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French Pages 160 [319] Year 1783
MAGAZIN DES
ENFANS, ou
DIALOGUES ENTRE
une fage G O U V E R N A N T E ET
pluiîeurs de fes É L È V E S de la première D I S T I N C T I O N , Dans lesquels on fait penfer, parlert agir les jeunes Gens luivant le génie, le tempérament, & les inclinations d'un chacun, On y représente les défauts de leur âge, & l'on y montre de quelle manière on peut les en corriger ; on s'applique autant à leur former le cceur, qu'à leur éclairer l'efprit. On y donne Un Abrégé de l'Hifioire Sacféet de là Fable, de la Géographie, &c. le tout rempli dé Réflexions utiles, & de Contes moraux pour les amulcr agréablement} & écrit d'un ftile fimple St proportionné à la tcndrciïe de leurs années. Ï A R
M a d . LE P R I N C E TOME
DEËÉAUMONT. TROISIÈME*
B E R L I N , CHEZ A R N O L D
WEYER,
MDCCtxxxit,
LE
MAGAZIN DES
E N F A N S. XVIII. DIALOGUE, Seizième Journée.
Madem.
Bonne.
iís Molly^ répétez-nous votre hiftoire, s'il vous plaie.
Mifs Molly. Dieu commanda à Moyfe de pofer íes mains fur Jojiié, & donna fon efprit à cet homme, pour conduire fon peuple dans la terre qu'il avoit promife à Abraham. Moyfe, ayant obéi à Dieu, fit fouvenir les Ifra'èlites de tous les miracles que Dieu avoit fait pour l'amour d'eux. Il leur promit que Dieu ne les abandonnerait jamais, s'ils étoient fidèles à obferver fes commandemens & les fit jurer qu'ils n'y manqueraient jamais. Après quoi il monta fur une grande montagne, d'où il découvrit cette terre, dans laquelle il ne devoit point entrer, à caufe de fa défobéïilànce. Il mourut en cet A i
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XVIII. D I A L O G U É .
Cet endroit, mais on n'a jamais fû, ou l'on avoit enfeveli fon corps : il avoit vécu cent vingt ans. L e pauvre {& vie.
Lady Mary. Moyfe a eu bien du mal pendant Madem. Bonne.
Tout ce mal eft fini, & il eft heureux depuis bien long-tems. Comparez les cent vingt années qu'il a vécu, avec le grand nombre de celles qui fe font paiTées depuis ce tems-là; fes peines ont été bien courtes, en comparaifon du tems qu'il a déjà ¿te' heureux, & il le fera encore pendant toute l'e'ternité. Vous n'auriez pas voulu être à fa place pendant qu'il avoit tant de peine ; mais n'eit-il pas vrai, que vous voudriez bien y être à préfent.
Lady Senfée.
Oui, ma Bonne, je penfë quelquefois à cela, & je dis en moi-même : après tout, la vie eft bien courte ! je n'ai pas bien long-tems à me gêner, & après ma mort, qui arrivera bientôt, je n'aurai plus qu'à être heureufe, fi j'ai bien vécu.
Lady Charlotte.
Mais ma chère amie, vous dites que votre mort arrivera bientôt, & vous n'avez que treize ans: eft-ce que vous êtes confomptive ?
Modem. Bonne.
N o n , ma chère amie; Lady Senfée fe porte à merveille; mais quand elle devroit vivre encore cent ans, elle auroit encore raifon de dire
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J
dire qu'elle mourroit bientôt. Il y a fept ans que vous êtes au monde; ces fept années fe font écoulées comme fept jours: le refte de votre vie paflèra tout auili vite; mais il n'eft pas fûr que. nous vivions encore long-tems ; chaque jour peut être le dernier de notre vie,
Lady Spirituelle. Ma Bonne, fi je penfois à cela, je ièrois toujours mélancolique; car je vous avoue, j'ai bien peur de mourir.
Modem* Bbnne. Vous craignez, apparement, de n'avoir pas encore fait aifez d'efforts pour vous convertir,
Lady Spirituelle. En vérité, ma Bonne, je ne penfe pas à cela; mais j'aime la vie: je nvai presque pas eu de plailir jusqu'à préfent, & je n'ai rendu que peu de vifites, à caufe que je fuis trop jeune. Je voudrais donc, avant de mourir, avoir eu le tems de voir le monde, & de me divertir un peu,.
Modem. Bonne. Que diriez-vous, fi le fils d'un Roi étoit ea prifon, & qu'il ne voulut pas fortir de cette prifon, parce qu'il n'auroit pas encore été fe promener dans le jardin de ce trifte lieu?
Lady Spirituelle.
Je dirois qu'il ieroit fou, parce qu'il auroit, fans doute, dans le Royaume de fon père, des jardins bien plus beaux que celui de la prifon.
A l
Madem.
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XVIII. DIALOGUE. Madem.
Bonne.
Voilà pourtant ce que vous faites, ma bonne amie, quand vous dites, que vous ne voudriez pas mourir encore, parce que vous fouhaitez de voir le monde ; cela me fait fouvenir d'un petit trait que j'ai lu dans un roman fpirituel. Un Prince, nommé Jofaphat, s'étant perdu à la chailè, entendit la plus belle voix du monde. Surpris d'entendre fi bien chanter dans un de'fert, il marcha du côté qu'il entendoit la voix, & fut bien furpris de voir que celui qui chantoit, étoit un pauvre lépreux, dont le corps étoit à demi pourri. Eh, mon Dieu ! lui dit le Prince, comment pouvez-vous avoir le coeur de chanter, étant dans une condition fi miférable? J'ai bien fujet de me réjouir, lui dit le malade, il y a quarante ans que je fuis au monde ; c'eft-à-dire, qu'il y a quarante ans que mon ame eft enfermée dans yn corps de bouë, qui eft fa prifon. Les murailles de cette priion tombent par morceaux: bientôt mon ame, libre par la deftrudion de mon corps, va s'envoler vers mon Dieu, pour y jouir d'une félicité fans bornes : j'en ai tant de joie, que je ne puis m'empêcher d'élever ma voix vers le ciel, pour célébrer ma délivrance. Lady
.Charlotte.
Pour moi, ma Bonne, je ne fuis pas fort attachée à la vie; mais je crains la mort, parce que j'ai été bien méchante. Madem.
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Madem. Bonne. Vous avez commencé à vous convertir, ma chère, & vous y travaillez tous les jours; cela doit vous tranquillifer. Dieu eft fi bon, qu'il n'en demande pas davantage; j'avoue que la mort eil bien terrible, pour ces perfonnes qui vivent, comme fi leur ame devoit mourir avec leur corps ; qui ne font occupées que de leurs plaifirs ; qui ne penfent non plus à Dieu, que s'il n'y en avoit point : l'enfer de ces perfonnes commence dès le tems de leur maladie. J'ai connu une Dame de grande qualité qui avoit vécu comme cela. Elle avoit le foie gâté, & les médecins le lui dirent; elle jetta un grand cri, &'leur demanda fottement, fi on ne pouvoit pas lui faire un autre foie : car elle étoit très-ignorante:, elle offroit pour cela tout fou bien. Les médecins lui ayant dit, qu'il n'y avoit point de remède, elle devint comme une enragée & prioit une de fes amies, de lui brûler la cervelle d'un coup de piftolet. Mais, mes chers enfans, continuons nos hiftoires.
Lady
Charlotte.
Jofuê, ayant fuccédé à Moyfe par ordre de Dieu, envoya deux efpions à une ville, nommée Jerico; ils allèrent chez une femme nommée Rahaù, mais le Roi de Jerico envoya des foldàts chez cette femme pour prendre ces efpions. Ils ne les trouvèrent pas, car elle les avoit cachés, & le lendemain elle leur A4 dit :
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DIALOGUE.
dit: Je fais que vous êtes venus de la part du vrai Dieu, & qu'il livrera cette ville entre vos mains ; mais puisque je vous ai rendu ferviçe, je vous prie de ne me point faire de mal, ni à ma famille. Les efpions lui dirent: nous ne vous ferons point de mal ; ailèmblez toute votre famille chez vous, quand nous prendrons cette ville, & mettez un cordon déçarlate à votre fenêtre; on ne vous fera aucun mal. Ils retournèrent après cela vers Jofué, qui commanda au peuple de fe tenir prêt pour pailèr le Jourdain, qui eft un grand fleuve. Les Jfra'èliter e'toient fort embarrafles, car il n'y avoit pas de pont fur le Jourdain; mais Jofué commanda aux prêtres de prendre l'arche du Seigneur & d'entrer dans le fleuve. A peine leurs piçds eurent-ils touché l'eau, que le fleuve s'ouvrit en deux, pour biffer palier les Ifraelites; & Dieu dit à Jofué, faites prendre douze pierres à la place où les prêtres ont refte' au milieu du Jourdain, pendant que le peuple paffoit ; & de ces douzes pierres, vous en ferez un autel, & quand vos enfans vous; demanderont ce que lignifie cet autel, vous leur répondrez; c'eft pour vous faire fouvenir du miracle que Dieu a fait pour l'amour de vous, afin de vous faire entrer dans la terre qu'il avoit prqmife à Abraham, & les Ifra'élites obéirent en tout, au commandement du Sei» gneur, flç entrèrent dans la terre prqmife«
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Lady
Mary,
Dans quelle partie du monde étoit cette tçrre promife?
Madem. Bonne.
Je vais vous la montrer fur la carte, ma chère. Elle eft dans l'AJîe, au Sud-Ouefi; & depuis que les Ifraïlites, y ont demeure', on l'a nommée la Judée, aujourd'hui elle eft plus connue, fous le nom de Pakfiine. Voilà le fleuve du Jourdain, la Mer Morte eft à la même place, ou étoiç Sodome qui fut brûle'e par le feu du ciel,
Lady Senfée.
Ma Bonne, j'ai lu dans un livre de Voyage, qu'il y a de fort beaux arbres fur le bord, de cette Mer Morte, & que ces arbres portent de fruits magnifiques, mais quand on veut les manger, on dit qu'ils font pleins de cendres & de pourriture : cela eft il bien vrai ?
Madem. Bonne.
Je l'ai lu comme vous, ma chère ; mais je ne làis fi cela eft vrai, car fouvent les voyageurs prennent la liberté de mentir. S'ils ont dit là ve'-. rite en cette occafion, ces fruits feraient l'image du pe'che', & des plaifirs qu'on veut fe procurer en le commettant; le dehors en eft beau j mais le dedans n'eft que pourriture & vilainie, Allons, Lady Mary, dites votre hiftoire,
Lady
Mary.
