Natures intermédiaires: Les paysages de Michel Desvigne 9783764382230, 9783764377137

A monograph on Michel Desvigne Michel Desvigne is no doubt the most high-profile French landscape architect working to

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French Pages 199 Year 2008

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Table of contents :
AGRICULTURE, TEXTURE ET SENS DE L'INACHEVÉ
INTRODUCTION
GRANDS PAYSAGES. Infrastructures Naturelles des Villes
BIESBOSCH STAD, ROTTERDAM, PAYS-BAS, 2005
PLAINE DU VAR, NICE, FRANCE, 2006-2007
LOWER LEA VALLEY, LONDRES, GRANDE-BRETAGNE, 2004
BURGOS, ESPAGNE, 2006-2011
TERRITOIRES ET FORMES DU TEMPS. Mutations Urbaines et Paysages en Contrepoint
LYON CONFLUENCE, LYON, FRANCE 2000-2005
BORDEAUX RIVE DROITE, BORDEAUX, FRANCE, 2000-2004
MILLENNIUM PARK, GREENWICH, LONDRES, GRANDE-BRETAGNE, 1997-2000
PARC MARIANNE, MONTPELLIER, FRANCE, 1998-2002
PAYSAGES EN COULISSES. Une Articulation Paysagère de l’Étalement Urbain
ISSOUDUN TERRITOIRE, ISSOUDUN, FRANCE, 2005
CERGY-PONTOISE, FRANCE, 2006-2008
GARE TGV, AVIGNON, FRANCE, 1994-2002
PARC DE LATHÉOLS, ISSOUDUN, FRANCE, 1993-1994
CHAMPS URBAINS. Sens d’un Parc dans la Ville
SUMMER PARK, GOVERNORS ISLAND, NEW YORK, USA, 2007
CITÉ NATURE, ARRAS, FRANCE, 2001-2005
EXTENSION DU PARC DE SCULPTURES DU MIDDELHEIM, ANVERS, BELGIQUE, 1998-2000
TRANSPOSITIONS. Un Système d’Emboîtements et d’Échos
DALLAS CENTER FOR THE PERFORMING ARTS, DALLAS, USA, 2004-2009
RECONVERSION DE L’ÎLE SEGUIN, BOULOGNE-BILLANCOURT, FRANCE, 2000-2007
RECONVERSION DU VIEUX PORT DE L’EILANDJE, ANVERS, BELGIQUE, 2001-2004
KATTENDIJKDOK, ANVERS, BELGIQUE, 2006-2008
AUBERVILLIERS CAMPUS, AUBERVILLIERS, FRANCE, 2006-2007
ALMERE, PAYS-BAS, 2000-2005
LE VÉGÉTAL COMME MILIEU. Miniaturiser un Milieu Vivant sans le Réduire
MINISTÈRE DE LA CULTURE, PARIS, FRANCE, 2001-2004
UTRECHTCENTRAAL MUSEUM, UTRECHT, PAYS-BAS, 1998-2000
SQUARE DES BOULEAUX, RUE DE MEAUX, PARIS, FRANCE, 1989-1992
UN PAYSAGE DIFFÉRÉ
WALKER ART CENTER, MINNEAPOLIS, USA, 2002-2005
KEIO UNIVERSITY, TOKYO, JAPON, 2004-2005
PHOTOS AÉRIENNES
MAQUETTES
KALÉIDOSCOPE
Paysages en Gestation Liste des Projets
Liste des Collaborateurs
Crédits Photographiques
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Natures intermédiaires: Les paysages de Michel Desvigne
 9783764382230, 9783764377137

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NATURES INTERMÉDIAIRES

CONCEPTION ET COORDINATION Martin Basdevant, Paris Propos recueillis par Delphine Costedoat

GRAPHISME ET COUVERTURE Sandrine Rondard, Paris MISE EN PAGE Sandrine Rondard et Anne-Marie Rœderer, Paris TRADUCTION DU TEXTE DE JAMES CORNER Marco Braun, Berlin Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie ; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l'adresse http://dnb.d-nb.de. Les droits d’auteur de cet ouvrage sont protégés. Ces droits concernent la protection du texte, de l’illustration et de la traduction. Ils impliquent aussi l’interdiction de réédition, de conférences, de reproduction d’illustrations et de tableaux, de diffusion radiodiffusée, de copie par microfilm ou tout autre moyen de reproduction, ainsi que l’interdiction de divulgation, même partielle, par procédé informatisé. La reproduction de la totalité ou d’extraits de cet ouvrage, même pour un usage isolé, est soumise aux dispositions de la loi fédérale sur le droit d’auteur. Elle est par principe payante. Toute contravention est soumise aux dispositions pénales de la législation sur le droit d’auteur. Ce livre est aussi paru en version anglaise (ISBN 978-3-7643-7714-4). © 2009 Birkhäuser Verlag AG Basel • Boston • Berlin Case postale 133, CH-4010 Bâle, Suisse Membre du groupe d’éditeurs spécialisés Springer Science+Business Media Imprimé sur papier sans acide, composé de tissus cellulaires blanchis sans chlore. TCF Imprimé en Allemagne ISBN: 978-3-7643-7713-7 987654321 www.birkhauser.ch

NATURES INTERMÉDIAIRES L E S PAY S A G E S D E M I C H E L D E S V I G N E

Avec une préface de James Corner et une contribution de Gilles A. Tiberghien

BIRKHÄUSER BASEL



BOSTON



BERLIN

SOMMAIRE

AGRICULTURE, TEXTURE ET SENS DE L’INACHEVÉ

7

James Corner

INTRODUCTION

11

Michel Desvigne

GRANDS PAYSAGES

15

Infrastructures Naturelles des Villes BIESBOSCH STAD, ROTTERDAM, PAYS-BAS, 2005

21

PLAINE DU VAR, NICE, FRANCE, 2006-2007

27

LOWER LEA VALLEY, LONDRES, GRANDE-BRETAGNE, 2004

32

BURGOS, ESPAGNE, 2006-2011

33

TERRITOIRES ET FORMES DU TEMPS

35

Mutations Urbaines et Paysages en Contrepoint LYON CONFLUENCE, LYON, FRANCE 2000-2005

41

BORDEAUX RIVE DROITE, BORDEAUX, FRANCE, 2000-2004

49

MILLENNIUM PARK, GREENWICH, LONDRES, GRANDE-BRETAGNE, 1997-2000

58

PARC MARIANNE, MONTPELLIER, FRANCE, 1998-2002

59

PAYSAGES EN COULISSES

61

Une Articulation Paysagère de l’Étalement Urbain ISSOUDUN TERRITOIRE, ISSOUDUN, FRANCE, 2005

67

CERGY-PONTOISE, FRANCE, 2006-2008

77

GARE TGV, AVIGNON, FRANCE, 1994-2002

86

PARC DE LA THÉOLS, ISSOUDUN, FRANCE, 1993-1994

87

CHAMPS URBAINS

89

Sens d’un Parc dans la Ville SUMMER PARK, GOVERNORS ISLAND, NEW YORK, USA, 2007

95

CITÉ NATURE, ARRAS, FRANCE, 2001-2005

106

EXTENSION DU PARC DE SCULPTURES DU MIDDELHEIM, ANVERS, BELGIQUE, 1998-2000

107

TRANSPOSITIONS

109

Un Système d’Emboîtements et d’Échos DALLAS CENTER FOR THE PERFORMING ARTS, DALLAS, USA, 2004-2009

115

RECONVERSION DE L’ÎLE SEGUIN, BOULOGNE-BILLANCOURT, FRANCE, 2000-2007

125

RECONVERSION DU VIEUX PORT DE L’EILANDJE, ANVERS, BELGIQUE, 2001-2004

132

KATTENDIJKDOK, ANVERS, BELGIQUE, 2006-2008

132

AUBERVILLIERS CAMPUS, AUBERVILLIERS, FRANCE, 2006-2007

133

ALMERE, PAYS-BAS, 2000-2005

134

LE VÉGÉTAL COMME MILIEU

137

Miniaturiser un Milieu Vivant sans le Réduire MINISTÈRE DE LA CULTURE, PARIS, FRANCE, 2001-2004

143

UTRECHT CENTRAAL MUSEUM, UTRECHT, PAYS-BAS, 1998-2000

148

SQUARE DES BOULEAUX, RUE DE MEAUX, PARIS, FRANCE, 1989-1992

149

UN PAYSAGE DIFFÉRÉ

151

Gilles A. Tiberghien WALKER ART CENTER, MINNEAPOLIS, USA, 2002-2005

159

KEIO UNIVERSITY, TOKYO, JAPON, 2004-2005

171

PHOTOS AÉRIENNES

176

MAQUETTES

178

KALÉIDOSCOPE

181

Paysages en Gestation Liste des Projets Liste des Collaborateurs Crédits Photographiques

195 198 199

AGRICULTURE, TEXTURE ET SENS DE L’INACHEVÉ JAMES CORNER

Longtemps fasciné par les photographies aériennes de la surface terrestre et les différentes textures des terres agricoles, plus particulièrement celles qui illustrent un certain moment dans l’histoire d’une écologie par ailleurs en continuelle mutation, Michel Desvigne aborde l’architecture paysagère comme une manière de façonner le terrain qui est inévitablement provisoire, mise en scène, cumulative. Néanmoins cette condition provisoire ne se résume pas à une empreinte ou une simple forme, elle constitue plutôt un environnement matériel qui amorce et propulse son propre développement. Les paysages de Desvigne visent à propager des ensembles de conditions nouvelles afin de donner naissance et de nourrir des environnements devenant plus complexes avec le temps. S’inspirant de champs agricoles, de pépinières et, de manière plus vaste, d’écosystèmes tels que des forêts et des deltas, Desvigne considère l’architecture paysagère comme une forme d’art vivant qui doit plus à la pratique culturale, au processus et au changement dans le temps qu’à des pratiques de paysagisme plus communes comme la composition formelle et la représentation. Avec un pragmatisme de cultivateur et un œil de paysagiste, Desvigne sait créer des projets extrèmement sensibles, rationnels et méthodiques approchant à la fois le poétique. Au fil de son cursus académique et professionnel Desvigne s’est avant tout interessé aux pratiques agricoles, géomorphologiques et cartographiques. La notion de terre, dans le sens de terroir mais aussi de territoire, a imprégné son approche d’une sensibilité unique pour les particularités du lieu, d’échelle et des nuances locales. Adepte d’un travail aussi bien à échelle régionale qu’avec des espaces de dimension plus intime, il fait preuve d’un discernement exceptionnel quant aux rapports réciproques qu’entretiennent les petits espaces avec les grands contextes géographiques. Une fois le terrain exploré et cerné, des thèmes spécifiquement agricoles apparaissent : transformation du site, amélioration, plantation, culture et gestion dans le temps. Ces

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aspects du travail s’inscrivent dans un savoir-faire technique : amélioration du sol, techniques de plantation et de transplantation, gestion des terres et autres pratiques (chacune souvent éminemment propre à son environnement local) sont autant de procédés qui guident la stratégie créatrice. Plutôt que de se préoccuper d’une composition formelle ou d’un style esthétique, Desvigne réussit à insuffler à ses paysages une capacité de croissance, de transformation et d’adaptation au temps, laissant ainsi la place à une plus grande souplesse au lieu d’un régime excessivement déterministe. Son concept de substitution est particulièrement pertinent à cet égard : Desvigne adapte ses espaces en substituant un matériau à un autre tout en retenant sa disposition cartographique d’origine – l’organisation et le tracé restent les mêmes mais la substitution matérielle ouvre le champ à toute une série d’alternatives et de possibilités nouvelles. Ces champs de possibilités relèvent moins du formalisme ou de l’esthétisme qu’ils agissent en procédant réellement à une transformation comme dans une sorte d’agent viral ou de force vitale. Les pratiques d’organisation du processus et les catalyseurs de transformation font appel à des facultés d’orchestration, de chorégraphie, de gestion et de culture, pratiques pérennes différant d’un mode de composition typiquement statique et formel. Cet accent porté sur le processus permet à Desvigne de dépasser l’engouement habituel de l’architecture paysagère pour le style comme mode de composition formelle et contenu représentatif. Si Le Nôtre, par exemple, a concentré toute son attention sur la création d’ensembles paysagers dans l’intention de produire des espaces, des formes et des effets remarquables, tous porteurs d’un sens symbolique et métaphorique, Desvigne croit à la dissolution de la lisibilité spatiale et référentielle, probablement pour éviter l’élitisme de la « grande culture » que l’on associe au « design » et pour développer une approche du terrain plus pragmatique, plus franche.

AGRICULTURE, TEXTURE ET SENS DE L’INACHEVÉ

Plus à l’aise avec des haies ou des fourrés qu’avec des allées d’arbres ou des parterres de fleurs, les réalisations paysagères de Desvigne s’ingénient à immerger le visiteur dans un foisonnement de textures. Arbres ondoyants, feuillages étincelants, herbes flottantes, taches de lumière et d’ombres sont autant d’éléments contribuant à une expérience tactile, donnant à sentir le rugueux et le doux, le proche et l’éloigné – paysages sans limites ni frontières, sans définition ni forme claire. Comme chez Monet ou Van Gogh ou, dans un autre registre, chez Andreas Gursky, la propension à produire des textures de terrains complexes à partir d’une multiplicité d’éléments se détache radicalement des notions classiques et modernes d’une dualité figure-fond ou d’une composition spatiale hiérarchisée. En revanche les paysages de Desvigne, libérés des contraintes rigides d’une géométrie parfaitement objectivée, donnent lieu à une matrice plus souple, plus ouverte et plus perméable. Ici, effacement et création de vides constituent des pratiques tout aussi valables que remplissage et addition, puisque Desvigne défendrait que le vide peut susciter un sens accru de la lisibilité et des possibilités – une « texture », si l’on veut, du dégagement du terrain. Ce qu’il y a sans doute de plus frappant dans le travail de Desvigne à cet égard, c’est sa fascination pour l’inachevé. Il ne semble pas du tout se soucier de l’apparence crue, jeune, « en herbe » d’un projet paysager. Au départ, il y a un certain attrait esthétique évident dans les paysages inachevés, suivi d’un sentiment d’anticipation devant les choses à venir, plus particulièrement dans les jeunes paysages où la sensation de croissance et de transformation se manifeste surtout sur des périodes relativement courtes. Mais après tout, Desvigne ne semble pas croire qu’un paysage – aussi façonné et achevé soit-il – puisse jamais être accompli. Comme l’artiste de land art Robert Smithson, Desvigne considère l’architecture paysagère comme un travail en progression continue qui n’atteint jamais un état idéal, quel que soit le moment,

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mais qui dépasse toujours les attentes, une fois amorcé et considéré comme palimpseste actif, accumulant avec le temps des propriétés, des qualités et des potentiels nouveaux. Sa notion du paysage comme infrastructure active pourrait conduire à de nouveaux critères d’évaluation pour les investissements dans les interventions paysagères en milieu urbain, ces infrastructures vivantes étant susceptibles de devenir les catalyseurs pour de nouvelles formes de réaménagement et de nouveaux modes de vie, et même offrir de nouveaux supports pour la croissance et l’évolution de formes d’urbanisme plus complexes. Il est certain que l’œuvre même de Desvigne est encore en devenir. Elle se présente plutôt sous forme de textes, d’images et d’idées que comme importante œuvre réalisée. La plupart des revendications énoncées ici se concentrent sur les enjeux majeurs et les aspects essentiels en vue des réalisations dans les années à venir. On ne peut toutefois ignorer l’influence profonde des idées de Desvigne sur la jeune génération de paysagistes dans le monde entier qui ont mis en avant les problèmes de territoire, de géographie, d’agriculture, de culture, de gestion et de développement futur. La difficulté à mettre en œuvre une telle démarche réside dans la nécessité de convaincre la société qu’il existe des alternatives très réelles au bucolique statique et au vaguement pittoresque, dans lesquelles le paysage agit plutôt comme un instrument (récupération des eaux de pluie, amélioration de la qualité de l’air et de l’eau, favorisation de la biodiversité des espèces, développement d’écosystèmes plus complexes, mise à disposition d’espaces en vue de nouveaux usages et programmes publics, introduction de formes durables de développement urbain et autres initiatives – autant de critères de performance technique, modulés par une touche artistique qui joue sur la lisibilité du site et les différents contenus culturels) et non comme peinture d’un décor complaisant qui, même si elle relève d’une certaine beauté, sera inévitablement passive dans son impact.

INTRODUCTION MICHEL DESVIGNE

Parvenu à mi-parcours professionnel, comme l’a écrit à mon sujet une critique d’architecture, j’ai le sentiment de n’avoir rien à montrer. Tout du moins rien qui ressemble aux images séduisantes des livres d’architecture, rien qui évoque les modèles photogéniques, rien non plus que l’on pourrait comparer aux paradisiaques images de synthèses qui encombrent les publications. Mon travail fait appel à peu d’objet et idéalement à aucun ; à des matériaux ordinaires. Il ne comporte pas d’héroïque mise en œuvre, ne relève d’aucun luxe. Il est donc marqué par une certaine pauvreté. Il n’y a pas là le désir volontaire d’une « architettura povera », mais le choix d’une rusticité. C’est une rigueur qui s’impose à moi. Une jeunesse structurellement ingrate. Je n’en ressens pas de frustration. Cela n’a pas toujours été le cas, et j’ai pu parfois recourir à quelques ajouts susceptibles de donner le statut d’œuvre d’architecture à mes tentatives : employer des tracés, des objets connus. Cela ne m’a que très provisoirement rassuré. Les architectes exigeants avec lesquels je travaille absorbent une partie conséquente de mes budgets, m’obligeant à cette pauvreté dont je parle, ce dont je leur suis étrangement reconnaissant. J’aime la « résistance » de nos matériaux aux « effets », comme si un jeune paysage ne pouvait être « pittoresque », ne pouvait ressembler à aucune image modèle. Les jeunes arbres n’évoquant rien et cependant recouvrant les sols de leurs feuilles mortes transforment immédiatement le plus artificiel des matériaux en sous-bois poussiéreux. La pauvreté oblige à innover, dans le sens d’une architecture qui soit au minimum visible. Détourner les techniques et les usages agraires rend soudain un espace lisible. Il n’y a là aucun minimalisme de principe. Plutôt une forme de patience et de résistance : tenir bon, ne pas céder à la facilité. Ne pas encombrer inutilement, ne pas donner prématurément une « finition » illusoire, par manque de confiance envers les « paysages en gestation ». Ne pas déséquilibrer, polluer, désynchroniser ces processus de maturation. Encore et surtout, ne pas tenter de montrer ce travail au moyen d’images stéréotypées.

