Marx. Sa vie, son oeuvre

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MARX

PHILOSOPHES Collection fondée par Émile BRÉHIER, Membre de l'Institut

MARX SA

VIE,

SON

ŒUVRE

avec un

EXPOSÉ DE SA PHILOSOPHIE par Henri

LEFEBVRE

Professeur à la FacuUé des Lettres el Sciences humaines de Strasbourg

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS 1964 i. Bata Library

UNIVERSITY

DÉPOT LÉGAL ire édition

ier trimestre 1964

TOUS DROITS de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays ©

1964·,

Presses Universitaires de France

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Karl H einrich M arx n aquit le 5 mai 1818 à Trêves, en Rhénanie, p rovince allemande annexée par l a République et l ' E mp ire français de 1795 à 1814. Par sa mère et par son père , il d escen d ait de deux l ignées d e rabbins. Toutefois son père , avocat dis­ tingué, se converLit au protestantisme en cette même année 1818. Un p eu p lus tard, en 1824, l es sept enfants de H irschel :Marx - dont K arl était le second - reçurent le baptême. P ar cet a cte, qui le cou p ait de ses origines j uives , Hirschel M arx éviLait l es conséquences de m esures a ntisémites prises p ar le gouvernement p russien. Pourtant l e père d e Marx n 'adhéra p a s au catholicisme, religion p rédominante à Trèves et d ans l a région . En p assant au protestantism e , il se montre n a tionaliste l ibéral, éclairé et modéré , lecteur d es philosophes français du x vme siècle. Il s 'assimil e , il devient Prussien , m ais i l continue à regard er du côté de l a France , o ù l a révol ution avait rend u l es d roits civiques a u x j uifs comme a u x pro testants . Cette conversion de son père aura une certaine i mportance dans la vie d e Karl Marx et une incontes­ table influence sur sa pensée. Elle lui permettra l a plus grande indépen dance vis-à-vis d e l a tradition j uive , et vis-à-vis de toute religion. Curieux contraste ou p lutôt contradiction initiale et stimulante : en

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lui s' afîron teront la méfiance vis-à-vis du j u d aïsme (méfiance exprimée dans La question ju ive) avec l ' h éritage intellectuel du j u d aïsm e, la su btilité de l a p ensée, l 'humour, la capacité de s'o pposer au reste du monde et de maintenir cette opposition. Physi­ quement, M a rx portait l 'empreinte de son ascen­ d ance. A cause de son épaisse chevelure noire et de son teint basané, il reçut des siens u n surnom qu'il porta jusqu ' à la fin de sa vie. On l 'appelait : le M aure. Vingt ans d e domination fra nçaise avaient pro­ fondément modifié la Rhénanie. A l ' a bri du blocus continen tal, elle s'était engagée , surtout dans la Ruhr, sur la voie de l'industri alisation. La pensée française, y co mpris la plus audacieuse, avait pénétré jusque dans les hautes sphères de la société rhénane. La fami lle M a rx avait pour voisin un haut fonc­ tionnaire du gouvernement prussien, l e conseil ler d' É ta t baron Lu dwig von Wcs tphalen, qui passait pour d escendre d es anciens ducs d e \Vcstphalie et dont la femme était apparentée à l 'une d es plus illustres familles d ' É cosse. les ducs d'Argyll. Cet aristocrate libéral possé dait une immense culture ; il lisait aussi bien les auteurs grecs que les auteurs français modernes ; il traduisait et connaissait par cœur H omère et Shakespeare. Sa largeur d'esprit permit à Ludwig von Westphalen de fré quen ter assidûment ses voisins juifs fraîchement convertis au ch ris tianisme et de laisser ses enfants se lier avec ceux d e l ' avoca t Hirschel-II- einrich M arx. Ce fut du co nseiller Ludwig von Wcstphalcn autant que du lycée de Trêves et plus que de son propre père que Karl reçut sa première formation . On a même qu elques raisons de penser que l ' a ristocrate libéral

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fit connaître à son JCUne ami les écrits subversifs qui circu laient en Rhéna nie , ceux d es socialistes français et su rto u t de S aint-Simon. Marx lui dédiera sa thèse de doctorat de philosophie, en termes plus q u ' élogicux ( « A l 'ami paternel, qui salu e tout progrès avec l ' enthousiasme et l ' assurance de la vérité ... » ) . A dix-sept ans l e j eune K arl Marx était un ado­ l escent romantique. Il lisait et récitait les poèmes d 'un a u tre j eune j uif alleman d afîranchi du j u daïsme et déj à célèbre : H eine. li dansait, faisait du cheval, vou lait tenter une carrière littéraire. Entre lui et l a belle Jenny von \Vestphalcn, malgré leur difTérence de condition sociale et d 'âge (elle avait qu atre ans d e plus) naquit un amour passionné et dura b l e . Son père envoya K arl M arx s'inscrire à la Facu lté de Droit, à Bonn. L ' é tu diant semble n ' avoir guère fréqu enté l'Université , mais avoir mené j oyeuse vie. Il au rait même é té blessé dans un duel à Cologne. Revenu à Trèves, Karl se fiance secrètement avec Jenny. Il se confie à son père. Efîrayé , tant à cause d u j eune âge d e Karl que d u scandale que provo­ q uerait d ans la peti te ville u n tel m ariage, Hirsehel H einrich Marx tient à éloigner son fils. Il l'expédie , avec d e vertes semonces, à Berlin, « cen tre d e tou t e cu lture et de toute vérité » ( discours d e H egel lu à l 'ouverture de l ' Université d e Berlin en 1 818) . A Berlin, e n a u tomne 1836, K arl Marx q u i a main­ tenant dix-huit ans , comprend que le temps d es enfantill ages se termine. Il se lance éperdu ment dans l 'étude. Il lit tous les livres qui lui tombent so us la m ain : droit, histoire , géographie , poésie, l i ttérature e t surto u t philosophie. Sa voca tion lui p araît encore

