Magazin des enfans, ou dialogues entre une sage gouvernante et plusieurs de ses élèves: Tom 1/2 [Reprint 2021 ed.] 9783112510988, 9783112510971


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Magazin des enfans, ou dialogues entre une sage gouvernante et plusieurs de ses élèves: Tom 1/2 [Reprint 2021 ed.]
 9783112510988, 9783112510971

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Nano adeo Jcrid est-, ut non mila* cere posfìt flor. Si modo culturar pai-ieftfenv probeatMtrtm.

MAGAZIN DES

E N F A. N S, ou

DIALOGUES ENTRE

une fage G O U V E R N A N T E ET

plufieurs de fes É L È V E S de la premiere D I S T I N C T I O N , Dans lesquels on fait penfer, parler, agir les jeunes Gens fuivant le génie, le tempérament, & les inclinations d'un chacun. On y repréiènte les défauts de leur âge, & l'on y montre de quelle manière on peut les en corriger; on s'applique autant à leur former le cœur, qu'à leur éclairer l'efprit. On y donne un Abrégé de VHiftoire Sacrée, de la Fable, de la Géographie, &c. le tout rempli de Réflexions utiles, & de Contes moraux pour les amuièr agréablement; & écrit d'un itile fimple Se proportionné à la tendrefle de leurs années, PAR

Mad. LE P R I N C E DE B E A U M O N T . Ornés de figures en taille douce. TOME

CHEZ

PREMIER.

B E R L I N . ARNOLD WEYER,

MPCCLXXXI/.

AVERTISSEMENT\ Lorsque je me fuis déterminée à donner ce Magasin au Public, je ne me fuis point dijjîmulée les difficultés de mon entreprife. Cet ouvrage eft tel parfa nature, me difois-je à moi-même, qu'il doit déplaire nécëjfairement à toutes les perfonnes formées, s?il eß ce que f ai prétendu le faire. Les difficultés que j'avois prévues, ont augmenté dans L'exécution, & plus de vingt fois, je me fuis vue fur le point de tout abandonner, par le désefpoir de rèuffîr. Je me faifois par avance, toutes les objections que me fer oit le Public, & j'en étois d'autant plus effrayée, que malgré leurfolidité apparente, je me trouvois dans la néceffité de n'y avoir point d'égard. J'achevai enfin, l'Eté a a paß,

IV

AVERTISSEMENT.

p a j f é , de remplir la pénible tâche que je m'étois impofée, & pleine de défiance du fuccès, je communiquai mon manufcrit à un grand nombre de personnes. Quelle fut ma JiirpriJeî Plujieurs d'entre-elles, dont le goût éprouvé peut fervir de réglé, m'avouèrent qu'il les dvoit amufées a j j è f a pour n'avoir pu le quitter avant de l'avoir achevé. Ce fuccès inejvéré me découragea abfolument. J'ai voulu travailler pour les enfans, me difoisje: j'ai manqué mon but, puisque les perfonnes faites s'amufent de mon ouvrage. Cette crainte me fit fufpendre l'imprejjion ; il me falloit d'autres juges, & je les ai cherchés parmi mes écoliéres de tous les âges. Elles ont toutes lu mon manufcrit. L'enfant de fix ans s'en ejl divertie, aujjîbien que celle de dix & de quinie. Plujieurs d'entre-elles, à qui je désefpérois de fairç naître le goût pour l'étude, en ont écouté la lecture avec une avidité, qui ne me l a i f f e rien à fouhaiter, & qui me répond dufuccès. Je me fuis convaincue abfolument, par cette expérience, d'une chofe que je foupçormois. Le dégoût d'un grand

AVERTISSEMENT..

V

grand nombre des enfans pour la lecture, vient de la nature des livres qu'on leur met entre les mains, ils ne les comprennent pas, & de là nait inévitablement l'ennui. Je n'excepte aucun ouvrage, quand je porte cette décijlon. Les miens, comme les autres, font fujets à cet inconvénient, & je fuis contrainte de les refondre, quandje veux les faire comprendre, nonJeulement aux enfans du premier âge, mais même à ceux qui fer oient capables de les comprendre parfaitement, s'ils étaient écrits en Anglois. Une fille de quinze ans, qui commence à apprendre le. François, a befoin d'un Jlile aujjî Jîmple, qu'une autre de cinq ans, qui lit dans fa langue maternelle. Qu'on juge par-là de l'ennui que doivent donner aux pauvres enfans, la lecture & la traduction de Télémaque & de Gil-blas, aux-quels

on

borne d'ordinaire toutes leurs lectures dans les écoles. Ces livres, qui font des chefd'œuvres en leur genre, font pour eux, ¿-peu-près comme du Grec; aufji ai-je trouvé en Angleterre plujîeurs perfonnes qui ne pouvoient goûter ces ouvrages, a 3 parce

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AVERTISSEMENT.

parce qu'il leur étoit rejlé une imprefjion fâcheufe, de l'ennui qu'elles avoient éprouvé en les traduifant. On me dira, nous avons douqe volumes de contes des Fées, nos enfans peuvent les lire: à cela je réponds; outre que ces contes ont fouvent des difficultés dans le fiile, ils font toujours pernicieux pour les enfans, aux-quels ils ne font propres qu'à injpirer des idées dangereufes & f a u f f è s . Comme j'avais réfolu de m'approprier tout ce que je trouverais à mon ufage, dans les ouvrages des autres y j'ai relu avec attention ces contes: je tien ai pas lu un feul que je p u f f e raccommoderfélon mes vues; & j'avoue que j'ai trouvé les contes de la mere l'Oye, quelques puériles qitils foietit,plus utiles aux enfans, que ceux qu'on a écrits dans un Jlileplus relevé. Je trouve moyen de faire comprendre aux enfans, lorsqu'ils lifent la Barbe bleue, les inconvéniens d'un mariage fait par intérêt; les dangers de la curio/ité, les malheurs qui peuvent arriver du peu de complaifance, qu'on a pour les caprices d'un époux; l'inutilité du menfonge, pour éviter le châtiment. En

AVERTISSEMENT.

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En pourrois-je trouver autant dans les dou^e volumes que j'ai cités? Le peu de morale qu'on y a fait entrer, ejl noyé fous un merveilleux ridicule, parce qu'il n'ejl pas joint néceffairement à la fin qu'on doit offrir aux enfans ; l'acquijition des vertus, la correction des vices. Cette réflexion me conduit naturellement au but, que fe doiventpropofer les perfonnes, qui Je confacrent à l'éducation des enfans. Je l'ai déjà dit dans mon traité d'éducation ; mais je le repeter ois encore mille fois, que je ne croirois pas l'avoir a f f e f dit.

Former les mœurs, ti-

rer parti de l'efprit, l'orner, lui donner une tournure géométrique, régler

l'extérieur. Tout ce qu'on dife aux enfans, tout ce qu'on écrit pour eux, tout ce qui s'offre a leurs yeux, doit tendre à cette fin, ou y être amené adroitement par un habile maître. Simon ouvrage ejl conforme à ces vues; s'il les remplit, mon ouvrage ejl f u f f i f a n t pour donner une bonne éducation : entrons dans le détail. Tout le monde convient, que la correction des mœurs ejl le principalpoint de l'éducation. a 4 On

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AVERTISSEMENT.

On répété continuellement aux enfans; rien n'ejl plus vilain que de mentir, de Je mettre en colcre, d'être gourmand, défobéijfcint. Qui ne croiroit que ces vices font très rares dansée Monde, eu égard aux foins qu'on fè donne pour en éloigner les enfans? Ils devroient les avoir en horreur, & ils les auroient effectivement, fi, ail-lieu de faire entrer les maximes, qu'on leur a débitées à ce fiijet dans leur mémoire, on les avoit fait pénétrer jusqu'à leur raifon. Toutes nos fautes viennent de deux fources, ou de la fauffeté de nos idées, ou du défaut de conviction, & ces deux fources de nos malheurs, ont leur origine dans notre éducation. Les termes me manquent pour exprimer ce que je fens, & ce que l'expérience me découvre tous les jours. Qu'on me permette donc, de me faire entendre comme je pourrai, & qii on exeufe mes fautes. je difois l'autre jour, à une Dame de fei^e ans, qu'on pourroit la comparer à une jeune mariée, qui en entrant dans la mai/on de fon mari, qui efi la fienne, établirait fon domicile auprès d'une fenêtre, pour

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pour ne rien perdre de ce qui f e paffèroit dans la rue. Si on demàndoit à cette Dame aut bout de deux ans, de quelle couleur font vos meubles y injlruifèz-nous des fujets des tableaux qui font dans votre mai/on; comment en a-t'on diflribué les appartemens? & qu'elle me répondît: je ne fais pas un mot de toutes ces chofes ; mais en récompenfe, je puis vous détailler tous les carojfès qui paffent tous les jours dans ce quartier, le nombre des domcfiiques qui fuivent les chaifes, les habits de celles qui les rempUJJènt. Cette Dameferoit une extravagante, me répondit mon écoliere, & nous fommes toutes des extravagantes, ajoutai je. Notre-ame p q f f è f a vie à la fenêtre, c'ejl-à-dire, qu'elle ne s'occupe que des ckofes quifrappent fes fens, & quelle ignore abfolument ce qui ejl audedans d'elle-mêmey dans fa propre maifon. D'où vient cela? d'une mauvaije habitude, prife dans la jeunejjè. On s?occupe à attirer l'ame des enfans aux fenêtres; on en fait des êtres parlons, écoutons, regardons; & on ne réfléchit pas, quiil faudroit en faire des êtres penjans. C e a S

X

AVERTISSEMENT.

Ce défaut (flfur-tout, ctîui des perfonnes dufixe, & Un'ejlpaspojjîble d'imaginer ce qu'il m'en coûte pour l'extirper. Que dejlratagêmes pour exciter la curiofité de fe connoître foi-meme ! combien de foins pour piquer la vanité, en expofant aux jeunes perfonnes, la profondeur, la honte de leur ignorance, de leurs préjugés, de leurs fottifes: f en àivu fouvent pleurer de dépit, erife voyant peintes au naturel. C'étoit quelque chofè, mais ce n'étoit pas tout ; ilfalloit après cela, extirper la pa~ r e j j è , qui fous l'habit de la modejiie, du découragement, travailloit à leur perfiiader qu'elles manquaient du génie néceffaire pour réfléchir, ou que cet exercice étoit trop pénible. Ilfalloit lutter contre la diffipation perpetuelle, à laquelle on livre les jeunes perfonnes à Londres, où une fille de dix ans s?excufè gravement, fur fes grandes occupations, de ne pouvoir remplir latâche dont elle s1étoit chargée. Malgré tous ces objlacles, je commence à recueillir le fruit de mon travail; je ne dis rien à mes écoliéres fans les afjiijettir à me prouver s'il ejl vrai, ou faux par des raifons

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raifons fans réplique; mes écolier es commencent à connaître, fans un grand travail, une contradiction dans un principe fpécieufement étalé; & par cette contradiction , elles mettent en poudre les confequences ; elles m'écrivent leurs jugemens fur ce qu?elles lifent, me difputent une vérité jusqu'à ce que je la leur aie prouvée> & ne fè rendent qu'à l'évidence. Celles que j'ai commencées, déjà formées, font des progrès très-lents dans cette jcience ,* mais j'en ai quelques-unes depuis leur première enfance, & celles-là font frappées d'une contradiction, comme l'oreille d'un bon Muficien efl frappée d'une diffonartce ; d'où vient cela? de Joins que j'ai pris de leur former un efprit géométrique ; & ce quefaifait, tout le monde peut le faire. Dès trois ans, ilfaut nourrir l'efprit des enfans du vrai, le leur faire digérer ; travailler, non à vous foumettre leur efprit, à fubjuguer leurs lumieres pour leur faire adopter les vôtres ; mais à les foumettre à l'empire de la raifon. Il faut les convaincre incontejlablement, de la nécefjïté de pratiquer ce que vous exigej & vous les

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AVERTISSEMENT.

les verreç f e livrer de bon cœur à tout ce que la raifort, & non votre caprice leur ordonne. Nous avons pour cela deux moyens y la religion & la raifon: il rit faut jamais fêparer ces deux chofes, & je me jlate de les avoir unies dans le Magasin des Enfans: car fans cela, je croirois avoir manqué mon but. En faifant réciter aux enfans l'hifloirede la St. Ecriture; j'ai eu foin de donner à leur rai/on, des preuves à leur portée, de la divinité de cette Ecriture. J'ai tâché enfuit e, de leur faire trouver dans cette Ecriture, des motifs capables d'exciter leur obéiffance. Un Dieu bienfaiteur, ami de la vertu, vengeur du crime, tout-puijfant pour récompenfer l'une, & punir l'autre; voilà ce que leurs réflexions & celles de la gouvernante, mettent à tous momens fous leurs yeux. Je n'ai rien oublié, pour leur montrer la conformité des maximes de ce livre divin, avec leurs lumières naturelles, & j'ai fini par les convaincre, qu'indépendamment d'une autre vie, d'un bonheur, ou d'un châtiment futur, leur bien-être en cette vie, dépend de leur docilité à fuivre

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vre ces maximes. En changeant de difcours,je n'ai point changé d'objet. Mes contes tendent au même but, tout y ramene les enfans, & f ai lieu d'efpérer qu'à force de répéter les mêmes vérités, fous des formes diverfès, elles s'inculqueront che£ elles d'une manière ineffaçable. Si je r é i l f j i s , je n'ai plus rien a defirer pour l'éducation; un enfant religieux par raifon, ejl capable de tout: les vices, les penchans corrompus, ne m'effraient plus, & je dis en paraphrafànt les paroles du Roi prophète, en me donnant un efprit

clair-voyant, vous leur avez donné le mord & la bride pour les empêcher de mordre & de ruer contre moi.

Il me rejle à répondre à quelques objections, qu'on me fera fans doute. Pourquoi aveç-vous retranché quelques hifloires de la fainte Ecriture? A cela je réponds, j'en ai retranché quelques-unes, par re/pecl pour l'innocence des enfans, je n'avois garde de chercher à exciter leur curiojïté, fur une matière, où je regarde l'ignorance comme une béatitude & la forterejjè de l'innocence. Je fais qu'ils

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font à portée de les lire tous les jours dans la Bible, & je ne voudrois pas même les leur faire pajfer, crainte de faire naître cheveux cette curiofité que je crains ; mais je m'efforcerais de la mettre en défaut, par une explication naturelle, qui leur donner oit le change fans faire naître leurs Joupçons. Ce n'efl point ici un ouvrage dogmatique, dans lequel il n'efl pas permis d'omettre un feul mot. C'efl à titre d'amufement que je préfente cette hifloire aux enfans. Il ne faut pas qu'ils foupçonnent que je veux les inflruire ; ce motif m'a autorifée à retrancher tout ce qui pourtoit les ennuïr. N'ai-je pas le même privilège pour, les chofes que je regarde comme dangereufespour les mœurs ? Quelles réflexions mes écoliéres euffentelïes faites, fur cet endroit de l'hifloire Sainte, où Jacob, fans réfpecl pour la vérité, trompe fon père, fous l'habit & le nom cfEfaii? Elles en auroient conclu, qu'un honnête homme peut mentir en quelques occafions, & qu'on exagère à leur égard l'horreur du menfonge, pour leur en donner de l'éloignement. Je ne cite que

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que cet exemple. Il en efl plujîeurs autres que je ne puis me permettre de citer par la rai/on qui m'a engagée à les omettre; c'ejl qu'il ejl dangereux d'exciter trop la euriojité. D'autres trouveront que j'ai eu tort de parler aux enfans, de chofes qu'ils fuppoferont au-dejjus de leur portée: de chofes qu'ils prétendent que les femmes mêmes doivent toujours ignorer. Qu'ont-elles beJoin, me diront-ils, de connoitre la différence de leurs ames, d'avec celles des animaux? Elles croient cette vérité & mille autres fur la foi etautrui: elles nefont pas faites pour en favoir davantage. On diroit que vous prétende% en faire des Logiciennes, des Philofophes: & vous en ferie^ volontiers des automates, leur répondrai-je. Oui, Mejfrs. les tirans, j'ai dejfein de les tirer de cette ignorance c r a j f e , à laquelle vous les aveq condamnées. Certainement, j'ai dejfein d'en faire des logiciennes, des géomètres & même des phUoJophes. Je veux leur apprendre à penfèr jujle, pour parvenir à bien vivre. Sije n'avois pas l'efpoir de parvenir à cette fin, je renoncerois dès b et

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ce moment à écrire, à enfeigner, II ejl af /èf de perjonnes capables de faire entrer dans la mémoire des enfans, quelques milliers de mots qu'ils ignorent: les régies du langage & plufieurs autres coruiojjjances> à-peu près aujji importantes, je ne régarde l'étude de la langue françoife, par rapport à mes ècoliéres, que comme un moyen qui m'efl o f f e r t par la providence, pour former leur ejprit & leur cœur. Ces deux parties font les objets de mon travail, ce qui ne m'empêchera pas de donner tous mes Joins à la grande affaire, pour laquelle on me paie ; c'ejl-à-dire à l'étude de la langue françoife. Je me flatte même que mes écoliéres yferont de rapides progrès, ainjî que dans les autres études auxquelles on les ajjîijettit. Je travaille pour le maître de danfe, de mufique &c. les autres enfans apprennent ces chofes avec dégoût, parce qu'on les y oblige. Je prétends que mes élèves, s'y appliquent par principes, parce qu'ellesferont convaincues, qu?il n'y a de vrai bonheur, qu'à bien remplir fon devoir; que le devoir leplusfàcrédesperfonnes de leur âge, ejl l'obéijjhnce à leurs parens

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parens & à leurs maîtres; qu'en leur obéif faut, elles obéijfent à Dieu, dont ils tiennent la place : plus d'actions indifférentes pour des enfans à qui l'on aura le bonheur d'inculquer ce principe, plus d'exercices négligés. Les mêmes Motifs, qui auront produit leur application, leur docilité dans l'enfance, lei affectionneront à leurs devoirs dans un âge plus avancé. La philofpphie facrifiera le dégoût> que produifent che^ £llts les détails domefliques, au devoir qui lui, fait une loi de s'en charger. Parfaitement.convaincue que fon bonheur, & fa gloire en cette vie & en l'autre conJiJlent à remplir les obligations defon état ; die les étudiera fans c e j j e , & les remplira avec la même exactitude, foit qu'elles foient conformes, ou non afes propres penchons & inclinations : & cette heureufe facilité à pratiquer tout ce quelle doit, elle la tirera de l'heur eufe habitude de réfléchir. Voilà quels font les fruits précieux de la méthode que je veux fuivre, & que je propofepour l'éducation ; fejpere que che{ une Nation aufji éclairée que l'Angloife, le peu que je viens de dire, f u f f i t pour réb z pondre

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AVERTISSEMENT.

pondre à l'objection qu'on m'a faite, & pour convaincre les parens de la nécejjité de changer la méthode qu'on a fuivie jusqu'à ce jour dans l'éducation. Ce premier volume du Magasin des enfans, indique1 mes vues; mais ce n'ejl qtfune ébauche de ce que je donnerai par la fuite , Ji cette première partie ejl goûtée, & qrfon m'ençourage affè£ pour continuer. Je l'ai dit dans mes propojitions ; lesfraix de l'imprejjion à Londres, font très-conjidérables, & le nombre des lecteurs très-borné : lorsqiiil ejl quejlion d'un livre fran fois. U ejl donc impojjible de donner rien au Public, à moins qu'un certain nombre de foufer ivans, n'ajffirent à l'Auteur le rem* bourfenient de fes fraix. Si la Cour de Rujjïe ne m'avoit encouragée, ce petit ouvrage, prêt à mettre fous la prefjè depuis un an, n'auroit peut-être jamais été imprimé. Si les parens daignent lire ce premier volume, s'ils le croient afjè£ utile aux enfans, pour en fouhaiter la continuation, ils doivent folliciter leurs amis pour remplir un pareil nombre defouferivans pour l'année prochaine, fans quoi, je ferai réduite

AVERTISSEMENT,

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à tout abandonner ; d'autant plus que je n'ai pas à beaucoup près ici, la rejjource que je trouver ois dans un autre pays ; je m'explique. Trois motifs peuvent encourager un auteur : le defir de f e rendre utile au Public parfes ouvrages ; l'ejpoir du gain s'il ejl pauvre; l'efpoir d'acquérir Fejlime des honnêtes gens, & de s'attirer leurs égards* J'ofe dire que le premier de ce? motifs me f u f f i r o i t ,filafortune m'avoit été plus favorable: mais rfayant d'autre rejjource que mon travail, je fuis bien éloignée de pouvoir avancer les fraix de l'imprejjîon: je l'ai fait pour les Magasins François, & j'ai été cinq ans entiers fans être rembourfée de mes avances ; il ne me refle donc que les deux autres motifs. Il ne tiendroit qu'à moi de me parer ici d'un défintérejfement abfolu ; mais je fuis Jincére; la pro* vidence m*a donné quelques talens pour me dédommager des richefjès qu'elle m'a refufées. Je ne dois point rougir de chercher à en tirer parti, & je ne crois pas me dégrader en le Jaifant, plus que le négociant qui cherche afaire valoirfes fonds dans le b 3 com-

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AVERTISSEMENT.

commerce. On traiteroit d'infenfé celui qui s'expoferoit aux dangers, aux fatigues de cute profeJJìon,fì,fe piquant d'une générojité mal éntenduë ; il publioit qi/il ría jamais eu dcjfein, ou de s'enrichir, ou de Jubfijler. Jeferois dans le même cas, Jt je voulais perjuaderau public, que je n'ai que le premier & le troijîeme motifs: ceux-là véritablement font plus puiffhns fur mon èfprit que l'autre ; & plus ambitieufe qu'interejfeeyje facrijierai toujours l'intérêt à la gloire : mais qu'on me permette de dire ici, que je courrois grand risque d'être la dupe de monfacrif.ee. Mes talens ne font pas de ceux qui conduifent nécejfairement aux marques extérieures de la conjideration en Angleterre. S'il ne sfagijfóit ici que des intérêts de mon amour propre ; je n'appuierois pas fur cet article ; mais il efi quejlion de détruire un préjugé pernicieux à t éducation, & je le combattrai toutes les fois que je trouverai l'occafion dele faire; après avoir répété vingt fois ce que je vais dire; peut-être} fans que lesparens l'aient lu une: il arrivera par hafard, qu'ils me liront la vingt & unième fois. La Nature

AVERTISSEMENT.