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Arrivé à mi-parcours, je constate que j’ai observé et analysé des centaines d’hectares, planté des dizaines de milliers d’arbres, déplacé des petites collines de terre, contribué à l’implantation de kilomètres de routes, de voies ferrées, de canaux. Je vois une boulimie de projets. Plus de 40 sites sont en transformation, dont certains depuis déjà plus de 17 ans. Il faut les considérer avec rigueur et sérénité – patience. Ce ne sont pas des objets, mais certains sont déjà des lieux, qui se développent, et échappent dans une certaine mesure à leur concepteur. Ce sont des organismes vivants. Les végétaux, les milieux bien sûr, mais les architectures et la succession de leurs états aussi. Il y a dans ma contribution à cette fabrication un plaisir archaïque qui diffère du plaisir de la construction et qui consiste à interférer, domestiquer, orienter des mécanismes vivants. Un plaisir bien connu des jardiniers. Constituer avec cela des territoires, participer en cela à l’organisation des villes peut paraître angélique. Nous, les paysagistes, avons la conviction que la transformation du paysage est un précédent, une étape, à l’édification de quartiers. Donner des qualités au site n’est pas préfigurer le réseau des rues ni les îlots. J’aime cette notion de nature intermédiaire, de paysage transformé dont les qualités archaïques d’orientation des espaces, de pente, d’humidité sont les préalables avec lesquels urbanistes et architectes transformeront la ville. J’aime le temps long des paysages et des villes. J’aime surtout le jeu avec le temps : la mise en évidence de stades successifs, la mise en valeur d’états jeunes, la coexistence de différents stades de développement qui concentrent, miniaturisent en une période courte, des mécanismes aux rythmes historiques. Plusieurs expériences consistent à inventer de vastes structures végétales comptant plusieurs dizaines de milliers d’arbres. Ces « organismes » ont des dimensions qui dépassent celles du dessin des villes. Ce sont des architectures à l’échelle de sites, de géographies. Les agriculteurs, les forestiers, manipulent des territoires autrement plus étendus, mais il ne s’agit pas d’architecture. Ces natures intermédiaires sont des architectures, sommaires,

INTRODUCTION

provisoires, en gestation. Comment montrer cela ? Il est important pour moi de résister aux clichés, de jouer avec la multitude, avec les successions. Il n’y a pas de « belle » image, il ne doit pas y en avoir, sinon accidentellement. Chacune d’elles est prise dans une succession et dans un espace plus vastes. Nous nous intéressons à la chose publique. Bien plus que d’une déformation ou d’une spécialisation, il s’agit presque d’une nécessité. Nous contribuons à l’édification d’un territoire commun. Nous transformons des paysages produits par la société. Nous sommes inspirés et nourris par les traces de ses activités. Surtout, nous avons l’ambition d’aider cette société à envisager d’autres manières d’occuper et de composer le territoire. Je prétends lui donner du sens, tout au moins de la lisibilité. Rendre intelligible, déchiffrable l’environnement aurait-il un intérêt ? Je suis fasciné par les personnages qui connaissent parfaitement leur territoire, qui en maîtrisent avec un plaisir évident la réalité physique précise mais aussi l’histoire et les mécanismes à l’œuvre. A l’opposé de ceux qui parcourent l’espace abstrait de la technocratie, de la signalétique ou qui consomment des images. Nulle nostalgie cependant car ce qui me fascine est surtout leur capacité à transformer. Je pense alors aux architectes tessinois et à la manière dont ils ont su jouer avec l’architecture vernaculaire et les pratiques agricoles, pour introduire il y a déjà 50 ans la modernité germanique avec une infinie précision. Voir, rendre lisible, est un préalable nécessaire mais ne peut se substituer à une sorte de « nécessité intérieure ». La mise en évidence des traces ne suffit pas. S’en contenter en effet équivaudrait à faire de la restauration. Mais leur détournement, leur inversion, leur distorsion relève de l’invention. J’aime les peupleraies, les vergers, les forêts plantées artificiellement. J’aime percevoir ces espaces dont l’ordre conventionnel s’oublie pour n’être que densités, variation de densité. Ni plein ni vide, ces espaces quadrillés sont des sortes de tamis où paradoxalement la vie s’installe, des pièges pour une nature intermédiaire.

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GRANDS PAYSAGES INFRASTRUCTURES NATURELLES DES VILLES

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5000

10 000 m

Biesbosch Stad, Rotterdam, Pays-Bas 2 Plaine du Var, Nice, France 3 Lower Lea Valley, Londres, Grande-Bretagne 4 Burgos, Espagne 1

GRANDS PAYSAGES

Il est des sites qui par leur taille, leur situation, ou parce qu’ils ont perdu leur structure historique, invitent à se référer à l’échelle géographique. Les formes de quartiers imaginées ici sont déterminées par des paysages plus larges, eux-mêmes produits de mécanismes de nature miniaturisés, et transposés. Il ne s’agit pas de recettes systématiquement applicables au développement des villes, mais d’exemples singuliers. Dans ces situations particulières, les éléments naturels : la rivière pour la plaine du Var, un territoire d’inondation deltaïque pour Rotterdam, deviennent des supports réels et puissants. Ce que ces cas malgré leurs différences peuvent avoir de commun, c’est l’absence de connotation stéréotypée, et l’ampleur des structures paysagères proposées. La référence aux systèmes de parcs américains, à ces vastes continua constituant l’ossature des villes, vaut principalement par la grande dimension de ces exemples. Au XIXe siècle, ils ont pu présenter des qualités d’écriture et une pertinence contextuelles remarquables. Les parcs créés par Frederick Law Olmsted ont, grâce à la finesse de son observation, réussi à fonctionner comme autant de révélateurs de paysages. Cependant, des parcs conçus à la même époque par des imitateurs sans talent conduisent à écarter une fascination de principe pour cette typologie qui, aux États-Unis, a aussi produit des ensembles d’une accablante pauvreté. Les exemples proposés ici sont liés à des situations spécifiques. Dans le cas de la plaine du Var, comme dans celui de Rotterdam, les territoires à transformer s’étendent sur des dizaines de kilomètres. Très souvent, les pratiques adoptées, dans ce type de configuration, procèdent par accumulations, sans que l’on se soucie d’une vision d’ensemble. Imaginer des structures physiques qui aient la dimension des sites considérés relève d’un jeu inhabituel. Le rôle des infrastructures doit être ici appréhendé avec acuité. Une sorte de prudence paradoxale conduit aujourd’hui à morceler de gigantesques ouvrages dans l’idée de les ramener à une

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présupposée « échelle humaine ». Cette attitude nous semble ignorer leurs qualités spécifiques. La taille d’une autoroute, ou d’une voie ferrée, est réduite si on la compare à celle d’une vallée. La forme de ces infrastructures présente d’autre part de nombreuses similitudes avec celle des cours d’eau et des reliefs. Considérer les infrastructures comme des rivières est cohérent en termes de dimensions et rend possible l’exercice de transposition né de l’observation des processus naturels. Les formes produites sont reconnaissables, familières, en ce qu’elles évoquent effectivement pour tous l’échelle de la géographie et sa pratique physique. Si la taille de la rivière est importante, celle de la parcelle doit aussi être prise en compte. Il s’agit bien, dans les exemples exposés ici, de constituer un ensemble à la dimension de la vallée. Cependant, la matière appréhendée joue forcément avec la réalité foncière et ses dimensions liées aux traces historiques de la propriété. Ces traces, longtemps oubliées, négligées ou massacrées, sont devenues, depuis quelques décennies, l’objet d’une attention tout au moins théorique de la part des paysagistes. Certains pensent qu’il suffit de s’inscrire dans ces traces, de les sublimer, pour constituer un projet. Avec cette façon de voir et d’opérer on tombe dans une autre forme d’académisme. Il me semble, en effet, qu’il faut porter une attention égale à la nature géologique du site et aux éléments qui en rappellent l’histoire. Dans le cas de la plaine du Var, le grand paysage imaginé, qui évoque les méandres du fleuve, peut être constitué à partir d’une petite agriculture jouant avec les traces en place. Si la hiérarchisation existe, les deux préoccupations cohabitent et ne sont pas opposables. Quelle que soit l’échelle envisagée, il ne s’agit pas d’imiter des formes de nature. La dimension, la matière et la texture des propositions imaginées doivent faire apparaître l’artifice d’une manière explicite. La prise en compte de la taille de la rivière mais aussi de celle du parcellaire, permet d’envisager à la fois une vaste ligne d’horizon et le grain

GRANDS PAYSAGES

donné à l’écriture. Dans le cas du projet de Rotterdam, l’objectif est encore une fois d’atteindre à une dimension de nature : le jeu consistant à jouer avec l’empreinte de l’eau relève pourtant d’un complet artifice. Les anciennes rivières deviennent des digues, les digues sont transformées en quartiers d’habitation : l’ensemble dérive de formes de nature non pas copiées ou reconduites, mais transposées. En quoi la lecture du grand territoire concerne-t-elle la transformation des villes contemporaines ? Quel est l’enjeu de cet exercice ? Nos paysages, aujourd’hui, sont souvent le produit de règles technocratiques. Le remembrement agricole, l’agriculture extensive, ont entraîné la disparition des éléments physiques (fossés, haies, drains) qui donnaient au paysage sa lisibilité. Cette indétermination, cette absence de statut, procurent un sentiment de malaise et d’absurdité. Il est difficile de s’accommoder du mépris que révèle cette perte de définition de nos territoires, qui s’accompagne d’un gaspillage généralisé. La compréhension d’un paysage, de sa logique, l’intuition que l’on peut avoir des mécanismes à l’œuvre, relèvent d’une nécessité. Les propositions présentées ici participent du désir de donner à des paysages contemporains un ancrage géographique pour les villes qui s’y installeront. Il s’agit toutefois, dans les deux cas, de situations exceptionnelles, terriblement fragiles. Les exemples proposés ne relèvent pas d’un type de commande fréquente. Mais ces deux études montrent que, dans le cadre d’une réflexion menée très en amont, il est possible de dépasser le découpage administratif dont le paysage quasi virtuel évoqué est le produit. Ces grandes cohérences physiques proposées pourraient déterminer de nombreuses décisions techniques et administratives nécessaires à la transformation du territoire.

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BIESBOSCH STAD, ROTTERDAM, PAYS-BAS, 2005

1 Dans le cadre de la biennale d’architecture de Rotterdam, en 2005, on nous a proposé de réfléchir à un vaste site au sud de la ville et à son devenir. Potentiellement dangereuse car inondable, cette zone constitue une réserve foncière précieuse pour le développement indispensable de Rotterdam. Il s’agit d’une commande paradoxale : donner de la place à l’eau pour une sorte de ré-naturation du delta et simultanément créer des situations pour une édification massive de quartiers d’habitations. Ce site, au confluent du Rhin et de la Meuse, est sous la menace constante, accrue par d’éventuels dérèglements climatiques, de fortes inondations. Déjà poldérisé, il est encerclé par des digues, qui déterminent de grandes cellules sèches, dans lesquelles s’est développée l’agriculture. Un phénomène très particulier se joue ici : en asséchant ces vastes parcelles, on a également occulté des cours d’eau qui faisaient partie des ramifications du delta. Les sols tourbeux, privés de leur eau, se sont abaissés autour de ces anciens méandres qui, parce qu’ils étaient constitués de sable incompressible, non compactable, sont situés aujourd’hui à un niveau plus haut que les rives, dans une sorte de curieuse inversion.

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BIESBOSCH STAD, ROTTERDAM

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Notre hypothèse consiste à briser les digues pour permettre à l’eau (figurée en gris foncé) de se répandre sans contrainte en cas d’inondation. Les matériaux des digues démantelées seront ensuite déposés sur l’empreinte des anciennes rivières. Leurs lits sableux incompressibles sont ainsi surélevés, accentuant l’inversion observée et constituant des territoires hors d’eau (indiqués en gris clair et en blanc). Les surfaces les plus larges sont des espaces à bâtir (en blanc). Aussi habite-t-on sur ces sortes de digues aux formes étranges et non derrière elles. Les rivières réhaussées composent ainsi un réseau de communications. Le paysage inondable qui en résulterait resterait agricole. Il s’agit d’une sorte de moulage en négatif du territoire. Le projet relève de l’observation et procède par distorsion, transposition. Des archipels sont définis par le dessin qui fabrique des territoires neufs se substituant aux traces de la géographie.

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L’enjeu de cet exercice est de permettre la constitution d’une ville, en proposant des situations qui relèvent à la fois de mécanismes archaïques et ludiques. On peut évoquer ici les archipels de Stockholm, où se déploient de magnifiques jeux de vis-à-vis, d’une façade à une autre, séparées non par des avenues mais par la présence de l’eau. De la même manière, à l’opposé des étalements urbains tristement homogènes, le projet de Rotterdam est bâti sur des cellules de quartiers denses, indiquées en brun sur le plan, de circulations (en blanc) mais aussi de parcs, qui s’entre-regardent pardelà le paysage agricole inondable.

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BIESBOSCH STAD, ROTTERDAM

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Trois bassins présents sur ce site correspondent aux réserves d’eau potable de Rotterdam. Ils sont aujourd’hui coupés des polders. Il nous semble indispensable de créer de nouveaux passages pour l’écoulement des eaux, en cas de crues, autour de ces « lacs », qui peuvent d’autre part être reliés à la nouvelle ville, dans ses ramifications, par des remblais construits. Une nouvelle fois, on constituera divers jeux de vis-à-vis, de part et d’autre de ces bassins.

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Paysage agricole, bassins où la vue plonge et qu’elle surplombe : les nouveaux quartiers imaginés se trouvent placés ainsi dans une « situation de quai ». Ces quartiers, parce qu’ils occupent une faible portion du territoire pour laisser place aux crues et à l’agriculture, sont nécessairement denses. Ce sont des îlots d’urbanité qui composent un archipel ludique, mémoire construite et inversée de l’ancien delta.

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PLAINE DU VAR, NICE, FRANCE, 2006-2007

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Cette pratique de la « géographie », cette « digestion » et réformulation d’éléments de nature aujourd’hui morcelés est au cœur du projet de la plaine du Var, développé avec les architectes OMA – Rem Koolhaas et Xaveer de Geyter. Le littoral méditerranéen, dans son ensemble, est entièrement construit aujourd’hui. Mais ici, à proximité de Nice, une vaste zone plane, d’une vingtaine de kilomètres de long, est restée en friche. Il est tout à fait impossible d’y voir un paysage. La surface verte existante, est infiniment mitée, paupérisée, constellée de petits espaces occupés par des marchands de pneus ou les vestiges de serres à l’abandon, mais également par un habitat sporadique. Cette zone est en partie inconstructible en raison des caprices du fleuve et des risques d’inondations. Le Var a pourtant été endigué au XIXe siècle et au début du XXe, et un parcellaire s’est inscrit entre les digues.

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PLAINE DU VAR, NICE

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L’enjeu, aujourd’hui, consiste à s’emparer de cet espace vaste, terriblement fragmenté pour y développer un paysage capable de donner une cohérence à ce qui doit s’y installer, notamment les développements nécessaires de l’habitat.

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Les phénomènes déterminants à l’œuvre dans cette vallée ont été les mouvements du fleuve, les accumulations d’alluvions, les terrasses alluviales, et la végétation qui les accompagne. Si cette géographie liée au fleuve est importante, stimulante, le parcellaire, qui correspond à la propriété foncière, est à une autre échelle une donnée incontournable. Le projet part du principe que des remembrements sont envisageables : l’agriculture peut muter, se lier davantage à la ville, tout en préservant la fonction maraîchère. Les espaces de transition, agricoles, sont figurés ici en vert. Ils forment de grandes continuités installées dans les traces des anciens méandres. Le projet prend en compte les formes existantes, naturelles et cultivées, laissées en déshérence ou déjà bâties, et intègre les mouvements hydrauliques, la topographie liée aux écoulements des eaux.

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PLAINE DU VAR, NICE

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Sans vouloir faire table rase du contexte : on a voulu embrasser le tout dans une vision géographique plus vaste, susceptible de rendre à nouveau perceptibles et sensibles les proportions du fleuve, de ses vallons alluviaux. Les digues notamment sont conservées, puis de part et d’autre on a localisé des îlots constructibles (en noir), incorporant l’habitat existant. Le jeu de transposition des éléments naturels crée une autre réalité, d’une masse et d’une forme importantes, rassurantes, qui donne un sens au vide. En fabricant des îlots densément construits, placés dans des « situations de quai » telles qu’elles ont été décrites à propos de Rotterdam, induites par la configuration naturelle du site, il est possible de donner du territoire une image que tout le monde peut comprendre et une présence physique cohérente, prenant aussi en compte les infrastructures, pour des usages éminemment urbains. Les zones en délitement sont ainsi appréhendées par le biais d’une vision élargie de formes de nature saisies dans leur globalité et leurs mécanismes archaïques.

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LOWER LEA VALLEY, LONDRES, GRANDE-BRETAGNE, 2004 Cette proposition d’aménagement du site des Jeux Olympiques de Londres avec Herzog & de Meuron consistait en l’invention d’une unité géographique puissante pour ce vaste territoire des faubourgs de Londres, occupés autrefois par l’industrie. Dans cette hypothèse, les quartiers se développent en archipels, composant ainsi une multitude de « situations de quai ».

BURGOS, ESPAGNE, 2006-2011 La commande consistait à remplacer le faisceau de voies ferrées désaffecté au centre de Burgos par des quartiers organisés autour d’un boulevard. Herzog & de Meuron ont imaginé des noyaux d’intensité, séparés par des vides, l’ensemble se glissant dans la ville existante. Le paysage a acquis d’autre part une qualité liée à sa dimension géographique. La structure forestière, vaste ou miniaturisée, se superpose à divers espaces publics minéraux.

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TERRITOIRES ET FORMES DU TEMPS MUTATIONS URBAINES ET PAYSAGES EN CONTREPOINT

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1 Lyon Confluence, Lyon, France Bordeaux Rive Droite, Bordeaux , France 3 Millennium Park, Greenwich, Londres, Grande-Bretagne 4 Parc Marianne, Montpellier, France 2

TERRITOIRES ET FORMES DU TEMPS

La plupart des projets concernant le territoire, à l’heure actuelle, sont à l’évidence des projets de transformation. Nos villes existent, nos territoires sont occupés. Il s’agit de les densifier, d’en changer l’affectation, de les embellir. On connaît empiriquement la durée de ces transformations, qu’elles concernent de grands paysages ou des morceaux de villes. On sait par expérience qu’il faut une trentaine d’années pour créer un quartier, et que ces mécanismes relativement longs sont soumis à des corrections permanentes. La vision de départ doit aussi pouvoir s’adapter à l’évolution des demandes et aux aléas économiques. D’où la nécessité d’imaginer des instruments, des méthodes, qui permettent d’intégrer cette notion de durée dans la manière de transformer les lieux. Quand la seule représentation du réel en vient à se substituer au réel, on verse dans le simulacre. Souvent fasciné par la beauté des cartes élaborées au fur et à mesure, on s’en contente pour produire un projet que l’on croit satisfaisant. Il faut au contraire garantir, maîtriser, la direction donnée aux propositions afin d’échapper à une représentation, figée, et donc fausse, du réel, sans céder à un attrait immodéré et dangereux pour cette accumulation de cartographie. Il s’agit bien de la transformation de paysages qu’il faut considérer au cas par cas. Ce qui autorise le jeu avec ces successions d’états est la matière même du projet, fruit d’un travail pragmatique. Acquérir des terrains, changer la nature de leurs sols, donner à ces sols une qualité, planter des arbres, contrôler leur développement, transformer leur densité : il s’agit là d’un ensemble de pratiques physiques appliquées à une réalité. À Bordeaux, l’entité de boisements imaginée conduit à un jeu avec la contrainte de la propriété foncière, d’où le grain des plantations et leur densité spécifiques. Le résultat physique obtenu, donnera l’intuition du temps nécessaire à cette construction.