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plus littéraire qu e philosophique. II consacre ses nuits à écrire d es poésies sur son amour, sur Jenny, sur lui-même : Je ne puis plus m'occuper paisiblement De ce qui s'empare fortement de mon âme Je ne puis plus demeurer en paix Je me lance avec fougue dans le labeur. Tout, j e voudrais le conquérir Toutes les faveurs des dieux Et posséder le savoir Étreindre l'art entier.

Ainsi l e garçon de dix-huit ans exprime d éj à son avidité et son sens de la totalité. P en dant ces années fécondes, Karl l\farx arrive à concilier l e travail acharné avec la fréquentation d es b rasseries où i l rencontre les intellectuels l es plus cc avancés » d e son temps : la gauche hégélienne. II n e dort p l u s et b ientôt tombe malade. Cette m aladie ( qui coïncide avec une m aladie d e Jenny von \Vestphalcn , due à la séparation et à l'inquiétu d e ) provoque une crise. Karl M a rx brûle ses poèmes, ses proj ets de rom ans et de tra­ gédies. II abandonne la littérature pour la philosophie. Une longu e l ettre à son p ère , d atée du 10 novem­ bre 1 835, raconte cette p remière et décisive crise. Pour son père, Karl M arx esquisse u n e analyse d e s a situation, en p artant d 'u n p rincipe unitaire : toute vie exprime une essen ce spirituelle q u i se m an if este à la fois d ans l ' art, dans la science, d ans l ' existence privée. Depuis son arrivée à Berlin, l'étudiant l\larx a essayé d 'écrire une philosophie du droit, destinée à montrer l a contradiction entre l e réel et l'idéa l . C'est ainsi qu'avant même d'étu dier p rofondément la philosophie et l'hégélianisme , i l a commencé à

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comprendre l a dialectique hégélienne, théori e du devenir et des contradictions i nhérentes aux objets saisis en tant qu'expressi ons concrètes du monde vivant de l a pensée. Jusqu'alors, Marx n ' avai t lu que des fragments de Hegel, dont la cc grotesque mélodie roca i l leuse » lui déplaisait. M a i n tenant, il va se plonger dans la dialectique hégélienne. II écrit u n dialogue i ntitu lé Cléanlhe o u d u déveioppemeni néces­ saire de la p lziiosnplzie. Ce qui le porte cc comme une sirf>ne perfide dans les bras de l 'ennemi » , à savoir la philosophie en général et celle de Hegel en particu lier. Karl Marx va s ' a ttacher à l a tendance crilique issue de l'hégélianisme, tendance qui tire de la dialec­ tique une analyse criti que de la rel igion , de la culture, de la société , mais qui reste a bstraite. II a quelque chose de plus que ses amis du Dokiorskiu b, Ruten­ berg, Bruno B a uer, Koppen , etc. Il ressent une double exigence : cel l e d ' entrer en contact avec le rée l « concret ii, celle de modifier activement ce réel. S ' i l écrit encore des vers , c 'est pour proclamer cette exigence prométhéenne : C'est pourquoi il me faut tout oser Sans prendre j amais de repos Ne restons pas muets Sans vouloir nous accomplir Ne nous soumettons pas Silencieux et craintifs Au j oug humiliant Car le désir et la passion Car l'action nous restent.

Par ces compagnons momentanés , l es j eu nes hégéliens, Marx connut la cri tiqu e la plus audacieuse de la religion établie : les œuvres de S trauss , qui

