Lumen ad revelationem gentium : Iconographie et liturgie à Christ Church, Canterbury, 1170-1220 250352320X, 9782503523200


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Lumen ad revelationem gentium : Iconographie et liturgie à Christ Church, Canterbury, 1170-1220
 250352320X, 9782503523200

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lumen ad revelationem gentium iconographie et liturgie à christ church, canterbury 1175-1220

Culture et société médiévales Collection dirigée par Edina Bozoky

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Marie-Pierre GELIN

Lumen ad revelationem gentium Iconographie et liturgie à Christ Church, Canterbury 1175-1220

F

Couverture: Présentation du Christ au Temple (Canterbury, Christ Church Cathedral, Corpus Vitrearum Medii Aevi, Great Britain n. XV, 18).

© 2006, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2006/0095/36 ISDN 2-503-52320-X Printed in the E.U. on acid-free paper

Remerciements

Au cours de cinq années de recherches, j’ai accumulé une dette considérable auprès de nombreuses personnes, dans diverses institutions et dans plusieurs pays. Je voudrais ici surtout remercier tous ceux qui m’ont permis de franchir l’étape difficile de la transformation de ma thèse de doctorat en texte publiable – et publié – dans les meilleures conditions. Il s’agit en particulier des personnes qui, au Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale de Poitiers, ont soutenu ce projet depuis le début et ont permis qu’il aboutisse aussi rapidement : mon directeur de recherches, Stephen Morrison, pour ses encouragements constants, le Directeur du Centre, Éric Palazzo, pour ses relectures attentives et ses conseils avisés, ainsi que la directrice de la collection « Culture et Société Médiévales », Edina Bozoky, qui a bien voulu accepter mon texte. Je tiens aussi à remercier ici Leo Carruthers, du Centre d’Études Médiévales Anglaises de Paris IV, sans qui je n’aurais peut-être jamais entrepris des recherches sur les vitraux de Christ Church, Canterbury. La relecture de certains chapitres par David d’Avray, de University College London, m’a permis de prendre conscience de certaines erreurs présentes dans mon texte et d’affiner mes conclusions. Je suis également reconnaissante à Anne Duggan, de King’s College London, pour les nombreux éclaircissements prodigués à propos des détails de l’« affaire Becket ». Je tiens à souligner que, malgré l’aide et les lumières apportées par tous ces éminents spécialistes, je demeure entièrement responsable des erreurs qui subsistent encore dans le texte. Pour leur grande patience et leur hospitalité généreuse pendant mes pérégrinations, je suis redevable à Emmanuelle et Julien, Laetitia, Ariane, et Astrid. Ce projet n’aurait jamais jamais été mené à bien sans le soutien et l’affection de mon mari, Pundrique Sharma, qui a de bonne grâce accepté de développer un intérêt pour la liturgie et les vitraux médiévaux, et de mes parents, Gilles et Bernadette, qui m’ont communiqué leur grande curiosité pour le Moyen Âge. Ce livre leur est dédié.



liste des abréviations

AL Arundel AS

BL CCAL

CCCC CED

Constitutions

CS

CVMA

ESG Gesta HA

HBS HE

James, M.R., The Ancient Libraries of Canterbury and Dover, Cambridge: Cambridge University Press, 1903. London, British Library MS Arundel 155. Wharton, H., Anglia Sacra, sive collectio historiarum, antiquitus scriptarum de archiepiscopis et episcopis angliae, 2 vols, London, 1691.  British Library. Canterbury, Cathedral Archives and Library MS C246, édité par M.R. James, The Verses Formerly Inscribed on Twelve Windows in the Choir of Canterbury Cathedral, Cambridge: Cambridge Antiquarian Society, Octavo Series XXXVIII, 1901. Cambridge, Corpus Christi College, MS 400. Councils and Ecclesiastical Documents relating to Great Britain and Ireland, édité par A.W. Haddan & W. Stubbs, 3 vols, Oxford: Clarendon Press, 1869. The Monastic Constitutions of Lanfranc, édition révisée par C.N.L. Brooke, Oxford: Clarendon Press, 2002 (première édition par D. Knowles, London: Thomas Nelson and Sons, 1951). Councils and Synods, with other Documents relating to the English Church, vol. i, 871-1204, édité par D. Whitelock, M. Brett & C.N.L. Brooke, Oxford: Clarendon Press, 1981; vol. ii, 12051313, édité par F.M. Powicke & C.R. Cheney, Oxford: Clarendon Press, 1964.  Caviness, M.H., Christ Church Cathedral Canterbury, London: Corpus Vitrearum Medii Aevi, Great Britain, vol. II, Oxford: Oxford University Press for the British Academy, 1981. Caviness, M.H., The Early Stained Glass of Canterbury Cathedral, 1175-1220, Princeton: Princeton University Press, 1977. Suger, Gesta Sugerii abbatis, Suger. Œuvres, I, édité par F. Gasparri, Paris : Les Belles Lettres, 1996, 54-155. The Monastic Breviary of Hyde Abbey, Winchester, edited with liturgical introduction, notes and indices, by J.B.L. Tolhurst, six vols, London: Henry Bradshaw Society, n° 69, 70, 71, 76, 78, 80, 1932-1942. Henry Bradshaw Society. Baedae Historia ecclesiastica gentis anglorum (Bede’s Ecclesiastical History of the English People, edited by B. Colgrave and R.A.B. Mynors, première édition Oxford: Oxford University Press, 1969; nouvelle édition avec corrections, Oxford: Clarendon Press, 1991).





liste des abréviations

Inventories

Inventories of Christ Church, Canterbury, édité par Legg, J.W & St. John Hope, W.H., London: Archibald Constable & Co, 1902. Materials Materials for the History of Thomas Becket, édités par J.C. Robertson, 7 vols, Rolls Series 67, London, 1875-1883. Memorials Memorials of Saint Dunstan Archbishop of Canterbury, édité par W. Stubbs, Rolls Series 63, London: Longman & Co., 1874.  MO D. Knowles, The Monastic Order in England. A History of its Development from the Times of St Dunstan to the Fourth Lateran Council, 943-1216, Cambridge: Cambridge University Press, deuxième édition, 1963 (première édition 1940). OCCC Oxford, Corpus Christi College MS 256, ff. 185v-188, édité par C.E. Woodruff, « The Chronicle of William Glastynbury, Monk of the Pirory of Christ Church, Canterbury, 1419-1448 », Archaeologia Cantiana, xxxvii (1925), 121-151. OH Gervasii cantuariensis opera historica, edited by William Stubbs, Rolls Series 73, London: HMSO, 1879. M.R James, « Pictor in Carmine », Archaeologia 94 (1951), 141Pictor 166. PL Patrologiae cursus completus, Series Latina, éd. J.-P. Migne, 221 vols, Paris : Garnier, 1844-1890. Pontifical The Pontifical of Magdalen College. With an Appendix of Extracts from other English Manuscripts of the Twelfth Century, édité par H.A. Wilson, London: Henry Bradshaw Society 39, 1910. RB La Règle de saint Benoît, éditée et traduite par A. de Vogüé et J. Neufville, 6 vols, Sources chrétiennes n° 181-186, Paris : Éditions du Cerf, 1971-1972. Regularis Concordia  Regularis Concordia Anglicae Nationis Monachorum Sanctimonialumque (The Monastic Agreement of the Monks and Nuns of the English Nation), translated from the Latin with introduction and notes by Dom T. Symons, London: Thomas Nelson and Sons, 1953. SB Sarum Breviary (Breviarium ad usum insignis ecclesiae Sarum), 3 vols, F. Procter and C. Wordsworth, Cambrigde, 1882. SC Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, 31 vols, Venise et Florence, 1758-1798, Paris : H. Welter, 1903-1927. Scriptum consecrationis  Suger, Scriptum consecrationis ecclesiae sancti Dionysii, Suger. Œuvres, I, édité par F. Gasparri, Paris: Les Belles Lettres, 1996, 2-53. SM The Sarum Missal, edited from Three Early Manuscripts, by J. W. Legg, Oxford: Clarendon Press, 1916. Tiberius London, British Library MS Cotton Tiberius B iii.



Introduction

Ad terciam sint omnes albis induti. Dicta tercia ponatur ante altare tapetum, ubi supra ponantur candelae, quas benedicat sacerdos (…). Postea custos diuidat eas singulis singulas tribuens. Cum autem ceperint accendi cantor incipiat antiphonam Lumen ad reuelationem. Qua dicta, et cum uersibus cantici Nunc dimittis, quantum cantor satis esse perspexerit, repetita, exeant ad processionem1.

Telles étaient les prescriptions de Lanfranc, archevêque de Canterbury (1070-1089), pour la célébration de la fête de la Purification de la Vierge, consignées dans le coutumier qu’il rédigea pour la communauté monastique desservant la cathédrale de Christ Church2. Cette fête, qui commémorait également l’épisode de la Présentation du Christ au Temple, était l’une des plus importantes inscrites au calendrier liturgique de cette église3. À la fin du XIIe siècle, cet épisode de la vie du Christ fut illustré dans une des verrières du chœur de la cathédrale. Le panneau où figure cette scène, n. XV, 184, représente le moment où la Vierge présente l’enfant au vieillard Siméon, qui vient de reconnaître en Jésus le Messie annoncé par l’Écriture5. Les deux autres personnages de cette scène, qui sont peut-être Joseph et la prophétesse Anne6, portent à la main de longues chandelles « À tierce, tous porteront des aubes ; quand tierce sera finie, que l’on étende un tapis devant l’autel, et que l’on place dessus les chandelles que le prêtre bénira (…). Le gardien de l’église en distribuera une à chacun. Quand on commencera à les allumer, que le chantre entonne l’antienne Lumen ad reuelationem ; quand elle sera finie, et répétée avec autant de versets du cantique Nunc dimittis que le chantre jugera nécessaire, que les moines sortent en procession », Decreta Monachis Cantuariensibus Transmissa (The Monastic Constitutions of Lanfranc), édité par David Knowles, London, 1951 (édition révisée par C.N.L. Brooke, Oxford, 2002), § 17 (désormais Constitutions). 2 Lanfranc s’adresse à « dilectissimis fratribus suis, Henrico priori et ceteris » (« ses frères bien aimés, prieur Henri et les autres moines »), Constitutions, § 1. 3 Constitutions, § 66-67. 4 Les références des verrières sont celles adoptées par le Corpus Vitrearum Medii Aevi. La numérotation commence à l’est, et remonte de chaque côté de l’église vers l’ouest. Ainsi, N., Nt. et n. désignent respectivement les verrières du clair étage, du triforium, et des bascôtés et du déambulatoire du côté nord de l’église. S., St., et s. désignent ces verrières du côté sud (figure 1). 5 Luc 2, 27-28. 6 M.H. Caviness, Christ Church Cathedral Canterbury, Corpus Vitrearum Medii Aevi, Great Britain, vol. II, Oxford, 1981, 97. Désormais CVMA. 1





introduction

allumées (figure 2). L’inclusion de chandelles dans cette scène n’a pas d’origine scripturaire, mais en revanche elles évoquent fortement les prescriptions de Lanfranc pour la célébration liturgique de la Fête de la Purification. Cette particularité est loin d’être unique dans les représentations iconographiques de la Présentation au Temple7, et elle illustre bien l’interaction qui pouvait avoir lieu, au Moyen Âge, entre liturgie et iconographie. C’est l’analyse de cette interaction qui sera l’objet de la présente étude, et plus particulièrement la définition et l’analyse des relations que le programme iconographique des vitraux de la cathédrale anglaise de Christ Church, Canterbury, entretenait avec les usages liturgiques de la communauté monastique qui desservait la cathédrale à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle. L’histoire de Christ Church fournit deux dates qui encadrent une période particulièrement intéressante pour une telle étude. Le demisiècle qui suivit l’assassinat de l’archevêque Thomas Becket en 1170 fut en effet un moment charnière dans l’histoire de l’abbaye. Non seulement cet événement eut des répercussions durables et parfois dramatiques sur les fortunes du monastère, mais un incendie détruisit la cathédrale en 1174, ce qui conduisit la communauté à la faire reconstruire de façon somptueuse, avec en particulier la mise en place d’un nouveau programme iconographique d’une taille inégalée dans les verrières de la partie orientale de l’église. L’année de la translation des reliques de saint Thomas, 1220, marqua, selon toute vraisemblance, l’achèvement des travaux de reconstruction et d’embellissement de la cathédrale, et l’aboutissement d’un projet entreprit presque un demi-siècle plus tôt8. Parallèlement aux grandes réalisations artistiques et iconographiques, le monastère connaît à l’époque qui nous intéresse une grande effervescence dans le domaine de la liturgie. Il s’agit, entre autres, de la création des offices pour les fêtes

CVMA, 97 ; L. Réau, 261-266. Dans le vitrail, on peut en voir des exemples à Chartres et à Laon. 8 M.H. Caviness, The Early Stained Glass of Canterbury Cathedral, 1175-1220, Princeton, 1977, 35 (désormais ESG). L’histoire de la cathédrale de Christ Church est bien connue ; parmi les nombreuses études qui lui ont été consacrée, on peut consulter avec profit, notamment en ce qui concerne les références bibliographiques, l’ouvrage de N. Brooks, The Early History of the Church of Canterbury. Christ Church from 597 to 1066, Leicester, 1984, ainsi que les études rassemblées par N. Ramsay, P. Collinson & M. Sparks, A History of Canterbury Cathedral, Oxford, 1995. En ce qui concerne l’histoire du monachisme en Angleterre, l’ouvrage de référence est toujours celui de D. Knowles, The Monastic Order in England. A History of its Development from the Times of St Dunstan to the Fourth Lateran Council, 943-1216, Cambridge, 1963 (désormais MO). 7





introduction

consacrées à Thomas Becket, le 29 décembre (célébrée officiellement à partir de décembre 1173, année de la canonisation du saint) et le 7 juillet (qui commémore la translation des reliques de saint Thomas en 1220)9. On assiste donc à Christ Church pendant ce demi-siècle à une période de grande créativité dans les deux domaines que je me propose de mettre en rapport. Ces deux dates fournissent donc des jalons de la toute première importance, et serviront de cadre chronologique à mon propos. Le chœur de la cathédrale de Christ Church, Canterbury, est un des exemples les plus frappants de l’« expansion étonnante », du « renouvellement sans précédent des motifs et des formes », de la « soudaine explosion d’images »10 qui caractérisèrent l’art du vitrail à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle. Le style que les moines choisirent d’adopter pour la reconstruction de la cathédrale après l’incendie de 1174 permit en effet de percer de vastes fenêtres dans les murs du sanctuaire. Ces fenêtres furent ornées de verrières somptueusement décorées entre 1175 et 1220 environ11. Les verrières du chœur et de la Trinity Chapel de Christ Church constituent ce que l’on peut appeler des cycles, c’est-à-dire qu’elles peuvent être regroupées en ensembles qui partagent certaines caractéristiques, tant au niveau des sujets représentés qu’à celui des moyens employés pour représenter ces sujets. Il est possible de distinguer trois cycles. Le premier, que j’appelle le « cycle biblique », se trouvait dans le déambulatoire du chœur et comportait à l’origine douze verrières (n. XVI à n. XI ; n. VIII à s. VIII ; s. XI à s. XII ; et s. XIV à s. XV ; figure 1). La plupart des panneaux de ces verrières ont malheureusement disparu depuis le XIIe siècle. Leur étude est cependant rendue possible dans une certaine mesure par l’existence de trois manuscrits médiévaux recensant

Une troisième fête, celle de la regressio sancti Thomae (2 décembre) commémorait le retour du saint en Angleterre après six années d’exil en France. Célébrée presque exclusivement à Christ Church, cette fête ne connut jamais la popularité des deux autres (F. Wormald, 1939, 65). 10 C. Manhès-Deremble, 5. 11 Dans le cadre de cette étude, j’adopterai les définitions suivantes :  – fenêtre : ouverture dans le mur d’une église, fermée par un vitrail ou non. – vitrail : panneau fait de morceaux de verre généralement peints ou colorés dans la masse et assemblés, le plus souvent au moyen de plomb, de manière à former une décoration. Ce panneau peut être historié ou non. – verrière : ce terme désignera ici un vitrail historié, composé de panneaux figuratifs et/ou narratifs peints ou colorés. 9





introduction

les sujets et les inscriptions des panneaux de ces verrières. Le premier fut rédigé au XIIIe siècle, c’est-à-dire moins de cent ans après l’achèvement des vitraux, et les deux autres datent respectivement du XIVe et du XVe siècle12. Ainsi, même si les représentations exactes des sujets sont perdues, il est néanmoins possible de reconstituer le programme tel qu’il existait à l’origine13. On peut ajouter à cette liste les deux verrières situées dans l’axe oriental de la cathédrale, l’une au niveau du déambulatoire et l’autre à celui du clair-étage14. Ce cycle avait pour sujet central l’histoire du Christ, de l’Annonciation à la Pentecôte, racontée essentiellement à partir de scènes tirées des Évangiles, et il culminait, dans la fenêtre I du clair-étage, par une représentation du Jugement Dernier15. Ces sujets étaient traités de façon typologique, c’est-à-dire que chaque scène de la vie du Christ (l’antitype) était accompagnée de plusieurs scènes (les types, en général deux ou quatre) tirées de l’Ancien Testament, des vies de saints, voire parfois de représentations symboliques ou allégoriques. Ces types clarifiaient, approfondissaient, et enrichissaient le sens de la scène centrale. Par ailleurs, les panneaux de ces verrières comportaient des inscriptions en vers latins, qui explicitaient le sens des relations entre types et antitypes. Par conséquent, ces vitraux peuvent également être désignés par le terme de verrières typologiques. Le deuxième cycle occupait quatre fenêtres basses du transept est de la cathédrale (n. X, n. IX, s. IX et s. X), ainsi que probablement les douze verrières du déambulatoire de la Trinity Chapel (n. VII à n. II ; s. II à n. VII, figure 1). Cet ensemble de verrières illustrait des vies de saints et des récits de miracles, et pour cette raison, je l’appelle cycle hagiographique. À la différence du cycle biblique, ce cycle avait une structure essentiellement narrative, sans commentaire typologique ; les inscriptions des panneaux semblent également avoir été sensiblement moins longues que dans les verrières bibliques – certains

Il s’agit des manuscrits Canterbury, Cathedral Archives and Library MS C246, édité par M.R. James, The Verses Formerly Inscribed on Twelve Windows in the Choir of Canterbury Cathedral, Cambridge, 1901 (désormais CCAL); Cambridge, Corpus Christi College, MS 400 (désormais CCCC); et Oxford, Corpus Christi College MS 256, ff. 185v-188, édité par C.E. Woodruff, « The Chronicle of William Glastynbury, Monk of the Priory of Christ Church, Canterbury, 1419-1448 », Archaeologia Cantiana, xxxvii (1925), 121-151 (désormais OCCC). 13 M.H. Caviness en propose une reconstruction fondée sur la collation des trois manuscrits et leur comparaison avec les armatures originales des verrières. Les figures reproduites en appendice d’ESG présentent le résultat de cette reconstruction. 14 Elles sont toutes les deux numérotées I par le Corpus Vitrearum Medii Aevi, figure 1. 15 Ce panneau est aujourd’hui conservé au Richmond Museum, Virginia, USA, CVMA, 51. 12





introduction

panneaux n’ayant même aucune inscription. À part s. X, dont les sujets et inscriptions furent consignés dans CCCC et CCAL, ces verrières n’ont malheureusement pas bénéficié du même traitement que les verrières typologiques, et il est impossible de reconstituer les verrières perdues ; seules sept fenêtres comportent encore aujourd’hui des panneaux historiés. La partie la plus remarquable de ce cycle était certainement les douze verrières consacrées à la vie et aux miracles de saint Thomas Becket dans le déambulatoire de la Trinity Chapel (verrières n. VII à n. II et s. II à s. VII ; figure 1). Deux autres saints archevêques étaient honorés par des représentations dans la cathédrale : saint Dunstan et saint Alphège. Aujourd’hui confinés à trois petites fenêtres placées au-dessus des trois premières verrières du cycle typologique (Nt. XI-IX), il est possible que ces deux cycles comprenaient à l’origine jusqu’à quinze panneaux chacun, et qu’ils occupaient des fenêtres plus proches des autels où étaient conservées les reliques de ces saints, situés de chaque côté du maître-autel, par exemple St. II-III et Nt. III-II. Le dernier groupe s’apparente au premier, dans la mesure où les sujets représentés sont tirés de la Bible et des Évangiles, mais est distinct des deux autres groupes en vertu de sa structure, qui n’est ni typologique, ni narrative. Il constitue, par sa taille, le cycle le plus important de la cathédrale – mais sa position lui donnait probablement une importance secondaire. Occupant quarante-quatre fenêtres du clair étage (N. XXV-N. XVIII ; N. XVI-N. III ; S. III-S. XVI ; S. XVIIIS. XXV), il s’agissait des représentations des ancêtres du Christ, organisées de façon chronologique, et qui suivaient l’ordre donné dans le texte des évangiles de Matthieu et de Luc16. Deux oculi interrompaient cette longue galerie de « portraits », N. XVII et S. XVII, avec des représentations allégoriques et symboliques (Moïse et la Synagogue, le Christ et l’Église, les vertus et les prophètes). Ce cycle généalogique était complété par une verrière représentant un Arbre de Jesse, située dans la Corona (Corona III). Ces trois cycles seront ici les objets de l’analyse. L’histoire de la conception des vitraux de Christ Church est difficile à retracer avec certitude, car il n’existe aucune trace écrite du processus de création de ces images. Gervais, moine de la communauté, rédigea un compte rendu des travaux entrepris année par

16

Matt. 1, 1-16 et Luc 3, 23-38.





introduction

année17. Ce récit constitue la source principale pour la reconstruction de la cathédrale, mais il ne mentionne les verrières à aucun moment, alors qu’il se montre si disert à propos des innovations architecturales. Cela est peut-être dû au fait que la cathédrale normande contenait déjà des verrières historiées ; la nouvelle architecture introduite par Guillaume de Sens aurait dans ce contexte présenté un intérêt bien plus grand aux yeux du chroniqueur. Il paraît toutefois possible d’avancer que le programme iconographique fut établi vers 11751180, avant même le début de la construction du nouveau chœur18. Réalisés relativement rapidement, en moins de cinquante ans, de 1175 à 1220 au plus tard semble-t-il, les vitraux de Christ Church ont visiblement été conçus comme un programme unique et cohérent à l’échelle de la cathédrale. Le nom du ou des concepteurs ne nous est pas parvenu, mais le programme des vitraux de Christ Church présente une telle unité doctrinale et iconographique qu’il semble probable qu’un seul individu, peut-être même un petit groupe d’individus, fut responsable de la supervision de la réalisation, et que toutes les représentations furent soumises à sa sanction. Dans le cas d’une communauté monastique telle que celle de Christ Church, rompue à la réflexion théologique, familière avec l’exégèse patristique, experte dans l’art d’établir des liens typologiques entre les différentes parties des Écritures, et habituée à consulter et à produire des textes enluminés de grande qualité, il semble en effet très probable que les moines, au moins certains d’entre eux, furent à l’origine du choix des sujets et de leur représentation. Dans un contexte monastique, où les spectateurs principaux – ainsi que les concepteurs – des vitraux étaient experts dans la recherche des sens cachés des textes et des images, il paraît en effet légitime de supposer une volonté programmatique derrière le choix des sujets. Je pars donc du principe que les moines de Christ Church – qu’il s’agisse de la communauté dans son ensemble ou simplement de quelques membres ne modifie en rien cette prémisse – furent à l’origine du programme. En l’absence d’informations plus précises, et sans occulter le rôle qu’ont pu jouer les maîtres verriers dans la création d’une iconographie propre, il convient de considérer ici que le programme dans son

Tractatus de combustione et reparatione Cantuariensis ecclesiae, Gervasii Cantuariensis opera historica, 2 vols, W. Stubbs, éd., Rolls Series 73, Londres, 1879, i, 1-29 (désormais OH). 18 ESG, 151. 17



10



introduction

ensemble fut conçu par la communauté monastique de Christ Church. La question de savoir si les moines ont fourni des dessins précis aux verriers, ou si ces derniers se sont servis de modèles qu’ils avaient amenés avec eux pour la composition de certains panneaux, est difficile, sinon impossible, à résoudre, et, dans de nombreux cas, restera vraisemblablement en suspens. Les relations qui peuvent être établies entre l’iconographie et le style de certains panneaux et des manuscrits enluminés qui étaient vraisemblablement présents à Christ Church pendant la période de création des verrières – tels le Psautier Harley ou le Psautier d’Eadwine, entre autres – incline cependant à attribuer, au moins en partie, l’initiative artistique aux membres de la communauté19. Il est tentant de penser que les membres de la communauté participèrent peut-être de façon concrète à la réalisation des vitraux. Il n’était en effet pas rare que les moines fussent des artisans habiles et renommés. La Règle de saint Benoît encourageait le travail manuel, et de nombreux témoignages nous sont parvenus de moines excellant dans plusieurs techniques20. Saint Dunstan (archevêque de Canterbury de 960 à 988) lui-même, outre ses talents d’enlumineur, avait la réputation d’être un artisan particulièrement compétent dans divers domaines21. Le moine Théophile, qui semble révéler dans son traité une connaissance intime de l’art de la métallurgie, est vraisemblablement le plus connus d’entre eux, et son traité technique semble en tous cas indiquer que, pour un moine bénédictin du XIIe siècle, il n’était pas exceptionnel de prendre part à des activités artisanales nombreuses et variées22. Deborah Kahn, dans son analyse très complète de la sculpture romane de Christ Church, remarque que les chapiteaux de la crypte et du chœur reconstruits sous le pontificat

M. Caviness distingue l’œuvre de plusieurs maîtres verriers ayant subi des influences diverses et utilisant des modèles différents, mais l’organisation d’ensemble, qui est un des traits caractéristiques du programme de Christ Church, lui semble devoir être attribuée à la communauté (ESG, 10, 106, 118, entre autres). 20 La Règle de saint Benoît, éditée et traduite par A. de Vogüé et J. Neufville, 6 volumes, Sources chrétiennes n° 181-186, 1971-1972, chapitre 48. Désormais RB. 21 Eadmer, Vita Sancti Dunstani, Memorials of Saint Dunstan Archbishop of Canterbury, W. Stubbs, éd., Rolls Series 63, London, 1874, 169-170. Un manuscrit connu sous le nom de Saint Dunstan’s Classbook (Oxford, Bodleian Library, MS Auctarium F.4.32) présente une enluminure qui fut vraisemblablement réalisée par Dunstan lui-même (M. Budny, 140-141 ; N. Ramsay & M. Sparks, 1988, 9). 22 Théophile, De Diversis Artibus, édité par C.R. Dodwell, London, 1961, xxxvi-xxxix. Désormais DA. 19



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d’Anselme (1093-1109)23 ont vraisemblablement eu pour modèles les enluminures de manuscrits présents à Christ Church à cette époque24. Elle va même jusqu’à suggérer, à partir d’une étude du style et des techniques employés pour la réalisation de ces chapiteaux, qu’ils ont peut-être été réalisés par les moines de la communauté eux-mêmes. Elle remarque en particulier l’absence de modelé de ces sculptures, et le fait qu’elles se cantonnent aux limites des faces des chapiteaux, comme s’il s’agissait d’une page de manuscrit25. Il n’est donc pas impossible que les moines aient été impliqués de très près dans la réalisation des vitraux – leurs compétences et leur savoir-faire en matière de peinture (composition, couleurs, ornementation) pouvaient certainement être utiles. Les vitraux de la cathédrale de Christ Church, Canterbury, ont été bien documentés et étudiés depuis le XVIIe siècle26. Récemment, les ouvrages de M.H. Caviness à propos du verre de Christ Church, publiés par le Corpus Vitrearum Medii Aevi, ainsi que les nombreux articles qu’elle a consacrés à divers aspects de ces vitraux, ont fourni à bien des égards des conclusions définitives, en particulier en ce qui concerne le recensement des panneaux encore en existence, l’état du verre, l’étendue des restaurations, ou encore la datation du programme à partir de l’étude stylistique des verrières27. Il lui a fallu « dix ans pour saisir toute la complexité matérielle du verre de Canterbury »28, au cours desquels elle a pu observer les vitraux de près, à la fois in situ à l’aide d’échafaudages, et dans le studio de restauration de la cathédrale – et je n’ai pas la présomption de prétendre à une telle expertise. J’accepterai donc ici les conclusions de cet auteur, ainsi que la reconstruction du programme original qu’elle propose. Il semble que les travaux d’agrandissement du choeur n’aient été achevés que vers 1120. 24 D. Kahn, 57, 70, 87-88. 25 D. Kahn, 70. 26 William Somner, dans Antiquities of Canterbury, Londres, 1640, est le premier auteur à recenser les vitraux et leurs sujets. Dans l’introduction de ESG, M.H. Caviness reprend les différentes étapes de l’identification, la datation et l’analyse physique et stylistique des verrières depuis lors (ESG, 5-8). 27 Outre ESG et CVMA, on peut se reporter aux articles suivants: « A Panel of ThirteenthCentury Stained Glass from Canterbury in America », The Antiquaries Journal, 45 (1965), 192-199 ; « A Lost Cycle of Canterbury Paintings of 1220 », The Antiquaries Journal, 54 (1974), 66-74 ; « The Canterbury Jesse Tree Window », The Year 1200: A Symposium, New York, 1975, 373-398 ; « Canterbury Cathedral Clerestory: the Glazing Programme in Relation to the Campaigns of Reconstruction », Medieval Art and Architecture at Canterbury before 1220, édité par N. Coldstream & P. Draper, 1982, 46-55. 28 « ten years to grasp the physical complexities of the Canterbury glass », ESG, 8. 23



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Pourquoi alors consacrer une nouvelle étude aux vitraux de Christ Church ? Parce que les liens entre leur iconographie et la liturgie de la cathédrale n’ont jamais été étudiés en détail. Ainsi, Madeline Caviness fait parfois référence en passant au caractère liturgique du programme, et mentionne quelques fois des sources liturgiques pour certaines scènes29. Ces allusions ont aiguisé ma curiosité, tant par leur caractère fragmentaire et partiel que par les perspectives qu’elles ouvraient pour une étude plus systématique – une enquête détaillée sur les liens qui pouvaient exister entre ces deux modes d’expression n’a, à ma connaissance, jamais été réalisée pour Christ Church. Outre la beauté de ces vitraux, qui en font des objets d’étude particulièrement attrayants, ce qui a survécu du programme place Christ Church à part parmi les cathédrales anglaises, dont les décors vitrés ont bien davantage souffert des outrages du temps. De plus, l’unité de conception du programme, sa taille et son ambition, offrent une occasion unique d’analyser les intentions de la communauté à un moment précis de son histoire. Plus que n’importe où ailleurs, il est donc possible d’étudier à Canterbury un tout relativement cohérent et bien circonscrit dans le temps. Les particularités du programme de Christ Church sont essentiellement sa forme – l’utilisation de la typologie à l’échelle des verrières et de l’ensemble du programme – et son contenu – les représentations de scènes rares et la présence d’inscriptions très détaillées, dont la majorité nous a été transmise. L’influence du mode de vie monastique, en particulier de la liturgie, déterminée par la Règle de saint Benoît et informée par la récitation des Psaumes, sur les représentations est incontestable, en particulier sur la structure adoptée par le programme30. Il a par ailleurs depuis longtemps été reconnu que le statut de cathédrale monastique conférait à Christ Church une place tout à fait à part parmi les grandes églises de la chrétienté médiévale, et que ce statut eut des conséquences très importantes pour le programme iconographique31. L’utilisation de la typologie n’était bien

CVMA, 80, 97 ou encore 139. « The emphasis on the Psalter in the daily office encourages a habit of mind accustomed to typological subtlety and richness » (« l’accent mis sur le Psautier dans l’office divin encourage une tournure d’esprit accoutumée à la subtilité et à la richesse de la typologie »), M. Lillich, 308. 31 « the essential differences between the glazing program of Chartres and that of Canterbury arise from the fact that Canterbury was a monastic foundation » (« la différence essentielle entre le programme vitré de Chartres et celui de Canterbury provient du fait que Canterbury était une fondation monastique »), ESG, 102. 29 30



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entendu pas limitée aux églises monastiques32, mais l’usage qui en était fait à Christ Church était particulièrement minutieux, approfondi et systématique33. En cela, l’iconographie de la cathédrale est apparentée de très près aux textes et aux célébrations liturgiques. Le terme de « liturgie » n’était pas utilisé au Moyen Âge ; les célébrations étaient alors désignées sous le terme de « diuina officia » ou encore « ecclesiastica officia ». Il convient donc de définir ce que j’entendrai ici par ce terme. Dom Gregory Dix propose, à partir de textes du Nouveau Testament, la définition suivante :  ‘Liturgie’ est le nom donné (…) à l’acte de prendre part au culte solennel et collectif de Dieu célébré par la société ‘sacerdotale’ des Chrétiens, qui composent le ‘corps du Christ, l’église’. ‘La liturgie’ est le terme qui recouvre généralement l’ensemble du culte qui est officiellement organisé par l’église, et qui est ouvert à tous les membres de l’église, par qui, ou au nom de qui, il est offert 34.

Ainsi, au-delà de sa signification théologique et spirituelle, la liturgie peut être comprise comme l’ensemble des actions organisées officiellement et accomplies de façon solennelle et publique par une Église chrétienne, dans le but de rendre un culte à Dieu. Dans le cadre de cette étude, le terme « liturgie » désignera toutes les cérémonies à caractère rituel, eucharistie ou office, qui étaient célébrées par les moines de Christ Church dans la cathédrale. Il s’agira aussi bien d’analyser la forme de ces célébrations (telle que les coutumiers la présentent, à travers les choix de célébrants, de tenues ou d’objets) que le contenu (textes lus ou chantés, actions des participants).

Ainsi par exemple dans la verrière de la Passion à Chartres ou encore à Bourges (C. Manhès-Deremble, 140). 33 « [the spectator cannot] fail to be impressed by the ingenuity with which the most unpromising incidents in the Old Testament story are pressed into the service, and perhaps he may feel (…) that this ingenuity often testifies to a really poetic imagination, exercised by generations of men determined to find Christ everywhere » (« [le spectateur ne peut] manquer d’être impressioné par l’ingéniosité avec laquelle les événements les moins prometteurs de l’histoire de l’Ancien Testament sont recrutés pour cette entreprise, et il aura peut-être le sentiment (…) que cette ingéniosité témoigne souvent d’une imagination réellement poétique, exercée par des générations d’hommes déterminés à trouver le Christ partout »), M.R. James, Pictor in Carmine, Archaeologia, 94 (1951), 51. 34 « ‘Liturgy’ is the name given (…) to the act of taking part in the solemn corporate worship of God by the “priestly” society of Christians, who are the “body of Christ, the church”. ‘The liturgy’ is the term which covers generally all that worship which is officially organised by the church, and which is open to and offered by, or in the name of, all who are members of the church », G. Dix, 1. Pour d’autres définitions, on peut se reporter à E. Palazzo, 2000, 12-13 et notes. 32



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C’est donc la pratique et les usages liturgiques qui m’intéresseront particulièrement. Par usages, je désignerai ici l’ensemble des rituels liturgiques propres à Christ Church, c’est-à-dire non seulement l’ensemble des célébrations liturgiques communes à l’ensemble de l’Eglise au Moyen Âge, mais surtout les particularités et idiosyncrasies qui distinguaient la pratique de la liturgie de cette église pendant la période ici définie. C’est ainsi que l’organisation du calendrier des célébrations, l’importance relative accordée aux fêtes et aux cérémonies, ainsi que, dans une moindre mesure, les instruments employés lors de la célébration – livres, objets, vêtements liturgiques, entre autres – seront examinés tour à tour. Cette question des usages de la cathédrale peut tout d’abord être considérée sous l’angle de son évolution historique, c’est-à-dire la détermination des origines de la liturgie monastique pratiquée à Christ Church à la fin du XIIe siècle. Les éléments principaux dont se composaient les célébrations ; les événements majeurs qui ont formé et influencé le développement de ces célébrations ; et enfin la façon dont la liturgie de Christ Church a acquis les particularités qui étaient les siennes, sont autant de questions qui seront abordées ici. Ces usages seront ensuite examinés en fonction des choix qu’ils dénotent, et de l’image qu’ils proposent de la spiritualité de la communauté. Il convient dans un premier temps de définir le type et le nombre de célébrations qui seront prises en compte pour les besoins de l’analyse. S’il est bien entendu que les grandes fêtes christologiques – Pâques, Noël, Ascension – feront partie des célébrations examinées, il paraît cependant nécessaire d’élargir le cadre de l’analyse aux saisons dans lesquelles ces fêtes sont comprises : Avent, Carême et Pâques, c’est-àdire les saisons qui encadrent les temps forts de l’année liturgique. La liturgie, en particulier dans l’utilisation d’ornements ou d’objets, et dans le choix des vêtements liturgiques, suivait en effet cette succession des saisons du calendrier. Certains textes pouvaient par ailleurs être supprimés ou ajoutés en fonction de la teneur spirituelle de la saison ; ainsi l’Alleluia était omis pendant le Carême. Les trois temps importants du calendrier liturgique chrétien, dont la représentation occupait au Moyen Âge douze des verrières du chœur35, c’est-à-dire la plus grande partie du programme iconographique, seront donc inclus. La période comprise entre 1170 et 1220 fut, pour la liturgie de Christ Church, une période de renouvellement. L’addition d’un nou-

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Verrières n : XVI-XI ; n : VIII ; s : VIII ; s : XI-X ; s : XIV-XV (figure 1).

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veau saint, et non des moindres, au calendrier des célébrations de la cathédrale, et la reconstruction du sanctuaire, provoquèrent un regain d’intérêt pour les autres cultes locaux. Le programme iconographique qui fut mis en place entre 1175 et 1180 témoigne de l’importance accordée à certains saints dont les reliques étaient conservées à Christ Church : les saints archevêques, Dunstan, Alphège et Thomas Becket, saint Jean l’Évangéliste, saint Étienne, saint Martin et saint Grégoire le Grand. Les fêtes des saints principaux de Christ Church feront donc également partie du corpus étudié. Toutes les célébrations n’étaient pas considérées comme étant d’égale importance par les moines du XIIe siècle. Tous les offices, que cela soit dans la journée ou dans la semaine, ne revêtaient pas la même solennité liturgique. Une hiérarchie précise, souvent remaniée, et surtout éminemment idiosyncrasique, prévalait dans toutes les églises, monastères y compris, à l’époque qui nous intéresse, entre office et eucharistie d’une part, entre les jours de la semaine et le dimanche de l’autre. À cela s’ajoutait que les offices de la journée eux-mêmes n’avaient pas tous la même importance, et que les célébrations ordinaires étaient souvent remplacées par les fêtes du temporal et celles du sanctoral, qui elles-mêmes étaient classées en fonction de leur importance. Déterminée par l’histoire propre de chaque église – fondation, personnel et organisation ecclésiastiques, reliques possédées, relations plus ou moins étroites avec d’autres églises et monastères – mais aussi par l’histoire de l’Église en général, cette organisation du calendrier pouvait permettre à une communauté de revendiquer leur antiquité, de s’inscrire dans cette histoire et de la faire leur. L’office monastique de matines, à douze leçons pour les fêtes les plus solennelles, qui sont celles qui vont principalement nous occuper ici, est particulièrement intéressant à étudier. Il présente en effet un mélange unique de textes : toujours propres en ce qui concerne ces célébrations, ceux-ci peuvent être des textes préexistant à la fête en question, mais néanmoins choisis en fonction de leur contenu ou du sens qui peut leur être donné – tel les textes tirés de l’Évangile ou les homélies patristiques. Il pouvait également s’agir de textes « libres », qui étaient composés spécialement pour répondre aux besoins de l’occasion. C’est en tout cas l’association de ces deux types de textes spécifiques qui rendent l’office de matines propre à la fête du jour. Les offices dits votifs ne seront en revanche pas pris en compte ici. Ils ont en effet été écartés, car il s’agit de dévotions communes à de nombreuses communautés (Office des défunts, de la Vierge, de la Croix), et surtout car leur origine même leur donne une structure

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fixe. Ces offices ne sont en général composés que pour les petites heures et ils ne connaissent pas la distinction entre féries et fêtes36. Notre intérêt portera principalement sur la liturgie monastique de Christ Church, et plus précisément l’office de matines pour les jours de fêtes et les saisons qui ont été définies plus haut. La situation de la communauté de Christ Church était unique : elle desservait une cathédrale, situation qui était propre à l’Angleterre et la cathédrale était également le siège du primat de toute l’Angleterre. Ce statut conférait, non seulement à l’archevêque, mais à la communauté dont il était l’abbé effectif, un prestige et une influence indéniables. Cette situation revêtait, pour l’abbaye, une importance liturgique capitale : addidimus quoque perpauca, et mutauimus nonnulla, et maxime in celebrandis quibusdam festis, excellentius in nostra aecclesia oportere ea agi consentes propter primatem sedem37.

Outre toutes les cérémonies plus ou moins somptueuses et solennelles qui se déroulaient dans une église monastique de l’importance de celle de Christ Church, toutes les célébrations propres à la charge d’archevêque ainsi que les cérémonies de consécration des évêques de tout le pays, ainsi que de nombreuses autres occasions solennelles, étaient célébrées par l’archevêque de Canterbury, et pouvaient avoir lieu dans Christ Church, sa cathédrale. La communauté monastique était donc impliquée de près dans les grands événements du royaume. Le prestige personnel de certains archevêques de Canterbury rejaillissait également en partie sur la communauté qu’ils dirigeaient : de saints hommes tels que Dunstan, Alphège, Anselme ou encore Thomas Becket, étaient pour les moines des sujets de fierté, comme le montre la place qui fut accordée à certains d’entre eux dans les célébrations et dans les programmes iconographiques de la cathédrale. La situation très spéciale de Christ Church au sein de l’Église rend cette étude particulièrement intéressante. Cette étude va donc se concentrer essentiellement sur l’office de matines pour les grandes fêtes et saisons du temporal et pour certaines fêtes du sanctoral. En mettant

The Monastic Breviary of Hyde Abbey, Winchester, J.B.L. Tolhurst, éd., six volumes, London, HBS n° 69, 70, 71, 76, 78, 80, 1932-1942, vi, 107-130 (désormais HA). 37 « Nous avons ajouté quelques détails et fait quelques changements, en particulier pour les cérémonies de certaines fêtes, ayant considéré qu’elles doivent être célébrées avec une plus grande solennité dans notre église en raison du siège primatial qui s’y trouve », Constitutions, § 1. 36



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en parallèle les textes utilisés pour cet office à Christ Church au XIIe siècle et les représentations des vitraux, il sera possible de montrer quels liens peuvent être établis entre pratiques liturgiques et représentations iconographiques. Les sources écrites en provenance directe de Christ Church sont rares. Aux problèmes qui affectent toutes les sources médiévales – rareté, problèmes d’attribution et de datation – s’ajoutent des difficultés plus particulièrement liées à l’histoire de l’Angleterre en général et à celle de Christ Church en particulier. Une histoire ecclésiastique mouvementée, associée aux déprédations commises lors des raids vikings sur les plus grands centres religieux du pays pendant les VIIIe et IXe siècles ont fait qu’il n’existe aujourd’hui en Angleterre que très peu de textes liturgiques antérieurs au IXe siècle38. Pour la période qui nous intéresse plus particulièrement, le constat n’est guère meilleur. À Christ Church, la situation est rendue plus obscure par le fait qu’en 1067 l’incendie qui ravagea Canterbury détruisit également la cathédrale « cum officinis monachorum ibi degentium » :  quicquid in auro, in argento, in deversis aliarum specierum ornamentis, in divinis ac saecularibus libris preciosius habebat, fere totum vorans lingua ignis absorbuit39.

Ainsi, tous les livres qui pouvaient être conservés dans l’église furent pratiquement certainement anéantis. Lors de son arrivée à Canterbury en 1070, Lanfranc fut effaré par la situation dans laquelle il trouva le monastère40. Il entreprit certainement d’y remédier41, mais

H. Gneuss, 1994, dresse une liste des sources liturgiques disponibles pour la période anglo-saxonne, soulignant que peu de témoins subsistent pour la période antérieure à 900. 39 « avec tous les bâtiments monastiques qui lui appartenaient » ; « les flammes dévorantes consumèrent pratiquement toutes les choses les plus précieuses qui y étaient conservées, qu’il s’agisse d’ornements d’or, d’argent ou de toute autre matière, ou de livres sacrés ou profanes », Eadmer, Vita Bregwini, H. Wharton, Anglia Sacra, sive collectio historiarum, antiquitus scriptarum de archiepiscopis et episcopis angliae, 2 vols, London, 1691 (désormais AS), II, 187-188. 40 « Hic ergo Lanfrancus, cum Cantuariam primo venisset, et ecclesiam Salvatoris quam regere susceperat incendo atque ruinis pene nihili factam invenisset, mente consternatus est » (« Lorsque ce Lanfranc vint pour la première fois à Cantorbéry et trouva l’église du Sauveur, dont il avait reçu le gouvernement, réduite à rien par l’incendie et les ruines, il en eut l’esprit consterné »), Eadmer, Historia Novorum in Anglia (traduction française de H. Rochais, L’œuvre de s. Anselme de Cantorbéry, IX, Eadmer, Histoire des Temps Nouveaux en Angleterre, Paris, 1994, 40). 41 M.R. James, The Ancient Libraries of Canterbury and Dover, Cambridge, 1903, xxix (désormais AL). 38



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aucun livre liturgique datant de la fin du XIe siècle ne semble avoir survécu. Le récit de l’autre catastrophe majeure qui frappa Christ Church, l’incendie de 1174, par le moine Gervais ne mentionne pas ce qui a pu arriver aux livres. Les livres liturgiques, surtout ceux qui étaient précieusement ornés et reliés, étaient souvent conservés soit dans l’église, sur l’autel, soit dans la sacristie ou dans le trésor42. L’église ayant été particulièrement touchée par le sinistre43, il paraît donc possible que l’incendie ait détruit, ou tout au moins endommagé, la plupart des livres utilisés lors des célébrations. Outre ces deux catastrophes qui ont certainement affecté le nombre des livres liturgiques conservés et utilisés à Christ Church, il existe un autre problème relatif à l’identification de ces textes. Les textes sacrés ou à caractère liturgique n’apparaissent en effet pas dans les deux listes des livres de Christ Church qui nous sont parvenues44. La première de ces listes, contenu dans un manuscrit aujourd’hui à Cambridge45, est un fragment d’une liste à l’origine plus longue, et ne mentionne que des livres à caractère profane – arithmétique, rhétorique, ou encore grammaire46. Rien ne permet cependant d’affirmer que les livres liturgiques possédés par la communauté étaient mentionnés dans le reste de la liste. Un catalogue de la bibliothèque, dressé au début du XIVe siècle à la demande du prieur Henry of Eastry47, ne mentionne que les livres conservés dans la bibliothèque et ceux de armariolo claustri, c’est-à-dire les volumes qui étaient conservés dans le cloître. Il n’y est fait aucune mention de livres tels que missels, bréviaires, antiphonaires ou collectaires, ce qui suggère que ces textes étaient alors conservés ailleurs que dans la bibliothèque, probablement dans l’église ou la sacristie48. C’est ce que montre l’inventaire également contenu dans ce même manuscrit49. Quelques types

AL, xliii. Gervais rapporte comment le toit du chœur s’était effondré, OH, 4. 44 Editées dans AL. 45 University Library Ii.3.12. 46 AL, 6-12. 47 Londres, BL, Cotton MS Galba E iv. 48 AL, xliii. 49 Parmi ces textes se trouvaient des pontificaux, des livres pour la messe (missels, graduels, portiforia), des capitulaires et des bénédictionnaires, BL Cotton MS Galba E iv, fol. 121, édité par J.W. Legg & W.H.St.J. Hope, Inventories of Christ Church, Canterbury, London, 1902, 75 (désormais Inventories). Il est intéressant de constater que certains de ces textes sont décrits « secundum usum Sarum », ce qui montre l’influence de l’usage de Salisbury sur les pratiques liturgiques de l’église métropolitaine. 42 43



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d’ouvrages qui pouvaient également être utilisés pour les célébrations, tels les légendiers et les sermonnaires, sont présents dans cette liste, car ils pouvaient aussi être utilisés pour l’enseignement ou les lectures personnelles des moines. Faire une liste exhaustive des sources primaires qui peuvent être exploitées pour étudier la liturgie de Christ Church, Canterbury, à la fin du XIIe siècle, est donc une entreprise particulièrement difficile50, et il faudra parfois avoir recours à des sources moins directes. Les sources liturgiques sont parmi les plus abondantes des sources écrites médiévales, en dépit des aléas de leur survie51. Malgré les nombreuses publications qui leur ont été consacrées, elles demeurent bien souvent étudiées essentiellement pour elles-mêmes, c’est-à-dire en relation avec l’évolution des usages liturgiques52. Cette approche est bien sûr capitale afin de comprendre l’histoire de la liturgie et ses développements médiévaux, mais il me semble nécessaire de ne pas isoler les célébrations liturgiques des autres manifestations de la piété et du culte chrétien, au premier rang desquelles on peut trouver les créations iconographiques. Les liens entre liturgie et iconographie ont depuis longtemps été mis en avant par les historiens et les historiens de l’art. Il est tentant, et relativement aisé, de réduire les images qui décoraient les sanctuaires médiévaux à un simple rôle d’ornement ou d’accompagnement des textes sacrés, auxquels elles seraient toujours subordonnées. Pour les hommes du Moyen Âge, la présence des images dans les églises étaient en effet le plus souvent justifiée par leur rôle d’enseignement, de transmission et de remémoration. Cette justification a longtemps été acceptée telle quelle, à la fois dans les études d’histoire de l’art médiéval et par les historiens, qui ont parfois succombé à la tentation d’assigner aux images une fonc-

En Angleterre, depuis le XIXe siècle, l’édition de textes liturgiques médiévaux a connu un essor remarquable, en particulier grâce aux chercheurs travaillant dans le cadre de la Henry Bradshaw Society. 51 V. Leroquais, 1931, 4-5 ; C. Vogel, 1986, 1. 52 Une bibliographie complète serait trop longue à dresser ici. De nombreux ouvrages sont consacrés, outre à l’histoire générale de la formation de la liturgie de l’eucharistie (J.A. Jungmann, 1949 ; G. Dix, 1945, entre autres), ou de l’office des heures (P. Salmon, 1967 ; R.J. Taft, 1986), à des aspects particuliers de la célébration liturgique, tel le chant (A. Hughes, 1982 ; S. Roper, 1993) ou les recueils de textes liturgiques (E. Palazzo, 1993, ou encore les volumes de la série Typologie des sources du Moyen Âge occidental, publiés par Brépols), tout cela bien sûr sans parler des éditions de sources primaires. R. Pfaff, 1982, dresse une bibliographie thématique des sources primaires et secondaires concernant la liturgie médiévale. 50



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tion précise et unique. Des études récentes ont mis en relief les dangers et les limites d’une telle attitude strictement « fonctionnaliste » vis-à-vis des images médiévales, en particulier les programmes iconographiques des églises53. Les images ne sauraient en effet être considérées comme de simples sources de renseignements sur la réalité physique de l’environnement de leurs créateurs. Même si cet aspect pratique ne peut être totalement ignoré, il limite par trop l’exploitation qui peut être faite de l’iconographie par l’historien. Récemment, la recherche en histoire et en histoire de l’art a redonné une certaine autonomie à la création artistique visuelle du Moyen Âge, en acceptant qu’elle n’était pas nécessairement subordonnée à un texte, et qu’elle pouvait modifier, parfois de façon radicale le message transmis par l’écrit54. L’image participe ainsi, au même degré que les textes littéraires ou l’architecture, d’un système intellectuel d’explication et de construction du monde, et les images doivent désormais faire partie d’une approche globale de la société qui les a créées, leur complexité devant toujours être prise en compte55. Dans le cas des images présentes à l’intérieur des églises, parce qu’elles étaient inévitablement liées, de près ou de loin, aux célébrations qui se déroulaient dans le sanctuaire, il est nécessaire de les considérer en relation avec une étude des célébrations et des pratiques liturgiques comme expression d’une spiritualité et d’une conception du monde qui dépassent souvent le simple cadre du rituel. La liturgie fait partie, au même titre que les images, d’un système de représentations qui évolue dans le temps, et qui suit, de plus ou moins près, l’évolution de la sensibilité religieuse. Les textes adoptés reflètent les choix théologiques faits par l’Église. Avant l’apparition de l’idée d’uniformité liturgique, à partir du XVIe siècle, les célébrations, les textes, les musiques, les rites sélectionnés par une église particulière dénotaient son inscription dans un contexte liturgique particulier et rendaient explicites ses relations avec le reste de la Chrétienté à une époque donnée. Liturgie et iconographie font partie

E. Palazzo, 1998, 66 et 2000, 150-152 ; J.-C. Schmitt, 2002, 36 . R. Gameson a étudié en détail les modalités des relations entre texte et images dans l’art de l’Église anglo-saxonne à la veille de la Conquête (1995). Certaines de ses conclusions ne sont applicables qu’aux productions de cette période ; cependant, la méthode qu’il emploie pour examiner les liens entre image et texte (forme de l’image, position par rapport au texte, taille, encadrement, etc.) peut être appliquée à d’autres œuvres et à d’autres périodes. 55 G. Didi-Huberman, 77. 53 54



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intégrante d’un tout cohérent, d’un système de pensée et de vie mis en place au cours des siècles par l’Église, organisé et propre à chaque période de l’histoire. Dans les deux cas, il s’agit donc d’un système de signes dont le but est de représenter le plan divin pour la création. Ce rôle de représentation de la liturgie et de l’iconographie ne fut pas négligé par les moines de Christ Church. Leur accessibilité relativement universelle – en tout cas par rapport au texte écrit, qui demeure, pour la plus grande partie du Moyen Âge réservé à une élite – en firent des outils de communication privilégiés. Comme tous les outils de communication, cependant, ils reflètent essentiellement un point de vue subjectif, celui du créateur du message. Les membres de la communauté avaient donc à leur disposition des moyens de communication qui, s’ils n’étaient pas de masse, avaient néanmoins le potentiel de toucher un public assez large. Déterminer quels événements ont trouvé leur chemin dans les représentations iconographiques de la cathédrale ainsi que la façon dont ils furent représentés par les moines peut permettre d’apprécier dans quelle mesure cette image reflétait fidèlement la réalité de la situation. Les divergences qui peuvent être observées entre la représentation proposée et la situation historique telle qu’elle peut être reconstituée à partir des autres sources à notre disposition sont particulièrement révélatrices. L’examen de ces questions devrait permettre de reconstituer, en partie du moins, la vision que la communauté avait d’elle-même et de la société. Le contrôle que les moines – au moins certains d’entre eux – semblent avoir exercé sur les images des verrières, de la conception du programme à sa réalisation, contribue à l’intérêt de ces représentations. Le « message » initial ne se trouve en effet ni dilué, ni compromis par les conflits entre différentes approches et conceptions. On a bien affaire ici à un programme, au sens d’exposé cohérent et structuré des vues d’un individu ou d’un groupe. Au niveau le plus élémentaire, la liturgie et l’iconographie chrétiennes ont toutes les deux la même origine et le même but : elles commémorent et illustrent l’histoire sainte telle qu’elle est rapportée par la Bible, les Évangiles, et les récits hagiographiques. Les images furent très tôt employées par les chrétiens en parallèle avec la liturgie comme expression de leur identité propre, par opposition d’une part à la religion juive, qui prohibait l’utilisation des images, et de l’autre par opposition aux images produites par la religion de l’Empire romain. Signes de reconnaissance, les images, de même que la célébration dominicale de l’eucharistie, constituèrent donc dès les premiers siècles un élément essentiel et central de l’identité des commu

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nautés chrétiennes. La liturgie et l’iconographie sont par ailleurs toutes deux des modes d’expression visuels, qui permettent de rendre accessibles au plus grand nombre les idées qu’ils véhiculent. Un des points que je m’efforcerai de mettre en avant ici sera qu’iconographie et liturgie furent toutes les deux employées, par les moines pour exprimer leur identité collective. Par identité, il faut ici entendre l’image que les moines avaient d’eux-mêmes, en tant que communauté monastique, en tant que communauté desservant l’église la plus importante du pays, en tant que dépositaires de reliques parmi les plus saintes et les plus visitées de la chrétienté occidentale et en tant qu’héritiers d’une des traditions religieuses, historiques, littéraires et artistiques les plus riches d’Angleterre au XIIe siècle. L’identité revendiquée par les moines était à la fois héritée du passé, déterminée par les circonstances du présent, et tournée vers le futur. Cette identité de la communauté était constituée à la fois par les éléments qui étaient consciemment revendiqués par les moines et par tous ces éléments qui, au cours des siècles, avaient contribué à façonner les circonstances historiques, économiques, sociales et intellectuelles telles qu’elles apparaissent à la fin du XIIe siècle, et qui échappaient largement à l’attention des moines de Christ Church. Les deux groupes se recoupent assez souvent, mais pas nécessairement ; les premiers étaient, par nature, subjectifs, et correspondent étroitement à l’image que la communauté entendait projeter d’elle-même, et ils ne donnent qu’une image unilatérale et sélective de cette identité. La comparaison avec le deuxième groupe permet de déceler les failles et de déterminer dans quelle mesure la vision présentée est réaliste ou, au contraire, idéalisée. Il va sans dire que c’est là, dans ces interstices entre réalité et fiction, que réside le plus grand intérêt. Il a été montré depuis longtemps qu’au Moyen Âge, les images étaient couramment utilisées à des fins de démonstration politique et de propagande idéologique. On peut penser par exemple aux fresques de la salle capitulaire de l’abbaye de la Trinité à Vendôme, dont Hélène Toubert a montré comment elles avaient pu constituer, pour leur commanditaire et concepteur, un moyen idéal d’exprimer ses idées quant à la primauté du pape en tant que successeur de saint Pierre, dans le cadre de la réforme de l’Église56. La peinture n’est cependant pas le seul moyen d’expression qui fut utilisé de telle sor-

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Hélène Toubert, 1990, 365-402.

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te : Barbara Abou-el-Haj, à travers son analyse des sculptures de la cathédrale de Reims, a mis en lumière les conditions économiques et sociales qui présidèrent à la réalisation de ces sculptures, qui permirent au clergé de la cathédrale de rendre publique leur condamnation des troubles qui agitaient la ville à l’époque de leur réalisation57. L’étude des sujets d’un programme iconographique, en particulier un programme monumental qui, pour sa réalisation, a engagé les énergies et les finances de toute une communauté – clergé, noblesse, habitants de la ville, pèlerins – permet donc, dans une certaine mesure, de reconstituer les conditions politiques, économiques et sociales dans lesquelles il fut réalisé, les attentes spirituelles et politiques des membres de la communauté et l’image qu’ils souhaitaient voir représentée d’eux-mêmes. L’analyse des vitraux de la cathédrale de Chartres et de leur programme iconographique par Colette ManhèsDeremble donne ainsi une idée du degré de détail qui peut être atteint dans la reconstitution de l’environnement intellectuel et économique ayant présidé à la conception et à la réalisation de l’iconographie d’une des cathédrales les plus importantes de l’Occident chrétien58. Les exemples pourraient être multipliés d’études qui mettent en relief le fait que l’iconographie médiévale ne peut que rarement être complètement détachée du contexte politique, social et économique dans lequel elle fut créée. À travers l’étude de l’iconographie et de la liturgie de Christ Church, il est donc possible de mettre à jour un point de vue local, façonné par une histoire propre et des enjeux parfois étriqués, mais également influencé par les grands bouleversements qui au XIIe siècle affectent la société en général et l’institution monastique en particulier. Il va s’agir ici de déterminer si iconographie et liturgie expriment une idéologie commune, si elles s’articulent, et dans quelle mesure elles peuvent être superposées, comparées ou opposées l’une à l’autre. Il ne faut cependant pas oublier que ces deux modes d’expression ne proposent que des représentations figées, immobiles, et qu’ils ne prennent pas nécessairement en compte l’évolution rapide que la société subissait au XIIe siècle. Il serait abusif de vouloir y trouver littéralement retranscrites les théories politiques ou théologiques de l’époque ; il est néanmoins possible d’y entendre les échos, déformés, assourdis, simplifiés – les modes d’expression de l’image sont diffé-

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Barbara Abou-el-Haj, 1988. Colette Manhès-Deremble, 1993.

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rents de ceux de la parole, la liturgie n’étant pas un lieu de débat ni d’explication – des grandes idées de l’époque. Il n’est pas du tout de mon intention d’évaluer ici la place du programme vitré de Christ Church dans l’histoire de l’art médiéval. Mon but est de montrer, en essayant de combiner les approches propres à plusieurs disciplines – telles l’histoire, l’histoire de l’art, ou l’étude de la liturgie – comment des images, en relation avec la liturgie, ont pu être manipulées par la communauté monastique pour rendre publique l’image que les moines avaient d’eux-mêmes et de leur place dans la société. En replaçant la conception et la réalisation des vitraux de cette cathédrale dans leur contexte social, économique, politique, intellectuel et théologique, et grâce à une analyse détaillée des choix iconographiques qui lui sont particuliers, je m’efforcerai de démontrer que les vitraux constituaient un système de représentation cohérent, qui participait à l’expression d’une pensée ecclésiologique unique et clairement articulée, et qui fournit ainsi un instantané des préoccupations et des attitudes du groupe d’hommes d’Église qui présida à la mise en place des ces verrières à un moment précis de l’histoire de la cathédrale. Le premier chapitre de cette étude reprend les grandes étapes de l’histoire de Christ Church, en mettant en relief les éléments qui donnèrent forme à sa spiritualité et à ses usages liturgiques. Il est en effet essentiel de revenir sur les événements, lointains ou contemporains, qui donnèrent à la liturgie du monastère sa couleur distinctive. Il faudra ensuite, et ce sera l’objet du chapitre 2, voir comment la liturgie, qui occupait une place tellement importante dans la vie des moines, a pu influencer leur vision du monde et leur façon d’envisager la représentation de l’histoire sainte et de l’hagiographie. La liturgie et l’iconographie participent d’un même mode de pensée, d’une même façon d’appréhender le monde par le biais de la recherche d’échos, de préfigurations, mais aussi à travers l’organisation même du cycle liturgique. Il conviendra alors d’analyser comment la représentation ne joue pas simplement le rôle de décor dans lequel se déroule la liturgie, mais que l’interaction de ces deux modes d’expression est essentiel au bon déroulement des rituels, et contribue à créer une identité et un espace sacré, au sein duquel la célébration de la liturgie pouvait prendre place, deux aspects sur lesquels les chapitres 3 et 4 s’attardent plus particulièrement. L’argument des trois derniers chapitres est fondé sur l’idée que ces deux modes d’expression essentiellement monastiques ont été utilisés par les moines de Christ Church comme des tribunes pour

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rendre publiques des idées, des conceptions, voire toute une vision ecclésiologique de la communauté et de sa place dans la société anglaise du XIIe siècle. Une observation attentive des thèmes et des idées mis en scène dans les vitraux et dans la liturgie devrait permettre d’identifier les questions qui retenaient plus particulièrement l’attention des moines. Cette observation va permettre de révéler un paradoxe : la vision de la société et des rôles de l’Eglise en général, et des moines en particulier, qui peut être déduite de l’étude des représentations apparaît bien souvent en porte à faux par rapport à la réalité historique avérée, en particulier dans le contexte de tensions renouvelées entre pouvoir royal et archevêque de Canterbury. Il s’agit donc d’une vision éminemment subjective, idéalisée et normative de la société, qui participe à la création d’une identité pour la communauté, fondée en partie sur la réécriture du passé et sur l’emploi d’une « mythologie » monastique.



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Chapitre 1

Fondation, Traditions, Transformations

L’importance de Christ Church, Canterbury, dans l’histoire religieuse de l’Angleterre, et même de l’Europe, au Moyen Âge, est difficile à surestimer. Première église d’Angleterre, siège du primat, Christ Church était par ailleurs une des abbayes bénédictines les plus riches et les plus influentes du pays, tant au niveau religieux que politique et artistique. Il est essentiel de bien comprendre pourquoi et comment Christ Church avait acquis cette importance afin de mesurer l’ampleur des transformations qui l’affectèrent à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, et qui sont particulièrement le sujet de cette étude. Je vais donc dans un premier temps m’intéresser aux origines de la fondation de Christ Church, car c’est en partie à travers cette histoire que les membres de la communauté – et parmi eux les créateurs de la liturgie et les concepteurs du programme iconographique – appréhendaient et comprenaient leur identité. Il sera ici essentiel de bien mettre en relief le processus de réécriture, délibéré ou accidentel, du passé de la cathédrale et de la communauté, processus qui aboutit à la perception que les frères avaient d’eux-mêmes pendant la période considérée ici. Il est intéressant de constater que, au moment même où les membres de la communauté de Christ Church choisirent de célébrer fastueusement leur place dans l’Église et dans la société à travers un programme iconographique d’une richesse inégalée, leur présentation est en contradiction directe avec de nombreux aspects de la situation réelle du monachisme bénédictin en Angleterre et de la cathédrale à la fin du XIIe siècle. Les efforts des réformateurs de l’Église, ainsi que l’apparition de nouvelles formes de monachisme, remettaient en effet en cause le mode de vie traditionnel des moines noirs, qui se trouvaient de plus en plus mis à l’écart de la vie politique, économique et spirituelle du pays. La fin du XIIe et le début du XIIIe siècle constituent donc une période charnière, pour l’institution monastique en général en Angleterre, et plus particulièrement pour la communauté de Christ Church. Cette dernière, en raison de son implication étroite dans la vie du pays, se trouva en effet plus large

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ment affectée par les grands bouleversements qui redéfinissaient alors les rôles traditionnels des différents acteurs de la société médiévale. Des changements initiés parfois plus d’un siècle auparavant commençaient alors à avoir des conséquences sensibles. 1.1.  Fondation : aux origines de l’histoire de Christ Church Un grand sujet de fierté pour la communauté était qu’elle pouvait, sans interruption, faire remonter l’histoire de la cathédrale à la mission de conversion envoyée par Grégoire le Grand à la fin du VIe siècle. Il faudra examiner quels thèmes peuvent être dégagés de ce récit originel, afin de bien comprendre la part de reconstruction qu’ils subirent entre le VIe et le XIIe siècles. Les origines de l’église de Canterbury ne sont connues que grâce à une seule source médiévale, mais de nombreuses découvertes historiques et archéologiques permettent de vérifier ou d’infirmer les faits rapportés par cette source1. Le récit de la mission envoyée par le pape Grégoire le Grand en 596 pour évangéliser les Angles et les Saxons est fait par Bède le Vénérable, dans la première moitié du VIIIe siècle. Bien que fondé sur une tradition émanant de Canterbury, ce récit n’en est pas moins tardif, et surtout éminemment sélectif, voire biaisé2. Il devint néanmoins la source principale pour l’histoire de Christ Church, avec de nombreuses conséquences pour la perception que la communauté avait de sa propre histoire. Pour approximatives qu’aient pu être les informations obtenues par Bède presque un siècle et demi après l’arrivée de

Les études consacrées à l’histoire de Christ Church, de sa fondation à nos jours, sont trop nombreuses pour être toutes énumérées ici. La bibliographie donnée en fin de volume en mentionne plusieurs, qui peuvent donner des pistes utiles à qui veut approfondir cette question, en particulier celle de N. Brooks, The Early History of the Church of Canterbury. Christ Church from 597 to 1066, Leicester, 1984. En ce qui concerne Augustin, les communications faites dans le cadre du colloque organisé lors du 1400ème anniversaire de son arrivée en Angleterre réévaluent le contexte et l’apport de la mission évangélisatrice et fournissent d’excellents pistes bibliographiques (Saint Augustine and the Conversion of England, R. Gameson, ed., Stroud, 1999). 2 G. Tugene, 11 et Introduction, n. 13. Dans la Préface de son Historia ecclesiastica gentis Anglorum, Bède explique comment il s’est adressé à Albinus, prieur de l’abbaye de SaintPierre-et-Saint-Paul à Canterbury pour obtenir des informations de première main quant à la mission romaine. L’édition utilisée ici sera celle de B. Colgrave et R.A.B. Mynors, Bede’s Ecclesiastical History, Oxford, 1991 (désormais HE). 1



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la mission évangélisatrice, on ne peut cependant douter qu’elles constituaient le fondement de la perception que les communautés de Canterbury avaient de leur propre histoire – et de leur importance dans la création et le maintien de l’Église anglaise. La première église du pays Quand, à la fin du VIe siècle, Grégoire le Grand décida d’envoyer une mission évangélisatrice en Angleterre pour convertir les barbares païens, le royaume du Kent était un des principaux centres de pouvoir du pays. Une fois converti, le premier geste du roi Æthelberht fut de donner à Augustin un terrain où établir son église : At Augustinus, ubi in regia ciuitate sedem episcopalem, ut praediximus, accepti, recuperauit in ea, regio fultus adminiculo, ecclesiam quam inibi antiquo Romanorum fidelium opere factam fuisse didicerat, et eam in nomine sancti Saluatoris Dei et Domini nostri Iesu Christi sacrauit, atque ibidem sibi habitationem statuit et cunctis successoribus suis3.

Cette église du Sauveur, Christ Church, était l’église dans laquelle l’archevêque4 devait vivre, entouré de ses compagnons, qui suivaient peut-être une règle de vie commune. C’est du moins ce que recommanda Grégoire Ier, en réponse à la question d’Augustin concernant la façon dont l’évêque devait vivre avec son clergé5. Christ Church devient donc la première église du royaume, la plus ancienne fondation chrétienne. Il faut cependant noter que le fait que la mission choisit de s’établir à Canterbury dépendait dans une très large mesure des conditions politiques qui prévalaient alors en Angleterre. Le roi du Kent, Æthelberht, avait à cette époque réussi à étendre son autorité

« Après avoir reçu, comme nous l’avons déjà dit, son siège episcopal dans la cité royale, Augustin, avec l’aide du roi, y restaura un église qui, comme il en fut informé, avait été construite jadis par des croyants romains. Il la dédia au nom du saint Sauveur, notre Seigneur et Dieu Jésus Christ ; et dans cette église il établit une résidence pour lui et pour tous ses successeurs », HE, i, 33. 4 La question de savoir s’il faut désigner Augustin et ses successeurs immédiats par le terme d’archevêque ou simplement d’évêque est difficile à résoudre de façon simple, en raison de l’état très fluctuant de l’Eglise anglaise pendant le demi-siècle qui suivit l’arrivée de la mission. Les sources, primaires aussi bien que secondaires, ont du mal à s’accorder sur ce point. Augustin avait probablement été consacré évêque lors du passage de la mission en Gaule, et il fonda, dans les quelques années qui suivirent l’arrivée de la mission en Angleterre, deux autres sièges épiscopaux dans le royaume du Kent, l’un à Rochester, et l’autre à Londres, qui lui devaient tous les deux obéissance (HE, ii, 3), et Bède rapporte également comment il avait été consacré archevêque par l’archevêque d’Arles (HE, i, 27). 5 HE, i, 27. 3



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sur une grande partie du sud-est du pays6, et pouvait donc garantir une certaine stabilité et une certaine sécurité aux missionnaires, en leur offrant un territoire relativement vaste à évangéliser. Il était peutêtre par ailleurs plus réceptif au message chrétien que certains de ses voisins anglo-saxons, en vertu des contacts fréquents entre le Kent et les royaumes chrétiens du continent, et en vertu du fait que son épouse était une princesse franque chrétienne7. En 596, Canterbury ne présentait plus qu’un très lointain souvenir du centre urbain important qu’elle avait été à l’époque romaine8. Elle permettait toutefois à la mission de créer une base d’où l’effort de conversion allait pouvoir s’étendre. Le christianisme n’avait cependant pas disparu complètement au lendemain des invasions au Ve siècle : on sait maintenant que l’église britannique avait survécu, et qu’elle prospérait, essentiellement aux marges du monde anglo-saxon, dans l’ouest de l’île9. Des missions irlandaises avaient pénétré dans le nord de l’île et établi des avantpostes d’où pouvait également se répandre la foi chrétienne. Surtout, la femme du roi Æthelberht, Bertha, avait amené avec elle un évêque, Liudhard, et elle pratiquait sa religion dans une église dédiée à saint Martin à Canterbury. Dans son récit, Bède s’efforce cependant de minimiser le rôle de ces communautés chrétiennes, qu’il décrit systématiquement comme refusant délibérément de reconnaître l’autorité d’Augustin et de participer à l’évangélisation des Anglo-Saxons10. Canterbury avait donc dès l’origine été établie comme une église d’importance, le centre d’où devait partir l’effort d’évangélisation du reste du pays. Il s’agissait en effet d’un complexe religieux et architectural d’une certaine importance, ce que montrent bien les découvertes archéologiques. Il comprenait plusieurs églises, toutes fondées dans les premières années de la mission : la cathédrale ; une abbaye, située en dehors de la ville (Saint-Pierre-et-Saint-Paul), et dont la foncHE, i, 25. Les relations entre le Kent et le continent au VIe siècle sont analysées par I. Wood, 6882. 8 N. Brooks, 1984, 16-23. 9 L’article de C. Stancliffe dans R. Gameson, éd., 1999, s’intéresse à la façon dont Bède présente l’Église britannique (107-151). Encore à l’époque de la rédaction de la HE, de fortes tensions perduraient entre populations autochtones britanniques et « envahisseurs » anglo-saxons (N. Brooks, 2000, 233-236). 10 HE, ii, 2 ou encore ii, 20. La façon dont Bède présente ce refus des chrétiens britanniques comme une expression d’une malice inhérente à leur caractère et l’associe étroitement à ce qui est décrit comme leur pratique « hérétique » dans le calcul de la date de Pâques, est frappante et tout à fait révélatrice de sa présentation partisane des faits. 6 7



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tion devait être de servir de nécropole à Æthelberht, sa reine et leurs successeurs, ainsi qu’aux archevêques ; et au moins deux martyria (Saint-Pancrace et les Quatre-Martyrs-Couronnés)11. Il faut ajouter à ces églises celle dédiée à saint Martin, qui avait été utilisée par la reine Bertha et son entourage chrétien. Cette abondance de fondations montre bien l’importance réservée à Canterbury, et indique que la mission avait au moins le personnel ecclésiastique nécessaire pour desservir tous ces lieux de culte. L’Église de Canterbury apparaît donc bien comme la première église du pays. Unique parmi les sièges épiscopaux établis par Augustin et ses compagnons, Canterbury pouvait par ailleurs s’enorgueillir d’une histoire continue depuis sa fondation. Rochester, Londres et York, également fondés par des membres de la mission romaine, avaient tous les trois vus leur évêque obligé de fuir précipitamment face à l’effondrement du royaume du Kent à la mort d’Æthelberht en 616 ou au rejet du christianisme en Northumbrie après la défaite d’Edwin12. Théodore de Tarse trouva cependant l’Église de Canterbury très affaiblie et très désorganisée à son arrivée en 669, et ce n’est que de son pontificat que date l’établissement d’une hiérarchie ecclésiastique stable sous l’autorité d’un métropolitain résidant à Canterbury13. Cette antiquité et cette continuité conféraient néanmoins à Canterbury un statut à part et une autorité fondée sur une tradition difficilement contestable. La question de la primatie Le plan dressé par Grégoire le Grand pour l’Église anglaise n’aurait guère pu être moins en rapport avec la situation politique et religieuse qu’Augustin et ses compagnons trouvèrent en arrivant en 597. Le pape, se fondant peut-être sur des documents de l’époque romaine attestant de la présence d’évêques anglais à des conciles de l’Église, ainsi que sur le modèle de l’Italie et de la Gaule, avait décidé que l’Angleterre serait divisée en deux provinces ecclésiastiques, et que les deux archevêchés, Londres et York, auraient chacun douze sièges épiscopaux sous leur autorité14. Or, depuis le milieu du Ve siècle, l’effondrement de l’empire romain et les vagues successives d’invasions

E. Cambridge, 211-212. HE, ii, 20. 13 N. Brooks, 1984, 71-76. 14 HE, i, 29. 11 12



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germaniques, avaient porté un coup fatal à l’organisation politique et religieuse du pays. Le morcellement du territoire sous l’autorité d’une constellation de rois et de princes de tribus différentes rendait le processus de conversion aléatoire et dangereux. Augustin était arrivé dans le Kent à un moment de l’histoire de ce royaume où son influence s’étendait relativement loin, au moins jusqu’à la rivière Humber. La relative stabilité de ce royaume permit de créer deux évêchés en sus de celui de Canterbury, à Londres et à Rochester. Les événements qui suivirent la mort d’Æthelberht en 616 provoquèrent la chute de Rochester et de Londres en tant que sièges épiscopaux, et la tentative de fonder un évêché à York échoua quand, en 633, Paulinus dut précipitamment regagner le sud du pays15. Les circonstances politiques firent que l’Église anglaise accepta Canterbury comme son centre de facto, et que le siège principal de l’autorité ecclésiastique ne fut jamais transféré à Londres. La primatie d’Augustin avait, dès l’origine, été symbolisée par le pallium octroyé par le pape. Dans une lettre qu’il lui adresse en 601, Grégoire le Grand mentionne pour la première fois l’importance du pallium pour les archevêques anglais : Usum tibi pallii (…) concedimus, ita ut per loca singula xii episcopos ordines, qui tuae subiaceant dicioni16.

Depuis Augustin, les archevêques de Canterbury avaient pour tradition de se rendre en personne à Rome après leur consécration pour obtenir des mains du pape le pallium, symbole de leur charge et de leur dépendance directe du Saint-Siège. Le pallium était donc le symbole de l’autorité de l’archevêque, déléguée directement par le pape. Toutefois, Grégoire Ier entendait que les archevêques d’York reçoivent également le pallium17. La question de la primatie prit une ampleur tout à fait particulière pendant le pontificat de Lanfranc. Au lendemain de la Conquête normande, l’Église anglaise se retrouva dans une situation de grande confusion : des domaines ecclésiastiques avaient été saisis par des seiHE, ii, 20. La province d’York ne compta jamais au maximum que trois évêchés : York, Durham et Carlisle. Les controverses liées à l’établissement de l’archevêché d’York, ainsi qu’à l’adoption du comput romain pour la date de Pâques, sont présentées et analysées par Marion Gibbs, « The Decrees of Agatho and the Gregorian Plan », Speculum 48 (1973), 213-246. 16 « nous t’accordons l’usage du pallium (…) afin que tu puisses consacrer douze évêques à divers endroits qui seront soumis à ta juridiction », HE, I, 29. 17 HE, i, 29. 15



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gneurs laïques, de nombreux évêques et abbés se virent déposés, et une nouvelle hiérarchie devait être mise en place. Soucieux de remettre de l’ordre et d’inscrire son autorité dans la tradition anglo-saxonne, Lanfranc s’empara de la notion de la primatie de son siège, et s’efforça de faire reconnaître le rang de Canterbury par le pape. Les lettres de Grégoire le Grand furent à nouveau produites afin de soutenir la cause de Canterbury, et leur interprétation était claire : Augustin avait été fait primat de toute l’Angleterre et son autorité devait même s’étendre sur les évêques britanniques. Le parti de Canterbury omit cependant soigneusement de mentionner que Grégoire le Grand avait prévu que la primatie de Canterbury cesserait à la mort d’Augustin, et que par la suite elle reviendrait à l’archevêque qui avait le plus d’ancienneté18. C’est de cette époque que date une série de documents censés « prouver » que Grégoire le Grand et ses successeurs avaient bel et bien accordé à l’archevêque de Canterbury la primatie sur les autres sièges anglais. Les papes du XIe et du XIIe siècle, prudents, se gardèrent bien de prendre position en faveur de l’un ou l’autre archevêché, et l’entreprise se solda finalement par l’humiliation des membres de la communauté à la curie romaine en 112319. Les dispositions prises par Grégoire Ier, mais surtout les adaptations auxquelles la mission originale se vit contrainte par la situation politique et religieuse de l’Angleterre au début du VIIe siècle, informèrent donc de façon durable la vision que les archevêques de Canterbury avaient de leur église et de leur rôle dans la vie religieuse du pays. Le récit de la fondation de Christ Church proposé par Bède est, dans ses grandes lignes, corroboré par les découvertes archéologiques faites à Canterbury et dans le reste du Kent20. Il s’agit néanmoins d’une présentation sélective, et souvent biaisée, de la conversion des Anglo-Saxons – un récit qui participe de l’ethnogenèse de la « nation anglaise »21. Il ne faudra jamais négliger l’importance de ce récit pour l’identité de l’Église anglaise en général et de Christ Church en particulier. Le premier archevêque normand, Lanfranc, y fit référence de façon explicite dans le coutumier qu’il rédigea à l’usage de Christ HE, i, 27 et 29. La question des « Canterbury forgeries » est complexe, et de nombreux points demeurent inexpliqués – en particulier la date de leur réalisation et le rôle exact de Lanfranc dans cette affaire (H.E.J. Cowdrey, 2003, 95-97 et n. 56). 20 E. Cambridge, 227. 21 G. Tugene, dans son étude sur l’image de la nation anglaise dans l’HE, a mis en évidence les procédés employés par l’historien pour construire l’idée que les Anglo-Saxons avaient une identité commune, une construction également étudiée par N. Brooks, 2000. 18 19



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Church vers 1080. Il justifie l’inclusion de la fête de saint Grégoire le Grand dans le deuxième groupe des fêtes importantes du monastère par la formule suivante : Festiuitatem beati Gregorii inter superiores ideo computamus, quia nostre, id est Anglorum gentis, apostolus est22.