Auffi-tôt que les IJra'élites furent entrés dans A s la
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la terre promife ils firent du pain avec le bled du pays, & aufli-tôt la manne cellà de tomber. Cependant jojité vit un ange qui avoit une e'pée à la main, pour lui montrer que Dieu combattroit pour Ton peuple; & le Seigneur dit à j o fué, que les prêtres prennent l'arche du Seigneur, & qu'ils la portent en iilence autour des murailles de Jcrico pendant fix jours: le feptième, jour, vous ferez le tour 'de la ville fept fois, & à la feptième fois, les prêtres Tonneront dé la trompete, & le peuple jettera un cri de réjouitfance, aufli-tôt les murailles de la ville tomberont, & chacun entrera de fon côte' dans cette ville; mais prenez bien garde à ce que je vais vous dire: je ne veux pas qu'on pardonne à aucun des habitans de Jérico ; mais je commande de tuër les hommes & les bêtes, exceptés Rahab & .fa famille. Après cela vous de'truirez cette ville, car tous ceux qui y demeurent, font des mcchans: je vous de'fens de garder rien de ce qui fera dans Jérico; mais vous prendrez l'or, l'argent, le cuivre & le fer & vous me le confacrerez, & tout le refte fera brûlé, l'ofué, exécuta ce que Dieu lui avoit ordonné. Les murailles de Jérico tombèrent, & la feule Rahab fut fauvée avec fa famille. Cependant Jofué envoya trois mille hommes pour combattre les ennemis : mais les IJraëlites s'enfuirent, & il y eut trente-fix hommes de tués. Jojité & les anciens, bien affligés, fe proilernèrent la face contre
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II
tre terre; mais le Seigneur dit à Jojîté: ne t'afflige point, ce malheur eit arrivé au peuple, parce qu'il y a au milieu de vous un homme qui m'a défobéi,en gardant quelque chofe de ce qu'il a pris dans Jérico; tirez au fort, & je montrerai le coupable que vous tuerez à coups de pierre, & enfuite vous le brûlerez avec ce qu'il a volé. O n écrivit donc les noms des tribus d'Jjra'ci iur des papiers, & on les plia; eniuite on les tira fans les voir, & le premier nom qui v i n t , fut celui de la tribu de ïuda, enfuite on tira les noms de toutes les familles de cette tribu, on tira le nom de la famille de Zàra, on tira le nom elle me parloit d'une robe nouvelle qu'elle devoit mettre le lendemain, des fouliers de celle-ci, des diamans de celle-là* S'il fe rrouvoit. à itia table une perionne d'e-: fprit, & que l'on voulût parler de quelque choie de raifonna'ble, Bélote commençoit par bailler, & finiffoit par s'endormir. Je voulus eiïàyer de l'engager à s'inftruire, cela l'impatienta ; elle e'toit fi ignorante, qu'elle me faifoit trembler & rougir toutes les fois qu'elle ouvroit la bouche. D'ailleurs, elle avoit tous les défauts de. fottes, quand elle s'étoit fôure'e une choie dans la tête, il n'e'toit pas poilible de l'en faire revenir en lui donnant de bonnes raifons, car elle ne pouvoit les comprendre. Elle étoit jaloufe, médifante, méfiante. Encore, s'il m'avoit été permis de me défennuyer d'un autre côté, j'aurois eu patience, mais ce n'étoit pas là ion compte: elle eût voulu que le foc amour, qu'elle m'avoic infpiré, eût duré toute ma vie: & m'eût rendu fon efclave. Vous voyez bien, qu'elle m'a mis dans la néceiTité de faire caflèr mon mariage. J'avoue, que vous étiez à plaindre, lui répondit l'inconnue; mais tout ce que vous me dites, ne me railùre point. Vous dites que vous m'aimez, voyez, fi vous ferez affez hardi pour m'époufer aux yeux de tous vos fujets, fans m'avoir vue. Je fuis le plus heureux de tous lès hommes, puisque TOUS ne
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DIALOGUE.
ne demandez que cela, répondit le Prince: venez dans mon Palais avec Laidronette, & demain, dès le matin, je ferai aflembler mon Conièil, pour vous époufer à lès yeux. Le reile de la nuit parut bien longue au Prince, & avant de quitter le bal, s'étant démafqué, il oraonna à tous les Seigneurs de la Cour, de fe rendre dans ion Palais, & en fit avertir tous Tes Miniftres. Ce fut en leur préiènce, qu'il raconta ce qui lui ètoit arrivé avec l'inconnue; & après avoir fini fon diicours, il jura de n'avoir jamais d'autre époufe qu'elle, telle que pût être fa figure. Il n'y eut perfonne qui ne crut, comme le Prince, que celle qu'il époufoit ainfi, ne fut horrible à voir: quelle fut la furprife le tous les aififtans, lorsque Belote s'étant démafquée, leur fit voir la plus belle perfonne qu'on pût imaginer ? Ce qu'il y eut de plus fingulier, c'eft que le Prince« ni les autres, ne la reconnurent pas d'abord, tant le repos & la folitude l'avoient embellie-, on iè difoit feulement tout bas, que l'autre Princeflè lui reilèmbloit en laid. Le Prince exrafié, d'être trompé fi agréablement, ne pou voit parler; mais Laidronette rompit le fîlence, pour féliciter ia foeur du retour de la tendreilè de fon époux. Quoi! s'écria le Roi, cette charmante & fpirituelle perfonne eft Belote ? Par quel enchantement a-t'elle joint aux charmes de fa figure, ceux de l'efprit & du caxâftère qui lui manquoient absolument? Quel :
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Quelque Fe'e favorable a-t'elle fait ce miracle en/ fa faveur? Il n'y a point de miracle, reprit Bélote, j'avois néglige'e de cultiver les dons de la nature; mes malheurs,la folitude, & les confeils de ma fœur, m'ont ouvert les yeux, & m ' o n t engage'e à acquérir des grâces à l'épreuve du tems «Se des maladies. E t ces grâces m'ont infpiré un attachement à l'épreuve de l'inconftance, lui dit le Prince en l'embraflânt. Effeâivement, il l'aima toute fa vie avec une fidélité, qui lui fit oublier fes malheurs paiTés,
Lady Spirituelle. Je vous aiTûre, ma Bonne, que ce conte eft le plus joli de tous ceux que vous nous avez raconté, dites nous la vérité, vous l'avez fait ex* près pour nous.
Madem. Bonne. Cela pourroit bien être ; mais quoiqu'il foit fait pour vous, ou non, Mesdames, l'importance eft d'en profiter. Il a été bien long mon conte, & j'ai peur que nous n'ayons pas le tems de rien dire fur la Géographie; commençons par nos liiftoires. C'eft à vous, Lady Mary.
Lady
Mary.
David craignant de tomber entre les mains de Saiïl, fe çetira auprès d'un des Rois des Philift int ; qui lui donna une Ville, pour y demeurer avec fens gens. Au bout de quelques années, les Philijlins déclarèrent la guerre à Saiil, qui Tome IV. E eut
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e^it une grande peur; il confulta le Seigneur; & comme il ne lui voulut point repondre, il dit à fes fujets: cherchez moi quelque perfonne qui de'vine par le moyen du malin efprit. Or cela étoit fort difficile, car luimême avoit porte' un arrêt de mort contre ces gens-là. Cependant fes ferviteurs lui enfeignèrent une femme. Il y fut de'guife' avec deux de fes domeftiques, & lui dit, qu'il la prioit de faire revenir une perfonne morte dont il avoit befoin. Cette femme lui dit*, pourquoi me tentez-vous? Ne favez-vous pas, que le Roi a de'fendu de faire ce que vous me commandez? Je jure par le Seigneur, qu'il ne vous en arrivera pas du mal, lui dit-il. Alors, cette femme fit fes conjurations, & tout d'un coup elle jetta un grand cri, & dit : vous m'avez trompe'e, vous êtes le Roi. Saïil la rafTura, & lui demanda, ce qu'elle voyoit. Je vois un vieillard, lui dit-elle, & fur le portrait qu'el-
le en fit, Saill reconnut que c'e'toit Samuel, & lui demanda, quel devoit être le fuccès de la bataille? Pourquoi troubles-tu mon repos? lui dit Samu'cl: ce que je t'ai prédit, arrivera, parce que tu as defobéi au Seigneur, il va t'ôter ton Royaume, & toi & tes fils, vous ferez demain avec moi. Saill effrayé refta contra terre, où il s'étoit jette devant Samuel; toutefois à la prière de cette femme, il mangea un morceau. Le lendemain il donna la bataille,
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& comme il vit que les ennemis e'toient plus» forts que lui, il fe pafla fon épe'e au travers du corps, & fes fils furent tues. Les Philifiins, ayant trouvé fon corps, le pendirent; mais les habitans de Jabh, s'étant aflemblés, emportèrent fon Corps, & lui donnèrent la fe'pulture.
Lady
Charlotte.
Ma Bonne, j'ai toujours bien peur des morts, & j'en aurai encore bien davantage. Ma nourrice me difoit bien, qu'ils revenoient, elle m's^ conte' je ne fais combien d'hiftoires à ce fujet.
Madem. Bonne.