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mettent en doute l'histori cité des É vangiles - les œuvres de Feuerbach , selon qui l'être divin n 'est qu 'une proj ection hors de l'homme de l ' ê tre humain , une aliénation. Karl Marx devait e n retenir l ' idée que toute crilique efficace commence par la religion ; mais pour l u i la pensée critique doit tôt ou tard aller beaucoup plus loin : jusqu'à la cri tique du réel social et politique , ce qui suppose ou dé termine une action politique. Non sans illusions, Marx et ses amis pensaient à u n e carrière universitaire , alors qu 'ils attaquaient - à travers son idéologie, ses justifications reli­ gieuses et sa religion o flicielle - les fondements de l' É tat p russien. C'est dans cet espoir que Marx passa b rillamment en 1 841 sa thèse de doctorat de philo­ sopltie, sur les doctrines de Démocrite et d' É picure . Dans les travaux préparatoires à cette thèse se trouvent des fragments comportant déj à une critique de toute philosophie abstraite et spéculative , cri tique fondée sur la confrontation en tre le monde philo­ sophique et le monde non philosophique : cel u i du réel humai n , celui de la pratique sociale. Les espérances de Karl Marx sont vite déçues. Le gouvernement réactionnaire de Prusse retire son enseignement à I3runo Bauer, et refuse une chaire au jeune Dr Marx. Son père n 'avait assisté ni à ses su ccès , ni à cette déception. Il é Lait mort en 1 838, après une courte maladie, accab lé de soucis et d'inquié tudes pour ses en fan ts, et surtout pour son fils pré féré , I> semble venir d e Kau tsky, à qui Lénine l ' aurait empruntée. Dans ces conditions la controverse devient inévita blement scholastiqu e . E lle tourne autour d'arguties et de subtilités : le sens exact de telle phrase. Les uns reconnaissent le matéria­ lisme dialectique « en germe > > dès les premiers écrits de M arx , d ' a u tres fixent une date postérieure : 1 845 (L' idéologie allemande) ; 1 848 (Le Man ifeste) ; 1 857 (La Conlribu lion à la critique de l'économie polilique) ou même 1 867 (Le Cnpilnl, avec la préface o ù i l est question du renversement du système hégélien ) . Il va de soi que cette recherch e d 'une date fa tidique déprécie les œuvres antérieures à cette date. D'où le dédain de la p lupart des tenants du matérialisme dialectique o fficiel pour les œuvres de jeunesse (et pour le concept d 'aliénation qui y domine ) . Selon la maj orité des exégètes o fficiels, seul l e marxisme-lén inisme, expression théorique du mou­ vement révolutionnaire du xxe siècle, coïncide philo­ sophiquement et politiquement avec le matérialisme dialectique, œuvre de Marx, d ' Engels , de Lénine ( et aussi et surtou t de Staline , a-t-on aj outé pendant une période qui fut longue : près de trente ans ) . Dans la troisième interprétation , il y a croissance et développement de la pensée de M a rx, les étapes su ccessives s'intégran t à u n ensemble qui simul­ tanément s ' amplifie et se rapproche - par l'analyse

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et l ' cxposé synth étique - de la p raxis elle-même dans le cadre social du ca p i talisme concurrentiel, seul connu de Marx, seu l étu dié par l u i . Con lre le dogmatisme, q u i ne reconnaît dans Marx q u ' u n nouveau système, le seu l pro blème étant d 'en d ater la formulation, il apparaît que Marx pro cède par tâtonnements, par essais et tentatives su ivis de compléments et de corrections. Il l u i arrive d ' aller trop loin dans un sens, après quoi il rectifie. Il l u i arrive aussi d e laisser tomber en rou te d es éléments dont il ne poursuit pas l e développement (par exemple la théorie du rapport entre l' individuel et le social, abordée d ans L ' idéologie allemande, à propos de l 'anarchiste individualiste Max Stirner) . Nous pensons qu'il convient de lire Marx en restitu ant chaqu e œuvre dans le mouvement d 'en­ semble, le mouvement cons t i tu ti f de sa pensée qui s'affirme pensée en mouvement et pensée du mou­ vement, se d éveloppant en posan t des prob lèmes, en dévoilant des contra dictions, en dégageant des solu tions , e lles-mêmes co ntra d ictoires e t menant vers d e no uvel les questio n s , c ' est-à-dire dialrcli­ quemenl. II n'y a, au sein de ce mouvement, ni dis­ continu ité abso lue, ni complète continu ité, ni archi­ tecture qui se découvrira i t en entrant dans l'œuvrc , ni avance incertaine intro d uisant d u nouveau selon le hasard des renco ntres et la chance des d écouvertes. Procéder selon l' ordre du mouvement, est-ce possible ? Ici nous a ffirmons que c'est possible. Si no u s suspen­ dons l ' interprétation dogmatique et la recherche du « système », ce n'est pas pour aborder l\l arx avec des yeux pré tend ûment naïfs. Nous ne j o u o ns pas l'ignorance pour saisir à l 'état pur l a naissance