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S’il est une charpente, le paysage donne aussi la possibilité d’une occupation temporaire de certaines parties de villes en transformation, dans lesquelles subsistent de nombreuses inconnues. Dans l’attente d’une construction, ces natures intermédiaires donnent immédiatement de la qualité aux sites. Il s’agit bien sûr d’un artifice : ce paysage provisoire et valorisant est susceptible d’être un jour détruit pour laisser la place à des bâtiments. On voit en quoi cette idée diffère de la notion de préverdissement développée dans les années 1970. Il ne peut être question de produire le négatif d’un plan de masse. Il s’agit plutôt de donner immédiatement un statut à un territoire, de l’entretenir, et d’en accepter la transformation. Ceci est de l’ordre de la gestion, de la maintenance, et du respect, quand bien même tout ne relève que d’une qualité et d’un usage provisoires. On est loin ici de la notion de flou, qui dans la ville atteste de ce mépris déjà évoqué. On retrouve dans la fascination romantique pour la friche de centre-ville, l’idée d’une reconquête de droit « divin » de la nature sur la mauvaise industrie humaine. Il y a sans doute dans ces mécanismes de recolonisation des phénomènes observables d’un grand intérêt, mais on se gardera de proposer une image policée du monde. Ces terrains vagues reflètent aussi l’indétermination, et indiquent une forme de ratage de l’installation de l’homme dans la ville. Dans ce chapitre les tentatives et les expériences dont nous faisons état représentent un investissement variable en temps. Le cas de Lyon représente huit années d’engagement, qui rendent possible la maîtrise collective de notre territoire. Ce qui suppose de le considérer comme un bien commun, ce que seul un système démocratique est en mesure de garantir. Très souvent, l’administration désire se doter de chartes réglementaires pour contrôler le développement de ses espaces publics à long terme. Les propositions faites à Bordeaux, Aubervilliers ou Anvers consistent en de petits projets, qui jouent parfois le rôle de prototypes. Ces études de cas rendent

TERRITOIRES ET FORMES DU TEMPS

possible une vision presque exhaustive des problèmes qui pourraient se poser sur un territoire. Elles permettent d’imaginer un langage, des matériaux, des modalités qui, éventuellement vérifiés par des prototypes, peuvent atteindre le niveau de prescriptions réglementaires. La charte idéale ressemblerait ainsi à une méthode expérimentale, telle qu’en utilisent les scientifiques. À partir d’une situation donnée, naît l’intuition d’une transformation possible, transposée dans le réel. Les éléments confirmés deviennent des prescriptions généralisables à grande échelle et dans le temps. Concevoir une structure pertinente dans un site donné relève de cette idée d’une permanence. Circuler facilement, être bien exposé, s’orienter, pouvoir s’abriter du vent, tout cela répond à des besoins physiques qui ne sont pas voués à se transformer rapidement. À l’intérieur de ces structures pérennes, différentes situations d’occupation peuvent être imaginées et se succéder. On peut envisager de définir des éléments constitutifs inaliénables et permanents, tout comme des éléments mouvants. Il est impératif, pour que la ville dure, pour qu’elle se développe et qu’on y vive bien, qu’elle ait une relation avec son sol, avec ses fleuves, avec ses reliefs, et ceci d’une manière permanente. Cette qualité de pratique d’un territoire, avec ses invariants, est une nécessité. Dans le cadre d’études à échelle géographique, comme celles portant sur la plaine du Var ou Rotterdam, nous avons été amenés à comprimer, en quelques décennies, des mécanismes qui ont perduré pendant plusieurs millénaires. Dans la situation des mutations urbaines issues d’un autre contexte, les temps très longs de construction de nos structures paysagères correspondent paradoxalement à des temps très courts si on les compare à d’autres périodes historiques d’édification de la ville. Dans les deux cas, la prise en compte du temps nous amène à le raccourcir, donnant ainsi étrangement le sentiment d’un lieu ancré dans son histoire et dans son site.

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LYON CONFLUENCE, LYON, FRANCE, 2000-2005

1 Lyon Confluence est un territoire de 150 hectares, s’étendant au sud de la gare de Perrache, entre Rhône et Saône, et où se bousculent, parmi un faisceau de voies ferrées, un échangeur multimodal, une autoroute, ainsi qu’un marché de gros et toute une série d’installations industrielles vouées à disparaître. Ce site, en centre-ville, a fasciné des générations d’élus et d’architectes : une étude précédente avait défini un parc unitaire, au nord duquel serait construit un quartier assez dense. Bien que le projet ait été adopté, la conscience, généralisée, d’une grande impossibilité subsistait. Pour que ce plan de masse soit réalisable, il était nécessaire en effet d’attendre, durant plusieurs dizaines d’années, que l’ensemble des terrains se libèrent, que la mutation des sites industriels soit achevée, mais aussi que le réseau des voies ferrées soit abandonné, un contournement autoroutier mis en place etc. Il fallait donc imaginer une « ruse », une procédure qui permette d’investir ce site malgré ces difficultés, pour engager sa mutation.

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LYON CONFLUENCE, LYON

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La ville idéale, telle qu’elle avait été proposée, ne correspond en aucune manière à la réalité d’une ville construite. Le danger consiste à figer dans un plan de masse le devenir de nos cités, de nos paysages. Il est bien sûr impossible de prévoir quel type de ville sera bâtie dans trente ans. C’est ainsi que la notion de temps, point nodal de la conception du projet, a accompagné son adoption par les autorités. L’idée de la mise en œuvre d’une « nature intermédiaire », dont une promenade de 2,5 km, réalisée le long de la Saône en 1999, constituait un prototype visible, a entraîné l’adhésion.

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LYON CONFLUENCE, LYON

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On a dressé une cartographie des mutations probables, ainsi que de la libération possible des différentes emprises. On a compris alors pourquoi il fallait substituer au projet unitaire initialement envisagé un projet procédant par avancées et transformations successives, susceptibles de donner au quartier concerné une qualité paysagère immédiate. La carte des mutations prévisibles permet d’envisager une structure de paysage particulière qui, suivant nécessairement le parcellaire, correspond à une série de ramifications perpendiculaires aux cours d’eau. Ces ramifications sont à la fois provisoires et pérennes. Il s’agit d’un dispositif d’accompagnement des transformations. Cette nature intermédiaire donne un statut au site, des qualités à chacune des parcelles peu à peu libérées, pour que le paysage qui s’y installe accueille les futurs quartiers et leurs bâtiments.

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LYON CONFLUENCE, LYON

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On ne peut se satisfaire de terrains vagues à la fonction indéfinie. Le tissu peu à peu constitué, composé de parcs et d’espaces publics collectifs, privés ou semi-collectifs, est un tissu urbain. L’enjeu essentiel de cette intervention est de faire naître chez les citadins le désir d’habiter en centre-ville, d’entretenir un rapport concret avec le sol, nécessaire à chacun, ce que l’on trouve dans des quartiers londoniens notamment (South Kensington par exemple), ou suisses (la Suisse des années 1950, avec les créations d’Atelier 5). La notion de transformation dans le temps conduit ainsi à imaginer des formes urbaines, qui ne viennent pas se superposer au site, mais tirent leur matière de ses mutations. Procéder d’une manière organique, en accompagnant la constitution des interrelations entre l’espace public et les éléments bâtis, permet d’envisager d’autres manières de faire la ville.

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BORDEAUX RIVE DROITE, BORDEAUX, FRANCE, 2000-2004

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On retrouve dans le projet conçu pour la rive droite de Bordeaux ce processus de transformation dans le temps. Il faut ici mentionner avant toute chose l’échelle très vaste du territoire concerné, et l’importance considérable du fleuve. La rive droite de la Garonne, longtemps occupée par des industries qui, peu à peu, mutent et se déplacent, se distingue fortement de la rive gauche qui correspond à la ville historique, mais aussi, il n’y a pas longtemps, au port de Bordeaux. Avec la disparition du port, de ses grilles, de la plupart de ses entrepôts, et la transformation profonde des quais, le regard aujourd’hui s’étend beaucoup plus loin vers la rive droite elle-même en mutation. Notre proposition est d’installer sur ses berges une nouvelle ligne d’horizon végétale, profondément liée au fleuve et à son lit. La composition d’un paysage constitué de deux lignes d’horizon successives : celle qui sous-tend le projet, mais aussi celle, existante, des coteaux à l’arrière, est un élément déterminant. Il nous a semblé vain d’imaginer reporter, sur la rive droite de Bordeaux, l’homogénéité de la rive gauche et de sa célèbre façade historique. Là encore, probablement, plusieurs décennies seront nécessaires pour que ce site trouve une cohérence, dont la nature ne peut qu’être différente de celle que l’on observe rive gauche.

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BORDEAUX RIVE DROITE, BORDEAUX

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Comme à Lyon, le processus de transformation prend en compte la notion de temps. Il s’agit d’un ensemble d’interventions s’appuyant et jouant sur les parcelles existantes, les aires industrielles, les parkings abandonnés, les chemins. L’image en vis-à-vis montre trois états successifs, les terrains étant peu à peu acquis par la Ville, puis plantés. La matière paysagère proposée est ainsi constituée d’une accumulation de boisements qui, nécessairement, porteront la trace du temps. S’y ajoute l’introduction d’une diversité qui à Bordeaux, compte tenu de la très grande échelle du projet, prend tout son sens. La transformation progressive du territoire demeurera visible. Il y a une grande satisfaction dans la contemplation de la campagne qui autorise une parfaite intelligibilité du travail à l’œuvre. La taille des plantations imaginées à Bordeaux, variant d’une parcelle à une autre, renverra à ce type de processus. Un groupe de jeunes arbres est déjà l’image d’un futur possible, et les chantiers permanents que sont les projets paysagers peuvent aussi tendre à une forme de beauté. Nous n’inventons pas une fausse nature, nous sommes bien dans une forme d’artifice dont chacun peut se rendre compte.

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BORDEAUX RIVE DROITE, BORDEAUX

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L’échelle du territoire sur lequel nous intervenons nous a conduit à imaginer la mise en œuvre d’un très grand parc renvoyant aux célèbres modèles américains du XIXe siècle, exemples qui prennent ici tout leur sens. Bordeaux, plus que d’autres villes, est confronté à un immense problème d’étalement urbain. Comment, là encore, redonner de l’attrait à son centre-ville, en alliant densité et paysage ? Les parcs créés dans l’agglomération, dans les années 1970 notamment, ont été installés en périphérie. En revanche, peu de grands espaces verts existent intra-muros. Les premiers projets urbanistiques concernant la rive droite n’accordaient que peu de place à cet élément pourtant essentiel. Pourquoi ne pas imaginer un parc continu au cœur de la ville, lié au fleuve et constituant l’ossature pérenne nécessaire au développement de cette rive ? Un ensemble qui serait à l’échelle de ce territoire, et concernerait plus de 100 hectares non construits ? Créer cet espace public destiné à un parc le long du fleuve ne signifie pas accentuer le phénomène d’étalement urbain. Tout au contraire, donner son unité au paysage, c’est précisément le rendre habitable.

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BORDEAUX RIVE DROITE, BORDEAUX

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Ces images montrent l’importance de l’ossature dans le développement urbanistique à venir. Le paysage, public et privé, détermine la forme d’îlots constructibles, sans en figer les contours d’une manière absurdement stricte. Les lignes d’horizon envisagées, la dimension géographique du projet, introduisent par ailleurs l’idée d’une démesure née de la perte des repères prosaïques et qui en font la beauté. Du territoire, de ses reliefs et de son fleuve, le très grand parc tire sa matière et sa forme. Plutôt que réduire ce site en le fragmentant, ce qui serait un écueil, on a préféré affirmer nettement son identité.

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BORDEAUX RIVE DROITE, BORDEAUX

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Le projet a été approuvé, et inclus dans les textes réglementaires de la Ville. On a déclassé des terrains constructibles qui sont désormais voués à accueillir des parcs. Des études sont à l’œuvre pour élaborer les quartiers qui seront établis à leur contact. On doit mesurer toute l’importance d’une telle décision, économiquement et urbanistiquement. Le choix de construire un très vaste parc en centreville est un choix fondamental, auquel on n’assiste qu’exceptionnellement. Le type de commande suscité ici est sans exemple comparable. Il s’agit de suivre diverses tranches de travaux qui, sur une grande échelle, s’étireront sur plusieurs décennies et il est nécessaire pour cela d’inventer une manière d’accompagner tous les processus de conception nés d’actes avant tout publics.

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Le rôle de la maîtrise d’œuvre est tout à fait inhabituel, et ses missions, définies pas à pas, dans un dialogue constant avec la Ville et ses services, sont multiples, complexes et fragiles. La taille du projet, le temps nécessaire à sa réalisation font que seule une structure publique est à même d’en garantir l’achèvement. Il en résulte une esthétique assez « rustique », une économie de moyens induites par ces contraintes.

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MILLENNIUM PARK, GREENWICH, LONDRES, GRANDE-BRETAGNE, 1997-2000 Ce parc était destiné à accueillir les événements accompagnant la célébration du millénaire, près du bâtiment conçu par Richard Rogers. Le site imaginé précède l’installation de futurs quartiers. Immédiatement utilisable, il sera géré comme un paysage forestier créant des situations diverses et évolutives.

PARC MARIANNE, MONTPELLIER, FRANCE, 1998-2002 Le travail a été mené ici sur un espace prédéfini, réservé à l’extension de la ville. Les prés, les herbages, les bois utilisent les techniques agricoles et forestières, sans romantisme ni sophistication. Ce paysage en gestation, dans son état intermédiaire, évoque la campagne patiemment constituée.

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PAYSAGES EN COULISSES UNE ARTICULATION PAYSAGÈRE DE L’ÉTALEMENT URBAIN

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Issoudun Territoire, Issoudun, France 2 Cergy-Pontoise, France 3 Gare TGV, Avignon, France 4 Parc de la Théols, Issoudun, France

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PAYSAGES EN COULISSES

La catastrophe ordinaire des périphéries de villes s’incarne dans cette ligne terrible qui sépare le milieu pavillonnaire des vastes terrains, produits par les remembrements parcellaires de l’agriculture extensive contemporaine. Aujourd’hui, 65 % de l’habitat construit en France correspond à des pavillons individuels, disséminés dans des lotissements fonctionnant en zones closes, phénomène connu. Quant aux exploitations agricoles, leur logique de mécanisation à grande échelle les a transformées en autant de déserts humains. Ces deux univers – le lotissement, le vaste terrain cultivé – coexistent dans une ignorance réciproque accablante. Des populations ayant fait le choix de vivre « à la campagne » en sont de fait totalement coupées. Il est courant que ces rurbains doivent, pour accéder à un bois voisin, prendre leur voiture. Les lotissements sont souvent dépourvus de toute connexion directe avec leur environnement naturel, et on connaît l’image désolante du grillage séparant le jardinet du champ vide. Cette absence de lien, d’espace public, est inacceptable. Certains changements, dans les pratiques agricoles, peuvent être étudiés, pour apporter d’autres types de solutions. Mais il s’agit avant tout de créer un lieu de développement de la ville, de lui constituer une ossature. Donner une qualité aux paysages des périphéries permet de fabriquer cet espace public, d’inventer une charpente à des morceaux de ville existants. Les composants géographiques, mais aussi ceux inspirés des pratiques agricoles, peuvent être transposés, et réutilisés. Mais comment faire pour que ces superpositions produisent une architecture lisible ? Cela suppose d’effectuer des tris et de procéder à des hiérarchisations. Le paysage n’est jamais une page blanche d’où il s’agit de faire surgir l’inattendu. Il est toujours fortement marqué par des pratiques ou des structures naturelles existantes ou ayant existé : sans nécessairement « recoudre » le passé, il est possible de composer avec ces différentes strates.

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Il y a toutefois dans l’observation et la transposition des paysages existants un caractère qu’on pourrait juger déductif. Le travail de composition qui fait se superposer toutes ces strates permet d’organiser une architecture voulue, déterminée, et contrôlée par le dessin. On ne revient pas à un paysage agricole préexistant, et on ne se contente pas non plus d’étendre un paysage naturel ou urbain. Il s’agit d’un artifice, d’une invention qui, pour partie, emprunte aux pratiques agricoles, sans se borner à les restaurer. Ces prés, ces prairies, ces vergers et bosquets dérivés de l’observation fabriquent déjà un espace urbain possible, qui évoque la campagne, mais qui, gagné par la ville, prendra un autre sens. Pas plus qu’il n’y a importation d’un modèle de square stéréotypé, il n’y a reproduction à l’identique de formes issues de l’agriculture : la transposition, poussée à l’extrême, produit bien des lieux publics nouveaux pour la ville en développement. Pourquoi vouloir à tout prix échapper aux stéréotypes que proposent les centres-villes historiques ? Essentiellement parce que ce type de recours semble indifférent à la ville et à la campagne. Importer dans un paysage dont on ignore les structures, des éléments sortis de leur contexte d’origine revient à offrir un apparat qui n’a plus vraiment de signification. Au lieu d’aider à qualifier la périphérie, à articuler deux mondes en vis-à-vis, cette approche exacerbe le décalage. Une bordure de trottoir vis-à-vis se perdant entre deux champs, un alignement d’arbres chétifs et parfois de lampadaires flottants au milieu des cultures, ne sont pas une alternative. De la même manière, la restauration pure et simple des structures agricoles ne permet pas de créer à elle seule des espaces publics. On ne peut se satisfaire de cette démarche de transposition que lorsqu’elle conduit à un certain niveau d’invention. Il est important de dépasser ce stade de la recherche. À rebours d’une tactique de la répétition, l’idée est d’inventer des espaces publics dont la forme et la puissance puissent déterminer des types de quartiers plus riches, par les contraintes physiques

PAYSAGES EN COULISSES

mêmes qu’ils induiraient. Il s’agit de donner un sens à ces espaces qui soit suffisamment suggestif pour que les situations à venir répondent naturellement à ces indications. La structure concentrique et rayonnante du parcellaire agricole d’Issoudun n’est plus lisible, sauf vue d’avion. L’hypothèse est de composer un tissu d’espaces publics en reprenant les traces de ce parcellaire, pour fabriquer une forme de ville particulière, en partie héritée de la structure agricole, mais qui la dépasse aussi largement. Comment trouver un milieu physique commun entre les champs, l’agriculture, et la ville future ? Les dispositifs proposés ont pour but de se substituer aux ceintures vertes qui continuent à être souvent programmées par les agences d’urbanisme. L’idée d’une enceinte n’implique pas de considérer la ville comme un organisme vivant, dont on ne peut prévoir ni où ni quand il prendra fin. Dans ce paysage de périphérie, on ne remplit pas mais, bien au contraire, on laisse des lieux ouverts. Il ne s’agit pas de fabriquer un contenant qu’il suffirait de remplir. Pour éviter les violentes superpositions, imposées par des logiques technocratiques et cyniquement économiques, on suggérera différents télescopages possibles. Des urbanistes et des architectes, auront ensuite de bonnes raisons de bousculer cette trame mais il est souhaitable que le paysage lui-même induise ces bouleversements en suscitant le cas échéant des réactions. Dans des lieux « sans enjeux », créer un contexte, avec de fortes contraintes physiques, est une gageure stimulante.

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ISSOUDUN TERRITOIRE, ISSOUDUN, FRANCE, 2005

1 À Issoudun, comme à peu près partout en France, mais aussi dans d’autres pays, la périphérie de la ville consiste en la juxtaposition brutale de quartiers habités, mais aussi de centres commerciaux, d’entrepôts ou de bâtiments d’activités, avec le vaste territoire de l’agriculture extensive. Dans une indifférence complète, et sans que rien n’indique qu’il y ait eu, jamais, un préalable à l’installation de l’homme en ces lieux, des maisonnettes flottantes et des hangars sans qualité butent sur un maigre grillage qui les sépare des labours. La structure médiévale des villages et des villes se constituait d’une manière progressive du centre vers l’extérieur, en une succession de parcelles égrenant maison, cour, jardin, potager, verger et campagne ouverte, l’ensemble du territoire agricole et urbain étant organisé selon des bases communes. Aujourd’hui, on a abandonné cette manière globale de structurer un territoire et renoncé à articuler des milieux qui s’ignorent, dans une pauvreté incompréhensible évoquant un type d’occupation humaine précaire, à la manière de camps. Cette terrible césure entre les constructions et les territoires cultivés est le produit d’un système de réglementations technocratiques responsable de la perte de liens fondamentaux tels les anciens chemins qui conduisaient de la ville à la campagne, et à fortiori de l’absence de tout espace public commun.

