Messager boiteux Trois siècles d'histoire au travers du terroir 288295185X


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Messager boiteux Trois siècles d'histoire au travers du terroir
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Liliane Desponds

Messager boiteux Trois siècles d'histoire au travers du terroir

Cabédita Codeen on Archives vivantes

LILIANE DESPONDS



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Trou nicha d'hittoire au troven du ternir

tonwNs CREDITA

^

Gravure de couverture. Vincent Lôrtscher © W6. Editions Cabédita, CH-1137 Yens s./Morges BP 16, F-745OO Saint-Gingolph ISBN 2-88295- 185-X

Gratitude Je ne sais s’il convient de remercier ici un éditeur qui, sous pré­ texte de faire un joli livre sur l’almanach du Messager boiteux, expédie son auteur dans un labyrinthe dont l’issue jusqu’au dernier moment semblait incertaine. L’usage sera respecté. Je remercie donc Eric Caboussat pour son aimable folie, sa confiance et son acharnement dont j’ai été, il est vrai, la victime consentante. A vous, Françoise Lambert, Marjolaine Guisan, Silvio Corsini, Jean-Claude Mayor, Michel Zangger, va également ma reconnais­ sance. Je n’ai pas encore pu atteindre le fond du puits de connaissances qui est en Pierre-Yves Favez. La question reste en suspens: quelqu’un y arrivera-t-il un jour? Ils ne le savaient pas forcément, et pourtant leurs commentaires, petites phrases et autres remarques ont alimenté un feu qui parfois menaçait de s’éteindre, merci à Evelyne Luthi, Benjamin Baudraz, Henri-Louis Guignard, Gilbert Marion et Philippe Schöneich. Œil impitoyable et pourtant indispensable, celui du premier lec­ teur mérite plus que de la reconnaissance. Il suscite des discussions nourries et passionnantes et c’est dans ces moments que l’on apprend le plus à apprécier les richesses de la langue et à s’assurer que les idées exprimées sont les bonnes. Merci à mon père Robert, à ma sœur Marie-Jeanne et surtout au «neveu de Charlemagne», dont la patience et les conseils avisés ont été sans limites. Enfin, le Messager ne le démentirait pas, les nourritures de l’esprit ne suffisent pas pour exister, et rien ne vaut de temps à autre un bon repas ou une tisane réconfortante préparés par une mère dévouée. Je remercie encore le Messager boiteux lui-même, auquel j’ai emprunté de nombreux textes. Par souci d’authenticité, toutes les citations qui figurent dans le présent ouvrage sont totalement conformes aux textes originaux dont elles sont tirées. Habent sua fala libelli

Une énigme Le présent serait plein de tous les avenirs si le passé n'y projetait déjà une histoire André Gide

Le Messager boiteux est une énigme. Il est surprenant en effet, qu’à l'heure des journaux quotidiens, des informations radiophoniques et télé­ visuelles, des agendas de tous genres et des prédictions astrologiques par téléphone, cette publication annuel­ le ait encore du succès. Beaucoup connaissent son nom et son existence, peu savent ce qui le compose et ce qu’est son âme. L’idée originale de l'éditeur était de faire une présentation géné­ rale du Véritable Messager boiteux de Berne et Vevey. Les mois passaient, les ébauches s’accumulaient, toutes semblaient déboucher sur l’étude approfondie d’un domaine précis qui touchait l’almanach: l’impri­ merie et son évolution, les multiples almanachs qui ont existé, la gra­ vure et les graveurs, l’astrologie et l'astronomie ou encore la littéra­ ture et la médecine. La mission si évidemment simple du départ a rapidement pris des allures de pieuvre tentaculaire, et surtout, l'alma­ nach veveysan lui-même ne se laissait pas approcher. L’almanach est, au sens ancien, un livret qui paraît annuelle­ ment. Passé, présent et avenir y ont leur place, dans des rubriques bien déterminées. Pour certains, il a les relents d’un passé obsolète. Pour d’autres, ses prédictions sont amusantes, voire divertissantes, mais on se demande s’il est vraiment sérieux. Il était autrefois vendu sur les places de foires et marchés, ou même à domicile, par des colporteurs. Son mode de vente a changé. Celui qui l’achète ne sait pas toujours pourquoi il le fait. C’est un vieil ami de la famille, auquel on s’est habitué et qui manque s’il est absent. Bien que son contenu se soit adapté au monde dans lequel il pénètre, le Messager boiteux semble intemporel. Il n’a pas, mot horri-

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UNE ÉNIGME

ble, de public-cible. Il ne s’adresse à personne en particulier puisqu’il s’adresse à tous. Ce que l’on retient des raisons évoquées pour son achat, c’est qu’il n’y en a pas une qui soit véritablement rationnelle. Ne les cherchons pas. Il semble bien que l’acquisition de l’almanach, à l’automne revenu, fasse partie des rites de saison, d’autant plus que dans nos modes de vie, ces rites nécessaires se sont étiolés. Qu’il le sache ou n’en soit pas conscient, l’acheteur d’un almanach commet un geste symbolique qui le relie à un passé fort reculé. Ceci dit, beau­ coup l’achètent et le conservent; à l’image de cette grand-maman de la Gruyère qui l’annote soigneusement ou de la Griotte de Lussery, qui y consignait chaque invitation familiale assortie de son commen­ taire. Pour le chercheur, l’analyse du Messager boiteux n’aurait de sens que dans une perspective bien précise, historique, diachronique ou sociale par exemple, ce qui finalement n’est pas le propos de cet ouvrage. Une place privilégiée a été accordée aux textes ainsi qu’aux gravures d’antan, qui peuvent sembler parfois naïfs, curieux ou exa­ gérés. Ils illustrent parfaitement ce que répète l’almanach année après année: les temps changent, et cependant tout est cyclique. Avec un peu de distance et un œil attentif, notre monde actuel n’e^t pas si dif­ férent de celui d’hier.

La véritable histoire du Véritable Messager boiteux Que s’est-il passé dans le vaste monde en 1764? Combien d’éclip­ ses de lune ont été visibles en Suisse depuis 1850? Qui gouvernait le Bré­ sil il y a dix ans? Quelle est la capi­ tale de la Kirghizie? Quand faut-il piquer les salades et récolter les pommes de terre ? Combien coûtait une lettre à destination de SaintGall en 1890? La foire de Bulle avait-elle lieu chaque année? Le lierre terrestre est-il bon contre le rhume? Quand faut-il nettoyer les vitres? Combien de pleines lunes aurons-nous en 2010? Qui a fêté ses cent ans en 1967? Suis-je né un dimanche ou un lundi ? Quel est le nom des trois astronautes qui ont marché sur la lune en juillet 1969? Combien coûtent cent kilos de pommes à cidre? Quel temps fera-t-il le 12 septembre prochain? A quelle heure commencera l’hiver? Les questions que nous nous posons au jour le jour sont multi­ ples. Beaucoup de réponses peuvent se trouver dans un almanach qui paraît annuellement depuis le XVIIIe siècle. Lorsque arrive la fin de l’été, le temps du Messager boiteux et des vendanges approche. Les jours diminuent et, au gré de ses pages, l’almanach nouveau promène son lecteur dans le passé ou dans l’an­ née à venir. Qui est cet étrange porteur de nouvelles? D’où vient-il? Comment peut-il prévoir le temps du 12 septembre prochain et indi­ quer le bon moment pour planter les carottes? Bien que pourvue des ailes d’Hermès, le dieu des messagers, la jambe de bois du col­ porteur d'almanachs l’empêche d’aller aussi vite que les amateurs de nouvelles fraîches l'exigent. Ses pas vont d’ailleurs au rythme lent d’un gros escargot, toujours à ses côtés, symbole de régénération périodique. Son arrivée sur les foires et marchés permettait autrefois à la gent curieuse et avide de faits divers de connaître quelques événements spectaculaires, monstrueux ou incroyables survenus durant l'année écoulée en d’autres lieux. Aujourd’hui, tout a changé. Les journaux à

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grand tirage et la télévision proposent inlassablement des images allant du spectaculaire à l’insoutenable. Pourtant l’almanach, ancienne littérature de colportage, connaît toujours un grand succès. Aux nouvelles étonnantes et horrifiques se mêlaient les prédictions astrologiques et météorologiques, des proverbes et des conseils concernant l’agriculture et le jardinage ou encore la santé pour l’an­ née en cours. A-t-il beaucoup changé? Enfant du XVIIIe siècle, à quelques reprises transformé, devenu Le Véritable Messager boiteux de Berne et Vevey, il poursuit toujours son bonhomme de chemin. Il affiche aujourd’hui une belle santé et un succès à chaque année renouvelé. Comment cela est-il encore possi­ ble ? Qui sont ses lecteurs ? Pourquoi l’achète-t-on encore ?

L’ALMANACH

Alors que la consultation des astrologues remonte à des temps fort reculés, l’almanach 1 manuscrit n’était au début qu’une liste des événements astronomiques de l’année à venir: phases de la lune, éclipses et conjonctions des planètes. Pour le rendre vraiment utile, on y ajoutait la liste des foires et marchés, des jours fériés et autres fêtes religieuses. Sans refaire l’histoire de tous les almanachs, calendriers et autres «pratiques» manuscrits et imprimés jusqu’à ce jour, relevons tout de même que le décompte du temps, des jours, des mois et des saisons est lié à l’activité humaine. Il n’est donc pas surprenant que cette pra­ tique ait suivi l’évolution des sciences et techniques, passant de la science empirique au calcul astronomique et mathématique, gardant toujours une forte empreinte ésotérique. Connus en France, en Angleterre et en Allemagne au XVe siècle déjà, les almanachs ne font leur apparition dans la République de Berne qu'au XVIIe siècle. Le plus ancien est dû à un habitant du Pays de Vaud, Pierre Jenin, originaire de Jametz et instituteur à Cossonay. Au XVIIe siècle, l’apparition de l’imprimerie provoque dans toute l’Europe une hausse de la production des seuls recueils périodiques

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qui alimentent la curiosité humaine. Les almanachs prolifèrent et c’est à celui qui alléchera le mieux son lecteur potentiel. Aux rubri­ ques traditionnelles, s’ajoutent des prévisions météorologiques ainsi que des prédictions diverses. Toutes se basent sur une science sécu­ laire, l’astrologie. Né en ville, l’almanach est bien vite raillé par les esprits modernes et éclairés, qui pourtant le lisent et même s’en inspirent. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour qu’il parvienne aux campagnes. Prédictions concernant récoltes, politique, détail des jours favorables ou défavorables aux actions de la vie courante (se soigner, laver la maison, couper le bois, etc.), le populaire alma­ nach est avant tout un outil pratique, au service du quotidien. On l’utilise comme agenda, livre de comptes ou cahier de mémoire. Les gens sérieux et cultivés portent un certain intérêt à ce manuel caractérisé par des textes relativement brefs ainsi que des images spectaculaires et nombreuses. Il est aussi devenu un outil précieux, qui accompagne chacun jour après jour. Percé d’un trou, suspendu à la cuisine ou dans la grange, on s’en sert quotidiennement. Le paysan y consigne des nouvelles du bétail (Gentiane a vêlé ce malin) tandis que le jardinier y suit les lunaisons pour semer au bon moment. Il faut ranger dans la catégorie des almanachs du XVIIIe siècle, malgré leur caractère plus sérieux et plus littéraire, les Etrennes helvéti­ ques cuneuses et utiles. Sous un titre destiné à allécher le lecteur on trou­ vait des textes sérieux et un brin moralisateurs. Un an après leur créa­ tion, elles devinrent les Etrennes helvétiennes et patriotiques. Cette publication du Doyen Bridel dura de 1783 à 1816; elle a été réimpri­ mée à plusieurs reprises sous le nom de Conservateur suisse et a joui d’une grande popularité. La publication officielle intitulée Almanach du canton de Vauda éga­ lement sa place dans cette catégorie d’utiles publications. Dès 1818, elle devint l'Annuaire offiael du canton de Vaud, publié par l’administra­ tion vaudoise, et se borne désormais à donner l'énumération austère de tous les fonctionnaires publics du canton. Plonger dans la lecture des plus anciens Messager boiteux signifie tout d’abord revenir en arrière de près de trois cents ans. C’est retrou­ ver un mode d'écrire et de penser qui ne nous est plus familier mais

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Samuel Burnand entouré d’enfants (photo Ivan Dalain, AMB). qui le devient à mesure que l’on remonte jusqu’à nos jours. En effet, depuis ses débuts, le Messager est le parfait reflet de son temps et des préoccupations de ses contemporains. Aujourd’hui comme hier, on se persuade qu’il est immuable. Sa couverture serait toujours pareille, sa bonhomie toujours bienveillante; ce qui est rassurant dans un monde en mutation perpétuelle. Il n’en a cependant pas toujours été ainsi puisque certains événements ont amené des changements dis­ crets ou volontairement remarquables. Certaines modifications sont d’ordre cosmétique, comme la der­ nière qui a vu le visage du Messager lui-même rajeunir. D’autres sont symboliques, comme l’apparition sur la couverture de l’aveugle Jus­ tice, en 1799, consécutivement à la Révolution vaudoise. Le Àlessager est également un témoin privilégié de l’imprimerie et de son évolution. Commencé sur des presses à bras (dites modèle Gutenberg), agrémenté de gravures (bois gravés), il a vécu de nom­ breux changements techniques comme l’apparition de la lithogra­ phie, de la photographie ou de presses toujours plus perfectionnées et rapides.

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Tout le monde connaît le Messager boiteux. Sa silhouette caractéristi­ que est même plus connue que ne l’est l’almanach dont il a emprunté le nom. Alors que son modèle est resté à dessein mystérieux, celui qui l’in­ carnait est devenu très populaire et apprécié de tous. Il eut plusieurs représentants en chair et en os, et celui dont aujourd’hui chacun se sou­ vient était Samuel Bumand. Selon une coutume instaurée depuis quel­ ques décennies, Bumand fut l’un des nombreux figurants de la Fête des vignerons de 19552. Une littérature conséquente lui est consacrée ', aussi nous contenterons-nous de cette image empreinte de tendresse.

L’IMPRIMERIE SOUS L’ANCIEN RÉGIME

L’histoire du Messager boiteux est donc indissociable de celle de l’imprimerie, de la presse et des nombreux autres almanachs. Ce sont en effet les tribulations d’un titre et de ses imprimeurs qui forment, à ses débuts du moins, l’histoire du plus vieil almanach suisse encore publié et lu à ce jour. Retracer ses heurs et malheurs permet de redonner vie à ces messieurs de Berne, généralement et pompeuse­ ment appelés Leurs Excellences (LL. EE.) ainsi qu’aux lois, décrets et ordonnances qui émanèrent d’elles. C’est également découvrir la vie soumise (en apparence du moins) d’hommes et de femmes dont les activités professionnelles et la morale étaient très réglementées. A l’aube du XVIIIf siècle, l’imprimerie était une activité encore peu développée et surtout très surveillée, ceci pour plusieurs raisons. Il s’agissait tout d’abord d’éviter tout texte désobligeant (à quelque titre que ce soit) et de protéger les imprimeurs déjà établis à Berne. La cen­ sure régnait et les nombreuses difficultés administratives découra­ geaient toute entreprise nouvelle4. LL. EE. accordaient de très rares privilèges et assortissaient ceux-ci de l’examen de toute publication par une commission habilitée à donner l’autorisation de diffuseri Peu à peu cependant, la situation économique s’améliore, un marché s’ouvre et les imprimeurs, pour autant qu’ils n’impriment pas de textes jugés audacieux ou suspects, bénéficient de plus de tolé­ rance. La censure est même confiée à des Vaudois, et ceux-ci font preuve de souplesse.

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Les almanachs sont en vogue depuis un certain temps mainte­ nant et leurs éditeurs s’inspirent, voire s’imitent volontiers les uns les autres. La Suisse, par ses nombreuses imprimeries, voit naître beau­ coup de ces publications. En 1623, Jacob Rosius crée à Bienne ce qui semble être le premier almanach bernois, le Rosius Calender

LES MESSAGERS BOITEUX DE BASLE Les Messagers boiteux bâlois paraissent avoir été créés pour répon­ dre à l’influence d’un célèbre almanach liégeois, celui de Mathieu Lândsberger. Au début du XVIIIe siècle, celui-ci annonçait tirer à cent mille exemplaires. Lorsqu’en 1674 disparaît Jacob Rosius, son fils vend le privilège0 et le fonds paternel à Jacob Bertsche à Bâle. Celui-ci cède le tout à dame Ludin qui revend à son tour au sieur Henry Decker, imprimeur de l’Académie. Henry Decker s’en sert pour créer un Basiez Hinkende

Bott. Un autre imprimeur de Bâle, Jean Conrad de Mechel, fonde, la même année, un second Messager boiteux de Basic7. Le Messager boiteux de Bâle de Decker cesse de paraître sous ce titre en 1828 pour devenir le Nouveau Messager boiteux de Bâle qui disparaî­ tra à son tour en 1897. Celui de Conrad de Mechel semble avoir cessé de paraître peu après 18408. Seul un Messager boiteux, d’origine bernoise, a poursuivi son bon­ homme de chemin et évolué pour parvenir à nos jours.

UN EMBROUILLAMINI HISTORIQUE Plusieurs auteurs se sont penchés sur l’histoire du Véritable Messa­ ger boiteux de Berne et Vevey^. Tous ne s'accordent pas sur certaines dates, aussi le retour aux sources de cette aventure s’est-il imposé. Il fallait à la fois retrouver des traces des témoins de cette épopée et faire parler les almanachs qui sont parvenus jusqu’à nous. Conserver un

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almanach n’entrait pas dans les préoccupations de son utilisateur. Froissé, taché, déchiré, gribouillé au jour le jour, rares étaient les per­ sonnes qui ne s’en débarrassaient pas à la fin de l’année. Par chance, les Chenebié ont d'emblée conservé un exemplaire de tout ce qui a été vendu puis imprimé chez eux. Hélas, la tâche se complique à nouveau lorsque l’on sait que les archives de l’almanach ont déménagé plusieurs fois, ce qui a entraîné la perte de quelques documents. Elle devient franchement ardue lors­ que l’on constate que la collection qui se trouve actuellement au siège de l’imprimerie Sâuberlin & Pfeiffer est constituée d’au moins quatre séries différentes, et que toutes portent, au début du moins, le même titre ! 10 Un almanach de 1707 inaugure la première de ces séries. Sa rédaction est en langue française, bien que sa couverture indique Der Htnkende Boit. Les autres exemplaires de cette série, qui couvre com­ plètement les années 1710 à 1769 ont pour titre Le Messager boiteux. Un astrologue y est mentionné, il se nomme Antoine Souci. Cet almanach «se trouve à Bâle chez Jean Conrad de Mechel» chez qui il est imprimé. Il faut attendre 1717 pour qu’apparaisse la preuve de sa vente à Vevey grâce à la mention «à Basle se vendent chez Jean Conrad de Mechel, impr. & à Vevey, chez Isaac Chenebier, libraire». Le second volume, qui couvre les années 1720-1739, s’est envolé sur les ailes du temps depuis fort longtemps". S’ouvre le troisième volume qui révèle qu’en 1740 Isaac Chenebié comme Jean Conrad de Mechel avaient déjà rejoint l'éternité, puisque ce sont leurs veuves respectives qui sont mentionnées comme dépositairesl2. Les deux derniers volumes de cette série contiennent des exem­ plaires du Messager de Bâle (édition de Mechel) pour chaque année jusqu'en 1769l3. Cette première série est ainsi stnctement bâloise. Isaac Chenebié, libraire (et non imprimeur) était dépositaire de l’almanach bâlois pour la partie francophone des Etats bernois. Il importe de souligner qu'il n’était au bénéfice d'aucune autorisation officielle portant sur l'impression ou la publication d’un tel almanach sur territoire de LL. EE.

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Les almanachs sont en vogue depuis un certain temps mainte­ nant et leurs éditeurs s’inspirent, voire s’imitent volontiers les uns les autres. La Suisse, par ses nombreuses imprimeries, voit naître beau­ coup de ces publications. En 1623, Jacob Rosius crée à Bienne ce qui semble être le premier almanach bernois, le Rosius Calender.

LES MESSAGERS BOITEUX DE BASLE

Les Messagers boiteux bâlois paraissent avoir été créés pour répon­ dre à l’influence d’un célèbre almanach liégeois, celui de Mathieu Lândsberger. Au début du XVIIIe siècle, celui-ci annonçait tirer à cent mille exemplaires. Lorsqu’on 1674 disparaît Jacob Rosius, son fils vend le privilège6 et le fonds paternel à Jacob Bertsche à Bâle. Celui-ci cède le tout à dame Ludin qui revend à son tour au sieur Henry Decker, imprimeur de l’Académie. Henry Decker s’en sert pour créer un Basler Hinkende Bott. Un autre imprimeur de Bâle, Jean Conrad de Mechel, fonde, la même année, un second Messager boiteux de Basle1. Le Messager boiteux de Bâle de Decker cesse de paraître sous ce titre en 1828 pour devenir le Nouveau Messager boiteux de Bâle qui disparaî­ tra à son tour en 1897. Celui de Conrad de Mechel semble avoir cessé de paraître peu après 18408. Seul un Messager boiteux, d’origine bernoise, a poursuivi son bon­ homme de chemin et évolué pour parvenir à nos jours.

UN EMBROUILLAMINI HISTORIQUE

Plusieurs auteurs se sont penchés sur l’histoire du Véritable Messa­ ger boiteux de Berne et Vevey\ Tous ne s’accordent pas sur certaines dates, aussi le retour aux sources de cette aventure s’est-il imposé. Il fallait à la fois retrouver des traces des témoins de cette épopée et faire parler les almanachs qui sont parvenus jusqu'à nous. Conserver un

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almanach n'entrait pas dans les préoccupations de son utilisateur. Froissé, taché, déchiré, gribouillé au jour le jour, rares étaient les per­ sonnes qui ne s'en débarrassaient pas à la fin de l’année. Par chance, les Chenebié ont d’emblée conservé un exemplaire de tout ce qui a été vendu puis imprimé chez eux. Hélas, la tâche se complique à nouveau lorsque l’on sait que les archives de l'almanach ont déménagé plusieurs fois, ce qui a entraîné la perte de quelques documents. Elle devient franchement ardue lors­ que l’on constate que la collection qui se trouve actuellement au siège de l’imprimerie Sâuberlin & Pfeiffer est constituée d’au moins quatre séries différentes, et que toutes portent, au début du moins, le même titre !,u Un almanach de 1707 inaugure la première de ces séries. Sa rédaction est en langue française, bien que sa couverture indique Der Hinkende Bott. Les autres exemplaires de cette série, qui couvre com­ plètement les années 1710 à 1769 ont pour titre Le Messager boiteux. Un astrologue y est mentionné, il se nomme Antoine Souci. Cet almanach «se trouve à Bâle chez Jean Conrad de Mcchel» chez qui il est imprimé. Il faut attendre 1717 pour qu’apparaisse la preuve de sa vente à Vevey grâce à la mention «à Basic se vendent chez Jean Conrad de Mechel, impr. & à Vevey, chez Isaac Chenebier, libraire»». Le second volume, qui couvre les années 1720-1739, s’est envolé sur les ailes du temps depuis fort longtemps". S'ouvre le troisième volume qui révèle qu'en 1740 Isaac Chenebié comme Jean Conrad de Mechel avaient déjà rejoint l’éternité, puisque ce sont leurs veuves respectives qui sont mentionnées comme dépositaires l2. Les deux derniers volumes de cette série contiennent des exem­ plaires du Messager de Bâle (édition de Mechel) pour chaque année jusqu’en 1769°. Cette première série est ainsi strictement bâloise. Isaac Chenebié, libraire (et non imprimeur) était dépositaire de l’almanach bâlois pour la partie francophone des Etats bernois. Il importe de souligner qu’il n’était au bénéfice d’aucune autorisation officielle portant sur l’impression ou la publication d’un tel almanach sur territoire de LL. EE.

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fffy^0#™ 9hiïtîr! ^î g^imii1, ——_„ 7/^r, La première couverture du «Messager boiteux« vendu à 1L V rv ..—. ~ evey portait le ---titre oDer Hinkende Bott«, qui fut traduit en «Le Messager boiteux«. Cette couver­ ture restera inchangée. AMB.

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En conséquence, la date de fondation de 1708 mentionnée sur la cou­ verture de l’actuel Messager boiteux correspond uniquement à la première traduction de l’almanach bâlois en français, couverture comprise H. Une deuxième série reliée commence en 1748 et va jusqu’à l’édi­ tion en cours. Jusqu’en 1771, la couverture des almanachs est exacte­ ment la même que celle de la série précédente. Leur titre est Le Véri­ table Messager boiteux de Berne 1748 et Tours bernois apparaît en couverture. Toutes les éditions «se vendent à Vevay, chez P. A. Chenebié, libraire. Antoine Souci, astrologue et historien» est toujours men­ tionné sur la page de titre. L’imprimeur n omet jamais de laisser une place au privilège accordé par LL.EE., tandis que l’impression se fait «à Berne chez la veuve de Jean Bondeli, imprimeurs La comparaison du contenu des Messagers bâlois et bernois mon­ tre que le calendrier bénéficie d’une mise en page identique. Les textes, prévisions et gravures sont cependant différents. Les éphémérides sont présentées d’autre manière, de même que la partie litté­ raire des deux almanachs.

Dès 1748, les deux «Messagers* se séparent. Si leur contenu est différent, l'es­ prit de chacun deux reste le même. AMB.

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De 1752 à 1754 le Messager est toujours imprimé chez la veuve Bondeli, celle-ci se trouvant désormais à Yverdon. Il faut attendre 1755 pour que le Veveysan Paul Abram Chenebié informe ses lecteurs qu’il imprime désormais le Messager «sous propres ses yeux». Ce n’est donc que dès cette année-là que son titre légitime aurait pu être Le Véritable Messager de Berne et Vevey. Cette bonne ville des bords du Léman est encore sous domination bernoise, seul le canton bernois a donc les honneurs de la couverture. Ceci permet en conséquence de relever que plusieurs almanachs partageaient le même titre, et qu’en plus deux d’entre eux avaient une couverture commune. Ces similitudes ne pouvaient évidemment être fortuites. Mais leur explication se perd dans la nuit des temps et le moins que l’on puisse dire est qu’elles ont passablement brouillé les pistes de recherche... Essayons de dérouler l’écheveau bernois.

SAMUEL KNEUBUEHLER, IMPRIMEUR Après avoir voyagé quelques années et appris le métier d’impri­ meur, le Bernois Samuel Kneubuehler ”, natif de la paroisse de Bolligern, demande la permission de s’établir à Berne et d’y imprimer des calendriers français et allemands. Une concession lui est accor­ dée le 25 mai 1675 par LL. EE., qui ne lui permettent cependant pas l’établissement en ville de Berne. Il exerce dès lors son art hors les murs de la capitale. La mort de Rosius semble donner à Kneubühler l’idée de lancer un nouveau calendrier. Bien qu’en 1677 il reçoive des mains de LL. EE. l’autorisation d’imprimer un jour­ nal *6, Kneubühler semble avoir été trop frondeur au gré de ces mes­ sieurs. En 1681 l’imprimeur se voit condamné à vingt-quatre heures de prison pour délit de presse, tandis que le 9 décembre 1684, son calendrier pour 1685 est saisi pour propos désobligeant à l’égard des voisins fribourgeois. Vertement menacé, Kneubühler se tiendra coi jusqu’à sa mort. Celle-ci survient en 1688. Sa veuve sollicite alors, et obtient, un privilège exclusif pour la vente du calendrier. Une circulaire est adres­ sée aux préfets et fait de cette publication une affaire officielle:

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Aux préfets de Thoune, Erlach, Aarburg, Büren, Wangen, Bcnhoud, Aarberg et des quatre villes, concernant la défense des calendriers étrangers en faveur des successeurs de défunt Samuel Kneubuehler. Nous l'Advoyer et Conseil de la Ville de Beme, savoir faisons-ici que la veuve de Samuel Kneubuehler, en son vivant imprimeur, Nous a donné à entendre, en toute humilité, que par suite de la grande vente des calendriers étrangers, par les libraires, les relieurs, colporteurs et chanteurs ambulants, la Haute concession accordée à son défunt mari, pour imprimer et vendre le Calendrier de Berne, était dépouillée et en perte de faveur à cause de la grande introduction des calendriers étran­ gers qui portaient un grand préjudice aux siens, en les lui laissant sur les bras, quoique le calendrier de Berne soit composé «par un auteur célèbre», et qu’il puisse être comparé avantageusement aux calendriers étrangers, ce qui ne peut être mis en doute, et qu’elle Nous priait ins­ tamment de lui donner protection, etc. Comme alors une telle prière ne Nous paraît pas malséante, et que Nous ne sommes pas défavorables à venir en aide, autant que possible, à cette veuve, Nous avons voulu interdire et défendre à ces colporteurs et chanteurs étrangers, cela sous peine de confiscation de la marchan­ dise, d’introduire et de vendre des calendriers étrangers autres que ceux qui pourraient être mis en vente par la dite veuve Kneubuehler; Avec ordre, à toi, de donner non-seulement connaissance de ceci à ces colporteurs et chanteurs étrangers, mais aussi de le faire connaître de la part de l’Autorité Supérieure aux libraires et relieurs de ton District, en les prévenant que s’ils veulent à l’avenir acheter et vendre des calen­ driers étrangers, ils devront s’en pourvoir auprès de la dite veuve Kneu­ buehler, laquelle est aussi invitée de les vendre à des prix raisonnables et bon marché. Donné le 12 juin 1688 Transcription exacte tirée de Capré Jules, Huloiredu MB

Cette brave veuve Kneubuehler décède en 1692 et Jacob Vulpi prend sa succession. Bien que LL. EE. lui aient accordé le transfert du privilège, Vulpi souffre de la concurrence des Messagers boiteux de Basle qui sont de redoutables rivaux. Leur format est volumineux, leur texte instructif, une relation historique ainsi que des gravures les agrémentent. Le Messager bernois fait un complexe d’infériorité car

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son texte est très restreint et la relation historique en est quasiment absente. Il subit également le pullulement des almanachs étrangers qui inondent foires et marchés. En 1703, Vulpi demande et obtient le renouvellement de son pri­ vilège exclusif. Le Gouvernement bernois s’entend avec Genève et Neuchâtel puis ordonne que son calendrier soit le seul valable dans tous ses Etats. Dès ce moment, l’impression et la publication des almanachs sont mises sous surveillance. Le Messager de Berne devient Slaats-Calender, il peut dès lors porter le titre légitime de Véritable Mes­ sager boiteux de Berne. En 1725, Emmanuel Hortin succède à Jacob Vulpi. Le 25 mai de cette année, le privilège accordé à son prédécesseur lui est transféré. Les techniques de vente ne sont pas encore celles qui ont été dévelop­ pées par les publicistes et autres techniciens en marketing. Conscient de l’extraordinaire succès des almanachs bâlois, Hortin transforme le Messager, l’agrandit, emprunte aux Bâlois leur mode de rédaction, y

Celte maison, qui deviendra propriété de l’hoine Chenebié, a été édifiée dans ce qui s’est longtemps appelé le bourg franc. Isaac Chenebié s’était quant à lui ins­ tallé dans le bourg de Blonay-Dessous, distant d’environ quatre cents mètres de cet endroit.