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de la pensée de M arx . Nous nous e fTor�ons de bien saisir les qu est ions qu'elle pose, les proLlèmes auxquels elle se ratt ache. Nous n 'éliminons pas le conle x le , mais nous le d é lerminons par un ensemble de problèmes et de so lu tions pro posées ou esqu issées, p l u lôl que par une somme de fai ls ou une s u i le d 'événemenls. Le m ouvement constilutif de l a pensée de M a rx n e se comprend que par ra pport à une « problé­ m alique », cel le de son époque, dans u n contexte d ' abord allem a n d , p u is français, puis anglais, et enfin européen et m o ndial ( à l 'échelle du capilalisme envahissanl la planète ) . Cette problémalique change en se d é finissant et s 'élargil en s'a pprofondissa nt, de la Thèse de doctoral ( 1 842) au Cap ital ( 1 8G7). Elle peu l s ' a lleindre à parlir de notre tem ps. Comment n ier que le p roblème m ajeur d e notre xx e siècle soil encore celui de la révolu lion mondiale, de ses possibil i lés et de ses i m possibilités, de ses victoires et de ses échecs, de sa capaci lé à changer le monde et à réaliser l'humain ? E n Allem agn e , à la fin de l a première moitié du x 1 x e siècle, les pro blèmes fo ndamenlaux se fo rm ulent p hilosophiquement. Les Allemands, écril M a rx, n e sont à la hauleur du temps actuel que par la philoso phie. l ls ne sont pas les contem porains des a u lres peuples d 'Occident, car leur situ a lion histo­ rique retarde sur celle d e la France et de l ' Angle­ terre , pays les plus avancés. Et cependant leur ph ilo­ sophie a une importance h istorique mondiale ( We ll­ Geschichllich) , nolamment parce qu'elle s'est élevée jusqu'à la cri lique radicale (par la racine) de la religion, j usqu 'à la philosophie de l ' h isto ire , du droit

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et d e l ' É tat. Les Allemands ont p ensé ce que d ' autres p euples ont fait, notamment les Français dont l ' action politique a permis la création d 'un É tat moderne. Les Allemands apportent aux autres p eup les la conscience théorique, m ais chez eux les pro blèmes ne se posent qu 'en fonction d 'une pure théorie : la philosophie. M arx comm ence par examiner cette philosophie - par en dresser le bilan, p ar la confronter avec la praxis. Ou plutôt, il constate que la théorie spécula tive n'a pu éviter la confronta tion avec l e m onde réel ( n o n philosophique) et qu'ainsi se dévo ile u ne aliénation philoso phique : l ' extériorité du phi­ losophe e t l 'étrangeté de la philosophie par rapport au réel, c'est-à-dire à la praxis. Or, la p raxis se révèle politique. Les d éficiences d e l a praxis politique e n Allemagn e o rientent M arx vers le pays où cette praxis a pparaît p leine et entière, où les idées sont d es moyens d 'action, où par consé­ quent l'action achève de dévoiler la vérité (le contenu et les limi tes d e la philosophie) : en France. Sa chance et son destin permettent à M arx d ' é tu dier de près la vie politique française , l es historiens fran­ çais, l es penseurs socialistes français. Il assiste en France à la grande fermentation q u i annonce l es événem ents d e 1 848. Ainsi la politique dévoile la vérité (critique) de la p hilosophie, co mme celle-ci dévoile la vérité (c'est-à­ d ire l'erreur et l'aliénation) de la religion. L'échec en 1 848 d e la révolution démocratique et sociale ( à tendances prolétariennes et socialistes) et même de la révolution telle que la voulaient les républicains et l i b éraux bourgeois, apprend à M arx l'im portance des conditions économiques. Il l es é tu d iera à. Londres,

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puisant s a docu menta t ion d ans l ' histoire d u capi­ talisme anglais, alors le plus avancé. Le mouvement révolutionnaire qui transforme le monde au lieu de l ' interpré ter spéculativement n'a de chances que s ' il y a crise pro fo nde du mode de prod uction existant dans sa totalité, d e sa base économique ( forces produ ctives) à ses superstructures ( insti­ tutions, idéologies) en passant p ar les s tructures p roprement dites : rapports de produ ction et de propriété, rappo rts d e classes , droit codifié, culture agissante, œu vres influentes. Le social e t l 'é conomique contiennen t donc la vérité du politique, comme celui-ci la vérité de l a p hilosophie e t celle-ci la vérilé de la religion. M arx aborde alors l 'économie politique e t la théorie du capitalisme (de la praxis capitaliste et bourgeoise) comme mode d e production, au nom d 'une critique encore e t touj ours radicale : pour en montrer la fin possible e t nécessaire. I l annonce ainsi et la fin du capitalisme e t la fin d e tou te éco­ nomie politique ( comme organisation - qui pèse sur les ê tres h um ains - de la non-abondance des b iens) e t la fin de l ' É tat lui-même (en tant que régissant les rapports conflictuels qui d onnent éga­ lement lieu à l 'économie politique comme science et comme praxis , au droit et aux mod alités de la répartition des revenus dans une socié té divisée en classes). E n tendons-nous b ien. Ce n 'est p as l 'économie pol itique comme science qui supplante la philosophie. Il faut voir plus loin que les économistes , qui accep­ ten t un o rdre - celui de la pro prié té privée - que M a rx conteste en m o n trant son caractère relatif et