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ISSOUDUN TERRITOIRE, ISSOUDUN

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L’objectif, ici, est la constitution d’un plan de paysage pour l’ensemble de la ville et ses développements possibles. Le relevé des terrains disponibles pour constituer l’architecture du territoire met en évidence un émiettement de plaques : friches, parcelles non exploitées, ou lotissements posés sans transition sur les champs. Il n’existe aucune structure physique lisible en dehors du centre médiéval, devenu lui-même tout à fait mineur en regard de la grande masse des constructions contemporaines. La réflexion s’inscrit dans le cadre plus vaste de l’école française de paysage, et de ses capacités d’observation des territoires préexistants. Le parcellaire rayonnant d’Issoudun n’est pas aisément déchiffrable à l’heure actuelle. Les remembrements successifs rendent peu lisibles la structure physique d’origine, qui est aujourd’hui virtuelle. La proposition n’est pas de restaurer une réalité disparue. Il s’agit de procéder par substitution, à l’image du petit jardin public réalisé au centre de la ville dans les années 1990, qui utilisait le potentiel des terres travaillées par des générations de jardiniers pour installer des fleurs à la place des anciens potagers. Ainsi, tout demeure en place, mais change de nature. À l’échelle de la ville tout entière, le processus est le même, et consiste à amorcer un paysage urbain à partir de traces presque illisibles, transposées et transformées.

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ISSOUDUN TERRITOIRE, ISSOUDUN

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La première carte présentée en vis-à-vis met au jour des plaques grises correspondant à des terrains susceptibles d’être préemptés par la Ville. Ce point est fondamental en raison du rôle joué par les institutions publiques, lorsqu’il s’agit de restituer à un territoire une structure physique globalement lisible.

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La deuxième carte révèle d’autre part un certain nombre de limites entre les parcelles qui entourent la ville.

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La troisième montre la présence des vallées qui traversent Issoudun. Ces vallées, aujourd’hui abandonnées, seraient à même, si elles étaient achetées par la Ville, qui en maîtriserait les rives, et ainsi les risques d’inondations potentielles, de constituer une ossature puissante capable de structurer le paysage d’Issoudun.

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ISSOUDUN TERRITOIRE, ISSOUDUN

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Cette carte correspond à un relevé, autour de la ville, de la forme des parcelles agricoles, susceptibles d’être transformées. Le parcellaire s’est développé d’une manière concentrique, incluant des radiales, dans une logique parfaitement compréhensible par rapport à la topographie. La proposition consiste à utiliser cette structure pour, une fois préemptés les quelques mètres qui séparent les parcelles les unes des autres, y installer des cheminements, déterminant une forme susceptible d’accompagner les développements de la ville. Ces chemins pourraient être accompagnés de fossés, autrefois présents, mais aujourd’hui disparus, qui permettraient de maîtriser l’écoulement de l’eau. Notre ambition est donc relativement modeste, quelques terrains pouvant évidemment s’adjoindre à ce tissu pour créer des espaces publics au départ rudimentaires, et constitués de prés, de vergers, voire de peupleraies qui, plus tard, la ville se densifiant, pourraient devenir de vrais espaces communs. Ce réseau de cheminements permet d’installer des structures paysagères, essentiellement boisées, renouant avec les séquences effacées qui assuraient la transition entre la ville et la campagne ouverte, dans une forme d’évidence et de familiarité encore observables en Allemagne ou en Belgique. Il s’agit bien de dizaines de kilomètres de vergers qui sont imaginés afin de mettre cette ville en situation dans son territoire, ou de l’y remettre, à une autre échelle. Ici encore, la gestion du temps est un facteur déterminant. Progressivement, au fur et à mesure de la croissance des végétaux et de la densification urbaine, certaines surfaces deviendraient des lieux d’activité. Des terrains de sports, de jeux, des équipements, des écoles viendraient s’installer dans ce tissu initialement modeste, et de véritables espaces publics verraient le jour.

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ISSOUDUN TERRITOIRE, ISSOUDUN

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On ne va pas inventer une ceinture, ou un rempart, à la ville. Il serait tout à fait insatisfaisant de se contenter d’une sorte d’écran périphérique censé distinguer la « vilaine » ville de la campagne. Ces lignes concentriques ou rayonnantes, mais aussi décalées, créent une ossature végétale, une structure de paysage, capable d’accueillir de nouveaux développements tout en donnant de la qualité aux habitations existantes. Les situations physiques de cheminements et d’adossements créées dépassent toujours l’échelle de la maison pour constituer des lignes d’horizon communes à tous les habitants. Le plan de paysage d’Issoudun est donc composé de vallées qui ont retrouvé une présence et sont redevenues accessibles au public. Une fois plantées, elles jouent le rôle d’unités géographiques principales dans la ville. Les parcelles périphériques choisies, avec leurs légers décalages, sont relativement dispersées, mais fabriqueront en perspective des surfaces ou des masses continues. Sans que jamais soit imaginé un chemin ou une ligne de ceinture qui exprimerait la fin d’une ville dont on voit bien qu’elle est vouée à s’accroître. D’où la création de lacunes entre les habitations existantes, des lacunes habitables. Le plan fonctionne selon une série de coulisses entre lesquelles il sera possible de circuler, et ménage des transitions riches et complexes entre le monde agricole tel qu’il est et le monde habité.

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CERGY-PONTOISE, FRANCE, 2006-2008

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Cergy-Pontoise, ville nouvelle créée dans les années 1970, est, tout comme ses homologues, considérée aujourd’hui avec un certain dédain. Méprisées, presque taboues, les villes nouvelles correspondent pourtant à un nombre d’habitants important en France surtout. Leur capacité de développement est très grande. La population actuelle de Cergy-Pontoise est de 185 000 habitants, et on peut facilement imaginer que, dans un futur relativement proche, ce nombre avoisinera les 350 000. La ville n’a été que pour partie construite, et sa faible densité induit un manque de lisibilité, d’où la commande portant sur un plan directeur de paysage. Le périmètre de la ville, indiqué par la ligne rouge, est de 53 km ; il est comparable à celui de la ville de Paris. Mais si l’on prend en compte la ligne de vis-à-vis entre les constructions actuelles (en gris) et le territoire agricole (en noir), on obtient un linéaire développé quatre à cinq fois plus important.

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De nouveau, le spectacle qu’offre ce territoire est celui, banal, de lotissements, de hangars et de centres commerciaux posés, sans préalable et sans aucune transition, dans le vaste paysage de l’agriculture extensive. L’objectif est encore ici d’installer des structures paysagères qui améliorent rapidement les qualités du site, mais créent aussi des situations, des opportunités pour le développement urbanistique futur. On ne cherche pas à dresser un improbable plan exhaustif et abouti, mais on imagine des sortes de prototypes, de catalyseurs du développement.

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CERGY-PONTOISE

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L’attitude que l’on adopte, face à cette ville qui s’est développée en archipel, avec des noyaux d’intensité mais aussi des vides, liés à un manque d’opportunités, s’oppose à celle de la plupart des urbanistes. On ne cherche pas à remplir ces lacunes pour gagner immédiatement en densité. En effet, le tissu généré par ces vides est intéressant. La situation peut être rapprochée des systèmes de parcs décrits ailleurs : cette ville possède ce que l’on pourrait appeler des continuités potentielles de paysage sur lesquelles il est possible de s’appuyer pour constituer une ossature. Il ne s’agit donc pas de combler ce système lacunaire, de le banaliser, mais de donner de la qualité à ses limites, d’intensifier les noyaux existants tout en conservant au tissu ses vides. Trois études de cas ont permis d’élaborer une approche générale. La première concerne un vallon, la deuxième porte sur la traversée de la ville par une autoroute, et la dernière concerne la rivière.

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Le vallon, qui est davantage un talweg, une grande clairière en dépression, avait une vocation horticole, dont il subsiste quelques fragments. La proposition consiste à créer, sur les traces des limites foncières de ces champs, qui peuvent être contrôlées institutionnellement, des structures de vergers et de cordons boisés. Ce paysage en « coulisses » constitue un cadre pour les lotissements actuels mais aussi pour les architectures à venir. Il compose surtout un tissu de chemins, promenades et prés communs. Ces espaces publics archaïques ancrent enfin ces quartiers dans la campagne tout en préfigurant ceux des développements futurs. Ainsi la transformation du paysage serait le préalable à l’invention de la forme de la ville.

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CERGY-PONTOISE

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La deuxième étude de cas concerne plus particulièrement l’univers du commerce. Cette fois l’échelle change. Nous sommes à l’entrée de la ville, le long de l’autoroute. Ce territoire ponctué de hangars est amplifié par des continuités forestières assez substantielles. Leur développement (en vert pâle) permet de créer des clairières dans lesquelles s’implantent les activités commerciales et artisanales. L’autoroute, tantôt traverse ces clairières, tantôt s’engouffre dans la forêt.

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Ce n’est pas un camouflage : l’infrastructure routière, tout comme les centres commerciaux, sont partie prenante du paysage imaginé, dont le dessin procède par observation et transposition. Les boisements projetés sont le produit de la manipulation de formes de forêts voisines, adaptées aux conditions spécifiques de ce site. Ce n’est ni la superposition d’une architecture exotique, ni la seule laborieuse couture des traces et des limites. Le travail de dessin, par cet étrange mimétisme miniaturisé, est la reproduction des pratiques qui ont façonné le grand paysage.

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CERGY-PONTOISE

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Troisième étude : la vallée, avec la très forte présence de l’eau. CergyPontoise a été créé dans une boucle de l’Oise, autour d’une base de loisirs. De superbes films d’Éric Rohmer (par exemple : « L’ami de mon amie » réalisé en 1987) ont été tournés précisément dans le cadre de cette ville liée à la rivière, à des étangs, à un paysage qui, s’il fut insuffisamment pensé par ses inventeurs, revêtait dans l’esprit des fondateurs des villes nouvelles une importance certaine. Il y avait probablement là le souvenir des cités-jardins anglaises d’Ebenezer Howard, voire même des systèmes de parcs américains du XIXe siècle. Paradoxalement aujourd’hui, les bords de rivière, comme la base de loisirs, ont été partiellement privatisés, et l’eau n’est plus accessible. La proposition consiste à installer le long de l’Oise une grande lagune produite par l’exploitation d’éventuelles gravières. Une rivière parallèle, en quelque sorte, lieu d’activités nautiques, favorisant l’établissement d’une structure paysagère entre la ville et l’eau.

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Ici encore, il s’agit d’un travail de substitution : les vergers implantés dans le parcellaire agricole s’étirent jusqu’aux zones inondables (en gris pâle sur le dessin du haut) vers le nouveau plan d’eau. Ceci permet de développer les quartiers construits, tout en les enracinant dans un paysage actuellement indéfini. La ligne de chemin de fer qui relie Paris à Cergy-Pontoise empruntera la digue séparant la rivière et la lagune et, tandis qu’aujourd’hui on devine à peine la présence de l’Oise, les voyageurs seront amenés, sur plusieurs kilomètres, à emprunter un itinéraire suspendu entre deux plans d’eau, jusqu’au cœur de la ville.

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CERGY-PONTOISE

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On pourrait voir dans ce projet à très grande échelle l’expression d’une vision mégalomaniaque du paysage. Pourtant, si l’on compare le système de parcs proposé avec ceux imaginés par Frederick Law Olmsted aux États-Unis au XIXe siècle, il est facile de réaliser que la proposition faite ici, au XXIe siècle, reste relativement timide par son étendue. La taille des aménagements proposés n’est cependant pas à l’échelle des parcs qu’une ville peut aujourd’hui entretenir. Aussi, la transformation de ce paysage pourrait-elle s’accompagner d’une évolution locale de l’agriculture. Les vergers et boisements, mais aussi les parcelles remaniées qu’ils délimitent, pourraient être le produit de nouvelles pratiques : redéveloppement du maraîchage, contribution au traitement de l’eau et production d’énergie. Grâce à la généralisation d’une micro-agriculture expérimentale, de véritables espaces publics et utilitaires peuvent se constituer. Fonctionnant comme des lieux de passage et d’échanges, de rencontre des techniques et des habitants, ils peuvent à terme composer, à l’image de certaines régions d’Europe où se mêlent ainsi les maisons et les cultures (en Belgique ou au Tessin, notamment), de beaux territoires. Beaux, non pas au sens forcément d’une qualité esthétique relevant du sensationnel, mais parce que la ville diffuse, lorsqu’elle sait accueillir ce mélange d’usages et de significations, peut s’ouvrir sur le grand paysage et la campagne industrielle, en s’assurant une formidable transition.

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GARE TGV, AVIGNON, FRANCE, 1994-2002 Il s’agissait d’organiser le territoire autour de la gare TGV. Le parcellaire conserve la trace des anciennes haies brise-vent qui suivaient les méandres du Rhône et de la Durance : réinterprétées, à une échelle différente, elles structurent, tout comme les allées de platanes, le nouveau paysage autour de la gare.

PARC DE LA THÉOLS, ISSOUDUN, FRANCE, 1993-1994 À Issoudun, un ensemble de jardins familiaux délaissés ont servi de prototypes. Pour des raisons pragmatiques, le parcellaire fertile et son système de pentes et de drainage ont été conservés. Il s’agit d’un travail de substitution, les cultures vivrières se transformant pour constituer la matrice d’un espace public. Bien que tout ait changé de nature, les habitants se sont immédiatement approprié cette petite horticulture en ville. 87

CHAMPS URBAINS SENS D’UN PARC DANS LA VILLE

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Summer Park, Governors Island, New York, USA 2 Cité Nature, Arras, France 3 Extension du parc de sculptures du Middelheim, Anvers, Belgique 1

CHAMPS URBAINS

Réaliser un parc urbain nécessite un temps long, pour des raisons de croissance évidentes. Des parcs dignes d’admiration, et qui évoquent une certaine nature – ceux d’Olmsted notamment – n’étaient à leur début que des décors en fabrication. Les images conservées révèlent des artifices désuets. Construire en ville amène à se heurter à une désynchronisation : les rythmes du paysage ne sont pas ceux de la constitution des quartiers bâtis. Le problème posé est celui de la création d’un jeune parc qui ait une présence immédiatement familière. Trois petits arbres maigrelets au milieu d’une pelouse n’évoquent pas un bosquet. Utiliser certaines techniques empruntées au monde de l’agriculture permet d’obtenir d’emblée un résultat physique cohérent. Certains états jeunes de paysages ruraux sont parfaitement acceptables, esthétiquement et architecturalement. Ceci n’est pas à rattacher à une connotation facile ou mièvre, qui renverrait à l’utopie de la « jolie campagne ». Il s’agit de créer en ville des lieux appropriables, beaux, joyeux, d’une manière rapide. L’ambition est de les rendre utilisables, significatifs, avec peu de moyens et dans des temps très courts. L’architecture imaginée, organisée à partir de densités variables, et de géométries familières, est susceptible de donner tout de suite un sens à ces espaces. Ces parcs sont aussi des lieux d’expérimentations possibles. La ville peut apparaître comme un réservoir culturel, où les expériences sont partageables, et propres à se diffuser. Les jardins botaniques ont de même cette vocation. Implantés dans les grandes villes, ils sont les laboratoires ouverts où des spécialistes mettent en œuvre des techniques observables par tous. À l’origine, ils étaient organisés selon une

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disposition systématique. À l’image de certaines structures agricoles, ces espaces sont immédiatement lisibles et compréhensibles. Si les périphéries de villes sont les lieux de mutations agricoles nécessaires, l’expérimentation est un préalable indispensable à la définition, l’élaboration et la mise au point d’une micro-agriculture. Il ne s’agit pas d’une fascination pour le grand thème contemporain du développement durable, ni d’une réponse à l’affolement généralisé face à la nécessité de sauver la planète. La question n’est pas d’opposer à la panique un système de rédemption. Ces « champs urbains » sont les lieux privilégiés de diverses recherches : traitement et stockage de l’eau, des déchets, production d’énergie, fertilisation des sols, recyclage, compostage etc. Il existe, du point de vue agricole, de nombreux lieux d’expérimentation : les instituts de recherche agronomique notamment. Mais, parce que les parcs urbains sont accessibles au plus grand nombre, ils sont des lieux formidables d’apprentissage, de connaissance, de vérification. Cette « agriculture publique » diffère profondément de l’agriculture productive. Elle permet d’amener en ville un type d’espace public évocateur, qui éventuellement est susceptible de déclencher des pratiques sociales ludiques, renvoyant à ce nouveau type de jardins partagés qui se développent en Europe. L’ambition majeure sous-tendant la création de tels parcs urbains est d’abord esthétique, puis scientifique. Les espaces urbains produits, constitués à partir de microboisements, sont les lieux où peuvent se croiser et se superposer les expérimentations agricoles et forestières. Utiliser les références agricoles est devenu une pratique de paysagiste courante. Pourtant, l’expérience fait défaut. Les techniciens du monde des

CHAMPS URBAINS

jardins ne sont pas préparés à ce type de proposition, en terme de densité notamment. Alors que dans d’autres domaines, les recherches techniques nourrissent sans cesse la création, cette dimension fait défaut concernant le paysage, dans ses développements et applications. Les parcs urbains sont tout désignés pour renouer avec cette tradition expérimentale de l’art des jardins, et ne répondent pas seulement à une fonction hédoniste et consumériste.

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SUMMER PARK, GOVERNORS ISLAND, NEW YORK, USA, 2007

1 Quel sens donner aujourd’hui à un parc créé en ville ? À quels usages renvoie-t-il ? Quel rapport un parc entretient-il avec la nature ? Ces questions sous-tendent la réflexion menée à Governors Island qui, non loin de Manhattan, est une île urbaine, destinée à une population d’urbains. Quelles raisons pourraient amener les habitants de New York à privilégier un séjour dans cette île, quelles raisons pourraient les conduire à y revenir, à fréquenter ce lieu ? À quelle fonction ce parc pourrait-il correspondre ? Il s’agit avant tout de s’interroger sur sa nature.

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SUMMER PARK, GOVERNORS ISLAND, NEW YORK

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Governors Island est historiquement la résidence des gouverneurs britanniques de New York. La surface de l’île est importante (1,5 km x 800 m), et Summer Park s’étend sur une superficie non négligeable (1 km x 700 m).

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Pour autant, il ne s’agit pas d’un espace gigantesque, ce qu’on peut vérifier en établissant des comparaisons simples avec, d’une part, Central Park à Manhattan, et d’autre part le jardin du Luxembourg à Paris. Summer Park, de fait, se rapproche beaucoup plus de ce dernier en terme d’échelle, et ne correspondrait qu’à une seule des prairies de Central Park. La question du caractère de ce lieu se pose : beaucoup plus que d’un parc, il se rapproche par ses dimensions d’un jardin. Le projet s’est ainsi orienté, non pas vers l’idée de la mise en place d’une fausse nature à contempler, d’une manière passive, mais vers l’invention d’un lieu de pratiques, d’activités et d’échanges.