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introduit des gravures. Il le munit d’une couverture illustrée connue de tous, empruntée à l'édition de Jean Conrad de Mechel r. En 1728 est lancé avec succès le Nouveau el perfectionné Calendrier de l'Etat ou Messager boiteux de Berne. Aucun almanach n'est encore imprimé à Vevey et la librairie Chenebié vend l’édition bâloisc de MechelIH.

UNE DYNASTIE

L’absence de documents rendent les débuts veveysans du Messa­ ger boiteux de Berne difficiles à cerner. La seule certitude est que la dif­ fusion de cet almanach de langue française est l'œuvre d’une famille, les Chenebié. Isaac Chenebié est l’un des nombreux français huguenots du Dauphiné réfugiés en Suisse. Originaire de Chamaloc, près de Die dans la Drôme, sa présence est attestée à Tercier (Blonay) en 1691 19 puis à Vevey dès 1696. Il est alors âgé d'une trentaine d’années. Il est signalé comme marchand libraire installé à Blonay-Dessous20, c’est-àdire dans le secteur situé entre les actuelles rues veveysannes du Châ­ teau et Clara Haskil. Isaac Chenebié meurt le 25 novembre 1734 à Vevey21, léguant son affaire à son fils dernier-né Paul-Abram ”. C’est donc celui-ci qui fait prospérer l’imprimerie familiale. Paul-Abram Chenebié disparaît à son tour le 3 novembre 1772 U Son fils François-Louis prend sa succession24. Il se serait associé avec son beau-frère Jean-Nicolas Lôrtscher en 17812\ et l'imprimerie va bientôt quitter la branche Chenebié26. Originaire de Wimmis, bourgeois de Vevey depuis 1803, Lôrt­ scher est né en 1741. Ouvrier relieur à ses débuts à Vevey, il épousa la fille de son patron, Louise Judith Chenebié, en 1770 et devint bour­ geois de Vevey. Jean-Nicolas Lôrtscher et son épouse ont plusieurs enfants, dont trois fils2’: Alexandre Doron, né en 1773, Jean Henri Louis, né en 1777 ainsi que Isaac Vincent, né en 1779. Tous trois apprirent le métier d'imprimeur. Ce sont eux qui reprirent le flam­ beau lorsque, le 10 mars 1814, Jean-Nicolas Lôrtscher quitta ce monde.

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Accoudé au comptoir, Jean-Nicolas Lortscher est attentif aux propos du pasteur allemand Mader tandis que ses deux amis Walther et Dietnch font la causette à l’entrée. A MB. Les aléas de l’existence emmènent Alexandre Doron à Bâle. Il y épouse Salomé Treu, et ses deux enfants, Jean Henri Albert et Mar­ guerite Elisabeth, y naissent respectivement en 1804 et 1806. Puis la famille revient à Vevey et les enfants dAlexandre continuent l’œuvre initiée par Isaac. Albert Lôrtscher vécut la période passionnante des grandes découvertes scientifiques et développements industriels du début du XIXe siècle. Pendant que la diligence se voyait supplantée par le che­ min de fer, notre messager à pied était concurrencé par le télégraphe et bientôt par le téléphone. Conjointement à ces transformations techniques, les mentalités se voyaient passablement bousculées. L’or­ dre des choses auquel l’être humain se raccroche et accorde la péren-

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nité subissait une nouvelle évolution. Tour à tour incrédule et réfrac­ taire. émerveillé ou encore rebelle, le rédacteur de l’almanach qu’était Albert Lortscher2H dut malgré lui parfois et sans cesse suivre les ten­ dances nouvelles. C'est ainsi qu’il ne consentit à cesser l’impression du Messager sur l’ancienne presse à bras que lorsqu’il fallut véritablement faire un effort de modernisation car la concurrence s’était mécanisée et le tirage de son almanach était devenu trop important pour la technique ancienne. Il mourut le 26 septembre 1879 à l’âge de 75 ans, sans pos­ térité. Sa sœur Elisabeth, qui avait épousé à Bâle Jean-B. Klausfelder, avait deux fils. Albert et Burkart prirent la direction de la maison à la mort de leur oncle Albert. C’est ainsi que Lôrtscher et Fils devint Klausfelder Frères en 1879. Albert Klausfelder disparut en 1904-'’. Le fils de Burkart, également nommé Albert Klausfelder '1’, prit les destinées de la maison entre ses mains en 1905. A ses côtés se trouvait Emile Gétaz. Né le 2 août 1867, ce Damounais d’origine était entré à l’imprimerie en 1894. Rédacteur de la Feuille d’Avis de l'evey", directeur du Messager boiteux, il fut également administrateur-délégué de l’Imprimerie et Lithographie. Les Veveysans se souviennent notamment qu’il fut abbé-président de la Confrérie des vignerons de 1942 à 1952, fonction qu'il dut abandonner pour raison de maladie à l’âge vénérable de 85 ans. Il avait consacré beaucoup de temps et d’énergie à la mise sur pied de la Fête des vignerons de 1955 qu’il ne vit jamais. En effet, 1953 reste une sombre année pour l’imprimerie qui vit disparaître successivement Albert Klausfelder, le 12 février, puis Emile Gétaz, décédé le 28 mars. Leurs fils respectifs, Alexandre et Arnold leur succédèrent. Alexandre Klausfelder dirigea le cartonnage avec son fils Albert, tan­ dis qu’Arnold Gétaz '2 suivit les traces paternelles jusqu’à sa retraite en 1975. Alors qu’une dynastie s’était consacrée durant plus de deux siè­ cles et demi à son messager à la jambe de bois, un coup de tonnerre éclate dans le ciel veveysan en 1974. Klausfelder S. A. est rachetée par une maison veveysanne créée en 1896 par deux de ses anciens employés, Sâuberlin & Pfeiffer”. Beaucoup ne comprennent pas, la

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C’est avec infiniment de regrets qu’Emile Gétag dut quit­ ter sa fonction d’abbé-président de la noble Confrérie des vignerons. Photo de Jongh, AMB. vieille maison est ébranlée, on pense que le Messa­ ger est perdu, on imagine même le pire: la Fête des vignerons qui approche n’aurait pas le même éclat. Mais laissons là un propos qui n’est pas celui de notre Messager. Car un changement de propriétaire n’affecte pas un respectable ancêtre et rien ne saurait perturber celui qui, par une marche tranquille, mit plusieurs décennies pour se rendre de Berne à Vevey. Quittant sa maison de la rue du Lac, il franchit la Veveyse pour emmé­ nager rue de l’Union.

LES DÉBUTS DU MESSAGER DE BERNE À VEVEY L’impression et le commerce du livre ne sont pas choses aisées en ce XVIIe siècle. Rivalités et interdictions sont nombreuses, des privi­ lèges protègent les imprimeurs déjà établis et gare à qui l’«oublierait», les contrevenants sont rigoureusement punis. Isaac Chenebié, puis son fils Paul-Abram étaient des libraires. L’un puis l’autre ont débité et vendu des livres à Vevey jusqu’en 1744. En janvier de cette année-là, Paul-Abram Chenebié est en litige avec un imprimeur lausannois à propos d’almanachs. En effet, Zimmerli ", établi depuis 1725 pour la somme de 70 écus blancs, est au bénéfice d’un privilège exclusif et Chenebié, «marchand libraire à Vevey», aurait fait entrer et vendu des imprimés provenant de Genève imitant les siens. Le Veveysan est condamné3’. Aussi, lorsque le 30 juin 1744 Paul-Abram Chenebié, toujours marchand de livres, demande permission d'ériger sa propre imprimerie à Vevey, son rival lausannois s'y oppose-t-il ^ Chenebié fait tout de même l'acquisition d'une presse dans l’intention d’imprimer des livres d’usage37. Mais il lui faut attendre le verdict des autorités38.

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Dans le but de prendre décision, l'Académie visite l’imprimerie Zimmerli dont le fonds a considérablement augmenté puisqu'il pos­ sède alors «pour 50 quintaux de caractères dont plusieurs grecs et qu'il fait rouler 3 presses». Relevons qu'il n'a qu'un seul privilège exclusif, celui concernant l’impression des almanachs '9. L’Académie prend une décision favorable au Veveysan “'. C’est ainsi que, le 14 décembre 1744, une concession est enfin accordée au patient PaulAbram Chenebié ainsi qu'à Johann Zimmerli pour l’impression de calendriers et de livres de piété11. Chenebié devient alors un impri­ meur officiel. Rappelons que malgré le privilège dont bénéficie Zimmerli, il n’y a toujours qu'un seul et unique almanach officiel bernois, celui publié par Hortin. Ce Messager va cependant bientôt changer de mains. Nous lAdvoyer et Conseil de la Ville de Berne, savoir faisons par la présente, qu'après qu’il Nous a été humblement exposé par Notre Bourgeoise, la veuve de l’imprimeur Bondeli4*, en quelle mesure elle avait l'idée d’imprimer un calendrier in-4", avec la prière de lui concé­ der un Privilège pour cela, et que cela n’entraînerait aucun préjudice ni dommages à d’autres, et qu’après avoir pris des renseignements et exa­ miné, et comme personne des autres impnmeurs ne s'y oppose, Nous avons voulu condescendre conformément à son désir; toutefois, pour aussi longtemps qu'il Nous plaira et que cela ne donnera lieu à des motifs ou des plaintes, en lui permettant l’impression et la vente du Calendrier prénommé dans Nos Etats et Possessions, à la condition que cette vente ait lieu à des prix modérés, ceci avec l’intention d'en interdire la contrefaçon et la vente d’iceux sans son consentement peine de confiscation des exemplaires. En foi de quoi [...), le 18 mai 174741

En 1753, Jeanne-Esther Bondeli, qui imprimait depuis 1748 à Berne, adresse une nouvelle requête à LL. EE.: elle avait obtenu d'Emmanuel Hortin le Messager boiteux: «Quant à l’Almanach in-4°, nommé le Messager boiteux, c'est M. Hortin qui en avait le privilège, et n’y trouvait plus son compte»14, puis elle s'était installée à Yverdon ’\

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Elle souhaite désormais avoir les mêmes privilèges que Zimmerli. Or celui-ci se trouve gêné par l’activité de cette rivale et cherche un arrangement46. A ce moment, les ennuis de Chenebié avec Zimmerli ne sont pas encore terminés. Le privilège de Jean Zimmerli pose quelques pro­ blèmes au Veveysan qui prétend avoir laissé son imprimerie vacante jusqu’en 1753:

Paul-Abram Chenebié Bourgeois de Vevey, Très soumis serviteur et fidèle sujet de vos Excellences, aïant appris qu’actuellement le Sieur Zimmerli sollicitoit pour la troisième fois le privilège exclusif pour l’Im­ pression des livres d’usage, vient leur exposer en toute humilité: Qu’en 1744 II fit l’acquisition d’une Imprimerie dans l’intention d’im­ primer des livres d’usage, dont la vente et le débit faisoient depuis long­ temps l’unique commerce de l’humble suppliant, et de feu son Père, l’impression des dits Livres aïant été libre jusques alors. Mais dès aussi tôt que le Sieur Zimmerli s’apperçut du dessein de l’ex­ posant, il se hâta de solliciter auprès de vos Excellences, un Privilège exclusif qu’il obtint pour dix ans, sous prétexte qu'il étoit chargé d’un fort grand nombre d’exemplaires desdits Livres, en sorte que l’humble exposant ne put obtenir permission, pour sa nouvelle Imprimerie que sous la réserve qu’il ne porteroit aucune atteinte au Privilège exclusif du Sieur Zimmerli. Quoi que cette réserve fut très préjudiciable au suppliant, il obéit sans murmure et laissa son imprimerie vaccante jusqu’en 1753, qu'il acheta de la veuve Bondeli le Privilège du Messager boiteux, moïennant une pension viagère de sept Louis d’or neuf par an. Les dix années du Privi­ lège de Zimmerli tendoient à leur fin, et l’humble Exposant se flattoit de faire valoir l’Impression des Livres d’usage son Imprimerie, qui n’est occupée par le Messager boiteux qu’une partie de l’année. Il vient se jeter aujourd’hui aux pieds de Vos Excellences, pour leur demander, non point un Privilège exclusif, mais la Liberté d’imprimer aussi les Livres d’usages reçus et approuvés dans le Païs. Et au cas que Vos Excellences trouvassent bon de continuer encore le Privilège au Sieur Zimmerli, l’humble Exposant supplie qu’il soit au moins excepté de cette esclusion et qu'il ait aussi permission de travailler, ce qu’il attend avec d’autant plus de confiance de la bonté Paternelle de Vos Excellences, que n’ayant pù faire valoir son Imprimerie pendant

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20 ans, il lui seroit bien douloureux que son fils, qui n’a d’autre profes­ sion que celle d’Imprimeur, eut par un nouveau Privilège les bras liés, et qu’il fût privé de son Gagne-Pain47. Il se répand en vœux pour la prospérité de l'Etat, et des Illustres Sei­ gneurs qui le composent. ACV, Bb 25/16, p. 504, document non daté, fait référence à Bb 25/16, p. 500 daté du 8 juin 1764, voir aussi Raths-Manual, 270, p. 195

Requêtes et plaintes ont été nombreuses jusqu’à ce qu’en 1754 puisse être imprimé le premier almanach veveysan. Paul-Abram Che­ nebié annonce fièrement à ses lecteurs que l’édition pour Tannée 1755 du Messager boiteux s’imprime désormais dans sa propre impri­ merie18. C’est la seule chose qui change. Pour le reste, la couverture comme le contenu restent semblables à ce qu’ils sont depuis que les impressions bâloise et bernoise ont fait chemin conjoint. Objet de multiples interprétations, la couverture est désormais composée des divers éléments apparus dès ses débuts ainsi que de quelques changements intervenus en 1771: le soleil et la lune appa­ raissent, ainsi que le symbole des éléments (air, eau, terre et feu). Les nouvelles du temps passé sont amenées par le Messager qui s’avance depuis la gauche. Deux des trois personnages sont vêtus à la mode Louis XV tandis qu’un paysan s’adresse à eux. Un enfant, symbole d’innocence, pleure. En arrière-plan, histoire ou actualité, des hommes se battent sur mer et sur terre, une ville est en feu, signe de catastrophe. Cette période correspond à celle où quelques gazettes apparais­ sent. Ces publications nouvelles enlèvent aux nouvelles amenées par le Messager leur goût de nouveauté. On les connaît souvent déjà. L’es­ cargot semble là pour rappeler que Talmanach ne paraît qu’une fois par année, ses nouvelles ne parviennent donc que lentement. La vie de Talmanach s’écoule, paisible, sans même sembler s’at­ tacher aux êtres qui lui permettent d’exister. On ne s’aperçoit de leur disparition qu’à un modeste changement de nom au bas de la page de titre.

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Inchangée depuis ses débuts francophones, ¿a couverture de l’almanach du «Messager boiteux- est légèrement modifiée depuis l’édition de 1771. Apparais­ sent le soleil et la lune ainsi que l’escargot. Le cadavre situé entre les chevaux et les poursuivants disparaît, la mer se calme. Le messager, dont la jambe droite est simplement repliée, s’est offert un pilon mouluré tandis que les trois person­ nages et l’enfant ont changé de vêtements et de visages. AMB.

C’est ainsi que, le 14 décembre 1772, LL. EE. accordent le privi­ lège pour l’impression du Messager boiteux aux héritiers de Paul Abram Chenebié dont le trépas est récent. François-Louis Chenebié, Elisabeth Chenebié et Jean-Nicolas Lôrtscher continuent l'œuvre familiale49.

RÉVOLUTION ET ÉVOLUTION

La censure qui régnait conduisait à la plus grande prudence en matière d’impression. On évitait avec soin toute information malveil­ lante à l'égard du pouvoir en place, tout jugement ou toute idée

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pouvant amener le peuple à se révolter. LL. EE. y veillaient et seul pouvait songer à y contreve­ nir celui qui souhaitait perdre ses privilèges. Lorsque éclate la Révolution française, le Messager boiteux se contente d’informer de la tenue à Paris des Etats généraux. Vue de la Suisse au travers du filtre de l’almanach, la transformation qui touche l’Etat français ne semble pas importante... Cette prudence n’empêche pas les idées révolutionnaires de pénétrer en Suisse et le début de l’année 1798 voit une bonne par­ tie du territoire bernois de langue La nouvelle couverture introduit deux française se débarrasser des bail­ nouveaux symboles: le chapeau de lis, représentants de LL. EE. La Gessler vers lequel sont tournées toutes révolution faite, commencent les les flèches, symbole du joug dont le transformations politiques et peuple s’est libéré. Son pendant est le sociales. Débute également l’évo­ rucher, cette collectivité laborieuse tout lution progressive de l’immuable entière tournée vers un objectif com­ almanach. Les privilèges envolés munautaire. AMB. avec les Bernois, les «Hoirs de P. A. Chenebié» deviennent «Chenebié & Lôrtscher, libraires & imprimeurs». Puis on transforme le symbole même de l’almanach: sa couverture certes d’origine bâloise, mais décidément trop bernoise. De 1799 à 1802, la République helvétique est célébrée par la nou­ velle couverture du Messager. Celui-ci s'intitule d’ailleurs Vénltible Mes­ sager boiteux de Vevey. Le mouvement libéral est symbolisé par l’appari­ tion de la Justice sur un fond rappelant étrangement la prairie symbolique du Rütli. L’appartenance de ce qui deviendra le canton de Vaud à la Suisse est marquée par la présence du mythe de Guil-

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laume Tell (ce qui permet à l’enfant d’être toujours présent) ainsi que par les trois hommes (les fameux trois Suisses) prêtant serment à gauche. On remarque encore que le messager, qui a rajeuni, arrive de la droite. L’ordre des choses a irrémédiablement changé semble-t-il. L’Ancien Régime a vécu. Politiquement, l’euphémisme sera peut-être pardonné, la Suisse est dans une période de tâtonnements et peine à se trouver une unité. Le Messager quant à lui se cherche une couver­ ture. Fédéraliste peu avant que l’Acte de Médiation50 ne soit proclamé, ou plus simplement prudent, car on court encore le risque que Berne revienne en terre romande, l’édition de 180331 prend le titre de Vérita­ ble Messager boiteux de Berne et Vevey. La République helvétique est en pleine déconfiture et la liberté s’est envolée de la couverture. Elle sera remplacée dès 1805 par une vignette représentant chaque année un personnage de la «mythologie» helvétique destiné à éviter les contre­ façons. C’est Nicolas de Flue qui inaugure la série52. En 1806 la couverture change à nouveau complètement, mais la vignette est toujours là. Les personnages retournent à droite, le mes-

Couverture de 1803 et couverture de 1805. AMB.

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sager est à nouveau barbu et arrive depuis la gauche. Les cava­ liers piétinent un cadavre sur fond de bataille navale et de ville en feu. Les costumes quant à eux symbolisent les temps nouveaux, par l’intermédiaire d’un homme en arme vêtu à la mode napoléo­ nienne et d’un civil, tandis que les temps passés sont représentés par un personnage suisse issu des couvertures des années précé­ dentes. Almanach aujourd’hui répu­ té constant, dont l’aspect immua­ ble est rassurant, le Messager boi­ teux a changé cinq fois de couverture en douze ans puisqu'en 1810 il se transforme à

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nouveau. Désormais, le messager arrive par la droite, il a perdu sa jambe gauche. Jusqu’alors sa jambe droite était seulement blessée. Il est désormais amputé sous le genou et son pilon a été simplifié. L’ar­ rière-plan est toujours empli de batailles et les fuyards abandonnent un homme et un cheval à terre. Cette couverture subira une modifi­ cation légère qui verra ses personnages rajeunir en 1830. Le messager perdra encore un morceau de sa jambe mais celle en bois se voit dotée des ailes d’Hermès, le dieu des messagers. Outre sa lance et une lettre, il est porteur d’un cor semblable à celui qui sera l’em­ blème des postes helvétiques. Depuis 1888 les couvertures sont en couleur monochrome. Elles deviendront polychromes dès 1957 tandis que la gravure perdra sa bordure et occupera toute la page à partir de 1976.

LES AUTRES ALMANACHS PRODUITS À VEVEY La Révolution vaudoise consommée, amputée d’une bonne par­ tie de son territoire, la République de Berne ne voulut pas perdre également son almanach. Hélas, l’imprimerie qui le composait avec succès se trouvait en terre lémanique. Divers imprimeurs se constituè­ rent en association et publièrent Le Véritable Messager boiteux de Berne dont les archives du Messager veveysan conservent quelques exem­ plaires isolés. Il est certain que Chenebié & Lôrtscher participèrent à l’élaboration et à la composition de cet almanach. Le dynamique Lôrtscher imprimera également un Hinkende Bott von Vivts en langue allemande de 1794 à 1848 ainsi que le Messager boiteux de Neuchâtel pendant une période relativement brève.

Page suivante, cet almanach, dont la couverture est très veveysanne (on aperçoit le clocher de Saint-Martin ainsi que quelques barques lémantques), était publié en langue allemande uniquement. AMB.

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NOTES 1 Almanach est un mot arabe d’Espagne ( 'al manakh, calendrier) qui luimême provient certainement du syriaque dont le radical ma- signifie lune, mois. 2 C’est à l’occasion de la Fête des vignerons de 1927 que le Messager boi­ teux fut intégré aux personnages de la fête. François Streit incarna pour la première fois à la scène ce témoin de l’Histoire à la jambe de bois. Depuis, on ne conçoit pas cette célébration sans y intégrer ce personnage de légende. 3 Coll., Samuel Bumand, notre Messager boiteux, Editions Le Livre de l’Ami­ tié, 105 pp. BOUGARD Alain, Légendaire Messager boiteux, Samuel Bumand, 1896-1985, Vulliens, Ed. Mon Village, 1985, 130 pp. MaYOR Jean-Claude, Du pilon à la gloire, les aventures véridiques du Messa­ ger boiteux, Genève, Tribune éditions, 1979, 157 pp. 4 L'histoire de l’imprimerie, liée bien sûr à celle de la presse, est pas­ sionnante. Outre le formidable développement technique qui a permis une diffusion toujours plus large et plus rapide de l’écrit, elle participe égale­ ment à l’histoire des mentalités. L’imprimerie a longtemps été fortement soumise à la censure et à la morale. Les Lumières puis les révolutions américaine et française lui offriront un début de liberté. L’article 11 de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 lui est consacré: «tout citoyen peut [...J parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.» Qu’au nom de ce droit l’on se permette des abus aujourd’hui est une facette nouvelle de l’Histoire. Il ne vaut la peine de la relever que dans la mesure où cela permet au tranquille Messager boiteux de continuer sa marche avec grand succès. Constant, fidèle, il n’émet pas de jugement hâtif et ne cède pas aux luttes partisanes; il s’inspire des modèles d’antan tout en vivant pleinement son temps. Il reste ainsi pour beaucoup un point d’ancrage rassurant. s A Vevey, Edouard Recordon mentionne une librairie ouverte à Vevey depuis 1702 par un dénommé Schmitt, ce qui à ce jour n’est attesté par per­ sonne d’autre. In RECORDON Edouard, Etudes historiques sur le passé de Vevey, Vevey, 1970, onzième étude, l’industrie, p. 28. ü Rosius ayant dédicacé son calendrier aux messieurs de Berne, il avait reçu la permission de vendre celui-ci dans les Etats bernois. 7 Les differents auteurs consultés sur les Messagers du début du XVIIIe ne s’accordent pas. Mentionnons notamment Jules CaPRÉ, Histoire du •Messa-

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gtr boiteux de Berne et Vevey", Emile GéTAZ, Monographie du »Messager boiteux de Berne et Vevey-\ Paul ToiNET, Les »Messagers boiteux--, ei Jean-Claude MaYOR, Vie d’un almanach. Pour Jules Capré, c’est en 1706 que Jean Decker, fils de Henry, com­ mence la publication d’une édition française de son Messager. Toinel estime que c’est en 1709. Selon les mêmes auteurs, de Mechel aurait publié son almanach français respectivement en 1708 et 1707. Quoi qu’il en soit et malgré l’absence de certitudes, les deux Messagers rivaux portent le même litre. Leurs couvertures respectives permettent néanmoins de les distinguer. La collection des archives du Messager boiteux veveysan possède un exem­ plaire de 1707 imprimé par Mechel ainsi qu'un exemplaire de 1709, prove­ nant toujours de chez Mechel, intitulé Le Gros Almanach et dont l'astrologue a pour nom Melchior Griesser. On sait que l'imprimeur bâlois était un grand fabricant d’almanachs divers. s Toinet, op. cit. p. VII, qui se base sur ses propres recherches auprès de la BNS, donne 1841. 9 Voir note précédente. ,u Consulter la bibliographie pour avoir plus de détails sur cette collec­ tion. 11 Pour la réalisation de son Histoire du -Messager boiteux-, qui devait paraître en plusieurs tomes et fut commencée vers 1883, Jules Caprc a eu entre les mains tous les volumes réunissant la série bâloise. Le deuxième tome parut en 1888, soit trois ans après le premier (alors que l’on promet­ tait un volume par an). Il s’ouvre sur la promesse des éditeurs que la suite serait publiée dans les délais. Suite qui devait contenir des extraits des années 1720-1740, qui sont justement celles du volume manquant dans les archives. Jules Capré a-t-il emporté le volume à Berne où il travaillait? L’a-t-il par la suite égaré dans les murs de Chillon où il habita? Le troi­ sième tome ne parut jamais et le volume a peut-être disparu à jamais. Pour de plus amples informations sur Jules Capré, personnalité remarqua­ ble, lire l’article qui lui est consacré dans le premier numéro des Cahiers de l’Académie du Chablais. 12 «A Vevey, chez la Veuve Chenebié & fils et A Basle, se vendent chez la Veuve de Jean Conrad de Mechel demeurant au Faubourg de la Pierre.»» 13 Les exemplaires de 1747-1748 présentent la couverture habituelle à laquelle est ajouté l’écu bâlois. Son titre est Le Véritable Messager boiteux de Basle en Suisse, cette même page nous apprend que la veuve d’isaac l'a rejoint dans l’au-delà puisque le dépositaire est «A Vevey chez P. A. Chenebien». La page de titre indique quant à elle qu’on le trouve toujours chez la veuve de Jean Conrad de Mechel.