Outre le fait qu’il est remarquable que Lanfranc s’assimile ainsi aux Anglo-Saxons que les Normands viennent de conquérir (« nostre apostolus »), cette phrase souligne bien comment, cinq siècles après les événements, cette présentation de l’histoire était toujours courante, et que son rôle dans la création d’une identité typiquement anglaise était toujours valide. On peut ainsi noter que, pour la majeure partie du Moyen Âge, jusqu’en 1091, quant ses reliques furent solennellement transférées dans la nouvelle abbaye qui lui était dédiée, saint Augustin demeura quelque peu dans l’ombre du pape Grégoire Ier. Peu de choses sont en effet connues à son sujet, et il semble que les communautés de Canterbury n’aient pas particulièrement cherché à encourager son culte, comme en témoigne le peu d’information disponible à Canterbury au moment de la rédaction de HE. Au contraire, il semble qu’il y a eu un effort particulier pour présenter Grégoire le Grand comme l’Apôtre des Anglais, au détriment d’Augustin, un effort qui peut être attribué, en partie du moins, à l’archevêque Théodore de Tarse (669690) qui, dans sa tentative de limiter l’influence de Wilfrid d’York, essaya d’assurer la primatie de Canterbury sur tout le pays à travers le culte de saint Grégoire23. Le prestige du pape et l’abondance d’information à son sujet expliquent peut-être cette situation. Toujours est-il qu’avant la rédaction de la Vita par Goscelin de Saint-Bertin pour la translation de 1091, saint Augustin ne semble pas avoir été honoré par une telle commémoration. Inversement, le récit de Bède insiste sur le fait que la décision de convertir les populations anglaises revenait à Grégoire le Grand, et qu’Augustin n’était que l’exécuteur des directives du pape. Celui-ci se vit attribué tout le mérite de l’entreprise, et le qualificatif « Apôtre des Anglais » fut souvent accolé à son nom. La situation qui prévalait à Christ Church aux XIe-XIIe siècles en termes de cultes rendus à ces

Constitutions, § 66-67. N. Brooks, 1984, 71-76 ; on peut également se reporter aux articles de R.A. Markus, A. Sharer et A. Thacker dans R. Gameson, ed., 1999. 22 23



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deux hommes ne déroge pas à cette situation. Lanfranc classait les célébrations dédiées à saint Grégoire le Grand et à saint Augustin parmi les fêtes les plus solennelles après les cinq fêtes principales du monastère, mais c’est Grégoire qui se voit attribuer le titre de « nostre apostolus », non Augustin. Le programme iconographique de la cathédrale semble en tout cas refléter cette situation : d’après les sources médiévales, il n’y avait pas de verrière consacrée à saint Augustin dans l’église haute de Christ Church24 ; en revanche, un autel dédié à saint Grégoire le Grand était depuis longtemps présent dans le transept sud-est. Deux des manuscrits médiévaux mentionnent, après la douzième fenêtre typologique, la présence d’une verrière hagiographique accompagnant cet autel, et listent quatre scènes, avec leurs inscriptions25. En l’absence de toute autre source relatant la mission de saint Augustin et de ses compagnons, l’Historia Ecclesiastica de Bède le Vénérable devint inévitablement la pierre de touche sur laquelle reposèrent tous les autres récits. Pour les membres de la communauté de Christ Church, le fait que le chroniqueur relayait une tradition émanant de Canterbury signifia qu’ils pouvaient s’approprier l’idéologie qu’il définissait. L’Historia Ecclesiastica se présente donc comme une construction idéologique qui place Canterbury au centre du rayonnement de l’Église anglaise et lui donne un rôle de premier plan dans le développement de la notion de « nation » anglaise. Le récit de la fondation de Christ Church et de son rôle dans la construction de l’identité nationale constitue toujours la toile de fond sur laquelle viennent se superposer tous les autres événements qui affectent la cathédrale, en particulier dans ses relations avec le reste de l’Église chrétienne, au premier rang de laquelle on trouve Rome. L’imitation de Rome La question de la différence des usages entre la Gaule et Rome fut soulevée dès les premières années de la mission par Augustin lui-même. Au cours de son long périple en Gaule avant d’arriver en Angleterre, Il y avait un autel consacré au fondateur de la cathédrale dans la crypte, mais aucune représentation iconographique n’est mentionnée, OH, 14. Un texte d’environ 1643, par Richard Culmer, mentionne qu’une image de « Austin the Monke » (saint Augustin) fut détruite dans la verrière orientale (« Cathedral News from Canterbury », cité par G. Smith, Chronological History of Canterbury Cathedral, Canterbury, 1883, 310-311), mais « the existence of this figure is improbable » (« l’existence de cette image est peu probable »), CVMA, 158. 25 CCCC, 124-126 et CCAL, 26. Il s’agit de la verrière s. X (CVMA, 137-139). 24



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Augustin n’avait en effet pu manquer de noter des variations par rapport à la liturgie qui lui était familière, c’est-à-dire celle en usage dans les basiliques et les monastères romains à la fin du VIe siècle26. Il avait peut-être retrouvé ces différences dans les pratiques suivies par Bertha, l’épouse franque et chrétienne d’Æthelberht, et de son évêque, Liudhard. La réponse de Grégoire le Grand à ce sujet montre bien à quel point, avant l’apparition de livres liturgiques normatifs, la situation pouvait être fluide, et facilement adaptée aux besoins et aux goûts locaux : il encouragea Augustin à créer une liturgie spécifiquement pour les Anglais, à partir des coutumes qu’il avait rencontrées au cours de son voyage et qui lui semblait convenir le mieux à la situation qu’il avait trouvée en Angleterre27. De plus, Bède rapporte comment les renforts qui arrivèrent en 601 pour aider la mission originale apportèrent des livres et des objets liturgiques28. Les livres apportés par Augustin et ses compagnons devaient leur permettre de célébrer la liturgie dignement parmi les Angles et les Saxons nouvellement convertis. La nature des volumes apportés en 597 puis en 601 ne nous sera probablement jamais connue avec exactitude, mais on peut raisonnablement penser qu’il s’agissait d’une part de textes sacrés et de livres consacrés à la célébration du culte, et de l’autre d’ouvrages destinés à la lecture29. Un livre d’Évangiles, connu sous le nom d’Évangiles de Saint Augustin, d’origine italienne et daté de la fin du VIe siècle, faisait peut-être partie de ces volumes, ainsi qu’une bible, la Biblia Gregoriana, qui semble avoir été encore en existence au moment de la réforme au XVIe siècle30. Quoi qu’il en soit, Grégoire le Grand sembla donner carte blanche à Augustin en ce qui concerne les usages liturgiques à suivre. Il est donc probable que les missionnaires choisirent de suivre la liturgie qu’ils connaissaient, celle de Rome. Il a ainsi été montré récemment comment, au moins jusqu’au VIIe siècle, l’Angleterre suivit étroitement les pratiques romaines en ce qui concerne le culte des saints et des martyrs31. Cela peut être dû en partie au fait que l’Angleterre d’avant la Il s’agissait probablement d’une liturgie de type cathédral, peut-être déjà influencée par les usages bénédictins introduits par les moines du Mont Cassin qui s’étaient réfugiés à Rome après la destruction de leur monastère, P.F. Bradshaw, 123-136 et C. Jones et al., 358367. 27 HE, i, 27. R. Gameson, dans R. Gameson, éd., 1999, 25. 28 HE, i, 29. 29 R. Gameson dresse une liste des manuscrits originaires du Kent pour les VIIe-VIIIe siècles (1999, 313-373). 30 R. Marsden retrace l’histoire des Évangiles (1999, 285-312). M. Budny, pour sa part, s’intéresse à la postérité de la Biblia Gregoriana à travers l’analyse de manuscrits qui l’ont vraisemblablement utilisée comme modèle au cours des siècles (1999, 237-284). 31 A. Thacker a récemment analysé ce phénomène. Il l’explique par la volonté de la toute nouvelle église anglaise se démarquer des cultes pratiqués par les britanniques et surtout par le désir d’étendre le concept de sainteté apostolique aux membres de la mission originale, et surtout à Grégoire le Grand (2000, 257-258 et 274). 26



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mission de saint Augustin ne comptait que peu de martyrs, mais cela peut également s’expliquer par la méfiance ressentie par les missionnaires romains vis-à-vis des vestiges des usages britanniques qu’ils trouvèrent en arrivant à la fin du VIe siècle32. La liturgie pratiquée à Christ Church devint rapidement un modèle pour le reste du pays, et une cause majeure de désaccord avec les Églises britannique et irlandaise, notamment en ce qui concerne le calcul de la date de Pâques. Le concile tenu à Whitby en 664 instaura la pratique romaine pour établir la date de Pâques pour toute l’Église anglaise, et Théodore de Tarse, archevêque de Canterbury de 669 à 690, s’employa activement à faire respecter cette mesure33. Cette liturgie romaine exerça une grande influence en Angleterre, en particulier dans le nord, sous l’influence d’hommes d’Église tels que Wilfrid (633-709) et Benoît Biscop (628-689) qui, au VIIe siècle, se rendirent tous deux à plusieurs reprises à Rome34. Il paraît raisonnable de supposer que lors de leurs séjours dans la ville papale, les deux hommes ne manquèrent pas de s’instruire de la liturgie qui y était observée. Cette liturgie fut vraisemblablement introduite en Angleterre par Benoît Biscop qui, lors d’un de ses voyages à Rome ramena un certain Jean « archicantor ecclesiae Sancti Apostoli Petri » afin que « in monasterio cursum canendi annum sicut ad sanctum Petrum Romae agebatur edoceret »35. Jusqu’à la Conquête normande, les usages suivis par l’Église anglaise sont assez distinctement romains, en dépit d’une certaine contamination par les usages gallicans, comme en témoigne le texte romain du psautier qui se trouve dans le manuscrit Londres, BL Arundel MS 155, probablement copié dans la première moitié du XIe siècle. Le récit de la fondation de Christ Church souligne un point d’importance capitale : l’Église anglaise fut fondée à l’instigation directe de l’évêque de Rome, et l’archevêque tenait sa légitimité des mains même du pape, et la remise du pallium en était le signe tangible. Les sept premiers évêques de Canterbury, par ailleurs, étaient tous des membres de la mission originale envoyée pour convertir le pays. Le premier archevêque anglo-saxon changea même son nom (de Frithonas à Deusdedit) afin de

Un épisode particulièrement révélateur est celui, rapporté par Bède, qui montre Grégoire le Grand enjoignant à Augustin d’interdire la vénération d’un martyr local, saint Sixtus, dont la tradition n’avait préservé ni la passio, ni les miracles (C. Stancliffe, 121). 33 HE, iii, 20 et 25 et iv, 2 ; CED, iii, 100-106. 34 Pour le voyage de Wilfrid à Rome, voir Bède, HE, IV, 13 ; en ce qui concerne les nombreux séjours de Benoît Biscop dans la ville papale et son admiration pour la liturgie qui y était en usage, on peut se référer à HE, IV, 18. 35 Jean, « archichantre de l’église du saint Apôtre Pierre » accompagna Biscop en Angleterre afin « d’enseigner dans son monastère le cours annuel du chant comme il était pratiqué à Saint-Pierre de Rome » (HE, I, 17 ). 32



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minimiser sa différence d’avec ses prédécesseurs36. L’importance du lien direct avec Rome dans la légitimité du chef de l’Église anglaise apparaît donc comme un élément central dans la définition de la place de Canterbury dans la chrétienté. La mission originelle était essentiellement composée d’hommes issus du monastère de Grégoire le Grand sur le Mont Caelius à Rome37. Ces hommes avaient été formés dans la tradition liturgique, mais également architecturale romaine. Les églises qu’ils fondèrent en arrivant à Canterbury reflètent un désir conscient de façonner étroitement la toute nouvelle Église anglaise sur le modèle de la ville pontificale. Ce désir se retrouve dans les dédicaces qu’ils choisirent pour leurs toutes nouvelles fondations : l’église de l’évêque fut consacrée au Sauveur, comme la cathédrale du Latran, l’église de l’évêque de Rome38. Les dédicaces furent à l’origine exclusivement faites à des saints martyrs dont les corps reposaient à Rome : saint Pierre, saint Paul, saint Pancrace, les Quatre Martyrs Couronnés39. Le désir d’imitation allait cependant plus loin qu’une simple identité dans les dédicaces. La topographie même de la ville de Canterbury fut modelée sur celle de la Ville Sainte. L’abbaye de Saint-Pierreet-Saint-Paul fut fondée par Augustin en dehors des murs de la ville dans le but de servir de nécropole aux évêques de Canterbury et aux rois du Kent. L’emplacement d’un cimetière au-delà des limites des habitations fait écho aux pratiques romaines40. Les dédicaces doublent cet écho topographique : la cathédrale du Sauveur se trouve à l’intérieur de la ville dans les deux cas, et les églises dédiées à saint Pierre et à saint Paul sont érigées dans des cimetières situés hors des murs41. Tenant sa légitimité directement du pape, par l’intermédiaire de la fondation voulue par Grégoire le Grand au VIe siècle, l’archevêque, qui se rendait à Rome pour obtenir le pallium, exerça pendant tout le Moyen Âge une autorité incontestable au sein de l’Église chrétienne. Le lien avec Rome fut dès les origines de la plus grande importance. Il ne fut jamais démenti, et fut même consciemment souligné lors des conflits qui opposèrent le roi d’Angleterre au pape, comme par exemple sous le pontificat

Le nom original de Deusdedit n’a été transmis que par une tradition assez tardive, Thomas of Elmham, Historia monasterii s. Augustini Cantuariensis, édité par C. Hardwick, Rolls Series 8, London, 1858, 192. 37 N. Brooks, 1984, 87. 38 N. Brooks, 1995, 3. 39 La seule exception était l’église de saint Martin, consacrée à un saint de Gaule, mais elle datait d’avant la mission envoyée par Grégoire le Grand, et sa dédicace à un saint non romain dénote probablement la dévotion de la reine Bertha, dont la famille était étroitement associée avec cette partie de la Gaule (I. Wood, 70-74). 40 P. Brown, 3 ; A. Thacker, 2000, 248-251. 41 E. Cambridge compare un plan de Canterbury avec un plan de Rome, 1999, figure 10.4, a et b. 36



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d’Anselme, lors de la querelle qui opposa Thomas Becket à Henri II, ou encore lors de la nomination d’Étienne Langton à l’archevêché en dépit de l’opposition du roi Jean en 1207.

1.2.  Traditions : la construction d’une identité liturgique L’identité historique et spirituelle d’une église est souvent inscrite dans sa liturgie. Les origines essentiellement romaines de la liturgie de Christ Church viennent d’être évoquées. On peut cependant noter que les pratiques de la cathédrale gardèrent, tout au long du Moyen Âge une grande plasticité. L’importance de la spiritualité monastique ne doit pas non plus être sous-estimée, et les textes fondateurs de Christ Church attestent bien de cette particularité. Enfin il faudra analyser comment ces pratiques liturgiques étaient symptomatiques de leur époque, en particulier en ce qui concerne la prolifération des célébrations. Un des éléments les plus importants de l’identité de Christ Church est sans conteste le type de monachisme qui y était pratiqué. Quelles étaient les origines du monachisme pratiqué à Christ Church ? La règle qui gouvernait la vie des moines de Christ Church était une interprétation de la RB que l’on pourrait qualifier de « locale », adaptée aux pratiques ancestrales et aux dévotions particulières des Anglo-Saxons, mais néanmoins typiquement bénédictine. Revenir en détail sur les grandes étapes de l’établissement du monachisme dans la cathédrale permet de comprendre une partie importante de son identité spirituelle et liturgique. La pratique de la liturgie dans un monastère anglais tel que Christ Church, Canterbury, à la fin du XIIe siècle, était le fruit d’une histoire parfois mouvementée, dont tous les détails ne nous sont pas connus. On peut cependant noter que plusieurs grands textes étaient à l’origine de cette pratique. Le premier et le plus ancien de ces textes, la Règle de saint Benoît, fut d’une importance capitale pour l’histoire du monachisme en Occident. Les deux autres textes, la Regularis Concordia et les Constitutions de l’archevêque Lanfranc, exercèrent une influence plus restreinte, limitée aux usages des monastères anglais. Le respect que leur témoignaient les moines anglais du XIIe siècle, en particulier ceux de Christ Church, en fait néanmoins des éléments essentiels pour la compréhension des usages monastiques pour la période qui nous intéresse. Ces trois textes représentent ainsi la base sur laquelle s’établirent les usages liturgiques de la communauté de la cathédrale.



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Une fondation monastique Une forme de vie monastique avait probablement été introduite en Angleterre par l’intermédiaire de la mission d’évangélisation envoyée par Grégoire le Grand et dirigée par Augustin en 597. En réponse à la première question d’Augustin « de episcopis, qualiter cum suis clericis conuersentur », Grégoire le Grand avait en effet répondu : Qui tua fraternitas monasterii regulis erudita seorsum fieri non debet a clericis suis in ecclesia Anglorum (…) hanc debet conuersationem instituere, quae initio nascentis ecclesiae fuit patribus nostris ; in quibus nullus eorum ex his quae possidebant aliquid suum esse dicebat, sed erant eis omnia communia42.

Cela semble impliquer que les membres de la mission menaient une vie régulière, au moins dans les premières années de la fondation. Il semble cependant certain que cette situation ne dura guère et qu’avant le début du XIe siècle, la cathédrale n’était plus desservie par une communauté composée exclusivement de moines ; il n’est même pas certain qu’il s’agisse d’une communauté, c’est-à-dire un groupe de clercs, séculiers ou réguliers, vivant ensemble et suivant une règle43. Il est difficile d’établir avec certitude quel type de règle monastique Augustin et ses compagnons introduirent en Angleterre. La vie cénobitique n’était cependant pas inconnue avant cela, même si elle n’est que peu, ou pas du tout, documentée44. On sait que des monastères existaient dans le nord de l’Angleterre, en Northumbrie, fondés par des missionnaires irlandais, et pratiquant une forme de monachisme typiquement celtique, assez éloignée de celle qui était courante en Italie à cette époque. La mission envoyée en Angleterre était, en partie au moins, composée de moines : Augustin et certains de ses compagnons étaient des moines du monastère de saint André sur le mont

« Comment les évêques doivent-ils vivre avec leur clergé ? » ; « Parce que, mon frère, tu connais bien les règles monastiques, et qu’il ne faut pas que tu vives séparé de ton clergé au sein de l’Église des Anglais (…), il convient que tu institues ce mode de vie que nos pères suivaient aux tout débuts de l’Église : nul d’entre eux ne disait qu’il possédait en propre quoi que ce soit, mais ils possédaient tout en commun », HE, i, 27. 43 Voir J. Armitage Robinson, 1926 ; T. Symons, 1926 ; D. Knowles, 1938 ; et, plus récemment, N. Brooks, 1984 et 1995. 44 L’Église britannique connaissait certainement des forme de vie cénobitique, ainsi que l’implique Bède, par exemple, HE, ii, 2. 42



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Caelio à Rome – Augustin en était même le prieur45. Grégoire le Grand était fortement influencé par la spiritualité monastique, et le fait qu’il ait choisi le prieur de son monastère semble indiquer qu’il se fiait peut-être davantage à un homme issu du milieu monastique qu’à un membre du clergé séculier. Bède rapporte comment, après leur arrivée en Angleterre, les hommes de la mission menaient la même vie que les Apôtres, et que chaque jour ils se retrouvaient pour « chanter les psaumes, prier, dire la messe, prêcher et baptiser »46, un style de vie qui rappelle la vie monastique. Il semble néanmoins probable que, dans une église missionnaire, où les besoins en clergé séculier augmentèrent rapidement en raison de la conversion du roi anglo-saxon Æthelberht et de tout son peuple avec lui, les moines n’aient guère eu le temps de suivre un horarium monastique strict. De plus, la fondation contemporaine du monastère de Saint-Pierre-etSaint-Paul à Canterbury pourrait indiquer que les moines qui souhaitaient se consacrer à l’observance de leur règle plutôt qu’à la pastorale pouvaient se regrouper en un lieu plus propice à la contemplation que ne l’était alors l’église primatiale de Christ Church. L’archevêque aurait donc été entouré dans sa cathédrale par des clercs séculiers, peut-être suivant une forme de règle de vie commune47. Le cursus monastique des heures, tel qu’il fut progressivement mis en place au cours du IVe siècle et codifié au VIe par saint Benoît dans sa Règle, n’était encore probablement pas connu d’Augustin et de ses compagnons lorsqu’ils furent envoyés en Angleterre par Grégoire le Grand. Le cursus qu’ils pratiquaient était vraisemblablement de type cathédral, tel qu’il était alors pratiqué dans les monastères basilicaux de Rome. Par la suite, la règle alors en usage dans les monastères de Rome fut influencée par les usages monastiques des moines du Mont Cassin, qui avaient cherché refuge à Rome après les invasions lombardes qui avaient détruit leur monastère vers 57748. La règle observée dans les monastères fondés par Benoît Biscop, Wearmouth, puis Jarrow, à l’époque de Bède, avait été largement influencée par celle de saint Benoît49. Il devenait ainsi essentiel à cette époque, même dans des monastères aussi éloignés de Rome que Wearmouth et Jarrow

HE, i, 23. Un certain « moine Pierre » faisait également partie de la mission (HE, i, 27). HE, I, 26. 47 J. Armitage Robinson, 1926, 232-233. 48 MO, 18. 49 HE, I, 23. 45 46



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l’étaient, de suivre avec exactitude les pratiques liturgiques en usage dans les monastères romains. La RB, par des moyens détournés, arrivait ainsi progressivement en Angleterre. Il est d’ailleurs certain qu’au VIIIe siècle, la RB était connue en Angleterre, puisqu’un manuscrit daté des environs de 700, et peut-être originaire de Christ Church, constitue la plus ancienne copie de ce texte encore en existence50. L’importance de ce texte pour la formation du monachisme anglais aux VIIe et VIIIe siècles est donc incontestable. Les contacts fréquents qui existaient entre Canterbury et Rome durent faciliter l’arrivée en Angleterre d’un tel texte. Réformes : la « Regularis Concordia » et les « Constitutions » de Lanfranc La nature et la composition exactes de la communauté desservant Christ Church entre le VIe et le XIe siècle sont assez mal connues. La tradition du monastère voulait que la communauté monastique installée par Augustin à Christ Church ait été décimée par une « peste » au cours du IXe siècle, et qu’elle avait alors été remplacée par des clercs séculiers, avant la réforme de saint Dunstan à la fin du Xe siècle51. Cette version des faits ne résiste cependant pas à un examen des sources. La période comprise entre le VIIIe et le Xe siècle n’apparaît pas comme un moment faste pour la vie monastique en Angleterre. Si, au VIIIe siècle, le monachisme connut un grand rayonnement, à partir du début du IXe siècle, les monastères tombèrent peu à peu sous la coupe de seigneurs laïques, et les communautés régulières furent remplacées par des clercs réguliers52. Les nombreuses incursions des Vikings le long des côtes, et parfois jusqu’à l’intérieur des terres, associées à une grande instabilité politique, firent que le type de vie cénobitique disparut presque entièrement dans le pays. C’est le cas en tout cas au nord de la rivière Humber, où de grands centres monastiques, tels que Wearmouth et Jarrow furent alors détruits, leurs communautés dispersées, et leurs trésors pillés53. C’est seulement sous le règne du roi Alfred le Grand (871-899) que les premiers efforts de

Il s’agit de Oxford, Bodleian Library MS Hatton 48. Une édition facsimilée de ce manuscrit a été réalisée par D. H. Farmer, The Rule of Saint Benedict. Oxford, Bodleian Library, Hatton 48, Early English Manuscripts in Facsimile, vol. 15, Copenhagen, 1968. À partir d’une analyse des corrections apportées au texte, l’auteur suggère qu’à l’époque de la copie de ce manuscrit, le scribe avait à sa disposition deux copies différentes de la RB (19). 51 J. Armitage Robinson, 1926, 225. 52 MO, 23. 53 MO, 24. 50



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restauration de l’institution monastique eurent lieu, probablement inspirés par ce qui se passait alors sur le continent. Dans les terres carolingiennes, la RB était en effet alors choisie comme modèle de vie unique pour les moines, et, remaniée dans une certaine mesure par Benoît d’Aniane, elle fut imposée par les décrets du concile d’Aix-laChapelle de 817 comme règle à suivre dans tous les monastères, notamment en ce qui concerne la récitation de l’office54. Il fallut cependant attendre encore un demi-siècle pour voir en Angleterre des monastères restaurés et refondés, sous l’impulsion d’hommes familiers avec le mouvement de réforme de Église et du monachisme qui se développait dans les monastères du continent, à Fleury, à Gand ou à Cluny. À partir du Xe siècle, un effort majeur fut fait pour rendre les pratiques des différents monastères anglais plus homogènes. À cet égard, un texte produit à ce moment crucial, exerça une influence capitale sur le monachisme anglais : la Regularis Concordia, texte rédigé au concile de Winchester de 970. Comme son titre complet l’indique (Regularis concordia Anglicae nationis monachorum sanctimonialumque), le but des trois grands réformateurs anglo-saxons (Dunstan, Æthelwold et Oswald) était d’unifier les pratiques des monastères anglais grâce à la diffusion d’un coutumier. La situation qui avait résulté des efforts de réforme à la fin du Xe siècle était en effet assez confuse : les monastères anglais n’avaient pas tous adopté les mêmes usages, car les modèles suivis proposaient des usages différents. Le modèle principal à suivre, ajoute le prologue de la Regularis Concordia, était la Règle de saint Benoît elle-même : rex (…) monuit ut concordes aequali consuetudinis usu, sanctos probatosque imitando patres, regularia praecepta tenaci mentis ancora seruantes nullo modo dissentiendo discordarent55.

La Regularis Concordia peut être considérée comme l’acte de naissance du monachisme bénédictin anglais. Toutefois, la majorité des prescriptions de la Regularis Concordia avait pour origine des coutumiers rédigés dans des monastères bénédictins du continent56. Cette La Règle bénédictine telle qu’elle était pratiquée au monastère d’Aniane, servira de modèle pour de nombreux autres monastères de l’Empire. Cf. C.-J. Hefele, IV, 1ère partie, 25, n. 1 ; Canon 3, SC, XIV, 349. 55 « Le roi (…) pressa tous [les prélats] de s’accorder en ce qui concerne l’usage monastique, de suivre les Pères saints et approuvés et donc, avec leur esprit fermement fixé sur les commandements de la Règle, d’éviter toute dissension », Regularis Concordia, 2-3. 56 T. Symons, 1953, xlvi et li. 54



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réforme des monastères anglais était inspirée en grande partie par les réformes mises en place dans certains monastères continentaux, tels que Fleury ou Blandinium (Saint-Pierre) à Gand, avec lesquels les trois principaux réformateurs anglais, Dunstan, Æthelwold et Oswald, avaient tissé des liens étroits57, et, dans une moindre mesure, Cluny. Elle s’inscrivait donc dans le mouvement de réforme fondé sur un retour à la lettre et à l’esprit de la Règle de saint Benoît initié dans leurs domaines par les réformateurs carolingiens58. Elle instaurait cependant des pratiques typiquement insulaires, pour lesquelles aucun parallèle n’a été trouvé dans les monastères du continent. Parmi les activités des moines, l’accent était mis très fortement par les rédacteurs de la Regularis Concordia sur la célébration de la liturgie59. Décrite minutieusement, la liturgie fut enrichie de cérémonies nouvelles, telles les célébrations de la Semaine Sainte, auxquelles s’ajoutèrent la liturgie dramatique de la depositio-elevatio-adoratio de la croix, et en particulier ce développement très récent qu’était alors le « jeu » liturgique du Quem quaeritis, ou Visitatio sepulchri60. De même, la dévotion particulière des moines anglo-saxons à l’égard de l’eucharistie fut particulièrement marquée dans le texte de la Regularis Concordia. Si deux messes quotidiennes étaient en effet la règle générale dans les monastères qui suivaient la Règle de saint Benoît au Xe siècle, la Regularis Concordia fut le premier coutumier où les moines se virent dans l’obligation de communier quotidiennement : fratres cotidie, nisi qui crimine se aliquo uel carnis fragilitate reos cognouerint, regulari studio prorsus intenti, Eucharistiam accipere non renuant61.

Dunstan, condamné à l’exil par le roi Edwy, avait passé deux ans au monastère de Blandinium, à Gand, entre 857 et 859 ; Oswald et Æthelwold étaient tous les deux proches de Fleury, où Oswald avait d’ailleurs passé un certain temps, MO, 40. Les contributions de N. Brooks et D.J. Dales au volume Saint Dunstan. His Life, Times and Cult, N. Ramsay et al. eds, Woodbridge, 1992, réévaluent le rôle exact de Dunstan et d’Æthelwold dans la réforme du Xe siècle ainsi que dans la rédaction de la Regularis Concordia. 58 T. Symons va même jusqu’à affirmer à propos de la Regularis Concordia : « no other consuetudinary of the period can compare with the Concordia in [its] insistence on harking back to the Rule »(« aucun autre coutumier de l’époque ne peut être comparé à la Regularis Concordia en ce qui concerne son insistence à se réclamer de la Règle »), 1953, xlv. 59 MO, 60. 60 L’apparition et le développement des « jeux » liturgiques sont retracés dans l’étude classique de K. Young, 1933, et dans celle, plus polémique, de O.B. Hardison, 1965. 61 « Les frères, exceptés ceux qui sont conscients d’être coupables du péché ou de la faiblesse de la chair, ne devront pas hésiter, dans leur pratique fervente des exercices de l’état monacal, à recevoir quotidiennement l’Eucharistie », Regularis Concordia, 19. 57



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Ainsi, en sus des messes privées ou votives dont les moines assuraient déjà la célébration, cette obligation montrait à quel point l’eucharistie était devenue un élément central de la dévotion monastique62. Grâce à cette réforme, la liturgie acquit un nouvel éclat et un faste éblouissant, et elle devint définitivement l’activité principale des moines anglais, car le temps consacré aux célébrations liturgiques dans leur ensemble se trouva considérablement accru, pratiquement à l’exclusion de toute autre activité. La Regularis Concordia permit également le développement d’un monachisme bénédictin typiquement anglais, comme le montre la possibilité pour des communautés monastiques de desservir des cathédrales, une situation unique à l’Angleterre. A Christ Church, la tradition voulait que la réintroduction d’une communauté monastique – et l’éviction des clercs séculiers – date du pontificat de Dunstan (960-988)63. L’association très étroite de Dunstan au processus de réforme du monachisme anglais et à la rédaction de la Regularis Concordia rendait cette version des faits pratiquement inévitable. Il semble cependant que, contrairement à Oswald et Æthelwold, Dunstan n’ait pas cherché à réformer la communauté dont il avait la charge. Le changement de personnel ecclésiastique semble avoir été entrepris par un de ses successeurs, Ælfric (archevêque de 995 à 1005), probablement vers 99764. Cependant, après une période d’expansion et de stabilité entre la fin du Xe et le début du XIe siècle, le monachisme anglais sembla péricliter à nouveau. Il avait en effet une fois de plus subi les effets d’une histoire politique mouvementée, et les assauts renouvelés des incursions danoises65. La communauté de Christ Church elle-même ne fut pas épargnée par ces attaques. En 1012, Canterbury fut assiégée par les Danois, qui incendièrent et pillèrent la ville, passant un grand nombre de ses habitants au fil de l’épée. L’archevêque, Alphège, qui essayait de s’interposer, fut fait prisonnier et plus tard massacré66. Cet épisode particulièrement sanglant illustre bien à quel point la vie

C. Vogel décrit comme l’eucharistie devint à cette époque une œuvre de piété qu’il convenait de répéter aussi souvent qu’il était possible (1983, 345 et 350). 63 Memorials of Saint Dunstan Archbishop of Canterbury, édité par W. Stubbs, Rolls Series 63, London, 1874, 110-111 ; 211 (désormais Memorials). 64 J. Armitage Robinson, 1926, 240 ; T. Symons, 1926, 411 ; D. Knowles, 1938, 127. 65 MO, 57-79. 66 Cet épisode majeur de l’histoire de Canterbury en général et de la cathédral en particulier, est rapporté par Osbern, un moine de la cathédrale (Vita S. Elphegi Archiepiscopi Cantuariensis Authore Osberno, édité par Henry Wharton, AS, II, London, 1691, 135-137). 62



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religieuse du pays avait une fois de plus été grandement troublée par des événements extérieurs. Ainsi, outre les particularités liturgiques et dévotionnelles qui avaient été mises en place à l’époque de la Regularis Concordia, et qui n’avaient cours nulle part ailleurs que dans l’Église anglo-saxonne67, il est très probable que la situation que trouva Lanfranc en arrivant à Canterbury en 1070 ait été moins que satisfaisante, surtout jugée par rapport aux standards stricts de vie monastique auxquels le prélat normand était habitué68. Il trouva par ailleurs la cathédrale dans un état de délabrement considérable, car elle avait été détruite par un incendie en 1067. La communauté était à cette époque en opposition ouverte contre l’archevêque Stigand, qui cumulait le désavantage d’avoir été élu de façon canoniquement douteuse au siège de Canterbury (qu’il tenait en pluralité avec celui de Winchester) avec celui de ne pas être moine. Il ne paraît donc pas très surprenant que la discipline monastique se fût quelque peu relâchée. Lanfranc rédigea donc un recueil de coutumes, les Constitutions69, dans le but de restaurer une discipline plus stricte dans la communauté. Le texte des Constitutions, inspiré en partie du coutumier de l’abbaye du Bec, dont Lan-

Lanfranc fut en particulier perplexe face aux saints anglo-saxons, dont il n’avait jamais entendu parler. Il demanda conseil à Anselme à propos de la sainteté de Dunstan et Alphège, un incident qui est rapporté par Eadmer dans sa Vita Anselmi, et qui a souvent été cité comme un exemple du scepticisme, voire du mépris, des Normands envers les coutumes anglo-saxonnes (S. Ridyard, 201). 68 Lanfranc, qui, avant de devenir archevêque de Canterbury en 1070, avait été moine, puis prieur à l’abbaye du Bec en Normandie, et enfin abbé de Saint-Étienne à Caen, était familier avec un type de monachisme assez strict, plus proche de l’idéal de la uita apostolica que ne l’était le monachisme anglais. Au XIe siècle en effet, se dessinait en Occident un mouvement de retour vers ce que les hommes de l’époque pensaient être la pureté et la simplicité originelles du monachisme. À cet égard, les formes de vie ascétiques et érémitiques, modelées sur ce que l’on imaginait alors avoir été la vie des Pères du désert, considérés comme les fondateurs du mode de vie cénobitique, rencontrèrent un grand succès. Une abbaye telle que celle du Bec, fondée en 1030, s’efforçait de répondre à cet idéal d’ascèse. Il paraît donc peu surprenant que Lanfranc, familier avec un type de monachisme ascétique, inspiré par expériences monastiques menées au début du XIe siècle à la fois en Italie, par saint Romuald de Ravenne (v. 950-1027), puis par saint Pierre Damien (1007-1072), et en France, ait jugé le monachisme de la communauté de Christ Church – probablement encore modelé dans une large mesure sur les prescriptions de la Regularis Concordia – un peu trop exubérant, peut-être un peu trop exotique, en tout cas trop différent de ce à quoi il était habitué. On peut consulter à propos de cette période de l’histoire du monachisme occidental l’étude de H. Leyser, 1984, ou l’analyse, plus générale, de G. Constable, 1996, qui traite de tous les aspects du monachisme occidental à cette époque. 69 Lanfranc ne semble pas avoir donné de titre à son texte. Il s’agit ici d’une convention moderne (Constitutions, xliii). 67



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franc avait été prieur de 1045 à 1063, emprunte néanmoins de nombreux éléments aux coutumes de Cluny70. Lanfranc y traite non seulement de la vie quotidienne des moines, mais surtout de l’organisation des célébrations liturgiques. L’impression qui se dégage de ce texte est que Lanfranc souhaitait remettre un peu d’ordre et de discipline dans la communauté qu’il avait trouvée à Christ Church, mais qu’il ne semblait pas particulièrement vouloir en modifier radicalement les pratiques. Même si l’on ne trouve dans le texte des Constitutions aucune mention des pratiques typiques du monachisme bénédictin anglais, tels la récitation quotidienne de psaumes en l’honneur de la famille royale ou encore le répons Quem quaeritis inséré à la fin de l’office de matines récité le matin de Pâques, rien ne permet d’affirmer que l’omission de ces pratiques du coutumier rédigé par Lanfranc dénote une hostilité franche des prélats normands à l’encontre des pratiques anglo-saxonnes71. Le texte restait cependant dans les limites de la RB, et n’instaurait pas un nouveau type de monachisme : « Lanfranc, bien que réformateur, n’était pas un innovateur »72. Les Constitutions ne se présentaient en effet pas comme un coutumier monastique à but exhaustif. De nombreux détails furent laissés dans l’ombre, et l’auteur semble avoir voulu accorder une assez large place à l’interprétation et aux coutumes locales. Cela serait assez en accord avec l’hypothèse que ce texte aurait été rédigé dans le but de réformer les pratiques de tous les monastères anglais : il fallait rester suffisamment général dans les prescriptions pour que les Constitutions puissent être adoptées et adaptées dans des circonstances différentes – l’influence de l’esprit de la RB se faisant ici encore sentir. Ainsi, certains particularismes locaux perdurèrent, et se retrouvèrent dans les pratiques de la communauté au XIIe siècle. Les pratiques dévotionnelles plus particulièrement anglaises ne semblent pas disparaître, ou si elles disparaissent au moment de la Conquête, leur éclipse ne semble être que temporaire, comme l’étude de bréviaires monastiques anglais un peu plus tardifs semble le mon-

R. Graham, 1914, a montré qu’il ne fallait par surestimer l’influence du coutumier du Bec dans la rédaction des Constitutions, et c’est également l’opinion exprimée dans l’Introduction aux Constitutions, par D. Knowles (première édition, 1951) et par C.N.L. Brooke (2ème édition, 2002, xxxix-xlii). 71 D. Knowles, 1951, xiii et Ridyard, 179. Au moins jusqu’à l’arrivée de Lanfranc à Christ Church, les moines célébraient la Visitatio sepulchri, comme l’atteste le récit d’un miracle de saint Dunstan par Eadmer (Memorials, 231). 72 « Lanfranc, though a reformer, was no innovator », Knowles, 1951, x. 70



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trer. J.L.B. Tolhurst décrit ce phénomène à propos de l’Office de Notre Dame73. Cet office dit votif, bien que n’étant pas mentionné ni par Regularis Concordia, ni par les Constitutions de Lanfranc, n’en apparaît pas moins dans un manuscrit de Christ Church du XIe siècle et dans un autre datant d’après la Conquête (Londres, BL, Cotton MS Tiberius A iii, XIe siècle, et Londres, Lambeth Palace MS 558, XVe siècle), indiquant ainsi la persistance de certains usages même après 1066. Il est par conséquent concevable que le texte rédigé par Lanfranc ait été voulu par lui, et compris par les moines, comme un complément aux pratiques que l’archevêque avait trouvées en arrivant, plutôt que comme un texte devant remplacer tous ceux qui l’avaient précédé74. Par l’intermédiaire des Constitutions de Lanfranc, la célébration de la liturgie fut une fois de plus fermement replacée au centre de la vie des moines, occupant la majeure partie des décrets du prélat normand. Ainsi, les divers moments de la vie des moines sont présentés dans ce texte en termes d’année liturgique – bien entendu, l’office des heures rythme la journée, indiquant l’heure du lever, du coucher et des repas des moines, de même que le dimanche rythme la semaine. Même des activités plus terre-à-terre, comme les bains, le rasage, le prêt annuel de livres de la bibliothèque, sont toutes introduites en fonction de leur occurrence pendant l’année, en référence à la fête ou à la saison liturgique75. Le faste des fêtes et des célébrations traditionnelles des usages de Christ Church ne fut pas non plus démenti, comme en témoignent les prescriptions élaborées pour les fêtes principales, parmi lesquelles celle de saint Alphège76. Plus que d’une réforme, il semble donc s’agir d’une restauration, d’une remise en bon ordre. L’influence exacte exercée par ce texte dans les monastères anglais est vivement débattue. On peut cependant admettre que sa diffusion ne fut pas limitée à Christ Church, car on en trouve des copies adaptées à des usages locaux dans d’autres églises d’Angleterre, telles Saint

HA, 121. « Taken by and large, they [the Constitutions] differ very little from the observance of the Regularis Concordia and could easily have been substituted for the earlier code » (MO, 124). « Prises dans leur ensemble, les Constitutions ne présentent que peu de différences avec l’observance de la Regularis Concordia et ont facilement pu être substituées à l’ancien code ». 75 Constitutions, § 7, 20-22 et 94. 76 Constitutions, § 62-67. 73 74



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Alban’s ou Rochester77. Le respect accordé aux Constitutions peut en outre être mesuré par le fait qu’on les trouve, entre autres, dans deux manuscrits en provenance de Christ Church : Londres, BL Cotton MS Claudius C vi, f. 174b-f. 202, et Cambridge, Corpus Christi College MS 63. Le premier date du second quart du XIIe siècle et le second, plus tardif, du début du XIVe siècle78. Cela semble indiquer que ces textes étaient connus, et peut-être même utilisés, au moins jusqu’à la date de leur plus récente copie. Les cérémonies décrites par le moine Gervais lors de l’entrée solennelle de la communauté dans le chœur reconstruit à Pâques de l’année 1180 suivent les recommandations des Constitutions ; Gervais souligne d’ailleurs l’antiquité de cette liturgie, qui fut célébrée « secundum ecclesiae consuetudinem »79. Il semble donc que ce texte eut une influence durable sur la liturgie de Christ Church. Il est probable que le passage du temps – deux siècles entre la rédaction initiale et la période qui nous intéresse en ce qui concerne la Regularis Concordia – avait dû modifier les usages dérivés de ces codes, de même que l’interprétation qui pouvait en être faite. Il faut également toujours se souvenir que ces deux textes, de même que la RB, n’en sont pas moins des textes normatifs. Par là il faut entendre qu’ils décrivent une situation telle qu’elle devait être, et non pas telle qu’elle était vraiment. Les pratiques liturgiques réelles du monastère, à la fin du XIIe siècle, ont pu être sensiblement différentes, et c’est un décalage qu’il faudra s’efforcer de prendre en compte. S’il demeure hypothétique que Christ Church fut dès l’origine desservie par une communauté de moines, il est toutefois apparent que la tradition monastique y était très forte, et que les grands textes du monachisme en Angleterre (RB, Regularis Concordia, et Constitutions) y jouissaient d’un prestige considérable. Ces textes eurent une influence majeure sur la perception que la communauté avait d’elle-même et sur la construction de son identité liturgique. Les calendriers, témoins de l’identité liturgique de la communauté Chaque église de la chrétienté se distingue par des usages qui lui sont propres et qui marquent son identité liturgique. Ces particula-

D. Knowles, 1951, xxii. L’abbé de Saint Alban’s était le neveu de Lanfranc, et Rochester avait toujours été étroitement dépendante de Christ Church. 78 D. Knowles, 1951, xxiii-xxiv. 79 « selon la coutume de l’église », OH, 23. Constitutions, § 46-49. 77



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rismes se développèrent peu à peu, empruntant de nombreux éléments à l’histoire du lieu, à ses modes de fonctionnement, à ses figures marquantes et, bien souvent également, à ses affinités avec d’autres églises. À cet égard, les saints et les reliques vénérés dans l’église revêtaient une importance particulière. Les reliques possédées par Christ Church, ainsi que les cultes et les célébrations qui s’y rattachaient, étaient un des éléments majeurs de la dévotion du monastère80. Le type d’organisation ecclésiastique de l’église – était-elle desservie par une communauté de moines ou par un clergé séculier ? – jouait également un rôle de premier plan. Tous ces éléments étaient déterminants pour l’organisation du calendrier liturgique de l’église en question, et contribuaient à la formation d’une identité liturgique. Les calendriers liturgiques s’avèrent à cet égard être des sources très intéressantes81. Quatre calendriers datés des XIe-XIIe siècles retiendront ici particulièrement mon attention, car ils représentent les usages liturgiques de Christ Church pendant la deuxième moitié du XIIe siècle, c’est-àdire la période pendant laquelle le programme iconographique a été conçu et exécuté. Ils peuvent avoir été compilés pendant cette période même, ou être plus anciens et avoir été mis à jour au fur et à mesure. Le premier d’entre eux est celui qui accompagne un psautier dans Londres, British Library, Arundel MS 155, probablement compilé vers 1012-102382. Ce calendrier est particulièrement intéressant pour notre

« The life of the Canterbury monks was centred in a more than ordinary degree on its relics, and on the stories of the gifts, purchases, translations and miracles associated with them » (« la vie des moines de Canterbury était centrée, dans une mesure qui sort de l’ordinaire, sur ses reliques et sur les histoires de dons, d’acquisitions, de translations et de miracles qui y étaient associées »), R.W. Southern, 1963, 240. 81 « A liturgical calendar is meant to be a current document, a record of those saints and occasions commemorated in the liturgical observance of the body – religious house, church, diocese, province, or private individual – for which it is intended. At the same time, however, it is inevitably a cumulative document, reflecting a process of accretion whereby to early strata of observances are added layer upon layer of subsequent ones » (« Un calendrier liturgique est censé être un document actuel, une liste des saints et des occasions commémorés dans l’usage liturgique de l’institution – monastère, église, diocèse, province, ou individu privé – pour qui il est conçu. En même temps, cependant, il est inévitablement un document cumulatif, qui reflète un processus d’accumulation par lequel, aux strates les plus anciennes de l’observance on a ajouté strate après strate d’observances plus récentes »), Pfaff, Gibson et al., 62. 82 T.A. Heslop, 1995, 53-85 ; R. Pfaff, 1992, 95-108 . Ce calendrier a été édité par F. Wormald, 1934. Désormais Arundel. R. Pfaff a examiné la question « Why do Medieval Calendars have Psalters ? » dans une communication publiée dans Liturgical Calendars, Saints and Services in Medieval England, Aldershot, 1998. 80



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propos, car il comporte de nombreuses additions apportées au cours du XIIe siècle, et même au cours des XIIIe et XVe siècles. Ces modifications montrent que le calendrier était toujours en usage dans la cathédrale à l’époque qui nous intéresse, et qu’il reflète dans une certaine mesure les évolutions de la dévotion des moines. Je retiens ensuite Oxford, Bodleian MS Add. C. 26083. Ce calendrier, qui accompagnait vraisemblablement à l’origine un livre liturgique qui a depuis été perdu, a été daté du milieu du XIIe siècle84, il comporte lui aussi de nombreuses additions qui peuvent être éclairantes quant à l’évolution des cultes célébrés dans la cathédrale. Le calendrier qui se trouve dans Cambridge, Trinity College MS R.17.1 (le « Psautier d’Eadwine ») est, chronologiquement le plus proche de la période de conception des vitraux – environ vingt ans auparavant – et devrait par conséquent être le document le plus pertinent pour notre étude85. Il présente néanmoins quelques caractéristiques qui font qu’il ne pourra être utilisé qu’avec la plus grande prudence. Il semble en effet ne pas avoir été mis à jour, du moins pas autant qu’Arundel ou Oxford, dans les années qui ont suivi sa compilation. Les deux fêtes principales de Thomas Becket, son martyre, le 29 décembre (instaurée en 1173), et la translation de ses reliques, le 7 juillet (qui eut lieu en 1220), n’ont par exemple pas été ajoutées. Ces omissions – et il y en a d’autres – font du calendrier d’Eadwine un témoin relativement peu fiable des usages liturgiques de Christ Church à la fin du XIIe siècle. Enfin, le dernier calendrier peut être trouvé dans Londres, BL, Cotton MS Tiberius iii, daté du tout début du XIIIe siècle, probablement entre 1200 et 122086. Ce calendrier reflète les cultes et les occasions commémorés dans la cathédrale au moment même où le programme iconographique était réalisé. Il dénote une période de grande élaboration de la liturgie, et le contraste qu’il offre par rapport aux calendriers plus anciens se révèle souvent particulièrement éclairant quant à l’évolution des usages liturgiques87.

Édité par T.A. Heslop, 1995, 53-85. Désormais Oxford. R. Pfaff dans M. Gibson et al., 1992, 63. 85 M.R. James a publié un facsimilé de ce calendrier, The Canterbury Psalter, London, 1935, et il a été étudié en détail par R. Pfaff, dans Gibson et al., 62-87. Désormais Eadwine. 86 Édité par F. Wormald, 1939, vol. i, 68-79. Désormais Tiberius. 87 Le calendrier contenu dans le manuscrit BL Add. MS 37517 (« Psautier Bosworth ») n’a pas été retenu, car il est difficile de l’attribuer à Christ Church sans équivoque (R. Pfaff, 1992, 274). 83 84



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Il existe donc une série de calendriers qui couvrent l’ensemble de la période qui nous intéresse, à savoir le siècle et demi qui s’écoule entre la Conquête normande et la translation des reliques de Thomas Becket en 1220, et qui permettent d’apprécier les évolutions des pratiques liturgiques de Christ Church. Ils donnent des indications relatives au degré de solennité avec lequel une fête devait être célébrée, en particulier le nombre de leçons lues à l’office de matines, le nombre de répons, ou encore le type de vêtement liturgique qui devait être porté par les moines, et qui changeait en fonction de la fête célébrée. Les calendriers liturgiques étaient un instrument essentiel pour aider les moines à célébrer dignement toutes ces fêtes, en indiquant en particulier le degré de solennité accordé à chacune d’entre elles. Ils permettent par ailleurs d’étudier en détail les choix de la communauté en ce qui concerne les célébrations. Ainsi, dans Tiberius, daté de la première moitié du XIIIe siècle, les couleurs employées par le copiste pour les noms des saints ou des fêtes révèlent le degré d’importance qui leur était accordé et la munificence avec laquelle ces cérémonies devaient être célébrées. Il semble par exemple que les saints ou fêtes dont les noms étaient notés en rouge aient revêtu une importance toute particulière. Le système de hiérarchisation des fêtes semble particulièrement élaboré dans ce calendrier, et tout à fait unique dans les calendriers bénédictins anglais88. Outre le système de couleurs – dont la cohérence est parfois difficile à suivre – le scribe a, dans de nombreux cas, indiqué le nombre de leçons (« lc », abréviation du latin lectiones) ou de répons (« R ») pour matines (par exemple, « sancti Mauricii sociorumque eius », le 22 septembre, est accompagné de la mention « iii lc » ; l’octave de saint André, le 7 décembre, de « xii lc » ; ou encore la commémoration de « Rufi martiris » de « iiiR » le 27 août). Le scribe a par ailleurs parfois précisé les vêtements liturgiques appropriés à la solennité de la célébration (par exemple « in albis », lorsque le port des aubes était requis). À ce système, il en a superposé un autre à trois niveaux, où les fêtes les plus importantes sont accompagnées du chiffre romain III (Crucifixio domini, le 25 mars ; les fêtes de saints Dunstan et Alphège, les 19 mai et 19 avril ; l’Assomption le 15 août ; Noël ; et saint Thomas le 29 décembre) ; les fêtes un peu moins importantes sont accompagnées d’un II (on en compte 26 en tout)89. D’après F. Wormald, ce système, F. Wormald, 1939, 65. L’ordre des fêtes, des plus importantes aux moins importantes était donc : III, II, in albis, xii lectiones, iii lectiones, iii responsoria. 88 89



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qui était également employé dans les calendriers de l’abbaye de Saint Augustine’s, Canterbury, « indique probablement le nombre de chantres qui chantaient l’office divin ce jour-là »90. Les fêtes qui ne sont distinguées par aucun signe sont donc les fêtes considérées comme les moins solennelles. Ces deux systèmes, combinés entre eux, donnent une idée de la complexité de l’« étiquette » et de la hiérarchie liturgique qui existaient entre les différentes cérémonies. Dans Arundel, le nombre de leçons à lire pour telle ou telle fête est également précisé, ainsi que les vêtements liturgiques qu’il convenait aux moines de porter pour la célébration. Ainsi, une comparaison des calendriers de Christ Church permet de détecter, entre le premier calendrier considéré ici, que l’on trouve dans Arundel, datant pour la rédaction originale, du début du XIe siècle et le dernier, celui de Tiberius, des différences sensibles dans le nombre de fêtes de saints célébrées et dans les saints commémorés eux-mêmes. Entre la rédaction des deux calendriers, certains cultes ont été abandonnés (ainsi, sainte Genovefa, le 3 janvier) ; d’autres sont apparus (par exemple, la commémoration de sainte Christine le 24 juillet) ; d’autres enfin ont vu le degré de solennité qui leur était accordé modifié : la solennité peut être devenue moins importante, comme c’est le cas pour la fête de saint Jean Apôtre à la Porte Latine, le 6 mai, qui, de fête à douze leçons dans le premier calendrier, devient fête à trois répons seulement dans le deuxième. Il est en revanche plus difficile d’établir le phénomène inverse – c’est-à-dire de savoir si le degré de solennité d’une fête est devenu plus important – car le calendrier d’Arundel ne comporte d’indications liturgiques que pour les fêtes à douze leçons ; les fêtes moins solennelles ne sont pas distinguées entre elles comme elles le sont dans le calendrier de Tiberius. Pour Christ Church, Canterbury, les divers éléments de la dévotion pouvaient se lire au XIIe siècle dans la présence de cultes tels que ceux des Apôtres, en particulier celui de saint Pierre91, vénérés dans toutes les églises de la chrétienté. L’acquisition de reliques de saints pouvait donner lieu à l’apparition d’un culte, comme cela fut le cas pour saint Bartholomé, dont le culte, relativement peu connu en Angleterre, se développa à Christ Church à la suite du don au monastère d’une

90 « probably indicate the number of cantors used at the Divine Office on those days », F.  Wormald, 1939, 48. 91 V. Ortenberg, 1992, analyse en détail les origines du culte de saint Pierre en Angleterre, en particulier au Chapitre 5.



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relique du saint (son bras) par la reine Emma, entre 1019 et 103592. Les échelles plus locales se traduisaient, par exemple, dans le culte « national » de saints tels que Cuthbert ou Alban, dont les célébrations sont mentionnées dans la plupart des calendriers des églises anglaises au Moyen Âge ; la dévotion locale, elle, se traduisait par un culte comme celui de sainte Mildred, essentiellement limité à la province du Kent, ou encore celui des saints archevêques, tels Dunstan ou Alphège. De façon plus typiquement locale encore, les archevêques de Canterbury étaient tous l’objet d’une révérence particulière, bien qu’ils n’aient pas nécessairement reçu un culte formel – c’est le cas en particulier d’Anselme, archevêque de 1089 à 1109, dont la canonisation n’avait pas encore eu lieu au moment de la reconstruction de la cathédrale à la fin du XIIe siècle93. Son souvenir était cependant honoré à Christ Church le 21 avril, ainsi qu’en témoignent les calendriers de la période. Ces particularismes locaux sont ce qui donnait à une église ou une communauté sa « couleur » particulière, son identité liturgique. L’échelle à laquelle ils peuvent être observés est parfois très grande : certains saints honorés à Christ Church ne l’étaient pas à Saint Augustine’s, l’autre monastère bénédictin de Canterbury, et vice versa. Ces cultes jouaient donc un rôle essentiel dans la définition de l’identité de la communauté. La vénération des saints, associée à l’histoire de l’église et à la possession de reliques, et donc au prestige dont jouissait la communauté, participait de l’expression publique de cette identité, à laquelle les moines étaient farouchement attachés, comme en témoigne la querelle à propos de la possession des reliques de saint Dunstan, qui opposa Christ Church à l’abbaye de Glastonbury à diverses reprises au cours du Moyen Âge94. À travers les emprunts à d’autres usages (l’influence des pratiques normandes en est un exemple), les ajouts dus à l’élévation (avant la procédure officielle de canonisation) de saints personnages ou encore à l’acquisition de reliques, l’élimination progressive de cultes jugés

V. Ortenberg, 1992, 175. Anselme ne sera canonisé qu’en 1494, bien qu’un culte formel lui ait été rendu dans la cathédrale bien avant cette date (W. Urry, 1959, 571-593 et R. Foreville, 1984, 299-316). 94 Comme en témoigne la longue lettre envoyée par Eadmer aux moines de Glastonbury pour réfuter leurs prétentions à la possessions des reliques de saint Dunstan, Eadmer, Memorials, 412-422. Cette querelle se termina par de façon humiliante pour Glastonbury quand, en 1508, après une dernière tentative de cette abbaye d’affirmer sa possession des reliques de Dunstan, l’archevêque de Canterbury obligea l’abbé à reconnaître qu’ils ne possédaient rien du tout, Memorials, 426-439. 92 93



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obsolètes ou trop obscurs, les calendriers reflètent de façon relativement fidèle les attitudes des moines vis-à-vis de leurs pratiques religieuses sur des périodes parfois assez longues. Les calendriers, parce qu’ils comportent des indications parfois très détaillées dont les moines pouvaient avoir besoin pour l’organisation quotidienne des cérémonies, se révèlent donc des témoins précieux de la pratique concrète de la liturgie à Christ Church au XIIe siècle. Les renseignements qu’ils fournissent permettent en effet de suivre les développements de la dévotion de la communauté, en particulier en ce qui concerne le culte de saints. C’est à travers eux que l’on peut saisir de façon privilégiée l’identité liturgique de Christ Church. Les calendriers présentent cependant quelques limitations en tant que source pour étudier les pratiques liturgiques de Christ Church. Il a ainsi été montré que toutes les fêtes inscrites dans les calendriers n’étaient pas nécessairement célébrées dans la liturgie95. Les calendriers, bien souvent, représentent une étape intermédiaire dans le développement d’une dévotion particulière : la communauté ou l’individu produisant le manuscrit reconnaît l’existence de la dévotion en question, sans toutefois nécessairement l’inscrire dans les fêtes méritant une célébration liturgique, et sans que des textes spécifiques soient insérés dans les missels et les bréviaires. Il s’agit souvent de fêtes non reconnues par l’Église dans son entier, comme par exemple la fête de la Conception de la Vierge le 8 décembre, qui existait dans l’Église anglo-saxonne, mais qui disparaît des calendriers au XIIe siècle, probablement sous l’effet des réformes mises en place par les prélats normands, pour qui cette célébration était inconnue et peu orthodoxe, ainsi que le rapporte Eadmer. Cette fête réapparaît plus tard, quand elle est adoptée par Rome96. Mais il peut également s’agir des célébrations en l’honneur de saints anciens dont le culte était quelque peu tombé en désuétude au XIIe siècle97 ; ou encore de saints V. Ortenberg, 1987, 34. L’Église anglo-saxonne célébrait les quatre fêtes traditionnelles de la Vierge (Purification, Annonciation, Assomption et Nativité) depuis au moins la moitié du VIIIe siècle. Les deux autres fêtes, celles de la Conception et de la Présentation au temple, furent introduites en Angleterre vers 1030, mais elles disparaissent des calendriers après la Conquête normande (M. Clayton, 1984, 223-231), et réapparaissent graduellement entre le XIe et le XVe siècle (R. Pfaff, 1970, 104-106). 97 Certains saints présents dans les calendriers de Christ Church ne sont pas aisément identifiables ; il peut s’agir de saints dont les noms ont été mal transmis au cours des siècles, ou encore de saints anciens dont le culte avait pratiquement disparu (ainsi, le mystérieux Macharius associé à sainte Emerentiana, le 23 janvier, ou le tout aussi mystérieux Ronanus episcopus, honoré le 19 novembre, R. Pfaff, 1992, 66 et 74). 95 96



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dont la popularité était un phénomène récent98. L’inscription d’une fête ou d’un saint au calendrier ne signifie donc pas nécessairement qu’une célébration liturgique avait lieu dans la cathédrale. Inversement, certaines célébrations étaient purement liturgiques, et n’étaient pas nécessairement inscrites dans les calendriers, qui avaient tendance à refléter la dévotion d’une personne ou d’une communauté. Il s’agit souvent de saints « officiels », vénérés en raison de leur importance dans l’histoire de l’Église, mais dont le culte dévotionnel n’était pas vraiment développé, comme par exemple la plupart des Apôtres, dont le culte, à part ceux de saint Pierre et de saint André, extrêmement populaires en Angleterre, ne fit jamais l’objet d’une grande dévotion99. Dans le cas de Christ Church, cependant, les calendriers sont un des seuls moyens d’approcher la liturgie de la cathédrale, et, tout en gardant à l’esprit les limites qu’ils présentent, il importe de ne pas les négliger. Le développement des calendriers est parallèle, semblet-il, de l’accroissement du nombre de célébrations (messes et offices) dans les monastères. Outre la célébration quotidienne de l’eucharistie instaurée par la Regularis Concordia, les offices votifs prirent de plus en plus d’importance dans la vie liturgique des moines, doublant souvent le cursus quotidien des heures100. Cette prolifération de cérémonies d’importance variée explique peut-être pourquoi il devint de plus en plus nécessaire de garder la trace des différents degrés de solennité. Les calendriers, surtout ceux qui étaient régulièrement mis à jour, mettent en évidence la lente accumulation de traditions qui se superposent, se complètent et se succèdent. Ils témoignent de l’ « épaisseur » liturgique qui est exprimée dans la richesse et la complexité du rituel, et ils transmettent l’identité liturgique de Christ Church. 1.3.  L’apogée de la communauté La fin du XIIe et le début du XIIIe siècle apparaissent comme un tournant dans l’histoire de la cathédrale. Tant au niveau de l’organisation interne du monastère qu’à celui de son rôle liturgique, des tendances qui s’étaient esquissées depuis un siècle environ arrivent Le culte de sainte Marie Madeleine s’était récemment répandu en Europe de l’Ouest, en provenance du Moyen Orient. Saint Nicolas est un autre exemple de saint dont la renommée en Angleterre était un phénomène récent, essentiellement depuis le X e siècle (V. Ortenberg, 1987, 316-322). 99 V. Ortenberg, 1987, 86-145. 100 S. E. Roper, 57. 98



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alors à leur développement maximum. Christ Church connaît à partir du dernier quart du XIIe siècle une ère de prospérité et de rayonnement telle qu’elle n’en avait peut-être jamais connue auparavant. Cette période paraît d’autant plus faste et exceptionnelle que certains événements qui prennent place dans la première moitié du XIIIe siècle semblent marquer l’amorce d’un déclin – politique, liturgique et culturel – dont la communauté ne se remettra pas avant la dissolution du monastère au XVIe siècle. Les cinquante ans compris entre 1170 et 1220 constituent incontestablement l’apogée du monastère. La situation de la communauté de Christ Church était unique : elle desservait une cathédrale, situation qui était propre à l’Angleterre depuis la réforme monastique du Xe siècle, et la cathédrale était également le siège du primat de toute l’Angleterre. Ce statut conférait, non seulement à l’archevêque, mais à la communauté dont il était l’abbé effectif, un prestige et une influence indéniables. Outre toutes les cérémonies plus ou moins somptueuses et solennelles qui se déroulaient dans une église monastique de l’importance de celle de Christ Church, toutes les célébrations propres à la charge d’archevêque telles que les cérémonies de consécration des évêques de tout le pays, ainsi que de nombreuses autres occasions solennelles, étaient célébrées par l’archevêque de Canterbury, et pouvaient avoir lieu dans Christ Church, sa cathédrale. La communauté monastique était donc impliquée de près dans les grands événements du royaume. Le prestige personnel de certains archevêques de Canterbury rejaillissait également en partie sur la communauté qu’ils dirigeaient : de saints hommes tels que Dunstan, Alphège, Anselme ou encore Thomas Becket, étaient pour les moines des sujets de fierté, comme le montre la place qui fut accordée à certains d’entre eux dans les célébrations et dans les programmes iconographiques de la cathédrale. La communauté monastique de Christ Church était étroitement insérée dans un tissu étroit de relations et d’obligations, tant au niveau de la communauté locale qu’à l’échelle du pays, voire au niveau de la chrétienté dans son ensemble. Riches propriétaires terriens, appartenant aux réseaux familiaux de l’aristocratie, les moines étaient par ailleurs fréquemment appelés à exercer des fonctions parfois très importantes dans les administrations séculières. Les liens du sang entre noblesse et haut clergé renforçaient encore l’étroite collaboration, fondée sur la loyauté et la participation au gouvernement, entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel101. Les rôles du monachisme et 101



E. Cownie, 50.

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de l’institution monastique dans les réformes politiques et religieuses des Xe-XIIe siècles façonnèrent l’identité d’une abbaye comme Christ Church. Cette dernière s’était en effet toujours trouvée, grâce à son rôle éminent au sein de l’Église anglaise, et par l’enjeu que constituait l’élection de l’archevêque-abbé, étroitement associée à la vie politique de l’Angleterre. Tour à tour agent et objet des courants réformateurs, la communauté se crispa de façon croissante sur ses privilèges, et refusa d’accepter les compromis, parfois au risque d’une distorsion de la réalité. L’âge des prieurs La situation de Christ Church était très particulière, car le supérieur effectif de la communauté, son abbé, était l’archevêque, une situation instaurée, ainsi qu’il a déjà été dit, par Grégoire le Grand lui-même dans une lettre adressée à Augustin102. Tant que l’archevêque était issu du milieu monastique – comme cela fut le cas pendant pratiquement toute la période qui nous intéresse ici, à peu d’exceptions près103 – les relations étaient relativement harmonieuses entre la communauté et son supérieur. Comme dans toute communauté suivant la RB, les moines de Christ Church avaient en théorie toute autorité pour choisir eux-mêmes leur abbé104. Mais le fait que la cathédrale était le siège de l’archevêque de la province ecclésiastique la plus importante du pays, de surcroît primat de toute l’Angleterre, faisait de l’élection de l’archevêque un enjeu politique de première importance. Le prélat pouvait exercer un pouvoir non négligeable non seulement sur ses suffragants105 ou sur les abbés de son diocèse, mais

HE, i, 27. Stigand (1052-1070) ; Guillaume de Corbeil (1123-1139) ; Thomas Becket (1162-1170) ; Hubert Walter (1193-1205) ; Étienne Langton (1207-1228). À partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, il devint de plus en plus courant pour l’archevêque de Canterbury de ne pas être issu du milieu monastique. 104 RB, Chapitre 64. La Regularis Concordia reprend cette disposition, tout en plaçant l’élection des abbés sous l’autorité du roi (§ 9 et 10). Cette situation est typique du mouvement de réforme du Xe siècle, qui vit converger les besoins politiques des souverains anglais – qui avaient besoin de la stabilité religieuse instaurée par la réforme monastique pour asseoir leur autorité sur le pays – et les aspirations des réformateurs – pour qui le soutien du roi contre l’aristocratie était essentiel (D.H. Farmer, 17). 105 Le plan prévu par Grégoire le Grand pour l’organisation ecclésiastique de l’Angleterre ne tenait absolument pas compte de la situation réelle du pays – que le pape ignorait complètement. Il prit exemple sur l’Italie ou sur la Gaule, où les sièges épiscopaux étaient situés dans des villes établies de longue date, et il décida que l’Angleterre serait divisée en deux provinces ecclésiastiques, Londres et York, qui compteraient chacune douze diocèses (Bède, 102 103



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également sur le roi d’Angleterre lui-même. Il était donc important pour des différents groupes de voir élu à cette haute charge quelqu’un de bien disposé à l’égard de leurs intérêts. Le choix de l’homme qui occupait ce poste était donc souvent source de conflits et de luttes d’influence. Les conflits qui suivirent les élections contestées de Thomas Becket ou encore d’Étienne Langton témoignent de la difficulté à trouver un candidat qui satisfaisait à la fois le pape, le roi, les évêques anglais et la communauté de Christ Church106. La Conquête de l’Angleterre par les Normands en 1066, puis les développements politiques qui suivirent cet événement firent que l’archevêque de Canterbury fut appelé à jouer un rôle d’importance grandissante sur la scène politique du pays. Premier homme d’Église du pays, souvent appelé à conseiller le roi, interlocuteur privilégié du pape et défenseur des intérêts de Église, grand seigneur féodal – un des plus riches du pays –, l’archevêque était de plus en plus souvent appelé à s’absenter de son siège, et il résidait la plus grande partie du temps dans son palais de Lambeth, à Londres, plutôt qu’à Canterbury. Ses liens avec la communauté, déjà ténus puisqu’il était de façon fréquente issu d’un milieu autre que celui de Christ Church, se distendirent encore. Le prieur, parce qu’il était souvent choisi parmi les moines de la communauté, était plus proche et plus à même de diriger efficacement l’abbaye. Cette situation, déjà bien développée à la fin du XIIe siècle, devint la règle pour le reste du Moyen Âge. On a d’ailleurs pu parler à propos de la période commençant avec la vacance du siège après la mort de Lanfranc en 1089 comme de l’« âge des prieurs »107. Ce sont eux qui, effectivement, gouvernaient alors la communauté108. Parmi les figures marquantes qui occupèrent le poste de prieur, deux hommes méritent ici particulièrement d’être mentionnés, en raison du rôle très important qu’ils jouèrent certainement dans la reconstruction de la cathédrale et dans la conception du programme

EH, i, 29). La province d’York, établie après celle de Canterbury – qui ne céda jamais la place à Londres comme prévu à l’origine – ne compta jamais au maximum que trois évêchés (York, Durham, Carlisle).   106 Les pressions subies à la fois par les membres de la communauté et par les évêques lors de l’élection de Thomas Becket en 1162 sont rappelées en détail par A. Duggan, 2004, 2324. Elle souligne également que cette expression de l’autorité royale n’avait à l’époque rien d’exceptionnel ni de particulièrement choquant. 107 M. Gibson, 1995, 48. 108 Pour une liste des prieurs de Christ Church, on peut consulter Searle, 1902, et D. Knowles et al., 1972.



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des vitraux. Benoît, prieur de 1175 à 1177 avant de devenir abbé de Peterborough, fut vraisemblablement impliqué de très près dans le choix des sujets pour les verrières, et il été suggéré qu’il composa les tituli en vers qui glosent les scènes typologiques109. Le fait qu’il fut l’auteur de l’office en vers pour la fête de la Natalitio de saint Thomas montre en tout cas qu’il était un versificateur de grande qualité, et que la composition des tituli n’était certainement pas une tâche audelà de ses capacités110. Maître Alain (prieur de 1179 à 1186 avant de devenir abbé de Tewkesbury), pour sa part, semble avoir été à l’origine de la décision de surélever le sol de la Trinity Chapel de façon aussi prononcée, afin d’en faire le point central du pèlerinage sur la tombe du martyr111. Davantage que les archevêques – qui ne sont souvent, dans cette période, mentionnés dans les productions de Christ Church que parce qu’ils s’opposent au mode de vie et aux acquis traditionnels de la communauté – ce sont les prieurs qui permettent à l’identité liturgique et artistique de Christ Church de s’exprimer. L’archevêque, qui résidait de moins en moins souvent à Canterbury, et dont les fonctions au sein du gouvernement du pays étaient de plus en plus lourdes, choisit progressivement de s’entourer de clercs séculiers plutôt que de membres de la communauté. Sous le pontificat d’Anselme (1093-1109), il était encore possible pour un moine tel qu’Eadmer de devenir le secrétaire particulier de l’archevêque, et de passer de longues années dans le cercle intime du prélat. En revanche, dès le pontificat de Thibaud du Bec (1139-1161), la situation changea de façon nette : la maisonnée de l’archevêque fut désormais composée d’hommes qui, tels Thomas Becket ou encore Jean de Salisbury, étaient issue de l’Église séculière. La séparation des revenus du monastères de ceux de l’archevêque, qui commença au IXe siècle, fut renforcée par Anselme et devint complètement effective vers le milieu du XIIe siècle112, avait pour fonction première de protéger la communauté de l’avidité du souverain lors de la vacance du siège. Mais une de ses conséquences fut une séparation encore plus grande entre l’archevêque et les moines. La situation fut encore aggravée par la tentative maladroite de l’archevêque Baudouin (1184-1190) de fonder une collégiale dédiée à saint Thomas à Hackington, non loin de Canterbury. L’archevêque y voyait un moyen de créer des ESG, 106. S. Reames, Medieval Hagiography, 561. 111 P. Draper, 199. 112 E.U. Crosby, 67 ; M. Gibson, 1995, 48. 109 110



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prébendes dont il aurait pu doter les clercs de son entourage. Les moines prirent offense de cette initiative pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils craignaient que le culte du martyr – et ses revenus substantiels – ne leur échappe. Ensuite, et toujours sur un plan financier, ils semblent avoir redouté que la nouvelle église ne soit dotée au détriment de la communauté de Christ Church. Mais surtout, les moines accusèrent Baudouin de vouloir déplacer le siège archiépiscopal dans la nouvelle fondation113. Dans ces mesures, les moines voyaient une tentative de les reléguer au second plan de la vie religieuse du pays et de les dépouiller de leurs privilèges traditionnels. L’acharnement qu’ils mirent à les faire échouer montre l’importance que ces privilèges revêtaient à leurs yeux. À mesure que l’influence du milieu monastique, qui avait été très importante depuis la réforme du Xe siècle, diminuait dans la vie politique de l’Angleterre, le roi et les grands seigneurs du royaume – qui contrôlaient en fait l’élection de l’archevêque – eurent tendance à écarter les moines pour placer à la tête des diocèses d’autres hommes d’Église, tels que des chanoines ou des clercs de la chancellerie royale114. Les moines de Christ Church eurent de moins en moins d’influence sur le choix et la nomination de leur abbé, et la communauté fut de plus en plus dirigée en réalité par son prieur. Cette situation apparut pour la première fois pendant le pontificat d’Anselme : exilé pendant le règne de Guillaume II, entre 1097 et 1100, puis à nouveau de 1103 à 1106115, Anselme délégua son autorité au prieur Ernulf (vers 1096-1107). Les périodes de vacances entre la mort d’un archevêque et l’élection de son successeur, les conflits qui opposaient l’archevêque au pouvoir royal, et qui se soldaient parfois par l’exil du prélat (Anselme, Thomas Becket et Étienne Langton connurent tous les trois cette situation) renforcèrent encore le rôle du prieur. À partir de cette période, les prieurs furent effectivement à la tête de la communauté, et cette situation perdura jusqu’à la dissolution du monastère en 1540. Politiquement donc, le rôle de la communauté monastique de Christ Church se trouvait considérablement réduit, puisque les moi-

OH, 36-37. Ce changement, ainsi que ses causes et ses conséquences, est décrit en détail par F. Barlow, The English Church 1066-1154, 1979. 115 La querelle avec le roi et l’exile d’Anselme en 1097 sont rapportés par Eadmer, The Life of Saint Anselm, chapitres xx-xlix. Les raisons de cet exil et ses répercussions sur l’Église anglaise sont analysées par R.W. Southern, 1966, 160-163. 113 114



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nes se voyaient souvent contraints d’accepter les archevêques qui leur étaient imposés d’en haut, par le roi, les évêques ou le pape. Économiquement, la longue querelle avec l’archevêque Baudouin s’avéra désastreuse pour les finances du monastère. L’interdit imposé sur le pays après l’élection contestée d’Étienne Langton en 1206, qui se solda par l’exil de la communauté pendant sept ans, ne permit pas de redresser la situation, et l’endettement massif de la communauté persista116. Il semble que ce déclin relatif se retrouve également dans le domaine des productions artistiques et intellectuelles du monastère. La plupart des abbayes bénédictines possédaient un scriptorium, qui produisait les textes dont la communauté pouvait avoir besoin, et dont la renommée pouvait parfois dépasser les limites du monastère. Le scriptorium de Christ Church, en particulier, était célèbre à la fin de la période anglo-saxonne pour la qualité des manuscrits qui y étaient produits, tant au niveau de l’écriture elle-même qu’à celui des enluminures117. L’Église anglo-saxonne avait par ailleurs développé une tradition de production de somptueux livres liturgiques118, tradition qui se maintint après la Conquête normande, ainsi que le montrent des ouvrages tels que les copies du Psautier d’Utrecht (Psautier Harley ou Psautier d’Eadwine119) qui furent réalisées à Christ Church pendant le XIIe siècle. À la veille de la Conquête normande en 1066, l’activité de copie de manuscrits était soutenue, mais les textes copiés brillaient souvent par leur manque d’originalité ou leur caractère conservateur120.

E.U. Crosby, 78. R. Gameson note que les monastères anglo-saxons semblent avoir été en marge de l’activité intellectuelle qui se développait dans de nombreux monastères du continent. Les manuscrits ayant survécu en plus grand nombre pour la période 1066-1130 sont tout d’abord des textes patristiques, puis des textes de théologie post-patristiques, les textes liturgiques ne venant qu’en troisième position et ne constituant qu’un neuvième des manuscrits ayant survécu (1999, 20-21). 118 On peut penser, entre autres, au Psautier Bosworth (Londres, BL MS Add. 37517), peutêtre produit à Christ Church. D.N. Dumville, 1992, analyse cette tradition de copie et de transmission de livres liturgiques richement décorés parmi l’épiscopat anglo-saxon. 119 Londres, BL, Harley MS 603 et Cambridge, Trinity College MS R.17.1. 120 « The books that survive from the library show it to have conformed to Anglo-Saxon monastic norm – strongest in works that were intellectually undemanding, but morally uplifting, such as collections of lives of saints and exemplary stories, rather than serious works of history or theology » (« Les livres de la bibliothèque qui survivent montrent qu’elle ne dérogeait pas à la norme des monastères anglo-saxons – son point fort était des ouvrages intellectuellement peu exigeants, mais moralement édifiants, tels que des collections de vies de saints et d’histoires exemplaires, plutôt que des ouvrages sérieux d’histoire ou de théologie »), N. Ramsay, 346. 116 117



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Les bouleversements induits par la Conquête ne semblent pas avoir excessivement affecté la production de manuscrits à Christ Church. Le personnel du scriptorium demeura en effet essentiellement anglosaxon (au moins jusqu’au début du XIIe siècle), et les styles insulaires d’enluminure et d’écriture perdurèrent pendant une partie du XIIe siècle121. Le seul changement notable affecta le type de textes copiés. Les bibliothèques des monastères anglo-saxons semblent en effet avoir été composées essentiellement de livres liturgiques ; dès leur arrivée, les prélats normands développèrent la copie de textes patristiques ou de textes issus des écoles du continent122. Sous l’impulsion du nouvel archevêque normand, le scriptorium de la cathédrale devint donc rapidement l’un des centres de copie les plus importants et les plus actifs d’Angleterre. Les ouvrages qui y étaient produits, et qui circulaient dans tout le pays123, étaient parmi les plus richement décorés et les plus remarquables de cette période. On peut imaginer que, sous l’effet du texte des Constitutions, de nouveaux recueils de textes liturgiques furent compilés, correspondants aux usages introduits par Lanfranc, et pour remplacer les recueils qui avaient été détruits dans l’incendie de 1067. Aux alentours des années 1180, un léger déclin de la production de manuscrits à Christ Church peut être noté124. Cela correspond à la période où le programme iconographique de la nouvelle cathédrale fut vraisemblablement réalisé, et tendrait à montrer

L’étude classique de la production du scriptorium de Christ Church au XIIe siècle est celle de C.R. Dodwell, 1954, dans laquelle l’auteur montre l’importance de l’héritage anglo-saxon en matière d’enluminure. R. Gameson, quant à lui, insiste sur la continuité en matière de script qui prévaut à Canterbury de part et d’autre de la Conquête (1995, 101). 122 Selon R. Gameson, « at Christ Church, Canterbury, whose library in 1066 had a long history behind it, we see a generation of frantic but piecemeal writing and collecting in the late eleventh century, probably fostered by the arrival of Lanfranc and further encouraged by losses sustained in the fire of 1067 (…). This was superseded from c. 1100 by more orderly and less hasty work, and there followed a steady stream of volumes in a distinctive house style » (« à Christ Church, Canterbury, où la bibliothèque avait déjà en 1066 une longue histoire, on observe à la fin du XIe siècle une génération pendant laquelle la copie et l’acquisition [de livres] est frénétique mais fragmentaire, probablement favorisée par l’arrivée de Lanfranc et de surcroît encouragée par les pertes subies dans l’incendie de 1067 (…) Cette situation fut remplacée à partir d’environ 1100 par un travail plus ordonné et moins précipité, et il en résulta un production régulière de volumes dans le style distinctif du monastère »), 1999, 16. 123 Ainsi, au début des années 1080, Lanfranc fit parvenir à Guillaume de Saint-Calais, le nouvel évêque de Durham, un ensemble de manuscrits liturgiques pour sa nouvelle communauté monastique, entre autres une copie des Constitutions et un graduel, peut-être également un bréviaire (K.D. Hartzell, 139 ; C.S. Phillips, 20). 124 C. Dodwell, 1954, 98. 121



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que les énergies – intellectuelles, artistiques et financières – de la communauté furent alors réinvesties dans la production d’images monumentales plutôt que dans la copie et l’enluminures de manuscrits. Cependant, même si l’école de Canterbury connaît en effet un déclin certain au XIIe siècle, et qu’elle n’atteint plus jamais l’influence qu’elle avait pu connaître pendant la période anglo-saxonne ou même pendant le premier siècle qui suit la Conquête normande, Canterbury ne se transforme pas pour autant en désert culturel125. Le scriptorium demeurait en effet l’un des plus actifs du pays ; de nombreuses œuvres, au premier rang desquelles on peut noter l’Opera historica de Gervais, les recueils de miracles de Guillaume de Canterbury et de Benoît de Peterborough, ou encore la compilation de la correspondance de Thomas Becket par Alain de Tewkesbury126, furent écrites, copiées et diffusées pendant le dernier quart du XIIIe siècle. Il s’agit d’œuvres de grande envergure, et par leur ambition, tout à fait uniques127. On note toutefois un certain repli de la communauté de Christ Church sur son passé. Outre le lien avec Rome, qui est souligné et renforcé, l’héritage anglo-saxon fut à cette époque mis en valeur de façon consciente. Ainsi, dans les années 1155-1160 fut produit dans le scriptorium de la communauté un magnifique psautier triple, le Psautier d’Eadwine, dont le calendrier a déjà été mentionné. Il s’agissait d’une entreprise exceptionnelle par son ampleur, et d’autant plus

Par « école », il ne faut pas entendre ici une grande école épiscopale du type de celles qui s’étaient développées à Chartres ou à Laon. Aucune école cathédrale anglaise n’atteint au Moyen Âge le rayonnement de ces écoles continentales. Comme D. Knowles a pu l’écrire, « it is noteworthy that while almost all the continental universities north of the Alps sprang from cathedral schools, neither Oxford nor Cambridge had any connection with one » (« il est remarquable qu’alors que la plupart des universités du continent trouvent leur origine dans une école cathédrale, ni Oxford ni Cambridge n’avait de connection avec une telle école »), 1959, 27. 126 Ces trois derniers textes ont été publiés dans les sept volumes des Materials for the history of Thomas Becket, édités par J.C. Robertson, 7 volumes, Rolls Series 67, London, 1875-1883. La correspondance de Thomas Becket a récemment été rééditée par Anne J. Duggan, The Correspondence of Thomas Becket, Archbishop of Canterbury, 1162-1170, 2 vols., Oxford, 2000. 127 « the collections [of miracles] are larger, more detailed and draw on a wider spectrum of society from many parts of England and the Continent than any other collection of miracles [and] the Canterbury collection [of letters] is on an unparalleled scale and tells a story in a way that no other collection attempted » (« les collections [de miracles] sont plus importantes, plus détaillées, et représentent un éventail plus large de la société de toutes les régions d’Angleterre et du Continent que n’importe quelle autre collection de miracles [et] la collection [de lettres] de Canterbury a une ampleur sans pareille et raconte une histoire comme nulle autre collection »), R.W. Southern, 1985, 14. 125



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remarquable qu’une des versions des psaumes est accompagnée d’une glose interlinéaire en anglo-saxon. Près d’un siècle après la Conquête du pays par les Normands, et même si une situation de diglossie prévalait alors en Angleterre, l’anglais qui était parlé vers le milieu du XIIe siècle était substantiellement différent de celui qui fut utilisé pour rédiger la glose du Psautier128. Il semble donc que des membres de la communauté manifestaient un intérêt certain pour la transmission de leur patrimoine anglo-saxon129. La conservation du passé, qui est évidente à Christ Church à travers la compilation d’annales et la rédaction de vies de saints, se doublait bien souvent d’une entreprise de réécriture de ce passé afin de défendre les intérêts du monastère. Le recours à la falsification était en effet bien souvent perçu comme une nécessité inévitable. Les catastrophes qui affligèrent Christ Church en 1067 et 1174 détruisirent partiellement les archives du monastère, qui étaient le plus souvent conservées dans l’église, les documents les plus importants étant fréquemment insérés dans les livres liturgiques. Ces accidents, que les moines déploraient amèrement, car ils les privaient de leurs titres et de leurs privilèges (comme Lanfranc le fit dans une lettre adressée à Alexandre II en 1072 à propos de l’incendie de 1067), leur permettaient cependant parfois tourner une situation à leur avantage. Ainsi, juste après l’incendie de 1174, Odon, le prieur de Christ Church, se rendit auprès du roi afin que celui-ci leur accorde de nouvelles chartes de privilèges protégeant le monastère contre l’ingérence de l’archevêque. Dans le contexte des tensions entre Baudouin et les moines, cette démarche était extrêmement significative130. L’attachement à la tradition était grand, la valorisation de l’héritage – réel ou créé de toutes pièces – essentielle. Ce rôle de gardiens

La langue utilisée dans Eadwine correspond « to the linguistic usage of standard late West Saxon, the literary koine of the late Old English period (the late tenth and eleventh centuries) » (« à l’usage linguistique du West Saxon tardif standard, la koinè littéraire de la période vieille anglaise tardive (fin du Xe et XIe siècles) », M. Gibson et al., 135. M.T. Clanchy analyse la coexistence de deux, voire trois langues, en Angleterre au lendemain de la Conquête et les différents usages qu’elles avaient dans la société (197-221). 129 L’anglo-saxon était également employé dans de nombreux autres textes copiés à la même époque, tels que des chartes, des chroniques ou une traduction des Évangiles (Gibson et al., 136). Le fait que certaines figures des ancêtres du Christ, dans les fenêtres du clair étage, ressemblent aux enluminures d’un manuscrit d’Ælfric (v. 955-v. 1020) qui était présent à Canterbury, probablement à Saint Augustine’s (Londres, BL MS Cotton Claudius B iv), est une autre indication que ces textes anglo-saxons étaient encore consultés à la fin du XIIe siècle (ESG, 114). 130 E.U. Crosby, 96-97. 128



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et de relais de la mémoire est quelque chose que les membres de la communauté prenaient très au sérieux, et qui prit un relief tout particulier à Christ Church, car l’histoire de l’abbaye et des moines était loin d’être continue et avait connu de nombreuses interruptions au cours des siècles. Cette situation particulière conduisit parfois les frères à falsifier la vérité, mais le plus souvent, ils se contentèrent de reconstruire une image qui, en l’absence de tout document prouvant le contraire, prenait alors valeur de vérité. C’est ce qui se passa pour la « fiction » de l’antiquité de la communauté. Mais les moines ne furent pas toujours à même de conserver ce qu’ils considéraient comme des privilèges acquis de longue date, comme le montrent les développements qui affectèrent la liturgie au XIIIe siècle. Un moment unique pour l’histoire de la liturgie La Regularis Concordia et les Constitutions de Lanfranc, loin de remettre en cause l’accroissement massif de la psalmodie auquel les réformes mises en place dans les monastères continentaux donnèrent lieu, ajoutèrent encore des récitations particulières. Cela est particulièrement clair en ce qui concerne les prescriptions liturgiques qui, dans la droite ligne des réformes initiées dans l’Empire carolingien par Benoît d’Aniane, insistaient sur le rôle de la liturgie dans la vie des moines. En ce qui concerne la communauté de Christ Church, la Regularis Concordia de la fin du Xe siècle et les Constitutions, rédigées un siècle plus tard, développèrent spécifiquement la célébration de l’office et l’élaboration de ces cérémonies, les redéfinissant et les précisant. Ainsi, l’effet général [de ces deux textes] fut d’accroître les services religieux et d’introduire une élaboration du rituel. Ces constitutions, auxquelles succédèrent le conservatisme d’Anselme et son admiration pour Cluny, confirmèrent que la vie dans les monastères bénédictins anglais demeurerait fondamentalement liturgique : une succession de services [célébrés] en commun, qu’il s’agisse de prières récitées, de chants ou de cérémonies, qui ignoraient l’emploi du temps quotidien du monde extérieur et laissaient peu de temps à l’étude et à la contemplation religieuse131.