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SUMMER PARK, GOVERNORS ISLAND, NEW YORK

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Créer une nature artificielle, un décor, nécessiterait ici, sur ce terrain qui est un remblai pauvre, l’apport de grandes quantités de terre, ce qui est écologiquement absurde. Il s’agit au contraire de mettre en œuvre à Summer Park des techniques immémoriales utilisées notamment sur le sol américain, comme par exemple le compostage et la rotation de cultures. On sait que certaines de ces pratiques permettent de dépolluer les sols, de les fertiliser. La proposition consiste à donner de la qualité au site sans le bousculer. Il ne s’agit pas d’imaginer de grands mouvements de terre, mais de travailler cette terre, par des techniques économiques.

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En faisant appel à ces pratiques agricoles rudimentaires, Summer Park prendrait immédiatement un sens et une cohérence, ainsi qu’une qualité architecturale familière et ludique. Le résultat acquérrait d’emblée la signification d’un espace physiquement praticable et compréhensible.

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SUMMER PARK, GOVERNORS ISLAND, NEW YORK

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Les jardins botaniques ont toujours eu le rôle d’acclimater des espèces, des essences, de développer des expériences qui ensuite se sont largement diffusées. Summer Park, de la même manière, peut avoir cette vocation. Il est en effet urgent et indispensable de transformer nos pratiques des sites urbains et périurbains en voie de mutation. Les sols peuvent être valorisés, requalifiés, fertilisés, simplement en faisant appel à des techniques agraires ancestrales. La gestion de l’eau est un deuxième point important qui peut recevoir à Governors Island un certain nombre d’applications simples et pertinentes. Dans ce jardin, pourrait donc être mise en place une structure permanente de canaux, de bassins, de chenaux, de marais, d’étangs, oxygénés et filtrés par des plantes, mais aussi par des mouvements d’eau.

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Le caractère spécifique du site, zone d’échanges entre l’eau de mer et l’eau douce, favorise la genèse de toute une flore et un milieu vivant variant selon le degré de salinité. Cela permet de comprendre un certain nombre de mécanismes observables dans d’autres régions du monde. Governors Island peut aussi être le laboratoire vivant d’expérimentations conduites autour de la production d’énergie en zone urbaine par le biais de certaines cultures pouvant constituer des biocarburants efficaces. Summer Park, en regroupant ces expériences, peut être à l’initiative d’un changement des pratiques sur le territoire américain.

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SUMMER PARK, GOVERNORS ISLAND, NEW YORK

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La mosaïque des prairies et des canaux d’irrigation est immédiatement spectaculaire et familière. À cette mosaïque se superpose toute une stratification de couches, de sens, de nature et de rythmes différents.

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Le temps du paysage se compte en décennies, ou en siècles. Mais il est nécessaire que quelque chose se passe, très vite, afin que les « habitants » du jardin, ou du parc, puissent se l’approprier. Simultanément, il s’agit ainsi de définir la structure spatiale par le biais des boisements. Partant de la grille de Jefferson qui définit le plan des villes et du territoire américains, et que chacun a éminemment présente à l’esprit s’agissant de Manhattan, on a établit une matrice qui fonctionne également comme stratégie de développement.

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À partir de cette grille, de cette matrice, sont définis des lieux de boisement de densité variable, accueillant des pleins, des vides, mais aussi, ce qui est une partie intégrante du projet, les nombreux bâtiments et infrastructures sportives et de loisirs qui vont être construits sur Governors Island. À l’exact opposé de Central Park, qui est un morceau de nature contenu dans une grille, Summer Park étend sa grille à la totalité du site, et assure à l’ensemble sa cohérence. Cette grille ne s’impose pas d’une manière visuelle stricte, puisqu’à terme, ses contours sont voués à s’estomper, voire à disparaître.

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SUMMER PARK, GOVERNORS ISLAND, NEW YORK

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Summer Park est ainsi l’occasion de mettre en œuvre diverses strates d’expérimentation, lisibles et appropriables par tous, liant les rythmes de la vie urbaine à ceux de la nature au travers d’une structure paysagère directement inspirée des procédés et vocabulaire agricoles. Ces propositions pourraient être développées, notamment aux ÉtatsUnis, pour remédier au problème critique du très grand étalement urbain, pour recréer une densité et réinventer une qualité à ces immenses franges où se juxtaposent sans transition des lotissements gigantesques et les territoires sans fin de l’agriculture industrielle extensive. Ce projet a été développé simultanément à des études de vastes territoires périurbains : plaine du Var, Issoudun, Cergy-Pontoise. Une même nécessité anime ces démarches parallèles. La généralisation d’une micro-agriculture expérimentale peut constituer de véritables espaces publics et utilitaires, lieux de passage et d’échanges, de rencontre des techniques et des habitants. Le parc en ville – la ville – deviendrait le refuge du redéploiement d’une culture, et le jardin un laboratoire au service du territoire.

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CITÉ NATURE, ARRAS, FRANCE, 2001-2005 La reconversion d’une usine en musée de l’agroalimentaire, à Arras, par Jean Nouvel s’est accompagnée de la création d’un jardin. Un personnel scientifique y réinvente en permanence des expérimentations pédagogiques.

EXTENSION DU PARC DE SCULPTURES DU MIDDELHEIM, ANVERS, BELGIQUE, 1998-2000 Cette extension d’un vaste parc destiné à abriter une collection de sculptures a pris la forme d’un grand verger. Les densités variées et les situations spatiales contrastées qu’il propose évoquent un paysage familier. Visiteurs et artistes investissent cet espace en devenir.

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TRANSPOSITIONS UN SYSTÈME D’EMBOÎTEMENTS ET D’ÉCHOS

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1 Dallas Center for the Performing Arts, Dallas, USA Reconversion de l’Île Seguin, Boulogne-Billancourt, France 3 Reconversion du Vieux Port de l’Eilandje, Anvers, Belgique Kattendijkdok, Anvers, Belgique 4 Aubervilliers Campus, Aubervilliers, France 5 Almere, Pays-Bas 2

TRANSPOSITIONS

Les villes contemporaines créent des situations nouvelles où il n’y a pas grand sens à reconduire des modèles connus. La matière ample qui les compose, au-delà des centres historiques, juxtapose des formes multiples, les volumes bâtis déterminant des vides sans définition précise. On pourrait être tenté de donner à ces espaces une structure référencée, donc rassurante. Souvent pourtant on se contente d’une écriture contemporaine, qui « fait signe », sans prendre la peine de s’interroger sur la pertinence de cet effet de mode. Dans ces situations complexes, parfois surprenantes (différences de niveaux, de formes, de vis-à-vis), ne pourrait-on pas jouer avec des qualités spatiales, paysagères, pour inventer un espace public fondé sur les singularités de cet héritage récent ? Comme dans tout exercice lié au paysage, il s’agit de repérer pour mieux la mettre en évidence une beauté potentielle dans ce qui existe. Le terme d’« embellissement », que l’on utilisait au XIXe siècle sans y mettre d’intention péjorative – en parlant des places et autres lieux urbains – est depuis longtemps déjà devenu synonyme d’un travestissement de complaisance. Bien des architectes et des paysagistes transportent des stéréotypes qu’ils appliquent d’un bout à l’autre de la planète comme autant de « produits » à valeur universelle. Les lieux sont pourtant rarement entièrement interchangeables : un minimum de sens critique permet de s’en rendre compte, d’éviter de les grimer et de les galvauder. L’aménagement de l’espace public relève-t-il de l’art du décorateur ? Sa qualité ne dépend-elle pas plutôt de l’architecture mais aussi du temps du paysage qui va de pair avec des notions de pérennité, de puissance et de durabilité ? Idéalement, la révélation d’un site renverrait à quelque chose de comparable à ces places de villes en Ombrie, sobrement revêtues de briques (parfois aujourd’hui d’asphalte), et qui sont mises en situation d’une manière extraordinaire dans leur environnement, grâce à la

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façon dont elles sont orientées et dont on a ménagé des dénivelés et dessiné les tracés d’écoulement des eaux. Tout ceci ne procède pas d’un à priori minimaliste, mais d’un goût pour l’évidence. L’idée est de restituer à l’espace public son caractère de sol commun, de socle sur lequel s’est construite la ville. On peut imaginer que sur ces sites élémentaires, non maquillés, on laisse suivant les modes se poser successivement divers types d’objets. Mais il est difficile de se satisfaire réellement de cela. Il est souhaitable d’anticiper sur ces accumulations aléatoires en créant d’emblée les conditions essentielles d’usage et d’aménagement des lieux. Les espaces publics contemporains, à l’image de ces sites italiens médiévaux et renaissants évoqués, prennent une qualité immédiate lorsqu’ils sont mis en relation avec un contexte géographique plus vaste. La ville classique de Versailles s’est ainsi constituée, au XVIIe siècle, en référence au jardin imaginé par Le Nôtre, qui lui-même « intériorisait » l’ancien bois de chasse des rois de France. Certaines visions du XIXe siècle (les créations d’Olmsted) sont de même profondément enracinées dans un plus vaste paysage, désormais transformé. Nos espaces publics peuvent aussi jouer avec leurs qualités physiques immédiates, en lien avec leur environnement. Il s’agirait ainsi de retrouver une échelle, une logique qui, empruntée à un ample territoire, permettrait de donner des racines à des espaces plus réduits. La place d’Almere se lie au monde des parkings souterrains, avec leurs émergences, imaginés par OMA – Rem Koolhaas, mais, confrontée au lac, elle adopte un profil concave comme une plage rassurante, depuis laquelle la vue s’étend sur le lointain. Les bosquets imaginés sur cette place sont par ailleurs une transposition miniaturisée de ceux qu’Alle Hosper a créés sur l’autre rive. Ce paysage plus vaste, lui-même produit par un artifice, est à son tour intériorisé, et la relation se tisse naturellement entre les deux espaces.

TRANSPOSITIONS

Cette place, très inspirée de la piazza Beaubourg, est le premier espace public conçu aux Pays-Bas presque uniquement à partir d’une surface en stabilisé. Ce sable compacté, tel le sol durci d’un polder, est débarrassé de tout motif décoratif. L’idée qu’un site ne pourrait faire l’objet que d’un seul type d’aménagement « légitime » n’a aucun sens. L’utilisation de pentes artificielles, qui à Almere trouve sa justification dans le fait que la ville est construite sur un polder, relève d’une décision que l’on peut prendre aussi, toutes choses égales par ailleurs, dans d’autres cas. On peut ainsi bousculer la topographie sans céder aux stéréotypes mais tout en restant dans la logique d’une situation nouvellement créée pour rendre plus de visibilité au site lui-même.

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DALLAS CENTER FOR THE PERFORMING ARTS, DALLAS, USA, 2004-2009

1 Le Art District de Dallas regroupe plusieurs équipements culturels, notamment un théâtre réalisé par Rem Koolhaas, un opéra dessiné par Norman Foster et une salle philharmonique conçue par Ieoh Ming Pei. Les commanditaires désiraient donner à ce quartier une identité paysagère globale. Le stéréotype de la place européenne, lieu de rencontre « convivial » d’une population attirée par la culture, était très présent dans tous les esprits. On pouvait imaginer aussi transformer cet espace en une sorte de campus à l’américaine, sur le modèle de ceux de Harvard ou de Philadelphie, dont la place serait un des éléments. Mais cette vision, issue du XIXe siècle, était ici sans fondement, et en plus de cela, les modes de financements actuels ne permettent plus de mettre en œuvre ce type de réalisation. Pour autant, il s’agissait bien de proposer une cohérence à ce quartier. Un quartier typiquement américain, situé en rive des infrastructures d’une ville marquée par l’emprise de la grille de Jefferson, mais aussi par une utilisation brutale du sol.

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DALLAS CENTER FOR THE PERFORMING ARTS, DALLAS

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Ce qui caractérise cet espace, ce sont principalement de grands parkings bitumés, un vaste socle minéral sur lequel sont posés des objets en voie de transformation, selon les opportunités économiques et leurs rythmes aléatoires. Le projet est parti de l’idée qu’édulcorer, pour essayer de la rendre acceptable, la beauté rude de ce lieu était un non-sens. Il y a une grande évidence dans le processus de constitution et de transformation de cet espace, et c’est en jouant d’une manière métaphorique avec ces qualités latentes qu’il est possible d’imaginer une typologie nouvelle, intermédiaire.

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On s’est inspiré ici du jeu de cartes inventé par Charles Eames. En imbriquant les cartes entre elles, les enfants fabriquent des formes d’architectures et de quartiers, selon un mode de construction orthogonal, élémentaire, mais dans une diversité de textures et une richesse aléatoire qui évoquent le caractère vivant d’une ville. De la même manière, on peut trouver quelque chose de ludique, simple, enfantin qui sous-tend la structure de ce quartier de Dallas. Ordonnancer cet ensemble, figer ses processus occulterait immédiatement cette sorte de beauté naïve dont la qualité tient encore une fois à l’évidence de sa construction.

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DALLAS CENTER FOR THE PERFORMING ARTS, DALLAS

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Tout ici étant mobile, au gré des opportunités financières et des désirs culturels, une composition préétablie de l’espace public imaginé n’aurait aucun sens. Il était possible non seulement de transposer l’image physique du quartier, son mode de constitution, mais aussi de prendre en compte les processus de décision à l’œuvre. Une maquette-puzzle a été élaborée avec comme base le grand socle minéral neutre, sur lequel venaient prendre place un certain nombre de composants, avec la possibilité de débattre de la localisation, de la proportion et de l’affectation de ces éléments. Ces composants sont des jardins, jeux de textures végétales ou aquatiques. Ce sont des surfaces rectangulaires à l’image du jeu de cartes de Charles Eames. Ces sortes de tapis se superposent à différentes strates du socle et répondent à des nécessités d’accès, d’organisation des usages et de contrôle de la lumière.

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DALLAS CENTER FOR THE PERFORMING ARTS, DALLAS

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Ce « kit » juxtaposant des pièces orthogonales, des portions de plateaux et des jardins sommaires, a été effectivement accueilli avec humour par les commanditaires comme un projet possible, l’intérêt étant que ces plaques pouvaient se recombiner au fur et à mesure des échanges et des concurrences éventuelles. L’espace public ainsi créé miniaturise donc aussi les jeux de pouvoirs, induisant des déplacements parfois infimes, ou plus importants. Ce que n’aurait pas permis une composition préétablie.

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DALLAS CENTER FOR THE PERFORMING ARTS, DALLAS

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Le socle de béton rude qui constitue la trame du quartier accueille une multitude d’éléments précis, traductions d’une nature artificielle, végétale, aquatique ou minérale. Ces jardins sont les lieux habitables de l’espace public, sortes d’oasis atténuant l’épreuve que constitue le climat du Texas. Ce sont les lieux où l’on se tient et où l’on circule : prairies, gradins, rampes, bassins, lieux de performance et aussi accès aux parkings souterrains. Des tapis glissent ainsi sur le sol neutre, dans une rigueur essentielle qui révèle plutôt que de la dissimuler la rudesse primordiale. C’est de l’observation des mécanismes urbains à l’œuvre qu’est né le projet, et l’évidence du jeu a permis le jeu.

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RECONVERSION DE L’ÎLE SEGUIN, BOULOGNE-BILLANCOURT, FRANCE, 2000-2007

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Le projet mis en œuvre à l’Île Seguin a des parentés très perceptibles avec celui de Dallas. La commande consiste ici à définir les modalités de composition, le caractère et le langage des espaces publics. Il ne s’agit pas de dessiner un plan de masse d’une précision définitive : les programmes à venir ne sont pas tous déterminés. Seules les emprises constructibles ont été définies, et de nombreux aléas sont à prévoir dans la réalisation des îlots. L’espace public ne peut donc pas être envisagé d’emblée comme un espace figé. La charte imaginée est conçue comme un processus de conception susceptible d’accompagner les mutations futures.

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L’Île Seguin est une île artificielle sur laquelle était installée l’usine Renault. Elle est une fondation au sens littéral. L’implantation des anciennes structures a donné lieu à la construction d’une puissante terrasse de béton, creusée d’immenses fosses correspondant aux anciennes presses de l’usine. De cette dernière, il ne reste rien à l’heure actuelle, aucun vestige, si ce n’est ce soubassement, originellement posé sur une forêt de poteaux. Obsolète, l’ensemble nécessite une reconstruction intégrale. On a essayé d’éviter deux écueils : le romantisme de la reconquête de l’usine par la « bonne » nature qui viendrait en effacer les traces, et à l’inverse la tentation néo-archéologique qui consisterait à succomber à une forme de fascination passive pour le passé industriel du site.

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RECONVERSION DE L’ÎLE SEGUIN, BOULOGNE-BILLANCOURT

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Partant des plans successifs de ces structures, les superposant dans les différents états qu’ils ont connus à travers le temps, le projet devient presque un jeu plastique. La « radiographie » de l’ensemble des composants originels conduit à l’élaboration graphique d’un système de pleins et de vides, dont la cohérence naît de l’observation et de la manipulation revendiquée, le résultat esthétique répondant bien sûr aux données du programme. Celui-ci comprend des emprises constructibles, des surfaces pour circuler, des espaces où se tenir, qui se doivent d’être accueillants. L’idée est de conjuguer toutes ces nécessités dans un ensemble unitaire.

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Après une longue phase de dessin, le projet, produit de l’intégration et de la reformulation des traces anciennes, se constitue autour d’un nouveau socle, d’une terrasse-jardin percée de creux de différentes profondeurs. Comme à Dallas, une dalle minérale sert de support à l’ensemble du site. Dans sa beauté abstraite et sa rudesse, réinterprétations sans nostalgie de ce qui fut, elle détermine des emprises constructibles sans préjuger de la forme des futurs bâtiments. Un grand mur de soutènement et une nouvelle forêt de pieux supportent ici ce socle. Ces éléments tirés d’un passé réinventé sous-tendent, du seul fait de la richesse de leur texture, la reconversion du site dans sa nouvelle écriture.

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Ce jeu de jardins creux, parfois véritables fosses, pour certaines inaccessibles, ou au contraire pratiquement affleurants, permet d’écarter la typologie des rues avec leurs bordures et trottoirs, et même leur mobilier urbain. Il cadre de lui-même les surfaces où l’on circule, où l’on se gare, et celles où l’on marche sur cette terrasse artificielle.

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Les jardins composent entre eux une sorte de petite architecture également artificielle, bien que leur matière soit composée d’éléments naturels. Il s’agit d’une miniaturisation de nature éminemment contenue, mais autorisant des juxtapositions et des accumulations, par le biais des phénomènes de croissance et de concurrence.

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Les sous-bois reconstitués, plus ou moins éclairés selon leur enfouissement et la proximité de bâtiments, sont composés de fougères et de graminées. Ce sont des niches dans lesquelles on peut parfois descendre et se perdre, des fosses que l’on contemple et au bord desquelles on s’assoit.

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Leur multitude, leur diversité et leur richesse créent des situations de paysages accueillantes, mais dont la beauté tient aussi au caractère d’abstraction. On ne dispose d’aucun indice – mobilier urbain ou éléments de voirie stéréotypés – pour comprendre l’échelle de tel ou tel lieu, ce qui donne à cette « terrasse-jardin » insulaire une sorte de démesure. À Dallas comme à l’Île Seguin, il s’agit de constituer des espaces publics liés à des institutions culturelles, et répondant à des typologies mixtes combinant places et jardins. Les systèmes imaginés ne participent pas d’une forme de contextualisme, et moins encore de l’importation de modèles exotiques. Leur création est née de l’observation de mécanismes urbains plus ou moins anciens qui, détournés par un travail plastique, tendent à une forme d’abstraction.