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Dans ce même volume, isolé parmi les autres, l’exemplaire de 1749 est également intitulé Véritable Messager boiteux de Basle en Suisse, cependant sa couverture n’est pas identique aux précédentes, et son imprimeur est Jean Henri Decker, imprimeur de l’Académie, demeurant au faubourg de la Pierre (relevons que Jean Conrad de Mechel était à la même adresse...). L’astrologue mentionné par les deux imprimeurs bâlois et par le Messager bernois est Antonius Sorgmann ou Antoine Souci. 14 La date de fondation actuellement mentionnée en couverture (1708) est effectivement pour le moins étrange. Jusqu’en 1845, il n’en est jamais fait mention. La période est alors propice aux anniversaires et commémorations de tous genres: la Suisse elle-même se cherche quelques dates à célébrer. En 1846, la page de titre du Messager indique que l’on en est à la 101e paru­ tion, ce qui situe ses débuts en 1746. Cette date ne correspond à rien, sauf à la période au cours de laquelle s’y intéressait la veuve Bondeli. Pendant plus de vingt ans on conservera cette date de départ. Et voilà qu’en 1869 on le dit soudain fondé en 1707, l’édition en cours étant de ce fait la 163e (or Ton indique qu’il s’agit de la 162e!). Cette date est satisfaisante dans la mesure où elle correspond à la première traduction française d’un Messager boiteux (bâlois). Mais voilà que l’erreur de l’an précédent est corrigée par une nou­ velle erreur que l’on perpétue dès lors à loisir: le Messager aurait été fondé en 1708. Or le Messager boiteux bernois est né en 1676, soit la même année que les deux Messagers bâlois (tous sont alors en langue allemande). La pre­ mière traduction française du Messager bâlois de Conrad de Mechel date de 1707, tandis que le premier Messager bernois en français paraît en 1748. C’est donc parmi ces trois dernières dates qu’il eut fallu choisir. 13 Cette partie s’appuie avec beaucoup de prudence sur Jules Capté, op. at. t. 1. 16 Ce journal vient d’être retiré à l’imprimeur Sonnleiter, lui-même ins­ tallé à Berne depuis 1644. 17 L’utilisation de la couverture bâloise pour la nouvelle mouture bernoise du Messager boiteux est sans doute fruit d’une collaboration avec Conrad de Mechel. Nul doute que ce dernier se serait défendu avec vigueur s’il s’était agi d’une imitation ou d’un emprunt non autorisé. Toutes les considérations sur les diverses couvertures du Messager boiteux qui suivront ne concernent que son édition française. L’édition bernoise de langue allemande bénéficie d’autres couvertures dont on trouve des repro­ ductions dans l'ouvrage de Jules Capré, op. cit. tome 1. 18 Insistons: il est donc faux de prétendre que Talmanach est né en 1708 et encore plus qu’il est né dans la maison située au bas de la Grande-Place. Le chapitre qui suit montre qu’Isaac Chenebié a commencé à Blonay-Des-

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vous, secteur éloigné de la rue du Sauveur (devenue rue du Lac) où se trouve la maison du Messager boiteux. Fions-nous à Fédia Muller, Images du Vevey d’autrefois, Vevey, Sâuberlin & Pfeiffer, 1975: cette maison appartenait encore en 1766 à un dénommé Jean-Antoine Miol et devint propriété des Chenebié (qui en étaient peut-être locataires) plus tard (le n° 49 est attesté en 1835 comme propriété de l’hoirie Chenebié et de Vincent et Jean Lôrtscher). Les n0’ 47 et 51 ne furent acquis quant à eux qu’en 1922 ! Les alma­ nachs de 1864 et 1865 insistent sur cette adresse, d’autant plus qu’une nou­ velle presse a été récemment installée ! 19 Le registre des baptêmes de la paroisse de Blonay (ACV, Eb 17/1-2) note que le 27 mars 1691, en compagnie d’autres réfugiés, Isaac Chenebier devient parrain de Marguerite, fille de Noé Chenebier, de Chamaioc en Dauphiné, réfugié, et d’Eve Boumat sa femme. 20 PlGUET Emile, Les dénombrements généraux de réfugiés huguenots au Pays de Vaud et à Berne à la fin du XVII' siècle, pp. 23 et 168. 21 Archives communales de Vevey, D 30, registre des décès 1704-1863 fo 52v. 22 ACV, Eb 132/4-5, entre 1697 et 1709, Isaac Chenebié a eu 3 filles et 2 fils (Marie, 28.11.97/ Marie Suzanne, 19.2.1701/ Paul, 4.1.1703/ Isabeau, 19.9.1705/ Paul-Abram, 20.6.1709, les dates sont celles des baptêmes), ACV, Eb 132/4-5, 14 novembre 1738, mariage de Paul-Abram, fils de feu Isaac Chenebié, avec Mariane, fille de François Louis Bernard. 23 ACV, Eb 132/4-5, relevons les deux décès successifs du couple Chene­ bié: l’épouse de Paul-Abram, Marie-Anne Bernard meurt des suites d’une dysentrie, de fièvre et complications le 12.11.1771 à l’âge de 57 ans. Le jeudi 3 novembre 1772, Paul-Abram Chenebié, fils de feu Isaac, bourgeois de Vevey, décède à l’âge de 63 ans et demi. 24 ACV, Eb 132/4-5, Paul-Abram Chenebié et sa femme Mariane (ou Marie-Anne) ont eu 6 enfants. (Le premier est décédé sans baptême le 27 août 1739 (Arch. comm. Vevey, D 30), François-Louis, 27.11.1740/ Abraham Isaac, 23.3.1742/ Louise Judith, 15.4.1743/ Marie Anne, 25.3.1744/ MarieEsther, 9.1.1750. Louise Judith épousera Jean-Nicolas Lortscheren 1770. 25 Ceci nous permet de relever la malchance qui poursuivait FrançoisLouis et sa femme: des nombreux enfants qu’ils eurent, peu survécurent: ACV, Eb 132/9-11: François-Louis Chenebié, bougeois de Vevey, libraire à Vevey, son épouse est Alexandrine Blâche. Leur fille Jeanne-Marie est décé­ dée le 18 mai 1770 à 4 mois. Anne-Marie Sabine naît le 8 février 1771. Le 29 janvier 1772 un fils est mort-né. Leur fils suivant, François Alexandre Chenebié décède le 16 mars 1774 à l'âge de 11 mois. Puis naît Jeanne-Fran­ çoise, le 11 décembre 1776; Jean François Félix voit le jour le 16 décembre 1777 et enfin Paul-Louis meurt le 19 février 1780 à l’âge de 6 mois.

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2 b L’orthographe n’avait pas encore l’importance que nous lui attribuons aujourd’hui. Chenebié s’écrivait alors également et indifféremment Chenebier. Par ailleurs, sur les exemplaires du XVIIIe siècle de l’almanach, Vevey s’écrivait tout aussi bien Vevay. 27 ACV, Eb 132/6-8: Anne Marie Pauline, née le 9 juillet 1771, Alexandre Doron Henri, né le 11 novembre 1773, Jeanne Suzanne Esther, née le 19 mars 1776 mais décédera dans l’année, Jean Henri Louis, né le 21 mai 1777 et Isaac Vincent, né le 30 mai 1779. 28 Albert Lôrtscher fut rédacteur de l’almanach depuis 1835. On lui doit bon nombre de textes ainsi que de nombreuses vignettes puisqu’il gravait également. 29 Rodolphe-Albert Klausfelder (fils de J.-B.) est né à Bâle le 2 avril 1839 et décédé subitement à Vevey le 3 décembre 1904. Le BGC de 1892 men­ tionne sa naturalisation, son frère et lui obtinrent en effet la bourgeoisie de Vevey le 3 novembre 1892. 30 Albert Klausfelder (fils de Burkart) est né le 20 septembre 1874. Il entra dans l’entreprise en 1895, c’est lui qui engagea le développement des procé­ dés de reproduction lithographiques en 1901 dans le bâtiment de la Clergère. En 1905 la Société de l’Imprimerie et Lithographie Klausfelder S. A. était née et logeait à l’avenue de Corsier. Il avait créé le département «Lithogra­ phie et cartonnage», appelé à se développer beaucoup. ACV, dossier ATS. 31 La Feuille d’Avis de Vevey (à l’origine Nouvelle Feuille d’Avis des Districts de Vevey, Aigle el Oron) est née le 3 avril 1846 sur la presse à bras qui imprimait déjà le Messager. Elle est l’œuvre d’Albert Lôrtscher et de son collaborateur G. Blanchoud. Attaché à la maison Klausfelder, ce titre, devenu VeveyRiviera passa chez Sâuberlin & Pfeiffer en 1974 jusqu’à sa fusion en juillet 1992 avec L’Est Vaudois en un L’Est vaudois/Riviera qui aujourd’hui porte le titre de La Presse/Rtviera-Chablais. Lire à ce sujet l’intéressant numéro spé­ cial de La Presse/Riviera-Chablais du 18 octobre 1996, consacrée à «150 ans de presse dans l’Est vaudois». 32 Arnold Gétaz est né le 8 mars 1904 et décédé en mai 1992. ACV, dos­ sier ATS. 53 Une opportunité s’était présentée lorsque Albert Roth-de Markus, per­ sonnalité touchc-à-tout qui s’intéressait à la musique, à l’édition et au jour­ nalisme, propriétaire notamment du théâtre Lumen de Lausanne, vendit son imprimerie de Plan-Dessous. Une exposition au Musée du Vieux-Vevey évoque son activité du 2 novembre 1996 au 2 février 1997. Georges Sàuberlin, rédacteur de la Feuille dAvis veveysanne de 1888 à 1896 et Albert Pfeiffer choisirent dès lors de voler de leurs propres ailes. Leur affaire prospéra sur­ tout grâce aux industries cigarières, alimentaires puis pharmaceutiques.

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34 Jean (Johannes) Zimmerli, bourgeois d’Arbourg, est imprimeur à Lau­ sanne. Il a racheté, en 1725 et pour 70 écus blancs, ce qui restait de l’impri­ merie des Gentil et imprime l’almanach de Lausanne. En 1728, il devient imprimeur en titre de l’Académie (voir le Raths Manua), 117, p. 291). Un mandat souverain du 19 septembre 1743 lui accorde, à sa requête, un privi­ lège pour l'impression de l’almanach français et interdit l'importation et la vente sur les terres bernoises des almanachs étrangers qui lui causent une perte, exception faite pour les foires accoutumées (ACV, Ba 16/6, folio 149). Le 11 avril 1744, LL.EE. lui accordent la continuation du privilège dont jouissait son prédécesseur Frédéric Gentil pour l’impression de ses alma­ nachs (ACV, Ba 33/10, pp. 18 et sq.). Le 14 décembre 1744 vu les contesta­ tions entre Chenebié et lui, LL.EE. précisent les termes du privilège et concession accordés (ACV, Ba 33/10 pp. 78 et sq.) et lui accordent un privi­ lège spécial de dix ans pour son almanach in-12”, ce qui sera reprécisé en 1752-1753 (ACV, Bb 25/14, pp. 257 et sq.). Une liste des livres d’usage imprimés par Zimmerli figure aux ACV’ (Ba 14/7, pp. 185-188). En juillet 1751 Zimmerli se plaint de Jeanne-Esther Bondeli, qui imprime à Yverdon (notamment le Messager boiteux). Il souhaite obtenir un privilège commun stipulant que chacun garde son almanach mais peut en faire l’échange pour la vente (ACV, Bb 25/14, pp. 251 et sq.). En 1753, il fera part à la veuve Bondeli du privilège qu’il vient d’obtenir pour dix ans (ACV, Ba 33/11, pp. 430 et sq.) et celle-ci lui en demande une copie (ACV, Bb 25/14, p. 263). Le 1er janvier 1755, LL. EE. lui renouvellent pour dix ans le privilège exclusif pour l’impression des bibles, livres d'école, de dévotion et autres. Notons que Jean Zimmerli semble avoir eu un caractère à la fois entreprenant et exclusif. Se considérant comme l’héritier de la plus ancienne librairie lau­ sannoise (ACV, Bb 25/16, p. 318), il avait la mainmise sur l’imprimerie offi­ cielle de la partie francophone du pays bernois et voulait conserver ce monopole ou alors choisir lui-même les autres imprimeurs. En 1763 le vent semble tourner: les classes de Lausanne et de Vevey se plaignent auprès de LL. EE des fautes nombreuses que Zimmerli laisse dans ses livres ainsi que de la mauvaise qualité de scs imprimés. De plus, ses prix sont trop élevés. Le 10 mai 1763, il s’associe avec Antoine Chapuis, imprimeur et bourgeois de Lausanne. Il meurt à Lausanne le 6 août 1768, sans héritier, à l’âge de 75 ans. 35 ACV, Bg 4/25,1er folio. 36 ACV, Bdd 51/5 p. 129. 37 «Les livres d’usage tels que sont Bibles, Testaments, Psaumes, Caté­ chismes et autres de cette Nature», ACV, Bb 25/16, p. 514. 38 Le 22 septembre 1744 pour être précis.

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39 Privilège qui lui a été accordé le 17 mars 1733. 40 «L’Académie déclare que l’imprimerie est un art utile et avantageux, qu’il convient d’en favoriser l’établissement. Elle estime qu’il doit y avoir des censeurs de livres qui autorisent leur impression et que celui qui imprime un livre nouveau pourrait obtenir quelques privilèges afin que d’autres ne profitent pas des frais qu’il a assumés. Une convention pourrait être établie comme en Hollande afin que celui qui annonce un livre soit seul à le faire. Tout imprimeur établi dans le Pays sera obligé de donner un exemplaire de ses impressions à la Bibliothèque de l’Académie. Les cen­ seurs seront les mêmes pour tous; ils pourront fixer les prix des livres. Zimmerli conservera le privilège des almanachs; pour les livres de piété qu’il est seul à imprimer on lui donne un délai pour les écouler à un prix raisonna­ ble.» ACV, Bdd 51/5, p. 160. 41 ACV, Ba 33/10, pp. 77-79, document en allemand. Selon un document du 18 décembre 1744, quelques conditions lui sont cependant posées: 1) que son imprimerie comme celle de Zimmerli à Lausanne sera soumise à la censure et inspection de l’Académie; 2) il lui sera défendu de porter atteinte au privilège accordé à Zimmerli pour l’impression des almanachs; 3) défendu aussi comme à tous les imprimeurs pendant 10 ans de réimprimer aucun livre de piété ou d’usage ordinaire de ceux que Zimmerli imprime ni d’en acheter ailleurs de nouvelles éditions pour les revendre. ACV, Bdd 51/ 5,p. 173. Le 21 juin 1745 apparaît un règlement concernant les imprimeurs, libraires et imprimeries dans le Pays de Vaud, en substance: 1) L’Académie de Lausanne jouira d’une censure préalable sur tout ce qui devra s’impri­ mer. 2) Celui qui voudra imprimer pour la première fois un livre pourra s’adresser à LL. EE. pour en obtenir un privilège. 3) L’imprimeur ou libraire qui aura annoncé le premier un livre ne pourra être contrecarré par un autre, si son ouvrage paraît dans un délai de 6 mois. Tout imprimeur et libraire devra déposer un exemplaire de ses impressions à la Bibliothèque de l’Académie de Lausanne. ACV, Ba 33/10, pp. 183-187. 42 Jean-Pierre PERRET, Les imprimeurs d’Yverdon au XVII' et au XVIII' siècle, Lausanne, Roth, BHV VII, 1945, pp. 70-79: Jeanne Esther Sprüngli est née à Berne en 1701. Elle épousa un imprimeur neuchâtelois, Jean Bondeli, qui disparut en 1734. Elle conserva avec courage et énergie l’imprimerie. 43 Ce document a été transcrit par Jules Capré, op. at. p. 38. Jules Capré semble avoir passé un temps considérable aux Archives de la capitale fédé­ rale. Voir également note 10. L’imprimerie à ce moment montre quelques velléités de développe­ ment. Les imprimeurs s’entendent entre eux (l’exemple de Chenebié et de

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U veuve Bondeli est parlant) ou cherchent à exercer leur concurrence. Ainsi, en 1752, le célèbre astrologue de Combremont-le-Petit Daniel-Simon Aigroz rappelle à LL. EE. que son père et son grand-père avaient obtenu le privilège de composer et de faire imprimer des «almanachs romands», et que lui-même compose depuis quelques années pour la veuve Michel (sans doute la veuve de Jean Conrad de Mechel). Son père étant décédé, il obtient le privilège pour aussi longtemps que LL. EE. n’accordent un tel privilège à d’autres également. Voir Marc HENRIOUD, «Les Astrologues de Combremont-le-Petit et leurs almanachs (1697-1838)», in RHV, 1913.) 44 Supplication de la veuve Bondely, in ACV, Bb 25/14, p. 231. 45 Les affaires à Berne ne semblaient pas florissantes pour l’imprimeuse. La première demande de Jeanne-Esther Bondeli, relative à son installation à Yverdon, remonte au 4 octobre 1749. Elle est agréée par le Conseil (A. Y. RC n° 68, p. 430, du 22 novembre 1749). Des facilités lui sont même accor­ dées. Elle s’installe dans la ville en 1750. Le registre des habitants yverdonnois nous apprend qu’au début de l’année 1754, «la demoiselle Bondely, imprimeuse, s’est retirée». 46 Une convention fut signée le 29 juillet 1751 et entra immédiatement en vigueur, ACV, Bb 25/14, pp. 253 r/v. Signalons qu’elle a par la suite contre­ fait l’almanach in-12° réservé à Zimmerli par ladite convention, ce qui déboucha sur une procédure longue dont le résultat fut que tous deux devaient s’en tenir à la convention signée. ACV, Bb 25/14, pp. 231 et sq. 47 La liste chronologique des premiers livres imprimés à Vevey par Chcnebier semble démentir cette affirmation puisque le premier mentionne est daté de 1744: — PlCTET Bénédic, Cinq catéchismes [...], Vevey, P.A. Chenebié et comp., 1744, in-8°, 112 pp. — Dissertation où l’on démontre la nature et la nécessité du travail, Vevey, Chene­ bié, 1755, 56 pp. — Réal abrégé et véritable de ce qui s’est passé à l’occasion des troupes que le loyable canton d’Un a fait marcher au mots de mai 1755, Vevey, Chenebier, 1755; ~ Bertrand Elie, Mémoire sur les tremblements de terre, avec quatre sermons à cette occasion, par Elie Bertrand, Vevey, P.A. Chenebié, 1756. Psaumes, Vevey, Chenebié, 1769, 444 pp.; — Dl'CHET François-Xavier, Culture des abeilles, ou méthode expérimentale et raisonnée sur les moyens de tirer malleur parti des aballes, Vevey, P.A. Chene­ bié, 1771 ; — Catalogue des livres français tant anciens que modernes de P.A. Chenebié, Vevey, 1772;

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— Nouvelle méthode pour apprendre à bien lire et à bien orthographier par règle et par principe d’une manière facile, Vevey, P.A. Chenebié, 1772, in-12, VI, 215 pp.; — LEVADE Louis, Observations et réflexions sur quelques matières de médecine, Vevey, Chenebié et Lôrtscher, 1777; — Livre de Psaumes, Vevey, chez Chenebié et Lôrtscher, 1778. 4" En 1753, Paul-Abram Chenebié, appuyé par une requête présentée par le Conseil de la ville de Vevey (ACV, Bb 25/16, p. 514), s’adresse à nouveau à «Ces Messieurs de Berne» et se plaint du fait qu’il ne peut qu’écouler des livres imprimés ailleurs alors qu’il possède une imprimerie qui est tenue dans l’inaction. «Cependant son père avoit introduit dès l’an 1707 l’Alma­ nach intitulé le Messager Boiteux, en aiant fait faire la traduction en François à ses frais, ce qui a été assés dispendieux.» (ACV, Bb 25/14, p. 309) Il demande donc de pouvoir «imprimer les livres d’usage dont les premières éditions sont écoulées, et en général tous les livres d’usage lorsque les dix ans seront révolus[...]» (ibidem). Bien entendu, Zimmerli adresse une suppli­ que à LL. EE. rappelant que les Chenebié n’ont qu’une patente de relieurs de livres et de libraires et non d’imprimeurs et que l’imprimerie leur a été concédée dans la mesure où elle ne porterait pas préjudice à celle de Lau­ sanne. Il rappelle également que la prolongation du privilège lui a été acordée en 1751 (ACV, Bb 25/14, pp. 313 et sq.). En 1753 toujours, Chenebié rachète à la veuve Bondeli son privilège pour le Messager boiteux, moyennant une pension viagère de 7 louis d’or neuf par an (ACV, Bb 25/16, p. 504), ce qui gêne Zimmerli qui, le 4 janvier 1754, se plaint de la veuve Bondeli et de sa «convention avec le Sieur Chenebié pour l’impression du Messager Boi­ teux et d’autres livres, ce qui lui cause préjudice car il a investi beaucoup pour l’achat de caractères (de musique notamment) et qu’il a fait beaucoup pour le bien du pays»... (ACV, Bb 25/14, p. 229) Une entente cordiale semble s’instaurer dans le métier puisque le 12 juin 1764 Zimmerli, Chapuis, Tharin et Chenebié de Vevey, tous impri­ meurs, demandent un privilège exclusif pour l’impression d’un petit alma­ nach français in-12°, des livres de piété et d’usage ordinaire et de prières, les Psaumes et le Nouveau Testament. On le leur refuse jugeant préférable d'en laisser l’impression et le débit libres mais soumis à l’examen et à la censure de l’Académie tant pour l’édition que pour le prix (ACV, Bdd 51/8, p. 219 et aussi Bn 7/1). Le 5 janvier 1771, LL. EE. accordent à Chenebié l’autorisation d’impri­ mer des calendriers français in-quarto (ACV, Ba 33/14, pp. 511 et sq.). 49 ACV, Ba 33/15, pp. 143 et sq. Et comme l’imprimerie en terre bernoise bénéficie de plus de libertés qu’autrefois, la concurrence tente parfois une

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percée, au détriment des privilèges acquis. C’est pourquoi, le 12 avril 1794, les descendants de Chenebié se défendent et protestent contre la demande adressée par Henri-Emmanuel Vincent et Jean Moser, imprimeurs à Lau­ sanne. d’insérer un calendrier à leur Nouvelliste Suisse (ACV, Bb 25/28, (T. 469 et sq.). * L’Acte de Médiation a été proclamé par Napoléon Bonaparte le 19 février 1803. Celui-ci avait compris qu'une république n’était pas «conforme au génie des lieux», aussi cet acte restaura-t-il le fédéralisme ainsi que l’identité propre des treize cantons. 51 Rappelons que l’almanach paraît quelques mois avant l’année qu’il mentionne, l’édition 1803 a donc été publiée en 1802. ’2 Cette vignette est accompagnée à l’intérieur d’un texte relatant la vie et les hauts faits du personnage en question. Pour les années suivantes on trouve: 1806. Arnold de Winkelried; 1807, Werner Stauffacher; 1808, Guil­ laume Tell; 1809, Henri de Melchtal; 1810, Rodolphe d’Erlach; 1811, Rodolphe Reding, landamman de Schweitz à l’époque de la bataille de Morgarten; 1812, Ulrich Rotach, Appenzellois héroïque ayant valeureuse­ ment lutté contre douze ennemis autrichiens; 1813, le colonel Piïffer. Sous son commandemant, un régiment de 6000 Suisses libéra le roi de France Charles IX de la prison de Meaux où l’avait enfermé le prince de Condé en 1567; 1814, Pierre Wendschaz, banneret bernois mort au combat en 1346 lorsque le comte Pierre de Gruyères, accompagné des seigneurs de Rarogne et de Thurn de Gastelen marchèrent contre Weissenburg.

Des bobos de tante Berthe au couronnement de Napoléon Il mettait sa jambe à lui devant sa jambe pas à lui. Il venait quatre fois l’année, il venait avec les saisons, il sortait des pages du calendrier où les dates sont imprimées en rouge et qui a des images où le printemps est en escarpolette, l’hiver a une fourrure, l’au­ tomne est une femme qui cueille du raisin, l’été lient une gerbe... C. F. Ramuz in La séparation des races

L’almanach du Messager boiteux est emblématique à plus d’un titre car il nous montre les changements intervenus dans de nombreux domaines. Almanachs anciens et récents sont des témoins précieux de ce que furent les temps dont ils parlent. Ancêtres de la presse à sensation, leurs textes mêlaient le sensationnel, l’exceptionnel et le mystérieux à l’horreur et à la cruauté. Depuis que les journaux quoti­ diens, hebdomadaires ou mensuels paraissent, il s’est assagi '. Hier comme aujourd’hui il révèle certains aspects de la marche du monde, ce qui rend l’exploration de son contenu fort intéressante.

LA RECETTE D’UN ALMANACH L’almanach du XVIIIe siècle est avant tout composé de récits de guerre et de mouvements de troupe; son lecteur n’ignore plus de nombreux détails stratégiques. L’Europe est encore «le Monde» et les batailles font rage partout sans que le Messager ne dise ni ne sache jamais pourquoi elles commencent, quelle est leur raison d’être. Nous ne nous y attarderons pas car «Généraux et soldats, vainqueurs et vaincus, reposent depuis trop longtemps dans la paix de la tombe pour que le récit de leurs exploits, le détail de leurs boucheries, soyent encore d’actualité»2. Voici un exemple remontant à Tan 1750:

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RELATION CURIEUSE de ce qui s’eft pafTé do plus remarquable dans coures les Parties du Monde depuis Oftobre 1748. jufqu’à même date 1745«, tant en fait de Guerre, qu’en autres efpèces d’Evénemens. ’Hidoire moderne de l’Europe noui préfente, depuis environ trois LuKrei, une infinité d'Evénemenj guerriers. Combien de Sièges, de Batailles, d’Aâions brillantes & glorieufes ne nous fournit-elfe pas ! Elle nous ofre desTètes couronces & d’Il 1 u(1res Héros,qui fe font cou­ verts de Lauriers immortels dans le Champ de Mars. Mais tant de Faits eclatans ont réduit des Villes en Mazures, de riches Campa, gnes en Déferts, fait périr des milions d’Homes, caufé des ravages inexprimables, entraîné les plus funeftes fuites, & répandu par tout l’horreur & la défolation. L’Europe (bupiroitaprès la fin tant de Calamités & leretour d’une douce & heureufe Tranquilité. Ses foupirs ont été éxaucéx. La Paix, cette DivireFille du Ciel, eft defceudüe de nouveau fur la Terre, fuivie de l’Agriculture, des Arts, des Sciences, delà Religion même , à de tout ce qui peut procurer le vrai bon­ heur des Mortels. C’eft l’Année 1749. qui nous rend ces précieux avantages j c’eil à cette Epoque, à jamais mémorable, que l’on doit la conclufion à l’acomplilfemeot des Traitez, qui nous font efpérer nombre d’Années heureufes & pacifiques. Si nous n’avons pas de ces Evénemens bruiansA terribles à anoncer cette Année ci, on en trouvera de plus doux, de plus agréables, & qui ne feront peut être pas moins intèreflans & dignes de la curiofité de nos Leâeurs. Pourrions nous mieux les comencer, que par ce qui peut avoir raport à l’aimable Paix,qt.i ut us eft rendüe, à qui cacfe une fatisfaflion generale aux Peuples & aux Souve­ rains? Partout, on en done des démonftrations éclatantes. Començons par les Réjuuiffances, qui fe font faites à ce fujet dans la Capitale du Roiaume de France.

Loin de ces hauts faits, les messages constants que semble véhiculer l’almanach sont de deux sortes: l’un très prosaïque dit que le lundi suc­ cède au dimanche, qu’imperturbablement la lune suit son cours tandis que le cycle des saisons continue sa marche. Les fleurs reviendront au printemps, le chaud soleil d’été sera suivi des brumes de l’automne et le bois coupé nous promet de belles flambées à l’hiver revenu. Quelles que soient les nouvelles, quelle qu’ait été l’année écoulée, l’an prochain est bientôt là, porteur d’espoir. L’autre est d’ordre philosophique et s'at­ tache à montrer que, cycle après cycle, notre tour viendra de ne plus être. Il s’agit dès lors de se poser les bonnes questions et d’aller à l’essentiel.

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Plus concrètement, un almanach est et reste avant tout un calen­ drier accompagné d’observations astronomiques, de prévisions météorologiques, ainsi que de conseils pratiques relatifs aux travaux saisonniers dans les champs et jardins. Achète-t-on et lit-on encore l’almanach pour ces indications ? Une enquête réalisée il y a quelques années révèle fort à propos que la rubrique la plus lue est celle des prévisions météorologiques, suivie de près par les conseils de culture et jardinage et par le passage de la lune dans les divers signes du zodiaque3. Très lue également, la chronique de l’année écoulée est peut-être la rubrique qui fait que certains conservent leurs almanachs. Dès ses débuts, le Messager boiteux est un imprimé qui reflète son temps et les préoccupations de ses contemporains. L’une d’elles, récurrente à travers les âges, est celle de l’impuissance de l’homme face au monde, aux maladies et aux désastres de tous ordres. Les croyances anciennes ou contemporaines sont une tentative d’expli­ quer le monde. Celui-ci a ses règles, l’homme les a longtemps respec­ tées. Les almanachs contenaient trois parties principales: le calendrier, les éphémérides et des textes qui racontaient ce qui s’était passé en d’autres lieux durant l’année écoulée. Les faits divers entouraient d’invraisemblables anecdotes. La grande Histoire côtoyait la petite. Le chapitre consacré aux signes traitera du calendrier.