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ture a dijlingué avantageufement les Anglois des autres peuples du monde. Ils penfent beaucoup, & ordinairement ils penfent jujle. Que ne pourroit-on pas attendre d'une qualitéji ejlimable, ? ils agijjoient en çonféquence de leurs penfées, de leurs fentimens: mais non ; victimes des préjugés, ils s'y foumettent en dépit de leurs lumieres ; & dans des chofes de la plus grande conféquence, comme dans les petites, ils fuivent le chemin battu, fans pouvoir ji donner à eux-mêmes une bonne raifon de l'inconformité de leurs aclions avec leurs lumieres. Je pourrois en cher mille exemples : j'en choifiraiun feul, avant de parler de celui dont il ejl quejlion ici. Qu'ejl-ce que vos ajfèmblées ? ai-je demandé à vingt Dames différentes ; voici leur réponfe uniforme. Un amas confus deperfonnes,fouvent trop grand,pour être contenu dans les maijons où elles f e raf femblent, quelques va/les qu'elles J"oient. On regarde comme une bonne fortune, de pouvoir trouver une chaife ; mais le plus grand nombre> obligé de rejler debout, ejl pouffe & repoujfé fans c e j f e . Il ejl vrai b 4 qiton

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AVERTISSEMENT.

qu'on peut être un peu plus à l'aife en jouant: aujjî plujieurs perfonnes, qui n'ont point de goût pour le jeu, prennent des cartes; afin de pouvoir être affifes. Beaucoup de bruit, peu ou point de converjation, une chaleur étouffante, une fatigue réelle, lorsqriil faut percer la foule, pour parvenir à un autre bout de l'appartement. Et vous amufe£ vous beaucoup de cette cohuë, ai-je encore, demandé? Non, je vous; ajfûre, m'ont-elles répondu. Jefouffre beaucoup dans cesfortes de lieux ; mais, c'ejl l'ufage, je ne Jiiis pas faite pour le refoftner. J'ai beaucoup entendu parler de certaines Jbciétés, où l'on affortit une douzaine de perfonnes, faites l'une pour l'autre. Je fouhaite qu'elles deviennent à la mode, mais jusqu'à ce qu'elles le foient, je ferai comme les autres ; j'irai avec répugnance, je jouerai fans goût, je perdrai avec dépit même, au moins avec remord. Je fens que cela ejl ridicule> que cela devient criminel à un certain point ; n'importe, le préjugéy l'habitude le demande; je lui obéirai; ce raifonnement révolté fans doute. Une jeune Dame de 15 ans me difait,

AVERTISSEMENT.

XXIII

foit, il y aquelqueljours, me Daim a fait hier les complaintes les plus répétées, fur une perte affè^ confidérable qu'elle avoit faite au jeu, qu'elle n'aime point. Je penfois en moi-même;,, difoit mon écoliere, eh, qui vous forçoitde jouer? j'en dis autant que cette demoifette; qui vous force d'aller à cette affemblée qui vous empêche de fuivre les goûts que la raifort vous, infpi-s re? le préjugé. Je pourrois faire un volume fur cette matière, & prouver démonjlrativement que la plupart des défauts des Anglois ne tiennent point à leur nature, & choquent leur raifon autant que la mienne, mais je mç fuis bornée à parler de celui qui met obfla~ de à la bonne éducation : f y reviens. A quoi doit-on attribuer les, progrès du commerce en Angléterre ? A la dejlru-clion du préjugé, quifait regarder le commerce comme une profeflîon indigne de la nohlejjè, Un négociant fidele & laborieux, peut prétendre à tout ici. Le Duc, le Comte, ne-rougit point de s'allier avec lui, de le traiter qyec diftinclion, de lui montrer des égards. Les motifs les plus puiffàns t>$ .fif

XXIV

AVERTISSÊMENT.

fur l'efprit de l'homme f e réunifient donc pour faire fleurir le commerce, l'intérêt, & l'amour-propre. Il conduit à la fortune & à la confidération. L'Anglois fait plus ; l'Agriculture conduit au même but, lorsqrion f e dijlingue en lafaifantfleurir. Un fermier, qui a fu ¿enrichir par Jôn induJlrie, a rang parmi les gentils-hommes. Le Lord l'admet à fa table, àfon amitié, à fes plaifirs. Si j'étois dijlributrice des marques d'honneur, je ne balancerais pas à accorder une jlatue au premier homme qui a eu le courage de Jélever au-dejjus du préjugé ridicule, qui fait méprifer le commerce & l'agriculture: cet homme a plus fait pour fon pays, que s'il eût gagné dix batailles. Il y a fait fondre des Jources abondantes de richejjès réelles. L'avancement de tous les arts utiles dépend donc des Grands. Une profejfion fera donc plus ou moins fuivie, cultivée, perfectionnée, félon quelle procurera la fortune, & la confidération. Mais remarque£ que cheç les ames nobles, ce fécond intérêt l'emporte de beaucoup fur l'autre,. En vain prodiguerieç-vous les récompen-

AVERTISSEMENT.

XXV

fes à ceux qui penfent bien,Jî vous leur refufe£ les égards: ils vous diroient volontiers; payer-moi la moitié moins, & marquez-moi la moitié plus de confidération. Si cela convient en général à tous les arts libéraux, on peut furtout le dire par rapport à celui qui dirige l'éducation. Une perfonne, capable de la donner à l}arme délicate pleine de refpecl pour le grand emploi, auquel elle s'efl conjacrée, s'attend au jujle tribut d'ejlime, que méritent les e f f o r t s quelle fait pour le remplir dignement. Si vous manque% à ce jujle devoir, fut-elle accablée de vos bienfaits, elle gémira fous le poids de vos mépris apparens, & facrifera l'abondance humiliante que. les premiers lui procurent. Je dis vos mépris apparens : je fais, que che^ la plupart, ces fentimens ne règlent pas la conduite. Te ne puis me perfuader qu'une mère fut afjèr infenfée,pour confier fes enfans à une perfonne pour laquelle elle rfauroit pas une ejlime fort particulière: ce ferok le comble de l'extravagance, & je ne foupçonne pas les Anglois de cet excès. Jefuppofe donc qu'ils efliment beaucoup les perfonnes

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AVERTISSEMENT.

nés qu'ils choijijfent pour les mettre auprès de leurs enfans, en qualité de gouverneurs, ou de maîtres ; mais je le fuppofb fans autres preuves, que celles que je tire de la fupériorité de leur raifon. Leur conduite me montre le contraire, pour les juJlifier, j'ai befoin de recourir au préjugé. Mais tout le monde les jugent-ils a u f f î avantageufementquemoi? non, fans doute, en général on ne fuppofe rien, on croit ce que l'on voit, & la perfuafion qui naît de leur conduite, empêche un grand nombre de perfonnes de cultiver les talens qu'ebles ont pour3 l'éducation; elles craignent le mépris attaché à cette profejjîon, s'il jaut en croire les apparences. Et voilà Une de ces contrariétés dont je me plaignois tout-à-l'heure, & dont les fuites font ter' ribles par rapport aux enfans. Je f i p p o f e dans une jeune perfonne, un égal talent pour la mufique, & pour l'éducation. Indécife auquel de ces arts elle donnera la préférence3 elle examine lequel des deux luiprocurera le plus d'avantages. Elle voit d'un coté l'humble gouvernante reléguée à la féconde table} condamnée à manger

AVERTISSEMENT.

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mflnger avec le valet de chambre de Milord, qui était laquais il y a quatre jours, pendant que l'actrice brillante eft applaudie, & admifè à la table dès maîtres, & qu'on regarde comme une bonne fortune, l'avantage de la voir. Que voulez-vous que penjè cette jeuneperjonne? Elle n'aura garde d'imaginer comme moi, que malgré les apparences, la maîtrejfe de la maiJon ejlime la gouvernante plus que la chant eufe, à laquelle certainement elle ne confieroit pas Jà fille. Elle croira tout uniment, ce que les apparences lui montreront & conféquemmeni f e déterminera pour la mujique. Ce que j'ai fuppofe ; combien de fois ejl-il arrivé? combien de fois arrivera fil encore? Pères & Mères, reforme^ votre conduite, ou refolve^-vous à n'avoir que des gens fans fentimens,pour élever vos enfans. La plus a f f r e u f e indigence vous procurera par hafard quelques perfonnes dignes de cet emploi; mais Jo~ ye^ fur que le point de vue le plus intérep Jant pour elles, en entrant dans vos mai-' fàns, fera celui d'être en état d'en for tir bien vite, pour s'arracher aux mépris dont elles font accablées. j>ai

X X V I I I

AVERTISSEMENT.

J'ai donc eu raifon de dire} que le feul motif de la gloire n'étoit pas f u f f i f a n t , pour foutenir en Angleterre le couraged'un maître, ou d'un auteur, qui travaille pour les enfans; celui qui fè borneroit à ne recueillir} pour prix de Jes fiieurs, que les égards} feroit en danger, d'être duppe. Il eft donc néceffaire qu'un auteur, ou un miître, Joit encouragé d'une autre maniée re ; & puisque l'expérience apprend, que les talens les plus utiles attirent peu de confidéradon, il faut au moins, qu'ils procurent quelque profit. Quelques efforts quej'aiefaits pour rendre cet ouvrage 'intelligible aux enfans, il s'en trouvera fans doute, dont l'ejprit trop borné aura peine à le comprendre. Je conjure ici les perfonnes chargées du foin de l'éducation, de fuppléer à ce qui manque à mon travail; qu'elles refondent ce quelles trouveront obfcur; quelles le%tradui-. fent, l'abrègent & le tournent de tant de côtés, qu'il s? en trouve un qui[oit à la portée de leurs élèves. Que les difficultés ne, les arrêtent pointj une expérience de trente ans m'autorife à leur répondre du fuccés. JE

AVERTISSEMENTXXIX

Je puis les ajfhrer avec vérité, que dépuis ce grand nombre d'années, je n'ai pas trouvé un Jèul enfant incurable, foit du côté dit génie, foit du coté des mœurs : cependant f ai employé vingt de ces années aux écoles gratuites: c'ejl à dire, que j'ai vécu parmi les enfans des pauvres, dont iéducationgrojjière m'offroitmoinsde rejfburces. Que ne doit-on pas ejpérer de ceux qui ont, outre les fécours des maîtres, les bons exemples d'une famille noble ou aifée, dans laquelle on doit trouver parjùccejjîon, des J'entimensplus relevés. Que ne doit-on pas efpérer fur-tout dans ce pays. Je puis dire avec vérité, que les Anglais naijjènt vertueux. Depuis dix ans que j'en feigne à Londres, je trouve les difpofïtions les plut heureufes. Il efl peu d'hommes ici, méms parmiles plus méchans qui n'aient reçu de la Nature, unfond qu'il ne sfagijjoit quelle cultiver, pour le rendre bon. En un mot, dans les autres contrées, f éducation corrige la Nature: & pour la rendre bonne, il s'agit moins de changer les dijpofitions des enfans, que de les conferver telles qtfon. les trouve. Nom»

Noms des D a m e s qui paraîtront dans ces Dialogues. Mademoiselle Bonne, Gouvernante de Lady Senfée. Lady Senfée, âgée de 1 2 ans. Lady Spirituelle, âgée de 1 2 ans. Lady Mary,

âge'e de ç ans.

Ldij/ Charlotte, âgée de 7 ans, Mifs Molly y âgée de 7 ans. Lady Babiole, âge'e de 10 ans. Lady Tempete, âgée de 1 3 ans.

LE

LE

M A G A Z I N DES

E N F A N S. I.

D I A L O G U E .

Lady Babiole entrant che[ Lady Senfée.

J ^ o n jour, ma bonne amie, je fuis charmée de pouvoir palier l'après-dinée avec vous: on m'a dit que vous aviez reçu de Paris la plus jolie poupe'e du monde: ah! que nous allons nous divertir.

Lady Senfée. Volontiers, ma chere, je fuis bien aiiè d'avoir quelque choie qui vous amufe: mais on frape, c'eft Lady Spirituelle ; elle m'a fait dire qu'elle viendrait prendre le thé avec moi,

Lady Spirituelle. B o n j o u r , Mesdames, j e - - - m a i s , Dieu me pardonne, je crois que Lady SeiiJ'éè joue avec une poupée, a h ! - - {elle rit) eh! fi donc, Tome /, A ma

z

I.

DIALOGUE»

ma chère; je vous croyois raifonnabîe; vous avez douze ans, & vous jouez encore!

Lady

Babiole.

Mais, Madame, eft-ce qu'il y a du mal à joiier quand on a douze ans? Il me femble que je vous ai vû pluiieurs poupées il n'y a pas long-tems.

Lady

Spirituelle.

Il y a plus de iix mois que j'ai jette toutes ces chofes dans le feu, j'ai prié Papa de me donner tout l'argent qu'il employoit à ces bagatelles, pour acheter de livres, & payer toutes fortes de maîtres.

Lady

Babiole.

Je ne fuis point de votre goût. Si j'e'tois la maitreile, au-lieu de donner deux gainées par mois à mon maitre de Geographie, je ferois venir de Paris les plus jolies chofes du monde; cela m'amuferoit beaucoup; au-lieu que cet homme m'ennuie à la mort: quand je le vois, je ne puis m'empêcher de bailler à tous momens : il le dit à Maman ; on me gronde, & cela fait que je haïs encore d'avantage le maitre, & la Géographie.

Lady

Spirituelle.

Vous n'aimez donc pas à lire des hiftoires?

Lady

Babiole.

Non, en vérité, ma chère ; il faut bien que je life, car Papa le veut; mais quand je ferai gran-

I.

DIALOGUE.

3

rande, & que je pourrai faire ce que je vourai, je vous affure que je ne lirai jamais»

Lady

Spirituelle.

Vous ièrez donc une fotte toute votre vie, & vous ne ferez jamais aimable. Ecoutez ; je vais vous dire ce qui m'a dégoûtée des poupées. Pendant que nous étions "a la campagne cet Eté, il venoit pluiieurs Dames chez nous. Il y en avoit deux qui étoient laides, mais ii laides qu elles faifoient peur. Et bien Papa étoit charmé quand elles venoient nous voir: il diioit qu'elles étoient aimables; cela me furprenoit; car je croyois qu'il falloit être belle pour être aimable: mais je fus bien plus furprife; vous connoiilèz Milady Loucy, qui eft il belle; Papa ne pouvoit la fouff'rir : il diioit que c'étoit une ftatue, un automate, qu'elle n'avoit point d'ame ; je ne favois ce, que cela vouloit dire. U n jour ces deux Dames qui font ii laides, étoient avec moi : je leur ai demandé, quelle différence il y avoit d'elles, à Milady Loucy? vraiment, ma chere, m'ont-elles répondu, vous devez la voir; elle eft belle, & nous fommes laides. Je le fais bien, leur ai-je dit, m o n Papa répète cela tous les jours; mais il dit aufli que vous êtes aimables, & qu'elle ne l'eft pas; qu'elle eft une belle ftatuë, un automate. Je ne fais pas ce il feroit trifte, & je connoitrois à fon vifage* qu'il feroit mécontent de moi ; il faut l'éloigner^ car il me gêneroit. Le lendemain Charmant aifembla fon Confeil, donna de grandes louanges à fon gouverneur, & dit que pour le récompenfer du foin qu'il avoit eu de lui, il lui donnoit le Gouvernement d'une Province, qui étoit fort éloignée de la Cour. Quand fon gouverneur fut parti, il fe livra aux plaiiirs: & fur-tout à la chalîè, qu'il aimoit paflionnément. U n jour que Charmant étoit dans une grande forêti il vit pailèf une biche, blanche comme la neige; elle avoit un collier d'or au cou, & lorsqu'elle fut proche du Prince, elle le regarda fixement, & enfuite s'éloigna. Je ne veux pas qu'on la tue, s écria Charmant. Il commanda donc à fes gens, de refier là avec fes chiens, & il fuivit la biche. Il fembloit qu'elle l'attendoit; mais lorsqu'il étoit proche d'elle, elle s'éloignoit en fautant & gambadant. Il avoit tant d'envie de la prendre, qu'en la fuivant il fit beaucoup de chemin, fans y penfer* La nuit vint & il perdit la biche de vue. L e

Voilà bien embarrailé ; car il ne iàvoit où il étoit,

Itl

VII.

DIALOGUÉ.

¿toit. T o u t d'un Coup, il entendit des inftrumens ; mais ils paroiffoient être bien loin. Il fui vit Ce bruit agréable, & arriva enfin à Un grand Château, où l'on faifoit Ce beau con« Cert. Le portier lui demanda ce qu'il vouloit, & le Prince lui conta fon avanture. Soyez le bien-venu, lui dit cet homme. On Vous attend pour fouper; car la biche blanche appartient à ma Maîtreiîè ; & toutes les fois qu'elle la fait fortir, c'elt pour lui amener compagnie, En même-tems, le portier iîfflà, & pluiieurs domeftiques parurent avec des flambeaux, & Conduiiîrent le Prince dans un appartement bien éclaire'. Les meubles de cet appartement h'étoient point magnifiques, mais tout étoit propre & il bien arrangé, que Cela faifoit plaifif à Voir. Auffi-tôt, il vit paraître la Maîtreiîè dé la maifon. Charmant fut ébloui de fa beauté, & s'étant jette à fes pieds, il ne pouvoir parler, tant il étoit occupé à la regarder. LeVez-Vous, mon Prince, lui dit-elle, en lui don-' liant la main. Je fuis Charmée de l'admiration que je Vous caufe : vous me paroiflèz fi aimable, que je fouhaite de tout mon cœur, que vous foyez celui qui doit me tirer de ma folitude. Je m'appelle Vraie-gloire, & je fuis Immortelle. Je vis dans ce Château, depuis le commencement du Mortde, en attendant un fnari ; un grand nombre de Rois font Venus me v o i r ; mais, quoiqu'ils m'euilènt juré une fidélité éternelle;

VII. D l A t O G U E .

113

nelle, ils ont manqué à leur p a r o l e & m'ont abandonne'e pour la plus cruelle de mes ennemies. Ah! belle PrinceiTe, dit Charmant, peut-on vous oublier, quand on vous a vue une fois? Je jure de n'aimer jamais que vous; & dès ce moment» je vous choifis pour ma Reine : & moi, je vous accepte pour mon Roi, lui dit Vraie -gloire ; mais il ne m'eft pas permis de vous époufer encore. Je vais vous faire voir un autre Prince, qui eft dans mon Palais, & qui pre'tend aufli m'époufer: fi j'étois la maitreflè, je vous donnerois la pre'fe'rence ; mais cela ne de'pend pas de moi. Il faut que vous me quittiez pendant trois ans, & celui des deux, qui me fera le plus fidèle pendant ce tems, aura la pre'fe'rence. Charmant fut fort affligé de ces paroles; mais il le fut bien davantage, quand il vit le Prince dont Vraie -gloire lui avoit parlé. Il étoit fi beau, il avoit tant d'efprit, qu'il craignit que Vraie -gloire ne l'aimât plus que lui. Il fe nommoit Aùfolu, & il poiTédoit un grand Royaume. Ils foupèrent tous les deux avefc Vraie-gloire, & furent bien trilles, quand il fallut la quitter le matin. Elle leur dit qu'elle les attendoit dans trois ans & ils fortirent enfemble du Palais. A peine avoient ils marché deux-cens pas dans la forêt, qu'ils virent un Palais bien plus magnifique que celui de Vraie -gloire : l'or, l'argent, le marbre, les ' Tome I, H dia-

H4

DIALOGUE.

diamans éblouïiîoient les yeux; les jardins en étoient magnifiques, & la curiofité les engagea à y entrer. Ils furent bien furpris d'y trouver leur PrinceiTe; mais elle avoit change' d'habit; fa robe étoit toute garnie de diamans, Tes cheveux en e'toient ornés, au lieu que la veille, fa parure n'étoit qu'une robe blanche, garnie de fleurs. Je vous montrai hier ma maifon de campagne, leur dit-elle, elle me plaifoit autrefois; mais puisque j'ai deux Princes pour amans, je ne la trouve plus digne de moi. Je l'ai abandonne'e pour toujours, & je vous attendrai dans ce Palais, car les Princes doivent aimer la magnificence. L'or & les pierreries ne font faits que pour eux, & quand leurs fujets les voient fi magnifiques, ils les refpe&ent davantage. En même-tems, elle fit paiTer fes deux amans dans une grande falle. Je vais vous montrer, leur dit-relie, les portraits de plufieurs Princes qui ont été mes favoris. En voilà un qu'on nommoit Alexandre, que j'aurois époufé, mais il eft mort trop jeune. Ce Prince, avec un fort petit nombre de foldats, ravagea toute l'AJîe, & s'en rendit maitre. Il m'aimoit à la folie, & risqua plufieurs fois ia vie pour me plaire. Voyez cet autre; on le nommoit Pyrrhus. Le defir de devenir mon époux, l'a engagé à quitter fon Royaume pour en acquérir d'autres : il courut toute ià vie, & fut tué malheureu-

VII. D I A L O G U E .

115

reufement d'une tuile, qu'une femtiie lui jetta fur la tête. Cet autre fe nommoit Jules - Cifar: pour mériter mon cœur, il a fait pendant dix ans la guerre dans les Gaules; il a vaincu Pompée & fournis les Romains. Il eut été mon e'poux, mais, ayant contre mon confeil, pardonné à fes ennemis, ils lui donnèrent vingt deux coups de poignard. La* Princeffe leur montra encore un grand nombre de portraits, & leur ayant donné un fuperbe déjeuner, qui fut fervi dans des plats d'or, elle leur dit de continuer leur voyage. Quand ils furent fortis du Palais, Abfolu dit à Charmant, avouez que la PrinceiTe étoit mille fois plus aimable aujourd'hui, avec fes beaux habits qu'elle n'étoit hier, & qu'elle avoic auiïï beaucoup plus d'efprit. Je ne fais, répondit Charmant. Elle avoit du fard aujourd'hui, elle m'a paru changée, à caufe de fes beaux habits: mais aifurément elle me plaifoit davantage fous fon habit de bergère. Les deux Princes fe féparerent, & s'en retournèrent dans leurs Royaumes bien réfolus de faire tout ce qu'ils pourroient, pour plaire à leur Maitreflè. Quand Charmant fut dans fon Palais, il fe refouvint qu'étant petit, fon gouverneur lui avoit fouvent parlé de Vraie -gloire & il dit en lui-même, puisqu'il connoit ma Princeilè, je veux le faire venir à ma Cour, il m'apprendra ce que je dois faire pour lui plaiH 2 re.

il 6

VII.

DIALOGUE.