« the general effect was to increase the choir services and introduce elaboration of ritual. These constitutions, followed by Anselm’s conservatism and admiration for Cluny, confirmed that the life in the English Benedictine monasteries would remain primarily liturgical: a succession of common services, whether spoken prayers, singing or ceremonies, which disregarded the daily time-table of the outside world and gave little time for study or religious contemplation », F. Barlow, The English Church 1066-1154, 189. 131



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Les moines, plus encore que des spécialistes de l’étude ou de la copie de manuscrits, étaient alors véritablement des spécialistes de la liturgie. La période qui s’étend du VIIIe au Xe siècle vit l’introduction progressive de nouvelles célébrations, tels que les offices dits « votifs », qui doublèrent pratiquement le cursus des heures canoniques132. L’apparition de dévotions particulières – à la Croix, à la Vierge, ou encore aux défunts – ajouta petit à petit à la complexité de l’organisation hebdomadaire. En particulier à l’époque carolingienne, certains jours de la semaine furent affectés à des dévotions particulières : le samedi fut par exemple dédié à la Vierge. Les offices et les célébrations eucharistiques étaient ainsi dits en son honneur ce jour-là. Plus tard, peu avant la période qui nous intéresse ici, des offices particuliers furent créés – c’est-à-dire construits sur le modèle des offices réguliers, mais ne suivant pas la plupart du temps le cursus complet des heures. Ce sont les offices dits votifs. Ainsi, à Christ Church au XIVe siècle, trois jours de la semaine étaient réservés à des commémorations particulières : le mardi était le jour de saint Thomas, le jeudi celui des reliques, et le samedi celui de la Vierge. Ces commémorations étaient marquées par des dévotions spéciales, en particulier la récitation additionnelle de certaines parties de l’office. Les réformes ecclésiastiques menées sur le continent sous les souverains carolingiens et les réformes monastiques qui se mirent en place en Angleterre aux IXe et Xe siècles contribuèrent ainsi largement à la prolifération des offices et des célébrations liturgiques. À partir du milieu du XIIIe siècle, un changement s’amorça cependant dans la vie des monastères bénédictins. Le Concile du Latran de 1215 imposa aux abbés et prieurs de se réunir en chapitre général tous les trois ans afin de traiter « de reformatione ordinis et observatione regulari »133. Une telle mesure n’a pu manquer de promouvoir une cer-

« Integrated with the calendar of seasons and feasts, and interspersed within the daily pattern of mass and office, was a series of additional devotions of varying length and importance. Since none of these additional devotions were part of the main pattern of daily liturgy laid down in the calendar, they occupy an area commonly referred to as ‘votive observance’ » (« Combinée avec le calendrier des saisons et des fêtes, et intercalée dans le cursus quotidien de la messe et de l’office, on trouve une série de dévotions supplémentaires, de longueur et d’importance variées. Comme aucune de ces dévotions supplémentaires ne faisait partie du cursus principal de la journée liturgique formulée dans le calendrier, elles représentent un domaine appelé la plupart du temps ‘observance votive’ »), S. Roper, xiv. 133 « de la réforme de l’ordre et de l’observance régulière », c. 12, C.-J. Hefele, t. V, IIe partie, 1342 (traduction française : R. Foreville, 1965, 353). 132



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taine uniformité des observances entre les abbayes bénédictines. Ainsi, en Angleterre, qui fut le premier pays à organiser ses monastères en provinces selon le vœu du concile134, les chapitres provinciaux s’efforcèrent de limiter certaines observances, dont la prolifération pouvait sembler hors de contrôle. En 1255 par exemple, le chapitre tenu à Evesham proposa d’abolir l’office quotidien de Tous les Saints, de même qu’il fut laissé à la discrétion des abbés de supprimer tout ce qu’ils pouvaient juger superflu et qui empêchait les frères de se livrer à la lecture, à la méditation et à l’étude135. En 1277, le chapitre de la province de Canterbury promulgua une longue série de mesures concernant la célébration de l’office. On proposa d’abolir la récitation de certains suffrages pour le roi et pour les frères absents pendant certaines heures ou encore de limiter la récitation du Quicumque uult au dimanche136. Certaines de ces propositions pour réduire la durée des célébrations furent acceptées, d’autres ne reçurent qu’un accueil limité, voir hostile137, d’autres encore furent purement et simplement ignorées. Ainsi, certains des textes étudiés par Tolhurst pour son édition du Bréviaire de Hyde Abbey montrent que les mesures officielles ne furent jamais vraiment appliquées : le chapitre de 1277 avait considérablement réduit les suffrages récités après vêpres et laudes, mesure qui fut réitérée par les chapitres de 1343 et de 1444, mais qui n’était toujours pas entrée en vigueur à Christ Church aux alentours de 1400, comme en témoigne la série de suffrages dans le manuscrit Londres, Lambeth Palace MS 558, du XVe siècle. Même le clergé séculier s’opposa à leur application, car « les nouveautés engendrent la discorde, et nous sommes déterminés à ce que les coutumes et les usages antiques de nos pères soient préservés »138. Le besoin de réforme était évident, mais se heurtait à des résistances insurmontables. L’élaboration croissante des détails cérémoniels portés dans les calendriers liturgiques de Christ Church au cours du XIIe siècle est peut-être un signe de cette crispation de la communauté sur ses acquis

HA, vi, 5. W.A. Pantin, i, 55. 136 W.A. Pantin, i, 60-71. 137 HA, vi, 6-7. 138 « novelties breed discord, and we are determined that the customs and ancient uses of our fathers shall be preserved » (W.A. Pantin, i, 94) : telles furent les paroles de Godfrey Giffard, evêque de Worcester, lorsqu’il interdit au clergé de sa cathédrale de mettre en place les innovations liturgiques du chapitre général, 14 avril 1278. En 1280, l’archevêque de Canterbury, John Peckham, interdit aux moines de Ramsey d’appliquer ces mêmes statuts (W.A. Pantin, i, 121). 134 135



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du passé. Face à cette remise en cause dans ses fonctions essentielles, au premier rang desquelles se trouvait la célébration fastueuse d’une liturgie séculaire, la réaction des moines fut de mettre en avant son héritage le plus glorieux afin de parer aux attaques de ses détracteurs. La solution proposée par le monachisme bénédictin pour trouver le chemin du salut apparaissait au cours des XIIe-XIIIe comme de plus en plus obsolète. Fondée essentiellement sur la célébration d’une liturgie élaborée et codifiée à l’extrême, elle ne semblait plus correspondre aux aspirations spirituelles de la majorité de la société, et le succès rencontrés par les nouveaux ordres monastiques, Cisterciens d’abord, puis Franciscains et Dominicains, en témoigne. On peut voir une des conséquences de cette désaffection dans le fait que les effectifs de la communauté de Christ Church ne retrouvèrent jamais le niveau qu’ils avaient atteint à la fin du XIIe siècle139 : de près de 150 moines vers 1170, la communauté tomba à soixante-dix-sept à la veille de l’exil au début du XIIIe siècle, et ne dépassa plus la centaine jusqu’en 1540, quand cinquante-six moines signèrent l’acte de dissolution du monastère140. La fin d’une époque ? Signalant l’émergence de la papauté comme une puissance politique à part entière dans l’Europe médiévale, la réforme dite grégorienne redéfinit en profondeur les relations entre pouvoir ecclésiastique et pouvoir séculier dans tous les domaines de la société, à partir du milieu du XIe siècle. L’institution monastique était particulièrement bien placée, en Angleterre, pour mener à bien la réforme de l’Église, et les évêques, comme le pape, se tournèrent vers elle pour mettre en place et faire fonctionner les institutions réformées. Déjà au Xe siècle, les monastères avaient été mis à contribution par le roi pour servir de têtes de pont à l’unification de l’Angleterre sous son autorité, un état de fait qui est reflété dans de nombreuses prescriptions de la Regularis Concordia relatives au roi et à la famille royale141. Les conquérants normands surent également employer l’institution monastique pour pacifier le pays et asseoir la nouvelle dynastie, à l’image de ce que la famille ducale et l’aristocratie avaient déjà accom-

R.A.L. Smith, 1969, 3-4. J. Greatrex, 50. 141 D.H. Farmer, 13-14. 139 140



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pli en Normandie142. Ainsi, les principaux centres de réforme furent en premier lieu les cathédrales monastiques, cette institution particulière à l’Angleterre, développée par Oswald et Æthelwold pour propager les idéaux de la réforme bénédictine. Lanfranc comprit vite l’avantage qu’il pouvait tirer de ces institutions, et refonda Durham sur ce modèle143. Les circonstances particulières, héritées de la réforme du Xe siècle et de la politique d’unification religieuse menée par les conquérants normands au XIe siècle, avaient contribué à mettre en place une structure administrative et politique solide au sein de l’Église anglaise, basée essentiellement sur l’institution monastique. Pendant tout le XIe siècle, et encore au XIIe, une grande partie de l’épiscopat anglais fut issue des monastères144. De nombreuses raisons avaient favorisé cette situation, entre autres le fait que les seuls centres d’enseignement étaient bien souvent les monastères, ainsi Christ Church fournit, tout au long des XIe et XIIe siècles, plusieurs évêques à l’Église anglaise145. L’institution monastique se vit cependant reléguée par la suite au second plan du mouvement de réforme, et en devint même parfois la cible. La liste des archevêques de Canterbury entre la Conquête normande et la translation de Thomas Becket fournit un excellent raccourci des développements qui prenaient place au sein de l’Église. Après une longue série ininterrompue d’archevêques issus du milieu monastique – si l’on excepte Guillaume de Corbeil, un chanoine augustinien – le siège primatial fut occupé par un clerc séculier (Thomas Becket), puis par un Cistercien (Baudouin de Ford), puis par plusieurs clercs séculiers, au premier rang desquels Hubert Walter et Étienne Langton. Ces élections successives témoignent de la relative marginalisation du monachisme de type bénédictin dans la vie politique et religieuse du pays, au profit des clercs formés dans les nouvelles universités, plus à même d’assurer les hautes fonctions administratives et diplomatiques que la charge d’archevêque conférait. On note aussi que des membres des nouveaux ordres, en particulier des Cis-

E. Cownie, 47. Les relations entre monastères et pouvoir ducal en Normandie ont été étudiées par C. Potts, 1997. 143 MO, 169 ; M. Gibson, 1978, 182. 144 M. Gibbs & J. Lang, 5. La tendance au cours du XIe siècle semble cependant être une augmentation d’élection de clercs issus de la chapelle royale (F. Barlow, The English Church 1066-1154, 196). La situation à Christ Church est symptomatique de cette évolution. 145 Æthelnoth, moine de Christ Church, devint archevêque de Canterbury en 1020 ; Ernulf devint évêque de Rochester en 1114 ; Walter Durdent fut élu au siège de Chester-Coventry en 1149. 142



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terciens, étaient devenus des candidats désirables à un tel poste. Il semble même que l’arrivée de Baudouin sur le siège archiépiscopal en 1184 ait été en partie déterminée par le besoin de réformer, à son tour, le monastère. Ainsi, de chef de file de la réforme de l’Église en Angleterre, l’institution monastique d’obédience bénédictine se vit peu à peu écartée des postes les plus importants dans la hiérarchie ecclésiastique. Il est également possible que la plus grande attention apporté à la cura animarum, entérinée par les décisions du Concile tenu au Latran en 1215, déterminèrent le type idéal de prélat qu’il convenait de placer à la tête de l’Église anglaise. L’histoire de Christ Church au XIIe siècle fut bien entendu marquée par la longue querelle qui opposa le roi Henri II à l’archevêque Thomas Becket entre 1163 et 1170, et qui culmina avec l’assassinat de ce dernier dans sa cathédrale par quatre chevaliers de la cour royale. Les étapes et les acteurs principaux de cette crise célèbre sont bien connus, même si les opinions divergent quant aux événements précis qui contribuèrent à l’escalade146. Il convient néanmoins de revenir ici sur les conséquences que ces événements dramatiques eurent sur les fortunes du monastère. Le meurtre dans la cathédrale, rapidement présenté comme un martyre, les miracles qui commencèrent très tôt à se produire à Christ Church, et le pèlerinage qui se développa par la suite, conditionnèrent en effet, me semble-t-il, l’image que la communauté souhaita projeter d’elle-même pour le reste du Moyen Âge. La reconstruction de la cathédrale pour servir de tombeau somptueux à l’un des saints les plus populaire de la chrétienté occidentale, et la mise en place d’un programme iconographique explorant, entre autres, les thèmes des relations entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel, et assimilant l’archevêque à la figure du Christ, fixèrent durablement l’identité de Christ Church. L’extraordinaire floraison littéraire, liturgique et artistique qui eut lieu à Canterbury entre 1170 et 1220 fut donc essentiellement due aux événement dramatiques de décembre 1170. Cette période faste ne dura cependant pas. Tant sur le plan économique que sur le plan politique, le début du XIIIe siècle vit la situa-

Outre les Vitae de l’archevêque, qui se trouvent dans les volumes i à iv des Materials, les biographies les plus récentes et les plus complètes de Thomas Becket sont celles de D. Knowles, 1970, F. Barlow, 1986, de W. Urry, 1999 (qui se concentre essentiellement sur les dernières semaines de la vie de Becket) et surtout l’étude d’A. Duggan, 2004, qui replace l’archevêque dans le contexte politique et légal de la dispute avec Henri II, et réévalue la construction de l’image de l’archevêque. 146



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tion des moines de Christ Church changer de façon dramatique. Dans un premier temps, les énergies des moines furent absorbées par la longue querelle qui opposa la communauté à l’archevêque et qui a déjà été détaillée. La communauté fit appel à l’autorité du pape, et dépensa une grande partie de son revenu pour défendre la cause de Christ Church à Rome147. La communauté fut encore davantage affaiblie par l’exil imposé par le roi Jean entre 1207 et 1215. Même si le monastère reprit rapidement possession de ses biens, les difficultés financières causées par les nombreux recours faits auprès du pape pendant la querelle, les dépenses occasionnées par la reconstruction somptueuse de la cathédrale, et les revenus non perçus pendant l’absence de la communauté, mirent abruptement fin à la période de prospérité148. Il semble donc que la période comprise entre 1175 et 1220 représente un tournant décisif dans l’histoire de Christ Church. Le prestige associé au souvenir des archevêques tels que Dunstan, Lanfranc, Anselme – et l’héritage intellectuel et liturgique que ces prélats, à travers leur action réformatrice, avaient pu laisser à Christ Church – était rehaussé encore par le martyre de Thomas Becket et le pèlerinage qui en résulta. Toutes les réformes mises en place au cours des deux siècles précédents, aussi bien sur le plan liturgique que disciplinaire ou artistique, arrivaient alors à maturité. Parfaitement intégrées dans les traditions et les pratiques de la communauté, elles trouvèrent leur plus parfaite expression dans la nouvelle cathédrale et son programme iconographique sans précédent. Elles conférèrent également à Christ Church un rôle de tout premier plan en Angleterre et dans le reste de l’Occident chrétien. La communauté vit ce rôle décliner au cours du XIIIe siècle, et elle ne connut plus, jusqu’à la dissolution du monastère en 1540, pareil apogée. J’ai essayé de mettre en évidence ici la façon dont s’exerçait à Christ Church un usage particulièrement sélectif de la mémoire du monastère, afin de comprendre comment la liturgie de Christ Church s’y inscrivait et, dans un certain sens, la complétait. Elle détermine le rôle joué par différents facteurs dans la formation de l’identité liturgique de la cathédrale, telle l’histoire particulière du christianisme en

Les détails des actions entreprises par les deux partis sont rapportés par le moine Gervais, OH, 29-68. 148 R.A.L. Smith a montré comment les moines s’endettèrent auprès des prêteurs d’argent juifs de Canterbury, 1947, 27. 147



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Angleterre ou encore l’importance de figures marquantes comme Dunstan ou Lanfranc. L’importance de ces éléments dans la construction de cette identité a pu varier au cours des siècles, mais au XII e siècle, ils participaient tous à l’affirmation de Christ Church comme une communauté avant tout monastique. Cela se traduisait d’une part par la règle qui y était suivie et par la structure de la vie monastique qui en découlait, en particulier la célébration de l’office, et d’autre part par le nombre impressionnant de cérémonies qui étaient célébrées par les frères. L’identité monastique de Christ Church s’exprimait également à travers la revendication par la communauté d’une antiquité et d’une autorité qui s’inscrivaient dans une longue tradition. Cette revendication s’appuyait par les reliques qui se trouvaient dans la cathédrale et les cultes qui leur étaient rendus, et sur l’histoire même de Christ Church, dont les événements principaux étaient rappelés avec insistance.



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Chapitre 2

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Réduire les images à une fonction purement documentaire – les images sont la représentation fidèle du monde dans lequel elles ont été créées et peuvent à cet égard être exploitées pour découvrir des renseignements concrets sur ce monde – est souvent hasardeux, et toujours peu satisfaisant1. L’iconographie, comme la littérature, présente fréquemment une nature conventionnelle, stéréotypée, et en ce qui concerne la recherche et la découverte de détails ressemblants, la plus grande prudence est recommandée. Toutefois, toute iconographie est nécessairement le produit de son époque, et reflète l’environnement dans lequel elle a été créée. Les représentations évoluent au fil du temps, et les choix faits par leurs concepteurs et réalisateurs peuvent fournir des indices précieux quant à la compréhension des épisodes représentés, ainsi que la portée morale, religieuse ou politique que ces représentations pouvaient avoir. Si ce qui était représenté par les vitraux avait une valeur à l’époque de leur réalisation, alors la façon même dont les sujets étaient représentés peut donner l’occasion de comprendre comment les personnes à l’origine du programme concevaient le monde autour d’elles. Il est par conséquent intéressant d’observer de quelle façon l’environnement a été intégré dans l’image, et de voir ce que cette représentation sélective peut révéler quant aux intentions des concepteurs. Les exemples sont nombreux de textes liturgiques qui ont influencé, de façon générale, les représentations iconographiques2. La célébration de la liturgie était, au XIIe siècle, l’activité à laquelle les moines bénédictins consacraient le plus de temps – peut-être jusqu’à dix ou douze heures par jour, lors des fêtes les plus importantes3 ; ils étaient par conséquent très familiers avec les textes utilisés lors des célébrations :

H. Toubert, 20 ; J.-C. Schmitt, 2002, 36. S. Sinding-Larsen donne plusieurs exemples de textes liturgiques pour la messe constituant l’origine de représentations communes dans l’iconographie chrétienne (21-25). 3 J. Harper, 74. 1 2



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chapitre 2 par le seul fait de l’assistance quotidienne à la messe et à l’office divin, les membres du clergé étaient familiarisés avec les idées et les récits contenus dans les livres liturgiques. Les histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament, les commentaires des Pères sur les Évangiles, qu’ils entendaient lire au chœur chaque année à époques fixes, se gravaient dans leur mémoire d’une manière ineffaçable4.

Parce qu’elle rythmait la vie de tous les jours et qu’elle était traditionnellement associée à la production d’images somptueuses, la liturgie fournissait un ample réservoir de modèles potentiels pour les objets, les vêtements et les situations décrits dans les vitraux. Il paraît inévitable que la liturgie ait informé – c’est-à-dire qu’elle a doté d’une forme, d’une structure, ainsi que d’une signification – les images des vitraux de la cathédrale. Il s’agira par conséquent de déterminer dans quelle mesure et de quelles façons l’inspiration fournie par la liturgie fut traduite dans les représentations iconographiques. Outre ce rôle d’inspiration concrète, qui est le niveau le plus élémentaire des relations entre liturgie et iconographie, les cérémonies religieuses, à travers les images qui en étaient les échos ou les reproductions, permettaient à la communauté de Christ Church de s’approprier l’espace du sanctuaire en tant que lieu d’expression de leur dévotion et de leur identité. Comment cette inspiration se traduit-elle dans les représentations iconographiques ? Les objets, les vêtements utilisés dans les célébrations liturgiques furent bien entendu réutilisés, mais les situations liturgiques elles-mêmes furent également sollicitées. Il convient d’examiner si cette réutilisation de situations et de motifs familiers fut systématique, et surtout ce que révèle le choix de certains objets ou certaines célébrations dans les représentations iconographiques. 2.1.  Représenter la liturgie : identifier et unifier Christ Church, cathédrale ancienne et siège du successeur de saint Augustin, où se déroulaient des cérémonies d’un faste incomparable, était particulièrement riche en vêtements, objets et ornements liturgiques somptueux. L’inventaire des objets et vêtements conservés

Y. Delaporte, Les Vitraux de la cathédrale de Chartres. Histoire et description, Chartres, 1926, 14. Par ailleurs, les jeunes enfants dont l’éducation était confiée au monastère pour qu’ils deviennent moines apprenaient à lire dans le Psautier, renforçant encore la familiarité avec ce texte central du monachisme. 4



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dans la sacristie de la cathédrale, dressé en même temps que le catalogue des livres de la bibliothèque à la demande du prieur Henry of Eastry au début du XIVe siècle, en témoigne5. Cet inventaire inclut une liste de livres et de reliques possédés par Christ Church et donne une idée de l’abondance des objets et des ornements accumulés au fil des siècles. Il faut par ailleurs noter que cette liste ne comprend pas les ornements normalement conservés dans l’église elle-même, c’est-à-dire ceux qui étaient d’usage courant, voire quotidien ; il est par conséquent raisonnable de supposer que le trésor de la cathédrale était encore plus impressionnant que cette liste, aussi longue soit-elle, ne le laisse supposer. À la dissolution du monastère en 1540, on dénombra ainsi 262 chapes, utilisées pour les cérémonies les plus importantes6. Certaines d’entre elles étaient d’une magnificence impressionnante, telle une chasuble ayant peut-être appartenu à Lanfranc qui est ainsi décrite :  casula magna Lanfranci nigra, cum aurifrigio ornato gemmis et perulis aureis cum avibus et bestiis in auro frectatis 7.

La quantité de métal précieux qui ornait ces vêtements était telle que, lorsqu’ils devenaient hors d’usage, on jugeait qu’il était préférable de les brûler, afin de pouvoir récupérer or et argent8. L’inventaire montre que tous les autres vêtements liturgiques, telles que aubes, chasubles, étoles, étaient également présents en quantités similaires, et que beaucoup parmi eux était d’une richesse incomparable. De tels habits précieux, dont l’usage peu fréquent renforçait encore le côté solennel, ont pu inspirer les concepteurs des vitraux. Les verrières hagiographiques, parce qu’elles racontent les vies de saints ayant exercé des responsabilités importantes au sein de la hiérarchie ecclésiastique, devaient à l’origine présenter de nombreuses scènes où la liturgie joue un rôle central. L’état mutilé dans lequel ces vitraux survivent aujourd’hui, et l’absence de sources directes quant à leur contenu initial, ne permettent malheureusement pas d’identifier avec certitude toutes les scènes qui y étaient représentées. Les vêtements et objets de la liturgie semblent toutefois avoir occupé une place de premier plan dans les panneaux des verrières que l’on peut

J. Wickham Legg and W.H. St John Hope, Inventories. Inventories, 172. 7 « grande chasuble noire de Lanfranc, avec un orfroi orné de gemmes et de perles d’or, ainsi que des oiseaux et des animaux ornés d’or », Inventories, 51. 8 Inventories, 13. 5 6



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encore voir aujourd’hui. Les situations liturgiques furent, elles aussi, représentées de façon répétée. Il est important de comprendre le rôle joué par l’inclusion des aspects matériels du rituel dans la compréhension du programme dans son ensemble. Les vêtements et les objets comme signes de la liturgie Les vitraux donnent avant tout à voir les histoires de nombreux hommes d’Église : pape, archevêques, évêques, prêtres, diacre, moines – qu’ils soient saints ou non. Il semble que tous les échelons de la hiérarchie ecclésiastique aient trouvé leur place dans le programme. Tous les saints dont nous savons qu’ils étaient représentés dans les verrières, à l’exception de saint Jean l’Évangéliste9, étaient en effet des membres du clergé. Trois d’entre eux étaient des moines – saint Martin, saint Dunstan et saint Alphège – devenus respectivement évêque et archevêques ; saint Laurent et saint Étienne étaient diacres ; saint Thomas Becket était clerc avant de devenir archevêque10 ; saint Grégoire le Grand était peut-être moine avant de devenir pape. C’est la vie religieuse de ces personnages qui est le centre d’intérêt dans ces représentations, et par conséquent, ils sont souvent montrés revêtus de leurs vêtements et insignes liturgiques. Le panneau de la messe de saint Grégoire (s. X, 3), représentait probablement le pape en habits liturgiques, peut-être entouré d’autres clercs, célébrant l’eucharistie11. Un panneau aujourd’hui conservé aux États-Unis et qui faisait peutêtre partie à l’origine d’une Vie de saint Laurent représente ce saint L’armature de la fenêtre, située au-dessus de l’autel consacré à saint Jean (Gervais, OH, 15 et 24) est moderne, et contient aujourd’hui un arbre de Jessé (XIXe siècle). Il est probable que cette verrière contenait une Vie de saint Jean, mais aucune source médiévale ne permet de l’affirmer avec certitude (CVMA, 137). 10 Dans les ordres mineurs, Thomas Becket fut consacré diacre lorsqu’il obtint l’archidiaconat de Canterbury, en 1154 (F. Barlow, 1986, 38). Il ne fut ordonné prêtre que la veille de son élévation au siège de Canterbury en 1162. 11 La version électronique de la base de données du Princeton Index of Christian Art propose plus de vingt-cinq exemples d’enluminures ayant cette scène pour sujet aux XVe-XVIe siècles. Cet épisode, rarement illustré à l’époque, incluait probablement une représentation de l’action liturgique de la consécration eucharistique. Ce miracle permettait en effet d’illustrer le concept de la présence réelle du Christ dans les espèces de la communion une fois la consécration effectuée. La controverse sur la Présence réelle avait en effet pris à Christ Church une importance particulière, du fait de l’implication de Lanfranc dans la réfutation des thèses de Bérenger de Tours. Il n’est malheureusement pas possible de savoir plus exactement comment il était dépeint. Il semble cependant raisonnable de supposer qu’il représentait le saint en train de célébrer l’eucharistie. Le chapitre 5 de cette étude reviendra en détail sur la représentation du sacrifice eucharistique dans le programme iconographique. 9



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vêtu des insignes de son statut de diacre : on y voit un saint portant étole, dalmatique et aube, entouré par des flammes12. Les ornements archiépiscopaux sont de loin les plus fréquemment représentés. Portant systématiquement le pallium et la mitre, et parfois la croix archiépiscopale (Nt. XI, 5 et n. III, 45), symboles de leur statut, les archevêques sont les personnages principaux de plusieurs cycles iconographiques. Le premier en importance est incontestablement celui consacré à saint Thomas, suivi de près par ceux de saint Dunstan et de saint Alphège. Dans les scènes qui ont survécu, les deux hommes sont représentés revêtus des insignes de leur fonction, en particulier saint Alphège, qui dans les trois scènes existantes porte chasuble, mitre et pallium. La taille originale des cycles (deux verrières de la Trinity Chapel pour la vie de Thomas Becket, et peut-être jusqu’à quinze panneaux répartis dans deux fenêtres pour chacun des deux autres archevêques13) permet de supposer qu’ils devaient à plusieurs reprises être représentés dans leurs fonctions liturgiques et pastorales. Ainsi, la verrière consacrée à Thomas Becket dans la cathédrale de Sens comprend quatre scènes montrant l’archevêque dans une situation liturgique : on le voit prêcher, célébrer la messe, consacrer une église et confirmer des fidèles14. Les images des archevêques sont caractérisées par le fait qu’elles les montrent tous les trois revêtus exactement des même insignes, et portant des vêtements de la même couleur, en particulier la chasuble pourpre et la dalmatique verte, que l’on retrouve dans les représentations de saint Thomas (n. III, 45 ; figure 3) et saint Alphège (Nt. IX, 4 ; figure 4). Cette association visuelle est accentuée par le fait qu’ils présentent de plus tous les trois la similarité de porter une courte barbe. Identifiables au premier coup d’œil grâce aux vêtements liturgiques qu’ils portent, grâce à la croix archiépiscopale, et grâce à leur apparence physique, les trois saints archevêques de Canterbury sont donc liés entre eux par la façon dont ils sont présentés dans les images. On peut cependant remarquer que leurs vêtements liturgiques ne sont pas particulièrement somptueux : les maîtres verriers n’avaient peut-être pas l’intention – ou la possibilité technique, les panneaux étant relativement petits – de reproduire l’une des merveilleuses chapes ou chasubles du trésor de la cathédrale. On remarque de plus que les archevêques semblent porter les

CVMA, 312-313. CVMA, 64 et 158 ; M. Budny & T. Graham, 57. 14 C. Brisac, 1975, 226. 12 13



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insignes de leurs fonctions rituelles en toutes circonstances, y compris dans des scènes non liturgiques, comme par exemple saint Thomas dans les verrières des miracles ou Alphège lors de son enlèvement par les Danois. Il est possible de trouver d’autres représentations de vêtements utilisés lors des cérémonies que ceux des prélats. Le simple habit monastique est décrit à diverses reprises, à la fois dans les fenêtres typologiques et dans les fenêtres hagiographiques. Saint Dunstan est représenté vêtu de la coule monastique dans un panneau illustrant un épisode de sa vie avant son accession au siège de Canterbury, alors qu’il était encore moine à Glastonbury (Nt. X, 4). Des membres de la communauté sont également représentés à de nombreuses reprises dans les verrières de la Trinity Chapel, où on peut les voir en particulier exercer leurs fonctions de gardiens du tombeau de saint Thomas15. Dans la scène représentant la guérison de Matilda de Cologne (n. II, 34), on voit deux moines, revêtus des habits distinctifs de leur état, leur tonsures clairement visibles, en faction près du tombeau du saint (figure 5). Dans un autre récit, à la fenêtre n. IV, la moniale Pétronella, assise à gauche du panneau (50), est vêtue de ses habits monastiques ; et frère Élias (s. VII, 56) est également bien reconnaissable grâce à ses vêtements. Ce vêtement n’avait pas de fonction proprement liturgique, à la différence de la chasuble ou du pallium, mais il était porté par les moines lors de la majorité des cérémonies, et les distinguait par ailleurs du reste de la société comme des hommes ayant consacré leur vie à l’Église. Seules les fêtes les plus importantes voyaient en effet les membres de la communauté porter aubes ou chapes, ainsi que les calendriers le recommandaient. Autant que les inscriptions identifiant les personnages et les situations représentés, les vêtements portés par les protagonistes permettaient aux spectateurs des vitraux de reconnaître la scène qu’ils avaient devant les yeux. Les vêtements religieux, en particulier ceux portés lors de la célébration du culte, sont ainsi particulièrement fréquemment décrits. Il faut par ailleurs noter que ces habits liturgiques ne sont pas nécessai-

Les deux rédacteurs « officiels » de la Vie et des miracles de saint Thomas Becket, Guillaume de Canterbury et Benoît de Peterborough, exercèrent tous les deux cette fonction de gardien du tombeau, afin de recueillir les récits de miracles effectués par le saint, à la fois quand ils se produisaient dans la cathédrale, et quand les pèlerins venaient rendre grâce au saint pour son assistance. 15



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rement inclus dans des scènes montrant des célébrations. Ainsi, le portrait de saint Laurent, ou encore toutes les images de saint Thomas Becket, ne donnent pas à voir le personnage dans sa fonction de célébrant. La fonction de ces choix iconographiques semble avoir été essentiellement de permettre une identification visuelle rapide des personnages portant ces insignes, quelle que soit la situation. Alphège est ainsi immédiatement reconnaissable dans le groupe des habitants de Canterbury massacré par les Danois (Nt. IX, 5). Grâce aux vêtements liturgiques, qui relient visuellement les saints à travers le temps de l’histoire sainte et l’espace de la cathédrale, c’est la dignité ecclésiastique qu’on a voulu mettre en valeur. Outre les représentations traditionnelles de saints hommes d’Église – tels que saint Laurent ou saint Grégoire – les descriptions pratiquement identiques des trois saints archevêques – vêtements, couleurs, apparence – peuvent avoir été destinées à souligner l’identité des thèmes illustrés par leur vie, en particulier celui des relations entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel, un point sur lequel il faudra revenir16. Les objets utilisés pour la liturgie ont également été employés pour tisser des liens visuels entre les différentes parties du programme iconographique. Parmi ces objets se trouvent en particulier les autels, qui sont représentés de nombreuses fois. Dans les panneaux ayant survécu, on compte six représentations d’autels : cinq dans la verrière n. XV (34, 24, 17 et 18) et un dans la fenêtre axiale de la Corona Chapel (I, 32). Les scènes se déroulant à l’intérieur d’un sanctuaire, qu’il soit juif, chrétien ou païen, sont en effet assez fréquentes : la présentation de Jésus au temple (n. XV, 18 ; figure 1), par exemple, a pour type la présentation de Samuel (13) d’une part, et de l’autre les offrandes faites par Abraham et Melchisédech (19, aujourd’hui perdu). Dans les deux panneaux survivants, l’autel est représenté comme un cube décoré sur ses deux faces visibles, orné de draperies, et placé à l’intérieur d’une structure architecturale assez élaborée figurant le Temple. Tous les autres autels de ces verrières typologiques (il y en a trois autres dans la fenêtre n. XV, dans les panneaux 34 et 24) sont représentés de façon similaire, et se trouvent également à l’intérieur d’une structure architecturale, temple ou église. L’un d’eux est distingué comme étant un autel chrétien par la croix qui l’orne, le distinguant clairement de l’autel païen dont les Gentils sont

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ESG, 146 ; CVMA, 64. Le Chapitre 6 analyse cette question plus en détail.

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détournés par le Christ (n. XV, 34 ; figure 6), qui lui est orné de la statue d’un démon17. Ces représentations, très proches les unes des autres, semblent marquer la volonté des concepteurs et des artistes de signaler sans équivoque à ceux qui regardaient les vitraux qu’ils étaient en présence d’une scène décrivant une cérémonie religieuse ou se déroulant dans un sanctuaire, l’autel fonctionnant comme une métonymie de l’espace sacré. De même que les vêtements liturgiques signalaient la présence d’un personnage ayant une fonction religieuse, la présence d’un autel, peut-être l’élément le plus important du mobilier de l’église médiévale18 permettait ainsi de symboliser l’intérieur du sanctuaire de façon aisément reconnaissable. Une simple croix, rappelant celle qui était présente sur les autels des églises, différenciait le sanctuaire chrétien des autres lieux de culte, juif ou païen. L’autel du temple juif est quant à lui à deux reprises distingué par la présence de l’Arche d’Alliance (n. XV, 17 et Corona I, 32). La représentation du Saint des Saints du temple (I, 32) rappelle plus directement la description de la Bible (Ex. 25, 10-21), en partie grâce à la présence des deux chérubins derrière l’autel. Le caractère plus abstrait de la relation typologique entre cet épisode de l’Ancien Testament et l’Ascension du Christ (Corona I, 37) nécessitait peut-être une explicitation visuelle plus détaillée que dans la scène de n. XV. La présentation de Samuel au Temple, en effet, apparaît comme étroitement liée à celle de la présentation de Jésus, et visuellement pratiquement identique. Par conséquent, la présence d’éléments supplémentaires pour signifier le Temple a donc pu paraître moins essentielle. L’identification d’un bâtiment comme une église est explicitée dans n. XV, 34 par la présence de fonts baptismaux qui, ajoutés à la croix et à l’autel, parachèvent la description du sanctuaire chrétien par opposition au temple païen dont le Christ détourne les Gentils. La liturgie, parce qu’elle employait des éléments qui lui étaient propres, au niveau des vêtements et des objets utilisés, offrait un vaste

M.H. Caviness décrit la croix comme étant tenue par le Christ (CVMA, 92) ; il me semble plus probable que la croix est en fait placée sur ou juste derrière l’autel, faisant ainsi pendant symétriquement à l’autel où se dresse l’idole païenne. La main du Christ désigne simplement l’intérieur du sanctuaire vers lequel se dirige le groupe des Gentils. 18 Il s’agissait en tout cas d’un élément qui, depuis le VIIe siècle et la multiplication des célébrations eucharistiques, était présent en nombreux exemplaires dans le sanctuaire, Gervais citant dix-sept autels dans l’église haute (chœur et nef) de Christ Church (OH, 10-16). 17



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répertoire d’images somptueuses faciles à réutiliser ; elle pouvait constituer pour les artistes une source d’inspiration facile d’accès. L’inclusion de ces objets distinctifs bien connus de tous, religieux ou laïcs – autels, vêtements liturgiques, croix, voire simplement un livre – permettait aux artistes d’indiquer, de façon claire et lisible, le contexte religieux dans lequel la scène était censée se dérouler. La présence d’un objet à fonction liturgique désignait clairement soit un personnage ecclésiastique, soit l’inclusion de la scène dans un bâtiment religieux. Les liens qui existaient entre les objets représentés et les objets employés lors des célébrations apparaissent cependant ténus : il ne semble pas en effet qu’il y ait eu copie directe d’objets ou de vêtements réels. Plus qu’un désir de reproduire avec exactitude ce que les artistes voyaient autour d’eux, ces images semblent traduire une intention de représenter le sacré. La liturgie et ses ornements étaient en effet les marques les plus visibles – et probablement les mieux connues de tous – du rituel. La ressemblance observée dans la représentation des trois archevêques de Canterbury souligne d’ailleurs bien cette intention. Les situations liturgiques comme principe unificateur Les échos visuels qui sont instaurés entre les différentes parties du programme par le biais de la représentation de vêtements, objets et situations liturgiques permettent de donner sens aux événements représentés. Cette relation spéculaire entre les célébrations se déroulant dans le chœur et les images était complétée par le rôle joué par les représentations d’actions liturgiques. Plusieurs types de cérémonies peuvent être identifiés. Tout d’abord, on remarque que certains sacrements furent illustrés, au premier rang desquels l’eucharistie, suivie de l’ordination et de l’absolution. Les autres actions qui prenaient place pendant la célébration de la liturgie et dont on trouve des représentations dans les panneaux des verrières sont la prédication, la prière, la lecture et la procession. Enfin, la cérémonie paraliturgique du mandatum (lavement des pieds le Jeudi saint) était décrite dans la verrière n. VIII (11). L’inclusion de ces cérémonies dans le programme iconographique me semble hautement représentative des intentions des concepteurs des vitraux, et l’analyse de la façon dont elles interviennent dans le déroulement du programme est à cet égard révélatrice. Les sacrements comptaient parmi les actions liturgiques les plus importantes. Dans une cathédrale desservie par une communauté monastique, le sacrement le plus fréquemment célébré était sans con

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teste celui de l’eucharistie. Outre la messe conventuelle et la messe du matin, l’immense majorité des moines consacraient une part non négligeable de leur journée à la récitation de messes privées et votives. La Regularis Concordia leur imposait par ailleurs de communier une fois par jour19. Cependant, ce sacrement n’est que peu représenté dans les verrières, en tant qu’action liturgique ; mais il était, semblet-il, représenté plusieurs fois dans le cycle hagiographique. De nombreux panneaux ont disparu, et certaines scènes furent reconstruites au XIXe et au XXe siècle sans qu’aucune source ne permette d’affirmer que ces reconstitutions étaient authentiques, ce qui rend la comparaison difficile20. A partir des titres et des inscriptions copiés dans les trois manuscrits médiévaux, et de la reconstitution du programme proposée par Madeline Caviness, il est toutefois possible d’avancer quelques hypothèses quant à la fonction que de telles scènes pouvaient avoir dans l’économie générale du programme. Dans le cycle typologique, la célébration eucharistique est naturellement absente ; elle est en revanche évoquée plusieurs fois à travers la représentation des événements qui l’ont instituée et préfigurée. Certaines des scènes des verrières bibliques peuvent être interprétées comme des préfigurations de ce sacrement. Ainsi, la Cène, qui est à l’origine de l’eucharistie, était représentée dans la première verrière du cycle de la Passion (s. IV, 2). Le Miracle de Cana était, depuis les Pères de l’Église, habituellement compris comme un type de l’Eucharistie ; c’est ainsi que cet épisode est interprété par saint Cyprien ou par Tertullien21, et la représentation traditionnelle de cet épisode rappelle fortement celle de la Cène : une table derrière laquelle des personnages, dont le Christ, sont installés (n. XIII, 5). Ces représentations permettaient d’appréhender les relations établies entre les épisodes de la vie du Christ et leurs préfigurations. L’ordination, très importante, surtout dans une église cathédrale, où l’archevêque ordonnait les prêtres de son diocèse, devait avoir fréquemment lieu à Canterbury. Cela était d’autant plus vrai à Christ Church, où les évêques suffragants de la province de Canterbury venaient pour être consacrés par l’archevêque, et où la cérémonie

Regularis Concordia, § 23. Le panneau de la vie de saint Dunstan où l’archevêque ordonne un prêtre a été reconstitué au début du XXe siècle, et son iconographie ne semble pas être authentique, CVMA, 68. 21 J. Daniélou, 282 et 299. 19 20



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revêtait une magnificence particulière22. Il est probable que les verrières consacrées à la vie de saint Dunstan et de saint Alphège, ainsi que les verrières de saint Grégoire et de saint Martin comprenaient un panneau représentant l’ordination de ces prélats. L’ordination constituait en effet une des étapes les plus importantes dans la carrière d’un homme d’Église, et l’on ne pouvait manquer de l’inclure dans un cycle iconographique. Les calendriers de Christ Church montrent en effet que cet événement était considéré suffisamment important pour mériter une inscription parmi les fêtes de la cathédrale. Celle de saint Martin était même considérée comme une fête à douze leçons par les compilateurs des calendriers d’Arundel et de Tiberius, celles de Grégoire et de Dunstan recevant le grade II dans Tiberius. Le fait que ces fêtes ont probablement gagné en importance au cours du XIIe siècle est attesté par l’ajout d’entrées pour l’ordination de Grégoire, Dunstan et Alphège au XIIe siècle dans Arundel. Il est bien entendu difficile d’établir si ces entrées dans les calendriers se traduisaient par une inclusion dans les livres liturgiques ; mais elles témoignent néanmoins de l’existence d’une dévotion particulière pour ces quatre saints à Christ Church au XIIe siècle, car ce sont les seuls dont l’ordination soit mentionnée dans les calendriers, ainsi que d’une importance spéciale accordée à l’étape de l’ordination. Cette dévotion particulière à la cérémonie de l’ordination visible dans les calendriers est peut-être à mettre en relation d’une part avec la multiplication des messes, que seul un prêtre pouvait célébrer, et de l’autre avec les efforts de la hiérarchie ecclésiastique pour constituer le clergé en une classe à part, nettement distincte du reste de la société chrétienne23. La verrière de saint Grégoire incluait à l’origine un panneau où le saint était fait pape contre son gré (s. X, 4). Ce panneau représentait peut-être la consécration du pontife, mais l’inscription rapportée par les manuscrits semble plutôt faire référence au lieu où Grégoire s’était caché pour échapper à l’honneur qui lui était ainsi fait. Le texte des

Dans le Pontifical de Magdalen College, qui est peut-être un manuscrit de Canterbury, les cérémonies décrites en relation avec la consécration d’un évêque sont de loin les plus longues et les plus élaborées (The Pontifical of Magdalen College, édité par H.A. Wilson, HBS n° 39, London , 1910. Désormais Pontifical). 23 Tous les grands conciles de l’Église qui eurent lieu au XIIe siècle prirent des dispositions afin que le clergé soit clairement distingué du reste de la société, en particulier en ce qui concerne le style de vie des prêtres et des moines, leurs vêtements et leur comportement. Certaines de ces décisions furent spécifiquement promulguées en Angleterre, ainsi celles du concile de Latran I (1123), qui furent adoptées par le Concile de Westminster de 1125 (CS, I, 738-740). 22



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leçons pour la fête du saint dans le Bréviaire de Hyde Abbey rapporte cet épisode, et mentionne spécifiquement que le futur pape s’était caché dans une grotte pour échapper à la volonté du peuple romain24 ; c’était peut-être cette scène qui était représentée, plutôt que la cérémonie d’ordination à proprement parler. Un seul panneau représentait avec certitude une scène d’ordination dans le cycle typologique : il s’agit de la scène où le pape saint Grégoire le Grand ordonne des lecteurs (n. XIII, 23). La consécration d’Aaron et de ses fils, dans la verrière orientale (Corona I, 46 ; figure 7), était un type traditionnel de l’ordination presbytérale, et était peut-être conçue pour offrir un parallèle visuel avec les autres scènes d’ordination présentes dans le programme. Il semble en tout cas que les personnages recevant la consécration aux mains d’Abraham portent des vêtements et des insignes pouvant rappeler ceux des prélats chrétiens25. Le panneau est cependant très restauré, et les figures des deux fils d’Aaron ne sont peut-être pas authentiques26. Il semble cependant que leur caractère sacerdotal était souligné, par opposition aux laïcs assis au premier plan, par les vêtements et par le port d’une coiffe qui pouvait évoquer une mitre. Aaron était fréquemment assimilé à un évêque dans l’art chrétien médiéval, car il était une préfigure du Christ, grand prêtre de la Nouvelle Loi27. Les apôtres Pierre et Paul sont représentés donnant l’absolution à des pénitents (s. VIII, 40) et le Christ, dans la même verrière, donne l’absolution aux croyants (s. VIII, 42). Ces deux représentations furent utilisées comme types pour la parabole du Débiteur impitoyable (Matt. 18, 23-34), et encadraient la scène où le roi pardonne au débiteur et lui consent un délai. On peut imaginer que cette dernière scène montrait le roi en train d’absoudre le serviteur. La RB décrit l’abbé comme un type du Christ28, et ces deux scènes avaient peut-être pour fonction HA, f. 226. M. Caviness décrit la scène ainsi : « Moses (…) stands on the right on a dais and places the mitre on the head of Aaron who kneels before him. Behind Aaron, to the left, kneel his two sons. In the foreground in front of the dais are a number of apparently lay people sitting on the ground » (« Moïse se tient à droite sur une estrade; il pose une mitre sur la tête d’Aaron qui est agenouillé devant lui. Les deux fils d’Aaron sont agenouillés derrière lui, à gauche. Au premier plan, un certain nombre de personnages, apparemment des laïcs, sont assis par terre devant l’estrade », CVMA, 171). 26 CVMA, 171. 27 L. Réau, ii, 213. 28 « Christi enim agere vices in monasterio creditur, quando ipsius vocatur pronomine » (« on considère qu’il tient la place du Christ dans le monastère, puisqu’on utilise pour s’adresser à lui un nom donné au Christ »), RB, chap. 2. 24 25



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de rappeler les situations où l’abbé absolvait ou bénissait un moine ou la communauté dans son ensemble. La RB prévoit ainsi que tout moine s’étant absenté du monastère devait demander une bénédiction lors de son départ et lors de son retour29. Cette prescription fut reprise et étendue par Lanfranc dans les Constitutions, qui prévoyaient qu’un frère ayant commis une faute grave était absous et béni par l’abbé à la fin de sa période d’expiation30. Ces panneaux pouvaient donc avoir pour origine des cérémonies liturgiques ou paraliturgiques telles qu’elles se déroulaient dans le monastère. L’idée de transmission de la foi et des enseignements du Christ par la parole a pour fondement de nombreux épisodes des Évangiles : la vie publique du Christ est structurée essentiellement autour de ses discussions avec différents personnages. On trouve cette situation illustrée dans le panneau du Sermon sur la montagne (n. XIII, 15). Elle est également présente dans n. XIV (29, le Christ enfant parmi les Docteurs), n. XI (35, Jésus parle aux Apôtres ; 34 & 36, les Gentils écoutent et les Pharisiens refusent d’écouter) ; s. VIII (27, Isaïe prêchant ; 28, Jean Baptiste prêchant ; 20, Pierre prêchant), ainsi que peut-être dans une verrière hagiographique, celle de saint Étienne (saint Étienne débattant avec les Juifs, n. IX). Il semble donc que la transmission de la parole – de Dieu aux prophètes, de Jésus à ses disciples, des Apôtres aux Gentils et aux Juifs, des saints aux païens et aux Juifs – soit un des thèmes les plus importants des vitraux. La prédication occupait une place importante dans la liturgie, car c’était une action qui renvoyait à la mission confiée par le Christ aux Apôtres. Il faut par ailleurs se rappeler que Christ Church avait pour fondateur saint Augustin de Canterbury, un moine missionnaire, qui devait considérer la prédication comme une part essentielle de son ministère. La communauté de Christ Church, extrêmement consciente et fière de son héritage, ne pouvait manquer de vouloir mettre en valeur un tel lien avec son passé. La lecture de textes tirés des Écritures, d’homélies ou de sermons des Pères de l’Église, ou encore de passages des Vitae des saints occu-

Chap. 67. Pour saint Benoît, il semble qu’il s’agisse d’une sorte d’absolution pour les moines qui se sont absentés, quitter le monastère étant pratiquement assimilé à un péché : « ab omnibus petant orationem propter excessos, ne qui forte surripuerint in via visus aut uditus malae rei aut otiosi sermonis » (« ils demandent les prières de tous pour leurs fautes, au cas où ils se seraient laissés surprendre en chemin et auraient vu quelque chose néfaste ou entendu des propos oiseux »). 30 Constitutions, § 97 et 99-100. 29



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pait une part considérable des célébrations liturgiques, en particulier lors de l’office de matines, un des offices les plus importants de la journée liturgique. La lecture faisait par ailleurs partie des devoirs des moines selon la RB, et cette prescription avait été renforcée par les Constitutions de Lanfranc31. Les recueils de sermons occupent une place très importante dans la bibliothèque du monastère32. On peut imaginer que les livres consultés par les moines étaient en priorité des vies de saints, qui avait une grande valeur d’édification, parce qu’elles constituaient des exemples à suivre, en particulier les vies de saints moines, tels saint Martin ou saint Dunstan ; des commentaires patristiques sur l’Écriture ; ou les textes saints eux-mêmes. Cela semble être confirmé par les types d’ouvrages qui étaient présents dans la bibliothèque de Christ Church quand la liste en fut établie au XIVe siècle, où ces textes sont abondamment représentés. Activité liturgique ou paraliturgique, la lecture était ainsi au centre de la vie des moines, où elle faisait écho aux cérémonies liturgiques, qu’elle complétait ou expliquait. Elle prend ainsi naturellement une place importante dans les représentations iconographiques des vitraux. On trouve des personnages lisant dans plusieurs panneaux, notamment la scène de Jésus lisant à la synagogue (n. XIII, 22), qui est entourée de deux types ayant la lecture du texte sacré comme thème central : Ezra lisant la loi au peuple et l’ordination des lecteurs par saint Grégoire le Grand (n. XIII, 21 et 23). L’intérêt pour la littérature sermonnaire a laissé à Christ Church quelques traces dans les sujets choisis pour le programme iconographique. Ainsi, la présence de l’empereur Julien comme type pour la parabole du semeur (n. XI, 26) et le choix, unique au programme de cette cathédrale, de l’épisode de Drusiana secourant les pauvres (n. XII, 26-27), renvoient tous les deux à des sermons d’Ælfric d’Eynsham, le premier pour l’Assomption, le deuxième pour l’Assomption de saint Jean33. Ces détails permettent de comprendre comment la conception du programme des verrières fut influencée par les activités liturgiques et paraliturgiques des moines (lecture et prédication). On peut par ailleurs noter au passage qu’il existait probablement dans le monastère un intérêt soutenu pour le passé anglo-saxon de l’Église

RB, chapitre 48 ; Constitution, § 20. AL, n° 19, 43 ou encore 213. 33 Homélie XXX et Homélie IV, Ælfric’s Catholic Homilies. The First Series Text, édité par Peter Clemoes, Oxford, 1997, 429-438 et 206-216. R. Pfaff, 1984, 53-56. 31 32



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anglaise, même plus d’un siècle après la Conquêt normande, passé dont Ælfric était certainement un des représentants les plus prestigieux. La procession faisait partie intégrante des cérémonies liturgiques. De nombreuses célébrations incluaient le déplacement solennel de toute la communauté vers un autel dans la cathédrale ou même en dehors du sanctuaire. Les Constitutions de Lanfranc prescrivent des processions à de nombreuses reprises : pour la fête de la Purification de la Vierge, pour les Rameaux, pour les rogations, mais aussi chaque dimanche ou pour accueillir un visiteur34. De plus, des événements tels que les ordinations ou les enterrements comportaient également des processions. Une représentation d’un tel événement est donnée dans une des verrières hagiographiques de la Trinity Chapel. Le récit de la peste qui frappa la maisonnée de Jordan FitzEisulf (n. II, 9 à 21) s’ouvre par la description de l’enterrement d’un des membres de cette maisonnée. La procession qui emmène solennellement le cercueil est précédée par un prêtre en habits liturgiques portant un livre et un aspersoir. S’il ne s’agit effectivement pas d’une occurrence typiquement monastique, il est néanmoins possible que les processions de la communauté aient pu inspirer la représentation de cette scène. Parmi les cérémonies qui ne faisaient partie ni de la célébration de l’eucharistie, ni de la récitation de l’office, on note en particulier le lavement des pieds. Cette cérémonie n’avait pas nécessairement lieu dans l’église elle-même, mais en général dans une autre partie du monastère. Toutefois, parce qu’elle imitait exactement des actions exécutées par le Christ, et parce qu’elle était codifiée, non seulement dans les coutumiers, mais aussi par les livres liturgiques35, elle peut être rapprochée des actions liturgiques à proprement parler. À Christ Church, il s’agissait d’une étape importante de la célébration de la Semaine Sainte. Ainsi, la cérémonie, appelée mandatum, est décrite dans la Regularis Concordia. Elle fait également partie des prescriptions de l’archevêque Lanfranc dans ses Constitutions, qui précisent qu’elle devait se dérouler dans le cloître36. Dans les vitraux, cette cérémonie

Constitutions, § 17, 25, 75, 105. La cérémonie est décrite par HA, au folio 93. 36 Regularis Concordia, 40. Constitutions, § 32 et 33-39. « The account of the twofold Mandatum that follows is more detailed than any of the earlier sources » (« la description du double mandatum qui suit est plus détaillée que dans toutes les sources plus anciennes »), Constitutions, 32, n. 162. 34 35



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fait l’objet de plusieurs représentations. On en trouvait en effet une illustration dans une scène dans la fenêtre décrivant les événements du Jeudi Saint (s. XIV, 18), deux scènes de lavement des pieds tirés de la Bible encadraient cet épisode (s. XIV, 15 et 16) ; une autre avec Marie-Madeleine (n. XII, 27) ; et pour finir, une scène se déroulant dans un contexte monastique est employée comme type dans n. VIII (11). Aucun de ces panneaux ne nous est parvenu, mais il est possible d’imaginer qu’ils s’inspiraient tous de la cérémonie du mandatum telle qu’elle était pratiquée à Christ Church pendant la Semaine Sainte, en particulier celui représentant des moines. Une fois de plus, l’influence d’un texte liturgique majeur pour Christ Church est perceptible dans l’inscription de la dernière scène, n. VIII, 11. Alors que le titre donné dans les manuscrits laisse supposer que la scène représentait des moines lavant les pieds des pauvres (« Monachi lavant pedes pauperum »), le titulus copié est : Hoc informantur exemplo qui monachantur Ne dedignentur peregrinis si famulentur37.

Le panneau ayant disparu, il n’est pas possible de savoir comment la scène était représentée. L’utilisation du terme inhabituel de « peregrinis », qui ne se trouve pas dans les Constitutions de Lanfranc38, ne peut s’expliquer que par une référence au texte du coutumier anglosaxon. La Regularis Concordia prescrivait en effet que les moines devaient laver les pieds des pèlerins qui se présentaient à la porte du monastère :  De cetero, superuenientibus peregrinis pauperibus abbas cum fratribus quos elegerit, secundum regulae praeceptum, Mandati exhibeat 39.

Ainsi les textes liturgiques ou paraliturgiques pouvaient servir de sources directes pour les représentations typologiques. La référence très précise au texte de la Regularis Concordia laisse à penser qu’il s’agissait d’un texte que les moines consultaient volontiers, ce qui indique que les textes de l’Église anglo-saxonne jouissaient encore d’une certaine considération à Christ Church à la fin du XIIe siècle.

37 « Par cet exemple, ceux qui sont moines apprennent qu’il ne faut pas dédaigner de s’occuper des voyageurs ». 38 Qui ne mentionnent que des « pauperes », Constitutions, 48. 39 « De plus, quand de pauvres étrangers se présentent, l’abbé et ceux des frères qu’il désignera devront exécuter le mandatum pour eux, selon le précepte de la Règle », Regularis Concordia, 62.



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Ainsi, les situations liturgiques courantes, telles que la prédication, la lecture, la prière ou encore les processions, trouvèrent toutes une illustration dans les verrières du chœur et de la Trinity Chapel. On remarque que, en ce qui concerne les actions liturgiques les plus importantes, deux types distincts de représentations furent inclus dans le programme. D’une part, l’épisode biblique ou évangélique préfigurant et instaurant l’action liturgique était représenté dans le programme ; ainsi la consécration d’Aaron et de ses fils qui préfigurait la liturgie de l’ordination des prêtres chrétiens ; ou encore la Cène qui instaurait la célébration eucharistique. D’autre part, des exemples contemporains (ou du moins appartenant à une époque récente de l’histoire au moment où les vitraux furent réalisés) de ces actions figuraient dans les vies des saints, et à quelques occasions dans les verrières typologiques également. Ces représentations établissaient une continuité entre les différentes époques de l’histoire, permettant de mettre en évidence le plan divin pour la Création. Les représentations iconographiques donnaient à voir l’origine des actions liturgiques qui se déroulaient dans la cathédrale lors des célébrations. En général, il semble que ce sont les événements qui annonçaient et entouraient la Passion du Christ qui furent représentés le plus généreusement dans les vitraux, à la fois en tant qu’événements historiques et en tant qu’actions liturgiques. Cela est peut-être dû au fait que ces événements constituaient la base des rites chrétiens, et qu’il était par conséquent essentiel de les représenter et de les rappeler constamment, comme cela était fait dans la liturgie de la messe. Cela est peut-être également dû au fait que les rituels de la Semaine Sainte étaient en grande partie des rituels d’imitation40, et qu’ils se prêtaient particulièrement bien à l’illustration narrative et iconographique. S’il est difficile de déterminer dans quelle mesure exactement la pratique de ces activités a pu influencer la représentation qui en est donnée par les verrières, l’inclusion de ces scènes dans le programme iconographique révèle la volonté des concepteurs de vitraux de présenter les fondements scripturaires de leurs activités quotidiennes. Le monachisme était ainsi présenté comme un reproduisant fidèlement les actions instaurées par le Christ dans les récits

40 J. Harper, 137. Une illustration de cette nature imitative des rituels de la Semaine Sainte est la dramatisation de certains épisodes (les « jeux liturgiques »), qui semble prendre de plus en plus d’ampleur dans la deuxième moitié du Moyen Âge, un point sur lequel je reviendrai dans le Chapitre 3.



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évangéliques, et les moines comme les héritiers de la tradition apostolique. La nature imitative et commémorative des rites liturgiques est ici fortement mise en relief. En les répétant dans les verrières des vies de saints, les concepteurs du programme ont souligné la continuité de la tradition de l’Église, ainsi que l’orthodoxie de leurs pratiques liturgiques. L’accent est donc fortement mis sur les notions d’héritage, de tradition et de continuité. La liturgie était une source d’inspiration pour les créateurs des vitraux, qui y trouvaient des modèles pour les scènes qu’ils voulaient représenter. Tout ce qui avait trait à la célébration liturgique pouvait ainsi être inséré, pratiquement tel quel, dans les images. C’est le cas par exemple des vêtements, des objets et des ornements qui étaient employés par les célébrants, et dont Christ Church était particulièrement riche. Il faut cependant remarquer que cette inspiration est relativement limitée : les objets et les vêtements reproduits dans les scènes typologiques ou hagiographiques ont davantage valeur de symboles que de témoins documentaires. Le but de ces représentations n’était pas de reproduire à l’identique ce qui avait lieu dans le sanctuaire, mais de signaler clairement au spectateur quel type de situation était le sujet de la représentation. On peut toutefois conclure également que ces représentations d’ecclésiastiques, qu’ils soient décrits en train de célébrer des cérémonies liturgiques ou non, remplissaient une fonction spéculaire. La liturgie qui se déroulait dans l’église était reflétée dans les vitraux ; les officiants pouvaient voir leurs actions reproduites pratiquement à l’identique dans les verrières qui les entouraient. Accomplies par le Christ, préfigurées par les actions des patriarches de l’Ancien Testament, répétées par les saints honorés par l’Église, en particulier par les saints archevêques, ces actions liturgiques renforçaient les liens qui existaient entre les différents moments de l’histoire sainte. Les sacrements représentés se trouvaient donc investis d’un fondement historique, ainsi que d’une légitimité théologique. Le programme iconographique permettait, à travers l’identification picturale des scènes testamentaires aux scènes contemporaines, d’unifier et d’harmonier l’histoire sainte, articulée autour du récit évangélique.



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2.2.  Organisation du programme : narrativité et structure La relation entre représentations iconographiques et liturgie n’est cependant pas uniquement d’ordre spéculaire. La question de l’organisation du programme est importante, car elle donne des indications précieuses sur l’orientation spirituelle et théologique que les concepteurs ont voulu donner aux représentations. De multiples façons, l’organisation du programme, à la fois dans son ensemble et dans ses détails, renvoie à la liturgie. L’ordre dans lequel les verrières se succèdent dans la cathédrale, ainsi que l’importance relative accordée à chacune des parties – typologique et hagiographique – rappelle ainsi le cycle des festivités de l’année liturgique, et l’organisation interne de certains vitraux est à rapprocher du déroulement de certaines cérémonies, en particulier l’office de matines. Procédés narratifs A l’échelle de verrières individuelles, on peut observer une grande similarité entre certaines célébrations liturgiques et les représentations. Cette ressemblance est remarquable en ce qui concerne les vitraux consacrés aux saints, où l’organisation interne du récit semble calquée sur l’office de matines, pendant lequel la Vita du saint commémoré ce jour-là était lue. Cet aspect purement narratif était un trait unique de cet office, qui ne se retrouve dans aucune autre célébration liturgique. Les épisodes de la vie du saint commémoré était lus chronologiquement, rapportant les événements principaux ayant jalonné le parcours de l’élu, de sa naissance au monde à sa réunion avec Dieu (sa natalitio, naissance à la vie éternelle). Des récits de miracles étaient souvent inclus dans cette narration. Plus la célébration était importante, plus le nombre de leçons (lectiones) lu pendant l’office était grand ; par conséquent le récit pouvait être extrêmement détaillé. Le même principe de narration en continu était employé dans les verrières hagiographiques, qui reprenaient également les événements majeurs de la vie des saints et certains miracles parmi les plus célèbres, et qui découpaient le récit en autant d’épisodes que la fenêtre comportait de panneaux. Comme le suggère Colette Manhès-Deremble à propos des verrières hagiographiques de la cathédrale de Chartres, il est possible que les Vies des saints, telles qu’elles étaient présentées dans les lectionnaires ou les bréviaires, ont pu fournir aux concepteurs des vitraux un modèle pour l’organisation des scènes : « Tou-



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jours répartis en leçons, ces récits destinés à l’office de matines ont pu offrir aux artistes un modèle de division en séquences narratives »41. On peut à plusieurs reprises noter une corrélation entre les épisodes sélectionnés pour les leçons de matines et ceux représentés dans les vitraux. Il paraît ainsi clair que la source littéraire pour la verrière de saint Grégoire, au moins pour certaines des scènes qui y étaient représentées, était une source liturgique. L’épisode dans lequel le Christ apparaît à Grégoire pendant qu’il lave les mains d’un pauvre (s. X, 1) ne fait en effet pas partie des vies de ce saint écrites par le moine de Whitby et par Bède, mais apparaissait en revanche dans une des leçons lues pendant l’office de matines le jour de la fête du saint dans le Bréviaire de Hyde Abbey42. Plusieurs autres épisodes lus à cette occasion semblent avoir été également représentés dans la verrière consacrée au pape : l’apparition du Christ après que le pape eut lavé les mains d’un pauvre, le miracle de l’hostie changée en doigt, saint Grégoire choisi comme pape en dépit de son refus43. Ces trois épisodes correspondent chacun à une leçon de l’office de matines : il s’agit des leçons vii (s. X, 4), viii (s. X, 1) et ix (s. X, 3). On peut cependant remarquer ici que l’ordre chronologique de ces épisodes tels qu’ils sont rapportés par la Vita du saint et par les leçons de matines, n’est pas strictement respecté par la narration du vitrail. Les sujets et les inscriptions donnés par CCAL et CCCC pour cette verrière correspondent parfois à des scènes qu’il aurait été bien difficile de représenter dans un seul panneau d’une fenêtre, ainsi l’apparition du Christ et la scène où Grégoire lave les mains du pauvre, bien qu’appartenant au même miracle, ont dû présenter des difficultés techniques certaines pour l’artiste chargé de les insérer dans le même panneau. Il est également possible que l’ordre des médaillons avait déjà subi des altérations quand ces deux manuscrits furent compilés aux XIIIe et XIVe siècles, ce qui expliquerait pourquoi les épisodes du vitrail ne suivent pas l’ordre de la Vita telle qu’elle était lue pendant matines. On peut aussi supposer qu’une seule de ces scènes était effectivement représentée dans le vitrail, mais que le compilateur du manuscrit, peut-être familier avec les lectures de l’office de matines dans lesquelles ces deux épisodes font partie d’une seule et même lectio, ait par mégarde ou par association d’idée, noté l’un à la suite de l’autre. Les manuscrits

C. Manhès-Deremble, 77. ESG, 141. 43 HA, f. 226-226v. et verrière s. X, 1 ; HA, f. 226v. et s. X, 3 ; HA, f. 226 et s. X, 4. 41 42



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sont parfois confus quant à l’ordre des scènes, et quant aux inscriptions, en particulier en ce qui concerne les verrières du côté sud du chœur, dont la verrière de saint Grégoire le Grand fait partie44. Il est plus difficile d’établir des parallèles entre la liturgie et les verrières pour les autres vies de saints. Saint Martin partageant son manteau avec un pauvre est un des épisodes les plus célèbres de la Vita de ce saint ; ce passage était habituellement inclus dans les leçons de matines le 11 novembre, et il était représenté dans n. X, 845. L’absence de témoignage quant au contenu des verrières consacrées à Jean et à Étienne ne permet pas de faire le même type de comparaison. Un médaillon provenant vraisemblablement de la fenêtre n. IX représente peut-être saint Étienne discutant avec les Juifs, une scène tirée de la vie du saint46. Une feuille manquante dans HA empêche malheureusement de vérifier si cet épisode était inclus dans les lectures de matines. Dans le bréviaire de Sarum, cependant, les leçons de l’office de saint Étienne sont beaucoup plus longues et très peu narratives : le thème dominant semble en effet être une célébration des vertus d’Étienne, le proto-martyr, en relation avec celles du Christ, plutôt qu’une relation fidèle des faits et gestes du saint47. La disparition complète des verrières de la vie de saint Thomas dans la Trinity Chapel ne permet pas non plus de faire la comparaison avec les textes liturgiques. Les verrières qui lui étaient consacrées en France à Chartres, Sens, Angers ou Coutances, suivent toutes un schéma iconographique différent, qui ne correspond pas aux textes liturgiques qui étaient utilisés à Christ Church48. Les lectiones qui étaient lues à l’abbaye de Hyde pour les offices de saint Dunstan et de saint Alphège49 ne permettent pas non plus de faire le même genre de comparaison que pour saint Grégoire et saint Martin. Le texte de ces offices, tel qu’il se trouve dans HA, ne rapporte pas les épisodes qui sont représentés dans les verrières consacrées à ces deux archevêques à Christ Church. Ces saints n’avaient pas à Winchester, le lieu d’origine de HA, la même importance qu’à Canterbu-

CVMA, 132-133, 138-139. HA, f. 375 et n. X, 8. Il s’agit d’un panneau très endommagé et très restauré au XIXe siècle. Les fragments authentiques permettent cependant d’affirmer qu’il s’agit bien de cette scène (CVMA, 127). 46 CVMA, 312. 47 Breviarium ad usum insignis ecclesiae sarum, 2 vols, F. Procter & C. Cordsworth, eds, 1882 (désormais SB), I, cxcviii-ccx. 48 C. Brisac, 1975, 221-231. 49 HA, f. 240 et f. 256. 44 45



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ry : les célébrations étaient certainement moins solennelles, et par conséquent moins longues et moins détaillées. Enfin, la tradition littéraire relative à Dunstan et à Alphège était certainement plus riche à Christ Church qu’à Hyde Abbey, et offrait un plus grand choix d’épisodes qui pouvaient être inclus dans les vitraux. SB est encore plus limité en ce qui concerne ces deux saints : l’office de matines pour Dunstan n’a que six leçons (il s’agit d’un bréviaire cathédral et non monastique) et saint Alphège n’est commémoré que par un office du commun des saints. Il faut noter qu’à l’époque où SB fut compilé (l’édition utilisée ici reproduit l’édition de 1531), la dévotion à Dunstan et Alphège, pour autant qu’elle ait jamais été très répandue en dehors de Canterbury, avait pu faiblir. Les Vies rédigées par Eadmer et Osbern, deux membres de la communauté, étaient vraisemblablement facilement accessibles dans la bibliothèque du monastère et constituaient certainement les sources principales pour les lectiones de matines50. D’après M. Caviness, sur les neuf panneaux encore visibles aujourd’hui pour les vies de ces deux saints, huit ont pour source les Vitae d’Osbern et d’Eadmer. Certains, tels que le Miracle de Calne ou encore la vision du roi Edwy, ne sont présents que dans la vie rédigée par Osbern51. Ils reflètent donc la tradition hagiographique propre à Christ Church et montrent bien que ce sont les textes locaux qui ont été mis à contribution pour le choix des sujets. Il semble par conséquent possible de dire qu’en ce qui concerne les verrières de saint Dunstan et de saint Alphège au moins, la liturgie de la cathédrale a donné forme à l’iconographie : les textes des offices ont pu fournir non seulement les sujets à représenter, mais également le format de la narration des verrières hagiographiques. Les textes liturgiques étaient répétés année après année, avec parfois des modifications ou des ajouts mineurs lors des fêtes les plus importantes dans la vie du monastère. Ces mêmes textes, en particulier les vies de saints, faisaient probablement également partie de ceux que les moines pouvaient emprunter chaque année afin de les lire et de les méditer, ou encore qui étaient utilisés dans l’école du monas-

AL a, au numéro 257, un recueil daté du début du XIIe siècle par Ker (Cambridge Corpus Christi College MS 371) et intitulé Sermo Edmeri Cantoris qui contient entre autres une Vita sancti Dunstani et miracula eius. Londres, BL Arundel MS 16, un manuscrit du XIIe siècle identifié par N. Ker comme provenant de Christ Church (1964, 35), contient une copie de la Vita sancti Dunstani par Osbern. Ces textes étaient donc encore bien connus et en circulation à Christ Church peu de temps avant la conception du programme. 51 Nt. X, 5 ; Nt. XI, 9. ESG, 145. 50



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tère pour apprendre aux jeunes moines à lire ou pour enseigner aux novices les épisodes les plus importants de l’histoire sainte et pour leur proposer des modèles de conduite. Les vies de saints moines tels que Martin ou Dunstan ne pouvaient en effet manquer d’être proposées comme des exemples à suivre. Les Vitae figurent de façon très visible dans le catalogue des livres de la bibliothèque dressé au XIVe siècle. La Bible, les Évangiles, les vies des saints étaient donc des textes bien connus, que la plupart des moines savaient probablement par cœur. Ces textes pouvaient ainsi fournir aux concepteurs des verrières une source facilement accessible à la fois pour les sujets représentés et pour la façon de les représenter. L’importance liturgique accordée à un saint n’a cependant peutêtre pas été le seul facteur déterminant pour son inclusion dans le programme iconographique des vitraux. D’autres éléments ont pu conditionner les choix des concepteurs. Ainsi, on peut noter la volonté de reproduire dans la nouvelle cathédrale la même disposition pour les autels que dans l’église normande, une volonté soulignée par Gervais dans son récit de la reconstruction. Le chroniqueur donne trois descriptions de la cathédrale : il cite le texte d’Eadmer décrivant la cathédrale anglo-saxonne détruite en 106752 ; une description de la cathédrale normande, dont la reconstruction fut commencée sous le pontificat d’Anselme et qui fut achevée vers 1130 ; et finalement il détaille les étapes du chantier de la nouvelle cathédrale vers la fin du XIIe siècle. Le propos de Gervais semble bien être d’insister sur la tradition et la continuité, en particulier en ce qui concerne la localisation des autels et des reliques dans les trois bâtiments successifs. En l’absence de source primaire directe (lectionnaire ou bréviaire) pour la liturgie de Christ Church au XIIe siècle, il demeure difficile de mesurer avec exactitude l’influence que des pratiques liturgiques et dévotionnelles bien établies ont pu avoir sur le choix des sujets. Dans son étude sur les vitraux de Chartres, Colette Manhès-Deremble conclut que, dans cette cathédrale, « rares sont les vitraux pour lesquels les lectionnaires liturgiques locaux ont été une source directe et précise d’inspiration »53, et il semble bien que cela ait été le cas pour les verrières de Christ Church. Il est probable qu’à Canterbury non plus les textes liturgiques n’ont pas constitué un répertoire dans lequel les artistes et les concepteurs ont pu trouver des cycles et des narra-

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OH, 7-9. C. Manhès-Deremble, 77.

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tions tout faits. Il semble qu’ils ont plutôt fourni une sorte de toile de fond pour la création du programme, informant les modes de pensée des moines, et leur permettant ainsi d’adapter au mode pictural des récits hagiographiques. La similarité remarquée plus haut entre, d’une part, le texte de l’office de matines et les inscriptions des panneaux de la vie de saint Grégoire le Grand, et d’autre part, entre le découpage du texte de la Vita en leçons et le découpage de la verrière en panneaux, indique dans quels domaines la liturgie semble avoir exercé son influence. Le choix délibéré de mettre en valeur les saints locaux – Dunstan, Alphège, Thomas Becket – dénote une volonté de signaler la spécificité de Christ Church et de sa communauté, et de célébrer l’héritage de la cathédrale. Structure du programme Cette importance des saints locaux est un des facteurs les plus déterminants pour la structure générale du programme iconographique du chœur et de la Trinity Chapel. On peut ainsi noter que la place qui leur est consacrée dans l’iconographie reflète la place qu’ils tenaient dans le calendrier liturgique de la cathédrale. Cela tendrait à montrer que les choix faits par la communauté en ce qui concerne les représentations dénotent une intention délibérée quant à l’image que les moines entendaient projeter d’eux-mêmes et de leur église : liturgie et iconographie furent utilisées en conjonction par les moines pour célébrer leur héritage et l’histoire de Christ Church. Trois des saints les plus importants pour la communauté, saint Dunstan, saint Alphège, et surtout saint Thomas Becket, reçurent un traitement particulièrement somptueux dans les vitraux. Si l’on prend en compte la seule étendue physique des cycles leur étant consacrés, on ne peut douter un seul instant que les moines leur accordaient une importance supérieure à celle donnée aux autres saints représentés. Les saints archevêques étaient placés sur un plan spécial dans l’iconographie : douze verrières pour saint Thomas dans la Trinity Chapel, alors que les cycles iconographiques consacrés à Dunstan et à Alphège, aujourd’hui fortement réduits, occupaient peut-être à l’origine plusieurs verrières du déambulatoire du chœur54. Cette importance spatiale tient, en partie du moins, probablement au fait que « pendant la première moitié du XIe siècle, [Dunstan et Alphège] devinrent l’objet

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CVMA, 64; M. Budny & T. Graham, 57.

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de fêtes qui en faisaient les égaux du pape Grégoire le Grand »55. Les calendriers de la cathédrale montrent même que le degré de solennité accordé aux fêtes associées avec les deux archevêques était supérieur à celui de la passio ou de l’ordinatio de saint Grégoire le Grand, un des saints les plus vénérés par l’Église anglo-saxonne56. D’après les calendriers, saint Dunstan était commémoré à Christ Church par deux fêtes, qui étaient distinguées comme étant des célébrations de première importance. Dans le calendrier de Tiberius, qui est le calendrier qui donne le plus de détails quant au degré de solennité réservé aux célébrations, le 19 mai (passio) est distingué par un III, ce qui met cette fête sur le même plan que des célébrations telles que l’Assomption de la Vierge le 15 août ou encore Noël. La commémoration est suivie de la célébration d’une octave, le 25 mai, distinction qui n’est accordée qu’aux fêtes principales. La fête de l’ordination du saint le 21 octobre est une célébration recevant la même solennité que la passio de saint Benoît, celle de saint Grégoire ou encore celle de saint Augustin de Canterbury. Pour sa part, saint Alphège est honoré dans Tiberius par trois célébrations : passio le 19 avril, ordinatio le 16 novembre, et translatio le 8 juin. La passio est signalée comme étant une fête de solennité III, de même que la fête principale de saint Dunstan ; l’ordinatio est mise sur le même niveau que celle de saint Dunstan ; et la fête de la translatio – commémorant la translation des reliques du saint de Londres à Canterbury en 1023 – est une fête in albis. Dans ce calendrier, seules six fêtes sont distinguées par un III, c’est-à-dire le degré le plus haut accordé par le compilateur du calendrier57 : Noël, l’Assomption, l’Annonciation, et la passio de trois saints : Dunstan, Alphège et Thomas Becket. L’importance de Dunstan et Alphège dans la liturgie de la cathédrale semble bien se retrouver dans la place qui leur fut accordée dans le programme iconographique. Saint Thomas Becket, le saint principal de la cathédrale, dont les reliques étaient à l’origine de nombreux miracles, et un des saints les plus vénérés de l’Occident chrétien, reçut également une place de choix dans les verrières de la cathédrale : de même que les recueils de miracles compilés dès sa mort comptent parmi les plus importants

M. Budny & T. Graham, 57. V. Ortenberg , 1987, 218. 57 Pour le système de gradation des fêtes par le compilateur de Tiberius, voir Chapitre 1. 55 56



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jamais consacrés à des miracles58, le cycle hagiographique de la Trinity Chapel de la cathédrale présentait une ampleur rarement égalée. Seul cycle consacré aux miracles du saint59, il comprenait en effet à l’origine au moins neuf verrières. Cette importance, associée à la place qui était faite dans la Trinity Chapel au tombeau contenant les reliques, met la vie et les miracles du saint martyr pratiquement sur le même plan, en termes d’impact visuel, que le cycle typologique. Les cycles consacrés à Dunstan, Alphège et Thomas Becket se distinguent non seulement par leur taille, mais surtout par leur situation spatiale dans l’église : il s’agit des trois seuls cycles hagiographiques qui étaient vraisemblablement visibles depuis le chœur des moines et depuis le maître-autel, ce qui plaçait ces représentations sur le même plan que les cycles bibliques et généalogiques. Dans la liturgie, les célébrations associées avec saint Thomas Becket étaient à la fin du XIIe siècle au nombre de deux : outre le martyre de l’archevêque le 29 décembre, on célébrait son retour à Canterbury le 2 décembre. Cette dernière commémoration ne semble pas avoir été mentionnée dans les calendriers de la cathédrale au XIIe et au XIIIe siècle60, mais une longue notice relative à cette commémoration apparaît dans le martyrologe un peu plus tardif de BL Arundel MS 6861. La fête du 29 décembre est signalée comme appartenant au groupe des célébrations les plus solennelles par Tiberius (Passio sancti Thome martiris. III), mais n’est qu’une fête à douze leçons dans Arundel, où elle fut vraisemblable-

R.W. Southern, 1985, 14. Le tout premier récit de l’assassinat du prélat, celui rédigé par Jean de Salisbury dans une lettre envoyé à l’évêque de Poitiers dans les semaines suivant l’assassinat de Becket, ne comporte pas de récit de miracles particuliers, même si il relate que des événements prodigieux ont commencé à se produire à Canterbury (The Letters of John of Salisbury, ii, Oxford, 1979, 724-739, désormais Letters). L’incident frappa les imaginations, et de nombreuses Vitae furent rédigées, dans un laps de temps très court. Outre celui de Jean, qui servit de base à la liturgie de la fête du 29 décembre, trois autres récits étaient probablement disponibles à Christ Church : celui de Herbert de Bosham, et les deux recueils de miracles les plus importants, compilés par les deux moines de Christ Church, Benoît et Guillaume, qui se lancent respectivement dans la rédaction en 1171-1173 et 11721174 (ESG, 143), après avoir reçu en rêve une visite du martyr les exhortant à accomplir cette tâche (Guillaume de Canterbury, Materials, i, 2 et Benoît de Peterborough, Materials, ii, 27). 59 ESG, 148. 60 L’entrée « regressio Sancti Thomae » qui apparaît dans Arundel et Tiberius est dans les deux cas une addition du XVe siècle (F. Wormald, 1934, 181 et 1939, 79). 61 The Martiloge in Englysshe, édité par Procter et Dewick, 1893, 291. Le texte des martyrologes ne peut cependant pas être considéré comme un texte liturgique à proprement parler, car il n’était utilisé qu’au chapitre, et non pendant les célébrations liturgiques qui avaient lieu dans l’église. 58



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ment ajoutée peu de temps après l’événement62. Le premier quart du XIIIe siècle vit l’ajout d’une troisième fête, au moins aussi solennelle que celle commémorant le martyre, la fête de la translation des reliques du saint, qui eut lieu le 7 juillet 1220. Les deux calendriers les plus complets furent tous les deux amendés en conséquence de la création de cette nouvelle fête : elle fut entrée dans Tiberius au XIIIe siècle et dans Arundel au XVe, ce qui témoigne de leur usage continu63. Les autres saints représentés dans les verrières sont également éminents dans la liturgie de Christ Church. Ainsi, saint Grégoire le Grand, saint Martin, saint Étienne et saint Jean l’Évangéliste sont tous les quatre honorés par plusieurs célébrations pendant l’année, et il semble que la place accordée à ces saints reflète l’importance que leur donnait la liturgie. La fête la plus importante était incontestablement celle de la passio, qui célébrait la naissance du saint à la vie éternelle. Arundel signale que ces fêtes sont à célébrer in cappis, et Tiberius leur donne le rang de II. De plus, quatre des calendriers mentionnent la célébration de l’octave de ces fêtes (Arundel, Oxford, Eadwine et Tiberius). La célébration de l’octave était réservée aux fêtes les plus importantes du calendrier, ainsi celles de l’Épiphanie, l’Assomption, ou encore parmi les saints, sainte Agnès ou saint André64. En ce qui concerne saint Laurent, dont la vie était peut-être représentée dans une des verrières du chœur (s. XIII)65, une seule célébration lui était consacrée, celle de la passio le 10 août. Contrairement aux fêtes des quatre autres saints, elle n’était pas célébrée in cappis, mais in albis (Arundel et Tiberius), et elle était précédée par une vigile le 9 août (Arundel et Tiberius), et par une octave le 17 août. Saint Laurent était, comme la plupart des saints fortement associés avec la liturgie romaine et la conversion de l’Angleterre, un des saints les plus vénérés par l’Église

Il s’agit d’un ajout du XIIe siècle (F. Wormald, 1934, 181). Cette célébration ne nous concernera cependant pas ici, car elle eut lieu après la fin de la reconstruction de la cathédrale, et n’a donc pu influencer la conception du programme iconographique. 64 Il faut cependant remarquer que l’usage de marquer l’octave d’une fête semble devenir de plus en plus fréquent : les célébrations ainsi distinguées sont ainsi beaucoup plus nombreuses dans Tiberius que dans Oxford ; dans Arundel, la plupart des octaves sont des ajouts postérieurs à la rédaction initiale du calendrier. 65 M. Caviness propose également s. IX comme emplacement possible (CVMA, 313) ; mais j’ai accepté ici l’idée que l’autel dédié à saint Jean était surmonté d’une verrière lui étant consacrée, comme les autres autels du transept oriental. 62 63



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anglo-saxonne66. Gervais ne mentionne aucun autel dédié à ce saint dans la cathédrale, et son culte n’était peut-être pas très remarquable à Christ Church. L’association entre l’importance dévotionnelle et liturgique accordée à un saint et l’inclusion d’une verrière narrative de la Vita de ce saint est cependant loin d’être systématique. Ainsi, il ne semble pas que la Vierge ait reçu un traitement iconographique propre dans le programme original de l’église haute, en dépit de la dévotion spéciale qui lui était vouée en Angleterre en général et à Christ Church en particulier67.Trois saints, saint Pierre, saint André et sainte Marie Madeleine, comptaient au XIIe siècle parmi les plus importants de l’Église anglaise en général, et de Christ Church en particulier. Les célébrations qui leur étaient réservées étaient comparables en faste et en solennité à celles de saint Dunstan, saint Thomas Becket ou encore saint Grégoire le Grand, comme le montrent les calendriers. Cependant, aucun ne fut choisi pour être représenté dans les vitraux. La raison en est peut-être qu’aucun des trois n’avait de lien direct avec Christ Church, ni de place éminente dans l’histoire du monachisme, à l’inverse des saints représentés dans les verrières, à l’exception de saint Jean et de saint Étienne, qui semblent avoir été inclus en vertu du fait que leurs autels, qui étaient déjà présents dans la cathédrale normande, furent replacés à l’identique dans la nouvelle construction68. De plus, saint André avait sa propre chapelle, saint Pierre et saint Paul également69, et sainte Marie Madeleine, un autel dans la crypte, et il est possible que des représentations de ces saints avaient été placées à ces endroits ; il n’avait donc pas été jugé nécessaire de les inclure dans le programme iconographique du chœur. On peut encore voir aujourd’hui dans la chapelle dédiée à saint Pierre et à saint Paul un fragment de fresque représentant saint Paul, ce qui laisse à penser que saint Pierre était également l’objet sinon d’un cycle de peintures, du moins d’une représentation picturale70. Il semble donc

V. Ortenberg, 1987, 249-257. Il est possible que son culte, comme celui de saint Pierre, ait décliné après la Conquête normande. 67 D’après Eadmer, il y avait dans la partie est de l’église anglo-saxonne un autel consacré à la Vierge (OH, 8). Dans la cathédrale reconstruite sous Lanfranc et Anselme, cet autel fut déplacé dans le bas-côté nord (OH, 13), puis à nouveau dans la nef au début du XVe siècle jusqu’à la construction de la Lady Chapel en 1448 (Woodman, 182 et 193). 68 OH, 14 et 24. 69 La chapelle a depuis été renommée en l’honneur de saint Anselme. 70 E.W. Tristram, 1935, 13-14 et planche (entre pages 8 et 9) et 1944, 21-24 et planches 23 et 24. 66



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que l’inclusion des vies de saints Martin, Étienne, Jean et Grégoire le Grand dans le programme iconographique des verrières soit due davantage à la tradition qu’à une intention délibérée de la part des concepteurs et à l’influence des pratiques liturgiques. Le choix de Dunstan et d’Alphège, en plus de Thomas Becket, pour figurer dans les verrières, apparaît en revanche beaucoup plus significatif, et l’importance de ces trois saints pour la communauté est incontestablement reflétée dans la place qui leur était réservée dans la liturgie et dans l’iconographie. La présence de reliques a pu également exercer une certaine influence sur la place accordée à un saint particulier dans l’iconographie : les corps de saint Dunstan et de saint Alphège étaient présents dans la cathédrale et occupaient des places éminentes dans l’église, puisque les reliquaires, placés sur des poutres au travers du chœur au-dessus des autels consacrés aux saints, étaient bien visibles de tous71. Dans le cas de ces deux saints qui, jusqu’en 1173, étaient les deux saints les plus importants de Christ Church, il semble important de souligner ici qu’un désir de revendication faisait très certainement partie des intentions des concepteurs du programme iconographique. La possession des reliques de saint Dunstan était en effet contestée par l’abbaye de Glastonbury, où le saint avait été moine avant de devenir évêque de Worcester et Londres, puis archevêque de Canterbury72, et pour les moines de Christ Church, il était essentiel de montrer qu’ils possédaient bien les reliques authentiques du saint. Les reliques de saint Alphège, qui reposaient à l’origine à Saint Paul’s, à Londres, avaient pour leur part été transférées à Christ Church en 1023, au grand dam du clergé et des habitants de Londres73. Pour la communauté, la possession de ces reliques constituait donc un sujet de fierté, qu’il était nécessaire de mettre en avant. Les verrières hagiographiques empruntent non seulement certains de leurs sujets, mais aussi leur structure narrative en panneaux chronologiquement organisés aux leçons de l’office de matines du jour de la fête du saint représenté74. De la même façon, la structure du pro-

OH, 13. Voir Chapitre 1, n. 95. 73 A. Thacker, 240. 74 Les verrières des miracles de Thomas Becket font exception à cette structure : il semble que les miracles représentés aient été rassemblés par type de miracle plutôt qu’arrangés chronologiquement (CVMA, 158), reflétant en cela l’organisation des recueils de miracles (R.C. Finucane, 1995, 125). 71 72



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gramme dans son entier, alternant verrières à sujets bibliques et verrières à sujets hagiographiques, reflète, dans une certaine mesure, l’organisation de l’année liturgique. Le fait que les verrières des saints se succèdent, du nord au sud, dans le même ordre que les fêtes de ces saints apparaissent dans les calendriers de la cathédrale doit peut-être être attribué à une coïncidence plutôt qu’à un dessein délibéré des concepteurs du programme. Il a été vu que l’emplacement des autels dans le sanctuaire devait beaucoup à la tradition, et qu’ils furent replacés à l’identique à la fois après la destruction de 1067 et après celle de 117475. On ne peut cependant exclure tout à fait qu’à l’origine ces emplacements avaient été choisis de façon délibérée, afin de faire écho à la succession des célébrations . Il semble qu’en ce qui concerne les verrières typologiques, on ait affaire à une reproduction du cycle des célébrations liturgiques au cours de l’année, mais que l’intention ait été de donner à cette circularité une orientation spatiale autant que temporelle, à travers la représentation de scènes et de thèmes tirés de l’Apocalypse. Ainsi, les événements de la vie du Christ qui sont représentés dans ces verrières illustrent les trois grandes saisons de l’année chrétienne : Avent, Carême, Pâques jusqu’à la Pentecôte. Les trois premières verrières du cycle typologique (n. XVI, XV, XIV) étaient consacrées aux événements de l’Enfance du Christ : nativité, adoration des mages et des bergers, fuite en Égypte, Jésus parmi les docteurs, baptême. Ces épisodes correspondent au temps de l’Avent, jusqu’à l’Épiphanie, et au temps ordinaire qui intervient entre Noël et le Carême76. La lecture de l’évangile rapportant les événements précédant la naissance du Christ commençait en effet pendant la troisième semaine de l’Avent77. Suivaient sept verrières (n. XIII à s. XII) illustrant le ministère du Christ, c’est-à-dire les miracles et les paraboles ; cette partie du cycle peut être reliée à la saison liturgique du Carême78. Les deux dernières fenêtres typologiques du chœur (s. XIV et s. XV), auxquelles on peut

OH, 8-9, 14-15 et 24. Il y a deux exceptions à ce schéma : n. XIV, 8 et 11, qui représentent les tentations du Christ, interviennent dans le cycle avant les paraboles et les miracles, alors qu’au cours de l’année liturgique, le récit de ces épisodes prenait place le premier dimanche de Quadragésime. 77 HA, f. 12 ; SM, 19 ; SB, cxv. Les lectures de l’office de matines et celles de la messe pendant les premières semaines de l’Avent étaient essentiellement tirées du Livre d’Isaïe, qui annonce la venue du Messie. 78 HA, fols. 60v-93. 75 76



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ajouter la fenêtre axiale de la Corona (I), traitaient de la Passion, de la Résurrection, de l’Ascension et de la Pentecôte, terminant ainsi le cycle des épisodes de la vie du Christ, et faisant directement référence aux célébrations pascales. On peut ainsi remarquer que l’organisation spatiale du cycle typologique ainsi que celle des verrières généalogiques, remontant le long du côté nord du chœur pour revenir face à son point de départ au sud, forme pratiquement une boucle, ce qui rappelle la récurrence annuelle des célébrations liturgiques. Le programme des verrières typologiques des bas-côtés du chœur présente donc une structure circulaire qui s’inspire spatialement, de l’organisation chronologique des célébrations liturgiques. La circularité du programme est interrompue seulement par les deux fenêtres axiales, la verrière orientale de la Corona et la verrière orientale du clair étage79. Il faut ici noter qu’il n’est pas certain que les fenêtres de la Corona aient fait partie du plan initial. Il est en effet possible que les sujets prévus pour la dernière verrière du cycle typologique aient été transférés dans la fenêtre axiale de la Corona quand il fut décidé de construire cette dernière. Le fait que certains sujets reproduisent exactement ceux qui étaient déjà inclus dans la dernière verrière du programme biblique (s. XV)80 et que le contenu de la fenêtre orientale (I) semble résumer l’ensemble du programme plutôt que le développer ou le compléter, suggère que cette dernière fenêtre ne fut peut-être conçue qu’après coup81. Son inclusion dans le programme change considérablement l’organisation spatiale des sujets, car elle rompt la circularité créée dans le chœur, et donne une orientation toute différente au programme. Mais par ailleurs, il est incontestable que l’on a affaire ici à la représentation d’un parcours historique, celui de la vie terrestre du Christ. Cette linéarité narrative est encore soulignée par le cycle des ancêtres du Christ dans le clair étage, qui commençait avec la figure d’Adam dans la fenêtre la plus occidentale du côté nord du chœur (N. XXV), pour s’achever avec les figures de la Vierge et du Christ, dans la fenêtre opposée du côté sud (S. XXV). La mise en parallèle de la figure du Christ (S. XXV) avec celle d’Adam (N. XXV) met en valeur le dessein de Dieu dans l’histoire du monde : le Christ s’est sacrifié pour

Ces deux verrières ont malheureusement été numérotées de façon identique dans les volumes du CVMA, ce qui les rend quelque peu difficiles à distinguer. 80 Crucifixion ; inscription du Tau ; Samson à Gaza ; Jonas avalé par la baleine ; mise au tombeau ; Résurrection ; Jonas délivré. 81 CVMA, 158. 79



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racheter la faute d’Adam. Le paradoxe de la répétition annuelle des célébrations liturgiques est ainsi expliqué par l’attente créée par la mort et la résurrection du Christ : les croyants espèrent désormais en la deuxième venue du Christ, qui signalera la fin des temps. Tel qu’il paraît avoir été conçu à l’origine, le programme semble en effet insister sur le mystère de l’Incarnation et sur la Résurrection, c’est-à-dire sur la Rédemption de l’humanité par le sacrifice du Christ. L’ajout de la verrière orientale de la Corona, en relation avec la verrière axiale du clair étage, souligne le thème du Jugement Dernier et de la Seconde venue du Christ, et lui donne une place importante. Cette orientation temporelle des représentations est encore soulignée par la présence de la série des ancêtres du Christ au niveau du clair étage : la succession de figures bibliques met l’accent sur le plan divin pour la création. De même que la fenêtre orientale de la Corona modifie l’organisation spatiale du programme en rompant la circularité nord-sud qu’il avait à l’origine, la fenêtre axiale du clair étage oriente le programme vers une fin temporelle, celle du Jugement Dernier. Même si le cycle typologique culmine avec la représentation de la Passion, puis de l’Ascension, l’inclusion du Jugement Dernier donne un but temporel vers lequel tend tout le reste du programme, et lui donne un caractère téléologique et une dimension eschatologique : l’histoire sainte dans son entier semble tendre vers cette résolution ultime, et l’humanité est clairement présentée comme en attente de la Parousie. Le programme des douze verrières du chœur consacrées à la vie du Christ, tel qu’il était à l’origine prévu, semble donc avoir un schéma narratif linéaire et orienté temporellement. Cette progression conduit le spectateur autour du chœur des moines, du nord au sud, et le ramène pratiquement à son point de départ. Cette configuration spatiale fait écho au cycle des célébrations liturgiques, qui se répète année après année. L’ordre des verrières hagiographiques du transept (saint Martin, n. X ; saint Étienne, n. IX ; saint Jean, s. IX et saint Grégoire, s. X) reflète également l’ordre dans lequel ces saints étaient commémorés dans la liturgie, respectivement les 11 novembre, 26 et 27 décembre et 12 mars. Mais cet ordre n’est pas le seul écho de l’influence que la liturgie a pu exercer sur l’agencement du programme des vitraux de la cathédrale. Un autre élément permet de mesurer l’incidence de l’organisation de l’année liturgique sur la communauté et ses modes de pensées. Un manuscrit du XIIe siècle en provenance du scriptorium de Christ Church présente une organisation similaire à celle du programme

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iconographique. Ce manuscrit, aujourd’hui conservé à Cambridge (Trinity College, MS 11182), contient un ensemble de sermons composés par plusieurs Pères ou Docteurs de l’Église, tels Augustin, Eusèbe de Césarée ou encore Jérôme. Si l’on se fie à la liste établie au XIVe siècle, ces sermons étaient organisés à l’intérieur du manuscrit en fonction de l’année liturgique : les deux premiers textes sont en effet intitulés De aduentu domini ; suivent des sermons pour Noël (De Natiuitate domini), pour la saint Étienne, célébrée le 26 décembre (De Sancto Stephano), pour les Saints Innocents (28 décembre, De Herode et Infantibus), puis plusieurs pour Pâques, l’Ascension, la Pentecôte, la fête de saint Laurent (10 août), et la Nativité de la Vierge (8 septembre). Ces textes traitent donc des fêtes les plus importantes du calendrier liturgique (dont deux fêtes de saints qui étaient probablement représentés dans les vitraux) dans l’ordre même où elles étaient célébrées pendant l’année, intercalant fêtes christologiques et fêtes de saints. D’autres recueils de sermons mentionnés dans la liste du prieur Henry of Eastry adoptent la même organisation des textes suivant l’année liturgique, ainsi le n° 43 ou le n° 4483, et on ne peut totalement exclure que ce type d’ouvrage était présent en plus grand nombre à l’origine dans la bibliothèque du monastère. Ils se présentent comme une sélection des textes les plus appropriés ou les plus édifiants pour chacune des occasions citées. Ces manuscrits permettaient donc à qui les consultait de suivre l’ordre des célébrations pendant l’année, et de consulter des textes traitant des mêmes thèmes que ceux abordés pendant les cérémonies elles-mêmes. Ces ouvrages étaient peut-être utilisés pour préparer les célébrations liturgiques. Comme tous les livres conservés dans la bibliothèque, il n’est pas certain du tout qu’ils aient jamais servi pour la célébration de la liturgie ; il est plus probable qu’il s’agissait d’ouvrages que les moines pouvaient emprunter à l’année, et qui servaient de support à leur méditation personnelle. Le moine qui consultait un de ces manuscrits pouvait ainsi approfondir sa réflexion à propos des fêtes les plus importantes du calendrier. Mais, que ces recueils de sermons aient ou non été utilisés à des fins liturgiques, il n’en demeure pas moins qu’ils montrent l’influence que la liturgie pouvait avoir sur les modes de pensée des moines de Christ Church. L’organisation des recueils de sermons rappelle l’organisation spatiale du programme

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Il s’agit du n° 19 dans la liste d’Henry of Eastry (AL, 15). AL, 20-21.