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historique. Le dépassement de l 'économie politiqu e co mme réalité et du dro i t fondé sur elle com m e forme so ciale liée à la non-a bondance d es biens, permet le dépassement el la réalisation d e la philosophie. Il n 'est donc pas faux d e dire, avec Lénine, que le m a rxisme résu lte d e la fusion entre la philosophie a llemande, le socialisme français et l'économie politiqu e anglaise. Tou tefois, i l ne s'agit pas d 'une synthèse , encore m oins d'un éclectisme . Le m o­ m ent critique qui transforme les trois élémen ts est essentiel. La praxis, en tant que p raxis révolutionnaire , critique e n acte p a r l a classe ouvrière de l a société exisLanLe, a donc et aura le dernier mot. C'est elle l a véri té d e s diffé rentes sphères traversées p o u r l ' a t­ teindre et la d é finir dans sa tota lité . Le mouvement de la pensée m a rxiste consiste en un élargissem ent incessant vers la sa isie de la praxis, co nçu e elle­ mPme com m e contra dictoire : à la fois répé ti tive et quo tidienne, d 'une parL, et d e l'au tre , révolu tion­ naire, cré a trice d 'histoire, située d ans l 'historicité de l'être humain. Le primat de la pratique sociale, c'est-à-dire de la réaliLé empirique e l d e l'activi té humaine enfin portées au concept comme productrices e l cré a trices, ce primat se man ifeste en ce que la praxis m ène les sphères et niveaux subordonnés vers le dépassement, mais non Lous de la m ême façon : fin de l a religion rénlisalion de la philosophie - dépérissemen t de l ' É La L politique - absorption de l'écono mique dans une a d m inisLra Lion des choses qui remplace la con trainte sur les ho mmes et a cco m pagne u ne abondance de biens rendue possible par l a technique.

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Il y a donc i n tégration succ essive d es positions prises vis-à-vis d e tel p roblème o u d e tel l e science p a rticulière ( histoire , économie) d ans u n e t o ta l i té en m a rche : l a p ensée m arxiste , l a transforma tion d u monde. Vers 1845 , d ans L ' idéologie allemande , M arx tend à faire de l ' histoire (polit ique comprise ) , l a sPule science. Puis il aborde l 'é conomie politique et tend à p rivilégier l 'économique. Pourtan t, il ne conçoi t l 'économique q u ' a ccomp agné d e s a critique radicale, co m m e un fragm ent d 'une h istoi re totale de l 'homme, p rivilégié pendant u ne seule période : l e capitalisme. D e plus, on le sent soucieux d 'évi ter une sorte d 'ontologisa tion de l ' histoire ( l e p u r historicism e ) , q u i d é finira i t l ' h o m m e hors de l a na ture. I l tend ainsi vers une p ensée d ' u n typ e nouveau , explorant des do maines divers sans se perd re dans les p a rticul a rités m a is comprenant celles-ci au m oyen des concepts et sciences spécifiques qui leur corres­ pondent, de façon à saisir les aspects et niveaux d ans leur ensemble en mouvemen t, de l a na issance à la fin en passant p a r les structures p roviso i res e t les équilibres momrn tanés. Q uels sont ces dom aines ? La techniqu e , les forces p ro d uctives , le d ro i t comme cod ification formelle d es ra pports de p roprié t é , l ' É ta t, l a philosophie, la connaissance, e tc. E t enfin l e capita l isme l u i-même e t la praxis en gé néral. CPlle-ci enveloppe l a possibilité d 'u n e révolution totale qui m r ttra fin à tou tes l es a l i é n a tions de l ' ho mme : l ' a liénation religieuse comme l ' aliénation p hiloso p h i rrue , l ' a l iénation idéologique e t polilique com m e l ' aliénation économique. E ll e se révèle capable MARX

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de résou d re tou tes les contradictions et d e surmonter ce qui arrête , dévie ou d é t ourne l 'homme d e son accomplissement. L 'économique apparaît alors non tant co mme primordial et explicatif que com m e essentiel p o u r l'action révolutionnaire q u i b rise l es cadres du capitalism e et poursuit le dévelo ppem ent. C'est au nivf'au d e l 'éronomiqu e qu 'elle entre dans la praxis. Ce niveau , d irions-nous, est cc o péralionnel » . L'économique ? C 'est le principal levier d e l 'action pra lique. La praxis contient ainsi toute v érité , mais cette vérilé ne peut venir au j ou r que par des investi­ gations de plus en plus pénétrantes. D ' a u tre p art la théorie ne pénètre la praxis dans ses p ro fon d eu rs que parce qu'elle en sort et s 'y réi nvesti t au cours même d e l 'effo rt pour la saisir. Par la médiation d e la théorie, la praxis se transforme elle-même, et de façon d e plus en plus consciente. Les m oyens, méd iations et m o m ents su ccessifs d e ce d évoil r m ent et d e cette transformation (au premier rang desquels la philosophif') ne sont pas logiquemen t niés et abolis mais dialectiquement d é passés, chacun selon d es modalités particulières et spécifi quf's, au cou rs d'une histoire con crète : celle d e la transformation en être humain de la nature. Ainsi la praxis aliénan te - celle d u capitalisme e t d e la bourgeoisie comme classe d om inante dans l e capitalism e - se rhangera en praxis d ésaliénante . D ' un bond ou gradu rllf'mf'nt ? M a rx a d 'abord envisagé la p rem ière h ypothèse, puis il a n uanré son appréciation, laissant la porte ouverte aux possibi lit és. Dans l e cadre ainsi tracé, rf'prenons la d émarche philosophique d e Marx, c'est-à-dire sa cri tique d e la