•te. Il envoya donc un courier pour le chercher, & auili-tôt que fon gouverneur, qu'on nommoit Sincère, fut arrivé, il le fit venir dans fon cabinet, & lui raconta ce qui lui étoit arrivé. Le bon Sincere pleurant de joie, dit au Roi: Ah, mon Prince, queje fuis 'content d'être revenu! fans moi vous auriez perdu votre Princeife. Il faut que je vous apprenne qu'elle a une four, qu'on nomme Faujj'e gloire; cette méchante créature n'efl: pas ii belle que Vraie -gloire, mais elle fe farde pour cacher íes défauts. Elle attend tous les Princes qui fortent de chez Vraie -gloire ; & comme elle reifemble à fa four, elle les trompe. Ils crojent travailler pour Vraiegloire , & ils perdent en fuivant les confeils de fa four. Vous avez vu que tous les amans de Faujfe -gloire périfiènt miférablement. Le Prince Abjolu, qui va fuivre leur exemple, ne vivra que jusqu'à trente ans; mais fi vous vous conduifez par mes confeils, je vous promets qu'à la fin, vous ferez l'époux de votre Princelîè. Elle doit être mariée au plus grand Roi du Monde : travaillez à le devenir. Mon cher Sincere, répondit Charmant, tu fais que cela n'efl: pas poifible. Quelque grand que foit mon Royaume, mes fujets fon fi ignorans, fi groifiers, que je ne pourrai jamais les engager à faire la guerre. Or, pour devenir le plus grand Roi du Monde, ne faut-il pas gagner

VII. D I A L O G U E ;

117

gagner un .grand nombre de batailles, & prendre beaucoup de villes ? Ah ! mon Prince, repartit Sincère; vous avez déjà oublié les le-, çons que je vous ai données. Quand vous n'auriez pour tout bien, qu'une feule ville, & deux ou trois cens fujets, & que vous ne feriez jamais la guerre, vous pourriez devenir le plus grand Roi du Monde : il ne faut pour cela, qu'être le plus jufte & le plus vertueux. C'eft là le moyen d'acquérir la PrinceiTe Vraiegloire. Ceux qui prennent les Royaumes de, leurs voifins, qui, pour bâtir de beaux châteaux, acheter de beaux habits & beaucoup de diamans prennent l'argent de leurs peuples, font trompés, & ne trouveront que la Princeflè Faujfe-gloire, qui alors n'aura plus f o a fard, & leur paroitra auili laide, qu'elle l'eft véritablement. Vous dites que vos fujets font greffiers & ignorans; il faut les inftruire. Faites la guerre à l'ignorance, au crime ; combattez vos paiïions, & vous ferez un grand R o i , & un Conquérant au deilus de Céfar, de Pirrhus, d'Alexandre & de tous les Héros, dont, Faujfe-gloire vous a montré les portraits. Charmant fe re'folut de fuivre les confeils de fon gouverneur. Pour cela, il pria un de fes parens, de commander dans fon Royaume, pendant fon abfence, & partit avec fon gouverneur, pour voyager dans tout le Monde, & s'ihftruire par lui-même^ H 3 de

IIG

VII. D I A L O G U E .

de tout ce qu'il falloit faire pour rendre fes fujets heureux. Quand il trouvoit dans un Royaume, un homme fage, ou habile, il lui difoit: voulez-vous venir avec moi, je vous donnerai beaucoup d'or. Quand il fut bien înftruit, & qu'il eut un grand nombre d'habiles gens, il retourna dans fon Royaume, & chargea tous ces habiles gens d'inftruire fes fujets, qui étoient très-pauvres & très-ignorans. Il fit bâtir de grandes villes, & quantité' de vaiiTeaux; il faifoit apprendre à travailler aux jeunes gens, nourrilToit les pauvres, malades & les vieillards, rendoit luimême la juftice à fes peuples ; enforte qu?il les rendit honnêtes gens, & heureux. Il paiïà deux ans dans ce travail, & au bout de ce tems, il dit à Sincère: croyez-vous que je fois bientôt digne de Vraie -gloire? Il vous refte encore un grand ouvrage à faire, lui dit fon gouverneur. Vous avez vaincu les vices de vos fujets, votre pareiïè, votre amour pour les plaifirs, mais vous êtes encore l'efclave de votre colère ; c'eft le dernier ennemi qu'il faut combattre. Charmant eut beaucoup de peine à fe corriger de ce dernier défaut, mais il étoit fi amoureux de ia Princeflè, qu'il fit les plus grands efforts pour devenir doux & patient. Il y re'uffit, & les trois ans e'tant paffe's, il fe rendit dans la forêt, où il avoit vu la biche blanche. Il n'avoit pas mené avec lui un

VII. D I A L O G U E .

119

un grand équipage; le feul Sincere l'accompagnoit. Il rencontra bientôt Abfolu dans un char iiiperbe. Il avoit fait peindre fur ce char les batailles qu'il avoit gagnées, les villes qu'il avoit prifes, & il faifoit marcher devant lui plufieurs Princes, qu'il avoit fait prifonniers, & qui étoient enchainés comme des efclaves. Lorsqu'il apperçut Charmant, il fe moqua de lui, & de la conduite qu'il avoit tenue. Dans le même moment, ils virent les Palais des deux fœurs, qui n étoient pas fort éloignés l'un de l'autre. Charmant prit le chemin du premier, & Abfolu én fut charmé, parce que celle, qu'il prenoit pour fa Princeff e , lui avoit dit qu'elle n'y retourneroit jamais. Mais à peine eut-il quitté Charmant, que la PrinceiTe Vraie -gloire, mille fois plus belle, mais toujours auffi iimplement vêtue, que la première fois- qu'il l'avoit vue, vint au-devant de lui. Venez, mon Prince, lui dit-elle, vous êtes digne d'être mon époux; mais vous n'auriez jamais eu ce bonheur, iàns votre ami Sincere, qui vous a appris à me diftinguer de ma four. Dans le méme-tems, Vraie-gloire commanda aux vertus, qui font fes fujettes, de faire une fête pour célébrer fon mariage avec Charmant; & pendant qu'il s'occupoit du bonheur, qu'il alloit avoir, d'être l'époux de cette Princeflè, Abfolu arriva chez Vaufle-gloire, qui le reçut parfaitement H 4 bien,

i2o

VII. DIALOGUE.

bien, & lui offrit de l'epoufer fur le champ. Il y confentit ; mais à peine fut-elle fa femm e , qu'il s'apperçut, en la regardant de près, qu'elle étoit vieille & ridée, quoiqu'elle n'eut pas oublié de mettre beaucoup de blanc & de rouge, pour cacher fes rides. Pendant qu'elle lui parloit, un fil d'or, qui attaclioit fes faufiès dents, fe rompit, & ces dents tombèrent à terre. Le Prince Abfolut étoit ii fort en colère, d'avoir été trompé, qu'il fe jetta fur elle pour la battre ; mais comme il l'avoit prife par de beaux cheveux noirs, qui étoient fort longs, il fut tout étonné qu'ils lui relièrent dans la main, car Fauffe-gloire portoit une peruque; & comme elle relia nue tête, il vit qu'elle n'avoit qu'une douzaine de cheveux, & encore ils étoient tous blancs. Abfolu laiilà là cette méchante & laide créature, & courut au Palais de Vraie--gloire qui venoit d'époufer Charmant; & la douleur qu'il eut, d'avoir perdu cette Princeflè, fut ii grande, qu'il en mourut. Charmant plaignoit fon malheur & vécut long-tems avec Vraie -gloire. Il en eut plufieurs filles, mais une feule reffembloit parfaitement à fa mère. Il la mit dans le château champêtre, en attendant qu'elle put trouver un époux ; & pour empêcher la méchante tante de lui débaucher fes amans, il écrivit ÙL propre hiftoire, afin d'apprendre aux Princes ^ qui voudroient époufer

fa

VII.

DIALOGUE.

12*

fa fille, que le feul moyen de poiTéder Vraiegloire, e'toit de travailler à fe rendre vertueux & utiles à leurs fujets; & que pour réuifir dans ce deffein, ils avoient befoin d'un ami fmcére,

Lady

Mary,

Ma Bonne, je ne trouve pas ce conte fi joli que les autres ; car je ne connois pas les gens, dont Fau/fe-gloire parle aux Princes: je vois bien qu'il me refte bien des chofes à apprendre ; dépêchez-vous, je vous prie, de me les enfeigner. Savez-vous bien ma Bonne, que j'ai plus de fix ans ; je fuis déjà bien vieille.

Modem. Bonne. O h ! cela eft vrai, ma chère, on eft vieille à llx ans, quand on ne fait rien, mais quand on s'applique, on eft encore aifez jeune pour apprendre bien de chofes. Nous allons reprendre la Géographie; mais auparavant, je prie Lady Spirituelle de me dire ce qu'elle penfe du conte que je viens de dire.

Lady Spirituelle. Bien de chofes, ma Bonne. Je penfe d'abord que j'ai fait comme le Prince Abjolu ; j'ai pris F auffè-gloire pour Vraie - gloire. J e croyois me faire eftimer par mon efprit, & je ne favois pas qu'il me rendrait haïiTable, il je n'étois pas bonne en même-tems. Je penfe auiTi, que le Prince Charmant reflèmble à Pierre le H

$

GRANDI

122

VII. D I A L O G U E .

Grand, Empereur de toutes les Ruffies, dont j'ai lu l'hiftoire dans les Magazins François*

Madem.

Bonne.

Et tout cela eft fort bien penfé, Lady Spirituelle. Voyez-vous mes en fans; nous aimons toutes à être eftimées, louées, c'eft-àdire, que nous fommes amoureufes de Bellegloire, ce qui eft fort bien. Mais, il faut bien nous mettre dans l'éfprit ce que je vous ai déjà dit bien de fois, & ce que je vous répéterai encore. On ne nous eftime que pour l'amour de notre vertu, & non pas pour notre argent, pour nos beaux habits, ni pour nos titres. Travaillons donc à être vertueufes, mes bons cnfans ; il n'y a que cela de néceflaire, & pour cette vie & pour l'autre. Allons ! Mifs Molly, dites nous votre hiftoire.

Mifs

Molly.

Parmi les enfans de Scm, il y eut long-tems après les déluge, un homme qu'on" appelloit Abraham. Il aimôit beaucoup le bon Dieu, & Dieu aufli l'aimoit beaucoup, Il vint demeurer dans un pays, qu'on nommoit Chanaan, avec Sara fa femme & Lot fon neveu. Dieu lui voit commandé de venir dans ce pays, & lui avoit promis de le rendre père d un grand peuple. Abraham, qui étoit fort vieux, n'avoit point d'enfans ; mais cela ne l'empêcha pas de croire ce que le bon Dieu lui promettoit, parce qu'il favoit fort bien, que Dieu pouvoit tout, Abraham

VII. D I A L O G U E .

123

ham & fon neveu Lot devinrent fort riches, car ils avoient un grand nombre de bœufs, de moutons & de valets. U n j o u r , les valets d'Abraham & ceux de Lot, eurent une grande difpute enfemble; & Abraham, qui iavoic qu'on fait un pèche', quand on querelle, dit à Lot: mon frère, je ne veux pas quereller; ainii, i l faut nous fe'parer. Voilà deux pays, ahoiiîiTez, j'irai demeurer dans celui que vous ne prendrez pas. Lot au-lieu de dire à Abraham: mon oncle, je ne veux point vous quitter, & je de'fendrai à mes domeftiques de quereller-les vôtres, choifit le plus beau pays, & f u t demeurer dans une ville, qu'on appelloit Sodome; mais tous les gens qui demeuroient dans ce pays, étoient bien me'chants ; & quand il venoit des e'trangers chez eux, ils les maltraitoient beaucoup ; toutefois, ils ne .firent point de mal à Lot. U n jour que Lot étoit lùr fa porte, il vit venir deux jeunes hommes» C o m m e il avoit appris chez fon oncle Abraham, à être charitable, Lot dit à ces deux hommes ; il eft presque nuit, je vous prie de venir fouper & coucher dans ma maifon. Les deux jeunes hommes eutrèrent; mais les habitans de cette ville qui vouloient maltraiter ces étrangers, vinrent à la porte de Lot, & lui dirent, qu'ils le feroient mourir, s'il ne lçs mettoit pas dehors. Lot eut bien peur ; mais pourtant il dit à ces méchants, vous pouvez me faire tout le mal que

*24

VII. D I A L O G U E ;

que vous voudrez, mais je ne mettrai pas ces hommes dans la rue. En même tems ces deux hommes lui dirent, n'ayez point de peur, nous fommes des Anges, & Dieu nous a envoyés, pour, vous dire de fortir de cette ville, parce qu'il veut punir ce me'chant peuple. Sortez donc, avec votre femme & vos filles, mais furtout, ne regardez pas derrière vous; car Dieu vous punira, fi vous lui désobe'iiTez. Auffitôt Lot & fa famille fortirent de Sodomc, & les Anges marchèrent devant eux. Quand ils furent un peu loin, ils entendirent un bruit terrible; & la femme de Lot, qui étoit-curieufe, regarda derrière elle, pour voir d'où vénoit ce bruit. Elle vit qu'il tomboit une pluie de f e u , qui brûloit tous ces me'chants hommes; mais comme elle défobe'iiToit à Dieu, elle fut changée en une ftatue de fel. Son mari & fes filles furent plus fages qu'elle. Ils ne regardèrent point, & les Anges les laiiTèrent fur une montagne, d'où ils virent brûler Sodome & plufieurs autres villes, dont les peuples étoient aufli fort me'chants.

Lady

Charlotte.

A h ! ma Bonne, que cela eft àpouvantable, d'être ainfi brûlé tout vif.

Madem. Bonne. Cela eft vrai, ma chère, & cela nous apprend, qu'il ne faut pas nous moquer de Dieu, en lui défobéiilànt. E ne Brûle pas aujourd'hui tous

VII.

DIALOGUE.

125

tous les méchants; mais ceux qu'il ne punit pas pendant qu'ils v i v e n t , il les punira d'une manière bien terrible après leur m o r t ; il ne faut pas oublier cela. D i e u eft l'ennemi des m é chants, qui ne veulent pas fe corriger, il c o m p t e n o s mauvaifes a & i o n s ; & ceux qui ne lui en demandent pas p a r d o n , de tout le cœur, il las rendra très-miférables en cette v i e , ou en l'autre. V o y e z aulli, mes enfans, combien il faut prendre garde à vivre avec d'honnêtes gens: S i Lot n'eut pas quitté Abraham, il n'eut pas perdu fa femme. Il fut f a u v e , parce qu'en demeurant avec Abraham, il avoit pris la bonne habitude d'être charitable. H faut donc chercher à être amies de jeunes D a m e s qui f o n t bonnes, charitables, obéiflàntes, & fuir, c o m m e la p e f t e , la c o m p a g n i e de celles, qui voiv» droient vôus donner de mauvais exemples. A l lons ! L a d y Mary, répétez l'hiftoire que v b u s avez apprife.

Lady

Mary.

U n jour qu' Abraham étoit devant iâ t e n t e ; i l vit venir trois voyageurs. Il f u t au-devant d ' e u x , & leur d i t : je vous p r i e , f a i t e s - m o ; l'honneur de vous arrêter i c i , pour m a n g e r un morceau. L e s étrangers lui dirent, n o u s les voulons bien ; & alors Abraham dit à fa f e m r m e , de prépàrer du pain & d e s gâteaux p o u r ces étrangers ; & il c o m m a n d a à fes valets, d$ leur apprêter de l'eau, pour laver leurs pieds,

&

126

VII. DIALOGUE.

& de la viande pour leur diner. Après qu'ils eurentdine, ils dirent à Abraham : où ell votre femme? Abraham leur re'pondit, elle eft dans fa tente. Et ces trois e'trangers, qui e'toient des Anges, lui dirent, que Sara auroit bientôt un fils. Quand Sara, entendit cela, elle fe mit à tire, parce qu'elle e'toit très vieille, & que ce n'eft pas la coutume, que les vieilles femmes aient de petits enfans. Les Anges dirent à Sara ; pourquoi riez vous ? Dieu n'eit-il pas le maître de vous donner un fils, lui, qui eft le Tout-puiftànt ? Sara, toute honteufe, dit, qu'elle n'avoit pas ri. Ah, que cela eft vilain de mentir ! dirent les Anges ; demandez pardon àDieu de cette mauvaifeaction. Enmême-tems les Anges s'en allèrent, & quelque tems après, Sara eut un fils qu'elle nomma Ifaac* Madem. Bonne. Fort bien, ma bonne amie. Allons Lady Senf c e , faites quelques re'flexions fur cette hiftoire. Làdy Senf 'éè. Je re'pe'tèrai à ces Dames, les re'flexions que vous m'avez faites, quand vous m'avez appris cette hiftoire. Abraham étoit un homme bien charitable, puisqu'il ne laiiïbitpâiïèr aucun voyageur, fans le prier d'entrer chez lui pour fe repofer ; & Sara étoit bien modefte, puisqu'elle fe tenoit cache'e dans fa tente, fans fe montrer aux hommeSj & fans être curieufe de les voir. hady

VII. D I A I O G U Jil»

Lady

127

Charlotte.

Ma Bonne ; eft-ce qu'Abraham n'avoit point de maifon, que Sara reftoit dans une tente ?

Madem. Bonne. N o n , ma chère; Abraham n'avoit point de maifon, quoiqu'il fût un grand Seigneur, qui avoit plus de domeftiques que le Roi. Aujourd'hui, les perfonnes riches ont de grandes terres, de belles maifons, de l'argént; mais dans ce tems-là, pour être riche, il falIoit avoir beaucoup de troupeaux. Abraham en avoit une grande quantité', & il lui falloit beaucoup d'herbe pour les nourrir : ainii, quand les troupeaux avoient mange' toute l'herbe d'un endroit, on les menoit dans un autre. Vous voyez bien qu'il ne devoit pas avoir de maifon: on n'auroit pu l'emporter, mais il avoit des tentes, qu'on changeoit de place, toutes les fois qu'on quittoit un pays, pour aller dans un autre.

Miß

Molly.

Puisque Sara avoit tant de domeftiques, pourquoi fon mari lui difoit-il de faire du pain pour ces étrangers, comipe fi elle eut été une fervante ?

Modem. Bonne* Les Dames de ce tems-là n'étoient point des parefleufes, comme celles d'aujourd'hui, ma chère. Sara étoit comme une Princeilè, & pour-

128

VII.

DIALOGUE.

pourtant elle prenoit foin du me'nage de Ton mari, & faifoit elle-même la cuifine; les jeunes demoifelles menoient boire les moutons; tout le monde travailloit.

Lady Mary. Mais, ma Bonne, cela ne feroit pas joli, fi Maman faifoit elle même la cuiiine.

Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma chère ; mais, iï les Dames ne doivent pas faire la cuiiïne, elles doivent du moins avoir foin de leur ménagé ; prendre garde aux domeftiques, & penfer qu'une honnête femme doit être la première a) Houfekeeder de fon mari.

Lady Spirituelle. M a i s , ma bonne, cela ne fe peut pas: une Dame n'a pas le tems d'être Houfekeeper ; il faut qu'elle aille aux ailèmble'es, à la come'die, à l'opéra.

Madem. Bonne.

Souvenez-vous bien de ce que je vais vous dire, ma chère. D i e u ne vous a pas mife au monde pour jouer, pour courir les aiTemble'es, les fpeâacles. O n peut y aller quelquefois pour fe délafler; mais celles qui ne font autre chofe, font fort mal, & Dieu les punira; parce qu'elles ne'gligent leurs devoirs, & c'eft a) Cette qualité revient à celle de femme de charge t ou d'Intendant, en France.

VII. D I A L O G U E .

129

c'eft un grand péché. Une femme eft obligée d'avoir foin de fes enfans, de fes domeftiques. Tout le mal qu'ils font pendant qu'elle n'y eft pas, Dieu lui en demandera compte; & il y aura un grand nombre de femmes qui feront punies de cette négligence là : d'ailleurs, ma chère, c'eft un grand péché de dépenfer tant d'argent à des bagatelles : on yole cet argent aux pauvres, ou à fes enfans.

Lady Spirituelle. Eft-ce qu'on n'eft pas Maîtreflè de dépenfer fon argent à ià fantaiiîe ? y

Madem. Bonne. D i t e s - m o i , ma chère. Votre Papa a des fermiers qui vendent le bled & le fruit de fes terres; ces fermiers ibnt-ils maitres de l'argent qu'on leur donne pour ces bleds & ces fruits ?

Lady

Spirituelle.

Us ne peuvent pas en être les maîtres, car toutes ces chofes font à Papa, & ils lui en rendent compte.

Modem. Bonne. Eh bien! ma chère, nous fommes les fermiers du bon Dieu. Il nojis donne de l'argent, pour nous nourrir & nous habiller, pour élever nos enfans, payer les marchands, les domeftiques, affifter les pauvres; & comme les fermiers font obligés de rendre compte à Jeurs maîtres, & qu'ils les feraient mettre en Tome I. I pri-

130

VII.

DIALOGUE.

prifon, s'ils dépenfoient leur argent mal-àpropos, de même le boa Dieu fera rendre compte aux riches, de l'argent qu'il leur aura donné, & les punira s'ils le dépenfent en folies. D'ailleurs, il faut être bien méchante pour dépenfer tant d'argent au jeu, à Pope'ra, & aux mafcarades, pendant qu'il y a un fi grand nombre de pauvres, qui n'ont pas un morceau de pain !

Lady

Mary.

Eil-ce qu'il y a des gens qui n'ont point de pain, ma Bonne?

Madem• Bonne.

Oui, ma chère. Il y en a d'autres qui n'ont point de lit, f$c qui couchent fur le plancher; d'autres, qui n'ont point de charbons en hiver', & qui meurent de froid; d'autres qui n'ont point de chemife, & qui n'ont point d'ouvrage, pour gagner de l'argent.

Lady

Mary.

A h , mon Dieu! ma Bonne: cela me fait pitié. Je vous prie de prendre tout mon argent, pour acheter du pain, des lits & du charbon à tous ces pauvres gens.

Modem. Bonne. Vous avez donc beaucoup d'argent, ma chère?

Lady

Mary.

Oui, ma Bonne, j'ai deux chelins ; & tant de

VII. D I A L O G U É .

131

de ajhalf pennys, que je ne peux pas les tenir dans mes deux mains ; j'ai aufli de petites pièces d'argent. Prenez-tout cela, je vous prie; j'aime mieux le donner à ces pauvres gens, que d'acheter des poupées & des gâteaux. Madem. Bonne. Venez m'embraiTer, ma chère amie, je vous aime de tout mon cœur, & j'ai beaucoup de refped pour vous. Si je ne favois pas que vous êtes une Lady, je le devinerois à ce moment, parce que vous êtes bonne & généreuse, comme une Dame de qualité' dbit l'être; & pour vous récompenfer, de votre bon cœur, nous dirons quelque chofe de la Géographie, que vous aimez tant : c'eit pour cela que j'ai fait venir un plat plein d'eau. Vous voyez ce plat, mes Damesï fuppofez que ce foit la mer, & tous les morceaux de carton, que je vais mettre deflus feront la terre. Tous ces petits morceaux de cartes, qui font environnés d'eau de tous côtés, nous les appellerons des Isles. Voyez cet autre carton, qui touche au bord du plat, par un petit morceau; c'eft presque une Isle: nous le nommeront donc «ne presqu'Iiïe. Ce grand morceau de carte, qui ne touche à l'eau, que par un côté, nous l'appellerons une Terre-ferme, ou un Continent; cette pointe qui s'avance dans l'eau, nous l'appellerons un Cap; I i & #) Demi-fous.