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des vitraux et souligne les liens très forts qui existaient entre les différentes activités qui remplissaient la vie des moines de Christ Church. Les représentations iconographiques sont également une expression de ces liens, qui n’existaient pas uniquement au niveau du contenu des représentations, mais s’étendaient également à la forme donnée à l’ensemble de ces dernières. Le programme iconographique dépend donc étroitement de la liturgie, à la fois pour sa structure générale et pour l’organisation interne des verrières. Ces deux modes d’expression participent de la même lecture du monde, et de la même façon de représenter l’histoire du salut. L’importance des préfigures testamentaires, de leur réalisation à travers la venue et le sacrifice du Christ, et de leur actualisation dans les vies des saints, trouve une équivalence visuelle dans le programme, à l’échelle de verrières individuelles, mais également des différents cycles. Les échos visuels servent à tisser un réseau dense de relations entre les trois périodes de l’histoire sainte, légitimant au passage les pratiques liturgiques de la communauté. L’iconographie des vitraux de Christ Church a donc été influencée, au niveau le plus simple qui soit, c’est-à-dire celui des objets, personnages, ou situations représentés, par la liturgie qui se déroulait dans la cathédrale. La relation entre le déroulement temporel de l’année liturgique et l’organisation du programme iconographique apparaît également frappante. Il faut cependant prendre en compte le fait que les événements commémorés pendant les grandes saisons liturgiques de l’Avent, Carême et Pâques (jusqu’à la Pentecôte), sont incontestablement les épisodes les plus importants et les plus dignes de représentation. Le reste de l’année liturgique n’était guère aussi riche en fêtes christologiques, et par conséquent n’est pas représenté dans les vitraux, et la concordance entre programme iconographique et liturgie pourrait donc s’expliquer ainsi. L’iconographie et la liturgie honoraient et commémoraient toutes les deux les saints principaux de Christ Church de façon remarquable, dénotant l’intention de la communauté de célébrer et de mettre en avant son héritage historique. Iconographie et liturgie étaient donc pour les moines deux façons de marquer les mêmes événements importants du calendrier chrétien. Le programme, dont l’agencement spatial suivait l’organisation temporelle de l’année liturgique – qui réglait la vie des moines de la communauté – culminait avec la représentation dédoublée de la Crucifixion dans les fenêtres orientales du sanctuaire. Le thème central du sacrifice du Christ et ses relations eucharistiques trouvait

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de nombreux échos dans les verrières hagiographiques, notamment dans les vies des martyrs. Les liens théologiques établis entre le Christ et les saints, exprimés par la liturgie célébrée quotidiennement dans la cathédrale, trouvent ainsi une forme visuelle dans les verrières du chœur. Les correspondances établies entre les célébrations qui se déroulaient à l’intérieur du sanctuaire et la représentation de ces mêmes célébrations dans les vitraux, conféraient à l’espace dans lequel elles avaient lieu un caractère particulier.



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Dimensions rituelles des représentations

La liturgie, en particulier les textes utilisés pour les cérémonies, mais aussi les vêtements, objets et ornements associés aux célébrations, constituent un réservoir presque inépuisable de motifs, de sujets et de narrations pour l’iconographie. À Christ Church, il semble incontestable que les célébrations liturgiques ont servi aux concepteurs du programme des vitraux pour créer et organiser les représentations iconographiques. Liturgie et iconographie étaient donc étroitement liées, la première donnant forme et inspiration à la seconde. Mais il est légitime de se demander si la relation entre liturgie et images existait également dans l’autre sens : les représentations pouvaient-elles jouer un rôle dans les célébrations qui avaient lieu dans la cathédrale ? Cette question touche à un aspect des images médiévales particulièrement difficile à cerner, celui de leurs fonctions et de leurs usages. L’état actuel de la recherche suggère que les images entretenaient avec la société qui les produisait en général, et avec la liturgie en particulier1 des relations extrêmement complexes, qui relèvent à la fois de l’histoire de l’art, de l’histoire, de la liturgiologie, voire de l’anthropologie2. L’omniprésence des images dans la cathédrale amène en effet à poser la question de leur rôle dans la célébration des cérémonies. Staale Sinding-Larsen propose de distinguer deux fonctions principales pour l’iconographie religieuse chrétienne en relation avec la liturgie. La première de ces fonctions, qu’il appelle « formal function » (« fonction formelle »), recouvre tous les usages des images tels qu’ils sont prescrits par les textes liturgiques. Il s’agit par exemple de l’utilisation qui était faite du crucifix pendant la célébration de la messe,

Pour l’époque qui nous intéresse, la production d’images est essentiellement le fait des institutions religieuses, séculières ou régulières. Au XIIe siècle, les monastères sont encore les grands centres de production de l’image, même si le glissement vers la création d’images par et pour les laïcs, se fait de plus en plus sensible (T.A. Heslop, M. Gibson et al., 61). 2 Pour une introduction aux problèmes méthodologiques, on peut se reporter à l’étude de S. Sinding-Larsen, 1984. 1



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ou encore des usages des images lors des processions ou pendant le Carême, saison au cours de laquelle les images à l’intérieur de l’église étaient recouvertes d’un voile. Toutes les images présentes dans les églises n’avaient cependant pas de fonction rituelle formelle. La plupart des représentations remplissaient en effet ce que Sinding-Larsen décrit comme une « auxiliary function » (« fonction auxiliaire »). Ce terme recouvre tous les autres usages qui pouvaient être faits des images dans un contexte liturgique. Il cite par exemple leur rôle décoratif, ou encore leur fonction didactique, qu’il s’agisse de peintures ou de sculptures, d’images monumentales comme les vitraux ou au contraire minuscules comme les enluminures d’un manuscrit3. D’un point de vue méthodologique, cette distinction entre fonction formelle et fonction auxiliaire semble particulièrement pertinente et utile, et elle servira ici de point de départ pour l’étude des fonctions des vitraux de Christ Church dans la liturgie qui était célébrée dans la cathédrale, en lui apportant toutefois quelques nuances. Tout d’abord, toute image présente dans un contexte liturgique pouvait simultanément avoir une fonction formelle et une fonction auxiliaire – comme par exemple les crucifix richement décorés qui ornaient les autels des grandes églises ou les manuscrits liturgiques : ces représentations avaient à la fois une fonction prescrite par le rituel et une fonction purement décorative. Ensuite, les images pouvaient exercer ces deux fonctions de façon successive, ainsi, les images utilisées pour les processions n’avaient de fonction formelle que lors de la procession elle-même. Pour finir, ces fonctions pouvaient évoluer dans le temps ; Sinding-Larsen remarque que les images du crucifié des livres liturgiques perdirent peu à peu leur fonction formelle pendant la messe, et cette action fut remplacée par un baiser donné à l’autel4. Enfin, une grande partie des images présentes dans les églises ne possédait aucune fonction formelle. Il importe également de préciser que le terme de « fonction auxiliaire » n’implique aucun jugement quant à la valeur ou à l’importance artistique de telle ou telle représentation ; il s’agit d’un terme descriptif pour tenter d’expliquer la relation d’une image avec les rites liturgiques. Le terme de fonction auxiliaire ne désignera pas non plus une fonction secondaire ou superflue : il est essentiel de bien garder à l’esprit que la

S. Sinding-Larsen, Iconography and Ritual. A Study of Analytical Perspectives, Oslo, 1984, 2930. 4 S. Sinding-Larsen, 29. 3



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justification rituelle ou théologique donnée pour la présence des images à l’intérieur de l’église – même si elle intervient bien souvent a posteriori, entérinant une situation de fait – souligne à quel point les images étaient nécessaires à la bonne célébration de la liturgie. La relative pénurie de sources liturgiques en provenance directe de Christ Church (livres, objets ou commentaires) rend l’identification des fonctions formelles des images de l’église quelque peu difficile. Les fonctions auxiliaires, en revanche, peuvent être approchées, non seulement grâce à des sources contemporaines issues d’autres cathédrales ou monastères, mais également grâce aux images ellesmêmes. L’étude des ces fonctions auxiliaires permettra peut-être de déduire quelles dans quelle mesure et de quelles façons les images de la cathédrale participaient à la célébration de la liturgie. 3.1.  Orner le sanctuaire Au XIIe siècle, les images étaient omniprésentes à Christ Church : du dallage jusqu’aux voûtes, en passant par les livres liturgiques, les vêtements et les objets sacrés et, bien entendu, les vitraux5. Le problème du manque de sources en provenance de Christ Church se fait sentir de façon particulièrement aiguë en ce qui concerne les attitudes contemporaines vis-à-vis des images de la cathédrale. Aucun des chroniqueurs de la cathédrale ne semble particulièrement intéressé par une description détaillée des ornements ; il leur suffit la plupart du temps de mentionner que le décor de Christ Church était magnifique et sans égal. Ainsi, Guillaume de Malmesbury, écrivant vers 1120, décrit ainsi l’église reconstruite par Lanfranc et Anselme : nihil tale possit in Anglia videri in vitrearum fenestrarum luce, in marmorei pavimenti nitore, in diversicoloribus picturis6.

Le dallage du chœur et de la Trinity Chapel subsiste en partie, et a été décrit par N.E. Toke, 1930, 189-221 ; les peintures qui ornaient les murs des chapelles et les voûtes de la Trinity Chapel ont donné lieu à plusieurs analyses et reconstitutions : E.W. Tristram, 1935, 9-22, 1944 et 1950 ; et M.H. Caviness, 1974, 66-74. Les inventaires compilés et édités par J.Wickham Legg et W.H. St John Hope donnent une assez bonne idée des richesses accumulées au cours du temps. 6 « Nulle chose en Angleterre ne pouvait être comparée à l’éclat de ses fenêtres vitrées, à la beauté de son dallage de marbre, aux couleurs multiples de ses images », De Gestis Pontificum Anglorum, 138. 5



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Si cette description semble bien indiquer que la nouvelle construction était ornée de verrières et de peintures, il est impossible de se faire une idée plus précise du décor : les verrières étaient-elles historiées, ornées de motifs géométriques ou simplement colorées? Où les peintures étaient-elles situées ? Que représentaient-elles ? Gervais luimême, pourtant si fier de sa cathédrale7, se contente de remarques générales et superficielles quant aux ornements et au décor. Ainsi, même s’il ne mentionne pas moins de trois fois le plafond peint du chœur du prieur Conrad8 (qui avait déjà impressionné Guillaume de Malmesbury), la description qu’il fait de l’aspect du chœur de la cathédrale détruite en 1174 reste générale et peu détaillée :  ad cornua altaris orientalia erant duae columpnae ligneae auro et argento decenter ornatae, quae trabem magnam sustentabant, cujus trabis capita duorum pilariorum capitellis insidebant. Quae per transversum ecclesiae desuper altare trajecta, auro decorata, majestatem Domini, imaginem Sancti Dunstani, et Sancti Aelfegi, septem quoque scrinia auro et argento cooperta, et multorum sanctorum reliquiis referta sustentabat9.

Cette attitude presque désinvolte des chroniqueurs, si elle nous prive de renseignements précis sur les images qui étaient présentes à Christ Church au XIIe siècle, permet néanmoins de conclure que la présence de ces images était un fait acquis, qui ne demandait pas de justification élaborée de la part de la communauté. La justification des images intervient en effet généralement quand leur présence et leurs usages sont remis en cause. Ces descriptions indiquent cependant que, pour ces hommes, le fait que l’église soit décorée de façon somptueuse revêtait une importance toute particulière. Des ornements précieux Une conception esthétique souvent exprimée au Moyen Âge attachait la plus grande importance à l’aspect des différentes parties du sanctuaire, ainsi qu’aux matériaux employés pour sa réalisation et sa

À un point tel qu’il a été possible de suggérer qu’il fut responsable, en partie du moins, des travaux après l’accident de Guillaume de Sens, A. Gransden, 1972, 39. 8 OH, 3, 13 et 27. 9 « Aux deux coins orientaux de l’autel se trouvaient deux colonnes de bois, ornées avec grâce d’or et d’argent, qui soutenaient une grande poutre, dont les extrémités reposaient sur les chapiteaux de deux des piliers. Cette poutre, qui traversait l’église au-dessus de l’autel et qui était décorée d’or, portait la représentation du Seigneur, les images de saint Dunstan et de saint Alphège, de même que sept coffres couverts d’or et d’argent, remplis des reliques de divers saints », OH, 13. 7



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décoration : l’office divin devait être exécuté dans un environnement aussi splendide que possible. L’embellissement du sanctuaire, par la reconstruction, la réparation ou l’acquisition d’objets et de mobilier était du devoir de tout ecclésiastique, dans le but non seulement de faciliter la célébration de la liturgie mais surtout de la rendre encore plus glorieuse. C’était une conception largement répandue dans l’Église anglo-saxonne. Ainsi, Æthelwold, un des initiateurs de la réforme monastique du Xe siècle, fit présent à l’abbaye d’Abingdon d’objets qui tam usibus monachorum circa altare competentibus, quam decentiae ecclesiasticae competentibus10.

Si l’on en juge par les objets et les vêtements liturgiques richement ornés attribués à Lanfranc dans les inventaires de Christ Church, les prélats normands semblent avoir partagé cette conception11. Beaucoup de ces ornements précieux ont aujourd’hui disparu ; ainsi, la majorité des objets qui apparaissent sur l’inventaire de la sacristie de Christ Church pendant le priorat d’Henry of Eastry sont aujourd’hui perdus. Mais ceux qui nous sont parvenus, qu’il s’agisse de vêtements, de livres, de reliquaires, de croix, attestent suffisamment de l’abondance et de la richesse de la décoration des églises, en particulier les monastères et les grandes cathédrales. Même dans le cas d’églises plus humbles, les bâtiments eux-mêmes montrent assez que, pour les chrétiens du Moyen Âge, seuls les matériaux les plus chers et les compétences artisanales et artistiques les plus élevées avaient leur place dans la réalisation du sanctuaire12. Les vitraux participaient pleinement de cette fonction. Ils étaient en effet considérés comme des ornements somptueux qui embellissaient le sanctuaire, au même titre que les sculptures ou les objets précieux utilisés pour les rituels. Les vitraux peints, tels qu’ils apparaissent à Christ Church à la fin du XIIe siècle, n’étaient pas à l’époque une invention récente. Des fragments de verre colorés retrouvés sur les sites des abbayes de Wearmouth et de Jarrow attestent de la présence de fenêtres ornementales en Angleterre au moins depuis le VIIe siècle, ce qui est confirmé par Bède lorsqu’il écrit qu’en 675 Benedict

10 « étaient aussi bien adaptés à l’usage des moines autour de l’autel qu’ils rehaussaient la beauté de l’église », Chronicon monasterii de Abingdon, édité par J. Stevenson, Rolls Series 2, London , 1858, I, 344. 11 Inventories, 51-57. 12 R. Marks, 2001, 176.



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Biscop fit venir des artisans de Gaule pour enseigner l’art du verre aux Anglo-Saxons13. Quelques panneaux peints ayant survécu à Lincoln et York montrent que les programmes vitrés, en général historiés, faisaient partie intégrante de la décoration des grandes églises anglaises au XIIe siècle14. Si l’on en croit le témoignage de Guillaume de Malmesbury, il est pratiquement certain que la cathédrale normande à Canterbury était ornée de fenêtres de verre coloré, et le fait que Gervais ne mentionne pas les nouvelles verrières de la cathédrale dans son récit de la reconstruction pourrait indiquer qu’elles ne représentaient probablement pas une nouveauté pour la communauté – du moins, pas autant que la nouvelle architecture introduite par le maître d’œuvre Guillaume de Sens et son successeur, Guillaume l’Anglais. À la fin du XIIe siècle, la communauté monastique de Christ Church avait un rang à tenir au sein de l’Église anglaise, un rang qui tenait à l’histoire de sa fondation et à son statut de première église du royaume. Ce rang était reflété dans une certaine mesure par les cérémonies liturgiques, qui devinrent à cette époque de plus en plus nombreuses, et de plus en plus complexes. Mais il devait aussi se traduire par la richesse de l’ornementation de l’église. L’exécution de verrières historiées était une entreprise extrêmement coûteuse au XIIe siècle. Les archives de Christ Church ne portent aucune mention des fonds consacrés à la reconstruction de la cathédrale, ni des sommes allouées

Bède, Lives of the Abbots of Wearmouth and Jarrow, dans The Age of Bede, édité par J.F. Webb & D.H. Farmer, Harmondsworth: Penguin Books, 2ème édition, 1983 (1ère édition, 1965), 189. Pour un compte-rendu détaillé des découvertes archéologiques récentes en Angleterre et pour l’état de la recherche dans ce domaine, on peut consulter R. Cramp, 2001, 67-85. 14 Pour les vitraux de Lincoln, on peut consulter Nigel J. Morgan, The Medieval Painted Glass of Lincoln Cathedral, Corpus Vitrearum Medii Aevi, Great Britain, Occasional Paper III, London 1983, 1. Les vitraux de York Minster n’ont pour l’instant été que partiellement catalogués par le Corpus Vitrearum Medii Aevi ; les trois volumes qui ont été publiés analysent des verrières du XIVe et du XVe siècle (T. French & D. O’Connor, York Minster. A Catalogue of Medieval Stained Glass, Fascicule 1, The West Windows of the Nave wI, wII, nXXX, sXXXVI, Corpus Vitrearum Medii Aevi, Great Britain, vol. 3, Oxford, 1987; T. French, York Minster, The Great East Window, Corpus Vitrearum Medii Aevi, Great Britain, Summary Catalogue 2, Oxford, 1995; T. French, York Minster, The St William Window, Corpus Vitrearum Medii Aevi,Great Britain, Summary Catalogue 5, Oxford, 1999). Pour un bref survol de l’ensemble des verrières en relation avec l’histoire de la cathédrale, on peut consulter S. Brown, Stained Glass at York Minster, London, 1999. York Minster fut reconstruit à partir de 1154 par l’archevêque Roger de Pont-l’Évêque. Plus de cinquante panneaux ont survécu, et il semble que la cathédrale comptait à l’origine au moins huit cycles figurés, bibliques et hagiographiques, et que le programme iconographique dans son ensemble était assez proche, à la fois par son style et son contenu, des verrières de Saint-Denis (S. Brown, 1999, 11). Il ne semble cependant pas que les verrières d’York aient influencé celles de Christ Church (ESG, 46). 13



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à la réalisation du programme vitré15. L’absence de représentations de donateurs dans les vitraux de Christ Church, à l’inverse, par exemple, des verrières de Chartres, invite par ailleurs à penser que la communauté supporta entièrement le coût de leur réalisation16. Certains indices, cependant, indiquent qu’il s’agissait d’une entreprise coûteuse. Tout d’abord, il fallait en effet se procurer le verre. Le verre produit en Angleterre à cette époque, surtout le verre de couleur, était de qualité inférieure17 ; pour un projet de l’ambition et de l’éclat de Christ Church, il fallait donc le faire venir du continent18. Enfin, l’entretien des verrières devait sérieusement grever les finances de la communauté, déjà mises mal en point par les querelles avec l’archevêque Baudouin et l’exil imposé par le roi entre 1207 et 121319. Christ Church était une abbaye riche, possédant un vaste domaine, et bénéficiant de généreuses donations laïques, attirées par les nombreuses reliques conservées dans la cathédrale20. Cette richesse permit à la communauté d’orner le sanctuaire de façon somptueuse, acquérant des objets de prix, et couvrant les murs, le sol et les voûtes d’images de toutes sortes. Gervais décrit ainsi l’enthousiasme des moines devant la progression du chantier les trois premières années :

Dans les archives de la cathédrale, la première référence à une dépense faite en relation avec des vitraux apparaît en 1236 uniquement, et il s’agit d’une dépense pour le cloître. À partir de 1441, un verrier est employé régulièrement pour entretenir les vitraux de la cathédrale (CVMA, 2). R. Marks mentionne des contrats des XIVe/XVe siècles pour York (1993, 21-23). À titre de comparaison, Suger dépensa environ 700 livres pour les verrières (52 ou 54 en tout) de la basilique de Saint-Denis en 1144 (F. Gasparri, Suger. Œuvres, I, Paris, 1996, lii). 16 M.H. Caviness suggère qu’en ce qui concerne les verrières des miracles de saint Thomas, les moines ont pu faire appel à la générosité des bénéficiaires d’une intervention miraculeuse du saint, mais rien ne permet de l’affirmer de façon incontestable (ESG,32-33). 17 R. Marks, 1993, 30-31. 18 Ce n’est pas le seul matériau que les moines firent acheminer de l’étranger : Gervais rapporte comment Guillaume de Sens dut se procurer la pierre nécessaire « transmarinis » (« au-delà de la mer »), OH, 7. 19 Les quelques paiements faits à des verriers mentionnés dans les comptes de la cathédrale sont assez importants : £ 16 12s en 1255, £ 4 12s 6d en 1361-1362 ; mais ils ne peuvent malheureusement pas être mis en relation avec des verrières de la cathédrale (CVMA, 2). Il s’agissait peut-être de simples travaux d’entretien et de réfection. 20 À la fin du XIIe siècle, non seulement « the monks of Canterbury Cathedral were lords of between a third and half of the domestic property of the city » (« les moines de la cathédrale de Canterbury étaient propriétaires d’environ un tiers à la moitié de l’immobilier de la ville », W. Urry, 1967, 23), mais le monastère était un des plus grands propriétaires terriens du pays, possédant de nombreux biens à Londres et dans tout le sud-est de l’Angleterre (R.A.L. Smith, 1969, 9-13). 15



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chapitre 3 De hoc ergo tam glorioso principio hilares effecti et futurae consummationis bonam spem concipientes, consummationem operis ardentis animi desiderio accelerare curavimus21.

Les sommes qui pouvaient être mobilisées pour l’ « accélération des travaux » devaient être conséquentes22. Des travaux de l’ampleur de ceux qui furent entrepris à Christ Church ne pouvaient cependant manquer d’entraîner des problèmes de financement. Gervais mentionne que pendant la neuvième année après l’incendie, en 1184, les travaux furent interrompus à cause d’un manque de fonds23. La décoration de la cathédrale, qu’il s’agisse des vitraux, des peintures murales ou du dallage, était une entreprise onéreuse, sujet de tensions et de disputes, comme en témoigne le fait que les moines et l’archevêque Hubert Walter ne trouvèrent une solution à leur différend quant au financement des travaux qu’en 1199, c’est-à-dire vingt-cinq ans après le début de la campagne de reconstruction, date à laquelle les moines devinrent seuls responsables de l’embellissement de la cathédrale24. L’ampleur du programme de Christ Church et la relative rapidité d’exécution des verrières indiquent clairement la valeur que ces vitraux revêtaient aux yeux de la communauté. Par ailleurs, la cathédrale ne comportait pas de façade ni de portails sculptés comme ceux qui étaient, à la même époque, exécutés pour les grandes cathédrales du nord de la France. Même les peintures qui ornaient les voûtes du déambulatoire de la Trinity Chapel ne semblent pas avoir pu rivaliser en étendue, en magnificence ni en ambition (artistique et intellectuelle) avec les programmes iconographiques vitrés du chœur, de la Trinity Chapel et de la Corona25. L’investissement – affectif aussi bien que financier – principal des moines semble donc bien avoir été dans ces vitraux qui n’ont leur équivalent dans aucune cathédrale de l’époque. Le soin avec lequel les sujets et tituli des panneaux des verrières « À la vue d’un début tellement glorieux nous nous réjouissions et nous concevions de bonnes espérances pour la fin, et nous nous occupâmes de pourvoir à l’accélération des travaux avec diligence et énergie », OH, 20. 22 L’organisation du système financier de Christ Church, déjà très élaboré quand il est observable pour la première fois dans des sources de la fin du XIIe siècle, a été étudiée par R.A.L. Smith, 1947 et 1969. 23 OH, 29. 24 Chronicles and Memorials of the Reign of Richard I, vol. ii, Epistolae Cantuariensis, the letters of the Prior and Convent of Christ Church, Canterbury, from AD 1187 to AD 1199, édité par W. Stubbs, London, 1865, lettre 534, 499. 25 Il semble qu’il s’agissait en effet uniquement de représentations de saints ou de rois, M.H. Caviness, 1974, 68-69. 21



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du chœur furent consignés un siècle après leur réalisation pourrait être un signe de la valeur accordée à ces vitraux, que l’on souhaitait pouvoir réparer et conserver dans leur état original26. Comme la plupart des représentations qui se trouvaient dans les églises médiévales, les vitraux remplissaient donc un rôle d’ornements, d’autant plus significatifs et ostentatoires que les verrières étaient coûteuses à réaliser. Mais de façon peut-être plus importante encore, les vitraux participaient, au même titre que les autres images de l’église, à la création d’un espace digne de la célébration de la liturgie, qui reflétait et mettait en valeur le statut de la cathédrale. Il ne peut être tout à fait exclu que la décision de financer un programme d’une telle ambition fut, en partie du moins, provoquée par la récente reconstruction de York Minster par l’archevêque Roger de Pont-l’Évêque, la longue querelle entre Canterbury et York à propos de la primatie trouvant ainsi une forme d’expression dans la compétition artistique27. Les vitraux étaient donc des ornements particulièrement importants, et la décision de la communauté de consacrer à la réalisation des verrières une partie sans aucun doute conséquente des fonds alloués à la reconstruction, indique que les moines entendaient qu’elles deviennent le haut point de la décoration du chœur. Le coût élevé du verre coloré fut peut-être responsable, en partie du moins, de l’adoption croissante des verrières en grisaille à partir du XIIIe siècle. Des considérations d’ordre économique, ajoutées au problème du manque de lumière à l’intérieur des églises contribuèrent, incontestablement au remplacement progressif des vitraux colorés par des verrières peintes de teintes plus claires ou même des verrières en grisaille, à partir du XIIe siècle. Cette évolution rendit les verrières colorées – qui étaient en général également des verrières historiées – d’autant plus précieuses. Financer une verrière figurée – hagiographique ou biblique – devint alors réellement une marque de statut social, pour un individu comme pour un groupe, communauté ecclésiastique ou confrérie28. Mais il s’agissait peut-être d’exalter davantage que la communauté.

CVMA, 79. P. Draper, 1997, 34. La querelle personnelle entre Thomas Becket et Roger de Pont-l’Évêque, qui semble avoir commencé lorsque les deux hommes faisaient partie de l’entourage de l’archevêque Thibaud dans les années 1150, envenima encore davantage la question de la primatie qui opposait Canterbury à York depuis le pontificat de Lanfranc (A. Duggan, 1965, 167). 28 R. Marks, 1993, 5. 26 27



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chapitre 3

Pour la plus grande gloire de Dieu : moines, artisans et bâtisseurs Un texte du début du XIIe siècle permet de cerner certaines des motivations qui présidaient à l’ornementation somptueuse des bâtiments religieux et des objets liturgiques. Dans la préface du troisième livre de son traité technique De diversis artibus, rédigé vers 112529, le moine Théophile explique la relation entre création artistique et religion. Son point de départ est le vers tiré du Psaume xxvi : Domine, dilexi decorem domus tuae30

Pour lui, il ne fait aucun doute que « domus tuae », en dépit de ses autres associations allégoriques (le paradis, ou encore le cœur du chrétien), fait avant tout référence à l’église, le bâtiment concret où se déroulent les célébrations. Pour Théophile, la justification ultime des œuvres d’art est d’orner et d’embellir la Maison de Dieu ; comme David, noueratque pia consideratione Deum huiusmodi ornatu delectari, quem constui disponebat magisterio et auctoritate Spiritus sancti, credebatque absque eius instinctu nihil huiusmodi quemquam posse moliri31.

La création d’un objet ou d’une image pour orner l’église était donc, dans la pensée de Théophile comme dans l’esprit de ses contemporains, un acte de louange à Dieu, une prière, voire une façon d’assurer le salut de son âme32. Parmi les textes qui nous sont parvenus décrivant les travaux d’agrandissement, de réparation, ou de reconstruction qui semblent avoir souvent été en cours dans les grandes églises et cathédrales de la chrétienté d’Occident au Moyen Âge, il en est un, rédigé entre 1144 et 1148-1149, qui offre un regard unique sur un programme majeur de reconstruction au XIIe siècle. Suger, abbé de Saint-Denis de 1122 à 1151, qui rénova et embellit la basilique, a en effet laissé un témoignage particulièrement révélateur sur les travaux entrepris sous sa direction. Dans Gesta Suggerii abbatis33, l’abbé décrit en détail non seu-

J. Van Engen, « Theophilus Presbyter and Rupert of Deutz : the Manual Arts and Benedictine Theology in the Early Twelfth Century », Viator XI (1980), 147-163. 30 « Seigneur, j’ai aimé la beauté de ta maison ». 31 « il savait, par une pieuse réflexion, que Dieu aime les embellissements de ce genre, qu’il inspirait et faisait exécuter sous la conduite et l’autorité de l’Esprit-Saint, et il était convaincu que, sans son secours, il ne pouvait rien entreprendre », DA, 62. 32 R. Gameson, 1999, 261-262. 33 Ce texte, très célèbre, est plus connu sous le titre de De rebus in administratione sua gestis, qui lui fut donné pour la première fois en 1641. Le seul manuscrit existant, Paris, Bibl. nat. lat. 13835, porte cependant le titre Gesta Sugerii abbatis, qui est celui préféré par l’auteur de 29



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lement les travaux entrepris, mais également le financement de ces travaux, et les motivations intellectuelles et théologiques qui présidèrent à ses choix. Ce texte est particulièrement intéressant ici, car il permet de connaître une opinion sur les vitraux qui est pratiquement contemporaine de la reconstruction de Christ Church. De façon très pragmatique, Suger décrit d’abord son œuvre administrative, c’est-àdire la façon dont il a réussi à assurer les revenus nécessaires à sa communauté ; il passe ensuite en revue « l’œuvre d’embellissement et de reconstruction de la basilique, d’acquisition de trésors, de restauration de meubles et objets liturgiques, ainsi que les images des verrières du chevet »34. En l’absence de tout témoignage de ce type en provenance de Canterbury, ce texte – antérieur de vingt-cinq ans à la reconstruction de Christ Church – est une source importante pour essayer de déterminer les attitudes de la communauté par rapport aux vitraux. La proximité dans le temps des deux campagnes de reconstruction (trente ans seulement les séparent), le fait qu’il s’agit dans les deux cas d’abbayes bénédictines de statut et d’importance comparables dans les deux pays35, font qu’il paraît raisonnable de considérer que les motivations de l’abbé français ne sont peut-être pas très éloignées de celles des moines anglais. L’archevêque de Canterbury, Thibaud du Bec, faisait de plus partie des nombreux prélats invités par Suger pour la cérémonie de dédicace de Saint-Denis le 11 juin 1144, cérémonie à laquelle il participa en célébrant une messe sur un des autels de la nouvelle basilique36. On peut imaginer qu’une fois revenu à Christ Church, il décrivit aux moines les merveilleuses innovations de l’architecture et du décor, au premier rang desquelles les verrières symboliques et typologiques, qui ornaient Saint-Denis. Suger fait également à plusieurs reprises état des facteurs qui le poussèrent à entreprendre des travaux d’une telle ampleur, en particulier la nécessité de faciliter l’accès aux Corps Saints, qui attiraient une foule nom-

la dernière édition en date, F. Gasparri, qui lui donne le titre français de L’Œuvre administrative (F. Gasparri, éd., Suger. Œuvres, I, Paris, 1996, 54-154, désormais Gesta). 34 Gesta, lvi. 35 Même si des différences de taille existaient entre ces deux établissements, et si les liens entre Saint-Denis et la monarchie française n’avaient pas leur équivalent dans les relations entre Christ Church et les rois anglais. 36 Suger, Scriptum consecrationis ecclesiae sancti Dionysii, Œuvres, I, édité par F. Gasparri, Paris, 1996, 42 et 48-50 (désormais Scriptum consecrationis). Il est intéressant de noter que Thibaud se vit confier la consécration de l’autel du Sauveur, qui était également la dédicace de son église de Canterbury.



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chapitre 3

breuse de pèlerins les jours de fête37. Le récit de Gervais, même s’il ne fait pas mention des verrières ni d’aucun autre ornement de la nouvelle cathédrale, donne une idée des motivations qui animaient la communauté au moment de la reconstruction, motivations qui ne sont pas très éloignées de celles données par Suger. L’ancienne cathédrale, si providentiellement détruite par le feu, est en effet décrite comme en grand besoin de travaux : les poutres et charpentes étaient pourries, ce qui facilita la progression de l’incendie38 ; les fenêtres hautes sont décrites comme « parvulis et obscuris », petites et sombres39 ; et, même si certains des ornements du « glorieux chœur »40 reçoivent une description positive et nostalgique (le plafond peint en particulier), toutes les innovations des architectes sont présentées en termes d’améliorations notables sur le bâtiment précédent : post combustionem illam vetera fere omnia chori diruta sunt, et in quandam augustioris formae transierunt novitatem41.

Suit une comparaison des nouveaux piliers avec les anciens, des nouveaux chapiteaux avec ceux du chœur de Conrad, et des nouvelles voûtes avec le plafond peint, comparaison qui se solde toujours par un constat de la supériorité du nouvel édifice sur l’ancien42. L’incendie de Christ Church fut donc une expression du « justo sed occulto Dei judicio »43, et la catastrophe se solda finalement par un triomphe. Christ Church devait également faire face à des problèmes d’espace et de gestion de flots de pèlerins dans le contexte d’un pèlerinage majeur. Et il semble difficile de douter que les travaux d’agrandissement de la Trinity Chapel avaient essentiellement pour but de rehausser l’éclat de la sépulture de saint Thomas et de faciliter l’accès des pèlerins et la célébration du culte, même si Gervais ne mentionne pas cette raison de façon explicite44. Suger, Scriptum consecrationis, 8-10 et Gesta, 112. « carbones et scintillae (…) in tabulis ligneis semiputridis resederunt. Sicque paulatim calore crescente, asseres putridi accenduntur » (« des cendres et des étincelles (…) se logèrent parmi les planches à moitié pourries. Et, la chaleur croissant, en peu de temps elles mirent le feu aux chevrons pourris »), OH, 3. 39 OH, 12. 40 OH, 12. 41 « Après l’incendie presque toutes les anciennes parties du chœur furent détruites et transformées en quelque chose de nouveau et d’une tournure plus noble », OH, 27. 42 OH, 27. 43 « le jugement juste mais occulte de Dieu », OH, 3. 44 P. Draper insiste sur la nécessité d’étudier les travaux entrepris à Christ Church en conjonction avec la volonté de la communauté de mettre en valeur le culte de saint Thomas (1997, 194-199). 37 38



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La Gesta Sugerii abbatis est donc un document particulièrement révélateur, car Suger n’hésite pas à mentionner, en même temps que leur beauté, la valeur des ornements de son église, et la façon dont les artisans chargés de leur exécution et leur restauration seront payés : unde, quia magni constant mirifico opere sumptuque profuso vitri vestiti et saphirorum materia, tuitioni et refectioni earum ministerialem magistrum, sicut etiam ornamentis aureis et argenteis peritum aurifabrum constituimus, qui et prebendas suas et quod eis super hoc visum est, videlicet ab altari nummos et a communi fratrum horreo annonam suscipiant, et ab eorum providentia numquam se absentent45.

Son témoignage n’est certes pas le premier à s’attacher à l’aspect purement matériel et décoratif de l’église ; mais parce qu’il inclut les vitraux de la basilique reconstruite par ses soins dans la liste des réalisations dont il s’enorgueillit, il revêt une importance toute particulière. Même s’il est clair qu’en ce qui concerne la décoration de l’église, Suger ne regarda pas à la dépense, l’inclusion systématique du prix payé pour chaque objet souligne l’importance attachée à leur valeur marchande, ce qui montre bien que seuls les objets les plus précieux et les plus luxueux étaient considérés dignes du service de Dieu. L’intervention miraculeuse de Dieu dans la recherche et la découverte de matériaux appropriés et de fonds providentiels légitime par ailleurs les dépenses extravagantes de l’abbé46. De même que l’autel, les châsses des corps saints, les stalles ou encore l’ambon, les verrières participaient à la beauté de l’église dans laquelle se déroulait la liturgie, ce qui était d’une importance capitale pour Suger :  michi fateor hoc potissumum placuisse, ut quaecumque cariora, quaecumque carissima, sacrosantae Eucharistiae amministrationi super omnia deservire debeant 47.

« Ainsi, parce que ces verrières sont d’un grand prix en raison du merveilleux ouvrage, de la dépense somptueuse en verre peint et en matière de saphir, nous avons désigné un maître dans cet art chargé de leur conservation et leur restauration ainsi qu’un orfèvre expérimenté pour les ornements d’or et d’argent, lesquels percevront leur salaire et ce qui a été prévu pour eux à ce sujet sur l’argent provenant de l’autel et les céréales provenant de la grange commune des frères, et veilleront sans interruption sur ces [œuvres d’art] », Gesta, 151. 46 Suger, Scriptum consecrationis, 16-20, et Gesta, 128. 47 « Quant à moi, je l’avoue, une chose me tient particulièrement à cœur : que les objets de plus grande valeur, les plus précieux, doivent avant tout servir à l’administration de la très sainte Eucharistie », Gesta, 136. 45



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chapitre 3

Enfin, le vitrail remplit une fonction esthétique spécifique qu’il paraît difficile de nier : le jeu des couleurs projetées à l’intérieur de l’église par les rayons du soleil passant au travers des verrières constituait déjà au Moyen Âge une part importante de son attrait, ce que Louis Grodecki appelle la « poétique » du vitrail48. Il existe une grande similarité entre les riches ornements liturgiques, ornés de pierres précieuses (telle, entre autres, la somptueuse chape de Lanfranc, qui était encore conservée à Christ Church au XIVe siècle, ou les reliquaires contenant les restes des nombreux saints de la cathédrale), et la lumière filtrée par les vitraux à l’intérieur du sanctuaire. C’est au Moyen Âge un lieu commun que de comparer la richesse du verre peint aux pierres et aux métaux précieux. Théophile, dans le livre II de De diversis artibus, décrit comment insérer de petits morceaux de verre coloré, qu’il appelle des gemmes et des pierres précieuses (« gemmae », « lapides ») dans les panneaux des vitraux49. Les couleurs franches des vitraux – bleus, rouges, verts et jaunes – rappellent en effet les couleurs des pierres précieuses, « sardius, topazius, jaspis, crisolitus, onix et berillus, saphirus, carbunculus et smaragdus »50 qui ornaient les objets et vêtements liturgiques, et la comparaison entre le vitrail et les pierres précieuses devait être courante au Moyen Âge ; Suger parle ainsi de la « saphirorum materia» pour décrire le bleu intense des vitraux de Saint-Denis51. L’effet de cet écho chromatique est la création d’un espace précieux, tel un reliquaire émaillé, au sein duquel les liturgies sacrées vont pouvoir se dérouler :  la Trinity Chapel de Christ Church est l’exemple le plus ancien qui nous soit parvenu d’un tout nouveau type de tombeau, typiquement gothique dans sa conception, où la décoration est tournée vers l’intérieur de l’église, afin que cet espace adopte l’aspect d’une tombe richement décorée52. L. Grodecki, 1986, 225. DA, 57. 50 « sardoine, topaze, jaspe, chrysolithe, onyx et béryl, saphir, escarboucle et émeraude », Ézéchiel 28, 13 et Gesta, 134. 51 Gesta, 151. 52 « The Trinity Chapel of Christ Church is the earliest preserved example of a newer kind of shrine-house, one which is typically Gothic in conception, in which the decoration is turned to the inside so that the interior itself assumes the character of a richly enamelled shrine », CVMA, 139. Il est intéressant de constater que l’histoire et les miracles de saint Thomas Becket aient été souvent choisis comme sujets pour la décoration de reliquaires émaillés au moment où les vitraux étaient réalisés. Par les couleurs employées, par la façon dont les figures sont délimitées et insérées dans un cadre métallique (plomb pour les vitraux, cuivre pour les émaux), ces deux modes d’expression artistique sont en effet très proches l’un de l’autre (R. Marks, 1993, 56). 48 49



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La Sainte-Chapelle, à Paris, construite de 1242 à 1248, appartient à la même catégorie de bâtiments que la Trinity Chapel de Christ Church. Il s’agissait dans les deux cas de créer un cadre approprié pour accueillir et montrer des reliques parmi les plus précieuses de la chrétienté53, et les choix effectués pour la décoration – en particulier le choix des verrières historiées – donnaient à l’église dans son entier l’apparence d’un riche reliquaire. La Trinity Chapel semble avoir été le centre où se concentraient toutes ces représentations, verrières, fresques et dallage. Cette chapelle, qui avait été prévue pour recevoir le tombeau de saint Thomas Becket, devait devenir le centre liturgique et spirituel de la nouvelle cathédrale, le point autour duquel s’articulaient toutes les célébrations, et bien entendu, le pèlerinage. Il paraît donc logique et légitime que la plus grande attention et le faste le plus somptueux aient été attribués à cette partie du sanctuaire. Les travaux d’agrandissement et d’embellissement de la cathédrale, auxquels les vitraux participèrent en grande partie, dénotent le désir d’exalter le service de Dieu, en particulier à travers la célébration des saints. La magnificence du décor reflétait et mettait en valeur le statut de la cathédrale, celui de l’archevêque (grâce aux cycles consacrés à ses prédécesseurs) et celui de la communauté dont la liturgie utilisait cet espace. À la différence des objets et des vêtements liturgiques, ces vitraux n’avaient cependant pas de fonction liturgique propre. La taille même des verrières constitue un obstacle majeur à leur fonction formelle : ces images étaient en effet impossible à intégrer dans le déroulement dans la liturgie de la même façon qu’un crucifix ou un manuscrit enluminé pouvaient l’être. Les vitraux servaient cependant de cadre à la liturgie, dont ils contribuaient à rehausser l’éclat par leur splendeur. Le choix de la représentation figurée, typologique ou narrative indique que les moines envisageaient toutefois d’autres fonctions pour les vitraux. 3.2.  Guider les âmes Quand saint Augustin de Canterbury et ses compagnons se rendirent à leur première rencontre avec Ethelbert, roi du Kent, qu’ils entendaient convertir au christianisme, ils prirent soin de faire pré-

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La Sainte-Chapelle fut construite pour abriter les reliques de la Passion du Christ.

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céder leur procession d’images symboliques représentant les vérités essentielles de la foi qu’ils venaient prêcher. Ils arrivèrent crucem cum vexillo ferentes argenteam, et imaginem Domini saluatoris in tabula depictam54.

Le message était clair : ils étaient les émissaires d’un Dieu qui s’était fait homme et qui était mort pour racheter l’humanité, et la religion qu’ils prêchaient utilisait abondamment les signes et les images. L’image, dans sa simplicité et son immédiateté, permettait à la mission d’évangélisation de transmettre le message essentiel du christianisme sans avoir recours ni aux textes ni à la parole. Les missionnaires montraient ainsi à quel point ils se reposaient sur la relation intime entre images et diffusion du christianisme pour le succès de leur entreprise, de même qu’ils soulignaient implicitement le rôle central que pouvaient jouer les images dans le salut des âmes. Une telle attitude n’est guère surprenante de la part d’un groupe de clercs envoyés par le pape Grégoire Ier. Parmi le legs important de Grégoire le Grand à la pensée religieuse médiévale, sa définition du rôle des images dans les églises connut en effet une fortune particulière. Recopiée, répétée, modifiée à l’envie, elle constitua « le fondement de l’attitude de l’Église d’Occident à l’égard des images religieuses »55 pendant tout le Moyen Âge. Le prestige et l’autorité de Grégoire Ier firent qu’elle ne fut jamais vraiment remise en cause. Indépendamment de ce que Grégoire a réellement voulu dire par « lire »56, il introduisait néanmoins dans le débat sur les images religieuse la question du bénéfice que le spectateur peut retirer des images qu’il contemple. Dans la deuxième partie du Moyen Âge, un changement intervint dans la formulation de ce qui était depuis le VIe siècle devenu un topos : le terme d’« illitterati » fut graduellement remplacé par celui de « laici » dans les reformulations de la citation du pape. Ainsi, en Angleterre, dans la seconde moitié du XIIe siècle, l’auteur anonyme du Pictor in carmine, un texte qui eut une

54 « portant comme étendard une croix d’argent et l’image de notre Seigneur et Sauveur peinte sur un panneau », Bède, EH, 39-40. 55 J.-C. Schmitt, 2002, 101. L.G. Duggan, 1989, retrace l’évolution de ce topos de la pensée chrétienne sur les images, les modifications qu’il subit, et les implications de ces modifications. 56 Pour une étude de cette question, on peut consulter les articles de L.G. Duggan et de C.M. Chazelle dans Word and Image, ainsi que l’introduction de E. Sears au recueil d’articles Reading Medieval Images. The Art Historian and the Object, E. Sears and T.K. Thomas, eds., University of Michigan, 2002.



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influence considérable sur les choix effectués pour le programme iconographique des douze verrières typologiques du chœur de Christ Church, déclarait qu’il existait in cathedralibus et baptismalibus ecclesiis ubi publice fiunt stationes, (…) picturis (…) que tanquam libri laicorum simplicibus diuina suggerant et literatos ad amorem excitent scripturam57.

Ce glissement d’un terme vers l’autre est significatif à une époque où de plus en plus de gens savaient lire, où un nouveau souci pastoral dominait les décisions conciliaires, et où l’Église s’efforçait de séparer nettement le clergé du reste de la population58. Il a depuis longtemps été reconnu que « la différence essentielle entre le programme vitré de Chartres et celui de Canterbury provient du fait que Canterbury était une fondation monastique »59. Les particularités du programme de Christ Church sont essentiellement sa forme – l’utilisation de la typologie à l’échelle des verrières et de l’ensemble du programme – et son contenu – les représentations de scènes rares60 et la présence d’inscriptions très détaillées. L’influence du mode de vie monastique, en particulier de la liturgie, déterminée par la RB et informée par la récitation des Psaumes, sur les représentations est incontestable, en particulier sur la structure adoptée par le programme61. Mais certaines parties du programme n’utilisent pas la typologie, et adoptent au contraire une structure narrative plus linéaire et plus fluide. Bien qu’avant tout église monastique, Christ Church était également une cathédrale, et par conséquent, deux groupes différents dans leurs habitudes de pensée et dans leurs attitudes religieuses se

« dans les cathédrales et les églises paroissiales (…) une catégorie d’images qui, parce qu’elles sont les livres des laïcs, peuvent suggérer les choses divines aux ignorants et attiser l’amour des Écritures chez les plus instruits », M.R. James, « Pictor in Carmine », Archaeologia 94 (1951), 142. James penche pour l’attribution de ce texte au Cistercien Adam of Dore, c’est-à-dire pour une rédaction de ce texte vers la fin du XIIe siècle. De tous les grands cycles typologiques réalisés en Angleterre à cette époque, celui de Christ Church présente le plus grand nombre de rapports avec les associations typologiques proposées par Pictor (148150). 58 E. Cattaneo, 399. 59 “the essential differences between the glazing program of Chartres and that of Canterbury arise from the fact that Canterbury was a monastic foundation », ESG, 102. 60 Par exemple la Parabole du Semeur, la Vie de saint Grégoire ou encore les miracles de saint Thomas. 61 «the emphasis on the Psalter in the daily office encourages a habit of mind accustomed to typological subtlety and richness » (« l’accent mis sur le Psautier dans l’office divin encourage une tournure d’esprit accoutumée à la subtilité et à la richesse de la typologie »),  M. Lillich, 308. 57



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partageaient l’espace du sanctuaire : d’une part la communauté monastique, et de l’autre les habitants de Canterbury et les pèlerins. Il s’agira ici d’analyser comment les concepteurs des vitraux entendaient s’adresser à ces différents types de spectateurs, si cette occupation « mixte » de la cathédrale a influencé les choix iconographiques, ainsi que la représentation des sujets, et comment le rôle des images s’articulait à celui de la liturgie dans la représentation et la transmission des vérités et des concepts de la religion chrétienne. « Simplicibus diuina suggerant »62 : des modèles pour les pèlerins Parmi les descriptions des effets que les images étaient censées avoir sur qui les contemplait, celle du moine Théophile est particulièrement détaillée :  Quod si forte Dominicae passionis effigiem liniamentis expressam conspicatur fidelis anima, compungitur ; si quanta sancti pertulerunt in suis corporibus cruciamina quantaque uitae eternae perceperunt praemia conspicit, uitae melioris obseruantiam arripit ; si quanta sunt in coelis gaudia quantaque in Tartareis flammis cruciamenta intuetur, spe de bonis actibus suis animatur et de peccatorum suorum consideratione formidine concutitur63.

Ce qui est frappant dans ce texte est que le rôle des images semble avant tout être de susciter des émotions (« compungitur », « animatur », « spe », « formidine »), qui devaient inciter le spectateur à réfléchir sur sa vie et à réformer sa conduite. Le programme iconographique de Christ Church rassemblait toutes les représentations mentionnées par Théophile : récit christologique incluant la Passion, vies de martyrs et représentation du Jugement Dernier. Les concepteurs pouvaient espérer qu’il aurait par conséquent tous les effets décrits dans le traité, et que les spectateurs seraient inspirés de réformer leur conduite par la contemplation de ces images. Cette définition rappelle celle qui peut être donné de l’exemplum. Le mot exemplum pouvait être compris de deux façons aux XIIe et XIIIe siècles. Le sens littéral d’« exemple à suivre, modèle de conduite », était le plus courant. Mais

« Suggérer les choses divines aux ignorants », Pictor, 142. « Si l’âme fidèle aperçoit le spectacle de la passion du Sauveur, représentée par le dessin, elle est pénétrée de componction. Si elle considère les tourments que les saints ont endurés dans leur corps, et les récompenses de la vie éternelle qu’ils ont obtenues, elle revient aux pratiques d’une vie meilleure. Qu’elle contemple les joies ineffables du ciel, ou les tourments horribles de l’enfer, elle s’anime par l’espérance de ses bonnes œuvres, ou elle est frappée de crainte par la vue de ses péchés », DA, 63-64. 62 63



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un nouveau sens était en train de se répandre au XIIe siècle, en relation avec le renouveau de la prédication64. Un exemplum était alors « un récit bref donné comme véridique et destiné à être inséré dans un discours (en général un sermon) pour convaincre un auditoire par une leçon salutaire »65. À une époque où la prédication était de plus en plus fréquemment employée par l’Église66, l’exemplum devenait élément courant dans les sermons, en particulier en Angleterre, qui joua un rôle important dans le développement de ce genre67. Ces deux sens peuvent s’appliquer aux récits en images : non seulement les vitraux proposaient des modèles à imiter (le Christ, les saints, les malades guéris et reconnaissants), mais ils offraient également des histoires dont la portée morale et didactique est incontestable, par exemple à travers les paraboles. Les moyens iconographiques employés reflètent cette idée que les vitraux pouvaient être utilisés comme des modèles de conduite, des exempla. L’image en effet peut offrir plus que le texte au premier coup d’œil : tous les éléments, et leurs relations peuvent en général être appréciés rapidement, alors que la lecture demande en général au moins le temps du déchiffrement du texte68. Mais ces émotions ne peuvent être perçues que par un spectateur qui connaît par avance le sujet de la représentation et sa signification. Les images ont donc essentiellement pour fonction de remettre en mémoire des événements, des interprétations déjà connus. Une fois de plus, l’image demeure en deçà du texte. La plupart des représentations des miracles ne sont réellement intelligibles que si l’on peut se référer aux récits de Guillaume et de Benoît pour élucider leur sens : sans leurs inscriptions, coupées de leur contexte immédiat, certains panneaux ne sont pas identifiables, comme par exemple n. V, 9 ; n. IV, 56 ou 57. Même si en vertu de la répétition des situations décrites dans les verrières de la Trinity Chapel, le risque d’erreur était probablement limité, il n’en demeure pas moins que celui qui ne sait pas lire ne peut pas déchiffrer les signes des images afin d’acquérir de nouvelles connaissances, et par définition il ne peut pas lire les mots ; il est possible qu’il identifie correctement des éléments qu’il

J.-C. Schmitt, 1985, 10 C. Brémond et al. , 37-38. 66 Les conciles du Latran de 1179 et 1215 insistent sur le rôle de la prédication dans l’encadrement des fidèles. 67 D. d’Avray, 66-67. 68 L.G. Duggan, 242. 64 65



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chapitre 3 connaît déjà dans l’image ; il peut mal les interpréter ; il peut leur appliquer toutes sortes d’interprétations façonnées par ses expériences antérieures – mais sans l’aide de quelqu’un (ou de quelque chose) d’autre, il ne peut rien apprendre de nouveau et ne peut même pas deviner de façon correcte le sens premier de la représentation69

La série des miracles de saint Thomas Becket, avec son insistance sur la nécessité d’offrir des actions de grâce au saint en remerciement de son intervention, est à ce égard remarquable : tout était fait pour favoriser et encourager l’identification des pèlerins avec les bénéficiaires des miracles. Les récits sont en effet simples, et suivent tous un schéma narratif similaire, sinon toujours identique : l’affliction est d’abord décrite, puis le recours au saint, suivi de la guérison miraculeuse, en général accompagnée de la scène d’action de grâces, où le miraculé est montré en pleine santé. Cette cohérence de la représentation permet de souligner l’efficacité du processus, et met en relief l’offrande faite au saint, étape incontournable du processus de guérison. Les châtiments imposés par le saint en cas de manquement à une promesse de don faite en échange de son aide sont particulièrement frappants, et ne pouvaient manquer d’impressionner les pèlerins, comme par exemple le récit des malheurs affligeant la maison des FitzEisulf (n. II, panneaux 9 à 21). Un des enfants du chevalier, frappé par la peste, ayant été guéri grâce à l’eau de saint Thomas (n. II, 11), ses parents promirent de faire un don au tombeau du saint. Mais, tout à leur joie d’avoir retrouvé leur enfant, ils oublièrent d’honorer leur promesse, en dépit des avertissements envoyés par saint Thomas. Ce dernier, pour les punir, frappa de nouveau leur fils. Rappelés à l’ordre de la sorte, Jordan et sa femme s’exécutèrent et se rendirent à Canterbury pour offrir l’argent promis. La représentation, très frappante, de Thomas Becket, en habits sacerdotaux et épée au poing, survolant les parents éplorés, permettait de traduire en termes visuels les résultats catastrophiques auxquels s’exposait quiconque se rendait coupable d’ingratitude envers le saint. Très didactiques, les verrières hagiographiques mettent ici en scène de façon claire le lien entre mal physique et bénéfice moral. Le recueil de miracles rédigés par Benoît était « the illiterate cannot read the picture-signs so as to gain new knowledge, and by definition he cannot read words; he may happen to identify correctly in the picture what he already knows, he may easily misconstrue it, he can ‘read into’ it all sorts of interpretations shaped by his previous experience – but without help from someone (or something) else, he can learn nothing new and possibly cannot even guess correctly the primary meaning of the painting», L.G. Duggan, 244. 69



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lu aux pèlerins dans la salle capitulaire, et on peut imaginer que les membres de la communauté devaient de bonne grâce vanter aux visiteurs la puissance de leur saint et l’efficacité de son intervention, renforçant l’impression créée par les verrières de la Trinity Chapel70. La structure même de l’organisation des verrières des miracles semble indiquer qu’elles avaient probablement pour but d’encourager les donations. Tous les miracles représentés sont en effet conclus par une scène d’action de grâces et par la remise d’une offrande (bougie, rouleau de métal ou encore pièces de monnaie)71. Pour autant qu’il est possible d’en juger à partir des panneaux ayant survécu, les miracles n’apparaissent pas en ordre chronologique d’occurrence, mais sont rassemblés par type de guérison ou d’intervention72. On peut imaginer que cet arrangement permettait aux moines de « canaliser » les pèlerins en fonction de leurs infirmités et de leurs requêtes, et ainsi d’optimiser les dons. L’identification des spectateurs avec les personnages des épisodes représentés devait en être renforcée, l’espoir de guérison raffermi et les offrandes d’autant plus importantes. Les membres de la communauté, très conscients du pouvoir que pouvaient exercer les images, s’efforçaient d’en maîtriser les effets à leur profit. Sans être complètement obnubilés par l’appât du gain, les moines avaient certainement leurs intérêts financiers à cœur. L’importance des revenus des autels et des pèlerinages, même si elle était toute relative en termes absolus73, constituait néanmoins pour les moines un privilège qu’il s’agissait de préserver et particulièrement crucial pendant la période de reconstruction. L’élection d’un nouvel archevêque remettait à chaque fois en cause une prérogative importante : allait-il permettre à la communauté de garder les revenus des autels ou allait-il au contraire se les approprier ? Le second cas de figure ne manquait pas de provoquer des récriminations acerbes de

ESG, 147. Un moine est assez souvent représenté dans les scènes de miracles : chargé de compiler les récits de guérison et de vérifier leur authenticité – peut-être également de faire respecter un minimum de discipline autour du tombeau – il devait également avoir pour fonction de répondre aux questions des visiteurs. 71 Juliana Puintel offre un rouleau de métal (n. IV, 22 ) ; un des compagnons de Richard Sunieve apporte une bougie (n. II, 58) ; Jordan FitzEisulf, un homme plus riche, offre de l’argent (n. II, 16). L’offrande des symboles de l’affliction guérie est également courante (Robert of Crikdale, n. IV, 29 ; Henry of Fordwich, n. IV, 15). 72 ESG, 148. 73 C.E. Woodruff, 1932, 26. 70



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la part de la communauté, comme cela fut le cas lorsque Baudouin décida de garder les revenus des autels en 1185, alors que ses deux prédécesseurs, Thomas et Richard, en avaient tous les deux fait don à la communauté74. Les autels, les tombeaux des saints et les reliques pouvaient donc constituer une source de revenus qu’il importait de savoir faire fructifier. Montrer aux pèlerins le « bon » comportement à adopter permettait d’atteindre ce but. Il est donc aisé de comprendre l’attrait que devaient exercer les verrières des Vies de saints. Organisée de façon chronologique – de la naissance à la mort du saint – chaque verrière offrait un schéma simple et aisément reconnaissable. La taille des verrières hagiographiques (transepts et Trinity Chapel) ne permettait par ailleurs pas de proposer un commentaire typologique des Vies des saints75, ce qui permettait un récit plus fluide et plus immédiatement compréhensible. De plus, du fait de la structure architecturale de la cathédrale – en particulier le fait que la crypte n’est pas complètement sous terre – les fenêtres de la Trinity Chapel et de la Corona sont beaucoup plus proches du sol que celles des bas-côtés du chœur; elles étaient par conséquent beaucoup plus accessibles76. Linéaires, narratifs, sans commentaire envahissant, les vitraux hagiographiques étaient sans aucun doute plus directement accessibles au spectateur « illitteratus ». Il est important de noter ici que Christ Church ne possédait pas, semble-t-il, d’image miraculeuse. Les sources ne font état ni de statue qui effectuait des miracles, ni d’images se manifestant en rêve ou en vision, comme certaines images le faisaient parfois. Les récits de miracles des verrières hagiographiques montrent que les saints se déplaçaient eux-mêmes quand il s’agissait de rappeler à l’ordre des fidèles ou des pèlerins ayant manqué à leurs devoirs, ou de demander à un moine d’entreprendre la rédaction de leurs miracles. Benoît et Guillaume entreprirent leurs compilations de miracles après avoir reçu la visite de saint Thomas en rêve ou en vision, ainsi qu’il semble apparaître à un moine dans n. III, 4577. La renommée des saints dont les reliques étaient possédées par la communauté était peut-être suffisante pour attirer des foules nombreuses à la cathédrale, sans néces-

W. Stubbs, Chronicles and Memorials of the Reign of Richard I, vol. II, Epistolae Cantuarienses, the Letters of the Prior and Convent of Christ Church, Canterbury, from AD 1187 to AD 1199, London, 1865, xxxviii-xxxix. 75 CVMA, 127. 76 CVMA, 127. 77 Guillaume, Materials, i, 2 et 138 ; Benoît, Materials, ii, 27-28. 74



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siter l’intervention d’une image miraculeuse. Si un culte était rendu à une image – vitrail ou sculpture – il n’a pas laissé de traces. Le fait que Christ Church était avant tout une église monastique, dont les devoirs pastoraux vis-à-vis de la ville qui l’entourait étaient limités, a pu également jouer un rôle de première importance dans la décision de ne pas inclure de statues dans le programme iconographique de la cathédrale : l’église devait dans ce cas précis être avant tout l’église de la communauté, et être tournée non vers le monde, dont les moines avaient choisi de se retirer, mais vers l’intérieur du sanctuaire, et inciter à la contemplation et à la méditation78. Les vitraux étaient plus à même de remplir ce rôle qu’un programme sculpté, qui ouvrait le sanctuaire vers l’extérieur. « Literatos ad amorem excitent scripturam »79 : des supports pour la méditation Comme pour toutes les images religieuses, une justification didactique de la présence des vitraux pouvait être donnée, subordonnant leur existence à l’enseignement de l’Écriture et aux récits hagiographiques, et parant aux accusations d’idolâtrie. Ils permettaient d’exposer et d’expliquer l’histoire sainte, les dogmes théologiques et les rites liturgiques. Cet aspect didactique des verrières semble avoir fonctionné essentiellement par l’exemple, et la présentation de modèles qu’il convenait de suivre. Cependant, une grande partie du programme présentait une structure qui rendait sa compréhension et son interprétation particulièrement difficile. L’usage intensif qui était fait de la typologie dans les verrières du déambulatoire du chœur renvoie à une façon de lire et d’expliquer les textes sacrés qui était limitée à une élite intellectuelle et religieuse. Il semble en effet qu’il ait fallu une solide connaissance a priori des textes pour apprécier et comprendre les relations entre types et anti-types, d’une part, et entre les différentes parties du programme, de l’autre. Il faut considérer que seul le message le plus simple pouvait être déduit des représentations par le plus grand nombre, et que seuls quelques spectateurs privilégies pouvaient en apprécier toutes les subtilités. Tous les moines étaient familiers, à travers les leçons de l’office de matines, non seulement avec les récits qui étaient présentés dans les verrières, mais peut-être surtout avec les méthodes de la glose et de la typologie biblique. Dans 78 79



M. Lillich, n. 29, 312. « Attiser l’amour des Écritures chez les plus instruits », Pictor, 142.

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l’esprit des concepteurs des vitraux, il semble que les images qui ornaient l’église avaient pour fonction, au moins partiellement, de remettre en mémoire les événements de l’histoire sainte. Selon la conception qui prévalait au XIIe siècle, les images pouvaient servir de point de départ pour une réflexion et une méditation des thèmes essentiels du christianisme, de tremplin en quelque sorte, vers les réalité supérieures. Personne mieux que les moines ne pouvait se livrer à cette activité. La RB prévoit que plusieurs heures devaient chaque jour être consacrées à la lecture et à la méditation personnelle80. L’emploi du temps liturgique des moines ne devait toutefois pas leur laisser beaucoup de temps pour cette réflexion81 ; les seuls moments où elle pouvait se développer de façon sereine et continue étaient ceux passés en silence dans le chœur entre certains offices82. À ces moments, les images entourant le chœur pouvaient jouer un rôle capital. Parce qu’elles reprenaient les mêmes événements, les mêmes thèmes que les textes et les célébrations liturgiques, les scènes représentées offraient en effet un point de départ pour la méditation des moines. Le caractère érudit du programme renforce l’impression que sa « fonction n’est pas d’instruire, mais d’inciter à l’introspection et d’encourager la méditation des moines qui passent tant d’heures en [sa] compagnie » 83. Au niveau de la structure adoptée, le programme iconographique rappelait au frère qui le contemplait la façon dont il devait conduire sa réflexion personnelle. Tout texte devait en effet être examiné et compris en fonction de sa relation avec le Nouveau Testament. Les événements de l’Ancien Testament préfiguraient ceux des Évangiles, et les Vitae des hommes et des femmes de Dieu célébraient la venue et le sacrifice du Christ, et en actualisait le message. Les différentes parties du programme iconographique fonctionnaient ainsi individuellement ou bien comprises en relation les unes avec les autres. Ici encore, les images pouvaient fonctionner comme des exempla, et elles pouvaient remplir ce rôle à deux niveaux. Littéralement, elles proposaient, à travers les vies des saints, et surtout celle du Christ, des modèles à suivre pour les moines. Par leur ascétisme, leur force spirituelle,

RB, chapitres 8 et 48. D. Knowles, 1933, 714. 82 Regularis Concordia, 14. 83 Sa « function is not to instruct, but to provide stimulus for introspection and encouragement for the meditations of the monks who spend so many hours in [its] company », M. Lillich, 310. 80 81



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leur mort glorieuse, les saints représentés devaient rappeler aux moines le but de leur vie. Ce rôle de modèle est particulièrement décelable dans le choix des vies illustrées : reflétant en cela la tradition liturgique de Christ Church, les verrières donnaient à voir les vies de saint Martin, saint Grégoire, saint Dunstan et saint Alphège, qui tous furent moines avant de devenir évêque, archevêque ou encore pape. Ces récits proposent donc une surreprésentation d’un type particulier de sainteté masculine, monastique et pontificale, qui offraient des modèles particulièrement édifiant aux frères de la communauté. Il faut noter ici que le programme des verrières hagiographiques, du moins tel qu’il peut être reconstitué, ne comporte aucune vie de sainte. Il y avait plusieurs autels consacrés à des saintes dans la cathédrale normande, mais apparemment aucun dans le chœur des moines. Dans la description qu’il donne du chœur construit par le prieur Conrad (ce chœur, dont la construction avait été commencée pendant le pontificat d’Anselme, fut consacré en 1130), Gervais note, dans la crypte, outre un autel dédié à la sainte Vierge (à qui la crypte dans son ensemble était également dédiée), un autre à sainte Marie Madeleine, et un troisième à sainte Catherine84. La crypte ne fut d’ailleurs pas affectée par la reconstruction du bâtiment après 1174. Outre l’absence presque totale de saintes « locales »85, l’absence d’autels consacrées à des saintes dans le chœur, ainsi que de représentations iconographiques, est d’autant plus surprenante que les vies de saintes – en latin aussi bien qu’en vernaculaire – étaient très nombreuses. Relativement peu de saintes étaient inscrites dans le calendrier de Christ Church, et leurs fêtes, exceptées celles en l’honneur de la Vierge et de saintes traditionnelles telles que Catherine, Agnès, Lucie ou Cécile86, n’étaient pas particulièrement distinguées. Les images des vitraux jouaient donc probablement un rôle de premier ordre dans la vie des moines de la communauté. Parce qu’elles étaient étroitement liées aux cérémonies liturgiques – à travers leur forme et leur contenu –, elles pouvaient susciter, guider et soutenir les réflexions des moines. Elles pouvaient ainsi, au même titre que les

Gervais, OH, 13-16. Mildred est probablement la seule sainte locale à avoir jamais atteint un certain degré de notoriété. Christ Church possédait une relique de cette sainte (Wickham Legg & St. John Hope, 81), mais Saint Augustine’s avait de longue date revendiqué le monopole du culte, malgré les prétentions de la collégiale de Saint Gregory’s (D.W. Rollason, The Mildrith Legend. A Study in Early Medieval Hagiography in England, Leicester, 1982, 58-68). 86 V. Ortenberg, 1987, 261. 84 85



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lectures auxquelles les membres de la communauté étaient astreints, enrichir leur vie spirituelle. Elles reprenaient et complétaient, nous l’avons vu, les cérémonies liturgiques qui se déroulaient dans le chœur, permettant à qui les étudiait de saisir pratiquement immédiatement toutes les relations complexes entre récits évangéliques et préfigures testamentaires, ainsi qu’entre les différentes parties du programme dans son ensemble. De même que les Psaumes, autour de la récitation desquels la vie des moines était organisée dans ses moindres détails, constituaient « a melodic recapitulation of the entire history of salvation »87, le programme iconographique proposait une récapitulation picturale de cette même histoire. C’est cette subordination du propos et de la structure des verrières à un mode de pensée avant tout ecclésiastique et monastique qui constitue la spécificité de Christ Church. L’utilisation de la typologie n’était bien entendu pas limitée aux églises monastiques88, mais l’usage qui en était fait à Christ Church était particulièrement minutieux, approfondi et systématique, ce qui a fait dire à M.R. James que le spectateur d’un tel programme ne peut manquer d’être impressionné par l’ingéniosité avec laquelle les événements les moins prometteurs de l’histoire de l’Ancien Testament sont recrutés de force pour cette entreprise, et il aura peut-être le sentiment (…) que cette ingéniosité témoigne souvent d’une imagination réellement poétique, exercée par des générations d’hommes déterminés à trouver le Christ partout 89.

Les sujets, les relations entre ces sujets, ainsi que les inscriptions qui les glosent ont en effet pour origine l’Écriture et les autorités patristiques, répétées et complétées au cours des siècles. La compréhension du programme, dans son ensemble et dans les détails, dépendaient d’une connaissance a priori des sources qui l’avaient inspiré, ainsi que d’une grande familiarité avec les méthodes de l’interprétation typologique. Les associations entre personnages et entre événements ne peuvent en effet être comprises que si elles sont déjà con-

« une récapitulation mélodique de l’histoire du salut toute entière », M.A. Mayeski, 68. Ainsi par exemple dans la verrière de la Passion à Chartres ou à Bourges (C. ManhèsDeremble, 140). 89 « fail to be impressed by the ingenuity with which the most unpromising incidents in the Old Testament story are pressed into the service, and perhaps he may feel (…) that this ingenuity often testifies to a really poetic imagination, exercised by generations of men determined to find Christ everywhere», Pictor, 151. 87 88



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nues. Le programme iconographique a donc essentiellement une fonction commémorative, et ne peut être compris et apprécié que par des hommes rompus aux méthodes de l’exégèse et de la réflexion sur les sens cachés de l’Écriture. 3.3.  Mise en scène et re-présentation L’aspect visuel du rituel était une dimension essentielle de la pratique liturgique, ainsi qu’en témoigne le soin apporté au décor et aux ornements du sanctuaire. Commémoratives par essence, les célébrations liturgiques, en particulier celle de la messe, recréaient quotidiennement les derniers événements de la vie du Christ. Annuellement, les fêtes des saints faisaient revivre, à date fixe, les personnages célébrés, à travers la lecture des Vitae. C’est cette structure même de l’année liturgique qui est reproduite dans le cycle iconographique des verrières de Christ Church. Mais le rôle de ces représentations ne se limitait pas à copier les cérémonies qui avaient lieu dans l’église. Elles faisaient partie intégrante de la liturgie, d’une part en participant à certaines cérémonies, d’autre part en permettant aux personnages représentés de participer aux célébrations. Les jeux liturgiques : mise en scène du rituel La comparaison entre liturgie et théâtre a souvent été faite, et de nombreuses études insistent sur les caractéristiques communes à la célébration de la messe et à la représentation théâtrale90 : les célébrants peuvent être comparés à des acteurs, l’histoire de la Passion du Christ à l’intrigue d’une pièce, le secret de la messe au texte, les objets et les vêtements liturgiques aux accessoires et aux costumes, les rubriques aux didascalies. L’autel où se déroule cette cérémonie – qui était, à Christ Church en particulier, surélevé, telle une scène, par rapport à la congrégation des fidèles et au chœur des moines – était par ailleurs dissimulé, à certaines périodes de l’année, derrière un rideau, qui pouvait être ouvert pour permettre les célébrations91. La comparaison ne peut cependant être totale : le prêtre officiant ne prétend en effet à aucun moment incarner le Christ. Il se contente de rappeler ses paroles et ses gestes. Cependant, certaines cérémonies paraliturgiques 90 91



Entre autres, K. Young, 1933 et O.B. Hardison, 1965. Constitutions, § 20-22.

