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Nommer les Dieux Théonymes, épithètes, épiclèses dans l’Antiquité
RECHERCHES SUR LES RHÉTORIQUES RELIGIEUSES
Collection dirigée par Gérard FREYBURGER et Laurent PERNOT
VOLUMES PARUS 1 Bibliographie analytique de la prière grecque et romaine (1898-1998), par les membres du C.A.R.R.A., sous la direction de Gérard FREYBURGER et Laurent PERNOT. 2 Corpus de prières grecques et romaines. Textes réunis, traduits et commentés, par Frédéric CHAPOT et Bernard LAUROT. 3 «Anima mea». Prières privées et textes de dévotion du Moyen Age latin, par Jean-François COTTIER. 4 Rhétorique, poétique, spiritualité. La technique épique de Corippe dans la «Johannide», par Vincent ZARINI.
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PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES
RECHERCHES SUR LES RHÉTORIQUES RELIGIEUSES
Collection dirigée par Gérard FREYBURGER et Laurent PERNOT
5 Nommer les Dieux Théonymes, épithètes, épiclèses dans l’Antiquité
Textes réunis et édités par Nicole BELAYCHE, Pierre BRULÉ, Gérard FREYBURGER, Yves LEHMANN, Laurent PERNOT, Francis PROST
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PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES
© 2005
F H G, Turnhout, Belgium.
All rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2005/0095/56 ISBN 2-503-51686-6 Printed in the E.U. on acid-free paper
COMMENT DIRE LE DIVIN? Plus que de se demander comment s’appelle le dieu et pourquoi on le nomme ainsi, c’est la question du sens que prend l’acte lui-même de nommer le(s) dieu(x) dans les religions antiques qui nous importe aujourd’hui. Mais, même posée ainsi, la question de la nomination de(s) dieu(x) n’est pas neuve. Pour nous rappeler à un peu de modestie, il n’est que de lire ou relire les Götternamen d’Hermann Usener (1896), auxquels J. Scheid et J. Svenbro consacrent ici une étude. Cependant on ne cesse de polir de nouveaux concepts pour de nouvelles questions et puis il faut aussi tenir compte des nouveaux documents. C’est ainsi que, depuis Usener, depuis le répertoire des Beinamen de Preller-Robert, grâce au considérable apport de l’épigraphie, la documentation sur les épiclèses divines a plus que doublé. Ce doublement doit s’entendre aussi bien en quantité qu’en qualité, en nombre brut d’épiclèses et en nombre d’épiclèses nouvelles. Or, si un exemplaire de plus d’un Zeus Sôter ou d’une Artémis Ephésia n’apporte pas grand chose au plan théologique – le paysage divin des épiclèses de Zeus et d’Artémis –, il n’en va pas de même de la découverte d’une Artémis Blaganitis. S’agissant des questions à poser, nous nous demandons moins qu’autrefois si la forme (ou l’«entité» divine) à laquelle renvoie l’épiclèse est celle d’une divinité ayant joui d’une autonomie en un temps indéterminé (dit souvent «primitif», mais le polythéisme vit), par exemple une autonomie cultuelle (Usener avait à bon droit – et clairement – établi le lien entre épiclèse et rite), puis si cette divinité aurait été absorbée par une divinité «plus grosse» pour n’apparaître aux temps historiques que comme un de ses éléments constituants. Si l’on remplace ce point de vue «génétique» par un point de vue plus attentif à la structure à l’instant t, reste la question des accointances particulières entre les diverses épiclèses constitutives d’un certain paysage divin et la divinité ainsi constituée. Le fait d’appeler Zeus Zeus, ou Artémis Artémis, cet usage du nom générique, du nom panhellénique, celui qui apparaît dans les mythes, qui n’est pas celui du rituel, ne correspond pas, en Grèce, à l’usage épichorique et/ou circonstanciel. Dans le contexte polythéiste au moins, la première étape du processus cultuel est celle de l’individuation, qui conduit jusqu’à l’oralisation par la prière, puis au choix du hiereion spécifique pour le sacrifice. Elle constitue le substrat à défaut duquel toute communication entre hommes et dieux se révèle impossible. Il entre bien sûr dans cette remarque une part de reconstruction fort théorique qui correspond mal, certes, à l’expérience religieuse la plus habituelle, laquelle franchit, sans conscience de sa fulgurance, les étapes que la logique reconstitue a posteriori. Le fidèle pense en même temps la protection de la cité, Athéna dans son être-au-monde, et, parmi toutes les Athéna, la Polias, parce que c’est sa «spécialité», et les vaches comme hiereion, parce que c’est elles qu’elle «préfère». On peut considérer comme un axiome (que vérifie, me semble-t-il, en tout lieu l’homo religiosus antique, qu’il honore un dieu unique ou un nombre indéfini de dieux), 5
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que l’acte de dévotion ne saurait se concevoir sans identification du divin en direction duquel il tend. Le fait qu’il existe des dieux sans nom, des dieux inconnus même, ne constitue pas une exception à cette règle, puisque, précisément, on peut les appeler les Sans-nom. Quant aux caractéristiques liturgiques qui règlent cette communication, elles dépendent aussi de cette identification: gestes et paroles adressés à Apollon n’équivalent pas à ceux adressés à Zeus. Gestes et paroles que, pour parler comme des fidèles, ces entités demandent, exigent, pour entendre les hommes. Si la question n’est pas neuve, c’est une question à éclipse. Une éclipse durable, puisque entre Usener et le renouveau de la fin du XXe siècle, on ne trouve à citer que les travaux étymologiques (il est vrai que cela n’est pas rien) et l’article de M. Sulzberger1. Pourtant, et le stock onomastique, et le système nominal, et l’étymologie – qu’on en considère le versant linguistique et philologique ou le versant «populaire2 » –, et la valeur du nom, et l’histoire de la nomination et les raisons du choix du nom, et ce qu’il faut bien appeler un système de nomination ou, au moins, des règles communes, tout cela, dira-t-on, ne va pas de soi. Les questions que la critique moderne a posées, à la fois au mythe et au polythéisme, ont radicalement modifié les points de vue sous lesquels on examinait le nom et la nomination des dieux et regrouper les principaux travaux de nos contemporains, revient à emprunter deux axes: 1 – celui de la question des rapports du récit mythique avec le nom; 2 – celui de la nécessité, pour le fidèle, d’identifier le divin, de le discriminer, de le nommer. Sans en être l’apanage, on dira que ce dernier souci est spécialement ressenti dans le polythéisme. Si l’on admet aisément que l’individuation divine constitue une nécessité cultuelle (tel medium pour telle divinité), la multiplicité des situations humaines d’une part et l’extrême fractionnement politique qui donne naissance à la plus grande variété des panthéons (pour ne parler que de ces deux grands facteurs « multiplicatifs») d’autre part, génèrent l’absolue nécessité de l’usage d’un «nom propre, irréductible», comme l’écrit Ph. Borgeaud3.
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«Onoma epônumon. Les noms propres chez Homère et dans la mythologie grecque», Revue des études grecques, 39, 1926, p. 381-447. Et E. Fränkel, Paulys Real-Encyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, XVI, 1935, s. u. «Namenwesen», col. 1611-1670; il y aurait aussi à ajouter A. Carnoy, mal en cour auprès des linguistes. 2 On verra à ce propos, d’une façon générale, M. Salvadore, Il nome, la persona. Saggio sull’etimologia antica, Gênes, 1983 et le point de vue exprimé par E. D. Francis, «Virtue, Folly and Greek Etymology», dans C. A. Rubino, C. W. Shelmerdine (éds.), Approaches to Homer, Austin, 1983, p. 74-121; enfin, ici, la communication de G. Pironti. 3 Dans «Manières grecques de nommer les dieux», Colloquium Helveticum (Cahiers suisses de littérature comparée 23), Berne, 1996, p. 22. Dans une perspective similaire: Fr. Graf, «Namen von Göttern im klassischen Altertum», in Namenforschung. Ein internationales Handbuch zur Onomastik / Name Studies. An International Handbook of Onomastics / Les noms propres. Manuel international d’onomastique, II, Berlin, 1996, p. 1823-1837; B. Gladigow, «Gottesnamen (Gottesepitheta) I», Reallexicon für Antike und Christentum, 11, Stuttgart, 1981, p. 1202-1237. J’ai moi-même tenté de montrer le côté systématique et normatif du système de la double désignation (nom générique + épiclèse), en essayant ensuite d’examiner de quelles façons une enquête sur les épiclèses peut nourrir de nouvelles approches sur le fonctionnement du polythéisme: P. Brulé, «Le langage des épiclèses dans le polythéisme hellénique», Kernos, 11, 1998, p. 13-34.
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Parallèlement, la relecture de la catégorie du mythe a remis le nom «mythologique» sur le devant de la scène. Jusqu’à se demander si, comme je l’écrivais à propos du cas d’Erichthonios, ce nom ne préexiste pas à tout ou partie des histoires où il figure4. Tout nom parlant «raconte», dès lors qu’on le fait parler, et les noms grecs, dans la possibilité qu’ils offrent de les «démonter» pour en faire jouer entre eux les composants, fournissent autant de tremplins à l’imaginaire narratif5. A condition, bien sûr, de préférer la lecture analytique à la lecture globale telle qu’Aristote la pratique dans sa Poétique: «Le nom est une voix (phônê) composée signifiante… dont aucune partie n’est, par elle-même, signifiante; en effet, dans les noms doubles (diploi), nous n’employons pas chaque partie selon ce qu’elle signifie, comme, par exemple, dans Théodôros où le dôron ne signifie pas» (1457 a 10). Le Strepsiade des Nuées n’est pas de cet avis. Dans le différend qui l’oppose à sa femme, nièce de Mégaclès fils de Mégaclès, à propos du choix du nom de leur fils, il bataille contre le cheval qu’elle a proposé d’y mettre, il tient pour l’avare. Si, bien sûr, on ne s’attend pas à voir roux tous les Roux ou les Le Roux, la scène ne prête à rire que si l’on donne sens au sens. Bien sûr, tel descendant de telle famille autrefois illustre peut porter un nom dont la raison d’être à disparu: les Mégaclès peuvent choir, puisqu’on ne fait pas que choisir le nom, on le reproduit aussi. Contre la lecture symbolique du nom, il y a deux fortes oppositions, celle des onomasticiens historiens, pour qui Démosthène n’est qu’un son et non un sens, et l’Aristote de la Poétique6. La lecture globale d’Aristote «noie» dôron dans Théodoros. Il refuse son autonomie. Soit. Pourtant, on mesurera en partie la fragilité de cette condamnation aristotélicienne à l’avis opposé de Platon qui plaide dans le Cratyle pour «l’éponymie du nom»7.
4 La fille d’Athènes, p. 21s. Les deux «versions» du mythe de la pseudo-fécondation d’Athéna, celle qui évoque la lutte (eris) de la déesse pour échapper à l’assaut d’Héphaïstos et qui explique que c’est ainsi que s’appelle l’enfant, Erichthonios, parce que «les Grecs appellent eris ‘la dispute’ et chthôn ‘la terre’» (ainsi, entre autres, Euripide cité par Eratosthène, Catast., 13 et Amélésagoras, FgrHist. 330 F 1), et celle qui évoque le sperme du dieu sur la cuisse de la parthenos et la façon dont elle se nettoie à l’aide d’un flocon de laine, expliquant que c’est la raison pour laquelle l’enfant s’appelle Erichthonios, parce que son nom dérive d’erios ‘laine’ et de chthôn ‘terre’ (entre autres, Apollodore, Bibl., III 14, 6), ces deux versions n’ont de raison d’être que de fournir une explication rationnelle du nom. Il faut donc croire que le nom – un nom inexpliqué, et pourtant clair – préexiste au récit. 5 Sur ce thème du nom comme « micro-récit », on se réfèrera de façon générale à E. Cassirer, Langage et mythe. A propos des noms de dieux, tr. fr., Paris, 1973 et à Cl. Calame, «Récits et anthroponymes: noms de Laconiennes en figures de rhétorique», dans Le récit en Grèce ancienne, Paris, 1986, p. 153-161. On peut même aller, avec N. Loraux, «Poluneikes Epônumos: les noms des fils d’Œdipe, entre épopée et tragédie», dans C. Calame (éd.), Métamorphoses du mythe en Grèce ancienne, Genève, 1988, p. 151-166, jusqu’à soutenir que le nom suffit à déclencher le processus narratif. Le nom d’Ajax sert à J. Svenbro pour développer une conception analogue : « AIAI. The Myth of Inscribed Flower » (communication au Colloque «Image and Word», Université de Lund, oct. 1999). 6 J. Molino, «Le nom propre dans la langue», Langages, 66, 1982, p. 5-20. 7 S. Benardete, «Physics and tragedy: on Plato’s Cratylus», Ancient Philosophy, 4, 1981, p. 148-196.
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Nombre d’histoires, de mythes, ne se comprennent que par, ou avec, ou à cause du nom du héros. Voir Libuê, Europê, Kyrênê. Voir Oidipous. Le Platon du Cratyle s’amuse avec l’éponymie du nom: retrouver, dans la masse sonore de l’énoncé des onomata, par une réélaboration, le moindre sens caché. Il y a aussi le nom caché, celui dont on veut oublier le sens. La femme de Méléagre s’appelle Cléopâtre, mais ses parents l’appellent Alkuonê (les souffrances de sa mère sont analogues à celles de l’alcyon). On ajoutera comme parfait epônumon onoma le nom d’Ajax Aiai : « Hélas »8. Je ne laisserai pas de côté, évidemment, Achille et ce que l’Iliade doit à ce nom, et nous à Nagy9. Il existe pourtant une différence énonciative entre Cléopâtre-Alkuonê et « Celui qui fait souffrir le laos ». La première éponymie est explicite : Homère l’explique, et l’explication souvent tire ses arguments du passé (des ascendants, ou des circonstances qui précèdent la nomination: le héros s’appelle ainsi parce que…), alors que jamais le texte n’évoque le rapport entre le nom du meilleur des Achéens et l’histoire (comme on procède souvent, par une incise, dans l’autre cas), mais cela ne signifie pas que l’éponymie soit alors moins efficace, moins riche. Monothéismes et polythéismes L’enfant revenant de son cours de sixième le sait déjà, il est deux façons d’évoquer le surnaturel lorsqu’on l’isole: une manière singulière et une manière plurielle. On lui a exposé l’opposition entre les façons de faire et de penser des Egyptiens et des Hébreux. Il pourra toujours, lorsqu’il sera plus savant, rapprocher plus qu’il ne l’imaginait ces deux conceptions apparemment aussi radicalement opposées que peuvent l’être deux nombres relatifs de même valeur absolue, et citer à l’appui la fameuse boutade métaphysique du brahmane Yajnavalka illustrant ce qu’emprunte à l’autre l’une des conceptions. A la question: mais, enfin, combien y a-t-il de dieux (vous qui savez)?, après avoir répondu «3003 et 303», alors qu’on le presse encore de le dire vraiment, il concède successivement: «33», puis «3», puis «2», puis «un et demi» (!), pour conclure qu’il y a un dieu. Les tendances parallèles à l’unicité et à la multiplicité, saints, marabouts et diable même, d’un côté, les usages de theion et de theos de l’autre (sans parler des déclarations de l’unicité divine chez certaines sectes, comme les Stoïciens10) évoluent dans un double mouvement en miroir. Dans un séminaire de DEA organisé naguère à Rennes, Françoise Dunand avait justement insisté sur des formes propres à certaines cultures comme celle de l’Egypte, formes délaissées par les exégètes, des architectures de l’imaginaire divin où ces deux notions ne s’opposent pas. Il n’en reste pas moins que pour ce qui nous intéresse dans le présent volume, c’est-à-dire pour ce qui est du rapport entre le «qui nomme-t-on?» (le ou un D(d)ieu)
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Voir J. Svenbro cité à la note 5. G. Nagy, Le meilleur des Achéens, trad. J. Carlier et N. Loraux, Paris, 1994 (1ère éd. 1979). Voir aussi C. Ramnoux, «De la légende à la sagesse à travers les jeux de mots», dans Il mito greco, B. Gentili et G. Paioni (éds.), Rome, 1977, p. 193-205. 10 «Il n’y a qu’un seul dieu» dit Chrysippe. Voir J. von Arnim, Stoïcorum ueterum fragmenta, fr. 1076, repris en milieu romain par Cicéron, De natura deorum, 1, 34. 9
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et le «comment le nomme-t-on?», la différence entre les monothéismes et les polythéismes est le plus souvent de taille. On le vérifiera tout au long de ces pages. S’agissant de Nommer les dieux, l’opposition (au moins la comparaison), itérative au point d’être banale, entre les monothéistes et les polythéistes retrouve un intérêt. Enfonçons donc une porte ouverte : en effet, « Dieu » suffit aux premiers pour exprimer le divin, en cristalliser la pensée et pour l’interpeller, ce qui a évidemment pour conséquence théorique de supprimer le stade du choix. Néanmoins, les religions monothéistes connaissent de ces classes d’intermédiaires divins, au sein desquels il est loisible aux fidèles de choisir un ou des intercesseur(s) pour s’adresser à la surnature. La prière qu’adressait ma chrétienne grand-mère à sainte Apolline pour guérir ma mère de ses maux de dents se situe dans ce même processus de segmentation, de spécialisation du sacré qui ne peut rester opératoire, pour répondre à la demande de protection des hommes, que par la reconnaissance commune du fait que les douleurs dentaires relèvent de sainte Apolline et vice versa. Chez les polythéistes, le nom du dieu, ou, plutôt, de ce dieu, bien que tout aussi indispensable pour établir la communication, en exprimer la puissance et la spécialité et annoncer le mode spécifique de communication qu’il sous-entend, ce nom et cette nomination, en raison directe de la polyonymie divine et héroïque, à laquelle s’ajoute le facteur démultiplicateur de la polyonymie secondaire des entités divines singulières par l’application du système épiclétique11, impliquent qu’individus et communautés aient opéré, en fonction de leurs besoins et de leur particulière représentation mentale de ce divin ainsi fractionné, un tri, un choix, une identification. Ce substrat minimum de la communication dont j’ai parlé plus haut. Tel dieu pour tel mode d’intervention, et, entre tant de «spécialisations», ce dieu-ci, assorti de cette épiclèse-ci12. Créations humaines, le ou les dieu(x) s’intègrent – on dira «normalement» – dans le langage. Les faits grammaticaux, comme les faits linguistiques en général, en dépassant leur signification propre rendent compte souvent de traits de conception et de croyance. Ainsi en va-t-il des substituts langagiers: Pallas, Tritogénie, le Tueur d’Argos… Dans une culture donnée, l’usage particulier qui est fait du théonyme répond à un code intériorisé. C’est ainsi que lorsque Aristophane fait apostropher Artémis par le chœur des Femmes aux Thesmophories (320-321), il le fait par prétérition. Il la désigne par une expression qui n’est pas sans autres exemples: «Celle qui a de nombreux noms». C’est bien un code, reposant sur un savoir commun et non explicite au sein d’une culture, qui permet aux spectateurs de résoudre l’équation: la polyonyme, c’est Artémis. Ce trait est d’usage général, comme celui des épithètes consacrées employées comme nom (l’Eternel). L’Apollon de Delphes en fournit un exemple intéressant. Les textes littéraires ou épigraphiques qui content le mythe étiologique d’un rituel, lorsqu’il s’agit de désigner la divinité qui répond aux angoisses humaines, ne disent pas «Apollon», mais ho theos. Faut-il comprendre que le divin delphique ne
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Je me permets de renvoyer à ma communication au colloque du CIERGA de mai 1997 (Liège) sur Les panthéons des cités. Origines et développements, citée supra, n. 3. 12 Lors du colloque rennais, Jean-Pierre Vernant a plusieurs fois souligné la parenté entre nom et image des dieux, que ce soit pour leurs significations ou pour les processus mentaux mis en œuvre.
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saurait être confondu avec aucun autre, ce qui renvoie à Apollon? Faut-il comprendre que le divin delphique se place sur un autre plan que celui de l’individuation et atteint au theion (sorte de neutre pur de toute préoccupation de genre)? Plus profondément encore, prononcera-t-on – et comment – le nom de Dieu ou des dieux? D’une façon générale, on peut, sur ces façons de dire, opposer de nouveau les monothéismes, qui disent «Dieu» (on le sait, toujours au masculin), aux polythéismes, qui connaissent à la fois des façons très unifiées de désigner le divin – oi theoi (les dieux), mais aussi theos (un certain dieu) ou ho theos (le dieu) – et des façons plus ou moins spécifiques – comme le duel pour Déméter et Coré, des singuliers, féminins comme masculins13. Point, en Grèce ni à Rome, de valeur hyperbolique attachée au nom lui-même. Point de «Tu ne prononceras le nom de Dieu qu’avec respect» (ce qu’il faudrait dire en y mettant la majuscule de l’écrit). Là, le nom est chant et totalité : « Allah il’Allah, Mohamed rassul Allah ! » Et ce nom est d’une telle puissance qu’il englobe tout ce qu’on peut en dire; alors, pour éviter la tautologie, on use des démonstratifs, il est «Celui qui est». La crainte et le caractère superlatif, absolu, du dieu unique me semblent deux raisons des différences de traitement du nom dans les deux groupes de religions. Certes, il existe dans les panthéons polythéistes des divinités dont le caractère oblige à se protéger contre leur néfaste influence. Elles sont bien circonscrites, pour ce qui est de leur forme anthropomorphisée, moins pour tout ce qui touche à la mort et au rapport à la souillure. Mais, dans ces conceptions peu touchées par le dualisme, sans comptabilité eschatologique entre bien et mal, le dieu et son action paraissent, dans l’ensemble, plutôt bienveillants, et l’homme ne vit pas dans la crainte permanente de l’action vengeresse ou punitive du divin. L’autre raison de l’absence du caractère tabou du nom des dieux, c’est, précisément, qu’il ne s’agit pas d’un monothéisme. Les dieux des polythéismes sont plus grands, plus beaux, très forts, séduisants, ils courent vite. Ils ne sont pas infiniment tout cela ni autre chose, alors que Dieu surpasse tant l’humain qu’il devient même inconnaissable, inouï. Cette transcendance même circonscrit les paroles à l’impuissance humaine, car comment dire Dieu? * La nomination, c’est précisément l’axe de recherche principal que s’était fixé notre laboratoire de Rennes, le Crescam. Et, au sein de notre équipe, nous avions résolu depuis sa création de consacrer un colloque aux aspects généraux – humains - de l’onomastique14 et un autre aux aspects religieux. Le nom d’un dieu peut-il n’être
13 Sur ces façons de dire, qui sont façons de concevoir, on verra, d’une façon générale, les pages d’U. von Wilamowitz-Moellendorff, Der Glaube der Hellenen, Bâle, 1956 [1931], p. 20 sq., et celles de N. Loraux sur les usages du masculin et du féminin: «Qu’est-ce qu’une déesse?», dans G. Duby et M. Perrot (éds.), Histoire des Femmes, 1 – L’Antiquité sous la dir. de P. Schmitt-Pantel, Paris, 1991, p. 34-41. 14 Ce colloque, Nommer les hommes. Onomastique et histoire dans l’Antiquité classique, s’est tenu à l’Ecole Française d’Athènes du 19 au 21 décembre 2002. Les Actes en seront publiés par J. Oulhen aux Presses Universitaires de Rennes.
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qu’une étiquette? Appeler (au secours), chanter (pour louer), citer (en compagnie des autres), prendre à témoin (comme garantie), tout cela suppose ce fameux acte d’identification, une reconnaissance, au sein d’un processus plus complexe qu’il n’y paraît d’emblée. Le fait que cette identification soit commune (et communautaire) attire l’attention vers cette autre exigence méthodologique, qui veut qu’au delà du signifié «entité divine», on n’oublie pas l’acte de langage et son contexte inclus dans l’usage du nom, ce qui revient à s’intéresser à sa dimension sociale. Voilà, un peu plus développé, ce que j’avais pu dire en introduction au colloque de Rennes en novembre 2001. Mais il y a quelque distance du programme du Crescam et des propos d’alors au volume qu’on tient maintenant ouvert. En effet, que ce volume d’Actes voie le jour sous la forme qui est la sienne aujourd’hui n’est pas le résultat d’une procédure habituelle: il est celui d’une rencontre fortuite – une coïncidence – puis d’un travail mené en commun. Etonnement, stupeur, quand on apprit à Strasbourg et à Rennes qu’à Rennes et à Strasbourg se déroulaient, à un mois d’intervalle, deux rencontres sur les noms divins, deux rencontres Nommer les dieux ! La strasbourgeoise, sous l’égide du CARRA, spécialement préparée par Gérard Freyburger, Yves Lehmann et Laurent Pernot, plus «littéraire», la rennaise par Nicole Belayche et moi-même, plus «historienne». Nous n’avons découvert le doublon que fort tard par rapport aux délais d’organisation de tels colloques, et les machines étaient déjà sur les rails. Mais d’une coïncidence apparemment inopportune jaillit un bien. Laurent Pernot et son équipe eurent en effet l’amabilité d’inviter les Rennais à venir suivre les travaux strasbourgeois. Et Nicole Belayche fut notre ambassadrice. Il était prévu que la réciprocité serait de règle, et Laurent Pernot fut accueilli avec plaisir au colloque de Rennes. Ce fut enfin dans la ligne de ces excellentes relations qu’il nous proposa au nom de ses collègues une publication commune de tous nos travaux. La réponse allait de soi, et vous tenez en main l’aboutissement, qui résulte aussi d’une entente entre les Presses Universitaires de Rennes et Brepols Publishers. La charge éditoriale d’un tel livre dépasse aussi le cadre habituel, en raison de son ampleur, mais également parce que nous avons souhaité mêler les contributions des deux colloques en les regroupant de façon thématique. Il fallait ordonner et introduire ces thèmes. Nicole Belayche et Francis Prost sont les auteurs de ces présentations. Enfin, symétriquement à ce texte d’introduction, Laurent Pernot offre in fine son regard réflexif sur l’ensemble de l’entreprise et sur ses résultats.
Pierre BRULÉ CRESCAM – Université Rennes 2
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REMERCIEMENTS Les recherches ici présentées ont été conduites dans le cadre du Centre de Recherche et d’Etude des Sociétés et Cultures Antiques de la Méditerranée (CRESCAM) de Rennes, du Centre d’Analyse des Rhétoriques Religieuses de l’Antiquité (CARRA) de Strasbourg et du Dipartimento di Filologia Classica «F. Arnaldi » de Naples. Les éditeurs du volume remercient, pour leur soutien administratif et financier, à Rennes, le Ministère des Affaires Etrangères, le Conseil Général d’Ille-et-Vilaine, Rennes Métropole, le Conseil Scientifique de l’Université Rennes 2, le CRESCAM; à Strasbourg, la Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme – Alsace (MISHA), le Conseil Scientifique, l’UFR des Lettres et le Service des Relations Internationales de l’Université Marc Bloch – Strasbourg II, le CARRA ; à Naples, le Dipartimento «F. Arnaldi», la Facoltà di Lettere e Filosofia et l’Ufficio Programmi Internazionali de l’Università Federico II. Il convient de remercier aussi le GDR 2135 du CNRS «Textes pour l’Histoire de l’Antiquité Tardive», dirigé par Fr. Thélamon, qui a généreusement soutenu l’échange entre Rennais et Strasbourgeois. Le Professeur Luigi Spina a assuré la coordination des contributions napolitaines. Qu’il en soit très vivement et amicalement remercié. Mme Marie-José Morant, Ingénieur d’études au CNRS, a effectué la préparation du manuscrit avec une haute compétence technique et bibliographique et ce livre lui doit beaucoup. Laetitia Bernadet, doctorante au Centre Glotz (UMR 8585), et Gabriella Pironti, doctorante au Centre Gernet (UMR 8567), pour les articles en italien, ont assumé gracieusement la tâche ardue et indispensable de la confection des indices. Qu’elles en soient ici remerciées.
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PREMIÈRE PARTIE PENSER ET ÉCRIRE LE NOM
INTRODUCTION Il faut partir du Cratyle. Depuis Platon, en effet, on sait que les mots parlent, pour peu qu’on entende ce qu’ils disent. Et on connaît le débat entre Hermogène et Cratyle à propos de l’acte de nommer: selon le premier, la justesse d’un mot dépend d’un accord ou d’une simple convention entre les hommes, artificiellement admise, quand, pour le second, c’est la nature elle-même de l’objet qui dicte son exacte dénomination. Sans entrer plus avant dans les termes de ce débat, où l’on voit Socrate promoteur tantôt de la thèse conventionnaliste, tantôt de la thèse naturaliste (et non, comme voudraient le faire croire les philosophes trop soucieux de cohérence logique, unique défenseur de la thèse conventionnaliste, voir G. Genette, Mimologiques, Paris, 1976, p. 11-40), il est à souligner que la philosophie grecque s’est penchée tôt sur le phénomène de la nomination, plus exactement sur la pertinence (le sous-titre du dialogue platonicien est précisément Peri; ojnomavtwn ojrqovthto") des relations entre le signifiant et le signifié dans le mode de désignation d’un objet. Cette pertinence se mesure au degré de motivation – comme disent les linguistes à la suite de Saussure – que le mot entretient avec l’idée de la chose à laquelle il se rapporte. Mais lorsque, des noms communs, on passe aux noms propres, le problème prend un tour autrement plus profond. Le nom propre n’a pas de signification («Hermogène» ne veut rien dire en soi): il sert uniquement à désigner l’individu qui le porte. Mais – et ce dès les premiers échanges du Cratyle – se pose le problème de savoir pourquoi Hermogène s’appelle Hermogène, c’est-à-dire de savoir si ce nom convient à l’individu qu’il désigne et a été correctement choisi pour cet individu précis. Le nom propre n’entretiendrait-il pas un rapport de connivence avec la personne qu’il nomme, une relation mimétique qui révèlerait sa personnalité, son être? Question autrement formulée: bien que dépourvu de signification a priori, faut-il pour autant réduire un nom à un simple processus de désignation? Et si, pour répondre, Socrate et Cratyle commencent par se moquer d’Hermogène, lui qui, sans le sou, porte bien mal son nom («de la race d’Hermès», dieu de la richesse), les trois philosophes nourrissent le débat en appuyant leurs arguments sur des exemples divins – dieux ou héros –: Agamemnon est ajgasto;" ejpimonh'/, «admirable de persévérance»; Dionysos est didou;" oi\non, «le donneur de vin»; Pélops est pevla" o[yi", etc. Ainsi, le nom propre ne se limite pas à identifier un homme ou un dieu, il recèle une véritable signification qui vient lui donner du sens et qui, tel un surnom, exprime un supplément d’information sur sa nature profonde. L’historien, bien sûr, ne retient plus rien ou presque du fourbi «étymologique» de la démonstration. Que dire en effet de la célèbre «étymologie» du nom de Zeus, dieu par qui (diÉ ˘n) il est donné de vivre (zh'n), sinon que: 1) ce n’est évidemment en rien une étymologie linguistique et Socrate n’a jamais prétendu donner rien de tel; et que 2) – aspect bien plus passionnant – c’est une définition contenue dans le nom, ce qui implique que le nom définit, donc fait le dieu. L’acquis fondamental ici est moins le contenu des noms qu’un point de méthode: même la nomination des hommes et 17
PREMIÈRE PARTIE: PENSER ET ÉCRIRE LE NOM
des dieux répond à un système, en ce qu’il existe une nécessité intrinsèque du nom propre dont l’histoire, l’usage, les accommodements n’ont pas entièrement effacé la trace. C’est pour les dieux que cette idée féconde a trouvé le plus d’échos, peut-être parce que le sens du référent était constitué, en plus ou moins grande partie, par sa nomination même. S’il est possible de vérifier la justesse du nom d’Hermogène en enquêtant sur sa solvabilité, il est plus difficile de vérifier la justesse du nom d’une divinité dont les marques tangibles et les preuves d’existence, pour fondamentales et importantes qu’elles soient (des mythes, des sanctuaires, un culte, des rites, etc.), n’ont pas la pesanteur et l’immanence des choses humaines. Le nom du dieu participe à la fabrication de celui-ci, il lui donne forme et force, bien plus que tout fait objectif, extérieur à lui. Et ce nom du dieu laisse une marge de liberté, dans l’élaboration de son être, d’autant plus grande que les faits et gestes de ce dieu sont réduits, qu’il a moins d’extériorité. Mais, quoi qu’il en soit des nuances entre les dieux, il s’agit bien d’un système, dans la mesure où, avec les mythes et les rites, le nom du dieu invente la nature de celui-ci, que les hommes doivent découvrir: il y a des raisons au choix de ce nom, aux modes de fonctionnement qu’il recèle. Le nom d’un dieu n’est pas un agrégat de sonorités arbitraires, il contient sa part du système théogonique. Reste à savoir où la chercher exactement, et de quelle manière. L’idée d’un système nominal des divinités antiques a tout spécialement arrêté l’intérêt des historiens à partir du XIXe siècle et c’est, bien souvent encore, selon leurs propres façons de penser que nous concevons aujourd’hui les termes du problème. Alors que Saussure, au début du XXe siècle, énonçait les postulats sur l’arbitraire des signes, les historiens et les spécialistes des langues et littératures anciennes se dotaient d’un ensemble de théories destinées à faire parler les noms divins, à en révéler le système de fonctionnement et, par là même, à dévoiler une part fondamentale de leur histoire, quelles que soient les sources utilisées. Marisa Squillante et Laurent Pernot montrent combien la rhétorique, grecque et latine, a constitué l’un des domaines privilégiés où se sont élaborées les réflexions antiques sur le nom divin considéré en tant que «lieu» (topos) et en tant que figure. En regardant les images céramiques, Monique Halm-Tisserant met aussi en lumière une rhétorique divine du nom des dieux dans les figurations, et ce dès l’époque archaïque. Georg Petzl pour sa part souligne l’originalité du témoignage des sources épigraphiques, qui permettent de mesurer la densité du nom divin, même dans le cas d’abstractions. Avec la contribution d’Ugo Criscuolo, nous prenons la mesure de l’influence des réflexions du Cratyle dans l’exégèse et les traditions tardives. Christian Boudignon montre que, dans le monde du Dieu chrétien pareillement, le nom reflète un système organisé. Textes littéraires, textes inscrits dans une image ou sur une stèle, textes exégétiques ou de tradition chrétienne: les noms des dieux résonnent dans tous les types de documents et à toutes les époques de l’Antiquité. Ils dévoilent une part de leur mode de fonctionnement, parfois certaines des raisons qui conditionnent leur émergence. A la fin du XIXe siècle, H. Usener a essayé de rendre compte de façon globale du système nominal des dieux: John Scheid et Jesper Svenbro en analysent à la fois les attentes illusoires et les systématisations fondatrices pour les études ultérieures. Gérard Freyburger, en s’attachant aux travaux de G. Radke, rend hommage à une démarche qui, pour comprendre l’univers des dieux romains, prendrait pour point de départ leurs noms et leurs noms seuls. 18
INTRODUCTION
Ecrire, donc, le nom des dieux, et le penser aussi: depuis l’Antiquité jusqu’aux «philosophies» modernes, il s’agit de rendre compte, dans des domaines et sous des modes différents, du système qui préside à la constitution nominale des dieux.
Nicole BELAYCHE Ecole pratique des hautes études – Paris Section des sciences religieuses Francis PROST Ecole normale supérieure – Paris Centre d’études anciennes
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LA NOMINATIO NELLA TRADIZIONE RETORICA E NELLA MANUALISTICA DELLA TARDA LATINITÀ Delineare i confini di una figura nella trattatistica retorica latina e in quella grammaticale e anche stabilirne l’esatta nomenclatura non è impresa facile dal momento che, in genere, i limiti di ogni figura sono molto sfumati, le figure tendono a confluire le une nelle altre, fenomeno che diviene ancor più consistente quanto più ci avviamo verso l’epoca tarda e medioevale poiché, desiderosi di dare un’impronta originale ai propri trattati, i maestri di retorica esercitano il proprio diritto all’autonomia proponendo definizioni innovative rispetto a quelle tradizionali. Il problema si presenta anche nel caso dell’epiclesis: il ThlG traduce epiclesis con cognominatio nel senso di “chiamare con un altro nome”, ma ricorda anche che la parola è attestata nel senso di invocatio (Cassio Dione LXXVIII 4), di appellatio (Xenoph. IX 4) e di ignominia (Thuc. VII 68). Iniziando la mia indagine mi sono resa conto che varie sono le figure che nel mondo latino sono strettamente collegate all’epiclesis e, precisamente, la nominatio, la definitio, l’invocatio, la precatio, l’obsecratio e l’apostrofe. Essendo il tempo concessomi per l’intervento molto breve ed essendo io solo al principio del mio cammino di ricerca mi limiterò a fornire alcuni dati sulla nominatio facendoli precedere, però, necessariamente da alcune osservazioni sulla cognominatio in quanto il cognominare è ‘dare un nome ulteriore’ e, quindi, costituisce l’espressione che maggiormente corrisponde all’epiclesis anche se non esiste uno statuto retorico della cognominatio. Per maggiore precisione ricordo che sinonimo di cognominare è il più raro supernominare per il quale si può citare a mo’ di esempio Tert. apol. 18 Ptolemaeorum eruditissimus, quem Philadelphum supernominant («il più famoso dei Tolomei, che chiamano Filadelfo»). Con nominatio indichiamo l’atto di dare il nome ad un essere animato o ad una cosa che non lo hanno, la cognominatio indica, invece, l’atto di dare un ulteriore nome ad un essere animato o inanimato che già lo posseggono. Il grammatico Carisio (I 152, 20 Keil) ricorda che i nomi propri in species quattuor dividuntur: praenomen nomen cognomen agnomen («si dividono in quattro tipi: prenome, nome, cognome, soprannome») e più avanti (26) aggiunge cognomen quod nomini subiungitur («il cognome che si aggiunge al nome»). Diomede nella sua grammatica (I 321, 6 Keil) precisa che il cognomen indica l’appartenenza ad una famiglia, ad un clan all’interno della più ampia gens individuata dal nome gentilizio (cognomen est, quod unius cuiusque proprium est et nominibus gentiliciis subiungitur «il cognome è quello che è peculiare di ognuno e si aggiunge al gentilicio»). Il confine tra nomen e cognomen è tuttavia spesso poco marcato se è vero che Cledonio nel suo trattato (gramm. V 85, 9 Keil) afferma che gli antichi et nomina cognomina vocabant et cognomina nomina dicebant, hoc exemplo, ut “cui nunc cognomen Iulo” (Verg. Aen. 21
PREMIÈRE PARTIE: PENSER ET ÉCRIRE LE NOM
I, 267) et “magno demissum nomen Iulo” (Verg. Aen. I, 288) ecce modo nomen, modo cognomen dixit «definivano i nomi cognomi e i cognomi nomi come in questo esempio “cui nunc cognomen Iulo” (Virgilio Eneide 1, 267) e “magno demissum nomen Iulo” (Virgilio Eneide I 288): ecco ora lo ha definito nome ora cognome». Del resto non dimentichiamo che lo stesso Cicerone, inv. II 9, 28, discutendo delle congetture dalle persone e affermando che qualche motivo di congettura sorge anche dal nome, aggiunge nomen autem cum dicimus, cognomen quoque intellegatur oportet; de hominis enim certo et proprio vocabulo agitur («quando parliamo di nome si deve necessariamente intendere anche il cognome, in quanto si tratta della nota caratteristica e personale di ogni individuo») ed ancora Serv. gramm. IV 429, 3-4 cognomen est proprium vocabulum («il cognome è termine precipuo»). Le funzioni del cognomen vengono confuse, a volte, con quelle dell’agnomen nonostante le chiare direttive teoriche dei grammatici: cfr. Serg. gramm. IV 536, 4ss. aut agnomina quae cognomini iunguntur…, ut Africanus Aemilianus et quidquid eiusmodi accesserit agnomen vocabitur … agnomina sumuntur ex moribus et laude …; ex moribus et vituperatione …; ex fortuna …; ex eventu …; a meritis …; a natura …; a qualitate …; a quantitate …; a loco («o soprannomi quelli che si aggiungono al cognome…, come Africano Emiliano e qualunque altra aggiunta di questo tipo sarà definita soprannome… i soprannomi si evincono da costumi elogiativi…; da costumi riprovevoli…; dalla sorte…; da un avvenimento…; dai meriti…; dalla natura…; dalla qualità…; dalla quantità…; da un luogo…»). Il cognomen, come d’altronde il nomen, dunque, esprime la “nota caratteristica e personale di ogni individuo”. Ma cerchiamo ora di precisare meglio cosa si intende per nota caratteristica dell’individuo. Il cognomen ricorda le imprese ed il coraggio dimostrato (Cic. S. Rosc. XXXVI 103 Africanus, qui suo cognomine declarat tertiam partem orbis terrarum se subegisse «Africano, che con il suo cognome dichiara di aver sottomesso la terza parte del mondo» e Sall. Iug. V 4 … in amicitiam receptus a P. Scipione, cui postea Africano cognomen ex virtute fuit «accolto in amicizia da P. Scipione, che in seguito per il suo valore ebbe il cognome di Africano»), qualche episodio particolarmente rilevante della vita (penso al caso di Manlio Torquato raccontato da Cic. fin. II 22, 73 … et ex eius spoliis sibi et torquem et cognomen induit ullam aliam ob causam («… e dalle spoglie di quello, non per altri motivi prese per sé la collana e il cognome»); doti spirituali (Hist. Aug. Pius II 3, 6 Pius cognominatus est a senatu … vel quod eos quos Hadrianus per malam valetitudinem occidi iusserat, reservavit, vel quod Hadriano contra omnium studia post mortem infinitos atque inmensos honores decrevit …«ricevette dal senato il cognome di Pio o perché salvò la vita a quelli che Adriano per infermità aveva comandato di uccidere o perché contro il parere di tutti dopo la morte decretò ad Adriano immensi ed infiniti onori»). A volte il cognome trae origine da epiteti genericamente elogiativi (Sen. cl. XII 2 Cetera enim cognomina honore data sunt; Magnos et Felices et Augustos diximus …«Tutti gli altri cognomi infatti sono stati assegnati per onore; li abbiamo chiamati Grandi, Felici e Augusti…»). Interessante è un brano di Varrone ling. V 84 Collart relativo ai cognomina dei flamines: horum singuli cognomina habent ab eo deo, cui sacra faciunt, sed partim sunt aperta, partim obscura: aperta ut Martialis, Volcanalis, obscura Dialis et Furinalis, cum Dialis ab Iove sit (Diovis enim), Furinalis a Furrina, cuius etiam in fastis feriae Furinales sunt. Sic flamen Falacer a divo patre Falacre («ognuno di loro 22
LA NOMINATIO NELLA TRADIZIONE RETORICA E NELLA MANUALISTICA
assume il cognome da quel dio per il quale celebra i riti sacri, ma in parte i cognomi sono di origine chiara, in parte oscura: chiara come Marziale, Vulcanale, oscura Diale e Furinale poiché Diale proviene da Giove (Diovis infatti), Furinale da Furrina, nei cui fasti vi sono anche le ferie Furinali. Così il flamine Falacre dal divino padre Falacre»). Il cognomen può essere dedotto da una qualunque cosa ed avere una carica dissacratoria e parodistica: Hor. sat. II 2, 55-56… Avidienus. Cui Canis ex vero ductum cognomen adhaeret («Avidieno a cui calza il soprannome di Cane, suggerito dai fatti»). Il cognominare nasce a volte come derivato da un altro nome Dig. L 16 hi “magistri” appellantur quin etiam ipsi magistratus per derivationem a magistris cognominantur («prendono il nome di “magistri”[maestri] anche gli stessi magistrati per derivazione dai “magistri”»). Ma la motivazione che mi sembra più interessante per la nascita della cognominatio è quella addotta da Plin. nat. VI 42, 2 totam eam Macedones Mrgdoniam cognominaverunt a similitudine («i Macedoni la chiamarono tutta intera Mirgdonia per somiglianza»), cioè il cognomen nasce da una somiglianza, come sinonimo. Cicerone in part. XV 53 verba ponenda sunt iuncta, facta, cognominata («bisogna porre parole collegate, composte, sinonimiche») considera la sinonimia, le parole appunto cognominata, come mezzo dell’amplificatio (est igitur amplificatio gravior quaedam affirmatio quae motu animorum conciliet in dicendo fidem «l’amplificazione è, dunque, un’affermazione più intensa che, attraverso il turbamento dell’animo, procura credibilità nel parlare »), strumento atto ad accrescere l’espressività del discorso in quanto esse hanno vim illustrandi. Sul valore amplificante del sinonimo concordano tutti i trattatisti sia greci che latini che lo considerano fonte di gravitas e pathos : cfr. Quint. IX 3, 45 ; Aquil. 34, 3 ss. RhLM Halm Utimur autem eo genere elocutionis, quotiens uno verbo non satis videmur dignitatem aut magnitudinem rei demonstrare («usufruiamo di questo genere di espressione ogni qualvolta non ci sembra di dimostrare a sufficienza la dignità o la grandezza di una situazione con una sola parola ») ; Mart. Cap. 266, 18 ss. Dick ; Isid. orig., II 21, 16 ; Alex. RhG III 30, 14 ss. Spengel. I testi retorici sottolineano anche come, in genere, la sinonimia sia strutturata sul principio della concatenazione per cui, nel passare da un elemento all’altro, il nucleo primitivo emotivo, concettuale o fenomenico si perpetua nell’elemento successivo. Naturalmente il concetto ripetuto è equivalente ma non identico al precedente e crea, pertanto, l’effetto retorico. Conviene ricordare che, in genere, nella trattatistica latina e medioevale l’attenzione è incentrata sulla serie sinonimica, la congeries, vista nel medioevo come asindeto a zeppa, ma il contesto delle connotazioni, per dirla con la moderna linguistica, si attua anche nella cosiddetta dittologia in cui si affiancano due vocaboli che non sono solo simili nel significato ma anche l’uno all’altro complementari. Nella sinonimia rientra anche quella cosiddetta “glossante” cioè l’interpretatio dove i termini sinonimici servono a chiarire il termine primo che per un qualche motivo risulta oscuro. Per quanto la mia ricerca ruoti tutta sul livello teorico per chiarire come sia possibile applicare le precedenti affermazioni al campo d’indagine che ci interessa tutti, cioè quello del “nominare gli dei” vorrei proporre un rapido e sintetico approccio alla preghiera rivolta da Admeto ad Apollo nell’incipit dell’anonima Alcesti di Barcellona: Praescie, lauripotens, Latonie, Delie, Paean / invoco te laurusque tuo de numine tec23
PREMIÈRE PARTIE: PENSER ET ÉCRIRE LE NOM
tas («Preveggente signore dell’alloro figlio di Latona Delio Pean, invoco te e gli allori protetti dal tuo nume»)1. L’epiclesis caratterizzata in maniera topica dalla poluwnumiva è incentrata sul termine Delie, epiteto in cui si riconosceva normalmente Apollo dal momento che la sua nascita era collocata a Delo. Ma il vocabolo non nasconde la sua affinità con l’aggettivo dh'lo" come ricorda Macr. Sat. I 17, 32 ss Apollo Delius cognominatur … quod inluminando omnia clara demonstret («Delio prende il nome dal fatto che illuminando mostra chiare tutte le cose»). Viene, cioè, con questo termine riconosciuta al dio una funzione non estranea alla sua natura di ijatromavnti". Come ricorda Nosarti nel suo commento all’Alcesti «tale prerogativa s’adatta bene anche alla duplice antica funzione di “veggente guaritore”… in quanto la mentalità primitiva attribuisce al responso del medico un carattere divinatorio»2. Più complesso è il problema dell’epiteto Paean anche per le diverse forme presenti in greco paihvwn e paiwvn che hanno fatto pensare a diversi significati almeno nella fase originale dei due termini. È, comunque, rilevante che Apollo ha sostituito il dio Paihvwn conosciuto ancora da Omero (Il. V 401, 899; Od. IV 232), dio che era medico e guaritore. La sintonia tra i due vocaboli è esaltata anche dalla posizione in chiusa di esametro in una clausola aurea, dattilo+spondeo. I due cognomina risultano, dunque, essere quasi sinonimi e, comunque, complementari secondo lo schema della dittologia. La concatenazione semantica coinvolge anche il vocabolo che apre la serie degli attributi divini ad inizio verso, praescius, unica attestazione in poesia di tale attributo per Apollo: anche in questo caso notevole è la sottolineatura data a tale legame dalla ripetizione fonica. Ma lascio ad altri l’ulteriore approfondimento della dimensione formale e letteraria: a me interessa evidenziare come questo sia un esempio di epiclesis in cui il supplice fa ricorso ad una successione sinonimica di cognomina intervallata da epiteti secondo uno schema topico della preghiera pagana: diverso sarà l’atteggiamento del supplice cristiano che tenderà a ricorrere soltanto all’epiteto esornativo con funzione ornamentale e descrittiva dal momento che la fruizione del sinonimo come tropo, nel caso del nome proprio, da un punto di vista filosofico, coinvolge l’identità stessa della persona il che non è ipotizzabile per il dio cristiano per cui Prudenzio, perist. II 415 lo invocherà dicendo O Christe, nomen unicum …(«O Cristo, unico nome»). Passerei ora alla nominatio: in realtà, come ho già accennato prima, l’azione del nominare è leggermente diversa da quella del cognominare in quanto essa più esattamente rimanda all’idea di dare un nome a chi non lo ha ma in realtà le due azioni, come dimostra la stretta connessione esistente tra nomen e cognomen di cui abbiamo parlato prima, non hanno un ambito specifico ma tendono a confluire l’una nell’altra. La nominatio viene inclusa nella Rhetorica ad Herennium tra le dieci exornationes verborum la cui peculiarità è quella ut ab usitata verborum potestate recedatur atque in aliam rationem cum quadam venustate oratio conferatur (IV 31, 42, 4 ss.) («di allontanarsi dall’usuale potere delle parole e di far sì che il discorso con una
1 Cito da Anonimo, L’Alcesti di Barcellona, introduzione, testo, traduzione e commento a cura di L. Nosarti, Bologna 1992. 2 Ibidem, p. 28.
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LA NOMINATIO NELLA TRADIZIONE RETORICA E NELLA MANUALISTICA
certa qual grazia si volga verso un altro pensiero»). Il retore amplia il numero dei tropi di origine stoica che originariamente era di otto, enumerando l’onomatopea, l’antonomasia, la metonimia, la perifrasi, l’iperbato, l’iperbole, la sineddoche, la catacresi, la metafora e l’allegoria. Sul numero dei tropi non vi è accordo né tra i retori antichi né tra i moderni linguisti: Quintiliano ad esempio aggiunge al catalogo della Rhetorica ad Herennium la metalepsi, l’epiteto e l’ironia. Il termine trovpo", lat. tropus, come tutti sappiamo, significa “direzione” e sta ad indicare lo spostamento di un’espressione dal suo valore originario ad un altro: ad essi il Nostro, pur attribuendo l’originaria funzione di natura linguistica, somma una proprietà esornativa nel momento in cui definisce i tropi come exornationes verborum. Nell’elencazione la nominatio è la prima: dalla descrizione fornita risulta evidente che per il nostro autore la nominatio coincide con l’onomatopea. Dalla maggior parte dei grammatici e dei retori quest’ultima viene intesa come produzione di nuovi vocaboli dovuta all’inopia sermonis, parole che imitano i suoni degli oggetti o delle azioni da essi indicati (Porph. Hor. ars 113 cachinnum autem verum secundum oJnomatopoiivan, fictum a sono risus «cachinnum parola coniata per onomatopea dal suono della risata»; Serv. georg. 3, 148 “vertere” ex soni similitudine oJnomatopoiivan fecere: non enim possumus accipere, ex latina lingua mutavere, cum constet Graecam primam fuisse «“vertere” hanno creato un’onomatopea dalla somiglianza del suono : non possiamo pensare che abbiano creato un mutamento dalla lingua latina dal momento che si sa che la lingua greca è stata la prima»; Beda RhLM 613, 29 ss. Halm Onomatopoeia est nomen de sono factum, ut cymbalum tinniens, et clangor tubarum, et stridebant cardines templi. Ad hunc tropum pertinere quidam asserunt fremitus leonum, balatus pecorum, rugitus asinorum, sibilos serpentium, porcorum stridores et soricum ceterorumque vocem confusam animantium, quae et ipsa scripturis sanctis saepius indita reperitur, ut: rugitus leonis et vox leaenae, et: fervens et fremens sorbet terram « L’onomatopea è una parola derivata dal suono come il tintinnare dei cembali e lo squillo delle trombe e stridevano i cardini del tempio. Alcuni ritengono che fanno riferimento a questo tropo i fremiti dei leoni, i belati delle pecore, i ragli degli asini, i sibili dei serpenti, le grida dei maiali e delle civette e la voce confusa di tutti gli altri animali che si trova introdotta abbastanza spesso nelle sacre scritture come: il ruggito del leone e la voce della leonessa e: fervente e fremente trangugia la terra»). Tale posizione teorica resta anche in epoca inoltrata e precisamente fino al sec. IX dal momento che in questa direzione vanno anche le dichiarazioni di Cocondrio III 231, 15 ss. Spengel, di Anon. trop. III 210, 26ss. Spengel ojnomatopoiiva ejsti; levxi" h] mevro" lovgou pepoihmevnon kata; mivmhsin tw'n aJpoteloumevnwn h[cwn (« l’onomatopea è un’espressione o una parte del discorso costruita per imitazione dei suoni prodotti»), dell’anonimo autore dei tropi III 210, 26 ss. Spengel. Dunque nella trattatistica retorica fino al medioevo le onomatopee costituiscono un fenomeno della compositio con intenzioni fonetico-descrittive3 e
3 Per il valore simbolico del suono cfr. W. Schneider, «Über die Lautbedeutsamkeit», Zeitschrift für deutsche Philologie, 63, 1938, pp. 138-179; M. Chastaing, «Le symbolisme des voyelles. Significations de “i”», Journal de Psychologie, 55, 1958, pp. 403-423, 461-481.
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si collegano a quelle che per gli stoici sono le parole prime, quelle prw'tai fwnaiv che danno origine a tutte le parole esistenti (i cunabula verborum di Agostino) e rientrano nel più ampio problema del neologismo. Come ricorda Calboli nel suo commento alla rhet. ad Her. IV 31, 42 p, 375 già Trifone III 196, 12 ss. Spengel (ejsti; levxi" kata; paragwgh;n tou' kaqwmilhmevnou ejxenhnegmevnh, levgetai de; oJnomatopoiiva eJptacw'" kata; ejtumologivan, kata; ajnalogivan, kata; paronomasivan, kata; suvnqesin, kata; ejnallaghvn, kata; diaivresin, kata; pepoihmevnon «è un’espressione costruita per derivazione da un vocabolo comune, l’onomatopea, inoltre, è designata secondo sette specie: per etimologia, per analogia, per paronomasia, per sintesi, per enallage, per partizione, per imitazione sonora») affianca l’onomatopea che si collega al suono (kata ; pepoihmevnon) a quella per combinazione di termini e per derivazione. Quintiliano la colloca al centro della teoria del neologismo : dopo aver affermato che è più sicuro l’uso di termini correnti mentre il neoconio comporta qualche rischio egli dice, sed minime nobis concessa est ojnomatopoiiva. Quis enim ferat, si quid simile illis merito laudatis livgxe biov" et sivz joJfqalmov" fingere audeamus? Iam ne “balare” quidem aut “hinnire” fortiter diceremus, nisi iudicio vetustatis niterentur (I 5, 71) (« Poco ci è consentita l’onomatopea. Chi infatti sopporterebbe che noi osassimo inventare qualcosa di simile a quelle espressioni che giustamente sono lodate, come liv g xe biov " [sibilò l’arco] e siv z j o fqalmov " [strideva l’occhio]. D’altronde neanche balare [belare] e hinnire [nitrire] potremmo usare con una certa sicurezza se non si fondassero sull’autorità degli antichi »). Tale teoria, che il nostro riprende anche a VIII 6, 31s. (Onomatopoeia quidem, id est fictio nominis, Graecis inter maximas habita virtutes, nobis vix permittitur. Et sunt plurima ita posita ab iis, qui sermonem primi fecerunt aptantes adfectibus vocem « L’onomatopea invero, cioè la creazione di una parola, considerata dai Greci tra le più importanti virtù, a noi a stento è permessa. E vi sono moltissime parole coniate così da questi che per primi formarono il discorso adattando la voce alle emozioni »), affonda le sue radici nella tesi stoica che suddivideva le neoformazioni in tre tipologie partendo dai neoconii attuati attraverso l’aiuto del sonus (h\co") e della vox (fwnhv) secondo una tradizione che si ritrova in uno scolio a Dionys. Thr. 242, 18 Hilgard. Già Orazio ars 46 ss. aveva giustificato il neoconio ricorrendo alle direttive delle antiche scuole filosofiche in particolare quella epicurea e stoica che stimavano il linguaggio come un fenomeno scaturito dai bisogni della natura più che norma imposta dall’esterno e legata ad una necessaria convenzione per cui (vv. 5961) ut silvae foliis pronos mutantur in annos, / prima cadunt : ita verborum vetus interit aetas, / et iuvenum ritu florent modo nata vigentque (« Come il bosco muta le foglie al rapido volgere di ogni anno e cadono le prime, così passa la vecchia generazione delle parole e le ultime nate fioriscono e raggiungono il pieno vigore»). A questo criterio puramente stoico si affiancano altri due sistemi per la formazione di neoconi in cui si rintraccia invece un’evidente impronta peripatetica, il neologismo per derivazione e quello per congiunzione di termini diversi (Quint. VIII 3, 31 Nostri aut in iungendo aut in derivando paulum aliquid ausi vix in hoc satis recipiuntur « I nostri, nei pochi tentativi che fanno, o attraverso la composizione o attraverso la derivazione, con riluttanza vengono approvati in questa operazione »). 26
LA NOMINATIO NELLA TRADIZIONE RETORICA E NELLA MANUALISTICA
Il filone sotterraneo stoico è, giustamente, per Barwick individuabile anche nel passo della rhetorica ad Herennium prima citato (IV 31,42): «Von den beiden Kategorien, die der Auctor nennt, geht die erste nach Ausweis der Beispiele auf die fwnaiv, die zweite auf die h\coi und als nominatio gelten nicht nur nomina, sondern auch verba »4. Il criterio stoico dell’onomatopea non sarà presente in Cicerone il quale si baserà sul concetto dell’analogia di estrazione alessandrina ponendolo accanto al neologismo di marca aristotelica (de orat. III 154 Novantur autem verba, quae ab eo qui dicit ipso gignuntur ac fiunt, vel coniungendis verbis … sed saepe vel sine coniunctione verba novantur ut ille “senius desertus”, ut “di genitales”, ut “bacarum ubertate incurvescere” «Le parole nuove sono quelle, che vengono create e fabbricate da chi parla, mediante la fusione di più termini … ma spesso si creano termini nuovi senza ricorrere alla composizione come “senius desertus” [un vecchio abbandonato], come “di genitales” [gli dei preposti alla fecondazione], come “bacarum ubertate incurvescere” [piegarsi per l’abbondanza dei frutti]»; part. XVI reperta quae ex eis facta sunt et novata, aut similitudine, aut imitatione, aut inflexione, aut adiunctione verborum « si trovano quelle che sono state coniate da loro e rinnovate per somiglianza o per imitazione o per flessione o per aggiunta di parole»). Ma analizziamo ora a distanza più ravvicinata il brano della rhetorica ad Herennium: la nominatio è quella exornatio a cui si ricorre se cuius rei nomen aut non sit aut satis idoneum non sit («il nome di una cosa o sia inadatto o non propriamente corrispondente») sarà, dunque la sermonis egestas o la presenza di un termine improprio ut … eam nosmet idoneo verbo nominemus aut imitationis («a definire la cosa con una parola adatta o attraverso l’imitazione»). L’insufficiente capacità di un vocabolo come motivazione principale per il ricorso all’onomatopea si troverà anche in Frontone (epist. III 14, 2) che a proposito del termine cotidie dichiara di volerlo sostituire e, quindi, di dover far ricorso ad un’onomatopea in quanto il vocabolo indicherebbe una stesura di lettere quotidiana mentre, in realtà le lettere che egli scrive sono più numerose dei giorni, pertanto il vocabolo ha un significato insufficiente (“cotidie”? Ergo iam hic mihi opus est. Nam “cotidie” foret, si singulas epistulas per dies singulos scripsissem: quam vero plures epistulae sint quam dies, verbum istud “cottidie” minus significat «“quotidianamente”? Dunque per me questo è necessario. Infatti sarebbe “quotidianamente” se avessi scritto singole lettere per ogni giorno: dal momento che in verità le lettere sono più numerose dei giorni, questa parola “quotidianamente” è inadeguata»). Con l’onomatopea, secondo l’autore della Rhetorica ad Herennium, la costituzione della parola si realizza in prima istanza come segno delle cose (shmei'a): vengono, infatti, qui prima di tutto citate quelle onomatopee (imitationis causa) in cui de Saussure vede la possibilità di ridurre il principio dell’arbitrarietà del segno5 per quanto questa sia limitata dall’uso poco frequente della stessa onomatopea e, per quanto, come aggiunge Benveniste, l’allusione ad una realtà, qualunque essa sia quella a cui allude l’onomatopea, è un’allusione ammessa soltanto da una convenzione simbolica «analoga a quella che accredita i segni consueti del sistema»6.
4
Cfr. K. Barwick, Probleme der stoischen Sprachlehre und Rhetorik, Berlin, 1957, p. 42. Cfr. F. de Saussure, Corso di linguistica generale, tr. it. di T. De Mauro, Bari, 1967, p. 87. 6 Cfr. E. Benveniste, Problemi di linguistica generale, Milano, 1966, p. 65. 5
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PREMIÈRE PARTIE: PENSER ET ÉCRIRE LE NOM
Spostandosi, poi, dal piano più propriamente lessicale a quello semantico (significationis causa) l’autore della rhetorica lega il neoconio alla sfera dell’espressività e dell’allusione. La significatio (“l’enfasi”) è, infatti, un tropo di spostamento e sostituisce un pensiero ad un altro costringendo l’ascoltatore ad uno sforzo per passare dal piano dell’allusione (significatio) a quello del significato reale. La rhetorica ad Herennium (IV 53, 67) è una delle poche fonti antiche che cita la significatio, intendendo la figura come res, quae plus in suspicione relinquit, quam positum est in oratione («la figura che lascia immaginare più di quanto è stato detto ») ; essa si realizza per exsuperationem, ambiguum, consequentiam, abscisionem, similitudinem («mediante l’iperbole, l’ambiguità, una conseguenza logica, l’aposiopesi, l’analogia»). Ognuna di queste suddivisioni sfrutta la differenza di significato tra i termini per arricchire attraverso l’enfasi l’area semantica del primo vocabolo. Naturalmente l’intensificazione del vocabolo primo può avvenire sia per via negativa che positiva in quanto il secondo termine adoperato può risultare ironico e dissacrante, diversamente può amplificare il contenuto debole del primo membro. Il valore aggiunto, ottenuto dalla parola attraverso la significatio, è sottolineato anche da Quintiliano che cita la figura con il corrispettivo termine greco di emphasis (VIII 2, 11 Possunt videri verba quae plus significant quam elocuntur in parte ponenda perspicuitatis: intellectum enim adiuvant; ego tamen libentius emphasim retulerim ad ornatum orationis, quia non ut intellegatur efficit, sed ut plus intellegatur «Si potrebbe ritenere che le parole che lasciano intendere più di quanto dicono espressamente siano da catalogare nella sezione relativa alla chiarezza in quanto facilitano la comprensione; io tuttavia sono più propenso a far entrare l’enfasi all’interno dell’ornamento del discorso, perché non ha la funzione di far capire, ma di far capire qualcosa di più»). La nominatio lega, quindi, già nella trattatistica retorica latina il suo destino al linguaggio emotivo e retorico: del resto non dobbiamo dimenticare che nel discorso introduttivo, quando l’autore della rhetorica ad Herennium presenta la nominatio come una delle dieci exornationes verborum distinte dalle precedenti quod omnes in uno genere positae egli ne sottolinea il valore pregnante e allusivo in quanto tramite tali figure ci si allontana dal valore semantico usuale (ab usitata verborum potestate) per passare ad un valore metaforico (in aliam rationem cum quadam venustate oratio conferatur). Sarà, poi, soltanto la linguistica moderna a chiarire come il potenziale onomatopeico ed espressivo delle parole non sia insito nel suono stesso ma sia una diretta conseguenza del contesto attraverso quello che Ullmann definisce “effetto di risonanza”7.
Marisa SQUILLANTE Università Federico II – Napoli
7
Cfr. S. Ullmann, La semantica. Introduzione alla scienza del significato, tr. it., Bologna, 1966, p. 143.
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LE LIEU DU NOM (TOPOS APO TOU ONOMATOS) DANS LA RHÉTORIQUE RELIGIEUSE DES GRECS Dans le Banquet de Platon, Agathon prononce un éloge d’Eros, comme les autres convives l’ont fait avant lui, chacun à son tour, et cet éloge est particulièrement rhétorique et sophistique. Socrate dira plus loin que le discours d’Agathon lui a rappelé Gorgias, tant il était éloquent, et que la péroraison, en particulier, l’a étourdi par la beauté des mots et des expressions1. Or de quoi se compose cette péroraison? C’est une sorte de litanie, qui accumule, au nominatif, des épithètes se rapportant à Eros et décrivant les merveilleux pouvoirs de cette divinité2. Eros est un «pilote» (kubernhvth"), un «soldat embarqué» (ejpibavth"), un «défenseur» (parastavth"), un «sauveur» (swthvr), un «ornement» (kovsmo"), un «guide» (hJgemwvn), etc. La liste s’étend au total sur une douzaine de lignes. Ce passage offre l’illustration du procédé qui consiste, dans un discours rhétorique, à faire l’éloge d’un dieu en lui décernant des épithètes. Platon est le premier, à notre connaissance, à isoler ce procédé, qui existait depuis longtemps en poésie, qui existait sans doute aussi chez certains sophistes et orateurs, et qui se trouve ici, dans le Banquet, tout à la fois identifié et critiqué. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres concernant la rhétorique, Platon a attiré l’attention sur un aspect important, qui allait connaître une longue histoire après lui.
Les dieux et les noms Du point de vue de la rhétorique grecque, le sujet des «noms des dieux» pose deux questions préalables: la question des dieux et la question des noms. En se référant à l’éloquence attique conservée, on peut avoir l’impression que les dieux ne constituaient pas un sujet important pour les orateurs. Mais cette impression est partielle. Si l’on tient compte des discours perdus (qui sont connus par des citations et des allusions), et aussi des sources post-classiques, on constate que les dieux ont constitué le sujet de très nombreux discours rhétoriques. La forme la plus fréquente fut l’éloge des dieux, qu’on appelle techniquement «hymne» (u{mno"). Elle commença d’être pratiquée dès les Ve-IVe siècles, non seule-
1 Platon, Banquet, 198 b: to; d’ ejpi; teleuth'" tou' kavllou" tw'n ojnomavtwn kai; rJhmavtwn tiv" oujk a]n ejxeplavgh ajkouvwn; Pour le sens de la distinction entre ojnovmata et rJhvmata, voir L. Spina, «Intorno a “rhema”», Métalangage et terminologie linguistique, B. Colombat, M. Savelli (éds.), Louvain, 2001, p. 253-264 = Id., «Considerazioni su “rhema”», Ricerche linguistiche tra antico e moderno, V. Viparelli (éd.), Naples, 2001, p. 67-80. 2 Ibid., 197 d-e.
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PREMIÈRE PARTIE: PENSER ET ÉCRIRE LE NOM
ment par Platon dans le Banquet, mais par d’autres auteurs, malheureusement mal connus. Puis elle se développa à l’époque hellénistique et encore davantage sous l’Empire romain, époque où l’hymne en prose fut enseigné dans le cadre des progymnasmata (exercices préparatoires de l’école de rhétorique), mis au programme des concours d’éloge, étudié par les théoriciens de la rhétorique et pratiqué par de grands auteurs, comme Aelius Aristide, Libanios ou Julien. Les dieux étaient également loués ou mentionnés dans d’autres formes oratoires, notamment le discours panégyrique et l’éloge de cité. La présence des dieux, le plus souvent sous forme d’éloge, était notable dans la rhétorique grecque, et ceci parallèlement aux éloges poétiques, lesquels sont toujours restés essentiels3. Le nom, quant à lui, représente pour la rhétorique un «lieu» (tovpo"), au sens technique de ce terme, c’est-à-dire un champ ouvert à l’orateur, une rubrique prédéfinie permettant de trouver les idées, un point de départ pour l’argumentation. Le lieu du nom s’applique d’abord aux êtres humains. Lorsqu’on examine une personne pour la défendre ou pour l’accuser en justice, pour la louer ou pour la blâmer, le nom et les surnoms que porte cette personne font partie des points de vue qui doivent être pris en considération et qui peuvent éventuellement suggérer des arguments: par exemple le fait que Périclès avait été surnommé l’Olympien parle en sa faveur. Ce genre d’argument a néanmoins une portée limitée et joue un rôle secondaire par rapport aux arguments tirés de l’origine familiale et des caractéristiques physiques et morales des personnes4. Le lieu du nom a été étendu, par analogie, aux cités, à différentes sortes de réalités et aux dieux. C’est ainsi que nous arrivons au cœur de notre sujet: le lieu du nom à propos des dieux. Or, quand il s’agit des dieux, à la différence de ce qu’on observe pour les personnes et les autres objets, le lieu du nom revêt une grande importance.
Le lieu du nom Aristote offre la première indication théorique conservée sur la question, si l’on met à part le passage de Platon mentionné plus haut: [Allo" ajpo ; tou` ojnovmato", oi|on wJ" oJ Sofoklh'" : “Safw'" sidhvrw/ kai ; forou'sa tou[noma”, kai; wJ" ejn toi'" tw'n qew'n ejpaivnoi" eijwvqasi levgein5 «Un autre (lieu) se tire du nom, par exemple comme fait Sophocle: “Visiblement c’est à cause du fer qu’elle porte justement son nom”, et comme on a coutume de dire dans les éloges des dieux».
3 Pour des indications plus détaillées sur l’éloge rhétorique des dieux, nous nous permettons de renvoyer à L. Pernot, La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993. Sur l’hymne en général, voir les panoramas récents de A. C. Cassio, G. Cerri (éds.), L’inno tra rituale e letteratura nel mondo antico. Atti di un colloquio, Napoli 1991, dans AION, Sez. filol.-lett., 13, 1991, et 15, 1993, et de G. La Bua, L’inno nella letteratura poetica latina, San Severo, 1999. Sur la notion de tovpo", voir L. Pernot, «Lieu et lieu commun dans la rhétorique antique», Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1986, p. 253-284. 4 Les réflexions théoriques les plus précises sur le lieu du nom figurent chez Aristote, Rhétorique, II, 1400 b 18-28, 1401 a 13-25; Théon, Progymnasmata, 111, 3-11; Quintilien, Institution oratoire, V, 10, 30-31; Ménandros le Rhéteur, I, 357, 9-11; Emporius dans Halm, Rhetores Latini minores, 568, 7-17.
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LE LIEU DU NOM DANS LA RHÉTORIQUE RELIGIEUSE DES GRECS
Ce texte figure dans une liste de lieux applicables, selon Aristote, aux discours rhétoriques. Le trimètre iambique cité comme premier exemple provient d’une tragédie de Sophocle, aujourd’hui perdue, qui mettait en scène une jeune fille, nommée Tyro, maltraitée par sa marâtre nommée Sidéro6. Bien que l’établissement et l’interprétation du vers soient controversés, il ne fait pas de doute que le jeu de mots porte sur le nom de la marâtre (Sidhrwv), qui révèle que celle-ci a un cœur de fer (sivdhro"), c’est-à-dire dur et impitoyable. La suite de la phrase (kai; wJ" ktl.) nous apprend que de tels jeux sur les noms propres étaient usuels, à l’époque d’Aristote, dans les éloges des dieux. Malheureusement l’auteur ne donne pas d’exemple, ou s’il en donnait un, il est perdu (on a parfois soupçonné une lacune après levgein). Néanmoins, grâce au parallèle avec la citation de Sophocle, le sens est clair. De même que chez Sophocle on a affaire à un blâme fondé sur la signification du nom propre, de même, dans les éloges des dieux, on avait affaire à des éloges fondés sur la signification du nom du dieu. Aristote présente ces éloges des dieux comme une réalité bien identifiée (noter l’article défini toi'"), mais il ne précise pas quelle était leur forme, ni s’ils étaient en vers ou en prose. Le théoricien entend définir un procédé général, en amont des genres littéraires particuliers dans lesquels ce procédé prend place. Ceci posé, le substantif e[paino" (au lieu d’un terme poétique technique) et le verbe levgein orientent, à notre avis, vers la prose, ou en tout cas incluent la prose. Puisque ce passage appartient à la Rhétorique, le procédé qu’il répertorie doit pouvoir servir à la composition de discours. Un second passage d’Aristote apporte un éclairage supplémentaire. Tiré du chapitre suivant du livre II de la Rhétorique, il concerne une autre catégorie de raisonnements: non plus les enthymèmes réels, c’est-à-dire les raisonnements justes du point de vue logique, mais les enthymèmes apparents, c’est-à-dire les raisonnements fallacieux, les paralogismes. Parmi les lieux évoqués à ce propos, figure ce qu’Aristote appelle l’«homonymie», procédé consistant à utiliser le même mot dans des sens différents. Divers exemples sont donnés, et enfin l’auteur cite une dénomination d’Hermès: E } n de; to; para; th;n oJmwnumivan […]. Kai; to; koinwniko;n favnai to;n ÑErmh'n ei\nai mavlista tw'n qew'n : movno" ga;r kalei'tai koino;" ÑErmh'"7 «L’autre (partie du lieu) réside dans l’homonymie […]. Et dire qu’Hermès est le plus communautaire des dieux; car lui seul est appelé “commun Hermès”».
L’optique est à nouveau celle d’un éloge de dieu. L’orateur voulant louer Hermès s’appuie sur l’expression usuelle koino;" ÑErmh'", dont l’emploi est attesté pour désigner une aubaine à partager entre plusieurs personnes, afin d’en déduire qu’Her-
5
Aristote, Rhétorique, II, 1400 b 18-20, éd. Dufour. Les traductions sont nôtres. Sophocle, Tyro: cf. S. Radt, Tragicorum Graecorum fragmenta, 4: Sophocles, Göttingen, 1977, p. 467, fr. 658. 7 Aristote, Rhétorique, II, 1401 a 13, 21-22, éd. Dufour. 6
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PREMIÈRE PARTIE: PENSER ET ÉCRIRE LE NOM
mès est koinwnikov", c’est-à-dire «sociable, généreux»8. Pour Aristote, ce raisonnement repose sur une homonymie, parce que les mots koinov" et koinwnikov", tout en étant identiques (ou presque) par leur forme, n’ont en réalité pas le même sens. Etre dit koinov" au sens très particulier que revêt ce mot dans l’expression figée koino;" JErmh'", qui signifie «Il faut partager», n’est pas un titre à être dit koinwnikov". Il s’agit donc bien d’une démonstration approximative, d’un paralogisme. Ainsi, Aristote a, pour la première fois, défini le concept de «lieu du nom» dans la rhétorique religieuse. Il a indiqué que les orateurs pouvaient se servir de ce lieu comme point d’appui pour louer les dieux, au moyen de démonstrations plus ou moins rigoureuses du point de vue logique. Rapprochés l’un de l’autre, les passages de la Rhétorique suggèrent une idée supplémentaire, qui n’est pas formulée expressément par l’auteur, et qui consiste à distinguer entre l’argument tiré du nom du dieu, qui fait l’objet du premier extrait, et l’argument tiré d’une épithète du dieu, qui fait l’objet du second. Cette distinction, pour être implicite, n’en est pas moins importante. Elle se révèle opératoire pour analyser les éloges des dieux et elle servira de fil directeur pour la suite de notre étude, dans laquelle il s’agit d’examiner la mise en œuvre, par les encomiastes, des arguments définis par Aristote. Nous donnerons des exemples et tenterons de dégager les principaux problèmes.
Arguments fondés sur le nom L’éloge fondé sur le nom est illustré par un passage de l’Arétalogie de Maronée. Cette œuvre est un éloge d’Isis, en prose, datant de 100 avant J.-C. environ, qui était gravé sur une stèle et qui a été découvert en 1969, en Thrace, sur le site de l’antique Maronée. L’éditeur Y. Grandjean, qui a donné une remarquable publication de l’inscription, avec traduction et commentaire, puis L. Robert, ont souligné à juste titre que, au sein de la littérature isiaque, ce texte se signale comme particulièrement rhétorique et qu’il appartient à la catégorie des éloges de dieux en prose9. C’est pourquoi il est justifié de le faire intervenir ici. Au{th to; divkaion e[sthsen i{vn’ e{kasto" hJmw'n, wJ" ejk th'" fuvsew" to;n qavnaton i[son e[scen, kai; zh'n ajpo; tw'n i[swn eijdh/'10 «Elle (Isis) a institué le droit, afin que chacun d’entre nous, de même qu’il a reçu la mort en lot égal de la part de la nature, sache aussi vivre dans des conditions d’égalité».
8 Voir les explications de E. M. Cope, J. E. Sandys, The Rhetoric of Aristotle with a commentary, II, Cambridge, 1877, p. 306; W. M. A. Grimaldi, Aristotle, Rhetoric II. A Commentary, New York, 1988, p. 340-341. Sur la nature «sociable» d’Hermès, dieu du mouvement, du passage, des contacts, de la communication, lien et médiateur entre les dieux et les hommes, voir la célèbre analyse de J.-P. Vernant, «Hestia-Hermès. Sur l’expression religieuse de l’espace et du mouvement chez les Grecs» (1963), art. repris dans Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, 1965, chapitre 3. 9 Y. Grandjean, Une nouvelle arétalogie d’Isis à Maronée, Leyde, 1975; L. Robert, compte rendu du premier état de l’ouvrage de Grandjean, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1971, p. 534; J. et L. Robert, Bulletin épigraphique, 1977, n° 287. 10 Arétalogie de Maronée, 24-26, éd. Grandjean.
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LE LIEU DU NOM DANS LA RHÉTORIQUE RELIGIEUSE DES GRECS
La nature rhétorique de la phrase est indiscutable, tant pour l’argumentation (tovpoi du «premier inventeur» et de la filanqrwpiva) que pour le style (place du pronom Au{th en «Er-Stil», antithèse qavnaton / zh'n, répétition en polyptote de i[so"). L’éloge décerné à Isis consiste en ce qu’elle a institué la justice (idée qui est attestée dans de nombreuses autres sources). Cet éloge s’appuie sur un jeu de mots entre le nom de la déesse, \Isi", et l’adjectif i[so". C’est là, observe Y. Grandjean, «le premier exemple d’un rapprochement qui devait connaître par la suite un certain succès»11. En outre, la phrase contient un second jeu de mots, moins voyant, dû à l’emploi de eijdh/,' car dans l’Antiquité on rapprochait \Isi" de eijdevnai, ainsi que l’atteste Plutarque12 (rapprochement rendu possible par les formes en is- du verbe oi\da). Nous sommes donc en présence de deux éloges, que l’orateur décerne à la justice et à la sagesse d’Isis, en prenant appui sur l’étymologie du nom de la déesse. De même, dans les hymnes rhétoriques de l’époque impériale, les auteurs aiment à s’appuyer, explicitement ou implicitement, sur ce genre de démonstration, soit que le nom du dieu porte en lui-même une signification évidente (par exemple si l’on dit qu’Artémis donne la santé, parce que son nom est identique à l’adjectif ajrtemhv" « sain et sauf»)13, soit qu’il faille recourir à une étymologie plus ou moins subtile pour dégager la signification cachée d’un nom (par exemple si l’on affirme que Héra est identique à l’air, à cause de la parenté étymologique H { ra / ajhvr)14. Il faut se garder de prendre de tels raisonnements à la légère : car les arguments d’éloge, en règle générale, reposent sur des convictions répandues et sur des valeurs reconnues. La constance avec laquelle les orateurs reviennent sur les noms des dieux montre qu’à leurs yeux ces noms aidaient à comprendre et à prouver la nature et le pouvoir des dieux. Pareille croyance en la vérité des noms n’était évidemment pas une invention de la rhétorique. Les orateurs reprenaient cette croyance au monde qui
11
Op. cit., p. 81. Isis et Osiris, 2. Voir R. Merkelbach, Isis regina – Zeus Sarapis, Stuttgart-Leipzig, 1995, p. 261. 13 Libanios, Artémis (or. V), 31: {Oti me;n ou\n kai; uJgiveia para; th'" ’Artevmido" ajnqrwvpoi", aujto; mhnuvei tou[noma (voir aussi ibid., 6). Pour d’autres exemples de noms transparents, voir Aelius Aristide, Asclépiades (or. XXXVIII), 7 (Chiron est inférieur à Asclépios, conformément à son nom); Héraclès (or. XL), 19 (Hébé, donnée en mariage à Héraclès, signifie l’éternelle jeunesse qui échoit au héros). J’interprète de même le passage d’Aristide, Dionysos (or. XLI), 6: Didovasi d’ aujtw/` kai; to;n Pa'na coreuth;n telewvtaton qew'n o[nta, comme signifiant que Pan est une divinité complète, accomplie, parce que son nom signifie «tout» (sur les problèmes posés par les allusions littéraires contenues dans ce passage difficile, voir le commentaire de W. Uerschels, Der Dionysoshymnos des Ailios Aristeides, Bonn, 1962, p. 33-37, qui cependant ne relève pas le jeu de mots). – Un argument apparenté à celui-ci consiste à dire que le nom du dieu est souvent prononcé: ainsi en va-t-il du nom d’Héraclès, parce qu’on utilise fréquemment l’interjection «ô Héraclès» et parce que de nombreux thermes, sources etc. sont appelés Hérakleia (Aristide, Héraclès, 1, 14, 20). 14 Ménandros le Rhéteur, I, 337, 4: kai; peri; {Hra" o{ti ajhvr (voir les parallèles indiqués par D. A. Russell, N. G. Wilson, Menander Rhetor, Oxford, 1981, p. 236, ainsi que Platon, Cratyle, 404 c; Julien, hymne A Hélios-Roi (or. XI [IV]), 137 b). Sur l’interprétation du nom de Zeus, voir dans ce volume la communication de J. Goeken. 12
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PREMIÈRE PARTIE: PENSER ET ÉCRIRE LE NOM
les entourait15. Ils s’appuyaient sur les mentalités courantes et sur les analyses des savants, en faisant appel à la fois à des idées admises quant au pouvoir de la nomination (idées selon lesquelles les noms ont une valeur intrinsèque, sont porteurs d’une vérité sur les choses et permettent par là même de mieux connaître et faire connaître ce qu’ils désignent), à des convictions largement diffusées en matière religieuse (efficace du nom divin, nomen omen...) et à des théories philosophiques sur le langage.
Arguments fondés sur la dénomination Parallèlement à l’éloge fondé sur le nom, la rhétorique utilise l’éloge fondé sur la dénomination. Entendons par là toutes les manières de désigner le dieu autres que son nom propre. Les termes grecs employés le plus fréquemment à ce propos sont les verbes ojnomavzein ou ejponomavzein («nommer», «dénommer»)16 et kalei'n («appeler»)17, ainsi que le substantif ejpwnumiva (au sens large de «dénomination»)18. On rencontre aussi le verbe ajnakalei'n («invoquer»)19 et les substantifs proswnumiva (« dénomination »)20, proshgoriva (« appellation »)21, ejpivklhsi" (« épiclèse »)22, ajnaklhtika; ojnovmata («noms invocatoires»)23. Un passage de l’hymne à Héraclès d’Aelius Aristide (IIe siècle ap. J.-C.) illustre l’argument de la dénomination: AiJ toivnun ejpwnumivai Kallivnikov" te kai; jAlexivkako" hJ me;n movnw/ qew'n, hJ d’ ejn toi'" prwvtoi" devdotai24
15 Sur l’importance des noms (propres et communs) et des définitions dans la rhétorique antique en général, voir B. Schouler, «Nom et définition chez rhéteurs et sophistes», dans S. Gély (éd.), Sens et pouvoir de la nomination dans les cultures hellénique et romaine, Montpellier, 1988, p. 47-70. 16 P. ex. Dion de Pruse, Discours olympique (or. XII), 75 (texte qui mérite d’être versé au dossier, car il s’apparente par certains aspects à un éloge rhétorique de Zeus; sur les épithètes du dieu dans ce texte et sur leur rapport avec la tradition stoïcienne, voir L. François, Essai sur Dion Chrysostome, Paris, 1921, p. 113-117); Ps.-Denys d’Halicarnasse, Rhétorique, II, p. 262, 7, éd. Usener-Radermacher. 17 P. ex. Arétalogie de Maronée, 19 ; Aelius Aristide, Athéna (or. XXXVII), 13, 21 ; Dionysos (or. XLI), 13; Zeus (or. XLIII), 30; Ps.-Denys, ibid., 262, 3; Ménandros le Rhéteur, II, 443, 27. 18 P. ex. Dion de Pruse, Discours olympique (or. XII), 75, 84; Aelius Aristide, Héraclès (or. XL), 15. Dans le § 84 du discours XII de Dion, il faut rejeter la correction de Capp. – On note un jeu de mots à ce sujet chez Aristide, Athéna (or. XXXVII), 26, où il est dit par surenchère que l’on a affaire non pas à une ejpwnumiva, mais, ce qui est mieux, à une oJmwnumiva (cf. ibid., 17). – Entre «nom» et «dénomination», il peut y avoir des flottements; la distinction n’est pas tranchée. Ainsi, Aristide emploie ojnovmata à propos des épithètes de Zeus (A Zeus [or. XLIII], 30) et inversement ejpwnumiva à propos du nom de Chiron (Asclépiades [or. XXXVIII], 7). 19 P. ex. Aelius Aristide, A Sarapis (or. XLV), 21; Ménandros le Rhéteur, I, 335, 8. 20 P. ex. Ménandros le Rhéteur, II, 440, 14. 21 P. ex. Ménandros le Rhéteur, II, 445, 28; 446, 5, 9. 22 P. ex. Dion de Pruse, Discours olympique (or. XII), 75. 23 P. ex. Ménandros le Rhéteur, II, 445, 25-26. 24 Aelius Aristide, Héraclès (or. XL), 15, éd. Keil.
34
LE LIEU DU NOM DANS LA RHÉTORIQUE RELIGIEUSE DES GRECS
«En outre, les dénominations Kallinikos (à la belle victoire) et Alexikakos (qui écarte les maux) ont été données, l’une à lui seul entre les dieux, l’autre à lui parmi les premiers».
L’orateur s’appuie sur deux épithètes couramment décernées à Héraclès et en tire argument pour louer le dieu. Effectivement ces épithètes sont attestées, à propos d’Héraclès, dans la littérature et dans les inscriptions; en latin on invoque Hercule Defensor, ce qui est parallèle au grec ’Alexivkako"25. De ces dénominations cultuelles, l’orateur extrait une signification morale et philosophique, afin de présenter Héraclès comme une divinité salvatrice et comme le héros de la lutte du bien contre le mal. Le style du passage, très étudié, en renforce la signification. Les deux épithètes se répondent en chiasme, pour le sens, l’élément Kalli< formant antithèse avec l’élément povntw/ eijdovmeno" delfi'ni qoh'" ejpi; nho;" o[rousa, w}" ejmoi; eu[cesqai delfinivw/ : aujta;r oJ bwmo;" aujto;" devlfeio" kai; ejpovyio" e[ssetai aijeiv.
«De même que tout d’abord c’est sous l’apparence d’un dauphin que, dans la mer brumeuse, j’ai bondi sur votre navire rapide, de même appelez-moi Delphinien dans vos prières; et l’autel lui-même, sous le nom de Delphien, sera toujours l’objet des regards»4.
1
W. Aly, Der kretische Apollonkult: Vorstudie zu einer Analyse der kretischen Götterkulte, Leipzig, 1908, p. 13-43. 2 J. Solomon (éd.), Apollo, Origins and influences, University of Arizona, 1994, p. 181. 3 J. Humbert, Hymnes homériques, Paris, Les Belles Lettres, 1936, p. 77. Des éléments de bibliographie plus récente sur l’Hymne sont fournis par M. Detienne, Apollon le couteau à la main, une approche expérimentale du polythéisme grec, Paris, 1998, p. 244-254. 4 Trad. J. Humbert, Hymnes…, v. 495-501.
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TROISIÈME PARTIE: LA CONSTRUCTION DU NOM ET LES FONCTIONS DE L’ÉPICLÈSE
L’expression eijdovmeno" delfi'ni renvoie aux vers 399 et suivants du même Hymne où «En pleine mer, il [Phoibos Apollon] bondit sur le vaisseau rapide avec l’apparence d’un dauphin; il s’y abattit, monstre énorme et effrayant: ceux des marins qui avaient l’idée de le regarder, il les rejetait de tous côtés et ébranlait les bois du navire. Ils restaient immobiles sur le navire et muets de terreur»5.
Puisque Apollon en personne s’est chargé de créer sa propre épithète, pourquoi ne pas lui accorder ce crédit et accepter l’étymologie proposée? C’est que cette étymologie est précisément parmi les plus controversées qui soient et que les problèmes se posent dès que l’on sort du contexte précis de cet hymne. Premièrement, malgré le lien qu’il établit avec l’animal, il y en a un autre qu’on ne peut totalement ignorer, celui avec Delfoiv, Delphes. Même si l’Apollon qui est honoré à Delphes est oJ Puvqio"-Pythien et que l’adjectif correspondant n’est pas Delfivnio" mais bien Delfov"-Delphien ou Delfikov"-Delphique, il est permis de s’interroger sur la proximité sonore avec Delfoiv. L’Apollon Delfivnio" de la Suite pythique est bien avant tout destiné à être l’Apollon de Delphes, même si l’auteur relie explicitement l’épithète à l’animal sans citer la ville6. On peut noter qu’il existe vers 480 un type de monnaies de Delphes, dont un tridrachme7, représentant deux rhytons en forme de têtes de béliers, surmontés de deux dauphins antithétiques plongeants et au revers un carré divisé en quatre cantons ornés de dauphins; sur cette monnaie, est-ce une allusion à Apollon ou plutôt un jeu de mots entre Delfoiv et delfiv" le dauphin? C’est également sur la sonorité du nom de Delphes que jouait Eschyle dans le prologue des Euménides, lorsqu’il mentionnait Delphos comme héros éponyme8. Il est donc possible que l’Hymne n’ait pas ignoré cette proximité et ait voulu en filigrane annoncer la fondation de Delphes sans mentionner le nom de la ville en lui-même. Il est vrai en tout cas qu’Apollon Delfivnio" n’est jamais compris comme Apollon de Delphes. Estil vraiment davantage l’Apollon du dauphin?
Apollon et les dauphins L’inconvénient est que les liens d’Apollon avec les dauphins sont en réalité ténus. De fait, à part la célèbre hydrie du Peintre de Berlin, datée de 480 environ, où Apollon, assis sur un trépied survole la mer escorté par deux dauphins9, les représentations figurées associant Apollon à des dauphins sont extrêmement rares. Dans les
5
Trad. J. Humbert, Hymnes…. Le fait que le nom de Delphes ait existé à cette époque est attesté par le second Hymne homérique à Artémis (v. 14), contemporain de la Suite pythique et qui en est proche par son intention de marquer le lien de ces divinités respectivement avec Delphes et Crisa; cf. J. Humbert, Hymnes…, p. 190. 7 P. Franke, M. Hirmer, La monnaie grecque, Paris, 1966, n° 146. 8 Eschyle, Euménides, v. 16. 9 Vatican, Museo Gregoriano Etrusco n°16568. J. D. Beazley, Attic red-figure vase-painters, 2e éd., Oxford, 1963, p. 209, n° 166. 6
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L’ÉPITHÈTE DELFINIOS
textes, les rapports du dauphin avec Apollon sont évoqués çà et là, mais toujours en liaison avec la sensibilité légendaire du cétacé à la musique10 qui le rapprocherait du Musagète; or, cette particularité artistique n’est pas reprise lorsqu’on évoque Apollon Delfivnio". Il faut par ailleurs mentionner un document découvert récemment près d’Olbia, ville du Pont-Euxin fondée par Milet à l’embouchure des fleuves Hypanis et Borysthènes (actuellement Bug et Dniepr)11 . Il s’agit d’une plaque en os trouvée, diton, un peu au large d’Olbia sur la petite île de Berezan, et datant très probablement de 550-525. Elle présente au recto deux textes, écrits dans des directions opposées et dont le second est un texte oraculaire: Eptav : luvko" ajsqenh;" : ejbdomhvkonta: levwn deino;" : eJpt(a) kovsioi: toxofovro" fivli(o)" dwreh; dunavm’ijhth~(p)o": eJptaki(s)civli(oi): delfi;" frovnimo" eijrhvnh jOlbivh/ povli: makarivzw ejkei' : mevmnhmai Lh(t)o(i') «Sept - loup faible, soixante-dix - terrible lion sept-cent - archer amical, don à la puissance de médecin sept mille - dauphin sage. Paix à la cité d’Olbia. Je la félicite. Je pense à Létô»12.
On reconnaît là les Apollons Lykeios (Lycien), Iatros (Médecin) et Delphinios, par l’intermédiaire de leurs attributs ou de leur symbole animé: les animaux et l’archer. La preuve qu’il s’agit bien d’eux ici est apportée par un graffito sur un skyphos à vernis noir daté du milieu du Ve siècle av. J.-C.13 provenant de la même cité d’Olbia; le tesson comporte également un calendrier et présente l’association exceptionnelle de quatre épithètes dont trois apparaissaient déjà sur la plaque: JApovll(wni) Dhlfiniv(wi) (sic), jIatroi', Qarghliv(wi), Lukeiv(wi) jAndovkido" (sic) «Andokidos à Apollon Delphinios Iatros Thargelios Lykeios».
10
Cf. en particulier Plutarque, De sollertia animalium, 983 E-F. Texte édité par A. S. Rusajeva en 1986 et repris par W. Burkert, «Olbia and Apollo of Didyma: A New Oracle Text», dans J. Solomon (éd.), Apollo, Origins…, p. 49-60. 12 Traduction Dobrinka Chiekova (Université de Neuchâtel). 13 Supplementum Epigraphicum Graecum, 30, 1980 n°977; W. Burkert, «Olbia…», n. 32, p. 147. 11
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TROISIÈME PARTIE: LA CONSTRUCTION DU NOM ET LES FONCTIONS DE L’ÉPICLÈSE
Même si les autres épithètes ont également cours à Olbia 14, nombreuses sont les inscriptions attestant en premier lieu d’un culte d’Apollon Delfivnio" probablement originaire de Milet. Ainsi, si l’on veut voir dans cette épithète une épithète fonctionnelle, il faut bien reconnaître que la valeur marine d’Apollon n’est pas la plus développée, comme l’a fait remarquer L. Bodson: «Que le dieu, voyageur et musicien mais peu attaché aux choses de la mer, – sauf en ce qu’il guide et protège ceux qui empruntent les mêmes voies que lui, particulièrement lors des expéditions coloniales, – revête, à l’instant d’accomplir la conquête de son plus important sanctuaire du continent, la forme du dauphin, n’est pas un simple détail pittoresque destiné à agrémenter une légende d’installation»15. Si l’on avait dû imaginer un dieu se transformant en dauphin pour aller fonder un sanctuaire et se donner une épithète, on aurait pu penser en premier lieu à un dieu plus marin, tel Poséidon, si celui-ci n’avait eu une plus grande prédilection pour les chevaux. L’épithète aurait d’ailleurs pu être partagée par Poséidon et Apollon ou même aurait pu désigner d’autres dieux. Or, nous constatons que, contrairement à d’autres épithètes comme ’Alexivkako", qui s’applique à Héraclès, Athéna, mais aussi à Apollon, ou w\nax qui peut qualifier Poséidon et encore une fois Apollon, c’est seulement ce dernier qui peut être Delfivnio". Une Artémis Delphinia existe à Athènes, mais exclusivement en association avec Apollon et comme son pendant féminin16. Pour l’Apollon de l’Hymne, celui-ci raconte comment le sanctuaire de Crisa, en contrebas de Delphes, va être fondé par des marins crétois, détournés de leur route par Apollon, qui entend bien organiser son culte par le menu. De toute évidence, la Suite Pythique possède un but étiologique; son auteur a manifestement voulu donner une explication a posteriori d’une épithète qui avait déjà cours au moment de la rédaction et créer un récit d’installation justifiant la présence importante du culte d’Apollon à cet endroit. C’est ainsi que l’on a vu dans la Suite Pythique le reflet de la véritable importation d’un culte à partir de la Crète, puisque c’est cela que veut nous raconter l’Hymne. Et c’est sur la lancée de cette hypothèse que l’on a assuré que ce Delfivnio" était même certainement un dieu préexistant à Apollon, un dieu-dauphin, d’origine évidemment crétoise. Proposition tentante, soutenue notamment par J. Defradas 17. Ce dieu crétois Delfivnio" nous satisferait également si nous en avions des traces tangibles. Or, ce sont précisément ces preuves qui nous manquent. A notre connaissance, les dieux animaux n’existent pas dans le monde grec et, comme le faisait remarquer
14 On trouvera des précisions sur le culte d’Apollon Iatros dans l’article de B. Bravo « Luoghi di culto nella chora di Olbia Pontica», dans A. Stazio, S. Ceccoli (éds.), Problemi della chora coloniale dall’occidente al Mar Nero - Atti del 40° convegno di studi sulla Magna Grecia, Taranto 29/09-03/10/2000, Naples, 2001, p. 222-266. 15 L. Bodson, JIERA ZWIA. Contribution à l’étude de la place de l’animal dans la religion grecque ancienne, Bruxelles (Académie royale de Belgique, Mémoires de la classe des lettres, 63), 1978, p. 56. 16 Pollux, Onomasticon, 8, 119. 17 J. Defradas, Les thèmes de la propagande delphique, Paris, 1954, p. 73.
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L’ÉPITHÈTE DELFINIOS
M. P. Nilsson18 : «The animal form is rare (e.g. Zeus Ktesios in the guise of a snake). The animals are generally attributes, sacred creatures such as Athena’s owl and the hind of Artemis.». Si l’on observe les représentations figurées dans le monde minoen, il est vrai que les dauphins y sont extrêmement fréquents, que ce soit sur la célèbre fresque du mégaron de la reine à Cnossos, sur des vases, des sceaux et même sur des larnakes, urnes funéraires. Mais ils apparaissent presque toujours à plusieurs, alors que le nom Delfivnio" ne fait pas référence à un pluriel ou un duel comme par exemple les Dioscures, et ils sont en concurrence avec d’autres motifs comme les poulpes. Or, on n’a pas suggéré l’existence d’un dieu Polypous. Si l’on admet, comme nous l’indique le suffixe, qu’il ne s’agirait pas véritablement d’un dieu-dauphin mais d’un dieu du dauphin ou au dauphin, on devrait le trouver dans des textes, de même que l’on trouve Artémis Dictynna, l’Artémis des filets dont l’origine crétoise est attestée, puisqu’on peut la voir associée à Apollon Delfivnio", comme l’explique Plutarque 19, avec un retour sur l’hymne et une correction rationnelle apportée par l’auteur: Kai ; mh ;n ’Artevmidov" ge Diktuvnnh" Delfinivou t’ ’Apovllwno" iJera ; kai ; bwmoi; para; polloi'" eijsin JEllhvnwn: o}n d j aujto;" eJautw'/ tovpon ejxaivreton oJ qeo;" pepoivhtai... Krhtw'n ajpogovnou" oikou'nta" hJgemovni delfi'ni crhsamevnou": ouj ga;r oJ qeo;" proenhvceto tou' stovlou metabalw;n to; ei\do", wJ" oiJ muqogravfoi levgousin, ajlla; delfi'na pevmya" toi'" ajndravsin ijquvnonta to;n plou'n kathvgagen eij" Kivrran. «Et il y a chez de nombreux Grecs des temples et des autels d’Artémis Dictynna et d’Apollon Delfivnio". Et il est dit que le lieu que le dieu s’est choisi pour lui, ce sont des Crétois qui l’ont aménagé, emmenés par un dauphin; ce n’est pas le dieu qui a mené l’expédition en changeant d’apparence, comme le disent les mythographes, mais il a envoyé un dauphin aux hommes pour les guider jusqu’à Cirrha».
Apollon Delfivnio~, un dieu unique? Ce commentaire de Plutarque nous conduit lui-même à une réflexion sur l’extension géographique de l’épithète dans le monde grec. Précisons en effet que cette épithète n’a apparemment pas été reprise par les Romains puisqu’elle ne se trouve qu’en grec. Où donc en Grèce, et sous quelle forme ? Des inscriptions, citées pour la plupart par W. Aly, nous renseignent. Tout d’abord, un bon nombre d’entre elles témoignent de la présence dans plusieurs cités crétoises d’un culte d’Apollon Delphidios au lieu de Delfivnio", parmi lesquelles un décret des habitants de Cnossos sur un pilier à Magnésie ejn tw'/ iJarw'/ tw' Apevllwno" tw' Delfidivw 20«dans le temple d’Apollon
18 M. P. Nilsson, A History of Greek Religion, Oxford, 1925, p. 46: «La forme animale est rare (par exemple Zeus Ktesios sous l’apparence d’un serpent). Les animaux sont généralement des attributs, des créatures sacrées comme la chouette d’Athéna et la biche d’Artémis». 19 Plutarque, De sollertia animalium, 984 A. 20 Collitz-Bechtel, Sammlung der griechischen Dialektinschriften, III2, Göttingen, 1905, n° 5155.
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TROISIÈME PARTIE: LA CONSTRUCTION DU NOM ET LES FONCTIONS DE L’ÉPICLÈSE
Delphidien», et une inscription de Gortyne ejn tw'i Delfidivwi 21 «dans le Delphidion», ainsi que d’autres à Dreros et Olonte. Certes ces inscriptions prouvent l’existence en Crète d’un culte effectif d’Apollon Delphidios, mais toutes ces inscriptions remontent seulement à la fin du troisième et au début du IIe siècle av. J.-C. et, même si le culte était très développé en Crète à cette époque, cela ne permet pas de conclure à une origine crétoise de l’épithète, ni du culte. Hors d’Olbia et de la Crète existent d’autres témoignages du culte d’Apollon Delfivnio", par l’intermédiaire d’un mois Delphinion, accompagné de fêtes Delphinia, comme c’est le cas à Egine22, ou le célèbre temple du Delphinion à Athènes, près duquel se trouvait un tribunal chargé de juger les crimes considérés comme justes23. A Chalcis, un Delphinion est explicitement consacré à Apollon et à Titus Flaminius selon Plutarque24 : Ou{tw diaswqevnte" oiJ Calkidei'" ta; kavllista kai; mevgista tw'n par’ aujtoi'" ajnaqhmavtwn tw'/ Tivtw/ kaqievrwsan, w|n ejpigrafa;" e[sti toiauvta" a[cri nu'n oJra'n : «oJ dh'mo" Tivtw/ kai JHraklei' to; gumnavsion». eJtevrwqi de; pavlin «oJ dh'mo" Tivtw/ kai; jApovllwni to; Delfivnion». «Ainsi sauvés, les Chalcidiens consacrèrent à Titus les plus beaux et les plus grands de leurs monuments, dont on peut voir aujourd’hui encore les dédicaces du genre de celle-ci: “Le peuple dédie à Titus et à Héraclès ce gymnase”, ou bien encore: “Le peuple dédie à Titus et à Apollon le Delphinion”»25.
On trouve des temples d’Apollon Delfivnio" jusqu’à Massilia, où le culte est très ancien s’il remonte à la fondation de la colonie: Ktivsma d j ejsti; Fwkaievwn hJ Massaliva, kei'tai d j ejpi; cwrivou petrwvdou" : uJpopevptwke d jaujth'" oJ limh;n qeatroeidei' pevtra/ blepouvsh/ pro;" novton. teteivcistai de; kai; au{th kalw'" kai; hJ povli" suvmpasa mevgeqo" e[cousa ajxiovlogon. jEn de ; th'/ a[kra/ to ; jEfevsion i{drutai kai ; to ; tou' Delfinivou jApovllwno" iJerovn : tou'to me;n koino;n jIwvnwn aJpavntwn, to; de; jEfevsion th'" jArtevmidov" ejsti new;" th'" jEfesiva". «La ville de Massalia est une fondation phocéenne. Elle occupe un terrain rocheux et son port s’étale au pied d’une falaise en amphithéâtre orientée face au sud et munie, comme la ville elle-même, qui a des dimensions considérables, de solides remparts. Sur l’acropole s’élèvent l’Ephésium et le sanctuaire d’Apollon Delphinien. Le culte de cet Apollon est commun à tous les Ioniens, tandis que l’Ephésium est le temple de l’Artémis qu’on révère seulement à Ephèse»26.
21
Collitz-Bechtel, Sammlung…, n° 5016. Cf. Scholies à Pindare, Ve Neméenne, v. 81, VIIIe Pythique, v. 88. 23 Cf. Pausanias, Périégèse, I, 19, 1 et I, 28, 10. 24 Plutarque, Titus Flaminius, 16, 6, 1. 25 Trad. R. Flacelière et E. Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1969. 26 Trad. F. Lasserre, Strabon, Géographie, IV, 1, 4, Paris, Les Belles Lettres, 1966. 22
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L’ÉPITHÈTE DELFINIOS
Même Artémidore27 cite Apollon Delfivnio" et le présente comme annonçant un voyage s’il apparaît en songe, ce qui traduit sa popularité et rappelle la fonction de protecteur des marins du dieu: jApovllwn oJ Delfivnio" ajpodhmiva" kai; kinhvsei" ei[wqe shmaivnein. «Apollon Delphinios indique habituellement des voyages et des changements».
En revanche, le rapport est plus douteux entre Apollon et le nom du port d’Oropos mentionné par Strabon28, ainsi que celui de la fortification de Delphinion à Chios que citent Xénophon et Thucydide29, étant donné que les auteurs n’établissent pas euxmêmes le rapprochement et n’évoquent aucun rôle religieux pour ces constructions. Compte tenu de la nature portuaire de ces deux lieux, il est plausible que l’origine de l’appellation soit cette fois exclusivement le dauphin. Il est donc manifeste que l’épithète était effectivement répandue dans le monde grec à l’époque classique et hellénistique et s’utilisait parfois seule, tout en renvoyant systématiquement à Apollon, mais sans qu’on puisse être certain que cet Apollon Delfivnio" ait eu une origine unique et soit perçu partout de la même manière. Il semble même que son rapport avec le dauphin soit ressenti à des degrés très différents suivant les lieux et les époques. W. Aly30, qui a pratiqué des regroupements par zones géographiques et zones d’influence, distingue un courant auquel appartiendraient Milet, Massilia et les cités d’Asie Mineure (y compris Olbia, dont les documents épigraphiques cités plus hauts n’étaient pas encore connus à son époque) et un courant réunissant Athènes, Egine et d’autres cités continentales, mais sans Delphes qui cherche à se donner une filiation crétoise. On pourrait donc se trouver face à trois Apollons Delfivnioi distincts. Ainsi, on ne déterminera pas avec certitude l’origine véritable de l’épithète Delfivnio" et nous pouvons même douter que cette origine soit unique. Un lien avec le nom de Delphes a pu être voulu par les auteurs de l’Hymne dans une perspective idéologique bien particulière; quant au lien avec le dauphin, parfois évoqué par les sources ellesmêmes, il ne laisse aucunement conclure à une valeur fonctionnelle de l’épithète comme indiquant un caractère spécifiquement marin. Dans son emploi, l’épithète a joué un véritable rôle cultuel, comme le prouve le grand nombre de temples dédiés à Apollon Delfivnio" et, puisque c’est l’unique dieu auquel on le rattache, l’évocation d’Apollon par la seule épiclèse Delfivnio" semble sans ambiguïté; l’hypothèse d’un dieu Delfivnio" antérieur et indépendant paraît en revanche difficilement soutenable, en l’absence de toute trace certaine. Il s’agit bien d’une épithète associée à un dieu et le distinguant d’autres appellations, mais des spécificités locales ont pu venir s’ajouter à cette dénomination commune, conférant à différents Apollons Delphinioi un caractère propre.
Anne-Laure PHILIPPE Université Marc Bloch – Strasbourg II 27
Artémidore, Onirocritique, II, 35. Strabon, Géographie, IX, 2, 6. 29 Xénophon, Helléniques, I, 5, 15 et Thucydide, VIII, 38, 1. 30 W. Aly, Der kretische Apollonkult…, p. 28. 28
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NOMMER HERMÈS DANS LA TRAGÉDIE GRECQUE Dans le volume V du Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae1, j’avais proposé un portrait d’Hermès que le colloque Nommer les dieux donne l’occasion de compléter ou de retoucher par l’examen, autant que possible exhaustif, des textes de la tragédie2. Le corpus qu’ils forment témoigne avec cohérence de la représentation linguistique d’un dieu familier aux Athéniens. De l’Argeiphontès homérique au Trismégiste de la gnose, nommer Hermès c’est le désigner au moyen d’épiclèses consacrées par la théologie, la prière et l’usage cultuel, comme en atteste notamment l’épigraphie3. D’autres épithètes, plus occasionnelles, sont soit des appellations populaires, soit des réminiscences littéraires, tel wjkuvpou" (Hélène, v. 243) pour évoquer le dieu aux sandales ailées (pteroventa pevdila). Mais il s’en faut que nommer Hermès dans la tragédie grecque se réduise à un jeu d’adjectifs ou que l’on puisse isoler ce mode de désignation de plusieurs autres.
Hermès nommé par son seul nom Le dieu agit alors dans le cadre d’une de ses fonctions, sans que le poète recherche un effet particulier. Hélène rapporte en ces termes son enlèvement: «M’ayant prise (labwvn) et dissimulée dans un nuage, Hermès m’a transportée dans l’éther et déposée au palais de Protée (v. 44). Dans les Suppliantes d’Eschyle (v. 305), quand le coryphée évoque l’histoire d’Iô, il dit sur le ton neutre du récit: Argon [ to;n ÑErmh'" pai'da Gh'" katevktanen («Hermès tua Argos, le fils de Gê»). En revanche, lorsque l’action divine doit être mieux caractérisée, l’expression en est quelquefois traduite par la forme verbale. Dans un récit des Choéphores (v. 622), à peine Scylla a-t-elle arraché à son père le cheveu d’immortalité, que l’action fulgurante de la mort est soulignée par le verbe : kigcavnei mi ;n ÑErmh'", un Hermès que le spectateur imagine probablement sous les traits du Thanatos des lécythes funéraires, quand il se jette sur sa proie4.
1
= LIMC,V, 1990, p. 285-387 et pl. 198-283; bibliographie antérieure, p. 289-290. Les éditions qui serviront ici de références, pour le texte et la traduction, sont celles de la Collection des Universités de France (= CUF), Paris, Les Belles Lettres, y compris l’édition des fragments d’Euripide. Pour les fragments d’Eschyle, on utilisera H. J. Mette, Die Fragmente der Tragödien des Aischylos, Berlin, 1959, ainsi que l’édition de S. Radt, Tragicorum Graecorum Fragmenta, 3, Aeschylus, Göttingen, 1985. 3 S. Eitrem, Real-Encyclopedie, VIII, 1912, s. u. «Hermes», col. 755-758. On notera que l’énigmatique Argeifov j nth" n’apparaît jamais dans la tragédie. En dernier lieu: G. Siebert, «Le meurtre d’Argos. Images médiévales d’Hermès», A j gaqo;" daivmwn. Mythes et cultes. Etudes d’iconographie en l’honneur de Lilly Kahil, Bulletin de correspondance hellénique, Suppl. 38, 2000, p. 441-449, en particulier p. 448, n. 29. 2
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TROISIÈME PARTIE: LA CONSTRUCTION DU NOM ET LES FONCTIONS DE L’ÉPICLÈSE
Hermès défini par des substantifs en apposition Les déterminatifs peuvent également désigner le dieu à eux seuls, entraînant alors l’économie de son nom. Particulièrement fréquents sont les cas où Hermès est désigné généalogiquement, selon la façon la plus grecque de donner l’identité. On trouve alors: – oJ pai'" oJ Maiva" (Choéphores, v. 812; Médée, v. 759; Antiope, Euripide, Fragments, I, p. 265). – oJ pai'" oJ Diov" te kai; Maiva" (Hélène, v. 670). – oJ pai'" Diov" (Les limiers, passim). – oJ Maiva" te kai; Dio;" tovko" (Andromaque, v. 275-276). Maiavdo" tovko" (Hélène, v. 1670). – {Hra e[pemye Maiavdo" govnon (Hélène, v. 243). Souvent il ne s’agit que de simples formules d’état civil. Mais les variantes peuvent avoir du sens. Lorsqu’on veut mettre en évidence, parfois non sans fierté, les origines arcadiennes du dieu né dans une grotte, il est le fils de la Nymphe. Inversement, dans Les limiers, la nourrice Cyllène, indignée par les soupçons qui pèsent sur l’enfant, ne cesse de marteler qu’il est pai'" Diov". Quand au v. 90 des Euménides Apollon rappelle qu’Hermès est du même sang, du même père que lui (aujtavdelfon ai|ma, koinou' patrov"), c’est pour dire la gravité de la mission qu’il confie au guide d’Oreste doublé d’un gardien (fuvlax) et d’un protecteur sur la route d’Athènes. Le procédé de la désignation généalogique est tourné en dérision dans les Grenouilles (v. 1266, commenté par une scholie), quand Aristophane s’empare d’un vers des Psychagogues d’Eschyle, dont le contexte est perdu5 ; il y fait d’Hermès l’ancêtre de la race des batraciens: provgono". La désignation devient fonctionnelle à l’aide d’une série de substantifs, placés en apposition ou formant périphrase. De loin les plus fréquents sont ceux qui se rapportent au serviteur, au messager, au guide, mais avec tout un jeu de nuances. – D’abord Hermès serviteur, Daimovnwn lavtri": c’est en ces termes qu’il se présente lui-même dans le prologue d’Ion (v. 4), sans que lavtri" ait ici une connotation dépréciative. Iris, au v. 813 d’Héraclès, se qualifie également de lavtrin qew'n. C’est dans la bouche de Prométhée, chez Eschyle, que le mot devient injure: on traduit souvent par “valet”. D’autres vocables expriment de la part du Titan le même mépris pour la servitude: Hermès est Dio;" trovci", le garçon de course de Zeus (v. 944); le diavkono" du jeune tyran (v. 942) ; ou encore l’uJphrevth" qew'n (v. 954 et 983) dont Prométhée souligne la condition subordonnée de serviteur à gages (latreiva). A l’inverse, dans des passages lyriques, et seulement dans ces passages-là6, Hermès est appelé a[nax, sire Hermès, comme le sont Apollon et Zeus en personne: Glaucos de
4 E. Pottier, «Thanatos et quelques autres représentations funéraires sur les lécythes attiques à fond blanc», Monuments Piot, XXII, 1916, p. 35-55, pl. III. Musée du Louvre CA 1264. Peintre des roseaux. J. D. Beazley, Attic Red-figure Vase- painters, Oxford, 1963, p. 1384, 19. 5 H. J. Mette (op. cit., supra, n. 2), p. 177, n° 476. 6 Dans le registre parodique de la comédie, Hermès est salué comme devspota (La Paix, v. 378, 385, 399, 648, 711) ou même w\nax devspota (v. 388).
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NOMMER HERMÈS DANS LA TRAGÉDIE GRECQUE
Potnies, chant du chœur (Mette, 448); le chœur d’Œdipe-Roi utilise la circonlocution oJ Kullavna" ajnavsswn (v. 1104). C’est l’Hermès dont la prestance émerveille Priam au dernier chant de l’Iliade (XXIV, 376-77)7. – Kh'rux constitue le mot clef pour désigner le patron des hérauts, dont le khruvkeion, le caducée, est l’attribut constant. Au v. 165 des Choéphores, Eschyle lui assigne un empire sans partage: Kh'rux mevgiste tw'n a[nw te kai; kavtw. Et le messager d’Agamemnon, de retour de Troie, invoque en ces termes le maître de sa corporation: fivlon khvruka, khruvkwn sevba" timavoron. Moins technique, mais au total synonyme, est l’emploi du mot a[ggelo": Iphigénie en Aulide, v. 1302. Dans un fragment du Glaucos de Potnies, le chœur invoque Hermès en tant que Zh'no" a[ggele (Mette, 448). Il est qualifié de pivsto" a[ggelo" au v. 969 du Prométhée enchaîné. – Pompeuv", pompov", pompai'o", pevmpein: toute la famille du mot illustre l’autre fonction majeure d’Hermès, celle du guide, sémantiquement plus diversifiée. Dans le passage déjà cité des Euménides, Apollon rappelle à son frère qu’il est ejpwvnumo" pompai'o", ce que précise Lichas, dans Les Trachiniennes, au moment de convoyer la tunique de Nessos: il fait le métier d’Hermès, ÑErmou' tevcnhn (v. 620). Œdipe aveugle, qui conduit ses filles et Thésée vers le lieu secret de sa tombe prochaine, sait qu’il est lui-même guidé par Hermès: th'/de ga;r m v a[gei ÑErmh'" oJ pompov" (v. 1548). C’est pourquoi, au v. 1627 la voix impatiente qui le presse d’avancer (tiv mevllomen cwrei'n) me paraît être celle d’Hermès plutôt que celle de Charon, comme le propose une note dans l’édition des Belles Lettres8. Remarquons que le terme de psychopompe, utilisé par les historiens de la religion et de l’art grecs, ne se rencontre jamais dans la tragédie pour désigner Hermès. Au v. 361 d’Alceste, le mot qualifie Charon, mais avec la précision que ce psychopompe-là est un rameur (ouJpi; kwvph/ yucopompo;" Cavrwn) et ne saurait donc avoir été le guide d’Œdipe. Plus vague et plus ambiguë est l’expression employée par le chœur aux v. 440-441 pour qualifier Charon de «vieux conducteur des morts»: gevrwn yucopompov". – Un hapax, dans Les Suppliantes d’Eschyle (v. 920), s’explique par l’interférence fréquente entre les missions du héraut et celle du policier: l’envoyé d’Egyptos s’est adressé, dit-il, JErmh'/ megivstw/ proxevnwn masthrivw/, le masthvr étant l’un des
7 L’expression pouvait évoquer au spectateur des images comme celle d’une amphore tyrrhénienne de Berlin (atelier attique du milieu du VIe siècle): LIMC, V, n° 681. Drapé dans un somptueux manteau, Hermès assiste à une naissance d’Athéna et se présente comme «Cyllénien» (inscription). Cf. dans le présent volume la contribution de M. Halm-Tisserant, «Nommer les dieux au flanc des vases», pl. II, fig. 12. 8 Sophocle, III, éd. J. Irigoin, CUF, 1990, p. 145, note 2. L’invitation, plus ou moins pressante, au voyage vers l’au-delà est illustrée sur une loutrophore apulienne du Musée de Bâle (fin du IVe s). Au-dessus du groupe d’Hermès saisissant par le poignet un homme assis sur un siège on lit ce dialogue: «Debout, en route vers l’Hadès!»; «Je ne veux pas!»: M. Schmidt, «Hermes als Seelenführer auf einer apulischen Lutrophoros in Basel», Antike Kunst, 27, 1984, p. 34-40, pl. 8-10; W. Baschelet-Massini, «Zur Inschrift auf der spätapulischen Hermeslutrophoros in Basel», ibidem, p. 41-77. Sur la fresque du tombeau macédonien de Lefkadia (début du IIIe s.) le geste du psychopompe invite un officier à se présenter devant les juges infernaux: P. M. Petsas, JO tavfo" tw'n Leukadivwn, Athènes, 1966, pl. Z et 6; LIMC, V, n° 600.
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magistrats athéniens chargés d’enquêter sur les biens des proscrits et d’en assurer la saisie au bénéfice de l’Etat9.
Gamme des épiclèses, épithètes et adverbes Elle sert soit à préciser la fonction désignée par le substantif, soit à introduire une nuance psychologique dans la représentation du dieu. Comme conducteur des morts, Hermès est habituellement désigné par l’épiclèse cqovnio", que l’on rencontre sur les stèles funéraires thessaliennes10. La désignation peut être collective. Dans Les Perses, lors de l’évocation du fantôme de Darius, Hermès se trouve étroitement associé aux autres divinités souterraines: Cqovnioi daivmone" aJgnoiv Gh' te kai; ÑErmh' basileu' t v ejnevrwn.
Il est du nombre des princes d’outre-tombe, cqonivwn aJgemovne", mentionnés aux v. 639-64011. Mais, en fonction du contexte, l’épiclèse cqovnio" prend place dans des registres assez différents. Une des occurrences les plus étonnantes est celle des v. 831-834 d’Ajax, à l’instant qui précède le suicide: Kalw' d j a{Jma pompai'on ÑErmh'n cqovnion eu\ me; komivsai xu;n ajsfadavstw/ kai; tacei' phdhvmati.
L’Hermès de la mort douce, qui doit endormir le héros, évoque pour le spectateur la figure d’Hypnos, frère de Thanatos, d’autant plus qu’avec sa rJab v do", sa baguet-
9
Sur l’ensemble de ses fonctions: G. Busolt, H. Swoboda, Griechische Staatskunde, Munich, 1920-1926, p. 487-488. En dernier lieu: H. Cancik, H. Schneider, Der Neue Pauly, Stuttgart, 1999, s. u. «Mastroi». L’institution des mavstroi ou masth're" fonctionne aussi dans d’autres cités. 10 G. Daux, Bulletin de correspondance hellénique, 89, 1965, p. 792-793, fig. 1 (stèle de Véria). Hermès cqovnio" est attesté principalement à Larisa, mais aussi à Tricca, Phalanna, Gonnos. F. Hiller von Gaertringen dresse la liste des occurrences dans son index des Inscriptiones Graeciae Septentrionalis chez O. Kern, Inscriptiones Graecae, IX, 2, Berlin, 1908, p. 318, s. u. «HRMA». 11 Deux autres passages semblent être de contenu et de tonalité analogues: a) Un fragment des Psychagogues d’Eschyle, éd. S. Radt, Göttingen, 1985, n° 273 a, 8. Le chœur s’adresse à Ulysse: cqovnion q j ÑErmh'n pompo;n fqimevnwn, aijtou' cqovnion Diav. «Demande à Hermès chthonien, guide des morts, demande à Zeus chthonien». b) Un autre fragment, plus long (A. Nauck, Tragicorum Graecorum Fragmenta, Incertarum fabularum fragmenta, Leipzig, 1889, p. 655, n° 912), mentionne, dans le cadre d’une scène de nécromancie ou de sacrifice, Zeus-Hadès. Peut-être Hermès conducteur des âmes est-il impliqué dans l’action, en raison de la formule pevmyon d j ej" fw'" yuca;" ejnevrwn «Conduis à la lumière les âmes des défunts».
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te magique, il plonge dans le sommeil qui il veut12. C’est sa compagnie, semble-t-il, qui veut apaiser le chagrin d’Achille après la mort de Patrocle13. A l’opposé, dans le registre de la violence et de la ruse, le guide est qualifié de dovlio". Il s’agit là encore d’une épiclèse et non pas d’un simple qualificatif de caractère, puisqu’il existait un Hermès patron des voleurs et des brigands, honoré notamment à Chios et à Samos, et qui avait son pilier inscrit DOLIOS sur la route de Pellène à Corinthe14. C’est à ce dieu là qu’Ulysse recommande Néoptolème envoyé auprès de Philoctète: ÑErmh'" d v oJ pevmpwn Dovlio" hJghvsato nw'n (v. 133). Quand, dans l’Electre de Sophocle, Oreste a pénétré dans le palais pour commettre le meurtre (v. 1395-1397), ce même Dovlio" est évoqué par le chœur avec de nouveaux détails: JErmh'" sf j a[gei dovlon skovtw/ kruvya" pro;" aujto; tevrma.
Ce guide qui dissimule sa ruse dans l’ombre est la divinité «aux bienfaits rares» évoquée dans la Suite à l’Hymne homérique15. C’est l’Hermès d’Eschyle, dont Sophocle rappelle à son public l’inquiétante figure. Par ses incantations redoublées (v. 727 et suiv.) le chœur des Choéphores presse à l’action en ces termes: «Il est temps qu’Hermès infernal (cqovnio"), Hermès le ténébreux (nuvcio") préside à la joute des épées meurtrières». Le mot nuvcio" associé à cqovnio" n’est pas une épiclèse, mais un trait poétique repris sous forme de substantifs aux v. 812-813: a[skopon d v e[po" levgwn nukto;" proujmmavtwn skovton fevrei «Ce dieu magicien, par un mot obscur, souffle devant les yeux les brumes de la nuit».
Dans le passage cité plus haut entrait, aux côtés du cqovvnio" et du nuvcio", une troisième composante: celle de l’Hermès des luttes armées (ejfodeu'sai xifodhlhtoi'sin ajgw'sin). Malgré l’épisode du meurtre d’Argos16, Hermès est une divinité pacifique qui ne patronne habituellement d’autres combats que ceux des athlètes. L’idée
12 Hypnos et Thanatos, sous le commandement d’Hermès, procèdent à la levée des corps de héros tombés sur le champ de bataille: Sarpédon sur le cratère d’Euphronios au Metropolitan Museum de New York (E. Simon, Die griechischen Vasen, Munich, 1981, p. 98 et pl. 102103); un jeune hoplite anonyme sur un lécythe du Musée National d’Athènes (LIMC,V, n° 595). Iris peut remplacer Hermès auprès des génies de la Mort et du Sommeil: coupe du Peintre de Nikosthénès, Beazley, op. cit. (note 4), p. 126, 21; E. Pfuhl, Malerei und Zeichnung der Griechen, III, Munich, 1923, p. 66, fig. 345. 13 Eschyle, La rançon d’Hector, Mette, n° 243 a. 14 LIMC, V, p. 288. 15 V. 576-578: «Ce dieu se mêle à tous, mortels et immortels; tandis que ses bienfaits sont rares (pau'ra me;n ou\n ojnivhsi), c’est sans cesse qu’il guette dans l’ombre de la nuit (hjperopeuvei nuvkta di oj rj fnaivhn) la race des hommes mortels». L’hymne primitif s’arrête au v. 512: J. Humbert, Homère, Hymnes3, CUF, 1936, p. 112. 16 Supra, n. 3.
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de lutte se retrouve dans un fragment non identifié et hors contexte chez Eschyle: ejnagwvnie Maiva" kai; Dio;" ÑErma' (Mette, 738). Le trait est plutôt rare, mais il faut se souvenir que dès les premiers vers des Choéphores Oreste avait invoqué Hermès Infernal comme un allié, un suvmmaco", et un sauveur, swthvr. Par ailleurs, dans Les Sept contre Thèbes (v. 508-509), c’est Hermès qui apparie les deux adversaires s’affrontant à la Porte d’Athéna Onka, Hippomédon contre Hyperbios. Eschyle précise même qu’il le fait judicieusement (eujlovgw")17.
Cas particuliers Pour compléter cet inventaire, il faudrait mentionner des cas où une fonction d’Hermès est décrite sans être expressément désignée Le terme de pédophore s’emploie chez les historiens à propos de la statue de l’Héraion d’Olympie ou, plus généralement, pour qualifier le dieu protecteur des enfants18. Il n’est pas utilisé par les poètes tragiques19. Pourtant, d’après le prologue d’Ion, c’est bien en tant que tel qu’Hermès agit en prenant soin du nourrisson qu’il recueille dans une grotte de l’acropole d’Athènes pour le porter à Delphes20. Le même procédé littéraire permet d’évoquer l’Hermès pastoral, le dieu bouvier et berger de l’Hymne homérique (v. 491-494). On apprend seulement (Oreste, v. 997 et suiv.) que c’est lui qui élève les troupeaux d’Atrée et fait naître le bélier à la toison d’or, lovceuma poimnioi'si Maiavdo" tovkou. Dans l’Electre d’Euripide (chant du chœur, v. 462463), il est qualifié d’«agreste jouvenceau», ajgroth'ra kou'ron, figuré aux côtés de Persée sur le bouclier d’Achille. Plus singulier est le commentaire auquel se livre Danaos, quand il présente à ses filles les statues des divinités qui environnent l’autel où ils ont trouvé refuge. Poséidon est reconnu à son trident. Mais au vers suivant il est dit: ÑErmh'" o{d’ a[llo" toi'sin ÑEllhvnwn novmoi" «Et voici encore un Hermès conforme à la tradition des Grecs» (Eschyle, Les Suppliantes, v. 220). On peut comprendre: un Hermès figuré selon le modèle traditionnel des sculpteurs, avec les attributs qui en permettent l’identification (caducée, ailerons). Les princesses barbares étaient sans doute peu versées dans l’art grec. Mais pourquoi avoir choisi l’effigie d’Hermès pour leur faire la leçon?
Poluwvnume, Kullhniva" nuvmfa" a[galma kai; Dio;" barubremevta gevno"... w\ JErma'
Le chœur d’Antigone invoque Dionysos en le qualifiant de polyonyme: poluwvnume... w\ Bakceu' (v. 1115). L’expression ne conviendrait pas mal à Hermès, mais
17
Sur Hermès, dieu des athlètes: LIMC, V, p. 289. Sur Hermès pédophore dans la documentation iconographique: LIMC, V, n°s 358-401. 19 Le mot se rattache à une nombreuse famille lexicale, mais lui-même n’est guère attesté dans l’Antiquité. Une épigramme de Méléagre (Anthologie Palatine, XII, 52) l’emploie dans le contexte d’un rapt amoureux: paidoforw'n a[nemo". 20 A la fin de la pièce, ce rôle est rappelé par Athéna: «L’enfant, venu au jour, enveloppé de langes, il (Apollon) commanda qu’Hermès allât le recueillir dans ses bras et le vînt apporter en ces lieux» (v. 1597-1599). 18
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sans doute aussi à d’autres dieux. Pour mesurer la signification des termes qualifiant Hermès dans la tragédie, c’est donc à l’ensemble du panthéon qu’il faut étendre l’enquête. En outre, pour d’évidentes raisons, la tragédie ne retient que ses fonctions les plus nobles. Le plus truculent et le plus populaire des dieux d’Athènes apparaît sous d’autres couleurs chez Aristophane et chez Ménandre. Mentionnons seulement quelques procédés par lesquels Hermès est nommé dans la Paix: enflure des superlatifs les plus sonores (w\ filanqrwpovtate kai; megalodwrovtate daimovnwn, v. 392-394); ironie des compliments échangés avec son complice Trygée ou avec le coryphée (w\ qew'n sofwvtate v. 428; w\ sofwvtatoi gewrgoiv v. 603); diminutifs tantôt affectueux, tantôt faussement méprisants ( W j rmhvdion «mon petit Hermès», v. 382; memfovmenon ÑErmhvdion «un misérable petit Hermès», v. 603); allusions au protecteur des voleurs (v. 402) et au psychopompe qui a débarrassé le peuple de Cléon (v. 650); jeu de scène avec l’oreille de l’interprète collée à la bouche de la statue (v. 661 sv.)21 ; transfert à Hermès d’une épiclèse généralement réservée à Héraclès (ajlexivkako", v. 422) et de toutes les fêtes consacrées aux autres dieux, des Panathénées aux Mystères d’Eleusis (v. 416420). Pour une image théâtrale plus complète d’Hermès et pour d’autres façons de le nommer, l’étude devra prendre en compte les textes de la comédie. Dès à présent apparaît toutefois la complexité de l’appareil rhétorique dont ont joué les poètes tragiques. C’est qu’il ne s’agissait pas simplement de nommer, mais, à travers les noms, d’évoquer. Rares, en effet, sont les évocations visuelles d’un Hermès paraissant sur scène, comme dans le prologue d’Ion, avec ses vêtements et ses attributs rendus familiers à tout un chacun par les peintres de vases, les coroplathes, les sculpteurs. Evoquer par les seuls mots supposait, au premier chef, un public informé d’un vocabulaire liturgique et de toute une légende dorée, savante ou populaire, dont l’éducation littéraire, la fréquentation des sanctuaires et des fêtes avaient conféré la connaissance aux spectateurs. Ainsi se comprend la manière parfois très allusive du texte. Le reste, ce qui donne à l’Hermès de la la scène tragique sa singularité et sa force – dieu nocturne du crime, divinité bienfaisante de la mort douce comme le sommeil – appartient aux poètes.
Gérard SIEBERT Université Marc Bloch – Strasbourg II
21 Ce jeu de scène correspond, mais avec l’inversion des rôles, à des images de la peinture de vases dans lesquelles des hommes ou des femmes parlent à l’oreille d’un pilier hermaïque (par ex., LIMC, V, n° 143). Un groupe statuaire néo-classique du Musée d’Orsay à Paris (RF 259), œuvre de Julien-Hippolyte Moulin intitulée «Un secret d’en haut», montre Hermès parlant à l’oreille de Pan représenté sous la forme d’un pilier: A. Pingeot, A. Le Normand-Romain, L. de La Margerie, Le Musée d’Orsay. Catalogue sommaire illustré des sculptures, Paris, 1986, p. 202. On comparera aussi un groupe de François Jouffroy (1839, Musée du Louvre), avec une jeune femme chuchotant à l’oreille d’Aphrodite (en déesse-pilier): M. Rheims, La sculpture au XIXe siècle, Paris, 1972, p. 362, n° 3.
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DES ÉPICLÈSES EXCLUSIVES DANS LA GRÈCE POLYTHÉISTE? L’EXEMPLE D’OURANIA* Introduction En contexte polythéiste, les dieux se croisent et collaborent volontiers. Toutefois, Georges Dumézil nous a appris que, si les dieux fréquentent des lieux semblables et des domaines identiques, ils le font selon des modes d’intervention et d’action particuliers. Le plus bel exemple qu’il nous ait livré tient sans doute au rejet d’un dieu Mars prétendument agraire. Ni les pains déposés sur le crâne du Cheval d’Octobre, ni les Ambarvalia de Caton n’ont résisté à la pertinence de ses analyses. Exit le Mars agraire ! Le dieu est bel et bien guerrier, même quand il lui arrive de traverser des champs qui ne sont pas champs de bataille1. C’est le mode d’action qui fait le dieu et le distingue de ses pairs. Cette grille d’analyse fait des panthéons des ensembles cohérents, qui tirent leur sens de la relation entre leurs composantes et non de leur simple juxtaposition. Dans ce contexte, les épiclèses ont un rôle important à jouer. En se recommandant de Dumézil, Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne ont naguère livré une étude de Poséidon Hippios et d’Athéna Hippia qui a fait date. Hippia place Athéna du côté de la maîtrise de l’animal et du char qu’il emmène; Hippios fait de Poséidon un maître du cheval qui libère ou discipline la fougue de l’animal, mais sans les artifices artisanaux d’Athéna2. Domaine d’intervention commun, mais mode d’intervention spécifique, la règle était encore récemment rappelée par Marcel Detienne, résolument engagé dans la voie de ce qu’il appelle «l’expérimentation des polythéismes»3. La démarche de cet auteur a toutefois évolué et il en est venu à critiquer le caractère univoque du critère du «mode d’action» d’un dieu4. Il privilégie maintenant la réactivité des dieux grecs autour d’objets concrets qu’il considère comme autant de révélateurs. Cette évolution tient au souci méritoire d’éviter toute surdétermination préalable des figures divines. Comment, en effet, ne pas charger de traits préconçus le dieu soumis à l’expérimentation? Comment
* Mes remerciements vont à Nicole Belayche, Pierre Brulé et Francis Prost. Corinne Bonnet, André Motte et Marcel Piérart ont relu ces pages avec un œil critique et je leur en suis reconnaissante. 1 G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 19742 [réimpr. 2000], p. 215-256. 2 J.-P. Vernant, M. Detienne, Les ruses de l’intelligence. La métis des Grecs, Paris, 1974, p. 176-200, spéc. 199. 3 M. Detienne, «Expérimenter dans le champ des polythéismes», Kernos, 10, 1997, p. 57-72, et le chapitre IV de Comparer l’incomparable, Paris, 2000, p. 81-104. Cf. le compte rendu d’A. Motte dans Kernos, 15, 2002, p. 539-541. 4 Ibid., p. 90-91.
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ne pas lui attribuer d’emblée une «fiche d’identité» plus ou moins implicite? On a envie de répondre que la culture grecque, depuis Homère, invite à le faire, et Detienne lui-même ne méconnaît pas l’argument. De telles analyses synchroniques ont fait la preuve de leur pertinence. Loin s’en faut, néanmoins, que l’histoire ne soit qu’un simple adjuvant accessoire de l’analyse du polythéisme grec. La perspective historique ne peut être simplement «convoquée» à la barre des témoins ponctuellement, quand elle vient renforcer ce que montre l’analyse par «réactivité». Même si l’état de notre documentation ne permet pas toujours d’opérer cette mise en perspective historique avec toute la précision voulue, elle reste un objectif à ne pas perdre de vue. A l’ignorer, on risque de niveler totalement la vie religieuse des Grecs durant un millénaire et de postuler des continuités là où se manifestent des évolutions, voire des ruptures. Le présent volume me donne l’occasion d’illustrer ce point de vue par un exemple précis, à la suite notamment des analyses de Pierre Brulé sur les épiclèses comme outil privilégié dans l’étude du polythéisme grec5. En effet, les épiclèses sont une composante essentielle de la collaboration divine. Avec les noms de héros locaux, elles sont assurément l’indice le plus clair de la plasticité du panthéon grec et de la dynamique de prolifération qui l’anime. Il suffit d’ouvrir la Périégèse de Pausanias, visitant la Grèce au IIe siècle de notre ère, pour voir défiler, inlassablement, le nom de héros plus ou moins locaux selon les cas et le nom des dieux avec leurs épiclèses, plus ou moins locales elles aussi. Même si Pausanias n’est pas un «théoricien» de la religion grecque, il se pose des questions et quelques-unes de ses interrogations affleurent parfois dans l’exposé. Ainsi, à propos des épiclèses, il cherche à dégager le sens de certaines d’entre elles et c’est très souvent l’occasion de raconter de belles histoires. Mais à Patras en Achaïe, autour d’un Poséidon Hippios, il va plus loin et livre une réflexion de portée générale6 : « En dehors de tant de noms attribués à Poséidon, que les poètes ont forgés (pepoihmevna) pour la beauté de leurs vers, et des appellations locales particulières que chacun établit en propre, voici quelles épiclèses sont à l’usage de tous: Pelagaios, Asphalios et Hippios. On pourrait arguer de bien des raisons d’appeler le dieu Hippios; pour ma part, je suppose qu’il a reçu ce nom en tant qu’inventeur de l’art équestre.»
5 P. Brulé, «Le langage des épiclèses dans le polythéisme hellénique», Kernos, 11, 1998, p. 13-34. Il faut aussi mentionner trois études récentes: P. Borgeaud, «Manières grecques de nommer les dieux», Colloquium Helveticum, 23, 1996, p. 19-36; F. Graf, «Namen von Göttern im klassischen Altertum», in Namenforschung. Ein internationales Handbuch zur Onomastik / Name Studies. An International Handbook of Onomastics / Les noms propres. Manuel international d’onomastique II, Berlin, 1996, p. 1823-1837; R. Parker, «The Problem of the Greek Cult Epithet», Opuscula Atheniensia, 28, 2003, p. 173-183. 6 Pausanias, VII, 21, 7: Poseidw`ni de; pare;x h] oJpovsa ojnovmata poihtai'" pepoihmevna ejsti;n ej" ejpw`n kovsmon kai; i[dia [Casevitz, CUF] sfivsin ejpicwvria o[nta e{kastoi tivqentai, tosaivde ej" a{panta" gegovnasin ejpiklhvsei" aujtw/`, Pelagai'o" kai; ’Asfavliov" te kai; ÜIppio". wjnomavsqai de; I{ ppion to;n qeo;n peivqoito me;n a[n ti" kai; ejp’ aijtivai" a[llai": ejgw; de; euJreth;n iJppikh`" o[nta ajpo; touvtou scei'n kai; to; o[noma eijkavzw.
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DES ÉPICLÈSES EXCLUSIVES DANS LA GRÈCE POLYTHÉISTE?
Dans ce passage, Pausanias distingue les épithètes poétiques, notamment héritées de l’épopée, les appellations locales qui relèvent de l’initiative des communautés, voire de particuliers, et les épiclèses ej" a{panta", pour tous, c’est-à-dire, dans la perspective qui est la sienne, celles que se partagent tous les Grecs et qu’il a pu rencontrer dans bon nombre de bourgades et de cités qu’il a visitées. Le cas de Poséidon Hippios aboutit, dans l’analyse de Pausanias, au constat d’une invention divine, celle de l’art équestre, ce qui relève de la définition du prôtos heuretês, le «premier» à avoir trouvé ceci ou cela. Depuis les analyses de Vernant et Detienne évoquées plus haut, nous pouvons aller bien plus loin que les hypothèses de Pausanias, mais encore fautil que la documentation soit suffisante. C’était le cas pour l’épiclèse Hippios/Hippia mise à l’épreuve de la métis, et c’est heureusement le cas aussi pour l’épiclèse Ourania dont il sera ici question. Toutefois, l’exemple d’Ourania pose un problème inverse, celui d’une quasi-exclusivité dans l’attribution d’une épiclèse à une divinité, en l’occurrence la déesse Aphrodite. C’est là qu’il faut reconvoquer l’histoire comme principe d’explication, car les mécanismes internes, « synchroniques », du fonctionnement polythéiste – et le principe du «mode d’action divine» de Dumézil – trouvent ici leur limite. Le dossier documentaire d’Ourania, par sa richesse, permet de questionner cette sorte de monopole divin sur une épiclèse.
Des dieux «ouraniens» La plupart des dieux grecs sont, de près ou de loin, des enfants d’Ouranos et de Gaia. Ils reçoivent à ce titre le nom collectif d’Ouranidai ou d’Ouraniônes. C’est le cas chez Homère et chez Hésiode, notamment7. Ces appellations, Pausanias les aurait qualifiées de «poétiques» et nous disons qu’elles sont littéraires. Elles marquent la filiation et renvoient directement à la théogonie canonique des Grecs. Ouranios/Ourania en tant qu’épithète est également un terme qui évoque le ciel, mais moins en tant que référence à la paternité d’Ouranos qu’en tant que lieu de la manifestation ou du séjour divin. L’appellation peut être littéraire, et n’apparaît pas avant la poésie de Pindare et les pièces des Tragiques8. Elle relève la majesté divine au même titre que l’adjectif semnos ou le nom de potnia qui sert à interpeller les déesses. Mais Ourania est également un nom propre indépendant attesté pour la première fois chez Hésiode. Il désigne une Muse et une Océanide9. La Muse connaîtra une certaine postérité, mais comme beaucoup de ses sœurs, l’Océanide se perdra dans la masse peu différenciée des enfants d’Okéanos et Théthys. Parallèlement à ces contextes poétiques, Platon, dans ses Lois10, affirme qu’il ne faut pas mélanger ce qui concerne les «chthoniens» et les dieux appelés «ouraniens». 7 Homère, Iliade, I, 570; V, 373, 898; XIX, 275, 509; XXIV, 547, 612; Hésiode, Théogonie, 461, 486, 502, 919, 929. 8 Eschyle, Prométhée enchaîné, 164; Pindare, fr. 30; fr. 122 Snell-Maehler. 9 Hésiode, Théog., 78, 350. 10 Platon, Lois VIII, 828 c (trad. A. Diès): e[ti de; kai; to; tw`n cqonivwn kai; o{sou" au\ qeou ;" oujranivou" ejponomastevon kai ; to ; tw`n touvtoi" eJpomevnwn ouj summeiktevon ajlla ; cwristevon... «Il ne faut pas non plus mélanger le culte des dieux chthoniens avec celui des dieux que nous devons appeler célestes, pas plus que les rites qui y sont attachés, mais les bien séparer...».
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L’utilisation d’Ouranioi comme appellation générique des dieux célestes est aussi banale que celle de Chthonioi pour désigner les entités d’en-bas. L’appellation est donc peu discriminante et peu opérante en contexte cultuel, puisqu’elle concerne a priori un grand nombre de divinités. Or, si l’épiclèse bien attestée de Chthonios est attribuée à différents dieux, sans qu’aucune disproportion n’intervienne entre eux11, Ouranios, et plus particulièrement Ourania est l’apanage d’Aphrodite dans l’écrasante majorité des cas dès une époque ancienne12. Et il s’agit bien d’une épiclèse, c’est-à-dire d’un titre cultuel, comme l’attestent autant les inscriptions émanant des cités que les ex-voto de particuliers. C’est donc la raison de cette sorte de monopole qu’il faut tenter de comprendre.
Ourania et le nom des dieux chez Hérodote L’attribution de l’épithète Ourania à Aphrodite remonte au moins au Ve siècle avant notre ère. Hérodote en est le premier témoin, dans le cadre du mécanisme de l’interpretatio qu’il met en place pour parler à son lecteur des dieux des peuples non grecs. Il traduit le nom des dieux étrangers sous une forme grecque et l’équivalence est généralement cherchée parmi les grands dieux du panthéon. Parmi bien des exemples, celui des Egyptiens est sans doute le plus célèbre: ainsi, Hérodote parle des oracles d’Héraclès, d’Apollon, d’Athéna, d’Artémis, d’Arès, de Zeus et de Léto (II, 83), tandis que derrière Aphrodite, non autrement déterminée, se cache la déesse Hathor (II, 41), dont il ne cite jamais le nom égyptien, alors qu’il traduit clairement Horus en Apollon, Isis en Déméter et Boubastis en Artémis (II, 156). Pourtant le tableau des équivalences entre dieux grecs et dieux étrangers révèle une anomalie récurrente13 : alors que le nom des grands dieux du panthéon grec suffit à la traduction, sans qu’une épithète ne vienne le surdéterminer14, celui d’Aphrodite est très régulièrement accompagné de la mention d’Ourania, et le nom de la déesse disparaîtra même une fois derrière l’épithète utilisée seule. Voyons le détail. En I, 105, évoquant le sanctuaire d’Ascalon pillé par les Scythes, Hérodote informe tout d’abord son lecteur que «ce sanctuaire [celui d’Ascalon], d’après ce que mes informations permettent de savoir, est le plus ancien de tous les temples élevés en l’honneur de la déesse; celui de Chypre en a tiré son origine, à ce que disent les Chypriotes eux-mêmes; et celui de Cythère a eu pour fondateurs des Phéniciens venus
11
Cf. R. Schlesier, Neue Pauly, 2, 1997, s. u. «Chthonische Götter», col. 1185-1190, spéc. 1187-1188. 12 E. Wüst, Paulys Real-Encyclopädie der classischen Altertumswissenschaft (= RE), IX A 1, 1961, s. u. «Uranios», col. 945-946. Au féminin, cf. infra. 13 Le tableau est particulièrement commode chez T. Harrison, Divinity and History. The Religion of Herodotus, Oxford, 2000, p. 201-211. Cf. déjà I. M. Linforth, «Greek Gods and Foreign Gods in Herodotus», Univ. of California Publications in Classical Philology, 9, 1926, p. 1-25, spéc. p. 6-7, où la répartition se fait en fonction des populations. 14 Le cas de Zeus Thebaios (IV, 181) est différent dans la mesure où il s’agit d’une épithète toponymique.
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de cette partie de la Syrie15 ». Ensuite, en I, 131, il écrit, à propos des Perses cette fois: «Ils sacrifient au soleil, à la lune, à la terre, au feu, à l’eau, aux vents. Ce sont là les seuls dieux à qui ils sacrifient de toute antiquité; mais en outre ils ont appris, des Assyriens et des Arabes, à sacrifier aussi à Ourania. Les Assyriens appellent Aphrodite Mylitta, les Arabes Alilat, les Perses Mitra16 ». La confirmation de ces équivalences apparaîtra plus loin: les sanctuaires d’Aphrodite – sans épithète – chez les Assyriens accueillent la pratique d’une prostitution pré-nuptiale que l’historien dénonce, tout en précisant à nouveau que «les Assyriens appellent Aphrodite Mylitta»17. Par ailleurs, à propos des Arabes, il réduira la déesse au seul nom d’Ourania, dont il réaffirme, en passant, qu’ils l’appellent Alilat. Les Arabes pensent en outre «que seuls existent parmi les dieux Dionysos et Ourania»18. Au livre IV, le panthéon des Scythes, c’est-à-dire «les seuls dieux qu’ils supplient», comprend Aphrodite Ourania. Hérodote précise qu’en langue scythe, elle s’appelle Argimpasa19. Quant aux Enarées, ces descendants des pilleurs scythes du sanctuaire d’Ascalon, l’historien écrira que leur don divinatoire leur vient d’Aphrodite, qu’il ne qualifiera plus d’Ourania dans ce passage20. Pour comprendre la raison de cette association unique entre un dieu et une épithète dans les Histoires, il convient d’élargir le propos à la question des noms divins chez Hérodote. Au-delà de la simple traduction du nom des dieux égyptiens en grec évoquée plus haut, Hérodote situe en Egypte l’origine de la plupart des noms (oujnovmata) des dieux grecs. Le passage est suffisamment problématique pour être repris intégralement:
15
Hérodote, I, 105: oiJ de; ejpeivte ajnacwrevonte" ojpivsw ejgivnonto th`" Surivh" ejn ’Askavlwni povli, tw`n pleovnwn Skuqevwn parexelqovntwn ajsinevwn, ojlivgoi tine;" aujtw`n uJpoleifqevnte" ejsuvlhsan th`" Oujranivh" ’Afrodivth" to; iJrovn. e[sti de; tou`to to; iJrovn, wJ" ejgw; punqanovmeno" euJrivskw, pavntwn ajrcaiovtaton iJrw`n, o{sa tauvth" th`" qeou` : kai; ga;r to; ejn Kuvprw/ iJro;n ejnqeu`ten ejgevneto, wJ" aujtoi; Kuvprioi levgousi, kai; to; ejn Kuqhvroisi Foivnikev" eijsi oiJ iJdrusavmenoi ejk tauvth" th`" Surivh" ejonv te" (trad. d’après P. E. Legrand). 16 Hérodote, I, 131: quvousi de; hJlivw/ te kai; selhvnh/ kai; gh/` kai; puri; kai; u{dati kai; aj n ev m oisi. touv t oisi me ; n dh ; quv o usi mouv n oisi aj r ch` q en, ej p imemaqhv k asi de ; kai ; th/ ` Oujranivh/ quvein, parav te ’Assurivwn maqovnte" kai ; ’Arabivwn : kalevousi de ; ’Assuvrioi th;n ’Afrodivthn Muvlitta, ’Aravbioi de; jAlilavt, Pevrsai dev Mivtran (trad. P. E. Legrand). Sur la prétendue «erreur», voir J. Edwards, «Herodotus and Mithras: Histories I.131», American Journal of Philology, 111, 1990, p. 1-4, et T. Corsten, « Herodot I 131 und die Einführung des Anahita-Kultes in Lydia», Iranica Antiqua, 26, 1991, p. 163-180. 17 Hérodote, I, 199: Muvlitta de; kalevousi th;n ’Afrodivthn ’Assuvrioi. 18 Hérodote, III, 8: Diovnuson de; qew`n mou`non kai; th;n Oujranivhn hJgevontai ei\nai (...) ojnomavzousi de; to;n me;n Diovnuson ’Orotavlt, th;n de; Oujranivhn ’Alilavt. 19 Hérodote, IV, 59: qeou;" me;n mouvnou" touvsde iJlavskontai, IJ stivhn me;n mavlista, ejpi; de; Diva te kai; Gh`n (...) meta; de; touvtou" ’Apovllwnav te kai; Oujranivhn ’Afrodivthn kai; H J rakleva kai; A [ rea: touvtou" me;n pavnte" Skuvqai nenomivkasi, oiJ de; kaleovmenoi basilhvioi Skuvqai kai; tw/` Poseidevwni quvousi. ojnomavzetai de; skuqisti; IJ stivh me;n Tabitiv, Zeu;" dev, ojrqovtata kata; gnwvmhn ge th;n ejmh;n kaleovmeno", Papai'o", Gh` de; ’Apiv, ’Apovllwn de; Goitovsuro", Oujranivh de; ’Afrodivth ’Argivmpasa, Poseidevwn de; Qagimasavda". 20 Hérodote, IV, 67: oiJ de; ’Enavree" oiJ ajndrovgunoi th;n ’Afrodivthn sfivsi levgousi mantikh;n dou`nai. – Sur l’équivalence Aphrodite Ourania / Argimpasa (ou plutôt Artimpasa), cf. Y. Ustinova, The Supreme Gods of the Bosporan Kingdom. Celestial Aphrodite & the Most High God, Leyde, 1999 (Religions in the Graeco-Roman World, 135), p. 75-87.
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«Les noms de presque tous les dieux sont venus d’Egypte en Grèce. Qu’ils viennent de chez les Barbares, mes enquêtes me le font constater; et je pense que c’est surtout de l’Egypte. Car, à l’exception de Poséidon et des Dioscures, pour qui je l’ai déjà dit, et d’Héra, d’Hestia, de Thémis, des Charites et des Néréides, de tous les autres dieux les Egyptiens possèdent les noms de tout temps dans la région (...). Quant aux noms de dieux qu’ils disent ne pas connaître, il me semble qu’ils ont été nommés par les Pélasges, sauf Poséidon. Ils ont appris à connaître ce dieu auprès des Libyens. Car il n’est personne à posséder le nom de Poséidon dès le début, si ce n’est les Libyens, et ils honorent ce dieu de tout temps 21.»
Les ounomata divins ont alimenté la discussion de longue date et continuent de le faire 22, même si l’alternative est somme toute assez simple: soit l’on comprend ou[noma au sens propre et c’est donc bien la forme même du nom divin, dans sa langue originale, qui a fait l’objet d’une adoption23, soit le terme signifie «le fait de donner un nom» et c’est alors l’identification d’une puissance divine dont il s’agit24. La première option implique de lever la contradiction entre l’emprunt du nom comme tel et la nécessité récurrente pour Hérodote de traduire les noms divins d’un peuple à l’autre. La seconde option doit affronter les nombreux passages où le terme d’ou[noma est incontestablement utilisé au sens habituel de «nom». Conserver au terme d’ou[noma son sens strict lève une ambiguïté inconcevable pour un certain nombre d’exégètes du passage. Mais elle impose une conception grecque de l’évolution et de la corruption des langues, dès ce Ve siècle, sans doute irrecevable pour d’autres. Conserver l’ambiguïté du terme, c’est-à-dire le sens de «nom» dans certains cas et celui de «dénomination» dans d’autres, donne à la langue d’Hérodote une plasticité que tout le monde n’est pas prêt à accepter. Quoi qu’il en soit de cette question de traduction, elle peut rester indépendante de la vision qu’Hérodote propose du rapport des humains à leurs dieux à travers le
21 Hérodote, II, 50: scedo;n de; kai; pavntwn ta; oujnovmata tw`n qew`n ejx Aijguvptou ejlhvluqe ej" th;n ’Ellavda. diovti me;n ga;r ejk tw`n barbavrwn h{kei, punqanovmeno" o{utw euJrivskw ejovn : dokevw d’ w\n mavlista ajp’ Aijguvptou ajpi'cqai. o{ti ga ;r dh ; mh ; Poseidevwno" kai ; Dioskouvrwn, wJ" kai; provterovn moi tau`ta ei[rhtai, kai; H { rh" kai; IJ stivh" kai; Qevmio" kai; Carivtwn kai; Nhrhivdwn, tw`n a[llwn qew`n Aijguptivoisi aijeiv kote ta; oujnovmatav ejsti ejn th/` cwvrh/ (...) tw`n de; ou[ fasi qew`n ginwvskein ta; oujnovmata, ou|toi dev moi dokevousi uJpo; Pelasgw`n ojnomasqh`nai, plh;n Poseidevwno". tou`ton de; to;n qeo;n para; Libuvwn ejpuvqonto: oujdamoi; ga;r ajp’ ajrch`" Poseidevwno" ou[noma e[kthntai eij mh; Livbue", kai; timw`si to;n qeo;n tou`ton aijeiv (trad. d’après P. E. Legrand). 22 Le problème est bien résumé par A. B. Lloyd, Herodotus Book II. Commentary 1-98, Leyde, 1976, p. 203-205 et par T. Harrison, Divinity and History..., p. 251-264. 23 R. Lattimore, «Herdotus and the Names of Egyptian Gods», CPh, 34, 1939, p. 357365; A. B. Lloyd, Herodotus..., p. 204-205; T. Harrison, Divinity and History..., p. 253-264. 24 M. Linforth, «Greek Gods and Foreign Gods...», p. 18-19; P. E. Legrand, Hérodote. Histoires, II, Paris, 1972, p. 96, n. 3; W. Burkert, «Herodot über die Namen der Götter: Polytheism als historisches Problem », Museum Helveticum, 43, 1985, p. 121-132 ; J. Rudhardt, «De l’attitude des Grecs à l’égard des religions étrangères», Revue de l’Histoire des Religions, 209, 1992, p. 219-238. – J.D. Mikalson (Herodotus and Religion in the Persian Wars, Chapel Hill, 2003, p. 167-172) assume la contradiction.
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monde. Ainsi, pour J. Rudhardt à qui je reprends la citation, l’historien conçoit que «les dieux sont partout, semblables à eux-mêmes et donc identifiables, mais certains peuples nomment et honorent seulement quelques-uns d’entre eux»25. Ce qui se transmet d’un peuple à l’autre, dans les cas de transfert évoqués par Hérodote, c’est l’identification d’une figure divine déjà potentiellement présente, identification qui aboutit essentiellement à des comportements rituels déterminés. Le cas des Pélasges est particulièrement significatif de cette vision de l’histoire des cultes: après avoir longtemps offert des sacrifices en priant simplement les qeoiv, ils prirent connaissance des noms des dieux depuis l’Egypte, à l’exception de Dionysos; ensuite, ils consultèrent l’oracle de Dodone pour savoir s’ils devaient adopter les noms venus de chez les barbares et, à la suite de la réponse positive de l’oracle, ils sacrifièrent désormais en usant du nom des dieux. Les Grecs les reçurent des Pélasges, mais ce n’est qu’avec Homère et Hésiode que les dieux se virent attribuer des épithètes, une forme et une généalogie26. «Nommer les dieux» relève dès lors d’un processus d’identification au sein de la masse indifférenciée des qeoiv, processus rendu possible par l’audition des noms des dieux égyptiens. Si o[unoma est le nom, ce sont les noms en égyptien qui furent adoptés, mais il faut postuler une corruption progressive de cette forme première, ce dont Hérodote ne parle pas; si o[unoma est la dénomination, en tant que «principe d’identification», les Pélasges ont forgé des noms de leur cru pour les dieux indifférenciés qu’ils honoraient jusque-là, par analogie avec la manière égyptienne de procéder 27. La richesse du panthéon égyptien a ainsi donné l’impulsion à l’ordonnancement du monde des dieux de l’antique Pélasgie, ordonnancement qui a trouvé son plein aboutissement dans l’art des poètes épiques grecs. Aphrodite n’apparaît pas dans la liste des dieux dont les Egyptiens ne connaissaient pas le nom. On peut donc supposer qu’elle fait partie de ces ounomata de dieux présents depuis toujours en Egypte. Elle s’appelle Hathor dans la langue égyptienne, même si Hérodote ne pose pas explicitement l’équation (II, 41). La déesse doit, dès lors, être nommément entrée au panthéon des Pélasges avec les autres divinités. Cette Aphrodite égyptienne n’est pas explicitement qualifiée d’Ourania, pas plus que la déesse de Cyrène qui sauve d’une mort certaine l’épouse grecque du pharaon Amasis (II,
25
J. Rudhardt, «De l’attitude des Grecs...», p. 228. – P. Borgeaud, «Manières grecques de nommer les dieux», p. 28, l’affirme aussi, mais avec nuance, sur la base d’un texte de Plutarque (Is. et Os., 66): «L’équivalence fonctionnelle n’est pas systématique. Ce fait, constaté, n’entraîne cependant pas les Anciens à postuler l’hétérogénéité des objets (les divers panthéons) auxquels s’adresse la piété des autres. La pluralité des découpages théologiques résulte plutôt, pour eux, de la diversité des modes de perception d’une seule et même réalité.» 26 Hérodote, II, 52-53. 27 Pour Hérodote, la première prophétesse de l’oracle de Zeus à Dodone fut une Egyptienne enlevée par des pirates. Elle parlait tout d’abord un idiome incompréhensible pour les locaux et fonda l’oracle lorsqu’elle comprit la langue grecque (II, 56). Or c’est à Dodone que les Pélasges obtinrent l’autorisation d’utiliser les noms venus de chez les barbares (II, 52). Peutêtre allait-il de soi, pour l’historien, que l’oracle avait procédé à une sorte de transposition des ounomata de la langue égyptienne en langue grecque. Mais pas plus qu’il ne parle de corruption de la langue, il ne parle de transposition, ce qui laisse ouverte l’alternative sur le sens d’ou[noma.