132

VII. D I A L O G U E .

& une terre fort élevée, nous l'appellerons Montagne: comprenez-vous bien cela, mes enfans?

Lady

Mary.

A merveille, ma Bonne. Une Isle eft une terre abfolument environnée deau; une presqu'île a un petit coin hors de l'eau, & elle tient par ce petit morceau de terre, à cette autre grande terre, que vous appeliez Continent, &c.

Madem. Bonne. O h , que cela eft bien ! voyons préfente» ment fur une carte Géographique, fi vous trouverez bien une Isle, une presqu'Isle, un Continent, un Cap, une Montagne: il faut •avoir une Mappemonde.

Lady

Mary.

Ma Bonne, voilà des pays qu'on nomme la Grande-Bretagne, l'Irlande; je crois que ce font des Isles; car la mer eft tout autour.

Madem. Bonne.

E t de quel côté font ces pays, ma chère ?

Lady

Mary.

T o u t en haut, & à la gauche de la carte, ma Bonne.

Modem. Bonne.

Mais ce côté d'en haut, & ce côté gauche ont des noms, qu'il faut toujours dire. Souvenez-vous-en ; nous l'avons appris la dernière fois. Lady

VII. D I A L O G U E .

Lady

133

Mary.

Je m'en fouviens, ma Bonne', ces pays, ou ces Isles, font au Nord, & en même-tems à l'OueJl de l'Europe.

Madem. Bonne. Fort bien, ma chère. Lady Charlotte; cherchez une presqu'Isle fur cette carte.

Lady Charlotte. L'Afrique en eft une; ce grand pays tient à ÎAJte par ce petit coin; je crois aufll que cette pointe eft un Cap.

Madem. Bonne. Oui, ma chère, c'eft le Cap de Bonne-EJpérance. Allons, Mifs Molly, montrez-moi un Continent.

Mifs

Molly.

J'fn vois quatre confidérables, qui font les mêmes quatre parties du globe déjà nommées favoir l'Europe, l'AJte, l'Afrique, l'Amérique.

Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma chère. Lady Senfée va nous dire comment on nomme ces petites Langues de terffe, qui joignent la presqu'Isle au Continent.

Lady Senfe'e. On les nomme Ifthmes, & celui qui joint l'Afrique à IAJte, fe nomme ifihme de Suez.

Madeni. Bonne. Retenez bien ces noms des différentes parI 5 ties

134

VNI- D I A L O G U E .

ti es de la terre, mes Dames; la première fois, pous en apprendrons d'avantage, car il eft trop tard aujourd'hui.

VIII, D I A L O G U E . Sixième Journe'e.

Lady Charlotte. Bon jour, ma Bonne! j'ai été bonne fille, presque tout-à-fait; & tout le monde dans la maifon, me fait tant d'amitié, que je fuis heureufe comme une Reine : voyez cette jolie montre; papa me l'a donnée, pour montrer qu'il eft content de moi,

Madem. Bonne. Elle eft fort belle, mais, ma chère, vous dites que vous êtes heureufe comme une Reine; vous croyez donc que toutes les Reines font heureufes.

Lady Charlotte Je penfe qu'oui, ma Bonne; car on dit toujours, quand on veut parler d'une perfonne qui eft bien contente; elle ejl heureufe comnîe une Reine, '

Madem. Bonne. On parle mal à propos, quand on dit cela, ma chère; il me prend envie de vous raconter une fable à ce fujet. Fable

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VNI- D I A L O G U E .

ti es de la terre, mes Dames; la première fois, pous en apprendrons d'avantage, car il eft trop tard aujourd'hui.

VIII, D I A L O G U E . Sixième Journe'e.

Lady Charlotte. Bon jour, ma Bonne! j'ai été bonne fille, presque tout-à-fait; & tout le monde dans la maifon, me fait tant d'amitié, que je fuis heureufe comme une Reine : voyez cette jolie montre; papa me l'a donnée, pour montrer qu'il eft content de moi,

Madem. Bonne. Elle eft fort belle, mais, ma chère, vous dites que vous êtes heureufe comme une Reine; vous croyez donc que toutes les Reines font heureufes.

Lady Charlotte Je penfe qu'oui, ma Bonne; car on dit toujours, quand on veut parler d'une perfonne qui eft bien contente; elle ejl heureufe comnîe une Reine, '

Madem. Bonne. On parle mal à propos, quand on dit cela, ma chère; il me prend envie de vous raconter une fable à ce fujet. Fable

VIII. D I A L O G U E . (

13$

Fable de /a Veuve & de fes deux Filles.

Il y avoit une Veuve, aiTez bonne femme, qui avoit deux filles, toutes deux fort aimables ; l'aîne'e fe nommoit Blanche; la fécondé Vermeille. On leur avoit donné ces noms, parce qu'elles avoient, l'une le plus beau teint du monde, & la fécondé des joues & des lèvres vermeilles comme du corail. U n jour lé bonne femme, étant près de ik porte, à filer, vit une pauvre vieille, qui avoit bien de la peine à fe traîner avec fon bâton. Vous êtes bien fatiguée, dit la bonne femme à la vieille. Affeyez-vous un moment poun vous repofer ; & auffi-tôt elle dit à fes filles de donner une chaiiè à cette femme. Elles fe levèrent toutes les deux; mais Vermeille courut plus fort, que fa fœur, & porta la chaife. Voulez-vous boire un coup, dit la bonne femme à la vieille? de tout mon cœur, répondit - elle ; il me femble même, que je mangerois bien un morceaux, fi vous pouviez me donner quelque chofe pour me ragoûter. Je vous donnerai tout ce qui eil en Mbn pouvoir, dit la bonne femme; mais, comme je fuis pauvre, xe ne fera pas grande chofe; en même-tems, elle dit à fes filles de fervir la bonne vieille, qui fe mit à table: & la bonne femme commanda à l'ainée d'aller cueillir quelques prunes, fur un prunier qu'elle avoit planté elle même, & qu'elle aimoit beaucoup. Blanche, au lieu d'obéir de bonne I 4

grâce

136

VIII. D l A l O G U E .

grâce à fa mère, murmura contre cet ordre, & dit en elle-même; ce n'eft pas pour cette vieille gourmande que j'ai eu tant de foin de mon prunier. Elle n'oià pourtant pas refufer quelques prunes, mais elle les donna de mauvaife grâce & à contre-cœur. Et vous, Vermeille , dit la bonne femme à la fécondé de fes filles, vous n'avez pas de fruit à donner à cette bonne Dame, car vos raifins ne font pas mûrs. Il eft vrai, dit Vermeille, mais j'entens ma poule qui chante, elle vient de pondre un œuf, & il Madame veut l'avaler tout chaud, je le lui of&e de tout mon cœur. En même-tems, fans attendre la réponfe de la vieille, elle courut chercher fon œuf, mais dans le moment qu'elle le pre'fentoit à cette femme, elle difparut, & l'on vit à fa place une belle Dame, qui dit à la mère: je vais re'compenfer vos deux filles félon leur me'rite. L'ainée deviendra une grande Reine, & la féconde une fermière; & en mêmetems, ayant frappe' la maifon de fon bâton, elle dilparut, & l'on vit dans la place une jolie fej-me. Voilà votre partage, dit-elle à Vermeille. Je fais que je vous donne à chacune ce que vous aimez le mieux. La fée s'éloigna, en dilànt ces paroles ; & la mère, auffi bien que les deux filles, relièrent fort e'tonne'es. Elles entrèrent dans la ferme, & furent charmées, de la propreté des meubles. Les chaifes n'étoient

VIII. D I A L O G U E .

137

toient que de bois; mais elles étqient fi propres, qu'on s'y voyoit comme dans un miroir. Les lits étoient de toile, blanche comme la neige. Il y avoit dans les e'tables, vingt moutons, autant de brèbis, quatre bœufs, quatre vaches ; & dans la Cour, toutes fortes d'animaux, comme des canards, des pigeons & autres. Il y avoit auifi un joli jardin, rempli de fleur» & de fruits. Blanche voyoit fans jaloufie, le don qu'on avoit fait à fa fœur, & elle n'étoit occupée que du plaifir, qu'elle adroit à être Reine. Tout d'un coup, elle entendit paiTer des chafleurs, & étant allée fur la porte pour les voir, elle parut fi belle aux yeux du Roi, qu'il réfolut de l'époufer. Blanche étant devenue Reine, dit à fa fœur Vermeille : Je ne veux: pas que vous foyez fermière ; venez avec moi, ma fœur, je vous ferai époufer un grand Seigneur. le vous fuis bien obligée, ma fœur, répondit Vermeille; je fuis accoutumée à la campagne, & je veux y relier. La Reine Blanche partit donc, & elle étoit fi contente, qu'elle pailà plufieurs nuits lins dormir de joie. Les premiers mois, elle fut fi occupée de fes beaux habits, des bals, des comédies, qu'elle ne penfoit à autre chofe. Mais bientôt elle s'accoutuma à tout cela, & rien ne la divertiffoit plus ; au contraire, elle eut de grands chagrins. Toutes les Dames de la Cour lui rendoient de grands refpe&s, quand elles étoient devant elle i mais elle iàvoit qu'elles ne l'aimoient pas,& I 5 qu'el-

138

VIII. DIALOGUE.

qu'elles difoient: Voyez cette petite payfanne, comme elle fait la grande Dame ; le Roi a le cœur bien bas, d'avôiir pris une telle femme. Ce difcours fit faire des réflezions au Roi. Il penfa qu'il avoit eu tott d'époùfer Blanche; & comme ion amour pour elle étoit paiTé, il eut un grand nombre de maîtrefles. Quand on vit que le Roi n'aimoit plus fa femme, on commença à ne plus lui rendre aucun devoir. Elle étoit très-malheureure, car elle n'avoit pas une feule bonne amie, à qui elle pût conter fes chagrins: Elle voyoit que c'e'toit la mode à la Cour, de trahir fes amis par intérêt ; de faire bonne mi" ne à ceux que l'on haïfloit, & de mentir à tout moment. Il falloit être fe'rieufe, parce qu'on lui difoit, qu'une Reine doit avoir un air grave & majeftueiïx. Elle eut plufieurs enfans, & pendant tout t e tems, elle avoit un me'decin auprès d'elle, qui examinoit tout ce qu'elle mangeoit, & lui ôtoit toutes les chofes qu'elle aimoit. On ne mettoit point de fel dansées bouillons ; on lui dçfendoit de fe promener, quand elle en avoit envie ; en un mot, elle étoit contredite depuis le ihatih jusqu'au foir. On donna des gouvernantes à fes enfans, qui les élévoient tout de travers, fans qu'elle eut la liberté d'y trouver à redire. La pauvre Blanche fe mouroit de chagrin, & elle devint fi maigre, qu'elle faifoit pitié à tout le monde. Elle n'avoit pas vu fa fœur, depuis trois arïs qu'elle étoit

VIII. D I A L O G U E .

139,

etoit Reine, parce qu'elle penfoîr, qu'nne perionne de fon rang feroit déshonore'e, d'aller rendre vifite à une fermière ; mais, fe voyant accable'e de mélancolie, elle re'folut d'aller paC. fer quelques jours à la campagne, pour fe défennuyer. Elle en demanda permiiiion au Roi, qui la lui accorda de bon cœur, parce qu'il penfoit qu'il feroit de'baraflé d'elle pendant quelque tems. Elle arriva fur le foir à la feiv me de Vermeille, & elle vit de loin, devant la porte, une troupe de bergers & de bergères, qui danfoient & fe divërtiifoient de tout leur cœur. Hélas! dit la Reine, en foupirant, où eft le tems que je me divertilTois comme ces pauvres gens ? perfonne n'y trouvoit à redire» D'abord qu'elle parut, fa four accourut pour TembraiTer. Elle avoit un air fi content ; elle étoit fi fort engraiifée, que la Reine ne put s'empêcher de pleurer en la regardant. Vermeille avoit époufé un jeune payfan, qui n'avoit pas de fortune, mais il fe fouvenoit toujours, que fa femme lui avoit donné tout ce qu'il avoit, & il cherchoit par fes manières; complaifantes à lui en marquer fa reconnoiflàn-. ce. Vermeille n'avoit pas beaucoup de domeftiques, mais ils l'aimoient, comme s'ils euifent été fes enfans ; parce qu'elle les traitoit bien. Tous fes Voifins l'aimoient auiTi, & chacun s'empreiloit à lui en donner des preuves. Elle n'avoit pas beaucoup d'argent, mais elle n'en avoit

140

VIII. D I A L O G U E .

avoit pas belbin; car elle recueilloit dans fes terres, du bled, du vin & de l'huile. Ses troupeaux lui fourniiToient du lait, dont elle faifoit du beure & du fromage. Elle filoit la laine de Tes moutons pour fe faire des habits, auifi bien qu'à fon mari, & à deux enfans qu'elle ¿voit. Us fe portoient à merveille; & le foir, quand le tems du travail étoit pafle, ils fe divertiffoient à toutes fortes de jeux. Hélas ! s'écria la Reine, la fée m'a fait un mauvais préfent, en me donnant une couronne. On ne trouve point la joie dans Jes palais magnifiques, mais dans les occupations innocentes de la campagne. A peine eut-elle dit ces paroles, que la fée parut. Je n'ai pas prétendu de vous récompenfer, en vous faifant Reine, lui dit la fée, mais vous punir, parce que vous m'aviez donné vos prunes à contre cœur. Pour être heureux, il faut comme votre fœur, ne poiTéder que les chofes néceilâires, & n'en point fouhaiter davantage. Ah! Madame, s'écria Blanche, vous vous êtes ailèz vengée ; finiflèz mon malheur. Il eft fini, reprit la fée. Le Roi qui ne vous aime plus, vient d'époufer une autre femme ; & demain, fes officiers viendront vous ordonner de fa part, de ne point retourner à fon palais. Cela arriva comme la fée l'avoit prédit. Blanche pafià le refte de fes jours avec fa fœur Vermeille, avec toutes fortes de contentemens & de plaifirs; &' elle ne penfa jamais

VIII, D I A L O G U E .

141

jamais à la C o u r , que pour remercier la fée de l'avoir ramene'e dans fon village.

Lady Senfée. M a Bonne, j'aime beaucoup ce conte. J'ai toujours défiré d'être bergère, j'aime la campagne à la folie, & il me femble que je ne fouhaiterois rien, fi j'avois une jolie ferme comme Vermeille: mais, pour cela, il faudroit encore que j'y euflè des livres.

Modem. Bonne. Je crois que vous êtes de bon g o û t , m a chère; mais pour fe plaire à la vie champêt r e , il faut n'avoir ni ambition ni vanité', ni defirs: & cela eil bien difficile. Sans allée vivre à la campagne, vous pouvez être heureufe partout où vous vous trouverez, fi vous pouvez vous défaire de ces trois défauts, dont je viens de parler.

Miß

Molly.

Qu'eft-ce que l'ambition, ma Bonne ?

Madem. Bonne. C'eft le defir de commander à tout le m o n d e ; & la vanité, c'eft de vouloir être loué pour la beauté, l'efprit, lés richeflès, les beaux habits; demandez à Lady Spirituelle, combien ià vanité l'a rendue malheureufe.

Lady Spirituelle.

Elle m'avoit aulïi rendue méchante ; mais, ma Bonne, j'en ai encore beaucoup, & cela m'a

142

VIII. D I A L O G U E ,

m'a fait faire une grande faute, depuis que je ne vous ai Vue: je veux vous la dire devant ces Dame^, pour me corriger.

Madem. Bonne. Vous avez raifon, ma bonne amie ; le vrai moyen de fe corriger de fes fautes, eft de les avouer. Voyons donc ce que vous avez fait.

Lady Spirituelle. Nous étions hier à PaiTemble'e de Madem» D . . . . cette Dame eft âgée, car elle a des enfans; elle me demanda à quoi je m'occupois: je lis Quinte-Curce, lui ai-je répondu. Qu'eftce que Quinte-Curce ? a dit cette Dame. Oh! lu ai-je dit, c'eft un fort beau livre, où l'on

trouve la vie d'Alexandre le GrXmd: cette Dame me re'pondit, je ne favois pas qu'il y

eût eu un Roi d'Angletterre, qui fe nommât Alexandre le Grand: cependant, quand j'e'tois jeune, j'ai appris par cœur l'abrégé de l'hi-

itoire d'Angletterre ; il eft vrai que je l'ai ou-

bliée. Au lieu de répondre à cette Dame, ma Bonne, j'ai fait femblant de làigner du nez; j'ai mis mon mouchoir devant mon vliage, Car j'étcJuffois à force de rire, & j'ai e'té dans les autres fales, pu j'ai conté à tout le monde, l'ignorance de cette Dame, qui n'a jamais entendu parler d Alexandre.

Madem. Bonne. Vous avez fait effectivement une grand« faute,

VIII.

DIALOGUE-

faute, ma chère: je gage que vous croyez, ayoir fait beaucoup de mal à cette Dame, Lady Spirituelle. Oui, ma Bonne, mais quand j'ai fait cette fottife, ce n'étoit pas pour lui lairç du mal; e'étoit feulement par vanité', pour faire penfer à tout le monde, que j'e'tois une fille raisonnable, qui lifoit beaucoup. Madcm. Bonne» Je vous aflure, ma chère, qu'on n'a point penfé à cela du tout. Nous avons été' ce matin rendre vifite à Milady B . . . vous favez qu'elle a beaucoup d'efprit. Que cette petite Spirituelle eft méchante! m'a-t'elle dit; elle s'eft moquée hier cruellement de cette pauvre Madame D Si elle avoit été ma fille, je l'aurois chaflee de la compagnie; j'avois envie de la foufletter. Vous voyez, ma chère,, que votre amour-propre eft un fot, qui, aulieu de vous faire paroitre eftimable, engage tout le monde à vous méprifer. Vous avez appris à tout le monde, que cette Dame étoit une ignorante; mais, en même tems, vous leur avez fait croire que vous étiez méchante ; vous vous êtes fait beaucoup plus de mal, que vous n'en avez fait à celle, dont vous vous moquiez. Appliquez-vous donc à devénir bonne, charitable. Avant de parler, penfez auparavant; ne \*ais-je point dire une méchanceté ? Au-lieu de parler des défauts des autres f attachez-

144

VIII. D I A L O G U E .

chez-vtms à faire remarquer leurs bonnes qualités, & alors tout le monde vous aimera. Préfentement Lady Mary va nous dire fon hiftoire,

Lady Mary. Abraham aimoit ion fils IJ'aac à la folie ; mais il aimoit le bon Dieu encore davantage, comme cela eft jufte. Un jour, Dieu dit à Abraham: Prenez votre fils Ifaac, & allez fur une grande montagne, pour m'en faire un facrifice; c'eft-à-dire, pour lui couper la tête, & enfuite brûler fon corps. Car dans ce temsià, on tuoit des bêtes, qu'on offroit au Seigneur, & après cela, on les brûloit, & Dieu vouloir Ifaac au lieu d'une Bête. U n autre Abraham auroit dit,en lui-même; Dieu m'a promis de donner à mon fils Ifaac un grand nombre d'enfans: fi je le tue, cela ne pourra pas arriver; mais Abraham éîoit bien plus fage ; il ne raifonnoit point, quand Dieu lui comrnandoit quelque chofe, & fa voit fort bien qu'il peut faire les chofes qui nous paroiiTent; impoilibles. Abraham prit du bois» & dit à Ifaac de le porter, & pendant qu'ils montoient la montagne, Ifaac difoit; mon Père, nous avons du bois & du feu pour l'allumer, mais nous n'avons point de Bête pour faire le facrifice. Dieu nous en enverra une, lui répondit Abraham : mais quand ils furent au haut de la montagne, il dit à Ifaac : mon fils, c'eft vous

VIII. D I A L O G U E .

»4*

vous que je vais facrifier à Dieu : .car il me l'a commandé. Je le veux bien, dit Ifaac; le t o n Dieu m'a donné la vie, je dois la lui rendre, puisqu'il le veut. Aufli-tôt Abraham fit un bûcher, avec le bois, & lia fon fils fur ce bois ; enfuite, il prit fon grand couteau, & leva le bras pour lui couper la tête; mais il vint un Ange qui lui arrêta le bras, & lui d i t : N e tue pgs Ifaac. Dieu vouloit voir feulement, ii vous feriez obéiiTants tous les deux. Abraham délia Ifaac, & dans le même-tems, ils virent un bélier, qui étoit pris par fes cornes dans un buiiTon. Ils prirent ce bélier, & Ja facrifièrent au Seigneur; & eniuite ils retournèrent fort contens dans leurs tentes.

Mifs

Molly.

J'avois bien peur pour le pauvre Ifaac ^ ma Bonne ; je croyois qu'il alloit être tué.

Làdy Charlotte. Mais, ma Bonne ; c'eft une mauvaife adtion de tuer un homme ; comment eft-ce que Dieu commandpit une mauvaife aâion?

Modem. Bonne. Ce n'eft pas toujours une mauvaife aâion de tuer un homme : vous voyez qu'on en fait mourir bien fouvent pour avoir volé. Quand on fait la guerre, les foldats tuënt leurs ennemis, fans commettre un péché. D'ailleurs, vous voyez que Dieu ne vouloit pas qu'Ifaac Tome I. K fut

14S

VIII., DIALOGUE.

fut tué: & Abrahamy qui favoit que D i e u eft bon & iàge, difoit en lui-même ; puisque Dieu me commande cela, il n'y a point de mal, car Dieu ne cômmande jamais le péché.

Lady Mary. Jfaac ¿toit un bon enfant. Je veux être bien obéifiànte comme lui, & fi Dieu difoit à Maman de me tuer, je lui dirois, que je le veux bien.