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semblent franchir la ligne qui sépare liturgie et théâtre : il s’agit des cérémonies qui ont été appelées jeux liturgiques, qui ont souvent été présentés comme l’origine du théâtre médiéval. L’histoire de l’origine et du développement de ces jeux est difficile à établir avec certitude, mais leur existence est avérée un peu partout en Europe à partir du Xe siècle92. Ils semblent s’être développés à partir de certains tropes, en particulier de l’office de matines. L’un des premiers textes qui témoignent d’une pratique quasi-théâtrale dans le cadre de l’office du dimanche de Pâques est la Regularis Concordia93. Dans le coutumier anglo-saxon, le degré de théâtralisation est assez poussé. Trois moines devaient se vêtir « comme les femmes venant oindre de parfum le corps de Jésus » (« ad imitationem mulierum cum aromatibus venientium ut ungerent corpus Ihesu »), et un quatrième jouer l’ange. Le dialogue demeure simple, mais les actions et les accessoires (une palme, des encensoirs, le sépulcre), ainsi que les « indications scénographiques » sont relativement détaillés. Ainsi, les frères qui incarnent les saintes femmes devaient avancer « pedetemptim ad similitudinem quaerentium quid » (« pas à pas, comme si elles cherchaient quelque chose »), et le moine chargé du rôle de l’ange devait « ingrediatur atque latenter sepulcri locum adeat ibique, manu tenens palmam, quietus sedeat » (« entrer et se rendre subrepticement au lieu du sépulcre et rester assis là paisiblement, une palme à la main »)94 . Il est possible qu’à l’époque où cette pratique fut consignée dans la Regularis Concordia, elle avait déjà une certaine tradition derrière elle. Il faut toutefois noter que le « personnage » du Christ n’est pas joué par un membre de la communauté, mais par le crucifix, qui avait été déposé dans le sépulcre dès le soir du Vendredi Saint, dans un cérémonie également proche d’un jeu liturgique, en prévision de la récitation du Quem quaeritis95. K. Young, 1933, propose un recensement de tous les textes médiévaux de jeux liturgiques ; il s’agit d’une étude un peu ancienne, et certaines datation de textes ont depuis été corrigées, mais cet ouvrage représente toujours le point de vue le plus complet sur la question. 93 Regularis Concordia, 51. 94 Ces trois citations sont tirées du § 51 de la Regularis Concordia. 95 « Sit autem in una parte altaris, qua uacuum fuerit, quaedam assimilatio sepulcri uelamenque quoddam in gyro tensum quo, dum sancta crux adorata fuerit, deponatur hoc ordine. Veniant diaconi qui prius protauerunt eam et inuoluant eam sindone in loco ubi adorata est ; tunc reportent eam canentes antiphonas (…) donec ueniant ad locum monumenti ; depositaque cruce, ac si Domini Nostri Ihesu Christi corpore sepulto (…). In eodem loco sancta crux cum omni reuerentia custodiatur usque dominicam noctem Resurrectionis » (« sur un côté de l’autel où il y a suffisamment de place, on fait une représentation en quelque sorte du sépulcre, fermé par un rideau, dans lequel la sainte Croix, quand elle a 92



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À Christ Church au XIIe siècle, la pratique du jeu liturgique de la Visitatio sepulchri peut être tenue pour probable. Il s’agissait en effet d’une pratique bien établie dans l’église anglo-saxonne, et la Regularis Concordia semble avoir exercé une influence durable à Christ Church96. Lanfranc ne fait aucune référence à des jeux liturgiques dans ses Constitutions, mais il ne semble pas qu’il faille considérer son silence comme une preuve absolue de la suppression de cette tradition. Le jeu liturgique du Quem quaeritis était presque certainement pratiqué à Christ Church au moins jusqu’à l’arivée de Lanfranc en 1070, car Eadmer y fait allusion dans un des miracles effectués par saint Dunstan entre la destruction de la cathédrale en 1067 et le début de la reconstruction au début du pontificat de Lanfranc97. Si d’autres types de jeux liturgiques prenaient place à Canterbury, il est difficile de déterminer exactement quels types de « ludi » étaient mis en scène dans les églises. L’interdiction faite par l’archevêque de Canterbury Étienne Langton en 1213-1214 de représenter des jeux « inhonesti » dans les églises et les cimetières98, ainsi que la répétition de cette prohibition par un certain nombre d’autres prélats très influents au cours du Moyen Âge, et jusqu’au XVIIe siècle au moins, pourraient indiquer qu’il existait une catégorie de jeux « honesti », qui auraient eu lieu dans les églises – ce qui correspondrait bien à l’idée du jeu liturgique99. Ainsi l’évêque de Salisbury, Richard Poore, dans les statuts extrêmement détaillés qu’il rédige pour son diocèse en 1217-1219 répète l’interdiction des « inhonesti ludi qui ad lasciviam invitant in cimiterii »100 ; Robert Grosseteste, quant à lui, dans les statuts diocésains pour Lincoln, vers 1239, parle de « ludi et placita secularia »101. Il semble donc qu’il y avait, au XIIIe siècle du moins, une distinction entre les jeux exécutés pour et par le clergé, et ceux dont l’initiative revenait aux fidèles laïcs, et qu’il convenait d’écarter ceux-ci des lieux

été adorée, est placée de la façon suivante. Les diacres qui ont porté la Croix auparavant s’avancent et, après avoir envoloppé la Croix dans une toile fine là où elle a été vénérée, ils la portent jusqu’au sépulcre en chantant des antiennes (…) ; ils y déposent la Croix, en imitation de l’ensevelissement du corps de Notre Seigneur Jésus Christ (…). Dans ce même lieu, la sainte Croix sera gardée avec la plus grande révérence jusqu’à la nuit de la Résurrection du seigneur »), Regularis Concordia, § 46. 96 Voir chapitre 1. 97 Memorials, 231. 98 Statutes of Canterbury I, c. 60, CS II, 35. 99 J.M. Wasson, 26. 100 « les jeux honteux qui encouragent à la lascivité dans les cimetières ». 101 Statutes of Lincoln, c. 40, CS, 274.



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consacrés, église et cimetière. En tout état de cause, ces interdictions de nombreuses fois répétées montrent assez que la pratique de mettre des pièces, liturgiques ou non, en scène dans les églises avait survécu, et qu’elle s’avérait difficile à contrôler. Aucun texte en provenance de Christ Church ne mentionne l’existence de jeux liturgiques qui auraient été pratiqués dans la cathédrale. Cependant, certains éléments peuvent conduire à penser qu’une pratique proche d’un Jeu des Bergers ou Officium Stellae était peut-être courante dans le monastère. Le panneau de l’Adoration dans la verrière de l’Enfance du Christ (fenêtre n. XV, 28) présente une particularité iconographique : il réunit à la fois la scène de l’Adoration des Bergers et celle de l’Offrande des Mages (figure 8). Ce télescopage des deux événements est très rare dans l’iconographie102. En revanche, ces deux événements étaient souvent représentés ensemble dans le Officium Stellae, un jeu liturgique qui était représenté lors de l’Épiphanie103. Ce jeu liturgique employait fréquemment, pour représenter les personnages de la Vierge et du Christ enfant, une statue où la Vierge « est majestueusement assise sur un trône (…) et (…) adopte une pose frontale, royale, avec le Christ Enfant rigidement placé sur ses genoux comme sur un trône » 104. La possibilité que des membres du clergé ou que des laïcs endossent ces rôles était en effet tout à fait exclue105. L’attitude de la Vierge et de l’Enfant dans ce panneau, tous deux très hiératiques, semble faire écho de façon nette à cette représentation très courante au XIIe siècle. Il n’existe aujourd’hui aucune statue médiévale de la Vierge à Christ Church, ni aucune référence directe à une telle image. Cependant, dans son ouvrage sur les peintures murales en Angleterre au XIIIe siècle, E.W. Tristram mentionne la présence, sur un des pilier de la crypte de la cathédrale, d’un dessin représentant une Majesté. Il suggère qu’il pourrait s’agir d’un dessin préparatoire pour une peinture murale de plus grande taille, qui aurait été placée près de l’autel consacré à la Vierge dans la crypte106. Cette image aurait tout à fait pu être employée pour un éventuel jeu des Bergers. S’il est possible, comme le propose M. Caviness, de penser que l’artiste de Can-

CVMA, 93. I.H. Forsyth, 217-221. 104 « is majestically seated on a throne (…) and (…) ordinarily assumes a frontal, regal pose with the Christ Child rigidly centered and enthroned in her lap  », I.H. Forsyth, 215. 105 I.H. Forsyth, 221. 106 E.W. Tristram, 1950, 272. 102 103



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terbury s’est inspiré pour représenter cette scène de modèles datant des IVe et VIe siècles107, on peut également avancer que la source d’inspiration pour cette scène a pu être une mise en scène à mi-chemin entre théâtre et liturgie qui avait lieu lors de la fête de l’Épiphanie. Le panneau serait alors une représentation unique de ce à quoi pouvaient ressembler les jeux liturgiques. L’inclusion dans un panneau de la même fenêtre de la représentation des chandelles qui étaient utilisées lors de la célébration liturgique de la présentation du Christ au Temple (Chandeleur ; n. XV, 18) indique que, dans certains cas, concepteurs des vitraux et artisans s’inspirèrent directement des rituels qui prenaient place dans l’église. Ainsi les images – en particulier les représentations en trois dimensions – pouvaient jouer un rôle de premier plan dans certaines célébrations liturgiques. Il est possible que certaines scènes du programme iconographique des vitraux témoignent de ces utilisations liturgiques des images. Ce qui semble certain, c’est que l’utilisation de ces « maiestates » comme personnages à part entière dans les jeux liturgiques dénote que ces images étaient « plus que de simples simulacres façonnés pour remplir un but didactique ou commémoratif », et qu’elles étaient plutôt considérées comme « des intermédiaires appropriés du pouvoir divin (…), des représentants convaincants de Marie et de l’Enfant Jésus, des imitations figuratives parfaites de la Vierge et de son Fils »108. Clairement, donc, les images étaient investies d’un rôle plus important encore que celui de la simple représentation. Re-présentations et anamnèse L’attitude vis-à-vis des images peut aider à cerner l’importance qui leur était accordée dans la célébration de la liturgie. Cette attitude, qui a varié parfois dans des proportions importantes au cours du Moyen Âge, dépend en grande partie du statut accordé à la représentation du divin et des personnes saintes. Les images avaient, au Moyen Âge, un statut d’autant plus difficile à cerner qu’il ne nous est accessible qu’à partir des réflexions de certains hommes d’Église, c’est-àdire de l’élite intellectuelle ; les attitudes réelles des fidèles dans leur ensemble – au rang desquels on peut probablement mettre l’immense

CVMA, 93. « more than mere simulacra fashioned to serve a didactic or commemorative purpose » (…) « apt agencies of divine power (…) convincing proxies for Mary and the Christ child, excellent figurative impersonators of the Virgin and her Son », I.H. Forsyth, 217. 107 108



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majorité des membres des communautés monastiques – demeurent insaisissables. Il semble cependant que pour la plupart d’entre eux, à l’exception des plus clairvoyants et des plus lettrés, les images qui étaient présentes dans les sanctuaires signifiaient bel et bien la présence du saint. Cette notion était encore renforcée par le fait que l’image accompagnait la plupart du temps une relique du saint ou de la sainte en question. La présence d’une partie du corps saint – voire du corps entier – conférait à l’image une valeur supérieure : la représentation signifiait la présence. Le lieu de sépulture d’un corps saint était en effet très souvent perçu comme le lieu de résidence du saint lui-même. En témoigne le rêve d’un moine de Canterbury, dans lequel il vit saint Dunstan sortir de sa tombe pour offrir une bague à Anselme109, ou encore la représentation d’une apparition de saint Thomas qui sort, tout vêtu, d’un édifice qui ressemble fortement à une châsse110 (figure 3). Cette attitude est belle et bien celle dénoncée puis acceptée par Bernard d’Angers devant la statue-reliquaire de sainte Foy à Conques111. La destruction des images consacrées à saint Thomas en conjonction avec celle de son tombeau et de ses reliques montre bien le rapport étroit entre reliques et représentations iconographiques112. Les images re-présentaient, rendaient les personnages

Eadmer, Life of St Anselm, 154. Il a été suggéré que cette image représentait le tombeau dans lequel le corps de saint Thomas reposait après la translation de 1220 ; il semble cependant que les verrières étaient achevées lors de cette cérémonie, CVMA, 164. 111 Liber miraculorum sancte Fidis, édité par A. Bouillet, Paris, 1897. 112 En 1538, le roi Henri VIII publia l’édit suivant afin d’éradiquer le culte de Thomas Becket: « therefore, his grace straightly chargeth and commandeth, that from henceforth the said Thomas Becket shall not be esteemed, named, reputed, nor called a saint, but Bishop Becket; and that his images and pictures, throughout the hole realme, shall be put down and avoided out of all churches, chappelles and other places » (« par conséquent, sa majesté ordonne et commande directement, qu’à partir de maintenant le dit Thomas Becket ne soit plus estimé, nommé, représenté, ni appelé un saint, mais l’évêque Becket; et que ses images et portraits, à travers tout le royaume, soient déposés et soustraits de toutes les églises, chapelles et autres endroits », cité par T. Borenius, 1932, 109-110). Le prélat fut jugé pour trahison et rebellion, et le verdict fut « that his bones should be burned as a lesson to the living not to opose the royal will, and that the rich offerings with which his shrine had been enriched should be forfeited to the crown » (« que ses ossements soient brûlés pour enseigner aux vivants qu’il ne faut pas s’opposer à la volonté royale, et que les somptueuses offrandes qui ont enrichi son tombeau doivent être confisquées par la couronne », cité par G. Smith, Chronological History of Canterbury Cathedral, Canterbury, 1883, 235). Il est cependant possible que les verrières consacrées à saint Thomas dans le déambulatoire de la Trinity Chapel n’aient pas été détruites avant l’attaque de Richard Culmer et de ses troupes contre la cathédrale en 1642 (R. Culmer, Cathedrall Newes from Canterbury, Canterbury, 1644, cité dans G. Smith, 282-316). 109 110



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et les événements à nouveau présents. Elles jouaient par conséquent un rôle similaire à celui de l’anamnèse qui suivait le canon dans la célébration de la messe, ce qui les associait étroitement aux célébrations liturgiques. Ainsi qu’il a déjà été expliqué, les images furent dès les premiers siècles du christianisme de plus en plus couramment utilisées dans les églises, dans un but décoratif, symbolique, et didactique. L’image religieuse devint peu à peu le signe de la présence du divin. Les images des églises de l’Occident chrétien se virent peu à peu attribuer des caractéristiques et des attributs proches de ceux du saint ou de la sainte honoré par la représentation. L’image rendait présents des saints qui, par définition, étaient absents et invisibles113. L’utilisation de la Majesté dans les jeux liturgique souligne que les représentations étaient perçues comme des représentants des personnages célestes sur terre : « Elles constituaient ainsi des substituts convaincants pour Marie et l’Enfant Jésus, d’excellentes incarnations figurées de la Vierge et de son fils »114. À travers les images, les saints étaient effectivement présents dans l’église, et cette présence leur permettait d’intervenir dans le rituel. Qu’il s’agissait d’une fonction formelle des représentations est bien mis en relief par les prescriptions du coutumiers de Lanfranc, où une des préparations de l’église pour la saison du Carême implique que Debent esse coperte crux corone, capse, textus qui imagines deforis habent115.

Cette fonction rituelle des images perdura tout le Moyen Âge, car l’inventaire des ornements de Christ Church dressé à la dissolution du monastère en 1540 recense plusieurs voiles dont la fonction était de couvrir les autels et les ornements pendant le Carême116. Cette pratique souligne à quel point les images étaient impliquées dans la célébration de la liturgie. Les images offraient ainsi, à l’instar des reliques, un lien entre le visible et l’invisible, l’humain et le divin, le terrestre et le céleste, con-

J.-C. Schmitt, 2002, 287. « they would have been convincing proxies for Mary and the Christ Child, excellent figurative impersonators of the Virgin and her Son », I.H. Forsyth, 215-216. 115 « Le crucifix, les couronnes [chandeliers], les reliquaires et les livres contenant des images doivent être couverts », Constitutions, § 20-22. 116 « item xx Lynen clothes to veyle Images » (« de même, xx voiles de lin pour couvrir les images »), Inventories, 192. 113

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tribuant à donner à l’espace liturgique le statut d’espace charnière, où s’articulaient les deux composantes du monde chrétien, l’ici-bas et l’au-delà. L’important semble avoir été que les images, et par conséquent les personnages saints qu’elles donnaient à voir, soient présents pendant les cérémonies117. Cette idée de présence fut rendue plus vivace par les représentations en trois dimensions qui se multiplièrent dans les églises au Moyen Âge, et qui étaient particulièrement suspectes aux yeux de certains hommes d’Église. Leur tridimensionnalité les rendait en effet dangereusement proches des idoles païennes, en termes d’aspect, et les rendait susceptibles de provoquer des comportements idolâtres de la part des spectateurs, tels ceux initialement redoutés par Bernard d’Angers à propos des statues-reliquaires d’Auvergne118. Les attraits qu’une telle iconographie tridimensionnelle pouvait exercer sont illustrés de façon particulièrement frappante par un panneau d’une verrière du déambulatoire du chœur où le Christ est représenté détournant un groupe de Gentils de l’adoration d’une idole païenne (n. XV, 34 ; figure 6). La statue, peut-être copiée sur un modèle antique119, fut affublée par l’artisan de deux petites cornes de démon, qui soulignent le caractère non chrétien de cette représentation. Les deux Gentils qui se retournent vers cette statue alors même qu’ils se dirigent vers l’église et la croix désignées par le Christ, évoquent, de façon éloquente, les dangers du paganisme et de l’idolâtrie. Les théologiens du Moyen Âge – en Occident du moins - s’efforcèrent de séparer conceptuellement la représentation de son prototype, insistant sur le fait que c’est le prototype, le saint, qu’il convenait d’honorer, et non la représentation elle-même. Mais cette conception subit, au cours des siècles, des modifications qui firent que, de plus en plus, des caractéristiques propres aux saints ou aux objets consacrés furent graduellement attribués à certaines images120. L’image participait étroitement de la sainteté du personnage représenté. Les usages apotropaïques qui étaient faits des images (statues ou peintures) donnent une idée des pouvoirs qui étaient accordés aux représentations iconographiques. Ces images pouvaient pleurer, saigner, voire s’animer et communiquer avec certains personnages favo-

E. Palazzo, 2000, 153. Liber miraculorum sancte Fidis, Bouillet, Paris, 1897, I, xiii, 47. 119 ESG, 58. 120 H. Belting, 397-415 ; J.-C. Schmitt, 2002, 64-72 117 118



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risés. La tradition des images qui s’animent et qui apparaissent en rêve ou en vision était bien établie dans l’Église d’Occident, depuis que la croix était apparue à Constantin à la veille de sa conversion121. En Angleterre, cette tradition était reflétée dans la littérature, avec des textes tels que le Dream of the Rood, qui nous est parvenu dans un manuscrit de la fin du Xe siècle, et dont la composition remonte probablement au VIIIe siècle122. Rêve ou réalité, les images étaient investies d’une partie des pouvoirs surnaturels et de la capacité d’intercession des saints qu’elles représentaient. Le vitrail ne présentait que des images en deux dimensions, mais pouvait cependant offrir des tableaux quasiment grandeur nature, des portraits presque animés par le jeu de la lumière à travers les couleurs et les textures de la peinture. Reliques, portrait, bien souvent également autel, tout ces éléments attestait de la présence du saint ou de la sainte dans le sanctuaire, et contribuait à rendre sa présence presque palpable. L’association pratiquement systématique entre reliques et autels d’une part, et de l’autre représentations iconographiques était une pratique bien établie dans l’église médiévale123, et contribuait à donner une impression puissante de la présence des saints dans la vie des chrétiens. La série des ancêtres du Christ, qui dominait toute partie orientale de la cathédrale, permettait de convoquer les patriarches et les prophètes qui avaient préfiguré et annoncé la venue du Messie. Les verrières typologiques donnaient vie aux récits évangéliques. Les vitraux hagiographiques permettaient de montrer la grâce du Christ en action dans le monde, et ce nulle part de façon plus éloquente que dans les verrières des miracles de saint Thomas, où des hommes et des femmes, voisins, contemporains des pèlerins qui se pressaient en foules nombreuses dans la cathédrale, étaient représentés recevant l’assistance du martyr, et le remerciant profusément de son action. Toutes les images ne participaient pas dans la même mesure à la cérémonie qui avait lieu dans l’église. Certaines, tel le crucifix, représentaient le point central du sanctuaire, là où le rituel avait lieu, et sans lequel il n’aurait pu être célébré de façon propre et efficace, et signifiaient, dans une large mesure, le rituel lui-même, ainsi que le

Eusèbe, Patrologia Greca, xx, 944-945 et Lactance, PL, vii, 260-262. The Dream of the Rood, édité par Michael Swanton, Manchester, 1970. 123 La façon dont ces éléments furent combinés dans les pratiques rituelles des premiers siècles chrétiens est analysée par P. Brown, 1981. 121 122



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fondement ultime de la religion chrétienne. D’autres avaient plus simplement pour fonction d’orner le sanctuaire, comme par exemple les vitraux non historiés. Les images hagiographiques occupent une place à mi-chemin entre ces deux extrêmes. D’une part, l’image d’un saint particulier ne revêtait une importance particulière que lors des fêtes consacrées à ce saint. Mais, d’autre part, ces images représentaient des personnages dont l’intercession pouvait s’avérer capitale, et leur présence dans le sanctuaire à toutes les célébrations renforçait l’efficacité rituelle de ce qui se déroulait dans le chœur. Ainsi toutes les parties du programme iconographique – typologique, hagiographique, généalogique – participaient à la création de la mémoire du monastère. Les images rappellaient les origines du christianisme, célébraient l’identité liturgique de la cathédrale, et soulignaient l’universalité du pèlerinage sur la tombe de saint Thomas. Le trait commun à toutes ces représentations est qu’elles proposaient un raccourci temporel, qui met toutes les époques sur le même plan, et qui rend le message illustré universel, et qu’elles participaient ainsi à la création d’un lieu où le temps normal semblait aboli. Elles rendaient explicite l’action de Dieu dans le monde et, par la juxtaposition des épisodes de l’histoire sainte, elles mettaient en relief le plan divin pour l’humanité. Comme celui de la liturgie, axé sur le retour cyclique de la célébration des événements de la vie du Christ, en particulier la Passion et la Résurrection, le temps de la représentation est un temps « atemporel », qui téléscope toutes les époques et établit une quasiidentité entre les périodes de l’histoire sainte. Les procédés iconographiques qui contribuent à atténuer les différences – voire même à accentuer les ressemblances – entre, par exemple, Dunstan, Alphège et Thomas Becket, ou encore les archevêques et Aaron, contribuent à renforcer cette impression d’atemporalité. La liturgie et les images qui en découlent ont avant tout un rôle de re-présentation : elles mettent en scène les vérités de la foi, elles les donnent à voir, et surtout elles les rendent à nouveau présentes, à chaque fois que l’eucharistie est célébrée. Les images faisaient ainsi partie intégrante de la célébration de la liturgie, non seulement en tant qu’objets, mais probablement également en vertu du fait que certaines d’entre elles permettaient aux personnages représentés de prendre une part active aux rituels, comme dans les jeux liturgiques, et de leur donner leur efficacité. Les représentations qui ornaient le sanctuaire permettaient d’encadrer les célébrations, de leur donner une toile de fond, un décor approprié. La présence – ou l’absence lorsqu’elles étaient voilées – de ces images validait alors le rituel. Les

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images, qui dans certains cas pouvaient jouer le même rôle que les reliques des saints, permettaient de voir et de donner corps au divin. La « présence » des martyrs et des confesseurs pendant les célébrations conféraient à la liturgie une valeur particulière : témoins des rites célébrés par les hommes, les saints pouvaient transmettre à Dieu le sacrifice offert sur terre. Le rôle d’intercesseurs joué par les saints est un élément capital du développement de leur culte aux premiers siècles du christianisme qui ne cesse de prendre de l’importance au Moyen Âge. Ce rôle était médiatisé par la présence des reliques et des corps saints. La cathédrale se présente comme un immense reliquaire, par la quantité de corps saints qu’elle abrite – et la collection de Christ Church était particulièrement impressionnante – mais aussi par son aspect physique. L’abolition de la distance temporelle effectuée par la juxtaposition typologique d’événements bibliques et contemporains renforce le statut de l’église en tant qu’espace charnière. Là, le croyant peut avoir un avant-goût des « choses immatérielles » dont parlait Suger, et peut même espérer les contempler. La cathédrale constitue donc constitue un espace à part, où se rencontrent les hommes et les élus.



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Pour Honorius Augustodunensis († v. 1137),  igitur sicut in ecclesia dedicata rite missa celebratur, sic in Ecclesia catholica legitime sacrificatur, et extra hanc nullum sacrificum a Deo acceptatur1.

Honorius n’était pas le seul parmi les commentateurs chrétiens à lier ainsi très étroitement la sacralité du lieu où était célébré la messe, et en particulier le sacrement de l’eucharistie, à la validité du rite célébré. Très rapidement en effet, le rituel chrétien devint inséparable de l’espace dans lequel il se déroulait. Les relations entre ces deux éléments étaient complexes. D’une part, le rituel donnait forme et limites à l’espace de la liturgie et lui conférait un statut spécial. Initialement au moins, parce qu’une célébration eucharistique avait lieu à un endroit, cet endroit acquérait un certain degré de sacralité, ainsi que le montre l’évolution qui prit place à Rome, où églises et basiliques furent fréquemment érigées sur les tombes des martyrs, lieux où les premiers chrétiens se réunissaient en secret pour célébrer l’eucharistie. D’autre part, et ce de façon croissante au cours du Moyen Âge, le rituel ne prenait tout son sens que dans un lieu prédéterminé et sanctifié à l’avance, comme en témoigne la cérémonie, très élaborée et hautement symbolique, de la dédicace d’une église. L’espace liturgique devait être défini de façon précise avant que le rituel puisse s’y dérouler, et les marqueurs de la sacralité du lieu – autels, reliques, représentations iconographiques – jouaient un rôle central dans cette définition. Il n’est pas de mon propos de retracer l’histoire des bâtiments religieux, dans laquelle entrent des facteurs multiples et souvent difficiles à dégager avec précision2. Il suffira ici de rappeler que « La messe est rituellement célébrée dans l’église consacrée ; c’est ainsi que l’Église catholique sacrifie comme il convient, et en dehors d’elle aucun sacrifice n’est accepté par Dieu », Gemma animae, PL 172, 596 B-C. 2 Pour une introduction aux problématiques récentes, on peut se reporter aux travaux de C. Heitz sur les églises carolingiennes (Recherches sur les rapports entre architecture et liturgie à l’époque carolingienne, Paris, 1963, et L’architecture religieuse carolingienne. Les formes et leurs fonctions, 1980, ainsi qu’au chapitre «La liturgie et l’espace », dans E. Palazzo, 2000, 124-149. 1



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les images étaient bien souvent associées de très près à la définition d’un espace propre à la célébration liturgique. Dans l’église, de même que la liturgie était pratiquement continue dans le temps, les images étaient continues dans l’espace, et il importe d’essayer de comprendre comment rituel et iconographie contribuaient tous les deux à créer un espace sacré propre à la célébration des cérémonies les plus sacrées du christianisme. Comme nous l’avons déjà vu, les représentations iconographiques furent très tôt associées aux lieux de la célébration du culte. Il s’agira donc ici d’une étude des modalités des relations entre images et espace rituel et de leurs conséquences pour Christ Church en particulier. Les images désignaient l’espace liturgique, le séparaient du reste du monde et contribuaient à l’organisation interne du sanctuaire. La célébration de l’eucharistie, la lecture des textes sacrés, la présence des célébrants d’une part et de l’assemblée des fidèles de l’autre, créèrent rapidement des besoins spécifiques en matière d’espace pour les cérémonies liturgiques, à tel point qu’« au Moyen Âge, la structure, l’échelle et la décoration d’une église dépendaient entièrement des besoins rituels de la messe et de l’office divin »3. Il est ainsi parfois possible de « lire » l’histoire de l’évolution des pratiques liturgiques dans la structure architecturale des églises, comme l’ont montré, entre autres, les recherches d’Arnold Klukas sur l’influence de la Regularis Concordia et des Constitutions de Lanfranc sur la construction des églises anglo-saxonnes et anglo-normandes4. Les églises médiévales, à la suite du développement du phénomène des messes privées, comptaient souvent un nombre considérable d’autels, qui constituaient autant de pôles autour desquels s’organisaient les cérémonies, qui n’avaient pas toutes la même importance. L’espace du sanctuaire était donc divisé et hiérarchisé en fonction de l’utilisation qui était faite de ces autels, et les images jouaient souvent un rôle de premier plan dans l’organisation interne de la cathédrale. L’étude des réponses apportées à l’apparition de nouveaux besoins liturgiques au cours des siècles n’appartient pas au champ de cette étude. Il est par ailleurs souvent difficile de déterminer dans quelle mesure la liturgie put influencer le développement de l’architecture religieuse, ou si au contraire la

3 « In the Middle Ages, the structure, scale and decoration of a church were all subordinate to the cultic requirements of Mass and Divine office », A. Klukas, « The Architectural Implications of the Decreta Lanfranci », 1984, 136. 4 Les résultats de ces recherches ont été publiés dans trois articles publiés en 1984.



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liturgie s’adaptait aux bâtiments dans lesquels elle se déroulait5. Ce qui retiendra particulièrement mon attention ici est l’influence des pratiques liturgiques et paraliturgiques sur certains choix architecturaux et iconographiques effectués lors de la reconstruction du chœur et de la Trinity Chapel de Christ Church, la façon dont cet espace liturgique était défini, et à la place que tenaient les représentations iconographiques dans cette définition. Grâce à leur rôle dans l’élaboration des limites physiques et rituelles du sanctuaire, et à leur étroite association avec les reliques conservées dans la cathédrale, et par conséquent avec l’histoire du lieu dans lequel elles se trouvaient, les images contribuaient à la création d’un espace sacré placé en-dehors du monde6. 4.1. Limites physiques La citation d’Honorius Augustodunensis renvoie de façon explicite aux différentes sens du terme latin ecclesia, qui peut désigner l’assemblée des chrétiens réunis pour célébrer l’eucharistie, le bâtiment qui abrite cette assemblée, ou encore la communion des personnes unies par une même foi, voire tous ces sens à la fois7. À l’origine, les célébrations liturgiques, telle que l’eucharistie, avaient lieu là où se trouvaient les fidèles ; l’utilisation de résidences de particuliers pour ces réunions était une pratique courante chez les premiers chrétiens8. L’ecclesia était alors constituée par l’assemblée des fidèles, et le cadre des célébrations n’avait que peu d’importance. Très vite cependant le besoin se fit sentir d’un espace propre permettant de célébrer dignement l’eucharistie, d’une part parce que le nombre de fidèles ne cessait d’augmenter, et de l’autre parce que cette cérémonie acquérait peu à peu un caractère plus formel et ritualisé. Bientôt, des constructions appropriées, conçues spécifiquement pour répondre aux besoins

E. Palazzo, 2000, 125. On peut penser par exemple aux cas où des bâtiments préexistants étaient transformés en lieux de culte chrétiens. 6 Pour une présentations synthétique et analytiques des relations entre espace et liturgie, ainsi que de la façon dont elles ont été étudiées au cours du temps, on peut consulter N. Reveyron, 2003. 7 L’histoire de l’utilisation du mot « ecclesia » et de ses différents sens est retracée dans les articles « Église » et « Églises » du Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie. 8 O. Dix, 22-24. 5



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des célébrations liturgiques, virent le jour. L’église devint, entre autres choses, un bâtiment de pierre destiné à accueillir la congrégation et la célébration de la liturgie, et les vitraux avaient un rôle à jouer dans la fabrique physique de ce bâtiment. Au niveau le plus fondamental, le vitrail remplit deux fonctions pratiques importantes : il protège du froid et des intempéries et il permet à la lumière d’entrer relativement librement dans le bâtiment. Ces deux fonctions primordiales des fenêtres vitrées – qui ne sont pas nécessairement des vitraux – des églises furent résumées dès le VIIe siècle par le biographe de Wilfrid, évêque d’York, qui en 669-671, restaura York Minster, qui tombait en ruines, et dont les fenêtres étaient ouvertes à tous les vents : per fenestras introitum avium et imbrium vitro prohibuit, per quod tamen intro lumen radiabat9.

Que l’auteur ait jugé nécessaire de justifier l’introduction de fenêtres vitrées pour protéger l’église des intempéries et des incursions d’animaux montre qu’il s’agissait peut-être à l’époque d’une innovation inconnue à York. Cette innovation – suffisamment remarquable pour être portée au crédit de l’évêque – était capitale, non seulement pour le confort du clergé et de la congrégation, mais surtout pour la célébration de la liturgie. La restauration de la cathédrale d’York correspond par ailleurs, à quelques années près, à l’initiative de Benoît Biscop, abbé de Wearmouth et Jarrow, de faire venir des maîtres verriers du continent pour décorer les fenêtres des églises de ses monastères10. Biscop avait peut-être rendu visite à Wilfrid à York lors d’un de ses voyages à Rome et aurait alors pu admirer les toutes nouvelles fenêtres vitrées de la cathédrale. Il est également possible que le prix des verrières – avec tout le prestige qui découlait de leur réalisation – en faisait des ornements qui ne pouvaient qu’ajouter à la renommée d’un saint abbé ou évêque, et qu’un hagiographe se devait de les inclure au catalogue de leurs mérites et actions remarquables. Intempéries La protection des objets du culte et des reliques des saints contre les intempéries revêtait un aspect essentiel, et c’est une préoccupation qui se retrouve fréquemment sous la plume des chroniqueurs et des 9 « il empêcha que les oiseaux et la pluie entrassent à l’intérieur en fermant les fenêtres avec du verre, mais sans empêcher la lumière d’entrer », The Life of Bishop Wilfrid by Eddius Stephanus, éditée par B. Colgrave, Cambridge, 1927, 34-35. 10 Chapitre 3, n. 13.



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hagiographes. Une des raisons principales données par Gervais pour justifier le déplacement des reliques de saint Dunstan et de saint Alphège dans la nef de la cathédrale était qu’il était impératif de les protéger de la pluie et du vent, auxquels elles ne pourraient manquer d’être exposées après l’incendie. Après le désastre de 1174, les reliques des saints patrons de la cathédrale, qui se trouvaient dans le chœur ravagé par le feu, in solitudine illa remanserant, ne pluviarum et tempestatum vel ad modicum paterent injuriis, cum dolore et angustia incredibili flentes et lugentes tumbas sanctorum aperuerunt, et ipsos cum sarcofagis suis de choro extraxerunt (…) : posuerunt itaque illos in navi ad altare sanctae crucis quam decentius potuerunt11.

Les moines étaient donc particulièrement soucieux de se prémunir – et de prémunir leurs saints patrons – contre les intempéries, et les fenêtres vitrées contribuaient incontestablement à atteindre ce but. Être à l’abri du vent et de la pluie permettait par ailleurs d’assurer le service divin dans les meilleures conditions possibles. À Canterbury, sous le pontificat d’Oda (942-958), il devint nécessaire de réparer la toiture de la cathédrale, qui était pourrie. Le clergé de Christ Church redoutait que, durant les travaux, l’intérieur du sanctuaire ne fût exposé aux précipitations, rendant la célébration de la liturgie impossible. Le moine Osbern, qui rédigea la vie d’Oda, rapporte comment, en réponse à une prière du saint archevêque, un miracle se produisit, et pendant tout le temps que durèrent les travaux (trois ans), nec tamen non (…) infra ambitum solius ecclesiae (…) imber aliquando descenderet12,

alors que la cathédrale n’avait aucune couverture la protégeant des précipitations, permettant ainsi au clergé de célébrer la liturgie. Plus merveilleux encore, la pluie ne tomba pas non plus « intra muros totius civitatis », privant ainsi la population de Canterbury d’une excuse pour ne pas venir assister aux célébrations13. L’importance

« demeurèrent dans ce désert ; par conséquent, de peur qu’elles ne subissent le moindre dommage à cause de la pluie ou des tempêtes, les moines, en proie à un chagrin et une angoisse incroyables, pleurant et se lamentant, ouvrirent les tombes des saints et les retirèrent de leurs cercueils dans le chœur (…). Ils les déposèrent aussi décemment qu’il le purent dans la nef près de l’autel de la Sainte Croix», OH, 5. 12 « la pluie ne tomba jamais à l’intérieur des limites de l’église », Osbern, De Vita s. Odonis, AS, II, 83. 13 « à l’intérieur des murs de la ville entière », id., 83. 11



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d’un lieu clos, à l’abri des intrusions des éléments et des animaux apparaît donc comme une condition essentielle à la bonne célébration de la liturgie, pour les fidèles comme pour la communauté desservant la cathédrale. Un dernier épisode confirme l’importance des vitraux en tant que barrière contre les éléments et les animaux. En 1547, le roi Édouard VII promulgua un décret qui, en théorie, aurait dû signifier la destruction totale de tous les vitraux en Angleterre :  Also, that they shall take away, utterly extinct and destroy all shrines, covering of shrines, all tables, candlesticks, or rolls of wax, pictures, paintings, and all other monuments of feigned miracles, pilgrimages, idolatry, and superstition: so that there remain no memory of the same in walls, glass windows, or elsewhere within their churches and houses14.

La destruction des petits objets, des vêtements, des livres et du mobilier liturgiques ne posait guère de problème pour les Réformateurs – la disparition complète du tombeau de saint Thomas Becket et de ses reliques en témoigne – mais fracasser les vitraux « would have presented practical difficulties, destroying the fabric of the church and causing physical discomfort to the priest and congregation »15, ce qu’ils réalisèrent bientôt. En 1559, un nouveau décret fut publié, pratiquement identique au premier, mais précisant toutefois la nécessité de preserving nevertheless or repairing both the walls and glass windows16.

Cette nouvelle injonction explique probablement pourquoi il est encore possible aujourd’hui d’étudier les vitraux médiévaux en Angleterre, même si la majorité n’échappa pas aux destructions des plus

« De même, qu’ils enlèvent, fassent disparaître et détruisent complètement tous les tombeaux de saints, les ornements de ces tombeaux, les tableaux, bougies, ou rouleaux de cire, images, peintures et tous les autres témoins de faux miracles, pèlerinages, idolâtrie et superstition ; qu’il ne reste aucun souvenir de ces choses sur les murs, les vitraux, et partout ailleurs à l’intérieur de leurs églises et de leurs maisons », Royal articles of Edward VI, 1547, Article 28, W.H. Frere, « Visitation Articles and Injunctions of the Period of the Reformation », Alcuin Club Collections 15, ii (1910), 126. 15 « aurait présenté des difficultés pratiques, détruisant la structure de l’église et incommodant le prêtre et la congrégation », P.A. Newton, The County of Oxford, A Catalogue of Medieval Stained Glass, Corpus Vitrearum Medii Aevi, Great Britain, Volume I, London: Oxford University Press for the British Academy, 1979, 1. 16 « préserver toutefois ou de réparer et les murs et les vitraux », Royal Articles of 1559, Article 23, W.H. Frere, « Visitation Articles and Injunctions of the Period of the Reformation », Alcuin Club Collections 15, iii (1910), 16. 14



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zélés17. À Christ Church, par exemple, en 1657, des soldats du Commonwealth s’attaquèrent à certaines fenêtres de la Trinity Chapel, comme le montre le dessin réalisé à cette époque18. Mais elle souligne par-dessus tout le rôle éminemment pratique des fenêtres vitrées – aussi important que celui des murs de l’église, à tel point que les autorités protestantes étaient prêtes à fermer les yeux sur le contenu « papiste » des représentations. Il faut noter ici que le rôle de protection contre les éléments est complètement indépendant de ce que les vitraux pouvaient représenter – une simple fenêtre vitrée suffit en effet à remplir ce rôle. Lumière Le fait que le biographe de Wilfrid d’York jugea nécessaire de préciser « per quod tamen intro lumen radiabat » incite en effet à penser qu’un autre facteur crucial était de permettre à la lumière de pénétrer dans l’édifice. L’accès de la lumière à l’intérieur de l’église prit de plus en plus d’importance au cours du Moyen Âge. Le développement de l’architecture dite gothique, permettant, grâce à l’arc brisé et à l’introduction d’arc-boutants à l’extérieur du bâtiment, de percer des ouvertures de plus en plus grandes dans les murs des églises, fut contemporain de l’essor du vitrail19. Déjà en 1180, quand il rédigea le récit de la reconstruction de la cathédrale, Gervais nota que certaines des fenêtres du chœur du prieur Conrad étaient « parvulis ac obscuris », petites et sombres20, indiquant qu’entre la construction de ce chœur – qui fut fini en 1130 – et la fin du XIIe siècle, les attentes en matière d’éclairage de l’intérieur du sanctuaire avaient changé. Bien que Gervais ne propose pas de commentaire sur les nouvelles fenêtres, l’impression générale qui se dégage de son récit est que le nouvel édifice était plus grand, plus haut et plus clair que son prédécesseur.  Des verrières comme celles de Christ Church ou celles de Chartres, qui datent également des XIIe-XIIIe siècles, ne permettent cependant qu’un éclairage relatif de l’intérieur de l’église, en particulier à cause des couleurs qu’elles employaient. Elles laissèrent progressivement la place à des vitraux plus clairs, en grisaille, telles les fenêtres connues sous le nom de Five Sisters de la cathédrale de Le Commonwealth et la Guerre Civile causèrent également des pertes irréparables, P.A. Newton, op. cit, 2. 18 Dessin réalisé par T. Johnson, reproduit dans D. Ingram Hill, 20-22. 19 H. Focillon, 30 ; L. Grodecki, 1986, 230-231. 20 OH, 12. 17



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York. Ces verrières ont été datées de la première moitié du XIIIe siècle, c’est-à-dire très peu de temps après la fin de la réalisation du programme de la Trinity Chapel à Christ Church21. De telles verrières existaient déjà au XIIe siècle, mais elles devinrent de plus en plus courantes dans les cathédrales médiévales après 125022. À York, des panneaux de grisaille à motifs géométriques provenant de la cathédrale de l’archevêque Roger de Pont-l’Évêque (1154-1181) attestent que ce style de vitrail était déjà courant dans les cathédrales anglaises quand Christ Church fut reconstruite23. À Lincoln, il semble que les fenêtres de la cathédrale construite après 1186 aient comporté un certain nombre de verrières non historiées, qui étaient peut-être des grisailles24. Une fenêtre du chœur de la cathédrale de Canterbury (s. XIII) pour laquelle aucun sujet ni inscription n’est rapporté par les manuscrits, ainsi qu’une fenêtre du clair étage (S. XVIII) étaient peutêtre à l’origine ornées de grisaille25. Des considérations d’ordre économique, ajoutées au problème du manque de lumière à l’intérieur des églises contribuèrent peut-être également au remplacement progressif des vitraux colorés par des verrières peintes de teintes plus claires ou même des verrières en grisaille, à partir du XIIe siècle. Les verrières historiées ne disparurent cependant pas, même si la composition et les sujets évoluèrent considérablement ; cette évolution semble indiquer qu’à la fois artisans et commanditaires s’efforçaient de laisser davantage de lumière entrer dans l’église26. Les vitraux qui furent réalisés pour la nef de Christ Church, construite entre 1378 et 1400 environ27, montrent bien à quel point les goûts évoluèrent en matière de vitrail entre la fin du XIIe siècle et le XVe siècle. Les récits bibliques et hagiographiques ont laissé la place aux portraits de saints, de rois ou de donateurs. Ainsi par exemple la verrière orientale était vraisemblablement occupée par des représentations en pied des rois d’Angleterre28. Même quand un souci de narS. Brown, 1999, 19. L. Grodecki, 1986, 232. 23 S. Brown, 1999, 17. 24 Nigel J. Morgan, The Medieval Painted Glass of Lincoln Cathedral, CVMA, Great Britain, Occasional Paper III, London : Oxford University Press for the British Academy, 1983, 1. 25 CVMA, 62 et 148. 26 R. Marks, 1993, 127. 27 La date de l’achèvement de la nef est difficile à établir avec certitude. Les travaux de remaniement et de construction du transept sud, des chapelles de saint Michel, de la Vierge et du Martyrium furent vraisemblablement achevés sous l’archiépiscopat de Thomas Bourchier, 1454-1486, (CVMA, 228). 28 CVMA, 231-248. 21 22



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ration subsistait, l’aspect des verrières avait radicalement changé. À la fin du XIVe et au début du XVe siècle, le Doyen et le Chapitre de la cathédrale d’York financèrent la réalisation d’une verrière monumentale pour orner la façade orientale de la toute nouvelle Lady Chapel. Richement coloré, ce vitrail ne ressemble toutefois pas du tout aux verrières que l’on peut voir dans le chœur et la Trinity Chapel à Christ Church. Les couleurs utilisées sont différentes, plus claires, moins intenses, le blanc et le jaune clair dominant nettement, et la taille même de la fenêtre permet à davantage de lumière de pénétrer dans l’église29. Ce problème de l’éclairage de l’intérieur du sanctuaire semble avoir été d’une grande importance pour la communauté de Christ Church. Quand la reconstruction du chœur fut achevée, en 1180, Gervais rapporte qu’une cloison provisoire fut érigée entre le chœur des moines et la Trinity Chapel qui, elle, était encore en travaux. Un détail de la narration du moine révèle la fonction qui lui était attribuée : Paries quoque ligneus ad secludendas tempestates ex parte orientis per transversum inter pilarios penultimos positus est, tres vitreas continens fenestras30.

Gervais ne précise pas s’il s’agissait de verre coloré ou simplement de verre blanc, mais il semble raisonnable de penser que, pour des fenêtres temporaires, du verre blanc fut jugé suffisant. Il ne mentionne pas non plus explicitement la fonction de ces fenêtres, mais on peut supposer qu’il s’agissait essentiellement d’éclairer le chœur, puisque la fonction « ad secludendas tempestates » était remplie par la cloison de bois. La majorité des fenêtres des bas-côtés du chœur, du triforium et du clair étage n’avaient alors sans doute pas encore reçu de vitraux. Si elles étaient alors encore, comme c’est probable, fermées par des panneaux de bois, le chœur des moines devait par conséquent être assez sombre31. En 1184, en revanche, la construction

T. French, York Minster. The Great East Window, Oxford, 1995, figure 1. « Une cloison de bois fut érigée transversalement entre les avant-derniers piliers de la partie orientale pour protéger contre les intempéries, et elle était percée de trois fenêtres vitrées », OH, 22. 31 Les voûtes du chœur furent terminées, d’après Gervais, en 1176-1177; celles du transept en 1178-1179. Le deuxième architecte, Guillaume l’Anglais acheva la voûte au-dessus de l’autel principal à temps pour Pâques 1180 (OH, 20-21). La date de construction des voûtes fournit un terminus post quem pour la mise en place des vitraux (ESG, 26-27). 29 30



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de la partie orientale de la cathédrale étant achevée32, ces fenêtres ne pouvaient plus fournir aucune lumière ; par conséquent, il est probable qu’à cette date, les verrières des bas-côtés, du triforium, et du clair étage du chœur étaient terminées et en place. La protection contre les éléments et l’accès de la lumière à l’intérieur du sanctuaire permettaient ainsi, à un niveau pratique, de célébrer la liturgie dans de bonnes conditions. C’est un aspect que les hommes du Moyen Âge, en particulier les moines bénédictins, si souvent soucieux de leur confort matériel, n’ont pu ignorer, surtout sous un climat aussi peu favorable que celui de l’Angleterre33. Par ailleurs, la lumière jouait un rôle central dans la célébration des heures : le début de l’office de laudes était en effet déterminé par l’apparition de la première lueur de l’aube34. Il était donc important de pouvoir juger avec précision de l’instant où cet événement se produisait. Une fois de plus, la question du confort des moines n’était probablement pas complètement ignorée ici : en fonction de l’heure du lever du soleil, la communauté pouvait retourner se coucher après la célébration de laudes ou devait rester dans le chœur35. Il était donc capital de pouvoir déterminer avec exactitude à quel moment le soleil se levait. Les vitraux étaient donc appelés, dans un sens non négligeable, à définir un espace liturgique approprié dans la mesure où ils mar-

OH, 29. Les moines de Christ Church avaient la réputation de prendre leur confort matériel très au sérieux – parfois jusqu’à l’excès. Ainsi, Guillaume de Malmesbury, décrivant la vie menée dans le monastère avant l’arrivée de Lanfranc, écrit : « Monachi Cantuarienses (…) secularibus haud absimiles erant (…). Canum cursibus avocari ; avium predam raptu aliarum colucrum per inane sequi ; spumantis equi tergum premere, tesseras quatere, potibus indugere ; delicatiori victu et accuratiori cultu ; frugalitatem nescire, parsimoniam abnuere ; et cetera id genus, ut magis illos consules quam monachos pro frequentia famulantium diceres » (« Les moines de Canterbury (…) n’étaient pas différents des hommes ordinaires (…). Les chiens de chasse étaient un de leur passe-temps favoris ; ils chassaient les oiseaux en lâchant après eux des faucons ; ils chevauchaient des coursiers écumants, ils jouaient aux dés, ils s’adonnaient à la boisson ; ils menaient une vie raffinée et luxueuse, ignorant tout de la frugalité et dédaignant la sobriété. Ils faisaient encore bien d’autres choses similaires, de telle sorte que, jugeant d’après le nombre de leurs serviteurs, on aurait pu les prendre pour des nobles plutôt que pour des moines »), Gesta Pontificum Anglorum, édité par N.E.S.A. Hamilton, Rolls Series 52, London, 1870, 70. Barbara Harvey, dans son étude de l’abbaye de Westminster (1993), cite de nombreux exemples de la façon dont, au cours des siècles, la RB fut détournée, aménagée, voire purement et simplement ignorée, pour s’adapter aux besoins matériels et aux exigences de confort des moines. 34 RB, chapitre 8. 35 Regularis Concordia, 54 ; Constitutions, § 2. 32 33



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quaient physiquement les limites dans lesquelles les cérémonies se déroulaient. Partie intégrante de la fabrique matérielle du sanctuaire, ils étaient le lieu où pouvait s’articuler le passage de l’extérieur vers l’intérieur – en permettant à la lumière de pénétrer dans le chœur – et de l’intérieur vers l’extérieur – en permettant non seulement le bon déroulement des célébrations, mais aussi en aidant la communauté à régler l’ordonnancement de la liturgie. Ils transformaient le sanctuaire en une unité, et séparaient nettement la ville, le monde, de la clôture du monastère et de l’espace sacré du sanctuaire. 4.2. Polarisation et hiérarchisation de l’espace La nécessité de se protéger des éléments souligne l’importance de l’intérieur de l’église ; le fait que le programme iconographique principal de Christ Church était également tourné vers l’intérieur du sanctuaire, renforce cette impression. Au XIIe siècle, l’espace du sanctuaire était devenu hautement spécialisé, divisé en multiples sousespaces aux fonctions précises, héritées de la tradition et décrites par les livres liturgiques. Chaque partie de l’église correspondait à une fonction bien particulière, déterminée par la célébration de la liturgie. Il a été vu plus haut que l’iconographie, en particulier celles des vitraux, contribuaient à créer un cadre approprié et digne pour la liturgie. Il faut maintenant s’intéresser à la façon dont le rituel donnait forme et sens à cet espace, et à celle dont les représentations participaient à la division de l’espace du sanctuaire en pôles autour desquels la liturgie s’organisait. Christ Church, comme la plupart des églises monastiques médiévales, était utilisée aussi bien par la communauté que par un grand nombre de laïcs36. Un passage de la Regularis Concordia atteste que, pour les célébrations les plus importantes du calendrier liturgique au moins, « clerus ac populus » étaient présents dans les églises abbatiales37. Un des hagiographes de Thomas Becket nota par ailleurs, dans sa description de la scène du meurtre, qu’un des chevalier redouta un instant que l’archevêque « a populo, qui ad audiendas vesperas convenerat, eriperetur »38, ce qui laisse entendre que les laïcs avaient J. Hubert, 471. « le clergé et le peuple », Regularis Concordia, 44. 38 « ne fût sauvé par le peuple qui s’était rassemblé pour entendre les vêpres », Anonyme I (« Roger de Pontigny »), Materials, iv, 76. 36 37



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accès à l’église, ou tout du moins la nef, relativement librement, même pendant les célébrations liturgiques des moines. Ce détail souligne ainsi le caractère essentiellement partagé de l’espace intérieur du sanctuaire. Deux publics distincts, qui n’avaient ni les mêmes usages de la cathédrale, ni tout à fait les mêmes centres d’intérêt, se côtoyaient pratiquement en permanence à l’intérieur de l’église. Les différentes réponses que les concepteurs des vitraux semblent avoir cherché à apporter aux attentes et aux besoins spirituels de la communauté monastique, d’une part, et de l’autre de la foule des fidèles et des pèlerins, ont été analysées ailleurs39. Les verrières qui entouraient le chœur des moines avaient été dotées d’un programme iconographique d’une grande ambition intellectuelle et théologique, avec des inscriptions longues et érudites. Inversement, les fenêtres du déambulatoire de la Trinity Chapel avaient été pourvues de récits comparativement plus simples et plus didactiques, à la fois dans leur contenu et dans leur structure, afin d’être relativement plus accessibles à l’ensemble des pèlerins. Ces deux publics semblent par ailleurs avoir occupé des espaces différents dans le sanctuaire, et l’organisation spatiale du programme iconographique reflète, dans une certaine mesure, la division et la hiérarchisation de l’espace de la cathédrale. L’espace du pèlerinage Gervais rapporte la façon dont la célébration de la liturgie pouvait influencer les choix en matière d’architecture : la taille du déambulatoire de la Trinity Chapel fut déterminée par le besoin de préserver latitudinem viae illius quae extra chorum est quantum potuit propter processiones ibidem frequenter faciendas40

Les grandes fêtes religieuses, en particulier celles consacrées à saint Thomas, ne devaient pas manquer d’attirer une foule nombreuse, et il fallait que l’espace interne de la cathédrale puisse accueillir cette foule sans encombre. Dans son récit de la reconstruction de SaintDenis, Suger évoque une raison similaire pour l’agrandissement de son église, qui était devenue trop petite pour accueillir tous les pèlerins venus se recueillir auprès des reliques41. Chapitre 3. « autant qu’il [l’architecte] le pouvait la largeur du passage, à cause des processions qui y passaient fréquemment », OH, 28. 41 Suger, Scriptum consecrationis, 9. 39 40



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L’importance de Christ Church en tant que centre de pèlerinage et son rôle d’église primatiale la destinaient inévitablement à accueillir fréquemment des foules importantes. Les revenus des autels de la cathédrale permettent d’estimer que « l’affirmation que Canterbury recevait des centaines de milliers de pèlerins certains jours de fête n’est probablement pas une exagération démesurée »42. Elle avait donc une fonction mixte, qui affectait la célébration de la liturgie, et était reflétée dans l’organisation de l’espace à l’intérieur de l’église. Eadmer, dans la description qu’il donne de la cathédrale anglosaxonne, parle d’une division entre partie réservée au clergé et partie ouverte aux laïcs : inde ad occidentem chorus psallentium in aulam ecclesiae porrigebatur, decenti fabrica a frequentia turbae seclusus43.

Lorsque, après l’incendie de 1174, la communauté se vit forcée de s’installer provisoirement dans la nef pour les célébrations liturgiques, un des principaux arrangements déplorés par Gervais était que les moines « muro parvulo a populo segregati »44. Ce commentaire du chroniqueur invite à penser que la clôture du chœur offrait à la communauté une séparation très nette d’avec le reste des fidèles, et que cette séparation revêtait une grande importance pour les moines. Plus tard, dans la cathédrale reconstruite après l’incendie de 1174, le chœur des moines était à nouveau nettement séparé du reste du sanctuaire, notamment du chemin emprunté par les pèlerins par une clôture en pierre. Gervais approuve la célérité de l’architecte :  murum igitur qui chorum circuit et presbiterium cum summa festinatione construxit 45.

Le chœur des moines et le presbyterium étaient à Christ Church par ailleurs séparés de la nef et de la Trinity Chapel par un certain nombre de marches, et par le mur soutenant la croix qui dominait la nef, ce qui le rendait encore plus inaccessible. Cette séparation peut être

42 « The claims of Canterbury to have hosted hundreds of thousands of pilgrims on special occasions are probably not gross exaggerations », B. Nilson, 1999, 117. 43 « de là, le chœur des chanteurs fut étendu vers l’ouest dans la nef de l’église, séparé de la foule par une clôture appropriée », Eadmer, De Reliquiis S. Audoenis et quorumdam aliorum sanctorum quae Cantuariae in aecclesia Domini Sancti Saluatoris habentur, édité par A. Wilmart, Revue des Sciences Religieuses, 15 (1935), 364-366. 44 « étaient séparés du peuple seulement par un mur bas », OH, 6. 45 « Il construisit, avec beaucoup de promptitude, le mur qui enclot le chœur et le presbyterium », OH, 22.



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interprétée comme un désir de la part des moines de célébrer les offices et les messes à l’écart de l’agitation de la foule. Il ne faut pas oublier que le pèlerinage de Canterbury connut, surtout dans les premières années après la mort de Thomas Becket, un succès extraordinaire, comme en témoignent les récits de Benoît de Peterborough et de Guillaume de Canterbury, et que la foule des pèlerins pouvait se comporter de façon particulièrement bruyante et indisciplinée46. L’étude anthropologique classique sur le pèlerinage chrétien est celle de Victor et Edith Turner47, dans laquelle les auteurs décrivent le pèlerinage comme une expérience « quasi-liminale » proche de celle vécue lors des rites de passage. Pour résumer leur argument de façon extrêmement rapide, le pèlerinage place celui ou celle qui choisit de se rendre sur un lieu saint en dehors de l’autorité et des structures traditionnelles de sa société de départ et qui, si elle ne lui confère pas nécessairement un statut social supérieur à son retour, lui permet néanmoins d’acquérir une meilleure compréhension de sa foi et d’accroître ses chances de salut48. Même si cette analyse du pèlerinage chrétien a depuis été critiquée49, elle n’en fournit pas moins des outils critiques de valeur pour essayer d’appréhender quelle pouvait être l’expérience des hommes et des femmes qui faisaient le pèlerinage sur la tombe de saint Thomas. Ce qui m’intéresse ici, c’est l’aspect d’expérience dépaysante et déracinante que le pèlerinage pouvait offrir à ceux qui se rendaient à Canterbury, expérience à laquelle les images devaient participer dans une mesure non négligeable. L’espace qui sera considéré ici est celui de la cathédrale tel qu’il était après la translation des reliques de Thomas Becket dans le tombeau de la Trinity Chapel, c’est-à-dire l’espace du pèlerinage tel qu’il avait été imaginé par les concepteurs de la nouvelle partie orientale de l’église50. L’accès à l’espace à l’intérieur de la cathédrale était également étroitement régulé par les moines de la communauté. Parce que le tombeau du saint se trouvait, à l’origine dans la crypte, puis plus tard

R.C. Finucane, 1995, 9-10. V. & E. Turner, Image and Pilgrimage in Christian Culture, Oxford, 1978. 48 V. & E. Turner, 1-39. 49 J. Eade & M.J. Sallnow, 1991, 3-5 ; J.A. Smith, 1999, 44-45. 50 P. Draper insiste sur la nécessité de prendre en compte l’importance du culte et du pèlerinage de Thomas Becket pour l’étude des choix architecturaux faits lors de la reconstruction, 1997, 194. 46 47



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dans la partie de l’église située au-delà du chœur51, c’est-à-dire la partie réservée aux célébrations monastiques, les visiteurs devaient se plier à des règles précises quant à leurs déplacements à l’intérieur de la cathédrale. Un coutumier rédigé en 1428 détaille les devoirs des gardiens du tombeau de saint Thomas, et montre qu’à certaines heures, les pèlerins ne pouvaient avoir accès à la Trinity Chapel, et surtout qu’ils ne pouvaient se trouver dans cette partie de l’église sans qu’un clerc ne fût présent52. Lorsqu’Erasme visita Canterbury au début du XVIe siècle, le prieur du monastère lui-même lui servit de guide53, mais il est vraisemblable que ce traitement de faveur n’était réservé qu’aux pèlerins de marque, les autres devant se contenter des gardiens du tombeau. Il est également possible qu’au XIIe et au XIIIe siècles, l’accès était moins régulé, et qu’un désordre plus grand régnait. Le fait même qu’il fut jugé nécessaire de promulguer des règles détaillées et précises, ainsi que d’instaurer une fonction de gardien du tombeau, suggère qu’un peu d’ordre fut jugé souhaitable54. Le chemin que suivaient les pèlerins qui visitaient Christ Church n’est pas connu avec certitude55, mais il semble qu’ils aient suivi un parcours circulaire, commençant dans le transept nord-ouest – où ils pouvaient se recueillir devant l’autel érigé sur le lieu même où l’archevêque était tombé – avant de descendre dans la crypte et de remonter dans le chœur et la Trinity Chapel, dont ils faisaient le tour du nord vers le sud, pour revenir dans la nef. Ben Nilson a bien décrit comment l’anticipation des pèlerins pouvait être délibérément augmentée par une série d’arrêts successifs auprès d’autels secondaires, avant l’arrivée finale près du tombeau de saint Thomas56. La crypte de la cathédrale ne manquait en effet pas de lieux où l’on pouvait se recueillir, et le chœur permettait à ceux qui le désirait d’offrir leurs

Une situation géographique traditionnelle pour les chapelles contenant les reliques des saints les plus importants, B. Nilson, 1999, 101. 52 « Customary of the Shrine of St Thomas », Londres, BL MS Add. 59616, fols. 1-11. Ce court texte est décrit et analysé par D.H. Turner, 1976. 53 Desiderius Erasmus, Pilgrimages to Saint Mary of Walsingham and Saint Thomas of Canterbury, traduit par J.G. Nichols, 2ème édition, London, 1875, 42-50. 54 Un effort plus grand pour réglementer l’accès des pèlerins aux reliques des saints les plus importants semble être une caractéristique des centres de pèlerinage anglais à partir du XIVe siècle, B. Nilson, 1999, 100. 55 On peut trouver des tentatives de reconstruction de leur itinéraire dans M.F. Hearn, 46 et dans B. Nilson, 1999, 96. Le plan proposé par Ben Nilson est cependant un peu déroutant, car il ne montre pas comment les pèlerins, une fois leurs dévotions faites, étaient censés sortir du chœur, puis de la cathédrale. 56 B. Nilson, 1999, 101-102. 51



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dévotions à saint Dunstan et saint Alphège. Un des effets de cette séparation multiple – mur du chœur, marches, mur du crucifix – des espaces monastique et laïque devait être pour les pèlerins qui arrivaient dans la Trinity Chapel, outre la transgression associée à leur présence dans une partie de l’église normalement réservée à la communauté, un sentiment accru d’effroi, d’admiration et de respect, l’impression de pénétrer dans le saint des saints, qui ne devait pas nuire à leurs dévotions57. L’espace de la Trinity Chapel avait donc été conçu, semble-t-il, pour répondre spécifiquement aux besoins du pèlerinage, et pour mettre en valeur les reliques les plus précieuses de Christ Church. Les images, par leur proximité, leur profusion et leur intensité, contribuaient faire entrer les pèlerins dans un espace en-dehors de leur expérience habituelle, et participaient incontestablement au caractère « quasi-liminal » du pèlerinage. L’arrivée dans la Trinity Chapel devait en effet constituer une expérience inoubliable, surtout après la translation de 1220, quand la décoration de cette partie de l’église était achevée, et que le tombeau somptueux contenait enfin les reliques de saint Thomas. Les verrières qui ornent le déambulatoire de cette chapelle étaient plus proches, intellectuellement, de l’immense majorité des visiteurs de la cathédrale, et elles l’étaient également physiquement : à cause de la surélévation du sol de la Trinity Chapel par rapport à celui du chœur, les ouvertures des fenêtres y étaient considérablement plus basses. Pratiquement à hauteur des yeux des visiteurs, les récits des miracles « touchaient » ainsi immédiatement les pèlerins. Le passage de la crypte, sombre et mal éclairée, à la luminosité riche et chatoyante du chœur et de la Trinity Chapel – où brûlaient les centaines de bougies allumées par les pèlerins – devait constituer pour les visiteurs une expérience tout à fait inoubliable. Polarisation de l’espace Le rôle joué par les images dans la définition d’un espace spécifique pour le pèlerinage se retrouve également dans l’utilisation qui était faite de l’iconographie à d’autres endroits de la cathédrale. La présence d’un autel est nécessaire à la célébration de la liturgie eucha-

Dans la reconstruction du chemin suivi par les pèlerins proposée par B. Nilson, l’auteur suggère que le passage près de l’autel principal pouvait avoir pour fonction d’inspirer davantage de respect et de componction chez les visiteurs (B. Nilson, 1999, 103). 57



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ristique. Un des exemples les plus frappants de l’influence de la liturgie sur les formes architecturales est sans conteste l’apparition et la multiplication des autels secondaires en conséquence de l’accroissement rapide du nombre des messes privées à partir du VIIe siècle. Parce que désormais la plupart des moines de la communauté devaient célébrer au moins une messe par jour58, il était devenu nécessaire de mettre de nombreux autels à leur disposition. Ces autels se multiplièrent donc le long des bas-côtés, dans les bras du transept, voire même dans la galerie de la tribune, une situation qui, dans les églises anglo-saxonnes, avait peut-être pour origine les prescriptions liturgiques de la Regularis Concordia59. Gervais, dans la description qu’il donne de l’église anglo-normande construite par Lanfranc et Anselme, mentionne des autels placés dans la partie inférieure et dans la partie supérieure des transepts (« in parte inferiori », « in parte superiori ») ; la partie supérieure fait probablement référence à une tribune60. L’église haute de Christ Church comptait avant 1174 dix-sept autels, répartis entre le chœur et la nef61. Tous ne revêtaient cependant pas la même importance liturgique : l’autel principal était incontestablement celui consacré au Christ dans le chœur – d’où Christ Church tenait son nom62. C’était sur cet autel que la messe solennelle était quotidiennement célébrée, et il conférait à cet espace un statut particulier. Pour les moines ce statut était renforcé par le fait qu’ils célébraient également les heures dans le chœur. Il y avait donc à l’intérieur de l’espace sacré du sanctuaire un espace plus sacré encore, celui du chœur, où se déroulait l’essentiel de la liturgie. L’importance attachée à cette partie de l’église par la communauté fut résumée par Gervais quand il décrivit tout d’abord le sentiment de désespoir de la communauté au lendemain du sinistre de septembre 1174. Les moines « sic ergo filii Israel occulto quidem sed justo Dei judicio de terra promissionis, immo de paradiso deliciarum ejecti » et durent aban-

C. Vogel, 353. A. Klukas, « Liturgy and Architecture : Deerhurst Priory as an Expression of the Regularis Concordia », 1984, 86-87. 60 OH, 10. 61 Dans la nef : autels de la Sainte-Croix, de la Vierge, de saint Michel, de Tous les Saints, de saint Blaise, de saint Benoît, de saint Thomas Becket (sur le lieu du meurtre) ; dans le chœur et le transept oriental : autels de saint Étienne, saint Martin, saint André, saint Grégoire, saint Jean l’Évangéliste, saint Pierre et saint Paul, saint Dunstan, saint Alphège, autel du Sauveur (autel principal) ; dans la Trinity Chapel : autel de la Trinité (OH, 10-16). 62 Bède, EH, I, 33. 58 59



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donner « domus Dei hactenus ut paradisus deliciarum delectabilis »63, plus qu’un simple incendie, il s’agissait véritablement d’une chute. Il faut contraster cette description avec le plaisir éprouvé par les moines – on peut aller jusqu’à dire le sentiment de délivrance – lorsqu’ils retrouvèrent l’usage de leur chœur la veille de Pâques 1180. Bannis dans la nef comme jadis Adam fut expulsé hors du paradis, les moines entrèrent dans le chœur reconstruit comme dans la Terre promise :  Sic Dominus noster Jesus Christus praecessit nos in Galileam, id est, in novae ecclesiae transmigrationem64.

Dans le cas d’une église monastique comme Christ Church, plusieurs espaces spécialisés co-existaient. L’unité principale était incontestablement la partie de la cathédrale réservée aux moines et à leurs célébrations liturgiques. Mais une autre partie importante était réservée aux laïcs qui venaient assister aux offices et aux messes ; la taille de la nef reconstruite au XVe siècle et encore visible aujourd’hui, atteste de l’importance de la congrégation qui pouvait s’y rassembler. La Trinity Chapel offre une situation intéressante : rattachée au chœur des moines, elle faisait néanmoins partie de l’itinéraire suivi par les fidèles qui venaient prier sur la tombe de saint Thomas Becket65. Elle était donc à la charnière entre le monde privé du monastère et le monde public du pèlerinage. D’autres parties de l’espace de l’église étaient également partagées par les moines et les pèlerins ; on peut par exemple penser au chemin qui menait de la porte du cloître au chœur, ou encore à l’autel érigé sur le lieu du martyre, dans le transept nord-ouest. Tous les endroits où des reliques étaient conservées ou exposées, telles que les chapelles situées dans les deux transepts orientaux ainsi que dans les bas-côtés du chœur et de la Trinity Chapel, étaient probablement également des zones que l’on pourrait appeler « mixtes », c’est-à-dire partagées par les moines et les fidèles laïques. L’espace des processions était également un espace partagé, ou plutôt d’un espace qui, à travers le déplacement, reliait entre elles les diverses parties de l’église, de même qu’il s’agissait dans certains

63 « comme les fils d’Israël furent expulsés de la terre promise, ils furent en vérité expulsés d’un paradis de plaisir par le jugement occulte mais juste de Dieu », « la maison de Dieu, jusqu’à ce jour merveilleuse telle un paradis des délices », OH, 5-6. 64 « Ainsi notre seigneur Jésus Christ nous précéda en Galilée, c’est-à-dire dans notre transmigration vers la nouvelle église », OH, 23. 65 M.F. Hearn, 46; B. Nilson, 1999, 96.



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cas – aux fêtes les plus importantes, par exemple – d’une liturgie qui rassemblait fidèles et célébrants. Dans les zones partagées de l’espace liturgique, c’est-à-dire dans les endroits où la liturgie pouvait être célébrée en présence de fidèles, les représentations étaient essentiellement hagiographiques et narratives. Il s’agissait en particulier des autels secondaires, car la liturgie célébrée sur le maître-autel était inaccessible aux fidèles. Dans le chœur et dans la Trinity Chapel, chaque autel bénéficiait de son propre cycle iconographique : dans les transepts, les quatre autels avaient chacun leur verrière ; les autels de saint Dunstan et saint Alphège, qui flanquaient l’autel principal, étaient accompagnés de plusieurs fenêtres illustrant la vie des deux archevêques. La Trinity Chapel, qui était étroitement associée au pèlerinage et au culte de saint Thomas66, était somptueusement décorée par les vitraux des miracles. Le cycle typologique – auquel on peut ajouter les verrières généalogiques – faisait clairement référence à l’autel principal de la cathédrale à travers son thème christologique. L’association entre certaines verrières et les autels qui se trouvaient dans le sanctuaire permet de comprendre comment l’iconographie contribuait à créer au sein de l’espace liturgique des pôles autour desquels les célébrations s’organisaient. À cet égard, l’étroite correspondance spatiale entre les verrières hagiographiques des transepts et les autels qui y étaient situés, entre le cycle de saint Thomas Becket et le tombeau du martyr dans la Trinity Chapel, et probablement également entre les cycles consacrés à saints Dunstan et Alphège, et les autels qui leur étaient consacrés, révèle une attention particulière portée à la division de l’espace liturgique. Les images contribuaient donc à rendre l’espace de l’église lisible par tous, et le divisaient en pôles où la dévotion des différents groupes partageant cet espace pouvait s’exprimer et la liturgie être célébrée. Les cycles iconographiques des vitraux reflètent par ailleurs l’importance relative de chacun des « pôles » liturgiques qu’ils signalent. Leurs tailles respectives soulignent la hiérarchie existant entre les différents saints de la cathédrale, et par conséquent l’importance liturgique de chacun des autels. Ainsi, l’autel consacré au Christ et la partie de l’église consacrée au culte de saint Thomas sont tous les deux accompagnés des deux cycles les plus longs, comparables en

Qui avait par ailleurs célébré sa première messe sur l’autel de la Trinité, et qui avait tout au long de sa vie gardé une dévotion particulière pour cette partie de la cathédrale, Gervais, OH, 25. 66



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termes d’espace occupé. Les deux autres saints locaux, Dunstan et Alphège, sont également distingués par le nombre de verrières qui leur étaient consacrées67. Ces distinctions établies par l’iconographie se retrouvent dans les calendriers de la cathédrale : les fêtes de Dunstan et d’Alphège étaient les plus solennelles des fêtes du sanctoral, après celles de Thomas Becket, et bien entendu après les fêtes christologiques. Il semble donc que, pour les concepteurs, les vitraux pouvaient servir à manifester le prestige accordé à chaque partie de l’église. L’espace du sanctuaire pouvait donc être non seulement organisé, mais également hiérarchisé par la présence des vitraux. Il semble donc que les choix de l’iconographie des vitraux correspondaient à la spécialisation de l’espace de l’église en fonction de la liturgie. Il est difficile de déterminer si le rôle de séparer l’espace en zones correspondant à des fonctions liturgiques particulières revenait aux seuls vitraux, ou si les autres parties de l’iconographie de la cathédrale y participaient également. Mais les vitraux, par leur taille et leur aspect remarquables, pouvaient servir à indiquer la présence des autels audessus desquels ils étaient placés et à séparer une « chapelle » dédiée à ce saint du reste de la cathédrale. Colette Manhès-Deremble a noté à propos de Chartres que « la reconstruction de la cathédrale est l’occasion d’un rajeunissement de la liturgie que les images orchestrent »68, et en particulier que certains cultes ne se développent vraiment qu’à partir du moment où un vitrail est consacré à un saint, comme par exemple saint Blaise, sainte Marguerite ou sainte Catherine, dont les fêtes n’apparaissent dans les calendriers chartrains qu’après la mise en place de verrières consacrées à leurs vies69. Il a déjà été noté que le choix des sujets des verrières hagiographiques dépendait à Christ Church avant tout de la tradition de la cathédrale. Mais on ne peut exclure tout à fait que la création de programmes de grande taille pour saint Dunstan et saint Alphège ait contribué à renforcer la popularité de ces cultes à la suite de la translation de leurs reliques, ce qui se serait traduit par une révision de la liturgie consacrée à ces deux saints. Les calendriers de la cathédrale semblent en effet indiquer qu’au XIIe siècle la dévotion à l’égard des deux archevêques anglo-saxons devint plus intense. La célébration de l’ordinatio de ces deux prélats figure comme un ajout

Peut-être jusqu’à quinze panneaux pour chacun de ces deux cycles, CVMA, 64. C. Manhès-Deremble, 231. 69 C. Manhès-Deremble, 75-76. 67 68



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du XIIe siècle dans Arundel ; Tiberius note, en sus de la natalitio, l’ordinatio et la translatio (dans le cas de saint Alphège), l’octave de la natalitio pour les deux saints. Il est impossible d’établir avec certitude que ce regain d’intérêt liturgique est à mettre au compte de l’iconographie, mais la coïncidence est certainement intéressante. Ainsi, la relation entre images, espace et célébration liturgique est particulièrement remarquable. Les images permettaient de focaliser les dévotions à des endroits bien précis du sanctuaire. Elles permettaient également, en fournissant un support visuel aux fidèles, de donner un destinataire aux prières70. Il a déjà été mentionné comment les images permettaient de donner une présence physique visible aux saints représentés – et dont les reliques pouvaient ou non être présentes dans l’église. Par l’intermédiaire de leur représentation iconographique, les saints assistaient aux célébrations, et les fidèles pouvaient leur adresser directement leurs prières et leurs requêtes. Dans un système rituel où l’immense majorité des fidèles ne participaient aux célébrations la plupart du temps que de façon auditive, les images permettaient de focaliser l’attention des fidèles, en particulier dans une église monastique où les cérémonies étaient essentiellement « privées » et accomplies loin des regards de la congrégation, derrière la clôture du chœur, voire dites et non chantées, comme c’était le cas pour les messes votives. Ainsi, les crucifix de taille imposante qui surplombaient les clôtures des chœurs avaient-ils essentiellement pour fonction de rappeler aux fidèles rassemblés dans la nef le mystère qui était célébré par la congrégation dans le chœur71. À Christ Church, une telle représentation dominait l’autel de la Sainte-Croix, qui était situé contre la clôture du chœur, à l’extrémité est de la nef72 et rappelait à tous les fidèles le sens du rituel qui était en train de se dérouler sur l’autel et dont ils étaient exclus73. L’iconographie représentait – au sens où elle les rendait présents et les donnait à voir – les rites qui n’étaient pas accessibles aux fidèles, et focalisaient leur attention, qui n’était pas retenue par le

S. Sinding-Larsen 101-102. S. Sinding-Larsen, 93-94. 72 OH, 10. 73 À l’époque anglo-saxonne, un autel situé dans la partie occidentale de l’église permettait de célébrer l’eucharistie en faisant face aux fidèles (OH, 9). Le déplacement de l’autel de la Vierge dans le bas-côté nord de la nef et l’installation de l’autel de la Sainte-Croix le long du mur du chœur mit fin à cette pratique. Désormais, la messe était célébrée par un prêtre tournant le dos aux fidèles. 70 71



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déroulement d’une cérémonie à laquelle ils ne pouvaient participer. Les images jouaient ici un rôle régulateur, car, en rappelant à tous la fonction principale de l’église (la célébration de l’eucharistie) elles permettaient probablement de maintenir un minimum de discipline dans la foule des pèlerins74. Ainsi, les images participaient à la création d’un espace liturgique propre et organisé autour de pôles d’importance inégale, ce qui était reflété dans les cycles plus ou moins longs qui s’y trouvaient, et où les célébrations pouvaient se dérouler dans un calme au moins relatif. L’inscription des cérémonies dans cet espace propre renvoyait au parcours spirituel qui devait être celui de tout fidèle (comme le pèlerin émergeait de l’ombre de la crypte dans la lumière du chœur). Le cheminement des processions vers un autel, le trajet des pèlerins vers le tombeau du saint, donnent une dimension spatiale à un progrès intérieur, un progrès qui se trouve sacralisé par la proximité avec les autels et les reliques de la cathédrale. Elles ne créent pas cet espace par elles-mêmes, mais elles contribuent incontestablement à le rendre explicite. 4.3. La sacralisation de l’espace La liturgie appartient en propre à l’Église et à ses célébrants ; seul un prêtre ordonné et consacré peut célébrer le rite central du christianisme, la communion. L’onction du prêtre est ce qui le distingue des autres religieux, moines y compris, et du reste des fidèles. La sacralité conférée à l’officiant augmenta tout au long du Moyen Âge, et la célébration de la liturgie fut en conséquence de plus en plus présentée comme le domaine réservé du prêtre, à l’exclusion de tous les autres membres de la communauté, au premier rang desquels les fidèles. L’effort de réforme de l’Église et du clergé qui marqua la plus grande partie du XIe et du XIIe siècles résulta souvent en une meilleure définition des sacrements, comme le mariage, la pénitence ou la communion75, et en une séparation accrue du clergé du reste des fidèles, en particulier grâce à l’insistance sur la consécration qui met en valeur

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S. Sinding-Larsen, 102. Latran IV, c. 21 ou c. 50-51 (R. Foreville, 1962, 357 et 371-372).

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la pureté du célébrant76. De même, la sacralité du rite, et par conséquent son « efficacité », dépend dans une grande mesure de la sacralité de l’espace à l’intérieur duquel il se déroule77, comme le suggère le commentaire d’Honorius Augustodunensis cité en ouverture de ce chapitre. La consécration de l’église remplit pour l’espace la fonction que l’onction remplit pour les personnes : il s’agit d’un rituel qui crée un espace sacré au sein duquel les célébrations peuvent être accomplies et sont investies de toute leur efficacité rituelle. Les cérémonies qui accompagnent la consécration d’une nouvelle église attestent de l’importance de cette sacralisation de l’espace78. Au XIIe siècle, le caractère consacré de l’église et la validité des rites liturgiques qui y sont célébrés étaient perçus comme indissociables. Un espace défini par le rituel Le rite de la dédicace d’une église compte parmi les cérémonies les plus élaborées que l’on trouve dans les livres liturgiques médiévaux. Le but de ce rituel semble avoir été, outre le désir de consacrer l’espace dans lequel l’eucharistie serait célébrée, la volonté de fournir des limites, physiques et symboliques, à ce même espace. Les nombreuses processions décrites par les pontificaux pour la célébration de ce rituel parcourent et englobent les diverses parties de l’église, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le Pontifical de Magdalen College, daté de la deuxième moitié du XIIe siècle et qui provient vraisemblablement de la province de Canterbury, sinon de Canterbury même79, décrit ainsi les étapes successives de la célébration. Tout d’abord, il faut que l’officiant

Un des efforts de la réforme de l’Église au XIe et au XIIe siècle fut de séparer nettement l’état ecclésiastique de l’état laïque, et donc d’insister sur ce qui définissait plus précisément l’état ecclésiastique, en particulier la célébration de la liturgie, E. Cattaneo, 399. Les canons du troisième et du quatrième concile du Latran (1179 et 1215) insistent particulièrement sur la tenue vestimentaire des clercs, sur les passe-temps qu’il leur est permis de pratiquer et sur leur comportement en général, qui doit les distinguer du reste des fidèles (par exemple, Latran III, c. 11 et Latran IV, c. 14-16, R. Foreville, 1962, 216 et 354-355). Ces dispositions se retrouvent souvent dans les décisions des conciles et synodes tenus en Angleterre, ainsi que dans les statuts diocésains promulgués au cours du XIIIe siècle (par exemple : Concile de Westminster, tenu en 1200 à l’initiative d’Hubert Walter, archevêque de Canterbury, pour diffuser les décisions de 1179 : CS, I, part II, 1055-1074 ; Statuts diocésains de Salisbury, rédigés vers 1217-1219, CS, II, Part I, 57-96). 77 E. Palazzo, 2000, 129. 78 Pontifical, fols. 111-141. 79 H.A. Wilson, xii. Les litanies semblent désigner Canterbury même, mais l’officiant y est décrit tout du long comme un évêque, et non un archevêque. 76



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chapitre 4 et illuminentur xii candele et ponantur deforis per circuitum ecclesie que dedicanda est et ter circumeat ipsam ecclesiam cum sancta cruce et sanctorum reliquiis canendo letaniam80.

La procession autour de l’église est répétée trois fois, puis les célébrants pénètrent à l’intérieur, dont ils font plusieurs fois le tour, aspergeant d’eau exorcisée et consacrée les murs à trois niveaux de hauteur, puis le sol. Ils ressortent alors du bâtiment, et exécutent à nouveau ces actions à l’extérieur. Cela est répété avec les huiles sacramentelles, qui sont appliquées en douze endroits de l’intérieur et de l’extérieur du sanctuaire81. L’ordre spatial dans lequel ces actions devaient être accomplies est noté avec soin : « de sinistro angulo ab oriente (…) usque in dextrum angulum occidentalem » ou encore « incipiens in sinistro angulo ab orientali parte »82. Ces dispositions font écho à l’importance de l’orientation du sanctuaire, ce qui n’est pas sans rappeler l’orientation du programme iconographique, en particulier la série des ancêtres du Christ qui domine l’ensemble du chœur et de la Trinity Chapel, programme qui lui aussi commence dans l’angle gauche du côté oriental du déambulatoire, et s’achève dans le coin droit de la partie occidentale. Parmi les préparatifs nombreux dont il fait la liste pour la fête de la consécration de la nouvelle basilique de SaintDenis, l’abbé Suger note Sacramentalia consecrationis instrumenta devote tantum gaudium prestolantes preparabamus, quo in tanta tantarum personarum, tam sancta expedite ecclesiam intus et extra perlustrare posset processio, componebamus83.