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p hilosophie. Quand il com m ence à réd iger ses p re­ m ières réflexions sur la philoso phie, l 'éelatement de l 'hégé l ianisme est un fait a cco m pli. Il y a déj à u n hégé l ianism e d e gau ch e o p posé à l 'hégél ianisme co nse rvateur. Le système n'a p u éluder le conta ct avec la vie non p hilosophique. La philosophie , à celle é preuve, révèle sa dualiLé inlé rieure . E lle contient une double d é Lcrm inatio n , u n double d evenir : le deven ir-philosophie du monde (à savoir l 'é la boration de l ' expérience pratique en concepts qui se veulent u niversels : le Bien, le Beau , le Vra i , la Raison , la Liberté , la Co nscience , etc. ) - e t le deven ir-monde de la philosophie ( c 'est-à-dire l 'effort, en p artie eflicace, en plus grande p a rtie v a in et u topique, pour réinvestir d ans la pratique dont ils sont issus les grands co ncepts, d e façon à rendre le monde co n forme à l ' i n terpré ta tion philosophique et à transformer le monde réel extra-philosophique en monde à la fois réel et vrai). Pendant vingt siècles, le premier aspect de ce devenir ( le devenir-philosophie du monde) a été plus i m portant que le deuxième. Avec H egel, la situation change et après lui elle se renverse. Le devenir-monde de la philosophie l'empo rte . H egel a en c fîet constru it u n système a chevé , totalement ra t ionnel (j usqu'à la « circularité » co mplète , à la fois cercle infernal et cercle vicieux ) , fo ndé sur l'hypo­ thèse de la rationali Lé to tale et acco m plie de l ' a ctuel. Cc systèm e philosophique veu t correspo n d re et correspond en e fîet au système poliLique (donc pra­ tique) de l ' É tat « mo derne ». I l vise donc à la fois sa réalisa tion in tégrale et la j usti fication d ' une réalité qui se veut intégrale. I l est a insi to talement a bstra i t

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b ien que saisissant efîectivement d ans sa form e spé­ culative une grande part d u rée l . L a réa lisation de l a philosophie e s t en même temps sa perte , é cri t M arx . L 'ach èvem en t de la systém a­ tisation permet enfin de d ire ce qu 'est e t ce que fut la philosophie. Dire ce qu 'es t l a philosophie , c'est la déterminer. Or toute dé term i n a tion contient l e m o m e n t négati f. D é fi n ir l a p hilosophie , c'est l a limiter e t déjà l a dépasser. E l l e s e d é finit com me dessein o u proj e t de total isa tion spécu lative d es é lémen ts de l 'humain, d e l a conscience naissante à l ' É tat, de l a sensation à l a science. Cette a tti tu d e spécu l a ti ve révèle ses b ornes. Elle désigne c e q u i l a dépasse : l e m onde non ph ilosophique, l a vie réelle e t quoti dienne des ê tres humains, la praxis ( dans laquelle l ' ê tre h u m a i n réel se saisi t comme ê tre déj à total : sensible et actif, in dividuel et socia l , ayant des b esoins e t une raison vivante , capable de travail ler, de créer, d e j ouir, donc irréductible à la raison pure e t abstraite) . L a philosophie comm e telle s'est voulue t o ta li té , autrement q u e l a religion, d e façon moins extérieure à l'humain, m ais cependant contrai gnante e t a b s traite. Et voici que cette to talité se b rise . E lle se dédouble dans son contact avec l a pra.r is. L 'hégél ianisme en Allem agne d o n ne l ieu à d eu x a tti tu des, l'une réa l iste ( positivis te , dirions-nous) e t l ' a u tre volontariste. La première a cce p te le m onde tel q u ' il est, et veut abolir la philosophie sans l a ré aliser. La seconde veut réaliser la philosophie sans la supprimer. l\farx cri tique le pa rti de l'em pirisme Pt l u i décla re : Vous ne pou vez supprimer la philosophie sans la réaliser. I l critique également l e p arti a d verse, celui

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de la théorie et de l a vol onté politiques, q u i croit pouvoir réaliser la philosophie sans la supprimer. L 'h om m e vivant, pensa n t et agissant, qui part de la conscience philosophiqu e , ne peut se maintenir d a ns cette scission e t ce déùoublcmen t. I l n 'est p as encore sorti d e l 'aliénation philosop hiq u e , pour l 'homme qui se conn aî t et se reconnaît déjà to ta l . Co m m en t ré tablir l 'u n i t é scindée ? M arx aperçoi t u n e sol u tion : la m ission historique d u prolétariat. La classe o uvrière a u ra , d ans l a praxis , ce rô le histo­ rique : dépasser la philosophie, c'est-à-d ire à la fois réal iser ce q u 'elle pensa dans l ' abstra i t ( l a l iberté , l a rationali t é , l a m aî trise d u monde sensible, l a ' j o uissance gé n é ralisée de c e m o n d e resti tu é d ans sa richesse véri Lable, l a reconn aissance réc iproque des conscien ces, e tc . ) et l a supprim er e n tan t q u ' abs­ traction spécu lative . E n Al lem agne, o ù prédomine l a philosophie, l e rôle historique de l a cl asse ouvrière peu t ainsi se définir en termes philosophiques. La classe u ni­ verselle, c'est le p rolé Lari a t (et n o n , comme pour H egel , la « classe >> des fonction naires). L u ttant p o u r se su ppri m e r en tant que perte e t aliénation to tale de l 'h u main, le prolétariat ne peut se con q 1 1 é rir que par la co nquête d e l 'humain to tal . Le prolétariat, en raison d e sa radicale 11égativité , poursuit pra ti­ quement le même b u t que la cri tique radicale théo­ rique : n ier la socié té existante, construire une au tre société . li mettra fin à to u tes l es aliénations, y com pris l ' a l ié n a l ion philosoph iqu e , en ré in ves­ tissa n t Jans la p raxis les concepts et le projet philo­ s o phiques. La pl1 ilosophie est la fêle de celle émanci. palion. Le prolélariat en est le cœur. L a philosophie