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181). Est-ce une simple uariatio sermonis ou cette différence a-t-elle un sens dans le contexte que l’on vient de retracer? Sans vouloir forcer le trait plus que de raison, il semble que l’interprétation diffusionniste d’Hérodote fait d’Aphrodite Ourania une entité divine qui ne se confond pas entièrement avec Aphrodite comme telle. Quand Aphrodite est Ourania, elle est la déesse céleste qu’honorent les Assyriens, les Babyloniens, les Arabes, puis les Phéniciens, les Scythes, les Chypriotes et enfin les Grecs par l’intermédiaire de Cythère28. Dans les Histoires, une Aphrodite connue de tout temps des Egyptiens, identifiée du temps des Pélasges et reçue d’eux par les Grecs, s’est en quelque sorte «doublée» d’une Ourania venue d’Assyrie et de Palestine. Mais pas plus qu’il ne s’interroge sur l’origine de la dévotion des Arabes pour Ourania et Dionysos, ou de celle des Scythes pour leur panthéon, Hérodote ne semble gêné par cette double tradition29, qui ne trouve pourtant aucun parallèle dans l’œuvre. Ainsi, à propos de Dionysos dont l’origine égyptienne est évidente pour Hérodote (II, 49), il attribue l’introduction de l’ounoma du dieu en Grèce au devin Mélampous qui l’aurait connu auprès de Kadmos le Tyrien et des Phéniciens qui vinrent en Béotie. Il existe donc un décalage chronologique, mais le pays d’origine du dieu est bien l’Egypte. Rien de tel pour Aphrodite: sa qualité d’Ourania détermine une origine proche-orientale, parallèlement à – et même peut-être indépendamment de – une Aphrodite égyptienne sur laquelle Hérodote ne dit pas grand-chose. La cohérence d’un tel modèle explicatif d’Hérodote atteint toutefois sa limite à l’intérieur même des Histoires: dans le temenos de Protée à Memphis, Hérodote identifie avec l’Hélène grecque l’Aphrodite étrangère (Xeivnh, II, 112), dont le sanctuaire s’élève dans l’enceinte. Il s’appuie sur la tradition qui fait séjourner Hélène chez Protée et sur le fait que l’épithète n’apparaît dans nul autre sanctuaire de la déesse. Or cette Aphrodite étrangère est bel et bien l’Astarté phénicienne, «maîtresse du ciel», honorée par les Tyriens qui vivent autour du temenos30, c’est-à-dire l’Aphrodite Ourania, effectivement étrangère pour les Egyptiens. Hérodote avait là une belle occasion de montrer la validité du modèle diffusionniste du culte de l’Aphrodite céleste. Il ne le fait pourtant pas et propose un autre type de raisonnement où prime le récit du séjour d’Hélène en Egypte31. L’argument de l’épithète unique ajoute un ultime critère pour
28
Cf. W. Fauth, Reallexikon für Antike und Christentum, 15, 1991, s.u. «Himmelskönigin», col. 220-233. 29 M. Linforth, «Greek Gods and Foreign Gods...», p. 18: «How does it happen that the Arabians, the Ethiopians, the Scythians, the Thracians worship gods who are also worshipped by Greeks under Greek names? (...) he does not even propound the problem.» Tout comme pour la question du sens d’ounoma, nous posons peut-être des questions complètement étrangères à la démarche d’Hérodote. 30 C. Bonnet, Astarté. Dossier documentaire et perspectives historiques, Rome, 1996, p. 63-64. 31 M. Linforth, « Greek Gods and Foreign Gods... », p. 14-15 ; T. Harrison, Divinity and History..., p. 214. Le « dossier » historiographique autour de cette question est commodément rassemblé et commenté par W. K. Pritchett, The Liar School of Herodotos, Amsterdam, 1993, p. 63-71, et la logique narrative de la version « égyptienne » du destin d’Hélène est étudiée par C. Calame, Poétique des mythes dans la Grèce antique, Paris, 2000, p. 146153.
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valider la conjecture32. La notion d’«étrangère» traduit le point de vue égyptien et atteste qu’Hérodote n’a pas reconnu, en Egypte même, l’Aphrodite Ourania. En Grèce, par contre, et singulièrement à Athènes, il a dû la rencontrer. C’est donc de culte dont il sera maintenant question.
Aphrodite Ourania et ses cultes C’est à Athènes, comme souvent, que nos informations sont les plus nombreuses et les plus riches. Le témoignage le plus circonstancié est celui de Pausanias33 : «Tout près [du temple d’Héphaïstos], se trouve un sanctuaire d’Aphrodite Ourania. Les premiers des humains à avoir établi un culte d’Ourania furent les Assyriens, après les Assyriens, ce furent les Paphiens de Chypre et les Phéniciens qui habitent Ascalon en Palestine, et c’est pour l’avoir appris des Phéniciens que les gens de Cythère la vénèrent. Pour les Athéniens, c’est Egée qui l’a établi parce qu’il pensait qu’il n’avait pas d’enfants – de fait, à ce moment-là, il n’en avait pas encore – et que le malheur s’était abattu sur ses sœurs à cause de la colère d’Ourania. La statue de la déesse, encore visible de mon temps, est en marbre de Paros et l’œuvre de Phidias. Il y a, chez les Athéniens, un dème, celui des Athmoniens qui prétendent que c’est Prophyrion, le roi régnant avant Aktaios, qui a fondé le sanctuaire d’Ourania chez eux. Ce que l’on raconte dans les dèmes n’est en rien pareil à ce qui a cours dans la ville.»
La référence à Hérodote est claire, même si Pausanias l’aménage. Quand il visite la ville, au IIe siècle de notre ère, il recueille la tradition locale. Il en fait la notice explicative du sanctuaire de l’agora où Aphrodite est cultuellement attestée comme Ourania. On ignore s’il a fait lui-même le lien avec les réflexions d’Hérodote sur l’origine du culte d’Aphrodite Ourania ou si la tradition athénienne incluait déjà des développements semblables à ceux dont Hérodote se fait l’écho. La référence à la tradition du dème d’Athmonia est intéressante car, si elle est plus ancienne que le moment où Pausanias la recueille, elle est parallèle aux développements d’Hérodote: le roi Por-
32
Le cas du Zeus Stratios honoré par les seuls Cariens (V, 119) montre bien que l’occurrence unique d’une épithète n’est pas un argument suffisant pour justifier le constat d’une erreur dans le mécanisme de l’interpretatio. C’est donc bien le récit du séjour d’Hélène en Egypte qui est déterminant en II, 112 (M. Linforth, ibid.). Sur les raisonnements de l’enquêteur, cf. C. Darbo-Peschanski, Le discours du particulier. Essai sur l’enquête hérodotéenne, Paris, 1987, p. 127-163, spéc. 128-129. 33 Pausanias, I, 14, 7: plhsivon de; iJerovn ejstin ’Afrodivth" Oujraniva". prwvtoi" de; ajnqrwvpwn ’Assurivoi" katevsth sevbesqai th;n Oujranivan, meta; de; jAssurivou" Kuprivwn Pafivoi" kai; Foinivkwn toi`" ’Askavlwna e[cousin ejn th/` Palaistivnh/, para; de; Foinivkwn Kuqhvrioi maqovnte" sevbousin: ’Aqhnaivoi" de; katesthvsato Aijgeuv", auJtw/` te oujk ei\nai pai'da" nomivzwn - ouj ga;r pw tovte h\san - kai; tai'" ajdelfai'" genevsqai th;n sumfora;n ejk mhnivmato" th`" Oujraniva": to; de; ejf’ hJmw`n e[ti a[galma livqou Parivou kai; e[rgon Feidivou. dh`mo" dev ejstin ’Aqhnaivoi" ’Aqmonevwn, oi} Porfurivwna e[ti provteron ’Aktaivou basileuvsanta th`" Oujraniva" fasi; to; para; sfivsin iJero;n iJdruvsasqai. levgousi de; ajna; tou;" dhvmou" kai; a[lla oujde;n oJmoivw" kai; oiJ th;n povlin e[conte".
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phyrion, pâle figure absente des généalogies canoniques des rois d’Athènes, est associé à la fondation du culte d’Aphrodite Ourania parce que son nom en fait un homme de la pourpre. Plus qu’Egée sans doute, il était apte, dans cette logique diffusionniste, à transmettre aux Athéniens le culte inauguré par les Assyriens, et les gens d’Athmonia n’ont pas manqué de revendiquer la pertinence de leur tradition locale. Malheureusement, nous ne pouvons en évaluer l’ancienneté. En ce qui concerne les fonctions de la déesse, le récit étiologique de la fondation du culte les place du côté du mariage et de la fécondité des couples. Deux passages d’Euripide attestent que l’Ourania athénienne était l’Aphrodite nuptiale par excellence au moins à partir du Ve siècle avant notre ère. Le premier est un fragment du Phaéthon34. Dans le chant de l’hyménée, le chœur invoque «la céleste fille de Zeus, maîtresse des amours, qui mène les jeunes filles au mariage, Aphrodite». Nous retrouvons la même expression à l’accusatif ta;n Dio;" oujranivan dans l’Hippolyte, mais cette fois, après avoir annoncé un chant pour la céleste fille de Zeus, ta;n Dio;" oujranivan, c’est le nom d’Artémis qui suit l’invocation 35. Tout cela pourrait n’être que littérature sans peu de portée cultuelle. Le chœur invoque Artémis qui habite le palais de son père dans le vaste ciel et est donc ouranienne. Toutefois, les textes tragiques ne sont pas des morceaux poétiques désincarnés du temps et du lieu qui les ont vu naître36. Et de tels glissements ne sont pas indifférents. Ce genre de résonance devait prendre tout son sens devant le public de l’Athènes classique. Hippolyte, qui refuse le mariage, célèbre une Ourania fille de Zeus juste après la diatribe d’Aphrodite en colère. Pour un Athénien, l’Ourania était forcément Aphrodite. Or, quand l’identité de cette Ourania s’éclaire, c’est Artémis qui apparaît. Ce jeu tragique prend tout son sens dans la configuration religieuse de la cité et montre les glissements qu’Euripide opère au moyen d’une seule épithète apparemment littéraire, dont l’Athénien sait qu’elle est aussi épiclèse cultuelle. L’ultime preuve que l’Ourania athénienne était bien une Aphrodite nuptiale est venue d’un document exceptionnel mis au jour il y a une dizaine d’années. Il s’agit 34 Euripide, Phaethon, 227-244 = fr. 781, v. 14-31 Nauck2 (traduction d’après J. Diggle, Euripides Phaethon, Cambridge, 1970, p. 149): ÑUmh;n, ÑUmhvn / ta;n Dio;" oujranivan ajeivdomen, / ta;n ejrwvtwn povtnian, ta;n parqevnoi" / gamhvlion ’Afrodivtan. / povtnia, soi tavd’ ejgw ; numfei'’ ajeivdw, / Kuvpri qew`n kallivsta, / tw/` te neovzugi sw/` / pwvlw/ to ;n ejn aijqevri kruvptei", / sw`n gavmwn gevnnan: / a} to;n mevgan / ta`sde povlew" basilh` numfeuveai / ajsterwpoi'sin dovmoisi crusevoi" / ajrco;n fivlon ’Afrodivta: / w\ mavkar, w\ basileu;" meivzwn e[t’ o[lbon, / o}" qea;n khdeuvsei" / kai; movno" ajqanavtwn / gambro;" di’ ajpeivrona gai'an / qnato;" uJmnhvsh/, «Hymen, hymen! Nous chantons la céleste fille de Zeus, la souveraine des amours, elle qui mène les jeunes filles au mariage, Aphrodite. Maîtresse, pour toi, j’entonne ce chant nuptial, Cypris, la plus belle des déesses, et pour ton enfant jeune marié que tu caches dans l’éther, postérité de tes mariages. Toi qui présides au mariage du grand roi de cette cité, un dirigeant cher aux demeures étoilées et dorées, Aphrodite. O bienheureux, ô roi plus grand que jamais dans la félicité, qui va épouser une déesse et qui sera célébré en tant que seul mortel de par la terre entière à devenir le gendre des immortels». 35 Euripide, Hipp., 58-60: {Epesq’ ajeivdonte" e{pesqe / ta;n Dio;" oujranivan / [Artemin, a|/ melovmesqa, « Suivez-moi, suivez, en chantant la Céleste fille de Zeus, Artémis, qui nous prodigue son attention». 36 Cf. C. Sourvinou-Inwood, « Tragedy and Religion : Constructs and Readings », in C. Pelling (éd.), Greek Tragedy and the Historian, Oxford, 1997, p. 161-186, spéc. 176 et 182.
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d’un thesauros, d’un tronc à offrandes, qui accueillait une drachme comme prémices offertes à Aphrodite Ourania et dites proteleia gamou37. L’offrande de cette aparchê s’inscrit dans l’activité rituelle préliminaire au mariage et l’inscription date du tout début du IVe siècle avant notre ère. Mais d’où provient ce thesauros? Il a été mis au jour dans le quartier de Plaka, à une centaine de mètres du flanc nord de l’Acropole, où se trouve le petit sanctuaire rupestre d’Aphrodite et d’Eros fouillé par O. Broneer38. C’est donc de là que les fouilleurs ont fait venir le thesauros, avec raison. Car Aphrodite n’est pas Ourania que sur l’agora. Elle l’est aussi dans ses Jardins du bord de l’Ilissos et sur le versant nord de l’Acropole, étant donné l’effet de miroir entre les deux sanctuaires39. C’est donc au flanc de la citadelle que les jeunes gens allaient payer leur dû à la déesse avant de se marier40. Ce document exceptionnel ajoute une pièce au puzzle que constitue le volet rituel de la cérémonie du mariage à Athènes, essentiellement connue par des vases et des notices tardives de lexicographes qu’il faut à présent envisager rapidement. Hésychios et la Souda ont conservé des fragments des Atthidographes du IVe siècle affirmant que les Tritopatreis étaient priés par les jeunes gens sur le point de se marier pour favoriser la conception d’enfants. En outre, ces Tritopatreis étaient assimilés aux Vents nés d’Ouranos et de Gaia41. Si l’on en croit Proclus, les lois athéniennes imposaient des rites prénuptiaux en l’honneur d’Ouranos et de Gaia conçus comme le premier modèle des mariages humains42. La référence naturaliste et même cosmogonique apparaît clairement dans de telles prescriptions rituelles, mais, si l’enclos des Tritopatreis est bien connu dans le quartier du Céramique43, Ouranos et Gaia n’étaient associés dans aucun sanctuaire d’Athènes ou d’ailleurs.
37 Qhsa. uro;" ajparce`" oJ. | ’Afrodivtei Oujraniva/| protevleia gavmo. (cf. Horos, 8-9, 19901991, p. 17-44; Supplementum Epigraphicum Graecum, 41, 1991, n° 182). – Sur ce type de mobilier cultuel, cf. G. Kaminski, «Thesauros. Untersuchungen zum antiken Opferstock», Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Instituts, 106, 1991, p. 63-181. La déesse portait à Cos les épiclèses de Pandamos et Pontia dans un sanctuaire double où se trouvaient des thesauroi: M. Segre, Iscrizioni di Cos, Rome, 1993, ED 178 (A); R. Parker, D. Obbink, «Aus der Arbeit der “Inscriptiones Graecae” VI. Sales of Priesthoods on Cos I», Chiron, 30, 2000, p. 415-449, surtout p. 436-438. – Sur les sacrifices post-nuptiaux, cf. M. P. J. Dillon, «Post-nuptial Sacrifices on Kos (Segre, ED 178) and Ancient Greek Marriage Rites», Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 124, 1999, p. 63-80. 38 Cf. V. Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque..., p. 48-62. 39 Ibid., p. 63-71. 40 Cf. la restitution proposée des Inscriptiones Graecae, I3, 894bis. 41 Souda, s. u. Tritopavtore": Dhvmwn ejn th`/ ’Atqivdi (Demon, 327 F 2 Jacoby) fhsi;n ajnevmou" ei\nai tou;" Tritopavtora", Filovcoro" (328 F 12 Jacoby) de; tou;" Tritopavtrei" pavntwn gegonevnai prwvtou". th;n me;n ga;r gh'n kai; to;n h{lion, fhsivn, o}n kai; ’Apovllwna tovte kalei'n, gonei'" aujtw'n ejpivstanto oiJ tovte a[nqrwpoi, tou;" de; ejk touvtwn trivtou" patevra". Fanovdhmo" de; ejn "’ fhsivn (Panodemos, 325 F 6 Jacoby), o{ti movnoi jAqhnai'oi quvousiv te kai; eu[contai aujtoi'" uJpe;r genevsew" paivdwn, o{tan gamei'n mevllwsin. Hésychios, s. u. Tritopavtora": ajnevmou" ejx Oujranou' kai; Gh'" genomevnou": kai; genevsew" ajrchgouv" : oiJ de; tou;" propatevra". 42 Proclus, ad Tim. 40 e (Diehl III, p. 176): o} kai; oiJ qesmoi; tw'n ’Aqhnaivwn eijdovte" prosevtatton Oujranw/' kai; Gh'/ protelei'n tou;" gavmou"... 43 Sur ces entités, cf. F. Bourriot, Recherches sur la nature du génos, Lille, 1976, p. 11351179 et dernièrement S. Georgoudi, «‘Ancêtres’ de Sélinonte et d’ailleurs: le cas des Tritopatores», in G. Hoffmann (éd.), Les pierres de l’offrande, Zürich, 2001, p. 152-163.
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La difficulté due au caractère fragmentaire ou tardif de nos textes est peut-être levée si l’on se réfère au célèbre fragment 44 (Radt) des Danaïdes d’Eschyle: «Le ciel sacré éprouve le désir de pénétrer la terre, et le désir de jouir de l’hymen s’empare de la terre. Tombant du ciel époux une ondée est venue féconder la terre. Et voici qu’elle enfante aux mortels la pâture des troupeaux et la vie de Déméter. Sous l’action de cet hymen humide, les fruits des arbres arrivent à maturité. De tout cela, c’est moi [Aphrodite] qui suis la cause.»
C’est bel et bien l’Ourania, la grande déesse nuptiale de l’Athènes classique qui se cache derrière cette puissante évocation qui n’est pas que poétique. C’est un même faisceau de significations qui est à l’œuvre derrière le fragment d’Eschyle et derrière l’information de Proclus. J’aimerais pouvoir affirmer que c’est auprès de l’Ourania, la déesse céleste unissant le ciel et la terre que l’hommage prénuptial aux premiers époux de l’univers s’accomplissait. Mais c’est sans doute aller trop loin. Quoi qu’il en soit, la Souda nous apprend en outre que le nom de proteleia était également celui du jour où les parents emmenaient sur l’Acropole la parthenos sur le point de se marier pour offrir un sacrifice à la déesse. Il s’agit de l’acropole d’Athènes et de sa déesse tutélaire, Athéna44. Comme les parthenoi devaient aussi rallier le sanctuaire d’Aphrodite et d’Eros au flanc nord pour les proteleia gamou de l’inscription du thesauros, elles refaisaient ainsi le parcours que les arrhéphores accomplissaient à la fin de leur service, entre Athéna et Aphrodite Ourania dans ses Jardins45. Après les lexicographes, voyons ce que l’iconographie peut nous apprendre46. Dans la céramique datant de la période du style dit «fleuri», Aphrodite et Eros sont à l’honneur, accompagnés d’une série de personnifications comme Peitho, Harmonie, Eunomia, Paidia et d’autres, qui dessinent le contexte de l’union des sexes à laquelle préside la déesse47. On trouve également une série d’images liées aux différentes étapes du mariage, dont les Epaulia. Il s’agit de la cérémonie qui suit le mariage, si l’on en croit un grammairien du début de notre ère48, tout autant que des cadeaux qui étaient offerts à cette occasion. Dans cet ensemble assez homogène, Aphrodite apparaît de manière récurrente. Sur certaines de ces images habituellement désignées comme
44 Souda, s. u. protevleia: hJmevran ou{tw" ojnomavzousin, ejn h|/ eij" th;n ajkrovpolin th;n gamoumevnhn parqevnon a[gousin oiJ gonei'" eij" th;n qeo;n kai; qusiva" ejpitelou'si. 45 Sur l’arrhéphorie, W. Burkert, « Kekropidensage und Arrhephoria », Hermes, 94, 1966, p. 1-25 (trad. franç. dans Sauvages origines. Mythes et rites sacrificiels en Grèce ancienne, Paris, 1998 (Vérité des mythes), p. 71-111); P. Brulé, La fille d’Athènes, Paris, 1987, p. 79139; V. Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque, p. 50-59; G. Donnay, «L’arrhéphorie: initiation ou rite civique?», Kernos, 10, 1997, p. 177-205. 46 J. H. Oakley, R. H. Sinos, The Wedding in Ancient Athens, The Univ. of Wisconsin Press, 1993. 47 L. Burn, The Meidias Painter, Oxford, 1987, p. 26-44; C. Couëlle, «La loi d’Aphrodite: entre la norme et le plaisir», in O. Cavalier (éd.), Silence et fureur. La femme et le mariage en Grèce. Les antiquités grecques du musée Calvet, Avignon, 1997, p. 230-248 et l’article de F. Lissarrague dans le même volume: «Regards sur le mariage grec», p. 415-434. 48 Pausanias, in Eusthate, Comm. ad Il. XXIV, 29 (1337, 44-49 Van der Valk IV, p. 865).
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«scènes de gynécée», on reconnaît parfois une échelle49. Or, dans les fouilles américaines de l’agora athénienne, un très beau relief classique fragmentaire a été mis au jour, montrant une jeune femme portant un voile très court, le dos appuyé sur une échelle, dans une posture identique à celle de certaines jeunes femmes du peintre de Meidias50. L’échelle a été interprétée de deux manières différentes, qui ne sont pas incompatibles: on a pu y voir un attribut symbolique manifestant le lien entre ciel et terre, tout autant qu’un accessoire pratique servant à accéder à la chambre nuptiale située à l’étage des maisons athéniennes ou même aux toits des maisons que ralliaient les femmes au moment des Adonies51. L’iconographie de l’échelle laisse ouverte une telle alternative. La peinture de vases, ainsi que le beau relief de l’agora, confèrent incontestablement à l’objet un statut matériel puisque les femmes y grimpent ou en descendent. Par contre, une série de représentations, sur des médaillons et des reliefs52, associent une figure féminine chevauchant un caprin, entourée ou non d’éléments astraux, et une échelle en position horizontale ou verticale, sans lui conférer d’autre utilité que celle d’attribut symbolique. Il existe donc un rapport incontestable entre Aphrodite, l’échelle et le mariage53. Mais Aphrodite est-elle forcément Ourania dans cette configuration? La question est posée par la lecture d’autres documents figurés. En effet, la représentation d’une femme chevauchant un caprin trouve son paradigme monumental dans le répertoire du sculpteur Scopas. Celui-ci avait réalisé pour la cité d’Elis une statue dont le type ressemble à la cavalière des reliefs. Pausanias l’a décrite et identifée comme Aphrodite Pandémos. Reprenons le texte de plus près: «Derrière le portique construit avec le butin pris à Corcyre, il y a un temple d’Aphrodite et, se trouvant non loin du temple, le temenos à l’air libre. Celle qui se trouve dans le temple, ils l’appellent Ourania, elle est en ivoire et en or, et due à l’art de Phidias; elle pose l’un des deux pieds sur une tortue. Le temenos de l’autre est entouré d’un mur. A l’intérieur du temenos se trouve une krépis et, sur la krépis, une statue d’Aphrodite en bronze est assise sur un bouc en bronze. L’œuvre est de Scopas et ils nomment Aphrodite Pandémos. Quant à la signification de la tortue et du bouc, je laisse à ceux qui le désirent le soin de la conjecturer54. »
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Cf. G. Nicole, Meidias et le style fleuri dans la céramique attique, Genève, 1908, p. 143-152: Appendice II. Sur le motif de l’échelle dans les scènes de gynécée. 50 C. M. Edward, «Aphrodite on a Ladder», Hesperia, 53, 1984, p. 59-72. 51 J’avais étudié ce dossier en détail dans L’Aphrodite grecque, p. 21-25, avec la bibliographie antérieure. J’en reprends ici les grandes lignes. 52 Cf. A. Delivorrias, Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae (= LIMC), II, s. u. «Aphrodite», 1984, n°s 955, 963, 967-970 et les articles de U. Knigge, «ÑO ajsth;r th'" ’Afrodivth"», Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts (Ath. Abteilung), 97, 1982, p. 153-170; «Die zweigestaltige Planetengöttin», ibid., 100, 1985, p. 285-292. 53 B. Servais-Soyez, «Aphrodite Ouranie et le symbolisme de l’échelle. Un message venu d’Orient», in Le mythe, son langage et son message. Colloque de Liège et Louvain-laNeuve, Louvain-la-Neuve, 1983 (Homo Religiosus, 9), p. 191-207. 54 Pausanias, VI, 25, 1: e[sti de; th'" stoa'" ojpivsw th'" ajpo; tw'n lafuvrwn tw`n ejk
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Il s’agit donc manifestement d’un sanctuaire d’Aphrodite accueillant deux statues de la déesse, diversement qualifiées: l’Ourania de Phidias s’élève dans le temple, la Pandémos de Scopas se situe dans le temenos, qui sert en quelque sorte d’écrin à cette seule statue et non d’enceinte englobant la totalité du sanctuaire. Les plus grands sculpteurs de la période classique se sont essayés à la représentation d’une Aphrodite: Phidias, Calamis, Alcamène et Agoracrite pour Athènes55, tandis que Phidias exilé à Elis exécuta le Zeus d’Olympie et honora sa cité d’adoption d’une autre Aphrodite, chryséléphantine et non plus en marbre comme l’Ourania athénienne56. Autour de 370, Scopas a fait de même, en bronze cette fois, reprenant le schéma de la déesse cavalière dont la peinture de vases nous donne de nombreux exemples57. Pendant tout le Ve siècle, la monture chevauchée par Aphrodite fut un volatile58, mais à partir de la seconde moitié du IVe siècle, un caprin est venu s’ajouter au nombre des montures59. Tant qu’aucun document iconographique de ce type, antérieur aux années 370, n’aura été retrouvé, c’est à Scopas qu’il conviendra d’attribuer la mise en valeur du motif et donc, probablement, l’origine de la représentation dans les arts «mineurs» comme les médaillons et les reliefs évoqués plus haut60. Les attributs célestes (étoiles, croissant de lune, couronne radiée) de la déesse cavalière en question conduisent à l’interpréter comme Aphrodite Ourania, parcourant le ciel dont l’échelle affirme à sa manière qu’elle l’unit à la terre. On ne peut donc affirmer que la statue d’Elis réalisée par Scopas est nécessairement une Pandémos, dès le IVe siècle, dans la mesure où Pausanias est la seule source d’une telle attribution. De plus, Cicéron, dans le De natura deorum, associe explicitement la «Vénus née de Caelus et de Dies» à sa visite du sanctuaire d’Elis. La généalogie est fantaisiste, mais poin-
Korkuvra" ’Afrodivth" naov", to; de; ejn uJpaivqrw/ tevmeno" ouj polu; ajfesthko;" ajpo; tou' naou'. kai; th;n me;n ejn tw/' naw'/ kalou'sin Oujranivan, ejlevfanto" dev ejsti kai; crusou', tevcnh Feidivou, tw'/ de; eJtevrw/ podi; ejpi; celwvnh" bevbhke: th'" de; perievcetai me;n to; tevmeno" qrigkw'/, krhpi ;" de ; ejnto ;" tou' temevnou" pepoivhtai kai ; ejpi ; th'/ krhpi'di a[galma ’Afrodivth" calkou'n ejpi; travgw/ kavqhtai calkw'/ : Skovpa tou`to e[rgon, ’Afrodivthn de; Pavndhmon ojnomavzousi. ta ; de ; ejpi ; th'/ celwvnh/ te kai ; ej" to ;n travgon parivhmi toi'" qevlousin eijkavzein. 55 LIMC, s. u. «Aphrodite», n°s 146, 150, 174, 185-192, 193. Cf. J. Overbeck, Die antiken Schriftquellen zur Geschichte der bildenden Künste bei den Griechen, Leipzig, 1868, n°s 517, 691, 755-6, 808, 812-815, 834. Il faut bien sûr ajouter Praxitèle et ses Aphrodites de Cos et de Cnide (LIMC, s. u. «Aphrodite», n° 256 et p. 49-52). 56 Pausanias, I, 14, 7 (cf. supra). 57 Sur la datation, cf. A. F. Stewart, Skopas of Paros, Park Ridge, N.J., 1977, p. 93, Appendix 1. 58 LIMC, s. u. «Aphrodite», n°s 905-908, 916-918 59 LIMC, s. u. «Aphrodite», n°s 947-974. 60 On ne peut souscrire à la prémisse indémontrable que l’Aphrodite Pandémos athénienne était représentée sous cette forme et que c’est d’Athènes que provient le type iconographique en question. La distribution géographique des pièces portant cette représentation n’autorise pas une telle association (cf. les références du LIMC reprises à la n. 52).
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te vers la fille d’Ouranos, l’Ourania61. Enfin, une base inscrite datant de la période impériale fait référence à une prêtresse d’Aphrodite sans épiclèse62. Si c’est bien le sanctuaire de l’agora que desservait cette femme mariée, l’absence de toute qualification laisse penser que c’est un culte unique, auquel deux sculpteurs fameux ont donné le meilleur de leur art. J’avancerai dès lors prudemment l’hypothèse que la statue de Scopas était originellement une des figures de l’Ourania, comme l’attestent les autres figures de la déesse chevauchant un caprin. La structure particulière du sanctuaire de l’Aphrodite éléenne, – un temple et un temenos, proche mais indépendant du temple comme tel, – permet de penser que ce temenos a été expressément réalisé pour accueillir le chefd’œuvre de Scopas. A partir de ce constat, et en l’absence de toute inscription, il est difficile de déterminer la portée du culte et le lien entre les deux épiclèses. Cependant, si l’Aphrodite cavalière d’Elis fut bien conçue comme une Ourania, dans une sorte de «challenge» entre l’art de Scopas et celui du «grand» Phidias, ce n’est qu’en second lieu que la statue aura reçu l’épiclèse de Pandémos de la part des Eléens. Cette attribution de l’épiclèse Pandémos pourrait être le résultat d’une évolution du culte, que je serais tentée de discerner aussi à propos des deux autres groupes statuaires d’Aphrodite portant conjointement de telles épiclèses. Ainsi, Pausanias a vu, en d’autres lieux, trois statues de la déesse dans un sanctuaire local. A Thèbes, il s’agit d’une dédicace d’Harmonie qui allait épouser Kadmos: toujours selon Pausanias, les statues sont respectivement qualifiées d’Ourania, de Pandémos et d’Apostrophia, la première présidant à l’amour libéré du désir des corps, la deuxième à l’union des corps et la troisième détournant des passions illicites et des actions sacrilèges63. A Mégalopolis, deux statues portent les épiclèses d’Ourania et de Pandémos, et la troisième n’en a pas reçu64. Or, quand Pausanias visite la Grèce, la « paire » Ourania-Pandémos a une longue histoire derrière elle. En effet, sans doute au départ des deux cultes athéniens, dont les sanctuaires sont bien distincts cette fois, le Banquet de Platon livre une théorie sur les deux Aphrodites, mères respectives de deux sortes d’Eros, l’un, «ouranien», pur et désincarné, l’autre, «pandé-
61 Cicéron, De natura deorum, III, 59: Venus prima Caelo et Die nata, cuius Elide delubrum uidimus, altera spuma procreata, ex qua et Mercurio Cupidem secundum natum accepimus, tertia Ioue nata et Diona, quae nupsit Volcano, sed ex ea et Marte natus Anteros dicitur, quarta Syria Cyproque concepta, quae Astarte uocatur, quam Adonidi nupsisse proditum est. La lecture Elide est une correction des manuscrits qui portent Eli (pour une autre correction, cf. M. van den Bruwaene, Cicéron. De Natura Deorum. Livre III, Bruxelles, 1981, p. 107 et 109, n. 259). En bon lecteur du Banquet de Platon (cf. infra, n. 65), qui associait l’Ourania à Ouranos et la Pandémos à Zeus et Dioné, Cicéron aurait pu saisir l’opportunité d’identifier la fille de Jupiter et Dioné avec la prétendue Pandémos d’Elis, si effectivement la statue de Scopas portait une telle épiclèse. En outre delubrum désigne un ensemble plus varié que templum, ce qui correspond assez bien à la complexité du sanctuaire éléen décrit par Pausanias (cf. van den Bruwaene, ibid.). 62 Bull. épigr., 105, 1992, n° 263; V. Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque, p. 236. 63 Pausanias, IX, 16, 3-4. 64 Pausanias, VIII, 32, 3. Cf. M. Jost, Sanctuaires et cultes d’Arcadie, Paris, 1985, p. 230232.
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mien», attaché aux corps. Cette interprétation connaîtra un franc succès et une longue postérité, pas seulement dans les cercles philosophiques65. Un dernier élément pourrait appuyer l’hypothèse que l’Aphrodite thébaine était, elle aussi, avant tout une Ourania à laquelle des réflexions érudites auront associé deux autres épiclèses. En effet, une dédicace à Aphrodite Ourania trouvée à Epidaure apparaît sous une forme dialectale qui permet d’identifier le dédicant comme béotien ou éolien. Elle date du IVe siècle de notre ère66. Si le dédicant est béotien, l’Aphrodite à laquelle il s’adresse pourrait être l’Ourania thébaine, puisque l’épiclèse est attestée dans sa patrie et non à Epidaure67. Il ne s’agit nullement de nier l’importance et l’ancienneté de l’épiclèse Pandémos, attestée pour un sanctuaire distinct à Athènes68, à Cos où elle reçoit les offrandes de toutes les épousées dans l’année qui suit leur mariage69, à Erythrées où un sanctuaire lui fut élevé dans le courant du IVe siècle70, à Paros71, à Amantia en Epire72 et à Naucratis73. Le problème tient à la difficulté inhérente au seul témoignage de Pausanias pour le culte d’Elis, celui de Thèbes et celui de Mégalopolis, et à l’association très «platonicienne» du nom des statues qu’il évoque, en ce comprise l’interprétation moralisante des épiclèses. Le doute est dès lors permis quant au caractère ancien d’une telle association et l’argument iconographique développé plus haut donne un fondement supplémentaire au doute. Pour refermer cette analyse des rapports entre Ourania, le mariage et l’échelle, deux textes peuvent encore être cités. Tout d’abord, une très belle évocation littéraire due à l’art de Pindare: évoquant les épousailles de Thémis et de Zeus sur l’Olympe, le poète chante «d’abord la céleste (oujranivan) Thémis, la bonne conseillère, sur un
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Platon, Banquet, 180 d-181 c. Pour la postérité, cf. V. Pirenne-Delforge, «Epithètes cultuelles et interprétation philosophique. A propos d’Aphrodite Ourania et Pandémos à Athènes», L’Antiquité classique, 56, 1989, p. 142-157. – U. Knigge, dans les deux articles cités à la n. 52, voit dans l’Aphrodite sur le bouc, qu’elle identifie à la Pandémos, la figuration de l’étoile du soir et dans l’Aphrodite sur le cygne, qu’elle reconnaît comme Ourania, celle de l’étoile du matin. Sur ce point, cf. V. Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque, p. 22, n. 34. 66 IG, IV2, 283: ’Afrota" ’Wraniva". 67 Une stèle en marbre blanc de la période impériale trouvée à Koronée porte une épigramme funéraire évoquant Aphrodite Ourania: S. Lauffer, Chiron, 6, 1976, p. 19, n° 12 (= Supplementum Epigraphicum Graecum (SEG), 26, 1976/77, n° 556). 68 Deux inscriptions datées respectivement de la deuxième moitié du IVe s. et de 284 av. J.-C. attestent l’existence du culte à cette période, mais les réinterprétations platoniciennes de l’épiclèse et quelques réflexions d’auteurs comiques sur sa fondation laissent penser qu’il remonte au moins à la période classique: V. Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque, p. 26-34. 69 Cf. supra, n. 37. 70 SEG, 36, 1986, n° 1039; Bull. épigr., 1988, n° 396. 71 IG, XII, 5, 221 (IIIe s. av. J.-C.). 72 SEG, 1, 1923, n° 265 (Ier s av. J.-C.). 73 A. Bernand, Le Delta égyptien d’après les texte grecs. 1, Le Caire, 1970, p. 688, n° 467; p. 689, n° 470; p. 700, n° 577; p. 704, n° 630. Ces inscriptions sont citées par R. Parker, «The Cult of Aphrodite Pandamos and Pontia on Cos», in H. F. J. Hortstmasnhoff et al. (éds), Kukeon. Studies in Honour of H. S. Versnel, Leyde, 2002, p. 143-160. Cf. A. Scholtz, «Aphrodite Pandemos at Naukratis», GRBS, 43, 2002/3, p. 231-242.
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DES ÉPICLÈSES EXCLUSIVES DANS LA GRÈCE POLYTHÉISTE?
char attelé de chevaux harnachés d’or, des sources de l’Océan, fut amenée par les Moires, sur une route brillante, jusqu’aux augustes degrés (klivmaka) de l’Olympe pour y être la première épouse de Zeus sauveur; elle enfanta les Heures véridiques, au diadème d’or, aux fruits splendides74 ». Le contexte est puissamment matrimonial. Or, d’une part, Thémis est qualifiée d’Ourania et, d’autre part, le terme grec traduit par «degrés» est le mot klivmax, c’est-à-dire «l’échelle» dont le poète use métaphoriquement au pluriel pour désigner les versants de la montagne des dieux. L’hymne thébain, tout fragmentaire soit-il, devait évoquer le mariage de Kadmos et d’Harmonie, sous l’égide d’Aphrodite peut-être déjà cultuellement Ourania au temps du poète. Or, la seule autre déesse à être qualifiée d’Ourania par Pindare est Aphrodite dans l’éloge pour Xénophon de Corinthe75. Le deuxième texte provient à nouveau de la Périégèse de Pausanias. Le visiteur est à Athènes et décrit le sanctuaire d’Aphrodite ejn khvpoi" près de l’Ilissos. Outre le chef-d’œuvre d’Alcamène, il évoque un pilier hermaïque à tête féminine portant une inscription qui affirme qu’«Aphrodite Ourania est la plus âgée de celles que l’on appelle les Moires» 76. Cette inscription est difficile à interpréter, dans la mesure où aucun indice ne permet de la situer dans le temps et qu’elle contredit les généalogies divines traditionnelles. Des trois hypothèses évoquées dans mon étude des cultes d’Aphrodite77 – la relation au mariage partagée par ces déesses, la théogonie d’Epiménide faisant d’Aphrodite et des Moires les filles de Kronos, la référence orphique78 –, le thesauros permet aujourd’hui d’accréditer l’hypothèse d’Eitrem sur le rapport entre Ourania, les Moires et le domaine matrimonial79. En effet, bien qu’aucun culte des Moires ne soit clairement attesté à Athènes, nous possédons quelques miettes d’information. Les Euménides d’Eschyle font des Moires, filles de la Nuit, celles qui, dans la cité d’Athéna, accordent « aux jeunes filles aimables de vivre aux côtés d’un époux »80. Pollux, bien des siècles plus tard, associera aux rites des proteleia Héra,
74 Pindare, fr. 30 Snell-Maehler (II, 1989, p. 9-10: Hymne aux Thébains, trad. d’après A. Puech): prw'ton me;n eu[boulon Qevmin oujranivan | crusevaisin i{ppoi" ’Wkeanou' para; paga'n | Moi'rai poti; klivmaka semna;n | a\gon Oujluvmpou lipara;n kaq’ oJdovn | swth'ro" ajrcaivan a[locon Dio ;" e[mmen : | aJ de ; ta;" crusavmpuka" ajglaokavr|pou" tivkten ajlaqeva" {Wra". Sur le contexte, cf. A. Hardie, «Pindar’s ‘Theban’ Cosmogony (The First Hymn), Bulletin of the Institute of Classical Studies, 44, 2000, p. 19-40. 75 Pindare, fr. 122 Snell-Maehler (= Athénée, XIII, 573 e-574 b). Sur ce texte, V. PirenneDelforge, L’Aphrodite grecque, p. 110-113. 76 Pausanias, I, 19, 2: to; de; ejpivgramma shmaivnei th;n Oujranivan jAfrodivthn tw'n kaloumevnwn Moirw'n ei\nai presbutavthn. 77 V. Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque, p. 70-71. 78 Aphrodite est sans doute Ourania dans le poème orphique commenté par le papyrus de Dervéni: C. Calame, «Figures of Sexuality and Initiatory Transition in the Derveni Theogony and its Commentary», in A. Laks, G. W. Most (éds.), Studies on the Derveni Papyrus, Oxford, 1997, p. 65-80, spéc. p. 70-71; A. Bernabé, «La théogonie orphique du papyrus de Dervéni», Kernos, 15, 2002, p. 118. 79 S. Eitrem, RE, XV 2, 1932, s. u. «Moira», col. 2472. 80 Eschyle, Eum., 959-962: neanivdwn t’ ejphravtwn | ajndrotucei'" biovtou" dovte, kuvri j e[conte" | ta; qnatw'n Moi'rai | matrokasignh'tai.
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TROISIÈME PARTIE: LA CONSTRUCTION DU NOM ET LES FONCTIONS DE L’ÉPICLÈSE
Artémis et les Moires, en un lieu indéterminé qui pourrait être Athènes81. L’intégration d’Aphrodite Ourania au groupe des Moires, selon des modalités inconnues et à une date qui ne l’est pas moins, trouve une assise cultuelle assez satisfaisante dans cette perspective matrimoniale puisque c’est dans un sanctuaire athénien que l’inscription se lisait et que l’on est assuré par la découverte du thesauros que l’Ourania athénienne était nuptiale dès la période classique. Pindare, dans l’hymne thébain, ne faisait-il pas des Moires les assistantes de Thémis sur «l’échelle» la menant au mariage82 ? Ce qui n’était au départ qu’une appellation générique un peu vague semble s’être progressivement attachée à la seule Aphrodite. Pourquoi? Parce que l’épiclèse Ourania est tout d’abord l’indice d’un voyage, celui d’une grande déesse au caractère céleste bien attesté dont le culte s’est propagé dans le bassin oriental de la Méditerranée sous les noms divers que chaque population lui a donnés. L’iconographie la montrera volontiers chevauchant une monture sur fond de ciel étoilé. Elle est ensuite l’indice d’une filiation, puisqu’elle atteste qu’Aphrodite est la fille d’Ouranos et donc une puissance cosmique dont les tragiques souligneront à l’envi les pouvoirs fécondants et destructeurs. L’Athènes classique y a vu la traduction adéquate des prérogatives matrimoniales d’Aphrodite et l’épiclèse s’en est trouvée fonctionnellement enrichie. Mais il faut être conscient que ce domaine d’intervention relève du «noyau dur» des prérogatives d’Aphrodite, à savoir l’union sexuelle. Le Zeus de l’Iliade attribuait déjà les «charmantes œuvres du mariage» à la déesse qui s’était aventurée sur le champ de bataille83. Cette fonction se retrouve dans bien d’autres lieux, sous d’autres épiclèses et même sans épiclèse du tout84. Athènes semble donc avoir joué un rôle important dans cette association, ne fût-ce que par l’exploitation philosophique que Platon en a faite. Si ce rôle n’est pas qu’un effet déformant de l’état de la documentation, c’est à Athènes qu’Hérodote pourrait avoir entendu parler des voyages d’Ourania en Méditerranée. L’épiclèse Ourania est donc avant tout liée à la tradition théogonique et à l’influence de l’histoire présumée du culte d’Aphrodite. Cette dernière tendance ne fera que s’accentuer au fil des siècles, dans le cadre des manifestations syncrétiques de la période hellénistique. Aphrodite Ourania restera l’habillage privilégié des déesses orientales en terre grecque, mais aussi la traduction grecque du nom des déesses sur leur terre natale. Avec l’étude de Yulia Ustinova, on connaît mieux les mécanismes de l’in-
81 Pollux, III, 38. Sur la difficulté de ce témoignage, cf. F. Lissarrague, «Regards sur le mariage grec», p. 416. 82 Un culte d’Aphrodite Ourania est épigraphiquement attesté à Ségeste (IG, XIV, 287; cf. S. De Vido, «Segesta: Fonti epigraphiche», Annuario della Scuola Normale Superiore di Pisa, 21, 1991, p. 971-980), à Sparte (IG, V, 1, 559, période romaine), à Arkésinè d’Amorgos (IIIe s. av. J.-C., IG, XII, 7, 57), tandis que Pausanias évoque son culte à Argos (II, 23, 8), à Cythère (III, 23, 1), à Olympie (VI, 20, 6). Cf. aussi une dédicace à Didymes (IIIe s. av. J.-C., T. Wiegand, A. Rehm, Didyma, II, 1958, n° 123). 83 Homère, Il., V, 428-430. 84 V. Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque, p. 421-428; R. Parker, «The Cult of Aphrodite Pandamos...».
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terpretatio de déesses locales en Ourania qui fut à l’œuvre dans le royaume du Bosphore au moins à partir du IVe siècle avant notre ère85. Un autre très bel exemple date de la fin du IIIe siècle avant notre ère, sous le règne de Ptolémée IV. Refondant le sanctuaire de la déesse égyptienne Hathor à Kousae en Haute-Egypte, le roi a fait inscrire la plaque de fondation en hiéroglyphes et en grec. Le texte grec nomme le roi et ses ascendants, puis la mention de la déesse au datif: il s’agit d’Aphrodite Ourania86. Or quand on se tourne vers la version égyptienne du nom divin, on trouve une Hathor «Qui-est-dans-le-ciel», une épithète qui n’est pas attestée dans les textes hiéroglyphiques. Hathor est la vache céleste par excellence et la référence au ciel est inutilement redondante en égyptien87. Nous avons donc là un double phénomène de traduction: Aphrodite Ourania est la traduction grecque d’une Hathor égyptienne qui elle-même reçoit une épiclèse inhabituelle, mais qui sert à traduire Ourania.
D’autres ouraniennes? Qu’en est-il d’éventuelles autres ouraniennes? Il y a tout d’abord une mystérieuse Artémis Ourania thessalienne dont on ne sait rien, et surtout pas la datation, dans la mesure où l’inscription n’est pas publiée et que je n’en ai connaissance que par une brève remarque du Supplementum Epigraphicum Graecum88. Quant aux autres déesses qualifiées d’Ourania, les inscriptions qui les concernent datent toutes du IIe siècle de notre ère. Il s’agit d’une Némésis Ourania dont le prêtre avait son siège réservé au théâtre de Dionysos à Athènes89, d’une Héra Ourania associée à un Zeus Hypsistos à Cos90 (l’épiclèse du dieu explique sans doute la qualification d’Héra en cette période relativement tardive et est parallèle aux attestations d’une Thea Ourania en Asie Mineure et au Proche-Orient à la même période91), d’une Kyria Ourania Artémis qui renvoie à l’Atargatis syrienne92 dont la qualité de Parthénos a sans doute conduit à favoriser cette assimilation aux dépens de celle d’Aphrodite à laquelle faisait déjà référence Hérodote. Ces éléments ne permettent pas d’infléchir l’idée d’une main-mise presque exclusive d’Aphrodite sur l’épiclèse en question, au moins avant notre ère. Nommer les dieux est le fruit d’une histoire dont Hérodote a cherché à recomposer les différentes étapes. Mais les processus historiques, pour lui comme pour nous,
85
Y. Ustinova, The Supreme Gods of the Bosporan Kingdom..., p. 27-53, 75-174. W. C. Hayes, Journal of Egyptian Archaeology, 34, 1948, p. 114-115; P. Fraser, ibid., 42, 1956, p. 97-98 (= SEG, 8, 1959, n° 860 et déjà SEG, 8, 1937, n° 360): basileu;" Ptolemai'o" basilevw" Ptolemaivou kai; basilivssh" Berenivkh", qew'n Eujergetw'n, ’Afrodivthi Oujranivai. – Je remercie MM. Michel Malaise et Jean Winand pour leur aide concernant le volet hiéroglyphique de l’inscription. 87 Hayes faisait le constat en 1948 (supra, n. 86) et Françoise Labrique me l’a confirmé au cours du colloque de Rennes. 88 SEG, 47, 1997, n° 750. 89 IG, II2, 5070. 90 M. Segre †, Iscrizioni di Cos, Rome, 1993, EV 127 et 199 (= SEG, 43, 1993, n° 549). 91 G. Petzl, «Neue Inschriften aus Lydien III», Epigraphica Anatolica, 30, 1998, p. 1946; SEG, 41, 1991, n° 182. 92 SEG, 38, 1988, n° 1652. 86
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sont rarement linéaires, pas plus que les traditions mythiques ne sont univoques. Ainsi, alors qu’Homère faisait d’Aphrodite la fille de Zeus et de Dioné, Hésiode la fait naître du sexe tranché d’Ouranos93. De plus, dans la Théogonie, elle est la première divinité anthropomorphe94 et la seule qui se mette à voyager dès sa venue au monde, passant de la mer, où le sexe d’Ouranos la fait naître, à Cythère puis à Chypre, pour finalement rejoindre les dieux. Le parcours peut paraître étrange, mais le propos est étiologique puisque le poète justifie ainsi les épithètes de Kythereia et de Kyprogenes95. En outre, comme fille du seul Ouranos, Aphrodite devient implicitement Ourania, même si le poète ne le dit pas. Cette double filiation est traduite par Hérodote en des termes mieux appropriés à ses objectifs: pour lui, «nommer les dieux» ne s’inscrit pas dans un processus généalogique, mais dans le cours d’une histoire dont il faut recomposer les différentes étapes. Ainsi, la vénération pour l’ouranienne est passée de peuple en peuple, tandis qu’une Aphrodite(-Hathor) doit avoir été connue de tout temps en Egypte. Qu’il soit volontaire ou non, le parallèle entre les généalogies mythiques et le propos de l’enquêteur montre deux manières de traduire la plasticité du polythéisme par la vertu d’une seule épiclèse.
Vinciane PIRENNE-DELFORGE FNRS – Université de Liège
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Sur ces points, cf. V. Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque, p. 310-318. V. Pirenne-Delforge, «Prairie d’Aphrodite et jardin de Pandore. Le “féminin” dans la Théogonie», Mélanges A. Motte (Kernos, supplément 11), Liège, 2001, p. 83-99. 95 Hésiode, Théog., 192-200. 94
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JUPITER VERSOR ET HERCULE TRINNIANUS: LES ÉPICLÈSES DANS LE MONDE OSCOPHONE A l’occasion de la présente recherche sur le thème Nommer les Dieux, il nous a semblé intéressant de proposer une étude concernant le système des épiclèses dans le monde oscophone. Pourquoi ce choix? Il n’existe à ce jour, à notre connaissance, aucune synthèse globale sur cette question, qui s’inscrit par ailleurs dans le cadre de nos recherches sur les langues de l’Italie antique d’attestation fragmentaire. En outre, l’accroissement spectaculaire du nombre d’inscriptions osques survenu depuis un quart de siècle a profondément enrichi notre connaissance de cette langue. Le corpus de la langue osque, qui compte en effet à ce jour un millier d’inscriptions1 – d’inégale importance il est vrai –, fait une très large place aux inscriptions de nature religieuse. Qu’elles soient de caractère officiel (commémoration à l’occasion de l’édification d’un édifice) ou privé (ex-voto), toutes comportent, outre le nom du dédicant, magistrat investi de la puissance publique ou simple individu, celui du (des) dieu(x) au(x)quel(s) l’inscription a été offerte. Nous bénéficions donc désormais, en raison de l’importance numérique des attestations, d’un observatoire privilégié pour cerner le système des épiclèses en osque. L’examen préliminaire des faits nous a permis d’isoler les quatre types d’épiclèses suivants2.
1. Les épiclèses localisantes La première catégorie d’épiclèses, que nous nommerons localisantes, constitue ce que nous pourrions tout simplement appeler une adresse. Il en existe deux types, dont la différence réside dans la nature de la base, qui peut être soit un théonyme, soit un toponyme. Ces deux formations ont pour point commun d’utiliser le même suffixe *no. Fonctionnant comme des adjectifs discriminatifs, elles sont tout naturellement postposées. On remarque également qu’elles sont exclusives de toute autre épiclèse. 1.1. Les épiclèses localisantes sur base théonymique Nous possédons deux occurrences de ce type; elles proviennent toutes deux du sanctuaire lucanien de Vaglio Basilicata (Potenza).
1
Le recueil, désormais ancien, de E. Vetter, Handbuch der italischen Dialekte, Heildelberg, 1953, doit être complété par ceux de P. Poccetti, Nuovi documenti italici a complemento del manuale di E. Vetter, Pise, 1979 et H. Rix, Sabellische Texte. Die Texte des Oskischen, Umbrischen und Südpikenischen, Heidelberg, 2002. 2 La richesse du matériel épigraphique à notre disposition ainsi que les contraintes relatives à la publication ne nous ont pas permis de présenter chaque fois toutes les occurrences d’épiclèses. Cette étude ne vise donc pas l’exhaustivité.
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1.1.1. Sur un bloc de grès découvert en 1972, on peut lire l’inscription suivante3 : [m]amertei / mefitanoi «à Mars qui est chez Méfitis».
Cette inscription constitue un ex-voto offert par un particulier dont le nom n’est pas cité. L’épiclèse mef itanoi est un adjectif en *ano fait sur le nom de la déesse Méfitis, à qui était dédié le sanctuaire de Vaglio Basilicata. Le couple Mefitis/Mefitanoentretenant les mêmes liens que le couple Ro¯ma/Ro¯ma¯nus, il s’agit donc d’une précision purement géographique qui n’apporte aucune indication sur les pouvoirs ou les attributs du dieu. Ici Mars est l’hôte d’une autre divinité et sa présence vient préciser l’organisation de la religion osque où se combinent deux traditions. L’une de ces traditions est ternaire (Jupiter + Mars + une divinité chthonienne4). L’autre tradition, binaire, opposant les dieux d’En-Haut – toujours prédominants – aux dieux d’En-Bas, est également représentée à Vaglio Basilicata dans les dédicaces doubles à Jupiter et à Méfitis, sur lesquelles nous reviendrons plus bas5. 1.1.2. Une dalle de calcaire gris découverte en 1972 présente l’inscription suivante6 : numuloimefitanoi num/uloi mamertioi oinai nu/[muliai] «A Numul qui est chez Méfitis, à Numul martien, à Oina numulienne».
Il s’agit d’une triple dédicace au datif singulier adressée à deux divinités dont ni les autres inscriptions osques ni aucun autre dialecte italique n’a conservé le souvenir. Le premier dieu est numuloi7 dont le nom est accompagné de deux épiclèses mefitanoi et mamertioi. Comme nous avons déjà étudié ci-dessus l’épiclèse mefitanoi, nous reviendrons plus bas sur l’autre partie de cette inscription. 1.2. Les épiclèses localisantes sur base toponymique Nous possédons quelques exemples de ce type d’épiclèse, et leur distribution géographique est plus variée que pour la sous-classe précédente, qui n’était représentée qu’en Lucanie. 1.2.1. Un bloc de grès découvert en 1970 dans le sanctuaire de Méfitis à Vaglio Basilicata porte l’inscription suivante8 : ste[vn]i" titidie" / orkhi" mefithi / outianai b[ra]it/hi" data"
3
Voir Poccetti, 1979, n° 177. Cette divinité chthonienne peut être par exemple la Cérès de la table d’Agnone ou la Méfitis de Vaglio Basilicata autour desquelles gravitent des divinités mineures. Nous y reviendrons plus bas. 5 Voir § 2.2. 6 Voir Poccetti, 1979, n° 179. 7 On rapprochera cette divinité du dieu latin Numisius martius (CIL I2 32, 33 et 2435) dont le radical, identique à l’osque, fournit un parallèle possible et partiel. 8 Voir Poccetti, 1979, n° 164. 4
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JUPITER VERSOR ET HERCULE TRINNIANUS
«Stenis Titidies, fils de Orkis, [a offert cet ex-voto] à Méfitis Outiana, pour la grâce reçue».
Le nom de Méfitis est ici accompagné d’une épiclèse, outianai, qui est un hapax en osque, mais dont l’existence est confirmée par des attestations en latin à Vaglio Basilicata même9 et à Potentia 10. Cette épiclèse fournit le nom indigène de Vaglio Basilicata, *Outiom (uel sim.) dont l’adjectif dérivé en *-ano *outian" est devenu l’épiclèse de Méftis. Cette épiclèse, à la différence des autres épiclèses de Méfitis connues à Vaglio, ne nous fournit aucune information sur les attributs de la déesse, étant purement géographique. Sa présence prouve également que Stenis Titidies n’était pas un Lucanien originaire de la cité d’*Outiom. En ce cas en effet, cette précision aurait été totalement superflue. 1.2.2. Le fragment d’une tablette de bronze découvert en pays samnite à Vastogirardi (Isernia) en 1973 a livré l’inscription mutilée suivante 11 : […].staíiiús. /[…][-]ínnianúí/[…][b]rateís L’inscription, malgré ses lacunes, est d’interprétation aisée. Nous ne décrirons ici que la deuxième ligne. Cette dernière devait comporter la désignation de la divinité dont le nom est perdu12 mais dont il reste une partie de l’épiclèse ]ínnianúí au datif singulier ; cette dernière forme a été reconstruite par Lejeune en [tri]ínnianúí qui rapproche le nom du fleuve latin Trinium (aujourd’hui le Trigno), lequel coule précisément près du sanctuaire et dont la source est proche de Vastogirardi. Ainsi «la ville du haut Trinium aurait pu s’appeler *Trinia, avec ethnique *Triniano servant d’épiclèse au dieu de Vastogirardi»13. 1.2.3. La table d’un autel de marbre découverte à Herculanum en 1739 nous a livré une dédicace à Vénus14 ; on y lit15 :
9 Voir Lejeune 1990, p. 18, n° RV 32: [mefiti.] utianae. Il s’agit de la seule attestation où l’épiclèse est lisible en entier et donc d’identification certaine. 10 CIL X, 131, 132 et 133. La présence, à Potentia, à l’époque impériale, d’une Mefitis Vtiana s’explique comme la transplantation en milieu romain d’une déesse indigène à qui on avait conservé son épiclèse autochtone. Voir Lejeune 1971, p. 80. 11 Voir Poccetti, 1979, n° 33. 12 Lejeune 1974, p. 583, fait la remarque suivante: «Sont médiocrement probables a priori un appellatif «dieu» ou le nom propre d’une divinité mineure d’occurrence rare. Est probable a priori le nom d’un des dieux majeurs soit hérités: íúveí ou mamerteí, soit adoptifs: hereklúí ou appelluneí. L’idée qu’on peut se faire de l’étendue de la lacune favoriserait plutôt Mars ou Hercule. Donnent un surcroît de chances à cette dernière solution: d’une part, ce qu’on sait de la popularité du culte d’Hercule; d’autre part, le fait que des statuettes d’Hercule ont été trouvées sur le territoire de Vastogirardi (mais à cinq ou six km. du sanctuaire S. Angelo)». 13 Voir Lejeune, 1974, p. 586. 14 Voir Vetter, 1953, n° 107. 15 Nous ne citons que la partie de l’inscription comportant le théonyme et son épiclèse.
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herentateí herukinaí «à Vénus Erycine». L’épiclèse herukinaí est d’interprétation aisée; elle fait en effet référence au temple que la déesse possédait sur le mont Eryx, en Sicile, où son fils, Eryx, tué par Hercule, avait été enseveli16. L’on possède par ailleurs en latin une Venus Erycina17. On note que le h- initial en osque est dû à l’influence de celui du théonyme herentateí: il s’agit d’un procédé harmonique auquel l’osque est très sensible.
2. Les épiclèses hiérarchisantes Les épiclèses hiérarchisantes sont toujours des adjectifs en *yo faits sur un théonyme. Ce suffixe implique que le dieu ainsi désigné ressortit au cycle de la divinité et agit dans sa mouvance. Le dieu – qu’il soit «mineur» ou non – fait donc partie du cercle d’une autre. Ces épiclèses sont toujours postposées et n’admettent pas la présence d’une autre épiclèse juxtaposée18. Nous avons conservé quelques exemples de ce type d’épiclèses. 2.1. Revenons sur la dalle de calcaire gris de Vaglio Basilicata que nous avons vue plus haut19 : numuloi mefitanoi numuloi mamertioi oinai nu[muliai] La première partie de l’inscription a été présentée plus haut. La deuxième mérite une attention particulière: on note que le théonyme numuloi a été répété et que, partant, les deux épiclèses ne sont pas juxtaposées. Cette répétition est destinée, selon nous, à éviter la juxtaposition de deux épiclèses, à laquelle l’osque répugne, sauf lorsqu’il s’agit de Jupiter20 (cf. le type latin Optimus Maximus). Les épiclèses ici données ne nous renseignent pas sur les pouvoirs ou les attributions du dieu mais sur sa localisation dans l’espace lucanien et la mythologie des Lucaniens. La première épiclèse, mefitanoi «qui est chez Méfitis» est, nous l’avons vu, localisante, tandis que la seconde, mamertioi «martien», est hiérarchisante. Numul était donc un dieu ouranien, res-
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Virgile, Enéide, 5, 24. Voir Cicéron., Verr., II, 2, 22; Horace, Odes, 1, 2, 33. 18 Cette théorie n’est pas acceptée par tous les commentateurs. Marchese (1974, p. 421 note 21), notamment, la combat en estimant qu’il n’y a pas de différence de sens entre les suffixes *-yo- et *-ano-. Pour elle, *-ano- signifie simplement «qui est en rapport avec» et ne constitue pas seulement un suffixe d’ethnique ou de localisation; postulant qu’un dérivé en *-yo- du nom de Méfitis n’a peut-être jamais existé, elle estime que les suffixes perdent leur valeur originelle pour aboutir à des formules de tradition. Mais le fait que les suffixes *-yo- et *-ano- ne soient pas en latin synonymes pour former des dérivés de toponymes fragilise la proposition de Marchese. 19 Voir § 1.1.2. 20 Voir Vetter, 1953, n° 147 B 15. 17
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sortissant au cycle de Mars et en même temps hébergé chez Méfitis 21. La deuxième divinité, Oina, déesse féminine, est l’épouse du précédent, comme l’indique son épiclèse qui est malheureusement tronquée par la fracture de la dalle mais dont la restitution paraît certaine. 2.2. Une dalle de calcaire, découverte à Vaglio Basilicata en 1970 et destinée à commémorer l’édification d’un autel, comporte l’inscription suivante22 : lwFki".nanoni".spell[hi"]/ kFaistor.senathi"/ tanginod.afaama[ted]/ diwFia" diomana" «Lovkis Nanonis, fils de Spellis, questeur, sur décision du sénat, a commissionné [cette construction]. [Elle est la propriété] de la Souveraine jovienne».
Pour Lejeune 23, le syntagme, diwFia" diomana", est une désignation de Méfitis qui serait appelée la « Souveraine jovienne ». La forme normalement attendue, *domana" < *dom°na (cf. latin domina) serait, par altération allitérative, devenue diomana" 24 sous l’action de l’épiclèse diwFia" (< *dyowyo) ici antéposée. L’explication qui est donnée de diomana" ne suscite des réserves que de la part de Poccetti qui souligne que la racine *de/om n’est jamais attestée, à l’exception du latin, dans les dialectes italiques, qui utilisent pour ce sens la base *tre-b-25. Marchese, tout en acceptant l’hypothèse de Lejeune, réfute pour sa part, l’altération allitérative26. Son explication est aussi satisfaisante que celle de Lejeune et il paraît difficile de trancher entre les deux solutions. L’antéposition des deux lexèmes dans ce syntagme a été diversement expliquée27 ; pour Lejeune28, l’adjectif diwFia" aurait été appelé à la première place sous l’influence de la dédicace précédente qui se réduit au théonyme diwFhi" 29. Pour
21
L’on rapprochera le première inscription que nous avons vue (cf. § 1.1.1.): [m]amertei mefitanoi «à Mars qui est chez Méfitis». En tant que représentant de l’une des trois Fonctions, la présence d’une dédicace à Mars est attendue dans un sanctuaire à Méfitis, mais il serait exclu que ce dieu soit mefitio-, c’est-à-dire soumis à Méfitis. 22 Voir Poccetti, 1979, n° 168. 23 Voir Lejeune, 1971, p. 69. 24 Prosdocimi, 1976, p. 833, y voit en outre un calque sémantique du grec povtnia «maîtresse, souveraine», substantif qui est souvent utilisé pour désigner des déesses (Déméter, Perséphone). 25 Voir Poccetti, 1979, p. 125. 26 Ainsi Marchese, 1974, p. 421: «La possibilità alliterante potrebbe essere non il prius, ma il risultato, in quanto in osco e in altri dialetti italici la dentale ha effetto palatalizzante nella vocale successiva con sviluppo di -j- segnato graficamente con -i- (cfr. il volsco sistiatens di Ve. 222 e casi analoghi)». 27 Nous citons pour mémoire l’explication d’Antonini (1981, p. 344) dont le sens nous échappe: «Il sintagma diwFia" diomana" (con preposizione dell’aggettivo al sostantivo, mentre la sequenza inversa è piuttosto la norma) potrebbe attribuirsi alla necessità di disambiguare (antecipandolo) l’aggettivo attribuito al nome in presenza di altre possibili determinazioni a questo riferibili». 28 Voir Lejeune, 1990, p. 56. 29 Voir Poccetti, 1979, n° 167.
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Marchese, cette antéposition prouve que diomana" n’est pas réellement un théonyme et que l’ordre des mots serait donc déterminant-déterminé 30. Mais si, comme nous le pensons aussi, diomana~ est un calque du grec povvtnia, alors l’explication de Marchese ne tient pas et celle de Lejeune apparaît plus satisfaisante. 2.3. La célèbre table d’Agnone 31, enfin, découverte à Capracotta près d’Agnone en 1848, mentionne en une double liste un certain nombre de divinités qui sont dites kerríiaí (quand il s’agit de divinités féminines) ou kerríiuí (quand il s’agit de divinités masculines). Cette épiclèse indique que ces divinités, qu’elles soient mineures ou plus importantes comme Hercule, appartiennent au cercle de Cérès.
3. Les épiclèses syncrétiques Nous désignons par «épiclèses syncrétiques» d’anciens théonymes qui par dérivation impropre sont devenus les épiclèses d’une divinité plus importante. Le hasard des découvertes épigraphiques ne nous a livré que deux occurrences dont une – la première – est sujette à controverse. 3.1. Un anneau d’or votif, découvert à une date inconnue à Isernia dans le Samnium, présente sur le chaton l’inscription votive suivante32 : stenis.kalaviis.g/anagtiai. diíviiai./dunum.deded. «Stenis Kalaviis, fils de Gavis, a fait ce don à Angitia la chthonienne (?)».
La deuxième ligne donne l’identité du dédicataire: il s’agit de la déesse Angitia, dont il existe en épigraphie, outre cette inscription osque, quelques autres attestations marses et latines33. La forme anagtiai présente la syncope du i dans la seconde syllabe, ce qui a entraîné le développement d’une voyelle d’anaptyxe de timbre a. L’étymologie de ce théonyme demeure jusqu’à présent non élucidée. On peut simplement préciser que l’hypothèse, autrefois formulée par Radke34, d’un rapport avec la racine du latin angor et les formes péligniennes an(a)c(e)ta, est à présent abandonnée35. L’épiclèse diíviiai a parfois été interprétée comme le correspondant de l’adjectif latin dius «du ciel, divin»36. Mais cette étymologie a été remise en question par Arena37 qui
30 Ainsi Marchese, 1974, p. 421: «L’inversione presuppone che diomana" non sia un vero teonimo, ma la qualificazione di una divinità “giovia” per eccellenza». 31 Voir Vetter, 1953, n° 147. 32 Voir Vetter, 1953, n° 140. 33 Voir Rocca, 1994, p. 223-235 qui a édité le corpus épigraphique des attestations de Angitia. 34 Voir Radke, 1979, p. 65-66. 35 Voir Rocca, 1994, p. 235-236. 36 Voir Ernout-Meillet, 1959, p. 178 et plus récemment Santi, 1994, p. 251-252. Cette dernière étude est notamment très importante parce qu’elle fait le point des connaissances acquises sur cette déesse et notamment sa place dans le panthéon italique. Notons toutefois que certains commentateurs (notamment Vetter) laissent la forme sans traduction.
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voit en ce mot un ancien théonyme qui par syncrétisme serait par la suite devenu l’épiclèse d’Angitia. Cette déesse *diíviiú serait à rapprocher d’une déesse Di-wi-ja attestée en mycénien et qui peut être comprise comme la parèdre de Dis (Pluton). Cette solution, plus satisfaisante du point de vue du sens, est toutefois contredite par le fait qu’Angitia semble être une déesse davantage ouranienne que chthonienne38. 3.2. Sur une petite figurine votive de bronze représentant Jupiter, découverte à une date inconnue à Punta di Penna (Chieti), en pays frentan, on lit l’inscription suivante39 : iúveís/lúvfreís «[propriété de] Jupiter Liber».
D’autres emplois de l’épiclèse lúvfreís qui accompagne le nom de Jupiter sont attestés en dehors de l’osque. On trouve en effet en latin un Jupiter Liber à Capoue40 et à Furfo41. En grec aussi, on trouve très fréquemment Zeu;" jEleuqevrio" 42. Mais la forme lúvfreís n’est pas à proprement parler un adjectif. C’est en réalité le nom d’une divinité italique assimilée dans les religions romaine et grecque à Bacchus 43 et associée à Jupiter, de la même façon que Libera a été associée à Junon. Ce théonyme, selon une étymologie populaire, signifie «libre»; les Anciens avaient déjà vu la parenté et affirmaient pour la justifier que le dieu du vin délivrait l’esprit de tout souci44. L’adjectif indo-européen exprimant la notion de liberté était *h1leudh(e)ro45, la diphtongue *eu évoluant ultérieurement en ou dès l’italique commun par assimilation du point d’articulation du premier élément au second46.
4. Les épiclèses attributives Les épiclèses attributives indiquent une fonction ou une qualité du dieu. Ce sont peut-être celles qui sont les plus instructives pour l’étude de la religion. On remarque que ces épiclèses sont toujours postposées. On note d’autre part que les théonymes n’ont droit qu’à une seule épiclèse attributive; seul Jupiter fait exception et peut en avoir deux, citées d’ailleurs sans conjonction de coordination, comme dans le latin Optimus Maximus. Les épiclèses attributives ont également pour caractéristique d’être
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Voir Arena, 1973-74, p. 15-17. Voir Santi, 1994, p. 256. 39 Voir Vetter, 1953, n° 170. 40 CIL X, 3786. 41 CIL IX, 3513. 42 Pindare, Olympiques, 13, 1; Hérodote, 3, 142; Thucydide, 2, 71; etc. 43 Pour la fonction originelle de Liber et Libera, voir Ernout-Meillet, 1959, p. 355. 44 Cf. Festus, 103, 3: Liber repertor uini ideo sic appellatur quod uino nimio usi omnia libere loquantur. 45 Pour une étude du sens de la racine, voir E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes. 1. économie, parenté, société, Paris, 1969, p. 321-333. 46 Pour le problème que pose l’évolution de cette diphtongue en latin (où le ¯ı long fait difficulté), voir Ernout-Meillet, 1959, p. 355. 38
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généralement des formations adjectivales. On note toutefois que Jupiter se distingue là encore et est la seule divinité à avoir droit à des noms communs, en l’occurrence des noms d’agent en *tor. Il semble donc que ce dieu ait été perçu comme l’agent par excellence. 4.1. Parenté osco-grecque 4.1.1. Une petite plaque de bronze découverte à une date inconnue à Vibo Valentia, en territoire bruttien, porte la dédicace suivante47 : diouFei Fersorei taurom «[J’ai offert uel sim.] ce bœuf (non châtré) à Jupiter Versor».
Cette inscription votive est composée d’un syntagme objet taurom, précédé d’un syntagme au datif désignant la divinité à qui l’objet était offert. Dans la mesure où taurom est vraisemblablement à l’accusatif singulier, il faut sous-entendre un verbe signifiant «donner» ou «offrir», à la première ou à la troisième personne du singulier ou du pluriel. Ce formulaire est inédit en osque. La plupart du temps, dans les inscriptions en alphabet national osque, le verbe deded est exprimé, tandis que l’objet offert en don est sous-entendu. Le nom de Jupiter est ici accompagné de l’épiclèse Fersorei inédite en osque et inconnue par ailleurs en italique 48. La forme Fersorei repose sur *wert-tor-ei: il s’agit d’un nom d’agent bâti sur la thème I *wer-t «faire tourner» 49. Cette épiclèse rappelle pour le sens celle qui, en grec, est donnée à des divinités et particulièrement à Zeus, lequel est parfois appelé Zeu;" Trovpaio" 50 «celui qui fait tourner», c’est-à-dire «celui qui détourne les maux». 4.1.2. Un cippe de travertin découvert à Pompéi en 1851 et relatif à des travaux de voirie conduits par les édiles de la cité présente la mention suivante 51 : kaíla iúveís meeílíkiieís «temple de Jupiter Milichius».
Cette épiclèse a été empruntée au grec Meivlicio", qui signifie «qui adoucit, qui apaise », et qui sert précisément en grec à qualifier Zeus. Associée en grec aux noms d’autres divinités, notamment Dionysos, elle est en revanche inconnue du latin52.
47
Voir Vetter, 1953, n° 187. Pour le sens toutefois, on rapprochera le dieu Averruncus, divinité qui détournait les malheurs (Varron, De lingua latina, 7, 102; Aulu-Gelle, Nuits Attiques, 5, 12, 14). 49 Pour la racine, voir Ernout-Meillet, 1959, p. 726. 50 Sophocle, Trachiniennes, 303. 51 Voir Vetter, 1953, n° 8, ligne 7. 52 Nous renvoyons à l’étude d’ensemble conduite par D. Russo, Il tempio di Giove Meilichio a Pompei, Naples, 1991 et plus précisément au chapitre V «L’epigrafe osca», p. 73-95. 48
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4.2. Parenté osco-latine 4.2.1. La découverte en 1962 dans le sanctuaire de Méfitis à Vaglio Basilicata d’une stèle de calcaire est venue enrichir notre connaissance de la désignation théonymique. Réduite à deux mots, l’inscription est53 : [m]efithi / kaporoinna[i] «Pour Méfitis Capronia».
Il s’agit sans doute d’une inscription votive offerte par un particulier en signe de remerciement à la divinité. Le formulaire est des plus laconiques puisque sont seulement donnés le nom de la déesse et une épiclèse au datif singulier. L’épiclèse fut autrefois lue *kaporotinna[i] par Lejeune qui établissait ainsi un lien direct avec la Iuno Caprotina des Romains 54. Mais si cette lecture est aujourd’hui abandonnée à peu près par tout le monde, même si Poccetti se refuse à l’exclure totalement 55, il est évident que les deux épiclèses Caprotina et kaporoinna[i] sont de sens voisin, mais de formation différente. Nous n’aborderons pas ici les difficultés relatives à la formation du latin Caprotina qui ont été longuement développées par Lejeune, auquel nous renvoyons56. S’il est évident que l’épiclèse osque est bâtie, comme la latine, sur le nom latin du «bouc», caper, le détail de la dérivation fait difficulté. Lejeune propose une dérivation en *on-yo (*cap°ro-on-yo) qui a contre elle d’être sans autre exemple, non seulement en osque, mais aussi en italique57. De plus, le problème dérivationnel ne saurait masquer le problème sémantique et historique. Dans la religion romaine, les nones caprotines constituent un vieux rite de fécondation où la déesse Junon, fertilisante, et les femmes, auxquelles ce culte était réservé, fertilisées, se trouvaient dans la relation bouc/chèvre et étaient dès lors symboliquement changées en ces animaux autour d’un figuier sauvage (caprificus) dont la sève latescente participait au rite. Mais pour Méfitis, rien de cela ne saurait être démontré par un commencement de preuve. L’épiclèse pourrait donc ici avoir un tout autre sens que notre documentation fragmentaire ne nous permet pas d’entrevoir. 4.2.2. Une inscription très mutilée figurant sur un piédestal provenant de Cumes et découverte en 1916 mentionne58 : iúveí flagiúí «pour Jupiter Flagius».
53
Voir Poccetti, 1979, n° 159. Voir Lejeune, 1967, p. 202. 55 Voir Poccetti, 1979, p. 121. 56 Voir Lejeune, 1967, p. 194-202. 57 Cette remarque ne vaut pas pour l’onomastique, puisque le latin possède des gentilices en -onius. 58 Voir Vetter, 1953, n° 108 et Poccetti, 1979, n° 132 avec relecture. Cette épiclèse est également présente deux fois dans une autre inscription, provenant celle-là de Capoue (Vetter, 1953, n° 94). 54
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On rapprochera de la forme osque le latin Iuppiter Flagius attesté sur une inscription de Monteleone Sabino59 ainsi que deux fois sur une inscription de Puteoli60. Bien que le sens exact de cette épiclèse soit contesté61, on rattache d’ordinaire ce mot à la racine des verbes latins flagro¯ «être en flammes» et fulgeo¯ «briller», ce qui évoque l’épiclèse fulgens62 «qui lance des éclairs» attachée au nom de Jupiter63. 4.3. Faits proprement osques 4.3.1. Un fragment de terre cuite achrome découvert à Valle d’Ansanto (Avellino) dans le Samnium fournit notamment la formule théonymique suivante64 : mefitei[…?/ aravinai[…? «à Méfitis Aruina».
L’épiclèse aravinai souligne le caractère cérérien de la déesse de Vaglio Basilicata qui était adorée, soit comme déesse de la terre labourée (cf. latin aruum), soit comme déesse des produits de la terre labourée (cf. ombrien arvia 65). Cette épiclèse en *ino peut en effet être bâtie sur les thèmes *aruo ou *aruio. 4.3.2. Un bloc de grès découvert à Vaglio Basilicata en 1970 présente l’inscription suivante 66 : zwFhi/pizhi «à Jupiter …».
Il s’agit d’un ex-voto qui se réduit au(x) nom(s) de la (des) divinité(s) à laquelle (auxquelles) l’ex-voto était consacré. La ligne 1 fournit le nom de Jupiter au datif singulier. La seule difficulté réside dans l’interprétation du lexème, au datif singulier lui aussi, de la ligne 2 qui a reçu de nombreuses solutions toutes contradictoires. Voici à ce jour l’état de la question et les remarques qu’elle appelle de notre part. Pour Lejeune (1971 p. 69-71 et 1976, p. 559-560), il s’agit d’une double dédicace en asyndète à Jupiter et à la Source divinisée de Vaglio Basilicata assimilable à
59
Voir Notizie degli Scavi di Antichità, 1928, p. 390. Voir CIL X 1571; l’inscription comporte les datifs Ioui Flazzo et Ioui Flazio montrant la palatalisation du groupe *-gy-. 61 Pour une hypothèse, beaucoup moins vraisemblable de notre point de vue, rattachant le terme osque au latin fragum «fraise» et grec rJavx «grain de raisin», voir J. Heurgon, Etude sur les inscriptions osques de Capoue dites iuvilas, Paris, 1942, note 4, p. 80-81. 62 Cicéron, De natura deorum, 2, 25, 65 et In P. Vatinium testem interrogatio, 20. 63 Voir Ernout-Meillet, 1959, p. 238 et 259. 64 Voir Antonini, 1981a, p. 55-60. 65 Même si le sens de ce substantif ombrien est discuté, c’est là l’interprétation la plus probable et la plus souvent admise. Voir A. Ernout, Le dialecte ombrien, Paris, 1961, p. 79 et 108. 66 Voir Poccetti, 1979, n° 169. 60
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Méfitis elle-même. Lejeune pose l’évolution suivante: *pid-es-ei > *pid-s-ei > pizhi, en précisant qu’il s’agit d’un dérivé en *e/os de la racine *pid (cf. Hom. pi'dax «jaillissante»). Cette solution a pour elle que l’asyndète est un procédé répandu à Vaglio Basilicata dans des dédicaces et qu’il existe une autre dédicace où Méfitis n’est pas désignée par son nom mais par la périphrase de «la Souveraine jovienne» (cf. § 2.2.). Marchese (1974, p. 407) rejette l’hypothèse d’une deuxième divinité et préfère voir en pizhi un nom – celui de la «source» pour lequel elle agrée l’étymologie de Lejeune – déterminant celui de Jupiter. Pour elle nous aurions un «Jupiter-fontaine» de la même façon que nous avons un Jupiter de pierre (Iuppiter lapis) à Rome. Toutefois, cette solution manque selon nous de consistance mythologique parce que l’on ne voit pas comment justifier ce «Jupiter-fontaine» inconnu par ailleurs. En outre, le Iuppiter lapis, qui désigne, au témoignage de Festus67, une pierre que l’on tenait dans la main comme un symbole de Jupiter au nom duquel on jurait, appartient à un contexte particulier où le terme lapis ne constitue pas à proprement parler un nom en fonction d’épiclèse. Marchese, qui reconnaît que l’hypothèse d’un nom est peu probable, propose de voir en pizhi un adjectif thématique en *yo bâti sur la même racine évoquée *pid plus haut (*pid-y-oi). L’obstacle de la désinence – nous attendrions en effet un datif en - wi et non en - hi qui est inusité à la flexion thématique – est vaincu par l’éditrice en invoquant soit l’influence du premier mot (zwF-hi) soit la neutralisation que l’on rencontre au génitif singulier où les noms de la déclinaison thématique empruntent leur désinence aux thèmes en yod (type sakaraklúm, gén. sakarakleís). Cette proposition est irrecevable pour plusieurs motifs: les noms de la flexion thématique ont toujours un datif en úí/wi; l’influence qu’un théonyme peut avoir sur son épiclèse est un fait avéré en osque, mais il concerne l’initiale de l’épiclèse et non sa désinence. Ainsi dans une dédicace d’Herculanum68 à Vénus Erycine que nous avons vue plus haut (§ 1.2.3.), l’on peut lire herentateí herukinaí où, dans le deuxième mot, le h initial est dû à l’analogie du premier. Mais en aucun cas, nous ne lisons *herukineí ; enfin, même si l’obstacle morphologique était levé, il resterait à expliquer le sens de ce Jupiter fonteius. Pisani (1974, p. 128), écartant totalement l’hypothèse de la fontaine, analyse pizhi comme un plus ancien *bhidh-yo-ei, correspondant pour la forme et pour le sens au latin Fidius (cf. Dius Fidius). Outre le problème lié à la désinence évoqué ci-dessus, cette hypothèse est invalidée par la phonétique. Une évolution *bhi > pi suppose en osque l’application de la loi de Grassmann alors que cette loi précisément ne s’observe pas en italique69. Enfin, nous citons pour mémoire en note la proposition de Del Tutto Palma, apparentée à celle de Pisani, mais selon nous, encore moins vraisemblable70. 67
Paulus Festus, 102, 13. Cf. Cicéron, Ad familiares, 7, 2, 2. Voir Vetter, 1953, n° 107. 69 Monteil (1986, p. 52) soutient le contraire, mais ses exemples sont sujets à caution: en fait l’étymologie de gradior est très discutée et le passage de *bhardha à barba est due à une assimilation régressive (voir Meillet-Vendryes, 1979, p. 73). 70 Ainsi Del Tutto Palma, 1990, p. 94: «Si può postulare qui una dedica “a Giove Fede” in cui pizhi è ricalcato su gr. peiq-, piq- (omer. peivsa), pivsti", secondo la morfologia dei temi conson.: *pishi > pizhi per sonorizzazione della sibilante intervocalica». 68
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En conclusion, nous souscrivons à l’hypothèse de Lejeune qui est la seule à allier cohérence sémantique et morphologique. Mais il est non moins vrai, pour reprendre les conclusions de Chantraine71, que l’étymologie de Hom. pi'dax «reste obscure» et que cela fragilise l’exégèse du terme osque. Nous rappellerons que cette étude ne se proposait pas de présenter un relevé exhaustif de toutes les épiclèses osques. Mais toutes les catégories d’épiclèses ont en revanche été répertoriées. Il serait intéressant, dans le cadre d’une autre recherche, de procéder à un relevé complet des épiclèses en langue osque et de comparer systématiquement, quand cela est possible, les données aux faits latins ou italiques.
Fabrice POLI Université de Bourgogne
71
302
Voir Chantraine, 1968, p. 899.
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Bibliographie Sélective N. B. Abréviations utilisées pour les périodiques: AIONArch = Annali dell’Istituto Universitario Orientale di Napoli. Seminario di studi del mondo classico. Sezione di archeologia e storia antica AIONLing = Annali dell’Istituto Universitario Orientale di Napoli. Seminario di studi del mondo classico. Sezione linguistica ArchClass = Archeologia Classica. Rivista della Scuola Nazionale di archeologia. Istituto di archeologia e storia dell’arte greca e romana e di etruscologia e di antichità italiche MAL = Atti dell’Accademia Nazionale dei Lincei. Memorie della Classe di scienze morali, storiche e filologiche RaLinc = Atti dell’Accademia Nazionale dei Lincei. Rendiconti della Classe di scienze morali, storiche e filologiche REL = Revue des Etudes Latines SE = Studi Etruschi.
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Poccetti 1979 = P. Poccetti, Nuovi documenti italici a complemento dell manuale di E. Vetter, Pise, 1979. Prosdocimi 1976 = A. L. Prosdocimi, Sui grecismi nell’osco in AA. VV., Scritti Bonfante, Brescia, 1976, p. 781-866. Radke 1979 = G. Radke, Die Götter Altitaliens, Münster, 1979. Rocca 1994 = G. Rocca, «Angitiae sacrum: riconsiderazioni su un’epigrafe da Trebula Mutuesca», AIONLing, 16, 1994, p. 223-239. Santi 1994 = C. Santi, «Angitia nel culto e nelle relazioni con il pantheon italico», AIONLing, 16, 1994, p. 241-257. Vetter 1953 = E. Vetter, Handbuch der italischen Dialekte, Heidelberg, 1953.
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MULCIBER: UNE ÉPICLÈSE USUELLE DE VULCAIN A côté de noms occasionnellement ou accidentellement appliqués à une divinité, et dont la clarté dépend surtout du contexte, il en est d’exclusivement réservés à un dieu (ou à une déesse), qui tiennent parmi ses qualifications une place prédominante et deviennent dans l’usage courant interchangeables avec le nom propre. On en connaît de nombreux exemples. Mulciber, épiclèse usuelle de Vulcain, est particulièrement intéressant, en ce qu’il s’agit d’un mot latin authentique, qui n’est pas dû à une influence étrangère. L’importance de Vulcain dans la forme archaïque de la religion romaine a été bien mise en valeur par J. Carcopino et G. Capdeville1. L’ancienneté de l’appellation Mulciber ne vient que partiellement à l’appui de cette thèse. On trouve le mot dans l’Epidicus de Plaute: «Mulciber a, je crois, forgé les armes de Stratippoclès»2. Le personnage décrit est clairement le forgeron divin; mais, par le fait que le théâtre latin s’inspire de pièces grecques de la comédie nouvelle, par le pastiche du rôle joué par Achille dans l’épopée homérique, ici assigné à Stratippoclès, notre regard s’oriente vers le monde grec, et vers Héphaïstos, considéré par les Romains comme l’homologue de Vulcain. En dépit de ces références mythologiques, il ne faut pas voir dans Mulciber une appellation purement poétique. Saint Augustin nous a transmis, dans sa Cité de Dieu, un passage de Varron3 où celui-ci rapporte la distinction que faisait le pontife Scévola entre dieux des poètes, dieux des philosophes et dieux de la cité. Certes, Mulciber sera très utilisé, ne serait-ce qu’à titre de variante stylistique et métrique, par les poètes épiques, et en particulier par Virgile (qui, faisant, comme Homère, intervenir le dieu en qualité de forgeron, a tout spécialement l’occasion d’utiliser cette épithète). Macrobe, dans ses Saturnales, remarque: «Il est beaucoup d’épithètes chez Virgile que l’on croit inventées par lui, mais je montrerai qu’il les a tirées des Anciens, par exemple Mulciber»4. Mais l’utilisation de cette épiclèse privilégiée peut aussi répondre à une intention philosophique. On sait la place occupée en physique par la théorie des quatre éléments. Certains des dieux traditionnels sont par les philosophes – en particulier stoïciens – assimilés à ces éléments. On ne sera pas surpris que le forgeur de foudre soit pris comme un symbole du feu. Or, l’emploi de l’appellation Mulciber est mis en rap-
1 J. Carcopino, Virgile et les origines d’Ostie, 2e éd., Paris, 1968; G. Capdeville, Volcanus: recherches comparatistes sur le culte de Vulcain, Rome, 1995. 2 Plaute, Epidicus, 34: Mulciber, credo, arma fecit quae habuit Stratippocles. 3 Saint Augustin, De ciuitate Dei, IV, 27 (= Varron, Logistoricus Curio de cultu deorum, fragment 5, éd. Cardauns): Scaeuolam disputasse tria genera tradita deorum: unum a poetis, alterum a philosophis, tertium a principibus ciuitatis. 4 Macrobe, Saturnalia, VI, 5, 1: Multa quoque epitheta apud Vergilium sunt quae ab ipso ficta creduntur, sed et haec a ueteribus tracta monstrabo, ut Mulciber.
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port avec ce symbolisme, ainsi chez Macrobe: «Mulciber est Vulcain en tant qu’il est le feu»5. Aussi le nom Mulciber, concurremment avec Vulcanus, sert-il à la désignation métonymique du feu. On comparera les vers d’Ennius: «Le vent, dans un grand fracas, soulevait Vulcain»6 et d’Egnatius: «Mulciber en fureur atteint les hauteurs du ciel»7. Ou bien, dans le culte, des dédicants peuvent recourir à l’épiclèse Mulciber pour mettre l’accent sur l’aspect du dieu qui les intéresse particulièrement. C’est de cette façon qu’une inscription de Brescia s’adresse à «Vulcain domestique, autrement dit Mulciber»8. Il y a des chances pour que cette diversité de rôles s’éclaire par une prise en considération du mot Mulciber lui-même. Celui-ci appartient à l’authentique fond du vocabulaire latin, mais sa formation n’est pas immédiatement claire. La forme comporte des variantes: à côté de Mulciber, on trouve chez Martianus Capella Mulcifer9. L’alternance b/f pourrait à première vue faire songer au cas de certaines finales qui, ayant survécu à la fois dans le latin de Rome et dans des formes empruntées à des dialectes campagnards, présentent cette alternance10. Mais cette solution n’est pas en accord avec la rareté et le caractère extrêmement tardif (Ve siècle ap. J.-C.) de la variante. Mieux vaut penser que celle-ci est née par analogie avec les composés en -fer, fréquents dans le langage de l’épopée11. On trouve par ailleurs des hésitations quant à la déclinaison à adopter, un mot en -er pouvant se rattacher à la déclinaison thématique ou athématique, et une réalisation pleine ou défective (-ber- ou -br-) du suffixe en position intérieure étant possible. C’est ainsi qu’à côté de Mulcibero12, on trouve Mulciberis13 et Mulcibris14. Plus clairs sont, aux yeux des Romains, la situation du radical et par là le sens du mot. On trouve, dans un abrégé bien connu de l’ouvrage du célèbre grammairien d’époque augustéenne Verrius Flaccus, La signification des mots, la définition suivante: «Mulciber est Vulcain, dénommé d’après l’amollissement (a molliendo) du fer. Car travailler (mulcere) le fer, c’est l’amollir ou l’assouplir»15.
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Macrobe, Saturnalia, V, 2: Mulciber est Vulcanus quod ignis sit... Ennius, Annales, fr. 509, éd. Skutsch: Cum magno strepitu Volcanum uentus uegebat. 7 Egnatius, De rerum natura, frgt 1 (= Macrobe, Saturnalia, V, 2): Mulciber ipse furens altissima caeli contingit. 8 Corpus inscriptionum Latinarum (= CIL), V, 4295: Volk(ano) miti /siue Mulcibero... Mitis est l’adjectif dont se sert la langue latine pour désigner les animaux apprivoisés. 9 Martianus Capella, Les noces de Mercure et de la philologie, I, 17. 10 Par exemple dans rufus et ruber, qui tous deux signifient «rouge». Cf. A. Ernout, A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine. Histoire des mots, 4e éd., Paris, 19591960, p. 578-579. 11 Cf. O. Gradenwitz, Laterculi uocum Latinarum (= Eléments de vocabulaire latin), Leipzig, 1904, p. 416-417. 12 CIL, V, 4295 (supra, n. 8). 13 Ovide, Art d’aimer, II, 562: Mulciberis capti Mars Venusque dolis (Mars et Vénus capturés par la ruse de Mulciber). 14 Priscien, Ars grammatica, VI, 40. 15 Paulus Festus, De uerborum significatu, l, 5, Lindsay, 2e éd., p. 129: Mulciber Volcanus a molliendo scillicet ferro dictus.Mulcere enim mollire siue lenire est. 6
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D’autres antiquaires emboîtent le pas. La définition de Macrobe citée plus haut (supra, n. 5), se termine par «...il est le feu, assouplit et dompte tout»16. On trouve dans le commentaire servien de l’Enéide: «Mulciber est Vulcain, parce que le feu s’insinue (permulcet) partout, ou, selon certains, en tant que sa démarche est compromise (ipse mulcatus pedes sit) ou que le feu l’amollit»17. Comme souvent, ces textes nous renseignent sur la façon dont les Anciens rattachaient tel ou tel mot à tel ou tel champ sémantique plutôt que sur la dérivation réelle. Mais certains rapprochements faciles tombent juste. Mollire n’a pas de rapport avec Mulciber; en revanche l’apparentement avec mulcere mérite plus d’attention. Certes, à l’époque historique on ne trouve attestés dans cette famille que les verbes de la première (mulco, as, are) et de la deuxième (mulceo, es, ere) conjugaison, alors que l’apophonie de la deuxième syllabe de Mulciber suppose qu’il dérive d’un verbe de la troisième conjugaison (*mulco, is, ere), qu’on ne trouve pas attesté. La reconstitution n’en est pas moins vraisemblable. Il n’est pas sans exemple qu’un verbe intensif (I) ou factitif (II) ait supplanté le verbe simple (III) de la même famille, dont il subsiste des dérivés nominaux. On citera palpebra «paupière (qui bat)», en face de palpare «tapoter»18. La terminaison de Mulciber revêt une forme masculine, comme il convient à l’épiclèse d’un dieu. Il faut noter qu’il existe des équivalences de forme féminine (-bra) et neutre (-brum) de cette terminaison. Toutes sont susceptibles de prendre une valeur instrumentale et paraissent dans certains cas interchangeables; ainsi sont parfaitement synonymes terebrum et terebra « tarière »19, candelaber et candelabrum « candélabre»20. Masculin et féminin peuvent toutefois être «motivés», comme c’est le cas pour coluber et colubra «couleuvre»21. Ici, le rôle animé d’agent convient parfaitement à celui qui est non seulement le patron céleste des opérations métallurgiques, mais le forgeron par excellence. Le qualificatif, nous l’avons vu, s’étend par métonymie au rôle du feu, qui ne se limite pas forcément à rendre les métaux malléables. C’est ainsi que Virgile écrit: «Par le feu (= Mulciber), elle réduit la liqueur du moût sucré»22 et Ovide: «Le feu (= Mulciber) dévorait poix, cire et autres aliments de la flamme»23.
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Macrobe, Saturnalia, V, 2: ... ignis sit et omnia mulceat atque domet. Servius, ad Aeneida, 8, 724: Mulciber Vulcanus ab eo quod totum ignis permulcet, [aut quod ipse mulcatus pedes sit, sicut quibusdam uidetur,] aut quod igni mulceatur. Le passage entre crochets est parfois considéré comme l’œuvre d’un deuxième commentateur. 18 O. Gradenwitz, Laterculi..., p. 304. 19 Ibid., p. 304. 20 Ibid., p. 340. 21 Ibid., p. 416. 22 Virgile, Géorgiques, II, 295: Dulcis musti Mulcibero decoquit umorem . 23 Ovide, Métamorphoses, XIV, 533: Picem et ceras alimentaque cetera flammae Mulciber urebat. 17
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Il est intéressant de noter que l’on a affaire ici à un point de vue assez différent de celui qui, selon une distinction classique, oppose le feu sacré (Vesta) au feu profane (Vulcain). Il s’agit de définir le modus operandi d’une puissance transformatrice, qu’on peut envisager à l’œuvre dans la forge, dans la cuisson, dans la combustion, bref dans toutes les tâches où le feu intervient dans la vie quotidienne, au service des différentes techniques. Saint Augustin faisait de Vulcain un «coopérateur de Minerve»24 déesse des arts. Il est peu d’arts auxquels ne soit utile Mulciber, le patron du feu apprivoisé.
Jean-Louis GIRARD Université Marc Bloch – Strasbourg II
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Saint Augustin, De ciuitate Dei, IV, 10: Cooperarius Mineruae.
LE BA-UNI DE KHONSOU-THOT, JUGE ET PARTIE L’association des noms d’Amon et de Rê dans le composé «Amon-Rê» relève non du syncrétisme proprement dit, consistant en la fusion des deux dieux1, mais d’une combinatoire qui élargit la sphère d’efficacité d’Amon, lui permettant d’agir au-delà de ses compétences habituelles. Dans la chaîne que forme le nom double d’un dieu égyptien ancien, les deux composants n’ont en principe pas le même statut: le premier désigne la personne du dieu nommée, définie et située dans un contexte délimité, objet d’un rite, accessible dans son image cultuelle; le second, la fonction que ce dieu assume ponctuellement outre ses compétences habituelles. Selon cette définition, Amon-Rê est Amon au moment où il agit en créateur solaire, Khonsou-Chou est Khonsou au moment où il soulève le ciel et agit en héritier du dieu solaire, Hathor-Isis à Dendara, est Hathor, la Dame de Dendara, au moment où elle exerce la fonction de mère du dieu Horus2, Osiris-Apis peut porter les titres de l’Apis vivant, tandis qu’ApisOsiris est le dieu Apis agissant en Osiris et c’est de ce dernier qu’il porte les titres3 ; à Coptos, Min-Rê est Min sous sa forme solaire, Min-Horus-le-Victorieux est qualifié de fils et héritier d’Osiris, et le temple d’Hibis connaît aussi une forme défunte de Min de Coptos, en lequel on est assurément tenté voir un Min-Osiris, pour qui le Min vivant accomplit les rites funéraires4. Bien entendu, tout au long de l’histoire égyptienne apparaissent des cas où l’un des deux composants est surdéterminé par rapport à l’autre ou encore des formules combinant trois ou quatre termes: Harmakhis-Khepri-Rê-Atoum est le Grand Sphinx adoré sous une triple forme solaire diurne, au lever, au zénith, au coucher5.
ABRÉVIATIONS : ÄAT = Ägypten und Altes Testament OLA = Orientalia Lovaniensia Analecta RdE = Revue d’Egyptologie 1 E. Hornung, Les dieux de l’Egypte: le Un et le Multiple, Paris, 1986 [Der Eine und die Vielen, Darmstadt 1971], p. 78-86 qualifie cette association de formule syncrétique. P. Derchain, dans Y. Bonnefoy, Dictionnaire des Mythologies, Paris 1981, s. u. «Divinité», p. 325-329. 2 S. Cauville, Dendara, La Porte d’Isis, Le Caire, 1999, p. 37, 9. 3 D. Devauchelle, «Une invocation aux dieux du sérapéum de Memphis», dans W. Clarysse et al. (éds.), Egyptian Religion the last thousand years (mém. J. Quaegebeur), OLA, 84, 1998, p. 593. 4 C. Traunecker, Coptos, OLA, 43, 1992, § 67-68 et n. 228; § 235 (Min-Rê); § 79-80 (Min-Horus); § 329; Davies, Hibis III, pl. 20 (Min(-Osiris)); L. Baqué Manzano, «Min-Osiris, Min-Horus: a propósito de un relieve del templo de Hibis en el oasis de El Jarga», dans J. Cervelló Autuori, A. J. Quevedo Álvarez, …Ir a Buscar Leña (Est. ded. al Prof. J. López), Aula Ægyptiaca-Studia, 2, 2001, p. 35-49. 5 E. Hornung, Les dieux …, p. 83-84; P. Derchain, «Divinité» …, p. 326. C. Traunecker, Les dieux de l’Egypte, Paris, 1992, p. 15-17.
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Certaines associations en particulier échappent à cette catégorie: ainsi, en contexte funéraire, la relation qui unit Osiris et Rê concerne parfois les deux divinités placées sur le même plan, envisagées toutes deux à un moment pivot, simultanément dans leur fonction respective, et l’entité issue de leur rencontre parle d’une seule bouche; cette symbiose du dieu des morts et du soleil s’opère et se dissout chaque nuit; lors de sa catabase quotidienne au royaume des défunts, le soleil meurt et devient ainsi un Osiris, adoptant notamment la forme d’une momie criocéphale telle qu’elle est représentée dans la tombe de la reine ramesside Nefertari (Fig. 1)6 ; Osiris, le dieu qui permet le retour à la vie, s’est intégré en lui et est devenu le soleil nocturne jusqu’à la séparation de l’aube, moment où le disque solaire renaît et où Osiris redevient cadavre inerte; selon la terminologie égyptienne, pendant la nuit, dans l’empire des morts, les bas d’Osiris et de Rê forment ensemble le ba demedj ou «ba uni»7. Le ba désigne une «faculté dynamique», «un élément de mobilité propre à une individualité nommée et qui permet le passage d’un monde à l’autre»; il est à même de franchir la frontière entre le réel et l’imaginaire; celui du défunt permet à ce dernier de communiquer avec les vivants qui assurent son culte funéraire; c’est par son ba que le dieu se manifeste dans le monde sensible8. Les phénomènes naturels en sont une forme9 : le souffle apparaît ainsi comme le ba de Chou10, la flamme comme celui de Tefnout11, les rayons solaires émanent du ba d’Horus planant dans le ciel; le disque solaire n’est pas le dieu solaire, puissance invisible, mais son ba, sa manifestation12 et de même, le disque lunaire n’est autre que le ba du dieu-lune13. C’est en vertu de ce concept que le roi, lorsqu’il évoque la mise à mort rituelle de l’ennemi de Rê et le rôle de Seth à la proue de la barque solaire, affronte non pas le serpent Apo-
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Illustration d’après H. C. Schmidt, J. Willeitner, Nefertari, Gemahlin Ramses’ II. (Zaberns Bilsbände zur Archäologie 10), Mainz, 1994, p. 142, fig. 203; voir aussi la tombe de Nakhtamon (TT 335) et la tombe d’Arinefer (TT 290): B. Bruyère, Rapport sur les fouilles de Deir el Medineh (1924-1925), FIFAO III, 3, 1926, p. 136, fig. 92 et H. Gaber, Recherches sur le programme décoratif des tombes thébaines de Deir el -Médina, Mém. DEA Strasbourg II, 2000. 7 E. Hornung, Les dieux …, p. 80-83. Ph. Derchain, «Divinité» …, p. 327-328; id., Le Papyrus Salt 825 (Académie royale de Belgique, Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques, Mémoires, LVIII), 1965, fasc. I, p. 35-37; D. Meeks, C. Favard-Meeks, La vie quotidienne des dieux égyptiens, Paris, 1993, p. 226-236; J. Berlandini, «Ptah-démiurge et l’exaltation du ciel», RdE, 46, 1995, p. 26-27. 8 C. Traunecker, Les dieux …, p. 17, 27 (textes cités), 28, 38; P. Derchain dans Y. Bonnefoy, Dictionnaire des Mythologies, Paris 1981, s. u. «Anthropologie», p. 48-49. 9 C. Traunecker, Les dieux …, p. 97 fig. 8. 10 E.g. P. Clère, La Porte d’Evergète à Karnak, MIFAO, 84, 1961, pl. 8, 11; C. Traunecker, Les dieux…, p. 38; D. Lorton, «The Invocation Hymn at the Temple of Hibis», SAK, 21, 1994, p. 177; sur les quatre éléments, associés dès l’époque ramesside aux bas d’Osiris (eau), de Geb (terre), de Chou (air), de Khepri (lumière), cf. D. Kessler, «Die kultische Bindung der Ba-Konzeption…», SAK, 28, 2000, p. 183, 189. 11 R. A. Parker, J. Leclant, J.-C. Goyon, The Edifice of Taharqa by the sacred Lake of Karnak, Londres, 1979, pl. 28, 48-55 et p. 76. 12 Edfou VII, 68-13; voir aussi Edfou III, 105, 15; E. Hornung, Les dieux …, p. 124. 13 Porte d’Evergète, pl. 72 B, 1.
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phis, entité précosmique, mais son ba: «Je suis l’Agitateur (= Seth), en train d’anéantir le ba d’Apophis»14. Il en va de même de l’animal sacré qui incarne le dieu – e.g. le mouflon, ba d’Amon-Rê – dans l’enceinte sacrée de son temple et dans les processions, au moins le temps du rite15. Il faut que le ba du dieu descende dans la statue pour que celle-ci puisse être objet de culte, comme il apparaît dans une scène de purification intégrée dans le rituel de fondation du temple d’Horus à Edfou16. Parmi ces bas, tous actifs au plan cultuel, il en est qui, dans des hymnes solaires de l’époque ramesside, se sont polarisés entre les bas ineffables du dieu créateur originel, objets d’un culte nocturne, et bas visibles du dieu solaire sur le toit du temple selon un schéma qui fait l’objet d’une série d’études en cours par Dieter Kessler17. Enfin, comme le décrit Erik Hornung, le ba rend aussi compte de la relation d’un dieu à un autre, sur un modèle qui alterne parfois avec celui de la parenté18 : si, en milieu thébain, Amon est «Ba auguste de Kematef», ce dernier est une forme originelle défunte et ancêtre du premier19. «Ba demedj» est une expression peu fréquente. Dans les chapelles osiriennes du temple de Dendara, ou encore à Edfou, ba demedj désigne une des formes d’Osiris «reconstitué» après son démembrement, et est pour cette raison interprété comme l’«Ame-recomposée» d’Osiris par Sylvie Cauville20. Lorsque ba demedj désigne le nocturne Osiris-Rê évoqué plus haut, qui correspond d’ailleurs également à la forme
14 Porte d’Evergète, pl. 11, 7 (discours du roi, in fine); cf. P. Bremner-Rhind, 24, 13: «Ton ba n’existera pas en toi» (JEA, 23, 168); 30, 9; 30, 20; voir aussi D. Kessler, «Die kultische Bindung der Ba-Konzeption. 1. Teil : Die Tempelbindung der Ba-Formen », SAK, 28, 2000, p. 175 n. 63. 15 C. Traunecker, Les dieux …, p. 105; A. Cabrol, «Les mouflons du dieu Amon-Rê», dans W. Clarysse et al. (éds.), Egyptian Religion …, OLA, 84, 1998, p. 529-538. D. Kessler, Die heiligen Tiere und der König, I, ÄAT, 16, 1989, p. 13: «Wir schlagen für das lebendige Tier vor, seine Ba-Prädikation als Phasenbezeichnung eines zyklischen Festvorganges zu verstehen». 16 Edfou VII, 51, 16: F. Labrique, Stylistique et théologie à Edfou, OLA, 51, 1992, p. 135 et n. 625. Voir aussi les sources citées dans P. Wilson, A Ptolemaic Lexikon, OLA, 78, 1997, p. 294; D. Kessler, «Die kultische Bindung …», SAK, 28, p. 173-174. 17 D. Kessler, «Die kultische Bindung …», SAK, 28, 2000, p. 161-206; en particulier p. 166 sqq. 18 E. Hornung, Les dieux …, p. 80. Pour la description du rapport entre deux divinités à l’aide du schème de la parenté, voir aussi F. Labrique, «La transmission de la royauté égyptienne, dans le De Iside, le Jugement d’ Horus et Seth (P. Chester Beatty I) et le Conte des Deux Frères (P. d’Orbiney)», dans M. Fartzoff, E. Smadja (éds.), Pouvoir des hommes, signes des dieux, Besançon, 2002; le parallélisme de ces deux expressions du rapport, en contexte thébain, entre dieu créateur originel immobile et le dieu qui maintient et renouvelle la création fait l’objet d’un chapitre (chap. I, 5.3) de la thèse de doctorat de Daniela Mendel, parue dans la collection des Monographies de la Fondation Reine Elisabeth, vol. 9, 2003. 19 Porte d’Evergète, pl. 21, 10 (descriptif d’Amon); W. Barta, dans Lexikon der Ägyptologie, III, 1980, s. u. «Kematef», 381. 20 Dendara X, 405, 12: 3e chapelle ouest (description de l’embaumement d’Osiris); S. Cauville, Dendara, les chapelles osiriennes: commentaire, BdE, 118, 1997, p. 193; op. cit.: index, BdE, 119, 1997, p. 145; Edfou, I, 176, 12 et 188, 4: 1ère chambre de Sokaris.
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TROISIÈME PARTIE: LA CONSTRUCTION DU NOM ET LES FONCTIONS DE L’ÉPICLÈSE
la plus complète d’un Osiris redevenu grâce à la fusion avec Rê un être mobile et actif, la traduction «ba-uni» rend compte du caractère symbiotique de cette entité. Dans les inscriptions du propylône de Khonsou à Karnak, ba demedj est attesté à plusieurs reprises en un contexte propre à la théologie du dieu local, et les inscriptions de ce monument ptolémaïque nous apportent à ce propos des informations d’une grande richesse. En l’occurrence, il ne s’agira pas d’explorer toutes les fonctions du Ba-Uni attestées sur le monument, mais d’envisager celle qui paraît offrir une réponse ponctuelle intéressante aux questions du colloque «Nommer les dieux»21. Sur le linteau de la face nord, un collège de trois Bas demedj figure dans la suite du dieu lune. L’escorte entière, composée d’une succession de groupes de trois personnages, est divisée en deux parties: celle de la partie ouest s’occupe de la navigation divine, tandis que celle de la partie est rassemble des personnages auxquels sont attribuées des fonctions judiciaires. Le groupe des Bas demedj «écoute les requêtes» et s’intègre parmi les officiers de justice22. La décoration de plusieurs temples tardifs le représente toujours au sein de ce type de cortège, que j’ai baptisé «compagnie de génies du voyage céleste»23, aux côtés du disque lunaire ou solaire. La tradition qui entoure l’activité de cette série de génies remonte probablement à des compilations funéraires bien antérieures à l’époque ptolémaïque, évoquant le voyage souterrain du soleil nocturne. Au cours de sa navigation dans le monde infernal, le dieu dispense la lumière et la nourriture, et préside aussi à l’administration de la justice; les génies lui servent d’équipage, s’occupent des offrandes alimentaires ou encore de l’organisation des séances du tribunal. La version du plafond du pronaos de Dendara offre, pour le groupe qui nous intéresse, la légende la plus longue: «les Bas Demedj, qui écoutent les appels des millions et rendent la justice pour des centaines de milliers»24. Ces trois génies sont ainsi, vraisemblablement, des hypostases du juge, soleil nocturne dont le ba uni à celui d’Osiris illumine le monde souterrain. Sur le propylône de Khonsou, la «compagnie des génies du voyage céleste» escorte la lune et les activités qu’elle exerce sont les mêmes que lorsqu’elle accompagne le soleil. Le dieu lunaire qu’elle assiste dans sa navigation agit lui aussi en juge. Ce rôle correspond d’ailleurs à une fonction importante du monument, «portail où l’on rend la justice»: un tribunal siégeait, vraisemblablement à l’ombre, au nord du montant est25. Si de nombreuses inscriptions décrivent la fonction judiciaire de Khonsou, les plus remarquables d’entre elles évoquent «Khonsou-Thot».
21 Un autre aspect du Ba-Uni de Khonsou-Thot est abordé dans ma contribution aux Actes du Colloque Kindgötter im Ägypten der griechisch-römischen Zeit, 21-22 février 2002, Univ. Mainz (Sonderforschungsbereich 295), OLA 128, 2003, p. 195-224. 22 Porte d’Evergète pl. 34, 10-13; F. Labrique, «L’escorte de la lune sur la porte d’Evergète à Karnak. I. Les documents», ÄAT, 33, 2, 1998, p. 95 et 114. 23 F. Labrique, «L’escorte de la lune sur la porte d’Evergète à Karnak. II. Commentaire», RdE, 49, 1998, p. 112. 24 F. Labrique, «L’escorte … I. Les documents», p. 106, groupe 6 c. 25 Porte d’Evergète, pl. 19 A, l. 2; F. Labrique, «Les escortes de la lune dans le complexe lunaire de Khonsou à Karnak», Bulletin de la Société Française Egyptologie, 140, 1997, p. 25-26; ead., «L’escorte … I. Les documents», p. 120-121.
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LE BA-UNI DE KHONSOU-THOT, JUGE ET PARTIE
La scène où l’exercice de la justice est le plus mis en valeur se trouve au deuxième registre de la face nord du montant est. Le roi y offre la palette du scribe au dieu qualifié de: «Khonsou-Thot, Deux fois Grand, seigneur d’Hermopolis, le maître de la justice qui est sur le grand trône, qui départage les deux compagnons et contente les dieux, qui réunit les deux parts pour le fils d’Isis, l’officier de Justice qui abomine la partialité, le maître du jugement qui abomine la subjectivité» (Fig. 2)26. Khonsou exerce ainsi la fonction spécifique de Thot et il lui emprunte ses épithètes caractéristiques, en particulier quand il arbitre le conflit qui oppose Horus et Seth, tous deux prétendant au trône laissé vacant par Osiris, quand il départage les deux rivaux et réunit les deux parts – la Haute et la Basse Egypte – pour l’intronisation du fils d’Isis au terme du procès. La désignation Khonsou-Thot correspondrait dans ce cas au schéma habituel: la personne de Khonsou assume un des rôles caractéristiques de Thot. Mais la colonne latérale du tableau nous livre une information théologique d’un autre ordre: «Tant que Khonsou sort de son procès, tandis que l’officier de Justice est en joie27, il est le Ba-Demedj prééminent à Benenet, dont la Maât est attachée à son cou28 après que lui fut accordée la légitimation aux côtés du Seigneur Universel en présence de la cour d’arbitrage» (Fig. 2)29. Cette inscription décrit côte à côte un dieu juge et un dieu jugé. En effet, Khonsou «sortant de son procès» est l’objet d’un jugement où il a eu gain de cause. La procédure a abouti à sa légitimation par le tribunal divin que préside le Seigneur Universel: sur le modèle d’Horus héritier d’Osiris, à Karnak, Khonsou est reconnu successeur légitime sur le trône. D’autre part, dans les inscriptions du propylône, «l’Officier de Justice» désigne un dieu-juge, Amon, Khonsou, ou plus spécifiquement Thot30 ; la «joie» – aout-ib – y est souvent évoquée en relation avec le triomphe obtenu au tribunal, que ce soit celle de ceux qui y assistent31 ou celle du triomphateur32 ; enfin, celui qui porte en sautoir l’image de Maât n’est autre que le vizir, juge suprême33. C’est dans une telle ambiguïté que le dieu est appelé Ba Demedj, tout en étant localisé à Benenet, site où se dressent les temples de Khonsou
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Porte d’Evergète, pl. 22, 10. Cf. la traduction de P. Derchain, «La différence abolie: Dieu et Pharaon dans les scènes rituelles ptolémaïques», ÄAT, 36, 1, 1995, p. 230. 27 S. Aufrère, «Le propylône d’Amon-Rê-Montou à Karnak-Nord», MIFAO, 117, 2000, p. 149 n. 160 propose «important grâce à Maât». Cf. Edfou, I, 63, 8: Khonsou-Thot recevant la palette y est appelé «Maître de la joie». 28 Cf. P. Derchain, «La différence abolie: Dieu et Pharaon dans les scènes rituelles ptolémaïques», ÄAT, 36, 1, 1997, 230-231. 29 Porte d’Evergète, pl. 22, 14. 30 Porte d’Evergète, pl. 10, 13 et pl. 22, 12 (Khonsou-Thot); pl. 14, 13 (Amon); pl. 14, 4 (Thot); pl. 32, 12 (Khonsou dans Thèbes) … 31 Porte d’Evergète, pl. 54 A, 1: «Horus d’or à la tête du Double Pays, à la vue de qui les dieux se réjouissent»; pl. 41, 6. 32 Porte d’Evergète, pl. 41, 6-7. 33 Cf. P. Derchain, «La justice à la porte d’Evergète», ÄAT, 33, 1, 1995, p. 7 et n. 27, renvoyant aux sources citées par J. Quaegebeur, «La justice à la porte des temples et le toponyme Premit», dans C. Cannuyer, J.-M. Kruchten (éds.), Individu, société et spiritualité dans l’Egypte pharaonique et copte, Méanges A. Théodoridès, Ath - Bruxelles - Mons, 1993, p. 219 n. 118.
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TROISIÈME PARTIE: LA CONSTRUCTION DU NOM ET LES FONCTIONS DE L’ÉPICLÈSE
et d’Opet, au sud-ouest du temple d’Amon à Karnak34. Tout est décrit comme si, en Khonsou-Thot, les deux entités se côtoyaient, Khonsou étant jugé par Thot qui lui octroie le triomphe. Dans cette situation, le Ba Demedj ne serait-il pas une entité symbiotique et Khonsou-Thot ne se définirait-il pas, dans certains cas, sur le modèle nocturne de RêOsiris? Deux scènes d’offrande apportent à ce sujet des renseignements utiles: 1. – Intérieur est du montant nord, premier registre, Porte d’Evergète pl. 59 (Fig. 3): le roi présente le sistre naophore, tout en tenant le collier menat dans la main gauche et en disant notamment: «Moi je suis ton servant, Khonsou-Thot et toi, tu es le chef des compagnons d’Horus; je satisfais ta Majesté par la belle fête de ton jour fameux où les deux frères ont été séparés» (col. 11-13). Le dieu hiéracocéphale et coiffé du disque lunaire, «Khonsou dans Thèbes Neferhotep, seigneur de Maât» (col. 17) se dresse derrière «le babouin vivant» (col. 14) assis sur un socle, «l’ibis sur le pavois» (col. 15), une grande palette de scribe surmontée du disque lunaire, légendée «Thot, celui de Maât» (col. 16). L’inscription des colonnes latérales transmet le commentaire suivant: «Les deux frères aimables, les deux amis avenants – ceux qui s’associent sont le Ba divin Protecteur-du-Double-Pays et Celui-qui-nomme-ce-pays en leur nom de Ba-Uni – qui ont jugé au début sans modèle, qui se sont rendus prééminents dans leur rôle de Dignitaire du Rideau pour séparer leur père de ses adversaires, et leur propre majesté de ceux qui leur étaient rebelles, et pour juger Horus et réunir sa double couronne de Haute et Basse Egypte, Khonsou-[Thot35], le maître de la rectitude» (col. 23-24). Les deux frères qui se côtoient sont vraisemblablement Khonsou et Thot, qui s’unissent, le premier brillant dans le ciel (le ba divin …), le second dans son rôle énonciateur de Langue de Rê («Celui-qui-nomme …»), et exercent alors une activité de scribe et de juge en leur nom de Ba-Uni. Le procès évoqué est complexe. En effet, ce «père» est conçu sur le modèle d’Osiris qui, dans l’au-delà, obtient gain de cause contre son meurtrier Seth, et par la même occasion, ses juges Khonsou et Thot se rendent justice à eux-mêmes, en faisant «triompher leur propre Majesté», sur le modèle du fils d’Osiris, Horus, dont les prétentions à l’héritage royal sont reconnues tandis que son rival Seth est débouté. Khonsou et Thot semblent ainsi coexister en tant que Ba-Uni, juger et être jugés. 2. – Intérieur ouest du montant sud, premier registre, Porte d’Evergète pl. 40 (Fig. 4): le roi tient un petit récipient contenant de l’huile et de la main droite fait un geste d’onction; entre Khonsou hiéracocéphale et lui circulent deux taureaux coiffés du disque lunaire, représentant respectivement les phases croissante et décroissante de la lune. Le dieu est «Khonsou dans Thèbes Neferhotep Horus seigneur de la joie à Karnak (col. 17), qui mesure la durée avec le Calculateur (= Thot) en leur nom de Ba-Uni (col. 18) …»: Khonsou et Thot, en tant que Ba-Uni, quand il s’agit de compter le temps, sont en l’occurrence désignés comme deux entités distinctes, autonomes et actives.
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P. Montet, Géographie de l’Egypte Ancienne, II, Paris, 1961, p. 57. Le visage et la coiffe du personnage divin assis ont été martelés; la restitution se fonde sur la col. 11 de la même scène. 35
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LE BA-UNI DE KHONSOU-THOT, JUGE ET PARTIE
En conclusion, les inscriptions sélectionnées sur la porte monumentale de Khonsou rendent bien compte d’une situation, limitée dans le temps et l’espace, dans laquelle le double nom «Khonsou-Thot» désigne, non un Khonsou exerçant une fonction spécifique de Thot, mais deux dieux coexistant à part entière, Khonsou occupant cependant toujours la première place, en tant que patron du lieu. Sur le seuil de Benenet, au moment où ils se fondent en Ba-Uni, tous deux agissent côte à côte, en particulier dans le cadre du tribunal36. Thot exerce son activité de juge au profit de Khonsou, qui fait valoir son droit à hériter du trône de son père Amon sur le modèle mythique d’Horus, successeur d’Osiris. En somme, un Ba-Uni juge et partie.
Françoise LABRIQUE Université de Franche-Comté
36 La théologie du Ba-Uni de Khonsou-Thot à l’intérieur de Benenet, dans la salle de la Barque du temple de Khonsou, est développée dans la thèse de Daniela Mendel: cf. supra, note 18.
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TROISIÈME PARTIE: LA CONSTRUCTION DU NOM ET LES FONCTIONS DE L’ÉPICLÈSE
Fig. 1: D’après H. C. Schmidt, J. Willeitner, Nefertari, Gemahlin Ramses’ II. (Zaberns Bilsbände zur Archäologie 10), Mayence, 1994, p. 142, fig. 203.
Fig. 2 : D’après P. Clère, La Porte d’Evergète à Karnak, MIFAO, 84, 1961, pl. 11, 7.
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Fig. 3: D’après P. Clère, ibid., pl. 34, 10-13.
Fig. 4: D’après P. Clère, ibid., pl. 19 A, l. 2.
Fig. 5: D’après P. Clère, ibid., pl. 22.
LE BA-UNI DE KHONSOU-THOT, JUGE ET PARTIE
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Fig. 6: D’après P. Clère, ibid., pl. 59.
TROISIÈME PARTIE: LA CONSTRUCTION DU NOM ET LES FONCTIONS DE L’ÉPICLÈSE
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Fig. 7: D’après P. Clère, ibid., pl. 40.
LE BA-UNI DE KHONSOU-THOT, JUGE ET PARTIE
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QUATRIÈME PARTIE LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
INTRODUCTION Les réseaux – vertical (celui de la parenté) et horizontal (celui des avatars) – n’épuisent pas l’élucidation du système des dénominations divines. Celui-ci ne s’éclaire complètement qu’à la lumière d’une troisième dimension: la dimension historique. Les épiclèses sont, alors aussi, un recours commode pour parer au caractère conjoncturel de l’atemporalité des dieux. Mais, si la dénomination serre de trop près tel ou tel événement historique, son destin en épousera les aléas, jusqu’à son terme ultime. En témoigne la faveur éphémère de la Vénus Victrix de Pompée – qui trôna en vain au sommet des marches de son théâtre au Champ de Mars – comparée au lot de la Vénus Genetrix de César, plus durable, certes, mais départie de son épiclèse combattante quand elle fut exportée dans les colonies romaines de l’Empire (lex coloniae Genetiuae d’Urso, en Bétique, LXXI, 23). Ce ne sont là qu’effets d’écume des enjeux idéologiques qui poussent en avant des facettes plus ou moins anecdotiques des personnalités des dieux (voir aussi infra, VIe partie). Plus systématiquement, la part de l’histoire dans les dénominations divines se range en trois ensembles éventuellement inscrits. 1) Les noms se fixent sur une longue durée, dans des aires géographiques qui peuvent être différentes des aires d’origine du nom. Ainsi, selon Hérodote, qui croyait les Egyptiens, les noms de presque tous les dieux viendraient des Barbares (Enquête, II, 50; voir W. Burkert, «Herodot über die Namen der Götter. Polytheismus als historisches Problem », Museum Helveticum, 42, 1985, p. 121-132 ; Ph. Borgeaud, Aux origines de l’Histoire des religions, Paris, 2004, p. 51-55). En réalité, les strates culturelles sont plus complexes et généralement interpénétrées. Le nom de Cybèle, par exemple, fut élaboré à partir d’un triple échange (phrygien, proche-oriental et grec). Ce théonyme en fait topique, plus prisé par l’historiographie que par les Anciens, s’est peu diffusé, sinon chez les poètes. C’est sous le nom plus universel de Mêtêr tôn theôn/Mater Deum qu’elle est installée sur l’agora d’Athènes au Ve siècle et sur le Palatin à Rome au tout début du IIe siècle avant notre ère (Ph. Borgeaud, La mère des dieux. De Cybèle à la Vierge Marie, Paris, 1996). 2) Les rencontres culturelles, naturelles ou contraintes en contexte impérialiste, donnent nécessairement lieu à une interpretatio des dieux de l’Autre. Théonymes et épiclèses enregistrent alors la nouvelle configuration relationnelle, surtout en cas de passage de l’oral à l’écrit et/ou d’une langue dans une autre, avec translittération éventuellement mouvante (voir le Baal d’Emèse écrit Elagabalus, Alagabalus ou en grec Elaiagabalos) ou traduction. Apollon Hyakinthios, Athéna Aléa, Artémis Diktynna sont des exemples parmi d’autres où l’épiclèse sert de butte témoin à une histoire dense et complexe, conjuguant selon un processus obscur le nom du dieu à celui de son prédécesseur. 3) Enfin, la «mondialisation», dont l’empire d’Alexandre a posé les premiers jalons et à laquelle l’Empire romain donnera une plus complète – et plus durable – réalité, poussait à reconnaître des divinités universelles derrière la bigarrure des manifestations diversifiées ou locales, qui n’en demeuraient pas moins irréductibles. Sous les appellations distinctes, qui explicitaient ses divers modes de relation avec l’humanité, c’est la même divinité qu’on entendait honorer, reconnue dans l’assonance des 323
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
noms, ou postulée sur la base d’une similitude fonctionnelle autorisant à une équivalence des noms. Ce rassemblement pouvait assurément ouvrir la voie à une conception unitaire de la divinité. La myrionymie – qui renvoie les multiples noms des dieux à une seule entité – est un aspect de ce processus; mais il octroie in fine une valeur ajoutée à l’appellation originelle, censée porter l’authenticité première: «Mais les Egyptiens t’appellent Thioui (l’unique), parce que tu es, toi seule, toutes les déesses que les peuples nomment par d’autres noms» (Hymne à Isis de Medinet Madi, I, 23-24). La mise en évidence de ces effets de l’histoire, souvent coordonnés, profite des investigations croisées. La sensibilité – diverse – des noms des dieux au passage des temps est illustrée par Mycènes. Françoise Rougemont a répertorié le devenir des théonymes mycéniens: ceux qui disparaissent avec les Palais, ceux qui passeront dans la Grèce classique et ceux qui, comme Potnia, ne subsisteront qu’au rang d’épiclèse. L’espace arcadien fournit à Madeleine Jost un large panorama des jeux possibles de dénomination en contexte de rencontres: couplage d’un théonyme et d’une épiclèse originaires de strates culturelles différentes, transformation d’un ancien dieu local en épiclèse d’une divinité panhellénique, usage d’épiclèses communes aux dieux grecs, mais dotées d’une sémantisation propre. Dans des contextes historiques différents – colonisation par une puissance étrangère –, on peut retrouver des configurations similaires. Charles Marie Ternes pose des jalons méthodologiques pour interpréter les cohabitations ou combinaisons de strates (autochtones/romaine) attestées par l’épigraphie en Rhénanie romaine. José d’Encarnação met en valeur une autre forme d’interpretatio des théonymes indigènes de l’Hispania pré-romaine lors de leur passage de l’oralité à une littéralité en latin. Marc Philonenko nous révèle un mode plus subtil, et très important, d’interprétation: comment la transcription de la graphie du nom paléo-hébreu du Dieu juif en grec a servi de uox magica efficace dans les papyrus tardo-antiques. Tout usage transculturel recèle des glissements ou peut générer des assimilations infondées, dont seule une analyse diachronique, contextualisée, permet de se prémunir. C’est la problématique de Nicole Belayche quand elle questionne la polysémie d’une épiclèse comme hypsistos/ê, de sens grammaticalement double, attestée cultuellement du IIe siècle avant notre ère au IVe siècle de notre ère dans toutes les ambiances religieuses. Laurent Bricault approche la polysémie à partir d’un groupe d’épithètes toponymiques d’Isis, qu’il restitue à leur signification plurielle, liée en partie à l’évolution historique. Laurence Foschia, de son côté, adopte une perspective synchronique pour aborder le problème, en montrant que la perméabilité des systèmes de dénomination dans une Antiquité tardive encore païenne, mais en voie de christianisation, oblige à dépasser des conclusions trop hâtivement construites sur un schéma d’opposition. S’il est dans la nature des dieux d’échapper à la finitude du temps des hommes, leurs noms suivent les rythmes des sociétés qui les nomment.
Nicole BELAYCHE Ecole pratique des hautes études – Paris Section des sciences religieuses Francis PROST Ecole normale supérieure – Paris Centre d’études anciennes 324
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B* Le déchiffrement du linéaire B par M. Ventris, en 1952, a ouvert un nouveau champ de recherche aux spécialistes d’histoire grecque, fournissant un corpus de * Cet article doit beaucoup aux relectures et aux conseils de M. Del Freo, B. Detournay, N. Guilleux, M. Jost, A. Karnava, M.-L. Nosch, F. Prost et G. Rougemont. Mes remerciements vont également à T. G. Palaima, qui m’a généreusement communiqué un article sous presse. Toute erreur ou omission qui pourrait subsister ne relève naturellement que de ma seule responsabilité. Les abréviations bibliographiques suivantes seront utilisées: V. Aravantinos et al., Thèbes. Fouilles de la Cadmée, 2001 (2002) = V. Aravantinos, L. Godart, A. Sacconi, Thèbes. Fouilles de la Cadmée. I. Les tablettes en linéaire B de la odos Pelopidou. Edition et commentaire, Pise - Rome, 2001 (2002). J. Chadwick, Le déchiffrement, 1972 = J. Chadwick, Le déchiffrement du linéaire B. Aux origines de la langue grecque. Traduction française, Paris, 1972. J. Chadwick, «What Do We Know About Mycenaean Religion?», 1985 = J. Chadwick, «What Do We Know About Mycenaean Religion ? », dans A. Morpurgo Davies, Y. Duhoux (éds.), Linear B: A 1984 Survey. Proceedings of the Mycenaean Colloquium of the VIIIth Congress of the International Federation of the Societies of Classical Studies (Dublin, 27 August-1st September 1984), Louvain-la-Neuve, 1985, p. 191-202. Documents1 = M. Ventris, J. Chadwick, Documents in Mycenaean Greek, Cambridge, 1956. Documents2 = M. Ventris, J. Chadwick, Documents in Mycenaean Greek2, Cambridge, 1973. J. Driessen, Early Destruction, 1990 = J. Driessen, An Early Destruction in the Mycenaean Palace at Knossos: A New Interpretation of the Excavation Field-Notes of the South-East Area of the West Wing, Louvain, 1990. J. Driessen, Scribes, 2000 = The Scribes of the Room of the Chariot Tablets. Interdisciplinary Approach to the Study of a Linear B Deposit, Salamanque, 2000. J. Giulizio et al., «Religion in the Room of the Chariot Tablets», 2001 = J. Giulizio, K. Pluta, T. G. Palaima, «Religion in the Room of the Chariot Tablets», dans POTNIA, p. 453-461. KT V = J. T. Killen, J.-P. Olivier (éds.), The Knossos Tablets. A Transliteration. Fifth Edition, Salamanque, 1989. Les articles de M. Lejeune, pour des raisons pratiques, sont cités dans leur réédition au sein des Mémoires de philologie mycénienne, abrégés comme suit: Mémoires I = M. Lejeune, Mémoires de philologie mycénienne. Première série (1955-1957), Paris, 1958. Mémoires II = M. Lejeune, Mémoires de philologie mycénienne. Deuxième série (1958-1963), Paris, 1971. Mémoires III = M. Lejeune, Mémoires de philologie mycénienne. Troisième série (1964-1968), Paris, 1972. Mémoires IV = M. Lejeune, Mémoires de philologie mycénienne. Quatrième série (1969-1996), Paris, 1997. T. G. Palaima, «Assessing the Linear B Evidence for Continuity from the Mycenaean Period in the Boiotian Cults of Poseidon and Erinys at Onchestos (Telpousa-Haliartos)», sous presse = T. G. Palaima, «Assessing the Linear B Evidence for Continuity from the Mycenaean Period in the Boiotian Cults of Poseidon and Erinys at Onchestos (Telpousa-Haliartos)»,
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
plusieurs milliers de textes grecs antérieurs aux poèmes homériques1. Il s’agit de textes économiques, plus précisément, de brouillons de pièces comptables (les documents définitifs, qui ne devaient pas être sur argile, n’ont pas été brûlés dans les incendies qui ont détruit les palais mycéniens). Ces tablettes ne fournissent, sur la vie religieuse, que le point de vue du palais, et qu’une vision purement économique: il s’agit de listes d’offrandes, avec parfois un nom de mois, de fête religieuse, de sanctuaire2 ; vient ensuite le nom de la divinité au datif (parfois au nominatif de rubrique), et enfin l’(es) idéogramme(s) et le décompte des denrées, objets ou animaux qui constituaient l’offrande. Les historiens ont rapidement cherché dans ces textes les noms des dieux du panthéon grec classique. Un certain nombre de théonymes connus apparaissent, mais il faut préciser d’emblée que la documentation mycénienne ne permet pas de séparer l’étude des dieux et déesses de celle de leur nom: nous n’avons aucune idée de leur personnalité, et nous ne possédons que des aperçus fragmentaires de ce qu’ont pu être leur culte ou les rites qui leur étaient liés. Cette documentation est en général considérée comme difficile d’accès, et les spécialistes d’histoire religieuse classique l’utilisent le plus souvent en s’appuyant sur des études de seconde main, dont certaines sont anciennes3 et nécessitent de sérieuses mises à jour. De surcroît on se trouve fréquemment pris dans un cercle logique, les spécialistes de l’époque classique recherchant dans les textes mycéniens les noms de dieux connus à des époques ultérieures, et les spécialistes d’épigraphie mycénienne cherchant, pour suppléer à des contextes insuffisants, voire inexistants, des parallèles dans le panthéon classique, pour lequel la documentation disponible permet de reconstituer la vie religieuse. Il est possible de nommer les dieux attestés dans les textes en linéaire B, mais il est le plus souvent très difficile d’aller plus loin, et notamment
dans J. M. Fossey, M. B. Cosmopoulos (éds.), Boiotia Antiqua VII-VIII. Studies in Boiotian Archaeology, History and Institutions, sous presse (texte communiqué par l’auteur). L. R. Palmer, Interpretation, 1969 = L. R. Palmer, The Interpretation of Mycenaean Greek Texts2, Oxford (1969). POTNIA = R. Hägg, R. Laffineur (éds), POTNIA. Deities and Religion in the Aegean Bronze Age. 8th International Aegean Conference, University of Göteborg, 12-15 April 2000 (Aegaeum 22), Liège, 2001. PTT = E. L. Bennett Jr, J.-P. Olivier, The Pylos Tablets Transcribed . Part I: Texts and Notes, 1973. Part II: Hands, Concordances, Indices, 1976. C. J. Ruijgh, Etudes, 1967 = C. J. Ruijgh, Etudes sur la grammaire et le vocabulaire du grec mycénien, Amsterdam, 1967. Tithemy = J. L. Melena, J.-P. Olivier, TITHEMY. The Tablets and Nodules in Linear B from Tiryns, Thebes and Mycenae. A Revised Transliteration, Salamanque, 1991.
1 Cf. M. Ventris, J. Chadwick, «Evidence for Greek Dialect in the Mycenaean Archives», Journal of Hellenic Studies, 73, 1953, p. 84-103; J. Chadwick, Le déchiffrement, 1972; Documents1 et Documents2. 2 Cf. tableaux n° 4 et 5. 3 M. Gérard-Rousseau, Les mentions religieuses dans les tablettes mycéniennes, Rome, 1968.
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LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
de tirer des conclusions certaines sur des questions aussi difficiles que celle, par exemple, de la continuité ou de la discontinuité des cultes4. N’étant pas moi-même spécialiste d’histoire religieuse, je me suis donné pour but de présenter un inventaire, aussi exhaustif que possible, des mentions religieuses, au sens large (noms de dieux, de sanctuaires, de fêtes religieuses, de mois), d’en montrer les usages, dans le corpus en linéaire B, et de proposer une mise au point synthétique, appuyée sur une présentation et une traduction des textes, sur le cas particulier de Potnia et de ses épiclèses. Je me suis efforcée, dans la mesure du possible, d’intégrer les données des tablettes récemment trouvées à Thèbes, dont la publication est disponible depuis peu5. Il s’agit de 238 tablettes provenant d’un dépôt d’archives qui enregistrait essentiellement des offrandes.
Les mentions religieuses dans les textes en linéaire B La documentation disponible Le corpus de textes en linéaire B actuellement disponible est loin de former un ensemble parfaitement homogène, chronologiquement et géographiquement. Les deux groupes de textes d’archives les plus importants proviennent de Crète (Cnossos6, La Canée7) et de Messénie (Pylos8); le reste de la documentation provient de Mycènes,
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A. Schachter, «Evidence for Cult and Continuity from Linear B Documents at Thebes», dans E. De Miro, L. Godart, A. Sacconi (éds.), Atti e memorie del secondo congresso internazionale di micenologia, Roma-Napoli, 14-20 ottobre 1991, Rome, 1996, p. 891-899, et plus récemment T. G. Palaima, «Assessing the Linear B Evidence for Continuity from the Mycenaean Period in the Boiotian Cults of Poseidon and Erinys at Onchestos (Telpousa-Haliartos)», sous presse. Ces deux articles sont antérieurs à la publication des nouveaux documents de Thèbes. 5 Sur cette publication, on pourra consulter les comptes-rendus suivants : F. Rougemont, à paraître dans TOPOI, M.-L. Nosch, K. Waldner, à paraître dans Gnomon, J.-L. Perpillou, à paraître dans la Revue de Philologie, et N. Guilleux, à paraître dans le Bulletin de la Société de linguistique de Paris. T. G. Palaima, American Journal of Archaeology, 107, 2003, p. 113-115. Voir aussi les actes du colloque de Vienne: S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse. 6 Cf. KT V. 7 Pour les inscriptions en linéaire B de La Canée, voir les titres suivants: E. Hallager, «Linear A and Linear B Inscriptions from the Excavations at Kastelli, Khania 1964-1972», OAth, 11, 1974, p. 53-86; E. Hallager, M. Vlasakis, B. P. Hallager, «The first Linear B tablet(s) from Khania», Kadmos, 29, 1990, p. 24-34 et pl. I; L. Godart, Y. Tzedakis, «Les nouveaux textes en linéaire B de La Canée», Rivista di filologia e di istruzione classica, 119, 1991, p. 129-149. E.Hallager, M. Vlasakis, B. P. Hallager, «New Linear B tablets from Khania», Kadmos, 31, 1992, p. 61-87 et pl. 1-6B; E. Hallager, M. Vlasakis, «New Linear B Tablets from Khania», dans La Crète mycénienne. Actes de la Table Ronde internationale organisée par l’Ecole française d’Athènes, 26-28 mars 1991 (Bulletin de Correspondance Hellénique, suppl. 30), 1998, p. 169-174. 8 Pour les textes de Pylos, cf. PTT.
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de Thèbes, et dans une bien moindre mesure de Tirynthe9. Chronologiquement, ces documents s’étalent entre 1450 et 1200 av. J.-C. Chaque ensemble représente, au mieux, l’activité administrative du palais qui l’a produit pendant quelques semaines ou quelques mois10. Nous avons donc une vision très fragmentaire de l’activité administrative de ces palais. Les études récentes ont montré que les textes de Cnossos comportaient des dépôts datables de différentes périodes, dont la conservation par le feu pouvait être due, par exemple, à des destructions partielles ou des incendies accidentels11, et l’on a entièrement renoncé à la thèse de l’unité des archives. L’exemple le plus connu est celui de la Room of the Chariot Tablets («pièce aux tablettes de chars», en général abrégé en anglais RCT), située dans l’aile Ouest du palais, qui a été étudié en détail par J. Driessen12 ; ce dépôt semble antérieur d’au moins deux générations à la majorité des archives retrouvées ailleurs dans le palais. Lorsqu’un théonyme est attesté dans
9 Tithemy; pour les tablettes récemment découvertes à Thèbes, voir V. Aravantinos et al., Thèbes. Fouilles de la Cadmée, 2001 (2002). 10 Cf. C. W. Shelmerdine, «Where Do We Go from Here? And How Can the Linear B Tablets Help Us to Get There?», dans E. Cline, D. Harris-Cline (éds.), The Aegean and the Orient in the Second Millenium. Proceedings of the 50th Anniversary Symposium. Cincinnati, 18-20 April 1997 (Aegaeum, 18), Liège, 1998, p. 294. Les grandes lignes chronologiques sont les suivantes: MR II: Cnossos, pièce aux tablettes de char MR III A 2 ou III B: Cnossos, majorité des archives MR III A 2: Northern Entrance Passage et probablement majorité des tablettes trouvées sur le sol dans l’Aile Ouest MR III B: La Canée, Sq 1, 6659 et KH 3 (qui est peut-être en LB) fin HR/MR III B1: La Canée, Ar 3, Gq 5, X6 Mycènes, tablettes du groupe de la Maison du Marchand d’Huile. Thèbes, tablettes Ug et scellés Wu fin HR III B 2: Mycènes, tablettes de la citadelle Tirynthe, ensemble des documents retrouvés Thèbes, tablettes Of et tablettes de la rue Pélopidou Pylos, ensemble des archives moins cinq documents (Xa 1419, Xn 1449, Ua 994, Ae 995 et Xa 1420; cf. T. G. Palaima, Scribes, 1988, p. 172.). V. Aravantinos et al. datent aussi les tablettes Ug de la fin de l’HR III B2. Cf. V. Aravantinos et al., Thèbes. Fouilles de la Cadmée, 2001 (2002), p. 14. Pour les datations absolues on utilisera les indications fournies par R. Treuil, P. Darcque, J.C. Poursat, G. Touchais, Civilisations égéennes, 1989, p. 110 sq.: MR II: 1450-1400 MR III A1: 1400-1375 MR III A2: 1375-1325 MR III B: 1325-1190 MR III C: 1190-1100/1050. 11 J. Driessen, Scribes, 2000, p. 9-10. Il faut souligner qu’aucun des documents d’archives en linéaire B n’a été cuit intentionnellement. 12 J. Driessen, Early Destruction, 1990, et Scribes, 2000.
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ces documents, on peut donc considérer que cela fournit une certaine profondeur chronologique aux mentions de la divinité correspondante13. Les textes en linéaire B comportent entre 50 et 60 termes qui sont interprétés comme des noms de dieux, de sanctuaires, de fêtes ou cérémonies religieuses, ou enfin comme titres religieux14. A ces termes, il convient d’ajouter 7 noms de mois, que nous connaissons essentiellement par des textes enregistrant des offrandes, donc dans un contexte religieux. Pour un certain nombre de ces termes, des interprétations autres que religieuses sont également possibles – et parfois préférables. Les textes «religieux» mycéniens sont avant tout des textes économiques. Les palais enregistrent des listes d’offrandes, qui précisent parfois le mois ou l’occasion pour laquelle ces offrandes ont été faites. Ce qui intéresse les scribes, c’est la quantité d’huile, d’orge, etc., qui est sortie ou doit sortir des magasins palatiaux. Nous n’avons donc pratiquement aucune indication sur les personnalités divines ni sur les cultes15.
13 Certains savants essaient de tirer, de la proportion de théonymes grecs/non grecs dans ces textes, des conclusions ou des hypothèses sur la difficile question de l’introduction de la religion grecque – plus exactement, du panthéon grec – en Crète, cf. J. Giulizio et al., «Religion in the Room of the Chariot Tablets», 2001, p. 455: «The RCT (…) has a rather high proportion of later Greek or etymologically Greek deities, including major Mycenaean ones, particularly di-we (Zeus), po-se-da-o (Poseidon), and perhaps ma-ka (Gâ?). We offer this list here for the broader picture it provides. Outside of the RCT at Knossos, “historical Greek” divinities are scattered throughout the Knossos tablet deposits, but they occur among a good number of theonyms that are not identifiable in the historical Greek pantheon. In light of the fact that a Greek domination of the RCT archive is suggested by the personal names on the tablets, the overwhelming evidence of “historical Greekness” among the RCT divine names might be used to argue that the RCT offers us a picture of “Mycenaean” religion in an early stage at Knossos. We do not want to over-emphasize the evidence for continuity. However, because this is a Greek archive, and a rather high proportion of these divinities survive into the historical Greek pantheon, this may be an aspect of the RCT worthy of further study». 14 Mon inventaire ne prétend pas à l’exhaustivité sur ce dernier point. Pour une étude sur les desservants de sanctuaires, voir par ex. J.-P. Olivier, A propos d’une “liste” de desservants de sanctuaire dans les documents en linéaire B de Pylos, Bruxelles, 1960. Voir aussi J. T. Killen, «Thoughts on the functions of the new Thebes tablets», dans S. Jalkotzy, St. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben : Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse. 15 Il faut mentionner toutefois l’intitulé de PY Un 2, avec l’intitulé mu-jo-me-no e-pi wana-ka-te, qui peut être interprété soit dans le sens d’une initiation du souverain, soit dans le sens d’une cérémonie d’initiation menée par le souverain du royaume de Pylos. La suite du document enregistre toutes les denrées qui seront utilisées pour le banquet qui suivra la cérémonie. Sur la question des banquets sacrificiels à l’époque mycénienne, voir C. Piteros, J.-P. Olivier, J. L. Melena, «Les inscriptions en linéaire B des nodules de Thèbes (1982): la fouille, les documents, les possibilités d’interprétation», Bulletin de Correspondance Hellénique, 114, 1990, p. 103-184, J. T. Killen, «Thebes Sealings, Knossos Tablets and Mycenaean State Banquets», Bulletin of Institute of Classical Studies of the University of London, 40, 1994, p. 67-84, et L. Godart, « Les sacrifices d’animaux dans les textes mycéniens », dans S. Deger-Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Floreant Studia Mycenaea. Akten des X. internationalen mykenologischen Colloquiums in Salzburg vom 1.-5. Mai 1995, 1, Vienne, 2000, p. 249-256. A propos des intitulés des tablettes Fq 126, 130 et 254, voir C. J. Ruijgh, « The Three Temporal
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Certaines divinités sont connues de façon indirecte, comme les vents, par exemple, dont seule la prêtresse est mentionnée parce qu’une quantité d’huile lui est attribuée16. Une partie du panthéon connu à l’époque classique apparaît dans les archives palatiales, avec par exemple Arès, Dionysos, Héra, Hermès, Zeus, Poséidon17 (mais le nom de Déméter n’apparaît pas18); inversement, un certain nombre de théonymes semblent disparaître entre l’époque mycénienne et le début de l’époque archaïque19. Enfin un certain nombre de termes qui sont connus comme épiclèses à l’époque classique semblent apparaître comme des noms de divinités indépendantes dans les textes en linéaire B20. Les théonymes communs au deuxième et au premier millénaire Inventaire et nombre d’attestations
Clauses (TH Fq 126; 130; 254)», dans S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse, et T. G. Palaima, «*FAR? or ju? and other interpretative conundra in the new Thebes tablets», ibidem. 16 Sur les vents, voir par exemple A. Sacconi, «Anemoi», Studi e Materiali di Storia delle Religioni, 35, 1964, p. 137-159. 17 Je montrerai plus loin pourquoi le terme a-ta-na (qui apparaît uniquement en composition dans la forme a-ta-na-po-ti-ni-ja) est en général considéré comme une précision toponymique apportée au théonyme Potnia. 18 Cela surprend d’autant plus que l’on a retrouvé dans un sanctuaire de sommet minoen à Cythère une cuillère inscrite en linéaire A portant un texte qui se lit, si on utilise les valeurs phonétiques du LB, da-ma-te, cf. I. Sakellarakis, J.-P. Olivier, «Un vase en pierre avec inscription en linéaire A du sanctuaire de sommet minoen de Cythère», BCH, 118, 1994, p. 343-351. L’objet (classé KY Za 2) est daté du MM III-MR I. Il s’agit d’un objet votif, et l’inscription se retrouve, avec un signe supplémentaire (i-da-ma-te) sur deux haches d’Arkalokhori (Ar Zf 1 et Ar Zf 2). Comme le soulignent les éditeurs, «la “lecture” da-ma-te est loin d’être impossible, puisque le premier et le dernier signe sont parmi la douzaine dont la valeur phonétique est très certainement fort proche en linéaire B et en linéaire A, et que le signe central, AB 80 (MA), alterne non seulement avec AB 73 (MI) mais encore avec AB 13 (ME), ce qui ne nous donne pas nécessairement la valeur de la consonne, mais fournit néanmoins un indice qui va au-delà de la transcription mécanique. (…) Bien entendu il faut, pour accepter la présence d’une Déméter minoenne à Arkalokhori et à Cythère, rejeter l’étymologie (ou plutôt les étymologies) “expliquant” le nom de Déméter par le grec, ce qui n’a rien de difficile. Les problèmes seraient plutôt ailleurs: (…) que le nom de la déesse, sous la forme attendue de da-ma-te, ne se rencontre pas dans les textes en linéaire B est sensiblement plus ennuyeux (certes on y lit bien le groupe de signes da-ma-te, mais il ne s’agit certainement pas d’un nom de divinité). Que la présence de Déméter, sous une autre appellation, ne soit pas vraiment assurée dans les textes mycéniens se révèle certainement encore plus gênant». Les éditeurs de l’objet mentionnent en note les tentatives d’identifications faites antérieurement (note 33): «Même si on a peutêtre cru la trouver sous les épiclèses d’e-ri-nu, de ma-te-re te-i-ja, de si-to-po-ti-ni-ja ou encore de wa-na-so-i (voyez M. Gérard-Rousseau, Les mentions religieuses dans les tablettes mycéniennes, 1968, ss. uu.), sans parler d’essais aussi peu convaincants que ceux de C. Gallavotti, “Demetra micenea”, La Parola del Passato, 12, 1957, p. 241-249». 19 Cf. tableau n°2, les théonymes attestés uniquement dans les textes en LB. 20 Cf. tableau n°3, les théonymes mycéniens qui subsistent sous forme d’épiclèse au Ier millénaire.
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LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
– Poséidon, qui est connu surtout à Pylos, apparaît 21 fois 21 ; 8 de ces attestations seulement sont dans des contextes proprement religieux; deux des attestations comptabilisées ici concernent un sanctuaire ou des prêtres de ce dieu. 10 attestations concernent des dosmoi, redevances de terres sacrées22, ce qui explique l’abondance des répétitions. Enfin l’une des attestations, V 52, provient de la RCT; elle est donc sans doute plus ancienne23. – ma-ka 24, mention qui a été interprétée par les éditeurs des nouveaux textes comme «Mère Terre», est attestée 15 fois. Il faut toutefois souligner que, pour ce terme, une interprétation comme nom d’action, *maghv, (action de pétrir de l’orge pour faire
21 Nous avons des mentions du théonyme en PY Es 645, 646, 647, 649, 653, 703, 726, 728, 729, Eq 36.15, Fr 343, 1219, 1224, Un 6.1, Un 718.1, 853.2, PY Xn 1439, KN V 52, X 5560; en Fn 187.2 et en Tn 316 v.1 il s’agit d’un sanctuaire de Poséidon, en Fn 187. 18, po-sida-je-u-si désigne des membres du personnel cultuel, peut-être des prêtres de Poséidon, voir par exemple J. T. Killen, « Religion at Pylos : the Evidence of the Fn Tablets », dans POTNIA, p. 436) ; en Tn 316.4, nous avons une mention de po-si-da-e-ja (parèdre féminine de Poséidon), cf. tableau n°4, les théonymes connus uniquement par les textes mycéniens, infra. 22 Sur la question des dosmoi, cf. P. de Fidio, I dosmoi pilii a Poseidon. Una terra sacra di età micenea, Rome, 1977. 23 J. Driessen a contesté l’attribution de ce document à la RCT, cf. Scribes, 2000, p. 20, n. 8: «The few tablets which were, after autopsy, disregarded in this study, partly because the clay used is entirely different, and also the scribal aspects do not correspond are Fp 48, V 52 and U 96 […]. They are said to have been found in the RCT but both their physical aspects as well as hand are different. […] The two other tablets are more difficult since they seem to be unique (which is why V 52 is sometimes used here to show the differences)». J. Giulizio et al., «Religion in the Room of the Chariot Tablets», 2001, p. 454 sq., mettent en avant un faisceau d’arguments pour replacer ce texte dans la RCT: «The puzzling text of V 52 corresponds well with the texts of the Vc series that also come from the RCT. The entries on V 52 consist of a name followed by an indication of the quantity “one”. This is consistent with the layout of the Vc series except that human beings are listed on the Vc series, while V 52 records divinities. The fact that V 52 is religious in nature, however, stands in contrast to the Vc series and most other RCT tablets, and suggests that V 52 might represent a different kind of scribal assignment. This may account for the difference in hand, stylus, clay composition and even format from other records in the RCT». Les auteurs analysent les différences et les analogies dans le contenu et le format de V 52 d’une part avec les autres tablettes de la RCT, d’autre part avec les séries Fs et Fp, avec lesquelles on a souvent essayé de les rapprocher, avant de conclure, de façon à mon avis convaincante: «Therefore, we believe that on balance this is preferable to believe Evans’ original assignement and to place and interpret V 52 in the RCT along with tablets of the Vc series which are parallel in certain aspects of their contents». 24 TH Fq 126.1, 130.1, 131.[1], 213.[1], 214.1, 229.1, 254[+]255.2, 258.1, 263.1, 285.[1], 304.1, 357.[1], Gp 201.a et X 152.1; à la lumière de ces documents, L. Godart et A. Sacconi ont suggéré de corriger la lecture ma-qe de KN F 52 v.2 en ma-ka, cf. L. Godart, A. Sacconi, «La triade tebana nei documenti in lineare B del palazzo di Cadmo», Atti della Accademia Nazionale dei Lincei. Classe di Scienze Morali, Storiche e Filologiche. Rendiconti, 7, 1996, p. 283-285, et L. Godart, «La terre mère et le monde égéen», dans POTNIA, p. 463-466. Enfin M. Lejeune, « Sur les offrandes thébaines à la Terre Mère», dans Mémoires IV, p. 277-281. Voir aussi au sujet de ma-ka J. T. Killen, «Some Observations on the New Thebes Tablets», BICS, 43, 1999, p. 218 : « It was suggested (…) that the appearance of Ma` Ga` in Aeschylus, Supplices 885-892, was not conclusive evidence for a normal a-stem noun ma`, given that that ma` here was likely to be a hypocoristic (…). There was late evidence for a goddess Ma` in Macedonia; but she appeared to be an import from Cappadocia (see N. Proeva, Ziva Antika, 33, 1983, p. 165-183)».
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des gâteaux) 25 a récemment été suggérée par T. G. Palaima. Cette interprétation présente l’avantage de la cohérence avec les autres éléments du contexte. Les discussions concernant l’interprétation de ce mot sont cependant loin d’être terminées. – ko-wa, Korè (?) est attestée 13 fois 26. Cette interprétation a également fait l’objet de discussions au récent colloque de Vienne 27. – a-pu-wa, interprété par les éditeurs comme la «Harpie?» (grec alphabétique {Arpuia?) apparaît à 7 reprises 28. Il faut souligner qu’on attend une forme *a2 -pu-ja pour la notation mycénienne du mot grec {Arpuia. Cette interprétation doit donc être abandonnée 29. Il s’agit plus probablement d’un anthroponyme féminin. – Hermès 30 est attesté 5 fois. – Eleuthia est attestée 4 fois31 (forme généralement rapprochée du théonyme classique Eileithyia32). – Arès33, Dionysos34, Zeus35, e-ri-nu (Erinys)36 sont attestés chacun 3 fois (dans le cas d’Arès, seule une des attestations est directe: les deux autres sont en fait des anthroponymes dérivés du théonyme).
25 T. G. Palaima, «The Significance of the Discovery of Linear B at Thebes: the Pioneering Years», dans V. Aravantinos (éd.), Dieqnev~ sumpovsio gia th Yhvba. Ekatov crovnia arcaiologikouv evrgou sth Qhvba (1900-2000). Oi prwtoergavte~ twn ereuvnwn kai oi sunecistev~ tou~, Noevmbriow, 2002, sous presse. 26 TH Fq 126.2, 130.2, 169.2, 229.3, 239.1, 240.2, 241.2, 254 [+]255.4, 257.2, 258.2, 275.2, 307.2, 309.2. 27 T. G. Palaima, «*FAR? or ju? and other interpretative conundra in the new Thebes tablets», dans S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse. 28 TH Fq 229.3, Fq 254[+]255; Fq 257; Fq 275; Fq 339.2; Fq 343.[2]; Fq 382.[2]. On peut noter que les attributions faites à a-pu-wa représentent systématiquement une petite quantité, Z 2, correspondant à 0,8 litres. 29 T. G. Palaima, «*FAR? or ju? and other interpretative conundra in the new Thebes tablets», dans S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse. 30 PY Tn 316 v.7, PY Un 219.8, PY Xn 1357, KN X 9669 et D 411. Sur ce dernier document voir M.-L. B. Nosch, «Schafherden unter dem Namenspatronat von Potnia und Hermes in Knossos», dans F. Blakolmer (éd.), Österreichische Forschungen zur ägäischen Bronzezeit 1998. Akten der Tagung am Institut für klassische Archäologie der Universität Wien, 2.-3. Mai 1998, Vienne, 2000, p. 211-216. Enfin le théonyme apparaît à Pylos, en Tn 316 v.4. 31 KN Gg 705.1, du scribe 140 ainsi que Od (2) 714.b, Od (2) 715.a et Od (2) 716, du scribe 103. Cf. Documents1, p. 127. 32 Voir aussi hom. EiJleivquia, crét. ’Eleuvquia, lacon. ’Eleusiva, ion. E j leuqivh. Pour une bibliographie détaillée et classée, voir F. Aura Jorro, Diccionario griego-micénico, Madrid, 19851993, 1, p. 244. Voir aussi S. Hiller, «Amnisos im den mykenischen Texten», Kadmos, 21, 1982, p. 33-63, et S. Hiller, «Amnisos in den Tontafelarchiven von Knosos», dans J. Schäfer (éd.), Amnisos nach den archäologischen, historischen und epigraphischen Zeugnissen des Altertums und der Neuzeit, Berlin, 1992, p. 18-50. 33 KN Fp 14.2 (scribe 138); en KN Le 641.1 (103) et en PY An 656.6 (S657-H1), il ne s’agit pas du théonyme à proprement parler, mais d’un anthroponyme dérivé (a-re-i-jo); dans ces deux documents nous avons naturellement affaire à deux personnages différents.
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LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
– les noms d’Artémis37 et d’Héra38 sont mentionnés 2 fois chacun. – Enyalios39, une Mère Divine/Mère des dieux (ma-te-re te-i-ja, dat. sg: à la mère divine ou à la mère des dieux ou à Theia, la mère) 40, apparaissent 1 fois. – les vents (a-ne-mo) devaient être honorés puisqu’on a un versement d’huile fait à leur prêtresse (a-ne-mo, i-je-re-ja)41. – Nous possédons 15 attestations d’offrandes faites «à tous les dieux» (pa-site-o-i, datif pl.)42, plus une «aux dieux», te-o-i [KN E 842]. Les théonymes mycéniens qui subsistent comme épiclèses au premier millénaire43 Dans un certain nombre de cas, des noms connus au premier millénaire comme épiclèses ou épithètes de grandes divinités semblent apparaître de façon indépendante.
