impliquant des contraintes et des inférences particulières sur les identités, tâches, activités, et enjeux en présence.

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Dans son ensemble, la perspective ainsi ébauchée cherche à démontrer « that the participants constructed their conduct over its course – turn by responsive turn – so as progressively to constitute and hence jointly and collaboratively to realize the occasion of their talk, together with their own social roles in it, as having some distinctively institutional character. » (Drew & Heritage, 1992 : 21). 4.2 Contextes institutionnels plus ou moins formels Alors qu’un certain nombre parmi les premières recherches AC se sont intéressées à des cadres institutionnels caractérisés par un haut degré de formalité, comme les interactions au tribunal (Atkinson & Drew, 1979), en salle de classe (McHoul, 1978 ; Mehan, 1979), ou les news interviews (Greatbatch, 1988), d’autres se sont attelées à des types de contexte institutionnel moins formels (Drew & Heritage, 1992 : 25), tels que les interactions entre médecin et patient (Heath, 1981 ; West, 1984). Dans le premier cas, le caractère institutionnel est produit et se manifeste prioritairement dans des formes d’interactions spécifiques. C’est le cas de formes particulières de turn taking, qui se distinguent sensiblement de ce qu’on connaît de la conversation ordinaire (Drew & Heritage, 1992 : 26). Ainsi, par contraste avec une conversation ordinaire pour laquelle le droit à la parole et le droit à définir le sujet de discussion est a priori le même pour tous les participants, en salle de classe c’est le professeur qui pose des questions sur un sujet qu’il a choisi, c’est lui encore qui sélectionne l’étudiante qui est censée y répondre et c’est encore lui qui évalue l’adéquation de la réponse de celle-ci (Mehan, 1979). La manière dont le turn taking et l’allocation des tours sont interactivement organisés, ainsi que la manière dont les séquences sont contraintes, contribuent ainsi de façon importante à la constitution des propriétés spécifiques de ces contextes institutionnels et à leur différence d’avec la conversation. L’organisation du turn taking est ainsi fortement contrainte et définie par des procédures spécifiques, comme par exemple le dispositif IRE (Initiation/Réponse/Evaluation) évoqué ci-dessus à propos de la salle de classe (Drew & Heritage, 1992 : 26). L’écart éventuel d’un des participants de ces procédures est par conséquent sanctionné, comme c’est le cas, par exemple, lorsqu’ un élève prend la parole spontanément au lieu de lever la main pour être sélectionné par l’enseignant, et qu’il est rappelé à l’ordre pour son comportement déplacé. Les études de situations de type moins formel, plus proches de la conversation ordinaire, montrent des tendances différentes. Les interactions moins formelles manifestent certes une distribution asymétrique des actions – comme durant la consultation, où c’est le médecin qui pose les questions lors de l’anamnèse, qui initie et accomplit l’examen médical, et qui passe au diagnostic, et non le patient (Drew & Heritage, 1992 : 27). En revanche, cette asymétrie n’est pas forcément le produit de formes de turn-taking ou de procédures d’allocation des tours distinctes de celles d’une conversation ordinaire. C’est plutôt l’orientation des participants vers une tâche précise et envers des rôles institutionnels qui constituent l’évènement en question pour ce qu’il est, qui génère une distribution asymétrique des actions produites. Par exemple, durant la consultation, c’est l’orientation des participants envers l’examen médical comme une tâche nécessitant la participation docile et

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silencieuse du patient pour permettre au médecin d’accomplir l’examen selon les procédures cliniques en vigueur (Heath, 2006 : 193), qui implique un patient silencieux et réactif plutôt que bavard et demandeur d’information. Par conséquent, l’orientation des participants vers la tâche institutionnelle ou le caractère catégoriellement spécifique de leur parler s’incarne dans un complexe de pratiques interactionnelles (Drew & Heritage, 1992 : 28), qui comporte un aspect systématique quant à leur organisation. Cela a par exemple été démontré par l’étude de séquences d’ouverture de la consultation (Heath, 1981 ; Ruusuvuori, 2005) ; de sollicitation/présentation du problème à traiter (Robinson, 2006) ; de questions/réponses d’anamnèse (Boyd & Heritage, 2006 ; Gill & Maynard, 2006 ; Stivers & Heritage, 2001) ; d’examens médicaux (Heath, 2006) ; de production/réception du diagnostic (Gill, 1998; Heath, 1992 ; Maynard & Frankel, 2006) ; de recommandations de traitement (Stivers, 2005, 2006), et finalement, de clôture de la consultation (Heritage et alii, 2007). Avant de clore cette section, nous récapitulerons les cinq dimensions au cœur des recherches AC portant sur le parler-en-interaction institutionnel (Drew & Heritage, 1992 : 29sv). Nous insisterons sur la dernière, leur caractère typiquement asymétrique – sur lequel les contributions de ce volume s’arrêtent plus particulièrement, pour explorer la manière dont il contraint les options possibles de participation et en retour dont celles-ci peuvent le subvertir. 4.3 Cinq dimensions caractéristiques de l’interaction institutionnelle Les cinq dimensions caractéristiques de l’interaction institutionnelle (Drew & Heritage, 1992 : 29sv), renvoient 1) au choix lexical ; 2) au design du tour ; 3) à l’organisation séquentielle ; 4) à la structuration globale de l’événement ; 5) à l’épistémologie et à la relation sociale qui lient les différents « types de participants ». Dans ce qui suit, nous allons brièvement discuter et illustrer chacune de ces dimensions. Premièrement, les choix lexicaux des participants à une interaction institutionnelle ne sont jamais anodins (Drew & Heritage, 1992 : 29sv). Ainsi, des études portant sur le domaine médical (Korsch & Negrete, 1972 ; Waitzkin, 1985), ont démontré que l’utilisation d’un lexique technique ou d’un jargon médical permet aux participants de faire valoir un savoir, une expertise et/ou une identité institutionnelle pertinents pour l’activité en question. De manière plus générale, l’utilisation d’un terme descriptif plutôt que d’un autre est toujours le produit d’une orientation des participants envers un contexte particulier (voir aussi Arminen, 2000). Par exemple, le choix de l’élément lexical policeman versus cop (Sacks, 1979), indexe l’orientation des participants envers une situation institutionnelle particulière, la parution devant le juge impliquant par exemple d’autres enjeux que ceux d’une conversation entre « potes ». De même, le choix du pronom personnel pluriel « nous » plutôt que du pronom à la première personne « je » (Sacks, 1992 I : 568-577), reflète l’auto-attribution de la catégorie « représentant d’une institution » versus « participant ordinaire ». Enfin, le choix de temps verbaux plus « personnels » versus « abstraits », (Sacks 1992 I : 561-569) peut indiquer des

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objectifs distincts des participants à une interaction institutionnelle (Drew & Heritage 1992 : 31-32). Le design du tour constitue la deuxième dimension relevée par Drew et Heritage (1992, 32sv). Il accomplit non seulement la sélection d’une activité plutôt que d’une autre, mais il sélectionne aussi entre différentes alternatives pour dire quelque chose ou accomplir une action particulière. Le design du tour implique donc à la fois une sélection au niveau de l’action et au niveau du style dans lequel l’action est produite. Au lieu de produire une demande directe pour un examen médical, le patient aura par exemple tendance à s’informer sur l’accessibilité du test, ou encore à construire une demande indirecte, laissant au médecin le choix de proposer la passation du test en question (Gill, 2005). Ainsi, des questions autour du design du tour sont souvent sensibles à l’appartenance ou non à une catégorie institutionnelle (Drew & Heritage, 1992 : 36). La troisième dimension, concernant l’organisation des séquences (Drew & Heritage, 1992 : 37sv) constitue le phénomène central à travers lequel l’institution est rendue reconnaissable pour ce qu’elle est, ou « talked into being » (Heritage 1984 : 290). Des séquences utilisées ordinairement dans la conversation sont transformées et adaptées par les participants pour gérer des tâches liées à une catégorie institutionnelle spécifique (Drew & Heritage, 1992 : 38). Ainsi par exemple, la paire adjacente question-réponse (Q-R) (Sacks, Schegloff & Jefferson, 1974), est systématiquement transformée en une séquence en trois parties dans le cadre des interactions pédagogiques en classe : après la réponse de l’étudiant (R) à la question du professeur (Q), ce dernier produit une troisième partie, qui évalue la réponse de l’élève. Ainsi, la séquence Q-R composée de deux tours (ou actions) est élargie à une séquence composée de trois tours (actions), Q-R-E. Cette transformation d’une organisation conversationnelle de base permet à la fois au professeur de démontrer son savoir et d’affirmer son rôle d’évaluateur, et à l’ensemble des étudiants, auxquels l’évaluation du professeur sert d’instruction, de savoir comment la réponse doit être formulée pour être évaluée positivement (Macbeth, 2004). La structuration interactive de la séquence « is the instrument through which the activity is accomplished on any given occasion » (voir aussi Hertiage, 1984 : 280-290, cité dans Drew & Heritage, 1992 : 41), produisant l’activité comme une activité de type institutionnel ou comme une activité ordinaire. Le quatrième niveau auquel se joue le caractère institutionnel d’une interaction concerne la structuration organisationnelle globale (Drew & Heritage 1992 : 43sv). Alors que l’organisation d’une conversation ordinaire n’est que très ponctuellement structurée par des séquences standardisées – c’est par exemple le cas de son ouverture et de sa clôture – les activités accomplies dans le cadre d’interactions institutionnelles sont couramment implémentées à travers une structuration globale standardisée. Cette organisation globale peut être liée à l’accomplissement d’une tâche particulière au contexte institutionnel : le médecin tend à contrôler le déroulement de l’anamnèse, l’examen médical et le diagnostic, limitant la place qu’il donne aux interventions du patient, afin de rassembler les informations nécessaires et d’avoir suffisamment de temps pour discuter différentes options de traitement avec le patient (Gill, 2005). La structuration globale peut aussi

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être prescrite par un ordre du jour, comme c’est le cas par exemple d’une réunion interdisciplinaire d’entrée en clinique, rassemblant les professionnelles de la santé et le patient pour discuter avec lui de la planification de la sortie (Keel & Schoeb, 2016) Elle peut encore tout simplement constituer le produit de routines professionnelles, comme le suggère Zimmerman (1992 : 418-469), dans son étude des appels à une assistance d’urgence. Malgré la possibilité dans pareils cas d’organisations globales hautement standardisées, l’AC insiste sur le fait que leur production in situ doit être traitée et analysée comme un produit interactif et local. La récurrence de certaines organisations standardisées à travers une multitude d’occurrences, impliquant des personnes diverses, suggère uniquement, – ni plus, ni moins – que les participants à une interaction institutionnelle sont conjointement orientés envers une structuration organisationnelle globale particulière (voir Robinson, 2003). La cinquième et dernière dimension discutée par Drew et Heritage (1992, 45sv), l’épistémologie sociale et les relations sociales, constitue à la fois la dimension la plus complexe et la plus pertinente pour ce volume. C’est la plus complexe, parce qu’au lieu de renvoyer à un niveau organisationnel particulier, comme le choix lexical, le design du tour, l’ordonnance séquentielle d’une activité, ou encore la structuration organisationnelle globale, la dernière dimension renvoie et se joue à tous les niveaux organisationnels en même temps. C’est la plus pertinente pour ce volume, parce qu’elle nous permet d’articuler une caractéristique fondamentale des interactions institutionnelles – leurs asymétrie – sur la question de la participation. Cette articulation, tout en n’étant pas absente de l’AC (voir Collins et alii, 2005), n’a pas jusqu’à présent fait l’objet d’une investigation systématique et transversale. La conversation ordinaire peut ponctuellement présenter des asymétries (Drew & Heritage, 1992 : 48-49). Par exemple, entre le locuteur d’un tour de parole et la personne à laquelle il s’adresse, l’asymétrie peut être liée à l’organisation interactive de la séquence : celui qui initie une question rend pertinente une réponse de la personne adressée, cette dernière est donc dans une position d’obligation de répondre, de sorte que le premier acquiert le droit de contrôler l’organisation de la séquence initiée, notamment en sollicitant une réponse si une réponse à la question initiale est notablement absente (Pomerantz, 1984). Le turn taking de la conversation ordinaire, plutôt que de générer des positions dans une hiérarchie, produit localement des rôles interactionnels (celui qui initie une action versus celui qui y répond) qui ne sont pas rattachées à un participant en particulier, mais qui sont continuellement transformées au fil de l’interaction. En revanche, les interactions institutionnelles sont caractérisées par des « role-structured, institutionalized, and omnirelevant asymmetries between participants in terms of such matters as differential distribution of knowledge, rights to knowledge, access to conversational resources, and to participation in the interaction » (Drew & Heritage, 1992 : 49). La manière méthodique dont l’interaction est organisée offre davantage d’occasions au professionnel qu’au participant profane de faire valoir sa perspective et de contrôler l’organisation et le déroulement de l’interaction. L’asymétrie entre professionnels et profanes émanerait donc de la restriction des droits de participation, du savoir et du

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droit/accès au savoir asymétriquement distribués entre les deux acteurs, et de l’accès aux procédures routinières qui caractérisent une institution (1992 : 49). La première dimension de l’asymétrie qui caractérise les interactions institutionnelles découle ainsi du fait que les séquences questions-réponses sont prédominantes dans ces dernières, puisque c’est habituellement le professionnel qui les initie et le participant profane qui est tenu à y répondre. Étant reconnus comme les participants qui ont le droit/privilège de poser les questions, les médecins, professeurs, intervieweurs, etc. acquièrent un certain contrôle sur le déroulement de l’interaction en général et sur le choix de certains sujets de discussion plutôt que d’autres en particulier. Un médecin peut par exemple ne pas tenir compte dans sa question suivante de certains éléments que le patient évoque dans sa réponse à la question précédente, sans devoir se justifier pour autant (Drew & Heritage, 1992 : 49-50). Le médecin contrôle non seulement l’initiation de topics mais aussi leur développement (ou non) au cours de l’interaction – c’est ainsi qu’il peut être perçu par le patient comme poursuivant un hidden agenda (Drew & Heritage, 1992 : 50) auquel ce dernier n’a pas accès. La deuxième dimension de l’asymétrie renvoie à la distribution inégale du savoir, de l’expertise entre participants professionnels et profanes. Ainsi de nombreux conflits et malentendus entre médecin et patient émanent du fait que, sur la base de son expertise, le médecin définit le problème à traiter d’une certaine manière (entre autres en utilisant la terminologie médicale) et peut négliger/être vu comme négligeant les expériences, observations, et informations rapportées par le patient (Drew & Heritage, 1992 : 50). Étroitement liée à cette deuxième dimension de l’asymétrie, une troisième dimension réside dans l’orientation distincte vers le problème à traiter par les participants de l’interaction. Alors que le professionnel tend à traiter le problème comme faisant partie de sa routine de travail, le profane tend à le ressentir et à le comprendre comme un événement singulier, extraordinaire, pouvant avoir des conséquences dramatiques pour lui. Un tel clivage de perspectives est particulièrement pertinent dans des situations où le profane fait par exemple face à une maladie grave, ou à l’imminence de la mort d’un proche (Sudnow, 1967). Dans ces cas, l’orientation du professionnel vers le problème comme constituant un cas routinier – parfois accentuée par la contrainte institutionnelle de suivre un protocole particulier et/ou de remplir des formulaires préétablis – versus un cas extraordinaire (Sudnow, 1967 ; Maynard, 1991a) peut avoir des conséquences interactionnelles importantes. Ainsi, Maynard décrit différentes procédures, notamment les perspective display series, qui permettent au médecin de précéder l’annonce de mauvaises nouvelles (foreshadow) par des échanges qui préparent au pire les parents de l’enfant gravement atteint d’une maladie mentale (Maynard, 1991a, 2003). Dans ce cas, la prise en compte par le médecin de l’orientation des parents envers le problème comme ne constituant pas un événement routinier, lui permet de prendre des précautions particulières dans la manière dont il aborde la question et annonce le diagnostic, qui tout en ne rendant pas le problème moins grave, le rendent peut-être mieux recevable et acceptable pour les parents.

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Alors que l’asymétrie entre participants à une interaction institutionnelle est ancrée dans le fonctionnement même de l’institution – qui se manifeste notamment par les exigences institutionnelles demandant aux professionnels de remplir des formulaires standards, de suivre des procédures et/ou protocoles préétablis, etc. – celle-ci a tout aussi bien une base interactionnelle. Analyser cette dernière en détail et expliquer son caractère à la fois local et régulier/méthodique constitue le défi que s’est donné l’EMCA – qui est aussi une manière de répondre à la question de l’articulation entre des niveaux d’organisation micro/macro (Schegloff, 1987). En traitant l’asymétrie comme un accomplissement interactif qui est contraint par mais aussi, en retour, structure l’institution, l’EMCA montre les conséquences institutionnelles de choix interactifs particuliers et articule réflexivement l’ordre interactionnel et l’ordre institutionnel. Cela permet ainsi de comprendre comment l’organisation interactive est incorporée dans des tâches, des procédures et des cadres constituant un ordre interactif plus large, tout en représentant l’implémentation qui le reproduit et le transforme ici et maintenant (Drew & Heritage, 1992 : 53). 5. L’objet de ce volume : participation et asymétrie dans les interactions institutionnelles Les chapitres de ce volume partagent tous un intérêt analytique pour l’organisation de la participation dans des contextes institutionnels caractérisés par une asymétrie fondamentale entre d’une part des professionnels engagés dans l’activité en tant que tels, avec une position d’expert et/ou contrôlant l’accès à la parole voire l’organisation de l’interaction, et d’autre part des patients, clients, citoyens, engagés dans la même activité, et dépendant des premiers pour accéder à la parole et/ou aux soins, savoirs, services délivrés dans cette activité (consultations, réunions, transactions). Dans ce cadre, les analyses explorent le lien entre participation et organisation de l’interaction sociale : que ce soient les modalités d’alternance des tours de parole, les types de séquences structurant l’activité en cours, les actions implémentant les finalités de la réunion/consultation/transaction, les droits et obligations reconnus aux participants, les ressources interactionnelles reconnues comme intelligibles et légitimes – tous les niveaux d’organisation de l’interaction concourent à configurer des occasions de participation. La question dès lors est d’identifier les enjeux de la participation à chaque palier organisationnel, et d’expliciter les conséquences de tel ou tel choix de format (du tour, de l’action, de la séquence, etc.) en termes d’occasions de participation. Cela permet d’identifier des formats qui favorisent la participation de certaines catégories de personnes ou au contraire la rendent plus difficile, voire impossible – ainsi que de reconnaître les détails organisationnels permettant de comprendre comment un format peut faciliter ou bien au contraire bloquer la participation. Dans toutes les activités cernées par les études réunies dans ce volume, la participation intervient comme un enjeu interactionnel vers lequel s’orientent les participants des deux côtés de la relation asymétrique et plus largement comme un enjeu social et politique. Cela est clairement le cas dans les contextes institutionnels médicaux (Keel, ce volume ; Merlino, ce volume ; Monteiro, ce volume) ou politiques (Mondada, ce volume ; Svensson, ce volume ; van Schepen, ce volume),

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cela est plus subtilement le cas dans les contextes commerciaux (Horlacher, ce volume ; Tekin, ce volume). Tous ces domaines sont caractérisés par une attention politique aux usagers qui reconnaissent implicitement ou explicitement des enjeux de participation : c’est le cas des approches de la santé « centrées sur le patient », des initiatives politiques « participatives » se voulant ouvertes sur la participation des citoyens, mais aussi des méthodes commerciales « centrées sur les usages et l’usager ». Dans d’autres contextes, les questions de participation sont aussi centrales : ainsi pour ne citer qu’un domaine fondamental, celui de l’éducation, la salle de classe et son organisation ont fait l’objet d’importantes discussions sur les modes de participation favorisant (ou au contraire pénalisant) des types d’élèves ou d’étudiants (cette question est notamment traitée par une littérature inspirée de Goffman en termes de « structures de participation » plutôt que de « cadres » : voir les travaux classiques en ethnographie de l’éducation (Au, 1980 ; Erickson & Mohatt, 1982, Philips, 1983, cf. supra § 3.2.1). Dans ce qui suit nous esquissons les spécificités des trois contextes que nous avons retenus dans ce volume – médical, politique et commercial. 5.1 Contexte médical : enjeux de participation dans les domaines de la santé Dans le domaine médical, la participation du patient est un idéal qui émerge progressivement dans la transition entre un modèle fondé sur l’autorité unilatérale du médecin et un modèle davantage bilatéral incluant l’avis des patients, considéré comme nécessaire pour que les soins soient adéquats et les prescriptions suivies (Collins et alii, 2005). Les interactions dans le domaine de la santé font l’objet d’une vaste littérature en analyse conversationnelle, qui a surtout privilégié les consultations en médecine générale (Heritage & Maynard, 2006), tout en développant aussi des études sur des domaines spécialisés comme la chirurgie, l’oncologie, l’ophtalmologie, l’aphasie, etc. Les travaux classiques dans ce domaine ont élaboré et discuté la question de l’asymétrie entre médecin et patient dans la consultation (ten Have, 1991 ; Maynard, 1991b ; Pilnick & Dingwall, 2011), en montrant qu’elle est activement soutenue et reproduite par les deux parties. Même si nombre de travaux ont montré que la participation des patients reste difficile à mobiliser dans les consultations (Collins et alii, 2007 ; Ijäs-Kallio, Ruusuvuori & Peräkylä, 2010 ; Pilnick, Hindmarsh & Gill, 2009 ; Robinson, 2003 ; Stivers, 2002), certaines études ont révélé les techniques par lesquelles les professionnels parviennent à l’augmenter. Ainsi, la manière dont les médecins formatent leurs questions projette la possibilité de réponses plus ou moins élaborées, voire une absence de réponses. Par exemple, le format « do you have any questions ? » versus « do you have some questions ? » diffère radicalement, comme l’ont montré Heritage et alii (2007) : le premier projette une réponse négative et le second une réponse positive et les patients répondent en saisissant ou non cette possibilité. De même, les patients eux-mêmes peuvent formater leurs actions de manière à attirer l’attention du médecin et à favoriser la prise en compte de leur participation (Heath, 1989).

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Les chapitres de ce volume s’intéressent à des domaines moins étudiés mais en plein essor, où les conséquences de la participation sur le succès du traitement sont fondamentales : les consultations en logopédie avec patients aphasiques (Merlino, ce volume) – pour lesquelles les travaux de Wilkinson (1999 ; Wilkinson et alii, 2007) ont montré l’importance fondamentale de la participation afin que le patient retrouve une autonomie interactionnelle –, les réunions interdisciplinaires de planification de la sortie (Keel, ce volume) – pour lesquelles Keel & Schoeb (2016) ont montré la difficulté de faire participer le patient aux prises de décision – et les consultations en travail social en milieu gériatrique (Monteiro, ce volume), un domaine qui se situe à l’articulation entre aide sociale et soins médicaux. Dans son chapitre, Sara Merlino étudie des séances de rééducation orthophonique avec des clients aphasiques. Elle y analyse les initiatives du client lorsque, au cours de la réalisation de tâches thérapeutiques, il initie des topics conversationnels inspirés des stimuli visuels ou auditifs proposés par l’orthophoniste. Ces initiatives montrent que l’asymétrie qui caractérise ce contexte d’interaction (visible dans le type de contributions des participants, dans le rôleguide joué par le thérapeute, dans ses instructions et corrections des réponses du client, dans la position souvent réactive de celui-ci) n’est pas donnée a priori mais est bien négociable à tout moment par les participants, et notamment par le client. L’introduction de topics par le client au cours de la réalisation de tâches thérapeutiques implique, en effet, non seulement une redéfinition locale du déroulement de l’activité institutionnelle et du type de participation « prévue » pour lui à travers la tâche proposée, mais aussi une négociation des catégories liées à l’activité thérapeutique (« thérapeute / orthophoniste » versus « client / locuteur aphasique », « expert » versus « apprenant ») et de l’asymétrie qu’elles produisent. Le chapitre de Sara Keel se penche sur la participation des patients lors de la planification de leur sortie d’une clinique de réadaptation, en l’articulant avec l’asymétrie caractérisant la relation entre médecin et patient. L’analyse de cinq extraits cherche ainsi à comprendre comment les patients, lors des visites médicales hebdomadaires des médecins traitants, parviennent à faire valoir leur point de vue dans la négociation de leur date de sortie ou de la durée de leur séjour. L’analyse démontre que la relation asymétrique entre médecin et patient et, corollairement, la participation du patient, sont des produits intrinsèquement collaboratifs qui peuvent être localement renégociés – la panoplie des procédures interactives et des ressources que les patients mobilisent pour soulever ou répondre à la question de la sortie étant très vaste, avec des implications distinctes sur leur participation dans une prise de décision les concernant. Toutefois l’analyse suggère aussi que les participants ne sont ni enclins à défier inconsidérément cette asymétrie, ni à traiter la remise en cause de l’asymétrie médecin / patient au profit de la participation du patient comme une visée en soi. Dans son chapitre, David Monteiro s’intéresse aux interactions entre une personne âgée accueillie dans une institution gériatrique mais résistant à son internement, et les assistantes sociales faisant de leur mieux pour à la fois aider leur futur résident et respecter l’ordre institutionnel au sein duquel elles travaillent. L’analyse détaille les pratiques de résistance de la personne âgée, leur organisation

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sous la forme de non-réponses, de passivité mais aussi de contestation et de subversion des asymétries, leur émergence et transformation progressive au cours d’une visite de l’institution gériatrique, ainsi que la manière dont elles sont localement gérées par le personnel afin de lui arracher finalement un consentement. Globalement, les études rassemblées dans cette partie montrent l’agir du patient sous une nouvelle perspective, soulignant l’importance des pratiques qui lui permettent de redéfinir sa manière de participer, y compris dans le silence et la résistance. 5.2 Contexte politique : enjeux participatifs dans les débats citoyens Dans le domaine politique, les enjeux de participation sont explicitement formulés comme tels dans le discours public institutionnel et ordinaire : cela est notamment le cas de la « démocratie participative », une forme d’action collective qui a l’ambition d’inclure les citoyens dans les processus d’élaboration de projets, de consultation et parfois de décision (voir par exemple Diot-Labuset, 2015). Même si ces enjeux sont explicitement reconnus, rares sont les travaux qui font le lien entre l’idéal politique participatif et les formats localement situés d’organisation de la participation. L’enjeu est celui d’une re-spécification ethnométhodologique de la participation politique (Bovet & Relieu, 2014 ; Mondada, 2013a, 2015) : comment les idéaux de participation sont-ils implémentés, manifestés et reconnus par les membres des collectifs eux-mêmes dans leurs actions ? Comment la dimension participative d’une action située est-elle reconnue dans son accountability ? Ainsi c’est non seulement dans l’adoption d’un système de turn-taking particulier qu’est rendue reconnaissable la dimension participative d’une activité politique, mais aussi dans l’orientation des membres envers ce système comme favorisant la participation (ou non) (voir Mondada, 2013a, 2015 ; Mondada, Svensson & van Schepen, 2017). L’étude conversationnelle de l’action politique d’assemblées de citoyens a surtout privilégié des formats interactionnels caractérisés par la confrontation de deux parties (au sens de Schegloff, 1995) – comme par exemple l’orateur politique et son public (Atkinson, 1984 ; Clayman, 1993 ; Heritage & Greatbatch, 1986). Dans ce cas, les citoyens interviennent en tant que voix collectives et souvent indistinctes, confondues dans des manifestations chorales comme les applaudissements (Atkinson, 1984) et les huées (Clayman, 1993) (mais voir Mondada, 2005 pour une analyse qui redonne une voix distincte à ces contrediscours). Des formes politiques davantage ouvertes à une multiplicité de participants, avec un focus particulier sur les citoyens, ont été moins étudiées. Les travaux de McIlvenny (1996a, 1996b) sur des formes spontanés d’oraison et de débat public à Hyde Park, ou durant des manifestations du type Occupy (McIlvenny, 2017), ou les travaux de Llewellyn (2005) sur les interventions du public de citoyens dans les assemblées locales (Area Assemblies) en offrent un exemple, ainsi que les recherches de Mondada (2013, 2014c, 2015) sur les interventions de citoyens formulant des propositions dans un projet d’urbanisme participatif (voir Keel & Mondada, 2017 pour un état de cette question).

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Les chapitres réunis dans cette partie (Mondada, ce volume ; Svensson, ce volume ; et van Schepen, ce volume) émanent tous d’un projet financé par le Fonds National de la Recherche Suisse, intitulé Speaking in Public : Social interactions in large groups. Contributions from a conversation analytic multimodal perspective, étudiant une procédure participative au cours de laquelle les citoyens sont invités à contribuer à un projet d’urbanisme. Les analyses traitent d’aspects fondamentaux pour l’établissement d’un débat participatif : la manière dont les facilitateurs et modérateurs organisent le débat, la manière dont les citoyens posent des questions et revendiquent des réponses, la manière dont les facilitateurs et modérateurs peuvent être corrigés par les citoyens qui monitorent leur rendu de la parole collective. Dans son chapitre, Lorenza Mondada propose une analyse comparée du travail de deux facilitateurs engagés dans des groupes parallèles de citoyens discutant de la même question. Elle y montre que le travail de l’animateur peut se décliner en un ensemble de pratiques méthodiques pour gérer le débat – comme l’hétéro-sélection par l’animateur versus l’auto-sélection par les citoyens, l’initiation de la séquence par un citoyen versus par l’animateur, son traitement consistant à la reformuler et donc à lui attribuer un caractère public versus à y répondre de manière mondaine et ordinaire, dans un cadre participatif resserré, son élaboration comprenant la vérification et la recherche d’un accord collectif avant de l’écrire versus son écriture sous dictée sans en négocier le statut auprès du collectif. Ces pratiques ont des conséquences aussi bien organisationnelles que politiques. Du point de vue politique, la manière dont cette parole médiatisée par un animateur est organisée a un impact crucial sur la création, la multiplication ou bien la réduction des opportunités données aux citoyens de participer réellement au débat, d’exprimer et de faire valoir leur point de vue. Dans le chapitre suivant, Nynke van Schepen se penche sur des séances plénières au cours desquelles des experts/élus/officiels présentent l’état du projet d’urbanisme, experts/élus/officiels auxquels les citoyens sont invités à poser des questions sur les discours qu’ils viennent d’entendre. L’analyse se penche sur des cas de réponses différées par les politiques, ou de réponses jugées inadéquates ou non pertinentes par les citoyens, où ces derniers se montrent comme étant en droit, interactionnellement et politiquement, de relancer la réponse. La pratique consistant à relancer des réponses, effectuée par des participants profanes, qui interviennent conventionnellement en seconde position (en répondant à l’invitation des élus d’intervenir dans la réunion), mais en accomplissant des actions de première partie de paire adjacente (en posant des questions), constitue une manière efficace de modifier localement l’asymétrie caractérisant ce type d’interaction. Dans son chapitre, Hanna Svensson s’intéresse à la manière dont les citoyens engagés dans des ateliers de brainstorming mobilisent la pratique interactionnelle de l’hétéro-réparation pour corriger l’écriture publique réalisée par des facilitateurs professionnels. Ces inscriptions publiques représentent le résultat des propositions, discussions et accords collectifs, et constituent le fondement du travail ultérieur des pouvoirs publics. L’étude montre que les citoyens-participants surveillent les actions des facilitateurs, en les considérant responsables non seulement de la manière dont la réunion est gérée, mais aussi de la manière dont

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l’agenda institutionnel et politique est suivi et implémenté, ainsi que de la manière dont les résultats sont consignés de manière honnête et transparente. Les séquences correctives initiées par les citoyens et aboutissant à une révision de l’écriture par le modérateur, constituent une pratique récurrente qui permet aux participants de moduler ou même contester l’asymétrie de la distribution des tâches au sein de l’activité ainsi que de négocier son ordre local et global. Globalement ces études explorent de nouvelles pratiques permettant aux citoyens non seulement d’intervenir mais aussi de transformer l’agenda politique – en montrant l’effet configurant, pour l’organisation de la participation politique, de détails fondant l’organisation de l’interaction sociale. 5.3 Contexte commercial : enjeux de participation dans les activités de service Dans le contexte commercial et plus généralement les institutions et entreprises offrant des services, la communication et le management affirment depuis longtemps la centralité du client et du point de vue des usagers sur la définition du service (Bitner et alii, 1997). Toutefois ces déclarations vont souvent de pair avec une méconnaissance des usages effectifs des clients et avec une imposition tacite du savoir-faire et de l’expertise du professionnel. Il existe une riche littérature sur les interactions commerciales (cf. Aston, 1988 ; Felix-Brasdefer, 2015 ; Kebrat-Orecchioni & Traverso, 2008), même si leur étude ne s’est développée que récemment en analyse conversationnelle. Par conséquent, alors que de nombreux travaux existent sur l’importance de la politesse dans le traitement et la reconnaissance du client (Kerbrat-Orecchioni, 2006 ; Traverso, 2006 ; Placencia, 2008 ; Ryoo, 2007), moins fréquentes sont les analyses portant sur la manière dont l’organisation de l’interaction fait intervenir un ajustement réciproque des positionnements des deux parties engagées (Clark, Drew & Pinch, 2003 ; Mondada, 2009b) et sur la manière dont les requêtes des clients sont formatées de façon à exprimer et négocier non seulement des droits et obligations réciproques mais aussi une autorité épistémique (Fox & Heinemann, 2015, 2016 ; Haakana & Sorjonen, 2011 ; Kuroshima, 2010 ; Mondada & Sorjonen, 2017 ; Raevaara, 2011). Ces enjeux sont d’autant plus forts dans les activités qui visent à offrir au client des services (versus des produits ou marchandises) : dans ce cas, la négociation réciproque des territoires du professionnel et du client peut devenir délicate, surtout lorsque l’activité implique le corps du client, qui peut ainsi être objectivé (en étant traité comme un objet physique) mais aussi considéré dans sa subjectivité (voir par exemple Oshima, 2014). Les deux chapitres de cette partie montrent précisément les conséquences de ce type d’enjeu, en travaillant sur l’industrie de la beauté (Horlacher, ce volume) et sur la photographie professionnelle (Tekin, ce volume) : dans les deux cas, le professionnel manipule le corps du client, et dans les deux le client peut être amené à résister ou à proposer des alternatives, renversant la relation. Dans son chapitre, Anne-Sylvie Horlacher se penche sur un type particulier d’interaction de service – dans un salon de coiffure – et montre que la relation coiffeur-cliente, souvent décrite comme asymétrique, est en fait loin d’être

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réductible à des échanges entre professionnels et profanes. Le corpus donne plutôt à voir que les clientes assument fréquemment des positions d’expertes en intervenant activement dans le déroulement du traitement. L’analyse se focalise sur les moments pendant lesquels les clientes préviennent ou contestent une action du coiffeur, dans des injonctions négatives, qui comportent un potentiel critique en pointant vers l’inadéquation de l’action du coiffeur. Le format mobilisé par les clientes – proche à la fois de l’ordre, de la requête, de l’avertissement et de la critique – témoigne de différents degrés d’autorité et de légitimité – la cliente affirmant sa relation à son propre corps, ses goûts et son droit d’influer sur un service qu’elle paie, le coiffeur, lui, jonglant entre son statut d’expert « officiel » et de prestataire. Le chapitre de Burak Tekin se penche sur les activités dans le studio d’un photographe professionnel. L’analyse montre comment différents types de photos sont proposés et négociés par le photographe et les clients, au sein d’un réajustement constant des droits et obligations que les deux parties s’octroient et se reconnaissent. Ainsi si, pour la photo traditionnelle de mariage, le photographe exprime sa légitimité à orchestrer la mise en scène du couple, la réalisation de photos plus personnelles permet aux clients de réaffirmer leurs droits et préférences. Le chapitre montre ainsi comment professionnalité et goûts personnels, arrangements des corps répondant aux exigences du métier et limitations dans la manipulation des corps des clients par le professionnel s’équilibrent au sein de pratiques corporelles, spatiales, tactiles et sociales au fil desquelles l’asymétrie entre clients et photographe est constamment reconfigurée. Globalement, cette partie montre comment l’équilibre entre l’autorité du professionnel et les prérogatives des clients est en perpétuel réalignement dans les revendications et attentes réciproques telles qu’elles sont négociées au fil de la transaction. En se penchant sur une variété de contextes institutionnels – dans les domaines de la santé, de la politique et des services – ce volume offre une analyse de la diversité mais aussi de la systématicité des pratiques par lesquelles l’asymétrie entre les participants est à la fois accomplie et renégociée. Ce faisant, le volume offre une étude inédite, par sa diversité et en même temps sa cohérence, de l’articulation entre participation et institution, ordre interactionnel et ordre institutionnel. Le volume poursuit ainsi plusieurs objectifs : tout d’abord, offrir une conceptualisation ethnométhodologique conversationnelle de la participation en contexte institutionnel, qui revisite la question de l’asymétrie entre professionnels et profanes ; ensuite, proposer une démarche méthodologique qui démontre la pertinence d’une analyse multimodale fondée sur des enregistrements vidéo et des transcriptions détaillées ; enfin, développer des études monographiques de contextes institutionnels souvent encore marginaux dans la littérature EMCA.

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Conventions de transcription

1. Conventions utilisées Les transcriptions de ce volume respectent deux conventions. Pour la transcription du verbal, les conventions ICOR sont adoptées : elles sont inspirées des conventions de référence en analyse conversationnelle de Gail Jefferson (2004) et adaptées pour le français. Pour la transcription des conduites corporelles, les conventions mises au point par Lorenza Mondada sont adoptées : elles se basent sur des usages précédents, notamment de Charles Goodwin pour le regard et de Adam Kendon pour les gestes, et ont été conçues pour annoter systématiquement tout phénomène multimodal. 2. Conventions de transcription du verbal (ICOR) BEA

identification du participant

BEA?

identification incertaine du participant

?

participant non identifié

(.)

micro-pause (inférieure à 0.2)

(3.2)

pause chronométrée en secondes et dixièmes de secondes

=

enchaînement immédiat entre un tour et l’autre (latching)

[

début du chevauchement

]

fin du chevauchement

:

allongement

int-

troncation, amorce de mot

.h

aspiration

h

expiration

/

intonation montante

\

intonation descendante

oké

accentuation

OKE

volume accru de la voix

°oké°

voix basse

>non


début du mouvement, continuant sur d’autres lignes

-->*

fin du mouvement une/quelques ligne(s) plus bas

>>--

commencement du mouvement avant le début du fragment

-->>

continuation du mouvement au-delà de la fin du fragment

fig

image, capture d’écran

#

instant précis auquel est rapportée l’image

Voici une explication de l’usage des conventions multimodales. Le principe de cette transcription consiste à annoter tout détail corporel en indiquant son début et sa fin, balisés par une série de symboles spécialisés pour chaque participant et rapportés à la temporalité de la parole ou de la pause verbale en cours. Cela permet une synchronisation précise du multimodal, c’est-à-dire de la parole et du corps. Exemple de symboles pour différents participants : * * + + Δ Δ

délimitation des actions corporelles de LAU délimitation des actions corporelles de VIV délimitation des actions corporelles de BRU

Pour noter des actions corporelles différenciées d’un participant, on choisira des symboles différents mais apparentés. Exemples de symboles différenciés par participant : * • + †

* • + †

pour pour pour pour

les les les les

gestes de LAU regards de LAU gestes de VIV regards de VIV

Conventions de transcription

51

Les symboles et les annotations correspondantes sont rapportés à la ligne du tour verbal (numérotée), en délimitant le début et la fin de la conduite décrite, comme suit : 1

BRU lau

la maison •qui Δ se retrouve• ici:,Δ Δpointe sur le doc--Δ •regarde BRU------•

Les annotations corporelles commencent par celles concernant le participant qui a la parole – dont l’identification dans ce cas n’est pas notée en marge –, suivies par celles des autres co-participants – dont l’identification est indiquée en minuscule en marge. Si un mouvement est effectué durant une pause, celle-ci est segmentée de manière correspondante, de sorte à situer précisément la durée du mouvement : 1 2

LAU lau

alors/ (0.3) + (0.4) + (0.2) +secoue tête+

Lorsque des mouvements sont annotés durant des pauses, les identifiants des participants qui les effectuent sont toujours indiqués en marge. Si une conduite corporelle commence sur une ligne et continue pendant plusieurs lignes, sa durée est indiquée comme suit, avec une première flèche après l’annotation du geste (+pointe--->), reprise à la ligne où le geste se termine, suivie du symbole indiquant la fin du geste (--->+). Par exemple : 1 2 3

LAU viv VIV

+°ah oui° +pointe---> (0.4) mais alors+ i-il y va pour les dé- pour les sortir --->+

Si une conduite corporelle commence avant le début du fragment, cela est indiqué par le double symbole suivant : >> ; si elle continue après la fin du fragment, cela est indiqué par la flèche suivante : -->> : 1

BRU

2

par rapport au casΔ de figure de::m (.) des perdants/ >>pointe----------Δ en général Δeuh cette attribution de: d’argent est utile\ Δpointe--->>

La trajectoire du geste peut être précisée en indiquant son émergence (…) et sa rétractation (,,,,). Par exemple : 1

VIV lau

sur des terres assez *. euh ass- a:*:- assez *bonnes* *..............*pointe--*,,,,,,*

Les conduites corporelles sont décrites de manière synthétique, parfois de manière abrégée ; cette description peut être complétée par des captures d’écran de la vidéo correspondante. Dans ce cas, les images sont précisément rapportées au moment précis de leur occurrence dans la ligne du verbal ou du silence par le symbole #. Par exemple : 1

LAU

alors/ y a quand même* u:ne autre## chose* à vérifier *pointe v plan-----*

Conventions de trancription

52 fig 2

4

bru im BRU

#fig.1 Δ (0.7) # (0.3) Δ (0.2) # Δ.............Δpointe v plan---> #fig.2 #fig.3 non:/ on a on a touj- ah oui/ c’estΔ vrai Δ -->Δ,,,,,Δ

1

2

3

Si les phénomènes ou les captures d’écran se réfèrent à des instants au sein d’une pause, la pause est fragmentée de manière correspondante (ligne 2). 4. Explication détaillée des conventions Pour une explication détaillée des conventions, on se rapportera aux documents suivants disponibles sur Internet : Conventions ICOR : (http://icar.univ-lyon2.fr/projets/corinte/documents/2013_Conv_ICOR_250313.pdf) Conventions Mondada : https://franz.unibas.ch/fileadmin/franz/user_upload/redaktion/Mondada_conv_multi modality.pdf Bibliographie Jefferson, G. (2004). Glossary of transcript symbols with an introduction. In G. H. Lerner (Ed.), Conversation Analysis: Studies from the First Generation (pp. 13-31). Amsterdam: Benjamins.

Initiatives topicales du client aphasique au cours de séances de rééducation : pratiques interactionnelles et enjeux identitaires

Sara Merlino

1. Introduction Ce chapitre porte sur des séances de rééducation orthophonique de clients aphasiques. Nous analysons l’interaction entre orthophoniste et locuteur aphasique en la concevant comme une activité à la fois institutionnelle et thérapeutique, dont les caractéristiques organisationnelles et les enjeux identitaires peuvent être décris grâce aux outils de l’analyse conversationnelle d’inspiration ethnométhodologique. De manière plus spécifique, l’étude se focalise sur les phénomènes de parler topical et des initiatives topicales du client aphasique. Nous montrons qu’au cours des séances de rééducation à la parole, et notamment au cours de la réalisation des tâches proposées par le thérapeute, le client peut initier des topics conversationnels inspirés des stimuli visuels ou auditifs liés à la thérapie. Ces initiatives impliquent non seulement une redéfinition locale du déroulement de l’activité institutionnelle et du type de participation « prévue » pour le client à travers les tâches proposées, mais aussi une négociation des catégories identitaires liées à l’activité thérapeutique et de l’asymétrie qu’elles produisent. Nous contribuons au développement d’un sujet de recherche qui reste largement inexploré autant dans les études sur le parler institutionnel (qui, dans le domaine de la santé, se sont plutôt penchées sur l’interaction médecin-patient ou bien sur les séances de psychothérapie mais pratiquement pas sur la rééducation orthophonique), que dans le domaine de l’aphasiologie. Les travaux d’inspiration conversationnelle qui, ces dernières années, se sont focalisés sur l’aphasie ont en effet insisté sur l’importance de l’étude de la conversation ordinaire pour la compréhension et le traitement de la pathologie aphasique : ils ont examiné, de manière très innovante, les comportements communicatifs des partenaires conversationnels des locuteurs aphasiques en soulignant leur rôle dans la coconstruction du parler aphasique (Klippi, 1990 ; Laakso, 1993 ; Goodwin, 1995 ; Oelschlaeger et Damico, 1998 ; Laakso et Klippi, 1999 ; Wilkinson, 1999 ; Helasvuo, Laakso, Sorionen, 2004). Les études, surtout anglo-saxones, qui ont intégré ces résultats dans une vision plus holistique du client et les ont comparés avec les caractéristiques de l’interaction entre thérapeute et client aphasique, ont

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Sara Merlino

plutôt privilégié l’analyse de séquences interactionnelles (de réparation, de « hint and guess »), de phénomènes spécifiques (de recherche de mot) ou de ressources particulières (grammaticales ou multimodales) (voir, par ex., Laakso, 1992, 2015 ; Wilkinson, 2004 ; Klippi 2015). Peu d’études (mais voir Wilkinson, 2013) ont traité la thérapie orthophonique comme une forme d’interaction institutionnelle, et cela autant dans une perspective théorique que dans une démarche de linguistique appliquée. Notre étude vise à combler cette lacune et à développer ce domaine de recherche. Dans ce qui suit, nous allons d’abord décrire les apports des travaux qui, dans le champ de l’analyse conversationnelle, se sont focalisés sur l’aphasie et ont souligné le rôle de l’interaction dans cette pathologie (section 2) ; ensuite nous allons décrire les caractéristiques des séances de rééducation orthophonique du point de vue de leur organisation comme activité institutionnelle, caractérisée par des formats d’action et des catégories identitaires spécifiques (section 3) ; enfin nous allons aborder la question du parler topical et de sa pertinence pour le développement de séquences conversationnelles au cours de la thérapie (section 4). Après cette partie théorique, et après avoir décrit les données sur lesquelles se basent nos analyses (section 5), nous proposons l’analyse de 3 cas de figure (sections 6, 7, 8) qui nous permettent d’observer l’impact des initiatives du client sur le déroulement de la thérapie et sur la définition et la négociation locales des asymétries institutionnelles. Suivront les conclusions et une discussion finale. 2. Analyse conversationnelle et aphasie : le rôle de l’interaction dans la pathologie aphasique Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses recherches en analyse conversationnelle se sont penchées sur l’étude de l’aphasie en montrant, de manière très significative, l’intérêt d’une approche contextuelle, séquentielle et interactionnelle de cette pathologie. L’analyse d’interactions entre locuteurs aphasiques et non aphasiques a souligné que l’aphasie ne peut pas être considérée seulement comme une pathologie du locuteur (dérivant d’une atteinte neurologique et affectant ses compétences verbales), mais doit également être étudiée, comprise et abordée dans son lieu de manifestation primaire : l’interaction sociale (Goodwin, 1995, 2004 ; Kagan, 1995, 1998). En effet, d’un côté c’est bien en interagissant avec les autres que le locuteur aphasique fait l’expérience – dramatique – de sa nouvelle condition et se trouve face au problème pratique de participer à la conversation et de faire comprendre à son interlocuteur ses propos en dépit des troubles neuro-linguistiques issues de la lésion cérébrale1. De l’autre côté, tout en étant le lieu où ces problèmes se manifestent, l’interaction offre également au locuteur aphasique les ressources nécessaires pour co-construire avec ses partenaires conversationnels des actions et des tours intelligibles et dotés de sens. Ces ressources reposent a) sur l’organisation séquentielle de la parole et sur la possibilité d’exploiter le tour (ou l’action) précédent de l’interlocuteur (Goodwin, 1995, 2003a, 2004 ; Heeschen et Schegloff, 1

Comme souligné dans la littérature, la question de l’intercompréhension est centrale dans

Initiatives topicales du client aphasique

55

1999 ; Wilkinson, 1999) par exemple pour le ratifier ou pour le refuser (Goodwin, 1995), mais aussi pour en reprendre des éléments (des borrowings) ou pour y se référer de manière indexicale (voir Wilkinson, 1999) ; b) sur la dimension multimodale du comportement communicatif des locuteurs, qui en réduisant la portée d’une perspective logocentrique sur laquelle se fonde la définition même d’aphasie, montre l’importance des gestes, des regards, et de la prosodie pour pallier aux troubles verbaux (Goodwin, 1995, 2000 ; Klippi, 2006 ; Wilkinson, Beeke et Maxim, 2010 ; Auer et Bauer, 2011 ; Rhys, Ulbrich, Ordin, 2013). La description et l’analyse de ces ressources ont permis non seulement de confirmer l’idée suggérée dans une perspective cognitiviste selon laquelle les compétences communicatives des locuteurs aphasiques dépasseraient largement (au moins dans certaines types d’aphasie) leur compétences langagières (Marshall, 2002) ; elles ont aussi permis, de manière plus générale, de mettre en question une définition traditionnelle de la notion de compétence comme seule habileté à produire des mots (voir à ce propos Goodwin, 1995). L’analyse contextuelle du parler aphasique a ainsi permis de valoriser des productions verbales qui ont été traditionnellement décrites hors contexte ou dans le cadre de tests d’évaluation, par des modèles qui ont insisté sur les manques phonologiques, sémantiques et syntaxiques provoqués par la pathologie et sur les déficiences du locuteur aphasique en tant qu’individu ayant perdu et devant ré-apprendre la parole. Les études conversationnelles de l’aphasie ont de plus souligné le rôle central joué par les partenaires interactionnels du locuteur aphasique et ont décrit les processus de co-construction mis en place dans le parler aphasique : par exemple, la possibilité de construire à deux un tour de parole (Oelschlaeger et Damico, 1998), de résoudre des recherches de mot (Oelschlaeger, 1999 ; Oelschlaeger et Damico, 2000, 2003), de collaborer à la production d’un récit (Goodwin, 2004). Ces phénomènes de parole distribuée (soulignant la speakership de l’aphasique) sont fondamentaux pour la participation du locuteur aphasique à l’interaction, pour sa reconnaissance en tant que membre « compétent » (Goodwin, 2004), ainsi que pour le développement de stratégies de conduite palliative et, si possible, l’amélioration de ses productions verbales. C’est dans cette optique que les comportements des différents partenaires interactionnels du locuteur aphasique ont été comparés (par exemple la manière dont les recherches de mot sont gérées par l’orthophoniste et par un membre de la famille du client, Laakso et Klippi, 1999 ; Laakso, 2015 ; ou bien le fait que des séquences de correction sont initiées par l’épouse du locuteur aphasique beaucoup plus souvent que par l’orthophoniste, Lindsay et Wilkinson, 1999 ; en français voir Tron et Vivion, 2014). Sur cette base et sur un plan plus appliqué, des programmes d’intervention auprès des partenaires conversationnels du locuteur aphasique (membres de la famille, épouse ou mari, aidants) ont été développés. Ces programmes visent, entre autres, la mise en place de pratiques qui facilitent la participation du client à la conversation ordinaire et le valorisent en tant que locuteur compétent (Wilkinson et alii, 1998 ; Lock, Wilkinson et Bryan, 2001 ; Wilkinson et alii, 2010 ; Wilkinson, 2011, 2014, 2015).

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Sara Merlino

3. Les séances de rééducation aphasique comme activité institutionnelle En dépit de nombreuses études menées en analyse conversationnelle sur l’aphasie et portant aussi bien sur des contextes de conversation ordinaire que sur des situations de thérapie, peu a été écrit cependant au sujet des séances de rééducation orthophonique en tant qu’activité institutionnelle2. Pourtant, le développement de ce domaine d’étude et donc d’une réflexion analytique sur les séances de rééducation présentent des enjeux importants pour la compréhension de l’organisation de l’activité et de la constitution de l’asymétrie qui la caractérise, ainsi que de la catégorisation des participants, et notamment du client aphasique. Par rapport à d’autres contextes de santé (notamment l’interaction médecinpatient ou les échanges thérapeutiques), les séances orthophoniques se caractérisent non seulement par le fait d’être vouées à la réalisation du traitement (versus, par exemple, à sa définition et prescription), mais aussi par le type de participation qu’elles requièrent de la part du client dans la réalisation d’une performance (voir à ce propos Pilnick, Hindmarsh et Gill, 2010)3. Comme dans les contextes éducatifs, cette performance est de plus au centre d’une évaluation constante de la part du thérapeute, qui, par la structuration de séquences d’élicitation et d’évaluation, organise et mène l’activité de rééducation. Les études qui se sont intéressées au discours thérapeutique entre orthophoniste et client aphasique se sont focalisées notamment sur la manière dont le thérapeute parvient, ou pas, à stimuler la production des réponses du client, évalue ces réponses ou bien gère leur absence et relance le client dans leur production. Afin de comprendre quels sont les comportements qui faciliteraient la poursuite des objectifs thérapeutiques, et dans une démarche prescriptive orientée vers la formation des orthophonistes, des systèmes de codage ont été mis en place pour pouvoir comparer la conduite de différentes thérapies et effectuer des études quantitatives. Les premiers modèles sont élaborés déjà à partir des années 70 par des médecins et dans une démarche clinique (voir Boone et Prescott, 1972 ; voir aussi le CIAS, Clinical Interaction Analysis System de Brookshire, 1976 ; Brookshire et alii, 2

En préconisant l’intérêt de ce domaine et la nécessité de son exploration, Wilkinson dénonce ce manque dans un article de 2011 : « What is less developed at this stage is the investigation of speech and language therapy talk as a form of institutional interaction. There has, therefore, been virtually no work done using CA to inform changes to professional practices in ways which are reported in this volume for some other professions. However, as a body of work on the analysis of speech and language therapy talks grows (see Wilkinson, 2004 ; SimmonsMackie, et alii, 2007) this becomes a possible focus of future work. » (Wilkinson, 2011 : 52). 3 « […] [W]hereas doctor-patient consultations (especially acute-care consultations) are fundamentally concerned with issues of diagnosis and the discussion of treatment plans, other sites of practitioner-patient encounter relate more centrally to treatment delivery. Examples of such ‘hands-on’ treatment-based interactions include the work of physiotherapists, dentists, speech therapists and podiatrists. The very involvement of practitioners in physically treating patients raises some distinctive challenges and issues in the interaction. For example, in encounters in physiotherapy and speech therapy, one issue that emerges relates to a patient’s performance during therapy sessions. When the patients display forms of physical or verbal ‘incompetence’ or ‘trouble’, then this requires correction and management. » (Pilnick, Hindmarsh, Gill, 2010 : 4).

Initiatives topicales du client aphasique

57

1977 ; Nicholas et Brookshire, 1979). À partir des années 90, ce sont surtout des travaux inspirés de l’analyse du discours qui livrent des analyses formelles de l’interaction thérapeute – client aphasique : sur la base du modèle de l’École de Birmingham (Sinclair et Coulthard, 1975) et des travaux interactionnistes de Mehan sur l’interaction en classe (1979), ces études proposent des analyses formelles qui segmentent, de manière hiérarchique, l’activité de la séance de rééducation en différentes unités et séquences (voir notamment le système de codage ATICS – Aphasia Therapy Interaction Coding System, développé Horton et Byng, 20004). Ces travaux ont le mérite d’avoir déplacé l’attention de la conception des tâches thérapeutiques à l’analyse de leur réalisation interactive au cours de la thérapie (avec l’identification par exemple de la séquence ternaire du type « requête, réponse et évaluation » comme centrale dans l’activité rééducative5). Cependant, guidés souvent par une logique de quantification, ils ont analysé les séances en adoptant une perspective éthique, en employant des catégories définies au préalable par le chercheur et en réalisant des analyses décontextualisées des contributions des participants, avec une conséquente perte des détails de l’interaction. De plus, tout en revendiquant la portée interactive de la session, ces travaux se sont focalisés notamment sur la conduite du thérapeute6 et, en insistant sur la thérapie comme réalisation de tâches et sur l’asymétrie thérapeute-client, n’ont pas, à notre avis, assez valorisé d’autres moments/activités thérapeutiques (conversation en début et fin de séance, moments de transition entre activités ou entre séquences ternaires en cours de tâche) ainsi que les contributions du client. La prise en considération du rôle central du client dans la réalisation de la thérapie et, de manière plus générale, une vision de la thérapie comme processus résultant d’une collaboration entre le thérapeute et le client, font d’ailleurs l’objet d’études isolées (voir Simmons-Mackie et Damico, 1999 ; Horton 2006, 2007). Notre recherche, en montrant que le client participe activement à la définition, voire à la redéfinition, de l’activité, souligne au contraire la nécessité d’une perspective de la thérapie conçue comme co-construction, ainsi que d’une analyse détaillée des conduites communicatives des participants (des patients comme des thérapeutes). Ces conduites se composent à la fois de ressources audibles et visibles et requièrent donc une description multimodale, elle aussi largement négligée dans les études existantes sur l’interaction entre orthophoniste et client aphasique (mais voir Wilkinson, Bloch et Clarke, 2011). 4

Voir aussi, pour la thérapie avec des enfants, Panagos, Bobkoff et Scott (1986) qui proposent, sur le modèle de la leçon en classe, une structuration de la séance en trois phases (opening, work et closing phase) et suggèrent qu’entre les tâches il peut y avoir du small-talk avec un registre de parole non clinique. Ferguson et Elliot (2001) s’inspirent de la linguistique fonctionnelle de Halliday (1994) et se focalisent sur le processus d’apprentissage dans l’interaction thérapeutique et sur la structure ternaire des échanges qui composent la séance. 5 Ainsi des liens sont tracés entre l’interaction thérapeute-client et l’interaction en classe entre enseignant et élève. Voir Horner, Loverso, Rothi, 1994, et Byng et Black, 1995, pour une étude sur les tâches, leurs composantes et variables. 6 En insistant par exemple sur la manière dont réagit l’orthophoniste face à une absence de réponse du client à la tache proposée et sur la valeur bénéfique ou pas des feedbacks de l’orthophoniste au sein de l’échange ternaire d’élicitation.

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Sara Merlino

Avant de nous focaliser sur le phénomène par lequel le client initie des actions (notamment introduit des topics) au cours de la réalisation des tâches thérapeutiques, nous allons d’abord proposer une description des caractéristiques des séances de rééducation et des séquences d’élicitation qui structurent la réalisation de ces tâches. 3.1 Enjeux organisationnels et catégoriels des séances thérapeutiques : l’accomplissement interactionnel de l’asymétrie institutionnelle Les séances de rééducation orthophonique représentent une forme d’interaction institutionnelle (Drew et Heritage, 1992) qui se caractérise par la présence d’un objectif spécifique (la récupération langagière du client) dont l’accomplissement dépend de la réalisation d’activités orientées vers la performance de tâches qui favorisent chez le client des productions linguistiques à l’oral et/ou à l’écrit. Ces activités sont à leur tour liées à l’accomplissement interactionnel de catégories institutionnellement pertinentes : in primis celle du thérapeute et celle du client. Comme pour tout type d’interaction qui se distingue de la conversation ordinaire, le caractère institutionnel des séances de rééducation se manifeste à plusieurs niveaux d’organisation. Premièrement, au niveau du système de prise de la parole (turn-taking organization), on y observe une distribution ordonnée des tours et du type de contributions possibles, des droits et des obligations à la parole et des formes de participation qu’ils rendent possibles : le thérapeute, en proposant au client les tâches à effectuer, donne des instructions et pose des questions qui structurent, de manière ordonnée, les interventions du client et rendent séquentiellement pertinentes ses réponses. Deuxièmement, au niveau de l’organisation séquentielle (sequence organization), les tours de parole des participants structurent des cours d’action qui se réalisent dans des séquences : le format des paires adjacentes (question – réponse ou requête – réalisation de la requête) est ainsi accompli de manière routinière et, dans ce contexte spécifique, suivi par des tours en troisième position qui évaluent la réponse ou la performance de la requête et sont partie intégrante de la séquence en question (Schegloff, 2007). Nous reviendrons dans la section suivante sur l’organisation de ces séquences qui nous rappellent de manière emblématique les formats typiques des interactions en classe. Troisièmement, au niveau de leur organisation globale (overall structural organization), les séances de rééducation se caractérisent par un début et une fin clairement reconnaissables en tant que telles et sont structurées en différentes phases (ouverture, réalisation des activités thérapeutiques, clôture) dont l’introduction et transition sont généralement assurées par le thérapeute. Dans une description « typologique » de ces séances, Horton (2006) repère, par exemple, quatre phases : une phase initiale consacrée à des activités plutôt organisationnelles et à du parler topical (the settling down period) ; une phase de passage et transition à l’activité thérapeutique (opening up the business) ; une phase de travail proprement dite (doing therapy task) qui inclut la présentations des tâches à réaliser et leur réalisation par le biais des séquences ternaires d’élicitation ; une phase de clôture (closing down period) qui s’accompagne de commentaires sur la séance et les tâches réalisées, ainsi que de remarques concernant le rendez-vous thérapeutique suivant. L’auteur insiste sur le contrôle exercé par le thérapeute dans l’organisation de ces

Initiatives topicales du client aphasique

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différentes phases et confirme ainsi le rôle central joué par les objectifs du thérapeute dans la poursuite de l’activité (Silvast, 1991 ; Horton et Byng, 2000 ; Ferguson et Armstrong, 2004). Ainsi, à travers la manière dont les participants organisent leurs contributions discursives et le développement de l’activité se configurent leurs appartenances catégorielles (et notamment la paire catégorielle de « thérapeute » et « client », Sacks, 1992) et se matérialise une asymétrie des catégories institutionnelles et des formats interactionnels qui les constituent. Les travaux qui se sont penché sur les séances de rééducation aphasique ont largement insisté sur cette asymétrie (Silvast, 1991; Simmons-Mackie et Damico, 1999 ; Cortazzi et Jin, 2004) et sur le type de participation qu’elle implémente : le thérapeute étant celui qui mène l’activité et initie la plupart des actions, le client est confiné à une position plutôt réactive – et cela dés le début de la séance7. Cette asymétrie entre professionnel et client, qui est par ailleurs typique des contextes institutionnels et des interactions en milieu médical et thérapeutique (Maynard, 1991 ; Ten Have, 1991), est davantage accentuée par les compétences linguistiques réduites du client aphasique et par la multiplicité des appartenances catégorielles qui le caractérise (Sacks, 1992) : en effet, le but de la séance étant celui de tester, améliorer et pratiquer ses compétences, le client est impliqué dans des séquences de correction et évaluation qui le positionnent également en tant que « apprenant » (voire « réapprenant »). Or ces catégories cohabitent avec celles d’« adulte », de « client » et de locuteur « compétent » du point de vue interactionnel et social, en accentuant ainsi des aspects différents de l’asymétrie institutionnelle. Nous verrons, par nos analyses, que l’accomplissement de ces catégories et des multiples composantes de l’asymétrie se produisent de manière collaborative, tour après tour, au cours de la séance et peuvent faire l’objet de négociations, voire de redéfinitions, de la part des participants, et notamment de la part du client. Ces négociations sont d’ailleurs strictement liées à la définition de l’activité en cours en tant que « thérapie » et à la possibilité que cette activité se transforme, au fil de l’interaction, en quelque chose de plus proche de la conversation ordinaire. 3.2 Réalisation des tâches thérapeutiques et des séquences d’élicitation Nous allons nous focaliser dans nos analyses sur les activités réalisées au cours d’une phase spécifique de la séance de rééducation, celle correspondant au travail thérapeutique « proprement dit » (cf. Horton, 2006, doing therapy task). Selon le type de séance (en cabinet, en clinique, à domicile), le niveau clinique du client (phase initiale post-AVC ou bien phase de stabilisation), le caractère plus ou moins routinier de la thérapie et les choix du thérapeute, ce travail se compose d’une ou plusieurs tâches qui sont proposées au client. La spécificité de ces activités consiste dans le fait d’être structurées dans des séquences d’actions qui construisent le caractère intelligible de la tâche elle-même et, de manière plus globale, de l’activité 7

Voir : « The structure of participation, where the therapist is in control of the flow of activities, is clearly established in this opening phase of the session. » (Horton, 2006 : 543). Ou encore : « The client is put in a disempowered position which excludes initiating or offering follow-ups. » (Cortazzi et Jin, 2004 : 478).

Sara Merlino

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de rééducation. Le thérapeute joue un rôle central au sein de cette organisation puisqu’il ouvre et clôture ces séquences, en proposant au client, en première position, des stimuli visuels ou auditifs à partir desquels réaliser des productions linguistiques et en évaluant ou corrigeant, en troisième position, les productions que le client vient de réaliser en deuxième position. Voici une représentation simplifiée de ces séquences : 1.

Question ou requête du thérapeute – première partie d’une paire adjacente

2.

Réponse du client – deuxième partie de la paire

3.

Évaluation du thérapeute – extension de la paire en troisième position

En réalité, puisque le but ultime de ces séquences n’est pas celui de tester les compétences du client (cf. à ce propos l’étude de Wilkinson, 2013, sur ce type de séquences dans des tests de dénomination d’images), mais bien de pratiquer ces compétences et développer ou stimuler l’accès au et l’usage du lexique, les difficultés (fréquentes) de production de l’élément cible de la part du client (et donc de réponse en deuxième position) impliquent l’aide du thérapeute : par différentes formes d’étayage (par exemple, l’offre d’un fragment de phrase ou de mot ou le recours à l’écriture), celui-ci guide les essais multiples du client dans la production de l’élément cible. Ainsi la réalisation de ces séquences se fait sur plusieurs tours de parole et s’achève au moment où le thérapeute évalue la production du client et décide de la pertinence de passer à la séquence suivante8 (ou se termine quand le client ne parvient pas à produire l’élément en question). Comme souligné dans la littérature (Horton et Byng, 2000), ces séquences ternaires rappellent clairement des formats observés dans l’interaction en classe (voir Mehan, 1979, mais aussi Sinclair et Coulthard, 1975) et qui consistent dans des séquences d’instruction (instructional sequences) et d’élicitation caractérisées à la fois par des questions (known-answer questions) dont la réponse est connue d’avance par l’enseignant et par la présence d’un tour évaluatif qui évalue la justesse de la réponse de l’élève. La production de ce pattern au cours de la thérapie (et de manière plus générale le fait même de pratiquer les compétences du client) est d’ailleurs ce qui lui donne un style pédagogique qui la caractérise de manière particulière par rapport à d’autres contextes médicaux et thérapeutiques (cf. Peräkylä et alii, 2008). De plus, c’est dans l’accomplissement de ce format que se construisent les catégories d’appartenance des participants9 (non seulement en tant que « thérapeute » et « client » mais aussi en tant qu’« expert » et « apprenant ») et que se réalise implicitement une attribution, notamment au client, de compétence ou d’incompétence. Comme le montre une étude de Simmons-Mackie et Damico 8 À preuve du fait que l’organisation interactionnelle de ces séquences mérite une étude approfondie, nous remarquons que l’évaluation du thérapeute n’est pas forcement verbalisée et ne fait pas toujours l’objet d’un tour de parole, mais peut se faire de manière multimodale ou bien être implicitement réalisée par le passage à la séquence suivante (voir, à ce propos, les différentes variantes des séquences d’instruction ternaires observées en classe par Sinclair et Coulthard, 1975). 9 « Routine therapy interactions between C and L simultaneously manifest and construct the social roles as therapist and patient » (Simmons-Mackie et Damico, 1999 : 320).

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(1999), ces catégories et attributions peuvent être refusées par le client : ces auteurs nous montrent en effet un cas de « conflit » qui émerge au cours d’une thérapie suite au refus du client d’accomplir la tâche proposée et à l’insistance du thérapeute à réaliser cette tâche en dépit des difficultés et de la réticence montrées par le client. Dans ce cas dramatique, la négociation des catégories pertinentes passe par des commentaires explicites des participants. Nous verrons dans nos analyses que ces négociations peuvent être beaucoup plus fines et passer par de subtiles modifications de l’activité en cours. 4. Initiatives topicales au cours des tâches thérapeutiques Au cours de l’activité thérapeutique, et plus spécifiquement pendant la réalisation très structurée des tâches qui la composent, il arrive que le client réalise un type particulier d’initiative, à savoir l’introduction d’un topic10. À partir des stimuli visuels ou auditifs suscités par la tâche en cours, le client raconte des anecdotes sur soi-même, initie des récits ou fait des commentaires sur ses goûts personnels, en introduisant ainsi, au cours de la tâche, des topics ordinaires et personnels qui rappellent, par leur contenu et modalités d’introduction, la conversation ordinaire. Du point de vue de leur positionnement séquentiel (à la fin ou au milieu d’une séquence d’élicitation) et des actions qu’elles rendent pertinentes par la suite, ces initiatives topicales constituent un départ de la tâche thérapeutique et affectent ainsi, de manière plus générale, l’organisation de l’activité institutionnelle de la séance et (en étant réalisées par le client, et non par le thérapeute) l’asymétrie qui la caractérise. Les études qui se sont penchées sur le discours thérapeutique avec des clients aphasiques ont souligné la nature « hybride » de ce parler institutionnel, qui présente également des formats conversationnels (en termes de réparation et négociation de la compréhension, voir Horton et Byng, 2000 : 362), voire des séquences de conversation qui apparaissent surtout en début et fin de séance, donc avant ou après la réalisation des tâches proposées par le thérapeute12. D’après Horton (2006), ces 10

Pour la notion de topic dans une perspective interactionnelle et les procédés d’introduction d’un topic au cours de la conversation voir Button et Casey, 1984 ; Maynard, 1980 ; Maynard et Zimmerman, 1984 ; en français, Mondada, 2003. 11 « As pointed out, ATICS is designed to address those aspects of the discourse basically directed towards the completion of language tasks. These include ways in which therapists introduce tasks, present tasks, enable their completion and manage information about the task response. In this respect the discourse of the language therapy session has particular descriptive requirements. However, talk between persons in whatever setting, be it institutional or not, will also have ‘non-technical’ features typical of casual conversation. These include checks and repairs aimed at creating a state of mutual understanding. Therapy discourse, therefore, represents a considerable challenge in terms of categorical analysis in that it is essentially hybrid in nature ». (Horton & Byng, 2000 : 362, souligné par nous). 12 À ce propos, voir De Weck, qui souligne la nécessité de « dépasser une opposition classique en logopédie, celle entre l’observation du langage dans le cadre d’activités structurées et le langage dit spontané, opposition qui ne permet pas de mettre en évidence la dynamique des interactions verbales, pourtant centrale lorsqu’il s’agit d’évaluer et de traiter des troubles du langage. » (2003 : 38).

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conversations insérées (inserted conversations) seraient non seulement propices à l’organisation de l’activité globale (en préparation ou en clôture du travail thérapeutique) et au maintien de la relation interpersonnelle, mais auraient aussi une valeur thérapeutique certaine, car elles montreraient qu’en dépit de ses difficultés langagières, le client aphasique peut contribuer de manière compétente au développement d’une conversation13. D’après Horton, ces séquences de conversation au cours desquelles les locuteurs échangent sur des topics qui ne relèvent pas des tâches prévues par le thérapeute, sont non seulement produites à des moments spécifiques de la séance, mais aussi toujours initiées par le thérapeute qui, même pendant ces moments, s’oriente vers la poursuite des objectifs institutionnels de la thérapie14. En effet, d’un côté le thérapeute sélectionne ou favorise certains topics15 chez le client ; de l’autre côté, il utilise des formats d’action et des ressources linguistiques (des questions-test et des évaluations en troisième position) qui retransforment la conversation en quelque chose de plus proche de la thérapie et réintroduisent la pertinence de paires catégorielles telles que « expert » / « apprenant » ou « aidant » / « aidé » (cf. Sacks, 1992). En effet, le développement de certains topics et de séquences conversationnelles au cours de la thérapie peut rendre pertinentes d’autres catégories que celle de « thérapeute » et de « client » ou « locuteur aphasique », et mettre ainsi en premier plan les catégories de locuteur « ordinaire », « membre d’une société », « adulte compétent », etc. Cela dit, et en dépit de ces négociations catégorielles, d’après Horton (2007), le thérapeute serait toujours le chef d’orchestre de la séance et, en décidant du type de participation prévue pour le client, maintiendrait par ses actions l’asymétrie institutionnelle16. 13 « The person with aphasia may well demonstrate actions and reactions within the context of « inserted conversations » which show that, despite apparently severe expressive aphasia or obvious word-finding difficulties for example, he/she is quite competent to join in and contribute to the development of a conversation » (Horton, 2006 : 556). 14 Ce phénomène a également été observé par Svennevig (2001) dans le contexte des consultations bureaucratiques. 15 En plus de leur gestion interactionnelle asymétrique, les topics choisis ou encouragés par le thérapeute auraient souvent tendance à promouvoir surtout l’identité du patient en tant qu’« aphasique ». Par exemple, l’auteur se réfère à quand thérapeute et client discutent des difficultés rencontrées par le client à interagir avec des personnes dans des magasins. « As Hagstrom (2004) points out, the stories that clients tell reflect the meaning of the communication issues in their lived experience. If a therapist chooses to topicalise certain issues raised by the person with aphasia and not others there may be a danger that they promote an identity of incompetence (Shadden & Agan, 2004) ». (Horton, 2007 : 295). 16 « Interaction in this period (however brief) may have some of the appearance of casual conversation, functioning perhaps to help the person with aphasia feel at ease. This is apparently true of some of the topics : « asking after the other », « what has been happening ? », « what is going to happen ? ». However, although the topics could be said to be the stuff of casual conversation, the initiative is almost exclusively taken by the therapist. The inquiry by the therapist appears to be part of the ritual of welcome into a setting where the person with aphasia does not have rights of control or of taking the initiative. SimmonsMackie and Damico (1999) remark on the way that the aphasia therapy sessions in their study began with a period of casual conversation, noting that the structure of participation, where

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Le fait que le client lui-même, comme le montrent nos analyses, puisse également introduire des topics et initier des conversations pendant la réalisation très structurée des tâches thérapeutiques (et non seulement en ouverture et clôture des séances) montre cependant que l’asymétrie n’est pas immuable et donnée a priori mais bien négociée tour après tour par les participants, et notamment par le client lui-même, qui peut par ses actions la redéfinir ou la recalibrer à différents niveaux. Les initiatives topicales du locuteur aphasique introduisent donc des enjeux importants pour l’organisation de l’activité institutionnelle de la thérapie – à la fois pour ce qui est de sa structuration que des catégories pertinentes mises en place par les participants. En effet, quand le client reprend les stimuli visuels ou auditifs des tâches et les contextualise en se mettant à parler du monde et de soi-même, il met en avant, face à son identité de « client » et « apprenant », celle de « locuteur ordinaire », « membre d’une société » « expert d’un sujet » et redéfinit, sinon la paire catégorielle « thérapeute » / « client », du moins la relation « expert » / « apprenant ». Les initiatives du client présentent également des enjeux cliniques très importants : en effet, du point de vue de la pathologie aphasique, l’introduction d’un topic conversationnel n’est pas quelque chose d’anodin. Comme souligné par Barnes, Candlin et Ferguson (2013), cela constitue même une difficulté majeure pour le locuteur aphasique dans le cadre de conversations ordinaires : puisque le problème du locuteur est non seulement celui de « parler du monde » avec des ressources limitées mais aussi de rendre intelligible à l’interlocuteur l’action qu’il est en train d’effectuer (par exemple, initier un topic), des ressources en début de tour peuvent s’avérer cruciales pour signaler ce type d’action (les auteurs identifient ainsi dans la conjonction « et » une ressource possible, dans le formatage des andprefaced turns) et éventuellement indiquer un changement de topic par rapport à ce qui précède (voir la discussion de Wilkinson, 1999, sur la séquentialité comme étant à la fois un problème et une ressource pour le locuteur aphasique et sur le problème pratique que le locuteur aphasique rencontre pour marquer une discontinuité vis-àvis du tour précédent). De manière plus générale, on peut aussi se demander quelles sont les spécificités des initiatives topicales, vis-à-vis d’autres types d’initiatives – par exemple des demandes de renseignements ou des requêtes – que le locuteur aphasique peut effectuer pendant la thérapie (voir, à propos des initiatives réalisées par des patients au cours de réunions au sein d’une clinique de rééducation, Keel et Schoeb, 2017). Comme pour tout type d’action conversationnelle, les initiatives topicales introduisent une pertinence séquentielle pour la suite (non seulement en termes de reconnaissance de l’action effectuée, mais aussi en termes de production d’une action adéquate au tour suivant) et nécessitent la collaboration du thérapeute pour pouvoir engendrer des séquences conversationnelles. C’est surtout à ce niveau qu’une négociation peut se produire entre les deux participants et que ceux-ci peuvent manifester une orientation non convergente vers la poursuite du topic et la suspension de l’activité principale et choisir des dispositifs catégoriels concurrents. the therapist is in control of the flow of activities, is clearly established in this opening phase of the session » (Horton, 2006 : 543).