Madem. Bonne. Il né dirâ pas cela à votre Maman; mais, peut-être le dira-t'il à la fièvre, à la petite vérole , ou à quelque autre maladie. S'il "ne veut pas votre v i e , peut-être voudra-t'il vos yeux, vos oreilles, ou quelque autre partie de votre corps. Quand donc, vous ferez malade, il faut dire comme lfaac: mon Dieu, t'eft vous qui m'avez donné la vie, fi vous voulez me l'ôter par cette maladie, je le veux bi?h. Lady Charlotte; vous avez quelquefois beaucoup de peine à entendre, vous avez mal à l'oreille, une autre aura mal aux yeux; dites alors de tout votre cœur : mon Dieu, tout eft à vous ; fi vous voulez me rendre fourde, ou aveugle, je le veux bien. Il en faut dirè autant, quand on perd ïâ fortune, & tout ce qu'on poffède 'dans le monde, & penfer, je fuis fûre que le bon Dieu m'aime; puisqu'il m'ôte ces chofes, apparemment qu'elles ne valoient rien pour moi : fi elles euiTent été bonnes

VIII. DIALOGUE.

147

nés pouf moi, Dièu ne me les- auroit pas ôtées, cela eft bien fût. Lady Senjee. Si l'on penfoit toujours à cela nia Bonne, on n'auroit jamais de chagrin. Madent. Bonne. Cela eft vrai, ma chère; c'eft pour cela que nous voyons quelquefois des perfonnes qui nous paroiiTent très-malheureufes, & qui font pourtant fort contentes» Allons, Lady Charlotte, dites-nOus votre hiitoire. Lady Charlotte. Abraham, voulant marier fon fils Ifaac, appella fon Intendant, & lui dit d'aller dans le pays, ou demeuroit fon frère, qui s'appelloit Nacor, pour chercher une femme à fon fils. Quand i'Intendant fut arrivé dans le pays de Nacor, il pria Dieu de faire reuifir fon voyage, & dit; Seigneur, montrez-moi la femme que vous voulez donner à mon jeune maître; & comme il s'étoit aflis auprès d'un puits, il dit encore à Dieu: Seigneur, les filles de la ville vont venir chercher de l'eau à la fontaine ; je leur demanderai à boire; infpirez à celle qui doit être la femme d'IJaac, de me préfenter honnêtement fa cruche, & de m'offrir auffi à boire pour mes chameaux. En même-tems les filles fortirent de la ville, & il y en avoit une qui étoit fort belle. L'Intendant K i s'appro-

148

VIII.

DIALOGUE.

s'approcha d'elle & lui demanda à boire: de tout mon cœur, lui dit cette fille; en mêmetems elle baiflà fa cruche & lui dit; je veux auiïï donner à vos chameaux. L'Intendant lui demanda comment elle s'appelloit ? Elle lui répondit; je m'appelle Rébecca; mon grand père fe nommoit Nacor. Alors l'Intendant remercia Dieu, & fit pre'fent à Rébecca d'une bague d'or & de belles boucles d'oreilles. Rébecca courut à fa maifon, pour montrer fes préfens à fes frères ; car elle favoit qu'une fille ne doit pas prendre des préfens des hommes, lans la perrhillîon de fes parens. Laban, frère de Rébecca, ayant vu. ces préfens courut à la fontaine, & pria l'Intendant de venir loger chez lui. Cet homme ne voulut, ni boire, ni manger, qu'il n'eût fait facommiflîon. Il demanda Rébecca en mariage pour Ifaac, & fes frères y confentirent. Ils dirent enfuite à Rébecca; voulez-vous aller avec cet homme pour e'poufer votre coufin Ifaac ? Elle répondit, je le veux bien ; & elle partit avec l'Intendant, qui lui fit de. beaux préfens & à fes frères. Quand ils eurent marché bien long-tems, Rébecca vit un homme qui fe promenoit dans les champs, & l'Intendant lui ayant dit que c'étoit Ifaac, elle mit fon voile fur fa tête; & Ifaac l'e'poufa" bient ô t , & il aima tellement Rcbecca, qu'elle le confola un peu de la mort de fa Mère Sara, qui mourut peu de tems après. Mijs

VIII. D i a l o g u e .

Mifs

149

Molly.

Cette hiftoire eft bien belle, ma Bonne; mais je voudrois favoir, pourquoi Abraham envoyoit li loin pour chercher une femme à Ton fils ? eft-ce qu'il n'y avoit pas de filles dans le pays où il étoit ?

Madem. Bonne. Il y en avoit, ma chère; mais ces filles n'e'toient pas fort fages, & Abraham vouloit donner une bonne femme à fon fils, & ne fe foucioit pas qu'elle fût riche. Remarquez, mes enfans, ce que fit l'Intendant d'Abraham. Il pria Dieu de lui trouver une femme pour ion maitre. Cela nous apprend à demander à Dieu tous nos befoins: il eft fibon qu'il ne s'offenfe pas de cette liberte'. Il faut ,lui demander ge'ne'ralement toutes les chofes qui nous font néceflàires.

Lady

Mary.

Mais le bon Dieu fait bien que nous avons befoin de ces chofes; ainfi il n'eft pas ne'ceffaire de les lui demander.

Madem. Bonne. Pardonnez-moi, ma chère. Dieu fait biea que nous avons befoin de pain, cependant Ié/iuChrift nous ordonne de lui en demander tousi les jours ; dans la prière qu'il nous a enfeigné. Ne dites-vous pas tous les matins & foirs dans votre prière: donne-nous notre pain quotidien, c'eft-à-dire, le pain de tous les jours? K 3 Ladjt

I jo

VIII.

DIALOGUE.

Lady Charlotte, Cela eft vrai, ma Bonne, je n'y avois jamais fait attention.

Lady Senfée. Pour moi, je demande toujours au bon Dieu tout ce que j'ai befoin. Quand je commence mes leçons, je le prie de me faire la grâce de bien apprendre; quand Maman eft malade, ou mes fgeurs, ou Papa, je le prie de les guérir; quand j'ai envie d'avoir quelque chofe, je prie Dieu d'infpirer à Maman de me la donner, & Dieu eft fi bon, qu'il m'acçordç toujours tout ce que je lui demande.

Modem.

Bonne.

Confervcz bien cette habitude, ma chère. Accoutumons-nous, mes enfans, à regarder Dieu comme notre bon père & notre maître. Un enfant demande avec confiance les choies juftes à fon père, un domeftique à fon maître. Mais comme nous ne favons pas nos vrais befoins, & que nous pourrions demander des choies, qui ne feraient pas bonnes pour nous, difons toujours; accordez - moi cette choie, Seigneur, fi elle eft bonne pour votre gloire, & mon iàlut. Voyons à preTent, fi nous dirons quelque chofè de la Géographie. La dernière fois, nous avons parlé des noms qu'on donne aux différentes parties de la terre, c'eftà dire; du Continent, de l'Isle, de la pret-

gu'Itlc,

VIII. D I A L O G U E .

151

qu'Isle, de l'Jfthme & du Cap; il faut apprendre aujourd'hui les différens noms, qu'on donne aux différentes parties de l'eau. Voyez-vous ce grand amas d'eau? on l'appelle Océan ; on l'appelle aufli Mer, de l'amertume de fon eau: il y en a quatre, qui prennent leurs noms des côtés, ou points du Monde, vers lesquels ils font iïtués; ce font l'Océan Septentrional ; l'Océan Méridional l'Océan Oriental & l'Océan Occidintal. Oh appelle Golfe, une Portion de l'Océan qui s'avance dans les terres. Baye eft un Golfe dont l'ouverture eft grande. Archipel eft une Mer où il y a un amas d'isles ; Détroit eft un paflàge d'une Mer à une autre, Lac çft un amas d'eau, entouré de terre; & Rivière, une eau qui coule toujours. Çomprençï-yous cela, mes enfans ?

Lady Charlotte'. Oui, ma Bonne; un- Golfe eft une Mer, qui s'avance dans la terre, comme le Golfe de. Vénife; un Détroit eft une ruë de Mer, qui joint deux Mers enfemble, comme le Détroit de Gibraltar, qui joint le grand Océan à la mer Méditerranée.

Modem. Bonne. Fort bien: on appelle aufli un Détroit, une Mer reilèrrée entre deux terres : voyez fur cette carte. Entre l'Isle de Corfe, & l'Isle de K. 4 Sar-

152

VIII.

DIALOGUE.

Surdaigne, il y a, une petite rue de Mer; ont la nomme le Détroit de Boniface.

Lady Spirituelle. Ma Bonne, d'où vient appelle-t'on la petite rue de Mer, qui eft entre l'Italie & la Sitile, le Phare de MeJJìne ? que veut dire ce mot de Phare?

Madera. Bonne. Je ne fais pas le Grec, ma chère, & ce mot vient du Grec ; mais nous pouvons le deviner, Les vaiilèaux qui font fur la mer, ne peuvent fans danger, s'approcher de la terre. Pour les avertir que la terre n'eft pas loin, on met du feu, où de la lumière fur le bord de la Mer, & alors les gens qui font daas les vaiifeaux, voyant ce feu, ou cette lumière pendant la nuit, n'approchent pas. O r , il y avoit un Roi en Egypte, nommé Ptolomée, qui fit bâtir une Tour de marbre, qui étoit fi belle, qu'on a dit -qu'elle e'toit line des fept merveilles du Monde. On mettoit une lumièT re au haut de cette T o u r , qu'on appella Pharos, pour avertir les vaiilèaux; & depuis ce tems, on a nommé Pharos les endroits élevés, où l'on met de la lumière la nuit-pour ceux qui font fur la Mer; & c'eft une de ces Tours, qui s'appelloit le Phare de MeJJtne, qui a donné le nom à ce Détroit. Nous pouvons donc penfer que le, mot de Pharos veut dire me lumière qui conduit pendant la nuit. Lady

VIII.

DIALOGUE.

Lady

>53

Mary.

Ainfi, les lanternes qui font aux portes, font des Pharos,

Madem. Bonne. Oui, ma chère.

Mifs Molly.

Vous nous avez dit, qu'il y avoit fept merveilles du monde. Apprennez-nous quelles font les autres.

Madem. Bonne.

Je vais vous les dire toutes comme je les iàis. Les Murailles & les Jardins de Babylone, le Phare d'Alexandrie, le Tombeau de Maufole, le Colojfede Rhodes, le Temple de Diane à Ephèfe, le Labyrinthe de Minos dans l'islc de Crète, les Pyramides ÍEgypte.

,

Lady Charlotte.

Qu'eft-ce que c'étoit que toutes ceschofes?

Madem. Bonne. Lady Senfée va vous les expliquer, mes en* fans. Allons, ma chère, apprenez à ces Dames ce que c'e'toit que le Tombeau de Maujole.

Lady Senfée. Il y avóit une Reine de Carie, nommée Artemife, qui aimoit beaucoup fon mari Maufole. Il mourut, & elle lui fit faire un Tombeau magnifique. Depuis ce tems, on appelle Maufotées, les ouvrages que l'on fait pour honorer la mémoire des morts.

Lady Charlotte. Ah ! voilà pourquoi on nomme Mauiole'es, K. s ces

154

VIII. D I A L O G U E ,

ces-figures de marbre qui font à Weilminfter. Je n'oublierai pas d'où vient ce nom.

Lady Senfée.

Quoique ce Tombeau, qu'Artémife avoit fait bâtir, fut fi magnifique, elle ne le trouva pas digne de recevoir les cendres de fon mari.

Lady

Charlotte.

Ou les mit-elle donc, Madame ?

Lady Senfée,

Elle les mêloit chaque jour avec fa ioupe & ion vin; ainfi, elle les avala tout-à-fait.

Lady

Spirituelle.

N'eft-ce pas cette Artêmife, qui combattit pour Xerxès, Roi de Perfe, contre les Grecs,

à Sdamine.

Madera. Bonne.

Non, ma chère, celle là vivoit auparavant. Il faut nous fe'parer, mes Dames, il eli tard. JLa première fois nous parlerons des autres iherveill,es du Monde.

IX, DIALOGUE. Septième Journée.

Lady

Mary.

Bon jour, ma Bonne; nous direz-vous un joli conte de fe'e, aujourd'hui ?

Modem.

Bonne.

Non, ma chère, mais à la place d'un conte

154

VIII. D I A L O G U E ,

ces-figures de marbre qui font à Weilminfter. Je n'oublierai pas d'où vient ce nom.

Lady Senfée.

Quoique ce Tombeau, qu'Artémife avoit fait bâtir, fut fi magnifique, elle ne le trouva pas digne de recevoir les cendres de fon mari.

Lady

Charlotte.

Ou les mit-elle donc, Madame ?

Lady Senfée,

Elle les mêloit chaque jour avec fa ioupe & ion vin; ainfi, elle les avala tout-à-fait.

Lady

Spirituelle.

N'eft-ce pas cette Artêmife, qui combattit pour Xerxès, Roi de Perfe, contre les Grecs,

à Sdamine.

Madera. Bonne.

Non, ma chère, celle là vivoit auparavant. Il faut nous fe'parer, mes Dames, il eli tard. JLa première fois nous parlerons des autres iherveill,es du Monde.

IX, DIALOGUE. Septième Journée.

Lady

Mary.

Bon jour, ma Bonne; nous direz-vous un joli conte de fe'e, aujourd'hui ?

Modem.

Bonne.

Non, ma chère, mais à la place d'un conte

IX.

DIALOGUE.

te de fée, Lady Senfée vous dira la fable du Labyrinthe, qui étoit une des fept merveilles du Monde. Quand je dis que c'eit une fable, ce n'eit pas qu'il n'y ait pas eu un Labyrinthe,

un Minoi, un Tkéjée, & les autres perfonnes,

dont nous allons parler; mais c'eit qu'on a mêlé des fables aux actions véritables de ces gens là. Allons, Lady SenJee, commencez.

Lady Senfée.

Il y avoit un Roi de Crête, nommé Minor, Les Athéniens, ayant tué fon fils, il leur déclara la guerre, & remporta la victoire, & condamna les Atheniens a lui donner, tous les neuf ans, fept garçons & fept filles, pour être dévorés par Minotaure. Ce Mimtaure étoit un monftre, moitié homme & moitié taureau. , Il demeurait dans une maifon, qu'on nommoit le Labyrinthe. Cette maifon étoit faite de façon, qu'on ne pouvoit retrouver fon chemin, quand on y étoit entré ; car il y avoit mille tours & détours. Ainfi, les pauvres Athéniens, qu'on mettoit dans cette maifon, y feraient morts de faim, quand même ils n'auraient pas été mangés par lç menitre. LQ fils du Roi d'Athenes, qui fe nommoit Théfée, réfolut d'aller en Crête, avec les jeunes gens, qu'on y envoyoit, afin de tuer le Minotaure. Quand il fut arrivé dans ce pays, la fille do Minos, appelle'e Ariadne, devint amoureufe dq Théfée. Il lui promit de l'enlever, fi elle vouloit lui fauver la vie. Ariadne lui donna un peloton

j$6

IX.

DIALOGUE.

loton de fil, & lui dit de l'attacher à la porte du Labyrinthe. Il tenoit le peloton dans fa main, & devidoit le fil, à mefure qu'il avançoit. Ayant rencontré le Minotaure, il le tua ; & ayant fuivi fon fil, il retrouva la porte & fortit. Ainfi, les Athéniens ne furent plus obligés d'envoyer perfonne, pour être mangé par ce monftre. Quand Théfée retourna dans Athènes, Ariadne s'enfuit avec lui ; mais il la méprifa, parce qu'une fille, qui s'en va avec un homme, ne mérite pas d'être eftimée. Il fe leva donc de grand matin, pendant qu'elle dormoit dans une Isle, où ils étoient defcendus pour paflèr la nuit. Quand Ariadne iè réveilla, & qu'elle vit que le vaiiîèau étoit parti, elle pleura & avoit bien du regret d'avoir quitté la maifon. de fon père, mais fes regrets étoient inutiles. Bacchus, Dieu du vin, paflâ par-là, & comme Ariadne étoit belle, il en eut compaflion, & l'époufa. Elle avoit une couronne fur la tête, Bacchus la jetta au Ciel, & la changea en étoiles. Quand Théfée partit d'Athènes, il promit à fon père Egée, s'il étoit vidorieux, de mettre un drapeau blanc au haut de fon vaiiîèau ; il l'oublia, & fon père, qui venoit tous les jours voir file vaiiîèau n'arrivoit point, le voyant fans drapeau, crut que fon fils étoit mort, & fe jetta dans la mer. Théfée envoya des préfens au Dieu Apollon pour le remercier de fa viâoire, & il ordanna que tous les ans on enverroit le même vaiiîèau avec des préfens. Tonfc

IX. D I A L O G U E .

I57

Tout le tems que ce vaifleau étoit hors d'Athènes, on ne pouvoit faire mourir perfonne, & on attendoit qu'il fût revenu.

Lady Charlotte.

M a Bonne, ce Théfée étoit un méchant homme, d'abandonner ainfi cette pauvre Frinceiïè, qui lui avoit fauve la vie,

Madem. Bonne. Cela eft vrai, ma chère; mais s'il ne l'avoit pas laiiîee là, il auroit fallu qu'il l'epoufât, & il eft fàcheaux d'époufer une fille, qui court après les hommes. Tant qu'il eut befoin d'ell e , il lui fit les plus belles promeiles du monde; mais les hommes ne fe croient pas obligés de garder les promeiTes qu'ils font aux femmes ; ils font charmés de pouvoir les attraper pour s'en moquer après, & dire à tout le monde: voyez Lady une telle, je lui ai dit qu'elle e'toit belle, que je l'aimois, & elle eft ailèz fotte pour me croire.

Lady

Mary.

Fi, que cela eft vilain, ce font des menteurs. Mais tous les hommes font-ils comme cela, ma Bonne? n'y a-t'il point une marque, pour connoitre ceux qui nous aiment tout de bon, & ceux qui fe moquent de nous?

Madem, Bonne. Oui, ma chère. Je fuppofe que vous foyez une grande fille, & qu'un Gentil-homme de-

IX.

DIALOGUE.

devienne amoureux de vous. Si c'efl: tout dè bon, il ne vous le dira pas, mais il ira trouver votre papa & votre maman, & il leur dira : votre fille eit bien aimable ; fi vous voulez me la donner pour ma femme, je vous ferai bien oblige', car je l'aime beaucoup. Si cet homme veut fe moquer de vous, il vous dira fecrétement qu'il vous aime, & vous priera de n'en point parler à votre papa.

Lady

Mary.

Fort bien ; & moi, je lui dirai tout d'abord; Mr. je dirai à mon papa que vous m'aimez. Il fera bien attrapé, s'il me le difoit pour fe moquer de moi. N'eit-ce pas ma Bonne?

JVLadem. Bonne. O u i , ma clière; cela le rendra tout honteux, & vous ne manquerez pas d'en avertir le papa, ou la maman; mais il ne faut dire cela qu'à eux, & jamais à vos bonnes amies, ni à votre femme de chambre.

Lady Spirituelle. Ma Bonne, j'ai une grande envie defavoir ce qu'il y a de vrai, dans ce que Lady Senj'ée vient de nous dire.

Madem. Bonne.

Presque tout, ma chère. Au-lieu du monftre, c'e'toit un Capitaine Cretois, nommé Tau-

rus. Au-lieu du peloton de fil, Ariadne donna à

Théfée la carte du Labyrinthe; & au-lieu dé

IX. D i a l o g u e »

1J9

de Bacchus, cette PrinceiTe époufa un Prétro de ce Dieu. Je vais vous expliquer les autres quatre merveilles du Monde. Les Murailles de Babylone entouroient cette ville, la Capitale du plus ancien Empire du monde ; elles avoient 50 milles d'étendue, & 200 pieds de haut. Elles-itoient fi larges, quefixchars y pouvoient pafler de front, fans incommoder. Les Jardins fufpendus de Babylone, ont e'té un ouvrage aufli merveilleux que fes murailles. Le Colojfe de Rhodes étoit une Statue d'airain d'une grandeur déméfurée, qui avoit la figure d'un homme. Las Rbodïens la confacrèrent au Dieu Apollon» & la placèrent à l'entre'e du port de la ville de Rhodes, dans l'Isle de ce nom. Elle étoit fi haute, & fes pieds étoient pofés fur deux rochers fi écartés, que. les vaiflèaux lui paifoient à pleines voiles entre les jambes. Elle fut renverfée par un tremblement de terre. Le Temple de Diana étoit ce fuperbe édifice, dans la ville d'Ephèfe, qui avoit été dédié à la Déeilè Diane, L'extravagant Héroftrate le brûla, pour fe rendre fameux dans l'hiftoire. Les Pyramides d'Egypte font des ouvrages fameux, bâtis depuis quatre mille ans, que l'on voit encore dans le voifinage du GrandCaire. Elles fervoient de fépulture aux Rois d'Egypte. On fut vingt ans à conftruire la plus grande, & on y employa 566 mille ouvriers.

I6O

IX.

DIALOGUE.

vriers. On y avoir marqué, qu'il en avóit coûté Amplement pour les ails, les poireaux, les oignons & autres légumes, fournis aux ouvriers, dix huit cent ta lens, qui font environ quatrecent mille livres fterling. Mais en voilà aflèz pour la fable, aujourdhui. Difons un m o t de la Géographie. Prenons notre carte. Nous allons divifer l'Europe en trois principales parties, en partie du Nord, en partie du Milieu, & en partie du Sud. La partie du Nord comprend de l'Oueft à l ' E f t , les Isles Britanniques, qui confiftent en deux grandes, & un grand nombre de petites. La plus confidérable eft la Grande - Bretagne. Dans celle-ci, il y a deux Royaumes ; YAngleterre an Sud, & YEcoJJe au Nord. L'autre Isle, qui eft plus petite, s'appelle Y Irlande.

Lady Mary.

Je ne iàvois pas que je demeurois dans la Grande - Brétagne.

Madem. Bonne. Cela eft vrai, ma chère ; Londres eft la principale ville, ou la Capitale de VAngleterre. Edimbourg éft la Capitale de YEçoffe, & Dublin eft la Capitale de Y Irlande. Ces trois R o y aumes font au même Prince, qu'on appelle R o i $ Angleterre. A l'Eft de Y Angleterre, on trouve le Dannemarc, dont la Capitale eft Copenhague, dans l'Isle de Zeeland. La Norwegue, qui eft au N o r d du Dannemarc: appar-

IX.

DIALOGUE.

partient auiïi au Roi de Bnmiemarc: fa ville Capitale eft Chrijliaua. Ce Roi poiTède aufli Vislande, & cette Isle eft encore plus au Nord de l'Europe, que Y Angleterre. A l'Eft de la Norwege on trouve la Suède, autour du Golfe de Bothnie, dans la Mer Baltique.. La Capitale eft Stockholm. Enfin à l'Eft de la Suède, on trouve la RuJJte, ou Mofcouie, qui eft, un très-grand pays : ià ville Capitale eft Mojcow, mais aujourd'hui, Petersbourg en eft la plus belle ville \ & la réfidence de l'Imperatrice, & de la Coür de RuJJte. Voilà donc cinq parties principales de 1 Europe au Nord : retenez-les bien. La première fois, nous apprendrons les parties du milieu.