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PY Xa 1419, Ea 102, KH Gq 5.3. PY Tn 316 v.8, v.9, et KN Fp 1.2, où nous avons une formule di-ka-ta-jo di-we, «au Zeus du Mont Dikté». Voir aussi à La Canée KH Gh 3 (ou Gq 5). Il existe également dans les nouvelles tablettes de Thèbes une mention o-po-re-i qui pourrait se rapporter à l’épiclèse classique de Zeus, Opores, attestée en Béotie (Inscriptiones Graecae (IG), V, 2733). Toutefois, pour l’étymologie de –wra- , on pose traditionnellement *–osara- , ce qui devrait donner en mycénien une forme *o-a(2)-ra, d’où *o-po-a(2)-re-i, cf. P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1977, s. u. (abrégé ci-après DELG). 36 KN Fp (1) 8, et V 52 lat. inf. Cf. en Arcadie Déméter Erinys; voir à ce propos l’article de M. Jost dans ce volume. La mention effacée en V 52, sur le bord inférieur, permet de restituer une profondeur chronologique de deux générations au moins au culte d’e-ri-nu. 37 PY Es 650.5, et Un 219.5. 38 PY Tn 316 v.9; TH Of 28.2, et KN Fp 1.2. 39 Ce théonyme est attesté en KN V 52.2, qui provient de la Room of the Chariot Tablets, donc à une époque antérieure à celle de la majorité des archives de Cnossos. A Pylos, en An 724.12, le même terme est considéré comme un anthroponyme. En effet, il est suivi de l’idéogramme VIR et du chiffre 1, et apparaît dans une formule exactement parallèle à d’autres exemples où on a clairement affaire à des anthroponymes (voir Eb 297 et Ep 704.5-6). En V 52, en revanche, il apparaît au milieu d’une série de théonymes connus. Il s’agit probablement aussi d’un théonyme, bien que l’on ait parfois un mélange de destinataires divins et humains (de plus, ici on n’a aucun idéogramme pour indiquer de quoi il s’agissait précisément). Ce nom est encore attesté comme théonyme indépendant dans le serment des éphèbes. 40 PY Fr 1202. La forme est un datif singulier. La forme ma-te, mavthr, cf. attique mhvthr, est attestée ailleurs (pour désigner les mères d’enfants, à Pylos, en An 607): cf. mavthr qeiva. A ce sujet voir par ex. C. J. Ruijgh, «La “déesse mère” dans les textes mycéniens», dans E. De Miro, L. Godart, A. Sacconi (éds.), Atti et memorie del secondo congresso internazionale di micenologia, Roma-Napoli, 14-20 ottobre 1991, Rome, 1996, 1, p. 453-457. 41 KN Fp (1) 1.10. 42 KN Fp 1.5,.7, Fp 5.2, Fp 6.1, Fp 13.2, Fp 14.2, Fp 15.2, Fp 16.1, Fp 18.2 et Fp 48.2, .3. Gg (1) 702.1, Gg (3) 705.2, Gg 717 Ga 953.3a; pa-si-te-o-i, *pa`si qeoihi est un datif pluriel. 43 Cf. tableau n°3. 35
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
– Potnia (po-ti-ni-ja) est le cas le mieux connu et le plus abondamment attesté, avec 45 occurrences, directes ou indirectes (et différentes épithètes, cf. infra)44. Cette question sera traitée de façon détaillée plus loin. – La forme o-po-re-i45 est attestée à 11 reprises dans les nouveaux textes de Thèbes. Elle a été rapprochée par les éditeurs de l’épithète de Zeus oporès, protecteur des fruits. Cette interprétation ne peut être soutenue, pour des raisons morphologiques: pour l’étymologie de –wra-, on pose traditionnellement *–osara- 46, parce qui donnerait, en mycénien, *o-a(2)-ra d’où *o-po-a(2)-re-i. De plus, le nom de Zeus n’est pas mentionné ici par le scribe: cf. di-ka-ta-we di-we, en KN Fp 1.2 47, ou, pour une autre divinité, po-ti-ni-ja i-
44 Les textes sont les suivants: à Pylos, Eq 36.1, Vn 48.3, Fn 187.8, Eq 213.5, Un 219.7, Un 249, Jn 310.14, Tn 316.3, Eb 364.1, Jn 431.16, Ep 613.14, Cc 665, Fr 1206, An 1281.1, Fr 1225, Fr 1231, 1235, Fr 1236, Qa 1299. A Cnossos, V 52.1, KN X 444, KN Gg (1) 702.2, Oa 745.2, KN M 729.2, G 760, G 820.3, Dl (1) 930, Dl (1) 933, Dp 997, Dl (1) 943, Dl (1) 946, Dl (1) 950, Dp 7147, Dp 7503, Dp 7742, Dp 7771, Dp 7905, Dp 9716. A Mycènes, Oi 701.3, Oi 702 (restitué), MY Oi 704.1. Et à Thèbes, Of 36.2. Il faut noter qu’une des précisions apportées à po-ti-ni-ja, a-ta-na-po-ti-ni-ja, est attestée uniquement dans un document de la Room of the Chariot Tablets, c’est-à-dire un des dépôts les plus anciens du palais de Cnossos (MR II-MR III A1), cf. J. Driessen, Scribes, 2000. Voir aussi J. Giulizio et al., «Religion in the Room of the Chariot Tablets», 2001, p. 453-461. 45 TH Fq 126.2. La forme o-po-re-i est le datif d’une forme en –es non attestée dans les textes publiés. Pour une analyse de ce document, voir V. Aravantinos, «Mycenaean Texts and Contexts at Thebes: The Discovery of New Linear B Archives on the Kadmeia», dans S. DegerJalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Floreant Studia Mycenaea. Akten des 10. Internationalen Mykenologischen Kolloquiums in Salzburg vom 30. April-6. Mai 1995, Vienne, 2000, p. 66 sq. La tablette forme un dyptique avec Fq 130, et il faut y ajouter un troisième texte, Fq 254[+] 255, qui comporte une formule d’introduction avec o-te, ce qui jusqu’à présent n’était attesté qu’à Pylos (Ta 711.1). Les deux documents attestent les trois mêmes noms, ma-ka, o-po-re-i et kowa, ce qui a incité les auteurs de la découverte à parler d’une triade (la Terre Mère, Oporès et Korè), qu’ils ont comparée à la triade éleusinienne. Toutefois, il faut désormais tenir compte des objections qui ont été soulevées par différents spécialistes de linguistique grecque au récent colloque de Vienne, cf. supra, s. v. ma-ka, ko-wa. De plus, l’idée d’une triade est contestable pour différentes raisons: les trois noms ne sont pas régulièrement attestés en association, le plus souvent un ou plusieurs autres destinataires leurs sont associés, voire sont intercalés entre eux. La situation thébaine est donc entièrement différente de celle relevée sur la tablette pylienne Tn 316, au verso, où Zeus, Héra, et Drimios, fils de Zeus, sont attestés ensemble, isolés des autres destinataires dans une rubrique particulière: dans ce cas, on peut vraiment parler de triade. Le mot o-po-re-i apparaît en TH Fq 126.1, 130.2, 169, 213, 214, 229.2, 254[+]255.3, 257, 304, 331, 339. 46 Cf. DELG, s. u., et V. Aravantinos, L. Godart, A. Sacconi, Thèbes. Fouilles de la Cadmée. I. 2001 (2002), p. 191. 47 KN Fp(1) 1 + 31 (138) .1 de-u-ki-jo-jo ‘me-no’ .2 di-ka-ta-jo / di-we OLE S 1 .3 da-da-re-jo-de OLE S 2 .4 pa-de OLE S 1 .5 pa-si-te-o-i OLE 1 .6 qe-ra-si-ja OLE S 1[
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LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
qe-ja 48. Une interprétation liée à oros, la montagne, est en revanche tout à fait possible; o-pi est une forme mycénienne bien attestée pour la préposition ejpiv 49. On peut donc toujours envisager un théonyme. Mais il faut noter que T. G. Palaima suggère une interprétation alternative de la forme comme un anthroponyme Oporès (cf. Orestès) 50. – Enesidaon (plus tard épiclèse de Poséidon) 51, pa-ja-wo (*PaiavWwn, cf. hom. Paihvwn, plus tard épiclèse d’Apollon) 52 apparaissent deux fois. Les théonymes connus uniquement par les textes mycéniens Ils sont au nombre de 27 53. 14 de ces théonymes n’apparaissent qu’une seule fois dans toute la documentation actuellement disponible. Les théonymes les plus fré.7 a-mi-ni-so, / pa-si-te-o-i S 1[ .8 e-ri-nu, OLE V 3 .9 *47-da-de OLE V 1 .10 a-ne-mo, / i-je-re-ja V 4 .11 vacat .12 to-so OLE 3 S 2 V 2 48 An 1281 .1 po-]ti-ni-ja, i-qe-ja .2 ]-mo, o-pi-e-de-i .3 a-ka, re-u-si-wo-qe VIR 2 .4 au-ke-i-ja-k-we_i-q. e. -j. a. V. I. R. ´ .5 o-na-se-u, ta-ni-ko-qe VIR 2 .6 me-ta-ka-wa, p. o. -so-ro VIR 1 .7 mi-jo-qa[ ]e-we-za-no VIR 1 .8 a-pi. -e-r. a. $ ¸ to-ze-u VIR 1 VIR 1 .9 ]a-ke-s. i. , to-ti-ni-ja, re-si-wo .10 au-ke-i-ja. -t. e. -w. e. [ ]ro VIR 1 .11 mi-jo-qa, ma-ra-si-jo[ ] VIR 1 .12 me-ta-ka-wa , ti-ta-ra-[ ] VIR 1 .13 a-pi-e-ra , r. u. -k. o. -ro VIR 1 .14-15 uacant 49 Pour les épithètes de Zeus liées à des lieux de culte situés sur les montagnes, T. G. Palaima, «*FAR? or ju? and other interpretative conundra in the new Thebes tablets», dans S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse, renvoie à l’ouvrage de A. B. Cook, Zeus. A Study in Ancient Religion, New York, 1965. Cf. aktaios, koruphaios, etc. 50 T. G. Palaima, «*FAR? or ju? and other interpretative conundra in the new Thebes tablets», dans S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse. 51 KN M 719.2. En KN Gg 717, seule la fin du théonyme est conservée (–]si-da-o-ne), si bien que théoriquement on pourrait aussi bien restituer po-]si-da-o-ne. 52 KN V 52.2, et peut-être KN C 394.4. Cf. Homère, Iliade, V, 401-402: tw/` d’ejpi; Paihvwn ojdunhvfata favrmaka pavsswn hjkesat’: ouj me;n gavr ti kataqnhtov~ ge tevtucto. La tablette V 52, trouvée dans la RCT, est donc plus ancienne que le reste des archives. La tablette C 394 n’est pas attribuée à un scribe déterminé. 53 Voir tableau n°2.
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
quemment attestés apparaissent 5, 6 ou 7 fois seulement. Il faut également préciser que, comme les documents mycéniens enregistrent parfois sur le même document des versements faits à des divinités et d’autres faits à des êtres humains, il subsiste fréquemment des doutes sur le statut de certaines mentions (en particulier quand il s’agit d’un hapax). L’un de ces théonymes supposés, po-ro-de-qo-no, doit maintenant être supprimé de cette liste: un nouveau texte de Thèbes, TH Fq 254[+]255.1, atteste en effet une forme de-qo-no, qui invite à mettre en parallèle le doublet de-qo-no / po-ro-de-qo-no avec le doublet ko-re-te/po-ro-ko-re-te, par exemple. A. Sacconi et les éditeurs proposent une interprétation des titres de-qo-no et po-ro-de-qo-no par «banquetier», «responsable des banquets» (*deikwnov") et «vice-responsable des banquets» 54. Il semble toutefois possible et préférable de s’en tenir à dei'kwnon et provdeikwnon 55, interprétation qui est également cohérente avec les quantités de denrées associées. – *ma-ri-ne-u 56 est un cas particulier car dans un certain nombre de textes il s’agit manifestement d’un anthroponyme. Pour d’autres documents, il pourrait éventuellement s’agir d’un théonyme, mais on ne peut pas en être absolument sûr.
54 A. Sacconi, «Les repas sacrés dans les textes mycéniens», dans POTNIA, p. 467. Sur les banquets dans le monde mycénien, voir aussi C. Piteros, J.-P. Olivier, J. L. Melena, «Les inscriptions en linéaire B des nodules de Thèbes (1982): la fouille, les documents, les possibilités d’interprétation», BCH, 114, 1990, p. 103-184; J. T. Killen, «Thebes Sealings, Knossos Tablets and Mycenaean State Banquets», BICS, 40, 1994, p. 67-84; et J. T. Killen, «Thebes Sealings and Knossos Tablets», dans E. De Miro, L. Godart, A. Sacconi (éds.), Atti e Memorie del Secondo Congresso Internazionale di Micenologia, Roma-Napoli, 14-20 ottobre 1991, Incunabula Graeca, XCVIII, I, Rome, 1996, p. 71-82. 55 T. G. Palaima, «*FAR? or ju? and other interpretative conundra in the new Thebes tablets», dans S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse. 56 Ce nom est attesté 5 fois; dans trois cas, il s’agit d’une attestation indirecte (adjectif possessif dérivé du nom propre, et qualifiant des ouvrières). KN As 1519.11, KN Ga 674.b, Gg 713. TH Of 25.1 et 35.2. Seule Gg 713 présente un contexte proprement religieux, où l’on peut interpréter le nom comme un théonyme. Le terme *ma-ri-ne-u a été interprété comme anthroponyme masculin ou comme théonyme (cette dernière interprétation vaut surtout les séries cnossiennes Ga et Gg). De plus, ce nom apparaît soit directement, soit sous la forme d’adjectif dérivé, comme c’est le cas pour les personnages que l’on appelle conventionnellement «collecteurs» (sur ces personnages et leur identification voir F. Rougemont, «Some thoughts on the identification of the “collectors” in the Linear B tablets», dans S. Voutsaki, J. T. Killen (éds.), Economy and Politics in Mycenaean Palace States (Cambridge Philological Society, Supplementary volume 27), Cambridge, 2001, p. 129-138). Le mot apparaît à Cnossos (KN Ga 674.b, Gg 713+1519), Thèbes (TH Of 25 et Of 35) et Mycènes (MY X 508); le fait que ce mot apparaisse sur différents sites peut être compris aussi bien en faveur de son interprétation comme théonyme qu’en faveur de l’interprétation comme nom de «collecteur». Toutefois, l’hypothèse de l’anthroponyme paraît plus convaincante, en particulier si l’on considère les deux documents thébains, où l’adjectif dérivé ma-ri-ne-we-ja-i, au datif pluriel, apparaît exactement dans la même position formulaire que d’autres adjectifs dérivés d’anthroponymes, par exemple sur la même tablette TH Of 35, à la ligne 1 (ko-ma-we-te-ja). Pour une discussion plus détaillée, voir F. Rougemont, «The Collectors as an International Elite in the Mycenaean World», dans C. Gillis, C. Risberg, B. Sjöberg (éds.), Trade and Production in
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LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
– La déesse qe-ra-si-ja apparaît 8 fois57. – Les mentions di-pi-si-jo-i58, do-qe-ja59, pa-de60, wa-na-so-i61 apparaissent 6 fois. (Pour di-pi-si-jo-i et wa-na-so-i, il n’est pas prouvé qu’il s’agisse de noms divins à proprement parler, cf. tableau)62. – di-u-ja/di-wi-ja, parèdre féminine de Zeus63, est mentionnée 4 fois.
Premonetary Greece. 8. Crossing Borders, sous presse. Il me semble que ce nom, qui 1) apparaît sur plusieurs sites, 2) se trouve lié à un secteur d’économie où les «collecteurs», qui sont des personnages humains, sont bien attestés, et 3) est aussi attesté sous forme d’un adjectif dérivé, tout comme les «collecteurs», peut être interprété de façon plus vraisemblable comme un être humain que comme une divinité. 57 KN Fp (1) 1.6, 5.1, 6.2, 13.2, 14, 16.2, 48, Fh 5475. A propos de ce théonyme et de sa possible assimilation avec le nom pa-ze (attesté à trois reprises dans deux documents de la RCT, V (1) 114 et Xd 140, voir aussi J. Giulizio et al., «Religion in the Room of the Chariot Tablets», 2001, p. 455. Les auteurs formulent l’hypothèse que ce dieu, d’origine minoenne, a été repris et adopté par les Mycéniens, qui ont transformé son nom en pa-de. 58 PY Fr 1220, 1231, 1232, 1240, 1245 (?), et 1218 (di-pi-si-je-wi-jo). Différentes interprétations sont possibles pour ce terme: il pourrait s’agir d’un appellatif personnel, divyio~, ou encore d’un qualificatif cultuel, divyio~, assoiffé, qui s’appliquerait, par exemple, aux morts (hypothèse spéculative étant donné le contexte plutôt maigre); enfin il pourrait s’agir d’un théonyme «collectif», *Divyioi, «les assoiffés» «En tout cas toutes les interprétations qui ont été proposées pour ce terme admettent une relation avec divya, la soif. La forme di-pi-se-wi-jo, qui est attestée en Fr 1218, pourrait être un adjectif dérivé de di-pi-si-jo, mais les problèmes soulevés par son interprétation sont difficiles et ne peuvent être tranchés. 59 Cette déesse apparaît à six reprises sur un seul document, PY An 607. L’intérêt de cette tablette est d’attester comment le statut d’un enfant était déduit des statuts respectifs de ses parents (dont certains étaient des esclaves dépendants de do-qe-ja). Sur les liens de parenté, voir P. Carlier, «Les mentions de la parenté dans les textes mycéniens», dans S. Deger-Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Floreant Studia Mycenaea. Akten des X. internationalen mykenologischen Colloquiums in Salzburg vom 1.-5. Mai 1995, Philosophisch-historische Klasse. Denkschriften 1, Vienne, 2000, p. 185-193. 60 KN Fp 1.4, Fp 48.2, Fs 8.B, Ga 953.2, Ga 456.1, C 394. 61 PY Fr 1219, 1222, 1227, 1228, Fr 1235.1, .2. Voir aussi à ce sujet M. Del Freo, «Pasa-ro, wa-na-so-i e il valore dei sillabogrammi e in miceneo», Studi miceni ed egeoanatolici (SMEA), 27, 1989, p. 151-190. 62 Il pourrait également s’agir de titres cultuels. Il est difficile de trancher définitivement la question, étant donné la nature de la documentation. 63 PY Cn 1287.6, Tn 316 v.6, An 607.5, TH Gp 109.1, TH Ft 278. Dans les nouveaux textes de Thèbes, on trouve di-wi-ja en Gp 313.2, document très abîmé qui ne mentionne que ce mot et, à la ligne précédente, l’idéogramme de la farine. On trouve également di-wi-ja-me-ro, en Gp 109.1. Cette expression est interprétée par les éditeurs comme *DiWiva~ mevro~ et traduite par «la part de di-wi-ja». Cette interprétation a été contestée par différents auteurs: cf. C. de Lamberterie, BSL, 94-2, 1999, p. 151 et CEG, 5, s. u. «h\mar (= RPh., 74, p. 268); C. J. Ruijgh, «The Three Temporal Clauses (TH Fq 126; 130; 254)», dans S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse; J. T. Killen, «Thoughts of the functions of the new Thebes tablets», ibid. La proposition de traduction par «pour deux jours» semble désormais admise, particulièrement si l’on considère l’argumentation de J. T. Killen, qui est fondée sur l’étude des quantités. C’est
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
– La déesse pe-re-*82 est attestée 3 fois (une des attestations, à Pylos, concerne un sanctuaire de cette déesse)64 ; si-ja-ma-to est également mentionné 3 fois65, ainsi que wa-na-se-wi-ja (terme dont on se demande si c’est un théonyme ou une appellation cultuelle). – a-*65-ma-na-ke66, i-pe-me-de-ja ( jIfimevdeia) 67, ti-ri-se-ro-e («celui qui est trois fois héros»), pa-de-we 68apparaissent 2 fois chacun. – Drimios, fils de Zeus 69, do-po-ta (Dospotas, cf. despovth") 70, ke-o-te-ja, dont le statut est douteux (TH Of 28.2; épiclèse d’Héra 71 nom de métier?), ko-ma-we-
pourquoi je n’ai pas inclus cette mention dans le tableau n° 2. On peut proposer pour ce document la traduction suivante: Th Gp 109 (306) .1 *63-te-ra-de, di-wi-ja-me-ro, qe-te-jo, .2 VIN 2 V 5 Traduction: «l.1 à destination de *63-te-ra (toponyme), (allocation) pour deux jours, à payer l.2 VIN 65,6 litres». 64 PY Tn 316 v.5, Un 6.3, .4. Le dernier signe qui compose le nom de cette divinité reste non déchiffré, en raison de son faible nombre d’occurrences. Toutefois, ce théonyme est considéré comme un nom de déesse en raison des offrandes auxquelles il est associé (pe-re-*82 reçoit en effet une femme, ce qui est le cas uniquement des déesses; les dieux recevront plutôt un homme). Enfin, J. T. Killen a suggéré que pe-re-*82 recevait la moitié des offrandes reçues par Poséidon, donc on aurait une trace de hiérarchisation entre les deux divinités. Cf. J. T. Killen, «Religion at Pylos: The Evidence of the Fn Tablets», dans POTNIA, p. 435-443. L. R. Palmer proposait une interprétation comme «déesse colombe», et lisait Pevleia, cf. L. R. Palmer, «Studies in Mycenaean Religion», dans P. Händel, W. Meld (éds.), Festschrift für Robert Muth. Innsbrucker Beiträge zur Kulturwissenschaft 22, Innsbruck, 1983, p. 283, avec une valeur /ja2/ pour *82, cf. L. R. Palmer, Interpretation, 1969, p. 20. Les éditeurs des nouveaux textes de Thèbes reprennent la lecture Peleia, avec une valeur /wja/, qu’ils préfèrent à la proposition /ja2 / de Palmer, et s’appuient sur la mention pe-re-wi-jo, en TH X 105.3, qui serait peut-être, selon eux, le titre d’un “desservant de pe-re-*82”, cf. V. Aravantinos et alii, Thèbes. Fouilles de la Cadmée, 2001 (2002), p. 309. Le contexte de X 105 étant par définition très réduit (document non classé en raison de son caractère fragmentaire), il est impossible d’apporter des arguments définitifs à cette hypothèse. 65 KN Fp 48.3, U 4478, X 451. 66 KN Fs 3.B et Fs 20. 67 Cf. Documents1, p. 105 et Documents2, p. 288. Il s’agit de PY Tn 316 v.4, v.6. Ce nom apparaît également chez Hésiode, Catalogue des femmes, fr. 19, Schol. Ap. Rhod. A482 (p. 42.15 Wendel): ’Alwiüavda~. ’Hsivodo~ de; ’Alwevw~ kai; ’Ifimedeiva~ ejpivklhsin, tai`~ de; ajlhqeivai~ Poseidw`no~ kai; ’Ifimedeiva~ e[fh, kai; [Alon povlin Aijtwliva~ uJpo ; tou` patro ;~ aujtw`n ejktivsqai (R. Merkelbach, M. L. West [éds.], Hesiodi Fragmenta selecta, Oxford, 1970, p. 119; et chez Homère, Odyssée, XI, 305 sq. «th;n de; met j ’Irimevdeian, ’Alwh`o~ paravkoitin, e‡sidon, hJ dh; favske Poseidavwni migh`nai...». 68 PY Fr 1204, Tn 316.5. On pourrait envisager une interprétation comme «les trois héros », à condition de supposer que nous avons un nominatif de rubrique; si on avait un datif pluriel, on aurait une forme *ti-ri-se-ro-si, ou *ti-ri-se-ro-e-si. Toutefois, il faut préciser que l’usage du nominatif de rubrique n’est pas clairement attesté dans la série Fr de Pylos. 69 PY Un 219, deux mentions à la ligne 2. 70 PY Tn 316 v.10. 71 PY Tn 316.5
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te-ja (PY Tn 316 v.3 et TH Of 3572), ma-na-sa (PY Tn 316.4), pa-ja-ni-jo (KN Fp 354.2.1), pa-sa-ja (KN Ga 953.3b), pi-pi-tu-na (KN Fp 13.1), po-si-da-e-ja (PY Tn 316.4; parèdre féminine de Poséidon), qe-sa-ma-qa (KN Fs 11.B), qo-wi-ja (PY Tn 316 v.3), ta-mi-te-mo (KN Fs 11.B), u-do-no-i (qui est plus probablement un titre cultuel; PY Fn 187.12), wa-na-se-wi-jo (PY Fr 1215.1; même doute sur le statut de ce mot) et *56-ti (KN Fp (1) 15.2) n’apparaissent qu’une ou deux fois chacun. Les hiéronymes et les termes qui pourraient désigner des cérémonies religieuses * Noms de sanctuaires 73 Le mot iJerovn est attesté 74 ; le terme d’oi\ko" est également employé, en association avec Potnia à Thèbes 75, dans un contexte d’activité artisanale. Il ne sert pas à 72 En TH Of 35, toutefois, ko-ma-we-te-ja est un adjectif dérivé du nom de «collecteur» ko-ma-we, cf. M. Del Freo, «Osservazioni su miceneo KO-MA-WE-TE-JA», Minos, 3132, 1996-1997, p. 145-158. 73 Cf. tableau n°4, hiéronymes et noms de fêtes religieuses. On peut également se référer, pour ce qui concerne le personnel sacerdotal, à quelques études spécialisées: J.-P. Olivier, A propos d’une «liste» de desservants de sanctuaire dans les documents en linéaire B de Pylos, Bruxelles, 1960 ; M. Lejeune, « Prêtres et prêtresses dans les documents mycéniens », dans Mémoires II, p. 85-93. 74 La forme i-je-ro est attestée à plusieurs reprises; mais dans un cas il s’agit d’un anthroponyme (KN Dv 1447, sans doute jIevrwn), dans les autres, un doute subsiste sur son interprétation ; il pourrait théoriquement s’agir soit d’un adjectif décrivant de l’huile (hypothèse très improbable), soit, et c’est le plus vraisemblable, d’un substantif qui pourrait être traduit par «sanctuaire» en KN Fp 363.2: Fp(2) 363 (222) .1 qe-te-a, te-re-no OLE [ .2 da-*83-ja-de / i-je-ro S 2 ki-ri-te-wi-ja, [ .3 di-wo-pu-ka-ta S 2 [ .4 ] uacat [ l.1 à payer, à te-re-no (TN), huile [ (quantité inconnue) ou bien «tant d’huile fine» [te-re-no de tevrhn] l.2 [à destination de?] da-*83-ja/ au sanctuaire (datif singulier iJerw/`) 19,2 litres, à ki-ri-te-wi-ja ou à la ki-ri-te-wi-ja [ l.3 à di-wo-pu-ka-ta ou au di-wo-pu-ka-ta, 19,2 litres. Dans ce document on a très probablement affaire à un sanctuaire situé dans la localité de da*83-ja, auquel une quantité d’huile est envoyée ou doit être envoyée (forme du toponyme + allatif, et présence du terme qe-te-o, «à payer (par le palais)», dans la première ligne). Pour l’interprétation de te-re-no comme le génitif de tevrhn, voir M. Lejeune, «Sur quelques termes du vocabulaire économique mycénien», dans Mémoires II, p. 86, n. 6, et p. 302: «On aurait le choix, du point de vue de la syntaxe, entre un génitif partitif (tevreno~ ejlaivWoio) tenant lieu de l’habituel nominatif de rubrique, et un génitif déterminant de qe-te-o». Pour l’interprétation de di-wo-pu-ka-ta comme titre religieux, voir M. Lejeune, «Sur quelques termes du vocabulaire économique mycénien», dans Mémoires II, p. 302, n. 67, qui propose une forme grecque reconstituée en *DiW-osfuscasta- ~: «On n’a pas proposé d’explication plausible pour le second terme de ce composé; *ojsfu-scasta- ~ (terme sacrificiel: ojsfu`~, scavzw) ne serait pas plus mauvais que ce qui a été tenté jusqu’ici à partir de buvzw, de puvx, de sfuvzw ou de feuvgw». M. Lejeune en conclut qu’il « n’est pas exclu que ce composé soit un appellatif, désignant aussi un desservant» («celui qui incise le flanc», «celui qui ouvre le flanc»). On trouve la forme i-je-ro-jo à Pylos, en Ae 303.a, sous pu-ro i-je-re-ja e-ne-ka ku-ru-so-jo. Enfin les nouveaux textes de Thèbes ont livré une mention supplémentaire, i-je-ro, en Fq 200.2, où l’on dit «ku-n. a. -k. i. -s. i. , i. -j. e. -r. o. V 3 u-[ ». Les éditeurs proposent la
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désigner un bâtiment ni une structure religieuse (on le trouve aussi avec au moins un anthroponyme). L’interprétation du terme oikos dans les textes mycéniens est particulièrement intéressante. En TH Of 36.2, il est question d’une quantité de laine envoyée à po-ti-ni-ja woko-de, Potniva" Woivkonde 76. Le fait que Potnia est un théonyme a nécessairement influencé le débat sur l’interprétation du mot oikos. Pour ce terme, les traductions possibles sont «atelier», «maison» et «temple». La formule ma-ri-ne-wo, wo-i-ko-de est l’un des arguments qu’on a invoqués en faveur de l’hypothèse selon laquelle *ma-rine-u serait un théonyme. Toutefois, il ne semble pas y avoir d’argument philologique décisif pour faire du mot wo-i-ko-de un «temple». De surcroît, le terme oi\ko", au premier millénaire, signifie plutôt la maison au sens large; même dans le contexte des sanctuaires, ce mot n’est pas employé pour désigner un temple, mais seulement des bâtiments annexes dans lesquels on pouvait stocker du matériel cultuel77. Je pense donc que la formule ma-ri-ne-wo wo-i-ko-de ne peut servir d’argument pour affirmer que *ma-ri-ne-u était un dieu plutôt qu’un être humain, et que si l’on sait que Potnia était une déesse, ce n’est pas non plus la formule po-ti-ni-ja wo-ko-de qui nous permet de le dire. Le mot wo-ko apparaît dans les nouveaux textes de Thèbes, au nominatif ou au datif singulier (on ne peut faire la distinction avec certitude dans la graphie mycénienne), en TH Gp 158.1a78. Les deux autres termes attestés sont des anthroponymes, ce qui confirme donc l’idée que le terme oikos appartient à la sphère profane, et probablement au domaine artisanal (d’où la traduction des éditeurs par «unité de production»).
traduction «pour les chasseresses (?), pour le temple (?), 4,8 l., pour u-[». On préférera toutefois pour ku-na-ki-si, /gunaiksi/, «aux femmes», possibilité également signalée par les éditeurs p. 167. 75 C’est un contexte de livraisons de laine, et l’on sait par ailleurs que le nom de la déesse est lié à un certain nombre d’ouvrières travaillant dans l’industrie textile. 76 Le mot Potnia peut également être au datif; dans ce cas on traduire l’expression par «à Potnia, dans son oikos». 77 Cf. M.-C. Hellmann, Recherches sur le vocabulaire de l’architecture grecque d’après les inscriptions de Délos (Bibliothèque des Ecoles françaises d’Athènes et de Rome, 278), 1992, p. 298-304. Voir en particulier p. 300: «Des trois mots rattachés à la famille d’oijkevw : oi[khma, oijkiva, oi\ko~, c’est ce dernier qui a le sens le plus large. A Délos il s’applique à n’importe quel bâtiment ou local, qu’il soit indépendant ou non, fait de plusieurs salles ou représentant une seule pièce. (…) En effet, oi\ko~ peut désigner un bâtiment d’habitation, une maison, et être à ce titre synonyme d’oijkiva ». 78 TH Gp 158 (306) .1a wo-ko [ .1b ] S 1 ka-sa[ .2 ]1 *56-ru-we V 1[ Les éditeurs proposent la traduction suivante: “l.1 ]9,6 litres, à l’unité de production de Kasa[ l.2 ]1 pour *56-ru-we, 1,6[l.” Cf. V. Aravantinos et al., Thèbes. Fouilles de la Cadmée, 2001 (2002), p. 288-289.
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Le terme de téménos est attesté pour désigner les domaines terriens du wanax et du ra-wa-ke-ta79. Il n’a aucune connotation religieuse dans les textes mycéniens. En ce qui concerne les désignations précises de sanctuaires, on peut faire l’inventaire suivant: da-*83-ja-de, i-je-ro, «à D. (toponyme), au sanctuaire», da-da-rejo-de, *Daidaleiovn-de, « au sanctuaire de Dédale / à Daidaleon[théonyme ? toponyme ?] », avec un allatif) à Cnossos; l’indication di-ka-ta-de (*Divktan-de, au [sanctuaire?] du Dikté), di-wi-jo-de (*DivWyon-de, au sanctuaire de Zeus) dans les textes de Pylos80, et de La Canée 81 po-si-da-i-jo (*Posidavhion, cf. hom. Posidhv Ûon, « sanctuaire de Poséidon») dans les textes pyliens 82 ; peut-être un sanctuaire d’Iphimedeia dans un texte de Pylos 83, ainsi qu’un sanctuaire de pe-re-*82 84 ; enfin un sanctuaire de di-u-ja à Pylos 85. Enfin il faut rappeler que les sanctuaires ne sont pas toujours explicitement nommés, mais que l’intitulé de la tablette pylienne Jn 829, qui organise le prélèvement par le palais de « bronze des temples » (ka-ko na-wi-jo, /calko ;n *nas-Fyo-, de naov" > nhov" > newv"/) suppose l’existence d’au moins un sanctuaire dans chacun des chefslieux de districts qui sont ensuite mentionnés en liste 86. * Noms de cérémonies religieuses L’inventaire est plus bref: po-to-a2-ja-de (Ptw'iavde «vers les fêtes célébrées au Ptoion» ou «vers les fêtes célébrées en l’honneur de Ptoios») 87, re-ke-e-to-ro-te-ri-jo (*lece(s)-strw-thvrion, cf. levco" et strwthvrion, stovrnumi; littéralement «fête au cours de laquelle on étend/dispose les lits/couches»), to-no-e-ke-te-ri-jo (composé sur
79 On trouve ainsi wa-na-ka-te-ro te-me-no, «le téménos royal», mesuré en semence (GRA 30, soit 2880 litres de blé) en PY Er 312.1, et ra-wa-ke-si-jo te-me-no, «le téménos du ra-wa-ke-ta» [deuxième personnage de l’Etat], de taille inférieure (GRA 10 soit 960 litres de blé), sur la même tablette, à la ligne 3. 80 PY Mb 1366, avec un versement ou un prélèvement d’un tissu de type *146 , PY Fr 1230, avec l’offrande d’1,6 litres d’huile pour onctions. 81 KH Gq 5.1, avec l’offrande d’un vase de miel. 82 PY Fn 187.2. PY Tn 316 v.1. 83 PY Tn 316 v.4. Toutefois, il faut pour cela supposer une faute du scribe, qui aurait noté i-pe-me-de-ja-qe pour *i-pe-me-de-ja-jo-qe, cf. Documents1, p. 286, C. J. Ruijgh, Etudes, 1967, p. 305. 84 Sous la forme pe-re-*82-jo, en Tn 316 v.4. Voir Documents1, p. 287, M. Lejeune, « Nouvelles remarques sur l’identification des signes syllabiques rares», dans Mémoires I, p. 207 : «Un nom divin, à Pylos (probablement féminin, et probablement au datif), pe-re-*82 (Tn 316 r.5; Un 1189.1, 2), avec son dérivé pe-re-*82-jo (Tn 316.r4), “sanctuaire de P.”». 85 TN 316 v.4. 86 Cette tablette a donné lieu à une abondante bibliographie, qu’il est impossible de citer ici de façon exhaustive; pour une étude récente on se référera à T. G. Palaima, «The Modalities of Economic Control at Pylos», dans P. Carlier (éd.), Actes des Journées Egéennes, Nanterre, 8-10 mars 1999, Ktèma, 26, 2001, p. 151-159. 87 TH Av 104[+] 191.2. Il s’agit d’un homme ou d’un groupe d’hommes envoyé «aux fêtes du Ptoion» ou «aux fêtes en l’honneur de Ptoios».
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*qovrno", cf. qrovno", le trône, le siège) 88 et wo-ro-ki-jo-ne-jo. Ce dernier terme, après avoir été interprété comme un terme lié aux Orgeones, a été récemment réinterprété par J. T. Killen 89 comme un anthroponyme, qui désignerait tout simplement le propriétaire de la parcelle de terre enregistrée dans le document. C’est l’hypothèse la plus vraisemblable et la plus simple. On a deux mentions de te-o-po-ri-ja (*qehoforiva) dans les textes de Cnossos 90 ; te-re-ja-de (?), peut-être *Tevleiav-de, (à mettre en rapport avec Héra Teleia?)91. Enfin la mention mu-jo-me-no, dans l’intitulé de PY Un 2.1, se rapporte vraisemblablement à une cérémonie d’initiation tenue à Pakijane92. Depuis la publication des nouveaux textes de Thèbes on peut ajouter à cette liste les deux intitulés o-tetu-wo-te-to et o-je-ke-te-to93. Enfin l’indication e-wo-ta-de, en C (1) 90194, a été interprétée de deux manières: soit comme un toponyme avec un allatif, soit comme une indication pour des animaux envoyés «pour une fête» (cf. grec eJorthv) 95.
88 Différentes interprétations ont été proposées pour ce terme; la plupart considèrent *qovrno~/qrovno~ comme l’élément central de ce mot composé: *qorno-helkthvrion, cf. e{lkw, « fête pendant laquelle / à l’occasion de laquelle on traîne/déplace le trône»; *qorno-hekceuthvrion, cf. ejkcevw, ejgcevw, «fête à l’occasion de laquelle on oint le trône»; *qornohekthvrion, cf. e[cw, «fête de ceux qui possèdent les trônes»; *qornohenceuthvrion, cf. ejgcevw, «fête des libations offertes au trône». Toutefois on a aussi proposé de comprendre *stonohegerthvrion, cf. stovno~ et ejgerthvrion, ejgeivrw, «au cours de laquelle s’élèvent des lamentations». L’interprétation suivante est considérée comme la moins vraisemblable de toutes celles qui ont été proposées : *qoinohecethvrion, cf. qoinodotevw, qoinarmovstria, IG, V, 1, 584, l.5) « banquet sacré, sacrifice». Cf. Auro-Jorro, Dictionario griego-micénico, s.v. 89 J. T. Killen, «Mycenaean Possessive Adjectives in -e-jo», Transactions of the Philological Society, 113, 1983, p. 83 sq. et «Piety Begins at Home: Place-names on Knossos Records of Religious Offerings», dans P. H. Ilievski, L. Crepajac (éds.), Tractata Mycenaea. Proceedings of the Eighth International Colloquium on Mycenaean Studies, held in Ohrid, 15-20 September 1985, Skopje, 1987, p. 176. 90 «Cérémonie au cours de laquelle on promenait une effigie du dieu/de la déesse». Le mot apparaît en KN Ga 1058, document qui enregistre une attribution d’une quantité de plante aromatique (PYC), et en Od 696, dans un enregistrement de laine. Cf. Aura-Jorro, Diccionario griego micénico, s. u. 91 TH Av 104[+]191.2. Il s’agit de l’envoi de 10 hommes. Notons qu’il pourrait simplement s’agir d’un toponyme à l’allatif; l’interprétation proposée par les éditeurs n’est pas démontrée de façon absolument certaine. 92 Cf. supra. 93 o-te-tu-wo-te-to (scriptio continua), grec o{te quvo~ qevto, «lorsque fut fait le sacrifice»; o-je-ke-te-to: avec te-to, comme précédemment, de tivqhmi, et o-je-ke sujet du verbe. Les éditeurs proposent d’interpréter o-je-ke comme *ojeivgh~, « ouverture », « révélation », cf. V. Aravantinos et alii, Fouilles de la Cadmée. I. 2001 (2202), p. 325. 94 KN C(1) 901 + 7661 + 8049 (107) e-wo-ta-de BOSƒ 20 ta BOS 1 95 La suggestion a été faite par J. T. Killen, et elle est mentionnée par T. G. Palaima, « The Knossos Oxen Dossier: The Use of Oxen in Mycenaean Crete. Part I: General Background and Scribe 107», dans J.-P. Olivier (éd.), MYKENAÏKA. Actes du IXe Colloque international sur les textes mycéniens et égéens organisé par le Centre de l’Antiquité Grecque et Romaine de la Fondation Hellénique des Recherches Scientifiques et l’École française d’Athènes, Athènes, 26 octobre 1990 (BCH suppl. 25), Paris, 1992, p. 470, n. 29a.
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* Les noms de mois Les textes enregistrant des offrandes mentionnent, dans quelques cas, l’occasion à laquelle l’offrande a été faite par le palais; c’est ainsi que nous connaissons 7 noms de mois mycéniens 96. Là encore, la liste est brève: de-u-ki-jo-jo ‘me-no’97, diwi-jo-jo98 ‘me-no’, ka-ra-e-ri-jo99 ‘me-no’, ra-pa-to100 ‘me-no’, wo-de-wi-jo101 ‘meno’, pa-ki-ja-ni-jo-jo me-no102, po-ro-wi-to et peut-être sa-pa-nu-wo-me-no)103.
96 Cf. tableau n°5. Sur les noms de mois en général, voir par ex. J. L. Melena, « Reflexiones sobre los meses del calendario micenico de Cnoso y sobre la fecha de la caida del palacio», Emerita, 42, 1974, p. 77-102, et C. Trümpy, «Nochmals zu den Mykenischen FrTaefelchen. Die Zeitangaben innerhalb der Pylischen Ölrationenserie», SMEA, 27, 1989, p. 191234. 97 Ce nom est attesté en KN Fp 1.1. Interprétation grecque possible: *Deukivoio mhnov~. 98 Il s’agit d’un adjectif masculin au génitif singulier, *divFyo~ > di`o~. On trouve la mention di-wi-jo-jo me-no en KN Fp 5.1. 99 Ce nom de mois apparaît en KN Fp 6.1, 7.1, 15.1, 18.1, en association avec des quantités d’huile offertes, respectivement, à tous les dieux; au [sanctuaire?] du mont Dikté; à *56ti et à tous les dieux; à un sanctuaire ou une divinité dont le nom n’est pas conservé et à tous les dieux. L’interprétation grecque de ce terme est difficile. Les auteurs de Documents ont suggéré une analogie avec Klariwvn, nom de mois attesté à Ephèse (Documents1, p. 305). 100 Ce nom de mois est attesté à Cnossos, en Fp 13.1, à propos d’une offrande d’huile faite *47-ku-to-de (toponyme + allatif? indication de sanctuaire?), et à pi-pi-tu-na. On admet en général une interprétation grecque en Lavpato", que l’on relie à mhvno" Lapavtw dans une inscription d’Orchomène; cf. E. Schwyzer, Dialectorum Graecarum exempla epigraphica potiora, 1923, p. 667. Documents1, p. 305, 307, 578. M. Lejeune, «Prêtres et prêtresses dans les documents mycéniens», dans Mémoires II, p. 89. Selon J. L. Melena, «Reflexiones sobre los meses del calendario micenico de Cnoso y sobre la fecha de la caida del palacio», Emerita, 42, 1974, p. 96 sq., cela correspondrait au mois de mars; l’auteur établit également un parallèle avec le mois po-ro-wi-to-jo de Pylos, qu’il considère comme le mois de la reprise de la navigation. 101 Ce nom de mois apparaît en KN Fp 16.1 et 48.1. On trouve également une mention au génitif en Ga 953.1. On admet en général l’interprétation grecque *WordhvWio" de *Wordeuv", cf. rJodv on, la rose. Il s’agirait donc d’un «mois des roses». Cf. L. R. Palmer, Interpretation, 1969, p. 235 et p. 463; J.-L. Perpillou, Les substantifs grecs en -eu~, Paris, 1973, p. 36. J. L. Melena, «Reflexiones sobre los meses del calendario micenico de Cnoso y sobre la fecha de la caida del palacio», Emerita, 42, 1974, p. 93 et 97, propose une correspondance avec le mois athénien Metageitniwvn. 102 Ce nom de mois est attesté en PY Fr 1224. Il s’agit d’un adjectif ethnique dérivé du toponyme pa-ki-ja-ne; en combinaison avec a-ko-ro, cet adjectif forme une désignation toponymique; ici il constitue un nom de mois. F. Gschnitzer, «Vocabulaire et institutions: la continuité historique du deuxième millénaire», dans E. Risch, H. Mühlestein (éds.), Colloquium Mycenaeum. Actes du sixième colloque international sur les textes mycéniens et égéens tenu à Chaumont sur Neuchâtel du 7 au 13 septembre 1975, Neuchâtel - Genève, 1979, p. 116, l’interprète comme «le mois [de la grande fête célébrée à] pa-ki-ja-ne». 103 Ce dernier nom de mois apparaît en KN X 999. Cf. M. Lejeune, «Une nouvelle inscription mycénienne à Thèbes», dans Mémoires III, p. 26, n. 12; «Notes mycéniennes. V. Anthroponymes en – meno" », ibid., p. 37 ; et « Notes de morphologie mycénienne. II. Flexions thématique et athématique», ibid., p. 167, où il propose une interprétation en *Spannuovmeno", uel sim.
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
Le cas de Potnia et de ses épiclèses Après ce rapide tableau des mentions religieuses dans les textes mycéniens, je vais présenter avec plus de détails le cas du théonyme po-ti-ni-ja, qui est sans doute l’un des mieux documentés dans les tablettes, et qui est, en outre, attesté avec 5 épiclèses et 4 précisions toponymiques différentes. Chacune de ces épiclèses apparaît de une à trois fois dans l’ensemble de la documentation publiée, et n’apparaît que sur un seul site; ce dernier point n’est pas nécessairement significatif, puisque nous avons une documentation numériquement très réduite. Enfin la majorité des occurrences de Potnia ne comporte aucune précision – il s’agit en particulier de tous les textes où le théonyme est attesté indirectement, par le biais d’un adjectif possessif dérivé (po-ti-ni-ja-we-jo/-ja). a-ta-na-po-ti-ni-ja Cette mention apparaît à Cnossos, dans une série de documents classés V, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’idéogrammes. V 52104 n’indique aucun toponyme; a-tana-po-ti-ni-ja y est associée avec e-nu-wa-ri-jo, pa-ja-wo-ne et Poséidon. KN V 52 .1 a-ta-na-po-ti-ni-ja 1 u. [ .2 e-nu-wa-ri-jo 1 pa-ja-wo-ne 1 po-se-da[-o-ne lat. inf. _e-ri-nu-we,pe-r. o. ´
(-) ] vest.[
l.1 à Athéna, la Maîtresse ou à la Maîtresse d’Atana, 1 u[? l.2 à Enyalios, 1, à pa-ja-wo 1, à Poséidon[ lat. inf. _à e-ri-nu, pe-ro´105 La graphie mycénienne continue pour a-ta-na-po-ti-ni-ja ne permet pas de trancher entre deux hypothèses à première vue aussi plausibles l’une que l’autre: soit ata-na est un théonyme au datif106, correspondant à l’Athéna classique, auquel est apposé po-ti-ni-ja – et dans ce cas on peut traduire par «à Athéna, la Maîtresse»107 –, soit il s’agit d’une indication toponymique au génitif: à la Potnia d’Atana. S’il s’agit d’un toponyme, c’est là sa seule occurrence, dans l’état actuel de la documentation – ce n’est pas inhabituel pour des toponymes mycéniens, en particulier dans le domaine religieux (voir aussi ne-wo-pe-o).
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Pour la provenance de ce document et les discussions chronologiques, cf. supra. Les mentions portées entre crochets doubles indiquent des signes ou des mots effacés par le scribe, mais restés lisibles. 106 C’était l’hypothèse première de M. Ventris et J. Chadwick, cf. Documents2, p. 410: «the major omission from this section is the name of Potnia (cf. p. 126), which was treated as if always, as it certainly is once at Knossos, an epithet of Athena». 107 Toutefois on attendrait plutôt la mention du théonyme Athéna, si c’en est un, après l’épithète potnia, cf. Potnia Héra, etc. 105
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L. R. Palmer108 souligne que le parallèle avec les autres mentions de Potnia, comme da-pu2-ri-to-jo po-ti-ni-ja, ne-wo-pe-o po-ti-ni-ja, ou u-po-jo-po-ti-ni-ja, font pencher la balance en faveur d’une interprétation comme toponyme au génitif, et traduit par «The Lady of Atana», «La Dame d’Atana». S’il choisit l’hypothèse du toponyme, il distingue cependant la forme du toponyme classique Athenai, qui, lui, est normalement au pluriel109. po-ti-ni-ja a-si-wi-ja a-si-wi-ja est interprété comme un ethnique110 ou comme un toponyme au génitif («d’Asie»)111. Cette Potnia «asiatique» est attestée à Pylos (Fr 1206), avec une quantité d’huile parfumée (OLE+PA 5 V 4), qui est dite «à payer» (qe-te-o) [par le palais]. Il faut souligner qu’il s’agit d’une quantité importante, surtout par rapport à la moyenne des attributions ou des offrandes qui sont faites d’habitude, puisqu’on a ici pas moins de 150,4 litres d’huile 112 parfumée à la sauge (PA pour pa-ko-we, sfakovWen 113, de sfakov", la sauge). Il s’agit d’une tablette totalisatrice (to-so qe-te-jo), qui correspondait peut-être à plusieurs tablettes enregistrant des quantités moindres. Il est difficile d’évaluer ce que représentait cette quantité dans la mesure où nous ne possédons aucune indication de périodicité. PY Fr 1206 (S1202-H2 / Room 38) po-ti-ni-ja, a-si-wi-ja, to-so, qe-te-jo O. L. E. + PA 5 V 4 «Potnia asiatique /à Potnia asiatique, tant, à payer, HUILE à la sauge, 154,4 litres». po-ti-ni-ja i-qe-ja Nous avons également une Potnia (maîtresse) des chevaux; l’unique attestation est à Pylos, en An 1281. Il s’agit d’un enregistrement de personnel, dont l’intitulé est
108
L. R. Palmer, Interpretation, 1969, p. 239. Une identification avec Athenai, au pluriel, est néanmoins suggérée par J. Giulizio et alii, « Religion in the Room of the Chariot Tablets », dans Potnia, 2001, p. 453-461. Elle me paraît peu plausible, et en tout cas indémontrable. 110 J. Chadwick, «Potnia», Minos, 5, 1957, p. 125 sq. E. L. Bennett, Jr, The Olive Oil Tablets of Pylos. Texts of Inscriptions Found, 1955, Salamanque, 1958, p. 45. L. R. Palmer, « New Religious Texts from Pylos (1955)», TPhS, 1958, p. 1-35 et surtout p. 9. 111 On trouve aussi le masculin de cet adjectif ethnique, a-si-wi-jo, employé comme anthroponyme; on l’interprète unanimement comme [Asio" (de * [AsWio"). 112 On utilise, pour les conversions en litres, les équivalences suivantes; OLE 1 = 3 S = 18 V = 72 Z. OLE = 28,8 litres, S = 9,6 litres, V = 1,6 litres Z = 0,4 litres. Pour une étude complète du système de mesures mycénien, voir J. Chadwick, The Mycenaean World, 1976, p. 105106. 113 Il s’agit d’un adjectif en -Went-, qui désigne une variété d’huile. 109
345
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
cassé à gauche. Les hommes qui sont enregistrés (des ouvriers?) sont envoyés par le palais à certaines personnes (ou recensés avec la personne responsable ou leur lieu d’affectation), probablement pour effectuer un travail ponctuel. PY An 1281 .1 po-]ti-ni-ja, i-qe-ja .2 ]-mo, o-pi-e-de-i .3 a-ka, re-u-si-wo-qe VIR 2 .4 au-ke-i-ja-te-we _i-q. e. -j. a. V. I. R. ´ .5 o-na-se-u, ta-ni-ko-qe VIR 2 VIR 1 .6 me-ta-ka-wa, p. o. -so-ro .7 mi-jo-qa[ ]e-we-za-no VIR 1 .8 a- p. i. -e-r. a. $¸ to-ze-u .9 ]-a-ke-s. i. , po-ti-ni-ja, re-si-wo .10 au-ke-i-.j a. -t. e. -w. e. [ ]ro .11 mi-jo-qa, ma-ra-si-jo[ ] .12 me-ta-ka-wa , ti-ta-ra-[ ] .13 a-pi-e-ra, r. u. -k. o. -ro .14-15 uacant
(H12-Room 99)
VIR 1 VIR 1 VIR 1 VIR 1 VIR 1 VIR 1
l.1 Potnia des chevaux ou à la Potnia des chevaux l.2 ]-mo, dans sa demeure114 l.3 a-ka (anthr.), et re-u-si-wo 2 HOMMES l.4 à au-ke-i-ja-te-u _i-qe-ja HOMME´ l.5 o-na-se-u et ta-ni-ko 2 HOMMES l.6 à me-ta-ka-wa (anthr. fém.), po-so-ro 1 HOMME l.7 à mi-jo-qa (anthr. fém.), ]e-we-za-no 1 HOMME l.8 à a-pi-e-ra (anthr. fém.), to-ze-u 1 HOMME l.9 [dans la localité de ]-a-ke-si (peut-être po-ti]-a-ke-si), à (?) Potnia, re-si-wo 1 HOMME l.10 à au-ke-i-ja-te-u, ]ro 1 HOMME l.11 à mi-jo-qa (anthr. fém.), ma-ra-si-jo 1 HOMME l.12 à me-ta-ka-wa (anthr. fém.), ti-ta-ra-[ ] 1 HOMME l.13 à a-pi-e-ra, ru-ko-ro 1 HOMME Chaque rubrique de ce document enregistre un ou deux hommes, au maximum, qui sont nommés. L’intitulé comporte une mention de Potnia i-qe-ja, qui reste énigmatique en raison de la cassure (cf. supra).
114
346
o-pi-e-de-i: préposition opi; cf to; e{do", le siège, la demeure.
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
si-to-po-ti-ni-ja Il s’agit d’une Potnia des céréales. Cette mention est attestée à Mycènes 115. La graphie mycénienne peut s’interpréter soit comme Sitwv Povtnia, soit comme sitw'n Povtnia; elle ne permet pas de trancher entre les deux hypothèses. Oi 701 .1 .2 .3 .4 .5 .6 .7 .8 l.3 l.4 l.5 l.6 l.7
Nauplio M. 13855 sup. mut. uestigia[ uacat [ si-to-po-ti-ni-ja *190 [ po-ro-po-i *190 10 ka-na-pe-u-si *190 6 [• •]-ta do-ke-ko-o-ke-ne *190 5 [ku-wa-]no-wo-ko-i *190 2 inf. mut.
(63)
à Sitopotinija X unités de *190 aux devins116 10 unités de *190 aux foulons 6 unités de *190 (à) ]-ta (anthr.) ko-o-ke-ne117 a donné 5 unités de *190 aux travailleurs de kuwano 2 unités de *190.
L’idéogramme *190 est une variante de l’idéogramme *134118. Ce produit est attesté à Cnossos, Thèbes, et peut-être à Tirynthe; il est à la fois collecté et redistribué. Généralement il est compté par unités, mais parfois aussi mesuré en unités fractionnaires de denrées liquides (S = 9,6 l.). L’idéogramme *190 suivi d’un chiffre pourrait simplement se référer à l’unité supérieure de mesure liquide (soit 28,8 l), ou bien représenter le contenu d’un récipient standardisé.
115
C. Boëlle, «Po-ti-ni-ja à Mycènes», Minos, 27-28, 1992-1993 (1995), p. 283-301. Du même auteur, voir aussi «Potnia: unité ou pluralité?», dans POTNIA, p. 403-409. Récemment, L. Godart et A. Sacconi ont également proposé, sur la base des nouveaux textes de Thèbes, une assimilation entre si-to et ma-ka, cf. L. Godart, A. Sacconi, «Tebe, Demetra ed Eleusi», dans A. Angeli Bernardini (éd.), Presenza e funzione della città di Tebe nella cultura greca. Atti del convegno internazionale, Urbino 7-9 luglio 1997, Rome - Pise, 2000, p. 17-26. 116 *propoi'hi, datif pluriel de *provpo". 117 Cet anthroponyme, qui peut être interprété comme Koogenès, «celui qui est né à Cos », serait le sujet du verbe do-ke et la syllabe ]-ta serait le seul reste d’un anthroponyme au datif, qui serait le destinataire du produit *190. 118 P. Ilievski, «Some observations on Mycenaean epigraphy», Klio, 50, 1968, p. 39-52 et surtout p. 47. Voir aussi C. Piteros, J.-P. Olivier, J. L. Melena, «Les inscriptions en linéaire B des nodules de Thèbes (1982): la fouille, les documents, les possibilités d’interprétation», BCH, 114, 1990, p. 163-166. Il a d’ailleurs été décidé au récent colloque mycénologique d’Austin (mai 2000) de ne plus distinguer les deux signes dans les futures éditions de textes.
347
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
L’interprétation de l’idéogramme est discutée. P. Ilievski y voit de la graisse, lipos (à cause du syllabogramme ri au verso de MY Go 610119); J. Chadwick y voyait du lait; cette identification est peu probable pour des raisons pratiques: le lait est une denrée périssable à très court terme, et donc peu susceptible de stockage prolongé sous sa forme liquide. M. S. Ruipérez et J. L. Melena y voient du sel, soit sous forme solide, soit sous forme de saumure. J. T. Killen l’interprète comme un produit alimentaire, sans précision. Il pourrait, en somme, s’agir d’à peu près n’importe quel produit alimentaire utilisable à des fins industrielles, sans que l’on puisse, dans l’état actuel de la documentation, apporter plus de précisions. Ce devait être un produit d’usage assez courant, puisqu’il était distribué non seulement à des divinités mais aussi à des artisans et à des personnels religieux. A Mycènes, les textes attestent à la fois si-to-po-ti-ni-ja et po-ti-ni-ja sans précision120. Etant donné que les textes de Mycènes sont très courts, souvent fragmentaires, et que dans ce cas précis, les mentions sont de la main du même scribe (64), il semble possible de supposer que nous possédons la trace, à Mycènes, à la fois de sito-po-ti-ni-ja, Potnia des céréales, et de po-ti-ni-ja, les deux pouvant être des divinités distinctes121. La question de si-to-po-ti-ni-ja devient plus compliquée depuis la découverte des nouveaux textes de Thèbes, dans lesquels on trouve à plusieurs reprises un mot si-to, qui est interprété par les éditeurs comme le nom d’une déesse Sito, rapproché de si-to-po-ti-ni-ja, et inclus dans la discussion à propos des déesses ma-ka, te-i-ja mate-re et de la question du nom de Déméter122. Il faut souligner ici que l’interprétation
119
→ v.
Go 610 .0 .1 .2 .3 .4 .5-7
NMA 7705 (57) uacat me-ta-je-wa *190 S 2 a-ko-ro-ta *190 S 2 ka-sa-to *190 S 1 pu-i-re-wi *190 S 1 uacant reliqua pars sine regulis
ri l.1 à me-ta-je-wa l.2 à a-ko-ro-ta l.3 à Xanthos (anthr.) l.4 à pu-i-re-wi
*190 *190 *190 *190
19,2 litres 19,2 litres 9,6 litres 9,6 litres.
verso: ri (abréviation pour /lipos/??) Cf. infra. 121 Cf. C. Boëlle, «Potnia: unité ou pluralité?», dans POTNIA, p. 409. L’auteur proposait déjà cette conclusion dans une étude antérieure, voir C. Boëlle, «Po-ti-ni-ja à Mycènes», Minos, 27-28, 1992-1993, p. 283-301. Contra, voir L. Godart, «La terre mère et le monde égéen », in POTNIA, p. 463-466. 122 Il est impossible de faire plus, dans le cadre de cet article, qu’une présentation rapide des nouveaux textes; les problèmes compliqués soulevés par ces nouveaux documents seront abordés dans une étude ultérieure, ainsi que dans un compte-rendu de l’édition des nouvelles tablettes de Thèbes, à paraître dans la revue TOPOI. 120
348
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
systématique de si-to comme théonyme a été récemment critiquée123. Le mot si-to apparaît dans les nouveaux documents thébains en Av 100.2.3, Av 101.6b; Ft 219.1, Ft 220[+]248.1. La tablette Av 100 enregistre, dans sa première partie, des quantités de blé qui sont distribuées/données en offrande: TH Av 100
(304) supra mutila
.1 .2 .3 a] .4b .5
] uestigia ], po-te-we, si-to, ku-na-ki-si GRA 2 V 2 Z 2 ]so, si-to GRA 3 VIR 1 MUL 1 ]no pa-ro, zo-wa, e-re-u-te-ri ] wi-ri-ne-u VIR 1
Les éditeurs des nouveaux textes proposent pour les deux premières lignes la traduction suivante: «.2 .3 .4 .5
pour Potewe, pour Sito, pour les chasseresses BLE 196 l. ]so? pour Sito BLE 288 l.124 ]no, 1 HOMME chez zo-wa, e-re-u-te125 1 FEMME wi-ri-ne-u 1 HOMME».
Pour ku-na-ki-si, dat. pl. fém.126, l’interprétation /kunagissi/, «aux chasseresses », est possible, mais on peut aussi suggérer /gunaiksi/, «aux femmes»127. Dans ce cas on traduirait «pour *po-te-u, pour si-to, pour les femmes, etc.». Cette interprétation est plus simple et sans doute préférable (on connaît dans les textes mycéniens d’assez nombreuses mentions de femmes désignées par des noms de métier recevant des allocations de denrées alimentaires; il est parfaitement possible d’envisager le même type d’enregistrement sans précision professionnelle). A la ligne 2, la position du mot si-to entre les deux datifs po-te-we et ku-na-kisi peut à la rigueur soulever un doute sur la nature du terme: l’interprétation comme
123
Cf. S. Jalkotzy, St. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse, et en particulier la communication de T. G. Palaima, «*FAR? or ju? and other interpretative conundra in the new Thebes tablets». 124 V. Aravantinos et al., Thèbes. Fouilles de la Cadmée, 2001 (2002), p. 166. Ici l’interprétation de si-to comme théonyme est très contestable, cf. infra. 125 e-re-u-te-ri est un datif de *e-re-u-te ; il s’agit d’un titre ou d’un nom de métier, peut-être *ejreuthvr, «inspecteur»? Cf. F. Aura Jorro, Diccionario, p. 243, s. v. e-re-u-te-re. Le mot est attesté aussi à Pylos, en Cn 3.2, et en Wa 917.2. 126 Au datif masculin pluriel, on aurait une forme ku-na-ke-ta-i, qui est attestée en PY Na 248. 127 Cette possibilité apparaît également dans l’édition, cf. p. 167.
349
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
substantif, si'to", semble plus difficile, du fait que si-to est intercalé entre deux autres datifs. Néanmoins, à mes yeux, l’inscription portée sur la ligne 3 s’inscrit parfaitement dans la ligne des autres attestations du mot si-to dans les textes en linéaire B: il s’agit du mot si'to", qui désigne le blé et sert de description à l’idéogramme GRA. On traduit sans hésitation la ligne 3 de la façon suivante: «à/pour ]so, blé, 3 unités (soit 288 litres)». La tablette de Mycènes Au 658 offre un parallèle exact: MY Au 658 .0 supra mutila .1 ]r. a. -si-jo VIR[ .2 ]-ri-jo VIR 1?[ .3 uacat [ .4 to-so VIR 20 si-to .5 uacat [
Nauplio M. 13849 (62)
GRA 4 [
Après un enregistrement de personnel (idéogramme VIR à la fin de chaque ligne), la ligne 4 récapitule le nombre d’hommes et la quantité de blé enregistrée: « tant d’HOMMES, 20, BLÉ, 4 unités (soit 384 l)». Il me semble cohérent, pour l’interprétation de Av 100, d’interpréter le terme si-to de la même façon dans ses deux occurrences, étant donné que l’idéogramme de la ligne 2 est également GRA (il s’agit aussi d’une attribution de blé, à un nommé pote-u et à des chasseresses ou à des femmes128). Le mot si-to apparaît aussi en TH Av 101: TH Av 101 .1 ]uest.[ .2 ]d. a. -r. o. VIR 1 uest.[ .3 ]p. o. -me-ne VIR 2 d. a. [ .4 ]a-ko-da-mo VIR 3 T 6 V. [ .5 ]V. 2 ma-di-je T 6 V 4 ko-ru-we T 2[ .a ] ku-su-to-ro-qa si-t. o. to-pa-po-r. o. -i. [ .6b ]-t. e.
(304)
⎣⎦
l.2 l.3 l.4
128
]da-ro /à ]da-ro ]au berger/ les bergers ]a-ko-da-mo / à a-ko-da-mo 129
1 HOMME 2 HOMMES da-[? 3 HOMMES 59,2+l[
[
Cf. supra. Pour l’interprétation de a-ko-da-mo / a-ko-ro-da-mo, différentes possibilités ont été récemment suggérées : Argodamos ou Argrodamos, mais aussi Akrodamos, cf. J. L. García Ramón, «Zur Onomastik der neuen Linear B Texte aus Theben», dans S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse. 129
350
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
l.5 l.6a l.6b
] 3,2 l, à ma-di
64 l
]-te (?)
blé
à ko-ru 19,2 l[ total de nourriture/ total aux porteurs de torches[
La ligne 6 est cassée à gauche et à droite; elle ne conserve donc pas d’idéogramme, mais on devait sans doute trouver GRA et un décompte. Le mot ku-su-to-roqa, l. 6a, est interprété par les éditeurs comme xuntrofhv et traduit par « total de nourriture». Il est sans doute plus simple de traduire par «grand total». Au début de 6b, il ne reste que la dernière syllabe d’un mot; si-to est lisible, quoique les signes soient abîmés, et to-pa-po-ro-i est interprété comme un datif pluriel, «aux porteurs de torches». J’inclinerais à penser que si-to désigne de nouveau le blé, et que c’est ce en quoi consiste le «total» annoncé précédemment, d’autant que les métrogrammes utilisés (T et V) sont des subdivisions utilisées pour l’unité de mesure de grains, GRA. TH Ft 219 .1 ka-pa,. s. i. -t. o. , ko-ro-qe[ .2 a-ko-da-mo V 2 ka-si[
(311)
«l.1 le récipient (à offrandes)/pour le récipient à offrandes, Sito (ou le blé?) / à Sito (au blé?), et le porc /et au porc [130 l.2 a-ko-da-mo ou à a-ko-da-mo, 3,2 l, aux oies[». Ce document soulève une série de difficultés d’interprétation131 :
130 Le fait que ka-si, à la ligne 2, soit indubitablement un datif pluriel rend l’hypothèse des nominatifs de rubrique pour les autres destinataires moins vraisemblable. Néanmoins elle ne peut pas être totalement exclue, car il arrive que les scribes mycéniens passent de l’un à l’autre. 131 Les éditeurs proposent la traduction suivante (p. 270-271): «l.1 pour le récipient à offrandes, pour Sito (?), et pour le porc[; l.2: pour le rassembleur de fidèles, 3,2 l., pour les oies[ ». Pour l’interprétation d’a-ko-da-mo/a-ko-ro-da-mo-jo comme «rassembleur des fidèles», cf. édition, p. 170 sq. Toutefois, il faut, pour identifier les deux mots, supposer qu’a-ko-da-mo est une haplographie pour a-ko-ro-da-mo, ce qui est possible, mais pas absolument certain. Dans le cas de Ft 219, quelle que soit l’hypothèse retenue, l’interprétation comme anthroponyme paraît plus prudente. En ce qui concerne a-ko-ro-da-mo il s’agit indéniablement d’un composé formé sur damo, da'mo", le peuple. L. Godart, critiquant l’interprétation du premier terme, a-ko-ro, par ajgrov", «le champ», «le territoire», prenait parti dès 1992 (voir L. Godart, «Les collecteurs dans le monde égéen», dans J.-P. Olivier (éd.), MYKENAÏKA. Actes du IXe Colloque international sur les textes mycéniens et égéens organisé par le Centre de l’Antiquité Grecque et Romaine de la Fondation Hellénique des Recherches Scientifiques et l’Ecole française d’Athènes (Athènes, 2-6 octobre 1990) (BCH suppl. 25), 1992, p. 257-283) en faveur d’un rapprochement avec a[goro" et veut faire du terme a-ko-ro-da-mo le titre d’un fonctionnaire chargé de «rassembler le peuple». Les éditeurs considèrent ensuite que le contexte religieux des nouveaux textes suggère que ce «rassembleur du damos» agissait dans les sanctuaires et qu’il était une sorte de desservant. Il a récemment été montré au colloque de Vienne que l’interprétation de a-ko-ro-da-mo par un composé
351
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
– le terme ka-pa, tout d’abord, apparaît aussi à Cnossos, en E 71 (ka-pa GRA[), où il a été interprété comme un toponyme132. Mais son interprétation fait surtout difficulté à Pylos, en Un 138.5: .5 me-za-wo-ni HORD 4 T 8 V 1 ka-pa OLIV 7 Etant donné que ka-pa précède immédiatement l’idéogramme de l’olive, et qu’on trouve à la ligne 2 de la même tablette le même idéogramme, précédé de po-qa (po-qa OLIV 4 T 3 V 5), on a pensé à deux qualités d’olives différentes, les unes à manger (po-qa, cf. forbhv), les autres à presser (ka-pa, cf. skavfh 133). On traduisait donc par «à me-za-wo-ni, ORGE 362,4 l.; OLIVES à presser, 672 l». Les éditeurs des nouveaux textes proposent une interprétation non comme description des olives, mais comme désignation d’un récipient que, dans un contexte religieux, ils proposent de considérer comme un «récipient à offrande» qui pourrait contenir, par conséquent, différents types de denrées134. Dans le cas de Un 138, en tout cas, cette interprétation de ka-pa comme récipient à offrandes rend la traduction beaucoup plus délicate, et paraît somme toute moins plausible. L’interprétation de ka-pa comme «récipient à offrandes» a été récemment critiquée au profit d’une interprétation comme pluriel à fonction collective de karpos; le terme désignerait donc simplement des fruits135. Cette interprétation serait cohérente dans le contexte qui nous intéresse (allocations d’olives, de céréales). – En Ft 219, une coordination est établie entre si-to et ko-ro par la particule -qe. Le mot ko-ro est interprété comme coi'ro", le porc. Les éditeurs considèrent que tous les termes sont au datif et traduisent par « pour le récipient à offrandes, pour Sito, pour le porc ». Mais il ne reste rien de ce qui pouvait être inscrit à l’extrémité droite de la tablette. Le contexte est donc relativement réduit. L’interprétation de la tablette est difficile. Les éditeurs argumentent en faveur de l’hypothèse de la déesse Sito en rappelant les rites éleusiniens, qui incluent le sacrifice d’un porc. Toutefois, dans les rites
de ajgeivrw et de da'mo" est impossible car on aurait dans ce cas soit une forme *a-ke-re-da-mo, soit une forme *da-ma-ko-ro, cf. T. G. Palaima, «*FAR? or ju? and other interpretative conundra in the new Thebes tablets», dans S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse. 132 Cf. Documents2, p. 550; J. T. Killen, J.-P. Olivier, «388 raccords de fragments dans les tablettes de Cnossos», dans L. R. Palmer, J. Chadwick (éds.), Proceedings of the Cambridge Colloquium on Mycenaean Studies (1965), Cambridge, 1966, p. 83. C. J. Ruijgh, Etudes, 1967, p. 227. 133 Cf. Documents1, p. 221: «ka-pa: the name of a different kind of olive; connected with skavfh, “trough”, i. e. for pressing?». 134 Cf. V. Aravantinos, L. Godart, A. Sacconi, Thèbes. Fouilles de la Cadmée. I. 2001 (2002), p. 264-265. 135 M. Meier-Brügger, «ka-pa und ka-po», dans S. Jalkotzy, S. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse.
352
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
éleusiniens, le porcelet offert par les mystes constitue une offrande, tandis que le porc, dans notre documentation, est indiqué au datif, en position de récipiendaire de différentes allocations. En ce qui concerne la denrée distribuée, il s’agit probablement d’olives, car Ft 219 est également de la main du scribe 311, qui n’a rédigé que des tablettes Ft. De plus, en tant que destinataires, ka-pa, si-to, ko-ro et a-ko-da-mo sont fréquemment associés à des olives. TH Ft 220[+]248 ]V. 2. .1 ka-pa / si-to OLIV T 3 V 4 // ko-ro T. [ .2 a-ko-da-mo V 4 ka-si te-de-ne-o OLIV T 1
(311)
⎣⎦
Ce document est plus difficile à interpréter car si-to y est directement suivi de l’idéogramme OLIV et des chiffres (sauf si l’on envisage un sens générique de sitos comme «nourriture»); de plus ko-ro est suivi de deux métrogrammes. Il est de nouveau difficile de proposer une traduction: ka-pa, si-to et ko-ro peuvent être des datifs ou des nominatifs de rubriques. A la ligne 2, a-ko-da-mo est un anthroponyme, ka-si, au datif pluriel, désigne des oies, et te-de-ne-o serait un anthroponyme masculin au génitif. Les éditeurs traduisent: «pour le récipient à offrandes, pour Sito, OLIVES 35,2 l, pour le porc, ]12,6[ l. Pour le rassembleur de fidèles, 6,4 l. Pour les oies de Tedeneo, OLIVES 9,6 l». Chacun des mots de cette tablette soulève une série de problèmes pour l’instant non résolus136. Pour terminer ce rapide tour d’horizon des nouveaux textes mentionnant si-to, on trouve le mot également sur un document très lacunaire, Fq 224, qui ne permet pas de tirer de conclusions: TH Fq 224 .1 .2 re[ .3 po-[ .4 s. i. -t. o. [ .5 inf. mut.
(310) uac.[
Les attestations du mot si-to dans les nouveaux textes sont très délicates à interpréter, comme le soulignent les éditeurs dans leur commentaire (où le mot, traduit comme théonyme, est prudemment affecté d’un point d’interrogation). En Fq 224, il est impossible de se prononcer; en Av 100 et 101, il s’agit plutôt, à mon avis, du mot pour le blé, qui précise le sens d’un idéogramme. En Ft 220, une traduction comme
136 Cf. J. T. Killen, «Thoughts on the functions of the new Thebes tablets», dans S. Jalkotzy, St. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse.
353
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
théonyme ne paraît pas impossible, mais reste extrêmement hypothétique. D’une manière générale, en dépit des difficultés de traduction, il semble préférable de s’en tenir à une seule traduction pour le même terme, et l’interprétation de sitos par « blé », « céréales », «nourriture», paraît plus simple que celle d’un théonyme. u-po-jo-po-ti-ni-ja Le premier problème, en ce qui concerne ce terme, est de savoir s’il désigne une Potnia du tissage (*uJfoio Povtnia, de u|fo", masc. correspondant au neutre u|fo" et au féminin uJfhv) ou d’une Potnia du monde souterrain (hupoion Potnia, de uJpwvÛon, monde souterrain). Ces deux hypothèses ont été critiquées car elles présentent des difficultés d’ordre philologique137. Il pourrait également s’agir, tout simplement, d’un toponyme au génitif précisant l’origine de la déesse ou l’endroit où elle était vénérée dans ce cas particulier. Le contexte de Fr 1225, où apparaît cette u-po-jo po-ti-ni-ja, a été interprété en faveur d’une Potnia du tissage: Fr 1225 .1 .2
(S1217-Cii /Room 23) e-ra3-wo, u-po-jo, po-ti-ni-ja we-a2-no-i, a-ro-pa OLE+A S 1 l.1 huile, à u-po-jo Potnia l.2 pour les vêtements, onguent, 9,6 litres d’HUILE pour onction138.
we-a2-no-i est une forme de datif masculin pluriel, de *Wehanov", vêtement. En Un 1322.4, on a une autre mention de ce terme, qui est utilisé pour décrire l’idéogramme *146, qui représente clairement un vêtement 139. Dans tous les autres textes, il est question d’offrandes (orge, figues, huile pour onctions, huile parfumée à la sauge) qui sont faites sans aucune distinction à toutes les divinités attestées dans les textes en linéaire B. Fn 187 .8 u-po-jo-po-ti-ni-ja
HORD T 5.
l.8 à la Potnia du tissage/du monde souterrain de FIGUES.
137
(H2) NI T 4 48 litres d’ORGE, 38,4 litres
Cf. J. Chadwick, «Potnia», Minos, 5, 1957, p. 129-147, et surtout p. 118. Plus récemment, cf. C. Boëlle, «Potnia: unité ou pluralité?», dans POTNIA, p. 406-407. 138 OLE + A, pour a[leifar, l’onguent, d’où l’interprétation par «huile pour onction». 139 A propos de cet idéogramme, voir M.-L. B. Nosch, M. Perna, «Cloth in the Cult», dans POTNIA, p. 471-477. La forme ressemble à celle d’un vêtement avec une encolure; le bas de l’idéogramme indique clairement les franges qui se retrouvent dans plusieurs autres idéogrammes de tissus. Enfin le signe WE est utilisé comme endogramme.
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LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
Fr 1236 (S 1202-H2 / Room 23) .1 pa-ki-ja-ni-jo, a-ko-ro, u-po-jo, po-ti-ni-ja OLE+PA S1 V1 .2 uacat l.1 à pa-ki-ja-ni-jo a-ko-ro, à la Potnia du tissage/du monde souterrain, 11,2 litres d’HUILE parfumée à la sauge. Notons pour finir la proposition de C. Boëlle, qui rattache u-po-jo-po-ti-ni-ja au sanctuaire de Pakijana140, dont Potnia était la grande divinité. Potnia avec des précisions topographiques Nous possédons des mentions de po-ti-ni-ja avec quatre précisions d’ordre topographique différentes. ]-a-ke-si po-ti-ni-ja Il n’existe qu’une mention de ce type, à Pylos, en An 1281.9. Comme il s’agit d’un enregistrement de personnel, il est impossible de donner plus de précisions: An 1281 l.1 l.2 l.3 l.4 l.5 l.6 l.7 l.8 l.9 l.10 l.11
] à la/de la Potnia des chevaux ]-mo, dans sa demeure a-ka et re-u-si-wo 2 HOMMES à *au-ke-i-ja-te-u _i-q. e. -.j a. H. O. M . M . E .´ o-na-se-u et ta-ni-ko 2 HOMMES à me-ta-ka-wa 141, po-so-ro 1 HOMME à mi-jo-qa 142, ]e-we-za-no 1 HOMME à a-pi-e-ra 143, to-ze-u 1 HOMME à ]a-ke-si po-ti-ni-ja, re-si-wo 1 HOMME à *au-ke-i-ja-te-u, ]-ro 1 HOMME à mi-jo-qa, ma-ra-si-jo 1 HOMME
140
C. Boëlle, «Potnia: unité ou pluralité?», dans POTNIA, p. 406-408, qui conclut «il y aurait donc à Pa-ki-ja-ne non seulement le grand sanctuaire de po-ti-ni-ja, auquel sont rattachées des divinités mineures qui apparaissent en PY Tn 316, mais aussi un sanctuaire plus spécifique d’u-po-jo-po-ti-ni-ja (ce qui ne nous permet toujours pas de dire s’il s’agissait de déesses distinctes dans la mesure où il est possible que la même divinité soit honorée au même endroit sous deux aspects différents) et un sanctuaire de Poséidon, représenté ici par une collectivité de prêtres, les po-si-da-je-u-si». 141 Anthroponyme féminin au datif, peut-être *MetakavlWa, cf. C. J. Ruijgh, Etudes, Amsterdam, 1967, p. 255 et n. 106. 142 Anthroponyme féminin au datif. 143 Anthroponyme féminin au datif, peut-être *Amfi-hhvra, équivalent de aJmfivpolo" {Hra", cf. jAmfiqevh. Voir à ce propos C. J. Ruijgh, Etudes, Amsterdam, 1967, p. 255, n. 106, et O. Landau, Mykenisch-griechische Personennamen, Göteborg, 1958, p. 25, 159 et 212.
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
l.12 l.13
à me-ta-ka-wa, ti-ta-ra-[ à a-pi-e-ra, ru-ko-ro
1 HOMME 1 HOMME
Chaque rubrique de ce document enregistre un ou deux hommes, au maximum, qui sont nommés. L’intitulé comporte une mention de Potnia i-qe-ja, qui reste énigmatique en raison de la cassure (cf. supra). da-pu2-ri-to-jo po-ti-ni-ja La première partie de ce composé est en général interprétée comme un toponyme au génitif, de labuvrinqo", avec D pour L et PU2 pour BU144 ; d’où une traduction par «Potnia du Labyrinthe»145. On a émis l’hypothèse selon laquelle il pourrait s’agir d’une déesse protectrice du palais de Cnossos. Cela reste impossible à démontrer avec certitude dans l’état actuel de la documentation. Cette épithète est attestée à Cnossos: KN Gg (1) 702 (103) .1 pa-si-te-o-i / me-ri *209VAS 1 .2 da-pu2-ri-to-jo, / po-ti-ni-ja ‘me-ri’ *209VAS 1 l.1 l.2
à tous les dieux 1 vase de miel à Potnia du Labyrinthe, ou à Potnia de Daphyrinthos, 1 vase de miel.
Le terme *da-pu2-ri-to est interprété comme une indication toponymique. Ici, il y a un changement dans la taille des caractères après le diviseur: po-ti-ni-ja est inscrit en caractères plus petits que da-pu2-ri-to-jo. Cela pourrait être interprété comme un argument en faveur d’un toponyme plutôt que d’une épithète. En l’absence d’autres attestations, il est impossible de trancher. KN Oa 745 (-) .1 a-ka-[ ]-jo-jo, me-n. o. [ .2 da- pu2-r. i. [-to-jo ]po-ti-ni-ja ri *166+WE 2. 2. [ l.1 a-ka-[ ] au mois de??[ l.2 à Potnia du Labyrinthe/à Potnia de Daphyrinthos, ou : Potnia du Labyrinthe/Potnia de Daphyrinthos146, 22 pièces de tissu wehanos en lin.
144 J. Chadwick, «Potnia», Minos, 5, 1957, p. 117; Documents1, p. 310; L. R. Palmer, Interpretation, 1969, p. 412. M. Lejeune, «Coup d’oeil sur le système graphique», dans Mémoires I, p. 327 sq.; «Hom. eüktiton aipu et les tablettes de Pylos», dans Mémoires II, p. 351; «Doublets et complexes», dans Mémoires III, p. 95, n. 11 et p. 95 sq., où l’auteur envisage également la possibilité d’une interprétation comme *Dafuvrinqo". 145 L. Godart, «Il labirinto e la Potnia nei testi micenei», Rendiconti dell’Accademia di archeologia lettere e belle arti (Napoli), 50, 1975, p. 141-152. 146 La graphie mycénienne ne permet pas ici de trancher entre un datif singulier et un nominatif de rubrique. Toutefois, cela ne change en rien, dans ce cas précis, la traduction du document.
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LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
La structure de l’enregistrement, avec un nom de mois à la fin de la première ligne (]-jo-jo me-no), indique une offrande ou une livraison faite à une divinité, ce qui est confirmé par la mention de po-ti-ni-ja en fin de deuxième ligne, avant l’idéogramme. Cet idéogramme représente une catégorie de tissu en lin (ri pour ri-no, livnon), qualifiée de /wehanos/147. e-re-wi-jo-po-ti-ni-ja La première partie de ce terme est obscure; les auteurs de Documents148 proposent de l’interpréter comme le génitif pluriel d’un toponyme (qui n’est pas attesté par ailleurs). L. R. Palmer149 essaie d’en faire un composé se rapportant à un nom de fête consacrée à la déesse Héra * JErhWivwn. Il est sans doute plus simple et plus sûr de considérer que nous avons affaire à la Potnia adorée dans un endroit particulier, ou que les offrandes sont faites à Potnia, dans un lieu de culte situé à cet endroit. Les séries à préfixe V sont caractérisées par l’absence d’idéogramme, ce qui rend leur interprétation particulièrement délicate. PY Vn 48.3 .1 uestigia .2 ki-ka-ne-wi-jo-de 3 ma-so-[ .3 t. o. [ ]-ja-[ ]1, e-re-wi-jo-po-ti-ni-ja 1 .4 ]-ra-si-ne-wi-ja 1 k. i. -wo-na-de 1 .5 ]-s. e. -ja 1 tu-ra-te-u-si 2 .6 ]wo-no-wa-t. i. -si 2 .7 ]t. a. 6 ka-ra-wi-po-ro 5
(Ci)
l.2 à [destination de] ki-ka-ne-wi-jo, 3, à ma-so-[? l.3 à to-[ ]-ja-[ ] 1, à la Potnia d’Erewiôn, 1 l.4 à ]-ra-si-ne-wi-ja, 1, à [destination de] ki-wo-na, 1 l.5 à ]-se-ja, 1, aux tu-ra-te-u-si (portiers?)150, 2 l.6 aux (femmes) wo-no-wa-ti-si151 ou aux femmes d’Oinoé, 2 l.7 ]ta 6, [à] la porteuse de clés, 5
147
Pour plus de précisions voir M.-L. B. Nosch, M. Perna, «Cloth in the Cult», dans POTNIA, p. 471-477, et F. Rougemont, «Flax and Linen Textiles in the Mycenaean Palatial Economy», dans Ancient Textiles. Production, Craft and Society. Conference, Copenhagen (Denmark)/Lund (Sweden), March 19-23, 2003, à paraître. 148 Documents2, p. 545. 149 L. R. Palmer, Interpretation (1969), p. 419. 150 Il s’agit d’un nom de fonction en -eu", dont l’interprétation est discutée: *Qura-teuv", cf. Quvrhteu", quvra, la porte? Sur les noms en -eu", cf. J.-L. Perpillou, Les substantifs grecs en -eu", Paris, 1973. 151 L’interprétation de wo-no-wa-ti-si est discutée; il s’agit d’un datif; ce pourrait être soit un nom de métier ou un titre en relation avec le vin, oi\no" (Woino") au datif fém. pl., soit un adjectif ethnique féminin, WoinoWa'ti", lié à un toponyme Oijnovh. Pour cette dernière interprétation, voir par ex. F. Gschnitzer, «Zur Geschichte des Systems der griechischen Ethnika», dans A. Heubeck, G. Neumann (éds.), Res Mycenaeae. Akten des VII. internationalen Mykenologischen Colloquiums in Nürnberg vom 6.-10. April 1981, Göttingen, 1983, p. 146 sq.: «Zu den
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
ne-wo-pe-o po-ti-ni-ja Cette mention apparaît une seule fois, à Pylos, dans un enregistrement de bétail. Cc 665 ne-wo-pe-o, po-ti-ni-ja OVISm 100 SUS 190 «Potnia de Newopeo / à Potnia de N. / appartenant à Potnia de N.152, 100 béliers, 190 porcs». ne-wo-pe-o apparaît dans trois autres documents, où il s’agit clairement d’un toponyme153. Ces trois documents sont des enregistrements de personnel (des femmes enregistrées avec des enfants, et dans le dernier cas, des hommes avec des enfants également). Etant donné que les enregistrements de personnel sont liés au travail artisanal (industrie textile et autres domaines)154, nous sommes ici dans un contexte purement économique, qui ne nous fournit aucune indication susceptible d’éclairer la personnalité divine de Potnia. po-ti-ni-ja sans précision
Attestations directes: à plusieurs reprises, on trouve simplement le théonyme Potnia, sans aucune épithète: en PY Tn 316.3 155 et en TH Of 36.2. L’intérêt particulier de deux de ces attestations de Potnia est que le théonyme apparaît en combinaison avec d’autres mentions religieuses, peut-être des titres cultuels, qui semblent se juxtaposer. Ainsi en PY Fr 1231 Potnia apparaît en combinaison avec di-pi-si-jo-i et en PY Fr 1235, en combinaison avec wa-na-so-i. Enfin trois documents plus ou moins mal conservés mentionnent Potnia, mais sont trop mutilés pour qu’on puisse être sûr qu’il n’y avait pas
fachsprachlichen Ausdrücken, wie die Namen der Truppengattungen, gehören auch wohl einige Feminina, deren Bedeutung sich aus dem jeweiligen Zusammenhang leider nicht mit hinlänglicher Deutlichkeit ergibt. Hier ist zunächst wo-no-wa-ti-si (dat. pl.) Vn 48.6; Xa 1419 v.2, zu nennen, falls es als Ethnikon auf /-atis/ zum Ortsnamen /*Woinowa/ Oijnwvh gehören sollte». 152 Ici la graphie mycénienne ne permet pas de distinguer le datif sg. du génitif sg. ni du nominatif sg. 153 En PY Aa 786, Ab 554, Ad 688. J. Chadwick, «Potnia», Minos, 5, 1957, p. 118, considère que les attestations de ne-wo-pe-o en Ad 688, dans la formule ne-wo-pe-o ko-wo, feraient pencher la balance en faveur d’une interprétation de ce mot comme terme descriptif concernant les femmes (cf. Ad 295, avec ri-ne-ja-o ko-wo, les garçons fils des ouvrières spécialisées dans le travail du lin, ou Ad 357, ne-we-wi-ja-o ko-wo, garçons fils des ouvrières ne-we-wi-ja [ethnique ou nom de métier]). 154 Voir par exemple M.-L. Nosch, «Kinderarbeit in den mykenischen Palästen», dans Fr. Blackolmer, H. Szemethy (éds.), 8. Österreichischer Archäologentag, vom 23. bis 25. April 1999, Wiener Forschungen zur Archäologie (2001), p. 37-43. 155 Sur PY Tn 316, la question des sacrifices (humains?) et l’interprétation discutée de po-re-na, voir l’article récent de T. G. Palaima, «PO-RE-NA: A Mycenaean Reflex in Homer? An I-E. Figure in Mycenaean?», Minos, 31-32, 1996-1997, p. 303-312.
358
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
d’épithète: en PY Un 219.7, la tablette est cassée après po-ti-ni-ja; en KN M 729.2, la tablette est cassée avant et après le théonyme; enfin KN X 444 est un fragment où seul le théonyme est conservé.
Attestations indirectes: – Potnia est abondamment attestée de façon indirecte, par le biais d’un adjectif dérivé, po-ti-ni-ja-we-jo/-ja 156. Ces documents permettent d’associer Potnia, à Cnossos, à de nombreux troupeaux de moutons, mais aussi à des enregistrements d’ouvrières, qui travaillaient sans doute dans l’industrie textile157. A Pylos, un certain nombre de forgerons sont qualifiés de po-ti-ni-ja-we-jo, ainsi qu’un bouilleur d’onguents, pi-rajo (Philaios)158. – Les problèmes sont liés à l’adjectif po-ti-ni-ja-we-jo159. Cet adjectif, qu’on trouve attesté dans de très nombreux documents, en association avec les noms d’artisans, ou avec des troupeaux de moutons, serait dérivé, non pas directement de po-ti-ni-ja, mais d’une forme différente et reconstituée. Comme l’indique M. Lejeune160, la forme que l’on attendrait, pour un adjectif dérivé de po-ti-ni-ja (*Povtnia) serait *po-ti-ni-ja-jo (*potnivaio") 161. Or dans les textes de Cnossos comme dans ceux de Pylos, on trouve la forme po-ti-ni-ja-we-jo. Quelques formes en -i-jo162 et e-i-jo163 sont aussi attestées, mais restent très peu fréquentes. Pour M. Lejeune, la formation de cet adjectif pourrait s’expliquer «par une suffixation en -ejo/-eijo/-ijo d’un thème *potinijawo, qui désignerait en quelque sorte le domaine de Povtnia» 164. Il faudrait par conséquent traduire po-ti-ni-ja-we-jo par «appartenant au domaine de Povtnia». C. Ruijgh 165 conteste la possibilité d’une coexistence des suffixes -io- et -eio- (donc des graphies -ijo et -e-i-jo/-e-jo) dans la mesure où celle-ci ne se rencontre guère que pour les adjectifs de matière, où la graphie -e-jo recouvre -eyo-. Partant de la même forme reconstituée
156 KN Dl (1) 943, Dp 7742, Dp 997, G 820, Dl (1) 930, Dl (1) 943, 946, 950, 7147, 7503, 7771, 9716, G 760. PY Eb 364.1, Eq 36.1, Jn 310.14, Jn 431.16, Un 249, Eq 213.5, Qa 1299. MY Oi 704.1. 157 Voir à ce sujet F. Rougemont, «The Textile Production and the Mycenaean Sanctuaries», dans C. Gillis, C. Risberg, B. Sjöberg (éds.), Trade and Production in Premonetary Greece. 9. Production and Religion, sous presse. 158 Sur les interprétations des noms propres mycéniens et leur transcription en grec alphabétique, on peut consulter O. Landau, Mykenisch-griechische Personennamen, Göteborg, 1958. 159 A propos de cet adjectif, voir aussi J. Chadwick, «Potnia», Minos, 5, 1957, p. 119-121. 160 M. Lejeune, «Notes mycéniennes. 1. potinijawejo. 2. ekaraewe. 3. oremoakereu. 4. rekeetoroterijo», in Mémoires II, p. 359 sq. 161 En effet, comme le rappelle C. J. Ruijgh, «A propos de myc. po-ti-ni-ja-we-jo», SMEA, 4, 1967, p. 41, «les adjectifs exprimant l’appartenance comportent normalement le suffixe -io- (type ’Apollwvnio": ’Apovllwn), et dans les dérivés de thèmes en -a-- (...), l’i de -ioconstitue avec cet -a- précédent une diphtongue: -aio- (type JHrai'o": {Hra)». 162 A Pylos, en Qa 1299. 163 po-ti-ni-ja-we-i-jo, cf KN Dp 7742.2. 164 M. Lejeune, «Notes mycéniennes. 1. potinijawejo. 2. ekaraewe. 3. oremoakereu. 4. rekeetoroterijo», dans Mémoires II, p. 363. 165 C. J. Ruijgh, «A propos de myc. po-ti-ni-ja-we-jo», SMEA, 4, 1967, p. 43.
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
(*po-ti-ni-ja-wo), il l’interprète comme un titre, «prêtre de po-ti-ni-ja», et traduit l’adjectif dérivé par «appartenant au prêtre de po-ti-ni-ja». E. Risch166, enfin, conteste ces deux interprétations. Selon lui, si un terme de ce genre avait existé pour désigner le domaine de la déesse po-ti-ni-ja ou son prêtre, on le retrouverait très certainement dans des documents mentionnant des prêtres ou des sanctuaires. En ce qui concerne le problème de l’adjectif po-ti-ni-ja-we-jo, il considère qu’il s’agit d’une formation analogue à celle des adjectifs de matière et le traduit par «appartenant à la maîtresse divine». – Interprétation des mentions indirectes: elles sont inutilisables du strict point de vue de l’histoire religieuse, puisqu’elles se situent exclusivement dans le domaine économique, mais elles nous montrent une divinité dont le clergé et les sanctuaires sont impliqués dans différentes activités (élevage, industrie textile, métallurgie) et ce dans deux à trois royaumes mycéniens différents. Les textes en linéaire B livrent les noms de divinités non attestées dans le panthéon grec classique, et dont certaines, de surcroît, portent des noms non grecs167 ; on trouve également parmi ces divinités une parèdre de Poséidon, Posidaeia, et une parèdre de Zeus, Diuja ou Diwija. La plupart du temps, ces théonymes «antérieurs au panthéon classique» sont des mentions isolées, parfois des hapax. Comme la récente publication thébaine nous l’a rappelé, de nouvelles découvertes peuvent nous amener à conclure, comme pour po-ro-de-qo-no, qu’un mot considéré comme tel auparavant n’est pas un théonyme. Les attestations de théonymes connus à l’époque classique nous disent au fond peu de choses sur le culte ou la personnalité de ces divinités à l’époque mycénienne, mais nous offrent un aperçu très concret du type et de la quantité des offrandes faites par le palais; toutefois, nous ne connaissons que des fragments du calendrier, et quelques noms de sanctuaires, ce qui limite la portée des conclusions que l’on pourrait tirer. L’exemple d’un théonyme comme po-ti-ni-ja, avec ses épiclèses et ses précisions toponymiques, dont il est plus prudent, étant donné la nature de la documentation, de supposer que chacune correspondait à une personnalité divine distincte (de même qu’en matière de prosopographie humaine, on suppose toujours par principe l’existence d’un maximum de personnages portant le même nom168) montre que le fonctionnement des épiclèses est identique à celui qui est connu pour l’époque classique.
Françoise ROUGEMONT CNRS – UMR 7041
166 E. Risch, «La formation du mot po-ti-ni-ja-we-jo», dans Acta Mycenaea, 1970-1971, II, p. 294-300. 167 Cf. pi-pi-tu-na, *56-ti, etc. 168 Cf. M. Lindgren, The People of Pylos I-II, Uppsala, 1973, et H. Landenius-Enegren, The People of Knossos. Prosopographical Studies in the Knossos Linear B Archives, 1999. Thèse non publiée, communiquée par l’auteur.
360
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
TABLEAUX Les théonymes sur le statut desquels un doute subsiste sont signalés par un astérisque placé après le mot. Les formes mycéniennes affectées d’un astérisque avant le mot sont des termes non attestés au nominatif. Les préfixes en lettres majuscules indiquent le site de provenance: PY pour Pylos, KN pour Cnossos, KH pour Khania, MY pour Mycènes, etc. Les lieux de trouvaille sont indiqués pour Cnossos par une lettre, détaillée par le nom donné par Evans lors de la fouille1 ; pour Pylos l’indication AC correspond aux pièces d’archive 7 et 8 (Archives Complex)2. Pour Cnossos les scribes sont numérotés à partir de 100. Pour Pylos on trouvera les indications telles que T. G. Palaima les donne dans son ouvrage3, par main (ex. H1), stylus (ex. S744-H1) et classe (Ci, Cii, Ciii). Tableau n°1 Les théonymes communs au deuxième et au premier millénaire théonyme
réf. tablette
forme
scribe
po-se-da-o Poséidon
PY Es 645 PY Es 646 PY Es 647 PY Es 649 PY Es 653 PY Es 703 PY Es 726 PY Es 728 PY Es 729 PY Eq 36.15
po-se-da-o-ne po-se-da-o-ne po-se-da-o-ne po-se-da-o-ne po-se-da-o po-se-da-o-ne po-se-da-o-ne po-se-da-o-ne po-se-da-o-ne po-se-da-o-no[
S644-H1 S644-H1 S644-H1 S644-H1 S644-H1 S644-H1 S644-H1 S644-H1 S644-H1 S74-H1
PY Fn 187.2
po-si-da-i-jo-de, «au sanctuaire de Poséidon»
H2
PY Fn 187.18
po-si-da-je-u-si, «aux prêtres de Poséidon»
H2
PY Fr 343
po-]se-da-o-ne
S343-H4
lieu trouvaille
contexte
AC AC AC AC AC AC AC AC AC AC
dosmos dosmos dosmos dosmos dosmos dosmos dosmos dosmos dosmos enregistrement de terres AC attribution d’orge et de figues HORD[ ] NI T 1 soit 9,6 l de figues AC enregistrement d’orge HORD T 1 V 3 soit 14,4 l d’orge Near Room enregistrement 41, d’huile (quantité non Room 374 conservée)
1 Voir J.-P. Olivier, Les scribes de Cnossos. Essai de classement des archives d’un palais mycénien, Rome, 1967, avec le système de classement et le plan du palais. 2 Des précisions sur le lieu de trouvaille des documents à l’intérieur de ces pièces peuvent être trouvées dans T. G. Palaima, The Scribes of Pylos, Rome, 1988, et K. Pluta, «A Reconstruction of the Archives Complex at Pylos : Preliminary Progress Report », Minos, 31-32, 1996-1997, p. 231-250, qui corrige le placement de la grille. 3 T. G. Palaima, The Scribes of Pylos, Rome, 1988. 4 Cf. Id., ibid., p. 205.
361
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
ma-ka Mère Terre?6
PY Fr 1219
wa-na-so-i, po-se-da-o-ne, «aux wanasoi, à Poséidon»
S1217-Cii
PY Fr 1224
pa-ki-ja-ni-jo-jo me-no, po-se-da-o-ne
S1202-H2
PY Un 6.15
po-se-da-o-ne
S6-H6
PY Un 718.1
S312-H24
PY Un 853.2
sa-ra-pe-da, po-se-da-o-ni, do-so-mo, «à Sarapeda (TN), à Poséidon, dosmos» po-se-da-o-ne
PY Xn 1439
po-]se-da-o. [
Ci
KN V 52
po-se-da[-o-ne
(-)
KN X 5560
po-se-da-o-[
(-)
KN F 51
ma-qe ou ma-ka7
«124d»
S6-H6
pièce 23
attribution d’huile pour onction (OLE +A V 2), soit 3,2 l pièce 23 attribution d’huile parfumée à la sauge (OLE + PA Z 2, soit 0,8 l) AC+ramp 59 attribution SW area 31 de porcs: SUS +KA 1, f SUS 2 AC enregistrement de différentes denrées alimentaires AC
suivi d’une cassure et d’un chiffre; contexte insuffisant sur cette ligne SW area 33 contexte insuffisant C pas Room of the d’idéoChariot Tablets gramme ? contexte insuffisant C Room of the Chariot Tablets
offrande d’orge, V 6 soit 9,6 l8
5 Cette tablette a été réglée et inscrite partiellement une première fois, avant d’être effacée; la première inscription reste lisible aux lignes 4 et 5, et comportait à deux reprises le nom po-se-da-o-ne. 6 Cette interprétation a été contestée à l’occasion du colloque organisé par l’Österreichische Akademie der Wissenschaften à Vienne (5-6 déc. 2002), et des interprétations alternatives ont été proposées, cf. T. G. Palaima, «*FAR? or ju? and other interpretative conundra in the new Thebes tablets», sous presse. T. G. Palaima propose un nom d’action (action de pétrir l’orge pour faire des gâteaux). 7 L’apparat critique de KT V, p. 196, indique: «ma-ka not excluded». La relecture maintenant à peu près admise de ma-qe en ma-ka a été fortement influencée par la découverte des nouveaux textes thébains. 8 Ici on attendrait T 1 puisque T 1= V 6.
362
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
TH Fq 126.1
o-te, tu-wo-te-to, ma-ka, «lorsque fut fait le sacrifice, à ma-ka …»
305
rue Pélopidou
TH Fq 130.1
o-te, o-je-ke-te-to, ma-ka
305
rue Pélopidou
Fq 131.[1]
ma-]ka
305
rue Pélopidou
Fq 213.[1]
ma-]ka
305
rue Pélopidou
Fq 214.1
ma-ka
305
rue Pélopidou
Fq 229.1
ma-ka
305
rue Pélopidou
TH Fq 254[+] 255.2
305
rue Pélopidou
TH Fq 258.1
o-te, a-pi-e-qe ⎣ ⎦ ke-ro-ta pa-ta, ma-ka «lorsque ke-ro-ta eut dressé la purée d’orge, à ma-ka»9 ma-ka
305
rue Pélopidou
TH Fq 263.1
ma-ka
305
rue Pélopidou
enregistrement d’orge; pour ma-ka: HORD T 1 V[; soit 11,2+ l offrande d’orge, HORD T 2 soit 19,2 l offrande d’orge, chiffre non conservé offrande d’orge, chiffre non conservé offrande d’orge, HORD T 1 Z [ soit au moins 10 l offrande d’orge ou de farine (les deux sont attestées sur le document, mais l’idéogramme de la ligne 1 n’est pas conservé) offrande d’orge broyée (pa-ta) HORD T 1 V 2 Z 2, soit 13,6 l
offrande d’orge: T1 V 3 Z 1 soit 14,8 l offrande d’orge, HORD T[ soit au moins 9,6 l
9 Cf. V. Aravantinos, L. Godart, A. Sacconi, Thèbes. Fouilles de la Cadmée. I. Les tablettes en linéaire B de la odos Pelopidou. Edition et commentaire, Pise - Rome, 2001 (2002), p. 254256.
363
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
ko-wa Korè?11
10
TH Fq 285.[1]
ma-]ka
305
rue Pélopidou
TH Fq 304.1
ma-ka
305
rue Pélopidou
TH Fq 357.[1]
ma-]ka
305
rue Pélopidou
TH Gp 201.a
ma-ka
306
rue Pélopidou
TH X 152.1
ma-ka[
(-)
rue Pélopidou
TH Fq 126.2
ko-wa
305
rue Pélopidou
TH Fq 130.2,
ko-wa
305
rue Pélopidou
TH Fq 169.2
ko-wa
305
rue Pélopidou
TH Fq 229.3
ko-wa
305
rue Pélopidou
TH Fq 239.1
ko-wa
305
rue Pélopidou
TH Fq 240.2
ko-wa
305
rue Pélopidou
offrande d’orge, HORD T 1[ soit 9,6+ l offrande d’orge, HORD T[ soit au moins 9,6 l offrande d’orge, HORD T[ soit au moins 9,6 l offrande de vin? de farine d’orge? idéogramme non conservé10 ; quantité V 1 soit 1,6 l contexte inconnu offrande d’orge (quantité perdue, sans doute Z2 = 0,8 l) offrande d’orge, Z2 = 0,8 l offrande d’orge (quantité perdue) offrande d’orge, (quantité perdue) offrande d’orge (quantité perdue) offrande d’orge, Z2 = 0,8 l
Le vin et l’orge sont les deux produits attestés dans la série Gp. L’unité de mesure employée, V, peut aussi bien servir à mesurer un produit liquide comme le vin que des céréales. Il n’est donc pas possible de trancher. 11 L’interprétation de ce mot comme théonyme est largement conditionnée par l’interprétation du mot ma-ka comme «Mère Terre», ainsi que l’a souligné T. G. Palaima récemment. Le mot est abondamment attesté dans des enregistrements de personnel où il désigne simplement des petites filles.
364
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
e-ma-a2 Hermès
TH Fq 241.2
ko-w. a.
305
rue Pélopidou
TH Fq 254 [+]255.4
k. o. -wa
305
rue Pélopidou
TH Fq 257.2,
ko-wa
305
rue Pélopidou
TH Fq 258.2
ko-wa
305
rue Pélopidou
TH Fq 275.2
ko-wa
305
rue Pélopidou
TH Fq 307.2
k. o. -wa
305
rue Pélopidou
TH Fq 309.2
ko-w. a. [
305
rue Pélopidou
PY Tn 316 v.7
e-ma-a2
H44
AC
PY Un 219.8 PY Xn 1357
e-ma-a2 e-ma-a2
H15 S106-H1
KN X 9669 12
e-ma-a2
(-)
KN D 411
e-ma-a2-o (gén.)
(-)
e-re-u-ti-ja
140
G1 Gallery of Jewel Fresco
e-re-u-ti-ja
103
G1 Gallery of Jewel Fresco
e-re-u-ti-ja KN Gg 705.1 Eleuthia
KN Od (2) 714.b
12
X
9669 .a .b
]s. i. -jo
/
offrande d’orge, Z1 = 0,4 l offrande d’orge, Z2 = 0,8 l offrande d’orge, Z2 = 0,8 l offrande d’orge (quantité perdue) offrande d’orge, Z2 = 0,8 l offrande d’orge, Z1 = 0,4 l offrande d’orge? quantité perdue
offrande d’un vase en or et d’un homme AC U1 ? total d’offrandes? (to-sa-de) ? contexte peu clair I3 (Northern élevage Entrance) d’ovins; et F7 (West troupeau Magazine) constitué de 60 brebis et de 30 animaux nés dans l’année (WE) à Amnisos, attribution d’un vase de miel attribution de laine (LANA 1, soit 3 kg)13
(-)
]-j. a. [ e-ma-a2[
365
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
KN Od (2) 715.a
e-re-u-ti-ja ta-wa-ko-to (anthr.)
103
G1 Gallery of Jewel Fresco
KN Od (2) 716.a
e-re-u-ti-ja
103
G1 Gallery of Jewel Fresco
KN Fp. 14.2
a-re
138
A Clay Chest
KN Le 641.1
a-re-i-jo
103
PY An 656.6
a-re-i-jo
S657-H1
F14 West Magazines AC
PY Xa 1419.1 PY Ea 102.1 16
di-wo-nu-so[
S995-H91
di-wo-nu-so-jo,
Ciii
KH Gq 5.2
di-wo-nu-so
(-)
a-re Arès14
di-wo-nu-so Dionysos
SW area GP515 AC
attribution de laine, LANA 1 soit 3 kg attribution de laine, LANA 4 soit 12 kg attribution d’huile (V?? quantité non conservée) anthroponyme dérivé du théonyme anthroponyme dérivé du théonyme pas de contexte enregistrement d’une parcelle avec le nom au génitif; théonyme ou anthroponyme? ME+RI [ ] 2: offrande d’une quantité de miel
13 Il s’agit probablement d’un théonyme; on peut noter qu’une autre tablette du lot 2, Od 718, fait référence à Amnisos. De plus Eleuthia ne serait pas la seule déesse liée à un contexte artisanal comme celui de la laine et des tissus: c’est aussi le cas de Potnia; sur ce point, voir M.L. B. Nosch, M. Perna, «Cloth in the Cult», dans POTNIA, p. 471-477, et F. Rougemont, «The Textile Production and the Mycenaean Sanctuaries», dans C. Gillis, C. Risberg, B. Sjöberg (éds.), Trade and Production in Premonetary Greece. 9. Production and Religion, sous presse. 14 En KN Mc 4462, qui est une tablette fiscale, la forme a-re est presque certainement un anthroponyme. J’ai donc choisi de ne pas la mentionner dans ce tableau. 15 Cf. T. G. Palaima, The Scribes of Pylos, p. 219. 16 Pour le reclassement de ce document depuis KT V, voir E. l. Bennett, Jr., «A Selection of Pylos Tablets Texts», dans J.-P. Olivier (éd.), MYKENAÏKA. Actes du IXe Colloque international sur les textes mycéniens et égéens organisé par le Centre de l’Antiquité Grecque et Romaine de la Fondation Hellénique des Recherches Scientifiques et l’Ecole française d’Athènes, Athènes, 2-6 octobre 1990 (BCH Suppl., 25), Paris, 1992, p. 103-127. Ea 102 di-wo-nu-so-jo , [
366
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
Zeus (di-wo, di-we)
PY Tn 316 v. 9 PY Tn 316 v.8
e-ri-nu Erinys
di-we, datif, «à Zeus» di-u-jo
H44
AC
H44
AC
reçoit un vase en or et un homme offrande d’un vase en or et d’un homme attribution d’huile (OLE S 1 soit 9,6 l)
KN Fp 1.2
di-ka-ta-jo di-we «à Zeus diktaios»
138
A Clay Chest
KN Fp 1.8
e-ri-nu nom. de rubrique
138
A Clay Chest
KN Fh
e-ri-nu[
141??
KN V 52 lat. inf. (effacé)
e-ri-nu-we datif sg., “à e-ri-nu”
(-)
a3-ki-wa-ro, a-te-mi-to do-e-ro «a3-ki-wa-ro, esclave d’Artémis»
H11
AC
enregistrement d’un esclave d’Artémis qui détient une parcelle de terre.
a-ti-mi-te «à Artémis»
H15
AC
O 119
Artémis18 PY Es 650.5 (a-te-mi-to, au gén., a-te-mi-te, au datif; le nom. serait *a-te-mi) PY Un 219.5
attribution d’huile (OLE V 3, soit 4,8 l) ? sans doute attribution d’huile, mais le document est mutilé Room of the effacé par le Chariot scribe; suivi Tablets de pe-r. o. ; pas d’idéogramme conservé17
17 La tablette enregistre aussi quatre autres divinités certaines ou possibles: a-ta-na-poti-ni-ja, e-nu-wa-ri-jo, pa-ja-wo-ne, po-se-da-o-ne. 18 En PY Fn 837.5, qui enregistre des attributions d’orge, on a peut-être mention d’un prêtre d’Artémis, mais le document est mutilé, et doit être traité avec la plus grande prudence: Fn 837 .5 i-je-re-u , a-ti [ HORD 19 O est ici un syllabogramme utilisé de façon idéographique ou acrophonique; c’est également le cas dans la série Ma, qui enregistre le prélèvement d’impôts en nature, avec une liste de produits. L’objet ou la denrée représentée par O n’est pas identifié. Sur les séries fiscales à Pylos et à Cnossos, voir les articles récents de M. Perna, «Le tavolette della serie Mc di Cnosso», dans E. De Miro, L. Godart, A. Sacconi (éds.), Atti e Memorie del Secondo Congresso Internazionale di Micenologia, Roma-Napoli, 14-20 ottobre 1991, Incunabula Graeca, XCVIII, 1, Rome, 1996, p. 411-419; et «Le tavolette della serie Ma di Pilo», dans R. Laffineur, W.-D. Niemeier (éds.), POLITEIA. Society and State in the Aegean Bronze Age. Proceedings of the 5th International Aegean Conference / 5e Rencontre égéenne internationale, University of Heidelberg, Archäologisches Institut, 10.-13. April 1994 (Aegaeum 12), 1995, p. 227-232, avec toute la bibliographie antérieure.
367
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
e-ra Héra
AC
PY Tn 316 v.9
e-ra
H44
TH Of 28.2
e-ra, ke-o-te-ja
303
e-nu-wa-ri-jo KN V 52.2 Enyalios
e-nu-wa-ri-jo 1
(-)
ma-te-re PY Fr 1202 te-i-ja Mère Divine/ Mère des dieux
ma-te-re, te-i-ja (datif): «à la mère divine»
S1202-H2
pièce 38
attribution d’une quantité d’huile parfumée à la sauge (OLE +PA 5 V 4) soit 150,4 l
KN Fp 1.5
pa-si-te-o-i (dat. pl.), «à tous les dieux»
138
A Clay Chest
KN Fp 1.7
a-mi-ni-so, pa-si-te-o-i «Amnisos, à tous les dieux» pa-si-te-o-i (dat. pl.), «à tous les dieux» pa-si-te-o-i «à tous les dieux»
138
A Clay Chest
attribution d’huile, OLE 1 soit 28,8 l S 1 soit 9,6 l
138
A Clay Chest
138
A Clay Chest
138
A Clay Chest
pa-si-te-o-i «à tous les dieux»
KN Fp 5.2
KN Fp 6
KN Fp 13.2
pa-si-te-o-i «à tous les dieux»
reçoit un vase en or et une femme rue reçoit de la Epaminondas laine, dans un contexte artisanal20 Room of the contexte peu Chariot Tablets clair21
attribution d’huile (OLE S 1 soit 9,6 l) attribution d’huile S 1; soit 9,6 l mois ka-ra-e-ri-jo attribution d’huile S 1 = 9,6 l
20 Le problème est de savoir si ke-o-te-ja se rapporte à Héra, comme épiclèse, ou désigne des ouvrières. A ma connaissance, il n’existe pas de toponyme qui pourrait ressembler à ce mot. L’hypothèse du nom de métier est de loin la plus plausible. 21 Les tablettes à préfixe X- sont des documents fragmentaires qui n’ont pu être classés plus précisément. A propos de ce texte, T. G. Palaima, «Assessing the Linear B Evidence for Continuity from the Mycenaean Period in the Boiotian Cults of Poseidon and Erinys at Onchestos (Telpousa-Haliartos)», dans J. M. Fossey, M. B. Cosmopoulos (éds.), Boiotia Antiqua VIIVIII. Studies in Boiotian Archaeology, History and Institutions, sous presse, suggère que dans le contexte de la RCT, et en l’absence d’idéogrammes, il pourrait s’agir d’équipements pour des chars et des chevaux; le chiffre 1 qui suit chacun des théonymes correspondrait à un inventaire constatant que chacune de ces divinités est en possession d’un équipement (?) complet.
368
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
KN Fp 14
a-mi-ni-so-de, / pa-si-te-o-i, «vers Amnisos, à tous les dieux» pa-si-te-o-i «à tous les dieux»
138
A Clay Chest
138
A Clay Chest
KN Fp 16
pa-si-te-o-i «à tous les dieux»
138
KN Fp 18
pa-si-te-o-i «à tous les dieux» pa-si-te-o-i «à tous les dieux» pa-si-te-o-i «à tous les dieux»
138
KN Fp 15
KN Fp 48.2
KN Fp 48.3
KN Gg (1) 702.1 KN Gg (3) 705.2 KN Gg (3) 717.1 KN Ga 953.3a
te-o-i «aux dieux»
pa-si-te-o-i «à tous les dieux» ]pa-si-te-o-i «à tous les dieux» ]pa-si-te-o. [-i «à tous les dieux» pa-si-te-o-i «à tous les dieux»
138
138
103
140
140
219
attribution d’huile S 2; soit 19,2 l
attribution d’huile, S 1 soit 9,6 l A attribution Clay Chest d’huile, S1 soit 9,6 l; wo-de-wi-jo me-no A attribution Clay Chest d’huile, S 1 soit 9,6 l C attribution Room of the d’huile, Chariot Tablets S1 soit 9,6 l C attribution Room of the d’huile, Chariot Tablets S1 soit 9,6 l G1 offrande Gallery of d’un vase Jewel Fresco de miel G1 offrande d’un Gallery of vase de miel Jewel Fresco G1 sans doute Gallery of offrande Jewel Fresco de miel I3 attribution Northern d’épices Deposit
PY Fr 1226.1
ro-u-si-jo , a-ko-ro , te-o-i «(à) ro-u-si-jo a-ko-ro [TN], aux dieux»
S1202
H2 pièce 23
PY Fr 1355
te-o-i «aux dieux»
Cii
ouest de la pièce 103
KN E 842.1b
te-o-i «aux dieux»
?
I3 Northern Deposit
offrande d’huile parfumée à la sauge, pa-ko-we OLE+PA V 3 soit 4,8 l offrande d’huile pour onguent, quantité non conservée ?
369
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
Tableau n°2 Les théonymes attestés uniquement dans les textes en linéaire B théonyme
réf. tablette
forme
scribe
*ma-ri-ne-u KN Gg 713
ma-ri-ne-we
135 West Magazines
F18
qe-ra-si-ja KN Fp (1) 1.6
qe-ra-si-ja
138
A Clay Chest
KN Fp (1) 5.1
qe-ra-si-ja
138
KN Fp (1) 6.2
qe-ra-si-ja
138
KN Fp (1) 13.2
qe-ra-si-ja
138
KN Fp 14
qe-ra-si-ja
138
KN Fp 16.2
qe-ra-si-jo
138
KN Fp 48
qe-ra-si-ja
138
KN Fh 5475
qe-ra-si-[
141
di-pi-si-je-wi-jo
S1217/Cii
1
di-pi-si-jo-i* PY Fr 1218 «aux assoiffés»?
lieu trouvaille
contexte offrande d’un vase de miel
offrande d’huile, OLE S 1 soit 9,6 l A offrande Clay Chest d’huile, OLE S 1 soit 9,6 l A offrande Clay Chest d’huile, OLE S 1 soit 9,6 l A offrande Clay Chest d’huile, S1 soit 9,6 l A offrande Clay Chest d’huile, OLE S 1 soit 9,6 l A offrande Clay Chest d’huile, OLE S 1 soit 9,6 l C offrande Room of the d’huile, Chariot Tablets OLE S 1 soit 9,6 l ? offrande d’huile; idéogramme et chiffres non conservés pièce 23
offrande d’huile pour onction, OLE+A V 1 soit 1,6 l
1 Les autres attestations de *ma-ri-ne-u ne sont pas indiquées dans ce tableau car il s’agit de contextes où on a affaire à un anthroponyme et non un théonyme. En As (2) 1519, un total de 10 hommes sont envoyés à l’oikos d’un personnage nommé ma-ri-ne-u, qui est certainement un être humain et non un dieu.
370
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
do-qe-ja
pa-de2
PY Fr 1220
di-pi-si-jo-i, wa-na-ka-te
S1202/H2
pièce 23
PY Fr 1231
po-ti-ni-ja, di-p. i. [-si-]jo-i
S1202/H2
pièce 23
PY Fr 1232
di-pi-si-jo-i
Cii
pièce 23
PY Fr 1240
di-pi-si-jo, e-qo[
S1217/Cii
pièce 23
PY Fr 1245 (?)
]jo-i
PY An 607.1a
do-qe-ja
H1
AC
PY An 607.2
do-qe-ja do-e-ro
H1
AC
PY An 607.3
do-qe-ja do-e-ra
H1
AC
PY An 607.5
do-qe-ja do-e-ro
H1
AC
PY An 607.6
do-qe-ja do-e-ra
H1
AC
PY An 607.7
do-qe-ja do-e-ra
H1
AC
KN Fp 1.4
pa-de
138
A Clay Chest
KN Fp 48.2
pa-de
138
pièce 23
offrande d’huile parfumée à la sauge, OLE+PA S 1, soit 9,6 l offrande d’huile; idéogramme et chiffres non conservés offrande d’huile parfumée à la sauge, OLE+ PA 1 soit 28,8 l offrande d’huile, idéogramme et chiffres non conservés offrande d’huile, quantité non conservée enregistrement de personnel esclave de do-qe-ja esclave de do-qe-ja esclave de do-qe-ja esclave de do-qe-ja esclave de do-qe-ja
offrande d’huile, OLE S 1 soit 9,6 l C offrande Room of the d’huile, Chariot Tablets S 1 soit 9,6 l
2
Pour ce théonyme, une identification avec pa-ze a été proposée, cf. J. Giulizio, K. Pluta, T. G. Palaima, «Religion in the Room of the Chariot Tablets», dans POTNIA, p. 453-461.
371
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
KN Fs 8.B
pa-de
139
A Clay Chest
KN Ga 953.2
pa-de-i
219
KN Ga (3) 456.1
pa-de
223?
I3 Northern Deposit F3 West Magazines
KN C 394.4
pa-de[
(-)
wa-no-so-i, po-se-da-o-ne
S1219/Cii
pièce 23
PY Fr 1222
wa-na-so-i
S1202/H2
pièce 23
PY Fr 1227
wa-na-ka-te, wa-na-so-i
S1202/H2
pièce 23
PY Fr 1228
wa-na-so-i e-re-de3
S1202/H2
pièce 23
PY Fr 1235.1
wa-]na-so-i, wa-na-ka-te
S1202/H2
pièce 23
PY Fr 1235.2
]w.a. -na-so-i, po-ti-ni-ja
S1202/H2
pièce 23
PY Cn 1287.6
di-u-ja, do-e-ro
H31
pièce 99
wa-na-so-i* PY Fr 1219
di-u-ja/ di-wi-ja
3
offrande de farine, FAR V 2 soit 3,2 l offrande d’épices offrande d’épices (PYC T[) ? enregistrement d’animaux offrande d’huile pour onction, OLE+PA V 2 soit 3,2 l offrande d’huile pour onction, OLE+A V 1 soit 1,6 l offrande d’huile, S1V1 soit 11,2 l offrande d’huile parfumée à la sauge, OLE+PA V 1 soit 1,6 l offrande d’huile à la sauge, OLE+PA 1 soit 28,8 l offrande d’huile à la sauge, OLE+PA V 3 soit 4,8 l esclave de di-u-ja; reçoit ou possède 1 chèvre
Des interprétations très variées de ce dernier terme ont été proposées; pour une bibliographie raisonnée et classée, voir F. Aura Jorro, Diccionario griego-micénico, volume 1, s. u.
372
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
PY Tn 316 v.6
di-u-ja
H44
AC
PY An 607.5
di-wi-ja do-e-ra
H1
AC
TH Gp 313.2
di-wi-ja[
(-)
rue Pélopidou
pe-re-*82 PY Tn 316 v.5
pe-re-*82
H44
AC
PY Un 6.3
pe-re-*82
S6-H6
AC / Ramp 59, SW Area 314
PY Un 6.4
pe-re-*82
S6-H6
AC /Ramp 59, SW Area 315
si-ja-ma-to KN Fp 48.1
si-ja-ma-to
138
C Room of the Chariot Tablets
KN U 4478.16
si-ja-ma-to
202
L Arsenal
KN X 451
si-ja-ma-t. o. [
(-)
?
offrande d’un vase en or et d’une femme esclave de di-wi-ja offrande de farine, quantité non conservée offrande d’un vase en or et d’une femme offrande d’une vache, d’une brebis, d’un porc (SUS+ KA) et de deux truies offrande d’une vache, d’une brebis, d’un porc (SUS+ KA) et de deux truies offrande d’huile, OLE S 2 soit 19,2 l offrande ou versement e *177 2 (idéogramme non identifié) tablette fragmentaire
4
Cf. T. G. Palaima, The Scribes of Pylos, 1988, p. 216. Cf. Id., ibid. 6 Cette attestation, qui est présentée ici par souci d’exhaustivité, est classée par F. Aura Jorro, Diccionario..., s. u. si-ja-ma-to, comme un anthroponyme. 5
373
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
wa-na-se- PY Fr 1221 wi-ja*7 *WanasshWiva dérivé de *Wavnassa fém. de*Wavnax thème qui se retrouve dans wa-na-so-i PY Ta 711.2
po-ro-wi-to wa-na-se-wi-ja
S 1219-Cii
pièce 23
attribution d’huile pour onction, S1 soit 9,6 l
qe-ra-na8 wa-na-se-wi-ja qe-ra-na wa-na-se-wi-ja
S641-H2
AC
S641-H2
AC
offrande d’un vase offrande d’un vase
KN Fs 3.B
a-*65-ma-na-ke
(-)
?
KN Fs 20
a. -*65-ma[
139
A Clay Chest
PY Tn 316 v.4 PY Tn 316 v.6
i-pe-me-de-ja-qe
H44
AC
offrande
i-pe-me-de-ja
H44
AC
offrande d’un vase en or
ti-ri-se-ro-e* PY Fr 1204
ti-ri-se-r. o. -e
S343/H4
pièce 38
PY Tn 316.5
ti-ri-se-ro-e
H44
AC
offrande d’huile, OLE Z 1 soit 0,4 l offrande d’un vase en or
PY Ta 711.3
a-*65-mana-ke
i-pe-mede-ja ( Ij fimevdeia)
7
offrande d’orge (T1 soit 9,6 l), de farine (V1 soit 1,6 l), de figues (V 3 soit 4,8 l) et d’huile (Z 1 soit 0,4 l) offrande de différentes denrées (cf. reste de la série) mais chiffres non conservés
Cf. P. Chantraine, DELG, s. u. «a[nax». Le terme qe-ra-na semble désigner un type de vase; pour une étude des types de vases désignés par différents idéogrammes, voir F. Vandenabeele, J.-P. Olivier, Les idéogrammes archéologiques du linéaire B, Paris, 1979 [pour celui qui nous intéresse ici, cf. *204VAS]. 8
374
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
O 1, à deux reprises9
pa-de-we
PY Un 219.2.2
pa-de-we
H15
AC
di-ri-mi-jo
PY Tn 316 v.10
di-ri-mi-jo, di-wo, i-je-we, «à Drimios, fils de Zeus»
H44
AC
offrande d’un vase en or
do-po-ta
PY Tn 316.5
do-po-ta
H44
AC
offrande d’un vase en or
ke-o-te-ja*
TH Of 28.2
e-ra, ke-o-te-ja
303
rue Epaminondas
livraison de laine; ke-o-te-ja est plus probablement un nom de métier
ko-mawe-te-ja
PY Tn 316 v.3 TH Of 35
ko-ma-we-te-ja ko-ma-we-te-ja
H44 303
AC rue Epaminondas
offrande ici k. est une désignation d’ouvrières dépendant du «collecteur» ko-ma-we10
ma-na-sa
PY Tn 316.4
ma-na-sa
H44
AC
pa-ja-ni-jo KN Fp 354.2
pa-ja-ni-jo
222?
E1 Room of Column Bases11
offrande d’un vase en or offrande d’huile, V1 soit 1,6 l
pa-sa-ja
219
I3 Northern Deposit
pa-sa-ja
KN Ga 953.3b
offrande d’épices
9 Le problème est de savoir pourquoi on a deux offrandes exactement identiques en nature et en quantité, faites à la même divinité, inscrites sur la même ligne du même document. On suppose en général qu’elles correspondaient à deux dates ou deux occasions différentes, mais l’absence de référence à un nom de mois ou à une cérémonie religieuse reste intriguante. 10 Cf. M. Del Freo, «Osservazioni su miceneo KO-MA-WE-TE-JA», Minos, 31-32, 1996-1997, p. 145-158, ainsi que F. Rougemont, «The Collectors as an International Elite in the Mycenaean World », dans C. Gillis, C. Risberg, B. Sjöberg (éds.), Trade and Production in Premonetary Greece. 8. Crossing Borders, sous presse, et «Some thoughts on the identification of the “collectors” in the Linear B tablets», dans S. Voutsaki, J. T. Killen (éds.), Economy and Politics in Mycenaean Palace States (Cambridge Philological Society, Supplementary volume 27), Cambridge, 2000, p. 129-138. 11 Il s’agit également d’un dépôt plus ancien que le reste des archives de Cnossos.
375
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
pi-pi-tu-na
KN Fp 13.1
pi-pi-tu-na
138
A Clay Chest
offrande d’huile, V1 soit 1,6 l
po-si-dae-ja
PY Tn 316.4
po-si-da-e-ja
H44
AC
qe-sa-maqa
KN Fs 11.B
]qe-sa-ma-qa / ta-mi-te-mo
139
A Clay Chest
offrande d’un vase en or et d’une femme offrande d’orge, d’huile, de farine et de vin
PY Tn 316 v.3
qo-wi-ja
H44
AC
ta-mi-te-mo KN Fs 11.B
]qe-sa-ma-qa / ta-mi-te-mo
139
A Clay Chest
offrande d’orge, d’huile, de farine et de vin
u-do-no-i* PY Fn 187.13
u-do-no-o-i
H2
AC
wa-na-se- PY Fr 1215.1 wi-jo* *56-ti KN Fp (1) 15.2
wa-na-ke-te, wa-na-se-wi-jo *56-ti
S1219/Cii
pièce 23
138
A Clay Chest
offrande d’orge, T 3 soit 28,8 l offrande d’onguent offrande d’huile, S 2 soit 19,2 l
qo-wi-ja
376
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
Tableau n°3 Les théonymes mycéniens qui subsistent sous forme d’épiclèse au premier millénaire théonyme
réf. tablette
forme
scribe
Potnia
KN V 52.1
(-)
PY An 1281.9
a-ta-na-poti-ni-ja e-re-wi-jopo-ti-ni-ja po-]ti-ni-ja, i-qe-ja ]-a-ke-si po-ti-ni-ja
KN Gg (1) 702.2
da-pu2-ri-to-jo,/ po-ti-ni-ja
103
KN Oa 745.2
da-pu2-r. i. [-to-jo ]po-ti-ni-ja
(-)
PY Fn 187.8
u-po-jo po-ti-ni-ja
H2
PY Fr 1225
u-po-jo, po-ti-ni-ja
S1217, Cii
PY Fr 1236
u-po-jo, po-ti-ni-ja
S1202,H2
PY Vn 48.3 PY An 1281.1
Ci H12 H12
lieu trouvaille
contexte
RCT
pas d’idéogramme AC pas d’idéogramme pièce 99 enregistrement de personnel pièce 99 enregistrement de personnel G1 attribution d’un Gallery of attribution d’un Jewel Fresco vase de miel ? ri *166+ WE 22 offrande/ livraison de 22 pièces de tissu du type /wehanos/, ici fabriqué en lin1 AC attribution d’orge et de figues (HORD T 5 NI T 4, soit 48 l d’orge et 38,4 l de figues pièce 23 attribution d’une quantité d’huile pour des onctions (OLE + A S 1 soit 9,6 l) pièce 23 attribution d’huile parfumée à la sauge (OLE + PA S1 V1, soit 11,2 l)
1
La plupart du temps ce tissu est fabriqué en laine, quelquefois en lin. Sur ce type de tissu, voir M.-L. B. Nosch, M. Perna, «Cloth in the Cult», dans POTNIA, p. 471-477.
377
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
2
378
MY Oi 701.3
si-to-po-ti-ni-ja
63
MY Oi 702
]p. o. -t. i. -[
64
PY Cc 665
ne-wo-pe-o po-ti-ni-ja
S4-H21
PY Fr 1206
po-ti-ni-ja a-si-wi-ja
S1202, H2
KN M 729.2
]po-ti-ni-ja[
(-)
PY Fr 1231
po-ti-ni-ja, di-p. i. [si-]jo-i
S1202-H2
PY Fr 1235
]w. a. -na-so-i, po-ti-ni-ja
S 1202, H2
PY Tn 316.3
po-ti-ni-ja
H44
PY Un 219.7
po-ti-ni-ja[
H15
TH Of 36.2
po-ti-ni-ja wo-ko-de
303
KN X 444
po-ti-ni-ja[
(-)
Les documents à préfixe X- sont fragmentaires.
Citadel House
*190 [ attribution d’une quantité (non conservée) de *190 Citadel attribution House de 3 unités ou pièces de *190 AC enregistrement de bétail (béliers, porcs) pièce 38 offrande ou versement d’huile parfumée à la sauge, OLE+ PA 5 V 4, soit 150,4 l ? document qui enregistre des tissus *146; pas d’idéogramme conservé sur cette ligne, donc pas de quantité non plus pièce 23 attribution d’huile (OLE S 1, soit 9,6 l) pièce 23 attribution d’huile parfumée à la sauge (OLE + PA V 3, soit 4,8 l) AC attribution d’un vase en or et d’une femme AC pas d’idéogramme conservé après le théonyme rue attribution Epaminondas de laine, ku LANA 1 soit 3 kg ? contexte inconnu2
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
KN M 729.2
]po-ti-ni-ja[
(-)
?
KN Dl (1) 943
po-ti-ni-ja-we
118
I3 Northern Deposit
KN Dp 7742 KN Dp 997
]po-ti-ni-ja-we-i-jo[ po-ti-ni-ja-we-ja
(-) 118
? I3 Northern Deposit
KN G 820.3
po-ti-ni-ja-we-ja
(-)
?
KN Dl (1) 930
po-ti-ni-ja-we-jo
118
I3 Northern Deposit
KN Dl (1) 933
po-ti-ni-ja-we-jo
118
I3 Northern Deposit
KN Dl (1) 943
po-ti-ni-ja-we-jo
118
I3 Northern Deposit
pas d’idéogramme conservé après le théonyme; la première ligne du document enregistre des tissus *146; à comparer avec M 719 pour e-ne-si-da-o-ne troupeau comprenant des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine pas de chiffres enregistrement de brebis; pas de chiffres conservés enregistrement d’ouvrières avec des rations mensuelles troupeau comprenant des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine troupeau comprenant des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine troupeau comprenant des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine
379
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
3
KN Dl (1) 946
po-ti-ni-ja-we-jo
118
KN Dl (1) 950
po-ti-ni-]j. a. -we-jo
118
KN Dl (1) 7147
po-ti-ni-j. a. -we-jo
118
KN Dl (1) 7503
po-ti-ni-ja-we-jo
118
KN Dl (1) 7771
po-ti-ni-ja-we-jo
118?
KN Dl (1) 7905+ X 9328
po-ti-ni-]j. a. -w. e. -j. o. 3
118
KN Dl (1) 9716 po-]t. i. -ni-ja-w. e. -j. o. 4
118
I3 Northern Deposit
troupeau comprenant des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine I3 troupeau Northern comprenant Deposit des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine ? troupeau comprenant des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine ? troupeau comprenant des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine ? troupeau comprenant des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine ? troupeau comprenant des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine ? troupeau comprenant des brebis, des agneaux, enregistrés avec la production de laine
L. Godart, C. Kopaka, J. L. Melena, J.-P. Olivier, «175 raccords de fragments dans les tablettes de Knossos», Minos, 27-28, 1992-1993, p. 59. 4 Id., ibid., p. 65.
380
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
KN G 760
]ni-ja-we-jo
(-)
?
PY Eb 364.1
po-ti-ni-ja-we-jo
S149-H41
AC
PY Ep 613.14
po-ti-ni-ja-we-jo
S74-H1
AC
PY Eq 36.1
]we-jo
S74-H1
AC
PY Jn 310.14
po-ti-ni-ja-we-jo
S310-H2
AC
PY Jn 431.16
po-ti-ni-ja-we-jo
S310-H2
AC
PY Un 249
po-ti-ni-ja-we-jo
Cii
AC
PY Eq 213.5
po-ti-ni-ja-we-jo-jo
S74-H1
AC
attribution d’orge (HORD 1) sur la ligne précédente; rien de conservé après l’adjectif personnages à qui sont attribuées des parcelles de terre personnages à qui sont attribuées des parcelles de terre recensement de parcelles de terre avec leur superficie artisans (forgerons) forgerons qui ont une ta-ra-si-ja5 qualifie un bouilleur d’onguent nommé pi-ra-jo enregistrement d’une inspection de terres; l’adj. vient s’ajouter au toponyme habituellement mentionné. Terres de la déesse ou de son sanctuaire?
5
Sur l’obligation de la ta-ra-si-ja, voir J. T. Killen, «A Problem in the Knossos Lc(l) (Cloth) Tablets», Hermathena, 118, 1974, p. 82-90; J. T. Killen, «Some thoughts on ta-ra-sija», dans S. Voutsaki, J. T. Killen (éds.), Economy and Politics in Mycenaean Palace States (Cambridge Philological Society, Supplementary volume 27), Cambridge, 2001, et M.-L. Nosch, «The Geography of the ta-ra-si-ja Obligation», Aegean Archaeology, 4, 1997-2001, p. 1-18.
381
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
PY Qa 1299
po-ti-ni-ja-we-jo
S1295-H15
pièce 99
MY Oi 704.1
po-ti-ni-ja
64
Citadel House
o-po-re-i?7 TH Fq 126.2
o-po-re-i
305
rue Pélopidou
TH Fq 130.2
o-po-re-i
305
rue Pélopidou
TH Fq 169
o-po-re-i
305
rue Pélopidou
TH Fq 213
o-po-re-i
305
rue Pélopidou
TH Fq 214.2
o-po-re-i
305
rue Pélopidou
TH Fq 229.2
o-po-re-i
305
rue Pélopidou
6
ka-e-sa-e-u po-ti-ni-jawe-jo; suivi de *189 1. L’idéogramme n’est pas identifié; c’est sans doute un tissu. enregistrement de *190 156 offrande d’orge V1 Z2 (2,4 l). offrande d’orge, V 2 soit 3,2 l idéogramme non conservé; sans doute orge; V 2 soit 3,2 l offrande d’orge; V[ soit au moins 1,6 l offrande d’orge, V 1[ soit au moins 1,6 l offrande d’orge ou de farine, décompte non conservé
Pour une discussion sur l’idéogramme *190, cf. supra, à propos de si-to-po-ti-ni-ja. T. G. Palaima, «*FAR? or ju? and other interpretative conundra in the new Thebes tablets», dans S. Jalkotzy, St. Hiller, O. Panagl (éds.), Die neuen Linear B Texten aus Theben: Ihr Aufschlusswert für die mykenische Sprache und Kultur. Internationales Forschungskolloquium, 5.-6. Dez. 2002, Österreichische Akademie der Wissenschaften, Vienne, sous presse, a rappelé qu’une interprétation en lien avec opora soulevait des objections philologiques difficilement surmontables (cf. supra), et a proposé une interprétation liée à oros, la montagne (cf. épithètes de Zeus koruphaios, aktaios, etc.). Il a également rappelé que lorsqu’un scribe mycénien enregistre une distribution ou une offrande faite à un dieu mentionné avec une épithète, le nom du dieu apparaît; par conséquent il n’est pas forcément légitime de sous-entendre Zeus lorsque le scribe indique simplement o-po-re-i. Il pourrait s’agir soit d’un théonyme mycénien qui subsisterait au premier millénaire sous forme d’épiclèse, soit, plus simplement encore, d’un anthroponyme. L’interprétation liée à opora semble désormais abandonnée. 7
382
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
Enesidaon
pa-ja-wo
TH Fq 254[+] 255.3
o-po-re-i
305
rue Pélopidou
TH Fq 257
o[-po-]re-i
305
rue Pélopidou
TH Fq 304.2
o-po-re-i. [
305
rue Pélopidou
TH Fq 331
o-]po-re-i. [
305
rue Pélopidou
TH Fq 339
o-po-r. e. [-i
305
rue Pélopidou
KN M 719.2
e-ne-si-da-o-ne, su-ja-to8
140
KN Gg 717?9
]s. i. -da-o-ne, ME+RI[
140
G1 Gallery of Jewel Fresco G1 Gallery of Jewel Fresco
KN V 52.2
pa-ja-wo-ne 1
(-)
RCT
KN C 394.4?
pa-ja-o. -n. e. / pa-d. e.
(-)
?
offrande d’orge; décompte non conservé offrande d’orge, V A soit 1,6 l offrande d’orge; décompte non conservé idéogramme et décompte non conservés offrande d’orge (?), ]V 1 soit 1,6 l attribution d’un tissu de type *146 offrande ou attribution de miel (quantité non conservée) contexte peu clair en l’absence d’idéogramme10 sans doute suivi de bétail, cf. ligne précédente, mais aucun idéogramme conservé
8 su-ja-to est peut-être un anthroponyme au datif; dans ce cas on aurait une offrande/un versement fait «à Enesidaon, à Sujato». Il n’est pas non plus impossible que su-ja-to soit un toponyme. Cf. M. Lejeune, «Observations sur l’idéogramme *146», Mémoires II, 1971, p. 322, n. 23. 9 Une autre restitution possible pour cet exemple est po. Le document doit être utilisé avec la plus grande prudence. 10 L’absence d’idéogramme est la caractéristique des documents à préfixe V-. Pour une hypothèse récente sur ce document, voir T. G. Palaima, «Assessing the Linear B Evidence for Continuity from the Mycenaean Period in the Boiotian Cults of Poseidon and Erinys at Onchestos (Telpousa-Haliartos)», dans J. M. Fossey, M. B. Cosmopoulos (éds.), Boiotia Antiqua VIIVIII. Studies in Boiotian Archaeology, History and Institutions, sous presse.
383
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
Tableau n°4 Hiéronymes et noms de fêtes religieuses hiéronyme réf. tablette
forme
scribe
lieu trouvaille
contexte
da-*83-ja- KN Fp 363.2 de i-je-ro
da-*83-ja-de i-je-ro
222
E1 Room of Column Bases1
offrande d’huile, OLE S 2 soit 19,2 l
da-da-rejo-de
KN Fp 1.3
da-da-re-jo-de
138
A Clay Chest
KN X 723
da-da-re-jo-de
(-)
?
KN Fh 5467.a
di-ka-ta-de *Divktan-de
141
?
KN Fp 7.2
di-ka-ta-de *Divktan-de
138
A Clay Chest
KN F 866
di-ka-ta-de *Divktan-de
(-)
?
KN G 7509.1
di-ka-ta-de *Divktan-de
(-)
?
attribution d’huile de OLE S 2 soit 19,2 l ? contexte insuffisant OLE 1 V 1 soit 30,4 l d’huile attribution d’huile, OLE S 1 soit 9,6 l attribution de figues (NI 10 soit 960 l) attribution d’épices; PYC+O 6
PY Tn 316 v.4
di-u-ja-jo-qe «et le sanctuaire de Diuja» ou «et au sanctuaire de D.»
H44
AC
offrande
di-wi-jo-de, «au sanctuaire de Zeus», «à destination du sanctuaire de Z.»
Cii
pièce 23
envoi d’une quantité d’huile épaisse (OLE + A, cf. êleifar), pour onction; V 1 soit 1,6 l
*Daidalei'onde
Dikté
di-u-ja-jo
di-wi-jo-de PY Fr 1230 *DivWyon-de
1
Cnossos.
384
Il s’agit, comme la RCT, d’un dépôt un peu plus ancien que le reste des archives de
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
KH Gq 5.12
e-wo-ta-de3 KN C (1) 901
di-wi-jo[-de, ] di-we, «au sanctuaire de Zeus, à Zeus»
(-)
offrande d’un vase de miel
e-wo-ta-de
107
envoi de bovins pour une fête4
i-pe-mede-ja[-jo]5 ?
PY Tn 316 v.4
i-pi-me-de-ja-qe di-u-ja-jo-qe
H44
AC
offrande d’un vase et d’une femme
pe-re-*82-jo
PY Tn 316 v.4
pe-re-*82-jo
H44
AC
offrande d’un vase et d’une femme
po-si-da-i-jo-de, vers le sanctuaire « de Poséidon»
H2
AC
PY Tn 316 v.1
po-si-da-i-jo
H44
AC
offrande d’orge et de figues; HORD [ ] NI T 1, soit une quantité d’orge inconnue, et 9,6 l de figues en tête de la tablette; suit une liste d’offrandes
TH Av 104[+] 191.2
Ptw'iavde «vers les fêtes célébrées au Ptoion» ou «vers les fêtes célébrées en l'honneur de Ptoios»
(-)
rue Pélopidou
po-si-daPY Fn 187.2 i-jo *Posidavhion cf. hom. Posidhvion
po-to-a2ja-de
envoi d’un homme à l’occasion de cette fête
2
KH Gq 5 di-wi-jo[-de, ] di-we ME+RI 209VAS 1 di-wo-nu-so ME+RI [ ] 2 3 KN C(1) 901 + 7661 + 8049 (107) e-wo-ta-de BOSƒ 20 ta BOS 1 4 Cf. T. G. Palaima, «The Knossos Oxen Dossier: The Use of Oxen in Mycenaean Crete. Part I: General Background and Scribe 107», dans J.-P. Olivier (éd.), MYKENAÏKA. Actes du IXe Colloque international sur les textes mycéniens et égéens organisé par le Centre de l’Antiquité Grecque et Romaine de la Fondation Hellénique des Recherches Scientifiques et l’Ecole française d’Athènes, Athènes, 2-6 octobre 1990, (BCH Suppl. 25), 1992, p. 470-471. 5 On suppose que le scribe a voulu inscrire, parallèlement au sanctuaire de Zeus, la mention d’un sanctuaire d’i-pe-me-de-ja, mais qu’il a oublié une syllabe (il faudrait lire i-pe-mede-ja-jo-qe). .1 .2
385
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
re-ke-e-toro-te-ri-jo *lece(s)-
PY Fr 343
po-]se-da-o-ne re-ke-to-ro-te-ri-jo «à Poséidon, (à l'occasion de) r.»?
S343-H4
Near Room 41, Room 376
offrande d’huile parfumée (e-ti-we, *eJrtiWen, parfumé avec de l’e{rti")7 quantité non conservée
PY Fr 1217.2
re-ke-e-toro-te-ri-jo
S1217/Cii
pièce 23
envoi d’huile parfumée à la sauge à pa-ki-ja-ne à l’occasion de cette fête; OLE+A V 1 soit 1,6 l
KN Ga 1058
te-o-po-ri-ja / ma-sa
135?
K1? South East Front
KN Od 696
te-o-po-ri-ja
103
F19 West Magazines
offrande ou livraison d’épices, PYC T 1 soit 9,6 l attribution de laine, M 2 soit 2 kg
te-re-ja-de TH Av *Tevleiav-de ? 104[+]191.2 toponyme à l'allatif? fêtes en l'honneur d'Héra Teleia?
te-re-ja-de
(-)
rue Pélopidou
envoi de 10 hommes
to-no-e-kete-ri-jo8
wa-na-so-i, to-no-e-kete-ri-jo
S1202/H2
pièce 23
offrande d’huile pour onction, OLE+PA V 1 soit 1,6 l
strwthvrion, cf. levco" et strwthvrion, stovrnumi
«fête au cours de laquelle on étend/dispose les lits»?
te-o-pori-ja *yehoforiva
6
PY Fr 1222
Cf. T. G. Palaima, The Scribes of Pylos, 1988, p. 205. Pour une bibliographie détaillée sur ce terme, voir F. Aura Jorro, Diccionario..., s. u. « e-ti-we». Voir aussi RPh, 94, 1-2, p. 267-268, s. u. «e{rti"». 8 Pour les différentes interprétations possibles de ce terme, voir supra. 7
386
LES NOMS DES DIEUX DANS LES TABLETTES INSCRITES EN LINÉAIRE B
Tableau n°5 Noms de mois dans les tablettes en LB mois a-ka[ ]-jo-jo me-no a-ma-ko-to, me-no1 de-u-ki-jo-jo ‘me-no’
référence tablettes
théonymes et hiéronymes associés
type d’offrande
KN Oa 745.1
da-pu2-ri-to-jo po-ti-ni-ja
tissu de type wehanos en lin offrande d’huile huile
KN Fp 14.1a+1b KN Fp 1. 1
KN Gg 7369.1 KN M 1645.1 KN Fp 6 KN Fp 354
di-ka-ta-jo di-we da-da-re-jo-de pa-de pa-si-te-o-i qe-ra-si-ja e-ri-nu *47-da-de a-ne-mo-i-je-re-ja qe-ra-si-ja pa-si-te-o-i di-ka-ta-de *56-ti pa-si-te-o-i ]jo pa-si-te-o-i ? document mal conservé ]wi-jo-do? pa-si-te-o-i ?
PY Fr 1224
po-se-da-o-ne
PY Tn 316 v.1
po-ti-ni-ja
PY Fr 1221 PY Fr 1232
wa-na-se-wi-ja di-pi-si-jo-i
sa-pa-nu-wo-me-no ra-pa-to
KN X 999 KN Fp 13.1
wo-de-wi-jo-jo ‘me-no’
KN Fp 16.1
? *47-ku-to-de (toponyme) pa-si-te-o-i qe-ra-si-ja si-ja-ma-to ]ri-jo-de pa-de-i pa-si-te-o-i pa-sa-ja ko-no, [ ] a-mi-ni-so-de
di-wi-jo-jo ‘me-no’
KN Fp 5. 1
ka-ra-e-ri-jo ‘me-no’
KN Fp 7.1 KN Fp 15.1 KN Fp 18.1
ka-ra-e-ri-jo ka-ra-e-i-jo
pa-ki-ja-ni-jo-jo me-no po-ro-wi-to
KN Fp 48.1 KN Ga 953.1
1
huile huile huile huile laine et miel tissu de type *146 offrande d’huile offrande d’huile (document cassé à gauche) huile pour onction offrande d’un vase en or et d’une femme offrande d’huile offrande d’huile parfumée à la sauge ? offrande ou envoi d’huile huile huile épices
Cf. DELG suppl., s. u. «ajgeivrw», p. 1372.
387
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
me-no
]me-no [ ] me-no ]me-no ] me-no ]me-no
388
Fp 14.1
KN Ga 5672 KN Gg 704 KN Gg 8053.1 KN M 724.1 KN Fh 5450
qe-ra-si-ja a-mi-ni-so-de, pa-si-te-o-i a-re pa-sa[-ja? ]o-ne ?? ? ?
huile
? 1 vase de miel ?? tissus de type *146 huile
QUELQUES ÉPICLÈSES DIVINES EN ARCADIE: TYPOLOGIE ET CAS PARTICULIERS Le nom d’un dieu est généralement commun à tous les Grecs; les épiclèses au contraire sont attachées à un sanctuaire précis. Le cadre local ou régional paraît donc privilégié pour les examiner. Je reviendrai sur le cas de l’Arcadie, dont j’ai étudié les figures divines il y a quelque vingt-cinq ans1, et je m’attacherai, dans le cadre d’une typologie générale, à quelques exemples qui autorisent soit à mettre en lumière le mode d’introduction de l’épiclèse à côté du nom divin soit à souligner l’originalité de la région dans l’emploi des épiclèses. Depuis 1985, le nombre des appellations divines attestées a augmenté avec les nouvelles découvertes ou les nouvelles publications. A Phigalie, la fouille d’un temple classique du IVe siècle, systématiquement menée par Mme X. Arapoyanni à partir de 1995, a livré, dans le sèkos du temple, une base en pierre pour une statue en bronze de Kallikrates, avec une dédicace d’Euagoras à Athéna et à Zeus Sôter2 ; c’est, pour le dieu, la première occurrence à Phigalie. Un col d’hydrie, découvert en Elide et publié en 19913, porte une inscription du Ve siècle dédiant l’objet à Déméter et une seconde inscription, d’époque hellénistique, l’offrant à Artémis Paphrakia. L’origine arcadienne est certaine aux yeux de L. Dubois4, mais difficile à préciser. Le sens de l’épiclèse Paphrakia nous échappe encore (une proposition de I. Andréou, qui la met en relation avec un site de la mer Noire du nom de Paphra, n’est pas satisfaisante)5. Ajoutons un petit bélier en bronze de facture «arcado-laconienne» que publie P. Cartledge en 2000. La dédicace, faite par Xénoclès, a été gravée en Arcadie (région de Tégée?) et concerne Poséidon Elater («Conducteur»)6. P. Cartledge suggère qu’il s’agit d’une simple épithète renvoyant au culte de Poséidon
* Les abréviations utilisées dans les notes de cet article sont celles de L’Année philologique. 1 M. Jost, Sanctuaires et cultes d’Arcadie, Paris, Études péloponnésiennes, IX, 1985, cité ci-après Sanctuaires. 2 Voir SEG 46, 1996 [1999], 448 (simple mention) et 47, 1997 [2000], n. 441 (avec le texte). Ajouter à la bibliographie X. Arapoyanni, «Anaskafev~ sth Figavleia», dans V. MitsopoulosLeon (éd.), Forschungen in der Peloponnes. Akten des Symposions anlässlich der Feier «100 Jahre Österrechisches Archäologisches Institut Athen», Athen 5.3-7.3. 1998, Athènes, 2001, p. 299-305. 3 K. Phragkandréas, « Epigrafev~ cavlcinh~ udriva~ apov idiwtikhv sulloghv sthn Hleiva », dans Arcaiva Acaiva kai Hleiva. Achaia und Elis in der Antike, A. Rizakis (éd.) (Melethvmata, 13), Athènes, 1991, p. 123-126. 4 L. Dubois, dans «Bulletin épigraphique», REG 105, 1992, p. 474, n° 259. 5 I. Andréou, « VArtemi~ Pafrakiva », AAA, 29-31, 1996-1998 [2000], p. 135-146. 6 P. Cartledge, «“To Poseidon the Driver”: an Arkado-Lakonian Ram Dedication», dans G. R. Tsetshladze, A. J. N. W. Prag, A. M. Snodgrass (éds.), Periplous. Papers on Classical Art and Archaeology presented to Sir John Boardman, Londres, 2000, p. 60-67. Voir aussi L. Dubois, «Bulletin épigraphique», REG, 114, 2001, p. 522, n° 218.
389
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
Hippios, mais l’existence d’un Poséidon Elatès en Attique, mentionné par Hésychius7, parle en faveur d’une épiclèse8. Ces nouvelles épiclèses ne modifient pas fondamentalement le bilan que l’on peut dresser. Mis à part le cas des appellations euphémiques, comme Artémis Héméra(sia) («La Douce»), Artémis Kallisté («la Très Belle») ou Zeus Eubouleus («Bienveillant »), les épiclèses arcadiennes concernent généralement soit l’origine topographique de la divinité, soit son association avec une autre divinité, soit sa «fonction» dans le monde des humains.
Epiclèses toponymiques Une première catégorie d’épiclèses, que l’on trouve en toutes régions, est toponymique: l’épiclèse sert à distinguer une divinité de la divinité homonyme de la cité voisine. Les épiclèses toponymiques dérivées de noms de sites se rencontrent généralement pour les dieux qui protègent de petites agglomérations: ainsi Zeus Kynaitheus pour la cité de Kynaitha, Artémis Lousiatis à Lousoi, Asklépios Kaousios pour le village de Kaonte ou Hermès Akakésios pour le village d’Akakésion, Déméter «des Korytheis» pour un des dèmes de Tégée et Apollon Bassitas pour le lieu-dit Bassai9, Dans les petites agglomérations, une certaine polyvalence de la divinité éponyme explique sans doute le choix d’une appellation toponymique. Dans les cités de plus grande importance, les épiclèses sont généralement plus diversifiées et plus spécialisées10. Quant aux épiclèses topiques, comme celle d’Artémis Mésopolitis «installée au milieu de la cité» à Orchomène, d’Artémis Limnatis («des Marais») en Tégéatide ou d’Aphrodite du Kôtilion en Mégalopolitide, elles sont liées à l’implantation des sanctuaires concernés: Artémis Mésopolitis a son temple à mi-pente sur l’acropole d’Orchomène; Artémis Limnatis est installée dans la zone de marécages du Sud-Ouest du bassin de Tégée, que les katavothres étaient impuissants à drainer; Aphrodite du Kôtilion a son sanctuaire dans un vallon sur le mont Kôtilion11. Plus curieuses sont les épiclèses liées à un nom de lieu extérieur à l’Arcadie, car elles impliquent un apport venu du dehors. Diverses modalités peuvent être envisagées. Dans le cas de l’Aphrodite Paphia de Tégée, ce sont les liens de l’Arcadie et
7
Hésychius, s. u. « jElavth~». Le Zeus Kénostratos qui apparaît dans A. Dasouli-Stavridi, Arcaiologikhv sulloghv Megalovpolh~, katavlogo~, Athènes, 1999, p. 34 résulte de la mauvaise lecture du nom du prêtre éponyme Xénostratos: cf. IG, V 2, 549 (III). 9 Scholie à Lycophron, Alexandra, v. 400 (Kynaitha); IG, V, 2, 397 (Lousoi); Pausanias, VIII, 25, 1 (Kaonte); Pausanias, VIII, 36, 10 (Akakésion); Pausanias, VIII, 54, 5 (dème des Korytheis); IG, V 2, 429 (Bassai). 10 Stymphale fait apparemment exception avec son Artémis Stymphalia. Mais en fait cette déesse, loin d’être polyvalente comme dans les petites agglomérations, est très clairement rattachée, par les légendes qui s’y rapportent, aux eaux stagnantes de Stymphale (voir dans Pausanias, VIII, 22, 7-9, la légende du chasseur englouti dans un katavothre, qui permit l’évacuation des eaux qui avaient inondé le bassin). 11 BCH 38, 1914, p. 464-466 (Orchomène); Pausanias, VIII, 53, 11 (Tégéatide); IG, V, 2, 429 (mont Kôtilion). Voir Jost, Sanctuaires, s. u., pour les données archéologiques. 8
390
QUELQUES ÉPICLÈSES DIVINES EN ARCADIE
de Chypre qui sont en cause, avec peut-être une émigration arcadienne (l’archéologie semble confirmer la possibilité de fondations arcadiennes à Chypre)12. L’émigration arcadienne entraîne une interaction forte entre les religions des deux pays et un phénomène en retour à Tégée. Dans le cas d’Athéna Alalkoménia, en Mantinique, l’épiclèse pourrait renvoyer, comme déjà chez Homère, au site béotien d’Alalkoménè. Les cas de parentés onomastiques entre Arcadie et Béotie sont nombreux et il est, dans l’état actuel de la recherche, difficile d’en rendre compte13. Quant à l’Apollon Pythios de Phénéos, il témoigne de relations apparemment précoces entre l’Arcadie et Delphes. Pausanias rapporte en effet que le sanctuaire fut fondé par Héraklès à son retour d’Elide14. Mais, le plus souvent, il faut penser pour les épiclèses «étrangères» à des interventions de moindre ampleur: au rôle des mercenaires pour Aphrodite Erycine à Psophis ou Artémis Ephésia à Mégalopolis et Aléa ou à celui de simples voyageurs pour Artémis Brauronia à Stymphale15. Le cas le plus épineux demeure celui de Déméter Eleusinia. On a proposé, dans les cas où la déesse présentait des caractères indigènes marqués, comme à Basilis, de mettre son nom en relation avec une vieille déesse Eleuthia – maintenant attestée quatre fois en mycénien16, mais le passage d’Eleuthia à Eleusinia (par une dérivation en in, avec assibilation du t) est difficile à accepter tant du point de vue philologique qu’en raison des attributions vraisemblablement différentes des deux déesses Eleuthia / Eileithyia et Déméter Eleusinia. D’ailleurs, en plus d’un cas, le contexte impose de rapprocher l’épiclèse Eleusinia du nom du site d’Eleusis. Ainsi à Phénéos, les Phénéates, rapporte Pausanias, «célèbrent une cérémonie à initiation (telethv) en l’honneur de la déesse [Déméter Eleusinia], et ils affirment que les rites pratiqués (ta; drwvmena) à Eleusis et ceux qui sont institués chez eux sont les mêmes (ta; aujtav) »; le Périégète explique cette similitude par une légende étiologique: «En effet, Naos serait arrivé chez eux sur l’ordre d’un oracle rendu à Delphes, et Naos serait un descendant d’Eumolpos à la troisième génération»17. Tout incite donc à mettre en rapport Déméter Eleusinia avec Eleusis: la similitude des rites et la légende étiologique; il n’y a pas de raison valable de chercher dans la déesse la descendante d’une Eleuthia «préhellénique» ou mycénienne. Il reste à comprendre comment des mystères, secrets par définition, ont pu avoir, sans impiété de la part de ceux qui les répandaient, des «doublets» en Arcadie. Une solution consisterait à voir dans le sanctuaire de Déméter Eleusinia une «filiale» d’Eleusis, avec des «envoyés» d’Eleusis. C’est vers quoi ferait pencher a priori la
12
Pausanias, VIII, 53, 7. Voir la bibliographie archéologique dans Jost, Sanctuaires, p.