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Le thérapeute peut refuser l’initiative et la recadrer par un retour à la tâche ou bien l’exploiter pour continuer à faire de la thérapie (en opérant dans les deux cas une recadrage catégoriel du « client » en tant qu’« apprenant ») ; il peut aussi accepter le travail de normalisation effectué par le client et, en suspendant la tâche en cours, favoriser une conversation ordinaire sur le topic introduit. Ces différents choix ont ainsi des effets non seulement sur le programme thérapeutique de l’orthophoniste et l’organisation de l’activité mais aussi sur la catégorie d’appartenance du client et le type de relation catégorielle que le thérapeute choisit ou accepte de promouvoir. 5. Données Cette étude fait partie de notre projet de recherche sur l’aphasie qui se base sur deux importants corpus d’enregistrements vidéo (InterLogos et DiaLogos) d’interactions orthophoniques entre orthophonistes et clients aphasiques. La caractéristique novatrice de ces corpus est qu’ils incluent des clients présentant différents types d’aphasie (dont l’étiologie commune est un accident vasculaire cérébral – AVC) filmés dans différents contextes de rééducation (hôpital, clinique de rééducation, cabinet privé, domicile), dans deux pays différents (France et Suisse). Pour l’instant, au total 10 clients et 8 orthophonistes ont été enregistrés pour une durée totale d’environ 25 heures. Pour la présente étude, nous nous sommes focalisée sur 2 clients qui présentent une aphasie non fluente de type Broca – ce qui signifie des difficultés de production mais une compréhension préservée. Un client (corpus InterLogos) fait de la rééducation en cabinet privé depuis 10 ans avec la même thérapeute et a été filmé pendant 10 séances qui s’étalent sur 4 mois (novembre 2013 - février 2014). L’autre client (corpus DiaLogos) a été suivi immédiatement après son AVC (dès la phase aigüe) et le long de sa rééducation orthophonique dans un parcours de soin (3 sessions à l’hôpital, 4 sessions dans une clinique de rééducation, 3 sessions à domicile) impliquant 6 différents thérapeutes (janvier - juillet 2015). Dans les sections qui suivent (6, 7, 8) nous allons présenter des extraits tirés de trois sessions de thérapie et montrer la manière dont le client initie un topic, le contexte séquentiel dans lequel se matérialise l’initiative ainsi que la façon dont l’initiative est gérée par le thérapeute. Par rapport à la structuration des tâches en séquences que nous avons décrite dans la section 3.2, nous observons deux moments séquentiels auxquels le client initie des topics et intervient ainsi de manière plus ou moins importante sur l’organisation de l’activité en cours : 1.

lors de la fin des séquences ternaires, et notamment lors de la transition entre une séquence et l’autre ;

2.

ou bien au long de ces séquences et avant que la séquence en question soit terminée.

Dans la section 6 nous allons analyser un épisode qui illustre le premier cas de figure, et dans les deux sections suivantes (7 et 8) nous montrerons des extraits qui relèvent du deuxième cas.

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6. Initiatives topicales du client au cours des tâches thérapeutiques et en fin de séquence d’élicitation Pendant la réalisation des tâches thérapeutiques, le client peut initier un topic en exploitant le moment séquentiel de la transition d’une séquence à l’autre ainsi que les ressources visuelles sur lesquelles se base la tâche elle-même. Le premier extrait que nous proposons dans cette section est tiré d’un exercice de description et dénomination d’images et implique donc la manipulation de cartes. Nous sommes ici au cœur de l’activité de rééducation qui vise la récupération du lexique et la production de phrases à partir de stimuli visuels. Nous allons d’abord voir comment une séquence d’exercice peut se réaliser et puis la façon dont cette organisation peut être modifiée par l’initiative du client. L’activité consiste à tourner une carte sur laquelle figure une image et de la décrire : tel qu’il a été organisé par l’orthophoniste, le tournage des cartes est distribué de manière symétrique entre les participants, c’est-à-dire qu’une fois c’est à l’orthophoniste de tourner la carte et de produire la description (lignes 1-3), description qui sera ensuite répétée par le client, et ensuite c’est au client de tourner la carte et de décrire l’image. Comme nous l’avons précédemment indiqué, ces séquences sont généralement clôturées par une évaluation de la part de l’orthophoniste (voir lignes 18 et 20)17. Extrait 1.1 (InterLogos_P_061213_SEL_2636_2723) 01 the 02 THE 03 04 CLI 05 THE 06 07 CLI 08 THE 09 CLI 10 11 THE 12 CLI 13 THE 14 CLI 15 THE 16 CLI cli the the 17 cli 18 THE the cli 19 the cli 20 THE 17

+(0.2)+ +tourne,positionne carte1+ ils se f::ont (.) un (0.2) ou (.) elles se f::ont (.) un câlin .htsk (1.9) le(s) (0.9) [i [elles (.) de: (.) [eh [elles= =elles (.) s:::[e [eh {ʒ ʒ } (.) f:[:::ont [{ʒ:e} non (0.2) elles s:::[e [se (0.2)*f:ont (0.2) le:s (0.2) câ- *(.)+%-lins -->*reg bas--> -->*reg THE--> +.....-> %reg bas->> *(.) *reg bas/carte1--> £+ou:i+ ->+prend carte2+ £approche carte2-> +£(0.2)+£(0.1) +,,,,,,+ ->£s’arrête£ °bravo°

Dans la transcription, le thérapeute est indiqué par l’identifiant THE et le client par l’identifiant CLI.

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L’orthophoniste, après avoir tourné la carte (1), en décrit l’image aux lignes 2 et 3. Ensuite le client projette une prise de parole (4) et, après une longue pause, produit un déterminant (« les »), suivi d’une autre pause et puis d’un phonème (« i »). La thérapeute s’oriente vers une difficulté du client et vient en aide en produisant le pronom « elles », donc en répétant le début de l’énoncé que le client est censé reproduire. Ce terme est offert à nouveau peu après (8), après la nouvelle tentative du client (7) qui parvient enfin à la ligne 9 à répéter le pronom en question. La manière dont la thérapeute aide le client introduit une nouvelle organisation du type de réponse attendue : elle ne vise plus l’énoncé dans son intégralité (ce qui dans les tours précédents s’est avéré comme étant impossible) mais une répétition pas à pas de chaque élément de l’énoncé cible. Ainsi à la ligne 11, la thérapeute propose le deuxième terme (« se »), que le client essaie de répéter sans cependant y parvenir (12), et puis le troisième (« font », 13) : suite à la production erronée et auto-réparée du client (14), la thérapeute revient sur le début de l’énoncé (« elles se », 15). À ce moment (16), le client prend la parole et parvient à produire la suite de l’énoncé (sans répéter le pronom « elles »). Ainsi la production de l’énoncé cible devient une production collaborative entre les deux – le client complétant à la ligne 16 le tour de la thérapeute de la ligne 15. Cette production est traitée comme suffisante par la thérapeute qui valide non seulement par « oui » et « bravo » (18 et 20) mais aussi par le fait d’approcher sa main de la carte suivante (donc en projetant la clôture de cette séquence et l’ouverture de la séquence suivante). L’extrait nous montre la manière dont se réalise l’activité thérapeutique et la distribution locale des catégories de « thérapeute » et « client » ainsi que d’« aidant » et d’« aidé » : la thérapeute initie la séquence en utilisant un format établi (production d’un énoncé et tournage d’une carte) qui lui permet de demander implicitement au client d’accomplir la tâche. Celui-ci s’y conforme en prenant la parole et en essayant de produire l’énoncé en question. Les difficultés de production du locuteur amènent ensuite la thérapeute à intervenir en offrant de l’aide et en adaptant de manière locale la tâche aux compétences et difficultés exhibées par le client (proposition d’un terme et construction incrémentale de l’énoncé). Celui-ci utilise les ressources offertes pour non seulement réussir dans la production de l’élément en question mais aussi pour réaliser la tâche dans sa globalité (la complétion de l’énoncé lui permettant de ne pas devoir reproduire le pronom « elles », dont la production, bien que réalisée à la ligne 9, s’est avérée problématique auparavant). La manière dont la thérapeute accepte et évalue la production du client confirme aussi son rôle de monitorage, rôle accompli au fur et à mesure de la séquence, par des multiples offres d’aide qui implicitement évaluent de manière négative la réponse du client et constituent le caractère pédagogique de l’activité. L’organisation routinière de l’activité de rééducation se base sur la production successive de ces séquences. Cependant le client peut suspendre cette organisation en introduisant des topics conversationnels entre une séquence et l’autre au sein de l’exercice en cours ; cela se fait à partir du matériel visuel ou lexical abordé dans la séquence qui vient de se clôturer. La suite de l’extrait précédent nous montre un exemple de cette pratique. En effet, au moment où le client, en s’alignant ainsi avec la thérapeute dans la poursuite de l’activité, s’apprête

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à sélectionner et positionner la carte suivante (Figures 1 et 2), il revient sur la carte précédente (Figure 3) et opère ainsi une suspension de la transition à la nouvelle séquence : Extrait 1.2 (Suite de l’extrait 1.1) 20 THE cli fig

#£°bravo° £prend carte2--> #fig.1

1 21 cli fig

£# (1.8) £# (0.5) £tourne, place carte2£soulève carte2--> #fig.2 #fig.3

2 22 CLI cli cli fig

3

ah c£:’e::st (0.3)£#(0.2) un mec *c’e::st °euhr::° --->£.............£pointe carte1--> ->reg bas----*reg THE--> #fig.4

4 23 the 24 25 THE 26 27 CLI

décédé hein/%°c’était\° -->%reg CLI--> (0.4) ah oui/ (.) euh:::m .tsk (.) {a nɔar} euh:mh::

Après être revenu sur la carte qui avait été au centre de la séquence précédente (Figure 3), le locuteur (22) initie son tour avec la particule « ah » qui introduit une discontinuité par rapport à ce qui précède et permet ainsi au locuteur d’initier et signaler le caractère nouveau de ce qui par la suite se configurera comme un récit (voir en anglais Jefferson, 1978 sur les oh-prefaced turns utilisés dans l’introduction des récits). Ensuite le locuteur utilise la construction « c’est » produite

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avec un allongement syllabique et suivie par une pause. « C’est » permet non seulement d’initier le tour mais aussi d’établir une relation indexicale avec l’image vers laquelle le locuteur est en train de pointer (voir Figure 4) et sur laquelle figurent deux filles qui sont en train de s’embrasser : le pointage permet d’attirer l’attention de l’orthophoniste sur la carte et de contextualiser le tour qui est en train d’être produit. Le pointage est ensuite accompagné par la production du syntagme « un mec » (qui introduit un contraste avec l’image des filles) et puis immédiatement suivi à nouveau de « c’est » (22) – qui cette fois-ci introduit un lien verbal avec le participe passé « décédé ». Cette production est suivie par « hein », qui invoque une réponse de l’orthophoniste (que le locuteur maintenant est en train de regarder), et puis par une reprise de la tournure pronominale au passé (« c’était18 », 23). La manipulation de la carte est cruciale ici car elle permet au locuteur, premièrement, de négocier la transition à la séquence suivante de l’exercice (passage à la carte 2) par sa suspension momentanée19 et deuxièmement d’ancrer son tour à un élément du contexte qui est donc préparé au préalable (contextual reconfiguration, Goodwin, 2000). Le pointage20 permet en outre de créer un centre d’attention commun avec l’interlocuteur (Goodwin, 2003b) et de préciser l’exploitation contextuelle de la carte. Il signale également l’ouverture d’un topic qui n’a pas forcement de lien avec le tour précédent (voir Wilkinson, 1999, sur le problème de la séquentialité) mais qui est lié au matériel employé, ce que le locuteur semble signaler également par l’emploi de la particule « ah ». Le tour du client est suivi d’une pause et puis de l’intervention de l’orthophoniste (25) qui semble d’un côté satisfaire les atteintes séquentielles d’une manifestation de compréhension du tour précédent21, de l’autre indiquer une difficulté de reconnaissance du référent (signalée par l’hésitation montante sur les deux items à valeur interrogative) et le fait de donner la parole en retour à l’interlocuteur, voire une deuxième possibilité pour développer son tour. Celle-ci est l’interprétation qu’en fait le client, qui à la ligne suivante reprend la parole et, après une longue hésitation et une pause, et en continuant à pointer l’image, ajoute le syntagme « un noir » (27) (prononcé avec une modification du phonème vocalique, ce qu’indique la transcription phonétique22). L’hésitation qui suit la production du syntagme « un noir » à la ligne 27 montre que le client, en attendant une manifestation de compréhension de 18

En analysant le répertoire verbal de ce locuteur, nous observons que « c’était » (utilisé en contraste avec « c’est » et en alternative à des verbes conjuguées indiquant la personne) est utilisé pour indiquer une référence au passé et clôturer le tour. 19 Voir à ce propos Mondada, 2006. 20 Voir pour l’utilisation (très fréquente) des gestes de pointage chez des locuteurs aphasiques Laakso et Klippi, 1999 ; Goodwin, 2003b ; Auer et Bauer, 2011 ; Laakso, 2015 ; Klippi, 2015). 21 Voir Jefferson, 1978, sur l’introduction du récit (« storytelling ») et les attentes séquentielles qu’elle introduit. 22 Il s’agit ici d’une paraphasie phonémique (/a nɔar/ pour /œ̃ nwaʀ/, avec une substitution de phonèmes) qui peut être comprise aussi grâce au pointage vers l’image représentant deux femmes noires.

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l’interlocutrice, est en train de chercher une solution pour rendre intelligible son tour et notamment le lien établi entre l’image pointée et le référent de son histoire. Cependant, comme le montre la suite de l’extrait, le choix de l’attribut « noir », en établissant un lien entre la carte et le référent, s’avère heureux puisque, peu après sa production, l’orthophoniste manifeste clairement sa compréhension (29) : d’abord, de manière significative, en utilisant les mêmes ressources de la ligne 25 (« AH oui ») produites cette fois-ci avec un volume et une prosodie différents ; et puis par l’explicitation (auto-réparée) du référent (« nelson mandela23 ») et la reprise de l’attribut (« est décédé »), ainsi que par trois « oui » (29 et 31). Extrait 1.3 (suite de l’extrait 1.2) 27 CLI 28 29 THE 30 CLI cli cli cli the 31 THE 32 CLI cli cli the the

euh:::m .tsk (.) {a nɔar} euh:mh:: (0.4) .h:: [AH oui nen[son £*nel£son man- §(.)§[%mandela est [(eh) [>oui £oui< (c’était) [°oui oui° -->pointe------>£,,,,£place carte2--> -->reg THE------>*reg bas--> §hoche tête§ -->reg CLI-->%reg bas--> [dé+cédé+ [oui::%>oui*oui*retire main* +....+prend bloc cartes--> --->%reg CLI-->

Il est intéressant de remarquer que le client retire le pointage de la carte et produit plusieurs « oui » juste après la manifestation de compréhension de l’orthophoniste (le « oui » fonctionnant ici comme une ratification de sa bonne compréhension, ratification qui continue à la ligne 32, par la production de multiples « oui » et le hochement de tête du client) et même avant que le nom correct soit produit par elle. De manière significative, cela montre comment le locuteur aphasique est en mesure de valider la compréhension de l’orthophoniste. Du point de vue des rôles interactionnels cela se traduit par une position d’initiative totale de la part du client : blocage de l’activité, introduction d’un topic, ajout d’éléments d’aide pour guider la compréhension de l’interlocutrice, et puis ratification de cette compréhension. La ratification de la part du client est d’ailleurs accompagnée par un repositionnement de la carte suivante (32) – ce qui manifeste son orientation vers la clôture de cette séquence latérale et la reprise de l’activité principale. En dépit de ce que fait le client, l’orthophoniste opte cependant pour une exploitation de l’initiative topicale : elle développe en effet la conversation sur le topic introduit (la mort de Nelson Mandela). Cette conversation se caractérise par des types d’actions et formatages des tours qui la rapprochent à nouveau du travail thérapeutique et qui montrent bien la manière dont la thérapeute, tout en s’ajustant à et en tenant compte de l’initiative du client, peut continuer à s’orienter vers l’objectif institutionnel de la rééducation. En effet, comme nous pouvons le voir dans la suite de l’extrait, la thérapeute, en premier lieu, formule une question avec une structure

23

Le client fait ici référence à la mort de Nelson Mandela qui a eu lieu quelques jours avant la séance de rééducation en question.

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syntaxique incomplète à intonation montante (voir Lerner, 1995 ; Koshik, 2002 ; Chevalier et Clift, 2008). Extrait 1.4 (suite extrait 1.3) 33 34 THE the cli 35 cli 36 CLI 37 38 CLI 39 THE 40 41 CLI 42 43 THE

(0.3) .htsk %il a*vait/ -->%reg CLI--> -->*reg THE--> (0.4*0.2) ->*détourne regard--> oh*§chais pas§ §secoue tête§ ->*reg THE--> (0.2) de::[: [nonante-cinq ans (.) oh *chais pas -->*reg bas--> (.) >oui oui
+reg bas-->> [mai::s c:’e:[::st [il était â[gé [un bon hein/ [°c’était°\ [.h::

Initiatives topicales du client aphasique 50 THE 51 cli 52 CLI

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+oui oui c’était +ajuste cartes--> £(0.2) £reg THE--> oui

En chevauchement sur le tour de la thérapeute (« il était », 45), le client produit en effet un tour qui démarre avec la conjonction adversative « mais » et qui continue avec la production du syntagme « c’est » (46) : en dépit du fait que la thérapeute, en reprenant la parole en chevauchement (47), répète et complète son tour précédent en montrant de continuer à rendre pertinent le topic de l’âge de Mandela, le client continue son tour (48) sans s’orienter vers cette proposition (ou la traiter par exemple comme une demande de répétition) et introduit, au contraire, une autre ligne topicale – concernant les qualités morales de la personne en question (l’adjectif « bon » est nominalisé et suivi par l’interjection « hein », qui invoque une réponse de l’interlocutrice, et par le syntagme « c’était », qui, placé en position finale, clôture le tour et situe dans le passé la qualité attribuée à Mandela). Après des ratifications multiples de la part des deux participants, le client reprend l’activité principale en décrivant l’image de la nouvelle carte (54). Extrait 1.6 (suite extrait 1.5) 53 log cli 54 CLI

+£(1.4)+ +retire mains+ £reg en bas--> *.tsk.h:: (0.2) la: (.) fi::lle m::: baille *approche main gauche de la carte-->

Cette transition de la séquence conversationnelle à l’activité de dénomination d’images s’achève à la ligne 54 mais se réalise de manière progressive et visible déjà quelques tours auparavant et même au cours de la séquence conversationnelle. En effet, en produisant le « oh chais pas » (41, ex. 1.4) le client oriente déjà son regard en direction des cartes ; la thérapeute, de son côté, prend le bloc de cartes dans sa main et le repositionne (50, ex. 1.5) et puis, pendant la pause de la ligne 52, retire ses mains tout en continuant à regarder les cartes et donc en exhibant un focus d’attention sur le matériel qui est au centre de l’exercice (et qui ne concerne pas du tout la conversation sur Mandela). Ce focus d’attention des deux envers les cartes et le centre de la table permet un retour progressif et tacite à l’activité principale, ce qui se matérialise par la description de la nouvelle carte de la part du client (54). Pour conclure, ce premier extrait nous a permis de souligner un certain nombre d’aspects. Premièrement, nous avons vu la manière dont une séquence d’exercice se réalise de manière interactive et notamment la façon dont s’accomplit le travail thérapeutique de la rééducation (par l’étayage offert par la thérapeute et le réajustement de la tâche aux compétences du client). Ce travail est guidé par la thérapeute et implique une série d’actions (questions, réponses, évaluations, corrections) qui incarnent une asymétrie de rôles. Ensuite, nous avons vu comment le client peut initier un topic au moment de la transition d’une séquence à l’autre (visible, dans ce cas, par le passage à la carte suivante) et cela en exploitant de manière fine les ressources contextuelles à disposition – dans le cas spécifique du matériel visuel. En dépit des ressources

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linguistiques limitée à sa disposition, le client parvient en effet à introduire un topic (un fait divers) qui est très loin de la thématique de la tâche en question mais qu’il arrive à développer par ajouts progressifs d’éléments (pointage de la carte, première description du référent, introduction d’un élément – « un noir » – qui permet de comprendre le lien entre l’image en question et le référent de l’histoire24). Cette initiative topicale du client, nous l’avons vu, introduit une suspension de l’activité de dénomination d’images, et permet au client de se positionner catégoriellement non pas comme « apprenant » en train de réaliser une tâche mais bien comme « locuteur ordinaire », capable d’introduire un topic au cours de la conversation, voire même d’interrompre une tâche pédagogique pour faire la conversation. À ce niveau, l’asymétrie des catégories et des actions qui leur sont liées est clairement revisitée par les actions du client. Enfin, nous avons vu que la thérapeute parvient à réintroduire une asymétrie de rôles en exploitant et relançant le topic introduit par le client pour faire de la conversation, mais cela toujours en s’orientant vers l’objectif institutionnel de la rééducation qui se manifeste dans la production de questions-tests à valeur pédagogique. Ce recadrage de l’initiative topicale de la part du thérapeute, et réintroduction de l’asymétrie et de la paire catégorielle « expert » / « apprenant », fait à son tour l’objet d’une négociation de la part du client, qui résiste au format introduit (celui des questions-réponses) et privilégie un développement conversationnel « ordinaire » (en traitant les questions comme de « vraies » questions et en contribuant de manière personnelle aux commentaires sur le référent). Cela implique non seulement une redéfinition de l’action proposée (notamment d’une question comme étant une question-test versus une vraie question) mais aussi des catégories pertinentes qu’elle véhicule : dans le cas spécifique, celle d’« apprenant » ou bien de locuteur « ordinaire » en train de parler de faits divers. 7. Initiatives topicales en cours de séquence : une pratique pour contourner des difficultés de réalisation de la tâche Dans cette section nous allons voir que le locuteur aphasique peut initier des topics non seulement à la fin d’une séquence d’élicitation, mais aussi avant sa complétion, et donc à un moment séquentiel très particulier, celui qui rendrait pertinent un autre type d’action de sa part, notamment la réponse à la requête du thérapeute. Dans ces cas, après avoir manifesté des difficultés de réalisation de la tâche (soit par des hésitations et une absence de réponse soit par de multiples tentatives de production lexicale), le client exploite les ressources ou stimuli lexicaux de la tâche elle-même pour initier des topics et changer l’activité en cours. Ces initiatives, qui constituent une pratique du locuteur aphasique pour suspendre ou clôturer la séquence d’élicitation, montrent bien le rôle central que joue le client dans la (re)définition de l’activité et de l’asymétrie institutionnelle qui la caractérise. Elles demandent 24

Il est clair que le caractère récent du fait en question (la mort de Mandela ayant eu lieu quelques jours auparavant) permet à la thérapeute de reconnaître ce dont le locuteur est en train de parler et implique aussi une catégorisation réciproque des participants comme étant membres de la même société et « contemporains ».

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d’ailleurs au thérapeute un travail de négociation assez important qui peut aller dans le sens d’un recadrage de l’initiative (et donc d’un retour et d’une focalisation sur la tâche en cours ainsi que sur sa réalisation séquentielle) ou bien d’un développement conversationnel du topic en question et donc d’une suspension de l’exercice. L’extrait suivant en fournit un premier exemple ; il est tiré à nouveau d’un exercice de dénomination d’images réalisé par les mêmes participants que dans la section précédente, au cours d’une autre session. Comme nous l’avons observé pour l’extrait précédent, l’exercice est structuré en séquences qui prévoient le tournage d’une carte, sa description de la part du client et puis la validation du thérapeute. Dans ce cas, cependant, l’image figurant sur la carte représente un item spécifique (un objet, un produit alimentaire, une action etc.) et non pas une photo à décrire de manière assez libre (comme c’était le cas dans l’extrait 1) : par conséquent, le type de réponse attendue est beaucoup plus contraignant. L’extrait commence au moment où la thérapeute tourne une image (qui représente des « haricots ») et réalise ainsi de manière multimodale une première partie de la paire adjacente, en rendant pertinente la réponse du client. Celui-ci par contre, après une pause, ne nomme pas l’image mais produit une évaluation personnelle de son contenu, en traitant le référent en question comme un « aliment » (et non seulement comme un « légume », 3). Extrait 2.1 (InterLogos _310114_P) 01 the the cli 02 03 CLI cli the 04 05 CLI 06 THE the 07 08 CLI

+(0.8)+ +tourne, positionne carte1+ >>reg bas--> >>reg bas--> (0.3) .tsk.h £(0.3)£ça c’est pas £bon£%.h: £.....£pointe carte1£,,,£ -->%reg CLI--> (0.6) [mange:r mais:: (.) .tsk.h% [heh:: -->%reg bas--> (0.6) euh::m::

L’évaluation produite par le client (« ça c’est pas bon », 3) arrive après une pause qui manifeste une difficulté dans la recherche du mot en question. Ce retard dans la production de la réponse est visible également dans la pause qui suit la projection d’une prise de parole à la ligne 3. L’évaluation du client sur les « haricots » est produite avec une intonation descendante, en pointant la carte et sans regarder la thérapeute mais en continuant à fixer l’image. Ainsi, tout en rendant potentiellement pertinente une deuxième évaluation de la part de la thérapeute25, la première évaluation du client est produite de manière à ne pas rendre celle-ci séquentiellement nécessaire (Stivers et Rossano, 2010). Effectivement, la thérapeute ne prend pas tout de suite la parole, mais se limite à une sorte de rire (6) qui est produit de manière assez tardive (après la pause) et en chevauchement avec une nouvelle intervention du client au sujet des « haricots » (« manger mais », 5). Suivent une pause et une hésitation du client, suivie à son tour par une nouvelle 25

Cf. à ce propos la pratique de telling my side qui invite mais n’oblige pas une réponse, Pomerantz, 1980.

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pause – ce qui indique à la fois son retour à la tâche et à la recherche du mot en question ainsi qu’une difficulté de production. Ce n’est qu’à ce moment que la thérapeute produit à son tour un commentaire personnel sur les « haricots » (10) : Extrait 2.2 (suite de l’extrait 2.1) 09 10 THE 11 CLI cli the 12 13 CLI cli the 14 THE 15 CLI the the 16 CLI 17 the 18 THE 19 20 CLI the cli 21 the cli 22 CLI cli the 23 the 24 THE 25 the the

(0.6) moi je les *aime% [x.h: -->*reg THE--> -->%reg CLI--> (0.3) mais des: >des goûts hein*reg bas--> -->%reg bas--> =ouais [ben oui.h:: %$heh heh$ .h:: [.tsk -->%reg CLI--> $secoue tête$ euh:::mh: (0.7)% -->%reg CLI--> des (0.5) p- (.) %des% + (.) AH: -->%coup d’œil vers stylo% -->+détourne regard--> +*(4.7) +prend stylo, écrit--> *reg feuille--> .tsk *(.) ha- -ri+cots+ -->*reg devant--> -->+arrête d’écrire+ +(.) +....--> des +ha+ricots -->+dépose stylo+tourne carte2--> +(0.7) +%(0.5) +place carte2+ -->%reg CLI-->

L’évaluation de la thérapeute est reçue de manière ironique par le client qui fait référence au caractère subjectif de toute évaluation (« des goûts hein », 13, signifiant qu’il s’agit bien d’une question de goûts personnels). Après ce bref échange, le client, qui a continué à regarder l’image, manifeste de manière audible, par l’hésitation en ligne 16, son retour au travail de recherche : il montre de ne pas avoir abandonné l’activité en question mais d’avoir plutôt retardé la production de la réponse. Ce retard est compris par la thérapeute comme indice d’une difficulté, ce qui est visible par l’aide qu’elle offre d’abord à la ligne 18, en soufflant le début du syntagme, et puis, face à l’hésitation montrée par le client, en prenant un stylo et en écrivant sur une feuille le mot en question (donc en donnant la solution par écrit, 21). Ce choix s’avère fructueux puisque le client lit et produit le terme en question à la ligne 22, ce qui est ensuite validé par la thérapeute à la ligne suivante. Cela permet de passer à la nouvelle séquence (voir le positionnement de la carte 2, lignes 24 et 25).

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Ainsi l’extrait nous montre que le client peut modifier le développement de la séquence d’élicitation en initiant de manière assez précoce un commentaire qui, d’un point de vue séquentiel, précède la réponse qui devrait être produite à ce moment. Comme la suite de l’extrait nous l’a montré, cette initiative est produite quand le client manifeste des difficultés à répondre à la tâche proposée : ainsi elle se configure comme une pratique employée pour sortir momentanément de l’exercice, contextualiser une ressource qui est présentée de manière décontextualisée (les haricots étant une photo sur une carte) et parler ainsi du monde (voire de soi-même en tant que consommateur ou pas d’haricots, et donc comme acteur social). La thérapeute, de son côté, montre de reconnaître cette utilisation de l’initiative du client : si en effet au début, en s’alignant au formatage du commentaire du client (qui, par l’intonation descendante et le regard vers le bas, ne mobilise pas forcément une réponse), ne produit pas à son tour de commentaires, elle le fait peu après, quand une nouvelle hésitation et une longue pause manifestent de nouveau une difficulté de production et une impasse dans la poursuite de l’activité. L’emploi de cette pratique, dans ce cas, ne correspond pas à un abandon de la tâche : le client ne développe pas l’initiative topicale (le commentaire sur les goûts à la ligne 12 a plutôt une valeur généralisante, Drew et Holt, 1998, et clôturante) et montre de rester focalisé sur la recherche de l’item à nommer (voir ses hésitations et son regard en direction de la carte). La thérapeute peut ainsi intervenir en offrant de l’aide d’abord en soufflant le début du syntagme et puis en faisant recours au support écrit pour guider la production lexicale du client (qui est ainsi achevée de manière collaborative). Dans d’autres cas, au contraire, nous observons que le client utilise cette pratique non seulement pour suspendre de manière momentanée la production de la réponse, mais bien pour interrompre, de manière plus importante, la tâche et clôturer, après des tentatives infructueuses de réponse, la séquence en cours. Cela, comme l’extrait suivant va nous le montrer, implique un travail de négociation plus important entre client et thérapeute – ce dernier pouvant privilégier un recadrage de l’initiative et une re-focalisation sur la tâche. L’extrait suivant porte sur une autre séance de thérapie qui a lieu dans une clinique de rééducation et qui concerne un autre client aphasique. L’orthophoniste dans ce cas est accompagné par une stagiaire qui est assise à côté du client et qui assiste en silence à la séance. Comme pour l’extrait 2, l’exercice consiste en la dénomination d’images par la production d’un item et s’articule le long de séquences ternaires qui (du moins quand le client connaît la réponse) se succèdent de manière assez rapide. Nous pouvons le voir au début de l’extrait (lignes 1-5) : Extrait 3.1 (Dialogos_160315_PM _C) 01 the 02 CLI cli 03 04 THE the 05 CLI the

+(.) +tourne, montre carte1--> >>bi-beron >>reg carte--> (.) $+bibe[[ ron$ $hoche tête$ [°bi+beron° +.......+place doc de côté-->

76 06 07 THE 08 CLI 09 cli 10 CLI 11

Sara Merlino (0.2) +parfait\+ (.) .h: et le [ dernier qu’on a vu+ ce matin+ +........+positionne carte2-----------------+,,,,,,,,,+ [(>et un et unon le #fig.7

7 17 the fig

mettre#+dans le: (0.4) dans /mel/ (.) +se penche en av, positionne doc en av--> #fig.8

8 18 cli fig

dans l-#*dans le: le: *reg doc, se penche en av--> #fig.9

9 19 20 cli fig

(0.2) .h::: je de- je je je je vais en (r)acheter (.) xxx (manger)*#(0.2) .h::*#(0.2) je en:: je euh (0.3) -->*reg THE----*se penche en arrière--> #fig.10 #fig.11

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10 21

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11

j’adore ça euh xxx (.) °oui°

Le tour du client (16) est préfacé par un « et » (cf. Barnes, Candlin et Ferguson, 2013) et s’ouvre avec l’annonce à la forme impersonnelle (« on ») d’une action future concernant le référent en question (« en »), les radis : la structure syntaxique entamée reste inachevée après le déterminant (« le »), et est à nouveau reprise par la suite avec une évidente difficulté de production du complément (le locuteur se réfère probablement ici à son « jardin »). Cette recherche est abandonnée après de multiples tentatives ; le locuteur démarre ainsi une nouvelle structure syntaxique à la première personne et toujours au futur, cette fois-ci en accompagnant le pronom (« en ») par les verbes « acheter » et « manger ». Cela permet au locuteur d’insister sur l’action future concernant le radis, en évitant à nouveau de prononcer le terme en question, qui est repris par le pronom. De manière intéressante, pendant cette production du client, le thérapeute se penche davantage en avant et rapproche du client la feuille avec les phonèmes (17, Figure 8) : il invite implicitement celui-ci à prendre en compte le document et donc à revenir sur la résolution de la tâche de départ (la production du terme « radis »). Le client, de son côté, dans un premier moment s’aligne avec la conduite multimodale du thérapeute, en se rapprochant de lui et du document (en rentrant ainsi dans une configuration spatiale et corporelle propre à la réalisation de la tâche, voir Figure 9) ; ensuite, il se repenche en arrière (images 10-11) et, en regardant le thérapeute, démarre une nouvelle unité de construction du tour à la première personne : après de multiples auto-réparations, le locuteur parvient à produire une évaluation au sujet des radis, en employant à nouveau un pronom (« j’adore ça », 21). Ce commentaire personnel sur le référent en question, accompagné d’un regard en direction de l’interlocuteur, introduit, comme nous pouvons le voir dans la suite de l’extrait à la ligne 22, une contrainte séquentielle sur le tour suivant : le thérapeute formule une question concernant les préférences alimentaires du client, qui à son tour répond de manière positive et avec une prosodie très emphatisée (« ah oui »). Extrait 3.4 (suite extrait 3.3) 22 23 24 25 26 27

THE CLI THE CLI CLI cli fig

vous en mangez volontiers/= =ah oui .h:: (0.3) [ donc au marché vous achetez des bottes de:: [°mais:° oui euh xx je sais c’est #£xx #xx #xx£ (même) euh euhr:: £trace lignes horiz.£ #fig.12#fig.13#fig.14

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12 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38

CLI THE CLI CLI THE CLI THE

13

14

(0.4) .h [ xx xx [et donc des bottes de r:[: [euh de: de rada (.) de: radar (0.2) de [radar [de: RA::-d(0.4) pas de radar non parce je ne vis< plus en auvergne je suis en/ (0.2) en /avaɲ/(0.3) en a- (0.3) en (0.6) /avaɲ/ (0.5) ah:: (0.3) /avaɲ/

Dans ce cas, la réponse du client démarre également de manière assez rapide, mais est aussi rapidement auto-réparée par le locuteur lui-même, qui, en continuant à regarder ailleurs (voir, ci-dessous, Figure 15), se livre à des multiples tentatives de production du terme « alsace » (la région dans laquelle il habite). Face à la difficulté du locuteur à produire le terme en question, la thérapeute intervient en donnant la première syllabe du mot cible et donc en relançant implicitement à nouveau le client dans sa production : Extrait 4.3 (suite extrait 4.2) 10 THE 11 12 CLI fig

AL (0.3) #.h:: (0.6) /als/ (0.7) /als::h::/ .h: (0.4) /alsaɲ/(0.7) #fig.15

15 13 14 THE

AH:: °°xx°°(0.5) .h::: (0.2) /alsa/ (0.3) [ /alsaɲe/.h: [a

Ainsi, à la ligne 12, après une aspiration et longue pause, le client réessaie de produire le terme en utilisant la suggestion du thérapeute mais en reproduisant à nouveau le phonème « ɲ», qui est présent également dans le tour précédent et qui est

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probablement lié à l’interférence du terme « auvergne » (produit à la ligne 6 par le thérapeute). Suivent des multiples tentatives de production, intercalées par des pauses et par la particule « ah » (13) qui indique l’effort du locuteur, voire son évaluation négative quant à la possibilité de produire le terme cible. Cela est d’ailleurs visible également par sa conduite corporelle (Figure 15) – regard et posture recueillis sur soi-même. La thérapeute tente d’abord à la ligne 14 de redonner de l’aide en offrant le premier phonème du terme, et puis à la ligne 15 offre le terme en question dans son intégralité : Extrait 4.4 (suite extrait 4.3) 15 16 17 18 19

THE CLI CLI THE CLI

alsac[[ :]::ce= [al] =/alsa-/ .h °euh° /alsaimeh:/ alsace /alsak/ h:

Le client reste toujours engagé dans l’exercice, en initiant (déjà à la ligne 16) une répétition du terme proposé par la thérapeute et en s’alignant à la paire catégorielle « aidant » / « aidé » : en se conformant à la séquence d’exercice, il essaie ainsi de reproduire lui-même le terme sans cependant y parvenir. Ainsi le thérapeute répète à nouveau le terme en question, en emphatisant sa prononciation (18). Cela est perçu par le client comme une ultérieure demande de répétition, répétition à laquelle il se livre dans le tour suivant (19). Suite au nouvel échec, la thérapeute répète pour la troisième fois le terme cible (21). Cette fois-ci, cependant, ce tour n’est pas suivi par une tentative de production du client : en effet, il acquiesce la suggestion du thérapeute mais initie ensuite un long tour au sujet de l’« alsace » (26) : Extrait 4.5 (suite extrait 4.4) 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34

THE CLI THE CLI

(0.3) alsace h. eh: (0.3) .h (0.4) oui: (.) et quand je voi:s (0.2) quand je voyais quand je voyais (0.4) là vous a- le: panneau euh je disais (0.2) ah tiens (0.2) maintenant(.) elle rentre (0.6) *m’ntenant*+euh (.) sur l’au-+ *reg haut-*reg bas--> +pointe-----------+ sur l’autoroute (0.2) .h:: (0.2) vous êtes xxx en (bas) xx je je et >je disais< maintenant/ +(0.2) +maintenant *chuis ->reg bas*reg THE--> %rentrer ((en souriant))>% %hôche tête% %(0.3)% %hôche tête%

À la différence des tours précédents, le client n’essaie pas tout de suite de répéter le terme prononcé par le thérapeute mais indique par une expiration et par une hésitation une possible absence de réponse (22). Cela est confirmé par les pauses qui suivent, intercalée par une aspiration du thérapeute (24) qui montre sa

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prise en compte d’une absence de réponse. Le tour de la ligne 26 est initié par un « oui » qui marque une première discontinuité par rapport à l’action projetée par le thérapeute (c’est-à-dire une répétition du terme cible) : en démarrant une nouvelle unité de construction du tour par la conjonction « et », le client opère une transition vers ce qui par la suite se configurera comme un récit et introduit un lien entre le terme cible « alsace » et son histoire. La nouvelle action est ainsi présentée comme liée à l’exercice, ce qui lui donne une forme de pertinence. Le long tour développé par le client – dont on remarquera la complexité syntaxique – se focalise premièrement autour d’une expérience personnelle de vision d’un « panneau » (« quand je voyais … le panneau », 26-27) et sur ce que cela suscitait chez le locuteur : au moyen du discours rapporté direct (« je disais ah tiens », 27-28), le client raconte ses pensées quand « elle » rentrait de l’« autoroute » (28-30). Ce terme, accompagné par un geste de pointage, permet de contextualiser le terme « panneau » et situer spatialement, si non géographiquement, le récit. Après une courte pause, le client produit une nouvelle unité de construction du tour qui est malheureusement difficile à comprendre (mais qui utilise toujours le discours direct, « vous êtes », 30) et puis une autre, qui cette fois-ci rapporte le sentiment de joie du locuteur face au fait de rentrer à la maison (« je disais maintenant je suis content de rentrer », 31-33). La fin du récit est marquée par non seulement la complétude sémantique et l’intonation clôturante, mais aussi le regard en direction de la thérapeute (32). Celle-ci hoche de la tête déjà aux lignes 33 et 34, et puis pose une question à la ligne suivante, qui non seulement permet de répondre séquentiellement de manière adéquate à l’action initiée par le client, mais qui explicite également, par une demande de confirmation, le référent de l’histoire. Extrait 4.6 (suite extrait 4.5) 35 THE fig

#qua:nd %#quand vous voyez le panneau: %euh::% >>reg cli-> %se penche en arrière----------%,,,,,% #fig.16 #fig.17

16 36 the cli cli fig

17

#%*bienvenue *euh: en alsace= %se penche à droite-->> *se penche en arrière--> *......--> #fig.18

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18 37 CLI fig

=*>oui oui< (j’ai vu ça)+#aprè:s +reg v fenêtre-> ->*pointe v fenêtre--> #fig.19

19 38 cli cli 39 40 THE

euh::r°::° bel*+f- °euh° (0.2)*+bel- euh:: bel+fort/ -->*,,,,,,,,,,,,,,,* -->+reg THE------->+reg v fenêtre-+reg THE--> (.) oui

En posant la question aux lignes 35-36, la thérapeute adopte également une posture assez décontractée et d’écoute : elle se penche en arrière et puis à droite en s’appuyant sur sa main droite (voir Figures 17 et 18). Le client, de son côté, s’aligne aussi sur cette nouvelle disposition corporelle qui marque un changement d’orientation par rapport à l’activité de l’exercice et l’ouverture d’une séquence conversationnelle : il se penche en arrière et puis confirme en ajoutant un repère géographique (« belfort », 38) et en pointant vers la fenêtre au cours de la recherche lexicale qui concerne la production du nom de la ville en question (en s’orientant ainsi vers l’espace extérieur, Figure 19). Cette recherche lexicale, qui est autorésolue par le locuteur, se termine par une demande de confirmation du terme réalisée par une intonation montante (fin de la ligne 38) : la thérapeute confirme et valide ainsi à la ligne suivante le terme en question (40). Suite à cette séquence d’explicitation du référent de l’histoire, les deux participants s’orientent vers une poursuite du récit : le client en ajoutant à la ligne 41 un déictique (« là »), la thérapeute en posant une « vraie » question sur les raisons du voyage du locuteur (42): Extrait 4.7 (suite extrait 4.6) 41 CLI 42 THE 43 44 CLI 45

[ là [pourquoi vous êtes parti en vacance/ (0.3) quand on va: ch- chaque fois que je partais partais par là [xx

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86 46 47 48 49 50 51 52 53 54

THE CLI THE CLI

THE

[ ah >oui oui< (c’était) xxxx .h:: (0.2) (comme) (0.3) on pan- (.) on partait sou:ven:t °en:° .h: en déplacement/ h: (0.4) ben oui ça xx ça arrivai:t des fois (on a-) h:: °xx a (0.5).tsk xx trè:s (0.3) pour euh° (2) .h .tsk °°xx xxx xx°° (0.3) (j’allais) je:: me plaignait (0.3) ah ah

La question de la ligne 42 permet au client de développer davantage son récit et de produire plusieurs unités de construction du tour. Ces unités sont intercalées seulement à la ligne 46 par des marqueurs de changement d’état (« ah ») et d’acquiescement (« oui oui ») et par une suggestion lexicale de la thérapeute (l. 49). Cette suggestion, tout en aidant la résolution de la recherche de mot (fin de la ligne 48), est produite avec une intonation montante et donc comme une demande de confirmation qui permet de redonner la parole au client (voir à ce propos Oelschlager et Damico, 2000). La manière dont la thérapeute répond aux productions du client montre ainsi qu’elle ne connaissait pas a priori ces informations et que la question de la ligne 42 était donc une « vraie » question. Après la longue production du client, la thérapeute reformule27 à nouveau aux lignes 56-58 le noyau de l’histoire (en répétant d’ailleurs à nouveau le terme « alsace » – qui n’a pas encore été produit par le client) – reformulation qui est ratifiée par le client (59 et 63) : Extrait 4.8 (suite extrait 4.7) 55 56 THE 57 CLI 58 THE 59 CLI 60 the 61 THE 62 63 CLI 64 THE 65 66 THE 67 the 68 THE 69 70 71 CLI

(0.9) %vous étiez content\ %de voir le pa[nneau bienvenue en& %se penche en arr----%se penche à gauche---> [ben oui &alsac[e [oui %(0.3) %reg en bas-->l.69 voilà (0.3) °o[ui° [.tsk .h:: (0.2) d’accord %(0.6) %prend feuille et stylo-->> .tsk euh:: mh: allez maintenant euh:: je vous demande d’écrire %une phrase et puis après on va arrêter d’accord -->%reg CLI-->> monsieur ruban/ oui

Après avoir clôturée à la ligne 62 cette séquence conversationnelle (« voilà »), la thérapeute reprend sa « posture » de thérapeute en clôturant davantage 27 On remarquera que ce faisant la thérapeute répète à nouveau et pour la cinquième fois le terme « alsace », qui n’as pas encore été produit par le client.

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la séquence (« d’accord », 66) et puis, à la différence de ce que nous avons observé dans d’autres extraits, elle abandonne cet exercice et passe progressivement à une nouvelle tâche thérapeutique : elle prend d’abord une feuille et un stylo (67) et puis donne une consigne sur le nouveau exercice à réaliser (68-70). Cette fois-ci il ne s’agit plus de compléter des phrases à l’oral mais d’une activité d’écriture. Ainsi a posteriori on remarque que l’exercice précédent n’a duré que le temps de « deux phrases » et que sa durée limitée a été influencée par l’initiative topicale du client et par la séquence conversationnelle qui s’en est suivie. 9. Conclusions Dans ce chapitre nous avons analysé le phénomène des initiatives topicales réalisées par des locuteurs aphasiques au cours des séances de rééducation de la parole. En partant du constat que ces séances constituent une activité institutionnelle caractérisée, en tant que telle, par une organisation spécifique des contributions discursives et des actions des participants, nous avons montré la manière dont le client lui-même peut intervenir sur cette organisation et sur l’asymétrie thérapeuteclient qui la caractérise. Comme nous l’avons souligné, cette asymétrie opère à différents niveaux (gestion de l’organisation générale de la séance, prise de la parole, types d’actions réalisés) et, par rapport à d’autres contextes institutionnels, est davantage accentuée par les compétences linguistiques réduites du client aphasique. Elle rend pertinente différentes paires catégorielles telles que « thérapeute » / « client », « aidant » / « aidé », « expert » / « (re)apprenant » qui, d’un côté sont au cœur du travail thérapeutique lui-même, de l’autre cohabitent avec d’autres multiples traits catégoriels qui caractérisent les participants et notamment le client (« adulte », « locuteur compétent », « locuteur expert dans un domaine particulier », etc.). Bien que cette complexité catégorielle et identitaire ne soit pas un aspect exclusif des séances de rééducation, elle devient particulièrement significative ici en vue du type d’activité pédagogique, d’évaluation et d’apprentissage, qui caractérise la thérapie orthophonique de locuteurs adultes. Dans ce cadre, les initiatives topicales des clients aphasiques constituent un phénomène très intéressant à analyser car elles interviennent à la fois sur l’organisation séquentielle de la séance, en la modifiant, et sur l’asymétrie, en la reconfigurant. Par rapport à d’autres types d’initiatives (par ex. demandes de clarification ou de renseignement, questions) elles positionnent le client dans une position d’expert quant au topic introduit et cela au cours d’une activité pendant laquelle il est l’objet d’une évaluation de la part du thérapeute. La spécificité des initiatives que nous avons analysées est en effet celle d’être positionnées séquentiellement non pas en ouverture ou en clôture de séance (moment auquel souvent les participants se livrent à des conversations sur différents topics) mais bien au cours du travail thérapeutique : soit durant la transition entre les séquences dans lesquelles s’articule ce travail, soit au milieu de ces séquences, et notamment quand le client manifeste des difficultés dans l’accomplissement de la tâche thérapeutique administrée par le thérapeute. Dans ces cas, le client exploite les stimuli visuels (par ex. les cartes) ou auditifs non pas pour produire un item spécifique, comme prévu par des tâches comme celles de dénomination d’images ou de complétion de phrases, mais bien pour produire des évaluations ou initier un récit – des actions

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conversationnelles qui peuvent être très difficiles à réaliser du point de vue de la pathologie aphasique. Ces initiatives permettent au client de suspendre la tâche en cours, dans certains cas de même l’abandonner, et demandent au thérapeute un complexe travail de négociation qui, selon la tâche en cours et les spécificités du moment séquentiel auquel elles sont réalisées, peut aller dans le sens d’un recadrage de l’initiative (avec re-focalisation sur la tâche) ou bien d’alignement et développement d’une conversation sur le topic introduit par le client. Faire de la conversation au cours de la thérapie n’est pas en soi quelque chose d’extraordinaire, étant donné que le travail thérapeutique lui-même peut prévoir et inclure ces moments conversationnels (Silvast, 1991 ; Horton et Byng, 2000 ; Horton, 2006). Le fait que souvent dans nos données le thérapeute reprenne et développe les topics introduits par le client (voir, par exemple, les extraits 1.4, 1.5 et les extraits 4.6, 4.7., 4.8) en est une preuve. Cependant, si ces initiatives sont produites avant la production d’un élément cible (et à la place de la réponse attendue), le thérapeute privilégie généralement un recadrage de l’initiative et une poursuite de l’activité pédagogique (voir les extraits 2.2 et 3.4). C’est notamment au cours de ces séquences qu’il est intéressant d’observer un subtil travail de négociation catégorielle effectué par les participants : en effet, dans la perspective du client, « parler du monde » au cours d’une activité institutionnelle qui teste et évalue constamment ses capacités langagières et qui le constitue en tant qu’« apprenant », ne signifie pas seulement modifier l’activité en cours et éventuellement éviter un échec, mais aussi se positionner en tant que locuteur « compétent » et « ordinaire », capable d’introduire un topic qui lui permette de contextualiser les stimuli auditifs et visuels en jeu. Cependant, ce positionnement catégoriel n’est pas toujours compatible avec les propos et le programme thérapeutique de l’orthophoniste, qui par ses actions montre de privilégier la relation catégorielle propre au contexte institutionnel de la thérapie, celle d’« aidant » / « aidé » ou d’« expert » / « apprenant », et de favoriser la poursuite de l’activité principale (dans ce cas, la performance des tâches et la production des éléments cible). Cela est visible non seulement quand le thérapeute au cours de l’exercice vient en aide du client ou le corrige (voir par exemple les extraits 4.3 et 4.4) ou bien quand il essaye de recadrer l’initiative topicale en évitant de la développer (voir l’extrait 3.4) ; mais aussi quand, tout en développant l’initiative du client, il utilise des formats d’actions – les questions-tests – typiques du travail thérapeutique, voire pédagogique (voir les extraits 1.4 et 1.5), qui (re)transforment la conversation en quelque chose de plus proche de la thérapie (en rencontrant, d’ailleurs, des éventuelles résistances de la part du client, voir toujours les extraits 1.4 et 1.5). Un vrai défi pour le thérapeute comme pour le client semble donc être celui d’avoir, au cours de la thérapie, des conversations proches des conversations « ordinaires ». Le dernier et quatrième cas que nous avons analysé (notamment les extraits 4.6 et 4.7) est dans cette optique significatif : il nous montre la manière dont le thérapeute peut favoriser une conversation « ordinaire » sur le topic introduit (en posant des vraies questions sur le sujet) et le client peut développer ce topic en produisant un long récit. Si cette conversation a comme effet une modification de l’organisation de l’activité thérapeutique (voir le fait que le thérapeute abandonne l’exercice et passe ensuite à une autre tâche), elle constitue également un moment de

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production langagière spontanée du client dont il faudrait évaluer et peser les bénéfices thérapeutiques. Une description approfondie des séances orthophoniques en tant qu’activité institutionnelle, encore inexistante dans le champ du parler institutionnel, peut à notre avis contribuer non seulement à comprendre les dynamiques complexes de cette activité, son organisation et ses multiples enjeux catégoriels et identitaires, mais aussi à évaluer, à un niveau très détaillé, les effets de choix thérapeutiques sur la pathologie aphasique et sur la relation thérapeute-client. 10. Remerciements Nous remercions les éditeurs pour la lecture très attentive du chapitre et leurs précieux commentaires à une première version du texte. 11. Bibliographie Auer, P., & Bauer, A. (2011). Multimodality in aphasic conversation: Why gestures sometimes do not help. Journal of Interactional Research in Communication Disorders, 2 (2), 215-243. Barnes, S. E., Candlin, C. N., & Ferguson, A. (2013). Aphasia and topic initiation in conversation: a case study. International Journal of Language and Communication Disorders, 48 (1), 102-114. Boone, D. R., & Prescott, T. E. (1972). Content and sequence analyses of speech and hearing therapy. ASHA, 14, 58-62. Brookshire, R. H. (1976). A System for Coding and Recording Events in PatientClinician Intersections during Aphasia Treatment Sessions. In R. H. Brookshire, H. Robert (Eds.), Proceedings of the Clinical Aphasiology Conference (Wemme, OR : May 18-21, 1976). Minneapolis: BRK Publishers. Brookshire, R. H., Krueger, K., Nicholas, L. & Cicciarelli, A. (1977). Analysis of Clinician-Patient Interactions in Aphasia Treatment. In Brookshire, R. H. (Ed.), Clinical Aphasiology Conference Proceedings (Amelia Island, FL: May 17-20, 1977). Minneapolis: BRK Publishers, 181-187. Button, G., & Casey, N. J. (1984). Generating topic: The use of topic initial elicitors. In Atkinson, J. M., Heritage. J. (Eds.), Structures of social action: Studies in conversation analysis. Cambridge: Cambridge University Press, 167-190. Byng, S., & Black, M. (1995). What makes a therapy? Some parameters of therapeutic intervention in aphasia. European Journal of Disorders of Communication, 30 (3), 303-316. Chevalier, F. H. G., & Clift, R. (2008). Unfinished turns in French conversation: Projectability, syntax and action. Journal of Pragmatics, 40, 1731-1752. Cortazzi, M., & Jin, L. (2004). Commentaries: Reflections on speech-language therapists’ talk: Implications for clinical practice and education. International Journal of Language & Communication Disorders, 39 (4), 477-480.

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« Moi, j’aurais en tout cas pas voulu… » : la participation du patient à la planification de sa sortie d’une clinique de réadaptation

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1. Introduction Ce chapitre fait partie d’une étude qui porte sur la participation des patients lors de la planification de leur sortie dans trois cliniques de réadaptation situées dans les trois régions linguistiques de Suisse1. En adoptant l’approche de l’analyse conversationnelle (voir Mondada & Keel, ce volume), ce chapitre se focalise sur la question de la participation dans une clinique de réadaptation en Suisse Romande. Plus précisément, elle cherche à comprendre comment les patients parviennent à faire valoir leur point de vue dans la négociation de leur date de sortie ou de la durée de leur séjour lors des visites médicales hebdomadaires des médecins traitants. En contraste avec d’autres études sur la participation, qui retiennent l’impact favorable ou défavorable de la manière de communiquer du médecin sur la participation du patient (Collins et alii, 2005), cette recherche interroge les méthodes du patient pour se faire entendre et comment il parvient ainsi à affirmer (ou non) sa position contre celle des médecins et à infléchir (ou non) une prise de décision dont il est l’objet (pour des études centrées sur la manière de participer du patient dans un contexte de premiers soins voir Drew, 2001 ; Gill, 1998, 2005 ; Gill, Pomerantz & Denvir, 2010 ; Stivers & Heritage, 2001). La planification de la sortie du patient d’une clinique renvoie à un processus qui intègre pour chaque patient son transfert non-problématique du lieu de traitement (dans notre cas la clinique de réadaptation) à la maison ou dans une autre institution (cf. Mistiaen, Francke & Poot, 2007). Dès lors la planification de la sortie signifie bien plus que le moment adéquat d’un point de vue médical pour quitter la clinique ; elle implique que la continuité des soins soit assurée au-delà de la clinique et que le lieu d’accueil (le domicile du patient ou une nouvelle institution) soit

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L’étude a été financée par les fonds Do-RE du Fonds National Suisse (No. 13DPD6_134835 P.I. : Veronika Schoeb) et par les fonds de recherche de la Haute Ecole de Santé Vaud (HESAV).

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adapté aux besoins du patient tant du point de vue des infrastructures que de l’accompagnement social. Depuis les années huitante, les politiques et les recommandations cliniques exigent que le patient soit impliqué dans toutes décisions le concernant (DoH, 2010 ; SIGN, 2002 ; WHO, 1978, 2008). Selon ces recommandations, le patient a le droit d’être informé et de comprendre les enjeux thérapeutiques ainsi que de participer aux négociations d’objectifs thérapeutiques ou d’autres décisions le concernant (FMH, 2008). Des études sur la planification de la sortie du patient d’une institution de réadaptation ont montré que la majorité des patients souhaite participer et être impliquée dans ce processus (Anthony & Hudson-Barr, 2004) et que la participation du patient a un effet positif sur son respect des décisions prises au long du processus (Popejoy, Moylan & Galambos, 2009). Cependant, à ce jour, nous savons peu de choses sur l’organisation pratique de la planification de la sortie du patient d’une clinique de réadaptation, setting institutionnel particulièrement complexe impliquant l’intervention d’une équipe interdisciplinaire (voir Keel & Schoeb, 2015 ; Barnard, Cruice & Playford, 2010 ; Beck Nielsen, 2009). Dans la clinique ici étudiée la planification de la sortie est organisée en deux temps. Dans un premier temps les membres de l’équipe interdisciplinaire, médecin(s), physiothérapeute, ergothérapeute, infirmière(s), psychologue, travailleur social, se retrouvent entre eux (donc sans le patient concerné), pour discuter de l’état de santé du patient concerné, son amélioration, le programme thérapeutique à adopter pour la suite et toutes les questions d’ordre social, psychologique, médical et d’infrastructure qui se posent avec l’organisation de la sortie du patient. Dans un deuxième temps, les médecins traitants, accompagnés d’une ou de plusieurs infirmières (et assistant(e)s), accomplissent les visites médicales. Dans ce cadre, ils examinent le patient et discutent avec lui les points soulevés lors de la réunion interdisciplinaire et cherchent à obtenir son accord sur les mesures envisagées. Dans ce cadre de la visite médicale, le patient se retrouve donc dans une position épistémique inférieure (Heritage, 2012 : 4) vis-à-vis du médecin traitant du fait de l’expertise médicale et des informations diverses discutées en son absence lors de la réunion interdisciplinaire. Par ailleurs, les recommandations cliniques en vigueur attribuent au patient le droit d’être informé, de participer à toute prise de décision le concernant et revendiquent que le médecin traitant obtienne l’accord du patient avant d’implémenter les décisions le concernant. Ce type d’interactions implique donc une « double asymétrie croisée » (Filliettaz, 2006 : 98): alors que la distribution des savoirs joue en défaveur du patient, son droit de participer et l’obligation faite au médecin d’obtenir son accord joue en sa faveur (pour l’analyse d’un autre cas de « double asymétrie croisée » dans le cadre d’interactions de services personnels voir Horlacher, ce volume). Dès lors, la participation du patient constitue avant tout un problème de membre et non un problème du chercheur. Afin de discuter comment les membres parviennent à le résoudre in situ, ce chapitre offre une analyse de cinq extraits au cours desquels le médecin traitant et le patient discutent la date de sortie ou la durée de son séjour à la clinique ainsi que le processus au terme duquel ils parviennent à un accord. En se concentrant sur la façon dont les patients s’engagent plus ou moins

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dans un travail interactif pour exprimer et faire valoir leur point de vue en la matière, l’analyse montre que la participation du patient peut fortement varier avec d’un côté le patient qui fait clairement entendre sa position (extraits 1 et 2), jusqu’à initier luimême la question de la sortie et contrôler sa discussion (extrait 5) et, de l’autre côté, le patient qui se soumet sans beaucoup de bruit au point de vue exprimé par le médecin pour finalement adopter la ligne d’argumentation mise en avant par ce dernier (extraits 3 et 4). 2. Analyse conversationnelle et interactions médicale et/ou de santé Dans leur discussion sur les spécificités des interactions institutionnelles, Drew et Heritage (1992 : 29ff.) soulignent que le parler-en-interaction institutionnel se distingue à plusieurs niveaux de la conversation ordinaire : au niveau des choix lexicaux, de la construction du tour, à travers son organisation séquentielle, celle du turn-taking, au niveau de sa structuration ordonnée des activités constitutives et, finalement, à travers l’asymétrie qui se manifeste à tous les niveaux précédemment mentionnés, entre représentants de l’institution et client/patient (voir aussi Mondada & Keel, ce volume). Quant à l’asymétrie, les auteurs identifient trois dimensions structurantes (Drew & Heritage, 1992 : 47 ff.) : un droit de participation distinct entre les participants, un niveau d’expertise et de savoir différent entre les participants et, finalement, une perspective différente envers le problème à résoudre : problème de routine pour le représentant institutionnel, ou bien cas unique, singulier, pour le client/patient. Les auteurs soulignent qu’il n’est pas question de concevoir ces dimensions comme des variables indépendantes, mobilisables de façon ad hoc pour construire des explications exogènes à l’organisation interactive conjointement accomplie in situ (Drew & Heritage, 1992 : 52-53). Ils insistent, bien au contraire, sur la nécessité de décrire les méthodes à travers lesquelles les participants manifestent leur orientation envers la rencontre comme étant de type institutionnel et asymétrique, ainsi que leur orientation envers l’un et l’autre comme ayant des droits, obligations et tâches distinctes. Il s’agit en outre de montrer comment cette orientation agit sur l’organisation du parler-eninteraction, notamment sur la participation distincte des participants et sur ses résultats (outcome). Dans le cadre des recherches portant sur les interactions institutionnelles et les workplace studies (Drew & Heritage, 1992), l’analyse conversationnelle s’est dès ses débuts intéressée à l’organisation des interactions non orchestrées (naturally occurring) entre médecin et patient (voir Gill & Roberts, 2012 ; Heritage & Maynard, 2006a). Les premières recherches ont sélectionné des situations dyadiques, notamment lors de consultations de soins de santé primaire. Souvent accompagnées d’une visée appliquée, elles se sont concentrées sur la figure du médecin tout puissant, initiateur des actions, et ont montré comment il limitait les occasions du patient pour faire valoir sa vision des choses. Par la suite, on a pu constater un intérêt croissant pour le rôle du patient, ses initiatives et les ressources qu’il utilise pour faire valoir sa position et ses souhaits (Drew, 2001 ; Gill, 2005), allant de pair avec une diversification importante des contextes analysés (voir Mondada & Keel, ce volume ; Gill & Roberts, 2012 ; Pilnick, Hindmarsh & Gill,

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2009) et une discussion de nature plus conceptuelle sur la question de la participation des patients (Collins et alii, 2007). 2.1 La question de la participation du patient Fondée sur des recherches empiriques AC portant sur l’organisation interactive des consultations médicales une discussion critique des prescriptions cliniques, telle la patient-centeredness qui va de pair avec la revendication d’un renforcement de la participation des patients, a été engagée (Collins et alii, 2007 ; Ijäs-Kallio, 2011 ; Peräkylä & Ruusvuori, 2007 ; Peräkylä et alii, 2007 ; Pilnick & Dingwall, 2011 ; Robinson, 2003). Cette discussion montre d’une part, qu’il n’existe pas d’accord partagé au sein de l’AC quant à l’utilisation des résultats empiriques à des fins appliquées. En effet, certains analystes favorisent l’utilisation des résultats empiriques de l’AC comme base pour développer différents types d’interventions visant l’augmentation de la participation des patients (Collins et alii, 2007 ; Heritage & Maynard, 2006a ; Robinson, 2003), ou proposent d’employer les résultats comme un outil d’incitation à la réflexion quant aux pratiques cliniques en vigueur (Ariss, 2009 ; Schoeb, Hartmeier & Keel, 2014), alors que d’autres questionnent le bienfondé de la prescription elle-même (Pilnick & Dingwall, 2011) et mettent par conséquent en garde contre l’instrumentalisation de l’AC à des fins appliquées. D’autre part, les chercheurs soulignent à l’unisson, qu’avant quelque critique que ce soit (notamment celle sur le bien-fondé de la prescription même) ou proposition d’intervention au sujet de la participation du patient, les recherches AC devraient poursuivre leur visée essentiellement analytique et descriptive : montrer en détail comment la participation distincte du médecin et du patient est interactivement accomplie par les participants, tour après tour, au cours des diverses phases d’activité de la consultation (Gill & Roberts, 2012). Ainsi, les travaux AC portant sur les pratiques au fil desquelles les patients parviennent à manifester leur point de vue, à exercer une pression en faveur d’interventions médicales de leur choix, ou contre celles du médecin, et sur les manières qu’ont les médecins de répondre (Drew, 2001 ; Gill, 1998, 2005 ; Gill, Halkowski & Roberts, 2001 ; Robinson, 2001 ; Stivers, 2002 ; Stivers & Heritage, 2001 ; Stivers et alii, 2003) ont souligné que les participants mobilisent souvent des ressources interactives subtiles pour ce faire. Gill (2005), montre par exemple comment une patiente se renseigne d’abord sur la disponibilité d’un test diagnostique lors de l’anamnèse. Face à la réponse positive du docteur, qui ne l’engage pas pour autant à ordonner ce test pour la patiente, la patiente augmente progressivement la pression et manifeste de plus en plus clairement son souhait, sans pour autant demander ouvertement que le test diagnostique soit effectué dans son cas. En corollaire, le médecin ne répond ni oui ni non à la réitération de cette demande déguisée, induisant la patiente à abandonner sa demande. En revanche, vers la fin de la consultation, donc après avoir parcouru l’anamnèse et l’examen médical, le docteur signale clairement que le test sera commandé pour la patiente. Cette étude montre bien que malgré l’utilisation d’actions subtiles des participants, (la patiente communiquant tacitement son souhait et le médecin ne se prononçant pas), les façons de la patiente pour intervenir dans le cours de la consultation sont

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couronnées de succès : le médecin prescrit l’effectuation du test diagnostique qu’elle a souhaité. Comme l’ont montré d’autres travaux relevant de l’AC (Robinson, 2001 ; Stivers, 2002 ; Stivers et alii, 2003), il est rare que les patients (ou leurs représentants) adressent des revendications ouvertes au médecin (voir aussi extrait 5 ci-dessous), comme il n’est pas rare que le médecin trouve de son côté des ressources subtiles pour ne pas faire écho à une revendication tacite, sans pour autant la refuser de front (Gill, Halkowski & Roberts, 2001). Ces deux résultats empiriques indiquent qu’au-delà de la relation asymétrique entre les participants, le déroulement de l’interaction est essentiellement contrôlé par les sollicitations, les questions, les invitations du médecin, favorisant une participation limitée du patient ; d’autres enjeux encore, avec les mêmes implications, semblent opérer tout autant au cours de la consultation. Dans sa conclusion, Gill (2005 : 470-471) insiste sur l’orientation des participants vers l’ordre séquentiel propre à une consultation médicale : ouverture, anamnèse, examen médical, diagnostic, recommandations de traitement et clôture. Même si le médecin identifiait une demande de renseignement de la patiente à propos d’un test diagnostique comme un souhait de sa part pour l’obtenir, l’occurrence de la demande pendant la phase de l’anamnèse rendrait difficile une réponse immédiate. En effet, avant de répondre de manière définitive, il est censé compléter l’anamnèse et l’examen médical, afin d’avoir toutes les informations nécessaires pour le faire. Dans cette même optique et sur la base de recherches AC portant sur l’organisation ordonnée des consultations de premiers soins, Robinson (2003) propose de contrer la tendance des participants à traiter un seul problème par consultation et non la totalité des problèmes du patient, en identifiant un moment propice pour solliciter les problèmes non-discutés. Selon l’auteur, il conviendrait que les participants parcourent toutes les étapes nécessaires à la résolution du problème de santé initiale, (présentation du problème, anamnèse, examen clinique, recommandation de traitement), avant que le médecin invite le patient à formuler ses autres problèmes de santé (unmet concerns). Robinson (2003), preuves à l’appui, affirme qu’alors le patient se sentira libre de les aborder car sa préoccupation initiale aura été traitée de manière décisive. De manière générale, les recherches AC insistent sur le fait, que la participation du patient doit être comprise comme indexant de façon dynamique l’ajustement des participants aux contingences des diverses activités constitutives de la consultation et à leur ordonnance séquentielle. Cela implique que sa participation peut prendre des formes très diverses selon l’activité en cours, depuis le silence, afin de ne pas déranger la concentration du médecin lors de l’examen médical (Heath, 1992), jusqu’à la mention à voix haute-et-forte de son propre point de vue quant à une date de sortie (voir extrait 2, ci-dessous) ou quant aux objectifs thérapeutique d’un séjour à la clinique de réadaptation (Keel & Schoeb, 2017). À la différence d’autres approches, l’AC ne défend par conséquent pas de modèle de participation unique qui culminerait dans des pratiques générales les meilleures (best practices) dont l’adoption conduirait à une participation plus importante du patient dans toutes situations médicales et thérapeutiques. Au-delà de la mise en question du bien-fondé de la prescription elle-même (Pilnick & Dingwall, 2011), l’AC favorise une réponse nuancée qui insiste sur la dimension analytique de la question : avant toute

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conclusion, il est impératif de connaître l’organisation interactive et la structure séquentielle des rencontres, de comprendre comment ces dernières impliquent des occasions mais aussi des limites à la participation du patient, et finalement, de montrer l’impact d’une participation accrue sur le déroulement de la rencontre (Gill, 2005 : 473 ; Gill & Robert, 2012 : 581). L’insistance de l’AC sur le caractère irréductiblement interactif des consultations médicales et thérapeutiques et sa démonstration détaillée de la participation du patient comme relevant à tout moment d’une réalisation conjointe des participants, ne revient pas à dire qu’elles impliquent une relation symétrique entre professionnels et patients pour autant. Bien au contraire (voir Pilnick & Dingwall, 2011), comme pour la question de la participation du patient, la question de l’asymétrie n’en est pas pour autant discutée en termes abstraits et théoriques, ni expliquée par des variables extérieures à l’interaction elle-même, mais, bien au contraire traitée à travers l’analyse détaillée de l’organisation locale et interactive des rencontres médicales et thérapeutiques étudiées. 2.2 La négociation locale de la relation asymétrique Dans sa recherche portant sur les interactions entre docteur et patient lors de consultations de premiers soins, Heath (1992 : 260-264) argumente que la manière dont le docteur et le patient accomplissent respectivement l’un le diagnostic, l’autre sa réception, reflète et constitue une relation asymétrique entre les participants. Heath observe (1992 : 260), que malgré leur centralité – le diagnostic constitue à la fois la conclusion des deux phases précédentes (l’anamnèse et l’examen médical) et le point de départ vers la phase suivante, les recommandations de traitement – remise et réception conjointe du diagnostic sont caractérisées par leur brièveté. En effet remarque-t-il, alors que la production du diagnostic par le médecin prend souvent la forme d’une affirmation d’autorité, experte, très courte, n’inclinant pas le patient à y aller de son avis propre (Heath, 1992 : 262), le patient à son tour, retient souvent une réponse, ou bien produit des éléments qui permettent au médecin d’aborder directement les recommandations de traitement, sans paraître grossier pour autant. Cette brièveté permet aux participants non seulement de progresser dans la résolution du problème de santé initial, mais reflète et contribue aussi à (re)produire une relation asymétrique entre les participants. Heath souligne en effet (1992 : 62) que l’orientation envers cette asymétrie en même temps que son accomplissement par les participants, précisément à ce moment de la consultation, renvoie au but initial de la consultation. De ce point de vue, tout défi fondé sur un savoir laïque, de l’énoncé d’un diagnostic d’expert, mettrait en question la légitimité de tout patient à prétendre consulter un expert à propos de quelque problème de santé que ce soit. L’énoncé du diagnostic et sa réception tendent apparemment à reposer sur une relation d’autorité (Peräkylä, 2002 ; Stivers, 2005a, b). L’orientation des participants envers l’absence d’une réponse ou une confirmation minimale du patient comme suffisantes pour passer à la phase suivante de la consultation, indique non seulement que l’asymétrie entre médecin et patient est opératoire, mais aussi qu’une participation minimale du patient à ce point est traitée comme adéquate par eux deux.

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Comme le remarquent Heritage & Maynard (2006b : 364), comparée à la phase diagnostique, l’organisation interactive de la phase ultérieure, les recommandations de traitement, diffère à plusieurs niveaux. Une recommandation tend non seulement vers une acceptation affichée par le patient, mais une nonréponse serait considérée comme insuffisante pour avancer dans la consultation et/ou comme signalant un possible désaccord devant être résolu avant la clôture de la consultation (2006b : 364). Alors que les participants semblaient s’orienter vers l’énoncé d’un diagnostic comme vers un jugement d’autorité non-discutable, ils traitent les recommandations de traitement comme des propositions nécessitant une acceptation, ratification claire et ouverte par le patient (Heritage & Maynard, 2006b : 364). Cela a des implications importantes quant aux possibilités du patient à résister à un diagnostic versus à une proposition de traitement. Alors qu’il peut résister passivement, par exemple par un simple silence, à une recommandation de traitement, il doit manifester ouvertement sa résistance à un diagnostic pour que le médecin reconnaisse la position du patient pour ce qu’elle est. Cette organisation interactive distincte semble indiquer que la relation asymétrique entre médecin et patient n’est pas accomplie à l’emporte-pièce, mais connaît des modifications ponctuelles en faveur du patient, comme par exemple lorsque le médecin a besoin d’un accord du patient sur l’implémentation d’un traitement spécifique. Avant de clore cette section, j’aimerais revenir sur l’articulation entre la question de la participation du patient et celle de l’asymétrie entre les parties impliquées. Selon Pilnick et Dingwall (2011), la relation asymétrique entre médecin et patient est une caractéristique systématique et persistante de ce type de rencontre, essentiellement parce qu’elle renvoie aux responsabilités, obligations et tâches à la fois distinctes et complémentaires, des participants : le docteur a le droit et l’obligation de trouver une solution au problème de santé du patient (en se fondant sur son expertise médicale) et le patient a à la fois le droit à un traitement d’expert et l’obligation de le rendre possible, notamment à travers sa manière de participer à la consultation (voir ci-dessus). De ce point de vue, les appels à une implémentation généralisée d’une participation accrue du patient mettraient en danger le bon déroulement de la rencontre (Pilnick & Dingwall, 2011 : 1381). Selon les auteurs, l’AC, au lieu de se proclamer la méthode miracle (« magic bullet »), permettant de dégager des interventions menant à une implémentation d’une participation accrue du patient, ferait mieux de démontrer les limites et dangers de cette réforme participative au sein du monde médical et thérapeutique (Pilnick & Dingwall, 2011 : 1381). Bien que je ne partage pas entièrement la conclusion des auteurs, elle me semble jeter le bébé avec l’eau du bain, leur insistance sur le maintien d’une posture d’analyste qui ne confond pas le droit à une attitude critique face aux implications de certaines pratiques médicales et thérapeutiques sur la participation du patient, avec un droit d’émettre des interventions toutes ficelées, me semble légitime. Ce chapitre porte sur la visite médicale hebdomadaire, pour laquelle les participants à l’interaction sont uniquement le(s) médecin(s) traitant(s) et le patient, les infirmières présentes, essentiellement responsables du protocole, n’intervenant pas dans la discussion. La visite est en revanche, précédée d’une réunion interdisciplinaire à laquelle le patient n’assiste pas. Ce dernier sait qu’elle a lieu, mais il ignore ce que l’équipe interdisciplinaire traitante a pu dire globalement de

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son cas et plus particulièrement, pour ce qui nous intéresse ici, de la question de sa sortie. La position épistémique supérieure du médecin, propre à son expertise médicale, est ainsi renforcée par les informations sur l’état psychique du patient et sur sa situation sociale, livrées par les autres professionnelles de santé présents lors de la réunion interdisciplinaire. C’est alors que se pose la question de savoir comment le patient va s’y prendre pour défendre pratiquement son droit de participation aux décisions le concernant, malgré sa position épistémique inférieure à plusieurs titres, et comment le médecin va répondre aux interventions de son patient. 3. Les données Le corpus audiovisuel recueilli dans cette clinique comprend les enregistrements de 47 réunions interdisciplinaires, et de 47 visites médicales, concernant au total treize patients différents. L’étude a été approuvée par le comité éthique de la région concernée et le consentement informé a été obtenu par tous les participants concernés dans ce chapitre. Sur la base de ce corpus, 27 situations dans lesquelles la date de sortie a été discutée pendant la réunion interdisciplinaire et 25 situations dans lesquelles cette question a été abordée lors de la visite médicale ont été identifiées. Afin de constituer un sous-corpus au sens de Schegloff (1987), les 13 instances dans lesquelles la date de sortie a d’abord été discutée lors de la réunion interdisciplinaire, en l’absence du patient par conséquent, puis avec le patient lors de la visite médicale, ont été transcrites en adoptant les conventions développées par G. Jefferson (2004 : 24-31). Afin de rendre compte de l’importance des ressources incarnées que les participants mobilisent pour organiser leurs interactions, les moments de discussion de la date de sortie dans le cours des visites médicales ont été transcrits selon les conventions de transcription multimodales développées par L. Mondada (2007). 4. La participation du patient à la discussion de sa date de sortie Dans un article précédent (Keel & Schoeb, 2015), nous avons montré que la manière dont la date de sortie du patient est discutée lors de la réunion interdisciplinaire (donc en l’absence de l’intéressé) a un impact sur la manière dont le docteur sollicite le point de vue du patient sur la question lors de la visite médicale. Une convergence entre le point de vue médical et celui du patient, rapporté par un professionnel lors de la réunion interdisciplinaire, induit une implication directe et claire du patient lors de la visite médicale : le médecin lui adressera par exemple une question du type « quand est-ce que vous voulez la sortie définitive ? » sans pour autant la préfacer de longues justifications. En revanche, l’absence d’une convergence entre les deux points de vue lors de la réunion interdisciplinaire induit le docteur à retarder l’implication du patient, à l’aide d’explications, et/ou à utiliser des formats de question indécis pour impliquer le point de vue du patient lors de la visite médicale. La manière dont la date de sortie ou la longueur du séjour sont discutées lors de la réunion interdisciplinaire exerce donc une influence sur la manière dont le docteur traitant implique le patient dans la discussion lors de la visite médicale et gère sa participation en la matière.