C'eft que Votre nourrice eft une fotte, ma bonne amie. Il eft certain, que, fi Dieu le vouloit, il pourroit faire revenir les morts comme il a fait a l'égard de Samu'èl, du moins quelques phantômes qui leur reflèmbleroient ; mais il eft aufli certain, qu'il ne fait pas des miracles fans de bonnes raifons, & que toutes leshiftoires, qu'on conte à ce fujèt, font des fables. Je pourrois vous en citer plufieurs exemples, mais je me contenterai d'en raporter deux. Un gentil-homme avoit été envoyé par le Roi en Allemagne, pour des affaires de conféquence. Il revenoit en pofte avec quatre domeftiques, lorsque la nuit le furprit dans un méchant hameau où il n'y avoit pas un feul cabaret. Il demanda à un payfan, s'il n'y avoit pas moyen de loger dans le château. Le payfan lui répondit: il' eft abandonné, Monfieur, il
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n'y a qu'un fermier, dont la petite maifon eft hors du château, où il n'oferoit entrer que le jour -, parce que la nuit il y revient des efprits qui battent les gens. L e gentil-homme, qui n'étoit pas peureux; difoit au Payfan : je n'ai pas de frayeur des efprits, je fuis plus me'chant qu'eux ; & pour te le trouver, je veux que mes domeitiques reftent dans le village, & j'y coucherai tout feul. Ce n'étoit pourtant pas fon intention de fe coucher ; il avoit toute fa vie entendu parler des revenans, & il avoit une grande curiofité d'en voir. Il fit allumer un bon feu, prit des pipes & du tabac, avec deux bouteilles de vin, & mit fur la table quatre piilolets charges. Sur le minuit, il entendit un. grand bruit des chaînes, & vit un homme beaucoup plus grand que d'ordinaire, qui lui faifoit figne de venir à lui. Notre homme mit deux de fes piftolets à fa ceinture, un dans fa poche, il prit le dernier dans fa main droite, & tenoit la chandelle de l'autre main, dans cet équipage il fuivit le phantôme, qui defcendit l'efcalier, traverfa la cour, & entra dans une allée, mais lorsque le gentil-homme fut arrivé au bout de l'allée, tout d'un coup la terre manqua fous fes pieds, & il tomba dans un trou/ Il s'apperçut alors delà fottife qu'il avoit faite, car il vit à travers une cloifon mal jointe, qui le féparoit d'une cave, qu'il étoit tombé dans la puiilànce non des efprits, mais d'une douzaine d'hom-
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d'hommes qui tenoient confeil entré-eux pour favoir, fi on devoit le tuer. Il connut par leurs difcours, que c'étoit des gens qui faifoient de la faillie monnoïe. L e gentil-homme, qui f e v o y o i t pris comme un rat dans une fouricière, éleva fa v o i x , & d e m a n d a i ces Meilleurs la permiiïîon de parler. On la lui accorda, & il leur die: Meilleurs, ma conduite, en venant i c i , vous prouve que je fuis un e'tourdi; mais en même-tems, elle doit vous aiTûrer que je fuis un homme d'honneur: car vous ¿l'ignorez pas que presque toujours un coquin eft un lâche. J e vous promets de garder le fécret de cette avanture, & je vous les promets fur. mon honoeur. N e commettez point un crime en tuant un homme, qui n'a jamais eu intention de vous faire du mal. D'ailleurs confide'rez les fuites de ma mort. J e porte fur moi des lettres de confe'quence, que je dois rendre au R o i en main propre: j'ai quatre domeitiques dans ce village; croyez qu'on fera tant de recherches pour favoir ce que je ferai devenu, qu'a la fin on le découvrira. Ces hommes, après l'aVoir e'couté, décidèrent qu'il falloit fe fier en fa parole. O n lui fit jurer fur l'Evangile, qu'il raconteroit des chofes terribles de ce château. Eifeâivement, il dit le lendemain, qu'il y avoit vu des chofes capables de faire mourir un homme de frayeur, & il ne mentoit pas, comme vous penfez bien. Voilà donc une liiftoire des revenans bien e'taE 3 blie.
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blie. Perfonne n'auroit ofé en douter depuis qu'un homme tel que celui-là, en aiTuroit. Cela dura pendant douze ans. Après ce teins, comme il étoit dans Ton château à fe divertir avec plufieurs de fes amis, on lui dit, qu'un homm e , qui conduifoit deux chevaux, l'attendoit fur le pont pour lui parler, mais qu'il ne vouloir pas entrer. La Compagnie fut curieufe, de fa voir ce que fignifioit cette avanture; mais dès que le gentil-homme parut, fuivi de fes amis, celui qui étoit fur le pont, lui cria: Arrêtez* s'il vous plait, Monfieur, je n'ai qu'un mot à vous dire. Ceux, à qui vous avez promis le iecret il y a douze ans, vous remercient de l'avoir fi bien gardé. Préfentement ils vous rendent votre parole. Us ont gagné de quoi vivre, & font fortis du Royaume; mais avant de me permettre de les fui vre, ils m'ont chargé de vous prier d'accepter de leur part deux chevaux, & je vous les laiife. Effectivement cet homme, qui avoit attaché ces deux chevaux à un arbre, fit partir le lien comme un éclair, & bientôt ils le perdirent de vue. Alors le héros de l'hiftoire raconta à un ami ce qui lui étoit arrivé, & ils conclurent, qu'il ne falloit rien croire des hiiloires de revenans qui paroiifent les plus certaines; puisque fi on les examinoit avec attention, on trouveroit que la malice ou la foibleilè des hommes, à donné naiflànce à ces contes.
Lady
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Lady Spirituelle. J'aurois juré que c'étoit des diables, ou des revenans, qui étoient dans ce château,
Madem. Bonne. Un peu de réflexion, mes enfans, & Ton n'ajoutera aucune croyance à ces hiftoires. Croyez-vous de bonne foi, que Dieu, qui eft laSageffe, & la Bonté même, veuille faire_ des miracles feulement pour tourmenter les hommes? Croyez-vous, qu'il permette à une afne de revenir lur la terre, pour faire des malices, tirer la couverture d'une perfonne qui d o r t , l'empêcher de dormir, & mille autres fadaifes, qui ne font dignes quederifée? Je vais vous prouver, par ce qui m'eft arrivé à moi-même, fe parti qu'il faut prendre dans ces fortes d'occafions, Je crois quelefortavoitraiI'emblé,exprèspour moi, les plus fottes de toutes les fervantes. A fix ans je favois plus de cinq cens hiftoires de revenans, que je croyois comme l'Evangile, & cela m'avoit rendu fi peureufe, que je craignois mon ombre ; niais quand je commençai à avoir de là raifon, je me réfolus de me guérir de cette maladie. Je m'accoutumai donc le foir à aller feule, d'abord avec de la lumière, & puis après cela, fans lumière. Je me difois à moi-même: je ne fuis pas feule, Dieu eft dans cette chambre, où je vais entrer, il faura bien me défendre. Après cela j'entroîs hardiment, je m'affoyois, & je ne quittois pas la place quejenefufle
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XXVI.
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tout-à-fait tranquillifée, & après je me moquois de moi-même. Si je voyois quelque chofe dans l'obfcurité, je m'avançois pour le toucher, & je trouvois que c'e'toit un linge, ou une chaife, qui de loin me paroifToit fous une forme terrible ; Car la peur groflit les objets. Petit-à-petit je me guéris de cette foibleilè, & une avanture qui m'arriva, acheva de me rendre tout r à-fait raifonnable. J'eus affaire pour quelques mois dans une petite V i l l e , & en y arrivant, j'envoyai chercher un tapiflier, pour me meubler un appartement que j'étois prête à louer. L e tapiflier me dit, qu'il avoit une petite maifon toute meublée, & qu'il me la donneroit toute entière pour une demi-guinée par mois ; il n'y avoit que deux ans que cette maifon étoit rebâtie, parce qu'elle avoit été brûlée, & il y avoit même une vieille femme, qui, étant rentrée, pour fauver fon argent, y avoit peri. Les voifins eurent grand foin de me raconter cette hiftoire, & me dirent, que la vieillë venoit toutes les nuits pour compter fon argent. J e fis un éclat de rire au nez de ces gens ; mais ils ajoutèrent, que je ferois la dupe de ma confianc e , que cette maifon avoit été louée plufieurs fois, mais que perfonne ne pouvoit y demeurer plus de trois jours. J'en fuis charmée, répondis-je, j'ai toujours eu envie de voir ou d'entendre quelque chofe d'extraordinaire: peutêtre à la fin aurai-je ce plaifir, mais les efprits craignent ceux, qui ne les craignent pas
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DIALOGUE.
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p a s , j'ai bien peur que la bonne . f e m m e ne/ revienne plus. D ' a b o r d que je fus dans cette maifon, je la vifitai depuis la cave jusqu'au gre'nier, car fi je n'ai plus peur des m o r t s , je crains encore les vivans, & je penfois que quelque ennemi du tapillier pouvoit p e u t - ê t r e fe divertir, à effrayer les g e n s , pour empêcher ià maifon d'être loue'e. N'ayant rien trouvé, je paifai la journée fort tranquillement. Sur les onze heures du f o i r , étant auprès du f e u avec mon mari, j'entendis un bruit fourd, mais fans pouvoir diftinguer d'où il partoit, parce qu'il cbangeoit de place à tout moment. JLe plus fouvent pourtant il paroiiToit fortir du milieu de la chambre. C e bruit ne m'effraya point, & je dis en riant, fi je n'avois pas vifité les caves , je croirois qu'on y fait de la fauflè m o n noie, car ce bruit reffembloit à celui d'un balancier. L e matin on n'entendit plus rien, mais le bruit recommença les nuits fuivantes, & au bout de deuxfemaines, je remarquai qu'il étoit bien plus fort le Vendredi, qui étoit juiiement le jour où la maifon avoit brûlé. J e paflài la nuit du fécond Vendredi fans me coucher, & fur les quatre heures du m a t i n , je crus entendre parler, mais tout cela fembloit fortir de deiTous la terre. J'attendis le jour avec impatience, & je priai m o n mari de refter à la m ê m e place; pour moi, je fortis, & fus dans la maifon voifine ; c'étoit un cabaret, & je m'apperçus que E î ' l'écu-
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DIALOGUÉ.
l'écurie de ce cabaret étoit derrière notre falle, où l'on entendoit ce bruit. Vous favez, Mesdames, que les chevaux frappent du pied de tems en tems : le jour on ne les entendoit point, parce que le bruit, qui fe faifoit de tous côtés, ï'empêchoit, mais dans le iilence de la nuit, on ne perdoit pas un de leurs coups de pieds. Je pris un grand bâton, & ayant frappé trois coups contre terre de toute ma. force, je rentrai chez moi, & mon mari me dit, que depuis que j'étois forti, on avoit frappé trois coups. Les Vendredis étoient des jours de marché; il venoic beaucoup de gens delà campagne, quicouchoient en Ville, & mettoient leurs chevaux dans cette écurie, ce qui augmentoit le bruit. Je me hâtai de conter mon hiftoire : plufieurs perfonnes vinrent pour entendre ce bruit, qui, du moment qu'on en fut la caufe, ne parut plus que ce qu'il étoit, car on diftinguoit fort bien que c'étoit un bruit de pieds de cheval fur la terre. Ceux,\jui avoient eu peur, & qui avoient décric cette maifon ; furent bien honteux. Je n'y demeurai qu'un mois parce qu'il fe préfenta de tous côtés de gens pour la luër, & le maître étoit fi content de mon courage, que j'eus beaucoup de peine à lui faire recevoir mon argent.
Lady Senfée. Eh bien ! ma Bonne, fi vous n'eufliez pas eu l'efprit d'aller dans cette maifon, il ferait demeu-
XXVI.
DIALOGUE.
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demeuré pour fur, que la bonne femme faifoit tout ce tapage.
Madem. Bonne. Sans doute, chez des perfonnes qui n'auroient pas raifonné, car il e'toit extravagant de penfer, que Dieu permettoit que cette vieille revint de l'autre monde, feulement pour compter fon argent. Continuez, Miis Molly.
Mifs
Molly.