513 n. 1. 13
SEG, 17, 1960, 190 (Athéna Alalkoménia). Voir Jost, Sanctuaires, p. 386-387 et 304-305. Pausanias, VIII, 15, 5. 15 Pausanias, VIII, 24, 6 (Psophis), VIII, 30, 6 (Mégalopolis) et VIII, 23, 1 (Aléa); SEG, 11, 1954, 1107 (Stymphale). 16 Nicias (= FGrH 318 F 1), d’après Athénée, Deipn., XIII, 609 e-f, et Pausanias, VIII, 29, 5. R. Stiglitz, Die Grossen Göttinnen Arkadiens. Der Kultname MEGALAI QEAI und seine Grundlagen, Vienne, 1967, p. 56-58. Pour le mycénien e-re-u-ti-ja, ancêtre d’Eileithyia, voir l’article de F. Rougemont dans ce volume. 17 Pausanias, VIII, 15, 1. 14
391
QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
légende qui donne aux mystères de Phénéos un fondateur descendant d’Eumolpos. On aurait un parallèle dans la légende rapportée par les Phliasiens: à Kéléai, près de Phlionte, on célébrait des mystères dont la cérémonie était «calquée sur celle d’Eleusis». Malgré des variantes de détail, «les gens de Phlionte, écrit Pausanias, conviennent euxmêmes qu’ils copient le culte d’Eleusis. C’est, disent-ils, Dysaulès, frère de Kéléos, réfugié dans leur pays, qui institua l’initiation après avoir été chassé d’Eleusis par Ion»18. Le Périégète conteste cette version locale et doute que Dysaulès ait été éleusinien. Effectivement, même si les raisons de Pausanias ne sont pas ici les bonnes19, on peut douter que les familles sacerdotales d’Eleusis aient cherché à essaimer. On penserait plutôt qu’Eleusis, dont «l’unicité» est affirmée par plusieurs textes, «souhaitait rester unique», selon la formule de W. Burkert20. «Elle réussit largement à le faire», conclut cet auteur; et de fait les sanctuaires dont le rituel peut être rattaché à Eleusis sont exceptionnels21. Ne pourrait-on penser qu’à Phénéos, comme à Kéléai, les légendes locales qui présentaient les fondateurs des mystères comme venus d’Eleusis ont été inventées par les Phénéates et les Phliasiens pour authentifier leur emprunt ? Les Arcadiens, d’ailleurs, donnaient également à Arkas un maître éleusinien, Triptolème, lorsqu’il avait répandu la culture du blé en Arcadie22. Tout en conservant les mystères d’une Déméter Kidaria, qui était authentiquement arcadienne23, les gens de Phénéos s’étaient donc arrogé le droit d’introduire chez eux un «doublet» éleusinien. Comme le procédé pouvait paraître audacieux, ils avaient eu recours, pour le justifier, à l’oracle de Delphes qui aurait donné l’ordre à Naos de fonder les mystères24.
Epiclèses résultant de l’association entre deux divinités Un autre cas intéressant est constitué par des épiclèses qui témoignent d’associations anciennes entre divinités locales et divinités du fonds panhellénique. Bien sûr, comme le note J.-P. Vernant, le paysan ignorait tout d’une éventuelle dualité d’origine ou d’un processus de fusion entre éléments d’origine différente25. Mais il est des cas privilégiés, comme celui d’Aléa Athéna à Tégée: un ensemble de données littéraires, épigraphiques, numismatiques et archéologiques qui se recoupent, permet de
18
Pausanias, II, 14, 2. Il tire argument de ce que Dysaulès ne fait pas partie de ceux à qui Déméter, dans l’Hymne homérique à Déméter (v. 474-476), enseigna les mystères. On en dirait autant de Naos. 20 W. Burkert, Les cultes à mystères dans l’Antiquité, Paris, 1992, p. 46. Voir Epicure, Enchiridion, 3, 21 et Pap. Ox., XIII, no 1612. 21 Voir L. R. Farnell, The Cults of the Greek States, 3, Oxford, 1907, p. 200-201. Pour Alexandrie, P. M. Fraser, Ptolemaic Alexandria, Oxford, 1972, p. 198-201, conclut qu’il n’y avait pas de mystères à proprement parler dans l’agglomération alexandrine dénommée Eleusis, mais seulement une fête importante en l’honneur de Déméter; voir aussi S. Sworonek, B. Traczkow, «Le culte de Déméter à Alexandrie», dans L. Kahil, C. Augé (éds.), Mythologie grécoromaine, mythologies périphériques, études d’iconographie, Paris, 1981, p. 131-144. 22 Pausanias, VIII, 4, 1. 23 Pausanias, VIII, 15, 2-3. 24 Pausanias, VIII, 15, 1. Ce «doublet» ne peut pas être antérieur au Ve siècle (Jost, Sanctuaires, p. 354, pour la pénétration de la connaissance d’Eleusis dans le Péloponnèse). 25 J.-P. Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, 1974, p. 223. 19
392
QUELQUES ÉPICLÈSES DIVINES EN ARCADIE
suivre l’évolution qui conduit, en pleine période historique, du culte d’Aléa à ceux d’Aléa Athéna et d’Athéna Aléa. L’existence d’une déesse Aléa, indépendante d’Athéna, est un fait spécifiquement arcadien: la déesse Aléa est mentionnée à Mantinée dans une inscription de la première moitié du Ve siècle, où il semble qu’elle rende un oracle26 ; elle est aussi sous-jacente dans le nom de la tribu mantinéenne Epaléa27, dans un texte de la première moitié du IVe s. A Tégée, un fragment de stèle daté vers 525520 av. J.-C. porte la dédicace d’un athlète à Aléa (halevai) 28. Le nom d’Aléos, attribué par la tradition au fondateur du sanctuaire de la déesse locale 29, renvoie de même à un culte d’Aléa, tout comme celui des concours appelés Aléaia, attesté par des inscriptions des IIIe-IIe s. av. J.-C. et par Pausanias 30. A l’époque archaïque, Athéna est présente dans le sanctuaire d’Aléa à Tégée, sans que le nom d’Athéna apparaisse encore: une statuette en bronze représente en effet Athéna portant un casque et une égide à gorgoneion, une lance et un bouclier31. A l’époque classique, la déesse de Tégée est encore appelée Aléa par Xénophon32, mais Hérodote et Euripide l’appellent Aléa Athéna33. Aléa est nommée en premier et Athéna apparaît comme divinité secondaire en position d’épiclèse; Aléa perd son indépendance, mais non sa prééminence. Elle est encore Aléa Athéna dans un fragment de Ménandre34, puis chez Strabon (il note qu’à son époque le sanctuaire d’Aléa Athéna se maintient en vie)35. Enfin, dans deux inscriptions des Ier et IIe siècles de notre ère, il est question de la prêtresse d’Aléa Athéna36. De la même époque datent les témoignages épigraphiques relatifs aux Aléaia de Tégée. Aléa Athéna devait être l’appellation officielle de la déesse. Parallèlement, l’appellation Athéna Aléa, qui privilégie Athéna aux dépens d’Aléa en réduisant celle-ci au rôle d’épiclèse, est connue dès les IIIe-IIe siècles: quelques monnaies tégéates en bronze por-
26 IG, V 2, 262 (cf. G. Thür, H. Taeuber, Prozessrechtliche Inschriften der griechischen Poleis: Arkadien, Vienne, 1994, n° 8). 27 IG, V 2, 271. Les cinq tribus possédaient des noms d’allure archaïque venant de dieux ou de héros: Epaléa, Enyalia (d’Enyalios), Hoplodmia (d’Hoplodmos ou Hoplodamos), Posoidaia (de Posoidan) et Anakisia (de Anakes). 28 IG, V 2, 75; SEG, 11, 1065 et 26, 472. La fin de la première ligne manque; mais la restitution envisagée par J. Ebert, ZPE, 9, 1972, p. 287 n. 8 jAqavnai, est peu vraisemblable, séparée de halevai par ajnev[qeken. 29 Pausanias, VIII, 45, 4. 30 IG, V 2, 142; Inschr. Perg., 156; IG, IV, 1136 (Epidaure); Pausanias, VIII, 47, 4. 31 Voir D. Viviers, Recherches sur les ateliers de sculpteurs et la Cité d’Athènes à l’époque archaïque. Endoios, Philergos, Aristoklès, Bruxelles, 1992, p. 155-158 (avec la bibliographie antérieure). 32 Xénophon, Helléniques, VI, 5, 27, à propos du culte de Thérapné, en Laconie (il doit s’agir d’un apport arcadien). 33 Hérodote, I, 66 et IX, 70: oJ nho;~ th`~ ’Alevh~ ’Aqhnaivh~; Euripide, Augé, Hypothesis, 6 (éd. F. Jouan et H. Van Looy): le texte conserve th`~ ’Aleva[~ à la ligne 6, qui peut avoir été suivi, mais non précédé, d’’Aqhna`~ ; il faudrait restituer ’Aleva~ ’Aqav]na~ à la ligne 2. 34 Ménandre, Héros, v. 84. 35 Strabon, VIII, 8, 2. 36 IG, V 2, 81, l. 6-7 (Ier-IIe s. ap. J.-C.) et IG, V 2 50, l. 2 (155/156 ap. J.-C.).
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
tent l’inscription AQA| NAS ALEAS, gravée de part et d’autre d’une chouette sur un autel 37. C’est aussi la forme qu’a retenue Pausanias 38. Ces deux témoignages laissent supposer que le nom d’Athéna Aléa avait également cours à Tégée à côté d’Aléa Athéna. Quant à l’appellation par le simple nom d’Athéna, elle se rencontre dans des sources qui s’inspirent de poètes épiques ou tragiques traitant de la légende d’Augé et ne reflète donc pas une tradition locale39. Bref, Athéna apparaît à côté d’Aléa dès le VIe siècle dans l’iconographie, puis comme épiclèse; à partir du IIIe siècle, Athéna Aléa est attestée, sans que l’appellation d’Aléa Athéna disparaisse, tant s’en faut. Des affinités de caractère ont présidé au rapprochement entre les deux déesses. Si l’étymologie du nom d’Aléa nous échappe, il est clair que, dès la haute antiquité, il évoquait la notion de «refuge»40, ce qui l’apparentait à Athéna qui protège par les armes. Si Athéna a, déjà à l’époque archaïque, imposé son image de guerrière, elle n’a pas dépouillé Aléa d’un rôle qui est resté souvent prééminent. Un phénomène du même ordre peut être observé près de Phigalie. Pausanias mentionne un sanctuaire d’Eurynomé, «vénéré depuis une antiquité reculée» et difficile d’accès. «Le commun des Phigaliens est persuadé qu’Eurynomé (“Qui dispense largement”) est une épiclèse d’Artémis, mais ceux d’entre eux qui ont retenu les témoignages anciens disent qu’Eurynomé est la fille d’Okéanos citée par Homère dans l’Iliade»41. Ainsi, de vieilles traditions avaient gardé le souvenir d’une Eurynomé, divinité primitive des eaux et de la faune aquatique dont le xoanon à queue de poisson conservait la mémoire. La croyance populaire, quant à elle, témoignait de l’introduction d’Artémis qui avait dû prendre place dans le culte à côté d’Eurynomé (Artémis a elle-même des liens avec l’eau42); le nom d’Eurynomé tendait, pour «le commun des Phigaliens», à devenir une simple épiclèse divine. Pourtant, Eurynomé avait encore une certaine autonomie au temps de Pausanias, puisque le Périégète nomme le sanctuaire par le nom de cette déesse. N’aurait-on pas déjà un processus analogue dans des temps plus lointains? Le cas le plus intéressant met en cause la continuité qui peut avoir existé entre l’époque mycénienne et la période «historique». En ce qui concerne Déméter Erinys à Thelpousa,
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B. V. Head, Historia Numorum2, Oxford, 1911, p. 455 et Sylloge Nummorum, Danish National Museum, 17, Copenhague, 1944, n° 306. La date exacte devrait être précisée par une étude de M. Thompson à paraître. Le motif de la chouette sur ce monnayage peut faire songer à une influence attique pour la prédominance d’Athéna. 38 Pausanias, VIII, 45, 4 et passim. 39 Voir Ps.-Apollodore, II, 7, 4 et III, 9, 1; Alcidamas, B XXII 16 (éd. Radermacher, p. 144); Strabon, XIII, 1, 69 (où il résume Euripide; ailleurs, il parle d’Aléa Athéna: voir n. 31); Clément d’Alexandrie, Stromates, VII, 4, 22; scholie à Callimaque, Hymne à Délos, v. 71; Tzetzès, Comment. à Lycophron, Alexandra, v., 206; Christodoros, Descriptions (Anth. Palat., II), v. 139 parle de Pallas. 40 Jost, Sanctuaires, p. 370-372. 41 Pausanias, VIII, 41, 4-6. 42 Voir Y. Morizot, «Artémis, l’eau et la vie humaine», dans R. Ginouvès, A.-M. Guimier-Sorbets, J. Jouanna, L. Villard (éds.), L’eau, la santé et la maladie dans le monde grec (BCH, suppl. 28), Paris, 1994.
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l’existence, attestée par deux fois43 d’une divinité mycénienne e-ri-nu, est une donnée importante qui autorise à concevoir une déesse Erinys indépendante en Arcadie. L’épiclèse de Déméter Erinys n’était plus comprise à l’époque de Pausanias: on la faisait dériver d’un verbe arcadien érinuein, «nourrir de la colère», par référence au sentiment qu’avait éprouvé la déesse après avoir été violée par Poséidon. Cependant une Erinys est attestée en Béotie par une scholie à Homère qui raconte l’union de Poséidon, métamorphosé en cheval, avec elle : « Erinys, enceinte, donna naissance à un cheval, Arion»44. En Arcadie, chez Pausanias, c’est Déméter Erinys qui, transformée en cavale, s’unit à Poséidon cheval et enfante Arion45. Mais deux textes gardent la trace du rôle d’Erinys. Une scholie à Lycophron consigne: «Thelpousa: ville d’Arcadie … où est honorée l’Erinys»46 ; Tzetzès, par ailleurs, rapporte que Déméter se serait unie à Poséidon «sous l’aspect d’une Erinys»47. L’image que donne ensuite Tzetzès de l’Erinys dérive de la conception classique des Erinyes; il n’en reste pas moins qu’Erinys est considérée comme un personnage distinct de Déméter. La légende de l’union d’Erinys avec Poséidon et de la naissance d’Arion est certainement ancienne: outre l’allure archaïque du thème thériomorphique, on peut invoquer en ce sens la scholie à Homère déjà citée où il est précisé que la légende se trouvait chez les poètes cycliques. Dans ces conditions, il n’est pas interdit de penser qu’Erinys prolonge la déesse mycénienne e-ri-nu et survit comme épiclèse de Déméter à Thelpousa. L’aboutissement du processus d’association de deux divinités s’observe peutêtre avec le culte de Zeus Hoplosmios, «Zeus armé», mentionné à Méthydrion dans un décret de la Confédération achéenne du IIIe siècle48. Le nom de la tribu mantinéenne Hoplodmia et l’existence d’un géant Hoplodamos49 à Méthydrion (il aurait veillé sur l’accouchement de Rhéa et la naissance de Zeus dans le mont Thaumasion) sont des indications en faveur d’un ancien Hoplodamos, assimilé par Zeus dont l’épiclèse Hoplosmios garderait le souvenir sous une forme adjectivale (avec chute de l’a et assibilation du d).
Epiclèses liées à la vie des dieux et à leurs «fonctions» Il reste d’autres catégories d’épiclèses. Celles qui sont liées à la vie d’une divinité sont relativement exceptionnelles. Citons Zeus Léchéatès («Celui qui a accouché») à Alipheira et Asklépios Pais («Enfant») à Thelpousa. Dans les deux cas, des prétentions arcadiennes à avoir vu naître une divinité sont à l’origine de l’épiclèse: Athéna, fille de Zeus, serait née à Alipheira et Asklépios à Thelpousa; des légendes locales sur ces naissances accompagnaient les épiclèses. Citons encore trois épiclèses d’Héra à Stymphale: Héra Pais («Enfant»), quand elle était encore vierge, Téleia («Epouse» ), quand elle eut
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Pausanias, VIII, 25, 4-7 et, pour e-ri-nu, voir l’article de F. Rougemont dans ce volu-
me. 44
Scholie AB Gen à Iliade, XXIII, v. 346. Pausanias, VIII, 25, 5-8. 46 Scholie à Lycophron, Alexandra, v. 1040. 47 Tzetzès, Comm. à Lycophr., Alexandra, v. 153. 48 IG, V 2, 344. 49 Pausanias, VIII, 36, 2. La forme des manuscrits, Hopladamas, paraît fautive. 45
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épousé Zeus, Chèra («Veuve»), lorsqu’elle se fut «séparée» de Zeus. Peut-être liées à un cycle cultuel de la déesse centré sur un hiéros gamos, les épiclèses étaient expliquées par des épisodes de la vie de la déesse50. Les épiclèses fonctionnelles sont les plus nombreuses. On s’arrêtera sur quelques exemples. Pour ces épiclèses, les Arcadiens se sont souvent contentés de reprendre à leur compte des appellations communes en Grèce. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la vie politique et la vie du groupe social, qui ne se sont souvent institutionnalisées que tard en Arcadie. Lors de la création de Mégalopolis en 370/369, Zeus Sôter («Sauveur»), que l’on retrouve à Mantinée ou Messène, est honoré en relation avec la protection que requiert la fondation d’une cité51. D’une manière générale, des épiclèses banales désignent Zeus en relation avec la famille: Zeus Téleios («Qui accomplit toute chose»; en particulier dieu du mariage et de la famille), Zeus Patrôos («Patron de la famille») à Tégée ou Zeus Épidotès («Dispensateur») à Mantinée. De même, Athéna, en tant que protectrice de la cité, est dite Polias ou Poliatis, Apollon est Agyieus («Protecteur des rues»), Poséidon est Hippios («Protecteur des chevaux»)52. Notons toutefois que si ces épiclèses sont d’apparence ordinaire, leur contenu peut l’être moins. Ainsi Athéna Poliatis (simple variante de Polias) protège la cité de Tégée et son iconographie puise au répertoire habituel d’Athéna53. Pourtant la légende attachée à son sanctuaire met en évidence une conception particulière du pouvoir protecteur de la déesse. Athéna Poliatis aurait fait présent au roi Képheus d’un talisman: une boucle des cheveux de la gorgone Méduse (selon une variante, Héraklès, qui l’avait reçue d’Athéna, l’aurait remise à la fille du roi, Stéropé). Il suffisait, en cas d’attaque armée, de lever trois fois la boucle du haut des remparts, sans regarder devant soi, pour que l’ennemi se retire en déroute54. Il s’agissait là d’une légende officielle, car elle figure sur le monnayage tégéate55. Elle met en scène une déesse qui, par l’intermédiaire d’un talisman, assure à la cité une protection d’ordre magique. L’épiclèse Poliatis recouvre donc une réalité particulière en Arcadie. Le cas d’Apollon Agyieus à Tégée n’est pas moins éclairant sur la tonalité spécifique que peut revêtir une épiclèse banale56. Pausanias écrit: «Quant à Apollon Agyieus, si les Tégéates lui ont élevé des statues, c’est, à ce qu’on prétend pour le motif suivant». Suit un vieux mythe agraire qui met en cause à la fois Apollon et Artémis. Le meurtre de Sképhros, fils de Tégéa-
50 Voir M. Jost, « Les disputes entre Héra et Zeus en Arcadie et en Béotie », dans J. de la Genière (éd.), Héra. Images, espaces, cultes, Naples, 1997, p. 87-92. 51 Pausanias, VIII, 30, 10 (Mégalopolis), VIII, 9, 2 (Mantinée) et IV, 31, 6 (Messène). 52 Pausanias, VIII, 48, 6 (Zeus Téleios); IG, V 2, 63 (Zeus Patrôos); Pausanias, VIII, 9, 2 (Zeus Epidotès). 53 Jost, Sanctuaires, p. 364-368. 54 Pausanias, VIII, 47, 5; Ps-Apollodore, Bibl., II, 7, 3 et Souda, s. u. Plovkion Gorgavdo". 55 L. Lacroix, «Aspects du culte des “reliques” dans la Grèce ancienne», BAB, 75, 1989, p. 77-78. L’auteur y rectifie la séquence fautive que j’avais donnée dans Sanctuaires, p. 367368. Voir aussi H. Nicolet-Pierre, M. Oeconomidès, «Le trésor de Tégée, IGGH 265. Contribution à l’étude du monnayage de bronze péloponnésien», AE, 134, 1995, p. 77-84 et pl. 35-36. 56 Pausanias, VIII, 53, 1-3.
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tès, par son frère Leimon entraîne une stérilité qui s’abat sur le pays et ne prend fin qu’après que les Tégéates, ayant consulté l’oracle de Delphes, ont instauré plusieurs rites en l’honneur de Sképhros, rites renouvelés chaque année lors de la fête d’Apollon Agyieus. L’épiclèse d’Agyieus recouvrait une fonction plus complexe que la simple protection des rues, puisque le dieu était honoré d’anciens rites organisés après une stérilité envoyée par les dieux, suivant le schéma d’un vieux culte agraire. On constate donc que l’épiclèse ne rend pas compte de toute la personnalité du dieu Apollon Agyieus. Quant à Poséidon Hippios, son épiclèse est aussi teintée en Arcadie d’une coloration particulière. Dans le livre sur l’Achaïe57, Pausanias écrit: «On peut penser que le dieu a reçu le nom d’Hippios pour bien des raisons; pour ma part cependant, je présume qu’il doit ce nom à sa qualité d’inventeur de l’équitation» et, après avoir cité Homère et Pamphos, il conclut: «C’est donc à cause de l’équitation, et non pour un autre motif qu’il a reçu ce nom». Mais en Arcadie, il en va autrement. «Les gens de Thelpousa seraient les premiers des Arcadiens chez qui Poséidon fut dénommé Hippios». C’est ici la naissance du cheval Arion qui justifie l’épiclèse58 ; il est né de l’union de Poséidon, transformé en cheval, avec Déméter qui avait pris la forme d’une cavale. L’épiclèse est ainsi liée au thériomorphisme du dieu et de sa progéniture. A Mantinée, Poséidon Hippios a aussi une relation directe avec le cheval: à la naissance du dieu, Rhéa aurait donné un poulain à avaler à Kronos à la place du petit Poséidon (comme ailleurs elle lui donne une pierre emmaillotée au lieu de Zeus)59. L’épiclèse Hippios accolée à Poséidon renvoie donc en Arcadie à un lien très intime entre Poséidon et le cheval. Mais il faut ajouter qu’à Mantinée, Poséidon Hippios, dont le sanctuaire était voisin de la ville, semble avoir été la divinité poliade de la cité60 ; Poséidon Hippios a donc des fonctions plus larges que celles d’un protecteur des chevaux. L’épiclèse définit un aspect essentiel du dieu, mais n’épuise pas le champ de ses fonctions. Les épiclèses «panhelléniques» des divinités sont ainsi plusieurs fois employées avec une connotation propre aux sanctuaires auxquels elles sont attachées. Il est aussi des appellations plus proprement arcadiennes. A l’occasion de la fondation de Mégalopolis, à côté d’une épiclèse banale au IVe siècle comme Sôter pour Zeus, on crée une épiclèse qui exprime la solidarité nécessaire à l’épanouissement de la nouvelle cité: ainsi naît Zeus Philios («de l’Amitié») qui avait une statue sculptée par Polyclète le Jeune61. Son épiclèse illustre la philia liée selon Aristote à la notion de patrie62. La statue était composite: «Chaussé de cothurnes, le dieu tenait d’une main un vase à boire et de l’autre un thyrse avec un aigle posé sur le thyrse»; cette statue alliait par conséquent des traits de Dionysos, le dieu du symposium et de la convivialité, et des traits de Zeus, le dieu civique et ordonnateur. Parallèlement, l’épiclèse d’Apollon Parrhasios, un dieu dont le sacrifice s’effectue en partie sur l’agora de la
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Pausanias, VII, 21, 8-9. Pausanias, VIII, 25, 5-9. 59 Pausanias, VIII, 8, 2. 60 Voir Jost, Sanctuaires, p. 290-292, repris par J. Mylonopoulos, Pelopovnnhsow oi’khthvrion Poseid«now. Heiligtümer und Kulte des Poseidon auf der Peloponnes, Liège, 2003 (suppl. 13 de Kernos), p. 419-420. 61 Pausanias, VIII, 31, 4. 62 Aristote, Politique, III, 9, 13. 58
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cité et en partie dans un sanctuaire des pentes du mont Lycée63, perpétue le nom d’une des tribus fondatrices de Mégalopolis, celle où les traditions religieuses étaient les plus riches64. A Bassai-Phigalie, on remarque un Apollon Epikourios («Secourable») qui veille sur la cité65 ; son épiclèse est visiblement d’origine militaire: les épikouroi sont les troupes qui secourent et les ex-voto trouvés dans le sanctuaire permettent de confirmer le lien d’Apollon avec la guerre66. C’est là aussi une épiclèse proprement régionale. Dans le domaine de la vie des citoyens, les dieux Ergatai («Ouvriers»), Athéna Ergané, Apollon Agyieus, Hermès, Héraklès et Ilithyie, ont une désignation collective, que Pausanias s’attache ensuite à justifier pour chacun d’entre eux. Ils étaient, rapporte-t-il, représentés sous forme de piliers quadrangulaires. L’appellation collective peut correspondre à une réalité matérielle: ces piliers surmontés d’une tête pouvaient être accolés, suivant un schéma iconographique attesté en Arcadie67, et porter sur la face antérieure le nom de chaque divinité. Appellation et iconographie originales se répondent. Mentionnons encore Athéna Koria et Artémis Koria à Kleitor68, responsables de l’intégration des jeunes filles dans la vie sociale; l’épiclèse – sinon la fonction – est un unicum. Quant à Artémis Apanchoménè (la «Pendue») à Kaphyai, elle aussi unique, le sens de son épiclèse n’est pas clair. La légende étiologique de Kondyléa, pres de Kaphyai, la décrit comme une protectrice des enfants; des enfants avaient noué une cordelette autour du cou de la déesse (comprenons de son effigie) et disaient qu’elle était «pendue» 69; les habitants de Kaphyai les lapidèrent; une maladie s’abattit sur les femmes enceintes qui perdaient leurs bébés; l’oracle de Delphes leur ordonna d’accomplir des sacrifices annuels aux enfants morts injustement et d’appeler la déesse de Kondyléa Apanchoménè. L’épiclèse est traditionnellement rapportée à un rite: des statuettes de divinités agraires «suspendues» aux branches des arbres auraient eu pour rôle de garantir la fécondité. Une autre explication consiste à mettre la déesse en relation avec le suicide par pendaison des jeunes filles qui veulent rester vierges et à considérer que la déesse Pendue devait les protéger d’une telle mort70. Là où les rapports avec le paysage arcadien sont le plus directs, on a le plus grand nombre d’épiclèses originales. Concernant les phénomènes atmosphériques, Zeus Storpaos honoré à Tégée au Ve siècle est inconnu ailleurs (le sens de l’épiclèse découle d’une glose d’Hésychius: storpavn : th ;n ajstraphvn); Zeus Kéraunos, le dieu-foudre attesté au Ve siècle à Mantinée, est également original71 : Zeus est identifié à la manifestation physique de la foudre au lieu que la foudre soit simplement son
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Pausanias, VIII, 38, 8. Pausanias, VIII, 27, 4. 65 Pausanias, VIII, 41, 7. 66 Voir Jost, Sanctuaires, p. 486-488. 67 Voir A. S. Arvanitopoulos, AE, 1906, col. 47-49 et Jost, Sanctuaires, pl. 38, fig. 3. 68 Pausanias, VIII, 21, 4 (pour Athéna) et Callimaque, Artémis, 233-236 (pour Artémis). 69 Pausanicas, VIII, 23, 6-7. 70 Voir Jost, Sanctuaires, p. 401-402 et H. King, «Bound to bleed: Artemis and Greek Women», dans A. Cameron, A. Kuhrt (éds.), Images of Women in Antiquity, Londres, 1983; cf. aussi M. Dillon, Girls and Women in Classical Greek Religion, Londres - New York, 2002, p.230231. 71 IG, V 2, 64 (Zeus Storpaos) et IG, V 2, 288 (Zeus Kéraunos). 64
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attribut. Dans la sphère «fertilité-fécondité», Déméter Mélaina («Noire») à Phigalie, Dionysos Auxitès («Qui fait croître») à Héraia, Apollon Kéréatas («Cornu») en Mégalopolitide ou Déméter Kidaria, («de la danse Kidaris») à Phénéos sont plus authentiquement indigènes qu’Artémis Agrôtéra («Chasseresse») ou Apollon Nomios («Protecteur des bergers») attestés en Arcadie, mais aussi largement connus dans tout le monde grec72. Chaque fois, dans les exemples cités, les occurrences sont à peu près sans parallèle ailleurs en Grèce. Tantôt les noms sont faciles à comprendre, comme Dionysos Auxitès, dont l’épiclèse traduit le pouvoir fécondant d’une divinité qui «fait croître» les dons de la nature; tantôt ils sont insolites comme Apollon Kéréatas, protecteur des troupeaux, qui a peut-être son pendant dans l’Apollon Kéraiatas chypriote et un lointain ancêtre dans la statuette d’Enkomi représentant un personnage dont le casque porte des cornes73. Dans le cas de Déméter Mélaina, la légende selon laquelle la déesse aurait revêtu un voile noir et se serait retirée dans une grotte, associée à l’analyse des offrandes végétales qui lui sont faites, conduisent à reconnaître une déesse «du sombre», protectrice de la végétation et de son cycle. Mais, pas plus que précédemment, l’épiclèse ne donne une image complète de la déesse: sa statue thériomorphique à tête de cheval, rappelant son union avec Poséidon-cheval, montre des accointances particulières avec le monde animal qui ne sont pas incluses dans l’épiclèse. Pour Déméter Kidaria à Phénéos, l’épiclèse renvoie au nom d’une danse et d’une coiffure; le rituel, qui met en scène un prêtre revêtu du masque de la déesse et frappant avec des verges les habitants du monde souterrain, ajoute à la définition suggérée par l’épiclèse l’idée d’une divinité de la végétation74. L’appellation de la déesse s’adresse certainement à un aspect essentiel d’Artémis Kidaria; mais les autres éléments du culte permettent de compléter l’approche d’une personnalité divine plus complexe et qui ne se laisse pas saisir à travers la seule épiclèse. Enfin la piété légendaire des Arcadiens est à l’origine de plusieurs épiclèses originales relatives au déroulement du culte: Artémis est Hiéreia («Prêtresse») à Oresthasion et Hymnia («des Hymnes») à la frontière entre Mantinée et Orchomène; dans un sanctuaire de Phénéatide, sur le mont Krathis, Artémis Pyrônia («de la Flamme») fournissait aux Argiens la flamme des Lernaia, et, près de Tégée, Dionysos Mystès (« Myste») commémorait l’initiation du dieu à Eleusis75. Les épiclèses ou appellations cultuelles donnent un aperçu de la diversité des divinités arcadiennes. Plusieurs d’entre elles témoignent de contacts anciens avec d’autres régions de Grèce: i1 faut renoncer à voir dans l’Arcadie un bastion refermé sur lui-même et voué à n’être qu’un conservatoire de cultes. D’autres dénominations sont celles-là même que l’on retrouve dans toute la Grèce, mais elles prennent souvent
72 Pausanias, VIII, 42, 1-13 (Déméter Mélaina), VIII, 26, 1 (Dionysos Auxitès), VIII, 34, 5 (Apollon Kéréatas), VIII, 15, 2-3 (Déméter Kidaria), VIII, 32, 4 (Artémis Agrotéra); Cicéron, De nat. deor., III, 23, 57 (Apollon Nomios). 73 Voir Jost, Sanctuaires, p. 482 et A. Schnapp-Gourbeillon, Aux origines de la Grèce (XVIIIe-VIIIe siècles avant notre ère). La genèse du politique, Paris, 2002, p. 99. 74 Pausanias, VIII, 15, 3. Voir Jost, Sanctuaires, p. 320-322. 75 Pausanias, VIII, 44, 2 (Artémis Hiéreia), VIII, 13, 1 (Artémis Hymnia), VIII, 15, 9 (Artémis Pyrônia), VIII, 54, 5 (Dionysos Mystès).
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une coloration locale. Nombreuses sont enfin les épiclèses proprement arcadiennes qui couvrent un champ déterminé propre à un sanctuaire donné. L’étude de leur groupement et de leur environnement rituel, mythique et cultuel peut seule permettre d’appréhender la complexité du panthéon dans chaque cité arcadienne.
Madeleine JOST Université Paris X – Nanterre
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LES THÉONYMES D’ÉPOQUE ROMAINE EN RHÉNANIE: ÉBAUCHE D’UNE CLASSIFICATION Si l’on prend pour point de départ la «liste de Ristow»1, il faudrait l’examiner à la lumière des travaux de Schleiermacher2, de Drexel3, peut-être en général de Georg Wissowa4 ; il faudrait ensuite examiner le corpus des théonymes attestés à Trèves5, puis, quittant le milieu «impérial» et urbain, celui des campagnes trévires6. Ici, nous ne pourrons qu’épingler quelques faits susceptibles de suggérer des pistes le long desquelles de futurs travaux pourront, éventuellement, cheminer. La parution toute récente d’une synthèse sur les noms des divinités celtiques7 fournirait assurément ample matière à la réflexion qui est au cœur du débat qui nous réunit. Ajoutons que le colloque «Dieux des Celtes» qui vient de se tenir à Luxembourg8 confirme d’une part que les problèmes que j’aurai à évoquer gardent leur actualité, que d’autre part nous semblons glisser vers une sorte de crise de la recherche internationale dont les disciplines: archéologie, linguistique, histoire de la littérature, épigraphie, histoire des religions, philosophie connaissent – en tant que telles – les tribulations où se débattent toutes les sciences humaines. Alors que leur mise à contribution interdisciplinaire apparaît maintenant indispensable, il est plus difficile que jamais de mettre sur pied des synergies trans-
1
L’essai d’inventaire des divinités attestées en Rhénanie: G. Ristow, «Götter und Kulte in den Rheinlanden», Römer am Rhein. Ausstellung des Römisch-Germanischen Museums Köln, O. Doppelfeld (éd.), Cologne, 19673, p. 57 sqq. 2 W. Schleiermacher, «Studien an Göttertypen der römischen Rheinprovinzen», Berichte der Römisch-Germanischen Kommission des Deutschen Archäologischen Institutes, 23, 1933, p. 109 sqq. Quelques synthèses dans des catalogues d’expositions récentes sont loin de valoir ce grand classique. 3 F. Drexel «Die Götterverehrung im römischen Germanien», Berichte der RömischGermanischen Kommission des Deutschen Archäologischen Institutes, 14, 1922-1923, p. 1 sqq. et «Antikes Sagengut auf römischen Denkmälern des Rheinlandes», Trierer Zeitschrift, 3, 1928, p. 165 sqq. 4 G. Wissowa, Religion und Kultus der Römer (Handbuch der klassischen Altertumswissenschaft, V, 4), Munich, 1912. 5 Cette deuxième étape s’inspirerait du catalogue présenté en 1988 par W. Binsfeld, K. Goethert-Polaschek et L. Schwinden, Katalog der römischen Steindenkmäler des Rheinischen Landesmuseums Trier, 1. Götter- und Weihedenkmäler, Mayence (Corpus signorum imperii Romani. Deutschland, 4, 3), 1988, p. 316 (= Katalog…). 6 C. M. Ternes, Inscriptions antiques du Luxembourg (= IAL), Luxembourg, 1965, p. 192. 7 N. Jufer, T. Luginbuehl, Répertoire des dieux gaulois. Les noms des divinités celtiques connus par l’épigraphie, les textes antiques et la toponymie, Paris, 2001. 8 Du 11 au 14 octobre 2001, sous l’égide de l’Association Européenne pour l’Etude Scientifique des Religions (EurAssoc).
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catégorielles. Par ailleurs, la mise à disposition des moyens d’investigation, de stockage et de communication inhérents aux technologies modernes exige une méthodologie partiellement nouvelle, mais aussi le maintien et la défense des qualités traditionnelles de toute science: dénombrements entiers, bon sens dans l’appréciation, logique etc. Beaucoup doivent repartir du bon pied afin de remonter (avec une documentation élargie, donc d’autant plus multiforme!) au niveau de nos grands prédécesseurs.
Désordre ou diversité? On s’est beaucoup servi de la liste de Ristow (qui comporte 127 théonymes pour la Rhénanie9), quelquefois sans beaucoup de discernement; j’en reproduis la première page, elle me servira à évoquer en première approximation une série de difficultés que l’on ne peut pas ignorer: ABNOBA - Keltische Waldgöttin, Göttin des Schwarzwaldes. Als Diana-A. Wa1d-, Quellund Heilgöttin. Dargestellt wie Diana jedoch mit entblösster Brust. Attribute: Hase und Frucht. ADONIS - Kleinas.griechischer Vegetationsheros. Als Adonis-Eros Partner der AphroditeVenus. AHUECANAE - Einheimische Gottheiten - Aveha und Helivissa. ALATEIVIA - Einheimische Heilgöttin (Xanten). AMMON (AMUN) - Juppiter-Ammon. ANCAMNA - Keltische Göttin, Kultgenossin des Mars-Smertius im Trevererland. ANUBIS - Diener der ägyptischen Götterfamilie Isis-Osiris-Horos. Dargestellt mit Schakalkopf. In der Hand Palmzweig und Mercurstab. APHRODITE - Griech. Göttin der Liebe und Schönheit, des Frühlings und der Seefahrt. Die «Schaumgeborene». Ihr Begleiter Adonis. Unbekleidete oder mit Schleier umhüllte Göttin. Attribute : Diadem, Blüte, Mohn, Apfel, Vogel, Schildkröte, Delphin, Schwamm; auch Widder oder Bock. Mit römischer Venus gleichgesetzt. APIS - Aegyptischer Schutzgott der Totenstadt von Memphis. Wird identisch mit Osiris-Serapis. Apis-Stier. APADEVA - Einheimische (Quell-)Göttin in Köln. APOLLO - Griech.-röm. Gott, Bruder der Artemis (= röm. Diana)-Aphrodite. Universalgott : Vegetations-, Kolonisations-, Heil-, Gesundheits- (Sohn : Asklepios-Aesculap), Todesgott, Gott der Musen und des Orakels. Röm. Heilgott. Im keltischen meist = Grannus mit Partnerin Sirona (oft = Diana) oder als Toutiorix(Quellgott). Unbekleideter Jüngling. Attribut: Zweig in der Hand. Auch in griech. Weise mit Kithara, Plektron und Pegasus. Als Grannus auch bärtig.
9 Le terme est géographiquement ambigu, puisqu’il comporte des parties de la Germanie Inférieure, de la Supérieure et de la Belgique. Il est commode parce que cette Rhénanie a constitué pendant de longs siècles une entité historique et culturelle dans le sein de laquelle, de Xanten à Trèves, en passant par Cologne et Bonn, un peu par Mayence – plus tournée vers le limes proprement dit –, les villes permettent – de par leur diversité même – des échantillons intéressants de la romanisation.
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ARDUINNA - Keltische Wald- und Heilgöttin, Göttin der Eifel und der Ardennen. Vielfach mit Diana gleichgesetzt. Dann dargestellt wie Abnoba mit entblößter Brust. ARTEMIS - Griech. Schwester des Apoll. Vegetations-, Seefahrts-, Jagd- und Mondgöttin. Römisch als Diana interpretiert. ASKLEPIOS - Als Sohn des Apoll griech. Heil- und Gesundheitsgott. Gott der Quellen und Badeorte. Tochter: Hygieia. Attribute des bärtigen Gottes: Schlange, Wanderstab, Schale, Hahn. ATHENA - Tochter des Zeus. Blitz-, Kriegs- und Kulturgöttin = Nike, Siegesgöttin. Unbezwingbar durch Gorgoneion (Aegis) auf der Brust. Später auch Göttin der Weisheit und Künste, des Handwerks- und Gewerbefleißes sowie der Stadtkultur. Gekleidet in Peplos. Attribute: Korinthischer Helm, Schild und Lanze, Oelbaum, Hahn, Schlange, Eule. Röm. = Minerva.
Quelles constatations immédiates inspire cette page10 ? Sur quinze noms, quatre (27 %) (Aphrodite, Apollon, Artémis, Athéna) font partie des Olympiens11, du groupe indiscutable des grand dieux de la Grèce; il ne faut pas oublier que nous sommes en Rhénanie, donc aux confins du monde romain; la proportion est donc relativement forte12. Par le biais de l’Asia, quatre (27 %) (Adonis, Anubis, Apis, Ammon): c’est l’ouverture à l’Orient, surtout à l’Egypte. 54 % des dieux ne sont donc pas des dieux romains, même si, pour certains, il y a eu une «interprétation» dont nous connaissons les limites; nul ne dira «Venus gleichgesetzt»13 pour Aphrodite, Artémis n’est pas Diane, Athéna n’est pas Minerve et l’Apollon latin est si différent de celui de Delphes, de Délos et d’ailleurs… De plusieurs, on contestera la divinité: il s’agit d’Asklépios d’abord, mais aussi des «Quell-Nymphen», infiniment nombreuses, que la piété, l’embarras des érudits et les intérêts du patriotisme local ont propulsées au ciel ou pour le moins dans des bocages dont Lucain avait pourtant évoqué le caractère peu engageant14. Il y a généralement une pétition de principe: toute eau est salutaire; si elle guérit, elle est l’instrument d’une divinité. En fait – et l’iconographie est là pour nous le rappeler – ces pseudo-divinités sont bien charmantes, fort utiles… mais il faudrait mener une discussion approfondie sur la notion même de divinité, de dieu, de déesse avant de pouvoir leur appliquer ex officio ce qualificatif.
10
Que l’on peut considérer comme représentative de l’ensemble de la liste. Voir maintenant à ce sujet: P. F. Burke, The Olympians. Gods and goddesses of Ancient Greece, Centre Alexandre-Wiltheim, Luxembourg (Série Aperçus), 2001. 12 L’examen de certains monuments célèbres (cénotaphe d’Igel p. ex.) montre que les scénographies à forte teneur mythologique (signifiante!) sont quelquefois entièrement helléniques. 13 Il n’y a pas de véritable traduction française pour ce «gleichgesetzt»; «identifiée» est trop fort, «comparée» trop faible, peut-être «à rapprocher de»? C’est l’une des facettes du débat sur les «interprétations». Il faudrait donc discuter dans quelle mesure, sur quels segments théologiques, la Vénus des Latins peut être rapprochée d’Aphrodite Olympienne. 14 Lucain, Phars., III, 440 sqq. L’erreur de méthode – une pétition de principe – est massive dans le catalogue d’une exposition qui s’est tenue à Lattes en 1992: Dieux guérisseurs en Gaule romaine, édité par Christian Landes. 11
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Abnoba et Arduinna n’ont sans doute jamais existé; j’ai mené la démonstration pour cette dernière15. La démonstration concernant une déesse dérivée de l’Abnoba mons repose sur une note de Schumacher dans le volume 2 de sa (très méritoire) Siedelungs- und Kulturgeschichte der Rheinlande16 et sur onze inscriptions ou fragments d’inscription17 qu’il faudrait revoir systématiquement; il n’est pas évident qu’une forêt, qu’une montagne ait (= «soit») une divinité. Si Abnoba est aussi qualifiée de Diana Abnoba, alors se posent les graves problèmes du lien sémantique entre les deux noms, puis de leurs implications religieuses. Qui nomme-t-on? Est-ce un élargissement de la surface théologique? Le théonyme Diana va d’Ephèse jusque dans les Asturies, celui d’Abnoba, de Bad Cannstatt à Badenweiler… ce qui est encore une aire d’application relativement importante par rapport à certaines pseudo-divinités qui n’existent que sur quelques hectares. Ici se posent des problèmes de psychologie religieuse qui méritent réflexion. S’y ajoutent les problèmes de l’iconographie; le sculpteur ayant à exprimer une déesse des forêts recourra immanquablement au phénotype Diane chasseresse. Nous sommes donc préparés à parler des divinités celtiques. Il y a quelques jours, le Professeur Altjohann, de l’Université de Cologne, nous a démontré que Cernunnos n’est attesté qu’une seule fois (sur le pilier des nautes de Paris) alors que par ailleurs des traces ou même des figurations de cornes, d’oreilles de cerf, de sabots de cervidés (?) composent une telle série (d’ailleurs peu fournie) d’exemplaires uniques et distincts qu’il n’y a pas lieu, ni à Reims ni ailleurs, d’en faire un grand dieu celtique, dieu dont l’iconographie est si décevante. Les exposés de nos collègues ibériques18 ont soulevé des problèmes du même genre: dans des textes très difficiles à interpréter, n’at-on pas tendance à voir des appellatifs divins là où il y a mention de défunts, dans le meilleur des cas de héros? Bernard Sergent a abondé dans le même sens pour le domaine celtique et John Carey pour l’Irlande. Il est évident que nous n’avons franchi qu’un tout petit pas si nous nous rangeons à ce constat de prudence et d’ambivalence: un homme et un dieu peuvent porter le même nom sans qu’il s’agisse simplement d’une forme d’évhémérisme19 au sens véritable du terme. Dans le cadre du projet F.E.R.C.A.N.20, je n’ai pas cessé de poser des questions quant à cette celticité qui est un fait antérieur de longs siècles par rapport aux périodes et aux civilisations dont nous traitons sur le pourtour de la Méditerranée; il semble avoir été l’une des structures fon-
15 Cf. A. Wiltheim, «Les déesses de l’Ardenne», Luciliburgensia Romana siue Luxemburgum Romanum, I, 8, 1-224 = Série Wiltheimiana, fasc.2, Luxembourg, 1982, p. 82-84. 16 1923, note 51. L’existence d’une Arduinna silua ne postule nullement l’existence d’une déesse correspondante. 17 CIL, XIII, 5334, 6283, 6326, 6332, 6342, 6356, 6357, 11710, 11721, 11746 et 11747. 18 F. Beltrán Lloris et F. Marco Simón de l’Université de Saragosse, spécialistes des Celtibères, de leur langue et de leurs dieux. 19 On abuse de ce qualificatif qui est – peut-être surtout – l’affaire de la Renaissance ; je me suis exprimé à ce sujet à propos du Traité sur les dieux païens de Jean Bertels. Cf. Jean Bertels. O.S.B. (1544-1607). Tractatus de diis deorumque gentilium sacrificiis. Traité des dieux païens et des cultes qui leur étaient rendus, Première partie, éd., traduction, introduction et commentaires par C. M. Ternes, Luxembourg, Centre Alexandre-Wiltheim, 1981. 20 Fontes Epigraphici Religionis Celticae Antiquae. Le projet est patronné par l’Académie des Sciences d’Autriche et l’Université de Graz.
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datrices de l’histoire des idées là où il s’est exprimé et, bien sûr, dans les contrées environnantes. Notre civilisation n’est donc pas seulement gréco-romaine et judéo-chrétienne, ce qui donne à ce qu’il est convenu d’appeler l’élément gallo-romain une importance considérable. La liste de Ristow prend la peine de distinguer entre divinités celtiques (Ancamna, et, sous les réserves dites supra: Abnoba et Arduinna) et divinités indigènes («einheimisch», autochtones) : Ahuecanae, Alateivia, Apadeva; peu de divinités germaniques, sauf en Germanie Inférieure, autour de Xanten, peut-être par perfusion depuis la rive droite du Rhin. Rien de semblable en Gaule Belgique, où donc l’alternative naguère promue par Rolf Hachmann21 n’a pas de sens. Du moins ceci nous amène-t-il à mettre en lumière l’importance de l’espace et du temps.
Lenus Mars, Veraudunus, Inciona Le corpus des inscriptions luxembourgeoises22 comporte deux dédicaces multiples où, sur six divinités, quatre sont communes. IAL, 135 (1915, RGKBer Finke 17, 1927, p. 23 n° 69): IN·H D·D·DEO VERAVDVNO / ET·INCIONAE M·PL·RESTITVTVS / EX VOTO ALPINIAE / LVCANAE MATRIS «Pour la Maison Impériale, au dieu Veraudunus et à Inciona, Marcus P(lautius ?) Restitutus, en accomplissement d’un vœu d’Alpinia Lucana, sa mère». IAL, 136 (1964, IAL fig.136) [L]ENO MART[I / ET] VERAVDVN ET / INCIONE·MI/ITIVS·PRIS/CINVS EX VOT «A Lénus Mars et à Véraudunus et à Inciona, Mettius Priscinus, à la suite d’un vœu».
Non seulement nous ne sommes pas dans un milieu où il ne faut pas nommer le dieu (où il est interdit ou jugé superflu de le nommer), ni où il est loisible de vénérer le dieu Inconnu – l’Agnostos theos de Paul – ou tous les dieux à la fois – dis deabusque omnibus –, mais nous sommes dans un contexte où la cumulation des théonymes peut être signifiante. Malgré des différences considérables dans la facture extérieure, les deux inscriptions proviennent d’un même site, une vaste colline dominant la vallée de la Syre, à quelques milles de Dalheim, le gros uicus de la rive gauche de la Moselle, entre Metz
21
R. Hachmann, G. Kossack, H. Kuhn, Völker zwischen Germanen und Kelten. Schriftquellen, Bodenfunde und Namengut zur Geschichte des nördlichen Westdeutschlands um Christi Geburt, Neumünster, 1962. L’ouvrage a fait date par la clarté implacable de sa conceptologie… mais s’avère dépassé parce qu’au bout du compte, il s’appliquait principalement aux Trévires qui ne sont pas «entre» Celtes et Germains, mais le produit tardif d’une situation indigène où divers éléments concourent. 22 IAL, p. 212.
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et Trèves, dominant la jonction entre la voie romaine Reims-Trèves et la voie MetzTrèves, un site riche en trouvailles lithiques, un peu en retrait de la vallée mosellane (trois à quatre kilomètres), à six heures de marche de Trèves. Tous ces faits ont leur importance, même dans notre contexte. La présence de Lenus Mars fournit le cadre trévire; ce dieu est l’un des dieux majeurs des Trévires, il domine les sanctuaires de l’Irminenwingert en face de Trèves23 et du Martberg près de Pommern24. Mais il n’y est pas seul: aucun des sanctuaires trévires n’est dédié à une seule divinité; cette dédicace est collective, multiforme, cumulative, une societas, le résultat d’une sorte de pacte religieux dont il conviendrait d’étudier systématiquement les composantes, qui ne sont pas nécessairement identiques, les contraires pouvant engendrer autant de potentialités actives que les additions plus ou moins identificatrices. Mars n’est pas présent dans la première inscription; parce que les divinités Veraudunus et Inciona le sont dans les deux, on postule qu’il est comme à l’arrièreplan. Il est appelé Lenus Mars quand il est (semble-t-il) le dieu trévire communautaire, Mars Iovantucarus ou Smertulitanus ou Louketius quand il se spécialise dans des fonctions que nous ne pouvons qu’entrevoir. Il s’associe plusieurs fois à Ancamna, assez souvent à un Intarabus dont nous ignorons tout25. L’inscription du Widdenberg est la seule qui fasse une triple association, les ET précisant bien qu’il s’agit de divinités différentes, pas de parèdres ni d’hypostases. Nous nous aventurons maintenant sur un terrain de plus en plus miné: celui des couples divins. S’agit-il de hiérogamies ? S’agit-il simplement de la variante masculin / féminin en des régions où les fameuses déesses-mères sont encore nombreuses? Est-ce LE moyen d’associer un dieu grécolatin à une divinité celtique ou autochtone? S’agit-il de combinaisons théologiques, par addition, par complémentarité, ou par proximité spatiale ou chronologique? Devonsnous imaginer une sorte de concept de la déité à géométrie variable, d’une certaine façon médiatique, n’appelant pas seulement les dieux, mais interpellant les humains conviés à se regrouper autour de signa qu’ils comprennent et de mots qu’ils entendent? Il serait possible que Veraudunus (dont on a montré la proximité avec les Virodunum gaulois) ait une surface d’action régionale; qu’Inciona soit déesse dans la seule vallée de la Syre / Sura26. Les composantes locale, régionale et nationale donneraient donc, ensemble, une idée de la façon dont on s’adresse aux dieux.
23 E. Gose, Der Tempelbezirk des Lenus Mars in Trier (Trierer Grabungen und Forschungen, II), Berlin, 1955. 24 Cf. W. Binsfeld, K. Goethert-Polaschek et L Schwinden, Katalog… n° 188, p. 99 sq.: dédidace à Lénus Mars et à Ancamna; n°s 189-192 (à Lénus Mars). Pour le Martberg: cf. H. Merten-Schneider, Bulletin des Antiquités Luxembourgeoises (= BAL) 15, 1984, p. 57-62; Trierer Zeitschrift, 48, 1985, p. 7-113. 25 Sur l’ensemble de ces problèmes, cf. «La religion romaine en milieu provincial», BAL, 15, 1984, p. 192; «Roman Religion in Gallia Belgica & the Germaniae», BAL, 22, 1993, p. 200; enfin ma contribution: «La religion gallo-romaine», Religions de l’Antiquité, Y. Lehmann (éd.), Paris, 1999, p. 351-442. 26 Comme la Sûre / Sauer dans la Mosella d’Ausone, v. 355.
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L’anthropologie Dans la mesure où l’homme appelle ses dieux à l’endroit qu’il connaît et qui lui paraît saint, sous la forme, sous le signe qu’il ne comprend pas nécessairement mais dont il devine la fonction d’accès, suivant des pratiques qui se sont peut-être sclérosées sous forme de rites devenus incongrus mais respectables parce que chargés de traditions, il peut choisir la langue qui lui est propre pour les nommer. On peut donc admettre – encore à titre d’hypothèse de travail, le travail reste à faire – qu’il y a un rapport entre l’onomastique et les théonymes. Je présente, à titre d’exemple, deux cartogrammes tirés d’une petite étude publiée par Leo Weisgerber en 193527. Les deux sont censés représenter la ciuitas des Trévires; le premier essaie de quantifier les noms de personnes d’origine ou d’essence romaine28. Il est évident que l’on reconnaît une zone très dense sur la rive gauche de la Moselle, en face de Trèves, un grand «Umfeld» dense le long du fleuve. D’un autre côté, la densité s’amenuise fortement vers l’ouest (Gaume, Lorraine belge, Ardenne); des secteurs intermédiaires (30 à 40 %) – peut-être dus à la configuration orographique – viennent s’intercaler dans les régions assez fortement romanisées. Sur le deuxième cartogramme on combine noms indéfinissables (c’est-à-dire ni romains ni celtiques ni germains) et noms latins («römisch-mittelländisch»). On y trouve la confirmation du fait que les noms de personne latins atteignent leur niveau le plus élevé le long de la Moselle, en amont et en aval de Trèves, que les secteurs ruraux qui appartiennent au Land Rheinland-Pfalz à l’est et au Grand-Duché de Luxembourg à l’ouest se maintiennent à des pourcentages assez élevés, mais que le nord et l’ouest sont marqués par l’appartenance à un monde peu ouvert aux apports de l’extérieur. Il faudrait, bien sûr, tout de suite nuancer cette affirmation. De toute façon, il convient de s’interroger quant aux implications concernant les théonymes, moins nom-
27
Sprachwissenschaftliche Beiträge zur frührheinischen Siedlungs- und Kulturgeschichte, I, Francfort/Main, 1935, fig. 1 p. 308 et 4 p. 340. Je ne discute pas ici les questions délicates soulevées par une figuration cartographique de réalités antiques; l’idée que l’on se fait aujourd’hui (Heinen, Wightman) de la ciuitas Treuerorum est différente, notamment pour ce qui est du Nord de la cité. Cf. l’étude signalée ci-dessous, dans Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt (= ANRW). 28 Plus tard, L. Weisgerber préférera la désignation «römisch-mittelländisch» afin de mieux tenir compte de l’impact du monde grec. Cf. Rhenania Germano-Celtica. Gesammelte Abhandlungen, dem Autor zum siebzigsten Geburtstag am 25. Februar 1969, Bonn, 1969, e.g. «Erläuterungen der römerzeiltich bezeugten rheinischen Namen», p. 316 sqq. et mes applications en milieu trévire: «Glossen zum Namenmaterial in römerzeitlichen Inschriften aus dem Westteil der Civitas Treverorum», BAL, 3, 1972, p. 2-18; version abrégée dans: «Glossen zum Namenmaterial in römerzeitlichen Inschriften aus dem Westteil der Civitas Treverorum», Akten des 6. Internationalen Kongresses für griechische und lateinische Epigraphik München 1972, Munich, 1973, p. 401-402 et «Die römerzeitliche Civitas Treverorum im Bilde der Nachkriegsforschung. I. von der Gründung bis zum Ende des dritten Jahrhunderts», ANRW, II, 4, 1975, p. 320-424. Personne n’a repris la question; on s’est borné à rééditer de façon anastatique le dictionnaire d’A. Holder, Alt-celtischer Sprachschatz, Leipzig,1896.
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breux dans ces zones dont on ne peut pas dire qu’elles ne sont pas romanisées, mais dans lesquelles cette romanisation n’a pas entamé des substrats autochtones qui ont filtré puissamment les apports extérieurs dont l’utilité n’était pas en phase avec le développement économique et social de ces secteurs.
La plupart de nos inscriptions datent des IIe et IIIe siècles; c’est l’époque de la paix bourgeoise où les choix de société étaient faits, la prospérité évidente, la région orientée vers Trèves, foyer de l’inermis prouincia, «service provider» pour les garnisons rhénanes, sans soldats elle-même, ville de horrea et de sanctuaires. A quinze milles de là, le gros bourg de Dalheim avait au moins un téménos, où l’on vénérait Iuppiter Très Bon 408
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Très Grand, la Maison Impériale et Minerve29, Mercure30, une Victoria dont on ne sait pas s’il s’agit de la déesse ou d’un nom de personne (l’un n’excluant pas l’autre, nous l’avons dit), les Di Casses31, une Iuno Regina, peut-être une Némésis32. Le monde des dieux est donc romanisé dans ce vicus en position clé entre Metz et Trèves; le concept de romanisation donnera toujours lieu à des malentendus; la Rhénanie (Cologne, Mayence) paraît plus romanisée parce que les monuments s’y inspirent plus directement de l’imagerie qui nous est familière dans le sud de la Gaule, le nord de l’Italie (d’où viennent les principales influences culturelles, surtout en matière d’iconographie), voire Rome elle-même. Cette apparence peut tromper sur la profondeur réelle de la «réception» et de l’acculturation qui peuvent être de façade; c’est dans les Champs Décumates, en Bourgogne, en Suisse, en Alsace, dans l’Erftniederung, en Gaume et sur le Hunsrueck que l’on trouvera une meilleure chance de rencontrer le produit d’un mélange de civilisations qui, ayant (entre autres depuis la celticité) des structures communes, ont formé un ensemble où l’on discerne une volonté d’être ensemble et de faire bon usage des complémentarités reconnues. L’histoire de certaines techniques (agriculture, viticulture) en est l’expression tangible. Ailleurs, la densité d’irrigation dépend plus fortement de la voirie, de certaines industries, de certaines cultures.
Les degrés de la romanité A Wasserbillig, au confluent de la Sûre et de la Moselle, une grande dédicace33 associe Deus Mercurius et Rosmerta pour qui un tabularius augustalis34 fit refaire un sanctuaire avec ses statues et son décor alors que Lupus et Maximus étaient consuls, donc en 232. La dédicace prend soin d’appeler Mercure deus et Rosmerta dea, afin que nul n’en ignore. Il y a dans de tels détails, tout comme dans l’espèce de volonté d’officialité, le signe d’un doute quant à la reconnaissance de celle-ci par la communauté d’insertion. C’est le cas de l’officier de Mersch35.
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IAL, 41. IAL, 28; Deo Mercurio, IAL, 44. 31 IAL, 58. Voir également l’ouvrage de W. Binsfeld, K. Goethert-Polaschek et L. Schwinden, Katalog…, p. 28 sqq. 32 IAL, 37. 33 IAL, 128. 34 C’est-à-dire de la res priuata. 35 IAL, 109 et www.restena.lu/san/471.htm 30
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Superbe inscription, d’une facture haut de gamme36, elle commémore la carrière d’un officier de cavalerie qui servit au Proche-Orient et en Grande-Bretagne, avant de devenir à Trèves flamine d’Auguste et de Lénus Mars. L’inscription peut dater du milieu du IIe siècle ap. J.-C.; la Romana Pax portait ses fruits depuis les Flaviens, le vaste monde était ouvert aux ambitions comme aux croyances. Face à la mort, face déjà à l’âge et à sa moisson d’honneurs, on en revient aux dieux de la «petite patrie». Les dieux les plus invoqués sont les Mânes (ou ceux des Mânes, mais l’attribution peut être trompeuse). Certes, c’est un poncif que de faire commencer d’innombrables dédicaces funéraires par leur invocation; mais le culte funéraire lui-même n’est-il pas l’un des plus répandus? Il n’y a pas de véritable limite entre les dédicaces à des humains et d’autres à des dieux dont les attributs sont souvent difficiles à saisir avec précision. En dehors de l’éternelle jeunesse, donc de la non-mort. Si l’on invoque (parfois, assez rarement) la triade capitoline à Trèves, l’on accepte et l’on révère les dieux de Rome; si l’on accepte finalement d’inclure la domus diuina37 dans la série des invocatifs, le territoire sur lequel porte cette étude semble plutôt enclin à utiliser les théonymes composites, les synergies masculin / féminin, dieu / déesse, sans jamais se faire faute de s’adresser à des dieux géographiquement locaux, mais religieusement (plus ou moins) compréhensibles et non susceptibles de choquer l’environnement social, culturel, politique. J’ai mis en évidence l’importance de nombreux monuments qui additionnent les appellatifs divins; sommés d’un Iuppiter ou de l’un de ses symboles, ils sont fréquents en milieu plutôt rural, là où les contraintes urbaines s’exerçaient moins; les colonnes à Jupiter38 sont fort instructives à bien des égards; d’abord parce qu’elles prouvent que la divinité se divisait, lors même que les études de Georges Dumézil (aujourd’hui de Bernard Sergent et de Dominique Briquel) ont montré qu’en chacune les trois fonctions dites indo-européennes étaient présentes, mais à des dosages fort différents (jamais en équilibre), si bien que le croyant voyait se développer devant lui une vision panoramique de tout ce qu’il importait de croire, mais qui correspondait au polymorphisme infini des réalités qu’il avait sous les yeux; ensuite, il devenait clair qu’en fait la pratique cicéronienne s’était frayé un chemin, depuis la philosophie grecque, jusqu’aux cœurs des pratiquants gallo-romains, pour permettre de concevoir dieu comme tel, c’est-à-dire, quant au fond, comme unique dans son ineffable diversité.
Conclusions Bien des zones d’ombre demeurent; non seulement les théonymes sont peu étudiés (il ne suffit pas d’en faire le catalogue), mais leurs rapports avec la topographie, l’onomastique de Weisgerber, l’ethnologie (qui n’a pas fait de progrès depuis Hach-
36 Il s’agit évidemment d’un «Status-Symbol» marquant la prospérité du bénéficiaire et de ses ayant-droits. 37 Curieuse formule, d’aspect égyptisant, les membres de la famille impériale n’ayant guère de charisme sui generis. 38 Naguère appelées «pierres à quatre dieux» parce que dans la plupart des cas, il n’en subsistait que l’un des registres, souvent appelé ara.
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mann), l’art et l’iconographie, les itinéraires culturels transcontinentaux (depuis la Préhistoire) restent dans l’état d’il y a soixante ans, souvent bien plus39. On fait mine de croire que les grandes questions sont résolues: l’interpretatio Romana (inventée par César pour faire croire qu’en Gaule la victoire de la romanité était complète et définitive), l’arrière-fond de psychologie religieuse des composés (du type Lenus Mars), des pseudo-parédries (Mercure / Rosmerta), la signification des dieux dits celtiques (Epona, Cernunnos), l’importance d’un apport celtique à des faits religieux vivaces à mille trois cents ans d’écart, voilà quelques thèmes que l’on croit traités, qu’il faudrait, de toute urgence remettre au centre de nos préoccupations. Les dieux de Rome voisinent avec des héros trévires; l’apothéose d’Hercule sur le cénotaphe d’Igel en est le paradigme révélateur. Au niveau de la catégorisation – qui répond à un besoin rationnel moderne – on dira que la seule actuellement praticable est celle basée sur la diversification des points de vue. Se place-t-on sur le Capitole ou la colline de Fourvière? Dans l’Altbachtal de Trèves, à Dalheim ou sur le Titelberg? A l’époque des premiers échanges entre les exterae gentes et Rome, antérieurement à toute provincialisation, ou à l’époque de Trajan, quand l’Empire romain devient un véritable régime politique, social, culturel, social formé au contact des provinces et leur empruntant plus d’une de leurs structures les plus porteuses? Aux IIe et IIIe siècles ou au VIe ? Au contact de réalités pré-romaines qui n’ont été que peu touchées par la celticité? Dans les «zones chaudes» où il faut faire la part d’une action de promotion à laquelle les dieux sont volontiers assujettis? Se rend-on compte de l’impact des influences modernes qui ont longtemps cultivé les aspects indigènes, authentiques, patriotiques, héroïques face à l’injuste agresseur romain ? Adopte-t-on un point de vue esthétique (souvent stérile) pour juger de l’aspect d’un monument ou d’une dédicace pour atteindre au tréfonds d’une croyance religieuse? Est-on sur un forum ou dans un tablinum, à un croisement de routes ou au «fin fond» de la forêt de l’Eifel? Nous avons peu de réponses à ces questions; nous y sommes mal préparés parce que la recherche est somme toute peu active, rarement interdisciplinaire, prise dans les imbroglios entre université et services archéologiques, dans la générale désaffection dont souffrent les études consacrées aux provinces occidentales de l’Empire. Celui-ci leur devait pourtant une grande part de ses forces vives.
Charles Marie TERNES (†) Centre Alexandre-Wiltheim – Luxembourg
39 Disons, une fois pour toutes, que les catalogues d’exposition ne sont pas le lieu adéquat pour des études approfondies en ces difficiles matières; s’ils sont rédigés par Henri Lavagne, ils sont bons et riches; généralement, ils sont bâclés par des gens à qui l’on a fixé la tâche absurde de «faire bref».
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LES NOMS DES DIEUX DANS L’HISPANIA PRÉ-ROMAINE J’ai choisi de proposer quelques réflexions menées ces dernières années dans la Péninsule Ibérique sur les noms des divinités indigènes, car ce sont précisément ces théonymes qui nous posent le plus de problèmes. Quelques-unes de ces réflexions ne sont pas tout à fait neuves; d’autres, un peu plus hardies (j’ose le dire), pourront provoquer – du moins je le souhaite – un débat qui ne sera pas limité à la Péninsule Ibérique, mais qui pourra concerner peut-être toutes les régions de l’Empire, particulièrement celles de la périphérie. Ce sont surtout – et assez souvent uniquement – les sources épigraphiques qui nous font connaître les théonymes indigènes. Si les inscriptions nous les donnent déjà latinisés, on pense qu’ils restent proches de leur «son» original. Dès lors, pour comprendre leur signification, on envisage une analyse étymologique du nom de la divinité, ainsi que l’étude du décor des monuments, de l’interpretatio entre le dieu romain et le dieu indigène, du contexte original de la trouvaille du monument, enfin de son devenir dans l’histoire.
L’analyse étymologique, à partir de quelques exemples 1.– Nabia. Le nom divin Nabia a été mis en relation avec la forme sanscrite nãvyã, à laquelle est attribuée la signification de «cours d’eau». Comme le signale J.L. Melena1, ce mot est un adjectif formé à partir de *nãu-s, «navire», qui, en toute rigueur, ne veut dire que «navigable», forme adjectivale du fleuve. L’alternance b-v est bien connue dans les langues indo-européennes et, pour cette raison, Nabia peut très bien être l’équivalent de Nauia, forme, du reste, sous laquelle la divinité est parfois nommée sur les monuments épigraphiques. L’existence d’un fleuve Navia en Espagne pourrait être, selon ce raisonnement, un argument supplémentaire et c’est pourquoi Melena peut conclure: «Esta interpretación de Nabia nos proporciona una diosa indígena de los valles selvosos, de los bosques y de los montes, como la Diana latina, valles que en su hondón pudieron acoger la presencia de un río, que explicaría el hidrónimo y la caracterización de la que Nabia había sido objeto y, muy especialmente, su vinculación con deidades acuáticas»2. Ainsi Nabia, du fait de son étymologie, est-elle très vraisemblablement une déesse des eaux courantes. 2.– Endouellicus. Un autre nom de divinité, qui a fait l’objet de nombreuses interprétations étymologiques, est Endouellicus, un dieu dont le sanctuaire se situait au conuentus Pacensis, sur le territoire de l’actuel municipe d’Alandroal, au sud du
1
J.-L. Melena, «Un ara votiva romana en El Gaitán, Cáceres», Veleia, 1, 1984, p. 233-
2
Ibid., p. 244-245.
259.
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Portugal, en pleine Lusitanie ancienne. L’un des premiers savants à soulever la question de la signification du nom fut Leite de Vasconcelos, qui écrivait: «A palavra Endovellicus pode ser céltica e corresponder a Endovellicos, por *Andevellicos = *Ande-vell-ico-s, onde o vulgar elemento ande é partícula intensiva e o elemento adjectival –vell-ico-s deriva do tema *vello-, a que em galês e bretão, dialectos célticos modernos, corresponde gwell, “melhor”, vindo pois a palavra completa a ter pouco mais ou menos a significação de “optimus” (…). Tal significação é, como se vê, completamente vaga, pois tanto podia aplicar-se a Endovélico como a qualquer outro deus»3. Toutefois, d’autres auteurs se sont penchés sur le nom du point de vue linguistique et ont proposé, en vertu de raisonnements qu’il serait trop long de développer ici, la signification de «très noir», ce qui correspondrait bien avec un dieu des Enfers. 3.– Arentius. Un dernier exemple est fourni par Arentius. Vu la ressemblance phonétique de son nom avec Arès, le nom du dieu Mars, il peut très bien être le dieu indigène de la guerre.
Le décor En règle générale, les autels dédiés aux divinités indigènes n’ont pas de décoration significative. Assurément, quelques-uns ont sur les côtés la patère et la jarre, que nous associons d’habitude aux autels funéraires. Cela signifierait-il que ces divinités sont des divinités des morts? Il est difficile de l’affirmer avec certitude, puisqu’il n’est pas interdit de penser que le dédicant, dans l’atelier du lapicide, a pu choisir un des autels qui y étaient déjà tout prêts et qui attendaient leur inscription. Ils étaient destinés à accueillir une inscription funéraire; mais le client ayant toujours le dernier mot, il a choisi celuilà… et le propriétaire de l’atelier était surtout intéressé à travailler pour vendre! Il est vrai, néanmoins, qu’on peut toujours penser que tout cela n’est pas une œuvre du hasard ou d’un goût, mais d’une volonté. Pour cette raison, patère et jarre sur un autel votif veulent dire, très probablement, qu’elles renvoient à une divinité funéraire. Le cas d’Endouellicus est, à nouveau, dans ce contexte, d’une pertinence curieuse. Nous possédons sur un monument un bas-relief représentant un homme debout, mais dont une des jambes est un peu plus petite que l’autre. On a immédiatement pensé: «Voilà ! C’est un dieu guérisseur, puisqu’on lui a offert un monument sur lequel est représentée la maladie pour laquelle on demandait la guérison! C’est un hémiplégique qui est représenté; donc…». Mais, en observant le bas-relief plus attentivement, on a remarqué que l’artisan – provincial et maladroit – a voulu simplement représenter le dieu en mouvement. La jambe plus courte est en train d’avancer, d’où cette représentation particulière. En tout cas, il existe un autel dédié à Endouellicus où, sur les côtés, on voit des bas-reliefs représentant ce qu’on interprète comme des génies avec une torche à la main. On a pensé à des «Phosphoroi», ce qui correspondait bien (on l’a vu) aux qualités d’une divinité qui mène les esprits dans l’au-delà et illumine leur chemin… Sur le fronton d’un autel au dieu Aernus, on voit un élément végétal stylisé. A première vue, on dirait une palme, la palme de la victoire sur la mort, de la victoire
3
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J. L. Vasconcellos, As Religiões da Lusitânia, II, Lisbonne, 1989 (réimp.), p. 125.
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sur l’oubli, l’éternité! Mais, en examinant de plus près la typologie du dessin, on constate qu’il ressemble plutôt à une branche de taxus baccata, l’arbre dont les feuilles – mangées par les Cantabres – les ont tous menés à la mort, au moment de leur défaite face aux Romains. L’if a, en effet, des vertus médicinales importantes en tant que producteur de «taxol», une des substances aujourd’hui les plus utilisées dans la lutte contre le cancer. On a donc commencé à dire qu’Aernus était bien un dieu de la végétation; puis, qu’il était devenu un dieu de la victoire. Aujourd’hui, la représentation de l’if incite à le voir plutôt comme une divinité protectrice des peuples du Nord de la Péninsule qui avaient cet arbre comme «totem».
L’interpretatio Il est tout à fait naturel que, devant deux divinités présentant les mêmes attributs, les indigènes et les Romains les aient peu à peu dans leur quotidien «assimilées». On peut évidemment s’interroger sur un éventuel «projet» politique du Romain colonisateur. Je n’y crois pas, étant donné que le fait même d’imposer des formes religieuses venues «de l’extérieur» présente toujours un caractère désastreux sur le plan politique. Or, les Romains le savaient très bien. Dans ce cas, l’interpretatio – j’oserais parler plutôt d’interpenetratio – a été le jeu de la vie quotidienne, de l’habitude, une évolution progressive, sans qu’on s’en aperçoive. C’est alors une chance pour le chercheur quand il réussit à surprendre le moment intermédiaire, c’est-à-dire le moment (nécessairement précaire) où cohabitent encore les noms des deux divinités. Nous en gardons quelques précieux exemples. A Emerita Augusta, capitale de la Lusitanie, on a trouvé une inscription (CIL II, 462) où le dédicant, victime d’un vol important, invoque la divinité: per tuam maiestatem, te rogo, oro, obsecro uti uindices quot mihi furti factum est! Quelle maiestas est invoquée? Celle d’une divinité indigène, d’une divinité romaine, de la divinité protectrice de sa ville? En réalité, elles sont toutes invoquées, puisque le dédicant les a assimilées: Dea Ataecina Turibrigensis Proserpina! Ataegina était la déesse indigène, protectrice de Turobriga, et elle aurait, plus ou moins, les mêmes attributs que la Proserpine romaine. Dans l’Hispania préromaine, on constate aussi, comme partout, un autre phénomène d’acculturation qui s’exprime par les épithètes. On trouve, par exemple, un Mercurius Augustus dit Aquaecus, puisqu’il a été vénéré auprès d’une source dont il était le dominus tout puissant. On trouve aussi une dédicace aux Lares Cerenaeci. C’est par l’étude de la véritable signification de ces épithètes qu’on réussira à comprendre un peu mieux la nomenclature des peuples préromains.
Le contexte original En épigraphie, comme dans les études archéologiques et historiques en général, le contexte joue un rôle essentiel, on le sait. La dédicace faite par Medamus Camali au dieu Bormanicus (CIL II, 2402) a été trouvée au lieu dit «Banho do Médico», c’est-à-dire, les thermes de Caldas de Vizela, municipe de Guimarães (conuentus Bracaraugustanus), au nord du Portugal. Ces thermes sont encore fréquentés aujourd’hui. Une autre dédicace a été offerte par C. Pompeius Gal. Caturonis f. Motugenus Uxsamensis deo Bormanico u. s. m. Quisquis honorem agitas ita 415
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te tua gloria seruet praecipias puero ne linat hunc lapidem (CIL II, 2403). Bormanicus serait le dieu dont le pouvoir se manifeste à travers les vertus curatives des eaux thermales, puisqu’il y a des thermes à côté. Cette interprétation est d’autant plus plausible que les linguistes ont associé le nom de la divinité à une racine indo-européenne – *guhormo-, «chaud», par exemple – qui vient justifier sa dénomination.
La «suite» Normalement, les endroits sacrés au temps des Romains – déjà très fréquemment sacrés aux temps préromains – le sont restés au Moyen Age. C’est là aussi une des pistes utiles pour mieux connaître la signification du nom de la divinité indigène. Tel est le cas d’Endouellicus, déjà rencontré. Là où se situait très vraisemblablement son sanctuaire, les chrétiens ont bâti une chapelle dédiée à São Miguel da Mota. Or, saint Michel, on le sait, était l’ange qui accompagnait les âmes dans l’au-delà. Cette interprétation concorde bien avec celle qu’on a notée à partir de l’étymologie: «dieu très noir», «dieu des enfers». De la même façon, on peut penser à la divinité Igaedus, dont l’autel votif a été trouvé à l’endroit où, depuis des siècles, les chrétiens rendent hommage à Nossa Senhora do Almortão, ce sanctuaire étant un des lieux de pélerinage les plus importants de la région. A côté de Notre Dame d’Almortão existe une ville romaine, la ciuitas Igaeditanorum. Igaedus, comme Nossa Senhora do Almortão, était la divinité protectrice du peuple des Igaeditani, mais on ne saura jamais si c’est le dieu qui a donné son nom au peuple ou l’inverse.
Le nom – comment l’écrire? La première question que les Romains très certainement se sont posée à propos du nom des dieux indigènes a été celle-ci: comment l’écrire? Comment «traduire» en latin ce mot tout à fait bizarre qu’on vient d’entendre? Or, personne n’était dans le contexte, ni le Romain ni l’indigène. L’indigène avait sa langue et il n’avait pas l’habitude (du moins on le soupçonne) d’écrire ce qu’il disait, notamment les noms ineffables des dieux! Quant au Romain, il a écrit ce qu’il a plus ou moins compris. Une des divinités les plus répandues du côté occidental de la péninsule ibérique a un nom qui commence par Band-. A ce premier nom succède habituellement un autre, à mon sens une épithète qui veut préciser la signification de la divinité: elle est la protectrice, elle «bande» cet endroit-ci, ce peuple, cette région. Etant donné la variété des épithètes, on a suggéré qu’on pourrait parler de «divinités du groupe Band-». Je ne suis pas d’accord, parce que je pense qu’il s’agit d’une seule divinité, toujours la même, le premier nom étant un substantif, l’autre l’adjectif locatif. Que trouve-t-on par exemple? D’abord, le premier nom: Bandi, Bandu, Bandue, Bande. L’adjectif, de son côté, peut, lui aussi, présenter des variantes: on trouve, par exemple, Bandu Vordeaeco et Bandi Vorteaeceo. Dans la uilla romaine de Freiria, municipe de Cascais, dans les environs de Lisbonne (Olisipo), j’ai trouvé un autel libens animo datum Triborunni par Titus Curiatius Rufinus. C’était assurément une divinité indigène, quoique, d’après son gentilice, le dédicant fût un colon (ou descendant de colon) venu d’Italie. Or, précisément dans la région de la ciuitas Igaeditanorum, on connaissait déjà des dédicaces à une divinité nommée au datif Trebaronne ou Trebarune. En conséquence, puisqu’il est difficile416
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ment envisageable qu’on puisse avoir sur le même territoire (la Lusitania occidentale) deux divinités différentes avec un nom aussi semblable, sans doute s’agissait-il de la même divinité, mais sous une orthographe différente de son nom. A cet égard, le cas plus singulier est celui d’Endouellicus, une des divinités indigènes les plus vénérées, à en juger par le nombre de dédicaces parvenues jusqu’à nous. Sur de beaux autels, de grande taille, très bien sculptés et soigneusement gravés – sans doute dans un atelier renommé –, on lit que la divinité prend au datif le nom le plus courant d’Endouellico, mais aussi ceux d’Endouollico, Enobolico. On pourrait indiquer d’autres cas similaires: Arentio – Arantio ou Cosu – Coso – Cossue. Plus que des variantes dialectales, on a là, à mon sens, un vestige bien net de l’oralité que je signalais plus haut, rien de plus. On écrivait les noms qu’on n’avait pas l’habitude d’écrire selon la façon dont on les prononçait. A mon sens, cette conclusion s’impose et les philologues devraient en tenir compte afin de ne pas aller trop loin dans leurs explications.
Le «sexe» Un autre problème posé par la dénomination des divinités indigènes est celui de leur «sexe». Sur ce point, la discussion reprend périodiquement, selon que le dieu a une représentation prétendument féminine et un nom vraisemblablement masculin ou l’inverse. En effet, on trouve par exemple Arentius et Arentia, mais des autels dédiés soit uniquement à Arentius, soit uniquement à Arentia, ou aux deux. Qu’est-ce que cela veut dire et existait-il un couple sacré? La question est la même avec Fontanus et Fontana: Fontanae sacrum, Flauia Seuera ex uotum (CIL II 6277); Fontano et Fontanae, pro salute Albi Fausti, Albia Pacina u. s. a. l. (CIL II 150). Mais, quand on trouve auprès d’une source d’eau thermale une dédicace F . S, comment doit-on l’interpréter: F(ontanae) S(acrum), F(ontano) S(acrum) ou encore F(ontibus) S(acrum)? Pour y répondre, le témoignage, à mon avis, le plus utile est celui de Threptus, esclave de Caius Appuleius Silo, qui, ayant découvert une source indispensable aux travaux agricoles de la uilla de son maître, a dédié en reconnaissance ob aquas inuentas un autel à la divinité (IRCP, 437). Mais quelle divinité? Celle qui avait dans sa compétence le domaine des sources, quel que fût son nom: Fons, Fontanus ou Fontana! Comment faire, alors? Il a sans doute dit au lapicide: «Tu écris FONTAN, sans terminaison! Ça pourra servir au dieu et … à la déesse!». Lurunis, dont nous ne conservons que le nom, était-il un dieu ou une déesse? J’ai déjà mentionné Triborunni, variante dialectale de Trebaruna, qui, d’après la terminaison du nom, devrait être une déesse plutôt qu’un dieu. C’est pourquoi, dans le cas d’Arentius et Arentia comme dans celui de Fontanus et Fontana, plus qu’un couple, on devait avoir le même dieu sous sa forme masculine et féminine. Lurunis, quant à lui, pouvait être masculin ou féminin, comme on veut. L’usage de l’initiale dans le cas de F . S avait pour but de conserver l’ambiguïté : siue deus siue dea. Je rejoins ici la réflexion faite par Athanassia Zografou à propos de Phôsphoros4.
4
Voir la contribution de A. Zografou dans le présent volume.
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
Les épithètes On a abordé une autre question, très séduisante dans le cadre de l’étude des noms divins, celle des épithètes. Les divinités indigènes aussi pouvaient présenter plusieurs épithètes. Dans le cas de Banda, nous connaissons par exemple: Bandei Brialeacui, Bandi Oilienaico, Bandi Tatibeaicui. L’étude de ces adjectifs – hélas, très souvent connus uniquement par des documents épigraphiques, voire par un seul – peut nous mettre sur le chemin de la découverte des «peuples» ou des régions dont le dieu était le protecteur. Ce chemin est long pour les linguistes comme pour les épigraphistes!
Conclusion Si l’on veut résumer la manière de mener à terme notre recherche: 1 – Il faut, d’abord, examiner le monument dans tous ses aspects: - la lecture précise de l’inscription; - l’endroit de trouvaille et, à partir de là, la découverte du contexte original de la pièce (idée soulignée également par Athanassia Zografou); - dans ce cas, l’analyse de la typologie du monument et de son matériau (marbre, granit, calcaire …) peut nous donner des renseignements précieux. 2 – Les essais d’interprétation étymologique doivent absolument tenir compte de: - l’influence de l’oralité (c’est-à-dire, du langage parlé); - l’absence de contexte: c’est-à-dire le fait qu’on est dans le cadre d’une acculturation, processus nécessairement dynamique dans les deux sens. Si le premier aspect porte sur une question méthodologique, le second se situe sur le plan des mentalités: la charge sacrée du mot lui-même. Oui, le mot a une charge sacrée; mais, très fréquemment, on a la charge sacrée, mais on ne sait pas très bien quel sera le mot, comment l’écrire, comment le désigner. Une entité divine, bien sûr, un genius, une tutela – vraiment sans sexe… parce qu’il faut bien garder cette ambiguïté. L’homme arrive, il veut ensemencer la terre-mère, s’y installer; et il doit partager avec les dieux les fonctions fécondes, d’où l’urgence de l’ex-voto. Quand on rencontre un T. Curiatius Rufinus, parfaitement latin, qui dépose son vœu à Triborunnis, divinité bien indigène, on ne peut que souligner la grande leçon de tolérance religieuse et politique5.
José D’ENCARNAÇÃO Université de Coimbra
5
Le sujet des divinités indigènes en Hispania pré-romaine fait déjà l’objet de plusieurs dizaines de livres et d’articles. Pour donner une vue d’ensemble, notamment sur la synthèse que je viens de présenter, le lecteur trouvera quelques-unes des références dans la bibliographie à la fin de l’article. Je dois remercier vivement Nicole Belayche d’avoir bien voulu réviser mon texte et le mettre en bon français: un grand merci!
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LES NOMS DES DIEUX DANS L’HISPANIA PRÉ-ROMAINE
Bibliographie J. Alarcão, «Divindades da Beira: ensaio de geografia religiosa», Arqueologia Hoje, Faro, 1990, p. 146-169. J. M. Blázquez, Religiones, Ritos y Creencias Funerarias de la Hispania Prerromana, Madrid, 2001. C. Búa et A. Guerra, «Nova interpretação de uma epígrafe votiva do Poço de Cortes, Lisboa (EO 144-E)», dans F. Villar et F. Beltrán (éds.), Pueblos, Lenguas y Escrituras en la Hispania Prerromana, Salamanque, 1999, p. 329-338. J. d’Encarnação, Divindades Indígenas sob o Domínio Romano em Portugal, Lisbonne, 1975. J. d’Encarnação, Inscrições Romanas do Conventus Pacensis, Coimbra, 1984 [= IRCP]. J. d’Encarnação, «Divindades indígenas da Lusitânia», Conimbriga, 26, 1987, p. 537. J. d’Encarnação, «Divindades indigenas peninsulares: problemas metodológicos do seu estudo», Estudios sobre la Tabula Siarensis, Madrid, 1988, p. 261-276. J. d’Encarnação, «Interpretatio romana – quelques questions à propos de l’acculturation religieuse en Lusitanie», dans J. Untermann (éd.), Lengua y Cultura en la Hispania Prerromana, Salamanque, 1993, p. 281-287. J. d’Encarnação, «Teonímia da Lusitânia romana», dans F. Villar et M. P. Fernández (éds.), Religión, Lengua y Cultura Prerromanas de Hispania, Salamanque, 2001, p. 363-372. J. d’Encarnação, Roteiro Epigráfico Romano de Cascais, 2e éd., Cascais, 2001. J. M. Garcia, Religiões Antigas de Portugal, Lisbonne, 1991. J. de Hoz, «La religión de los pueblos prerromanos de Lusitania», Manifestaciones Religiosas en la Lusitania, Cáceres, 1986, p. 31-49. J. L. Melena, «Un ara votiva romana en El Gaitán, Cáceres», Veleia, 1, 1984, p. 233259. J. C. Olivares Pedreño, «El culto a Nabia en Hispania y las diosas polifuncionales indoeuropeas», Lucentum, 17-18, 1998-1999, p. 229-241. R. Pedrero, «Aproximación lingüística al teónimo lusitano-gallego Bandue/Bandi», dans F. Villar et F. Beltrán (éds.), Pueblos, Lenguas y Escrituras en la Hispania Prerromana, Salamanque, 1999, p. 535-543. R. Pedrero, «Los epítetos del teónimo occidental Bandue/i», dans F. Villar et M. P. Fernández (éds.), Religión, Lengua y Cultura Prerromanas de Hispania, Salamanca, 2001, p. 541-560. S. Perea, El Sexo Divino, Madrid, 1999. B. Prósper, «El teónimo paleohispano Trebarune», Veleia, 11, 1994, p. 187-196. J. L. Vasconcellos, As Religiões da Lusitânia, vol. II et III, Lisbonne, 1989 (réimp.). F. Villar, «Un elemento de la religiosidad indoeuropea: Trebarune, Toudopalandaigae, Trebopala, Pales, Vispála», Kálathos, 13-14, 1993-1995, p. 355-388. F. Villar, «El teónimo Reve y sus epítetos», dans W. Meid et P. Anreiter (éds.), Die Grösseren Altkeltischen Sprachdenkmäler, Innsbruck, 1996, p. 160-211.
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Fig. 1: Dédicace à Nabia. D’après CIL, II 5623.
Fig. 2 : Autel dédié à Endouelicus. D’après IRCP, 500.
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Fig. 3: Autel dédié à Trebarune par Toncius Toncetami f. D’après AE, 1896, 2.
Fig. 4: Petit autel dédié à Arentio par Sunua Camali. D’après J. d’Encarnação, Divindades Indígenas sob o Domínio Romano em Portugal, Lisbonne, 1975, p. 103-104.
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
Fig. 5: Dédicace à Arentiae et à Arentio. D’après J. d’Encarnação, Divindades Indígenas sob o Domínio Romano em Portugal, Lisbonne, 1975, p. 101-103.
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NOMMER LE DIEU IAÔ Dès le récit de la Genèse, Yahvé fait son apparition1. Dans le Pentateuque, Yahvé est le Dieu des patriarches, le Dieu qui s’est révélé à Moïse. Dans la Bible hébraïque tout entière, le nom de Yahvé est utilisé près de 6 800 fois, mais, si fréquent soit-il, sa signification n’en reste pas moins discutée. A la question de Moïse à Elohim, en Exode, 3, 13: «Voici que, moi, j’arriverai vers les fils d’Israël et je leur dirai: le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous, et ils me diront: Quel est son nom? Que leur dirai-je?», une réponse élusive est donnée: «Je suis qui je suis». Le nom noté par les quatre lettres YHWH – le tétragramme – est, sans nul doute, d’une grande antiquité. Les massorètes n’ont pas indiqué les voyelles du tétragramme qu’ils lisaient ’adonay «Seigneur». C’est qu’il était interdit de prononcer le nom de Yahvé. La prononciation « Yahvé » est attestée au IIIe siècle par Clément d’Alexandrie : Iaoue2. Beaucoup plus rare est la forme Yâ, relevée vingt-cinq fois dans la Bible hébraïque. La forme Yaô apparaît dans des noms théophores, mais c’est en dehors de la Bible qu’elle prend son essor. On la trouve dans les ostraca araméens d’Eléphantine, par exemple3. En grec, on retrouve Iaô chez Diodore de Sicile4. Varron connaît le Dieu Iaô5, de même l’Oracle de Claros6. Les mentions du Dieu Iaô sont innombrables dans les papyrus grecs magiques, dans les textes gnostiques conservés en copte, dans les inscriptions des coupes magiques araméennes, en hébreu dans les Hêkhâlôt. Les liens de filiation unissant Yahvé, Yâ et Yaô sont difficiles à préciser, mais tout se passe comme si le nom de Iaô s’était substitué, en grec, dans des conditions qui restent à préciser, au tétragramme. Le nom de Iaô possédait de singulières vertus. Constitué de trois voyelles de l’alphabet grec, la première, la médiane et la dernière, il avait, pensait-on, une puissance particulière et stimulait des jeux de lettres dont les Alexandrins étaient friands. Il servait à la composition de pyramides magiques où se rangeaient dans de subtiles combinaisons, les trois voyelles7. Dans des milieux superstitieux, le nom de Iaô était
1
Genèse, 2, 4. Clément d’Alexandrie, Stromates, 5, 6, 34. 3 Voir A. Dupont-Sommer, «Le syncrétisme religieux des Juifs d’Eléphantine d’après un ostracon araméen inédit», Revue de l’histoire des Religions, 130, 1946, p. 17-28 [22-23]. 4 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, I, 94. 5 Varron, Antiquitates rerum diuinarum, I, fragment 17. Voir Y. Lehmann, Varron théologien et philosophe romain, Bruxelles, 1997, p. 145-147. 6 Voir A.-J. Festugière, La Révélation d’Hermès Trismégiste, I, Paris, 1981, p. 13. 7 Voir, par exemple, K. Preisendanz, Papyri graecae magicae, 2e éd., Stuttgart, 1973, figure III, 5. 2
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invoqué en toute occasion. Les auteurs de la Kosmopoiia de Leyde avaient même imaginé que le nom de Iaô avait présidé à la création du monde8. Le rôle extraordinaire du nom de Iaô dans le monde antique ne peut être compris qu’en le situant dans l’histoire des noms divins de la Bible grecque. Dans la version des Septante, le tétragramme est normalement traduit par Kuvrio" «Seigneur», à l’instar des massorètes qui le lisaient ’adonay. Dans un fragment grec du Lévitique trouvé dans la grotte IV de Qoumrân, le tétragramme est transcrit IAW9. Ce pourrait être là une transcription du nom de Yahvé plus ancienne que Kuvrio". Tout laisse à penser qu’à la différence du tétragramme le nom de Iaô a été prononcé lors de la lecture publique de la Bible grecque. Dans les Hexaples d’Origène, le tétragramme est transcrit PIPI. Cette transcription bizarre s’explique par le souci de se conformer à la matérialité graphique du nom divin en passant de l’hébreu carré à l’alphabet grec. Un des exemples curieux de la translittération du tétragramme par PIPI figure dans un fragment hexaplaire du Psaume 21 découvert dans la Geniza du Caire 10. On lit là, dans la cinquième colonne, celle réservée à la version des Septante:
é
CU DE K PIPI Ce qui rend évidemment l’hébreu weattâh YHWH. Le scribe fait suivre CU DE d’un K, abréviation de Kuvrio", surmonté d’un yod, abréviation de «Yahvé». Ces jeux abréviatifs pouvaient se développer sans fin. Le tétragramme était abrégé par un yod, deux yod, trois yod ou quatre yod 11. On lit sur une amulette juive du IIIe siècle du musée de Syracuse 12 : Pyuiq" P I P I. Ces mots ne sont pas inintelligibles: P I P I est l’abréviation du tétragramme, de même que le P initial; q" est, naturellement, l’abréviation de Qeov" «Dieu»; yui est un cryptogramme innocent de u{yisto" «Très-Haut» 13. Le tout se déchiffre P u{yisto" qeo;" P I P I. Sur un papyrus magique de Milan, du IVe ou Ve siècle, figure la formule Iaw C[a]bawq bbb14: c’est le fameux «Yahvé des armées»; le b triplé pourrait être tiré de Cabawq. Sur le Papyrus grec magique, 4, 488, P I P I CCC doit être l’abréviation de P I P I Cabawq. Il faut rappeler, au moins pour mémoire, l’anguipède alectorocéphale que l’on trouve sur de nombreuses intailles magiques 15. C’est un être hybride, à tête de coq ou
8 Preisendanz, Papyri graecae magicae…, 13, 538. On trouvera une traduction française de ce texte dans Festugière, La Révélation …, I, p. 303. 9 P. W. Skehan, E. Ulrich, J.E. Sanderson, Qumran Cave 4. IV (Discoveries in the Judaean Desert, IX), Oxford, 1992, p. 174. 10 Voir C. Taylor, Hebrew-Greek Cairo Genizah palimpsets, Cambridge, 1990, p. 7. 11 Voir J. Z. Lauterbach, «Substitues for the Tetragrammaton», Proceedings of the American Academy for Jewish Research, 1931, p. 39-67. 12 Voir R. Kotansky, Greek magical amulets, I, Opladen, 1994, n° 33, ligne 16. 13 Interprétation proposée par Kotansky, Greek magical amulets…, p. 164. 14 Voir W. Daniel, F. Maltomini, Supplementum magicum, II, Opladen, 1992, n° 92, ligne 12. 15 M. Philonenko, «L’anguipède alectorocéphale et le Dieu Iaô», Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1979, p. 297-304.
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NOMMER LE DIEU IAÔ
de poulet, au torse d’homme et aux pieds en forme de serpent. Très souvent, l’anguipède porte un bouclier sur lequel on lit, en lettres grecques, le nom de Iaô. Nous avons montré, autrefois, par quels mécanismes les Egyptiens ont pu identifier Yahvé ou PIPI à un coq qui en démotique se dit ppy 16. On peut s’attarder plus longuement sur une intaille publiée en 1929 par L. Jalabert et R. Mouterde 17. Cette agate porte au droit l’inscription suivante: IAW ZZC PIP A la première ligne, IAW ne fait pas de difficulté. A la troisième ligne, le lapicide a omis volontairement le iota final de PIPI, en sorte que cette forme du tétragramme ne compte plus que trois lettres, tout comme IAW. A la deuxième ligne, Jalabert et Mouterde donnent pour seul commentaire: «Signes magiques connus»18. En réalité, cette ligne n’a pas d’autre signification que la première et que la troisième. Les deux premiers signes ne sont pas des Z barrés, mais des yod en écriture paléo-hébraïque. Sous cette forme, ils figurent à deux reprises comme abréviation du nom divin dans un papyrus de la Genèse, en 2, 8: kai efuteusen Z Z o Qeo" paradeison en Edem, et, en 2, 18: kai eipen Z Z o Qeo" 19. Le dernier signe, tenu pour un X barré, n’est sans doute pas une lettre, mais une étoile, comme dans d’autres intailles où une étoile est associée à deux yod en position initiale20. Ce pourrait être un souvenir confus de l’écriture cunéiforme où un déterminatif, sous forme d’étoile précisément, précède le nom divin21. Un papyrus juif magique du VIe siècle porte en exergue trois Z barrés et boule22 tés . R.W. Daniel et F. Maltomini reconnaissent dans ces trois lettres, comme dans un papyrus du Fayoum, des zêta barrés qui pourraient être un symbole de la planète Zeus23 : ce sont, en fait, trois yod phéniciens, abréviation du nom de Iaô. Arrêtons-nous, un instant, sur le phylactère de Stamford, publié en 1988 par C. A. Farone et R. Kotansky24. On lit à la première ligne barouc Iaw «Béni soit Iaô», à
16 17
Voir W. Wycichl, Dictionnaire étymologique de la langue copte, Louvain, 1983, p. 161. L. Jalabert, R. Mouterde, Inscriptions grecques et latines de la Syrie, I, Paris, 1929,
n° 224. 18
Jalabert, Mouterde, Inscriptions grecques et latines…, p. 112. Voir l’édition critique de J. W. Wevers, Genesis, Göttingen, 1974, ad loc. 20 Voir A. Delatte, P. Derchain, Les intailles magiques gréco-égyptiennes, Paris, 1964, n°s 506 et 511; P. Derchain, «Intailles magiques du Musée de numismatique d’Athènes», Chronique d’Egypte, 39, 1969, p. 177-193, n° 22. 21 R. Labat, Manuel d’épigraphie akkadienne, 5e éd., Paris, 1976, p. 48-49. 22 Voir Daniel, Maltomini, Supplementum magicum…, I, n° 10. 23 Daniel, Maltomini, Supplementum magicum…, I, p. 28. 24 C. A. Faraone, R. Kotansky, «An inscribed gold phylactery in Stanford, Connecticut», Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 75, 1988, p. 257-266. 19
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
rapprocher du Papyrus grec magique, 5, 480-481: barouc Adwnai Elwai Abraam, qui est une reprise de la première des Dix-huit bénédictions que tout juif pieux devait réciter trois fois par jour: «Béni sois-tu, Adonaï, notre Dieu et le Dieu de nos pères, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob»25. Au-dessus de la première ligne, apparaissent, selon les éditeurs, quatre zêta, deux au-dessus des deux premières lettres de barouc, deux au-dessus des deux dernières lettres de Iaw. Il faut y reconnaître, selon nous, quatre yod archaïques, abréviation du tétragramme. Très tôt, les magiciens grecs ont perdu la signification exacte des yod paléohébreux. Ils les ont alors interprétés comme des zêta grecs et pourvus à l’hébraïque d’une vocalisation de fantaisie. D’où l’abondante moisson, dans la littérature magique, gnostique et hermétique de nomina barbara où le zêta est utilisé avec profusion. Dans le traité hermétique de l’Ogdoade et l’Ennéade, découvert à Nag Hammadi, une série de voyelles se trouve encadrée par deux noms divins. Zôxathazô ouvre la liste vocalique qui est fermée par Zôzazôth26. Le premier nom divin n’est sans doute qu’une déformation du second, formé lui-même à partir des trois zêta. Dans le Premier livre de Jeû, traité gnostique conservé en copte, on relève des dizaines de noms divins de ce type. Quelques exemples suffiront: iwawizazwz, zhzawza, zhzewz, zazazw, wzzzaha, azwzeza27. Ces abracadabra, où l’on a pu voir une déplorable décadence de l’esprit humain, exprimaient, en fait, l’idée que les noms divins avaient une efficace attachée à chacune des lettres qui les formaient. C’est par ces noms que l’on pouvait gagner l’amour des hommes et l’amour des femmes, guérir les fièvres, vaincre la stérilité, aider les parturientes, chasser les démons, faire apparaître les dieux. Les transposer d’un panthéon à l’autre, traduire les divines appellations d’une langue à une autre, c’était renoncer à nommer les dieux par leur nom. Seul le glorieux Iaô, le Dieu aux trois voyelles, qui, par ses lettres, tenait à la structure même du langage, aux chants des sphères et à l’origine du monde, pouvait être dit, appelé et chanté dans tout l’univers.
Marc PHILONENKO Membre de l’Institut
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Texte hébreu dans W. Staerk, Altjüdische liturgische Gebete, 2e éd., Berlin, 1930, p. 11. L’Ogdoade et l’Ennéade, 56, 17-22; voir sur ce traité J.-P. Mahé, Hermès en HauteEgypte, I, Québec, 1978, p. 29-134. 27 Premier livre de Jeû, p. 268, 272, 274, 278, 281 dans C. Schmidt, W. Till, Koptischgnostische Schriften, 2e éd., Berlin, 1954. 26
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DE LA POLYSÉMIE DES ÉPICLÈSES: {UYISTOS DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN* ou[noma mh; cwrw'n, poluwvnumo"... tou'to qeov", «Ne comportant pas de nom, aux noms multiples… voilà ce qu’est Dieu». Oracle d’Oinoanda (Lycie).
L’emploi d’u{yisto" pour qualifier un dieu, personnalisé ou non, est exemplaire pour réfléchir au problème de la polysémie des épiclèses. Le mot apparaît dans deux constructions religieuses aussi différentes que le polythéisme et le monothéisme, ce qui exclut dès l’abord que le sens du superlatif puisse être identique dans les deux mondes, sans interdire toutefois les influences ou confluences. Les attestations épigraphiques courent depuis le milieu de l’époque hellénistique jusqu’à l’Empire romain tardif1, même si les IIe et IIIe siècles de notre ère se partagent les contingents les plus fournis, conformément à l’évolution générale de la production épigraphique. Sur cette longue durée, de Polybe à Augustin, il est impossible que la conception de l’exaltation des divinités (c’est le substantif que j’ai choisi pour traduire la notion d’hypsistos2) n’ait pas évolué. A la différence des épiclèses toponymiques ou fonctionnelles dont le champ sémantique est plus facile à reconstituer, les épiclèses abstraites de nature revêtent des sens différents en fonction des contextes religieux dans lesquels elles se déploient. Les hommages religieux à des divinités «hypsistos» étant incomparablement plus nombreux que les exégèses antiques du terme, on comprend que les interprétations divisent les savants3.
*
Je remercie Markus Stein pour sa relecture attentive. Le corpus rassemble près de 375 attestations, soit c. 75 de plus que la liste établie par S. Mitchell, «The Cult of Theos Hypsistos between Pagans, Jews and Christians», dans P. Athanassiadi, M. Frede (éds.), Pagan Monotheism in Late Antiquity, Oxford, 1999, p. 128-147. 2 En toute rigueur, il faudrait parler d’«hypsistianité» (cf. Pausanias, infra, n. 45), mais le néologisme serait peu heureux. 3 Sans faire un exposé historiographique (cf. N. Belayche, Les divinités « {UYISTOS» dans le monde romain impérial, Thèse Paris IV-Sorbonne, 1984), on rappellera que le débat tourne autour de la place des influences juives. S. Mitchell, «Theos Hypsistos» (art. cit., n. 1) soutient la thèse de groupes syncrétistes « monothéisants » marqués par l’influence juive (les sebovmenoi qeo;n u{yiston seraient les théosebeis, «Wer waren die Gottesfürchtigen?», Chiron, 28, 1998, p. 55-64 et art. cit., p. 115-121), comme I. Levinskaya, The Book of Acts in its Diaspora Setting, Grand Rapids, 1996, p. 83-97 et 227-246 et W. Ameling, «Ein Verehrer des QEOS UYISTOS in Prusa ad Olympum (IK 39, 115)», Epigraphica Anatolica [désormais EA], 31, 1999, p. 105-108. Cf. les réserves judicieuses de M. Stein, «Die Verehrung des Theos Hypsistos : ein allumfassender pagan-jüdischer Synkretismus?», EA, 33, 2001, p. 119-125. 1
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
A l’époque romaine, U { yisto" est par ordre d’importance numérique la seconde épithète épigraphique de Zeus, dépassée seulement par mevgisto"4. Le répertoire épigraphique conduit à travers une conception divine globalement cohérente d’un dieu «au plus haut », dans un panthéon très hiérarchisé, avec ou sans collègue à côté, qui suscite chez ses dévots des attitudes religieuses diverses, depuis la relation contractuelle classique des polythéismes grec et romain jusqu’à la relation personnalisée avec la divinité, réputée s’être nourrie entre autres aux conceptions sémitiques. Dans la perspective méthodologique qui guide nos travaux et par suite de l’impossibilité de développer l’ensemble d’un dossier complexe, j’ai retenu quelques aspects qui démontrent que les sens multiples de cette épiclèse fragilisent au fond toute interprétation qui chercherait à être générale et gommerait par là même la diversité des attitudes religieuses que recouvrait précisément le vocable et qui caractérisait le monde romain. Au nombre des évolutions des polythéismes du monde romain oriental, dans l’ensemble perméables et «assimilationnistes» sans être confusionnistes, le mouvement hénothéiste établissait dans les panthéons une hiérarchie indépendante de celle des religions civiques et qui modifiait les rapports des hommes aux différents êtres divins. Dans cette perspective, la personnalisation des figures honorées était moins urgente que l’expression de leurs nature et place propres. Dans son adresse, le fidèle cherchait moins à nommer tel ou tel dieu sous sa forme individuelle si elle existait qu’à lui rendre un hommage approprié en l’invoquant par la qualité qui le signalait à ses yeux. Cette considération modifie l’approche de l’«anonymat» divin en grec5, envisagé généralement soit comme la traduction d’une réalité religieuse étrangère dont les Grecs ignoraient ou ne comprenaient pas le nom propre6, soit comme l’expression grecque d’une réalité religieuse supérieure, pour laquelle tout nom existant de divinité était inadéquat, parce qu’il était rabaissé par suite de son rattachement à une figure divine individualisée. On peut donc appliquer à l’épiclèse hypsistos la remarque que J. et L. Robert firent à propos d’un dieu épèkoos à Ephèse: «Il n’y a pas à chercher une divinité qui serait toujours et partout ejphvkoo"; cette épithète peut être appliquée par chacun à celle qui l’a exaucé»7.
L’usage épigraphique d’hypsistos {Uyisto" est le nom du Dieu juif dans la traduction grecque des Septante8 et celui de destinataires d’hommages païens dans toute la moitié hellénophone de l’Em-
4
Cf. H. Schwabl, Paulys Real-Encyclopädie der classischen Altertumswissenschaft [désormais RE], X A, 1972, s. u. «Zeus», col. 253 sq. et Suppl. XV, 1978, col. 994 sq. 5 M. Simon, «Anonymat et polyonymie divins dans l’Antiquité tardive», Perennitas. Studi in onore di A. Brelich, Rome, 1980, p. 518. 6 La question du nom du Dieu juif en milieu grec a pu également se poser sous cet angle, cf. E. Bikerman, «Anonymous God», Journal of the Wartburg Institute, I/3, 1937-1938, p. 196. 7 Bulletin Epigraphique [désormais Bull. Ep.], 1982, n° 366 et E. Varinlioglu, «Two Inscriptions from Ceramus», Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik [désormais ZPE], 44, 1981, n° 2 p. 63. 8 En revanche, il est peu utilisé dans les écrits du Nouveau Testament, cf. G. Bertram, Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, VIII, 1969, s.u. «Hypsistos», p. 617-618; H. Bachmann, W. A. Slaby, Computer Koncordanz zum Novum Testamentum Graece, Berlin, 1980, s. u. « {Uyisto"», col. 1854; et H. W. Bartsch, «L'emploi du nom de Dieu dans le christianisme primitif», Colloque L'analyse du langage théologique, Paris, 1967, p. 185-200.
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DE LA POLYSÉMIE DES ÉPICLÈSES
pire. Mais les formulaires épigraphiques ne permettent pas toujours, à leur seule lecture, de distinguer son emploi dans les deux mondes polythéiste et monothéiste. Le théonyme peut y pallier quand l’épiclèse qualifie un dieu personnalisé du panthéon gréco-romain9 ; mais un tiers environ des occurrences nomment Zeus, dont le nom est devenu un théonyme générique pour un dieu en position prééminente. A Délos, la synagogue a livré quatre inscriptions du Ier siècle avant notre ère offertes au Qeo;" {Uyisto" 10 (auxquelles il faut rajouter les deux imprécations funéraires de Rhénée 11), tandis que, sur un versant du mont Cynthe, était installé un sanctuaire de Zeu;" u{yisto" que le dieu, un Baal sémitique 12, partageait avec d’autres divinités proche-orientales 13. Mais, le cas délien est loin de signifier que l’impersonnel Qeo;" U { yisto" était toujours le Dieu juif et Zeu;" u{yisto" toujours un Baal sémitique. 90% des inscriptions à un Qeo;" u{yisto" sont païennes. Dans l’usage épigraphique, païen comme juif, hypsistos est à peu près toujours postposé (Qeo;" u{yisto"), selon l’usage grec du type qeo;" o{sio", qeo;" divkaio", qeo;" swvzwn, etc. 14. Les formulaires épigraphiques juifs suivent rarement les usages de la Septante, même sous sa forme majoritaire: {Uyisto" substantivé, avec
9
Apollon (W. M. Ramsay, «Artemis Leto and Apollon Lairbenos», Journal of Hellenic Studies, 10, 1889, p. 223 n° 11 et C. Marek, «Inschriften aus Nordkleinasien», EA, 32, 2000, p. 135137); Astartè (Inscriptiones Graecae Vrbis Romae [désormais IGVR], I, 136); Attis (ibid. 129); Hélios (M. Fränkel, Die Inschriften von Pergamon, Berlin, II, 1895, p. 243 n° 330 et C. Marek, Stadt, Ära und Territorium in Pontus-Bithynia und Nord-Galatia, Tübingen, 1993, p. 157-158 n° 1); Isis (E. Bernand, Inscriptions métriques de l’Egypte gréco-romaine, Paris, 1969, p. 631-635 n° 175: I, 1; III, 1; V, 4; G. Oliverio, «Due frammenti di Inni ad Iside», Notiziario Archeologico Roma, 4, 1927, p. 210, v. 7; et Supplementum Epigraphicum Graecum [désormais SEG], 38, 1988, n° 748); Mithra (Bull. Ep., 1953, n° 206); Pater Theos Samothrax (Bull. Ep., 1964, n° 561); Sérapis (Corpus Inscriptionum Latinarum [désormais CIL] II, 2395 c). 10 A. Plassart, «La synagogue juive de Délos», Mélanges Holleaux, Paris, 1913, p. 208213 et P. Bruneau, Recherches sur les cultes de Délos à l’époque hellénistique et à l’époque impériale, Paris (Bibliothèque des Ecoles françaises d’Athènes et de Rome, 217), 1970, p. 480493 et 484 pour les inscriptions. Cf. L. H. Feldman, «Diaspora Synagogues: new light from inscriptions and papyri», L. H. Feldman (éd.), Studies in Hellenistic Judaism, Leyde - New York Cologne, 1996, p. 577-602. 11 Inscriptions de Délos [désormais IDélos] 2532. Quelle que soit l’« immersion » (R. Mac Mullen) religio-culturelle gréco-orientale dont témoignent ces stèles, la dénomination de la divinité, oJ Qeo;" oJ {Uyisto", caractéristique de la Septante (cf. infra), et la référence au «jour des expiations» (Yom ha kippurim, l. 11-12) attestent de leur judaïté, cf. A. Deissmann, «Die Rachegebete von Rheneia», Philologus, 61, 1902, p. 263-264. J. Gager, Curse Tablets and Binding Spells, Princeton, 1992, p. 186, envisage la possibilité d’une origine samaritaine. 12 Convoqué à l’occasion lors de pratiques magiques, cf. les figurines d'envoûtement en plomb retrouvées dans le sanctuaire, A. Plassart, Les sanctuaires et les cultes du Mont Cynthe (EAD XI), Paris, 1928, p. 292-293 et Ph. Bruneau, Cultes de Délos…, p. 649-650. 13 IDélos 2306. Cf. A. Plassart, Mont Cynthe…, p. 288 sq.; P. Bruneau, Cultes de Délos…, p. 488-490; et M.-F. Baslez, Recherches sur les conditions de pénétration et de diffusion des religions orientales à Délos (IIe-Ier siècles avant notre ère), Paris, 1977 (Coll. ENSJF n° 9), p. 117120. 14 Cf. M. Ricl, «Hosios kai Dikaios», EA, 18, 1991, p. 1-70 et 19, 1992, p. 71-103 et G. Petzl, «Inschriften aus Phrygien», EA, 31, 1999, p. 99-102.
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ou sans article 15, usage passé chez les historiens et auteurs juifs de langue grecque 16. Dans la tradition littéraire juive, on ne rencontre la formule épigraphique Qeo;" U { yisto" qu’une seule fois, chez Flavius Josèphe, quand il cite un décret augustéen 17, si bien que M. Simon avait pensé que Qeo;" u{yisto" pouvait être la désignation de Yahvé dans «la nomenclature romaine officielle» 18. Quand Philon d’Alexandrie s’adresse à un public païen dans une intention apologétique, il évoque Jérusalem et le Temple tou' ÔUyivstou Qeou' 19, adaptant ainsi à des oreilles païennes la formule de la Septante 20. Quand son propos est de nature théologique, il retrouve l’emploi substantivé d’ U { yisto" 21, selon l’usage biblique confirmé par Celse rapportant l’invocation d’un Juif: w\ {Uyiste kai; Oujravnie 22. Dans l’usage épigraphique païen, le substantif seul n’est attesté qu’à Athènes, au sanctuaire de la Pnyx, où sur 27 dédicaces à une divinité guérisseuse, 17 s’adressent à {Uyisto" seul, 7 à Zeu;" u{yisto" et 3 à Qeo;" u{yisto" 23. On a donc l’impression que les deux noms théos et Zeus ne servaient pas à distinguer nécessairement une divinité personnalisée et une impersonnelle qui trahirait une abstraction progressive de la conception théologique. Ils pouvaient servir indifféremment à poser l’identité de l’être supérieur en tant que tel – ce que R. Parker a nommé dans ce colloque « un titre d’honneur» – et c’est l’épiclèse u{yisto" qui en exprimait la vraie nature. Cela est confirmé à Séleucie du Calycadnos où, sur quatre inscriptions appartenant probablement au même sanctuaire, trois sont adressées à Qeo ;" u{yisto" et une à Zeu;" u{yisto" 24. 15 90 fois: 49 fois sans article (une seule inscription retrouvée dans la synagogue de Délos [IDélos 2332] répond à ce formulaire) et 41 fois avec article. Huit fois Qeo;" {Uyisto" (dont une seule fois en traduction de l’hébreu). Treize fois sous la forme oJ Qeo;" oJ {Uyisto", 3 fois sur des inscriptions: à Rhénée (cf. supra, n. 11), en Phrygie (Corpus Inscr. Iudaicarum II, n° 769) et sur une gemme inscrite de péninsule ibérique (SEG, 46, 1996, 1372). Pour l’emploi de théos, cf. M. Harl (éd.), La Bible d’Alexandrie. 1. La Genèse, Paris, 1994, p. 49-53. 16 Par ex. dans le roman Joseph et Aséneth: 14, 7; 15, 7; et 21, 3. 17 Ant. juives 16, 163. Ailleurs, quand l’historien juif fait référence à la Septante, il écrit simplement oJ Qeov", Contre Apion I, 180. Cf. D. U. Schlatter, «Wie sprach Josephus von Gott? », Beiträge zur Förderung christlicher Theologie, Gütersloh, 1910, p. 19 et R. H. J. Shutt, «The Concept of God in the Works of Fl. Josephus», Journal of Jewish Studies, 31, 1980, p. 171-189. 18 «Theos Hypsistos», Studia G. Widengren, Leyde, I, 1972, p. 377-378 et «JupiterYahvé», Numen, 23, 1976, p. 41. 19 In Flaccum 46 et Legatio ad Gaium 278 et 317. 20 L’empereur Julien, nourri de Bible dans son enfance, utilise l’expression concurremment à d’autres périphrases pour désigner le Dieu juif, Lettres n° 204, ll. 20 et 30: tw'/ meivzoni et tw'/ kreivttoni kai; dhmiourgw'/ qew'/. 21 Legum Allegoriae III, 82. M. Simon, «Theos Hypsistos» (art. cit., n. 18), p. 373-376, a prouvé de façon convaincante que la présence ou l’absence de Qeov" accolé à {Uyisto" distinguait «l'usage interne» du terme de son usage païen. 22 Origène, Contre Celse II, 74, 9. 23 IG, 22, 4738, 4783-4784, 4798-4804, 4806-4809, 4811 et 4843; Bull. Ep., 1955, n° 68, 1958, n° 176 et 1991, n° 127; SEG, 19 (1963), n° 225-226; Hesperia, 5, 1936, p. 154 a, 155, 155 c, 156 et 17, 1948, p. 43 n° 34; ZPE, 70, 1987, p. 165. 24 Monumenta Asiae Minoris Antiquae [désormais MAMA] III, n° 1-4 p. 10. La variation Qeov" / Zeuv" n’est pas propre aux divinités ex-altées, cf. C. Roberts, T. C. Skeat, A. D. Nock, «The Guild of Zeus Hypsistos», Harvard Theological Review, 29, 1936, p. 56 n. 24.
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DE LA POLYSÉMIE DES ÉPICLÈSES
L’ambiguïté inhérente au sens d’hypsistos Le qualificatif u{yisto" est une forme superlative irrégulière et sans positif de l’adverbe u{yi. Il peut exprimer la position de n’importe quel dieu placé en situation prééminente par son fidèle, avec les deux registres possibles de spatialité – tout dieu dans les hauteurs 25 (son correspondant linguistique latin parfait est altissimus26) – et d’intensité27 (en latin summus, extremus, exsuperantissimus28). C’est ce dernier registre, variant du relatif à l’absolu – le plus ou le très haut –, qui porte l’ambiguïté. Entre les deux conceptions s’étend une «frontière religieuse» selon l’expression d’A. D. Nock, dont l’imperméabilité n’était sans doute pas comprise par les populations polythéistes de l’Orient romain, habituées aux cohabitations et aux superpositions de figures divines de même fonction ou de même séjour … quand ce n’était pas de même nom. L’ambiguïté n’échappait pas aux Juifs de l’Antiquité. Philon, qu’on a vu soucieux de distinguer usages interne et externe des formulaires, fait en outre suivre ses emplois d’ {Uyisto" par la périphrase inspirée du Deutéronome: «non qu’il y ait un autre dieu qui ne soit pas le Très-Haut» 29. A la fin du Ier siècle de notre ère, le chrétien Clément de Rome, en commentant un psaume, précise lui aussi: se to;n movnon u{yiston ejn uJyivstoi" «Tu es le seul Très-Haut dans les hauteurs» 30. Ce double sens éclaire l’aventure de Paul et Silas à Philippes confrontés à la pythonisse qui disait d’eux : « Ces gens-là sont des serviteurs tou' qeou' tou' uJyivstou ; ils vous annoncent la voie du salut» 31. Malgré un emploi formulaire conforme à la Septante – mais doit-on l’attribuer à la prophétesse ou à Luc? –, la publicité que leur faisait cette «pythie» risquait de faire confondre les missionnaires avec des serviteurs d’un «dieu le plus haut», dont la tradition existait en Macédoine depuis le IIe siècle avant notre ère32. On a parfois voulu
25
Diogène Laërce, V. Pythagore, VIII, 31: ejpi; to;n u{yiston (vers le plus haut des cieux) cf. aussi Eschyle, Prométhée enchaîné, 719-720. 26 Thesaurus Linguae Latinae, I, 1, s. u., col. 1772 et 1777. 27 Cf. Eschyle, Euménides, 28, Perses, 331 et 807 et Suppliantes, 479. Cf. Thesaurus Graecae Linguae, VII, col. 559 et P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, IV, 1, 1977, p. 1164: «u{yisto"... semble analogique de mevgisto", kuvdisto", le superlatif homérique étant u{pato"». Cf. E. Boisacq, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Heidelberg, 19504, p. 1009 et H. Frisk, Griechisches Etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, II, 1970, p. 978. 28 Cf. P. Battifol, La paix constantinienne et le catholicisme, Paris, 1929, p. 188-201. Dans la copie de la traduction du rescrit de Maximin Daïa aux habitants de Tyr transmise par Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique, IX, 7, 7), le u{yisto" kai; mevgisto" Zeuv" est Iupiter summus exsuperantissimus, cf. S. Mitchell, «Maximinus and the Christians in A.D. 312: a new Latin inscription», Journal of Roman Studies, 78, 1988, p. 105-124. Exsuperantissimus fut une épithète de l’empereur Commode (Inscr. Latinae Selectae, Dessau, n° 400), cf. J. Beaujeu, La religion romaine à l'apogée de l’Empire, Paris, 1955, p. 408 et F. Cumont, «Jupiter Summus Exsuperantissimus», Archiv für Religionswissenschaft, 1906, p. 323-336. 29 Allégorie des Lois III, 82; cf. H. A. Wolfson, Philo, Cambridge, I, 1948, p. 40. 30 Epître aux Corinthiens 59, 3, commentant le Ps. 82 (83), 19, fréquemment sollicité par la tradition exégétique ultérieure. 31 Actes, 16, 16-18. 32 D. M. Robinson, «Inscriptions from Macedonia», Transactions of the American Philological Association, 69, 1938, p. 72 n° 30 et M. Tacheva-Hitova, «Dem Hypsistos geweihte Denkmäler in den Balkanländern», Balkan Studies, 19, 1978, p. 74 n° 18. Cf. W. M. Ramsay,
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trouver dans l’usage juif d’ {Uyisto" la volonté délibérée de maintenir une ambiguïté, «de cacher le nom de Yahvé sous le paravent commode du dieu suprême du ciel reconnu par les païens» 33. Les précautions de Philon ne soutiennent pas l’hypothèse 34 et l’ambiguïté inhérente au sens d’hypsistos n’a pas empêché son emploi par les Juifs35, une fois prévenus contre une acception relative du superlatif. Au IIe siècle, Aqila et Theodotion, les traducteurs juifs de l’Ancien Testament qui travaillaient pour des cercles rabbiniques, ne l’ont pas rayé de leur lexique36. L’éventuelle confusion put venir des païens qui, dans leur majorité, ne comprenaient pas la notion de Dieu unique – et la rupture qu’elle établissait – et qui, dans l’élan hénothéiste, ne voyaient pas ce qui différenciait encore Yahvé des autres grands dieux. En effet la notion d’un Elyon37 se retrouve dans toutes les conceptions sémitiques polythéistes: ‘El ‘Elyôn – Dieu de l’Ancien Testament38, ‘Elyãn – second après El du panthéon syrien sur la stèle araméenne de Sfiré39, «Elioum appelé Hypsistos» dans la théogonie phénicienne attribuée par Phi-
St Paul the Traveller and the Roman Citizen, Londres, 1902, p. 213-215 et The Bearing of Recent Discoveries on the Trustworthiness of the New Testament, Londres, 1915, p. 132-137; M. Simon, «Theos Hypsistos» (art. cit., n. 18), p. 379-380. 33 A. Vincent, La religion des judéo-araméens d’Eléphantine, Paris, 1937, p. 139. 34 P. Boyancé, «Le Dieu Très Haut chez Philon», Mélanges Charles-Henri Puech, Paris, 1974, p. 140, s’interroge sur «un artifice» éventuel de l’usage philonien d’ {Uyisto". Le passage de L’allégorie des Lois, III, 82, est pourtant clair, où Philon précise l’acception du terme («car Dieu qui est unique “est en haut dans le ciel et en bas sur la terre, et il n’y en a pas d’autre que Lui”») et la justifie au plan théologique («le fait qu’il a sur Dieu non des pensées basses et humbles, mais grandes, immatérielles et élevées est le motif de cette expression: le Très-Haut »), sur un registre spirituel et moral qui n’est pas familier à la représentation païenne du monde divin. 35 Contra P. Trebilco, Jewish Communities in Asia Minor, Cambridge, 1991, p. 127144 (déjà discuté par S. Mitchell, «Theos Hypsistos» [art. cit., n. 1], p. 111-114), parce qu’il considère que l’attribution confessionnelle de nombreuses inscriptions est impossible. 36 Son emploi peut même être plus fréquent, cf. Théodotion pour Daniel 4, 2 et 17 et 5, 18 et 21. 37 Cf. A. Vincent, Religion des judéo-araméens …, p. 115-128; R. Lack, «Les origines de Elyon, le Très-Haut, dans la tradition cultuelle d’Israël», Classical Biblical Quarterly, 24, 1962, p. 57: «Tout porte à croire que Elyôn n’est autre chose que l’épithète du grand dieu du moment dans un lieu donné»; A. M. Baumgarten, The Phoenician History of Philo of Byblos, Leyde, 1981, p. 184-186; M. Hengel, Judentum und Hellenismus. Studien zu ihrer Begegnung, Tübingen, 1969, p. 544-547; et G. Bertram, s. u. «Hypsistos», Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, VIII, 1969, p. 614-617. 38 Avec un jeu sur les deux composants du théonyme reliant deux figures divines différentes ou deux noms d’un même dieu à des fins d’amplification, cf. Nombres 24, 16: «Oracle de celui qui écoute les paroles de El, de celui qui sait la science de Elyon» et Deutéronome 32, 8; Psaumes 73, 11: «Comment El saurait-il? Chez Elyon y-a-t-il connaissance?»; et 78, 10-11 et 17-18, et 107, 11. Cf. R. Lack, «Elyon …», p. 63-64; R. De Vaux, Les institutions de l'Ancien Testament, Paris, II, 1960, p. 144-145; R. Rendtorff, «El, Ba’al und Jahwe», Zeitschrift für Alttestamentliche Wissenschaft, 78, 1966, p. 280-282 et 285-291 et R. Du Mesnil Du Buisson, Etude sur les dieux phéniciens, Leyde, 1970, p. 52-54. 39 Datée de 754 avant J.-C., cf. J. A. Montgomery, «The Highest, Heaven, Aeon, Time etc. in Semitic Religion», Harvard Theological Review, 21, 1938, p. 143-144.
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lon de Byblos à Sanchuniathon40. C’est toujours le même père du ciel et de la terre41, maître céleste, suprême en monothéisme. C’est le «Seigneur des Cieux» / Ba’al Shamim dans les conceptions syriennes plus tardives, honoré publiquement en 114 par la cité de Palmyre comme Zeu;" u{yisto" kai; ejphvkoo" dans une dédicace bilingue 42. Chronologiquement, le choix du vocable pour rendre la notion en grec revient aux Septante, qui ont préféré ce superlatif irrégulier aux formes plus classiques d’expression de l’élévation divine (u{pato", uJpevrtato"), afin probablement de manifester le fossé essentiel qui séparait l’Elyôn-Hypsistos de la Torah d’un dieu des hauteurs même le plus élevé comme Zeus.
Hypsistos dans une ambiance grecque traditionnelle En contexte païen aussi, hypsistos présentait le même avantage de ne pas figurer parmi les épiclèses habituelles des dieux personnalisés du panthéon grec et de pouvoir exprimer une conception très élevée – hénothéiste – de la divinité. En effet, cette épiclèse de Zeus se rencontre rarement dans la littérature grecque43, très dépendante d’Homère qui n’utilise qu’u{pato" ou bien des développements fonctionnels formés sur u{yi (uJyivkomo", uJyibremevth", uJyivzugo") 44. Cette rareté a conduit à en faire une expression étrangère, importée tardivement dans le bagage des influences juive et syrienne. Pourtant, les témoignages épigraphiques de Zeu;" u{yisto" en terre grecque indiquent qu’il a existé une notion indigène d’u{yisto", le superlatif convenant à un Maître céleste siégeant «au plus haut» de l’Olympe, qui était un «très haut» pour les Grecs. Dans trois villes historiques ou religieuses de premier plan, Pausanias signale la présence bien en vue de Zeu;" u{yisto" dans le paysage. À Corinthe, le grand dieu olympien était honoré «en plein air (ejn uJpaivqrw/) » par trois statues résumant la plei-
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Ap. Eusèbe, Préparation évangélique, I, 10, 9 = A. M. Baumgarten, Phoenician History …, [808] l. 8 p. 14 (ce Tyrien apparaît comme un dieu civilisateur construisant l’abri primitif). Philon présente {Uyisto" et Samhmrou'mo" oJ kai; ÑUyouravnio" comme deux divinités différentes. Les deux appellations expriment en araméen et en grec «le Haut Ciel». A. M. Baumgarten (p. 197 et 213) voit dans ce doublet deux mythologies contradictoires émanant des temples de Tyr pour Hypsouranios et de Byblos pour Hypsistos, que Philon aurait juxtaposées. 41 Cf. Genèse 14, 19. 42 Corpus des Inscr. Sémitiques [désormais CIS], II, 3994. 43 Outre Eschyle (loc. cit., supra, n. 25 et 27), Pindare, Néméennes, I, 60, Pythiques, I, 100, Isthmiques, I, 51 et Péan, II, 38; et Sophocle, Philoctète, 1289 et Trachiniennes, 1191; plus tard Anthologie grecque, XV, Epigr., 40, l. 46; Théocrite, Idylles, XXV, 159; Apollonios de Rhodes, Argonautica, II, 1026; cf. aussi un péan à Apollon d’Aristonoos de Corinthe (Anthologie Lyrique Grecque, Diehl, II, p. 135-136 v. 7 et 32) avec un usage métaphorique du mot (suprême, ultime). 44 Par ex. pour le Zeus de Dodone, Odyssée, XIV, 327-328: qeoi'o É ejk druo;" uJyikovmoio Diov". Pindare aussi utilise plus souvent u{pato" (cf. W. J. Slater, Lexicon to Pindar, Berlin, 1969, p. 519 s. u. et J. Duchemin, Pindare poète et prophète, Paris, 1955, p. 115-124) ou uJyibremevth", uJyivzugo" (cf. W. J. Verdenius, Commentaries on Pindar II, Leyde, 1988 [Mnemosyne, suppl. 101], p. 97). Cf. H. Lloyd-Jones, N. G. Wilson, Sophoclea. Studies on the text of Sophocles, Oxford, 1990, p. 209-210: u{pato" est «a regular epithet, as well as cult title, of Zeus». H. Usener, Götternamen, Francfort, 1948, p. 50-51, donne tous les composés avec u{yi.
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ne mesure de sa dimension divine: la première, sans épiclèse (to; me;n [sc. a[galma] ejpivklhsin oujk ei\ce), évoque la figure même du dieu, tandis que les surnoms des deux autres (to;n de; aujtw'n Cqovnion kai; to;n trivton kalou'sin {Uyiston) recouvrent sa maîtrise chthonienne et «hypsistienne», c’est-à-dire céleste, olympienne45. Cette triple représentation diffusait l’affirmation d’un Zeus universel, «père suprême des dieux et des hommes» comme l’appelait Homère46. On pourra avancer que Corinthe, villecarrefour cosmopolite, abrita très tôt une communauté juive qui put faire connaître son Hypsistos. Telle n’était pas la configuration d’autres cités. A Thèbes, le nom de Zeus hypsistos se lisait sur une base, sans doute suffisamment ancienne47 et connue pour avoir contaminé l’appellation d’une des portes de l’enceinte voisine: «près de la porte hypsistienne (pro;" de; tai'" ÑUyivstai"), il y a un sanctuaire de Zeus surnommé hypsistos (Dio;" iJero;n ejpivklhsivn ejstin uJyivstou)» 48. Une dédicace du IIe siècle confirme les dires du voyageur49. A Olympie, jovienne par excellence, Zeus hypsistos possédait deux autels sur la route de l’hippodrome, parcours des processions mensuelles des prêtres, non loin de ceux de deux figures divines bien grecques, les Moires et Hermès50. Sparte enfin a livré sept dédicaces à Zeu;" u{yisto" 51. Elles furent découvertes lors des fouilles du théâtre, mais il est possible que ces pierres aient été prises à un sanctuaire de l’Acropole dépouillé pour la construction du théâtre. Car le Périégète antique écrit que, sur l’Acropole, «il y a un autel de Zeus u{pato" où l’on ne sacrifie aucun être vivant, et où il est d’usage de placer des gâteaux en offrandes, en s’abstenant ensuite absolument de libation de vin» 52. A la différence d’Athènes où le culte de Zeus Hypatos est bien attesté 53, à Sparte nulle dédicace n’a été retrouvée. Il est tentant de conclure à une confusion de l’auteur entre les deux adjectifs, puisqu’u{pato" était plus familier aux lettrés nourris d’Homère. Donc, la présence de Zeu;"
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Périégèse, II, 2, 8. Iliade, III 276 sq. Cf. P. Chantraine, «Le divin et les dieux chez Homère», La notion du divin depuis Homère jusqu'à Platon (Entretiens Fondation Hardt), I, 1952, Vandoeuvres Genève, 1954, p. 47-94. 47 Cf. la Bibliothèque attribuée à Apollodore d’Athènes, III, 6, 6 (= Fragmenta historicorum Graecorum, Müller, I, p. 160 l. 3): «Polynice à la porte hypsistienne»; et Stace, Thébaïde, VIII, 356: Quatit Hypsistas manus Eurymedontis (Les troupes d’Eurymédon ébranlent la porte hypsistienne). 48 Pausanias, IX, 8, 5, sur le mur sud-ouest de la cité, près de la porte d’Electre. 49 P. Chrysostomou, jArcaiologiko ;n Deltivon [désormais AD], 44-46, 1989-1991 [1996], p. 60 n° 2. 50 Pausanias, V, 15, 5: Plhsivon de; kai; Moirw'n bwmov" ejstin ejpimhvkh", meta; de; aujto;n JErmou', kai; duvo ejfexh'" Dio;" uJyivstou («Près de là il y a aussi un autel des Destins de forme allongée, après lui un d'Hermès et à côté deux de Zeus hypsistos»). 51 A. M. Woodward, «Excavations in Sparta. Inscriptions», The Annual of the British School at Athens, 26, 1923-1925, n° 16-18 p. 222-223 et 29, 1927-1928, n° 71-73 p. 49-50; et IG, V, 1, n° 240. 52 Pausanias, I, 26, 5. Cf. W. Burkert, Greek Religion, Oxford, 1985, p. 68. 53 Cf. Thesaurus Gr. Linguae, VIII, col. 547-563, s. u. ; H. Gossen, RE, IX, 1, 1914, s. u. « {Upato"», col. 250 et H. Schwabl, RE, X A, 1972, s. u. «Zeus», col. 368 sq. Sur le séjour élevé de certaines divinités des panthéons antiques, A. B. Cook, Zeus, Londres, I, 1914, p. 117186 et II, 2, 1925, p. 868-987, p. 875 n. 1 et 2 pour Zeus u{pato". 46
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u{yisto" sur le sol grec n’apparaît pas comme une importation tardive à la faveur d’influences venues d’Orient. Elle remonte à une époque pré-romaine (Pindare et les Tragiques pour les temps les plus hauts et le IIe siècle avant notre ère pour les témoignages épigraphiques) et concerne les centres les plus classiques de l’hellénisme. Ce fait n’a guère été pris en compte jusqu’à présent à cause d’une attention privilégiée à la tradition littéraire. En revanche, la diffusion de l’épiclèse remonte à l’époque impériale. Mais, même alors, quand se diffusent les influences des conceptions sémitiques, le qualificatif hypsistos continue d’honorer Zeus aussi selon des modes religieux de type traditionnel. Pour la moitié des inscriptions environ, la formule votive et les expressions habituelles de gratitude (eujcaristhvrion, eujcaristw'n ou caristhvrion 54) ne trahissent pas de relation originale entre le fidèle et la divinité qui suggèrerait la présence d’un hypsistos importé. «Sur ses terres » à Palmyre, dans une inscription votive bilingue, un sous-officier palmyrénien d’une unité d’auxiliaires a tout simplement fait équivaloir le dieu national romain Iupiter Optimus Maximus avec un Zeu;" u{yisto" que ses origines lui rendaient plus familier 55. A Cos, entre 139 et 142 56, «les porteurs de Calymna (oiJ sakkofovroi oiJ ajpo; th'" Kalumniva")» ont offert une table de marbre en soutien à leurs voisins insulaires ébranlés par un tremblement de terre. Les circonstances tragiques plaidaient pour une invocation de dieux-maîtres : le couple Zeus et Héra et Poséidon, « le marin ébranleur de la terre» ([Dii; uJ]yivstw/ kai; {Hra// [o]ujraniva/ kai; Posei[d]w'ni ajsfaleivw)/ . Zeus qualifié d’hypsistos, épiclèse connue alentour 57, ouvre la liste des divinités remerciées, en compagnie de sa parèdre honorée aussi dans sa dimension ouranienne 58 et de son frère en position fonctionnelle 59. La liste se clôt par une invocation habituelle «à tous les autres dieux (toi'" a[lloi" qeoi'" pa'si)». Non loin, au sanctuaire de Panamara, le couple local hellénisé, Zeus hypsistos et Hécate salvatrice, recevait dans son temple un hommage intégré au cadre politique puisqu’il était associé à Jupiter capitolin et à la Fortune de l’empereur Antonin le Pieux60. Plus au sud, en Lycie, nous retrouvons aussi un couple maître local – le dieu hypsistos et la mère de la montagne – invoqué en même temps que tous les dieux et toutes les
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Cf. L. Robert, Hellenica, X, Paris, 1955, p. 55-58. SEG, 34, 1984, n° 1456: I(oui) O(ptimo) M(aximo) uotum Amathallat f(ilius) Sabbiti / [...] opti(o) eq(uitum) [...], «A Jupiter très bon très grand, en vœu, Amathallat f(ils de) Sabbitus [...] opti(o) eq(uitum) [...]»; Dii; uJyivstw/ [Amaqa]llaq / Sabb[itou ...]... «A Zeus hypsistos [Amatha]llath fils de Sabb[itus...]». 56 Bull. Ep., 1953, n° 153. Pour la date, D. Magie, Roman Rule in Asia Minor to the end of the third century after Christ, Princeton, 1950, I, p. 631 et II, p. 1491-1492 n. 66. 57 Cf. par ex. pour Zeus Labraundos / Labraundenos, divinité locale honorée à Mylasa, Strabon, XIV, 2, 23 et infra, n. 112. 58 L’épiclèse ourania qualifie habituellement Aphrodite, cf. l’article de V. Pirenne-Delforge dans ce volume. 59 Cf. Pausanias, VII, 21, 7. Chez Elien (citant un poète grec), Histoire des animaux, XII, 45, hypsistos est une épiclèse attribuée à Poséidon. 60 M. Ç. Sahin, Die Inschriften von Stratonikeia, I. Panamara, Bonn, 1981, n° 330: [Dii;] uJyivstw/ kai; E J kavth/ sw[tivrh/] [k]ai; Dii; kape[twlivw]/ kai; Tuvch/ tou' m[egivstou] [Aujt]okravtoro" Ka[ivsaro"] … 55
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déesses: Qew'/ uJyivs[tw/ kai; Mhtr]i; ojreiva/ kai; Kele[naivw/ Qew'/ ?] kai; qeoi'" pa'si [kai; qeai'"] pavsai" 61. En Macédoine enfin, où se sont développées des confréries à la grecque de Zeus hypsistos 62, le dieu a conservé à l’époque impériale la tradition du dieu olympien, représenté par l’aigle ou figuré anthropomorphiquement en position de sacrifiant63. Une seule inscription votive de Thessalonique, où le dieu patronne une action justicière personnalisée par la déesse Némésis piétinant un personnage couché, évoque ces divinités toutes-puissantes bien représentées en Orient ou en Asie Mineure: «A Zeus hypsistos (Dii; uJyivstw/), Q. Furius Urbanus a consacré (scil. le relief de) la déesse juste Némésis (qea;n dikaivan Nevmesin), en accomplissement d’un vœu» 64. Cette forme de relation religieuse traditionnelle – un culte civique classique – devait présider aux dédicaces offertes par les cités en Asie Mineure ou en Syrie. Une inscription phrygienne «au dieu hypsistos attentif» est signée par les «gens de Thermè (Qermhnoiv) » 65 et trois autres émanent d’une collectivité territoriale, cité ou bourg. A Pruse de Bithynie, la générosité de la cité envers Zeus hypsistos consiste dans une stèle gravée: «[Le] bourg a fait cette consécration à Zeus hypsistos ([‘H k]wvmh ajnevqhken Dii; uJyivstw/) et [conformément à] un vœu Diophanès s’en est chargé ». En complément et pour approvisionner la caisse locale, un évergète local «Patérion a gratifié le bourg d’une terre (ejcarivsato cwvran th'/ kwvmh/) d’une valeur de dix médimnes» 66. A Palmyre en 114, la cité accomplit son vœu sur le trésor public et inaugure une série de dévotions à Zeu;" u{yisto", «Celui dont le nom est béni dans l’éternité» en palmyrénien 67, qui durèrent jusqu’au déclin de la ville et dans lesquelles s’impliquent des représentants des quatre tribus qui constituent le peuplement de l’oasis 68. Toujours en Syrie, le bourg d’Aïnkania investit dans un don au temple de Zeus hypsistos à Hammara: «Les épimélètes du bourg d’Aïnkania ont construit cet endroit vénérable sur les dépenses assumées [ici?] à Aïnkania» (l. 6) pour garantir sa prospérité: «A la bonne Fortune du très grand [et très haut] Zeus! Augmente, fortune d’Aï[nkania]» (l. 1)69.
61
Tituli Asiae Minoris [désormais TAM], II, 2 (1930), n° 737. Cf. celle de Pydna, J. M. P. Cormack, «Zeus Hypsistos at Pydna», Mélanges helléniques offerts à G. Daux, Paris, 1974, p. 51-55. Pour Edesse, SEG, 45, 1995, n° 746. Pour une recension des témoignages de Zeus hypsistos en Macédoine, P. Chrysostomou, art. cit. n. 49, p. 30-60. 63 Respectivement: Bull. Ep., 1959, n° 245; 1970, n° 352; SEG, 40, 1990, n° 537 et 46, 1996, n° 640 et 785; M. Tacheva-Hitova, «Dem Hypsistos Denkmäler …», n° 9 p. 71-72 et n° 20 p. 74; et ibid. n° 17 et 18 p. 73-74. 64 IG, X, 2, 1, n° 62. Pour les divinités justicières en Anatolie, cf. par ex. G. Petzl, Die Beichtinschriften Westkleinasiens, Bonn, 1994 (EA, 22), n° 5 avec une véritable procédure judiciaire où le dieu intervient comme défenseur (paravklhton, l. 18). Cf. aussi S. Mitchell, Anatolia, I. The Celts in Anatolia and the Impact of Roman Rule, Oxford, 1993, p. 188-191. 65 MAMA, X, 1993, n° 443. 66 T. Corsten, Die Inschriften von Prusa ad Olympum, Bonn, II, 1993, n° 1013. 67 Loc. cit., supra, n. 42. 68 En 115, un autel votif monumental installé devant la cella du temple de Baalshamim est offert au dieu par quatre frères de la tribu des Bôlemméoi, C. Dunant, Le sanctuaire de Baalshamin, III. Les inscriptions, Rome, 1971, p. 38 n° 25 A ; D. Schlumberger, «Les quatre tribus de Palmyre», Syria, 48, 1971, p. 128-133 et T. Kaiser, The religious life of Palmyra, Stuttgart, 2002. 69 C. Ghadban, «Monuments de Hammara (Béqa-Sud Liban)», Ktèma, 10, 1985, p. 304307. 62
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Hypsistos et la sôtèria divine C’est sur le terrain de la swthriva qu’on saisit le mieux la plasticité sémantique de l’appellation hypsistos et sa capacité à exprimer des conceptions et sentiments religieux variés. L’arc d’intervention des divinités invoquées de la sorte allait de la protection lors de détresses ponctuelles à une bienveillance permanente, conçue comme la définition même d’un «très haut». Pourtant, les dédicaces honorant un dieu hypsistos comme swthvr sont rarissimes – trois pour tout le corpus 70 – et, pour l’homme de l’Antiquité à l’âme inquiète, le premier des saluts résidait dans la conservation de sa vie, de celle de sa famille et de ses biens, avant toute considération métaphysique. Les mentions explicites de sauvetage (swqeiv")71 énoncent des événements de la vie courante, sinon quotidienne : une traversée en mer72 ou l’engagement dans une guerre73. La gratitude ainsi exprimée relève du même registre concret que la santé réclamée dans tant d’autres dédicaces, comme par exemple dans une inscription votive phrygienne remerciant l’Hypsistos «pour la sauvegarde de ses bœufs et de tous ses biens (uJpe;r bow'n swthriva" kai; [t]w'n ijdiv[wn p]avntwn)»74. La divinité ici exaltée paraît bien semblable à ce dieu local, Zeus des troupeaux, édité par G. Petzl et évoqué par lui-même dans ce colloque75. Ces cas n’orientent ni vers un contenu sotériologique d’ordre moral ni même vers un salut métaphysique qu’on associe généralement avec le monothéisme76. Les guérisons, effectives ou escomptées, sont fréquentes. Même en milieu juif, à Délos, la formule choisie «sauvée par les traitements prescrits par le Dieu (swqei'sa tai'" uJfV AuJtou' qaraphvai")»77 évoque davantage les cures avec incubation suivies dans les temples,
70 A Thessalonique, un théos hypsistos mégistos sôter, sans doute Sérapis (IG, X, 2, 1, n° 67); à Milet «le prêtre du très saint [dieu hypsi]stos sauveur», Mên (Orientis Graeci Inscriptiones Selectae [désormais OGIS] II, 755); en Eubée, un cippe de délimitation d’un sanctuaire «de Zeus hyps[is]tos sauveur» (IG, XII, 9, n° 58). 71 Le terme est usuel en paganisme, cf. TAM, V, 1, n° 179b et IDélos, 2119. Cf. R. Lane Fox, Pagans and Christians in the Mediterranean World from the Second Century AD to the Conversion of Constantine, Londres, 1988, p. 64-70. 72 IG, X, 2, 1, n° 67 (Thessalonique) et XII, 2, n° 119 (Mytilène). 73 OGIS, I, 378 (Thrace); SEG, 32, 1982, n° 790 (Gorgippia, Bosphore); et probablement Corpus Inscr. Gr., II, n° 3669 (Mysie près de Cyzique). La formule «sauvé d'un grand danger (swqei;" ejg megavlou kinduvnou)» se retrouve identique à Sattai en Lydie dans une épigraphe à Zeus Didymeitès datée de 194-195, G. Petzl, «Inschriften aus der Umgebung von Sattai», ZPE, 30, 1978, p. 253 n° 1, l. 8-10. 74 MAMA, V, n° 212 p. 102. 75 A Dorylaion en Lydie, G. Petzl (art. cit., n. 73), p. 251. La protection demandée pour les bœufs est fréquente chez les populations pastorales des plateaux phrygiens, cf. T. D. Drew-Bear, C. Naour, «Divinités de Phrygie», Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, 18, 3, 1990, p. 2006. Pour la protection des récoltes, cf. S. Sahin, «Zeus Bennios», Studien zur Religion und Kultur Kleinasiens, Festschrift K. Dörner, Leyde, II, 1978 (Etudes préliminaires aux religions orientales dans l’Empire Romain [désormais EPRO] 66), p. 787-790 (vœux uJpe;r karpw'n). 76 Cf. les travaux du colloque de Rome, U. Bianchi, M. J. Vermaseren (éds.), La soteriologia dei culti orientali nell’impero romano, Leyde, 1982 (EPRO 92). 77 IDélos 2330. Pour Yahvé protecteur contre le naufrage, Corpus Inscr. Iudaicarum n° 1537 (à Edfou, Haute-Egypte ; voir désormais W. Horbury, D. Noy, Jewish Inscriptions of Graeco-Roman Egypt, Cambridge, 1992).
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telles que les rapporte Aelius Aristide, que la relation plus spirituelle au Dieu juif. A ce champ médical de la sôtèria appartiennent les deux lots d’inscriptions athéniennes et chypriotes, sensiblement contemporaines, remerciant un (Qeov"/Zeuv") {Uyisto" guérisseur, accompagnées de reliefs anatomiques (seins, utérus, éléments du visage)78. L’offrande de Zôsimè: «parce qu’elle a été guérie ([q]erapeu[qei']sa)»79, explicite dans le texte même de sa dédicace la conception médicale de son Zeus hypsistos. En zone proche-orientale, la signification est différente et évoque les théologies sémitiques. Le Zeus hypsistos de Palmyre est à peu près toujours ejphvkoo" 80, «celui qui prête l’oreille» – comme l’indiquent les représentations plastiques figurant une oreille 81 –, donc par extension «celui qui exauce» et qui sauve 82. La notion d’une divinité à l’écoute de ses fidèles, penchée sur ses servants – « je suis l’esclave du dieu hypsistos (o{ti dou'lov" eijmi tou' uJyivstou qe[o]u') », dit un papyrus magique 83 –, nous entraîne dans la conception sémitique de divinités toutes-puissantes et attentives par bonté au destin des hommes 84. De cet esprit relève une inscription dédiée, en palmyrénien, au dieu anonyme, «Celui dont le nom est béni dans l’éternité», c’est-à-dire Baalshamim, Zeus hypsistos en grec85. Un de ses fidèles remercie le dieu en palmyrénien «parce qu’il l’a invoqué dans l’angoisse et qu’il l’a exaucé (en le mettant) au large»86. On entend ici la même inspiration que dans les Psaumes (118, 5): «De mon angoisse, j’ai crié vers Yahvé; il m’exauça, me mit au large». Cette attitude religieuse est radicalement différente du uotum contractuel de type gréco-romain 87 rencontré jusqu’alors. L’humble mortel confesse publiquement sa détresse apaisée, comme dans un ex-voto phrygien de remerciement après une guérison: «pris en pitié pour la profondeur de ses souffrances (ejlehqei;" ajpV o{{l}lwn tw'n paqhmavt[w]n), … au dieu
78
Pour les inscriptions provenant du sanctuaire de la Pnyx, cf. supra, n. 23 (toutes n’ont pas un relief) et pour Golgoi à Chypre, G. Masson, « Kypriaka IX. Recherche sur les Antiquités de Golgoi», Bulletin de correspondance hellénique, 95, 1971, n° 11-13 p. 331. 79 SEG, 37, 1987, n° 142. 80 Sinon, il est mégistos, ce qui recouvre également la notion. 81 Pour Zeus hypsistos à Stratonicée de Carie, SEG, 38, 1988, n° 1086. 82 O. Weinreich, «QEOI EPHKOOI», Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts, Athenische Abteilung, 37, 1912, n° 21, 38, 40, 43 et 70. Si épèkoos peut n'être qu’une pétition de principe, des expressions comme ejpakousqeiv" expriment une sollicitude expérimentée, cf. O. Weinreich, p. 46 sq. et S. Sanié, «Deus Aeternus et Theos Hypsistos en Dacie romaine», Hommages à M. J. Vermaseren, Leyde, III, 1978, p. 1110-1111. 83 K. Preisendanz, Papyri Graecae Magicae, II, n° XII, l. 71. 84 C’est une qualité habituelle des dieux sémitiques (cf. J. A. Montgomery, « The Highest …», p. 149) et d’Isis, (Arétalogie de Maronée, ll. 6-7). 85 J. Teixidor, The Pagan God, Princeton, 1977, p. 128-133, avait pensé aussi à Yarhibol, l’idole de la source Efqa d’où proviennent trois dédicaces. 86 CIS, II, 4100 (trad. J. Starcky) et M. Gawlikowski, Recueil d'inscriptions palmyréniennes provenant de fouilles syriennes et polonaises récentes à Palmyre, Paris, 1974, p. 57 n° 119. 87 Cf. F. Chapot, B. Laurot (éds.), Corpus de prières grecques et romaines (Recherches sur les rhétoriques religieuses 2), Turnhout, 2001, p. 12-13.
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hypsistos avec les siens» 88. La reconnaissance d’une pitié divine renvoie à une conception de la divinité miséricordieuse et salvatrice parce qu’attentive, dont on trouve de beaux exemples dans le corpus des stèles dites de confession édité par G. Petzl89. Selon les lieux, elle tire son origine de la conception anatolienne de divinités justicières ou de celle plus connue des divinités sémitiques, mono- ou polythéistes, dont le poids fut réel en Phrygie occidentale et dans toute l’Asie Mineure depuis l’époque hellénistique. En Pisidie, un fidèle rend grâce «au dieu hypsistos et au saint refuge (Qew/` uJyivstw/ kai; aJgeiva/ Katafugh'/) », dieu de réconfort, dieu-asile 90. B. Lifshitz avait considéré qu’il fallait lire dans ce théonyme original une version grecque de la Sancta Tutela, «certainement romaine» 91. Les noms romains courants des parents du dédicant (Mommius et Marcia) sont un indice bien ténu au regard du nom anatolien du dévot et du surnom de son père, Artimas 92, et de l’ambiance gréco-sémitique de l’inscription. Le mot katafughv apparaît une vingtaine de fois dans la Septante 93 pour expliciter la nature de Yahvé – Kuvrio" katafughv mou 94 – et rendre hommage à la protection salvatrice trouvée en Lui – katafughv mou swthriva" mou 95. Dans un verset du Psaume, 90(91), 9, il est même un déterminant d’Elyon, Hypsistos dans la Septante : « toi qui dis: Yahvé mon refuge! et qui fais du Très-Haut ton asile (to;n U { yiston e[qou katafughvn mou) ». Ce verset évoque étrangement l’inscription pisidienne, qu’il est toutefois impossible de judaïser complètement 96 à cause de l’autonomisation de la qualité du dieu Hypsistos. En effet, dans une inscription juive de Galatie, le Dieu juif («le grand Dieu TrèsHaut») est honoré en même temps que «Ses saints anges et Sa vénérable maison de prières», mais ces derniers ne l’accompagnent que comme des instruments de Sa puissance ou un lieu de Sa présence97. Cette interprétation me semble corroborée par une inscription voisine d’Andeda dont le dévot d’un dieu hypsistos oraculaire se présente comme prêtre du dieu anatolien Mên (iJereu;" Mhno;" O[uj]ranivou) 98. La personnalisation d’une notion religieuse marquée par l’influence du judaïsme, du moins dans sa formulation, exprime l’intimité avec une divinité à la fois exaltée et proche de l’homme parce qu’accueillante et secourable, intimité qui permet de combler le fossé avec
88 MAMA, IX, n° 67 p. 180. L. Robert, Opera Minora Selecta, Amsterdam, III, 1969, p. 1521-1522, a établi le sens médical de paqhvmata. 89 Beichtinschriften…, par ex. n° 35, 61 et 68. 90 SEG, 19, 1963, n° 852 (Sibidunda). 91 «Le culte du Très Haut à Gorgippia», Rivista di Filologia, 92, 1964, p. 161 n. 6. L’auteur n’utilise pas l’argument anthroponymique. 92 Cf. L. Robert, Noms indigènes dans l’Asie Mineure gréco-romaine, Paris, 1963, p. 80. 93 Cf. E. Hatch, H. A. Redpath, A Concordance to the Septuagint and the other Greek Versions of the Old Testament, Oxford, II, 1897, p. 748. 94 Exode, 17, 15; cf. aussi Psaumes, 31(30), 3 et 71(70), 3. 95 II Samuel, 22, 3; cf. Psaumes, 18(17), 3. 96 Contra L. Robert, Bull. Ep., 1965, n° 412. 97 S. Mitchell, The Ankara District. The Inscriptions of North Galatia, Oxford (Regional epigraphic catalogues of Asia Minor II), 1982, n° 209 b p. 177-178: Tw'/ megavlw/ Qew'/ JUyivstw/ kai; ejpouranivw/ kai; toi'" aJgivoi" Aujtou' ajngevloi" kai; th'/ proskunhth'/ Aujtou' proseuch'./ 98 E. N. Lane, Corpus Monumentorum Religionis Dei Menis, Leyde (EPRO 19), 1976, I, n° 129 p. 83-84.
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une divinité trop élevée. Dans les temples ioniens, dont le plus rayonnant à l’époque impériale fut le sanctuaire apollinien de Claros, se développa une théologie de la divinité suprême, toute puissante et infinie, dont la révélation a été conservée dans des recueils d’oracles99. Dans l’un d’entre eux100, le fidèle appelle du nom d’ {Uyisto" la divinité dont il scrute la nature: il est éternel, tout-puissant, sunevcwn to; pa'n comme l’Attis hypsistos d’une inscription romaine de 370 101. Et c’est sous le nom de Theos hypsistos qu’à Oinoanda une fidèle s’adresse à lui et lui offre une lampe votive102. La pensée religieuse des prêtres ioniens était nourrie à la fois des spéculations philosophiques grecques depuis Xénophane de Colophon – un ancêtre voisin –, et des théologies syriennes et juives103. L’épiclèse hypsistos pouvait très adéquatement exprimer la nature exaltée de la divinité, mais pas de façon systématique. A Claros même, dans un autre oracle rapporté par Cornelius Labeo: «Quel dieu doit-on reconnaître sous le nom de Iaô?», c’est l’homérique u{pato" qui est utilisé (to;n pavntwn u{paton qeo;n e[mmen ’Iawv, «Iaô est le dieu suprême parmi tous») 104. Ailleurs, dans les papyrus magiques grecs, Hermès est exalté dans les prières sous la forme de kyrios, pantokrator, kosmokrator ou megistos, mais pas comme hypsistos105. Enfin, en Syrie-Palestine, terre où l’influence des conceptions juives pouvait naturellement être forte, hypsistos n’est à peu près pas attesté106. La tendance à la glorification hénothéiste des figures divines y a employé des épithètes grecques plus classiques, empruntant au vocabulaire de la grandeur (megas), de la souveraineté (kyrios/a) et du salut (sôter). En Asie Mineure, l’influence juive ou sémitique n’était pas seule à inciter à l’ex-altation des divinités. La péninsule connaissait des dieux locaux vécus comme des
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Porphyre avait collecté ces traditions oraculaires dans un ouvrage écrit vers 270, perdu pour nous, mais qui a servi aux compilations ultérieures comme la Théosophie de Tübingen, ouvrage chrétien de la fin du Ve siècle voulant prouver l’accord entre la théologie païenne et la révélation chrétienne, cf. K. Buresch, APOLLWN KLARIOS, Leipzig, 1889; R. Lane Fox, Pagans and Christians…, p. 188-195; H. Erbse, Theosophorum Graecorum Fragmenta, Stuttgart-Leipzig, 1995; et désormais P. F. Beatrice, Anonymi Monophysitae Theosophia. An Attempt to Reconstruction, Leyde - Boston - Cologne, 2001. 100 Théosophie de Tübingen, n° 43 = K. Buresch, p. 107, § 42. 101 IGVR, I, n° 129. 102 Le point sur la version épigraphique de l’oracle et le problème de l’établissement du texte dans A. S. Hall, «The Klarian Oracle at Oenoanda», ZPE, 32, 1978, p. 263-267 et S. Mitchell, «Theos Hypsistos» (art. cit., n. 1), p. 81-92. 103 A Didymes, l’oracle d’Apollon reconnaissait comme dieux à égalité Hermès, Moïse et Apollonius de Tyane, cf. Théosophie de Tübingen, n° 44. Pausanias, VIII, 29, 4, rapporte une consultation de l’oracle de Claros par des Syriens. Pour l’importante communauté juive d’Ephèse (Actes, 19, 8-19), P. Trebilco, Jewish Communities in Asia Minor, Cambridge, 1991, passim. 104 Ap. Macrobe, Saturnales I, 18, 19-20. 105 Cf. F. Graf, «Prayer in Magic and Religious Ritual», dans C. A. Faraone, D. Obbink (éds.), Magika Hiera. Ancient Greek Magic and Religion, New York - Oxford, 1991, appendice p. 188-213. 106 Deux cas dont un très douteux, cf. N. Belayche, Iudaea-Palaestina. The Pagan Cults in Roman Palestine (Second to Fourth Century), Tübingen (Religion der Römischen Provinzen 1), 2001, p. 294-295.