Lady Spirituelle. Ma Bonne, j'ai lu hier, dans le Magazin François, l'hiftoire de Pierre le Grand, qui a bâti la ville de Petersbourg. Je l'ai trouvée toute femblable au conte du Prince Charmant, que vous nous avez raconté l'autre jour.

Madera. Bonne. C'eft presque le même, ma chère ; & le Roi Abjolu reflemble un peu à Charles douze, Roi de Suède. Je vous prêterai fon hiftoire, quand vous aurez fini de lire Mr. Rollin. Allons ! Mesdames, voyons ce que vous avez appris de l'hiftoire,fainte. »

Lady

Mary.

Quand Ifaac eut époufé Rébecca, il pria Dieu Tome I. L de

162

IX.

DIALOGUE.

de lui envoyer des enfans. Elle eut deux fils, l'aine' fut nommé EJàii, & le fécond Jacob. Vous favez bien, Mesdames, qu'ordinairement il n'y a parmi les nobles, que l'aine qui ait un titre, & qui foit Lord; le fécond ne l'eft pas. On difoit donc Milord EJàii, & Maitre Jacob. Un jour, Milord fut à la chaife, & quand il revint à la maifon, il avoit une grande faim. Il trouva Maitre Jacob, qui venoit de faire une foupe aux lentilles, & qui alloit la manger. Milord EJàii lui dit, mon frère, donnez-moi votre foupe. Je l'ai faite pour moi, répondit Jacob ; mais fi vous voulez me donner votre titre, je vous donnerai ma foupe. EJàii, qui e'toit un gourmand vendit fon titre pour cette foupe, ainfi, Jacob devint l'aine' & fut Lord, au lieu qu'EJàii ne fut plus que Maitre.

Madem. Bonne.

Vous voyez, Mesdames, combien la gourmandife fait faire de fottifes. C'eft un vilain de'faut. Outre que c'eft un pe'che' d'être gourmande, cela rend malade, ftupide, & fait mourir jeune: mais je ne vous en dirai pas davantage fur cet article ; je vous eftime trop, mes enfans, pour croire que vous foyez gourmandes. C'eft un vice fi bas, fi honteux, que je ne voudrais pas foufrrir en votre compagnie, une jeune Dame que je croyerois gourmande. Vous rougiiièz, Mils Molly, auriez vous eu le malheur de faire quelque faute fur cet article?

IX. D I A L O G U E .

Mifs

163

Molly.

Oui, ma Bonne. Il y a quelques jours que ma fervante ne voulut pas me donner du the' le foir, & j'ai pleure' pendant plus d'une heure.

Madem. Bonne. Il faut vous corriger de ce vilain défaut, machère, & fi vous voulez être bonne fille, & que je vous aime encore, il faut réparer votre faute. Voyons, que ferez-voi^ pour cela ?

Miß

Molly.

Je ferai huit jours fans prendre du thé, mû Bonne, mais, aufli vous ne penferez plus à cette fottife que j'ai faite.

Madem. Bonne. Pourquoi y penferois-je, ma bonne amie? Quand nous fommes fâchées de nos fautes, & que nous les réparons, le bon Dieu les oublie ; je n'ai garde de m'en fouvenir. Dites votre hiftoire,\ ma chère.

Mifs

Molly.

Efaü n'aimoit pas fon frère Jacob, parce qu'il lui avoit acheté fon titre, & qu'il lui avoit volé la bénédiâion de fon père Rébecca dit à Jacob ; j'ai peur que votre frère Efaii ne fe venge de vous ; ainii, mon fils, allez trouver votre oncle Laban, & demeurez avec l u i , jusqu'à ce que la colère de votre frère foit paiTée. Laban avoit deux filles. Léa l'ainée, étoit laiL 3 de,

R64

DIALOGUE.

de, & Rachel la fécondé, e'toit belle. Jacob devint amoureux de Rachel, & la demanda en mariage à Laban, qui lui dit, je vous donnerai ma fille Rachel; il vous voulez être mon domeftique pendant fept ans. Jacob y confentit, & il aimoit tant Rachel, que ces fept années lui parurent comme fept jours: Au bout de ce tems, il croyoit e'poufer Rachel, mais Laban le trompa, & mit dans le lit, là fille Léà. Comme Jacob fe coucha fans chandelle, il ne s'apperçut pas que fon beau père l'avoit trompé; mais le matin il fut bien fâché. Laban lui dit ; ce n'eft pas la coutume de marier la plus jeune avant l'ainée, mais fi vous voulez me fervir encore fept ans, je vous donnerai Rachelt dans huit jours, Jacob y confentit, & après ce tems, Laban, qui voyoit que Dieu le béniffoit, à caufe de Jacob, le pria de relier chez lui & lui promit une bonne récompenfe : mais il cherchoit à le tromper, ce qui n'empêcha pas Jacob de devenir très-riche. H n'aimoit point fa femme Léa, & Dieu eut pitié d'elle. Il lui donna UQ grand nombre denfans, & Rachel n'en avoit point. A la fin, pourtant, elle eut un fils qui fut nommé JoJ'eph. Cependant Jacob quitta fon beau-père Laban, & revint dans fon pays. Mais comme il en étoit proche, il apprit que fon frère Efau venoit au devant de lui, avec un grand nombre d'hommes armés. Il eut peur, mais Dieu lui envoya un ange

IX. D I A L O G U E .

ange pour le raflïirer : & Jacob appaiià k colère de fon frère pas fes préfens.

Madem.

Bonne.

Allons! Lady Charlotte, dites-nous votre hiftoire.

Lady

Charlotte.

Jacob s'arrêta avez fa famille près de la ville de Sichem. Il avoit douze garçons, & une fille nomme'e Dîna. Cette fille, qui étoit curieufe, voulut voir les filles de Sichem. Elle fortit donc, & le fils du Roi l'ayant vue, en devint amoureux, & l'enleva. Les fils de Ja~ cob, ayant appris cela, furent fort en colère; mais le Roi leur dit, ne vous fâchez pas, donnez-moi votre fœur pour être la femme de mon fils, & devenons amis les uns & les autres. Les frères de Dina y confentirent; mais deux d'entre eux, qu'on nommoit Siméon & Lévi, réfolurent de ie venger. Ils tuèrent en trahifon le Roi, fon fils & tous les hommes de Sichem, & firent leurs femmes prifonnières. Jacob fut bien fâché quand il fut cette mauvaife aâion, & il avoit peur que les peuples des villes voifines, ne lui fiilènt la guerre. Dieu le raflura, & lui promit comme il avoit fait à Abraham & à IJaac, de donner à fes enfans ce pays, dans lequel il demeuroit a£tuellement. Jacob quitta cet endroit & vint demeurer à Bêthel, qu'on a depuis appelle' BethL 3 léem.

166

IX.

DIALOGUE.

léem. Quand ils y furent arrives, Rachel eut encore un fils, & elle mourut quand il vint au inonde. Elle le n o m m a Benoni, c'eft à - d i r e , l'enfant de m a douleur; mais Jacob l'appella Benjamin. E t Rachel fut enterrée auprès de Bethléem. Lady Spirituelle. Ma Bonne; il me il-mble que les enfans de Jacob n'étoient pas tous honnêtes gens. Ce Siméon & ce Lev i étoient bien cruels, de tuer tous les gens de la ville de Sichem, qui n'étoient pas coupables. Madem. Borne. Ils étoient presque tous de grands coquins, comme vous le veïrez bientôt. Juda, l'ainé, a commis de grands crimes ; mais il en avoit un qui étoit un fort honnête-homme, c'etoit Jofeph, Lady Seufée. Ma Dieu, je ne comprends pas pourquoi les hommes font méchans. 11 y a tant de plaifir à faire fou devoir. Four moi, quand j'ai fait une faute, j'en fois fi tourmentée, qu'il ne m'eit pas p o t fi ble de dormir toute la nuit. Eft-ce que Lévi & Simeón, qui tuèrent tous ces gens, n'étoient pas au (Il tourmentes ? Madem. B o n n e . O u i , ma chère. Dans le commencement qu'on eft méchant, la confcience tourmente ; mais, quand malgré fes reproches, on continué à commettre le crime, petit à petit les remords diminuent, & i la fin, la confcience ne dit plus m o t ; ce qui eft le plus grand de tous les malheurs. Remarquez auífií mes enfans, combien il eft dangereux pour une jeune Dame, d'être curieufe, & d'aimer à courir. Si Dirut avoit

IX. D I A L O G U E .

167

avoit reflé chez elle, elle n'auroit pas cauiè les o f f i o ^ables malheurs que nous venons d'entendre. Les femmes font faites pour la retraite, il faut qu'elles s'accoutument à l'aimer & j'ai très mauvaiiè opinion d'une fille qui aime à c o u r i r , & à le taire voir partout. J e vous dilois, il y a quelque teins, que les femmes étoient deftihees à veiller fur leurs familles: C o m m e n t les peuvent-elles faire, fi elles lbnt toujours hors de leur niailon ?

Lady Spirituelle.

v

Mais, ma Bonne, quand on eit riche, on a de domeUiques, pour veiller lur ià f a m i l l e ; je crus oit qu'il n ' y avc.it que les pauvres femmes qui dullent s'occupèf du loin de leur maifon.

Madem. Bonne. V o u s vous trompiez, 1111 chère. Dieu n'à pas dit que les riches ne mang jroicnt pas leur pain à la lueur de leur front. T o u t le monde doit travailler; c'ell la pénitence de tout le m o n d e ; & le travail d'une L a d y , comme d'une marchande, eft d'avoir loin de fa famille. J e fuppofe m i m e , que l'oifiveté ne f u t pas un p é c h é ; les Dames devroient toujours s'occuper du foin de leurs maifons. Retenez bien ceci mes enfans. Quand vous feriez beaucoup plus riches que vous n ' ê t e s , fi vous ne prenez pas garde à vos affaires , vos domcltique* vous voleront ; les marchands feront d'accord avec eux pour vous vendre trop c h e r ; vous deviendrez pauvres, ou du moins .vos enfans le deviendront. Or il n ' y a rien de plus honteux, que de devenir pauvre par là f a u t e : tout le monde iè moque de ces pauvres l à , loin d'en avoir pitié, on les inéprife.

Lady Mary. V o u s dites que tout le monde eft oblige de travailler, mais les Rois & les Reines n ' y font pas obligés.

Madem.

168

IX. D I A L O G U E .

Madem. Bonne. Je vous demande pardon, ma chère; un bon Roi, une bonne Reine travaillent beaucoup plus que le plus pauvre de leurs fujets. Il y a deux fortes de manières de travailler, Mesdames; un..payfan travaille à la terre, un menuifier travaille lui- le bois, une couturière fait des habits ; mais ce travail-là îï'cft pas fort difficile. Celui où l'elprit travaille, l'eft bien davantage ; & voilà l'ouvrage des Rois & des Reines. Comme Dieu leur demandera compte de tout le mal, qui fe fait par leur faute & leur négligence, ils doivent penfer jour & nuit, à s'inftruire de tout ce qui le fait dans leur Royaume; &je vous aifure qu'un bon Roi, & un grand Roi n'a pas un moment de repos. Lady Spirituelle. Si. cela eft, ma Bonne, il n'y a pas beaucoup de phifir à être Roi. Madem. Bonne. Pardonnez moi, ma chère. Un Roi peut être le plus heureux de tous les hommes ; mais, pour le. devenir, il faut qu'il ne fe donne pas un moment de repos. Ce travail, que vous regardez comme une peine, fait tout le bonheur, & toute la gloire de là vie. Dites-moi, je vous prie, une bonne mère trouve-t'elle de la peine à s'occuper de lès enfnns? non, iàns doute. Eh bien! un bon Roi eft le père de fes fujets : loin de trouver de la peine à s'occuper des choies qui peuvent les rendre heureux cela lui donne une làtisfaftion infinie. Adieu, mes enfans. La leçon a été un peu courte aujourd'hui, car je fuis incommodée, nous récompeuferons cela la première fois. Fin du premier Tome.

M AGAZIN DES

ENFANS, ou

DIALOGUES ENTRE

une fage G O U V E R N A N T E ET

plufieurs de fes É L È V E S de la premie're D I S T I N C T I O N , Dans lesquels on fait penfer, parler, agir les jeunes Gens fuivant le génie, le tempérament, & les inclinations d'un chacun» On y repréfente les défauts de leur âge, & l'on y montre de quelle manière on peut les en corriger; on s'applique autant à leur former le cœur, qu'à leur éclairer l'efprit. • On y donne un Abrégé de l'Hiftoire Sacrée, de la Fable, de la Géographie, &c. le tout rempli de Réflexions utiles, & de, Contes moraux pour les amulèr agréablement; &• écrit d'un ftile fimple & proportionné à la tendrefle de leurs années. PAR M a d . L E P R I N C E DE B E A U M O N T . TOME

SECOND.

B E R L I N . CHEZ

A R N O L D . W E V E R .

MDCCLXXXIU

M A G A Z I N DES

E N F A N S. X. DIALOGUE. Huitième Journée.

Madem.

Bonne.

l i o n jour Mesdames; aujourd'hui je vais vous rendre bien cojiténtes : j'ai lu hier un fort joli conte, & je vais vous le raconter. Il y avoit une fois un Roi qui aimoit pafiîonnément une Princeffe ; mais elle ne pouvoit pas fe marier, parce qu'elle e'toit enchantée. Il fut confulter une fe'e, pour favoir comment il devoit faire pour être aimé de cette PrinceiTe. La fée lui dit: Vous iàvez qu? la Princeflè a un gros chat qu'elle aime beaucoup ; elle doit époufer celui qui ièra affez adroit, pour marcher fur la queue de fon chat. Le Prince dit en lui-même; cela ne fera pas fort difficile. Il quitta donc la fée, déTome II. A a ter-

4

X.

DIALOGUE.

terminé à écraièr la queue du chat, plutôt que de manquer à marcher deflus. Il courut au palais de ià Maîtreflè. Minon vint au devant de lui, faifant le gros dos, comme il avoit coutume : le R o i leva le pied ; mais lorsqu'il croyoit l'avoir mis fur la queue, Minon fe retourna fi vite, qu'il ne prit rien fous fon pied. Il fut pendant huit jours à chercher à marcher fur cette fatale queue: mais il fembloit qu'elle fut pleine de vifargent, car elle remuoit toujours. Enfin, le R o i eut le bonheur de furprendre Minon pendant qu'il étoit endormi , & lui appuya le pied fur la queiie de toute fa force. Minon fe re'veilla en miaulant horriblement, puis, tout-à-coup, il prit la figure d'un grand homme, & régardant le Prince avec des yeux pleins de colèré, il lui dit: T u épouferas la Princeflè, puisque tu as détruit l'enchantement qui t'en empêchoit, mais je m'en vengerai. T u auras un fils, qui fera toujours malheureux, jusqu'au moment où il connoitra qu'il aura le nez trop l o n g , & fi tu parles de la menace que je te fais, tu mourras fur le champ. Quoique le Roi fut fort effrayé de voir ce grand homme, qui étoit un enchanteur, il ne put s'empêcher de rire de ceite menace. Si mon fils a le nez trop long, dit-il en lui-même, a moins qu'il ne loit aveugle, ou manchot, il pourra toujours le v o i r , ou le fentir. L'enchanteur ayant diijparu, le R o i fut

X. D I A L O G U E .

J

fut trouver la Princeilè, qui confentit à l'épouièr, mais il ne vécut pas longtems avec elle, & mourut au bout de huit mois. U n mois après la Reine mit au monde un petit Prince qu'on nomma Défiï. Il avoit de grands yeux bleus, les plus beaux du monde ; une jolie petite bouche, mais fon nez étoit fi grand, qu'il lui'couvroit la moitié' du viiàge. La Reine, fut inconfolable, quand elle vit ce grand nez, mais les Dames qui étoient à côté d'elle, lui dirent que ce nez n'e'toit pas aufli grand qu'il le lui paroiiToit; que c'e'toit un nez à la Romaine, & qu'on voyoit par les hiftoires que tous les héros avoient eu un grand nez. La Reine qui aimoit fon fils à la folie, fut charmée de ce difcours, & à force de regarder Défi-, fon nez ne lui parut plus ii grand. Le Prince fut élevé avec foin, & fitôt qu'il fut parler, on faifoit devant lui toutes fortes de mauvais contes fur les perfonnes qui avoient le nez court. On ne foui&oit auprès de lui, que ceux dont le nez reiTembloit un peu au iîen, & les courtifans, pour faire leur cour à la Reine & à fon fils, tiroient plufieurs fois par jour, le nez de leurs petits enfans, pour le faire allonger ; mais ils avoient beau faire : ils paroiffoient camards auprès du Prince Dejtr. Quand il fut raifonnable, on lui apprit l'hiftoire: & quand on lui parloit de quélque grand Prince, ou de quelque belle PrinceÎTe, A 3 on

6

X.

DIALOGUE.

on difoit toujours qu'ils avoient le nez long. Toute fa chambre étoit pleine de tableaux, où il y avoit de grands nez, & Dejîr s'accoutuma fi bien à regarder la longueur du nez comme une perfection, qu'il n'eut pas voulu pour une couronne, faire ôter une ligne du fien. Lorsqu'il eut vingt ans, & qu'on penfa à le marier, on lui préfenta le portrait de plufieurs Princeflès. Il fut enchanté de celui de Mignone: c'étoit la fille d'un grand Roi; & elle devoit avoir plufieurs Royaumes; mais Dejîr n'y penfoit feulement pas, tant il étoit occupé de fa beauté. Cette Princeflè, qu'il trouvoit charmante, avoit pourtant un petit nez retroufle, qui faifoit le plus joli effet du monde fur fon vifage ; mais, qui jetta les courtifans dans le plus grand embarras. Us avoient pris l'habitude de fe moquer des petits nez, & il leur échàppoit quelquefois de rire de celui de la Princeflè; mais Dejîr n'entendoit pas raillerie fur cet article, & il chafla de fa cour deux courtifans qui avoient ofé parler mal du nez de Mignone. Les autres devenus fages par cet exemple, iè corrigèrent, & il y en eut un qui dit au Prince, qu'à la vérité, un homme ne pouvoit pas être aimable, iàns avoir un grand nez; mais que la beauté des femmes étoit différente; & qu'un favant, qui parloit Grec, lui avoit dit qu'il avoit lu dans un vieux manuicrit Grec, que la belle Cléopatre avoit

le

X . DIALOGUE.

7

le bout du nez retroufle. L e Prince fit un pfe'fent magnifique à celui qui lui dit cette bon* ne -nouvelle ; & il fit partir des Ambailàdeurs pour aller demander Mignons en mariage. O n la lui accorda, & iî fut au devant d'elle plus de trois lieuës, tant il avoit envie de la voir, mais lorsqu'il s'avançoit pour lui baiièr la main, on vit defcendre l'enchanteur qui enleva la Princefle à fes y e u x , & le rendit inconfolable. Dcfir refolut de ne point rentrer dans fon R o y a u m e , qu'il n'eut retrouve' Mignone. Il ne voulut permettre à aucun de fes courtifans de le fuivre, & e'tant monte' fujr un bon cheval, il lui mit la bride fur le c o l , & lui laiilà prendre le chemin qu'il voulut. L e cheval entra dans une grande plaine, où il marcha toute la journe'e iàns trouver une feule maifon. Le maitre & l'animal mouroient de faim ; enfin fur le foir, il vit une caverne, où il y avoit de la lumière. Il y entra, & vit une petite vieille qui paroiiïoit avoir plus de cent ans. Elle mit fes lunettes pour regarder le Prince, mais elle fut long-tems iàhs pouvoir les faire tenir, parce que fon nez étoit trop court. L e Prince & la fe'e (car c'étoit une) firent chacun un éclat de rire en fe regardant, & s'écrièrent tous deux en même tems : ah ! quel drôle de nez. Pas fi drôle que le vôtre, dit Dejir à la f é e ; mais Madame, biffons nos nez pour ce qu'ils font, & foyez affez bonne pour me donA 4 ner

8

X. D I A L O G U E ,

ner quelque chofe à manger, car je meurs de faim, auffi bien que mon pauvre cheval. De tout mon cœur, lui dit la fée. Quoique votre nez foit ridicule, vous n'en êtes pas moins le fils du meilleur de mes amis. J'aimois le Roi votre père, cûmme mon frère ; il avoit le nez fort bien fait, ce Prince. Et que manque-t'il au mien? dit Dejtr. Oh, il n'y manque rien, reprit la fée, au contraire, il n'y a que trop d'étoffe; mais n'importe; on peut être fort honnête homme, & avoir le nez trop long. Je vous difois donc, que j'étois l'amie de votre père ; il me venoit voir fouvent dans ce temslà, & à propos de ce tems-là, favez vous bien

il avoit bien de la peine à fe réfoudre d'aller trouver Pharaon, & il dit: Seigneur, vous favez bien que je n'ai pas la langue fort libre; j'ai eu toute ma vie beaucoup de peine à prononcer, & depuis que je vous ai parlé; j'ai

6o

XII. D I A L O G U E

encore plus de peine. La voix lui répondit. Qui a fait la bouche du muët & de celui qui parle ? N'eft ce pas moi ? Va-t'en, je ferai dans ta Bouche, & puis j'enverrai au devant de toi ton frère Aaron qui parle aifément, & qui fera ton interprête, Moyfc quitta donc cette montagne: & retourna en Egypte; & comme il étoit en chemin, Aaron vint audevant de lui, comme Dieu le lui avoit promis.

Lady Spirituelle. Mon Dieu, ma Bonne, que Cette hiftoire de la Sainte Ecriture eil belle ; je pailèrois les jours & les nuits à l'entendre.

Mifs MoUy. Je vous prie, ma Bonne, dites-moi ce que cela veut dire, je fuis celui qui fuis.

Madem. Bonne. Cela veut dire, je fuis Dieu par moi-même , & fans le fecours de perlonne. J'ai tou* jours été, je ferai toujours. Tout ce qui eft fur la terre, n'eft rien en comparaifon de moi. Les Rois, les Empereurs, les Conquerans, les Riches, les Nobles; tout cela n'eft rien devant moi; tout cela ne fubfifte que par ma volonté; tout le- monde entier eft moins devant moi qu'un grain de pouflière; je pourrois le détruire dans un infant, Je fuis feul, je fuis tout ce qu'il y a

XII. D I A L O G U E .

61

de bon, de grand, de fage, de puiiïànt, d'ai-i mable, de jufte.

•Lady

Spirituelle.

Mais, ma" Bonne, vous dites qu'il n'y a que Dieu qui e f t . Il me femble pourtant, que je fuis auiTi quelque chofe; la terre, le foleil, les hommes, font quelque chofe auiïï: on ne peut donc pas dire qu'il n'y a que Dieu qui loit quelque chofe.