Deux jours après la bataille, un Amalécîte vint trouver David & lui annonça la mort de Sdill Se de Jonathan: & pour lui prouver qu'il difoit la vérité, il ajouta: j'ai trouvé Saill à moitié mort du coup qu'il s'e'toit donné, & comme il m'a pfié d'achever de le tuër, je lui ai obéi , & je vous apporte fa couronne. A ces paroles, David déchira fes vêtemens, & dit à cet homme: Comment avez-vous été alTez hardi pour mettre la main fur l'Oint du Seigneur? certainement vous mourrez. Après cela, David pleura Saill & fon ami Jonathan, & il bénit les habitans de Jabès qui leur avoient donné la fépulture. Enfuite, David fut reconnu Roi par la Tribu de Judas, de laquelle il étoit forti; mais Abner, un des Capitaines de Saill, fit reconnoitre un des fils de ce malheureux Prince par les autres Tribus, & il eut guerre entre ces deux Princes; mais le fils de Saiil ayant maltraité Abner pour une femme, celui-ci vint fe rendre à David, & le reconnut pour
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XXVI.
DIALOGUE.
pour fon maître. Comme Aimer s'en retournoit tranquillement, Joab, Capitaine de David, dont Abner avoit tué le frère en fe de'fend a n t , le prit en trahifon, & le tua. David pleura Abner, & maudit Joab qui avoit fait une fi grande trahilon. Enfuite David, ayant confulté le Seigneur, fit la guerre aux Philifiins, qu'il vainquit, & prit auiïï JérufaJem. Alors il penfa à retirer l'Arche du Seigneur qui e'toit refte'e chez Abinadam. On la mit dans un chariot tout neuf ; & David & toute la Maifon di!Jra'èl, jouoit des inftrumens devant l'Arche du Seigneur. Or les bœufs, qui trainoient le chariot, ayant fait un faux pas, un homme porta fa main contre l'Arche pour la foutenir; mais comme cet homme n'étoit pas pur, & qu'il avoit ofe' toucher l'Arche; il tomba m o r t , ce qui effraya tellement David, qu'il n'ofa garder l'Arche chez lui, & la laiiîàà tf Hobed-Edom. Toutefois David, ayant appris que Dieu avoit comble' de bénedidions la maifon de cet homm e , il re'folut de la faire porter dans fa Ville, ce qu'il fit avec grand appareil; car on immola un grand nombre de viâimes dans le chemin, & David, re've'tu d'un Ephod de lin, danfoit de toute fa force devant le Seigneur: enfuite, il de'pofa l'Arche dans un Tabernacle qu'il avoit fait dreilèr, puis il be'nit le peuple au nom du Seigneur, & lui diilribua à diner. Comme il rentra dans fa maifon, Michol, fa femme, vint au
XXVI. DIALOGUE.
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au devant de lui, & lui dit: Vous vous êtez fait beaucoup d'honneur aujourdhui, en danfant devant l'Arche comme un baladin. Falloit-il vous abaiiTer ainii devant le peuple? David lui répondit: Je ne me fuis point abaifle devant le peuple, mais je me fuis humilie' devant le Seigneur; qui m'a préféré à votre père, pour me donner le Royaume dHjratl; je ne faurois aiTez m'abaiiTer en fa préfence. Dieu eut agréable cette humilité de David-, & pour punir Michol, il la rendit ftérile.
Madenx. Bonne.
C'eft à votre tour, Lady Charlotte.
•Lady Charlotte. Dieu parla à un Prophète, nomme' Nathan, qui fut trouver David de la part du Seigneur, & lui dit:. Dieu m'ordonne de te dire, que ton fils doit lui bâtir un temple ; il t'a donné la Couronna tfljraèï, & elle ne fortira jamais de ta rnaifon, & ton Sang regnera jusqu'à la fin des iïècles. David s'humilia devant le Seigneur, & chanta un Cantique de louange, & Dieu lui donna la viâoire fur fes ennemis. Lorsqu'il fut un peu plus tranquille, il s'informa foigneufement, s'il ne reitoit perfonne de la Maifon de Jonathanc. & ayant découvert un de fes petits fils, il lui rendit tous les biens deSaiil, & le fit manger à fa table ; or ce fils étoit boiteux des deux jambes. Cependant, David eut une nouvelle guerre, & contre fa coutume, il 11e
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XXVI.
DIALOGUE.
ne commanda point lui-même fon arme'e, & refta à Jerufalem, ayant nomme' Joab pour fon Lieutenant-Général. Or un jour qu'il fe promenoit fur la plate-forme de fon Palais, il vit une belle femme qui fe baignoit, & -'étant informé de fon nom, il apprit que c'étoit BethJabée, femme d'Une, qui étoit à l'armée, car c'étoit un brave homme. David devint amoureux de cette femme, & comme il nepouvoit l époufer parce qu'elle avoit un mari, il écrivit à Joab, de faire combattre Urie dans un endroit dangereux, ou il pût être tué. Joab lui obéit, & le pauvre Urie mourut. David époufa fa veuve, & en eut un fils; & il demeura deux ans dans fon péché. Dieu lui envoya Nathan, qui lui dit: Il y avoit un homme riche qui poiledoit un grand nombre de troupeaux ; il avoit pour voilin un homme qui étoit fort pauvre; il n'avoit qu'une feule brébis, qu'il avoit élevée avec fes enfans, & qui lui étoit fort chère. Il vint un pailànt loger chez le riche, qui, au lieu de tuer une de les propres bêtes, pour donner à fouper à ce pailànt, fit enlever la brebis au pauvre, & la fit tuer. A ces paroles, David fe mit en colère, & dit : cet homme mérite la mort. Vous avez prononcé votre arrêt, lui dit le Prophète. Dieu vous avoit donné le Royaume d'Ifrai'l ,[des biens en abondonce, un grand nombre de femmes: il vous auroit encore donné plus que tout cela, s'il eût été
XXVI. DIALOGUE.
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été néceflàire, & malgré tous ces bienfaits, vo,us l'avez offenfé, & vous avez fait tuer Urie pour avoir fa femme. Je vous annonce donc de la part de D i e u ; que l'épée neÎortira point de votre Maifon, & qu'on vous enlevera vos femmes. David répondit: J'ai-péché! Le Prophète lui dit: & le Seigneur vous a pardonné; toutefois comme vous avez icandalifé votre peuple, le fils, que vous avez eu de Bethfabée, mourra.
Lady Senfée.
A h ! ma Bonne, que je fuis fâchée. Voilà David,, qui eft devenu méchant comme Saiïl. Comment fe peut il faire, qu'un fi iàint homme ait demeuré deux ans dans fon péché, fans en avoir regret?
Madem. Bonne.
Voilà l'effet des grands crimes, mes enfans; ils endurcilTent le cœur., Mais faites une remarque, je vous prie. Satil avoitdit, comme David, f ai péché, mais David le dit du fond du cœur. Il ne fut pas fâché à caufe des malheurs, dont il étoit« menacé, mais feulement parce qu'il avoit offenféfon Dieu: & le Seigneur, qui voit le cœur, lui pardonna tout de fuite, c'eft-à-dire, qu'il lui rendit ion amitié : mais cela ne l'empêcha pas de le punir en cette vie, car il châtie ceux auxquels il veut faire miféricorde dans l'autre. Remarquez auifi, mes enfans, avec quel refpeâ il faut traiter les choies
HO
XXVI.
DIALOGUE.
chofes faintes. Un homme fouillé touche l'Arche, & tombe mort fur le champ: mais celui qui reçoit l'Arche dans fa maifon étant un homme de bien, eft comblé de bénedi&ions. Adieu, mes enfans, la première fois, nous commencerons la leçon par la Géographie.
XXVII. D I A L O G U E . Vingt & cinquième Journée^
Madem.
Bonne.
J e v o u s ai parlé de la Lorraine
& des Pays-
Bas , nous dirons aujourd'hui un mot de la Picardie. C'eft une grande Province allez fertile, mais il n'y croit point de vin. On dit communément, que les Picards ont la tête chaude, c'eft-à-dire, qu'ils font extrêmement vifs, & fujets à le mettre en colère pour un rien ; mais ils font auflï prêts à s'appaifer qu'à fe fâcher. Ils ont le cœur bon, droit & iîncère. La capitale," comme je vous l'ai dit, eft Amiens, fur la rivière de la Somme.
Sous le Gouvernement de Picardie, on trouv e le Pays reconquis,
d o n t la Capitale eft Ca-
lais. Cette Ville fut prife par les Anglois, après un long liège par Edouard III. Ce Prince, piqué de la longue réliftance des Caléjtens, demanda qu'on lui envoyât quatre chefs des principales familles de Calais, qu'il vouloit faire mourir.
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DIALOGUE.
chofes faintes. Un homme fouillé touche l'Arche, & tombe mort fur le champ: mais celui qui reçoit l'Arche dans fa maifon étant un homme de bien, eft comblé de bénedi&ions. Adieu, mes enfans, la première fois, nous commencerons la leçon par la Géographie.
XXVII. D I A L O G U E . Vingt & cinquième Journée^
Madem.
Bonne.
J e v o u s ai parlé de la Lorraine
& des Pays-
Bas , nous dirons aujourd'hui un mot de la Picardie. C'eft une grande Province allez fertile, mais il n'y croit point de vin. On dit communément, que les Picards ont la tête chaude, c'eft-à-dire, qu'ils font extrêmement vifs, & fujets à le mettre en colère pour un rien ; mais ils font auflï prêts à s'appaifer qu'à fe fâcher. Ils ont le cœur bon, droit & iîncère. La capitale," comme je vous l'ai dit, eft Amiens, fur la rivière de la Somme.
Sous le Gouvernement de Picardie, on trouv e le Pays reconquis,
d o n t la Capitale eft Ca-
lais. Cette Ville fut prife par les Anglois, après un long liège par Edouard III. Ce Prince, piqué de la longue réliftance des Caléjtens, demanda qu'on lui envoyât quatre chefs des principales familles de Calais, qu'il vouloit faire mourir.
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mourir. Vous croyez, peut-être, mes enfans, que tous les gens de qualité' avoient peur d'être choifis ? point du tout. Chacun d'eux prétendoit à l'honneur de donner ion fang pour fon pays. Les quatre, qui furent nommés, fe rendirent au camp du Roi d'Angleterre en chemife, nue tête, nuds pieds,, & la corde atl cou; mais la Reine, qui admiroit leur vertu, obtint leur grâce. Enfuite, le Roi fit fortir tous les François & Calais, & ces pauvres gens furent encore fécourus par la Reine & les Dames de fa Cour. Aes Anglais ont gardé cette Ville plus de deux fiècles, & elle a été reprife par les François, fous le regne de Marie, Ce fut un Duc de Guife, furnommé le Balafré, qui la reprit.