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ne peul êlre réalisée sans la suppression du p rolétariat. Le p1'olélarial ne peul se supprimer sans la réalisation de la plzilosophie . . . Tel le e s l l 'idée fon d amentale q u i passe à travers tous les m o men ts u l térieurs de la p ensée d e M arx. I l ne la met plus en question. Elle s ' inlègre a u mou­ vement de sa pensée. I l n ' a donc plus b esoin d 'e n parler. La qu estion d e la philosophie, d a n s l 'ensemble, est réglée. To u tefois, nous n e sommes p as au bout d es d iffi­ cultés. D ' o ù viennent-ell es ? D ' a bord de ce que les questions posées par M arx ne coïncident pas avec les nôtres. Bien que nous puissions les a tteindre (nous, l es hommes d e l a deuxième m o itié du xx e siècle ) à lravers l e s nôtres, en tan t qu'analogues et en tant que d i ITérentes , e l l es nous é1·happent parti ? Déboucherait-el l e sur u n e o n to l ogie plus fon d a m e n tale que la vieille m é la physique ? Ces é n igmat iques Lex tes de l\l a rx n 'excluenL pas une tel le i n Lerpré La L io n . Toutefo i s , on peu t aussi soutenir que selon l\la rx « l ' è tre >> e t « la n a Lu re » recè l e n t des possi b i l ités sans limi t es pour l ' ac Lion tech n iciue et p o u r la j o u issan c e . Plus l ' homme dl'vient h u main , p lus i l maî Lrise la n a tu re , plus i l y p é n è Lre e t découvre SPS profo n deurs. Le dévoilemen t de « l ' être » s'opère d ans e t par la praxis ; c'est e l l e q u i dégage , en les réalisant, l es virLu a l i Lés envelop pées d a ns « l ' ê tre >>. Cette péné Lra tion ne peut se re présenter m a is seule­ ment s ' accom p lir. La Lhéorie ne p e u t anticiper, e t la nature ( « l ' ê tre >> ) est i n fi n i e d an s tous l e s sens : tem ps, espace, déterm i n aLions, virt u a l i l és . . . La no tio n d ' u n e ant l i ropo logie, cen Lre d ' unification par les sciences de l 'h o m m e , ne peut donc comp lè­ trme n t s'écarter ; m ais elle n e peu l s 'accepter sans réserve. Dans les Manuscrits de 1 8 4 4 , le lecteur a ttent i f perçoi L le souci de Marx, désireux d 'éviLer à l a fo is u ne d é fi n i lion de l ' homme h ors de son « è tre » e t une so rte d 'o 1 1 Lo lngisal ion de l ' liistoirr , qui d é fi­ n isse les luis de la so" iéLé hors d 'unr n a Lure à la fois m o u v a n t e , Lo La l e , cré a Lrice , non séparée de la p ra;;cis. Préoccupation que l\l arx ne d é m e n tira j a mais.

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Toutefois, en 1 845, dans L ' idéologie a llemande, d éfinissant le m a té rialisme h istorique, il tend à privilégier l'histoire. Nous ne conna issons qu'une science, celle de l'histoire. Pu is il débouche vers l 'économie poli tique , e t tend alors (selon l ' aveu tardif mais explicite d ' Engcls) à p rivi légier l 'éco­ nomiqu e . Dans L ' idéologie allemande, M a rx déclare que : Là o ù la spéculation cesse, dans la vie T'éelle, commence la science T'éelle, positive, l'exposition pT'a­ fique du développement des hommes . . . Dès que la réalilé est exposée, la philosophie autonome peT'd ses moyens d'existence. A sa place peul tout au plus appa­ raître u n résumé des résultats les p lus généra ux qui se laissent extra ire de l'élude du développement historique. Si m aintenant nous nous reportons au Capital, nous rencontrons des formu les assez d i fférentes. M a rx défend d ans les p ré faces son point de vu e , d ' a p rès lequel le d éveloppement d e la forma tion économique­ sociale peu t s ' assi miler à la m arche d e la natu re . Il veut dévoiler l a lo i économique du mouvement de la société moderne, loi natu relle. La d ifficu l lé s'estompe dès l ors que le l ecteur garde en mémoire le l ien que M a rx é l a b l it entre la nature et l'homme. Il y a une histoire na turelle d e l'homme social e t une h istoi re sociale d e la natu re. Dans sa lu tte contre la n a tu re , l'homme se façonne et poursu i t. son développement. natu rel. I l donne forme hum aine à la nature a u tour de lui. Il s'a pproprie la na ture hors de lui et en lui-même. Ces deux p arties de l ' histoi re (histoire de la na ture , histoire d e l 'homme) peuvent s e disti n guer m ais n o n s e �éparer. Les lois du mouvement de l ' histo i re et de la formation économique-sociale peuvent donc avoir d es spécifl-