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De ce constat, on pourrait conclure que dans le premier cas le patient est entendu, et que dans le second on reste sourd à son point de vue et qu’il est exclu d’une participation à la prise de décision finale. Pour commencer, je suggèrerai pourtant que cela reviendrait à ignorer la capacité des patients à infléchir à leur tour le cours de l’interaction. Par conséquent, je me propose d’examiner ici comment les patients répondent aux diverses procédures de sollicitation mobilisées par les docteurs et comment ils parviennent ainsi à nuancer quelque peu l’impact contraignant attendu des façons de faire du médecin sur la participation du patient. Autrement dit, la participation du patient n’est pas déterminée dès l’amont par ce qui s’est dit et fait en son absence, mais est configurée in situ, localement, en interaction directe avec le médecin, d’où un enjeu analytique à montrer l’impact des actions dans le hic et nunc (voir Keel & Schoeb, 2015). Cette focalisation sur la réponse du patient révèle que si tous les patients mobilisent diverses ressources multimodales pour afficher leur point de vue, indépendamment de la manière dont les médecins posent la question initiale, directe (extraits 1 et 2), versus repoussée, indécise (extraits 3 et 4) ou pas du tout (extrait 5), tous ne parviennent pas à avoir un véritable impact sur la décision finale pour autant. En particulier, l’analyse montre que l’orientation des patients vers une possible ou au contraire impossible négociation de l’asymétrie attendue de la relation au médecin, soit l’adoption d’une attitude dominée versus non-dominée des patients ainsi que le positionnement séquentiel (timing) de leur intervention, jouent un rôle important dans leur capacité de faire valoir leur point de vue et par conséquent d’infléchir la décision finale. Ce chapitre cherche ainsi à contribuer à une meilleure compréhension de comment et dans quelle mesure la participation du patient ne dépend pas uniquement des façons du médecin, mais tout autant des possibilités et de la compétence du patient pour utiliser les ressources disponibles lors du face-à-face avec les médecins et défier ainsi localement l’asymétrie, qui, selon Pilnick et Dingwall (2011), caractérise de manière constitutive et systématique la relation entre corps médical et patients. Pour ce faire, j’analyserai d’abord deux extraits au cours desquels la doctoresse pose la question de la date de sortie de manière directe (extraits 1-2). Je discuterai ensuite deux extraits où la question de la sortie est retardée par des questions vagues auxquelles le patient peine à répondre (extrait 3) ou par une liste d’arguments des médecins en faveur d’une prolongation, avant que le patient puisse donner son point de vue (extrait 4) et finalement, un dernier extrait sera examiné au cours duquel la question n’est pas soulevée par le médecin mais par le patient luimême. En conclusion, la question de l’articulation entre asymétrie et participation est rediscutée à la lumière de ces cinq extraits. 4.1 Adopter une attitude complice pour implémenter son point de vue sans délai Au cours de la réunion interdisciplinaire précédant la visite médicale de la patiente I, l’équipe traitante est d’accord sur le fait que la patiente peut rentrer prochainement. Par ailleurs, le physiothérapeute mentionne que la patiente se disait « pressée » de rentrer chez elle, engendrant l’approbation de la doctoresse traitante et le rire de plusieurs membres de l’équipe. Dans la première partie de la visite, la doctoresse traitante (MDI) et sa consœur (MDV) examinent et testent la mobilité de l’épaule et

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du genou de la patiente I. Ils constatent un net progrès, mais aussi des douleurs persistantes dans les épaules nécessitant des examens supplémentaires et l’expertise d’une autre consœur. Après l’examen, mais avant que l’extrait 1 ne commence, la doctoresse V se renseigne par ailleurs auprès de la patiente sur le weekend thérapeutique que celle-ci a passé à la maison2, et obtient un compte-rendu très positif. Extrait 1a (CRR9_5v) Participants : PAI : patient I (*+) ; MDI : doctoresse I (£) ; MDV : doctoresse V (‡%) 1

MDV mdv pai mdi

2

3 4 5 6 7

mdv pai mdv MDI mdv PAI MDI mdv

8 9

mdv mdv MDI pai

d’accord ‡ okay °donc° ça c’est bien. >>reg PAI‡reg v le bas---> >>reg MDV----> >>hors champ, sur l’ordinateur---->> (0.3)‡(0.3)*(1.0)%(1.0) ->‡reg MDI-> ->*reg MDI-> ->%se dirige v MDI-> donc on peut commencer à penser %pour ->%hors (0.7) ou:ais/ (0.6) c’est-c'%que vous avez posé comme ->%se tourne v PAI, doc en main (0.3) % (0.7) ‡ (0.5) ->%s’arrête en face de PAI---->> ‡reg PAI----->> +°ou bien/°+ +hausse épaules+

e:h la sortie? champ->

%question/ %se dirige v PAI->

1 10 fig 11 PAI pai 12 13 PAI pai 14 MDV 2

(0.6) # #fig.1 +ou rien/+ +hausse épaules+ (0.2) ((en [ria]*nt))= ->*reg MDV--->> [((en riant))]

Dans cette clinique, avant de rentrer à la maison définitivement, les patients passent normalement un weekend thérapeutique chez eux pour y évaluer l’adéquation de l’infrastructure domestique (qui a souvent été adaptée aux besoins du patient) et de son environnement social.

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À la ligne 1, la doctoresse V reçoit le rapport de la patiente avec son évaluation positive. Elle se tourne ensuite vers la doctoresse I et se dirige vers elle, clôturant ainsi l’échange avec la patiente sur le weekend thérapeutique et projetant une nouvelle phase de la visite médicale. Son mouvement induit la patiente à orienter son regard vers les deux doctoresses, qui, entre-temps, se sont toutes les deux placées autour d’une petite table (hors champ) sur laquelle se trouvent les dossiers des patients et un ordinateur. Après 2.6 secondes de silence (2), pendant lesquelles le dossier de la patiente et les informations électroniques la concernant sont consultés, I s’adresse à la patiente (3). En préfaçant son tour avec « donc » elle signifie que ce qui suit est en rapport direct et logique avec ce qui le précède : le rapport positif du weekend thérapeutique de la patiente. En utilisant le pronom impersonnel « on » et le verbe modal « pouvoir » à la troisième personne du singulier, suivi par la tournure « commencer à penser […] la sortie », sur une intonation interrogative, I demande à la patiente son accord de principe sur la planification de sa sortie tout en signalant que l’accord ne dépend pas uniquement d’elle. Le format de la question projette une réponse positive en « oui » et, à travers le choix du format des verbes, I projette par ailleurs le lancement d’une réflexion collective autour de la sortie sans demander à la patiente de préciser/spécifier quelque élément particulier. La patiente ne répond pas immédiatement (4), manifestant une courte hésitation, pour finalement produire la réponse projetée et attendue (5), un agreement token (Pomerantz, 1975 : 82), accomplie avec un allongement vocalique et une intonation légèrement montante, impliquant ainsi I, sans pour autant lui adresser une demande de confirmation nette. Au lieu de ratifier la réponse de la patiente de manière univoque, et de consolider ainsi l’accord obtenu, I traite celui-ci comme problématique : en réorientant la question initiale non seulement vers la patiente mais aussi vers un épisode précédent, une demande de celle-ci, I lui reconnaît de l’agentivité quant à la décision de sortie tout en lui imposant une cohérence avec ses engagements antérieurs (7), justifiant ainsi rétrospectivement sa question initiale. En adoptant une intonation montante à la fin de son tour, elle demande prospectivement à la patiente de ratifier à son tour l’agentivité qu’elle lui attribue. Cependant, le tour de I engendre d’abord un silence remarquable (8), puis la relance d’une réponse, « ou bien/ », à voix basse, toujours par I (9)3. À travers le format de la relance, notamment son intonation interrogative, I offre à la patiente une deuxième opportunité pour ratifier sa propre agentivité en la matière. Simultanément avec cette relance, la patiente hausse une première fois les épaules refusant ainsi à répondre dans les termes proposés par I. Après un silence de 0.6 secondes (10), signalant une réponse non-préférentielle chez la patiente, celle-ci hausse une fois encore les épaules et répond finalement « ou rien/ » (11). Ce faisant, la patiente reprend à l’identique le format syntaxique et l’intonation qu’avait déployés I dans son tour précèdent. Elle signifie ainsi qu’il s’agit bien d’une réponse à la relance de réponse de I tout en rejetant l’alternative qu’« ou bien/ » posait. Visiblement amusée par sa propre réponse, elle rit aux éclats (13) aussitôt. La patiente induit ainsi V à la 3

Pour l’organisation interactive de relances de réponses dans un autre cadre institutionnel voir le chapitre de van Schepen, ce volume.

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rejoindre dans son amusement (14) ce qui engendre une réorientation de la patiente vers elle et un échange de regards complices entre elles deux (Figure 2) : Extrait 1b (CRR9_5v)

2 15 MDI pai mdv fig 16

=c'# # est c’qu’i(l) *nous a dit votre phy‡sio\ >>reg MDV---------*reg MDI----> >>reg PAI-----------------------------‡reg doc--->> #fig.2 (0.7)

3 17 MDV pai fig 18 19 20 PAI 19

4

#est-c’que vous *ave:z d’la# possibilité d’faire d’la *reg MDV--->> #fig.3 #fig.4 physiothérapie près de:: près d’chez vous/ (0.8) ((bruits d’ordinateur)) OUi à Valrue che::z à l'hôpital\ (0.4)

L’alignement manifesté entre patiente et doctoresse V (14) induit I à poursuivre son enquête sur la position précédemment prise par la patiente (15) en l’interrogeant sur la validité de ce qui a été rapporté par le physiothérapeute lors de la réunion interdisciplinaire, donc en l’absence de la patiente (voir introduction à l’extrait 1). Elle obtient ainsi l’attention et un sourire de la part de la patiente, sans pour autant obtenir sa confirmation. Dans son ensemble, l’échange entre la patiente et I semble indiquer que la patiente refuse de se prononcer à propos d’une enquête dont elle ignore et ne comprend pas l’origine. Le regard posé sur les documents qu’elle tient en main, après un silence de 0.7 seconde (16), V reprend alors la parole pour clarifier les possibilités de la patiente de suivre une physiothérapie ambulatoire

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(17-18, Figures 3-4). À travers sa question sur la phase post-sortie, V manifeste son interprétation de la séquence précédente comme ayant conduit à un accord suffisamment clair entre elles sur la disposition et la capacité de la patiente à planifier sa sortie, pour pouvoir passer à l’organisation concrète de celle-ci. Elle clôture ainsi l’échange précèdent de manière provisoire. En effet, après avoir traité de la question de la physiothérapie ambulatoire et d’autres points pertinents pour l’organisation de la phase post-sortie avec sa patiente qui insiste sur l’absence de problèmes et/ou sur des solutions concrètes (20), la discussion sur la sortie est définitivement clôturée avec l’explication par V qu’il reviendra à la patiente de discuter et de décider d’une « date de sortie » concrète avec « mes collègues » la « semaine prochaine » (transcription omise), et sur l’accord explicite de la patiente avec ces délais. Dans ce premier extrait, la patiente déploie la subversion, le rire et les changements de regards (voir Figures 1-2) pour contourner les relances de réponse de la part d’I, qui traite comme insuffisant l’accord minimal de la patiente sur l’initiation abordée de la planification de la sortie. En collaboration avec V, la patiente implémente son point de vue en faveur d’une sortie rapide de manière concrète, sans attendre la ratification de I, excluant en quelque sorte cette dernière de la discussion. En contournant les questions de I et en utilisant la complicité émergeante avec V pour aller droit à son but, la patiente manifeste une agentivité affirmée renversant clairement en sa faveur l’asymétrie épistémique entre elle et I. Dans l’extrait suivant (2), alors que la doctoresse demande à la patiente de fournir une date de sortie, celle-ci, dans sa réponse, manifeste une position combative et revendicative, évinçant ainsi dès le départ tout doute quant à sa disposition à se plier unilatéralement à des décisions qui n’auraient pas son accord. 4.2 L’expression d’une position combative et revendicative pour renforcer sa position Au cours de la réunion interdisciplinaire précédant la visite médicale de la patiente J, l’équipe interdisciplinaire s’est accordée sur l’absence de toutes contre-indications médicales ou autres pour une sortie dans les meilleures délais (Keel & Schoeb, 2015 : 65ff.). Par ailleurs, la préférence de la patiente pour rentrer chez elle vers la fin de la semaine en cours, et, surtout, sans devoir passer auparavant un weekend thérapeutique (voir explications en note 2), est évoquée par le physiothérapeute et la psychologue. En fin de réunion, les médecins conviennent que le vendredi suivant constitue la date de sortie la meilleure. Avant le début de l’extrait 2, la doctoresse I conclue son examen médical sur une évaluation positive, s’éloigne de la patiente, s’adosse à la fenêtre et regarde sa patiente, en croisant les bras derrière le dos. Ce qui induit la patiente à modifier sa position assise sur le lit, afin d’être orientée vers la doctoresse I (Figure 5), quand celle-ci aborde la question de la sortie de manière univoque et directe (2) :

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Extrait 2 (CRR10_3v) Participants : PAJ : patiente J (*+) ; MDI : docteur I (£) ; MDS : docteur S (pas visible) ; MDL : docteur L (pas visible) ; IFU : infirmière U (pas visible) 1 2 3 4 5

paj mdi MDI paj paj MDI PAJ

6 paj mdv fig 7 8

paj MDI

9 fig 10 PAJ 11 12 PAJ pa10 13 MDI 14 15 PA1J 16 MDI 17 18 PAJ

(1.6) >>ajuste sa position sur le lit--> >>debout en face de la patiente, visage pas visible-> qua*nd est-c’qu'on veu:t le +départ définitif alors/ ->*reg MDI--->> ->+pose mD entre ses cuisses->> (2.0) (.H)= =moi j'aurais en tout cas pas voulu: (0.6) dépasser le

5 week-end, j'aurais pas voulu: +(0.4) £sortir# l’week-end et ->+mG mouvement v droite-> ->£reg PAJ->> #fig.5 revenir +lundi+ [prochain\] ->+pose mG sur ses cuisses-> [nous non] plus\

6 (## 0.6) #fig.6 (ah bon) (0.4) (à) + partir d’là: [e+:h (oui je peux)] ->+mG v droite-----+-mG entre ses cuisses-->> [>alors on vous laisse par]tir vendredi/< (0.4) alo[rs (ouais\)] [fin de ]journée/ (0.3) (ouais\)

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Alors que sa posture, bras croisés derrière le dos, tête légèrement inclinée vers la gauche, regard posé sur la patiente, et intonation interrogative sur la fin du tour, manifeste l’attente d’une réponse, son utilisation du pronom impersonnel « on » (2) (voir aussi extrait 1a ci-dessus) suivi du verbe modal « vouloir » à la troisième personne du singulier, indique que la réponse à celle-ci implique une volonté collective (pour l’accomplissement d’actions distinctes à travers l’utilisation des pronoms voir Bovet, 2014: 170-172). La question initiale ainsi posée, « quand est-c’qu’on veut le départ définitif alors ? » (2), engendre d’abord un silence (3). Celui-ci indexe une certaine réticence de la patiente à répondre et projette une réponse non-préférentielle de sa part. En effet, ce n’est qu’après une aspiration bien audible chez la doctoresse (4), signalant sa reprise imminente de la parole, que la patiente commence son tour avec une dislocation à gauche du pronom personnel: « moi, j’… » (5). Le contraste de son début de tour avec la formulation de la question de I « on veut », produit un effet revendicatif, combatif en même temps qu’une agentivité forte de la part de la patiente. Par ailleurs, la patiente ne construit pas sa réponse en termes positifs, qui seraient projetés par la question de la doctoresse. Bien au contraire, elle insiste sur ce qu’elle n’« aurai[s] [en tout cas] pas voulu » (5 et 6), accompagnant les deux points, « pas dépasser le week-end », « sortir le week-end et revenir lundi », par un mouvement de la main gauche (Figure 5), soulignant la dimension non-alignée de sa réponse avec ce que la patiente présuppose en tant qu’attente du corps médical représenté par I. La double négation explique rétrospectivement sa réticence à répondre à la question initiale : elle semble attribuer à I une attitude normative particulière, notamment relative à la possibilité d’utiliser le week-end à venir pour parcourir un week-end thérapeutique sans pour autant envisager la sortie définitive de la clinique. En dépit de cela, I s’aligne immédiatement avec la réponse de la patiente avant même que cette dernière ait complété son tour (8). La doctoresse déploie le pronom personnel à la première personne du pluriel « nous » (versus le « on » cidessus), précisant qu’elle parle au nom d’une collectivité plus large, le corps médical, thérapeutique. Son intervention en chevauchement engendre un silence (9), pendant lequel les deux intéressées se regardent toutes deux (Figure 6). Ensuite, la patiente manifeste d’abord son étonnement en prenant connaissance de cette position (10) (pour l’utilisation de change-of-state token voir Heritage, 1984). Après un deuxième silence (11) elle reprend la parole : avec la formulation « à partir de là », qu’elle accompagne d’un petit mouvement de sa main gauche (12), elle renvoie à la position exprimée dans sa réponse précédente (5-7), et la consolide rétrospectivement comme constituant son point de départ, non négociable. En revanche, en y ajoutant « oui, je peux » elle signale prospectivement sa disposition à trouver un compromis avec la collectivité représentée par I. En chevauchement, I propose le « vendredi » comme date de sortie (13). À travers la formulation « on vous laisse partir », la proposition est constituée comme une concession de la part du corps médical et engendre l’accord minimal de la patiente J (15). En préfaçant son accord d’un « alors », répétant le terme utilisé par I dans son tour précédent, la patiente formule son accord comme une conséquence et souligne en même temps son alignement avec cette dernière. En chevauchement, I ajoute une spécification temporelle, « en fin de journée/ » (16), qu’elle produit en tant que question à

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laquelle la patiente répond avec un accord (18), clôturant ainsi l’échange sur la date de sortie. Dans cet extrait, I utilise le format de la demande (d’une date de sortie) pour solliciter la participation de la patiente. Cette dernière répond avec un retard remarquable, projetant une action non-préférentielle, et formule sa réponse négativement comme une revendication, impliquant une disponibilité à négocier clairement délimitée. D’une part, la patiente traite ainsi son vis-à-vis comme occupant une position différée et s’oriente vers les contraintes normatives de la clinique. D’autre part elle exprime clairement sa disposition à se battre, seule contre la collectivité que I représente tout en montrant qu’elle n’est pas dupe de la liberté de manœuvre qui est la sienne. Ainsi, elle s’oriente envers la relation entre elle et le corps médical comme n’impliquant pas une asymétrie statique, immuable, mais comme sujette à négociations et modifications. L’analyse de l’extrait suivant révèle, que suite à une demande de confirmation de la doctoresse, quant à une sortie dans les meilleures délais (voir aussi extrait 1), une réponse subordonnée du patient peut avoir des conséquences importantes sur sa capacité à faire infléchir la négociation de la date de sortie dans son sens. 4.3 L’adoption d’une position subordonnée par le patient et ses conséquences néfastes sur les négociations Au cours de la réunion interdisciplinaire précédant la visite du patient E, les médecins tombent d’accord sur le fait qu’il peut rentrer chez lui prochainement (Keel & Schoeb, 2015 : 73ff.). Ils n’échangent guère, en revanche, sur le point de vue du patient là-dessus. Avant d’aborder cette question avec le patient E lors de sa visite, la doctoresse I l’examine et évalue positivement ses progrès. Tout en s’écartant du lit pour s’approcher de la table où sont posés les documents et les informations le concernant, la doctoresse s’oriente vers E resté couché sur son lit. Ce faisant, I modifie l’espace interactionnel (voir aussi extraits 1a, 2a ci-dessus) en constituant E, de patient qu’il était, en interlocuteur. Après une brève explication sur le traitement thérapeutique, admise par le patient, et quelques questions d’ordre général sur « comment » il voit « la suite », auxquels le patient peine à répondre (transcription omise), I demande au patient de dire son avis sur une proposition de sortie imminente: Extrait 3a (CRR5_2v) Participants : PAE : patient E (*+) ; MDI : docteur I (£) ; IFD : infirmière D 1

MDI pae pae

2 fig

est-ce qu’o::n + peut gentiment vou::s (1.5) vous lâcher/ >>reg PAE--->> >>reg MDI---> >>amène mD/mG v tête+mD/mG: sous la tête-->> (## 1.5) #fig.7

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7 3 4 5 6 7 8 9

PAE pae MDI pae PAE PAE MDI

> *je sais pas< c'est vou:s qui*:: >voilà*reg dans le vide------------*reg MDI-> =vous all[ez ren*trer] en Fran*ce/ *reg ds le vide*reg v MDI->> [(°qui dites°)] (1.2) ah ben si vous m'lâchez j'rentre en France, oui [ça c'est sûr\] [vous rentrez] en France/

Regard vers le patient, la doctoresse I utilise le pronom impersonnel « on » (voir aussi extraits 1a et 2a ci-dessus), pour référer tant au corps médical qu’à ellemême qui le représente. Ce « on », offert en sujet du verbe « pouvoir » en vient modaliser le verbe « lâcher », dont elle représente l’agent (1). Ce mode de formulation, manifeste la position de dépendance qu’adopte I en demandant au patient ratification de la requête du corps médical/thérapeutique. En outre, elle indexe une certaine retenue, privilégie une exécution lente, « gentiment », de préférence à un départ abrupt et manifeste une hésitation sur le verbe à utiliser : voir la pause intra-tour de 1.5 secondes avant que le verbe « lâcher », à connotation négative, soit prononcé. La doctoresse adopte une intonation montante pour la fin de son tour, valant demande de confirmation tout en soulignant le destinataire de cette demande : le terme d’adresse « vous » d’abord avec son allongement vocalique, suivi d’une pause particulièrement longue, de 1.5 secondes, après laquelle le terme d’adresse est répété (1), font clairement du patient la personne adressée, dans l’obligation de répondre par conséquent. Dans cette forme, la demande s’oriente visiblement vers une position possiblement différée et résistante du patient. En contraste, le patient, s’installe dans une position d’attente, en se mettant les mains derrière la tête, pendant que I produit pas à pas sa demande. Une fois la demande accomplie, il retarde sa réponse prenant une pause de 1.5 seconde (2). Ce faisant le patient laisse entendre qu’une réponse non-préférentielle est probable. Au lieu de produire la confirmation projetée par la demande, il rejette son obligation de réponse en invoquant sa position épistémique inférieure (3) (voir Heritage, 2012 : 4), pour déléguer la responsabilité de « dire » à la doctoresse (5). En contraste avec l’extrait précédent (1a), dans lequel la confirmation minimale de la patiente a été traitée comme insuffisante et a engendré une enquête de la part de la doctoresse sur les raisons de la patiente, ici la réponse du patient induit I à produire une demande de confirmation nécessaire à l’organisation de la phase post-sortie (4), avant même que le patient ait complété sa réponse (5). La doctoresse prend ainsi le patient au mot, et traite sa réponse, malgré l’absence d’accord explicite attendu, comme le feu vert pour l’organisation concrète de la phase post-sortie. Alors que I poursuit son but

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de manière claire en posant sa demande de confirmation en chevauchement avec la réponse du patient (9), celui-ci demeure dans sa posture d’attente détendue (voir Figure 7), sans résister ouvertement à cette progression, tout en manifestant des signes de désaccord, sous forme de réponses retardées/hésitantes (6), et/ou de réponses préfacées par des expressions indiquant une position en désalignement (7) avec I. Après avoir répondu à plusieurs questions sur la possibilité de suivre une physiothérapie ambulatoire chez lui en France, sur la présence d’une piscine à proximité de son lieu de résidence post-sortie, etc. (transcription omise), en insistant sur la difficulté que ces solutions post-sortie impliquent en termes d’organisation (voir par exemple 69 ci-dessous) le patient a changé de posture, passant d’une réception détendue (Figure 7 ci-dessus) à une position bras croisés, plus refermée, (Figure 8). Au cours de l’extrait 3b ci-dessous il manifeste finalement ouvertement son point de vue sur l’idée d’une sortie imminente : Extrait 3b (CRR5_2v)

8 68 pae mdi 69 PAE fig 70 MDI 71 72 PAE 73 74 PAE 75 76 77 MDI 78 PAE 79 MDI

(0.6) >>reg MDI, les bras croisés sur la poitrine->> >>reg PAE, mD sur la hanche->> y’a pas d’centre à proximité # d’chez moi quoi après ˚eu:h˚= #fig.8 =mhm\ (2.7) eu::h (0.8) j'suis +mieux là que::+ (1.1) que dans un centre le +--sourit------+ le plus proche de chez moi où:: (2.1) non, mais j'veux dire [y a] une pisci:ne à côté d'chez [( )] vous\ il faut se renseigner ((continue))

Après que la doctoresse I a reçu de manière minimale (70) la réponse négative du patient quant à l’existence d’un centre thérapeutique à proximité de son domicile, il y a d’abord un long silence (71), suivi d’une reprise de parole par le patient sous la forme d’un « eu::h » prolongé (72), suivi à nouveau d’une pause (73), avant qu’il reprenne la parole pour exprimer sa préférence pour un maintien en clinique « là » (74-75). En retardant sa formulation 71-73, le patient projette le caractère non-préférentiel de son tour en lignes 74-75. En débutant ce tour avec le

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pronom personnel « j’ », suivi du verbe « être » à la première personne du singulier, le patient E projette une prise de position personnelle (74). En déployant une structure comparative, « mieux là que :: (1.1) dans … » (74) et en mobilisant l’indexical « là » pour référer au centre de réadaption dans lequel il se trouve actuellement versus un article indéfini suivi du nom et d’une description, d’« un centre le le plus proche » (74-75), indiquant le caractère incertain de son existence, il rejette la proposition du corps médical formulée par I comme inapplicable dans son cas. Rétrospectivement, le patient justifie ainsi sa réponse évasive à la demande de confirmation initiale de I (1). Prospectivement, il rend claire sa position défavorable à une sortie et incite ainsi I à reconsidérer la question en conséquence. En dépit de cette prise de position claire, I ne fléchit pas sur sa proposition, bien au contraire : après que le patient E a interrompu son propre tour (75), la doctoresse reste d’abord silencieuse (76). Après une longue pause de 2.1 secondes (76), elle reprend la parole avec un disagreement token « non », suivi d’un marqueur contrastif écartant les difficultés invoquées par le patient pour l’orienter vers la recherche alternative d’une piscine proche de son domicile (77) en lui prescrivant de « se renseigner » (79). En revenant sur l’organisation d’un centre thérapeutique ambulatoire, et en rejetant fermement les réticences du patient sans se prononcer directement sur sa prise de position en lignes 74-75, et ignorant délibérément sa pertinence (sur l’effacement des implications séquentielles d’une action précédente, voir Schegloff, 1987 : 110) la doctoresse enchaîne avec les questions sur la thérapie ambulatoire (transcription omise) pour clore son annonce de sortie imminente, mais en y intégrant la raison produite par le patient de sa réticence : Extrait 3c (CRR5_2v) 156 MDI pae 157 pae 158 pae 159 160 pae 161 PAE 162 MDI

((coughing)) si on voit qu'y a trop °difficultés\° (1.0) °on >>reg PAE->> >>reg MDI, mains sous la tête->> vous ga::rde mais° $(1.0)$ si on arrive (0.4) à trouver une $hochement de tête$ substitution (1.4) convenable (0.5)$ °on vous laisse par$tir $hochement de tête---$ la semaine prochaine°\ $ (1.0) $ (1.0) $hochement de tête$ ok[ay:] [d'acc]ord/

En commençant son tour avec un « si » à la ligne 156, I projette un format conditionnel du type si X alors Y. En l’occurrence, le X1 est composé du pronom impersonnel « on » (indexant la collectivité qu’elle représente) et le verbe « voir » pour renvoyer à la possibilité que la collectivité convienne que l’organisation d’une thérapie ambulatoire implique trop de « difficultés ». Après une pause intra-tour d’une seconde (156) la doctoresse produit la deuxième partie, le Y1 : « ˚on vous ga::rde˚ », résumant ainsi à voix basse la conclusion privilégiée par le patient. En maintenant l’intonation sur « ga::rde », sans descente ni pause à la suite, I produit une forte restriction à l’aide de la conjonction « mais » (157), suivie d’une pause d’une seconde (157), avant de reprendre avec un « si » projetant un deuxième énoncé en format conditionnel. Pour ce faire, elle réutilise le même pronom impersonnel « on », cette fois-ci en forme de sujet syntaxique de « arrive à

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trouver une substitution » (158) qu’elle fait suivre d’une longue pause (158) avant d’ajouter « convenable ». La doctoresse I souligne ainsi que le point de vue du patient est pris en compte dans la formulation de la conclusion : il ne suffira pas de trouver une « substitution », elle devra être « convenable ». Toutefois, les conditions sont définies par « on », l’institution et non le patient dont l’agentivité est noyée dans le « on » indéfini préféré à un « nous ». En baissant la voix à nouveau, I formule finalement la conclusion privilégiée par le corps médical : « ˚on vous laisse partir la semaine prochaine.˚ » (158-159). Après une longue pause (160), pendant laquelle le patient, par ses hochements de tête, manifeste successivement deux fois son accord (158, 160), il formule un accord clair à la ligne 161. Ayant obtenu cet accord minimal mais univoque du patient, qu’elle ratifie en chevauchement (162), la doctoresse considère close la discussion de la sortie. Dans l’extrait 3 (a-c), la réponse du patient qui « file » la forme de la question initiale est prise au contraire dans son sens littéral par I : elle ne reviendra plus sur sa position même quand le patient manifestera avec un certain retard, son désaccord. Il ne parviendra donc plus à la fléchir. Cet extrait montre bien, qu’une fois l’asymétrie entre docteur et patient ratifiée par le patient in situ (3), il est difficile ensuite de la faire basculer à son avantage. L’analyse révèle aussi la logique institutionnelle à l’œuvre dans la tension entre les contraintes d’une institution orientée vers l’obligation d’accord avec le patient et la légitimité des demandes de ce dernier quand elles vont contre le(s) choix institutionnel(s). À l’opposé, l’extrait suivant traite d’un patient net de tout signe visible de subordination, qui manifeste physiquement son désaccord, de manière « incarnée », sans même que le docteur ait initié quelconque demande d’accord que ce soit. En revanche, face aux arguments que les docteurs avancent pour justifier une prolongation du séjour, le patient échoue à donner une forme claire et univoque à sa position personnelle en la matière et finit simplement par s’aligner sur celle des médecins. 4.4 L’adoption incarnée d’un désaccord et son faible impact sur la suite des négociations Au cours de la réunion interdisciplinaire précédant la visite médicale du patient D, les membres de l’équipe interdisciplinaire sont d’accord avec le docteur traitant L qui prévoit une prolongation du séjour d’au moins deux semaines (Keel & Schoeb, 2015 : 68ff.). En parallèle, le docteur lui-même signale la position du patient qui prétend quitter la clinique de réadaptation au plus vite, source d’un probable conflit de points de vue. Lors de la visite médicale du patient D, le docteur L et la doctoresse G sont présents. Après avoir examiné le patient et discuté de ses problèmes médicaux extensivement, G évoque la question de la sortie en deux moments. Dans un premier temps elle s’attarde sur les progrès du patient depuis son entrée à la clinique, recueillant un assentiment immédiat. Dans un deuxième temps elle énumère les raisons médicales pour lesquelles une prolongation du séjour est néanmoins indiquée. L’extrait ci-dessous commence quand G résume son argumentation en faveur d’un nécessaire report d’au moins deux semaines de la date de sortie :

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Extrait 4a (CRR4_3v) Participants : PAD : patient D (*+$) ; MDL : docteur L (£÷) ; MDG : doctoresse G (%‡)

9 1

MDG pad mdl fig

2 3 4 pad fig 5 pad mdg 6 7 8 9

pad MDG pad

10 11 MDL pad 12 13 PAD mdg 14 MDL mdl

10

# le pas d’une date de sortie:: on pour l’instant on ne par# >>reg PAD---> >>gesticule avec les mains---> >>reg MDG---> >>reg PAD--->> #fig.9 pourrait discuter d’ici deux semaines (0.3) mais j’pense qu’il faut qu’on- on profite (.) de cette bonne évolution* pour encore co#ntinuer dans ce::tte .h ->*baisse tête, reg v bas-> #fig.10 >dans cette idée dans cette* façon de< (0.4)% de travailler ->*lève tête, reg MDG-> %mD/mG jointes->> e::n (0.3) dans les thérapies les >prochaines deux semaines\< (*1.5) *baisse tête, reg v bas-> ((claquement de langue)) > $ j’sais pas c’que vous $ $hochement de tête------$ [en pense:z/ceux qui vous ont opéré< *lève tête, reg MDL->> c’est à Bienne hein/ vous‡ ˚sa[vez˚] [Bie]nne ouais\= ->‡reg MDL->> = £Bienne ouais\ ->£reg v bas, devant lui->>

Alors que le patient D exprime de manière incarnée sa déception devant une prolongation du séjour, en baissant la tête et le regard (Figures 9-10) pendant que la doctoresse G l’annonce et présente les arguments (1-7), il ne la fait pas entendre de manière claire et univoque après la clôture de son intervention par G (8). Son silence (8) induit G à utiliser un « fishing device » (Pomerantz, 1980) classique pour solliciter son point de vue : adopter une position épistémique inférieure (Heritage, 2012 : 4) en affirmant ne pas connaitre sa position en la matière tout en adoptant une

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intonation interrogative à la fin de son tour (9-10), demandant ainsi au patient de corriger son ignorance, en contradiction avec sa longue annonce argumentée en lignes 1-7. Cette deuxième occasion offerte au patient de faire entendre sa position est compromise par le docteur L qui adresse au patient D une demande d’information en chevauchement avec le tour de la doctoresse G (11-12). Le patient D répond en chevauchement à cette demande (13), et sa réponse est immédiatement ratifiée par L (14). À travers sa requête, L a opéré un changement de topic abrupt au moment délicat de la conversation où naissait un désaccord (sur la tendance des médecins à changer de topic en cas de désaccord naissant, voir Ariss, 2009 : 918). La requête de L anticipe une réponse non-préférentielle du patient et la court-circuite en formulant une requête apparemment factuelle et facile à satisfaire, tout en lui permettant d’introduire la source d’un savoir médical légitimant la prescription de cette sortie repoussée de deux semaines. Ainsi, à travers sa requête (11-12), L non seulement prive le patient d’une occasion de dire son point de vue sur la question d’une sortie différée, mais l’induit encore à attribuer la nécessaire prolongation de son séjour pour partie à un corps médical externe à la clinique de réadaptation et finalement à donner son accord (même minimal) à la position adoptée par le corps médical de la clinique : Extrait 4b (CRR4_3v) 15 MDL pad mdg mdl 16 17 mdg 18 MDG pad 19 MDL 20 PA4 pad

.h eh £ c’qu’ils ont dit c’est qu’pour eux c’était solide *reg MDG---> [c’est bon\]= =>+moi j’enlève quand ils-< (quand) vous voulez\ +lève mD, fait mouvement sec v droite--->

11 21 MDL pad 22 MDG 23 PAD 24 MDL pad pad fig 25 MDL

12

ju*stem[ent ] ->*reg MDL-> [voilà\] [+si ] dit *[oui# # (enlève) #toute + suite\] [là y’aurait* on va] juste confirmer ->+mD v centre, v droite-------------+mD baisse->> *reg v bas---*reg v MDL-> #fig.11 #fig.12 tout ça avec l’orthopédiste et pis une date (.) d’acco:rd/

Participation du patient en clinique de réadaptation 26 pad mdl mdl 27 mdl mdl 28 29 pad 30 pad mdl 31 32 33 34 MDL 35 PAD

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$c’est ça qu’on va faire lundi prochain$ .h:£÷ maint’nant $hochement de tête---------------------$ £reg MDG-> ÷mD pointe MDG-> pour£÷quoi: la doctoresse Gonzalez ÷vous propose (0.4) ->£reg PAD---> ->÷mD/mG joints hauteur bassin---÷mD/mG dirige v haut-> encore un p’tit peu (.) de rester c’est parc’÷que- (0.2) ÷ça ÷mD tape 3x sur cuisse-> progresse bie::n $mais y a encore un ÷ déficit$ de force\ $hochement de tête-----$ ÷mD posée sur cuisse-> .h qui est *quand même prés÷ent donc ça vaut l’coup j’pense *baisse tête/reg v le bas->> ÷mD monte v mG-> de ÷faire encore deux s’maines pour (0.4) pouvoir÷ se donner ÷mD/mG jointes, baissent, relèvent, mouv sec, baissent->> ÷à fond\ ÷mD/mG jointes à hauteur bassin->> (0.5) .H[:::::::: ] [$˚d’accord˚\$] $hochements de tête$

Après avoir ratifié la réponse du patient (14), le docteur L attribue au corps médical externe une expertise qui va dans le sens du patient, et demande à ce dernier de la confirmer (15-16). Avant que le patient prenne la parole, l’expertise est validée par la doctoresse G (18) et ratifiée par L (19). À la suite de quoi, le patient prend la parole: « >moi, j’enlève quand ils-< vous voulez » (20). Son tour est intéressant à plusieurs niveaux : en le préfaçant avec le pronom tonique de première personne « moi », le patient affirme son point de vue d’agent. En revanche, en utilisant d’abord le pronom pluriel « ils », renvoyant au corps médical externe à la clinique, pour aussitôt, dans une autoréparation, le reformuler en « vous », le patient marque qu’il s’oriente envers la position du corps médical de la clinique (représentée par les docteurs L et P) comme ayant l’autorité nécessaire pour prendre la décision « d’enlever » (20, 23), renvoyant à « l’ablation du matériel » (transcription omise). Le patient D invalide ainsi la pertinence de la référence de L à un corps médical externe à la clinique (11-12, 14, 15-16). En affichant la posture je fais X quand on me dit de le faire, il affirme une position subordonnée aux décisions du corps médical (20), qu’il soit interne ou externe. Avec son mouvement sec de la main vers la droite (Figures 11-12), le patient D rend par ailleurs sa position particulièrement saillante. Son tour est immédiatement ratifié par L et G (21-22), induisant le patient à réitérer sa position, en utilisant un format si X alors Y en omettant le sujet et toutes références à des personnes, et en faisant un deuxième mouvement de la main vers la droite (23). Suite à cette réitération du patient, L décrit la marche à suivre en renvoyant à « l’orthopédiste » (24-25), demandant au patient de confirmer le cours d’action proposé et donc de ratifier la pertinence de la référence à des spécialités médicales. Sans laisser au patient le temps de confirmer, L, en regardant et en pointant vers G (26), réitère les raisons en faveur d’une prolongation du séjour avancées par celle-ci (26-32) ce qui, après une pause de 0.5 seconde (33) et en chevauchement avec une inspiration prolongée de G (34), emmène l’accord

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(quoique minimal) avec des hochements de tête du patient, qui, la tête baissée, a repris sa posture d’enfant battu (35). L’organisation interactionnelle de l’extrait 4 manifeste quelques points communs avec l’extrait 3 précédent. Dans les deux cas, le patient manifeste son « désaccord », et/ou son « mécontentement » avec la position adoptée par le corps médical. Il le fait d’abord sans insistance, notamment de manière gestuelle, incarnée (extrait 4) et/ou à travers des réponses résistantes (extrait 3), et ne parvient plus ensuite à l’exprimer ouvertement (extrait 4) ou alors au prix d’un retard important (extrait 3). Dans les deux cas, les patients n’interviennent finalement que minimalement dans la décision concernant leur sortie et finissent simplement par donner leur accord à la décision arrêtée par le corps médical lors de la réunion interdisciplinaire. À travers ces façons de manifester leur désaccord, ils montrent leur orientation vers la fragilité de leurs droits et de leur légitimité à défendre leurs positions, positions subordonnées à celles du corps médical, l’asymétrie entre corps médical et patients n’étant finalement pas véritablement négociable. Le dernier extrait, offre une illustration du contraire : au lieu d’attendre que la question de la sortie soit soulevée par le corps médical, le patient la soulève luimême, indexant clairement son point de vue à l’usage, entre autres, des ressources renvoyant au positionnement séquentiel. 4.5 Le patient participatif Au cours de la réunion interdisciplinaire précédant la visite médicale du patient G, le docteur L propose de ne pas déjà discuter de la date de sa sortie, mais de déplacer cette discussion à la prochaine réunion. Les membres de l’équipe interdisciplinaire ratifient cette proposition. En parallèle, ni L ni un autre membre de l’équipe n’évoquent la position du patient sur cette question. Lors de la visite médicale du patient G, les docteurs L, G et un docteur assistant (silencieux) sont présents. Ils se tiennent tous trois debout devant le lit, entourant le patient debout lui aussi (Figure 13), et discutent des douleurs continues qu’il ressent. Ils sont tous d’accord qu’il y a de nets progrès, mais que la situation n’est pas encore tout à fait satisfaisante. L’extrait ci-dessous commence juste quand L répond à une question du patient G : « donc normalement ça va/ », en réaffirmant son optimisme pour une évolution satisfaisante : Extrait 5a (CRR8_3v) Participants : PAG : patient G (*+) ; MDL : docteur L (£) ; MDG : docteur G (%‡) 1

2 3 4 5 6 7

MDL pag mdl MDG PAG MDL pag PAG

moi:: j’suis plutôt confiant hein/= > ÷mG pointe MDG---÷mD/mG jointes dev poitrine÷mD pointe PAG-> *reg v MDG/sourire complice------------*reg MDL->> vous en ÷profitez enc÷ore pis en- moi j’dirais quinze jours/ ->÷mD battement÷mD pointe PAG---> (0.3) [$mhm.$] $hochement de tête$ [comme ça] on peut (répa[÷rer/)] [jus]’que là/ ÷mD/mG pointent v gauche->>

Exprimant son optimisme quant au progrès du patient à la ligne 1, en soulignant qu’il s’agit de son point de vue personnel – « moi:, je suis… », L termine son tour par un confirmation token produit avec une intonation montante, engendrant immédiatement une affirmation accompagnée d’un léger hochement de tête du patient (2). Sur quoi le docteur enchaîne rapidement avec une explication, normalisant un progrès, certes lent mais sûr, qu’il termine sur une intonation descendante (3-5). Après une pause de 0.4 secondes (7), le patient G prend la parole et commence son tour avec la conjonction « et pis » (8), laissant entendre que ce qui suit est en lien direct avec le tour précédent. Ce début de tour est accompagné d’un changement de posture : le patient croise les bras devant sa poitrine (voir aussi extrait 3b ci-dessus). En utilisant d’abord la formulation « d’après vous » et ensuite le pronom personnel « vous » en agent du verbe « penser » (8), il sollicite explicitement leur point de vue. Il continue ensuite son tour en passant au pronom personnel de première personne, comme agent du verbe « pouvoir » : « j’peux ré- » (8), projetant une requête, qui indexe une forte agentivité du patient, mais vite abandonnée et immédiatement auto-réparée en délaissant la potentialité de « pouvoir » pour la temporalité prochaine d’un « aller » modalisant une interrogation en fin de tour sur la durée restante de son séjour: « j’vais rester encore combien d’temps/ » (8-9). Tout en se plaçant clairement comme ayant droit à une réponse à sa question, le patient G, en s’autoréparant, passe d’une requête de

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probabilité (« pouvoir »), à une requête d’information sur une durée de séjour déjà décidée et donc hors de sa portée. En chevauchement avec l’autoréparation du patient G (9), L produit une longue inspiration (de 0.4 secondes), projetant une prise de parole imminente, avec le marqueur adverbial « ALORS » prononcé avec l’autorité d’une voix forte (10), projetant une réponse à la demande du patient. Toujours en chevauchement avec le tour du patient, la réponse propre est formulée en première personne du singulier d’abord (10) et ensuite auto-réparée à travers le choix du pronom impersonnel de troisième personne « on » (11). Simultanément, le docteur tourne son regard vers G et pointe vers elle avec la main gauche, signifiant par là que la réponse émane d’un collectif et non de lui seul. Ce changement d’orientation engendre un bref regard et un sourire complice du patient vers la doctoresse G. Le collectif ainsi constitué est ensuite décrit comme ayant discuté et comme ayant « l’impression que vous en profitez encore » (11-12). On notera que L reprend alors sa formulation en première personne pour finalement engager sa propre réponse en proposant une prolongation du séjour de « quinze jours/ » (12). Pour situer cette durée, il adopte une posture d’autorité, explicitement cautionnée par un collectif d’abord invoqué. À la fin de son tour L adopte une intonation montante, rendant une réponse du patient G recevable. Ce dernier se contente d’un simple agreement token accompagné d’un hochement de tête (14). En chevauchement avec l’accord du patient, L justifie sa proposition (15), traitant l’accord minimal du patient comme insuffisant et/ou comme un possible signe de désaccord. Cette interprétation n’est en revanche pas ratifiée par le patient qui reprend la parole pour formuler un incrément à la justification du docteur L, insistant sur la temporalité de cette dernière (16) et après une pause de 0.8 secondes (17), reprend la parole : Extrait 5b (CRR8_3v_EXDPT_2.25) 17 pag mdl mdl 18 PAG 19 MDL pag mdl 20 21 22 PAG 23 MDL 24 25 PAG 26 MDL 27 MDG

(÷0.8)

÷mD mouv circul÷mD/mG jointes-> ÷peut prendre la déci÷sion finale ensemble la s’maine ÷mD 3x battements v bas-> prochaine/ après les I[RM/] [ouais] ÷comme ça on aura vu l’IRM÷ on aura ÷mD 2 mouv circulaires---÷mD/mG jointes-> di[scuté/] [+pis eh nor]malement il va + ça va évoluer/ quoi +changement de position bras+bras croisés---> oui ouais=

Participation du patient en clinique de réadaptation

14 28 PAG fig 29 MDG fig 30 PAG 31 32 MDG pag pag 33 MDL pag 34 35 PAG 36 MDL pag 37 pag 38 39 PAG pag 40 MDL 41 PAG pag 42 MDG 43 44 PAG pag pag 45 MDL

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15

=*+moi c’est- comme # j’ai + dit *aux collègue::s= *reg MDG-----------------------*reg MDL-> +mD pointe MDL/P------+tape des mains, mains jointes-> #fig.2 =ouais\#= #fig.3 =.H il *+faut pas il faut pas me laisser tomber maint’nant\ quoi/ ça é[volue +]= [ah non ]= *reg MDG-> +mD/mG s’ouvrent, referment+mD/mG jointes, baissent-> =non mais* justement .h eh- quand j’dis quinze jours c’est ->*reg MDL-> indicatif c’est [(qu’là)] on a l’impression qu’$ça va si[$ VOILA\ $] $hochement tête$ $hochement-> même$ i- y à un moment donné moi j’ai pas une limite hein/ ->$ (.) $si on- mê$me à un m(ome)nt donné$ on a l’impression que $hochement tête------------------$ même une s’maine de plus ça [s’rait bie::n/ on] négocie [$ça: ça s’rait mieux hein/$] $hochement tête-----------$ hein/ [y’a pas de:] .h= [$d’accord\$] $hochement tête$ =ouais\ (0.3) $*d’acco[(rd)\$*] $hochement tête$ *reg MDG------*reg MDL->> [y’a pas] d’problèmes…

Avec son intervention à la ligne 18, qui justifie à son tour la prolongation, le patient G consolide son alignement sur la position du corps médical. En adoptant une intonation montante sur la fin de son tour (18), il induit en outre L à produire une ratification soulignée en chevauchement (19). Sans pause intra-tour et en utilisant la conjonction « et puis » (19) le docteur envisage une décision collective sur la date de sortie « la s’maine prochaine/ » (20-21). Le format interrogatif de cette proposition engendre une autre ronde de justifications en sa faveur par le patient (22, 24) qui sont ratifiées par les docteurs L et G (23-24, 26, 27). Par la suite, le patient G manifeste ouvertement sa position en faveur d’une prolongation de son séjour (30-

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31). Sa prise de position est intéressante à plusieurs égards : il la préface d’un compte rendu, « comme j’ai déjà dit aux collègue::s » (28), formulé au passé, signalant ainsi que sa position ne constitue pas une nouvelle. Il utilise ensuite la négation du verbe « laisser tomber » (30) qui a une connotation existentielle. Finalement, il mobilise aussi son corps (Figures 14-15) pour manifester son engagement et sa détermination en la matière. Les docteurs L et G s’alignent sans délais sur cette prise de position (29, 32, 33-34) ce qui conduit le patient G à ratifier à nouveau son alignement (35) sur la proposition de L, engendrant un accord collectif par étapes quant aux termes dans lesquels la sortie sera négociée : en étroite collaboration entre le patient et le corps médical de la clinique (36-45). Dans cet extrait l’utilisation systématique du format interrogatif est frappante. Après son utilisation par le patient, avant même que l’extrait 5a ait commencé, et ensuite pour lancer la question de la durée du séjour au début de l’extrait (8-9), les participants, en mobilisant la syntaxe, l’intonation et/ou des confirmation tokens, comme « hein/ » à la fin de leur tour, se rabattent systématiquement sur le format interrogatif pour accomplir différentes actions, des explications, propositions, justifications, une annonce, sauf si leur tour accomplit un simple accord, une confirmation avec le tour précédent (26, 27, 29, 32), et vers la fin de l’extrait quand ils consolident l’accord négocié (41-45). D’une part, cette systématicité exprime l’orientation des participants vers l’autre partie comme une entité non-négligeable, dont l’opinion et la position personnelle compte tout au long du processus de négociation et de prise de décision. Si cette orientation des participants n’implique pas l’abandon complet de la relation asymétrique, c’est par exemple le docteur qui fait la proposition concrète quant au prolongement (12), elle indique tout de même un déplacement vers une relation plus égalitaire. D’autre part, l’analyse de cet extrait suggère que l’adoption d’une position participative du patient, caractérisée par le fait que le patient ne se limite pas à répondre aux requêtes de confirmation ou aux questions que les docteurs veulent bien lui poser, mais bien au contraire qu’il participe – à travers ses questions – à la définition même de l’agenda, que cette position a finalement un impact non-trivial sur sa participation à la prise de décision le concernant. 5. Conclusion Ce chapitre analyse la question de la participation du patient lors de visites médicales dans une clinique de réadaptation en l’articulant avec celle de l’asymétrie caractérisant la relation entre médecin et patient. Pour ce faire, le chapitre examine des extraits d’interactions au cours desquelles le patient prend position sur la question de sa sortie de la clinique de réadaptation ou de la durée de son séjour, soit en répondant à la question du médecin après l’examen médical, soit en la posant luimême à ce moment de la visite (extrait 5). L’analyse des cinq extraits montre que la panoplie des procédures interactives et des ressources que le patient mobilise pour répondre à la question ou pour la soulever est vaste avec des implications distinctes sur sa participation dans une prise de décision le concernant. Nous avons vu, qu’en réponse à une question de médecin formulée en « on » et accompagnée d’une posture traitant le patient comme interlocuteur réel et non

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plus, comme cela été le cas dans la phase précédente, comme un corps à examiner (extraits 1-3), la manière du patient peut varier sensiblement. En effet, à une requête de confirmation par la doctoresse (sur une sortie prochaine), la patiente peut, dans un premier temps, répondre minimalement (avec un confirmation token), pour ensuite jouer d’une complicité avec l’un(e) des doctoresses et contribuer ainsi à l’implémentation sans retard de son point de vue (extrait 1). Sur l’invitation de la doctoresse à proposer une date de sortie définitive, la patiente peut préfacer sa réponse d’un argumentaire fortement revendicatif, ne laissant pas de doute sur sa détermination à maintenir sa vision des choses, propre à obtenir un délai de sortie à son avantage (extrait 2). Ou bien le patient peut au contraire se subordonner à l’opinion d’expert de la doctoresse traitante quand il répond à sa demande d’accord sur une sortie imminente (extrait 3) pour ensuite se trouver affaibli pour contrer la position défendue par la doctoresse. En revanche, si la proposition des médecins de prolonger le séjour, de deux semaines comme c’est le cas, est longuement argumentée par ces derniers, et qu’en outre le docteur demande au patient de spécifier quelque chose sans lien direct avec cette question à un moment précisément où le patient est censé prendre position sur elle, les chances du patient pour se prononcer sont fortement réduites. Si en outre, ce dernier se contente d’exprimer sa déception et son désaccord sur la proposition de prolongement par la seule modalité gestuelle, sans tenter d’argumenter contre elle (extrait 4), il affaiblit davantage sa position, pesant minimalement dans la décision finale. Finalement et en contraste avec le cas précédent, le patient peut aussi choisir de ne pas attendre que la question de la sortie soit initiée par les médecins, pour l’inscrire dans l’agenda de son propre gré au moment opportun : après que l’examen médical s’achève sur l’évaluation positive du médecin (extrait 5). Cette diversité montre d’une part, que les participants eux-mêmes ne s’orientent pas envers l’asymétrie entre corps médical et patient, réputée persistante et systématique (Pilnick & Dingwall 2011), donnée comme un fait objectif impliquant inévitablement une participation du patient contrôlée par le(s) médecin(s). L’analyse des extraits suggère, bien au contraire, que les manières diverses dont usent les patients pour répondre à la question du médecin (ou pour l’invoquer eux-mêmes ; extraits 1-2 et 5), manifestent, à travers l’utilisation du format interrogatif, des formulations revendicatives, et des changements d’orientation vers telle doctoresse plutôt que vers tel autre, un haut degré affiché d’agentivité et de contrôle sur la manière dont la discussion sur la question, en l’occurrence, de la sortie se déroule hic et nunc. En corollaire, l’orientation des patients vers l’asymétrie, modifiable selon les manières d’intervenir dans la discussion et de co-organiser l’interaction, a un impact non-négligeable sur leur participation réelle à la décision les concernant. Cela dit, pareil constat ne doit pas tromper sur la capacité du patient à faire fléchir les médecins dans leur décision de façon radicale. Après avoir examiné comment le patient accomplit sa réponse à la question de la sortie et/ou comment il l’invoque lui-même et comment la mobilisation de certaines procédures plutôt que d’autres favorise (ou non) sa participation dans la prise de décision, il convient de souligner que les patients qui se sont montrés rusés (extrait 1), revendicatifs (extrait 2) ou participatifs (extrait 5) ont répondu à une demande de confirmation ou de date de sortie formulée en « on »

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allant dans leur sens (extraits 1-2) ou bien ont soulevé la question de leur sortie dans un contexte séquentiel d’alignement entre médecin(s) et patient sur l’évaluation de son état de santé (extrait 5). En revanche, le patient affichant une position épistémique inférieure et perdant ainsi son droit de participation à la décision, l’a fait dans le contexte d’une série de questions assez vagues auxquels il peinait à répondre, suivi d’une demande de confirmation, qui quoique formulée en « on », n’allait pas dans son sens (extrait 3). Et le patient qui n’a ni manifesté son désaccord, ni tenté de développer des arguments allant contre la décision de prolongement des médecins (extrait 4) a été littéralement recouvert d’une longue liste de contre- arguments et de demandes de spécifications à son égard, signifiant que la position défendue par les médecins n’était pas simplement affaire d’autorité institutionnelle, mais qu’elle se fondait sur un processus réfléchi, faisant la part entre expertise médicale et désirs du patient rapportés et pris en compte lors de la réunion interdisciplinaire ayant précédé la visite médicale. En guise de conclusion : l’analyse des cinq extraits montre non seulement que la relation asymétrique entre docteur et patient et, en corollaire, la participation du patient, sont des produits intrinsèquement collaboratifs qui peuvent être localement renégociés, mais aussi que les participants ne s’apprêtent ni à les défier inconsidérément, ni à traiter la remise en cause de l’asymétrie médecin/patient au profit de la participation du patient comme une visée en soi. Bien au contraire, comme le montre particulièrement bien l’analyse de l’extrait 4, la manière dont les médecins préfacent une proposition de prolongement, dont ils savent pertinemment qu’elle va à l’encontre du désir du patient, en accord néanmoins avec l’avis de l’équipe interdisciplinaire tout entière, accompagnée d’une série d’arguments évitant de l’imposer de manière autoritaire et la manière dont le patient manifeste tacitement à son tour son/sa désaccord/déception envers cette décision, s’alignant finalement sur la décision des médecins sans faire de bruit, indique certes une relation asymétrique, mais aussi le respect mutuel des participants pour leurs droits, obligations, expertise et besoins respectifs. Faisant ainsi preuve d’une capacité de discernement qui, dans ses nuances, semble à la fois défier ce que peuvent apporter des best practices ou des interventions qui s’interposent par définition à un niveau ignorant les subtilités de l’interaction conjointement accomplie in situ, et se moquer des mises en garde contre une implémentation aveugle de prescriptions cliniques comme celles qui prônent une meilleure participation du patient. 6. Remerciements Je tiens à remercier Lorenza Mondada pour ses commentaires constructifs et stimulants à propos d’une version ultérieure et Patrick Renaud pour sa lecture très attentive et ses commentaires précieux à la version finale.

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Managing resistance to transfer to geriatric residential care

David Monteiro

1. Introduction This study addresses the process of transition of elderly people to medicalization and institutionalization, showing how resistance becomes an important resource for participating actively in this process in cases where professionals push the prevalence of the institutional order over citizens’ compliance. I aim to show how, throughout the temporal progression of a series of encounters which occurred during a visit to a geriatric residential institution, an array of interactional practices is used by two professionals in order to enhance the asymmetry between them and a prospective resident resisting his impending transfer to a geriatric care facility. Initially mobilized by the professionals in order to persuade the prospective resident to move in, such practices are eventually used by the prospective resident himself in order to upgrade his resistance to the professionals’ agenda. Before moving on with the analysis, taking a conversation analytical approach in order to systematically examine participants’ methods for interpreting and producing social action, I will briefly present the issues of asymmetry and resistance in interactions in institutional care settings. 1.1 Institutional provision of care for older persons Organized within existing resources and constraints, the provision of institutional care for older persons involves varying degrees of autonomy, as well as different types of planning and decision-making. Several modalities of institutional assistance are available to older citizens : home help services provided at clients’ homes offer the possibility of receiving help with daily activities while living on their own ; assisted living facilities are an intermediary solution, offering both independent living and the proximity of staff assistance and specialized healthcare facilities. Often regarded by professionals as the best solution for cases when the need for professional care intensifies (Milligan, 2009), the option of institutionalized life nevertheless poses considerable challenges to older persons facing this process. In residential geriatric institutions, residents are allocated a single or shared bedroom and, apart from cases of severe medicalization, carry on with their everyday lives at the institution among other residents, staff members and occasional visitors (for a comprehensive study of life within a nursing home, Gubrium, 1975). In this type of total institution (Goffman, 1961), large numbers of individuals conduct all aspects of their lives, in isolation from wider society and in the immediate company of other same-situated individuals, under the supervision of a

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small staff. According to Goffman, a fundamental asymmetry between professionals and residents, termed the staff-inmate split, constitutes one of the main accomplishments of such institutional settings. The present study shows how, within a geriatric residential institution, the asymmetry between a prospective resident resisting his impending transfer and the professionals in charge of the process is locally managed by the participants through an array of interactional practices. 1.2 Asymmetries in institutional provision of care for older persons Within the process of institutionalization, the relationship between professionals and prospective clients is often characterized by a conflict between professional agendas and individual wishes and rights. For professionals, this involves ensuring the residents’ compliance with the institutional order, while respecting their right to voice their own concerns and have them taken into account in the daily organization of the institution. On the other hand, citizens facing transition to old age and to institutionalized living often perceive this process as implying a significant loss of autonomy and as a difficult challenge to their rights to self-determination. In some cases, they find themselves in the degrading situation of being inappropriately subject to negative stereotyping and infantilism by professionals (Caporael, 1981). On the basis of a wide range of institutional settings, conversation analytical research shows that asymmetries between participants are locally produced and negotiated through concerted interactional practice (Drew & Heritage, 1992 ; Mondada & Keel, this volume). Among other settings, practices for managing asymmetries between professionals and laypersons have been identified in doctor– patient medical consultations. For instance, Robinson (1991) has shown that it is doctors who primarily initiate action and solicit responses, while patients respond. Another recurrent practice working in favor of enforcing professional authority is the use of contrastive forms of knowledge and, more specifically, doctor’s suppression of patient experience in favor of a clinical diagnosis (Maynard, 1991). Conversation analytical studies on home care service for older persons (a specific modality of geriatric care) provide important evidence of how professionals and older care recipients manage asymmetry through interactional practices. For example, the institutional context of organizing caregiving activities can be highlighted or downplayed by participants. Lindström (2005) has shown that older care recipients use different turn formats for producing requests (such as imperatives and questions), displaying and negotiating their entitlement to assistance. In the same setting, Heinemann (2006) has shown that potential conflicts associated with the delicate procedure of changing incontinence wear for senior citizens can be mitigated by producing humorous sequences prior to the main course of action. While these studies show that participants locally manage the asymmetry typically associated with caregiving tasks, Heinemann (2011) pointed out that, as interactional practices of care provision become routinized, the relationship between home helper and older care recipient becomes progressively more institutionalized, resulting in a growing power asymmetry working in favor of the professional.

Managing resistance in geriatric care

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In contrast, the present study looks at a first encounter between a prospective client and two social workers, showing how asymmetry between the two parties features and is reflexively enhanced by the interactional practices used by the professionals in order to secure the prospective client’s agreement to move into the institution. For the prospective client, disagreeing with becoming a resident (a condition implying a tacit agreement with a whole set of institutional rules and realities which, in geriatric institutions, closely involves issues of age, agency and autonomy) poses the practical problem of resisting the professionals’ attempts at securing an agreement. 1.3 Resistance to professional agendas in institutional care settings In institutional interactions, the active participation of clients is often hindered by the need to comply with the institutional order. In some cases, clients manage such challenges to voicing their own concerns by enacting some type of resistance to professional agendas. Conversation analytical studies on resistance to professionals have identified, on the basis of data from a variety of institutional settings involving the provision of care, three major types of resistance to professionals : 1) open rejection, 2) minimal compliance and 3) proposing alternative courses of action. Studying institutions for adults with learning disabilities, Finlay, Antaki and Walton (2008) showed that residents having to comply with the task of getting weighed may initially resist staff members’ attempts. Embodied practices such as standing still when encouraged to approach a piece of equipment are a resource for enacting resistance to the professional agenda. In response, staff members employ different practices, such as appreciating the residents’ behavior as something other than resisting, escalating the invitation to a request and an order, or physically moving the body of the resident – showing that, in the end, institutional imperatives are privileged. Investigating the assisted performance of daily activities in eldercare facilities, Backhaus (2010) has shown that residents may resist professionals’ orders for getting out of bed and starting daily morning care activities : displaying disagreement and reluctance to comply is done by producing weak agreements, straightforward requests for another course of action or by slowing down the tempo of the course of action. Despite residents’ resistance, care workers end up enforcing, rather than gaining the residents’ compliance in order to carry on with planned courses of action. Investigating pediatric consultations, Stivers (2005) has shown two types of parental resistance used as a means to ensure participation in treatment decisions concerning their children. While « passive » resistance is characterized by unmarked acknowledgments for withholding acceptance of a treatment recommendation, « active » resistance is done by producing an action that questions or challenges the doctor’s recommendation, including the proposal of alternatives. The present study provides further evidence that the production of weak agreements with a proposed course of action and the proposal of alternative solutions are resources for displaying resistance. Concerning the former, it further reveals the range of « weak agreement » practices and their embeddedness in the organization of institutional encounters. Concerning the latter, it shows how a client may propose alternative descriptions of the institution and its residents to manifest

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his resistance to the transfer by using the same resources previously used by the professionals to enhance the attractiveness of the institution and secure his agreement – in this specific case, mobilizing evidence through the visual scrutiny of the institutional environment and its inhabitants. 2. Ethnographic background and data In Portugal, where the data studied here were recorded, institutional protection of older persons was traditionally provided by religious orders ; in past decades, the introduction of new models of geriatric care provision occasioned the appearance of diverse public and private institutions, as well as the modernization of more traditional institutions, such as the one organizing the encounter under study. The encounter studied here was organized around the transfer of a prospective resident to a geriatric residential institution, being arranged by two social workers : Clara, the technical director of the institution (in charge of managing applications and admissions of new residents, among other tasks), and Sónia, in charge of the social work services at the hometown of the prospective resident. Elias, previously a long-term resident at a mental health institution and temporarily living with his sister Maria, is being transferred to the geriatric institution upon the extinction of the facilities he was previously living in. As Elias’ transfer to the geriatric institution has already been decided by the two professionals before the encounter, the visit was organized in order to facilitate the process of transition and secure his compliance. Data for this study were collected within the scope of the author’s doctoral project, as part of a corpus of 20 hours of video recordings of service encounters between citizens and professional social workers organized within several Portuguese institutions of healthcare, welfare and social solidarity. Following the methodological framework of Conversation Analysis (Sidnell & Stivers, 2012), video recordings were transcribed and annotated in order to preserve the temporal and sequential organization of the interactional practices under study (Mondada, 2006, 2013). Informed consent was granted by all participants and, in order to preserve their privacy and the confidentiality of personal data, all names were anonymized in the transcripts. The analysis of the encounter will show the emergence and subsequent management of a disagreement between Elias, the prospective client, and Clara, the social worker in charge of the institution, following its chronological progression on the basis of key episodes which occurred as the participants visit several places within the facilities of the institution (for a schematic presentation of the chronological order of the participants' visit to the different spaces, see Figure 1 below).

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Figure 1. The participants as they walk through the institutional facilities

Section 3 shows how, as the encounter begins at the office, a disagreement emerges between the professionals and Elias, who expresses strong reluctance to move into the institution. Occasioned by the reference to its places and inhabitants, this disagreement eventually gives place to a complexification of the institution. Then, in Section 4, the participants are followed as they leave the office on a visit to the institutional facilities (such as the canteen, lobby and leisure room). Throughout this visit, the exploration of the environment becomes a central source for managing the disagreement between the conflicting parties. 3. Resisting the professional’s attempts at securing an agreement In the first part of the encounter, taking place in the social worker’s office, we observe how, in order to express his disagreement with his impending transfer, Elias uses silence and non-answers for disaligning with Clara’s attempts to obtain his compliance with the process. The disagreement between the two is gradually upgraded as, later on, contrasting reference to places begins being mobilized in order to produce conflicting assessments of the institution. 3.1 Silence and non-answers as resources for resisting Upon arriving at the institution, Elias is taken to the infirmary to be examined by the doctor ; returning from there, he joins Clara, Sónia and Maria, who are waiting for him in order to begin the encounter. We join the action as Clara inquires Elias on his meeting with the doctor : Extract 1 (SCMP_A10, 0.00.11) 1 CLA 2 3 CLA 4

A'TÃ:o\ SO\ (0.4) o que é que o doutor disse\ what was it that the doctor said\ (2.3)

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134 5 CLA 6 7 ELI 8 9 CLA 10 ELI 11 CLA

O QUE É QUE o douto::r LHE DI::sse:\ WHAT WAS IT THAT the doctor SAID TO YOU\ (0.2) nã' me disse nada\ (he) did not say anything to me\ (0.4) a:h agora\ oh come on\ [pois\] [right\] [pode] lá se:r\ [it can] not be\

Prompting Elias to respond, the professional requests him to report on his discussion with the doctor (1-3), taking the initiative to speak and constraining the type of utterance projected to be produced as a response (Robinson, 2001). By doing so, Clara attempts to enact a convergence between Elias’ understanding and view of the situation and the concerns of the institution, eliciting his report of what « the doctor said » so that a subsequent professional diagnosis of his situation can then be provided to account for the need for institutionalization (on the perspective–display series in clinical encounters, Maynard, 1991). Not obtaining a response (4), Clara treats Elias’ silence as a problem of hearing rather than as a display of incipient disagreement (Svennevig, 2008), repeating her question with increased volume (5). As the social worker insists on obtaining the requested report (on pursuits of responses, van Schepen, this volume), Elias responds, but does not answer her question ; instead, he announces that the doctor « did not say anything to me » (7). Treating it with disbelief, Clara produces an immediate, straightforward dismissal of Elias’ announcement (9). This extract shows how, since the beginning of the encounter, the professional attempts to obtain Elias’ agreement to move into the institution by using an array of interactional practices that enhance the asymmetry between the two, only to obtain his disalignment and resistance. The next extract shows how, after an unsuccessful first attempt at obtaining a complying response from the prospective resident, Clara operates a move toward a more active display of professional knowledge and authority. As each participant favors a different solution for Elias’ treatment, the initial disalignment between the participants is transformed into an overt disagreement and covert displays of disalignment give place to explicit resistance. 3.2 Upgrading and countering resistance through contrasting reference to places After some minutes, Clara pursues the topic of the encounter between Elias and the medical doctor, in order to get Elias participating more actively in the interaction : Extract 2 (SCMP_A10, 0.05.33) 1 CLA

2

entã:∞o mas o₱ doutor não lhe disse que vo₱cê precisava so but did not the doctor tell you that you needed ∞bends tw ELI---> ₱pats ELI's hand-------------₱ de vir p’ra cá/ pa' se trata:r/ to come to here/ to treat yourself/

Managing resistance in geriatric care 3 4 CLA 5 ELI 6 CLA 7 8 9 10 11 12 13 14 15 CLA 16 17 CLA

fig 18 ELI 19 20 CLA 21 ELI

fig 22 CLA eli 23 24 CLA 25 fig

(0.7) hã::/ huh/ trato-me lá:\ (i) treat myself in there\ nã:::o\ (.) porque lá não tem o médico no\ (.) because in there (you) do not have the doctor se::mpre/ não tem os enfermeiros se::mpre/ (0.3) always/ (you) don’t have the nurses always/ (0.3) não tem nada di::sso\ (.) na sua ca::sa\ (.) (you) do not have any of that\ (.) at your house\ (.) nem lá no centro\ (.) aqui é que nós temos nor there at the center\ (.) (it) is here that we have sempre o mé::dico/ sempre os enferme::iros/ (0.4) always the doctor/ always the nurses/ (0.4) se você se sentir mal ou se precisar de alguma coisa if you feel sick or if (you) need something durante a no:ite/ (0.3) ou mesmo durante o di:a:/∞ (.)∞ during the night/ (0.3) or even during the day/ (.) --->∞....∞ ∞lá não tem a assistência que nós temos aqui:\ there (you) do not have the assistance that we have here\ ∞straightens posture---> (0.7) hã:/ (.) é ou não é\∞ huh/ (.) (it) is or (it) is not\ --->∞bends tw ELI---> (2.0) ∞’tá a perce∞be:r aquilo que₱ eu lhe ’tou# a dize:r\= are (you) understanding what i am saying to you\= ∞...........∞bends tw ELI---> ₱pats ELI's arm---> #fig.2 =’tou a perceber\ ’tou\ =(i) am understanding\ (i) am\ (0.8) co:nco::rda (.) não é/= (you) agree (.) (it) is not/= =é que eu não que¶ro @cá fi¶ca@:::¶r#\= =it happens that i do not want to stay here\= @........@looks at CLA---> ¶raises hand¶lowers hand¶ #fig.3 =₱ma’ nã’ é ho::₱@je\ =but (it) is not today\ ->₱,,,,,,,,,,,,₱ --->@looks away--->> (1.4) não é já ho::je\ ∞mas tem que vi:∞r (it) is not today already\ but (you) have to come --->∞straightens posture∞ pr'a se trata::r\# to treat yourself\ #fig.4

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2

3

4

The disagreement between the participants is made visible as they negotiate their opposing positions concerning Elias’ institutionalization. This time, instead of requesting Elias to report what the doctor said back at the infirmary, Clara does it herself ; offering a candidate answer (Pomerantz, 1988) through a questioning format, the professional projects a confirming response (1-2) so that agreement can be obtained even through a minimally aligning turn. Clara is clear and explicit in relation to what she projects him to confirm : that, according to the doctor’s expert opinion, Elias needs to move into the institution (referred to by the proximal adverb « cá » / « here », 2). In a first moment Elias does not respond (3) but, prompted by Clara (4), he provides an answer to her proposal to obtain treatment at the institution, explicitly disaligning with her attempt at securing agreement. At first, this is done by recycling the beginning of the account provided by Clara, changing « yourself » to « myself » in order to refer to his treatment as formulated by the professional ; then, Elias produces an announcement which contrasts with Clara’s account for the need to move to the institution, replacing the proximal adverb with a contrasting distal adverb « lá » / « in there » (5) and, in doing so, providing an alternative solution by referring to another place. In response, Clara dismisses Elias’ proposal while claiming superior knowledge, in order to present the option of institutionalization as the only reasonable possibility for treatment. First dismissing Elias’ proposal by producing a straightforward « no » (6), Clara then makes a projection of an account (« porque » / « because », 6), allowing her to present her claim as reasonable and herself as knowledgeable of the issues at stake. This is further accomplished by Clara as she contrasts the two conflicting options by producing assessments – an interactional practice for claiming knowledge of the assessable (Pomerantz, 1984). In a first moment, the professional negatively assesses the option supported by Elias (outside the institution, again referred to by the distal adverb « lá »), producing a three-part list (Jefferson, 1991) for identifying the modalities of healthcare claimed not to be available outside. This is followed by a similar, but positive, assessment of the institution as a treatment option (referred to by the proximal adverb « aqui » / « in here », 9–13), again produced by a three-part list identifying service modalities available at the institution. Producing lists in the service of contrasting the two opposing options for treatment, the professional provides a third list, concerning possible situations for which treatment is needed. The assessment sequence is brought to a close as, once again, Clara explicitly contrasts the two options (« in here » and « in there ») on the availability of « assistance » (13). While Clara recurrently uses lists as a way of eliciting a display of affiliation from the prospective resident (Atkinson, 1984), Elias does not provide a response

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(14). Orienting to the preference for agreement in response to initial assessments and to the expectation that such aligned responses are produced with a minimization of gaps between turns, whereas disagreements are usually produced with delays or prefaces (Pomerantz, 1984), Clara prompts Elias to respond. Further pursued as she strongly projects a confirmation by constraining Elias’ possibilities to respond to a yes/no format (15), obtains a longer silence (16). Instead of treating this silence as Elias’ display of disagreement, Clara explicitly treats it as a problem in his ability to understand (17) what is at stake. Facing the situation of being treated as having problems in hearing and in understanding – further displayed by Clara as she lowers her posture to address Elias, patting his hand in order to prompt him to respond (Figure 2) – Elias immediately confirms his understanding (18), leading the professional to strongly project an agreement with her assessment (20) as a consequence of this understanding. Instead of complying with the projected action by producing an agreement display (e.g. a positive assessment of the institution), Elias overtly states his unwillingness to enter the institution, accounting for his disagreement (21). Displaying a more active stance through embodied conduct, Elias takes a more upright posture, shifts his gaze toward Clara and raises his hand (Figure 3). By providing disaligned responses produced without delay, both Elias (18, 21) and Clara (22) make their disagreement visible by mobilizing preferred turn formats in the service of dispreferred actions (Pomerantz, 1984). Similarly straightening her posture (Figure 4), the professional brings the sequence to a close, minimizing and postponing the full implementation of the transfer (22–24) and providing an authoritative account for why the proposal must be accepted, on the basis of medical imperatives (25). Not having obtained Elias’ agreement with the argument that he needs to be transferred based on the availability of medical resources at the institution, Clara opts to focus on the availability of potential peers within the community of residents as a reason for him to accept – and enjoy – moving in : Extract 3 (SCMP_A10, 0.06.38) 1 CLA 2 3 4 5 SON cla 6 7 CLA 8 SON cla 9 10

você vai gostar de cá ’ta:r\ you will like to be in here\ p'que há cá muitos m- muitos senho::res/ because here there are many m- many sirs/ pa’ você jogar às ca::rtas/ ou (.) conversa::r/ for you to play cards with/ or (.) to chat/ (0.3) ele já% vi:u:\ he already saw\ %looks at SON---> (0.3) já viu/= (he) already saw/= =foi p’ ali p’à lareira e disse assim% =(he) went there to the fireplace and (he) said like this --->%looks down---> p’ra mim a rir-se\ to me laughing\ (0.5)

138 11 SON 12 13 CLA 14 15 SON 16 17 CLA 18 19 20 21 SON 22 CLA 23 24 25 CLA 26

David Monteiro o que é que você me disse ali na lareira:/ what was it that you said to me there at the fireplace/ (0.3) vo%cê até gostou da lareira e tu:do/ (.) you even liked the fireplace and all/ (.) ->%looks at ELI---> até já estava ali %sentadinho à fre:nte\ (you) even were already sat there in the front\ --->%looks at computer screen---> disse logo\ é só velhos a dormi:r\ (.) (he) said right away\ (it) is only old people sleeping\ (.) he he he: (.) he he he ah credo\ (.) oh my\ (.) ah (.) mas i- (.) hh mas isso era ali oh (.) but tha- (.) hh but that was over there em fre(hh)nte\ at the fro(hh)nt\ (0.6) he he he nã’ foi ali p’à sala (you; he) did not go over there to the room dos m::al-comportados\ of the misbehaved\ (1.6) pois nã:o/% right not/ ->%looks at ELI---->> (0.9)

Here, we observe a noticeable change in how Clara presents the institution, as she shifts from positively assessing it on the basis of the availability of resources for medical treatment. Rather than merely announcing that he will enjoy the institution, Clara provides a reason for why this will happen – « because » of the availability of peers and social activities to be partaken with other residents (1-3) – indexing superior knowledge concerning the impending transfer. While Elias does not respond, Sónia (the social worker bringing Elias to the institution) takes his slot and aligns with her colleague’s project. Transforming the conversation with Elias into a conversation about him by referring to him in the third person (5), Sónia treats him as their subject of conversation, stripping off his right to participate equally in the conversation. As Clara looks at Sónia, aligning with this transition, Sónia first resumes the report, projecting the animation of Elias’ talk at the fireplace (8–9), but then attempts to bring him back into the conversation by prompting his collaboration (11). Orienting to a possible criticism conveyed by Sónia as she projected reported talk as laughable (Clift, 2013 ; Jefferson, 1984 ; Stokoe & Edwards, 2007), Clara takes the slot instead of Elias and presses him to ratify her positive assessment of the fireplace (13-14). Again, Sónia takes the slot provided for him by Clara and completes the telling, reporting a generalized categorization of the residents as « old people sleeping » (15). Aligning with Clara’s project to obtain Elias’ agreement on the attractiveness of the institution, Sónia reports to her colleague his prior appreciation of the social activities he had witnessed outside the office. Reporting Elias’ appreciation, gained through visual inspection of a specific place, allows Sónia to mobilize the available-on-sight age categorization device (Jayyusi, 1984 ; Widmer, 1983), voicing Elias’ criticism by categorizing the residents and,

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consequently, the institution for « old people » as a whole. Sónia’s subsequent laughter (16) allows her to close the sequence without having to deal with the problem it poses (on suicide threats being laughed off, Sacks, 1992) mitigating the criticism by treating it as non-serious and, in result, again upgrading the asymmetry between the professionals and Elias. Clara responds to the reported negative assessment of the institution by warding off the negative image of the described scene (17). Then, immediately conveying recognition of the place (on change-of-state displays in responses to assessments, Heritage, 2002), the professional minimizes the scope of the criticism by restricting the scene to a circumscribed place (referred to as « there in front », 1819). Countering the prior criticism while continuing to display her detailed knowledge of the institution, Clara introduces a second place within the institutional facilities (the « room of the misbehaved »), claiming that Elias did not visit it (2223). Referring to the institution as constituted by different spaces and types of residents allows Clara to downgrade the reported criticism, dismissing it as an overgeneralization (Hauser, 2011) resulting from Elias’ lack of knowledge of the institution. 3.3 Collaborating with Clara for countering Elias’ resistance As shown in the previous extract, the two professionals respond to his disagreement to move in through an array of interactional practices that enhance the asymmetry between them and him – namely by shifting from treating Elias as an accountable partner of conversation to treating his disagreement as an object of ridicule. This can be further observed in the next extract, where we join the action as Elias’ sister Maria (who had been quite silent until now) engages in the exchange and volunteers to move herself into the institution : Extract 4 (SCMP_A10, 0.20.04) 1 MAR 2 CLA 3 MAR 4 CLA 5 6 MAR 7 ELI 8 CLA 9 10 CLA 11 12 ELI 13 CLA 14 ELI

o melhor era eu ir inscrever-me também em la:r\ the best would be that i also go to register in the home\ he he he agora que já estou cá:/ he he (.) he he: now that (i) am already here/ aproveitava\ (0.5) a viagem\ (you) would profit\ (0.5) the trip\ (0.7) eh po::i:s/ eh right/ mas eu nã’ quero que venhas pa’ cá\ but i do not want (you) to come to here\ A’TÃ::o\ SO\ (0.5) PORQUÊ:\ WHY\ (1.2) p'que faz falta lá:\ 'cause (she) is needed there\ hã:/ huh/ pa' me levar ao asilo o come:r\ for bringing me the food to the asylum\

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140 15 16 SON 17 CLA 18 19 SON 20 CLA 21 31 CLA cla eli fig

(0.5) a:h\ (0.3) já viste isto/ hã::\= ah\ (0.3) have (you) already seen this/ huh\= =A::::::h\ (0.6) olha p’ra isto\ (0.3) he he hh= look at this\ (0.3) he he hh= =olhe lá:\ (.) a’tão mas venh- vamos dar uma voltinha\ (1.1) =look\ (.) so but com- (we) will go for a little walk\ (1.1) pa’ ver a sala\ to see the room\ ((14 seconds omitted)) ve₱nha cá# co₱migo\ vá\₲ (.) come here with me\ come on\ (.) ₱pats ELI--₱ ₲...> #fig.5

5 32 eli

vamos lá\₲ let’s go\ ...>₲stands up--->>

Displaying a retrospective orientation to Elias’ transfer, Maria suggests that she should herself register in the institution (1) ; by formatting her suggestion by using « also », she produces a contrast between her willingness and his resistance, as a way to pressure him to move in. Whereas Clara aligns with her by laughing (2) and collaboratively completing Maria’s account for why she should move in (4), this prompts a clear response from Elias, who strongly disaligns with the possibility of his sister moving into the institution (7). Objecting to her positive assessment of the transfer, he is first prompted by Clara to elaborate (8) and, not providing a response (9), to account for this disagreement (10). Elias responds with an account, overtly conveying his unwillingness to move into the institution (12-14), instead insisting on his previous situation : being in the proximity of his sister while receiving treatment at the previous institution he was in (referred to as « the asylum », 14). Addressing Clara, Sónia transforms Elias’ account into something to be surprised about (16), objectifying his resistance by referring to it through a demonstrative pronoun (« isto » / « this », 16). Sónia obtains the alignment of her colleague, who produces an upgraded display of surprise (17). By further treating his resistance as something to be observed and surprised about (19), Sónia aligns with Clara, strongly disaligning with Elias’ resistance. This is brought to an end as, latching with Sónia’s turn, Clara shifts back to Elias, inviting him to visit the facilities of the institution (21-22). While Elias does not immediately comply, Clara’s insistently attempts, inviting him and patting his leg (31 and Figure 5), eventually leading him to follow.