Un peu plus loin, Suger mentionne comment le roi et ses gens durent intervenir pour dégager le chemin de la procession, que la foule avait envahi84. Tout autant – peut-être même davantage – que les prières et les paroles de consécration et l’aspersion des murs, il

« Après avoir allumé douze chandelles et les avoir placées à l’extérieur autour de l’église à consacrer, fasse trois fois le tour de cette même église avec la sainte croix et les reliques des saints en chantant la litanie », Pontifical, fol. 112. 81 Pontifical, fols. 116v-130v. 82 « De l’angle gauche à l’est jusqu’à l’angle droit à l’ouest » ; « commençant avec l’angle gauche dans la direction de l’est », Pontifical, fol. 116v et 121v. 83 « Dans l’attente dévote d’une si grande joie, nous préparions tout pour qu’une procession [si] recueillie, si nombreuse et si sainte, pût aisément parcourir l’église à l’intérieur et à l’extérieur », Scriptum consecrationis, 42-44. 84 Scriptum consecrationis, 44. 80



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semble que c’est l’aspect pérambulatoire du rituel qui effectue la césure entre l’espace non consacré et l’espace consacré. La dimension spatiale de la cérémonie de consécration est donc de la plus haute importance, et les actions successives – litanies, aspersions, huiles sacramentelles – participent toutes à la création rituelle d’un espace consacré, purgé de ses impuretés, et mis à part du reste de la ville et dont les limites sont définies par le circuit suivi par la procession. L’importance de la procession pour l’appropriation de l’espace du sanctuaire a déjà été notée ; il semble bien en effet que les pérambulations prescrites par le rituel jouaient un rôle de premier plan pour la sanctification de la fabrique physique – les murs, le sol, et jusqu’au toit (« culmen »85) sont aspergés d’eau bénite et oints de saint chrême – et pour la délimitation symbolique de l’espace de la liturgie. Les processions qui jalonnaient les célébrations et le calendrier liturgique étaient particulièrement importantes. Leur ampleur pouvaient varier considérablement : il pouvait s’agir d’un simple déplacement de la communauté vers un autel secondaire au sein de l’église (comme par exemple lors des premières vêpres la veille de la fête de saint Thomas Becket le 29 décembre86) ; d’un circuit plus long autour du chœur et du cloître87 ; et, plus rarement et plus solennellement encore, d’une procession en-dehors des murs de l’abbaye, voire endehors de l’enceinte monastique, comme lors de la célébration des Rameaux88. Ces déplacements unifiaient l’espace parcouru et donnaient une dimension spatiale aux célébrations. Cette inscription dans l’espace était nécessairement accompagnée d’images et de représentations, qui étaient incorporées dans la procession, tels le crucifix ou les bannières89. L’interprétation typologique des processions les associe avec les nombreuses marches du peuple juif dans l’Ancien Testament, l’Exode en particulier. De même que les Hébreux avaient à leur tête l’Arche d’Alliance, les processions de la communauté étaient précédées par le crucifix, symbole de la Nouvelle Alliance, et le chœur – la Terre promise des moines – était le but ultime de ces déplacements solennels90. À Christ Church, la dimension spirituelle de la procession était encore renforcée par la présence du pèlerinage qui

Pontifical, fol. 123. SB, I, ccxlv. 87 Constitutions, §17, §62-65. 88 Constitutions, §25. 89 Constitutions, §25. 90 Constitutions, §17, §58. 85 86



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attirait des foules considérables, qui se déplaçaient, selon un parcours défini et clairement balisé, d’un espace moins sacré (l’extérieur de l’église, la nef, les autels secondaires) vers le « saint des saints », le chœur et la Trinity Chapel. La procession et le pèlerinage, dont le but était la nécessité de voir ou de toucher – les reliques, ou, la plupart du temps, l’image ou les images contenant ces reliques91 – donnaient, à travers la liturgie, une unité sacramentelle à l’espace où se déroulaient les célébrations. Les déplacements qui avaient lieu avant, pendant ou après les cérémonies conféraient à l’ensemble de l’espace un caractère sacré, propre à la célébration de la liturgie, et par extension sacralisaient l’espace dans lequel la procession avait lieu, souvent par le biais des images des saints qui accompagnaient les déplacements. Les images placées sur ou à proximité des autels répondaient à la nécessité de voir qui est au cœur de la procession et devenaient, par métonymie, le but même du déplacement. La célébration de la Fête-Dieu, qui devint universelle en 1264, prit en Angleterre des formes hautement visuelles à travers les représentations de mystères qui y furent rapidement associées. Il s’agit d’un exemple extrême de l’association entre procession, images et désir de voir : la ville entière se transformait alors en scène où était rejouée toute l’histoire du monde, de la Création au Jugement dernier92. Pour les fidèles, le besoin de voir devint de plus en plus important dans un contexte où l’événement central de la liturgie était désormais le fait du seul célébrant, enfermé derrière la clôture du chœur ou tournant le dos aux fidèles. Les autorités de l’Église s’efforcèrent de satisfaire ce besoin en instaurant au cours du XIIIe siècle la pratique de l’élévation de l’hostie consacrée, pour que les fidèles puissent la contempler. Dans un contexte intellectuel où la querelle à propos de la présence réelle du Christ dans les espèces consacrées occupait de nouveau le devant de la scène, le fait d’offrir l’hostie à l’adoration des fidèles était significatif93. Espace, mémoire et identité Il a été suggéré que la multiplication des autels dans les églises à partir du VIIIe siècle pouvait avoir pour origine un désir d’imiter la

Comme les pèlerins pouvaient toucher le sarcophage du saint à travers les ouvertures ménagées dans les côtés du tombeau, R.C. Finucane, 1995, 123. 92 Une bonne introduction au « théâtre » médiéval anglais, ainsi qu’une bibliographie, peuvent être consultée dans R. Beadle, 1994. 93 H. Toubert, 382-383. 91



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liturgie stationnale qui était pratiquée à Rome, à une époque où les pratiques romaines commencèrent à être perçues comme un modèle idéal qu’il était important de reproduire, et ce d’autant plus que le livre liturgique sur lequel les réformateurs carolingiens fondèrent leur refonte de la liturgie gallicane était le sacramentaire utilisé par le pape pour la liturgie stationnale94. La présence de différents pôles liturgiques à l’intérieur du sanctuaire – associés la plupart du temps à la présence des reliques des saints, comme l’étaient les titulatures de la liturgie stationnale romaine – permettait en effet aux célébrants de célébrer l’eucharistie sur le lieu de sépulture des plusieurs saints, à l’instar des papes se rendant dans toutes les basiliques à tour de rôle95. L’importance du modèle romain pour Christ Church n’est plus à établir. Fondée directement à l’instigation d’un pape qui était présenté comme étant à l’origine de la liturgie pratiquée dans toute l’Europe96, l’Église de Canterbury avait même peut-être été consciemment modelée sur la topographie de l’Église de Rome. La dédicace de l’église principale de Canterbury au Sauveur – comme la cathédrale du Latran97 – ainsi que la décision de fonder un monastère extra muros sous l’appellation de saints martyrs romains – saint Paul et saint Pierre98 – où les rois du Kent ainsi que les archevêques devaient être enterrés, ainsi que les reliques apportées par les missionnaires, reflè-

J.A. Jungmann, I, 75. E. Palazzo, 2000, 64-65. 96 Si le nombre et le type d’ouvrages amenés par la mission envoyée par Grégoire le Grand n’est pas connu, il semble cependant plus que probable qu’Augustin avait à sa disposition un sacramentaire de l’Église de Rome, peut-être un livre liturgique de type sacramentaire gélasien portant la trace des réformes du pape Grégoire le Grand, et vraisemblablement composé ad hoc pour la mission d’Augustin (C.E. Hohler, 61). Il ne faut pas confondre ce livre, hypothétique et dont le contenu ne nous est pas connu, avec le sacramentaire dit « grégorien », attribué au Moyen Âge au pape Grégoire Ier, mais datant en fait du pontificat du pape Honorius Ier (625-638). M. Rule, dans son édition du Missel de Saint Augustine’s (1896), a voulu voir, de façon erronée, dans ce texte du XIe siècle une copie du sacramentaire de Grégoire le Grand, qui aurait été apporté à Canterbury par Augustin. Même si la liturgie des deux abbayes de Canterbury témoignait au XIIe siècle d’une influence romaine incontestable, l’histoire de leurs livres liturgiques est plus complexe que Rule ne le prétend, et témoigne de la difficulté de reconstituer cette histoire avec certitude (R. Pfaff, 1995, 32). 97 Le plan de l’église anglo-saxonne telle qu’elle est décrite par Eadmer correspond à celui de certaines basiliques constantiniennes que l’on trouve à Rome, et semble confirmé par les fouilles archéologiques effectuées sous la nef de Christ Church en 1993, N. Brooks, 2000, 230. 98 La dédicace à saint Augustin ne fut ajoutée que plus tard, en 978, Thomas of Elmham, Historia Monasterii S. Augustini Cantuariensis, édité par C. Hardwick, RS 8, London, 1858, 22. 94 95



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tent un fort désir de reproduire la situation romaine99. De façon plus frappante encore, dès le début du VIIe siècle, Canterbury se vit dotée d’une église dédiée à saint Pancrace et d’une autre aux Quatre-Couronnés, deux titres que les papes Grégoire Ier et Honorius Ier avaient particulièrement favorisés à Rome100. Et, jusqu’à la Conquête normande, les usages liturgiques de Christ Church demeurèrent distinctement romains, et ne subirent que marginalement l’influence gallicane101. Les visites régulières effectuées par les archevêques pour obtenir le pallium devaient en outre permettre aux pratiques de cette église de demeurer proches de celles suivies à Rome. La liturgie avait essentiellement un rôle de commémoration et d’anamnèse, et les images contribuaient à rendre cette fonction explicite102. Les images peuvent ainsi avoir un rôle de « témoin » des cérémonies qui se déroulaient dans le sanctuaire. Par ce mot, on peut entendre un martyr (« témoin » en grec) ou un confesseur, c’est-à-dire une personne qui par ses actes proclame le message du Christ, une personne dont la seule existence a pour but de témoigner des vérités de la foi – et les saints de Christ Church répondaient certainement à cette définition. Mais ce terme peut également être appliqué à une personne ou un objet qui permet le passage, la transmission d’un groupe à un autre, d’une génération à une autre, de l’époque des martyrs ou des confesseurs à celle du spectateur. Pour les moines de Christ Church, il semble que les deux sens aient été inséparables l’un de l’autre. Dans ce contexte, l’image pouvait devenir un relais, grâce à son association étroite avec les reliques, préservant et transmettant les valeurs et les attitudes des concepteurs du programme, abolissant le temps – les saints sont éternellement présents – et célébrant l’universalité du message transmis. Dans son récit de la reconstruction de la cathédrale, Gervais note que les moines furent obligés de déplacer les reliques de saint Dunstan et de saint Alphège, car elles étaient trop exposées aux intempéries dans le chœur détruit. Les frères, déjà accablés par la catastrophe qui venait de s’abattre sur Christ Church, se virent donc obligés de déplacer les reliques de ces deux saints :

N. Brooks, 1995, 3 et 2000, 227. A. Thacker, 2000, 257-258. 101 N. Brooks, 1995, 7. 102 Chapitre 3. 99

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l’espace du rituel Quoniam vero patroni ecclesiae, Sanctus videlicet Dunstanus et Sanctus Ælfegus in solitudine illa remanserant (…) cum dolore et angustia incredibili flentes et lugentes tumbas sanctorum aperuerunt, et ipsos cum sarcofagis suis de choro extraxerunt, cum summa tamen difficultate et labore, ac si sancti reniterentur103.

Le caractère anormal de cette situation est bien souligné par les éléments de la narration du chroniqueur qui inversent les topoi traditionnels des récits de translation. Alors qu’une translation est normalement une occasion festive, durant laquelle les participants laissent libre cours à leur joie, les frères se livrèrent à cette opération « cum dolore et angustia incredibili » et remplacèrent les chants et la récitation des psaumes par les pleurs et les lamentations. De plus, alors qu’une translation était parfois annoncée par des événements prodigieux, et que les reliques des saints étaient généralement trouvées dans un état de conservation miraculeux et exhalant un parfum suave ou une huile précieuse104, Gervais souligne les difficultés rencontrées lors du transport des cercueils des saints, ce qui pour lui est un signe de l’opposition de ces derniers au déplacement qui leur est imposé. Le désarroi de la communauté était partagé par les saints patrons de l’église. Cet épisode se présente presque comme l’opposé de la cérémonie de dédicace de l’église décrite plus haut, et il semble en tout cas opérer une sorte de « déconsécration » du chœur. Une fois les reliques déplacées – de bon ou de mauvais gré – le chœur, ou ce qu’il en reste, peut être démoli et le bâtiment, reconstruit. La translation « inversée » de saint Dunstan et de saint Alphège désacralise en quelque sorte l’espace de la cathédrale. Le récit de Gervais témoigne ainsi de l’importance cruciale des reliques dans la création d’un espace sacré approprié. Un aspect important du rite de consécration a en effet trait à la place tenue par les reliques dans cette cérémonie : transportées solen« Pendant ce temps, les saints patrons de l’église, saint Dunstan et saint Alphège, demeurèrent dans ce désert (…) [les moines], pleurant et se lamentant avec un chagrin et une angoisse incroyables, ouvrirent les tombes des saints et ils les extirpèrent du chœur dans leurs cercueils, mais avec la plus grande difficulté et les plus grands efforts, comme si les saints s’opposaient à ce déplacement », OH, 5. 104 Lorsque les moines ouvrirent le sarcophage de Thibaud du Bec pour le déplacer dans le nouveau chœur, ils furent surpris de découvrir le corps de l’archevêque « integer et rigidus (…) ossibus et nervis, cute et carne sed extenuata cohaerens » (« entier et rigide (…) et toujours identique en os et nerfs, peau et chair, mais quelque peu atténué »), ce qui fut considéré comme un signe de sainteté, et qui donna lieu au développement d’un culte – assez limité – de l’archevêque, OH, 25. 103



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chapitre 4

nellement autour du bâtiment, la célébration n’est complète qu’avec leur déposition dans l’autel105. L’implication des reliques dans le rituel (elles participaient également aux processions autour et à l’intérieur du bâtiment106) révèle l’importance attachée à la mémoire du lieu sacré. Les reliques des saints représentaient en effet l’identité du monastère – comme le montre le fait que la provenance géographique d’un calendrier liturgique peut être déterminée par les fêtes des saints (en particulier les saints locaux) qui y sont consignées ; comme en témoigne également la virulence des querelles qui éclataient parfois à propos de la possession de certaines reliques107. Les reliques comptaient parmi les possessions les plus précieuses de Christ Church, et leur rôle dans la définition de l’identité, non seulement liturgique, mais également spirituelle, de la communauté, était de premier ordre. Cette identité se construisait au fil du temps, à travers l’acquisition de reliques de saints, et la mémoire du lieu était déterminée par l’histoire des cultes qui y étaient célébrés. La liste de celles que possédait Christ Church, dressée au XIVe siècle, se lit comme un résumé de l’histoire du christianisme ; mais elle révèle surtout l’attention accordée à l’histoire de Christ Church, à travers ses saints particuliers, au premier rang desquels Thomas, Dunstan et Alphège108. La localisation spatiale de ces reliques à l’intérieur du sanctuaire était un élément constitutif du rôle qu’elles jouaient dans la définition de la mémoire et de l’identité de Christ Church. L’insistance de Gervais sur la disposition des autels dans la cathédrale anglo-saxonne, puis dans le bâtiment normand, et enfin dans la nouvelle église, peut se comprendre comme le besoin d’inscrire cette dernière dans la tradition locale, et il justifie lui-même les longues descriptions qu’il donne des autels et des tombes des archevêques en disant qu’il importe de consigner ces détails « ne tanti viri vel tam praeclari operis memoria deleatur », ajoutant Nec tamen nostri fuit propositi lapidum compositionem scribere, sed quia non plene potui loca sanctorum et requiem qui in diversis ecclesiae partibus positi sunt edicere, nisi prius loca ipsa in quibus (…) positi sunt quoquo mode describerem109.

Pontifical, fols. 132-133. Suger, Scriptum consecrationis, 48 ; Pontifical, fol. 112. 107 Voir Chapitre 1, n. 95. 108 Inventories, 79. 109 « de peur que le souvenir d’un si grand homme [Conrad, maître d’œuvre du chœur achevé en 1130] et d’une œuvre si illustre ne soit effacé des mémoires » ; « et bien que mon propos ne soit pas de décrire la simple disposition des pierres, il est cependant impossible 105 106



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L’importance de la transmission de ces informations est capitale pour Gervais, qui répète à plusieurs reprises qu’il redoute que l’oubli n’efface toute trace de la situation qui prévalait dans la cathédrale avant la reconstruction110. Très conscient de son rôle dans la préservation et dans la transmission de la mémoire de Christ Church – de son rôle de témoin – il note minutieusement l’emplacement de chaque autel, et souligne que chacun fut bien replacé au même endroit dans le chœur et dans la crypte. L’association étroite de la disposition géographique et de l’identité du monastère est au cœur de ses préoccupations. La topographie du sanctuaire était de toute première importance, et elle était soulignée par la présence d’images, qui jalonnaient le parcours du pèlerin, non seulement à travers l’espace du monastère, mais également à travers son histoire. À Christ Church, l’association entre espace, mémoire et liturgie était rendue encore plus étroite par les événements qui s’étaient déroulés dans la cathédrale le 29 décembre 1170. Les pèlerins pouvaient voir, toucher, le lieu même où saint Thomas était tombé sous les coups de ses ennemis. Le martyrium, dans le transept nord-ouest, où était conservée la pointe de l’épée qui s’était brisée sous la violence d’un des coups assénés à l’archevêque, était en effet un des buts principaux pour les visiteurs. Outre la tombe du saint, d’abord dans la crypte, puis après 1220 dans la Trinity Chapel, ceux-ci pouvaient également se recueillir dans la corona devant le fragment de crâne détaché par le coup d’épée fatal. Toute la partie orientale de l’église devenait ainsi un lieu de mémoire, un reliquaire immense, témoin de la passion de Thomas Becket. Il est possible que lorsqu’il fut nécessaire de reconstruire le chœur, Guillaume de Sens fut sélectionné par les moines parce que, contrairement aux autres architectes, il proposait de conserver une partie de la fabrique de l’ancienne cathédrale, sanctifiée par le martyre. Il a même été suggéré que le dallage sur lequel le corps de l’archevêque reposa, derrière l’autel principal, la nuit qui suivit le meurtre fut précieusement con-

de montrer clairement les lieux des saints ainsi que celui de leur repos, qui se trouvent dans divers endroits de l’église, sans d’abord décrire le bâtiment lui-même dans lequel ils sont disposés », OH, 12. 110 « ne memoria eorum quae in translatione eorundem gesta sunt deleatur » (« afin que le souvenir de ce qui fut fait au moment de leur translation ne disparaisse pas ») et un peu plus loin, à propos de l’autel de la Trinité, sur lequel saint Thomas avait célébré sa première messe : « hoc ideo dixerim ne memoria sancti lapidis hujus deleatur » (« je mentionne tout ceci de peur que l’histoire de cette sainte pierre ne soit perdue »), OH, 25.



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servé et réutilisé dans la nouvelle construction111. La célébration liturgique de la fête principale de saint Thomas le 29 décembre commençait dès la veille, lors des vêpres, par la procession solennelle de toute la communauté vers l’autel situé dans le martyrium112. Ainsi, tout l’espace de la cathédrale (nef, chœur, Trinity Chapel et crypte, car même après la translation de 1220, le chemin des pèlerins continua d’inclure une station sur le lieu de la première sépulture de l’archevêque) participait au culte de saint Thomas. À travers la représentation de la mémoire liturgique et de l’identité spirituelle de la communauté, les images remplissaient également une autre fonction. Le rôle de la contemplation des images dans la réflexion spirituelle que devait mener les religieux est exprimé de façon très claire par l’abbé Suger de Saint-Denis :  Haec igitur tam nova quam antiqua ornamentorum discrimina ex ipsa matris ecclesiae affectione crebro considerantes (…). Unde, cum ex dilectione decoris domus Dei aliquando multicolor, gemmarum speciositas ab exintrinsecis me curis devocaret, sanctarum etiam diversitatem virtutum, de materialibus ad immaterialia transferendo, honesta meditatio insistere persuaderet, videor videre me quasi sub aliqua extranea orbis terrarum plaga, quae nec tota sit in terrarum faece nec tota in coeli puritate, demoraru, ab hac etiam inferiori ad illam superiorem anagogico more Deo donante posse tranferri113.

La contemplation des beautés visibles devait mener à la contemplation mystique des beautés invisibles et indicibles du ciel. Les vitraux, par leur matière précieuse et colorée, ainsi que par leur association avec la lumière, participaient pleinement à la transformation de l’église terrestre en une image de la Jérusalem céleste, une comparaison qui connut au Moyen Âge un grand succès114. Reflétant des réalités célestes, l’église n’appartenait plus alors que partiellement au

T. Tatton-Brown, 2002, 91-93. SB, I, ccxlv. 113 « Ainsi, par affection pour l’église mère, nous contemplions souvent tous ces ornements tant nouveaux qu’anciens (…) Ainsi lorsque, dans mon amour pour la beauté de la maison de Dieu, la splendeur multicolore des gemmes me distrait parfois de mes soucis extérieurs et qu’une digne méditation me pousse à réfléchir sur la diversité des saintes vertus, me transférant des choses matérielles aux immatérielles, j’ai l’impression de me trouver dans une région lointaine de la sphère terrestre, qui ne résiderait pas toute entière dans la fange de la terre, ni toute entière dans la pureté du ciel, et de pouvoir être transporté par la grâce de Dieu de ce [monde] inférieur vers le [monde] supérieur suivant le mode anagogique », Gesta, 135. 114 L. Hull Stookey, 38-39. E. Palazzo, 2000, 74. 111 112



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monde terrestre, et pouvait se présenter comme une étape de transition entre réalités humaines et vérités transcendantes. Ce passage n’est pas sans rappeler ce que le même Suger écrivait à propos de l’Eucharistie célébrée lors de la cérémonie de consécration de la basilique de Saint-Denis. S’adressant au Christ, il s’exclamait : Qui sacramentali sanctissimi Crismatis delibutione et sacratissime Eucharistie susceptione materialia immaterialibus, corporalia spiritualibus, humana divinis uniformiter concopulas (…) ecclesiam presentem in regnum celeste mirabiliter transformas115.

Si l’eucharistie et l’onction sacrées effectuent la transformation de l’église terrestre en royaume céleste, et des choses humaines en choses divines, la contemplation des images peut avoir un effet analogue, car elle permet d’approcher et de contempler les immaterialia et les spiritualia. Par le biais de l’iconographie pouvait donc s’effectuer un passage d’un lieu à un autre, presque d’un état à un autre, une réelle « trans-migration », qui rappelle le sentiment de libération éprouvé par la communauté de Christ Church lorsque les moines retrouvèrent leur chœur liturgique en 1180. Grâce à la beauté et à la richesse des représentations qui l’ornent, l’église acquérait ainsi un statut particulier, hors du monde qui l’entoure, et devenait un espace charnière, une étape intermédiaire et nécessaire entre le terrestre et le divin. Comme l’écrit Suger, l’église se présentait, grâce au rituel et aux images, comme un espace « hors espace », qui n’appartient plus totalement « in terrarum faece », mais pas encore tout à fait « in coeli puritate », mais qui seul permettait d’apercevoir cette dernière.

« Toi qui, par l’onction sacramentelle du très saint chrême et par l’institution de l’Eucharistie très sacrée, unis harmonieusement les choses matérielles aux immatérielles, les corporelles aux spirituelles, les humaines aux divines (…) Toi qui transforme miraculeusement l’Église présente en royaume céleste », Suger, Scriptum consecrationis, 52. 115



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Chapitre 5

La mise en ordre(s) de la société

À la fin du XIIe siècle, le monachisme bénédictin, en tant qu’idéal de vie aussi bien qu’en tant qu’institution, traversait une période de remise en cause et de redéfinition de ses rôles traditionnels1. Le dernier quart du siècle fut, pour la communauté de Christ Church, marqué par des événements dramatiques qui contribuèrent à cristalliser la vision que les moines avaient d’eux-mêmes et de leur place dans la société. L’unité de conception du programme iconographique du chœur et de la Trinity Chapel permit l’expression de cette vision complexe et idiosyncrasique, mise en place progressivement et définitivement tournée vers la glorification du passé de la cathédrale et de l’Église de Canterbury. L’effort fait pour faire remonter la fondation du monastère de Christ Church à la mission envoyée par Grégoire le Grand au VIe siècle prit souvent la forme de la création de chartes et lettres qui, si elles n’avaient pas de fondement historique réel, reflétaient néanmoins une tradition bien ancrée parmi les membres de la communauté. La tentative d’imposer ordre et continuité sur une histoire essentiellement fragmentée trouva naturellement son parallèle dans les représentations iconographiques ainsi que dans les textes liturgiques créés à cette époque. Bien qu’en théorie séparés du monde par leurs vœux monastiques, les membres de la communauté de Christ Church étaient néanmoins très intégrés dans la vie hors de l’enceinte du prieuré. William Urry a analysé en détail les relations multiples et complexes que les moines entretenaient aux XIIe et XIIIe siècles avec Canterbury et le reste du pays, en tant que seigneur féodal, mais surtout en tant que propriétaire foncier et immobilier2. En dépit de la clôture du monastère, les moines pouvaient entrer en contact régulier avec de nombreux autres groupes constitutifs de la société anglaise, et il est intéressant d’examiner la représentation qui est donnée de ces groupes dans les verrières, et de leurs relations avec la communauté. Trois thèmes majeurs,

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Voir Chapitre 1. W. Urry, Canterbury under the Angevin Kings, London, 1967.

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et intimement liés, peuvent être dégagés : la définition des limites de la société chrétienne à travers la condamnation des non-chrétiens ; la célébration de la vérité centrale du christianisme, le sacrifice eucharistique ; enfin, l’affirmation du rôle des moines comme guides de la société chrétienne sur le chemin du salut. 5.1.  Aux marges de la société chrétienne : la représentation de l’Autre Il est sans doute normal qu’un cycle iconographique tel celui de Christ Church traite le triomphe du christianisme comme un de ses thèmes principaux. Le corollaire de ce traitement est celui de la défaite de ceux qui commettent l’erreur de ne pas reconnaître la foi chrétienne comme la seule à même de sauver et de donner la vie éternelle. Il s’agit d’identifier les « ennemis » de la foi, c’est-à-dire ceux qui menacent, sur les marges, les limites de la chrétienté, car c’est en partie à partir de la définition de l’erreur que la vérité peut être proclamée3. Le programme iconographique consacre beaucoup de place, semble-t-il, à la dénonciation de l’erreur commise par les Juifs quand ils refusèrent de reconnaître le Christ comme le Messie. Mais ils ne sont pas les seuls « égarés » représentés dans les verrières. Comment ces groupes en-dehors de la communauté des chrétiens sont-ils représentés ? S’agit-il d’une condamnation spécifique en relation avec des événements contemporains identifiables ? Au XIIe siècle, la société anglaise était relativement homogène en termes de religion : la grande période de christianisation du pays, amorcée à la fin du VIe siècle par saint Augustin était passée, la hiérarchie religieuse bien établie et fonctionnelle, les voix discordantes rares et bien maîtrisées4. Un des moyens les plus aisés pour définir la société chrétienne est de lui opposer ce qu’elle n’est pas. Ainsi, Pierre le Vénérable, abbé de Cluny de 1122 à 1156, proposa, à travers plusieurs traités sur les hérétiques et les infidèles, une vision que l’on

D. Iogna-Prat, 262. Même les populations danoises qui s’étaient installées dans l’est du pays au Xe siècle étaient désormais bien intégrées dans la société chrétienne, le roi Cnut ayant embrassé la religion du pays conquis. La transition des usages romains qui avaient perdurés en Angleterre après le VIe siècle aux usages gallicans qui furent introduits par les conquérants normands semble s’être effectuée relativement aisément. 3 4



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pourrait décrire en négatif de la société chrétienne telle qu’il la comprenait5. À travers la description négative de l’Autre, l’identité de la société chrétienne apparaît ainsi plus clairement. À Canterbury à la fin du XIIe siècle, les seuls non-chrétiens avec lesquels les moines pouvaient être en contact était probablement les Juifs qui étaient installés dans la ville. Troisième en Angleterre par sa taille, la communauté juive de Canterbury était cependant peu nombreuse, et d’après W. Urry, concentrée dans le quartier des marchands6. Leur activité principale semble avoir été le prêt d’argent, y compris aux moines de Christ Church7. Même si les relations entre cette communauté et le reste de la ville semble avoir été relativement paisibles, la période de reconstruction de la cathédrale fut marquée par des violences à l’encontre des Juifs, en particulier à York où, en 1190, presque tous les membres de la communauté juive furent massacrés. Quoi qu’il en soit, les Juifs représentaient l’Autre, le non-chrétien, et leur rôle dans l’Histoire sainte faisait d’eux des protagonistes nécessaires du programme iconographique de la cathédrale. Quelles représentations les concepteurs des vitraux choisirent-ils de donner, et pourquoi ? Le peuple juif apparaît sous trois formes différentes et nettement contrastées dans les verrières : les Hébreux de l’Ancien Testament, les Pharisiens qui condamnent Jésus, et l’Église juive, qui, comme les Gentils, sut recevoir les enseignements du Nouveau Testament. Les images les plus courantes sont celles où le peuple juif apparaît en tant qu’acteur de l’Histoire sainte dans les récits tirés de l’Ancien Testament. Il s’agit par exemple de l’illustration des épisodes de l’Exode (n. XV, 32), de la famille de Lot fuyant Sodome (n. XV, 22), des panneaux consacrés à l’histoire de Joseph (les frères de Joseph et les Egyptiens devant Joseph, n. XV, 29 ; Joseph est descendu dans le puits, Corona I, 14), ou encore de toutes les représentations de patriarches (en particulier Moïse), qui interviennent dans la grande majorité des verrières. Il est impossible de distinguer visuellement les différents

Contra Petrobrusianos (1139-1140), Aduersus Iudeorum (1143-1144) et Contra sectam Sarracenorum (probablement vers 1148-1149). Le traitement idéologique et théologique de l’hérésie, du judaïsme et de l’Islam qui est fait dans ces écrits de Pierre le Vénérable est analysé en détail par D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, 1998. L’abbé de Cluny visita l’Angleterre en 1130, et il est possible que ses idées étaient connues à Christ Church (Anglo-Saxon Chronicle, version E, s.a. 1130). 6 W. Urry, 1967, 119. 7 M. Adler, 1939, 51. On peut imaginer que les sommes empruntées aux Juifs furent utilisées pour financer la reconstruction de la cathédrale, y compris la réalisation des vitraux. 5



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personnages de ces scènes de la représentation d’autres groupes, tels que par exemple les Gentils du panneau 34 de la fenêtre n. XV : tous portent les mêmes vêtements et adoptent les mêmes attitudes. Cela semble être le cas en général pour les représentations de Juifs dans l’art chrétien pendant tout le premier millénaire. Le port du chapeau conique comme signe distinctif des Juifs n’apparaît qu’au XIe siècle et ne devient vraiment courant qu’à partir du XIIIe siècle8. Les concepteurs des vitraux semblent même parfois avoir à dessein insisté sur les ressemblances entre Juifs et chrétiens. On peut par exemple penser à la consécration d’Aaron et de ses fils, où Aaron porte des vêtements qui l’assimilent à un prélat chrétien (figure 7). Il s’agit en l’occurrence ici des représentations des Hébreux plutôt que des Juifs contemporains de la communauté de Christ Church, et elles ne font preuve d’aucune espèce d’hostilité à leur égard9. Cela n’est guère surprenant dans la mesure où, en vertu de l’analyse typologique des textes de l’Ancien Testament, les Hébreux étaient fréquemment perçus comme des préfigurations du peuple chrétien. Ainsi, dans la verrière n. XV, la scène de l’Exode est mise en parallèle avec celle où Jésus détourne les Gentils du culte des idoles. Les deux images présentent des parallèles visuels frappants. Ainsi, la scène de l’Exode représente les Israélites se dirigeant, sous la direction de Moïse, vers la droite de la composition. Moïse pointe de la main droite vers la Mer Rouge, représentée par quelques ondulations en bas à gauche du panneau. Une femme au centre du groupe se retourne vers Pharaon, assis à droite sur un trône à l’intérieur d’un édifice (panneau 32). Le panneau qui fait pendant à cette scène reprend exactement la même orientation de la gauche vers la droite de la composition, et les mêmes éléments de composition : le Christ, indiquant la droite de la scène de la main droite, mène un groupe de Gentils vers une église (symbolisée par une croix placée sur un autel) ; deux membres du groupe se retournent vers la statue d’un dieu placée à gauche sous une arche figurant un temple (n. XV, 34 ; figure 6). Ce mimétisme des images permet d’identifier les Hébreux comme une préfiguration des Gen-

S. Lipton, 16-17. L’analyse des illustrations de deux Bibles moralisées du début du XIIIe siècle par S. Lipton montre bien comment, quelques années seulement après la réalisation du programme iconographique de la cathédrale, les Juifs sont pratiquement systématiquement distingués non seulement par leur tenue vestimentaire, mais également par des traits physiques péjoratifs. Ces représentations reflètent un contexte politique et religieux particulier (S. Lipton, 16-17). 8 9



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tils10. Certaines des représentations des Juifs sont relativement traditionnelles et convenues, mais d’autres, parce qu’elles sont plus rares ou parce qu’elles apparaissent dans un contexte spécifique, dénotent une vision plus partisane et polémique. Il existe ainsi tout un ensemble d’images qui représentent spécifiquement les Juifs – par opposition aux Hébreux de la Bible – et la description qui est faite de ce peuple est cette fois nettement plus connotée. Il ne s’agit plus d’épisodes tirés de l’Ancien Testament, mais de scènes de l’histoire du Christ, et elles se distinguent par une caractérisation plutôt négative des Juifs. Il suffira de citer ici quelques exemples. Trois panneaux décrivaient dans le cycle iconographique original l’attitude des pharisiens à l’égard du Christ : tous trois placés dans la verrière n. XI (36, 29 et 31), ils avaient pour sujet le rejet par les pharisiens des enseignements de Jésus. La verrière n. XI est particulièrement intéressante, car elle ouvre la série de quatre fenêtres illustrant le thème de l’enseignement du Christ à travers l’utilisation des paraboles (n. XI, n. VIII, s. VIII, s. XI). Contrairement aux verrières précédentes, n. XI emploie très peu de types tirés de l’Ancien Testament, et utilise au contraire des scènes du Nouveau Testament ou encore des représentations symboliques plutôt qu’historiques pour commenter le message central du récit évangélique. Ces types étaient par conséquent gouvernés dans une moindre mesure par une tradition iconographique et théologique, et les images pouvaient être plus aisément manipulées par les concepteurs du programme, et correspondent plus étroitement à leurs intentions. Sur le plan pictural, les représentations qui sont faites des pharisiens ne sont pas particulièrement spécifiques ; comme le remarque M.H. Caviness, « on peut noter qu’aucun trait ethnique ou distinction vestimentaire ne sépare les Juifs des gentils ; ils sont en fait tous coulés dans le même moule »11 – une fois de plus, seules les inscriptions permettent d’identifier les scènes et les personnages avec certitude. Cependant, c’est le contexte immédiat dans lequel ces représentations apparaissent qui leur donne tout leur sens. Leur utilisation dans le cadre d’une organisation typologique des verrières est tout à fait révélatrice. Deux des trois panneaux de n. XI font en effet partie

La traversée de la Mer Rouge était une préfiguration traditionnelle du baptême chrétien (J. Daniélou, 1951, chapitre V). 11 « it may be noted that there are no ethnic traits or distinctions in dress between the Jews and the gentiles ; in fact they are cast in the same mould », CVMA, 121. 10



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de l’illustration de la parabole du semeur, où ils représentent le grain qui tombe au bord du chemin et dans les endroits pierreux (Matt. 13, 3-5). La stérilité du sol pierreux est ainsi assimilée au refus (ou à l’incapacité) des Juifs à recevoir le message du Christ12. La critique morale et eschatologique contenue dans ces représentation est forte. Les pharisiens de ces panneaux symbolisent ceux qui, contrairement aux Gentils, « voient sans voir et entendent sans entendre » (Matt. 13, 13). La coupure apparaît radicale : non seulement le groupe des pharisiens dans n. XI, 29 tourne le dos au Christ, mais ils sont complètement séparés de lui par le phylactère que Jésus tient à la main, et qui touche les cadres supérieur et inférieur de l’image, créant effectivement deux images séparées (figure 9). La division de l’image en deux compartiments est aussi claire que la différence essentielle qui existe entre les Juifs et les chrétiens. Dès l’ouverture du cycle consacré aux enseignements de Jésus, le thème est donné : il s’agira d’opposer ceux qui ont reçu le message du Christ à ceux qui ont choisi de s’en détourner. Mais l’absence de signes physiques ou vestimentaires distinctifs pour le groupe des pharisiens indique qu’il ne semble pas qu’il s’agisse spécifiquement des Juifs : ils sont ici utilisés comme des symboles de l’erreur. La parabole du semeur, qui est par ailleurs rarement représentée dans l’iconographie occidentale13, constitue donc le paradigme en fonction duquel cette partie du programme est organisée. À plusieurs reprises, le programme iconographique oppose, de façon systématique et presque théâtrale, ceux qui ont écouté et suivi le Christ de ceux qui ont choisi de rejeter ses enseignements. Ces scènes se présentent en général en paires dans les types des verrières typologiques. Presque toutes les verrières du déambulatoire du chœur de la cathédrale incluent une ou plusieurs représentations du peuple juif en tant que symbole de l’erreur. Ainsi, dans la première verrière retraçant la vie publique du Christ, n. XIII, on trouve pas moins de trois oppositions entre Juifs et Gentils : dans les panneaux 28 et 30, on peut voir saint Paul et l’Église des Gentils opposés à saint Pierre et l’Église des Juifs. Cette dernière image est accompagnée d’une inscription qui glose la scène de la Pêche miraculeuse, en identifiant les poissons qui s’échappent du filet aux pharisiens qui rejettent la parole

12 « graine qui manque de rosée, sèche et sans racines, ceux-ci sont ceux qui croient, sont tentés et se retirent », titulus de n. XI, 29. 13 CVMA, 121.



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du Christ. Dans la même verrière, la période sub lege, avant la venue du Christ, représentée par Ézra et Moïse (panneaux 21 et 14) est contrastée avec la période sub gratia inaugurée par la venue du Christ, dont les symboles sont saint Grégoire ordonnant les lecteurs (panneau 23) et les Docteurs de l’Église (panneau 16). L’Église des Gentils est de nouveau mise en opposition avec l’Ancienne Loi dans la verrière n. VIII (35 et 31), et s. VIII met en scène les Juifs préférant suivre Moïse et la Synagogue plutôt que Pierre (panneau 20). Leur représentation est presque systématiquement accompagnée de – et opposée à – l’image des Gentils qui, eux, eurent le bon sens d’accepter le Christ comme le Messie, comme cela est représenté en haut de la verrière n. XI (34). On en trouvait à l’origine des exemples dans les fenêtres n. XII, 6, n. VIII, 35 ou encore dans l’opposition entre les Samaritains et les Juifs. À deux reprises en effet, dans l’épisode de la rencontre de Jésus avec une Samaritaine (n. XII, 12 et 7) et dans le choix de la parabole du bon Samaritain (s. XI), on retrouve l’idée que le peuple Juif, seul de tous les peuples, fut incapable de recevoir la révélation. Cette idée est également exprimée, de façon implicite, dans les représentations de Moïse accompagné de la figure allégorique de la Synagogue. La représentation la plus importante de ce thème était probablement celle qui se trouvait dans les deux oculi du clair-étage (N. XVII et S. XVII). À chaque extrémité du transept se trouvait une verrière circulaire d’environ 4,5 mètres de diamètre, au centre de laquelle étaient représentés, au nord, Moïse et la Synagogue (figure 10) et au sud, Christ et l’Église. Cette dernière représentation est conjecturale, car le panneau a disparu ; mais l’association de ces deux groupes était tout à fait courante à l’époque de la réalisation des vitraux, et la reconstruction semble vraisemblable14. La figure de la Synagogue était représentée deux autres fois, dans les deux verrières situées immédiatement en dessous de l’oculus (n. XI, 8 et n. XII, 11) ; comme ces deux panneaux ont également disparu, il demeure impossible de déterminer quelle pouvait être la représentation de la Synagogue à Christ Church. La représentation traditionnelle était en général une figure féminine voilée ou portant un bandeau sur les yeux, symbolisant l’aveuglement des Juifs, qui n’avaient pas su reconnaître

Le panneau que l’on peut voir aujourd’hui dans S. XVII est une création du XIXe siècle. CVMA, 26. Les têtes de Moïse et de la Synagogue furent restaurées au XIXe siècle, et il est par conséquent impossible de savoir exactement comment la Synagogue était représentée. 14



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dans le Christ le Messie annoncé par l’Écriture15. Ainsi, dans le cadre de n. XII, Moïse et la Synagogue sont employés comme des types de Jésus et de la Samaritaine. Cependant, le panneau représentant Moïse et la Synagogue était situé juste au-dessus de celui montrant l’Église des Gentils s’avançant vers le Christ (n. XII, 15), et pouvait ainsi figurer une opposition entre la Synagogue et Moïse, représentant tous les deux l’Ancienne loi, dépassée par la venue du Christ, et la Nouvelle Alliance, scellée par la mort de Jésus, et l’ouverture aux autres peuples, symbolisés par la Samaritaine. Cette opposition entre Ancienne et Nouvelle loi est celle que l’on retrouve dans le panneau de la verrière n. XI qui figure d’une part Moïse et la Synagogue et de l’autre, saint Jean et l’Église (8). Il faut remarquer ici que cette correspondance entre le sujet principal de l’oculus et certaines des représentations des verrières situées immédiatement en dessous ne se retrouve pas dans le bras sud du transept – mais peut-être s’agissait-il simplement d’une coïncidence dans l’agencement du programme, plutôt que d’une intention délibérée de la part des concepteurs du programme16. L’opposition entre l’ancienne Loi et la Nouvelle Alliance est à nouveau clairement exprimée dans la verrière n. VIII. On y voyait à l’origine un panneau représentant Moïse portant les cinq livres de la loi judaïque (le Pentateuque). La scène était utilisée comme un type de la guérison miraculeuse à la piscine de Bethesda (Jean 5, 2-9), qui était identifiée comme un type du baptême par l’autre type (le Seigneur baptise, n. VIII, 33). La représentation de Moïse n’est pas en elle-même défavorable, mais dans une verrière dont le propos était entièrement consacré à la célébration du triomphe de l’Église grâce au sacrifice du Christ et au sacrement du baptême qui intègre à la communauté des chrétiens, la présence de Moïse et de la Loi souligne la Nouvelle Alliance rejetée par les Juifs. L’association de ces représentations avec la dichotomie obscurité/ lumière qui domine tout le chœur de la cathédrale, par le biais des représentations qui ornent les oculi des bras du transept oriental (Moïse et la Synagogue au nord, du côté de l’obscurité ; le Christ et l’Église au sud, du côté de la lumière), donne une dimension morale

D’après Lamentations 5, 16-17. L. Réau, II, ii, 745-746, donne de nombreux exemples du traitement de ce sujet dans l’art médiéval. 16 CVMA, 10. On peut peut-être voir ici un autre exemple de la moins grande cohérence du programme dans cette partie de l’église. 15



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supplémentaire à ce traitement. Ce rejet du Christ est présenté comme étant le fait essentiellement des Juifs, et le programme semble présenter une image relativement négative de ce peuple. La parabole du Semeur offre donc le paradigme selon lequel l’histoire du salut doit être lue et comprise. La société chrétienne acquiert donc ainsi une définition simple : est chrétien celui ou celle qui écoute et suit le Christ, tel Nathanaël (n. XIII, 43). Le thème de l’Autre, celui qui n’a pas su – ou n’a pas voulu, par malice – recevoir la Bonne Parole, est omniprésent. Cette opposition systématique relève de ce que S. Lipton a appelé une « dichotomizing strategy » (« stratégie de dichotomie »), un procédé qui oppose de façon binaire les pôles du « bien » et du « mal », afin d’offrir une vision du monde simple et unifiée17. La place du christianisme et de l’Église dans la société et dans l’histoire du monde sort grandie, par contraste, de l’existence continuée de l’erreur des Juifs. Le traitement qui est fait des Juifs est initialement relativement neutre : les pharisiens, symbolisant l’ensemble du peuple juif18, se détournent du Christ, exprimant parfois leur mépris. Ainsi qu’il a déjà été noté, il ne semble pas y avoir de représentations explicitement péjoratives des Juifs, qui sont en général identifiés visuellement aux Gentils. Cependant les représentations des Juifs ne sont pas unanimement négatives. On trouve plusieurs panneaux qui soulignent que certains parmi eux surent suivre le Christ. Deux représentations font la part belle aux Juifs qui reconnurent l’importance du message du Christ : un des types utilisés pour illustrer la Pêche miraculeuse est en effet une représentation de Pierre et de l’Église des Juifs (n. XIII, 30). Et ce même peuple était à nouveau représenté dans la verrière s. XII, cette fois entraîné par saint Paul (13). Ainsi, seuls les pharisiens se montrent incapables d’accueillir la parole du Christ ; le peuple, lui, la reçoit avidement, assis aux pieds de saint Pierre prêchant. Un seul panneau condamne sans appel ceux qui crucifièrent le Christ. Désignés comme ceux qui ont crucifié le Christ (« captivatur crucifigens », « celui qui crucifie est capturé », s. VIII, 13), ils sont châtiés par le feu (« hos igne

S. Lipton, 26. L’inscription de n. XII, 9 semble avoir englobé l’ensemble du peuple juif sous le terme de pharisiens : il s’agit d’une représentation des apôtres Pierre et Paul avec les Gentils et les Juifs, sur le même modèle que n. XIII, 7 et 9. D’après les manuscrits, on pouvait lire dans le panneau : « Arguit iste reos humiles alit hic phariseos / Sic spice trite panis sunt verbaque vite » (« celui-ci accuse les humbles pécheurs, celui-là nourrit les pharisiens ; ainsi les épis moulus sont le pain et la parole de vie »). 17 18



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caminus », « ceux-ci sont punis par le feu de la fournaise »). Mais il s’agit d’une représentation stéréotypée, et seule l’inscription permet d’identifier la scène avec certitude – et encore la relation typologique avec le panneau central est-elle quelque peu complexe. Les Juifs ne sont donc pas représentés de façon univoque : leur contribution à l’histoire sainte est reconnue et célébrée. Même si le programme met très fortement l’accent sur leur aveuglement lors de la venue du Christ, il ne me semble pas que le programme contienne de condamnation sans appel des Juifs. Cela aurait été surprenant dans le cas d’une ville telle que Canterbury, où l’abbaye vivait en bons termes avec la communauté juive. Les moines étaient en effet propriétaires de terrains dans la ville, qu’ils louaient entre autres aux membres de la communauté juive, qui y avaient construit une synagogue19. De plus, pendant la querelle avec l’archevêque Baudouin, quand les moines se retrouvèrent effectivement enfermés dans leur monastère, les Juifs de Canterbury firent partie des habitants qui se relayèrent pour les ravitailler20. Il est également clair que les Juifs ne sont jamais représentés en tant que prêteurs d’argent, ce qui est remarquable, étant donné les sommes importantes que la communauté leur avait empruntées afin de finacer leurs appels contre Baudouin dans le dernier quart du XIIe siècle21. Il s’agit plutôt d’exalter la vérité par rapport à l’erreur commise par les Juifs, et il ne semble donc pas que cette représentation des Juifs dans les verrières de la cathédrale soit à mettre en relation avec des événements spécifiques. L’absence totale de référence aux Juifs dans les verrières hagiographiques – y compris dans les verrières des miracles de saint Thomas – confirme l’impression que le but n’est pas de vilipender une communauté contemporaine particulière, mais plutôt d’adopter un ton universel. On a donc peut-être affaire ici à une prise de position plus théologique que morale ou politique, et les concepteurs des vitraux ont peut-être davantage voulu mettre en relief l’universalité du message du Christ, qui s’adresse à tous, et les conséquences dramatiques du refus de recevoir ce message. Les Juifs, par conséquent, plus que les ennemis du christianisme, ou encore les responsables de la mort du Christ, sont présentés comme des infortunés qui errent dans la faute. Dans un programme de structure typologique, c’est-à-dire mettant

W. Urry, 1967, 120. Gervais, OH, 401-405. 21 R.A.L. Smith, 1947, 27. 19 20



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systématiquement en parallèle les récits de l’Ancien Testament avec les événements des Évangiles, la présence de nombreuses représentations du peuple juif ne paraît pas complètement surprenante. Mais cette abondance même de représentations semble révéler une volonté très didactique de la part des concepteurs. Il faut ainsi noter que ces représentations multiples font rarement preuve d’hostilité à l’égard des Juifs, hormis les prêtres et les pharisiens, qui jouèrent un rôle considérable dans la condamnation de Jésus. Ils sont le plus souvent représentés comme des contre-exemples, des illustrations de l’erreur, et il ne semble pas y avoir de condamnation absolue. D’autres non-chrétiens sont représentés dans le programme iconographique, même si ces groupes ne reçoivent qu’un traitement relativement rapide. Il faut ici évoquer brièvement la représentation du paganisme. Même si au XIIe siècle la christianisation de l’Angleterre semblait désormais finie, le passé récent pouvait donner des exemples de contact avec des peuples non convertis, tels les Danois, qui jouèrent un rôle si important dans la vie du pays entre le IXe et le XIe siècle. Canterbury avait eu une expérience particulièrement douloureuse de ces contacts quand, en 1012, les Danois assiégèrent la ville, passèrent les habitants au fil de l’épée et enlevèrent l’archevêque, Alphège, avant de le massacrer (figure 4), autant de scènes qui étaient présentes dans les verrières consacrées à la vie de saint Alphège (Nt. IX, 12 et 5). Mais, comme les Juifs de la plupart des représentations, rien ne permet de distinguer les assaillants païens des défenseurs chrétiens : ils semblent tous coulés dans le même moule. Comme nous le verrons en détail dans le chapitre suivant, il s’agit probablement ici d’une volonté consciente de gommer les différences afin de renforcer un argument politique. De même que les Juifs représentent l’antithèse de la vérité, les images de païens dans les verrières typologiques sont utilisées pour donner à voir l’erreur, plutôt que pour dénoncer le paganisme en soi. Ils sont en général représentés dans le contexte d’une relation typologique. Comme pour le judaïsme, il semble s’agir d’une idée plutôt que d’un groupe particulier. L’idée de paganisme – plutôt que les pratiques païennes – est illustrée de façon particulièrement frappante dans la verrière n. XV (panneau 34) : on y voit le Christ détournant les Gentils d’une idole, mi-démon, mi-statuette antique, placée sur un piédestal à l’intérieur d’une structure architecturale. La composition de cette scène oppose de façon très nette l’idolâtrie (dont la représentation se trouve à droite de l’image par rapport au spectateur, mais à gauche (sinister) de la composition) et le salut proposé par le Christ.

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Les cornes dont est affublée la statue renforcent le message négatif des concepteurs à l’égard de l’idole démoniaque (figure 6)22. L’image ne condamne pas le paganisme, mais le présente comme l’antithèse du christianisme, une erreur dont il s’agit de se détourner. Cette universalité du message du Christ est cependant teintée d’une menace implicite. Le ton adopté à l’égard de ceux qui refusent d’accepter le christianisme finit en effet sur une note particulièrement véhémente, avec le choix de la parabole du festin nuptial dans la verrière s. VIII. L’interprétation la plus courante de la parabole des invités qui se dérobent (Luc 14, 16-24)23 était en effet celle mise en avant par saint Augustin d’Hippone dans son combat contre l’hérésie donatiste au IVe siècle. Impuissant à faire rentrer ces hérétiques dans le sein de l’Église catholique par la persuasion ou la raison, l’évêque d’Hippone avait finit par conclure que le seul moyen pour lutter efficacement contre eux était la force. Construit à partir de l’interprétation de ce récit évangélique, son argument était le suivant : si les invités (les hérétiques) ne veulent pas répondre à la première invitation courtoise du maître (le Seigneur), alors il convient de les y forcer, ainsi que le maître l’ordonne à son serviteur (l’Église) : « fais entrer les gens de force » (Luc 14, 23)24. L’attitude de l’Église face à l’hérésie et aux autres religions était ainsi fixée pour le reste du Moyen Âge. Le choix de cette parabole pour le programme de Christ Church incite à penser que les concepteurs cherchaient à définir les limites de la communauté des chrétiens contre le judaïsme et l’hérésie. L’utilisation de ces groupes permet de mettre en scène de façon particulièrement frappante le mystère central du christianisme. Il faut toutefois noter qu’aucune allusion directe à l’hérésie ne semble être faite dans les verrières du chœur, non plus que dans celles de la Trinity Chapel. Le fait que cette parabole avait été utilisée par saint Augustin d’Hippone pour justifier la force dans la lutte contre les hérétiques ne signifie pas nécessairement que les moines de Christ Church étaient engagés dans une lutte anti-hérétique au moment de la conception des vitraux. L’inscription du panneau décrit les Gentils fuyant Satan (« sathanam gentes fugiunt »), et un démon ailé survolant la scène s’efforce de ramener les gentils vers le culte des idoles. L’iconographie de cette scène, qui n’est tirée d’aucun texte biblique ou évangélique, semble être originaire de Canterbury, où des modèles, tels la Psychomachia de Prudentius (ESG, 1977, fig. 42) ou un manuscrit illustré de la glose du Pentateuque par Ælfric (Londres, BL Cotton MS Claudius B iv) ont pu influencer les concepteurs des vitraux (CVMA, 93). 23 Cette parabole est combinée avec celle du festin nuptial dans la verrière s. VIII. 24 Saint Augustin, Epistolae clxxxv, vi, 24, PL, xxxiii, 804. 22



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Judaïsme, paganisme et hérésie sont donc présentés comme inférieurs à la révélation du christianisme, en dépit d’attraits certains. Ainsi, les regards que ne peuvent s’empêcher d’échanger certains des Gentils avec cette statue de n. XV, 6, que l’artiste a réussi à rendre presque vivante25, soulignent qu’il pouvait être aisé de succomber. Certains des sujets représentés dans les verrières typologiques expriment une volonté de la part des concepteurs de donner à voir une image de la société chrétienne comme un tout cohérent, organisé selon des principes aisément reconnaissables, et séparant clairement les croyants de ceux qui sont dans l’erreur. Le paradigme semble être ici celui de la parabole du Semeur : le peuple chrétien est le peuple élu, celui qui a reçu la bonne parole, par opposition aux Juifs et, dans une moindre mesure, aux païens, qui n’ont pas su faire le choix de suivre le Christ. Et il semble que la plupart des paraboles sélectionnées développent un thème similaire. La verrière n. XI comprenait à l’origine des illustrations des paraboles du levain, du filet et de l’ivraie qui, toutes, suivaient la parabole du semeur dans le récit évangélique (Matt. 13, 3-50), soulignant ainsi le propos central de la verrière. Les autres paraboles comprennent celle du bon Samaritain, qui met en relief le choix de suivre ou non la voie proposée par le Christ et le refus méprisant des Juifs, et la parabole du festin nuptial, dont l’interprétation patristique contribua à informer l’attitude de l’Eglise vis-àvis de l’hérésie. Tous les récits paraboliques choisis pour illustrer les enseignements de Jésus parlent donc également d’inclusion et d’exclusion en fonction de la réception ou non du message du Christ. 5.2. Le sacrifice eucharistique et la présence réelle Le panneau montrant les pharisiens se détournant du Christ (n. XI, 6) constitue une des articulations majeures du programme iconographique. Le titre donné à ce panneau identifie clairement les ennemis de la foi : Pharisei recedentes a Ihesu dicente26.

Les relations entretenues par l’art médiéval avec l’art antique sont analysées par M. Camille, 1989. Certains ecclésiastiques anglais, tels Henri de Blois, évêque de Winchester (1129-1171), avaient assemblé de vastes collections d’objets antiques ramenés de Rome et d’Italie. M.H. Caviness avance l’hypothèse que le maître verrier avait pu voir des exemples de sculpture antique (ESG, 58). 26 « Les pharisiens s’éloignent de Jésus qui enseigne ». 25



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Il résume par ailleurs à lui seul ce qui constituait probablement le thème principal traité dans les verrières : l’importance du sacrifice du Christ dans l’économie du salut. Les pharisiens, qui symbolisaient l’erreur, sont décrits comme s’étant délibérément placés en-dehors du schéma de la Rédemption, en choisissant de tourner le dos au Christ et à ses enseignements. Le phylactère que Jésus tient à la main, et qui le sépare du groupe des pharisiens qui s’éloignent de lui sans un regard en arrière, comporte une inscription tirée de l’Evangile selon saint Jean (6, 54) : Nisi manducaueritis carnem Filii hominis et biberetis eius sanguinem non habetis uitam in uobis27.

Le message est clair : en se détournant du Christ, les pharisiens renoncent à l’espoir de salut. Ce qui sépare en effet le plus radicalement les Juifs des chrétiens est la reconnaissance du sacrifice du Christ et sa commémoration dans le sacrifice de la messe comme l’instrument du salut, et cette image rappelle l’importance de cette célébration. L’acte central de la messe est une commémoration du message du Christ, une représentation des événements qui sont au cœur de la doctrine chrétienne de la rédemption. Plus que tout autre élément de la liturgie, le sacrifice eucharistique symbolise la vérité de la foi chrétienne. Dans la mesure où « La fonction de l’iconographie connectée en termes spatiaux avec un autel est d’illustrer des concepts dogmatiques et doctrinaux exprimés dans la liturgie et décrits dans la tradition liturgique, théologique et ecclésiologique »28, il était probablement inévitable que les vitraux du chœur de la cathédrale dédiée au Saint Sauveur (Christ Church) développent ce propos. Le thème du sacrifice était omniprésent dans les verrières de la cathédrale et sa juxtaposition avec la surreprésentation de l’erreur des Juifs rendait le message de ces images d’autant plus fort. Les verrières typologiques ne sont pas les seules à le traiter. Les verrières hagiographiques se concentrent en effet également sur ce sujet, et ce en relation très étroite avec les textes liturgiques. Le chapitre suivant traitera plus en détail les raisons politiques qui ont pu suggérer aux concepteurs des vitraux une telle insistance sur le thème du sacrifice dans les récits des vies de saints.

« Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous ». 28 « the function of iconography spatially connected with an altar is to illustrate dogmatical and doctrinal concepts expressed in the liturgy and described in liturgical, theological and ecclesiological tradition », Sinding-Larsen, 15. 27



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Dans le cycle biblique, les concepteurs ont de toute évidence cherché à mettre l’accent sur le sacrifice du Christ. La Crucifixion ellemême est représentée dans les verrières du chœur pas moins de cinq fois, dont deux fois en tant que type pour commenter d’autres scènes29. Mais les illustrations du thème du sacrifice ne sont pas toujours aussi littérales. Ainsi dans la scène de la présentation du Christ au temple (n. XV, 14), dont l’iconographie particulière souligne le sacrifice à venir du Christ et sa célébration liturgique, on peut voir l’enfant Jésus porté par la Vierge au-dessus de l’autel du temple, présenté comme les espèces de la communion (figure 2). Les types qui glosent cette scène renforcent encore la thématique eucharistique : la présentation de Samuel au temple (n. XV, 13) insiste visuellement sur les offrandes faites à Dieu (le bétail, les paniers contenant des miches de pain, et l’amphore de vin portée par la servante à droite), et sur le lien qui existe entre ces offrandes (pain et vin) et le sacrifice de l’eucharistie. Le titulus du panneau : significat dominum samuel puer amphora vinum [natu]ra geminum triplex oblatio trinum30

ne laisse aucun doute quant à la signification théologique de la scène, et fait clairement écho à celle de l’autre scène, les offrandes de Melchisédech :  sacrum quod cernis sacris fuit umbra modernis / Umbra fugit, quare. Quia Christus sistitur are31.

Melchisédech était considéré de longue date comme un type du Christ, et ses offrandes étaient comprises comme une préfiguration du sacrifice du Christ32. Cette dernière inscription renvoie à la composition de la scène de la présentation du Christ, où l’enfant est littéralement disposé au-dessus de l’autel, tel l’agneau du sacrifice du prophète (n. XV, 24)33. Ainsi, dès la deuxième verrière du cycle, le thème du sacrifice du Christ et de sa commémoration dans la célébra-

Corona I, 1 ; s. XV, 5 ; s. XI, 18; types: n. VIII, 12 et 16. « L’enfant Samuel signifie le Seigneur, l’amphore [signifie] le vin ; l’offrande triple signifie la forme trine de ce qui, par nature, est double ». 31 « Les sacrements que tu vois sont une ombre des sacrements modernes. L’ombre s’enfuit, pour quelle raison ? Parce que Christ est mis sur l’autel ». 32 J. Daniélou, 195-196. 33 Sans compter qu’une telle représentation devait avec une signification toute particulière dans un monastère où beaucoup de membres de la communauté avaient été offerts comme oblats quand ils étaient encore enfants. 29 30



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tion liturgique, est introduit. Le thème eucharistique est présent dans de nombreux autres panneaux, soit dans les associations typologiques qui sont faites entre les scènes, soit dans l’iconographie elle-même – comme dans la scène où le prophète est averti de ne pas retourner en Judée par le même chemin, où l’offrande sacrifiée sur l’autel est un agneau, une représentation des plus courantes du Christ. La composition de cette scène rappelle fortement celle de la présentation du Christ et celle de la présentation de Samuel dans la même verrière. On peut imaginer que le panneau situé juste en dessous et qui représentait les offrandes de Melchisédech, avait également une composition similaire (n. XV, 19). On remarque que les types qui sont associés avec l’oblation du Christ sont tout à fait traditionnels, et renvoient à une longue tradition commencée par saint Paul, dans l’Épître aux Hébreux, et reprise par les Pères de l’Église, tels saint Cyprien ou saint Ambroise34. Les types associés à la scène de la Crucifixion dans la verrière axiale de la Corona relient de façon indubitable le thème de l’erreur des Juifs à celui du triomphe du Christianisme à travers le sacrifice du Christ (Corona I, 4, 7, 10, 12 et 15). Les inscriptions de ces scènes (Moïse frappant le rocher et le Tau est inscrit sur les portes des familles juives, les espions revenant d’Eshkol), de même que les sujets choisis (le sacrifice d’Isaac) fournissent des types de la Crucifixion, en associant cet épisode à la célébration de l’eucharistie (le sang, le vin, le sacrifice). Mais il me semble que le type du raisin d’Eshkol donne, dans le contexte du programme typologique dans son ensemble, une interprétation toute particulière de cet épisode central des Évangiles. Il s’agit d’une représentation des envoyés de Moïse en terre de Canaan (Nb 12, 23). L’inscription du panneau décrit la scène où deux hommes avancent l’un derrière l’autre, portant une perche sur laquelle est attachée une grappe de raisin énorme : botrum respicere negat hic. Sitit iste videre. Israel ignorat Cristum. Gentilis adorat35.

La grappe de raisin était une préfiguration du sang du Christ et du vin du sacrifice eucharistique. Le titulus cependant, fait plutôt référence à l’opposition entre Juifs et Chrétiens qui occupe une place

J. Daniélou, 219 et 282. « Celui-ci refuse de se retourner pour regarder la grappe ; l’autre est avide de la voir ; Israël ne connaît pas le Christ, les Gentils l’adorent ». 34 35



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tellement importante dans le reste du programme iconographique, et opère une césure radicale entre Ancien et Nouveau Testament, entre la Loi et la Nouvelle Alliance. Ces quatre types associés à la crucifixion font particulièrement référence aux espèces du sacrement, et à la transformation qui a lieu pendant la messe : Haustus [sic] patitur lapis is latus hic aperitur : est aqua carnali cruor autem spirituali36.

La mise en relation des deux verrières situées dans l’axe oriental de la cathédrale – celle de la Corona traitant de la mort et de la résurrection du Christ, celle du clair-étage représentant le Jugement Dernier – souligne le contenu fortement eschatologique du programme iconographique. Il s’agit d’une association courante et traditionnelle dans la mesure où la résurrection du Christ inaugurait la période d’attente de sa seconde venue, qui annoncerait la fin des temps, un événement que la commémoration eucharistique replaçait fermement au centre des préoccupations des fidèles. Il semble toutefois que cette interprétation prenne à Christ Church un relief tout particulier. Il est ainsi possible qu’une autre raison ait pu présider au choix de ces représentations, une raison qui est une fois de plus étroitement liée à la liturgie. Après des controverses violentes au IXe siècle, le débat sur la présence réelle occupa le devant de la scène dans les débats théologiques pendant une grande partie du XIe siècle. Lanfranc, dans son traité De corpore et sanguine Christi, rédigé vers 1063 afin de réfuter les thèses de Bérenger de Tours, donna pour la première fois la définition du dogme de la transsubstantiation, c’est-à-dire la transformation du pain et du vin en corps et en sang du Christ lors de l’eucharistie37. Même si ce dogme ne fut fixé de façon définitive que par le ­IVe Concile du Latran en 121538, il est possible que la communauté de Christ Church ait gardé vivace le souvenir de cette controverse dans laquelle leur archevêque avait été impliqué de si près. Les textes produits par Lanfranc dans le contexte de la lutte contre l’hérésie de Bérenger de Tours figuraient incontestablement en bonne place dans

36 « De même que cette pierre souffre que [l’eau] soit tirée, le côté de celui-ci est déchiré ; il s’agit d’eau pour la chair, mais de sang pour l’esprit », Corona I, 10. 37 M. Gibson, 1978, 63-97 ; H.E.J. Cowdrey, 2003, 59-74. 38 « son corps et son sang, dans le sacrement de l’autel, sont vraiment contenus sous les espèces du pain et du vin, le pain étant transsubstantié au corps et le vin au sang, par la puissance divine », c.1, R. Foreville, 1965, 343.



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la bibliothèque du monastère. Le catalogue du prieur Henry of Eastry comporte trois entrées en relation avec cette controverse. Au n°152, on trouve un volume contenant un texte intitulé « Sinodus Gregorii pape congregata pro Berengario »39, puis, inclus dans les Gesta Lanfranci (n° 161), De corpore et sanguine Domini contra Berengarium hereticum ; les n° 162 et 163 étaient intitulés Lanfrancus contra Berengarium primus et Lanfrancus contra Berengarium, iius40. La façon dont les espèces de la communion devaient être manipulées lors de leur préparation et lors des cérémonies était par ailleurs le sujet de prescriptions très strictes dans les Constitutions de Lanfranc41. Cela semble indiquer un très grand respect pour ce sacrement : les hosties, même non consacrées, étaient préparées avec le plus grand respect, les moines devant revêtir des habits liturgiques et réciter des psaumes pendant leur confection, qui était ainsi assimilée à une cérémonie paraliturgique. Il est bien entendu impossible de déterminer l’intérêt que les moines pouvaient encore avoir pour ces textes cent ans après leur rédaction, mais on peut imaginer que, dans le contexte d’un renouveau pastoral mettant l’accent sur l’accès aux sacrements42 et qui devait aboutir la définition du dogme de la transsubstantiation en 1215, les textes de l’archevêque aient été bien connus des moines, et les choix iconographiques faits par les moines pour les verrières semblent en témoigner. La présence de la crucifixion, entourée de ses quatre types et de leur interprétation particulière, dans l’axe du maître-autel de la cathédrale semble tout à fait révélatrice de la volonté des concepteurs du programme d’insister sur la question de la présence réelle. La scène de la présentation du Christ au temple (n. XV, 18) semble insister sur l’idée que, dans le sacrifice eucharistique, le Christ est réellement présent. La Vierge présente en effet l’enfant au-dessus de l’autel, ce qui souligne, par un parallèle visuel, l’identité entre le Christ et les espèces du sacrifice lors de leur consécration par le prêtre. Les espèces – pain et vin – sont incluses dans le type de la présentation de Samuel au temple, et faisaient probablement également partie de la

Aujourd’hui Cambridge, University Library MS Ii.3.33, daté par Ker des XIe-XIIe siècles (1964, 30). Il s’agit probablement de la formule proposée par Grégoire VII au synode de 1079, après un nouvel examen des thèses de Bérenger (M. Gibson, 1978, 94). 40 AL, 33-34. 41 Constitutions 123-125 et 135-137. 42 Il s’agit d’un des effets les plus importants de la réforme de l’Église. Les canons des grands conciles de l’Église témoignent à quel point le baptême, le mariage, la confession et, bien entendu, la communion, faisaient partie des préoccupation des législateurs ecclésiastiques, Latran IV, c. 21, 50, 51, 52. 39



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composition de l’autre type, aujourd’hui disparu, des offrandes de Melchisédech, comme en témoigne le titre donné pour ce panneau – aujourd’hui disparu – dans les manuscrits43. Les inscriptions insistent sur l’interprétation théologique de ces scènes, mettant en valeur la notion de Trinité (le vin, la farine et les bœufs), qui se manifeste dans la double nature des espèces de l’Eucharistie :  Significat dominum Samuel puer amphora vinum [natura] geminum triplex obblatio trinum44

L’inscription qui glose le deuxième type parachève cette argumentation : « Christus sistitur are », Christ est sur l’autel. Comme souvent dans les verrières de Christ Church, les tituli des types permettent d’élucider le sens de la scène centrale. Ici, l’intention des concepteurs du programme semble avoir été d’affirmer la présence réelle du Christ dans les espèces consacrées lors de la célébration eucharistique, et il est tentant de lier cette interprétation, non seulement au débat sur la doctrine de la Présence réelle, mais plus spécifiquement à l’héritage de Christ Church à travers les écrits de Lanfranc. Une scène incontestablement très importante à cet égard devait être celle représentant saint Grégoire le Grand célébrant la messe. CCAL et CCCC comportent tous les deux des titres et des tituli en vers pour une vie de saint Grégoire, y compris trois miracles effectués par le pontife. Un des miracles rapporte comment, lors d’une célébration eucharistique, une femme de l’assemblée exprima des doutes quant à la transformation du pain qu’elle avait elle-même préparé en chair du Christ. Le pape plaça alors l’hostie sur l’autel, où elle se changea en doigt, prouvant ainsi qu’« id panis velat digiti quod forma revelat »45. Ce miracle n’a pratiquement jamais été représenté, mais il faisait partie des épisodes rapportés par les leçons de l’office de matines46. Il rappelle également l’iconographie de la messe de saint Grégoire, où le Christ et les instruments de son supplice apparaissent au pape au moment de l’élévation de l’hostie, une scène fréquemment illustrée dans la

« Melchisédech offerens panem et vinum pro Abraham », CVMA, 98. « L’enfant Samuel signifie le Seigneur, l’amphore signifie le vin ; la triple offrande signifie la forme triune de ce qui est par nature double ». 45 « L’hostie renferme caché ce que la forme du doigt révèle », CVMA, 139. 46 HA, fol. 226v. M.H. Caviness ne cite qu’une seule autre source médiévale recensée par le Princeton Index of Christian Art, un folio d’origine allemande, reproduit dans H. Swarzenski, The Berthold Missal, Pierpont Morgan Library MS 710 and the Scriptorium of Weingarten Abbey, New York, 1943, figure 11 (CVMA, 139, n. 3). 43 44



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chapitre 5

deuxième moitié du Moyen Âge, quand la dévotion au Saint Sacrement prit une grande ampleur47. Ce miracle, qui apparaît également dans les leçons de l’office de matines, semble ici être utilisé pour démontrer que, dans l’hostie consacrée, le Christ était bel et bien présent. La liturgie est donc bien centrale au programme iconographique, puisque la célébration principale du christianisme, le mystère eucharistique, est le thème principal des verrières de la cathédrale. Les « déviances » décrites demeurent traditionnelles, voire génériques et stéréotypées : le programme parle des Juifs, du paganisme ou de l’hérésie de façon très générale et très vague, sans aucun rapport avec des événements réels. Le traitement qui en est donné, qui insiste sur le thème du sacrifice, souligne l’opposition entre l’erreur et la vérité, entre les Juifs et les chrétiens, tout en mettant en valeur l’héritage de Christ Church. Il s’agit peut-être donc plutôt d’un désir de réaffirmer la supériorité de l’orthodoxie chrétienne telle qu’elle était définie par Rome que d’une réaction à des événements contemporains. Il s’agit peut-être d’un effort de la part de la communauté de souligner les liens tout particuliers entretenus avec la papauté. Le contexte dans lequel le programme fut crée était en effet relativement calme. La communauté vivait en paix avec les Juifs de la ville, les invasions danoises avaient depuis longtemps cessé, le problème de l’évangélisation ne se posait plus depuis longtemps en Angleterre, et aucun courant hérétique ne semble s’être manifesté en Angleterre à cette époque. 5.3.  La société chrétienne sur le chemin du salut : le modèle monastique Les limites de la société chrétienne ainsi clairement définies, il faut maintenant se tourner vers la description qui est donnée de cette société dans les verrières de la cathédrale. Selon quels principes estelle organisée ? Ici encore, l’utilisation de thèmes et de motifs particuliers dans l’iconographie révèle une vision très particulière des moines quant à leur place et à leurs rôles. À une époque où l’Église et les souverains temporels étaient engagés dans une entreprise de définition de leurs limites et de leurs pouvoirs respectifs, où le clergé séculier était de plus en plus nettement distingué du clergé régulier,

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Voir Chapitre 2, n. 11.

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la mise en ordre(s) de la société

et où de même l’institution monastique remettait son organisation en question à travers la création de nouveaux ordres monastiques, il n’est guère surprenant de voir la communauté de Christ Church chercher à présenter une image cohérente de la société qui l’entourait. Comment cette société est-elle présentée ? Que montrent les représentations de la place que les moines entendent tenir en son sein ? Entre la rédaction de la RB et le XIIe siècle, la fonction du monachisme avait acquis une place bien déterminée dans la société médiévale. Orderic Vital (1075-v.1142), moine de Saint-Évroul en Normandie, s’adressant à un laïc, résume ainsi le rôle joué par les moines :  Prouide nunc intuere quae sunt quae in regularibus monasteriis ab eruditis cultoribus fiunt. Innumera ibi benficia cotidie aguntur, et contra diabolum a castrensibus Christi uiriliter dimicatur. Nulli dubium est quod probo agonithetae quanto acrior fuerit pugna, tanto gloriosor erit uictoria, tropheique maior merces in celesti curia. Quis referre potest monachorum uigilias, ymnos et psalmodias, orationes et elemosinas, et cum lacrimarum imbribus missarum oblationes cotidianas48 ?

La fonction des moines était donc de lutter pour le salut de tous les hommes. Dans un monde où le naturel et le surnaturel n’étaient guère séparés, il s’agissait d’un combat de toute première importance, comme le montre la métaphore guerrière employée par Orderic Vital dans ce passage. Les moines n’œuvraient pas seulement à leur salut personnel, mais avaient pour mission de prier, de célébrer la liturgie et de s’occuper des pauvres pour le reste de la société chrétienne49. Les trois états vertueux Les verrières des miracles de saint Thomas sont particulièrement riches en représentations de membres de la société contemporaine. À l’origine composé de dix verrières, le cycle, aujourd’hui très mutilé, présente cependant encore trente-cinq récits de miracles, identifiables avec une quasi-certitude à partir des recueils compilés par « Considère maintenant quelles tâches sont accomplies, dans les monastères qui suivent une règle, par ceux qui sont formés au service de Dieu. D’innombrables bénéfices y sont obtenus chaque jour, et les garnisons du Christ se battent vaillamment contre le diable. Assurément, plus la lutte du guerrier spirituel est dure, plus sa victoire sera glorieuse, et plus ses trophées à la cour du Seigneur seront précieux. Qui peut compter toutes les veilles des moines, leurs hymnes et leurs psaumes, leurs prières et leurs aumônes, et leurs offrandes quotidiennes de messes baignées de larmes abondantes ? » (The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, III, édité par M. Chibnall, Oxford, 1972, 144). 49 D. Iogna-Prat montre bien comment cette idéologie fut développée à Cluny (Chapitre 7). 48



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chapitre 5

Guillaume de Canterbury et Benoît de Peterborough50. La première remarque qui s’impose est que le saint ne semble pas faire de discrimination entre les différentes catégories de la société. On y voit en effet toutes sortes de gens, hommes et femmes, riches et pauvres, adultes et enfants, laïcs et religieux, venir se recueillir sur le tombeau de saint Thomas pour demander une guérison ou pour le remercier de son intervention miraculeuse. Le message semble être que quiconque, quelle que soit sa position dans le monde, sa fortune ou son âge, pouvait s’adresser au saint et espérer bénéficier de son aide – la seule condition étant qu’il était impératif de ne pas négliger de le remercier de façon appropriée51. Certains récits sont plus longs que d’autres – alors que la majorité des miracles sont rapportés sur deux ou trois panneaux (guérison d’Adam le forestier, s. II, 16, 17, 10 ; guérison de Matilda de Cologne, n. II, 33, 34, 35), certains se voient consacrer cinq ou six panneaux, voire jusqu’à neuf dans le cas de Jordan FitzEisulf (n. II, 9-21). Il ne semble pourtant pas que cette discrimination soit à mettre en relation avec le statut social de la personne bénéficiant du miracle. Jordan FitzEisulf était certes un chevalier d’une certaine importance, mais il ne semble pas que les parents de Geoffrey of Winchester – un enfant de seize mois – aient fait partie des couches supérieures de la société52 ; le récit de sa guérison s’étend cependant sur six panneaux (s. VII, 61, 56, 52, 58, 51, 62). Un autre très long récit (six panneaux) concerne Richard Sunieve (n. II, 65-67, 57-59), le serviteur du chevalier Richard FitzHenry, ce qui tendrait à montrer que la longueur du récit n’était pas déterminée par des considérations de statut social de la part des concepteurs de vitraux53.

ESG, 164-166. Il y a plus d’hommes (25) que de femmes (10) bénéficiant de miracles dans les verrières, mais comme cette partie du programme est très endommagée, il est difficile de savoir si cette proportion était également celle des verrières originelles. Les recueils de Benoît et de Guillaume semblent montrer qu’au fur et à mesure que le culte gagnait en popularité, il devint plus masculin, avec plus de représentants du clergé et des couches supérieures de la société (R.C. Finucane, 126). 52 Guillaume, livre II, chap. xlv, Materials, i, 206-207 et Benoît, livre IV, chap. lxxxvii, Materials, ii, 252-253. 53 Madeline Caviness suggère que certains des bénéficiaires des miracles de saint Thomas ont pu participer financièrement à la réalisation des vitraux de la Trinity Chapel (ESG, 3233). Si cela est le cas – et l’absence de documents relatifs au financement de la reconstruction ne permet ni de confirmer ni d’infirmer cette hypothèse – les sommes contribuées n’ont probablement pas eu d’influence sur la longueur des récits. 50 51



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la mise en ordre(s) de la société

Les soins du « melior medicus »54 n’étaient donc pas accordés selon des critères de richesse, de rang social, de naissance, ou d’âge. Tous pouvaient être touchés par la maladie, et tous pouvaient être rappelés à l’ordre par le saint s’ils n’honoraient pas leur promesse d’offrandes ou de pèlerinage, comme par exemple Jordan FitzEisulf ou les parents de Geoffrey of Winchester. Il semble en revanche que la longueur du récit en images soit affectée par l’intervention en personne du saint dans le processus de guérison : les récits les plus longs sont en effet caractérisés par l’apparition de saint Thomas. Les récits des verrières, comme les recueils compilés par Benoît et Guillaume témoignent donc du caractère universel du culte de saint Thomas – un aspect qui se retrouve d’ailleurs tout au long du Moyen Âge, comme le montre le groupe très hétérogène des pèlerins décrits par Chaucer dans les Canterbury Tales. On peut imaginer que les moines, soucieux de protéger une source de prestige – et accessoirement de revenus non négligeables – s’efforcèrent de mettre en valeur ce côté universel, afin d’entretenir l’attrait exercé par le tombeau de Thomas Becket. Le fait que les miracles semblent avoir été groupés par types de guérison plutôt que par ordre chronologique55 pourrait confirmer cette hypothèse. Il ne s’agissait pas tant de représenter de façon précise les bénéficiaires des miracles – qui ne sont d’ailleurs pas nommés dans les verrières – que de mettre en scène l’action thaumaturgique du saint. Thomas Becket, contrairement à certains autres saints médiévaux, ne se spécialise pas dans la guérison de telle ou telle maladie : invoqué de façon approprié le saint peut guérir toutes les afflictions. Le cycle hagiographique de la Trinity Chapel ne propose donc pas un commentaire sur la société anglaise à l’époque de la réalisation des vitraux. C’est une caractéristique qui se retrouve également dans la liturgie, dans celle de la fête du 29 décembre, mais surtout dans l’office de la translation de 1220. La liturgie du 29 décembre ne distingue pas de bénéficiaires particuliers pour l’intervention miraculeuse du saint, se contentant d’une affirmation générale quant à ses pouvoirs thaumaturgiques : Primo tamen martyrii sui tempore, inusitatis coepit martyr choruscare miraculis : caecis visum, claudis gressum, surdis auditum, loquelam mutis restituens. Deinde leprosos mundans, consolidans paralyticos, ydropysim

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« meilleur médecin », inscription du panneau 10 de s. II (CVMA, 203). CVMA, 158.

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chapitre 5 et omnium morborum incurabilium genera curans, resuscitans mortuos (…) nam et oculis et membris genitalibus privati, meritis ipsius nova membra meruerunt suscipere56.

Cette énumération souligne ainsi l’action universelle du nouveau saint. En revanche, l’office du 7 juillet cite quelques exemples particuliers57. En 1220, la réputation de saint Thomas n’était plus à faire, les pèlerins se pressaient en foule nombreuse à Canterbury, et les créateurs de la liturgie préférèrent mettre l’accent sur la foi qui animait les personnes sauvées par le martyr, plutôt que sur la vaste gamme de miracles effectués. L’absence d’inscriptions identifiant les bénéficiaires des miracles dans ces verrières souligne leur caractère universel. Les verrières typologiques, à l’inverse du cycle hagiographique, ne proposent pas de représentations exactes de la société contemporaine. Les scènes qu’elles donnent à voir, parce qu’elles sont tirées des textes sacrés, aspirent également à l’universalité. L’histoire du salut est en effet toujours valable, quel que soit le lieu, et quelle que soit l’époque58. La verrière n. XI met en scène la séparation radicale entre les chrétiens et le reste des hommes, à travers la représentation de l’erreur fondamentale commise par les Juifs à l’égard du Christ. Cette définition, qui s’applique aux limites de la société chrétienne, n’est pas la seule que propose cette verrière. La parabole du semeur permettait en effet aux concepteurs des vitraux d’illustrer l’idée que certains peuples étaient plus réceptifs au message de l’Évangile que d’autres – ce qui est repris par d’autres paraboles sélectionnées pour le programme, telle la parabole du filet (n. XI) ou encore celle du festin nuptial (s. VIII). Mais au sein même du peuple chrétien, il convenait de faire des distinctions : tous les styles de vie n’avaient pas la même valeur. Un « toutefois, au cours dans premiers jours après sa passion, le martyr commença à briller à travers des miracles extraordinaires, permettant aux aveugles de voir, aux boiteux de marcher, aux sourds d’entendre, aux muets de parler, et par la suite purifiant les lépreux, fortifiant les paralytiques, guérissant l’hydropisie et toutes sortes de maladies incurables, et ressuscitant les morts (…) et des hommes qui avaient perdu leurs yeux et leurs organes génitaux furent jugés dignes d’en recevoir de nouveaux par l’intervention de ses mérites », lectio ix, SB, I, cclvii. 57 Le pèlerin de Devizes, le chevalier de Northampton, la femme de Kemble ou Robert le chevalier de la comtesse d’Eu (S. Reames, Liturgical Offices, 579, 582, 587). 58 Le chapitre 9 s’attachera à montrer comment les traits dominants du culte de saint Thomas furent délibérément calqués sur l’histoire du Christ, afin de leur donner une dimension universelle, une pratique hagiographique bien établie au XIIe siècle. 56



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des types choisi pour commenter la parabole du levain (Matt. 13, 33 et Luc, 13, 20-21) offre en effet une vision très traditionnelle de la société chrétienne ; on y voit trois figures, qui représentent virgines, continentes, coniugati, c’est-à-dire les trois états vertueux pour les chrétiens : la virginité, la continence – ou le veuvage59 – et le mariage (n. XI, 20). Il s’agit d’une illustration classique de la parabole du levain, d’après la Glossa Ordinaria : le levain est la foi, la femme est l’Église et les trois états représentent les trois mesures de farines auxquelles fut ajouté le levain60. Cette division de la société chrétienne en fonction de la « vertu », c’est-à-dire les différents degrés de pureté par rapport aux rapports sexuels, remonte aux écrits des Pères de l’Église, en particulier ceux de saint Augustin d’Hippone61. Elle était fondée sur l’attitude de saint Paul à l’égard du mariage : 1 Co 7, 1-2 établit de façon nette l’infériorité de l’état de mariage sur celui de continence, la virginité étant présentée comme l’état le meilleur dans lequel le chrétien puisse se trouver (1 Co 7, 25-26). Il est cependant remarquable que la représentation de ces trois états dans la verrière ne leur donne aucune organisation hiérarchique : les trois figures, bien que clairement séparées les unes des autres par les piliers des arches qui les surmontent, sont toutes les trois sur le même plan : les trois hommes sont vêtus de façon similaire et portent tous les trois des habits distinctement laïques. On aurait pu en effet s’attendre à ce que, dans un contexte monastique, la virginité – ou tout du moins la continence – soit présentée comme un état particulièrement enviable et supérieur à l’état de mariage. Il s’agit ici d’une division de la société selon les mérites, et non selon les fonctions dans le monde, ce qui rejoint la présentation de la société dans les verrières hagiographiques. Il ne s’agit pas ici d’une critique sociale, encore moins d’un projet de réforme : il semble s’agir davantage d’un constat de l’existence de ces trois états – qui représentent l’ensemble de l’ecclesia des chrétiens – que d’une tentative d’un placer un au-dessus des deux autres. Si l’on considère ce panneau en relation avec l’autre type utilisé pour commenter la parabole du levain, l’Église avec les trois fils de Noé (n. XI, 22), il semble que l’intention de ces trois images est de

59 Les manuscrits de Cambridge et de Canterbury donnent le terme de « continentes », alors que l’inscription du panneau porte « vidvatis » 60 PL, cxiv, 133. 61 Saint Augustin développe cette division de la société dans plusieurs textes : De Continentia liber unus, De Bono Coniugali liber unus et De Sancta Virginitate liber unus (PL, xl, 373-430).



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représenter l’universalité de la foi chrétienne. Les trois fils de Noé repeuplèrent le monde après le Déluge, et sont représentés en train de se partager un disque appelé « mundus ». Les trois états – qui sont la farine qui a levé sous l’effet du levain – vont se partager la terre, grâce à l’action de l’Église, dont le type est la femme de la parabole. Dans ces deux panneaux, ce qui est principalement illustré est l’idée d’unité dans la trinité. Ainsi, il ne s’agit d’un commentaire social ou moral qu’en surface ; le contenu de cette représentation semble avant tout être théologique. Les verrières de la cathédrale semblent donc se contenter de décrire la société contemporaine telle qu’elle pouvait être observée par les moines, sans souci d’en proposer une interprétation politique particulière. Les seules divisions que les moines suggèrent sont des divisions en fonction des mérites et ces divisions fondent une vision de la société dans laquelle la vie monastique est présentée comme un modèle pour tous les chrétiens. Le modèle monastique La supériorité de la vie contemplative – par opposition à la vie active – était souvent justifiée par une référence à un épisode du Nouveau Testament, celui de Marthe et Marie, où Jésus loue le choix de Marie de préférer l’écouter plutôt que de s’occuper des soins du service comme sa sœur Marthe : « Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée » (Luc 10, 42). Cet épisode avait été sélectionné par les concepteurs des vitraux pour figurer dans le récit de la vie publique du Christ (n. XII, 22). La position de ce panneau dans l’axe de la fenêtre lui conférait une importance toute particulière, permettant d’inclure deux types pour gloser le message de cette représentation. Les deux types sélectionnés, Léa et Rachel avec Jacob (n. XII, 21) d’une part, et de l’autre, Pierre pêchant et Jean lisant (n. XII, 23), soulignent encore davantage le prestige accordé à la vie contemplative – c’est-à-dire à la vie monastique. Marie, « figura mentis » (« image de l’esprit »), de même que Jean, est bien aimée du Christ ; de la même façon, Léa fut bien aimée de Jacob. La fuite du monde est exaltée à travers ce choix de représentations et leur glose ; le mode de vie des moines, séparé du monde et organisé autour de la prière et de la réflexion est parfaitement illustré par l’inscription de n. XII, 23 : Sic requies orat dum mundi cura laborat62

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« Ainsi le Calme prie alors que le Soin du Monde s’affaire ».

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la mise en ordre(s) de la société

On peut entendre ici un écho de la description d’Orderic Vital ; ce choix peut paraître paradoxal alors qu’à la même époque les moines bénédictins étaient parfois sévèrement critiqués pour leur trop grande implication dans les affaires du monde. Mais il est révélateur de l’intention des concepteurs des vitraux, qui semblent avoir cherché à glorifier le mode de vie monastique. Les moines sont omniprésents dans les récits des verrières de la Trinity Chapel. Acteurs ou simples spectateurs des événements prodigieux qui se déroulent dans la cathédrale ou dont les pèlerins leur font le récit, leur médiation entre les pèlerins et le saint est présentée comme indispensable. Ils possèdent un accès privilégié au saint – ils exécutent la liturgie en son honneur, et ce sont eux les gardiens du tombeau – et ils rendent publics les miracles qui se produisent dans la crypte. C’est probablement la raison pour laquelle dans tant de représentations on retrouve un moine tenant un livre à la main, ou prêt à inscrire les récits miraculeux des pèlerins dans son recueil, ou encore participant activement à la guérison : Petronella utilise un remède préparé par un moine et un assistant (n. IV, 50), alors qu’Ethelreda se voit administrer le remède directement par un moine (n. IV, 7). La guérison miraculeuse de Matilda est immédiatement retranscrite dans un livre par un moine, qui place ensuite un cierge offert en action de grâces sur le tombeau du saint (n. II, 34 et 35). Cette surabondance de représentations du rôle des moines dans les guérisons miraculeuses a peut-être pour explication le besoin que ceux-ci avaient de protéger leurs privilèges contre les empiètements de l’archevêque et de la couronne. Les conflits avec Baudouin – un homme venu de l’extérieur, imposé par une autorité séculière, un Cistercien de surcroît – renforcèrent probablement la conscience que la communauté avait d’elle-même en tant que groupe. Il est également possible que, par réaction contre ces attaques à l’encontre de privilèges qu’ils considéraient comme traditionnels, les moines jugèrent nécessaire de présenter une histoire de leur abbaye qui justifiait leurs demandes. De plus, à une période où l’archevêque Baudouin semblait avoir l’intention de priver Christ Church du tombeau de Thomas Becket en construisant une collégiale dédiée à saint Thomas à Hackington63, il était capital de faire apparaître clairement les liens entre le martyr et Christ Church. C’est pourquoi il était important de représenter le tombeau dans les verrières, et de mettre en scène la

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OH, 36-40 et 49-51.