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divinités maîtresses (despoina107), qui voient tout, justicières. «C’est le pays de ces foules paysannes des montagnes et des cuvettes de la Mysie, de la Lydie montagneuse et de la Phrygie, affamées de Justice et de Religion»108. Dans de nombreux sites qui ont livré des dédicaces à un Theos ou un Zeus hypsistos existait un grand dieu local susceptible d’endosser l’épiclèse: à Tavium en Galatie «où se trouvent la statue colossale de Zeus et son district sacré»109, à Aezani en Phrygie du Nord où la cella de Zeus recouvre la crypte d’une «Mère des dieux» où on fit naître Zeus110, à Iconium où on vénérait un Zeus megistos à caractéristique agraire111, à Mylasa en Carie où siégeait Zeus Labrandaios112, en Carie encore à Tralles avec Zeus Larasios113 et avec une « Mère des dieux», qu’on peut peut-être identifier derrière la théa hypsistè d’une inscription lydienne impériale114. Quant à la formule euménienne de protection du tombeau trouvée près d’Acmonia en Phrygie115, elle est l’héritière de toute une tradition religieuse locale d’appel à des divinités de justice, mais elle appartient à des milieux clairement marqués par l’influence juive ou judéo-chrétienne, à en juger par la formule désignant le dieu vengeur: oJ qeo;" oJ u{yisto" 116. On pourrait faire des remarques simi-
107 D’où les acclamations: «Grand(e) est …», par ex. Actes, 19, 28 (Artémis d’Ephèse) et TAM, V, 1, n° 75 (Mên). 108 L. Robert, Villes d'Asie Mineure, Paris, 1962, p. 268 et 290 sq. Pour la Lydie Maeonia ou Katakekauménè («Brûlée»), H. W. Pleket, «Religious History as the History of Mentality», dans H. S. Versnel, F. T. Van Straten (éds.), Faith, Hope and Worship. Aspects of Religious Mentality in the Ancient World, Leyde, 1981, p. 152-192. Pour les dieux Hosios kai Dikaios, cf. supra, n. 14 et 64. 109 Strabon, Géographie XII, 5, 2. Le culte en fut exporté à Ancyre, cf. S. Mitchell, The Ankara District… (op. cit., n. 97), n° 418 p. 317-318. 110 Cf. MAMA, IX, n° 67 (cité supra, n. 88) et n° 59 et X, n° 261 et Bull. Ep., 1991, n° 559; cf. S. Mitchell, Anatolia. I…, p. 18-19. 111 Il est Epikarpios et représenté avec des épis de blé et des grappes de raisin, cf. S. Mitchell, Anatolia…, II, p. 23-24. Une inscription (MAMA, VIII, n° 298 p. 53) honore un Theos hypsistos sûrement païen. 112 W. Blümel, Die Inschriften von Mylasa, Bonn, I, 1987 n° 310 et surtout n° 212 car il s’agit d’un acte de vente de terrains au sanctuaire de Zeus, l. 1-2: «...[avec tous les] arbres existants que Thraséas a achetés aussi à Artémisia femme d’Hécataios de Ketambis; sous le stéphanophore Aristée fils de Mélanos petit-fils d’Apollonios, prêtre de Zeus hypsistos et de la Bonne Fortune …». Pour d’autres Zeus locaux, T. Drew-Bear, «Local cults in Graeco-Roman Phrygia», Greek, Roman and Byzantine Studies, 17, 3, 1976, p. 247-268 et Nouvelles inscriptions de Phrygie, Zutphen, 1978. Zeus n’est pas le seul dieu grec à avoir connu une assimilation locale, cf. en Phrygie «à Apollon Lairbènos..., dieu hypsistos», loc. cit., supra, n. 9. 113 F. B. Poljakov, Die Inschriften von Tralleis und Nysa, Bonn, I, 1989, n° 14. A Silandos, qui a livré deux inscriptions à un théos hypsistos (TAM, V, 1, n° 52 et C. Naour, «Nouvelles inscriptions du Moyen Hermos», EA, 2, 1983, n° 6 p. 116-117), une dédicante honore un Zeus Kéraunios (C. Naour, n° 7 p. 117). 114 TAM, V, 1, n° 359. 115 Corpus Inscr. Iudaicarum, II, n° 769. 116 Cf. A. Parrot, Malédictions et violations de tombes, Paris, 1939 et en milieu sémitique, H. J. W. Drijvers, Cults and Beliefs at Edessa, Leyde, 1980, p. 189; L. Robert, Hellenica XI-XII, Paris, 1960, p. 412; A. R. R. Sheppard, «Jews, Christians and Heretics in Acmonia and Eumenia», Anatolian Studies, 29, 1979, p. 169-180; S. Mitchell, Anatolia, I …, p. 188.
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laires pour la zone thraco-danubienne, d’où provient une quinzaine d’inscriptions à un Qeo;" u{yisto" et où on honorait traditionnellement une grande divinité qualifiée en latin de sanctus, inuictus, dominus 117, en grec de mevga", ejphvkoo" et u{yisto" 118.
Conclusion Dans l’Orient païen, la diffusion à l’époque impériale de l’appellation u{yisto" a clairement profité de l’audience accordée aux théologies sémitiques, juives et syriennes. Mais, elle y a rencontré des traditions indigènes et une conception philosophique d’un dieu élevé. La pensée philosophique grecque parvint à la conception d’un divin tout-puissant, souverain, universel, éternel119, au terme d’opérations intellectuelles, alors qu’une grande divinité – anatolienne, thrace ou sémitique – est d’abord le donné d’une expérience, fondée pour le judaïsme sur la foi dans une révélation et pour les religions païennes sur un vécu religieux. La divinité u{yisto", ex-altée dans sa majesté et sa sainteté, a été célébrée sur les deux registres possibles, celui de la toutepuissance dominante et celui d’un séjour adapté dans le ciel, donc «très haut» 120, même si, dans un schéma polythéiste, ce «très haut» était le sommet d’une pyramide de séjours divins, donc un «plus haut». Ce séjour dans la région la plus élevée du monde, supramondain même dans les spéculations de certains sanctuaires 121, correspondait bien à l’u{yisto" du langage des hommes.
Nicole BELAYCHE Ecole pratique des hautes études – Paris Section des sciences religieuses
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Par ex. CIL, III, 12463. Cf. M. Tacheva-Hitova, Eastern Cults in Moesia inferior and Thracia (5th century BC–4th century AD), Leyde (EPRO 95), 1983, p. 190-215 (un Apollon thrace p. 214). 119 Cf. Xénophane de Colophon, fr. 23-24 (Diels): «Il y a un seul dieu très grand parmi les dieux et parmi les hommes». 120 Cf. I Rois, 8, 27: «Les cieux et les cieux des cieux ne peuvent Le contenir». 121 Cf. Julien ap. Jean Lydus, De mens., IV, 53 (Wünsch, p. 110): uJyhlovtero" gavr fasi tw'n planhvtwn oJ Krovno", et F. Cumont, Les religions orientales dans le monde romain, Paris, 19294, p. 118 sq. 118
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TOPONYMIE ÉGYPTIENNE ET ÉPITHÈTES ISIAQUES Le lexique attaché au nom d’Isis est à l’image de la personnalité de la déesse: riche et varié. Il l’est d’autant plus qu’elle s’exerce sur un espace et un temps considérables: un espace qui s’étend de Méroé à Eburacum, de la Lusitanie aux rives du Pont-Euxin et de la Mer Erythrée1 ; un temps qui, de la première mention écrite d’Isis dans les textes des Pyramides, au milieu du IIIe millénaire avant notre ère2, jusqu’à l’ultime proscynème qui lui est adressé à Philae au VIe siècle après J.-C.3, s’écoule sur plus de trois mille ans. Tout aussi diverses sont les langues dans lesquelles on a pu s’adresser à Isis: égyptien bien sûr, sous ses formes hiéroglyphique4, hiératique ou démotique, grec ensuite, puis latin, mais aussi néo-punique, nabatéen ou encore méroïtique5. Le champ d’investigation est vaste. Limitons-le. Dans un petit livre paru il y a plusieurs années6, nous avions recensé quelque 450 épithètes et épiclèses grecques et latines attribuées à Isis dans la documentation, qu’elle soit littéraire, épigraphique, papyrologique ou numismatique. Parmi celles-ci, il en est un certain nombre que l’on qualifie traditionnellement de «toponymiques»: Capitolina, Memfi'ti" / Memphidos diua, ejn Menouqiv, Nebouto, Ostiensis, Fariva / Pharia ou encore Taposeiriva" / Taposiris. Cinq d’entre elles renvoient à des toponymes situés en Egypte, s’ils ne sont pas tous égyptiens : Taposiris à l’est d’Alexandrie, Ménouthis, près de Canope, Alexandrie elle-même, Memphis, l’antique capitale pharaonique, enfin Bouto dans le XIIe nome de Basse Egypte. Quels sens – je mets ces deux mots au pluriel car nous verrons qu’une même épiclèse peut être polysémique – peut-on attribuer à chacune d’entre elles, quelle réalité profonde recouvrent-elles? 1
Pour une vision d’ensemble de la diffusion des cultes isiaques à l’époque gréco-romaine, on pourra consulter notre récent Atlas de la diffusion des cultes isiaques (Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, XXIII), Paris, 2001. 2 Cf. J. W. Gartland, The concept of Isis during the Old Kingdom based upon the Pyramid Texts, Chicago, Univ. of Chicago, 1968. 3 Cf. L. Kakósy, «Das Ende des Heidentum in Ägypten», dans P. Nagel (éd.) Graecocoptica. Griechen und Kopten in byzantinischen Ägypten, Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg (Wissenschaftliche Beiträge, 48: I, 29), 1984, p. 61-76. 4 Pour l’un des rares ouvrages consacrés à l’Isis pharaonique, cf. M. Münster, Untersuchungen zur Göttin Isis vom Alten Reich bis zum Ende des Neuen Reiches (Münchener Ägyptische Studien, 11), Berlin, 1968 et la très accessible synthèse de Fr. Dunand, Isis: Mère des Dieux, Paris, 2000. 5 Une présentation de l’ensemble de cette documentation chez L. Bricault, « 40 ans d’études isiaques. Perspectives», dans L. Bricault (éd.) De Memphis à Rome. Actes du Ier colloque international sur les études isiaques, Poitiers, 8-10 avril 1999 (Religions in the GraecoRoman World, 140), Leyde, 2000, p. 197-210. 6 L. Bricault, Myrionymi. Les épiclèses grecques et latines d'Isis, de Sarapis et d'Anubis (Beiträge zur Altertumskunde, 82), Stuttgart, 1996.
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Commençons par Taposiris7. 7 documents (2 papyri et 5 inscriptions) attestent un culte rendu à une Isis de Taposiris8. Deux d’entre eux mentionnent des prêtresses d’Isis de Taposiris en territoire grec, l’une à Chéronée9, l’autre à Athènes10, au IIIe siècle après J.-C.; le troisième est une dédicace adressée à la déesse, trouvée à Délos et datant de la fin du IIe siècle avant J.-C.11. Trois autres occurrences proviennent d’Egypte et nous apprennent que la déesse disposait d’un sanctuaire à Oxyrhynchos, en Moyenne-Egypte12. La septième figure sur la plinthe d’une statue d’Isis du IIe siècle après J.-C. dédiée par deux frères, vétérans de la légion qui ont dû séjourner en Egypte; elle a été découverte à Fiesole, en Toscane, dans les ruines d’un petit sacellum où l’on a retrouvé également la base d’une statue d’Osiris dédiée par les mêmes personnages13. Son iconographie est originale: la déesse est assise, pensive, le menton ou la tête appuyée sur la main gauche, dans une attitude qui fait songer à celle de Déméter pleurant Perséphone (Fig. 1); l’image en question doit être celle prêtée à Isis à Taposiris, une ville censée abriter le tombeau d’Osiris, justifiant ainsi l’attitude dolente de l’épouse du dieu tué puis démembré par son frère Seth14. Rappelons que c’est précisément un poisson oxyrhynque qui avala le membre viril d’Osiris qu’Isis ne put retrouver15. Isis de Taposiris n’est autre qu’Isis en deuil d’Osiris. Cet aspect de la déesse a connu une certaine diffusion à l’époque hellénistique, puis
7 Sur les dernières fouilles menées sur le site, on pourra consulter G. Vörös, Taposiris Magna, Port of Isis, Hungarian Excavations at Alexandria (1998-2001), Budapest, 2001; les p. 88-97 consacrées à Isis de Taposiris ne sont toutefois guère utilisables, s’appuyant sur une bibliographie datée et très lacunaire. Sur le panthéon de la région, cf. W. A. Daszewski, «The Gods of the North-West Coast of Egypt in the Graeco-Roman Period», Mélanges de l’Ecole française de Rome, Antiquité, 103, 1991, 1, p. 91-104 et p. 92-94 pour Taposiris et son grand temple d’Osiris (ou de Sarapis?), déjà mentionné par Strabon, XVII, 1, 14. 8 Cf. L. Bricault, «Isis dolente», Bulletin de l’Institut français d’Archéologie orientale, 92, 1992, p. 37-49 et pl. 11-13. 9 Inscriptiones Graecae (IG), VII, 3426 = L. Vidman, Sylloge Inscriptionum Religionis Isiacae et Sarapiacae (SIRIS), Berlin, 1969, n° 62 = L. Bricault, Recueil des inscriptions concernant les cultes isiaques (RICIS), n°105/0895, Paris 2005. 10 IG II/III2, 1950 = SIRIS, 419 = RICIS, 101/0216. 11 Inscriptions de Délos (I.Délos), 2064 = RICIS, 202/0313. 12 W. Brashear, «Eine Weihung an Isis Taposiris», Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 17, 1975, p. 33-34 [Louxor?, règne de Ptolémée IV, 217-205 av. J.-C.?]; The Oxyrhynchus Papyri, XII (1916), 1434 [Oxyrhynchos, 107/8 ap. J.-C.]; Papiri greci e latini della Società Italiana, IX (1929), 1036 [Oxyrhynchos, 192 ap. J.-C.]. 13 Corpus inscriptionum latinarum (CIL), XI, 1544 = SIRIS, 564 = RICIS, 511/0102 pour la statue d’Isis; CIL, XI, 1543 = SIRIS, 563 = RICIS, 511/0101 pour celle d’Osiris. 14 Sur Taposiris, cf. Strabon, XVII, 1, 14-16; Pline, Naturalis Historia, XXVII, 53 et XXXII, 10; Ptolémée, IV, 5, 15; S. Daris, Dizionario dei nomi geografici e topografici dell' Egitto greco-romano, IV, 4, Milan, 1986, p. 359-360. Taposiris comme lieu de sépulture d’Osiris chez Plutarque, De Iside et Osiride, 21 (359 C). 15 Plutarque, De Iside et Osiride, 18 (358 B). 16 Sur cette fête très importante, cf. M. Malaise, Les conditions de pénétration et de diffusion des cultes égyptiens en Italie, (Etudes préliminaires aux religions orientales dans l’Empire romain = EPRO, 22), Leyde, 1972, p. 221-228, avec le complément du même auteur, « Documents nouveaux et points de vue récents sur les cultes isiaques en Italie», dans Hommages à Maarten J. Vermaseren. II (EPRO, 68), Leyde, 1978, p. 704-705.
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surtout à l’époque romaine, à mettre en rapport avec la célébration de l’Inuentio Osiridis16. Isis en deuil d’Osiris, qui pleure son frère-époux disparu, jouissait en plusieurs endroits d’un culte spécifique, rendu à un aspect autant mythographique que fonctionnel de la déesse. Le cas d’Isis de Ménouthis est un peu différent. Deux textes grecs du Portus Ostiae, d’époque antonine, mentionnent la dédicace de statues d’Isis de Ménouthis17. L’une est d’ailleurs adressée à Isis Pharia. Isis possédait un important sanctuaire à Ménouthis, non loin de Canope, connu par plusieurs auteurs anciens18. Foyer vivace du paganisme tardif, le sanctuaire, réputé pour ses pratiques incubatrices et ses guérisons multiples, fut la cible incessante des chrétiens, qui finirent par le dévaster en 414, avant d’y transférer les reliques des saints Cyr et Jean19. Mais le culte d’Isis survécut encore soixante-dix ans, trouvant refuge en un autre lieu. La destruction, cette fois quasi définitive, du sanctuaire d’Isis vers 486 est bien connue grâce au récit qu’en a laissé Zacharie le Scholastique dans sa Vie de Sévère20. Dans une étude récente21, Jean Winand a établi que le procédé iconographique qui avait conduit à façonner l’image a priori si curieuse de la divinité improprement appelée Osiris-Canope22 avait dû fonctionner aussi pour l’Isis guérisseuse de Ménouthis, contrepartie féminine du précédent, que l’on retrouve notamment à de très nombreuses reprises dans le monnayage alexandrin d’époque impériale (Fig. 2). Ce sont sans doute des monuments de ce type qu’ont dédiés les fidèles d’Ostie, peut-être au retour d’une visite heureuse au sanctuaire de la déesse de Ménouthis, sur des navires eux-mêmes placés sous la protection d’Isis. Après avoir tourné autour, venons-en à Alexandrie. De multiples documents (littéraires, épigraphiques, numismatiques) nous font connaître l’épiclèse Pharia, tant en grec qu’en latin. L’étude de cette masse documentaire (près de 25 occurrences) permet d’aboutir à plusieurs constatations23. Les premières attestations, toutes littéraires, sinon poétiques, de l’épithète Pharia attribuée à Isis, datent des Ier siècle avant J.-C. / Ier siècle après J.-C. Elles sont à caractère métonymique et géographique, et servent chez Tibulle24, Ovide25, Martial26, Stace27 ou encore Apulée28 à désigner l’Isis d’Alexandrie ou d’Egypte. Au cours du IIe siècle après J.-C., le sens de l’épithète évolue et Isis
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IG, XIV 1005 = SIRIS, 403 = RICIS, 503/1204 et SIRIS, 556 a = RICIS, 503/1212. Cf. par exemple Epiphane de Salamine, De fide, 12, 1-12, 4. 19 Sophronios, Laudes in Ss. Cyrum et Ioannem, 24-27. 20 Zacharie, Vie de Sévère, dans M. A. Kugener (éd.), Patrologie Orientale, II, 1, Paris, 1905, p. 16-35. Sur cet épisode, cf. P. Chuvin, Chronique des derniers païens, Paris, 1990, p. 110112. 21 J. Winand, «Les divinités-canopes sur les monnaies impériales d’Alexandrie», dans Hommages à Jean Leclant, III, Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO), Le Caire, 1994, (Bibliothèque d’étude, 106, 3), p. 493-503. 22 Cf. notre enquête à paraître sur «Sarapis de Canope et Isis de Ménouthis». 23 Sur Isis-Pharia, nous renvoyons le lecteur à notre étude «Un phare, une flotte, Isis, Faustine et l’annone», Chronique d’Egypte, LXXV, 149, 2000, p. 136-149. 24 Tibulle, I, 3, 32. 18
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Pharia désigne dès lors la déesse en tant que protectrice de la flotte frumentaire d’Alexandrie destinée au ravitaillement de Rome. Une fête, le Sacrum Phariae, mentionnée dans les calendriers romains d’époque impériale pour le 25 avril, lui est même consacrée. Au printemps de 190, l’empereur Commode célèbre d’ailleurs un sacrifice au couple Sarapis - Isis Pharia à l’occasion de l’arrivée au Port d’Ostie de la flotte qui met fin à la terrible famine qui a ravagé Rome les mois précédents, un épisode connu par une série de très beaux médaillons (Fig. 3). Précisons enfin qu’aux IIIe et IVe siècles, la protection d’Isis Pharia s’étend à l’ensemble des manifestations et rites auguraux du jour de l’an, associant définitivement son image aux émissions monétaires des Vota publica, et ce probablement jusqu’à la défaite d’Eugène à la bataille de la Rivière Froide, en 394. On ne connaît toutefois encore aucun sanctuaire spécifique de cette hypostase de la déesse, dont l’iconographie n’est d’ailleurs pas établie avec certitude. Bien souvent, les auteurs modernes emploient indifféremment les épithètes Pharia, Pelagia et Euploia, considérées comme synonymes, et associées à l’image d’Isis tenant de son pied et de ses deux mains son manteau faisant une voile gonflée par le vent, une image véhiculée par de très nombreux documents (reliefs, gemmes et monnaies) (Fig. 4). A titre d’exemple, dans les publications numismatiques, les monnaies figurant Isis à la voile sont qualifiées systématiquement d’Isis Pharia, qu’elles proviennent d’Alexandrie ou d’ailleurs, que le phare s’y trouve représenté ou non. Cette terminologie, pour commode qu’elle soit, n’est guère pertinente, car simplificatrice et source de nombreuses confusions sur le sens à donner à ces émissions. Or, à ma connaissance, la seule image d’Isis associée à l’épiclèse Pharia provient de Balanea, en Syrie29. Le nom de la déesse est gravé sur la base d’une statuette représentant Isis portant avec le bras gauche la cornucopia, tenant le gouvernail de la dextre, qui correspond à l’image «canonique» d’Isis-Fortuna. Mais ce qui symbolise, au sens figuré, la bonne fortune ne pourrait-il pas être également compris, au sens propre, comme l’image d’une déesse marine (le gouvernail) et propice (la cornucopia), autrement dit celle d’Isis Pharia (Fig. 5)? Par opposition à ceux que nous venons d’évoquer, les qualificatifs associant Isis à l’antique Memphis sont plus malaisés à définir avec certitude, non seulement parce que nos sources se font plus rares, mais aussi parce que le champ sémantique pouvant rattacher la déesse à la ville est large, et que nos documents sont peu explicites. Deux
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Ovide, Ars amatoria, III, 635; Fasti, V, 619; Ex Ponto epistulae, I, 1, 38. Dans Amores, II, 13, 9, Ovide rappelle qu’Isis possède des sanctuaires à Parétonium, Canope, Memphis et Pharos. L’absence d’Alexandrie dans ce vers indique clairement que la cité se cache par métonymie sous le nom de son monument le plus emblématique, au moins pour un Latin; même figure de style dans Metamorphoseon, IX, 773-774. Voir également les remarques d’A. Ramirez de Verger, «The text of Ovid, Amores 2.13.17-18», American Journal of Philology, 109, 1, 1988, p. 87-89. 26 Martial, Epigrammata, X, 48. 27 Stace, Thebais, I, 254; Siluae, III, II, 102, III, II, 112 et V, III, 244. 28 Apulée, Metamorphoseon, II, 28. 29 A. De Ridder, Catalogue de la collection de Clercq III. Les bronzes, Paris, 1905, p. 225 n_ 321 et pl. L, 3 = Inscriptions grecques et latines de Syrie, IV (1955), 1309 = SIRIS, 358 = RICIS, 402/0501.
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inscriptions funéraires provenant de Cirta en Numidie concernent une (sinon deux, mais le second texte, très fragmentaire et de surcroît perdu, ressemble vraiment beaucoup au premier) «prêtresse de la déesse de Memphis, celle qui tient le sistre»30, périphrase qui désigne clairement Isis. Les liens unissant la déesse à Memphis sont nombreux: elle y possédait un grand sanctuaire31 ; Sarapis, avant de devenir la divinité tutélaire d’Alexandrie et l’époux d’Isis, était l’un des grands dieux de la ville32, sous l’aspect anthropomorphe et taurocéphale d’Osor-Apis33 ; le texte original de la fameuse arétalogie d’Isis, connue par une demi-douzaine de copies à travers le monde méditerranéen34, y fut vraisemblablement composé à la fin du IIIe siècle avant J.-C. Le troisième document est le plus intéressant. Il s’agit de la dédicace, au IIe siècle après J.-C., par une femme, à ses frais, pour les Augustes et la cité de Thessalonique, du temple et du portique d’Isis Memphitis ainsi que du propylon de ce temple et des autels en marbre qui en font partie. La dédicace est connue par deux versions, la plus complète étant destinée au Sarapieion, la version courte ayant dû être placée en ville35.
30 F. Bücheler, E. Lommatzsch, Carmina Latina epigraphica, Suppl. n°1997 = SIRIS, 793-794 = RICIS, 704/0401-0402. Memphidos haec fu/erat diuae sistrata{e} sacer/dos. La correction de sistratae en sistrata est imposée par la scansion; si l'on ne supprimait pas le e, il faudrait alors traduire «prêtresse de la déesse au sistre de Memphis», une formule que l'on ne peut toutefois, quant au sens, écarter définitivement. 31 Sur l’Isis de Memphis et l’épisode de la statue de la déesse envoyée par Ptolémée III à Séleucos II rapporté par Libanios, Orationes, XI, 114-117, cf. J. C. Darnell, «Articular Km.t / Kmy and Partitive KHM?», Enchoria, 17, 1990, p. 69-81, en particulier p. 73-75. Des graffites incisés sur certains sphinx du dromos du Sarapieion de Memphis mentionnent des dou'loi (tou') Saravpio" kai; (th'") [Isio". Le dossier est republié avec soin par G. Nachtergael, «Graffites du Sarapieion de Memphis», Chronique d’Egypte, LXXIV, 148, 1999, p. 344-355, qui les date du IIIe siècle avant J.-C. 32 La bibliographie sur le sujet est considérable. Citons simplement P. M. Fraser, «Current Problems concerning the early History of the Cult of Sarapis», Opuscula Atheniensia, VII, Lund, 1967, p. 23-45; J. E. Stambaugh, Sarapis under the early Ptolemies (EPRO, 25), Leyde, 1972; B. Gallotta, «Serapide a Menfi», La Parola del Passato,167, Mars-Avril 1976, p. 129142 et surtout P. Borgeaud, Y. Volokhine, «La transformation de la légende de Sarapis: une approche transculturelle», Archiv für Religionsgeschichte, 2, 1, 2000, p. 37-76. 33 Voir la très belle statuette publiée par E. Doetsch-Amberger, «Osiris-Apis», Göttinger Miszellen, 165, 1998, p. 39-43 et ph. p. 44. 34 RICIS, 302/0204. Parmi l’imposante littérature consacrée à ces textes, on verra R. Harder, Harpokrates von Chalkis und die memphitische Isispropaganda (APAW, 14), Berlin, 1943, p. 20-21, pour l’établissement du texte original, analysé par D. Müller, Ägypten und die griechischen Isis-Aretalogien (ASAWL, 53, 1), 1961, ainsi que les travaux d’A.-J. Festugière, «A propos des arétalogies d'Isis», Harvard Theological Review, 42, 1949, p. 209-234, de J. Bergman, Ich bin Isis, Uppsala, 1968, avec les réponses de D. Müller, «I am Isis», Orientalistische Literarurzeitung, 67, 1972, col. 117-130; d’A. Henrichs, «The Sophists and Hellenistic Religion. Prodicus as the Spiritual Father of the Isis Aretalogies», dans Actes du VIIe Congrès de la Fédération Internationale des associations d'Etudes Classiques, Budapest, 1984, I, p. 339-353 et de C. Veligianni-Terzi, «Bemerkungen zu den griechischen Isis-Aretalogien», Rheinisches Museum, CXXIX, 1986, p. 63-76. 35 IG, X, 2, 102 = RICIS, 113/0549 pour la version longue; IG, X, 2, 57 = RICIS, 113/0548 pour la version abrégée.
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L’édifice en question, situé dans l’enceinte du sanctuaire, est une donation aux autorités de la ville, à charge pour elles de l’entretenir à l’avenir. Mais quel sens donner à l’épiclèse? Quelle image de la déesse lui rapporter? On peut envisager bien des hypothèses, toutes invérifiables en l’état actuel de la documentation. Je n’en retiendrai que deux. La charge financière pour entretenir l’édifice thessalonicien pouvait être significative, même si ses dimensions nous sont inconnues. On peut alors se demander si, en rappelant par le biais d’une épiclèse rarissime mais judicieusement choisie les liens qui unissent la vieille capitale égyptienne et la Macédoine depuis Alexandre, qui s’y fit notamment couronner pharaon, la donatrice n’a pas forcé les éventuelles réticences municipales, toujours envisageables, à faire face à une dépense nouvelle. A moins que l’épiclèse ne renvoie simplement à une image traditionnelle de la déesse, différente de celle de l’Isis hellénisée, à une époque, le IIe siècle après J.-C., où l’égyptianisation des cultes isiaques est manifeste dans tout l’Empire romain. Terminons cette brève présentation par un qualificatif singulier, unique dans la documentation isiaque, donc hors d’Egypte36 – de langue grecque ou latine. Il s’agit d’une inscription d’Ambracie, en Epire, de haute époque hellénistique, présentant une dédicace à Isis Nebouto et à Harpocrate37. Nevbouto n’est autre que la transcription grecque de l’égyptien nb(.t) wt(.t), la «maîtresse de Bouto», une ville du Delta. Isis y est assimilée depuis fort longtemps à la déesse Ouadjet (égyp. w3d.t) avec laquelle elle se confond souvent en tant que nourrice d’Horus l’enfant (i. e. Harpocrate, ici invoqué)38. Il est alors vraisemblable que cette dédicace soit à mettre en rapport avec une naissance, placée sous la protection d’Isis. C’est d’ailleurs l’un des aspects les plus populaires de la déesse en Grèce centrale et en Macédoine, où elle finit par supplanter Artémis Lochia, dont elle emprunte à l’occasion l’épiclèse comme à Dion, Beroia ou Thessalonique39. C’est aussi de cette partie du monde méditerranéen que provient
36 Car des parallèles existent dans les papyrus magiques; cf. Papyri graecae magicae, VII, 496, où la même divinité apparaît au côté de Boubastis, autre déesse protectrice des naissances. 37 Supplementum epigraphicum graecum, XXIV (1969), 413 = RICIS, 111/0101. 38 Sur Bouto, cf. Hérodote II, 59 etc. ; Ptolémée, IV, 5, 20 ; Plutarque, De Iside, 41 ; K. Sethe, Paulys Real-Encyclopädie der klassischen Altertumswissenschaft, III, 1, 1897, col. 1087-1088; S. Daris, Dizionario, II, 1, 1973, p. 69 (op. cit., supra, n. 10). En égyptien Pr-w3d.t la «maison de Ouadjet» (Wörterbuch der ägyptische Sprache, 1, 268), la déesse-serpent qui joua un rôle important dans le mythe isiaque lorsqu’Isis fut obligée de se cacher dans les marais de Chemmis avec Horus. Ouadjet (= Outo) fut d’ailleurs rapidement assimilée à Isis (Pyr., 309a/313a). Le Pap. Jumilhac exprime clairement le lien entre les deux déesses : (VI, 2-4) « Quant à Ouadjet, maîtresse de Dounâouy, c’est Isis, mère d’Anubis. Quant à Horus l’enfant, qui est dans ce lieu, c’est Anubis, fils d’Osiris, quand il était un enfant auguste, dans les bras de sa mère Isis»; (XIII, 9) «Et Ouadjet exista, sous le nom d’Isis, dans le nome de Dounâouy, où elle resta avec son fils Horus » (trad. J. Vandier, Le papyrus Jumilhac, Paris, 1962). Isis est assez fréquemment appelée nbt P «maîtresse de Pe», hnwt Dp «souveraine de Dep», voire simplement nbt w3dt «maîtresse de Bouto» (p. ex. dans les hymnes à Isis de Philae). 39 Dion: RICIS, 113/0201, 113/0202 et 113/0218; Beroia: J. M. R. Cormack, Annual of the British School of Athens, 41, 1940-1945, p. 105-106 n° 1, ph. = SIRIS, 107 = RICIS, 113/0301; Thessalonique: IG, X, 2, 97 = RICIS, 113/0523.
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un texte attestant la célébration de Boubasteia, fêtes en l’honneur de la déesse Boubastis40, autrement dit l’Egyptienne Bastet, protectrice des naissances et des femmes enceintes, à laquelle Isis est assimilée de longue date. Résumons-nous. Les cinq exemples considérés ici sont révélateurs de l’extraordinaire diversité de la personnalité divine d’Isis à l’époque gréco-romaine. Derrière Taposiris se cache un aspect mythographique d’Isis en relation avec le deuil de la déesse pleurant Osiris; Ménouthis recouvre une épiclèse fonctionnelle et renvoie au célèbre sanctuaire d’Isis guérisseuse situé non loin de Canope; Pharia, qualificatif poétique mais aussi politique et économique, désigne à la fois l’Isis d’Egypte et la déesse protectrice de l’annone; Memphitis, plus ambiguë, pourrait s’appliquer à une image non hellénisée de la déesse, lorsque s’amorce une égyptianisation des cultes à partir du règne d’Hadrien; enfin Nébouto, épiclèse syncrétique autant que fonctionnelle, exprime au mieux le rôle ancestral d’Isis en tant que protectrice des naissances et des petits enfants. Cinq facettes d’Isis myrionyme, la déesse aux noms innombrables41.
Laurent BRICAULT La Roussalière
40 A Hyampolis, en Phocide: IG, IX, 1, 86 = SIRIS, 67 = RICIS, 106/0303. Sur les cultes isiaques dans ces régions, cf. L. Bricault, «Les cultes isiaques en Grèce centrale et occidentale », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 119, 1997, p. 117-122 et id., Atlas (op. cit., supra, n. 1), p. 10-17 et cartes IV-V. 41 Cf. L. Bricault, «Isis myrionyme», dans Hommages à Jean Leclant, III, IFAO, Le Caire, 1994 (Bibliothèque d’étude, 106, 3), p. 67-86.
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Fig. 1: Statue d’Isis de Taposiris. Sacellum de Fiesole [IIe siècle après J.-C.] (photo DAI Rom).
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Fig. 2 : Sarapis de Canope, Harpocrate de Canope et Isis de Ménouthis. Alexandrie. Drachme de l’an 6 de Faustine [165/6] (catalogue CNG 51 (1999) n° 1014).
Fig. 3: Médaillon de Commode sacrifiant à Isis Pharia. Rome [25 avril 190] (catalogue Lanz 94 (1999) n° 674).
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Fig. 4: Isis à la voile. Alexandrie. Drachme de l’an 11 d’Antonin [147/8] (coll. L. Bricault).
Fig. 5: Isis Pharia. Gemme en verre bleu. [IIe siècle après J.-C.]. Kunsthistoriches Museum Wien n° inv. XI 991 (photo de l’empreinte d’après Antike Gemmen, Wien, II, p. 91 n° 973 et pl. 58).
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QEOS GENNHTWR PANTWN: DIVINITÉ PAÏENNE ET/OU CHRÉTIENNE? Cette étude s’inscrit dans une recherche plus vaste1 portant sur la terminologie utilisée dans l’Antiquité tardive, entre la fin du IIIe et le VIe siècle, pour désigner les cultes grecs et les notions qui leur sont liées. Evaluer les changements qui ont pu affecter le paganisme tardif2 paraît en effet aller de pair avec l’étude des termes eux-mêmes tels qu’ils sont employés dans les inscriptions. En bref, les dénominations employées à l’époque classique pour désigner la piété, telle pratique cultuelle ou l’ensemble des gestes sacrés sont-elles encore de mise à l’époque tardive ou leur en a-t-on substitué d’autres? A la fin du IVe siècle3, alors que le christianisme est devenue religion d’Etat, nomme-t-on les divinités païennes de la même façon qu’autrefois? A défaut de pouvoir apporter une réponse unique et définitive à cette question, on peut l’illustrer en étudiant la formule qeo;" gennhvtwr pavntwn, telle qu’elle apparaît dans une épigramme honorifique athénienne. Trouvée dans l’église d’‘Agiva Aijkaterivnh, dans le quartier de Plaka, l’inscription est gravée sur une base de statue circulaire qui a été réutilisée comme support d’un petit autel dans l’édifice chrétien et qui est encore en place aujourd’hui. Inscriptiones Graecae (IG), II2, 4223 (= J. Kirchner, IG, II/III2, 3, 1: Inscriptiones Atticae Euclidis anno posteriores. Dedicationes, Tituli honoraria, Tituli sacri, Berlin, 1935, n° 4223); G. Kaibel, Epigrammata Græca ex lapidibus conlecta, Berlin, 1878, n° 915; A. von Premerstein, «Griechisch-römisches aus Arkadien», Jahreshefte des österr. archäol. Inst. in Wien, 15, 1912, p. 216 (seules sont reprises les lignes 5 à 8); E. Groag, Die Reichsbeamten von Achaia in spätrömischer Zeit, Budapest, 1946, p. 63 ; L. Robert, Hellenica IV. Epigrammes du Bas-Empire, Paris, 1948, p. 22-23 [cf. Bulletin Epigraphique 1949, n° 56]; E. Sironen, «Life and Administration of Late Roman Attica in the Light of Public Inscriptions», Post-Herulian Athens. Aspects of life and Culture in Athens A.D. 267-529, éd. P. Castrén, Helsinki, 1994, p. 31, n° 15 [Supplementum Epigraphicum Graecum, 42, 1992, n° 238]; E. Sironen, The Late Roman and Early Byzantine Inscriptions of Athens and Attica, Helsinki, 1997, n° 14, p. 70-72 (avec l’intégralité de la bibliographie).
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Pour une étude de l’un des termes désignant, les cultes, la religion, voir L. Foschia, «Le nom du culte: qrhskeiva et ses composés à l’époque impériale», dans Actes du Colloque International d’Epigraphie (Paris IV - Année Epigraphique), L’hellénisme d’époque romaine: nouveaux documents, nouvelles approches (Ier s. av. J.-C. – IIIe s. ap. J.-C.), Paris, 6-8 juillet 2000, S. Follet (éd.) (à paraître aux Editions Rue d’Ulm). 2 Les mots «païen, paganisme» seront employés par commodité pour désigner le polythéisme, les cultes grecs dans leur ensemble, bien que le caractère contestable et inexact de cette terminologie ne soit plus à démontrer (cf. R. M. Rothaus, Corinth: The First City of Greece. An Urban History of Late Antique Cult and Religion, Leyde, 2000, p. 1-7). 3 Toutes les dates s’entendent après J.-C., sauf mention contraire.
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I ajrco;n ejme; Qeovdwron ’Acaw'n eijkovni th'/de sth'se Qemistoklevh" neuvmati Kekropivh{i}". II ajrco;n oJra'/" Qeovdwr.on, o}" eujdikivh/s j ajga.nh'/si sw'se Panellhvnwn swvmata kai; pov. lia". tou[neka.v min kata; a[stu Qemistoklevh" ajnevqhke eijkovni lai>nevh/: tw;" a;r a[nwe povli": eujcovmeno" metevpita qew/' gennhvtori pavntwn kai; calcou' sthvsin neuvmati Qeuodosivou. «Thémistocle a dédié cette statue me représentant, moi, Théodoros, proconsul d’Achaïe, avec l’assentiment de la cité de Cécrops. Vous voyez le proconsul Théodoros qui a sauvé tous les Grecs et leurs cités en rendant la justice d’une manière juste et douce. C’est la raison pour laquelle Thémistoclès a consacré sa statue de pierre dans la ville; car ainsi la cité l’avait incité à le faire. Il s’engagea ensuite devant le dieu qui engendre toutes choses à lui dédier aussi une statue de bronze avec l’assentiment de Théodose»4
Contexte épigraphique et historique Cette épigramme émanant de Thémistoclès et honorant le proconsul d’Achaïe (ajrco;" ’Acaw'n) Théodoros5 consiste en une double dédicace: Théodoros a reçu une statue de pierre (l. 1 et 2), puis une statue de bronze qui fut élevée après assentiment de l’empereur Théodose (neuvmati Qeuodosivou). La datation du texte repose à la fois sur la question du statut administratif de l’Achaïe – qui varie à plusieurs reprises au cours du IVe siècle – et sur la mention de l’accord impérial lié à l’érection de la statue de bronze. E. Groag6 et à sa suite D. Feissel7 ont retenu la période 393-395. Il n’y a pas lieu de revenir ici sur l’établissement de cette datation qui paraît très probable8.
4
Sauf mention contraire, les traductions sont de l’auteur. Théodoros est sans doute à identifier avec un personnage du même nom, ami de Libanios, dont ce dernier dit qu’il fut influent à la cour de Constantinople de 388 à 390 et de nouveau à partir de 393. On doit peut-être l’identifier avec Théodoros 17 (T. D. Barnes (éd.), The Prosopography of the Later Roman Empire 1: A. D. 260-395, Cambridge, 1971, p. 898-899) et/ou Théodoros 18, préfet de Constantinople en 385 ou 387, honoré par Trézène vers 380 (IG, IV, 787). On a aussi rapproché ce personnage d’un Théodoros mentionné dans une inscription de Corinthe datée de la fin du IIIe ou du début du IVe siècle: J. H. Kent, Corinth 8, 3. The Inscriptions 1926-1950, Princeton, 1966, n° 517, p. 171; Revue des études grecques (REG), 79, 1966, p. 760-761. L’identité du dédicant, Thémistoclès, sera examinée ultérieurement. 6 E. Groag, Die Reichsbeamten von Achaia in spätrömischer Zeit, Budapest, 1946, p. 63. 7 D. Feissel, «Notes d’épigraphie chrétienne. VII», Bulletin de correspondance hellénique, 108, 1984, p. 550; A. von Premerstein a daté ce texte «um das J. 380» («Griechischrömisches …», p. 216) et E. Sironen a retenu la période de règne de Théodose Ier, 379-395 (E. Sironen, «Life and Administration …», p. 31-32). 5
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Ce type d’inscription appartient à un groupe assez fourni d’épigrammes gravées par les villes grecques du IIIe au VIe siècle sur des bases de statues élevées à des gouverneurs de province où à des préfets du prétoire. On y trouve vantée par-dessus tout la justice du gouverneur9, fréquemment qualifié de «sauveur de la cité et de ses habitants»10. Les exemples de telles dédicaces sont nombreux, surtout dans la seconde moitié du IVe siècle; ils sont aussi bien grecs que latins11. Bien qu’appartenant à une série connue, ce texte présente l’originalité de contenir la formule qeo;" gennhvtwr pavntwn. Issu du verbe gennavw, «engendrer», gennhvtwr est un dérivé rare, que l’on trouve à époque tardive dans quelques inscriptions où il a le sens de «père», notamment dans des épitaphes12. L’expression est un hapax puisqu’elle n’apparaît dans aucun texte épigraphique, à quelque époque que ce soit. Le caractère très général, universaliste de la périphrase, que pourrait reprendre à son compte tout système religieux ou presque, monothéiste aussi bien que polythéiste, doit être mentionné. Bornons-nous à citer un extrait de la Lettre d’Aristée, écrit de propagande juive attribué à un païen et daté du IIe siècle avant notre ère: «Les Juifs adorent le Dieu souverain maître et créateur de toutes choses, celui qu’adorent aussi tous les hommes et que nous, roi, nous désignons simplement d’un autre nom, en l’appelant Zeus (Zh'na kai; Diva)»13. Aucun signe, sur la pierre, ne permet de préciser la nature de l’expression et, par là, les croyances du dédicant. Les hypothèses précédemment émises à ce sujet s’articulent autour de la traditionnelle dichotomie paganisme / christianisme. Pour E. Groag,
8 Jusqu’en 379 et de 381 à 395, l’Achaïe, comme toute la préfecture du prétoire de l’Illyricum, est rattachée à la pars Occidentalis de l’Empire. A deux reprises, elle appartient à la pars Orientalis et relève donc de l’autorité de Théodose Ier : entre 379 et 381, puis entre 393 et 395 (sur la question complexe de la préfecture de l’Illyricum au IVe siècle, voir en dernier lieu D. Vera, «La carriera di Virius Nicomachus Flavianus e la prefettura dell’Illirico orientale nel IV secolo d. C.», Athenaeum, 61, 1983, p. 390-426). D’autre part, à compter du milieu du IVe siècle, lorsque l’on envisage d’élever une statue de bronze ou une statue dorée pour honorer tel fonctionnaire, l’assentiment impérial est requis. En 398, une loi occidentale étend cette obligation aux statues de marbre (Corpus Iuris Ciuilis II: Codex Iustinianus, I, 24, 1, éd. P. Krueger, Berlin, 1929, p. 76). L’Achaïe appartenant à cette date à la pars Orientalis, on ne peut que se demander si cette loi a été reçue en Orient avant la mort d’Arcadius, en 408, voire encore plus tard. Il est donc probable que notre inscription soit à placer avant 398, même si la loi de 398 ne saurait constituer un terminus ante quem. Je remercie ici R. Delmaire pour les précisions qu’il a bien voulu m’apporter. 9 L. Robert, Hellenica, IV, p. 18. 10 A la fin du IVe siècle, le danger probable était les invasions gothiques. 11 Les occurrences ont été rassemblées par D. Feissel, «Notes d’épigraphie...», p. 545579. 12 Cf. P. Chantraine, «Les noms du mari et de la femme, du père et de la mère en grec », REG, 59-60, 1946-1947, p. 219-250. 13 Trad. M. Simon, «Anonymat et polyonymie divins dans l’Antiquité tardive», dans Perennitas: studi in onore di Angelo Brelich, Rome, 1980, p. 509; Lettre d’Aristée, III, 16, éd. A. Pelletier, (Sources chrétiennes, 89), 1962: To;n ga;r pavntwn ejpovpthn kai; ktivsthn qeo;n ou|toi sevbontai, o}n kai; pavnte", hJmei`" ` dev, basileu`,` prosonomavzonte" eJtevrw" Zh`n` a kai; Diva.
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Thémistoclès a sans doute souhaité garder pour lui ses convictions païennes par crainte de la législation impériale condamnant le polythéisme; usant à dessein d’une expression ambiguë, il se serait dissimulé sous le voile d’un «monothéisme neutre»14. Quant à E. Sironen, il estime que nous avons plutôt affaire à Zeus qu’au dieu des chrétiens, tout en soulignant que l’expression «could have already been adopted15 by the Christian authors for their own purposes»16. On peut se demander si Thémistoclès cherche effectivement à se cacher ou si au contraire l’utilisation de cette formule doit être comprise comme une revendication. L’inscription de Thémistoclès se situe à un moment charnière dans l’histoire du paganisme tardif athénien. En effet, en dépit de la mise en place, dès 318-31917, d’une législation encadrant les pratiques religieuses, païennes aussi bien que chrétiennes, il faut souligner que tout au long du IVe siècle, «no pagan beliefs per se were proscribed by the imperial legislation (…)»18. C’est à partir de 391 qu’un pas est franchi dans la violence avec laquelle sont mis en accusation les fidèles païens19. Les fonctionnaires chargés de faire appliquer les lois se trouvent eux-aussi menacés de fortes peines, pouvant aller jusqu’à la mort, s’ils négligent de signaler des cas de résistance païenne. Reste que l’application effective de ces édits nous est dans la plupart des cas impossible à appréhender. Quant au second phénomène qui touche le paganisme grec au IVe siècle – le développement de la christianisation –, on décèle à Athènes très peu de signes d’activité chrétienne avant le milieu du IVe siècle20. Il est vrai que la cité constitue un cas particulier dans l’empire, puisqu’une tolérance de fait s’y est longtemps exercée envers le paganisme21 et que polythéisme et christianisme y coexisteront jusque bien avant dans le Ve siècle22. Le seul contexte historique ne permettant pas d’identifier avec certitude la nature de la formule qeo;" gennhvtwr pavntwn, on étudiera donc les occurrences, l’usage
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E. Groag, Die Reichsbeamten …, p. 64. C’est nous qui soulignons. 16 E. Sironen, The Late Roman..., p. 72. 17 Code Théodosien, IX, 16, 1-2 (Theodosiani libri XVI cum constitutionibus Sirmondianis, I, T. Mommsen (éd.), Berlin, 1905). 18 P. Garnsey, C. Humfress, The Evolution of the Late Antique World, Cambridge, 2001, p. 153. 19 Code Théodosien, XVI, 10, 12-25. 20 P. Castrén, «Paganism and Christianity in Athens and Vicinity during the Fourth to Sixth Centuries A. D.», dans B. Ward-Perkins, G. P. Brogiolo (éds.), The Idea and Ideal of the Town between Late Antiquity and the Early Middle Age, Leyde, 1999, p. 213. 21 Selon P. Castrén, «Paganism and Christianity…», p. 221, l’intolérance chrétienne semble n’avoir touché Athènes qu’à la fin du Ve siècle sous Léon Ier (457-474) et Zénon (474491). 22 Je ne reprends pas ici l’ensemble de la bibliographie abondante sur l’Athènes tardive: on la trouvera dans A. Cameron, B. Ward-Perkins, M. Whitby (éds.), The Cambridge Ancient History, 14: Late Antiquity-Empire and Successors A. D. 425-600, Cambridge, 2000. Voir aussi l’étude de P. Castrén précédemment citée (supra, n. 20), ainsi que le volume de P. Castrén (éd.), Post Herulian Athens. Aspects of life and culture in Athens A. D. 267-529, Helsinki, 1994. 15
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et le sens de cette formule dans les systèmes religieux chrétien et païen23 avant d’envisager une éventuelle troisième voie.
Voie chrétienne Il est fréquemment question, dans la littérature et dans la doctrine chrétienne, de Dieu en tant que «créateur du Tout, des choses visibles et des choses invisibles». Cette formulation s’est trouvée fixée dans l’incipit du Credo du concile de Nicée en 325: Pisteuvomen eij" e{na qeovn, patevra, pantokravtora, pavntwn oJratw'n te kai; ajoravtwn poihthvn24, «Nous croyons en un seul Dieu, Père, Tout-Puissant, créateur de toutes les choses visibles et invisibles». A l’image de ce que nous avons dans le Credo, les auteurs chrétiens des IIIe et IVe siècles n’utilisent pas habituellement le mot gennhvtwr, mais les termes poihthv", ktivsth" et dhmiougrgov" pour désigner le « créateur ». On rencontre chez Origène oJ dhmiougrgo;" tw'n oJlw'n25, «le créateur de toutes choses», ou oJ tou' pavnto" dhmiourgov"26, «le créateur du tout», ainsi que oJ poihth;" oujranou' kai; gh'"27, «le créateur de l’univers, qui a fait le ciel et la terre»; Athanase d’Alexandrie évoque le dhmiourgo;" qeov"28 ainsi que «le créateur de toute substance», oJ pavsh" uJpostavsew" dhmiourgov"29. Du côté latin, Tertullien emploie conditor30, «le fondateur», comme l’équivalent du terme biblique ktivsth". Et Lactance, de la même façon dans L’ouvrage du dieu créateur, parle de Dieu comme du conditor rerum31. Il faut aller chercher du côté des Hymnes à Ambroise, textes anonymes difficiles à manier, pour trouver l’unique occurrence latine de l’expression deus creator omnium32. Cependant, le terme gennhvtwr apparaît dans le débat entre ariens et nicéens, dès la première moitié du IVe siècle. Le sujet principal de la controverse est bien l’identité de l’essence du Père et du Fils, l’homoousia, thème qui conduit à opposer les notions de création et de génération. Mais il semble que la question de la «génération» par
23
La possibilité d’une allusion au culte impérial paraît d’emblée à rejeter: parmi les qualificatifs ou titres attachés aux empereurs auxquels furent accordés culte ou honneurs divins, ne figure jamais, à ma connaissance, le titre de gennhvtwr ou de creator. 24 G. Alberigo et al. (éds.), Conciliorum Œcumenicorum Decreta, Bologne, 19733, p. 5. 25 Origène, Contre Celse, I, 19, éd. M. Borret (Sources chrétiennes, 132), 1967. 26 Ibid., I, 25. 27 Ibid., I, 25. 28 Athanase d’Alexandrie, Contre les païens, 39, éd. P. T. Camelot (Sources chrétiennes, 18bis), 1983. 29 Ibid., § 40. 30 Quant à Tertullien, il écarte les noms de fabricator ou d’opifex que la littérature latine connaissait depuis deux siècles pour qualifier la fonction organisatrice ou démiurgique de la force divine produisant le cosmos (cf. R. Braun, Deus Christianorum, Paris, 1962, p. 381-385). 31 Lactance, L’ouvrage du dieu créateur, I, 11, éd. M. Perrin (Sources chrétiennes, 213), 1974. 32 Il s’agit du premier vers de l’hymne 19: Ambrosii Opera Omnia, dans Patrologia Latina, 14-17, J. P. Migne (éd.), Paris, 1845 (non uidi); A. Walpole, Early Latin Hymns, Cambridge, 1922 (non uidi).
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opposition à la «création» fasse aussi partie, comme élément dérivé et secondaire, de la controverse. Les tenants de la doctrine arienne auraient considéré le Christ comme ayant été créé et le qualifient donc de « créature », ktivsma, quand les nicéens mettent en avant l’idée du Père comme «engendreur», gennhvtwr, et du Fils comme «engendré», gevnnhma ou gennhqeiv"33. Or, le règne de Théodose Ier est marqué par le triomphe de l’orthodoxie nicéenne et une condamnation parallèle de l’arianisme34. Si donc l’on considère la formule qeo;" gennhvtwr comme une revendication d’adhésion à la foi nicéenne voulue par Théodose, Thémistoclès montrerait, dans cette épigramme, son soutien à l’empereur en adhérant à son entreprise de reconquête de l’orthodoxie arienne. Cependant, cette hypothèse ne tient guère: la question du caractère «engendreur» du dieu chrétien n’a jamais été en tant que telle au cœur d’un débat théologique. Cette question n’est qu’annexe par rapport au débat portant sur l’homoousia et l’on aurait tort de voir en qeo;" gennhvtwr une formule proprement nicéenne, puisqu’aucun courant chrétien n’a véritablement refusé de considérer Dieu comme le «créateur de toutes choses».
Voie païenne Gennhvtwr, dans le contexte religieux traditionnel, s’applique à deux divinités, Apollon et surtout Zeus. Zeus Gennhvtwr apparaît chez les Tragiques, chez Eschyle35 (dans la bouche des Danaïdes) et chez Euripide36. Mais, dans ces deux exemples, l’épithète a le sens d’«aïeul, ancêtre», et non pas celui de «créateur de quelque chose». Il ne s’agit pas d’une épiclèse à proprement parler, puisque à ma connaissance, nous n’avons pas de trace d’un culte rendu à Zeus Gennhvtwr. Quant au culte d’Apollon Genhvtwr – avec un seul nu cette fois –, il est attesté à Délos, et à Délos seulement, par plusieurs sources littéraires et par l’existence d’un autel37. L’étude des textes philosophiques, plus que celle des cultes traditionnels, semble apporter des éléments de réponse. C’est à cette occasion qu’on évoquera le personna-
33 D’après M. Simonetti, Il Cristo II. Testi teologici e spirituali in lingua greca dal IV al secolo, p. 126, la seconde formule du concile d’Antioche, en 341, se distinguerait nettement des propositions de l’arianisme radical en particulier parce qu’elle parle ouvertement de génération sans reprendre l’équivoque formulation arienne (voir le texte dans A. Hahn-G. L. Hahn, Bibliotek der Symbole und Glaubensregeln der alten Kirche, Breslau, 1897, p. 184-186): il y est ainsi fait mention de dieu di j ou| ta; pavnta ejgevneto, «par qui tout a été engendré ». 34 Théodose publie, au début de l’année 380, un édit proclamant que tous les peuples doivent vivre dans la religion transmise par l’apôtre Pierre; ceux qui suivent cette foi peuvent prendre le nom de «catholique», les autres seront considérés comme hérétiques. Cf. Histoire du Christianisme, 2, Naissance d’une chrétienté (250-430), J. M. Mayeur, C. Piétri, L. Piétri, A. Vauchez, M. Venard (éds.), Paris, 1995, p. 387. 35 Eschyle, Suppliantes, v. 206, éd. P. Mazon (Collection des universités de France) (CUF), 1920. 36 Euripide, Hippolyte, v. 683: Zeu;" oJ gennhvtwr ejmov", «Zeus mon aïeul», éd. L. Méridier (CUF), 1927. 37 Cf. P. Bruneau, Recherches sur les cultes de Délos à l’époque hellénistique et à l’époque impériale, Paris, 1970, p. 161-164.
VII
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ge de Thémistoclès. Rien, dans notre inscription, ne permet de rattacher immédiatement ce dédicant à telle lignée athénienne. Cependant, la famille des Claudii du dème de Mélitè, à laquelle appartenait le grand Thémistocle, a fourni juqu’au début du IVe siècle au moins dadouques, héraut sacré et hiérophante – trois parmi les plus hautes fonctions religieuses païennes. E. Perrin-Saminadayar et C. Settipani ont récemment dressé le stemma de cette famille aux époques hellénistique38 et impériale39. La dernière attestation concernant des membres de cette lignée nous est fournie par un catalogue sacerdotal athénien, daté du début du IVe siècle, qui mentionne deux Thémistoclès, le père et le fils40. Fragment A
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[- - - -] [tauvth" kai; Qemistoklev]ou" (I) t. [ou' Lewnivdou] da/douvcou. [uJou' Qemistoklh'" (II)]. Qemistoklevou. ". (II) k. [ai; - - -] th'" Praxagovrou (I)vv Praxagovra" (II) da/dou'co". vacat touvtou ka. i; Bavssh" th'" Nigreivno. u niJerokhvruko" qug(atro;") Filivst. h. . vacat ta. uvth" kai; Dhm. ostravtou S. wvspido" da/d. ouvcou uJ. ou' Pra. xagovr. h. .vv Pra. xagovrh" kai; Xe. nagovrou (I) Xenagovra" (II). touvtou ka. i; ÑE. [r]m. ippivdo" Dionusiva. . Dio. nusiva" v kai; JHgivou (II) tou' ÑHgivou (I) vvv Xenagovra" (III). vacat Xenagovr. ou (III) k. ai; ’Aristofane. iva" th'" Biktwreivnou ÑIerofavnth". vacat vacat
38 E. Perrin-Saminadayar, «Traditions religieuses et stratégies familiales. Sur quelques familles sacerdotales athéniennes de l’époque hellénistique», dans Actes du colloque Prosopographie et histoire religieuse, Créteil, 27-28 octobre 2000 (à paraître). J’adresse ici tous mes remerciements à E. Perrin-Saminadayar qui a bien voulu me transmettre le texte de sa communication. 39 C. Settipani, Continuité gentilice et continuité familiale dans les familles sénatoriales romaines à l’époque impériale. Mythe et réalité, Prosopographica et Genealogica, 2, Oxford, 2000, p. 377-378, n. 12. 40 Voir E. Sironen, The Late Roman..., p. 47-51, n° 3 (avec la bibliographie antérieure).
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«(...) Thémistoclès (II) est né d’elle et de Thémistoclès (I), fils de Léonidas le dadouque. Praxagoras (II) le dadouque est né de Thémistoclès (II) et de ..., fille de Praxagoras (I). Philistè est née de lui et de Bassa, fille de Nigrinos le héraut sacré. Praxagorè est née d’elle et de Démostratos, fils de Sospis le dadouque. Xénagoras (II) est né de Praxagorè et de Xénagoras (I). Dionysia est née de lui et d’Hermippis. Xénagoras (III) est né de Dionysia et d’Hégias (II), fils d’Hégias (I). Hiérophantès est né de Xénagoras (III) et d’Aristophania, fille de Victorinos (...)».
Une autre mention tardive d’un Thémistoclès est à relever chez Eunape, auteur, au tournant des IVe et Ve siècles, de biographies de philosophes et de sophistes. Eunape décrit une querelle qui mit aux prises, dans l’Athènes des années 340, deux bandes rivales d’étudiants en philosophie41. En préambule au récit, l’auteur indique qu’à Athènes, la population et les étudiants en philosophie étaient en conflit presque permanent, notamment au sujet de la religion. Le premier groupe d’étudiants était emmené par le chrétien Prohairésios ; le second groupe, le plus violent, avait à sa tête Thémistoclès, un païen, d’après la description qui est donnée de lui. Eunape insiste sur la brutalité des partisans de ce dernier. On ne connaît pas le motif de la querelle, mais il se peut bien que des désaccords religieux aient opposé les deux bandes; toujours estil que le proconsul d’Achaïe est intervenu en personne pour rendre un jugement et qu’il a condamné le groupe de Thémistoclès. E. Groag considérait que le Thémistoclès de notre inscription n’était pas celui d’Eunape, mais qu’il pouvait fort bien s’agir de l’un de ses descendants42. Pour O. Seeck43 et W. Ensslin44 il s’agissait du même personnage. Les quelque cinquante années qui séparent les deux mentions constituent un laps de temps considérable, mais acceptable puisque Thémistoclès était un jeune étudiant dans les années 340. Il est en tout cas fort probable que le dédicant de l’inscription est issu de cette famille de dignitaires païens et/ou de philosophes. Or, gennhvtwr est un terme récurrent dans le courant monothéiste présent à l’intérieur de nombreuses écoles philosophiques, des platoniciens aux néoplatoniciens. Depuis le démiurge du Timée45, le dieu créateur a été couramment désigné de la sorte: chez le Pseudo-Aristote, c’est ainsi genevtwr que l’on trouve employé dans l’expression «le responsable et le créateur de toutes choses» (oJ pavntwn hJgemwvn te kai; genevtwr)46.
41 Eunape, Vitae Soph., § 483-485, p. 468-477, éd. W. Cave Wright, Loeb, 1921 ; R. J. Penella, Greek Philosophers and Sophists in the Fourth Century A. D. Studies in Eunapius of Sardis, Leeds, 1990, p. 81-83. Les guerres entre factions chez les sophistes et leurs élèves n’étaient pas rares au IVe siècle: cf. J. W. H. Walden, The Universities of Ancient Greece, New York, 1909, p. 152-161 et 312-318. 42 E. Groag, Die Reichsbeamten..., p. 27, n. 4. 43 O. Seeck, Die Briefe des Libanius, Leipzig, 1906, p. 307. 44 W. Ensslin, «Themistokles 10», Paulys Real-Encyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, 5 A, 2, 1934, col. 1699. 45 Platon, Timée, éd. A. Rivaud (CUF), 1925; voir, par exemple, en 37 c: oJ gennhvsa" pathvr.
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Je n’entrerai pas ici dans le détail du monothéisme philosophique qui, à l’intérieur de la théologie païenne, a une histoire longue et complexe. Ce sujet a encore été récemment traité dans le recueil édité par P. Athanassiadi et M. Frede sur le monothéisme païen47. M. Frede48 y a montré comment la vaste majorité des philosophes de l’Antiquité, parmi lesquels platoniciens, stoïciens, néoplatoniciens, avaient mis en avant l’idée d’un dieu suprême, principe premier, non pas unique, mais dominant les divinités dérivées. Et au IVe siècle, ce monothéisme païen fut d’ailleurs délibérément employée pour inciter les païens à se convertir. Cette acception philosophique du terme gennhvtwr peut être mise en parallèle avec les origines de Thémistoclès telles qu’on les a supposées. Notre expression ne serait-elle qu’une formule à lectures multiples employée à dessein par le dédicant afin de prêter allégeance au proconsul et à l’empereur tout en conservant ses propres convictions religieuses? Faut-il aller plus loin en y voyant une sorte de provocation liée avec ce que Thémistoclès avait vécu face à un autre proconsul des années plus tôt? Ou bien le dédicant serait-il un converti récent? Nous en sommes réduits à émettre des hypothèses dont la diversité même doit peut-être conduire à envisager une autre voie.
La question de la koinè religieuse au IVe siècle En effet, la dichotomie paganisme/christianisme dont on use fréquemment lorsque l’on étudie la religion de l’Antiquité tardive mène, dans bien des cas et dans celui qui nous occupe, à une aporie. Elle masque le développement, en particulier au IVe siècle, d’un ensemble de pratiques et de comportements religieux qui empruntent à la fois à l’un et à l’autre système. Ainsi nombre d’inscriptions funéraires s’avèrentelles impossibles à qualifier de païennes ou de chrétiennes. De cette koinè religieuse, on a déjà des traces aux IIe et IIIe siècles chez des auteurs qui ont réfléchi sur les rapports entre cultes polythéistes et christianisme. Gennhvtwr est employé par Justin, martyr chrétien né vers 100, dans un passage où il s’efforce de dresser des parallèles entre Zeus et le dieu chrétien qu’il nomme de la même façon: oJ hJgevmwn kai; gennhvtwr pavntwn49.
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Pseudo-Aristote, De Mundo, 399 a 31, éd. D. J. Furley, Loeb, 1955; ibid., 397 b 21: Swth;r me;n ga;r o[ntw" aJpavntwn ejsti; kai; genevtwr tw'n oJpwsdhvpote kata; tovnde to;n kovsmon sunteloumevnwn oJ qeov", «Dieu est en effet le protecteur de toutes choses et le créateur de tout ce qui s’est trouvé accompli dans ce monde». 47 Pagan Monotheism in Late Antiquity, P. Athanassiadi, M. Frede (éds.), Oxford, 1999. 48 M. Frede, «Monotheism and Pagan Philosophy in Late Antiquity», dans Pagan Monotheism …, p. 55: «There is a clear sense in which Platonists, Peripatetics and Stoics and thus the vast majority of philosophers in Late Antiquity believed in one God (...) who as a god is unique in that he is the first principle which determines and providentially governs reality». 49 Justin, Première apologie, XXI, 5, éd. et trad. L. Pautigny, 1904: wJ" kai; aujto;n to;n hJgemovna kai; gennhvtora pavntwn kat v aujtou;" Diva patrofovnthn te kai; patro;" toiouvtou gegonevnai, e[rwtiv te kakw'n kai; aijscrw'n hJdonw'n h{ttw genovmenon ejpi; Ganumhvdhn kai; ta;" polla;" moiceuqeivsa" gunai'ka" ejlqei'n, «Quoi! représenter Zeus, le maître et le créateur du monde comme parricide et fils de parricide, livré à l’amour et vaincu par de bas et honteux plaisirs, abusant de Ganymède et de quantités de femmes!»).
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
Un thème de réflexion proche apparaît chez Minucius Felix, auteur d’un dialogue, l’Octavius, entre Cécilius, païen, et Octavius, chrétien. La date de composition de ce texte est difficile à établir; on table généralement sur la fin du IIe ou la première moitié du IIIe siècle. Au cours de ce dialogue, Octavius va réussir à convaincre son interlocuteur de se convertir à la religion chrétienne, non pas en en soulignant la supériorité, mais en insistant sur les ressemblances multiples existant entre polythéisme et christianisme. Octavius affirme ainsi: Qui Iouem principem uolunt, falluntur in nomine, sed de una potestate consentiunt, «Ceux qui soutiennent que Jupiter est souverain se trompent sur le nom, mais sont d’accord avec nous sur une puissance unique»50. Le questionnement sur le statut, la nature et le nom de dieu, dont il serait vain de vouloir fixer l’origine, s’enfle à partir du IIIe siècle sous l’effet de l’importance prise par le christianisme. Il n’est pas nouveau, mais change de fonction, ou plutôt en acquiert une: celle de faciliter le passage d’une religion à l’autre. Le dieu est ramené à l’une de ses fonctions essentielles, sa fonction créatrice. On se reportera à l’épisode symbolique de la conversion de Constantin telle qu’il est décrit dans le panégyrique qui fut composé juste après la victoire du Pont Milvius, en 313. L’auteur de ce texte parle à deux reprises, en «termes embarrassés et volontairement imprécis»51, du dieu suprême qui a daigné apparaître à Constantin: il est d’abord question du deus mundi creator et dominus52, «le dieu créateur et maître du monde», puis du summus rerum sator53, «le souverain créateur du monde». Cette dernière référence, qui clôt le discours IX, est suivie d’une série d’interrogations portant sur le nom de Dieu. Un courant littéraire, très hétérogène il est vrai, est donc répérable, dès le IIe siècle, qui propose des définitions de «dieu», les place au cœur d’un questionnement et se plaît à souligner les ressemblances, voire l’indifférenciation, existant entre les divinités païenne et chrétienne. Derrière cet ensemble de mentions, il faut, semble-t-il, percevoir la mise en place d’une koinè religieuse qui apparaît bien mieux encore dans une série de textes destinés à favoriser les conversions, parmi lesquels se distingue le recueil anonyme, probablement alexandrin, appelé la Théosophie de Tübingen54 dont la composition est datée entre 474 et 508. Les sept premiers livres du recueil exaltent ce que l’auteur nomme la «vraie foi»; les quatre derniers sont destinés à prouver que les oracles païens et les paroles des sages grecs
50
Minucius Felix, Octavius, XVIII, 11, éd. et trad. J. Beaujeu (CUF), 1964. Octavius ajoute (XIX, 14-15): Platoni itaque in Timaeo deus est ispo suo nomine mundi parens, artifex animae, caelestium terrenorumque fabricator, (...). Eadem fere et ista, quae nostra sunt; nam et deum nouimus et parentem omnium dicimus et numquam publice nisi interrogati praedicamus, «Ainsi donc pour Platon, dans le Timée, Dieu est, sous son nom même de “dieu”, le père du monde, l’artisan de l’âme, le fabricant de toutes les choses célestes et terrestres. (...). Voilà encore des idées qui sont à peu près les nôtres: car nous reconnaissons Dieu, nous l’appelons père de tout ce qui est» (trad. J. Beaujeu). 51 L. Besnier, L’empire romain de l’avènement des Sévères au concile de Nicée, Paris, 1937, p. 356. 52 Panégyriques latins, II, Les Panégyriques constantiniens, éd. et trad. E. Galletier, 1952, IX (XII), 13, 2. 53 Ibid., IX (XII), 26, 1. 54 On utilise ici l’édition de ce texte due à H. Erbse, Theosophorum Graecorum Fragmenta, Stuttgart-Leipzig, Teubner, 1995.
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et égyptiens avaient annoncé l’arrivée du christianisme et en avaient même déjà révélé la doctrine. Ces quatre derniers livres se présentent donc sous la forme d’un catalogue d’oracles et de citations attribués pour les uns à l’Apollon de Delphes ou de Claros, pour les autres à des figures comme Solon ou Homère. L’ensemble du recueil était, on le suppose, destiné à persuader les païens qu’ils avaient tout intérêt à se convertir puisque leurs propres dieux sages avaient prophétisé la venue de la religion nouvelle55. L’identité du dieu qui prédominera dans l’avenir est un thème récurrent de ce recueil. En voici un exemple: §12: ÜOti aijthvsantov" tino" didacqh'nai para; tou' ’Apovllwno", oJpoi'o" a[ n ti" ei[h oJ pavntwn poihthv", oJ ’Apovllwn e[crhsen ou{tw": Babaiv, ouj peri; mikrw'n h{kei" . to;n oujranou' tuvrannon ejkmaqei'n qevlei", o}n oujd j ejgw; kavtoida, plh;n sevbw novmw/ : lovgo" gavr ejsti kai; lovgou path;r gegwv" to;n oujrano;n dievtaxe kai; th;n gh'n o{lhn. «A quelqu’un qui désirait apprendre d’Apollon l’identité du créateur de toutes choses, Apollon rendit cet oracle: “Ce n’est certes pas sur un sujet simple que tu viens m’interroger. Tu veux connaître le roi du ciel, que nul, pas même moi, ne contemple; je dois me contenter de vénérer seulement (sa) loi. Car il est logos, et, devenu père du logos, il a ordonné le ciel et la terre entière”»56.
Il faut préciser que les citations tirées des oracles et des auteurs anciens, telles qu’elles sont contenues dans la Théosophie de Tübingen, chaque fois qu’elles ont pu être vérifiées se sont révélées exactes, comme le fameux oracle d’Oinoanda étudié notamment par L. Robert57.
55
T. Sardella, «Oracolo pagano e rivelazione cristiana nella Theosophia di Tubinga», dans Le trasformazioni della cultura nella tarda antichità, Atti del Convegno di Catania, 27 septembre-2 octobre 1982, C. Giuffrida, M. Mazza (éds.), Rome, 1985, p. 548. 56 Un autre exemple apparaît au § 38 de cette même Théosophie: à quelqu’un qui lui demandait si le dieu ineffable était Un, Apollon a répondu que ce dieu était Un et qu’on l’appelait Zeus Paggenevth", «Zeus créateur de toutes choses»: § 38: ÜOti puqomevnou tinov", ei[ ge ei|" oJ a[rrhto" qeov", ajpekrivqh oJ ’Apovllwn ou{tw": Ei|" ejn panti; pevlei kovsmw/ qeov", o}" kuvkla divnh" oujranivh" qesmoi'sin oJrivssato kai; dievkrinen w{rai" kai; kairoi'" ijsozugevonta tavlanta, neivma" ajllhlou'ca tropai'" filothvsia desmav : o}n Diva kiklhvskousi, di’ o}n biothvsio" aijwvn, Zh'na de; paggenevthn, tamivhn zwarkeva pnoih'", aujto;n ejn aujtw'/ ejovnta kai; ejx eJno;" eij" e}n ijovnta. «Un dans le monde entier est Dieu, qui a fixé des lois à l’orbe du branle céleste, et qui a établi l’équilibre des heures et des saisons, en imposant à leurs révolutions des liens d’harmonie et de connexion. On l’appelle Zeus, par qui est le temps et la vie, Zeus père de tout, dispensateur du souffle vital: il est lui-même en lui-même et va de l’un à l’un ». (trad. P. Batiffol, Revue Biblique, 13, 1916, p. 189). 57 L. Robert, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et BellesLettres, 1971, p. 597-619 et 1968, p. 568-599.
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De cette koinè religieuse, il faut maintenant peut-être rapprocher un autre phénomène qui s’amplifie aux IIe et IIIe siècles, à savoir la multiplication de dédicaces adressées à des divinités anonymes, divinités dotées d’une épiclèse ou d’un qualificatif, mais dépourvues de nom58.
Qeo;" gennhvtwr pavntwn: une nouvelle divinité anonyme? Honorées sous la forme qeov" + adjectif ou nom commun, ces divinités ont en commun de ne pouvoir être versées avec certitude dans le camp païen ou chrétien. Fidèles monothéistes aussi bien que polythéistes se sont en effet approprié ces formules dont on ne citera ici que les plus significatives et les plus importantes: qeo;" {Uyisto", «dieu très haut»59, ei|" qeov", «un seul dieu», enfin ei|" kai; movno" qeov", «un seul et unique dieu», dont L. Di Segni60 a montré qu’il s’agit d’un culte présent, au Proche-Orient, aussi bien attesté en milieu païen61, juif, samaritain, que gnostique ou chrétien. On rencontre aussi la divinité originaire de Phrygie ÔOsivon kai; Dikaivon – ou ÔOsivo" kai; Dikaivo" – littéralement «le Saint et Juste». Elle est d’ailleurs associée au dieu Seul et Unique dans une dédicace lydienne62. Il faut ajouter des divinités dont les mentions épigraphiques sont plus rares: qeo;" a[gnwsto"63, le «dieu inconnu», qeo;" ejphkovo"64, «dieu qui exauce une prière, qui écoute».
58
M. Simon, «Anonymat et polyonymie …», p. 503-520. Il ne m’est pas possible de développer ici un tant soit peu la question: on se reportera à l’étude fondamentale de N. Belayche, Contribution à l’étude du sentiment religieux dans les provinces orientales de l’empire romain aux premiers siècles de notre ère: les divinités “Hypsistos”, archéologie analytique des inscriptions, thèse de 3e cycle inédite soutenue à l’Université de Paris IV, 1984. Voir aussi St. Mitchell, «The Cult of Theos Hypsistos between Pagans, Jews and Christians», dans P. Athanassiadi, M. Frede (éds.), Pagan monotheism in Late Antiquity, p. 81-148 et Y. Ustinova, The Supreme Gods of the Bosporan Kingdom. Celestial Aphrodite and the Most High God, Leyde, 1999. 60 L. Di Segni, «Ei|" qeov" in Palestinian Inscriptions», Scripta Classica Israelica, 1994, p. 94-115. 61 Le culte d’ ei|" kai; movno" qeov" a, en particulier, été assimilé à celui d’Hélios-Sarapis (cf. L. Di Segni, «EÂ" qeov" …», p. 114). 62 M. P. de Hoz, Die lydischen Kulte im Lichte der griechischen Inschriften, Bonn, 1999, n° 27.2, p. 204. L’inscription est datée de 256-257: 59
tratovneiko" Kakolei" tou' JEnov" kai; Movnou Qeou' [iJ]ereu;" kai; tou' JOsivou kai; Dikaivou meta; th'" sumbivou jAsklhpiaiv a" eujxavmenoi peri; tw`[n] tevknwn eujcaristou'nte" ajnevsthsan. j vEtou" tma’ «Stratonikos Kakoleis, prêtre du dieu Un et Unique et d’Hosios et Dikaios, avec son épouse Asclépiaias ont prié pour leurs enfants et en reconnaissance ont dédié (cette statue). Année 341». 63 E. Norden, Agnostos Theos, Leipzig - Berlin, 1913. 64 M. P. de Hoz, Die lydischen Kulte …, n° 58.2, p. 278 (inscription datée de 220-221). Autre exemple: Supplementum epigraphicum graecum, (= SEG), III, 535.
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L’identité de la divinité est parfois précisée dans l’inscription, ainsi dans un texte de Sattai (Lydie), qui acclame Ei|" qeo;" ejn oujranoi'", mevga" Mhvn, c’est-àdire «un Seul dieu dans les cieux, le grand Men Ouranios»65. Mais dans bien des cas, la divinité honorée reste ambiguë: dans une dédicace mentionnant qeo;" basileuv"66, – Caridhmo;" Caridhvmou ’Apolla'" Basilei' ejphkovw/ eujchvn, le «dieu souverain» en question peut être aussi bien Zeus, qu’Apollon, Asclépios, ou même Sarapis. Enfin, une acclamation syrienne à ei|" qeo;" est tantôt interprétée comme juive, tantôt comme chrétienne67. Les inscriptions témoignant de ces cultes de divinités anonymes sont peu nombreuses. Il s’agit d’un courant réduit et qui pose en particulier la question du milieu ou des milieux dans lesquels se sont répandus de tels cultes. Est-ce à dire que le dédicant n’éprouve plus le besoin de mentionner l’identité du dieu qu’il prie ou honore? La traditionnelle approche du dieu que l’on nomme, abondamment s’il le faut, a-telle changé dans l’antiquité tardive? Plutôt que de mettre en avant une prédisposition existant chez les païens à partir du IIIe siècle pour le culte d’une divinité dominante, éloignée et abstraite de préférence aux figures anthropomorphiques traditionnelles, limitons-nous à constater que 1) l’importance prise par ces divinités anonymes participe d’une évolution de la place occupée par les épiclèses dans le paganisme tardif, évolution qu’illustrent également des phénomènes comme le transfert d’épiclèses d’un dieu à un autre, ou la multiplication des épiclèses pour un même dieu; 2) que sont honorés dans ces inscriptions des qeoiv qui ont pour nom une épiclèse. L’épiclèse est ainsi devenue le nom du dieu. Sans aller jusqu’à parler de «late antique spiritual Commonwealth», de «spiritual globalization»68, puisqu’il ne s’agit pas là d’une masse indistincte de croyances, on peut lire dans ces variations affectant les épiclèses une adhésion à des conceptions générales et communes du divin. Peut-être est-ce là un mouvement vers la mise en place du concept de religion, tel qu’on l’entend aujourd’hui.
65
Tituli Asiae Minoris (= TAM), V, 1, 75; M. P. de Hoz, Die lydischen Kulte …, n° 39.73,
66
TAM, V, 1, 167; M. P. de Hoz, Die lydischen Kulte …, n° 58.1, p. 278 (datée de 216-
p. 234. 217). 67 J.-B. Frey, Corpus inscriptionum judicarum, II, Asie-Afrique, Rome, 1936-1952, n° 848, p. 89-90: Ei|" Qeo;" (oJ) bo(h)qw'n. Mnhvsqh[ti] ’Anovmou Semouevlou uiJ(ou') E j sq[h;r ou ’Esdrav" ?] kalw'" ejp(oivh)sen ajn(av)lwma. jHkodomhv[qh] tou' n(o)miv(s)mata y’, « Un seul Dieu secourable! Souviens-toi d’Anomos et de Samuel, fils d’Esth... qui a fait la dépense. La construction (coûta) 700 pièces» (trad. J.-B. Frey). “Samuel” étant un nom parfois porté par les chrétiens, E. Peterson ne croit pas à l’origine juive de cette inscription. J.-B. Frey souligne quant à lui que «les noms de l’Ancien Testament ne pénètrent dans l’onomastique chrétienne qu’à partir de la fin du IIIe siècle et, si l’on excepte l’Egypte, ils furent relativement rares parmi les chrétiens: cf. A. von Harnack, Die Mission und Ausbreitung des Christentums in den drei ersten Jahrhunderten, Leipzig, 19244, I, p. 436-445. 68 P. Athanassiadi, «The Chaldean Oracles: Theology and Theurgy», dans Pagan Monotheism…, p. 180-181.
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QUATRIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE
Conclusion L’expression qeo;" gennhvtwr pavntwn de cette épigramme athénienne témoigne de la koinè religieuse qui se met en place dès le IIIe siècle dans les provinces de l’empire et qui est très bien attestée en Asie mineure en particulier. Cette koinè est à mettre en parallèle avec la démocratisation de la réflexion théologique, comme l’ont récemment montré P. Garnsey et C. Humfress69, au cours d’une période, le IVe siècle, où le christianisme n’est pas tout à fait étatique, ni le polythéisme tout à fait banni. Cette formule rend manifeste la période d’indifférenciation en matière de croyances qu’il faut restituer lorsque l’on étudie le passage du paganisme au christianisme. On serait tenté de dire que cette expression fait partie du corpus de la koinè religieuse et qu’il est sans doute vain de raisonner uniquement en termes de paganisme uersus christianisme. Enfin, dans ces inscriptions où des épiclèses générales se substituent au nom du dieu et deviennent théonymes, la divinité est ramenée à sa ou ses fonction(s) essentielle(s). Il en résulte des formulations à caractère universel, qui décrivent une divinité pourvue des caractéristiques dont on dote généralement un dieu: il est le plus grand, le seul, l’unique, et il crée toutes choses.
Laurence FOSCHIA Ecole française d’Athènes
69
466
P. Garnsey, C. Humfress, The Evolution…, p. 134.
CINQUIÈME PARTIE LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE
INTRODUCTION S’il est un moment où le fonctionnement du nom divin peut être observé au plus près et livrer certaines des valeurs qu’il sous-tend, c’est bien celui de l’adresse rituelle au dieu, dans laquelle le nom divin joue un rôle moteur, non seulement en identifiant l’instance interpellée, mais aussi en conditionnant le type de relations entre elle et l’orant. Le nom du dieu permet une communication avec la divinité en ce qu’il la désigne en personne, mais aussi en ce qu’il implique un langage spécifique. La modalité la plus fréquente est la prière, destinée tout autant à honorer la divinité qu’à formuler un recours auprès d’une instance supérieure. A la prière s’ajoutent d’autres formes de rites – souvent liées d’ailleurs – visant à établir cette relation particulière, personnelle pourrait-on dire, entre un individu et la divinité – sacrifice, méditation, danse, chants, etc. L’adresse rituelle est d’abord et avant tout un langage qui exige l’exactitude du nom. Tant que l’orant ne peut verbaliser, sous quelque forme que ce soit, le nom du dieu vers lequel il se tourne, son adresse n’est qu’un recours abstrait, son appel hésite entre le mutisme et le cri inarticulé; en tout cas, il est une invocation vide et vague. Faire retentir le nom du dieu, c’est obliger celui-ci à répondre d’une manière ou d’une autre. Si le dieu ne répond pas, c’est qu’il ne veut pas répondre, mais, quoi qu’il en soit, l’interlocuteur divin est là, mis en présence devant le fidèle qui l’appelle. Dans l’adresse au dieu, le nom fait le dieu. Tout langage ici est performatif: le nom du dieu a une fonction conjuratrice, incantatoire, etc., mais il a une prétention opératoire avant tout. Comment ne pas songer aux bacchantes? Euripide les présente habitées par le dieu dont elles répètent, dans un enthousiasme sauvage, le nom comme une incantation, et dans lequel elles finissent par s’identifier en pleine extase: formes extrêmes pour faire apparaître Dionysos, pour le faire. «O Bacchantes, allez! […] Chantez votre Dionysos, au son des tambourins qui grondent sourdement, glorifiant – évohé! évohé ! – le dieu bachique avec des cris, des appels phrygiens …» (v. 155-160). Plus prosaïquement, le régisseur agricole de Caton invoquera «qui que tu sois, dieu ou déesse, à qui ce bois est consacré …» (De l’agriculture, 139) pour rendre présente la divinité au moment de défricher une clairière dans son bois sacré. Comment se développe donc le jeu relationnel entre l’orant et les dieux qu’il invoque? Peut-on décrire précisément la nature de la communication ainsi établie? Il n’y a sans doute pas de réponse univoque. Chaque culture développe ses propres modalités d’adresse aux dieux. En Grèce ancienne, il suffit de prononcer le nom du dieu que l’on invoque pour qu’aussitôt s’imposent des rites appropriés, un mode d’expression adéquat, qui permettent d’obtenir satisfaction ou de vénérer correctement ce dieu. Dire le nom de la divinité revient à dire, même implicitement, toute la panoplie des arguments susceptibles de convaincre cette divinité d’écouter et d’accéder, le cas échéant, à la supplique. Dans le monde romain, le contexte de l’adresse rituelle joue un rôle tout aussi important: le nom du dieu, donc sa personnalité, tout autant que les circonstances qui justifient la prononciation de son nom, exigent du fidèle qu’il dise les paroles adaptées en accomplissant les gestes qui leur sont liés. Le nom de la divinité est un des éléments qui structurent la parole: le langage utilisé dans l’adresse rituelle dépasse l’informatif. Il est évocateur, communicatif, exclamatif. 469
CINQUIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE
C’est pourquoi il importe de comprendre comment fonctionne l’adresse rituelle. Nomme-t-on plusieurs dieux, ou au contraire concentre-t-on ses forces sur un seul, choisi car jugé plus efficace, plus approprié? Invocation, louange, recours, demande, l’adresse rituelle convoque de multiples dieux toujours selon des raisons précises, des circonstances explicites. Mais elle permet de dégager, dans le polythéisme antique, une tendance profonde à renfermer en quelque sorte tout le potentiel sacré dans la personnalité divine à laquelle les fidèles s’adressent sur le moment. Plus qu’un procédé destiné à capter la bienveillance de l’interlocuteur divin, il faut voir dans cette façon de se projeter tout entier sur une personnalité unique, spécifique, une économie religieuse qui empêche le fidèle de se disperser dans une multiplicité d’objets. Pendant le temps du dialogue rituel entre l’orant et la divinité, le nom qui a été prononcé concentre sur lui la totalité des vertus suprêmes. La multiplicité des dieux se trouve-t-elle subsumée au cours de cet échange privilégié? Enfin, on se ferait une image bien fausse de l’adresse rituelle si l’on n’y voyait que l’expression d’un besoin signifié et transmis à une divinité à fin d’exaucement. La relation qui se noue entre le fidèle et la divinité, toute motivée qu’elle soit par le besoin de recourir à une instance supérieure, se nourrit parallèlement de la croyance dans le caractère personnel du dieu. Dans l’adresse rituelle, l’anthropomorphisme des dieux antiques trouve une occasion privilégiée de personnalisation: en nommant le dieu auquel il a recours, le fidèle établit un dialogue entre un homme et une divinité qui, par ce biais, lui ressemble, puisqu’elle possède, comme lui, un nom propre. L’adresse rituelle ne saurait impliquer pour autant la conception naïve d’un dialogue ravalant les interlocuteurs au même pied d’égalité, comme le prouve le formalisme des prières des frères arvales à Rome: «Nous te prions, nous t’implorons et t’adjurons …» (J. Scheid, Commentarii Fratrum Arvalium, n° 62, l. 25). Comportant une pleine conscience de la hiérarchie qui existe entre les hommes et les dieux, elle se définit plutôt comme une élévation vers la divinité. Les problèmes sont donc multiples. Danièle Aubriot s’attache à définir la nature de la relation entre l’orant et son (ses) dieu(x) dans la prière grecque, et à peser, quand résonne le nom du dieu, la part de contrainte éventuelle, de persuasion surtout et de message théologique que l’adresse renferme. Pour le domaine latin, Charles Guittard met en évidence la nature juridique des liens qui s’instaurent entre le Romain et ses dieux dans la prière, et répertorie les multiples possibilités offertes pour caractériser la personne divine à laquelle on s’adresse – dire son nom, donc son genre, sa spécificité. Bernard Laurot étudie l’exemple de Poséidon pour montrer combien l’adresse rituelle dans le contexte littéraire peut permettre de décrypter l’essentiel des valeurs et des qualités attachées au dieu : dire le nom du dieu revient à énoncer le caryotype. Nadège Neumuller examine les épithètes cultuelles utilisées par la Médée de Sénèque, notamment lorsqu’elle s’adresse aux dieux, et montre le caractère scandaleux de l’héroïne en ce qu’elle se pose en égale des dieux – sinon même en supérieure à eux – par la manière dont elle les convoque par leurs noms dans ses plaintes et discours: l’adresse à la divinité est ici subvertie parce que, loin d’élever l’orante vers les dieux, elle les rabaisse à la folie de Médée. Martina Atzori analyse enfin une prière d’Admète à Apollon conservée d’un Alceste dans un codex de Barcelone : ce document renvoie à tout un imaginaire collectif qui rend compte du fonctionnement de la prière polarisée autour d’un nom – à la fois requê470
INTRODUCTION
te et louange, évocation de divinités multiples et recours à un dieu unique (Apollon), dialogue et relation distanciée avec les forces supérieures. «Grande est la Mère Anaïtis maîtresse d’Azita et Men de Tiamos et leurs puissances» (Tituli Asiae Minoris, V, 1, 317). Il n’existe pas d’adresse rituelle sans prononciation du nom des dieux invoqués, mais la nature même des instances interpellées fait que leur nom dépasse la dénomination à laquelle il sert.
Nicole BELAYCHE Ecole pratique des hautes études – Paris Section des sciences religieuses Francis PROST Ecole normale supérieure – Paris Centre d’études anciennes
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L’INVOCATION AU(X) DIEU(X) DANS LA PRIÈRE GRECQUE: CONTRAINTE, PERSUASION OU THÉOLOGIE? }En to; sofo;n mou'non levgesqai oujk ejqevlei kai; ejqevlei Zhno;" o[noma. «Le principe unique, le principe de la sagesse ne veut pas et veut être appelé du nom de Zeus». Héraclite, fgt B 32 D. K. Avant de s’interroger sur la manière dont, ici ou là, on nomme Dieu ou les dieux, on ne devrait pas faire l’économie d’une investigation plus vaste: celle de l’opportunité, proprement, et de la légitimité de l’affectation de noms aux dieux. Cela est particulièrement vrai quand il s’agit de la Grèce où, au témoignage d’Hérodote, la question aurait été posée explicitement dès une haute époque: «Autrefois, à ce que j’ai entendu dire à Dodone, les Pélasges offraient tous les sacrifices en invoquant “les dieux”, sans désigner aucun d’entre eux par un qualificatif ou par un nom personnel (ejpwnumivhn... oujd’ ou[noma), car ils n’avaient encore rien entendu de pareil. Ils les avaient appelés ainsi (qeouv") en partant de cette considération que c’est pour avoir établi (qevnte") l’ordre dans l’univers que ces dieux présidaient à la répartition de toutes choses. Plus tard …, les Pélasges apprirent à connaître, venues d’Egypte, les désignations individuelles (ta; oujnovmata) des dieux autres que Dionysos (ils apprirent bien plus tard celle de Dionysos); un temps passa encore, et ils consultèrent sur ces désignations (peri; tw`n oujnomavtwn) à Dodone; l’oracle de Dodone est regardé comme le plus ancien qu’il y ait chez les Grecs, et il était le seul à cette époque. Les Pélasges demandèrent donc à Dodone s’ils adopteraient les désignations (eij ajnevlwntai ta; oujnovmata) qui venaient de chez les Barbares; et l’oracle leur répondit d’en faire usage. Dès lors ils usèrent, quand ils sacrifiaient, des désignations individuelles des dieux (toi`si oujnovmasi); et les Grecs, ensuite, les reçurent d’eux»1.
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Hérodote, II, 53. On pourra consulter W. Burkert, «Herodot über die Namen der Götter. Polytheismus als historisches Problem», Museum Helveticum, 42, 1985, p. 121-132. Sauf avis contraire, les traductions sont celles de la CUF. Les références aux fragments des tragiques seront celles de l’édition de A. Nauck, Tragicorum graecorum fragmenta, Hildesheim, 1964, 1re édition Teubner, 1888 (en abrégé N). Les références aux fragments des présocratiques seront celles de l’édition de H. Diels, W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, 3 vol., DublinZurich, 1966-1971, 1re édition Berlin, 1934-37 (en abrégé D. K.). La traduction du fragment d’Héraclite cité en épigraphe est celle de J. Rudhardt, «Considérations sur le polythéisme», dans Du mythe, de la religion grecque, de la compréhension d’autrui. Revue européenne des sciences sociales, 19, n° 58, Cahiers Vilfredo Pareto, Genève, 1981, p. 71-82, p. 74.
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Si fondamentale que soit cette question, nous ne pourrons l’examiner ici. Nous devrons nous contenter de l’évoquer latéralement (en posant peut-être quelques jalons pour poursuivre ailleurs la réflexion), et surtout la garder présente à l’esprit quand nous nous demanderons, comme nous allons le faire, si l’invocation au(x) dieu(x) dans la prière grecque constituait une contrainte, une entreprise de persuasion, ou un effort théologique. Il me faut pour l’instant aller droit au thème indiqué dans le titre, en me bornant à mon domaine, déjà bien assez vaste: celui des textes littéraires qui offrent (à condition de ne pas les regarder comme des témoignages bruts, mais en scrutant les significations suggérées par le contexte) certains éclaircissements peut-être de nature à compenser les possibles déformations artistiques. Encore les trois termes du titre annoncé ne pourront-ils être considérés sur le même plan: il faudra rappeler juste pour mémoire le premier point, plus aisément circonscrit, car il a donné lieu à des travaux récents qui fournissent un appui stable, et en venir rapidement au deuxième, fondamental, mais assez bien exploré et dont j’ai déjà examiné ailleurs certains aspects2. Me retiendra un peu plus longuement ici la troisième interrogation: celle qui consiste à examiner dans quelle mesure et de quelle manière l’utilisation du nom des dieux au vocatif constituait un effort théologique pour les mieux saisir.
Contrainte Je ne m’attarderai donc pas sur la prétention de contraindre les dieux par la prière. On ne peut néanmoins se dispenser de la mentionner, car on a vu soutenir avec insistance que posséder le nom d’un dieu donnait les moyens d’exercer sur lui une contrainte3. L’idée en a été fort en crédit – à la suite de Frazer – avec une distinction entre magie et religion établie précisément surtout sur ce terrain de la contrainte exercée par le nom4 : en proférant les syllabes de son nom, le magicien obligerait la divinité à accomplir sa volonté, tandis que le fidèle se soumettrait humblement au vouloir divin. La tendance depuis s’est inversée: la distinction entre magie et religion a été limitée au domaine de la materia magica et du rituel, mais récusée pour ce qui regarde les noms – et même pour ce qu’on appelle les uoces magicae (du genre d’abracadabra), que Graf veut considérer comme une démonstration de savoir sur le dieu ou comme les éléments d’une argumentation destinée à le convaincre, et non comme une prolation de syllabes puissantes5. Bref, en ce qui concerne la prière, il n’y aurait selon
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D. Aubriot, «Prière et rhétorique en Grèce ancienne», Mètis, 6, 1991, p. 147-165. Sur la prière à voix haute et la «contrainte», cf. D. Aubriot, Prière et conceptions religieuses en Grèce ancienne jusqu’à la fin du Ve siècle av. J.-C., Lyon, Collection de la Maison de l’Orient Méditerranéen, 22, 1992, p. 148 sq. 4 Cf. par exemple E. Fränkel dans son Commentaire au v. 160 de l’Agamemnon d’Eschyle (Oxford University Press, 1950, ad loc.). 5 F. Graf, «Prayer in Magical and Religious Ritual», dans Ch. A. Faraone, D. Obbink (éds.), Magika Hiera. Ancient Greek Magic and Religion, New York, 1991, p. 188-213: en particulier p. 189193. Selon Graf (p. 192), en exhibant un savoir de nature à prouver des relations privilégiées (un peu comme dans le cas d’un initié à un culte mystérique, qui connaîtrait des moyens d’accès au dieu, ignorés des autres), ces formules (dénominations ou syllabes «puissantes») seraient à prendre comme une partie de ce qu’Ausfeld nommait la pars epica, que Graf appelle «credentials» (les «justificatifs»): elles ne seraient pas plus contraignantes dans la magie que dans la religion. 3
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Graf pas plus de contrainte dans la magie (où pourtant l’idée ne m’en semble toujours pas dépourvue de fondement6) que dans la religion. On peut n’être pas d’accord avec cette position7 qui fait bon marché des dispositions intimes, et éprouver des réserves devant cette récusation radicale d’une dichotomie entre magie et religion. Mais ce n’est pas ici le lieu d’en débattre. Toujours est-il que si même la prière magique doit se trouver dégagée de l’imputation d’être une entreprise coercitive, la prière religieuse l’est a fortiori. Quant à un prétendu pouvoir spécifique que posséderaient les noms, S. Pulleyn en a fait justice avec un luxe d’arguments et d’exemples à l’appui qui me dispense d’y revenir8. Au terme de son analyse, on peut considérer comme démontré que le souci de justesse d’appellation ne doit pas être attribué à une présomption d’avoir «pouvoir » sur la divinité. Observons d’ailleurs que l’absence en Grèce d’efficace du seul formulaire (formule qui serait à répéter ne uarietur comme on en voit à Rome) dissuade d’en chercher plus dans la dénomination des dieux que dans le reste de l’énoncé de la
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Je m’étais essayée à démêler une partie de la question dans Aubriot, Prière et conceptions religieuses, p. 363 sq., en particulier p. 372-373 et p. 530-534, en tentant de montrer que les entreprises à caractère religieux s’inscrivaient dans l’ordre du monde symbolisé par Dikè, et partant s’attachaient à ne solliciter que des biens légitimes à demander (c’est-à-dire assez vagues: santé, bonnes récoltes, paix [p. 111 sq.], tandis que les démarches magiques, obnubilées par l’intérêt personnel immédiat de celui qui s’y livre, s’octroyaient pleine licence de prétendre provoquer l’assouvissement de caprices anarchiques. Dans cette perspective, on comprend aisément que les acteurs «magiques» aient eu le sentiment de devoir imposer leur volonté, tandis que les fidèles qui se bornaient à prier que les processus naturels ne soient pas entravés n’avaient pas à se montrer contraignants. On peut certes accorder à Graf que les formes de la prière, dans le contexte magiques et dans le contexte religieux, peuvent se ressembler. Mais c’est l’intention, ou l’«esprit» qui diffère. Pour l’importance du sentiment de l’intérêt commun dans les prières religieuses, cf. D. Aubriot, «Pertinence et limites de l’opposition public/privé pour la prière (jusqu’à la fin du Ve siècle)», dans F. de Polignac, P. Schmitt-Pantel (éds.), Public et privé en Grèce ancienne: lieux, conduites, pratiques, Ktèma, 23, 1998, p. 335-343. 7 On peut en particulier contester l’idée de Graf que les noms soient utilisés sans aucune différence, dans le contexte magique et dans le contexte religieux. Quand il cite («Prayer in Magical and Religious Ritual», p. 194) cette objurgation magique (en en circonscrivant la portée, certes, mais le fait demeure): «Écoute-moi, car je m’apprête à prononcer le grand nom AÔTH, devant lequel se prosterne chaque dieu» (Papyri graecae magicae (= PGM), XII, 117), on ne voit pas comment il pourrait nier que le nom (ou le son) AÔTH soit censé fonctionner comme une sorte de «Sésame, ouvre-toi». Au reste, lui-même reconnaît (ibid.) que prétendre dégager les entreprises magiques de toute notion de contrainte n’aurait pas de sens. De plus, faudrait-il ajouter, comment séparer d’un côté la partie orale, de l’autre la partie magique, les gestes ou la «cuisine» (materia magica), alors que la concomitance de ces deux éléments a si grande importance et constitue précisément une spécificité de la magie (cf. par exemple l’Idylle, II, de Théocrite, Les Magiciennes, v. 21, où l’héroïne commande: «Répands [la farine] et dis en même temps ces paroles, “Ce sont les os de Delphis que je répands”»). 8 S. J. Pulleyn, «The Power of Names in Classical Greek Religion», Classical Quaterly, 44, 1994, p. 17-25: on y trouvera (p. 17 sq.) un état de la question avec bibliographie. Revenant sur le sujet dans son livre: Prayer in Greek Religion, Londres, 1997, S. J. Pulleyn montre (p. 96 sq.) que connaître le nom d’un dieu n’est pas posséder un pouvoir sur lui – quand il s’agit de prières religieuses; que l’idée d’une puissance intrinsèque des noms est en réalité un phénomène appartenant au syncrétisme post-classique (p. 111).
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prière9. Donc, si l’on abandonne la magie (terrain sur lequel la discussion n’est pas encore close) pour se concentrer sur la religion, il semble qu’on puisse s’accorder maintenant à repousser l’idée que les fidèles grecs aient espéré, dans la prière religieuse, contraindre leurs dieux au moyen de mots ou de sons articulés et, en particulier, au moyen des noms dont ils les invoquaient.
Persuasion Cela ne signifie pas qu’une attention n’ait pas été effectivement portée à la façon dont il convenait de nommer les dieux dans la prière. Mais les raisons en sont tout autres: dans une immense mesure, elles sont apparentées au domaine de la persuasion. Car pour mener à bien le succès d’une requête, on voit les fidèles s’adresser au dieu comme ils l’eussent fait à un homme, avec un souci de politesse respectueuse, un appel à la logique ou aux sentiments qui sont comparables. La religion grecque est en effet, comme on sait, marquée d’un fort caractère anthropomorphique. Ce trait n’affecte pas seulement la représentation plastique qu’on se faisait volontiers des divinités, mais également l’idée «morale» qu’on en concevait et par conséquent la nature des relations que les fidèles entretenaient avec eux10. Aussi une prière ressemble-t-elle par maint aspect à un discours qu’on adresserait, pour entraîner son adhésion, à un interlocuteur humain11. C’est déjà sensible à travers le sens intrinsèque du verbe eu[comai, qui ne renvoie pas à une allocution tripartite comme il est encore prétendu couramment, mais à l’exposé d’une revendication légitime 12. Ce l’est aussi à travers l’organisation effective des prières, qui ne se conforme pas davantage à un prétendu «schéma canonique» comme on le trouve encore affirmé, mais qui suit les principes de la rhétorique en usage – avec évolution selon les époques –, pour mieux persuader13 : de quelque manière qu’elle soit formulée, l’argumentation sert à faire valoir le bien-fondé
9 L’article de Klinghardt, orienté surtout autour d’une comparaison entre paganisme et judéo-christianisme, ne s’occupe guère de la Grèce avant l’époque hellénistique (M. Klinghardt, «Prayer Formularies for Public Recitation. Their Use and Function in Ancient Religion», Numen, 46, 1999, p. 1-52). On ne saurait nier toutefois qu’il existe en Grèce aussi quelques rares formules traditionnelles remontant à une haute époque. Mais on n’observe pas que le nom y occupe une place privilégiée (il n’y a par exemple aucune invocation, ni dans la prière pour la pluie – u{e kuve, «Pleus, sois enceinte» –, ni dans le fameux synthèma des Mystères d’Eleusis). 10 D. Aubriot, Prières et conceptions religieuses, p. 217. C’est le lieu de rappeler que Démocrite définissait le nom (de Zeus) comme une «image vocale» (eijkw;n ejn fwnh'/, B 142 D. K.). 11 Cf. L. Pernot, «Prière et rhétorique», dans L. Calboli Montefusco (éd.), Papers on Rhetoric III, Bologne, CLUEB, 2000, p. 213-232, en particulier p. 221-226; et déjà K. von Fritz, «Greek Prayers», The Review of Religion, 10, 1945, p. 5-39, en particulier p. 16 sq. 12 C’est à J.-L. Perpillou que revient le mérite de l’avoir établi voici trente ans: J.-L. Perpillou, «La signification du verbe eu[comai dans l’épopée», dans Mélanges de linguistique et de philologie grecque offerts à Pierre Chantraine, Etudes et commentaires, 79, Paris, 1972, p. 169-182. J’ai de mon côté entrepris de réfuter l’idée reçue selon laquelle il existait un plan « canonique» de la prière distinguant invocation, arguments, requête: D. Aubriot, Prière et conceptions religieuses, p. 199 sq. Il semble qu’il ne soit pas superflu d’y revenir encore. 13 Cf. D. Aubriot, « Prière et rhétorique » (op. cit., supra, n. 2).
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de telle requête présentée au dieu prié d’intervenir, ou à exposer les titres que l’orant s’est, pense-t-il, acquis, pour obtenir l’exaucement qu’il sollicite. Dans cette perspective où tout vise à la persuasion, il n’est pas étonnant que l’invocation dans la prière contribue aussi à cette entreprise pour convaincre14. Certes, nommer la divinité qu’on prie d’intervenir répond à une nécessité objective dans une relation polythéiste: quand on veut solliciter un dieu pour obtenir un secours précis, il est au moins utile d’indiquer à qui l’on s’adresse15. Mais le nom est plus qu’un moyen d’identification: il est également chargé (et c’est encore plus vrai des épiclèses) d’un poids argumentatif considérable. Celui-ci se fonde soit sur ce qu’on pourrait appeler la «logique des rapports personnels», qui conduit à s’en remettre de préférence à un dieu avec lequel on entretient des rapports suivis, soit sur la «logique de la compétence», qui amène à se tourner vers le dieu le plus indiqué pour répondre à la demande présentée. Ces deux aspects, dans le culte, se trouvent liés. Car si les textes poétiques16 montrent hommes et dieux dans une familiarité (voire dans une parenté) qui les dispense de recourir à un dieu fonctionnel (et qui du même coup rend volontiers les épiclèses facultatives), les relations du culte, elles, conduisent plutôt les fidèles à s’orienter vers un dieu local, un dieu de leur sexe, ou de la classe d’âge qui est la leur – ce qui fait coïncider volontiers logique des rapports personnels et compétence du dieu sollicité. En tout cas, dans ce contexte, l’épiclèse joue pleinement son rôle; en effet, ce n’est pas un dieu «conceptuel» et pour ainsi dire théorique ou philosophique qu’on invoque pour qu’il agisse, mais un dieu proche, censément doté des pouvoirs dont on attend la mise en œuvre pour être aidé dans l’entreprise projetée. Cette valeur argumentative possédée par une invocation appropriée à la requête, semble un point très frappant et très accentué dans la religion grecque17. C’est si vrai qu’il est des cas
14 Je vise ici les prières de requête, pour lesquelles le verbe eu[comai est approprié (sur les différentes valeurs que peut revêtir la parole dans la prière grecque, cf. D. Aubriot, Prière et conceptions religieuses, récapitulation p. 523-524). 15 Sans le moins du monde insinuer qu’un dieu soit jamais considéré dans la religion grecque comme un chien qu’on siffle (R. M. Olgilvie, The Romans and their Gods, Londres, 1969, p. 24 sq.) – ce qui serait une contre-vérité évidente. 16 Cette «logique» des rapports personnels prend nécessairement une tournure particulière en poésie, en particulier dans les contextes héroïques de l’épopée, puisque les dieux y sont également des personnages de l’action. Cela donne lieu à des échanges d’une familiarité exceptionnelle. 17 C’est là le mode d’invocation le plus répandu – dans le culte comme dans les textes littéraires: une ou plusieurs épiclèses viennent préciser en quelle fonction l’action du dieu est sollicitée. Ainsi au chant I de l’Iliade (v. 38) est-ce Apollon Sminqeu'' (c’est-à-dire rat) qui est invoqué pour la propagation de la peste, tandis que l’épithète disparaît dans la prière aux vers 451-456, où il s’agit de lui demander de mettre fin au fléau. Cf. encore la prière d’Ulysse à Athéna Nikè aux vers 133-134 du Philoctète de Sophocle, pour obtenir la victoire de l’entreprise: infra, n. 26. L’idée est toujours la même: en prononçant son nom, on compte «éveiller l’attention de la divinité invoquée, … mobiliser tous ses pouvoirs, pour mieux assurer l’efficacité de (sa) propre démarche» (J. Rudhardt, «Quelques réflexions sur les hymnes orphiques», dans P. Borgeaud (éd.), Orphisme et Orphée, en l’honneur de Jean Rudhardt, Paris, 1991, p. 263-288: p. 264); cependant ce rapport entre les attributions d’un dieu et la requête qu’on lui adresse demeure le plus souvent allusif (cf. J. H. M. Strubbe, «Cursed be he that moves my bones», dans C. A. Faraone, D. Obbink (éds.), Magika Hiera. Ancient Greek Magic and Religion, New York, 1991, p. 33-59: p. 46).
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où la seule invocation constitue le tout de la requête, – tant l’épiclèse employée peut paraître un argument suffisant, quand les circonstances empêchent une prière élaborée. Ainsi quand au début d’Œdipe à Colone le Coryphée, saisi d’horreur devant «le vieillard», borne son exclamation à Zeu' ’Alexh`tor (v. 143), il exprime une manière de provocation à l’adresse de Zeus Préservateur : à elle seule, l’invocation contient l’appel au dieu, la justification et le but de toute la prière. Sans doute est-ce là un cas extrême, mais il est révélateur du rôle que peut jouer une épiclèse. Quoi qu’il en soit, qu’elle serve seulement à présager du contenu de la demande ou renferme à elle seule la requête, l’invocation – certes, utile à l’identification – sert également à l’entreprise de persuasion. Cependant il s’en faut que la force persuasive d’une prière soit à chercher seulement dans la «logique» d’un appel bien adressé. Pareille faculté d’entraînement se fonde en effet également sur les égards manifestés à celui qu’on veut convaincre: quand il s’agit de la prière, l’orant s’emploie à rendre le dieu sensible à sa demande, en lui témoignant qu’il lui rend honneur, et cherche à lui procurer du plaisir, en marquant un souci affiché de s’adresser à lui selon des modalités qui lui rendent hommage, et qui lui plaisent. C’est à quoi sert avant tout la proclamation du nom, volontiers étayée d’appositions honorifiques. En effet, toute prise de parole est un honneur rendu, d’homme à dieu comme entre hommes, tandis que le silence (sauf raison grave) est injurieux. En font foi plusieurs textes tragiques, dans lesquels l’adjectif a[timon revient avec une insistance significative 18; tout concourt à indiquer que les mots à eux seuls peuvent déjà constituer une offrande, comme l’a encore rappelé récemment M. Depew19 ; a fortiori l’invocation, ou même la mention la plus simple, était-elle reçue comme une marque de déférence qui flattait la divinité : ainsi Athéna dans l’Iliade est-elle « heureuse que Ménélas l’ait invoquée la première», tandis qu’a contrario Dionysos dans Les Bacchantes s’estime offensé que Penthée l’écarte, et «jamais dans ses prières ne [fasse] mention de [lui]» (ejn eujcai'" t’ oujdamou' mneivan e[[cei) 20. En un mot, nommer les dieux fait partie du culte, car c’est une part normale des égards attendus. Je ne reviens pas sur un certain nombre de points qui ont déjà fait l’objet d’observations, comme la place privilégiée du vocatif pour attirer l’attention au début de l’appel21, la répétition en cas d’urgence, qui ajoute une insistance supplémentaire («Viens, … Bromios, Bromios»22), ou l’intention de louange qui peut être marquée entre autres par des termes valorisants comme a[nax, potniva23. Je laisserai également de côté l’usage de s’exprimer à voix audible, sinon forte, qui donne de la
18 Cf. Eschyle, Choéphores, 96 ; Sophocle, Œdipe roi, 789 ; Œdipe à Colone, 12731274 ; 1350-1355 (où Œdipe renonce à son silence volontairement injurieux par considération pour Thésée); sur le silence outrageux, cf. D. Aubriot, Prière et conceptions religieuses, p. 146 sq., en particulier p. 156. 19 M. Depew, «Reading Greek Prayers», Classical Antiquity, 16, 1997, p. 229-258. 20 Iliade, XVII, 567; Euripide, Bacchantes, 46. on pourrait rappeler également l’affirmation d’Aphrodite au vers 8 de l’Hippolyte d’Euripide: «Les dieux aussi prennent plaisir aux hommages des hommes» (timwvmenoi). 21 Cf. K. Wales, A Dictionary of Stylistics, Londres, 1981, cité par A. Kahane, The Interpretation of Order: A Study in the Poetics of Homeric Repetition, Oxford, 1994, p. 80. 22 Euripide, Bacchantes, 584: Movle … Brovmie, Brovmie. Ce phénomène d’insistance se retrouve partout: cf. Pulleyn, Prayer in Greek religion (op. cit., supra, n. 8), p. 133-134).
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puissance à cette prolation 24, ainsi que le constat de la solennité conférée par une invocation prolongée (comme s’il y avait un rapport entre la durée de l’émission vocale de la prière et l’honneur rendu): qu’on me permette de rappeler seulement les prières homériques qui, même brèves, commencent volontiers par un vers complet consacré à l’invocation (comme par exemple «O Zeus très glorieux très grand! Zeus à la nuée noire, qui habites l’éther»25 et ses multiples variantes). On le voit bien, ces circonstances, à des titres divers, représentent autant de raisons de pratiquer la poluwnumiva, qui possède une puissance persuasive efficace justement en ce qu’elle constitue un moyen privilégié entre tous pour rendre à la divinité un honneur qui lui plaise. Elle peut assurément revêtir aussi un autre rôle comme nous le verrons plus loin. Mais nous en sommes pour l’instant à relever que l’invocation, parce qu’elle est honorifique, est fondamentale pour se concilier la bienveillance du dieu. Au reste, la meilleure preuve que nommer est de l’ordre de la persuasion et de l’honneur qu’on aime à rendre à la divinité quand on en a le loisir (loin que cela constitue un «Sésame, ouvre-toi» indispensable), c’est que l’invocation ne laisse pas de demeurer, en fin de compte, facultative, et que tous les cas de figure peuvent se présenter, jusqu’à l’absence de vocatif, ou même jusqu’à l’absence de nom. Les exceptions que l’on peut ainsi noter à l’habitude courtoise d’appeler par leur nom les dieux auxquels on s’adresse relèvent de certaines nécessités d’adaptation. D’abord, de toute évidence, un cas particulier est représenté par tout l’éventail possible des tournures indirectes (prières à l’optatif ou à l’infinitif prescriptif, mais la variété des formulations est infinie) où le nom du dieu apparaît à un autre cas que le vocatif; néanmoins si ce genre de propositions détermine obligatoirement une absence d’apostrophe directe, elles n’entraînent pas une absence du nom; citons simplement les termes de la prière prescrite à l’arrivant dans Œdipe à Colone: «Puisque nous leur donnons le nom de “Bienveillantes”, / qu’elles accueillent donc d’un cœur bienveillant …»26. En revanche, donner un nom est nécessairement impossible quand l’orant ignore quel est le dieu
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Sur la force persuasive de la louange, cf. W. D. Furley, «Praise and Persuasion in Greek Hymns», Journal of Hellenic Studies, 115, 1995, p. 29-46: en particulier p. 30-37. Si des invocations (ou encore des «narrations») bien choisies sont de nature à faire «venir» le dieu, c’est pour qu’il prenne part au culte qui lui est rendu, et non pour qu’il se rende à la convocation d’un maître ou d’un supérieur: elles ne mettent pas en œuvre une quelconque contrainte, mais l’attrait du plaisir. 24 Cf. Aubriot, Prière et conceptions religieuses, p. 146-148. 25 Iliade, II, 142 (cf. III, 276, 320; VII, 202, etc.): Zeu' kuvdiste, mevgiste, kelainefev", aijqevri naivwn. On songe, mutatis mutandis, à la période par laquelle Bossuet commence l’Oraison funèbre de Henriette-Marie de France. 26 Sophocle, Œdipe à Colone, 486-487: W { " sfa" kalou'men Eujmenivda", ejx eujmenw'n stevrnwn devcesqai... Ce texte offre un cas très particulier et subtil, où les détours par l’infinitif et par la comparaison permettent d’éviter le vocatif trop direct, tandis que la paronomase garantit la précision de la requête. Mais on pourrait invoquer une foule d’autres exemples plus communs de nominatifs sujets d’un optatif à la troisième personne, comme dans la prière d’Ulysse à la fin du prologue du Philoctète de Sophocle: «Qu’Hermès, dieu de la ruse, qui est à nos côtés, nous serve de guide (hJghvsaito) à tous deux, avec Athéna la Victoire, protectrice de ma cité, qui partout est ma sauvegarde» (v. 133-134).
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dont il éprouve la présence. Ainsi de l’adresse naïve car désemparée de Télémaque au «dieu d’hier» au chant II de l’Odyssée; ou encore (au chant V) de l’invocation «conservatoire» d’Ulysse au fleuve de Phéacie dont il ignore le nom: «Entends-moi, Seigneur, qui que tu sois» (klu'qi, a[nax, o{{ti" ejssiv) 27 ; toutefois la désinvolture apparente de cet anonymat obligé est ici immédiatement compensée par le respect exprimé dans l’apostrophe a[nax et dans le poluvlliston plein de déférence 28 qui suit. Homère est notre premier témoin de ces solutions embarrassées, adoptées pour se tirer d’affaire en cas d’ignorance. Mais on aurait tort de croire à un subterfuge purement littéraire, car des exemples historiques attestent que ce recours à une apostrophe vague a été utilisé dans la réalité. Ainsi la consécration d’autels « qew'/ » à la suite de la purification d’Athènes par Epiménide montre-t-elle que cette notion de dieu inconnu n’était pas du tout étrangère à la pensée grecque29. D’une manière générale, s’il y a doute sur l’identité correcte du dieu responsable d’un certain phénomène (défaite, tremblement de terre, pestilence …), il semble bien que ce soit régulièrement qeov" seul qui soit utilisé. Néanmoins, à travers les formulations les plus diverses – qui sont bel et bien acceptées –, la règle demeure, pour honorer le dieu, de le nommer et, pour obtenir plus sûrement l’efficacité souhaitée, de l’invoquer sous l’épiclèse appropriée. Il faut pourtant noter que l’ignorance n’est pas la seule cause de l’absence de nomination d’un dieu: des égards d’une autre sorte peuvent la commander, comme le secret des Mystères ou la prudence devant le monde d’en bas. Pour le cas des Mystères, S. Pulleyn a bien prouvé30 que si certains noms étaient évités, c’était par désir d’euphémisme, ou pour se conformer à la discrétion requise; qu’au reste, les ojnovmata n’avaient pas à être distingués des drwvmena – tant il est vrai que ce n’est pas un
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Odyssée, II, 262: «Ecoute, O toi le dieu qui vins hier …»; Odyssée, V, 445. Cf. Aubriot, Prière et conceptions religieuses, p. 471 sq. 29 Ce point est discuté par E. Des Places, La religion grecque, Paris, 1969, p. 333-337; après E. Norden, Agnostos Theos. Untersuchungen zur Formengeschichte religiöser Rede, Leipzig Berlin, 1913, réimpr. Darmstadt, 1956, en particulier p. 55 sq. et p. 143 sq. Van der Horst a réexaminé la question quand il a repris le dossier du «dieu commun» (P. W. Van der Horst, «The Unknown God», dans R. Van den Broeck, T. Baarda, J. Mansfeld (éds.), Knowledge of the Gods in the Greco-Roman World, Leyde - New York, 1988, p. 19-42) à l’occasion du discours de Paul à l’Aréopage (Actes, 17, 3). Il rappelle (p. 41, n. 97) que Strabon mentionne l’usage de s’adresser ajnwnuvmw/ tini; qew/' pour la tribu ibérienne des Callaici (III, 4, 16), et que, selon Diogène Laerce (I, 110) Epiménide délivra Athènes de la pestilence qui l’accablait par l’érection d’autels édifiés tw/' proshvkonti qew/' (p. 23-24). 30 Cf. Pulleyn, «Power of Names» (op. cit., supra, n. 8), p. 24. Souvenons-nous que le sacrilège de la parodie des Mystères portait sur les gestes autant que sur les mots (c’est l’expression poiei'n ta; musthvria qui revient dans Andocide, Sur les Mystères, 11; 16). Sur la pratique des euphémismes, cf. F. Graf, «Namen von Göttern im klassischen Altertum», dans E. Eichler, G. Hilty, H. Löffler, H. Steger, L. Zgusta (éds.), Namenforschung, Berlin - New York, 1996, p. 1823-1837, en particulier p. 1827 sq.; E. Voutiras, «Euphemistic Names for the Powers of the Nether World», dans D. R. Jordan, H. Montgomery, E. Thomassen (éds.), The World of Ancient Magic. Papers from the First International Samson Eitrem Seminar at the Norwegian Institute of Athens, 4-8 May 1997, Bergen, 1999, p. 73-82. Notons qu’un scrupule à «nommer » ne s’observe pas seulement quand il s’agit des dieux: Eumée s’abstient de prononcer le nom d’Ulysse en son absence (Odyssée, XIV, 145). 28
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prétendu pouvoir spécifique des noms qui est en cause. Quant aux divinités infernales, il n’est pas contestable qu’on s’abstenait de les nommer dans n’importe quel contexte, car on ne côtoyait pas sans appréhension les puissances d’en bas. Cependant là encore, cette réserve ne s’applique pas qu’au nom des dieux: dans Œdipe à Colone, Œdipe parle plus généralement du désagrément de «remuer des sujets interdits» (tajkivnht(a) e[ph, v. 624), «que la parole n’a pas le droit de remuer» (mhde; kinei'tai lovgw/, v. 1526 sq.), mais cette consigne du silence regarde tout autre chose que le nom des divinités; il s’agit en effet de la réalité des Mystères (ejxavgista v. 1526), des rites (tevlh) qu’il est interdit de divulguer (v. 1050-1052). Le chœur pour sa part avait fait savoir d’emblée qu’il passait près du sanctuaire des Euménides «sans regard, sans voix, sans parole» (ajdevrktw", ajfwvnw", ajlovgw", car le regard aussi, tout comme la voix, marque une sorte de contact et de communication; c’est pourquoi quand il exprime dans la même phrase sa crainte d’adresser la parole aux maîtresses redoutables du lieu, les déesses «que nous tremblons de nommer» (a}" trevmomen levgein, v. 129), il n’y a pas lieu de douter qu’il signifie simplement (et rien d’autre) une crainte véritable – que reflète bien la prière recommandée à Œdipe (v. 486-7 dont nous rappelions les termes supra, n. 26). La preuve qu’il n’y a pas d’interdit absolu du nom est administrée plus tard dans la pièce, quand à ses risques et périls Polynice nomme explicitement les Erinyes de son père (v. 1434)31. Mais qu’il s’agisse de discrétion à respecter (pour des cultes à mystères), ou de prudence à observer (quand il s’agit de divinités infernales, pour ne pas commettre de faux pas malencontreux), les mots, les noms, ne sont pas seuls en cause : les interdits comme les précautions concernent aussi bien les drwvmena que les ojnovmata, les regards ou les gestes, que la parole. C’est bien là une preuve du fait que l’absence de nomination fait partie de mesures parmi d’autres, ce qui dissuade d’attribuer des pouvoirs spécifiques et automatiques aux noms des dieux: toutes ces nécessités d’adaptation ne montrent rien d’autre que la liberté pleine et entière de s’adresser à la divinité, dans chaque situation, selon les modalités qui seront le mieux adaptées à l’hommage à lui rendre. Nommer n’est pas une formule mécanique irrémédiablement indispensable dans certains cas, absolument prohibée dans d’autres; c’est avant tout une politesse flatteuse, recommandée quand les circonstances le permettent. Si donc on dépasse les nécessités de l’identification, c’est principalement comme marque d’honneur agréable que l’invocation est déterminante pour persuader la divinité d’octroyer son aide. Aussi cette partie de la prière fait-elle l’objet de tout un travail particulier d’élaboration formelle, qui intervient au premier chef dans le plaisir offert au dieu par le culte, au même titre que les danses ou les offrandes. Entre toutes les figures de style mises en œuvre dans les prières «rituelles»32, ce qu’on pourrait
31 Sans doute ne s’agit-il pas là des déesses du sanctuaire. Il n’empêche que le choix de nommer ou de ne pas nommer semble dicté avant tout par les modalités du respect qu’on entend observer. On pourrait rappeler que des préoccupations symétriques se retrouvent dans le silence né de la crainte d’exposer un dieu (comme un homme) à une souillure (cf. Eschyle, Euménides, 277 sq.). 32 Sur l’importance des recherches stylistiques, dans les prières rituelles aussi bien que littéraires, cf. D. Aubriot, « Sur la valeur religieuse de quelques prières dans la tragédie grecque : contribution à l’étude des rapports entre la littérature et la religion », Journal des savants, 1994, p. 3-18: p. 11.
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appeler la «sculpture» du nom, loin d’apparaître secondaire, figure en première place. Il arrive même que la multiplication recherchée des invocations prenne de telles proportions qu’elle dépasse le rôle de magnification honorifique qui vient d’être rappelé et y ajoute les mérites d’une réflexion pour ainsi dire théologique.
Théologie En effet, non seulement la multiplication des vocatifs entraîne une sorte de psalmodie déjà laudative par sa seule prolation, mais la poluwnumiva possède encore d’autres valeurs, dont on peut concevoir une double appréciation suivant que ce procédé aboutit à étendre les pouvoirs d’un dieu jusqu’à lui faire recouper la personnalité d’un autre et ainsi ouvrir la voie à une sorte d’assimilation, ou qu’il débouche sur une forme d’aveu d’impuissance à appréhender la personnalité du dieu.
La poluwnumiva et les assimilations Si la poluwnumiva apparaît comme un honneur prisé du dieu 33, c’est qu’il n’y a pas loin de la polyvalence à l’omnipotence. C’est ce qui fonde la demande d’Artémis à son père dans l’hymne de Callimaque qui lui est consacré: «Donne-moi d’être appelée de beaucoup de noms (dov" moi... poluwnumivhn) pour que j’en défie Phoibos lui-même» 34. Interpeller un dieu au moyen de plusieurs noms est assurément lui attribuer un surcroît de puissance, dès l’instant que le déclarer poluwvnumo" (ou le traiter comme tel) est reconnaître que ses pouvoirs sont multiples ou étendus, que ses fonctions sont diverses et ses lieux de culte nombreux. Aussi voit-on souvent les épiclèses s’accumuler, se redoubler de participes ou de subordonnées qui viennent gonfler l’invocation jusqu’à lui faire occuper une part importante (voire essentielle) de la prière ou de l’hymne. Un tel procédé était déjà en germe non seulement dans les Hymnes homériques même anciens35, mais aussi dans l’Iliade où bien souvent l’invocation n’occupe pas moins d’un vers entier36. Cependant, c’est dans les Hymnes orphiques que ce procédé est exploité méthodiquement. De toute évidence, nous n’y sommes plus dans un cadre utilitaire d’identification, ni même dans un cadre «logique» de persuasion efficace utile à une requête, pour quoi sont appropriées les épiclèses utilisées sépa-
33 Il a été reconnu que la poluwnumiva était de nature à accroître le prestige d’une divinité: cf. L. Sbardella, «Polionimia divina ed economicità formulare in Omero», Quaderni Urbinati di cultura classica, 43 (1) n.s., 1993, p. 7-44: p. 25; et pour une bibliographie importante sur ce sujet, N. J. Richardson, The Homeric Hymn to Demeter, Oxford University Press, 1974, p. 152. 34 Callimaque, Hymne à Artémis, 6-7; cf. aussi Callimaque, Hymne à Apollon, II, v. 70; Théocrite, XV, 109; et déjà Sophocle, Antigone, 1115; Aristophane, Thesmophories, 320. 35 Par exemple Hymne homérique à Déméter, I, 490-493; Hymne homérique à Apollon, I, 140 sq. 36 Cf. supra, n. 25; ou encore Iliade, I, 37-9: «Entends-moi, dieu à l’arc d’argent qui protèges Chrysè et Cilla la divine, et sur Ténédos règnes souverain! O Sminthée» (cf. supra, n. 17); ou Iliade, XVI, 233-235: «Sire Zeus, dieu de Dodone et des Pélasges, dieu lointain! toi qui règnes sur Dodone, l’inclémente, au pays qu’habitent les Selles, tes interprètes aux pieds jamais lavés, qui couchent sur le sol!».
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rément (uniques ou parcimonieusement égrenées). Ici, les épiclèses accumulées en système paraissent porteuses d’une autre signification: ces énumérations aboutissent à la recherche d’une manière de définition de la personne divine, comme pour mieux embrasser son «être». Tout en présentant une louange agréable à la divinité, elles contribuent à construire une sorte de théologie. Si l’on essaie de sonder la valeur de ces juxtapositions comme l’a fait J. Rudhardt (suivi par M. Hopman-Govers)37, on s’aperçoit que la «parataxe» qui caractérise ces textes fait apparaître une personnalité complexe, à l’intérieur de laquelle les facultés non seulement s’accumulent mais aussi s’organisent, parfois jusqu’à confiner à l’omnipotence. Choisissons l’exemple de l’hymne 36, consacré à Artémis, particulièrement significatif en ce que le nom même d’Artémis, justement, n’y apparaît pas38 : «Entends-moi, ô reine, fille aux multiples noms, issue de Zeus, grondante Titanine, archère illustre, digne de vénération, déesse porte-flambeau visible à tous, Dictynna! Protectrice des accouchements, tu viens à l’aide dans les douleurs de l’enfantement, toi qui n’y fus jamais initiée; tu délies la ceinture des parturientes, toi qui aimes à tourmenter; toi qui harcèles, tu délivres des soucis …».
Il est impossible ici de citer le texte entier et de reprendre toute la démonstration du savant genevois, si lumineuse. Retenons l’essentiel. Méditant sur les articulations internes d’un pareil discours, Rudhardt a mis en évidence une «syntaxe … latente dans la parataxe» (p. 267). Aussi le parti qu’il adopte dans sa traduction vise-t-il avant tout à faire appréhender cette syntaxe afin de restituer le sens. Par exemple, la traduction littérale des vers 4 et 5 serait quelque chose comme: «Dans les douleurs secourable, et aux douleurs non initiée, / déliant les ceintures, aimant les aiguillons, poursuivant à la chasse, déliant les soucis ». Autant dire que ce serait une cascade dont on peinerait à dégager une signification. Le traducteur s’est donc donné pour tâche de faire sentir l’opposition des termes deux à deux qui est perceptible en grec. Il a par conséquent choisi d’assumer l’inconvénient de ne rendre ni la brièveté ni le caractère énigmatique délibérés (de son avis même) dont la parataxe offre l’avantage (p. 268). En somme, cette forme d’élaboration par énumération d’épiclèses ou d’adjectifs composés, qui peut donner l’impression d’une «fastidieuse monotonie et (paraître) énon-
37
J. Rudhardt, « Quelques réflexions sur les hymnes homériques » (op. cit., supra, n. 17) ; M. Hopman-Govers, «Le jeu des épithètes dans les Hymnes orphiques», Kernos, 14, 2001, p. 35-49. 38 Dans Rudhardt, le texte se trouve à la p. 285, et la trad. p. 288 sq.: Klu'qiv mou, w\ basivleia, Dio;" poluwvnume kouvrh. Titani;" bromiva, megalwvnume toxovti semnhv. Pasifah;" daidou'ci qeav, Divktunna: loceiva, wjdivnwn ejparwge; kai; wjdivnwn ajmuvhte. Lusivzwne, fivloistre, kunhgevti, lusimevrimne … Au long de ces seize vers, cet hymne offre la même pluie de vocatifs juxtaposés.
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cer une pensée rudimentaire» (p. 265), dégage en fait entre les mots juxtaposés «des rapports subtils» qui aident à saisir mieux la personne du dieu dans sa prolifération: le système des appositions réussit l’exploit paradoxal d’ouvrir davantage le champ d’action du dieu, en dissolvant son nom derrière la forêt des épiclèses ou des épithètes. En effet toute dénomination circonscrite recèle une ambiguïté: par sa précision, un nom (en l’occurrence Artémis) apporte à un dieu en quelque sorte une confirmation d’existence et donc de pouvoir objectif. Mais cette précision même (qui subsume toute une personne divine sous un seul vocable) peut au rebours être conçue comme une limitation. On songe à Héraclite qui, récusant la fallacieuse clarté du langage propositionnel, use d’une multiplicité des termes juxtaposés pour tenter «d’exprimer dans toutes ses scintillations, une manifestation simple; un monde unique pivote, dont les facettes jettent des éclats tout alentour»39. De même dans les hymnes qui nous occupent, par rapport à la limitation à laquelle restreindrait un nom défini, des adjonctions, appositions, assimilations, apparaissent comme un élargissement qui nuance et amplifie. Toutefois si les contours de la divinité s’y agrandissent démesurément, le langage lui, par l’énumération uniforme, est retenu dans sa plus simple expression, évitant toute emphase outrecuidante, et par là permettant de garder les distances indispensables entre dieux et hommes40. Ces procédés, qui étoffent la personnalité du dieu, servent en quelque sorte de caisse de résonance, pour magnifier l’omnipotence divine, en un mouvement qui procède à la fois de la réflexion et de l’hommage – offrande hautement capable d’être agréable au dieu. La poluwnumiva comme effort théologique rejoint donc la poluwnumiva comme honneur. Cependant, cette concentration méditative et abstraite pour tenter d’embrasser (pour ainsi dire) l’être de la divinité, n’était pas historiquement concevable à toutes les époques. Aussi trouve-t-on antérieurement des moyens plus simples et concrets, pour suggérer la profusion des pouvoirs du dieu. Au nombre de ces moyens figure l’alternative ei[te… ei[te, jugée comme un trait de style si caractéristique de la prière qu’il a été parodié par Aristophane41. En diluant (en quelque sorte) la nature du dieu dans l’étendue de ses domaines, en suggérant la diversité de ses fonctions, ce genre de tournures (avec l’apparent embarras de trouver une formulation qui ne soit pas trop étroite), semble porter lui aussi la marque de la tradition hymnique42. Il représente un
39 G. Romeyer-Dherbey, La parole archaïque, Paris, 1999, p. 177. Cf. Héraclite, fgt B 67 D. K. : « Dieu prend des formes diverses, comme le feu lorsqu’on mêle à sa flamme des essences, et il est nommé (ojnomavzetai) au gré de chacun». 40 En même temps, l’absence de recours à un verbe conjugué permet de «donner de la divinité une image … atemporelle et amodale» (Hopman-Govers, «Le jeu des épithètes …», p. 47). 41 Cf. par exemple Eschyle, Euménides, 292 sq.; Euripide, Bacchantes, 556-575 et, pour la parodie, Aristophane, Nuées, 269-275: «Venez donc, Nuées tant vénérées, venez vous montrer à cet homme, soit que vous siégiez sur les cimes sacrées de l’Olympe battues par la neige, soit que dans les jardins d’Océan votre père vous formiez un chœur sacré pour les Nymphes, soit qu’aux bouches du Nil vous puisiez ses ondes dans des aiguières d’or, soit encore que vous habitiez le lac Méotis ou le rocher neigeux du Mimas, écoutez ma prière …». 42 Pulleyn, «Power of Names», p. 20; Prayer in Greek Religion (op. cit., supra, n. 8), p. 105.
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embellissement mythique ou géographique d’ordre littéraire qui rehausse l’offrande qu’est le poème. Cette formulation élaborée est propre à honorer la divinité – mais reste, là encore, dans une modestie de bon aloi face à elle. Ces dissections analytiques dans leurs différentes variantes (acribie de la poluwnumiva ou élargissement plus vague des alternatives flatteuses) trouvent un parallèle inverse dans les associations «transversales» de dieux, qui peuvent aller du simple regroupement entre personnalités divines gardant leur individualité, à une sorte d’assimilation dans laquelle les dieux semblent fusionner. On mentionnerait ainsi les regroupements ou interconnexions (comme celle, si fréquente chez Homère, de Zeus, Athéna, Apollon) où il est clair que chacun conserve son autonomie43 ; ou bien les agrégations (difficiles à démêler), comme celles qui accolent Athéna-Nikè, Artémis-Hécate, Poséidon-Erechthée44 ; ou encore les associations qui s’effectuent par une sorte de superposition. Celles-là peuvent nous sembler de tonalité presque «philosophique», mais la réalité est sans doute plus compliquée. Ainsi de deux assimilations proposées par Euripide, entre Déméter et la Terre d’une part, entre Zeus et Hadès de l’autre. La première est mise dans la bouche autorisée du devin Tirésias: «La Déesse Déméter; mais c’est la Terre. Quant au nom, appelle-la (kavlei) de celui des deux que tu veux». La seconde ne peut être attribuée à un personnage particulier, puisqu’elle provient d’un fragment: «Que tu te plaises à être appelé (keklhmevno") Zeus ou Hadès» … 45. On relèvera que dans ces deux passages, c’est bien le nom qui reflète l’indifférenciation. Dans certains cas (comme dans le célèbre fragment d’Eschyle tiré des Héliades, où Zeus est à la fois «l’air, la terre, le ciel, tout»)46, on semble avoir affaire à une véritable coalescence: ces superpositions peuvent créer une impression d’accroissement des pouvoirs allant jusqu’à une extension presque infinie, qui n’est pas sans faire penser à une sorte de monothéisme, à force d’agrégations dans tous les sens. Cet agrandissement d’une personnalité divine, où l’on voit un dieu interpellé ou défini sous le nom d’un autre, où l’on voit traités comme des synonymes les noms de plusieurs divinités que les traditions mythiques et cultuelles distinguent entre elles, peut aller jusqu’à prendre les proportions d’«une extension systématique de l’identification»47. Cette propension à identifier des dieux les uns aux autres, en tout cas à ramener à l’identité les dénominations de plusieurs divinités, témoigne (sous un autre aspect que la poluwnumiva d’un seul dieu), d’un effort symétrique – différent mais finalement similaire – d’approche du divin, où est recherchée une certaine unité.
43 Pour de semblables regroupements étudiés à l’intérieur des serments, cf. la contribution de P. Brulé dans ce même volume. 44 Qui représenteraient autant de cas à examiner un par un, et pour quoi je renvoie à l’exposé de R. Parker dans ce même volume. 45 Euripide, Bacchantes, 275 sq.: Dhmhvthr qeav : / gh' d’ ejstivn : o[noma d’ oJpovteron bouvlei kavlei. La traduction « Budé » (due à H. Grégoire) est : « Déméter la Déesse – ou la Terre (tu peux l’appeler de l’un de ces deux noms»); Euripide, fgt 912, 2-3 N: Zeu;" ei[t’ ’Aivdh" / ojnomazovmeno" stevrgei". On pourrait ajouter Eschyle, Prométhée enchaîné, 210: «Thémis ou Gaia, forme unique sous maints noms divers» (pollw'n ojnomavtwn morfh; miva). 46 Eschyle, fgt 70 N. 47 La formule est de J. Rudhardt, «Quelques réflexions sur les hymnes homériques» (op. cit., supra, n. 17), p. 271.
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Ces deux mouvements opposés que nous venons d’évoquer, dans le sens d’une scission polyvalente d’un même personnage divin (poluwnumiva), et dans le sens d’une assimilation de plusieurs personnalités divines, ont en commun d’être une illustration de la tension entre l’un et le multiple qui parcourt toute la pensée grecque : car (pour reprendre encore une expression de Rudhardt), si le Grec est «sensible à la prééminence éthique de l’unité», il l’est aussi au caractère insaisissable de la divinité qu’il perçoit concrètement sous des modalités diverses48. En somme, on a affaire à deux orientations complémentaires: la polyonymie «transversale» (entre dieux, pour les « regrouper», les assimiler) fait ressortir les équivalences qui autorisent à discerner une unité sous la multiplicité, tandis que l’autre polyonymie, celle des épiclèses apposées, permet de retrouver la multiplicité des manifestations sous l’unité du nom « générique». Mais ces deux tendances (dans l’oscillation qu’elles trahissent entre les conceptions unifiée et multiple du divin), attestent un effort tangible pour rendre un compte approximatif de la divinité à travers les difficultés qui en obscurcissent la compréhension. Car le sentiment global qui se dégage de toutes ces tentatives pour mieux appréhender la divinité, c’est qu’elles s’avèrent finalement insuffisantes à exprimer une omnipotence qui est ineffable. Aussi existe-t-il une autre pente, en un sens inverse, qu’on pourrait dire «par défaut», qui va de l’incertitude à l’aveu (ou à la revendication) de la connaissance impossible.
De l’incertitude sur le nom à la connaissance impossible Laissons ici de côté la question du dieu inconnu, déjà évoquée sommairement. Laissons aussi la formule prudente destinée à ne pas oublier une divinité ombrageuse – ce qui est l’arrière-plan de l’invocation qeoiv en tête des documents officiels, et de l’expression pavnte" kai; pa`sai qeoiv promise à une si grande fortune aux périodes hellénistique et romaine, mais qu’on trouve déjà au tout début du Discours sur la Couronne de Démosthène (Couronne, 1) 49. Donc sans considérer ces points, tournons-nous vers les expressions qui marquent un doute sur la dénomination, voire sur la nature du dieu – deux aspects qui pourraient bien être liés. Chacun a à l’esprit la réflexion grave du chœur, aux vers 160 et suivants de l’Agamemnon d’Eschyle: Zeuv" o{sti" pot’ ejstivn, eij tovd’ auj– / tw/` fivlon keklhmevnw/, / tou'tov nin prosennevpw, «Zeus, quel qu’il puisse bien être, s’il lui est agréable d’être appelé de ce nom, c’est celui par lequel je m’adresse à lui» 50. On remarquera ici le détour par la troisième personne: o{sti"... ejstivn, qui différencie cette formulation de l’invocation – par ailleurs si semblable – d’Ulysse au fleuve de Phéacie: klu'qi,
48 J. Rudhardt, «Considérations sur le polythéisme», (op. cit., supra, n. 1), p. 80. Je ne peux mieux faire que de renvoyer à l’intégralité de cet article fondamental (en particulier p. 76 sq., sur la transcendance du divin à l’égard des représentations ou des dénominations que l’homme s’en donne). 49 Et même à vrai dire déjà chez Homère: cf. S. J. Pulleyn, Prayer in Greek Religion (op. cit., supra, n. 8), p. 108-111. 50 La traduction de Mazon (que je modifie par souci d’exacte fidélité) est: «Zeus, quel que soit son nom, si celui-ci lui agrée, c’est celui dont je l’appelle …» et elle se poursuit: «J’ai tout pesé: je ne reconnais que Zeus propre à me décharger vraiment du poids de ma stérile angoisse».
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a[nax, o{ti" ejssi, ou encore de la fameuse prière «toute nouvelle» d’Hécube dans Les Troyennes d’Euripide: «O toi, support de la terre et qui sur la terre as ton siège, qui que tu sois (o{sti" pot’ ei\ suv), insoluble énigme (dustovpasto" eijdevnai), Zeus, loi inflexible de la nature ou intelligence des humains... » (v. 884-9). On pourrait évoquer aussi le fragment B 32 D. K. d’Héraclite qui nous sert d’épigraphe51, pour lequel il pourrait être plus à propos d’évoquer un sentiment de résignation à ignorer le fond des choses, que de songer à mettre en cause une véritable inquiétude sur le nom authentique de Zeus. A travers les différences de ces textes, si dissemblables entre eux à bien des égards, un point de convergence se fait jour, qui est d’autant plus fondamental à observer: c’est leur commune propension à superposer la dénomination et la nature intime du dieu. Sans doute n’est-il pas indifférent de noter que, hormis dans l’Odyssée, c’est un Zeus assez vague, sorte de dieu presque unique qui est en cause; mais le temps ne nous permet pas de nous y attarder ici. Quoi qu’il en soit de cette question, et sans qu’on puisse discerner au juste si ce qui l’emporte est l’incertitude sur la personnalité du dieu, ou l’indifférence à la propriété intrinsèque de son nom, (et à cet égard, l’inexactitude de la traduction de Mazon est sans doute révélatrice), toujours est-il que, du moins dans la tragédie d’Eschyle (et probablement aussi dans celle d’Euripide), la confiance dans le recours offert par Zeus est ce qui domine: même avec le sentiment de ne pas employer peut-être la bonne dénomination, ou de ne pas comprendre vraiment à qui il s’adresse, le chœur ne renonce pas pour autant à «prier – ou du moins à se tourner vers «Zeus», ou vers «les dieux». Sans doute ces formulations n’avaient-elles, peut-on penser, qu’une place pour le moins restreinte dans les prières de la piété quotidienne52. Mais les simples w\ Zeu' (sans épiclèse), ou ijw ; qeoiv, sont-ils, au fond, d’autre nature53 ? Ne marquent-ils pas eux aussi une résignation à employer les manières de parler les plus vagues (faute de savoir qui invoquer dans l’immédiat, ou faute d’en connaître plus sur l’inconnaissable) – l’essentiel étant de se référer à une «instance» supérieure, pour se démettre sur elle d’un poids insupportable? Nous voilà en tout cas fort éloignés de la recherche du « nom-sésame» automatique auquel les tenants de la prière-contrainte essayaient jadis de nous faire croire; car si peut-être, d’une certaine manière, il n’est pas faux de dire que le dieu coïncide avec son nom, ce n’est pas à une forme de coïncidence «magique » qu’il faudrait penser (l’articulation sonore du nom déclenchant l’action divine), mais à une coïncidence bien autrement essentielle, quasiment substantielle, entre le nom et la nature même du dieu. Il n’est plus question ici, on le voit bien, de «dieu inconnu »54, mais d’impossibilité de saisir les dieux qu’on invoque, de les «com-prendre», fût-ce
51 Sur les prétendues contradictions de langage d’Héraclite, on lira avec profit les pages très éclairantes de G. Romeyer Dherbey, La parole archaïque (op. cit., supra, n. 39), p. 176 sq., en particulier p. 182, et déjà C. Ramnoux, Héraclite, ou l’homme entre les choses et les mots, Paris, 1959, p. 304. 52 Significative est la remarque de Pulleyn, Prayer in Greek Religion (op. cit., supra, n. 8), p. 104: «This is philosophy, not religion». 53 Apostrophes qui sont, elles, très courantes: cf. par exemple Sophocle, Œdipe à Colone, 532; 1456; 1471; 1749. 54 Pulleyn, «Power of Names» (op. cit., supra, n. 8), p. 22; cf. supra, p. 479-480.
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au moyen d’un nom. C’est-à-dire qu’on discerne bien un effort de conceptualisation et d’hommage comparable à celui qui est déployé dans une poluwnumiva comme celle des Hymnes orphiques; mais que les moyens employés sont opposés: au lieu d’essayer de «dire» en multipliant les épiclèses, on se retranche derrière l’impossibilité d’embrasser et donc (justement) de «dire» comme il faudrait et l’on s’en tient à une appellation qu’on pourrait qualifier de minimale tant elle est vague. Il vaut la peine d’insister sur l’observation suivante: ces déclarations d’ignorance du juste nom dont il convient d’appeler la divinité sont solidaires des aveux d’incertitude sur la nature même du dieu. C’était déjà le cas, nous l’avons vu, dans Agamemnon, où Zeus lui-même échappait autant que son nom. Mais c’est surtout chez Euripide qu’on en trouve maint exemple. Particulièrement denses sont les passages de cette venue dans Hélène, où ils sont organisés dans un ordre de perplexité croissante. Tout d’abord le messager dit à l’héroïne: «Ma fille, combien dieu (oJ qeov") est donc chose insondable, ondoyante et diverse» (Hélène, 711) ; un peu plus loin, il dénonce la vanité de toute prétention à comprendre (c’est surtout la divination qui est visée) et reconnaît seulement la nécessité de «demander aux dieux des biens généraux» (toi'" qeoi'si crh; / quvonta" aijtei'n ajgaqav) sans manquer aux sacrifices, et de ne pas aller au-delà (Hélène, 753-754). Enfin c’est au chœur qu’il revient de mettre un comble à l’interrogation: «Qu’est-ce que Dieu? … qu’est-ce qui n’est point Dieu? Qu’y a-t-il entre ces deux termes? Quel mortel prétendra le savoir à la fin de ses longues recherches (o{ ti qeo;" h] mh; qeov" h] to; mevson / tiv" fhs’ ejreunhvsa" brovtwn), quand il voit les dieux se porter dans un sens et puis dans un autre, et puis changer encore par des sursauts capricieux, inattendus, contradictoires.» (Hélène, 1137-1150). Spéculation ontologique, ou méditation morale? ou les deux? Ces aveux d’incertitude, profondément ancrés dans la pensée d’Euripide, trouvent leur couronnement dans le couplet final qui termine cinq des tragédies qui nous sont conservées55 – dont précisément Hélène : « Multiples sont les formes que revêt le divin (morfai; tw'n daimonivwn); souvent les dieux (qeoiv) agissent en trompant notre attente. Ce que nous attendions ne s’est pas accompli, et à l’inattendu Dieu (qeov") découvre la voie. Ainsi donc s’achève ce drame». La seule chose à en retenir c’est l’impossibilité de rien saisir; en somme, le plus clair de «la divinité», c’est d’être incompréhensible. Aussi Euripide se garde-t-il bien de la nommer: morfai; tw'n daimonivwn, qeoiv, qeov". Sophocle, lui, nomme (Trachiniennes 1278: koujde;n touvtwn o{ ti mh; Zeuv"). C’est là aussi, également prononcé par le Coryphée, le dernier vers de la tragédie. Mais y a-t-il une si grande différence entre les formules vagues d’Euripide et le Zeus identifié par Sophocle? La question ne reste-t-elle pas, en fin de compte, la même: celle du sens théologique qu’il faut chercher sous ces effarements perplexes? C’est le sujet d’âpres discussions, dans lesquelles je me garderai d’entrer ici. Toutefois il ne me semble pas sûr du tout que dans la tragédie, ces aveux d’incompréhension doivent être regardés comme débouchant sur l’athéisme: ce serait faire un contresens net en ce qui concerne Sophocle, et il se pourrait bien que les choses ne se présentent pas de manière fondamentalement différente pour Euri-
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Hélène, Alceste, Médée, Andromaque, Les Bacchantes offrent le même texte, à des variantes infimes près.
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pide. Ces interrogations n’aboutissent, je crois, qu’à redire la nécessité d’honorer les dieux, même si l’on doit abandonner l’espoir de les saisir, de les comprendre, voire de les nommer – et peut-être est-ce tout un. Platon au fond entend-il autre chose, quand renonçant à toute connaissance sur les dieux, il renonce également à connaître leurs noms, et propose de «faire comme dans les prières, où nous avons pour loi de les invoquer sous les noms, n’importe lesquels ni de quelle origine, qui leur plaisent (oi{ tinev" te kai; oJpovqen caivrousin ojnomazovmenoi)»56 ; c’est-à-dire qu’on retrouve un mouvement comparable, mutatis mutandis, à celui de la tragédie: explicitement et délibérément chez le philosophe, il s’agit une fois pour toutes de s’en remettre aux dieux pour les noms dont ils veulent être invoqués (et, faute de mieux, de s’en tenir aux noms traditionnels), non sans retrouver la notion de plaisir qui nous avait retenus. Toujours est-il, à travers toutes les formes que peut prendre l’insuffisance des mortels, que ni l’incertitude sur le nom d’un dieu précis, ni le sentiment d’impuissance à nommer la divinité comme il conviendrait, ni l’aveu que le divin est inconnaissable, ne viennent vraiment entraver le mouvement qui conduit à la prière de requête ou à l’hymne glorificateur.
Conclusion J’ai bien conscience d’avoir à peine effleuré les problèmes, et de n’avoir procédé qu’à une revue sommaire des questions posées dans le titre. Pour y répondre en quelques mots, nous pouvons d’abord éliminer la contrainte. Ce n’est pas du tout sur ce mode que les Grecs entretenaient des relations avec leurs dieux qu’ils entendaient par-dessus tout honorer; et nommer les dieux n’avait pas pour but de les obliger à se rendre à une «convocation» impérieuse. C’est le souci de persuader la divinité qui occupe une place prépondérante dans les prières de requête, ainsi qu’il transparaît tout particulièrement à travers les épiclèses. Le nom, assurément utile à l’identification du dieu prié, mais non indispensable, servait surtout grandement à l’honorer – et les épiclèses, là encore, s’avèrent de première importance pour contribuer à l’hommage rendu à la divinité: on ne saurait exagérer la part de la glorification honorifique obtenue par l’usage de tournures dénominatives développées. Quant à l’entreprise théologique, on la trouve de toute évidence surtout dans les hymnes, que ce soit via l’effort de la poluwnumiva, ou via la résignation à l’insuffisance et à la contingence des noms humains. On la trouve aussi (peut-être plus largement qu’il n’y paraît d’abord), dans des prières qui ne présentent guère de requête, mais qui confinent plutôt à la méditation sur la nature de la divinité ou à l’abandon confiant – et que je ne laisse pas, pour autant, de considérer comme des prières. Sur ce point, il est difficile d’apprécier ce qui revient à la déformation littéraire. Il reste qu’un aveu de perplexité sur le nom
56 Platon, Cratyle, 400 e: w{sper ejn tai'" eujcai'" novmo" ejsti;n eu[cesqai, oi{ tinev" te kai; oJpovqen caivrousin (les dieux) ojnomazovmenoi (cf. encore Philèbe, 12 c, où décision est prise de s’adresser à Aphrodite de la manière qu’elle aime: o{ph/ ejkeivnh/ fivlon. Cf. E. Norden, Agnostos Theos (op. cit., supra, n. 29), p. 143 sq.; K. Keyssner, Studien zum griechischen Hymnus, Diss. Würzburg, 1931, p. 9 sq.; J. M. Bremer, «Greek Hymns», dans H. S. Versnel, F. T. Van Straten, Faith, Hope and Worship, Leyde, 1981, p. 193-215: p. 194 sq.
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«véritable» d’un dieu se laisse malaisément distinguer d’une interrogation sur la nature même (sinon sur l’existence) de ce dieu57. Quoi qu’il en soit et pour nous en tenir à notre question initiale ainsi qu’aux divers témoignages considérés ici, le nom apparaît comme une désignation commode, mais dont il serait vain d’espérer qu’elle soit autre chose qu’une convention reçue ou une approximation acceptée: si les Grecs ont jugé bon de s’en remettre à des noms individuels pour désigner leurs dieux, comme en témoigne Hérodote, ils n’ont pas eu le fétichisme de ces dénominations.
Danièle AUBRIOT Université de Picardie - Jules Verne
57 Sans aucun doute convient-il sur ce point d’être attentif à ne pas transporter dans l’Antiquité classique des spéculations de Modernes. Le théâtre en particulier, qui faisait partie intégrante du culte, doit être examiné avec circonspection. Mais pour attester qu’il existait en Grèce, bien avant Platon, une réflexion proprement théologique pouvant conduire à une forme d’agnosticisme (pour ne pas dire plus) quelques lambeaux de la pensée de Xénophane sont suffisamment éloquents (en particulier les fgts B 15 et 34 D. K.), – sans compter la célèbre déclaration de Protagoras: «Des dieux, je ne puis savoir ni qu’ils existent, ni qu’ils n’existent pas, ni quels ils sont quant à leur forme. Car nombreux sont les obstacles à ce savoir: leur invisibilité et la brièveté de la vie humaine» (fgt B 4 D. K.).
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INVOCATION ET PRÉSENCE DIVINE DANS LA PRIÈRE À ROME Nommer les dieux, c’est avant tout, dans une formule de prière, les invoquer avant de leur adresser une demande précise. L’invocation est un élément constitutif indispensable de la precatio: si l’on veut bien donner à certaines formes d’interjections le statut de prière, l’invocation pourrait même être l’élément suffisant de la precatio, celui qui attire sur l’orant l’attention d’un divinité. La caractéristique de l’invocation est l’exigence d’une identification claire de la divinité: aucun doute ne doit subsister sur l’identité. L’orant doit attirer son attention, susciter sa présence s’il veut obtenir satisfaction. C’est la condition même du dialogue. La prière latine exige qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le nom de la divinité à qui la precatio est adressée. Pourtant, un certain nombre de formules à valeur indéfinie, et en particulier des expressions telles que siue deus siue dea, siue quo alio nomine fas est nominare, viennent nuancer cette exigence de rigueur et de clarté. Il conviendra de préciser les conditions dans lesquelles, selon le ritus Romanus, l’orant peut ne pas identifier le dieu auquel il s’adresse. C’est par l’invocation que l’orant va susciter la présence divine. La langue latine est restée relativement pauvre et peu créative en interjections. De façon pour le moins paradoxale, les principales interjections (ecastor, edepol, hercle) privilégient des divinités helléniques, Hercule ou les Dioscures, d’introduction ancienne. Les jurons qui reposent sur des théonymes latins comme Junon et Quirinus (eiuno1, equirine2) ne sont guère attestés que par les lexiques et n’ont laissé aucune empreinte dans la littérature latine. Le serment par Dius Fidius (Medius Fidius au sens de Me Dius Fidius iuuet3) apparaît plus étroitement lié à la mentalité latine; la personnalité de Dius Fidius est inséparable de celle de Jupiter4, qui, lui aussi, veille sur les serments. Le temple de Dius Fidius était pourvu d’une ouverture orientée vers le ciel et l’on ne jurait par lui qu’à découvert; son nom est en rapport autant avec le ciel lumineux qu’avec la fides. On relève les formes edi et edi medi chez Titinius5. Le serment par Hercule 1 Charisius. 198, 18. Cf. Plaute, Amphitruo, 831: per supremi regis regnum iuro et matrem familias Iunonem quam me uereri et metuere est par maxime. 2 P. Festus 71, 17 L: Equirine iusiurandum per Quirinum. 3 P. Festus 133, 1-5 L: Medius Fidius compositum uidetur et significare Iouis filius, id est Hercules, quod Iouem graece Dia et nos Iouem, ac fidium pro filio, quod saepe antea pro L littera D utebantur. Quidam existimant iusiurandum esse per diui fidem; quidam per diurni temporis, id est fidei, fidem. 4 G. Dumézil, La religion romaine archaïque, 2e éd., Paris, 1974, (= RRA2), p. 190-191; P. Boyancé, Fides et le serment, Hommages à Albert Grenier, collection Latomus, 58, 1962, p. 329-341 (= Etudes, p. 91-103). 5 Frag. 11 (edi) et 114 (edi medi) Daviault.
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est réservé aux hommes, compte tenu de l’exclusion des femmes du culte d’Hercule6 ; on ne relève qu’une exception à cette règle dans la Cistellaria de Plaute, où une courtisane, Gymnasie, semble jurer par Hercule, mais le passage n’est pas établi avec certitude7. Le nom d’Hercule vient souvent appuyer un verbe de prière en incise: quaeso hercle8, obsecro hercle9. On trouve aussi le nom d’Hercule dans des formules d’action de grâces et de remerciement utilisant l’expression habere gratiam10. On retiendra surtout cette répartition entre le serment par Castor, réservé aux femmes11, et le serment par Hercule réservé aux hommes. Si, avant d’étudier la precatio latine proprement dite, on examine le domaine italique et, en particulier, les Tables Eugubines, on relèvera une différence notable dans l’expression même de l’invocation. Dans les Tables Eugubines, on rencontre une séquence formulaire qui a donné lieu à autant d’interprétations qu’il existe d’éditeurs : tio subocau suboco. Cette séquence, dans la grande prière paradigmatique à Jupiter Grabovius, se présente sous la forme: tio(teio) subocau suboco Di Grabovie12. A côté du groupe tio subocau suboco, avec théonyme postposé, on trouve, dans la Table VI a 22, subocau employé seul dans la phrase Di Grabovie tio subocau. Toutes les interprétations, en tenant compte, évidemment, de la nature différente du préfixe en latin et en ombrien, reposent sur les verbes uocare / inuocare et sur le substantif inuocatio. Tantôt, subocau suboco est compris comme deux formes d’un même verbe à un temps différent: inuocaui inuoco (Bucheler13, Planta14), ou uoco uocaui (Devoto)15, tantôt
6 Aulu-Gelle, Nuits Attiques, XI, 6, 1: in ueteribus scriptis neque mulieres Romanae per Herculem deiurant neque uiri per Castorem.. Sed cur illae non iurauerint Herculem, obscurum non est, nam Herculaneo sacrificio abstinent. Cur autem uiri Castorem iurantes non appellauerint, non facile dictu est.Nusquam igitur scriptum inuenire est apud idoneos quidem auctores aut mehercle feminam dicere aut mecastor uirum. Edepol autem, quod iusiurandum per Pollucem est et uiro et feminae commune est. Sed M. Varro asseuerat antiquissimos uiros neque per Castorem neque per Pollucem deiurare solitos, sed id iusiurandum fuisse tantum feminarum ex initiis Eleusinis acceptum. Paulatim tamen, inscitia antiquitatis, uiros dicere Edepol coepisse factumque esse ita dicendi morem; sed mecastor a uiro dici in nullo uetere scripto inueniri. 7 Plaute, Cistellaria, 52: equidem hercle addam operam sedulo (les éditeurs proposent de remplacer le nom d’Hercule, inapproprié, par meam ou ei rei). 8 Plaute, Asinaria, 41, 417, 750; Persa, 145; Mercator, 1013; Poenulus, 785; Mostellaria, 898; Térence, Eunuchus, 466, 563; cf. aussi Plaute, Mostellaria, 376 et 1026 a (queaso edepol) et Térence, Andria, 305 (quaeso edepol). 9 Plaute, Bacchides, 254; Menaechmi, 180, 197; Mercator, 170, 988; Persa, 427; Poenulus, 392, 543, 672; Mostellaria, 469, 506, 513, 557, 618; Térence, Eunuchus, 362. 10 Plaute, Cistellaria, 624; Epidicus, 192; Térence, Andria, 770. 11 L’intérêt des femmes pour Castor pourrait s’expliquer par le caractère des eaux guérisseuses de la source Juturne à Rome: cf. R. Schilling, Les Castores romains à la lumière des traditions indo-européennes, Hommages à Georges Dumézil, coll. Latomus, 45, 1960, p. 177192 (= Rites, cultes, dieux de Rome, p. 338-353). 12 Tables Eugubines VI a 22-34. Cf. F. Chapot, B. Laurot, Corpus de prières grecques et romaines (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses 2), Brepols, Turnhout, 2001, p. 312-314. 13 F. Bücheler, Umbrica, Bonn, 1883, p. 54. 14 R. von Planta, Grammatik der oskisch-umbrischen Dialekte, I-II, Strasbourg, 18931897, rééd. 1973, I, p. 191, 276 et II, p. 361-364. 15 G. Devoto, Tabulae Iguvinae, Rome,1ère éd. 1937, p. 186.