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In sum, the analysis of the first part of the encounter shows how the participants locally manage an emergent disagreement between Clara and Elias concerning his prospective transfer to the institution, and how the professionals attempt to obtain Elias’ agreement by mobilizing a series of interactional practices that all reproduce and reinforce institutional asymmetry between the two parties. Moving away from the opposition between the institution and the home world, Clara's mention of social life within the institution occasions an important transition in the encounter, characterized by the practice of constituting and assigning social categories for describing members and places within the institutional facilities (on membership categorization analysis, Sacks, 1972, 1992 ; on the interactional organization of member–relevant formulations of place, Schegloff, 1972). As the participants begin to explore the possibilities that the institutional environment provides for producing categorizations and assessing its residents, the institution gradually emerges as a complex entity constituted by different places and inhabited by individuals who engage in distinct social activities. Here, the constitution of category-bound activities (Sacks 1992) and spaces within the institutional facilities (e.g. « the room of the misbehaved ») allows Clara to display expert knowledge of the institution by presenting it as a « combination of parts » (Sacks, 1992, LC1 : 89). During the initial encounter between Clara and Elias, taking place at the office, reference to absent third parties is mobilized by the professional in order to convince Elias to move into the institution. Firstly, this is done by making reference to professional expertise within the institution (e.g. the opinion of the doctor back at the infirmary and the availability of doctors and nurses for providing medical treatment upon institutionalization) and, later on, to residents with whom he will be able socialize upon moving in. Attempts to persuade Elias by mentioning the availability of peers at the institution is subsequently upgraded as Elias’ sister Maria suggests moving in herself, joining the efforts of the professional by presenting herself as a potential resident. Then, in order to provide Elias with the possibility to assess the institution on the basis of visual evidence, Clara invites him to visit the institutional facilities (where, rather than referring to absent third parties, the participants will have the opportunity for direct contact with different residents, places and activities). 4. Mobilizing visible evidence : visiting the institution and meeting residents The visit to the facilities marks an important shift in the organization of the encounter : in contrast with the previous generalized assessment of the institution and its residents back at the office, presenting individual residents to Elias allows Clara to offer him visual access to third parties, attributing them incumbency of differentiated categories (concerning physical and personality traits of each individual). The possibility of showing Elias around and meeting residents along the way provides the professionals with several opportunities to invite him to positively assess the institution on the basis of a visual inspection of residents and activities, and thus to upgrade their attempts at persuading him. On the other hand, the visual scrutiny of the institutional environment and its inhabitants eventually becomes a resource mobilized by Elias for subverting the work of the professionals and further resisting their pressure to agree with the transfer.

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4.1. Constituting the « misbehaved residents » category Leading the group through the canteen, where residents are gathering and preparing for a meal, Clara brings one of them to the attention of Elias : Extract 5.1 (SCMP_A10, 0.23.47) 1 CLA cla cla eli 2 3 4 ELI 5 6 CLA cla fig 7 cla 8 cla cla fig

este se₱nho:r/@ (1.3)₱ this sir/ (1.3) >>looks ELI---> ₱points at ALV₱ @looks at ALV--->> chama-se alvino\ is called alvino\ (0.6) hm\ (2.6) ₱'tá no qua:rto/ (1.3)# com₱ uma caminha (he) is in the bedroom/ (1.3) with a little bed ₱points at ALV-------------₱points at ELI---> #fig.6 que 'tá vazi:a:/₱ (.) que era ₱p'ra si\₱ (0.7) that is empty/ (.) that would be for you\ (0.7) --->₱ ₱points at ELI₱ €é o₱ se:u cole:ga\#€ (0.9) quando você vier p'ra cá/ (.) (he) is your mate\ (0.9) when you come here/ (.) €turns to ALV-------€turns to ELI---> ₱pats ALV's back---> #fig.7

6 9 cla 10 11 ELI 12 CLA cla 13 14 ALV cla 15 16 CLA 17

7

é este senhor que vai ser₱ seu colega\ (it) is this sir who is going to be your mate\ --->₱ (0.5) [hm\] [ele] era de c- do c- (.) %onde:/ (0.5) de coruche/ [he] was from c- from the c- (.) where/ (0.5) from coruche/ --->%looks ALV---> (0.6) coruche/ almeiri:€m/ santarém\ --->€turns to ELI>> (0.5) coruche almeirim santarém\ (.) tem muitas histó::rias\ é muita mentiro:so\ (he) has many stories\ (he) is a big liar\

Pointing at the resident in order to prompt Elias to look at him (1-2 and Figure 6) and obtaining a minimal acknowledgment from Elias (4), Clara presents the man as Alvino, occupying a room with an empty bed (6-7), hinting at the possibility that Elias will be its other occupant. In a straightforward manner, the

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professional then announces to Elias that, as a matter of fact, the resident « is » (8), or « will be » (9), Elias’ « mate » once he moves to the institution (8-9 and Figure 7). Possibly due to the fact that he has not yet been properly introduced to Alvino before Clara refers to him as his « mate », Elias takes a somewhat ambiguous stance, displaying covert resistance to her attempts at obtaining a more affiliative response while only minimally acknowledging her description of the resident (11). Clara continues the introduction sequence, alluding to life before institutionalization by topicalizing where « he was from » (12), then turning to Alvino and fishing for information (Pomerantz, 1988). Bringing up the topic of geographical origin as a way to relate the participants by establishing comembership, Clara repeats Alvino’s response (produced in a list format for identifying three different places, ordered in terms of their geo-administrative dimensions, 14-16), then assessing him on the basis of his personality (describing Alvino as a « big liar », 17). This leads Clara to present Roberto, a man sitting at a nearby table : Extract 5.2 (SCMP_A10, 0.24.15) (cont.) 18 CLA 19 20 CLA fig

₱ali como o roberto/₱ é igual\ just like roberto over there/ (he) is the same\ ₱points at ROB------₱ (0.5) ₱ali\# over there\ ₱points at ROB---> #fig.8

8 21 eli 22 CLA 23 SON cla 24 CLA cla eli 25 26 27 CLA

@(0.6) @looks at ROB---> eu vou apresen₱ta-= i will introdu-= --->₱ =são os ₱dois/ (.) são os dois (.) daquela zo::na\ =(they) are both/ (.) (they) are both (.) from that zone\ ₱points at table---> depois @po₱nho você ₱aqui na mesa de:les/₱ (.) then (i) will put you here at their table/ (.) --->₱ ₱circular pointing at table₱ --->@looks at table---> é a mesa dos mais mal-comportados\ (it) is the table of the most misbehaved ones\ (0.4) é ou nã' é/ is (it) or is (it) not/

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144 28 ROB eli eli 29 30 ALV 31 CLA cla son mar

ai é si' senhora\ é@ é:\₲ oh (it) is yes ma'am\ (it) is (it) is\ --->@looks down--->> ₲walks away--->> (0.3) é a mesa dos mal-comportados\= (it) is the table of the misbehaved\= =a mesa dos ₤mal฿ ฿ -comporta₵dos\ =the table of the misbehaved\ ₤walks away--->> ฿walks away--->> ₴walks away--->>

Pointing at Roberto and prompting Elias to look at this other resident (20-21 and Figure 8), Clara offers to introduce him to Elias. Collaborating with her colleague’s effort at constituting alternative subcategories and attributing them to the residents around, Sónia announces that both residents come from the same geographical zone (23). Further pursuing the contrast with Elias’ reported criticism of the residents as « old persons sleeping by the fireplace », Clara proposes a future inclusion of Elias in their group (24). Reference to the « table of the misbehaved », initially mentioned back at the office, has now materialized, as Clara points at the table, prompting the « misbehaved residents » themselves to confirm the categorization of the place (27-31), while Elias disengages, walking away. In sum : by taking Elias on a visit to the facilities, Clara attempts to obtain a positive assessment of the residents on the basis of visible evidence, in order to counter the previous generalized categorization and implied criticism of the institution as a place for « old » persons. This is accomplished by acquainting Elias with two male residents, presented as incumbents of an alternative category (that of the « misbehaved » residents, already introduced in extract 3) in order to establish co-membership between Elias and the two men. 4.2 Resisting the « misbehaved residents » category Emerging as a form of assessing the residents and the institution itself, the category (or, in Sacks’ terms, the device) age gradually becomes a central resource for managing the disagreement between the participants. First observed at Clara’s office (see extract 3), it reemerges as the group leaves the canteen and enters the corridor, as the two professionals attempt to obtain from Elias a positive assessment of the residents they have just met. Resisting Clara’s attempt, Elias responds with a recategorization of the residents, conveying a negative assessment of the institution : Extract 6 (SCMP_A10, 0.24.29) 1 cla son son eli mar 2 SON cla cla 3

(4.0)$(1.1) >>walks---> >>walks---> $turns to ELI---> >>walks---> >>walks---> gostou do seu colega:€/ did (you) like your mate/ >>walks---> €turns to ELI---> (1.2)

Managing resistance in geriatric care 4 CLA 5 6 SON 7 CLA cla son 8 cla cla eli son son 9 10 ELI mar fig

145

hã:/ (.) huh/ (.) (0.3) hã/ huh/ gostou\€ (.) ele é simpá$tico\ (.) (he) liked\ he is nice (.) --->€turns around---> --->$ ฿ -dispo:$:₱sto/ (.) €ele é m-₤ e:le é₱₲ mu:i₲to bem฿ he is v- he is very cheerful/ (.) -->€turns to ELI---> ₱pats ELI's arm---------₱ --->₲ --->฿ --->$ o[:lhe\] lo[ok\] [é ma₴is ve]lho do que# os de lá\ [(he) is ol]der than the ones from there\ --->₴ #fig.9

9 11 12 CLA 13 14 ELI 15 SON son son 16 CLA cla 17 SON 18 CLA mar eli 19 son son cla

(0.5) hã/ huh/ (0.5) mais velho do que os de lá\ older than the ones from there\ [mais ve:$lhos que os$] que es฿tão (.) [more old people] than those who are (.) $turns to CLA$turns away---> --->฿walks---> [mais velho€ que os] que estão €lá\ [older than the ones] that are there\ €turns to SON-------€turns to ELI---> he [he he] [ele é] no::vo\₴ (.)₲ [he is] young\ (.) --->₴walks---> --->₲walks---> a'tã:o\ (0.3) isto não é só gente $ve₤lha:฿\ (0.5) so\ (0.3)this is not only old people\ (0.5) --->$turns to CLA-->> --->฿ --->₤walks-->>

David Monteiro

146 20 cla 21 SON fig 22 CLA 23 SON son son

o::ra €ago:[:ra hã/] now [now huh/] --->€turns to SON---> [a'tã:o] muito mais velho [do que são# lá::\] [so] much older [than they are back there\] #fig.10 [mas ele queri-] [but did he wan-] $he he$฿ ฿ hh= -->$turns around$ -->฿walks-->>

10 24 CLA 25 26 SON son 27 son cla

atão mas ele queria o quê\ so but what did he want\ (0.6) 'tão/ $nã' vês que eles acham sempre que so/ do (you) not see that they always think that --->$turns to CLA---> são mais no$€vos\ they are younger\ --->$ --->€turns to ELI--->>

In order to convince Elias to agree to becoming a resident, the professionals attempt to obtain from Elias a positive assessment of the « mate », but obtain no response from him (2-6). When the two professionals orient toward Elias (Figure 9) and Clara responds on his behalf, producing a positive assessment of Alvino on the basis of his personality (7-8), Elias counters that the resident is older than the inmates at the mental health institution he was previously in (referred to by the distal adverb « lá » / « there », 10). As Clara initiates repair (12), Elias simply repeats his initial turn, treating the other-initiated repair as indicating trouble of hearing (on the interactive management of repair, Svensson, this volume). Bringing the repair sequence to a close, Clara and Sónia turn to each other, responding to his assessment (15–16) by producing modified full repeats (Robinson & Kevoe-Feldman, 2010). While Sónia walks away, Clara turns toward the prospective resident in order to counter his claim (18-19). Attempting to walk past Clara for deviating from her countering move (Mondada, 2014b), Elias treats the assessment sequence as completed as he walks away (Broth & Mondada, 2013). Then, stopping in order to catch up with the group and turning to Clara, Sónia initiates a sequence for criticizing the prospective resident, thus enhancing the asymmetry between them and Elias. This is jointly accomplished through a series of interactional practices : turning to each other (Figure 10), producing modified full (15) and upgraded repeats (21) of Elias’ assessment, treating it as unreasonable, laughing (17, 23), talking about Elias in the third person (22-24) and walking ahead of him. Bringing the

Managing resistance in geriatric care

147

sequence to a close, Sónia further criticizes Elias, recycling the third person reference and, shifting from singular to plural and producing a generalized reference to the group of « old » people, including Elias in the same age category he refuses to belong to (23-24). By not responding to Clara’s positive assessment of Alvino’s personality but rather initiating a new assessment, based on his visual access to the assessable (on the age categorization device as available-on-sight, Jayyusi, 1984), Elias manages to take hold of the distribution of speakership, resisting the allocation of a subordinate position in relation to the professionals. By categorizing the « misbehaved » resident as being « older » than previous inmates, Elias insists on depicting the institution as unattractive when compared to where he lived before. 4.3 Constituting an alternative category : « coming from the same place » After attempting, with little success, to counter Elias’ criticism by constituting a « misbehaved residents » subcategory, Clara summons Célia, a woman she sees upon entering the lobby, presenting this resident as incumbent of the newly constituted category « coming from the same place as Elias » : Extract 7 (SCMP_A10, 0.25.30) 1 CLA eli cla 2 3 CLA 4 5 CLA cla 6 cla 7 CLA 8 9 CLA 10 11 CEL 12 13 CLA 14 15 CLA 16 17 ELI 18 CLA 19 ELI

’tá aqui ₱esta senhora que₱ é lá here is this lady who is from there >>looks at CEL--->> ₱pats CEL--------₱ do bairro carca:ça\ (0.3) from neighbourhood carcaça\ (0.3) há aqui muita gente:: (0.4) que você conhece\ in here there are many people (0.4) that you know\ (1.3) ’tá a ver/ ₱tam’ém é no::va\ (you) are seeing/ (she) is also young\ ₱points at CEL---> (0.6)₱ --->₱ não é ve:lha\ (she) is not old\ (0.9) ele diz que isto só há aqui gente ve:lha:\ he says that this there are only old people in here\ (0.9) a’tão\ (.) é natural\ so\ (.) (it) is natural\ (0.4) pronto\ (.) ’tá a ve:r/ there\ (.) (you) are seeing/ (1.5) hã:/ huh/ (2.0) ’tou\ (i) am\ ’tá a ver be:m/ (you) are seeing well/ ’tou a ver\ (i) am seeing\

David Monteiro

148 20 CLA 21 ELI 22 CLA 23 24 CLA 25 26 CLA cla 27 cla 28 CLA cla fig

’tá a ver be:m/ (you) are seeing well/ ’tou a ver bem\ (i) am seeing well\ ’tá a ver be(HH)m/ (you) are seeing we(hh)ll/ (1.2) hã:/ huh/ (0.5) você ₱gosta de jogar às cartas/ you like to play cards/ ₱pats ELI---> (0.6)₱ -->₱ ₱ela é a maior bato#te’ra que ’tá aqui\₱ she is the biggest cheater in here\ ₱points at CEL-------------------------₱ #fig.11

11

Using the ad hoc subcategory « coming from the same place », Clara introduces Célia as being from the same neighborhood as Elias (1-2). In this way, the social worker attempts to present the institution as a place in which there is a social life based on co-membership, further pursuing it as she extends the categorization to other residents (3). Then, as Clara invites Elias to look at Célia so that he can assess another resident on the basis of visual inspection, the professional shifts back to the age categorization device (5). Here, mobilizing participants allows the professional to engage in multimodal practices of categorization, based on categories presented as visually appreciated (Szymanski, 1999). Contrasting with the two men presented at the canteen, Clara’s topicalization of Elias’ visual appreciation of a woman may be seen as alluding to other forms of sociability at the institution and thus as working in favor of a more positive appreciation of the residents. Recycling the categorization she previously mobilized for countering Elias’ assessment of Alvino, Clara assesses Célia as « also young » (5). Not obtaining a response from the prospective resident (6), Clara produces a negative formulation of Elias’ assessment (7) ; referring to Elias in the third person, Clara reports Elias’ generalized assessment of the residents to Célia (9). Instead of readily collaborating with the professional’s attempt to dismiss Elias’ negative assessment of the institution, the resident provides a normalizing response (11). Upon Célia’s neutral stance, Clara pursues Elias’ agreement with the proposed recategorization of both the residents and the institution (13). Throughout this long sequence, Clara seeks to attribute to Elias a problem of understanding by recurrently attempting to obtain his confirmation, but Elias systematically resists this by producing partial (17, 19) and

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full repeats (21). Closing the sequence, Clara attempts to counter Elias’ criticism of the institution as a whole by producing evidence of the diversity of its members. By pointing at Célia (Figure 11) and referring to her as « the biggest cheater » in the institution (28), Clara offers, once again, a recategorization of a resident on the basis of individual personality traits, presenting the institution as offering the possibility to engage in social activities with other residents (and even to be « misbehaved » and engage in transgressive activities). In this extract, Clara aims at countering Elias’ previous negative assessment of the residents on the basis of their age by constituting the new category « coming from the same place as Elias » in order to present the institution as a familiar place. Whereas visual access to assessables was previously used by Elias for categorizing Alvino and criticizing the institution, here Clara pursues an aligned assessment of Célia by inviting Elias to visually inspect the resident. The next extract shows how, by mobilizing the co-membership based on « coming from the same place » and inviting Elias to assess other residents on the basis of visual inspection, Sónia attempts to collaborate with Clara’s efforts to secure Elias’ alignment. 4.4 Collaborating in pursuing the category « coming from the same place » For the professionals, upgrading the disagreement between the two parties and rendering Elias’ disagreement as ridiculous is done in the service of criticizing his resistance to move in, eventually securing an agreement. In this extract, Sónia collaborates with Clara in an attempt to counter the relevance of Elias’ generalized categorization of the institution by making further relevant the category « coming from the same place ». After Clara presented Célia back at the lobby, her colleague Sónia attempts to do it once again, mobilizing more members among the residents in the leisure room : Extract 8 (SCMP_A10, 0.28.13) 1 SON

fig 2 ELI fig

olhe\ aquela senhora ❡ também é$: lá:❡# de pe::r❡$to de si\= look\ that lady is also from there from close to you\= $turns to woman$turns to ELI$ ❡points at woman❡ #fig.12 =¶e também me vão pôr a andar como esta senhora aqui/#= =and (youPL) will also put me walking like this lady here/= ¶points at woman with crutches---> #fig.13

12

13

David Monteiro

150 3 CLA cla eli eli 4 eli 5 cla 6 SON 7 CLA eli 8 cla 9 CLA cla 10 MAR 11 CLA 12 MAR 13 cla cla eli 14 cla eli fig

=ah\ (.) pronto\ es₱@ta senhora₱ tem¶ muitos anos\ (0.7) =ah\ (.) so\ (.) this lady has many years (0.7) ₱pats ELI's hand₱ --->@looks CLA---> --->¶ mas@ há cá pessoas que têm menos\ (.) but there are people here who have less\ (.) -->@looks woman---> o:€ra ago::ra\ now now\ €turns to SON---> HE HE HE HE HE (só tu p’ra tra-)@ (only you for bring-) --->@looks CLA---> (0.5)€ --->€turns to ELI---> po::is\€ right\ --->€ ele nã’ quer é ser velho\ (what) he does not want is to be old\ ele nã’ que::r:/ (.) ele que[:r é the doesn’t want/ (.) (what) he wants [is t[nã' quer é ser velho\= [(he) does not want to be old\= olhe lá aqui tud- ₤₱olhe\ estas senhoras¥ são (.) look here all- look these ladies are ₤walks tw women---> ₱points at women---> ¥turns around...> todas novas\ (.) todas₤¥\ (.) olhe lá p’à carinha de:#las\ all young\ (.) all\ (.) look at their little faces\ --->₤ ->¥---> #fig.14

14 15 16 CLA cla 17 18 CLA eli eli

(0.4) nã’ ’tão a andar be:m/₱ are they not walking well/ --->₱ (0.8) a’tão pro:¥:nto\@ (.) tudo senho¥ras novas\ so there (you have it)\ (.) all young ladies\ @looks away---->> --->¥,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,¥

Attempting to collaborate with Clara’s efforts at mobilizing residents for countering Elias’ criticism of the institution as a whole, Sónia points at one of the women in the room (Figure 12). Mobilizing the « coming from the same place »

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category, previously constituted by Clara when introducing Célia at the lobby (see extract 7), Sónia invites Elias to look at a woman passing by, announcing that she is « also » from his hometown (1) ; instead of physically orienting to the woman being pointed at, Elias displays orientation to another person visible in the environment, producing a disaligned response to Sónia’s prompting by initiating a concurrent sequence. In previous situations, Elias ambiguously complied with Clara’s invitations to look at the residents when prompted to do so, while producing minimal displays of alignment (or, conversely, of covert disalignment). This time, Elias uses the same resources as the professionals in order to subvert their work : initiating visual scrutiny of a resident present in the environment, using pointing as a resource to establish joint attention with the professionals (Mondada, 2014a) and proposing a categorization. This can be observed as Elias scrutinizes the environment and points at one other woman from that group (Figure 13), who is walking with the aid of a walking device. By using plural verbal inflection and attributing the visibly diminished mobility of the resident pointed at as being a result of the active role of the professionals (« também me vão pôr » / « (youPL) will also put me », 2), Elias provides compelling evidence against their previous attempts at recategorizing the residents in a positive way and conveys a strong criticism of the institution, namely concerning the results of the medical care it offers. Being invited to assess residents on the basis of visual inspection, Elias mobilizes this resource in order to point at the existence of a resident who is visibly less agile (and, by virtue of this, more easily treated as an incumbent of the available-on-sight age category « old »). Treating Elias’ inquiry as another instance of his negative assessment of residents produced on the basis of an age categorization, Clara responds by conceding the advanced age of the resident ; partially agreeing with Elias while disaligning with his assessment, Clara resists to mobilize the « old » category previously used by the prospective resident, instead offering an alternative quantitative categorization of the resident’s chronologic age (« this lady has many years », 3), subsequently contrasting this example with other residents who have « less » (4). Clara’s attempt at minimally aligning with Elias then gives place to another display of complicity between the two professionals, who dismiss his resistance as not serious (5-7). Aligning with her brother and seeking understanding from the professionals, Maria accounts for his insistence on age categorizations as motivated by his difficulty to accept himself as being « old » (10, 12). Shifting back to him, the professional invites a visual inspection of the group of women leaving the room, categorizing them as « all young » (13-14 and Figure 14) and, producing a contrast with the woman walking with crutches, topicalizes their walking ability, requesting Elias to confirm (16). Having complied with Clara’s project by turning to the residents being pointed at, Elias treats the assessment sequence as completed by turning away from the residents. This extract provides further evidence of how participants locally mobilize age categories to produce social action (Widmer, 1983) : for Elias, the opportunity to inspect residents and activities allows him to allocate them incumbency of the available-on-sight category « old », becoming a resource for criticizing the institution and, by doing so, upgrading his position vis-à-vis the professionals. The

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next extract shows how, as the visit comes to an end, Elias and Clara continue mobilizing their visible scrutiny of members and activities in the environment, in the service of putting the institution in a favorable light. 4.5 Subverting recategorization through visual scrutiny of the environment After visiting the men’s wing and the bedroom that could be assigned to Elias, the group once again passes by the canteen, stopping as Clara is called by one of the residents. This pause in the visit provides Elias with an opportunity to inspect the environment and, once again, initiate inquiry about visible members : Extract 9 (SCMP_A10, 0.38.25) 1 ELI eli eli cla fig 2 3 CLA cla fig

¶estas¶ são emprega€das/#€ are these employees/ >>looks at SIL---> ¶.....¶points at SIL---> €turns around€ #fig.15 (0.5) e::₱sta senhora é emprega:#da₱/ this lady is (an) employee\ ₱points at SIL------------₱ #fig.16

15 4 cla eli 5 cla eli 6 SIL 7 CLA 8 eli 9 CLA 10 SIL 11 eli 12 CLA

16

₱aquela senho@ra é empregada\₱ that lady is (an) employee\ ₱points at woman near SIL----₱ --->@looks at woman near SIL---> [₱aquela se₱¶nhora é empregada\] [that lady is (an) employee\] ₱points at woman in the back₱ --->¶ [é tudo empregadas\]= [(it) is all employees\]= =€é tu:do\€ =(it) is all\ €turns to ELI€ (1.5)@(0.5) -->@looks at CLA---> ah agora já ’tás a gostar\ nã’ é/ ah now (you) are already liking\ (it) is not/ é tudo bo:a: ge::nte:\ (it) is all good people\ (1.5)@ --->@looks at woman in the back---> ’tá a olhar pa’ (.) ’tá a ver quem é que é (he) is looking at (.) (he) is seeing who is

Managing resistance in geriatric care 13 14 ROB 15 CLA 16 SIL cla eli 17 ROB cla 18 19 CLA

fig

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mai’ velho €do que ele\ older than him\ €turns to SIL---> o mai’ ruim de cá: (.) sou eu\ the nastiest in here (.) is me\ €diz que isto é só gente velha\€ (he) says that this is only old people\ €turns to SIL------------------€ nã::o\ (.) é [ago€ra€@:\] no::\ (.) (it) is [not\] €turns to ELI€ --->@looks at ROB---> [o mai’] ruim sou €eu\ [the nas]tiest is me\ --->€turns to ROB---> (0.5) ₱o que nã’ presta# pa’ nada₱ é e:€le\ the one who is good for nothing is him\ ₱points at ROB-------------₱ --->€turns to ELI->> #fig.17

17 20 SIL 21 22 CLA 23 24 CLA cla eli 25 26 ELI eli cla cla

é tudo no::vo\ (it) is all young\ (0.5) ’tá bem/ alright/ (1.4) he he h:: (0.3) ₱’tá bem elias/@ he he h:: (0.3) alright elias/ ₱pats ELI---> --->@ (0.7) 'tá:₱₲\₤ 'right\ ₲walks away>> ->₱ ₤walks away>>

On a further attempt to subvert the work of the professionals by selecting visible members in the environment, Elias points at a group of women wearing uniforms (Figure 15), asking if they are « employees » (1). Categorizing visibly younger women as « employees » (and therefore as « non-residents ») allows Elias to produce a contrast with previous examples of older female residents, who were presented as being « young ». Granting Elias’ request for confirmation, Clara confirms that the women wearing uniforms are employees, pointing at every one of them (3-5 and Figure 16) and Sílvia, one of the women who were identified, further confirms it by producing a generalized categorization of the group of women (6).

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Playfully, Clara transforms Elias’ visual inspection of the group of staff members into an appreciation of women (9), transforming his inquiry into a positive appreciation of the institution (again alluding to the availability of women at the institution as making moving in attractive). This occasions Sílvia to transform her previous confirmation, concerning her and her colleagues, into a categorization of all the members of the institution as « good people » (10). Whereas the positive assessments of the women being looked at makes relevant an upgraded assessment (Pomerantz 1984) from Elias, its absence, observable by the silence in line 11, seems to indicate an incipient disagreement, which Clara subsequently accounts for, explaining to Sílvia the reason behind Elias’ inquiry (12-13). At this moment, Roberto (one of the residents having lunch, who was previously introduced by Clara as being one of the « misbehaved », see extract 5.2) introduces himself as being the « nastiest » (14), producing a contrast with Sílvia’s generalized assessment of the members of the institution as « all good people » and obtaining Clara’s confirmation (19 and Figure 17). Orienting to the categorization device age mobilized by Clara in her account for Elias’ inspection of the residents, Sílvia provides a recategorization of the population of the institution as « all young » (20). The sequence is brought to a close as Elias eventually displays minimal agreement (22-26), while Clara shepherds him (Cekaite, 2010) and both walk away from the scene. To summarize, in this section we have observed that, throughout the visit to the facilities, Clara constitutes the institution as a complex constellation of places, persons and activities. Based on the mobilization and visual scrutiny of individuals, this shift to visual categorization (Mondada, 2002) allows participants to manage and negotiate their disagreement concerning « which features are central, how to interpret them, whether some member’s specific action is, or is not, conducted under the auspices of collective membership and who can properly be counted as a member or as a genuine member » (Jayyusi, 1984 : 51). Eventually, the practices deployed by the professionals – visually scrutinizing the environment when moving into another room, pointing at visible members for singling them out from a group, producing recategorization and prompting confirmation – are used by Elias to do the opposite. Initiating inquiry on members of the institution who visibly do not conform to the categorization that Clara is attempting to pursue allows the prospective resident to continue criticizing the institution, further displaying his resistance to moving in. 5. Concluding remarks On the basis of a detailed analysis of the interactional practices involved in the organization of the encounter between an older prospective resident and two social workers, this study shows how the asymmetry between the participants features and is reflexively enhanced to manage resistance to institutionalization. In order to dismiss his resistance and secure his agreement with the process, the professionals treat Elias’ position as subordinate to theirs, concerning knowledge of the institutional specificities as well as concerning accountability to express his

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disagreement with the process. Throughout the encounter, this is accomplished by the professionals through an array of recurrent interactional practices : • initiating action and constraining the types of utterances projected as aligned responses ; • treating possible displays of incipient disagreement as problems of hearing or understanding ; • treating Elias as lacking knowledge concerning the specificities of the institution and, conversely, displaying expert knowledge concerning the institutional environment, its places, residents and social activities ; • excluding Elias from being treated as a conversational partner by using the grammatical third person to refer to him and/or his resistance ; • turning away from Elias and toward each other ; • responding with laughter to Elias’ disaffiliative moves. By treating Elias’ proposals and assessments of the institution as irrelevant or lacking knowledge, the professional dismisses the prospective client’s agency in the process. At first, this is observable in Clara’s disagreement with Elias, as the professional prompts the prospective resident to confirm her proposals or attempts at recategorizing the institution, dismissing his disaligned responses. Such occasions show that, while Elias’ minimal displays of alignment prompt the pursuit of aligned responses, overt disagreement is countered or responded to with strong dismissal. Initial attempts at securing the agreement (or at least a more positive stance toward the institution) of the prospective resident, produced on the basis of the availability of medical care at the institution, are subsequently abandoned in favor of presenting the availability of social activities. In this encounter, the mobilization of categories for assessing the institution and its residents emerges as a central practice for negotiating Elias’ agreement to positively assess the institution and accept becoming a resident. At first mobilized to produce criticism of the institution as a whole as a place for « old » people, the available-on-sight age categorization device is subsequently contrasted with other categories pertaining to the social life of the residents. Upon the visit to the institutional facilities, the presentation of individual residents to the prospective resident becomes a resource for the constitution of an array of categories, in order to persuade him to assess the institution in a more favorable light on the basis of the existence of a diversity of « mates », « cheaters », « liars », residents who are socially active and available for playful activities. However, Elias soon transforms this into a resource for criticizing the institution, as categorizing visible members as « old », « older than » (in reference to inmates from another institution that he wants to keep living in) or, eventually, as « employees » (as opposed to « residents ») allows him to voice his criticism of the professionals’ attempts at persuading him. While the participation of the prospective resident in the transfer process is characterized by an evident ambiguity (given the compulsive character of the transfer and its consequent constraints to self-determination), the gradual exploration

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of the environment occasioned by the visit to the facilities eventually grants him the ability to further display his resistance and criticism, subverting the professionals’ work by using the very same resources previously employed by them : pointing at a visible member and producing inquiry in order to obtain assessment (producing the effect of countering the professionals’ attempts at categorizing the institution). In the encounter under study, taking the prospective resident on a visit to meet the residents allows the professionals to convince him to move in – at the same time gradually transforming his resistance and criticism into a normal part of being a resident (even if, so far, a prospective one) who « misbehaves ». Introducing Elias to different residents and their individual traits (for example, by constituting the « misbehaved » category, referring to Alvino as a « big liar » or to Célia as the « biggest cheater ») allows the professionals to present the institution as both accepting and accommodating of a diversity of behaviors and mundane social activities that bring life at the institution closer to the home world, while being stable enough to deal with problems and secure the institutional order. Observable as the prospective resident’s generalized criticism of the institution is managed by the professionals by mobilizing individual residents as evidence that it offers them a « normal » social life and even the possibility of engaging in transgressive activities, such interactional practices show how participants manage to counter in situ the idea of a total institution (Goffman, 1961). Aiming at contributing to research on asymmetry and participation in institutional interactions, with a specific focus on resistance to institutionalization, this study opens a window into the social organization of a geriatric residential institution and the tension between self- and other-determination and between normal and controlled life that is inherent to the process of institutionalization of elderly people. On the basis of empirical evidence, this study shows how, through situated and embodied interactional practice, an institution emerges as a complex entity and as a joint accomplishment of its members. 6. Acknowledgments The present study was made thanks to the financial support of the Hermann Paul School of Linguistics (University of Basel & University of Freiburg) for my doctoral project. I hereby thank all the participants and institutions for their agreement to participate in the research project for which this study was carried out. 7. Bibliography Atkinson, J. M. (1984). Public speaking and audience responses: some techniques for inviting applause. In J. M. Atkinson, J. Heritage (Eds.), Structures of Social Action. Cambridge, U.K: Cambridge University Press, 370-410. Backhaus, P. (2010). Time to get up: Compliance-gaining in a Japanese eldercare facility. Journal of Asian Pacific Communication, 20 (1), 69-89. Broth, M., & Mondada, L. (2013). Walking away: The embodied achievement of activity closings in movile interaction. Journal of Pragmatics, 47, 41-58.

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Organiser le débat, favoriser la participation : analyse comparée des pratiques de deux animateurs de réunions politiques

Lorenza Mondada

1. Introduction Ce chapitre étudie les pratiques de deux animateurs de réunions de concertation où des citoyens sont appelés à donner leur avis sur un futur parc public. Leur comparaison permet d’observer une série de possibilités séquentielles qui sont aménagées pour faire progresser le débat et favoriser la participation des citoyens, ainsi que les options possibles qui sont offertes lors de leur aménagement. La comparaison est basée ici sur la manière dont deux collègues ont géré deux séances parallèles, se déroulant de la même façon et portant sur le même thème. Cette situation est un point de départ idéal pour la comparaison : plus précisément, elle permet d’observer comment, pas à pas, émergent dans l’interaction sociale des options séquentielles et quelles en sont les conséquences sur les actions successives possibles. De cette manière, le chapitre vise à contribuer à la fois à une meilleure compréhension de la manière dont la participation est facilitée dans des réunions de politique « participative » et plus généralement à une meilleure identification des pratiques – ordinaires et professionnelles – qui permettent, facilitent, ou bien entravent la possibilité de s’engager dans le débat pour les participants. 1.1 Pratiques de l’animateur, formatage du débat et opportunités de participation L’organisation des réunions (meetings), que ce soit dans des contextes professionnels, commerciaux ou institutionnels, a fait l’objet d’une importante littérature en linguistique, sociologie, mais aussi management (Bargiela-Chiappini & Harris, 1997 ; Cooren, 2007 ; Holmes & Stubbe, 2003 ; Asmuß & Svennevig, 2009). Dans la perspective de l’analyse conversationnelle, adoptée ici, un des enjeux fondamentaux a consisté à montrer comment dans l’organisation séquentielle de la réunion, l’institution est accomplie, en étant à la fois exprimée et implémentée comme telle (brought into being, Boden, 1994), selon une vision réflexive du contexte (voir Mondada, 2008 [2006] pour une discussion en français de ces enjeux). Plusieurs enjeux ont été soulevés à propos de l’organisation interactionnelle des réunions. Ces interactions sont caractérisées par une gestion particulière des tours de parole, largement contrainte par le nombre (souvent élevé) de participants.

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Cela favorise des formats qui restreignent le nombre de personnes en mesure de prendre la parole et d’initier des actions, organisant ainsi l’activité en rassemblant les participants dans des parties plutôt que de les traiter comme des personnes individuelles (Schegloff, 1995). Pour Heritage & Clayman (2010) cela peut être accompli au sein de deux systèmes de gestion des tours : a) dans le turn-type preallocation system, qui caractérise les entretiens, les échanges au tribunal et des événements académiques formels, une restriction est opérée quant à l’appariement de la personne et du type d’action qu’elle effectue (par exemple, dans l’entretien, c’est l’intervieweur qui pose des questions et l’interviewé se limite à produire des réponses) ; b) dans le mediated turn-taking system, un médiateur organise la distribution des tours, en contrôlant à la fois qui prend la parole et les actions qu’il effectue (voir aussi Relieu & Brock, 1995 pour une présentation en français). Ces systèmes peuvent être implémentés de manière particulière selon les spécificités du contexte (voir Mondada, 2013, à propos du contexte qui nous intéresse ici). Le mediated turn-taking system attribue une place centrale au médiateur, appelé aussi animateur, facilitateur, chairman, etc. En analyse conversationnelle, il a fait l’objet de plusieurs analyses (Boden, 1994 : 99ff ; Pomerantz & Denvir, 2007 ; Svennevig, 2008 ; Mondada, 2013) montrant la manière détaillée dont il alloue les tours en considérant la distribution spécifique de droits et obligations à la parole, le respect de l’ordre du jour et des finalités de la rencontre, ainsi que les impératifs de temps. Ce mode d’organisation fait de la réunion un événement organisé entre deux parties (Schegloff, 1995), avec d’une part le modérateur et d’autre part le public (audience) des co-participants (Ford 2008 : 57 appelle cela une « leader-plus-others formation »). Cette bipartition reproduit et en même temps est le produit de l’institutionalité de la réunion. Néanmoins elle n’est pas simplement pré-définie mais constamment accomplie in situ : le système spécifique d’échange est implémenté localement et peut être à tout moment transformé ou abandonné en faveur d’un système alternatif (Boden, 1994 : 100 ; Mondada, 2013). C’est ainsi qu’un regard complémentaire est susceptible de se focaliser sur la manière dont les co-participants saisissent voire créent des opportunités de participation, au-delà de ce que le modérateur leur offre ou leur octroie. Ces moments ne sont pas rares (comme le dit Ford, 2008 : 60, « particular moments within the social organisation of meetings provide diverse and fleeting opportunities to speak up ») puisque dans toute organisation les moments formels peuvent être suspendus par ou alterner avec des moments d’échange plus informel. Toutefois ces « fleeting opportunities » peuvent aussi émerger malgré l’action du modérateur et être davantage négociées, voire contrées, par les co-participants. Cela est particulièrement le cas dans les réunions étudiées ici, qui sont des réunions de politique participative. Ce type d’événement politique a été très peu étudié (mais voir Mondada, 2013 ; Mondada, Svensson, van Schepen, 2014 ; 2017 sur le même terrain que celui étudié ici ; Keel, 2017 sur des réunions autoorganisées de réfugiés ; Bovet & Relieu, 2014 sur un cas de serious game consacré au développement durable), contrairement aux discours politiques (Atkinson, 1984, centrés sur la personne du politicien face à son public) et aux interviews politiques (Clayman & Heritage, 2002, centrés sur l’échange dyadique entre le journaliste et le

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politicien) (voir Keel & Mondada, 2017 pour une vision d’ensemble). S’il ressemble aux réunions de travail (cf. Markaki & Mondada, 2012 ; Mondada, 2012a ; Mondada & Oloff, 2011), il s’en distingue aussi par le fait que les droits et obligations des participants ne concernent pas uniquement l’accès ordonné à la parole selon les finalités de l’activité, mais relèvent d’une catégorie particulière de locuteurs, les citoyens, au sein d’une activité qui est localement catégorisée comme « participative » (voire relevant de la « démocratie participative »). Le droit à la parole se double ainsi d’un droit du citoyen à l’expression de ses opinions de manière égalitaire. Par conséquent dans ce contexte la notion de « participation » est une catégorie des membres, traitée comme telle de manière incarnée dans la façon dont ils gèrent leurs activités et de manière explicite lorsqu’ils renvoient à la procédure de concertation (Mondada, 2013 ; à paraître c). Cela produit des problèmes pratiques pour les modérateurs, par exemple lorsqu’ils sont confrontés à des demandes de parole multiples (pré-sélections par plusieurs participants en même temps). Dans ce cadre, ce chapitre s’intéresse à la manière dont le travail de l’animateur peut se décliner en un ensemble de pratiques méthodiques pour gérer le débat du point de vue à la fois organisationnel et politique, ainsi qu’aux conséquences organisationnelles et politiques de l’adoption de tel ou tel autre mode de gestion de la parole. Autrement dit, du point de vue politique, la manière dont cette parole médiatisée par un animateur est organisée a un impact très important sur la création, la multiplication ou bien la réduction des opportunités données aux citoyens de participer réellement au débat, d’exprimer et de faire valoir leur point de vue. Une spécificité de cette étude consiste à adopter une perspective d’analyse conversationnelle multimodale. Les ressources multimodales de l’interaction sociale – telles que les choix linguistiques, les gestes, le regard, les postures du corps, les mouvements, la manipulation d’artefacts, etc. – ont été généralement sous-étudiées dans l’analyse des réunions (mais voir Depperman et alii, 2010 ; Ford, 2008 ; Markaki & Mondada, 2012 ; Mondada & Oloff, 2011 ; Schmitt, 2004) et encore davantage dans celle des réunions politiques. Ici nous nous appuyons sur les travaux d’analyse conversationnelle qui ont montré comment l’organisation de la participation est incarnée (Goodwin & Goodwin, 2004, Goodwin, 2007), comment le statut de locuteur imminent, projetant la prise de parole, est manifesté gestuellement (Mondada, 2007), comment les demandes de parole sont effectués corporellement (Ford, 2008 ; Mondada, 2013 ; Heath & Luff, 2007), comment le fait de se lever et de se déplacer dans la salle de réunion transforme la participation (Deppermann et alii, 2010 ; Mondada & Oloff, 2011 ; Mondada, 2012a). En outre, nous tenons compte du fait que les réunions font intervenir des artefacts et autres ressources matérielles, telles que des documents, visualisations, powerPoints, etc. (Rendle-Short, 2006 ; Knoblauch, 2008 ; Mondada, 2012b, 2016 ; Ochs, Jacoby, Gonzales, 1994 ; Svensson, ce volume). L’orientation vers ces objets matériels et vers les pratiques qui les mobilisent – comme par exemple la mise en écrit publique d’idées – constitue un moment séquentiel important dans la progression du débat, posant des enjeux aussi bien en termes de traitement rétrospectif de la parole,

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maintenant inscrite, qu’en termes d’opportunités locales spécifiques de prise de parole. 1.2 La démarche comparative en analyse conversationnelle Afin de décrire les options possibles qui se présentent pas à pas dans le travail de l’animateur pour la gestion de la participation des citoyens, ce chapitre propose une analyse comparée des pratiques de deux animateurs. L’analyse comparée constitue une démarche méthodologique centrale en analyse conversationnelle. Toutefois, si la constitution de collections repose de manière cruciale sur des opérations de comparaison entre occurrences – visant à déterminer si elles relèvent bien des mêmes pratiques – et a été explicitée de manière importante (Schegloff, 1996 ; Mondada, 2008 [2011] ; Mondada, in press b), la comparaison explicite entre activités, contextes, langues est moins souvent réalisée et/ou thématisée. Les domaines où cette question a surtout été posée sont a) celui de l’acquisition des langues (en particulier dans la mouvance CA for SLA, voir Firth & Wagner, 1997 ; Pekarek Doehler 2010 ; Koschmann, 2013), qui s’intéresse à la transformation du répertoire linguistique et de la compétence interactionnelle d’un individu apprenant ; b) celui de l’analyse comparée de la grammaire en interaction (Hakkana et alii, 2009 ; Sidnell et alii, 2009) qui s’intéresse à la comparaison de formes linguistiques et de formats séquentiels dans des langues différentes, et c) celui de l’analyse historique des interactions (Clayman et alii, 2006), qui s’intéresse en particulier à la manière dont un type d’interaction – comme les conférences de presse entre journalistes et présidents américains – ou une série d’interactions (Mondada, 2014 ; à paraître c) ont évolué dans le temps. Dans ce chapitre, l’approche comparative relève à la fois de l’analyse de collections (en considérant des actions et environnements séquentiels semblables), de l’analyse des alternatives possibles pour un format séquentiel donné, et de l’analyse de répertoires de pratiques (ici professionnelles) et de leurs conséquences. D’une part la comparaison vise à comprendre quelles sont les modalités possibles par lesquelles des professionnels peuvent accomplir la même tâche – ici faciliter la participation de citoyens à des séances de discussion et réflexion politique. D’autre part, l’analyse se fonde sur un corpus qui se prête à la comparaison de plusieurs points de vue : il s’agit de deux collègues, travaillant dans la même entreprise, pour la même institution, dans deux réunions se déroulant en parallèle, avec le même type de participants et sur le même objet – dans un contexte où l’activité est censée se dérouler de la même manière. En outre, nous avons choisi pour la comparaison un épisode de discussion portant sur le même enjeu, la même thématique. Ces choix ne favorisent pas uniquement notre démarche de comparaison – dans une perspective etic – mais font écho aussi à la manière dont certains membres de ce projet politique s’y engagent : les mêmes conditions de débat citoyen sont censées être garanties pour tous les citoyens ; les réunions sont gérées et organisées par la même entreprise, mandatée par les pouvoirs publics ; les citoyens eux-mêmes participent à plusieurs réunions et peuvent comparer l’efficacité des médiateurs qui les animent. Cela donne à la comparaison une dimension emic – même si en l’occurrence nous n’avons pas d’évidences, dans les extraits spécifiques

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étudiés dans ce chapitre, que les participants se livrent à eux-mêmes à la comparaison (ils le font par contre à d’autres moments). 1.3 Les données En 2008, j’ai entrepris un terrain de longue durée, documentant un projet de démocratie participative en urbanisme dans une grande ville française. Le projet urbain concernait un site militaire, comprenant une caserne et des terrains d’entraînement, qu’il s’agissait de transformer en un parc public. La conception et la réalisation du projet ont été, dès le départ, menées en parallèle avec une démarche de concertation sollicitant la participation des citoyens qui le souhaitaient. En octobre 2008, une première réunion informa la population, invitant ceux et celles qui le désiraient à s’impliquer dans le projet. Une centaine de personnes se présentèrent. Des séances plénières d’information sur la conception du parc furent organisées pour elles (voir aussi Schepen, ce volume), suivies d’ateliers de concertation où les citoyens purent exprimer attentes et idées (voir aussi Svensson, ce volume). À la suite de ces ateliers, quelques séances d’information et de synthèse suivirent en 2009 et 2010 et de nouveaux ateliers eurent lieu en 2011. Après une nouvelle séance d’information en 2012, des visites du chantier furent organisées au cours de l’été 2013. Une première partie du parc a été inaugurée en septembre 2013. La documentation de ce projet a été accomplie au moyen d’enregistrements vidéos de toutes les séances concernant les citoyens, tenues entre 2008 et 2013, y compris les visites du site et l’inauguration1. Alors que différents types d’activités réunissent les citoyens – notamment dans des séances plénières d’information, des ateliers de brainstorming, des ateliers de discussion des plans, des visites du chantier – je me focalise ici sur deux séances de réflexion ayant eu lieu dans la première partie du projet, en 2008, où les citoyens sont invités à communiquer leurs idées, propositions et revendications au sujet du parc. Ces séances réunissent environ 25 citoyens et un médiateur-animateur. Elles ont lieu dans une salle de cours, dans une partie de l’ancienne caserne occupée par l’université. Les participants sont assis autour d’une demi-douzaine de tables distribuées dans toute la salle ; l’animateur se tient en face d’eux, avec dans son dos une série de panneaux recouvrant le tableau blanc, constituant une demi-douzaine de feuilles pendantes qui toutes portent un titre (de gauche à droite : « - Ambiances », « - Usages », « - Identités », « + Ambiances », « + Usages », « + Identités ») (Figure 1A/B). Ces panneaux sont une manière de pré-structurer le débat et les propositions des citoyens qui seront inscrites sous l’une ou l’autre rubrique (cf. Mondada, 2011 ; 2016 ; Svensson, ce volume). Chaque séance est filmée par deux caméras, synchronisées, l’une sur l’animateur et l’autre sur les participants.

1

La première partie des enregistrements a été effectuée avec mon équipe au laboratoire ICAR (CNRS & Université de Lyon) ; la seconde partie a été réalisée avec mon équipe à l’Université de Bâle, et grâce à un projet financé par le Fonds National Suisse (projet Speaking in Public, 100014_144376—100012_162689/1), au sein duquel Hanna Svensson et Nynke van Schepen réalisent leur thèse sur le même terrain et Sara Keel effectue un post-doc.

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Figure 1A/B – salle où a lieu la réunion, avec l’animatrice faisant face au public et ayant derrière elle le tableau blanc organisé en rubriques.

1.4 Une analyse comparée des pratiques de deux animateurs en interaction Dans ce qui suit, je me penche sur la discussion concernant le rejet de tout parking dans le parc telle qu’elle a été gérée par les deux animateurs dans deux séances de brainstorming parallèles. Dans les deux cas, « pas de parking » est une proposition, voire une position, clairement prise, émise et partagée par les citoyens. Elle va de pair avec un projet de parc qui privilégie les zones vertes, une approche écologique et la réduction au maximum des bâtiments, bien que ceux-ci soient assez nombreux dans l’ancienne caserne. Son expression constitue le point de départ de l’analyse, qui suit le déroulement séquentiel de la manière dont elle est proposée, dont elle est reçue par l’animateur et par les autres co-participants, ainsi que dont elle est inscrite sur un tableau blanc (2.). Cette première étape met à jour le fonctionnement routinier de la gestion du brainstorming par l’animateur, organisée en séries d’épisodes comme celui-ci et dont le traitement est à la fois routinisé et standardisé (Mondada, à paraître a). La comparaison de la manière dont cette première séquence est organisée dans les deux cas permet de relever un certain nombre d’enjeux liés aux variations du formatage de la participation. Par la suite, même si la proposition a été inscrite – ce qui constitue une forme d’irréversibilité – les deux épisodes étudiés sont caractérisés par des expansions dues à l’engagement des participants dans des élaborations et approfondissements ultérieurs, sous la forme de distinctions supplémentaires, voire de formulation d’exceptions (parking interne vs externe au parc, prise en compte de la circulation de service ainsi que de l’accès des handicapés, etc.). Le traitement de ces distinctions met à jour des pratiques fortement contrastées entre les deux animateurs, qui ont des conséquences organisationnelles importantes pour la manière dont le débat se déroule, dont les citoyens participent et dont les acquis de la discussion sont inscrits (3.). De manière plus générale, la façon dont les tours de parole sont gérés et médiés par les animateurs au fil de ces deux épisodes est très différente, conformément à la manière dont sont organisées les séquences (4.). En conclusion (5.), un certain nombre de caractéristiques permettent de distinguer deux manières de faire, deux ensembles de pratiques, dont les conséquences sur le mode et les opportunités de participation

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pour les citoyens montrent bien les enjeux politiques et non seulement interactionnels des méthodes régissant le travail des animateurs. 2. La formulation de la proposition initiale et son traitement par l’animateur et par les co-participants La formulation initiale d’une proposition par un citoyen, ouvrant un épisode durant lequel elle sera discutée et finalement inscrite, permet d’étudier les pratiques à travers lesquelles les animateurs gèrent ces activités et les citoyens y participent. En l’occurrence la proposition étudiée ici recueille immédiatement l’accord des présents (contrairement à d’autres propositions qui génèrent du désaccord – par exemple « fermé la nuit », cf. Mondada, 2012b). Dans ce qui suit, nous allons nous pencher successivement sur le début de l’épisode chez les deux animateurs, Prévost d’abord, dans le groupe A (2.1) et Pelletier ensuite, dans le groupe B (2.2). 2.1 Ouverture de l’épisode chez Prévost À la fin de la discussion et inscription de la proposition précédente, un nouveau slot est ouvert par Prévost redonnant la parole au même groupe qui avait soumis l’idée précédente : Extrait 1 (GrA, 1-47) 1 PRE fig

*d’aut` cho#:*se pour vot`groupe? *pointe v groupe*regarde v groupe--> #fig.2

2 2 3 4 5 6

? MAU JAU LAT

7 PRE 8 ? 9 LAT fig

°ah oui° °le bâtiment xxx hein c’est ça?° °°qu’on avait dit°° euh:[:::::: °qu’est-ce que on avait dit d’autre° [oui.h o- on avait dit s- qu’on voulait +pa:s de par[ki:+ng/ +pouce levé: no 1+ [sch:: alors/* #PAS [de: # s’il [vous plaît/ [schhhh [pas d*pivote et marche v tableau-> #fig.3 #fig.4

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3 10 PRE 11 LAT pre 12 COL? 13 PRE fig

4

pas de: pas de par*king\* -->*se retourne v sa Dr, ouvre feutre* *pas de parking\ *se tourne v tabl---> °ah ben ouais° o*ui?* ou pas? # >*,,,*se tourne v salle, geste circulaire--> #fig.5

5 14 POU? fig 15 LAG 16 COL? 17 PRE 18 LAT 19 LAG 20 LAT pre

6

>ah ben qui dit pas de circula#tion (dit pas d`parking)< #fig.6 [°externe ou interne° [y a pas d’voiture/ y a pa[s xxxxxx[ouais sauf que *((tousse)) --->*v tabl-> euh enfipériphérique/ (.) ou [inter*ne\ °après euh° [moi j-* -->*écrit pas de parking-->

Prévost initie une nouvelle séquence, en pointant vers « votre groupe » (1) qu’il sélectionne ainsi de manière publiquement audible et visible (Figure 2). Il ouvre ainsi une place séquentielle offrant la possibilité au groupe de répondre avec une proposition. Le groupe y répond avec plusieurs prises de parole (2-6) qui montrent une coordination émergente, renvoyant à des échanges précédents (« on

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avait dit » 3, 4, 5) et fondant sur eux la légitimité de la proposition. C’est finalement Latuillière qui propose « on voulait pa:s de parki:ng » (5-6). Son énoncé se caractérise par une prosodie avec intonation montante typique des listes (Selting, 2007), configurant cette proposition comme la première dans une suite projetée, tout comme le fait le geste affichant le numéro 1 par levée du pouce. Toutefois à ce moment Prévost intervient (7) en s’orientant vers des échanges parallèles en cours, créant un bruit de fond, par un rappel à l’ordre qui est relayé par un autre participant (8). Cette intervention imbrique le rappel à l’ordre dans la répétition de la proposition (7, 10) : Prévost utilise habilement la gestion des tours de parole pour la publicisation de la proposition, de manière à attirer l’attention de tous les participants (y compris ceux qui sont en train de parler en aparté) vers cette dernière. Cela a aussi pour effet de mettre en avant cette proposition tout en suspendant les projections de la liste émergente. En même temps, tout en répétant le début de la formulation (« PAS de: » 7) Prévost se tourne vers le tableau et s’approche de lui (Figures 3-4) : de cette manière il projette une inscription imminente de la proposition et la traite comme aproblématique. Toutefois l’inscription n’est pas immédiate : il se retourne vers la salle (et Latuillière) à la fin de son tour, et produit une répétition de la proposition, qui devient une demande de confirmation adressée à son auteur/porte-parole, ouvrant un slot pour une confirmation de sa part (11 – Latuillière avait déjà commencé à confirmer un peu avant, 9, en réponse à « PAS de: » 7). En se retournant vers Latuillière, Prévost décapuchonne son feutre, préparant ainsi l’outil qui lui permettra d’inscrire la proposition au tableau. Cela constitue une nouvelle forme de projection de l’inscription. Dès que Latuillière a confirmé en répétant « pas de parking » (11), il se tourne à nouveau vers le tableau. Même si la projection de l’inscription est ici très forte, Prévost se retourne une nouvelle fois vers la salle (13, Figures 5-6), s’orientant peut-être vers des réponses peu convaincues (12), en demandant non seulement une confirmation mais un accord, et en s’adressant cette fois à tous les participants. Cette demande d’accord est notamment réalisée par un geste circulaire (Figure 6) qui parcourt toute la salle et l’inspecte à la recherche de désaccords possibles. De manière intéressante ce geste circulaire est à la fois un pointage générique vers plusieurs parties de la salle – permettant en quelque sorte à toute personne/table/groupe de prendre la parole – et un geste fait avec la main tenant le feutre ouvert – matérialisant le maintien de la projection de l’inscription imminente. Les réponses sont produites en chevauchement, dans un brouhaha général : Prévost les traite comme un accord en faveur de la formulation, puisqu’il se tourne à nouveau vers le tableau (17) et cette fois inscrit la proposition (20). Cet extrait montre à l’œuvre le travail de l’animateur a) organisant la sélection et prise de parole du prochain groupe de citoyens, b) aménageant une plage séquentielle pour la formulation d’une proposition, c) dont il projette l’inscription – la considérant ainsi consensuelle et aproblématique –, d) tout en la vérifiant auprès de son auteur, la rendant publique par sa répétition, puis demandant l’accord de la

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salle à son sujet, e) avant de l’inscrire de manière définitive. L’inscription est ainsi le résultat d’un travail qui transforme progressivement une parole individuelle/de porte-parole en une parole collective agrée par tout le monde, une parole énoncée de manière située et contingente en une parole inscrite et stabilisée. 2.2 Ouverture de l’épisode chez Pelletier Si l’on se tourne vers la séance gérée par l’autre animatrice, Pelletier, on constate qu’en une position séquentielle similaire, après que la discussion de la proposition précédente ait été clôturée, une nouvelle séquence est initiée introduisant une nouvelle proposition – qui porte elle aussi sur « pas de parking ». Extrait 2 (GrB, 1-47) 1 MAC 2 pel 3 PEL 4 MAC 5 fig 6 pel 7 PEL fig

((se racle la gorge)) (1.0) * (0.3) * *nod----* [°on vous écoute°] [euh::::::::::::]: dans/ toujours les:: c`qu'on souhaite pas/ pas d’parking# #fig.7 (0.8) * (0.2) * *nod----* °d'*accord\°# est-c`que ça pareil ça::/#* *marche v tabl à sa Dr en reg v salle à G* #fig.8 #fig.9

7

8

9 8 pel 9 LAU

*(0.3) *s’arrête et reg latéralement la salle--> >on en a pas parlé
*tourne la tête v tableau---> [on a pas eu] l’temps on *confirme ->*se tourne v tableau-> (0.6)* ->*s’apprête à écrire-->

Le début de cet extrait se situe après la clôture de l’épisode précédent. Ce moment est identifié par tous les participants comme un point de transition : il y a un silence, une participante se racle audiblement la gorge (1) avant de prendre la parole (4). L’animatrice s’oriente immédiatement vers cette personne en hochant positivement la tête (2) et en disant « °on vous écoute° » (3) à voix basse et en chevauchement avec son pre-beginning (« euh ::::::::::: »). La citoyenne en question n’est pas dans le cadre de la vidéo, mais elle est reconnue de manière précoce par l’animatrice, qui en encourage la prise de parole. C’est aussi la citoyenne qui a déjà présenté la proposition précédente, pour son groupe, et qui agit ainsi en tant que porte-parole. Le rôle de porte-parole se manifeste par l’usage du pronom « on » ainsi que par la mention du fait que la proposition appartient à une série d’arguments négatifs (« dans/ toujours les:: c’qu’on souhaite pas/ » 4-5), qui correspond à une rubrique du tableau d’inscription (« – usages »). Ainsi préfacée, la proposition est ensuite produite (« pas d’parking » 5). La proposition est reçue par l’animatrice par un hochement de tête (6) puis la particule « °d’accord\° » (7). Ces deux éléments de réponse sont perceptibles mais ne sont pas spécifiquement produits de manière publique ; ils semblent plutôt relever de la réception individuelle de Pelletier. En revanche, ce qui suit est adressé à la salle – une question qui porte sur la proposition (qui n’est pas reformulée mais rappelée à l’aide du pronom anaphorique « ça ») et qui constitue un énoncé inachevé (« est-ce que ça pareil ça::/ 7 »). Dès le début de ce tour, Pelletier – qui jusque là faisait face à la salle (Figure 7) – commence à se déplacer vers l’extrémité du tableau (Figure 8) où se trouve la rubrique « –usages », projetant une inscription. Tout en marchant, elle se tourne de biais vers la salle, à qui la question est adressée (Figure 9). Ce positionnement de l’animatrice relève d’une double orientation corporelle (body torque, Schegloff, 1998), qui rend pertinents deux espaces, celui de l’inscription (le tableau) et celui de la discussion (la salle). Toutefois cette posture n’est pas orientée vers la totalité de la salle, mais vers une partie seulement, qui se trouve vers l’extrémité du tableau – en particulier la table qui est capturée par l’image de la caméra à gauche dans la figure 9. Cette orientation corporelle est importante pour ce qui se passe dans la suite immédiate : elle favorise un échange entre l’animatrice et cette table. En effet, les personnes qui répondent (9-13) à la question posée par Pelletier sont toutes attablées en cette partie de la salle. Dès la troisième réponse, l’animatrice se tourne vers le tableau ; durant la cinquième, elle s’apprête à inscrire la proposition.

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Le début de ces deux épisodes présente un certain nombre de pratiques similaires : un point de transition entre un épisode et l’autre est identifié, une nouvelle séquence est initiée et une proposition est formulée ; elle est traitée comme aproblématique par l’animateur qui s’oriente vers et projette très tôt son inscription ; elle fait l’objet d’une vérification auprès du public avant d’être inscrite. Toutefois, au-delà de ces similitudes, quelques différences sont remarquables : Prévost sélectionne explicitement le groupe à qui il offre de faire une proposition, alors que Pelletier laisse la porte-parole du groupe s’auto-sélectionner (dans les deux cas, il s’agit du même groupe/porte-parole que dans l’épisode précédent) ; Prévost répète à haute voix la proposition, la vérifiant et la soumettant à l’accord de la salle, alors que Pelletier pose une question très peu explicite et incomplète, qu’elle adresse à une partie de la salle uniquement. Ces éléments permettent d’identifier quelques pistes pour la comparaison entre les pratiques des deux animateurs, que nous allons développer sur la base de la suite des deux épisodes. 3. Développements ultérieurs de la proposition initiale : élaborations, distinctions et exceptions Même si la formulation initiale de la proposition reçoit un accord immédiat, la suite des discussions fait émerger plusieurs interrogations : malgré l’évidence de l’accord, la proposition doit être spécifiée dans ses détails. Cela soulève des problèmes pratiques aussi bien pour l’animateur – comment gérer les spécifications de la proposition initiale – que pour les citoyens – comment et à quel moment proposer des modifications de façon adéquate. Ces expansions commencent déjà lors l’inscription de la proposition au tableau. Dans ce qui suit nous analysons d’abord leur traitement par Prévost (3.1) puis par Pelletier (3.2). Afin de faciliter la localisation des extraits analysés dans la totalité de l’épisode – que nous n’analysons pas de manière linéaire, ni exhaustive – les lignes de la transcription sont numérotées en continu du début à la fin de l’épisode, permettant ainsi au lecteur de relier entre eux les extraits et de rétablir une certaine continuité si nécessaire. 3.1 Spécifications ultérieures de la proposition gérées par Prévost Lors de la première inscription de la proposition, émergent des interrogations sur sa portée, qui sont ultérieurement explicitées par Prévost (3.1.1), avant d’être inscrites, une fois un accord étant clairement atteint à leur propos (3.1.2). 3.1.1 Elaborations ultérieures Alors que Prévost est en train d’inscrire « pas de parking » plusieurs voix se font entendre qui discutent la portée de cette proposition. En particulier, deux prises de position (par Latuillière, d’abord, puis par Maurane) viennent la modifier. Latuillière soulève un point de dissension éventuel pendant que Prévost est en train d’écrire :

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Extrait 3 (GrA, 44-64) 18 LAT 19 LAG 20 LAT pre 21 LAT  22 23 24 MAU 25 JAU 26 pre 27 PRE 28

euh enfipériphérique/ (.) ou [inter*ne\ °après euh° [moi j-* -->*écrit pas de parking--> moi j` voulais pas d- e- moi pour moi c’était pas d` parking interne ou externe/ mais j` pense quej` pensais que c’était [comme ça pour tout l` [monde [mais si [oui oui non mais pour moi [c’est* (pareil) -->*se retourne v salle--> [ALORS/ (0.7)* ->*fait face à la salle, s’approche de LAT--> 29 PRE  pas d`parking >interne externe?< 30 salle ((inte*rventions [parallèles)) -->*

Alors que Prévost est toujours tourné vers le tableau et écrit, une discussion est audible à la table de Latullière (18-20), qui aboutit à une prise de position de ce dernier (21-23) : elle consiste à rejeter tout parking, aussi bien interne qu’externe. Alors que Maurane semble ne pas être d’accord (24), Jaunier s’aligne avec Latuillière (25). La discussion reste limitée à cette table, jusqu’à ce que Prévost se tourne à nouveau vers la salle, et s’approche de Latuillière. L’animateur redirige vers la salle, sous forme de question (29), l’élément de débat de cette table particulière, le rendant ainsi public. La réponse qu’il obtient à la question est celle de Maurane, dans l’extrait suivant (31, 35-37). Cette dernière se distancie de la position de Latuillière et formule une exception, en proposant de garder un parking externe pour les handicapés (voir extrait 20 infra pour une analyse de la réparation, omise ici). Cette prise de position n’est pas immédiatement traitée par Prévost, qui y revient toutefois moins d’une minute après, en la reformulant (57) : Extrait 4 (GrA, 58-) 29 PRE 30 salle

pas d`parking >interne externe?< ((inte*rventions [parallèles)) ->* 31 MAU  [•excepté [euh *à l’en*tr[ée ((4 lignes omises, réparation de la proposition de MAU)) 35 MAU exc*epté à l’en*trée où i- y a déjà le: parking prépre *pointe v MAU* 36 enfin déjà un existant/ (.) ou ça peut être une euh 37 desserte/ et euh parking pour euh: handi[capés ((20 lignes omises, discussion d’un autre point soulevé par LAT)) 57 PRE  est-ce que si je* marque pas de* nouveau parking externe *se tourne v salle*s’approche des parts-> 58 (0.5)* pre ->* 59 MAU °oui::° 60 PRE c’e*st ça qu`vous voulez un peu [dire? *pointe v MAU---> 61 MAU? [oui (.) oui 62 PRE par*ce que madame a (même) dit (0.3) *y a un p`tit ->* *geste carré->

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174 63 PRE 64 BLO pre

truc [devant/ on peut l’garder\=* [y a (celui) existant ->*

Après une discussion portant sur un autre élément soulevé par Latuillière (non cité ici), Prévost revient sur la proposition de Maurane, qu’il reformule en s’approchant à nouveau de la salle (57). Le lien entre sa question (57) et la proposition précédente de Maurane (31, 35-37) est visible dans la citation de ses paroles précédentes et dans le geste de pointage vers elle (60). Maurane d’ailleurs lui répond immédiatement (59, 61). Cependant la reformulation n’est pas uniquement une vérification de la proposition auprès de Maurane, c’est aussi sa publicisation pour tous les co-participants en vue de l’établissement d’un accord (comme le montre Blondin, ligne 64, en co-produisant la reformulation de l’animateur). Les deux derniers extraits rendent observable une technique récurrente, consistant à répéter ou reformuler une proposition en s’adressant à la fois à son auteur (pour vérification et confirmation) et à l’ensemble des présents (pour publicisation de l’idée) (cf. Mondada, 2015 pour une description systématique de cette pratique). Cette pratique est importante pour transformer une idée individuelle en une prise de position collective partagée (Mondada, 2013). En outre, cela a des conséquences pour la manière dont finalement la proposition sera inscrite. 3.1.2 Etablissement de l’accord et inscription Une fois énoncée, puis publicisée, la proposition est soumise par Prévost à l’accord de la totalité des participants pour être ensuite inscrite. Dans l’épisode analysé, deux spécifications ont suivi l’inscription de « pas de parking » : Latuillier suggère que cela concerne les parkings internes aussi bien qu’externes, Maurane suggère d’utiliser un parking externe existant pour les handicapés. Prévost traite ces propositions en deux phases distinctes, qu’il soumet à l’accord. Premièrement (cf. ligne 43, « alors déjà/ »), il traite la question du parking interne (durant les lignes omises de l’extrait 4) : Extrait 5 (GrA, 88-113) 43 PRE 44 45 46 47 48 49 50

JEA ? POU

GIL? pre 51 PRE 52 53 PRE 54 POU 55 MAU pre 56

alors déjà/ *on est bien* d’accord si j’ai bien compris >>marche v tabl*se retourne* *pas d`parking* interne\ *geste circ nég*regard circulaire sur la salle--> (0.3) >non< `fin/ ah ben à terme c’est sûr hein (0.3) c’est *sûr/ >y a pas d`voitu*res< *geste de négation----*se tourne v tableau--> oké\ (0.3) donc on [lai*sse [>y *a pas d` voiture y a [pas d` parking hein< [si à terme c’est sûr --->*ajoute interne---> (0.7)* ->*

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L’accord est ici traité comme acquis (43) tout en étant soumis à confirmation : Prévost propose une formulation de la position (44) qui ressemble à la précédente mais qui ajoute une spécification (l’adjectif « interne » modifiant le nom « parking »). Cette demande de confirmation est accompagnée d’un geste de négation qui effectue une large trajectoire circulaire en l’air et en même temps d’un regard circulaire (44) qui scrute visiblement la salle – et qui incarne la possibilité laissée à qui le voudrait de manifester une opinion contraire. Plusieurs réponses manifestent l’affiliation des participants (46-50, puis 54-55). La conséquence de cet accord est à la fois visible dans le mouvement de Prévost qui se tourne vers le tableau (50) et dans son « oké » (51). Elle est aussi audible dans sa conclusion (53, qui constate que la proposition de départ peut être maintenue) et visible dans le fait qu’il ajoute un élément écrit à l’inscription initiale (« interne » 55, ajouté sur la même ligne que l’inscription précédente, « pas de parking »). Une fois atteint un accord concernant les parkings internes, Prévost passe à la question des parkings externes. À nouveau, il reformule publiquement la proposition (66) : Extrait 6 (GrA, 145-165) 66 67 68 69 70 71 72

PRE ? PRE GIL LAT ? HAB pre fig 73 PRE 74 F? 75 PRE pre fig

[donc pas de création d’parking externe\ ouais c’est ça qu`j`peux [comprendre [voilà ouais oui *limiter un- un trafic *exté#rieur *pointe v HAB----------*geste circulaire v salle-> #fig.10 tout l` monde est [d’accord? [oui [pas d`n#ouveau parking* exte*rne?* ->*,,,,,*nod*se retourne v tabl--> #fig.11

10 76 JAU 77 LAT 78 pre 79 PRE 80

11

j`le marque déjà moi pas d’aspirateur à voiture *(5.3) *écrit pas de nouveau parking externe--> oké (2.2)

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La publicisation de la proposition de Maurane (66) reçoit des réponses positives (67, 69-72). Cela ne suffit toutefois pas, puisque Prévost initie un large geste circulaire en pointant vers la salle (72, Figures 10-11), incarnant – comme le faisait le regard circulaire de l’extrait précédent (44) – l’opportunité offerte à une dernière prise de parole manifestant un possible désaccord – en même temps qu’une demande explicite d’accord de « tout le monde » (73). Une fois achevée la trajectoire du geste circulaire, inspectant la salle de droite à gauche, Prévost se tourne vers le tableau et inscrit, sous la précédente (« pas de parking » + « interne »), une nouvelle proposition : « pas de nouveau parking externe » (78). Les extraits analysés dans cette section permettent de reconstruire les techniques récurrentes de Prévost : en réponse à sa sollicitation des citoyens/du groupe qui était en train de communiquer ses idées, un participant prend la parole, fait une proposition. Cette proposition est répétée ou reformulée par l’animateur, qui en demande confirmation à l’auteur et en même temps la publicise pour l’ensemble de la salle, engendrant ainsi la confirmation de la collectivité. La référence à la compréhension de Prévost (« c’est ça qu`j`peux [comprendre » 68, « si j’ai bien compris » 43) montre un travail actif d’accomplissement de l’intersubjectivité du groupe présent – essentiel pour la constitution de propositions entendues de manière partagée et collective. Cela constitue aussi la base pour la vérification finale et l’établissement de l’accord général. Après les avoir assurés, l’animateur se tourne vers le tableau et y inscrit la proposition. 3.2 Spécifications ultérieures de la proposition gérées par Pelletier Le travail de Pelletier se situe dans une écologie fort semblable à celle de Prévost (dans le même type de salle, où le même type de tableau est affiché, avec les mêmes rubriques) et des pratiques similaires, tout en présentant des variations intéressantes. L’activité de brainstorming inclut toutefois des déroulements de séquences beaucoup plus complexes et étendus, qui montrent à la fois la subtilité des modes de négociation et de débat chez les citoyens et le fait qu’elle génèrent pour les animateurs des situations complexes à gérer, dépassant largement l’organisation apparemment simple de la séquence proposition / discussion / reformulation / accord / inscription (cf. 3.1). Afin d’explorer ces complexités et les défis qu’elles représentent pour les animateurs, nous allons nous pencher sur trois environnements séquentiels : les propositions des citoyens, qui sont toutes auto-initiées (3.2.1) ; l’orientation des animateurs vers une catégorie particulière de participants, les experts (3.2.2) ; et les modalités d’inscription des propositions (3.2.3). 3.2.1 Initiation des propositions par les citoyens Dans cet épisode géré par Pelletier, les prises de parole des citoyens énonçant une proposition ou des modifications de la proposition initiale sont toutes auto-initiées, par des locuteurs qui s’auto-sélectionnent en des positions séquentielles qui toutes se situent à la fin d’une séquence ou dans une phase de transition vers une nouvelle séquence clairement reconnaissable : la première auto-sélection se situe au début de l’épisode, qui est initié par une citoyenne (3.2.1.1) ; les auto-sélections successives

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se situent à un moment où l’animatrice est en train d’écrire (3.2.1.2) et les suivantes à la fin possible d’une séquence (3.2.1.3). 3.2.1.1 Initiation de la proposition initiale par une citoyenne Si l’on revient sur le début de l’extrait 2, on se rappelle que l’animatrice avait simplement ratifié l’auto-sélection (par le raclement de gorge et par le « euh ::::: » prolongé) de Macillier : Extrait 7 (GrB, voir extrait 2 supra) 1 MAC 2 pel 3 PEL 4 MAC 5 6 pel 7 PEL

((se racle la gorge)) (1.0) *(0.3)* *nod--* [°on vous écoute°] [euh::::::::::::]: dans/ toujours les:: c`qu'on souhaite pas/ pas d’parking (0.8) *(0.2)* *nod--* °d'*accord\° est-c`que ça pareil ça::/* *marche v tabl à sa Dr en reg v salle à G*

La séquence est initiée par Macillier, qui l’inscrit dans une série de propositions faites par sa table concernant la rubrique « – usages » du tableau. Ce faisant Macillier légitime sa prise de parole ; elle déploie aussi sa maîtrise de l’organisation du débat, en identifiant le slot pertinent où non seulement s’autosélectionner et initier une séquence mais aussi initier un nouvel épisode thématique dans le débat. La réponse de l’animatrice est d’abord un hochement de tête et une particule de réception prononcée à voix basse (7), relevant plutôt d’une réponse individuelle que d’une gestion officielle de la proposition. Ensuite l’animatrice produit une question qui est adressée à la salle : elle emploie une forme très elliptique (« ça ») et dont le sens renvoie à d’autres questions qu’elle a posées précédemment (« pareil ») – mais qui semble comprise par un certain nombre de co-participants. D’autres occurrences semblables seront observées ci-dessous. 3.2.1.2 Initiation d’actions lors de l’inscription au tableau Une série de séquences sont initiées par les citoyens alors que l’animatrice vient de commencer à écrire au tableau ; ces initiations s’orientent vers ce que représente le passage à l’écriture – une décision irréversible – et traitent donc l’écriture comme clôturant la discussion précédente ; elles y sont sensibles parce qu’elles traitent aussi le contenu en train d’être écrit comme n’ayant pas résolu ou épuisé la discussion – dans ce sens, comme étant non clos ou non encore clôturable. Trois auto-sélections initient une séquence question/réponse : Extrait 8 (GrB, tout de suite après extrait 7) (27) 14 pel 15 BAU pel

(0.6)* ->*s’apprête à écrire-->  >c’es-< à l’intérieur ou pa:s à l’intéri*eur? ->*tourne tête v salle->

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Extrait 9 (GrB, 40) 23 pel 24 LAU 25 26 LAU 27 PEL 28 PEL

(0.3) * (0.3) *commence à écrire pas de parking sous ‘- usages’->  c’est toujours pour la circulation motorisée ou euh? (0.6) (y a pas) d’sta[tionnement xx [AH\ *ALORS/ [pas- pas d-*quand on dit pas de par*king/ *finit d’écrire king*buste v salle--------*corps v salle->

Extrait 10 (GrB, 60) 34

[(0.5) * (6.2)% pel -->*écrit à l’intérieur du parc--> 35 salle [((discussions parallèles))% 36 VIG  >c'est*-à-dire< (0.3) on a bien dit qu'on n`parlait pel ->*se retourne v VIG-----> 37 que* d`l'intérieur? pel ->*reg v salle-> 38 (0.6) 39 PEL *°oui°* *nod-* 40 (0.5) 41 VIG donc +euh: +secoue les épaules--> 42 * (1.0) +* pel *sourit et ouvre les bras* vig ->+

Dans les trois cas, l’animatrice s’apprête à écrire ou vient de commencer à écrire : son geste projette une activité qui progressivement inscrit le résultat de la discussion précédente. Cet environnement séquentiel est choisi par les participants pour poser des questions. Dans les deux premiers extraits, elles verbalisent des alternatives (le connecteur « ou » articule deux options dans la question de Baumier [15] ; il est placé à la fin de la question de Laurencin [24]), dans le troisième, Vignaux pose une question de confirmation (36-37). Dans tous les cas, ces questions ont un effet sur l’inscription, puisque celle-ci est suspendue par Pelletier qui se retourne vers la salle. Toutefois, à ce moment elle ne procède pas à une gestion publique de leur réponse : dans le premier cas, ce sont les citoyens qui répondent directement (cf. infra extrait 18) ; dans le deuxième, elle répond d’abord avec un change-of-state token (« AH » 27) qui manifeste une certaine surprise ; dans le troisième, elle répond par la particule « °oui° » et un hochement de tête. En outre, alors que Vignaux continue l’échange (41), il le fait avec un énoncé inachevé syntaxiquement et achevé gestuellement, auquel l’animatrice répond avec un sourire et un geste en retour – dans un échange privé et corporel entre les deux (cf. aussi extrait 19). Donc, si une réponse est produite par Pelletier, comme dans les deux derniers extraits, elle ne prend pas en main la gestion du débat en en publicisant les enjeux – elle se présente comme relevant d’une participante ordinaire à l’interaction plutôt que comme émanant de l’animatrice de la réunion. Ce point sera approfondi sur la base de la collection étudiée dans la prochaine sous-section.