LES ÉPHÉMÉRIDES Le premier almanach du Messager boiteux de langue française était divisé en deux parties. La première contenait les «observations astro­ logiques sur chaque mois, le cours du soleil et de la lune, et le chan­ gement de l’air de jour en jour», ainsi que la liste des foires et se ter­ minait par une «chronologie depuis la naissance de notre Seigneur Jesus-Christ jusques à l’an présent». La deuxième était l’éphéméride. Jusqu’en 1808, les éphémérides donnent des pronostics qui reflè­ tent bien l’esprit superstitieux qui attribue aux astres une influence sur les destinées humaines et sur le temps. Bien qu’elles puissent prê-

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Vignette d'in­ troduction à la rubrique consa­ crée aux ephe­ merides (1707).

ter à sourire aujourd’hui, il ne faut cependant pas oublier qu’elles sont les ancêtres de la science météorologique actuelle, dont chacun de nous éprouve les limites chaque jour. Les anciens basaient leurs prévisions du temps sur les phases de la lune, dont on pensait qu’elle régissait l’atmosphère terrestre, et ils suivaient certaines règles comme: «à la nouvelle lune, un temps clair annonce du chaud en été, du froid en hiver». Il suffisait dès lors de spéculer sur le temps proba­ ble qu’il allait faire au renouvellement de chaque lune. Ce calcul se faisait avec l’aide de dictons populaires, de l’expérience acquise au fil du temps ainsi que sur une part de probabilité. Les prédictions météorologiques étaient lues avec attention parce qu’on les considé­ rait comme utiles. Un mot de Paul-Abram Chenebié est resté longtemps célèbre. Etablissant un jour avec son fils la température journalière de chaque mois, il avait déjà utilisé tous les termes habituels: «venteux, humide, variable» ou «incertain» lui semblaient avoir été par trop utilisés. Réfléchissant vainement, le père soudain dit à son fils: «Eh bien mets-y un tonnerre.» Ce qui fut fait4. En 1753, voici ce que disait Antoine Souci à ses lecteurs qui, parce qu’ils avaient froid au mois de novembre déjà, commençaient à s’habiller comme en hiver: «Une partie du commun populaire et surtout des idiots sont dans la persuasion lorsqu’ils s’aperçoient envelopés de neiges, frimats et

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glaces, qu’ils se voyent obligés d’échauffer leurs poêles, se couvrir de leurs habits d’hyver, qu’ils sont véritablement dans la saison incom­ mode de l’hiver, mais les savans ont remarqué que c’est l’entrée du soleil au signe céleste appelé le Capricorne qui lui donne commence­ ment, [...]» Ainsi, lorsque l’hiver n’est pas encore là de manière officielle, il est inutile de se vêtir chaudement, même si l’on a froid ! Règles générales pour connaître le tems à venir (1757) La Lune pâle fait la pluie & la tourmente. L’argentine tems clair & la rougeâtre ventes Du dimanche au matin la pluie. Bien souvent la semaine ennuie. Le vendredi de la semaine est toujours le plus beau ou le plus laid.

Soudain, en 1886, le M^ra^doute; il en appelle à ses lecteurs et souhaite

leur faire part d’un sujet qui le préoccupe, et dont il tient à venir fran­ chement s’entretenir avec eux. Il s’agit des prédictions concernant le temps qui, depuis l’existence du Messager, figurent dans les colonnes mensuelles de son calendrier. Faut-il maintenir ces prédictions ou bien faut-il les faire disparaître? Lorsque jadis le Messager introduisait ces prédictions dans son recueil, il avait un nombre de lecteurs bien moins considérable qu’aujourd’hui et ceux-ci étaient, à peu de choses près, groupés dans la même contrée. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi. Le Messager boiteux a des lecteurs dans les cinq continents du monde, ce qui fait que ses prévisions atmo­ sphériques, qui pouvaient avoir quelque raison d’être pour une contrée, n’en ont aucune pour d’autres. En outre, après tous les essais qui ont été faits, malgré tous les progrès de la science, l’expérience prouve que les prédictions concernant la pluie et le beau temps, qu'un grand nombre de météorologistes ont tentées, ne reposent pas sur une base assez solide et assez sérieuse pour qu’il soit réellement possible, une année surtout à l'avance, de se livrer à des prophéties atmosphériques vraiment dignes de confiance. Tels sont nos doutes et nos scrupules. Il était de notre devoir de les exposer franchement à nos lecteurs. Nous le faisons d’autant plus

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volontiers qu’un grand nombre d’entre eux ont souvent exprimé le désir, — afin d’éviter tout encouragement donné à la superstition et tout ce qui pourrait sembler être une exploitation de l’ignorance de quelques-uns, — de supprimer ces prédictions atmosphériques et de les remplacer par quelque chose de plus utile. Nous sommes prêts à le faire à partir de l’année prochaine, en raison du respect que nous devons à la vérité et de celui que nous devons à nos nombreux lecteurs. Le Messager boiteux, tout en restant le vieux messager d’autrefois, — avec son caractère à lui, son originalité et sa bonne humeur,— doit cepen­ dant, au risque de se laisser dépasser, suivre la loi du progrès et tenir compte des vœux de ses meilleurs et plus anciens amis. [...] A notre humble avis, il nous semble que le Messager boiteux ne per­ drait rien à faire disparaître les prophéties météorologiques et que, en le faisant, il réduirait au silence plus d’une critique qui lui a été adres­ sée. 1...]

Vignette d’introduction aux éphéméndes du XIX'.

Demandant à ses lecteurs leur avis par lettre, le Messager s’engage à leur donner le résultat de cette vaste enquête l’année suivante. Les lettres arrivèrent en nombre restreint, la majorité se déclarant pour une suppression pure et simple, signe de progrès. Seules quatre mis­ sives se déclarent farouchement contre une «dénaturation» de l’alma­ nach, l’abandon d’une tradition divertissant petits et grands. Le charme des traditions l’emporta:

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Si nous continuons à publier — malgré nos offres de cessation — l’inser­ tion des prédictions atmosphériques, auxquelles plusieurs de nos amis sont, paraît-il, attachés par le charme des vieilles traditions, nous décla­ rons le faire sans y attacher aucune importance, pour ce qui nous concerne, sans ... garantie du gouvernement ni d’aucune université ou autorité scientifique. Nous le ferons donc, jusqu’à nouvel avis, pour faire plaisir à ceux de nos lecteurs auxquels il convient d’être amusés par ce moyen, mais en dégageant toute responsabilité pour les coups de tonnerre, la grêle et les averses qui pourraient venir à tomber en pleine et glorieuse annonce de «beau temps». Nous n’y serons pour rien. C’est entendu ! [...] On a donc conservé ces prévisions climatiques. Cependant, à mesure que passe le temps, elles perdent en saveur. L’industrialisation et le rationalisme semblent avoir enlevé une part de leur âme. On pourrait dire méchamment que le Messager ne prend pas de grands risques lors­ qu’il annonce le froid pour les mois d’hiver, l’humidité au printemps comme en automne ou encore le chaud pour... l’été. On a longtemps été convaincu que la planète régissant l’année influençait également le temps. L’almanach actuel base ses prédictions météorologiques sur les observations scrupuleuses effectuées dans les environs de Bramberg, de 1652 à 1682, par l’abbé Maurice Knauer. Cette longue étude a débou­ ché sur la constatation que les pronostics à ce sujet suivaient un cycle répétitif de sept ans, selon l’apparition des diverses planètes du cycle. En matière de prévision météorologique, nul n’est infaillible. Le temps lui-même a ses caprices, et si l’almanach prévoit de la pluie alors qu’il fait soleil, admettons que chacun peut se tromper, même le temps...

Vignettes de 1956.

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La lecture de quelques éphémérides montre clairement la trans­ formation des croyances. De soumis et résigné, l’homme est devenu un observateur.

De rHiver(17O7)

DESCRIPTION Des quatre Saifons de l’Année M D C C VII. Z. De fHyuer y & de fi Température. L y a bien de» perfonnes, qui regardent ces Aftrei admi­ rables, que Ton void briller de jour ou de nuit à l'étendue du Firmament, d'une maniéré a fiez Hupide, fans faire atn^ï^H1'011 n* * la rapidité ni à la régularité de leur mouveàM^01*01 » lequel eft pourtant la caulc prochaine de la vicilîij,tude des quatre Saifons, continuée par la Grâce de DIEU depuis tant de Siècles, par un changement suffi falutaire, que neccffaire ; ainfi qu’en effet l’Hyver de cette Année courante prit fon commencement le *z. Décembre de l’année que nous venons de finir, à 4. heures ff. minutes du matin, au même moment, que le Prince des Affres le ibleil ardent, en fourniffant la carrière du Zodiaqne, a atteint le premier degré du Capricorne, ce bel Affre du jour ayant été alors fi éloigne de nôtre point vertical,que par les limites, quiluy onrétepreferites de DIEU , il ne pouvoir aller plu» loin, ainfi eff entré dés lors en chemin pour gagner le Tropique de Cancer, après avoir cauié par cet éloignement le plu* petit jour & la plus grande nuit à nous autres Euro« peens, aux Habitrns de l’A fie, à la plus grande panie d’Afrique, & à l’Amé­ rique Septentrionale.

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De la Fertilité et du rapport de la Terre (7707)

Comme le Créateur de toutes choses a tiré par sa Toute puissance le Monde entier, avec tout ce qu’il renferme dans son circuit, de l’Abyme du néant aussi le conserve & le gouverne-t-il encore par sa bonté immense jusqu’à ce jourd’hui, il fait lever tous les jours le soleil sur nous, pour échauffer & fructifier la Terre, il nous donne la pluye; Dans cette vûe le Prophète Royal entonoit autrefois magnifiquement les louanges de DIEU au Psaume XXIV, en disant: La Terre est au Sei­ gneur & toute la plénitude, le Monde universel, & ceux qui y habitent, car il l’a fondé sur les mers, & l’a affermie sur les fleuves. C’est en vain, que le laboureur laboure ses terres, si DIEU enrichit sans peine. C’est luy, qui peut tellement bénir la petite provision, qu’elle fournira suffi­ samment de vivres pour s’entretenir le long d’une année, pourvû qu’on accepte le tout comme immédiatement de la main de DIEU, & qu’on luy en rende des actions de grâce convenables. C’est pourquoi nôtre plus grande occupation doit être d’invoquer assiduellement & dévote­ ment ce grand Bientfaiteur, & ainsi il n’y a point de doute, qu’il ne nous fournisse encore ci-après les alimens necessaires, & qu’il ne favo­ rise les fruits des jardins, des vergers, & des Campagnes d’un tems plantureux, qui les puisse pousser à son tems à leur maturité. Et en effet la température de toutes les Saisons paroît si bien disposée, que toutes les considérations nous font présumer, que la récolte sera conforme à nos désirs, pourvû que le bon DIEU divertisse les Desastres des gros tems de dessus nos têtes, c’est dequoy nous l’en supplions très ardemment. Près d’un siècle plus tard, pour 1802, la même rubrique indique:

Après avoir examiné la température des saisons qui composent cette année, nous n’y avons trouvé aucune sinistre marqué qui nous fasse appréhender une disette des biens indispensables au soutien de notre vie; au contraire, si le laboureur bannit la paresse & l’oisiveté de sa maison, & que lui et les siens s’occupent de bonne foi à la culture de notre bonne mère nourricière, à faire chaques travaux dans le tems convenable; après cela doit en toute assurance espérer que la terre fournira en suffisance les productions de toute espèce, nécessaires à la vie de ses habitants. Contenant quelques conseils destinés à la paysannerie, ces textes sont surtout des appels moraux à une vie régulière et pieuse. De véri-

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tables conseils en agriculture apparaissent cependant déjà. Dévolu­ tion industrielle aura raison des rubriques des éphémérides qui s’éva­ nouissent dans la nature en 1837. Elles réapparaissent sporadique­ ment quelques années plus tard sous le thème plus général de «pronostics du temps». Alors que l’almanach est citadin, on le voit s’adresser toujours plus aux milieux intéressés par l’agriculture. L'al­ manach de l’agronome paraît annuellement depuis 1837.

De la Guerre (J804)

La Guerre est un des fléaux dont Dieu punit l’homme pour ses péchés, au contraire de la paix est une marque de son amour sans laquelle il n’y a pas de bonheur sur la terre; ensorte que si la créature faisoit tou­ jours ce dont elle est tenue faire envers son Créateur, elle pourrait s'as­ surer de manger son pain en paix, & de jouir de ses précieux dons. Pour ce qui est du pronostic des astres on remarque par des figures horoscopiques dressées sur les principaux points de cette année; que le grand Capitaine Mars, moteur des guerres, querelles & combats vou­ drait encore développer ses étendards contre notre vénérable Dame Europe, fortifier par les rencontres & configurations chaudes, qu’il aura avec Saturne comme déjà au 7 février, trigone Saturne Mars au 19 avril, opposition Saturne Mars le 20 août carré Saturne Mars au reste le bon Jupiter venant à quitter le signe de l’archer et se joindre au grand Phaeton par un aspect d’amitié parfaite; cela pourrait bien faire avorter tous ses pernicieux desseins.

Des Maladies (1800) Les maladies sont, pour ainsi dire, les ministres & avant-coureurs de la mort. Elles arrivent pour l’ordinaire par l’intempérance & conduite déréglée qui sont cause que la plupart donnent imprudemment l'assaut à leur corps. On sait bien que les vicissitudes des airs qui ont des influences contraires, peuvent souvent altérer la santé à même causer de grandes incommodités. Pendant le cours de cette année, on remar­ que qu’il arrivera plusieurs aspects venimeux. Environ le milieux de l’hiver au commencement du printems & en automne, s’engendreront diverses fluxions froides & humides, pustules chaudes & pestiférés;

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petites véroles, & autres dangereuses infirmités qui immanquablement en coucheront à l’imprévu un nombre assez honnête dans le tombeau, surtout des vieillards, femmes et enfants.

Des Eclipses (7707) Quoi que nous ayons pendant le cours de cette année trois Ecclipses Solaires, & deux Lunaires, il n’y en aura pourtant qu’une, qui sera visi­ ble à nos yeux, & ce sera le 17 avril à 2 heures 8 min. du matin, ce Luminaire sera entièrement obscurci, & la durée sera de près de quatre heures, assavoir, depuis 12 heures 12 min. jusqu’à 4 heures 6 min. L’ef­ fet de cette grande Ecclipse en causera des grands Changements dans un Royaume, mais particulièrement une Tête couronnée est menacée de mort. Les invisibles arriveront une au soleil le 2 avril à 6 heures 44 min. du soir, une autre à ce même Luminaire le 26 septembre à minuit; la troi­ sième se sera la Lune 1’11 octobre à 11 heures 44 min. du matin, & la dernière au Soleil le 25 octobre à 3 heures & demie après midy.

QUE SE PASSE-T-IL DANS LE MONDE?

A une époque où l’accès à l’in­ formation n’était pas aussi aisé qu’actuellement, l’almanach of­ frait chaque année une série de textes aussi divers que variés. La «relation curieuse des choses» survenues dans le cours des mois précédents était une suc­ cession de comptes rendus de seconde main, variés et de pro­ venance diverse. Leur contenu peut sembler douteux, car ils tiennent plus du récit fantastique, de l’action héroïque et du botin mondain que de l’information fiable que l’on attend aujourd’hui. Le rôle qu’entend jouer cette publication justifie à elle seule ce type de textes: s'adressant à tous, l'almanach se veut porteur de bons

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conseils et d’histoires plaisantes et distrayantes. En aucun cas on peut le considérer comme une source fiable d’informations historiques ou locales. Tous les almanachs du XVIIIe siècle sont de la même veine. Dans leur foisonnement de textes aux thèmes divers, une constante est à relever: l’actualité régionale en est généralement absente. Que l’on parle des grands de ce monde, du peuple, de curiosités diverses et instructives ou d’actualités, la majeure partie des événements relatés se produisent au loin. Peu d’informations sur les événements qui ont lieu en Suisse trouvent place dans les pages annuelles. L’étranger est sujet de curiosité certes, mais il faut avant tout conserver un privilège acquis de haute lutte et ne pas déplaire au gouvernement en place. Toute information politique ou même religieuse est en conséquence soigneusement filtrée. On ne relatait pas l’événement dans son ensemble, il est épuré de tout ce qui peut amener le lecteur à penser que l’on peut concrètement se révolter contre l’autorité. Le passage de l’Ancien Régime à l’époque dite contemporaine provoque une transformation progressive du contenu textuel. Les sta­ tistiques font leur apparition, l’almanach devient très didactique, et même paternaliste. Une fois de plus, il est le parfait reflet de son épo­ que. Même de manière atténuée, les bouleversements sociaux et éco­ nomiques du XIXe siècle se reflètent dans ses pages. A l’orée du XXe siècle, progrès et modernisation sont de rigueur. La constante du Messager est cependant de rester conformiste et plein de bon sens ter­ rien. Comme toujours, il se veut un repère prudemment à l’abri des bouleversements sociaux. Cela semble d’ailleurs être aujourd’hui encore la clé de son succès. Cette publication, aux yeux de ses lec­ teurs, se définit comme une publication ancienne, familiale et indis­ pensable. La raison ne semble pas forcément en dicter l’achat. On continue à acheter l’almanach «parce que chez nous on l’a toujours acheté», même si on ne le lit plus comme au temps où c’était la seule publication qui amenait le vent du dehors dans la maison. Dès 1825, la «Relation curieuse des choses les plus remarquables» s’est transformée en «Relation historique» qui deviendra, dès 1880 «Le Messager boiteux à ses amis», puis «à ses lecteurs». Histoires extra­ ordinaires et curiosités disparaissent. L’homme a pratiquement

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découvert le monde entier. Il est dès lors frappant de constater que son besoin de dépaysement ne passe plus par son regard sur l’étran­ ger mais par le retour en arrière dans le passé de son propre pays. Certains récits anciens sont réimprimés. On les regarde cependant de manière critique. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, l’almanach prend quelque peu de distance face aux événements qu’il relate et se permet parfois même des commentaires. Puis il abandonne peu à peu ses prises de position, toujours paternel et cultivant un certain sentiment moral, il se veut plus que jamais l’«ami de tous». Une chro­ nologie sans commentaire faite d’éléments variés a aujourd’hui pris la place autrefois consacrée à la relation historique, et d’autres rubri­ ques ont fait leur apparition: conseils variés, reportages divers, nécro­ logies, articles scientifiques et chronique sportive en sont quelques exemples. Le premier texte en patois est publié en 1846 tandis que les arti­ cles signés apparaissent vers 1850. La nouvelle fait alors son entrée dans l’almanach. Littérature, récits historiques et pure fiction éma­ nant d’auteurs plus ou moins connus et reconnus viennent distraire les lecteurs de leur quotidien. Qu’il soit poète ou conteur, pasteur ou encore érudit professeur, la plupart ont contribué de longues années durant à alimenter des pages qui ont beaucoup changé depuis les débuts du vénérable almanach5. On relève aussi, çà et là, les lignes écrites par d’obscurs écrivains d’occasion6. La mode féminine est désormais au tablier plus court:

Epigramme sur les Ménagères nouvelle espèce de tablier fort petit, à la mode parmi les Dames (1750)

Le Beau Sexe de jour en jour Devient plus doux & plus traitable Le Tablier jadis, barrière redoutable, Qu’opposoit la Pudeur aux éforts de l’Amour, S’est tout-à-coup trouvé de la moitié trop court. Tel est le goût du Siècle, on va droit en afaire, On hait les superfluitez: Amans, ce changement, sans doute à dû vous plaire,

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Déplait-il aux jeunes Beautez? Mais quel que soit le but d’une Mode si belle, J’ose assurer, sans prendre un prophétique ton, Que pour plus de précision, Bientôt la robe et le Jupon Se régleront sur ce Modèle.

Mort de personnes âgées (1771) Le nommé Christian van Tiel est mort à Breda âgé de 106 ans & demi. Il étoit né à Eckersford, dans le Duché de Sleswic en 1663. Soldat depuis l’âge de 18 ans, il avoit servi successivement dans les Troupes de diverses Nations, & il a conservé l’usage de tous ses sens jusqu’à la fin de sa vie. Mr. George Ferne, Ecclésiastique, est mort à Dublin, âgé de 100 ans. Pierre Martel, Tonnelier, est mort à Stoutwack, à l’âge de 103 ans, & il a laissé 82 Descendants. La Veuve Hanab Wolmoore est morte dans le comté de Worcester, âgée de 103 ans. George Heath, Teinturier à Bromley, est mort âgé de 104 ans. Un Réfugié François, nommé Cordleur, est décédé dans le comté de Hamp à 110 ans. Jean Churup, à Kildare, à 120 ans. Marthe Preston, dans le Comté de York, à 124 ans, elle mourut le 28 Octobre 1769. Mariée 5 fois, elle a eu 27 enfants, sans compter quel­ ques fausses couches: savoir 10 de son premier mari, 4 du second, 6 du troisième & 7 du quatrième 19 de ces enfants sont encore en vie, & tous bien établis.

Tnste effet de la jalousie (1772) On croit communément que \'Italie est la Patrie des jaloux. Cette pas­ sion paraît l’être de tous les Païs. Londres vient d’en fournir un exemple atroce. Une jeune & belle Miss se rendit chez un riche Cordonnier de cette Capitale pour lui commander une paire de souliers: pendant que l’honnête Artisan étoit à genoux, en prenoit la forme & la mesure, sa femme crut apercevoir quelque intelligence entre son mari & la Demoi­ selle, il n’en fallut pas d’avantage pour faire naître la jalousie dans un coeur qui n’étoit que trop susceptible. Quelques jours après, la Demoi­ selle revient dans la même boutique, elle n'y rencontre que la Cordon-

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nière: celle-ci la fait monter dans sa chambre en lui disant que les sou­ liers sont faits, & qu’elle va les lui remettre. Dès qu’elles y sont entrées l’une & l’autre, cette femme furieuse ferme la porte au verrouil, s’arme d’un couteau, le plonge dans le cœur de sa prétendue rivale, & lui coupe les mammelles; ensuite elle les apprête elle même, & le soir à souper en régala son mari. Le Chardonneret (1796) Petit oiseau fort agréable par ses couleurs & par son chant: si on le met auprès d’une Linotte, un Serin, ou d’une Fauvette, leur chant se coupe & par sa variété forme un petit concert. Les Chardonnerets vont en troupe, vivant plusieurs ensemble, & font leurs nids dans les buissons & les arbrisseaux: ils pondent cinq à six œufs & couvent jusqu’à trois fois l’an, en May, en Juin & en Aoust: ils font leur nid avec de la mousse, de la laine & le garnissent dedans de toute sorte de poils. Le Chardonneret vit jusqu’à vingt ans: on le trouve dans toutes les parties de l’Europe. Cet oiseau ainsi nommé, de ce qu’on le voit communé­ ment en France & en d’autres pays dans les endroits abondants en chardons, en épines, & qu’il vit en partie de leurs semences, il est plus petit que le Pinson, & environ de la grosseur du Terrin, son plumage est joliment diversifié, il a le devant de la tête & la gorge, (surtout le mâle) des marques rouges: les jeunes n’en prennent qu’à la première mue: le haut de sa tète est noir, les tempes sont blanches, les ailes noires & bigarrées de blanc, on voit une bande jaune ça & là dans les grandes plumes.

Le même almanach nous apprend que «la giraffe a pour nom caméléopard (caméléon — leopardalis), car pour les anciens elle ressem­ blait à la fois à un chameau et à un léopard» !

Ce cygne (1800)

Est le plus grand de tous les oiseaux palmipèdes, & l’un des plus beaux oiseaux aquatiques: il nage avec une grâce & une rapidité singulières. On prétend que la forme de ces oiseaux a donné l’idée de la construc­ tion des navires. Leurs ailes enflées par le vent les font voguer avec rapi­ dité: de là est venue l’idée des voiles. Ces oiseaux flottent sur les eaux, mais ne peuvent s’y enfoncer. La nature les a pourvu d’un cou très-

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long, a l’aide duquel ils cherchent dans l’eau leurs aliments: leur lan­ gue est hérissée de petites dents, leur bec large est favorable pour ramasser une grande quantité de limon: ils en extraient leur nourri­ ture. L'eau resort par les ouvertures placées au dessus. Les troupes de ces oiseaux font sur les grands canaux un effet admirable. Ils ont une chair indigeste: les jeunes sont assez délicats; la peau de ces oiseaux, couverte de duvet est propre à guérir les rhumatismes, elle favorise une douce transpiration. On employé le duvet à faire des houpes, à garnir des coussins, des oreillers; les plumes de leurs ailes font les meilleures [plumes pour écrire/.

Anecdote intéressante, suivie de réflexions importantes (7802/

Un jeune débauché à qui sa mère reprochoit tendrement les torts de sa conduite, & dans l’âme duquel elle cherchoit à exciter des remords, par les motifs tirés soit de la morale, soit de la religion, l’interrompit brus­ quement pour lui dire: «Je savois bien qu'il y avoit un père étemel, mais non pas des mères étemelles». La mère infortunée s’évanouit. On répète ici ce qui a été dit à ce sujet. Que deviendra ce jeune home? Son horoscope est tirée. Si la débauche ne l’enlève pas à la fleur des ans, il est destiné à périr de la main du bourreau. Le misérable ! Il osoit reprocher la vie à celle de qui il tenoit la sienne ! Il ne manquoit à son horrible propos que de joindre le parri­ cide, & de poignarder sa mère au milieu de ses touchantes com­ plaintes ! où plutôt il n’y manqueroit rien car elle est morte de douleur. Et vous pensez que cet homme peut devenir un bon citoyen ! — Ah ! n’y comptez pas: tous les vices sont dans le cœur de l’ingrat, & tous les vices sont faciles à l’enfant dénaturé. [...]

Avis à nos lecteurs (1805) Jaloux de mériter toujours mieux la confiance dont nous avons été honorés si longtemps, nous allons redoubler de zèle & d’application pour donner dans la suite à notre ouvrage tout l’intérêt dont il est sus­ ceptible, soit par un choix d’anecdotes & d’histoires qui réunissent l’agréable à l’utile, soit par des planches mieux soignées. Une réunion de gens de lettres qui s’occupent de tout ce qui tient à l’utilité publique, nous a promis de nous aider, & nous comptons beaucoup sur ce

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secours, dont nous avons déjà éprouvé les effets cette année. Nous rece­ vrons d’ailleurs avec reconnoissance tous les morceaux que les amis du bien public voudront bien nous adresser.

Manière d’éprouver un amant (1813) Une très jolie femme en passant dans la rue, fut lorgnée et suivie par un homme qui lui offrit son bras. De quel droit Mr. lui dit-elle, m’of­ frez-vous votre bras? C’est madame, que je vous trouve adorable que je vous aime éperdument. Ce que vous dites-là est-il bien vrai, Monsieur? On ne peut pas plus vrai. Mais, Monsieur, ma sœur qui est beaucoup plus aimable que moi, vient derrière nous, je vous conseillerais plutôt de lui faire votre cour. Le Monsieur retourna sur ses pas et vit une femme qui était affreuse, il vint vers la première et lui dit: madame, vous avez trompé ma bonne foi. Monsieur, vous ne m’avez pas non plus dit la vérité, car si vous m’eussiez aimé sincèrement, vous n’eussiez pas été regarder cette autre femme. L’amant resta confondu.

(1817)

La commission chargée de surveiller les subsistances à Turin, vient de donner un grand exemple contre le monopole exercé par des hommes avides, qui, ne calculant que leur vil intérêt, se montrent insensible à la calamité publique. Trois de ces malheureux, convaincus d’avoir fait un commerce usuraire de blé, ont été condamné à trois mois de détention & à l’exposition, avec un écriteau sur la poitrine, portant l’inscription: «Monopoleur de blé». Cette sentence a été exécutée de suite. La foule des spectateurs a applaudi à une punition éclatante, qui mettra un frein à la cupidité de tous ceux qui voudraient se livrer à des spéculations si honteuses & s’engraisser des larmes de l’indigence. (1817) Mme de Barentin étoit très connue par son extrême laideur & par le ridicule que lui exprima sa petite rixe avec le comte de Lauraguais. Sa voiture & celle du comte se trouvant engagées sous l’arcade de la place du Carrousel, ce fut entre les deux cochers à qui feroit reculer l’autre. Aucun ne vouloit céder. Madame de Barentin, impatientée, pour ter­ miner ce débat, avance la tête hors de la portière, se nomme, &

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erùr.ne au cocher adverse de lui céder la place. Le comte de Laurafev. jj s’avance au même instant & s’écrie: «Eh ! Madame, que ne vous montriez-vous plutôt; les chevaux, le cocher, le carosse, tout eut reculé.» Le malaise social (1818)

Nous avons un profond respect pour la femme et le rôle prépondérant qu’elle joue dans l’organisation de la société, contribue de plus en plus à l’adoucissement des mœurs, la propagation des principes d’ordre, de travail et d’économie. Cependant il faut avouer que les femmes sont, en minorité, disons-le de suite, et probablement sans le savoir, une des grandes causes du malaise social.