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RECONVERSION DU VIEUX PORT DE L’EILANDJE, ANVERS, BELGIQUE, 2001-2004 KATTENDIJKDOK, ANVERS, BELGIQUE, 2006-2008 La volonté était de conserver le caractère spécifique de ces grands quais. Seuls 15 % de la surface sont hypothéqués par l’apport d’une présence végétale, mise en perspective par le biais d’un système de blocs ou de coulisses. L’ensemble conserve la démesure originelle tout en créant un espace public singulier alternant places et jardins.

AUBERVILLIERS CAMPUS, AUBERVILLIERS, FRANCE, 2006-2007 Cet ancien port fluvial au nord de Paris a permis le développement d’un vocabulaire similaire. Il a été l’occasion d’expérimenter cette construction singulière de l’espace public. Dès leur plantation, les arbres ont une présence, malgré l’étendue du site, et déterminent des lieux immédiatement lisibles.

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ALMERE, PAYS-BAS, 2000-2005 Cet espace public urbain est dans une situation de plage, liée à sa géographie et à sa position face au lac et aux horizons lointains. La proposition, atypique, consiste à installer sur les pentes de cette place de petits jardins qui, paradoxalement, sont les lieux où sont rassemblées toutes les fonctions.

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1 Ministère de la Culture, Paris, France Utrecht Centraal Museum, Utrecht, Pays-Bas 3 Square des Bouleaux, rue de Meaux, Paris, France 2

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Certains sites urbains sont presque abstraits, car détachés de leur contexte. Dans des situations de dalle, de cour, la quête d’un ancrage territorial est parfois vaine et absurde. L’introduction d’un milieu « vivant », riche, cohérent, spectaculaire, est à même de donner un sens à de tels isolats. Il s’agit d’un exercice particulier, localisé. Ici, la forme du paysage s’estompe entièrement au profit de la richesse de sa matière, de sa texture. Généraliser l’idée d’un recours à ce mode de composition informel serait bien sûr une aberration. La réponse consistant à utiliser le végétal comme milieu est une réaction face à un cadre introverti fort, dont il est ainsi possible de gommer ou d’étendre les limites. Dans le cas du jardin du Ministère, mais aussi dans celui de la rue de Meaux ou d’Utrecht, les projets imaginés se situent presque « hors du monde ». Dans ces lieux aux contours extrêmement contenus, contraignants, installer un milieu naturel répond à des raisons esthétiques et architecturales. Cette exploration donne accès à une multitude de possibilités plastiques, riches et complexes. Le sens de notre travail, son apport, porte sur la composition de textures, de transparences, de lumières, de densités, perméabilités, et ne renvoie à aucune idéologie. On peut d’ailleurs faire des comparaisons avec ce qui a pu se produire dans le passé, avec l’introduction puis l’acclimatation par Jussieu, Linné, Buffon, de certains végétaux. Ceux-ci se sont développés jusqu’à devenir une dominante dans notre environnement. Les pratiques qui ont découlé de ces apports sont des pratiques de collectionneur : tels des objets choisis dans un catalogue, on superpose sans état d’âme cèdres, sapins bleus et magnolias. Mais on aborde rarement la question du sens donné à ces milieux vivants. Aujourd’hui on peut imaginer l’installation de paysages susceptibles d’anticiper sur les contraintes futures (les changements climatiques notamment).

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On ne peut se satisfaire de la facilité du collage gratuit, dans le domaine du paysage comme dans celui de l’architecture. L’outil informatique permet de juxtaposer n’importe quelle image avec une autre, sans qu’elles aient entre elles aucun rapport. La cohérence des milieux vivants que nous imaginons, leur degré d’élaboration, nous éloigne de cette gratuité. Le jeu que nous proposons avec le milieu vivant est avant tout un jeu avec la matière, d’ailleurs réinterprétée, à partir de laquelle nous constituons une architecture. La réflexion de divers botanistes, et l’air du temps, ont entraîné d’autre part un changement du regard porté par les paysagistes et la société sur le monde végétal. Ce qui, depuis toujours, était considéré comme des mauvaises herbes sans qualité, peut éventuellement accéder, aujourd’hui, à un statut d’œuvre, dans l’art des jardins. Il s’agit là d’une grande évolution. On peut toutefois se poser différentes questions quant à ces pratiques. Un paysage de friche par exemple, possède à grande échelle des qualités visuelles, plastiques, qu’il est difficile de miniaturiser. L’importation « à l’identique », tout comme l’hyper-concentration de ces plantes dans un petit espace, est esthétiquement insupportable. Nous avons tous une connaissance empirique de la vraie nature, et l’artifice littéral auquel nous sommes alors confrontés, en termes de proportions, de densité, n’évoque pas le paysage de référence. Patrick Blanc, avec la grande connaissance du milieu vivant qui est la sienne, développe dans ses jardins verticaux des inventions magnifiques. Notre collaboration, dans le cadre du jardin du Ministère de la Culture, s’est nourrie de son savoir de botaniste. En tant que paysagistes, ce que nous pouvons apporter est un travail de composition qui puisse faire disparaître divers artifices liés à la juxtaposition de zones, de « tâches » végétales. En mimant ce qui peut exister dans la nature, en organisant les strates, les densités, les textures, nous transposons certains volumes, certains

LE VÉGÉTAL COMME MILIEU

espaces qui, miniaturisés par nos moyens plastiques, permettent d’estomper les limites entre les composants. À rebours des jardins de Roberto Burle Marx, et même d’Isamu Noguchi, il s’agit d’escamoter les artifices de composition par la miniaturisation de milieux vivants, en l’état actuel de nos moyens et perceptions. Il s’agit d’un travail de composition atypique.

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MINISTÈRE DE LA CULTURE, PARIS, FRANCE, 2001-2004

1 Ce petit jardin expérimental, réalisé pour le Ministère de la Culture, à Paris, a été imaginé avec le botaniste Patrick Blanc. Il prend place dans une cour très profonde, que la lumière directe n’éclaire que faiblement. Les végétaux endémiques, susceptibles de survivre à ces conditions, et que l’on pourrait installer dans cet espace, seraient ordinairement d’une grande pauvreté de texture, de couleur. Patrick Blanc est parti de l’hypothèse que ce contexte, par ses contraintes de lumière et de température, correspondait à des conditions similaires à celles qu’on trouve dans les sous-bois des forêts australes d’altitude. Ces milieux offrent une très grande richesse et diversité végétale.

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On a eu l’idée d’adapter et de miniaturiser l’une de ces forêts dans cette petite surface : une jardinière de 170 m2 comprise dans une cour plus vaste. Sur douze strates, 1 000 plantes correspondant à 100 espèces différentes, retenues par le botaniste, sont venues prendre place.

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Quelle est la nature de l’intervention paysagère ici ? Il s’agit en premier lieu de comprendre que si, à l’échelle d’un vaste territoire, la coexistence de ces nombreuses essences présentant des textures, des couleurs et des matières très différentes, possède une cohérence, leur concentration dans un petit espace serait relativement incohérente et esthétiquement choquante. Le travail a donc consisté en une sélection opérée dans la liste proposée par le botaniste, sélection permettant d’envisager des transitions afin que l’ensemble soit à la fois lisible et acceptable. Des arbres de différentes tailles, des arbustes, des herbacées, des fougères arborescentes etc. ont été choisis puis ont fait l’objet d’un travail de composition. Il s’agit bien ici de sculpter dans la masse végétale, strate par strate, à partir de dessins extrêmement précis. Si les développements aériens des plantes sont soigneusement pris en compte, leurs racines s’enfouissent bel et bien dans le sol, couvert de 70 cm de terre. Les plans montrent la dimension technicienne de cette composition, qui propose un résultat naturaliste. Le sol, les techniques d’irrigation, comportent d’importantes nuances répondant aux besoins spécifiques de telle ou telle plante. Le très grand artifice utilisé ici procure l’illusion d’un milieu vivant, riche et complexe. Cette expérience atypique, qui associe un botaniste, des paysagistes et des techniciens, est toujours en cours. Il s’agit d’une forme d’expérimentation scientifique.

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Cette composition miniaturisée d’un milieu vivant relève véritablement d’une approche paysagère et d’un travail sur la matière végétale. La richesse botanique n’induit évidemment pas à elle seule la beauté. La qualité du résultat, fruit d’une connaissance scientifique alliée à une recherche plastique, tient à la cohérence du milieu vivant obtenu. Chaque mètre cube de cette matière propose des variations de textures, de floraisons, et offre des émotions visuelles riches et cohérentes. En aucune manière, il ne s’agit ici de l’avatar d’un jardin botanique conçu dans un but didactique. La connaissance botanique est employée à des fins délibérément esthétiques, servies par des moyens techniques adaptés.

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Est-il concevable d’imaginer une telle expérience à grande échelle ? Il existe aujourd’hui une pensée écologiste politique selon laquelle il serait de bon ton de revenir à la végétation locale, endémique, « légitime », au détriment d’espèces « exotiques ». Outre que la dimension anthropomorphiste de ce type de réflexion renvoie à un certain nombre d’idéologies dangereusement connotées, il est nécessaire de dénoncer son inanité : les végétaux présents à l’heure actuelle dans nos pays n’ont plus grand chose à voir avec ceux qui existaient au XVIIe siècle. De très nombreux brassages ont depuis bien longtemps entraîné la juxtaposition et la coexistence, dans un même jardin, mais aussi dans les forêts, de plantes provenant de milieux extrêmement divers et éloignés, originellement, les uns des autres. L’écueil à éviter reste encore une fois le même : la cacophonie plastique. En effet la beauté d’un paysage tient à la cohérence qu’il est possible de lui inventer, et non à l’accumulation irréfléchie d’essences. Le petit jardin du Ministère de la Culture permet d’amorcer une réflexion sur le travail de la matière et de la profondeur. Il s’agit bien d’un paysage, miniaturisé, riche par la diversité des sensations qu’il procure. Ce résultat, obtenu par la maîtrise conceptuelle des connaissances botaniques, est susceptible d’être appliqué à de vastes parcs ou boisements, et ouvre des perspectives esthétiques. 147

UTRECHT CENTRAAL MUSEUM, UTRECHT, PAYS-BAS, 1998-2000 Le budget très réduit induisait un traitement élémentaire pour ce jardin. La matière se résume à un jeu entre les graminées libres et le gazon tondu. Cette dialectique minimale suffit à installer une architecture sur cette petite parcelle.

SQUARE DES BOULEAUX, RUE DE MEAUX, PARIS, FRANCE, 1989-1992 De nouveau, l’idée dans cette petite cour parisienne de 24 x 60 m au cœur d’un immeuble conçu par Renzo Piano, est d’instaurer un jeu entre la matière vivante et l’artifice. 110 bouleaux sont plantés sur un couvre-sol continu. Le végétal est utilisé pour évoquer un milieu forestier, avec sa matière, ses textures. L’objectif, dans ce projet d’une écologie sommaire, est avant tout esthétique.

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Walker Art Center, Minneapolis, USA 2 Keio University, Tokyo, Japon

UN PAYSAGE DIFFÉRÉ GILLES A. TIBERGHIEN Il y a un indéniable caractère d’expérimentation dans le travail de Michel Desvigne et cela tient sans doute beaucoup aux premières années de sa formation scientifique alors qu’il étudiait les sciences naturelles avant de passer le concours de l’École de Versailles pour devenir paysagiste. Ce n’est pas tant l’étude des plantes qui l’a d’abord intéressé que l’évolution des organismes vivants, la formation des reliefs, l’équilibre des milieux. Mais plus encore ce sont les procédures mises en œuvre dans ces disciplines qui l’ont durablement marqué. Le paysage est devenu un laboratoire où vérifier un certain nombre d’hypothèses instruites par le savoir acquis, la compétence des ingénieurs agronomes, la science des hydrologues, les projections des urbanistes etc. Le paysagiste est un sémiologue doublé d’un herméneute : il sait découvrir les signes, les déchiffrer et les interpréter. S’il n’était que cela cependant il serait un bon observateur, capable de comprendre l’histoire de la formation des paysages. Mais Desvigne est aussi un homme de projet mettant sa capacité d’analyse au service de la transformation des réalités qu’il observe. Comment les transforme-t-il ? En leur donnant une lisibilité. Comment les rend-il lisibles ? En les redessinant, en retrouvant leurs charpentes, en s’appliquant tout d’abord, comme le disait justement Baudelaire de Corot qu’il admirait, « à tracer les lignes principales d’un paysage, son ossature, sa physionomie. »1 C’est en cela que l’appellation même de paysagiste – qui en bonne langue voulait dire exclusivement « peintre de paysage » et ce jusqu’à une date très récente – est en fait particulièrement justifiée si l’on en profite pas aussitôt pour valoriser n’importe quel flou réputé artistique.

1. Charles Baudelaire, « Le Peintre de la Vie Moderne » Œuvres Complètes, Paris,Gallimard, Pléiade, 1961, p. 1166.

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Le dessin de paysage est une question importante. Je ne parle pas seulement du débat qui existe entre les partisans des logiciels informatiques et les tenants du tracé manuel. Je parle du type de dessin qui en résulte même s’il me semble que sans mener un combat d’arrière garde et récuser d’utiles avancées technologiques il est difficile de faire la totale économie de la main. Le dessin a une fonction à la fois descriptive et analytique – c’est un instrument de visibilité qui permet de comprendre comment le paysage est fait. Mais il a en même temps une fonction constructive puisqu’en la dévoilant il crée la chose même qu’il dévoile. À charge au paysagiste de prolonger son geste vers une zone d’anticipation qu’il n’appartient qu’à lui de comprendre mais qui, si elle est vraiment rendue visible, finira par s’imposer à tous. Les dessins de Desvigne sont très intéressants de ce point de vue. Ils ont la sèche beauté des croquis scientifiques, et empruntent beaucoup à l’esthétique conceptuelle et minimaliste. La géométrie domine, les lignes sont dures, le monde est saisi dans un treillis de coordonnées qui suivent des axes plus profonds, des nervures internes au paysage : méridiens horographiques, réseaux viaires, limites de propriétaires, plissement de terrain etc. Ce genre de vues correspond à celles que l’on a d’avion. Le point de vue sur la terre est celui du ciel mais vu de la terre en quelque sorte et ce détour que Ptolémée jugeait déjà indispensable au géographe n’est nécessaire au paysagiste que pour lui permettre de voir en transparence la surface du paysage. Ce procédé de vitrification virtuelle du sol le guide vers l’essentiel. Il y a bien longtemps que Desvigne a mis au point cette méthode qui consiste à redimensionner les formes de nature en jouant avec les échelles. En y injectant des couleurs comme on le fait pour certaines radiographies, il permet au moyen de ces « traceurs » de rendre

UN PAYSAGE DIFFÉRÉ

visibles des figures paysagères qui resteraient autrement confuses. Il en résulte souvent des dessins saisissants d’une grande qualité graphique mais dont on sent en même temps qu’ils ne répondent à aucun souci décoratif – ce dont Desvigne se garde comme de la peste ! Plus que de dessin on pourrait parler de diagramme au sens où, comme le dit D’Arcy Thompson, « il nous est possible de déterminer ou de déduire, à partir de ce diagramme, les forces qui ont agi ou agissent encore sur cette forme. »2 C’est que la forme chez Desvigne ne prime jamais : elle est déduite des opérations qu’il produit sur le paysage. La forme résulte des contraintes géomorphologiques, historiques et techniques auxquelles le paysagiste doit faire face mais ces contraintes sont aussi un puissant stimulant pour l’élaboration de ce que j’appellerai une techno – esthétique qui n’est pas sans évoquer le travail de Frederic Law Olmsted qui, en son temps a su tirer parti du lourd cahier des charges accompagnant le projet d’assainissement de la Charles River à Boston. De cette intervention est né l’un des parcs paysagers les plus emblématiques de l’art d’Olmsted, un modèle pour l’Amérique du nord et une référence constante pour Michel Desvigne qui, lors de son séjour d’un an à Harvard, a étudié de près cet ecological system design. Si je devais associer Desvigne à une figure mythologique c’est certainement Ulysse que je choisirais. Rien de prométhéen dans son travail – à la différence de certains qui interviennent dans la nature « en soulevant des montagnes ». Desvigne, lui, œuvre par ruse. Comme le héros homérique il est doué de métis, cette faculté de saisir les choses au bon endroit et au moment opportun. Son art consiste à mettre en place des dispositifs pour piéger des mouvements naturels ou des mécanismes humains. Grâce à un ou plusieurs éléments, si minimes soient-ils, ce paysagiste induit

2. D’Arcy Thompson, Forme et Croissance, trad. fr. Dominique Teyssié, Paris, Seuil, p. 38.

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soudain un changement bien plus important dans un processus de transformation aussi bien physique que social. Dans la nature on ne peut tout prévoir et plutôt que de s’y résigner Michel Desvigne joue avec cet aléa, le prend pleinement en compte pour en faire l’un des acteurs du projet. Cette part de hasard toujours affirmée donne aux interventions de Desvigne un caractère acrobatique, risqué, et toujours en suspens. C’est sans doute ce que James Corner entend par inachevé lorsqu’il en parle. Disons qu’il s’agit d’un achèvement toujours différé, comme le paysage lui-même et les villes qui sont en perpétuelle mutation. Desvigne parle souvent de « transposition » de formes de nature, de modèles d’organisation, de structures urbaines etc. Mais ces transpositions supposent des temporalités très différentes et parfois ce qui a mis plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d’années, est proposé comme modèle évolutif dans un raccourci chronologique saisissant qui permet ainsi de contracter l’histoire dans la géographie. Ce qui donne en même temps une sorte de respiration à l’espace qui trouve soudain là un point de fuite insoupçonné. Ainsi dans le travail sur Issoudun il est question de rendre à nouveau lisible la structure médiévale rayonnante de la ville. « La proposition n’est pas de restaurer une réalité disparue, » écrit Desvigne. « Il s’agit de procéder par substitution » à partir de traces devenues presque illisibles mais qui, ainsi transformées, produisent un nouveau paysage urbain si bien que « tout demeure en place mais change de nature ». Pourquoi est-ce important de redonner une lisibilité au paysage ? Parce qu’il est notre histoire, notre bien commun. Il nous fait mieux comprendre ce que nous sommes en nous rappelant ce que nous avons été. Le paysage c’est la sédimentation

UN PAYSAGE DIFFÉRÉ

de gestes collectifs, le témoin d’usages souvent disparus, la mémoire d’un monde qui a parfois perdu son sens pour ceux qui y vivent et n’y voient plus qu’une collection de lieux, de places, de morceaux de nature et d’habitats mêlés. Car, comme le dit bien John Brinckerhoff Jackson, le paysage « n’est pas un élément naturel de l’environnement mais un espace synthétique, un système artificiel d’espaces superposés à la surface de la terre, fonctionnant, évoluant, non pas selon les lois naturelles mais pour servir une communauté. »3 Au paysagiste parfois la tâche de redonner sens à cette communauté : une tâche très modeste mais aussi extrêmement ambitieuse dont Desvigne a su faire un programme.

3. John Brinckerhoff Jackson, À la Découverte du Paysage Vernaculaire, trad. fr. Xavier Carrère, Actes Sud/ENSP, Arles, 2003, p. 55.