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3.2.1.3 Initiations positionnées après la clôture de la séquence précédente D’autres initiations de séquences sont accomplies par les citoyens dans un environnement où la séquence précédente a été clôturée, ouvrant un slot pour une activité successive. Extrait 11 (GrB, 130) 75 PEL 76 X1X pel 77 LAU  pel 78 pel 79

[il faudra la modér[er* [il* faudra la modérer ->*trace un cercle rouge---> ceci dit c'est des *questions qui:: qui se posent ->*ferme le stylo et se tourne v salle-> (en xx) en question* –fin* en fonction des usa:ges/ *`fin* ->*nods* *nods* (0.8)

Dans ce cas, la séquence est clôturée à la fois par une prise de décision ratifiée par les participants (75-76) et par l’inscription d’un petit cercle rouge qui implémente cette décision (76) (cf. infra 3.2.3.3). Laurencin s’auto-sélectionne à cet endroit précis pour initier ce qui deviendra une longue critique de la procédure suivie (cf. infra 3.2.2, extraits 14 et 15). Le fait qu’un autre citoyen s’oriente vers la clôture de la séquence précédente est visible dans l’extrait suivant : Extrait 12 (GrB, 231) 136 ? 137 PEL

voilà\ je pen*se *se retourne v tableau-> 138 (0.2)* -->*approche le feutre de la feuille-> 140 LEO  est-c`qu’on pourrait [parler] de & 141 PEL [on peut-] 142 & *circulation d`service\ pel ->*se retourne v LEO--->

La séquence précédente est close par une particule terminale à intonation descendante (« voilà\ » 136) et par l’animatrice qui se tourne vers le tableau. Elle s’apprête à écrire (138) et produit un tour (141) qui peut être entendu comme une invitation à passer au prochain point de débat. Mais l’initiation de Léonard (140) suspend son écriture (et son invitation possible). Il propose (sous la forme d’une question) de tenir compte d’un autre aspect pouvant constituer une exception au bannissement des parkings – les véhicules de service dans le parc. Léonard traite ici la séquence précédente comme clôturée et ne tient pas compte du geste de Pelletier s’apprêtant à écrire : la nonpublicisation de ce geste fait qu’il n’est pas considéré comme une action à part entière dont il faut tenir compte dans la progression de l’interaction. La dernière instance d’auto-sélection proposant une nouvelle exception à la proposition initiale est observable alors que l’animatrice a complété son inscription (« pas de parking ») et projette le passage à un nouvel argument dans le débat (185) :

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Extrait 13 (GrB, 305) 184 185 186 187 188 189 190 191

(1.6) PEL ensui:te/ °on::° ANV  faudrait prévoir quand même un petit parking/ (0.3) ANV pour les:: pour les handicapés (0.9) PEL ah\ (0.5) * (0.2) *va vers la rubrique ‘+usages’--> 192 PEL alors est-c` que:: [ça ça a pas été *] -->*

Après une pause, l’animatrice initie la transition vers un autre point du débat (185). Mais Anversi intervient avec une nouvelle proposition qui vient contredire la radicalité de la proposition « pas de parking » (186) pour une catégorie spécifique (188). L’animatrice répond à nouveau par un change-of-state token « ah\ » (190) et se déplace vers la rubrique où cette proposition pourrait être inscrite. Ici aussi – comme dans les extraits 7, 9, 10 – la réponse de l’animatrice ne relève pas d’un traitement public de la proposition (par exemple à travers des pratiques de reformulation) mais d’une réaction personnelle (manifestée par sa surprise). En outre, ici aussi – comme dans l’extrait 7 – lorsqu’elle reprend publiquement la proposition, elle le fait de manière elliptique, avec le pronom « ça » et dans une question inachevée (192). Elle traite donc la proposition comme ayant été établie pour tous de manière audible et compréhensible, et elle ne la reformule pas en la redirigeant vers la salle (comme le fait régulièrement Prévost). Sur la base de cette petite collection établie au sein de l’épisode, on peut observer que les participants identifient méthodiquement certaines positions séquentielles comme pertinentes pour l’initiation d’une nouvelle action qui soit traite un élément non considéré dans la séquence précédant l’inscription, soit un nouvel élément à considérer. Les réponses de l’animatrice sont souvent personnelles ; lorsqu’elle prend en charge publiquement ces actions, elle le fait avec des tours caractérisés par une forte indexicalité (extraits 7, 13), bien qu’imbriqués dans la séquentialité des échanges et interprétables dans la continuité du débat (comme le montre l’absence de réparations). Cela contraste avec les répétitions et les reformulations explicites effectuées par Prévost. Une conséquence (voir plus bas) est que les propositions ne sont pas publiquement discutées avec toute la salle et qu’elles ne font pas l’objet d’un accord général avant d’être inscrites. 3.2.2 Autorités épistémiques : gestion du débat et recours aux experts Durant ce débat sur le parking, un citoyen s’auto-sélectionne pour initier une action spécifique : il ne pose pas de questions ni fait de suggestions, mais il formule une critique radicale de la manière dont le problème est discuté.

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Voici l’initiation de la critique : Extrait 14 (cf. extrait 11 supra, extrait 19 infra) (GrB, 130) 77 LAU pel 78 pel 79 80 LAU 81 82

 ceci dit c'est des *questions qui:: qui se posent ->*ferme capuchon du feutre, se tourne-> (en xx) en question* –fin* en fonction des usa:ges/ *`fin* ->*nods* *nods* (0.8) on:: faire des: (.) des revendications en soi/ pour moi ça m` semble pas avoir de sens\ (0.7)

Cette intervention est intéressante à plus d’un égard (sur les tentatives ayant précédé cette auto-sélection, voir l’extrait 19 infra – ici nous nous focalisons sur l’action effectuée par Laurencin et ses conséquences). En étant initiée alors que l’animatrice a inscrit « pas de parking + à l’intérieur du parc » et qu’elle a ajouté un signe indiquant que la proposition est sujette à discussion, elle se situe à un moment où le débat pourrait être clos (comme le montre aussi le fait que Pelletier remet le capuchon du feutre, indiquant que l’inscription est terminée) et rétrospectivement met en cause la manière dont il a été mené jusque là (il a une portée rétrospective très large, incluant tout l’épisode jusque là). En outre, sa critique ne porte pas uniquement sur la procédure suivie par l’animatrice mais aussi sur les propositions (« revendications en soi » 80) des autres citoyens. La critique se déploie sur deux points : a) il est absurde d’exclure les parkings sans savoir à quels usages sera dédié le parc, b) cette décision pose le problème des parkings existants, qui en toute logique devraient être démolis. Nous reproduisons cet extrait dans sa totalité pour nous focaliser sur quelques aspects en particulier : Extrait 15 (GrB, 130) – continuation de l’extrait précédent 82 83 84 85 86

LAU ?

87 88 89 90 91 92 93

GEO LAU pel PEL fig

(0.7) (j`pense) tant qu'on sait pas [les usa:ges qui vont [schhht °qui v-° qui vont: qui vont avoir lieu/ dans cet espace euh: (0.5) décider euh (0.2) abruptement qu’y +a pas b`soin +reg plan--> d` parking/+ (0.3) moi j`pense que l`parking existant ->+pointe av stylo s/ plan----> qui est: devant l'entrée principale/ je sais pas si i fait partie déjà: de- du périmètre du p:arc/+ (0.2) s’il est dedans dehors: +[euh: (0.5) ->+ +pointe v plan--> [oui xx .h du *péri*[mètre >considéré *[alors c'est ] # #fig.12

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12 PEL reg vers les experts, alors que LAU regarde et pointe vers le plan 94

LAU pel fig

[MAIS Y +A un pa]rking/ (.) *qui# existe ->+ *pointe v EXP/NAV av feutre-> #fig.13

13 PEL pointe vers les experts, LAU la regarde 95 96 97

GEO NAV PEL

98 99

LAU PEL

100 101 102 103 104 105 106 107 108 109

pel NAV LAU XXX XXX LAU PEL

[xxxxxxxxxxxx] on considère qu'il est dedans= =A*H/ ->*reg EXP/NAV et lève le feutre en l’air---> il est tout+ pet[it: et] [on con]*sidère* -->*,,,,,,* [on considère qu’il est *dedans\] *reg vers EXP/NAV-> [xxxxxxxxxxxxxx des entrées] (1.0) °d’accord\° (2.1) oui oui (0.2) (ça c’est [pas un [(problème)] [mais y a [déjà un ] [parking\ par exemple] [c’est ça hein/ on- on-]

Organiser le débat, favoriser la participation 110 LAU 111 NAV 112 113 114 PEL 115 pel 116 ? 117 PEL

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ça voudrait dire qu’[i` faut enlever ce parking] [il est dans l` périmètre ] il est à l'extérieur du parc mais dans le périmètre si je [peux (m’permett’ d’)préciser le:] [IL EST à l'extérieur du parc] mais dans l’périmètre euh:: (0.5) [*concerné par les & ->* [xxxxxxxxxxxx & aménagements qui pourront êt' faits

En développant son argumentation sur les parkings existants (87-92), Laurencin se tourne vers un plan du site qui est sur la table devant lui et pointe vers lui (87). Cette désignation du plan fonde son argument sur l’existence du parking et introduit un enjeu épistémique concernant la délimitation du parc, dont la mention est préfacée par « je sais pas si » (88). Cette double référence est importante : Laurencin exhibe à la fois son usage de la carte, qui est un objet épistémique, et affirme ne pas savoir, en sollicitant une réponse par une source épistémique supérieure. De cette manière il formule une question épistémique à l’adresse de l’animatrice – suggérant que les décisions à prendre doivent être éclairées par des informations encore manquantes, et laissant ainsi entendre une autre critique de la procédure, qui invite les citoyens à se prononcer sur des questions qui ne sont pas suffisamment documentées. De manière intéressante, lorsque Laurencin soulève ce problème épistémique, Pelletier se tourne vers les experts en urbanisme (92, Figure 12), membres de l’administration en charge du projet et co-présents dans la salle (ils sont assis le long de la paroi), tout en s’auto-sélectionnant. Cette double posture est significative : l’animatrice prend la parole pour un fragment de tour qui se présente comme un début de réponse à Laurencin (93), et en même temps se tourne vers les experts, les reconnaissant ainsi comme source épistémique pour éclairer le problème (93). Son orientation vers les experts prend d’abord la forme d’un regard (92-93), puis d’un regard accompagné de pointage (94, Figure 13) : ce dernier rend publiquement manifeste la pertinence de l’intervention de l’expert et sa sélection. Autrement dit, si Laurencin fonde son intervention sur l’autorité épistémique de la carte, Pelletier invoque l’autorité épistémique des experts (Figures 12-13). La réponse de l’experte, Navarro (96) est audible pour tout le monde : Pelletier est la première à y réagir avec un change-of-state token (« AH/ » 97) qui exhibe sa surprise. Alors que Laurencin continue à développer la description de ce parking (98), Pelletier en chevauchement répète ce que vient de dire Navarro (99100) : ce faisant elle publicise l’information donnée par l’experte (tout en en manifestant la source par un regard vers elle à la fin du tour, 100). Cela clôt momentanément la séquence avec le « °d’accord° » de Laurencin (103), qui toutefois rebondit immédiatement après, en soulevant le problème de que faire des parkings existants si la décision est prise de ne pas en avoir dans le parc (108, 110). Pelletier confirme (109) mais c’est Navarro qui intervient directement pour introduire une distinction entre « périmètre » et « intérieur » du parc (111-113). Son intervention contraste avec la précédente, qui était adressée à Pelletier et non à l’ensemble des participants : elle est publique et répond directement à Laurencin – ne passant pas par la médiation de l’animatrice. Celle-ci répète néanmoins

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l’information (114-117), en chevauchant Navarro : cela semble être moins lié à une publicisation de l’information elle-même, qu’à l’exhibition des droits relatifs à son appartenance catégorielle d’animatrice dans la gestion de la réponse à Laurencin, et plus généralement, dans la gestion des sources d’information. Cet épisode montre l’imbrication entre actions critiques, enjeux épistémiques (la convocation d’autorités épistémiques : la carte, l’expert), et gestion de la parole du débat. De ce dernier point de vue, les choix que fait l’animatrice de publiciser certaines actions sont significatifs : alors qu’elle ne répète aucune parole des citoyens, elle répète celle de l’expert, ainsi que de sa médiation ; alors qu’elle n’intervient pas pour réguler les auto-sélections des citoyens, Pelletier médiatise celle de l’expert. Cela montre l’enjeu que représentent pour elle ces interventions des experts (voir aussi Mondada, 2015 pour une analyse plus générale des regards des animateurs vers les experts), traités comme des autorités, y compris quant à des choix qui sont censés être exprimés par les citoyens. Pelletier se tourne vers eux à plusieurs reprises à d’autres moments au sein de ce même épisode. 3.2.3

Modalités d’inscription : environnements l’animatrice passe à l’écriture

séquentiels

dans

lesquels

De façon similaire à ce que nous avons fait pour Prévost, nous nous penchons ici sur les environnements séquentiels où Pelletier initie l’inscription des propositions. Nous commençons par des cas relativement simples, où la formulation d’une proposition est immédiatement suivie de son inscription (3.2.3.1) ; nous étudions ensuite comment, au contraire, la proposition initiale est inscrite et modifiée de manière progressive (3.2.3.2) ; nous nous focalisons enfin sur une caractéristique de la gestion de l’écriture de cette animatrice, qui rend l’inscription rétrospectivement discutable (3.2.3.3). 3.2.3.1 De la formulation à son inscription Dans le cas le plus simple, la proposition d’un citoyen, une fois formulée, est inscrite au tableau. Extrait 16 (GrB, 305) 185 186 187 188 189 190 191 192 193 194 195 196 197 198 199 200

PEL ensui:te/ °on::° ANV  faudrait prévoir quand même un petit parking/ (0.3) ANV  pour les:: pour les handicapés (0.9) PEL ah\ (0.5) * (0.2) per *s’approche de la rubrique ‘+usages’--> PEL alors est-c` que:: [ça:: °ça a pas été°* ] -->*se tourne v ANV-> ANV [pa`ce que des fois] s'ils se garent trop loin à l'extérieur/ xxx des problèmes [de pas xxxxx] PEL [donc c'est plutôt] un petit parking >pour les handica*pés*marche v ANV-> °donc° c`que j'entends c'est pas forcément DANS le périmètre même/ mais TRÈS proche:/ ANV très proche (0.6)

Organiser le débat, favoriser la participation

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201 PEL 202 203 204 205 206 207

ou*ais  ->*se tourne v tableau et va v rubrique «+usages»-> (0.4) PEL ça c’es:t (0.1) * (0.2) pel ->*...-> XXX et accès handica*pés pel  ->*écrit parking handicapés à proximité [(16.0) * (0.8) salle [((conversations parallèles))

Alors que Pelletier s’apprête à progresser dans l’activité (185), Anversi fait une proposition, qui représente une exception vis-à-vis de l’accord général sur l’absence de parking (186-188). Sa proposition ne reçoit premièrement pas de réponse (189), puis l’animatrice produit un change-of-state token (« ah » 190). Cette réaction ne constitue pas un traitement public de la proposition, mais plutôt une réponse individuelle. En revanche, durant la pause qui suit, l’animatrice s’approche de la rubrique « +usages » au tableau : ce faisant, elle s’oriente vers une écriture possible de la proposition et vérifie aussi qu’elle ne correspond pas à une proposition précédemment écrite (192). Ce dernier point fait l’objet d’une question de sa part, qui toutefois reste inachevée et vague dans sa référence (192) et qu’elle abandonne, lorsqu’elle est chevauchée par Anversi ajoutant une explication légitimant sa proposition (193-194). Pelletier lui répond par une reformulation (« donc… » 195-198) qui exhibe sa compréhension de ce qu’il propose (« c’que j’entends » 197) et demande confirmation – Anversi répond en répétant ses derniers mots (199). Pelletier ratifie avec un « ouais » (201) et se tourne vers le tableau, pour inscrire « parking handicapés à proximité » (205), dans un brouhaha général. Dans ce cas, le passage de la proposition à l’inscription a lieu au fil d’une interaction qui ne concerne que le participant qui propose et l’animatrice : elle s’approche immédiatement du tableau où sera localisée l’inscription et en négocie le sens directement avec celui qui l’a proposée – sans la soumettre au reste du groupe. Une instance similaire d’inscription est donnée par l’extrait suivant : Extrait 17 (GrB, 231-267) 140 LEO  141 PEL 142  pel 143 pel 144 LEO pel 145 146 XXX 147 ? 148 PEL 149 150 151 LEO 152 PEL 153 LEO fig

est-c` qu’on pourrait [parler] de & [on peut-] & *circulation d`service\ ->*se retourne v LEO---> (0.2) * (0.4) ->*se retourne v le tableau---> pour ne pas bloquer l’ave*nir ->* (0.2) oui::: °non mais [x-° [((rire)) [alors là/ vous êtes donc plutôt sur des choses souhaitées? (0.4) ben oui/= =ce s`rait [EUH:: PERMettre au moins des circulations& [ça s`ra inévitable/# y aura forcément && #fig.14

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14 LEO regarde PEL, PEL regarde LEO (les deux images ont été prises par des caméras situées dans des perspectives différentes) 154 PEL 155 LEO

&d`service &&une circulation d`ser[vice+ >>regarde PEL----------------+se tourne v/ d’autres cit->> 156 salle [((discussions parallèles))->164 157 ? [oui ben xxx 158 PEL oui *ça m`semble euh *regarde vers EXP/NAV--> 159 (0.5) * (0.6) pel ->*marche vers la gauche/vers EXP/NAV--> 160 ? xx en cas d’acci[dent 161 PEL [ça m` semble/# (.) `fin *je sais pas/* *pointe v NAV* fig #fig.15

15 LEO discute avec d’autres citoyens; PEL regarde et marche vers EXP. 162 163

ça m` semble assez inévitable hein/ `fin c’est:* j`vais l`noter là::  ->*se tourne v tableau « +usages »-> 164 salle [((discussions parallèles cont.)) 165 [ * (17.0) * pel  ->*écrit permettre une circulation de service*

Alors que la séquence précédente est close, Léonard fait une proposition sous la forme d’une question (140, 142). Celle-ci ne reçoit pas de réponse immédiate (143) et Léonard ajoute un incrément à son énoncé précédent (144) qui crée une nouvelle occasion de réponse. Celle-ci est produite par un autre citoyen (146) et exhibe à la fois un accord et une sorte de concession – laissant entendre que cela va de soi. Un rire (147) constitue une autre forme de réponse – s’orientant comme la précédente vers le fait que tout en contredisant l’accord précédemment établi, la proposition est acceptable.

Organiser le débat, favoriser la participation

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Pelletier intervient après les autres citoyens, et traite un autre aspect : comme dans l’extrait précédent, elle s’oriente vers une inscription imminente en interrogeant Léonard sur la rubrique adéquate (148-149) (son usage de l’adverbe « plutôt » semble opérer un contraste entre « pas de parking » qui figure sous « – usage » et ce que propose Léonard qui va être inscrit sous « + usage »). La réponse (« ben oui » 151) exhibe à nouveau son caractère évident. En outre, alors que Pelletier commence à reformuler la proposition (152), Léonard en réaffirme l’évidence par un terme évaluatif (« ce sera inévitable » 153). La réponse de Pelletier est maintenant d’une autre nature : elle s’aligne avec lui (« oui ça m’semble euh » 158) de manière individuelle et personnelle, en recyclant le verbe qu’il vient d’utiliser, tout en le réemployant à son compte. Elle le répète (161) tout en ajoutant « je sais pas », qui préface une troisième reprise, accompagnée du même adjectif que dans l’énoncé original (161). Ce que fait ici Pelletier est donc reprendre à son compte la parole du citoyen, tout en déniant sa compétence en la matière. Cette position épistémique est renforcée par le fait qu’elle regarde puis se dirige vers sa gauche (Figure 15), où se trouvent les experts du bureau d’urbanisme, et qu’elle pointe explicitement vers eux pendant qu’elle dit « je sais pas » (161). Elle exhibe donc non seulement une dépendance épistémique, mais aussi une subordination de l’écriture et acceptation des propositions citoyennes à l’avis des experts, constitués en juges de l’acceptabilité de ce qui vient d’être dit (la réponse des experts, qui sont hors cadre de la caméra n’est ni visible ni audible, mais elle est probablement positive, quoique non exprimée de manière publiquement audible). Cela accomplit et révèle à la fois, réflexivement, son appartenance catégorielle non seulement à la catégorie « animatrice » mais aussi « novice », « peu expérimentée ». D’autre part, il est intéressant de noter que dès la fin de sa dernière évaluation, Léonard qui jusque là regardait vers l’animatrice (Figure 14) détourne son regard pour s’engager dans une conversation parallèle qui se tient à sa table (155) (Figure 15). Il est difficile de transcrire proprement le brouhaha (155-165) qui accompagne toute la fin de cet épisode, mais il est frappant de constater que non seulement les discussions parallèles sont nombreuses, mais aussi que le principal auteur de la proposition préfère en débattre avec sa table plutôt que de manière publique et gérée par l’animatrice. Cela fait que l’annonce du passage à l’écriture (163) puis l’écriture ellemême (165) sont effectuées sans que la plupart des participants y prête attention. Cette manière d’inscrire les propositions de la part de l’animatrice contraste avec la manière dont l’autre animateur écrit au tableau : alors que Pelletier s’oriente surtout vers la source de la proposition – son auteur – ou bien vers les experts, quoique de manière non publique, et note immédiatement ce qui a été dit, Prévost soumet la proposition à l’accord général avant de l’inscrire, en s’orientant à la fois vers la source et vers le collectif. Alors que dans le premier cas l’inscription est effectuée dans un brouhaha important, dans le second elle est effectuée comme une action publique, au centre de l’attention de tous les participants. Cela confère à l’inscription une valeur très différente : alors qu’elle se rapproche davantage de la dictée/prise de note d’une parole individuelle dans le premier cas, elle est un geste qui ratifie une décision publique dans le second. Comme on le verra, ces deux

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déroulements séquentiels différents permettent une remise en cause de l’écriture dans le premier cas, et établissent une forte irréversibilité de l’écriture dans le second. 3.2.3.2 Une inscription progressive au fil de la discussion Si l’on se penche sur la manière dont la proposition principale (« pas de parking ») est inscrite, on remarque que celle-ci se déroule progressivement par ajouts successifs (ce qui sera finalement inscrit, sur une seule ligne, est « pas de parking » + « à l’intérieur » + « du parc »). Cette fragmentation de l’écriture a des conséquences à la fois pour la tenue du débat et pour le statut de l’inscription. Afin de la caractériser, nous revenons sur les moments d’inscription dans la première phase de la discussion. Alors que Macillac a proposé « pas de parking » (cf. extrait 2 supra) et que Pelletier s’apprête à écrire la proposition (cf. la fin de l’extrait 2), une intervention de Bauman vient perturber le passage à l’inscription : Extrait 18 (GrB, 26-27) (cf. fin de l’extrait 2) 14 pel 15 BAU pel 16 17 MAC 18 T3? 19 T3? 20 T3? 21 T3? 22 PEL 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33

pel LAU LAU PEL PEL LYS PEL XXX PEL

34 pel 35 salle 36 VIG pel 37 pel 38 39 PEL 40

(0.6)* ->*s’apprête à écrire--> >c’es-< à l’intérieur ou pa:s à l’inté*rieur? ->*tourne tête v salle-> (0.2) à l’intérieur à [l’intérieur/ [à l’inté[rieur/ [A L’INTE[rieur/ [à l’intérieur/ pas d`parking\ à l'intérieur\ je l`note* comme ça --->*se tourne v tabl-> (0.3) * (0.3) *commence à écrire pas de parking s ‘- usages’-> c’est toujours pour la circulation motorisée ou euh? (0.6) (y a pas) d’sta[tionnement xx [AH\ *ALORS/ [pas- pas d-*quand on dit pas de par*king/ *finit d’écrire king*buste v salle--------*corps v salle-> [pas de prise de terrain pour faire euh °comme là°] (c’est vrai)] c’est (vous voulez) pas d`parking euh voiture\ voiture/ ou*ais: ->*se retourne v tableau-> [(0.5) * (6.2) -->*écrit à l’intérieur--> [((discussions parallèles)) >c'est*-à-dire< (0.3) on a bien dit qu'on n`parlait ->*se retourne v VIG-----> que* d`l'intérieur? ->*reg v salle-> (0.6) *°oui°* *nods* (0.5)

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Alors que Pelletier s’apprête à écrire la proposition « pas de parking », un participant initie une séquence de spécification (15) par une question. Cette question révèle une orientation vers l’écriture comme clôturant une phase de la discussion et vers l’initiation de cette écriture à un moment où le traitement préalable du point à inscrire n’est pas complet. Par conséquent, la question de Bauman suspend l’inscription imminente : Pelletier tourne la tête vers la salle et arrête d’écrire. La séquence initiée par Bauman (15) est auto-gérée par les participants : ceux-ci lui répondent directement (17-21), confirmant de manière convergente une des deux alternatives de sa question. L’animatrice n’y intervient pas ; elle ne fait que ratifier après coup ce qu’ils viennent de dire (22). Puis elle annonce l’inscription imminente (22) et se tourne vers le tableau, où elle commence à écrire « pas de parking » (23). Toutefois une nouvelle question est posée durant ce début d’écriture. Laurencin demande une confirmation tout en verbalisant, là encore, une alternative (24). Cette fois Pelletier répond par un change-of-state token « ah » durant l’écriture (cf. supra extrait 9), puis, en finissant d’écrire « pas de parking », traite de la question en la reformulant comme « pas d’parking euh voiture\ » (30-31). Une fois close cette séquence, elle se retourne vers le tableau (33-34) pour y inscrire quelque chose : en fait ce qu’elle écrit n’est pas lié à cette dernière séquence mais à la précédente, et concerne la spécification « à l’intérieur ». En cette position séquentielle, l’écriture pourrait laisser penser qu’elle concerne la séquence initiée par Laurencin ; or elle concerne la séquence précédemment initiée par Bauman. Bien que l’inscription soit en principe publiquement visible pour tout le monde, la demande de confirmation de Vignaux (36) semble montrer qu’elle n’est pas lue par lui. Cela montre les effets possibles d’une écriture qui tout en étant visiblement accessible n’est pas pour autant configurée comme publique par l’animatrice, qui souvent écrit sans annoncer ce qu’elle va écrire (comme c’est le cas à la ligne 34) ni ne sollicite ou vérifie l’accord des participants avant d’écrire. Cela fait que l’écriture peut être suspendue par des séquences insérées – comme c’est le cas deux fois dans cet extrait – qui la fragmentent et la modifient par petites touches. En outre, l’écriture ne clôt pas vraiment le débat, servant plutôt de slot où le débat progresse dans des discussions parallèles et des séquences insérées. Autrement dit, la structuration et la progression du débat n’est pas initiée et menée par l’animatrice, qui par sa manière d’organiser séquentiellement les débats leur imprime une autre temporalité, où par exemple elle demande l’avis ou l’accord des citoyens après avoir inscrit leurs propositions et non pas avant comme le fait l’autre animateur. Ce mode d’organisation contraste avec celui de Prévost qui ne commence à écrire qu’après avoir obtenu un accord collectif. Par conséquent Prévost revient très rarement sur ce qui a été inscrit, alors que cela n’est pas le cas de Pelletier. 3.2.3.3 Une inscription non définitive Une des conséquences de la manière de gérer l’inscription par Pelletier est que celleci – contrairement à Prévost – introduit une modalisation de ce qui a été écrit : elle

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demande régulièrement aux participants si ce qui a été inscrit doit être « modéré ». Par là elle traite la proposition comme non définitive et sujette à discussion. Une proposition « modérée » est signalée au tableau par un cercle rouge. Ainsi le cercle rouge est un instrument de gestion du débat par l’animatrice, qui introduit après coup la reconnaissance publique d’un désaccord et par là même relativise la valeur de l’inscription. Cette convention est introduite et pratiquée déjà avant l’épisode qui nous intéresse ici ; dans cet épisode elle est introduite par l’animatrice après la modification de la proposition initiale avec l’ajout de « à l’intérieur » : Extrait 19 (GrB, 112) 65 66 PEL 67 68 tab 69 lau pel 70 ? 71 INV 72 PEL 73 pel 74 LAU 75 PEL 76 INV pel 77 LAU pel

(0.3) est-c`que cette pro*position j`la lai*sse comme ça:? *reg/pointe v tabl*reg circulaire-> est-c`que:: y aurait à la: modérer? euh pour $cert- *selon certaines perso$nnes? *reg TAB et sourit-> $geste-----------------------$ %* (0.3) * %lève la main-------> ->*pte du menton v TAB* ((rire)) il% faudra la mo[dérer= [=vous êt(0.6) * (0.3) *se dirige v tableau-> [ceci dit [il faudra la modér[er* [il* faudra la modérer ->*trace un cercle rouge---> ceci dit c'est des *questions qui:: qui se posent ->*ferme capuchon du feutre, se tourne->

Ligne 66, Pelletier initie une nouvelle séquence, sous forme de question. Elle offre deux alternatives, en s’orientant pour la seconde vers le fait qu’une fraction des participants est susceptible d’opter pour sa « modération » (69). Le fait qu’elle n’explique pas ce que signifie « modérer » est lié au fait que cette expression – et avec elle la pratique qu’elle représente – a déjà été utilisée auparavant dans la réunion. Plusieurs réponses sont données à cette question. La première, en parallèle avec la dernière expansion de la question, est fournie par un geste de Taboulet (68), qui semble être reconnu et compris par l’animatrice, puisqu’elle le regarde, lui sourit et pointe du menton vers lui. Mais cet échange n’est aucunement verbalisé (même si la ligne 72 pourrait lui être destinée, mais elle est interrompue). Cet échange relève donc d’une communication interindividuelle, non publique, non publicisée entre Pelletier et un participant. Cela a son importance, puisque pendant cet échange, un autre participant, Laurencin, lève la main pour se pré-sélectionner (69), conformément aux pratiques du débat médiatisé. Il a identifié un espace de transition pertinent pour cela, à la fin de la question de l’animatrice. Mais celle-ci est en train de regarder Taboulet, et ne le voit donc pas. Il baisse son bras. Il tentera à nouveau de parler en s’autosélectionnant un peu plus tard (74) mais sans être entendu.

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En même temps, un autre participant, Invier, répond en s’auto-sélectionnant à la question (71) : le format qu’il utilise est intéressant, puisqu’il transforme le conditionnel utilisé par l’animatrice (« y aurait à la: modérer ? » 67) en un futur d’un verbe déontique (« il faudra la modérer » 71), qui la transforme de possibilité en nécessité. L’animatrice se dirige d’ailleurs vers le tableau après cette réponse (73). Elle la répète aussi (75), occasionnant sa répétition par Invier qui la confirme (76). Par conséquent, elle ajoute un cercle rouge à côté de la proposition. Pendant ce temps, Laurencin, qui avait tenté de se pré-sélectionner juste avant, s’auto-sélectionne pour une objection (77) que nous avons analysé plus haut (3.2.2, extrait 14). Plusieurs remarques peuvent être formulées à propos de ce fragment : l’offre de l’animatrice et la réponse qu’elle obtient ont pour effet de relativiser le statut de l’inscription, enregistrant de possibles désaccords après qu’elle ait été écrite – alors que dans le cas de l’autre animateur, le constat de désaccords mène à une autre pratique, qui consiste à écrire dans un espace dédié aux propositions controversées (non documenté dans cet article, mais voir Mondada, 2011). Ces deux pratiques sont très différentes : si la seconde repère et tient compte des désaccords avant d’écrire, la première identifie des désaccords tels qu’ils émergent au fur et à mesure, après l’écriture. Leur différence tient à la manière de gérer la discussion préalable à l’écriture, le statut conféré à l’écriture (comme enregistrement d’une proposition individuelle ou comme résultat d’une décision collective), et la complétude/clôture des phases de la discussion. Leur différence est donc liée à l’organisation d’environnements séquentiels de l’écriture très différents. Une autre remarque peut être formulée au sujet de la manière dont le débat est géré dans cet extrait : la question/l’offre de l’animatrice est reçue par trois types de réponses. L’une est manifestée corporellement par une personne proche d’elle qui initie un échange silencieux et uniquement gestuel avec elle – c’est-à-dire un échange privé. La seconde est celle d’un participant qui se pré-sélectionne et reconnaît ainsi l’animatrice comme médiatrice du débat – mais qui ne le voit pas, étant engagée avec le précédent. La troisième relève de l’auto-sélection à voix haute par un participant qui répond directement à la question. L’animatrice reconnaît la première et la troisième – qui relèvent de l’auto-sélection – mais ignore la seconde – qui est celle qui est la plus conforme à un échange médiatisé par un animateur. Même s’il est difficile de tirer des conclusions générales à partir de ces quelques instances, ces cas contrastés relèvent d’une tendance de ce débat, où l’auto-sélection est la technique la plus utilisée – comme nous allons le rappeler dans les dernières analyses ci-dessous. 4. Une gestion contrastée des tours de parole L’analyse de la manière dont les propositions des citoyens sont sollicitées/initiées et des environnements séquentiels caractérisant le passage à l’écriture a permis de relever un certain nombre de pratiques différentes entre les deux animateurs. Cellesci impliquent différentes manières de gérer les tours de parole dans le débat, dont l’analyse nous permettra de synthétiser la comparaison entre les deux animateurs. En

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effet, l’organisation des tours de parole est centrale pour la gestion du débat comme système d’échanges médiatisé (Clayman & Heritage, 2010 ; Schegloff, 1987, 1988/89), pour la définition pratique et située de la médiation et du rôle de l’animateur ainsi que pour la création d’opportunités de participer. 4.1 Hétéro-sélection vs. auto-sélection Le système d’échange médiatisé est souvent adopté pour gérer des interactions multi-partites impliquant un nombre important de participants. La raison en est que l’auto-sélection des participants dans ce type de rencontres risque d’aboutir à des schismes (Clayman & Heritage, 2010). Dans le cadre d’une analyse de la politique participative, il est intéressant de se demander dans quelle mesure ces différents systèmes sont susceptibles d’assurer une égalité des chances d’accéder à la parole (Mondada, 2013). Les analyses précédentes ont montré que Prévost privilégie systématiquement l’hétéro-sélection des participants ; il gère le débat en créant par ses actions des slots séquentiels dans lesquels une prise de parole des citoyens est possible. Ainsi au début de l’épisode, il initie une nouvelle séquence en ouvrant un slot pour les participants (« d’aut`cho:se pour vot`groupe? » extrait 1, 1). En revanche, Pelletier contrôle moins la parole des citoyens et sa gestion de la séance est caractérisée par davantage d’auto-sélections de participants identifiant eux-mêmes des slots séquentiels légitimes pour ce faire. Ainsi au début de l’épisode, elle répond par « on vous écoute » (extrait 2, 3) à la pré-sélection voire auto-sélection d’une participante – cette expression étant une façon de s’aligner rétrospectivement avec une prise de parole qui a déjà été initiée par le locuteur. 4.2 Orientation vers la totalité de la salle vs. vers des participants proches Comme nous l’avons relevé, les pratiques de Prévost assurent une constante publicisation des propositions et des contre-propositions des citoyens ainsi que de ses propres actions (donner la parole, reformuler, inscrire…). Les pratiques de Pelletier sont différentes : ainsi, elle répond souvent directement aux actions de participants individuels, par des particules (« oui », « ouais », « d’accord ») ainsi que des hochements de tête et des sourires, qui relèvent davantage de réponses individuelles que de réponses professionnelles (voir supra extraits 7, 9, 10, 19). Cette distinction rappelle les caractéristiques contrastées de la conversation vs. de l’interaction institutionnelle relevées par Drew & Heritage (1992), qui pointent par exemple vers l’absence spécifique de troisième tour évaluatif ou l’absence de continuateurs chez les journalistes dans les interviews télévisées. Ces absences montrent comment le journaliste incarne sa catégorie spécifique, dans une posture qui précisément se distingue de celle d’un locuteur ordinaire dans la conversation de tous les jours. Si l’on repense à ces différences en étudiant notre corpus, on constate que Prévost accomplit, au fil de ses interventions, son travail de médiateur en structurant fortement l’activité et le fait en s’adressant au groupe tout entier, alors que Pelletier adopte une position plus discrète, voire timide, de médiatrice, accompagnant les initiatives des citoyens plus qu’en les structurant, et répondant à leurs actions de manière plus privée et moins publique/publicisante.

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Cela est visible dans un autre élément de contraste : alors que Prévost adopte une posture corporelle particulière qui s’oriente vers la salle dans son ensemble, Pelletier s’adresse rarement à la salle et se tourne plus souvent vers certains participants, voire souvent vers ceux qui sont les plus proches d’elle. Les deux occupent un espace très différent : alors que Prévost bouge beaucoup dans l’espace entre le tableau et les participants, Pelletier est plus statique et reste très proche du tableau (dans l’épisode étudié, elle tend à marcher plutôt vers les experts que vers les citoyens). Cela lui fait privilégier l’espace proche : ainsi, au début de l’épisode étudié, elle tient compte des réactions à la proposition initiale qui émanent de la table la plus proche d’elle (cf. extrait 2 supra). En outre, au fil de l’épisode, elle a des échanges visuels particuliers avec des personnes proches d’elles : cela est le cas de Taboulet, dans l’extrait 19 – où l’interaction visuelle avec un proche fait que la pré-sélection d’un autre participant passe inaperçue. Cela est aussi le cas de Vignaux dans l’extrait 10 (60), dont l’argument reste inaccessible pour le reste des participants. Ce faisant, par la position centrale vs. marginale, structurante vs. accompagnante, les deux animateurs exhibent non seulement une conception différente de leur travail de facilitation ou médiation, mais aussi une conduite plus experte vs. plus novice. 4.3 Gestion des chevauchements et des conversations parallèles La gestion des chevauchements et des conversations parallèles est également très différente dans les deux extraits. Alors que Prévost intervient de manière très claire pour réprimer les chevauchements et les schismes, Pelletier n’intervient pas en première personne et laisse les conversations parallèles se développer de manière continue, et en particulier durant les moments d’écriture. De ce point de vue il peut être intéressant de comparer deux extraits où les conversations parallèles ont un effet perturbateur observable sur l’interaction principale et publique. Nous nous penchons d’abord sur un extrait de la réunion gérée par Prévost : il vient de publiciser une distinction qui est apparue chez un participant, qu’il soumet comme choix aux citoyens (29) (cf. extrait 4 supra). Extrait 20 (GrA, 29-) 29 PRE 30 salle 31 MAU 32 ? 33 PRE pre pre 34 fig

pas d`parking >interne externe?< ((inte*rventions [parallèles)) ->* [•excepté [euh *à l’en*tr[ée [xxx externe [sch::t\ *......*lève main/arrêt-> •reg MAU-> s•’il vous plaît/ on# s’écoute/ * # ->•reg autour au-dessus de MAU v la salle-------•reg MAU->> *plie jambes* #fig.16 fig.17#

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16

17 35 MAU pre 36

exc*epté à l’en*trée où i- y a déjà le: parking pré->*pointe v MAU* enfin déjà un existant/ (.) ou ça peut être une euh

La question de Prévost (29) suscite plusieurs réponses et réactions (30, 32) ; parmi elles, Maurane (31) est celle dont la parole est ratifiée par l’attention de l’animateur. Cela produit un contexte où plusieurs interventions parallèles sont audibles. L’animateur gère cette situation en mobilisant plusieurs ressources : a) il demande le silence par une onomatopée (« sch::t » 33), b) manifeste qu’il s’agit d’une requête par « s’il vous plaît » (34), c) formule les règles du débat (« on s’écoute » 34) qu’il répète avec une emphase prosodique (34), d) lève sa main dans un geste d’arrêt tout en regardant la salle (Figure 16), e) re-sélectionne Maurane par un geste de pointage ensuite (Figure 17). Toutes ces pratiques permettent de gérer l’organisation des tours de parole, de le faire de manière visible et publique, et d’en énoncer les principes, en rappelant qu’il s’agit non seulement d’un ordre pratique et organisationnel, mais aussi d’un ordre moral et politique. De son côté Pelletier gère différemment un cas de perturbation qui touche la prise de parole de Lisytre, qui prolonge celle de Vignaux (36-37, voir extrait 10) : Extrait 21 (GrB) 43 LSY 44 45 LSY 46 PEL 47 pel

dans les limites du parc (0.4) c'est-[à-dire] que: [voi*là\] *reg v tableau--> (0.2)* ->*

Organiser le débat, favoriser la participation 48 PEL 49 LSY pel 50 51 ? 52 53 PEL fig

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[j’ai mis À L’INTÉRIEUR ] [ne pas prendre de::]: de terrain *non plus pour *avance le buste v LSY-> faire un [parking extérieur [c’est les limites de la xxx (0.5)  pa*rdon?# ->*se penche v LSY---> #fig.18

18 54 55 LSY per 56 ADI 57 LSY 58 ADI 59 60 PEL

(0.5) °j`dis° on prend pas de [terrain sur* le parc] pour& -->* [ch:: .tsk .tsk .tsk] faire de parking ex[térieur:/ ] [écoutez-vous] (0.8) non\ voilà c- eh à l'in*térieur du* périmètre/ *reg v EXP/NAV*

L’auto-sélection de Lisytre (43) traite d’un problème émergent et qui va prendre successivement une pertinence particulière – celui de savoir à quelle portion territoriale s’applique l’interdiction de parking. Son intervention précise celle de Vignaux (« que de l’intérieur » 37) – d’une certaine façon, elle montre la pertinence de donner une suite à l’intervention de ce dernier (qui, comme on l’a rappelé supra, s’était terminée dans un échange privé avec Pelletier). Alors que Lisytre s’apprête à élaborer son intervention (45), manifestant ainsi qu’elle attend une réponse ou un traitement substantiel du point qu’elle soulève, l’animatrice ne fait que le confirmer (par un « voilà » conclusif, 46) et renvoyer au tableau et à l’écriture précédente comme ayant déjà épuisé le sujet (46-48). Elle traite donc la proposition de Lisytre (« dans les limites du parc » 43) comme un équivalent de « à l’intérieur » (48) – alors que Lisytre précisément construit son intervention sur la base de celle de Vignaux (« que de l’intérieur » 37), montrant que de son point de vue il est pertinent de l’élaborer ultérieurement. En chevauchement avec l’animatrice, Lisytre continue toutefois sur la lancée de ce qui était projeté par « c’est-à-dire que: » (45). Sa parole est non seulement chevauchée par l’animatrice mais aussi par d’autres élaborations parallèles (dont une

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seule est transcrite, 51), sur un brouhaha de fond dont le caractère perturbateur est visible dans l’initiation de la réparation par Pelletier (53). En hétéro-initiant la réparation par « pardon ? », Pelletier traite le trouble source comme un problème personnel d’audibilité et non, dans une perspective de gestion normative du débat, comme causé par des prises de paroles illégitimes. Elle adopte donc une posture de membre et non d’animatrice : cela est visible aussi dans sa posture corporelle, lorsqu’elle se penche en avant, dans la direction de Lisytre (Figure 18), tentant de l’entendre au mieux. Il est intéressant qu’une posture normative soit adoptée par un autre participant, Adid, qui à plusieurs reprises (56, 58) non seulement demande aux autres participants de se taire, mais formule une des règles du débat (en utilisant la même formulation que celle de Prévost, extrait 20, et que ce dernier utilise souvent dans d’autres rencontres, cf. Mondada, 2013). La forme « écoutez-vous » (58) (plutôt que « ne parlez pas en même temps ») renvoie à une posture morale et politique et non purement organisationnelle, renvoyant à un principe de respect réciproque et public. L’auto-organisation des participants ne concerne donc pas uniquement leur auto-sélection mais aussi la gestion du débat – qui en principe relèverait du travail de l’animatrice. 5. Conclusions Cet article a proposé une analyse comparée des pratiques de deux animateurs professionnels, travaillant côte à côte dans le même type de contexte, dans deux groupes de citoyens engagés dans des ateliers participatifs, dont la similarité (même type d’activité, écologie, thématique, types de participants et enjeux politiques) constitue non seulement un fondement pour la comparaison mais est aussi perçue et attendue par les participants eux-mêmes, s’orientant vers l’importance politique d’un traitement égal des groupes. Les pratiques d’animation et de modération sont au cœur du dispositif pratique et organisationnel qui assure la participation des citoyens à la concertation politique. Cette analyse comparée s’est fondée sur des micro-pratiques qui organisent les débats : techniques d’attribution de la parole, initiation de nouvelles séquences, production de propositions et contre-propositions, émergence, identification et gestion du désaccord, établissement d’un accord collectif, formulation de fragments de texte à inscrire au tableau blanc. Méthodologiquement, la démarche comparative a consisté à analyser les manières de faire des deux animateurs, permettant de mettre en lumière non seulement des pratiques similaires mais aussi des options, des alternatives, des choix contrastés, dont nous avons souligné les conséquences. Les résultats de l’analyse permettent de révéler les conséquences aussi bien organisationnelles que politiques d’un certain nombre de choix sur la maximisation ou la restriction des opportunités de participer. Ainsi l’hétéro-sélection par l’animateur vs. l’auto-sélection par les citoyens, l’initiation de la séquence par un citoyen vs. par l’animateur, son traitement consistant à la reformuler et donc lui attribuer un caractère public vs. à y répondre de manière mondaine et ordinaire, dans un cadre participatif resserré, son élaboration comprenant la vérification et la

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recherche d’un accord collectif avant de l’écrire vs. son écriture sous dictée sans en négocier le statut auprès du collectif, etc. constituent autant d’options qui gèrent les propositions des citoyens de manière plutôt publique ou plutôt individuelle, en concernant le collectif ou en s’adressant à des particuliers, et ainsi qui confèrent à ces propositions une valeur participative plus ou moins prononcée. L’analyse détaillée et multimodale de ces pratiques a montré l’importance des options séquentielles qui se présentent moment par moment dans le débat et la manière dont elles élargissent ou restreignent le cadre participatif de la séance, et par conséquent confèrent aux opinions exprimées un caractère publiquement discuté et négocié ou plus personnel. Cela a un nombre de conséquences pour l’étude des interactions sociales dans des grands groupes. Même s’il est possible de localement gérer les échanges dans un grand groupe de manière interindividuelle et auto-initiée, cela a des effets sur les possibilités de participation collective. En particulier, cela risque de restreindre la participation à quelques individus, ou bien fait dépendre la participation collective de l’initiative des membres du collectif, plutôt que d’être orchestrée par le facilitateur. On voit là à l’œuvre les contraintes du nombre de participants sur les systèmes de d’échange possibles, dont les choix ne concernent pas uniquement l’organisation de la parole d’un grand nombre de participants mais plus spécifiquement les objectifs de la prise de parole et la valeur politique conférée à ce qui est ainsi énoncé. Cela a des conséquences pour la définition du rôle et de la pratique de l’animateur, non seulement en charge d’organiser la circulation de la parole mais ayant aussi la responsabilité d’assurer son caractère public et participatif. Cela a aussi des conséquences sur la manière de gérer publiquement et institutionnellement des séquences d’action complexes et étendues, en garantissant à la fois leur intelligibilité pour tous et la possibilité d’y participer dans la totalité de leur déroulement. Comme on l’a vu, cela a également des effets sur la valeur de l’écriture publique et la constitution d’une trace écrite, accomplie comme construisant une mémoire collective ou comme simple consignation de paroles individuelles. L’analyse comparée a ainsi permis de souligner ces options et ces alternatives séquentielles et l’importance des détails d’organisation des formats interactionnels, que ce soit au niveau de la prise de parole, de la séquence, du formatage de l’action et de sa publicisation et collectivisation. C’est par ces micro-pratiques et la manière détaillée dont elles sont organisées multimodalement que des modèles de la participation à l’interaction et de la participation politique sont accomplis de façon contingente et située. 5. Remerciements Les analyses présentées dans ce chapitre ont été développées dans le cadre du projet Speaking in Public: Social Interactions within Larger Groups financé par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (100014_144376/1, 100012_162689/1).

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Management

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Surveiller et corriger : l’accomplissement interactionnel de la révision d’une inscription publique

Hanna Svensson

1. Introduction La présente étude s’intéresse à une des manières dont les participants engagés dans des ateliers de concertation, dans le cadre d’un projet politique d’urbanisme, s’assurent du respect de leurs droits de participation comme citoyens. En mobilisant la pratique interactionnelle de l’hétéro-réparation (Schegloff, Jefferson & Sacks, 1977), ils corrigent des inscriptions publiques, conduisant à leur révision. Dans ces réunions, l’écriture publique constitue l’aboutissement des discussions de groupe et matérialise les négociations entre les citoyens et l’administration publique, en partie représentée par des facilitateurs qui procèdent à l’inscription sous le contrôle des participants. La pratique de corriger l’écriture publique, mise en place par les participants, est récurrente dans ce contexte. Elle montre leur orientation vers l’activité comme étant collective et étroitement liée à leurs droits en tant que citoyens. Les réunions, en contexte politique ou autre, sont caractérisées par des systèmes d’échange spécifiques quant à l’allocation prédéfinie des tours de parole, l’organisation des séquences et la progression de l’activité (Drew & Heritage, 1992 ; Asmuß & Svennevig, 2009). Celle-ci est souvent mise en place par un facilitateur en charge du déroulement thématique et temporel (Svennevig, 2012). La manière dont les professionnels gèrent les interactions institutionnelles a fait l’objet de nombreuses études : la recherche en ethnométhodologie et en analyse conversationnelle a montré que les rôles institutionnels propres aux réunions sont localement accomplis et continuellement négociés (Asmuß & Oshima, 2012 ; Deppermann et alii 2010 ; Mondada, 2007, 2011 ; Pomerantz & Denvir, 2007; Svennevig, 2012). Par exemple, il a été montré que l’orientation des participants vers un accomplissement collectif de la tâche inhérente aux réunions peut être réalisée par des formulations (Barnes, 2007) et que la gestion du système des prises des tours de parole spécifique aux institutions (Arminen, 2001) est réalisée par la mobilisation de moyens incarnés (Deppermann et alii, 2010 ; Mondada, 2007 ; 2016). Alors qu’il a été montré comment l’autorité des participants est liée à l’acceptation ou au refus des initiations d’actions (Asmuß & Oshima, 2012) et à la manière dont les facilitateurs peuvent post-positionner des actions initiées par des non-professionnels (Mondada et alii, 2015), la manière dont des non-professionnels faisant partie d’un grand groupe participent à l’évènement reste peu étudiée (voir néanmoins Clayman, 1993 ; Heath & Luff, 2013 ; Mondada, 2013).

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L’écriture et la gestion de divers documents sont caractéristiques des interactions institutionnelles (Svennevig, 2012 ; Mondada & Svinhufvud, 2016). Tandis que la linguistique classique conçoit le texte comme un objet d’étude observable indépendamment et en dehors du contexte dans lequel il est produit, l’analyse conversationnelle le considère comme « […] une activité qui a une organisation temporelle et séquentielle vers laquelle s’orientent les participants, et dont dépend son accomplissement en tant qu’activité collective et interactionnelle. » (Mondada, 2005 : 157). Lors des réunions politiques, l’écriture ne fait pas seulement partie de l’organisation globale de l’activité, mais elle résulte directement de la discussion des participants et reflète la reconnaissance des savoirs partagés (cf. Luff et alii, 2006 ; Mondada, 2012 ; 2016) ainsi que l’entendement collectif du déroulement de l’activité (cf. Goodwin, 2000 ; Greiffenhagen, 2005 ; Mondada, 2011 ; 2016 ; Pitsch, 2007). En outre, l’écriture implique une temporalité adjacente à la parole (Miecznikowski-Fünfschilling & Mondada, 2002) qui rend possible une anticipation des futures actions (cf. Greiffenhagen & Sharrock, 2005). L’analyse des extraits assemblés ci-dessous veut montrer une des manières dont les citoyens peuvent intervenir in situ (et interviennent de manière verbale) pour négocier des asymétries inhérentes au contexte institutionnel pendant le travail des facilitateurs : malgré la configuration participative, spatiale et matérielle de la salle, qui attribue l’activité d’écriture au professionnel (cf. Mondada, 2011 ; 2016), il arrive qu’ils corrigent les inscriptions publiques. 2. Les données Dans le cadre d’un projet politique d’urbanisme dans une grande ville de France, les citoyens étaient invités par l’administration publique à participer à des « ateliers de concertation », dans le but de discuter la transformation d’un ancien site militaire en un parc public. Dans le cadre de ces ateliers de concertation, les citoyens étaient répartis en groupes d’environ 20 personnes. Installés autour de tables ils pouvaient discuter en petits groupes des propositions concernant le futur parc, avant de les communiquer à l’ensemble des participants. Finalement, la discussion aboutit à une inscription publique, négociée quant à son contenu, format et localisation dans un des six tableaux figurant sur un tableau blanc (Figure 1) : « Ambiance », « Usages » et « Style/Identité » qui figurent en version et « positive » et « négative », ainsi que la « Boîte à idées », à part, où les propositions controversées sont rassemblées (voir aussi Mondada (ce volume) pour une analyse du même contexte, et Van Schepen (ce volume) pour une analyse d’autres contextes où débattent les mêmes citoyens).

Surveiller et corriger

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- Usages

+ Ambiances + Usages

+ Style/Identité

-Style/Identité Boîte à Idées

Figure 1. Organisation du tableau où le facilitateur note les propositions des citoyens

Les inscriptions publiques constituent la source des comptes rendus des réunions et des archives publiques du projet ; elles sont rédigées au terme de chaque réunion et publiées sur le site web du projet. Il est ainsi essentiel qu’elles aient les qualités requises pour être prises en considération par la suite (cf. Mondada, 2005). Le caractère public des inscriptions, explicitement rendues visibles pour l’ensemble des participants, permet et rend légitime la surveillance des citoyens ; ils suivent attentivement les procédures et les formes de l’inscription publique de leurs propositions dans les tableaux. Il s’ensuit qu’ils peuvent initier une séquence d’hétéro-réparation qui pourra conduire à une révision du texte. Cette pratique récurrente affiche l’orientation des participants vers leurs droits et obligations en tant que citoyens ainsi que l’accomplissement local et négocié d’un entendement public et collectif. En outre elle est liée à l’accomplissement des espaces interactionnels spécifiques de ces réunions (Mondada, 2011) selon la distribution des tâches et de la parole entre les citoyens et les facilitateurs. Tandis que les premiers sont censés émettre des propositions, les discuter, les négocier pour se mettre d’accord, les seconds, eux, sont engagés à impliquer les citoyens dans le processus participatif en les amenant à faire des propositions à négocier pour ensuite les inscrire publiquement. 3. La réparation hétéro-initiée Le remède classique à quelque perturbation ou problème (trouble) surgis au cours de l’interaction est celui de la réparation (Sacks, Schegloff, Jefferson, 1974 ; Schegloff, Jefferson & Sacks, 1977). La réparation hétéro-initiée est constituée d’une initiation qui rétrospectivement cible une source de perturbation et sollicite une solution qui peut aboutir à la réparation proprement dite – ou opération de réparation. Elle est initiée par un participant à l’interaction autre que celui qui a produit la perturbation mais peut être hétéro- ou auto-opérée, et elle est typiquement analysée en fonction de sa position séquentielle par rapport à la source du problème (Schegloff, 1992 ; Kitzinger, 2013). Comme tout élément constitue potentiellement une source de perturbation, initier une réparation est toujours une action pertinente, aussi, et peut être d’autant plus, dans un contexte institutionnel où l’organisation globale de l’interaction et les actions prévues pour y être accomplies sont généralement planifiées d’avance et où

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l’activité sociale est orientée vers l’accomplissement d’une tâche spécifique (Drew & Heritage, 1992 ; Svennevig, 2012). La réparation hétéro-initiée a cependant été démontrée être structurellement non-préférentielle : elle suspend la progression de l’activité et les interactants s’organisent en général pour qu’une perturbation puisse être auto-résolue (Schegloff, Jefferson & Sacks, 1977). Cependant, la manière dont la réparation interactionnelle épouse l’organisation préférentielle des interactions sociales reste complexe : elle peut, entre autres, être liée à la partie qui l’initie (Sacks, Jefferson & Schegloff 1977 ; Schegloff 2007), à son format (Sacks, Jefferson & Schegloff, 1977 ; Robinson, 2006 ; Svennevig, 2008 ; Kendrick, 2015b) et aux actions qu’elle peut accomplir ou entraîner (Kendrick, 2015a). La manière dont l’organisation préférentielle des réparations est analysée renvoie à la distinction entre format et action préférentiels (Schegloff, 1988 ; Kendrick & Torreira, 2015). En outre, l’hétéro-réparation a été décrite comme socialement non préférentielle car elle induit souvent des actions correctives (Schegloff, Jefferson & Sacks, 1977 ; Jefferson, 1987 ; Haakana & Kurhila, 2009 ; Kendrick, 2015b), du fait qu’au-delà d’un problème lié à l’intersubjectivité, elle peut traiter un élément comme problématique sinon même ‘fautif’. Macbeth (2004), analysant la réparation et la correction en situation de classe, distingue deux actions coopératives : la première, la réparation, est mobilisée pour résoudre des enjeux d’intersubjectivité, tandis que la dernière, la correction, résout des enjeux normatifs. Comme il a été remarqué dans la littérature, il n’est pas nécessaire qu’une ‘faute’ ait été commise pour qu’il y ait correction, et il est possible de corriger quelque chose qui n’est pas ‘faux’ (Schegloff, Jefferson & Sacks, 1977). Cela dit, la présente étude traite la pratique interactionnelle de la réparation hétéro-initiée et hétéro-opérée (verbale), opérant une action corrective sur un élément d’inscription publique qui néanmoins entraîne une « auto-réparation » incarnée, lors de la révision finale du texte. Si la pratique interactionnelle d’hétéro-réparation a été abondamment analysée en situation de conversation dite « ordinaire » (Drew, 1997 ; Jefferson, 1987 ; Kendrick, 2015 ; Koshik, 2005 ; Schegloff, 1992 ; 1997 ; Wu, 2006), elle reste peu étudiée dans les interactions à plus de deux participants, où plusieurs personnes peuvent s’engager dans la résolution d’un problème éventuel. Il a néanmoins été montré que quand plusieurs personnes initient une réparation sur la même source de perturbation, ils manifestent une affiliation entre eux (Egbert, 1997). Or, quand plusieurs personnes s’engagent à opérer la réparation, il a été d’un côté démontré que l’action était traitée comme problématique en l’absence d’une justification (Egbert, 1997), tandis que d’autres études montrent que cela peut engendrer une collaboration interactionnelle entre les participants, qui ainsi forment une « association participative » (Kääntä & Piirainen-Marsh, 2013 ; Lerner, 1993). Haakana et Kurhila font l’observation que les corrections sont plus fréquentes dans les interactions à plus de deux participants. Ils proposent comme explication que la pratique de corriger peut être mobilisé soit pour manifester une relation sociale spécifique (comme un couple), soit pour informer un ‘audience’ non-savant de la source de perturbation (2009 : 174-175).

Surveiller et corriger

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La dimension incarnée de la réparation interactionnelle reste également peu étudiée. De Fornel (1990) a montré que les gestes liés aux réparations hétéro-initiées hétéro-opérées peuvent avoir un aspect rétrospectif ainsi que prospectif : un interactant peut mobiliser des moyens incarnés afin d’annoncer une perturbation émergeante en suspendant un geste en cours de réalisation pour ensuite le reprendre et l’accomplir une fois la perturbation résolue. Cette observation vaut également pour les réparations hétéro-initiées (Floyd et alii, 2015). Le même constat a été fait dans les études sur l’importance des moyens incarnés mobilisés pour l’initiation d’une réparation par une autre partie que celle qui a produit la perturbation, par exemple par des regards et des mouvements de tête (Rasmussen, 2014 ; Seo & Koshik, 2012). En outre, une réparation peut porter sur un élément non-verbal, avec comme amont une initiation verbale suivie d’une opération incarnée afin de résoudre la perturbation, non-verbale, identifiée. Lors des activités d’instruction ces corrections peuvent impliquer une dimension manuelle (Lindwall & Ekström, 2012 ; Keevallik, 2010 ; Kääntä & Piirainen-Marsh, 2013) et il a été démontré que les réparations de réparables visuels sont dotées d’un caractère collaboratif, lors des interactions explicitement orientées vers la résolution d’une tâche spécifique (Greiffenhagen & Watson, 2009 ; Kääntä & Piirainen-Marsh, 2013). La dimension incarnée de l’activité d’écriture publique, a en outre la spécificité d’exhiber des trajectoires visibles et projetables (cf. Mondada, 2007 ; 2016). Cela implique que l’émergence d’une perturbation dans l’écriture peut être reconnue et anticipée comme telle avant que sa matérialisation, sous forme d’une inscription, ait encore été produite. La possibilité d’anticiper une perturbation et d’en initier une réparation est donc une contingence intrinsèque à l’activité incarnée de l’écriture publique. 4. Analyses Dans les extraits étudiés, une proposition a été verbalement admise par les participants et le facilitateur en projette l’inscription imminente. Une source de perturbation peut être identifiée par un ou plusieurs participants, qui initient une correction conduisant à une révision de l’inscription publique. Les corrections peuvent porter sur des causes d’incertitude diverses : des problèmes ‘pratiques’ (section 4.1) comme la localisation du tableau sur lequel une proposition devait être inscrite, des problèmes ‘conventionnels’ (section 4.2) concernant les normes (ortho)graphiques d’inscription ou la configuration spatiale des éléments inscrits, ainsi que des problèmes ‘conceptuels’ (section 4.3), liés à l’interprétation manifestée par la formulation des propositions émises par les citoyens, rendues publiques par les facilitateurs. L’explicitation par les citoyens de la nécessité de surveiller l’écriture publique est aussi démontrée (section 4.4). L’activité incarnée consistant à effectuer une inscription offre sa temporalité propre à l’activité verbale, permettant ainsi d’anticiper les actes dans le cours même de leur accomplissement. Il est alors possible de corriger verbalement un élément d’inscription non seulement après, mais aussi avant qu’il soit effectué. L’initiation de la correction est alors souvent faite progressivement, à plusieurs reprises, et dans

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des positions séquentielles diverses ; ce qui montre le caractère irréversible de l’écriture, vers lequel s’orientent les participants. Les flèches dans les transcriptions indiquent les initiations de correction. 4.1 Une source de perturbation ‘pratique’ : correction du tableau d’inscription Le premier extrait montre comment la correction peut être faite avant l’inscription, à partir d’une trajectoire incarnant un problème de catégorisation et/ou de localisation du tableau cible. Le facilitateur Prévost annonce que la proposition de « garder les circulations naturelles » sera inscrite sous la rubrique « +Identité » (section du tableau située tout à droite), mais il s’oriente vers la rubrique du tableau « -Identité » (située à gauche) et puis vers « +Ambiance ». La correction est initiée à deux reprises avant que Prévost inscrive la proposition sous « +Identité ». Extrait 1 (CAB_7_FC_181108_GPA_01.16.34) (Tout à Droite) 1 2 3 4

PRE

5 6

NAV PRE

7

PRE fig

8 9

NAV  pre fig

(0.4) je le mets un peu dans l’identité c’est-à-dire garder (.) ce qu’on appelle sur un lieu les circula$tions naturelles >>regarde PUB$regarde et pointe vers NAV--> mm je dis pas d’bêtises $en disant ça ->$se tourne v tbl, ouvre stylo s’appr de «-Identité»--> $#okay $approche stylo du tbl «-Identité»--> #fig. 2 (0.2) $#droite $se réoriente vers tbl «+Ambiance» à droite--> #fig. 3

2 10 11 NAV  pre fig

3

(0.5) $#tout à# droite$ $proj inscr ds «+Ambiance»$reg NAV--> #fig.4 #fig.5

Surveiller et corriger

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4 12 13 JEA 14 LAG  pre 15 PRE 16 LEM pre fig

5

(0.2) THi$ hi hi [°ah ah ah ah° ] [on est dans amb]iance là $fait un pas vers «+Identité»--> $#[ah non ] c’était $sur les ah# c’est$ sur les & [ah ah ah] $pointe v «+Ambiance»$reg NAV $marche v «+Identité»--> #fig.6 #fig.7

6 17 18 ???  19 NAV  pre 20 fig 21 PRE

7

& $°°(xx [(voilà)°° [id[entité [identité ->$écrit «garder les circulations naturelles»-->> (8.2)# #fig. 8 et j’insiste sur le naturel hein

8

Prévost annonce qu’il inscrira la proposition dans « identité » (2), d’abord en s’adressant au public (3-4) et ensuite à Navarro (4), la représentante des pouvoirs publics en charge du projet, qui ratifie l’annonce (5). Après une explicitation de son interprétation du silence de la salle comme une approbation (6-7), il se retourne en direction du tableau « -Identités » et projette l’inscription (6, Figure 2). Il effectue néanmoins une auto-réparation et se réoriente aussitôt vers le tableau à sa droite :

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« +Ambiance » (9, Figure 3) en même temps que Navarro produit une première tentative de correction : « droite » (9), de la trajectoire du facilitateur qui projette une erreur tableau d’inscription. Lors de la projection de l’inscription dans le tableau « +Ambiance », Navarro produit encore une correction : « tout à droite » (11), qui cette fois-ci vise l’auto-réparation du facilitateur qui a encore manqué le bon tableau. Cela montre particulièrement bien la précision temporelle du monitoring de l’activité par les participants. Suite à cette dernière correction, Prévost suspend son mouvement (11, Figure 4), regarde Navarro (11, Figure 5) et fait un pas vers le tableau « +Identités » (14). Le timing des initiations de correction (9, 11), produites au dernier moment avant même le commencement de l’écriture, prouve bien l’orientation des participants vers le caractère irréversible des inscriptions. Le changement de trajectoire de Prévost, qui manifestait une confusion entre les tableaux provoque des rires (13, 16) ainsi qu’une justification par un participantcitoyen de la deuxième correction initiée par Navarro : « on est dans ambiance là » (14). Cela manifeste à la fois le caractère explicite du monitoring par les participants-citoyens de ce que fait le facilitateur et l’aspect délicat de l’erreur de tableau : cela se manifeste davantage encore par la réponse qui suit, de la part du facilitateur. Prévost s’immobilise, regarde le tableau « +Ambiance » où il allait inscrire la proposition et amorce une explication de son erreur (15). Il regarde Navarro encore (15, Figure 6) et initie une justification (« ah non c’est sur les xx » à voix de plus en plus basse, 15-17) pendant qu’il marche vers le tableau « +Identité » (16, Figure 7) et fait l’inscription (16-21). Il accepte ainsi la correction (20, Figure 8), mais clôt néanmoins la séquence avec un commentaire sur la formulation de son inscription (« et j’insiste sur le naturel hein », 23) qui affirme son aptitude à correctement inscrire une proposition (21), s’orientant ainsi vers la formulation de l’inscription comme indemne de ses erreurs successives de tableau d’affectation. L’extrait montre l’attention soutenue des participants qui suivent pas à pas l’avancée de cette action, et qui s’orientent vers le caractère irréversible de l’écriture. Il montre aussi que l’initiation d’une correction peut être effectuée dès la projection de l’action d’inscription avec un format préférentiel (9, 11) (cf. Kendrick, 2015b). Les réactions des citoyens (13, 14, 16), ainsi que celles du facilitateur (1517, 21), en indiquent néanmoins l’aspect délicat et non-préférentiel lié à la nécessité de l’initier. À la différence de l’exemple précédent, la correction de la rubrique inscrite est faite, dans l’extrait 2 ci-dessous, après l’inscription de la proposition. Le problème est cependant similaire : le facilitateur inscrit une proposition dans une catégorie autre que celle dont il a été convenu. Prévost a demandé s’il fallait inscrire la proposition « poumon vert », collectivement accordée, dans ‘+Identité’ ou ‘+Usage’. Ayant eu la réponse générale de ‘+Identité’, une série de contingences spatiales et interactionnelles conduisent néanmoins à l’inscription de la proposition dans ‘+Usage’ à la place de ‘+Identité’. Le problème est, cette fois encore, soulevé par Navarro, une des officielles en charge du projet. Elle le fait au moment même où est initiée une nouvelle séquence, d’où il résulte une deuxième inscription cette foisci dans le tableau adéquat.