Lady Spirituelle. Ces pauvres gens, qui furent forcés d'abandonner leurs pays & leurs biens, me font fouvenir d'un trait d'hiftoire que j'ai lu quelque part, mais je ne me fouviens pas des noms. Un Prince a voie pris une Ville, & comme il étoit fort en colère contre les habitans, il réfolut de les faire périr & de ne pardonner qu'aux femmes : il leur permit donc de fortir de la Ville, d'emporter tout ce qu'elles avoient de plus précieux. Devinez, ce qu'elles emportèrent^ Mesdames.
Lady Mary. Leurs petits enfans, fans doute. Tome IF. F
Lady
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XXVII.
Lady
DIALOGUE.
Spirituelle.
N o n , Madame.
Lady Charlotte.
Peut-être emportèrent-elles tout leur or, leur argent, leurs diamans, & leurs beaux habits.
Lady Spirituelle.
Non, ma chère, elles eurent bien plus d'efirit que cela. Chaque femme prit ion mari ur fon c o u , & elles palTèrent ainfi. devant ie vainqueur, qui fut fi charmé de la vertu de ces femmes, qu'il pardonna à toute la Ville.
f
Mifs Molly.
Je fuis bien fâchée que vous ayïez oublié le nom de ce Prince, c'étoit un honnête-homme.
Lady Senfée.
L'hiftoire de L a d y Spirituelle m'en rappelle ïine autre ; i l vous voulez me le permettre, ma Bonne, je la raporterai à ces Dames. M o n Prince eft encore meilleur que celui, dont on nous vient de parler; mais je n'ai pas oublié fon nom.
Madem. Bonne,
L a d y Spirituelle me reflèmble, elle eft brouillée avec les noms propres. C'eft un miracle quand je les retiens comme il faut. C'eft un défaut de jeunefle, & il faut tâcher de l'éviter, mes enfans. Quand j'étois à votre âge, je ne lifois pas, je dévorois les livres. Quel moyen après cela de.retenir les noms propres! A pré-
XXVII. DIALOGUE.
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Îènt je fuis trop vieille pour me corriger; mais pour vous, mes enfans, vous le pouvez, li vous voulez vous en donner la peine. Voyons l'hiftoire que vous voulez nous raporter, ma chère.
Lady Senfée.
Il y avoit un Prince, nommé Dèmètrius Poliocrétes, qui avoit fait beaucoup de bien au peuple de la Ville à'Athènes. Ce Prince, en partant pour la guerre, laiffa fa femme, fes enfans chez les Athéniens. Il perdit la bataille , & fut obligé de s'enfuir. Il crut d'abord qu'il n'avoit qu'à fe retirer chez fes bons amis les Athéniens; mais ces ingrats refufèrent de le recevoir; ils lui renvoyèrent-même fa femme & fes enfans, ious prétexte qu'ils ne feraient peut être pas en fureté dans Athènes, où les ennemis pourroient les venir prendre. Cette conduite perça le cœur de Dèmètrius; car il n'y a rien de fi cruel pour un honnête-homme, que l'ingratitude de ceux qu'il aime, & auxquels il a fait du bien. Quelque tems après, ce Prince racommoda fes affaires, & vint avec une grande armée mettre le fiège devait la Ville $ Athènes. Les Athéniens, perfuadés qu'ils n'avoient aucun pardon à efpérer de Dèmètrius, réfolurent de mourir les armes à la main, & donnèrent un arrêt, qui condamnoit à mort, ceux qui parleroient de fe rendre à ce Prince; mais ils ne faifoient pas réflexion, qu'il n'y avoit presque point de blé dans la Ville, & que bientôt Fa ils
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XXVII.
DIALOGUE.
ils manqueroient de pain. Effedivement, après avoir fouffert la faim très-long-tems, les plus raifonnables dirent : il vaut mieux que Déniétrius nous falTe tuer tout-d'un coup, que de mourir par la faim; peut-être aura-t'il pitié de nos femmes & de nos enfans. Ils lui ouvrirent donc les portes de la Ville. Démétrius commanda, que tous les hommes maries fuiTent dans une grande place, qu'il avoit fait environner de foldats qui avoient tous l'épée nue : alors on n'entendit dans la Ville, que des cris & des ge'miiTemens. Les femmes embraffoient leurs maris, les enfans leurs pères, & leur difoient le dernier adieu. Quand ils furent tous dans cette place, Démétrius monta dans un lieu élevé, & leur reprocha leur ingratitude dans les termes les plus touchans : il en étoit fi pénétré, qu'il verfoit des larmes, en leur parlant. Us gardoient le filence, & s'attendoient à tout moment, que ce Prince alloit commander à fes foldats de les tuer. Ils furent donc bien iurpris, lorsque ce bon Prince leur dit: Je veux vous montrer, combien vous êtes coupables à mon égard; car enfin, ce n'eft pas l'ennemi, à qui vous avez refufé du fecours: c'eft à un Prince qui vous aimoit & qui vous aime encore, & qui ne veut fe venger qu'en vous pardonnant, & en vous faifant du bien. Retournez chez vous: pendant qne vous avez refté ici, mes foldats, par mon ordre,
XXVII. D I A L O G U E .
GJ
ordre, ont porté du blé & du pain dans vos maifons.
Lady Spirituelle..
Si les Athéniens étoient honnêtes-gens, ils devoient mourir de douleur d'avoir pu offenfer un fi bon Prince.
Madem. Bonne. Quand même ils euflènt tous été des coquins, cette conduite étoit toute propre à les faire rentrer en eux-mêmes. Faites-moi fouvenir la première fois, de vous raconter une hiftoire, qui vous prouvera ce que je vous dis. J'aurai aufïï beaucoup de chofes à vous dire fur la Province de Normandie: mais préfentement, il fait nous dépêcher de dire nos hiftoires: à quatre heures il doit arriver une chofe qui vous furprendra beaucoup: il fera nuit tout d'uncoup, Mesdames, & puis une demie-heure après, nous aurons encore le jour.
Lady
Mary.
Eh là ! ma Bonne comment cela fe peut-il ?
Madem. Bonne. Je vous l'expliquerai alors, ma Bonne amie, à piéfent dites votre hiftoire. Dieu qui vouloit taire milericorde à David dans l'autre monde, le punit bien févérement, pendant fa vie, du crime qu'il avoit commis. Son châtiment commença par la mort du fils qu'il avoit eu de Bethfabée. Cet enfant fut malaF 3
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XXVII. D I A L O G U E .
malade pendant fept jours, & pendant ce tems, David refta couché contre t e r r e , jeûnant &, criant vers le Seigneur, pour lui demander la vie de cet enfant, enforte que fes ferviteurs n'ofoient lui d i r e , qu'il étoit mort ; mais David, l'ayant appris, eiTuya fes larmes, fe profterna devant le Seigneur, & demanda à manger. Ses ferviteurs étonnés lui dirent: pendant que votre fils e'toit malade, vous étiez fi affligé; d'où vient donc êtes-vous fitôt confolé de fa m o r t ? David leur répondit: tant que l'enfant étoit vivant, j'ai pleuré, parce que j'efpérois que mes larmes porroient toucher le Seigneur, & m'obtenir la vie de mon fils ; mais maintenant, mes pleurs feroient inutiles, & ne pourroient lui rendre la vie: il ne reviendra point vers m o i , mais je cours vers lui. Dieu récompenfa la foumiifion de David; il lui donna un autre fils de Bethfabée qu'il nomma Salomon, & Nathan, lui dit de la part de Dieu, que ce fils devoit être R o i après lui. David avoit encore un grand nombre de fils, mais ce f u t pour fon malheur. U n d eux, nommé Abfalon, ayant reçu un grand outrage à\immon, qui étoit un de fes frères, l'invita à un feftin & le tua. Abfalon, craignant la colère de fon père, s'enfuit chez un Prince voifin, & y demeura trois ans ; mais au bout de ce tems, Joab, qui c o m mandoit les troupes de David, obtint fon pardon. Le R o i permit à Abfalon de revenir dans'
X X V I h . DIALOGUE.
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le pays, mais il lui défendit de paroître devant lui. Abjalon, de'fefpéré d'être banni de la préfence de fan père, lui fit dire, qu'il aimoit mieux mourir, que de vivre ainfi ; & David lui pardonna tout-à-fait.
Modem. Bonne.
Continuez, Mils Molfy.
Mifs Molfy. Abfalon, au lieu d'être touché de la bonté de fon père, réfolut de le détrôner. Il s'attacha à flatter le peuple, pour gagner fes bonnes grâces, & quand il crut y avoir réuili, il demanda à fon père la pc-rmiffion d'aller exécuter un vœu qu'il avoit fait, & au-lieu de cela, il aiFembla des troupes. David, l'ayant appris, fe fauva de Jéruplem avec fes amis ; il paifa en pleurant le torrent de Cédroit, & monta auffi en pleurant la montagne des Olivers. Pendant qu'il fuyoit ainfi, un parent de Saiiî, charmé de fon malheur, parut fur la montagne, & il jettoit des pierres & de la pouflière contre David, en le maudifant. Les gens, qui étaient avec le R o i , lui demandèrent permiifion de tuer cet homme ; mais David leur dit: laiilëzle en paix, Dieu lui a commandé de me maudire. Mon propre fils s'élève contre moi, comment voudriez-vous qu'un parent de Saiil ne fuivit pas ce mauvais exemple? Je me f o . mets de tout mon cœur aux châtimens du Seigneur, & s'il veut m'ôter le Royaume qu'il F 4 m'a
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XXVII.
Dialogue.
m'a donné, je fuis content de le perdre. Cependant AbJ'alon marcha vers Jérufalem, & David fut qu'il avoit avec lui un certain Achitophel, qui avoit autant d'efprit que de malice & de méchanceté ; il pria Dieu de confondre les artifices de cet homme, & de ne pas permettre qu'Aèjàlott fuivit fes confeils. En même-tems un des amis de David, nommé Cufai, vint le trouver. Le Roi lui dit, vous pouvez me rendre un grand fervice : retournez auprès de mon fils, pour vous oppofer à Achitophel, & m'avertir de tout ce qui fe paifera. Cufai obéit, & en approchant d Abfalon il cria, vive le Roi! Ce Prince parut furpris de voir qu'il avoit abandonné fon père, qui étoit fon ami; mais comme Cufai étoit un homme de mérite, & qu'il l'aflura de fa fidélité, il fut charmé de le voir.
Lady
Tempête.