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cités et en même temps prolonger les lois de la n a ture. L 'interaction dialectique (unité et contra diction) entre la nature et l 'homme fait p artie intégran te d e l a pra:ds. La contra diction dialectique est plus puissante, plus réelle, que la notion d e total ilé. Toujours particul ière e t spécifique, donc touj ours concrète, la contra d iction d ia lectique apporte une intelli­ gibililé propre. Elle se fon d e sur la praxis , contra­ d ictoire dès lors q u e l'homme l u tte contre la n a ture sans pour a utant sortir de la n a tu re , et plus encore lorsque la réalilé humain e se scinde e t se p olarise en classes sociales. Dès lors, la notion d e total ité se relativise , se dia­ l ectise. Nous ne pouvons partir de la totalité comme forme vide, antérieure et supérieure logiquement et ontologiquement au m ouvement d es contra dictions dia lectiques. La pemée théorique ne peu t pas davan­ tage m aintenir l'idée d 'une tota l i t é achevée . Qu 'est-ce q u 'une to tal i té ? Un mo ment d a ns le développPment d es contra dictions, celui où se manifeste l'unité d es contra dictions - l 'essen ce q u 'elles déploien t celui par coméquent o ù la cohérence l 'emporte provi�oircmcnt sur le devenir, l 'équ ilibre sur la mobililé, la logique formelle sur la pcmée dialectique. Q u 'est-ce q u 'une structu re ? Une cohé:'ion momen­ tanée, destiné e à se d issou dre ou à éclater et m ême portant déj à en soi les raisons d e son éclatement ou de sa d issolution ( destru ctura Lion). La dia lccLi�a l.ion du concept d e totalité con d u i t à a ffiner la représenta lion, à concPvoir des totalités inachevées, partiel les, v i rtuelles. U n corps vivant ou une « fonction » d 'u n corps organique , ne sont-ils

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p as déjà des LoLal i lés p a rLielles ? La LoLalité , co nçue dynamiquem en L , peul-e l l e j amais s ' a rrêLer, se clore, se consLi tuer en u n Lou t d é fi n iti f ? E n ce sens, les a cLio ns polit iques, celles de l ' É t a L , l es théori es unifi­ ca Lrices ( p h i losophie syst é m a tique nota mmenL) e t l e s élabora tions j u ridiques ( co m m e le C o d e na po­ léonien) sonL d es Len La tives pour consLiLuer un tou t cohéren L e t sLa b l e , LenLaLives e ffi caces mais Loujours inachevées, Loujours insufiisanLes , toujo urs d émen­ ties p a r la p raxis . Afi n d e poursuivre cetLe clari ficaLion , nous a llons comm enLer l es divers Lermes que la pensée m arx isLe reçoiL de l 'ancien n e philosophie. Les p ages qui suivent donneronL à la fois les raisons d u groupemrnL des texLes qui vien dronL p l us loi n , e L l 'ébauche d ' u n lexique d e l a pensée ma rxisLe, dans l a prrspecl ive du dé passemen L eL de la réa l isa Lion de la philosophie, c'es L-à-dire dans l 'éclairage d e l a pensée de M arx, enfin resLi Luée pleinemenL.

Connaissance. Dans la p ensée m arxiste, l a conna issance s e co m pose d e concrpls , donL les rapporLs s a i�issenL (sans j a m ais l 'épuiser) le m o u vement dialrcLique dans la réa l i té . I l n ' y a pas de connaissance sans criLiqu e e t même dans le domaine des scien ces de la réa l i t é humaine, sans une double cri Lique , cel le de l 'exisLan L , celle d e ses rrp résenLa Lio n s idéologiques. La connaissance se disLi n gne de l 'idéologie j u � q u ' à s'o pposrr à elle. E lles se mêle n L p u is se d isLinguenL l'une d e l ' a 1 1 Lre , l ' idéologie é L a n L l 'élérnenL ca d n c d rs rPprésen La Lions e L la co n n a issa n ce par concepLs l 'élément qui s'in­ tègre d a ns l e développemenL. -

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.Matérialisme. - I l peu t s e formuler p hilosophi­ quement (la m atière p récèd e la conscience , l a n a Lu re existe avant l a pensée, etc. ) . Cette formulation n ' a p as grand intérêt. E l l e porte la marque de l a vieille tra d i tion p h ilosophique et n'a rep ris d e sens que dans les controverses - inévitab l es et assez vaincs d es