Surveiller et corriger

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Extrait 2 (CAB_7_FC_181108_GPA_00.59.04) (PoumonIdentité) 1 pre fig

(5.6)# >>inscrit «poumon vert» dans «+Usage»--> #fig. 9

9 2

PRE

3 4 5 6

PRE

7 8

NAV  PRE

LEM

fig NAV  pre 10 PRE 9

11 12 PRE 13 HEB 14 NAV heb fig

parce que $ c’qui est intéressant c’est que vous donnez ->$se retourne vers le public et ferme stylo--> une dominante ben oui (0.2) d’$accord\ ->$hoche la tête--> °°c’est une iden[tité°°] [alors]$ après s::-$ pardon# ->$regarde NAV$reg tableaux--> #fig. 10 c’est- c’est usage pas $identité ->$marche v les tableaux--> ah pardon excusez-moi$ ->$reg à G, s’arrête, reg tableaux--> (0.3)

+c’est+ [à droite+# [c’est à droite +.....+pointe v tableaux+ #fig.11

10 15 16 ? 17 NAV? 18 PRE 19 pre fig

(0.4) c’est: c’est [tout à droite [$ah oui pardon ->$marche vers «+identité»--> (0.2) $ (0.1) # ->$écrit «un poumon vert»-->> #fig. 12

11

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12

Une fois l’inscription faite, Prévost se retourne vers le public et élabore un élément de la discussion précédente (2-3) avant de publiquement clôturer la séquence (6) et d’en initier une nouvelle (8). Suite à la clôture, Navarro initie la correction à voix basse, avec un format préférentiel, en indiquant la catégorisation initiale de la proposition : « c’est une identité » (7). La position séquentielle où l’initiation de la correction est placée est le dernier moment possible pour traiter la proposition précédente avant que la séquence successive soit entamée. En effet, Prévost qui a pris le tour en chevauchement avec Navarro, l’abandonne et la regarde avant de se tourner vers les tableaux et d’initier une réparation ‘open class’, par « pardon » (8, Figure 10) (cf. Drew, 1997). Quand Navarro opère alors la réparation, elle élève significativement la voix, traitant ainsi l’initiation de Prévost comme probablement due à une insuffisante audibilité. En même temps, elle explicite que la proposition devait être inscrite dans « +Usage » et non pas « +Identité » (9). Prévost marche vers les tableaux (9-11) et affiche un certain degré de surprise (« ah pardon » 10), indiquant une recherche d’erreur en rétrospectif, suivie par une excuse (10), s’orientant ainsi vers l’erreur comme délicate dans la mesure où elle dénonce une insuffisance de sa part. Il scrute les tableaux encore une fois et demande ensuite ouvertement où le tableau « +Identité » est situé (12), à quoi répondent des indications verbales (13-17) et incarnées (14, Figure 11) par plusieurs personnes. Cela montre que les participants manifestement s’orientent vers l’activité comme vers une activité collective (cf. Lerner, 1993). En chevauchement avec Navarro (18), Prévost exhibe encore une fois la reconnaissance de son erreur en rétrospectif, suivie par une nouvelle excuse, pendant qu’il se dirige vers le tableau « +Identité » et inscrit « un poumon vert » une deuxième fois (18-19, Figure 12) sans rayer la première inscription. Ces exemples montrent qu’il est possible d’initier une correction de l’inscription publique avant aussi bien qu’après la matérialisation du texte. À la différence des extraits suivants, c’est dans les deux cas une représentante de l’administration publique qui initie la réparation de l’erreur ‘pratique’ de localisation du tableau adéquat pour l’inscription. Les participants-citoyens néanmoins peuvent s’engager pour aider à résoudre le problème. En outre, les initiations des corrections sont produites sous un format et d’une façon non problématique, tandis que les citoyens aussi bien que le facilitateur s’orientent vers l’action-même comme nonpréférentielle.

Surveiller et corriger

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4.2 Une source de perturbation dans une ‘convention’ d’inscription Une correction peut concerner des aspects très différents de l’inscription. Ainsi, les participants peuvent eux aussi identifier des questions de convention d’écriture comme une source de perturbation susceptible d’être corrigée. Avant le commencement de l’extrait 3 ci-dessous, Benon, l’un des participants-citoyens, a émis la proposition d’exclure les entreprises logées sur le territoire du parc afin d’éviter « des flux de circulation de véhicules à moteur ». Après un échange en groupe, la proposition que le parc ne soit pas un « parc d’entreprise » est collectivement acceptée. La source de perturbation relevée par les participants est liée à l’annonce verbale faite par la facilitatrice Pernety d’inscrire « parc d’entreprise ». Ceci est traité par une partie des citoyens comme n’étant pas suffisamment « négatif », bien qu’elle l’écrive au tableau « -Usages ». À la différence des cas précédents, l’initiation de la correction est produite pendant l’écriture et l’élément d’inscription identifié comme problématique doit être raturé afin d’accomplir l’inscription. En outre, la facilitatrice résiste publiquement à la correction, traitant ainsi la convention d’inscription relevée par les participants comme négociable. Extrait 3 (CAB_FC_181108_ATE_GPB_00.57.11) (Pas Entreprise) 1

PER

2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13

per DEL? MIC? ? ? per fig COM CEL PER HER? per fig SUA PER DEL per

14 15 EDI? per 16 17 DEL? 18 PER 19 MRA? 20 ALC? 21 PER fig 22 ALC? 23 24 PER

   

$donc je note (.) usage donc (0.2) parc d’entreprise$ $se tourne v le tbl «-Usage», projette inscr--------$ $(1.4) $écrit «p»--> $[(on veut PAS)] [( ) [$on] veut] PAS d’e[ntre$prise# [pas ] [pas d’entreprises $----«a»----$«rc d»$suspend inscr, se retourne v PUB--> #fig. 13 ((brouhaha en chevauchement jusqu’à la ligne 60)) mais c’est moins $#oui PAS $de- [là$ c’est dans c` qu’on] n` souhaite pas [(c’est négatif là oui ] $fait arc-$pointe v rubr$fait cercle en l’air--> #fig.141-3 mais [là on est en négatif ] [c’est-à-dire qu’on] $ & $[donc on souhaite PAS:]$ [en négatif là ] ->$fait cercle v l’avant--$regarde PUB----------$ &[ne veut pas (d’parc d’entreprise) ] $[on n’souhaite pas on n` souhaite] pas de $se retourne v le tbl et rature «parc d»--> (parc [d’entreprise)] [parce que ] comme vous [voulez hein] [(xxxxx ] ) mettez euh [mettez donc ] [$on n’souhaite pas] d’entreprise# ->$écrit «entreprises»-->> #fig. 15 (c’est pas raisonnable)\ (1.6) et donc finalement il y avait une deuxième chose

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13

141-3

15

Suite à la proposition émise avant le début de la transcription, Pernety annonce l’inscription de manière verbale avant de lancer l’écriture au tableau sous « -Usage » (1). Bien que la proposition est formulée de façon ‘positive’, dès le commencement de l’inscription (2), plusieurs participants initient une correction de la formulation verbale de la proposition qui projetait une inscription divergeant de la manière dont elle avait été comprise par les citoyens (3-6). Plusieurs personnes peuvent alors s’engager en même temps dans la résolution du problème, les participants-citoyens manifestant ainsi une affiliation entre eux (cf. Egbert, 1997). En outre, le timing des initiations atteste la précision du monitoring de participantscitoyens qui signalent la perturbation dès qu’elle est manifestement reconnaissable. Les corrections visent l’inscription de « parc d’ » à la place de « pas d’ » entreprise (Figure 13). Pernety a annoncé inscrire « parc d’entreprise » dans la catégorie « négative » des usages du futur parc. Plusieurs participants, formant un autre « parti », annulent cependant les initiations de correction initiales et semblent défendre Pernety en remarquant que l’inscription est faite sous la rubrique rassemblant des propositions à la forme négative (8, 10, 11, 13). Pernety suspend l’écriture, se retourne et produit un accord avec Céline (9), suivi par « pas de », projetant une répétition de « pas de parc d’entreprise », qui néanmoins est abandonnée et remplacée par « là c’est dans c’qu’on souhaite pas » (9). Cette réparation exhibe davantage l’argument que la négation de la proposition est inhérente au tableau d’inscription (« -Usages »). Pendant son tour elle esquisse d’abord un arc avec le bras droit en pointant vers la rubrique, avant d’esquisser en l’air un cercle au niveau de la tête des tableaux, rappelant ainsi par ce geste que c’est le choix de tableau qui est pertinent pour le sens de l’inscription (Figure 141-3). Pernety essaye de nouveau de faire entendre qu’elle est d’accord sur le fait qu’on ne souhaite pas d’entreprises dans le parc (« donc on souhaite PAS: », 12) mais son rejet d’une correction semble approfondir le malentendu et le « négatif » est de nouveau soulevé comme problématique (1516). La facilitatrice se retourne alors vers le tableau et rature « parc d’ ». La résignation incarnée et visible est verbalement accompagnée par un « comme vous voulez hein » (18) qui manifeste qu’elle obéit au droit des citoyens de décider de la manière dont leurs propositions doivent être inscrites – même si elle n’est pas d’accord avec eux. Cela montre aussi la forme non préférentielle d’initiation d’une correction. La rature signale aussi la spécificité de l’écriture comme une trace matérielle qui doit être effacée pour être corrigée. Une fois le texte raturé, elle reformule verbalement l’inscription imminente : l’aspect négatif est explicite tandis que « parc de » est omis (« on n’souhaite pas d’entreprise\ », 21), en même temps

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qu’elle initie l’inscription de « entreprises » (Figure 15 ; Figure 16). Ce qui indique davantage qu’elle traite la correction comme étant liée à sa première inscription et pas seulement à la logique des tableaux d’inscription. La première partie de la projection verbale est ainsi représentée par le locus matériel de l’inscription, plus précisément le tableau « -Usage », tandis que le complément de la phrase clarifie/nomme ce dont on ne « veut pas ».

16

Dans l’exemple suivant on trouve à nouveau une source de perturbation liée à une convention d’écriture. Une caractéristique de l’écriture à la main du facilitateur rend la lecture du lexème « nom » vs. « non » douteuse. La correction n’est initiée qu’après l’inscription et, comme dans l’extrait précédent, elle est accordée de manière défensive et accompagnée d’éléments de protestation. En outre, les citoyens font preuve de désaccord quant à la nécessité de corriger l’inscription. Extrait 4 (CAB_181108_ATE_GPA_MED1.mov_00.41.49) (Nom_Non) 1 2 3 4 5 6 7 8

PRE

COL PRE LEM COL pre 

9 10 PRE fig

d’accord (0.2)$ et je ma:rque qu’il y a vous >>écrit «(»---$se tourne v PUB--> l’accompagnez d’une réflexion sur le nom (0.3) °oui (0.2) le plu[s:°] [hein] c’est un peu tôt mais je marque réfle$xion sur le nom ->$se tourne vers les tableaux--> ben no$[:n euh non euh nno] & [non non on peut le faire tout de suite là] ->$écrit «N» «o» «n/m» «)»--> &$#on- on n-no[us on pense qu-] [pas ce soir ]$non= ->$se tourne v PUB-------------$marche v «Boite à idées»--> #fig 17

17 11 12 COL 13 BIJ

=non [mais [(nous)] on pense qu’il faut & [ah non ] [non ]

216 14 15 POU 16 PRE 17 COL? 18 pre 19 BIJ? 20 JEA 21 POU 22 23 NIL 24 25 POU 26 PRE 27 LEM pre 28 29 POU pre 30 31 PRE 32 33 PUB 34 PRE 35 36 PRE

Hanna Svensson & [le faire ] assez [vite] [ èn oo èm] [donc] c’est [pour moi tout] de suite & [avant noël ] & c’est ce soir$ ->$écrit «le Non/m» dans «Boite à idées»--> °heh heh [heh heh heh heh]° [°heh heh heh heh [heh °heh heh heh°] [nom èn oo èm ] (0.5) °ouais c’est c’qu’il a mis° (0.4) on voit ri[en ] [èn ] oo$ èm ouais mais j’écris très [bien] $ [oui] et$& ->$se tourne v PUB----------------------$ &$que- en [rouge x ]xx on voit pas bien$ °en rouge hein [x° ] [(ah bon)] $regarde les tbl----------------------$marche v les tbl--> (0.7) $.tsk (0.3) ils vont en plus$ me reprendre sur la $regarde PUB----------------$regarde les tbl, appr main-> fa$çon dont [j’écris$ [ ->$change «n» en «m»$se tourne v PUB, ferme stylo-->> attention vous allez me traumatiser si vous continuez euh (0.7) autre chose pour votre groupe

Après avoir noté la première des deux parenthèses, Prévost se retourne vers la salle et annonce qu’il entend inscrire la proposition de changer le nom du parc (16). Il l’évalue cependant comme « un peu tôt » et post-positionne la discussion (5) (cf. Mondada et alii, 2015) avant d’écrire « Non/m » entre parenthèses (8-9, cf. Figure 17). Poujade initie une correction de cette première inscription en épelant le mot « nom »: « èn oo èm » (15), qui soulève un problème d’écriture. La correction n’est cependant pas prise en compte, ni par les autres participants, ni par Prévost qui inscrit « Le non/m » une deuxième fois dans le tableau « Boite à idées » (10-27, cf. Figure 18). Poujade se sélectionne de nouveau (21) et répète la correction en prononçant le mot entier avant de l’épeler, et de le pointer ainsi comme une source pertinente d’incertitude. Prévost ne répond toujours pas (22) tandis qu’un autre participantcitoyen, Nilard, se sélectionne pour rejeter la correction en la qualifiant de nonpertinente : « ouais c’est c’qu’il a mis » (23). Comme dans l’exemple précédent, une correction peut donc être traitée par une partie dissidente des participants comme injustifiée, dans le cas présent à la fois en raison du caractère de « critique personnelle » de la perturbation et du doute qu’elle soit vraiment problématique. Cela montre encore le caractère non-préférentiel de l’action corrective qui élabore la distribution asymétrique des tâches lors des réunions institutionnelles. Poujade insiste néanmoins sur la correction en expliquant que « on voit rien » (25). Prévost ne répond que tardivement à la correction et en chevauchement avec Poujade. Il répète la correction (cf. extraits 3, 5, 6 et 7) avant de la rejeter comme une critique vers son propre graphisme tout en protestant qu’il « écrit très bien » (26).

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18 2. fermer ou pas ? la nuit 3. le Nom

1 mise en valeur de l’histoire et du patrimoine (NOM)

Comme la figure 18 le montre, Prévost a écrit le « m » en minuscule comme le « n » dans « nuit », juste au-dessus, et non pas comme le « m » dans « fermer », écrit deux lignes au-dessus. Le mot pourrait ainsi être lu comme « Non », ce qui serait difficilement compréhensible pour de futurs usages des inscriptions après les ateliers. La proposition de changer le nom du futur parc courrait alors le risque de ne pas être prise en compte plus tard. Une autre participante-citoyenne, Lemercier, se sélectionne alors en chevauchement avec Poujade et affirme que le stylo rouge sur le papier blanc rend l’écriture difficile à lire (27-28). Elle fournit ainsi une troisième possibilité d’interprétation de la situation, s’alignant à la fois sur la critique apportée par Poujade (qui porte sur la lisibilité du texte) et repoussant la critique portant sur le graphisme du facilitateur. Prévost regarde le tableau où il a inscrit le premier « nom » et s’apprête à ajuster l’écriture (28-31). En même temps il formule rétrospectivement la correction comme une critique personnelle de son écriture : « ils vont en plus me reprendre sur la façon dont j’écris » (31-32), ce qui provoque des rires dans la salle (33). Pendant qu’il donne au « m » une forme plus standardisée (cf. Figure 18) il proteste encore en accusant avec humour les participants-citoyens de le « traumatiser » (34) avec leurs critiques. Il traite clairement la correction comme non préférentielle, ce qui manifeste la prise en compte publique tardive (15-26), le rejet initial (26-28) et les éléments de protestation (31-34). Le facilitateur s’oriente ainsi vers le caractère potentiellement illégitime de la correction (cf. le commentaire de Nilard, ligne 23) et la critique qu’elle implique de sa façon d’écrire, différente d’une « faute professionnelle » (cf. les autres exemples). L’extrait illustre aussi comment un cadre participatif comportant un grand nombre de participants a un impact décisif sur le déroulement de la séquence corrective (cf. Egbert, 1997 ; Bolden, 2011). Une troisième et même quatrième parties, autres que celle qui initie la correction et celle à qui elle est adressée, la rejette quant à l’une (23) et l’élabore au contraire quant à l’autre (27-28). Le fait que le facilitateur évalue la proposition comme problématique (5) explique la prise en charge développée du côté des participants-citoyens de voir la proposition inscrite de façon limpide. Ils manifestent ainsi leur préoccupation de sécuriser la prise en compte des propositions émises (cf. Mondada et alii, 2015).

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4.3 Une source de perturbation ‘conceptuelle’ : la prise en compte manifestée d’une proposition Les trois exemples réunis ici, relèvent des problèmes liés à la manière dont une proposition, publiquement reprise par le facilitateur, manifeste une divergence conceptuelle entre la proposition initiale et la formulation qu’il en donne dans l’inscription qui s’ensuit. À la différence de ce qui se passe dans les exemples traités précédemment, les participants s’orientent vers ce type de perturbation comme plus problématique en le traitant comme davantage lié à un agenda politique des professionnels. Dans l’exemple suivant, l’animateur inscrit une proposition qui évoque le parc comme un « parc de quartier ». Une citoyenne suggère que le parc étant situé entre trois quartiers différents, la forme « quartier » devrait figurer au pluriel dans l’inscription de la proposition : « quartiers ». Extrait 5a (CAB_181108_ATE_GPA_MED1.mov_00.33.35) (quartier_s) 1 2 3 4 5 6

PRE: ? pre ? ? PRE

7 8 9 PRE 10 11 LEM  12 PRE 13 14 LEM  pre 15

vous êtes en train de me dire ce sera (.) d’abORd un parc de quartier (.) c’est ça que vous évoquez mm$ $hoche tête, ouvre le stylo, marche v les tableaux--> oui= =oui= =okay ben j’vais l’noter (0.2)$(0.3) dans usA:ges (0.3) ->$marche v «+Usages»--> j’$note hein d’abord un parc de quartier ->$inscrit: «d’abord un parc de»--> (1.3) est-ce que: euh alors deuxième éléme:nt (0.3) °p[arc de quartier è]s° $[j’ai enten$du: $] $un pa$rc$ dans le$quEl:$ $change ligne$«q»$«u»$«a»-$«r»$«t»-----$«ier»$ $(0.3) on [peut: (.) $ se enfin ] on se dEpla:ce & [°°parc de quartier ès°°] $ajoute «-» en haut--$se tourne v PUB-->> & (0.4) avec des modes de déplacement dive:rs

Après avoir répété la proposition de caractériser un des usages du parc comme un « parc de quartier » (1-2) et avoir demandé l’accord de l’assemblée (2), immédiatement reçu (3-5), Prévost ouvre son stylo et se tourne vers les tableaux. Il annonce verbalement l’imminence de l’inscription, en énonçant l’action au futur immédiat d’abord et ensuite au présent (« je vais l’noter », 6 ; « j’note hein », 7) et la catégorie dans laquelle il entend la mettre (« dans usages », 6). À travers cette forme de déclaration publique, le facilitateur s’oriente envers les citoyens ordinaires comme étant l’autorité en la matière, lui-même se positionnant sans plus comme l’écrivain des propositions. Pendant l’inscription de « d’abord un parc de » (7-12), Prévost ouvre une nouvelle séquence et prépare le sujet suivant à traiter (9) qu’il développe jusqu’après l’inscription (12-15). La multi-activité manifestée dans la superposition de l’activité verbale à l’inscription (Mondada, 2005) est caractéristique de ce contexte institutionnel où la profession de l’animateur implique de gérer plusieurs tâches simultanément.

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En chevauchement avec Prévost et superposé à l’écriture, Lemercier suggère que la pluralité des quartiers qui entourent le site devrait être reflétée dans la notion « parc de quartier » par l’inscription d’un pluriel : « parc de quartier ès » (11). Elle anticipe ainsi l’inscription au singulier du mot « parc » et l’identifie comme une source possible de perturbation. L’avertissement n’est toutefois pas pris en compte par Prévost qui continue son tour. Par conséquent, Lemercier se sélectionne de nouveau et le répète après que Prévost ait fini l’inscription (14). Il poursuit cependant l’introduction à la proposition suivante (13, 15) et après quelque temps, Lemercier ré-initie la correction : Extrait 5b (CAB_181108_ATE_GPA_MED1.mov_00.33.35) (quartier_s) ((15 lignes omises de la transcription)) 30 PUB

31 LEM  un parc de quartier/ il faudrait mettre $ès à quartier/ là\ pre >>regarde PUB---------------------------$regarde LEM--> 32 PRE $pardon/= $se tourne vers les tableaux--> =parc de qua$rtier ès 33 LEM  pre ->$marche vers les tableaux--> 34 PRE $ah quartier ES $se retourne vers PUB--> 35 LEM eh ben$ oui/ pre ->$fait un pas vers les tableaux--> 36 ? ben oui il y $[en a plusi[eurs (quartiers) $ 37 BIJ [ben oui/ il y a plusieurs 38 PRE [ben attendez/ ->$se tourne vers PUB, ouvre stylo$ 39 BLO $trois sept huit/$ pre $haussements d’épaules$ 40 PRE $ouais/ (.) [d’acco:rd/ ] 41 ? [((inaudible))] pre $marche vers les tableaux--> 42 NIL il y a plus qu’un$ quartier là/ c’est l’arrondissement\ pre  ->$inscrit «s» après «quartier»--> 43 PRE $[voilà/] 44 LEM [( )] mais oui mais/ [( )] (quartier) 45 PRE [très bien] $se tourne vers PUB, ferme stylo-->> 46 PRE alors sur-/

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Lemercier s’auto-sélectionne une troisième fois et initie la correction de nouveau (31), cette fois en clair (vs. en chevauchement) par rapport au facilitateur et avec une voix plus haute par rapport à celle qu’elle avait adoptée dans les corrections initiales (11 ; 14). La position séquentielle qu’elle choisit (au dernier

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point de transition pertinent encore possible afin de pouvoir étendre la séquence précédente, cf. extrait 2), la manière dont elle réintroduit le problème (en cadrant la source de perturbation par une répétition de la partie problématique de la proposition, « un parc de quartier ») et le fait qu’elle formule la correction qu’elle initie, (« il faudrait mettre ‘ès’ à quartier là »), prouvent la précision de son monitoring du déroulement séquentiel de l’activité. Après avoir deux fois tenté d’émettre la remarque sans succès, elle se ré-sélectionne au premier moment possible avant que la séquence en cours se poursuive. Comme du temps a passé depuis la séquence ayant conduit à l’inscription problématique, séquence déjà close lors de la deuxième initiation de correction (cf. 12-15), elle la recadre afin de la rendre intelligible, pour finalement la clore avec la référence spatiale « là » qui renvoie à l’inscription au tableau. Cependant elle-même ne formule pas l’action comme étant délicate, plutôt le contraire, malgré son besoin d’insister à plusieurs reprises pour la faire reconnaître. Prévost initie une séquence insérée de réparation « open class » (« pardon », 32, cf. Drew, 1997) et se retourne vers le tableau où il a inscrit la proposition (34), affichant ainsi sa compréhension que la source de perturbation porte sur l’écriture. Lemercier propose l’opération de réparation en répétant l’inscription correcte, manifestant ainsi qu’elle comprend la réparation comme issue d’un problème d’audibilité (33). Prévost à son tour se tourne vers la salle et rend la source de perturbation public en répétant la solution à la source de la perturbation, « quartier ÈS », précédé de la particule exclamative de surprise : « ah » (ligne 34, cf. Heritage, 1984 ; voir aussi les extraits 1 et 2 ci-dessus). Il s’oriente ainsi vers l’ensemble des participants comme l’autorité en la matière. La manifestation du caractère inattendu de la correction charge davantage la demande tardive d’intervention sur l’écriture, visible à la manière dont l’accord est exhibé par les participants : « eh ben oui/ » (35) ; « ben oui » (36, 37), ainsi qu’aux explications supplémentaires (36, 37, 39, 42) traitant le corrigible comme une évidence (cf. Drew, 1997). Prévost, à son tour, s’oriente vers ces commentaires comme vers une critique, à la fois de manière verbale : « ben attendez » (38) et incarnée : en haussant les épaules (38-42). Il produit ensuite un accord verbal (40) et opère la correction en inscrivant un « s » après « quartier » (Figure 19). Les citoyens s’orientent vers le choix d’une forme plurielle comme vers un choix politique. Inscrire « parc de quartier » au singulier signifierait qu’on ne tient pas compte du fait que plusieurs quartiers partagent les mêmes droits envers le futur parc. L’anticipation de cette source de perturbation n’est pas possible en raison des trajectoires visibles de l’écriture publique, mais elle est inhérente à une spécificité de la relation entre français parlé et français écrit dont le morphème « -s » du pluriel des syntagmes nominaux est « muet ». Cela rend possible le repérage par Lemercier d’une source possible de perturbation plus tard. Elle l’explicite avant la fin de l’écriture, la faisant reconnaître comme justifiant une correction approuvée par le public et prise en charge par le facilitateur après l’écriture. La prise en compte d’une proposition, liée à la manière dont elle est conçue, peut aussi se manifester à travers le choix lexical de sa formulation. La source de

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perturbation qui émerge dans l’exemple ci-dessous, est l’utilisation du terme « mode de circulation » comme opposé à « mode de déplacement ». L’anticipation du problème repose sur l’annonce verbale qui a précédé l’inscription lors de la discussion de la proposition, et les participants-citoyens une fois encore font preuve d’un monitoring élaboré des actions : les initiations de correction montent en intensité avec l’approche du moment d’inscription du corrigible. Extrait 6 (CAB_FC_181108_ATE_GPB_01.03.15) (Circulation_Déplacement) 1 RUB 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 PER 13 PER COM 71 PER 72 COM 73 PER 74 75 76 77 78 79 80 81

? COM PER PER

COM per 82 CEL 83 COM per 84 PER 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95

CHA ? PER ? per fig ? ? MIC? per fig COM

euh:: (0.3) nous on avait pensé un peu à la même euh:::: question mais on avait formulé aussi .h: à la question (0.3) de: euh: .h:: pas forcément avoir un usage récréatif du vélo/ (0.3) mais\ penser\ justement\ à un u- à un usage euh::: (0.3) euh de en termes de déplacement c’està-dire que (0.3) euh:::: ici c’est ‘fin autour du parc (0.3) pour les vélos c’est très difficile/ (0.2) donc ç- il faudrait leur aménager une piste (0.3) pour qu’ils puissent euh: se déplacer euh ‘fin faire des déplacements euh au niveau du quartier ou d` l’agglomération même .h: donc penser euh le parc [comme une zo]ne de traversée/= [d’a:ccord\ ] =qu’il puisse être traversé (58 lignes omises de la transcription pendant lesquelles les participants discutent de la proposition.) donc je NOTE < (4.8) ((discussions parallèles)) > JE NOTE (.) deux choses >>se tourné vers PUB--> (0.3) oui < (1.2) ((discussions parallèles)) > EUH: (0.3) dans les usages donc\ (0.3) un usage cycliste plutôt de circulation/ < (0.8) $ (2.4) $ (3.0) ((discussions parallèles)) > ->$se tourne v/ tbl «+Usages» $écrit «-circulation-on avait dit aussi/ ((inaudible)) de déplacement\ < (4.0) $ (4.0) ((discussions parallèles)) >$ --des vélos.»$change ligne, ajuste papier au tableau$ $et (0.8) dans c` qui est souhaité/ alors bon\ j` vais $se retourne v PUB--> mettre dans les usages/ c’est (une) séparation (.) des euh:: d- des voies d’circ- de séparation des voies/ (0.8) oui des modes doux:= =des modes des modes de [circulation]/$ [(de déplace ]ment)# ->$se retourne v tbl, lève stylo--> #fig. 20 sur des pistes faut pas [( )] [sépara$#tion] des modes de déplacement ->$écrit «séparation»--> #fig.21 < (2.7) ((brouhaha)) >

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20 96 CHA 97 CEL 98 COM per 99 CEL per 00 ? 01 PER fig 02 SUA? 03 CEL 04 PER 05 COM per

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des modes d[oux :] [des mo]des de déplacement $ < (2.7) ((brouhaha)) >$ $écrit «des»------------$ $DES MODES DE DÉPLACEMENT $écrit «modes»--> ouais/ $des modes de #circulation $suspend l’écriture, regarde le PUB--> #fig. 22 de dépla[cement ]$ [de dép[la]cement] [de déplace]ment ->$se retourne v tableau--> < (0.3) $ (8.0) ((brouhaha)) > ->$écrit «de déplacement»-->>

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La proposition émise par Ruben porte sur le mode cycliste de déplacement dans le parc. Il la justifie en pointant vers les difficultés de se déplacer en vélo en ville et le terme de « déplacement » est mis en opposition avec celui d’« usage récréatif » (3) pour ensuite être reformulé en termes de « zone de traversée » (11), forme reprise par l’animatrice (13). Après une discussion pendant laquelle un participant-citoyen représentant une association de rouleurs insiste sur une activité cycliste dans le parc (ce qui provoque de l’agitation), Pernety annonce qu’elle inscrira deux choses au tableau dans la catégorie « +Usages » (71, 73, 79). Après avoir énoncé l’élément d’inscription : « un usage cycliste plutôt de circulation » (7980) elle se tourne vers le tableau sans demander ratification de la proposition aux participants-citoyens (cf. extrait (5) ci-dessus). Elle initie ensuite l’inscription de « circulation des vélos » qui renvoie à un usage plus général du parc. Pendant l’inscription, un citoyen anticipe une source de perturbation en faisant remarquer que le terme « déplacement » également a été mentionné (82) : ce qui n’a pas été pris en compte par Pernety (84, cf. extrait 5). Avant de continuer avec la deuxième partie de l’inscription, Pernety se retourne et produit une demande de confirmation de la formulation de l’inscription

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future (84-86). La recherche est marquée par des hésitations et des reprises : « c’est (une) séparation (.) des euh :: d- des voies d’circ- de séparation des voies/ » (85- 86) qui manifestent une hésitation quant à la formulation de la proposition. Deux participants confirment mais modifient la proposition ; « oui des modes doux » et « des modes » (88, 89) tandis que Pernety reprend sa formulation initiale : « des modes de circulation » (90) et initie l’inscription (Figure 20). Cellier produit cependant une solution alternative et concurrente en chevauchement : « de déplacement » (91), et un autre citoyen encore énonce la même proposition mais sous une forme élaborée : « séparation des modes de déplacement » (95). Pendant que Pernety poursuit l’inscription (91-101, Figure 21), Charvet et Cellier poursuivent les initiations de correction sur la future inscription (« des modes doux », 96, et « des modes de déplacement », 97, 99). L’initiation de la correction porte ainsi sur la version verbale qui a précédé l’inscription (90) et le fait que Cellier insiste sur une version candidate de façon progressive montre que les participants prennent en compte les contingences pratiques de l’écriture. Si le terme « circulation » était inscrit à la place de « déplacement », cela impliquerait un raturage de l’inscription : ce qui demanderait un plus grand effort interactionnel comparé à un accord verbal « correct » avant l’inscription (cf. la rature dans l’extrait 3). Cellier initie la correction pour la troisième fois à voix haute pendant l’inscription du dernier élément, juste avant que le terme problématique soit écrit (99). Un autre participant encore s’engage dans l’initiation de la correction (100). Pernety suspend alors l’écriture, se retourne vers le public et initie une réparation de la correction par une répétition de la source de perturbation : « des modes de circulation » (101, Figure 22). La répétition de Pernety révèle qu’elle s’oriente vers le tour de Cellier comme un problème concernant sa propre compréhension de la proposition. Suard et Cellier opèrent la réparation en énonçant la source de perturbation (102, 103), ce qui est répété en chevauchement par Pernety (cf. extraits 2 et 3) qui se retourne et inscrit « déplacement » (cf. Figure 23). Comme dans l’extrait 3, le fait d’initier l’écriture avant l’accord des citoyens engendre un problème et dans le cas présent ce n’est que grâce au monitoring très précis des participants (96, 97, 99) qu’un raturage est évité à la dernière seconde (101). La différence de caractéristique en termes de choix entre « circulation » et « déplacement » est cruciale pour les citoyens qui veulent éviter que le parc connaisse une ambiance sportive prononcée du fait des rouleurs, discussion qui a été récurrente lors des réunions. Le terme « circulation » renvoie à la proposition de mettre en place une piste de véhicules divers (vélo de vitesse, rollers, skate, etc.), tandis que « déplacement » inclut plutôt le déplacement à pied et se réfère à l’accès au parc à partir des quartiers qui l’entourent. Dans le troisième exemple abordé dans cette section, la correction porte sur la configuration spatiale des inscriptions sur le tableau. Le facilitateur a inscrit la proposition émise comme un ajout à une proposition précédente et non pas comme une proposition autonome. La correction est initiée pendant l’inscription de l’ajout mais effectuée seulement après que la première inscription a été accomplie.

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Extrait 7 (CAB_7_FC_181108_ATE_GPA_00.44.49) (AccèsDouxVert) 1 2 3 4 5 6 7 8 9

PRE TUR PRE

TUR pre

10 pre 11 PRE 12 pre  fig

est-ce qu’y avait d’autres cho:ses dans vos propositions les voies d’accès au parc qu’elles soient vertes et qu’il ait qu’il ait une amélioration des: pistes cyclables (0.3) d’accord voies d’accès vertes et pistes cycla:bles (0.3) >>se tourne alternativement v TUR et v PUB--> donc (.) ça (.) ça nous met on est un peu déjà dans le détail mais .h (.) c’est du déplacement doux aménagé (.) [c’est ça [oui tout à fait$ -->$se tourne, marche v tbl--> (0.2) $ (0.6) ->$se précipite pour écrire--> j’peux mettre déplacement doux aménagé$ #(0.2) $ (0.6) ->$ajoute «aménagé» après «déplacement doux»--> #fig. 24

24 13 14 15 16 17

LAT? COL? PUB ? JEA pre 18 PRE

fig 19 20 ? 21 PRE fig 22 23 TUR 24 LAT pre 25 26 PRE 27 TUR pre 28 pre 29 PRE fig

25

c’est l’accès/ voilà c’est l’acc[[ ès [c’est [l’accès [qu’on n’oublie pas [c’est l’accès hein (.)$ l’accès ->$finit d’écrire, se tourne v PUB--> d’accord $y a ac$cès# ->$se retourne$inscrit «Accès» s nouv ligne--> #fig.25 (1.3) ce qui renforce la notion$# de: [( ) [alors comment je marque le ->$suspend écrit, se tourne v PUB--> #fig.26 qualificatif/ (.) accès quoi accès euh$ [vert et doux [accès doux ->$lève ses deux bras--> (0.4) v$erts et doux$ ->$descend bras$ $voilà$ $reg NAV$se retourne pour écrire--> (0.6) $ ->$se tourne vers NAV--> ça vous va là sylvi- ver-$ ça va# ->$se retourne, inscr «vert et doux»-->> #fig.27

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Une fois que la proposition est émise par Turin (2-3), Prévost la reprend en plus court : « voies d’accès et pistes cyclables » (5), avant de l’évaluer comme trop détaillée (6-7) (cf. extrait 4). Il l’ancre ensuite avec une proposition précédente et la redéfinit : « c’est du déplacement doux aménagé » (7, cf. Figure 13) (cf. Mondada, 2015) et en demande une confirmation (8) qu’il reçoit de Turin (9). La reformulation prend en compte le qualificatif « cyclable » de la proposition initiale (cf. « déplacement doux ») tandis que l’accès au parc est laissé de côté. Prévost se tourne vers le tableau pour écrire (9-10) en même temps qu’il formule l’action d’inscription imminente une deuxième fois : « j’peux mettre déplacement doux aménagé » (10). Il ajoute ensuite « aménagé » après la proposition « déplacement doux » déjà inscrite (11-16, Figure 24, cf. Figure 28). En même temps que le facilitateur produit l’inscription, Lauthillière initie une correction par une répétition de l’élément omis de la proposition initiale : « c’est l’accès » (13), qui cible l’omission de la part de Prévost de traiter la proposition comme ayant une valeur de « proposition propre ». La correction n’est pas faite par la personne qui a émis la proposition, mais par un participant-citoyen qui appartient à un autre groupe de travail. Cela montre l’alternance constante des participants entre diverses catégories possibles au sein du cadre participatif. Les participants peuvent parler et être adressés en tant que porte-parole d’un groupe de travail, concitoyen etc. (cf. Egbert, 1997 ; Lerner, 1993 ; Mondada et alii, 2017). La correction est reprise en chœur par plusieurs participants-citoyens de groupes différents (14-17). Prévost achève l’inscription et se tourne vers le public en admettant la correction par un « d’accord » et en la répétant (18, Figure 10). Il initie l’inscription de « Accès » comme une proposition propre (18), mais suspend l’inscription et se retourne vers le public, lève les bras et demande comment qualifier « accès » (21-22). Il manifeste ainsi qu’il reconnaît son obligation de prendre en compte une proposition telle qu’elle est formulée par les citoyens. Turin et Lauthillière répondent « vert et doux » et, en reprenant ainsi la proposition initiale (23-24), exhibent davantage l’importance qu’ils accordent au fait de noter la proposition sous sa forme initiale. Prévost répète la qualification « vert et doux », abaisse les bras (26), se retourne vers le tableau et continue l’écriture. Turin clôt la séquence (« voilà », 27), s’orientant ainsi vers le droit des participants-citoyens à faire inscrire les propositions qu’ils émettent.

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27 - Déplacement doux aménagé. - 1 parc traversant - Accès vert et doux

Prévost suspend l’inscription une deuxième fois pour demander à une des personnalités officiellement en charge du projet, Navarro, si elle donne son accord à la proposition (29). Les enregistrements ne fournissent pas d’évidence de sa réponse (le son n’apporte pas la preuve d’une réponse verbale et la caméra change de cadrage à ce moment-là). Prévost s’oriente néanmoins vers une réponse apparemment positive de Navarro en confirmant lui-même la ratification à haute voix et en se tournant vers le tableau pour terminer l’inscription (29 ; Figures 27, 28). Ce faisant, il affiche ses obligations envers à la fois les participants-citoyens et les officiels. Sa tâche consiste à collecter des propositions, mais en inscrire une qui pourrait ne pas être prise en compte pour des raisons politiques, cela peut devenir problématique pour les officiels ultérieurement. Les accès au parc, les pistes cyclables incluses, font partie de projets politiques urbains qui n’entrent pas dans ce projet qui porte sur la conception du parc. Les différents agendas et l’orientation du facilitateur envers eux, composent un contexte interactionnel et institutionnel asymétrique qui, néanmoins, est négociable par l’ensemble des participants lors du déroulement de l’interaction. Les participants-citoyens, eux, s’y montrent sensibles et la question à la représentante officielle par le facilitateur exhibe leur besoin de sécuriser leur droit de participants-citoyens d’émettre les propositions. 4.4 Explicitation des citoyens de la nécessité de surveiller l’écriture publique Un dernier extrait montrera que les participants-citoyens s’orientent aussi explicitement vers leur souci de surveiller les inscriptions publiques. La séquence se déroule à la suite de l’exemple 2 ci-dessus et nous y revenons au moment de la correction incarnée. Simultanément avec l’inscription, pendant laquelle Prévost s’explique sur le fait qu’il s’est trompé, des participants-citoyens autour d’une des tables font des remarques sur les fautes professionnelles du facilitateur. L’échange, inaudible sur les données vidéo, a pu être restitué grâce à un enregistreur de son placé sur la table. Il est donc peu probable que le facilitateur entende la conversation entre les participants-citoyens du groupe de cette table. Les deux conversations en parallèle sont représentées dans la transcription comme deux colonnes d’un schisme à partir de la ligne 4 et la visibilité de la temporalité des tours de parole a été conservée autant que possible à travers les lignes et leur numérotation.

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Extrait 8 (CAB_7_FC_181108_GPA_00.59.04) (PoumonIdentité) 1 2

NAV? PRE

3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

pre MAU CAR? MAU LAT LAT MAU

c’est [tout à droite $[ah oui/ pardon $marche v «identité»--> (0.2) $ (0.1) ->$ écrit «un poumon vert»--> ((rire)) PRE ah ben i` s’est encore trompé heh heh heh heh faut le suivre il regarde PRE pas (il faut) vérifier xx j’lui fais confiance et puis pre ((inaudible)) ((rit)) ANI

mais comme ils m’ont dit aussi (1.9) d’accord\ excusez moi/ j’perds l`nord\ $(1.2) $se retourne v pub-->> okay\

Juste après le commencement de l’écriture ‘correcte’ (cf. extrait 2), Maude rit et Carnau se plaint de Prévost du fait que « i’ s’est encore trompé » (5-6). Cela provoque encore des rires (7) et Lauthillière remarque qu’ils doivent scruter les actions du facilitateur autant qu’ils lui font confiance (8-11). En même temps, Prévost, qui est en train d’effectuer la correction, initie une justification de la faute commise (5) tout en faisant référence à une confusion au début de la séquence (non analysée ici). Prévost abandonne néanmoins cette explication et produit une justification alternative : un problème d’orientation spatiale, revendiquant ainsi l’aspect pratique (cf. section 4.1) et non-intentionnel (8-9) du problème. En exhibant le problème en rétrospective comme le problème pratique de trouver le « bon tableau », il manifeste l’accountability de ses actions en tant que professionnel et montre que, lui aussi, conçoit l’événement comme délicat. Cela montre bien l’enjeu de l’asymétrie dans la distribution des tâches au sein de l’interaction institutionnelle et la responsabilité de chacun dans la conformité de la conduite des tâches. Le facilitateur est tenu d’écrire le résultat des discussions des participants-citoyens. Les participants-citoyens, de leur côté, examinent attentivement son travail et s’orientent vers l’inscription comme le produit d’un travail à la fois interactionnel et politique. Quand émerge le besoin de corriger l’activité professionnelle, cela renégocie l’asymétrie et les participants s’orientent manifestement vers cette première action comme délicate et non préférentielle. 5. Remarques conclusives Ce chapitre a montré comment les participants à des ateliers de concertation affirment leurs droits et obligations au moyen de séquences correctives portant sur des inscriptions publiques. À travers une analyse séquentielle, les extraits attestent l’écriture comme une activité issue d’un travail interactionnel, accomplie de manière située par les participants et superposée à l’activité verbale (Mondada, 2005 ; 2016). Elle est cependant précisément coordonnée avec le système ordonné des tours de paroles et l’organisation globale de l’activité. Dans l’ensemble des cas étudiés, l’inscription est précédée d’une annonce publique de sa réalisation imminente, avec une formulation du type « je marque », « je note », « je vais mettre », suivie par le sujet d’inscription. Cela révèle le caractère public et collectif de l’activité : de manière réflexive, les formulations

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somment et clôturent la séquence de discussion précédente en même temps qu’elles projettent et initient la séquence suivante d’écriture. Cependant, il y a des différences importantes dans la manière dont les facilitateurs organisent l’activité (cf. Mondada, ce volume) et cela aussi a un impact intéressant sur la temporalité des inscriptions et les problèmes qui émergent : tandis que Prévost en général demande une ratification des participants-citoyens avant de passer à l’inscription d’une proposition (cf. extraits 5 et 7), Pernety annonce l’inscription future sans avoir reçu préalablement l’accord des citoyens (cf. extraits 3 et 6). Le fait que le corrigible est une inscription le soumet à des contingences pratiques dans l’organisation de sa réalisation : la correction est souvent initiée de façon progressive, à plusieurs reprises et par des personnes différentes. Puisque l’écriture implique une temporalité autre que celle inhérente aux tours de parole, le corrigible peut être identifié non seulement après son inscription mais aussi avant elle, grâce à la projection verbale ou incarnée de l’écriture. En outre, les différents types de corrigibles impliquent des conditions temporelles spécifiques quant à leur projection ainsi qu’une portée pratique sur la manière dont elle peut être opérée. Quand le facilitateur se dirige vers un tableau « erroné », la trajectoire incarnée peut être projetée et corrigée, tandis que le choix d’un terme lexical suppose une opération corrective différente. Dans ce dernier cas, l’élément lexical est, de plus, répété par le facilitateur qui le rend ainsi public avant d’opérer la révision du texte. Dans certains cas la correction implique un ajout de texte, tandis que d’autres corrigibles demandent ajustement ou raturage. Les extraits font aussi la preuve que l’interaction n’est pas nécessairement constituée de deux parties seulement : plusieurs personnes peuvent initier une correction sur une même source de perturbation et peuvent prendre des positions différentes par rapport à la pertinence d’une correction ou la manière dont elle peut être réalisée (cf. Egbert, 1997 ; Bolden, 2011). Malgré l’organisation de l’allocation des tours de paroles qui, dans ce contexte interactionnel spécifique, est gérée par des facilitateurs, les initiations des corrections sont souvent faites en chevauchement et sans que la parole soit d’abord demandée au facilitateur. Cela confirme du même pas que l’organisation de la réparation diffère de la manière dont le système de prise des tours de parole est organisé généralement (Sacks, Schegloff & Jefferson, 1974 ; Kendrick, 2015b). Les corrections sont formatées de manière préférentielle même si l’action d’initier une correction de l’activité menée par le professionnel est manifestement une action non préférentielle : ce qui est explicitement révélé par les rires, excuses, et justifications de l’émergence des sources de perturbation. À travers le travail interactionnel pour voir accorder et subséquemment inscrire une proposition, les facilitateurs (et les officiels) s’orientent à la fois vers la procédure politique de l’activité et les droits et obligations des participants-citoyens au sein de l’interaction sociale. Les participants, de leur côté, traitent les facilitateurs en affichant la responsabilité qui est la leur du contrôle des actions de ceux-ci : contrôle manifesté notamment par la manière dont il est rappelé aux facilitateurs qu’ils sont tenus d’inscrire les propositions de façon acceptable. Quand les citoyens

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surveillent leurs actions, ils le font non seulement quant à la manière dont le facilitateur gère l’activité dans la tenue de l’atelier, mais aussi quant à la manière dont l’agenda institutionnel et politique est suivi et implémenté. Il en résulte que des problèmes pratiques ou interactionnels peuvent être traités comme relevant de problèmes politiques, tandis que des problèmes politiques peuvent être minimisés ou prétendus n’être « seulement » qu’une source de perturbation pratique ou interactionnelle. La réparation hétéro-initiée offre matière à une des ressources que les interactants mobilisent afin de négocier localement l’ordre des choses et modeler ou même contester l’asymétrie de la distribution des tâches au sein de ces interactions institutionnelles. 6. Remerciements L’étude est issue du projet FNS Speaking in public: Social interactions within large groups. Contributions from a conversation analytic multimodal perspective. Je tiens à vivement remercier Lorenza Mondada et Sara Keel pour leur aide précieuse dans le suivi continu du travail. Je veux aussi adresser un grand remerciement à Patrick Renaud pour ses commentaires et lectures minutieuses. 7. Références Bibliographiques Asmuß, B., & Svennevig, J. (Eds.) (2009). Meeting talk: An introduction. Journal of Business Communication, 46 (1), 3-22. Atkinson, J. M. (1984). Public speaking and audience responses : Some techniques for inviting applause. In J. M. Atkinson, J. Heritage (Eds.), Structures of Social Actions : Studies in Conversation Analysis. Cambridge: Cambridge University Press, 371-409. Barnes, R. (2007). Formulations and the facilitation of common agreement in meetings talk. Text &Talk, 27 (3), 273-296. Bolden, G. B. (2011). On the organization of repair in multiperson conversation: The case of ‘other’-selection in other-initiated repair sequences. Research on Language and Social Interaction, 44 (3), 237-262. Clayman, S. E. (1993). Booing: The anatomy of a disaffiliative response. American Sociological Review, 58 (1), 110-130. Drew, P. (1997). ’Open Class’ repair initiators in response to sequential sources of troubles in conversation. Journal of Pragmatics, 28, 69-101. Deppermann, A., Mondada, L., & Schmitt, R. (2010). Agenda and emergence: Contingent and planned activities in a meeting. Journal of Pragmatics, 42, 1700–1718. Egbert, M. (1997). Some interactional achievements of other-initiated repair in multiperson conversation. Journal of Pragmatics, 27, 611-634.

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Relancer une réponse : une démultiplication de la voix citoyenne en réunion publique

Nynke van Schepen

1. Introduction Je me propose dans cette contribution d’analyser les ressources, à la fois verbales et incarnées, que des participants mobilisent pour relancer une réponse lors de réunions politiques plénières dans le cadre d’un projet de démocratie participative en urbanisme. À ces réunions se retrouvent une centaine de citoyens ayant répondu à l’invitation de la communauté urbaine de Lyon de participer à la concertation en vue de la transformation d’un ancien site militaire en un parc public. Lors de ces réunions plénières, des experts/élus/officiels rencontrent des citoyens qui interviennent avec leurs questions, leurs propositions, ou toute remarque qu’ils souhaitent faire entendre. Cette occasion d’intervention dans la sphère publique et politique offerte par les autorités aux citoyens intéressés leur garantit une participation politique. Dans certain cas, les actions des citoyens sont regroupées avant de recevoir une réponse unique. Dans d’autres cas, la réponse est immédiatement donnée. En cas de réponse différée, ou de réponse jugée inadéquate ou non pertinente, les citoyens traitent comme relevant de leur droit interactionnel et civique d’en solliciter une nouvelle et c’est alors qu’ils s’engagent dans une relance de réponse. Une analyse des relances de réponse met donc en évidence l’attention minutieuse qui leur est apportée par les citoyens. Des recherches en Analyse Conversationnelle ont montré qu’en l’absence de réponse, les locuteurs de l’action initiale disposent d’un éventail de pratiques pour la relance d’une réponse (ou d’une réponse plus adéquate). Ces pratiques ont été analysées notamment dans les cas de relances auto-initiées (c’est-à-dire lorsque la personne qui a posé la question initiale est aussi celle qui s’engage dans la relance de réponse) et plutôt en contexte d’interaction ordinaire (cf. Keel, 2015 ; Butler et Wilkinson, 2013 ; Bolden, Mandelbaum et Wilkinson, 2012, Pomerantz, 1984 ou Jefferson, 1981). En revanche, les relances en contexte institutionnel restent peu étudiées (mais voir Romaniuk, 2013 ou Schegloff, 1996) ou sont même inexistantes en cas de relances de réponse hétéro-initiées (c’est-à-dire initiées par une personne autre que celle qui a initié l’action initiale).

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C’est ainsi que ce chapitre traite plus particulièrement de questions dont la réponse a été différée ou traitée et/ou jugée comme insuffisante ou non pertinente par un ou plusieurs participant(s) autre(s) que celui qui a lancé l’action initiale, et cela dans le contexte spécifique évoqué ci-dessus d’une concertation participative sur un projet urbain. La pratique de relancer à la suite de la personne qui a posé l’action initiale, montre que les participants se présentent comme faisant partie d’un collectif (Lerner, 1993) qui se constitue dans le cours de l’interaction et qui devient ensuite pertinent pour l’interaction. Cela permet ainsi d’élargir la notion de participation dans l’interaction de participants individuels vers une unité plurielle de participants (Lerner, 1993). Ce chapitre montre que le fait de se présenter comme collectif accomplit plusieurs tâches en interaction. Premièrement, la personne relançant une réponse s’oriente vers la nécessité de le faire, du fait de son absence ou de son traitement jugé insuffisant. Deuxièmement, le collectif fonctionne comme un organe de contrôle qui peut intervenir publiquement lorsque les droits des participants, aussi bien interactionnels que civiques, risquent d’être enfreints. Troisièmement, le fait d’opérer en collectif est susceptible de modifier/contester un agenda politique établi par les experts/élus/officiels hors concertation participative. Cela permet de montrer, dans une perspective interactionniste et praxéologique, comment les citoyens participent à la concertation, même si invités à poser des questions, utilisent cette invite pour faire d’autres choses telles des relances de réponse. Ils se montrent ainsi compétents pour exploiter leur droit de question, défiant l’asymétrie caractéristique de la relation entre citoyens ordinaires et experts/élus/officiels. Dans un premier temps, je présenterai le cadre particulier de ces rencontres politiques et la problématique de la présente contribution (section 2). Ensuite, je proposerai de traiter des études existantes sur les relances de réponse, tout en me focalisant plus particulièrement sur les relances collectives (section 3) observables dans ce contexte politique spécifique. Des analyses détaillées seront faites sur des relances après une manque de réponse (section 4.1) puis après une réponse jugée comme insuffisante ou inadéquate (section 4.2). Je terminerai avec une discussion se fondant sur les analyses des extraits présentés (section 5). 2. Les données et la problématique Cette contribution s’intéresse aux relances de réponses dans le cadre d’interactions institutionnelles. Elle fait partie de mon travail de thèse, intitulé « Asking questions and doing other actions in political debates: How citizens manage to speak in public », que j’entreprends dans le cadre du projet FNS, « Speaking in Public I (100014_144376/1) + II (100014_144376/2) » (2013-2017), dirigé par Lorenza Mondada. Cela m’a permis de baser mon étude sur un large corpus audiovisuel constitué par Lorenza Mondada et ses équipes entre 2008 et 2014 à l’occasion d’un projet de politique participative en urbanisme à Lyon, France (là-dessus, voir aussi les contributions de Lorenza Mondada et de Hanna Svensson dans la présente publication). En 2007, l’agglomération du Grand Lyon a lancé un processus participatif de concertation concernant la transformation d’un ancien site militaire en un parc

Relancer une réponse

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public (Mondada, ce volume ; 2016 ; 2015 ; 2013 ; 2012). Jusqu’à l’année 2014, le processus a continué, sous forme de visites et d’ateliers, jalonné de séances plénières annuelles ou biannuelles visant à informer les citoyens de l’avancée du projet et à leur demander idées, propositions et vœux. Ici, je me concentre sur les séances plénières. Au total huit séances plénières ont été tenues et documentées, d’où il résulte un corpus d’environ vingt heures de données vidéo, enregistrées au moyen de plusieurs caméras. À ces réunions plénières participaient plus d’une centaine de citoyens face à un public d’experts, d’élus et d’autres officiels. Ces séances plénières sont caractérisées par une structure interactionnelle organisée régulière. Après une présentation générale de leur déroulement par un facilitateur, des exposés de différents experts ou élus intervenants alternent avec des moments où les citoyens sont incités, tout au long de la séance, à intervenir avec leurs questions, leurs propositions, ou toute autre remarque qu’ils souhaitent formuler au sujet du futur parc, ou sur les exposés des experts. En cas d’absence du facilitateur, un des élus assume le rôle de président de séance. Il est assisté par un ou deux porteurs de microphone, chargés de le confier à la personne qui a obtenu la parole. Au moyen des cinq extraits qui suivent, je souhaiterais montrer comment les citoyens relancent une réponse pour le compte d’un citoyen qui n’a pas reçu de réponse (adéquate) à sa question. Dans le cadre de la réunion de concertation, les relances de réponse servent aux citoyens à rendre les obligations des officiels – répondre aux questions des citoyens – visibles et reconnaissables (accountable) pour ce qu’elles sont. Ainsi, les citoyens s’orientent de manière normative vers leurs droits et obligations aussi bien interactionnels que civiques. Je m’intéresse également aux conséquences de ces relances faites de manière collective sur l’interaction en cours. Ainsi, ces analyses permettront de montrer le lien réflexif existant entre l’interaction et la structure sociale (Schegloff, 2007 ; 1992). Ces structures sociales ne sont pas établies à l’avance, mais se constituent dans le cours de l’interaction et acquièrent donc une pertinence pour les participants mêmes. Cela me permet de montrer comment la démocratie participative prend forme au fil de l’interaction dans le moment même de sa production. 3. Relancer une réponse collectivement en interaction institutionnelle Avant d’aborder l’analyse des extraits, je propose de faire le point sur les enjeux soulevés par les séquences question/réponse en milieu institutionnel et sur leur rapport avec des formes d’asymétrie interactionnelle. Cela me permettra de préciser la place qu’occupent ces relances de réponse dans le cadre de la concertation politique étudiée. 3.1 Asymétries en interaction institutionnelle Les études des « interactions institutionnelles » (Drew et Heritage, 1992) ont montré que ce type d’interaction est caractérisé par une forte présence de séquences question-réponse. L’action de poser des questions est souvent réservée à une partie, tandis que l’action de répondre l’est à l’autre partie. Dans la plupart des interactions

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institutionnelles analysées jusqu’à présent, par exemple en contexte médical, éducationnel ou judiciaire, ce sont les professionnels qui posent les questions tandis que l’action de répondre revient aux patients, élèves ou suspects (voir par exemple Maynard, 1991 ; Frankel, 1989 ; Atkinson et Drew, 1979 ou McHoul, 1978). De cette manière, les séquences de question-réponse en interaction institutionnelle génèrent une forme d’asymétrie. Néanmoins, le fait de poser une question met également en place une série de droits et obligations. Comme l’ont montré Sacks, Schegloff et Jefferson (1974), une action d’initiation de séquence (la première partie d’une paire adjacente), une question par exemple, projette pour la suite une réponse, la deuxième partie de la paire, conditionnée elle-même par la première partie de la paire1. De nombreuses recherches ont été menées sur les particularités des formats des questions qui suscitent des réponses. Ces recherches ont montré que tant les propriétés fonctionnelles de ces actions (Schegloff et Sacks, 1973) que les caractéristiques formelles de la question propre à mobiliser une réponse (Stivers et Rossano, 2010) contribuent à la projection d’un certain type de réponse (voir par exemple Raymond, 2010 ; 2003 ; Koshik, 2005). Stivers et Rossano (2010) soutiennent d’abord que certains types d’actions canoniques rendent pertinente une réponse conforme au type projeté (type-fitted response), alors que des types d’actions non-canoniques n’imposent pas de réponses normatives de façon aussi puissante. Effectivement, lors de la production des actions canoniques, les locuteurs de l’action initiale, ainsi que les personnes adressées traitent l’omission d’une réponse conforme au type projeté par la personne adressée comme un échec (Stivers et Rossano 2010 : 6). Ensuite, Stivers et Rossano (2010) ont identifié quatre pratiques récurrentes dans le formatage des actions canoniques qui contribuent à la mobilisation des réponses : une morphosyntaxe interrogative, une intonation interrogative, une expertise épistémique de l’interlocuteur sur l’objet questionné et enfin un regard du locuteur de l’action initiale vers son interlocuteur au moment où une transition du locuteur deviendrait possiblement pertinente. C’est ainsi que la personne intervenant en deuxième position – celle qui répond – dispose de moyens restreints pour orienter la conversation dans la direction qu’elle souhaite ou même pour initier d’autres actions. Même si les interlocuteurs respectent généralement les contraintes imposées par la question, ils possèdent de nombreuses ressources et pratiques pour résister, problématiser, ou esquiver l’agenda et les présuppositions que les questions ont mises en avant (voir par exemple Clayman, 2001 ; 1993 ; Clayman et Heritage, 2002, sur les différentes pratiques d’esquive des présidents américains lors des conférences de presse ou Stivers et Hayashi, 2010 sur les réponses qui rétrospectivement transforment la question initiale). En troisième position, les locuteurs peuvent rétroactivement marquer leur (mé)contentement par rapport à une absence de réponse et/ou par la réponse donnée et relancer une réponse ou une réponse plus adéquate (Pomerantz, 1984). Cela 1 Par ailleurs, en adoptant le format d’une question, les locuteurs peuvent s’en servir pour mener d’autres actions, telles que des critiques, des offres ou des requêtes (Schegloff, 2007), contribuant ainsi à l’agenda des tâches à accomplir dans l’interaction en cours.

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montre bien que la personne qui relance une réponse tient son interlocuteur comme ayant à justifier l’absence (partielle) de réponse et traite cette absence/inadéquation comme problématique et pouvant donc faire l’objet d’un reproche. Par la suite, la relance de réponse peut soit exposer soit masquer le problème que les locuteurs tentent de remédier. Pour ce faire, différentes pratiques peuvent être déployées (voir par exemple Bolden, Mandelbaum et Wilkinson, 2012 ; Peräkylä et Ruusuvuori, 2012 ; Ford, Fox et Thompson, 2002 ou Lerner, 1994). En relançant une réponse, un locuteur se montre donc capable de prendre une position réflexive envers la réponse qui lui est proposée. La particularité de mon étude est que dans ces réunions publiques de concertation, ce sont bien les citoyens qui posent les questions, tandis que c’est aux experts/élus/officiels de répondre. Dans pareil contexte institutionnel où des participants non-professionnels interviennent conventionnellement en position secondaire (en répondant à la requête des élus de participer à la concertation), mais en accomplissant des actions de première partie de paire adjacente (en posant des questions), relancer une réponse constitue une manière efficace de modifier localement l’asymétrie caractérisant ce type d’interaction (cf. Drew et Heritage, 1992 pour une analyse approfondie de l’asymétrie interactionnelle en contexte institutionnel). 3.2 Relancer une réponse de manière collective En dépit de leur planification et malgré la stabilité des rôles et des identités institutionnelles qui caractérise les réunions (Asmuß et Oshima, 2012), celles-ci restent des événements institutionnels complexes au cours desquels les participants négocient de manière constante leurs positions individuelles. Une analyse des séances plénières du processus de concertation étudié ici montre que la relance de réponse est parmi ces moments de négociation. La particularité des relances de réponse étudiées ici est que, contrairement aux études antérieures en Analyse Conversationnelle qui se sont focalisées sur les relances faites par la personne qui a initié l’action initiale, ici, je me concentre sur les relances faites par une tierce personne. Ce cadre participatif complexe se caractérise en outre par une orientation vers un auditoire élargi, puisque la mobilisation d’une réponse se fait publiquement et en référence à un collectif (Mondada, 2015 ; Clayman et Heritage, 2002 ; Heritage, 1985). Jusqu’à présent, les études analysant la participation collective d’une partie telle un auditoire, se sont focalisées sur la production d’applaudissements (Atkinson, 1984), ou de huées (Clayman, 1993), qui, s’ils peuvent être initiés individuellement, constituent néanmoins des phénomènes de masse. Ici, je souhaite montrer que des participants individuels peuvent s’orienter vers le collectif dont ils font partie, devenant des overhearers capables de contrôler, apprécier ou corriger le travail des experts/élus/officiels. La relance montre ainsi l’orientation que manifestent ces participants vers le partage d’un ensemble de droits et d’obligations commun et inhérent aux différentes catégories présentes de participants. De ce fait, les participants contribuent activement à l’établissement d’un nouveau cadre participatif (Goodwin et Goodwin, 2004) et à la transformation de l’agenda interactif. C’est pourquoi, comme le dit Goodwin (2000 : 150) : « any participation framework is an on-going contingent accomplishment, something not

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under control of a single party (who can at best make proposals about the structure of participation that should be operative at that moment), but rather something that has to be continuously achieved through public displays of orientation within ongoing processes of interaction ». 4. Analyse multimodale des relances de réponse Afin de pouvoir développer analytiquement les positions séquentielles de ces relances, ainsi que les ressources utilisées par les participants au profit de la personne qui a posé la question initiale en même temps que leur orientation vers le collectif, je propose d’examiner cinq extraits en détail. En 4.1 seront traités trois extraits qui documentent des relances de réponse orientées vers une absence de réponse. En 4.2, deux extraits se proposent d’analyser des relances faisant suite à des réponses traitées comme inadéquates. Les extraits montrent ainsi comment les participants surveillent collectivement les réponses à la question initiale et comment ils relancent une réponse (plus élaborée) en cas d’absence de réponse et/ou de réponse insatisfaisante. Dans son ensemble, l’analyse multimodale et praxéologique des extraits révèle comment les participants manifestent leur orientation vers des droits et obligations qu’ils attribuent aux différentes catégories engagées dans l’interaction, et permet ainsi de montrer comment les participants établissent et accomplissent la démocratie participative en interaction. 4.1 Relancer une réponse en cas d’absence de réponse Je montre dans les trois extraits suivants qu’une autre personne que celle qui a posé la question initiale, en s’orientant vers l’absence d’une réponse, effectue une relance pour en obtenir une. Ces extraits permettent de montrer que les participants s’orientent vers l’attente normative qu’une première partie de paire projette une deuxième partie, immédiatement ou plus tard, et comment ils rendent leur attente normative pertinente pour les experts/élus/officiels. 4.1.1 Relancer une réponse après hétéro-sélection par le facilitateur Dans ce qui suit, je me penche sur une relance de réponse rencontrant des problèmes de référence – ce qui génère une double relance. Une série de réponses vient de se clore et Bert (BER), l’un des élus également président de séance, ouvre un nouvel espace de parole voué aux questions, propositions, remarques des citoyens, en attribuant la parole à ceux qui signalent leur volonté de prendre la parole (en levant la main). L’une des questions posées dans la série de questions précédente, était celle de Bodeau (BOD) quant à « l’accès du huitième » (extrait non reproduit ici), le huitième étant un des arrondissements au voisinage du parc. Dans une nouvelle série de questions, Voznier (VOZ) utilise l’espace à nouveau ouvert pour rappeler que jusque là, la question de Bodeau concernant « l’accès du huitième » (4) n’a pas reçu de réponse :

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Extrait 1 (VOZ_CAB_031012_PLE_ORA/PUB_02.17.58) 01 VOZ 02 BER ber ber ber ber 03 ber 04 VOZ ber ber 05 06 THE ber fig 07 08 VOZ 09 LIS 10 THE

ber

*∞±[°xx] xx° [±oui/±] *>>regarde public--> ∞>>mD écrit--> ±>>mG tient micro--> ±hochement de tête± *(0.2) -->*regarde notes--> c- c’était pour l’accès/ du *huit¶ième\± si on peut± -->*regarde public--> -->±MG vers l’oreille± [±y #répondre/] [(°° cette histoi]re/ elle est malheureuse\ hein/ ±MG à l’oreille--> #fig.1 (.) [∞pour l’[∞accès du hui]]tiè#me\ [sch:::::::::::::::::::] [°justement\°]

->∞mD en l’air∞mD fais signe stop-->

fig

#fig.2

1 11 ber 12 VOZ 13 14 BER ber 15 ber 16 VOZ 17 BER 18 19 BER ber ber

2

(0.9) ∞(0.3)∞ -->∞mD baisse∞mD sur la table--> le pont piéton\ (0.5) par±don/ ->±mG micro v la bouche--> (0.3) ±(0.2) -->±MG micro dev bouche-->> c’était/ pour l’accès du huitiè[me une rép]onse claire\ [d’accord] (0.2) *oké\ ∞on::- on- on vous répond/ -->*regarde notes-->> -->∞mD écrit-->>

Après quelques problèmes relatifs au maniement du micro, Voznier prend finalement la parole (4). Dans la première partie de son tour (4), il profite de l’espace de parole offert pour répéter un élément lexical de la question initiale de Bodeau (voir ci-dessus), en adoptant un format déclaratif et une intonation descendante. La formulation indexicale qu’utilise Voznier montre par son format qu’elle renvoie à quelque chose qui est connu de tout le monde, puisqu’il n’y a pas de verbe, ni d’action formulée. « C’était pour » (4) est un account de la prise de parole et de l’absence de formulation d’une action ou de formatage de l’action comme une question. Ceci montre que Voznier n’ajoute pas une intervention supplémentaire et autonome. Au contraire, cela manifeste précisément qu’il s’agit

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d’un rappel. Ce rappel réfère à un objet : l’« accès du huitième » (4) qui emploie un article défini et qui le traite clairement comme connu et reconnaissable. Dans cette première partie de son tour, Voznier n’inclut pas explicitement le locuteur de la question initiale. Cette non-invocation de la personne qui a produit la question initiale sert comme stratégie pour s’afficher comme collectif soudé et/ou solidaire. Voznier rajoute « si on peut y répondre/ » (4-5) pour signaler l’absence d’une réponse et pour relancer une réponse. Dans cette deuxième partie de son tour, Voznier utilise le pronom impersonnel « on » (4) – il ne s’adresse à personne en particulier, personne n’est personnellement blâmé pour ne pas avoir répondu à la question précédente. De plus, il adopte une intonation montante (« si on peut y répondre/ », 4-5) – s’adaptant ainsi au format de la question prévue par Bert lors de l’ouverture de cet espace de parole, tout en faisant autre chose que de poser une question à proprement parler. En effet, c’est une critique implicite à l’adresse des élus ; une règle interactionnelle a été enfreinte, puisqu’un sujet abordé précédemment n’a pas eu de réponse. Néanmoins, l’emploi de l’imparfait (« c’était » 4) sert à rendre moins explicite cette critique. Cela devient également visible lorsque Voznier ajoute « si on peut y répondre/ » (4-5), qui formule l’absence de réponse comme un oubli de la part des élus. La première partie de son tour se dévoile donc comme constituant la relance d’une réponse à une question précédemment posée, mais restée sans réponse. À cause du brouhaha dans le public, Bert place sa main gauche en cornet devant son oreille gauche (4-14), manifestant qu’il n’entend pas (Fig. 1) et projette ainsi une initiation de réparation de manière incarnée. Voznier ne répète qu’une partie de sa relance initiale (8). Bert de sa main droite levée fait alors signe aux autres locuteurs, les priant de se taire (8) (Fig. 2). Ce faisant, il montre une deuxième fois qu’il n’a pas entendu l’énoncé de Voznier. Voznier traite l’absence de réponse, visible dans la pause notable (11), comme manifestant un problème interactionnel de référence. Ceci le conduit à une troisième relance en utilisant cette fois-ci le syntagme nominal « le pont piéton » (12). Il transforme sa précédente formulation générale « accès du huitième » en une proposition plus précise : « le pont piéton », auto-réparant ainsi sa relance (cf. Bolden, Mandelbaum et Wilkinson, 2012 sur la pratique des auto-réparations qui peuvent être employées par des participants au service d’une relance de réponse). Voznier offre ainsi à Bert une autre opportunité pour répondre, sans pour autant pointer vers lui comme la cause du problème interactionnel. En même temps, cette formulation sert de véhicule à une relance. Cette auto-réparation du réfèrent est une manière plutôt furtive de gérer des questions interactionnelles plus chargées, comme par exemple blâmer les experts/élus/officiels de leur non-transparence ou de leur réticence. La solution du pont a été évoquée plusieurs fois comme une des solutions possibles pour faciliter l’accès au parc depuis le huitième arrondissement, mais n’a jusqu’à présent jamais été pris en compte en raison de son coût, jugé trop élevé. Bert initie une réparation open class (Drew, 1997) avec « pardon/ » (14), qui s’oriente vers un problème d’ouïe. Pourtant, souvent l’orientation de réparations d’un problème d’ouïe concerne des problématiques délicates. Voznier revient ainsi sur sa première relance et

Relancer une réponse

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reprend « c’était/ pour l’accès du huitième » (16), en rajoutant « une réponse claire » (16), qui cette fois-ci met l’accent sur l’absence de clarté de la réponse (16). Bert se montre tout de suite (et en chevauchement) coopératif et conciliant avec Voznier (17) en lui promettant une réponse (19). Cet extrait documente donc une double, voire une triple relance de réponse. J’ai essayé de montrer avec ce premier extrait, que grâce à l’absence de référence au locuteur de l’action initiale, chaque participant peut se montrer prêt pour faire une relance de réponse et se présenter ainsi comme membre du collectif. Par la référence à une insuffisance de réponse, ne serait-ce que quant à sa clarté, Voznier établit un cadre participatif et s’allie à l’action précédemment initiée par Bodeau (extrait nonreproduit). Dans cet extrait, Voznier n’invoque pas précisément une absence mais demande plutôt une réponse (laissant sous-entendre qu’il n’y a pas encore eu de réponse du tout) pour ensuite préciser qu’il demande une réponse « claire » (laissant sous-entendre qu’il y a uniquement absence de clarté et non absence de réponse). Il minimise ainsi le blâme attribué aux officiels/experts à travers sa relance de réponse. C’est ainsi que cette formulation correspond au travail fait par Heritage (1985) qui a montré que les formulations peuvent servir comme une pratique pour ne pas prendre ouvertement position envers l’interaction précédente. 4.1.2 Relancer une réponse sans hétéro-sélection par le facilitateur Nous avons vu dans l’extrait précédent une relance de réponse après l’ouverture d’un nouvel espace de parole par le président de séance ; l’extrait suivant en revanche montre que les participants interviennent également sans allocation du tour de parole par un facilitateur, voire même à un moment qui n’est pas prévu pour des interventions citoyennes. Avant l’extrait, Delmas (DMS) a posé trois questions. Sa dernière question portait sur l’accès prévu pour les vélos et les rollers au futur parc : « ma troisiè:me question:/ est:: accès:/ vélos:/ rollers\ » (extrait non reproduit ici). D’autres personnes ont suivi avec leurs questions. Les réponses n’ont été données que de façon regroupée, répondant à l’ensemble des questions. Parmi elles se trouvent les réponses aux deux premières questions de Delmas. Nous rejoignons l’action lorsque Bert projette la clôture de la réponse à la troisième question, bien que la réponse traite uniquement la première partie de la question initiale : l’accès pour les vélos. Extrait 2 (DUB_CAB_031012_PLE_ORA/PUB_01.43.33) 01 BER ber ber nav lig 02 03 04 nav lig 05 ber ber fig

*±•¶et l’usage de vélo pour trabouler entre les deux *>>regarde public--> ±>>MD tient micro à la bouche--> •>>regarde BER--> ¶>>regarde BER--> quartiers/ soit par la rue/ qui: .h est en train d’être réalisée derrière le grand casernement/ (0.4) s•oit via l’espla¶nade/ (0.3) sera lui/ bien sûr/ ->•regarde écran dev lui--> -->¶regarde écran dev lui--> (0.4) autorisée\±*# -->±mD s’apprête à poser micro mais le garde--> -->*regarde micro--> #fig.3

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3 06 07 DUB nav ber 08 lig fig 09 MOR 10 11 BER 12 LEB ber fig 13 BER 14 LEB ber 15 ber nav 16 MAR 17 BER ber lig ber 18 ber lig nav 19 nav

4

5

(1.1) ROLLE•RS:/* -->•regarde public--> -->*regarde public--> (0.3)¶# -->¶regarde public--> #fig.4 j’avais une question/ ici/ (0.3) ° les rollers on a:: (0.3) [un rol*leur] p#arc/° [°ah: oui:/°] -->*regarde NAV--> #fig.5 [un °*skate]parc/° [°les rollers°] -->*regarde public--> (0.6) ±(0.2) •(0.2) -->±mD amène micro vers la bouche--> -->•regarde LIG--> °les rollers/ oui\° p±our les rollers::¶ *euh: il est prévu un skate parc ->±mD tient micro devant la bouche-->> -->¶regarde NAV--> -->*regarde NAV/LIG--> comme *lieu de::¶ (0.7) •>de- de< (.) de possibilité de -->*regarde public-->> -->¶regarde écran devant lui-->> -->•regarde BER--> faire du roller:/ •euh:: acrobatique/ hein/ ((continue)) -->•regarde public-->>

Après avoir indiqué la fin de sa réponse, en utilisant une intonation descendante (5), Bert s’apprête à mettre le microphone sur la table (Fig. 3), projetant ainsi la fin de la réponse et possiblement le passage vers une nouvelle séquence question-réponse. Il suit du regard le microphone et cesse de regarder le public. Dubois (DUB), hors du champ de la camera, identifie la pause notable de 1.1 secondes (6) qui suit la fin de la réponse pendant que Bert commence à mettre le microphone sur la table, comme un possible Point de Transition Pertinent (PTP) (ou Transition Relevant Place, Sacks, Schegloff et Jefferson, 1974) et donc possiblement le dernier moment pour relancer une réponse. C’est ainsi qu’elle intervient avec le syntagme nominal : « ROLLERS/ » (7) en volume élevé. Bert tourne son regard vers le public pour identifier la personne (Fig. 4), alors que Morin, la porteuse de microphone, manifeste qu’elle a identifié quelqu’un d’autre qui souhaiterait poser une question (9). Dans la ligne 11, Bert ratifie l’action lancée par Dubois et non celle de Morin, montrant une orientation vers la normativité de répondre d’abord aux questions précédentes avant de passer à de nouvelles questions

Relancer une réponse

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(et donc une orientation plus générale vers les droits et obligations qui sont impliqués par la paire adjacente). La structure nominale utilisée par Dubois traite le « roller » comme un thème connu, présent à l’esprit de chacun dans la salle. L’absence d’agent oriente vers l’évidence d’un problème qu’elle n’est pas tenue de justifier. L’absence d’agent, tout comme l’absence de verbe, fait que cette relance prend la forme d’un directif, voire d’un ordre (voir par exemple Couper-Kuhlen, 2014), qui, par l’utilisation de cette forme, s’oriente davantage vers un problème interactionnel. Par le biais de cette structure nominale, Dubois s’oriente vers son droit interactionnel à cette action, tout en se joignant à l’orientation de Bert vers un prochain locuteur et une nouvelle question comme une manière d’esquiver l’exigence de réponse à un sujet délicat. Dans ces séances plénières, cette forme de directif est peu utilisée, voire absente : elle est plus commune dans des contextes éducationnels (voir par exemple Lindwall et Ekström (2012) sur les cours de tricot, ou De Stefani et Gazin (2014) sur les leçons de conduite), où elle est le propre des experts et des enseignants, plutôt que des novices ou des élèves. Notre extrait montre au contraire un format ressemblant fortement à un directif, qui est déployé pour relancer une réponse des experts. Ensuite dans la ligne 11, Bert s’engage dans une réponse immédiate, tandis qu’il différait momentanément la réponse dans le premier extrait. Il se tourne vers Navarro, une fonctionnaire du département d’urbanisme de la ville et chef de travaux, pour lui demander confirmation : « les rollers on a:: (0.3) un roller parc/ » (11) (Fig. 5), qu’il auto-répare dans « un skate parc/ » (13). En l’absence d’un regard et d’une réponse verbale de Navarro, Bert s’aventure dans une réponse. Ceci correspond à ce qui a été montré dans la littérature sur les directifs, montrant que les requêtes et les directifs (des actions canoniques) initient une séquence qui projette une réponse directe (voir par exemple Mondada, 2014) et une ratification comme réponse préférée. De plus, elles sont construites de manière à éviter des réponses non-préférées, ce qui explique ainsi une utilisation de pré-requêtes et d’autres types de pré-séquences (Schegloff, 1980) ainsi que des formats sensibles à différentes formes d’entitlement (Curl et Drew, 2008). Pourtant, la forme courte que prend ce directif, ainsi que son volume important et l’intonation montante, sont particulièrement adaptés à la temporalité d’action rapide puisque faite en un point de transition possible du tour (cf. Stivers et Rossano, 2010 sur mobiliser une réponse). Ainsi, ce format, minimal au niveau lexical mais maximal au niveau du volume déployé et au niveau de l’intonation, offre une manière particulièrement efficace pour relancer une réponse, même si finalement le tour de Bert ne fait pas réponse au sens strict puisqu’il ne répond pas à la question exacte sur l’accès des rollers, mais montre d’avantage ce qui est prévu pour les rollers. Entretemps, d’autres personnes, Leblanc (LEB) et Martinet (MAR) interviennent (12-14 et 16), soutiennent et s’alignent sur la relance faite par Dubois. Cela semble être une autre manière de constituer un collectif, permettant de montrer que les membres de ce collectif sont solidaires les uns les autres.