Madem. Bonne.

Pardonnez-moi, ma chère. Vous êtes quelque çhoiè, cela eft vrai, vous avez l'être; mais cet être que vous avez, Dieu vous l'a prêté, il lui appartient, il peut vqus l'ôter dans un moment. Si je vous prêtois ma robe vous ne pourriez pas dire que cette robe fût à vous,; eh bien! votre corps, votre ame, votre efprit, vosparens, vos richeiîès, en un mot tout ce que vous avez, eft à Dieu : il vous l'a prête'. Il n'y a que Dieu à qui on n'a jamais rien donne', ni prêté, parce que rien n'étoit avant lui, & que tout ce qui exjlte, vient de lui. Il eft donc le Maître de tout ce qu'il a & de tout ce qu'il donne ; c'eft-à-dire de tout ce qu; exifte. Voyez, mes enfans, combien il mérite de reconnoilTance & d'amour. Nous aimons ceux qui nous font du bien : or Dieu nous a donné tout ce que nous avons; il eft notre Père, notre Maître, notre Bienfaiteur, il nous aime comme fes enfans; nous.

èz

XII. D I A L O G U E ;

nous ferions donc bien méchantes fi nous re» fufions de l'aimer & de lui obéir.

Lady Senfée, Pour moi, ma Bonne, quand je lis les histoires que ces Dames viennent de répéter, je ne puis m'empêcher de frémir de refpefl.

Madem. Bonne.

Vous avez raifon, ma chère. Nous fommes fi petits devant Dieu, que nous ne pouvons être ailêz pénétrés de refpeâ en fa pre'fence. Dieu eft par-tout, mes bons enfans ; mais il eft d'une manière particulière dans les Temples, & dans les lieux oh l'on prie. C'eft donc un grand péché de lui manquer de refpeâ dans ces lieux, d'y parler, d'y rire, d'y tourner la tête. C'eft donc un péché quand on fait fes prières fans attention. Que diriez-vous, Mesdames, fi une pauvre femme demandoit permiiTion de parler au Roi, & que lorsqu'elle feroit dans fa chambre pour lui demander une grâce, elle lui tournoit le dos-& s'amufoit à rire, & parler avec fes domeftiques?

Lady Mary.

Je dirois qu'elle feroit folié, & je iuis folle aufli quelquefois, car pendant que je fuis à genoux pour parler au bon Dieu, je tourne la tête, & je ne penfe pas à ce que je dis ; mais je veux me corriger, & avant ma prière, je prendrai un petit moment pour penfer que je vais rparler à Dieu.

,, ,

Madem.

XII. D I A L O G U É

63

Madem. Bonne. Je vous silure, fi vous faites cela, que vous n'aurez pas envie de tourner la tête. C'elfc une excellente habitude de penfer fouvent à la pre'fence de Dieu. On ne devient méchante que parce qu'on l'oublie. Si, avant de mentir, de fe mettre en colère, d'être gourmande, on penfoit, je vais commettre ces fautes devant Dieu; il me regarde, il haït les méchants, il peut les punir tout à l'heure: ii, dis-je on penfoit à cela, on ne lerolt pas aiTez effronté pour faire ces fautes. Adieu, Mesdames, je..

Lady Mary.

Ma Bonne, avant de nous en aller, expliquez-moi, je vous prie, un mot que je n'entens pas. On nous a dit que le père de MoyJ'e étoic de la Tribu de Lcvi, qu'eft ce qu'une Tribu ?

Madem. Bonne.

Tribu veut dire Famille. Vous fav,ez, mes enfans, que Jacob avoit douze fils, cela faifoic douze familles, qu'on appella Tribus. Je vais vous les nommer, Ruben, Simeon, Levi> Juda, IjJ'acar, Zabulon, Dan, Gad, Afier, Nephtali, Jofeph, Benjamin. C'e'toient donclà les douze Tribus d'IJiaël, c'eft-à-dire, les douze Familles forties de Jacob. Mais comme Jacob adopta deux des fils de Jofeph, qui s'appelloient Manajfè& Ephrdim, cela fit deux demi Tribus, ou Familles, pour reprelen-

64

XII. D I A L O G U E .

fenter la Tribu de Jofeph. Voilà ce que vous vouliez lavoir, Lady Mary. Mais quand vous m'avez interrompue, j'allois vous dire que nous irons diner à la campagne après demain, & que fi vous voulez venir du matin, nous irons toutes enfemble demander permit fion à vos Mamans, & vous me ferez favoir demain, fi nous vous attendrons.

XIII. D I A L O G U E . Onzième Journée.

Modem. Bonne. Pendant le chemin, Mesdames, je vais vous raconter un joli conte que j'ai lu quelque part.

Conte des trois Souhaits. Il y avoit une fois un homme qui n'e'toit pas fort riche; il fe maria, & épouià une jolie femme. Un foir, en Hiver, qu'ils étoient auprès de leur feu, ils s'entretenoient du bonheur de leurs voifins qui étoient plus riches qu'eux. Oh! fi j'étois la Maîtreflè d'avoir tout ce que je fouhaiterois, dit la femme, je ferois bientôt plus heureufe que tous ces gens-là. Et moi auflx, dit le mari; je voudrois être au tems des fées, & qu'il s'en trouvât une aiTez bonne, pour m'accorder tout ce que je voudrois. Dans le même-tems, ils virent dans leur

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XII. D I A L O G U E .

fenter la Tribu de Jofeph. Voilà ce que vous vouliez lavoir, Lady Mary. Mais quand vous m'avez interrompue, j'allois vous dire que nous irons diner à la campagne après demain, & que fi vous voulez venir du matin, nous irons toutes enfemble demander permit fion à vos Mamans, & vous me ferez favoir demain, fi nous vous attendrons.

XIII. D I A L O G U E . Onzième Journée.

Modem. Bonne. Pendant le chemin, Mesdames, je vais vous raconter un joli conte que j'ai lu quelque part.

Conte des trois Souhaits. Il y avoit une fois un homme qui n'e'toit pas fort riche; il fe maria, & épouià une jolie femme. Un foir, en Hiver, qu'ils étoient auprès de leur feu, ils s'entretenoient du bonheur de leurs voifins qui étoient plus riches qu'eux. Oh! fi j'étois la Maîtreflè d'avoir tout ce que je fouhaiterois, dit la femme, je ferois bientôt plus heureufe que tous ces gens-là. Et moi auflx, dit le mari; je voudrois être au tems des fées, & qu'il s'en trouvât une aiTez bonne, pour m'accorder tout ce que je voudrois. Dans le même-tems, ils virent dans leur

XIII. DIALOGUÉ'.

6?

leut "chambre Ime très-belle Dàmè, qui ïéur dit : jè fuis une fée ; je vous promets de vous accorder les trois premièrês chofes que vous fouhâiterefc: mais prenez y gàrdè ; après aVoir fouhaité trois chofes, je ne vous accorderai plus rien. La féê ayant difparu, cet homme & Cétte femrfte furent très embarra fies. Pour moi, dit la femme, fi je fuis la Maîtreilè, jè lais bien ce que je fouhàiterai : je ne fouhaite pas Êftcore, inais il me femble qu'il n'y a rien de ii bon que d'être belle, riche, & de qualité. Mais, répondit le mari, avec ces chofes on peut être malade, chagrin, on peut mourir jeûne ; il feroit plus làge de fouhaiter dé là fanté, de la joie-, & une longue vie. Et à quoi ferviroit une longue vie, il l'on étoit pauvre, dit fâ femme : cela ne fer viro i c qu'à être malheureux plus loftgtems. En vérité la fée àutoit dû nous promettre de nous accorder uñe douzaine de dons; car il y a au môins une douzaine de chofes dont j'aurois beibin. Gek eft Vrai, dit le mari, Inais prenons dû tems: examinons d'ici à demain matin les trois chofés qui ttous font les plus néceilàires, & nous les demanderons enfuite. J'y veux penfer toute là nuit, dit lâ femme: en attendant, châufFons-nousj Car il fait froid. En mêmeteins* la femme prit les pincettes, & racommoda le feu ; & comme elle vit qu'il y avoit beaucoup de charbons bien allumés, elle dit, Tome II. E fans

66,

XIII.

Dialogué.;

fans y penfer: voilà un bon f e u , je voudrais avoir une aune de boudin pour notre fouper, nous pourrions le faire cuire bien aifément. A peine eut-elle achevé ces paroles, qu'il tomba une aune de boudin par la chémine'e. Pefte ibit de la gourmande avec fon boudin, dit le mari; ne voilà t-il pas un beau fouhait, nous n'en avons plus que deux à faire; pour moi, je fuis fi en colère, que je voudrais que tu euC. fes le boudin au bout du nez. Dans le moment, l'homme s'apperçut qu'il e'toit encore plus fou que ià femme; car par ce fécond fouhait, le boudin fauta au bout du nez de cette pauvre femme, qui ne put jamais l'arracher. Que je fuis malheureufe! s'écria-t-elle; tu es un méchant, d'avoir fouhaité ce boudin au bout de mon nez. Je te jure, ma chère femme, que je n'y penfois pas, répondit le mari ; mais, que ferons nous ? Je vais fouhaiter de grandes richeilès, & je te ferai un étui d'or, pour cacher ce boudin. Gardez-vousen bien, reprit la femme, car je me tuerois, s'il falloit vivre avec ce boudin qui eft à mon nez: croyez moi, il nous relie un fouhait à faire, laifTez-le m o i , ou je vais me jetter par la fenêtre; en difant ces paroles, elle courut, ouvrir la fenêtre, & fon mari, qui l'aimoit, lui cria, arrête: ma chère femme, je te donne la permifTion de fouhaiter tout ce que tu voudras. Eh bien, dit la femme, je fouhaite que

XIII. D I A L O G U E .

«7

que ce boudin tombe à terre. Dans le moment, le boudin tomba, & la femme, qui avoit de l'efprit, dit à Ton mari ; la fée s'eft moquée de nous, & elle a eu raifon. Peut-être aurionsnous été plus malheureux étant riches, que nous ne le fommes à préfent. Crois-moi, mon ami, ne fouhaitons rien & prenons les chofes comme il plaira à Dieu de nous les envoyer; en attendant, foupons avec notre boudin, puisqu'il ne nous reile que cela de nos fouhaits. L e mari penfa que fa femme avoit raifon, & ils foupèrent gaiement, fans plus s'embarraiTer des chofes qu'ils avoient eu deiTein de fouhaiter.

Lady Senfée. Cette femme fouhaitoit une douzaine de dons; mais avec tout cela, elle auroit pu être éncore malheureufe. Par exemple, fi elle eût fouhaité un bon diner, il auroit fallu avoir aufli un bon appétit pour le manger ; & puis^ de la modération, pour n'en point manger trop pour n'être pas malade: voilà trois fouhaits pour un diner.

Lady Mary. Si j'avois la liberté de fouhaiter quelque chof e , je fouhaiterois d'être, tout d'un coup, la plus favante du monde.

Modem. Bonne.

Mais, ma chère, cela ne feroit pas ailèz ; il faudroit fouhaiter encore de faire un bon ufaE 2 ge

68

XIII.

DIALOGUE.

ge de votre icience, car Îàns cela» elle pour» roit fervir à vous rendre plus fotce, plus orgueilleuie, & plus méchante.

Lady Charlotte. Et moi, je fouhaiterois de devenir là meilleure de toutes les filles ; car j'ai beaucoup de peine à n'être plus me'chante.

Madem. Bonne. Il n'y a rien à dire à ce fouhait, il eft parfaitement bon. Mais, ma chère, il y a encore un avantage que vous ne connoiflèz pas. Je fuppofe que vous fouhaitiez d'être belle, d'être riche, ou quelque autre avantage. Vous aurez beau fouhaiter toute votre vie, vous ne ferez jamais ni plus riche, ni plus belle» Les fouhaits que nous faiions, ne nous avancent de rien. Mais fitôt qu'on fouhaite véritablement d'être bonne & vertueuiè, on commence à le devenir. Remarquez, mes enfans, ces paroles, quand on fouhaite véritablement, c'eft-à-dire, quand on travaille à le devenir, & qu'on prend toute la peine néceflàire pour cela; car il n'y a perfonne, même parmi les plus méchantes, qui ne fouhaitât de devenir vertueufe tout d'un coup, pourvu que cela ne' donnât aucune peine; mais lî l'on fouhaite véritablement de devenir bonne, on en prend lés moyens. Dites-moi, Lady Charlotte, n'eil-il pas vrai, que vous fouhaiteriez d'être

XIII. DIALOGUE.

69

bonne tout-d'un-coup, pour être de'barraflee de la peine de corriger vos défauts ?

Lady Charlotte. T o u t juftement, ma Bonne, je crois que vous dèvinez. Quand je penfe à la peine que j'aurai à devenir douce, cela m'effraie. Je vous aflure que je prens beaucoup de peine, & malgré cela, à tous momens je fais des fautes ; j'ai peur de ne me corriger jamais.

Modem. Bonne.

C'eft la pareflè qui vous donne cette peur, ma bonne amie. Retenez bien qu'on fe corrige toujours, quand on repare íes fautes. Si vous vouliez aller d'ici à Kenjîngton, & que vous tombaffiez à chaque pas, vous feriez fans doute biçn long-tems à faire ce chemin ; mais enfin, vous y arriveriez, pourvu oye vous eufliez foin de vous relever. Si au-çontraire vous difiez, je tombe trop fou vent, & çela mç donne trop de peine de me relever, ainfi je veux reitqr à terre ; certainement vous n'arriveriez jamais. Il en eft ainfi du voyage que nous faifons pour acquérir la vertu ; nous arriverons un jour, pourvu que nous ne replions pas à terre par pareflè.

Lady Charlotte. Je ne croyois pas être pareflèufe, ma Bonne, j'aime à travailler, à apprendre par cœur, & je iàis une grande leçon de Geographie. JE 3 Ma-

7O

XIII. D I A L O G U E !

On peut travailler"& d'efprit qui le courage. graphie que

être parefleuiè quoiqu'on" aime à à apprendre, mais d'une pareiTe ëft bien dangereufe; car elle 6te Voyons donc cette leçon de Geo-, vous avez apprife.

Madem.

Lady

Bonne.

Charlotte.

J'ai appris toutes le montagnes de VEurope les principales Rivières, les presqu'Islei, & les Ijihmes.

Modem.

Bonne.

Vous nous parlerez des Montagnes & des près-qulsles ; pour les Rivières, nous les apprendrons en parlant des pays ou elles coulent.

Lady

Charlotte.

O n trouve dans la Grande-Bretagne, entre l'Angleterre & l'EcoJJe, le Mont Chéviot: les montagnes Dophrines font entre la Norwége & la Suede ; les Montagnes des Pirènèes font entre la France & l'EJpagne: les Alpes entre la France, la Savoie, & l'Italie: les Appennini traverfent l'Italie; & dans la Hongrie, on trouve les Monts Carpata Il y a dans l'Europe deux presqu'Isles qui ont deux Ifthmes. L'une eft la Morìe, au Sud de l'Europe dans la Turquie Européenne; elle eft jointe à la terre ferme par l'Ifthm& de Corinthe. L'autre eft la Crimée, au Nord de la Mer Noire, & elle eft jointe à la terre ferme par l'Ifthmë de

XIII. D I A L O G U E .

7*

¿e Pricop. On dit que le Jutland, qui eft au Roi de Dannemarc, eft auili une presqu'Isle. Madem. Bonne. Courage, ma chère, vous deviendrez bientôt une habile Ge'ographe: voyons préfentément, fi ces Dames fa vent leurs hiftoires. Commencez, Lady Mary.

Lady Moyfc & Aaron,

Mary.

vinrent trouver Pharaon & lui dirent: le Dieu éternel te commande de laiiTer aller fon peuple dans le défert, afin qu'il lui offre un facrifice. Pharaon répondit, je ne connois pas le Dieu éternel-. Ce méchant Roi envoya chercher ceux qui faifoient travailler les IJraélites, & leur dit: Augmentez le travail de ce peuple, c'eft parce qu'il ne travaille pas allez, qu'il a le tems de fouhaiter d'aller au défert. On donna donc aux IJraélites plus de travail qu'ils n'en pouvoient faire, & on les battoit, quand ils n'avoient pas fait leurs ouvrages. Les Ifraélites, voyant qu'ils étoient plus malheureux qu'auparavant, dirent à Mojfe; vous êtes caufe de notre malheur; pourquoi avez-vous dit à Pharaon de nous laiflêr aller dans le défert? Alors Moyfe dit au Seigneur: Vous voyez que mes frères font en colère contre moi. Le Seigneur lui répondit : Je fuis le Dieu d'Abraham,iïlfaàc& de Jacob. Je donnerai aux Ifraélites la Terre de Canaan, qui eft le meilleur Pays du Monde ; retourne

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3ÇIII. P l A L O G U E .

à Pharaon, & Aaron fera des prodiges en fà préfçnce. Moyfe & Aaron furent encore trouver le Roi ; & A aron ayant jette' fa verge contre terre, elle fut changée en dragon. Les Magiciens de Pharaon changèrent au{fi. leurs baguettes en dragons ; mais le dragon, d'Aat'oa mangea les dragons des Magiciens. Enfuite, Aar/k frappa de fa baguette les eaux du fleuve, & elles furent change'es en fan,g; ces eaux étoient puantes, Se firent mourir tous les poiffons: mais comme les Magiciens changeoient aufli les eaux en iàng, Pharaon nç voulut point laiilèr allçr les Ifraélites,

Madcm. Bonne, Continuez, Mifs MoUy.

Mifs. Molly.

Dieu çommanda enfuite à Aaron d'étendre fa verge, & il vint dans l'Egypte une grande quantité de grenouilles ; elles jnontoient dans les fours, & jusques dans la chambre di^.Roi. Alors Pharaon dit à Moyfe prie ton Dieu qu'il faflè mourir ces grenouilles, & je laiilèrai allée les Ifraélitei. Moyfe pria Dieu & les grenouilles moururent, mais après qu'elles,furent mortes, Pharaon ne voulut plus tenir fa promeflè. ^Alors Dieu envoya une grande quantité de poux d^ns Y Egypte, puis des bêtes, enfuite une groflè grêle, qui tuoient les hommes & les animaux ; il envoya auili des plaies fur tous lçs hommes, & à midi on ne voyait pas

XIII. D I A L O G U E .

clair, parce que la terre étoit couverte d'un affreux brouillard ; il n'y avait que dans le pays des Ifraélites', que tous ces malheurs n'arrivoient pas: mais pour cela, Pharaon ne vouluç pas biffer aller les IJ'raélites. Alors Dieu dit à Moyfe: Que chaque famille dçs Ijraélites prenne un agnçau, ou uri chevreau ; ils le tueront le quatorzième jour de ce mois, & ils froteronc avec fon làng toutes leurs portés. Qn doit faire rôtir cet agneau, ou ce chevreau, & le manger avec du pain fans levain & des laitues amères: il faudra tout manger, & s'il en refte quelque chofe, il faut qu'il foit brûle'. Vous mangerez ce fouper debout, à la hâte, ayant des habits de voyageurs ; car je vais vous tirer d'Egypte, & tous les ans, vo.us. célébrerez cette de'livrance pendant fept jours, en mangeant du| pain fans levain. Madem. Bonnes Continuez, Lady Charlotte. Lady Charlotte. Les Ijraélites, ayant appris la-volonté du, Seigneur par la bouche dé Moyje & d'Aaro;;, firent tout ce qui leur e'toit ordonné Sur ld minuit, Dieu envoya fon Ange qui tua les fila du Roi, jusqu'à celui des efclaves; mais il ne mourut perfonne dans les maifons., dont les, portes étoient arrofëes du fang de l'agneau, QU, du chevreau. Alors Pharaon & le peuple firent de grands eris, & dirent aux Ijraélites ; E s Allççt

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XIII. D I A L O G U E .

t Allez-vous en bien vite, & priez Dieu poufc nous. Les Ijraéiites, par l'ordre de Dieu, empruntèrent à leurs voifins des vafes d'or & d'argent, qu'ils emportèrent avec eux ; & ils étoient ii prefîës, qu'ils emportèrent leur pâte pour faite le pain avant qu'il y eut du levain. Quand lés Ijraéiites fortirent de Y Egypte, ils étoient iix cens mille hommes, fans compter les femmes & les enfans. Dieu leur commanda de ne jamais manquer à manger cet agneau tous les ans, pour célébrer leur délivrance ; mais il leut défendit de caiTer un feul de fes o s , & d'en donner à ceux qui ne feroient point circoncis.

Lady Mary.

M a Bonne, les enfans à'IJra'e'I, ont-ils rendu aux Egyptiens les vafes d'or & d'argent qu'ils leur avoient empruntés?

Madem. Benne. N o n , ma chère.

Lady Mary. Mais, ils étoient donc des voleurs?

Madem. Bonne. Remarquez, mes enfans, que le R o i d'Egypte avoit fait travailler les Ifraêlites comme des efclaves, fans leur payer leur travail; ils avoient bâti pluiieurs villes au pays des Egyptiens, & Dieu qui eft jufte, voulut que les Egyptiens les payaflent malgré eux; c'eft pourquoi, il commanda aux Ijraéiites d'emprunter

XIII. D I A L O G U E , prunter ces vafes iàns les avertir qu'ils n'au» roiënt jamais l'occafion de les rendre, Aparamment qu'ils ne iàvoient pas qu'ils ne revient droient jamais : il eft vrai qu'ils n'auraient pas pèche' s'ils l'avoient fû, parce que Dieu qui eft la maître de t o u t , leur avoit donné ces vafçs. Si Dieu ne les leur avoit pas donné pour les pa 7 ver de leur travail, ils eufîènt fait un péché de les prendre: car .il n'eft pas permis de prendre quelque chofe à une perfonrie, quand même elle nous devroit de l'argent.

Lady Spirituelle, Je vous prie, ma Bonne, dites-moi ce que c'eft que la circonciiion?

Modem. Bonne. C'e'toit une ce'rémonie que Dieu avoit ordonnée pour les enfans des JJraélites, & qui étoit la marque qui les diftinguoit des autres nations: ainiî quand un étranger vouloit fe

faire IJraélite, ou Juif, car c'eft la même, chofe, il faifoit cette cérémonie.

Lady Charlotte. Qu'eft ce qu'une cérémonie?

Modem. Bonne. Il y en a de pluileurs fortes, mes enfans. Par exemple : il falloit manger l'agneau Pafcal debout, en habit de voyageur, avec des laitues amères, & un bâton à la main ; ce bâton, ces laitues, cet habit, c'étoient des cérémonies.

Lady

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X H I . DI"ALOG-UE.

Lady Senjee.