Population de l’Univers (1824)

La population de l’Univers est de 632 millions d’ames; dont 172 mil­ lions en Europe; 330 millions en Asie, 70 millions en Afrique (La plus grande partie de l’intérieur de ce vaste continent étant encore à décou­ vrir, on conçoit qu’on ne veut parler que des contrées connues); 40 mil­ lions en Amérique, & 20 millions dans les Terres Australes. En Europe: Les Naissances sont par année: 6,371,370, par jour: 17,455, par heure: 727, par minute: 12; par cinq secondes, 1. Les morts sont par année: 5,058,822, par jour: 15,860, par heure: 577, par minute: 9, par 7 secondes: 1. Recette pour tuer les punaises (1852) Prenez la valeur d’un tuyau de plume de mercure, deux cuillérées de saindoux, trois coquilles d’œuf brûlées et réduites en poudre très fine. — Mélangez le tout avec une petite spatule en bois jusqu’à ce que les globules de mercure aient entièrement disparu. Enduisez les objets et endroits infestés de punaises. Répétez l’opération jusqu'à délivrance, qui ne se fera pas attendre.

Singulière pêche (1852) Un pêcheur a pris, dans le lac Léman, au-dessous de Céligny (Genève), une truite d’une conformation monstrueuse. Le haut de la tête de ce poisson n’a pas sa forme ordinaire, mais ressemble grossièrement à

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celle d’un chat; la mâchoire inférieure est passablement plus longue que la supérieure; les dents d’en haut sont plus fortes que celles d’en bas. Sur cette tête singulière, se trouvent quatre yeux: deux grands« deux petits. Cette truite a été portée à M. Jules Pictet, qui en a fait l’emplette pour le musée d’histoire naturelle.

Le colporteur (1862)

Bien des fois, sans doute, vous l’avez rencontré sur les routes détour­ nées, le pauvre colporteur chargé de sa balle, appuyé sur un bâton, bravant la pluie et le soleil. Humble missionnaire de l’industrie, il va faire connaître ses merveilles au fond des campagnes les plus éloignées. Nos villes, où tout abonde, ne soupçonnent point les services rendus par ces infatigables échangistes, derniers anneaux de la chaîne qui unit la civilisation à la solitude.

Les Leçons de Jeanne (1862)

Un enfant suivait sa sœur aînée qui vaquait aux soins de la ferme, l’in­ terrogeant à chaque pas, et apprenant la vie, sans s’en apercevoir, sous cette douce institutrice. — Pourquoi, Jeanne, semez-vous ainsi de bon grain à terre? deman­ dait-il; le grain pousse avec peine et se vend cher; mieux vaudrait en faire du pain pour la ferme que de le jeter aux poussins. — A la longue les poussins deviendront grands, répondait Jeanne, et chacun d’eux se vendra en ville une pièce d’argent, /¿faut songer à (afin, ne pas compter sa peine, et savoir attendre. L’enfant, persuadé, plongea sa main dans le van que portait la jeune fille, et donna lui-même la pâture aux volatiles empressés; mais il aper­ çut l’ânon qui regardait, et il s’écria: — Jeanne, pourquoi Grison n'est-il pas aux champs avec les travailleurs pour tirer la charrette et porter l’herbe fraîche ? — Grison est jeune, répondit la fermière; il a maintenant besoin de repos, afin de prendre des forces; il ne faut pas sacrifier l’avenir au présent. L'enfant n’insista pas, et il passa sur les longues oreilles de l’âne une main caressante; mais son œil rencontra le gros François occupé à ren­ trer les gerbes, et il s’étonna encore.

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— Jeanne, à quoi bon tant se presser pour le blé? dit-il; le temps n’estil pas assez beau, et ne peut-on le laisser hors des granges? — La pluie peut venir, répliqua Jeanne, et les gens sages ne chargent jamais demain de l’ouvrage d'aujourd’hui. Et le petit Pierre alla aider le garçon de ferme à rentrer les gerbes. Puérils enseignements! dira-t-on. Peut-être; mais, qui n’a pas besoin des mêmes leçons que l’enfant? Qui que vous soyez, négociants, artistes, industriels, hommes d’Etat, pensez bien aux conseils de Jeanne, et dites si vous n’avez jamais oublié la fin et manqué de patience; si vous vous êtes toujours occupé de l’avenir plutôt que du présent, et si l’orage ne vous a point quelquefois surpris !

Le Noyau (1862) Un écolier presse une cerise entre ses lèvres et en rejette le noyau; un vieillard le relève et l’enfouit dans une terre labourée, aux yeux de l’en­ fant qui rit d’un tel soin. Plus tard, l’enfant repasse au même lieu, et voit le noyau devenu arbuste. Le vieillard est encore là qui le taille, le greffe, le défend contre toute atteinte. — A quoi bon tant de fatigues ? pense l’adolescent. Mais devenu homme, et longeant la route poudreuse, il retrouve l’arbre couvert de fruits qui le désaltèrent, et il comprend enfin la prudence du vieillard. Qui de nous n’a point été cet enfant, cet homme? Combien de projets abandonnés sur la route et qu’un plus prudent relève après nous ! La plupart des hommes vivent au hasard, sans songer que tout germe recueilli devient l’origine d’une moisson, et que la moindre de nos actions est le noyau d’un cerisier.

Le progrès (1869)

Quelle belle chose que le progrès dit un soir Jean-Louis en rentrant du marché, à son ami François, assis près d’une chopine de petit vin vieux. Voici que l’on vient encore de faire une nouvelle invention. Et quoi est-ce donc demanda François à son camarade ? Oh jamais tu ne saurais deviner. Une machine à cirer les souliers ! ousque le génie de l’homme va s’arrêter! — Ainsi vous posez votre pied sur un

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tabouret, vous tournez une manivelle... cric et crac c’est fait, vos sou­ liers sont cirés... ainsi que vos chaussettes et le bas de votre pantalon, voilà le progrès. Eh bien moi dit François, je ne suis pas pour le progrès, voilà un mot mon vieux, dont je te conseille de te défier; c’est à lui par exemple que nous devons: Les chignons, les crinolines, les suivez-moi jeune homme, les affreux tuyaux de poêle que les hommes se mettent sur la tête en guise de cha­ peaux. La Revalescière Dubarry et quelques milliers de gentillesses de ce genre. Ah ! que je regrette ce bon vieux temps où on ne connaissait pas encore toutes ces choses, et où le progrès ne s’était pas encore fourré partout. Alors on savait ce qu’était la vie de famille, par exemple. Le soir on se réunissait après souper autour de la table ou de la chemi­ née, et le père racontait des histoires ou lisait les Saintes-Ecritures, tan­ dis que la mère filait ou tricotait. Maintenant, Monsieur va au cercle (encore une invention du progrès) où il perd son temps et son argent. Madame d’un côté, ne s’occupe que de ses faux cheveux, de ses fausses dents et que sais-je encore. Et l’éducation des enfants ! Le fils fume comme un caporal, quoiqu’il n’ait que 13 ans, et Made­ moiselle lit des romans. Voilà le progrès.

Remido po fèrè alla lè tserropè. (1898) Claude-Abram étâi z’allâ à la faire d’Estalleins avoué on tsai dè fein po sé fèrè on pou d’ardzeint et tandzi son tsévau que coumeincîvè à se fèrè vilhio. Et ie sein revegnâi tôt conteint avoué on novel bidet. Mâ vouaiquie que tôt d’on coup cilia bougea dè bîte sè met à renasqua et ne vâo pas avancî. L’écourdja ne lâi fasài pas mé qu’on motchâo dé catsetta. Aloo noutron Claude sé peinsa, ateinds, tè vu prâo fèrè allâ. Et ie preind lo pou dè fein que restavé su son tsai, l’attatsé âo fin bet donna pertsa et lo met dévant lo tsevau que trottavé qu’on diabllio po l’attrapâ, ka Claude l’avâi met espré on pou lien dé son naz. Vouaiquie lo remido po fèrè alla lè tserropè.

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(1898)

Jadis les femmes s’occupaient de leur ménage. Dès l’âge le plus tendre, les jeunes filles étaient initiées par leur mère aux travaux du ménage. (...) Aujourd’hui les choses sont bien changées: les femmes élevées dans des principes d’ordre, d’économie et de travail sont devenues de plus en plus rares. Par contre, les frais de ménage sont devenus si élevés, que beaucoup de jeunes gens doivent réfléchir sérieusement avant de son­ ger à se marier. Les gains ne suffisent plus, on a recours à des expé­ dients; ces expédients usés, on se trouve dans la gène. C’est par milliers que ces ménages se comptent. N’y voit-on pas une cause première du malaise qui existe?

Les armes à feu à travers les âges (1907)

Aujourd’hui, les armes à feu sèment leurs projectiles à des distances considérables; les obus et les balles franchissent des kilomètres et vont frapper des soldats qui ne savent même pas d’où leur viennent ces mes­ sagers de mort. On se mitraille sans se voir, on se fusille incognito. En outre, les coups se succèdent avec une foudroyante vitesse; les fusils à répétition permettent des tirs très rapides; les mitrailleuses, vraies pompes à balles, envoient vers le but visé des centaines de projectiles en une minute. En face de ces progrès énormes accomplis par l’homme dans l’art de se tuer, on est tenté d’oublier l’origine modeste de l’arme à feu, on ne pense plus à la lente évolution parcourue par le fusil à travers les âges — depuis la découverte de la poudre — en passant de la couleuvrine à l’arquebuse, de l’arquebuse au mousquet, puis à la carabine pour arri­ ver enfin à l’arme redoutable que nos armées manient actuellement. (...) Enfin les dernières années du siècle virent surgir entre les mains des soldats le formidable engin de mort, le «fusil à répétition». Inutile d’entrer dans le détail; il est maintenant dans toutes les mains. Il semble impossible qu’on le perfectionne encore et beaucoup de per­ sonnes redoutent peut-être qu’on progresse dans ce sens. Il faut le souhaiter au contraire; il faut espérer que le fusil et le canon deviendront des armes si terribles et dangereuses que les hommes n’oseront plus les faire parler. A défaut de la paix consentie et régnant par la bonne volonté des hommes, on aurait au moins une paix forcée et obligatoire. Ce serait déjà quelque chose.

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Le chewing gum (1950) Les sympathiques G.I. qui ont animé de leur présence de nombreuses villes et stations de notre pays au cours de ces dernières années ont apporté avec eux la curieuse habitude de mastiquer le chewing gum. Si on en croit les Américains, la mastication de cette gomme d’origine végé­ tale aurait de nombreux avantages: elle empêcherait la carie dentaire; elle favoriserait la digestion; elle donnerait une haleine agréable; elle ferait passer le temps, tout comme le tabac; aussi les G.I. ont-ils eu de nombreux imitateurs chez nous, du moins au cours de leur séjour. La consommation de chewing gum a été si forte aux Etats-Unis, pendant la guerre, que le Gouvernement fédéral a dû en rationner l’usage. D’après la revue scientifique «La Nature», les Américains en ont, en effet, consommé chaque année pour 114 millions de dollars, soit la valeur de 13,650 millions de tablettes qui, mises bout à bout, représenteraient une longueur totale de plus d’un million de kilomètres. Les civils ont dû se contenter de 77 tablettes par an, alors que les G.I. en reçurent 630. La matière première du chewing gum est un suc laiteux qui s’écoule des blessures faites au Sapotillier, un bel arbre originaire des Antilles et de l’Amérique centrale et dont le tronc droit et régulier peut atteindre une hauteur de 25 m. Son latex devient d’un blanc opaque dès qu’il est exposé à l’air. On l’extrait comme celui de l’hevea ou arbre à caoutchouc, comme la gemme du pin des Landes, et la sève de l’érable à sucre du Canada, en pratiquant à l’aide d’un sabre à abattis des incisions en zig­ zag de l’arbre. Le latex est ensuite chauffé lentement; il perd par évapora­ tion une partie de son eau, se coagule et devient solide. Pour fabriquer le chewing gum proprement dit, on concasse et broie ce produit brut, puis on le fait fondre. Le sirop obtenu est épuré, stérilisé et additionné de sucre ou de glucose et d’un parfum qui est le plus souvent du menthol, du salicyclate de méthyle ou une essence de fruit artificielle. On le coule en tablettes de 20x73 mm pesant trois grammes. Ces tablettes sont envelop­ pées chacune dans un papier d’étain ou d’aluminium, puis dans un papier collé imperméable, et groupées par cinq dans une enveloppe spé­ ciale qui porte la marque du fabricant. La demande du chewing gum a été si grande au cours de ces dernières années que les Américains ont dû créer des plantations de Sapotillier au Mexique, en Amérique centrale, dans la République de Panama et même en Floride. Mais actuellement, ce sont encore les peuplements de sapotilliers sauvages du Mexique et du Guatemala qui fournissent la presque totalité du suc brut importé aux Etats-Unis.

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La télévision, bouleversante découverte (1953) Le téléphone, la radio même, s’ils causèrent de profondes surprises, ne semblaient pas s’apparenter aux miracles comme la télévision y confine pour de nombreux profanes. Son gros atout réside dans le fait qu’elle annule tout intervalle entre un événement et sa diffusion par l’image. La télévision est la grande magicienne qui sera à même d'apporter dans les foyers le reflet de l’actualité sous sa forme la plus vivante: l’image. [...] les ondes qui servent à la transmission des images sont analogues à celles de la télégraphie ou de la téléphonie sans fil, avec, toutefois, le grave inconvénient de posséder une portée infiniment moindre et de s’amortir rapidement.C’est là une des principales raisons qui rendent difficile et coûteuse l’installation d’un réseau d’émetteurs de télévision dans notre pays au relief si accidenté: il en coûtera beau­ coup plus que pour la radiodiffusion. (...) Mais voici que, déjà, la télévision ordinaire est dépassée: la télévision en couleurs est au point. (...) Aux Etats-Unis, on songe sérieusement à l’équipement des installations pour la télévision en couleurs, mais les frais seront tels que les prévisions les plus optimistes disent que ce ne sera qu’aux environs de 1955 que la télévision en couleurs sera à portée du public.

La cybernétique (1960) L’homme avait seulement su naguère construire des machines qui, fabriquant des énergies artificielles, se substituaient à son muscle. Or aujourd’hui nous sommes témoins d’un événement sans précédent, avec la naissance d’appareils constituant de véritables organes des sens artificiels: transformant des longueurs, masses, températures ou pres­ sions en courants électriques, ces dispositifs sont ainsi capables de recueillir des informations. Par ailleurs, la technique moderne donne le jour à des cerveaux électroniques qui sont capables de manipuler les informations recueillies par ses organes des sens, la machine est à même de calculer ses décisions, au lieu de demeurer condamnée, comme hier, à agir de façon aveugle et stupide. Il en résulte que la machine devient aujourd’hui, comme l’homme, capable de gouverner une action et qu’une science prodigieuse est appelée à un avenir extraordinaire, la cybernétique, cette discipline n’étant pas autre chose que la science des actes gouvernés. Il s’agit en

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l’occurrence d’une science très ancienne puisque ie même terme de cybernétique (qui provient du grec kubernan, gouverner) était déjà employé par Platon dans Gorgias ou le Politique, les Grecs ayant autrefois analysé de façon très précise la fonction de gouverner, fonction qui consiste à bien recueillir d’abord des informations, puis à partir de ces informations à calculer une action, et enfin à exécuter matériellement celle-ci. (...) Dans le cadre de ce schéma, la révolution industrielle n’avait permis naguère à la machine de ne se substituer qu’au muscle, c’est-à-dire d’intervenir seulement au troisième stade de l’action, l’œil et le cerveau restant l’apanage de l’homme. Or le remarquable est qu’aujourd’hui — compte tenu des nouvelles possibilités techniques que nous évoquions ci-dessus — ils soient conquis par la machine, une cybernétique aujour­ d’hui technique nous apprenant comment des «machines complètes» possédant organes des sens, postes de calcul et moteurs sont capables d’effectuer la synthèse d’actes gouvernés quelconques, ces machines complètes recevant souvent le titre évocateur de «robots». C’est une révolution matérielle sans précédent qui, dans l’industrie, va avoir pour conséquence l’instauration de l’automation, c’est-à-dire la formule consistant à remplacer le complexe homme+machine d’hier par ces machines complètes qui, assurant les productions au prix d’un personnel très réduit, permettront une qualité de travail et un rythme de fabrication très supérieurs, l’automation étant appelée non pas à créer le chômage comme on veut souvent le dire, mais à annoncer un impressionnant déplacement dans les professions, toutes les tâches ne demandant pas d’initiative — et c’est le but de la plupart des opérations intervenant dans un processus de production — devant demain être sys­ tématiquement dévolues à des robots tandis qu’il en résultera une vaste promotion sociale, l’homme s’élevant dans la hiérarchie de la pensée. Ce texte est signé par le savant Albert Ducrocq, tout jeune confé­ rencier et écrivain, qui dirigeait depuis 1953 la Société française d’électronique et de cybernétique et présidait la Fédération nationale de l’Automation.

Quelques thèmes reviennent périodiquement. La disparition des barques du Léman a engendré une certaine mélancolie que viennent rappeler quelques textes:

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La dernière barque classique du Léman (7950) Il est devenu de plus en plus rare — en notre siècle de mécanisation et de vitesse excessives — d’apercevoir sur notre lac une authentique bar­ que du Léman cingler majestueusement, en plein large, toutes voiles dehors et comme enfoncée dans Fonde sous son lourd chargement. Lentement, mais infailliblement, le moteur a remplacé les voilures. Lorsque de temps à autre on voit, sur le Léman, passer l’une de ces barques sans voiles, on a le sentiment d’être privé de quelque chose. C’est comme un sonnet dont on aurait supprimé le premier quatrain, une symphonie sans son adagio. Soucieuse de conserver au moins une de ces barques, la «Confrérie des Pirates d’Ouchy» ouvrit, ce printemps, une souscription destinée à ras­ sembler les fonds nécessaires à l’achat de la dernière barque du Léman gréée de façon classique. Ils la découvrirent à Villeneuve. La «Violette», c’était son nom, avait été mise sur quille et montée à Locum en 1932. Malgré son moteur, elle possède encore une voilure complète, c’est-àdire un foc, une grande voile et un trinquet. Par un beau samedi de la mi-juin, une équipe de la Confrérie d’Ouchy, conduite par son sympathique président, M. le Dr Messerli, s’en alla prendre livraison à Villeneuve, de celle qui fut choisie pour perpétuer un souvenir encore vivace chez les riverains. Et ce fut une joyeuse ran­ donnée au retour, sur le pont de la barque, avec de joyeuses escales dans les ports rencontrés jusqu’à Ouchy, où la barque fut alors baptisée «La Vaudoise».

Le Léman et ses grandes barques (7963)

Avec la disparition, ces trente dernières années, des barques du Léman, notre lac a perdu sa plus belle parure et les riverains qui gardent la mémoire de ces temps déjà légendaires parlent avec émotion des flot­ tilles de jadis, sillonnant les eaux en tous sens, poussées par les vents qui gonflaient les grandes voiles latines des embarcations. La vision de ces barques était encore plus belle, dans la sérénité de la nuit, lorsque la surface du lac et les voiles déployées renvoyaient vers la côte la clarté minérale de la lune. De temps à autre, à travers les cam­ pagnes et les vignes avoisinantes, on entendait l’un des quatre ou cinq hommes d’équipage lancer, sur sa trompette, les airs de signaux aver­ tissant les autres navigateurs de la manœuvre qu’allait entreprendre la barque.

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Et comme le montrent maintes gravures du siècle passé, le paysan dans son champ et le vigneron dans son parchet s’arrêtaient un instant de travailler et, appuyés sur l’outil prêtaient un regard aux gracieuses évo­ lutions du gros oiseau blanc posé sur le miroir du lac. Le spectacle était en tout point agréable et notre lac a beaucoup perdu de son charme depuis les mises à la retraite successives des grandes barques, bien que le nombre de voiliers de plaisance ait singulièrement augmenté depuis le début du siècle. Les marins au visage tanné par le soleil et le vent — on les appelait des «bacounis» — n’amènent plus vers les rivages des bouffées de cet air du large qui, toutes proportions gardées avec la mer, leur conférait un prestige auquel ont droit tous ceux qui coulent une existence dure et aventureuse, et parfois dangereuse. (...) Michel ^angger

(1951) Une jolie composition sur le Messager boiteux, écrite par un jeune garçon à l’occasion du concours «Nos loisirs» institué par le Secréta­ riat vaudois pour la Protection de l’Enfance:

Notre almanach est l’une de ces petites choses peu bruyantes dont nous aurions pourtant grand peine à nous passer. Non pas qu’il soit indis­ pensable pour vivre dans notre temps, mais sans lui nous ne serions plus nous-mêmes. La lunaison a peut-être une influence sur les idées des gens, mais ce n’est pas pour cela que nous l’aimons notre Messager boiteux. Les lon­ gues listes des foires locales ne sont pas d’une nécessité grande et pour­ tant c’est un peu pour cela que nous la chérissons cette brochure qui nous raproche de la nature, de la terre, de toutes ces choses dont nous sommes issus. On le lit partout l’almanach: aussi bien le commerçant que le paysan ont joie à le retrouver chaque automne, toujours le même et pourtant chaque année si nouveau. L’agriculteur trouve un horaire bien établi qui lui indique les meilleurs moments pour labourer, ensemencer et récolter. Les habitants de nos villes, qui sont en majorité d’essence pay­ sanne, ressentent en eux un appel vers la nature en lisant que les semailles se font à cette saison plutôt qu’à toute autre. Le Messager boi­ teux joue le rôle de trait d’union, de commune mesure, entre la ville et le village.

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Le paysan travaillerait tout aussi bien la terre sans les conseils du Mes­ sager et le citadin, sans lui, n’en comprendrait pas plus mal le campa­ gnard, et pourtant sans lui quelque chose manquerait.

Le lectorat du Messager boiteux est difficile à cerner. Si l’on se fie au contenu de l’almanach, on constate qu’il a étonnamment changé. De citadin il est devenu campagnard. L’édition de 1920 insert une publi­ cité pour certains ouvrages de la librairie Klausfelder. S’adressant aux lecteurs du Messager, cette «réclame» est pour le moins ciblée: des livres consacrés à l’agriculture, à l’horticulture, à l’apiculture, aux animaux domestiques, à l’aviculture ainsi qu’aux arts et métiers manuels, mais aussi à la cartomancie, à la comptabilité et à la corres­ pondance, l’art culinaire, le droit. Certains titres n’ont rien à envier aux titres accrocheurs d’aujourd’hui: Album de frivolité, Savoir réus­ sir, L’attitude victorieuse, Les miracles de la pensée, L’influence de l’optimisme, La distinction et l’élégance chez la femme, 100 façons d’accommoder les restes, L’électricité chez soi, Règlement du jeu de Jass, Ce que tout homme de 45 ans devrait savoir, 100 façons de se défendre dans la rue ou encore le manuel du skieur. Il semble bien que le Messager boiteux s’adresse à tous !

Les foires et marchés

A une époque où l’on ne trouvait pas de tout près de chez soi, les foires étaient le lieu privilégié d’achats et surtout de rencontres. S’y mêlaient divers corps de métiers, des victuailles, des produits de pre­ mière nécessité, des animaux ainsi que de superflues fanfreluches. Créées à l'origine sur les routes commerciales européennes, les foires étaient soumises à autorisation. Elles ont peu à peu proliféré et avaient généralement lieu à date fixe (à moins que celle-ci ne tombe sur un dimanche ou qu’un trouble n’éclate). Le XVIIIe siècle est une période d’expansion commerciale, bien vite, chaque localité impor­ tante eut sa foire.

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Le costume vaudots (1892)

Enfin ! Il commence à revenir’... — Qui donc ? Notre joli costume vaudois, si gra­ cieux, si pratique, et dont nos amies et chères compatriotes, ont cru devoir rougir au milieu de ce siècleci, comme n’étant pas assez «comme il faut». (...) A la bonne heure nous nous réveil­ lons ! Nous verrons bien l’an pro­ chain si le réveil ne sera pas à peu près complet. En attendant, gens de la ville, les jours de marché, croyez-moi, favori­ sez les Vaudoises. Vous ferez bien. Le Major Davel vous en saura gré, et bien d’autres avec lui. Alfred Cérésole

L’almanach était un outil de travail idéal pour le petit colporteur, le maquignon ou le marchand local ou forain qui tenait son banc au marché. Chacun pouvait, grâce à sa liste toujours plus complète et fournie, planifier ses apparitions. Le développement des moyens de transport et de communica­ tion, le camionnage, l'augmentation des petits commerces et surtout des grande chaînes de magasins, puis les ventes par correspondance et le téléachat ont modifié les habitudes. Chacun trouve presque immédiatement tout ce dont il a besoin. Il n’est plus nécessaire d’at­ tendre la Saint-Martin pour trouver les lacets blancs qui manquent, le cheval ou la charrette indispensables. Quelques grandes villes les ont conservées par tradition. Elles sont surtout l’occasion de se diver­ tir. On y va en curieux, pour y passer le temps ou faire un tour de carrousel. D’autres se sont transformées en marché-concours pour le bétail.

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NOVEMBRE

a

XXX.

JOURS.

Foires duMois.de Novembre 1749 A icbis.Albï u Alilürk as Annonay 6 Aram 2. Arbergs Arboo, Arlayas Annt3.Avanc.r3 Aubonne 18 Bade 17 Badonviller 6 Beaumc II Bergerac 11 berne 2S Bcrtou 6 Befinç^BclTc iz Bex 3*7 Bcvaix,8crch._i4 Bienne 12 Bonneville 11 Boucl.Boudri 10 Brencts 4 Briançon 17 Bnfacneuf. 21 Brcnt, Brientz tt BulloJi.Burc 26 Chalon i4 Champagnoleos Chateau d'Oexa? Chateau R en. 1 Cbatel.Chaloni t Chatel. B. 17. »9 Chaux deCrotcn. a8. Clown, 11 Clignau 26 Combeaufont. 3 Colmar 11 Coirc 22 Conflans 11 Concife 8 Confiance 26 Copet 18 Couonai 6 Couvée 10 Crépi * Cruïille 17 Cub. u.Cillyu Dclcmont xa Digncn -7

Digue 'I Nozcroy J Dijon, Dortai 11 Ollon, Oman at Echallens 13 Oefch 27 ê^^^^^âsll^^^fe Epoillê 3 Orchans J s Erlcbac 19 Oron la Ville Novembre, exprime le Engue 17 l’ayernc 6 nombre 9. par ce mot Je Evian 11 P.ombierc 17 Faucogney ó Purgcroc 11 Novembre. Iletoit le neuviè­ FontameblauaS Quingey 11 me mou Je Fannie qui com­ Franflal“ 21' Rance 7 mençait pur le mois deMari, Fribourg en B. 6 Ray, Remberv. 11 nommée Martiale. Fribourg en S. li Reinlcld 13 Le Courier Celeße arri­ 4 FiUClgUC 2 s Kemiremond Gaillard 8 Renen 10 vera au Palau du ^, le Genève 22 Ribauviller 7 2 2. il eß le neuvième, com. Geramagni 4 Rolle 14.Roche it mence le 22. Novembre Glans 21 Romainmötier 24 GranFon 12 Rum. 24. Rupt. 14- iufqu'au 21. Décembre. Granviller ig S Blaire^-Clautleii Ceux qui naißent fous fon Gruycr.19. Gyj S.Dcnis io S.J«n4 afeendant, fontexpofes aux Hagumau 6 S. Humbert 3 changement des Saifons, Hermites 11 S. Mauris 3 xa ayant la couleur pâle, d'une Hctif Hcrdonas S. Martin l'antz 18 S. Trcnier s complexion délicate, ayant Laboulais 2 s S. Ymier 21 peine d fe nourrir, généreux Landeron 12 Salins 6. Scey 10 & courageux. 19 Lauppc « Sceleilat St. Martin obfcur (igni11 Laufanne 13 Schaffouie Lucen»’, ta Schwitz, Seilei 11 fe un byuer payable t St. Liére 184.1111127 Serlieratf.Spire ri Martin clair prifage un anLyon.^ 3 Stauff it. Surfte 3' froid. Maicbc ai Syon I.8JS-2X.29. Ne te mile point des 'eboMeUnguc ií Thonne 17 Moiran 24 Travers 13 fes, quifurpaßent ta capaci­ Monron 26 Troye 3 té & tes forcet. Montfleur ai Verlelto.Vcful2$ A la St. Martin, les vexa­ Moncbelliard 17 VEVÄY, as tions ne prennent pat encor ■ Morat ' 19 Vintretouc 6 j* ßn. Morges.. 12 VilWan 11’ Celui qui rend. le. mal Monenfé 1 Vdlcneuvc itMortaa 7 Vitry i. pour le bien, Morzine 8 Voileiiz. Uri ¿Ceß un perdu, un vray a avec un de ces Signes," /^ 3t A> it fi I on veut qu'ils renaiflent tard, en Lune decroiiTante,en ces Signes é Æ R M'étant pas bon de les cou­ per, la Lune ¿tant en ce Signe •■£, caril gouverne la tète.