Je n'ai pas une goûte de iàng dans les veines, ma Bonne: je meurs de peur queDavid ne tombe entre les mains du méchant Abfalon.
Madem. Bonne.
Vous oubliez, ma chère, que Dieu protégeoit David. Il paroit quelquefois abandonner les bons, & les livrer aux méchans ; mais dans les tems même qu'il châtie les crimes des premiers, il eft attentif à leurs intérêts, & empêche qu'ils ne fuccombent. Admirez, mes enfans, la pénitence de David. Il fait que
XXVII. DIALOGUE.
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que la révolte de fon fils, les injures d'un de íes 'fujets, font le jufle châtiment de fa révolte contre Dieu ; ainfi il ne regarde, ni fon fils, ni cet infolent qui l'outrage. C'eft la main de Dieu qu'il voit en tout cela ; il s'y foumet dé tout fon cœur, & confent à perdre fon Royaume. Dieu ne peut pas abandonner un tel homme, & quand même je n'aurois pas lu le relie de cette hiitoire, je ferois presque fûre, que David fortiroit de ce danger. Il eft vrai pourtant, que Dieu permet quelquefois, que les bons foient tout-à-fait opprimés par les méchans, afin d'exercer notre foi; mais cela eft rare, & presque toujours, il n'attend pas en l'autre vie à punir les criminels. Fjnilfez cette hiitoire, Lady Charlotte.
Lady Charlotte. Abfalon, ayant alTemblé fon Confeil, Achitophel lui demanda quelques troupes pour pourfuivre David, avant qu'il eût le tems de reprendre courage, & d'aifembler des troupes. David étoit perdu, fi on eût fuivi ce confeil, car le peu de foldats, qu'il avoit avec lui, étoient fi fatigués qu'ils ne pouvoient pas fe foutenir; mais Cujai dit à Abfalon: gardez-vous de fuivre ce confeil; David & ceux qui íonc avec lui, font vaillans, ils fe battront en défefperés, & fi vous avez du défavantage dans ce premier combat, le peuple, qui aime votre père, prendra fon parti: il vaut mieux vous F f don-
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XXVII.
DIALOGUE.
donner le tems d'aiTembler" une groflè armée, & vous l'envelopperez fans qu'il puiflè échapper. Dieu aveugla Abfalon, qui méprifa le confeil à1 Acliitophel ; ce méchant homme fut il fâché de ce qu'on ne fui voit pas fon avis, qu'il fe pendit,. & Cujaï fit avertir David de paiTer le Jourdain. Quand Abfalon eût ailèm-, blé fon armée, il marcha contre fon père, & ceux, qui étoient avec David, ne voulurent pas qu'il allât contre AbJ'alon. Ce fut donc Joab qui commanda l'armée. David commanda à Joab d'épargner Abfalon; mais il n'obéitpas aux ordres du R o i , car Abfalon, ayant été battiji, & voulant s'enfuir, fut arrêté par fes cheveux en paiTant fous un arbre, où il demeura acroché. Joab lui perça le cœur, ce qui ayant été rapporté à David, il dit: Plût à Dieu que je fujje mort, éf que mon fils fût vivant. Ce tendre père s'étoit tenu dehors à la porte de la Ville, & demandoit à tous ceux qui venoient, des nouvelles à*Abfalon. Joab, voyant qu'il pleuroit fon fils, lui manqua de refped, & le força de paroitre devant le peuple. Cependant la tribu de Juda fe preflk de ramener David à Jcrufalem, & comme il s'en retournoit, cet homme, qui lui avoit jette' des pierres, vint lui demander pardon, & fe jetter à fes pieds. Un des ferviteurs de David, dit à fon maître: permettez-moi de tuër ce méchant homme. David, lui répondit: vous parlez
XXVII. DIALOGUE.
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parlez comme fi vous étiez mon ennemi, car vous me confeillez de me venger : il ne fera pas dit que j'ai fait mourir un homme dans le jour où je deviens Roi. Les Tribus d'JJra'à furent jaloufes, de ce que la Tribu de Juda avoit ramené David, & il y eût entre elles de grofles querelles. Alors un homme, nommé Sebah, fonna de la trompette, & fit révolter les dix Tribus d'Ijrae'l contre David. Joab fut affiéger une Ville dans laquelle cet homme étoit enfermé, & elle auroit été de truite; mais la fageiîè d'une femme la fauva, car, ayant fait affembler le peuple, elle leur repre'fenta, qu'il y avoit de la folie à s'expofer à là mort pour un rebelle. Le peuple s'aiîèmbla donc contre Sébah, & lui ayant coupé la tête, ils la jetcèrent à Joab par-deiTus les murailles, ce qui finit la guerre.
Lady
Spirituelle.
Je vous ailure, ma Bonne, que je n'ai point pitié à'Abfalon: il falloit qu'il fut méchant, pour chercher à faire périr fon père; & un père qui l'aimoit avec tant de tendreflè, & qui lui avoit déjà pardonné la mort de fon frère Ammon.
Madem.
Bonne.
Abfalon étoit peut être né avec de bonnes inclinations, mes enfans: mais il avoit des p a t fions violentes, & parce qu'il ne s'appliqua pas à les modérer, il parvint par degrés à cet excès
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XXVII.
DIALOGUE.
excès de méchanceté de vouloir tuer Ton propre père. Peut-être lï on avoit prédit à Abfaion pendant qu'il étoit jeune, qu'il deviendroit fi - ichant, qu'il en feroit mort de frayeur; mais il s accoutuma à flatter fes partions, & enfuite il n'en fut plus le maître. Voilà ce qui arrive à bien des gens, mes enfans: voilà ce qui vous arrivera à vous-même, ii vous n'avez pas foin de réprimer vos vices, quels qu'ils foient.
Lady
Tempête.
Comment, ma Bonne, je pourrois devenif aufli méchante çpCAèfalon? en vérité je ne le puis croire.
Madem.
Bonne.
Et moi, ma chère, je pourrois en faire ferment. Toute perfonne, qui a les paillons vives , doit être fûre qu'il faut qu'elle devienne très-vertueufe, oh très-méchante : il n'y a pas de milieu. Oui ma chère, fi vous prenez le parti de vaincre vos paillons comme je l'efpère, il vous en coûtera beaucoup, iàns doute: mais votre vertu fera forte, iolide, & inébranlable, parce que vous l'aurez acquife à la pointe de l'épée, pour ainfi dire: que fi vous ne prenez point cé parti, il n'eft point de crimes que vous ne foyez capable de commettre dans la fuite, fi vous en avez l'occafion, & que vous ayïez befoin d'en profiter pour vous fatisfaire. Nous en avons eu un terrible exemple en France,
XXVII.
DIALOGUE.
ce, il y a quelques années: il me prend envie ce vous le rapporter. Il y avoit une fille fort aimable & fort riche, qui n'avoit qu'un défaut. Elle aimoit trop fcs richelles, & ne vouloit époufer qu'un homme aulfi riche qu'elle. D'ailleurs, elle étoit douce, & n'avoit pas de mauvaifes inclinations. Elle demeuroit avec une de fes tantes, qui gardoit tout fon argent, & qui connoifloit le défaut de fa nièce. Il fe préfentoit plufieurs mariages pour cette fille, & entre autres un, nommé Mr. Tiquet, en devint amoureux, & s'attacha à gagner les bonnes grâces de la tante. Cette femme, qui fouhaitoit que Mr. Tiquet devint fon neveu, lui découvrit le défaut de fa nièce, & lui dit, qu'il lui plairoit fûrement s'il" étoit fort riche. Mr. Tiquet découvrit à cette femme, qu'il n'avoit pas une groiiè fortune, & la pria de l'aider à tromper fa nièce. Elle y confentit, & lui ayant donné quinze mille écus de l'argent de là nièce, Mr. Tiquet en fit faire un bouquet de diamans qu'il donna à cette fille le jour de fa fête. Elle penfa qu'un homme, qui avoit le moyen de faire de tels préfens, devoit être riche comme un Créfas, Se elle confentit à l'époufer. Quand elle fut fa femme, & qu'elle s'apperçut qu'il l'avoit trompée, elle prit une grande haine pour lui ; & pour fe diffiper, elle réfolut de voir grande compagnie. Parmi ceux qui venoient lui rendre viiite, il y avoit un Cavalier fort aimable, dont
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XXVII. DIALOGUE.
dont elle devint amoureufe. Alors èlle maudît le moment où elle s'étoit mariée, & fouhaitok tous les jours la mort à ion mari, pour époufer fon amant. La première fois qu'elle eût cette penféé, de lui iouhaiter la mort, elle en eut horreur, car elle n'e'toit pas encore tout-àfait méchante ; mais comme elle penfoit, qu'elle ne l'eroit jamais heureufe avec un homme qu'elle n'aimoit pas, & qu'elle nourriffoit avec plaifir l'ide'e d'e'poufer ion ornant, fon cœur acheva de fe gâter & elle s'abandonna toute entière au defir de le voir mort. Quand elle fe fut familiarife'e avec cette penfe'e qu'elle écoutoit fans fcrupule, elle penfa, que fon mari fe portoit très-bien, & que peut-être il vivroit plus long-tems qu'elle: petit-à-petit, il lui vint dans la penfe'e, qu'elle pouvoit le faire tuer. Vous fentez bien, mes enfans, qu'il lui fallut bien du tems, pour s'accoutumer à cette abominable penfe'e; mais enfin, elle en vint à bout. Elle donna de l'argent à un homme, pour tuer fon mari: & on lui tira un coup de piftolet; mais il ne fut que blefle. Comme on iàvoit, que fa femme ne l'aimoit pas, tout le monde crut, quec'e'toit elle qui avoit fait faire ce mauvais coup ; & fes amis lui confeillèrent, de s'enf u i r , puisqu'on lui en laiiloit le tems; mais elle ne voulut jamais le faire, dans la crainte que fon mari ne prit fon bien pendant fon abfence. Elle fut donc arrêtée, & ayant été convaincue de fon crime, elle eût la tête tranchée. Vous
XXVII.
DIALOGUE.
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Vous voyez, mes enfans, dans quelles extrémités les pallions peuvent nous porter! il iàut que cela nous engage à les combattre fans celle, & à ne leur rien céder.
Lady Senfce.
"David e'toit bien maître de Tes paillons, ma Bonne, puisqu'il ne voulut pas qu'on lit mourir un homme, qui l'avoit il cruellement offenfe', & qu'il ne punit pas Joab qui avoit tué Abfalon contre fa de'fenle.
Madem.