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1 Le Walker Art Center de Minneapolis a fait l’objet d’une extension récente par Herzog & de Meuron. Il s’agissait de créer, en lien avec ce dernier bâtiment, un jardin dans lequel des artistes seront éventuellement amenés à travailler. Le terrain, qui présente ici une forte pente, couvre trois hectares. Le Centre d’Art jouit aux États-Unis d’une grande réputation, due à sa politique de commande, très engagée. De l’observation du paysage du Minnesota, est née la matière du futur jardin. Mais la transposition qui s’en est suivie a donné lieu à une succession d’étapes intermédiaires, alimentées par un dialogue permanent avec les commanditaires. En hiver, la neige met en évidence la structure du paysage du Minnesota, qui caractérise la quasi-totalité de l’ensemble du territoire américain, issu de la grille de Jefferson organisant pratiquement chaque état. Ce damier bute à intervalles irréguliers sur des éléments d’ordre géographique : des pentes incultivables, inconstructibles, laissant la place à des boisements, ou encore des rivières. Par endroits les boisements s’interrompent pour s’ouvrir sur des clairières linéaires très particulières, et cet enchaînement de pleins et de vides proposait un type d’espaces très intéressant pour le jardin du Walker Art. En effet, le nouveau bâtiment s’organise de la même manière autour d’un parcours de salle en salle qui, parfois, s’immisce dans des espaces interstitiels. Le territoire du Minnesota en propose une variante, des cheminements traversant ces bois et ces clairières, sans qu’apparaisse pour autant la notion de seuils fermement définis. Il s’agit plutôt d’une composition fluide, où l’on glisse, littéralement, d’un vide à l’autre.

2 Le jardin pouvait donc être conçu comme la transposition miniaturisée de ce paysage, la grille, densifiée, jouant avec les éléments de la topographie.

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Le jardin imaginé était au départ entièrement planté, telle une masse végétale sculptée, creusée de clairières alors très minoritaires. Sur ce point, le projet a évolué. Après plusieurs années d’observation, la proportion occupée par les arbres s’est restreinte. Le jardin est devenu principalement un vide, décomposé par les rideaux successifs que constituent les boisements, conçus comme autant d’écrans, de filtres, occultant la vue sur un environnement immédiat sans qualité. Le sens de l’espace, et sa pratique, en ont été radicalement transformés.

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Le cheminement, tout comme dans le musée, joue un rôle d’une grande importance. Parce que le terrain est en pente, une rampe continue était nécessaire pour permettre à chacun d’y accéder. Cette rampe est déterminée par la grille, mais parfois, parce que la pente l’y conduit, elle emprunte une courbe, qui de nouveau rejoint une ligne etc. On retrouve ainsi la logique qui détermine la construction du paysage américain dans la forme même du parcours. Les clairières sont définies par la grille, les pentes les plus raides étant plantées de rideaux d’arbres. La rampe ainsi traverse une clairière, longe ensuite la lisière d’un micro-boisement, y pénètre, ressort à l’air libre, créant des situations très diversifiées. En dépit de ses petites dimensions, le jardin multiplie les expériences spatiales et le nombre même d’espaces rencontrés. Le chemin ne coïncide avec la grille que lorsque la rampe se cale contre une limite géométrique sous-jacente. Il s’agit là d’un travail de sculpture de l’espace. En terme de structure, cette allée n’évoque aucune voie ou chemin connu. C’est un sol qui rend sensible la géographie sur laquelle on marche. Ses dimensions varient continuellement en terme de largeur, jusqu’à parfois se réduire à un passage très fin, à d’autres moments, au contraire, elles se dilatent soudain, se déversant dans l’espace d’une clairière tel un vaste rocher.

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Tout est paysage, dans ce projet : la surface minérale dans ses rapports avec la surface végétale, les boisements dans leurs relations avec l’herbe, tout est régi par l’équilibre établi entre la grille et la topographie. Pourtant chaque couche possède une relative indépendance qui génère la complexité et introduit la richesse au cœur de l’expérience spatiale.

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Le nord du Minnesota étant planté de bouleaux, l’un des seuls arbres adaptés aux conditions climatiques très rudes de ce territoire, la matière du projet a été définie dès l’origine. Des centaines d’arbres, plantés sur une grille qui est elle-même un sous-multiple de la grille de Jefferson, permettent de jouer sur la profondeur de champ et sur des densités variables. Ces jeux de densités évoquent certaines pratiques forestières ou horticoles : les peupleraies, les vergers, les pépinières sont des espaces stimulants. Le déplacement parmi des verticales organisées géométriquement produit des effets visuels bien connus. La maîtrise architecturale de tels effets est l’objet de ces petites maquettes d’étude.

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Le matériau choisi pour la rampe est le béton ; coulé sur place c’est un élément utilisé couramment pour les sols des villes américaines. Mais ici, on fait référence aux rochers sur lesquels on marche dans le nord du Minnesota, et qui, plus ou moins secs ou couverts de mousse selon leur exposition, sont d’autre part plus ou moins érodés en fonction de la pente. Afin de restituer artificiellement cette dimension quasi-géologique, on a utilisé la technique déjà employée par Herzog & de Meuron dans le bâtiment par endroits. Le béton est littéralement gravé, par l’intermédiaire d’un jet d’eau à haute pression filtré par des pochoirs, produisant des perforations, qui prennent la forme de topographie fictive.

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Les différentes densités et les divers diamètres des points permettent d’obtenir une patine comparable à celle que l’on rencontre sur certains rochers situés près du Lac Supérieur, qui sont mitraillés par l’érosion d’une multitude d’impacts disposés, sous l’effet de quelque miracle naturel, dans un ordre quasi géométrique. Le sol de la rampe correspond à un artifice explicite, dont on comprend les ressorts, tandis que le résultat renvoie à une forme de nature.

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Depuis des angles de vue bien précis (telles les grandes ouvertures vitrées) du bâtiment d’Herzog & de Meuron, on peut voir ce paysage s’organiser en plans successifs dans une grande fluidité, les jeux de transparence autorisés par les rideaux d’arbres permettant au regard de deviner derrière une clairière la présence d’une autre trouée. La cohérence de l’espace est ainsi tissée par les jeux de parcours, de vides, de pleins, par la matière du boisement et celle du sol, l’ensemble étant dessiné jusqu’au plus petit détail. Glissant d’une clairière à l’autre, le visiteur emprunte un chemin qui se fait parfois émergence de rochers.

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Ailleurs, la rampe se soulève et fabrique des roches sur lesquelles on s’assied, sans avoir à chercher de bancs.

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L’amphithéâtre demandé est une succession de plaques de béton sculpté, plus ou moins envahies par la nature. Une partie de ces rochers pourrait d’ailleurs être chauffée l’hiver, et donc déneigée. L’une de ces petites sentes géographiques s’enfonce dans le sol tel un chemin creux, parcourt quelques boisements et, après avoir suivi un couloir calé sur la grille géométrique, débouche sur un observatoire conçu par James Turrell. On est soudain en plein ciel, dans une totale abstraction.

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D’autres œuvres ont été commandées à des artistes, tel le belvédère imaginé par Inessa Hansch. Constitué de bois et construit selon la technique nord-américaine du balloon-frame, ce bâtiment s’élève sur trois niveaux, et sera installé à mi-pente dans le jardin, offrant à son point culminant une large vue sur le skyline de Minneapolis. Les parois, nervurées d’un côté, lisses de l’autre, évoquent la présence d’espaces intérieurs et extérieurs. Il s’agit de fait de boîtes-alcôves ouvertes ou fermées, et diversement orientées. Juxtaposées, tels des murs, ces boîtes forment les pièces de l’édifice, que l’on parcourt en montant l’escalier. Ces espaces enchevêtrés entretiennent une relation étroite avec le jardin. 167

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Une partie du projet est réalisée, ainsi que plusieurs prototypes. Le cœur du jardin est en attente de la démolition d’un ancien théâtre. Grâce au soutien du conservateur du musée, Kathy Halbreich (nommée depuis, au poste, nouvellement créé, de directrice adjointe du MoMA), mais aussi des architectes, le projet a été l’occasion d’études extrêmement poussées qui, avec des interruptions, se sont étirées sur une durée de cinq ans. Les conditions étaient réunies pour qu’à partir d’une évidence apparue d’emblée, les recherches se poursuivent encore et encore, jusqu’à l’obtention d’un résultat spatial singulier. La situation tout à fait anormale de très longue maturation de l’écriture, à partir d’une idée immédiatement envisagée, recèle un fort potentiel. Dans la rigueur du résultat, aucun élément ne subsiste qui relèverait d’une quelconque connotation ou d’un automatisme. Le jardin est un organisme d’une complexité élémentaire dans le sens où il est le produit de la transposition des multiples strates constitutives d’un paysage vivant, observé à plus grande échelle. Une telle abstraction, le caractère essentiel de ce projet, l’équilibre établi entre l’espace et tous ses composants font de cette expérience une étape refondatrice.

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KEIO UNIVERSITY, TOKYO, JAPON, 2004-2005

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Le jardin conçu à Tokyo pour la Keio University pourrait se lire comme une forme de miniaturisation du projet imaginé à Minneapolis. Sur ce campus situé dans le centre de la ville, existait un jardin réalisé par Isamu Noguchi, non loin d’un petit temple construit par l’architecte Yoshiro Taniguchi. Le jardin comme le temple ont été détruits pour laisser la place à un nouveau bâtiment universitaire, sur la terrasse duquel il a été décidé que seraient reconstitués le jardin et le temple. Il s’agissait au départ d’une reconstitution à l’identique, mais, sur les indications de la Fondation Noguchi, le projet s’est orienté vers la création d’un nouveau jardin, imaginé dans l’esprit des réalisations du grand sculpteur japonais. Une longue observation de ses travaux, notamment au Kimbell Art Museum de Fort Worth, a permis de comprendre la nature de son approche plastique, et de ses « représentations de natures » ancrées dans la tradition des jardins japonais, sans relever pour autant d’une esthétique japonisante. Partant d’un petit paysage naturel d’une échelle comparable à celle de l’emplacement proposé, le projet a consisté en la transposition de formes simples selon une grille orthonormée. Le caractère d’abstraction des œuvres de Noguchi était ainsi lu à l’aune de la modernité du XXIe siècle, et par le biais de mécanismes contemporains, qu’autorise l’informatique. Le paysage initial, littéralement « scanné », s’est incarné dans un damier constitué de dalles, elles-mêmes perforées de trous de dimensions variables. Il ne s’agit pas de la reproduction fidèle d’un lieu de nature, mais d’un jeu empirique dont l’artifice est évident.

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2

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KEIO UNIVERSITY, TOKYO

2

Certaines de ces perforations accueillent des arbustes ou des bambous nains. D’autres au contraire, en lisière, semblent avoir été extrudées, et sont occupées par des cylindres de pierre qui consistent tout simplement en des répliques de nombreux tabourets conçus par Noguchi, tels qu’on pouvait en trouver dans le temple de Taniguchi. L’espace fonctionne ainsi sur la base de pas japonais travaillés en négatif, et possède une dimension très ludique.

3

Le procédé artificiel utilisé pour déterminer le grain des micro-clairières et boisements, au sein des différentes dalles, n’est qu’un instrument de lecture et de transposition. En aucune manière, il n’est destiné à accéder au stade de motif recelant un intérêt intrinsèque. Sa fonction est de créer un espace, susceptible d’accueillir une présence végétale improbable, étrange et évanescente, de densité variable, au cœur du minéral.

173

4

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KEIO UNIVERSITY, TOKYO

4

Le projet joue sur la perte des repères : le garde-corps, disposé à l’intérieur du jardin, amène l’observateur à se tenir très en deçà de la limite de ce dernier, et n’autorise aucun coup d’œil sur la ville en contrebas. Le regard n’a plus pour point d’accroche que le ciel dans lequel le jardin « suspendu » flotte comme en apesanteur. L’échelle de ces petites clairières, entre lesquelles on se faufile, demeure très proche de celle qu’avait imaginée Noguchi dans sa réalisation, et le sentiment de l’espace est fidèle à celui qu’on pouvait éprouver en parcourant l’œuvre préexistante.

5

C’est un espace dans lequel on glisse, au gré de sensations qui sont aussi provoquées par l’eau et la lumière, jouant sur la même logique. Pas plus que dans le jardin de Noguchi, il n’y a ici séparation nette entre des vides et des pleins. Cette composition joue avec des plans successifs et des textures de densité variable. La ponctuation régulière du sol donne la mesure de ces variations. C’est une petite architecture qui organise des textures, des porosités, des densités, des transparences. Une matière et des espaces complexes à l’image d’un paysage naturel.

175

PHOTOS AÉRIENNES Il faut se garder d’une fascination facile pour les photographies aériennes. Les processus à l’œuvre : érosion, découpage parcellaire, viabilisation, sont observables, à partir de ces documents, et dans diverses situations, d’une manière presque caricaturale parce que trop évidente. Des formes peuvent également apparaître, vues du ciel, belles du fait même de leur étrangeté, et là aussi il y a un écueil à éviter. Toutefois, ces exercices d’observation complètent ce que nous analysons

sur le terrain. Nous avons besoin de nous constituer une culture, d’entraîner notre œil à saisir des mécanismes. Ces « travaux pratiques », ces « anatomies de paysages en projet », nous permettent de disséquer des situations complexes, pour arriver à des solutions simples. En cela, ces photographies aériennes sont précieuses.

177

MAQUETTES Chaque projet, chaque élément de projet, est développé sous la forme de maquettes d’études. Il semble nécessaire d’alterner les modes de représentation : le dessin acquiert souvent une forme d’autonomie, une beauté indépendante de son objet. Il y a là un danger de dérive et d’erreur : de ce piège formaliste naît le simulacre. Nous avons besoin de vérifier les qualités d’espaces, les proportions, les jeux de textures, ce que le dessin seul ne permet pas. Enfin, la maquette est

une alternative forte à l’image de synthèse, qui ne fonctionne pas dans notre discipline. Nos compositions organisent des jeux de densité, d’espaces complexes, soumis aux aléas de la lumière. Nous devons pouvoir nous projeter physiquement et même nous déplacer parmi ces organismes riches que nos maquettes miniaturisent, là où les images de synthèse apparaissent comme de pénibles fantômes. 179

KALÉIDOSCOPE PAYSAGES EN GESTATION

À l’heure actuelle, l’agence compte plus de 40 chantiers en construction ou en cours d’achèvement, dispersés dans une vingtaine de pays. Cette multitude suffit à distinguer le travail du paysagiste de celui de l’architecte. Les chantiers qui nous occupent sont, techniquement plus simples, et n’engagent pas non plus des sommes considérables. Toutefois, cette multitude et cette dispersion de projets reflètent aussi d’autres besoins et préoccupations. Les temps très longs de gestation de ces ouvrages, liés à des transformations complexes, permettent, en multipliant les «stations», d’observer simultanément divers stades de maturation et ainsi d’affiner le regard. La maîtrise attentive de ces étapes successives nourrit les paysages en construction, les divers organismes s’« informant » les uns les autres dans des situations différentes. Cet « échantillonnage » d’une quarantaine de réalisations constitue un corpus suffisant pour mesurer les avancées des expériences. La diffusion d’une signature n’est absolument pas le sujet. L’extension des champs d’étude et d’expérimentation débouche sur un plaisir serein, sans cesse vérifié : contrairement à toutes les peurs contemporaines, la diversité des lieux et situations de paysages est infinie, de même que la variété des besoins culturels auxquels elle répond. L’idée est bien de se comporter en explorateur, non en exportateur. Cette large population d’organismes, analysés à des stades de croissance spécifiques, n’induit pas le report d’un savoir-faire éprouvé d’un cas à l’autre. À contrario, les recettes toutes faites vacillent, et des formules initialement approuvées peuvent être révisées et orientées différemment. La priorité, pour un paysage projeté, n’est pas la constitution, prétendument immédiate, d’un objet fini. La lisibilité de la matière en constitution est bien entendu une donnée importante. Mais installer d’emblée des éléments de mobilier dans un jeune parc en gestation affuble celui-ci d’un raffinement prématuré et pénible.

KALÉIDOSCOPE

Bien que ces gigantesques organismes embryonnaires puissent parfois paraître inachevés, il est nécessaire de leur accorder une confiance qui se passe de tout détail anecdotique incongru et rapidement daté. L’attention portée aux adaptations, transformations successives, aux jeux sur la matière vivante, doit l’emporter sur une satisfaction esthétique obtenue par des facilités. Les paysages en gestation que nous constituons sont composés à partir de matériaux sobres : de l’herbe, quelques surfaces minérales, aquatiques, des arbres. Mais ces arbres se comptent par dizaines de milliers, et leur foisonnement, leur présence puissante, est au service des espaces à constituer, et à l’échelle des territoires à transformer, là où des artifices laborieux et des procédés d’ornementation restent inefficaces. Cette matière que nous mettons en œuvre n’est pas photogénique. Les 25 projets présentés sous la forme de « planches-contacts » correspondent à une multitude d’images qui permettent d’entrevoir les paysages en constitution. Une seule de ces photographies ne suffit pas à rendre compte de ces chantiers en chantier : si tel était le cas, cela suffirait à indiquer que la démarche abordée n’est pas la bonne. Le paysage ne se lit pas comme un objet, fût-il d’architecture. Cette absence de séduction peut, en termes de système de représentation comme de pratique, entraîner des déceptions, ou frustrations. Il n’en demeure pas moins illusoire de croire que, lorsqu’on aborde la grande dimension, un parc puisse avoir tout de suite une forte identité. Sa jeunesse doit être assumée, et mise en évidence d’une manière acceptable, bien que les moyens accordés par les commanditaires soient généralement faibles. Les techniques employées doivent rester rudimentaires, l’enseignement étant que certains éléments incontrôlables, parce qu’incompatibles avec les budgets alloués, et du fait de l’échelle du projet, doivent être laissés en attente. Ceci permet d’éviter à la fois l’écueil de la désynchronisation et celui de la mauvaise qualité.