L’homme zodiaque ainsi que les préceptes figuraient dans chaque almanach.

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LE MÉDECIN CONTRE LUI

DES MÉDECINS Malgré cette évolution, l’application de l’astrologie -i la médecine reste importante. La pratique médicale traditionnelle s'appuie sur la théorie, elle aussi liée à la tradition, des présomptions astrologiques. C’est le corollaire naturel de la conception de la place de l’homme dans le cosmos. Les quatre humeurs du corps seraient influencées par les qualités des planètes ainsi que par les signes du zodiaque2. Chaque partie du corps étant gouvernée par un signe particulier, la maladie n’est alors autre qu’un déséquilibre humoral. Les soins passent en conséquence par un rééquilibrage. Celui-ci s’effectue après l’étude de l’état du ciel. Un bon médecin est alors un praticien qui connaît les règles qui régissent les planètes ainsi que les lunaisons. Il se double inévitablement d’un astrologue compétent3. A cette période, l’almanach donnait tous les conseils nécessaires dans son chapitre consacré aux meilleurs moments pour chaque action (élections). Destiné aux médecins rompus à l’exercice de leur art, ce chapitre était également utilisé par des charlatans dont l’action pouvait être néfaste, ainsi que par toute une catégorie de la population trop confiante en son almanach pour discerner la réelle opportunité d’un soin urgent. Si le moment n’était pas indiqué pour un traite­ ment, on pouvait attendre, quitte à en mourir. Rien d’étonnant à ce que la deuxième moitié du XVIIIe siècle ait généré de nombreux détracteurs qui critiquèrent l’almanach. Aux ver­ tus récréatives du Messager, certains ont opposé le danger qu’il risque de faire encourir au trop crédule lecteur tenté d’appliquer à la lettre certains de ses préceptes. Sans doute est-ce pour cette raison que, dans l’édition de 1757, deux pages entières sont consacrées à la médecine. Avb salutaire à toute sortes de personnes touchant à l’usage de la médecine

Il ne fait jamais bon se faire purger, médeciner, ni saigner, les jours de Nouvelle Lune, Pleine Lune, ou Quartier, sans urgente nécessité. Il ne faut pas aussi saigner & purger au tems que dure la Canicule, savoir depuis le 16 Juillet jusqu’au 27 Août, sans une très grande & inévitable nécessité. Le même se doit pratiquer au tems de l’Anti-Canicule, qui commence le 15 février.

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Toutes les fois que dans un bon & fidèle Almanach vous trouverez la L une au signe du Lion, abstenez-vous de médecine & de saignée pen­ dant le tems qu’elle y séjournera, & quand elle sera au signe des Gémeaux, abstenez-vous de la saignée seulement. Les médecines, purgations & saignées qui se prennent par précaution seulement, ou autres raisons de santé, sont beaucoup plus utiles & pro­ fitables au printems & Automne, qu’aux deux autres Saisons. Les purgations prises au décours de la Lune, causent meilleur effet. Pour purger la bile, il faut prendre le tems humide & que la Lune soit dans l’un de ces trois signes, savoir Cancer, Scorpion ou les Poissons. Pour purger le flegme il faut choisir un tems sec & l’un de ces signes, le Sagittaire ou Bélier. Pour purger la mélancholie, choisissez un tems doux & attendez que la Lune soit en l’un de ces trois signes, les Gémeaux, la Balance ou le Verseau. Pour purger les sanguins, prenez un beau tems & l’un de ces signes, le Taureau, la Vierge ou le Capricorne. Toute personne au dessous de l’âge de 15 ans doit être saignée ou médicamentée dans le Quartier de la Nouvelle Lune, si faire se peut. Depuis l’âge de quinze ans jusqu’à trente le doivent être dans le pre­ mier Quartier. Depuis 30 à 45 ans doivent être depuis la Pleine Lune jusqu’au dernier Quartier. Et depuis 45 ans jusques à la fin de la vie que ce soit dans le dernier Quartier. Réglement qui enseigne auquel jour de la Lune il fait bon ou mauvais saigner sans avoir égard aux Signes

Notez que si la Lune se renou­ velle avant midi, il faut compter ce jour là pour le premier; mais si elle se renouvelle après midi, il faut seulement commencer par le jour suivant. Le 1. jour de la Lune est mauvais, il cause les pâles couleurs, & fait la face couperosee. Le 2. jour est mauvais, il affoiblit & cause la fièvre.

Le 3. jour est mauvais, rend la personne débile. Le 4. jour est mauvais, cause pâmoison & mort subite. Le 5. jour est mauvais, diminüc le sang du corps. Le 6. jour est bon, dissipe le mauvais sang & le flegme. Le 7. jour est mauvais, corrompt l’estomac. Le 8. jour est mauvais, il fait per­ dre l’appétit.

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LE MÉDECIN CONTRE LUI

Le 9. jour est mauvais, il engen­ dre la rogne & la gratelle. Le 10. jour est mauvais, cause défluxion sur les yeux. Le 11. jour est bon, il provoque l’apetit. Le 12. jour est bon contre les défluxions. Le 13. est mauvais, la nourriture ne profite pas. Le 14. jour est mauvais, il peut causer grande maladie. Le 15. jour est bon, il purge le sang. Le 16. jour est mauvais & le pire de toute l’année. Le 17. jour est très bon, & le meilleur de toute l’année. Le 18. jour est bon pour faire sor­ tir les defiuxions. Le 19. jour est mauvais & catareux.

Le 20. jour est mau-Tas, il cause maladie. Le 21. jour est bon, il amène la santé. Le 22. jour est bon contre toutes maladies. Le 23. jour est bon, il rafraîchit les sens, & fortifie le corps. Le 24. jour est bon contre les mauvaises vapeurs. Le 25. jour est bon, il réjouit l’es­ prit & rafraîchit la mémoire. Le 26. jour est bon, préserve des défluxions. Le 27. jour est très mauvais, catareux & cause mort subite. Le 28. jour est bon, réjouit le cœur & l’esprit. Le 29. jour est mauvais, cause hydropie & ulcère. Le 30. jour est mauvais.

L’avantage de ces préceptes est qu’ils protégeaient les patients de saignées trop nombreuses voire funestes. Ces précautions n’ont pas empêché quelques médecins (et non des moindres) de s’élever contre ce qu’ils nommaient «charlatanisme»4, et même une «engeance de prophètes de malheur*5. C’est un véritable concert de voix qui s’élève contre des pratiques qui ne sont plus dans l’air du temps. La pre­ mière semble avoir été celle du Dr Auguste Tissot6, bientôt rejointe par celles des Dr Levade7 et Herrenschwand8. Ce dernier souhaite que l’almanach «pendant plusieurs années consécutives [donne] des exemples frappants» des fâcheux effets de l’abus des «mauvaises eaux de vie, du café et du tabac à fumer*. Vœu resté pieux. Peut-être le Messager ne l’estimait-il pas nécessaire, lui qui, en 1773, donnait la «Composition & vertu de l’Elixir de longue-vie».

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L'oae recette a été trouvée dans les papiers du Docteur Yernest, Méde”r Suédois, mort à l’âge de 104 ans d’une chute de Cheval: ce Secret et: ’• dans la famille depuis plusieurs Siècles: Son Aïeul a vécu 130 ans, îu mère 107 & son père 112 ans, par l’usage journalier de cet Elixir: Ils •m prenoient sept à huit goûtes matin & soir dans le double de vin rouge, de thé, ou de bouillon. La Composition est: une once d’Aloës, un gros de Zcdoiare, un gros de Gentiane, un gros du meilleur Saphran, un gros de Rhubarbe fine, un gros d’Agaric blanc, un gros de Theriaque de Venise. Mettez en poudre & passez au tamis ces six premières drogues; après quoi mettez les dans une bouteille de gros verre avec la Théria­ que: jettez dessus une pinte d’Eau de vie, bouchez bien cette bouteille d’un parchemin mouillé, quand il sera sec, piquez le de plusieurs trous d’épingle, afin que la fermantation ne casse pas la bouteille; mettez la à l’ombre pendant neuf jours; ayez soin de bien la remuer matin & soir pour mêler les drogues, le dixième jour sans remuer la bouteille, coulez doucement l’infusion dans une autre tant qu’elle sortira claire & bou­ chez bien avec du linge cette colature; puis mettez sur vos drogues une dixième pinte d’Eau de vie que vous y laissez encore pendant neuf jours bien bouchée comme l’autre, & remuez-la de meme, on coulera aussi au dixième jour; & quand on s’apercevra que la liqueur se brouille on mettra du coton dans l’antonnoir, & on la filtrera à plu­ sieurs reprises, s’il le faut pour l’avoir claire, on aura attention de met­ tre un linge sur l’entonnoir, afin que la liqueur ne s’évapore point on mêlera les deux infusions ensemble, & on les serrera dans des bou­ teilles bien bouchées: on pourra s’en servir dès le premier jour, avec l’usage journalier de ce remède on vit longtems sain sans avoir besoin de saignées ni de médecins, il restaure les forces, anime les esprits vitaux, eguise les sens, ôte les tremblements des nerfs, émousse les dou­ leurs de rhumatisme, amortit les douleurs attroces de la goutte & l’em­ pêche de remonter; nettoie l’estomac & toutes les humeurs grâces et gluantes qui causent les indigestions, les aigreurs, les migraines, les vapeurs, tue les vers, guérit toutes les coliques d'estomac & d’entrailles au bout de quelques minutes, rend gai, soulage bien les hydropiques, guérit les indigestions dans une heure de tems, ôte les maux de cœur.

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LE MÉDECIN CONTRE LUI

ramollit le tympan aux sourds en distillant dans l’o^ifie bouchée de coton, appaise pour quelques tems les douleurs d'une dent creuse en y fourrant du coton imbibé, purifie le sang, le fait circuler est un contre­ poison parfait, provoque les mois aux femmes, restitu-': les couleurs de l’embonpoint, purge imperceptiblement & sans douleur, & guérit toutes les fièvres intermittantes à la troisième dose, bref, c’est le restau­ rateur de l’humanité même pour les tépides, il est préservatif contre les maladies contagieuses, & fait pousser la petite vérole sans risque, il a cela d’admirable qu’on peut en prendre une trop forte dose impuné­ ment, & qu’il est utile à tout &c. Puis le Doyen Bridel9 se met à l’unisson:

«Lettre sur le Messager boiteux. Cher compatriote!/ Puisque nous sommes en bon train de réformer nos vieux abus, je vous en dénonce un, beaucoup plus grave qu’on ne le croit communément: c’est les superstitions gothiques, les préjugés absurdes et les folles pratiques, que plusieurs de nos Almanachs, et notamment le Messager boiteux, font naître, entretiennent et propagent. Croiriez-vous que ce dernier a causé la mort de mon père, de ma mère, de mon frère et de ma sœur; la ruine de notre maison, et la majeure partie des malheurs de ma vie? Je vais vous en tracer un fidèle exposé; et si, comme je le crois, ce triste tableau peut être utile, je vous prie, au nom de l’humanité, d’en faire part au public dans vos Elrennes, où l’on ne trouve aucune de ces bêtises astrologiques, médicinales, économiques, etc. dont la plupart des Calendriers de notre Suisse Allemande et Romande sont farcis, en dépit du bon sens et de la vérité. [Suivent tes déboires qui frappèrent cette famille, dûs à la stricte observance des préceptes du •Messager-.] De plus longs détails vous ennuieroient; aussi je ne vous dirai point, comme quoi feu mon père étudoit religieusement les caractères rouges du Messager boi­ teux qu’il préférait aux noirs; les douze signes du zodiaque, et le tableau de leur correspondance avec les membres du corps humain qu’ils gouvernent; la planète natale, qui détermine le caractère triste ou gai, la bonne ou mauvaise fortune, les vertus et les vices de celui qui vient au monde sous son influence, et les mots et signes mystérieux insérés dans la colonne du calendrier, intitulés élections. [...] Je ne fini­ rai pas cependant cette longue lettre, sans vous dire, que selon mes espérances, notre nouveau Gouvernement mettra ordre à ce genre per­ nicieux d’almanachs, en les proscrivant, ou du moins en les purgeant de cet inconcevable ramas de sottises et de platitudes, qui rendent le

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pr.vsan bète, timide, superstitieux, mauvais économe, et souvent malixureux par les terreurs imaginaires auxquelles cette lecture le livre ¡.. C'est là un des bienfaits que je sollicite du régime actuel, et que j’ucends des sages intentions qu’il annonce. Car enfin, et on ne saurait trop le crier jusques dans les carrefours, il faut éclairer le peuple avant toute chose: tant qu’il sera crédule, ignorant et dirigé par le Messager huileux de Vevey, et ses imbécilles ou plutôt rusés confrères, on n'en fera rien de bon.» Révélons à qui l’ignore que le Doyen Bridel publiait son propre almanach (format in-12°) chez le Lausannois Henri Vincent, dont le titre était Elrennes helvétiennes et patriotiques. Celui-ci contenait un calendrier, la liste des éclipses prévues, celle des saisons, celles des principales foires de Suisse puis des textes savants ou non. Cet alma­ nach se voulait plus érudit, moins sensationnel; il était destiné à l’édi­ fication et à l’augmentation du savoir de son lecteur. Dès 1806 le Dr Levade et le pasteur D.-A. Chavannes poursui­ vront le même combat,0. Et, plus d’un siècle après, le Dr Eugène Oli­ vier", auteur d’un ouvrage considérable sur la médecine vaudoise, consacre plusieurs pages à ce problème. Considérant les nombreux textes récréatifs qui évoquent certains aspects relevant de la médecine, il accorde un bienfait au Messager. «La réclame ne s’était pas encore emparée de ce domaine; les erreurs qu’il peut commettre sont désin­ téressées, elles ne témoignent que de son ignorance; c’est-à-dire, de l’imperfection de la médecine. Chose dont il n’est assurément pas res­ ponsable.» Il est beaucoup plus circonspect en revanche à l'égard de la partie astrologique, assurant qu’à l’époque où il publie ses pronos­ tics médicaux, tout le monde sait déjà qu’il s’agit de vieilles croyances. Mais chacun est conscient également qu’une croyance millénaire ne s'efface pas d’un coup. Sous les coups de boutoir de ces hommes de science, l’almanach finit par céder. En 1807 les indications «Bon prendre médecine» ainsi que les signes qui y sont liés ont disparu à jamais, et seront suivies par l’«Usage de la médecine» en 1809. Le jugement des médecins peut aujourd’hui paraître sévère. Il semble cependant qu’il était nécessaire. En 1764 l’almanach sup­ prime la partie d’astrologie médicale et met en garde son lecteur:

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LE MÉDECIN CONTRE LUI

«Autant il est dangereux de donner au Peuple des préceptes de Médecine incertains et hazardés, autant est-il utile de ’.■/•! prescrire des règles simples et des moyens assurés, soit pour conserver ¿a santé, soit pour la rétablir, quand elle est altérée par quelque maladie.» Il est vrai que les crédulités et surtout l’hygiène étaient alors telles qu’il fal­ lut d’importantes campagnes pour améliorer l’état de santé des habi­ tants du pays. De nombreux textes présentaient des cas relevant du domaine médical, cependant l’aspect pratique de l’almanach concernait la vie de chacun au quotidien. Les principales indications concernant la médecine figuraient dans le calendrier et les éphémérides. A titre d’exemple, voici les prédictions pour 1748:

Des maladies

Si nous considérons le Corps humain comme un composé de la Terre & se soutenant par les Elemens, il nous sera aisé de comprendre que les Saisons & les divers changements de leur température ont autant d’influence & de pouvoir sur nos Corps, comme ils en ont sur la Terre & sur ses différentes productions, & que par conséquent une certaine température peut contribuer autant à la santé de l’Homme, qu’elle le peut sur l’accroissement & la multiplication des plantes, & qu’une autre pourroit lui être préjudiciable. Ainsi en suposant, comme nous le faisons, que pendant le cours de cette année, nous aurons le plus sou­ vent des tems humides, & plûvieux, accompagnés de vents froids, nous pouvons suposer aussi, qu’il y aura diverses sortes de maladies prove­ nant de fluxions froides & humides. Comme sont, toutes sortes de Fiè­ vres dangereuses, Coliques, Dissentries, Cathares, Rhùmes, & oppres­ sions de poitrine, apoplexie, vertiges, enflûres, & autres maladies de cette nature, qui se feront sentir particulièrement sur la fin de l’Eté & pendant l’Automne, desquelles beaucoup de personnes se plaindront, & qui pourroient bien en mettre plusieurs au tombeau. Que châcun donc se prépare par la foi & par d’ardentes prières, & alors aucune maladie corporelle, ne pourra préjudicier ou empêcher le parfait bienêtre de son âme.

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DES REMÈDES

Quelques proverbes concernaient la médecine ou l’hygiène (Le Bain, dont on use en ce Mois / Est d’un très salutaire usage / Mats si du Dieu d'Amour, on a subi les Loue / Ce n’est pas lui qui nous dégage pour juin 1750). Et, surtout, l’almanach n’hésitait pas à proposer de nombreux remèdes et onguents. En 1757, la dernière colonne du calendrier don­ nait pour chaque mois quelques recettes médicales infaillibles réali­ sées à partir de «simples»: janvier

Secret éprouvé pour guérir les panaris Pour les dents

février

Mourron Gleteron Arrête-bœuf Staphisagria

mars

Angélique Argentine

avril

Dent de chien, autrement Gramen Centaurée

mai

Mille-feuille Grande consolide Hieble

juin

Mercuriale Chaussctrape Plantain

juillet

Scrophulaire Absinthe Esclaire ou Chélidoine

août

Lierre terrestre Bétoine

septembre

Verveine Mauve & guimauve

____ ——

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octobre

Chardon-bénit Gentiane Langue de chien

novembre

Remède contre la mauvaise haleine Bouillon pour les maux de tête opiniâtres

décembre

Cheveux de Vénus Scabieuse Fumeterre

Bien que la médecine ait passablement progressé et continue à le faire, le retour aux choses ancestrales est parfois souhaité par certains. Voici donc quelques-unes de ces recettes:

Secret éprouvé pour guérir les panans

Prenez de la pariétaire; herbe fort commune, on coupe les feuilles le plus menu qu’il est possible & on les mêle avec une quantité propor­ tionnée de Saindoux. On enveloppe le tout de plusieurs papiers les uns sur les autres, & on la met dans la cendre chaude qui sans être assez brûlante pour griller le papier ait cependant la chaleur suffisante pour cuire doucement la pariétaire & la bien incorporer avec le saindoux, on étendra ensuite cet onguent sur du papier brouillard dont on envelop­ pera la partie malade & on renouvellera au moins deux fois par jour. Il faut avoir soin de mettre une épaisseur suffisante d’onguent, afin qu’il ait un effet plus prompt, ce remède réussit également dans le commen­ cement du mal dont il hâte la suppuration. Pour les dents

Prenez des cendres de Romarin & les frottez sur les dents gâtées, cela les rendra fort blanches, & chassera les vers en ôtant la douleur. Pour faire tomber une dent gâtée prenez farine de bled, & en faites une pâte avec du jus de titimale ou de chélidoine, laquelle vous mettrez sur la dent douloureuse ou gâtée dans peu de tems elle tombera d’ellemême sans mal; mais prenez garde d’en toucher une autre.

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Gletero’: Le grame de cette herbe, appelée aussi bardane, est bonne, étant infu­ sée dans du vin, dont on prendra demi verre le matin; pour faire expul­ ser 'es flegmes épais & pourris, sa feuille broyée & appliquée sur les vieux ulcères les guérit. Staphisagna

Autrement, herbe aux pouilleux. Elle a la vertu de chasser les poux & de guérir la gratelle. Mise parmi les habits & dans les lits, elle empêche les poux de s’y multiplier & les chasse entièrement. Argentine

Sa décoction prise par la bouche est bonne contre la dissentric; elle guérit les ulcères intérieurs; & son eau distillée maintient le beau teint sur le visage et sur les mains, en s’en lavant de tems en tems. Dent de chien

La décoction de ces racines dans de l’eau fait une fort bonne lisannc pour rafraîchir ceux qui ont la fièvre; elle chasse la vermine des enfants; désopile & fait uriner.

Grande consolide Cette plante croit en terroir humide. Suivant l’étymologie de son nom, elle a la vertu de consolider les playes. En cataplasme elle apaise la douleur de la goutte. La poudre de sa racine remet le boyau relâché des enfans & apaise leur flux de ventre.

Plantain Il y en a de trois espèces, à feuilles rondes & longues. Les racines de cette plante fricassées dans du beurre, avec lequel on frottera ceux qui ont la galle, la feront passer. Les feuilles sont bonnes contre la brûlure, propres à arrêter le sang coulant du né, & à rafraichir, en les appli­ quant sur les endroits ou l’on sent de grandes chaleurs. Son eau distil­ lée est utile pour les enfants qui sont sujets aux convulsions.

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Mauve & Guimauve

Leur vertu est amolissante, spécialement pour résoudre toutes sortes de duretés, & empêcher les inllamations, à guérir les picures des abeilles & des guêpes; & même à les prévenir en se frottant les mains du jus de cette herbe. La Racine de la mauve blanche est singulière pour net­ toyer les dents, en les frottant avec un tronçon de cette racine.

Gentiane C’est une herbe de montagne bonne contre les fièvres, contre les vers; elle sert à faire des Collyres pour les yeux malades d’inflammation. Sa racine est bonne contre la peste, contre la morsure des bêtes vénimeuses, contre les douleurs d’estomac & de foye, en la prenant infusée dans de l’eau. Elle aide aussi aux femmes en travail.

Remède contre la mauvaise haleine Prenez de la poudre de Sauge une once, de fleurs de Romarin 3 onces, de doux de girofle, 5 dragmes; de Canelle batue, une dragme & demi; de noix de muscade, demi dragme; un grain de Muse; puis pre­ nez autant de miel qu’il sera nécessaire pour incorporer cette composi­ tion; de laquelle vous userez de la grosseur d’une fève ou noisette, plus ou moins à votre volonté. Cette composition est profitable à l’estomac, & rend une haleine agréable & délicate, elle est même utile en tems ou lieu suspect de peste. Recettes de grand-mère dirions-nous. Aujourd’hui qui n’a jamais tenté de soulager une piqûre d’insecte avec cette belle fleur jaune qu’est l’arnica? De poser une feuille de sauge sur ces affreuses petites aphtes consécutives à un festin de noix? De boire une tisane d’aubé­ pine destinée à calmer le stress ?

DE L’HYGIÈNE Avons-nous oublié que le XXe siècle s’est ouvert avec les théories hygiénistes ? Propreté, grand air, rigueur sont mis en avant. Les pages de l’almanach s’ouvrent à ce nouveau courant et laissent le médecin veveysan R. de La Harpe présenter les dernières théories en vigueur en ce qui touche à l’hygiène de l’enfance.

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Règles fondamentales: Lo ir cre doit nourrir son enfant, c’est un devoir aussi noble qu’utile. — Régularité des repas: les premiers mois, tétées toutes les deux heures et derme ou trois heures; 7 tétées par 24 heures; la nuit si possible, pas de repas pendant 5 heures pour laisser à l’estomac de l'enfant le temps de se reposer. Si 1 allaitement maternel est impossible, recounr au lait de vache coupé d’eau à raison de Z de lait et 34 d’eau au début, augmenter la propor­ tion de lait lentement pour arriver à donner du lait pur au sixième mois. Il est très important de tenir le biberon et son bout d’une propreté minutieuse; ne jamais laisser séjourner du lait — ne fût-ce que quel­ ques heures — dans la bouteille. Conserver entre les repas le biberon immerge dans de l’eau fraîche.

VÊTEMENTS simples, amples et chauds; laisser les bras libres, ne pas trop serrer les jambes dans les langes. Ne jamais laisser un enfant dans les linges mouillés; propreté minutieuse absolument indispensable pour éviter les rougeurs de la peau.

Depuis, seule la partie de l’almanach consacrée aux textes divers présente de temps à autre quelques éléments qui sont d’un domaine si ce n’est médical, du moins rattaché à la santé. A l’unisson avec les médecines parallèles, le Messager prône parfois les vertus des plantes, et il a abandonné saignée et pose de ventouse.

NOTES

1 Les noms de Copernic (1473-1543), Galilée (1564-1642), Kepler (15711630), Newton (1642-1727), Halley (1656-1742) ou Lalande (1732-1807) sont suffisamment célèbres et sont un éloquent échantillonnage chronologique de savants. L’Académie royale des sciences a été fondée par Colbert en 1666 et démontre à elle seule l’intérêt désormais placé dans les sciences par les esprits de ce temps. 2 Voir chap. «Microcosme et macrocosme», pp. 92-93. 3 Signalons le cas de l’astrologue anglais Simon Forman, qui fut condamné comme imposteur, non parce qu’il pratiquait la médecine astro­ logique, mais parce que le Collège royal des médecins l’avait trouvé trop ignorant des règles de l’astrologie médicale... (voir Capp, p. 205)

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Samuel Auguste, Avis au Peuple sur sa sanie. Lausanne, Grasset, 1761. «[M. Rosen, premier médecin du Royaume de Suède] a fait retran­ cher dans les almanachs, ces contes ridicules, ces avantures extraordinaires, ces conseils d’astrologie pernicieux, qui, en Suède comme ici, ne servent qu’à entretenir l’ignorance, la crédulité, la superstition, et les préjugés les plus faux sur la santé, les maladies et les remèdes; [...]». 5 BRIDEL Philippe Sirice, dit le Doyen, Etrennes helvétiennes, Lausanne, Henri Vincent éditeur, 1799. 6 TlSSOT, in Avis au Peuple, chap. «Des charlatans». 7 LEVADE Louis, Observations et réflexions sur quelques matières de médecine, Vevey, Chenebié et Lôrtscher, 1777, chap. «De l’influence des planètes»; «La superstition augmentant, à raison de l’ignorance, aura assigné à ces Astres des propriétés, des vertus, des influences sur les hommes, sur tous les êtres de la nature. Cette erreur s’est fort enracinée, dès les premiers âges du monde, que nous en trouvons encore des traces presque dans tous les pays, et surtout parmi le peuple. Les almanachs entretiennent malheureusement cette ignorance. Plusieurs rois, plusieurs princes éclairés ont aboli dans les Calendriers ces restes de superstitions payennes, plus nuisibles qu’on ne pense communément, à la santé et à la vie des paysans, qui, croyant aveu­ glément tout ce que le caprice d’un Astrologue y place sans fondement, attendant l’influence de telle ou telle Planète, de tel ou tel quartier de la Lune, pour se purger, et faire saigner, etc. dans leurs maladies, et pratique­ ment souvent, d’après ces funestes indications, ce qui est le plus contraire à l’état actuel de leurs infirmités.» Il y revient dans un chapitre ultérieur, «Des paysans»: «Les almanachs (...) entretiennent cette superstition, cette ignorance, par les signes dont ils sont remplis, et dans lesquels les Paysans n’ont malheureusement que trop de confiance.» 8 VON Herrenschwand Johann Friedrich, in dédicace de son Traité des principales et plus fréquentes maladies externes, des chirurgiens-médecins et des prati­ ciens, Berne, F. Seizer, 1788. 9 Bridel Philippe-Sirice, dit le Doyen, Conservateur suisse, 1814, t. 4, pp. 342-359, lettre du 6 août 1799. 10 Notice d’utilité publique, in Statistique du Pays-d'Enhaut, Statistique du district de Vevey. 11 OLIVIER Eugène, Médecine et Santé au Pays de Vaud au XVIII' siècle, Lau­ sanne, BHV XXIX-XXXII. Pour le détail, consulter la bibliographie. 4 TlSSOT

Le bois sur les pages, le choc des images Dès ses débuts, le Messager boiteux en langue française a connu un franc succès. Nul doute que ses nombreuses images y sont sans doute pour quelque chose. Il faut dire que la recette était connue, c’est précisément la riche cl belle iconographie qui avait fait le succès populaire des premiers almanachs bâlois. Tous les lecteurs n’avaient pas un accès facile au texte écrit, et les images étaient généralement très suggestives. A l’heure de la pléthore de moyens visuels (maga­ zines, cinéma puis télévision, sans parler de toutes les images publici­ taires sur panneaux qui nous entourent) l’image n’est plus investie de la même valeur. Aujourd’hui on passe peu de temps devant une image qui défile ou que l’on voit partout reproduite. Lorsque l’on n’a que l’almanach pour tout divertissement ou toute source d’informa­ tion, chaque image est détaillée longuement et soigneusement. La technique de mise en image suit d’ailleurs la même tendance: combien de temps fallait-il au graveur pour obtenir le négatif de son image ? ' Assurément beaucoup plus qu’au photographe pour figer l’instant. A l’instar de l’imprimerie en général d’ailleurs, gravures, des­ sins et photos témoignent des développements techniques successifs. La gravure est parfois de piètre qualité? Les traits ne sont pas naturels? Les proportions ne sont pas respectées? Quelle impor­ tance ? Leur saveur est souvent exquise.