Bonne.
ces deux occafions, ma chère. Il iàvoit, qu'en qualité,de Roi il étoit obligé en confcience de punir les coupables; mais comme c'étoit lui qui étoit offenie, il ne vouloit pas fe venger. Il laifla donc le foin à fon fils Salomon, de punir ces deux coupables après fa mort, comme nous le verrons; mais ce ne fut pas par efprit de vengeance, c'étoit par amour de la juftice.
Lady
Mary.
M a Bonne, David avoit ceiTé de pleurer le fils, qu'il avoit eu de Bethfabe'e, au moment qu'il fut mort, parce qu'il difoit, que fes pleurs ne pouvoient pas le reiiufciter ; d'où vient donc qu'il pleura fon fils Abfalon après fa mort?
Madem. Bonne.
Il y avoit bien de la différence, ma chère. Le fils de Bethfabée étoit mort tout jeune, & avant d'avoir eu le tems de commettre des crimes;
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XXVII.
DIALOGUE.
mes; David favoit donc qu'il reverroit ce fils, & qu'il feroit un jour heureux avec lui dans le fein de Dieu ; cette pehfe'e étoic bien capable de le confoler; mais il n'avoit pas la même efpérance potir Abfalon. Ce fils étoit mort dans ion crime, il favoit qu'il étoit perdu pour jamais, & c'étoit pour lui un grand fujet d'afflidion. Pour moi, mes enfans, je me confole aifément, quand un de mes amis, qui a été un bon Chrétien, meurt; je me dis qu'il eft plus, heureux que moi mais je fuis inconfolable, quand il meurt làns avoir bien vécu, parce que je crains que nous ne foyïons féparés pour jamais.
Lady
Mary.
A h ! ma Bonne, je croyois que vous vous moquiez de nous, quand vous diiîez quil feroit nuit à quatre heures ; & cependant je m'apperçois que vous nous avez dit la vérité. Pourquoi la nuit vient-elle de ii bonne heure ? Qu'eftcequi vous avoit averti que cela devoir arriver?
Madem. Bonne.
Cette obfcurité eft Caufée par une éclipfe de Soleil: & les Aftronomes nous avoient avertis, que cette éclipfe arriveroit aujourd'hui à quatre heures.
Lady Tempête.
Je ne fuis pas plus favante que je n'étois auparavant, ma Bonne, ni ces Dames non plus que m o i , à ce que je crois. J e ne fais pas ce que c'eft, qu'une éclipfe & des Aftronomes. Madem.
XXVII. D I A L O G U E .
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Madem. Bonne. Lad y Scnfée va vous l'apprendre, ma chère. Dites à ces D a m e s , je vous prie, ce que c'eit qu'une e'clipfe.
Lady
Spirituelle.
Je le fais bien auifi, ma Bonne, fi vous voulez , je le dirai.
Madem. Bonne. N o n , ma chère; mais je voudrois bien que vous appriflïez à vaincre votre vanité', cela eft plus important que de connoitre ce que c'eft qu'une e'clipfe. Vous auriez été' bien fâchée de vous taire dans cette occafion ; & vous avez iàifi avec avidité l'occafion de montrer votre fcience, fans penfer, qu'en même-tems, vous faifiez voir votre amour-propre. Si Lady SeuJ'ée avoit autant de vanité que vous, elle iéroit très fâchée, & ne vous pardonneroit pas votre empreifement à briller à fes dépens. Voilà ce qui fait haïr les femmes qui ont un peu plus étudié que les autres. Elles ne veulent laifièr le tems à perfonne de parler; elles veulent briller toutes feules & fe rendant infupportables par là. Lady Senfée, qui en fait plus à préfent que vous n'en iàurez dans dix ans, elt bien plus prudente, elle ne parle jamais des chofes que les autres ignorent, & à moins qu'on ne l'interroge, elle garde le filence, comme il convient à une fille de fon âge. Eh bien! Lady Spirituelle, vous voilà bien mortifiée & bien en colère contre moi ; cepenTotne IF. G dant
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XXVII.
DIALOGUE.
dant je viens de vous rendre un plus grand fervice, que fi je vous avois laiiîe e'taler votre fcience, & vous euffe donné bien des louanges. Venez m'embraffer, pour me remercier; mais que ce foit de bon cœur au moins. . . .
Lady
Spirituelle.
Oh! ma Bonne, je ne fuis pas fàche'e contre vous, mais contre moi ; j'ai beau faire ; ma vanité me fait faire des l'ottifes à tout moment.
Madem. Bonne. A la fin vous en viendrez à bout, ma chère ; mais avjec la même amitié que j'ai blâmé votre vanité, je vais louer votre docilité. Profitez de cet exemple, Lady Tempête, vous êtes toute furprife de voir que votre compagne n'efl: pas fâchée contre moi, quoique je l'aie reprife devant tout le monde aflèz rudement.
Lady 'Spirituelle. M^ Bonne, vous pourriez me battre que je ne me fâcherois pas; je fuis fi perfuadée que vous m'aimez de tout votre cœur, que je croirai toujours, que tout ce que vous ferez, fera pour mon bien.
Madem. Bonne. Et vous penferez jufte, ma chère. Je vous aiîure qu'il a fallu me faire violence pour vous mortifier: mais mon amitié pour vous, a été plus forte que ma répugnance à vous donner ce petit chagrin. Revenons à nos éclipfes ; mais aupa-
XXVII. DIALOGUE.
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auparavant, je vais allumer ma bougie, car on ne vciit presque plus.
Lady Senfée.
On dit qu'il y a une e'clipfe, quand la lune fe rencontre entre le foleil & la terre.
Lady
Mary.
Je ne comprens pas cela, Madame.
Lady Senfée.
Je vais vous rapporter une hiftoire qui vous le fera comprendre, Madame. Autrefois on ne fa voit pas quelle e'toit la caufe des éclipfes ; & les anciens croyoient que cela annonçoit quelque grand malheur, ainii ils auroient e'te' bien fâche's d'entreprendre quelque chofe dans letems d'une e'clipfe. I l y a v o i t donc un jour un Capitaine, nomme' PéricÎès, qui e'toit prêt de s'embarquer pour aller faire la guerre. Comme il mettoit le pied dans fon vaiflèau, il vint une éclipfe de Soleil, & fon pilote ne voulut pas partir, parce qu'il croyoit qu'ils périroient infailliblement. PéricIès, qui e'toit favant, n'avoit pas peur, & dit à fon pilote que cela étoit une chofe naturelle, & que la Lune, s'étant mife devant le Soleil, empêchoit de le voir. L e pilote ne comprenant rien à cela, PéricIès qui s'impatientoit, lui jetta fon manteau fur la tête, & lui dit, me vois-tu ? Je n'ai garde de vous voir, répondit le pilote, puisque votre manteau,xjui eft entre vous & mes yeux, m'en empêche, Grand ignorant, reprit PéricIès, voilà la raifon, pour G 2 laquel-
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XXVII.
DIALOGUE.
laquelle tu ne vois pas le Soleil; c'eft que la Lune eft entre tes yeux & le Soleil, comme mon manteau eft: entre moi & tes yeux.
Madem.
Bonne.
Entendez-vous celapréfentement Lady Mary ?
Lady
Mary.
Non, ma Bonne, car je ne conçois pas comment la lune peut Te trouver devant le Soleil, & comment on peut deviner tout juite, le moment où elle s'y trouvera.
Madem.
Bonne.
Le Soleil e'tant plus haut que la Lune, & la Lune marchant, il n'eft pas extraordinaire qu ils fe rencontrent. Or on fait précifément le chemin que fait la Lune, & l'on fait encore qu'elle ne fe de'rangera jamais de fon chemin ordinaire; ainfi on peut prédire toutes les éclipfes qui arriveront, & les gens, qui e'tudient la fcience J'avoue que c'eil un défaut d'aimer la leâure avec cet excès, mais ma chère, c'en eft un bien plus grand, de ne point du tout aimer la le&ure. C'eft le défaut des fottes ; & fi j'avois ce défaut, je me hâterois de m'en corriger, & je le cacherois bien foigneufement, de crainte qu'on ne me prit pour une ftupide.
Lady Tempête.
Mais à quoi cela eft-il bon d'aimer la leâure?
Madem. Bonne.
A mille chofes, ma chère. On s'inftruit en lifant, on fe corrige, on s'amufe, & comme le dit Lady Spirituelle, une perfonne qui aime la leflure, ne s'ennuyeroit pas dans un défert, une prifon même. D'ailleurs le tems qu'on donne à la leâure, eft bien mieux employé, que celui qu'on perd au jeu, & a courir les fpeâa-^ des. I 3
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XXIX.
DIALOGUE-
cles. Adieu, mes enfans, le tems de notre le-, çon eft paiTé.
~~XXIX. D I A L O G U E . Vingt & feptième Journe'e.
Madem.
Bonne.
Qn]avez-vous, Lady Charlotte, vous avez les yeux rouges ; eft-ce que vous avez pleuré ?
Lady
Charlotte.
Je ne mérite pas d'être dans la compagnie de ces Dames, ma Bo/ine: j'ai été méchante comme un démon, depuis que je ne vous ai vue.
Ivladem.
Bonne.
Cela eft bien mal, ma chère; mais vous reconnoiiTez votre faute, & vous en êtes fâchée; c'eit déjà quelque chofe : il ne s'agit plus que de réparer. Commencez d'abord par l'avouer devant ces Dames.
Lady
Charlotte.
Je n'oferois jamais, ma Bonne, cela eft trop horrible, & ces Dames ne pourroient plus me fouffrir.
Madem.
Bonne.
Elles n'auroient guères de charité, il elles penfoient ainfi, ma chère. Elles lavent que nous fommes toutes capables, de commettre les plus grandes fautes. Si nous ne les faifons pas, c'eft par une pure miféricorde de D i e u ; & celle,
XXIX.
DIALOGUE.
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qui feroit aiTez orgueilleufe pour méprifer un pechéur qui fe repenc, feroit elle-même bien criminelle devant le Seigneur. Mais, ma chère, quand même il feroit vrai, que ces Dames vous mépriféroient à caufe de votre faute, il faudrait conlentir à cette humiliation. Vous n'avez pas craint de vous rendre méprifàble aux yeux de Dieu en péchant, & vous craignez d'être méprifée des créatures; cela n'eit pas raii'onnable. J e gage que c'eil votre orgueil qui a caufé votre faute ; il faut le punir en L'avouant.
Lady Charlotte.