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comme un verbe suivi d’un nom de la même famille: inuoco inuocationes (Buck16, Blumenthal17, Pisani18, Ernout19), inuoco inuocatione (Bottiglioni20), inuocatione inuoco21. Michel Lejeune22 a procédé à une lumineuse mise au point de la question en proposant, d’après J. W. Poultney, qui traduisait «Thee I invoke as the one invoked »23, de comprendre : « Je te mets sous l’emprise de ma parole, te rendant ainsi soumis à ma parole». Une telle séquence formulaire ne se trouve pas attestée en latin. Les prières rituelles n’ont recours qu’aux verbes precor et quaeso, qui peuvent être associés en un dicôlon et développés par un accusatif de la figure étymologique du type bonas preces precor, comme le montre la formule qu’emploie le paysan de Caton dans le sacrifice de la truie précidanée24. C’est par des mots de la famille uenus - uenia ueneror que s’effectue, dans la prière de deuotio ducis25 ainsi que dans le formulaire d’ euocatio26, la multiplication des verbes exprimant la demande des dieux27. Les verbes uocare28, inuocare29, adpellare30, si on les rencontre, chez les historiens et les poètes, dans le contexte de la prière et dans le cadre du rituel, avec une intention descriptive, ne font en aucun cas partie du vocabulaire de la prière. Rituellement, l’orant ne s’adresse pas à la divinité par la formule te inuoco, te hac inuocatione inuoco. La prière latine se présente, en règle générale, sous la forme d’un théonyme au vocatif, suivi des verbes precor et quaeso ou de verbes exprimant la prière sous formes de dicôla simples ou multiples. Le nom de la divinité peut, toutefois,
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C. D. Buck, A Grammar of Oscan and Umbrian, Boston, 1904, p. 260-310. A. von Blumenthal, Die iguvinischen Tafeln, Stuttgart, 1931. 18 V. Pisani, Manuale storico della lingua latina, vol. IV, Le lingue dell’Italia antica oltre il latino, Turin, 1953, p. 144-145. 19 A. Ernout, Le dialecte ombrien, Paris, 1961, p. 103. 20 G. Bottiglioni, Manuale dei dialetti Italici, Bologne, 1954, p. 298-299. 21 E. Vetter, Handbuch der italischen Dialekte, Heidelberg, 1953, p. 237-239. 22 M. Lejeune, «Notes de linguistique italique», Revue des études latines, 1968, p. 98105. 23 J. W. Poultney, The bronze Tables of Iguvium, Baltimore, 1959, p. 241. 24 Caton, De agricultura, 134. Cf. Ch. Guittard, «L’expression du verbe de la prière dans le “carmen” latin archaïque», Recherches sur les religions de l’Antiquité classique, R. Bloch (éd.), Paris, 1980, p. 395-403. Precor s’applique aux moyens oraux de la demande en soi, alors que quaeso suppose le recours à des moyens concrets, autres que les mots (cf. E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, 1969, t. II, p. 153-161). Lorsque precor est employé seul, il est généralement accompagné d’un ablatif instrumental (strue, ferto) comme persnimu dans les Tables Eugubines. 25 Tite-Live, VIII, 9, 6: uos precor, ueneror ueniam peto feroque uti… 26 Macrobe, Saturnales, III, 9, 7: precor ueneror ueniamque a uobis peto… 27 R. Schilling, «La famille sémantique des mots apparentés à “Venus”», Hermes, 93, 1965 (texte publié en langue allemande), p. 233-243 (= Rites, cultes, dieux de Rome, Paris, 1979, p. 323-333). 28 Virgile, Aen., IV, 680 (patriosque uocaui / uoce deos); V, 686 (auxilioque uocare deos et tendere palmas); VI, 247 (uoce uocans); IX, 403 (sic uoce precatur); X, 667 (et duplices cum uoce manus ad sidera tendit); Tibulle, II, 1, 84 (deum…uocate uoce); Sénèque, Oedipus, 508 (in uota superos uoce sollemni uoca). 29 Cicéron, De natura deorum, II, 68; Tite-Live, XLV, 31. 30 Cf. infra, n. 61, la formule siue quo alio te nomine appellari uolueris. 17
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être suivi d’un impératif qui attire son attention. Un exemple intéressant de ce procédé est la formule, encore empreinte de magie, de l’imperator dans le sacrarium Martis de la Regia, en présence de la statue de Mars: Mars uigila31 ! Cette exclamation déclenche la vibration de la lance et des boucliers de Mars. La formule audi audite, adressée à Jupiter, est bien attestée dans le rituel archaïque des fétiaux transcrit par Tite-Live32. La mention conjointe du théonyme et de l’impératif, plus fort qu’un simple subjonctif jussif, est un élément créateur de la présence divine, soulignant l’importance de la parole même. Proche de l’invocation, étroitement lié à elle, est le rituel de la salutatio, qui peut accompagner la prière. La salutatio doit se comprendre en liaison avec deux attitudes caractéristiques de la prière latine, la porrectio manuum33 et la iactatio basiorum34, puisque le Romain prie debout, les mains tendues vers la statue de la divinité à laquelle il s’adresse. L’expression salutare deos est, chez les comiques, une façon d’exprimer la prière35 : en s’adressant aux dieux, l’orant fait suivre le vocatif du théonyme des impératifs salue ou saluete36. Le recours à ces formules semble lié au culte du Lar familiaris, dans le cadre de la domus. Caton, dans son traité, confirme la pratique vivante et régulière de la salutatio: le maître, dès son arrivée à la ferme, salue le Lare familial, avant de faire le tour de sa propriété37. Les formes qui ont recours aux impératifs des verbes adesse38 ou uenire39 ne sont attestées que chez les poètes: on ne peut affirmer qu’elles aient connu des emplois rituels définis par le ritus Romanus. Elles n’en reflètent pas moins les croyances des Romains et un aspect important de leur vie religieuse. L’importance de la salutatio, la porrectio manuum et la iactatio basiorum traduisent avec force le lien direct entre l’orant et la divinité qui s’exprime à travers la
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Servius, Ad Aen., VIII, 3. Cf., sur la lance de Mars et les représentations anthropomorphiques des dieux des Romains, G. Dumézil, RRA2, p. 42-43. 32 Tite-Live, I, 24, 7 (rituel de conclusion des traités); I, 32, 9 (rituel de déclaration de guerre). 33 G. Appel, De Romanorum precationibus, Giessen (Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten, 7, 2), 1909, p. 194-198. 34 Id., ibid., p. 199-200. 35 Plaute, Curculio, 70; Miles gloriosus, 1339; Stichus, 534; Bacchides, 172; Térence, Phormio, 311-312. 36 Plaute, Rudens, 358. 37 Caton, De agricultura, 2, 1: pater familias, ubi ad uillam uenit, ubi Larem familiarem salutauit, fundum eodem die, si potest, circumeat. 38 Tite-Live, II, 6, 7 et VI, 29, 2; Catulle, 62, 5; Tibulle, I, 7, 49; III, 6, 1; IV, 4, 1; Ovide, Amores, II, 13, 20; III, 2, 47; Ars amatoria, I, 30; Remedia amoris, 704; Métamorphoses, VII, 198; X, 673; Tristia, III, 1, 2; V, 3, 43; Fasti, I, 64; I, 711; III, 2; III, 256; IV, 828; V, 575; V, 663; VI, 652; Sénèque, Agamemno, 348; Hercules Oetaeus, 1990; Oedipus, 405; Phaedra, 54, 412, 423. Cf. G. Appel, De Romanorum precationibus, p. 115-116. 39 Tibulle, I, 7, 63; II, 1, 3; II, 5, 2; IV, 2, 1; IV, 4, 9; IV, 6, 13; Virgile, Georg., II, 7; Stace, Thebais, I, 87; III, 139; XII, 264; Martial, VII, 23, 1; cf. Catulle, 64, 195; Sénèque, Medea, 69; Virgile, Georg., I, 11; Horace, Carm., I, 30, 3 et III, 4, 1. Cf. Appel, De Romanorum precationibus, p. 116-117.
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prière, avec la volonté d’établir un contact, de susciter une présence effective dans un rapport concret. Ce qui caractérise la prière dans le ritus Romanus, c’est le passage de l’invocation simple à l’invocation multiple, c’est la présence de plusieurs théonymes, et la tendance à multiplier les théonymes dans l’invocation pour assurer une plus grande efficacité à la demande formulée et adressée à plusieurs dieux par des procédés d’élargissement et de synthèse, par le jeu des épiclèses, des subordinations multiples, le rattachement d’un numen secondaire40. La règle de l’inuocatio a été expressément énoncée par Cicéron dans le De natura deorum41 : une prescription rituelle stipulait que Janus fût invoqué le premier et Vesta la dernière dans les offrandes et les prières adressées à plusieurs divinités. En fait, si la préséance de Janus est confirmée par plusieurs formules, en particulier dans le corpus catonien42, la présence de Vesta, au terme d’une liste de théonymes ouverte par Janus, ne se trouve que dans le rituel des Arvales, qui respecte la règle énoncée d’après le droit pontifical, à travers une série de piacula, de sacrifices expiatoires accomplis dans le lucus de Dea Dia43. La liste des vingt di praecipui et selecti, liste varronienne transmise par Augustin44, commence par Janus et s’achève par Vesta. Le plus bel exemple d’énumération de théonymes est fourni par le carmen deuotionis prononcé par Publius Decius Mus, en 340 av. J.-C., à la bataille du Véséris45. Dans cette longue invocation, après Janus et Jupiter, est d’abord cité le dieu de la guerre (Mars), puis sont mentionnés Quirinus, Bellona, les Lares, les di Nouensiles et les di Indigetes, les dieux dont la puissance s’étend sur les Romains et les ennemis, enfin les dieux Mânes. La présence, après Janus, de Jupiter, Mars et Quirinus, a été retenue comme une preuve de la trifonctionnalité et de l’existence d’une triade archaïque, anté-
40 Ch. Guittard, «Invocations et structures théologiques dans la prière à Rome», Revue des études latines, 76, 1998, p. 71-92. 41 Cicéron, De natura deorum, II, 27: cumque in omnibus rebus uim haberent maximam prima et extrema, principem in sacrificando Ianum esse uoluerunt, quod ab eundo nomen est ductum, ex quo transitiones peruiae, iani foresque in liminibus profanarum aedium ianuae nominantur. Nam Vestae nomen a Graecis est; ea est enim quae ab illis JEstiva nominatur. Vis autem eius ad aras et focos pertinet. Itaque in ea dea, quae est rerum custos intimarum, omnis et precatio et sacrificatio extrema est. 42 Caton, De agricultura, 134, 2 et 141, 2; cf. aussi Tite-Live, VIII, 9, 6, infra, note 42. 43 G. Henzen, Acta fratrum Arualium, Berlin, 1874, p. 143-146. 44 Augustin, De Cuitate Dei, VII, 2: hos certe deos selectos Varro unius libri contextione commendat: Ianum, Iouem, Saturnum, Genium, Mercurium, Apollinem, Martem, Vulcanum, Neptunum, Solem, Orcum, Liberum patrem, Tellurem, Cererem, Iunonem, Lunam, Dianam, Mineruam, Venerem, Vestam;in quibus omnibus ferme viginti duodecim mares, octo sunt feminae. 45 Tite-Live, VIII, 9, 6: Iane, Iuppiter, Mars pater, Quirine, Bellona, Lares, Diui Nouensiles, Di Indigetes, Diui, quorum est potestas nostrorum hostiumque, Dique Manes, uos precor ueneror, ueniam peto feroque, uti populo Romano Quiritium uim uictoriam prosperetis hostesque populi Romani Quiritium terrore formidine morteque adficiatis. Sicut uerbis nuncupaui, ita pro re publica Quiritium, exercitu, legionibus, auxiliis populi Romani Quiritium, legiones auxiliaque hostium mecum Deis Manibus Tellurique deuoueo.
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rieure à la triade capitoline, par G. Dumézil46. L’invocation du carmen deuotionis, qui nous a conservé le souvenir de la triade archaïque et de l’opposition Di Nouensides / Di Indigites, contient des groupements de théonymes qui reflètent les structures théologiques du panthéon romain. On est là en présence d’une construction savante, élaborée dans un contexte pontifical. L’invocation du carmen deuotionis se termine par une formule extensive et généralisante: diui quorum est potestas nostrorum hostiumque. On relève dans ces listes la présence d’expressions générales invoquant des catégories de dieux ou même l’ensemble des dieux, célestes et terrestres, comme dans la formule des fétiaux qui précède la déclaration de guerre: Audi Jupiter et tu, Jane Quirine, dique omnes caelestes uosque terrestres 47. On relève là une tendance de l’esprit romain. Ce procédé relève-t-il de la pure spéculation théologique? Sans doute cette tendance de l’esprit analytique des Romains, appliquée au divin, a-t-elle donné lieu à des excès et pris une forme caricaturale. On en voudra pour preuve l’exploitation parodique chez Plaute de ce procédé d’accumulation verbale. Dans les Bacchides48, Plaute élabore une liste de dix-sept divinités, qui s’ouvre par la mention rituellement exacte de Jupiter et de Janus et se termine par l’expression généralisante dique omnes. Dans la Cistellaria, Alcésimarque se lance dans une longue formule où il prend à témoins les dieux du ciel et des enfers, les medioxumi, Junon, Saturne et Ops49. Le malheureux s’embrouille et finit par s’adresser à tous les dieux, les grands, les petits et même les patellaires: di me omnes magni minutique et etiam patellarii, faxint ne50… Si Plaute a pu exploiter le procédé de l’énumération analytique, à travers la parodie de l’accumulation verbale, c’est qu’il correspond à une tendance du génie romain, qui s’inscrit dans la lignée du procédé des Indigitamenta et qui est mise en œuvre dans les pratiques quotidiennes. Cet appel à l’ensemble des forces divines se fait toutefois peut-être au détriment de la personnification anthropomorphique: au dialogue avec la divinité51 se substitue une tendance à l’inuocatio generalis.
G. Dumézil, RRA2, p. 153-159. Tite-Live, I, 32, 10. 48 Plaute, Bacchides, 892-897: ita me Iuppiter Ianus Ceres Minerua Latona Spes Ops Virtus Venus Castor Polluces Mars Mercurius Hercules Summanus Sol Saturnus dique omnes ament Ut ille cum illa neque cubat neque ambulat Neque ausculatur neque illud quod dici solet. Cf. H. Kleinknecht, Die Gebetsparodie in der Antike, Stuttgart-Berlin, 1937, p. 174. 49 Plaute, Cistellaria, 512-515. 50 Id., ibid., 519-524. 51 Autres formules parodiques: capt. 877-878 (sept. troch.); Curculio, 577-579 (sept. troch.) 211-212 Ribbek2-3 ; Cicéron (De natura deorum, I, 6, 13) a conservé deux vers des Synéphèbes de Caecilius Statius, où l’on trouve une formule généralisante suivie d’une accumulation de verbes de prières: pro deum popularium omnium, omnium adulescentium / clamo postulo obsecro ploro atque imploro fidem. 46 47
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Cependant, le Romain ne connaissait pas toujours avec exactitude le nom de la divinité à laquelle il s’adressait ou en présence de laquelle les circonstances l’avaient placé. Il était alors amené à s’entourer de certaines précautions rituelles concernant l’identité du dieu ou de la déesse. En fait, dans une religion ritualiste comme l’était celle des Romains qui établissaient des relations toutes contractuelles avec leurs dieux, les conditions d’emploi des formules substitutives étaient très rares et exceptionnelles. La formule si deus si dea es(t)52, employée sans l’accompagnement d’aucun théonyme, impliquant l’ignorance du nom de la divinité, et même de sa nature anthropomorphique (deus/dea), est attestée dans une dizaine d’inscriptions qui s’échelonnent de la fin du IIe siècle av. J.-C. au début du IIIe siècle de notre ère; elle a été étudiée par J. Alvar53. Son emploi intervient dans trois circonstances précises. L’orant l’emploie avant l’ouverture d’une clairière dans un bois sacré (lucum conlucare Romano more sic oportet), en sacrifiant un porc en expiation54. La formule est employée par le paysan de Caton, comme par les Frères Arvales lorsqu’ils émondent des arbres dans leur Lucus. On la trouve également attestée dans l’expiation qui suit un terrae motus: AuluGelle55 cite le témoignage de Varron et des livres pontificaux (hostiam si deo si dea
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- Corpus Inscriptionum Latinarum (= CIL), VI, 110 = VI, 30694, Rome, Ara marmorea (Aius Locutius? selon Mommsen): SEI DEO SEI DEIVAE SAC(RVM) / C(AIVS) SEXTIVS C(AI) F(ILIVS) CALVINVS PR(AETOR) / DE SENATI SENTENTIA / RESTITVIT. - CIL, VI, 111 (Tivoli? Rome?). Cippe en pierre tiburtine: SIVE DEO / SIVE DEAE / C(AIVS) TER(ENTIVS) DENTER / EX VOTO / POSVIT. - CIL, I2, 1485 = XIV, 3572; H. Dessau, Inscriptiones Latinae Selectae (= ILS), 4017. Tivoli. Cippe en pierre: SEI DEVS / SEI DEA. - Année Épigraphique, 1977, 237, n° 816: SERVEILIVS C(AI) F(ILIVS)IMPERATOR / HOSTIBVS VICTEIS ISAVRA VETERE / CAPTA CAPTIVEIS VENVM DATIS / SEI DEVS SEIVE DEAST / QVOIVS IN / TVTELA OPPIDVM VETUS ISAVRA / FVIT […] VOTVM SOLVIT. - ILS, 4016. Soubassement de pierre. Lanuvium : SI DEO SI DEAI / FLORIANVS REXS (REX.S ?) - CIL, VIII, 21567 = Ephemeris Epigraphica, V, 1043. Mauretania Caesariensis. 174 ap. J.-C.: GENIO SVMM[O] THASVNI ET DE/O SIVE DEAE[NV]/MINI SANC[TO] - Acta Arvalium. CIL, VI, 2099 (183 ap. J.-C.): SIVE DEO SIVE DEAE, IN CVIVS TUTELA HIC LVCVS LOCVSVE EST OVES II. - Acta Arvalium. CIL, VI, 2104 a (218 ap. J.-C.): SIVE DEO SIVE DEAE OVES N(VMERO) II. - Acta Arvalium. CIL, VI, 2107 (224 ap. J.-C.): SIVE DEO SIVE DEAE VERB(ECES) II. 53 J. Alvar, «Matériaux pour l’étude de la formule “siue deus siue dea”», Numen, 32, 2, 1985, p. 236-273. Cf. M. Delcourt, Hermaphrodite. Mythes et rites de la bisexualité dans l’Antiquité classique, Paris, 1958, p. 45-47. 54 Caton, De agricultura, 139: lucum conlucare Romano more sic oportet: porco piaculo facito, sic uerba concipito: «Si deus si dea es quoium illud sacrum est, uti tibi ius est porco piaculo facere illiusce sacri coercendi ergo harumque rerum ergo, siue ego siue quis iussu meo fecerit, uti id recte factum siet; eius rei ergo te hoc porco piaculo immolando bonas preces precor uti sies uolens propitius mihi, domo familiaeque meae liberisque meis; harumce rerum ergo macte hoc porco piaculo immolando esto».
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immolabant) et surtout, attestation rituelle majeure, mais exceptionnelle, on la trouve dans le carmen euocationis dont Macrobe56 nous a conservé le texte, et qui fut prononcé lors de la destruction de Carthage en 146 av. J.-C. Il se dégage de la formule l’image d’un panthéon ennemi, avec ses divinités tutélaires de la ville assiégée, où peu à peu les traits d’un grand dieu viennent se préciser, puisque la formule si deus si dea est, est reprise par teque maxime, ille qui… où l’on peut supposer, légitimement, que l’orant s’adresse à un Baal tutélaire déjà connu à Rome à travers une interpretatio BaalSaturne-Cronos57. Conscient de la nécessité de cette précaution rituelle, les pontifes avaient gardé secret le nom de la ville de Rome, pour que ses ennemis ne puissent mettre en œuvre l’euocatio58. La formule si deus si dea a été interprétée, dans une perspective polémique, par Arnobe59, qui a critiqué l’anthropomorphisme des païens, alors que pour les chrétiens
55 Aulu-Gelle, Nuits Attiques, II, 28: propterea ueteres Romani cum in aliis uitae officiis tum in constituendis religionibus atque in dis immortalibus animaduertentes castissimi cautissimique, ubi terram mouisse senserant nuntiatumue erat, ferias eius rei causa edicto imperabant, sed dei nomen uti solet, cui seruari ferias oportebat, statuere et ediscere quiescebant, ne alium pro alio nominando falsa religione populum alligarent. Eas ferias si quis polluisset, piaculo ob hanc rem opus esset, hostiam si deo si deae immolabant idque ita ex decreto pontificum obseruatum esse M. Varro dicit, quoniam et qua ui et per quem deorum dearumque terra tremeret incertum esset. 56 Macrobe, Saturnales, III, 9, 7-8: si deus si dea est, cui populus ciuitasque Carthaginiensis est in tutela, teque maxime, ille qui urbis huius populique tutelam recepisti, precor uenerorque ueniamque a uobis peto ut uos populum cuiuitatemque Carthaginiensem deseratis, loca templa sacra urbemque eorum relinquatis, absque his abeatis eique populo ciuitati metum formidinem obluionem iniciatis, proditique Romam ad me meosque ueniatis, nostraque uobis loca templa sacra urbs acceptior probatiorque sit, mihique populoque Romano militibusque meis praepositi sitis. Si ita feceritis ut sciamus intelligemusque, uoueo uobis templa ludosque facturum. 57 A. Caquot, «Les religions des Sémites occidentaux», Histoire des religions, t. I, Encyclopédie de la Pléiade, Paris, 1970, p. 332-333; G. Ch. Picard, Les religions de l’Afrique antique, Paris, 1945, p. 56-79; M. Sznycer, in Rome et la conquête du monde méditerranéen, C. Nicolet (éd.), II, Paris, 1978, p. 586-590; id., Dictionnaire des Mythologies, Y. Bonnefoy (éd.), II, Paris, 1981, s. u. «Phéniciens et puniques», p. 256-258 et s. u. «Sémites occidentaux», p. 421429; R. Bloch, «Religion romaine et religion punique à l’époque d’Hannibal, “Minime Romano sacro”», L’Italie préromaine et la Rome républicaine, Mélanges offerts à J. Heurgon, Rome - Paris, 1976, p. 33-40; R. Bloch, «Interpretatio», Recherches sur les religions de l’Italie antique, Genève, 1976, p. 32-44; M. Le Glay, Saturne africain, Histoire (Bibliothèques des Ecoles françaises d’Athènes et de Rome, 258), Paris, 1966, p. 449-478. 58 Macrobe, Saturnales, III, 9, 5: ipsius uerbo urbis nomen etiam doctissimi ignoratum est, cauentibus Romanis ne quod saepe aduersus urbes hostium fecisse se nouerant, idem ipsi quoque hostili euocatione paterentur, si tutelae suae nomen diuulgaretur. 59 Arnobe, Ad nat., III, 8: ac ne tamen et nobis inconsideratus aliquis calumniam moueat, tamquam deum quem colimus marem esse credamus, ea scilicet causa quod cum eum loquimus pronuntiamus genere masculino, intellegat non sexum et familiaritate sermonis appellationem eius et significationem promi. Non enim deus mas est sed nomen eius generis masculini, quod idem uos dicere in religione in uestra non quitis, nam consuestis precibus «siue tu deus siue dea » dicere, quae dubitationis exceptio dare uos diis sexum disiunctione ex ipsa declarat.
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seul le genre grammatical du nom deus est en cause. Quant à l’expression siue mas siue femina, elle ne connaît pas d’attestation rituelle: seul un emploi littéraire chez Laevius60 peut être versé au dossier, avec une glose de Servius61 mentionnant un bouclier conservé au Capitole et portant l’inscription Genio Vrbis Romae, siue mas siue femina. Dans le jeu des associations et subordinations, le processus qui consiste à associer un dieu mâle et une divinité féminine ne s’avère guère opérant: nous ne connaissons pas de grandes prières à Faunus / Fauna, Libera / Liber, Ruminus / Rumina, Volumnus / Volumna62, Fatuus / Fatua63, Februus / Februa64… On ne connaît que l’expression siue deus siue dea, et la présence du couple Mars-Bellona dans le carmen deuotionis. Après l’incertitude, l’ignorance totale, il existe une expression nuancée dans l’incertitude qui s’exprime à travers une séquence redondante: siue quo alio nomine fas est nominare. Il en existe de nombreuses variantes littéraires et poétiques, fondées sur les relatifs indéfinis quisquis65 ou quicumque6v. L’emploi rituel est confirmé par le carmen deuotionis où, dans l’invocation, les théonymes Dis Pater, Veiouis, Manes sont suivis de la formule siue uos quo alio nomine fas est nominare67. Cet emploi est pleinement justifié dans une formule d’exécration énumérant des divinités infernales et mentionnant la catégorie imprécise, confuse, des di Manes. Mais plus difficile à expliquer, plus complexe, plus intéressant est l’emploi, signalé par Servius qui se fonde sur les livres pontificaux, de la formule siue quo alio nomine te appellari uolueris68, après l’invocation à Jupiter Optimus Maximus ou Jupiter Omnipotens. Le recours aux multiples épiclèses montre que le doute n’est pas sur l’identité ou la personnalité, mais porte sur la multiplicité de compétences et des domaines d’action, sur la richesse des épithètes élogieuses ou des épiclèses. Le pontife utilise une formule laudative
60 Laeuius, ap. Macr. Sat., III, 8, 3 (= frag. 26 Morel): Venerem igitur almum adorans / si femina si mas est / ita uti alma Noctilucast. 61 Servius, Ad Aen., II, 351: inde est quod Romani celatum esse uoluerunt in cuius tutela urbs Roma sit, et iure pontificum cautum est ne suis nominibus dii Romani appellarentur, ne exaugurari possent. Et in Capitolio fuit clipeus consecratus, cui inscriptum erat: «Genio Vrbis Romae, siue mas siue femina». Et pontifices ita precababtur: «Iuppiter Optime Maxime, siue quo alio nomine te appellari uolueris»; nam et ipse ait: «sequimur te, sancte deorum quisquis es» (IV, 576). 62 Augustin, De Ciuitate Dei, I, 21. 63 Varron, De lingua latina, VI, 55; Macrobe, Saturnales, I, 12, 21. 64 Cf. H. Usener, Götternamen, Bonn, 1896, p. 33-35. 65 Plaute, Rudens, 256: est deus, ueneror, ut nos ex hac aerumna eximat; Virgile, Aen., IV, 577: sequimur te, sancte deorum / quisquis es; Ovide, Métamorphoses, III, 613: quisquis es, o faueas, nostrisque laboribus adsis; Sénèque, Oedipus, 248: quisquis deorum regna placatus uides; Lucain, IX, 860: tu quisquis superum commercia nostra perosus. 66 Virgile, Aen., I, 330: Sis felix nostrumque leues quicumque laborem (cf. Servius ad loc.: quaecumque] seu Diana seu nympha); Lucain, IX, 990: Di cinerum, Phrygias colitis quicumque ruinas; Stace, Thebais, X, 680: sequimur, diuum quaecumque uocasti. 67 Macrobe, Saturnales, III, 9, 10: Dis pater, Vediouis, Manes, siue quo alio nomine fas est nominare… 68 Servius, Ad Aen., IV, 577: «quisquis es» secundum pontificum morem qui sic precabantur: «Iuppiter omnipotens uel quo alio te nomine appellari uolueris».
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soulignant les pouvoirs de Jupiter: en attribuant à Jupiter les épiclèses optimus maximus, il procède à un choix. Ces épiclèses demeurent générales, même si elles expriment une forme de pouvoir suprême. Le pontife peut avoir besoin de compétences particulières de Jupiter. L’imperator se place dans le cadre du fas (siue quo alio nomine fas est nominare), à travers un énoncé assez général, tandis que le pontife s’adresse personnellement à Jupiter (siue quo alio nomine appellari uolueris), dans une formule plus directe qui est l’amorce d’un dialogue. L’expression porte sur les fonctions particulières et non sur l’identité ou le théonyme. La première expression est plus générale, dans le cadre du rituel militaire de l’euocatio et dans le discours adressé à des divinités chthoniennes. Le pontife s’adresse à Jupiter à la deuxième personne avec un parfait du subjonctif qui n’est pas vraiment temporel mais relève de l’affirmation atténuée. La prière de deuotio et l’invocation pontificale à Jupiter offrent les deux attestations rituelles des verbes appellare et nominare dans le dialogue entre l’orant et la divinité69. L’invocation était d’autant plus prégnante que la prière silencieuse est inconnue des Romains, en dehors des pratiques magiques ou susceptibles de relever d’un rituel étranger. Les termes de la prière, à commencer par le nom du dieu, devaient être prononcés clara uoce, de manière à être clairement entendus70. Du nom de la divinité se dégage une force particulière, qui attire son attention tout en sollicitant déjà sa bienveillance. Dans certains rituels archaïques, comme les Chants des Saliens ou des Arvales, les simples théonymes conservent leur valeur primitive d’incantation: les axamenta des Saliens, distincts des uersus, consistaient en des énumérations de noms divins peu différents du contenu des Indigitamenta dressés par les pontifes71. Le mot axamenta, qui n’a pas d’étymologie reconnue, est glosé nominare dans l’Abrégé de Paul Diacre72. Le nomen du dieu est déjà un élément de son numen, de sa nature et de sa puissance. L’invocation exploite d’abord l’esprit analytique, ritualiste, des Romains, tel qu’il s’exprime principalement dans les listes d’Indigitamenta, établies sous l’autorité des pontifes. Mais la tendance à l’exhaustivité et la mention de tous les dieux amorçait un mouvement inverse vers le syncrétisme, l’omniprésence du divin et l’introduction de formules généralisantes. Il y a, à côté des problèmes de désignation relevant de la
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Dans la grande prière à Mars de lustration des champs, on lit une interdiction comprenant le verbe nominare: nominare uetat Martem (Caton, De agricultura, 141, 4). Bien que le passage soit controversé et comprenne peut-être une lacune, on doit comprendre que prononcer le nom de Mars au moment de l’immolation aurait constitué un piaculum. 70 Tite-Live, X, 36, 11; Suétone, Nero, 37. Certains Romains prononçaient leur prière à l’oreille même de la statue, pour être plus facilement exaucés par la divinité, ce qui suscite la réprobation des philosophes (Sénèque, Epistula 41, 1). 71 P. Festus, 3, 12-15L: axamenta dicebantur carmina saliaria, quae a Saliis sacerdotibus componebantur, in universos deos composita. Nam in deos singulos uersus ficti a nominibus eorum appellabantur, ut Ianuli, Iunonii, Mineruii. Cf. Ch. Guittard, «Les Chants des Saliens et la naissance d’une poésie religieuse à Rome», Actes du XXXIIIe Congrès international de l’APLAES (Presses de l’Université Blaise-Pascal), Clermont-Ferrand, 2001, p. 69-85. 72 P. Festus, 7, 27 L: axare: nominare.
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simple onomastique et des numina fonctionnels, un problème théologique de fond: le genre du nom pose le problème et la nature du choix. La notion de divinités androgynes ou d’êtres indéfinis est étrangère à la mentalité des Romains et relève de la monstruosité: la société des dieux est conçue sur le modèle de la société des hommes et elle comprend des divinités des deux sexes. Des deux contextes où l’orant a recours à la formule indéterminée si deus si dea, on peut dégager la notion de Genius loci, qui, aussi bien devant un lucus que devant le territoire d’une ville ennemie, est de nature à éclairer la relation entre le Romain et une divinité qui lui inspire un sentiment de religio73.
Charles GUITTARD Université Paris X – Nanterre
73
Cf. Ch. Guittard, «“Siue deus siue dea”: les Romains pouvaient-ils ignorer la nature de leurs divinités?», la Revue des études latines, 80, 2002, p. 25-54.
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POSÉIDON CHEZ PINDARE, BACCHYLIDE ET ESCHYLE Pourquoi Pindare, Bacchylide et Eschyle? Parce que ce sont des contemporains, que deux d’entre eux ont été concurrents, et que l’invention verbale est une caractéristique commune à Pindare, à Bacchylide et à Eschyle, aussi bien dans ses passages lyriques que dans les morceaux récitatifs ou parlés, cette invention verbale n’étant pas sans conséquences pour notre problématique commune de l’épiclèse. Pourquoi Poséidon? Essentiellement parce que, concernant Pindare en particulier, le travail sur les épithètes a déjà été fait pour les deux autres patrons des grands Jeux panhelléniques, Zeus et Apollon1 ; mais aussi peut-être parce que Poséidon a tendance à être un peu oublié: déjà dans l’Odyssée les autres dieux profitaient de son absence pour décider le retour d’Ulysse2. Enfin et surtout, comme la course de chars ou de chevaux montés est l’attraction la plus prestigieuse des Jeux, il y a quelques chances pour que dans les épinicies en particulier le dieu du cheval3 soit particulièrement honoré: de fait, c’est bien avec un char d’or attelé de chevaux ailés, présent de son ancien éraste Poséidon, que Pélops remporte la victoire sur Œnomaos et fonde ainsi l’épreuve la plus prestigieuse des Jeux Olympiques4. Tout d’abord, comment l’invoque-t-on, lorsqu’on l’invoque? Comme les autres divinités: on l’invoque à haute voix, et les verbes employés sont kalei'n5 (en particulier on l’invoque au moment où l’on attelle les chevaux au char avant l’épreuve de la course des chars), une fois chez Pindare ajpuvein6, et livssesqai lorsque le danger est grand (les Argonautes au moment de franchir les Symplégades7). Chez Pindare, lorsque cette invocation est mise dans la bouche d’un héros au moment où il va accomplir une action solennelle et fondatrice, elle se fait dans la solitude et dans la nuit, au bord de la mer ou au milieu du lit d’un fleuve8. Dans une prière pour une bonne traversée ou au moment de franchir une passe difficile, on l’appelle despovta" (pontomevdwn ou
1
H.-G. Gerhardt, Zeus in den pindarischen Epinikien, Francfort, 1959; A. Stefos, Apollon dans Pindare, Athènes, 1975. 2 I, 22 et suiv.; V, 282 et suiv. 3 Insistance sur cet aspect chez F. Schachermeyr, Poseidon und die Entstehung des griechischen Götterglaubens, Berne, 1950. 4 Pindare, Olympique I, 87. C’était déjà avec un char d’or que le dieu avait véhiculé son éromène de la terre au ciel, 41; il utilise le même char d’or pour reconduire Eaque à Egine après la construction de la muraille de Troie, Olympique VIII, 51. 5 Pindare, Pythique II, 12; Olympique VI, 58. 6 Olympique I, 72: insistance sur le fait que Pélops appelle Poséidon à haute voix, pour solenniser encore davantage cet épisode mythique fondateur des Jeux Olympiques. 7 Pindare, Pythique IV, 207. 8 Olympique I, 72; VI, 58.
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naw'n)9. Lorsqu’on a été son éromène comme Pélops, on l’appelle simplement «Poséidon» 10 ; sinon, on le qualifie la plupart du temps de «Seigneur», a[nax 11, en le gratifiant d’une salutation par cai're dans le drame satyrique des Pèlerins au moment d’aborder son temple de l’Isthme. Quel rang occupe-t-il en dignité? Il est un des frères aînés de Zeus d’après le mythe hésiodique12, et dans l’Iliade, même si c’était Zeus l’aîné, il se posait un problème de préséance13 ; mais dans notre corpus il n’y a plus de problème: Zeus a bien, et de loin, le premier rang. La seule circonstance où les deux divinités sont mises sur le même plan, c’est justement dans le mythe où leur pouvoir risque d’être contesté, à savoir leur dangereuse attirance pour Thétis: en tant qu’ils sont tous deux menacés dans leur puissance, ils sont à égalité devant le danger dans le Prométhée enchaîné d’Eschyle, v. 924-925, et chez Pindare14 Zeus a besoin de «persuader» Poséidon de devenir le beau-frère de Pélée15. Ailleurs Zeus a sans conteste le premier rang, mais Poséidon le suit immédiatement dans le panthéon, si l’on rassemble tous les passages qui, de près ou de loin, explicitement ou implicitement, hiérarchisent les divinités. Dans sa prière matinale au début des Euménides d’Eschyle, où elle énumère successivement toute sorte de divinités honorées à Delphes, la Pythie termine par Zeus en tant que dieu suprême (tevleion u{yiston Diva, v. 28), et immédiatement avant, elle avait cité «la puissance de Poséidon» 16. Chez Bacchylide17, après la prise d’Œchalie, Héraclès doit sacrifier neuf taureaux à Zeus, deux à Poséidon et une génisse à Athéna.18 Lorsque Pindare énumère un certain nombre d’Argonautes qui répondirent à l’appel de Jason19, il semble procéder par ordre de dignité: il commence par les fils de Zeus, continue par ceux de Poséidon, puis il cite Orphée envoyé par Apollon, deux fils d’Hermès et enfin deux fils de Borée.
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Pindare, Olympique VI, 103-105; Pythique IV, 207. Pindare, Olympique I, 75. 11 Pindare, Isthmique VIII, 48 (si l’on accepte les corrections byzantine et de Wilamowitz qui préfèrent voir le couple Zeus + Poséidon ainsi qualifié par un duel ou un pluriel au lieu du singulier des manuscrits); Bacchylide, Dithyrambe III, 45-46; Eschyle, Sept, 130-131; Pèlerins, 22. 12 Théogonie, 453 et suiv., en particulier 478: Zeus est oJplovtaton paivdwn: ce mot à double connotation n’est pas employé au hasard: Zeus est le cadet, mais il est aussi le mieux armé par sa jeunesse même. 13 XV, 178 et suiv. 14 Néméenne V, 37: peivsai". 15 Comme d’habitude, Pindare «gomme» ici ce qui ne va pas dans le sens de son éloge : il s’agit de louer Pélée, récompensé pour sa vertu par son union avec Thétis, et non de montrer comment il devenait une bonne occasion pour les dieux de «se débarrasser» de Thétis. — Cf. également Isthmique VIII, 35-45. 16 Cette «puissance de Poséidon» forme par ailleurs une bonne transition entre les eaux douces du Pleistos (Poséidon étant ainsi conçu comme divinité des eaux douces, voir infra) et la toute-puissance de Zeus. 17 Dithyrambe II, 14-18. 18 Dans les Trachiniennes de Sophocle, c’est seulement à son père Zeus qu’Héraclès sacrifie (238, 288, 754), et le sacrifice est plus important: 12 bœufs et une hécatombe mêlée. 19 Pythique IV, 171-183. 10
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Il peut être intéressant également de comparer deux passages tout à fait parallèles d’Eschyle mettant en scène des femmes en position de suppliantes devant des statues de divinités représentées dans le décor: il s’agit de deux pièces qui ne sont d’ailleurs pas très éloignées chronologiquement l’une de l’autre, les Sept et les Suppliantes. Dans les Sept, v. 104-165, le chœur affolé des femmes de Thèbes se jette successivement aux pieds des différentes statues divines qui sont juchées sur un tertre sacré: ses supplications vont d’abord tout naturellement à Arès, dieu de la guerre mais aussi et surtout fondateur, ancêtre et protecteur attitré de Thèbes (104-108), puis à toutes les divinités indistinctement (109-115), puis à Zeus (116), puis à Pallas Athéna Onka, elle aussi divinité locale protectrice de la cité (127-129), puis à Poséidon (130-134), puis de nouveau à Arès (135), puis à sa compagne et à l’aïeule de Thèbes Aphrodite (140), puis à Apollon (145), puis à Artémis (150), puis à Héra (152); ensuite le chœur semble être au bout de la ligne de statues puisqu’il revient, dans l’ordre inverse, à Artémis (154), puis à Apollon (159), puis directement à Athéna Onka (164-165), avant de s’éloigner un peu, de prendre du recul et d’invoquer à nouveau toutes les divinités indistinctement. La statue d’Arès semble avoir une place de choix dans la mise en scène, puisqu’il est invoqué d’abord à part; dans l’énumération qui suit, Poséidon est le troisième, après Zeus et Athéna. Or, c’est la même place de troisième qu’il va occuper dans les Suppliantes, v. 209-223: le chœur invoque d’abord Zeus, puis Apollon-Hélios, puis le dieu au trident, puis Hermès, le patron des hérauts, enfin d’autres divinités indistinctes: il semble évident qu’Eschyle a voulu représenter ici des divinités aisément identifiables par leurs attributs, et non sans importance dans la problématique et le déroulement de la pièce: le Zeus des suppliants, le dieu solaire roi d’Egypte20, le dieu des traversées maritimes, le dieu du héraut qui arrivera vers la fin de la pièce21. La mise en scène des Sept, avec toutes ces statues divines juchées sur un tertre, avait dû plaire au public, et Eschyle la réédite dans les Suppliantes avec des variantes adaptées à la pièce. Après Zeus, le maître incontesté, prend place, soit une divinité protectrice des portes (Pallas Onka), soit le Soleil roi égyptien, et de manière constante Poséidon vient immédiatement ensuite: les effets de variation ne parviennent pas à occulter la seconde position que Poséidon occupe de manière constante aussi bien chez Pindare que chez Bacchylide et Eschyle. Poséidon vient donc immédiatement après Zeus, mais il a beaucoup de choses en commun avec son frère, et à la limite il peut même être syncrétisé avec lui. Certaines épithètes sont communes aux deux divinités: bien évidemment ils sont tous deux
20 Puisque les Danaïdes commencent à saluer les rayons du Soleil (213), il faut croire que la mise en scène représentait une statue d’Hélios (vraisemblablement en ronde bosse, comme les autres statues), dont Danaos précise le syncrétisme avec Apollon (214): Apollon est représenté ici non pas comme le dieu d’Argos, mais en fonction de la personnalité des Danaïdes, c’est-à-dire poétiquement, et non archéologiquement. 21 Le fait que cet Hermès-là soit dit «à la mode grecque» (220) peut être diversement interprété; c’est en tout cas un dieu-héraut que l’on prie ici d’apporter un message de liberté (221), et justement la Grèce représente la liberté pour les Danaïdes, à l’opposé du héraut égyptien qui apparaîtra alors comme bien peu fidèle aux idéaux de son patron grec.
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fils de Cronos22 ; Bacchylide, dans l’Epinicie I, v. 75, emploie même à propos de Poséidon (en ce sens, c’est un hapax) la double épithète Kronivda" uJyivzugo", «le Cronide au trône sublime», ordinairement réservée à Zeus, et si l’on ne savait pas qu’on est ici dans le contexte d’une victoire isthmique on pourrait aussi bien l’interpréter comme désignant Zeus lui-même; baruvktupo", «aux sourds grondements», est utilisé aussi bien pour le tonnerre de Zeus que pour l’action du trident de Poséidon 23. Mais un véritable syncrétisme, teinté d’hénothéisme, peut être soupçonné chez Pindare d’abord, aux vv. 49-51 de la Pythique II: Qeo;" a{pan ejpi; ejlpivdessi tevkmar ajnuvetai, qeov", o} kai; pterovent j aijeto;n kivce, kai; qalassai'on parameivbetai delfi'na... «Dieu seul achève toute chose selon son espérance ; Dieu, qui atteint l’aigle dans son vol, devance le dauphin sur la mer» (trad. Puech).
La divinité en général (qeov") est mise en rapport aussi bien avec l’aigle, oiseau royal de Zeus, qu’avec le dauphin, qui fait penser à Poséidon. Ce sont là deux aspects différents de la même divinité, le domaine céleste et le domaine marin; il manque encore le domaine souterrain, celui du troisième frère, Hadès. Et l’on pense immédiatement au passage de Pausanias, II, 24, 3-4: jEntau'qa ajnaqhvmata kei'tai kai; a[lla kai; Zeu;" xovanon, duvo me;n h|/ pefuvkamen e[con ojfqalmouv", trivton de; ejpi; tou' metwvpou. (...) Trei'" de; ojfqalmou;" e[cein ejpi; tw'/de a[n ti" tekmaivroito aujtovn. Diva ga;r ejn oujranw'/ basileuvein, ou|to" me ;n lovgo" koino ;" pavntwn ejsti ;n ajnqrwvpwn. }On de ; a[rcein fasi;n uJpo; gh'", e[stin e[po" tw'n ÑOmhvrou Diva ojnomavzon kai; tou'ton: Zeuv" te katacqovnio" kai ; ejpainh ; Persefovneia. Aijscuvlo" de ; oJ Eujforivwno" kalei' Diva kai ; to ;n ejn qalavssh/. Trisi ;n ou\n oJrw'nta ejpoivhsen ojfqalmoi'" o{sti" dh; h\n oJ poihvsa", a{te ejn tai'" trisi; tai'" legomevnai" lhvxesin a[rconta to;n aujto;n tou'ton qeovn : «Entre autres offrandes, il y a un Zeus en bois, qui a deux yeux à la place normale et un troisième œil sur le front. [...] On peut supposer qu’il a trois yeux pour la raison suivante: que Zeus règne sur le ciel, c’est une opinion universellement répandue; quant à celui dont on dit qu’il règne sous terre, il y a un vers d’Homère qui le mentionne: “Zeus souterrain et la redoutable Perséphone”24 ; et Eschyle fils d’Euphorion appelle aussi Zeus le dieu qui règne sur la mer. Donc, quel que soit celui qui a fait cette image aux trois yeux, il a voulu dire que c’était le même dieu qui règne sur ce que l’on appelle les trois domaines de l’univers». 22
Pindare, Olympique VI, 29; Isthmique I, 52-54; VIII, 45; Bacchylide, Epinicie I, 75; Dithyrambe III, 45-46; IV, 11. 23 Pindare, Néméenne IV, 86-87 (ojrsotriaivna baruktuvpou); Olympique I, 72-73 (épiclèse en situation, à un moment où Poséidon est invoqué au bord de la mer, notation pittoresque sonore); Péan IV, 41-43 (coups du trident sur la terre mis en parallèle avec la foudre de Zeus, et semblablement redoutables). 24 Iliade, IX, 457.
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Peu importe la signification réelle de ce troisième œil25, l’important est l’interprétation que Pausanias en donne. Selon Hésychius, s. u. qalavssio" Zeuv", un Zeus marin était honoré à Sidon, et Proclus 26 parle aussi de la triade unie des frères, dont le deuxième élément est appelé Zeu;" ejnavlio" kai; Poseidw'n, avec un kaiv appositif et non additif, «Zeus marin, Poséidon». Le passage d’Eschyle auquel Pausanias fait allusion est peut-être le fragment qui a été retrouvé sur papyrus 27 du drame satyrique des Pêcheurs: deux pêcheurs attrapent dans leur filet le coffre qui contient Danaé et Persée; en le remontant, ils prient pour qu’il s’agisse d’un trésor, en disant: «Seigneur Poséidon, Zeus marin, envoyez-nous, de la mer, un beau présent», traduction astucieuse et volontairement ambiguë de Raphaël Dreyfus28, avec un impératif qui peut être un véritable pluriel ou un pluriel de politesse; car le papyrus est abîmé: on peut y lire (je me réfère ici à l’excellente édition de M. Werre-de Haas29): ana.poseidonzeuteena[ [.]wronqalasshspempet[
Tout le problème est de savoir ce que l’on fait du t final 30 : sans parler de la solution par pevmpetai qui neutralise le problème 31, on peut interpréter d’abord pevmpet j ou pevmpete 32 : dans ce cas le te de a[na[x] Povseidon Zeu' te ejnav[lie est additif, et Poséidon est bien distingué d’un Zeus marin, dieu universel qui régnerait aussi sur les mers, faisant ainsi concurrence à Poséidon, et comme dans une prière on fait toujours bien attention de n’oublier personne, on invoque prudemment les deux divinités à la fois. Ou bien le t fait partie d’un mot qui suit et qui a été perdu, et alors l’impératif singulier prie une seule divinité, avec un te appositif 33 : vu l’allusion de Pausanias c’est plutôt à cette thèse que je me rallierai. Dans ce cas, «Zeus marin» serait un surnom, une épiclèse de Poséidon qui aurait tendance à le syncrétiser avec un aspect d’un Zeus universel et hénothéiste. Dans quels lieux trouve-t-on Poséidon? Déjà chez Homère, comme son frère Zeus d’ailleurs, c’est un grand voyageur, et il n’est pas sûr qu’on puisse le trouver à tout coup dans la mer. Dans le Dithyrambe III de Bacchylide, lorsque Thésée relève le défi de Minos en plongeant dans la mer pour aller dans la demeure de Poséidon son père (patro;" ej" dovmou", 37), il ne trouve pas tout de suite cette demeure: elle n’est
25 Voir par ex. le commentaire de J. G. Frazer, Pausanias’s description of Greece, vol. III, Londres, 1898, p. 209-210. 26 Commentaire sur le Cratyle, éd. G. Pasquali, 1908, chap. 148, p. 83, l. 28-29. 27 Papiri della Società Italiana (= PSI) n° 1209 a; je dois à J. Gascou d’avoir pu vérifier sur scan. 28 Ed. de la Pléiade, 1967, p. 989. 29 Aeschylus’ Dictyulci: an attempt at reconstruction of a satyric drama, Leyde, 1961, p. 11 et 21 en part.; les conclusions pour ce qui nous intéresse recouvrent celles de l’éd. H. J. Mette, Die Fragmente der Tragödien des Aischylos, Berlin, 1959, p. 169-170. 30 Qui est probable selon J. Gascou, à moins qu’il ne s’agisse d’un p coupé en deux par la déchirure verticale. 31 Steffen. 32 Körte, Goossens, Olivieri, Page. 33 Pfeiffer, Cantarella, Mette, Werre-de Haas.
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pas n’importe où dans la mer, mais des dauphins l’y conduisent rapidement (56); et là il voit Amphitrite et les autres Néréides, mais Poséidon semble ne pas être là. Ce lieu merveilleux où l’on ne peut aller qu’à dauphin, ce ne peut être que cette résidence d’Æges, qu’on peut rapprocher de la forme ai\ge" d’Hésychius en la traduisant simplement par «la demeure des flots», ce palais sous-marin de l’Iliade 34 qu’il me semble bien vain de localiser précisément: ce n’est pas parce que Pindare dit dans la Néméenne V, v. 37, que Poséidon se rend aux fêtes de l’Isthme en venant d’Æges (Aijga'qen) qu’il faut supposer un lieu proche de l’Isthme, soit je ne sais quelle île près de l’Eubée soit la cité achéenne d’Æges. Car, vu la nature de notre corpus, c’est souvent à l’Isthme que nous trouvons Poséidon: il est le dieu par excellence de l’Isthme, I[ sqmio" 35, ’Isqmou' despovth" 36 ou simplement qeov" 37 : quel lieu mieux qu’un isthme, en effet, peut symboliser cette interpénétration entre la terre et la mer? De fait, la nature de Poséidon est double, terrienne et aquatique, et ce n’est peut-être pas un hasard si dans les Pèlerins, v. 18, Eschyle fait qualifier le temple de Poséidon à l’Isthme de dw'ma Pontivou Seisivcqo[no", « demeure du Marin Ebranleur de la terre», mêlant pour ce lieu symbolique les deux types d’épithètes du dieu. Mais il n’y a pas que les Jeux de l’Isthme en l’honneur de Poséidon: il y a aussi les Jeux Pétréens en Thessalie, dont il est question dans l’Epinicie XIV de Bacchylide, ce qui occasionne pour le dieu l’épithète-hapax de Lutai'o" chez Bacchylide 38 ou celle de Petrai'o" chez Pindare39, diversement interprétée dès l’époque byzantine40, mais qui met en tout cas le dieu en relation avec la Thessalie et les rochers, selon la légende thessalienne rapportée par Hérodote41, qui attribuait à un tremblement de terre provoqué par Poséidon la faille que constitue la gorge de Tempé. Dans notre corpus nous retrouvons cette amphibologie fondamentale de Poséidon, à la fois dieu de la terre et du cheval, et dieu de la mer, en passant par le Poséidon des eaux douces qui fait la transition entre les deux éléments42. Certaines épithètes sont très formulaires, empruntées à Homère, comme Gaiavoco", si formulaires qu’elles sont parfois employées pour le remplissage, indépendamment du contexte43. D’autres,
34
XIII, 20 et suiv. Pindare, Olympique XIII, 4-5. 36 Pindare, Isthmique VI, 5. 37 Pindare, Néméenne V, 38. 38 Dithyrambe IV, 11: épithète-hapax en rapport avec la Thessalie, si l’on en croit Etienne de Byzance, s. u. Lutaiv, et Hésychius, qui voit dans Lutaivh un autre nom de la Thessalie; s’il en est bien ainsi Bacchylide aurait utilisé une épithète hors contexte, puisqu’ici Poséidon est le père du géant Sinis tué par Thésée dans l’Isthme. 39 Pythique IV, 138: épithète tout à fait à sa place, puisque Pélias est appelé «fils de Poséidon Pétréen», né de l’union de Tyro avec Poséidon sorti du cours de l’Enipée, rivière thessalienne. 40 Le scholiaste de Pindare hésite entre l’interprétation hérodotéenne et une hypothèse se rapportant à la naissance du cheval, né du sperme de Poséidon endormi, fécondé par un rocher: d’où l’importance des épreuves équestres dans les Jeux Pétréens. 41 VII, 129. 42 Poséidon gaiavoco" est avec les Océanides le père des sources d’eau douce chez Eschyle, Sept, 308-311. 43 Gaiavoco" purement formulaire: Pindare, Olympique I, 25-26 (Poséidon s’éprend de Pélops); XIII, 79-80 (son fils Bellérophon lui sacrifie un taureau); Isthmique VII, 38-39 (à l’intérieur d’une belle image où Poséidon est le dieu des tempêtes qui peut ramener le calme); 35
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tout en gardant un caractère formulaire, peuvent constituer des hapax destinés à varier et à surprendre: la notion est courante, mais le mot est nouveau. Il y a par ailleurs des effets d’accumulation qui juxtaposent les épithètes marines et terriennes44 : les auteurs sont tout à fait conscients de cette bivalence de Poséidon et aiment à y insister; ils peuvent également jouer sur elle : cela est particulièrement sensible à propos du trident, à l’origine arme pour tuer le poisson (Eschyle, Sept, v. 131), qui est l’instrument avec lequel le dieu peut remuer et la terre et la mer (Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 924925: qalassivan gh'" tinavkteiran novson trivainan aijcmh;n th;n Poseidw'no": «le fléau marin qui agite la terre, le trident, trait de Poséidon»), et le bruit sourd qu’il fait à l’Isthme, lieu privilégié, nous l’avons vu, où s’interpénètrent terre et mer (Pindare, Néméenne IV, v. 86-87: ojrsotriaivna baruktuvpou; Eschyle, Pèlerins, v. 18: pontivou seisivcqono"), peut être interprété aussi bien comme celui des tremblements de terre que comme celui de la houle se brisant sur les rochers du rivage. En tout cas le trident est à la fois l’arme et l’emblème de Poséidon (shmei'on, Suppliantes, v. 218), au même titre que l’arc d’Apollon et la verge d’Hadès (combat d’Héraclès à Pylos contre les dieux, Pindare, Olympique IX, v. 30) ainsi que surtout le foudre de Zeus45.
rapport possible avec le contexte: Pythique IV, 33 (Triton se présente comme Eurypyle fils de Poséidon en remettant à Euphamos la motte de terre de Libye, promettant ainsi symboliquement cette terre à sa descendance); Eschyle, Sept, 310 (Poséidon, en tant que dieu terrien, est avec les Océanides père des sources, cf. la mise en parallèle de la terre et de l’eau par la coordination ta;n baquvcqon j ai\an u{dwr te). – ’Ennosivda": Pindare, Pythique IV, 33, 173; Péan IV, 41-43. – jElelivcqwn: Pythique VI, 50 (qui ne doit pas être traduit par «ébranleur de la terre», mais par «qui fait vibrer le sol», en référence aux courses de chars, cf. Pythique II, 4, et Sophocle, Antigone, 153: donc un dieu du cheval plus que des tremblements de terre). – jElasivcqwn: fr. 18 (hapax).– Seisivcqwn: Isthmique I, 52-54; Bacchylide, Dithyrambe III, 35; IV, 11; Eschyle, Pèlerins, 18. – Damasivcqwn: Bacchylide, Dithyrambe II, 19 (hapax). – Kinhth;r ga'" : Pindare, Isthmique III, 37-38. – Povntio": Pindare, Péan IX, 47; Bacchylide, Dithyrambe III, 18-19 ; Eschyle, Pèlerins, 18. – Pontomevdwn: Pindare, Olympique VI, 103-105; Eschyle, Sept, 130131. – jEnavlio": Pindare, Pythique IV, 204; Eschyle, Pêcheurs, 11. – jOrsivalo" (Bacchylide, Dithyrambe II, 16) et ajnaxivalo" (VI, 8), deux hapax (dont un employé de manière formulaire, indépendamment du contexte) qui montrent chez Bacchylide un souci de variété dans le vocabulaire formulaire. – I{ ppio": Bacchylide, Dithyrambe III, 57; Eschyle, Sept, 130. – I{ pparco": Pindare, Pythique IV, 45. – Klutovpwlo" : Pindare, fr. 116 Puech (qui traduit bien : «fameux par ses chevaux», et non pas, comme on le fait généralement: «aux chevaux fameux», car les composés en kluto- sont directs progressifs, et non possessifs régressifs; remarquer également comment Pindare renouvelle une épithète formulaire iliadique appliquée à Hadès en l’attribuant à Poséidon). – JArmavtwn iJppodrovmio": Isthmique I, 52-54. – Davmaio", «le Dompteur » (Olympique XIII, 69), hapax particulièrement en situation à un moment où son fils Bellérophon va lui présenter le mors. Sur de telles épithètes, voir P. Hummel, L’épithète pindarique. Etude historique et philologique, Berne, 1999, en particulier p. 143-144, 154-155, 538-539. 44 Bacchylide, Dithyrambe II, 19; III, 18-19 et 35; Eschyle, Pèlerins, 18; Sept, 130. 45 Eschyle, Prométhée enchaîné, 924-925, cf. Pindare, Isthmique VIII, 35; Péan IV, 4143.
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CINQUIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE
Nous remarquerons que du point de vue de la mise en scène, de la sculpture et des représentations figurées en général46, le trident est plus spectaculaire que le foudre, puisqu’il est plus gros: c’est ce qui ressort en particulier du v. 755 des Suppliantes d’Eschyle: triaivna" tavsde kai; qew'n sevbh, «ces tridents, ces majestés divines», disent avec un pluriel généralisant les Danaïdes en désignant l’ensemble des statues divines qui dominent l’orchestra, signe que la statue de Poséidon avec son trident était la plus remarquable et la plus propre à relever le décor; même effet de mise en scène dans les Sept, v. 130-131, où la statue de Poséidon, avec celle d’Arès «au casque d’or»47 qui a un statut privilégié à Thèbes, est la seule qui soit concrètement décrite, avec un dieu qui non seulement d’ailleurs est armé du trident, mais est en même temps qualifié de i{ppio", signe que peut-être on représentait même là un Poséidon à cheval. Nous dirons donc qu’esthétiquement Poséidon est préféré à Zeus, pour son côté décoratif et spectaculaire. Il semble bien, en effet, que cet aspect-là soit le plus souvent retenu: Poséidon est un dieu impressionnant, au même titre que les courses de chars qui sont l’élément le plus spectaculaire des Jeux. Le cheval et le trident sont des éléments décoratifs qui participent à cette impression que le dieu fait sur les esprits, et le trident a une action aussi bien sur la terre que sur la mer, qui se rejoignent à l’Isthme. Ces images majoritaires du dieu peuvent être corroborées par une rapide statistique globale. Sur 43 occurrences chez Pindare, 15 dans le peu qui nous reste de Bacchylide et 11 chez Eschyle (on remarquera en passant le peu d’intérêt relatif du tragique pour ce dieu, qui peut être dû au fait qu’ici on ne parle plus de courses de chars), le trident apparaît 9 fois chez Pindare48, une fois chez Bacchylide49 et 4 fois chez Eschyle50 ; le cheval ou le char se trouvent 11 fois chez Pindare51, 3 fois chez Bacchylide52 et une seule fois chez Eschyle53 ; Poséidon est celui qui secoue la terre 9 fois chez Pindare54, 3 fois chez Bacchylide55 et 3 fois chez Eschyle56 ; il étend sa domination sur la mer 7 fois chez Pindare57, 46
Sur les représentations figurées de Poséidon, on pourra consulter, outre le Lexicon de Roscher, III, 1908, s. u. Poseidon (in der Kunst), col. 2854-2898 et le LIMC, VII, 1, 1994, p. 447479; VII, 2, p. 352-378 s. u. Poseidon: A. Klöckner, Poseidon und Neptun. Zur Rezeption griechischer Götterbilder in der römischen Kunst, Sarrebruck, 1997. 47 Crusophvlhx, 106. 48 Olympique I, 40, 72-73; VIII, 48; IX, 30; Pythique II, 12; Néméenne IV, 86-87; Isthmique VIII, 35; Péan IV, 41-43; IX, 47. 49 Fr. d’épinicie 1 Irigoin. 50 Sept, 130-131; Suppliantes, 218-219, 755; Prométhée enchaîné, 924-925. 51 Olympique I, 41, 87; V, 21; VIII, 51; XIII, 69; Pythique IV, 45; VI, 50; Isthmique I, 52-54; II, 13-17; Péan II, 41 (restituable d’après la scholie); fr. 116 Puech. 52 Dithyrambe III, 57; VI, 9; fr. d’éloge 2 Irigoin. 53 Sept, 130-131. 54 Olympique I, 25-26; XIII, 79-80; Pythique IV, 33, 173; VI, 50; Isthmique I, 52-54; III, 37-38; VII, 38-39; Péan IV, 41-43. 55 Dithyrambe II, 19; III, 35; IV, 11. 56 Sept, 309-310 (et du coup faisant jaillir les sources d’eau douce); Prométhée enchaîné, 924-925; Pèlerins, 18. 57 Olympique I, 72; VI, 103-105; Pythique IV, 204, 207; Néméenne V, 37 (en tant que dieu résidant à Æges, voir supra); Isthmique VII, 38-39 (dieu qui fait la tempête et le calme dans une belle métaphore); Péan IX, 47.
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POSÉIDON CHEZ PINDARE, BACCHYLIDE ET ESCHYLE
4 fois chez Bacchylide58 et 5 fois chez Eschyle59 ; il est le dieu de l’Isthme 7 fois chez Pindare60, 2 fois chez Bacchylide61 et une fois chez Eschyle62. Ce sont là les caractéristiques qui reviennent le plus souvent dans notre corpus, qui ne se veut pas particulièrement original, mais qui au contraire reflète assez bien l’idée que les Grecs se font généralement de Poséidon.
Bernard LAUROT Université Marc Bloch – Strasbourg II
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Dithyrambe II, 19; III, 18-19, 37; VI, 8. Perses, 750; Sept, 130-131; Suppliantes, 218-219 (en tant que dieu de la traversée); Pêcheurs, 11-12; Pèlerins, 18. 60 Olympique XIII, 4-5, 40; Néméenne V, 37; VI, 41; Isthmique II, 13-17; III, 37-38; VI, 5. 61 Epinicie I, 75; X, 15. 62 Pèlerins, 18, cf. 82-83. 59
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LES ÉPITHÈTES CULTUELLES DANS LA MÉDÉE DE SÉNÈQUE La Médée de Sénèque s’inscrit dans la lignée des tragédies à intitulé éponyme, en particulier de la Médée d’Euripide, dont le philosophe romain s’est largement inspiré. Sur la trame mythologique de cette pièce – qui met en scène la vengeance d’une femme humiliée, poussée jusqu’à ses conséquences les plus atroces – Sénèque a greffé les thèmes qui émanent de la philosophie en vogue sous le règne de Néron. Aussi le drame sénéquien insiste-t-il sur le furor, la folie tragique, qui fait de l’héroïne une furiosa capable du pire crime, du scelus nefas1, qui la met au ban de l’humanité: car la série des crimes de Médée culmine avec un double infanticide. En d’autres termes, face à la complexité dramatique de ses modèles grecs, le théâtre de Sénèque se distingue par l’intensité des passions humaines, trop humaines, qui s’y déchaînent. Conformément à une tradition bien établie, les dieux sont omniprésents dans la tragédie et occupent une place primordiale, aussi bien directement par les fréquentes invocations dont ils sont l’objet (dans les diuerbia comme dans les cantica), qu’indirectement à travers la mention des liens généalogiques ou mythologiques qui les unissent aux personnages. Notons que le premier mot de la pièce est di et le dernier deos.
L’ars inuocandi, technique et méthode Il convient de s’interroger d’un point de vue formel sur les différents types de nomination divine auxquels les personnages ont recours, puisque l’on rencontre au cours de la pièce plusieurs formulations distinctes, construites chacune en fonction d’un schéma bien précis. Premier cas de figure: les dieux sont désignés par leur nom courant, assorti d’une épithète à valeur explicative, notamment en ce qui concerne les grands Olympiens, dont la prouincia est très étendue. Ainsi Junon, en tant que divinité du mariage, est appelée Lucina genialis tori custos2 («Lucine, gardienne et protectrice du lit nuptial») au v. 2, car l’une de ses fonctions consiste à présider aux unions légitimes et aux accouchements3. Second cas: les dieux sont désignés par une formule périphrastique suffisamment explicite pour ne laisser aucun doute sur leur identité. Cette formule fait souvent référence à un épisode mythologique bien connu de l’histoire du dieu. Ainsi, dans la
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Cf. F. Dupont, Le théâtre latin, Paris, 1988, p. 46-57. Textes de références: Sénèque, Médée, Tragédies I, Paris, Les Belles Lettres, 1924, texte établi et traduit par L. Herrmann; L. Annaei Seneca, Medea, Torino, H. Morrica, Paravia, Corpus Scriptorum Latinorum Paravianum, 1947. 3 Compléments mythologiques, cf. P. Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, 6e éd., 1979, p. 244. 2
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CINQUIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE
Médée, on devine aisément le nom de la divinité qui se cache derrière la dénomination: quaeque domituram freta / Tiphyn nouam frenare docuisti («et toi qui as appris à Tiphys l’art nouveau de diriger le navire sur les flots») v. 2-3. Il s’agit à l’évidence de Minerve, instigatrice et protectrice de l’expédition des Argonautes. Par ailleurs, les prières semblent soumises à quelques règles de construction précises4 : elles se caractérisent morphologiquement par l’emploi du vocatif et de l’impératif, sur la base d’un schéma ternaire qui comprend une invocation initiale faisant office d’exorde, puis une partie intermédiaire qui, par le biais d’une liste d’arguments, tient lieu de justification à l’invocation initiale, pour se terminer par la prière proprement dite. Ainsi, dans la prière à Hécate, qui s’étend des vers 740 à 844, on peut distinguer: – l’invocation, des vers 740 à 751. Médée a recours aux vocatifs: uosque ferales deos («et vous funestes dieux» v. 740); Chaos caecum atque opacam Ditis umbrosi domum («Chaos aveugle et sombre séjour de l’obscur Pluton» v. 741); animae (v. 742); Danaides (v. 749), aux impératifs de prière : currite (« accourez » v. 743) ou ueni (« venez» v. 750), ainsi qu’à des termes afférents à la topique de l’invocation: comprecor («je conjure» v. 740); meis uocata sacris («invoquée par mes enchantements » v. 750). – la partie intermédiaire, des vers 752 à 786, qui mentionne les différentes étapes de la cérémonie d’invocation à Hécate et décrit le rituel destiné à rendre la déesse propice aux prières de l’héroïne, en particulier par le moyen d’offrandes dont la fonction est de légitimer l’invocation initiale. – la prière proprement dite, des vers 787 à 844: dans un premier temps Médée voit arriver le char d’Hécate et lui expose ses volontés par l’intermédiaire de uoces (« formules»): tu nunc uestes tinge Creusae / quas cum primum sumpserit, inas / urat serpens flamma medullas («toi maintenant imbibe les vêtements de Créüse et, dès qu’elle les aura mis, qu’une flamme rampante brûle jusqu’au fond ses moelles» v. 817819). Dans un second temps, Médée sait que sa prière est exaucée puisque: uota tenentur: ter latratus / audax Hecate dedit et sacros / edidit ignes face luctifera («mes vœux sont exaucés: trois fois l’audacieuse Hécate a aboyé et a exhibé les feux sacrés de sa torche lugubre» v. 840-842). Certaines prières sont enfin de nature propitiatoire, comme par exemple dans le troisième chœur: parcite, o diui, ueniam precamur, / uiuat ut tutus mare qui subegit («faites grâce, ô dieux, nous vous demandons la faveur de protéger la vie de celui qui a dompté la mer» v. 595-596), et: iam satis, diui, mare uindicastis: / parcite iusso («vous avez désormais assez vengé la mer, épargnez celui qui n’a fait qu’obéir» v. 840842). Il s’agit de prières adressées par le chœur aux dieux ouraniens – d’un appel à la clémence de Neptune en particulier – en faveur de Jason, dont le nom n’est pas pro-
4 Pour la rhétorique de la prière, cf. L. Pernot, La rhétorique dans l’Antiquité, Paris (Le Livre de Poche, Références), 2000, p. 260 et 279-301; D. Aubriot, «Prière et rhétorique en Grèce ancienne (jusqu’à la fin du Ve siècle av. J.-C.): quelques jalons», Actes du colloque international «Parole sacrée, parole profane... De la religion à l’éloquence» (Luxembourg, 1990), R. Kieffer (éd.), Luxembourg, Numéro spécial du Courrier de l’Education Nationale, 1991, p. 35-44; J. Ries, «Le sacré dans la parole, le langage, la prière», ibid., p. 9-24.
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LES ÉPITHÈTES CULTUELLES DANS LA MÉDÉE DE SÉNÈQUE
noncé. En effet, les Argonautes ont profané le royaume de Neptune en partant à la conquête de la Toison d’Or sur la mythique nef Argo, et furent les premiers à s’aventurer si loin sur l’élément liquide, bouleversant l’ordre primitif du monde, et encourant de ce fait le châtiment divin. Le chœur entend rappeler que Jason, le chef de l’expédition, n’a fait qu’obéir aux ordres de son oncle Pélias, et que, même s’il est responsable de la profanation de la mer, il n’est en rien coupable à ses yeux. Après avoir étudié la forme des prières adressées aux dieux dans la tragédie de Sénèque, il convient de s’intéresser à leur signification, à leur contenu, en particulier au choix des divinités invoquées ainsi qu’à la manière dont elles sont présentées dans les propos de Médée.
Les dénominations des dieux invoqués par Médée Les cérémonies telles que le mariage sont toujours placées sous le patronage de dieux qui se font les garants de leur succès. Ainsi, dans la tirade de Médée qui ouvre la tragédie, sont citées les divinités qui furent associées à son union avec Jason: Lucine, déesse des mariages et des accouchements; Minerve, protectrice des Argonautes, qui préside aux activités intellectuelles; Neptune, faut-il le rappeler, offensé par la navigation des Argonautes; le Soleil, aïeul de Médée, et Hécate, déesse de la magie et des enchantements, liée à ce titre aux monde des Ombres. En tant que protectrices et garantes de cette union, ces divinités vont constituer des alliées objectives pour une Médée en mal de vengeance, en particulier le Soleil, Neptune et Hécate. – le Soleil est évoqué, voire invoqué, à plusieurs reprises par Médée au cours de la tragédie. Par la dénomination de sator nostri generis («ancêtre de ma race» v. 28), de genitor («père» v. 33), ou de auo Sole («mon aïeul le Soleil» v. 210), le Soleil est toujours associé à la généalogie de l’héroïne, ce qui établit un lien fort entre Médée et son grand-père, fils de Titan, qui s’impose d’emblée comme un allié puissant. Dans sa première tirade, Médée va jusqu’à le prier de lui confier les rênes de son char (v. 3234), ce qui fait implicitement référence au sort tragique de Phaéton, fils du Soleil foudroyé pour avoir mis le feu à la terre avec le char de son père, mais ce qui présage également la mort du roi et de sa fille par le feu, ainsi que l’incendie de Corinthe qui terminent la pièce. – Neptune: par la formule périphrastique qui le désigne: et tu profundis saeue dominator maris («et toi, cruel maître de la mer profonde» v. 4), Médée fait référence au partage du monde entre les trois principales divinités olympiennes, après leur victoire sur les Titans (Zeus régnant sur le ciel et la terre, Neptune sur la mer et Hadès sur les Enfers), et, en évoquant implicitement la profanation du royaume de Neptune, elle entend insister sur le châtiment divin qui pèse sur les Argonautes. Ainsi Neptune est présenté à son tour comme un furiosus (cf. furit v. 597) qui se dresse aux côtés de Médée, tous deux animés par un désir commun de vengeance à l’égard du chef des Argonautes. – Hécate: elle représente l’alliée principale de Médée, puisqu’elle intervient concrètement dans le déroulement de la tragédie en rendant efficace le poison qui imbibe le vêtement que la Colchidienne offre à Créüse, et qui la fera se consumer avec son père et la ville entière. Divinité qui préside à la magie: tacitisque praebens conscium sacris iubar («toi qui fournis à de mystérieuses cérémonies une lumière lunaire com515
CINQUIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE
plice» v. 6), Hécate se présente sous une forme triple (Hecate triformis v. 6) et, comme les autres divinités, c’est sous sa forme la plus funeste et la plus propice à seconder sa vengeance que Médée l’invoque: ueni, pessimos induta uultus, fronte non in una minax («viens, sous ton pire visage, menaçante sous ton triple front» v. 751). C’est en invoquant Hécate, déesse polymorphe et ambiguë, que Médée associe aux divinités ouraniennes ayant patronné son mariage certains dieux infernaux et maléfiques: le Chaos, les Mânes, Pluton et Proserpine, les Erynies, tous issus du «royaume opposé à celui d’en haut» (aduersa superis regna v. 10). A ces dieux s’opposeront radicalement qui caelum superi quique regunt fretum («ceux qui règnent au ciel et sur la mer» v. 57), c’est-à-dire les divinités protectrices du mariage invoquées ensuite par le chœur dans un chant d’hyménée traditionnel en l’honneur de l’union légitime de Jason et de Créüse, à savoir les «dieux Tonnants» (tonantibus v. 59) Jupiter et Junon, Pax (la Paix), Hymen (fils de Bacchus) et Vesper. Ainsi, l’on assiste à une véritable tentative de convocation des dieux par Médée, habitée par un irrépressible désir de vengeance. Pour conclure, il est intéressant de noter que la plupart des dieux invoqués par Médée sont issus de générations primitives qui précèdent celle des dieux olympiens, en particulier Hécate et le Soleil. Ce choix semble révélateur de l’insoumission de l’héroïne aux lois divines – fondées sur l’ordre et la justice – instaurées par Jupiter et les dieux de sa génération, et de son aspiration à un état primitif où règne le Chaos, un état que traduit le furor, la folie tragique qui caractérise son personnage. En corollaire, il est notable que Médée, dans ses propos vengeurs, se place à plusieurs reprises à l’égal voire au-dessus des dieux, en particulier des abstractions divinisées, comme par exemple au v. 520: Fortuna semper omnis infra me stetit («la Fortune s’est toujours tenue en-dessous de moi»), au v. 900: Fas omne cedat [...] uindicta leuis est quam ferunt purae manus (« que tout ce qui est sacré s’écroule [...] c’est une bien légère vengeance que celle qui laisse les mains propres») ou encore dans les paroles de la nourrice: uidi furentem saepe et agressam deos («je l’ai vue souvent dans sa fureur agresser même les dieux» v. 673). Ces propos de nature provocatrice qui jalonnent le diuerbium de Médée préfigurent la fin tragique de la pièce et l’exil de celle qui, par l’ampleur sans égale de son crime, se place hors de portée des lois humaines et divines, et, par suite, d’un monde régi par de telles lois. Cela éclaire le sens des derniers mots de la pièce, prononcés par Jason: per alta uade spatia sublimis aetheris / testare nullos esse, qua ueheris, deos («va, à travers les hauts espaces du ciel supérieur, prouver que là où tu t’élèves il n’existe aucun dieu» v. 1026-1027).
Nadège NEUMULLER Université Marc Bloch – Strasbourg II
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LA PRIÈRE D’ADMÈTE DANS L’ALCESTE DE BARCELONE: ÉPICLÈSES ET IMAGES TRADITIONNELLES L’Alceste de Barcelone En 1982 R. Puig1 avait publié sept pages provenant du fameux Codex Barcinonensis, dont il avait déjà publié les Catilinaires2 de Cicéron et un texte chrétien dédié à la Vierge Marie3. Elles contenaient une poésie latine alors inédite en hexamètres dédiée au mythe d’Alceste, la femme qui décide de se sacrifier pour son époux, Admète, condamné à une mort prématurée par une divinité. C’est une fable très célèbre, une des histoires d’amour et de mort les plus intenses et les plus connues du monde antique, qui avait déjà servi de modèle d’inspiration à la pièce homonyme d’Euripide. Un examen attentif des caractéristiques internes de la poésie a démontré que la date de composition ne devait pas être très éloignée de sa transcription. On a pensé qu’elle a été composée, peu de temps auparavant, vers la fin du IIIe ou au IVe siècle. Dès la première édition, la brève poésie latine a suscité immédiatement un grand intérêt: une quantité surprenante de publications s’est épanouie, avec le but d’introduire dans le panorama de la littérature tardive ce petit texte. Un nombre considérable d’éditions4, d’analyses et de commentaires de toutes sortes ont essayé d’expliquer un texte qui présentait de nombreux problèmes5. Pourquoi un si grand intérêt pour l’Alceste?
1 R. Puig, Alcestis. Hexàmetres Llatins. Papyri Barcinonenses, Inv. n. 158-161, Barcelone, 1982. 2 R. Puig, Ciceron, Catilinarie I, 30-33 et II, 1-29, Pap. Barc. Inv. 126-149a, Barcelone, 1977. 3 R. Puig, Psalmus Responsorius, Pap. Barc. Inv. 149-b-153, Barcelone, 2e éd., 1965. 4 W. D. Lebek, «Das neue Alcestis – Gedicht der Papyri Barcononenses», Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 52, 1983, p. 1-29; P. J. Parsons, R. G. Nisbet, G. O. Hutchinson, «Alcestis in Barcelona», Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 52, 1983, p. 31-32; V. Tandoi, «Anonymi carmen de Alcestide nuper repertum», Quad. AICC di Foggia, 4, 1984, p. 3-11; M. Marcovich, «The Alcestis papyrus revisited», Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 65, 1986, p. 39-57; L. Nosarti, Anonimo, L’Alcesti di Barcellona, Bologne, 1992. 5 L’editio princeps de R. Puig constituée d’un «assaig de restituciò», d’une transcription et d’un commentaire, fut la première approche d’un texte complètement inédit. La publication de W. Lebek, un an après, était très intéressante à la fois pour l’organisation du texte et pour les nouvelles interprétations textuelles. Les Anglais P. J. Parson, R. G. Nisbet et G. O. Hutchinson, avec une édition ultérieure, ont affirmé le caractère cultivé du poème. V. Tandoi, outre une nouvelle édition qui réunissait les résultats des éditions précédentes, a expérimenté un nouveau procédé de recherche en comparant le texte avec la tragédie d’Euripide et en le plaçant dans le panorama de la littérature tardive. En effet nous ne connaissons ni la date précise
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CINQUIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE
C’est que le texte du poème n’était pas connu antérieurement et qu’on ne connaît ni l’auteur, ni la date, ni le lieu de composition; de plus, le texte se présente assez abîmé, plein de fautes et d’erreurs de toute sorte, probablement dues à des copistes maladroits qui ont défiguré sa physionomie originelle. Donc les premières études de l’Alceste ont été consacrées principalement à la reconstruction textuelle, ensuite on a procédé à une analyse historique et littéraire. Même si nous ne pouvons pas définir le genre poétique à partir de ses caractéristiques extérieures, nous pouvons affirmer que l’Alceste est comparable aux exercices scolaires, aux petites œuvres en hexamètres et à sujet mythologique qui avaient remplacé graduellement les grands genres littéraires. Les caractéristiques qui la rapprochent de la rhétorique locale sont nombreuses. Ce poème est comme la paraphrase d’un texte très connu, traité avec des éléments originaux, un microcosme qui recèle en lui-même un mélange des genres et des motifs. Le poète/orateur ne veut pas peindre tous les détails d’un mythe, mais nous donner le développement rhétorique d’une situation. Certes il n’est pas un grand poète, mais il connaît son métier et est nourri des meilleures lectures. En fait son érudition scolaire se reflète à chaque vers: nous retrouvons une grande richesse de citations et d’allusions, tirées surtout de Virgile et de ses épigones6. Tout semble répondre à un désir de montrer sa culture. Même si nous ne pouvons pas parler au sens fort du terme d’originalité, particulièrement à cette époque tardive alors qu’un certain nombre de théories s’étaient mélangées, le poète anonyme met dans toute son élaboration une note personnelle et prend plaisir à varier la tradition et à glisser ça et là quelque traits originaux. Un mythe n’était plus une vérité absolue à laquelle il fallait croire totalement; il pouvait être encore une utile source d’inspiration, car il avait l’autorité du passé et un certain charme littéraire. La légende d’Alceste était très célèbre, c’était une histoire enracinée dans la tradition populaire. Le roi Admète était condamné à mourir. C’était le point de départ de l’histoire, mais grâce à son amitié avec Apollon, il trouve une solution imparfaite: il pourra être sauvé s’il trouve quelqu’un, disposé à mourir à sa place. Tout semble se concentrer sur la quête désespérée d’Admète. Ses parents, extrêmement attachés à la vie, refusent; seule son épouse Alceste sera prête au sacrifice: c’est à elle et à son noble geste que conduit rapidement l’histoire. Elle devient donc une héroïne, un exemplum pietatis.
ni le nom de l’auteur mais, à partir d’un examen de l’ensemble du matériel et des données intérieures (philologiques, linguistiques et métriques), nous pouvons déduire l’appartenance de l’Alceste à l’époque impériale, dans la mouvance de la renaissance propre au classicisme du IVe siècle. M. Marcovich s’est occupé de la poésie plusieurs fois dans différentes éditions mais sans modifier ses interprétations initiales, qui sont trop libres et improbables. Aujourd’hui l’édition de L. Nosarti s’impose pour la richesse bibliographique et l’étude détaillée du poème. Il essaie, à travers un examen de toute la bibliographie existante, de mieux faire ressortir les différentes idées qui se trouvent dans l’œuvre. Pour l’analyse des autres éléments, il reste très traditionnel. 6 Cf. L. Nosarti, Alcesti, p. XXXI -XXXVIII.
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LA PRIÈRE D’ADMÈTE DANS L’ALCESTE DE BARCELONE
Le poète décide d’organiser la narration sur les différents monologues des personnages qui prennent la parole, montrant chacun un caractère précis7. Une vision multiforme de la réalité se substitue à une façon unique de traiter le thème. Les parents sont caractérisés par une rhêsis plus élaborée: il sont convaincus que, avec la mort, tout cesse: pourquoi devraient-ils se sacrifier? La mère, Climène, innovation de notre poète, refuse le sacrifice en se conformant aux topoi de la nature consolatrice du langage rhétorico-philosophique8. Alceste semble croire que son sacrifice lui permettra de n’être pas oubliée après la mort et lui procurera une gloire immortelle. En revanche, Admète semble être pieux et porteur d’une croyance plus profonde dans les dieux, avec peut-être un certain optimisme eschatologique. C’est un personnage dépeint de façon traditionnelle. Sa brève rhêsis contient une épiclèse à Apollon et une demande de révélation. J’examinerai d’abord l’épiclèse au sens étroit9, les épithètes qui caractérisent le premier vers et, dans une deuxième section, j’approfondirai quelques motifs qui m’ont semblé particulièrement intéressants dans le cadre de la prière et des croyances de l’Antiquité Tardive. Certes l’état lacunaire du texte et sa brièveté ne nous permettent d’avancer aucune affirmation définitive. Cependant ces éléments n’en sont pas moins intéressants, comme «témoignage» de ce qu’on pouvait trouver encore dans la tradition religieuse païenne.
Le texte
Praescie, lauripotens, Latonie, Delie, Paean10, invoco te laurusque tuo de numine tectas: , da scire diem, da noscere quando rumpant Admeti fatalia fila Sorores; quae finis, vitae cui me post fata relinquam11 edoce, siderea animus quando ibit in auras. Quamvis scire hominis ni prospera vita futura Tormentum sit atra dies et pallida vitast
7 L’analogie avec l’ethopea, exercice scolaire où on devait faire prononcer aux différents personnages les paroles qui étaient en parfaite adéquation avec son ethos dans des circonstances données, est frappante. 8 Cf. L. Nosarti, ibid., p. 85-114. 9 Pour cette partie voir J. Laager, «Epiklesis», Reallexikon für Antike und Christentum, 5, Stuttgart, 1962, p. 577-599. 10 La version suivie est principalement celle de Nosarti, Alcesti, p. 5-6. Les variations seront indiquées par une note. 11 Le texte proposé par Nosarti était quae finis vitae, quo me post fata relinquam en traduisant «dimmi quale sarà la fine della mia esistenza, dove abbandonerò dopo la morte le mie spoglie mortali». Admète demanderait comment finira son corps après la mort. Etant donné que le papyrus présentait la forme qui, la version proposée par Lebek, (op. cit., n. 2), p. 42 qui garde dans le texte le qui transmis, avec la valeur d’ablatif adverbial (= quomodo) = «en quel état, en quelle condition», m’a semblé plus probable.
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CINQUIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE
Ede tamen, si te colui famulumque paventem Succepi pecudumque ducem post crimina divum Accepi iussi idem dare iubila silvis.
«Seigneur prescient, maître du laurier, fils de Latone, Délien, Péan, je t’invoque toi ainsi que les lauriers protégés par ta divinité. Accorde-moi, prêtre, accordemoi de connaître le moment où les Sœurs trancheront pour Admète le fil fatal de la vie. Accorde-moi de savoir quelle sera la fin de mon existence, en quel état je laisserai après la mort mes restes lorsque mon âme s’en ira dans les espaces constellés. Bien que pour l’homme connaître l’avenir, si la vie future n’est pas heureuse, se résolve en torture, en jours sombres et en une pâle existence, révèle-le-moi tout de même, si je t’ai honoré, si, après les accusations des dieux, je t’ai recueilli chez moi comme serviteur empli d’effroi, si je t’ai fait berger et si grâce à moi tu as pu pousser des cris de joie dans les forêts»12.
L’épiclèse Dans le début ex abrupto13 Admète demande au dieu ami de lui révéler le jour où il devra mourir. Ce début soudain a fait penser que le texte était inachevé. Aujourd’hui on pense qu’un tel incipit est intentionnel. En position emphatique apparaît l’invocation à Apollon, construite comme une véritable prière avec les nombreuses épithètes initiales, la richesse d’images traditionnelles pour indiquer la mort, le schéma caractéristique avec une épiclèse initiale (1-2), l’objet de la demande (3-6), le rappel des mérites qu’il avait envers le dieu (v. 9-11), c’est-à-dire tout ce qui pouvait convaincre le dieu. Le schéma est parfaitement tripartite selon la convention du langage rituel et de toute argumentation rhétorique. L’orant s’adressait à Rome à la divinité ou tentait de recourir à des puissances supérieures pour n’importe quel problème, même les plus quotidiens. Il était indispensable de caractériser le dieu par son nom et ses attributs afin de garantir l’efficacité et la réussite de l’invocation. Le plus souvent en fait celle-ci visait à faire exaucer une requête. Avant tout, le demandeur cherchait à attirer l’attention de la divinité, en particulier à travers nombre d’adjectifs laudatifs, une forme de captatio beneuolentiae, qui spécifiait les qualités du dieu et son histoire personelle. En ce lieu, selon un usage également typique de la poésie épique et historique, qui reproduit, dans une perspective poétique, ce langage spécifique, le poète nous donne un exemple précieux des appellations d’Apollon. La polyonymia, l’accumulation d’épithètes, est particulièrement évidente dans le premier vers: nous retrouvons bien cinq appellations, liées entre elles par l’allitération et le rythme14.
12 Pour la traduction j’ai suivi en particulier G. Lieberman, «Sur l’Alceste de Barcelone», Maia, 47, 1995, p. 47. 13 La forme Apollon transmise par le papyrus a été considérée par tous les éditeurs comme non authentique. Il s’agit probablement d’une glose maladroitement ajoutée par un copiste qui ne pouvait plus comprendre les épithètes difficiles qui suivent. 14 Nosarti, op. cit. supra n. 1, p. 25-26.
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LA PRIÈRE D’ADMÈTE DANS L’ALCESTE DE BARCELONE
Apollon, ici invoqué soudainement, était une des plus importantes divinités d’origine grecque acueillies par les Romains. Immédiatement le poète connote le dieu comme praescius, maître de la révélation, en accord avec une longue tradition selon laquelle Apollon inspirait les oracles. Tous ses oracles étaient très renommés, mais celui de Delphes était de loin le plus important. Son origine remonte au IXe siècle lorsque les tensions internes entre les cités en Grèce imposèrent une «instance divine indépendante»15. Dès lors, il est devenu un des plus consultés, «le nombril du monde», à caractère panhellénique. Une longue tradition littéraire à partir de l’Hymne pseudohomérique à Apollon nous confirme son rôle central et son importance. Donc Apollon devient dieu de la prophétie, mais aussi dieu du « sentiment de l’humanité »16, notamment chargé d’intervenir en cas de supplication. Aux Ve et IVe siècles il est adopté par les Romains et son arrivée représenta une sorte d’ouverture de la vie religieuse par son caractère de fraternité et d’unanimité sociale17. Dans notre récit, l’évocation de praescius Apollon donne au poète l’occasion d’introduire efficacement la poésie. En fait cet adjectif est présent surtout dans la poésie et la prose recherchées18. Chez Virgile praescius est en relation avec l’activité de Sibylle, gardienne du bord de l’Averne, qui prédit à Enée les nouvelles guerres et les souffrances qu’il devra encore affronter. Aen., VI, 65-6 tuque, o sanctissima vates, / praescia venturi, da (non indebita posco regna meis fatis) Latio considere Teucros / errantis deos agitataque numina Troiae, «Et toi, très sainte prophétesse qui sais l’avenir (je ne demande pas un royaume que ma destinée ne me doit pas), dis aux Troyens qu’ils peuvent s’établir dans le Latium, eux et les dieux errants et les Pénates de Troie si longtemps ballottés»19. Normalement les réponses aux questions des fidèles arrivaient grâce à la médiation d’une Pythie, une prêtresse qui était inspirée sous forme d’enthousiasmos par le dieu et, éventuellement, un prophète, qui avait la tâche d’interpréter et d’élaborer le réponse. Dans l’Alceste nous ne retrouvons pas ce médium attendu: c’est Admète qui prend la parole, directement, sans l’intervention d’autres intermédiaires. Cette don-
15 D. Briquel, G. Freyburger, M. Hadas-Lebel, V. Pirenne-Delforge, C. M. Ternes, Religions de l’Antiquité, sous la direction d’Y. Lehmann, Paris, 1999, p. 152. 16 G. Freyburger, «Supplication grecque et supplication romaine», Latomus, 67, 1988, p. 513. 17 J. Gagé, Essai sur le culte d’Apollon et le développement du «ritus Graecus» à Rome des origines à Auguste, Paris, 1955, p. 685-686. 18 Par ex. chez Hygin, Fab., 92, 3; Ps. Apulée, Peri Hermen.; Macrobe, Sat., 6, 9, 11. Voir Nosarti, op.cit., n. 2, p. 26. Comme épithète d’Apollon, par contre, il ne semble pas attesté ailleurs en poésie mais nous le retrouvons en prose chez Tacite, Ann., 14, 14, 1: Enimuero cantus Apollini sacros, talique ornatu adstare non modo Graecis in urbibus, sed Romana apud templa numen praecipuum et praescium = «Quant aux chants, ils étaient consacrés à Apollon, et c’était avec les attributs appropriés que ce dieu se dressait non seulement dans les villes grecques, mains encore dans les temples de Rome comme dieu souverain et maître de la divination», traduction de H. Goelzer, Tacite, Annales (XIII-XVI), Paris (Collection des Universités de France), 1957, p. 418. 19 Traduit par A. Bellessort, Virgile, Enéide, II, Paris (Collection des Universités de France), 1956, p. 65.
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CINQUIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE
née peut être révélatrice de la profonde amitié qui, selon le mythe, liait Admète à Apollon et dans le même temps être un efficace souvenir de l’invocation aux Muses, à la divinité qui présidait normalement à une œuvre poétique. Elle pourrait aussi être un signe que les choses avaient changé et que l’on espérait un contact exclusif avec la divinité pour trouver une solution aux problèmes individuels. Si la première épithète n’est pas particulièrement utilisée, la deuxième est presque un hapax: elle est attestée seulement une fois chez Martianus Cappella 1, 24 en référence à Apollon (certum est Lauripotens deusque diuum / nostrum). En tant que nom composé, il comprend les significations de deux mots autonomes : potens, le participe présent du verbe possum, extrêmement utilisé20 dans la poésie latine pour la formation des épithètes21 solennelles, et laurus, le «laurier», que nous retrouvons au v. 2 à côté d’Apollon. Le laurier était un élément traditionnel du culte apollinien, associé aux rites delphiques de purification et de divination. Il était rapidement devenu un symbole de Delphes. Selon les différentes attestations littéraires, son rôle dans le rituel de la consultation pythique était variable: la Pythie pouvait utiliser des fumigations de laurier mêlé à de la farine d’orge, opération préliminaire indispensable à la révélation, ou pouvait mâcher ses feuilles avant de prophétiser, geste qui avait une valeur purificatoire, ou encore elle secouait le laurier au moment de la révélation. La fonction précise de la plante et son rôle dans la révélation varient continuellement dans la tradition littéraire22. Dans notre poésie, le laurier semble être intimement lié au dieu qu’il incarnait et être invoqué avec lui. Extrêmement significatif nous semble un exemple attesté chez Claudien, dans Rapt, 2, 109, une œuvre qui était probablement très proche temporellement de l’Alceste, où le laurier est appelé praescius et semble intervenir directement dans la divination: uenturi praescia laurus = «laurier qui connaît l’avenir». D’autre part, à côté des aretai de la divinité, nous retrouvons des données qui concernent sa naissance et son lieu d’origine. Les deux appellations qui suivent sont en fait très liées puisqu’elles appartiennent à la même légende. Le mythe nous raconte que Latone, enceinte de Jupiter, a été accueillie pendant ses voyages à Délos, l’île errante: là elle a donné le jour à Apollon et à Artémis qui, pour cette raison, sont souvent qualifiés de l’appellation Latonius. Donc, à partir de l’Odyssée, l’île est devenue un lieu sacré, mais c’est surtout l’Hymne pseudo-homérique qui définit le rôle sacré du sanctuaire. Toutes ces données sont reprises chez Virgile où l’île des Cyclades assu-
20 Les formes composées du participe présent du verbe possum sont très fréquentes dans la littérature latine (bellipotens, Ennius, Annales, 181 ; omnipotens épithète des différentes divinités chez Cicéron). En relation avec Apollon arquipotens = «maître de l’arc» chez Valerius Flaccus. Elles indiquent que le dieu possède tel pouvoir d’aider dans chaque événement. Voir G. Appel, De Romanorum precationibus, Giessen, 1909, p. 121; F. Bader, Les composés nominaux du latin, Paris, 1962, p. 258. 21 Les noms composés étaient un moyen pour réaliser des éléments essentiels pour la grande poésie. Ils sont riches de sens puisqu’ils recèlent les significations de deux mots autonomes et, en plus, ils ont un fort caractère évocateur. 22 P. Amandry, La mantique apollinienne à Delphes. Essai sur le fonctionnement de l’oracle, Paris, 1950, p. 126-136.
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LA PRIÈRE D’ADMÈTE DANS L’ALCESTE DE BARCELONE
me un rôle déterminant pour la caractérisation d’Apollon et Artémis et comme étape fondamentale dans le voyage d’Enée de Troie jusqu’en Occident ainsi que comme lieu prophétique. L’adjectif apparaît pour la première fois dans Virgile, Enéide, III, 161: non haec tibi litora suasit / Delius aut Cretae iussit considere Apollo, «ce ne sont pas ces rivages que t’a recommandés le Délien, ce n’est pas sur ceux de la Crète qu’Apollon t’a donné l’ordre de te fixer»23 et Enéide, VI, 12 magnam cui mentem animumque / delius inspirat vates aperitque futura: «le dieu prophétique fait passer en elle son âme et sa volonté et lui découvre l’avenir». En suivant encore cette légende, le poète utilise la forme Latonius suivie de l’appellatif toponymique Delius. Quant au matronymique Latonius, il est dérivée du grec Lêtô; en tant qu’épithète d’Apollon, il semble avoir une seule attestation en poésie (Ostius, Fragm. IV) mais est présent dans la prose, en particulier chrétienne. La forme du féminin singulier, plus facilement adaptable à l’hexamètre, est donc plus répandue. Par la dernière épithète, Paean, le poète nous donne encore un fragment de l’histoire d’Apollon. Paiéon, qui était le dieu de la médecine, encore attesté dans la poésie homérique, a été complètement assimilé et identifié avec Apollon. La fonction prophétique et la fonction de guérison étaient étroitement unies selon une tradition ancienne parce que les oracles concernaient la façon d’éviter les souillures et les épidémies à travers une purification. «Cultes oraculaires et cultes guérisseurs sont malaisés à distinguer, les guérisons s’opèrent en général par une manière d’apparition prophétique de la divinité et les consultations oraculaires portent souvent sur la santé»24. C’est à l’occasion d’une épidémie qu’apparut officiellement à Rome Apollo Medicus25. Asclépios, un autre dieu guérisseur, est le fils d’Apollon, très lié à son père dans le même mythe, qui est au début de l’histoire d’Admète et d’Alceste (voir supra). L’épithète Paiéon, associée à Praescie par l’allitération, clôt toutes les autres épithètes et en confirme l’esprit. Depuis l’Hymne pseudo-homérique, elle est devenue habituelle pour indiquer Apollon. Le Péan deviendra une forme d’hymne de grande importance cultuelle, toujours liée à Apollon, avec un caractère collectif, porteur de sentiments extrêmes de joie ou de tristesse. Le poète anonyme désigne donc Apollon comme iatromantis parce qu’il doit révéler ce qui ne serait pas possible selon les lois normales de la nature; dans le même temps, il doit essayer de trouver un remède, un salut26. En bref, ces épithètes, très rares et dotées d’un epicus color, nous racontent pour ainsi dire une histoire d’Apollon. L’allitération (schéma ABBCA) et d’autres artifices rhétoriques soulignent de façon cohérente le ton du passage et montrent l’effort de notre poète pour créer un style soutenu et recherché.
23
Traduit par A. Bellessort, op. cit. supra, vol. I, p. 75. M. Delcourt, L’oracle de Delphes, Paris, 1955, p. 218. 25 Cf. Religions de l’Antiquité, supra, p. 219-220: «Cet Apollon guérisseur est le seul Apollon qu’aient connu les Romains jusqu’à des conctacts plus certains avec la religion grecque». 26 Nosarti, Alcesti, p. 28. 24
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CINQUIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE
Le poète barcinonensis s’inscrit dans une longue tradition, à une époque où probablement les gestes, les rites, les noms étaient désormais transmis sous la forme de symboles d’un lointain passé, ayant traversé une longue tradition littéraire. Désir de variation et tradition, neuf et vieux semblent se mélanger.
La requête d’Admète Après l’invocation solennelle, le poète introduit la véritable requête, le but de la prière d’Admète: il désire connaître le jour de sa mort, savoir sous quelle forme elle se présentera à lui et quelle sera sa vie dans l’outre-tombe. Mais il sait aussi que connaître cela sera pour lui une source de douleur. Toutefois il veut le savoir. Ici encore le poète reprend des éléments traditionnels de la prière, formules typiques de ce langage: la répétition du verbe «donner» avec l’infinitif en fonction d’objet au v. 3 au sens de «permettre», qui emphatise la demande, attestée à partir d’Homère dans la poésie grecque et introduite dans la poésie latine par les poètes augustéens27 ; la présence de si au v. 9 pour introduire les mérites que Admète avait envers le dieu; le lexique qui traduit, à partir des suggestions littéraires et épigraphiques, le sentiment de peur de l’homme devant la destinée et la mort. Au v. 3, par exemple, pour rendre concrètement l’image du destin qui est celui d’Admète, le poète met en scène les Sorores, les Parcae, version latine des Moires grecques: divinités de la mort, elles tissent le fil de la vie et le coupent selon leur caprice. Cette dénomination appartient à la tradition littéraire mais aussi à la tradition épigraphique, comme l’attestent les nombreux Carmina Latina Epigraphica avec la forme Sororum28. En connexion avec fatum, ici varié avec la iunctura «fatalia fila», elles personnifient la mort et donnent à voir immédiatement une situation, l’irruption du destin dans la vie d’Admète29. Rumpere fila et fila Sororum étaient des clichés très répandus. Ces réalités, Parcae et Fatum, ici mêlées dans une image nouvelle, personnifiaient l’idée de la mort, cette puissance obscure qui prenait l’homme avec violence pour l’emmener dans un monde sans lumière et sans espoir. La destinée de l’homme était marquée dès sa naissance. L’idée de la mort, même si elle s’est rationalisée à travers le temps, garde toujours un caractère religieux, de fatalité30 : la fin demeure aussi sûre qu’inconnue31. Fatum devient synonyme de la mort, force inexplicable que l’homme a toujours cherché à humaniser, pour l’apprivoiser ou, au moins, la rendre plus compréhensible.
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Nosarti, ibid., p. 36; Appel, op. cit., p. 134. Catulle, 64, 325; Lucain, VI, 703: “Sorores” Parcas dicit, etc. CLE, 443, 5; 494, 2; 1114, 4; 1523, 4. Voir Nosarti, Alcesti, p. 38-39; R. Lattimore, Themes in Greek and Latin Epitaphs, Urbana, 1942, p. 157. 29 Lattimore, ibid., p. 156: «here we have what is commonly known as “fatalism”, the belief that a man is born with every details of his life down to its finish predetermined but unknown». 30 A. G. Harkness, «The scepticism and fatalism of the common people of Rome as illustrated by the sepulchral inscriptions», Transactions of the American Philological Association, 30, 1899, p. 56-88. 31 Voir Lattimore, op. cit., p. 156. 28
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LA PRIÈRE D’ADMÈTE DANS L’ALCESTE DE BARCELONE
D’où la transposition d’une idée abstraite en forme concrète, la personnification de cette force en divinités maléfiques et horribles aussi bien dans la littérature officielle que dans les CLE32. Admète, après avoir supplié que lui soit révélé le jour de sa mort, demande dans quelle condition il se retrouvera après la fin de la vie, comment sera pour lui la vie dans l’outre-tombe, lorsque son esprit sera monté dans les auras caelestes. C’est une autre image propre aux croyances anciennes qui met en relation la survie de l’âme avec les astres; elle était répandue chez beaucoup de peuples et devint patrimoine commun de certaines doctrines philosophiques et d’une grande partie de la littérature grecque et latine et des inscriptions funéraires33. Selon cette croyance l’homme recélait en lui-même une séparation, un dualisme radical entre deux entités: le corps constitué d’une nature inférieure et destinée à la terre et une âme, plus pure, qui appartenait à l’air mais était retenue au-dedans du corps comme dans une prison charnelle. Avec la mort biologique de l’individu, elle peut s’en détacher afin de retourner vers les astres où résident les esprit bienheureux. Dans cette perspective, la vie humaine est le début d’une autre plus heureuse34. L’idée, probablement d’origine pythagoricienne et platonicienne, s’est diffusée dans le néoplatonisme pour devenir, enfin, chrétienne et être associée à l’immortalité de l’âme. Cette seule iunctura ne dit rien de spécifique sur une éventuelle croyance sur l’âme; de plus, le texte reprend souvent la première partie d’un vers de la poésie épique, clausules empruntées à la tradition littéraire. Mais nous pouvons y remarquer le goût et l’esprit général de cette première partie. Le poète veut élaborer l’histoire d’Alceste avec les moyens à sa disposition. Au v. 8 le choix des mots semble être significatif: atra dies est une célèbre iunctura virgilienne (tirée de l’Enéide, VI, 429, texte relatif à la mort prématurée des enfants exclus de la douce vie et placés dans les Enfers) et reprise par le même Virgile dans Enéide XI, 28 pour exprimer la douleur d’Enée pour la mort de Pallantée. La solennité de ce vers et son caractère sentencieux en détermineront le succès dans toute la littérature latine. Il s’est imposé comme simple jeu de la mémoire sur certaines épitaphes. Dans notre poésie le vers est réduit à un petit fragment doué d’une force autonome et inséré, nullement par hasard, dans un contexte analogue pour créer une atmosphère de gravité et de préoccupation. En fait la mort d’Admète, dont la nécessité n’était jamais mise en cause, était la mort d’un homme jeune, c’est-à-dire une mors immatura35. Dans ce cas l’aspect difficile à accepter, le scandale, n’était pas la mort en soi mais le fait qu’on soit condamné à finir ses jours encore jeune36. Au IVe siècle 32 A. Brelich, Aspetti della morte nelle iscrizioni sepolcrali dell’impero romano, Budapest, 1937, traduction italienne Rome, 1964, p. 29 et suiv. 33 Nosarti, Alcesti, p. 42-43; Lattimore, ibid. p. 21 et suiv. 34 Pour cette problématique voir Cumont, Lux Perpetua, p. 126 et suiv. 35 Pour les Romains, au début, mourir jeune signifiait mourir avant qu’on soit devenu parens, sans référence à la façon de mourir. Ensuite, sous l’influence des idées grecques, l’expression acquit la signification de mourir violemment, avant le temps naturel, par la punition d’un dieu ou d’un homme. Virgile est l’auteur qui traita diffusément la thématique de la mors immatura. Voir à propos J. TerVrugt-Lentz, Mors immatura, Diss. Groningen, 1960. 36 La fin prématurée était comme un bouleversement de l’ordre naturel quand c'étaient les parents qui devaient enterrer les enfants. Cette thématique a été traitée autant dans la littérature élevée que dans les inscriptions funéraires, cf. Nosarti, Alcesti, p. XX.
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CINQUIÈME PARTIE: LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE
on avait désormais un fonds commun de croyances, un formulaire traditionnel, pour exprimer la mort et les réactions qu’elle provoquait, qui se retrouve donc transposé dans l’Alceste de Barcelone.
Les mérites d’Admète Enfin une simple périphrase (v. 10), pecudum ducem: «berger» suit et résume efficacement les antécédents du mythe. Selon une légende très ancienne suivie par Euripide et notre poète anonyme, Apollon tua les Cyclopes pour se venger du meurtre d’Asclépios, ce fils foudroyé par eux sur l’ordre de Jupiter. Pour cela il fut condamné à servir auprès d’un mortel, Admète, le roi de Phères en Thessalie, pendant un an. Admète fut tellement généreux envers le dieu qu’il s’établit entre eux deux un profond lien d’amitié. Le si du v. 9 introduit la formule de la captatio beneuolentiae, typique du langage juridique et ensuite du langage rituel, à travers lequel le demandeur, en rappelant ses mérites envers la divinité, l’engage contractuellement à intervenir. On voit là clairement le caractère pragmatique de la religion romaine.
Conclusion En conclusion, ce bref début de l’Alceste s’est révélé particulièrement riche et dense. Le poète profite du matériel que la tradition lui avait consigné pour esquisser, en quelques traits, l’ouverture de l’histoire. Pour mieux caractériser la figure d’Admète, il a su exploiter les moyens qu’il avait à disposition, le langage sacré et les idées que la tradition païenne lui avait fournis alors même qu’une nouvelle spiritualité était en train de s’imposer. Admète est le représentant le plus typique de cette humanité moyenne constituée d’anti-héros, qui croient que les parents doivent normalement mourir avant leurs enfants et considèrent la mort prématurée comme un scelus, un nefas. Le souvenir de certaines données de la tradition religieuse et des dieux se combine avec certaines suggestions provenant des auteurs et de la tradition épigraphique. Il s’agit là d’un ensemble d’images et d’idées, d’un fonds commun que, plusieurs fois, on ne peut pas démêler avec précision mais qui a constitué une espèce d’imaginaire collectif, capable d’exprimer la mort et la sensation qu’elle suscite dans l’homme.
Martina ATZORI Université Marc Bloch – Strasbourg II
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SIXIÈME PARTIE DES DIEUX ET DES HOMMES
INTRODUCTION Les études qui précèdent n’ont pas cessé de faire l’aller-retour entre les dieux et les hommes. Chacune à sa manière a construit la multitude des ressorts de l’élaboration des dénominations divines, qui sont autant d’énoncés théologiques dont la validité est éprouvée dans l’adresse à la divinité. C’est précisément parce que les noms des dieux ont une valeur opératoire qu’il reste à examiner l’usage propagandiste que les hommes ont pu faire des noms de leurs puissances supérieures. Les usages, devraiton dire: le nom du dieu peut prendre des allures de revendication qui, dans le cadre des communautés politiques comme la cité, mais aussi plus restreintes comme la famille ou toute forme d’associations, cristallise des processus identitaires forts. Athéna est la divinité poliade des Athéniens, et les Italiens de Délos se regroupent en Hermaïstes, Compétaliastes ou Poséidoniastes, selon le nom de la divinité qui les protège (Hermès, Lares Compitales, Poséidon). Il s’agit là d’exemples clairs. Les études réunies dans cette partie persuadent que le processus peut être bien plus complexe et s’investir dans des formes très diverses. Pour autant, le principe est simple: le nom du dieu témoigne des pratiques des hommes. Cet ultime volet constitue donc comme une vérification du caractère efficient des systèmes de dénomination des dieux. Chaque situation renvoyant à des circonstances historiques propres, cette partie propose des études de cas susceptibles d’éclairer quelques modalités typiques, en contexte politique ou privé. On pourrait craindre que la dépendance entre qualification d’une divinité et conjoncture de l’événement au service duquel cette divinité est convoquée ait pour effet de rétrécir l’ampleur des champs de signification des épiclèses par suite de leur «instrumentalisation». Plusieurs cas indiquent, au contraire, qu’une intervention historiquement orientée des hommes sur les épiclèses divines peut ouvrir sur une série de registres emboîtés qui mettent à profit les subtilités de la construction rhétorique. C’est ce que montre Athanassia Zografou en disséquant le glissement d’une dévotion à Artémis Phôsphoros («Porte-lumière»), remplacée, après le traumatisme que constitua le sac d’Athènes par les armées de Sylla, par des Phôsphoroi servies par un prêtre et assurant la protection de la cité. Dans la cité en cours de reconstitution, l’épiclèse ancestrale substantivée se déploie désormais sur deux registres : le registre symbolique traditionnel (qui liait Sôteira et Phôsphoros) est renforcé par un registre concret (la lumière de la cité garante de son salut). Lorsque la référence à l’événement est plus ponctuelle, les implications politiques apparaissent de façon transparente dans les jeux de dénomination. Dans le péan d’Isyllos d’Epidaure (vers 280 avant notre ère) étudié par Antje Kolde, parmi les multiples épiclèses d’Asclépios, le dévot met en avant deux appellations du dieu, qui supportent l’origine épidaurienne – contestée – du dieu médecin et soutiennent une orientation politique anti-macédonienne en récupérant au profit de la divinité l’épiclèse Sôtêr que les Diadoques attachaient à leur personne. Les jeux de dénomination ne sont pas cantonnés à la sphère du débat civique; ils servent aussi de mode privilégié pour exprimer l’attachement personnel d’un dévot à un dieu. Dans des discours pourtant officiels, comme ceux d’Aelius Aristide étudiés par JeanLuc Vix, le rhéteur s’approprie une phraséologie courante pour les divinités (Sauveur, Protecteur, Maître, etc.) pour tracer les contours de sa relation affectueuse à l’Asclé529
SIXIÈME PARTIE: DES DIEUX ET DES HOMMES
pios de Pergame. Ces deux formes d’utilisation, «publique» et «privée», se retrouvent combinées dans le cas de l’épiclèse Vltor, qui fut celle du Mars honoré sur le Forum Augustum de Rome. Appliquée par Ovide à la fois au dieu et au dédicataire du temple, elle assume un rôle double, comme l’indique Maud Pfaff-Reydellet. Forme d’honneur rendu au dieu (dont elle constitue le cognomen), elle influe en retour sur la fonction qui en est attendue; mais, lorsqu’elle est appliquée à Auguste lui-même, elle entre dans la stratégie de construction de la divinisation du Princeps. Dans l’échange entre hommes et dieux qui constitue la communication religieuse – même théophanique –, les formes d’adresse employées par les dieux envers les hommes reprennent, au besoin en miroir, les caractéristiques des héros développées dans la poésie – tout particulièrement la poésie homérique, source intarissable pour la réflexion sur les processus de dénomination. Grâce à une analyse sémantique serrée des vers qui chantent le désespoir d’Ulysse sur la plage d’Ithaque, Luigi Spina fait la démonstration que les discours des dieux qui qualifient les hommes sont une réplique de ceux que les hommes font d’eux-mêmes. Aussi l’ouvrage devait-il se clore sur une fenêtre ouverte sur «les noms des hommes». Réfléchissant sur la rareté des composants théophores dans l’onomastique des sénateurs romains, Christophe Badel y discerne une tradition remontant aux débuts de la République, tout en remarquant des comportements régionaux différenciés, en particulier par suite d’habitudes grécoorientales différentes. Au terme de ce parcours où les dieux comme les hommes ont joué avec des dénominations respectives dans leurs moments de communication, les hommes doivent néanmoins garder une conscience salutaire et reconnaître, avec le Socrate du Cratyle, que dans l’opération de nommer les dieux, les hommes parlent moins des dieux que de «l’opinion qu’ils pouvaient avoir quand ils leur ont donné leurs noms» (Platon, Cratyle, 401 a). A ce titre, l’étude de la nomination divine est une contribution à l’anthropologie de la Grèce et de Rome.
Nicole BELAYCHE Ecole pratique des hautes études – Paris Section des sciences religieuses Francis PROST Ecole normale supérieure – Paris Centre d’études anciennes
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LES PHÔSPHOROI ET LA THOLOS D’ATHÈNES Parmi les cultes liés à la Tholos athénienne durant la période allant du IIe s. av. J-C. au IIIe s. de notre ère, il est un cas qui illustre un aspect intéressant des rapports entre nom de divinité, épiclèse, fonction et attribut divins. Il s’agit du cas de l’Artémis Phôsphoros honorée à côté d’Artémis Boulaia, devenue par la suite Artémis Boulaia et Phôsphoros pour céder, enfin, sa place aux mystérieuses Phôsphoroi dont le prêtre est énuméré parmi les aeisitoi sur les monuments prytaniques. Ce qui a longtemps préoccupé les chercheurs est surtout l’identité de cette divinité plurielle, pour laquelle ont été émises toutes sortes d’hypothèses qui ont été éliminées les unes après les autres: les dieux ephestioi proches d’Hestia ne seraient honorés qu’au prytanée, et en tout cas toute divinité masculine est exclue après la découverte d’une dédicace qui conserve l’article féminin tai'" pws- | fovroi"1. Nous aurions peut-être à gagner si nous oubliions le problème de l’identification, afin de suivre le cheminement de cette épithète dans le cadre précis des cultes prytaniques. Que signifie son autonomisation et comment peut-elle être liée au passage de l’un au pluriel? Il est pourtant indispensable, avant d’esquisser l’histoire des Porte-lumière honorés par les prytanes d’Athènes, de rappeler certaines données sur l’épiclèse Phôsphoros en général.
L’épiclèse Phôsphoros et l’attribut de la torche L’adjectif composé phôsphoros/phaesphoros n’est pas réservé à la désignation des êtres divins; en tant que nom commun, il peut qualifier des sources de lumière comme les astres (et plus particulièrement la planète d’Aphrodite, qu’il peut d’ailleurs désigner tout seul en adjectif substantivé équivalent à Lucifer)2 et les yeux, émettant, selon les Anciens, des rayons visuels3. Il peut aussi désigner les torches, sources de lumière artificielle; ainsi, dans l’Agamemnon d’Eschyle, il est question de «flambeaux porteurs de lumière»4.
1 C. Wachsmuth, Die Stadt Athen, II, Leipzig, 1890, p. 317, n. 1, et p. 319, n. 3, à la suite d’une hypothèse de Köhler, y voit des divinités associées au foyer (qeoi; ejfevstioi); voir les critiques de W. Judeich, Topographie von Athen, Munich, 1931, p. 310, n. 21; R. Schöll, «Die Speisung im Prytaneion zu Athen», Hermes, 6, 1872, p. 18 pense aux Dioscures; J. N. Svoronos, «La Tholos d’Athènes», Numismatische Zeitschrift, n. s. 15, 1922, p. 126 croit que la Tholos était un observatoire astronomique consacré aux dieux-étoiles. Pour la dédicace en question, voir plus loin. 2 Voir C. Mugler, Dictionnaire historique de la terminologie optique des Grecs, Paris, 1964, p. 440-441. 3 Platon, Timée, 45B, Plutarque, Moralia, 928B ainsi qu’Euripide, Le Cyclope, 462. 4 Eschyle, Agamemnon, 489 (lampavdwn faesfovrwn); cf. Euripide, Hélène, 628 (flogiv faesfovrw/, «flamme porte-lumière»).
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L’épiclèse Phôsphoros appartient aux épiclèses qui font directement appel à un attribut, à savoir la torche5. Il faut tout de même signaler que son rapport avec cet attribut n’est pas exclusif. Toute divinité qui porte une ou deux torches n’est pas forcément appelée Phôsphoros, et les épiclèses Purphoros, «qui porte du feu», Amphipuros, « qui a une torche dans chaque main» ou Dadouchos, «porteur de torches», malgré l’appel au même attribut, ne doivent pas être considérées comme des équivalents exacts. Aussi Déméter et Coré, très proches d’Hécate dans l’imagerie éleusinienne où les porteuses de torches sont omniprésentes, ne sont-elles pas connues comme Phôsphoroi6. Inversement, dans un contexte poétique, il est possible que phôsphoros soit appliqué à des puissances divines qui ne portent pas systématiquement des torches. Enfin, il semble que phôsphoros ait une valeur symbolique plus large que les épithètes qui lui sont apparentées, une valeur qui puise au champ sémantique du mot phaos et qui fait de la torche beaucoup plus qu’un instrument rituel ou un moyen d’éclairage artificiel7. Malgré leur valeur symbolique, il n’est pas exclu que les torches des Phôsporoi soient parfois réelles et non pas peintes ou sculptées. Un passage d’Homère, très discuté du point de vue de l’archéologie homérique, nous montre que l’idée n’était pas étrangère à l’esprit des Grecs. En décrivant le luxueux palais d’Alcinoos en Phéacie, le poète ajoute: «Des éphèbes en or (cruvseioi kou'roi), sur des socles bien construits (eju>dmhvtwn ejpi; bwmw'n), se dressaient, torches en mains (aijqomevna" dai?da" meta; cersi;n e[conte"), pour éclairer la nuit, la salle et les convives»8. Certes, ces candélabres anthropomorphes sont proches des «robots» du palais d’Héphaistos (Iliade, XVIII, 417-420) et relèvent autant que ceux-là de l’imaginaire9. Il est difficile de déterminer leur statut exact: simples pièces de mobilier ou statues divines, qui en offrant leur lumière, se mettent en valeur elles-mêmes. Le choix de leur matière et de leur position sur des socles de pierre montre qu’au moins leur rôle dépassait un besoin pratique d’éclairage et qu’ils faisaient partie du luxe des festins nocturnes auxquels le passage fait allusion. Athénée, longtemps après Homère, en décrivant une fête donnée par le Macédonien Karanos, se réfère à des porteurs de lumières comparables à ceux de l’Odyssée: «La beuverie avançait pendant que la nuit tombait, quand ils découvrent la salle
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Cependant, elle ne nous donne pas a priori des précisions quant à cet attribut, ni sur son type ni sur son nombre (c’est-à-dire s’il s’agit d’une ou deux torches, courtes ou longues, tenues verticalement ou abaissées, etc.). Epiclèse et attribut sont, dans la plupart des cas, l’apanage des divinités féminines. 6 Rappelons ici que Phôsphoros en tant qu’épithète cultuelle est réservée (à part une exception connue concernant une prêtrise égyptienne) aux êtres divins, à savoir à Artémis et à Hécate, tandis que Purphoros et Dadouchos désignent tant le personnel cultuel que les divinités. 7 Voir, entre autres, C. Mugler, Dictionnaire…, s. u. fw`" ; D. Tarrant, «Greek Metaphors of Light», Classical Quarterly, 10, 1960, p. 181-187, ainsi que M. G. Ciani, Favo" e termini affini nella poesia greca, Florence, 1974. 8 Homère, Odyssée, VII, 100-102. 9 Au palais d’Ulysse, nous n’avons que des lamptêres beaucoup plus simples, c’est-àdire des «vases à feu» ou autres sortes de supports de lampes sur lesquels brûlaient des flambeaux (le terme lamptêr sera plus tard appliqué à tout ce qui éclaire: «flambeaux» ou «lampes», «lanternes»): Odyssée, XVIII, 307, 343 et 19, 63.
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isolée tout autour de toiles blanches; à l’ouverture de celles-ci, les clôtures tombent au moyen d’un mécanisme caché et apparaissent des torches: des Cupidons, des Artémis, des Pans, des Hermès et plein d’autres statues (ei[dwla) de ce genre portant des torches dans des supports d’argent (ajrguroi`" dadoucou'nta lampth'rsi)». Ce spectacle de lumière, suivi d’impressionnants plateaux chargés de viande, secoue les invités qui avaient la tête lourde à cause de l’alcool «quand nous avons vu ces choses introduites, nous avons retrouvé notre sobriété …»10. L’exemple le plus ancien que nous connaissions (VIIe s. av. J.-C) d’une figure divine fonctionnant comme un porteur de torches ne semble pas avoir beaucoup en commun avec la tradition homérique: le bras droit d’une figure féminine qui a l’apparence d’une divinité11 est tendu vers l’extérieur et sa main forme une sorte d’anneau où l’on pourrait mettre une torche. L’ensemble est d’ailleurs fixé sur une sorte de plaque ovale, destinée sans doute à être accrochée au mur12. Cependant, si nous ne disposons d’aucune trouvaille qui puisse correspondre au passage homérique, nous pouvons affirmer qu’Athénée ne s’inspire pas simplement d’Homère afin d’enrichir son récit. Une série de statues porteuses de flambeaux et destinées à un usage pratique – connues comme luchnouchoi ou lychnophores – nous en fournit la preuve. Il s’agit de statues en bronze et de style composite représentant des éphèbes aux dimensions un peu plus petites que réelles, inventées au plus tard au Ier s. av. J.-C.13. F. Chamoux les interprète comme des commandes de «riches amateurs désireux d’éclairer à la dernière mode leur salle à manger» et cite Lucrèce à l’appui de son interprétation: si non aurea sunt iuuenum simulacra per aedes lampadas igniferas manibus retinentia dextris, lumina nocturnis epulis ut suppeditentur «S’il n’y a point parmi nos demeures de statues dorées de jeunes gens, tenant dans leurs mains droites des flambeaux allumés pour éclairer des orgies nocturne …»14.
Le port de torches réelles pouvait, sans doute, concerner les représentations des divinités connues comme Phôsphoroi. Un cas certain de support de torches à forme 10
Athénée, Deipnosophistes, 4, 130a-b. Malheureusement, nous ne savons pas de quel sanctuaire provient cette figurine, considérée comme ayant pour origine l’Asie Mineure; les exemples les plus proches nous viennent de Chypre. D. M. Bailey, A Catalogue of Lamps in the British Museum, 1, Londres, 1975, p. 218-219, n° Q 484, pl. 94, pense à Astarté Phénicienne dont les cheveux sont coiffés de façon analogue et qui aurait dû arriver à Chypre bien avant sa conquête par les Egyptiens. 12 D. M. Bailey, A Catalogue of Lamps in the British Museum, 1, Londres, 1975, p. 218-219, n° Q 484, pl. 94 cf. Parisinou, The Light of the Gods …, p. 17. 13 Voir, entre autres, G. M. A. Richter, Ancient Italy, Ann Arbor, 1955, p. 52; F. Chamoux, «Le Dionysos de Sakha», Bulletin de correspondance hellénique (BCH), 74, 1950, p. 75 et suiv. qui se réfère, à propos d’une statue de Dionysos, à toute la série des «lychnophores » ainsi que C. Wölfel, «Erwägungen zur Künstlichen Beleuchtung von Skulptur», dans W.-D. Heilmeyer et W. Hoepfner (éds), Licht und Architektur, Tübingen, 1990, p. 48-50, qui rassemble la bibliographie sur ce groupe de statues. 14 Lucrèce, De la nature, II, 23-26. 11
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divine est un buste d’une déesse identifiée à Enodia, «Déesse des routes» thessalienne, trouvé dans un dépôt votif d’un sanctuaire en Yougoslavie que nous pouvons situer chronologiquement après 183 av. J.-C. (date de la fondation de l’ancienne PerseisDebreste). Deux cavités verticales, en forme de tube, étaient prévues pour le port des torches, comme en témoignent d’ailleurs les traces de feu15. Si nous ne sommes pas en mesure de citer d’autres exemples analogues, nous pouvons au moins faire appel à la représentation, sur les lampes, tant des torches que des porteuses de torches que les spécialistes identifient parfois à Hécate ou à Artémis-Hécate. A Délos, où l’identification d’Artémis à Hécate est particulièrement attestée, une série de lampes plastiques du IIe et du Ier s. représente une déesse Phôsphoros accompagnée d’un chien16. Nous trouvons aussi le buste d’une porteuse de torches (probablement ailée) sur une lampe du IIe s. provenant de l’Agora d’Athènes17. Cet usage certifie le lien entre la fonction polyvalente de porter/apporter la lumière et la matérialité des moyens d’éclairage. Enfin, très intrigant, mais difficile à trancher, est le cas des hekataia à mains percées (époque hellénistique ou romaine). Ces statuettes de petite taille ne pouvaient pas, comme il a été remarqué, tenir des attributs trop lourds. Les chercheurs se sont donc plutôt prononcés pour des phiales ou des cruches; je me demande, pourtant, si l’idée de vraies torches en bois destinées à l’éclairage des rues et des vestibules ne serait pas envisageable, au moins dans certains cas18. Le type hiératique selon lequel sont le plus souvent représentés les triples hekataia, ainsi que leur triplicité même, semblent favoriser cette hypothèse. Signalons qu’il y a une parenté stylistique entre les triples hekataia et d’autres structures trimorphes servant comme supports, à savoir des caryatides, des vasques ou des trépieds19.
Le salut et la lumière L’épiclèse divine Phôsphoros devient particulièrement populaire à l’époque hellénistique. Ce phénomène correspond, sans doute, à des appels particuliers de la reli-
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P. Chrysostomou, H qessalikhv qeav En(n)odiva hv Feraiva qeav, thèse, Université de Salonique, 1991, p. 271. 16 P. Bruneau, Les lampes. Exploration archéologique de Délos 26, Paris, 1965, p. 99100. 17 R. H. Howland, The Athenian Agora IV. Greek Lamps and their Survivals, Princeton, 1958, n° 619 = L. Kahil, Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, II, 1984, s. u. « Artémis», p. 683, n° 813 (lampe avec buste d’Artémis, deux torches, traces d’ailes?, IIe s. av. J.-C.). 18 Voir, par exemple, T. Kraus, Hekate. Studien zu Wesen und Bild der Göttin in Kleinasien und Griechenland, Heidelberg, 1960, p. 97-101, 113 («hekataion de British School»). Cf. H. Sarian, Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, VI, 1992, s. u. «Hekate», p. 999, n. 130 (un trou à côté d’une des figures d’un triple hekataion pourrait servir à fixer une longue torche). Une image sur un skyphos témoigne, d’ailleurs, de l’usage très ancien d’enfoncer des torches au sol à côté d’une statuette d’Hécate: E. Simon, «Hekate in Athen», Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts, Athenische Abteilung, 100, 1985, p. 271 et suiv. (pl. 49, fig. 1). 19 M. D. Fullerton, «The Archaistic Perirrhanteria of Attica», Hesperia, 55, 1986, p. 215-217.
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giosité de cette époque. Si les dieux étaient toujours appelés à prêter leur assistance aux détresses des humains, leurs interventions miraculeuses sont maintenant plus fréquemment mentionnées et les formules dédicatoires exprimant la reconnaissance pour leur assistance comme swqei;" ejk pollw'n kai; megavlwn kinduvnwn «sauvé de nombreux et de grands dangers» se multiplient 20. Il est attendu qu’une divinité invoquée comme Phôsphoros soit invoquée, entre autres, afin d’apporter le salut: la lumière, manifestation/signe de l’apparition divine (en forme de nuages lumineux, torches célestes ou lueur lunaire), en devient souvent un synonyme21. Ainsi l’épiclèse Phôsphoros d’Artémis ou d’Hécate s’associe-t-elle souvent à celle de Sôteira, «Sauveuse ». Dans une épigramme de Théra, par exemple, datant du Ier s. av. J.-C. et gravée sur une base rectangulaire, les épithètes Sôteira Phôsphoros ainsi que Einodia sont rapportées à Artémis, tandis qu’en même temps sont mentionnés les flambeaux en or de la déesse: Eijnodiva Swvteira Fwos[fovre–uu–u] A [ rtami kai; crusevai" [lampa'si–uu–] 22. Très significative de ce point de vue est l’histoire d’Artémis mégarienne honorée en tant que Sôteira, dont le type iconographique très précis, de porteuse de torches, semble agir sur le culte de la Phôsphoros. La création du type d’Artémis Sôteira, conservé sur des monnaies de Mégare et de Pagai, est attribuée à Strongylion et remonte au salut miraculeux de Mégare face à l’armée de Mardonios23. Sur les monnaies de Mégare, mais aussi sur des reliefs de marbre, la déesse, vêtue d’un chiton qui s’arrête à micuisses et chaussée des embades thraces, court vers la droite en tenant une torche allumée dans chaque main24. A Byzance, colonie mégarienne, une déesse Phôsphoros – identifiée par les Anciens et par les Modernes tant à Artémis qu’à Hécate – est liée à une histoire analogue qui raconte l’intervention salutaire de la Phôsphoros lorsque Byzance fut menacée par Philippe II25. A la suite à cet événement, d’après les dires
20 Sur la religiosité hellénistique, entre autres, H. S. Versnel, «Religieuse sromingen in het Hellenisme», Lampas, 21, 1988, p. 111-136. 21 Pour l’ancienne équation poétique phaos-salut, voir, par exemple, Homère, Iliade, VI, 6; Eschyle, Agamemnon, 522; Sophocle, Electre, 1354; Euripide, Héraclès, 563 (cf. 531) et Médée, 482; cf. F. Graf, Nordionische Kulte. Religionsgeschichtliche und epigraphische Untersuchungen zu den Kulten von Chios Klazomenai und Phokaia, Rome, 1985, p. 232, n. 121 (avec bibliographie). 22 Inscriptiones Graecae (IG), XII, 3, Suppl., 1328; Wilamowitz s’appuie sur Callimaque, Hymne à Artémis, 259 pour compléter le deuxième vers: lampa`si sw`ize povlin, « sauve la ville au moyen de tes flambeaux». Nous avons des exemples analogues à Délos: IG, XI, 4, 1276 (les épithètes sôteira et phôsphoros sont rapportées à Artémis dans le même distique); cf. Inscription de Délos, 2379: dédicace à Artémis Sôteira accompagnant un relief représentant Artémis avec deux torches – ainsi qu’à Rhodes; IG, XII, 1, 914 (inscription sur un rocher à proximité d’un trône qui associe les épithètes Sôteira et Phôsphoros avec Euêkoos, «qui exauce les vœux», et Ennodia). 23 Pausanias, I, 40, 2-3; I, 44, 4. Sur l’intervention de la déesse, voir notamment P. Ellinger, La légende nationale phocidienne, Paris, 1993, p. 224-228. 24 F. Imhoof Blumer, P. Gardner, «Numismatic Commentary on Pausanias, I», Journal of Hellenic Studies, 6, 1885, p. 53, 57-58; L. Lacroix, Les reproductions des statues sur les monnaies grecques, Liège, 1949, p. 293-294, pl. 26, 4-6. 25 Stephanus de Byzance, s. u. «Bosporos», Meineke et Hésychius de Milet, Fragmente der griechischen Historiker, 390 F, 1, 26-27.
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d’Hésychius de Milet, on dressa une statue d’Hécate lampadêphoros. Si l’on accepte, donc, l’origine mégarienne de la Phôsphoros de Byzance, il faut admettre que celleci prend forme à partir de la chasseresse de Mégare avec une exaltation de l’attribut de la torche et de la fonction de porter et d’apporter la lumière. Bien sûr, la symbolique de la lumière et de la vision étant très large, les connotations de l’épiclèse peuvent varier et, en dehors d’un cadre militaire, Artémis ou Hécate Phôsphoroi sont susceptibles de remplir d’autres fonctions. Ainsi, dans la comédie, le serment «au nom de la Phôsphoros» (qui peut s’identifier, d’après Aristophane lui-même, à Hécate Phôsphoros)26 semble faire appel à la capacité de la déesse de tout voir et de tout surveiller, ce qui fait d’elle un garant fiable27. D’ailleurs, le port de torches tant par Artémis que par Hécate est souvent lié à leur rôle dans l’accouchement ou dans les initiations28. Plusieurs exemples nous montrent que l’épiclèse a tendance, à Athènes comme ailleurs, que ce soit dans l’usage poétique ou cultuel, à s’émanciper du nom qu’elle désigne. Outre Phôsphoros ou thea phôsphoros désignant tout seul une divinité29, nous pouvons rencontrer les termes Phôsphorion (sanctuaire/édifice consacré au culte de la Phôsphoros) et Phôsphoreia (fête en l’honneur des Phôsphoros/oi)30. Dans ces cas,
26 Aristophane, Lysistrata, 443; Antiphane, Boiotis, fr. 57, Comicorum Atticorum Fragmenta, II, 35 (nh; th;n Fwsfovron); cf. Aristophane, Thesmophories, 858 (nh; th;n ÑEkavthn th;n fwsfovron). Sur l’identification de cette Phôsphoros tantôt comme Hécate, tantôt comme Artémis, voir Graf, Nordionische Kulte …, p. 229 et n. 97. 27 Voir Arrien chez Eustathe, Schol. ad. Il., 3, 275, p. 414, 30 (= Bithynica, fr. 275, Roos). C’est grâce à sa capacité de surveillante qu’Artémis aux flambeaux est invoquée dans Aristophane, Grenouilles, 1359-1363 dans le cas d’un vol. 28 Voir Parisinou, The Light of the Gods …, p. 45-72 («Light in Rites of Passage»). 29 Graf, Nordionische Kulte …, p. 230-231, n. 112, 116, 117. 30 A Didymes le Phôsphorion mentionné par une inscription datée au IIIe s. av. J.-C. doit être le temple (ou plutôt la chapelle) d’une divinité Phôsphoros dont l’épistate du temple d’Apollon avait à rendre compte: voir, entre autres, B. Haussoulier, «Inscriptions de Didymes», Revue de Philologie et d’Histoire Anciennes, 49, 1925, p. 19 et J. Fontenrose, Didyma. Apollo’s Oracle, Cult and Companions, Berkeley, 1988, p. 133; Bospovrion ou Fwsfovrion est le nom du port de Byzance, associé probablement au sanctuaire de la Phôsphoros de Byzance identifiée par les sources tantôt comme Hécate, tantôt comme Artémis, qui est représentée avec une torche dans chaque main sur les bronzes de Byzance, voir L. D. Loukopoulou, Contribution à Histoire de la Thrace Propontique (Melethvmata, 9), Athènes, 1989, p. 107-109, ainsi que N. Firatli, L. Robert, Les stèles funéraires de Byzance gréco-romaine, Paris, 1964, p. 155. Un autre Phôsphorion est mentionné par une inscription qui nous transmet un serment prêté entre les membres de familles de dynastes thraces et macédoniens de Kabylé; il devait être un endroit important puisqu’il figure parmi les endroits où une stèle portant une copie du serment en question devait être dressée: Bulletin Epigraphique, 1959, n° 255. Enfin, selon l’unique témoignage d’un décret prytanique auquel nous allons revenir, un Phôsphorion existait au Pirée et servait, entre autres, de lieu de réunion politique. Cf. Graf, Nordionische Kulte …, p. 230-231 et n. 112. Nous ne connaissons rien sur les Phôsphoreia mentionnés par Hésychius, s. u., ainsi que par Plutarque, Moralia, 1119 e-f qui, en essayant de souligner l’importance des épiclèses dans le culte, se réfère aux divinités Phôsphoroi – au pluriel – auxquelles cette fête serait liée: seulement il est possible qu’il s’agisse d’un usage rhétorique du pluriel. Cf. Graf, Nordionische Kulte …, p. 232. Signalons, enfin, un terme phôsphorion qui désigne l’ornement d’un anneau dans les inventaires de l’Artémision de Délos (IG, XI, 203, B., l. 74); selon Haussoulier, Inscriptions , 77, 1953, p. 546, n. 6, il s’agirait d’une petite statuette d’Artémis Phôsphoros.
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il nous semble légitime de penser que la fonction de porter la lumière, et donc l’attribut de la torche, acquiert une importance significative en devenant le trait principal de la divinité connue simplement comme Phôsphoros.
Artémis Phôsphoros et les Phôsphoroi de la Tholos La Tholos (officiellement connue comme Skias, «bâtiment ombragé»), ce bâtiment circulaire avec un toit conique à proximité du nouveau Bouleutêrion et du Mêtrôon, bâti entre 470-460, servait, comme il a été bien prouvé, d’annexe du prytanée31. C’était là que les poids et les mesures officiels étaient gardés sous la surveillance d’un dêmosios (esclave public)32 et, surtout, que les prytanes prenaient leurs repas33. Ces repas étaient accompagnés de sacrifices qui, d’après Démosthène et Pausanias, avaient lieu au même endroit34. En fait, les décrets prytaniques des IIIe et IIe s. av. J.-C. honorent les prytanes principalement pour l’accomplissement de ces sacrifices pro; tw'n ejkklhsiw'n, «avant les assemblées» et ejf’ uJgeivai kai; swthrivai th'" boulh'" kai; tou' dhvmou, «pour la santé et le salut du conseil et du démos» 35. Vers le milieu du IIIe s. et jusqu’à 122/121 av. J.-C., la formule canonique concernant les divinités auxquelles s’adressent les sacrifices est la suivante: tw'i jApovllwni tw'i Prostathrivwi kai; tei' ’Artevmidi tei' Boulaiva/ kai; toi'" a[lloi" qeoi'" oi|" pavtrion h\n, «A Apollon Prostatêrios, “défenseur”, et à Artémis Boulaia, “du conseil”, et aux autres dieux auxquels il faut sacrifier selon les coutumes ancestrales»36.
Cette formule est pourtant ouverte aux ajouts, tant occasionnels que systématiques. Ainsi, à partir de 182/181 av. J.-C., Artémis Phôsphoros s’ajoute à la liste des divinités honorées, quoique étant un peu séparée du groupe canonique, mentionnée
31 Voir, entre autres, E. Vanderpool, «Tholos and Prytanikon», Hesperia, 4, 1935, p. 470475; H. A. Thompson, The Tholos of Athens and its Predecessors, (Hesperia Supplement, 4), Princeton, 1940, notamment S. G. Miller, The Prytaneion, its Function and its Architectural Form, Berkeley - Los Angeles, 1978, ch. III («Athens: the Prytaneion and the Tholos») et F. Seiler, Die Griechische Tholos, Mayence, 1986, p. 29-35. 32 Voir Thompson, The Tholos of Athens …, p. 141. 33 P. Schmitt Pantel, La cité au banquet, (Collection de l’Ecole Française de Rome, 157), 1992, p. 168-177, souligne la double fonction des repas: utilitaire (prendre le plus rapidement possible les décisions nécessaires) et symbolique (les prytanes représentent en permanence la cité, expriment le partage du pouvoir politique), ainsi que F. Cooper, S. Morris, «Dinining in Round Buildings», dans O. Murray (éd.), Sympotica. A Symposium on the Symposion, Oxford, 1990, p. 75 et suiv. 34 Démosthène, XIX, 190 et Pausanias, I, 5, 1. 35 Pour les sacrifices mentionnés par les décrets de prytanes, voir B. D. Meritt, J. S. Trail, Inscriptions. The Athenian Councillors (Athenian Agora, 15), Princeton, 1974, passim, ainsi que S. Dow, Prytaneis. A Study of the Inscriptions honoring the Athenian Councillors (Hesperia Supplement, 1), Princeton, 1937, p. 8-9 (présentation sommaire) et passim; cf. J. D. Mikalson, Religion in Hellenistic Athens, Berkeley - Los Angeles - Londres, 1998, p. 113-116, 194-195, 255. 36 Voir, par exemple, Meritt, Trail, Inscriptions. The Athenian Councillors …, nos 87, 89, 111, 115, 116, etc.
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dans une deuxième phrase commençant par «Ils ont aussi sacrifié», comme s’il s’agissait de festivités occasionnelles. Son nom est précédé d’une lacune (où il faudrait sans doute restituer le nom d’une autre divinité) et suivi de celui d’Athéna Archêgetis, chef «de la cité», une divinité qui ne réapparaîtra jamais dans les décrets dont nous disposons37. Artémis Phôsphoros, au contraire, sera par la suite mentionnée dans les décrets, certes de façon non systématique, mais quand même assez régulièrement38. Dans le décret de 177/176, le nom d’Artémis est omis comme allant de soi et les sacrifices mentionnés sont offerts à Apollon Prostatêrios, à Artémis Boulaia et à Phôsphoros. Ainsi (Artémis) Phôsphoros semble s’associer plus étroitement à Artémis Boulaia et au groupe principal des divinités honorées, même si elle en est parfois absente39. L’expression «A Artémis Boulaia et à Phôsphoros» se rencontre dans les décrets prytaniques jusqu’en 95/94 av. J.-C., à l’exception d’une inscription de 140/139 qui honore les prytanes pour les sacrifices offerts à «Apollon Prostatêrios, Artémis Boulaia et aux autres dieux auxquels il est coutume» et – continuant dans une nouvelle phrase – ainsi que pour ceux offerts à Artémis Phôsphoros, ceux accomplis lors de la fête de Stênia, des sacrifices à Thésée et à Apollon Patrôos et la consécration de l’eiresiônê, la branche d’olivier dûment chargée (eijresiwvnh), signe caractéristique de la fête des Pyanepsies, à Apollon40. L’inscription est d’ailleurs importante pour nous parce qu’elle nous transmet un deuxième décret rendu par le Conseil au «Phôsphorion du Pirée» (lignes 38-39). Il s’agit de la seule mention de ce sanctuaire, qu’il ne serait peutêtre pas impossible de lier au sanctuaire d’Artémis Mounuchia identifiée à Artémis Phôsphoros41. Le sacrifice à Artémis Phôsphoros a-t-il quelque rapport avec la réunion politique ayant lieu au Phôsphorion? S’il est difficile de tirer la conclusion que l’Artémis Phôsphoros était honorée par les prytanes chaque fois qu’une réunion avait lieu au Phôsphorion du Pirée42, nous avons au moins ici un indice sur le rôle politique de cet aspect d’Artémis. Après la prise d’Athènes par Sylla (86 av. J.-C.), il n’y a plus de décret prytanique de type développé, comme ceux que nous venons de citer: il n’y a plus de décrets rendus par le démos, et aucune divinité particulière n’y est mentionnée43. Les différents responsables qui font partie des aeisitoi y sont inscrits44. Nous pouvons distinguer trois groupes différents, toujours dans le même ordre: les prêtres, les «fonctionnaires»/res-
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Id., ibid., n° 183. Id., ibid., nos 184, 197, 199, 200, etc. 39 Id., ibid., n° 197. 40 Id., ibid., n° 240. 41 Voir infra. 42 R. E. Wycherley, Literary and Epigraphical Testimonia (The Athenian Agora, 3), Princeton, 1957, p. 57. 43 Voir Dow, Prytaneis …, p. 6 (principaux types de monuments qui honorent les prytanes) et 25-26 (la période après la prise d’Athènes par Sylla) ainsi que D. Geagan, The Athenian Constitution after Sulla (Hesperia, Suppl. 12), Princeton, 1967, p. 92 et suiv. 44 Ces aeisitoi contrairement à ceux que le terme semble suggérer n’étaient pas censés être nourris toute leur vie dans la Tholos (à l’instar des personnalités qui recevaient leur repas au prytanée), mais uniquement durant la période de leur service. Voir Dow, Prytaneis …, p. 2324. 38
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ponsables annuels (le héraut et le secrétaire de la boulè et du démos, etc.) et des professionnels (esclaves ou employés) qui servaient pendant plusieurs années. Parmi ceux-ci, nous trouvons un responsable de la Skias qui, s’il était citoyen, pouvait être en même temps le prêtre des Phôsphoroi. En effet, l’histoire du titre «responsable de la Skias» semble se résumer de la façon suivante: au début, il devait s’agir d’un dêmosios, «esclave public»; celui-ci a été remplacé, avant 14/13 av. J.-C., par un métèque et a commencé à être nommé leitourgos épi Skiados ou leitourgos tout court vers la fin du Ier s. de notre ère. C’est en tant que tel qu’il a commencé à être compris parmi les aeisitoi45. D’autre part, le prêtre des Phôsphoroi, qui apparaît dès le milieu du Ier s. av. J.C. et qui est honoré par les prytanes, a tendance à être la même personne que l’epi Skiados (et en ce cas, il s’appelle hiereus phôsphorôn kai epi Skiados) à partir de 171/172 de notre ère et jusqu’à la fin du IIe/début du IIIe s., date à partir de laquelle il n’est plus mentionné que comme «prêtre des Phôsphoroi». Nous pouvons alors constater une succession du titre: de (leitourgos) epi Skiados à hiereus Phôsphorôn kai epi Skiados et enfin à hiereus Phôsphorôn tout court 46. A part le témoignage de ces documents, nous disposons aussi d’une dédicace datant des IIe/IIIe s. de notre ère, qui a été trouvée à proximité de la Tholos: [Olumpo" | ’Alexavn- | drou Pal- | lh[n]eu ;" ta ; futa ; | tai'" pws- | fovroi" prw-| tovboulo" w]n | Kuintivw(i) Gaivw(i), «Olympos, fils d’Alexandros, du dème de Pallène, a consacré les plantes aux Phôsphoroi étant prôtoboulos à Quintius Gaius» 47.
C’est un document important, non seulement parce qu’il nous permet d’identifier les Phôsphoroi aux divinités féminines, mais aussi parce qu’il prouve, par son lieu de trouvaille, leur lien avec la Tholos. La dédicace des plantes a conduit la plupart des spécialistes à déduire l’existence d’un jardin dans l’enceinte de la Tholos, ce que nous pouvons considérer comme assez probable. La question qui a été le plus souvent envisagée par la recherche est celle-ci: pourquoi Artémis Phôsphoros rejoint-elle le groupe des divinités explicitement mentionnées? L’épiclèse Phôsphoros, comme nous l’avons vu, se rencontre très souvent, et non pas seulement à Athènes, dans un contexte militaire et politique. Les Phôsphoria dont nous avons parlé pouvaient avoir un rôle dans la vie civique, comme c’est clairement le cas pour Kabylé en Thrace48. Tant en Thrace qu’à Byzance – comme à Mégare et à Pagai –, une porteuse de torches est représentée sur les monnaies49. Le 45
Voir Geagan, The Athenian Constitution …, p. 110. E. A. Kapetanopoulos, «EÂ" katavlogo" ’Aqhnaivwn ajrcovntwn», Horos, 6, 1988, p. 30-31; cf. Wycherley, Literary and Epigraphical Testimonia …, p. 58. 47 Agora, Inv. I 4745: voir le commentaire de Thompson, The Tholos …, p. 137 et suiv., ainsi que de Wycherley, Literary and Epigraphical Testimonia …, p. 58. 48 Voir supra, n. 30 49 Voir les sources réunies Graf, Nordionische Kulte …, p. 228, n. 94. En ce qui concerne les monnaies de Pagai et de Mégare, voir aussi supra. J. N. Svoronos, «OiJ legovmenoi kuvrtoi tou' Buzantivou», jArcaiologikh; ejfhmeriv", 1889, p. 84-87, pl. 1-10, pl. 2, 1-7, reconnaît des torches monumentales sur des monnaies de Byzance, mais il n’est pas sûr que celles-ci soient en rapport avec la Phôsphoros de Byzance. 46
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lien entre les épiclèses Phôsphoros et Sôteira a sans doute contribué à son insertion dans la liste des divinités honorées par des sacrifices accomplis pour «la santé et le salut (swthriva) du Conseil et du démos». Il est d’ailleurs assez probable que, comme le soutient J. D. Mikalson, Artémis Phôsphoros soit un nouvel aspect d’Artémis Mounuchia qui, sous son aspect lunaire et lumineux, avait soutenu les Athéniens lors de la bataille navale de Salamine50. Cette Artémis de Mounychie est d’ailleurs sans doute à identifier à l’Artémis qui avait guidé avec ses flammes Thrasybule et les exilés démocrates de Phylè à Mounychie à la fin du Ve s.; Clément d’Alexandrie ajoute que l’autel de la Phôsphoros se trouve encore à l’endroit où la déesse a laissé ses protégés51. Le contexte – même si l’omission du nom reste caractéristique de la tendance que nous avons décrite – nous incite à comprendre qu’il s’agit d’un autel dédié à Artémis Phôsphoros, que la plupart des spécialistes rapprochent d’Artémis de Mounychie. Comme le remarque J. D. Mikalson, Athènes avait récupéré à cette époque Mounychie et traversait enfin une période relativement calme, ce qui pourrait expliquer la présence d’Artémis Phôsphoros, devenue garante de la sécurité et de la démocratie dans les décrets52. Si l’on n’a pas trouvé de sanctuaire d’Artémis Phôsphoros à Athènes, la déesse devait y être bien connue sous cet aspect; elle devait d’ailleurs être très proche de l’Artémis Hécate Epipurgidia qui se trouvait près du sanctuaire d’Athéna Nikè aux propylées de l’Acropole53. Certaines tessères de plomb qui nous montrent, d’un côté un autel rond avec l’inscription Artemidos Phôsphorou, et de l’autre un trophée avec l’inscription Athênai Nikêphorôi, témoignent des liens qui attachaient Artémis Phôsphoros à la vie d’Athènes, tout en établissant une correspondance entre les divinités représentées et le couple de l’Acropole que nous venons de mentionner54. Il est donc facile de comprendre ce qu’Artémis Phôsphoros, honorée par les prytanes, représentait pour les Athéniens. C’est le passage de cette divinité aux Phôsphoroi nombreuses qui est plus problématique. Nous avons vu que l’omission du nom de la déesse que l’épiclèse Phôsphoros devait normalement désigner – même si celuici était transparent pour les fidèles –, et probablement l’autonomisation de l’épiclèse, allaient parfois de pair avec son importance dans la vie politique et militaire. Ajoutons qu’une déesse appelée simplement Phôsphoros est parfois liée, plus particulièrement, aux fortifications. Plusieurs dédicaces par les groupes de garnisaires de Mopsion,
50 Plutarque, Moralia, 349 F, raconte que la déesse «brilla en pleine lune pour les Grecs qui vainquirent à Salamine». Voir Mikalson, Religion in Hellenistic Athens …, p. 195. 51 Clément d’Alexandrie, Stromates, 1, 24, 163; voir P. Ellinger, La légende nationale phocidienne (BCH, Suppl. 27), Paris, 1993, p. 228 et suiv., qui montre bien le lien entre guider/sauver et éclairer. Quant à la localisation de l’autel mentionné par Clément, voir A. Palaiokrassa, To ierov th" Artevmido" Mouniciva", Athènes, 1991, p. 24-25. 52 Mikalson, Religion in Hellenistic Athens …, p. 195. 53 Pausanias, II, 30, 2. Cf. Kraus, Hekate …, p. 95 et suiv. Le lien entre Hécate et Artémis de Mounychie est manifeste, entre autres, dans l’offrande des amphiphôntes: voir, entre autres, Palaiokrassa, Tov ierov th" Artevmido" Mouniciva"…, p. 18-20, 25-26. 54 A. Engel, «Choix de tessères grecques en plomb. Tirées des collections athéniennes », BCH, 8, 1884, p. 9, n° 50, pl. II, 50.
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de Sykourion et d’Elateia (Thessalie) démontrent ce lien55. Un autre exemple est la dédicace d’un autel par un commissaire à la construction des murailles à Milet datant du Ier s. av. J.-C. et provenant du sanctuaire d’Apollon Delphinios à Milet (c’est-àdire dans le voisinage de Didymes où nous trouvons un Phôsphoreion) 56 : Pausaniva" Mhtrodwvrou| pronohvsa" th'" oijkodomiva" tw'n teicw'n | Fwsfovrwi, « Pausanias de Mètrodore ayant pris soin de la construction des murailles (consacre cet autel) à Phôsphoros»57.
Le sac d’Athènes par les soldats de Sylla a constitué un terrible choc pour la vie de la cité. Parmi les dommages importants, nous devons compter les destructions infligées à la Tholos qui devait être proche de la brèche ouverte par l’armée de Sylla dans les murailles de la cité. Il n’est pas impossible que la présence des Phôsphoroi soit liée aux différents travaux qui ont rétabli le bâtiment, comme par exemple la construction d’un propylon. Le besoin a été peut-être ressenti, après un grand désastre, de confier tant le bâtiment que ce dont il était le symbole à ce groupe des divinités protectrices. En fait, le lien entre la surveillance générale de l’enceinte de la Tholos et la prêtrise des phôsphoroi, tel qu’il se manifeste dans le titre composite iereus Phosphorôn kai epi Skiados, me semble suggérer un rapport étroit entre les Phôsphoroi et l’enceinte dans laquelle elles étaient honorées. La dédicace des plantes que nous avons citée pourrait donc mieux se comprendre si l’enceinte renouvelée ainsi que son jardin étaient consacrés à ces divinités. Dans ce contexte, la multiplication des Phôsphoroi – qu’elles aient été pour les Athéniens des divinités connues sous cette épiclèse, comme Artémis ou Hécate, ou des divinités apparentées anonymes et spécialisées à une fonction d’ailleurs assez complexe – pourrait être en rapport avec un besoin accru de protection et une exaltation, pour cette raison, de l’attribut de la torche. Dans tous les cas, c’est l’importance de la lumière (fonction et attribut) qui serait à l’origine de l’appelation Phôsphoroi. Pausanias signale la présence dans la Tholos de «quelques statues d’argent» de petites dimensions58. Il n’est pas nécessaire qu’il se réfère aux représentations de nos Phôsphoroi, comme il a été parfois suggéré. Nous croyons pourtant que la multiplication des Phôsphoroi correspond probablement à la multiplication de leurs images et, donc, de leurs torches. Si, en outre, les Phôsphoroi étaient représentées en porteuses de véritables torches, nous pourrions encore mieux expliquer pourquoi leur prêtre était
55 IG, IX, 2, 1060-1061, 1063 et Supplementum Epigraphicum Graecum, 17, 300 (dédicaces à Phaesphoros/Phôsphoros, IIe/Ier s. av. J.-C. - Ier s. ap. J.-C.) par le chef de la garnison et son groupe (cf. IG, IX, 2, 1058 dédicace du même type à Artémis). Voir M. Launey, Recherches sur les armées hellénistiques, II, Paris, 1950, p. 911-912 et Graf, Nordionische Kulte …, p. 231 et n. 117. 56 Voir supra, n. 30. 57 G. Kawerau, A. Rehm, Das Delphinion in Milet, Berlin, 1914, p. 392, n° 172. 58 Pausanias, I, 5, 1.
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la même personne que le responsable général de la Skias, qui en ce cas devait prendre soin de l’éclairage de l’enceinte et éliminer le risque d’incendie59. Il n’est, enfin, pas inutile de rappeler qu’un nombre de prytanes passait la nuit à la Skias et que ce centre de la vie politique devait, entre autres, pouvoir recevoir les citoyens à n’importe quel moment du jour et de la nuit. Les flammes réelles des torches pourraient incarner cet état d’éveil permanent de la polis, tout en éclairant l’accès au bâtiment.
Athanassia ZOGRAFOU Université de Genève
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La fonctionnalité d’une statue divine ne la priverait pas forcément de sa valeur sacrée. La figure de la Porte-torche-acolyte d’une autre divinité, connue tant par la littérature que par l’iconographie (il y en avait d’ailleurs une tout près de la Tholos, dans le naïskos de la Mère au Mêtrôon voisin), nous montre que le caractère divin peut se conjuguer avec la prestation d’un service.
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LES ÉPICLÈSES D’ASCLÉPIOS DANS L’INSCRIPTION D’ISYLLOS D’ÉPIDAURE: IMPLICATIONS POLITIQUES Le titre de cet article, Les épiclèses d’Asclépios dans l’inscription d’Isyllos d’Epidaure: implications politiques, se compose de trois parties: 1. les épiclèses d’Asclépios, 2. l’inscription d’Isyllos d’Epidaure, 3. implications politiques. Commençons par le deuxième élément, l’inscription d’Isyllos d’Epidaure, pour nous tourner ensuite vers le premier, puis vers le troisième.
L’inscription d’Isyllos d’Epidaure La seule trace que nous ayons d’Isyllos est la stèle trouvée en 1885 par l’archéologue P. Cavvadias, dans le sanctuaire d’Asclépios à Epidaure, près du temple du dieu. Aujourd’hui, elle se trouve au musée d’Epidaure. Elle est couverte d’un texte de soixante-dix-neuf lignes: un texte pas très long en soi, mais néanmoins une des inscriptions littéraires les plus longues que l’on connaisse. P. Cavvadias fit paraître la même année l’editio princeps1. La même année également parut une monographie qui devait rester la seule pendant plus d’un siècle: Isyllos von Epidauros, d’Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff2. Jusqu’à nos jours, cette inscription a très peu bénéficié de l’attention des chercheurs. Le texte est divisé en sept segments3. Deux sont écrits en prose, le premier et le cinquième; les cinq autres en vers4, dans des mètres différents: le troisième, le quatrième et le septième sont rédigés en hexamètres dactyliques, le deuxième en tétramètres trochaïques et le sixième en ioniques. Le premier segment constitue la dédicace: Isyllos d’Epidaure, fils de Socrate, a consacré cette inscription à Apollon Maléatas et à Asclépios.
1 P. Cavvadias, « jEpigrafai ; ejk tw'n ejn ’Epidaurivai ajnaskafw'n », Ephemeris Archaiologiké, 1885, p. 65-84. Par la suite, P. Cavvadias édita le texte encore à deux reprises: Les fouilles d’Épidaure, Athènes, 1893, p. 34-36 et To; iJero;n tou' ÑAsklhpiou' ejn ’Epidauvrwi, Athènes, 1900, p. 213-215. 2 U. von Wilamowitz-Moellendorff, «Isyllos von Epidauros», Philologische Untersuchungen, 9, Berlin, 1885, p. 4-23. Pour une nouvelle édition, avec traduction, analyse métrique, de même que commentaire détaillé et thématique, cf. maintenant Antje Kolde, Politique et religion chez Isyllos d’Épidaure, Bâle, 2003. 3 Pour le texte intégral en grec et en traduction, cf. l’annexe à la fin de l’article. 4 C’est pour cette raison que, selon les segments, les renvois au texte d’Isyllos mentionneront ou des lignes (segments 1 et 5) ou des vers (segments 2, 3, 4, 7). Les renvois au péan (segment 6) mentionneront des lignes, même si ce segment est rédigé en vers; en effet, la disposition sur la pierre ne respecte pas la division métrique.