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Puisqu’intervenant après une réponse, cette relance et le fait de faire une remarque sur l’action qui vient de s’accomplir tout en précédant l’action suivante, Dubois contribue activement à l’établissement de l’agenda interactionnel. En plus, dans ce deuxième extrait, la modification de l’asymétrie est plus forte que dans le premier, du fait que la relance intervient 1) à un moment qui n’est pas a priori prévu pour une intervention citoyenne (voir les actions de Morin) et 2) en formulé dans un format qui est normalement réservé à ceux qui occupent la place d’experts/professionnels. Ces premiers deux extraits permettent donc d’observer différents degrés de subversion de l’asymétrie – qui ont un impact direct ou non sur la suite. 4.1.3 Le porte-parole qui effectue une relance Dans le troisième extrait ci-dessous, la relance d’une réponse est produite par Gomes (GOM), l’une des porteuses de microphone. Sa position en tant que porte-micro lui confère une position institutionnelle affectée à une tache particulière. Malgré cela, en relançant une réponse, elle prend position au nom du collectif des citoyens. Durant un épisode de question-réponse précédant l’extrait ci-dessous, Loyier (LOY) avait posé les questions suivantes : « est-ce qu’y a: des: (bancs) qui sont prévus/ pour/ (0.4) euh:: se poser/ s’installer/ ou s’asseoir/ tout simplement/ (0.5) et: la deuxième question:/ estce qu’il y aura des moments:/ où (0.4) euh le parc sera complètement fermé/ » (extraits non reproduits ici). Gomes rappelle ces deux questions dans l’extrait suivant : Extrait 3 (GOM_CAB_031012_PLE_ORA/PUB_02.16.48) 01 ber ber ber 02 BER ber ber 03 04 GOM ber 05 06 GOM gom ber ber gom 07 08 BER gom gom loy ber fig

*±∞(0.4) *>>regarde à droite--> ±>>mG pointe à droite--> ∞>>mD tient micro devant la bouche--> ma±dame/ ±*et puis ma±*dame\ -->±tourne±mG pointe ±mG pointe à droite--> -->*regarde à gauche*regarde à droite--> (0.6) e:xcusez *moi/ -->*regarde à gauche--> (0.6) y avait juste/ *deux tout ±π°petites ¢questions ¢regarde LOY--> -->*regarde GOM-->l.18 -->±mG pointe à gauche--> πmD tient micro devant bouche--> §#ici¢/° €sur les ba:#ncs et l[a ±fer]me§ture complète °du& [alors] §mG pointe LOY--------------------------§mG vers corps--> -->¢regarde BER--> €regarde BER--> -->±MG ouvre vers la gauche--> #fig.6 #fig.7

Relancer une réponse

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6 09 GOM gom ber 10 11 GOM 12 BER 13 GOM ber gom gom ber 14 BER 15 GOM 16 LOY gom ber loy gom gom fig 17 BER 18 LOY loy gom ber ber fig

7

&§par±t/° -->§mG long du corps--> -->±mG pointe à gauche--> (.) [du parc/] [qu- au- ±au]quel on n’a± [pas r§épon]du∞/& [%oui/%] -->±mG rétracte---±mG tient micro devant bouche-->l.31 %hochement de tête% -->§mG pointe BER--> -->∞mD vers la table--> [§et ∞#l’€a]c[cès§ ∞huiπ]ti¢ème§& [voilà\] [°merci\°] -->§mG descend----§mG long du corps--> -->∞mD prend stylo∞mD tient stylo--> -->€regarde GOM--> -->πmD descend--> -->¢regarde LOY--> #fig.8 &auquel/ [(0.4)#] €je¢:/ (.) *∞propose/∞ (0.6)& [hehe] -->€regarde BER--> -->¢regarde BER--> -->*regarde LIG--> -->∞tourne∞mD ouverte v LIG--> #fig.9

8 19 BER ber gom ber loy 20 ber ber loy 21 22 BER gom 23

9

&∞qu’on ré¢ponde égale*ment/ €donc ∞les: bancs/ (0.2) -->∞mD sur table-------------------∞écrit--> -->¢regarde public--> -->*regarde notes--> -->€regarde GOM--> *∞et:/ €(0.2) la fermeture du parc:/ -->*regarde GOM--> -->∞mD sur la table--> -->€regarde BER--> (1.7) euh:¢:/ z- la:>- la< question sur la fermeture du parc/ -->¢regarde BER--> parce qu’on a: depuis/ (0.2) euh oublié/ c’était/

246 24 gom 25 GOM loy 26 27 LOY 28 BER loy ber ber 29 GOM 30 gom ber 31 BER ber ber gom 32 ber gom 33 BER ber loy loy 34 35 LIS loy

Nynke vDn Schepen π(0.3)π -->πmD monteπmD micro devant bouche--> est-€ce que le parc €sera:/ à un -->€regarde GOM----€regarde BER--> momen[t:/ donné:/ euh complète]ment [fermé [pour des]& [°complètement £fermé\£°] [°(pour travaux)°] [∞¶oui/¶] £geste circ des 2m£ -->∞mD monte--> ¶hochement de tête¶ &travaux\ π(0.3)π∞ -->πmD descendπmD long du corps-->> -->∞mD tient micro devant la bouche-->> *±ok- pendant les tra±vau¢x\ -->*regarde public--> -->±mG pointe vers GOM±mG tourne vers la droite--> -->¢tourne--> *(0.2)¢ -->*regarde LIS-->> -->¢regarde LIS-->> ±€d’£accord\ -->±mG pointe LIS-->> -->€regarde GOM-->> £sourit--> (1.0) £donc euh ma question/ ((continue)) -->£

Au début de l’extrait, Bert alloue le tour de parole successivement à deux personnes (2), initiant ainsi un nouvel épisode de question-réponse. Au lieu de confier le micro à l’une des personnes déjà désignées par Bert, la porteuse de micro Gomes s’adresse à Bert et s’excuse d’interrompre l’action entreprise par lui : son « excusez-moi » (4) fait preuve et en même temps s’oriente vers le dépassement de son rôle institutionnel. Avec cette formule d’excuse elle manifeste également qu’elle va prendre la parole, même si elle ne fait pas partie des deux personnes désignées par Bert et qu’en tant que porte-micro elle n’est pas censée intervenir publiquement (2). Elle suspend ainsi l’action initiée par Bert et en inscrit une autre. Le silence qui suit son excuse est interprété par Gomes comme une invitation à continuer. Elle enchaine avec « y avait juste/ deux tout petites question ici/ » (6) en minimisant l’ampleur et l’importance des questions et en minimisant son intervention (cf. Clayman 2013 sur la minimisation des départs de l’agenda des interviewés dans des situations d’entretien médiatisé avec des politiques américains). L’emploi de l’imparfait réfère en plus à une question passée et prend ainsi valeur de rappel (voir aussi l’utilisation de l’imparfait par Voznier en relance de réponse avec « c’était » dans le premier extrait (cf. supra). Au moment où elle utilise l’expression déictique « ici » (7), elle se tourne vers Loyier et pointe sur lui (Fig. 6), pour reconstituer l’espace interactionnel précédent en incluant la personne qui a posé la question initiale dans le cadre participatif du moment où elle énonce la relance (Fig. 7). Bert embraie après la mention du premier sujet et en chevauchement avec le deuxième avec « alors » (8). Son énoncé collaboratif (12) montre sa compréhension prématurée du problème et sa volonté de collaborer. Cela est souligné par la formulation de l’oubli « auquel on n’a pas répondu » (12). Contrairement au premier

Relancer une réponse

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extrait, où Voznier faisait allusion à une esquive des élus comme source de nonréponse, ici, Bert formule qu’il s’agit d’un oubli, provoquant une double approbation de Gomes : « oui » (13) et « voilà\ » (15), qui lui sert à clore sa relance. Le « voilà\ » (15) ne sert pas uniquement comme approbation de l’énoncé collaboratif de Bert, mais aussi de marqueur de compréhension, visible également dans son pointage vers Bert (Fig. 8). Immédiatement après la clôture de Gomes et en chevauchement avec le tour de Bert (14), Loyier tourne son regard vers Gomes et la remercie (16). Il ratifie ainsi son intervention. Loyier et Gomes échangent un regard reçu avec un sourire de Gomes (Fig. 9) qui manifeste sa complicité. Bert formule l’oubli de ces réponses en y ajoutant un autre oubli par lui-même (sans intervention des citoyens) : l’« accès huitième » (14) mentionné dans le premier extrait. Ainsi Bert manifeste son orientation envers le droit des participants à des réponses à leurs questions, même s’il tarde à les donner. De cette façon, les questions rappelées par Gomes sont constituées par Bert comme partie d’une liste, groupe de questions auxquelles les élus n’ont pas encore répondu. Cela minimise d’une certaine manière l’importance de l’oubli. Ensuite, Bert se penche sur son cahier pour noter les questions et les intègre ainsi dans l’agenda politique. La fermeture du parc a été l’objet de nombreux débats quant à une ouverture totale ou pas pendant la nuit (Mondada, 2012). Mais ici, la fermeture ne concerne qu’un moment particulier – pendant les travaux – que Gomes rappelle en disant « est-ce que le parc sera:/ à un moment: donné:/ complètement fermé pour travaux\ » (25-26-29) après que Bert ait, lui, demandé explicitement ce sur quoi la question portait (22-23). Bert répond en chevauchement (28) et répète ensuite la temporalité interrogée de la fermeture (puisque « pendant les travaux\ » 31). Ceci est à la fois une démonstration et une vérification de sa compréhension. Avant qu’il ratifie le rappel de Gomes (33), il regarde déjà vers Lisier qui est la prochaine à parler et projette ainsi qu’il continue avec l’ordre établi au début de cette séquence. Cette ratification sert donc comme clôture de la relance de réponse. Du fait que les locuteurs suivants ont été déjà désignés, cette séquence intercalaire est une remise en attente pour plus tard pour des questions d’organisation. Selon Lerner (1993) le participant qui se positionne comme porte-parole, ou co-parleur, démontre sa coparticipation avec le locuteur précédent et établit ainsi un collectif. Gomes en pointant vers Loyier, le désigne comme auteur de la question initiale, mais, en même temps, en se référant aux droits du locuteur précédent (puisque relançant une réponse), elle s’affiche comme membre du collectif qu’elle forme avec lui et avec les autres citoyens – et en appelant plus précisément à la normativité de l’interaction en général et aux droits des citoyens dans ce contexte institutionnel et politique en particulier. Ici donc, à travers l’utilisation de l’expression déictique accompagnée du geste de pointage, Gomes accomplit une référence incorporée au collectif – montrant que ce qu’elle énonçait n’était pas dans son seul intérêt, ni sous son unique responsabilité. Cela permet à Gomes de se maintenir à distance du contenu de la question, une façon de préserver à la fois sa neutralité de porte-micro mais aussi celle des élus, en ne les impliquant pas dans son action.

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4.2 Relancer une réponse plus adéquate Jusqu’ici, nous avons vu que les relances de réponse apparaissent au moment où le passage vers une nouvelle action interactionnelle est clairement signalé par le président de séance ou par la personne ayant répondu aux questions des citoyens. Maintenant, j’aimerais traiter deux cas de relance à la suite d’une réponse placée directement après la question. Contrairement aux extraits traités dans la section précédente, où les relances interviennent après des séries regroupées de réponses à plusieurs questions ayant fait l’impasse sur la question prêtant à relance, les relances en troisième position (cf. Schegloff, 1992, qui analyse les réparations faites en cette position) s’orientent vers la réponse comme incomplète ou inachevée et donnent ainsi aux experts/élus/officiels une nouvelle opportunité pour répondre. 4.2.1 Le facilitateur comme médiateur des citoyens Nous allons voir dans l’extrait suivant, que le facilitateur en charge de la gestion de la parole durant la réunion peut lui aussi relancer une réponse. La plénière dont cet extrait est tiré, est gérée par le facilitateur Prévost (PRE). Après chaque réponse, Prévost intervient pour clore la réponse et allouer le tour au locuteur suivant. Rémy (REM) avait demandé à connaître le nombre de personnes que le parc futur pourrait accueillir (« est-ce qu’on a un idée/ à peu près de:: (.) de la capacité d’accueil », extrait non reproduit ici). La réponse lui est donnée directement après par Lefebvre (LEF), l’un des experts intervenant lors de cette réunion. Prévost intervient après la réponse, mais ne le fait pas pour clore la séquence, ni pour allouer la parole à la personne suivante. Extrait 4 (PRE_CAB_141008_PLE_TRI1_00.36.40 / PUB1_00.52.34) 01 LEF pre pre pre lef rem 02 03 04 LEF 05 06 LEF 07 PRE pre pre lef fig

*±∞¶€(0.6) .tsk ¶donc on sai:t¶/ déjà que ce sera un *>>regarde LEF--> ±>>mG long du corps--> ∞>>mD tient micro--> ¶>>regarde écran derrière¶tourne¶regarde public--> €>>regarde PRE/LEF-->> endroit/ qui sera très fréquenté\ (0.5) voilà\ (0.3) .h= =±atten±∞dez la# questio¶n qui était ¶posée par -->±mG monte±MG tient micro-->> -->∞mD pointe en haut--> -->¶tourne------¶regarde PRE--> #fig.10

10

11

Relancer une réponse 08 pre pre 09 pre 10 11 12 13

14 15 16

pre lef PRE LEF pre pre lef fig PRE pre REM pre pre

pre 17 LEF 18 PRE pre pre 19 LEF 20 REM 21 22 PRE 23 LEF pre

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∞ce monsieur/< est-ce qu’on a: à ce stade-*là/ -->∞mD geste circulaire--> -->*regarde REM--> la >possibilité de savoir/< combien on peut* accueillir -->*regarde LEF--> de personnes à l’intérieur/ *¶(0.2) -->*tourne--> -->¶tourne--> *[∞¶c’est ça/] hein# votre question monsieur hein& [c::’est] -->*regarde REM--> -->∞mD pointe REM--> -->¶regarde REM/audience-->> #fig.11 ∞je crois\= -->∞mD se baisse--> =oui/ +*∞(0.4)+ +hochement de tête+ -->*regarde LEF-->

-->∞mD monte--> euhm:= =*∞c’est ça/ *hein\ -->*regarde REM*regarde LEF-->> -->∞mD pointe v le haut--> bon\ °oui/° (0.5) °on° ∞peut pas di[re/] [c’e]st difficile à dire/ ((continue)) -->∞mD ouverte v droite-->>

Au début de cet extrait, Lefebvre est en train de terminer sa réponse – ce caractère conclusif est rendu visible par l’introduction du marqueur « donc » et par le body-torque (Schegloff, 1998) de l’écran, derrière lui, vers le public devant lui. L’intonation descendante sur son dernier mot (2), ainsi qu’une clôture sémantique et lexicale, sont suivies d’une pause (3) et la particule conclusive « voilà » (4), qui, elle aussi, est suivie d’une pause. Même si Lefebvre fait une inspiration et projette une continuation possible, Prévost traite ce « voilà » de Lefebvre (4) comme ayant terminé son tour de réponse et comme voulant reprendre la parole pour passer à autre chose. Avec le geste de pointage vers le haut (6), ainsi que la demande d’attente (7) (Fig. 10), Prévost suspend l’action projetée par Lefebvre pour prioriser un autre type d’action en signalant de manière incarnée un possible désaccord. Avec ce geste de pointage, Prévost inclut Rémy dans le cadre participatif : il construit un espace interactionnel triangulaire entre celui qui a posé la question initiale (Rémy), celui qui a donné la réponse (Lefebvre) et celui qui a fait la relance (Prévost). Pourtant, Prévost, en mettant « la question » (7) comme sujet de l’énoncé et en pointant vers Rémy, souligne le fait que ce dernier était le locuteur initial et que luimême ne figure que comme porte-parole et comme « médiateur » (Goffman, 1981). Cette formulation permet ainsi à Prévost de montrer la compréhension qu’il a de l’action initiée par Rémy, tout en mettant l’accent sur le locuteur initial. Comme dans l’extrait précédent, mais en contraste avec le premier et le deuxième extrait, l’auteur de la question initiale est explicitement identifié, de manière incarnée et verbale.

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Prévost ensuite reformule la question initiale (8-9-10), qu’il vérifie avec Rémy : il s’oriente à nouveau vers Rémy de manière incarnée (12), cette fois-ci plus explicitement (Fig. 11) et lui fait ratifier la relance (12), ce que Rémy fait dans la ligne suivante (13). Comme le montre également Mondada (2015), la reformulation faite par Prévost rend Rémy visible comme l’auteur principal de l’action qui attend une confirmation. Prévost se met ouvertement dans la position de quelqu’un qui n’était pas le locuteur initial, puisque son « je crois » le met dans une position épistémique inférieure. Heritage et Watson (1979) ont analysé des formulations comme transformations ou paraphrases d’actions antérieures. Il ressort que ces formulations conservent les caractéristiques pertinentes de l’action initiale, tout en les reformulant. Cela les transforme dans une première partie de paire, qui rend pertinente la confirmation par le producteur de la version originale en deuxième partie. Cela correspond au travail fait par Prévost qui fait ratifier par Rémy sa relance. D’autres études (voir Depperman, 2011 pour un résumé) montrent que les formulations sont utilisées par les agents institutionnels comme des moyens pour transformer les justifications des participants en pertinence institutionnelle, par exemple pour faciliter un accord lors des réunions (Drew, 2003). Conjointement, Prévost rend la relance publique avec son body torque vers le public et ouvre ainsi la voie à une nouvelle phase de l’interaction. Il ne s’oriente donc pas uniquement vers Rémy, mais aussi vers les autres citoyens en tant que partie en interaction. Les lignes 13, 17 et 19 montrent que l’expert Lefebvre, le destinataire de la question de Rémy, n’est pas en mesure d’y répondre. Alors que le facilitateur est venu au secours du citoyen un peu plus haut (7), il vient au secours de l’expert à la fin en répondant à la question (22). Prévost rééquilibre ainsi la situation en quelque sorte et se positionne comme étant neutre. 4.2.2 Relancer à deux Le dernier extrait offre un cas dans lequel une tierce personne, Vigneron (VIG), fraye la voie à l’auteure de la question initiale Lemercier (LEM) pour relancer une réponse – l’action de relancer étant donc ici le produit d’un travail collaboratif. Lemercier, sélectionnée par le facilitateur Prévost, enchaîne avec sa question qui reçoit une réponse directe. Vigneron exprime cependant son désaccord avec la réponse qu’a reçu Lemercier. Son désaccord entraîne une reprise de parole de cette dernière, qui, après l’intervention de Vigneron, traite la réponse également comme problématique et relance une réponse. Extrait 5 (LEM_CAB_211008_PLE_MED1_00.47.38 / PUB1_01.11.46) 01 LEM lem nav pre vig 02 vig 03

€¶*¢ ¢est-ce qu’on pourrait égal- dans le: dans le €>>regarde PRE/orateurs-->l.15 ¶>>regarde notes-->l.09 *>>regarde LEM--> ¢>>regarde notes--> prolongement de cette question:/ .h avoir ¢le::m::- des -->¢regarde LEM--> éléme:nts de coût:/ (.) du budget de la dém- de la

Relancer une réponse 04 05 PRE pre vig fig

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démoliti*on\ (.) ¢#de:: (0.2)

ac[tue*lle là] [°ouais°] -->*regarde NAV-----------------*regarde LEM--> -->¢regarde orateurs--> #fig.12

12 06 CLE 07 GAU 08 PRE nav lem 09 nav nav 10 pre 11 VIG 12 PRE vig lem nav 13 VIG 14 15 PRE lem lem 16 17 VIG vig fig

°xx xx° °oui/° °okay/° •ça£/ je pense£ qu’ça ira ça sera fait/• dans •secoue la tête------------------------• £petit hochement de tête£ une ¶éta•pe euh:: -->¶regarde PRE/LEM-->> •hochement de tête--> *(0.3) -->*regarde LEM--> °(non mais) ¢pard£on\• -->¢regarde PRE--> £donne le micro à PRE--> -->• °on sait/ ça les coûts\° (0.8) pardon£€:/ -->£ -->€regarde VIG--> (0.3) §°on les #sait/ les coûts\°§ §mG ouvre vers PRE--------§ #fig.13

13 18 19 PRE 20 LEM lem pre fig

(.) o€n [connaît les *coûts/ actuellement/] [°xxx° (donnez) nous #le bu]dget/ ->€regarde PRE/orateurs-->l.45 -->*regarde NAV--> #fig.14

14

252 21 NAV nav 22 FON 23 PRE pre vig 24 VIG 25 LEM 26 NAV 27 FON 28 LEM 29 PRE 30 pre nav 31 vig 32 LEM pre nav 33 NAV pre vig 34 vig 35 LEM 36 NAV pre 37 NAV 38 LEM 39 NAV vig pre lem 40 41 LEM pre vig 42 43 NAV vig 44 NAV lem

Nynke vDn Schepen •°non°• •secoue tête• mais on [(est à)] [non: on] les connaît *pas actuel¢lement -->*regarde public-> -->¢regarde orateurs-> °(si ils sont [sur le xx)°] [mais [le budget] [y a] bien un] budget/& [°on: on:° xx] [(oui/ oui/)] &qui a été vo[té/] [>alo]rs attendez attendez\< y a un budget qui *a été •voté:/ -->*regarde NAV--> •étend mD vers micro--> (0.3)¢ -->¢regarde notes--> °*qui est de combien/•° -->*regarde LEM--> -->•prend en main le micro-->> aujourd’hui on *connaît les coûts de ¢démolition des -->*regarde NAV--> -->¢regarde NAV--> §hangars/§ §hochement de tête§ *oui:/ mais quel est le budget hein [°justement/°] [de: des hang]ars/ -->*regarde LEM--> §donc§ [*c’était votre question/] [oui:/ >£oui/ oui*regarde NAV-------*regarde LEM--> £mD pointe--------------------£ le:- *pas de démoli[tion: §en: général/§] [non: >non non< non:\] -->*regarde NAV-->> §secoue la tête§ (0.2) alors sur ¢la démolition des hangars on peut vous -->¢regarde ses notes-->> répondre/ .h€ ((continue)) -->€regarde notes-->>

Au début de sa question, Lemercier se positionne par rapport à la question précédente, qui, elle, interroge le coût d’une réhabilitation des bâtiments de ce qui a été appelé la « troisième famille » (les hangars) par rapport au coût de construction de bâtiments sur le site. Lemercier suspend et abandonne sa première formulation, qu’elle répare en « dans l’prolongement de cette question:/ » (1-2). Cela montre que Lemercier traite la question précédente, ainsi que sa réponse, comme n’ayant pas épuisé le sujet et donc la séquence comme non-close. Elle s’interroge sur « le::m::des éléme:nts de coût:/ (.) du budget de la dém- de la démolition\ (.) de:: (0.2) actuelle là » (2-4). L’intonation descendante de Lemercier sur « démolition » (4) projette une fin possible de son intervention. Prévost l’identifie comme telle et tourne son regard vers Navarro, pour solliciter d’elle une réponse. Navarro cependant continue à fixer le document posé devant elle (depuis la ligne 1) (Fig. 12). Prévost semble identifier la source de la

Relancer une réponse

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non-réponse comme une indisponibilité de la destinataire, voire même comme une volonté de ne pas répondre. N’ayant pas réussi à établir une attention mutuelle avec la destinataire prévue, Prévost enchaîne lui-même avec une réponse qui n’en est pas une (voir la différence en anglais entre answer et response, où le premier est une réponse au sens strict à la question posée, tandis que le deuxième est une réaction à l’action précédente, mais ne constitue pas une réponse conforme au type projeté (type-fitted response) proprement dit). Cela est visible dans la préface sous forme d’« okay » (8), une ressource qui marque un changement de sujet, résout un problème d’interaction en cours et témoigne également de l’arrivée d’une réponse non-préférée (Beach, 1992). En plus, Prévost renvoie le traitement du sujet vers le futur. Lemercier hoche légèrement la tête (8), signe de son approbation. Elle accepte ainsi ouvertement et tout de suite cette forme de réponse. Pourtant, Prévost abandonne la réponse qu’il avait projetée et initiée (8-9). Il se rapproche de Lemercier pour lui demander le microphone (12), pour rendre publique sa réponse dans la ligne 8-9 qui, énoncée à voix basse, était adressée à Lemercier seulement et aux personnes autour d’elle. Lemercier lui donne le micro (12-13) et montre par ce geste qu’elle a terminé son intervention, tout en continuant à regarder Prévost. Le microphone passant de Lemercier à Prévost, le voisin de Lemercier, Vigneron, profite de l’occasion pour exprimer son désaccord avec la réponse fournie en initiant réparation et enchaîne aussitôt (« °(non mais)° » 11) (Fig. 13). Vigneron produit son désaccord : « /°on sait/ ça les coûts\° » (13) à voix basse, adressé à Prévost uniquement. Cela permet de ne pas lui donner de valeur publique. Mais Prévost décide de donner officiellement la parole à Vigneron, en initiant une réparation (par « pardon » 15). Vigneron affiche ouvertement posséder des connaissances liées au sujet (« °on les sait/ les coûts\° » 17). Ce faisant, il n’informe pas les élus, mais se désaffilie par rapport à leur silence, qu’il donne comme ne voulant pas répondre. Pourtant, le fait que ce soit un citoyen ordinaire qui affirme l’existence de connaissances sur le sujet, rend son action encore plus critique : elle induit de la défiance à l’égard des élus et les accuse de ne pas donner une information qu’ils possèdent. Lemercier, qui semblait alors abandonner, tourne son regard vers son voisin Vigneron lorsque Prévost initie la réparation (15). Tout de suite après que Vigneron ait terminé son énoncé (17), Lemercier tourne la tête et s’adresse à Prévost en enchaînement rapide avec lui (20), demandant aux élus de donner une réponse à la question, main ouverte vers eux (fig. 14). En même temps, Prévost se retourne vers les élus et leur demande au nom des citoyens de se prononcer sur l’existence du budget (19). Tous s’orientent maintenant vers les élus et Navarro reste sur sa réponse, secoue la tête et énonce un « °non° » (21). Prévost rend publiquement audible et donc explicite la réponse de Navarro (23). Il le fait de manière incarnée, en se tournant vers le public. Aussi bien Vigneron que Lemercier profitent de l’espace de transition pour exprimer de nouveau leur désaccord avec la réponse fournie. Ainsi, ils relancent une deuxième fois une réponse (24-25). Grâce au changement de « coûts » (3) en « budget » (20), Lemercier montre qu’elle possède des connaissances sur le fonctionnement des institutions qui rend obligatoire l’établissement d’un budget avant tout début de travaux. Pomerantz et Mandelbaum (2005) ont montré comment les participants en interaction utilisent leur

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connaissance des activités, des motifs, des droits, des responsabilités et des compétences qu’ils considèrent comme relevant de la catégorie du destinataire. Ainsi, ce passage de « coûts » vers « budget » est habile, car les élus peuvent ne pas encore connaître les coûts, mais ils sont obligés d’avoir un budget et sont donc en mesure de le communiquer. Ce changement lexical donne par suite une idée du problème implicite que soulevait Lemercier dès le début : est-ce qu’il y a assez d’argent pour payer les travaux et combien de travaux est-il possible de faire. En se tournant vers Navarro, Prévost suspend les interventions de Lemercier et Vigneron (29) et se joint à leur relance de la réponse, en remplaçant le terme de « coûts » (19) par celui de « budget » (29). Ne pas répondre à la question du budget dans le contexte étudié (où plusieurs personnes montrent en connaître l’existence), est traité comme manifestation de l’incompétence de la personne adressée ou comme manifestant chez cette dernière une esquive de réponse. C’est ainsi que Navarro, qui avait auparavant répondu « non » (21) à la question, s’oriente vers la nécessité de donner une réponse : elle sollicite Prévost pour qu’il lui donne le micro et s’efforce de reformuler et de circonscrire la question telle qu’elle a été posée (33) et de rendre public qu’elle est restée sans réponse. Navarro est même prête à produire des réponses spécifiques : « on connaît les coûts d`démolition des hangars » (33-34). Ce faisant, elle s’oriente vers l’inférence de Lemercier concernant sa possible esquive. En formulant exactement quels coûts sont connus, accompagnés d’un repère temporel précis (« aujourd’hui » 33), Navarro se montre très sensible à la possible critique qui lui est adressée. Ceci permet de nouveau une relance à Lemercier, qui ne souhaite pas obtenir les coûts, mais le budget, s’orientant ainsi de nouveau vers le fait que les coûts pourraient ne pas être encore connus. Navarro demande à Lemercier ratification par rapport à des bâtiments spécifiques qui ont été démolis, les hangars (36-37). En complétant le tour de Lemercier (36) elle lui demande de confirmer si c’était bien sur ces bâtiments qu’elle souhaitait obtenir des informations, sans entrer dans la différence entre coûts et budget. Lemercier s’aligne sur Navarro et ratifie sa demande de confirmation (38). La répétition partielle de Navarro (43) à la suite de la ratification de Lemercier s’offre enfin comme une autre manière de retarder une réponse précise sur les coûts. Il apparaît avec cet extrait que la relance directe par deux citoyens rejoints par le facilitateur, créant ainsi un collectif de façon située, traite l’absence de réponse recevable comme problématique. De plus, ces deux derniers extraits ont montré une prise de position, de la part du facilitateur, en faveur de l’ordre interactionnel et de ses attentes normatives – ainsi que des citoyens. Il contribue ainsi à leur droit de participer et de recevoir des réponses adéquates. 5. Discussion et conclusion Dans le cas de la concertation politique, la relance de réponse constitue une pratique interactionnelle particulière. En offrant la possibilité aux citoyens de poser des questions, le facilitateur et les experts/élus/officiels leur reconnaissent et mettent en œuvre une série de droits et obligations qui concernent la parole-en-interaction (pour les participants interactionnels) aussi bien que l’agenda politique (pour les citoyens).

Relancer une réponse

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L’attention que les citoyens attribuent aux droits et libertés, à l’inclusion et l’égalité, ou à la résolution de problèmes interactionnels telles les absences de réponse (adéquate), détermine la façon dont ils se constituent en membres du collectivité. En initiant une relance de réponse, les citoyens tiennent les experts/élus/officiels responsables d’une absence de réponse et les invitent une deuxième fois à répondre. Ces derniers sont donc sommés non seulement de répondre aux questions (ce qui est impliqué par la paire adjacente), mais également aux non-réponses et d’être explicites dans leur travail interactionnel. Les citoyens, en outre invités à poser des questions, modifient en relançant une réponse le déroulement interactionnel des séquences de question-réponse. La collection d’occurrences présentée dans ce chapitre documente ainsi le phénomène de la relance de réponse par des tierces personnes, c’est-à-dire par une personne prenant le relais de celle qui a initié la question. Cela montre que d’autres participants dans l’interaction que celui qui initie une action et que celui qui est censé la mener à son terme, peuvent surveiller de près l’organisation de séquences du type question-réponse. Les analyses dans ce chapitre se sont concentrées sur les relances de réponses effectuées dans deux environnements séquentiels différents. Le premier environnement séquentiel est caractérisé par une série de réponses données à un ensemble regroupé de questions posées par les citoyens. Ainsi, l’action de relance de réponse s’oriente vers l’attente normative d’une réponse à une action initiale qui va au-delà de la séquentialité « immédiate ». Le principe de la séquentialité s’applique donc également à des tronçons de conversation plus larges. Lorsque la relance est faite après que le facilitateur explicitement a redonné la parole aux citoyens (extraits 1 et 3), la reprise de la question différée est traitée comme un simple rappel de questions à traiter et est mise dans l’agenda politique des questions à traiter par la suite. Ces séquences consistent, une fois acceptée la suspension de l’activité d’abord initiée, à reformuler les questions telles qu’elles ont été posées initialement. Cela n’est plus le cas dans le deuxième extrait, où la relance prend forme d’un directif, effectué par une citoyenne ordinaire (au lieu d’un élu ou d’un expert), dans un moment séquentiel où il ne lui revenait pas d’intervenir. Cependant, la citoyenne manifeste ainsi qu’elle traite la pause faisant suite à la réponse – l’accès pour vélos, une partie seulement de la question initiale – comme une manière d’esquive de la part de Bert. Elle traite donc comme légitime son intervention et sa relance de réponse. Le deuxième environnement séquentiel concerne les relances effectuées immédiatement après la réponse à la question et qui traitent cette réponse comme inadéquate. Les pratiques pour ce type de relance sont de différents types. Certaines sollicitent une réponse plus complète sans exhiber ouvertement l’apparente insuffisance de la première réponse (extrait 4), d’autres marquent ouvertement l’insuffisance de la réponse tout en cherchant une élaboration (extrait 5). Ces deux extraits montrent que bien que la réponse ait été entendue et comprise, elle est traitée comme inadéquate. Cette inadéquation apparaît à l’évidence dans le degré de connaissance affiché du « dossier » concerné dans la relance. Ces relances traitent donc les réponses inacceptables non pas comme relevant de connaissances insuffisantes chez les experts/élus/officiels, mais comme relevant d’un soupçon

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d’évitement, d’esquive par les experts/élus/officiels, face aux demandes des citoyens. Même si toutes les relances exercent une pression forte sur le déroulement de l’interaction (voir notamment le deuxième extrait), ce deuxième type de relance incorpore une dimension de critique plus importante que le premier type. Par ailleurs, l’analyse des cinq extraits a mis en lumière qu’en relançant une réponse par un tiers initiateur, cette personne se présente comme membre d’un collectif, aussi bien de façon verbale que de façon incarnée. Pour ce faire, elles créent un espace interactionnel triangulaire entre elles-mêmes étant les tiers initiateurs, la personne qui a posé la question originale et la personne adressée par la relance. Cela prouve non seulement que cet espace interactionnel est essentiel dans la quête d’une réponse différée ou inadéquate, mais aussi dans l’établissement du collectif où les citoyens font corps, chacun valant pour l’ensemble. Nous avons vu à propos de ce dernier point, l’importance du rôle que peuvent jouer des non-citoyens – le facilitateur et la porteuse de micro – en s’affiliant avec les citoyens dans leur relance (extraits 3, 4 et 5). Comme l’ont montré les extraits 3 et 4, ils peuvent même initier la relance. Cela dit, ce qui constitue un collectif, ou une partie, varie selon les extraits. De cette diversité ressort que le groupe des participants présents dans la salle est constamment négocié, par le biais de différentes références aux questions précédentes, par conséquent des diverses voix et catégories en interaction. Cela permet d’affirmer que les participants à ce type d’interaction ne constituent pas une partie unique et stable (locuteur vs. public) (Schegloff, 1995), mais que cette partie, ce collectif, diffère selon les contextes. La configuration de cette partie peut changer à tout moment, étant donné que certains participants seront spécifiquement pointés comme auteurs de la question initiale. Ce chapitre souhaite donc contribuer aux analyses existantes sur la question de « qu’est-ce qu’une partie en interaction et comment la constitution de cette partie est-elle accomplie ? ». En accord avec la notion d’interaction qui à la fois participe au contexte et dépend de lui (Heritage, 1984 ; Sacks, Schegloff et Jefferson, 1974), les cadres participatifs se configurent dans les comportements contingents et émergents des participants en interaction. Cela montre la complexité en même temps que la dynamique des cadres participatifs. Dans un cadre institutionnel comme des réunions formelles, nous pouvons nous attendre à ce que les participants aient souvent des rôles interactionnels en rapport avec l’objectif de la réunion : les citoyens posent des questions et les experts/élus/officiels y répondent. Cependant, cette étude montre que les participants dans ces réunions utilisent des séquences de question-réponse pour redéfinir et (re)négocier les droits, les obligations et les tâches liées à leur rôle : supervisant de près le travail des experts/élus/officiels, les citoyens utilisent des pratiques de relance pour critiquer et/ou blâmer ces derniers de manière plus ou moins furtive, constituant ainsi un contrepouvoir non-négligeable. Ainsi, l’asymétrie caractérisant les interactions institutionnelles n’est donc pas établie une fois pour toutes. Bien au contraire, cette étude a montré que, et comment, des participants non-professionnels, des citoyens, peuvent contribuer à l’interaction en cours, voire contester le travail en cours fait par des professionnels ou experts, contribuant ainsi à l’établissement de l’agenda interactionnel et politique

Relancer une réponse

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dans le hic-et-nunc et contribuant activement à l’établissement de leur propre participation, aidés par le facilitateur, voire les porteuses de micro, qui eux ne font en principe pas partie du collectif des citoyens (extraits 3, 4 et 5). La relance de réponse faite par une personne autre que celle qui a posé la question initiale, trouve ici sa légitimation dans le fait qu’elle protège les droits, en institutionnalisant le droit à réponse, traité comme ayant un intérêt partagé par tous les présents dans la salle. Obtenir réponses aux questions de la part des experts/élus/officiels est donc non seulement traité comme une obligation interactionnelle fondamentale (Sacks, 1992 ; Sacks, Schegloff et Jefferson, 1974), mais comme un droit politique « à participation » que les citoyens défendent collectivement. 6. Remerciements Je remercie le FNS qui m’a permis d’entreprendre ma thèse à l’Université de Bâle. Je tiens à remercier tous mes collègues à l’Université de Bâle, avec qui ces extraits ont en partie été analysés lors de sessions d’analyses collectives des données. Une partie de ces données a aussi été présentée au congrès ALAPP à Genève, en septembre 2014, et a ainsi profité des commentaires des participants. Je voudrais plus particulièrement remercier Lorenza Mondada, ainsi que Sara Keel et Patrick Renaud, pour leurs remarques très appréciées sur les versions précédentes qui ont permis d’améliorer cette contribution. Toute imperfection du texte reste sous mon entière responsabilité. 7. Références bibliographiques Asmuß, B., & Oshima, S. (2012). Negotiation of entitlement in proposal sequences. Discourse Studies, 14 (1), 107-126. Atkinson, J. M. (1984). Public Speaking and Audience Responses: Some Techniques for Inviting Applause. In J. M. Atkinson, J. Heritage (Eds.), Structures of Social Actions: Studies in Conversation Analysis. Cambridge: Cambridge University Press, 371-409. Atkinson, J. M., & Drew, P. (1979). Order in Court: Verbal Interaction in Judicial Settings. London: Macmillan. Beach, W. A. (1993). Transitional regularities for ‘casual’ “Okay” usages. Journal of Pragmatics, 19, 325-352 Bolden, G. B., Mandelbaum, J., & Wilkinson, S. (2012). Pursuing a Response by Repairing an Indexical Reference. Research on Language and Social Interaction, 45 (2), 137-155. Butler, C., & Wilkinson, R. (2013). Mobilising recipiency: child participation and ‘rights to speak’ in multi-party family interaction. Journal of Pragmatics, 50 (1), 37-51. Clayman, S. E. (1993). Booing : the anatomy of a disaffiliative response. American Sociological Review, 58, 110-130. Clayman, S. E. (2001). Answers and evasions. Language and Society, 30, 403-442.

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Relancer une réponse

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« Vous coupez quand même pas trop hein ? » Quand la cliente conteste ou prévient une action du coiffeur

Anne-Sylvie Horlacher

1. Introduction Confier ses cheveux à un professionnel fait partie des services payants courants. L’enjeu de la transaction consiste pour la cliente à décrire de façon adéquate ce qu’elle désire et pour le coiffeur à fournir une prestation qui soit en accord avec ces désirs1. Si la plupart des travaux consacrés aux interactions de service ont tendance à caractériser d’asymétrique la relation entre prestataire et bénéficiaire (dans notre cas, le coiffeur – en spécialiste – prodiguerait un service à une cliente – incompétente ; cf. Goffman, 1968), cette conception est néanmoins trop réductrice. On pourrait en effet qualifier la relation coiffeur-cliente d’asymétrique dans le sens inverse : le coiffeur (qui doit fournir la prestation) aurait un rôle subordonné aux désirs de la cliente (demandeuse de la prestation), selon la devise commerciale « le client est roi et a toujours raison ». Ainsi, ce type d’interactions « mobilisent en fait une double asymétrie croisée dans laquelle la relation à l’égard des savoirs se double d’une relation inversée à l’égard de la relation de service » (Filliettaz, 2006 : 98). Toutefois, cette conception mérite encore d’être complexifiée en ce qui concerne le salon de coiffure. En effet, Filliettaz (ibid.) évoque les savoirs uniquement en rapport avec l’expertise « officielle » (celle des professionnels). Or les clientes – même si elles reconnaissent une forme d’expertise au coiffeur – n’en possèdent pas moins des connaissances qui se rapprochent parfois de celles des professionnels et dont elles peuvent disposer hors de la relation de service (cf. Benelli, Rosende & Messant-Laurent, 2008)2. À l’intérieur de cette

1

D’emblée, la perspective adoptée peut sembler très « gendrée » mais il se trouve que dans les extraits convoqués dans ce chapitre, les coiffeurs sont des hommes et les clientes sont toutes des femmes. 2 Menée dans une perspective sociologique, l’étude de Benelli, Rosende & Messant-Laurent (2008) – que nous citerons beaucoup dans ce chapitre – s’intéresse aux politiques de satisfaction de la clientèle dans deux métiers précis : le travail des employés de guichet de gare et celui des coiffeurs. Les auteures explorent la manière dont ces deux corps de métiers conçoivent la relation de service et comment s’y joue la négociation de l’expertise. À notre connaissance, c’est l’une des rares études sur la coiffure (avec celles de Jacobs-Huey, 1996,

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double asymétrie croisée, il faudrait ainsi parler d’une double expertise, dans la mesure où les clientes revendiquent d’autres types de savoirs, qui n’entrent pas forcément en compétition avec la compétence « professionnelle » du coiffeur, mais qui se situent à d’autres niveaux : goûts personnels, façon de soigner leur propre style, habitudes, etc. Il peut ainsi exister des négociations et des ajustements entre ce que demandent les clientes et ce qu’en comprend ou implémente le coiffeur – d’autant plus que la réponse de ce dernier aux souhaits des clientes n’est ni immédiate, ni unique, mais se déroule dans le temps. Dans ce chapitre, nous nous intéressons à cette confrontation, ou du moins à cette tension, entre l’expertise « professionnelle » des coiffeurs et l’expertise plus « profane » – mais néanmoins revendiquée – des clientes (section 2). Nous analysons des moments pendant lesquels la cliente prévient ou conteste une action du coiffeur (section 3), et ceci à travers un format syntaxique récurrent (section 3.1). Ces moments font intervenir une série d’enjeux (section 3.2), qui ne sont pas simplement liés à la conception différente que chacun des participants se fait du service à recevoir ou à fournir, mais qui ont aussi trait aux différents degrés d’autorité qui entrent en jeu et qui se négocient dans ce type de relation de service. Nous verrons alors (section 4) comment le professionnel exprime et construit son expertise face à ces mises en garde et ces contestations, tout en ménageant la cliente dans sa position de bénéficiaire et d’experte profane. Les remarques finales (section 5) permettront de conclure que la relation coiffeur-cliente – souvent décrite comme asymétrique – constitue en fait une forme particulière d’institutionnalité. 2. Coiffeur-cliente : vers une expertise partagée ? Comme évoqué en amont, on pourrait penser que la relation coiffeur-cliente se caractérise par une asymétrie mettant en jeu deux types de savoir : celui, professionnel, du coiffeur et celui, profane, de la cliente (cf. Benelli, Rosende & Messant-Laurent, 2008). Jacobs-Huey note pourtant que cette conception de la distribution du savoir est trop dichotomique et qu’elle ne peut pas être établie a priori : « In the hierarchy of knowledge and skill, clients are presumed to be hair care novices, and licensed hair stylists are certified hair experts. Yet, these assumptions are routinely unsettled by stylists and clients alike » (2006 : 19). Si le soin et l’entretien des cheveux peuvent être pris en charge par un professionnel, les différentes tâches liées à la coiffure (coloration, brushing, coupe, etc.) sont de plus en plus externalisées (Benelli, Rosende & Messant-Laurent, 2008), i.e. réalisées dans la sphère privée par les clientes elles-mêmes. De fait, les clientes possèdent une certaine expertise qui leur permet de mieux évaluer ces services lorsqu’ils sont exécutés au salon par le coiffeur. Par ailleurs, cette expertise leur permet d’intervenir activement pendant tout le déroulement du traitement. Benelli, Rosende & MessantLaurent vont même jusqu’à affirmer que les clientes – en usagères expertes – « transforme[nt] les professionnels en simples exécutants » ; ainsi, le savoir détenu par les clientes est « ambivalent, à la fois exigé, parce que nécessaire à la production du service, et redouté car il risque de remettre en cause [la] légitimité de[s] 2006 ; cf. infra) qui, sur l’axe des savoirs, remet en cause cette asymétrie supposée entre professionnel(le)s et client(e)s.

« Vous coupez quand même pas trop hein ? »

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professionnels » (2008 : 6-7). Le coiffeur n’a donc pas carte blanche et ne peut pas toujours mettre en avant son savoir-faire (ibid.) ou imposer sa vision professionnelle (Goodwin, 1994) ; il se doit d’exécuter certaines demandes même si elles entrent en conflit avec son statut d’expert : « It is not uncommon for conflict to occur between the client’s expectations, and what is suitable for her hair type and what the hairdresser (based on experience and expertise) believes is an unreasonable or impossible hair styling request » (Algharabali, 2014 : 44). Il s’agit dès lors pour le coiffeur de faire converger son expertise avec les requêtes des clientes dans un processus continuel d’adaptation entre offre et demande (Benelli, Rosende & Messant-Laurent, 2008). Le coiffeur – parce que c’est aussi un commerçant – doit ajuster ses pratiques de manière à jongler entre son statut d’expert et son statut de prestataire (cf. aussi Oshima, 2009). On l’aura compris, les interactions des salons de coiffure sont loin d’être réductibles à des échanges entre « experts » et « non-experts », où le coiffeur adopterait un knowing status et où la cliente assumerait un unknowing status (K+ vs. K- dans la terminologie de Heritage, 2012). Bien souvent, les participants adoptent un positionnement (stance) qui ne confirme pas les attentes normatives liées à leur statut : « Hairdressers are commonly expected to be K+ and to demonstrate their professional knowledge but are not always aligning with it » (Horlacher, 2014). De son côté, « the client assumes various ‘expert’ stances that contradict her role expectations as hair novice/service recipient and further serve to challenge the hairdresser’s social identity as hair expert/service provider » (Jacobs-Huey, 1996 : 47)3. Si la distribution catégorielle coiffeur-client préexiste à l’échange conversationnel, les positionnements épistémiques adoptés par les participants sont définis et constamment renégociés dans le cours de l’interaction. On peut alors observer des phénomènes de non-convergence entre le statut d’un participant et la forme de ses conduites – ce qui fait dire à Mondada (toutefois, à propos d’un autre setting que celui de la coiffure) : « participants tend to achieve consistency between epistemic status and epistemic stance : however, non-congruent actions are possible » (2013a : 4). En outre, si le savoir détenu par la clientèle se rapproche de celui des professionnels, comment se joue la négociation de l’expertise légitime (Benelli, Rosende & Messant-Laurent, 2008) ? Qui détient l’autorité ou la primauté épistémique (epistemic primacy selon Hayano, 2011) en matière de cheveux ? À 3

Nous nous limitons à citer la littérature selon les termes qu’elle emploie. Les travaux qui ne relèvent pas de l’Analyse Conversationnelle utilisent souvent « rôle » et « statut » de manière interchangeable. Comme mentionné en amont, nous empruntons la terminologie de statut vs. stance à Heritage (2012) et sa théorie des epistemics, telle qu’elle se développe depuis quelques années au sein de l’Analyse Conversationnelle. Nous nous inspirons également de la théorie sacksienne de l’appartenance catégorielle (membership categorization, Sacks, 1992). Sacks insiste sur les catégories sociales et les activités liées à ces catégories, d’où le terme d’identité sociale, présent dans la citation de Jacobs-Huey (1996) et parfois sous notre plume, ou encore celle d’entitlement (Sacks, 1984). Si Heritage (2012) n’utilise pas la terminologie catégorielle, certains chercheurs aujourd’hui mêle la théorie des epistemics à celle de la membership categorization (cf. par ex. Mondada, 2013a ; De Stefani & Mondada, 2014 ; Mayes, 2015).

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quel degré la cliente s’abandonne-t-elle à l’expertise « officielle » ? Certes, elle confie sa tête à un professionnel, mais tout en revendiquant une certaine autorité sur son propre corps (cf. Nizameddin, 2016). Si, pour le coiffeur, la tête de la cliente est « objectivée » comme un espace de travail sur lequel il accomplit des tâches techniques, pour la cliente, les interventions du coiffeur sur cette partie de son corps touchent à son intégrité voire à son « intimité » – ce qui engendre des négociations complexes entre les droits et les obligations de chacun. De plus, la cliente revendique une certaine légitimité par rapport à un service qu’elle demande et qu’elle paie. Comment les participants reconnaissent-ils et négocient-ils alors ces différentes formes d’entitlement (Sacks, 1984) ? En résumé, dans ce type de relation se confrontent des formes différentes, et parfois divergentes, d’accès et d’autorité épistémique. En cela, l’analyse des interactions entre coiffeurs et clientes constitue un terrain de choix pour une étude des relations « asymétriques » en milieu institutionnel car elle implique une forme particulière d’asymétrie, qui soulève des questions originales de positionnement réciproque et de légitimité. 3. Quand la cliente défie une action du coiffeur : premier aperçu du phénomène Dans les quatre extraits soumis à examen dans ce chapitre4, la cliente s’autosélectionne pour contrer ou mettre en garde le coiffeur contre une action aux effets irrévocables. Ainsi, elle doit intervenir avant qu’il ne soit trop tard (cf. la section 3.2 pour les enjeux temporels liés à ce type d’action). Afin de donner un aperçu du phénomène, nous reproduisons ici uniquement le moment où la cliente accomplit son action ; les analyses développeront ensuite le contexte séquentiel de cette action, avec des transcriptions plus détaillées : Extrait 1 (Symphony_coiffure_08022013_sophia_coupez_pas_trop_05:35) 1 (7.4) 2 SOP => (vous) coupez quand même pas tro:p hein/

Extrait 2 (Symphony_coiffure_08022013_sophia_ ressortir_les_boucles_14:28) 1 (15.4) 2 SOP => vous faites pas trop de p’tites boucles hein/

Extrait 3 (Symphony_coiffure_07052010_alexandra_coupes_pas_beaucoup_26:59) 1 (35.00) 2 ALE => tu coupes pas beaucoup hein/

4

Le corpus sur lequel s’appuient nos analyses (intitulé Symphony coiffure) compte 18 heures d’interactions filmées dans un salon de coiffure indépendant (i.e. non franchisé) de Suisse romande, mettant en scène 4 coiffeurs diplômés, 18 clientes et 5 apprentis. Les différents extraits convoqués pour ce chapitre font intervenir le patron du salon (Ricardo) et un autre coiffeur (Danny), ainsi que 2 clientes régulières (Claudia et Alexandra) et une cliente plus occasionnelle (Sophia). Ce dernier point laisse entendre que les coiffeurs possèdent une connaissance préalable des habitudes et des goûts de leurs clientes puisqu’ils les ont déjà coiffées lors de précédents passages au salon. Il peut aussi expliquer la relation de proximité et le tutoiement dans certains extraits.

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Extrait 4 (Symphony_coiffure_05052010_claudia_mèche_orange_00:00) 1 RIC alo[:rs/] ok/ à [nous/] 2 CLA => [tsk ] [°tu m’] fais pas une mèche orange hein/°

Les interventions des clientes prennent toutes la forme d’une injonction à la forme négative, qui comporte un potentiel critique en pointant vers l’inadéquation de l’action dans laquelle le coiffeur est engagé à ce moment précis ou qu’il projette comme imminente. À travers ce type de tours, les clientes défient l’action en cours ou à venir du coiffeur. Elles s’auto-sélectionnent à un moment clé du déroulement de l’action, où une décision importante est en jeu. À travers ces tours, les clientes exhibent leur monitorage constant des actions du coiffeur et leur reconnaissabilité de la phase suivante. Loin d’être passives, les clientes participent activement à la transformation à laquelle elles assistent sous les mains expertes du coiffeur, notamment en intervenant avant une action irréversible de celui-ci afin de s’assurer qu’ils partagent toujours le même projet. 3.1 Un format syntaxique récurrent : ordre ou requête ? Les tours des clientes comportent une série de traits récurrents qui méritent quelques réflexions avant que nous les considérions dans leur contexte séquentiel plus large. Parmi ces traits récurrents, nous notons : • une syntaxe déclarative, avec des verbes au présent de l’indicatif (mais cf. év. la syntaxe impérative de l’extrait 1) • un verbe comme « couper » ou « faire » (une action de type X) • un quantificateur associé au verbe (comme « trop » ou « beaucoup ») • une négation • un « hein » final En Analyse Conversationnelle, la littérature est foisonnante sur la manière de caractériser ces premières actions (pour un état des lieux, cf. plusieurs articles réunis dans Drew & Couper-Kuhlen, 2014 ainsi que De Stefani, à paraître). A-t-on affaire à: • des ordres / directifs / injonctions (Goodwin, 1990, 2006 ; Craven & Potter, 2010 ; Mondada, 2011, 2013a et 2013b ; Goodwin & Cekaite, 2013) • des requêtes (Wootton, 1981 ; Curl & Drew, 2008 ; Drew & CouperKuhlen, 2014) • des sollicitations (prompting : Nevile, 2007) • des instructions (Amerine & Bilmes, 1988 ; Lindwall & Ekström, 2012 ; De Stefani & Gazin, 2014 ; Mondada, 2014) • des propositions (Houtkoop-Steenstra, 1987 ; Stevanovic, 2015) • des offres (Clayman & Heritage, 2014) • des complaintes (Sacks, 1992 ; Dersley & Wootton, 2000 ; Monzoni, 2008 ; Pinto, 2015) • des critiques (Mondada, 2013b)

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De quelle manière ces travaux nous renseignent-ils sur l’action accomplie par les clientes dans nos données ? À travers leurs tours, les clientes exigent que le coiffeur se plie à l’injonction qui est faite ; en cela, ils ressemblent tous à des ordres. Néanmoins, sur le plan formel, ces tours possèdent une syntaxe déclarative (à l’exception peut-être de l’extrait 1), ce qui en fait des versions mitigées voire plus adoucies de l’ordre, comme des propositions ou des offres. De plus, les clientes sollicitent l’approbation du coiffeur à travers le « hein » en fin de tour, transformant ainsi l’ordre en une question ou une requête qui appelle à être ratifiée. La frontière entre ordre et requête est d’ailleurs relativement poreuse. Les directifs sont des énoncés « designed to get someone else to do something » (Goodwin, 1990 : 67 ; cf. aussi Drew & Couper-Kuhlen, 2014 : 8), alors que les requêtes « have to be accepted before they can be performed ; directives just need to be complied with » (Craven & Potter, 2010 : 426). Il s’agira alors de voir si le coiffeur traite le tour de la cliente comme une injonction à laquelle il doit se plier sans discuter, ou s’il résiste à cette injonction, la traitant comme une requête qui doit être négociée, voire comme une requête illégitime qu’il décide d’ignorer. Asmuß note par exemple que « requests worded as questions open up for the possibility that the customer may not be entitled to make the request » (2007 : 77 ; cf. aussi Heinemann, 2006). Outre ces deux interprétations (ordre et requête), il se peut aussi que la cliente donne des informations au coiffeur sur ses préférences et habitudes capillaires, et sur la façon dont elle souhaiterait qu’il exécute la tâche – ce qui rangerait ce type de tours dans la catégorie des instructions. Enfin, à travers ces tours, la cliente interprète l’action en cours ou l’action imminente projetée par le coiffeur comme négative (ou du moins comme potentiellement problématique) – ce qui donne également à ces tours des allures de mise en garde, de complaintes, voire de critiques. Il est évidemment difficile de dire quel type d’action est initié par les clientes à travers ces premières parties de paires, sans prendre en compte les ressources multimodales et le contexte plus large dans lequel ces actions sont ancrées. Il convient aussi d’analyser la manière dont le coiffeur les réceptionne dans le tour suivant. C’est sa réaction qui doit informer l’analyste sur comment ces tours sont traités d’un point de vue émique, en accord avec le principe de la next-turn proof procedure (Sacks, Schegloff & Jefferson, 1974 : 729). Sauf que là aussi, le traitement par le coiffeur des tours des clientes diffère d’un cas à l’autre, ne permettant pas d’offrir de réponse tranchée sur l’interprétation de ces actions. On en conclut qu’à travers des tours « identiques » au niveau formel, les clientes accomplissent en fait des actions très diverses. Pour éviter des fluctuations dans la terminologie, nous avons décidé de concevoir les actions des clientes comme des injonctions en adoptant les termes de contestation et de mise en garde (cf. déjà les sections 1 et 3 pour une utilisation de ces termes). En effet, dans tous les cas, ces premières parties de paire sont reconnaissables comme exigeant une exécution (parfois immédiate) de l’action vers laquelle elles pointent. Si nous rapprochions ces tours d’une forme de requête, il faudrait admettre qu’à travers eux, les clientes projettent une action qui peut être acceptée ou refusée par le coiffeur. Or il ne nous semble pas que le coiffeur s’oriente vers ces actions comme étant négociables mais plutôt comme étant exigées. De plus, ces actions surviennent en position plutôt tardive (sauf extrait 4) par rapport aux

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requêtes classiques – ce qui confirme leur dimension injonctive. Mais contrairement à ce qui a été décrit dans la littérature, la seconde action qui est attendue dans nos données ne consiste pas dans l’exécution d’une action par le coiffeur mais dans la non-exécution (!) de celle-ci (ne pas trop couper, ne pas faire trop de petites boucles, ne pas faire de mèche orange, etc.). À travers le format négatif, les clientes préviennent et contestent une action, en dictant au coiffeur l’issue à laquelle ne doit pas aboutir cette action (sur les directifs à la forme négative, cf. Mondada 2013a et 2013b). Sans exclure que les requêtes puissent adopter un format négatif, en insistant sur la négation de ces injonctions, nous voulons montrer l’aspect non préférentiel de ces actions, qu’ils s’agissent d’une contestation si l’action pointée est en cours ou d’une mise en garde si l’action pointée n’est pas encore entamée. En résumé, notre indécision initiale quant à la manière de traiter les tours des clientes révèle la nature particulière de ces actions. Si nous avions opté pour une interprétation sans la discuter, notre position aurait inévitablement été jugée trop simpliste. Le débat présenté ici rejoint des intérêts majeurs en Analyse Conversationnelle sur la manière de caractériser une action – un enjeu pour les participants (évoqué chez Schegloff, 2007 sous le terme d’action formation problem) comme pour l’analyste. 3.2 Enjeux Dans la lignée des remarques avancées en amont, nous réfléchirons à la manière de caractériser les premières actions des clientes, tout en liant ces questions sur le formatage de l’action à des questions d’expertise et d’asymétrie. Nos interrogations peuvent se formuler ainsi : a) Comment caractériser l’action des clientes ? Comment les clientes formatent-elles leur tour et comment ces tours sont-ils traités et réciproqués par le professionnel ? Afin d’interpréter ces actions, il conviendra aussi de questionner leur aspect temporel. Quand, dans le déroulement séquentiel, les clientes initient-elles ce type de tours ? Ces tours comportent tous une certaine urgence ; les clientes évaluent un moment comme étant un point de non-retour, c’est-à-dire comme étant la dernière opportunité où elles peuvent suspendre l’action en cours ou, selon les extraits, la prévenir de manière radicale. Ceci est corroboré par le fait que les actions pointées comme problématiques ou inadéquates par les clientes à travers leurs tours possèdent toutes un caractère plus ou moins irréversible (couper, faire une mauvaise couleur, etc.). Nous nous interrogerons alors sur le moment choisi par les clientes pour intervenir, en regardant de quelle manière il s’articule à la temporalité et à la nature de l’action en cours. Ceci nous permettra aussi de ranger ces interventions parmi les contestations ou les mises en garde. b) Comment se co-construit la position d’expert/e du coiffeur et de la cliente dans ces moments de contestation et de mises en doute ? Le professionnel s’aligne-til, ou au contraire, résiste-t-il à la cliente ? Comment rétablit-il de la confiance avec sa cliente ? En gros, quelle réflexion pouvons-nous mener sur la négociation de leurs savoirs compte tenu de la double expertise propre à cette relation de service ?

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On l’aura compris, les enjeux évoqués concernant le formatage de l’action concernent directement les dynamiques épistémiques, c’est-à-dire les positionnements réciproques des acteurs en fonction de leur savoir et des droits et des obligations liés à ces savoirs (cf. section 1.2). Ces moments où les clientes contestent ou mettent en garde le coiffeur témoignent de leur orientation vers leurs droits en tant que clientes, et remettent en question l’expertise souvent indiscutable du professionnel. En cela, nous nous inscrivons pleinement dans la réflexion du présent volume en nuançant – analyses empiriques à l’appui – les propositions faites par d’autres travaux qui concluent à l’asymétrie systématique entre les participants dans les interactions institutionnelles (cf. par ex. Drew & Heritage, 1992 ; pour une discussion cf. aussi Mondada & Keel, ce volume). Nous espérons contribuer à une meilleure compréhension des enjeux de participation des clientes dans ce type d’interactions en montrant comment elles exploitent des moments séquentiels spécifiques pour influencer de manière décisive le déroulement de l’action. En bref, il s’agira de faire voir comment les clientes s’offrent des opportunités d’intervenir pendant le traitement en exploitant cette double asymétrie qui caractérise l’interaction de service dans laquelle elles sont engagées. 4. Analyses : les actions des clientes et leurs traitements par les coiffeurs Les quatre extraits soumis à examen vont éclairer la manière dont le professionnel réceptionne les tours des clientes. La cliente parvient-elle à imposer sa vision au coiffeur ou au contraire, le professionnel met-il en œuvre son savoir-faire pour délégitimer l’injonction de la cliente et réaffirmer son autorité ? La partie analytique tentera d’apporter des éléments de réponses à ces questions. 4.1 Réception d’une contestation et rétablissement de la confiance Dans le premier extrait, la cliente (Sophia) se forge une idée de la coupe qui ne correspond visiblement pas (ou plus) à celle du coiffeur (Ricardo) : Extrait 1 (Symphony_coiffure_08022013_sophia_coupez_pas_trop_05:35) 1 fig

(5.6)#(1.8)# #fig.1#fig.2

1

2

2 SOP => *(vous) coupez quand même pas tro:p hein/= ric *soulève à plusieurs reprises les cheveux de SOP---> 3 RIC =non: non:\ j’ dégrade un p’tit peu #parce qu’ils étaient fig #fig.3

« Vous coupez quand même pas trop hein ? » 4 5 6 SOP 7 RIC fig

un *p’tit peu lou:rds surtout hein\ ->* (.) vous avez raison\ ouais °et j’-° la longueur *j’ai coupé p’t-être #ça/ * *indique mesure avec doigts* #fig.4

3 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19

RIC SOP RIC RIC RIC

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4

mais l’ dégradé j’ai dégradé un p’tit peu\ (0.7) parce qu’ ça écrase trop après on a tout l’ (tour) on a tout l’ plat c’ qui desc[end/] [ben ] oui:/= =on n’a plus l’ volume/ (1.9) faudra p’t-être juste enlever les lunettes/ (.) juste pour les côtés/ (1.2) les côtés ça va\ ils sont pas très longs hein\ c’(é)tait l’ poids ici qui était lourd j’ trouvais hein\

Au moment où commence l’extrait, Ricardo est en train d’intervenir à l’arrière de la tête de Sophia en taillant certaines mèches à l’aide d’un ciseau (fig. 1). Celle-ci n’a qu’un accès visuel partiel à ce qu’il fait. Épisodiquement – et ciseau toujours en main – le coiffeur passe ses doigts dans les cheveux de la cliente (fig. 2) et les lève pour évaluer comment ils tombent. Cette activité dure depuis une minute lorsque la cliente s’auto-sélectionne en disant : « (vous) coupez quand même pas tro:p hein/ » (2). La cliente s’oriente vers l’action en cours comme négative en exprimant une forme d’inquiétude. Le « vous » est à peine perceptible, donnant à ce tour une forme injonctive, toutefois atténuée par le « hein » final. Nous touchons ici à un problème central concernant le caractère hybride de ce type de tours : à travers eux, les clientes projettent la non-exécution d’une action (ici : trop couper), mais aussi une réponse verbale de la part du coiffeur ; ce dernier doit manifester qu’il a bien pris connaissance de leur injonction5. Le tour de la cliente projette comme réponse préférentielle un « non » que Ricardo produit effectivement deux fois en 3 5

Les tours qui réalisent deux actions à la fois ont été décrits sous le terme de double-barreled par Schegloff (2007 : 76). Dans ce type de tours, une « action-véhicule », avec un formatage syntaxique spécifique qui la définirait comme une action X, porte en fait une autre action Y. On observera d’ailleurs aux lignes 3-4 que le coiffeur s’orientera vers ces deux actions. Au vu des composantes de sa réponse, on sera presque même tentée de parler de triple-barreled action (cf. Levinson, 2013 : 127).

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(« non: non:\ »), tout en continuant son activité à ce moment-là, qui consiste à lever les cheveux de la cliente pour évaluer si le travail qu’il réalise est uniforme (fig. 3). Le coiffeur oppose ensuite l’action de « couper » (dans les termes de la cliente) à celle de « dégrader » (dans ses propres termes). Autrement dit, Ricardo n’est pas seulement en train de « faire l’expert » (Sacks, 1984) en utilisant un jargon technique propre à son métier ; il décrit surtout une autre action que celle dans laquelle la cliente le croit impliqué : couper consiste à enlever de la longueur, alors que dégrader consiste à enlever de l’épaisseur. Ces deux actions différentes sont toutefois réalisées ici avec le même ciseau, ce qui peut expliquer la méprise de la cliente. C’est ainsi que rétrospectivement nous comprenons qu’au moment de l’autosélection de Sophia (2), Ricardo a déjà fini de couper ; il n’est donc plus possible pour la cliente de négocier. On observe par ailleurs que Ricardo minimise ultérieurement son action en disant qu’il dégrade « un p’tit peu » (3), tout en fournissant une explication (« parce qu’ils étaient un p’tit peu lou:rds surtout », 3-4) à travers laquelle il légitime son action. L’affirmation de cette position d’expert est reconnue par la cliente, qui s’aligne maximalement sur le projet du coiffeur : « vous avez raison\ » (6). À travers ce ralliement fort, elle retire l’accusation latente de son tour précédent en attribuant de l’autorité à Ricardo, qui continue d’expliquer ce qu’il a fait : « la longueur j’ai coupé p’t-être ça/ mais l’ dégradé j’ai dégradé un p’tit peu\ » (7-8). Ce faisant, il désamorce les craintes de la cliente, puisqu’il explique une nouvelle fois qu’il n’est plus en train de couper mais de dégrader. Dans les tours suivants, il affiche à nouveau son savoir de spécialiste en affirmant que des cheveux non dégradés alourdiraient l’aspect de la coupe (« parce qu’ ça écrase trop après […] on a tout l’ plat c’ qui descend/ », 10-11), alors que l’action de dégrader procure du volume (13). Sophia reconnaît l’expertise du coiffeur comme une évidence (« ben oui:/ », 12) – une manière aussi d’admettre a posteriori que son inquiétude était infondée. En d’autres termes, si le coiffeur valide les craintes de la cliente en élaborant ses réponses et en justifiant ses actions, la cliente, elle, s’oriente rétrospectivement vers sa propre intervention comme perdant de sa pertinence. Elle se plie à l’autorité du coiffeur en faisant confiance à son savoir – une confiance rétablie par le coiffeur à travers ses explications aux lignes 3-4, 7-8 et 10-11 (cf. aussi 19). D’ailleurs, lorsque Ricardo annonce à la cliente qu’il va s’occuper à présent des côtés et qu’il lui demande de retirer ses lunettes (15-16), celle-ci s’exécute et n’intervient plus pour tenter de suspendre son action6.

6 Quéré explique que « la confiance traduit une sorte de délégation […] d’un pouvoir d’action » (2001 : 132). Dans notre cas, la cliente attend du coiffeur « qu’il agisse comme ‘son agent’ dans l’obtention d’un résultat visé » (ibid.). Ainsi, « [elle] se place dans un état de dépendance à l’égard de la compétence » du coiffeur et « accepte d’être vulnérable » (ibid.). Mais si l’auteur affirme que « la confiance n’est requise que là où il y a ignorance ; je fais confiance à mon médecin par exemple, parce que je n’y connais rien en médecine » (ibid.), il faut à nouveau nuancer ce propos pour la relation coiffeur-cliente. La cliente n’est pas totalement ignorante, d’où ces moments de défiance où elle doute de la trajectoire que prend une action et du résultat final de cette action en se permettant d’intervenir. Faute d’espace suffisant, nous sommes loin d’épuiser ici tout ce que nous pourrions dire sur la confiance dans ce type d’interactions (cf. aussi Garfinkel, 1963).

« Vous coupez quand même pas trop hein ? »

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Pour résumer, dans cet extrait le coiffeur réceptionne l’injonction de la cliente sans pouvoir l’exécuter puisqu’il a déjà terminé de couper. Le coiffeur poursuit alors selon sa propre trajectoire actionnelle en réaffirmant sa position d’expert et en rassurant la cliente, ce qui s’accompagne de nombreuses justifications et explications. Toutefois, il semble que le coiffeur traite comme légitime de devoir fournir des explications sur ses actions. La construction d’une relation de confiance est décisive dans ce type d’interaction (cf. note 7). Même si le coiffeur endosse un statut d’expert, il intervient sur la tête d’autrui. En manipulant la chevelure de la cliente et en intervenant sur cette partie de son corps, Ricardo touche à son intégrité et à son identité. À travers le genre d’intervention que nous avons décrite, la cliente réaffirme la relation à son propre corps – ce qui est aussi une manière pour elle de rester maîtresse des actions qui sont produites sur sa tête. Cet extrait montre en tout cas que la relation de confiance entre le coiffeur et sa cliente n’est jamais assurée une fois pour toutes mais qu’elle est constamment renégociée durant l’exécution de la prestation. 4.2 Réception d’une contestation et ajustements Dans le deuxième extrait, la cliente (Sophia) intervient pour orienter la poursuite de la tâche à un moment décisif de la procédure en cours, alors que le coiffeur (Ricardo) vient tout juste de commencer le brushing. La forme du brushing n’a pas été discutée pendant la phase de consultation ; seule la coupe a été négociée par les deux participants. Or l’idée que le coiffeur se fait de la mise en forme à accomplir à ce moment-là rencontre la résistance de la cliente (2). S’ensuit une négociation : Extrait 2 (Symphony_coiffure_08022013_sophia_ ressortir_les_boucles_14:28) 1 fig

(12.0)#(3.4) #fig.5

5 2 SOP => vous faites pas trop de p’tites boucles hein/= 3 RIC =on fait *pas/ *...--> 4 (0.3) 5 SOP #pas *trop\ * ric ->*change brosse*,,,,-> #fig.6 6 (0.3)*(0.5) ric ->* 7 SOP pas trop petits\= 8 RIC =pas trop/

6

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272 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

SOP RIC SOP RIC RIC SOP

(0.6) non\ (2.6) ben on voit nous sur mon chemin/ [y a eu pas mal de:] [j’ suis déjà assez] mamie/ j’ veux pas [encore plu]s/ [(t’ en veux) pas trop/] (0.8) mais j’ les fais ressortir un p’tit peu quand même/ (0.8) oui::/ (0.2) sortir\ (7.2)

Ricardo a tout juste commencé la mise en plis de Sophia à l’aide d’un sèchecheveux et d’une petite brosse ronde (fig. 5), lorsque celle-ci conteste son action : « vous faites pas trop de p’tites boucles hein/ » (2). Le format de son injonction est proche de celui commenté dans l’extrait 1, sauf que le « vous » est parfaitement audible ici. Nous avons affaire à une syntaxe déclarative, à travers laquelle la cliente revendique une certaine autorité sur la façon de coiffer ses cheveux, tout en sollicitant une réponse de la part du coiffeur (cf. le « hein » en fin de tour). Contrairement à l’extrait 1, l’intervention de la cliente ici conduit le coiffeur à revoir son propre choix : « on fait pas/ » (3). En énonçant ce tour, Ricardo change d’outil, saisissant une autre brosse sur le chariot à côté de lui (fig. 6), démontrant par là qu’il prend l’injonction de la cliente au sérieux. Toutefois, Ricardo oppose un changement radical, alors que la cliente ne demandait « pas trop » de boucles (2). La demande d’approbation de Ricardo (« on fait pas/ », 3) n’est d’ailleurs pas ratifiée par la cliente, qui nuance : « pas trop\ » (5), avant d’ajouter « pas trop petits\ » (7). En résumé, la négociation porte sur le fait de faire des boucles ou pas (3), sur la quantité des boucles (5 et 8) mais aussi sur leur taille (7). Une pause relativement longue émerge en 11, suite à laquelle Ricardo effectue un backlinking (De Stefani & Horlacher, 2008) à un topic discuté précédemment sur la construction effrénée de nouvelles villas dans la région où il vit (12). Ce retour à une parole plus mondaine7, qui ne concerne plus le service, clôture possiblement la séquence de négociation précédente. Pourtant, la cliente ne s’aligne pas sur ce retour et intervient en chevauchement pour justifier son injonction : « j’ suis déjà assez mamie/ j’ veux pas encore plus » (13-14), associant les petites boucles au style « grand-mère ». Ce faisant, elle revendique qu’en matière de goûts, son avis est tout aussi légitime, sinon plus, que celui du professionnel. Le coiffeur se plie d’ailleurs au désir de la cliente, qui ne va pas à l’encontre de son savoir-faire. Il s’oriente vers son tour comme une injonction qu’elle est en droit de faire. Il la reformule en 15 sous la 7

Les activités conversationnelles qui accompagnent le travail du coiffeur sont complexes, puisqu’elles entremêlent les échanges finalisés au traitement des cheveux avec une parole plus informelle et ordinaire, faite de bavardages (small talk, dans la littérature anglo-saxonne). On retrouve cette problématique de manière centrale dans les travaux de McCarthy (2000), qui fait la distinction entre une parole orientée vers le service (business or task related talk) et une parole plus mondaine, orientée vers la relation avec la cliente (participant relationship oriented talk). L’intrication de ces deux dimensions est au centre des travaux de Teorien & Kitzinger (2007a et 2007b) qui analysent des interactions dans un salon de beauté pendant une épilation. Dans De Stefani & Horlacher (soumis) et Horlacher (à paraître), nous traitons cela comme une occurrence typique de multiactivité (cf. aussi Haddington et alii, 2014).

« Vous coupez quand même pas trop hein ? »

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forme d’une question (« (t’ en veux) pas trop/ »)8 pour s’assurer qu’il a bien cerné sa demande. À travers cette reformulation, le coiffeur montre aussi qu’il est orienté vers la réalisation de l’injonction qui lui a été faite. Il est difficile de dire si cette contribution du coiffeur appelle à être ratifiée ou non. Il s’agit peut-être d’une ratification (un sequence-closing third, Schegloff, 2007), qui, en tant que telle, ne nécessite pas de réponse. D’ailleurs, la cliente ne ratifie pas ce tour. Cependant, à la ligne 17, le coiffeur semble quand même rechercher un ralliement de sa part lorsqu’il propose une solution intermédiaire entre ne pas faire de boucles et faire de petites boucles : les faire « ressortir un p’tit peu » (17). Dans le tour suivant, Sophia répond de manière préférentielle, en fournissant un « oui::/ » (19) avant de répéter « sortir\ » (19), qui confirme que l’action de Ricardo doit consister à coiffer les pointes légèrement vers l’extérieur mais ne pas leur donner trop l’aspect d’une boucle. Contrairement à l’extrait 1 dans lequel le coiffeur ne suspend pas son activité suite à l’injonction de la cliente, il ajuste ici son action de manière à répondre aux attentes de Sophia, quitte à laisser de côté sa créativité (techniquement, il est plus compliqué de réaliser des boucles qu’une mise en forme standard). Ceci peut s’expliquer par le fait que Sophia intervient pour court-circuiter une action qui vient à peine de commencer, laissant encore possible une négociation sur la poursuite de la tâche. L’analyse révèle donc une fois de plus la nécessité pour la cliente et le professionnel de constamment redéfinir leur orientation vers un projet commun. L’expertise du coiffeur repose sur ses compétences techniques mais aussi sur son écoute et sur sa capacité à produire un service sur mesure (Benelli, Rosende & Messant-Laurent, 2008). La cliente revendique des droits sur un service qu’elle paie. En même temps, le coiffeur doit rendre son service digne d’être payé. S’il produit un résultat que la cliente pourrait obtenir à la maison, cela pourrait remettre en cause les raisons pour la cliente de s’offrir les services d’un professionnel. Le compromis trouvé entre les deux parties en fin d’extrait semble rééquilibrer cette tension. Cet extrait montre en tout cas que coiffeur et cliente doivent sans cesse procéder à des mises en point et (re)définir ensemble le projet à réaliser, de manière à assurer la poursuite harmonieuse et la réussite du service. 4.3 Réception d’une mise en garde par la plaisanterie Dans l’extrait 3, Danny se prépare à couper la frange d’Alexandra. C’est la dernière étape de son traitement. Au tout début de la rencontre (non reproduit ici), le coiffeur a affirmé qu’il préférait réaliser cette opération sur cheveux secs, une fois la mise en forme terminée. Ceci lui permet d’avoir une meilleure vue d’ensemble (les cheveux mouillés n’ont pas le même mouvement) et d’éviter les mauvaises surprises (quand les cheveux sont mouillés, leur longueur est trompeuse). Au moment où commence l’extrait, Danny est allé chercher une paire de ciseaux et il peigne à présent la frange de sa cliente :

8

Le coiffeur vouvoie la cliente pendant l’ensemble de la rencontre. Nous n’arrivons pas à expliquer cette forme de tutoiement ici.