Vous avez raifon, ma Bonne, M o n orgueil fait, que je regarde les domeiliques comme mes efclaves, & cela fait que je me mets en colère, quand ils me contredifent. H i e r , après avoir beaucoup mange', je m'amufois à rompre mon pain par morceaux, & à le jetter contre terre; ma Gouvernante a dit à ma fervante, de m'ôter ce pain, & m o i , j'ai dit que j'avois encore f a i m , & que je le voulois manger. J e mentois, ma Bonne, je n'avois plus f a i m , c'étoit par efprit de contradiction. M a Gôuvernante r qui voyoit bien cela, a commandé à cette fille une fécondé fois, de m'ôter mon pain, & comme elle a obéi, je lui ai donné un foufflet, j'ai frappé des pieds, j'ai voulu l'égratigner.
Madem. Bonne.
Vous aviez raifon d'être honteufe, ma chèI 4 re,
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DIALOGUL
te, cela eft bien horrible; mais je ne veux pas vous faire de reproches, car je vois que vous vous en faites à vous-même. Avant que de vous dire ce que vous devez faire, pour réparer cette faute, je vais vous raconter une hiftoire. Il y avoit dans la Ville d'Athènes une jeune Dernoifelle, nommée Elife, qui e'toit à-peuprès de votre humeur. Elle avoit un grand nombre d'efclaves, qu'elle rendoit les plus malheureufes perfonnes du monde ; elle les battoit, leur difoit des injures, & quand des perfonnes de bon fens lui difoient, qu'elle avoit tort d'agir ainii, elle répondit : ces créatures font faites pour fouffrir mes humeurs, c'eft pour cela que je les ai achetées, que je les nourrir, que je les habille; elles font encore trop heureufes de trouver du pain auprès de moi. Cette méchante fille avoit fur tout une femme de chambre qu'on nommoit Mira, qui étoit fon fouffre-douleur; cependant c'e'toit la meilleure créature du monde & malgré les mauvaifes façons de la maîtreflè, elle lui étoit fort attachée, elle excufoit fes défauts tant qu'elle pouvoit, & elle eût donné tout fon fang pour la rendre plus raifonnable. Elife eût un voyage à faire par m e r , & comme c'étoit pour une affaire p r ê t fée, & qu'elle ne devoit pas être long-tems, elle ne prit avec elle que fa femme de chambre. A psine fut-elle en pleine mer, qu'il s'éleva une grande tempête, qui éloigna le vaifleau
XXIX.
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de fa route. Après qu'il eut couru la mer pendant pluiïeurs jours, ceux qui cci\diiifoicnt le vaiiTeau, apperçurent une Isle ; comme ils ne favoient, où ils étoient, & qu'ils n'avoient plus de vivres, il fallut y aborder. En entrant dans le port, une chaloupe vint au devant d'eux, Se ceux, qui étoient dans cette chaloupe, demandèrent à tous ceux du vaiilèau, quels etoient leurs noms & leurs qualités? L'orgueilleufe Elijè fit écrire les titres de fa famille, & il" y en avoit plus d'une page. Elle croyoit que cela oHigeroit ces gens-là, à la refpeéler. Elle fut donc fort iurprile, lorsqu'ils lui tournèrent le dos, fans lui faire politeiiè ; mais elle le fut bien d'avantage, quand fon efclave eût déclaré fon nom & fa qualité,, car ces gens lui rendirent toutes fortes de refped, & lui dirent, qu'elle pouvoit commander dans le vaiffeau où elle étoit la maîtrelîe. Ce difeours impatienta EHJe, qui dit à fon efclave: je vous trouve bien impertinente, d'écouter les difeours de ces genslà. Tout beau, Madame, lui dit le maître de la chaloupe: vous n'êtes pas a. Athènes. Apprenez que trois-cent efclaves, au déièfpoir des mauvais traitements de leurs maîtres, fe fauvèrent dans cette Isle, il y a trois cens ans ; ils y ont fondé une République, où tous les hommes font égaux; mais ils ont établi une loi, à laquelle il faut vous foumettre de g r é , ou de force. Pour faire fentir aux maîtres, combiI î en
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en ils ont eu tort d'abufer du pouvoir qu'ils avoient fur leurs domeiliques, ils les ont condamnes à être efclaves à leur tour. Ceux, qui obeiilènt de bonne grâce, peuvent efpèrer qu'on leur rendra la liberté; mais ceux, qui réfufent de fe foumettre à nos loix, font efclaves pour toute leur vie. On vous donne toute cette journée pour vous plaindre, & voas accoutumer à votre mauvais f o r t ; mais il demain vous faites le plus petit murmure, vous êtes eiclave à jamais, ¿ . ^ - p r o f i t a de la permiifion, & vomit mille injures contre cette Isle & les, habitans; mais Mira, profitant d'un moment, où perfonne ne la v o y o i t , fe jetta aux pieds de fa maîtreiïe, & lui dit: confolez-vous, Madame, je n'abuierai pas de votre malheur, & je vous reipecterai toujours comme ma maîtreiïe. La pauvre fille le penfoit, comme elle le difoit: mais elle ne connoiiloit pas les loix du pays. L e lendemain, on la fit venir devant les Magiftrats avec fa maîtrefiè, qui étoit devenue fon eiclave, Mira, lui dit le premier Magiftrat, il faut vous inftruire de nos coutumes : mais fouvenez-vous bien, que fi vous y manquiez, il en coûteroit la vie à votre eiclave Elijc. Rappellez-vous bien fidèlement la conduite qu elle a eue avec vous dans dthcr.es; il faut pendant huit jours que vous la traitiez comme elle vous a traitée. Il faut le jurer tout à l'heure Au bout de huit jours, vous ferez la maîtreiïe de la traiter, comme
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me il vous plaira. E t vous, Elife, fouvenezvous que la moindre de'fobciflance vous rtndroit efclave pour le relie de vos jours. A ces paroles, Mira, & Elife fe mirent à pleurer. Mira même fe jetta aux pieds du Maguirat, & le conjura de la difpenfer de faire ce ferment; car, ajouta-t'elle ; je mourrai de douleur, s'il faut que je le garde. Levez-vous, Madame, dit le Magiftrat à Mira, cette créature vous traitoit donc d'une manière tien terrible, puisque vous frémiffez de l'imiter. Je voudrois que la loi permit de vous accorder ce que vous me demandez, mais cela n'eft pas poffible. T o u t ce que je puis faire en votre faveur, c'eft d'abréger l'épreuve, & delà réduire à quatre jours; mais ne me répliquez pas: car fi vous dites un mot, vous ferez les huit jours entiers. Mira fit donc ce ferment, & on annonça à Elife que fon ièrvice commençeroit le lendemain. On envoya chez Mira deux femmes, qui devoient e'crire toutes fes paroles & fes aétions pendant' ces quatre jours. Elije, voyant que c etoit une ne'celiité, prit fon parti en fille d'efprit; car malgré fa hauteur, elle en avoit beaucoup. EHe réfolut' donc d'être fi exaûe à fervir Mira, qu'elle n'auroitpoint occafion de la maltraiter; elle ne fe fouvenoit pas que cette fille dévoie copier fes caprices & fes mauvaifes humeurs. L e matin du jour fuivant, Mira fonna, & Elife manqua de fe cailèr le cou pour courir à fon lit,
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l i t , mais cela ne lui fervit de rien; Mira lui dit d'un ton aigre, à quoi s'occupoit cette falope? elle ne vient jamais qu'un quart-d'heure aprcs que j'ai fonné. J e vous a i f u r e M a d a me, que )'ai tout quitte, quand je vous ai entendue: Taifoz-vous, lui dit Mira, vous êtes une impertinente raifonneufe, qui ne fait que répondre mal-à-propos: donnez-moi ma robe, que je me lève. Elife en loupirant, fut chercher la robe, que Mira avoit mife la veille, & la lui apporta; mais, Mira la lui jettant dans le viiàge, lui dit, que cette fille effc bête, il faut lui dire tout: ne devez-vous pas lavoir, que je veux mettre aujourd'hui ma robe bleue? Elife ioupira encore, mais il n'y avoit pas le petit mot à dire ; elle fe fouvenoit fort bien, qu'il eut fallu dans Athènes, que la pauvre Mira eut devine' fes caprices pour s'empêcher d'être grondée. Quand fa maîtreflè fut habille'e, & qu'elle lui eut ièrvi fon déjeuner, elle defeendit pour déjeuner à fon t o u r ; mais à peine futelle aifife que la cloche fonna, cela arriva plus de dix fois dans une heure, & c'étoit pour des bagatelles que Mira la faifoit monter. T a n t ô t elle avoit oublie' fon mouchoir dans une autre chambre, une-autre fois c'étoit pour ouvrir la porte à ion chien, & toujours pour des chofes de pareille conféquence. Il falloit pourtant defeendre & monter deux grands efcaliers, enforte que la pauvre Elife ne pouvoit plus fe foutenir,
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tenir, tant elle e'toit lailè & difoit en elle-même ; 'hélas ! la pauvre Mira a bien eu à f'ouffrir avec moi \ car il lui falloir recommencer ce train de vie tous les jours. A deux heures, Madame annonça qu'elle vouloit aller au fpectacle, & qu'il falloit la coëffer Elle dit à Elife', qu'elle vouloit que fes cheveux fufîent accommodés en groiles boucles ; mais enfuite, elle trouva que cela lui rendoit la tête trop groC* f e , elle rit donc défaire cette frifure, pour eii faire un autre ; & jusqu'à ixx heures, qu'elle fort i t , Elije fut contrainte de refter debout, encore eut-elle à eiluyer mille brusqueries ; elle étoit une bête, une mal adroite, qui ne gagnoit pas l'argent qu'elle depenfoit. Mira revint du fpeâacle à deux heures de nuit, parce qu'elle avoit foupé en Ville, & elle revint de fort mauvaiiè humeur, à caufe qu'elle avoit perdu fon argent au jeu; elle s'en vengea en cherchant querelle à ià femme de chambre, & comme celle-ci, en la décoëffant, lui tira les cheveux par accident, elle lui donna un foufilet. La patience manqua d'échaper à Elife ; mais elle fe fou vint qu'elle en avoit donné plus de dix k Mira, & ce fouvenir l'engagea à le taire. Je veux fortir demain à dix heures, & mettre ma coëffure à dentelle, dit Mira à Elife. Elle n'eft pas blanche, dit la femme de chambre, & vous lavez qu'il me faut cinq heures pour la blanchir. M a d a m e , dirent les deux femmes de l'Isle, à
Mira,
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Mira, penfez d o n c , que cette pauvre fille a befoin de dormir. Elle fera bien malade, quand elle pailéra une n u i t , répondit Mira; elle eit faite pour cela. Hélas! dit EliÇe en elle-même, je lui ai fait pailer la nuit pour mes fantaifies, plus de vingt fois. Mira, pendant les quatre jours, répéra-fi bien toutes les fottifés de fa maîtrelfe,