L’ICONOGRAPHIE DANS LE MESSAGER BOITEUX

Les thèmes présentés visuellement par le Messager suivent quelques grandes tendances. De profonds changements se dessinent à partir du moment où l’évolution sociale, technique et industrielle est la plus marquée, soit vers le milieu du XIXr siècle. Le nombre d’illustrations augmente, les domaines privilégiés que sont les catastrophes diverses, bêtes étranges ou scènes dramatiques deviennent moins importants et cèdent leur place à la vie quotidienne et au documentaire didactique. La guerre quant à elle reste une triste constante.

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LE BOIS SUR LES PAGES, LE CHOC DES IMAGES

S’il est vrai que la photographie a permis de fixer rapidement des scènes fort diverses et surtout très précises, les illustrations des débuts, gravées sur bois, sont d’une autre veine. Les premières sont gros­ sières, mais peu à peu le procédé en relief s’affine, le travail des dégra­ dés ainsi que la composition de l’image progressent. La gravure reste un travail long, ce qui explique le petit nombre d'illustrations des débuts. Une gravure pouvait servir plus d’une fois. On pense bien entendu aux diverses vignettes des saisons, du zodiaque ou des éphémérides. Mais cela se produisait aussi pour les grandes planches dépliantes ou les gravures au format de la page. A quel­ ques années de distance, le «Couronnement du Roi de Hongrie» de 1713 se transforma, en 1742, en celui de la reine de Hongrie; le combat naval de 1716 qui opposa l’escadre suédoise à l’escadre danoise se transforma, en 1718, en «Avantage des Vénitiens sur les Turcs»; l’«Entrée du roi de Prusse à Berlin en 1764» devint, moyen­ nant quelques retouches, la «Conquête de l’Egypte et entrée au Grand-Caire du général Bonaparte» de 1800; tandis que le feu d’ar­ tifice tiré en l’honneur du Dauphin de France en 1771 fut également utilisé pour célébrer le mariage du prince de Piémont avec Madame Clotilde de France. De nombreux thèmes bénéficiaient des ardeurs des ciseaux des graveurs. Ils ne reflètent certainement pas toutes les préoccupations des lecteurs, car il ne faut pas oublier que la censure régnait et que la morale était sous bonne surveillance. Ils étaient cependant révélateurs de ce qui les attirait et, partant, de ce qui faisait vendre. L’almanach n’était pas seulement un outil utile, son imprimeur-éditeur devait vivre, aussi fallait-il également en écouler un nombre important. Le Messager était certain de ne jamais lasser son public en lui contant d’invraisemblables histoires de monstres, d’horribles assassinats ou de terribles catastrophes. Les images à sensations contemporaines, qui n’intéressent personne mais que tout le monde regarde, sont un prolongement des bois sensationnels qui se burinaient alors. Les détails qui composent ces images valent souvent la peine que, comme au temps où elles étaient le seul moyen de percevoir le monde, l’on se penche sur elles pour les observer longuement.

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S'il est vrai qu’elles n’étaient généralement compréhensibles qu’accompagnées d’un texte explicatif, celui-ci est généralement trop long pour êt re totalement reproduit ici. Le millésime du Messager qui

Autre exemple de réemploi: Jeunes demoiselles pênes dans les flammes (1769) ou Incendie de la Salle de l’Opéra à Pans en 1781.

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LE BOIS SUR LES PAGES. LE CHOC DES IMAGES

les recèle est donné, afin que tout curieux puisse, a l’aide des alma­ nachs indiqués, compléter le texte succinct qui accompagne chacune

d’elles. Cette partie consacrée à l’iconographie spectaculaire du Messager boiteux n'a pas la prétention d’être exhaustive, loin s’en faut. A l’image de ce qui se faisait autrefois, les planches rassemblées ci-après sont la «Relation curieuse des choses les plus remarquables arrivées en divers lieux, tant de l’Europe que des autres parties du monde, depuis le début du Messager boiteux en langue française», à moins que ce ne soit le «Recueil amusant et instructif d’anecdotes curieuses et de tours d’es­ prit, tirés du Grand Livre du Monde, depuis 1799 jusqu’à présent».

Les guerres

Entrée des troupes Autrichiennes & Russes dans Berlin, le 9 octobre 1760 »Messager boiteux de Berne-, 1762.

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Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les guerres sont fréquentes, mais le Messager ne renseigne que partiellement à leur sujet. Tenants et abou­ tissants sont généralement obscurs, l’on se contente de considérations générales sur ces fléaux qui jalonnent l’histoire de l’humanité. Les batailles terrestres ou navales sont une constante et sont souvent le sujet de la grande gravure dépliante typique de l’almanach.

La politique

Les événements politiques présents dans l’almanach sont généra­ lement ceux liés aux tensions entre nations, voire aux guerres. Par­ tages de territoires ou traités de paix sont des sujets prisés. On se garde bien d’empiéter sur un domaine délicat, celui de la politique intérieure. Censure oblige, privilège à conserver, le Messager reste à cet égard d’une prudence extrême. Description géographique et politique de la Suisse La Suisse (...] est un petit païs, situé presque au milieu de l'Europe; entre la France, l’Allemagne, l’Italie; d’où sortent deux grands fleuves, le Rhin, qui se jette dans l’océan, & le Rhône, qui entre dans la Méditerrannée; ainsi que c’est un des pais de cette partie du monde le plus élevé. [...] Ce païs, peu considérable par son étendue, est intéressant par sa consti­ tution politique. Treize republiques souveraines, indépendantes les unes des autres, confédérées pour leur défense, forment l’association qu’on appelle Corps-Helvétique, ou les Louablcs-Cantons; qui sont, 1. Zurich, 2. Berne, 3. Lucerne, 4. Uri, 5. Schwitz, 6. Unterwald, 7. Zug, 8. Claris, qu’on appelle les huit anciens Cantons, parce que pendant l’espace d’environ 130 ans ils ont seuls composé le Corps-Helvétique; ceux qui sont entrés ensuite dans la confédération sont 9. Bâle, 10. Fri­ bourg, 11. Soleure, 12. Schaffouse, 13. Appenzel. [..j Les Alliés Suisses des Cantons sont, l’Abbé de Saint-Gai, & la ville de ce nom; les Grisons divisés en trois confédérations qu’on appelle Ligues; l’Evéque & la République du Valais; les villes de Mulhouse, Bienne, Genève, & la Principauté de Neuchâtel.

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LE BOIS SUR LES PAGES, LE CHOC DES IMAGES

Les assemblées nationales, où chaque Canton envoyé ordinairement deux députés, se tiennent à Frawenfeld dans la Thurgovie, païs qui appartient en commun aux huit Cantons. Celui de Zurich préside dans

Liberté des Etats-Unis reconnue par la France. Le Docteur Franckhn et les Américains recevant le Traité d’alliance ou leur liberté est reconnue, 1784.

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les Dieu es, comme étant le premier ordre: c’est là que se discutent les intérêt ¡. ni concernent le Corps-Helvétique en général; comme la paix, la guei.c. à les Alliances avec les Puissances voisines. L’indépendance des XIII Etats d’Amérique est une grande pre­ mière pour 1 Europe, qui perd ainsi quelques colonies économique­ ment importantes. Cette Révolution qui fera date dans l’histoire, & qui peut-être appor­ tera bien des changements dans le système politique, & dans les spécu­ lations du commerce, est pourtant un événement auquel on devoit naturellement s’attendre & qu’il étoit possible d'annoncer d’avance, sans mériter l'accusation de sortilège. (...) La suite des tems apprendra si les Etats-Unis ont effectivement gagné la liberté, ou s’ils n’ont fait que de changer de joug. Peut être eut-il mieux valu pour ces Colonies, de vivre comme leurs frères les Anglois, sous la domination d'un Monar­ que résident chez eux, & d’y établir une constitution entièrement conforme à celle d’Angleterre. C’eut été un bel établissement pour l’un des fils de leur ancien Roi, & même pour deux de ses fils, si à raison de l’immense étendue de Pays, & d'une nombreuse population à espérer pour la suite, on eut préféré d’en faire deux Empires.

On sait aujourd’hui l’influence qu’eut cette Révolution sur le Vieux Continent, et c’est sans surprise que l’on constate que la Révo­ lution française de 1789 est passée sous complet silence dans les pages du Messager. Certes, la grande planche dépliante relate la tenue des Etats généraux, mais la proximité de la France avec les territoires ber­ nois, la néfaste influence que cet événement politique pourrait avoir sur les sujets de LL. EE. font que l’on se contente de mentionner que «L’année 1789 sera à jamais mémorable par la tenue des Etats-Géné­ raux en France». Le roi, qualifié de «bon Prince» est glorifié pour avoir réuni les trois ordres. Les événements violents et tragiques sont volontairement omis «car l’histoire en seroit fort longue, & on ne pourroit la donner qu’en copiant les gazettes & les papiers publics, dont les nouvelles ne sont pas toujours sûres, & qui souvent se contre­ disent». Mais voilà, les idées révolutionnaires ont fait leur chemin, le Pays de Vaud, lassé de ses paternalistes souverains bernois, s’est révolté, et

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le Messager de 1799 consacre rien moins que seize de ses pages à la «Révolution dans la Suisse». Il conclut par une prière: «Réunissezvous à nous dans les vœux ardens que nous adressons au Ciel pour la prospérité & la gloire de notre Patrie régénérée. Puissent les vertus de ses enfans servir d’exemple à tous les peuples de l’Univers.» Le ton est désormais exalté, celui très prudent employé lors des révolutions américaine et française n’est plus de mise ! Au début du XXe siècle, l’Europe s’embrase. La Première Guerre mondiale fait couler beaucoup d’encre et le Messager consacre de nombreuses pages à ces regrettables événements.

Signature du traité de paix. Le Congrès réuni dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles, le 28juin 1978. M. Clémenceau, président, est debout entre MM. Wilson, à sa droite, et Lloyd George, à sa gauche. Les délégués allemands se dirigent vers la table où est déposé l’acte original. La vie des Grands de ce monde On n’a pas attendu que paraisse la revue Point de Vue et Images du Monde pour que la vie des têtes couronnées passionne les roturiers. Naissances, mariages, couronnements et décès sont parfois illustrés et toujours annoncés et commentés.

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Mort de ! 'empereur Léopold II Le mardi 28 février 1792, Léopold se plaignit d'un point de côté, pour lequel on eut recours à la saignée. Cette saignée ne procurant aucun soulagement, fut répétée encore trois fois: d’ailleurs aucun symptôme propre à donner l’alarme sur un pénl éminent. La nuit du mercredi au jeudi n’avoit pas été absolument mauvaise; il y avoit eu du sommeil. Les médecins, sans rien annoncer de mortel, jugèrent, à la molesse du corps, que si dans les deux fois vingt-quatre heures, il ne se faisoit pas un grand changement, ils auroient à combattre, ou une inflamation, ou une hydropisie de poitrine. L’appétit ne manquait pas; il y en avoit même trop.

L’amour filial et fraternel, "Messager boiteux-, 7793.

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Dans la matinée de jeudi, le malade fut inquiet; il fallut le passer souvent d’un lit dans l’autre. Vers les deux heures de ’’après-midi, il y eut du calme. Survint un sommeil d’affaissement qui ne fut pas de bon augure. A quatre heures & quelques minutes, l’empereur leva la tête, puis chercha à se mettre sur son séant. L’impératrice, qui, avec l’archi­ duc François & le reste de la famille, étoit auprès du lit, le tint dans ses bras. Tout à coup une violente hémorragie prend au malade, & dans l’espace d’une demi-minute, il en eut suffoqué. Cette mort a frappé toutes les imaginations, mais personne plus que l'impératrice son auguste épouse; mère tendre de quatorze enfants. [Pleurant, l'impératrice mit la vie de sa famille entre les mains du nouveau roi, son fils. La douleur accablait le jeune archiduc devenu François Ier/ qui dans ce déchirant moment, mettoit sur lui un nouveau poids, ne lui permit pas d’articuler un seul mot; il ne répondit que par des larmes & des embrassements. Il prit le plus jeune de ses frères entre ses bras & le serra contre son sein. Quelle scène attendrissante !

Napoléon Le personnage que l’on rencontre le plus souvent dans l’alma­ nach, celui dont on suit intégralement la carrière, est le général Bona­ parte, devenu Napoléon Ier, empereur des Français. Son influence sur la politique suisse explique à elle seule la constance du Messager à son égard. Que l’on ne se méprenne pas; lorsque Napoléon est tombé en disgrâce, le Messager a joint sa voix au chœur des Français déçus.

Passage de l’armée française par la montagne du Saint Bernard, au mois de May 1800

[...] l’armée de reserve s’ébranle le Ir. Consul fait en 24 heures 64 lieues de chemin pour venir la passer en revue. Les Départements voisins sont occupés à des charoirs de vivres & de munitions de toute espèce; des convois considérables sont embarqués sur le lac Léman & emmagasi­ nés à Villeneuve: l'armée défile sans interruption le long du Païs-deVaud: Bonaparte lui-même arrive dans ces contrées, des convois d’artil­ lerie s’acheminent vers le Saint. Bernard, & tout est préparé pour faire passer un grand nombre de pièces de campagne, au delà de ces monts. [..J Pendant 2000 ans, on a eu peine à concevoir comment Annibal

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avait pu conduire ses hommes, ses chevaux, & surtout ses éléphants à travers ces rochers couverts de neige, ces glaces aussi vieilles que la terre qui Es porte [...]. C’est ce prodige qui a été le sujet de tant de commen­ taires, qui vient de se renouveller, & la France peut montrer son Annibal à l'Europe étonnée. L’étonnement augmentera lorsqu’on saura la manière ingénieuse que l’on a employée pour faire passer l’artillerie. Le général Marmonl d’après les ordres du Ir. Consul & du général en chef, fit publier à son de trompe dans le bourg Saint. Pierre & tous les villages environnants, que chaque pièce de canon avec ses affûts & caissons, seroit payée pour son transport sur la montagne & sa descente à Etroubles, 600, 800 ou 1000 francs selon le calibre et le poids. A celte annonce une foule de paysans accoururent avec leurs chevaux & mulets: des milliers de sol­ dats se réunirent à eux, & en moins de deux jours, du bourg de Saint. Pierre au Couvent du Saint. Bernard, & du Couvent à Etroubles, 20 pièces de canons y furent transportées.

Passage du Saint-Bernard, -Messager boiteux“, 1801.

Néanmoins, comme les chevaux manquoient, le général Marmont pour accélérer le passage, se servit de deux moyens fort ingénieux. Le premier, un gros arbre qu’on creusa en forme d'auge, dans laquelle on couchoit des pièces de 8, 12, & des obusiers; cent hommes, paisans, officiers & soldats s’atteloient à un câble trainoient la pièce & mettoient

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Couronnement de Napoléon et de sa femme, '•Messager boiteux», 1806.

deux jours pour la faire passer le Saint. Bernard. Le second moyen étoit des traîneaux sur roulettes, que le chef de brigade Gaffendi avoit fait construire à Auxonne. Les affûts étoient démontés & portés piece à piece par des mulets, excepté les affûts des pieces de 4, que dix hommes portoient sur des brancards. [...] Dans ce conflit d’ardeur & de dévouement, divers détachements de la division du général Loison, les 19 & 24 demi brigades d'infanterie légère, les 43 & 96 d’infanterie de ligne, se sont particulièrement distin­ guées. Après des fatigues qu’il est impossible de dépeindre, après des efforts inouis de confiance & de courage, on veut donner la gratification

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qui leur a été promise... ils la refusent tous! Que ne devoit-on pas attendre d'une armée capable de pareils traits de courage & de désintéressement?

Couronnement de l'Empereur des Français & Roi d’Italie La cérémonie du sacre de Sa majesté Napoléon I" a eu lieu le 11 Fri­ maire an 13, (2 Décembre 1804) de la manière la plus solennelle & la plus brillante, A 5 heures du matin des troupes occupèrent les diverses avenues de l’Archevêché & de la Cathédrale. Depuis ce moment arrivèrent d'heure en heure les diverses députations militaires, & les diverses autorités de la ville de Paris, le Sénat, le Tribunal, le corps diplomatique, qui tous furent placés dans l’église. A 9 heures, le Saint Père, venu depuis quelques jours pour cette auguste cérémonie, se mit en marche du palais des Tuileries au milieu d’un nombreux cortège. Enfin, à 10 heures, une salve d’artillerie annonça le départ de l’Empereur. [...] La voiture de Sa Majesté étoil attelée de 3 chevaux & entourée des maréchaux, colonels généraux de la garde, aide de camp &c, tous à cheval. Il seroit difficile de donner une idée de la beauté de cette pompe, tous ces divers équipages rivalisoient de richesse & d'élégance [...]. On aura une idée de l’espace que ce cortège occupoit & du nom­ bre dont il étoit formé, en faisant remarquer qu’une heure & demie suffisoit à peine pour le voir passer. Arrivé à l’Archevêché, l’Empereur y est descendu pour se revêtir des ornements impériaux [...].

Dix ans plus tard un acte de déchéance, prononcé par le Sénat fut communiqué à Napoléon. Le maréchal Ney fut le pre­ mier à oser prononcer le mot «abdication». Ce fut lui qui, le 11 avril 1814, lui présenta l’acte à signer, conçu en ces termes: «Les puissances alliées ayant proclamé que l’Empereur Napoléon étoit le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe. l'Empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu’il renonce pour lui & ses héritiers aux trônes de France & d’Italie, & qu'il n’est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie qu’il ne soit prêt de faire à l’intérêt de la France. Fait au palais de Fontainebleau le 11 avril 1814 Napoléon»

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C’est le début des Cent Jours et l’on connaît la suite. Napoléon est vaincu à Waterloo. Il se livre à l’ennemi et, captif, termine ses jours à Sainte-Hélène. Il y meurt le 5 mai 1821. Son corps fut exhumé le 15 octobre 1840 par le prince de Joinville et ramené en France pour de solennelles funérailles, aux Invalides.

A dix heures du matin le cercueil était à découvert dans la fosse, la terre en ayant été entièrement retirée et la grande dalle qui recouvrait le sarcophage intérieur détachée et enlevée à l’aide d’une machine. Dès que Mr l’abbé Coquereau eut récité les premières prières, le cercueil fut retiré avec le plus grand soin, et porté par des soldats du génie, nutête, dans une tente dressée pour le recevoir, auprès du tombeau. — Après l’ouverture et quand l’identité fut reconnue, le drap de satin qui recouvrait le corps fut soulevé par la main du docteur Guillard; en ce moment solennel, à la vue des restes si reconnaissables de celui qui fit tant pour les gloires de la France, l’émotion fut profonde et unanime, un mouvement indéfinissable de surprise et d’attendrissement éclata parmi les spectateurs, et la plupart fondaient en larmes.

Ouverture du tombeau de Napoléon, «Messager boiteux», 1842.

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L’Empet ur lui-même était devant eux ! Les trait'- de la figure, bien qu’altérés, étaient parfaitement reconnaissa­ bles. le costume si connu avait peu souffert, les épaulettes, les décora­ tions, le chapeau semblaient entièrement conservés, et sauf les débns de la garniture de satin qui recouvraient plusieurs parties de l’uni­ forme, tiens aurions pu croire Napoléon étendu encore sur son lit de parade; on remarquait auprès du chapeau, les deux vases qui renfer­ ment le cœur et l’estomac.

La morale La Réforme protestante ainsi que la soumission à LL. EE. ont habitué les sujets des Bernois à certaines contraintes morales. La fin du XVIIIe siècle marque un changement en raison de l’assouplisse­ ment consenti par LL. EE., et le mouvement libéral qui aboutit à la Révolution de 1798 risquait de semer un certain désarroi moral. Comme d’autres, le Messager boiteux prend le relais, et l’arrière-fond de chaque illustration recèle une part moralisante: tout crime mérite châtiment; tout être humain a des devoirs envers ses semblables, et surtout envers ses proches; les excès de tous genres sont condamnés et les vices sont toujours punis. Telles sont les grandes sentences que l’on peut retenir.

Aide-toi et Dieu t’aidera Vie de Thomas Platter

Que les enfants dont la première éducation a été soignée par des parents tendres & éclairés deviennent pas la suite des hommes distin­ gués par leurs connoissances & leurs vertus, il n’y a rien là qui doive étonner. La terre répond au laboureur. Mais que sans aucune culture & dans un sol hérissé d'aspérités & d’épines, on voye s'élever un arbre qui fait l'ornement de la contrée & produit des fruits abondans & d’une excellente qualité, c’est un phénomène qui doit exciter notre sur­ prise & notre admiration. Tel fut celui qu’offrit à son siècle Thomas Platter. Cet homme fils d’un paysan du Haut Vallais naquit en 1499 dans la plus grande pauvreté. Exposé dès ses premières années, à toutes misères de sa condition, il sortit heureusement de cet état de

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dénuement & d'ignorance auquel il paraissoit condamné, & parvint bientôt a acquérir par un travail soutenu, de longs voyages en Alle­ magne où fl alloit chercher l’instruction dont son âme étoit avide dans les école?. & en mendiant le long de la route, les connoissances néces­ saires .à l’état d’imprimeur qu’il vint exercer à Bâle. De retour en Suisse, il recommença ses études, & fut obligé de travailler du métier de cordier pour vivre; cette occupation mécanique ne l’cmpêchoit pas d’étudier les auteurs grecs & latins. Enfin l’ardeur de Thomas Platter pour l'étude le rendit supérieur à la plupart des savants de son temps, il fut nommé à Zurich à la place d’Instituteur d’un établissement d’éducation, duquel sortirent à l’époque de la réformation une foule d'hommes célèbres qui ont contribué puissament à avancer l’impor­ tante révolution faite dans les opinions & les mœurs du XVr siècle.

Touchant dévouement d’un jeune berger

Le 11 mai 1818, deux jeunes bergers passaient leurs troupeaux sur les bords escarpés de la Dranse, entre Martigny et Saint Brancher, dans une gorge resserrée qu’on appelait la «Monaya». Le plus jeune des deux bergers nommé «Puipc», âgé de 12 ans, tombe dans la rivière qui

Touchant dévouement, -Messager boiteux-. Page précédente, vie de Thomas Platter, -Messager boiteux-, 1816.

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en cet endroit, est resserrée entre des rochers à coule avec une grande rapidité. Il se débat en vain pour résister au courant qui l’entraîne, tan­ tôt il surnage, tantôt il est enveloppé dans les flots écumeux sans aucun espoir d’échapper à une mort prochaine. [Son ami Métro court de rocher en rocher pour ne pas le perdre de vue, le suit, tente de le saisir à chaque fois qu’il le peut, toujours en vain.] Enfin après 25 minutes de marche périlleuse, dans une angoisse difficile à décrire, ce courageux et intéressant enfant parvient à saisir le corps de son infortuné ami au moment où après avoir passé sous un pont il alloit disparaîte pour jamais dans des gouf­ fres profonds. Il le tire sur la plage, sa joie est au comble en apercevant que Puipe donne encore quelques signes de vie; il le secoue, le tient dans une position propre à lui faire regorger l’eau qu’il a avalée; bien­ tôt, ô bonheur inespéré ! son tendre ami ouvre les yeux pour les atta­ cher sur lui avec l’expression de la plus touchante reconnoissance.

La religion Almanach officiel bernois, donc soumis à la religion réformée, le Messager boiteux se montre souvent distant en matière de religion. Traitant indifféremment de thèmes catholiques ou réformés, il reste toujours critique, bien que prudent. Déplorables effets des associations religieuses secrètes, connues sous le nom de Sectes

Depuis longtemps des sectaires sont signalés sur les frontières septen­ trionales de la Suisse, sous les noms d’Hernutes, de Piétistes, d’Illumi­ nés, etc. Affiliés avec leurs collègues qui sont établis dans diverses contrées de l’Allemagne, ils s’alimentent leurs relations au moyen de livres mystiques que ceux-ci leur fournissent et dont la plupart sont bien propres à augmenter l’exaltation fanatique de quelques têtes fêlées. — Les scènes affreuses qui se sont passées dans le canton de Zurich et dont nous allons rendre compte, prouveront à quels excès incroyables peuvent se porter les malheureux qui, assez privés de raison pour abandonner les autels de la vraie et sainte religion, se jètent dans l’esprit de secte, qui n’est le plus souvent que l’ouvrage de la vanité et de l’hypocrisie, s’il n’est celui de la plus grande ignorance, de l’égare­ ment, ou de la licence.

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Déplorables effets des associations religieuses, 'Messager boiteux*, 1825.

Le récit fait état d’une famille de Wildenspuch dont la cadette, Marguerite, était exaltée. «Elle répétoit sans cesse que le moment approchoit où le sacri­ fice seroit consommé. Qu’il se passerait des choses extraordinaires; elle parloit de ses souffrances, de ses combats et de sa prochaine exaltation au ciel.» Puis «elle annonçoit qu’elle avoit eu une vision dans laquelle Dieu lui avoit ordonné de combattre le démon». Elle commença par frap­ per sa maison à en briser les parois, puis décida que le sang devait couler. Elle décida que l’une de ses soeurs et elle-même devaient être sacrifiées. Sa saur fut mise à mort sur-le-champ, le crâne fracassé, tandis que Marguerite demanda à être crucifiée; le dernier clou devait lui transpercer le caur. «Le lendemain, Ursule Kündig et le valet déclouèrent le corps de Marguerite et le dres­ sèrent, ainsi que celui de sa sœur, contre la paroi, dans l’idée de rendre la résurrection plus facile; mais le mardi ensuite, comme le miracle n’opéroit pas» on alla déclarer ces morts au Pasteur et le crime fut découvert...

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La violence domestique Antithèse des scènes touchantes présentées pour illustrer les qua lités morales, la violence familiale est mise en évidence pour servir d contre-exemple. Une certaine presse et la télévision nous ont habitué aux scènes terrifiantes et insoutenables. Les gravures du genre étaien faites pour frapper l’imagination. Les mouvements arrêtés suggèren le geste irréparable, les visages, souvent impassibles, peuvent parfoi exprimer des sentiments de haine. La vraisemblance n’est pas tou jours de mise, mais peut chaut à l’illustrateur ou au commentateui pourvu que l’effet souhaité soit atteint. Fait rassurant pour le lecteui la majeure partie de ces actes se commettent à l’étranger... Toutes les disputes ne se terminent pas dans un bain de sang Cette dispute conjugale, survenue au marché entre un fermier et s; tendre moitié, en est un exemple que le Messager s’est plu à relever

Combat d’un nouveau genre entre époux, -Messager boiteux-, 1818.

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Man enragé dévorant sa femme, «Messager boiteux », 1767. L’arme choisie était une motte de beurre que les deux époux se sont lancée à la figure. Le brave Messager de conclure:

Désirons que les hommes revenus sur leurs intérêts sc servent désormais de ces armes pour vider leurs différens, combien ne seroit-il pas préféra­ ble au lieu de cadavres et d’armes homicides de n’avoir à ramasser sur les champs de batailles que des vaincus enduits de matière propre à leur faire une bonne soupe pour les restaurer des fatigues du combat...

Simple scène conjugale ou accès subit de folie, l'almanach étale divers types de comportements anormaux. Voici ce qui arrive quand

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un mari enragé s’en prend à sa femme. Avant même que quiconque puisse intervenir la chambre aura été mise sens dessus dessous et la pauvre y perdra une main. Une telle scène n’est pas confinée à la demeure des plus démunis. En témoigne une planche de 1755, qui révèle qu’

Au mois de Décembre passé on apprit de Paris ce qui suit: Le Valet de chambre d’un certain Prince s’étoit marié avec une très honnête fille. La première nuit de leur Mariage le nouvel Epoux fut attaqué d’une telle rage qu’il mordit à sa Femme le nez & les tétons & la maltraita de la manière la plus pitoïable. La nouvelle mariée se sentent caresser d’une manière si cruelle cria à l’aide de toutes ses forces, mais personne ne soupçonnant la véritable cause de ses cris, elle ne fut point secourüe. Le lendemain lorsqu’on ne voïoit paroître ni le mari ni la femme, on résolut de forcer la porte de leur chambre, ce qu’étant fait on les trouva tous les deux dans un Etat très misérable. Le mari tout enragé fit sem­ blant de vouloir monter la Paroit, & la Femme étoit couchée au Lit, à demi-morte & blessée en plusieurs endroits. Après ces recherches il se trouva, qu’environ huit jour avant ses noces cet infortuné mari avoit été mordu par un chien enragé.