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Le deuxième proclame une conviction politique: l’aristocratie est le meilleur régime, comme les dieux l’ont montré. Le troisième décrit une procession nouvellement instaurée par Isyllos, en l’honneur d’Apollon et d’Asclépios; Isyllos spécifie que les dieux l’ont aidé à trouver cette loi, qui se termine par une prière adressée aux deux dieux et demandant la santé, la vertu civique, l’harmonie dans les lois, la paix et la richesse. Le quatrième nous apprend que Malos, un citoyen d’Epidaure selon le sixième segment, a fondé l’autel d’Apollon Maléatas et l’aduton d’Asclépios à Epidaure, et un autre à Tricca. Dans le cinquième, Isyllos raconte qu’il a envoyé son ami Astylaidas à Delphes pour consulter la Pythie sur la gravure du péan, le chant cultuel qui compose le sixième segment. Le péan expose une version de la naissance d’Asclépios par ailleurs inconnue: à l’origine de la lignée se trouve une Muse, Erato, que Zeus, son père, donne en mariage à l’Epidaurien Malos; Apollon est séduit par la petite-fille de cette Muse, Aigla ou Coronis, et engendre Asclépios, qui naît dans le temple d’Apollon. Celui-ci nomme son fils Asclépios, d’après le nom de la mère. Comme le troisième segment, le sixième se clôt par une prière: on demande au nouveau dieu d’apporter une santé éclatante au corps et à l’esprit des citoyens d’Epidaure. Le dernier segment raconte un miracle opéré par le dieu: alors qu’Isyllos était adolescent, il se rend, malade, au sanctuaire d’Asclépios. C’était, dit-il, à l’époque où Philippe menait son armée contre Sparte. Le dieu lui apparaît alors en armure et lui dit qu’il vole au secours de Sparte, à cause de la fidélité que les Spartiates ont toujours témoignée à la constitution élaborée par Lycurgue après la consultation de l’oracle d’Apollon. Isyllos se rend lui-même à Sparte et annonce la venue d’Asclépios; les Spartiates proclament en l’honneur du dieu les honneurs dus à un hôte – des théoxénies – et le nomment dorénavant Sauveur de la vaste Ladécémone. En ce qui concerne la datation de l’inscription, il faut distinguer deux dates, forcément proches l’une de l’autre. La première est celle de la gravure du texte, pour laquelle on dispose d’une part de critères paléographiques, comme la forme des lettres5 et des phénomènes orthographiques, dont les assimilations6 ; sur la base de ces données, l’inscription est généralement datée de la fin du IVe ou du début du IIIe siècle avant notre ère. D’autre part, cette date peut être précisée par le contexte politique dans lequel l’inscription a été gravée et exposée dans un endroit aussi fréquenté que le sanctuaire d’Asclépios à Epidaure et, dans le sanctuaire lui-même, les abords immédiats du temple. Le résumé du texte a mis en évidence son contenu politique, qui ressort notamment de la célébration du régime aristocratique et de la nouvelle loi cultuelle. De plus, la
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La forme des lettres de l’inscription d’Isyllos est semblable à celle des inscriptions suivantes: F. Hiller de Gaertringen, Corpus inscriptionum Graecarum IV, 12, Berlin, 1929, n° 95, datant d’env. 365-311 et n° 68, datant de 302. 6 L. 43-44: ejg dev ; l. 46: ejm Mavlou et v. 58: ejg keivnoisi. Des assimilations semblables se trouvent dans des inscriptions contemporaines d’Epidaure, comme celle des guérisons miraculeuses. Pour les assimilations en attique, qui peuvent constituer des parallèles intéressants, cf. L. Threatte, The Grammar of Attic Inscriptions, Berlin - New York, 1980, p. 618-619 et 803.
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victoire spartiate évoquée dans le dernier segment sur un souverain certainement macédonien, comme nous le verrons par l’identification du Philippe mentionné, ne peut être évoquée que dans un contexte de lutte ouverte contre l’occupation macédonienne. Un moment qui semble alors convenir parfaitement est la guerre menée en 280 sous la conduite du roi spartiate Areus contre Antigone Gonatas7. La seconde date est celle à laquelle s’est produit l’événement raconté dans le dernier segment, situé dans un passé proche et illustrant la puissance d’Asclépios: l’auteur dit qu’il était jeune lorsqu’il fut témoin du miracle accompli par le dieu dans le cadre de l’expédition menée par Philippe contre Sparte8. Qui était ce Philippe? On a proposé de l’identifier avec Philippe II de Macédoine, Philippe III ou encore Philippe V. L’identification avec Philippe V9 ne mérite pas d’être retenue. En effet, alors que le texte d’Isyllos laisse clairement entendre que le Philippe en question ne parvint pas à prendre Sparte10, un monument dressé par Philippe V en 218 dans le sanctuaire d’Asclépios à Epidaure, composé d’une statue du roi et d’une inscription, célèbre sa victoire sur Sparte11. Si l’on adopte l’identification du Philippe du texte avec Philippe II de Macédoine12, la campagne militaire mentionnée dans le dernier segment serait celle que
7 Seul Justin, 24, 1, 1-8 raconte cette campagne. Sur cette expédition, cf. entre autres: G. Droysen, Geschichte des Hellenismus, Tübingen, 1952-1953, II, 2, p. 334 et III, 1, p. 200; E. Will, Histoire politique du monde hellénistique, Nancy, 1966, p. 90-91; P. Klosen, Die völkerrechtliche Ordnung der hellenistischen Staatenwelt von 280-186, Munich, 1972, p. 114; C. Habicht, Untersuchungen zur politischen Geschichte Athens im 3. Jahrhundert v. Chr., Munich, 1979, p. 84; G. Marasco, Sparta agli inizi dell’età ellenistica: il regno di Areo I (309/8-265/264 a. C.), Florence, 1980, p. 63-73; E. David, Sparta between Empire and Revolution (404-243 BC), Salem, 1981, p. 125-127; K. W. Welwei, Neue Pauly, 1, Stuttgart, 1996, s. u. Areus, col. 1055. 8 V. 58-59 et v. 62 : ejg keivnoisi crovnoi" o{ka dh ; strato ;n h\ge Fivlippo" / eij" Spavrthn (…) oJ pai'" - en ces temps où Philippe mena son armée contre Sparte (…) le jeune garçon. 9 Cette identification a été proposée par F. Blass, «Der Paian des Isyllos», Jahrbücher für classische Philologie, 31, 1885, p. 822-823 et reprise par H. Collitz et F. Bechtel, Sammlung der griechischen Dialektinschriften, Göttingen, 1899, p. 165. 10 V. 75: ’Asklapiev, kaiv sfe savwsa" - Asclépios, et tu les as sauvés (les = les Spartiates). 11 F. Hiller de Gaertringen, Corpus inscriptionum …, n° 250; cf. R. Herzog, «Die Wunderheilungen von Epidauros», Philologus Supplementband, 22, 3, 1931, p. 42, n. 4 et K. J. Beloch, Griechische Geschichte, 3, 1, 2e éd., Berlin - Leipzig, 1922-1931, p. 574. 12 C’est l’identification la plus répandue. Elle a été proposée par P. Cavvadias, «jEpigrafaiv …», p. 78-79, qui la maintient dans ses deux autres éditions, Les fouilles…, p. 36 et To; iJerovn …, p. 213. Elle a été reprise par U. von Wilamowitz-Moellendorff, Isyllos …, p. 24; par J. et T. Baunack, Studien auf dem Gebiete des Griechischen und der arischen Sprachen, Leipzig, 1886, p. 160; par E. Hoffmann, Sylloge epigrammatum Graecorum, Halis Saxonum, 1893, p. 235; par M. Fränkel, Corpus inscriptionum Graecarum, IV4, Berlin, 1902, p. 220; par I. U. Powell, Collectanea Alexandrina, Oxford, 1925, p. 80; par E. Diehl, Anthologia Graeca, II, 6, Leipzig, 1925, p. 117.
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le roi de Macédoine mena à la fin de l’automne 338 contre Sparte dans le but de l’affaiblir en diminuant son territoire et de lui imposer les revendications territoriales formulées par trois Etats voisins en conflit avec elle, l’Arcadie, Messène et Argos13. Selon la dernière identification, celle du Philippe du texte avec Philippe III de Macédoine14, la campagne évoquée dans le dernier segment se placerait dans le contexte de l’importante coalition de Cassandre, Antigone, Ptolémée et Lysimaque à laquelle dut faire face Polyperchon, le représentant de la Macédoine depuis 319. Pour s’allier les Grecs du continent, il demanda à Philippe III Arrhidaios, le demi-frère faible d’esprit d’Alexandre le Grand, nommé roi à la mort de ce dernier, de restaurer la ligue de Corinthe, fondée en 337 par Philippe II. Sparte, fidèle à son attitude anti-macédonienne, aurait continué à refuser de faire partie de cette ligue. Ses voisins, les Arcadiens et les Messéniens, y auraient vu l’occasion de récupérer les villes et les terres que Sparte leur avait prises, et auraient appelé Philippe III – ou plutôt son représentant Polyperchon – à faire la guerre à la cité récalcitrante. Si cette hypothèse sembla longtemps dépourvue de fondements, la découverte en 1991 à Messène d’un traité conclu en 317 entre les Macédoniens et les Messéniens concernant l’établissement d’une garnison macédonienne sur le Mont Ithome15 augmenta sa vraisemblance. Selon cette hypothèse, la campagne militaire mentionnée dans le dernier segment du texte d’Isyllos aurait eu lieu en 317-316. L’identification du Philippe mentionné dans le dernier segment avec Philippe III me semble la plus vraisemblable. Dans ce cas, en effet, environ trente-sept ans sépareraient l’événement dont l’auteur du texte a été le témoin de la gravure et de l’exposition de l’inscription. Si l’on retient l’identification avec Philippe II, par contre, il s’agirait d’un intervalle de près de soixante ans, ce qui, compte tenu de l’âge probable d’Isyllos autant lors de l’intervention d’Asclépios que lors de l’exposition de l’inscription, semble beaucoup. Le texte d’Isyllos est intéressant à plus d’un titre. L’un d’eux est le fait qu’il appartient à ce que J. M. Bremer16 appelle un hymne populaire. On n’a que très peu d’exemples de ces hymnes qui témoignent d’un panthéon non panhellénique. Un tel panthéon se distingue par le fait que certains dieux n’y sont pas ou y sont peu hono-
13 Pour cette campagne, cf. entre autres: A. Schäfer, Demosthenes und seine Zeit, Leipzig, 1887 (2e éd. 1966), p. 43-46; K. J. Beloch, Griechische Geschichte …, p. 574; C. Roebuck «The settlements of Philipp II with the Greek States in 338 BC», Classical Philology, 43, 1948, p. 73-92; F. W. Walbank, A historical commentary on Polybius, II, Oxford, 1967, p. 166 et plus récemment, P. Cartledge et A. Spaqforth, Hellenistic and Roman Sparta, Londres - New York, 1989, p. 16. 14 Cette identification a été proposée par F. Hiller de Gaertringen, Corpus inscriptionum …, p. 83 et elle a été reprise avec quelque réserve par A. Chaniotis, Historie und Historiker in den griechischen Inschriften, Stuttgart, 1988, p. 376. 15 Cf. P. Themeles, «jjAnaskafh; Messhvnh"», Praktika, 1991, p. 85-128 et A. Pariente, «Chronique de fouilles en 1991», Bulletin de Correspondance Hellénique, 116, 1992, p. 833954. 16 J. M. Bremer, «Greek Cultic Poetry: Some Ideas behind a Forthcoming Edition», Mnemosyne, 51, 1998, p. 513-524.
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rés, alors que d’autres y sont beaucoup plus importants qu’ailleurs. L’auteur de l’hymne populaire essaie quelquefois d’établir un lien particulièrement étroit entre les dieux poliades et sa cité. Un argument décisif dans ce procédé est l’importance politique du dieu pour la cité en question – aussi, les hymnes populaires ont-ils souvent une portée politique. Or, l’importance politique que l’on attribue à un dieu transparaît souvent dans les épiclèses dont on le dote.
Les épiclèses d’Asclépios dans le texte d’Isyllos Selon la première ligne, Isyllos consacre son inscription à Apollon Maléatas et à Asclépios; selon l’avant-dernière ligne, par contre, il la consacre au seul Asclépios. L’ensemble du texte donne l’impression que peu à peu Apollon s’efface devant son fils. Aussi m’occuperai-je du seul Asclépios. Isyllos le nomme en tout vingt-et-une fois: onze fois explicitement par son nom17 et dix fois par des épiclèses ou des périphrases 18. Il est évident que la localisation du nom du dieu, d’une épiclèse ou d’une périphrase se rapportant à lui joue un rôle important dans le mouvement général du texte. Ainsi, ce n’est pas un hasard si le nom d’Asclépios au vocatif se trouve dans la prière qui clôt le péan et, surtout, dans le dernier segment, le récit d’un miracle accompli par le dieu; ni si un nombre élevé d’épiclèses et de périphrases se situent elles aussi dans la prière à la fin du péan, de même qu’à la fin du dernier segment, qui correspond à la fin du texte. On ne peut s’empêcher de souligner que les trois dernières épiclèses se trouvent dans les trois derniers vers, les deux derniers occupant le centre du vers. Il apparaît d’emblée que l’on peut répartir les épiclèses et périphrases en trois catégories. La première regroupe des dénominations très générales: v. 78: w\ mevg’ a[riste qew'n - toi, de loin le plus puissant des dieux, et v. 79: w\nax - Seigneur. La deuxième comprend des épithètes relatives au domaine d’activité: v. 18 ijjath'ri - médecin, l. 52 : to;n novswn pauvstora - celui qui met fin aux maladies et dwth'r j uJgieiva" - le donateur de santé, l. 53: mevga dwvrhma brotoi'" - grand don pour les mortels et ije ; Paiavn, ije ; Paiavn - ié Péan, ié Péan, l. 56 ijje ; Paiavn, ije ; Paiavn - ié Péan, ié Péan, et v. 77: swth'r j eujrucovrou Lakedaivmono" - sauveur de la vaste Lacédémone. La troisième catégorie compte une périphrase qui se rapporte au lien de parenté: v. 18: uiJw'i - fils. De surcroît, deux dénominations – v. 18: uiJw'i - fils et v. 77: swth'r j eujrucovrou Lake-
17 L. 2: ’Asklapiw'i, v. 18: ’Asklapiw'i, v. 30: ’Asklhpiou', l. 34: ’Asklapiovn, l. 51: ’Asklapiovn, l. 54: ’Asklapiev, v. 57: ’Asklhpiev, v. 60: ’Asklhpiov", v. 64: ’Asklapiev, v. 66: ’Asklhpiev, v. 75: ’Asklapiev. 18 V. 18: uJw'i - fils, et ijjath'ri - médecin; l. 52: to;n novswn pauvstora, dwth'r j uJgieiva" - celui qui met fin aux maladies, le donateur de santé, l. 54: mevga dwvrhma brotoi'" - grand don pour les mortels, et ije ; Paiavn, ije ; Paiavn - ié Péan, ié Péan, l. 56 ijje ; Paiavn, ije ; Paiavn ié Péan, ié Péan, v. 77: swth'r j eujrucovrou Lakedaivmono" - sauveur de la vaste Lacédémone, v. 78: w\ mevg’ a[riste qew'n - toi, de loin le plus puissant des dieux, v. 79: w\nax - Seigneur. Le ije ; Paia'na qeovn de la ligne 37 se réfère sans aucun doute à Apollon; dans le péan d’Érythrée, qu’Isyllos a certainement pris pour modèle du sien, on observe également un tel glissement de référent pour Paiavn d’Apollon à Asclépios.
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daivmono" - sauveur de la vaste Lacédémone – me semblent appartenir à une “surcatégorie”, en ce qu’elle est composée d’une périphrase et d’une épiclèse qui, tout en appartenant déjà à une catégorie, en l’occurrence à la deuxième, celle du domaine d’activité, et à la troisième, celle des liens de parenté, semblent posséder une dimension supplémentaire, à savoir une dimension politique. Mais avant de me tourner vers cette dernière catégorie, je m’attarde quelques instants sur les autres. La périphrase w\ mevg’ a[riste qew'n - toi, de loin le plus puissant des dieux au v. 78 a une forte sonorité homérique, ce qui n’étonne pas, si l’on tient compte du sujet de ce dernier segment – une épiphanie divine traitée sur le mode d’une aristie homérique – et de son mètre – des hexamètres dactyliques 19. L’adjectif a[risto" quant à lui est depuis les épopées homériques une des épithètes les plus fréquentes de Zeus. Il en va de même d’w\nax - Seigneur au v. 79. Or, les deux dénominations qualifient Asclépios et l’on peut se demander si l’auteur ne vise pas en fin de texte à placer Asclépios en tête de son panthéon. Le fait qu’un dieu «local» prend la place de Zeus, du dieu généralement considéré comme le dieu suprême, est caractéristique des panthéons non panhelléniques. La plupart des qualifications d’Asclépios se rapportent à son domaine d’activité: sept sur dix. Cinq d’entre elles se trouvent à la fin du péan, justement au moment où le domaine d’activité est défini. On ne peut s’empêcher de remarquer le petit jeu littéraire entre dwth'r’ uJgieiva" - le donateur de la santé (l. 52) et mevga dwvrhma brotoi'" - grand don pour les mortels (l. 53). Une seule qualification relative au domaine d’activité se trouve dans le dernier segment: on y apprend qu’Asclépios est nommé à Sparte le swth'r j eujrucovrou Lakedaivmono" - sauveur de la vaste Lacédémone (v. 77). Nous y reviendrons. Le sort de la troisième catégorie peut sembler vite réglé: Asclépios est qualifié de fils d’Apollon: uiJov" - c’est une donnée mythologique, la seule même qui ne varie pas dans les divers mythes relatifs à la naissance du dieu. Quelle en serait donc une dimension politique? Les diverses versions de la naissance d’Asclépios, si elles concordent quant au nom du père, varient quant à celui de la mère – Coronis pour les uns, Arsinoé pour les autres20 – et surtout quant au lieu de naissance: la Thessalie21, la Messénie22 et l’Arcadie23 revendiquaient toutes, à côté d’Epidaure24, l’honneur d’être la patrie du dieu. Des centres médicaux s’étaient installés d’une part à Tricca, en Thessalie, et d’autre part à Epidaure, créant l’un comme
19 Mevg’ a[risto" est une tournure homérique: Iliade, 2, 82; 2, 274; 2, 768; 6, 209; 16, 271; 17, 164; Odyssée, 22, 29 et 23, 121. 20 La mère d’Asclépios s’appelle Coronis selon Pindare, Ode Pythique, 3, v. 14-74; Hymne homérique à Asclépios, v. 2-3; Pausanias 2, 26, 6; le péan d’Erythrée, v. 5. Elle s’appelle Arsinoé selon Pausanias, 2, 26, 7 et 4, 3, 1-2. Son nom n’est pas indiqué par Pausanias, 2, 26, 3-5 et 8, 25, 11. La Bibliothèque du Pseudo-Apollodore, 3, 10, 3-4 fait état des deux généalogies. 21 Selon Pindare, Ode Pythique, 3, v. 60-61 et l’Hymne homérique à Asclépios, v. 3. 22 Pausanias, 2, 26, 7 et 4, 3, 1-2. 23 Pausanias, 8, 25, 11. 24 Pausanias, 2, 26, 3-5.
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l’autre des filiales ailleurs, notamment à Cos. Ces centres médicaux et leurs écoles rivalisaient les uns avec les autres; un argument décisif dans ce conflit était le fait d’être la patrie du dieu. Cette querelle fut même portée devant la Pythie: à la question de savoir si Asclépios était messénien ou arcadien, la Pythie répondit qu’il était épidaurien25. La qualification d’Asclépios comme fils d’Apollon dans le troisième segment du texte d’Isyllos est reprise et développée par le péan, qui chante la conception et la naissance d’Asclépios à Epidaure même. Le chant cultuel insiste sur le lieu de naissance et sur l’ascendance paternelle du dieu, mais aussi sur son ascendance maternelle: il est issu d’une Epidaurienne de pure souche, fille d’une nymphe que Zeus donna en épouse à un Epidaurien, et pas à n’importe quel Epidaurien: à celui qui construisit le premier autel pour Apollon Maléatas, comme le rappelle le segment 4. Et son nom, Asclépios le reçut de son père, en l’honneur de sa mère. Ainsi, je pense qu’en appelant Asclépios fils d’Apollon, Isyllos non seulement insiste sur le lien entre les deux dieux, mais surtout ouvre le dossier de la filiation et de la patrie du dieu, développé par la suite. Par là, il prend part dans cette querelle entre les Asclépiéia et la tranche, forcément, en faveur d’Epidaure. Si uiJov" - fils me semble ainsi prendre position dans une affaire politique, il en va de même avec l’épiclèse spartiate d’Asclépios - swth;r eujrucovrou Lakedaivmono"sauveur de la vaste Lacédémone (v. 77). Cette dénomination, qualifiant un dieu revêtu d’une armure 26, ne se réfère pas à la santé d’un ou de plusieurs individus; le bénéficiaire de l’action divine est une entité politique, une constitution même: aux dires d’Isyllos, ce sont les fondements du système politique de Sparte que Philippe attaqua27. De plus, c’est par un argument d’ordre politique qu’Asclépios justifie son intervention: il part aider les Spartiates, car avec justice, ils ont préservé les oracles de Phoibos que Lycurgue, après avoir consulté le dieu, a ordonnés pour la cité28. Swthvrsauveur, quant à lui, est avant tout une épiclèse militaire, qualifiant des dieux venus en aide à l’armée grecque, des dieux libérateurs, comme l’a démontré M. Launey 29 et comme le confirme l’analyse des occurrences littéraires et épigraphiques de cette épiclèse. La littérature antérieure et contemporaine à notre texte ne qualifie jamais Asclépios de sauveur, que ce soit d’individus, de collectivités ou de constitutions politiques. On ne rencontre cette épithète qualifiant un Asclépios en tant que médecin d’individus qu’à une époque bien postérieure à la nôtre, dans quelques épigrammes de l’Appendix à l’Anthologie palatine30 anonymes et difficiles à dater.
25
Pausanias, 2, 26, 7. V. 63-64: su;n o{ploisin / lampovmeno" crusevoi", ’Asklapiev - Asclépios, brillant de tes armes d’or. 27 V. 59: (Fivlippo"...) ejqevlwn ajnelei'n basilhivda timhvn - (Philippe …) voulant ruiner les honneurs royaux. 28 V. 70-71: ou{neka tou;" Foivbou crhsmou;" swvizonti dikaivw" /ou}" manteusavmeno" parevtaxe povlhi Lukou'rgo". 29 M. Launey, Recherches sur les armées hellénistiques, Paris, 1949-1950, p. 913-914. 30 Cf. Appendix à l’Anthologie palatine, n°s 226 et 227. 31 L. 55-56: ejnargh' d j uJgiveian ejpipevmpoi" fresi; kai; swvmasin ajmoi'" - puissestu envoyer une santé éclatante à nos esprits et à nos corps. 26
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Cela veut-il dire que l’Asclépios d’Isyllos n’est pas le dieu médecin? Non, car c’est bien en tant que tel qu’il agit et qu’il contribue à la victoire spartiate, certainement, comme on le lui demande à la fin du péan, en envoyant une santé éclatante à l’esprit et au corps31 des combattants. La qualification par une épiclèse militaire ne signifie pas que son identité et son mode d’action changent. C’est dans un tout autre sens que l’épiclèse me paraît prégnante. Selon ce que l’on peut déduire de l’inscription, Isyllos devait appartenir au parti aristocratique prospartiate à Epidaure, défenseur des traditions, hostile aux Macédoniens et aux changements que le monde grec a amorcés depuis les grandes conquêtes. Or, l’épithète swthvr - sauveur va jouer un rôle important dans la propagande de certains généraux macédoniens et diadoques hellénistiques, jusqu’à faire partie de la titulature officielle à l’époque impériale. Le premier à en avoir été doté fut Démétrios Poliorcète, lorsqu’il « libéra » Athènes en 307. Puis, ce fut Ptolémée Ier, qui libéra Rhodes du siège de Démétrios Poliorcète, en 304. De leur vivant, ces deux souverains bénéficièrent d’honneurs divins32, fortement relayés et appuyés par la propagande, dont nous avons encore quelques témoins: des statuettes théomorphes d’une part, représentant les souverains avec les attributs de divers dieux et montrant par là, comme l’a souligné M. Bergmann33, non pas qu’ils sont identifiés avec ces dieux, mais qu’ils agissent comme eux ; et, de l’autre, deux textes – deux témoignages donc qui appartiennent à la même catégorie «sémantique» que le texte d’Isyllos. Le premier est un chant en l’honneur de Démétrios, composé entre 294 et 287, nommé ithyphallos, à cause de son mètre, et attribué à un certain Hermoclès34. Il célèbre la venue de Démétrios Poliorcète à Athènes et chante ses parents divins, Poséidon et Aphrodite – selon M. Bergmann, cette filiation est à comprendre sur un plan métaphorique: Démétrios n’est pas le fils de ces deux dieux, mais il agit comme eux. Puis, le chant souligne la présence de ce nouveau dieu parmi les hommes de même que sa visibilité, deux traits qui le distinguent des dieux traditionnels; pour finir, il sollicite l’intervention du souverain contre les Etoliens. Le deuxième texte est une inscription du sanctuaire d’Athéna Lindia à Rhodes35. Datant
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Pour cette problématique des honneurs divins attribués à des hommes de leur vivant, cf. entre autres: C. Habicht, Gottmenschentum und griechische Städte, 2e éd., Munich, 1970 et S. R. F. Price, Rituals and Power. The Roman Imperial Cult in Asia Minor, Cambridge, 1984. 33 M. Bergmann, «Hymnos der Athener auf Demetrios Poliorketes», Weltliteratur zwischen den Disziplinen, W. Barner (éd.), Göttingen, 1997, p. 25-47 et Die Strahlen der Herrscher. Theomorphes Herrscherbild und politische Symbolik im Hellenismus und in der römischen Kaiserzeit, Mayence, 1998. 34 Ce chant est transmis par Athénée, 6, 253 d - 253 f. Il a été édité à plusieurs reprises ; cf. notamment J. U. Powell, Collectanea …, p. 173-175; E. Diehl, Anthologia …, II, 6, p. 104106; F. Jacoby, Die Fragmente der griechischen Historiker, Leyde, 1962, 76 F 13, p. 141-142; M. Marcovich, «Hermocles’ Ithyphallous for Demetrius», Studies in Graeco-Roman Religions and Gnosticism, M. Marcovich (éd.), Leyde, 1988, p. 8-19. Pour l’interprétation, cf. aussi M. Bergmann, «Hymnos der Athener …», p. 31-39 et Die Strahlen der Herrscher …, p. 25 et 33-34. 35 Pour l'édition, cf. F. Jacoby, Die Fragmente …, III, 532, p. 513-514.
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de 99 avant notre ère, ce texte, qui se base selon ses propres dires sur de nombreuses sources, contient entre autres la description de quatre épiphanies de la déesse poliade, Athéna Lindia. La troisième de ces épiphanies, malheureusement incomplète, est relative à l’intervention de Ptolémée Ier à la fin du siège de Rhodes par Démétrios Poliorcète: la déesse apparut plusieurs nuits de suite à un ancien prêtre et lui ordonna de dire à un prytane d’écrire à Ptolémée pour lui demander de venir en aide à la cité. D’abord, l’ancien prêtre n’en fit rien. Puis, il exécuta les ordres divins. Il existe suffisamment de points communs entre ces deux textes et celui d’Isyllos pour qu’une comparaison semble pertinente. Ainsi, en résumé, autant le texte d’Isyllos que le chant en l’honneur de Démétrios sont consacrés à un dieu – réel ou prétendu – qualifié de swthvr, épithète qui commémore à chaque fois la libération d’un ennemi; tous deux insistent sur la présence visible du dieu et sur son ascendance divine qui le lie à la cité en question. La confrontation des deux textes montre la supériorité d’Asclépios sur Démétrios: Asclépios vient spontanément en aide, alors que Démétrios doit être sollicité. Pour ce qui est du texte relatif à Ptolémée, il narre, comme celui d’Isyllos, l’épiphanie nocturne du dieu poliade, l’intervention d’un tiers pour rendre l’action divine efficace et l’instauration d’un culte commémoratif. Ici aussi, l’intervention d’Asclépios apparaît comme plus efficace que celle du souverain doté de l’épithète swthvr et agissant comme la déesse poliade, à sa place.
Conclusion On peut bien sûr se demander si une telle analyse et, partant, la conclusion qui en découle, à savoir la charge politique des épiclèses, est pertinente, autrement dit si les lecteurs de l’époque d’Isyllos percevaient la charge propagandiste que je propose de voir dans l’utilisation de uiJov" - fils et de swthvr - sauveur. Pour ce qui est de uiJov" - fils, la réponse affirmative semble s’imposer. Quant à swthvr - sauveur, la provenance géographique différente ainsi que la proximité chronologique des événements relatés par les deux textes relatifs aux souverains, de même que les exemples iconographiques permettent de conclure qu’au début du IIIe siècle le fait de conjuguer l’intervention d’un souverain sur le mode divin est répandu. L’un des deux textes a été transmis sous la forme d’une inscription et l’on ignore sa forme littéraire originale; l’autre est un poème de circonstance, étroitement lié au contexte historique. La diversité des genres littéraires qui illustrent ce thème montre qu’il était familier et répandu. Le fait que ces textes sont l’œuvre d’auteurs sans renom, voire anonymes va dans le même sens. De plus, la transmission de textes de ce genre est très aléatoire et bon nombre d’entre eux ont pu disparaître. Il s’ensuit que même si les contemporains d’Isyllos n’étaient peut-être pas en mesure de procéder à une analyse comparative similaire à la mienne, parce qu’ils n’avaient pas les textes sous les yeux, la problématique devait être si répandue que le dialogue qu’Isyllos me semble engager avec la propagande des souverains devait être bien audible.
Antje KOLDE Université de Genève
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Annexe LE TEXTE D’ISYLLOS [Isullo" Swkravteu" ’Epidauvrio" ajnevqhke ’Apovllwni Maleavtai kai; ’Asklapiw'i.
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1
Da'mo" eij" ajristokrativan a[ndra" aij proavgoi kalw'" aujto;" ijscurovtero": ojrqou'tai ga;r ejx ajndragaqiva". 5 aij dev ti" kalw'" proacqei;" qiggavnoi ponhriva" pavlin ejpagkrouvwn, kolavzwn da'mo" ajsfalevstero". tavnde ta;n gnwvman tovk’ h\con kai; e[legon kai; nu'n levgw. eujxavman ajngravyen, ai[ k’ eij" tavnde ta;n gnwvman pevth oJ novmo" aJmi;n o{n ejpevdeix’. e[gento d’ oujk a[neu qew'n.
2
10 Tovnd’ iJaro;n qeivai moivrai novmon hu|ren [Isullo" a[fqiton ajevnaon gevra" ajqanavtoisi qeoi'sin, kaiv nin a{pa" da'mo" qeqmo;n qevto patrivdo" ajma'", cei'ra" ajnascovnte" makavressin ej" oujrano;n eujruv[n: oi{ ken ajristeuvwsi povlho" ta'sd’ ’Epidauvrou 15 levxasqaiv t’ a[ndra" kai; ejpaggei'lai kata; fula;" oi|" poliou'co" uJpo; stevrnoi" ajretav te kai; aijdwv", toi'sin ejpaggevllen kai; pompeuven sfe komw'nta" Foivbwi a[nakt’ uiJw'i t’ ’Asklapiw'i ijath'ri ei{masin ejn leukoi'si, davfna" stefavnoi" pot’ ’Apovllw, 20 poi; d’ ’Asklapio;n e[rnes’ ejlaiva" hJmerofuvllou aJgnw'" pompeuvein kai; ejpeuvcesqai poliavtai" pa'sin ajei; didovmen tevknoi" t’ ejrata;n uJgiveian, ta;n kalokagaqivan t’ ’Epidauroi' ajei; rJevpen ajndrw'n eujnomivan te kai; eijravnan kai; plou'ton ajmemfh' 25 w{rai" ejx wJra'n novmon ajei; tovnde sevbonta". ou{tw toiv k’ ajmw'n perifeivdoit’ eujruvopa Zeuv".
3
prw'to" Ma'lo" e[teuxen jApovllwno" Maleavta bwmo;n kai; qusivai" hjglavi>sen tevmeno". oujdev ke Qessaliva" ejn Trivkkhi peiraqeivh" 30 eij" a[duton kataba;" ’Asklhpiou', eij mh; ejf’ aJgnou' prw'ton ’Apovllwno" bwmou' quvsai" Maleavta.
4
[Isullo" ’Astulaiv>dai ejpevqhke manteuvsasqaiv oiJ peri; tou' paia'no" ejn Delfoi'", o}n ejpovhse eij" to;n ’Apovllwna kai; to;n ’Asklapiovn, h] lwviovn oi{ ka ei[h ajggrav35 fonti to;n paia'na. ejmavnteuse lwviovn oi{ ka ei\men ajggravfonti kai; aujtivka kai; eij" to;n u{steron crovnon.
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’Ie; Paia'na qeo;n ajeivsate laoi; zaqeva" ejnnaevta[i] ta'sd’ ’Epidauvrou. |Wde ga;r favti" ejnevpous’ h[luq’ ej" ajkoa;" progovnwn aJmetevrwn, w\ Foi'b’ ’Apovllwn. ’Eratw; Mou'san path;r Zeu;" levgetai Mavl[wi] dovmen paravkoitin oJsivoisi gavmoi". Fleguva" d’, [o}"] patrivd’ ’Epivdauron e[naien, qugatevra Mavlou gamei', ta;n ’Eratw; geivnato mavthr, Kleofhvma d’ ojnomavsqh. jEg de; Fleguva gevnet’ Ai[gla: {d’ ojnomavsqh}tovd’ ejpwvnumon to; kavllo" de; Korwni;" ejpeklhvqh. Katidw;n d’ oJ crusovtoxo" Foi'bo" ejm Mavlou dovmoi" parqenivan Àran e[luse, lecevwn d’ iJmeroevntwn ejpevba", Latw'ie kovre crusokovma: sevbomaiv s’. ’En de; quwvdei temevnei tevketov nin Ai[gla, gonivman d’ e[lusen wjdi'na Dio;" pai'" meta; Moira'n Lavcesiv" te mai'’ ajgauav : ejpivklhsin dev nin Ai[gla" matro;" ’Asklapio;n wjnovmax’ jApovllwn, to;n novswn pauv[s]tora, dwth'r’ uJgieiva", mevga dwvrhma brotoi'". ’Ie; Paiavn, ije ; Paiavn, cai'r’ ’Asklapiev, ta;n sa;n ’Epivdauron matrovpolin au[xwn, ejnargh' d’ uJgiveian ejpipevmpoi" fresi; kai; swvmasin ajmoi'", ije ; Paiavn, ije ; Paiavn.
6
kai; tovde sh'" ajreth'", ’Asklhpiev, tou\rgon e[deixa" ejg keivnoisi crovnoi" o{ka dh; strato;n h\ge Fivlippo" eij" Spavrthn, ejqevlwn ajnelei'n basilhivda timhvn. toi'" d’ ’Asklhpio;[" h\]lqe boaqovo" ejx ’Epidauvrou timw'n ÑHraklevo" geneavn : a|" feivdet’ a[ra Zeuv". toutavki d’ h\lq’ o{c’ oJ pai'" ejk Bouspovrou h\\lqen kavmnw[n tw'i tuvga posteivconti sunavnthsa" su;n o{ploisin lampovmeno" crusevoi", ’Asklapiev. pai'" d’ ejsidwvn se livsseto cei'r’ ojrevgwn iJkevthi muvqwi se prosantw'n “a[mmorov" eijmi tew'n dwvrwn, ’Asklhpie; Paiavn, a[lla m’ ejpoivkteiron.” tu; dev moi tavd’ e[lexa" ejnargh' “qavrsei: kairw'i gavr soi ajfivxomai, ajlla; mevn’ aujtei', toi'" Lakedaimonivoi" calepa;" ajpo; kh'ra" ejruvxa", ou{neka tou;" Foivbou crhsmou;" swvizonti dikaivw" ou}" manteusavmeno" parevtaxe povlhi Lukou'rgo".” w}" o} me;n w[icet’ ejpi; Spavrthn: ejme; d j w\[r]se novhma ajggei'lai Lakedaimonivoi" ejlqovnta to; qei'on pavnta mavl’ eJxeiva". oi} d’ aujdhvsanto" a[kousan swvteiran fhvman, ’Asklapiev, kaiv sfe savwsa". oi} de; ejkavruxan pavnta" xenivai" se devkesqai swth'r’ eujrucovrou Lakedaivmono" ajgkalevonte". tau'tav toi, w\ mevg’ a[riste qew'n, ajnevqhken [Isullo" timw'n sh;n ajrethvn, w\nax, w{sper to; divkaion.
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SIXIÈME PARTIE: DES DIEUX ET DES HOMMES
1 Dédicace consacrée par Isyllos, fils de Socrate, citoyen d’Epidaure, à Apollon Maléatas et à Asclépios36. 2 Si le peuple élève avec succès les hommes à l’aristocratie, il en est renforcé; car il est stable grâce à la vertu virile. Mais si quelqu’un, élevé avec succès, touche à la bassesse et qu’il fait à nouveau marche arrière, le peuple connaîtra plus de sécurité s’il l’écarte. Cet avis était alors le mien, je le proclamais, et je continue maintenant à le proclamer. J’ai fait vœu de le graver sur la pierre au cas où la loi que j’ai publiée ratifiait mon avis. Cela advint, et non sans l’aide des dieux. 3 Isyllos a découvert cette loi sacrée avec l’accord divin, présent impérissable et éternel pour les dieux immortels, et tout le peuple l’a établie comme règle fondamentale de notre patrie, levant les mains vers le vaste ciel en l’honneur des bienheureux: choisir les hommes qui soient les meilleurs de cette cité d’Epidaure et proclamer leurs noms tribu par tribu; et ceux qui ont au cœur le courage et le respect citoyens, ce sont ceux que l’on proclamera et à qui on ordonnera de marcher en procession, dans des habits blancs et avec de longs cheveux, en l’honneur du seigneur Phoibos et de son fils, Asclépios médecin; et de marcher en procession, selon les exigences de la pureté rituelle, vers le temple d’Apollon avec des couronnes de laurier, et ensuite vers celui d’Asclépios avec les rameaux d’un olivier cultivé; et de les prier de donner à tous les citoyens et aux enfants la douce santé et de faire en sorte que la vertu civique des hommes prévale à Epidaure, de même que l’harmonie dans les lois, la paix et la richesse bien acquise, si les Epidauriens honorent cette loi de saison en saison. Ainsi, Zeus à la grande voix pourra prendre soin de nous. 4 Malos le premier construisit un autel pour Apollon Maléatas et orna son sanctuaire de sacrifices. A Tricca en Thessalie non plus, tu ne saurais te soumettre à l’épreuve, descendu dans l’aduton d’Asclépios, si tu ne sacrifies pas d’abord sur l’autel pur d’Apollon Maléatas. 5 Isyllos chargea Astylaidas de consulter pour son compte l’oracle de Delphes au sujet du péan qu’il avait composé en l’honneur d’Apollon et d’Asclépios, et de demander s’il était avantageux pour lui de faire graver le péan. L’oracle répondit qu’il était avantageux pour lui de le faire graver, dès à présent et pour les temps à venir. 6 Ié, chantez le dieu Péan, peuples qui demeurez dans la sainte Epidaure. Car voici l’histoire parvenue aux oreilles de nos ancêtres, Phoibos Apollon. On dit que son père Zeus donna la muse Erato comme épouse à Malos, noces conformes à la volonté des dieux. Et Phlégyas, qui habitait Epidaure, sa patrie, épousa la fille de Malos, qu’enfanta Erato, la mère, et elle fut appelée Kléophème. De Phlégyas naquit Aigla; c’est là son nom; mais pour sa beauté, elle fut appelée Coronis. Lorsqu’il la vit d’en
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Les parties en prose sont imprimées en italiques pour qu’elles se distinguent des parties versifiées.
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LES ÉPICLÈSES D’ASCLÉPIOS DANS L’INSCRIPTION D’ISYLLOS D’ÉPIDAURE
haut, dans la maison de Malos, Phoibos à l’arc d’or mit fin à sa saison virginale et tu es monté sur la couche charmante, fils de Léto, jeune homme à la chevelure d’or. Je t’honore ; dans le sanctuaire à l’odeur d’encens, Aigla mit au monde un enfant, et l’enfant de Zeus avec les Moires et Lachésis, la noble sage-femme, la délivrèrent d’un enfantement de bon aloi. Du nom de sa mère Aigla, Apollon le nomma Asclépios, celui qui met fin aux maladies, le dispensateur de santé, un grand don pour les mortels. Ié Péan, ié Péan, salut à toi, Asclépios, en faisant prospérer la ville de ta mère, Epidaure, puisses-tu envoyer une santé éclatante à nos esprits et nos corps, ié Péan, ié Péan. 7 Et tu as produit cet acte qui manifeste ta puissance, Asclépios, en ces temps où Philippe mena son armée contre Sparte, voulant ruiner les honneurs royaux. Asclépios est venu d’Epidaure pour les sauver, honorant la descendance d’Héraclès; Zeus a donc pris soin d’elle. Le dieu est venu, au moment où le jeune garçon de Bousporos est venu, et toi, Asclépios, tu es venu à sa rencontre alors qu’il s’approchait, brillant de tes armes d’or. Le jeune garçon, en te voyant, t’implorait en tendant ses mains, et il allait à ta rencontre avec des paroles suppliantes. «Je suis privé de tes dons, Asclépios Péan; aie donc pitié de moi». Et toi alors, tu m’as clairement dit ces paroles: « Courage! Car je viendrai vers toi au bon moment – reste donc ici – une fois que j’aurai détourné des Lacédémoniens les malheurs cruels, puisqu’avec justice, ils ont préservé les oracles de Phoibos que Lycurgue, après avoir consulté le dieu, a ordonnés pour la cité». C’est ainsi qu’il partit vers Sparte. Quant à moi, une pensée m’enjoignit d’aller annoncer l’intervention divine aux Lacédémoniens, en leur révélant tout de bout en bout. Et eux, ils écoutèrent celui qui leur annonçait le message du salut, Asclépios, et tu les as sauvés. Et ils proclamèrent que tous te recevraient avec les honneurs dus à un hôte en t’appelant le sauveur de la vaste Lacédémone. Isyllos t’a consacré cela, à toi de loin le plus puissant des dieux, en honorant ta puissance, Seigneur, comme c’est justice.
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LES ÉPICLÈSES D’ASCLÉPIOS DANS LES DISCOURS XXX ET XXXIII D’AELIUS ARISTIDE Aelius Aristide, rhéteur grec du IIe siècle ap. J.-C., séjourna plus d’une dizaine d’années à l’Asclépieion de Pergame, y observant scrupuleusement les remèdes prescrits par le dieu dans l’espoir d’obtenir la guérison. Il nous reste, à l’heure actuelle, cinquante et un discours de cet orateur. Les commentateurs ont souvent insisté sur l’omniprésence du dieu Asclépios dans le corpus aristidien1. Pourtant, l’étude approfondie des discours ne corrobore pas toujours ces jugements. On peut constater, en effet, sur un corpus réduit de cinq discours2, que les mentions relatives à Asclépios ne sont pas aussi nombreuses qu’on aurait pu le supposer d’après les analyses qui se sont succédé depuis le XIXe siècle3. Après étude systématique, et repérage de toutes les occurrences à l’intérieur de ce corpus, il ressort que seuls deux discours, les discours XXX et XXXIII4, présentent un nombre significatif de qualificatifs et d’appellations du dieu. Ce sont donc tout particulièrement ces textes qui retiendront notre attention, afin de nous permettre de déterminer si les dénominations d’Asclépios prennent une coloration particulière sous la plume d’Aristide, un de ses plus fervents dévots.
Présentation des discours XXX: le Discours d’anniversaire à Apellas, un élève du rhéteur à Pergame, serait une œuvre de commande de la famille d’Apellas. Le jeune garçon (quatorze ans?) devait la même année présider des jeux en l’honneur d’Asclépios. Ce discours aurait été tenu en 1475, alors qu’Aristide venait de passer ses deux premières années de soins dans l’Asclépieion de Pergame.
1 Par exemple, A. Baumgart, Aelius Aristides als Repräsentant der sophistischen Rhetorik des zweiten Jahrhunderts der Kaiserzeit, Leipzig, 1874, p. 56; A. Boulanger, Aelius Aristide et la sophistique dans la province d’Asie au IIe siècle de notre ère (Bibliothèque des Ecoles françaises d’Athènes et de Rome, 126), Paris, 1923, p. 491; B. P. Reardon, Courants littéraires grecs des IIe et IIIe siècles après J.-C. (Annales littéraires de l’Université de Nantes, 3), Paris, 1971, p. 122. 2 Discours XXX à XXXIV. 3 Mis à part C. A. Behr, Aelius Aristides and the Sacred Tales, Amterdam, 1968, p. 90, qui note que les mentions d’Asclépios deviennent l’exception dans les discours aristidiens à partir de 155, ce qui paraît également, mais à rebours, trop affirmatif. 4 La numérotation des discours d’Aelius Aristide dans le présent article suit, sauf mention contraire, celle de l’édition de B. Keil, Aelii Aristidis Smyrnaei quae supersunt omnia. II: or. XVII-LIII, Berlin, 1898. 5 Les dates mentionnées, qui n’ont aucun caractère de certitude, sont celles retenues par C. A. Behr, P. Aelius Aristides, The Complete Works. Translated into English, 2 vol., Leyde, 1981-1986, t. 2, note 1 du discours XXX, p. 389.
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XXXIII: A ceux qui lui reprochaient de ne pas déclamer est une violente diatribe peut-être écrite en septembre 1666, sous forme d’une lettre à un ami, après une longue période d’inactivité oratoire liée à des problèmes de santé. Aristide, non seulement répond à des accusations, mais attaque aussi avec virulence les autres orateurs7. Parmi les épithètes et les qualificatifs adressés au dieu dans ces deux discours, Aristide puise volontiers dans un répertoire relativement commun et utilisé par les Grecs au cours des âges pour célébrer leurs dieux. Pourtant, un certain nombre de ces qualificatifs, malgré l’usage courant qui en est fait dans le monde grec, témoigne du lien privilégié qui s’est tissé entre l’orateur et le dieu. Nous allons parcourir ces différentes dénominations à travers quatre regroupements: le dieu swthvr, le guide, l’inspirateur de l’orateur et le dieu personnel8.
Le dieu de la guérison, le sauveur (swthvr) a) Or. XXX, § 1 : tw/` swth'ri kai ; tou' bivou kaqhgemovni kai ; pa'n o{ ti a]n ei[poi" : «[avant et après eux]9, au sauveur et conducteur de la vie et toutes les expressions que l’on pourrait employer» 10. b) Or. XXX, § 27: ajpo th'" aJlourgivdo" th'" iJera'" tou' swth'ro": «[nous te verrons revêtir avantageusement l’apparence plus charmante] que donne la robe de pourpre sacrée du Sauveur 11. La mention du dieu swthvr encadre le discours (premier et avant-dernier paragraphe), ce qui indique l’importance de cette épithète pour l’orateur. Celle-ci est couramment utilisée pour qualifier les dieux grecs, y compris par Aristide12. Malgré cette fréquence il semble difficile de suivre l’analyse de Behr, en se contentant de considérer que l’épithète est uniquement un terme des écoles de rhétorique13, point de vue qui en affaiblit considérablement la portée. On sait que le polythéisme grec partage volontiers des épithètes entre plusieurs dieux. Mais, appliqué à Asclépios, ce terme a certainement pour Aristide une signification beaucoup plus forte, d’abord à cause de sa fréquentation assidue du sanctuaire, ensuite à cause de l’action du dieu telle qu’il la vivait.
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Behr, ibid., t. 2, note 1 du discours XXXIII, p. 396. Il va de soi, qu’au-delà de ces deux discours, nous serons amené à faire des parallèles avec d’autres discours d’Aristide, en particulier les hymnes et les Discours sacrés. 8 Toutes les citations concernant les épiclèses d’Asclépios dans ces deux discours sont regroupées, avec leur traduction, dans l’appendice à la fin de l’article, dans l’ordre où elles apparaissent dans les discours. 9 Il s’agit de tous les autres dieux du panthéon grec: en ce jour d’anniversaire, des prières sont adressées aux dieux, en premier, et en dernier, à Asclépios, ce qui traduit évidemment le rôle particulier joué par cette divinité à Pergame, auprès de la famille d’Apellas et chez le rhéteur lui-même. 10 Les traductions des discours XXX et XXXIII sont des traductions personnelles. 11 Le jeune garçon devait la même année être nommé agonothète de jeux en l’honneur d’Asclépios. 12 Discours XLV, 20, Hymne à Sarapis: swth'ra pavntwn ajnqrwvpwn; discours XLIII, 1, Hymne à Zeus: Zeu' basileu' te kai; sw'ter; discours L, 32, Discours sacrés IV: tw/' A j povllwni tw'/ Dhlivw/ te kai; Swth'ri (à Apollon délien et sauveur). 13 C. A. Behr, Aelius Aristides and the sacred Tales, Amsterdam, 1968, p. 47. 7
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Cette épithète a, tout d’abord, indéniablement une valeur cultuelle, le culte d’Asclépios à Pergame étant particulièrement développé. Cela apparaît nettement dans les Discours sacrés (III, 7) avec la mention du temple du Sauveur (ejn Swth'ro") 14, pour qualifier le temple du dieu. En effet, le temple d’Asclépios Sôter à Pergame, qui date des rois Attalides au IIIe siècle av. J.-C., est un des édifices les plus importants du sanctuaire. Il faut noter, d’ailleurs, la présence d’ex-voto avec des dédicaces à Asclépios Sôter, datant de l’époque hellénistique, retrouvés sur le site et qui se trouvent actuellement au musée de Pergame15. Dans l’esprit d’Aristide, qui pensait avoir été sauvé, au sens propre, par le dieu guérisseur, l’épithète est, donc, à prendre au sens le plus fort. Aristide considérait clairement le dieu comme le seul médecin en qui il pouvait avoir confiance16. Cette épithète, qui qualifie fréquemment Asclépios dans les discours d’Aristide17 a, semblet-il, généralement à voir avec l’Asclépios de Pergame. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il est mentionné dans le discours d’anniversaire d’Apellas, la cérémonie ayant lieu dans cette cité et les parents d’Apellas ayant des liens privilégiés avec la divinité en tant que prêtres. Le jeune garçon lui-même, comme l’indique la citation du § 27, est destiné au service du dieu. L’emploi de ce terme souligne donc d’emblée la relation privilégiée entretenue par l’orateur avec l’Asclépios de Pergame. Mais, si l’on prend en compte l’ensemble de la citation du § 1, on est amené à penser, ou du moins à poser l’hypothèse, que, non seulement Asclépios fut, pour Aristide, le dieu de la guérison qui l’avait sauvé par ses remèdes, mais qu’il avait également une dimension plus importante pour l’orateur, celle d’une divinité qu’il convient de célébrer lors de cette cérémonie d’anniversaire, de façon particulièrement solennelle, «avant et après les dieux de la naissance et de la famille» (prov ge touvtwn kai; meta; touvtou") 18. Se pose alors, naturellement, la question de savoir si l’épithète swthvr, dont l’importance a été soulignée, confère au dieu, dans l’esprit d’Aristide, une valeur eschatologique, qui ferait de lui également un dieu du salut 19. Il est malheureusement très difficile, uniquement à l’aune de ces citations, de se faire une idée très précise, même si le dieu, à travers cette épithète, – mais pas uniquement, comme nous le verrons – est particulièrement distingué et se
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Discours XLIX. On retrouve ces indications dans un certain nombre de guides du site de Pergame, par exemple V. Bayraktar, Pergame, s. l., 1987, p. 105, illustration d’un ex-voto d’époque hellénistique avec la dédicace à Asclépios Sôter. 16 Discours XLVII, 57, Discours sacrés I : « le médecin véritable et approprié à mes maux » : to;n ajlhqino;n kai ; proshvkonta hJmi'n ijatrovn. 17 Discours XLII, 4, Hymne en l’honneur d’Asclépios: swth;r tw'n o{lwn kai; fuvlax tw'n ajqanavtwn «Sauveur de toutes choses et gardien des choses immortelles»; discours XXXIX, 3, Eloge du puits du sanctuaire d’Asclépios à Pergame: tovn te swth'ra qeovn ; discours XXIII, 14, Sur la concorde: teleutai'on tmh'ma th'" povlew" o} tw/' swth'ri kaqwsivwtai «le dernier quartier de la cité qui a été consacré au sauveur». 18 Pour un état plus complet de cette citation du § 1, se reporter à l’appendice. 19 On connaît la fortune du mot dans la tradition chrétienne: Timothée, I, 4, 10: … qew/' zw'nti, o{" ejstin swth;r pavntwn ajnqrwvpwn, «… le dieu vivant, qui est le sauveur de tous les hommes», Luc, I, 47; Actes, XXIII, 23; Timothée, I, 1. 15
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détache presque comme une figure du monothéisme20. D’ailleurs, le caractère du dieu sauveur est renforcé par l’expression kai; tou' bivou kaqhgemovni qui précise l’image de la divinité.
Le guide a) Or. XXX, § 1: kai; tou' bivou kaqhgemovni kai; pa'n o{ ti a]n ei[poi". b) Or. XXX, § 22: eij" qeo;n hJgemovna tou' pantov" : «au dieu qui conduit le tout». Avec cette appellation, Aristide amplifie le rôle du dieu. Pas plus que swthvr, les qualificatifs hJgemwvn et kaqhgemwvn ne sont réservés, dans l’Antiquité, à Asclépios 21. Il apparaît donc, à l’instar d’autres divinités, comme celui qui montre la voie dans la vie mais aussi, au § 22, comme le maître de toutes choses, qualificatif que l’on attendrait plutôt pour Zeus. Il faut, à ce propos, relever l’ambiguïté du passage du § 22. Il est, en effet, difficile de déterminer si l’expression s’applique à Asclépios ou à Zeus lui-même. Reprenons, en effet, la citation dans sa totalité: tiv d ja]n ei[poi" o{tan eij" qeo;n hJgemovna tou' panto;" ajnafevrh/ kai; qeo;n w|/ mevlein ejk progovnwn aujto;" ejdovqh: «que pourrait-on dire chaque fois qu’il l’impute au dieu qui conduit le tout et au dieu au service duquel il fut consacré en personne depuis ses ascendants». On peut comprendre que l’orateur parle de deux dieux différents dans ce passage, d’abord Zeus (qeo;n hJgemovna tou' panto;"), puis Asclépios (qeo;n w|/ mevlein ejk progovnwn aujto;" ejdovqh) les deux divinités étant reliées dans la phrase par la conjonction kaiv. Ainsi, dans les Discours sacrés (I, 30) on retrouve, concernant Zeus, une appellation voisine de la nôtre : « je célèbre Zeus, le souverain de toutes choses » (Diva to;n pavntwn u{paton klhv/zw). Mais, l’on pourrait également considérer que les deux groupes de mots, de part et d’autre du kaiv sont destinés à un seul et même dieu, Asclépios. Cette ambiguïté se comprendra mieux si l’on replace le discours dans ce qui était l’entourage direct d’Aristide à Pergame. En effet, à l’époque où il écrit et prononce le discours d’anniversaire d’Apellas, un nouveau temple voit le jour dans le sanctuaire, celui de Zeus-Asclépios, financé par l’un de ses amis, Rufinus, citoyen de Pergame parvenu au rang consulaire sous Antonin le Pieux22. Ce temple, vraisemblablement inspiré de l’architecture du Panthéon à Rome – et qui est qualifié par Aristide de temple multiforme (new ;" oJ polueidhv", Discours sacrés, IV, 28) – célèbre l’apothéose du dieu sauveur, Asclépios,
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On ne peut rester insensible à l’expression pa'n o{ ti a]n ei[poi" destinée à faire comprendre à l’auditeur qu’Asclépios mériterait tous les qualificatifs ordinairement attribués aux dieux et qu’il représente à lui seul, comme le souligne l’adjectif pa'n, une sorte de panthéon. 21 Par exemple, Dionysos, dans un décret d’Elée ou de Pergame (IIe siècle ap. J.-C.) ou Artémis dans un décret daté du début du IIIe siècle, G. Dittenberger, Sylloge inscriptionum graecarum, 3e éd., II, Leipzig, 1917, n° 694, l. 46 et 559, l. 36; ou Aphrodite chez Plutarque, Thésée, 18. 22 On trouve mention de ce personnage et de son action également chez Galien: «…Costunius Rufinus, celui qui nous a fait construire le temple de Zeus-Asclépios», P. Moraux, Galien de Pergame, Souvenirs d’un médecin, Paris, 1985, p. 111.
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qui possède toutes les qualités divines. Aristide lui-même le dit clairement dans cette conception qu’a été construit le temple de Zeus-Asclépios»23. Le dieu guérisseur, par cette assimilation avec Zeus, acquiert donc, à cette époque, dans l’esprit d’un certain nombre de ses disciples, une dimension qui le rapproche des conceptions monothéistes. Asclépios, cela apparaît clairement à présent, n’est pas seulement loué pour son action de guérisseur, mais acquiert, pour Aristide, le statut du dieu qui guide toute sa vie. Ainsi, dans les Discours sacrés (I, 2), Aristide relate un rêve dans lequel il est face à l’empereur Marc Aurèle. On apprend, à cette occasion, qu’Asclépios donne des prescriptions à l’orateur dans tous les domaines de la vie et Aristide y apparaît comme le qerapeuthv", dévot du dieu, à l’écoute de son maître: «Outre ses autres préceptes, ajoutai-je, le dieu m’a fait celui-ci, de ne pas baiser la main de cette manière », répondit-il à l’empereur qui lui reprochait de ne pas l’avoir salué selon les convenances. Aussi, pour revenir au problème de compréhension du paragraphe 22, évoqué ci-dessus, nous serions tentés d’interpréter l’invocation comme s’adressant à un seul dieu, Asclépios, manifestement assimilé au Zeus-Asclépios dans l’esprit d’Aristide24. Mais, de façon plus personnelle, Asclépios est aussi le protecteur de l’orateur, celui dont les interventions lui permettent de mener à bien ses discours.
Le dieu tutélaire: protecteur et inspirateur de l’orateur a) L’épithète eujmenhv" : Or. XXXIII, § 33: e{w" oJ qeo;" eujmenh;" h/\ : «tant que le dieu sera propice». L’épithète eujmenhv" n’est pas rare, dans l’Antiquité, pour qualifier des dieux, surtout dans le cadre d’une prière ou d’un souhait 25. On la retrouve chez Aristide lorsqu’il demande à la divinité de l’aider à parler 26. Elle apparaît ici à la fin du discours et s’apparente à une sorte de vœu proche de la prière. Elle ouvre donc sur l’avenir et, plus spécialement, sur l’avenir de l’orateur, puisque l’aide du dieu est clairement annoncée comme indispensable pour les discours à venir. b) Le maître: Notre orateur s’adresse directement à lui en usant du qualificatif de despovth", terme souvent utilisé par les Grecs pour leurs dieux. Or. XXX, § 14 et 28: «maître»: w\ devspot’ ’Asklhpiev... w\ devspota Comme dans ce discours, Aristide utilise généralement le terme de despovth" dans le contexte des prières (Discours sacrés, IV, 50). Bien entendu, l’emploi de ce mot souligne chez celui qui l’utilise une reconnaissance du pouvoir de la divinité. Ces dénominations rappellent une prière du début du discours et interviennent chaque fois dans le cadre d’une demande au dieu. Au paragraphe 14, en particulier, l’orateur deman-
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Discours XLII, 4, Hymne en l’honneur d’Asclépios. Le texte lui-même pousse à cette interprétation, en particulier l’absence d’article qui laisse à penser qu’il s’agit d’un seul dieu. Behr (op. cit., supra, n. 5), t. 2, note 45 du discours XXX, p. 392, choisit l’interprétation inverse et pense que la remarque s’adresse à Zeus et à Asclépios («Zeus and Asclepius repectively»). 25 Eschyle, Les Suppliantes, 686 : eujmenh ;" d’ oJ Luvkeio" e[stw pavsa/ neolaiva/ « qu’Apollon Lycien soit propice à tous leurs enfants». 26 Discours XXXIV, 42: «qu’un dieu bienveillant guide mon propos». 24
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de l’assistance du dieu pour la suite de son discours. Les propos du paragraphe 28 viennent, en conclusion, souligner que cette prière a été entendue par le dieu et que les paroles qu’il vient de prononcer sont de nature divine. Par le terme de despovth", l’orateur souligne avec force pour ses auditeurs que son éloquence possède un caractère divin, puisqu’elle est inspirée par le dieu qui entend et répond aux prières de son adepte. Cette situation privilégiée lui permet également de revendiquer une supériorité27. Asclépios est donc aussi pour Aristide le dieu qui insuffle la parole à l’orateur28 (cf. Discours sacrés, IV, 14 sq.). Il devient, par ce biais, non seulement le dieu de l’éloquence, mais aussi son dieu personnel.
Le dieu personnel a) Or. XXXIII, § 2: notre protecteur: jAsklhpiov" te prostavth" hJmevtero" kai; Zeu;" oJ pavnta nevmein kuvrio": «Asclépios notre protecteur, et Zeus le maître de l’univers». Dès le début du discours XXXIII l’orateur demande l’inspiration et le soutien d’Asclépios, associé, à nouveau, à Zeus, pour la tenue du discours. Le dieu y est qualifié de prostavth", celui qui, étymologiquement, se tient devant, parce qu’il détient le pouvoir (on retrouve ainsi la notion de guide) et pour ouvrir la route, donc protéger. Aristide emploie volontiers ce terme pour qualifier les dieux. C’est même par ce mot de prostavth" que se clôt l’Hymne à Athéna (Or. XXVII). La particularité, dans le discours XXXIII, est l’adjectif possessif hJmevtero", par lequel Aristide s’approprie en quelque sorte la divinité pour en faire son dieu personnel. Asclépios devient son patron ou, comme le dit Behr, son maître en toutes circonstances 29. On retrouve cet aspect étonnant dans les citations des discours XXXIII (§ 18) et XXX (§ 26). b) Or. XXXIII, § 18: uJpo; tw'/ megivstw/ kai; filanqrwpotavtw/ tw'n kubernhtw'n, o}" hJmi'n ajei; tou;" 30 ajnei'cen to; mh; katadu'nai. «sous la protection du plus grand et bienfaisant des pilotes, qui soutenait toujours […] pour nous éviter de couler ». Le paragraphe 18 représente à peu près le milieu du discours. Aristide y opère une sorte de réflexion rétrospective sur le déroulement de sa carrière sous les auspices d’Asclépios.
27 Discours XXXIII, 33: «pour moi, même ainsi je n’arrêterai pas de parler, tant que le dieu sera bienveillant; quant à vous, vous resterez toujours ignorants». 28 Discours sacrés, IV, 14: «…le dieu me commande et me presse de ne pas abandonner l’art oratoire», trad. A. J. Festugière, Aelius Aristide, Discours sacrés, introd. et trad. par A. J. Festugière, Paris, 1986. L’inspiration oratoire chez Aristide a été traitée en détail par L. Pernot, La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, t. I: Histoire et technique; t. II: Les Valeurs, Paris, 1993, p. 627-631: Asclépios est, certes, l’une des divinités qui ont le plus inspiré l’orateur, mais il en est d’autres, par exemple Athéna, qui ont su le guider. 29 C. A Behr, Aelius Aristides …, p. 46: «the god was now in every way Aristides’ teacher». 30 Keil signale une lacune à cet endroit.
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LES ÉPICLÈSES D’ASCLÉPIOS DANS LES DISCOURS XXX ET XXXIII D’AELIUS ARISTIDE
Nous nous intéresserons d’abord à la métaphore du pilote avant de revenir au pronom personnel hJmi'n, qui renvoie à ce qui a été dit plus haut. L’évocation du pilote de navire peut, d’abord, être comprise dans un sens premier si l’on se réfère à des épisodes relatés dans les Discours sacrés: grâce à Asclépios, Aristide a échappé à des naufrages. Il a même permis à ses compagnons de voyage et aux marins d’y échapper. Mais, pour le peuple de marins qu’étaient les Grecs, les termes de navigation étaient également couramment utilisés dans le champ politique. Ainsi Tirésias dit à Créon qu’il a «bien dirigé le vaisseau de l’Etat» 31, ce dont nous avons gardé la trace en français dans les mots de la famille de gouverner. Il s’agit bien pour le dieu d’éviter à son protégé les écueils de la vie. Nous retrouvons ainsi des notions assez proches de l’ hJgemwvn ou du prostavth". C’est pourquoi, dans l’esprit de l’orateur, le dieu peut, sans exagération, être qualifié de filanqrwpotavtw/, car il est très proche des humains et surtout, bien sûr, d’Aristide, dans toutes les circonstances de la vie et non pas seulement en tant que dieu guérisseur. C’est, en effet, cette épithète de filavnqrwpo" qui est employée pour les dieux qui viennent au secours des humains32. Aristide lui-même fait souvent part de la filanqrwpiva des dieux dans les hymnes33. Le discours XXXIII, sans être un hymne, met singulièrement en valeur la bienfaisance hors du commun du dieu, par l’utilisation du superlatif. Il est du reste accompagné d’un autre superlatif (megivstw/), ce qui permet à l’orateur de distinguer Asclépios parmi les autres dieux. De même, l’adverbe ajeiv souligne que son action est inscrite dans l’éternité. Mais, cette bienfaisance du dieu, est, tout particulièrement, destinée (hJmi'n) à l’orateur lui-même. En effet, comme pour la citation précédente, il faut attacher la plus grande importance au pronom hJmi'n qui souligne, à nouveau, la très grande proximité d’Aristide avec le dieu, élément que l’on retrouve dans le discours XXX (§ 26). c) Or. XXX, 26: pavntw" ouj povrrw mantikh'" hJmi'n ejstin, jApovllwno" w[n : «d’une manière générale pour nous il n’est pas éloigné de l’art de la divination, en tant que fils d’Apollon». Dans ce passage, Aristide rappelle la filiation d’Asclépios, trait caractéristique de la civilisation grecque. Asclépios, parce qu’il est fils d’Apollon, a le don de prédire l’avenir. Aristide évoque cette qualité du dieu pour annoncer dans son discours le glorieux destin de son élève. Cette remarque de circonstance, s’inscrit néanmoins comme un autre signe de la filanqrwpiva du dieu à l’égard de l’orateur, puisque, jusque dans la connaissance de l’avenir, Aristide sera son porte-parole fidèle. En effet, le pronom hJmi'n indique clairement aux auditeurs que le bénéficiaire des prophéties du dieu n’est autre que l’orateur lui-même, en tant qu’interlocuteur privilégié, ce qui donne à ses propos une vérité quasi divine.
31
ejnauklhvrei": Sophocle, Antigone, 994. C’est ce terme qui est mis dans la bouche d’Aristophane par Platon dans le Banquet, au début de son discours (189 c) pour qualifier l’Amour: «il n’y a pas de dieu qui soit plus ami de l’homme; car il vient en aide à l’humanité…», trad. L. Robin, éd. C.U.F. 33 Hymne à Athéna (Or. XXXVII), 13, 14, 16, 24; Hymne à Asclépios (Or. XLII) 7; Hymne à Zeus (Or. XLIII) 6, 14, 18… 32
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SIXIÈME PARTIE: DES DIEUX ET DES HOMMES
Conclusion Asclépios, dans ces discours, apparaît doté de toutes les qualités: c’est le dieu sauveur, qui guérit, mais aussi celui à qui il convient de confier toute sa vie comme on la confie au pilote. C’est aussi celui à qui l’on se soumet totalement, le despovth" ou l’ hJgemwvn qu’il faut être prêt à suivre. Ces dénominations rythment les deux discours: dans le discours XXXIII elles apparaissent au début, au milieu et à la fin, illustrant l’aide et le soutien du dieu qui rythme la vie de l’orateur dans son passé, son présent et son avenir; l’épiclèse swthvr, quant à elle, ouvre et clôt le discours XXX. Ce travail d’inscription des dénominations dans les textes laisse à lui seul entrevoir que, même si Aristide parle du dieu en des termes souvent convenus, dans sa bouche ces qualificatifs prennent une autre résonance. En effet, la fréquentation assidue du temple d’Asclépios Sôter, connue par les Discours sacrés, qui donnent à cette épithète un nouvel écho, ou encore l’usage des adjectifs ou pronoms personnels de la première personne, impriment à ces qualificatifs le double mouvement d’une dimension d’universalité prise par le dieu, en même temps que le signe de l’existence d’une relation privilégiée avec la divinité. Aristide semble quasiment s’approprier Asclépios en mettant en lumière la proximité qu’il entretenait avec lui. Ces qualificatifs représentent, à leur dimension, ce que soulignait le traducteur français des Discours sacrés, A. J. Festugière, à propos de la vie d’Aristide: l’«exemple remarquable d’une religion personnelle, d’un attachement personnel à une divinité»34.
Jean-Luc VIX Université Marc Bloch – Strasbourg II
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A. J. Festugière, Aelius Aristide…, p. 18.
LES ÉPICLÈSES D’ASCLÉPIOS DANS LES DISCOURS XXX ET XXXIII D’AELIUS ARISTIDE
Appendice LES DÉNOMINATIONS DU DIEU ASCLÉPIOS DANS LES DISCOURS XXX ET XXXIII D’AELIUS ARISTIDE35 Discours XXX: Discours d’anniversaire en l’honneur d’Apellas 1) § 1: {Osa me;n dh; qeoi'" geneqlivoi" te kai; patrwv/oi" kai; prov ge touvtwn kai; meta; touvtou" tw/` swth'ri kai; tou' bivou kaqhgemovni kai; pa'n o{ ti a]n ei[poi" eijkovta h\n… : « Toutes les prières assurément qui convenaient aux dieux de la naissance et de la famille et, bien sûr, avant et après eux, au sauveur et conducteur de la vie et toutes les expressions que l’on pourrait employer…». 2) § 14: w\ devspot’ ’Asklhpie;,– mikrw'/ mevn se provsqen ejpi; tai'" eujcai'" ejkavloun, pareivh" d j ejpi; panti;, kai; mavlist j ejpi; toi'" nuni; legomevnoi" - w\ devspota, so;n h\n e[rgon a[ra: «Maître Asclépios, – il y a peu de temps je t’invoquais pour que tu prêtes assistance à mes souhaits: puisses-tu être présent en tout et plus particulièrement dans les paroles de ce jour, – ô Maître, ceci était donc ton œuvre…». 3) § 22: tiv d j a]n ei[poi" o{tan eij" qeo;n hJgemovna tou' panto;" ajnafevrh/ kai; qeo;n, w|/ mevlein ejkprogovnwn aujto;" ejdovqh: «que pourrait-on dire chaque fois qu’il impute (sa bonne nature) au dieu qui conduit le tout et au dieu au service duquel il fut consacré en personne depuis ses ascendants …». 4) § 26: pavntw" ouj povrrw mantikh'" hJmi'n ejstin, jApovllwno" w[n : «De manière générale, pour nous, il n’est pas éloigné de l’art de la divination, en tant que fils d’Apollon». 5) § 27: se prosblevyomen […] hJdivw prosbavllonta th;n o[yin ajpo; th'" aJlourgivdo" th'" iJera'" tou' swth'ro": «nous te verrons revêtir avantageusement l’apparence plus charmante que donne la robe de pourpre sacrée du Sauveur …». 6) § 28: sa; tau'ta, w\ devspota : «ces paroles sont tiennes, Maître …».
Discours XXXIII: à ceux qui lui reprochaient de ne pas déclamer 1) § 2: jAsklhpiov" te prostavth" hJmevtero" kai; Zeu;" oJ pavnta nevmein kuvrio" parevcoi dia; tevlou": «Puissent exaucer ces vœux, sans relâche, Asclépios notre protecteur, et Zeus le maître de l’univers».
35 Le lecteur retrouvera dans cet appendice les citations, souvent plus complètes que dans le corps de l’article, et dans l’ordre où elles apparaissent dans les deux discours. Sont soulignés les passages qui concernent plus spécifiquement l’objet de l’enquête.
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2) § 18: uJpo; tw'/ megivstw/ kai; filanqrwpotavtw/ tw'n kubernhtw'n, o}" hJmi'n ajei;tou;" 36 ajnei'cen to; mh; katadu'nai: «sous la protection du plus grand et bienfaisant des pilotes, qui soutenait toujours … pour nous éviter de couler». 3) § 33: ejgw; me;n ga;r oujd j ou{tw" ajnhvsw levgwn e{w" oJ qeo;" eujmenh;" h/\: «je n’arrêterai pas de parler, tant que le dieu sera propice».
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Keil signale une lacune à cet endroit.
LE RÔLE DE L’ÉPICLÈSE VLTOR DANS LES FASTES D’OVIDE En 42 av. J.-C., sur le champ de bataille de Philippes, Octavien promet à Mars un nouveau temple dans lequel il sera honoré sous le nom d’Vltor, «vengeur», s’il lui accorde la victoire sur les meurtriers de César1. Ce temple n’est consacré qu’en 2 av. J.-C., et il bénéficie d’un statut exceptionnel à plus d’un titre. En effet, c’est le premier temple de Mars qui soit situé à l’intérieur du pomerium2. Les Romains distinguaient strictement imperium domi et imperium militiae, et le dieu de la guerre était donc relégué, jusqu’alors, à l’extérieur de l’enceinte sacrée3. Principal monument du Forum Augustum, ce temple de Mars Vltor a une dimension dynastique très affirmée: dans les exèdres, les rois d’Albe et les ancêtres de la gens Iulia font face aux grands hommes de la République romaine. Mars et Vénus sont associés dans la cella – où figure aussi une statue du Diuus Iulius – comme couple fondateur de la gens Iulia et du peuple romain4. Le temple se voit, en outre, attribuer des privilèges qui étaient auparavant ceux de Jupiter Capitolin, notamment l’accomplissement des rites concernant la guerre et le triomphe5, si bien que certains historiens ont pu évoquer une concurrence entre les deux dieux, et un déclin du prestige de Jupiter, au profit de Mars. Enfin, le
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Ovide, Fastes, V, 577: Templa feres et me uictore uocaberis Vltor; Suétone, Aug., 29, 3: Aedem Martis bello Philippensi pro ultione paterna suscepto uouerat. 2 Les principaux sanctuaires de Mars à Rome étaient un très vieil autel sur le champ de Mars, un temple consacré en 388 av. J.-C. devant la porte Capena, un temple dédié par le consul Brutus Callaicus, en 138 av. J.-C., près du Circus Flaminius, et un temple consacré à Mars Inuictus, dont on ne connaît ni la date d’inauguration, ni l’emplacement, et que seuls les calendriers mentionnent. Voir G. Wissowa, Religion und Kultus des Römer, Munich, 1971 (reproduction de la 2e éd., parue en 1912 = Wissowa 1912) p. 146. (Le bâtiment du Palatin dans lequel sont conservés les boucliers sacrés n’est pas, à proprement parler, un temple de Mars, mais plutôt un lieu de réunion de ses prêtres, les Saliens. Voir E. Marbach, Real-Encyclopädie, XIV, 2, 1930, col. 1922.) 3 J. Rüpke, Domi militiae. Die religiöse Konstruktion des Krieges in Rom, Stuttgart, 1990, p. 29-41. 4 P. Zanker, Augustus und die Macht der Bilder, Munich, 3e éd., 1997, p. 196-204 (Plan du Forum d’Auguste et reconstitution du programme statuaire: figure 149 p. 197). – Sur les relations entre Mars et Vénus dans les Fastes d’Ovide et dans la Rome d’Auguste, voir A. Barchiesi, Il poeta e il principe. Ovidio e il discorso augusteo, Rome - Bari, 1994, p. 45-55. 5 Les membres de la famille impériale y sacrifient après la prise de la toge virile, les magistrats partent de ce temple vers les provinces extérieures, le Sénat y prend les décisions concernant les guerres et les triomphes, les triomphateurs y déposent leurs insignes, on y entrepose les enseignes prises à l’ennemi, un clou y est planté par les censeurs à la fin du lustre. Voir Dion Cassius, LV, 10, 2-8, Suétone, Aug., 29, A. Chambalu, «Flaviana», Philologus, 51, 1892, p. 731; Wissowa 1912, p. 78.
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culte de Diuus Augustus sera d’abord célébré dans le temple de Mars Vltor6. Vengeur de son père et par là, héritier de son nom, Auguste est donc promis, lui aussi, à la divinisation post mortem. On étudiera quel rôle joue l’épiclèse Vltor dans la préparation de l’apothéose. Remarquons que la séquence des Fastes d’Ovide consacrée à Mars Vltor s’ouvre et se ferme sur cette épiclèse: Vltor est le premier mot du v. 551 et le dernier du v. 577; le dernier mot du v. 595 est ulto. Ovide, Fastes, V, 551-5527 : Vltor ad ipse suos caelo descendit honores Templaque in Augusto conspicienda foro «Le Vengeur en personne descend du ciel pour contempler les honneurs qui lui sont rendus, son temple sur le forum d’Auguste». Ovide, Fastes, V, 577: Templa feres et me uictore uocaberis Vltor «Tu recevras un temple et, si je suis vainqueur, tu seras appelé Vengeur». Ovide, Fastes, V, 595-596: Rite deo templumque datum nomenque bis ulto Et meritus uoti debita soluit honor8 «C’est à juste titre que ce temple et ce nom furent donnés au dieu deux fois Vengeur, et par cet honneur bien mérité, la promesse du vœu fut acquittée».
Nous tenterons de montrer que l’épiclèse a un sens ouvert, adaptable au contexte, et qu’elle peut être considérée comme un honneur rendu au dieu, en échange d’un service rendu, ou comme une contrainte exercée sur lui, pour définir son domaine d’intervention. Enfin, nous analyserons le rôle de l’épiclèse Vltor dans la divinisation d’Auguste.
L’épiclèse a un sens «ouvert», toujours renouvelé par l’interprétation étiologique Mars fut d’abord invoqué sous le nom d’Vltor pour venger le meurtre de César, mais lorsque son temple est enfin inauguré, en 2 av. J.-C., l’épiclèse est désormais
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Dion Cassius, LVI, 46. Voir L. R. Taylor, The Divinity of the Roman Emperor, Middletown (Connecticut), 1931, p. 230. Sur le débat concernant la date d’inauguration du temple de Mars Vltor, le 12 mai ou le 1er août de l’an 2 av. J.-C., voir la mise au point de C. J. Simpson, «The date of dedication of the temple of Mars Ultor», Journal of Roman studies, 67, 1977, p. 91-94. 7 Le texte des Fastes est cité dans l’édition commentée de R. Schilling, Collection des Universités de France, 2, Paris, 1993. Les traductions proposées sont personnelles. 8 Lorsqu’un Romain fait un vœu, il attend que la divinité invoquée ait rempli sa part du contrat pour s’acquitter des honneurs qu’il lui a promis. En conséquence, le mécanisme du vœu ne doit pas être résumé, selon J. Scheid, par la formule «Do ut des», comme on le fait traditionnellement, mais plutôt par «Da ut dem»: ceci modifie la chronologie des événements, donc la conception des relations entre hommes et dieux. Voir J. Scheid, «Hoc anno immolatum non est. Les aléas de la uoti sponsio», Scienze dell’Antichità, 3-4, 1989-1990, p. 775-783 .
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LE RÔLE DE L’ÉPICLÈSE VLTOR DANS LES FASTES D’OVIDE
justifiée d’une nouvelle façon: le dieu a permis de venger l’humiliante défaite de Crassus contre les Parthes, survenue à Carrhes, en 53 av. J.-C. Ceux-ci ont enfin restitué, en 20 av. J.-C., les enseignes prises aux légions romaines, qui seront exhibées dans le temple de Mars Vltor comme de véritables trophées de victoire – même si les Parthes furent convaincus de les rendre par une simple ambassade, et non par un glorieux combat de l’armée romaine9. Ovide, Fastes, V, 579-580: Non satis est meruisse semel cognomina Marti: Persequitur Parthi signa retenta manu «Il ne lui suffit pas d’avoir gagné une seule fois ce surnom pour Mars: il veut reconquérir les enseignes retenues par la main du Parthe». Ovide, Fastes, V, 595: Rite deo templumque datum nomenque bis ulto «C’est à juste titre que ce temple et ce nom furent donnés au dieu deux fois Vengeur».
La portée de l’épiclèse Vltor est fort différente selon que Mars a vengé Rome contre les meurtriers de César, des citoyens romains, ou contre les Parthes, des ennemis extérieurs. Peut-on évoquer ici une «manipulation» du sens de l’épiclèse? Sa première signification était-elle devenue intolérable dans une Rome pacifiée, désormais soucieuse d’oublier à jamais le spectre des guerres civiles? Durant les longues années qui séparent le début du Principat de l’acquittement du vœu, de 27 à 2 av. J.-C., Auguste est en situation d’impiété vis-à-vis de Mars, qui a rempli sa part du contrat. Ce délai considérable est dû aux funestes connotations de l’épiclèse Vltor, rappelant trop nettement les sanglantes circonstances de l’accession au pouvoir du Princeps. Il attend donc de pouvoir la réinterpréter, en célébrant une vengeance survenue contre des étrangers, et non plus des concitoyens. La reddition des enseignes détenues par les Parthes lui en fournit enfin le prétexte10. Comme le note A. Barchiesi dans un article à paraître11, ce double sens de l’épiclèse souligné par Ovide ne constitue en aucun cas l’interprétation «officielle» du temple de Mars Vltor, ni une «traduction» poétique de son «message» architectural. Le critique italien s’insurge à juste titre contre cette prétention des Modernes à savoir ce que «veut
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G.-Ch. Picard, Les trophées romains. Contribution à l’histoire de la religion et de l’art triomphal de Rome (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 187), Rome Paris, 1957, p. 274-276, souligne que les poètes évoquent les «trophées» parthes, ainsi Properce, III, 4, 6 et IV, 6, 83. 10 A propos de ce retard dans l’accomplissement du vœu, et des circonstances dans lesquelles il aurait pu être acquitté plus tôt, voir J. H. Croon, «Die Ideologie des Marskultes unter dem Principat und ihre Vorgeschichte», Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, 17, 1, 1981 (= Croon 1981), p. 250 et 259. 11 Je remercie le professeur A. Barchiesi de m’avoir transmis le texte de son article « Mars Vltor in the forum Augustum: a verbal monument, with a vengeance», à paraître en 2002 dans un recueil d’articles sur les Fastes d’Ovide édité par G. Herbert-Brown (= Barchiesi 2002). Je lui suis aussi très reconnaissante pour la discussion fort stimulante que nous avons eue au sujet de cette séquence des Fastes consacrée à Mars Vltor.
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dire» un monument antique, comme si une signification officielle émanait naturellement de tout complexe architectural12. Le poème d’Ovide évoque, v. 571-572, les deux camps en présence sur le champ de bataille de Philippes, quand Octavien prononce son vœu13, tandis que sur le Forum d’Auguste, les guerres civiles sont délibérément absentes du programme iconographique: seule une statue de César dans la cella peut, selon A. Barchiesi, rappeler la vengeance d’Octavien. Soulignons toutefois qu’il s’agit d’une statue de Diuus Iulius: elle commémore donc une apothéose, et non la vengeance d’un assassinat. La construction du temple de Mars Vltor constitue, en fait, une tentative d’effacer le souvenir des guerres civiles, ou de les «métaphoriser» – le mot est d’A. Barchiesi – en les renvoyant à un passé fondateur, celui d’Enée et de Romulus14. Il convient de souligner ici les ambiguïtés de la politique d’Auguste, soucieux d’apporter enfin la paix à l’empire, mais en même temps, d’exalter la guerre dans de nombreux monuments officiels. Il existe donc une tension au cœur du régime, à laquelle s’intéresse particulièrement Ovide, qui présente ses Fastes comme une élégie destinée à chanter la paix15, mais ne s’interdit pas d’évoquer les sanglantes étapes qui ont conduit à ce nouvel ordre. Ainsi, il donne à voir ce qui est dissimulé derrière le complexe monumental, et «déconstruit» l’édifice augustéen. L’épiclèse Vltor a bel et bien eu deux significations successives, mais le poète les fait ici coexister, en rappelant la première, que la seconde avait tenté de recouvrir et de faire oublier. Il nous faut maintenant préciser quels rapports entretient cette épiclèse Vltor avec le nom du dieu Mars.
L’épiclèse est-elle un honneur rendu au dieu en échange d’un service accordé? Les Romains envisagent les relations avec leurs dieux dans le cadre d’un pacte comparable aux relations de clientèle, c’est-à-dire un système d’obligations réciproques, de dons et contre-dons16 :
12 Barchiesi 2002, p. 6: «If we accept that there is no simple and straightforward «meaning» attached to the monument, and that every reading is a reduplication of an act of understanding, we can shift our emphasis from the result of the reception to the process of reception and its problems». 13 Ovide, Fastes, V, 575-576: Mars, ades et satia scelerato sanguine ferrum Stetque fauor causa pro meliore tuus. 14 Barchiesi 2002 propose de lire la séquence des Fastes d’Ovide en parallèle avec l’Enéide de Virgile. 15 Croon 1981, p. 274 souligne le double visage de Mars Vltor, à la fois protecteur et agresseur, comme en témoigne Virgile, Énéide, VI, 853: parcere subiectis et debellare superbos. – Sur le renouveau du genre élégiaque dans les Fastes d’Ovide, l’apparition d’une élégie «de tendance sérieuse» destinée à chanter non les victoires, mais la paix d’Auguste, voir E. Merli, Arma canant alii. Materia epica e narrazione elegiaca nei fasti di Ovidio (Studi e Testi, 16, Dipartimento di Scienze dell’Antichità Giorgio Pasquali), Florence, 2000, p. 20-25. 16 G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 2e éd., 1987 (= Dumézil 1987), p. 56-57, 134-137 et J. Scheid (éd.), avec la collaboration de P. Tassini et J. Rüpke, Recherches archéologiques à la Magliana. Commentarii Fratrum Arualium qui supersunt. Les copies épigraphiques des protocoles annuels de la confrérie arvale (21 av. - 304 ap. J.-C.) (Roma antica, 4), Rome - Paris, 1998 (= Scheid 1998), p. 27.
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LE RÔLE DE L’ÉPICLÈSE VLTOR DANS LES FASTES D’OVIDE
Ovide, Fastes, V, 577: me uictore uocaberis ultor Ovide, Fastes, V, 595: templumque datum nomenque.
L’épiclèse devient, en ce sens, une attestation de la puissance divine. Celle-ci n’est en effet reconnue et célébrée que lorsqu’elle s’est accomplie aux yeux des hommes. Plutôt que de spéculer sur la «nature» divine, les Anciens s’attacheraient plutôt à définir le «pouvoir» divin. A. Nock cite, pour preuve de cet état d’esprit, ce qu’Aelius Aristide écrit au sujet du dieu Sérapis: «Si nous avons dit ce qu’il [Sérapis] peut faire et ce qu’il donne, nous avons trouvé qui il est et quelle est sa nature»17. La réflexion théologique se fonde ainsi sur les circonstances concrètes de l’action divine, ce qui conduit H. Mattingly à écrire que «c’est dans la vie des hommes que le païen commençait par chercher la révélation de son dieu»18. On comprend dès lors quelle importance revêt l’épiclèse en tant que reconnaissance officielle, par la communauté civique, d’un service rendu, d’un bienfait apporté par le dieu, donc témoignage direct de son pouvoir surhumain, qui renforce encore son statut d’exception. Soulignons à ce propos que l’épiclèse Vltor est qualifiée de cognomen par Ovide. Ovide, Fastes, V, 579: Nec satis est meruisse semel cognomina Marti «Il ne lui suffit pas d’avoir gagné une seule fois ce surnom pour Mars».
L’épiclèse est donc bel et bien envisagée dans la perspective des honneurs accordés pour services rendus au peuple romain, car le cognomen constitue, à Rome, un des plus beaux «trophées» du général vainqueur: le nom du peuple qu’il a soumis devient son titre de gloire, qu’il transmettra à ses descendants19. Si l’épiclèse Vltor est un honneur accordé au dieu Mars, accompagné d’autres privilèges conférant à son temple un statut exceptionnel, au détriment de Jupiter Capitolin20, faut-il, dès lors, poser le problème de la «concurrence» entre les deux dieux? En théorie, dans un système polythéiste, les nombreux dieux coopèrent, si bien qu’invoquer un même dieu sous différents aspects, ou deux dieux différents sous le même aspect, ne pose pas de problème «théologique». En témoignent les Comptes rendus
17 A. Nock, «The Emperor’s Divine Comes», Journal of Roman studies, 37, 1947, p. 102-116 repris dans Essays on religion in the Ancient World, Z. Stewart (éd.), Cambridge Mass., 1974 , II, p. 653-675; citation d’Aelius Aristide, Orat., VIII, I, 88 éd. Dindorf = II, 356, 15 éd. Keil. 18 H. Mattingly, «The Roman “Virtues”», Harvard theological review, 30, 1937, p. 111: «it was in human life that the pagan was beginning to look for the revelation of his god, and with perfect justice, according to his basic conceptions». 19 Sur l’importance du rôle joué par les «titres de victoire» des empereurs, comme Germanicus ou Parthicus, voir P. Kneissl, Die Siegestitulatur der römischen Kaiser, Göttingen (Hypomnemata, 23), 1969. 20 Voir supra note 5.
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des Frères Arvales (= CFA), où peuvent être invoqués successivement Iupiter Optimus Maximus, Iupiter uictor, Salus rei publicae populi Romani Quiritium..., Mars pater, Mars uictor, Victoria..., et enfin, dernier dieu invoqué dans la liste, Hercules uictor21. Un autre compte rendu des Arvales, daté, quant à lui, du règne de Néron, en 5960 ap. J.-C., évoque les sacrifices célébrés en différents lieux pour différents dieux, chacun contribuant, à la mesure de son pouvoir divin, au bien du peuple romain. Il n’y a donc pas lieu de supposer une «rivalité» entre eux, car les empereurs divinisés après leur mort reçoivent les mêmes victimes que les dieux de la triade capitoline, et le génie de l’empereur vivant, la même victime que Mars Vltor. CFA, 28, a-c, l. 26-30: in Capitolio Ioui b. m. Iunoni uac. Mineruae uac. Saluti publicae uac. Felicitati uac.; item in templo nouo diuo Augusto b. m., diuae Augustae uac., diuo Claudio b. m.; item in foro Augusto Marti Ultori taur., Genio ipsius taur22.
Le problème de «concurrence» entre Mars Vltor et Jupiter Capitolin se posera donc plutôt en pratique, dans la cité de Rome, pour choisir l’emplacement de rites importants du culte public, comme le dépôt des insignes du triomphe à l’issue de la procession. L’épiclèse ne saurait toutefois être envisagée uniquement comme un titre de gloire, acquis par le dieu en reconnaissance d’un bienfait rendu au peuple romain. Elle est également un outil aux mains des hommes, grâce auquel ils tentent d’influencer l’intervention divine, en l’orientant dans le sens le plus conforme à leurs propres intérêts.
L’épiclèse comme un moyen de préciser le domaine dans lequel on espère l’intervention du dieu Dans son ouvrage Götternamen paru en 189623, H. Usener présente les épiclèses comme les seules traces encore perceptibles d’une lente évolution. D’anciens «dieux particuliers», les Sondergötter, dont la fonction bien définie était révélée, sans aucun détour, par un nom transparent, auraient été peu à peu absorbés par les «dieux
21
Scheid 1998, CFA 62a, l. 23-70 (année 101 ap. J.-C.): sont invoqués successivement Iuppiter Opt. Max. (l. 25), Iuno regina (l. 32), Minerua (l. 36), Iouis uictor (l. 40), Salus rei publicae populi Romani Quiritium (l. 44), Mars pater (l. 48), Mars uictor (l. 51), Victoria (l. 55), Fortuna redux (l. 58), Vesta mater (l. 62), Neptune pater (l. 65), Hercules uictor (l. 6 7). Voir aussi sur ce point J. Scheid, «Hiérarchie et structure dans le polythéisme romain. Façons romaines de penser l’action», Archiv für Religionsgeschichte, I, 2, 1999, p. 184-203 (= Scheid 1999). 22 A titre de comparaison, voir CFA, 40, I, 1-7, l. 37-39 et l. 87-88 (69 ap. J.-C.); 40, II, 1-5, l. 4-5 (69 ap. J.-C.), ainsi que CFA, 68, II, l. 26-29 et l. 48-50 (118 ap. J.-C.); 99 a, l. 2629. (213 ap. J.-C.) 23 H. Usener, Götternamen. Versuch einer Lehre von der religiösen Begriffsbildung, Francfort-sur-le-Main, 1948 (1ère éd.: 1896), en particulier p. 216-218, 279-280, 300-303, 330331, 334-338.
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personnels», aux fonctions bien plus diversifiées. Chacun des «dieux personnels» se serait ainsi approprié les domaines d’action de plusieurs «dieux particuliers», dont il n’aurait conservé le souvenir que dans ses épiclèses, tandis que son propre nom serait devenu de plus en plus opaque. Toujours dans cette perspective d’évolution linguistique, Usener envisage même une étape antérieure à celle des «dieux particuliers»: selon lui, les hommes se seraient tout d’abord tournés vers des «dieux de l’instant», les Augenblicksgötter, à la fonction plus étroitement définie et au nom plus limpide encore que ceux des Sondergötter. Schéma résumant le modèle proposé par Usener (évolution de type linguistique): Dieux «de l’instant» Augenblicksgötter - fonction très étroitement définie - nom parfaitement «limpide» = Première étape
=> Dieux «particuliers» Sondergötter - fonction bien définie - nom «transparent» = Etape intermédiaire
=> Dieux «personnels» persönliche Götter - fonctions plus diversifiées, indiquées par les épiclèses - nom propre devenu «opaque» = Aboutissement de l’évolution
Cette hypothèse a le grand mérite de souligner l’importance de l’instant particulier, du contexte précis dans lequel est envisagée toute action, dans la religion romaine. Toutefois, l’évolution linguistique retracée par Usener, et dont les épiclèses constitueraient les seules traces encore perceptibles, comparables à des «fossiles vivants», ne peut être retenue. En effet, en rapprochant les Fastes d’Ovide des Commentaires des Frères Arvales cités précédemment, on peut renverser la perspective évolutionniste d’Usener, pour analyser plutôt comment une puissance divine, invoquée dans un contexte précis, «s’actualise» d’une manière de plus en plus concrète. Dans cette optique, le nom Mars indiquerait la fonction du dieu, son domaine d’action au sens le plus large (indiqué par l’adjectif armipotens, au vers 559), l’épiclèse Vltor, son intervention dans un contexte précis aux côtés d’Octavien, donc «l’actualisation» de sa puissance divine, quant au résultat concret de cette intervention, il peut être, lui aussi, envisagé sous forme divine: il s’agit de Victoria. La victoire est en effet évoquée aux vers 559-560 des Fastes: Ovide, Fastes, V, 559-560: Perspicit armipotens operis fastigia summi Et probat inuictos summa tenere deos. «Le maître des armes admire le fronton de l’immense monument, et se réjouit de voir les dieux invincibles en occuper le sommet».
Dans son édition commentée des Fastes, R. Schilling s’interroge24 sur l’identité des dieux invincibles qui apparaissent au fronton du temple de Mars Vltor. Souli-
24 Schilling 1993, n. 156 p. 155 remarque que le 1er août est aussi l’anniversaire de deux sanctuaires de la Victoire, l’un consacré à Victoria en 294 av. J.-C., l’autre, à Victoria uirgo, en 193 av. J.-C., et en conclut que ces deux déesses font partie du groupe des dieux victorieux.
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gnons que d’autres critiques choisissent la lecture inuictas deas au vers 560: ce serait une allusion directe à la représentation de deux Victoires aux extrémités du fronton25. Cette hypothèse se trouve renforcée par l’importance que revêt, dans cette séquence, la dimension spatiale de la scène. Comme le souligne très justement A. Barchiesi, le lecteur est invité à lire les différents axes du complexe monumental, qui mettent en relation ses principaux protagonistes, et notamment le face-à-face entre Auguste, représenté sur son quadrige au milieu du forum, et Mars, dont l’image domine l’ensemble architectural, du haut du fronton, mais qui, en tant que visiteur, regarde l’effet produit d’en bas26. Dans cette perspective, Mars, Vltor et Victoria correspondraient donc aux différents degrés d’accomplissement de l’action divine, d’abord virtuelle, puis actualisée et enfin, réalisée de façon concrète. L’épiclèse Vltor et la personnification Victoria sont, dès lors, des outils au service de la spéculation sur le pouvoir divin, dont on a vu qu’elle est au fondement de la réflexion polythéiste des Romains27. De ce fait, l’épiclèse n’est plus seulement un dû que le dieu est en droit de réclamer lorsqu’il a rempli sa part du contrat. Elle devient une arme dont les hommes peuvent user pour influencer l’action divine. C’est donc un tout autre aspect de son statut que nous analyserons à présent. Comme le souligne à juste titre G. Wissowa dans sa critique d’Usener, Sondergötter et épiclèses doivent être considérés non comme des fossiles d’un passé disparu, mais au contraire, dans une perspective dynamique, comme des éléments permettant de préciser la demande faite à un dieu personnel et d’adapter sa prière au contexte envisagé, afin d’atteindre le maximum d’efficacité28. On peut donc envisager l’épiclèse non plus seulement comme un honneur rendu au dieu, mais aussi comme
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Voir G. B. Pighi, «Le “dee invitte” del tempio di Marte Ultore», Atti dell‘Accademia delle scienze dell’Istituto di Bologna, Classe di scienze morali, Redinconti, 59, 1970-1971, p. 39-45: l’une des Victoires témoignerait de la vengeance sur les meurtriers de César, et l’autre, de la vengeance sur les Parthes. On retrouverait alors la double lecture de l’épiclèse mise en œuvre par Ovide. – La lecture inuictas deas est attestée dans les manuscrits U1, G, et les recentiores. (U = Vaticanus Latinus 3262 siue Ursinianus, saec. XI ; G = Gemblacensis siue Bruxellensis 5369-5373, saec. XI. Voir l’édition de R. Schilling, Les Fastes d’Ovide, volume 1, Paris, 1992, p. LXI-LXII : conspectus siglorum) 26 Barchiesi 2002, p. 14: «we should not forget that we are not only “reading” a texte but also a monument. All the actors in the triangulations of poetic intertextuality are also physically “there”, represented in the figurative program of the Forum (...) Ovid’s re-creation of the monument is also the construction of a viewing subject, someone who knows how to construct visual meanings». 27 Scheid 1999 précise nettement les enjeux de ce qu’il appelle la «théologie de l’action» des Romains. 28 G. Wissowa, «Echte und falsche «Sondergötter» in der römischen Religion», Gesammelte Abhandlungen zur römischen Religions- und Stadtgeschichte, Munich, 1904, p. 324-326. Voir aussi G. Piccaluga, «Attualità dei «Sondergötter»? «Divinità funzionali» et funzionalità divina nella religione romana arcaica», Aspetti di Hermann Usener filologo della religione, G. Arrighetti et al. (éds.) Pise (Biblioteca di Studi Antichi, 39), 1982, p. 147-159 et Scheid 1999, p. 184 et p. 200-201.
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une contrainte exercée sur lui, ou en tout cas, une orientation précise de sa capacité d’action, une modalité imposée à la réalisation de son pouvoir divin, le numen. Les hommes sont en effet des partenaires actifs, capables d’initiatives et d’exigences dans leur relation avec les dieux, comme en témoigne très bien l’épisode des Fastes où Numa parvient à s’imposer à Jupiter, dans leur marchandage à propos du sacrifice expiatoire de la foudre29. L’épiclèse révèle l’espace de liberté qui demeure garanti aux hommes, pour peu qu’ils maîtrisent parfaitement les règles d’un jeu très codifié, dans leurs relations de type juridique avec les dieux. Ceux-ci sont des partenaires certes puissants, mais non tyranniques, si bien qu’il demeure possible, pour un interlocuteur habile, de se protéger des aspects les plus violents de leur pouvoir, et même de les faire intervenir concrètement, pour son propre profit. Ce jeu hardi rendu possible par le bon usage de l’épiclèse peut même conduire des hommes jusqu’aux limites de leur condition, certains se voyant attribuer des épiclèses qu’on aurait pu croire réservées exclusivement aux dieux.
L’épiclèse d’un dieu peut-elle être portée par un homme? L’attribution de l’épiclèse Vltor à Mars et à Auguste, dans la poésie d’Ovide, conduit à se demander qui entreprend l’action de vengeance, quelle part revient à l’homme et quelle part, au dieu, dans cette entreprise de conquête et de légitimation du pouvoir. Dans les Métamorphoses, Jupiter promet à Vénus l’apothéose d’Auguste, en même temps qu’il lui reconnaît les titres d’Vltor et de Diui filius: Ovide, Métamorphoses, XV, 818-821: Vt deus accedat caelo templisque colatur, Tu facies natusque suus; qui nominis heres Impositum feret unus onus, caesique parentis Nos in bella suos fortissimus ultor habebit «Vous permettrez, toi et son fils, qu’en tant que dieu, il accède au ciel et soit honoré dans un temple - son fils qui, héritier de son nom, portera seul le fardeau transmis, et qui, vengeur intrépide de son père assassiné, nous trouvera à ses côtés pour mener la guerre».
Auguste prend part, aux côtés de Vénus, à la divinisation de son père César: tu facies natusque suus. C’est Auguste, et non Mars, qui est ici présenté comme un vengeur intrépide, fortissimus ultor. Dans l’Art d’aimer, l’épiclèse Vltor n’est pas attribuée à Mars, mais au jeune Caius César, qui part en expédition contre les Parthes, et à qui Ovide prédit victoire, triomphe, et divinisation. Art d’aimer, I, 181-182: Vltor adest, primisque ducem profitetur in annis
29
Ovide, Fastes, III, 327- 348 (en particulier v. 339-344). Voir Dumézil 1987, p. 57.
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Bellaque non puero tractat agenda puer30 «Le vengeur est là - dès ses premières années, il promet un chef et, enfant, il mène des guerres qui sont au-dessus des capacités d’un enfant». Art d’aimer, I, 203-204: Marsque pater Caesarque pater, date numen eunti! Nam deus e uobis alter es, alter eris «Vénérable Mars et vénérable César, donnez votre pouvoir divin à celui qui part ! Car de vous deux, l’un est dieu, l’autre le deviendra».
Pour donner du numen à celui qui part en campagne, il faut en posséder soimême. Auguste sera bientôt un dieu, et ce statut paraît ici transmissible à ses descendants, au même titre que le surnom d’Vltor. Soulignons toutefois que dans les inscriptions, si Auguste est parfois rapproché de Mars, l’épiclèse Vltor reste toutefois la propriété exclusive du dieu31. A titre de comparaison, S. Weinstock32 remarque que les empereurs romains refusèrent longtemps de se faire appeler Victor ou Inuictus, réservant ces épiclèses aux seuls dieux. La poésie d’Ovide se permet donc de franchir des frontières que le langage «officiel» ne saurait transgresser. Un passage de Suétone montre ainsi qu’Auguste refusa de voir attribuer à son successeur victorieux les épithètes de Pannonicus, d’Inuictus ou de Pius. Suétone, Tibère, 17, 3-4: Censuerunt etiam quidam ut «Pannonicus», alii ut «Inuictus», nonnulli ut «Pius» cognominaretur. Sed de cognomine intercessit Augustus, eo contentum repromittens, quod se defuncto suscepturus esset33. «Certains proposèrent même de le surnommer «le Pannonique», d’autres, «l’Invincible», et quelques-uns, «le Pieux». Mais Auguste s’opposa à ces surnoms, promettant que Tibère se contenterait de celui qu’il recevrait quand lui-même, Auguste, mourrait».
Dans le contexte de cette biographie, qui évoque ensuite comment Tibère renonce à célébrer un véritable triomphe, se contentant de la forme mineure de l’ovation, on interprète la promesse d’Auguste comme une volonté de limiter les honneurs ren-
30 Texte cité dans l’édition de H. Bornecque (Collection des Universités de France, Paris, 1924). Les traductions sont personnelles. 31 A l’emplacement de la défaite de Varus, Germanicus aurait édifié, selon Tacite, Annales, II, 22, un monument de victoire dédié à Marti Vltori et [Diuo] Augusto. Correction du texte des manuscrits de Tacite (texte original: Marti et Ioui et [Diuo] Augusto), proposée par O. Hirschfeld, Wiener Studien, 5, p. 124, repris dans Kleine Schriften, p. 850-851), et suivie par G. Wissowa 1912, p. 153, note 1. 32 S. Weinstock, «Victor and Invictus», Harvard theological review, 50, 1957, p. 239240. 33 Texte cité dans l’édition d’H. Ailloud (Collection des Universités de France, Paris, 1931); traduction personnelle.
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dus à son successeur, après sa victoire éclatante. Remarquons toutefois que ce cognomen, Augustus, qui sera transmis à tous les successeurs du premier empereur, a un sens «ouvert», que des épithètes ne pourraient qu’affaiblir, en le limitant à un domaine d’action précis34.
Conclusion L’épiclèse ne saurait donc être considérée comme un pâle vestige d’une lente évolution linguistique, un élément de pittoresque suranné, ou un simple ornement littéraire, dépourvu de véritable signification. Il importe surtout de remarquer que son sens n’est pas fixé une fois pour toutes, sans adaptation possible au contexte. Au contraire, l’épiclèse est l’outil d’un mécanisme essentiel pour le fonctionnement de la pensée religieuse, tout au long de l’histoire romaine: elle traduit en effet la capacité des hommes à «orienter» l’action divine, en définissant le plus précisément possible le champ d’intervention souhaité. Dans un système souple et ouvert aux créations, l’épiclèse a souvent plusieurs sens qui se superposent, sans pour autant s’annuler l’un l’autre. Apanage des dieux, elle peut toutefois être attribuée, dans les textes littéraires, à certains hommes d’exception, qui connaîtront, après leur mort, l’apothéose: elle invite alors à réfléchir plus profondément aux rôles respectifs de l’homme et du dieu dans l’action.
Maud PFAFF-REYDELLET Université Marc Bloch – Strasbourg II
34 Voir à ce propos la séquence consacrée au nom d’Auguste dans les Fastes d’Ovide (I, 591-616), et la façon dont ce cognomen est opposé à tous les titres de victoire précédents, pour être rapproché du seul nom de Jupiter. Ovide, Fastes, I, 599-600: Si petat a uictis, tot sumat nomina Caesar Quot numero gentes maximus orbis habet. Id., 607-608: Sed tamen humanis celebrantur honoribus omnes: Hic socium summo cum Ioue nomen habet.
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MODI DIVINI DI NOMINARE GLI UOMINI L’uso dell’epiteto è una componente essenziale nella comunicazione che gli uomini stabiliscono con gli dei, attraverso l’epiclesi. La rappresentazione di tale comunicazione, con cui le diverse culture hanno frequentemente accompagnato i miti fondanti delle religioni, ne ha spesso, e in via preliminare, orientato il senso secondo un percorso inverso, dal dio all’uomo. Il dio apostrofa l’uomo, gli parla per farsi riconoscere e per fissare le forme della futura comunicazione. La teofania è quasi sempre anche teofonia, esplicitazione della “voce” del dio, e quindi di un linguaggio “divino”. Sulla lingua degli dei, già Omero aveva qualcosa da osservare, nel senso di alcune peculiarità onomastiche, differenti da quelle espresse dagli uomini1. Ma, al di là di tali specificità, il linguaggio divino non ha bisogno – o non può –, per il poeta epico, differenziarsi ulteriormente da quello umano. Nella pratica della diegesi mimetica, di cui Platone fissa per tempo le leggi e le modalità, il poeta, che parla come fosse un altro (tina levg[ei] rJh'sin w{" ti" a[llo"), può anche “imitare” un dio, attribuendogli voce e parole2. Gli dei dell’epica, come si sa, non parlano solo fra loro, ma anche con gli uomini. Nell’apostrofarli, riconoscono loro alcune caratteristiche che condensano negli epiteti, proprio come gli uomini fanno con gli dei. Il materiale lessicale che il poeta usa nella comunicazione “umana” è, dunque, a disposizione anche degli dei che vogliono rivolgersi agli uomini, sia quando assumono sembianze umane, sia quando si manifestano nella loro identità divina. Di questo nommer les hommes par les dieux si possono seguire agevolmente alcune piste, che si offrono qui come modesto pendant, piccola appendice al ben più consistente e approfondito tema del nommer les dieux, intorno al quale si sviluppano le giornate di studio di Strasburgo e di Rennes3. Come nella preghiera o invocazione “letteraria”, anche nella comunicazione dio-uomo i tre poli del mittente, destinatario e pubblico degli ascoltatori, i primi due “rappresentati” dal poeta, svolgono pienamente
1 Iliade, I, 403 s.; II, 813 s.; XIV, 291; XX, 74; Odissea, X, 305; XII, 61. Sull’argomento, D. Gambarara, Alle fonti della filosofia del linguaggio, Roma, 1984, p. 126-129; F. Létoublon, «Les dieux et les hommes. Le langage et sa référence dans l’antiquité grecque archaïque», Language and reality in Greek philosophy, Athens, 1985, p. 92-99; ancora utile R. Lazzeroni, «Lingua degli dei e lingua degli uomini», Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, 26, 1957, p. 1-25. 2 Platone, Repubblica, III, 393c. Va tenuto presente, tuttavia, l’intero contesto, nel quale Platone critica anche le rappresentazioni degli dei – e del loro linguaggio – nell’epica. Sul passo, L. Spina, «Platone “traduttore” di Omero», Eikasmos, 5, 1994, p. 173-179. 3 Il titolo del mio contributo si rifà esplicitamente a quello di un interessante articolo sull’epiclesi di P. Borgeaud, «Manières grecques de nommer les dieux», Colloquium Helveticum, 23, 1996, p. 19-36.
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la propria funzione. L’uso dell’epiteto costituisce modalità denominativa e agevola la riconoscibilità del destinatario, da parte del pubblico degli ascoltatori, anche nel linguaggio degli dei. Approfondiremo tali osservazioni attraverso l’analisi di una scena epica, tratta dal tredicesimo canto dell’Odissea, v. 187 ss.: accanto a possibili spunti per indagini più estese e conseguenti rilevamenti statistici, tale scena offre le due modalità della nominazione degli uomini da parte di una stessa divinità: a) sotto le mentite spoglie di un essere umano; b) attraverso una vera e propria teofania. Odisseo si è appena svegliato sulla sabbia della sua Itaca, accompagnatovi dai Feaci. Il suo sonno aveva dato modo al poeta di raccontare della vendetta di Poseidone sugli accompagnatori, prontamente riconosciuta da Alcinoo: la loro nave viene affondata. Ora, con la spezzatura tematica del verso 187, si realizza la visione in contemporanea dei Feaci intenti a sacrificare intorno all’altare e di Odisseo che si sveglia: ejstaovte" peri; bwmovn. oJ d j e[rgeto di'o" ’Odusseuv" («[E così supplicavano Posidone signore / i capi e i consiglieri della gente feace, / ] stando intorno all’altare. Si destò il chiaro Odisseo»)4. Mentre Odisseo, ignaro di essere già ad Itaca, cammina lungo la riva, rimpiangendo tra molti lamenti la patria, gli si avvicina Atena. Il poeta (l’aedo) rende consapevole il pubblico degli ascoltatori anche del secondo mascheramento della realtà di cui è vittima Odisseo: Atena gli appare nelle sembianze di un giovane di nobile aspetto, pastore di greggi, vestito in modo adeguato a tale “incarnazione”. Sfruttando appieno l’ “ironia epica” (la parte diegetica è rivolta solo a chi ascolta, la parte mimetica è anche comunicazione tra i personaggi), il poeta fa usare ad Odisseo, nei riguardi dello sconosciuto, la formula performativa della supplica – «rivolgo a te la mia preghiera come a un dio e vengo ai tuoi cari ginocchi» –5, perché non attenti alla sua vita e ai suoi beni. Alla supplica, Odisseo fa seguire la richiesta di informazioni sul paese nel quale si trova. La risposta del pastore/Atena (v. 237 ss.) si apre con le stesse parole – lo stesso verso – già usate da Polifemo (Od., IX, 273) per ironizzare sulla supplica di Odisseo (IX, 266-271), che aveva invocato le leggi dell’ospitalità e la protezione di Zeus xeinios, vendicatore di supplici e ospiti: nhvpiov" eij", w\ xei`n j, h] thlovqen eijlhvlouqa" («Sei sciocco, o vieni da molto lontano, straniero»)6.
4 Utilizzo d’ora in avanti la traduzione dell’Odissea di G. Aurelio Privitera, Milano, 1981-1986, anche se, come si vedrà, nell’analisi specifica di alcuni epiteti ne diversifico spesso la resa. 5 Al tema della supplica nell’epica ha dedicato di recente un accurato saggio M. Giordano, La supplica. Rituale, istituzione sociale e tema epico in Omero, Napoli, 1999, che discute criticamente, anche a proposito di questo passo, un contributo di F. Létoublon, «Le vocabulaire de la supplication en grec: performatif et dérivation délocutive», Lingua, 52, 1980, p. 325-336. 6 Già prima dell’incontro con Atena, Odisseo aveva invocato Zeus iketesios (v. 213: su questo passo si sofferma Paola Cassella all’inizio del suo contributo in questi stessi Atti). Quanto a nhvpio", vanno segnalate le altre due occorrenze “simmetriche” del IX canto: a v. 442, è usato per Polifemo da Odisseo, che lo descrive così nel suo racconto ai Feaci, quasi una risposta al v. 419, in cui – sempre secondo la narrazione di Odisseo – è Polifemo a sperare che l’Itacese sia uno sciocco.
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Sulla efficacia e il senso di tale ripetizione si è già discusso7 : a me interessa solo notare in questa sede che, nella risposta “umana”, la dea utilizza una cifra colloquiale, quasi sprezzante8. L’epiteto nhvpio" ha, nell’epica, una grande varietà di destinatari9. Alla sua analisi sono stati dedicati approfonditi studi10. Nelle occorrenze appena richiamate, esso presenta la genericità connotativa (in negativo) che si può applicare ad uno sconosciuto caratterizzato da un comportamento sconcertante. Non va, del resto, dimenticata la sua presenza in àmbito proverbiale11. Già un’altra dea, però, aveva apostrofato in modo simile Odisseo (Od., IV, 371), Idotea, figlia di Proteo. In quel caso, però, solo la prima parte del verso coincide, fino alla cesura ; la seconda parte non contiene la possibile spiegazione alternativa alla nhpiovth" (Od., IX, 273; XIII, 237), che occupa, invece, l’intero verso successivo (IV, 372: h\e eJkw;n meqiei'" kai; tevrpeai a[lgea pavscwn – «o cedi spontaneamente, e ti piace soffrire dolori?»), bensi un rafforzamento della connotazione precedente (nhvpiov" eij", w\ xei'n j, livhn tovson hjde; calivfrwn – «Sei sciocco a tal punto, straniero, e sventato»): Odisseo, secondo Idotea, non può che essere sciocco o “masochista”, se continua a restare in Egitto invece di cercare una via d’uscita. Non c’è dubbio che l’uso di nhvpio" come connotazione di Odisseo suona quasi ossimorico, e quindi ironico per l’ascoltatore, abituato a ben diversi epiteti attribuiti all’eroe. In conclusione, le tre scene in cui Odisseo è apostrofato come nhvpio" presentano differenze di contesto che assegnano a ciascuna “nominazione” un valore diverso. In particolare, le due dee sono mosse da motivazioni non proprio coincidenti. Idotea vuole portare a fondo la critica al comportamento di Odisseo – che infatti ne serba, nel racconto, un ricordo commosso e grato –, proprio presentandogli, di lui stesso, un’immagine inconsueta; Atena parla sotto mentite spoglie e con più leggerezza, si potrebbe dire, prende quasi in giro l’ignaro Odisseo, che è già ad Itaca senza saperlo. In entrambi i casi, c’è sullo sfondo una situazione di conoscenza difettosa o non espressa: Odisseo non sa chi sia il suo interlocutore; Idotea conosce in realtà il vero
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E. Schwartz, Die Odyssee, München, 1924, p. 35; contra, S. Besslich, Schweigen – Verschweigen – Übergehen, Heidelberg, 1966, p. 35. 8 Nel commento ad Od., IV, 371, S. West parla, a proposito dell’uso dell’epiteto, di “sarcasmo offensivo” (Milano, 1981, p. 351). 9 J. H. Dee, Epitheta hominum apud Homerum, Hildesheim, 2000, p. 565. 10 Per l’etimologia, P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, nouv. éd., Paris, 1999, s. v., p. 751. Per la semantica: V. Magnien, «Quelques mots du vocabulaire grec exprimant des opérations ou des états de l’âme», Revue des études grecques, 40, 1927, p. 117141, in part. p. 138 s.; M. Lacroix, «HPIOS - NHPIOS», Mélanges offerts à A.-M. Desrousseaux, Paris, 1937, p. 261-272; A. W. H. Adkins, Merit and Responsability. A Study in Greek Values, Oxford, 1960, p. 29, n. 15; S. Trafton Edmunds, Homeric NHPIOS, Ph. D. Harvard, 1976 (Summary in Harvard studies in classical philology, 81, 1977, p. 299 s.) ; I. Opelt, « Gefühlswörter bei Homer und in den Argonautika des Apollonios Rhodios», Glotta, 56, 1978, p. 170-190, in part. p. 176; V. Di Benedetto, L’ideologia del potere e la tragedia greca, Torino, 1978, p. 39, n. 8. 11 Omero, Il., XVII, 32 (e XX, 198), con relativi scolî (IV, p. 335 s. Erbse): rJecqe;n dev te nhvpio" e[gnw («il fatto lo capisce anche lo sciocco»). Sul proverbio, R. Tosi, Dizionario delle sentenze latine e greche, Milano, 1991, p. 181, nm. 398.
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motivo della inerzia di Odisseo, ma sembra volerne stimolare una reazione degna della sua fama. L’epiteto che usa ha un valore più meditato, in un certo senso retrospettivo, mentre nel caso di Atena l’epiteto si inserisce in una risposta estemporanea ad una domanda incongruente. Nel caso dell’episodio di Polifemo, l’insistito uso dell’epiteto sembra proprio funzionale allo scontro tra l’eroe e il Ciclope e alla reciproca attribuzione di stupidità (in particolare, v. 419, 442), che risulta molto più credibile, e “realizzata”, nel comportamento di Polifemo. Ma continuiamo a seguire la scena del canto XIII. La teofania di Atena è conseguente al lungo intervento di Odisseo, che, rispondendo alle informazioni del pastore/Atena – quella terra è Itaca –, si diffonde in un falso racconto sulla sua presunta origine cretese e sulle sue avventure. Ecco che, alla fine delle parole di Odisseo, fa notare il poeta, Atena aveva già assunto12 l’aspetto di una donna bella, imponente, esperta di opere splendide: l’apostrofe all’eroe è, dunque, manifestamente, un’apostrofe divina, che si apre con una serie di epiteti tutti rivolti ad Odisseo, i primi due in maniera indiretta, gli altri in modo esplicito (v. 291-293): kerdalevo" k j ei[h kai; ejpivklopo", o{" se parevlqoi ejn pavntessi dovloisi, kai; eij qeo;" ajntiavseie. scevtlie, poikilomh'ta, dovlwn a\t j, ktl. «Dovrebbe essere accorto e abile chi volesse vincerti in tutte le astuzie, ti stesse davanti anche un dio. Ostinato, scaltro, mai sazio d’inganni etc.».
In più, ad una rassicurante e “adulatrice” suvgkrisi" fra i primati raggiunti dall’eroe e dalla dea, rispettivamente tra gli uomini e gli dei tutti, 13 Atena fa seguire, dopo un nuovo intervento di Odisseo, altri epiteti, che definiscono il suo punto di vista nei rapporti privilegiati con l’Itacese (v. 331 s.): tw' se kai; ouj duvnamai prolipei'n duvsthnon ejovnta ou{nek j ejphthv" ejssi kai; ajgcivnoo" kai; ejcevfrwn. «Per questo non posso lasciarti, sventurato che sei, perché sei docile, sagace, prudente».
Se analizziamo, ora, i singoli epiteti, servendoci di uno strumento prezioso (e recente) per lo studio degli epiteti “umani” in Omero, quale il repertorio di James H. Dee già citato14, possiamo giungere a risultati interessanti:
12 Va osservato l’uso espressivo del piuccheperfetto ≥Ûkto (v. 288: «aveva preso l’aspetto »): l’azione, dunque, non è raccontata in sequenza, ma intrecciata temporalmente attraverso l’analessi. 13 V. 297-299: «Tu superi tutti i mortali per consiglio e parola (boulh'/ kai muvqoisin), io fra tutti gli dei sono celebre per senno ed astuzie (mhvti kai; kevrdesin)». 14 Supra, n. 9.
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MODI DIVINI DI NOMINARE GLI UOMINI
– kerdalevo": può connotare Odisseo, come abbiamo anticipato, solo indirettamente, specularmente, in quanto riferito alle caratteristiche di un suo ipotetico competitore (lo stesso vale per ejpivklopo"); in realtà, l’epiteto è usato un’altra sola volta nell’Odissea (XV, 451), a proposito del porcaio Eumeo: lo definisce così, ancora piccolo, la donna fenicia che sta per sottrarlo alla famiglia e affidarlo a dei marinai fenici, i quali finiranno per venderlo a Laerte. E dunque, l’aggettivo ha il valore di “capace di procurare guadagno”, ma senza che ci sia l’intenzione attiva del soggetto: solo in quest’ultimo caso, infatti, il valore semantico ricopre perfettamente la connotazione di “accorto, astuto”. Per Odisseo, ma non nell’Odissea, vale invece il composto kerdaleovfrwn (Il., IV, 339): lo apostrofa così Agamennone. – ejpivklopo": propriamente “dissimulatore, ingannatore”, è detto anche di Achille, e ricorre altre due volte a proposito di Odisseo. Paradossalmente, Alcinoo (Od., XI, 364) esclude che proprio Odisseo possa essere definito in tal modo; mentre, in uno dei tanti tis-speeches 15 dei poemi epici (Od., XXI, 397), l’anonimo “commentatore” qualifica così Odisseo, intento a provare l’arco, delimitando però l’aggettivo con un idoneo determinante, tovxwn: “capace di tendere insidie con l’arco ”. Se i due epiteti che abbiamo commentato si riferiscono, nelle parole di Atena, solo indirettamente ad Odisseo – ma abbiamo in realtà constatato che rientrano perfettamente nel “patrimonio” delle sue connotazioni epiche –, gli altri epiteti che ora esamineremo compaiono a pieno titolo fra i ben 172 – un record, nel repertorio di Dee – che caratterizzano il personaggio dell’Itacese. – scevtlio" : è uno degli epiteti odissiaci – ma non esclusivo dell’eroe –, che risulta attribuito anche a Zeus (da Nestore, Od., III, 161, proprio a proposito del destino che riserva ad Odisseo) e in generale ai qeoiv : è, infatti, l’epiteto della fermezza, della resistenza, dell’ostinazione, della durezza nel portare avanti i propri propositi. Occorre in molte apostrofi ad Odisseo16, spesso accompagnato dal riferimento alla disperata impresa che l’eroe tenta ancora di compiere, nonostante i continui insuccessi. E se, in questo caso, Atena ne fa solo uno degli epiteti che elenca per apostrofare l’eroe, senza ulteriori argomenti, nella fase finale del poema (XX, 45) la dea indirizza di nuovo l’epiteto ad Odisseo (nella stessa sede metrica), criticandolo per la sua protervia nel non volersi fidare dell’aiuto della dea nell’attuazione del suo piano di vendetta. – poikilomhvth": siamo ancora nell’ambito delle multiformi capacità intellettuali dell’Itacese; l’epiteto, infatti, occorre esclusivamente per Odisseo, sia nell’Iliade che nell’Odissea, ma, tranne che per il verso che stiamo esaminando, sempre in modalità diegetica e nella seconda metà del verso, nella sequenza daiv ?frona poikilomhvthn (“valente astuto”). – a\to" dovlwn: “mai sazio di inganni”, ancora una caratteristica odissiaca17, ma non esclusiva dell’eroe (lo è anche Achille). Inoltre, la parte aggettivale dell’epiteto,
15
Questo aspetto diegetico/mimetico dell’epica è stato studiato da I. J. F. de Jong, «The voice of anonymity: tis-speeches in the Iliad», Eranos, 85, 1987, p. 69-84. 16 Od., IX, 494; XI, 474; XII, 21, 116, 279. 17 Lo apostrofa così, ovviamente in senso negativo, anche Soco, eroe troiano simile a un dio (ijsovqeo"), nell’Iliade (XI, 430).
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con altro determinante (polevmoio, mavch"), è riferita, rispettivamente, ad Ares e ad Ettore; in quest’ultimo caso (Il., XXII, 218), è proprio Atena che definisce così l’eroe troiano. – duvsthno": è uno degli epiteti più frequenti di Odisseo (ma anche, ovviamente, di altri eroi) e, in un certo senso, quello “letterario” per eccellenza. Lo “sventurato” Odisseo è tale non per le sue caratteristiche fisiche ed intellettuali, bensì per le vicende che rappresentano l’impalcatura del poema. Se si esaminano le altre 15 occorrenze dell’epiteto nell’Odissea, relative ad Odisseo, si può rilevare che altre due volte l’eroe è chiamato così da un dio: da Hermes, in un’apostrofe diretta (X, 281); ancora da Atena, che ne parla in questi termini a Zeus (I, 55). Per il resto, due volte si definisce così lo stesso eroe (VII, 223, 248), mentre in altri casi l’uso dell’epiteto rientra in quelle forme di “ironia epica” di cui abbiamo già parlato: o viene chiamato così il mendicante sotto le cui spoglie si cela Odisseo (XVII, 10, 483, 501), ovvero c’è chi (Penelope, Laerte) parla di Odisseo al mendicante negli stessi termini (XIX, 354; XXIV, 289). – ejphthv" : “benevolo, gentile”, è detto anche di Anfinomo, proprio da Odisseo/mendicante (XVIII, 128), e di Odisseo solo in questa occorrenza. – ajgcivnoo": “perspicace, dalla mente pronta”. Si tratta di un hapax, omerico e odissiaco ad un tempo; l’aggettivo sarà ripreso in àmbito filosofico da Platone ed Aristotele. – ejcevfrwn: “prudente”, usato questa sola volta per Odisseo e molto più frequentemente per Penelope. L’analisi cui abbiamo sottoposto i due discorsi indirizzati da Atena ad Odisseo, prima sotto le mentite spoglie di un ragazzo, poi attraverso una teofania, ha mostrato come il linguaggio divino, il modo divino di nominare gli uomini, appartenga ad una sfera di rappresentazione poetica omogenea col resto dello stile orale. Le diversità si saranno concentrate probabilmente al livello della recitazione epica, cioè in fenomeni non più facilmente percepibili per commentatori successivi a quelle rappresentazioni. Per questo, mentre non possiamo non rilevare la perfetta “laicità” linguistica e stilistica di queste teofanie, rimane problema aperto quello della “rappresentazione” della comunicazione dio/uomo. Quanto a quella uomo/dio, la forza dell’epiclesi, dell’invocazione, della ricerca del contatto, mette in moto, sin dall’antichità mitica, una pragmatica della comunicazione che affida alla preghiera la forza persuasiva della retorica.
Luigi SPINA Università Federico II – Napoli
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NOMMER D’APRÈS LES DIEUX: LES COGNOMINA THÉOPHORES CHEZ LES SÉNATEURS DU HAUT-EMPIRE Une des originalités de l’onomastique romaine par rapport à celles des autres civilisations de l’Antiquité réside dans la rareté des noms théophores. Dans son étude du cognomen latin, le surnom, troisième élément du nom romain, le savant finlandais I. Kajanto signalait cette particularité. Il avait calculé que les surnoms théophores ne représentaient que 5 % du total, alors que les noms théophores occupaient 30 % de l’onomastique athénienne1. Rappelons que Kajanto distinguait trois formes de surnoms théophores, le nom du dieu lui-même, un nom dédicatoire signifiant «appartenant à ou dédié à» (Saturninus: Saturne) ou l’utilisation d’une épithète divine (Latiaris pour Jupiter)2. La signification de ces surnoms a donné lieu à des lectures fort diverses selon les historiens et ces contradictions de la tradition historiographique se trouvent à l’origine de cet article. I. Kajanto avait tendance à minorer leur dimension religieuse et voyait dans leur diffusion un signe de déclin de la religion romaine, suivant les conceptions de son temps, maintenant dépassées, sur l’évolution du paganisme sous l’Empire3. A l’opposé, certains spécialistes des provinces romaines leur ont conféré une signification religieuse importante dans un contexte local, particulièrement ceux de l’Afrique qui voient par exemple la marque d’un culte à Baal-Saturne dans le port du surnom Saturninus4. M. Leglay y repère même l’indice d’une initiation et H.-G. Pflaum insiste sur la relation individuelle nouée avec la divinité par l’adoption d’un tel surnom. La même contradiction se trouve au cœur du discours historiographique sur les cognomina théophores des sénateurs, milieu social le mieux connu par la documentation. Tous les historiens s’accordent à reconnaître la valeur religieuse du surnom Félix pris par Sylla en l’honneur de la déesse Vénus, mais les études de prosopographie ou d’onomastique ne livrent pas de lecture religieuse des surnoms théophores des clarissimes du Haut-Empire5. C’est ce dossier que nous avons décidé d’ouvrir pour scruter le rôle du divin dans la dénomination romaine.
1
I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki, 1965, p. 53-55. I. Kajanto, op. cit., p. 55-58, 211-217. 3 I. Kajanto, op. cit., p. 54. 4 J. Toutain, Les cités romaines de la Tunisie, Paris, 1895, p. 180. I. Kajanto, «Peculiarities of Latin Nomenclature in North Africa», Philologus, CVIII, 1964, p. 310-312. M. Leglay, Saturne africain. Histoire, Paris, 1966, p. 381-382. M. Benabou, La résistance africaine à la romanisation, Paris, 1976, p. 501-502. H.-G. Pflaum, «Spécificité de l’onomastique romaine en Afrique du Nord», dans N. Duval (éd.), L’onomastique latine. Paris, 13-15 octobre 1975, Paris, 1977, p. 318. 5 Sur Sylla: F. Hinard, Sylla, Paris, 1985, p. 237-238. 2
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Le jeu de la distinction sociale: une diffusion restreinte L’évaluation du poids des cognomina théophores pose quelques problèmes méthodologiques. L’identification d’un surnom théophore n’est pas si aisée à opérer, car la dimension religieuse peut être discutée. A propos de Quirinalis, Kajanto notait qu’il pouvait dériver autant de la tribu Quirina que du dieu Quirinus6. Dans sa liste, il intégrait Silvanus, lié au dieu Sylvain, et rejetait Silvinus, dérivé du mot silua, tout en reconnaissant que les Romains pouvaient choisir les deux surnoms pour la même raison, la référence à la forêt7. Le surnom Capitolinus peut renvoyer à une épithète de Jupiter, ou seulement faire allusion à la colline, comme chez certains sénateurs des Ve-IVe siècles av. J.-C., comme les Manlii ou les Quinctii 8. De fait, Kajanto ne le mentionne pas dans sa liste9. Les surnoms de bon augure, comme Fortunatus, Félix ou Faustus ont été exclus normalement de l’enquête, car la référence à une divinité précise est absente10. En dépit de ces problèmes, le bilan est clair: par rapport à l’ensemble de la population, les sénateurs affirment leur spécificité en matière de surnoms théophores. Si les Romains n’utilisaient pas souvent cette forme onomastique, les sénateurs le faisaient encore moins. Un sondage fait à partir de l’index du colloque Epigrafia e ordine senatorio, qui offre le corpus le plus synthétique et le plus fourni sur le milieu clarissime au Haut-Empire, le montre clairement: sur 6000 clarissimes du Haut-Empire, femmes et enfants compris, répertoriés dans cet ouvrage, une centaine seulement porte un cognomen théophore, soit 1,7 %11. Il s’agit donc d’une pratique totalement marginale dans le milieu sénatorial. Encore faut-il voir que l’on atteint ce chiffre grâce
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Latin Cognomina, p. 53, 216. Op. cit., p. 58, 213-214. Au cours du colloque, l’interprétation «forestière», et non religieuse, de Silvanus, a été réaffirmée par J. Scheid. 8 Sur l’usage du surnom Capitolinus dans ces deux familles, voir les stemmata synthétiques dressés par C. Settipani, Continuité gentilice et continuité familiale dans les familles sénatoriales romaines à l’époque impériale. Mythe et réalité, Oxford, 2000, p. 69 et 71. Ces deux familles devaient leur surnom à leur rôle dans la défense du Capitole contre les ennemis de Rome. Il disparaît de l’onomastique des Manlii dans la deuxième moitié du IVe siècle pour laisser la place à Torquatus. Il en est de même des Quinctii qui préfèrent par la suite Crispinus et Flamininus. A la fin de la République, Q. Lutatius Catulus, consul en 78, lieutenant de Sylla et leader des optimates, prit le surnom Capitolinus, car il s’était chargé de la reconstruction du temple de Jupiter Capitolin. Dans ce cas, la dimension religieuse est évidente, d’autant plus que Jupiter faisait partie des dieux spécialement honorés par les optimates: G. Sauron, Quis deum? L’expression plastique des idéologies politiques et religieuses à Rome, Rome, 1994, p. 169-248. 9 Latin Cognomina, p. 212. 10 Très souvent, les auteurs mêlent les deux types de surnoms, théophores et «de bon augure». C’est le cas des études sur l’Afrique: M. Benabou, La résistance africaine, p. 501-502. H.-G. Pflaum, L’onomastique latine, p. 318. Les surnoms de bon augure n’indiquent pas forcément un lien avec une divinité précise, même s’il arrive parfois que ce soit le cas. I. Kajanto, op. cit., p. 211-217, ne les range pas dans sa liste. 11 Epigrafia e ordine senatorio, Atti del colloquio internazionale A. I. E. G. L., Roma, 14-20 maggio 1981, Rome, I-II, 1982 = Tituli 4-5. Cet index présente trois avantages par rapport à la Prosopographia Imperii Romani saec 1. II. III (= PIR): il traite toutes les lettres de l’alphabet, il a été rassemblé à la même date, il est rapide à consulter. Le gros inconvénient de la PIR est que chaque tome a été conçu à une date différente, ce qui rend l’addition des données 7
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à l’apport des surnoms grecs portés par les sénateurs orientaux, qui venaient d’une zone plus ouverte à cette coutume. Les cognomina de racine grecque représentent en effet un tiers du total. Les sénateurs orientaux apparaissent du coup surreprésentés dans le corpus. Il faut se rappeler en effet qu’ils ne représentaient que 10 % du Sénat au milieu du IIe siècle, s’élevant au tiers seulement au IIIe siècle12. Non seulement le poids des surnoms théophores apparaît dérisoire, mais encore leur gamme est-elle très réduite. Alors que I. Kajanto a répertorié 130 cognomina théophores latins, variantes comprises, les sénateurs n’en utilisaient qu’une douzaine, variantes comprises également13. Dans son étude, Kajanto s’était interrogé sur les rai-
méthodologiquement discutable. Le but n’est pas d’être exhaustif, mais d’opérer une pesée globale à partir d’un corpus homogène. 12 G. Alföldy, Konsulat und Senatorenstand unter den Antoninen. Prosopographische Untersuchungen zur senatorischen Führungsschicht, Bonn, 1977, p. 64 et 78. H. Halfmann, Die Senatoren aus dem östlichen Teil des Imperium Romanum bis zum Ende des 2. Jh. n. Chr., Göttingen, 1979, p. 76-78. P. M. M. Leunissen, Konsuln und Konsulare in der Zeit von Commodus bis Severus Alexander (180-235 n. Chr.). Prosopographische Untersuchungen zur senatorischen Elite im römischen Kaiserreich, Amsterdam, 1989, p. 78-80. Chr. Badel, Fasti Severiani. Etude sur le personnel administratif et politique de l’Empire romain de Caracalla à Sévère Alexandre (211-235), III, 1994 (doctorat Paris IV microfiché), p. 174-176. 13 Apollinaris (6 cas): M. Aquillius P. Coelius Apollinaris. Claudius Apollinaris. P. Coelius Apollinaris. L. Domitius Apollinaris. Domitia Apollinaris Pollia. L. Valerius Messala Apollinaris. Capitolinus (3 cas): Claudius Bassus Capitolinus. Claudius Capitolinus. T. Flavius Capitolinus. Cerialis (4 cas): M. Munatius Sulla Cerialis. Q. Petilius Cerialis Caesius Rufus. M. Tuccius Cerealis. [Valerius? Propinquus] Granius [—-] Grattius [Cerealis?] Geminius [Restitutus?]. Herculanus (4 cas): C. ou L. Baburius Herculianus. Q. Pompeius Senecio Roscius Murena Coelius Sex. Iulius Frontinus Silius Decianus C. Iulius Eurycles Herculaneus L. Vibullius Pius Augustanus Alpinus Bellicius Sollers Iulius Acer Ducenius Proculus Rutilianus Rufinus Silius Valens Valerius Niger Claudius Fuscus Saxa Amyntianus Sosius Priscus. Q. Roscius Coelius Murena Silius Decianus Vibullius Pius Iulius Eurycles Herculanus Pompeius Falco. C. Iulius Eurycles Herculanus L. Vibullius Pius. Latiaris (3 cas): M. Atilius Metilius Bradua Caucidius Tertullus [Bel]licus [—-]llius Pollio Gavidius Latiaris Atrius Bassus. Marcia Annia Claudia Alcia Athenais Gavidia Latiaria. P. Tebanius Gavidius Latiaris. Mamertinus (3 cas): M. Petronius Mamertinus. M. Petronius Sura Mamertinus. Vetina Mamertinus. Martialis (7 cas): T. Antonius Martialis Pudentialis. L. Caesius Martialis. App. Claudius Martialis. Coelius Martialis. P. Iulius Iunianus Martialianus. C. Matius Sullinus Vatinianus Anicius Maximus Caesulanus Martialis Pisibanus Lepidus. A. Viricius Martialis. Quirinalis/Quirinius (2 cas): C. Calpetanus Rantius Quirinalis Valerius Festus. Ulpius Quirinius Quadratianus. Saturninus (30 cas): M. Acenna Saturninus. Sex. Anicius Saturninus. M. Annaeus Saturninus Clodianus Aelianus. L. Antonius Saturninus. Antonia Saturnina. (M) Aponius Saturninus. M. Aponius Saturninus. P. Aradius Roscius Rufinus Saturninus Tiberianus. Aradius Saturninus. Ti. Aradius Saturninus. T. Flavius Umbrius Antistius Saturninus Fortunatianus. P. Furius Saturninus. T. Haterius Saturninus. C. Iulius Saturninus. Iulia Saturnina. Q. Manlius Ancharius Tarquitius Saturninus. P. Martius Sergius Saturninus. 7 Sentii Saturnini. 6 Volusii Saturnini. Silvanus (9 cas): M. Ceionius Silvanus. Q. Licinius Silvanus Granianus. Q. Licinius Silvanus Granianus Quadronius Proculus. 3 Plautii Silvani. M. Pompeius Silvanus Staberius Flavinus. Silvanus Nicomachus. Silvanus. Vestalis (2 cas): 2 C. Clodii Vestales. La PIR fait connaître aussi le surnom de Vestinus.
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sons des choix onomastiques, avouant sa perplexité. Les surnoms les plus répandus ne concernent pas en effet les dieux les plus importants. Le cas de Saturne se révèle le plus frappant puisque le surnom Saturninus est de loin le plus répandu dans le monde romain, alors que cette divinité ne joue pas un rôle majeur, en dépit de la vogue des fêtes des Saturnalia14. Dans le cas précis des sénateurs, les motivations semblent plus faciles à percer. On retrouve aussi Saturninus, qui s’avère le surnom le plus répandu chez les sénateurs comme dans l’ensemble du peuple. Mais leur choix se concentre sur les grands dieux publics romains: Jupiter (avec la forme Latiaris), Mars, Quirinus, Cérès, Vesta, Apollon. N’échappent à cette catégorie que Sylvain et Hercule (mais nous verrons en fait qu’il s’agit d’un Héraklès grec). On remarque l’absence de certains grands dieux, prisés par ailleurs par la plèbe, dont le plus notable est Mercure. Mais la différence essentielle avec le peuple réside dans l’absence de référence aux dieux mineurs, pullulant dans l’onomastique plébéienne15. Le panorama des surnoms de racine grecque présente à peu près le même visage. Ils tournent aussi autour d’un spectre réduit d’une dizaine de divinités, qui correspondent aux grandes divinités du panthéon grec (Apollon, Héra, Déméter, Dionysos)16. Mais le trait le plus frappant est constitué par la domination de deux dieux, Hermès et Athéna, qui sont à l’origine des deux tiers des surnoms, sous différentes formes. La comparaison des surnoms sénatoriaux avec ceux de l’ensemble de la population montre clairement que le choix de ces cognomina s’intègre dans une stratégie de distinction sociale. Les clarissimes ont marqué leur différence aussi bien par la désaffection pour ce type de surnom que par la gamme très restreinte des dieux en cause. Cette stratégie sociale se comprend aisément lorsqu’on remonte aux origines républicaines de l’onomastique sénatoriale. Sous la République, les sénateurs n’avaient
14
I. Kajanto, Latin Cognomina, p. 54-55. Liste donnée par I. Kajanto, op. cit., p. 214-215. 16 Dieu anonyme (3 cas): M. Aelius Aurelius Theo. Cornelius Aurelius Theodorus. M. Pompeius Macrinus Neos Theophanes. Apollon: Aelia Pithias. Asclepios (2 cas): L. Accius Iulianus Asclepianus. Accia Asclepianilla Castorea. Athéna (8 cas): Aurelius Athenaeus. T. Flavius Athenagoras. T. Sallustius Sanctus Athenagoras. T. Flavius Carminius Athenagoras Claudianus. M. Flavius Carminius Athenagoras Livianus. Marcia Annia Claudia Alcia Athenais Gavidia Latiaria. M. Ulpius Carminius Athenagoras. Septimius Vaballathus Athenodorus. Cybèle (2 cas): P. Aelius Sempronius Metrophanes. T. Flavius Stasicles Metrophanes. Déméter: Flavia Demetria Flacilla. Dionysios: C. Iulius Dionysius Honoratus. Hélios: Pompeius Heliodorus. Héra: Aelia Herais. Héraklès: M. Fabius Iulianus Heracleo Optatianus. Hermès (11 cas): Aurelius Claudius Hermodorus. Ti. Claudius Hermias Dometinus. Ti. Claudius Draco Hermias. Ti. Claudius Hermias Theopropus. M. Claudius Macrinus Vindex Hermogenianus. Claudia Dracontia Hermia. Claudia Sosipatra Hermia. L. Flavius Hermocrates. M. Iunius Hermogenes. Cn. Pompeius Hermippus Aelianus. Cn. Pompeius Hermippus Aelianus. H. Halfmann, Die Senatoren aus dem östlichen Teil, n° 137, mentionne aussi Zeus dont découle le surnom Diophantus. 15
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pas recours aux surnoms théophores, Saturninus représentant la seule exception17. Les sénateurs de l’Empire n’ont donc fait qu’assumer l’héritage de la noblesse républicaine. Leur dilection pour le surnom Saturninus, alors que son succès populaire aurait dû les dissuader de l’employer, trouve peut-être aussi sa source dans la fidélité à la tradition nobiliaire. La noblesse républicaine avait créé une tradition en la matière, les nouveaux sénateurs impériaux s’y sont conformés, manifestant ainsi leur intégration à l’aristocratie dirigeante.
Les variations régionales: un reflet des piétés locales? Certains sénateurs venaient pourtant de régions porteuses d’autres traditions onomastiques, peut-être liées à des démarches religieuses. Certains auteurs expliquent en effet des choix onomastiques à connotation religieuse par l’appel aux formes de piété locale. L’Afrique a constitué un terrain privilégié pour ce type d’analyse. De Toutain à Benabou, les africanistes ont insisté sur l’importance des noms théophores, qui auraient manifesté une relation individuelle avec la divinité et auraient enveloppé le nom d’un halo religieux18. Cette pratique serait le reflet d’une piété spécifique, différente de la sensibilité romaine. En dépit de son décalage avec les pratiques populaires, l’onomastique sénatoriale joue-t-elle ce rôle de témoin des traditions religieuses locales? A l’appui de cette thèse, on note en effet des disparités statistiques troublantes. La principale sépare l’Italie des provinces, du moins de celles présentant un stock prosopographique d’une certaine ampleur quantitative, l’Espagne, l’Afrique et l’ensemble oriental. Fidèle aux traditions républicaines, le milieu sénatorial italien a rarement recours aux surnoms théophores, dont le taux s’avère inférieur à celui des provinces19. Encore faut-il noter que ce taux doit une grande partie de son existence à trois familles, les Sentii Saturnini, Volusii Saturnini et Plautii Siluani, qui représentent la moitié du stock onomastique (16 sur 31). Les sénateurs provinciaux se révèlent plus attirés par ce type de surnom, même si leur poids reste au bout du compte assez léger: 4/5 % pour l’Afrique et l’Orient, 7 % pour l’Espagne20. Cette pratique s’avère certes limitée par
17 I. Kajanto, op. cit., p. 53-54. Sur leur onomastique: C. Nicolet, «L’onomastique des classes dirigeantes sous la République», dans L’onomastique latine, p. 45-58. 18 Cf. supra, n. 4. 19 31 cas de surnoms théophores sur 900 sénateurs italiens environ recensés dans Tituli 5 (7 Sentii Saturnini. 6 Volusii Saturnini. 3 Plautii Silvani. 2 Clodii Vestales. M. Atilius Metilius Bradua Caucidius Tertullus [Bel]licus [—-]llius Pollio Gavidius Latiaris Atrius Bassus. M. Ceionius Silvanus. L. Domitius Apollinaris. Domitia Apollinaris Pollia. Q. Manlius Ancharius Tarquitius Saturninus. M. Munatius Sulla Cerialis. M. Petronius Mamertinus. M. Petronius Sura Mamertinus. P. Tebanius Gavidius Latiaris. M. Tuccius Cerealis. L. Valerius Messala Apollinaris. Vetina Mamertinus. A. Viricius Martialis). 20 11 cas sur environ 300 sénateurs africains recensés dans Tituli 5 (L. Accius Iulianus Asclepianus. Accia Asclepianilla Castorea. Sex. Anicius Saturninus. Antonia Saturnina. P. Aradius Roscius Rufinus Saturninus Tiberianus. Aradius Saturninus. Ti. Aradius Saturninus. C. ou L. Baburius Herculianus. Coelius Martialis. T. Flavius Umbrius Antistius Saturninus Fortunatianus. P. Iulius Iunianus Martialianus). 10 cas sur environ 135 sénateurs espagnols recensés dans Tituli 5 (M. Acenna Saturninus. L. Antonius Saturninus. (M.) Aponius Saturninus. M. Aponius Saturninus. M. Aquillius P. Coelius Apollinaris. P. Coelius Apollinaris. M. Fabius Iulianus Heracleo Optatianus. Q. Licinius
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rapport à l’ensemble de leurs «coprovinciaux», en tout cas en Orient, si les calculs de Kajanto sont justes, et en Afrique, réputée pour l’importance de ses noms théophores. L’adoption du modèle culturel sénatorial, l’acculturation sociale en quelque sorte, des sénateurs provinciaux les a donc amenés à abandonner en grande partie les pratiques onomastiques de leur région d’origine. En partie mais pas totalement. La surreprésentation des cognomina théophores dans ce milieu peut être interprétée comme un héritage de leur culture locale et peut-être, mais le lien n’a rien d’automatique, de formes de piété particulières. Au-delà de ce constat d’ensemble, peut-on être plus précis et dessiner un profil onomastique de chaque ensemble régional, clairement lié à son profil religieux? Précisons d’emblée que la documentation ne favorise guère une telle démarche, non seulement en raison du caractère limité du stock onomastique, mais aussi de la gamme limitée des surnoms en question. Dans la zone latine, on ne note pas de grande différence dans les choix onomastiques entre l’Italie, l’Espagne et l’Afrique. Le lien entre les surnoms théophores et les sensibilités religieuses n’est donc pas aisé à établir. Prenons l’exemple du surnom Saturninus, le cognomen théophore par excellence, dont la signification religieuse a été souvent mise en valeur. Dans son ouvrage, Kajanto insistait sur l’implantation africaine de ce surnom, car la moitié des cas provenait de cette région, et la mettait en rapport avec le culte punique de Baal, dont Saturne était le visage romain21. L’historien tenait là l’exemple évident d’un lien entre pratique onomastique et cultes locaux. Sur le plan prosopographique, de nombreux historiens se sont appuyés sur ces résultats pour attribuer une origine africaine aux Saturnini sénatoriaux dont la patrie était inconnue. Le bilan de Kajanto n’est pas contestable pour l’ensemble de la population. Un autre mode de calcul, le pourcentage de ce surnom dans la population provinciale, aboutit au même résultat. On se rend compte en effet que près de 5 % des Africains portèrent ce surnom, alors que moins de 1 % des Italiens et des Espagnols furent dans ce cas22. Mais cette prépondérance africaine ne se retrouve pas au niveau sénatorial. Dans ce milieu, la présence des Saturnini est plus forte chez les Espagnols (3 %) que chez les Africains (2 %)23. Ces résultats sont assez déconcertants si l’on se tient au simple plan de la logique religieuse. Il est normal que le taux de Saturnini soit moins important chez les sénateurs africains que dans l’ensemble de la population, en raison du phénomène de distinction sociale déjà évoqué. Mais pourquoi voit-on le phénomène
Silvanus Granianus. Q. Licinius Silvanus Granianus Quadronius Proculus. [Valerius? Propinquus] Granius [—-] Grattius [Cerealis?] Geminius [Restitutus?]). 7 ou 8 des 150 sénateurs orientaux catalogués par H. Halfmann, Die Senatoren aus dem östlichen Teil, ont un surnom théophore. 21 I. Kajanto, op. cit., p. 55. 22 Afrique: 1163 Saturnini sur 25 275 cognomina cités dans l’index du Corpus inscriptionum latinarum (= CIL) (4,6 %). Espagne: 68 sur 8395 cognomina (0,8 %). Italie: 323 sur 42 915 cognomina (0,75 %). 23 Espagne: 4 Saturnini sur 135 sénateurs (M. Acenna Saturninus. L. Antonius Saturninus. (M.) Aponius Saturninus. M. Aponius Saturninus). Afrique: 6 sur 300 (Sex. Anicius Saturninus. Antonia Saturnina. P. Aradius Roscius Rufinus Saturninus Tiberianus. Aradius Saturninus. Ti. Aradius Saturninus. T. Flavius Umbrius Antistius Saturninus Fortunatianus).
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contraire chez les Espagnols? En tout cas, ce taux paradoxal brouille en partie le sens religieux que l’on affectait au port du surnom Saturninus. La spécificité religieuse apparaît plus clairement lorsqu’on étudie les sénateurs d’origine orientale. Certes, ils ont aussi accepté une forme d’acculturation en réduisant de façon drastique le poids des noms théophores (5 % au lieu de 30 %). Ils ont donc emprunté la même voie que les Espagnols ou les Africains, subissant ainsi une forme de «romanisation». Mais leur stock théophore est resté essentiellement hellénique, faisant appel aux grands dieux de l’Hellade. Les références aux dieux latins ou latinisés apparaissent marginales, alors que leur onomastique est en grande partie latinisée par ailleurs. En général, il s’agit de divinités très liées à l’Etat romain comme Jupiter (la fille d’Hérode Atticus porte le surnom Latiaria) ou Quirinus (cas d’un sénateur pamphylien du IIIe siècle)24. Il pourrait s’agir d’une manifestation de loyauté envers Rome. Le cognomen Capitolinus, porté par deux ou trois sénateurs d’Asie au IIIe siècle, pourrait s’intégrer dans la même logique s’il s’agit d’un surnom théophore25. De façon plus étrange, un sénateur spartiate du IIe siècle, C. Iulius Eurycles Herculanus L. Vibullius Pius, porte la forme latinisée du nom du dieu Hercule alors qu’il se réfère bien à l’Héraklès grec, ancêtre des rois spartiates (nous y reviendrons dans la troisième partie)26. Ce cloisonnement entre les deux parties de l’Empire se vérifie à l’étude des cognomina théophores grecs chez les sénateurs occidentaux. Ils sont aussi rares que leurs équivalents latins chez les Orientaux. C. Iulius Eurycles Herculanus a même son pendant occidental, puisque un sénateur espagnol du IIe siècle, M. Fabius Iulianus Heracleo Optatianus, évoque Hercule sous sa forme grecque27. Les cognomina théophores des deux parties de l’Empire puisent donc à deux univers religieux distincts.
Les traditions familiales: une enquête impossible? Les contradictions ou les paradoxes constatés à propos de la répartition régionale s’éclairent en partie si l’on s’intéresse à la transmission et à la diffusion des surnoms. On se rend compte en effet que ces phénomènes sont liés aux mariages ou aux adoptions qui diffusent un surnom dans d’autres familles. Dans ce cas, l’enracinement local du sénateur n’est plus en cause, ce sont ses traditions familiales qui se trouvent placées au coeur de la réflexion. Deux exemples vont permettre d’illustrer le processus de diffusion des cognomina théophores, expliquant le franchissement de certaines frontières culturelles ou régionales. Nous avons évoqué l’existence du surnom Latiaris dans la famille d’Hérode Atticus. En fait, ce cognomen remontait à un sénateur italien, P. Tebanus Gavi-
24 Marcia Annia Claudia Alcia Athenais Gavidia Latiaria (Tituli 5, p. 601; C. Settipani, Continuité gentilice, p. 475). Ulpius Quirinius Quadratianus, gouverneur de Crète-Cyrénaïque au IIIe siècle (Tituli 5, p. 641). 25 Claudius Bassus Capitolinus et Claudius Capitolinus, issus d’une famille d’Asie (Tituli 5, p. 637). T. Flavius Capitolinus, natif de Tralles en Lydie (Tituli 5, p. 632). 26 Tituli 5, p. 594-595. Il appartenait à une grande famille spartiate descendant d’un « tyran» de l’époque d’Auguste: C. Settipani, op. cit., p. 492-493. 27 Tituli 5, p. 505.
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dius Latiaris, préteur sous Claude, natif d’Amiternum, en Sabine28. Sa petite-fille épousa M. Atilius Metilius Bradua, consul en 108, transmettant le surnom à son fils, proconsul d’Afrique vers 150. La fille de ce sénateur italien fut la femme d’Hérode Atticus, ce qui explique la présence du surnom Latiaria chez l’une de ses filles. La présence insolite d’un surnom théophore latin dans l’onomastique de cette clarissime athénienne trouve ainsi son explication29. Le cheminement du surnom Herculanus au sein d’un réseau familial est encore plus riche d’enseignement, en raison du nombre de générations impliquées. Au départ se trouve un amiral spartiate d’époque hellénistique, Lacharès. Comme beaucoup d’aristocrates lacédémoniens, il prétend descendre d’Héraklès, à l’image des rois de Sparte eux-mêmes30. Ces prétentions héraclides sont d’autant plus précieuses que son fils, Euryclès, établit sa tyrannie sur la cité à l’époque d’Auguste. Le surnom herculien surgit dans la nomenclature d’un descendant de Lacharès à la sixième génération, C. Iulius Eurycles Herculanus, sous une forme latinisée, on l’a vu31. Eurycles le transmet à son fils adoptif Q. Roscius Pompeius Falco, consul en 108, dont l’origine régionale est malheureusement incertaine. On a longtemps hésité entre l’Orient et l’Espagne, avant de préférer dernièrement la Sicile32. Si l’origine occidentale se vérifie, on aurait un autre exemple de passage entre les deux zones, d’Orient en Occident cette fois-ci, camouflé par l’habillage latin d’Héraklès spartiate. Le petit-fils du consul de 108, Q. Pompeius Sosius Priscus, consul en 169, arbore le surnom Herculaneus parmi sa trentaine de cognomina, neuf générations après Lacharès33. La logique des patrimoines onomastiques explique donc l’apparition d’un surnom dans une famille, mais il ne s’ensuit pas pour autant que toute dimension religieuse soit absente. En effet, les sénateurs romains composaient leur nom à partir de leur héritage familial, en choisissant leurs surnoms au sein des noms et surnoms portés par leurs ancêtres. Cette liberté de choix apparaît surtout évidente au IIe siècle, quand triomphe la pratique de la polyonymie, c’est-à-dire la multiplication des cognomina,
28 PIR III, n° 35 p. 298. M. Cébeillac, Les quaestores principis et candidati aux Ier et IIe siècles de l’Empire, Milan, 1972, p. 51-52. Tituli 5, p. 193. 29 Sur cette histoire, reconstitution de C. Settipani, Continuité gentilice, p. 475. Voir infra, stemma I. 30 Sur les prétentions généalogiques des familles spartiates: C. Settipani, op. cit., p. 487495. 31 Sa carrière et sa généalogie ont donné lieu à de nombreux débats: K. Chrimes-Atkinson, Ancient Sparta. A Re-examination of the Evidence, Manchester, 1949, p. 183-204. H. Halfmann, Die Senatoren aus dem östlichen Teil. B. Puech, «Prosopographie des amis de Plutarque », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, 33, 6, 1992, p. 4850-4855. A. R. Birley, « Hadrian and Greek Senators», Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 116, 1997, p. 240-243. C. Settipani, op. cit., p. 491-493. 32 L. Schumacher, Prosopographische Untersuchungen zur Besetzung der vier hohen Priesterkollegien im Zeitalter der Antonine und der Severer (96-235 n. Chr.), Mayence, 1973, p. 253-259. H. Halfmann, Tituli 5, p. 647. G. Manganaro, Epigraphica, 51, 1989, p. 167. O. Salomies, Adoptive and Polyonymous Nomenclature in the Roman Empire, Helsinki, 1992, p. 123-125. 33 Reconstitution de ce cheminement: C. Settipani, op. cit., p. 493 (Eurycles) et 321 (Roscii). Voir infra, stemma II.
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situation illustrée par Q. Roscius Pompeius Falco et Q. Pompeius Sosius Priscus34. Dans ce cas, le choix d’un cognomen théophore pouvait résulter d’une préférence religieuse. Les deux exemples évoqués manifestent des ruptures et des disparitions. Le surnom Latiaris disparaît pendant trois générations chez les Tebanii avant de resurgir chez les Atilii, et le surnom Herculanus n’est pas pris par le premier citoyen romain de la famille mais apparaît seulement à la sixième génération. Concernant ce second surnom, la motivation de C. Iulius Eurycles Herculanus et de ses héritiers proches est assez évidente. Ils voulaient mettre en valeur leur filiation divine, comme aimaient à le faire certains sénateurs romains à l’image des aristocrates grecs. Galba, sénateur et empereur éphémère en 68, se vantait de descendre de Jupiter de même qu’Hérode Atticus, sophiste et consul en 143, revendiquait comme ancêtres Hermès et Héraklès35. Doit-on aller plus loin et supposer qu’ils rendaient un culte particulier à ces divinités ? On peut en faire l’hypothèse, mais les sources permettent rarement de le savoir. Dans le cas de Galba, Suétone nous dit qu’il avait placé Jupiter dans son arbre généalogique, exposé dans son atrium, non qu’il lui rendait un culte particulier. L’interprétation s’avère encore plus ardue lorsqu’on passe de l’individu à la famille. Peut-on s’appuyer sur la présence récurrente d’un cognomen théophore pour détecter l’existence d’une tradition religieuse familiale? L’entreprise est difficile, car il faut tenir compte de la durée du surnom, comparer son rôle à celui des autres, peser les blancs et les disparitions. En définitive, nous avons peu d’exemples de familles sénatoriales ayant utilisé le même surnom théophore sur plus de deux générations. Même dans ce cas, l’interprétation n’est pas forcément évidente. Prenons l’exemple des Plautii, qui affectionnèrent particulièrement le surnom Silvanus36. Sous les JulioClaudiens, ils alignent ce surnom sur trois générations consécutives et l’on peut supposer qu’il joue un rôle important dans leur identité familiale37. Dans la deuxième moitié du Ier siècle, époque où la polyonymie se diffuse, ce surnom disparaît de l’onomastique de leurs descendants immédiats. Certes, la famille n’est plus représentée en ligne masculine, mais elle compte des héritiers par les femmes qui auraient pu reprendre le surnom38. Son souvenir n’est cependant pas perdu, car il resurgit au milieu du IIe siècle, chez deux cousins éloignés, L. Plautius Lamia Silvanus, consul en 145, et M.