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communauté en tant que gardienne des reliques et de la tradition. À travers les représentations des saints de la cathédrale et à travers la mise en place du calendrier liturgique, les moines de la communauté exaltèrent leur style de vie, et récupérèrent au passage un moine tout à fait improbable en la personne de Thomas Becket. Les saints représentés dans le programme iconographique – et qui sont également les plus fêtés du calendrier liturgique – affirment la supériorité de l’institution monastique et le rôle des moines-évêques. Il vient d’être montré comment saint Jean l’Évangéliste était présenté, dans une verrière typologique, comme une préfiguration de la vie contemplative. Les saints directement associés au monachisme sont saint Martin, saint Grégoire le Grand, saint Dunstan et saint Alphège. Il y avait par ailleurs un autel dédié à saint Benoît dans le transept nord-ouest, autel près duquel Thomas Becket fut frappé par ses assaillants. Saint Martin était considéré comme un des fondateurs du monachisme en Gaule, et était très vénéré en Angleterre et à Christ Church. Les Constitutions placent la fête de saint Martin parmi les célébrations de troisième rang64, et les calendriers montrent que son culte semble avoir été bien développé. Dans Arundel et Tiberius, sa Natalitio (11 novembre) était une fête in cappis, et son octave était observée. Tiberius semble même indiquer une popularité croissante du culte : la Natalitio y est en effet distinguée par un II, et l’on remarque l’introduction de la célébration de la translatio le 4 juillet. L’importance de Martin tenait essentiellement à ce qu’il présentait un modèle de moine-évêque, une institution très importante en Angleterre. À Canterbury, l’église dédiée à saint Martin était par ailleurs probablement le sanctuaire le plus ancien de la ville, car c’est l’église que l’épouse chrétienne d’Æthelbert utilisait avant l’arrivée d’Augustin et de ses compagnons, et montre que la dévotion à ce saint avait des origines très anciennes à Canterbury65. La disparition presque totale de la verrière qui lui était consacrée empêche malheureusement de savoir quels thèmes y étaient développés et leurs relations avec la liturgie. Saint Grégoire le Grand constituait également un modèle à suivre pour les moines-évêques. Son importance à Christ Church ne saurait être exagérée, non seulement parce qu’il « inter superiores ideo com-

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Constitutions, 97. Bède, HE, I, 26.

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putamus, quia nostrae, id est, Anglorum gentis apostolorum est »66, mais également pour son rôle dans l’institution du monachisme. Il semble que les épisodes choisis pour illustrer la vie de saint Grégoire insistaient sur les actions de ce saint en tant que prêtre : lavement des mains d’un pauvre, célébration de l’eucharistie, élection à la dignité papale. Aucune source ne permet d’établir avec certitude comment Grégoire le Grand était représenté dans ces panneaux ; il est cependant possible d’avancer que dans une scène au moins (celle du miracle de l’hostie changée en doigt, s. X, 3) il était revêtu de ses habits liturgiques. Cette tenue liturgique le reliait visuellement aux autres pontifes représentés dans les verrières, les trois saints associés spécifiquement avec Christ Church, Dunstan, Alphège, et Thomas. La continuité entre la cathédrale fondée à l’instigation du saint pape et la cathédrale du XIIe siècle pouvait ainsi être établie à travers cet écho visuel. Le pontife était déjà commémoré par la présence d’un autel dans l’église anglo-saxonne détruite par un incendie en 1067, et décrite par Eadmer67. Cet autel fut replacé dans le transept sud de la cathédrale normande rebâtie par Anselme (le chœur fut terminé en 1130), et, après l’incendie de 1174, dans la nouvelle cathédrale68. Cette importance accordée à saint Grégoire le Grand dans l’organisation spatiale de la cathédrale était reflétée dans la place donnée aux célébrations liturgiques commémorant ce saint69. Il semble par ailleurs qu’au cours du XIIe siècle, les célébrations consacrées au pape gagnèrent en importance. Deux fêtes sont mentionnées dans les quatre calendriers couvrant la période 1100-1200 : la passio, célébrée le 12 mars, est une fête solennelle dans Arundel, où elle est signalée in cappis. À la fin du XIIe siècle, Tiberius la présente comme une fête de degré II. De même, la fête de l’ordinatio (3 septembre), qui apparaît pour la première fois dans Oxford, se voit attribuer dans Tiberius un II. Absente de la version originale d’Arundel, la fête fut ajoutée à ce calendrier au cours du XIIe siècle, de même que son octave70.

66 « est compté parmi les plus importants car il est l’apôtre de notre peuple, c’est-à-dire des Anglais », Constitutions, 61. 67 Cité par Gervais de Canterbury, OH, 8. 68 OH, 15 et 24. 69 Le Concile de Clofesho de 747 décréta qu’un culte devait être rendu à saint Grégoire le Grand et à saint Augustin de Canterbury (canon XVII), Haddan and Stubbs, Councils, III, 368. 70 F. Wormald, 1934, 178.



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On remarque donc que la dévotion à Grégoire le Grand devint plus visible, au moins dans les calendriers, pendant la période qui nous intéresse. La fête de l’ordinatio n’apparaît que dans trois des calendriers datés d’avant 1100 édités par F. Wormald, alors qu’elle est présente dans douze des dix-neuf calendriers monastiques datés d’après 110071, ce qui semble indiquer qu’elle acquit une popularité plus grande au cours de la deuxième moitié du Moyen Âge. La célébration de l’octave, en revanche, semble être limitée aux deux abbayes de Canterbury, Christ Church et Saint Augustine’s. La dévotion y était probablement plus prononcée en raison du rôle joué par le pape dans la fondation de ces deux établissements. L’importance accordée à cette fête ne cesse de croître au cours du Moyen Âge : au XVe siècle, deux nouvelles additions furent insérées dans Arundel : la fête de l’ordination fut désormais célébrée in cappis, et l’octave de cette fête reçut la distinction « xiilc » (douze leçons)72. Cela montre que l’intérêt accordé à Grégoire le Grand ne faiblit pas, du moins à Christ Church, où l’on possédait des reliques du pape73. On peut imaginer que la création d’une verrière pour orner l’autel du saint a pu contribuer à accroître la dévotion envers lui. Il faut remarquer ici que saint Augustin de Canterbury n’était pas représenté dans le programme iconographique – du moins aucune source fiable ne mentionne-t-elle la présence d’une telle représentation74. Cette omission de taille est peut-être attribuable à la rivalité, plus ou moins ouverte, qui existait entre les deux monastères bénédictins de Canterbury. Saint Augustine’s possédait les reliques du premier archevêque de Canterbury, ainsi que celles de ses six premiers successeurs, et en tirait une grande fierté75. En 1091, une nouvelle abbatiale fut solennellement consacrée à Saint Augustine’s (l’abbaye était jusque-là consacrée à saint Pierre et saint Paul, en dévotion à l’Église romaine76), et la translation des reliques des sept premiers archevêques de Canterbury fut un des événements les plus importants

F. Wormald, 1934 et 1939. F. Wormald, 1934, 178. 73 Un bras, dans un reliquaire individuel, et des os et des dents (Inventories, 80, 90, 92). 74 Un texte d’environ 1643, par Richard Culmer, mentionne qu’une image de « Austin the Monke » (saint Augustin) fut détruite dans la verrière orientale (« Cathedral News from Canterbury », cité par G. Smith, Chronological History of Canterbury Cathedral, Canterbury, 1883, 310-311), mais « the existence of this figure is improbable » (« l’existence de cette image est peu probable »), CVMA, 158. 75 R. Sharpe, 1990, 505. 76 V. Ortenberg, 1987, 110-115 ; Brooks, 2000, 226-227. 71 72



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de cette célébration. Le chroniqueur normand Goscelin de SaintBertin rédigea les vies des saints dont les reliques étaient ainsi honorées, ainsi que la musique pour la liturgie de ces célébrations. La communauté de Christ Church a pu délibérément choisir d’écarter saint Augustin comme sujet pour les vitraux – pour ne pas paraître copier l’abbaye rivale, ou empiéter sur son domaine – et choisir saint Grégoire le Grand, initiateur de la mission dont saint Augustin n’était après tout que l’exécuteur, et ainsi faire rejaillir sur la cathédrale l’autorité spirituelle et morale qui était accordée au pape – tout en soulignant le lien très fort entre Rome et Canterbury. Il est remarquable que Christ Church ne possédait aucune relique de son fondateur, qui était inhumé au monastère de Saint Augustine’s. Le prestige de saint Augustin semble également être rehaussé dans la liturgie de Christ Church au cours du XIIe siècle. La fête de la translation apparaît dans les calendriers au cours du XIIe siècle : elle ne figurait à l’origine ni dans Arundel, ni dans Oxford. Il faut probablement voir ici l’influence de la translation solennelle des reliques en 1091 à Saint Augustine’s, qui dut redonner vigueur au culte du saint77. Si la compétition entre les deux abbayes était grande, il semble que la coopération ne l’était pas moins. Saint Augustine’s et Christ Church partageaient en effet le prestige d’avoir été fondées toutes les deux par le missionnaire lui-même. Saint Augustine’s pouvait certes s’enorgueillir d’une tradition monastique plus longue que celle de Christ Church, et surtout une histoire ininterrompue, mais la cathédrale possédait plus de reliques prestigieuses que sa rivale. Il est également possible que la « colonisation » de Saint Augustine’s par un groupe de moines de Christ Church en 1089, à la suite de la rébellion de la communauté contre le nouvel abbé normand78 ait renforcé les liens qui existaient entre les deux fondations. L’époque fut marquée par diverses tentatives de la part de la communauté de Christ Church de faire remonter sa fondation à la mission de saint Augustin, ainsi que le rapporte Bède dans son Historia ecclesiastica79. Saint Dunstan fournissait, quant à lui, le lien entre la fondation de la communauté de Christ Church et la communauté du XIIe siècle : la tradition de la communauté faisait en effet remonter la refondation du monastère à la période de réforme du monachisme entreprise par

R. Sharpe, 1990 et 1995. MO, 116. 79 HE, ii, 27. 77 78



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chapitre 5

Dunstan, Æthelwold et Oswald au Xe siècle, et les efforts réformateurs de Dunstan avaient en effet, d’après la « mythologie » de la communauté, permis la réintroduction de moines à Christ Church, dont les frères du XIIe siècles étaient les héritiers directs. Nt. XI, 3, représente peut-être Dunstan séparant des moines et des clercs séculiers80. Ce panneau semble illustrer un passage de la vie de l’archevêque par Osbern81, où l’action de Dunstan en faveur de la réforme du monachisme à Christ Church est décrite. Or, il a été démontré de façon convaincante que la réintroduction d’une communauté monastique à Christ Church ne date probablement pas du pontificat de Dunstan, mais de celui d’Ælfric (995-1005)82. Il semble donc qu’il s’agisse d’un exemple de réécriture et d’idéalisation de leur passé par les moines de Christ Church. Quoi qu’il en soit, le propos des verrières hagiographiques est clair : les saints honorés à Christ Church sont des héros du monachisme en Occident et Christ Church, de sa fondation à la fin du XIIe siècle, en passant par la refondation au Xe, a joué un rôle de premier plan dans l’histoire du monachisme en Angleterre. Saint Alphège, quant à lui, était un moine de Deerhurst, puis de Glastonbury, aux inclinations ascétiques et érémitiques, qui tenta d’échapper au monde avant de se voir contraint d’accepter l’évêché de Winchester, puis le siège de Canterbury83. Entre Alphège et Thomas Becket, Christ Church connut deux autres prestigieux moines-archevêques, dont la mémoire était soigneusement entretenue et honorée par la communauté, même s’ils n’étaient pas officiellement canonisés : Lanfranc et Anselme. Enfin, il faut s’attarder un instant sur le traitement réservé à saint Thomas. Thomas Becket était incontestablement le saint principal de Christ Church : la taille du programme iconographique, le nombre – et l’importance – des reliques que possédait la cathédrale84, le faste des célébrations liturgiques, le pèlerinage et les miracles, tout contribuait à faire de saint Thomas le principal objet de vénération dans la cathédrale. Or, de son vivant, il n’avait pas été particulièrement proche de la communauté, et il n’avait pas non plus mené une vie d’une

Le panneau est très restauré, et il est difficile de déterminer l’authenticité de cette représentation (CVMA, 68). 81 Memorials, 112-113 82 J. Armitage Robinson, 1926 ; T. Symons, 1926 ; D. Knowles, 1938 ; et, plus récemment, N. Brooks, 1984 et 1995. 83 AS, 122-129. 84 Inventories, 79-84. 80



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sainteté particulière, surtout avant son élection. Parmi la volumineuse correspondance très abondante de Thomas Becket, seules trois missives sont adressées directement aux frères de la communauté, à chaque fois pour se plaindre de leur manque de soutien dans sa cause85. Avant son ordination, il avait mené la vie d’un « supremely worldly man » 86. De plus, les moines avaient peu apprécié que le roi leur impose son candidat, au mépris du droit d’élection de la communauté, même s’il semble que le choix de l’archevêque Thibaud se fût également porté sur Thomas Becket. Et surtout, le monastère avait beaucoup souffert de la politique radicale qui avait forcé l’archevêque en exil, en dépit de la séparation désormais acquise des biens de l’archevêque et de ceux du monastère. Un événement capital permit néanmoins aux moines de Christ Church de se l’approprier complètement. La découverte, lors de la toilette mortuaire effectuée par les moines, d’un cilice rongé de vermine que l’archevêque portait sous ses somptueux attributs épiscopaux87, fut déterminante. D’après Jean de Salisbury, carnem suam in orationibus, uigiliis, ieiuniis et asperioris cilicii usu continui cum uitiis et concupiscentiis crucifixerat, qui dorsum (quod sancti familiares eius nouerant) tanquam Christi puerulus exponere consueuerat88.

Ayant sacrifié sa vie à la cause de l’Église, il s’avéra en effet que Thomas Becket, dans la tradition hagiographique la plus orthodoxe89, imposait à sa chair des macérations et des souffrances dignes des plus grandes ascètes. Sous les somptueux habits du prélat se cachait en fait un homme dont les macérations physiques n’avaient rien à envier à celles des moines qui composaient la communauté de Christ Church, surtout si l’on admet la vérité des remarques quant à leur train de vie somptueux et à leur discipline monastique relâchée. L’archevêque, dont la vie avant son accession à la charge archiépiscopale n’avait pas

Materials, vi, dii ; vii, dlxxiii et dclxxx. « un homme extrêmement mondain », F. Barlow, 1986, 1. 87 William FitzStephen, Materials, iii, 147 ; Benoît, Materials, ii, 17. 88 « il avait crucifié sa chair, ses vices et ses désirs par la prière, les veilles et les jeûnes, par le port constant du dur cilice ; il avait, tel un enfant à l’école du Christ, exposé au fouet son dos nu, ainsi que le savaient ses bienheureux familiers », lettre de Jean de Salisbury à l’évêque de Poitiers, Letters, II, 728. 89 A. Vauchez, 1999, 23. 85 86



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toujours été exemplaire90, et dont les relations avec la communauté de Christ Church étaient au mieux distantes, voire indifférentes, se trouvait, dans la mort, intégré à la grande famille du monachisme. Non seulement il avait vécu comme un moine, s’imposant les mêmes mortifications et partageant leur ascétisme en secret, mais il portait les mêmes vêtements distinctifs : Frater Robertus (…) vir honestus, qui et ei a primo die ordinationis suae capellanus et comes inseparabilis adhaeserat, (…) inter caetera ostendit monachis, quod prium omnes ingnoraveramus, quod in cilicio esset archiepiscopus, injecitque manum in sinum ejus, ostendens proximum carni ejus cilicium, et supra cilicium, habitum monachalem91.

Dans le cas de Thomas Becket, l’habit fit vraiment le moine. Il n’est pas sûr exactement si Thomas prononça vraiment des vœux monastiques, mais sa vie d’ascétisme est un fait sur lequel tous ses biographes s’attardent, et il est sûr que pendant son séjour à Pontigny, il s’astreignit à la discipline cistercienne, au point de se rendre malade92. Saint Thomas venait ainsi s’inscrire dans une longue lignée de saints moines-archevêques à la tête de l’Église de Canterbury, et les moines pouvaient s’approprier la figure de l’archevêque comme l’un des leurs, au même titre que Dunstan et Alphège, Lanfranc et Anselme. Même si des tensions subsistaient entre partisans et adversaires de l’archevêque au sein de la communauté, le programme iconographique présente une image unifiée et unanimement laudatrice du saint93. Avec saint Thomas Becket, par conséquent, la boucle était bouclée. Le modèle de vie contemplative était célébré à travers la liturgie et l’hagiographie, à toutes les époques de l’histoire de Christ Church : on retrouve les figures des fondateurs du monachisme - Saint Grégoire le Grand, saint Martin – les expressions les plus glorieuses de ce modèle à Christ Church – saint Dunstan et saint Alphège – et son avatar le plus récent, et peut-être le plus improbable, saint Thomas. La glorification du monde de vie monastique est donc essentiellement

F. Barlow, 1986, chapitres 1 à 3. « Frère Robert (…), un homme honorable, qui avait été [le] chapelain [de Becket] et son compagnon inséparable depuis le jour de son ordination, (…) entreprit de montrer aux moines ce que nul d’entre nous ne savait auparavant, à savoir que l’archevêque portait un cilice, et glissant sa main dans sa chemise, montra le cilice tout contre la peau ; et sur le cilice, l’habit d’un moine », William Fitzstephen, Materials, iii, 147. 92 Chapitre 9, n. 53. Alexandre III lui avait probablement envoyé, dès 1166, des habits monastiques, F. Barlow, 1986, 127-128. 93 P. Draper, 1997, 197-199. 90 91



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tournée vers le passé de la cathédrale, informée par la tradition du monastère, et solidement ancrée dans l’exégèse scripturaire, à travers les panneaux des verrières typologiques exaltant le mode de vie contemplatif. Il est peut-être possible de voir ici une pique à l’encontre des nouveaux ordres monastiques qui critiquaient le mode de vie bénédictin et qui prônaient une vie de labeur physique – les Cisterciens – ou une implication plus grande dans la pastorale, comme les chanoines dont les fondations se multipliaient alors dans les villes. Ces représentations devaient prendre tout leur sens pour ceux qui étaient familiers avec les Vitae des saints, et qui pouvaient avoir accès à toutes les références et tous les échos. Le reste de la société est présent dans les verrières, mais est souvent réduit à un rôle de spectateur : les personnages actifs sont les saints, et les moines se mettent en scène comme leurs auxiliaires indispensables. Il faut peut-être voir dans cette répartition des rôles une réflexion de la fonction de Christ Church, église monastique avant d’être cathédrale ou but de pèlerinage. Il s’agit donc plus de la réaffirmation d’un rôle traditionnel – ce qui est perceptible à travers la réécriture et la mythification du passé – que d’une méditation sur la nouvelle position du monachisme dans la société. Les moines de Christ Church, à cette époque très préoccupés de préserver et de renforcer leur position et leurs privilèges, ne semblent pas avoir remarqué l’évolution de la société qui les entouraient – ou l’ignorèrent délibérément, car elle remettait en cause tout leur système de référence. Fermement ancrés dans la tradition qu’ils avaient patiemment défendue à l’aide de chartes fabriquées de toutes pièces, de références constantes à un passé idéalisé et « reconstruit », ils apparaissent ainsi plus tournés vers le passé que prêts à affronter un avenir plus incertain. Le programme iconographique présente une image de la société chrétienne qui, sans être particulièrement exceptionnelle, n’en est pas moins intéressante, surtout dans sa présentation du rôle des moines. Il s’agit donc de la création d’une identité cohérente, qui englobe toutes les parties du peuple chrétien et définit leurs relations les unes par rapports aux autres. Les vitraux et les textes liturgiques proposent une vision très structurée de la société, où chaque membre a sa place, où les limites de la société chrétienne sont définies de façon claire, et où le monachisme est présenté comme un idéal. On sent derrière cette présentation normative et figée le désir de fixer une situation qui n’existe déjà plus tout à fait, et la crispation de la communauté de Christ Church sur les acquis du passé est décelable.

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À travers les représentations stéréotypées de l’erreur des Juifs et des païens, les concepteurs des vitraux cherchèrent à réaffirmer la supériorité et l’universalité du christianisme, notamment grâce aux illustrations du sacrifice du Christ et leur commentaire théologique. S’ils ne proposèrent pas une vision ordonnée de la société chrétienne, ils s’efforcèrent toutefois d’exalter le rôle traditionnel des moines en tant qu’intercesseurs, notamment grâce aux récits hagiographiques. La société chrétienne en dehors du monastère n’est bien souvent présente dans les images et dans la liturgie que comme un spectateur de l’action essentielle du monachisme dans ce monde. Le programme iconographique ne propose ainsi pas de commentaire sur la société contemporaine, mais se présente plutôt comme une réflexion morale et théologique sur les divers ordres qui composent l’ecclesia des chrétiens, une réflexion fondée sur les principes d’exclusion et d’inclusion, et orientée vers le salut offert par la consommation du sacrifice eucharistique.



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Et nunc reges intellegite1 : images du pouvoir royal à Christ Church, Canterbury

La destruction de la cathédrale de Christ Church, Canterbury, par un incendie le 5 septembre 1174 constitua pour la communauté monastique l’occasion de reconstruire l’église la plus importante d’Angleterre dans un style et à une échelle qui reflétaient mieux les rôles divers qu’elle remplissait dans la vie religieuse du pays2. Le style que les moines choisirent d’adopter pour la reconstruction de la cathédrale après l’incendie de 1174 permit en effet de percer de vastes fenêtres dans les murs du sanctuaire. La période d’exécution de ce programme iconographique d’une ampleur rarement égalée dans l’art médiéval coïncide pratiquement avec le demi-siècle pendant lequel les relations entre souverains anglais et archevêques de Canterbury furent à leur point le plus bas. D’une part, la querelle entre Henri II (1154-1189) et Thomas Becket (1162-1170) à propos des Constitutions de Clarendon3, culmina avec l’assassinat de l’archevêque le 29 décembre 1170 et la pénitence publique du roi en 1172 et 1174 ; de l’autre, le refus de Jean (1199-1216) d’accepter l’élection d’Étienne Langton au siège de Canterbury se solda par l’exil de l’archevêque et de la communauté monastique, ainsi que par l’imposition sur l’Angleterre d’un interdit qui ne fut levé qu’en 1213. De nombreux rois figurent dans les verrières qui furent réalisées lors de la reconstruction de la cathédrale. Ces images furent-elles influencées par les relations altérées, tendues, voire franchement hos-

« Et maintenant, rois, écoutez », Psaume 2, utilisé dans la liturgie pour la Natalitio de saint Thomas Becket, SB, ccxlvi. 2 Le récit de la catastrophe et de la reconstruction du chœur est fait par Gervais, OH, 129. 3 Le texte de ces Constitutions est donné dans English Historical Documents, vol. ii, 1042-1189, édité par D.C. Douglas, deuxième édition, London, 1981, 766-770 (désormais EHD). R. Foreville en propose une traduction en français (L’Église et la royauté en Angleterre sous Henri II Plantagenêt, 1154-1189, Paris, 1942, 125-126), et analyse les effets de ce texte sur les relations entre Henri II et l’Église. A. Duggan, pour sa part, réévalue le rôle de Thomas Becket dans la querelle (Thomas Becket, London, 2004). 1



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tiles, entre les souverains anglais et les archevêques qui caractérisent la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle ? L’analyse de la représentation de la royauté dans les différentes parties du programme vitré de Christ Church, mais aussi dans d’autres productions contemporaines du monastère, devrait permettre de déterminer plus précisément quelle image du pouvoir séculier et de ses relations avec le pouvoir spirituel les moines de la communauté entendaient donner. 6.1.  « Stirps Jesse » : les verrières généalogiques Le thème généalogique est certainement l’un des plus important du programme iconographique de la cathédrale – il domine en toutcas toute la partie orientale de l’église, de façon littérale. La série des ancêtres du Christ dans les verrières du clair-étage du chœur est unique par sa taille4. Elle comprend quatre-vingt-huit figures représentées assises sur des trônes, groupées par deux dans chacune des fenêtres du clair-étage, à l’exception des oculi aux extrêmités du transept oriental, et des trois fenêtres de l’apse, qui contenaient peut-être des scènes narratives (N. II et S. II), et pratiquement certainement un Jugement Dernier (I)5. Elle commençait du côté nord du chœur par une représentation du Créateur située au-dessus de la figure d’Adam après l’expulsion du Jardin d’Éden (N. XXV), et s’achevait vraisemblablement avec des représentations de la Vierge et du Christ à l’extrêmité occidentale du côté sud du chœur (S. XXV)6 (figure 1). La verrière de l’Arbre de Jessé dans la Corona (Corona n. III), est également à rattacher à cette série généalogique. Ces verrières permirent aux concepteurs des vitraux de développer le thème des relations que devaient entretenir rois et prêtres, à travers les figures qui, parmi les ancêtres du Christ, appartiennent à ces deux catégories. Le thème de la généalogie du Christ, courant au moment de la reconstruction de la cathédrale à la fin du XIIe siècle, était fréquem-

ESG, 110 CVMA, 8. 6 Madeline Caviness propose une reconstitution de cette partie du programme iconographique dans CVMA, 9. Cette reconstruction est bien entendu conjecturale. Les hypothèses avancées ici sont fondées uniquement sur une observation de la partie du programme dont le contenu est pratiquement certain, essentiellement les verrières du côté nord de la cathédrale. 4 5



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ment utilisé pour souligner la continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testaments. L’interprétation de figures bibliques comme étant des préfigurations du Christ était en effet courante au XIIe siècle et ce cycle d’images peut donc être considéré comme une partie intégrante du thème christologique qui est développé dans le programme iconographique dans son ensemble à travers l’utilisation de la typologie7. La représentation la plus courante de ce thème était l’Arbre de Jessé, dont de nombreux exemples ont survécu dans le vitrail. Cependant, il semble que d’autres formules iconographiques, telles des séries de bustes, étaient également courantes8. La majeure partie des figures du clair-étage est tirée de la généalogie du Christ donnée dans l’Évangile de saint Luc (3, 23-38), ce qui place ce cycle à part dans la tradition iconographique des ancêtres du Christ, car elle était d’ordinaire plutôt fondée sur la généalogie de l’Évangile de saint Matthieu. À raison de deux ancêtres par verrière, cette liste n’était cependant pas suffisante pour remplir toutes les ouvertures du clair-étage ; il fallut donc ajouter quelques personnages tirés de celle donnée par Matthieu (1, 1-16). On remarque cependant que certains personnages furent écartés au profit de certains autres, et que la continuité de la généalogie est interrompue, non seulement par les deux oculi situés aux extrêmités du transept (N. XVII et S. XVII), mais également par des choix sélectifs, et tout à fait révélateurs. Ainsi, entre Abia (N.VI) et Ézéchias (N. V), six générations sont omises, et deux entre Ézéchias et son arrière-petit-fils Josias (N. V), alors que jusqu’à ce point, les figures se succèdent de génération en génération. Madeline Caviness, pour qui « la sélection (…) apparaît ici

La Glossa Ordinaria était probablement connue à Christ Church dès 1175-1180, c’est-à-dire la période de la conception du programme des verrières (ESG, 111), et Herbert of Bosham, un des clercs de l’entourage de Thomas Becket, avait ramené de Pontigny sa version annotée de la Glose de Pierre Lombard sur les Psaumes et les Épîtres de Paul (Beryl Smalley, The Study of the Bible in the Middle Ages, Oxford, 3ème édition, 1983, 82 et n. 91) ; il s’agit peut-être des « libri M. Heberti de Boseham » mentionnés dans le catalogue de la bibliothèque de Christ Church compilé au XIVe siècle (AL, n° 854-857). Thomas Becket lui-même avait offert au prieuré plusieurs livres de la Bible glosés (ibid., n° 783 à 853). Parmi les ouvrages attribués par Neil Ker à la bibliothèque de Christ Church, se trouvent plusieurs manuscrits de textes sacrés datés de la fin du XIIe siècle et accompagnés d’une glose, tels Londres, Lambeth Palace MS 142 (“Unum ex quatuor glo.”, N.R. Ker, Medieval Libraries of Great Britain. A List of Surviving Books, London, 1964, 37) et Oxford, Bodleian Library Auct. MS E.inf.6 et E.inf.7 (“Psalterium glo.” et “Pentateuchus glo.”, ibid., 37-38). 8 Madeline Caviness compare le cycle de Christ Church à d’autres cycles généalogiques contemporains, ESG, 107-115. 7



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plutôt arbitraire », suggère que « les figures historiques les plus importantes ont été sélectionnées pour remplir l’espace disponible »9. Sans complètement rejeter cette hypothèse, une autre explication pourrait être ici avancée pour ce choix, qui n’est probablement pas aussi arbitraire qu’il paraît au premier abord. Le programme iconographique des verrières du chœur de Christ Church semble en effet avoir été mis en place de façon relativement rigoureuse, et ce, dès avant le début de la réalisation. Il est vrai que la partie orientale du chœur (en particulier la Trinity Chapel et la Corona) paraît avoir subi des modifications au cours de la reconstruction. La fenêtre axiale de la Corona, par exemple, reprend plusieurs sujets déjà illustrés dans le cycle typologique du choeur (s. XIV), et semble conclure le cycle typologique qui aurait dû s’achever avec s. XV, la dernière fenêtre du côté sud du chœur ; il est possible d’imaginer que les sujets prévus pour cette fenêtre furent transférés dans celle de la Corona quand la construction de celle-ci fut décidée10. La partie du programme la plus orientale fut réalisée assez tard, probablement après 1213. Les figures de David, Ézéchias et Josias furent également exécutées à ce moment, après l’interruption des travaux entre 1207 et 121311. À cette époque, comme pendant l’épiscopat de Thomas Becket, les relations entre le roi et l’archevêque de Canterbury étaient encore loin d’être harmonieuses – elles venaient même de connaître ce qui constitue probablement leur point le plus bas au Moyen Âge, avec l’exil de l’archevêque et de toute la communauté, et l’interdit général qui frappa l’Angleterre entre 1207 et 1213 à la suite du refus du roi Jean d’accepter l’élection d’Étienne Langton au siège de Canterbury12. Toutefois, même si l’on accepte l’hypothèse que la réalisation se trouva hâtée par le besoin de finir avant la translation des reliques de saint Thomas, qu’Étienne Langton souhaitait voir prendre place le plus rapidement possible, il ne semble pas qu’il faille accorder trop de place au hasard : s’il s’était simplement agit de remplir l’espace, le choix des figures aurait été de peu d’importance. Il est de plus tout à fait concevable que le programme avait été décidé dès avant le départ en exil. Pourquoi ces personnages ont-ils été sélectionnés, alors que d’autres

« the selection (…) seems rather arbitrary here » ; « the most prominent historical figures may have been chosen to fill the available space », CVMA, 45. 10 CVMA, 156 et 158. 11 CVMA, 42 et 46. 12 A.L. Poole, 443-446. 9



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furent écartés ? Et surtout, que peut-on déduire de la façon dont ils furent représentés ? Les représentations généalogiques étaient courantes dans l’art des XIIe et XIIIe siècles, en particulier à travers l’Arbre de Jessé, qui était un sujet extrêmement fréquent dans le vitrail (outre Christ Church, on en trouve des exemples à Saint-Denis, Chartres, et Bourges, entre autres)13. Dans ce type d’images, seuls quelques ancêtres du Christ étaient d’ordinaire sélectionnés, et traditionnellement « l’accent est mis sur la royauté », en partie grâce à une « une grande libéralité dans l’attribution de couronnes »14, ce qui souligne, dans les programmes des cathédrales françaises, un désir d’honorer les rois et la monarchie15. À Christ Church, le thème dominant de la généalogie semble assez différent. Tout d’abord, en se fondant essentiellement sur la généalogie proposée par saint Luc, et en incluant tous les ancêtres avant David – c’est-à-dire avant le temps de la monarchie – les concepteurs des vitraux de Canterbury insistèrent davantage sur les patriarches et les prophètes que sur les rois. Dans cette série des ancêtres du Christ, on peut remarquer par ailleurs que les figures royales qui apparaissent sont presque toutes dépourvues des attributs de leur royauté ; il semble que les concepteurs aient cherché à minimiser la fonction royale de ces figures tout en soulignant leur caractère patriarcal ou prophétique. La majorité des personnages – du moins dans les panneaux ayant survécu – sont en effet coiffés d’une sorte de bonnet, et ils portent un rouleau de parchemin à la main, qu’il s’agisse d’un roi, d’un patriarche ou d’un prophète. Rien ne permet d’identifier les personnages royaux de prime abord. Il faut pour cela se référer aux inscriptions – peu lisibles depuis l’église. Parmi les rois qui sont représentés, seuls David (N. VII), Ézéchias et Josias (N. V) portent une couronne, l’attribut traditionnel des rois dans l’iconographie (figure 11). Ces trois personnages étaient en général présentés comme des archétypes du roi juste et pieux, sachant

Pour Saint-Denis, on peut consulter les études de L. Grodecki, Études sur les vitraux de Suger à Saint-Denis (XIIe siècle), Corpus Vitrearum Medii Aevi, France, Études 3, Paris, 1995 ; C. Manhès-Deremble, Les vitraux narratifs de la cathédrale de Chartres, Paris, 1993, analyse en détail l’iconographie de la verrière de l’Arbre de Jessé de Chartres, en relation avec le reste du programme de la cathédrale, et en faisant référence à des représentations du même motif dans d’autres églises (245-248). Les vitraux de la cathédrale de Bourges sont recensés dans Corpus Vitrearum. Les vitraux du Centre et des Pays de la Loire, Paris, 1981. Ce motif est également très courant dans l’enluminure (ESG, 109). 14 « kingship is emphasised » ; « liberal bestowing of crowns », ESG, 108-109. 15 C. Manhès-Deremble, op. cit., 240 13



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mettre son autorité au service de la religion. David, en particulier, était considéré comme l’« Oint du Seigneur » (I Sm 16, 1-13), type du roiprêtre qui préfigurait le Messie16. Ézéchias et Josias, pour leur part, furent des rois de Juda qui s’attachèrent à rétablir les bons usages religieux dans leur royaume, bannissant en particulier les pratiques idolâtriques et restaurant le pouvoir des prêtres (2 Rs 18, 4 et 23, 4-14), et ils sont présentés par la tradition biblique comme les dignes descendants de David (Ecq 49, 4). Il est donc intéressant de constater que dans le programme iconographique, les seuls rois qui, aux yeux des concepteurs, méritaient de porter les insignes de leurs fonctions, furent des rois à qui la tradition attribuait une conduite exemplaire en matière de religion, plaçant toujours leur autorité en-dessous de celle de Dieu et de ses représentants, les prêtres, et s’efforçant de purger leur royaume des pratiques religieuses contraires à la Loi. Le choix d’honorer en particulier le roi David n’est pas unique au programme de Christ Church. À l’abbaye bénedictine de Sigena, en Espagne, où des fresques de grande ampleur furent réalisées vers la fin du XIIe siècle pour orner la salle capitulaire, probablement par des artistes ayant également travaillé en Angleterre, une série de bustes d’ancêtres du Christ faisait partie du programme iconographique17. Comprenant à l’origine soixante-dix portraits, c’est la seule série médiévale pratiquement aussi complète que celle de Christ Church. Là encore, l’accent était mis sur le caractère spirituel de la généalogie du Christ plutôt que sur son caractère royal. Dans le cycle de Sigena, seuls David et Salomon sont représentés portant sceptre et couronne18. Il est significatif que ce cycle de fresques fut également produit en milieu monastique. Il semble par ailleurs que, dans un contexte monastique, la série des ancêtres, en buste ou de plain-pied, ait été préférée au motif de l’Arbre de Jessé19.

Il est par ailleurs employé à plusieurs reprises comme un type du Christ dans le programme typologique de la cathédrale, par exemple  n. XIV, 6 ; s. XV, 14 et 17. 17 Ces fresques ont été étudiées et publiées en grande partie par W. Oakeshott, Sigena. Romanesque Paintings in Spain and the Winchester Bible Artists, London, 1972. L’auteur propose l’hypothèse que des artistes ayant travaillé dans le scriptorium de Winchester participèrent également quelques années plus tard à la réalisation des fresques de l’abbaye de Sigena (113), et avance une date de réalisation aux environs de 1200 (16 et 142). 18 W. Oakeshott, op.cit., illustrations 82 et 83. 19 ESG, 111. Ce motif apparaît dans le vitrail pour la première fois à Saint-Denis, dont les liens étroits avec la monarchie française n’avaient guère d’équivalents dans d’autres monastères. 16



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La sélection faite ici par les concepteurs ne paraît par conséquent pas complètement arbitraire, bien au contraire. L’insertion des figures d’Ézéchias et de Josias, si près de celle du roi David, pourrait donc être révélatrice d’une certaine attitude des concepteurs du programme vis-à-vis du pouvoir royal. Il est par conséquent possible que la présence, en succession rapide (dans deux fenêtres très proches, N. VII et N. V), des trois seuls personnages distingués par le port d’une couronne, pouvait revêtir, pour les concepteurs, comme pour les spectateurs qui prenaient la peine d’examiner ces verrières, une signification toute particulière. Madeline Caviness elle-même reconnaît que « le programme est organisé de façon plus cohérente sur le côté nord », et que l’iconographie de cette série fut probablement créée ad hoc pour le programme vitré20. Deux personnages de cette série portent toutefois un sceptre, autre attibut de la royauté, à la main : Nathan (N. VII) et un personnage dont l’identification demeure incertaine (N. III), mais qui est peutêtre Joseph, le père de Jésus21. Ces deux figures sont coiffées d’une sorte de bonnet plutôt que d’une couronne. L’hypothèse a été avancée que, dans le cas de la verrière N. VII, le personnage de Nathan, le fils du roi David, a été fusionné avec celui de Nathan, le prophète qui fit couronner Salomon et qui écarta Adonias du trône d’Israël 22. Le sceptre symboliserait donc ici le pouvoir qu’avaient les prophètes, émissaires de Dieu, de choisir le souverain et de l’investir dans sa fonction. Dans le cas de la figure de Joseph (N. III), qui ressemble de près à celle de Nathan, l’intention des concepteurs était peut-être de symboliser la lignée royale dont descendait Jésus23, car dans le cas d’un personnage qui n’était pas roi, le sceptre ne peut symboliser une charge royale. La présence de Joseph dans la généalogie du Christ donnée par Luc et Matthieu a en effet posé problème aux commentateurs ; la Glossa Ordinaria explique qu’un lignage n’est pas traditionnellement transmis par les femmes, et que de toute façon Joseph et Marie appartenaient à la même tribu24. Le sceptre apparaît donc comme une sorte de témoin, de relais, signifiant la fonction royale qui peut être conférée par un prophète, ou l’appartenance à une lignée royale, plutôt qu’un attribut permet-

« the organisation of the programme is tighter on the north side », CVMA, 10. CVMA, 48. 22 CVMA, 42. 23 CVMA, 49 24 PL cxiv, 69-70. 20 21



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tant d’identifier un souverain. Il semble ainsi que la couronne, de préférence à tout autre attribut, ait été choisie pour représenter la royauté d’un personnage, et surtout pour exprimer un certain idéal de monarchie soucieuse de suivre les commandements du Seigneur. À l’inverse, il est particulièrement significatif que les autres rois présents dans la généalogie ne portent aucun attribut royal particulier : Roboam et Abia (N. VI) n’ont pour attribut qu’un rouleau, ce qui les met sur le même plan que les patriarches qui les précèdent et minimise leur fonction de rois. Leurs règnes respectifs sont décrits par les Livres des Rois et les Livres des Chroniques comme des exemples de royauté dissipée et faillie. Roboam fut responsable de la scission du royaume de son père Salomon, car il négligea d’écouter les sages conseillers de celui-ci et se laissa entraîner par ses jeunes compagnons (1 Rs 12, 1-19), amorçant ainsi le déclin des rois d’Israël qui devait mener à l’exil. Abia, quant à lui, « imita les péchés que son père avait commis, et son cœur ne fut pas tout entier à Yahvé » ( 1 Rs 15, 3). Les attributs du dernier descendant de David à devenir roi, Jéchonias (N. IV), un bol de pièces d’argent et un livre, ne correspondent pas à sa fonction royale, mais plutôt symbolisent sa défaite aux mains de Nabuchodonosor, et les richesses qu’il dut remettre au vainqueur, car « il fit ce qui déplaît à Yahvé » (2 Rs 24, 9) – lui non plus ne porte pas de couronne. La représentation de la royauté dans les verrières du clair-étage apparaît donc relativement sélective. De tous les personnages de la série généalogique, seuls trois sont identifiables à coup sûr comme étant des rois. Ces trois figures, David, Ézéchias et Josias, représentent par ailleurs un idéal de la royauté qui devait être particulièrement séduisant pour des ecclésiastiques qui avaient été assez rudemment malmenés par le pouvoir temporel quelques années plus tôt, pendant l’archiépiscopat de Thomas Becket, et davantage encore sous le règne du roi Jean. Cette vision très particulière de la monarchie est également exprimée dans la pensée de Jean de Salisbury. Dans le Policraticus, son œuvre la plus importante25, Jean présentait en effet les prêtres et les prophètes comme les guides éclairés des rois, qui n’avaient été donnés aux Israëlites que parce que ces derniers « showed themselves

Ioannis Saresberiensis Policraticus I-IV, édité par K.S.B. Keats-Rohan, Corpus Christianorum, Continuatio Medievalis CXVIII, Turnhout, 1993. Pour les livres I à VIII, la seule édition complète est celle de C.C.J. Webb, Ioannis Saresberiensis episcopi carnotensis Policratici, sive De nugis curialium et vestigiis philosophorum, 2 vols., Oxford, 1909. 25



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not content to have God for their King »26. Dans les années qui précédèrent immédiatement la conception du programme iconographique de Christ Church, Jean de Salisbury développa ainsi une théorie où le pouvoir royal doit toujours être fermement subordonné à l’autorité de l’Église27. Jean de Salisbury avait par ailleurs dédié le Policraticus à son ami et protecteur, l’archevêque de Canterbury Thomas Becket. Au XIVe siècle, la bibliothèque de Christ Church possédait encore une copie du Policraticus ayant appartenu à saint Thomas (AL, n° 853, aujourd’hui Cambridge, Corpus Christi College MS 46). L’exaltation des qualités du « bon souverain » – au premier rang desquelles se trouve la soumission du souverain au pouvoir du clergé – semble donc avoir été une idée courante dans l’entourage des concepteurs du programme. Une autre partie du programme à caractère généalogique était la verrière de l’Arbre de Jessé, qui était vraisemblablement située dans la Corona (n. III). Seuls deux panneaux subsistent encore ajourd’hui, l’un représentant la Vierge, l’autre un roi identifié comme étant Josias (figure 12). Le vitrail fut vraisemblablement réalisé vers 120028 et il y avait probablement à l’origine cinq autres panneaux : un panneau pour le Christ, en haut de la fenêtre, et quatre autres rois, dont sans doute David et Salomon, qui sont en général inclus dans cette iconographie29. Dans la plupart des représentations de l’Arbre de Jessé dans le vitrail à l’époque où il fut réalisé pour Canterbury – comme par exemple à Saint-Denis ou à Chartres – le sujet était en général une glorification de la généalogie royale du Christ, ordonnée selon un principe hiérarchique ascendant. Cette iconographie avait ses origines dans la liturgie de la période de Noël30. Ainsi, à Chartres par « s’étaient montrés peu satisfaits d’avoir Dieu pour Roi », J. Dickinson, « The Mediaeval conception of kingship and some of its limitations, as developed in the Policraticus of John of Salisbury », Speculum 1 (1926), 311. 27 De nombreux ouvrages et articles étudient la carrière et la pensée de Jean de Salisbury. Pour une introduction générale, on peut consulter le premier volume des Letters (Oxford, 1986). Pour une étude plus détaillée de certains problèmes particuliers, le volume des Studies in Church History intitulé The World of John of Salisbury, édité par M. Wilks, Oxford, 1984, constitue un bon point de départ, avec une bibliographie conséquente. 28 CVMA, 163. 29 CVMA, 173. 30 Dans le bréviaire de l’abbaye de Hyde, Winchester, la généalogie de Matthieu était une des lectures de l’office de matines du jour de Noël (HA, fols. 19 v. et 20 v.). L’usage de Sarum montre que le passage du livre d’Isaïe à l’origine de ce motif iconographique (Isaïe 11, 1) était lu à l’office de la Vierge pendant l’Avent (SB, I, xxxviii), ce que l’on trouve déjà dans HA, fol. 4v. Le répons Stirps Jesse faisait en revanche partie de la liturgie de matines pour la fête de la Nativité de la Vierge, le 8 septembre (HA, fol. 340 v. et SB, III, 770 et 773). La 26



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exemple, dont les verrières furent conçues et réalisées peu de temps après celles de Christ Church31, le pouvoir royal, fondé sur l’histoire d’un lignage, est célébré dans l’iconographie de l’Arbre de Jessé32 : Jessé, David, Salomon, trouvent leur place dans la représentation chartraine. La représentation de l’Arbre de Jessé est, à Christ Church, empreinte de davantage d’ambiguïté vis-à-vis du pouvoir royal que celle des ancêtres du clair-étage. Les branches de l’arbre se referment autour des figures, qui sont ainsi insérées dans une mandorle, motif associé plus ordinairement à la représentation du Christ en majesté. Les personnages ainsi honorés étaient donc de la sorte associés à la gloire du Christ, et mis pratiquement sur un pied d’égalité avec lui. Un élément qui ne semble pas avoir été utilisé dans les autres représentations de l’Arbre dans le vitrail est présent à Canterbury, et renforce l’impression que le propos est peut-être ici davantage « proroyal » : un orbe est placé devant le trône de la Vierge et derrière celui de Josias, ce qui « surdétermine l’idée du pouvoir royal »33. Le dessin du roi Josias semble par ailleurs avoir été copié sur le sceau de Richard Ier (1189-1199), qui fut envoyé à Canterbury en 1198 (figures 12)34. Le règne de Richard se distingue de celui de son père et de celui de son frère par une amélioration sensible des relations entre souverain et prélats anglais – peut-être pour la simple raison que Richard passa en tout et pour tout six mois sur les dix ans de son règne en Angleterre35. La représentation des rois dans l’Arbre de Jessé serait donc une expression de cette amélioration, et une « concession à la popularité de Richard »36. Toutefois, comme dans la majorité des représentations de l’Arbre de Jessé dans le vitrail, des figures de prophètes encadraient les ancê-

représentation de l’Arbre de Jessé, ses origines et ses différentes expressions dans l’art et la littérature, ont été analysées par A. Watson, The Early Iconography of the Tree of Jesse, London, 1934. 31 La cathédrale de Chartres fut détruite par un incendie en juin 1194 ; la reconstruction est donc pratiquement contemporaine de celle de Christ Church. Les problèmes soulevés par la datation des vitraux sont détaillés par C. Manhès-Deremble, op. cit., 9-17. 32 C. Manhès-Deremble, op.cit., 240. 33 C. Manhès-Deremble, op.cit, 246. 34 CVMA, 163. 35 A.L. Poole, From Domesday Book to Magna Carta, 1087-1216, Oxford, 1955, 349. 36 « concession to the popularity of Richard », Madeline H. Caviness, « Conflicts Between Regnum and Sacerdotium as Reflected in a Canterbury Psalter of ca. 1215 », Art Bulletin, 61 (1979), 49.



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tres du Christ, modérant le propos très favorable à la monarchie. Les prophètes soulignaient en effet l’idée que les rois de l’Ancien Testament tenaient leur pouvoir de la bienveillance divine, idée qui était également exprimée dans l’organisation ascendante de l’Arbre, avec le Christ tout en haut, et qui n’est pas sans rappeler le propos des verrières du clair-étage. De même, la position de la fenêtre dans la partie orientale de l’église, associée, au travers des épisodes de la Passion, de la Résurrection et du Jugement Dernier, au thème de la Rédemption, donnait une dimension eschatologique à cette représentation, plaçant une fois de plus la royauté sous l’autorité de l’Eglise. L’organisation de la décoration de l’initiale du Beatus vir du Petit Psautier de Canterbury (Paris, Bibliothèque Nationale, MS lat. 770, fol. 11v.), daté d’environ 121537 et également produit à Christ Church, exprime la même idée que les rois doivent être soumis à l’autorité divine. Cette enluminure propose cependant une interprétation quasi unique du motif de l’Abre de Jessé. La Vierge et l’Enfant occupent le centre de l’image, dans un médaillon entouré des représentations zoomorphes des Évangélistes et de deux médaillons, situés au-dessus et en dessous du médaillon central, et qui donnent à voir les bustes de deux rois. La relation généalogique entre le Christ et ces rois est ici exprimée de façon métaphorique par les rinceaux végétaux qui relient les médaillons entre eux. Le cadre de l’enluminure est orné de dix bustes de prophètes qui tous regardent vers le centre de l’image. L’organisation traditionnellement linéaire de cette représentation est donc complètement bouleversée, et les rois, par leur infériorité numérique et leur relation spatiale par rapport à la figure de la Vierge et de l’Enfant, sont fermement replacés dans l’orbite de l’autorité du Christ. Je reviendrai plus loin sur l’iconographie du Petit Psautier de Canterbury et sur la façon dont elle reprend le thème de la critique de la royauté exprimée dans les verrières de la cathédrale et l’amplifie considérablement. Ces représentations des rois de l’Ancien Testament sont très distinctes des portraits des rois d’Angleterre qui furent peints sur les voûtes du déambulatoire de la Trinity Chapel, probablement au moment de la translation des reliques de Thomas Becket, pour par-

37 M.H. Caviness, étudie en détail l’iconographie très particulière de ce Psautier en relation avec le contexte politique dans lequel il fut produit (« Conflicts Between Regnum and Sacerdotium as Reflected in a Canterbury Psalter of ca. 1215 », Art Bulletin, 61 (1979), 38-58).



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faire la décoration de la nouvelle partie orientale de la cathédrale38 . Pour autant qu’elles puissent être reconstituées, les peintures des voûtes des bas-côtés du chœur représentaient le jeune roi Henri III, qui devait venir assister aux cérémonies de la translation en juillet 1220, entouré de grandes figures du passé anglo-saxon : Ethelbert (580x590616), roi du Kent au moment de la mission de saint Augustin, Cnut (1016-1035), et un saint monarque, qui est peut-être Édouard le Confesseur (1042-1066) ou Edmund le Martyr (855-870)39. Plus distincts encore sont les portraits royaux qui furent réalisés à la fin du XIVe siècle pour orner la grande verrière occidentale de la nef de la cathédrale. Dans ces deux programmes, l’intention semble avoir clairement été de rendre honneur au souverain anglais, et reflètent les liens plus étroits qui se développèrent entre Christ Church et la cour royale après la mort de Jean en 1216. Pour la verrière occidentale, il s’agissait de glorifier, à travers ses ancêtres, le roi Richard II (13771399), en l’honneur de qui ce vitrail fut réalisé40. Les rois y sont représentés en pied, avec tous les attributs de leur pouvoir séculier (couronne, sceptre et/ou arme), qu’ils semblent ne tenir que de leur valeur et de leur lignée. Ainsi, ces deux séries de figures royales se distinguent des verrières généalogiques du clair-étage par leur contenu plus évidemment proroyal. Cependant, les quelques figures qui ont pu être identifiées dans les fresques de la Trinity Chapel – Ethelbert, Cnut, et surtout le saint roi, Édouard le Confesseur ou Edmund le Martyr – pourraient être comprises comme glorifiant un idéal de monarchie chrétienne, où la piété du souverain et son alliance avec le pouvoir ecclésiastique se trouvent mises en valeur. Ethelbert, de par sa conversion et son rôle dans l’évangélisation de l’Angleterre, était présenté comme l’allié indispensable d’Augustin dans sa mission. Cnut, en dépit – ou peutêtre à cause – de son invasion, avait mené une active politique de protection des monastères, et avait conservé une réputation de roi généreux et pieux41. Edmund le Martyr, roi d’East Anglia, probableE.W. Tristram, English Medieval Wall Painting. The Thirteenth Century, en collaboration avec M. Bradswell, Oxford, 1950, 268 et Madeline H. Caviness, « A Lost Cycle of Canterbury Paintings of 1220 », Antiquaries Journal, 54 (1974), 66-74. 39 M.H. Caviness, « A Lost Cycle of Canterbury Paintings of 1220 », Antiquaries Journal 54 (1974), 68. 40 CVMA, 229. 41 F.M. Stenton, Anglo-Saxon England, troisième édition, Oxford, 1971, 411-412. M.K. Lawson détaille la politique ecclésiastique de Cnut et montre comment, en plus d’une grande piété, il sut faire preuve d’une habilité certaine dans ses relations avec l’Église anglo-saxonne (Cnut. The Danes in England in the Early Eleventh Century, London, 1993, 117-160). 38



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ment capturé et tué au cours d’un raid danois en 870 avait acquis, en partie grâce à l’intervention de l’archevêque de Canterbury, Dunstan, une réputation de sainteté qui faisait de sa tombe à Bury St Edmunds un des lieux de pèlerinage les plus célèbres d’Angleterre42. L’inclusion d’Édouard le Confesseur, s’il s’agit bien de la représentation de ce monarque, constituerait par ailleurs une concession de taille au sentiment pro-royal. Son culte était particulièrement associé à la monarchie, et sa canonisation en 1161, suivie de la translation de ses reliques en 1163, avaient été considérées, dans le contexte de la détérioration des relations entre Henri II et Thomas Becket, comme une victoire sur l’archevêque et son entourage. Becket s’efforçait alors en vain d’assurer la canonisation d’Anselme, son prédecesseur sur le siège de Canterbury43. Il faut noter ici qu’aucun des calendriers liturgiques utilisés ou compilés à Christ Church à cette époque ne mentionne la fête d’Édouard le Confesseur le 13 octobre44. En 1220, cinquante ans après l’assassinat de Thomas Becket, les relations entre communauté, archevêque et souverain avaient suffisamment évolué pour que le thème de la nécessaire soumission du roi au clergé puisse être remplacé par une thématique de la glorification de la monarchie anglaise à travers les grands rois du passé. Le roi Jean avait concédé la suzeraineté du royaume au pape Innocent III en 121345, et en 1215, la signature de la Magna Carta avait entériné la liberté totale de l’Église par rapport au roi d’Angleterre. Madeline Caviness a par ailleurs suggéré que les fresques des voûtes de la Trinity Chapel furent réalisées pour commémorer la présence du roi Henri III à la cérémonie de translation des reliques en juillet 122046 ; il est par conséquent possible qu’elles soient quelque peu postérieures aux verrières, et n’aient pas fait partie du programme de décoration original. Par ailleurs, l’exécution de peintures murales était plus rapide que celle de vitraux, et les sujets pouvaient en être décidés plus rapidement – et modifiés plus aisément. La soumission du roi était acquise, et l’on pouvait sans risque célébrer la royauté. Ælfric, Lives of the Saints, ii, édité par W.W. Skeat, Early English Text Society, London, 1900, 314-335. 43 Becket ne put jamais réunir le concile que le pape lui avait demandé d’organiser afin d’établir la sainteté d’Anselme. Ce dernier, en dépit d’un culte assez vivace à Christ Church, ne fut canonisé qu’en 1494. 44 R. Pfaff, The Eadwine Psalter. Text, Image and Monastic Culture in Twelfth-Century Canterbury, édité par M. Gibson, T.A. Heslop et R.W. Pfaff, London, 1992, 81-82. 45 EHD, iii, 308. 46 M.H. Caviness, « Conflicts Between Regnum and Sacerdotium as Reflected in a Canterbury Psalter of ca. 1215 », Art Bulletin, lxi (1979), 51. 42



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Les représentations à caractère généalogique du programme iconographique de Christ Church (vitraux du clair-étage, Arbre de Jessé, fresques de la voûte de la Trinity Chapel) dénotent ainsi une attitude vis-à-vis du pouvoir royal qui représente la soumission de celui-ci à l’Église comme nécessaire au maintien de son autorité et de sa lignée, à travers l’exaltation de rois tels que David, Ézéchias ou Josias, et de façon corrollaire, à travers la condamnation – ou du moins le refus de distinguer – des rois qui n’avaient pas su suivre les commandements du Seigneur. Cette position correspond à une certaine atmosphère intellectuelle prévalant dans l’entourage de la communauté, comme le montrent les verrières du clair-étage, et semble avoir son origine dans les épreuves imposées par les rois Henri II et Jean aux archevêques de Canterbury, et par extension aux moines de Christ Church. Quelques années plus tard, « un changement d’humeur depuis la mort du roi Jean est manifeste à Canterbury », en 121647, le ton semble plus modéré, en réponse probablement aux développements récents dans les relations entre le roi d’Angleterre et la papauté. Les fresques des voûtes de la Trinity Chapel annoncent le grand programme iconographique de la verrière occidentale, qui célèbre sans équivoque la monarchie anglaise. 6.2. « Christus sacerdos et rex»48 :  le cycle typologique L’opposition constante entre les images de rois idéaux, pieux et soumis à l’Église, et des images de souverains violents, rebelles, voire apostats, est un thème récurrent dans la série des douze verrières typologiques, dans les bas-côtés du chœur. Dans ces verrières, le port de la couronne est beaucoup plus répandu que dans les fenêtres généalogiques. On retrouve les figures de David et de Jéchonias (panneau des Six Âges du Monde, n. XIII, 35), couronnés tous les deux, symbolisant la royauté terrestre qui annonce celle, céleste, du Christ. Le thème des Six Âges du Monde était utilisé comme type du Miracle de Cana, depuis saint Augustin, et la Glossa Ordinaria reprend cette

47 « there is evidence of a change of mood at Canterbury after the death of King John » M.H. Caviness, « Conflicts Between Regnum and Sacerdotium as Reflected in a Canterbury Psalter of ca. 1215 », Art Bulletin, 61 (1979), 51. 48 « Christ prêtre et roi » : titre donné à n. XI, 16 dans Oxford, Corpus Christi College MS 256, ff. 185v-188.



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analyse49. Ces deux représentations étaient donc traditionnelles à l’époque de la réalisation des verrières. Le roi David était présent dans une dizaine de scènes50, et il porte une couronne dans le seul panneau qui a survécu51. Dans cette partie du programme, le roi David est présenté de façon quasi-systématique comme la préfiguration du Christ, et la plupart des scènes où il est représenté appartient à une tradition bien établie. Ainsi, dans n. XIV, une représentation de David et Goliath préfigurait la troisième tentation du Christ (panneaux 8 et 6). David sauvant l’agneau annonçait la Descente du Christ aux Enfers et la libération des âmes (s. XV, 18 et 17). L’épisode où David échappait à Saul et Doeg était utilisé comme un type de la Fuite en Égypte, et le massacre des Prêtres de Nob et de la Tribu de Benjamin était mis en parallèle avec le Massacre des Innocents (n. XV, 12 et 13 ; 7, 9 et 8). Les autres rois représentés sont : Salomon, Hérode52, Constantin, Julien et Maurice, et le roi de la parabole du repas de mariage. Les rois sont, dans cette partie du programme, systématiquement identifiés par le port de la couronne, et même parfois également par un sceptre, du moins dans les panneaux toujours présents dans la cathédrale. Ici, la prise de position des concepteurs est plus subtile, car elle est inscrite dans le choix d’illustrer des scènes rares, et dans les associations typologiques entre les scènes, plutôt que dans la représentation des souverains. Les scènes les plus frappantes, car peut-être les plus difficiles à représenter de façon imagée, sont les types employés pour illustrer les péchés conçus, mais non mis à exécution, ou encore les types choisis pour montrer comment un repentir sincère peut permettre de racheter un péché. Toutes ces scènes se trouvaient à l’origine dans la fenêtre s. XII, mais ont aujourd’hui disparu ; seules les inscriptions permettent d’identifier les personnages qu’elles représentaient. Toute cette verrière présentait des sujets marqués par le thème du péché, de la pénitence et du repentir53. Il est caractéristique d’un programme PL, cxiv, 905. n. XVI, 10; n. XV, 16; n. XIV, 12; n. XIII, 4; s. XII, 1 et IX 30 ; s. XIV, 1; s. XV, 16 et 22; Corona I, 14. 51 n. XIII, 4. Le panneau représentant David et Michal, Corona I, 14, est une création du XIXe siècle 52 Le statut officiel de ce personnage varia plusieurs fois au cours de sa longue carrière. Il se voyait sans doute lui-même comme le « roi de Judée » (article « Hérode », André-Marie Gérard, Dictionnaire de la Bible, Paris, 1990). La verrière n. XIV le représente en tout cas comme un roi, coiffé d’une couronne. 53 Avec, entre autres, un panneau représentant la pénitence de Marie l’Égyptienne (9), ou un autre montrant celle de Théophile (6). 49 50



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aussi critique à l’égard de pouvoir royal que celui de Christ Church que sur les quatre pécheurs choisis pour illustrer le thème de la pénitence, trois sont des rois : David, Salomon, et Constantin (s. XII, 1, 4 et 3). On y voyait à l’origine David renonçant à tuer Nabal (1)54, Constantin dissuadé par saint Sylvestre de tuer des enfants pour guérir sa maladie de peau en se baignant dans leur sang (3)55, et Salomon se repentant d’avoir adoré des idoles (4)56. L’association avec l’antitype de la résurrection de la fille de Jaïre met en valeur le danger couru par celui qui ne se repent pas de son péché. Dans le contexte d’un propos cherchant à réaffirmer la nécessaire soumission du pouvoir royal aux représentants de Dieu, la présence de trois panneaux, très proches les uns des autres, représentant des souverains humiliés et pénitents ne devait pas manquer de produire une impression sur le spectateur. Il est intéressant de constater que ces trois personnages étaient d’ordinaire associés avec l’idée d’une royauté éclairée et soucieuse de suivre les commandements divins, et que leur représentation en pécheurs repentis est quelque peu surprenante. Il faut peut-être voir ici une allusion à la pénitence sévère imposée à Henri II pour expier le meurtre de Thomas Becket en 1172 puis celle qu’il accomplit de son plein gré en 117457. Le message semble être qu’il s’agit d’éviter une condamnation sans appel du souverain et de montrer que, même pécheur, le roi peut toujours se racheter, au prix d’une pénitence à la mesure de sa faute. Mais cette situation souligne par ailleurs le fait que le roi, y compris un roi aussi parfait que David, étant un homme comme les autres en dépit de l’onction du sacre, est faillible, et que seul un guide moral éclairé – idéalement un prélat – peut le ramener dans le droit chemin. Constantin, le premier empereur chrétien, fut selon la légende détourné de son intention mauvaise par les conseils de saint Sylvestre, l’évêque de Rome. Le message, une fois de plus, semble être que le pouvoir spirituel, qui peut remettre les péchés, est supérieur au pouvoir temporel. On trouve également des représentations de rois « mauvais » qu’aucun repentir ne rachète : ainsi, un des types choisis pour illustrer la parabole du semeur est une représentation de deux empereurs chrétiens, Julien et Maurice, qui, par leurs actions, s’étaient montrés 1 Rs 25, 20-32. Cet épisode faisait partie de la liturgie du saint, SB, I, cclxxii-cclxxiii. 56 1 Sm 11, 4-8. 57 Ces deux événements seront presentés plus en détail dans le chapitre 7. 54 55



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indignes de leur religion (n. XI, 7 ; figure 13). Ce panneau est très intéressant, pour de multiples raisons. Tout d’abord, il s’agit de l’illustration d’une parabole rarement représentée dans l’art occidental58. Ensuite, le choix de ces deux souverains semble être particulièrement révélateur de l’attitude générale des concepteurs des vitraux à l’égard de la monarchie : ils représentent ici le sol épineux de la parabole, sur lequel le grain de la bonne parole meurt étouffé. Il s’agit en effet de rois dont la conduite avait été particulièrement anti-chrétienne et qui avaient été corrompus par le pouvoir et l’argent, au point, pour l’un d’entre eux, de renier sa foi. Mais surtout, tous les deux avaient cherché à empêcher leurs soldats de se convertir à la vie monastique. Ils sont enfin associés à la pensée de saint Grégoire le Grand, qui, outre l’importance capitale qu’il eut dans la pensée médiévale, avait joué un rôle de premier plan dans l’évangélisation de l’Angleterre et dans la fondation de la cathédrale59. Maurice (582602), empereur d’Orient pendant le pontificat de Grégoire le Grand, s’était heurté au pape sur de nombreux points, et ce dernier l’avait comparé à Julien l’Apostat (361-363), l’autre empereur représenté dans ce panneau60. Grégoire le Grand reprochait en effet à Maurice d’interdire à ses soldats d’entrer dans des monastères, ce qui pour le pape constituait une offense majeure, qui provoqua la comparaison de l’empereur avec son prédecesseur Julien, coupable d’apostasie61. Ils constituaient donc des antithèses parfaites pour des figures telles que celles de David, Ézéchias ou Josias. Julien l’Apostat est par ailleurs cité à de nombreuses reprises par Jean de Salisbury dans le Policraticus comme l’exemple même du tyran au comportement antichrétien62. L’association de ce type avec la représentation des trois hommes vertueux (Job, Daniel et Noé), employée dans la même verrière comme le type du sol sur lequel le grain peut prendre racine (n. XI, 9), peut être considérée comme un écho au thème dominant de la série des ancêtres du Christ dans le clair-étage : ici comme là peut

CVMA, 121. Il était honoré à Christ Church par la présense d’un autel situé dans le bras sud du transept oriental de la cathédrale, et par une verrière illustrant sa vie (s. X). 60 Gregorii I Papae Registrum Epistolarum, i, Part I, MGH, 1887, Lettre III, 64, 225. 61 Ælfric, dans un sermon exaltant le rôle des moines dans la société, décrit par ailleurs Julien comme un roi cruel, qui contraignait les moines à sortir des monastères pour se battre – alors que leur vrai combat est d’ordre spirituel (Lives of the Saints, ii, édité par W.W. Skeat, Early English Text Society, London, 1900, 122). 62 C.C.J. Webb, ii, 23, 176, 214, 379, 381, 382, 384, 386, 392, 393. 58 59



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se lire le désir de réaffirmer la supériorité des représentants de Dieu sur les rois. Sans le conseil des ecclésiastiques, les souverains risquent de s’égarer et de commettre des actions irréparables, tels David, Salomon ou Constantin. Couronnés par trois anges, les Justes sont ainsi représentés comme plus dignes de cet insigne de la royauté que les souverains : la charge royale peut donc être comprise comme la récompense de la vertu – et surtout, elle est accordée par Dieu. La couronne ne représenterait donc pas ici la fonction de souverain, mais plutôt la récompense d’une vie juste et conforme à la Loi. Bien entendu, ce panneau est relativement petit à l’échelle de l’ensemble du programme typologique, et le thème qu’il développe peut sembler secondaire par rapport au contenu essentiellement christologique. Mais il faut prendre en compte le fait que cette parabole était rarement représentée, ce qui donne à la verrière un relief tout particulier : le choix des types était moins déterminé par une tradition iconographique établie de longue date que pour les autres paraboles, comme celle du bon Samaritain (s. VIII), par exemple, et reflètait par conséquent plus précisément la volonté des concepteurs du programme. L’usage de scènes bibliques rares pour exprimer une allégorie politique se retrouve dans les enluminures du Petit Psautier de Canterbury, probablement produit à Christ Church aux alentours de 12151220. La scène repésentant Julien et Maurice y a d’ailleurs été copiée pratiquement à l’identique (fol. 124v). Le propos des enluminures est à la fois plus incisif et plus pessimiste que celui des verrières63. Le caractère privé de ces images les rendait certainement plus propres à une critique plus acerbe du souverain que les vitraux de la cathédrale. De plus, les bouleversements induits par la désastreuse politique ecclésiastique du roi Jean ont certainement informé, dans une certaine mesure, le ton du cycle d’enluminures. Pour Madeline Caviness, ces images sont l’expression de thèmes développés après le conflit entre Thomas Becket et Henri II, tels l’histoire de David ou les péchés des souverains64, et elles prennent certainement tout leur sens dans le contexte de l’histoire particulière de Christ Church. L’insistance sur la soumission des rois à l’enseignement de l’Église était illustrée de façon directe dans la septième fenêtre typologique, Il a été analysé par Madeline Caviness, « Conflicts Between Regnum and Sacerdotium as Reflected in a Canterbury Psalter of ca. 1215 », Art Bulletin, lxi (1979), 38-58. 64 M.H. Caviness, “Conflicts Between Regnum and Sacerdotium as Reflected in a Canterbury Psalter of ca. 1215”, 50. 63



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n. VIII. Un des panneaux de cette verrière représentait en effet les rois s’inclinant devant l’enseignement de Pierre et de Paul (n. VIII, 15), renforçant encore davantage l’idée exprimée dans les autres parties du programme. Pierre et Paul étaient par excellence des saints romains, dont le culte était en Angleterre très étroitement lié à la relation de l’Église anglaise avec la papauté65. Cette idée culmine dans deux représentations. La première était la représentation classique de l’Adoration des Mages, où ceux-ci s’inclinent devant l’Enfant (n. XV, 28 ; figure 8). La deuxième se trouvait dans la même verrière que le panneau de Julien et Maurice. Il s’agit de la figure du Christ roi et prêtre (n. XI, 16). Utilisée en conjonction avec l’épisode de la multiplication des pains, cette image exprime l’idée que le Christ est à l’origine à la fois de la loi et des sacrements, comme en témoigne l’inscription donnée par les manuscrits pour ce panneau :  Hii panes legem pisces dantem sacra regem Signant quassatos a plebe nec adnichilatos66.

Cette image prend tout son relief quand on la considère en relation avec le panneau représentant des rois terrestres dans la même verrière. Le concept de la royauté et de la prêtrise du Christ était fréquemment utilisé pour définir la royauté temporelle. L’onction du sacre conférait en effet au roi une fonction quasi-sacerdotale – et le sacre du roi d’Angleterre constituait par ailleurs l’une des prérogatives les plus importantes de l’archevêque de Canterbury67. Le choix d’inclure cette image du Christ-roi dans le contexte du programme de Christ Church avait peut-être pour but de rappeler à tous, et au monarque au premier chef, que le souverain tenait son autorité Dei gratia, et que tout compte fait, il n’était que l’intendant du royaume68,

V. Ortenberg, Aspects of Monastic Devotions to the Saints in England, ca. 950 to ca. 1100: The Liturgical and Iconographical Evidence, unpublished PhD Thesis, University of Cambridge, 1987, 91-95. Avant de devenir Saint Augustine’s, l’autre abbaye bénédictine de Canterbury avait été dédiée à saint Pierre et à saint Paul par la mission envoyée par Grégoire le Grand. Dunstan la reconsacra en 978 (Thomas of Elmham, Historia monasterii s. Augustini Cantuariensis, édité par C. Hardwick, Rolls Series 8, London, 1858, 22). 66 « Ces pains signifient le roi qui donne la loi ; les poissons [signifient] le roi donnant les sacraments, qui sont rompus par le peuple mais qui ne sont pas consommés ». 67 Thomas Becket fut très offensé quand il apprit que Henri II avait fait couronner son fils par l’archevêque d’York en 1170, alors que Becket était encore en exil en France (F. Barlow, 1986, 207). Cet incident contribua à détériorer encore davantage les relations de l’archevêque avec le roi et avec le reste de l’épiscopat anglais, et à l’escalade de sentiments qui mena à l’assassinat de Becket en décembre 1170. 68 A.L. Poole, op. cit., 3. 65



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une idée qui sera réalisée quand, en 1213, Jean abandonnera la suzeraineté de son royaume à Innocent III69. La situation de ce panneau tout en bas de la verrière devait la rendre particulièrement visible depuis l’église et par les visiteurs qui empruntaient le déambulatoire, et en faire une des illustrations les plus frappantes du thème de la suzerainté du Christ sur les rois terrestres, Les verrières du cycle typologique reprennent donc pour le développer le thème initié dans les fenêtres du clair-étage, et elles amplifient l’allégorie politique de ces représentations. Pratiquement à hauteur d’homme, elles opposent des exemples de rois corrompus, ayant commis – ou étant sur le point de commettre – des crimes abominables, à des modèles de monarques éclairés, parce qu’ils ont la sagesse d’obéir à leurs conseillers ecclésiastiques, de renoncer à commettre des péchés, et de reconnaître la suzeraineté du Christ et de ses représentants, saint Pierre et saint Paul – et donc par extension la suzeraineté de Rome. L’Église anglaise, et en particulier les deux églises principales de Canterbury, se considérait comme une colonie directe de Rome, par le biais de la mission évangélisatrice de saint Augustin au VIe siècle. L’utilisation du psautier romain pratiquement jusqu’à la Conquête normande de 1066, ainsi que la tradition très observée du pèlerinage à Rome pour obtenir le pallium d’archevêque de Canterbury ou d’York, attestent de l’importance accordée à cette filiation. Par ailleurs, dans le contexte de la définition et de l’affirmation de l’autonomie et de la suzeraineté du pape, un des articles les plus violemment contestés dans les Constitutions proposées par Henri II à Clarendon en 1164 avait trait au degré d’intervention du pape dans les affaires de l’Église anglaise. Le roi anglais n’entendait en effet pas autoriser son clergé à faire appel directement à Rome pour régler les contentieux, ni à quitter le pays sans son autorisation. On peut donc voir dans ces images la volonté des concepteurs du programme de souligner la victoire remportée par Thomas Becket – et par extension par toute l’Église – sur Henri II, qui fut contraint de renoncer à cette clause des Constitutions lors du Concordat conclu avec les légats pontificaux à Avranches en 1172. La condamnation n’est cependant pas sans appel : la mise en valeur du sentiment de pénitence, à travers les figures de Salomon, de David et de Constantin, montre que, grâce à l’intercession de l’Église, le souverain peut racheter sa faute – peutêtre une autre pique destinée à Henri II.

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EHD, iii, 307-310.

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6.3. « Sathanae satellites irrumpentes templum »70 : les rois et les saints L’idée que les rois se perdent sans le soutien et les conseils de leurs prélats est reprise par certaines verrières hagiographiques, et complétée par des exemples pratiquement contemporains. Il paraît en effet vraisemblable que ce thème était développé dans les deux vitraux consacrés à la vie de saint Thomas. Ces deux verrières ont malheureusement disparu71. Les autres verrières hagiographiques permettent toutefois d’apprécier quels thèmes pouvaient avoir été choisis pour ces vitraux. Il faut rappeler ici que ces verrières étaient probablement celles qui retenaient le plus l’attention des visiteurs de la cathédrale, car ces images ornaient les espaces consacrés aux reliques, tombeaux et autels des saints qui attiraient le plus de visiteurs. La question concerne donc essentiellement les cycles de saint Dunstan et de saint Alphège, car les verrières consacrées à Grégoire le Grand, Martin, Jean et Étienne ont été pratiquement complètement détruites72. Les verrières du triforium sont par ailleurs particulièrement intéressantes à étudier car, à l’instar du cycle de saint Thomas, il s’agit de vitraux créés spécifiquement pour la nouvelle cathédrale après 117473. Les autres vitraux hagiographiques honoraient des saints dont le culte était déjà bien établi dans l’ancienne cathédrale, et il est probable qu’ils étaient dépendants d’une tradition iconographique plus ancienne, et par là même moins aisément manipulable. Les verrières consacrées aux deux saints anglo-saxons (Nt. IX, Nt. X et Nt XI) ne représentent probablement qu’une partie des cycles originaux, mais les scènes qui ont survécu semblent toutefois indiquer que dans cette partie du programme également, un des thèmes prin-

« Les serviteurs de Satan forcent le sanctuaire », antienne de l’office de saint Thomas, SB, I, ccliv. 71 Un panneau qui provient peut-être de cette vie est aujourd’hui conservé aux États-Unis (Fogg Museum, Cambridge, Mass., CVMA, 158). 72 Ces verrières étaient situées au-dessus des autels consacrés à ces saints, le long du mur oriental du transept est de la cathédrale (n. XI; n. X; s. X et s. XI). Des fragments provenant de la verrière de saint Martin semblent indiquer que la scène où le saint divise son manteau avec un pauvre faisait partie des représentations (CVMA, 127-128). Les inscriptions de la verrière de Grégoire le Grand transmises par le manuscrit Cambridge, Corpus Christi College, MS 400, ne permettent pas de déterminer l’iconographie de la verrière ; certaines scènes semblent cependant assez rares (s. X, 2 : Grégoire dicte, Pierre écrit ; l’ermite et son chat). 73 M. Budny & T. Graham, « Les cycles des saints Dunstan et Alphège dans les vitraux romans de la cathédrale de Canterbury », Cahiers de civilisation médiévale, 38 (1995), 56. 70



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cipaux était la persécution de l’Église par le pouvoir séculier – et les conséquences dramatiques de ces persécutions sur ceux qui les commettent. Les vies de Dunstan et d’Alphège, tous deux archevêques de Canterbury, se prêtaient en effet particulièrement bien au traitement de cette idée. Ainsi, un des épisodes les plus importants de la vie de l’archevêque était son bannissement par le roi Edwy, à la suite de remontrances que Dunstan, alors abbé de Glastonbury, lui avaient faites. Il s’agit d’un épisode mentionné par tous les hagiographes du saint74. Une scène où le roi est miraculeusement libéré de l’Enfer grâce à l’intervention de Dunstan concluait à l’origine ce récit (Nt. XI, 1 ; figure 14). On y voit le saint, à gauche de l’image, revêtu de ses attributs archiépiscopaux, se tenant devant la porte de l’Enfer; à droite, un groupe de personnages mené par un homme coiffé d’une couronne, émerge de la gueule du monstre. Les trois hagiographes normands, Osbern, Eadmer et Guillaume de Malmesbury, rapportent que Dunstan avait un jour eu une vision où l’âme du roi, transportée en enfer, n’avait pu être libérée que par l’intercession de l’archevêque. Mais ils la situent tous avant l’accession de Dunstan au siège de Canterbury75. Il est possible que le vitrail illustre ce passage des Vitae. Le panneau que l’on peut encore voir aujourd’hui modifie cependant quelque peu l’épisode tel qu’il est rapporté par les hagiographes : Dunstan est dans le panneau clairement représenté revêtu de ses habits d’archevêque. On voit donc bien ici comment, moyennant une légère adaptation de la Vita, les concepteurs de vitraux se sont emparés du écit hagiographique afin de montrer que la persécution d’un homme d’Église pouvait être lourde de conséquences pour le roi. Le fait que Dunstan soit représenté en archevêque semble être une intention délibérée de faire un parallèle avec la vie de Thomas Becket. Cette scène fournissait par ailleurs un écho visuel à l’épisode de la descente aux Enfers du Christ dans les verrières typologiques (s. XV, 15). Si le cycle de Dunstan était bien situé à cet endroit de la cathédrale à l’origine, les deux scènes étaient situées pratiquement l’une en face de l’autre de chaque côté du chœur des moines. La vie de saint Alphège ne comportait pas d’épisode dans lequel l’archevêque triomphait d’un roi inique et méchant ; mais le récit de

Memorials of Saint Dunstan Archbishop of Canterbury, édité par W. Stubbs, Rolls Series 63, London, 1874. Désormais Memorials. 75 Osbern, Memorials, 104-105; Eadmer, Memorials, 196; Guillaume de Malmesbury, Memorials, 286. 74



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son martyre aux mains des Danois offrait la possibilité de montrer un prélat malmené par des soldats – un parallèle visuel avec la vie de Thomas Becket qui ne dut pas échapper aux concepteurs des vitraux. Dans les trois scènes qui ont survécu du cycle consacré à saint Alphège, deux panneaux montrent l’archevêque, en habits liturgiques, à la merci des Danois qui portent, eux, le casque, le haubert et le bouclier (Nt IX, 2 et 3 ; figure 4). Comme le suggère M.H. Caviness, dans ces deux cycles hagiographiques « il est possible que des scènes furent choisies et adaptées dans une certaine mesure afin de souligner les relations typologiques avec le martyr plus récent »76 : ainsi, dans deux scènes (Nt. IX, 1 et 3), l’armée danoise est représentée par quatre soldats, ce qui correspond au nombre des chevaliers responsables de la mort de Thomas Becket. Les soldats assiégeant la ville semblent par ailleurs en tout point semblables à ceux qui la défendent ; rien ne permet de les identifier comme Danois ou païens. Et l’absence d’inscription ou de tituli expliquant ces scènes pouvait rendre obscur le vrai sujet de ces représentations, favorisant l’assimilation d’Alphège avec Thomas Becket. L’attitude de Thomas Becket lors du Concile de Northampton en 1164, où il se rendit en présence du roi pieds nus et revêtu de ses habits liturgiques après avoir célébré la messe de saint Étienne, fut par ailleurs comparée par William FitzStephen à l’attitude d’Alphège lors de son martyre77. Le même auteur rapporte également comment, au moment de mourir, Thomas recommenda son âme à saint Alphège78. Les calendriers liturgiques de la cathédrale indiquent par ailleurs que la dévotion ces deux saints connut au XIIe siècle une expansion notable, probablement en même temps que leur Vitae étaient réécrites. Ainsi le calendrier du Psautier dit Arundel (London, British Library, MS Arundel 155) fut altéré au cours du XIIe siècle pour inclure les célébrations de l’ordination de Dunstan, de l’ordination et de la translation d’Alphège. Celui du manuscrit BL, Cotton MS Tiberius A iii, daté du début du XIIIe siècle, inclut la célébration des octaves des fêtes de la Natalitio de Dunstan et de la Translatio d’Alphège. Osbern et Eadmer remplissaient tous les deux la fonction de chantre de la communauté, et il est possible d’imaginer qu’il rédigè-

« it is possible that scenes were selected and adapted to some extent to bring out the typological relationships with the more recent martyr », CVMA, 64. 77 William FitzStephen, Materials, iii, 61. 78 Ibid., 141. 76



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rent, en parallèle avec les Vies, des textes liturgiques pour honorer ces saints. Eadmer rapporte d’ailleurs comment Lanfranc demanda à Osbern de composer un hymne en l’honneur de saint Alphège. Il est possible que ce soit cet intérêt qui provoqua la rédaction de nouvelles Vitae79. Ainsi, deux des cycles hagiographiques qui avaient été créés spécifiquement pour la nouvelle cathédrale semblent avoir illustré, en partie du moins, le thème des relations entre Église et pouvoirs séculiers. De même que les verrières généalogiques et typologiques, ces cycles mettent en scène les mauvais traitement reçus par les ecclésiastiques aux mains des souverains temporels ou de leurs représentants, et insistent sur les conséquences dramatiques de ces actions. L’âme d’Edwy se retrouve condamnée à l’Enfer et ne peut être libérée que par les prières de l’archevêque qu’il avait persécuté ; la palme du martyre accordée à Alphège souligne sa supériorité morale sur la soldatesque qui ravage Canterbury. Dans les deux cas, grâce à la relation typologique qui est établie entre les vies des saints et la vie du Christ, la sainteté des archevêques sort grandie de ces épreuves, et à travers eux le prestige de l’Église. Les affrontements entre laïcs et ecclésiastiques sont donc ici exploités pour mettre en valeur le rôle de guides spirituels de ces derniers, et pour montrer comment les souverains ne peuvent que s’égarer et se perdre sans leurs conseils. Tout au long du Moyen Âge, l’Église s’efforça de définir, et de faire accepter, son rôle de guide des souverains temporels. D’après les théologiens, les rois et les princes tenaient leur autorité du sacre, qui leur était conféré par l’épiscopat, représentant le Christ sur terre80. Une période de remise en cause des rôles traditionnels de l’Église et des laïcs, en particulier le roi, telle que la réforme initiée par les papes à partir du milieu du XIe siècle, ne pouvait que faire naître chez les ecclésiastiques le besoin de réaffirmer leurs fonctions et leur position. À Christ Church, deux événements majeurs donnèrent à la communauté l’occasion d’énoncer de façon claire leur point de vue sur les relations entre roi et clergé : d’une part, la résolution dramatique de la querelle commencée à propos des Constitutions de Clarendon ; de

R.W. Southern, Saint Anselm and his Biographer. A Study of Monastic Life and Thought, 1059c.1130, Cambridge, 1966, 250. 80 G. Duby, 1978, a bien montré comment les ecclésiastiques des XIe et XIIe siècles s’ efforcèrent de mettre en place une idéologie qui plaçait le roi dans un rapport de soumission par rapport à l’Eglise, notamment à travers le privilège du sacre. 79



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l’autre, la reconstruction de la cathédrale et la conception d’un nouveau programme iconographique qui en découla. Certaines tensions qui existaient entre l’Église et le souverain auraient donc trouvé une expression dans les choix effectués pour le programme iconographique, ainsi que pour les calendriers liturgiques. Les trois parties du programme iconographique de la cathédrale – généalogie, typologie, hagiographie – sont traitées de façon similaire, afin de mettre en relief le rôle que, d’après les concepteurs de vitraux, l’Église devait jouer auprès des souverains temporels, ainsi que l’attitude que ces derniers devaient adopter face aux représentants du Christ sur terre – au premier rang desquels les moines-archevêques de Canterbury. Les verrières proposent, à travers des récits soigneusement sélectionnés dans l’Histoire sainte, une image cohérente des relations entre pouvoir royal et pouvoir ecclésiastique. Cependant, comme dans le Petit Psautier de Canterbury, la critique n’est pas ouverte, mais exprimée de façon subtile, par le biais de l’allégorie politique qui prend tout son sens dans des relations typologiques rares. Les critiques semblent souvent émoussées par le caractère érudit des références bibliques, et surtout par la taille du programme qui dilue un peu le message. Le caractère traditionnel de certaines des représentations, telle l’Adoration des Mages, par exemple, nuance également le propos. Le caractère public de ces représentations a peut-être été perçu comme une limite à ce qui pouvait être dit. Il est également possible que la relative amélioration des relations entre souverain et Église entre la mort de Becket et le règne de Jean ait encouragé les concepteurs des vitraux à modérer leurs critiques. Mais la présence de scènes rares, ainsi que choix iconographiques particuliers comme l’utilisation du motif de la couronne pour signifier la valeur morale en parallèle avec ses connotations royales, tendent à montrer que les événements contemporains, en particulier les relations tendues entre souverains anglais et archevêques de Canterbury, influencèrent dans une large mesure le choix des sujets illustrés dans les verrières du chœur de la cathédrale, ainsi que la façon dont ces sujets furent représentés. En réaction aux incidents parfois dramatiques qui eurent lieu à Christ Church, les concepteurs du programme iconographique choisirent de montrer le pouvoir royal comme essentiellement faillible, et d’exalter la suzeraineté du Christ et de ses représentants sur terre.