Si l’Europe, monde civilisé, se conduit parfois mal, que dire des régions considérées comme sauvages? L’imagination populaire est très frappée par ce qui peut se passer dans certains pays où les hommes sont d’une autre couleur, portent des turbans ou peuvent avoir plusieurs épouses. Nous donnons au public l’histoire suivante pour nous faire sentir à tous le bonheur que nous avons de vivre dans un pays qui méconnoit ce cruel despotisme, qui né de la plus affreuse jalousie exerce avec tant de barbarie ses affreux effets sur ce sexe aimable qui est imprescriptiblement destiné par nature & par la religion à être la compagne de l’homme & non point son esclave. L’histoire se passe en Perse. Une femme d’origine polonaise, esclave chez un seigneur persan, cherche à s’enfuir. Retrouvée chez l’Ambassadeur de Russie où elle s’était réfugiée, elle est livrée aux autres esclaves et à son maître.

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Triple punition d’une esclave, ’-Messager boiteux-, 1302. [...] après l’avoir faite dépouiller de ses vêtemens: il la fait attacher à une croix, où il a l'horrible fureur de l’écorcher toute vive: ce tigre sous la forme humaine fit après cela couper son corps par morceaux qui dévoient être semés sur le grand chemin pour servir de pâture aux oiseaux de proie, & il fit suspendre sa peau dans son Serrail, pour ser­ vir (dit-on) d’exemple à ses autres femmes, qui au nombre de 20 & tremblantes de frayeur, ne connoissoient aucun autre sentiment que celui de l’angoisse & de la frayeur que leur causoit sans cesse le féroce courroux de ce barbare tyran !

Le crime finit toujours par être découvert. L’histoire qui le prouve est celle d’une femme qui trompait son vieil époux malade avec un compagnon qui travaillait pour lui. Elle tua son mari d’un clou dans la tête, le fit enterrer, épousa le compagnon et mit au monde un enfant sept mois plus tard. Personne n’y trouva rien à redire. Mais voilà que vingt-huit ans plus tard, vidant la tombe du mari, le fos­ soyeur découvrit son crâne avec le clou planté dedans. Enquête fut

menée, et l’affaire fut découverte. La femme avoua qu’elle trouvait que son mari malade vivait trop longtemps, qu’amoureuse du compa­ gnon elle en était tombée enceinte et, de honte, avait décidé de tuer son mari qui allait lui laisser un peu de bien. L’histoire se termine par leur condamnation ainsi que la sen­ tence du Messager'.

Oh ! n’oublie pas, lorsque tu te caches dans les repères du crime, que tu es observé par l’œil pénétrant de la justice suprême, & qu’elle met en évidence tôt ou tard, les œuvres de ténèbres.

Le crime découvert, ^Messager boi­ teux», 7877.

L’étranger

Les suites d’images sont totalement incompréhensibles si elles ne sont pas accompagnées des commentaires adéquats. L’exercice peut se révéler assez drôle pour qui tenterait de créer l’histoire sur la base des gravures avant de savoir de quoi il en retourne.

Mort tragique du Capitaine Cook On a reçu l’avis douloureux du triste sort de M. Cook, célèbre naviga­ teur anglais, parti de Plymouth en juillet 1776 avec deux vaisseaux, la Résolution de 36 canons et la Découverte de 20 canons. En traversant la mer qui sépare l'Asie de l’Amérique septentrionale, il mit pied à terre dans une île du Nord que l’on suppose être une des Curiles. Les Sauvages qui l’habitent le reçurent d’abord avec une ami­ tié apparente, et il s’y arrêta quelques jours; mais au moment qu’il allait se rembarquer, les perfides insulaires le surprirent et le massacre-

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LE bois sur

Niort tragique de Cook, -Messager boiteux», 1781.

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rent avec qt acre de ses matelots. Les autres avec son lieutenant ont eu le bonheui de sa sauver, en abandonnant à la fureur des Sauvage» les corps de leurs camarades et de leur chef. Avant de lever l'ancre pour quitter ces funestes côtes, les deux vaisseaux eurent encore la douleur de voir les corps sanglants de leurs malheu­ reux compagnons que l’on rôtissait auprès d’un grand leu. Les Sau­ vages dansaient en cercle autour, en chantant des chansons lugubres Une demi-heure après on les vit s’asseoir sur le rivage et les dévorer a belles dents. Tel est chez eux, le sort des prisonniers, des criminels, des vieillards et autres personnes qui sont regardées comme inutiles à la société.

Cet exemple d’anthropophagie permettait de mettre en exergue la cruauté des populations lointaines, et surtout le bien-être qu'il y a à être en Suisse, d’autant plus si l’on appartenait à l’une des dernières catégories de personnes citées ! Les coutumes étrangères ne sont pourtant pas toutes dépeintes de façon si néga­ tive. Un harem est aussi un objet de curiosité. Les fastes et richesses que peut déployer un sultan, person­ nage vénéré, entrent dans le domaine de l’imaginaire presque féerique. Nous ne sommes pas très loin des contes des Mille et une Nuits'.2 «Le Sultan Mahmud, dans le costume le plus simple étoit précédé de l’étendard sacré (Sabdchakcherif), enveloppé de ses quarante fourres.» Départ du Sultan Mahmud, de Constantinople, pour le camp de Ramu-Tsdnflik le 15 septembre 1828, -Messager boiteux-, 1830.

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L’Afrique est une terre dont beaucoup reste encore à découvrir en ce XIXe siècle. Une expédition anglaise eut lieu en 1822, 1823 e 1824. Deux des survivants relatèrent quelques-unes de leurs expé riences, dont celle qui est illustrée ci-dessous. Au cours d’un séjour à Kouka, capitale du Bornou, les voyageur furent reçus par El-Kanemy, cheik du Koran, qui les reçut avec de offrandes généreuses

«et il leur envoya non seulement des paniers remplis de provisions mais des charges entières, de riz, de fromant, des outres pleines de beurre, des cruches de miel, plusieurs jeunes bœufs, etc. Il montra une vive satisfaction quand on lui dit que le sultan Georges, (le roi d’Angle terre) avoit entendu parler de lui et du Bornou. [...) On avoit rapporté au cheik que je possédois une boîte musicale (petite orgue) qui jouoi ou s’arrètoit aussitôt que je levais le doigt. Je reçus bientôt un message qui m’annonça que le pnnee se mouroit d'envie de voir cette merveille

jVoirs devant une boîte à musique, »Messager boiteux-, 7828.

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et qu’il fallut’ me hâter de la lui porter. Les exclamations ou plutôt 1« cris de joie forcenés, que cette mécanique avoit arrachée a tous mes visiteurs, du-h. ne furent point imités par le cheik, plus retenu et plus intelligent qu’eux: il parut à la vérité très surpris, me fit quelques ques­ tions et s'etna! Agieb! Agieb! étonnant! étonnant' Mais a la fin. la douceur de l'air suisse du Ranz des vaches, lui causa la plus vive émo­ tion: il se couvrit le visage des deux mains et écoutoit en silence; un courtisan qui rompit le charme par une esclamation hors de saison, reçut du cheik un violent coup qui fit frémir tous les assistants.»

La violence publique Les actes de violence conjugale ou domestique ont leur pendant public. On ne compte pas le nombre d’exécutions, de tortures et autres charmantes attentions portées à autrui dont le Messager a rendu compte. Généralement, tout ceci se passait ailleurs, avec des étrangers, preuve toujours qu’il faisait bon vivre en Suisse.

Les trois premiers, qui étoient Polonais furent traînez sur des peaux de vaches vers le lieu du suplice, en chemin on les pinça avec des tenailles ardentes & au chef on mit des Gands de poix, qui furent allumez, enfin tous les trois furent écartelez & leurs Quartiers pendus aux grands che­ mins. Après ceux on emmena les deux Allemands, Celui qui étoit un Bour­ sier de Danzig nommé Charles Grau fut mis sur l’Echafaut où on fon­ dit du soufre brûlant sur la poitrine & après cela il fut roué tout vif & mis sur la roue. A Louis Hartmann, qui n’avoit été que deux ans avec la bande, on coupa les deux mains, le roua du haut en bas & le mit sur la roue, celui-là étoit le seul de ces Scélérats qui témoigna une repen­ tance sincère de ses forfaits. La torture et les châtiments corporels devaient être exemplaires afin d’enlever toute envie de suivre l’exemple des personnages punis. Le Messager boiteux relatait les exécutions avec force détails. L’on cas­ sait les membres d’un régicide avec des barres en fer (1760), celui qui avait tenté d’assassiner Louis XV était écartelé (1758), un Pandoure était décapité la pipe à la bouche (1744).

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Le czarowitz Alexey Petrowitz s’étant indignement conduit son pèn jugea indigne de lui succéder et punit exemplairement tous ceux < lui avaient suggéré des desseins pernicieux contre le trône.

Exécution horrible de diverses personnes considérables a Moscou, «Messai boiteux de Basle», J 719. Les assassinats

La perversité humaine est capable de bien des choses parmi k quelles figurent les crimes les plus divers et les meurtres les plus sa giants. Les assassinats ponctuent des vols de grand chemin, d scènes de jalousie ou encore des accès subits de folie.

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Représentation tx:iU de quelques

meurtres cruels & inhumains, •Messager bo iteux >, 1751. D’un grand nombre de meurtres & d’assassinats qui se sont fait l'année passée, ceux qui sont représentés sur la planche de la page précédente sont des plus remarquables; en voici l’ex­ plication. 1) Au mois de Décembre 1749, il arriva à Strasbourg, qu’un petit Enfant, voulant visiter une de ses petites compagnes, se rendit dans la Maison d’un cordier de la Voisinage, mais quel fut l’étonnement de cet enfant, lorsqu’on entrant dans la poêle il trouva la femme du cordier étendue sur le plancher ayant la tête fracassée & nageant dans sun sang; sa fille âgée d’environ 3 années étoit couché auprès d’elle, dans un état aussi pH enfants, heureux d-uwx: congeet de pouvoir se regjrér à hesr des belles grappes donre* ^ur 4 rosée des nuits \ sent ré xxnvre d’une couleur chaude et réwré tre. l'out est prét aussi au pres** à la cave. On a lave 1rs "èr***^ on a renouvelé la jw»m*» -* «seillcs» ri ré «xùWw l»

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«bossettes» et les «bossatons» ont été retenus et répares. On a «graissé» les chars: on a muni la «dépense» et les «tablards» de la «chambre à resserrer» de provisions suffisantes pour les travailleurs, grands et petits, dont il faudra calmer l’appétit pour le premier déjeuner, pour les dix heures, pour le dîner, pour les quatre heures et pour le souper. [...] De ceps en ceps retentit bientôt le bruit des «serpettes»' ou des ciseaux qui coupent les grappes. Les seilles se remplissent, on en jette le pré­ cieux contenu dans les brantes, où on le foule à grands bras: puis la brante pleine, de vigoureuses épaules vont la vider dans la bossettes qui attend au bord du chemin. [...] En route pour le pressoir. C’est là qu’on travaille dur aussi, de pres­ sées en pressées. Quel joli bruit que celui du moût brun et parfumé qui coule dans la cuve, pour, de là, être versé dans le grand vase qui attend à la cave !

La Savoie La proximité, par voie lacustre, de Vevey avec la Savoie fait que les contacts étaient fréquents. Se basant sur un livre de Paul Guiton intitulé /lu cœur de la Savoie, le Messager publie en 1929 une carte à vol d’oiseau de «ce pays si pittoresque et dont on vante les innombrables variétés de sites et de sommets», c’est une incitation au voyage...

Alpes de Savoie, «Messager boiteux», 1929.

MESSAGER BOITEUX

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Calastrcphe de Saint-Gervaix Le 12 juillet 1892, une affreuse nouvelle se répandait à Genève, vers 11 h du matin: les bains de Saint-Gervais venaient d’être détruits dans la nuit par un éboulement. On parlait de 200 victimes. Hélas! Rien n'était plus vrai et le chiffre des morts devait être dépassé.

Saint-Gervais, «Messager boiteux», 1893. (...] La partie inférieure du glacier de 'Icte-Rousse, dominant Je glacier de Bionasset, s’est détachée et précipitée dans la vallée par le lit du tor­ rent de Bionnasset, balayant sur son passage le petit village de Bionnet. Puis elle est venue former dans le lit du Bon-Nant, un barrage à l’en­ trée de la gorge de Saint-Gervais. Ce barrage aura momentanément retenu les eaux, puis, cédant à la pression, a projeté sur les bains de Saint-Gervais et sur Le Fayet une masse énorme de rochers et de débris. Les bains ont été presque rasés. Toute la partie où l'on prenait les bains, les salles à manger, les cuisines, le corps de bâtiment qui reliait

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Samt-Gervais, «Messager boiteux», 7893.

les deux ailes et où demeurait la direction, le docteur, l’aumônier, une partie des gens du service, etc., tout a disparu. Seul le corps de bâti­ ment de l’est, adossé aux rochers boisés, a été préservé. Le village de Bionney, comprenant douze maisons, et celui de Fayet ont été presque entièrement détruits. Quant au village de Saint-Gervais, qu’il ne faut pas confondre avec les Bains, situé sur la rive droite, au-dessus de la gorge, à deux cents mètres environ au-dessus des Bains, il s’est heureusement trouvé à l’abri des atteintes du torrent. [...) Quant aux détails sur la mort des victimes et la longue recherche des cadavres ils sont navrants: on a retrouvé des corps sans tète, sans jambes; d’autres littéralement écrasés, d’autres recouverts d’une boue si épaisse que leur reconnaissance donnait lieu à des discussions sans fin. Tous n’ont pu être retirés: plusieurs ont été ensevelis à jamais dans le lac de boue liquide, profond de six mètres au moins, que le torrent avait déposé entre les bâtiment latéraux.

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Parade de la Société des vignerons, «Messager boiteux», 1779. Les Petes des vignerons

Parmi les nombreuses fêtes et exposi­ tions qui jalonnent la vie des Suisses et des Vaudois, il en est une qui a pris une ampleur à nulle autre compara­ ble. C’était au début un simple défilé, permettant aux vignerons récompen­ sés pour leur travail de se rendre sur le lieu du festin. La parade est devenue un cortège qui au fil du temps prit de l’ampleur. Il devint triennal en 1730, puis eut lieu tous les six ans depuis 1783. En 1797, on l’organisa en quatre groupes représentant les saisons et la réussite fut éclatante. Il devint dès lors nécessaire d’organiscr parfai­ tement le rassemblement des différents corps sur la place du Marché veveysanne. Les parties musicale et littéraire se sont développées. La modeste célébration des débuts est devenue une fête à portée interna­ tionale que le Messager boiteux ne manque pas de relater dans ses pages \

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L’édition de 1906 du Messager rapporte la «Fête grandiose des 4, 5, 7, 8, 10 et ! 1 août 1905», qui compta un hôte célèbre en la personne de Gustave Eiffel. Cette fête fut relatée par de nombreux journaux. Le nom de M. Gustave Doret s’imposa d’emblée. On ne pouvait en effet trouver un compositeur réunissant mieux que lui toutes les qualités requises pour s’acquitter de cette lourde mission. Et surtout l’on savait que M. Doret apporterait à cette tâche son âme d’artiste et son cœur de patriote. L’expérience a comblé, et bien au-delà, les espoirs que l'on fon­ dait sur le nom de cet admirable musicien. Il fallut ensuite trouver un poète. Le livret de la fête de 1889, écrit en nombreuse collaboration constituait une condamnation absolue de ce mode de faire. M. René Morax, qui venait de se signaler à l’attention du public romand par des oeuvres poétiques et dramatiques d’une saveur bien personnelle et d’un grand intérêt littéraire, voulut bien se charger du livret et se mit à son tra­ vail avec un enthousiasme superbe, qui ne s’est pas démenti un seul ins­ tant jusqu’à la clôture de la fête. La même ardeur anima dès le début M. Jean Morax, dont les costumes composés avec un goût très sûr, une impeccable science de coloriste, furent un enchantement pour les yeux.

La Fete des vignerons, -Messager boiteux», 1906.

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LE BOIS SUR LES PAGES, LE CHOC DES IMAGES

Le maître de ballet était plus difficile à trouver attendu qu’il fallait s’adresser à l’étranger. En faisant appel à M. d’Alessandri [présenté même comme d’importation étrangère] le Comité de poésie, musique et bal­ lets, ainsi que la Commission centrale, ont eu la main particulièrement heureuse et tous les spectateurs de la fête ont applaudi à leur choix. [...] durant les deux dernières journées de la fctc, la population de notre ville a été presque quintuplée. Beaucoup de personnes sont venues de très loin pour assister simplement au cortège. Les estrades, qui pour la pre­ mière fois étaient disposées en arc de cercle présentaient un coup d’œil splendide. Les portiques, de style dorique, encadraient de leurs ligne sobres et pures l’entrée triomphale des troupes. Ils ont été fort admirés. [...] Nous avons vécu pendant huit jours un rêve merveilleux dont la vision nous est encore présente et nous suivra durant toute notre vie. Nous avons vibré, figurants et spectateurs, dans un commun frisson de joie haute et saine. La Beauté nous est apparue dans une de ses mani­ festations les plus complètes et les plus merveilleuses. Paul Perret Le Grand Livret

L’une des images qui a marqué le plus de générations est celle du Grand Livret. Ainsi nommé parce qu’un petit livret était également de temps à autre publié. Le petit va de 1 à 12, le grand de 1 à 20. Cette table était généralement imprimée au dos de chaque almanach, de nombreux écoliers ont passé des heures à répéter inlassablement ces multiplications de base.

NOTES 1 Le procédé voulait que l’image soit gravée à l’envers pour ensuite être reproduite telle qu’on la voit sur papier. 2 Les Mille et Une Nuits, recueil de contes arabes, fut révélé à l’Occident grâce à la traduction qu’en fit l'orientaliste français Antoine Galland (1646-1715). Ils furent publiés pour la première fois en douze volumes, de 1704 à 1712. ' Le mot «progrès» n’est pas nouveau, ce qui change est son sens, qui prend de plus en plus celui d’évolution, alors qu’auparavant seule son acception militaire (synonyme de «progression») était employée. 4 L’épisode d’Ulysse et les Sirènes dans Homère, Odyssée XII. 5 Années de célébration de la Fête des vignerons: 1797, 1819, 1833, 1851. 1865,1889,1905, 1927, 1955, 1977, 1999.

messager boiter

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2 3 6 6 2 18 £4 30 3 3 4 21 28

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5 4 5 6' 1

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BIBLIOGRAPHIE

boiteux. Une gravure en vignette apparaît dès 1784. En 1822, le titre devint Conservateur suisse ou Etrennes helvétiennes. La publication fut inter­ rompue en 1831. La relève fut prise à Genève dès 1845 par les Etrennes nationales. VON HerrensCHWAND Johann Friedrich, dédicace, in Traité des princi­ pales et plus fréquentes maladies externes, des chirurgiens-médecins et des praticiens, Berne, F. Seizer, 1788. Levade Louis, «De l’influence des planètes» et «Des paysans», in Observations et réflexions sur quelques matières de médecine, Vevey, Chenebié et Lôrtscher, 1777. Olivier Eugène, Médecine et santé dans le Pays de Vaud au XVIIIe siècle, 1675-1798, Lausanne, Payot, 2 t., BHV XXXI et XXXII, 1962. Plus particulièrement les pages consacrées aux idées que répand le Messager, pp.461-471, 482-493 et p. 830. Présentation des croyances superstitieuses qu’amène le Messager dans le t. 1 aux pp. 461 et sq. ainsi que 482 et sq. Verdict du Dr Olivier: l’igno­ rance du Messager boiteux est celle de son temps; sans fard elle n’est pas corrompue par la réclame. Tissot Samuel Auguste, «Des Charlatans», in Avis au Peuple sur sa santé, Lausanne, aux dépens de F. Grasset, imprimé chez Jean Zimmerli, 1761.

Sur l’imprimerie et le livre en général

Catalogue des livres français tant anciens que modernes de P.-A. Chenebié, Vevey, 1772. (Musée du Vieux-Vevey, B 473) CORSINI Silvio, «XVIIe siècle, un petit âge d’or», in Le Livre à Lau­ sanne, 1493-1993, cinq siècles d’édition et d’imprimerie, Lausanne, Payot, 1993, pp. 49-69. NETZ Robert, «XVIIe siècle, une dynastie d’imprimeurs et quelques libraires», in Le Livre à Lausanne, 1493-1993, cinq siècles d’édition et d’imprimene, Lausanne, Payot, 1993, pp. 33-48.

PERRET Jean-Pierre, L^ imprimeurs d'Yverdon au XVIIe et au XVIIIe siè­

cle, Lausanne. Librairie de Droit, F. Roth & Cie, BHV VU, 1945,

pp. 70-79. PERROCHON Henri, La littérature contemporaine en Suisse romande: prome­ nade et esquisse, Saint-Maurice, Imprimerie Saint-Augustin, 1951. 28 pp. Chapitre sur le Messager et nos écrivains. POUY Ferdinand, Nouvelles recherches sur les almanachs et calendriers, Amiens, Impr. Douillet, 1879, 70 pp. L’exemplaire qui se trouve à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne appartenait à Jules Capré... WOLGENSINGER Jacques, La grande aventure de la Presse, Paris, Galli­ mard, coll. Découvertes, 1989, 192 pp. Sur les signes qui peuplent le calendrier An’DRES Marina, Saugy Heidi, et leurs élèves de 5e en 1995, Le Paysd’Enhaut au clair de lune, activités et lunaisons, Château-d’Œx,

Imprimerie Y. Burri, 1995, 40 pp. LEQUEVRE Frédéric, Astrologie, science, art ou imposture3, Bordeaux, L’Horizon chimérique, 1991, 210 pp. REBETEZ Martine et Barras Christine, Le climat des Romands, Oronla-Ville, Ed. Stratus, 1993, 364 pp. A propos du comput ecclésiastique

GlRY Arthur, Manuel de diplomatique, Paris, librairie Hachette, 1894, 944 pp.

ABRÉVIATIONS

ACV AMB BGC BHV LL. EE.

Archives cantonales vaudoises Archives du Messager boiteux Bulletin des séances du Grand Conseil Bibliothèque historique vaudoise Leurs Excellences (de Berne)

Table des matières GRATITUDE.......................................................................................

7

UNE ÉNIGME.................................................................................

9

LA VÉRITABLE HISTOIRE DU VÉRITABLE MESSAGERBOITEUX................................ L’almanach.................................................................................... L’imprimerie sous l’Ancien Régime......................................... Les Messagers boiteux de Basle..................................................... Un embrouillamini historique.................................................. Samuel Kneubuehler, imprimeur............................................ Une dynastie................................................................................ Les débuts du Messager de Berne à Vevey................................ Révolution et évolution.............................................................. Les autres almanachs produits à Vevey................................... Notes du chapitre.......................................................................

n 12 15 16 16 20 23 26 30 34 36

des bobos de tante berthe au couronneDE NAPOLÉON............................................................................. 46 La recette d’un almanach........................................................... 46 Les éphémérides............................................................................... 48 De l’Hiver (7707).......................................................................... 53 De la Fertilité et du rapport de la Terre (7707)................................. 54 De la Guerre (7804)....................................................................... 55 Des Maladies (7800)....................................................................... 55 Des Echpses (7707)....................................................................... 56 Que se passe-t-il dans le monde ?............................................ 56 Epigramme sur les Ménagères nouvelle espèce de tablier fort petit, à la mode parmi les Dames (7750)................................................. 58 Mort de personnes âgées (7777).......................................................... 59 Tnste effet de la jalousie (7772).................................................... 59 Le Chardonneret (7796)................................................................. 60 Le cygne (7800)............................................................................... 60 Anecdote intéressante, suivie de réflexions importantes (7802). . . 61 Avis à nos lecteurs (7805)............................................................. 61 Manière d’éprouver un amant (7873)........................................... 62

. ............................................................................................................ (1817)............................................................................................................ Le malaise social (1818).......................................................................... Population de l'Univers (1824)................................................................ Recettes pour tuer les punaises (1852).................................................. Singulière pêche (1852).............................................................................. Le colporteur (1862)................................................................................. Les Leçons de Jeanne (1862)................................................................... Le Noyau (1862)....................................................................................... Le progrès (1869)....................................................................................... Remido po fèrè alla lè tserropè (1898)................................................. (1898).......................................................................................................... Les armes à feu à travers les âges (1907).............................................. Le chewing gum (1950)......................................................................... La télévision, bouleversante découverte (1953)...................................

La cybernétique (1960)............................................................................ La dernière barque classique du Léman (1950)................................... Le Léman et ses grandes barques (1963)............................................. (1951)......................................................................................................... Les foires et marchés.............................................................................. Le costume vaudois.................................................................................. La publicité...............................................................................................

Notes du chapitre........................................................................

LE GRIMOIRE D’ANTOINE SOUCI..................................... Le comput ecclésiastique.................................................... Les fêtes mobiles............................................................................

Signes du zodiaque et autres symboles........................... Le calendrier........................................................................ L’astrologie........................................................................... Microcosme et macrocosme............................................ Les dictons.................................................................................... Des signes cabalistiques................................................................ Les aspects...................................................................................

Notes du chapitre.....................................................................

62 62 63 63 63 63 64 64 65 65 66 67 67 68 69 69 72 72 73 74 75 77 83

84 85 88 89 91 92 92 96 100 102 104

MESSAGER BOITELS

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TABLE DES MATIÈRES

106 LE MÉDECIN CONTRE LUI ...... 106 Le Messager boiteux et la science médicale Des médecins..................................... 108 Des maladies........................................... 114 Des remèdes.................................... 115 116 Secret éprouvé pour guérir les panaris............. 116 Pour les dents.................................................. 117 Gleteron........................................................... 117 Staphisagria.................................................. 117 Argentine........................................................ 117 Dent de chien.................................................. 117 Grande consolide............................................ 117 Plantain........................................................ 118 Mauve et Guimauve...................................... 118 Gentiane........................................................ 118 Remède contre la mauvaise haleine................ 118 De l’hygiène............................................. 119 Notes du chapitre..................................

LE BOIS SUR LES PAGES, LE CHOC DES IMAGES....................... L’iconographie dans le Messager boiteux Les guerres................................................. La politique................................................. La vie des Grands de ce monde.................. Napoléon........................................... La morale.................................... La religion.................................... La violence domestique...................... L’étranger................................. La violence publique.................. Les assassinats........................ Les actes de bravoure ou de vertu Courage intrépide (J798)............... ... ’ Les catastrophes naturelles Les transports........................

121 121 124 125 128 130 135 138 140 144 149 150 152 154 154 163

Les animaux temu* Les monstres humains.............. Les revenants............................... ’ La Suisse...................................... La Savoie...................................... La Fete des vignerons......................... Le Grand Livret................................

173 174 181 185 187 188 191 194 194

Notes du chapitre.......................

196 IL ÉTAIT UNE FOIS BIBLIOGRAPHIE................... ................ Archives cantonales vaudoises . . • Archives du Messager boiteux (Vevey) Instruments de travail...................... Ouvrages généraux......................... Ouvrages particuliers...................... Abréviations........................................

TABLE DES MATIÈRES

198 198 199 201 202 202 205 206

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MESSAGER BOITEUX TROIS SIÈCLES D'HISTOIRE AU TRAVERS DU TERROIR

Arrive la fin de Pété. L'accompagne le messager boi­ teux. Qui est-il? D'où vient-il? Quelles nouvelles apporte-t-il? Son arrivée sur les foires et marchés permettait autre­ fois à la gent curieuse et avide de faits divers de connaître quelques événements spectaculaires, monstrueux ou incroyables survenus durant l'année écoulée en d'autres lieux. Aujourd'hui, tout a changé. Les journaux à grand tirage et la télévision proposent immédiatement des images allant du spectaculaire à l'insoutenable. Pourtant, il y a bientôt quatre siècles que le messager connaît un grand succès. Aux nouvelles étonnantes et hornfiques se mêlent les prédictions astrologiques et météoro­ logiques, des proverbes et des conseils concernant l'agri­ culture et le jardinage ou encore la santé pour l'année en cours. Apparu en 1707, véritable phénomène social et litté­ raire de nos villes et de nos campagnes, édité à plus de 80'000 exemplaires Le véritable Messager boiteux méritait, à l'occasion de son 290' anniversaire, un vrai livre décrivant son étonnante histoire. C'est aujourd'hui chose faite grâce à cette nouvelle et intéressante contribution de Liliane Desponds.

ISBN 288295-1BS-X

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