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Sur cette pratique: O. Salomies, Adoptive and Polyonymous Nomenclature. Galba: Suétone, Galba, 2. Hérode Atticus: documents et indices rassemblés par C. Settipani, op. cit., p. 486-489. 36 Histoire générale de la famille: M. D’Emilio, «Note sui Plauzi», Annali della Facoltà di lettere e filosofia, Università degli studi di Bari, 40, 1997, p. 159-189. 37 On note: M. Plautius Silvanus, consul en 2, fondateur de la noblesse de la famille; M. Plautius Silvanus, préteur en 24; Ti. Plautius Silvanus Aelianus, consul en 45 et 74. Il est possible qu’un fils adoptif du consul de 2 ait aussi porté ce surnom, comme le suppose C. Settipani (op. cit., p. 278). Sur le rôle de ces sénateurs à cette époque: R. Syme, L’aristocrazia augustea. Le grandi famiglie gentilizie dalla repubblica al principato, Milan, 1993, p. 134, 148, 407, 634-635. 38 Elle s’éteint dans les mâles avec le fils de Ti. Plautius Silvanus Aelianus, L. Aelius Plautius Lamia Aelianus, consul en 80 (C. Settipani, op. cit., p. 282). 35
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Ceionius Silvanus, consul en 15639. Les raisons de cette résurrection, après trois générations d’absence, restent évidemment inconnues. Elles conditionnent cependant la réponse aux questions sur les traditions religieuses de la famille. Au reste, le même problème se pose que pour l’individu. Le port répété d’un surnom théophore indiquet-il un culte familial de la divinité en question? De la quarantaine d’inscriptions laissées par la famille, aucune ne mentionne le dieu Sylvain40. Il est vrai qu’il s’agit de cursus ou d’épitaphes peu propices à la mention d’un dieu. A la vérité, les cultes domestiques des familles romaines nous échappent presque entièrement, mais il n’est pas évident que les surnoms théophores constituent la bonne piste. Si la logique sociale de distinction et d’orgueil généalogique ressort clairement dans le choix des surnoms des clarissimes, la dimension religieuse échappe en revanche à l’historien dès qu’il cherche à la saisir avec précision. L’originalité du modèle anthropologique romain de dénomination éclate à ce propos lorsqu’on le rapproche des modèles grec ou oriental. Au terme de cette étude, on ne peut qu’approuver l’optique classique qui doute de la valeur religieuse de ces surnoms. Certains choix individuels ont, certes, eu cette dimension, l’exemple de Sylla le montre, mais ils échappent à notre regard, faute de documentation sur les histoires individuelles, et leur poids marginal peut se déduire du fait qu’ils ont rarement débouché sur des traditions familiales. A la vérité, la seule association nette entre onomastique et dilection pour un dieu vient des familles qui prétendaient descendre d’une divinité. Dans un tel cas, la présence du cognomen indique bien un rapport privilégié avec le dieu, sans que l’on sache s’il débouchait forcément sur un culte particulier. Une telle conclusion laisse cependant entier le problème de l’articulation avec le cas africain, qui semble illustrer le phénomène exactement contraire. La tradition historiographique postule une originalité africaine, liée au «mysticisme» particulier de la piété locale, mais on peut se demander si l’interprétation religieuse du surnom Saturninus en Afrique n’a pas été aussi exagérée41.
Christophe BADEL Université Rennes II
39 Ce sont deux arrière-petits-fils par les femmes de L. Aelius Plautius Lamia Aelianus, consul en 80, dernier membre mâle de la famille (C. Settipani, op. cit., p. 282). Le premier est issu des Fundanii, le second appartient aux Ceionii Commodi, qui compteront parmi les ancêtres des derniers Antonins. Voir infra, stemma III. 40 CIL, II, 4508; CIL, VI, 448 (ILS 3614); 9730; 10395; 29681; 34031; CIL, VIII, 14392; 14852 (=ILS, 330); CIL, X, 890; 5162; CIL, XI, 5171; 6948; CIL, XIV, 3509; 3605; 3606 (ILS, 921); 3607 (ILS, 964); 3608 (ILS, 986), 4126. AE 1919, 10; 1930, 152; 1933, 151; 252; 1937, 62; 1968, 483-484; 1972, 162; 1973, 148; 1974, 634; 1984, 177; 1985, 263; 1989, 425. I. Tralleis 39. IGR I, 112; IGR IV, 1362-1744. BCAR 68, 1940 p. 201, n. 6. ILS, 5161 i. Eos, I, 675677. 41 Vision classique de l’opposition onomastique romaine/onomastique africaine résumée par H.-G. Pflaum, L’onomastique latine, p. 318.
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STEMMA I: TRANSMISSION DU SURNOM LATIARIS (d’après C. Settipani, Continuité gentilice, p. 475)
P. Tebanius Gavidius Latiaris quaest. vers 50 |? [Bellica Gavidia] ép. [Caucidius Tertullus Atrius Bassus] | [Caucidia Tertulla] ép. M. Atilius Metilius Bradua cos. 108 |——————————————————————————————-| | | [Atilia Caucidia Tertulla] M. Atilius Metilius Bradua Caucidius ép. Appius Annius Gallus Tertullus [Bel]licus [—-]llius Pollio Gavidius cos. vers 139 Latiaris Atrius Bassus procos. Afr. vers 150 | Appia Annia Regilla Atilia Atilia Caucidia Tertulla ép. Ti. Claudius Atticus Herodes cos. 143 | Marcia Annia Claudia Alcia Athenais Gavidia Latiaria
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STEMMA II: TRANSMISSION DU SURNOM HERCULANUS (d’après C. Settipani, Continuité gentilice, p. 493 et 321)
Lachares amiral spartiate, descendant d’Héraklès | C. Iulius Eurycles tyran de Sparte (vers - 30) | C. Iulius Laco tyran de Sparte | C. Iulius Laco patronomos vers 75 | C. Iulius Laco patronomos | C. Iulius Eurycles Herculanus Vibullius Pius quaest. vers 118 adopte || Q. Roscius Coelius Murena Silius Decianus Vibullius Pius Iulius Eurycles Herculanus Pompeius Falco cos. 108 | Q. Pompeius Sosius Priscus cos. 149 | Q. Pompeius Senecio Roscius Murena Coelius Sex. Iulius Frontinus Silius Decianus C. Iulius Eurycles Herculaneus L. Vibullius Pius Augustanus Alpinus Bellicius Sollers Iulius Acer Ducenius Proculus Rutilianus Rufinus Silius Valens Valerius Niger Claudius Fuscus Saxa Amyntianus Sosius Priscus cos. 169
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STEMMA III: TRANSMISSION DU SURNOM SILVANUS (d’après C. Settipani, Continuité gentilice, p. 278 et 282)
M. Plautius Silvanus cos. 2 |——————————————————————————————-| | | (adopte) | [M. Plautius Silvanus Aelianus]
M. Plautius Silvanus praet. 24
| | | | Ti. Plautius Silvanus Aelianus cos. 45 et 74 | L. Aelius Plautius Lamia Aelianus cos. 80 |——————————————————————————-| [Plautia] [Plautia] ép. [L. Fundanius] ép. L. Ceionius Commodus cos. 106 | | L. Fundanius Lamia Aelianus [Ceionius] cos. 116 | | L. Plautius Lamia Silvanus M. Ceionius Silvanus cos. 145 cos. 156
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Gérard FREYBURGER Université Marc Bloch – Strasbourg II Sihem SAKOUHI Université Marc Bloch – Strasbourg II
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FOI, RITE, LANGAGE «Nous savions tout sur les noms divins...» U. Eco, Le nom de la rose, Septième jour (trad. J.-N. Schifano). Par un parallélisme aussi remarquable que fortuit, deux équipes de recherche, l’une à Rennes, l’autre à Strasbourg, ont choisi le même sujet, formulé dans des termes identiques: «Nommer les Dieux». Elles ont organisé deux colloques internationaux, qui, après des mois et des années de préparation, ont eu lieu à trois semaines d’intervalle l’un de l’autre et ont compté chacun une vingtaine de communications – le tour de force involontaire étant que les programmes des deux manifestations ne se recoupaient pas, tous les intervenants et tous les sujets traités étant différents d’un colloque à l’autre. Les responsables des équipes concernées ont pris conscience de cette situation assez tôt, grâce à l’intervention bien informée de Marie-Christine Budichovsky et de Françoise Thélamon, que je voudrais remercier ici. Dès lors, les organisateurs sont restés en contact régulier, non pas tant pour éviter des chevauchements, puisque les préparatifs se développaient spontanément de façon indépendante, que pour se tenir mutuellement renseignés et pour expliquer aux observateurs extérieurs ce singulier phénomène de répons depuis l’est jusqu’à l’ouest de la France. Entre les Rennais et les Strasbourgeois (ces derniers appuyés par leurs partenaires napolitains), il n’y eut point de concurrence. Nous savions que la matière était assez abondante pour autoriser deux colloques et plus de quarante contributions originales. Au vrai, nous nous réjouîmes de cette situation: car l’existence de deux rencontres simultanées était la meilleure preuve de la pertinence du sujet «Nommer les Dieux», qui se révélait un thème d’actualité dans le paysage de la recherche française et internationale. Pour resserrer les liens entre les deux colloques, des participations croisées furent assurées, tant parmi les intervenants que parmi les auditeurs. Puis, les deux rencontres s’étant déroulées avec succès, l’édition des actes fut menée conjointement, pour aboutir au présent volume, dans lequel se sont fondus tous les textes. Nommer les Dieux est un livre entièrement construit et repensé, fruit d’un long processus, comme le rappelle Pierre Brulé dans son introduction, – une somme, qui regroupe les travaux de nombreux collègues français et européens, savants confirmés pour la plupart, et aussi jeunes espoirs de la recherche, et qui est appelée à faire référence. Souvent abordé, ainsi qu’en témoigne la riche bibliographie générale due à Gérard Freyburger, avec l’assistance de Sihem Sakouhi, le sujet avait été rarement traité dans son ensemble. Il appelait une mise au point ainsi que de nouvelles investigations. Il s’agit donc d’examiner les mille façons dont les dieux sont désignés dans les religions de l’Antiquité: noms, qualificatifs, théonymes, hiéronymes, épithètes, épiclèses..., à partir du fait, bien connu et important, que dans les mentalités antiques le 611
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nom divin a une valeur en soi, qu’il permet de connaître le dieu et d’entrer en relation avec lui, éventuellement d’agir sur lui, qu’il doit être repéré et prononcé avec précision, qu’on court des risques à le proférer, que la polyonymie est source d’embarras et qu’il est des cas où il vaut mieux s’en tenir à des formules prudentes («dieu inconnu», «dieu sans nom») ou à des désignations cryptiques. Le relevé et l’exégèse des appellations divines s’acompagnent naturellement d’une réflexion sur la notion même de nom divin, dans un esprit résolument pluridisciplinaire. Rien, mieux que la nomination, n’affiche la dimension de langage – de parole, d’écriture, de discours intérieur aussi –, qui traverse tout phénomène religieux. Cette dimension, subsumons-la sous le terme «rhétoriques», entendu au sens large et couvrant à la fois l’art du discours proprement dit, tel qu’il a été codifié, enseigné, pratiqué, discuté tout au long de l’Antiquité, et, plus généralement, les modes d’énonciation et les formes d’expression. Une telle approche bénéficie des progrès actuels de la recherche en histoire de la rhétorique et en sciences religieuses, et elle contribue à ces progrès en retour. Si les contributions portent majoritairement sur les religions grecque et romaine, une place aussi importante que possible a été ménagée à la religion égyptienne, pharaonique et ptolémaïque, au monde oscophone, au judaïsme, au christianisme, l’approche comparatiste faisant surgir non seulement des spécificités, non seulement des emprunts, mais aussi des similitudes, et, à partir de là, des constantes et des invariants qui relèvent de l’anthropologie générale. Les documents abordés comprennent des textes, littéraires et autres, en prose et en vers, des papyri, des inscriptions, des graffiti vasculaires... Inutile d’insister sur cet aspect : chacun est convaincu de la nécessité, en histoire des religions comme ailleurs, de recourir à toutes les catégories de sources disponibles et de les mettre en consonance, ce que permet justement un ouvrage collectif. Si l’on jette un regard d’ensemble sur la diversité des contributions, on aperçoit plusieurs pistes de recherche qui sont ici ouvertes, et dont l’exploration a vocation à se continuer. Certains savants partent d’un corpus et étudient l’emploi et la valeur des noms et épithètes des dieux dans un ensemble de sources bien défini ou chez un auteur particulier: dans les tablettes en linéaire B, dans les serments internationaux de la Grèce, dans des inscriptions d’Arcadie, d’Athènes, d’Asie Mineure, de Rhénanie, sur les vases attiques, dans les œuvres de philosophes, de poètes, d’orateurs, dans les listes de surnoms théophores des sénateurs du Haut-Empire. D’autres prennent pour objet une figure divine et dressent le panorama des qualificatifs qui lui sont décernés: ainsi à propos d’Aphrodite, Apollon, Asclépios, Hermès, Poséidon, des Phôsphoroi d’Athènes, des Grands Dieux de Samothrace. D’autres encore se concentrent sur une épithète ou sur une épiclèse, dont ils suivent la formation, le sens et les attestations: Delphinios, Hikesios, Hypsistos, Ilithye, Ourania, Mulciber, Trinianus, Vltor, Versor, voire «autre» (allos), qui prend tout son sens dans l’expression «les autres dieux». Les noms de Jésus méritent une mention spéciale, non moins que le nom de Iaô, dont Marc Philonenko peut écrire, en une conclusion qui va au cœur du sujet: «Seul le glorieux Iaô, le Dieu aux trois voyelles, qui, par ses lettres, tenait à la structure même du langage, aux chants des sphères et à l’origine du monde, pouvait être dit, appelé et chanté dans tout l’univers». Une quatrième catégorie est constituée par les contributions qui posent des problèmes théoriques à partir des sources antiques; particulièrement riches, à cet égard, 612
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se révèlent les textes philosophiques (de Platon aux Epicuriens et aux Néoplatoniciens) ainsi que les textes grammaticaux et rhétoriques (d’Aristote aux hymnes en prose de la Seconde Sophistique et aux traités latins tardifs). La pensée moderne à son tour a proposé des conceptualisations du nom divin, répondant à des attitudes épistémologiques diverses, celle de G. Radke, notamment, et surtout celle de H. Usener, dont les Götternamen furent une étape fondamentale dans la réflexion sur le sujet, ainsi que le démontrent magistralement John Scheid et Jesper Svenbro, en analysant les présupposés et les audaces du philologue de Bonn. Enfin il faut relever le rapport qui est instauré, à plusieurs reprises, entre la nomination et la prière, et ceci à juste titre, puisque dans la prière il est particulièrement important de nommer correctement le dieu afin d’être entendu de lui et, si possible, exaucé1. Si la question des noms divins n’était qu’une question cruciale de l’histoire des religions, l’enquête aurait déjà amplement sa justification. Mais c’est aussi une question sur laquelle il est possible d’apporter du nouveau, grâce à la découverte de sources inédites, grâce aux progrès des disciplines et des problématiques, grâce à l’attention portée à des catégories de documents, à des aires géographiques et à des périodes chronologiques qui n’avaient pas été suffisamment considérées. Le présent ouvrage peut être lu comme une démonstration, je n’ose écrire un manifeste, traçant de nouvelles directions, à la croisée du fait rhétorique et du fait religieux. Marquant une avancée, l’ouvrage appelle des développements futurs. Puissent les spécialistes du discours aux dieux et sur les dieux se rencontrer à nouveau pour d’autres recherches en commun!
Laurent PERNOT Université Marc Bloch – Strasbourg II
1 Voir dans la présente collection les recherches sur la prière: Bibliographie analytique de la prière grecque et romaine (1898-1998), 2000 (un Supplément, qui couvre les années 19992003, est en préparation); et Corpus de prières grecques et romaines, 2001.
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13: 34 n. 17; 35 n. 30; 36 n. 33; 38 n. 41. ⎯, or. XLII (Asclépios), 4: 36 n. 31; 559 n. 17; 561 n. 23. 7: 563 n. 33. ⎯, or. XLIII (Zeus), 6: 38 n. 41; 115. 23: 116. 24: 117. 25: 35 n. 30; 36 n. 34. 29-30: 34 n. 17 & 18; 35 n. 30; 36 n. 32; 37; 38 n. 41. ⎯, or. XLV (Sarapis), 3, 10: 39 n. 44. 20: 558. 21: 34 n. 19; 36 n. 31. 32: 35 n. 30; 36 n. 32. ⎯, or. XLVII (Discours sacrés I), 2 & 30 : 560-561. ⎯, or. XLVIII (Discours sacrés II), 31: 36. ⎯, or. XLIX (Discours sacrés III), 7 : 559. ⎯, or. L (Discours sacrés IV), 14: 562. 21: 36 n. 35. 28: 560. 31, 39-42: 36. 50: 561. Aristophane, Ec., 999 (& scholie): 152. ⎯, Eq., 941: 153 n. 30. ⎯, Lys., 443: 536. Schol. Lys., 439: 223 n. 35. ⎯, Nub., 269-275: 484. ⎯, Pax (passim): 264 n. 6 ; 269. ⎯, Ran., 1266: 264. ⎯, Th., 214-228: 67 n. 49. 320-321: 9; 65. Aristote, Cael., 284 a: 191 n. 37. 304 a 31: 192 n. 48. ⎯, Gen. an., I, 18-19, 724b 13-727a 10: 140. II, 2, 735a 29-736a 18: 140. 615
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Exode, 3, 13: 423. 17, 15: 439. Genèse, 2, 4: 423. 2, 8: 425. 14, 19: 433. Isaïe, 41-42: 201-208. 49: 202-208. 52-53: 202-208. Psaumes, 90 (91), 9: 439. 118, 5: 438. Rois, 8, 27: 442 n. 120. Samuel, 22, 3: 439. Callimaque, Hymne à Artémis, 6-7: 482. —, fr. 114 (éd. Pfeiffer): 216 n. 27. Caton, De agr., 2, 1: 494. 134: 493; 495. 139: 469; 497. 141, 2: 495. 141, 4: 500 n. 69. Catulle, 64, 325: 524 n. 28. Chrétienne (Littérature) Actes des Apôtres, 3 & 4: 201-208. 16, 16-18: 431. 19, 8-19: 440. Didachè, 9, 2. 3 & 10, 2. 3: 201-208. Épître de Barnabé, 6, 1 & 9, 2: 201208. Épître de Clément, 59, 2-4: 201-208. Matthieu (Évangile de), 12, 18: 201208. Cicéron, de Orat., III, 154: 27. ⎯, Div., I, 101: 113. II, 40: 195. ⎯, Fin., II, 22, 73: 22. ⎯, Inv., II, 9, 28: 22. ⎯, Nat. D., I, 8, 18: 192 n. 47. I, 13, 33: 191. I, 19, 49: 198 n. 83. I, 25, 71: 193 n. 49. I, 27, 75: 193 n. 49. I, 123: 195. II, 17, 46: 192 n. 47. II, 18, 47 sq.: 192. II, 25, 65: 300. II, 27: 495. II, 68: 493 n. 29.
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20: 123-124. 206: 458. 209-223: 505. 218: 509. 220: 268. 234-237: 124. 241: 123-124. 277 sq.: 124. 305: 263. 346: 123-124. 360: 124. 478 sq.: 123-124. 479: 431 n. 27. 483: 123-124. 492 sq.: 124. 623-624: 124. 686: 561 n. 25. 755: 510. 920: 265. 998, 1001, 1015: 139. Schol. Suppl., 1: 123. ⎯, fr. 44 (éd. Radt): 135 n. 27; 282. fr. 70 (éd. Nauck): 485. fr. 78, 18 (éd. Radt) : 508-509 ; 511. fr. 243 a (éd. Mette): 267 n. 13. fr. 273 a, 8 (éd. Radt): 266 n. 11. fr 448 (éd. Mette): 264-265. fr. 738 (éd. Mette): 268. fr. 912 (éd. Nauck): 266 n. 11. Étienne de Byzance, s. u. Bovsporow : 535 n. 25. s. u. Kuvprow: 230; 232. s. u. Lutaiv : 508 n. 38. Etymologicum Magnum, s. u. iJkevth" : 121. Eunape, V S, 483-485 (éd. Wright, p. 468-477): 460. Euripide, Al., 361, 440-441: 265. ⎯, Andr., 275-276: 264. ⎯, Ba., 1-3, 26-31, 83-99: 46 n. 29. 46: 478. 155-160: 469. 275 sq.: 485. 370-373: 73. 584: 478. ⎯, El., 462-63: 268.
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206-210: 130; 132. 453 sq.: 504. 461, 486, 502, 919, 929: 273. 784: 151. 901-903: 73. Schol. Theog., 138: 135. 180: 130. 191 A: 135. 192: 132 n. 13. 195: 135. ⎯, Op., 2-4: 116 n. 12. 11-24: 70. 213-285: 73. 230-231: 73 n. 21. Hésychius, s. u. [Anqeia: 138 n. 45. ⎯, s. u. jAfivktora : 124. ⎯, s. u. JIkethvsio" : 124 n. 6. ⎯, s. u. jElavthw: 390. ⎯, s. u. Eujergesiva : 221 n. 21. ⎯, s. u. Qalavssiow Zeuv" : 507. ⎯, s. u. Kavbeiroi: 216 n. 24 & n. 27. ⎯, s. u. Kinuravdai: 236 n. 50. ⎯, s. u. Tritopavtoraw : 281. Hippocrate, Aer., IV, 4 (II/2, p. 195-196, éd. Jouanna): 139 n. 55. ⎯, Genit., I, 1-3 (XI, p. 44-45, éd. Joly): 137. II, 1-3 (XI, p. 45-46, éd. Joly): 139. Histoire Auguste: voir SHA. Homère, Il., I, 38: 477 n. 17. I, 403 sq: 559. I, 570-571 sq.: 180; 273. II, 142: 479. II, 813 sq: 579. III, 276-277: 150; 434. IV, 339: 583. IV, 440-443: 70. V, 370-371: 135 n. 24. V, 373: 273. V, 401: 24. V, 428-430: 288. V, 898-899: 24; 273. VI, 6: 535 n. 21. VI, 156: 141 n. 62 & 64. VII, 411: 150. X, 320: 150.
SOURCES LITTÉRAIRES
XI, 37: 70. XI, 73-74: 70. XI, 225: 138 n. 47. XI, 430: 583 n. 17. XIII, 20 sq.: 508. XIII, 299: 70. XIII, 484: 141 n. 61. XIV, 291: 579. XV, 38: 150. XV, 119: 70. XV, 178 sq.: 504. XVI, 857: 141 n. 64. XVII, 32: 581 n. 11. XVII, 567: 478. XVIII, 318-320: 233. XVIII, 417-420: 532. XVIII, 484: 192. XVIII, 535: 70. XIX, 258: 150. XX, 74: 579. XX, 131: 46 n. 29. XX, 198: 581 n. 11. XXII, 218: 584. XXII, 254-5: 150. XXIV, 376-77: 265. Schol. Il., XVII, 32: 581 n. 11. Schol. Il., XXIII, 346: 395. ⎯, Od., I, 22 sq.: 503. I, 55: 584. II, 262: 480. III, 161: 583. IV, 232: 24. IV, 371-372: 581. V, 282 sq.: 503. V, 445: 480. VII, 100-102: 532. VII, 144 sq.: 122. VII, 165-166 sq.: 122. VII, 233: 584. VII, 248: 584. VIII, 546: 122. IX, 261-273: 121; 580-581. IX, 419: 580 n. 6; 582. IX, 442: 580 n. 6; 582. IX, 494: 583 n. 16. X, 281: 584.
X, 305: 579. XI, 317-320: 138 n. 47. XI, 364: 583. XI, 474: 583 n. 16. XII, 21: 583 n. 16. XII, 61: 579. XII, 116: 583 n. 16. XII, 279: 583 n. 16. XIII, 187 sq.: 580. XIII, 194-197: 121. XIII, 210-214: 121-123; 126. XIII, 237 sq.: 580-581. XIII, 288: 582 n. 12. XIII, 291-293: 582. XIII, 297-299: 582 n. 13. XIII, 331 sq.: 582. XIV, 303-4: 150. XIV, 327-328: 433. XIV, 392: 149. XV, 451: 583. XVII, 10: 584. XVII, 483: 584. XVII, 501: 584. XVIII, 128: 584. XIX, 134: 122. XIX, 354: 584. XIX, 399-412: 213. XIX, 431-432: 233. XIX, 439-443: 233. XX, 45: 583. XXI, 397: 583. XXIV, 289: 584. XXIV, 509: 141 n. 63. Schol. Od., XIII, 213: 123. Horace, Ars, 46: 26. 59-61: 26. Porph. ad Hor., Ars, 113: 25. ⎯, S., II, 2, 55-56: 23. Hygin, Fab., 92, 3: 521 n. 18. 174, 4: 216 n. 25. Hymnes homériques, à Aphrodite (I), 1-5: 137-138. 576-578: 267. (II), 3-5: 133. (III), 1-3: 138. à Apollon (I), 82: 65 n. 41. 621
SOURCES LITTÉRAIRES
399 sq.: 256. 495-501: 255. à Artémis (II), 14: 256 n. 6. 18: 65 n. 41. à Déméter (I), 490-493: 482. 275-280: 46 n. 29. 474-476: 392 n. 19. à Hermès (I), 304; 387: 49. 368: 50 n. 57. 375-376: 138 n. 47. 491-94: 268. à Pan, 33-35: 138. Hymnes à Ambroise, 19: 457. Hymn. Orph. (éd. Quandt), Eujchv, 11: 132 n. 16. XXXVI: 483. XXXVIII: 218. Isidore., Orig., II, 21, 16: 23. Jamblique, Myst., VII, 4, 254, 15 - 256, 5, p. 191-194: 66. VII, 4, 256, 6-17, p. 192 sq.: 67. VII, 5, 259, 10-20, p. 194 sq.: 67. ⎯, V P (BTG), 11, 56, 1 (p. 30, 22-24) & 18, 82 (p. 47, 17-18): 60 n. 15. Jean Lydus, Mens. (éd. Wünsch), IV, 4: 132 n. 13. IV, 53: 552 n. 121. IV, 64: 135 n. 24; 136. Julien, Ep. (éd. Bidez), 89 a [453 b], p. 153: 67 n. 50. 89 b [291 c], p. 159: 62 n. 22. ⎯, or. XI [IV] (Hymne à Hélios-Roi), 137 b: 33 n. 14. Justin, Ière Ap., XXI, 5: 461 XXIV, 1, 1-8: 545 n. 7. Juvénal, schol. Sat., 6, 249: 100 n. 26. Lactance, De opificio Dei, I, 1 (éd. Perrin): 457. Laevius, fr. 26 (éd. Morel): 499. Lettre d’Aristée, III, 16 (éd. Pelletier): 455. Libanios, or. V (Artémis), 6: 33 n. 13; 117. 31: 33 n. 13. Livius Andronicus, Od. (éd. Mariotti), fr. 1-25 (passim): 175. Lucain, Phars., III, 440 sq.: 403. 622
Lucien, Tim., 1: 38. Lucrèce, II, 23-26: 533. IV, 110, 158, 728: 193 n. 54. IV, 754-756: 193 n. 51 & 54. IV, 802, 807: 193 n. 54. V, 76 sq.: 191 n. 43. V, 114 sq.: 191 n. 43. V, 148 sq.: 193 n. 54. V, 1188 sq.: 191 n. 43. V, 1204 sq.: 191 n. 43. VI, 1044-1046: 216 n. 27. Lycophron, Alex., 153: 223 n. 35. Schol. 400: 390 n. 9. 480, 482: 218 n. 44. 1040: 395. Lycurgue, Leoc., 78: 159 n. 45. Macrobe, Sat., I, 12, 17 & 20: 107. I, 17, 32 sq.: 24. I, 18, 19-20: 440. III, 9, 5: 498. III, 9, 7: 493 n. 26; 498. III, 9, 10: 499 n. 67. V, 2: 306-307. VI, 5, 1: 305. Martial, Epigr., X, 48: 446. Martianus Capella (éd. Dick), I, 24: 522. 266, 18 sq.: 23. Ménandre, Her., 84: 393. Ménandre le Rhéteur, I, 335, 8: 34 n. 19. I, 335, 11: 38 n. 41. I, 337, 4: 33 n. 14. I, 357, 9-11: 30 n. 4. II, 438: 36 n. 33. II, 439, 15-29: 35 n. 29. II, 440, 14: 34 n. 20. II, 443, 26-28: 34 n. 17; 35 n. 30. II, 445, 25-446: 34 n. 21 & 23; 36 n. 31 & 33; 37. Minucius Felix, Octavius, XVIII, 11 : 462. Naevius, Bell. Poen. (éd. Marmorale), II, fr. 14: 17. II, fr. 19-22: 176. Nicandre, Alex., 406 (& schol.): 132 n. 16. Nonnos, Dion., I, 87-88: 135 n. 25.
SOURCES LITTÉRAIRES
IV, 85-89: 216. V, 70: 136 n. 28. V, 611-615: 135 n. 25. VII, 227-231: 135 n. 25. IX, 1-18: 46 n. 29. IX, 25-33: 46 n. 29. XII, 45-47: 135 n. 25. XIII, 177-179: 135 n. 25. XIII, 439-442: 135 n. 25. XLI, 99-105: 135 n. 25. XLI, 288: 132 n. 16. Oppien, Hal., I, 494, 499-508, 770: 138 n. 41. Orph. fr. (éd. Kern), 137: 135 n. 24. 183: 132 n. 16; 134. Origène, C. Cels., I, 19: 457. I, 24-25: 58 n. 4; 67; 84-86; 457. II, 74, 9: 430. V, 30: 90. V, 41: 91. V, 45: 89 n. 26. ⎯, Philocalie, 1-20 (p. 447-457, éd. Harl): 83. Ostius, Fragm. IV: 523. Ovide, Ars am., I, 181-182: 575-576. I, 203-204: 576. II, 562: 306 n. 13. III, 635: 446. ⎯, Fast., I, 599-600: 577 n. 34. III, 327-348: 575 n. 29. V, 551-552: 568. V, 559-560: 573. V, 571-572: 570. V, 575-576: 570. V, 577: 567 n. 1; 568; 571. V, 579-580: 569; 571. V, 595-596: 568; 569; 571. ⎯, Met., III, 260-315 (passim): 46 n. 29. XIV, 533: 307. XV, 818-821: 575. Panégyriques latins, II, IX (XII), 13, 2 & 26, 1: 462. Pausanias, I, 3, 2: 230 n. 8. I, 5, 1: 537; 541. I, 14, 7: 279; 284.
I, 19, 1-2: 260 n. 23; 287. I, 26, 5: 434. I, 28, 10: 260 n. 23. I, 40, 2-3: 535 n. 23. I, 42-44: 219 n. 4; 221 n. 21; 234. II, 2, 8: 434. II, 14, 2: 392. II, 23, 8: 288 n. 82. II, 24, 3-4: 506. II, 26, 3-5: 548 n. 24. II, 26, 7: 548 n. 22; 549 n. 25. II, 30, 2: 540 n. 53. II, 35, 1: 223 n. 33. III, 13, 9: 225 n. 44. III, 17, 5: 220 n. 7. III, 18, 1: 139 n. 48. III, 23, 1: 288 n. 82. III, 24, 9: 223 n. 34. III, 39, 4: 223 n. 35. IV, 3, 1-2: 548 n. 22. IV, 31, 6: 396 n. 51. V, 14, 6: 220 n. 13; 253. V, 15, 5: 434. V, 15, 11: 220 n. 8; 253. VI, 20, 6: 288 n. 82. VI, 25, 1: 283. VII, 18, 8-12: 249 n. 59. VII, 21, 7-9: 272; 397; 435 n. 59. VII, 26, 5: 223 n. 33. VIII, 2, 3-4: 113. VIII, 4, 1: 392 n. 22. VIII, 8, 2: 397 n. 59. VIII, 9, 2: 396 n. 51 et 52. VIII, 13, 1: 399 n. 75. VIII, 15, 1-3: 391; 392 n. 23 & 24; 399 n. 72 & 74. VIII, 15, 5: 391. VIII, 15, 9: 399 n. 75. VIII, 21, 4: 398 n. 68. VIII, 22, 7-9: 390 n. 10. VIII, 23, 1-7: 391 n. 15; 398 n. 69. VIII, 24, 6: 391 n. 15. VIII, 25: 217 n. 43; 390 n. 9; 395; 397; 548 n. 23. VIII, 26, 1: 399 n. 72. VIII, 27, 4: 398 n. 64. 623
SOURCES LITTÉRAIRES
VIII, 29, 4: 440. VIII, 30, 6-10: 391 n. 15; 396 n. 51. VIII, 31, 4: 397 n. 61. VIII, 32, 3-4: 285; 399 n. 72. VIII, 34, 5: 399 n. 72. VIII, 36, 2: 395. VIII, 36, 10: 390 n. 9. VIII, 37, 9: 217 n. 43. VIII, 38, 8: 397 n. 63. VIII, 41, 4-7: 394; 398 n. 65. VIII, 42, 1-13: 217 n. 43; 399 n. 72. VIII, 44, 4: 399 n. 75. VIII, 45, 4: 393; 394. VIII, 47, 4-5: 224 n. 41; 396 n. 54. VIII, 48, 6: 396 n. 52. VIII, 53, 1-3: 396 n. 56. VIII, 53, 7: 391 n. 12. VIII, 53, 11: 390 n. 11. VIII, 54, 5: 390 n. 9; 399 n. 75. IX, 8, 5: 434. IX, 16, 3-4: 285. IX, 25, 5-6: 216 n. 24; 217 n. 35 & 40; 219 n. 6. X, 4, 3: 242 n. 8. X, 6, 4 & 32, 7: 244 n. 16. X, 8, 6-7: 244 n. 17 & 18; 248 n. 51. X, 8, 8: 233. X, 8, 10: 242 n. 6. X, 15, 3: 241 n. 1. X, 19, 3: 250. X, 24, 4: 248 n. 50; 249 n. 57. X, 24, 6: 244 n. 19. X, 32, 6: 234. X, 32, 7: 244 n. 20. X, 36, 5: 223 n. 34. PMG (éd. Preisendanz), II, p. 260 (= Hymn. Mag., XXII, 1): 132 n. 16. Pindare, Isthm., I, 51: 433 n. 43. II, 4-5: 139. VI, 5: 508 n. 36. VIII, 48: 504 n. 11. Schol. Isthm., II, 7: 139. ⎯, Nem., I, 60: 433 n. 43. IV, 86-87: 506 n. 23; 509. V, 37: 504. V, 38: 508 n. 37. 624
VII: 242 n. 6. Schol. Nem. V, 81: 260 n. 22. ⎯, Ol., I, 25-26: 508 n. 43; 510. I, 40-41: 510. I, 72-73: 503; 510. I, 75: 504 n. 10. I, 87: 503 n. 4; 510. V, 40: 50 n. 57. VI, 29: 506 n. 22. VI, 58: 503. VI, 103-105: 504 n. 9. VIII, 42: 238 n. 55. IX, 30: 509. XIII, 1: 297. XIII, 4-5: 508 n. 35; 511. XIII, 6-8: 73 n. 22. Schol. Ol., XIII, 32 b: 141 n. 70. ⎯, Pae.: II, 38: 433 n. 43. ⎯, Pyth., I, 100: 433 n. 43. II, 12: 503 n. 5. II, 31: 229. II, 49-51: 506. III, 60-61: 548 n. 21. IV, 138: 508. IV, 158: 139. IV, 171-183: 139; 504. IV, 207: 503. IX, 64-65: 224. Schol. Pyth. VIII, 88: 260 n. 22. ⎯, fr. 30 (éd. Snell-Maehler): 287. fr. 122 (éd. Snell-Maehler): 287. Philodème, D., III, col. 10, 20: 198. III, fr. 11, 2: 198. III, fr. 19, 2: 194. ⎯, Piet. (éd. Gomperz), col. 26, 13 sq.: 195 n. 65. ⎯, Sign., col. 37, 28: 198 n. 79. Philon d’Alexandrie, In Flacc., 46 : 430. ⎯, Leg. ad G., 278 & 317: 430. ⎯, Leg. All., III, 82: 430-432. Philon de Byblos, ap. Eusèbe, Prép. év., I, 10, 9: 433. Platon, Crat., 395 e: 118 n. 22. 397 b-c: 57. 400 d-401 a: 57; 489; 530.
SOURCES LITTÉRAIRES
404 c: 33 n. 14. 404 e: 130 n. 5. 406 d: 133. 439 b: 58 n. 7. ⎯, Grg., 507 b: 73 n. 26. ⎯, Ep. 7, 343 a: 58. ⎯, Leg., II, 656 d-657 a: 67 n. 50. VII, 818 b: 191 n. 36. VIII, 828 c: 273. ⎯, Phlb., 12 c: 58; 79; 83. ⎯, Prm., 142 a: 61 n. 20; 62 n. 24. ⎯, Plt., 261 e: 57 n. 3. ⎯, Res., 380 d: 190 n. 32. 393 c: 579. 533 d-e: 58 n. 8; 197 n. 36. 583 b: 49 n. 52. 597 e: 63 n. 30. ⎯, Soph., 235 e-236 b: 41. 262 a-d: 58 n. 8. ⎯, Symp., 180 d-181 c: 286. 189 c: 563 n. 32. 197 d-e: 29. 198 b: 29. ⎯, Tht., 168 b-c: 58 n. 8. ⎯, Ti., 33 a-b: 191 n. 36; 192 n. 46. 37 c: 460. 45 b: 531 n. 3. 47 c: 191 n. 36. 67 d: 195. Plaute, Amph., 1-16: 178. 17-37: 179. 831: 491 n. 1. ⎯, As., 41, 417, 750: 492 n. 8. ⎯, Bac., 254: 492 n. 9. 892-897: 496. ⎯, Cist., 52: 492. 512-515: 496. 624: 492 n. 10. ⎯, Cur., 70: 494 n. 35. ⎯, Epid., 34: 305. ⎯, Rud., 358: 494 n. 36. 256: 499 n. 65. Pline l’Ancien, H N, VI, 42, 2: 23. XX, 42: 72. XXVIII: 110. Plotin, Ennéades, IV, 4, 40: 88.
Plutarque: ⎯, Mor., 264 B (Quaest. Rom., XXIII): 211. 269 B (Quaest. Rom., XXIII): 249 n. 60. 292 D (Quaest. Graec., IX): 243 n. 13. 293 C-F (Quaest. Graec., XII): 243. 349 F (De gloria Athenensium): 540 n. 50. 351 E-352 A (de Is. et Os., 2): 33. 358 B (de Is. et Os., 18): 444 n. 16. 359 C (de Is. et Os., 21): 444 n. 14. 365 A (de Is. et Os., 35): 243. 402 C-D (De Pyth. or.): 249 n. 57. 521 D (De curiositate): 197 n. 73. 611 D (Consolation à sa femme, 10) : 243. 654 D (Quaest. Conv., III, 6, 4): 139 n. 48. 744 C-745 C (Quaest. Conv., IX, 14, 3-4): 249 n. 57. 871 A (De Herodoti malignitate, 39) : 141 n. 70. 983 E-F (De soll. an.): 257 n. 10. 984 A (De soll. an.): 259. ⎯, V Flam., 12: 245 n. 26. 16, 6, 1: 260 n. 24. ⎯, V Pyrrh., 5: 220 n. 13. Pollux, Onom., III, 38: 287-88. VIII, 119: 258 n. 16. VIII, 122: 153 n. 30. Polybe, VIII, 28, 2: 224 n. 41. Porphyre, Lettre à Anébon, 2, 10, (éd. Sodano, p. 22, 1): 66. Posidonius (éd. Edelstein-Kidd), fr. 8, 18, 49, 117, 122: 191 n. 45. Priscien, Ars gram., VI, 40: 306 n. 14. Proclus, In Crat., (éd. Pasquali), II, p. 1, 10 sq.: 59 n. 11. VI, p. 2, 25-27: 60. XVI, p. 5, 27-6, 19: 60 n. 15 & 16; 61. XX, p. 8, 24-25: 64. XXX, p. 11, 5-6: 58 n. 4. LI, p. 18, 14-15: 60 n. 14. 625
SOURCES LITTÉRAIRES
XLVI, p. 15, 1-2: 63 n. 32. LVII, p. 25, 11: 58 n. 4 LXXI, p. 29-35: 62-65; 68. CXLVIII, p. 83, 28-29: 507. ⎯, In Tim.(éd. Diehl), I, p. 276, 16-18: 60 n. 15. III, p. 6, 13: 62 n. 25. III, p. 176, 40 e: 281. ⎯, In Alc., II, 303, 16-304, 21: 60 n. 15. ⎯, Theol. plat. (éd. Westerink), I, 29 (p. 123, 21 - 125, 5): 58 n. 4; 61; 6364; 81; 83. Prudence, Perist., II, 415: 24. Quintilien, Inst., I, 5, 71: 26. V, 10, 30-31: 30 n. 4. VIII 2, 11: 28. VIII 3, 31: 26. VIII 6, 31 sq.: 26. IX 3, 45: 23. Rhetores Graeci (éd. Spengel): Alexandre, III, 30, 14 sq.: 23. Anonyme, Trop., III, 210, 26 sq.: 25. Cocondrius, III, 231, 15 sq.: 25. Tryphon, III, 196, 12 sq.: 26. Rhetores Latini minores (éd. Halm): Aquila, 34, 3 sq.: 23. Bède, 613, 29 sq.: 25. Emporius, 568, 7-17: 30 n. 4. Rhétorique à Hérennius, IV 31, 42, 4 sq. : 24; 26-27. IV 53, 67: 28. Salluste, Jug., V, 4: 22. Sénèque, Cl., XII 2: 22. ⎯, Med., 2-3: 514. 6, 10: 516. 28, 32-34: 515. 57, 59: 516. 210: 515. 597: 515. 740-844: 514-515. 1026-1027: 516. Servius, Ad. Aen., II, 351: 110(?); 499. II, 325: 215 n. 22. III, 12: 215 n. 16. IV, 577: 499. V, 54: 100. 626
VIII, 3: 494 n. 31. VIII, 724: 307. ⎯, Ad. Georg., I, 21: 105 n. 6. III, 148: 25. Sextus Empiricus, Adv. Math., X, 42 : 198 n. 76. ⎯, Adv. Phys., I, 25: 189. ⎯, Pyrr. Hyp., III, 218: 189. S H A, Pius, II 3, 6: 22. Sophocle, Aj., 831-834: 266. ⎯, Ant., 994: 563 n. 31. 1115-1116: 65 n. 41: 268. 1115-1152: 242 n. 8. ⎯, El., 1395-1397: 267. ⎯, O T, 1104: 265. ⎯, O C, 143: 478. 486-487: 479; 481. 624, 526, 1050-1052, 1434, 1526: 481. ⎯, Les Limiers: 264. ⎯, Ph., 133-134: 477 n. 17; 479 n. 26. 468 sq.: 125. 1289: 433 n. 43. 1442: 50 n. 57. ⎯, Tr., 127: 93. 238, 288: 504 n. 18. 303: 298 n. 50. 620: 265. 754: 504 n. 18. 1191: 433 n. 43. 1278: 488. 1548, 1627: 265. ⎯, fr. 4 (éd. Radt): 31. fr. 658 (éd. Radt): 31. Sophronios, Laudes in Ss. Cyrum et Ioannem, 24-27: 445 n. 19. Souda, s. u. Protevleia: 282. s. u. Tritopavtorew: 281. Stace, Thébais, I, 254: 446. Stoicorum Veterum Fragmenta (éd. von Arnim): I, 88: 191 n. 38. I, 499: 191 n. 40. I, 530: 191 n. 38. I, 537: 191 n. 40. II, 92: 191 n. 40. II, 527: 191 n. 38-39.
SOURCES LITTÉRAIRES
II, 641: 191 n. 38. II, 1015, 1022, 1027: 191 n. 38. II, 1058: 189 n. 25. II, 1060: 190 n. 35. II, 1076-1077: 191 n. 38 & 40. Strabon, IV, 1, 4: 260. VII, fr. 50 (Baladié): 215 n. 16. VIII, 8, 2: 393. IX, 2, 6: 261. IX, 3, 15: 245 n. 23. X, 2, 17: 215 n. 18. X, 3, 7: 216. X, 3, 15: 216 n. 30. X, 3, 20: 214 n. 11. XII, 3, 31: 157 n. 35. XII, 5, 2: 441 n. 109. XIV, 2, 23: 435 n. 57. XIV, 6, 3: 231. XVII, 1, 14-16: 444 n. 7 & 14. Suétone, Tib., 17, 3-4: 576. Tacite, Ann., 14, 14, 1: 521 n. 18. Tertullien, Apol., 18: 21. Théon, Prog., 111, 3-11: 30 n. 4. Thucydide, IV, 118, 1-2 & V, 18, 2: 245 n. 24. VII, 29, 4: 215. VII, 68: 21. VIII, 38, 1: 261. Tibulle, I, 3, 32: 445. I, 7, 63: 494. Tite-Live, I, 24, 7: 494. I, 32: 494; 496 n. 47. II, 6, 7 & VI, 29, 2: 494. VIII, 9, 6: 493 n. 25; 495. X, 36, 11: 500 n. 70.
Titinius, fr. 11 & 114 (éd. Daviault) : 491. Tzetzès, Comm. à Lycophr., Alex. 153: 395. Varron, R. div., I, fr. 17: 423. XIV: 96. ⎯, L. l., V, 58: 215 n. 16. V, 84: 22. VI, 55: 499 n. 63. VII, 34, fr. 39: 215 n. 16; 216. Virgile (voir aussi Servius), ⎯, Aen., I, 267: 21-22. I, 288: 22. I, 330: 499. III, 161: 523. IV, 680: 493 n. 28. V, 24: 294. V, 686: 493 n. 28. VI, 12: 523. VI, 65-66: 521. VI, 247: 493 n. 28. VI, 429: 525. IX, 403, X, 667: 493 n. 28. XI, 28: 525. ⎯, Georg., II, 295: 307. Xénophon, An., 7, 8, 1-7: 226 n. 48. ⎯, Hell., I, 5, 15: 261; 393. ⎯, Mem., II, 1, 21-33: 71. IV, 3, 13: 189 n. 31. Xénophon (pseudo-), Ath., II, 20: 149 n. 22. Zacharie, Vie de Sévère (éd. Kugener), p. 16-35: 445.
627
NOMS DE DIEUX Abnoba: 402; 404-405. Adolenda Conmolenda Deferunda : 99101; 108. Adolenda Coinquenda: 99-100. Adonaï ( AdwnãÛ): j 84-87; 90-91; 426. Adonis ( [Adwniw): 402-403. Aernus: 414-415. Agathè Tychè: voir Tychè. Agathos Daimôn ( Agaqo; j w Daivmwn): 49; 69-70. Agdistis ( [Agdistiw): 70. Oikodespoina (Oijkodevspoina): 70. Phylax (Fuvlax): 70. Ahuecanae: 402; 405. Aius Loquens (Locutius): 101; 113. Alateivia: 402; 405. Alea ( Alev j a): 223; 393-394. Athéna ( Aqhnç): j 394. Alilat: 275. Amon (Ammon) : 309 ; 311 ; 313-315 ; 402-403. Amon-Rê: 309; 311. Amphiôn ( Amfiv j wn): 149 n. 21. Amphitrite ( Amfitriv j th): 154; 161-163. Ancamna: 402; 405-406. Angitia: 296. Diiviiai: 297. Anubis: 402-403; 448 n. 38. Apadeva: 402; 405. Aphrodite ( Afrodiv j th): 129-142; 152; 161; 163; 211; 219; 228-240; 245 n. 29 ; 246 ; 269 n. 21 ; 273-290 ; 390 ; 402-403; 478 n. 20; 489 n. 56; 505; 550. Aidoiè (Aijdoivh): 134-135. Akraia ( Akraiv j a): 228. Ambologèras ( Ambologhv j raw): 139. n. 48. Antheia ( [Anqeia): 138. Aphreia ( Afreiv j a): 132 n. 16. 628
Aphrogenès ( Afrogenhv j w): 132; 134135. Aphrôraia ( Afrwraiv j a): 132 n. 16. Apostrophia ( Apostrofiv j a): 285. Areia ( Areiv j a): 219-221. Cythérée (Kuqevreia): 131-132; 290. Epiteleia ( E j piteleiva): 249. Epitymbia ( E j pitumbiva): 249. Érycine: 391. Euploia (Eu[ploia): 211; 221 n. 21. Harma ( {Arma): 249. Héra ( {Hra): 225. Hègemôn/Kathègemôn ( H J gemwvn/ Kaqhgemwvn): 560 n. 21. Kypria (Kupriva): 227. Kyprogenès (Kuprogenhvw): 131-132; 290. Lamia (Lavmia): 223 n. 28. Leaina (Levaina): 223 n. 28. Ourania (Oujraniva): 274-290; 435 n. 58. Pandèmos (Pavndhmow): 283-285. Paphia (Pafiva): 228-229; 236; 239 n. 60; 390. Parthénos (Parqevnow): 134-135. Peithô (Peiqwv) : 221-222. Persephoneiè (Persefoneivh): 220 n. 12. Phila (Fivla): 223 n. 28. Philommeidès (Filommeidhvw): 131132. Praxis (Prçxiw): 221 n. 21; 222. Pythonikè (Puqonivkh): 223 n. 28. Wanassa: 239. Apis: 309; 402-403. Apis-Osiris: 309. Apollon ( Apov j llwn): 6; 10; 42 n. 8; 44; 45 ; 47-48 ; 89 n. 25 ; 92 ; 107 ; 125 ; 138 ; 144 ; 153-154 ; 158-160 ; 175 ; 177 ; 225 ; 227-240 ; 241-253 ; 255-
NOMS DE DIEUX
261; 264; 265 n. 7; 268 n. 20; 274; 396 ; 402-403 ; 429 n. 9 ; 440 n. 103 ; 442 n. 118 ; 458 ; 463 ; 465 ; 485; 495; 503-505; 509; 518-519; 522-23; 526; 536 n. 30; 544; 549; 563 ; 588. Agraios ( Agra›ow): j 233. Agyiatès ( Aguiav j thw): 227. Agyieus ( Aguieuv j w): 396-398. Aktios ( [Aktiow): 37. Alasiôtas ( Alasiwv j taw): 227; 239 n. 61. Alexikakos ( Alexiv j kakow): 258. Amyklaios ( Amukla›ow): j 211; 227; 239 n. 61. Anax ( [Anax): 264. Aristaios ( Arista›ow): j 224. Askraios ( Askra›ow): j 37. Bassitas (Bassivtaw): 390. Bilkônios (Bilkwnivow): 144; 160162. Branchos (Bravgcow): 229 n. 11. Dauchnaphorios (Daucnafovriow): 227; 239 n. 61. Délien (Dhvliow///Delius): 23-24; 37; 519-520; 523. Delphidios (Delfivdiow): 259-260. Delphien (Delfovw): 256. Delphinien (Delfivniow): 160-162; 255-261; 541. Delphique (Delfikovw): 256. Eilapinastès (Eijlapinasthvw): 227; 232. j pikouvriow): 398. Epikourios ( E Erithios ( E j rivqiow): 227. Eumenès (Eujmenhvw): 561 n. 25. Gennètôr (Gennhvtwr): 458. Hekatèbolos ( E j kathbovlow): 247. Heleitas ( E j leivtaw): 227; 233; 239 n. 61. Hélios ( {Hliow): 505. Horus ( |Wrow): 36. Hyakinthios ( JUakiv n qiow) : 211 ; 224 ; 229 n. 11 ; 323. Hylatès ( JUlavthw) : 227-228 ; 231232 ; 235-240.
Hypsistos ( U { yistow): 441 n. 112. Iatros ( jIatrovw): 257; 258 n. 14. Kaisar (Ka›sar): 227. Karinos (Karinov"): 234. Kenyristès (Kenuristhvw): 227-228; 235-240. Keraiatès (Keraiãthw): 227; 399. Kéréatas (Kereavtaw): 399. Kyprios (Kuvpriow): 227. Lairbènos (Lairbhvnow): 441 n. 112. Lakeutès (Lakeuthvw): 227; 231. Latonius: 23-24; 519-520; 522-523. Latôos (Latw/'o"): 219; 221 n. 14. Lauripotens: 23-24; 519-520; 522. Lykègénès (Lukhgenhvw): 35. Lykeios/kios (Luvkeiow/kiow) : 37 ; 227; 246-247; 257; 561 n. 25. Mageirios/irios (Mageivriow/ivriow): 227; 231; 239 n. 61. Maléatès (Maleavthw) : 543-544 ; 547; 549. Medicus: 532. Mélanthios (Melavnqiow): 227. Moiragetès (Moiragevthw) : 248249. Myrtatès, Myrtôos (Murtathvw, Murt“ow): 227; 232. Nomios (Novmiow): 399. Ônax ( \Wnax): 258. Parrhasios (Parravsiow): 397. Patrôos (Patr“ow): 153; 538. Péan/Paeôn (Paean/Paiavn/ Paihvwn/Paiwvn): 23-24; 36; 335; 519-520; 523; 547 n. 18. Pépôn (Pevpwn): 35. Phoibos (Fo›bow): 247. Polyonyme (Poluwvnumow) : 65 n. 41. Praescius: 23-24; 519-521; 523. Prostatèrios (Prostathvriow): 537; 538. Pythien (Puvqiow/Pythius): 35 n. 29; 154; 160; 161 n. 53; 176; 211; 227; 244-247; 256; 391. Sasthraios (Sasqra›ow): 160-162. Sitalkas (Sitavlkaw): 248. 629
NOMS DE DIEUX
Smintheus/ios (Sminqeuvw/iow): 35 n. 29; 37; 477 n. 17. Telchinios (Telcivniow): 220 n. 13. Thargèlios (Qarghvliow): 257. Apophis: 310-311. Arduinna: 403-405. Arentius/Arentia: 414; 417. Arès ( [Arhw): 70; 73; 141; 154-155; 158-159; 161; 163; 220-221; 274; 330; 332; 414; 505; 584. Androphonos ( Androfov j now): 70. Chrysopèlèx (Xrusophvlhx): 510. Arétè ( Arethv j ) : 69-71; 77. Argimpasa: 275. Aristaios ( Arista›ow): j 224. Artémis ( [Artemiw): 5; 33; 44; 47; 8587; 144; 154; 157; 160; 211; 223226; 245 n. 25; 246; 249 n. 54; 251 n. 78; 252; 259-260; 274; 288; 333; 394; 396; 403; 482-484; 505; 523; 531-542. Agrotéra ( Agrotev j ra): 236; 399. Aidôs (Aijdwvw): 45. Apanchomenè (Apagcomev j nh): 398. Basileia (Basivleia): 483. Blaganitis (Blagani'tiw): 5. Boulaia (Boulaiva): 531; 537-538. Braurônia (Braurwniva): 391. Delphinienne (Delfiniva): 258. Diktynna (Divktunna) : 223 ; 259 ; 323; 483. Enodia ( E j nodiva): 223; 535. Eparôgès ( E j parwghvw): 483. Ephésia ( E j fesiva): 5; 391; 441 n. 107. Epipyrgidia ( E j pipurgidiva): 540. Euèkoos (Eujhvkoow): 535 n. 22. Eukleia (Eu[kleia): 221; 222 n. 27; 249. Eupraxia (Eujpraxiva): 221 n. 21. Eurynomè (Eujrunovmh): 394. Hécate ( E j kavth): 157; 223; 225; 485; 534; 540. Hègemôn/Kathègemôn ( JHgemwv n/ Kaqhgemwvn): 560 n. 21. Hèmerasia ( JHmerasiva): 390. 630
Hiereia ( JIevreia): 399. Hymnia ( JUmniva): 399. Ilithye ( Eijleivquia): 223-226. Iphigénie ( jIfigevneia): 157; 223. Kallistè (Kallivsth): 390. Koria (Koriva): 398. Kynègétis (Kunhgevtiw): 483. Laphria (Lafriva): 249. Latonia: 522. Limnatis (Limnçtiw): 211; 390. Lochia (Lociva): 448; 483. Lousiatis (Lousia'tiw): 390. Lysimérimnos (Lusimevrimnow) : 483. Lysizônos (Lusivzwnow): 483. Mesopolitis (Mesopoli'tiw): 390. Mounychia (Mounuciva): 538; 540. Orthia/Orthosia ( Orqiva/ O j rqwsiva) : 223. Ourania (Oujraniva): 280; 289. Paphrakia (Pafrakiva): 389. Pasiphaès (Pasifahvw): 483. Philoistros (Fivloistrow): 483. Phôsphoros (Fwsfovrow): 531-542. Polyonyme (Poluwvnumo?) : 9; 483. Pyrônia (Purwniva): 399. Sôteira (Swvteira): 535. Stymphalia (Stumfaliva) : 390 n. 10. Tauropole (Tauropovlow): 158 n. 42. Titanide (Titanivw): 483. Toxotis (Toxovtiw): 483. Asclèpios ( Asklhpiov j w): 33 n. 13; 36 n. 31; 72; 224; 226; 246; 251-252; 395; 403; 465; 523; 526; 543-555; 557-566. Aristos ( [Aristow): 547-548. Despotès (Despovthw): 561-564. Dôtèr hygieias (Dwth;r uJgieivaw) : 547-548. Eumenès (Eujmenhvw): 561. Hègemôn/Kathègemôn ( JHgemwvn/ Kaqhgemwvn): 558; 560; 563-564. Iatèr ( jIathvr): 547. Kaousios (Kaouvsiow): 390. Kybernètès (Kubernhvthw): 562.
NOMS DE DIEUX
Megistos (Mevgistow): 562. Moironomos (Moironovmow): 36. Ônax ( \Wnax): 547-548. Pais (Pai`w): 395. Péan (Paean/Paiavn): 547. Philanthrôpotatos (Filanqrwpovtatow): 562-563. Phylax (Fuvlax): 559 n. 17. Prostatès (Prostavthw): 562-563. Rhôsandros ( R J wvsandrow): 36 n. 35. Sôtèr (Swthvr): 547-549; 558; 564. Asôtia ( Aswtiv j a): 71. Astartè ( Astav j rth): 129 n. 1; 278; 429 n. 9. Phénicienne (Foinikiva): 533 n. 11. Ataegina: 415. Atargatis: 289. Athéna ( Aqhna` j ) : 5; 7 n. 4; 42; 43-44; 47-48; 85-87; 113; 130 n. 9; 135 n. 25 ; 144-145 ; 153-154 ; 158-160 ; 221-222; 229 n. 11; 241-253; 259; 265 n. 7; 268; 274; 282; 344; 389; 403; 478; 479 n. 26; 504; 529; 580584; 588. Alalkoménia ( Alalkomenhi? j w): 391. Aléa ( Alev j a): 223; 226 n. 49; 323; 392-394. Alexikakos ( Alexiv j kakow): 35; 258. Amaria ( Amariv j a): 154. Aphaia ( Afaiv j a): 211. Archègétis ( Archgev j tiw): 538. Areia (’Areiva): 145; 154-156; 158159; 161; 219-221; 225. Erganè ( E j rgavnh): 35 n. 30; 248; 253; 398. Héphaistia ( H J faistiv a ) : 219221. Hippia ( jIppiva): 271. Hygie ( JUgiveia): 221-222. Kalè (Kalhv) : 48 n. 44. Koria (Koriva): 398. Lindia (Lindiva): 550-551. Nikè (Nivkh): 221-222; 477 n. 17; 479 n. 26; 485; 540. Nikèphoros (Nikhfovrow): 222; 540. Ôleria ( jWleriva): 160-162.
Onka ( [Ogka): 505. Pallas (Pallavw): 505. Pandrosos (Pavndrosow): 223 n. 35. Phratria (Fratriva): 211. Polias/atis (Poliavw/a`tiw): 5; 154; 158-161; 396. Poliouchos (Poliou``cow): 160-161. Pronaia/Pronoia (Pronaiva): 221 n. 21; 242; 244-253. Samônia (Samwniva): 144-145; 160162. Sôtèria (Swthriva): 249. Zôstèria (Zwsthriva): 248; 253. Attis: 429 n. 9. Hypsistos ( U { yistow): 440. Axieros ( Axiv j erow): 215 n. 14. Axiokersa/os ( Axiov j kersa/ow): 215 n. 14. Baal: 323; 429; 498; 585. Baal-Saturne: 585; 590. Ba’al Shamîm: 433; 436 n. 68; 438. Bacchus: 297. Ba(s) demedj: 311-315. Bastet: 449. Bellone: 495; 499. Bona Dea: 107. Borée: 504. Bormanicus: 415-416. Boubastis: 274; 448 n. 36. Britomartis (Britovmartiw): 149 n. 21; 160-162. Casmile (Kasmuvlow): 215-216. Cérès: 100 n. 26; 176-177; 292; 296; 495-496; 588. Cernunnos: 404; 411. Chaos (Cavow): 514; 516. Charites (Cavritew): 43; 69; 276. Chou: 310. Christ (Jésus)/Dieu chrétien: 24; 79-92; 201-208; 458. Créateur (Dhmiourgovw): 457. Doulos (Dou`low): 201-208. Hagios ( {Agiow): 205. Ktistès (Ktivsthw): 457. Oikétès (Oijkevthw): 202-208. Pais (Pai``w): 201-208. 631
NOMS DE DIEUX
Poiètès (Poihthvw): 457. Therapôn (Qeravpwn): 202-208. Hyios ( JUiovw): 204; 206-208. Cybèle: voir Mater deum. Dea Dia: 99; 108; 495. Déméter (Dhmhvthr): 10; 44; 144; 153154; 160; 217-219; 221; 224; 242 n. 9; 246; 252; 274; 282; 295; 330; 347; 389; 390; 397; 444; 485; 532; 588. Chloè (Clovh): 222. Eleusinia ( E j leusiniva): 391. Erinys ( E j rinuvw): 223; 333 n. 36; 394-395. Erysibè ( E j rusivbh): 222. Euetèria (Eujethriva): 221 n. 21. Eunôstos (EÎnwstow): 250. Eurôpè (Eujrwvph): 223 n. 35. Herkynna ( {Erkunna): 223 n. 35. Hermouchos ( ‘Ermou``cow): 250. Homonoia ( JOmovnoia): 221 n. 21. Kabeiraia (Kaberaiva): 219. Kidaria (Kidariva): 392; 399. Melaina (Mevlaina): 399. Spermouchos (Spermou``cow): 250. Despoina (Devspoina): 217. Diane: 100; 177; 403-404; 495. Dieu chrétien: voir Christ. Dii Manes: 102; 410; 495; 499; 516. Dikaiosynè (Dikaiosuvnh): 73. Dikè (Divkh): 73-74; 76. Diktynna (Divktunna): 159; 246. Dionysos (Diovnusow): 17; 42-43; 45; 46 n. 31; 48; 81-82; 215 n. 14; 233; 241-253 ; 275 ; 277-78 ; 330 ; 332 ; 397; 469; 473; 478; 588. Auxitès (Aujxivthw): 399. Bacchos (Bavkcow): 250. Bromios (Brovmiow): 244; 478. Daidaphoros (Daidafovrow): 250. Dithyrambos (Diquvrambow): 250. Hègemôn/Kathègemôn ( JHgemwvn/ Kaqhgemwvn): 560 n. 21. Iacchos ( [Iakcow): 35 n. 30. Kalos (Kalovw): 48 n. 44. Liknitès (Liknivthw): 250. 632
Lysios (Luvsiow): 36. Meilichios (Meilivciow): 298. Mystès (Muvsthw): 399. Phallèn (Fallhvn): 250. Polyonyme (Poluwvnumow): 268. Sphaleotas (Sfaleovtaw): 250-251. Tauros (Tau``roς): 250. Dioscures (Diovskouroi): 46; 217; 245 n. 26; 259; 276; 491-492; 486. Sauveurs (Swthvrioi): 228. Dis Pater: 499. Di-u-ja/Di-wi-ja: 337; 341; 360. Dius Fidius: 491. Dôdecatheoi (Dwdekavqeoi): 152. Do-po-ta: 338. Drimios: 334 n. 45; 338. Eileithyia (Eijleivquia): 160; 223-226; 246; 249; 253; 332; 391; 398. Inatia ( jInativa): 162. Elagabalus (Alagabalus, jElaiagavbalow): 323. Elioum: voir Hypsistos. Endouellicus: 413-414; 416-417. Enesidaon: 335. Enodia ( E j nodiva): 223; 534. Enyalios ( E j nuavliow): 159; 161-162; 224; 333. Arès ( [Arhw): 220; 225. Enyô ( E j nuwv) : 159. Èôs (’Hwvw): 42 n. 9; 48. Kalè (Kalhv) : 48 n. 44. Épona: 411. Érôs ( [Erww): 29; 42; 131; 281-82. Epibatès ( E j pibavthw): 29. Hègemôn ( JHgemwvn): 29. Kosmos (Kovsmow): 29. Kybernètès (Kubernhvthw): 29. Parastatès (Parastavthw): 29. Sôtèr (Swthvr): 29. Erinys ( E j rinuvw): 332; 395. Eubouleus (Eujbouleuvw): 224. Eudaimonia (Eujdaimoniva): 69-70. Euetèria (Eujethriva): 221 n. 21. Eunomia (Eujnomiva): 282. Eurôstia (Eujrwstiva): 72; 74; 77. Eurynomè (Eujrunovmh): 136; 394.
NOMS DE DIEUX
Falacer: 22-23. Fatuus/Fatua: 499. Faunus/Fauna: 105-106; 499. Februus/Februa: 499. Fides: 101. Flora: 100 n. 26. Fons: 99-100; 417. Fontanus/Fontana: 417. Fortuna : 180-181; 435; 516. Redux: 98; 109; 572 n. 21. Fors Fortuna: voir Fortuna. Furrina: 22-23. Gaia (Gai`a ` ): 130; 149 n. 21; 151-163; 224; 242 n. 8; 244; 246; 252; 263; 266; 273; 281; 485. Gè (Gh``) : voir Gaia. Hadès ( {Aidhw): 217; 485; 506; 509; 515. Harmakhis-Khepri-Rê-Atoum: 309. Harmonie (‘Armoniva): 282. Harpocrate: 448. Hathor: 274; 277; 289-90; 309; 532. Hathor-Isis: 309. Hécate (‘Ekavth): 223-225; 435; 514516; 534; 541. Enodia ( E j nodiva): 223. Lampadèphoros (Lampadhfovrow): 536. Phôsphoros (Fwsfovrow): 532 n. 6; 535-536. Sôteira (Swvteira): 535. Hélios ( H { liow): 42 n. 9; 74; 149-163; 429 n. 9. Héphaïstos ( {Hfaistow): 7 n. 4; 48; 135 n. 25; 179-180; 216; 221; 279; 532. Kalos (Kalovw): 48 n. 44. Héra ( {Hra): 33; 46 n. 31; 47; 85-87; 144; 159-162; 175; 180; 219; 221; 236; 248 n. 48; 251; 276; 287; 330; 333; 334 n. 45; 357; 395; 505; 588. Akraia ( Akraiv j a): 211. Ammônia ( Ammwniv j a): 220. Argeia ( Argeiv j a): 211. Basileia (Basivleia): 154. Chèra (Chvra): 396.
Euergesia (Eujergesiva): 221 n. 21. Gamèlia (Gamhliva): 211. Ourania (Oujraniva): 289; 435. Pais (Pai``w): 395. Telchinia (Telciniva): 220 n. 13. Teleia (Teleiva): 211; 342; 395. Héraklès ( H J raklh``w): 33-35; 47; 71; 91; 107; 180; 234 n. 42; 238-239; 246; 250; 252; 260; 391; 396; 398; 504; 509; 588; 591-593. Alexikakos ( Alexiv j kakow): 35; 258; 269. Béotien (Boiwvtiow): 245. Kallinikos (Kallivnikow): 35. Hercule: 293 n. 12; 294; 296; 411; 491492; 496; 588; 591. Defensor: 35. Inuictus: 211. Victor: 572. Hermès ( JErmh`w` ): 31-32; 42-43; 47-48; 73; 75; 85-87; 125; 138; 148 n. 20; 149 n. 21; 153-154; 161; 175; 217; 245 n. 26; 246; 252; 263-269; 330; 332; 398; 434; 479 n. 26; 504-505; 529; 533; 584; 588; 593. Aipytos (Ai[putow): 224. Akakesios ( Akakev j siow): 390. Alexikakos ( Alexiv j kakow): 269. Anax ( [Anax): 264. Angelos ( [Aggelow): 265. Argeiphontès ( Argeifov j nthw): 263. Chthonios (Cqovniow): 266-267. Cyllénien (Kullhvniow): 49; 265 n. 7. Dakytien (Dakuvtiow): 160 n. 52. Diakonos (Diavkonow): 264 Dolios (Dovliow): 267. Enagônios ( E j nagwvniow): 250. Hègemôn/Kathègemôn ( H J gemwvn /Kaqhgemwvn): 160 n. 52; 250. Hypèretès ( JUphrevthw): 264. Kèryx (Kh``rux): 265. Koinônikos (Koinwnikovw): 32. Kosmokratôr (Kosmokravtwr): 440. Kyrios (Kuvriow): 440. Latris (Lavtriw): 264. 633
NOMS DE DIEUX
Mastèr (Masthvr): 265-266. Megistos (Mevgistow): 440. Ôkypous ( jWkuvpouw): 263. Pantokratôr (Pantokravtwr): 440. Pompeus/os/aios (Pompeuvς/ovw/ai``ow): 265-266. Sôtèr (Swthvr): 268. Symmachos (Suvmmacow): 268. Trismégiste: 263. Trochis (Trovciw): 264. Hestia ( JEstiva): 69-70; 154; 159-161; 276; 531. Boulaia (Boulaiva): 228. Heures ( |Orai): 43; 73; 134; 224; 287. Himeros ( {Imerow): 42; 131. Homonoia ( JOmovnoia): 149. Horus: 274; 309-315; 448. Hosia ( JWsiva): 73-74. Hygie ( JUgiveia): 69; 71-72; 77; 246; 249; 253. Hymen: 516. Hypnos ( U { pnow): 44; 266; 267 n. 12. Hypsistos ( U { yistow): 432-433. Hypsouranios ( JUyouravniow): 433. Iaô (Yâ, Yaô, ’Iavw): 423-426. Hypatos ( U { patow): 440. Igaedus: 416. Ilithye: voir Eileithyia. Inciona: 405-406. Inporcitor: 96. Insitor: 96. Intarabus: 406. Iphimédeia ( jIfimevdeia): 338; 341. Iris ( \Iriw): 151; 267 n. 12. Latris (Lavtriw): 264. Isis ( I\ siw): 32-33; 50 n. 58; 274; 313; 429 n. 9; 438 n. 84; 443-449. Capitolina: 443. Euploia: 446. Fortuna: 446. Memphitis (Memfi``tiw): 443; 447; 449. Ménouthis (ejn Menouqiv) : 443; 445; 449. Nébouto: 443; 448-449. Ostiensis: 443. 634
Pelagia (Pelagiva): 211; 446. Pharia (Fariva): 443; 445-446; 449. Ricinens: 443. Taposiris (Taposeiriavw): 443-444; 449. Janus: 99-100; 495-496; 516. Junon: 175; 177; 297; 491; 495-496. Caprotina: 299. Lucina: 513; 515. Regina: 409; 572 n. 21. Sospita: 109. Jupiter: 22-23; 99; 107; 175-180; 292; 294 ; 297-98 ; 300-301 ; 410 ; 462 ; 491; 494-496; 516; 522; 526; 575; 577 n. 34; 585-586; 588; 591; 593. Capitolin: 211; 435; 567; 571; 586 n. 8. Conseruator (Augusti): 98. Flagius: 299. Genitor: 177. Grabovius: 492. Lapis: 301. Latiaris: 211. Liber: 297. Milichius: 298. Omnipotens: 177; 499. Optimus Maximus: 101; 177; 297; 408; 435; 499-500; 572. Summus Exsuperantissimus: 431 n. 28. Supremus Optimus: 176. Versor: 298. Victor: 101; 109; 572. Kalokairos (Kalovkairow): 71. Ke-o-te-ja: 338. Khonsou: 309-315. Khonsou-Chou: 309. Khonsou-Thot: 312-315. Ko-ma-we-te-ja: 338. Korè (Kovrh): 10; 153; 217-218; 221 n. 21; 228; 332; 334 n. 45; 532. Kronos (Krovnow): 81-82; 85-87; 93-94; 116; 118; 130; 135 n. 24; 175; 287; 397; 498; 506. Kyrios/a (Kuriva): 424. Artémis ( [Artemiw): 289.
NOMS DE DIEUX
Ourania (Oujraniva): 289. Lachesis (Lavcesiw): 71. Lar familiaris: 494. Lares: 495. Cerenaeci: 415. Compitales: 529. Latone: 496; 522. Lenus Mars: 405-406; 410-411. Léto (Lhtwv) : 45; 47-48; 85-87; 144; 154; 160; 245 n. 25; 248; 257; 274; 523. Liber, Libera: 297; 495; 499. Lune: 495. Lurunis: 417. Lyssa (Luvssa): 42. Maius/Maia (Mai`a): 49; 107; 108. Ma-na-sa: 339. Mania Larunda: 108; 110. Mars: 99; 106; 110; 177; 271; 292; 293 n. 12; 295; 414; 494-496; 499; 500 n. 69; 588. Armipotens: 573. Inuictus: 567 n. 1. Iouantucarus: 406. Louketius: 406. Mefitano: 292. Pater: 101; 572; 576. Smertulitanus: 406. Victor: 101; 572. Vltor: 109; 567-577. Mater Magna/deum (Mhvthr /Mhvthr qew`n): 76; 107; 323; 333; 441. Oreia ( JOreiva): 436. Mefitis: 292-95; 301. Aruina: 300. Capronia: 299. Outiana: 293. Souveraine jovienne: 295. Meis/Mèn (Meivw/Mhvn): 157 n. 35; 437 n. 70. Axiottènos ( Axiotthnov j w): 76. Dikaios (Divkaio"): 76. Ouranios (Oujravniow): 439; 465. Mens: 101. Mercure: 175; 177-178; 409; 411; 495; 496; 588.
Augustus Aquaecus: 415. Mère Terre: 331; 334 n. 45. Min: 309. Min-Rê: 309. Minerve: 177; 308; 403; 409; 495-496; 514-515; 572 n. 21. Mithra: 275; 429 n. 9. Mnèmè (Mnhvmh): 69; 71; 77. Moires (Moi``rai) : 43 ; 71 ; 175 ; 249 ; 287-88; 434; 524. Muses (Mou``sai): 43; 115; 244 n. 16; 249 n. 57; 252; 522. Mylitta: 275. Nabia: 413. Némésis (Nevmesiw): 71; 76; 409; 436. Ourania (Oujraniva): 289. Neptune: 176-177; 495; 514-515. Pater: 572 n. 21. Redux: 98. Néréides (Nhrh˝vdew): 43; 276; 508. Nikè (Nivkh): 69; 76; 222. Numul: Martius: 292; 294. Mefitano: 292; 294. Numisius: Martius: 292 n. 7. Nyx (Nuvx): 42 n. 9. Nymphes (Nuvmfai): 43; 160-162; 244; 264; 484 n. 41. Coryciennes: 241; 244. Obarator: 96. Oina: 295. Numulienne: 292. Opet: 314. Opôrès (’Opwvrhw): 334 n. 45. Ops: 496. Osiris: 309-315; 444; 445; 448 n. 38; 449. Osiris-Apis: 309; 447. Osiris-Rê: 311. Orcus: 495. Orthia/Orthosia (ÖOrqia/ jOrqwsiva) : 223. Ouadjet: 448 n. 38. Ourania (Oujraniva): 273. Ouranos (Oujranovw) : 130-135 ; 149 n. 21 ; 273 ; 281 ; 285 ; 288 ; 290. 635
NOMS DE DIEUX
Thaleros (Qalerovw): 135. Pa-de-we: 338. Paièôn (Paihvwn): 24; 224; 335. Paidia (Paidiav) : 282. Pa-ja-ni-jo: 339. Pan (Pavn): 33 n. 13; 44 n. 20; 244-245; 269; 533. Parcae: 175; 524. Pa-sa-ja: 339. Pax: 516. Peithô (Peiqwv) : 211; 282. Pe-re-*82: 338. Perséphone (Persefovnh): 85-87; 217; 221; 295 n. 24; 444; 506. Phoebus (Foi``bow): Hosios ( {Osiow): 76. Phoinix (Foi``nix): 149 n. 21. Phôsphoroi (Fwsfovroi): 531-542. Pi-pi-tu-na: 339. Ploutos (Plou``tow): 69-70. Pluton: 297; 514; 516. Poséidon (Poseidw``n): 42; 47; 85-87; 151; 153 n. 30; 154; 156; 159-163; 222; 246; 250 n. 67; 252; 268; 276; 330-331; 338 n. 64; 341; 344; 355 n. 140; 360; 395; 529; 550. Anax ( [Anax): 504. Anaxialos ( Anaxiv j alow): 509 n. 43. Asphaleios/ios ( Asfav j leiow/iow) : 223; 272; 435. Baryktypos (Baruvktupow): 506. Cronidas hypsizygos (Kronivdaw uJyivzugow): 506. Damaios (Damai'ow): 509 n. 43. Damasichthôn (Damasivcqwn): 509 n. 43. Despotas/ès (Despovtaw/hw): 503; 508. Elasichthôn ( E j lasivcqwn): 509 n. 43. Elatèr/ès ( E j lathvr/hw): 389; 390. Elelichthôn ( E j lelivcqwn): 509 n. 43. Enalios ( E j navliow): 509 n. 43. Enésidaon: 335. Ennosidas ( E j nnosivdaw): 509 n. 43. 636
Érechtée ( E j recqeuvw): 224; 229 n. 11; 485. Gaiaochos (Gaiavocow): 508. Harmatôn hippodromos (‘Armavtwn iJppodrovmow): 509 n. 43. Hipparchos ( I{ pparcow): 509 n. 43. Hippios ( {Ippiow): 271-273; 389390; 396-397; 399; 509 n. 43; 510. Hypsistos ( U { yistow): 435 n. 59. Isthmios ( [Isqmiow): 508. Kinètèr Gâs (Kinhth;r ga``w): 509 n. 43. Klytopôlos (Klutovpwlow): 509 n. 43. Lytaios (Lutai``ow): 508. Ônax ( \Wnax): 258. Orsialos ( jOrsivalow): 509 n. 43. Pelagaios (Pelagai``ow): 272. Petraios (Petrai``ow): 508. Phratrios (Fravtriow): 250. Poibatèrios (Poibathvriow) : 250; 253. Pontios (Povntiow): 508; 509 n. 43. Pontomédôn (Pontomevdwn): 509 n. 43. Proneôs (Provneww): 250. Prosbatèrios (Prosbathvriow): 253. Seisichthôn (Seisivcqwn): 508; 509 n. 43. Posidaeia (Po-si-da-e-ja) : 331 n. 21 ; 339; 360. Potnia (Povtnia): 327; 330 n. 17; 334360. A-si-wi-ja: 345. A-ta-na: 344. Daphyrinthos (du): 356. I-qe-ja: 345; 356. Labyrinthos (du): 356. Ne-wo-pe-o: 358. Si-to: 347-348. U-po-jo: 354-355. We-jo/-ja: 359. Prométhée (Promhqeuvw): 180; 264. Proserpine: 107; 176; 415; 516. Qe-ra-si-ja: 337.
NOMS DE DIEUX
Qe-sa-ma-qa: 339. Qo-wi-ja: 339. Quirinus: 491; 495-496; 586; 588; 591. Rê: 309-315. Rê-Osiris: 314. Reparator: 96. Rhéa ( JReva): 85-87; 116; 395; 397. Rosmerta: 409; 411. Ruminus/Rumina: 499. Sabaoth (Sabawvq): 84-87; 90-91. Salus: 101; 572. Sarapis (Savrapiw): 36 n. 31; 429; 437; 447; 465. Phylax (Fuvlax): 35 n. 30. Saturne: 175; 495-496; 498; 585; 588. Sémélè (Semevlh): 243. Seth: 310-311; 313-314; 444. Si-ja-ma-to: 338. Sol: 495-496; 515-516. Comes: 98. Conseruator (Augusti): 98. Inuictus: 98; 211. Spes: 496. Summanus: 496. Sylvain: 586; 588; 594. Ta-mi-te-mo: 339. Tauropole (Tauropovlow, ≤): 152; 156158; 160; 163. Tefnout: 310. Thanatos (Qavnatow): 44; 263; 266; 267 n. 12. Thea (Qeav) : Ourania (Oujraniva): 289. Phôsphoros (Fwsfovrow): 536. Hypsistè ( JUyivsth): 441. Theai (Qeaiv) : Semnai (Semnaiv) : 152. Theia: 333. Theion (Qei``on): 77. Hosion kai Dikaion ( {Osion kai; Divkaion): 75. Thémis (Qevmiw) : 73 ; 242 ; 276 ; 286 ; 288. Hikésia ( JIkesiva): 123. Ourania (Oujraniva): 287. Theos (Qeovw): 480; 488; 506.
Agnôstos ( [Agnwstow): 464. Epèkoos ( E j phvkoo"): 464. Gennètôr Pantôn (Gennhvtwr pavntwn): 453-466. Hosios kai Dikaios ( {Osiow kai; Divkaiow): 74; 76-77; 429. Hypsistos (ÜUyistow) : 77 ; 424 ; 429-442; 464. Sôtèr (Swthvr): 69; 70; 76. Sôzôn (Swvzvwn): 429. Theos Samothrax: Patèr (Pathvr): 429 n. 9. Thétis (Qevtiw): 44; 48. Kalè (Kalhv) : 48 n. 44. Thioui: 324. Thot: 313-315. Ti-ri-se-ro-e: 338. Triborunni/Trebaruna: 416-418. Trophônios (Trofwvniow): 224; 226. Tychè/Agathè Tychè (Tuvch/ jAgaqh; Tuvch): 69-70; 77; 180. Veiouis: 499. Vénus: 100; 176-177; 284; 293; 403; 495-496; 567; 575; 585. Érycine: 211; 294; 301. Genetrix: 211; 323. Obsequens: 109. Victrix: 323. Veraudunus: 405-406. Veruactor: 96; 101. Vesper: 516. Vesta: 99-100; 113; 177; 308; 588. Mater: 572 n. 21. Victoria: 101; 572; 573 n. 24; 574. Virgo: 573 n. 24. Virtus: 101; 496. Volumnus/Volumna: 499. Vulcain : 177 ; 179-180 ; 305-308 ; 495. Mulciber: 305-308. Yahvé: 423-426; 430; 432; 437 n. 77; 438-439. Zagreus (Zagreuvw): 243. Zeus (Zeuvw) : 5-6 ; 17 ; 33 n. 14 ; 34 n. 16; 36 n. 31; 37; 39; 42-44; 46; 4750 ; 69-70 ; 73 ; 81-82 ; 84-92 ; 94 ; 637
NOMS DE DIEUX
113-114; 115-119; 130 n. 9; 135; 150-163; 180; 215 n. 14; 219; 221; 224; 226; 228; 232 n. 29; 242; 246; 248-252; 274; 277 n. 27; 284; 286; 288; 290; 330; 332; 333 n. 35; 334 n. 45; 335 n. 49; 337-338; 341; 360; 395-398; 437; 455-456; 458; 461; 465; 476 n. 10; 483; 485-488; 503505; 509; 515; 544; 549; 562; 583584. Agamemnôn ( Agamev j mnwn): 223224. Agoraios ( Agorai` j `ow): 160-161. Aitherios (Aijqevriow): 479. Alexètor ( Alexh` j `tor): 478. Amarios (’Amarivow): 154. Amphiaraos (Amfiav j raow): 224 n. 37. Anax ( [Anax): 264. Aphiktôr ( Afiv j ktwr): 123-124. Aphrios (ÖAfriow): 132 n. 16. Aphrodisios ( Afrodiv j siow): 219. Areios ( [Areiow): 220. Arès ( [Arhw): 159; 220; 225. Aristaios ( Aristai` j `ow): 224. Asclèpios ( Asklhpiov j w): 224; 226; 561. Asteropètès ( Asterophthv j w): 38. Baryktypos (Baruvktupow): 506. Basileus (Basileuvw) : 153 n. 30 ; 154. Bidatas (Bidavtaw): 162. Chthonios (Cqovniow): 266 n. 11; 434. Démétrios (Dhmhvtriow): 219; 221. Didymeitès (Didumhi?thw) : 437 n. 73. Diktéen (Diktai``ow): 159-162. Dionysos (Diovnusow): 223 n. 28. Eleutherios ( E j leuqevriow): 297. Enalios ( E j navliow): 507. Epèkoos ( E j phvkoow): 433; 438. Ephestios ( E j fevstiow): 38. Epidotès ( E j pidovth"): 396. Epikarpios ( E j pikavrpio"): 411. Erigdoupos ( E j rivgdoupo"): 38. Eubouleus (Eujbouleuv"): 224; 390. Hadès ( {Aidh"): 266 n. 11. 638
Hamarios ( Amav j rio"): 154. Hègemôn/Kathègemôn ( H J gemwvn Kaqhgemwvn): 479; 560. Hèraios ( JHrai``ow): 219; 221. Herkeios ( {Erkeiow): 48. Hetaireios ( E J tairei``ow): 38. Hikesios ( JIkevsiow): 121-127. Hiketèsios ( JIkethvsiow): 121; 123; 124 n. 6; 126; 580. Hiktaios ( JIktai``ow): 123. Hiktèr ( JIkthvr): 123. Hoplosmios ( JOplovsmiow): 395. Horkios ( {Orkiow): 38; 150. Hypatos ( U { patow): 433; 434; 560. Hypsibremétès ( JUyibremevthw) : 433. Hypsikomos ( JUyivkomow): 433. Hypsistos ( U { yistow) : 244 ; 289 ; 428-442; 504. Hypsizygos ( JUyivzugow): 433. Idaios/atès ( Ij dai`ow/avthw): 160 n. 50; 162. Kalos (Kalovw): 48 n. 44. Kelainephès (Kelainefhvw) : 479 ; 560. Keraunios (Kerauvniow): 398; 441 n. 113. Klarios (Klavriow): 123. Krètagenès (Krhtagenhvw) : 159162. Kronios/iôn/idès (Krovniow/ivwn/ivdhw): 93. Ktèsios (Kthvsiow): 259. Kydistos (Kuvdistow): 479. Kynaitheus (Kunaiqeuvw): 390. Labrandaios/Labraundos (Labrandai`o` w/ Labrav#ndow): 435; 441. Larasios (Laravsiow): 441. Lecheatès (Leceavthw): 395. Machaneus (Macaneuvw): 249. Megistos (Mevgistow) : 411 ; 428 ; 431 n. 28; 441; 479. Meilichios (Meilivciow): 298. Moiragetès (Moiragevthw): 249. Monnitios (Monnivtiow): 160 n. 50; 162.
NOMS DE DIEUX
Nephelègeréta (Nefelhgerevta): 38. Olympien ( JOluvmpiow): 49 n. 52. Ônax ( \Wnax): 548. Opôrès ( jOpwvrhw): 333 n. 35; 334. Oratrios ( jOravtriow): 150; 160-161. Oreitès ( jOreivthw): 211. Pangenétès (Paggenevthw): 463 n. 56. Patèr (Pathvr): 50. Patrôos (Patrw/o` w): 249; 250 n. 66; 396. Philios (Fivliow): 38; 126; 397. Phratrios (Fravtriow): 211. Pistios (Pivstiow): 150. Polieus (Polieuvw): 154; 249.
Polyonyme (Poluwvnumow): 65 n. 41. Skylios (Skuvliow): 160 n. 50; 162. Sôtèr (Swthvr): 5; 49-50; 249; 287; 389; 396-397. Storpaos (Storpavow): 398. Stratios (Stravtiow): 279 n. 32. Tallaios (Tallai`o` w): 162; 169 n. 50. Teleios (Tevleiow) : 94 ; 211 ; 244 ; 396. Thèbaios (Qhbai``ow): 274 n. 14. Thenatas (Qenavtaw): 160 n. 50; 162. Tropaios (Tropai``ow): 298. Trophônios (Trofwvniow): 224; 226. Xénios (Xevniow): 38; 121-123; 126; 580.
639
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES Agamemnôn ( Agamev j mnwn): Zeus (Zeuvw): 223-224. Agnôstos ( [Agnwstow): Theos (Qeovw): 464. Agoraios ( Agorai` j `ow): Zeus (Zeuvw): 160-161. Agraios ( Agrai` j `ow): Apollon ( Apov j llwn): 233. Agrotera ( Agrotev j ra): Artémis ( [Artemiw): 236; 399. Agyiatès ( Aguiav j thw): Apollon ( Apov j llwn): 227. Agyieus ( Aguieuv j w): Apollon ( Apov j llwn): 396; 398. Aidoiè (Aijdoivh): Aphrodite ( Afrodiv j th): 134-135. Aidôs (Aijdwvw): Artémis ( [Artemiw): 45. Aipytos (Ai[putow): Hermès ( JErmh``w): 224. Aitherios (Aijqevriow): Zeus (Zeuvw): 479. Akakesios ( Akakev j siow): Hermès ( JErmh``w): 390. Akraia ( Akraiv j a): Héra ( {Hra): 211. Aphrodite ( Afrodiv j th): 228. Aktios ( [Aktiow): Apollon ( Apov j llwn): 37. Alalkoménia ( Alalkomenhi? j w): Athéna ( Aqhna` j ) : 391. Alasiôtas ( Alasiwv j ta``) : Apollon ( Apov j llwn): 227; 239 n. 61. Alea ( Alev j a): 225. Athéna ( Aqhna` j `) : 223; 226 n. 49; 323; 392-94. Alexètor ( Alexh` j `tor): Zeus (Zeuvw): 478. Alexikakos ( Alexiv j kakow): Apollon ( Apov j llwn): 258. 640
Athéna ( Aqhna` j `) : 35; 258. Héraclès ( JHraklh`w` ): 35; 258; 269. Hermès ( jErmh``w): 269. Amarios/a ( Amav j riow/iva): Athèna ( Aqhna` j `) : 154. Zeus (Zeuvw): 154. Ambologèras ( Ambologhv j raw): Aphrodite ( Afrodiv j th): 139 n. 48. Ammônia ( Ammwniv j a): Héra ( {Hra): 220. Amphiaraos ( Amfiav j raow): Zeus (Zeuvw): 224 n. 37. Amphipyros ( Amfiv j puro"): 532. Amyklaios ( Amuklai` j `ow): Apollon ( Apov j llwn): 211; 227; 239 n. 61. Anax ( [Anax): Apollon ( Apov j llwn): 264. Hermès ( JErmh``w): 264. Poséidon (Poseidw``n): 504. Zeus (Zeuvw): 264. Anaxialos ( Anaxiv j alow): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Androphonos ( Androfov j now): Arès ( [Arhw): 70. Angelos ( [Aggelow): Hermès ( JErmh`w): 265. Antheia ( [Anqeia): Aphrodite ( Afrodiv j th): 138. Apanchomenè ( Apagcomev j nh): Artémis ( [Artemiw): 398. Aphaia ( Afaiv j a): Athéna ( Aqhna` j `) : 211. Aphiktôr ( Afiv j ktwr): Zeus (Zeuvw): 123-124. Aphrios/Aphreia ( [Afriow/ jAfreiva): Aphrodite ( Afrodiv j th): 132 n. 16. Zeus (Zeuvw): 132 n. 16. Aphrodisios ( Afrodiv j siow): Zeus (Zeuvw): 219.
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Aphrogenès ( Afrogenhv j w): Aphrodite (Afrodiv j th): 132; 134-135. Aphrôraia ( Afrwraiv j a): Aphrodite ( Afrodiv j th): 132 n. 16. Apostrophia ( Apostrofiv j a): Aphrodite ( Afrodiv j th): 285. Archègétis ( Archgev j tiw): Athéna ( Aqhna` j `) : 538. Areios/a ( [Areiow/ Areiv j a): Aphrodite ( Afrodiv j th): 219-221. Athéna ( Aqhna` j ) : 145 ; 154-156 ; 158-159; 161; 219-221; 225. Zeus (Zeuvw): 220. Arès ( Arhw): [ Enyalios ( E j nuavliow): 220; 225. Zeus (Zeuvw): 159; 220; 225. Argeia ( Argeiv j a): Héra ( {Hra): 211. Argeiphontès ( Argeifov j nthw): 9. Hermès ( JErmh``w): 263. Aristaios ( Aristai` j `ow): Apollon ( Apov j llwn): 224. Zeus (Zeuvw): 224. Aristos ( [Aristow): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 547-548. Armipotens: Mars: 573. Aruina: Mefitis: 300. A-si-wi-ja: Potnia (Povtnia): 345. Asclèpios ( Asklhpiov j w): Zeus (Zeuvw): 224; 226; 561. Askraios ( Askrai` j `ow): Apollon ( Apov j llwn): 37. Asphaleios/ios ( Asfav j leiow/iow): Poséidon (Poseidw`n` ): 223; 272; 435. Asteropètès ( Asterophthv j w): Zeus (Zeuvw): 38. A-ta-na: Potnia (Povtnia): 344. Athéna ( Aqhna` j `) : Alea ( Alev j a): 394. Augustus Aquaecus: Mercure: 415. Auxitès (Aujxivthw):
Dionysos (Diovnusow): 399. Axiottènos ( Axiotthnov j w): Meis (Meivw): 76. Bacchos (Bavkcow): Dionysos (Diovnusow): 250. Banda: 418. Baryktypos (Baruvktupow): Poséidon (Poseidw`n): 506. Zeus (Zeuvw): 506. Basileus/eia (Basileuvw//eia): Zeus (Zeuvw): 153 n. 30; 154. Héra ( {Hra): 154. Artémis ( [Artemiw): 483. Bassitas (Bassivtaw): Apollon ( Apov j llwn): 390. Béotien (Boiwvtiow): Héraklès ( JHraklh``w): 245. Bidatas (Bidavtaw): Zeus (Zeuvw): 162. Bilkônios (Bilkwnivow): Apollon ( Apov j llwn): 144; 160-162. Blaganitis (Blagani'tiw): Artémis ( [Artemiw): 5. Boulaia (Boulaiva): Artémis ( [Artemiw): 531; 537-538. Hestia ( JEstiva): 228. Branchos (Bravgcow): Apollon ( Apov j llwn): 229 n. 11. Braurônia (Braurwniva): Artémis ( [Artemiw): 391. Bromios (Brovmiow): 244. Dionysos (Diovnusow): 244; 478. Capitolin: Jupiter: 211; 435; 567; 571; 586. Capitolina: Isis ( \Isiw): 443. Capronia: Mefitis: 299. Caprotina: Junon: 299. Cerenaeci: Lares: 415. Chèra (Chvra): Héra ( {Hra): 396. Chloè (Clovh): Déméter (Dhmhvthr): 222. 641
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Chrysopèlèx (Xrusophvlhx): Arès ( [Arhw): 510. Chthonios (Cqovniow): 274. Hermès ( JErmh``w): 266-267. Zeus (Zeuvw): 266 n. 11; 434. Comes: Sol inuictus: 98. Compitales: Lares: 529. Conseruator (Augusti): Jupiter: 98. Sol inuictus: 98. Coryciennes: Nymphes (Nuvmfai): 241; 244. Cronidas hypsizygos (Kronivdaw uJyivzugow): Poséidon (Poseidw``n): 506. Cyllénien (Kullhvniow): Hermès ( JErmh``w): 49; 265 n. 7. Cythérée (Kuqevreia): Aphrodite (Afrodiv j th): 131-132; 290. Dadouchos (Da/dou``cow): 532. Daidaphoros (Daidafovrow): Dionysos (Diovnusow): 250. Dakytien (Dakuvtiow): Hermès ( JErmh``w): 160 n. 52. Damaios (Damai'ow): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Damasichthôn (Damasivcqwn): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Daphyrinthos (du): Potnia (Povtnia): 356. Dauchnaphorios (Daucnafovriow): Apollon ( Apov j llwn): 227; 239 n. 61. Defensor: Hercule: 35. Délien (Dhvliow): Apollon ( Apov j llwn) : 23-24 ; 37 ; 519-520; 523. Delphidios (Delfivdiow): Apollon ( Apov j llwn): 259-260. Delphien (Delfovw): Apollon ( Apov j llwn): 256. Delphinien/ienne (Delfivniow/a): Apollon ( Apov j llwn): 160-162; 255261; 541. 642
Artémis ( [Artemiw): 258. Delphique (Delfikovw): Apollon ( Apov j llwn): 256. Démétrios (Dhmhvtriow): Zeus (Zeuvw): 219; 221. Despotas/ès (Despovtaw/hw): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 561-564. Poséidon (Poseidw``n): 503; 508. Diakonos (Diavkonow): Hermès ( JErmh``w): 264. Didymeitès (Didumhi?thw): Zeus (Zeuvw): 437 n. 73. Diiviiai/iu: 296. Angitia: 297. Dikaios (Divkaiow): Meis (Meivw): 76. Diktéen (Diktai``ow): Zeus (Zeuvw): 159-162. Diktynna (Divktunna): Artémis ( [Artemiw): 223; 259; 323; 483. Dionysos (Diovnusow): Zeus (Zeuvw): 223 n. 28. Dithyrambos (Diquvrambow): Dionysos (Diovnusow): 250. Dolios (Dovliow): Hermès ( JErmh``w): 267. Dominus: 442. Dôter hygieias (Dwth``r uJgieivaw): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 547-548. Doulos (Dou``low): Jésus-Christ: 201-208. Eilapinastès (Eijlapinasthvw): Apollon ( Apov j llwn): 227; 232. Elasichthôn ( E j lasivcqwn): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Elatèr/ès ( E j lathvr/hw): Poséidon (Poseidw``n): 389; 390. Elelichthôn ( E j lelivcqwn): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Eleusinia ( E j leusiniva): Déméter (Dhmhvthr): 391. Eleutherios ( E j leuqevriow): Zeus (Zeuvw): 297. Enagônios ( E j nagwvniow): Hermès ( JErmh``w): 250.
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Enalios ( E j navliow): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Zeus (Zeuvw): 507. Enesidaon: Poséidon (Poseidw``n): 335. Ennosidas ( E j nnosivdaw): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Enodia ( E j nodiva): Artémis ( [Artemiw): 223; 535. Hécate ( E j kavth): 223. Eparôgès ( E j parwghvw): Artémis ( [Artemiw): 483. Epèkoos ( E j phvkoow): 428; 442. Theos (Qeovw): 464. Zeus (Zeuvw): 433; 438. Ephésia ( E j fesiva): Artémis ( [Artemiw): 5; 391; 441 n. 107. Ephestios ( E j fevstiow): Zeus (Zeuvw): 38. Epibatès ( E j pibavthw): Érôs ( [Erww): 29. Epidôtès ( E j pidwvth") Zeus (Zeuvw): 396. Epikarpios ( E j pikavrpiow): Zeus (Zeuvw): 411. Epikourios ( E j pikouvriow): Apollon ( Apov j llwn): 398. Epipyrgidia ( E j pipurgidiva): Artémis ( [Artemiw): 540. Epiteleia ( E j piteleiva): Aphrodite ( Afrodiv j th): 249. Epitymbia ( E j pitumbiva): Aphrodite ( Afrodiv j th): 249. Érechtée ( E j recqeuvw): Poséidon (Poseidw``n): 224; 229 n. 11; 485. Erganè ( E j rgavnh): Athéna ( Aqhna` j `) : 35 n. 30 ; 248 ; 253 ; 398. Erigdoupos ( jErivgdoupow): Zeus (Zeuvw): 38. Érinys ( E j rinuvw): Déméter (Dhmhvthr): 223; 333 n. 35; 394-395. Érithios ( E j rivqiow):
Apollon ( Apov j llwn): 227. Érycine: Aphrodite ( Afrodiv j th): 391. Vénus: 211; 294; 301. Érysibè ( E j rusivbh): Déméter (Dhmhvthr): 222. Eubouleus (Eujbouleuvw): Zeus (Zeuvw): 224; 390. Euèkoos (Eujhvkoow): Artémis ( [Artemiw): 535 n. 22. Euergesia (Eujergesiva): Héra ( {Hra): 221 n. 21. Euetèria (Eujethriva): Déméter (Dhmhvthr): 221 n. 21. Eukleia (Eu[kleia): Artémis ( [Artemiw): 221; 222 n. 27; 249. Eumenès (Eujmenhvw): Apollon ( Apov j llwn): 561 n. 25. Asclèpios ( Asklhpiov j w): 561. Eunôstos (EÎnwstow): Déméter (Dhmhvthr): 250. Euploia (Eu[ploia): Aphrodite ( Afrodiv j th): 211; 221 n. 21. Isis ( \Isiw): 446. Eupraxia (Eujpraxiva): Artémis ( [Artemiw): 221 n. 21. Eurôpè (Eujrwvph): Déméter (Dhmhvthr): 223 n. 35. Eurynomè (Eujrunovmh): Artémis ( [Artemiw): 394. Flagius: Jupiter: 299. Fortuna: Isis ( \Isiw): 446. Gaiaochos (Gaiavocow): Poséidon (Poseidw``n): 508. Gamèlia (Gamhliva): Héra ( {Hra): 211. Gennètôr (Gennhvtwr): Apollon ( Apov j llwn): 458. Gennètôr Pantôn (Gennhvtwr pavntwn): Theos (Qeovw): 453-466. Genitor/Genetrix: Jupiter: 177. 643
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Vénus: 211; 323. Grabovius: Jupiter: 492. Hadès ( {Aidhw): Zeus (Zeuvw): 266 n. 11. Hagios ( {Agiow): Jésus-Christ: 205. Harma ( {Arma): Aphrodite ( Afrodiv j th): 249. Harmatôn hippodromos ( JArmavtwn iJppodrovmow) Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Hécate ( JEkavth): Artémis ( [Artemiw): 157; 223; 225; 485; 534; 540. Hègemôn/Kathègemôn ( JHgemwvn /Kaqhgemwvn): Aphrodite ( Afrodiv j th): 560 n. 21. Artémis ( [Artemiw): 560 n. 21. Asclèpios ( Asklhpiov j w): 558; 560; 563-564. Dionysos (Diovnusow): 560 n. 21. Érôs ( [Erww): 29. Hermès ( E J rmh``w): 160 n. 52; 250. Hekatèbolos ( E j kathbovlow): Apollon ( Apov j llwn): 247. Heleitas ( E j leivtaw): Apollon ( Apov j llwn): 227; 233; 239 n. 61. Hélios ( {Hliow): Apollon ( Apov j llwn): 505. Hèmerasia ( JHmerasiva): Artémis ( [Artemiw): 390. Héphaistia ( JHfaistiva): 219-221. Athéna ( Aqhna~): j Héra ( {Hra): Aphrodite ( Afrodiv j th): 225. Hèraios ( JHrai``ow): Zeus (Zeuvw): 219; 221. Herkeios ( {Erkeiow): Zeus (Zeuvw): 48. Herkynna ( {Erkunna): Déméter (Dhmhvthr): 223 n. 35. Hermouchos ( JErmou``cow): Déméter (Dhmhvthr): 250. Hetaireios ( JEtairei``ow): 644
Zeus (Zeuvw): 38. Hiereia ( JIevreia): Artémis ( [Artemiw): 399. Hikesios/a ( JIkevsiow/a): Thémis (Qevmiw): 123. Zeus (Zeuvw): 121-127. Hiketèsios ( JIkethvsiow): Zeus (Zeuvw) : 121 ; 123 ; 124 n. 6 ; 126; 580. Hiktaios ( JIktai``ow): Zeus (Zeuvw): 123. Hiktèr ( JIkthvr): Zeus (Zeuvw): 123. Hipparchos ( {Ipparcow): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Hippios/a ( {Ippiva): Athéna ( Aqhna` j `) : 271. Poséidon (Poseidw`n): 271; 389-90; 396-397; 399; 509 n. 43; 510. Homonoia ( JOmovnoia): Déméter (Dhmhvthr): 221 n. 21. Hoplosmios ( JOplovsmiow): Zeus (Zeuvw): 395. Hosios ( {Osiow): Phoebus (Foi``bow): 76. Theos (Qeovw): 76; 429. Hosios/a/on kai Dikaios/a/on ( O { siow//a/on kai; Divkaiow/a/on): 74-76; 441; 464. Theion (Qei``on): 75. Theos (Qeovw): 74; 76-77; 429. Horkios ( {Orkiow): Zeus (Zeuvw): 38; 150. Horus ( |Wrow): Apollon ( Apov j llwn): 36. Hyakinthios ( JUakivnqiow): Apollon ( Apov j llwn): 211; 224; 229 n. 11; 323. Hygie ( JUgiveia): Athéna ( Aqhna` j ) : 221-222. Hyios ( JUiovw): Jésus-Christ: 204; 206-208. Hylatès ( JUlavthw): 232. Apollon ( Apov j llwn): 227-228; 231232; 235-240. Hymnia ( JUmniva):
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Artémis ( [Artemiw): 399. Hypatos ( U { patow): Iaô ( jIavw): 440. Zeus (Zeuvw): 433; 434; 560. Hypèretès ( JUphrevthw): Hermès ( JErmh``w): 264. Hypsibremetès ( JUyibremevthw): Zeus (Zeuvw): 433. Hypsikomos ( JUyivkomow): Zeus (Zeuvw): 433. Hypsistos/è ( U { yistow/h): 84-86; 427442. Apollon ( Apov j llwn): 441 n. 112. Attis: 440. Poséidon (Poseidw``n): 435 n. 59. Thea (Qeav) : 441. Theos (Qeovw) : 77 ; 424 ; 429-442 ; 464. Zeus (Zeuvw) : 244 ; 289 ; 428-442 ; 504. Hypsizygos ( JUyivzugow): Zeus (Zeuvw): 433. Iacchos ( [Iakcow): Dionysos (Diovnusow): 35 n. 30. Iatèr ( jIathvr): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 547. Iatros ( jIatrovw): Apollon ( Apov j llwn): 257; 258 n. 14. Idaios/atès ( jIdai``ow/avthw): Zeus (Zeuvw): 160 n. 50; 162. Ilithye (Eijleivquia): Artémis ( [Artemiw): 223-226. Inatia ( jInativa): Eileithyia (Eijleivquia): 162. Inuictus: 442. Hercule: 211. Mars: 567 n. 1. Sol: 98; 211. Iouantucarus: Mars: 406. Iphigénie ( jIfigevneia): Artémis ( [Artemiw): 157; 223. I-qe-ja: Potnia (Povtnia): 345; 356. Isthmios ( [Isqmiow): Poséidon (Poseidw``n): 508.
Kabeiraia (Kabeiraiva): Déméter (Dhmhvthr): 219. Kaisar (Kai``sar): Apollon ( Apov j llwn): 227. Kallinikos (Kallivnikow): Héraklès ( JHraklh``w): 35. Kallistè (Kallivsth): Artémis ( [Artemiw): 390. Kalos/è (Kalovw/hv) : Athéna ( Aqhna` j `) : 48 n. 44. Dionysos (Diovnusow): 48 n. 44. Èôs ( jHwvw): 48 n. 44. Héphaïstos ( {Hfaistow): 48 n. 44. Thétis (Qevtiw): 48 n. 44. Zeus (Zeuvw): 48 n. 44. Kaousios (Kaouvsiow): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 390. Karinos (Karinovw): Apollon ( Apov j llwn): 234. Kelainephès (Kelainefhvw): Zeus (Zeuvw): 479; 560. Kenyristès (Kenuristhvw) : 230-231 ; 235-240. Apollon ( Apov j llwn): 227-228; 235240. Keraiatès (Keraiavthw): Apollon ( Apov j llwn): 227; 399. Keraunios (Kerauvniow): Zeus (Zeuvw): 398; 441. Kereatas (Kereavtaw): Apollon ( Apov j llwn): 399. Kerriiai/iui: 296. Kèryx (Kh``rux): Hermès ( JErmh``w): 265. Kidaria (Kidariva): Déméter (Dhmhvthr): 392; 399. Kinètèr Gâs (Kinhth;r ga``w): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Klarios (Klavriow): Zeus (Zeuvw): 123. Klytopôlos (Klutovpwlow): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Koinônikos (Koinwnikovw): Hermès ( JErmh``w): 32. Koria (Koriva): Artémis ( [Artemiw): 398. 645
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Athéna ( Aqhna` j `) : 398. Kosmokratôr (Kosmokravtwr): Hermès ( JErmh``w): 440. Kosmos (Kovsmow): Érôs ( [Erww): 29. Krètagenès (Krhtagenhvw): Zeus (Zeuvw): 159-162. Kronios/iôn/idès (Krovniow/ivwn/ivdhw): 94. Zeus (Zeuvw): 93. Ktèsios (Kthvsiow): Zeus (Zeuvw): 259. Ktistès (Ktivsthw): Dieu chrétien: 457. Kybernètès (Kubernhvthw): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 562. Érôs ( [Erww): 29. Kydistos (Kuvdistow): Zeus (Zeuvw): 479. Kynaitheus (Kunaiqeuvw): Zeus (Zeuvw): 390. Kynègetis (Kunhgevtiw): Artémis ( [Artemiw): 483. Kyprios/a (Kuvpriow/a): Aphrodite ( Afrodiv j th): 227. Apollon ( Apov j llwn): 227. Kyprogenès (Kuprogenhvw): Aphrodite ( Afrodiv j th): 131-132 ; 290. Kyrios/a (Kuvriow/a): Artémis ( [Artemiw): 289. Hermès ( JErmh``w): 440. Labrandaios/Labraundos (Labrandai``ow/Labrav#ndow): 441. Zeus (Zeuvw): 435 n. 57; 441. Labyrinthos (du): Potnia (Povtnia): 356. Lairbènos (Lairbhvnow): Apollon ( Apov j llwn): 441 n. 112. Lakeutès (Lakeuthvw): Apollon ( Apov j llwn): 227; 231. Lamia (Lavmia): Aphrodite ( Afrodiv j th): 223 n. 28. Lampadèphoros (Lampadhfovrow): Hécate ( JEkavth): 536. Laphria (Lafriva): 646
Artémis ( [Artemiw): 249. Lapis: Jupiter: 301. Larasios (Laravsio"): Zeus (Zeuvw): 441. Latiaris: Jupiter: 211. Latonius/a: Apollon ( Apov j llwn) : 23-24 ; 519520; 522-523. Artémis ( [Artemiw): 522. Latôos (Latw/'ow): Apollon ( Apov j llwn): 219; 221 n. 14. Latris (Lavtriw): Hermès ( JErmh``w): 264. Iris ( \Iriw): 264. Lauripotens: Apollon ( Apov j llwn): 23-24; 519-520; 522. Léaina (Levaina): Aphrodite ( Afrodiv j t h) : 223 n. 28. Lecheatès (Leceavthw): Zeus (Zeuvw): 395. Liber: Jupiter: 297. Liknitès (Liknivthw): Dionysos (Diovnusow): 250. Limnatis (Limna``tiw): Artémis ( [Artemiw): 211; 390. Lindia (Lindiva): Athéna ( Aqhna` j `) : 550; 551. Lochia (Lociva): 448. Artémis ( [Artemiw): 448; 483. Louketius: Mars: 406. Lousiatis (Lousia'tiw): Artémis ( [Artemiw): 390. Loxias (Loxivaw): 244. Lucina: Junon: 513; 515. Lykègenès (Lukhgenhvw): Apollon ( Apov j llwn): 35. Lykeios/kios (Luvkeiow/kiow): Apollon ( Apov j llwn): 37; 227; 246247;257; 561 n. 25.
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Lysimérimnos (Lusimevrimnow): Artémis ( [Artemiw): 483. Lysios (Luvsiow): Dionysos (Diovnusow): 36. Lysizônos (Lusivzwnow): Artémis ( [Artemiw): 483. Lytaios (Lutai``ow): Poséidon (Poseidw``n): 508. Machaneus (Macaneuvw): Zeus (Zeuvw): 249. Mageirios/irios (Mageivriow/ivriow) : Apollon ( Apov j llwn): 227; 231; 239 n. 61. Maléatès (Maleavthw): Apollon ( Apov j llwn): 543-544; 547; 549. Martius: Lenus: 405-406; 410-411. Numisius: 292 n. 7. Numul: 292; 294. Mastèr (Masthvr): Hermès ( JErmh`w): 265-266. Mater: Vesta: 572 n. 21. Medicus: Apollon ( Apov j llwn): 523. Mefitano: Mars: 292. Numul: 292; 294. Mégas (Mevgaw): 442. Mégistos (Mevgistow): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 562. Hermès ( JErmh``w): 440. Zeus (Zeuvw): 411; 428; 431 n. 28; 441; 479. Meilichios (Meilivciow): Dionysos (Diovnusow): 298. Zeus (Zeuvw): 298. Mélaina (Mevlaina): Déméter (Dhmhvthr): 399. Melanthios (Melavnqiow): Apollon ( Apov j llwn): 227. Memphitis (Memfi``tiw): Isis ( \Isiw): 443; 447; 449. Ménouthis (ejn Menouqiv) : Isis ( \Isiw): 443; 445; 449.
Mesopolitis (Mesopoli'tiw): Artémis ( [Artemiw): 390. Milichius: Jupiter: 298. Moiragetès (Moiragevthw): Apollon ( Apov j llwn): 248-249. Zeus (Zeuvw): 249. Moironomos (Moironovmow): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 36. Monnitios (Monnivtiow): Zeus (Zeuvw): 160 n. 50; 162. Mounychia (Mounuciva): Artémis ( [Artemiw): 538; 540. Mulciber: Vulcain: 305-308. Myrtatès, Myrtôos (Murtathvw, Murtwvow) : Apollon ( Apov j llwn): 227; 232. Mystès (Muvsthw): Dionysos (Diovnusow): 399. Nebouto: Isis ( \Isiw): 443; 448-449. Nephelègeréta (Nefelhgerevta): Zeus (Zeuvw): 38. Ne-wo-pe-o: Potnia (Povtnia): 358. Nikè (Nivkh): Athéna ( Aqhna` j `) : 221-222; 477 n. 17; 479 n. 26; 485; 540. Nikèphoros (Nikhfovrow): Athéna ( Aqhna` j `) : 222; 540. Nomios (Novmiow): Apollon ( Apov j llwn): 399. Numulienne: Oina: 292. Obsequens: Vénus: 109. Oiketès (Oijkevthw): Jésus-Christ: 202-208. Oikodespoina (Oijkodevspoina): Agdistis ( [Agdistiw): 70. Ôkypous ( jWkuvpouw): Hermès ( JErmh``w): 263. Ôleria ( jWleriva): Athéna ( Aqhna` j `) : 160-162. Olympien ( jOluvmpiow): 647
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Zeus (Zeuvw): 49 n. 52. Omnipotens: Jupiter: 177; 499. Ônax ( \Wnax): Apollon ( Apov j llwn): 258. Asclèpios ( Asklhpiov j w): 547-548. Poséidon (Poseidw``n): 258. Zeus (Zeuvw): 548. Onka ( [Ogka): Athéna ( Aqhna` j `) : 505. Opôrès ( jOpwvrhw): 334. Zeus (Zeuvw): 333 n. 35; 334. Optimus Maximus: Jupiter: 101; 177; 297; 408; 435; 499-500; 572. Oratrios ( jOravtriow): Zeus (Zeuvw): 150; 160-161. Oreia, Oreitès ( jOreiva, jOreivthw): Mètèr (Mhvthr): 436 . Zeus (Zeuvw): 211. Orsialos ( jOrsivalow): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Orthia/Orthosia ( jOrqiva/ jOrqwsiva) : 225. Artémis ( [Artemiw): 223. Ostiensis: Isis ( \Isiw): 443. Ouranios/a (Oujravniow/a): 84-86 Aphrodite ( Afrodiv j th): 274-290 ; 435 n. 58. Artémis ( [Artemiw): 280; 289. Héra ( {Hra): 289; 435. Kyria (Kuriva): 424. Mèn (Mhvn): 439; 465. Némésis (Nevmesiw): 289. Thea (Qeav) : 289. Thémis (Qevmiw): 287. Outiana: Mefitis: 293. Pais (Pai``w): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 395. Héra ( {Hra): 395. Jésus-Christ: 201-208. Pallas (Pallavw): 9. Athéna ( Aqhna` j `) : 505. Pandèmos (Pavndhmow): 286. 648
Aphrodite ( Afrodiv j th): 283-285. Pandrosos (Pavndrosow): Athéna ( Aqhna` j `) : 223 n. 35. Pangenétès (Paggenevthw): Zeus (Zeuvw): 463 n. 56. Pantokratôr (Pantokravtwr): Hermès ( JErmh``w): 440. Paphia (Pafiva): Aphrodite ( Afrodiv j th): 228-229 ; 236; 239 n. 60; 390. Paphrakia (Pafrakiva): Artémis ( [Artemiw): 389. Parastatès (Parastavthw): Érôs ( [Erww): 29. Parrhasios (Parravsiow): Apollon ( Apov j llwn): 397. Parthénos (Parqevnow): Aphrodite ( Afrodiv j th): 134-135. Pasiphaès (Pasifahvw): Artémis ( [Artemiw): 483. Patèr (Pathvr/Pater): Mars: 101; 572; 576. Neptune: 572 n. 21. Theos Samothrax: 429 n. 9. Zeus (Zeuvw): 50. Patrôos (Patrw/`ow): Apollon ( Apov j llwn): 153 n. 30; 538. Zeus (Zeuvw): 249; 250 n. 66; 396. Péan/Paièôn (Paean/Paiavn/ Paihvwn/ Paiwvn)): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 547. Apollon ( Apov j llwn) : 23-24 ; 36 ; 335 ; 519-520; 523; 547 n. 18. Peithô (Peiqwv) : Aphrodite ( Afrodiv j th): 221-222. Pelagaios/gia (Pelagai``ow/giva): Isis ( \Isiw): 211; 446. Poséidon (Poseidw``n): 272. Pepôn (Pevpwn): Apollon ( Apov j llwn): 35. Persephoneiè (Persefoneivh): Aphrodite ( Afrodiv j th): 220 n. 12. Perseutès (Perseuthvw): 231; 239. Petraios (Petrai``ow): Poséidon (Poseidw``n): 508. Phallèn (Fallhvn):
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Dionysos (Diovnusow): 250. Pharia (Fariva): Isis ( \Isiw): 443; 445; 446; 449. Phénicienne (Foinikiva): Astarté ( Astav j rth): 533 n. 11. Phila (Fivla): Aphrodite ( Afrodiv j th): 223 n. 28. Philios (Fivlio"): Zeus (Zeuvw): 38; 126; 397. Philanthrôpotatos (Filanqrwpovtato"): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 562; 563. Philommeidès (Filommeidhvw): Aphrodite ( Afrodiv j th): 131-132. Philoistros (Fivloistrow): Artémis ( [Artemiw): 483. Phoibos (Foi``bow): Apollon ( Apov j llwn): 247. Phôsphoros (Fwsfovrow): 531-542. Artémis ( [Artemiw): 531-542. Hécate ( JEkavth) : 532 n. 6 ; 535 ; 536. Thea (Qeav) : 536. Phratrios/a (Fravtriow/iva): Athéna ( Aqhna` j `) : 211. Poséidon (Poseidw``n): 250. Zeus (Zeuvw): 211. Phylax (Fuvlax): Agdistis ( [Agdistiw): 70. Asclèpios ( Asklhpiov j w): 559 n. 17. Sarapis (Savrapiw): 35 n. 30. Pistios (Pivstiow): Zeus (Zeuvw): 150. Poiètès (Poihthvw): Dieu chrétien: 457. Poibatèrios (Poibathvriow): Poséidon (Poseidw``n): 250; 253. Poitropios (Poitrovpiow): 251. Polias/atis/eus (Poliavw/a``tiw/euvw): Athéna ( Aqhna` j `) : 5 n. 4; 154; 158161; 396. Zeus (Zeuvw): 154; 249. Poliouchos (Poliou``cow): Athéna ( Aqhna` j `) : 160-161. Polyonyme (Poluwvnumow): Apollon ( Apov j llwn): 65 n. 41. Artémis ( [Artemiw): 9; 483.
Dionysos (Diovnusow): 268. Zeus (Zeuvw): 65 n. 41. Pompeus/os/aios(Pompeuvς/ovw/ai``ow): Hermès ( JErmh``w): 265-266. Pontios (Povntiow): Poséidon (Poseidw``n): 508; 509 n. 43. Pontomedôn (Pontomevdwn): Poséidon (Poseidw``n): 509 n. 43. Praescius: Apollon ( Apov j llwn) : 23-24 ; 519521; 523. Praxis (Pra``xiw): Aphrodite ( Afrodiv j th): 221 n. 21; 222. Pronaia/Pronoia (Pronaiva): Athéna ( Aqhna` j `) : 221 n. 21; 242; 244-253. Proneos (Provneww): Poséidon (Poseidw``n): 250. Prosbatèrios (Prosbathvriow): Poséidon (Poseidw``n): 253. Prostatèrios (Prostathvriow): Apollon ( Apov j llwn): 537; 538. Prostatès (Prostavthw): Asclèpios ( Asklhpiov j w ) : 562 ; 563. Pyrônia (Purwniva): Artémis ( [Artemiw): 399. Pyrphoros (Purfovrow): 532. Pythien (Puvqiow/Pythius): Apollon ( Apov j llwn): 35 n. 29; 154; 160-161 n. 53; 176; 211; 227; 244; 247; 256; 391. Pythonikè (Puqonivkh): Aphrodite ( Afrodiv j th): 223 n. 28. Redux: Fortuna : 98; 109; 572 n. 21. Neptune: 98. Regina: 95 Junon: 409; 572 n. 21. Rhôsandros ( JRwvsandrow): Asclèpios ( Asklhpiov j w): 36 n. 35. Ricinens: Isis ( \Isiw): 443. Samônia (Samwniva): 649
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Athéna ( Aqhna` j )` : 144-145; 160-162. Sanctus: 442. Sasthraios (Sasqrai``ow): Apollon ( Apov j llwn): 160-162. Seisichthôn (Seisivcqwn): Poséidon (Poseidw``n): 508; 509 n. 43. Semnai (Semnaiv) : Theai (Qeaiv) : 152. Sitalkas (Sitavlkaw): Apollon ( Apov j llwn): 248. Si-to: 347-353. Potnia (Povtnia): 347-348. Skylios (Skuvliow): Zeus (Zeuvw): 160 n. 50; 162. Smertulitanus: Mars: 406. Sminthée/ios (Sminqeuvw/iow): Apollon ( Apov j llwn): 35 n. 29; 37; 477 n. 17. Sospita: Junon: 109. Sôteira (Swvteira): 535. Artémis ( [Artemiw): 535. Hécate ( JEkavth): 535. Sôtèr (Swthvr): 95; 437; 550-551. Asclèpios ( Asklhpiov j w): 547-551; 558; 564. Dioscures: 228. Érôs ( [Erww): 29. Hermès (‘Ermh``w): 268. Theos (Qeovw): 69-70; 76. Zeus (Zeuvw) : 5 ; 49-50 ; 249 ; 287 ; 389; 396-397. Sôtèria (Swthriva): 540. Athéna ( Aqhna` j `) : 249. Sôzôn (Swvzvwn): Theos (Qeovw): 429. Souveraine jovienne: Mefitis: 295. Spermouchos (Spermou``cow): Déméter (Dhmhvthr): 250. Sphaleotas (Sfaleovtaw): Dionysos (Diovnusow): 250-251. Storpaos (Storpavow): Zeus (Zeuvw): 398. 650
Stratios (Stravtiow): Zeus (Zeuvw): 279 n. 32. Stymphalia (Stumfaliva): Artémis ( [Artemiw): 390 n. 10. Summus Exsuperantissimus: Jupiter: 431 n. 28. Supremus Optimus: Jupiter: 176. Symmachos (Suvmmacow): Hermès ( JErmh``w): 268. Tallaios (Tallai``ow): Zeus (Zeuvw): 169 n. 50; 162. Taposiris (Taposeiriavw): Isis ( \Isiw): 443-444; 449. Tauropole (Tauropovlow): Artémis ( [Artemiw): 158 n. 42. Tauros (Tau``roς): Dionysos (Diovnusow): 250. Telchinios/a (Telcivniow/iva): 251. Apollon ( Apov j llwn): 220 n. 13. Héra ( {Hra): 220 n. 13. Teleios/a (Tevleiow/eiva): Héra ( {Hra): 211; 342; 395. Zeus (Zeuvw): 94; 211; 244; 396. Thaleros (Qalerovw): Ouranos (Oujranovw): 135. Thargèlios (Qarghvliow): Apollon ( Apov j llwn): 257. Thèbaios (Qhbai``ow): Zeus (Zeuvw): 274 n. 14. Thenatas (Qenavtaw): Zeus (Zeuvw): 160 n. 50; 162. Therapôn (Qeravpwn): Jésus-Christ: 202-208. Titanide (Titanivw): Artémis ( [Artemiw): 483. Toxotis (Toxovtiw): Artémis ( [Artemiw): 483. Triniano: 293. Trismégiste: Hermès ( JErmh``w): 263. Tritogénie (Tritogevneia): 9. Trochis (Trovciw): Hermès ( JErmh``w): 264. Tropaios (Trovpaiow): Zeus (Zeuvw): 298.
ÉPITHÈTES ET ÉPICLÈSES DIVINES
Trophônios (Trofwvniow): Zeus (Zeuvw): 224; 226. U-po-jo: Potnia (Povtnia): 354-355. Versor: Jupiter: 298. Victor/trix: Hercule: 572. Jupiter: 101; 109; 572. Mars: 101; 572. Vénus: 323. Virgo:
Victoria: 573 n. 24. Vltor: Mars: 109; 567-577. Wanassa: Aphrodite ( Afrodiv j th): 239. We-jo/-ja: Potnia (Povtnia): 359. Xenios (Xevniow): Zeus (Zeuvw) : 38 ; 121-123 ; 126 ; 580. Zôstèria (Zwsthriva): Athéna ( Aqhna` j `) : 248; 253.
651
NOMS DE LIEUX ANTIQUES Achaïe: 272; 454; 455 n. 8; 460. Acmonia: voir Phrygie. Æges: 508. Aezani: voir Phrygie. Agnone: 296. Akakésion: 390. Alexandrie (Égypte): 115; 237 n. 53; 443; 445-447. Alipheira: 395. Amamassos: 232. Amantia (Épire): 286. Ambracie (Épire): 448. Amiternum (Sabine): 592. Amphipolis: 158. Ancyre: 441. Arcadie (voir aussi Mégalopolis, Orchomène) : 333 n. 36 ; 389-400 ; 546 ; 548. Argolide / Argos: 124; 211; 221 n. 21; 246; 249; 288 n. 82; 505 n. 20; 546. Arkésinè d’Amorgos: 288 n. 82. Ascalon (Palestine): 274-275; 279. Asturies: 404. Athènes: 126; 151; 153-155; 163; 211; 219 n. 3; 222-223; 226; 241; 242 n. 8; 244-246; 248; 258; 260-261; 264; 268-269; 279-289; 430; 434; 438 n. 78; 444; 453; 456; 460; 480; 531542; 550. Attique (voir aussi Éleusis): 43 n. 14 & 15; 158 n. 42; 221; 248; 323; 390; 540. Balanea: 446. Basilis: 391. Bassai: 390; 398. Béotie: 223; 242 n. 8; 251; 278; 333 n. 35; 391; 395. Béroia (Macédoine): 448. Boubastis: 449. Bouto: 443; 448. 652
Brescia: 306. Byzance (voir aussi Constantinople) : 72 ; 535-536 ; 539. Calydon: 249. Canope: 443; 446 n. 25; 449. Capoue: 297. Carie: 438 n. 81; 441. Carrhes: 569. Carthage: 176; 498. Chalcis: 260. Chéronée: 444. Chersonèse: 132 n. 16; 146; 149 n. 21; 151. Chieti: 297. Chios: 248 n. 48; 267. Chypre (voir aussi Salamine): 131-132; 177; 227-240; 274; 279; 290; 391; 438 n. 78; 533. Cirrha: 259. Cirta: 447. Claros: 73; 144 n. 3; 423; 440; 463. Clazomènes: 248 n. 48. Cnide: 211; 248 n. 48; 284 n. 55. Cnossos: 138 n. 45; 153; 160; 162; 214 n. 9; 259; 328; 333 n. 39; 334 n. 44; 336 n. 56; 341-344; 347; 352; 356; 359. Constantinople: 454 n. 5. Coptos: 309. Corcyre: 283. Corinthe : 43 n. 15 ; 211 ; 221 n. 21 ; 267 ; 434 ; 454 n. 5 ; 515 ; 546. Cos : 249 ; 284 n. 55 ; 286 ; 289 ; 433 ; 435 ; 549. Crète: 116; 144; 148 n. 20; 153; 159163; 258; 260; 327-329; 333 n. 35; 341; 523. Cumes: 299. Cyllène (Mont): 49. Cyrène: 159; 232; 277; 591 n. 24.
NOMS DE LIEUX ANTIQUES
Cythère: 131-132; 274; 278-9; 288 n. 82; 290; 330 n. 18. Délos: 24; 158 n. 42; 340 n. 77; 403; 429; 430 n. 15; 437; 444; 458; 522; 529; 534; 535 n. 22. Delphes: 9; 144 n. 3; 158 n. 42; 233; 238; 241-253; 256; 258; 261; 268; 391-392; 397-398; 403; 463; 504; 521-522; 544. Dendara: 309; 311; 312. Didymes : 144 n. 3 ; 288 n. 82 ; 536 n. 30 ; 541. Dion : 158 n. 42 ; 448. Dodone: 144 n. 3; 158 n. 42; 214; 277; 433 n. 44; 473; 482 n. 36. Dorylaion: voir Phrygie. Dréros: 149 n. 21; 151; 160; 162; 260. Edfou: 311. Égine : 211 ; 248 n. 48 ; 260-261 ; 503 n. 4. Élateia (Thessalie): 541. Élée: 560 n. 21. Éléphantine: 423. Éleusis: 218; 253; 269; 391-392; 399. Éleutherne: 153; 160; 162. Elis/Élide: 283-285; 389; 391. Emerita Augusta: 415. Éphèse: 343 n. 99; 404; 428. Épidaure: 137; 286; 543-555. Érystheia: 232. Érythrée: 286; 547 n. 18. Éryx (Mont): 294. Étolie: 252. Étrurie: 107. Eubée: 437 n. 70; 508. Fayoum: 425. Furfo: 297. Galatie: 439; 441. Gaules: 404. Germanies: 401-411. Gonnos: 266 n. 10. Gorgippia (Bosphore): 437 n. 73. Halicarnasse: voir Cnide. Hammara (Arabie): 436. Heraclea Lyncestis: 73. Herculanum: 293; 301.
Hermopolis: 313. Hibis: 309. Hiérapolis: voir Phrygie. Hydisos (Carie): 220 n. 13. Iasos: 157. Iconium: 441. Imbros: 216. Ischia: 226. Isernia: 293. Itanos: 146; 159 n. 47. Ithaque: 121-123; 126; 580-581; 583. Ithome (Mont): 546. Jérusalem: 430. Kabeira: 157 n. 35. Kabylé (Thrace): 536; 539. Karnak: 312-314. Koptos (Egypte): 232. Koronée: 286 n. 67. Kotiaeion: voir Lydie. Kourion: 228 n. 7; 230-234; 239. Kousae (Haute-Égypte): 289. Krathis (Mont): 399. Kynaitha: 390. Kyrrhos: 158 n. 42. La Canée: voir Crète. Laconie: 211; 393 n. 32. Larisa: 266 n. 10. Latmos: 156. Lato: 160; 162. Lébadée: 224. Ledroi: 235. Lemnos: 125; 179-180; 216. Lesbos: 73; 219 n. 3. Libye: 509 n. 43. Lousoi: 390. Lucanie: 292. Lusitanie: 413-416; 443. Lycie: 435 . Lydie (voir aussi Philadelphie): 70; 7476; 211; 222; 437 n. 73; 439; 441; 465; 591 n. 25. Lysimachéia: 157. Magnésie du Méandre: 234. Magnésie du Sipyle: 157. Mantinée: 391; 393; 396-399. Marion: 235. 653
NOMS DE LIEUX ANTIQUES
Massilia: 260-261. Mégalopolis (Arcadie): 285-286; 390391; 396-399. Mégare: 219 n. 4; 221 n. 14; 233-234; 237-238; 535-536; 539. Mélitè: 459. Memphis: 278; 443; 446. Ménouthis: 443; 445. Méroé: 443. Messène/Messénie (voir aussi Pylos): 54; 396; 546; 548. Méthydrion: 395. Milet: 248 n. 48; 258; 261; 437 n. 70; 541. Mounychie: 540. Mycènes: 324; 327-28; 334 n. 44; 336 n. 56; 347-48. Mylasa: 435 n. 56; 441. Mysie: 115; 437 n. 73; 441. Mytilène: 221; 247 n. 48; 437 n. 72. Nadjrân (oasis de): 79. Nag Hammadi: 426. Naucratis: 248 n. 48; 286. Oinoanda (Lycie): 427; 440; 463. Olbia: 257; 258; 260-261. Olonte: 260. Olympie: 93; 220 n. 13; 243; 253; 268; 288 n. 82; 434. Orchomène: 159; 343 n. 100; 390; 399. Oresthasion: 399. Oropos: 261. Ostie: 446. Oxyrhynchos: 444. Pagai: 535; 539. Pakijana: 355. Palmyre: 433; 435; 436; 438. Panamara: 435. Paphos/Palaipaphos: voir Chypre. Parétonium: 446 n. 25. Paros: 219 n. 3; 286. Patras: voir Achaïe. Pergame: 72; 222; 224; 226; 557-566. Perseis: 534. Phalanna: 266 n. 10. Pharos: 446. Pharsalos: 221 n. 19. 654
Phasélis: 154 n. 31; 248 n. 48. Phénéos: 391; 392; 399. Phigalia: 154; 217 n. 43; 389; 394; 398399. Philadelphie (Lydie): 69-72. Philae: 443. Philippes: 430. Phocée: 248 n. 48. Phocide: 234; 242 n. 8; 253; 449 n. 40. Phrygie: 73-74; 76; 430 n. 15; 437 n. 75; 439; 441; 464. Phylè: 540. Pidasa: 156. Pisidie: 439. Pont-Euxin: 257; 443. Pruse (Bithynie): 436. Psophis: 391. Pylos (Messénie): 327-334; 338; 341; 343 n. 100; 345; 352; 355; 359. Qoumrân: 424. Rhodes: 152; 221; 248 n. 48; 535 n. 22; 550-551. Rome: 96-97; 107; 109-110; 176; 180; 211; 323; 410; 446; 470; 491-501; 520-521; 523; 567; 569; 572. Salamine (Chypre): 228; 230; 237; 239 n. 61. Samnium: 296; 300. Samos: 214 n. 9; 248 n. 48; 267. Samothrace: 159 n. 47; 212-218. Ségeste: 288 n. 82. Séleucie du Calycadnos: 430. Sicile: 592. Sicyone: 246. Smyrne: 70; 115; 157. Soli: 227. Sparte: 139 n. 48; 151; 211; 221 n. 14; 225; 245; 288 n. 82; 434; 544-546; 548-549; 592. Stymphale: voir Arcadie. Syedra (Pamphylie): 73. Sykourion: 541. Syre (vallée de la -): 405-406. Syrie (romaine): 323; 433 n. 40; 436; 507. Taposiris: 443.
NOMS DE LIEUX ANTIQUES
Tarquinia: 248. Tarente: 224 n. 41. Tégée : 159 ; 226 n. 49 ; 229 ; 390-94 ; 396; 398-399. Tembros: 232. Téos: 248 n. 48. Thasos: 223. Thèbes (Béotie): 216; 217 n. 41; 245; 249; 285-6; 327-28; 333 n. 35; 334; 336-340; 342; 347-48; 434; 505; 510. Thèbes (Egypte): 314. Thelpouse: 217 n. 43; 394; 395; 397. Thermé: 436. Thermos (Etolie): 151. Thermopyles: 252.
Thessalie : 247 ; 266 n. 10 ; 508 ; 526 ; 544; 548. Thessalonique : 436 ; 437 n. 70 et 72 ; 448. Thrace: 137; 437 n. 73. Tirynthe: 328; 347. Toscane: 444. Trézène: 454 n. 5. Troie: 215-216; 265; 503 n. 4. Tusculum: 107. Tyndaris: 221 n. 21. Vaglio Basilicata (Potenza): 291-295. Vibo Valentia: 298. Vôni: 232.
655
THÈMES
Abstractions divinisées : 42 ; 46 ; 6977 ; 134 ; 180-181 ; 516 ; 525. Anges: 87; 89 n. 26; 90; 416; 439. Anthropomorphisme: 10; 42; 94; 118; 186-189; 192; 197 n. 72; 290; 436; 447; 465; 470; 476; 494 n. 31; 496498. Apothéose: 560; 568; 570; 575; 577. Arétalogies: voir Communication verbale. Athéisme: 488. Attributs divins : 42-43 ; 45 ; 74 ; 77 ; 144; 158 n. 42; 227; 257; 259; 265266; 268-269 ; 284; 292-294; 393; 397; 399; 410; 446-447; 505; 509510; 520-521; 531-532; 536-537; 550; 583. Cabires: 180; 214-218. Christianisme: 18; 79-92; 95; 97; 102; 114; 119; 177; 453-466; 476; 498; 525. Cognomina théophores : 576-577 ; 585-597. Communication verbale entre hommes et dieux: 5-6; 9; 481; 530; 579-584. Acclamations: 48; 75. Adresses (voir aussi invocations): 290 ; 406 ; 428 ; 440 ; 469-470 ; 480; 494. Apostrophes: 21; 579-582. Arétalogies: 32; 34 n. 17; 38 n. 41; 438; 447. Dédicaces/dédicants : 236-237 ; 243-251 ; 260 ; 292-293 ; 298 ; 301; 306; 389; 393; 406; 410411 ; 414-415 ; 417 ; 433-438 ; 444-445 ; 447 ; 454 ; 535 ; 539541; 543; 559. Éloges: 29-39; 116; 118. 656
Formules rituelles: 47; 50-51; 217; 526. Hymnes/péans: 29-30; 33-34; 3639 ; 115 ; 118 ; 245 ; 311 ; 489 ; 523; 544-555; 563. Incantations: 267. Invocations: 36-38; 46-47; 50; 65; 68; 91; 106; 108-110; 115; 148; 152; 225; 280; 410; 415; 435; 470 ; 476-490 ; 491-501 ; 503 ; 511 ; 514-515; 520; 522; 524. Langage des dieux: 90 n. 31; 131; 579-584. Louange: 470; 478-479; 483. Oralité: 5; 41; 51. Ordres divins : 69 ; 72 ; 178-179 ; 551. Prières: 5; 9; 23-24; 38-39; 47; 50; 57; 62 n. 25; 67; 96; 110; 125; 144 ; 201 ; 204-207 ; 241 ; 244 ; 255 ; 263 ; 464 ; 469-470 ; 473490 ; 491-501 ; 503-504 ; 514515 ; 517-526 ; 544 ; 547 ; 558 ; 561-562; 574; 579; 580; 584. Serments: 91; 220; 228; 239; 242; 250; 491-492. Voeux: 221. Voix: 26-27; 579. Conceptions philosophiques: Aristote (École de) : 26-27 ; 187 ; 190. Atomisme: 191. Cynisme: 197. Épicurisme: 26; 183-199. Médio-/Néoplatonisme: 61-62; 6465; 67 n. 50; 79-92; 461; 525. Orphisme: 118; 134 n. 22. Platonisme: 41; 61; 81; 118; 192; 461; 525.
THÈMES
Pythagorisme/Néo-: 71; 177; 525. Stoïcisme: 8; 25-27; 34 n. 16; 86; 8891; 118; 187; 189-191; 305; 461. Cosmogonie: 95; 102; 113; 134 n. 22; 144; 190-191; 281; 287-88; 432. Culte (voir aussi Théurgie): Agents cultuels: 22-23; 75; 86; 99101; 110; 115; 152; 159; 228230 ; 236 ; 239 ; 241-243 ; 249 ; 252-253; 285; 289; 305; 329 n. 14 ; 330-31 ; 339 ; 348 ; 355 n. 140 ; 360 ; 390 n. 8 ; 392-393 ; 399; 410; 434; 437 n. 70; 438; 440; 441 n. 112; 444; 447; 470; 499-500 ; 531 ; 532 n. 6 ; 538 ; 539; 541; 551; 567-574. Lieux de culte (autels, bois sacrés, sanctuaires, téménè, temples): 18; 45; 47-48; 50 n. 60; 51; 6970; 72-74; 76; 93; 98-100; 108; 113; 122; 124-127; 148 n. 19; 157-158; 162; 179; 180 n. 25; 220 n. 13; 221 n. 21; 227-238; 241-253 ; 255 ; 258-261 ; 269 ; 274-289 ; 291-302 ; 311-315 ; 326-27; 329-331; 333; 338-341; 343; 355 ; 360 ; 389-400 ; 406 ; 408-409; 413-414 ; 416-417 ; 429-442 ; 444-449 ; 453 ; 458 ; 480-482 ; 491 ; 495 ; 497 ; 501 ; 504-505; 508; 521 n. 18; 522; 533-534 ; 536 ; 538 ; 540-541 ; 543-545 ; 550 ; 558-560 ; 563 ; 567; 580; 585 n. 8. Pratiques cultuelles: Banquets: 342 n. 88. Exorcismes: 92. Ex-votos: 45; 46 n. 32; 72-76; 274; 291-293; 299-300; 398; 418; 438; 559. Fêtes: 260; 269; 326-27; 329; 342 n. 88 ; 397 ; 446 ; 449 ; 508; 536; 588. Libations: 342 n. 88; 434. Offrandes: 74; 227; 234; 243; 245250; 281; 286; 312; 314; 326-
327; 329; 333; 338; 343; 345; 349 ; 351-354 ; 360 ; 399 ; 434435 ; 440 ; 478 ; 481 ; 484-485 ; 495; 506; 514; 540 n. 53. Prières: voir Communication verbale. Processions : 44 ; 144 ; 236 ; 241 ; 311; 434; 544; 572. Pureté rituelle: 69; 311; 522-523. Rituels (voir aussi «Magie»): 5-9; 18; 30; 38; 49; 66-67; 98-100; 102 ; 108 ; 125-127 ; 154 ; 179 ; 184 ; 214-218 ; 230-231 ; 234 ; 236 ; 240 ; 243-244 ; 249 ; 277 ; 281 ; 287 ; 299 ; 309-311 ; 326 ; 352 ; 391-392 ; 397 ; 399-400 ; 407; 446; 469; 474; 481; 491; 493-495 ; 497-500 ; 514 ; 520 ; 522; 524; 532; 567; 572. Sacrifices: 5; 107; 126-127; 144; 232; 243; 266 n. 11; 275; 277; 329 n. 15; 342 n. 88; 352; 397398; 434; 436; 446; 469; 473; 488 ; 493 ; 495 ; 504 ; 537-538 ; 540; 567 n. 4; 572; 575; 580. Supplications: 121-127; 505; 580. Démiurge: 60-64; 86-90; 458; 460. Démons: 86-91; 101. Dieux sauveurs: 69; 76; 218. Divination: 488; 522; 563. Divinités panhelléniques: 162; 226; 392; 397. Genres littéraires/para-littéraires: Comédie: 176; 269; 305; 494; 536. Épopée: 93; 141; 144; 150; 176; 273; 277; 305-306; 394; 477 n. 16; 520; 548; 579-584. Poésie : 29 ; 38-39 ; 89 ; 116 ; 130 ; 138-139 ; 175-181 ; 214 ; 244 ; 247 ; 272-273 ; 305 ; 323 ; 326 ; 477 n. 16; 493-494; 530. Rhétorique : 18 ; 29-39 ; 59 ; 115119; 558. Sophistique: 29; 57-58; 115. Tragédie: 49-50; 73; 273; 121-127; 176 ; 231 ; 242 ; 263-269 ; 280 ; 657
THÈMES
288; 394; 435; 458; 478; 489; 511. Groupes de dieux (dyades, triades, etc.) : 143-173 ; 249 n. 57 ; 334 n. 45 ; 406 ; 410-411 ; 417 ; 485-486 ; 495-496; 507; 540-541; 572. Hénothéisme: 94; 119; 428; 432-433; 440 ; 506. Judaïsme: 90-91; 439. Littérature juive et chrétienne : 79 ; 201-208. Lois sacrées: 69-72; 245-246. Maât: 313-314. « Magie»/pratiques «magiques»: 61; 66; 68-69; 83; 86; 88-89; 110; 396; 423; 425-426; 429 n. 12; 474-476; 494 ; 500 ; 515. Mariage (cérémonies): 281-282; 286; 515. Médecine: 24; 198; 549; 559. Métamorphoses: 42; 44; 176. Modes d’intervention des dieux : 9 ; 271; 311. Épiphanies: 42; 64-65; 83; 530; 535; 544; 548; 551; 579; 582; 584. Guérisons: 72; 416; 437-438; 445; 449; 523; 544 n. 6; 557; 559. Manifestations par le nom: 64; 81; 92. Manifestations du ba: 310-315. Oracles: 61; 62 n. 25; 65; 67; 73; 81 n. 8; 204; 214; 231; 241-245; 251-252 ; 257 ; 274-277 ; 391393 ; 397-398 ; 423-424 ; 427 ; 439-440 ; 462-463 ; 473 ; 521 ; 523; 544; 549. Pouvoirs divins : 29 ; 33 ; 37 ; 61 ; 109 ; 115 ; 130 ; 137-138 ; 140 ; 148; 151; 288; 292; 294; 396; 399; 416; 439; 477; 482; 484486 ; 500 ; 536 ; 561-562 ; 571573; 575-576. Songes: 36; 69; 72; 261. Théophonie: 579-580. Monothéisme: 9-10; 62; 75 n. 34; 94; 143; 155; 427; 429; 433; 437; 439; 658
455-456; 460-461; 464; 485; 560561. Mystères: 83; 179; 213 n. 1; 215-218; 243; 269; 391-392; 480-481. Mythologie: Figures mythologiques: Achille: 8; 126; 150-151; 233 n. 40; 242 n. 6; 267-268; 305; 583. Admète: 23; 517-526. Adonis: 228. Agamemnon : 17 ; 150-151 ; 251 ; 265; 583. Aigla: 544. Ajax: 7 n. 5; 8; 113 n. 20. Alceste: 517-526. Alcinoos: 122; 532; 580; 583. Amphiction: 242 n. 9. Amphinomos: 584. Amphitrite: 508. Andromaque: 252. Antinoos: 244 n. 18. Arété: 122. Argonautes: voir Jason. Argos: 263; 267. Arion: 395-397. Aristaios: 224; 226. Arsinoé: 548. Astyanax: 48. Atrée: 268. Augée: 394. Autonoos: 244 n. 18; 252. Bellérophon: 127 n. 10; 509 n. 43. Cécrops: 113. Cadmos: 216. Charon: 265. Coronis: 544; 548. Corybantes: voir Kourètes. Créüse: 514; 516. Cyclopes: 216; 526. Dactyles: 216-217. Danaé: 507. Danaïdes: 123-124; 505 n. 20; 510; 514. Danaos: 124; 127; 268; 505 n. 20. Dardanos: 215; 217. Delphos: 256.
THÈMES
Deucalion: 243 n. 13. Eaque: 503 n. 4. Éétion: 215. Égée: 279-80. Eidothée: 581. Énée: 521; 523; 525; 570. Érato: 544. Érechtée: 224; 226; 229. Érichthonios: 7. Érinyes: 481. Eumée: 149; 583. Eumolpos: 391-392. Europe: 8; 44. Eurostos: 72; 74; 77. Ganymède: 461 n. 49. Harmonie: 216. Hector: 150; 584. Hécube: 126; 487. Hélène: 278. Hyakinthos: 229. Iô: 263. Ion: 392. Jason: 139; 503-504; 514-516. Kinyras: 228-230; 232; 235; 239. Kourètes: 160-162; 216. Kourieus: 230. Kypros: 230. Kyrênê: 8. Laërte: 583-584. Laodamas: 122. Libye: 8. Malos: 544. Marieus: 230. Méduse: 238 n. 59; 396. Ménélas: 478. Minos: 214 n. 9. Minotaure: 238 n. 59. Néoptolème : 125 ; 127 ; 242 n. 6 ; 244; 251-252; 267. Nestor: 49; 583. Œdipe: 8; 265; 481. Oinopion: 45; 46 n. 31. Okéanos: 273; 394. Onnes: 216 n. 27. Oreste : 50 n. 57 ; 241 ; 251 ; 264 ; 267-268.
Orphée: 134; 504. Pâris: 44. Patrocle: 233 n. 40; 267. Pélasgos: 123-125. Pélée: 44; 504. Pélias: 515. Pélops: 17; 503-504. Pénélope: 584. Penthée: 478. Pergamos: 252. Persée : 230-231 ; 238 n. 59 ; 268 ; 507. Phaéthon: 515. Philoctète: 125-127; 267. Phylacos: 244-246; 252. Polynice: 481. Polyphème: 122; 580; 582. Polyxène: 126. Priam: 265. Prœtos: 127 n. 10. Proxenos: 246. Protée: 263; 278; 581. Pygmées: 217. Python: 242 n. 8; 243; 251-252. Romulus: 570. Sémélè: 46 n. 29; 65 n. 41. Sibylle: 521. Sinis: 508 n. 38. Sisyphe: 127 n. 10. Sképhros: 396-97. Socos: 583 n. 17. Telchines (les): 216; 220 n. 13. Télémaque: 480. Thésée: 238 n. 59; 265; 507-508 n. 38; 538. Théthis: 273; 504. Thyia/Thyiades: 242 n. 7; 243; 250. Tirésias: 485. Trophonios: 224; 226. Ulysse : 121-122 ; 126 ; 149 ; 213 ; 233; 252; 266 n. 11; 267; 477 n. 17 ; 479 n. 26 ; 480 ; 486 ; 503 ; 580-583. Récits/Motifs mythologiques: 5-9; 18 ; 41 ; 43-44 ; 48 ; 87 ; 90-91 ; 94 ; 96; 98; 102; 113; 117-118; 659
THÈMES
129-142; 144; 154; 156; 175-176; 178; 181; 184 n. 5; 192; 211; 214; 218 ; 221 ; 224 ; 228-229 ; 239 ; 290; 294; 305; 315; 395-396; 398400 ; 433 n. 40 ; 445 ; 448 n. 38 ; 449; 485; 503-504; 513; 515; 517526; 548; 579. Nomination/Dénomination: 21-28; 581. Anonymat: 6; 212-217; 480. Éléments du nom: 21-23; 131; 136; 229; 231-233; 291-302; 306; 359. Essence divine: 66; 68; 133; 484; 487. Étymologie: 6; 17; 26; 33; 36 n. 31; 86; 89; 91; 93; 95; 97; 106-108; 110; 113-119; 124; 129-142; 147; 216; 231-232; 234; 255-256; 291302; 330 n. 18; 333-334; 394-395; 413 ; 416 ; 418 ; 455 ; 493 ; 500 ; 522 ; 562. Figures de rhétorique: 25-28; 132 n. 15; 136-137; 481; 484; 523. Identification/identité : 213 ; 485 ; 489; 491; 497. «Image vocale» du nom: 476 n. 10. Individuation : 5-6 ; 10 ; 143 ; 156 ; 212-213. Mimésis: 26-28; 57-58; 61; 63-64; 66; 89. Noms «barbares»: 65-68. Noms-«effigies»: 68. Polyonymie: 9; 24; 37 -39; 65; 324; 449; 479; 482; 484-486; 488-489; 520; 592; 593. Phraséologie des serments: 154-160. Paganisme: 83; 88; 90; 102; 114; 119; 177; 437 n. 71; 445; 453-466; 476; 498; 519; 526; 585. Panthéon(s): 6; 10; 68; 70; 94-95; 113; 137 ; 144 ; 146 ; 162-163 ; 175 ; 211 ; 218; 224; 225 n. 46; 239; 241-253; 269; 271-78; 296; 326; 329-330; 360; 400 ; 426 ; 428-442 ; 444 n. 7 ; 496 ; 498 ; 504; 546; 548; 558 n. 9. Piété/impiété : 73 ; 97 ; 149-150 ; 181 ; 184; 277 n. 25; 391; 399; 403; 439; 453 ; 487 ; 518-519 ; 589-590 ; 594. 660
Polythéisme: 5-6; 9-10; 36; 41; 64; 9091 ; 94-96 ; 98 ; 101-102 ; 143-173 ; 187 ; 218 ; 224-225 ; 240 ; 271-290 ; 427-429; 431-432; 439; 441; 453 n. 2; 455-456; 461-462; 464; 466; 470; 477; 558; 571; 574. Prières: voir Communication verbale. Pythie : 244 ; 252 ; 431 ; 504 ; 521-522 ; 544; 549. Réflexions théoriques: Auteurs anciens: Aristophane: 7. Aristote: 7; 32; 59; 86. Celse: 84-90. Chrysippe : 184 n. 5 ; 190 n. 35 ; 193; 195. Cléanthès: 184 n. 5; 191 n. 40. Démétrius Lacon: 183-199. Denys l’Aréopagite (ps-): 79-92. Épicure: 86; 183-199. Hésiode: 117; 129-142. Homère: 8. Jamblique: 62; 68; 88. Origène: 79-92. Parménide: 61. Philodème: 183-199. Platon: 7-8; 17; 59; 90-91. Porphyre: 61-62. Proclus: 57-68. Pythagore: 60. Varron: 108-109. Savants modernes: Benveniste E.: 27; 151. Detienne M.: 271. Dillon J.: 88. Dörrie H.: 65; 68. Dumézil G.: 271. Fédou M.: 88. Graf F.: 474-475. Jouan F.: 133 n. 18. Kajanto I.: 585-590. Lejeune M.: 293-302; 493. Mommsen T.: 96-97. Nilsson M.: 96; 98. Radke G.: 105-110. Robert L.: 75; 157-158; 428.
THÈMES
Rudhardt J.: 277; 483. Saussure F. (de): 17-18; 27. Trouillard J.: 61; 68. Usener H.: 5-6; 70-71; 75 n. 34; 93-103; 154; 572-573. Vernant J.-P.: 271. Wissowa G.: 574. Représentations figurées des dieux: 9; 4155; 61; 64; 71-75; 77; 83; 93; 107; 144; 158 n. 42; 214; 225; 234; 238; 241 n. 1; 243 n. 12; 247-251; 256; 259; 268269; 279; 283-288; 311-315; 342 n. 90; 393-394; 396-399; 403-404; 409; 414 ; 433 ; 436 ; 438 ; 441 ; 444-446 ; 476 ; 494; 500 n. 70; 505; 509 n. 46; 510; 532-535; 541; 542 n. 59; 574. Représentations mentales des dieux: 9; 61; 64; 98; 106; 129; 154; 162; 180-
181 ; 183-196 ; 214 ; 241 ; 263 ; 266 ; 309 ; 399 ; 428 ; 433-434 ; 438-439 ; 441; 448-449; 476; 488; 511. Serments internationaux: 143-173; 485 n. 43. Syncrétisme: 176; 179; 223; 288; 297; 309; 427; 449; 475; 500; 505 n. 20; 506. Théogonie: voir Cosmogonie. Théologie/Théologiens : 5 ; 59 ; 63-65 ; 80-82 ; 86-87 ; 89-90 ; 94 ; 98-101 ; 113-114 ; 118 ; 129-142 ; 175-181 ; 183-184 ; 186-187 ; 190-192 ; 211 ; 214 ; 263; 277; 312-313; 406; 430; 432 n. 34; 438; 440-441; 458; 461; 473-490; 496; 501; 529; 571. Théurgie: 61; 62 n. 25; 64-65; 67 n. 50; 83; 88; 92.
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TABLE DES MATIÈRES Pierre BRULÉ, Comment dire le divin? ............................................................ 5 Remerciements .................................................................................................. 13
PREMIÈRE PARTIE PENSER ET ÉCRIRE LE NOM Nicole BELAYCHE et Francis PROST, Introduction .............................................. 17 Marisa SQUILLANTE, La nominatio nella tradizione retorica e nella manualistica della tarda latinità............................................................ 21 Laurent PERNOT, Le lieu du nom (tovpo" ajpo; tou' ojnovmato") dans la rhétorique religieuse des Grecs ........................................................ 29 Monique HALM-TISSERANT, Nommer les dieux au flanc des vases .................... 41 Ugo CRISCUOLO, Proclus et les noms des dieux: à propos du Commentaire au Cratyle ........................................................................ 57 Georg PETZL, Sur des noms de dieux dans l’épigraphie de l’Asie Mineure: différents degrés d’abstraction .............................................. 69 Christian BOUDIGNON, Jésus et noms de scène du dieu des chrétiens ................ 79 John SCHEID et Jesper SVENBRO, Les Götternamen de Hermann Usener: une grande théogonie .............................................................. 93 Gérard FREYBURGER, G. Radke et le concept de la nomination divine .............. 105
DEUXIÈME PARTIE UNE THÉOLOGIE PAR LE NOM Nicole BELAYCHE et Francis PROST, Introduction .............................................. 113 Johann GOEKEN, Le nom de Zeus ...................................................................... 115 Paola CASSELLA D’AMORE, La denominazione di Zeus ÑIkevsio" con particolare riferimento alla tragedia .................................................... 121 Gabriella PIRONTI, Au nom d’Aphrodite: réflexions sur la figure et le nom de la déesse née de l’aphros ...................................................... 129 Pierre BRULÉ, Le polythéisme en transformation: les listes de dieux dans les serments internationaux en Grèce antique (Ve-IIe siècle av. J.-C.) ............................................................................ 143 Yves LEHMANN, Théonymie et théologie chez les poètes latins archaïques ...... 175 Mariacarolina SANTORO, Ricerche sulle denominazioni divine nei papiri ercolanesi: l’opera teologica di Demetrio Lacone (PHerc. 1055) ........................................................................................ 183 663
TABLE DES MATIÈRES
Simon C. MIMOUNI, Comment les chrétiens d’origine juive au Ier siècle ont-ils désigné leur messie Jésus? .......................................... 201
TROISIÈME PARTIE LA CONSTRUCTION DU NOM ET LES FONCTIONS DE L’ÉPICLÈSE Nicole BELAYCHE et Francis PROST, Introduction .............................................. 211 Paolo SCARPI, Des Grands dieux aux dieux sans nom: autour de l’altérité des dieux de Samothrace ........................................................ 213 Robert PARKER, Artémis Ilithye et autres: le problème du nom divin utilisé comme épiclèse............................................................................ 219 Jean-Baptiste CAYLA, Apollon ou la vie sauvage: à propos de quelques épiclèses d’Apollon à Chypre ................................................ 227 Anne JACQUEMIN, Panthéon et épiclèses delphiques: Apollon et les autres dieux ...................................................................................... 241 Anne-Laure PHILIPPE, L’épithète Delfivnio" .................................................... 255 Gérard SIEBERT, Nommer Hermès dans la tragédie grecque ............................ 263 Vinciane PIRENNE-DELFORGE, Des épiclèses exclusives dans la Grèce polythéiste? L’exemple d’Ourania .......................................... 271 Fabrice POLI, Jupiter Versor et Hercule Trinnianus: les épiclèses dans le monde oscophone ...................................................................... 291 Jean-Louis GIRARD, Mulciber: une épiclèse usuelle de Vulcain........................ 305 Françoise LABRIQUE, Le Ba-Uni de Khonsou-Thot, juge et partie .................... 309
QUATRIÈME PARTIE LES NOMS DES DIEUX À L’ÉPREUVE DE L’HISTOIRE Nicole BELAYCHE et Francis PROST, Introduction .............................................. 323 Françoise ROUGEMONT, Les noms des dieux dans les tablettes inscrites en linéaire B ............................................................................ 325 Madeleine JOST, Quelques épiclèses divines en Arcadie: typologie et cas particuliers .................................................................. 389 Charles-Marie TERNES, Les théonymes d’époque romaine en Rhénanie: ébauche d’une classification ................................................ 401 José D’ENCARNAÇÃO, Les noms des dieux dans l’Hispania pré-romaine............ 413 Marc PHILONENKO, Nommer le dieu Iaô .......................................................... 423 Nicole BELAYCHE, De la polysémie des épiclèses: ÜUyisto" dans le monde gréco-romain.................................................................. 427 Laurent BRICAULT, Toponymie égyptienne et épithètes isiaques ........................ 443 Laurence FOSCHIA, Qeo;" gennhvtwr pavntwn: divinité païenne et/ou chrétienne? .................................................................................. 453
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TABLE DES MATIÈRES
CINQUIÈME PARTIE LES NOMS DES DIEUX DANS L’ADRESSE RITUELLE Nicole BELAYCHE et Francis PROST, Introduction .............................................. 469 Danièle AUBRIOT, L’invocation au(x) dieu(x) dans la prière grecque: contrainte, persuasion, ou théologie? .................................................. 473 Charles GUITTARD, Invocation et présence divine dans la prière à Rome ........ 491 Bernard LAUROT, Poséidon chez Pindare, Bacchylide et Eschyle...................... 503 Nadège NEUMULLER, Les épithètes cultuelles dans la Médée de Sénèque ........ 513 Martina ATZORI, La prière d’Admète dans l’Alceste de Barcelone: épiclèses et images traditionnelles ........................................................ 517
SIXIÈME PARTIE DES DIEUX ET DES HOMMES Nicole BELAYCHE et Francis PROST, Introduction .............................................. 529 Athanassia ZOGRAFOU, Les Phôsphoroi et la tholos d’Athènes ........................ 531 Antje KOLDE, Les épiclèses d’Asclépios dans l’inscription d’Isyllos d’Epidaure: implications politiques .................................................... 543 Jean-Luc VIX, Les épiclèses d’Asclépios dans les discours XXX et XXXIII d’Aelius Aristide ........................................................................ 557 Maud PFAFF-REYDELLET, Le rôle de l’épiclèse Vltor dans les Fastes d’Ovide .................................................................................. 567 Luigi SPINA, Modi divini di nominare gli uomini .............................................. 579 Christophe BADEL, Nommer d’après les dieux: les cognomina théophores chez les sénateurs du Haut Empire .................................... 585 Gérard FREYBURGER et Sihem SAKOUHI, Bibliographie générale ...................... 599 Laurent PERNOT, Foi, rite, langage .................................................................... 611 Indices Sources littéraires .................................................................................. 615 Noms de dieux ...................................................................................... 628 Épithètes et épiclèses divines ................................................................ 640 Noms de lieux antiques .......................................................................... 652 Thèmes .................................................................................................. 656 Table des matières ............................................................................................ 663
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