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PARC DU LEZ, MONTPELLIER, FRANCE

AVENUE MENDÈS FRANCE, MONTPELLIER, FRANCE

MUSÉE DU PRÉSIDENT JACQUES CHIRAC, SARRAN, FRANCE

JARDINS DE LA LIRONDE, MONTPELLIER, FRANCE

PARKING RIVES DE L’AAR, STRASBOURG, FRANCE

PARKING RIVES DE L’AAR, STRASBOURG, FRANCE

185

MAISON DF, COURTRAI, BELGIQUE

GERLING RING, COLOGNE, ALLEMAGNE

SQUARE JAMES JOYCE, PARIS, FRANCE

PARLEMENT EUROPÉEN, STRASBOURG, FRANCE

FLYING BROOK FARM, CONNECTICUT, USA

FLYING BROOK FARM, CONNECTICUT, USA

187

VACHERON CONSTANTIN, GENÈVE, SUISSE

DOCKS DE PARIS (CHANTIER), PARIS, FRANCE

PARC FLORAL ENTRÉE SUD (CHANTIER), BORDEAUX, FRANCE

ZAC MONTSOURIS, PARIS, FRANCE

TRAMWAY MARÉCHAUX SUD, PARIS, FRANCE

TRAMWAY MARÉCHAUX SUD, PARIS, FRANCE

189

SQUARE VINET, BORDEAUX, FRANCE

MEUDON CAMPUS, MEUDON, FRANCE

MEUDON CAMPUS, MEUDON, FRANCE

ZÉNITH LIMOGES (CHANTIER), LIMOGES, FRANCE

PATIO AUBERVILLIERS CAMPUS, AUBERVILLIERS, FRANCE

PATIO DU PALAIS DE JUSTICE, GAND, BELGIQUE

191

PLACE DE LA GARE, STRASBOURG, FRANCE

PLACE DE LA GARE, STRASBOURG, FRANCE

RABOTPARK, GAND, BELGIQUE

PARC DRAÏ EECHELEN (CHANTIER), LUXEMBOURG

PARC DRAÏ EECHELEN (CHANTIER), LUXEMBOURG

ABC DATA BANK (CHANTIER), SHANGHAÏ, CHINE

193

LISTE DES PROJETS

BIESBOSCH STAD, ROTTERDAM, PAYS-BAS, 2005

LYON CONFLUENCE, LYON, FRANCE 2000-2005

CERGY-PONTOISE, FRANCE, 2006-2008

Étude de développement urbain et paysager

Plan de développement urbain et paysager

Plan de développement urbain et paysager

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

Second International Architecture Biennale Rotterdam (2005) Adriaan Geuze, curateur

Lyon Confluence SPLA (Société publique locale d’aménagement) Lyon Confluence

Ville de Cergy-Pontoise

PAYSAGISTES

PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Pauline Way, Anne Gaillard, Sophie Mourthé, Christina Anllo Naveiras

Michel Desvigne, Sophie Mourthé, Angèle Levi, Gabriel Wick

Michel Desvigne, Bas Smets, Sophie Mourthé, Enrico Ferraris

PAYSAGISTES

URBANISTE

CONSULTANTS

François Grether

Ministère des Transports / WINN (Ministerie van Verkeer en Waterstaat ): Paul Berends RIZA (Rijksinstituut voor Integraal Zoetwaterbeheer en Afvalwaterbehandeling) : Oswald Lagendijk, Michael van Buuren, Arie de Gelder

GARE TGV, AVIGNON, FRANCE, 1994-2002

BORDEAUX RIVE DROITE, BORDEAUX, FRANCE, 2000-2004

Plan de développement urbain et paysager du quartier de la Gare

Plan de développement urbain et paysager

MAÎTRE D’OUVRAGE

PLAINE DU VAR, NICE, FRANCE, 2006-2007

MAÎTRE D’OUVRAGE

Mairie de Bordeaux PAYSAGISTES

Plan de développement urbain et paysager

Michel Desvigne, Sophie Mourthé, Luc Chignier, Nam Le Toan, Ana Marti-Baron, Enrico Ferraris

MAÎTRE D’OUVRAGE

URBANISTE

Communauté d’Agglomération Nice Côte d’Azur

Bruno Fortier

PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Justine Miething URBANISTES

Agence de Geyter, O.M.A. Rem Koolhaas CONSULTANTS

Dominique Boudet, coordinateur ICADE G3A Transversal, Yan Le Gal Consultants

LOWER LEA VALLEY, LONDRES, GRANDE-BRETAGNE, 2004 Concours perdu 2004 Plan de développement urbain et paysager MAÎTRE D’OUVRAGE

MILLENNIUM PARK, GREENWICH, LONDRES, GRANDE-BRETAGNE, 1997-2000 (RÉALISATION PARTIELLE) Plan de développement urbain et paysager MAÎTRE D’OUVRAGE

Michel Desvigne, Martin Basdevant ARCHITECTES

Herzog & de Meuron

BURGOS, ESPAGNE, 2006-2011

PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Christine Dalnoky, François Neveux, Pauline Way, Bas Smets ARCHITECTE

AREP, Jean-Marie Duthilleul

PARC DE LA THÉOLS, ISSOUDUN, FRANCE, 1993-1994 MAÎTRE D’OUVRAGE

Ville d’Issoudun PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Christine Dalnoky

English Partnerships

ARCHITECTE

SUMMER PARK, GOVERNORS ISLAND, NEW YORK, USA, CONCOURS PERDU 2007

Richard Rogers

Plan de développement urbain et paysager

CONSULTANTS

MAÎTRE D’OUVRAGE

Bernard Ede et Nicholas Pearson WS Atkins

GIPEC (Governors Island Preservation and Education Corporation)

PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Christine Dalnoky, Pauline Way

LDA (London Development Agency) PAYSAGISTES

Communauté de Communes du Grand Avignon

PAYSAGISTES

PARC MARIANNE, MONTPELLIER, FRANCE, 1998-2002

Michel Desvigne, Justine Miething, Martin Basdevant, Elinor Scarth, Paola Vita

MAÎTRE D’OUVRAGE

ARCHITECTE

Ville de Montpellier PAYSAGISTE

REX architectes CONSULTANTS

Michel Desvigne

Luxigon, images

ISSOUDUN TERRITOIRE, ISSOUDUN, FRANCE, 2005

CITÉ NATURE, ARRAS, FRANCE, 2001-2005

Plan de développement urbain et paysager

MAÎTRE D’OUVRAGE

Plan de développement urbain et paysager MAÎTRE D’OUVRAGE

Consorcio para la variante del ferroviaria de Burgos PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Ana Marti-Baron, Caterina Michelini, Catinca Popovici ARCHITECTES

Herzog & de Meuron CONSULTANTS

HYDRA, MBG Consultants

MAÎTRE D’OUVRAGE

Ville d’Issoudun PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Sophie Mourthé, Luc Chignier

Communauté Urbaine d’Arras PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Iris Dupper, David Borgobello, Rémi Salles, Martin Basdevant, Sophie Mourthé ARCHITECTE

Ateliers Jean Nouvel, Jean Nouvel

195

EXTENSION DU PARC DE SCULPTURES DU MIDDELHEIM, ANVERS, BELGIQUE, 1998-2000

KATTENDIJKDOK, ANVERS, BELGIQUE, 2006-2008

WALKER ART CENTER, MINNEAPOLIS, USA, 2002-2005

Définition des espaces publics

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

Walker Art Center

Ville d’Anvers, Musée d’Histoire de l’Art

P2

PAYSAGISTES

PAYSAGISTES

PAYSAGISTES

Michel Desvigne, François Neveux, Iris Dupper ARCHITECTE

Michel Desvigne, Gerwin Gruber, Karolina Samborska, Elinor Scarth

Stéphane Beel

ARCHITECTES

Michel Desvigne, Anne Gaillard, Martin Basdevant, Justine Miething, Ana Marti-Baron, Christina Anllo Naveiras, Emanuela Bozin, Adrien Cosnefroy, Karine Donati, Lucia Miglio, Catinca Popovici, Claudia Scholz

ELD Architectes, Diener & Diener

ARCHITECTES

DALLAS CENTER FOR THE PERFORMING ARTS, DALLAS, USA, 2004-2009

Herzog & de Meuron Hammel, Green and Abrahamson, Inc., John Cook

Définition des espaces publics

AUBERVILLIERS CAMPUS, AUBERVILLIERS, FRANCE, 2006-2007

MAÎTRE D’OUVRAGE

Définition des espaces publics

KEIO UNIVERSITY, TOKYO, JAPON, 2004-2005

Dallas Center for the Performing Arts Foundation

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

PAYSAGISTES

ICADE

Keio University

Michel Desvigne, Martin Basdevant, Bas Smets, Justine Miething, Emanuela Bozin, Enrico Ferraris, Andrea Forapani, Gerwin Gruber, Elisa Levi-Minzi, Giorgio Marafioti, Anna Medeossi, Catinca Popovici, Elinor Scarth

PAYSAGISTES

PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Marco Rossi, Benjamin Pollet, Paola Vita

Michel Desvigne, Justine Miething, Gerwin Gruber

ARCHITECTE

MAÎTRE D’OUVRAGE

Foster + Partners, REX / OMA JJR, LLC, Deb Mitchell

Ville d’Almere

CONSULTANTS

Michel Desvigne, Iris Dupper, Bas Smets, Marco Rossi, Gerwin Gruber, Liviu Vasiu

TILSTON, lumière - Luxigon, images

ARCHITECTES

ALMERE, PAYS-BAS, 2000-2005

Taisei Corporation, Kengo Kuma

Définition des espaces publics

PAYSAGISTES

URBANISTE

PARC DU LEZ, MONTPELLIER, FRANCE, 2002 MAÎTRE D’OUVRAGE

Ville de Montpellier PAYSAGISTES

OMA Rem Koolhaas

Michel Desvigne, Christine Dalnoky, François Neveux

Définition des espaces publics

MINISTÈRE DE LA CULTURE, PARIS, FRANCE, 2001-2004

AVENUE MENDÈS FRANCE, MONTPELLIER, FRANCE, 2002

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

SAEM Val de Seine Aménagement

Ministère de la Culture

PAYSAGISTES

PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Ana Marti-Baron, Alessandro Conti, Karine Donati, Alice Kieffer, Guillaume Proust

Michel Desvigne, Sophie Mourthé, Albert Castejon, Benjamin Deshouilleres

Michel Desvigne, Christine Dalnoky, François Neveux

URBANISTE

ARCHITECTE

François Grether

Francis Soler CONSULTANT

MUSÉE DU PRÉSIDENT JACQUES CHIRAC, SARRAN, FRANCE, 2000

Patrick Blanc, botaniste

MAÎTRE D’OUVRAGE

RECONVERSION DE L’ÎLE SEGUIN, BOULOGNE-BILLANCOURT, FRANCE, 2000-2007

RECONVERSION DU VIEUX PORT DE L’EILANDJE, ANVERS, BELGIQUE, 2001-2004

Ville de Montpellier PAYSAGISTES

Musée du Président Jacques Chirac PAYSAGISTES

Définition des espaces publics

UTRECHT CENTRAAL MUSEUM, UTRECHT, PAYS-BAS, 1998-2000

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

Architecte

Ville d’Anvers

Centraal Museum

PAYSAGISTES

PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Bas Smets, Martin Basdevant, Marco Rossi, Gerwin Gruber, Catinca Popovici, Julia Bouvy

Michel Desvigne, Christine Dalnoky, François Neveux, Iris Dupper

JARDINS DE LA LIRONDE, MONTPELLIER, FRANCE, 2004

ARCHITECTES ET URBANISTES

ARCHITECTE

MAÎTRE D’OUVRAGE

Atelier JPLX, Sylvie Laenen et Dirk Jansen, architectes et urbanistes Rob Cuyvers, architecte

Stéphane Beel

Ville de Montpellier

Michel Desvigne, Christine Dalnoky, Iris Dupper Jean-Michel Wilmotte

PAYSAGISTES

SQUARE DES BOULEAUX, RUE DE MEAUX, PARIS, FRANCE, 1989-1992 MAÎTRE D’OUVRAGE

Régie Immobilière de la Ville de Paris, Mutuelles du Mans PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Christine Dalnoky ARCHITECTE

Renzo Piano

Michel Desvigne, Pauline Way

LISTE DES PROJETS

PARKING RIVES DE L’AAR, STRASBOURG, FRANCE, 1998

DOCKS DE PARIS, PARIS, FRANCE, 2005-2008 (CHANTIER)

PATIO AUBERVILLIERS CAMPUS, AUBERVILLIERS, FRANCE, 2007

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

Compagnie des Transports Strasbourgeois (CTS)

ICADE G3A

ICADE

PAYSAGISTES

PAYSAGISTES

PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Bernard Rouyer, Iris Dupper

Michel Desvigne, Justine Miething, Gerwin Gruber

Michel Desvigne, Marco Rossi

ARCHITECTE

ARCHITECTE

Meyzaud-Weber

Jakob & MacFarlane

MAISON DF, COURTRAI, BELGIQUE, 2000

PARC FLORAL ENTRÉE SUD, BORDEAUX, FRANCE, 2005 (CHANTIER)

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

PAYSAGISTES

Client privé

Michel Desvigne, François Neveux, Bas Smets

PAYSAGISTES

Mairie de Bordeaux, Direction des Espaces Verts et du Paysage

Michel Desvigne, Iris Dupper, François Neveux

PAYSAGISTES

Stéphane Beel

ARCHITECTE

Michel Desvigne, Sophie Mourthé, Julia Bouvy

Stéphane Beel

GERLING RING, COLOGNE, ALLEMAGNE, 2000

ZAC MONTSOURIS, PARIS, FRANCE, 2002

PATIO DU PALAIS DE JUSTICE, GAND, BELGIQUE, 2007 Ville de Gand, Régie des Bâtiments

ARCHITECTE

PLACE DE LA GARE, STRASBOURG, FRANCE, 2007 MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

CUS Communauté Urbaine de Strasbourg PAYSAGISTES

Gerling Ring-Karree

Ville de Paris, Direction des Parcs, Jardins et Espaces Verts

PAYSAGISTE

PAYSAGISTES

ARCHITECTES

Michel Desvigne

Michel Desvigne, Christine Dalnoky, François Neveux, David Borghobello, Rémi Salles

AREP, Jean-Marie Duthilleul

MAÎTRE D’OUVRAGE

ARCHITECTE

Foster + Partners

SQUARE JAMES JOYCE, PARIS, FRANCE, 1995

TRAMWAY MARÉCHAUX SUD, PARIS, FRANCE, 2006

Michel Desvigne, Justine Miething, Gerwin Gruber

RABOTPARK, GAND, BELGIQUE, 1999-2008 MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

Ville de Gand, Régie des Bâtiments

MAÎTRE D’OUVRAGE

Ville de Paris, Mission Tramway

PAYSAGISTES

Ville de Paris, Direction des Parcs, Jardins et Espaces Verts

PAYSAGISTES

Michel Desvigne, Sophie Mourthé

Michel Desvigne, François Neveux, Iris Dupper, Bas Smets, Ana Marti-Baron, Gerwin Gruber

PAYSAGISTES

ARCHITECTE

ARCHITECTE

Michel Desvigne, Christine Dalnoky, Bernard Rouyer

Antoine Grumbach

Stéphane Beel

PARLEMENT EUROPÉEN, STRASBOURG, FRANCE, 2002

SQUARE VINET, BORDEAUX, FRANCE, 2005

PARC DRAÏ EECHELEN, LUXEMBOURG, 1999-2008

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

MAÎTRE D’OUVRAGE

Communauté Urbaine de Strasbourg

Luxembourg, Administration des Bâtiments Publics

PAYSAGISTES

Mairie de Bordeaux, Direction des Espaces Verts et du Paysage

Michel Desvigne, Christine Dalnoky

PAYSAGISTES

ARCHITECTE

Michel Desvigne, Sophie Mourthé, Ana Marti-Baron

Michel Desvigne, François Neveux, Iris Dupper, Bas Smets, Marco Rossi, Christina Anllo Naveiras, Ana Marti-Baron

Architecture Studio

FLYING BROOK FARM, CONNECTICUT, USA, 2002-2008

PAYSAGISTES

ARCHITECTES

MEUDON CAMPUS, MEUDON, FRANCE, 2006

Pei Cobb Freed & Partners

MAÎTRE D’OUVRAGE

HINES France

ABC DATA BANK, SHANGHAÏ, CHINE, 2006- (CHANTIER)

Client privé

PAYSAGISTES

MAÎTRE D’OUVRAGE

PAYSAGISTE

Michel Desvigne, Pauline Way, Sophie Mourthé

Agricultural Bank of China

Michel Desvigne, Martin Basdevant, Claudia Scholz

ARCHITECTES

PAYSAGISTES

Pei Cobb Freed & Partners

Michel Desvigne, Sophie Mourthé

VACHERON CONSTANTIN, GENÈVE, SUISSE, 2004

MAÎTRE D’OUVRAGE

ARCHITECTES

MAÎTRE D’OUVRAGE

ZÉNITH LIMOGES, LIMOGES, FRANCE, 2004 (CHANTIER)

Groupe Richemont SA

MAÎTRE D’OUVRAGE

PAYSAGISTES

Communauté d'Agglomération Limoges Métropole

Michel Desvigne, Iris Dupper, Sophie Mourthé

PAYSAGISTES

ARCHITECTES

Michel Desvigne, Sophie Mourthé

BTUA Bernard Tschumi, Véronique Descharrières

ARCHITECTES

BTUA Bernard Tschumi, Véronique Descharrières

AREP, Jean-Marie Duthilleul

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LISTE DES COLLABORATEURS

Michel DESVIGNE, associé à Christine DALNOKY jusqu’en juillet 1996 et ultérieurement sur divers projets Francesca d’APUZZO Adeline BARUCQ Martin BASDEVANT Giacomo CASENTINI Claire COLLET Alessandro CONTI Enrico FERRARIS Andrea FORAPANI

Gerwin GRUBER Tim de HENAU Guillaume LEUREGANS Angèle LÉVI Anna LUZI Ana MARTI-BARON Justine MIETHING Sophie MOURTHÉ

Giao PHAN THI KIM Clélie PROTIÈRE Guillaume PROUST Marco ROSSI Elinor SCARTH Karolina SAMBORSKA Paola VITA

ont également participé à l’équipe : Christina ANLLO NAVEIRAS Katharina BALDINGER Yuu BARRERE Maya BEN AMMAR David BORGOBELLO Julia BOUVY Kevin BOWMANN Emanuela BOZIN Flore BRINGANT Laura BUCHERT Albert CASTEJON Stéphanie CHALTIEL Luc CHIGNIER Cristina CIOTTI Patricia CIRIANI Adrien COSNEFROY Soetkin de POURCQ Sébastien DELRUE Benjamin DESHOULLIERES Karine DONATI Iris DUPPER Benoît DURAND

Taro ERNST Emanuela FERRARI Anne GAILLARD Nicolas GUARNOTTA Nelly GUYOT Mathieu JACQUENET Alice KIEFFER Daniel LAPORTE Ewen LE ROUIC Nam LE TOAN Elisa LEVI-MINZI Anna LUZI Giorgio MARAFIOTI Christophe MARCHALOT Anna MEDEOSSI Alexandre MELLIER Caterina MICHELINI Lucia MIGLIO Federica MORI François NEVEUX Teodora NIKOLOVA Benjamin POLLET

Matteo PONIS Catinca POPOVICI Erica RATTI Swaantje RIDEGH Lionel RINGEISEN Aurélia ROEHMER Bernard ROUYER Yann SABINE Rémi SALLES Caroline SATTLER Eliane SAXENA Claudia SCHOLZ Bas SMETS Mamiko TANAKA Fabio UGUCCIONI Liviu VASIU Yves VIEUXLOUP Pauline WAY Andreas WESTENDORF Gabriel WICK

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

Pour l’ensemble des images : Agence Michel Desvigne Paysagiste Exceptées : Aerial Photography Inc, Dallas, DCPAF 116 (haut), 122 (haut) Altivue, Cyril Becquart 86 (bas) Architecture studio 187 (colonne 1) Didier Boy de la Tour 184 (colonne 3, n°1 et 2) Desvigne Conseil 40, 46, 48, 50 (haut) Antonio Duarte 149 (milieu et bas) Arnauld Dubois Dufresne 87 (colonne 1, n°1) (colonne 3, n°3), 145 (hauts) Gaston 187 (colonne 1, n°1, 2 et 4) Gerwin Gruber 133 (colonnes 1, n°1, 2 et 3 ; 2, n°2 et 5 ; 3, n°1, 2 et 3), 188 (colonne 2), 190 (colonnes 2, n°3 ; 3, n°3), 191 (colonnes 2, n°4 ; 3, n°4), 192 (colonne 3) Georges Fessy 187 (colonne 1, n°3 et 5) Herzog & de Meuron 32, 33, 168 (haut gauche) Guillaume Leuregans 78 (bas) Luxigon 98 (bas), 100 (haut), 102 (bas), 122 (bas), 160 (haut), 164 (haut), 166 Alex McLean, Michel Desvigne Paysagiste 50 (colonne 2) Olivier Moreux 174 (bas) Paysages Possibles, Jean-Pierre Grunfeld 56 (bas) Charlotte Schlumberger 135 Bas Smets 152 (haut) WINN (Ministerie van Verkeer en Waterstaat) afd. IHG 20

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