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Extrait 3 (Symphony_coiffure_07052010_alexandra_coupes_pas_beaucoup_26:59) 1

(33.0)*(1.2)#(0.8) dan *peigne frange en la tenant entre index et majeur---> fig #fig.7 2 ALE => tu coupes pas beaucoup hein/ 3 (2.0) + (1.0) #*(0.8) * +lève yeux v DAN----> dan -->*stabilise ciseaux sur ligne de coupe*,,,-> fig #fig.8

7 4 5 ALE dan 6 dan 7 ALE dan 8 9 DAN 10 dan 11 DAN 12 13 14 15 16 17

ALE RIC ALE RIC dan

18 RAD 19 dan 20 DAN 21 22 ALE 23 24 RAD dan 25 26 ALE 27 28 DAN

8

(0.3) oh putain\* -->* *(1.2) *(0.8) *(0.4) * *peigne frange*stabilise doigts*ouvre ciseaux sans couper* *non c’est- j’ suis sérieuse hein/ *penche tête d’ALE en arrière---> (0.3) .h chut (0.9)* -->* *silence *repeigne frange en la tenant entre index et majeur---> (1.6) ouais mais j’ te fais tellement [confiance tu t’ rends& [qu’est-ce tu lui fais/&& &même pas compte\] &&une frange/ ] (0.8)*(3.2) *(2.7) *(1.2) * -->*stabilise doigts et coupe*repeigne*se débarrasse des cheveux de manière ostentatoire* ((petit rire)) *(10.0) *(2.0) *(2.0) *repeigne et recoupe*se déplace derrière ALE*gestes pour uniformiser frange et voir comment cheveux tombent---> plus court/ (0.7) non non/ pas plus court\ (0.5) ouais c’est joli\* -->* (1.2) c’est bon merci\ (2.0) au r’voir merci\

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Ciseaux dans une main et peigne dans l’autre, Danny lisse les cheveux de la frange d’Alexandra (fig. 7). Il les maintient en les serrant entre son index et son majeur. À ce moment-là, la cliente prévient une action imminente du coiffeur en dictant la trajectoire que ne doit pas prendre cette action : « tu coupes pas beaucoup hein/ » (2). La cliente semble ici s’orienter vers un déroulement routinier, dont elle a déjà fait l’expérience au moment de couper sa frange. En effet, une fois les cheveux lissés, parfaitement serrés entre les doigts, et la longueur définie, le coiffeur coupe en dessus du repère qu’il s’est fixé. Autrement dit, le coiffeur ajuste la longueur de la future frange en remontant ou en descendant les doigts. Les doigts servent ainsi de repère pour le coiffeur, mais aussi pour la cliente. Au moment où Alexandra s’autosélectionne, ce repère ne semble pas encore fixé. Danny est en train de peigner les cheveux, sans avoir stabilisé ses doigts à une hauteur bien précise. L’action de Danny est toutefois imminente ; c’est donc le dernier moment pour Alexandra de mettre en garde le coiffeur contre une action irrévocable. Le tour de la cliente, qui manifeste une certaine inquiétude, comporte les mêmes caractéristiques que ceux décrits précédemment, le rapprochant toutefois ici d’une mise en garde vu que l’action pointée par la cliente (contrairement aux extraits 1 et 2) n’est pas encore entamée. Dans le tour suivant, le coiffeur ne va pas répondre à Alexandra (cf. la pause, 3). Celle-ci lève alors les yeux pour capter son regard, de manière à solliciter une réponse de sa part. Danny répond alors multimodalement, par la plaisanterie, en mimant exactement ce qu’elle lui demande de ne pas faire. Il va en effet positionner ses ciseaux grands ouverts à une hauteur exagérément courte, démontrant ainsi qu’il est prêt à couper à cette hauteur-là (fig. 8). Alexandra répond à ce geste par un « oh putain » (5) qu’on peut qualifier de response cry selon Goffman (1978) et à propos desquels Mondada note pour ses données : « Often these response cries are uttered as the negative outcome is projectable, although not yet realized : they respond to a risky situation and to the anticipation of a failure (2013b : 13). Ce « oh putain » énoncé par Alexandra fait d’ailleurs sourire Danny. Alexandra rétorque alors dans le tour suivant : « non c’est- j’ suis sérieuse hein/ » (7). Devant ses protestations, Danny lui ordonne de se taire (9 et 11), ne reconnaissant aucune légitimité à Alexandra. La seule chose qui reste à la cliente à ce moment-là est donc la confiance qu’elle place en son coiffeur (cf. supra), ce qu’elle verbalise ironiquement dans le tour suivant : « ouais mais j’ te fais tellement confiance tu t’ rends même pas compte\ » (13 et 15). L’action de Danny est par ailleurs suivie par Ricardo, le patron du salon, qui assiste à la scène depuis son poste de travail (14 et 16), et par Radija, une apprentie, qui semble rire de la manière dont Danny joue avec les nerfs de la cliente (18). Autrement dit, la manière dont les participants jouent sur l’axe plaisanterie vs. sérieux semble gagner ces bystanders (Goffman, 1981) : Ricardo monitore la scène de manière sérieuse, alors que Radija s’aligne avec la plaisanterie de Danny. Danny coupe la frange à deux reprises, puis il demande à Alexandra si elle désire une frange plus courte (20), ce à quoi la cliente répond par la négative (22), avant que l’apprentie ne se permette une évaluation positive du résultat (24). Après un remerciement de la part d’Alexandra (26) – qui projette la fin du traitement – Danny s’oriente vers la clôture définitive de la rencontre : « au r’voir merci\ » (28).

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À travers cette contribution, Danny semble encore orienté vers la plaisanterie. En effet, il est plutôt insolite de terminer un traitement de façon aussi abrupte. De plus, la séquence du miroir (Oshima, 2009) n’a pas encore eu lieu. L’analyse de cet extrait a montré qu’un moyen de désamorcer une mise en garde consiste pour le coiffeur à y répondre par le rire. Néanmoins, le type de rapport qui émerge entre le coiffeur et la cliente dans cette séquence est sensiblement différent de ce qui se passe dans les extraits précédents. Le fait que les locuteurs rient atteste d’un rapport plus amical entre les participants. Il reste aussi que le coiffeur n’a certainement pas l’intention de couper la frange de la cliente de manière exagérément courte. Pour des raisons évidentes, il n’aurait aucun intérêt à vouloir nuire à la cliente. Par ailleurs, l’action n’est – contrairement à l’extrait 1 où elle accomplie et à l’extrait 2 où elle est en cours – pas encore entamée, mais fortement projetée (i.e. imminente). Cela permet au coiffeur de traiter cette mise en garde par la plaisanterie (vs. des justifications dans l’extrait 1 ou des ajustements dans l’extrait 2). Autrement dit, la responsabilité du coiffeur n’est pas engagée et il peut pleinement accomplir son action en fonction des craintes de la cliente – ce qui expliquerait aussi qu’il coupe par étapes. Nous analysons un autre extrait dans lequel le coiffeur ne prend pas au sérieux la mise en garde de la cliente. Comme dans l’extrait précédent, les rapports entre le coiffeur et sa cliente sont ici familiers. Claudia vient au salon pour faire un balayage, une technique de coloration qui consiste à éclaircir des mèches sur le haut de la tête. Sa mise en garde intervient au tout début du service : Extrait 4 (Symphony_coiffure_05052010_claudia_mèche_orange_00:00) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

RIC alo[:rs/] ok/ à [nous/] CLA => [tsk ] [°tu m’] fais pas une mèche orange hein/° (0.3) CLA ((rire)) RIC non tu peux l’ dire hein [((rire))] CLA [((rire))] (0.7) RIC t’ en veux combien/ deux orange/= CLA .h:: (0.2) (ouais) (1.2) RIC .h (0.2) alors on veut f- tu veux faire quoi alors/ (0.2) CLA .h (0.2) mais blond [je: (m-) nor]mal [mais] pa::s (eu:h)& RIC [on repren::d] [.h: ] CLA &c’ que tu [m’as fait la derniè]re foi:s hein/ RIC [on reprend la] (0.4) RIC ouais mais la longueur j’ vais pas t’ la r’toucher hein/ j’ vais t’ toucher:/ j’ vais t’ reprendre seulement sur eu:h c’ qui est là/# fig #fig.9

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9 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38

RIC RIC

CLA RIC RIC

RIC

(1.5) tsk c’est ça qui faut r’prendre/ (0.2) .h: là j’ (te touche) pas tellement la longueur\ (donc) là on peut pas toucher hein\ .h: (0.2) pis d’ toute façon les foncés on peut pas les r’prendre parce qu’ils vont être- ils vont rester orange hein/ (1.4) ben ouais mais pis cette racine [là alors\] [.h: ] (0.6) celle-ci on va la laisser\ ben ça on va tâcher p’t-être d’ la reprendre hein/ mais celle-ci elle va pas prendre\ .h: (0.5) tellement c’est pas dit hein/ .h: (.) c’ qui faut prendre- c’ qui faut tâcher d’ prendre c’est vraiment tout c’ qui est ici un p’tit peu foncé à la base/ (0.4) .h c’est surtout ça/

Dans l’extrait 4, la cliente anticipe très tôt une action future du coiffeur comme pouvant avoir un résultat négatif. Ricardo vient à peine d’arriver derrière elle, accompagné de son chariot. Son « alo:rs/ ok/ à nous/ » (1) marque le début du traitement de Claudia, qui intervient déjà en chevauchement avec lui (2) : « °tu m’ fais pas une mèche orange hein/° ». La mise en garde de la cliente se fait avant même que celle-ci n’ait demandé ce qu’elle voulait (i.e. n’ait exposé ses requêtes quant au service). Toutefois, cette cliente étant une habituée, il n’est pas dit que le coiffeur s’oriente vers la nécessité d’une phase de consultation. Ainsi, Claudia saisit la première opportunité possible pour formuler une mise en garde. Elle ne s’oriente donc pas vers l’action incipiente du coiffeur mais vers le résultat du traitement dans son ensemble. À travers son tour, on comprend que sa venue au salon ce jour-là fait suite à une précédente visite après laquelle elle n’a pas été satisfaite. Ainsi, cette mise en garde – en plus de constituer un avertissement – est teintée de critique, voire elle prend des allures de plainte (cf. Sacks, 1992 : 597-600). La cliente exhibe en tout cas Ricardo comme ayant une responsabilité dans le résultat négatif obtenu la dernière fois. Elle s’oriente d’ailleurs à voix basse vers le micro lorsqu’elle formule son tour à la ligne 2, comme pour dénoncer le coiffeur à un tiers. Toutefois, cette

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manière de s’adresser sotto voce au micro constitue aussi un moyen d’adoucir la critique et la menace qu’il contient. Comme dans l’extrait précédent, un moyen pour le coiffeur de ne pas affronter la mise en garde de la cliente et la critique qu’il contient consiste à en rire. Dans les tours suivants, il donne des réponses ironiques qui s’adressent également au micro : « non tu peux l’ dire hein ((rire)) » (5), tout en poursuivant avec « t’ en veux combien/ deux orange/ » (8), c’est-à-dire en surenchérissant sur le nombre potentiel de mèches ratées. À la ligne 11, il laisse à la cliente un choix extrêmement ouvert, la cliente n’ayant pas encore exprimé ce qu’elle voulait : « alors on veut f- tu veux faire quoi alors/ ». Ricardo se positionne en retrait comme simple exécutant de l’action. À cet égard, l’auto-réparation du « on » au « tu » est intéressante. À travers ce tour, Ricardo est aussi un train de faire un re-beginning (Schegloff, 2007) mais Claudia répond par rapport à sa visite précédente : « mais blond je: (m-) normal mais pa::s (eu:h) c’ que tu m’as fait la dernière foi:s hein/ » (13-15). La cliente est donc toujours préoccupée par la couleur ; ce faisant, elle continue son action précédente (i.e. sa critique) alors que le coiffeur répond par rapport à la longueur des cheveux, montrant par là qu’il est engagé dans une phase de consultation et donc orienté vers le service dans son ensemble. Il ne semble pas traiter la question de la couleur comme pertinente à ce moment-là. Coiffeur et cliente semblent donc poursuivre deux trajectoires différentes. Ultérieurement (26sv.), Ricardo revient quand même à la question de la couleur. Cependant, il ne traite pas le résultat obtenu la dernière fois comme une faute professionnelle de sa part mais comme un résultat possible d’une action qui n’est jamais totalement prévisible. Comme le notent Benelli, Rosende & Messant-Laurent « même si professionnel/le et client/e s’accordent sur le travail à effectuer, le ‘bon’ résultat n’est jamais assuré : parce que le cheveu ne réagit pas comme prévu, parce que le prestataire et le destinataire ont une compréhension différente d’une coupe ou d’une couleur, etc. » (2008 : 5). La critique de la cliente porte donc sur un acte professionnel moins facilement maîtrisable pour le coiffeur que ceux décrits dans les extraits précédents. Il est en effet difficile pour Ricardo de prévoir les résultats de son action quand il s’agit d’une couleur. De par les explications données, il semble que la couleur orange soit une propriété des cheveux de la cliente qu’il ne peut pas enlever : « les foncés on peut pas les r’prendre parce qu’ils vont être- ils vont rester orange hein/ » (26-27). Sa responsabilité s’en trouve ainsi diminuée. Claudia n’est pourtant pas convaincue par Ricardo : « ben ouais mais pis cette racine là alors\ » (29). Elle semble remettre en question cette apparente absence de solution. Dans toutes ses explications, on note que le coiffeur s’efforce de mettre en avant que le résultat de la coloration n’est pas prévisible. Il se peut que les cheveux de Claudia ne permettent pas à la couleur de « prendre » (33) ou ne réagissent pas comme espéré (« c’est pas dit hein/ », 34), et qu’au lieu d’arriver à un stade de décoloration avancé (i.e. blond), ils ne soient qu’orange (la couleur que Claudia cherche précisément à éviter). À travers ce genre d’explications, Ricardo modalise ses compétences ; il ne peut pas maîtriser tous les effets de ses actions, même s’il est contraint à devoir renégocier sa marge d’action quant à la couleur (32-36). L’analyse de cet extrait a de nouveau montré qu’un moyen de ne pas répondre frontalement à une mise en garde (fortement empreinte de critique ici)

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consiste pour le coiffeur à la traiter comme un laughable (Markaki et alii, 2010). Mais la réaction du coiffeur montre aussi les rapports familiers qu’il entretient avec sa cliente. Par ailleurs, rire après une telle injonction ouvre la possibilité que la cliente ne soit pas en droit de faire cette injonction. Comme pour l’extrait précédent, il semble en effet que Ricardo ne va pas délibérément faire des mèches orange à Claudia. Quoi qu’il en soit, les professionnels du métier aiment à rappeler qu’ils suivent une formation de coiffeur et non de magicien. Bien qu’ils cherchent à éviter le mécontentement de leurs clientes, il demeurera toujours une certaine incertitude par rapport au résultat du travail qu’ils accomplissent. 5. Conclusion : une approche dynamique de l’expertise Les réflexions menées dans ce chapitre ont permis de questionner la relation coiffeur-cliente en termes d’asymétrie. Les analyses ont montré que dans ce type de relations de service l’expertise ne pouvait pas s’envisager de manière unilatérale. Les clientes – toujours plus exigeantes et mieux informées – participent de manière active au traitement, à travers un monitorage constant des activités du coiffeur. Elles peuvent initier des actions et bouleverser l’agenda du professionnel en ne se contentant pas d’intervenir à des slots spécifiques prévus pour elles, typiquement lors de la consultation initiale ou lors de l’évaluation finale. L’auto-sélection des clientes montre en tout cas que ces interactions se caractérisent par un déroulement routinier que les participantes connaissent au préalable et reconnaissent (cf. néanmoins l’extrait 1) – et qu’elles s’inscrivent dans une histoire interactionnelle plus vaste (extrait 4). Toutefois, les moments choisis par les clientes pour intervenir sont différents entre les extraits : l’action pointée par la cliente est terminée dans l’extrait 1, à peine entamée dans l’extrait 2, projetée de manière imminente dans l’extrait 3 ou dans un futur encore lointain dans l’extrait 4. De même, l’action concernée incarne différents degrés d’irréversibilité. Il est par exemple plus facile de modifier la forme d’un brushing (extrait 2) que de rattraper une couleur (extrait 4) ou une coupe (extraits 1 et 3), d’autant plus que dans l’extrait 1, l’action concernée est déjà accomplie. De fait, ces différentes actions mettent en jeu la responsabilité du coiffeur de diverses manières. Lorsque sa responsabilité est fortement engagée et que l’action est terminée (donc irréversible), il répond en affirmant de manière très forte sa position d’expert, tout en apportant de multiples justifications (extrait 1) dans un discours professionnel qui légitime son action9. Au contraire, quand sa responsabilité est moins engagée car l’action n’est pas encore entamée (extraits 3 et 4), ou que le résultat dépend moins de son expertise (extrait 4), il répond par la plaisanterie – une plaisanterie également rendue possible par la relation amicale qu’entretiennent le coiffeur et la cliente dans ces extraits. L’extrait 2 est un cas intermédiaire : la responsabilité de Ricardo est engagée, néanmoins il vient de commencer à faire des boucles quand la cliente s’auto-sélectionne. Il ajuste alors son action et s’aligne immédiatement sur son injonction. Rétrospectivement, nous comprenons que son alignement était trop fort. Dans les tours suivants, la cliente 9

En même temps, le fait que le coiffeur se justifie autant pourrait montrer que son autorité n’est pas si indiscutable. C’est là toute l’ambivalence de ces extraits, qui rejoint la question de la double expertise.

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doit renégocier la quantité des boucles, de même que leur taille. Dans ce cas-là, c’est la cliente qui fournit une justification sur les raisons de son choix, et ainsi qui légitime sa façon de concevoir la mise en forme jusqu’à trouver un compromis avec le coiffeur. Le compromis trouvé entre Sophia et Ricardo dans l’extrait 2, l’accord finalement donné par Sophia dans l’extrait 1, la confiance accordée par Alexandra à Danny dans l’extrait 3, de même que celle accordée par Claudia à Ricardo dans l’extrait 4 montrent que les clientes finissent par reconnaître le coiffeur comme compétent et l’exhibe comme une autorité en mesure de continuer la procédure. Dans ce type d’interactions, les participants sont donc appelés à coordonner leurs différentes compétences pour agir ensemble. Nous avons défendu une approche praxéologique et dynamique de l’expertise, que les participants mobilisent et sans cesse renégocient sous diverses formes dans leurs différentes actions. Ceci signifie que le coiffeur ne trône pas en expert sur l’ensemble de la rencontre ; la cliente peut renverser cette asymétrie en revendiquant son droit d’influer sur la conduite du coiffeur. Ainsi, l’autorité de ce dernier peut s’en trouver malmenée. En sens inverse, le rôle du coiffeur ne se limite pas non plus à des actions affiliatives aux injonctions de la cliente selon la devise « la cliente a toujours raison ». Il peut traiter ces injonctions par le rire ou en réaffirmant son autorité de coiffeur, mais dans tous les cas, il s’y oriente comme des actions que la cliente (et son statut) lui autorise de faire. En effet, c’est elle qui est demandeuse du service (dimension économique) ; de plus, les actions liées à la prestation concernent souvent ses goûts, un style, une mode qu’elle affectionne, ou ses habitudes (ceci pouvant difficilement être remis en question), de même que la relation à son propre corps (ce qui, là aussi, rendrait délicat toute forme de résistance de la part du coiffeur). Ainsi, la réussite du service ne repose pas uniquement sur la maîtrise d’un savoir technique par le coiffeur, mais plus fondamentalement sur le ménagement de la dimension relationnelle avec la cliente. Dans les salons de coiffure, l’asymétrie n’est donc pas seulement « institutionnelle » ; elle se manifeste et se négocie au niveau du savoir-faire, certes, mais aussi de la sociabilité et des droits de la cliente sur son propre corps. De la même manière que l’expertise des clientes est nécessaire pour le service mais redoutée face à l’expertise officielle du coiffeur (cf. supra Benelli, Rosende & Messant-Laurent, 2008), nous affirmons que l’expertise des coiffeurs est elle-même ambivalente : elle est souhaitée et valorisée car elle fonctionne comme « un facilitateur de la relation sur l’axe de la prestation » (Filliettaz, 2006 : 97) mais elle est aussi remise en cause – les droits des clientes influençant profondément les conditions dans lesquelles les coiffeurs peuvent manifester cette expertise. Enfin, si « l[a] client[e] ‘idéal[e]’ est [celle] qui à la fois ‘sait ce qu’[elle] veut’ mais ‘fait confiance’ aux agents » (Benelli, Rosende & Messant-Laurent, 2008 : 6), le coiffeur idéal est aussi celui qui sait ce qu’il fait, mais qui laisse les clientes endosser leur statut d’experte profane. 6. Remerciements Nous remercions Lorenza Mondada et Sara Keel pour leurs relectures minutieuses, ainsi que pour les discussions stimulantes nées à l’occasion de cet article. Nos remerciements vont également à Elwys De Stefani pour ses commentaires généreux sur une version antérieure de ce texte.

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The negotiation of poses in photo-making practices : Shifting asymmetries in distinct participation frameworks

Burak S. Tekin

1. Introduction This chapter focuses on how professional photographers and clients arrange the taking of photographs, and demonstrates how they can accomplish different poses within contrasted participation frameworks. Previous works on photography studies, particularly in visual anthropology, have mainly concentrated on photographs as research tools or end products (see Collier & Collier, 1986 ; Morphy & Banks, 1999), thus as detached from the actual interactional settings in which photos are produced in the first place as negotiated accomplishments of the photographers and the clients. They have therefore neglected to look at the interactive and situated production of photos as a « topic of investigation » in its own right1. With a focus on this relatively scarcely examined area, this chapter looks at the interactive work through which photographers and clients negotiate and accomplish different poses while making photos in a professional studio. Paying attention to the sequential and structural moment-by-moment organisation of this specific activity, this chapter addresses to how specific photos are proposed, designed and arranged as the activity progressively unfolds. Service encounters are informed by the interactional orientations of the participants, and accord them specific rights and obligations. At the most basic level, service seekers have the right to ask for a particular service, whereas service providers hold the obligation to provide that service. As such, the interactional rights and obligations, endogenously distributed to both parties and constantly negotiated and readjusted, enable, shape and configure participants’ opportunities to participate, thereby invoking distinct types of participation frameworks (Goodwin & Goodwin, 2004 ; Mondada, 2012). A variety of practices in institutional settings are shaped by the asymmetrically distributed resources and opportunities among participants. This inevitably affords certain parties certain opportunities for certain actions, thereby 1

For a discussion on the distinction between topic and resource in scientific inquiries, see, among others, Zimmerman & Pollner (1970).

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promoting some actions and restricting others (Heritage & Greatbatch, 1991 ; Schegloff, 1992). For example, in medical interactions, doctors are primarily entitled to initiate actions, while patients are principally supposed to respond to these initiatives. That is, the professionals predominantly control the flow of the interaction, and the lay persons may gain limited opportunities to take the initiative (Drew & Heritage, 1992). However, the negotiations and modifications of these asymmetric relations of participants’ rights and obligations in relation to dynamic participation frameworks can be massively consequential for the moment-bymoment distinctive local management and organisation of the activity at hand. By demonstrating how the arrangements of the different poses to make the photographs are achieved in situated ways, relying on finely tuned coordination and collaboration among the co-participants in a professional photography studio, this chapter aims to sketch a detailed and systematic analysis of the negotiations and transformations of the asymmetric interactional relations between photographers and clients within this particular service encounter. 2. Service encounters What characterises service encounters is the participants’ orientations to the transaction of the service, that is, to the grantability, fulfilment and « satisfaction of the customer’s presumed desire for some service » (Merritt, 1976 : 321 ; for recent overviews on service encounters, see e.g., Fox, 2015 ; Kuroshima, 2010 ; Sorjonen & Raevaara, 2014). This is such a central and primary interactional focus that sometimes service providers can shape service seekers’ requests to make them grantable for the service they provide (Lee, 2011). While working on the grantability of the service, the participants’ actions in service encounters, namely clients’ initial requests and the conditionally relevant (Schegloff & Sacks, 1973) professionals’ responses, can be organised in sequentially distinct ways (see Merritt, 1976, for example, for chaining, coupling, embedding and elliptical coupling patterns). One of the reasons why we can see so many different sequential patterns can be inextricably linked to the type of service asked for and its interactional contingencies. In certain service encounters, the service-seeking request (or pre-request) can be promptly granted (i.e. the client asks for a cigarette and the service provider gives it), whereas in others granting the service can take a while. The service provided in photography studios is a case in point for the latter. Following the initial service request by the client (i.e. a request for making a specific photo), the granting of the requested service practically necessitates the participants being engaged in a negotiated process in which both parties work together collaboratively to accomplish it in a satisfactory manner. Such a negotiation process may invoke a distinct normative procedure through which the rights and obligations of the participants, in different participation frameworks (Goffman, 1981 ; Goodwin, 2007), are situatedly negotiated and organised. These distinct participation frameworks impact greatly on the ways that the participants orient to one another, invoking negotiated and transformed asymmetries. In this paper, we focus on the granting of a specific requested service, taking photographs in the professional studio. More specifically, we elucidate the

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practices that the participants employ to arrange and accomplish different poses in this particular service. 2.1 Professional photography studios as service encounters It is clear from the very outset that clients visit professional photography studios for a reason. They want a specific photo in a setting practically and visually welldesigned to satisfy their demands, through the expert eyes of the photographers, and done with professional digital cameras skilfully manipulated. The photographers need to set up the poses in a way that can meet the demands of the clients and that can be qualified as being as professional as possible. The design of the poses cannot be preset well in advance, but rather comes into being in a progressive way. Its preparation is apt to continuous negotiations and adjustments among participants, constantly orienting to the emerging ways in which the initial request is progressively shaped. To enable the service requested, the participants hold asymmetric tasks with respect to one another. On the one hand, the clients are entitled to say how they want to be seen and to express the feeling to be conveyed in the photograph as practised through the expert vision of the photographer. On the other hand, the photographers have the rights and responsibilities to listen to the clients’ desires regarding how they would like to see themselves, and to arrange the associated poses in accordance with their professional vision. This interactional environment brings up a dual tension a) between what is requested in the service encounter by the clients and what is provided professionally by the photographers, and b) between how the clients want to be seen and how they are practically seen by the photographers. These interactional circumstances suggest that the photo-making activities are complex, which inherently requires coordination and collaboration between the two parties while accomplishing two distinct but complementary tasks in the activity at hand. These asymmetric relations of participants and their attendant asymmetric rights and responsibilities should be fundamentally accounted for the sui generis order and in situ accomplishment of interaction (ten Have, 1991 ; Robinson, 2001). The interactional accomplishment of the photo-making activity in photography studios is sequentially organised prevalently through instruction sequences, that is, adjacency pairs (Sacks, Schegloff & Jefferson, 1974), in which the photographers direct the clients and their bodies. 2.2 Instructions in the photography studio Within the ethnomethodological and conversation analytic (EMCA) perspective on social interaction (see Garfinkel, 1967 ; Schegloff, 2007), it has been shown that instructions initiate new sequences and they often take a paired form of actions ; instructing actions constitute the first pair parts, and they make the second pair parts, which are instructed actions, both preferable and relevant (Garfinkel, 2002 ; Goodwin, 2006 ; Mondada, 2014a). Instructing actions may take various forms : verbal forms of directives or requests or embodied forms of bodily movements integrated with indexical or other referential expressions or some forms of combinations of these resources. Instructed actions may be silently accomplished in

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embodied ways or sometimes accompanied by some receipt tokens, both indicating compliance and aligning stances with the instructions (see Mondada, 2014a, for a more thorough discussion of these different forms of instructing and instructed actions). Following instructions cannot always be done in a straightforward way since instructions are inevitably and irremediably incomplete (Garfinkel, 2002 ; Mondada, 2014b), thereby requiring competent interpretations of not just solely the instructions, but also of the general local ecology of the interactional landscape (Amerine & Bilmes, 1988 ; Garfinkel, 2002 ; Lindwall & Ekström, 2012 ; Mondada, 2014a). Therefore, the recognisability and intelligibility of instructions are of crucial importance, and a possible lack of mutual understandings may lead to expanded sequences, in which revisions, modifications or corrections of both instructions and instructed actions become interactionally relevant (Mondada, 2014a ; 2014b). Instructions, in this study, are taken into consideration as situated accomplishments (Garfinkel, 2002 ; Mondada, 2014a), and are examined in light of the actual contexts in which they are locally produced. Instruction sequences are characterised by the complementary participation roles for the practical accomplishment of the projected actions. These complementary roles, forming a standardised « relational pair » (Sacks, 1992 : 326-327) – namely, photographer and photographed –, inherently reflect an interactional asymmetry, which is crucial, consequential and conducive to the achievement of the activity at hand. The photographers are responsible for making decisions about the end products, the photographs, to make them qualify as professional quality ones. They need to organise the scenes in a way that both contents themselves with their own professional vision and satisfies the demands of the clients. This shows that the photographers not only have the right to instruct but also have the responsibility for the instructed actions. Likewise, the clients are not just responsible for the adequacy of their instructed actions, but they have the right to shape the instructions the photographers issue within their preparations for the poses since the photographs for which they pay are theirs. Thus, they can resist the instructions given by the photographers, they can initiate new competing sequences, or they can even instruct the photographers themselves, which may completely reverse the asymmetric relations. That is, the clients have a say not only in the second pair parts of the instruction sequences but also in the first pair parts. Recent studies show that the ways in which instructions are formatted are informed by the entitlements and contingencies that the participants display (Craven & Potter, 2010 ; Curl & Drew, 2008 ; Heinemann, 2006 ; Lindström, 2005). Instructions formatted with imperatives display speakers` entitlements, projecting almost unquestionable compliance, thereby reducing the contingencies of the recipients. However, instructions formatted with modal verbs attend to the contingencies of recipients (i.e. their capacities or desires), while still projecting compliance, but keeping it negotiable to some extent. Furthermore, when speakers use imperative formats they treat recipients as already committed to the current lines of action being pursued, and the recipients of such imperatives display compliance in embodied ways by aligning with speakers’ commitment treatments (Wootton, 1997 ; Zinken & Ogiermann, 2013). In a similar vein to entitlement/contingency and commitment treatments, participants in photography studios can orient to each other

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by taking into consideration their endogenously fluctuating rights and obligations. In this sense, instructions constitute one of the basic resources through which participants provide each other with opportunities to manage and coordinate such asymmetric relationships. The photographers may use a wide range of formats to issue instructions, depending upon how clients orient to the current arrangement of the poses. While imperative and subjunctive formats may index their high entitlements (therefore clients’ low contingencies) to direct these poses, utterances formatted with more mitigated forms (i.e., declaratives or modal verb constructions) can treat a pose as something that clients orient to in an unwilling way. What is more, how clients comply with them may indicate whether they align or not with the directed poses. As a whole, how and by whom one pose is proposed can tell us how the pose is oriented, and with which interactional resources it is arranged can display participants’ orientation towards their associated rights and obligations. An important aspect of the instructions in photography studios is directly related to how they differ from instructions in other settings. Previous research on instructions from an interactional perspective has chiefly been conducted in settings centred on three different streams of accomplishments : a) pedagogical goals (De Stefani & Gazin, 2014 on driving lessons ; Lindwall & Ekström, 2012 on crochet lessons ; Mondada, 2014b on cooking courses ; Szczepek Reed, Reed & Haddon, 2013 on vocal master classes), b) everyday tasks (Cekaite, 2010 ; Craven & Potter, 2010 ; Goodwin, 2006 ; Goodwin & Cekaite, 2013 ; Tulbert & Goodwin, 2011), c) orientations to the institutional context (Mondada, 2011 ; 2014a on operating in surgical theatres). In pedagogical environments, instruction sequences are oriented more towards the competences of participants. In everyday activities (for instance, in families), parents deploy instructions to get their children to do something. In institutional encounters (for instance, in teams), participants use instructions to coordinate with each other in accomplishing their professional tasks. Distinguishably enough, in photography studios, the aim of the instructions is not pedagogic, nor does it concern an interactional situation in which the instruction is part of accomplishing an everyday task or an institutional aim to which both parties work together to achieve. Instead, the instructions discussed in this paper aim at the fulfilment of a professional task between service providers and clients : designing the clients’ poses before shooting photographs. As such, the instructions imply the manipulation and arrangement of the clients’ bodies by the photographers to convey particular feelings to be reflected in the end products. 2.3 A particular focus on the body Some encounters afford professionals the rights and responsibilities to arrange and direct clients’ bodies and their bodily movements to satisfy the clients’ demands and to provide the requested service. This generates an interactional environment which needs to be dealt with delicately and sensitively (see also Horlacher, this volume). The professionals’ instructions concerning the manipulation of the bodies of the clients might take very different forms, depending upon the service provided, and the task accomplished by the professionals.

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In guided visits, for example, the guides hold the right to determine the route, and to initiate and end the walking and standing activities, whereas the guided people have the right to follow the guide and ask some questions for clarification when the need arises. Thus, the service requires the professionals to coordinate and arrange the bodies of the clients in local ways to grant the service (Broth & Mondada, 2013 ; De Stefani & Mondada, 2014). Compared with guided visits, the professionals’ work in dance classes appears to be more intrusive, since dance instructors are required to ask clients to precisely perform the demonstrated bodily movements, sometimes necessitating the arrangements of their bodies through different practices. These arrangement practices may include the bodily imitations of the incorrect movements produced by the learners to contrast them with the correct moves they need to produce (Keevallik, 2010). Along the same lines, in medical interactions, particularly in physical examinations and physiotherapy encounters, the doctors direct the bodies of patients to find the complained area for examination (Heath, 1986), and to undertake the therapy by enabling better inspectional opportunities (Parry, 2013). Nishizaka (2007) explains how midwives check and demonstrate the current condition of a baby inside a pregnant woman by referring to the body parts of the baby while touching and palpating the pregnant woman’s abdomen. In all these distinct settings where granting the service is dependent on the professional’s manipulation of the clients’ bodies, the body is delicately and sensitively attended to by professionals, manifesting how it is both an importance resource and a crucial focus for the progression of the service at hand. In encounters in a photography studio, the professionals are tacitly entitled to arrange and direct clients’ bodies in space so as to both construct the general intended representations and to achieve the relevant expressional details. But, the photographers need to deal with the clients’ bodies kindly and carefully so as to accomplish the poses aimed in a satisfactory manner. This chapter investigates how the characteristic asymmetric relations between photographers and clients are managed and regulated within the dynamic unfolding of action and activity, and also reveals how the interactional environment of the instruction sequences are shaped and configured by the reallocations of participants’ rights and obligations. 3. The Data The dataset on which this chapter is based consists of the video recordings of an encounter in a professional photography studio where two clients, who present themselves as a couple, visit to have their photographs taken by a professional photographer. This dataset has been extracted from a still-growing corpus of photomaking encounters between clients and photographers in professional photo studios in Turkey. The corpus, generated during my fieldwork in which I have observed and recorded four photographers working in three different studios, currently consists of 23 such encounters, each spanning about five or six minutes in length. In the data studied in this chapter, the photo studio the couple visits has two floors. The owner welcomes the clients when they enter the studio, though these initial interactions with him were generally not recorded. The clients, having decided to have their

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photographs taken, go upstairs where the assigned photographer greets them. This is also when I started recording. The assigned photographer for this encounter with the couple has been working in this studio for about three years, and previously he worked in the same position at some other studios for some more time. To document the interaction, two cameras were used ; one primarily focusing on the clients, and the other one on the photographer. All participants, who appear with pseudonyms in this paper, were informed about this study, and agreed to take part in it and be recorded. Turkish talk-in-interaction is still understudied within an EMCA perspective, with the exception of a few studies. For example, Steensig (2001) compared turn construction methods in Danish and Turkish, and documented significant differences between these two languages. This chapter studies specific grammatical formats of actions, such as instructions, mostly in the form of directives, in Turkish. These actions have been largely studied in other languages, showing that linguistic resources may do different interactional jobs in typologically different languages. Thus, it is worth examining Turkish talk-in-interaction to investigate the specifics of these resources for formatting similar actions. All the extracts presented in this chapter are composed of three or four tiers. At each numbered line, there is first the original Turkish transcript. Below, it is followed by phrase-by-phrase morphological glosses2. Since Turkish is typologically different from most European languages, glosses are crucial to discuss the grammatical details of the utterances. In the third tier, a rough English translation is provided. The fourth tier, when and where relevant, presents the temporally annotated details of the embodied conducts, utilising the system developed by Mondada (2001). Where necessary, multimodal annotations are complemented by inserted screen shots. 4. A couple’s visit to a photography studio Drawing on video-recorded interactions of photo-making activities between a professional photographer (designated as PHO) and two clients (Pelin who is designated as PLN and Hakan who is designated as HKN), this chapter empirically demonstrates that the interactional organisation of instructions mostly in the form of directives is situatedly and locally tied to the asymmetrically accorded rights and obligations of the participants, constantly orienting to the dynamic embodied participation frameworks and spatial configurations constructed in reciprocally coordinated ways as the activity sequentially and temporally unfolds and progresses. The minute inspection of this couple’s visit to the professional photo studio presents a single case analysis. The extracts displayed are organised in such a way as to demonstrate the sequential unfolding of the whole visit, preserving the successive order of the poses. In this chapter, we will be looking at how and by whom the distinct poses are initiatied and how their achievements are interactively organised with a specific focus on the ways in which participants arrange and direct their bodies to accomplish the targeted photographical practices. 2

Abbreviations used in glosses, inspired by Leipzig rules, are listed at the end of the chapter.

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The analyses explore three different photo-making configurations, the dynamic embodied participation frameworks they rely on and the diversely negotiated rights and obligations they achieve. The first configuration is orchestrated by the photographer (4.1), the second is demonstrated by the photographer in an embodied way (4.2), and the third one is self-arranged by the clients (4.3). 4.1 Directing a traditional wedding photo In the initial part of the activity, the clients present their desire to have a wedding photo and the photographer accepts it. As we shall see below, in this part of the service, the photographer is given and recognised the right to direct the arrangement of the participants’ bodies in such a way to realise what the clients request : a « wedding photo ». We join the action at the opening of the visit, after the exchange of greetings. The clients explain to the photographer why they are paying a visit to the photography studio : Extract 1 1 PLN 2 3 HKN 4 PLN 5 PHO 6 7 8 PHO 9 PLN 10 HKN 11 PHO

aslında biz şey yapmadık istemedik actually we thing make-NEG-PST-1P want-NEG-PST-1P actually we did not do we did not want sevme[>diğimiz çin< düğünden önce hiç] like-NEG-NMLZ-1P since wedding-ABL before any since we did not like at all before the wedding [düğün fotoğrafı çektirmedik ] wedding photo-ACC take-CAU-NEG-PST-1P we did not have the wedding photo taken ııı: düğün fotoğrafı [çektirmedik PRT wedding photo-ACC take-CAU-NEG-PST-1P uhm we did not have the wedding photo taken [ha: düğün fotoğrafı PRT wedding photo-ACC ah wedding photo çektirmeye geldiniz take-CAU-NMLZ-DAT come-PST-2P you came to have the wedding photo taken (0.2) HAhaha= =bi tane çekti[relim] ol[maz mı one take-CAU-SBJV-1P be-NEG-PRS Q let`s have one taken isn`t it alright [evet ] yes [tamam okay

Pelin initiates a telling by using the first person plural pronoun (1), and produces a rather vague utterance referring to a thing not done before. It is vague due to the use of « şey » / « thing » (1), an expression that can refer to almost everything. This is followed by an account: « istemedik sevme>diğimiz çin< düğünden önce hiç » / « did not want since we did not like at all before the wedding » (1–2). In overlap with it, Hakan self-selects and joins in the construction of reasoning she is making (3). His turn refers to a wedding photo, which is previously unspecified in Pelin’s telling (1-2), and is followed by the account that

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recounts that they did not have their wedding photo taken. After an acknowledgment token, Pelin produces a full repetition of Hakan’s turn (4). This ratified specification allows the photographer to infer the reason for their visit (see his use of a change-ofstate token at the beginning of his turn in line 5), and he offers a candidate understanding of the service they are implicitly requesting (5-6). This is confirmed by both Pelin and Hakan (9-10). The photographer’s « tamam » / « okay » in line 11 both marks the completion of the negotiation of the photo type and signals the start of the posing for that photo. In their construction of reasoning for the visit to the professional photograph studio, the clients imply many important issues that might be interactionally relevant for the ensuing service. Both the use of past tense in all verbs « yapmadık » (1), « istemedik » (1), « çektirmedik » (3 and 4) and the temporal reference to their wedding as something done in the past « düğünden önce » / « before the wedding » (2) hint that the clients are now married and their wedding ceremony is already over. In addition, both clients systematically talk using the first person plural pronoun in their utterances (see lines 1, 2, 3, 4, and 9), which allows them to construct themselves as a couple. However, the couple’s tellings and accounts with regard to the wedding photos, instead of simply requesting the photographer to shoot an ordinary one, might signal that the wedding photo they want is not a conventional one. Moreover, they are dressed in a pretty casual way (see, for example, Figure 1 below), which is not particularly suitable for a conventional wedding photo. Thus, the clients make a stepwise request for a photo type, a wedding photo, but not in the conventional sense. They progressively construct an opposition between their past wedding ceremony, in which no photos were taken, and their present visit. The contrast they make refers to the traditional practice of having a photo taken on the day of the wedding, as well as to their refusal of this traditional ritual. All these fine details build their identity as a « modern » couple and the particularity of the service they are asking for. What the clients request, a wedding photo, is a photo type that photographers are traditionally and routinely engaged in providing. Asking professionals to do a wedding photo is to recognise their professional competence and expertise. In doing so, the clients give the right (and, what is more, they pay for that) to profesionnals to arrange their bodies. Thus, it is the clients and their bodies that are to be arranged, corresponding with their desires for how they want to be seen ; and it is the photographers who are going to arrange these bodies in line with their « professional vision » (Goodwin, 1994). In this setting, upon agreement about the wedding photo type, the rights and the obligations of the participants emergently distributed in situ in the dynamic interactional landscape indicate that a) the clients hold the right to express how they want to be seen, and b) the photographer is given the right to instruct the clients’ bodies through his professional vision and artistic seeing to produce the targeted wedding photo. In the immediate continuation of Extract 1, the participants get into the business of the organisation of the first posing. Having the right to design a wedding pose, the photographer starts to arrange the clients’ bodies and direct their postures in order to generate the scene targeted :

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Extract 2 (immediate continuation of Extract 1) 12 PHO

fig 13 p&h 14 PHO pho p&h fig

*yaklaşın* # birbirinize get closer-IMP-2P each other-DAT get closer to each other *moves 2 steps fwd twd the scene* #fig.1 %(0.4) %get closer to each other-> ab*lacım%# dön*üyosun a*bimsis-POSS turn-PROG-2S bro-POSS my sis you are turning *twist gest * *leans and steers HKN back-> ->% #fig.2

1 15 16 PHO fig

2

(0.2) şöyle # bi gel like that once come-IMP come like that #fig.3

3 17 18 PHO pho 19 HKN 20 PLN

(0.3) göbekleri tokuşturcak*sınız [da belly-P-ACC clink-FUT-2P cos you are going to clink the bellies cos ->* [ha[haha [HAa::ha∞hehh∞= ∞turns bck to HKN∞

Shifting asymmetries in photo-making practices 21 PHO pho pln 22 PLN 23 HKN 24 PHO 25 pln

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=ab*lacım sen* abime doğru dönüyor∞sun sis-POSS you bro-POSS-DAT towards turn-PROG-2S my sis you are turning towards my bro *twist ges* ∞turns twd HKN-> [haaa::: ] PRT ah [>bana doğru dön∞

To design a wedding pose, as agreed in Extract 1, the photographer takes two steps forward into the scene where both clients stand (see Figure 1) and thus establishes a new interactional space (Kendon, 1990 ; Mondada, 2009), while issuing an instruction (12) in the form of an imperative to both clients in regard to their spatial positioning. Using imperatives to interact with the clients both manifests the photographer’s orientation to his own position as an expert and displays his high entitlement to direct the posing. In response to this instruction, the clients produce an embodied compliance by silently getting closer to each other (see figure 2), which constitutes the second pair part of the instruction sequence (Mondada, 2014a). This straightforward embodied compliance indexes the clients’ alignment to the photographer’s instruction and recognition of his entitlement. Following the couple’s compliance with his first instruction, the photographer initiates another instruction addressed to Pelin (14). But, he cuts it off, in order to lean and gently steer Hakan backwards and to show him where to stand (see Figure 3), by producing an instruction to him (16). This instruction is formatted with a spatial deictic reference and an imperative. A light touch and tactile intervention is deployed by the photographer to advance the production of the instructed action, and Hakan smoothly moves in concert with PHO’s tactile intervention and displays his alignment and compliance (see Cekaite, 2010, and Goodwin & Cekaite, 2013, on how parents use tactile interventions in instruction sequences to change the children’s actions when they do not display forthcoming compliance). In line 18, the photographer provides an account for his instruction to Hakan (16), which configures it as the revision of the suspended instruction in line 14. This account is formulated with a rather funny-sounding verb, which can be a way of dealing with a delicate reference to clients’ bodies, and which resulted in both clients breaking out into laughter. Towards the end of her laughter, Pelin initiates her embodied alignment with Hakan’s new positioning by turning her back to him (20), but the photographer corrects her by instructing her to turn towards Hakan (21). Pelin adapts her body to this corrective instruction, and shows her new understanding with a change-of-state token in line 22 (Heritage, 1984). In overlap with this token in line 23, Hakan upgrades the photographer’s instruction, transforming its form from a progressive tense to an imperative form with the related personal deictic shift. While Pelin is still doing the instructed action, the

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photographer produces a three times repeated imperative to specify the intensity of this instructed action (24), orienting to its not-yet-adequately-fulfiled aspect. In that sense, it can be said that the clients’ ongoing compliance and the photographer’s repeated imperatives reflexively respond to and calibrate each other (for the online calibration aspect of the repeated imperatives, see Mondada, in press). The repetition of the imperatives stops when the instruction is adequately fulfiled, which displays almost perfect alignment with each other in the temporal sense. In this extract, the very activity of the photographer is implemented through a series of instructions, with each one achieving a certain aspect within the developing course of action and activity. The sequential organisation of these instructions takes on a paired form of actions, constituted through the initiating instructions of the photographers engendering the relevant responsive instructed actions in the clients. The first pair part of these sequences, the instructing actions, are formatted in a variety of ways, including imperatives (12, 16), repeated imperatives (24), and declaratives (14, 21), which are sometimes accompanied by referential expressions (12, 16, 21) and embodied actions (twisting gestures in 14, 21, and tactile intervention in 16). The second pair parts are performed without delay in an embodied way, by tacitly complying with the instructions (13, 21). The compliance requires an indexical and embodied understanding. When this mutual understanding is not thoroughly established (as we see in line 21 when the photographer corrects Pelin’s self-selected bodily initiation in line 20), it becomes relevant for the photographer to revise his instructions and modify the instructed actions, though they are initiated in an aligned manner without the explicit first pair parts (see also Keevallik, 2010 and Mondada, 2014a for expansions, modifications and corrections in instruction sequences). In Extract 2, we have seen that the photographer instructs the clients on how to position themselves to look like as a couple for the production of a « wedding » photo. This provides us with a general picture of how instructions contribute to the photo-making activity : by organising their spatial orientations and bodily formations towards one another, the photographer builds feelings of intimacy, romance and partnership. 4.2 Demonstrating a delicate photo After completing the shooting of the traditional photo, the photographer initiates the arrangement of a new photo which requires a delicate spatial, embodied and tactile organisation. In the following extract, we join the action immediately after the shooting of the previous posing is completed : Extract 3 1 pho 2 3 PLN 4 PHO

*(0.4)* *puts the camera down* (0.2) ta[ma::m\ okay [seni bu tarafa *doğru alıyım abla*cım you-ACC this side-DAT towards take-SBJV-1S sis-POSS let me take you towards here my sis * moves towards the stool *

Shifting asymmetries in photo-making practices 5 pho 6 PHO 7 pho 8 PLN hkn 9 hkn 10 PLN 11 PHO

fig 12 hkn fig 13 PHO hkn 14 hkn fig

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(0.2) * (0.6) *brings the stool into the scene-> abi gel sen de buraya otur bro come-INF you too here-DAT sit-IMP bro come you sit down here (0.2)* ->* tamm düğün kon+septini burda bıraksak olur mu ok wedding concept-ACC here-LOC leave-COND-1P be-PRS Q ok is it alright if we leave the wedding concept here +sits on the stool-> (0.3) + (0.2) ->+ başka bişi [yapsak/ other something do-COND-1P we shall do something else [dik *duruyosun # upright stand-PROG-2S you are standing upright *touches hkn`s shoulder-->> #fig.4 +(0.4) + # +stands upright+ #fig.5 şöyle +dönüyosun like that turn-PROG-2S you are turning like that +turns right-> (0.5) + # ->+ #fig.6

4

5

6

Following the last shot of the previous posing, the photographer puts down his camera, thereby indicating the closure of that posing (1). Likewise, Pelin also marks the completion of the first shooting by uttering « tamam » \ « okay » in line 3. Instructing (in the form of subjunctive) a modification of PLN’s bodily positioning while moving towards the scene (4), the photographer initiates the new posing. Bringing in a stool and instructing HKN to sit down on it (5), PHO projects the preparation and organisation of the second posing. However, Pelin disaligns with the photographer’s initiation and projection of this new posing by displaying no orientation towards compliance with the instruction addressed to her. Moreover, she produces a counter-proposal to abandon « the wedding concept » in line 8. Her disaligning proposition is produced through a question format that prefers a

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confirmation from the intended addressees (PHO and HKN). However, no response is forthcoming (9). After a short silence, Pelin reiterates her proposition pursuing a response from them, and orienting to the delay (10). This reiteration is formulated with a declarative form « başka bişiy yapsak » / « we shall do something else » (10), but still maintains a sense of questioning through her rising intonation. By requesting a confirmation from the other co-participants, Pelin indexes two crucial characteristics for her disaligning proposition. First, Pelin orients to the end of the first posing as the end of doing wedding photos, whereas the photographer is oriented towards initiating another posing under the wedding photo concept. Second, Pelin’s proposals display her understanding of the shooting activity as being a collective endeavour that needs agreement from all parties involved. As such, it contrasts with the photographer’s instructions that mostly take the form of imperatives, displaying his high entitlement to unilaterally initiate and arrange new poses within this activity. It is noteworthy that Pelin’s first proposal to abandon the wedding pose concept (8) and Hakan’s compliance (8) with the photographer’s instruction (6) are produced simultaneously. In this regard, the two clients treat the photographer’s initiation in radically different ways : Pelin disaligns, whereas Hakan readily complies with it. The photographer continues to instruct Hakan and organise his posing (11 and 13) without orienting to Pelin’s proposals. In a similar way, Hakan readily complies with the PHO’s instructions (12 and 13) but does not orient to Pelin’s turns. PHO’s first instruction (11), accompanied by a gentle touch (figure 4), facilitates Hakan’s compliance in line 12 (figure 5), which is then followed by another instruction (13), with which Hakan promptly complies in line 14 (figure 6). This instructional touch (Tulbert & Goodwin, 2011) both facilitates and advances the instructed party’s compliance (cf. Cekaite, 2015, on how haptic control formats are deployed in response to the instructed party’s nonforthcoming compliance). In doing so, both the photographer and Hakan ignore Pelin’s propositions to switch to an alternative pose, and preserve their own interactional engagement. How the participants ignore Pelin’s proposals is remarkable in this extract. Both the photographer and Hakan disattend to her proposals and do not overtly respond to them as they continue to organise the posing together without suspending their orientation. This shows us how interactional asymmetries are locally and situatedly constituted and managed in overlapping embodied participation frameworks within the progressive unfolding of action and activity. Following the closure of the previous pose, the photographer’s immediate orientation towards organising a new pose is tacitly performed without being verbalised. In doing so, the photographer displays an extremely high level of entitlement to conduct the whole activity. He does not even ask whether the clients want to do a new pose. Manifesting such a high degree of entitlement, the photographer exerts full control in the management and organisation of the photomaking activity. In stark contrast, when one client proposes to do a pose with a new

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concept, the other participants do not orient to her. Instead, they continue to align with the photographer`s entitlement to move forward with his own projected posing. In the immediate continuation, Extract 4 shows how the photographer, who is still in the scene together with the clients, manages to pursue his projection of another wedding photo : Extract 4 (immediate continuation of Extract 3) 15 PHO fig 16 17 PLN 18 PHO

fig

19 20 PHO

fig 21 pho 22 PHO

fig

ablacım bak # sis-POSS look-INF look my sis #fig.7 (0.3) ° hmm°= =*§bir # adım* geriden doğru geliyosun # one step back-ABL towards bend-PROG-2S you are bending from one step back *takes one step back* §looks down towards his feet-> #fig.8 #fig.9

7 8 (0.2) *kam*burlaşma*nı*§ *iste#mediğim* çin become hunchbacked-NMLZ-ACC want-NEG-NMLZ-1S since since I don`t want you to become hunchbacked *...*bends fw*,,* *gazes at PLN* ->§ #fig.10 (0.2) * (0.2) *puts his hands on HKN`s shoulders from behind->> abime # şöyle sarı§lıyosun # bro-POSS-DAT like that hug-PROG-2S you are hugging my bro like that §gazes at PLN->> #fig.11 #fig.12

10

11

9

12

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300 23 24 PHO 25 PLN

(0.2) tamam mı= okay Q is it okay =∞tamam∞ okay ∞nods∞

The photographer initiates the arrangement of how Pelin should be positioned in the new pose by producing an affectionate address term to attract her attention (15). Pelin, in response, utters a receipt token at low volume (17), minimally aligning with this. Next, the photographer issues an instruction to Pelin (18), which takes a declarative form. This instruction is related to her bodily positioning in space for the pose. While instructing, he demonstrates where he wants her to place her body in an embodied way. He takes one step back (Figures 7 and 8) and looks down towards his feet (Figure 9), thereby inviting Pelin to direct her gaze in same direction. In doing so, the photographer provides a visual and embodied demonstration of how she needs to position her body in space for the forthcoming pose. The photographer, then, provides an account (20) that has a dual organisational aspect : both retrospective and prospective. It accounts for the previous instruction retrospectively, while at the same time informing, preparing and shaping the next instruction prospectively. This account points to a possible undesired negative outcome if the instruction fails to be followed in an appropriate manner. The photographer provides a demonstration of this possible negative outcome as well, while uttering the account. This embodied demonstration displays how her upper body should not be positioned. Following the demonstration, he momentarily directs his gaze towards Pelin (figure 10), seeking confirmation, but Pelin does not respond to it. Then, the photographer turns from Pelin to Hakan and places his hands on Hakan’s shoulders while issuing further instruction (22) on how to hug Hakan affectionately (Figure 11). This instruction is also formatted with a verb in the declarative form, and the related personal and spatial deictic expressions. Towards the end of this instruction, the photographer turns his gaze towards Pelin again (Figure 12). When his gaze is again not reciprocated, which both displays Pelin’s disaligning stance and indicates her reluctance towards the ongoing instructions, the photographer utters an explicit request for confirmation from Pelin (24). Pelin then confirms and aligns with it both verbally and by nodding (25), though she still maintains her bodily positioning in space, which delays the initiation of her instructed actions. Two issues merit further elaboration. First, as explained above, the instruction in line 18 is accounted for in line 20. This format [instruction plus account] stands in contrast to the instruction format produced in the previous extracts [instruction only]. Interestingly, instructions produced with the [instruction only] format are swiftly met with an embodied granting by clients (see Extract 2 and Extract 3), whereas in this extract, one client, Pelin, does not comply immediately. Second, the request for confirmation (24) also stands in contrast to the other extracts, being oriented towards PLN’s lack of collaboration in the establishment of

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the new pose for the shooting. Pelin, after having proposed to leave the wedding concept, manifests a resistance to the photographer’s project by just standing and not engaging much with his instructions and demonstrations. Therefore, it can be claimed that the new instruction format [instruction plus account] and the subsequent request for confirmation address Pelin’s resistance. Pelin’s lack of compliance can also be accounted for in the ways in which the photographer displays his embodied demonstrations. While providing a series of instructions, each contributing to one another in a stepwise manner towards the progression of the overall activity, the photographer takes up the bodily-spatial positioning of the client and exploits the space she is supposed to occupy. This, on the one hand, enables him to demonstrate how he wants to see her. On the other hand, this also leaves Pelin on the side of the scene, which provides her the opportunity to adopt an observer’s vision, that is, a vision from lateral perspective. Therefore, that the photographer temporarily occupies her space gives her a vision through which she can see the photographer’s embodied demonstrations. It also restricts her from realising this series of demonstrative instructions. Pelin can only realise the instructed and demonstrated actions once she is given her bodily-spatial positioning back in the scene with her partner. This reveals to us that the bodily arrangements that the participants situatedly construct within the temporarily established interactional spaces may transform the consequentiality of the instruction sequences. Engaging in demonstrative instructions with temporarily constituted bodily positionings may suspend the immediacy and relevancy of putting the instructions into practice until the relevant bodily arrangements in the relevant interactional space are resumed again. In this section, we have seen that the second pose is initiated, organised and directed by the photographer. First, he deals with the overall composition of the bodies in space, along with the organisation of the materials (i.e., stool), which will enable the general arrangement of the pose. Then, he specifically attends to the individual clients. Initially, he organises the body of the client who will be sitting on the stool (Extract 3). Afterwards, he goes on adjusting the body of the one who will be standing behind and hugging (Extract 4). To achieve this pose, the photographer instructs and demonstrates the clients on its embodied, spatial and tactile aspects. All these aspects help the clients build their pose as sincere, intimate and affectionate. Constructing a piece of art, a photograph, as a collaborative work and creative endeavour in a professional setting, a photography studio, requires an indexical engagement with delicate details in regard to body, space and touch within the progressive unfolding of action and activity. In the next section, we will see another arrangement of a pose in which the photographer hands the floor to the clients. 4.3 Self-arranging for a creative photo Following several shootings of the second posing, the photographer puts down his camera, indicating the completion of the second shooting :

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Extract 5 1 pho 2 PHO 3 pho 4 PHO 5 pln hkn 6 7 PLN

8 hkn 9 PLN hkn fig

*(0.2) *puts the camera down-> bu da tamamdır this too okay-PRED this is also okay (0.9) * (0.2) ->* aklınızda olan poz varsa çekmeye devam edelim mind-POS-LOC be-NMLZ pose exist-CON take-NML continue-SBJ-1P let`s continue if there are poses in your mind (1.3) ∞ (0.5) ∞ + (1.1) ∞removes hands∞ +stands up and turns back to PLN-> (0.3) aklımızda olan ∞poz var mı mind-POSS-LOC be-NMLZ pose exist-PRS Q are there poses in our mind ∞gazes at HKN-> (0.4)+ ->+ ııııı:: (.) +hıı: # +gazes at PLN-> #fig.13

13 (0.4)∞ pln ->∞ 11 PLN bi de şu + şeylerle çektirelim dedik biz ya one more that things-ADV take-CAU-SBJV-1P say-PST-1P we PRT we said we want to have one more taken with those things hkn ->+ 12 (0.2) 13 PLN [o lav yazısıyla ] it love writing-ADV with it “LOVE” writing 14 HKN [hıh lav yazısıyla] PRT love writing-ADV with “LOVE” writing ((5 lines omitted))3 20 PHO ha:: kullanabilirsiniz PRT use-ABI-PRS-2P ha you can use 10

The photographer puts down his camera and announces the completion of the second posing (2). At this point, he keeps his bodily-spatial positioning without engaging in the establishment of a new interactional space (cf. Extract 3 in which he 3

The omitted part constitutes an insert expansion.

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moves forward after the completion of the posing, and thereby establishes a new interactional space). Instead, he verbally proposes from a distance moving on with the new posing to the clients (4). This proposal is formatted with a conditional sentence, and thus it depends on the willingness of the clients. It reallocates the distribution of the normative rights and obligations between the participants, providing an opportunity for the clients to imagine something new and creative. This stands in contrast to Extract 3, where the photographer, after the completion of the shooting, immediately projects another photo without asking what the clients want, and even disattends to Pelin’s proposal to do another posing with a new arrangement and orientation. After the shooting of the previous posing, both clients relax their rigidly posed bodies ; first Pelin removes her hands from Hakan, and then Hakan gets up from the stool and turns back towards Pelin (5). Pelin transforms the conditional part of the photographer’s proposal into a question concerning both herself and Hakan with the related personal deictic expressions (7). While uttering this insertion sequence, she directs her gaze towards Hakan, who is also turning towards her. When Hakan completes his turning towards Pelin, he gazes at her and a new interactional space is established between the clients (Figure 13). Pelin, then, utters a proposal (11) to do a new posing. By first checking with Hakan through looking at him before producing the actual proposal, Pelin builds it as a couple’s proposal (vs. Extract 3, her unilateral proposal). Furthermore, the syntactic forms Pelin uses in this proposal also reflect this. More specifically, the personal deictic forms (« çektirel-im » the first person plural verb ending, « dedi-k » the first person plural verb ending, « biz » the first person plural pronoun) embedded in the grammatical construction of the proposal (11) allow her to speak on behalf of the couple. This not only helps her to form a party but also reflects the fact that she engages in photos that make relevant their being together and belonging to a couple. Through both clients’ subsequent collaborative engagement in proposing to use the « L-O-V-E » letters (lines 13 and 14), the paired relation between the photographer and clients is slightly modified. This modification of the relational pair is not only initiated by the photographer but also is ratified in his response to the clients’ proposal to use these letters. Thus, this modification is achieved in an interactive manner, with all three participants aligning with it. We now turn to Extract 6 in which the projected modification of the standardised relational pair is implemented : the clients instruct each other to produce a new pose. Here, the pose they concentrate on is something to do with holding the letters of « L-O-V-E ». We join the action as Pelin is already holding the letters « L » and « O », while Hakan is holding « V » and « E » : Extract 6 1 pln 2 PLN 3 HKN

∞(0.6) ∞raises up the letters she is holding-> hani şöyle biraz bir[birimize yaklaşıp what like that a bit each other-DAT get closer-NMLZ [+dur ben yapıyım wait-IMP I do-SBJV-1S wait I shall do +takes one step frwd, turns PLN->

304 4 PLN

5 6 PLN

7 HKN

8 9 HKN pln 10 PLN 11 HKN 12 pln 13 HKN

14 15 PLN hkn 16 17 HKN

18 19 HKN 20 PLN 21 22 PLN hkn 23 HKN hkn pln

Burak S. Tekin şöyle yapsak like that do-COND-1P what if we do like that by getting closer to each other a bit like that [lines 2 and 4] (0.2) ne tarafa ∞gelce[ğini bilmiyorum ama which side-DAT come-NMLZ-3S know-NEG-PROG-1S but I don`t know which side it will come but ->∞ [ters oldu şu an +ters o reverse be-PST-3S now reverse it it became reverse now it is reverse ->+ (0.2) terse çevir onla∞rı= reverse-DAT turn-IMP them turn them reverse ∞reverses letters she holds-> =ter[se çeviriyim tabi reverse-DAT turn-SBJV-1S sure I turn them reverse sure [beyazlar dışarı çıksın white-P out take-IMP-3S let the whites out (1.4)∞ ->∞ şu v- +oyu bana ver that v- O-ACC me give-IMP give me that « O » +extends his left arm and takes « O »-> (0.8) niye+ why why ->+ (0.5) +eyi al sen E-ACC take-IMP you you take « E » +extends “E” to PLN-> (0.7) vole yaz[mıyo muyduk volley write-NEG-PROG Q-PST-1P were not we going to write « VOLE » [le sende L you-LOC « L » is on you (0.3) ha vole yazıcaktık+ biz [+doğğğ∞ruuu::: PRT volley write-FUT-PST-1P we right ah we were going to write “VOLE” right ->+ [+hahah∞ +extends « E » to PLN->> ∞extends r hand->>

By raising up the letters she is holding, Pelin provides a demonstration of the projected pose (2 and 4). Meanwhile, Hakan self-selects and produces an utterance (3) in the [imperative plus subjunctive] format, with the former projecting a suspension of Pelin’s current engagement and the latter offering help to her, which

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treats Pelin as already committed to this line of action and thereby projects her alignment (Wootton, 1997). At the same time, Hakan steps forward by slightly turning towards Pelin, and establishes a new interactional space with her, and thereby establishing a new interactional space. Pelin points at a practical problem about how to arrange the letters in her hands (6), which retrospectively confirms the relevance of Hakan’s offer of help and spatial repositioning (3). In line 7, Hakan also produces an announcement concerning problem, facilitated by his new vision as enabled by the new interactional space. Both Hakan’s alignment towards Pelin`s projected demonstration and her subsequent tacit confirmation of it indicate the clients’ common orientation towards the pose as a shared action (see Extract 5, line 11). Thus, this pose is still organised jointly, but the tasks are asymmetrically distributed between the two clients. Within this new interactional environment, Hakan initiates the instructive actions, directing Pelin in the arrangement of the pose. In this new interactional configuration, Hakan issues an instruction formatted with an imperative (9), and Pelin initiates her embodied compliance with it before Hakan’s instructive turn ends. Interestingly, Pelin formulates her compliance, displaying her alignment with the instruction (10). Slightly after Pelin’s turn, Hakan issues another instruction in the form of an imperative (11), which further elaborates upon his previous instruction in line 9. Before Pelin’s compliance with the instruction is achieved completely, Hakan produces another one (13), concerning the task of holding letters for this pose. Instead of waiting for Pelin’s compliance, Hakan opts to get it himself by extending his arm, but then Pelin questions this (15). Attending to this question, Hakan, in response, further instructs Pelin regarding another action (17) to exchange the two letters, « O » and « E ». When the projected compliance is delayed (18), Hakan provides an account in a negatively formulated question (19). This questioning account embodies a future aspect in the past form, referring to an action planned in the past to be realised in the future. Following that account, Pelin responds to the reminding nature of the questioning account with a change-of-state token (« ha » / « ah », line 22) and a formulation of this previously planned action (22), and subsequently aligns and complies with Hakan’s further embodied extension of the previously instructed item (the « E » letter, in line 17), this time indeed promptly. The ways in which Hakan, as the currently self-selected director for this specific posing, instructs Pelin present different interactional characteristics from the ways in which the professional photographer instructs clients (in Extract 2 and Extract 4) : a) the instructive actions can be further expanded in a complementary way (11), and sometimes initiate a new sequence even before the previous responsive complying action is completely achieved (13) ; b) the previously instructed actions can be repeated in an embodied way, orienting to their not-yetcomplied-with nature (23). Likewise, the ways in which Pelin complies with or resists Hakan’s instructions for this particular posing are distinct from the ways in which the clients comply or resist in response to the photographer’s instructions (in Extract 2 and Extract 4) : a) the responsive complying actions can be accompanied by verbal formulations of the compliance (10) ; b) the projected compliance can be

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delayed (12, 18), manifesting a disaligning stance ; c) instructions can be questioned (15). Though Hakan temporarily takes up the role of director for this pose, he is still treating himself as a featuring member in the pose : in the account he provides (19) he uses the first person plural verb ending, which constitutes this pose as a common project of which he is a part. This is even ratified by Pelin (22) who uses both the first person plural pronoun and its associated verb ending. These choices concerning agency further evidence that this posing is a joint project, relying on collaboration between the clients in their self-arrangement, which blurs the clear distinctions between the instructor and the instructed. The ways in which participants orient to each other show us that certain asymmetric rights and obligations are constructed, modified, shaped and sometimes even muted in a constantly recycled and readjusted fashion throughout the activity. Thus, the specific interactional features pointed here – the emerging bodilyspatial configurations in the embodied participation frameworks, the lexical choices, the formats of the turns and the overall sequential unfolding of the activity – progressively regulate and shape the rights, responsibilities and obligations accorded to the participants, and configure asymmetric relationships within the ongoing course of the activity. These shifting asymmetries may also produce significantly divergent rights, responsibilities and obligations for the participants. This highly reflexive relationship between participation and asymmetry can be consequential to the developing activity, thus configuring the interactional nature of the sequences of actions. Though this pose is self-organised by the clients, when the clients complete its arrangement, they need the collaboration of the photographer to shoot it. Extract 7 shows how the photographer treats this posing, arranged in a self-organised fashion : Extract 7 1 hkn 2 PLN pln 3 pln hkn pho 4 PHO hkn pho fig 5 hkn fig

+(0.6) +takes one step forward and turns towards PHO-> ∞şöyle like that ∞raises up letters she holds-> (0.6) ∞ (1.2) + + (1.7) * (0.3) + ->∞ ->+ +changes letters he holds+ *gestures towards their back-> bi adım +geriye alıyım *sizi+ # one step back-DAT take-SBJV-1S you-ACC let me take you one step back +raises up letters he holds-+ ->* #fig.14 (0.3) + (1.1) + # +moves one step back+ #fig.15

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14

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15

At the beginning of the extract, Hakan initiates his new positioning by taking one step forward towards Pelin, while turning back to the photographer, so as to stand next to Pelin facing the photographer, and thus establishing a new interactional space. Before he completes this spatial repositioning, Pelin raises up the letters she is holding and proposes a demonstration with a single demonstrative deictic expression « şöyle » / « like that » (2), addressed to the photographer. This deictic element both marks their self-arrangement for this pose is over, orienting to Hakan`s ongoing self-arrangement of his body and letters as unproblematic and to be completed, and invites the photographer to initiate the shooting with his professional camera. With this deictic expression, Pelin also displays her aligning stance with the action initiated by herself for this creative posing (see Extract 5, line 11), treating it as not only jointly imagined in the past but also collaboratively built with Hakan in situ. This may account for the distinct organisation, management and treatment of instruction sequences in the arrangement of this pose. That is, Pelin does not treat Hakan as the (temporary) photographer who claims the right to instruct the arrangement of the posing, but rather as a co-participant with whom the posing is organised and prepared in a collaborative way. When Hakan completes the organisation of his own body and the arrangement of the letters he holds for this creative posing, the photographer, who is now engaged again with the clients, issues an instruction in the subjunctive form (4), accompanied by a related gesture, indicating the spatial direction to which the instruction refers. The photographer’s intervention is situatedly triggered and occasioned by both the new interactional space established with the clients and Pelin’s announcement. This instruction, addressed to both clients with the second person plural pronoun (4), is only responded to by Hakan in line 5 (see Figures 14 and 15). The shooting of this photo is completed while Pelin stands in her current position, (in a way) not orienting to the last instruction of the photographer in regard to the arrangement of this posing. This last instruction issued by the photographer to further organise the posing collaboratively proposed and organised by the clients reveals that the photographer is still in charge of the final representation of the posing, having the ultimate right to further direct it. In a similar vein, the embodied compliance displayed by Hakan (5) shows that he submits to the photographer’s photographic expertise, professional vision, and artistic seeing, even if it is a pose that the clients themselves have imagined, designed and arranged.

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5. Concluding remarks Making a photo in a professional photography studio implies navigating among traditional styles, professional visions and personal desires. Accomplishing the desired arrangement for the photo requires a skilful coordination between the photographers and the clients. Therefore, photo-making practices rely on substantial interactional work, and embodied, spatial and temporal adjustments among the participants so as to reach compromises during those navigations. This chapter shows how three different types of photos are achieved by the participants within three different configurations and organisations of action. First, in the arrangement for a « wedding photo », instructions are characterised by the photographer’s entitlement to direct the pose. This is displayed by the format of his instructions, mainly imperatives, and by the clients’ recognition of his professional identity while readily complying with these instructions. Second, the organisation of a delicate photo is instrumental in suggesting how a disaligning stance of one client is managed among participants. The photographer, while demonstrating this delicate positioning, orients to her disaligning stance by formatting his instructions with accounts. Third, the two clients engage in arranging a creative pose themselves. The sequential organisation of the instruction sequences through which one client instructs another has features distinct from those sequences in which the photographer instructs the clients (such as, instructions can be repeated in embodied ways, instructions can be questioned, instructed actions can be delayed). This shows us that the clients treat the pose as their joint and collaborative project, and orient to one another correspondingly. Tightly attuned to the progressive activity at hand, the interactional design and format of instruction sequences in photographer-client interactions are organised, coordinated and embodied in finely tuned ways, being sensitive to the spatial dynamics and configurations of participation frameworks. Instructions in photographic practices are situated accomplishments, with specific regard to their local contingencies. In the first pose, the photographer uses more imperative formats indexing his high entitlement to direct the pose. In the second one, he formats his instructions with declaratives, orienting to Pelin’s disaligning stance. In the third one, when Hakan instructs, he uses imperatives too, which displays his treatment of the recipient as already committed to this line of action. But, the ways in which he utters them are oriented towards whether and how Pelin complies with. Along the same lines, the ways the compliance is achieved are closely linked to the local contingencies. In the first pose, clients often comply in an embodied way, indexing their recognition of the photographer’s entitlement. In the second one, Pelin adopts a disaligning stance and displays her resistance towards the pose being arranged. In the last one, Pelin produces questions and delays her compliance with Hakan’s instructions, thereby not treating him as having high entitlement ; moreover, when she complies, she formulates what she is doing, thereby displaying her high contingency. These crucial changes in the formatting of actions index significant modifications regarding how the participants constitute and renegotiate the asymmetric relations. It could be further noted that the deployment of such various

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instruction formats in Turkish talk-in-interaction seems to converge with what these formats interactionally do in other languages (see Drew & Couper-Kuhlen, 2014). Participants, in orchestrating actions, regulate their asymmetrical positions in situ. The asymmetries are in a constant state of flux during the activity ; some are emerging, some disappearing, and others are being refreshed in continuously negotiated ways among the participants. Correspondingly, the asymmetric distributions of what participants are allowed to do and what they have to do are managed and modified. The rights and obligations provided to participants in situ are neither preassigned nor fixed to them once and for all, but rather they are endogenously constituted and negotiated as the interaction unfolds through the temporal, spatial and material details. These interactionally relevant rights and obligations are enabled, modified, shaped and transformed, conforming to the embodied participation frameworks and spatial configurations. 6. Acknowledgements This work has been financially supported by Hermann-Paul School of Linguistics, University of Basel. I am immensely grateful to the editors, Lorenza Mondada and Sara Keel, for tirelessly providing detailed and insightful comments on the evolving versions of this paper. 7. References Amerine, R., & Bilmes, J. (1988). Following instructions. Human Studies, 11, 327– 339. Broth, M., & Mondada, L. (2013). Walking away: The embodied achievement of activity closings in mobile interaction. Journal of Pragmatics, 47, 41-58. Cekaite, A. (2010). Shepherding the child: Embodied directive sequences in parentchild interactions. Text & Talk, 30 (1), 1-25. Cekaite, A. (2015). The coordination of talk and touch in adults’ directives to children: Touch and social control. Research on Language and Social Interaction, 48 (2), 152-175. Collier, J., & Collier, M. (1986). Visual Anthropology. Photography as a Research Method. Albuquerque: University of New Mexico Press. Craven, A., & Potter, J. (2010). Directives: Entitlement and contingency in action. Discourse Studies, 12 (4), 419-442. Curl, T. S., & Drew, P. (2008). Contingency an Action: A comparison of two forms of requesting. Research on Language and Social Interaction, 41 (2), 129-153. De Stefani, E., & Gazin, A. (2014). Instructional sequences in driving lessons : Mobile participants and the temporal and sequential organization of actions. Journal of Pragmatics, 65, 63-79.

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8. Glossing Abbreviations ABL

ablative

ACC

accusative

ADV

adverbial

CAU

causative

COND

conditional

DAT

dative

FUT

future

IMP

imperative

LOC

locative

NEG

negative

NMLZ

nominalization

P

plural

PRT

particle

POSS

possession

PRED

predicative

PROG

progressive

PRS

present

PST

past

Q

question

S

singular

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subjunctive

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first person

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