Ma Bonne, il me fouvient d'avoir lu dans la Sainte Ecriture, que Dieu commanda aux Juifs de lui offrir les premiers ne's,

Madem. Bonne.

»J'allois le dire, ma chère: non feulement on les offrait, mais on les donnoit au Seigneur. Les parens après cela, étoient obligés de les racheter, & ils donnoient à la place de leurs en* fans, un agneau ou deux tourterelles,

Lady Spirituelle. M ? Bqnne, je fuis l'aine'e: ainfi fi j'avois vécu dans ce tems-là, on m'aurpit offerte aïs Seigneur.

Madem. Bonne.

Vous devez vous offrir vous-même comme les premices de la famille. Allons diner, Mes» dames, & après le diner, nous irons prome-» per dans le jardin,

XIV. DIALOGUE» Dixième Journe'e,

Lady Charlotte. M a Bonne, je n'ai pas dormi de toute la nuit, on m'a donné une eftampe, & l'on m'a dit qu'en me l'expliquant, vous me raconteriez une joliç fablç, je meurs d'envie de U favpir.

ffiadem.

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X H I . DI"ALOG-UE.

Lady Senjee.

Ma Bonne, il me fouvient d'avoir lu dans la Sainte Ecriture, que Dieu commanda aux Juifs de lui offrir les premiers ne's,

Madem. Bonne.

»J'allois le dire, ma chère: non feulement on les offrait, mais on les donnoit au Seigneur. Les parens après cela, étoient obligés de les racheter, & ils donnoient à la place de leurs en* fans, un agneau ou deux tourterelles,

Lady Spirituelle. M ? Bqnne, je fuis l'aine'e: ainfi fi j'avois vécu dans ce tems-là, on m'aurpit offerte aïs Seigneur.

Madem. Bonne.

Vous devez vous offrir vous-même comme les premices de la famille. Allons diner, Mes» dames, & après le diner, nous irons prome-» per dans le jardin,

XIV. DIALOGUE» Dixième Journe'e,

Lady Charlotte. M a Bonne, je n'ai pas dormi de toute la nuit, on m'a donné une eftampe, & l'on m'a dit qu'en me l'expliquant, vous me raconteriez une joliç fablç, je meurs d'envie de U favpir.

ffiadem.

XIV. D I A L O G U E .

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Modemt Bonne. Approchez, Lady Senfee$ & venez expliquer cette eitampe.

Lady Charlotte.

Mais, ma Bonne, vous lui cachez lés noms* comment,voulez-vous qu'elle les devine?

Modem. Bonne.

Elle n'a pas befoin de lire les noms des per-, fonnàges, qui font dans cette eftampe, pour les connoitre: quand on fait bien l'hiftoire & la fable, ou devine toutes les tapiiTeries, & toutes les eftampes; vous l'allez voir.

Làdy Sznfée. Ce vieillard & cette bonne femme dont let habits font fi ufe's, c'eft un mari & une femme qu'on appelle Philémon & Baucis, Ce' grand homrtie qui à une oye entre lés jambes, c'eft Jupiter y que les Pâyens àppelloient le Dieu dil ciel; & cet autre qui eft à côté de lui, c'eft fon fils Mercure,- qui e'toit l'Ambat fadeur des Dieux, & le protéâeur des marchands & des voleurs.

Lady Charlotte. Mais, ma chère, comment avez-vous pu deviner cela?

Lady Senfée. J'aurois, je crois, TeConnu ces deux vieilles gens, mais cet oye qui fe fauve entre les jambes de Jupiter i iufEfoit pour me faire connoitre

XIV. D I A L O G U E tre i'eftampe ; lï ma Bonne veut me le permettre, jp vous raconterai cette fable, & vous verrez après tela qu'il n'étoit pas difficile de deviner.

Madem. Bonne.

Je le veux bien, ma chère.

Lady Senfée. Jupiter & Mercure prirent un jour une figure humaine, & furent voyager. Ils arrivèrent un foir dans un grand village, & demandèrent à coucher pàr charité', mais perfonne ne voulut les recevoir. Après avoir frappe' à toutes les portés, ils furent à une petite cabane, couverte de paille & de feuilles d'arbres : le maître de cette cabane e'toit un pauvre vieillard qui vivoit en paix avec Baucis ia femme. Les Dieux les prièrent de leur laiiTer paiTer la nuit dans leur cabane, & ces bonnes vieilles gens y confentirent de bon cœur. D'abord Philémori pria Baucis de faire chauffèr de l'eau pour laver les pieds de ces étrangers, & la bonne femme, pour allumer plus vite le feu, caiîà quelques braoches de celles qui couvraient leur petite maifon; enfuite elle iouffla le feu avec là bouche, car elle n'avoit p^ts de foufflet. Lorsque l'eau f û t chaude, Philémon prit un plat de bois, qui e'toit attaché a la muraille avec une cheville, & pendant qu'il lavoit les pieds.de ces étrangers, Baucis lava la table, & la frotta avec de la menthe, pour lui donner une bonne odeur; enfuite, elle

XIV. D I A L O G U E .

79

elle mit un morceau de tuile fous un des pieds de /cette table, parce qu'il étoit un peu caiTé. Il n'y avoit point de chaifes dans cette pauvre, maiion, & il falloir s'affeoir fur un banc: Bau~ cii pour le rendre moins dur, mit deifus un vieux morceau de tapifîerie, dont elle couvroit fon lit les jours de bonnes fêtes. Elle courut auili au jardin & apporta des prunes fur une feuille de vigne, un peu de miel dans une moitié de plat, car il étoit cafte, & un morceau de fromage. Ils fe mirent tous à table, & Philémm demanda pardon aux étrangers de les recevoir ii mal. T o u t d'un coup, il fe fouvint qu'il avoit une o y e , & réfolut de la tuer pour donner un meilleur fouper à fes hôtes, il fe leva donc avec fa femme pour attraper T o y e ; mais cet animal fe fauvoit tantôt dans un coin, tantôt dans un autre, & les bonnes gens, à force d'avoir couru, étoient tout en fueur. A la fin l'oye fe réfugia entre les jambes de Jupiter, & ce Dieu dit à Philémon, & à Bancis; „je fuis content de votre charité; fuivez-moi fur cette grande montagne. E n mênie-tems il parut environné de lumière aulli bien que Mercure. Lorsqu'ils furent fur la montagne, Jupiter leur dit : regardez derriere vous. Ils obéirent, & virent qu'il n'y avoit plus de village, il n'y avoit qu'une grande quantité d'eau; car Jupiter, pour punir la durete' des habitans de ce village

go

XIV, DIXIOGÙÉ.

g ë , les âvoit tous n o y é j en faifant venir un lac dans cet endroit ; mais au milieu de ce lac> ou voyoit la petite cabane des vieilles gens, qui avoie été conièrvée. Gomme ils étoient charitables, ils s'affligèrent du malheur de lçurs Voifins, quoique ces gens ne leur euiïènf jamais fait que du maL Enfuite, Jupiter leur d i t ; demandez-moi une récompenfè, & je Vous l'accorderai. Ges bonnes gens confultèrent un momenC enfemble, ¡après quoi Philémon dit à Jupiter ; puisque vous avez la bonté de vouloir nous récompenfer; transportez notre petite maifon fur cette montagne, changez la dans un temple oii vous foyez adoré, que je fois votre pretre, & Baucis votre prêtreffè > & faites que nous y mourions enfern* ble le même jour, afin que je n'aie pas la dou* leur de pleurer ma chère Rancis, & qu'elle n'ait point de larmes à répandre pour fon fidèle Philémon* Jupiter accorda une demande ii jufte ; la maifon fut changée dans un temple, & les bonnes gens y vécurent en paix plufieurs années. U n j o u r , qu'ils étoient aifis devant la porte du temple & qu'ils s'entretenoient de l'gmour qu'ils devoient aux D i e u x , Philémon voulut iè letfer, mais il s'apperçut qu'il n'av o i t plus de jambes, & qu'elles étoient changées en arbre. Baucis voulut aller pour le fecourir; elle connut que le même changea i e n t étoit arrivé en elle» Elle dit donc adieu à

XIV. D I A L O G U E .

8t

à fon cher Philémon, il lui parla tant qu'il eut l'ufage de la parole, mais l'écorce mourant petit-à-petit, les envelopa entièrement, & ils devinrent deux beaux arbres, qui relièrent toujours à la porte du temple. Vous voyez bien, Mesdames, qu'après avoir lu cette fable, il n'étoit pas difficile d'expliquer l'eilampe.

Lady Spirituelle.

Je vois aufli que Lady Senfée n'eft jamais fière de ce qu'elle fait. Si j'en avois dit autant, je ferois toute glorieufe.

Madem. Bonne.

Cela auroit pu vous arriver il y a deux mois ; maisjpvous crois corrigée, ma chère. Lady Senfée à bien raifon de ne pas être glorieufe d'avoir explique' cette fable: cela prouve qu'elle a de la mémoire, mais cette mémoire, ce n'eft pas elle qui fe l'eft donnée, c'eft un preiènt de Dieu.

Lady Spirituellé. Je fais que fa mémoire eft un préfent de Dieu; mais fon application à profiter de ik mémoire, mérite des louanges.

Lady Senfée, embrafjhnt Lady Spirituelle. Vous êtes bien bonne, ma chère amie, de penfer il bien de moi.

Modem. Bonne. J'ai bien du plaifir à voir Lady Spirituelle ii changée: autrefois, ma chère, vous auriez Tome IL F été

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XIV..DIALOGUE.

¿té chagrine & jaloufe de la me'moire & de l'application de votre compagne; aujourd'hui cela vous fait plaifir, vous en êtes contente: ep corrigeant votre orgueil, vous avez chafle la jaloufie, & tous les chagrins, qu'elle vous cauibit; vous vous faites aimer de vos compagnes qui fouhaitent de vous voir fouvent, parce qu'aulieu de chercher à les mortifier, vous n'êtes occupée qu'à leur dire des chofes agréables. N'eftil pas vrai, ma chère, que votre cœur eft mille fois plus content qu'il n'étoit autrefois ?

Lady

Spirituelle.

Cela eft bien vrai, ma Bonne, mais je fais encore bien des fautes. Par exemple je n'ai pas encore pardonné à Mylord... qui a dit que j'étois une pefte.

Madem.

Bonne.

Comment, ma chère, c'eft l'homme du monde auquel vous avez les-plus grandes obligations. Rendez-vous juftice; Mytord avoit raifon; ce n'eft pas par méchanceté qu'il difoitcela, au contraire, il vous aime: il s'eft fort bien apperçu de votre converfion, & il difoit, il y a trois jours, que fi vous continuiez comme vous avez commencé, vous feriez la plus aimable femme de Londres.

Lady

Spirituelle.

Ma Bonne, eft-ce une faute d'être bien contente de ce que Mylord . . . a dit ? Madem,

XIV. D I A L O G U E .

Madem.

83

Bonne.

N o n , ma chère. Nous devons chercher à plaire, à tout le monde, pourvû que ce foie par nos vertus ; & rien n'eft fi mal que de dire , je ne me foucie pas qu'on me méprife.

Lady

Charlotte.

J'ai dit cette fottife-là, bien des fois; mais, ma Bonne, je ne le penfois pas ; c'étoit par dépit & par rage que je difois cela, & pour donner du chagrin à ma gouvernante & à mes fœurs.

Madem.

Bonne.

Vous preniez-là une belle vengeance: c'eft comme fi vous mettiez le feu à une belle maifon que vous auriez, pour brûler l'écurie de votre voifin qui feroit à côté ; mais ne parlons plus de cela, puisque vous vous êtes corrigée. Nous allons à préfent repéter nos hiftoires.

Lady

Mary.

M a Bonne, je vous prie auparavant, de m'expliquer deux mots que je n'entends pas. Qu'eft-ce qu'un Hôte? Qu'eft-ce qu'un Lac?

Madem. Bonne

Le mot d'Hôte a deux fignifications. Quelquefois, il veut dire une perfonne chez laquelle on loge & l'on mange. Ainfi, le maître d'une Auberge, s'appelle un Hôte, & ià femme une Hôtejfe. Quelquefois auifi, il veut dire, des perfonnes qui viennent manger & coucher chez nous; comme dans la fable F z de

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XIV. D I A I O G U E .

de Philémor & de Èaucis: Jupiter & Mercure étoient leurs hôtes. L a d y Senfée va vous dire ce que c'eft qu'un Lac, & en même-tems, elle vous dira la différence qu'il y a entre les Mers, les Îlivières, les Fleuves & les Lacs.

Lady Senfée. U n e Mer, c'eft une grande quântité d'eaux, qui ne fortent point de leur place, & qui ne courent point comme les Rivières.

Lady Mary. Eft-ce que les Rivières courent?

Madem. Bonne. O u i , ma chère, elles coulent ou marchent toujours; mettez-vous fur le pont de WeftminJler, vous verrez que l'eau ne fe tient point tranquille; & qu'elle va toujours du côte' du pont de Londres.

Mi/s Molly. Dites-moi, je vous prie, d'où viennent les Rivières ?

Madem. Bonne. Elles iortent ordinairement des Montagnes. La Rivière coule fans ceffe, jusqu'à ce qu'elle trouve une autre Rivière où elle fe perd. Mais ii elle ne rencontre point de Rivière, dans fon chemin, & qu'elle aille jusqu'à la M e r , alors on la nomme un Fleuve. U n Fleuve eft donc une grande Rivière, qui ordinairement porté fon nom jusqu'à la Mer.

Lady

XIV. D I A L O G U E ,



Lady Charlotte. Je n'entends pas bien cela, ma Bonne.

Madem. Bonne. Vous le comprendrez en regardant une Carte. Voyez-vous cette grande Rivière qu'on appelle le Rhône; voilà pluiieurs autres Rivières qui viennent fe perdre chez elle. En voilà

fur-tout deux grandes; la Saûne & Yljcre.

Quand la Saône & Y IJere ont attrape' le Rhône, il n'y a plus de Soône, ni d'If ère, mais feulement le Rhône, qui court encore fort longtems, & puis va fe jetter dans la Mer. Quand le Rhône arrive à la Mer, on le nomme encore le Rhône; c'eft donc un Fleuve, parce qu'il garde fon nom jusqu'à la Mer. Je dis que cela arrive ordinaifement, mais pas toujours.

Car le Rhin qui coule à YOueft de YAllemagne, ne

va pas jusqu'à la Mer, mais il fe perd dans les fa-

bles. Voyez aux pages $7 èf fg du Tom. I. de

la Nouv. Introd. à la Géographie Moderne, vous trouverez les principales Rivières de Y Europe.

Îady Senfée, dites-nous ce que c'eft qu'un Lac, & combien il y a de grands Lacs en Europe,

Lady Senfée. U n Lac, eft Comme une petite Mer; iès eaux ne coulent pas. Il y en a deux dans la

RuJJîe. Le Lac Onêga, & le Lac Ladoga, Un au Nord-EJl de la SuiJJe, qu'on appelle leX&c de Confiance, & un proche de Genève F j

qu'on

86

XIV.

DIALOGUE.

qu'on appelle le Lac de Genève, le Fleuve du Rhme, paiiè à travers ce dernier Lac. Madem. Bonne. Cela, fera notre leçon de Géographie aujourd'hui Lady Mary, dites nous votre hiftoire. Lady Mary. Lorsque Moyfe & les Israélites entrèrent dans le défert, le Seigneur ordonna à fon Ange de les conduire. Le jour il marchoit devant eux dans une nuée, & la nuit dans une colomne de feu qui les éclairoit. Cependant Pharaon eut regret d'avoir laiiTé partir ce peuple ifui travailloit pour lui ; & ayant ailèmblé une grande armée, il courut après lui. Quand les JJraélites virent les Egyptien.', ils eurent une grande peur, & ils dirent à Moyfe : pourquoi nous avez-vo'us amené dans ce défert, pour y, périr tout d'un coup ? il falloit nous laiiTer dans YEgypte. Aviez-vous peur qu'il y manquai; de la terre pour nous mettre après notre mort? Moyfe les exhorta à mettre leur confiance en Dieu, & il pria le Seigneur d'avoir pitié de fon peuple. En même-tems, l'Ange qui étoit devant les Israélites, paflà derriere, & fe mit entre eux & les Egyptiens. Du côté des Ifraélites, il faifoit jour; car la colomne de feu les éclairoit; mais du côté des Egyptiens, il n'y avoit qu'une nuée, ainil ils ne voyoient pas les Ifraèlites ; car cette nuée étoit comme un grand brouillard. Alors Moyfe, par ordre du Seigneur

XIV. D I A L O G U E .

87

neur, leva ià baguette fur la Mer rouge,. & auflitôt, cette Mer s'ouvrit en deux ; enforte 'que l'eau e'toit en l'air des deux côte's, comme une montagne, & qu'on pouvoit pailèr, fans le mouiller au milieu de cette Mer. Pendant toute la nuit les Ifraélites palTèrent; & les Egyptiens crurent qu'ils pouvoient palier après eux: mais quand ils furent tous dans la Mec avec Pharaon leur R o i : les eaux qui étoient en l'air revinrent à leur place, & tous les Egyptiens furent , noye's fans qu'il s'en iàuvât un feul. Alors Moyfe, Aaron & leur fœur Marie, chantèrent avec le peuple, un Cantique de louange au Seigneur, qui les avoit fauves des mains de leurs ennemis.

Modem. Bonne. Continuez, Lady Charlotte.

Lady Charlotte. Les Ifraélites arrivèrent dans un lieu où le's eaux e'toient fi amères, qu'il n'étoit pas poffible d'en boire. Ils recommencèrent à mur-, murer contre Moyfe; mais ce faint homme, làns iè rebuter de leur ingratitude, pria le Seigneur. Dieu lui commanda de jetter dans ces eaux d'un certain Bois, & au même-tems elles devinrent douces. Enfuite les Ifraélites entrèrent dans un grand défert, où il n'y avoit rien à manger, & ils murmurèrent encore ; en difant: pourquoi nous as tu tiré d'Egypte, où nous e'tioos aifis auprès des marmites pleines F 4 de

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XIV.

DIALOGUE.

de viandes? C'eft pour nous faire mourir de faim, que tu nous as mené dans ce défert. Moyfe pria le Seigneur, qui fit tomber fur la terre une grande rofée & lur cette rofée de petits grains comme de la grêle. Alors Moyfedit au peuple : voici le pain que Dieu vous envoie; qu'on en ramalTe une mefure pour chaque perfonne, mais il ne faut pas en garder pour le lendemain. Le peuple, qui n'ayoitjamais rien vu comme ces petits grains, les appella Manne, & ils avoient le goût de baignets cuits dans le miel. Chacun fe dépêcha, d'en ramafler; mais il y en eut quelques-unsq u i défobéirent à M o y f e , & qui en gardèrent pour le lendemain: ils furent bien attrapés quand ils la voulurent manger le matin, car elle fentoit mauvais, & étoit pleine de vers. Cependant Moyfe dit au peuple de la part de Dieu : vous ramaflerez chacun une mefure "de Manne pendant cinq jours, mais le fixièmç jour, vous en ramailèrez deux mefures; cellelà fe confervera bonne & fraîche pouf le lendemain : car il n'en tombera pas le feptième jour. Ce feptième jour fera çonfacré au Seigneur, & il ne fera pas permis de travailler ce; jour-là. Les chofes arrivèrent comme Moyfe les avoit prédites, & la Manne qui fe gâtoit du jour au lendemain, pendant toute la fèmaine, fe conferva bonne le jour du Seigneur, & ce feptième jour fut appelle Sabath. Moyje commanda

XIV. D I A L O G U E »

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manda aufli à Aaron de ramaflèr une mefure de tette Manne, & de la garder comme un témoignage du miracle que Dieu avoit fait pour les IJraélitet, qui en mangèrent pendant quarante ans; mais les parefleux, qui n'aimoient pas à fe lever du matin, en manquoient^ car la M amie fe fondoit au foleil; ainfi, il falloit fe dépêcher de la relever.

Modem. Bonne. C'eft votre tour, Mifs MoUy.

Mi/s

Molly.

Les IJraélitet étant allés dans un autre en-t droit, manquèrent d'eau: & oubliant tous le» miracles que Dieu avoit fait pour eux, ils dirent à Moyß: pourquoi nous as-tu tiré d'Egypte & nous as-tu mené ici pour y mourir de foif avec nos familles & nos troupeaux ? M o y ß leur répondit, ce n'eft pas contre moi que vous murmurez, mais contre Dieu ; toutefois, je vais le prier qu'il vous donne de l'eau. Alors M oyß, par l'ordre du Seigneur, frappa un R o cher avec fa baguette, & il en fortit une grande quantité d'eau. Enfuite, il y eut un Roi, nommé Amalec, qui vint avec une grande armée, pour tuer les Jjïaélites. Moyfe commanda à Jojué de choifir des foldats parmi le peuple, & d'aller combattre Amalec. Pendant la bataille, Moyje, Aason, & Hur, montèrent fur la Montagne, & Moyfi levoit les mains au ciel en priant le Seigneur; mais comme il avoit les bras fatigués, il F ç fut

XIV.

DIALOGUE.

f u t oblige de les baiflèr. Or les Ifiaélites, qui avoient été vainqueurs pendant que Moj/Jè avoit les mains élevées, furent battus auili-tôt qu'il les eut abaiiles, Quand il vit cela, il s'aiïit fur une pierre, & Aaron, & Hur, lui tenoient chacun un bras, & les Amalecites, fujets iïAmalec, furent contraints de s'enfuir & Dieu déclara une guerre éternelle aux Amalecites, & commanda à M yfe d'écrire toutes ces choies.

Lady Spirituelle.

Ma Bonne, toutes ces hiitoires font-elles bien vraies? Elles font fi furprenantes, qu'on a bien de la peine à les croire.

Madem. Bonne. Vous oubliez, ma chère, que rien n'eft im* poflible à Dieu.

Lady Spirituelle. Je le fais, ma Bonne. Mais n'eit-il pas vrai, que Moyfc pourroit fort bien avoir écrit des chofes qui ne feroient pas vraies. Je ne dis as ijue cela ioit faux; mais je vous prie feu:ment de me dire, comment on peut s'ailurec que cela eft vrai.

E

Madem. Bonne.

Je le ferai de t o u t j n o n cœur, ma chère, je fuis bien aife de voir que vous écoutiez comme une perfonne raifonnable, & que vous vouliez des preuves: c'efl: le moyen de n'être jamais trompée. Nous iàvons que Dieu peut faire

XIV. DIALOGUE.

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faire des miracles, & nous voulons favoir s'il a fait ceux que Moyfe a écrits. N'cit-ce pas cela que vous me demandez ?

Lady Spirituelle. Oui; ma Bonne.

Modem. Bonne.

Si M