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Chapitre 7

L’Agneau de Canterbury : La construction de l’image de saint Thomas

Thomas Becket fut un personnage central dans l’histoire des relations entre regnum et sacerdotium au XIIe siècle, à cause de son refus catégorique de souscrire aux Constitutions de Clarendon telles qu’elles étaient proposées par le roi, mais surtout à cause de – on pourrait presque dire grâce à – sa mort tragique le 29 décembre 1170. Dès sa canonisation, en 1173, il devint l’un des saints les plus honorés du calendrier de Christ Church et de toute la Chrétienté occidentale, ainsi qu’une figure emblématique de la lutte de l’Église contre le pouvoir temporel1. Son culte prit dès le début deux aspects étroitement liés, mais néanmoins distincts, ce qui a été appelé « la tradition populaire et la tradition érudite »2 du culte de saint Thomas. D’une part se développa avec une rapidité surprenante le culte du saint thaumaturge, le « melior medicus »3, grâce aux nombreux miracles qui eurent lieu très tôt, non seulement à Christ Church et à Canterbury, mais également dans toute l’Europe ; il s’agit incontestablement de la forme la plus populaire du culte de saint Thomas, celle qui attira des foules nombreuses à Canterbury jusqu’à la Réforme. De l’autre, on assiste à la création d’une image plus politique, essentiellement centrée sur les offices et les récits hagiographiques qui insistaient sur la figure de Thomas Becket comme prélat modèle et héros de la cause de la liberté de l’Église. Ces deux aspects du culte furent illustrés dans les représentations mises en place par la communauté de Christ

A. Duggan, 1982, 22-29. La diffusion du culte de Becket dans toute l’Europe à partir de l’analyse de la tradition manuscrite, à la fois des textes liturgiques, des Vitae et des recueils de miracles, a été analysée en détail par Anne Duggan, par exemple dans ses articles de 1982, 1984, 2001 ou encore 2005. 2 « the popular and learned traditions », R. Eales, 1993, 127. 3 « meilleur médecin », inscription du panneau 10 de s. II (CVMA, 203). Dans les verrières comme dans les récits de miracles, Thomas Becket est souvent comparé aux médecins, la plupart du temps pour démontrer la futilité de s’adresser à la médecine humaine plutôt qu’au saint, R.C. Finucane, 1995, 64-65. 1



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Church, gardienne des reliques du saint : la liturgie de la Natalio, célébrée pour la première fois le 29 décembre 1173, et le programme iconographique des verrières du déambulatoire de la Trinity Chapel4. Dans la cathédrale reconstruite après 1174, Thomas Becket était, après le Christ, le sujet principal des représentations iconographiques : aux douze verrières typologiques du chœur correspondaient les douze verrières de la vie et des miracles du martyr dans le déambulatoire de la Trinity Chapel. L’importance de l’espace consacré au culte de l’archevêque dans le nouveau sanctuaire était remarquable : la décision de construire une chapelle spécifiquement pour abriter le tombeau du saint doubla pratiquement la longeur du chœur des moines, et le parti-pris de surélever le sol de cette chapelle fit de l’endroit où reposaient les reliques le point le plus important du sanctuaire5. L’autel de la Trinité, qui était situé derrière le maître autel, fut reconsacré en l’honneur de Thomas Becket6. Les célébrations liturgiques qui lui étaient consacrées reflétaient l’importance du martyr : elles faisaient en effet partie des cérémonies les plus solennelles du calendrier. Le pèlerinage devint, dès 1171, mais surtout après 1173, une source de revenus non négligeable7, ainsi qu’une activité probablement à plein temps pour certains membres de la communauté. Il a déjà été noté que la production de manuscrits de Christ Church baissa de façon sensible pendant le dernier quart du XIIe siècle, c’est-à-dire pendant la période de reconstruction de la cathédrale. Cela pourrait signifier que les énergies de la communauté avaient été redéployées vers le projet architectural – peut-être même les meilleurs enlumineurs du scriptorium avaient-ils trouvé un nouveau support à leur art dans les verrières8. Dans un premier temps, des Vitae sancti Thome furent rédigées, et les miracles furent notés et rassemblés par deux moines de la communauté, Benoît et Guillaume, en parallèle avec le

n. VII – n. II et s. II – s. VII (figure 1). L’influence du culte liturgique de saint Thomas sur les décisions d’ordre architectural prises pour la reconstruction du choeur et de la Trinity Chapel est analysée dans les articles de P. Draper, 1983 et 1997, P. Kidson, 1993 et M.F. Hearn, 1994. 6 Gervais, OH, 24-25 et Anonyme de Lambeth, Materials, iv, 142. 7 C.E. Woodruff, 1932 ; W. Urry mentionne un total de £ 405 pour 1198. Les années les plus fastes furent celles du XIVe siècle, en particulier 1350, où les autels de saint Thomas (Trinity Chapel et Corona) furent gratifiés d’un total de £ 746 (1999, 175). 8 C.R. Dodwell, 1954, chapitre VIII ; ESG, 45. R. Foreville suggère que les moines de la communauté n’avaient à cette époque que peu le goût de l’étude (1942, 535). 4 5



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développement du pèlerinage9. Alain, prieur de Christ Church avant de devenir abbé de Tewkesbury en 118610, prit la relève de Jean de Salisbury pour compiler la volumineuse correspondance relative à la controverse à partir de 117611, et dut également mobiliser le temps et l’attention de nombreux copistes du scriptorium de Christ Church à cette époque. Par la suite, la querelle entre l’archevêque Baudouin de Ford (1184-1190) et les moines, dont les relations commencent à se dégrader en 1186, employa de nombreux membres de la communauté, tant en ambassades auprès de la Curie qu’en composition et copie de lettres et mémoires visant à défendre leur cause, et a pu affecter de façon négative la production de manuscrits12. Composés peu de temps après les événements, par des hommes proches de l’archevêque, il semble probable que les textes liturgiques et les sujets choisis pour les verrières se faisaient l’écho de l’indignation soulevée par le meurtre, et qu’ils furent choisis spécifiquement pour la contribution qu’ils pouvaient apporter au travail de reconstruction de l’image du prélat. 7.1.  La liturgie de la Passio et les usages politiques de l’hagiographie La liturgie consacrée aux saints, parce qu’elle était souvent composée ad hoc pour une nouvelle célébration, et également parce qu’elle était moins « définitive » et ancrée dans la tradition que pouvait l’être la liturgie de l’Eucharistie, était plus à même de refléter le contexte dans lequel elle était créée. Elle était plus plastique, et plus susceptible de refléter des préoccupations locales et contemporaines, ce qui la rend par conséquent particulièrement intéressante à étudier. Il est souvent révélateur de la comparer aux représentations iconographiques, et de voir si des liens existent entre les deux modes d’expression. En ce qui concerne Christ Church, la composition de la liturgie consacrée à l’archevêque martyr et la conception des vitraux coïncidèrent On en a peut-être une illustration dans n. II, 34, où l’on peut voir deux moines en faction près du tombeau, l’un d’entre eux plongé dans la lecture d’un livre (figure 5). 10 P. Draper suggère qu’Alain a pu avoir une influence déterminante sur la décision de reconstruire la Trinity Chapel de telle sorte qu’elle devienne le lieu le plus important de la cathédrale et le centre du pèlerinage (1997, 199). 11 A. Duggan, The Correspondence of Thomas Becket, lxxxi-lxxxiv. 12 La résolution de cette querelle, retardée par la succession rapide de papes à la fin du XIIe siècle, n’intervint qu’en 1200 (R. Foreville, 1942, 536-541). 9



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étroitement, puisque les textes de l’office de la Natalitio datent, au plus tard, de décembre 1173 (année où cet office fut célébré pour la première fois), et que les sujets des verrières furent vraisemblablement choisis peu de temps après la destruction du chœur en septembre 1174, peut-être même dès l’année suivante13. Il est donc concevable que ces deux ensembles reflètent des préoccupations similaires. Il a été montré au chapitre précédent comment les différentes parties du programme iconographique du chœur proposent un commentaire sur les relations entre regnum et sacerdotium en Angleterre entre 1175 et 1220. Dans la liturgie du 29 décembre, le thème des relations entre roi et Église est de nouveau exploité, mais est poussé à l’extrême, à travers une série de parallèles entre Thomas Becket et le Christ, et l’utilisation d’images associées à l’eucharistie. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure les verrières de la vie de saint Thomas développaient ce commentaire. Certes, les récits consacrés à saint Dunstan et à saint Alphège dans les fenêtres du triforium du chœur comprenaient des scènes qui mettaient en relief la dépendance du pouvoir séculier à l’égard de l’Église, et il paraît difficile d’imaginer que les verrières où était illustrée la vie de saint Thomas n’évoquaient pas également ce thème. La disparition preque totale de ces deux verrières (n. VII et n. VI) rend cependant la comparaison difficile ; un seul médaillon, qui correspond à l’armature de n. VI, survit aujourd’hui, dans la collection du Fogg Art Museum, Cambridge, Mass., aux États-Unis. La forme du médaillon, ainsi que sa taille et son style, suggèrent qu’il provient probablement de n. VI14. La scène représentée dans ce panneau n’a pas été identifiée de façon certaine. On y voit un archevêque, que Madeline Caviness identifie comme Thomas Becket, assis au centre avec, derrière lui, un groupe de trois moines. L’archevêque tient dans sa main droite la main d’un homme agenouillé devant lui. Tout à droite de l’image se trouvent deux autres personnages, visiblement des laïcs, si l’on se fie à leur tenue et à leurs cheveux ; l’un d’eux tient la croix archiépiscopale dans sa main droite. Cette scène ressemble quelque peu à deux panneaux de la verrière de saint Thomas dans la cathédrale de Sens qui représentent l’arche-

En ce qui concerne les sujets des verrières des miracles, qui seront ceux qui m’intéresseront principalement ici, les recueils dont ils furent tirés rassemblent les miracles pour les années 1171-1179 environ, ESG, 146-147. 14 M. Caviness, 1965, analyse ce médaillon, mais propose une date aux alentours de 1220. Elle révise cette conclusion par la suite, et avance qu’il pourrait dater d’avant 1207 (CVMA, 314). Il est reproduit dans CVMA (figures 592 et 593). 13



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vêque recevant les envoyés du roi après son retour en Angleterre en 1170. Cependant, le fait que dans la scène en provenance de Christ Church la croix archiépiscopale soit tenue par un laïc, et non par un moine ou un clerc, ne permet par d’identifier cette scène avec certitude15. Dès le 31 décembre 1170, c’est-à-dire deux jours après le meurtre de Thomas Becket, des miracles commencèrent à se produire à Christ Church, à Canterbury, et dans le reste du pays : William FitzStephen rapporte la guérison de la femme d’un habitant de Canterbury qui, paralysée, but un peu de l’eau utilisée pour laver un vêtement que son mari avait trempé dans le sang du martyr la nuit même du meurtre16. Benoît de Peterborough donne comme premier miracle l’histoire de la femme d’un chevalier du Sussex qui recouvra la vue trois jours seulement après la mort de Thomas Becket, après avoir fait le voeu solennel de se rendre sur sa tombe17. Des récits des événements furent bientôt rédigés, et les miracles commencèrent à être compilés, en dépit du climat de peur qui régnait à Canterbury18. Les partisans de l’archevêque commencèrent très tôt à faire campagne pour une canonisation rapide de celui qu’ils s’attachèrent à présenter comme un martyr. Leur impatience est palpable dans la lettre de Jean de Salisbury envoyée au tout début de l’année 1171 à Jean de Canterbury, évêque de Poitiers, dans laquelle il demande s’il est désormais sans risque an citra Romani pontificis auctoritatem tutum sit in missarum sollempnis et aliis publicis orationibus eum in cathalogo martirum tamquam salutis praesidem inuocare19.

Le parti favorable à Becket et à la canonisation fut actif très peu de temps après les événements, et la communauté monastique, après des réticences initiales, ne fut pas en reste20. Dans leurs écrits, ces On trouve des verrières consacrées à la vie de saint Thomas à Sens, Chartres, Angers et Coutances. Leur contenu original est parfois difficile à reconstituer, mais elles constituent néanmoins un ensemble qu’il est intéressant de comparer aux textes liturgiques en provenance de Christ Church. Elles sont brièvement décrites par C. Brisac, 1975, 221-231, et celle de Chartres est analysée en détail par C. Manhès-Deremble, 1993, 250-252. 16 Materials, iii, 150. 17 Materials, ii, 37-38. 18 Letters, II, 734. 19 « de faire, sans l’autorité du pape, référence [à Thomas Becket] dans le catalogue des martyrs, au cours de la célébration de la messe et autres prières publiques, comme un martyr pouvant déterminer [notre] salut», Letters, II, 736. 20 R. Southern, 1985, 14 ; W. Urry, 1999, 170. 15



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partisans s’efforcèrent de présenter l’archevêque sous un jour propre à prouver sa sainteté, et à contrer les objections qui auraient pu être soulevées par les adversaires de Thomas Becket21. Moins de vingt-six mois après le meurtre, le pape Alexandre III (1159-1181), après avoir soigneusement examiné les miracles qui avaient commencé à se produire sur la tombe de l’archevêque, et cédant peut-être à la pression d’un « lobby » pro-Becket22, canonisa le prélat le 21 février 1173. Alexandre III envoya trois bulles annonçant sa décision : la première, Quamvis nonnulla du 10 mars 1173, était adressée aux deux légats pontificaux en Angleterre ; les deux autres, Gaudendum est, adressée au chapitre de la communauté de Christ Church, et Redolet Anglia, destinée au clergé et au reste de la population d’Angleterre, sont datées du 12 mars23. Le pape déclarait que, désormais, le jour anniversaire de la mort de l’archevêque (sa Natalitio) devait être célébré dignement : monemus (...) ut natale praedicti gloriosi martyris die passionis suae solemniter annis singulis celebretis24.

Cette recommandation fut suivie d’effet dès le 29 décembre 1173 à Christ Church, et une liturgie appropriée fut composée, en particulier pour l’office de matines. La liturgie de la Natalitio du saint était un des éléments principaux du culte, et certainement l’un de ceux qui reçurent la diffusion la plus importante, comme l’atteste l’importante tradition manuscrite25. Il s’agissait d’un office monastique rimé, et il est pratiquement certain que son auteur fut Benoît de Peterborough, un moine de la communauté26. Cet office nous est parvenu via la tradition de l’usage de Sarum, dont le Bréviaire fut publié au XVIe siècle, mais qui témoigne de façon très fidèle des usages de la province de Canterbury, amputé toutefois de certains textes, puisqu’il s’agit d’un office séculier à neuf plutôt qu’à douze leçons27. Pour les leçons Edward Grim, Materials, ii, 440. Comme par exemple la lettre d’Herbert de Bosham, envoyée au pape vers la fin de 1172, et qui reprend un à un tous les arguments en faveur de la canonisation. 23 Materials, vii, Epistolae, dcclxxxiii, dcclxxxiv, et dcclxxxv, 544-548. 24 « nous recommandons (…) que soit célébrée chaque année de façon solennelle la naissance du dit martyr glorieux le jour de sa passion », Materials, vii, dcclxxix, p. 546. 25 Ainsi, une version de l’office fut probablement copiée très tôt, entre 1173 et 1177, à l’abbaye de Stavelot-Malmédy dans le domaine impérial (A. Duggan, 2005, 177-181). 26 S. Reames, « Liturgical Offices », 561 ; A. Duggan, 2005, 164. 27 A. Duggan, 1982, 33. Le texte de l’office de matines se trouve dans le premier volume de SB, colonnes ccxlvii à cclxi. S. Reames en propose une traduction en anglais (« Liturgical Offices », 565-578). 21 22



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de l’office, Benoît s’inspira largement de la Vita rédigée par Jean de Salisbury, ainsi qu’il est précisé avant la première leçon28, mais composa vraisemblablement tous les chants, textes et musique, ce qui « représente une réussite artistique remarquable »29. Jean de Salisbury faisait partie du cercle des proches de Thomas Becket pendant son épiscopat, et partageait ses idées sur la nécessité de limiter l’emprise du pouvoir royal sur l’Église30. Formé aux écoles de Paris et de Chartres, rompu aux techniques de la réflexion théologique et de l’exégèse biblique, et un des esprits les plus brillants de son époque, il avait déjà composé la majeure partie de son œuvre en 1173. Il n’assista vraisemblablement pas à la scène du meurtre, mais le récit qu’il en fit à Jean de Canterbury, évêque de Poitiers, au début de 1171, quelques semaines à peine après le meurtre, est probablement le premier qui fut mis par écrit, et son influence sur les autres Vitae fut très importante31. De grandes similarités existent entre cette lettre et le texte de la Vita lue à l’office. Ainsi, les dernières paroles attribuées à l’archevêque au moment de sa mort sont identiques dans la lettre de Jean et dans la lectio iv de l’office32. Les textes composés ou réunis pour célébrer le saint le plus important de Christ Church forment un tout cohérent : non seulement il fallut composer le texte des leçons, des répons et des antiennes, mais le choix du passage de l’Évangile, ainsi que celui des psaumes, reprennent tous des thèmes similaires. Ces textes – antiennes, lectiones, Vitae – se révèlent précieux pour essayer de cerner l’image de l’archevêque que les moines de la communauté s’efforcèrent de créer. Au-delà de la véracité historique de l’image qui est proposée de l’archevêque – qu’il n’est pas de mon propos de chercher à évaluer ici33 –, ce processus de création, qui mobilisa toutes les énergies, artistiques et littéraires, de la communauté, est très révélateur des éléments que les moines

SB, I, ccxlvii. « represent a notable artistic achievement », S. Reames, « Liturgical Offices », 561. 30 D’après William FitzStephen, cette position, ainsi que son rôle de conseiller auprès de Thomas Becket, lui valut d’encourir la colère du roi et d’être lui-même exilé en 1163 (Materials, iii, 46). 31 Letters, II, 724-739. Barlow, 1986, 5 et 251. Cet auteur situe également les différentes Vitae les unes par rapport aux autres (3-9). Voir également A. Duggan, 1982, 30, n. 57. 32 SB, I, cclii. 33 Pour des études complètes sur la vie et la personnalité de Thomas Becket, on peut se reporter, outre aux volumes i à iv des Materials, aux ouvrages de D. Knowles, 1951 et 1970, F. Barlow, 1986 et 1987, W. Urry, 1999 et A. Duggan, 2004. 28 29



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s’attachèrent à mettre en avant. La fête de la Natalitio devint très rapidement populaire, et fut inscrite dans de nombreux calendriers dès le XIIe siècle34. Les calendriers de Christ Church montrent que ce jour était une fête d’une importance considérable pour la communauté : Tiberius la signale comme une célébration de solennité III, inscrite en rouge, au même titre que Noël, l’Assomption de la Vierge et les fêtes de saint Dunstan et de saint Alphège, et le même degré fut attribué à la fête ajoutée dans Arundel au XIIe siècle, vraisemblablement très peu de temps après l’introduction de la nouvelle fête, peut-être même dès 117335. Il faut remarquer ici que, malgré la tentation, révélée par Jean de Salisbury, de procéder à une élévation des reliques sans attendre l’aval de la papauté36, il fut jugé préférable dans le parti favorable à l’archevêque d’attendre une sanction officielle de la sainteté du martyr avant de mettre en place une célébration liturgique. Plus qu’une preuve de l’efficacité des mesures prises par le pape pour contrôler la « créa-

La plupart des calendriers bénédictins édités par F. Wormald (1939-1946) comportent cette entrée. Le Bréviaire de Hyde Abbey, qui date des environs de 1300, présente également un office de saint Thomas (HA, fols. 28-28v). Au XVIe siècle, la fête était toujours célébrée avec un faste particulier, comme en témoigne le long office édité dans SB. Le texte de SB sera ici utilisé de préférence à celui de HA. Le texte de l’office de SB, bien que plus tardif, reflète en effet de plus près la tradition émanant de Canterbury. La passio de HA appartient vraisemblablement à une autre tradition liturgique : elle est plus succinte et se contente de rappeler la carrière de Thomas Becket avant son accession au siège de Canterbury, passant la querelle avec le roi et l’assassinat sous silence. 35 F. Wormald, 1934, 181. Il est remarquable que le calendrier inclus dans le Psautier d’Eadwine n’ait pas été mis à jour pour inclure la fête de la Passio de saint Thomas. Cela tendrait à prouver que ce texte n’était probablement pas utilisé pour la célébration de la liturgie, ni peut-être même pour servir de support à des dévotions personnelles – voire même qu’il avait quitté Canterbury avant 1170. Certaines entrées relatives à Thomas Becket ont été effacées des calendriers, probablement en réponse à l’édit d’Henri VIII ordonnant de faire disparaître toute trace du culte du martyr le 16 novembre 1538, cité par T. Borenius, 1932, 109-110. 36 L’élévation des reliques de personnages qui avaient menée une vie exemplaire, ou dont la dépouille avait été à l’origine de miracles, fut une pratique courante jusqu’au XIIe siècle. À partir de cette époque, cependant, et dans le souci de contrôler l’accès à la sainteté, la papauté mit en place une procédure « officielle » de canonisation, reposant sur la compilation et l’examen d’un dossier, regroupant des récits de la vie de la personne et surtout des témoignages des miracles, le pape se réservant le droit de déclarer ou non la sainteté (Concile du Latran de 1215, c. 62, R. Foreville, 1965, 377). Il devient par conséquent de plus en plus difficile de « créer » des saints locaux (A. Vauchez, 1999, 34-36). Un des premiers exemples de l’utilisation de cette procédure est la démarche qui fut initiée par Thomas Becket en faveur de son prédécesseur sur le siège de Canterbury, Anselme, à la demande du pape Alexandre III. La détérioration des relations entre Thomas Becket et Henri II ne permit pas à cette procédure d’aboutir, et Anselme ne fut canonisé qu’en 1494 (W. Urry, 1959 et R. Foreville, 1984). 34



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tion » de nouveaux saints, il faut peut-être voir dans cette attitude une intention déterminée de la part des amis et partisans de Becket, afin de parer aux critiques, déjà nombreuses et souvent justifiées, du parti royal. Il est cependant remarquable que la canonisation prit place sans demande officielle de la part de l’Église anglaise, et apparemment sans qu’aucun dossier de témoignages ne soit envoyé à Rome37. La liturgie de la fête de la translation (7 juillet) ne nous intéressera ici que dans une moindre mesure; sa composition date en effet d’une période vraisemblablement quelque peu postérieure à la conception des vitraux, qui étaient presque certainement en place lors de la cérémonie de translation des reliques en 1220, et semble avoir été largement influencée par l’archevêque Étienne Langton (1206-1228), dont la contribution au contenu des verrières n’est pas avérée38. Créée près d’un demi-siècle après les événements, cette liturgie présente des préoccupations sensiblement différentes de celles de l’office du 29 décembre. Le thème principal développé par les lectiones est en effet celui du jubilé, et des indulgences qui sont liées à une telle date39. La translation des reliques de son prédécesseur était une entreprise chère au cœur d’Étienne Langton, qui voyait, dans son conflit avec le roi, puis dans son exil de sept ans à Pontigny, une imitation presque parfaite des tribulations de Thomas Becket40. La troisième fête, celle de la regressio sancti Thomae, célébrant le retour d’exil de l’archevêque le 2 décembre 1170, était célébrée presque exclusivement à Christ Church41. Le seul témoignage qui nous en est parvenu est son inscription au XVe siècle dans Arundel et Tiberius, ainsi que l’entrée du martyrologe de Christ Church42. Ni les calendriers ni le martyrologe ne prouvent cependant que cette fête avait effectivement une célébration liturgique. La liturgie composée pour répondre aux besoins des célébrations du nouveau saint offre un champs d’étude d’un grand intérêt. La popularité quasi instantanée du culte de saint Thomas, pour des raisons aussi bien populaires que politiques, fit naître la nécessité de présenter une image de l’archevêque qui correspondait étroitement

F. Barlow, 1986, 268 CVMA, 164. R. Foreville, 1958, 90. 39 SB, III, 445-452. R. Foreville, 1958, analyse en détail l’histoire de cette célébration tout au long du Moyen Âge. 40 A. Duggan, 1982, 37. 41 F. Wormald, 1939, 65. 42 The Martiloge in Englysshe after the use of the chirche of Salisbury and as it is redde in Syon with addicyons, printed by Wynkyn de Worde in 1526, édité par F. Procter & E.S. Dewick, London, 1893, 291. 37 38



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aux critères traditionnels de la sainteté. L’archevêque avait en effet aliéné un certain nombre de personnes au cours de sa carrière, tant par le fait qu’il avait été imposé sur le siège de Canterbury par le roi, que par ce qui était perçu comme sa mondanité et son arrogance, ainsi que par son attitude intransigeante au cours de la querelle à propos des Constitutions de Clarendon. Comme le résume M. Staunton, le premier groupe de critiques comprend les moines de Canterbury, qui avaient reçu fraîchement cet archevêque qui n’était pas moine, et qui lui reprochaient d’avoir mis son siège à la merci de la couronne pendant son absence de sept ans. Le groupe suivant correspond à la Curie, souvent représentée par le légat pontifical, Guillaume de Pavie, qui redoutait que les provocations de Becket ne coûtent au pape le soutien du roi pendant une période de schisme. Le clergé anglais n’appréciait guère d’avoir eu à choisir entre le roi et l’archevêque et d’avoir été mis en plus grande difficulté par la désertion de Becket et les excommunications qu’il avait prononcées43.

Même après le martyre, des doutes avaient en effet été exprimés quant à la sainteté de l’archevêque44. L’adversaire principal de Thomas Becket pendant le conflit – et certainement le plus redoutable – fut l’évêque de Londres, Gilbert Foliot. Il résuma ainsi, dès 1166, les trois accusations majeures qu’il portait contre l’archevêque de Canterbury : il lui reprochait en premier lieu sa mondanité (en particulier pendant les années où il fut chancelier) et la façon dont il avait obtenu le siège de Canterbury, par intrigue. Le deuxième reproche qu’il lui faisait avait trait à la faiblesse de Thomas Becket lors du Concile de Clarendon de 1164, où l’archevêque avait capitulé et accepté les Constitutions du roi, alors même que l’ensemble de l’épiscopat anglais y était opposé45. Enfin, Foliot accusait Thomas Becket d’avoir, par sa fuite en France, abandonné son troupeau46. Ces accusations furent

« the first group of critics are the Canterbury monks, who received the non-monastic archbishop cooly and blamed him for putting his see at the mercy of the crown during his seven-year absence. The next group is the papal curia, often represented by the papal legate, William of Pavia, who feared that Becket’s provocation would lose the pope the support of the king in a time of schism. The English clergy resented having been made to choose between king and archbishop, and being further damaged by Becket’s desertion and excommunications », M.J.W. Staunton, 1994, 44. 44 Anonyme de Lambeth, Materials, iv, 135-137. C’est également la réfutation de ces accusations qui informe la Vita d’Herbert de Bosham (Materials, iii). 45 Les aspects politiques et légaux de la querelle qui opposa Henri II à son archevêque sont repris en détail par A. Duggan, 2004. 46 Letters and Charters of Gilbert Foliot, éditées par A. Morey & C.N.L. Brooke, Cambridge, 1967, clxx, 229-243. 43



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périodiquement portées contre Becket, y compris après sa mort, qui, pour ses détracteurs, ne constituaient en aucun cas une justification de ses actes. Les hagiographes s’employèrent à reconstruire l’image de Thomas Becket à des fins politiques, essentiellement afin de parer à ces accusations. Dans sa lettre du début de 1171, Jean de Salisbury donne une courte biographie de Thomas Becket, et fait la liste de toutes les raisons pour lesquelles il mérite d’être canonisé. Il s’agit de « la toute première discussion du statut de martyr de Becket »47 : non seulement sa mort que, tel un martyr des premiers siècles, il avait semblé appeler de tous ses vœux, mais également sa piété, son dévouement à la cause de l’Église et à la cura animarum, et surtout, les pratiques ascétiques qu’il s’était imposées à l’insu de tous, ont contribué à faire de lui un saint digne de vénération. Ainsi, contre les accusations de mondanité et d’arrogance, les hagiographes mirent en avant la conversion subie par le chancellier royal au moment d’accéder à la charge archiépiscopale, ainsi que les macérations physiques et l’ascèse que le prélat sut suivre en dépit de ses hautes fonctions. Tous ces thèmes furent repris, et développés, par les hagiographes de l’archevêque, et trouvèrent également une expression dans les textes de la liturgie de la Natalitio. Les thèmes présents dans les offices liturgiques ont été résumés par Kay Slocum dans son étude de la liturgie de saint Thomas. Il s’agit des images de l’homme nouveau (novus homo), du bon pasteur, du défenseur de l’Église, du martyr, du faiseur de miracles, et de Becket comme type du Christ48. Thomas Becket, à l’origine un simple clerc, avait été ordonné prêtre la veille seulement de son élévation à la dignité archiépiscopale en 1162, ce que ses adversaires ne manquèrent pas d’exploiter pour mettre en doute sa vocation ecclésiastique. Cette élection avait d’ailleurs provoqué la remarque acerbe de Gilbert Foliot, évêque de Londres, qu’Henri « avait vraiment accompli un miracle, car il avait changé un laïc et un chevalier en un archevêque »49. Pour les hagiographes, cependant, le changement de vie et de mœurs que le chancellier subit en 1162 n’était qu’une preuve supplémentaire de sa sainteté. Après Jean de Salisbury, tous les auteurs d’une Vita firent de leur mieux pour

« the earliest discussion of Becket’s status as martyr » A. Duggan, 1984, 427. Kay B. Slocum, Liturgies in Honour of Thomas Becket, Toronto, 2004, 5-7. 49 « had indeed worked a miracle, for he had transformed a layman and a knight into an archbishop », F. Barlow, 1986, 71. 47 48



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mettre en valeur la conversion vécue par le clerc royal au moment de son élévation à l’archiépiscopat, et c’est un thème que reprend la première leçon de l’office : « Consecratus enim repente mutatus est in virum alium »50, ainsi que les chants. Ainsi, la première antienne du premier nocturne affirme que Summo sacerdotio Thomas sublimatus Est in virum alium Subito mutatus51.

Même la faiblesse montrée par l’archevêque lors du Concile de Clarendon fut tournée en avantage par les hagiographes. Ils concèdent qu’il s’agit bien d’une chute (ce que l’Anonyme de Lambeth appelle le « lapsus archiepiscopi », avec toutes les connotations religieuses qu’un tel terme pouvait avoir), une épreuve nécessaire que l’archevêque devait surmonter pour montrer sa valeur, et qui faisait partie du processus de transformation52. Surtout les hagiographes se concentrèrent sur la découverte de l’ascétisme monacal pratiqué par Becket à l’insu de tous : en dépit de ses hautes fonctions, l’archevêque s’arrangeait pour manger et boire de façon excessivement frugale, il s’imposait fréquemment la discipline, portait, sous ses vêtements somptueux, un cilice rongé de vermine, et se livrait à des oraisons dignes d’un moine plutôt que d’un clerc séculier. Ces deux points, qui peuvent être considérés comme des topoi hagiographiques53, constituèrent, outre les nombreux mira-

« en effet, une fois consacré il fut rapidement transformé en un homme différent », SB, I, ccxlviii. 51 « Quand il accéda à la plus haute charge sacerdotale, Thomas fut soudain transformé en un homme différent », SB, I, ccxlvii. 52 Materials, iv, 103. M. Staunton, 1994, 174. 53 Par exemple, William FitzStephen, Materials, iii, 37-38 ; Herbert of Bosham, Materials, iii, 193-195; ou encore l’Anonyme de Lambeth, Materials, iv, 88-91. À Christ Church, d’autres vies de saints insistaient sur ce modèle d’ascétisme, en particulier celles de Dunstan et d’Alphège. Dunstan semble en effet s’être initialement destiné à une vie laïque avant d’être convaincu par l’évêque Ælfheah de Winchester de prendre l’habit de moine (N. Brooks, 1992, 5), et il est représenté portant l’habit monastique dans un panneau de la verrière Nt. X. La vie de Dunstan fournissait donc un type de conversion de la vie publique et séculière à la vie monastique sur lequel la vie de saint Thomas pouvait être modelée. Alphège était un moine tenté un temps par l’érémistisme, et qui avait été élevé à la dignité épiscopale en raison de sa réputation d’homme saint (AS, 122-127). L’ascétisme et les macérations étaient depuis les débuts du culte des saints un des traits essentiels de l’hagiographie, car ces épreuves physiques étaient, en partie au moins, ce qui distinguait les saints du reste des hommes (A. Vauchez, 1999, 23). 50



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cles, l’argument principal en faveur de la canonisation, et l’office les met en exergue, les introduisant tous les deux dès la première leçon54. Les pratiques associées avec cette ascèse sont décrites à plusieurs reprises dans la liturgie du 29 décembre. La deuxième antienne chantée à matines présente Thomas Becket comme Monachus sub clerico Clam ciliciatus Carnis carne fortior Edomat conatus55.

De même, la lectio i rappelle comment il « carnem prorsus coegit servire spiritui »56. Une enluminure des Becket Leaves montre l’archevêque lors de son exil à Pontigny, alité, émacié et affaibli par le jeûne et les macérations, se faisant examiner par un médecin57. Partie intégrante du « novus homo » qu’il était devenu, l’ascétisme qu’il s’imposait à l’insu de tous lui permettait de prétendre à la palme du « martyre blanc ». Comme son prédécesseur Anselme, Thomas Becket s’était vu accusé d’avoir accepté le siège de Canterbury par cupidité et par désir de gratification personnelle. La politique assez maladroite et plutôt agressive menée par l’archevêque pour reprendre le contrôle des terres appartenant à Christ Church qui avaient été aliénées pendant la vacance du siège, fut présentée comme une preuve que Thomas Becket ne cherchait que son enrichissement personnel58. C’était une accusation que les hagiographes se devaient de réfuter, et ils présentent cet aspect du pontificat de Becket comme le corollaire nécessaire de la mutatio qu’il subit lors de son accession : son ascétisme personnel est présenté comme inséparable d’une politique plus radicale en matière de défense des intérêt de l’Église59. Les circonstances de la mort de l’archevêque leur fournissaient un argument absolument

SB, I, ccxlvii. « un moine sous les habits du prêtre, secrètement revêtu d’un cilice – plus fort que la chair, il réprime les besoins de la chair », SB, I, ccxlvii. 56 «contraignait sa chair à servir l’esprit», SB, I, ccxlviii. 57 J. Backhouse & C. de Hamel, plate I. Les « Becket Leaves » sont quatre folios d’une vie de Thomas Becket versifiée en français, à usage privé plutôt que public, copiée et illustrée dans la première moitié du XIIIe siècle (vers 1220-1240). 58 Les accusations contre Anselme sont rapportées par Eadmer, Historia Novorum. R. Foreville résume les actions entreprises par Thomas Becket pour reprendre possession des biens de Canterbury, et les heurts avec les laïcs qu’elles occasionnèrent (1942, 116-117). 59 M. Staunton, 1994, 176. 54 55



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imparable. Becket est présenté par les hagiographes comme le champion par excellence de la cause de la liberté de l’Église, faisant front aux attaques du roi et de son parti, et subissant en retour l’exil et le discrédit. Ces épreuves seules auraient suffi à faire de Thomas Becket un saint et un martyr, car selon les paroles de saint Augustin d’Hippone, « martyrem non facit poena, sed causa »60. Plutôt qu’une conséquence de l’entêtement de l’archevêque, ce dénouement tragique fut présenté dans les Vitae et dans la liturgie comme la justification absolue de sa lutte contre les Constitutions de Clarendon61. Certes, la mort violente de l’archevêque constituait un argument majeur pour la défense de Thomas Becket, mais sa vie présentait toutefois, pour les hagiographes, toutes les caractéristiques du martyre. Non seulement Thomas Becket endura des souffrances physiques – et les Vitae ne se privent pas de rapporter les détails les plus macabres quant aux blessures reçues par l’archevêque – mais il sut maintenir jusqu’au bout sa position quant au litige qui l’opposait à Henri II, tels les chrétiens des premiers siècles qui refusaient de renoncer à leur foi au prix de leur vie. Ainsi saint Thomas présente un cas où les caractéristiques de ce que Janet O’Reilly appelle « white martyrdom » (« martyre blanc ») sont associées à celles du « red martyrdom » (« martyre rouge »)62. Le martyre blanc est caractérisé par une vie d’ascétisme et de souffrances au nom du Christ, alors que le martyre rouge dénote une mort violente, et est plus particulièrement associé au temps des persécutions contre les premiers chrétiens. L’association des deux types de martyre permettait de rendre le saint particulièrement inattaquable. L’idée du « martyre rouge », présente aux côtés de celle du « martyre blanc » dans les récits du meurtre de l’archevêque à travers les images très crues du cerveau et du sang répandus lors du meurtre,

« c’est la cause, non les souffrances, qui font le martyr », Saint Augustin, Sermo 275, PL xxxix, 1254. L’office du 29 décembre reprend cet argument: « si enim causa, immo qui causa martyrem fecit », lectio viii, SB, I, cclv. 61 A. Duggan analyse de façon très subtile le dilemme d’ordre moral posé à des hommes tels Thomas Becket ou Jean de Salisbury par l’exigence d’Henri II que le clergé prête serment aux Constitutions de Clarendon. Mis devant l’alternative de choisir à quelle cause ils devaient allégeance, leur conscience leur imposa de choisir celle de l’Église plutôt que celle de la couronne (1984, 435-437 et 2004, en particulier le chapitre 3). 62 J. O’Reilly, 1985, 189-198. Les images de martyre blanc et de martyre rouge remontent à la plus ancienne tradition de l’exégèse chrétienne, en particulier saint Jérôme, saint Cyprien et saint Grégoire le Grand (J. O’Reilly, 1980, 304-306). 60



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relie de façon très forte saint Thomas aux martyrs des premiers siècles du christianisme. Les détails des blessures subies par le prélat, rappellent la cruauté des tourments endurés par les chrétiens des premiers siècles au temps des persécutions63. Mais l’horreur de la mort de Becket est encore plus grande que celle de ces martyrs : alors qu’ils étaient persécutés par des païens, Thomas Becket fut assassiné par des chevaliers chrétiens, ses propres fils spirituels, et connut la mort aux mains non gentilium, non hostium, sed eorum qui legem Dei profitebantur et amicorum fidem64.

La passio lue à l’office de matines souligne même que, à l’instar des premiers chrétiens morts au nom de leur foi, l’archevêque aspirait à ce sacrifice, dont il avait été averti par une vision avant son retour en Angleterre:  sed antequam inde progrederetur, divina revelatione confortatus est : ostenso sibi caelitus indicio quod ad ecclesiam suam rediturus esset cum gloria, et per palmam martyrii migraturum ad Dominum65.

En conséquence, il refusa de fuir la cathédrale quand les intentions des quatre chevaliers devinrent claires (lectio v), et il « provoqua ses poursuivants de façon imprudente et inutile »66. Tous les éléments sont donc réunis pour faire de Thomas Becket un martyr. Le martyre de saint Thomas fut présenté par la plupart des hagiographes – en particulier ceux qui avaient les intérêts de Christ Church particulièrement à cœur, tels Benoît ou Guillaume – de façon à rappeler spécifiquement le temps des persécutions contre les premiers chrétiens67. Les leçons de l’office de matines pour le 29 décembre donnent à plusieurs reprises à saint Thomas le titre de « athleta Dei », qui est une appellation fréquente pour les martyrs dans les textes

Lectio v, SB, I, cclii; Letters, II, 733; pour les récits des hagiographes, on peut consulter: Benoît, Materials, ii, 13; William FitzStephen, Materials, iii, 142; Herbert of Bosham, Materials, iii, 506. 64 « non des gentils, non des ennemis, mais aux mains de ceux qui professaient la loi de Dieu et la loyauté envers leurs amis », Letters, II, 730. 65 « Mais avant son départ de cet endroit, Dieu le réconforta par une vision : un signe lui fut donné qu’il reviendrait dans son église avec gloire, et qu’il s’en irait ensuite vers Dieu avec la palme du martyr », SB, I, ccxlix. 66 « imprudently and needlessly provoked his pursuers », J. O’Reilly, 1985, 192. Cet incident est rapporté par Benoît, Materials, ii, 9. 67 J. O’Reilly, 1985, 192. 63



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chrétiens des premiers siècles68. La présence dans la cathédrale d’une verrière consacrée à saint Étienne, le proto-martyr (dont la célébration liturgique avait lieu deux jours seulement avant celle de Thomas Becket), ainsi que d’un cycle de saint Alphège qui, lui aussi, fut martyrisé par une soldatesque brutale et déchaînée, renforçaient sans doute ce parallèle avec les martyrs des premiers siècles, ainsi que la continuité entre saint Étienne, le premier martyr, et saint Thomas, le plus récent d’entre eux. À travers toutes ces références au martyre, Thomas Becket est identifié de près à certains des saints les plus importants de Christ Church. La comparaison avec saint Étienne était bien entendue rendue aisée par la proximité de la célébration de la Natalitio de l’archevêque avec celle du proto-martyr le 26 décembre. La dévotion particulière de Thomas Becket pour saint Étienne fut par ailleurs soulignée par les hagiographes à propos du Concile de Northampton, en octobre 1164, au cours duquel eut lieu un des épisodes les plus symboliques de la controverse. Le Concile de Northampton fut convoqué à la demande du roi afin de juger Thomas Becket, qui avait tenté de quitter l’Angleterre sans l’autorisation du roi à la suite du Concile de Clarendon. Au cours des premiers jours du concile, Thomas fut jugé et condamné à une amende exhorbitante pour avoir omis de se présenter à une convocation judiciaire, puis fut accusé par le roi de diverses fautes financières et de ne pas observer les anciennes coutumes du royaume ainsi qu’il avait juré au concile de Clarendon69. Il semble qu’Henri II avait déterminé à tout prix d’humilier l’archevêque, et Thomas Becket commença à craindre pour sa liberté et même sa vie70. Au matin du 13 octobre, l’archevêque de Canterbury, en signe de son désaccord avec la politique ecclésiastique d’Henri II, et aussi pour expier sa propre faiblesse d’avoir accepté les Constitutions de Clarendon, célébra la messe de saint Étienne – alors qu’il ne s’agissait nullement du jour de cette célébration – dont l’introit est « Etenim sederunt principes et

« l’athlète, le champion de Dieu » ; leçons vi, viii et ix, SB, I, ccliv-cclviii. Article « Athlète », Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie. Ce terme pouvait également être compris dans le sens de « miles », soldat. La connotation guerrière, qui est un topos non seulement de l’hagiographie, mais également de la littérature monastique et de la prédication (S. Morrison, 147-153) aurait sans aucune doute semblé tout à fait appropriée dans le contexte de la lutte pour la liberté de l’Eglise 69 William FitzStephen, Materials, iii, 50-56. A. Duggan reprend les événements de ce concile jour par jour, et analyse les motivations de chacun des protagonistes (2004, 61-83). 70 F. Barlow, 1986, 110-111. 68



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adversum me loquebantur »71. Il se rendit ensuite à la cour du roi, portant lui-même sa croix archiépiscopale72. La référence à saint Étienne, en dehors de la saison liturgique appropriée, et au-delà du caractère symbolique de l’introit, souligne la dévotion personnelle de l’archevêque à ce martyr. Un autre martyr qui semble avoir suscité la dévotion de Thomas Becket était un de ses prédécesseurs sur le siège de Canterbury, Alphège, massacré par les Danois lors d’un raid contre Canterbury en 1012. Si tous les biographes s’accordent à dire que l’archevêque frappé à mort recommanda son âme à Dieu, la Vierge, saint Denis et « tous les saints de cette église », d’après « Roger de Pontigny » (Anonyme I), cette recommandation mentionna spécifiquement saint Alphège73. L’archevêque martyr semble avoir été très présent à l’esprit de Thomas Becket pendant ses derniers jours. Lors de son prêche dans la cathédrale le jour de Noël, il mentionna les saints archevêques de Canterbury qui ibi sunt confessores, loqueretur, ait, unum eos habere martyrem archiepiscopum, sanctum Elphegum ; possibile esse, ut et alterum in brevi ibi haberent74.

Le but des hagiographes est ici non seulement d’inscrire Thomas dans la tradition des archevêques de Canterbury, mais plus encore de montrer comment il avait pressenti le destin tragique qui l’attendait. Sa dévotion aux saints martyrs de la cathédrale le prédisposait ainsi à l’imitation de leur passio. Plus encore que le martyre, blanc ou rouge, Thomas Becket est présenté comme ayant, par ses souffrances et par son sacrifice, imité, de façon presque parfaite, le Christ lui-même. Dans le texte de l’Évangile choisi pour être lu pendant l’office de matines, Jean 10, 11-16, le Christ se compare au « bon pasteur », qui protège le troupeau des attaques des loups75. Dès la lectio iiii, Thomas Becket avait lui-même été comparé au Bon Pasteur :  71 « Que des princes tiennent séance contre moi », Ps. 119, 23. Cet épisode a été présenté comme une « joute d’images » entre Henri II et Thomas Becket, car l’archevêque choisit pour célébrer cette messe le jour anniversaire de la translation d’Édouard le Confesseur, dont le culte était activement soutenu par le roi (J. O’Reilly, 1985, 218-224). 72 Herbert of Bosham, Materials, iii, 303-305. 73 Materials, iv, 77. 74 « Alors qu’il parlait des saints pères de l’Église de Canterbury, qui sont [enterrés] ici, il ajouta que l’un d’entre eux, saint Alphège, était déjà un martyr, et que bientôt ils en auraient un autre », William FitzStephen, Materials, iii, 130. 75 « Dixit Jesus discipulis suis. Ego sum pastor bonus » (« Jésus dit à ses disciples : je suis le bon pasteur »), SB, I, ccliv.



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chapitre 7 igitur exilii sui anno septimo rediit pastor nobilis in Angliam : ut vel oves Christi a morsibus luporum liberaret, vel pro grege sibi credito seipsum impenderet76.

Cette comparaison avec le Bon Pasteur est bien entendu particulièrement appropriée pour décrire un archevêque, qui est censé être le gardien de son troupeau ; mais elle prend un sens particulier dans le cas de Thomas Becket, qui avait passé six ans en exil loin de son « troupeau » et était donc particulièrement vulnérable à l’accusation d’avoir préféré abandonner son diocèse au premier signe de danger. De plus, il est plus que probable que pour les partisans de l’archevêque, le corollaire de cette image pastorale était que les chevaliers – et par extension le roi – étaient implicitement comparés aux loups, aux ennemis qui attaquent le troupeau77. Le procédé employé est ici clair : Thomas Becket est présenté comme un type du Christ, non une préfiguration, mais une réalisation, une actualisation des enseignements donnés par Jésus pendant sa vie terrestre. Il est ici intéressant de noter que, parmi les verrières consacrées à la vie de saint Thomas réalisées dans les années qui suivirent le martyre, celle de la cathédrale de Sens fait la part belle aux représentations du prélat dans ses fonctions liturgiques. On y voit en effet l’archevêque prêcher du haut d’un ambon, célébrer la messe, consacrer une église et confirmer des enfants. Il est possible d’avancer plusieurs hypothèses pour cette iconographie que l’on ne retrouve pas dans les autres verrières78. Le séjour que Thomas Becket effectua à Sens en tant qu’invité de l’archevêque entre 1166 et 1170 avait probablement laissé quelques souvenirs quant aux activités liturgiques de Thomas79. Peut-être de façon plus vraisemblable, on peut penser que ces scènes de pastorale renvoient aux accusations de désertion portées à l’encontre de l’archevêque de Canterbury, et correspondent à la tentative des hagiographes de présenter Thomas Becket comme un prélat modèle,

« Ainsi dans la septième année de son exil, le noble pasteur revint en Angleterre : afin de libérer les brebis du Christ des morsures des loups, ou de se sacrifier pour son propre troupeau ». Je souligne. 77 SB, I, cclii. 78 Les verrières de Chartres, Angers et Coutances insistent davantage sur les principales étapes des relations entre Thomas Becket et Henri II, et sur la responsabilité de ce dernier, peut-être dans un désir de flatter la monarchie française (C. Brisac, 1975, 231). 79 Une mitre du XIIe siècle, à l’origine conservée à Sens mais aujourd’hui au Victoria & Albert Museum, à Londres, était au XIXe siècle associée avec Thomas Becket (reproduite dans F. Barlow, 1986, n° 26). 76



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pasteur attentif de son troupeau. Cela expliquerait la gamme de situations dans lesquelles le saint est présenté : prédication, célébration de l’eucharistie, dédicace d’église, confirmation – toutes actions liturgiques qui impliquent une interaction entre le célébrant et l’assemblée des fidèles. La verrière de Sens a été datée du premier quart du XIIIe siècle, et les affinités stylistiques entre le programme de Christ Church et les verrières de Sens ont été bien établies80. Il est tentant d’imaginer que les sujets représentés à Sens l’étaient peut-être également dans les deux verrières consacrées à la vie de saint Thomas dans le déambulatoire de la Trinity Chapel à Christ Church, qui offraient suffisamment d’espace pour développer de nombreux thèmes et représenter de multiples épisodes. La réponse faite aux accusations des détracteurs de l’archevêque n’aurait certes pas été déplacée à Canterbury. Identifié au Bon Pasteur, Thomas Becket est également présenté comme une victime sacrificielle, l’Agneau de Canterbury, dont la mise à mort rappelle celle de l’Agneau de Dieu, une image employée par Benoît de Peterborough81. La blessure fatale reçue à la tête par l’archevêque permit aux hagiographes de décrire toute l’horreur de l’attaque : Thomas Becket fut assassiné devant l’autel de saint Benoît, offert en sacrifice tel le pain et le vin de l’eucharistie, au moment de célébrer les vêpres82, et accepta la mort sans se débattre, « caput quod inclinatum (…) et quasi ad orationem prostratus »83 :  consecratam capitis Coronam funestis gladiis amputaverunt, et christum Domini solotenus praecipitantes, cerebrum cum sanguine (quod dictu quoque horrendum est) per pavimentum crudelissime sparserunt 84.

Thomas Becket, l’Oint du Seigneur, fut frappé à la tête, exactement à l’endroit où l’onction du sacre archiépiscopal avait été administrée, ce qui, aux yeux des hagiographes, contribuait à rendre l’outrage fait à l’homme, à l’Église, et par extension au Christ, encore plus intolérable. La Vita d’Edward Grim comptabilise par ailleurs cinq C. Brisac propose une date aux alentours de 1220-1225 (C. Brisac, 1975, 224), alors que les auteurs du recensement des vitraux de Bourgogne proposent une date après 1207, année où un incendie détruisit la cathédrale (Les vitraux de Bourgogne, Franche-Comté et Rhône-Alpes, Corpus Vitrearum, Recensement des vitraux anciens de la France, volume iii, Paris, 1986, 174). Pour les liens entre Canterbury et Sens, voir ESG, 84-93. 81 Materials, ii, 43. 82 SB, I, cclii. 83 « la tête inclinée (…) comme s’il était prostré en prière », SB, I, ccliv. 84 « les funestes épées tranchèrent la couronne consacrée de la tête, et l’oint du Seigneur ayant été précipité sur les dalles du sol, elles répandirent sur le sol de façon très cruelle (et ce détail est horrible à rapporter), le cerveau avec du sang », SB, I, ccliii. 80



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blessures infligées au martyr, autre détail qui fait de lui « alius Christus »85. Le thème iconographique du « meurtre dans la cathédrale » est probablement celui qui fut le plus souvent illustré en conjonction avec le culte de saint Thomas86, et qui reçut le plus rapidement une formule stéréotypée que l’on retrouve aussi bien dans l’enluminure87, que dans les émaux et encore la peinture murale88. Le saint, « christus Domini », revit, réactualise et réalise les souffrance du Christ. L’identification est poussée très loin, jusque dans les moindres détails, quand il est dit des quatre chevaliers assassins qu’ils « diviserunt sibi vestimenta sua », comme les soldats romains le firent avec les habits du Christ89. Les psaumes choisis permettent de pousser ce parallèle encore plus loin, notamment le psaume ii, qui fait référence au sort qui attend les princes et les rois qui conspirent « adversus Dominum, et adversus Christum ejus » 90. On retrouve donc ici le thème des relations entre regnum et sacerdotium développé de façon si détaillée et complexe dans les verrières typologiques et généalogiques. L’histoire de saint Thomas devait permettre de parachever la démonstration : à travers le prêtre, c’est au Christ lui-même que le pouvoir séculier s’attaquait. Les types bibliques invoqués pour décrire Thomas Becket sont par ailleurs des types couramment employés comme préfigurations du Christ : d’une part, saint Thomas est appelé à plusieurs reprises « novus Abel »91, comparé ainsi à un personnage de la Genèse dont le meurtre par son frère, depuis saint Paul et les Pères de l’Eglise, était présenté comme une préfiguration du sacrifice du Christ92. D’autre part, il est mis en parallèle avec le prêtre Zacharie, « immolatum in « Un autre Christ », Materials, ii, 438. M-M. Gauthier, 247-253 et T. Borenius, 1932. 87 ainsi, dès 1180, une enluminure d’un manuscrit de la Vita de Jean de Salisbury, Londres, BL, Cotton MS Claudius B. ii, f. 341r. 88 L’enluminure de Cotton MS Claudius B. ii est la représentation la plus ancienne du martyre, et elle comporte déjà tous les éléments qui se retrouvent par la suite dans d’autres médias, comme les éléments de la Vita de Jean furent repris par la plupart des hagiographes. De nombreuses châsses émaillées représentent la scène du meurtre, avec l’archevêque en prière devant l’autel, et plusieurs chevaliers en armes (en général trois ou quatre) qui s’avancent pour le frapper ou qui sont en train de le frapper à la tête, et souvent un ou deux clercs et moines en retrait. On peut voir un exemple de reliquaire dans F. Barlow, 1986, n° 33 et dans J. Alexander & P. Binski, 225. Dans la peinture murale, celle de Spolète, reproduite par W. Urry (1999, 133) est typique. 89 « ils divisèrent entre eux ses vêtements », Ps 22, 18 et Matt. 27, 35 ; lectio vi, SB, I, ccliii. 90 « contre le seigneur et contre son oint », SB, I, ccxlvii. 91 « nouvel Abel », SB, I, ccliii et cclvi. 92 Gen, 4. Le parallèle est fait entre autres dans l’Épître aux Hébreux, 11, 4, et 12, 24. 85 86



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templo »93. Il est par ailleurs possible que, à travers la citation biblique de la lectio vi « Vox in Rama audita est »94, il soit implicitement associé premièrement à Joseph, et deuxièmement, aux Saints Innocents. Joseph était un personnage innocent, bénéficiaire de la faveur divine et qui, à cause de cela, provoqua la colère et la jalousie de ses frères, qui décidèrent de se débarrasser de lui95. Joseph était, comme Abel, un type courant pour le Christ. Les Saints Innocents, dont la fête était célébrée la veille de celle de saint Thomas, étaient un exemple traditionnel de l’arbitraire et de la brutalité d’un souverain tyrannique, et préfiguraient le sacrifice du Christ. Ici, les thèmes développés par la liturgie rejoignent ceux employés dans l’iconographie. Ainsi, dans la verrière orientale de la Corona, une des scènes utilisées pour préfigurer la mise au tombeau du Christ est l’épisode où Joseph est mis dans un puits par ses frères (I, 7). La comparaison de Thomas Becket à Abel, à Joseph et aux Innocents implique, nécessairement, que le roi Henri II était identifié à des personnages symboles d’iniquité (Caïn, les frères de Joseph, Hérode). Dans le contexte de l’assassinat du prélat par des chevaliers ayant agit, sinon sur les ordres du roi, du moins dans le désir de lui plaire96, il est plus que probable que ces associations avaient pour but de renforcer le contraste entre la pureté et l’innocence de l’archevêque et la tyrannie et la violence du roi Henri II, et d’insister sur les thèmes du sacrifice et du sang versé. Outre le thème du sacrifice d’un prêtre dans son église (Zacharie), on trouve donc l’image du roi-tyran (Hérode), ordonnant le massacre de victimes innocentes. Cette dernière image devait prendre un relief tout particulier dans le contexte de Christ Church, pour qui prenait la peine de comparer la liturgie et le programme iconographique. Dans les verrières hagiographiques, la représentation du massacre des Innocents (n. XV, 20) était accompagnée de deux types bibliques. L’une de ces deux scènes, le Massacre des Benjaminites à Gabéon (Jg 20, 19-48 ; n. XV, 21), avait pour inscription

« immolé dans le temple », SB, I, cclv. « Dans Rama s’est fait entendre une voix », Jr 31, 15 ; Mt 2, 18. 95 Gn 37, 4-35. Un chant composé en l’honneur de Thomas Becket, « In Rama sonat gemitus » compare le saint à Joseph et Henri II à Hérode (D. Stevens, 277). Il s’agit donc d’un thème courant dans l’hagiographie de Thomas Becket, peut-être inspiré par la liturgie de l’office de matines. 96 Parmi les motivations des assassins, N. Vincent identifie la nécessité dans laquelle ils se trouvaient de se faire pardonner l’implication de leur famille dans le parti d’Étienne avant l’accession d’Henri II au trône (2004, 16). 93 94



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chapitre 7 Ecce Rachel nati fratrum gladiis iugulati Hiis sunt signati pueri sub Herode necati97.

La référence à la douleur ressentie par Rachel lorsqu’elle apprit la disparition de ses fils était courante dans le contexte du massacre des Innocents98 – et c’est une référence qui liait la liturgie de la fête de Thomas Becket à la représentation iconographique, à travers l’utilisation de la citation biblique « Vox in Rama audita est »99. Plus significatif encore, cependant, l’autre type accompagnant le Massacre des Innocents était le récit du massacre des prêtres de Nob par Doeg, sur l’ordre de Saül (I Sm 22, 6-22) : il s’agit ici encore de l’action arbitraire d’un tyran, dont la colère se tourne contre des membres du clergé, et qui envoie ses hommes de main pour exécuter sa vengeance. Le parallèle avec les chevaliers agissant sur l’ordre du roi est aisé à faire, même si l’accusation est indirecte et cachée dans des références bibliques. L’artiste du Little Canterbury Psalter (Paris, Bibliothèque Nationale MS lat. 770) choisit d’illustrer la même scène, mais l’identification de la situation contemporaine avec la préfiguration biblique va plus loin. Dans l’enluminure, en effet, les prêtres de Nob sont représentés vêtus et tonsurés tels des moines100. L’allusion aux violences commises dans l’église monastique de Christ Church est transparente. Ce psautier fut copié et enluminé dans un climat politique d’affrontements renouvelés entre Église et souverain, durant le règne de Jean et l’exil de l’archevêque Étienne Langton et de la communauté entre 1207 et 1213, qui rappelle les événements des années 1160-1170, et il a déjà été dit que certaines miniatures de ce manuscrits ont leur équivalent dans les verrières; il est par conséquent possible d’imaginer que le panneau n. XV, 19 présentait une image similaire. Des hommes habitués à chercher dans la Bible des préfigurations et des types, non seulement des événements rapportés par les Évangiles, mais également des événements qui se produisaient autour d’eux, pouvaient facilement déchiffrer l’allusion. Les prêtres étaient donc, par la juxtaposition des épisodes, associés à la pureté des Inno« Voyez les fils de Rachel massacrés pour les épées de leurs frères ; par eux sont préfigurés les enfants massacrés par Hérode ». 98 Dans l’Évangile selon saint Matthieu, c’est à ce dernier épisode qu’est rapporté la citation du prophète Jérémie (Jr 31, 15). Par ailleurs, le nom de Rachel signifie « brebis » en hébreu, ce qui ajoute une référence supplémentaire au thème du sacrifice. 99 Lectio vi, SB, I, ccliv. 100 M.H. Caviness, 1979, figure 11. 97



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cents, et Saül et Hérode sont désignés comme des exemples types du souverain injuste et violent. Par ailleurs, dans la verrière s. XII était représentée une scène, tirée de la vie de saint Sylvestre, montrant le roi Constantin, archétype du roi chrétien, dissuadé de massacrer des innocents, et se tournant vers le pape Sylvestre pour soigner la lèpre dont il était affligé101. Le contraste entre ces deux types de royauté, et l’association entre une royauté mauvaise et le massacre d’innocents, n’auraient pu être plus claire, dans le contexte de Christ Church. Les thèmes développés dans les verrières du chœur de Christ Church trouvèrent donc une expression similaire dans la liturgie célébrée par la communauté. On ne peut que regretter que la disparition totale des vitraux consacrés à la vie de saint Thomas ne permette pas de poursuivre cette comparaison. En revanche, les vitraux des cathédrales de Chartres, Angers et Coutances semblent insister sur une comparaison entre Henri II et Louis VII, qui se fait au bénéfice de ce dernier. Les scènes qui furent choisies pour ces récits montrent en effet le souverain français sous le jour favorable du médiateur bienveillant qui non seulement accueillit l’archevêque en fuite, mais s’efforça à plusieurs reprises de restaurer le dialogue entre les deux partis. Les commanditaires des verrières de Coutances et d’Angers semblent avoir voulu insister sur les événements incriminants pour Henri II, et à Chartres, on valorise le rôle de médiateur et de protecteur des intérêts de la papauté du roi de France, alors que Henri II est représenté conseillé par un petit diable102. Thomas Becket était donc présenté comme un martyr dont la mort à l’instigation du roi avait des précédents nombreux dans l’Histoire sainte, et comme un type du Christ, à travers, entre autres, l’image du Bon Pasteur. Cette image est associée dans la liturgie à la cause de la liberté de l’Église, qui est la raison du martyre de Becket. Il n’est en effet guère surprenant que le thème de la pastorale et du soin des âmes – implicite dans l’image évangélique – soit quelque peu passé sous silence : Thomas Becket ne devint prêtre que la veille de son accession au siège archiépiscopal, et passa la majeure partie de son pontificat en exil, une des critiques principales de ses opposants, au premier rang desquels l’évêque de Londres, Gilbert Foliot. Distant envers la communauté dont il était nominalement abbé, il ne semble

SB, I, cclxxii-cclxxiii, lectio iii de l’office de saint Sylvestre, célébré deux jours après celui de saint Thomas. 102 C. Brisac, 228 et 231; C. Manhès-Deremble, 251. 101



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pas non plus s’être tellement soucié des ouailles de son diocèse. L’activité pastorale de l’archevêque n’a en effet guère laissé de traces dans les sources, hormis quelques instances de prédication, notées essentiellement pour leur liens avec les excommunications et les anathèmes prononcés par l’archevêque103. Les récits des Vitae rapportent cependant que lors de son retour en Angleterre le 2 décembre 1170, il fut accueilli par des foules en liesse, à la fois à Sandwich et à Canterbury, ce qui renforce encore le parallèle avec le récit de la Passion, en rappelant l’entrée du Christ à Jérusalem lors des Rameaux104, et le vitrail de Sens le représente plusieurs fois célébrant la liturgie entouré par un groupe nombreux ; mais il s’agit peut-être plus de représentations conventionnelles que de références à des événements avérés. Les hagiographes, plutôt que de risquer le discrédit et le ridicule, semblent avoir choisi d’étendre le concept de « troupeau » ; pour eux, il ne s’agit plus seulement des âmes du diocèse de Canterbury directement placées sous la responsabilité de l’archevêque, mais de l’Église dans son ensemble. À de nombreuses reprises, les lectiones de l’office présentent Thomas Becket comme le champion du droit de l’Église anglaise contre les coutumes royales (lectio i), mais également de l’Église en général (lectio iii, lectio viii). Le point culminant est atteint avec les derniers mots prononcés par l’archevêque au moment d’expirer, lorsqu’il recommande non seulement son âme, mais surtout la cause de l’Église à Dieu, la Vierge, saint Denis et aux saints patrons de la cathédrale (lectio vi). L’intention semble ici claire : le rédacteur de la passio identifie complètement le destin de Thomas Becket à la cause de la défense des libertés de l’Église. Edward Grim fait dire à l’archevêque blessé à mort : « pro nomine Jesu et ecclesia tuitione mortem amplecti paratus sum »105. Ainsi, les accusations de fuite et de péché d’orgueil étaient écartées, et rendues complètement invalides : Thomas Becket ne cherchait pas à se protéger lui-même, et ne refusait pas par arrogance de chercher un compromis, mais s’efforçait de protéger toute l’Église mise en péril par l’attitude du roi, qui mettait également en danger le salut de tous les chrétiens. Les reproches d’entêtement et d’inflexibilité qui lui furent adressés se trouvaient ainsi réfutés, car la cause qu’il défendait le dépassait largement et il

Par exemple William FitzStephen, Materials, iii, 130. William FitzStephen, Materials, iii, 118-119. 105 « Au nom de Jésus et pour la défense de l’Église, je suis prêt à accepter la mort », Materials, ii, 437. 103 104



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n’était pas libre d’accepter un compromis au nom de l’Église ; cela permit aux hagiographes « de dépasser les limites légalistes de la controverse, et de présenter les questions en termes moraux et théologiques, érigeant Becket en champion de la vérité »106. Par ses actions et par ses paroles tout autant que par sa mort, saint Thomas est présenté par les hagiographes comme ayant largement mérité la palme du martyr. Et parce que sa mort associe les caractéristiques du martyre blanc et celles du martyre rouge, la conclusion implicite est qu’il était au moins l’égal en valeur de tous les martyrs et tous les saints du passé. Tous ces thèmes, l’homme nouveau, le Bon Pasteur, le défenseur de l’Église, le martyr, le saint thaumaturge, et le type du Christ, les aspects les plus populaires tout autant que les éléments les plus subtils de la controverse légale et théologique, furent mis en place dès le début de 1171 dans la lettre de Jean de Salisbury, et furent repris et développés dans toutes les Vitae. Saint Thomas devint également rapidement un sujet courant pour la prédication. De nombreux sermons, composés dans toute la deuxième partie du Moyen Âge, font en effet usage de sa vie pour illustrer divers points. Phyllis B. Roberts relève dans son inventaire plus de 180 sermons en latin traitant de Thomas Becket entre 1170 et 1400107. Ces sermons semblent faire usage des mêmes images et des mêmes thèmes que la liturgie, c’est-à-dire essentiellement la défense des libertés de l’Église, issus principalement des leçons de l’office qui, comme le note A. Duggan, « représentent probablement la plus ancienne tradition en provenance de Canterbury »108. Il s’agit de l’image du Bon Pasteur, du second Abel ou du nouveau Zacharie, de l’homme de Dieu qui imite la passion et la mort du Christ, offrant sa vie pour la défense de l’Église. Le résultat est la production d’une image universelle, qui explique peut-être le succès fulgurant du culte. Cependant, il faut noter qu’il s’agit ici uniquement des sermons en latin ; le XIIIe siècle étant marqué par l’essor de la prédication en langue vernaculaire, il est probable que ces textes s’adressaient en priorité à un public relativement

« to proceed beyond the legalistic confines of the conflict, and present the issues in moral and theological terms, with Becket as the champion of truth », M.W.J. Staunton, 1994, 205. 107 P.B. Roberts, Thomas Becket in the Medieval Latin Preaching Tradition. An Inventory of Sermons about Thomas Becket, c. 1170-c. 1400, The Hague, 1992. 108 « probably represent the most ancient tradition emanating from Canterbury », 1982, 33. 106



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familier avec le latin, en premier lieu le clergé. Il semble en effet que le culte de Thomas Becket, au moins dans son aspect politique de défense de la liberté de l’Église, ait reçu un accueil favorable et rapide dans des régions d’Europe où le conflit entre regnum et sacerdotium était particulièrement violent ou polarisé. Les prélats en difficulté avec leurs suzerains laïcs firent facilement de l’archevêque un modèle à suivre. Cela fut certainement le cas d’Étienne Langton, mais on peut également penser à des régions aussi diverses que la Norvège, la Pologne ou la Vénétie où des ecclésiastiques voyaient dans leur situation vis-à-vis des pouvoirs temporels des similarités avec l’histoire de Thomas Becket109. On constate donc que les thèmes présentés pour la première fois dans la liturgie du 29 décembre en 1173 furent utilisés pendant tout le reste du Âge pour illustrer le sujet de la défense de la liberté de l’Église, et qu’un usage politique du martyre fut fréquemment fait. La liturgie et l’iconographie constituèrent donc pour les moines des outils de premier ordre pour créer, pratiquement de toutes pièces, l’image de Thomas comme « l’Agneau de Canterbury », victime innocente de la violence irraisonnée d’un roi-tyran, champion de la cause de la liberté de l’Église face aux empiètements du souverain, et saint dont le destin réunit les qualités de l’ascèse et du martyr. Ces représentations reflètent le désir des partisans de l’archevêque de répondre point par point aux accusations de ses détracteurs, et d’accentuer les parallèles entre les souffrances du prélat et celles du Christ, en insistant sur les thèmes du sacrifice et du sang rédempteur du martyr. 7.2. “Aqua sancti Thomae” Un des motifs qui reviennent le plus souvent dans la liturgie du 29 décembre et dans les verrières de la Trinity Chapel est celui du sang de Thomas Becket, répandu par les assassins, et son rôle dans les guérisons miraculeuses effectuées par le saint. L’importance de ce thème, en relation avec le culte de l’archevêque qui se développe rapidement à Christ Church, mais aussi en relation avec les autres parties du programme iconographique des verrières de la cathédrale, en particulier les verrières typologiques, ne saurait être sous-estimée.

Pour la Norvège et la Pologne, cf. A. Duggan, 1982, 24-25 ; pour la Vénétie, S. Piussi, 389-393. 109



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Dans les verrières du déambulatoire de la Trinity Chapel, l’identification avec le Christ, commencée par la liturgie de l’office et par les Vitae, trouve ici une expression plus littérale. Dans l’utilisation de ce thème, le culte populaire du saint, fondé sur la vénération des reliques et l’espoir de guérisons miraculeuses, rejoint le culte plus érudit et théologique. La Passio de l’office décrit ainsi les conséquences du meurtre :  A clamore namque sanguinis hujus commota est et contremuit terra, sed et virtutes caelorum motae sunt, adeo ut quasi in ultionem sanguinis innocentis surgerte gens contra gentum et regnum adversus regnum, immo ut regnum in seipsum fieret divisum : terroresque de caelo et signa magna fierent110.

L’effusion de sang dans la cathédrale provoqua, au dire des hagiographes, de grandes turbulences dans le royaume. Mais le sang du martyr, de même que le sang du Christ, fut à l’origine de bien d’autres prodiges. Dans l’état où les verrières nous sont parvenues, vingt-cinq des quarante-deux miracles représentés sont identifiables de façon pratiquement certaine111. Ils sont tous tirés des deux recueils compilés à Christ Church entre 1171 et 1180 environ, par Benoît de Peterborough et Guillaume de Canterbury, deux moines de la communauté112. Ils décrivent bien entendu la puissance thaumaturgique de saint Thomas, mais ils insistent en particulier sur certains thèmes qui relient cette partie du programme iconographique au reste des vitraux de la cathédrale, en particulier les verrières typologiques. Alors que la plupart des saints médiévaux effectuent des miracles par simple contact avec leur reliques, voire simplement à la suite d’une prière, le modus operandi de saint Thomas présente la particularité d’impliquer la consommation du sang du martyr. Cette utilisation du sang du saint pour effectuer des cures miraculeuses était unique à Canterbury113. Alors même que la cathédrale, souillée par le meurtre, ne fut rouverte aux célébrations liturgiques que le 21 décembre 1171, des gué-

« La terre fut vraiment ébranlée par le cri de ce sang. Elle trembla, et même les pouvoirs célestes furent troublés, de sorte que, comme s’il se fut agit de venger le sang innocent qui avait été répandu, les nations se dressèrent les unes contre les autres, et les royaumes contre les royaumes ; ou plutôt le royaume fut divisé contre lui-même, et l’on vit des signes prodigieux dans les cieux », lectio ix, SB, I, cclviii. 111 ESG, 147. 112 Materials, i et ii. 113 ESG, 149. 110



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risons miraculeuses commencèrent à se produire au nom de l’archevêque martyr dès le lendemain du meurtre. Les premiers miracles furent effectués par des infusions d’eau mêlée d’un peu de sang recueilli sur le lieu où l’archevêque était tombé114, et bientôt l’habitude fut prise d’administrer ce remède aux pèlerins qui se présentaient en quête de guérison115. Dès 1171, il fallut nommer un moine pour accueillir les visiteurs et garder la trace de tous les prodiges qui se produisaient dans la cathédrale ou dont la communauté était informée par des pèlerins reconnaissants ; cette tâche échut à Benoît de Peterborough, puis, quand il lui devint difficile de faire face au nombre considérable de miracles rapportés, Guillaume de Canterbury se joignit à lui116. Cette profusion d’instances miraculeuses atteste du succès populaire de saint Thomas. Les vitraux du déambulatoire de la Trinity Chapel commémorent cette action du saint par un ensemble iconographique d’une ampleur rarement égalée dans l’art médiéval : sur les douze verrières entourant cette partie du sanctuaire, dix au moins étaient consacrées aux récits de guérisons miraculeuses effectuées par le saint (n. V à n. II – s. II à s. VII ; figure 1). Alors même que Thomas Becket représente un cas rare de saint n’ayant pas accompli de miracles avant sa mort, le programme mis en place par la communauté semble avoir insisté principalement sur cet aspect du culte de l’archevêque. Les Vitae et la liturgie ne font mention qu’en passant des prodiges accomplis par saint Thomas, et les autres verrières ou images consacrées à l’archevêque, pour autant que cela puisse être établi avec certitude, n’en montrent aucun. Il semble donc qu’on a affaire ici à l’expression d’une facette très particulière du culte, qui n’a pas nécessairement laissé de trace dans les manifestations plus intellectuelles du culte, tels la liturgie, les offices ou les Vitae. Dans les vitraux, les pèlerins en quête de guérison sont fréquemment représentés en train de boire une concoction à base du sang du martyr, l’« aqua sancti Thomae », « l’eau de saint Thomas », ainsi qu’est appelé le remède dans une inscription de la verrière n. II (17), comme par exemple William de Londres (n. V, 7), Ethelreda (n. IV, 7 ; figure 15) ; Hugh de Jervaux (n. III, 9), Richard Sunieve (n. II, 57) ; ou encore Adam (s. II, 17). Et un des « souvenirs » qui pouvait être ramené du pèlerinage était une petite fiole ou ampoule de métal

William FitzStephen, Materials, iii, 150. Benoît de Peterborough, Materials, ii, 42. 116 Guillaume de Canterbury, Materials, i, 138. 114 115



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censée contenir quelques gouttes du précieux liquide117. Il ne s’agit pas de la seule méthode employée par le saint pour guérir ceux qui venaient implorer son secours ; de nombreux miracles étaient effectués par un simple contact avec la tombe de Thomas Becket ou même par un vœu fait à distance, comme par exemple le premier miracle rapporté par Benoît118. Mais l’insistance sur l’ingestion du sang du martyr est intéressante, parce qu’elle provoque une comparaison, presque une identification, avec le sang du Christ qui est consommé lors du sacrifice eucharistique. Il semble que les moines aient initialement été très réticents à l’égard de cette façon inhabituelle de procéder, et qu’ils aient hésité à promouvoir le culte dans un premier temps, en raison de cette comparaison avec le sacrifice eucharistique – outre le fait qu’ils redoutaient que les pèlerins ne soient repoussés par cette pratique inhabituelle119. Les moines ont peut-être cherché à souligner consciemment l’identification de Thomas Becket au Christ, mais les concepteurs des vitraux se sont gardés de pousser les parallèles visuels trop loin. Dans les verrières, le récipient dans lequel le sang est présenté aux pèlerins est clairement un bol ou un flacon, non un calice (n. IV, 35 et 7 ; n. III, 9 ; s. II, 17 ; figure 15). Dans une certaine mesure, l’analogie d’un saint avec le Christ est traditionnelle dans l’hagiographie, et ne présente rien de particulièrement novateur. Il était en effet tout à fait courant dans les Vitae et les Passiones de mettre en avant la dimension christique du destin des martyrs et des confesseurs, car « à la fois l’origine de la structure des hagiographies et l’intention première des vies de saints est l’imitation du Christ. L’histoire du saint produit un modèle complètement achevé de l’imitation du Christ avec son complément de pitié et de joie évoqués, un modèle disponible ici et maintenant »120.

Finucane, 1995, 67. L’histoire de ces « ampullae » est retracée par Brian Spencer dans le catalogue de l’exposition Age of Chivalry, édité par J. Alexander & P. Binski, et illustrée par de nombreux exemples (218-222). 118 Materials, ii, 37. 119 F. Barlow, 1986, 265. 120 « both the origin for hagiographic structure and the ultimate intent of saints’ lives is the imitation of Christ. The saintly story produces a fully realized model of the imitation of Christ with its full complement of evoked pity and joy, a model available here and now », C. Hahn, 1990, 6. 117



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Cependant même si Thomas Becket est explicitement comparé au Christ : Ut quemadmodum Christi sanguis animae a morte perpetua revocatae vitam confert sempiternam, ita et martyris cruor exanimi corpori vitam reddat temporalem121,

la comparaison ne va cependant pas si loin que Thomas Becket est présenté comme un nouveau Christ, un nouveau Messie, ce qui aurait constitué une proposition dogmatiquement dangereuse : il se contente de guérir les corps, laissant le soin des âmes au Christ. Une des raisons pour lesquelles le culte de Thomas Becket reçut un accueil populaire aussi enthousiaste et se répandit aussi rapidement, non seulement au sein du clergé, mais également – et peut-être surtout – parmi les laïcs, était qu’il proposait un modèle de conversion absolue d’un mode de vie séculier à une ascèse monastique néanmoins engagée dans le monde. Cet engouement quasi-universel pour un saint qui, durant sa vie terrestre avait été une figure difficile et controversée, atteste du succès des hagiographes et des liturgistes à créer une image qui fournissait « un modèle exaltant et crédible pour la dévotion »122. Dans une certaine mesure, parce que Thomas Becket n’avait pas, pendant sa vie, présenté les éléments traditionnels de la sainteté – sa conversion et son mode de vie ascétique faisaient certes de lui un prélat exemplaire, mais non un saint – ses biographes purent insister sur ce qu’ils considéraient comme les caractéristiques propres de l’archevêque. Mais ce qui est particulièrement frappant dans le cas de saint Thomas, c’est l’insistance consciente et systématique sur le parallèle avec le Christ. Les miracles accomplis par saint Thomas ont une forte connotation biblique : les chants de l’office de matines décrivent comment « ornat visu privatos oculis » et « mundat leprae conspersos maculis, solvit mortis ligatos vinculis »123, et la lectio ix ajoute que Primo tamen martyrii sui tempore, inusitatis coepit martyr choruscare miraculis : caecis visum, claudis gressum, surdis auditum, loquelam mutis

121 « De même que le sang du Christ apporte la vie éternelle à l’âme qui a été rappelée de la mort irrévocable, le sang du martyr redonne la vie temporelle au corps privé de son âme », Benoît de Peterborough, Materials, ii, 234. 122 « an inspiring and credible model for devotion », K.B. Slocum, 2004, 4. 123 « il donne la vue à ceux privés d’yeux », et « il purifie ceux couverts des marques de la lèpre, libère ceux enchaînés par la mort », SB, I, cclvii.



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l’agneau de canterbury resituens. Deinde leproso mundans, consolidans paralyticos, ydropsim et omnium morborum incurabilium genera curans, resuscitans mortuos124.

Tous ces miracles furent accomplis par le Christ au cours de sa vie125. Le modelage de la figure de Thomas Becket sur celle du Christ, commencé dans la liturgie, est poursuivi dans les récits des miracles effectués par le saint, et les vitraux de la Trinity Chapel lui donnent une expression visuelle tout à fait frappante. Ainsi, on peut y voir des paralytiques (William of London, n. V, 7), des aveugles (Julian of Rochester, n. II ; 69 et 71), ainsi que des lépreux (Richard Sunieve, n. II, 3 et 6), remercier le saint pour leur guérison miraculeuse. À plusieurs reprises, des morts sont également ramenés à la vie grâce à l’intervention de saint Thomas (Jordan FitzEisulf, n. II, 20 ; Warin, s. VI, 32). Le parallèle avec les miracles effectués par le Christ est clairement établi dans le programme iconographique, car les verrières typologiques proposaient plusieurs exemples tirés du Nouveau Testament. Ces exemples, tels la guérison d’un lépreux (Matt. 8, 2-3 ; n. XIII, 8), celle d’un paralytique à la piscine de Bethesda (Jean 5, 2-9 ; n. VIII, 32) ou encore la résurrection de Lazare (Jean 11, 43-44 ; s. XII, 30), correspondent aux miracles illustrés par les verrières de la Trinity Chapel. Il est malheureusement impossible de reconstituer la façon dont ces scènes étaient représentées ; mais on peut supposer que les concepteurs des vitraux et les artistes purent chercher à créer des échos visuels entre les miracles du Christ et ceux de saint Thomas. Ce parallèle est une constante du culte de saint Thomas, et la liturgie de la translation de 1220 le reprend et le démultiplie : les miracles qui y sont intégrés rapportent tous comment le saint sauve de la mort et ramène à la vie ceux qui placent leur confance en lui126. La description de la translation du corps de l’archevêque elle-même évoque une comparaison avec la passion et la résurrection du Christ, en citant l’Évangile selon saint Marc pour décrire l’état d’esprit des prélats chargés d’ouvrir la tombe de Thomas Becket. Ceux-ci, comme les

« toutefois, au cours dans premiers jours après sa passion, le martyr commença à briller à travers des miracles extraordinaires, permettant aux aveugles de voir, aux boiteux de marcher, aux sourds d’entendre, aux muets de parler, et par la suite purifiant les lépreux, fortifiant les paralytiques, guérissant l’hydropisie et toutes sortes de maladies incurables, et ressuscitant les morts », lectio ix, SB, I, cclvii. 125 Matt. 11, 5. 126 Lectiones viii et ix ; S. Reames, « Liturgical Offices », 587-589. 124



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saintes femmes arrivant au tombeau de Jésus le dimanche matin, se demandent en effet « Qui nous roulera la pierre hors de l’entrée du tombeau ? » (Marc 16, 3)127. Le thème du sacrifice, qui domine la liturgie du 29 décembre, est dans les verrières des miracles complété par un thème à forte dominante eucharistique : grâce au sang répandu lors du sacrifice du martyr, les maux physiques sont guéris. L’action de l’eau de saint Thomas est célébrée dans l’une des antiennes chantées à laudes le jour de la Natalitio : Aqua Thoma quinquies Varians colorem In lac semel transiit Quater in cruorem128

La transformation miraculeuse de l’eau teintée de sang de l’archevêque évoquait ainsi de façon très explicite l’événement central qui se produisait lors du sacrifice eucharistique. Le « meilleur des médecins » avait même le pouvoir de ramener les morts à la vie129. Benoît de Peterborough va jusqu’à appeler l’archevêque l’ « Agneau de Canterbury », par similitude avec l’Agneau de Bethléem130. L’Agneau de Canterbury avait par ailleurs été sacrifié « coram altari », devant l’autel du chœur, et l’absence d’article défini en latin permit la confusion entre le maître autel de la cathédrale et l’autel de saint Benoît, renforçant ainsi l’assimilation du martyre à la crucifixion et à l’eucharistie. Cette création de l’image de l’« Agneau de Canterbury » donne à l’histoire du martyr une résonance universelle, qui correspond à l’intention de faire de Thomas Becket le champion de l’Église toute entière qui a été identifiée dans la liturgie de l’office. Ainsi, d’après

Si l’on admet l’hypothèse que le jeu liturgique de la Visitatio Sepulchri instauré par la Regularis Concordia était peut-être encore pratiqué à Christ Church au début du XIIIe siècle, alors cette citation devait constituer pour les moines de la communauté une référence à une des cérémonies liturgiques les plus importantes de l’année. Le texte de l’office de la translation de 1220 utilise par ailleurs de nombreuses oppositions entre obscurité et clarté, hiver et été, mort et renaissance, qui sont des images qui font également partie intégrante du vocabulaire de la Semaine Sainte et de Pâques. 128 « L’eau de saint Thomas, changeant de couleur cinq fois, fut transformée une fois en lait, et quatre fois en sang », SB, I, cclviii. 129 On en trouve plusieurs exemples dans les verrières : s. VI, 8, 11, 13, 14-15 et 16. 130 Materials, ii, 43. 127



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Benoît, « ne ullius martyris passionem facile credimus inveniri quae passioni Dominicae tanta similitudini respondere videatur »131. Rien ne fut laissé au hasard par les concepteurs des vitraux et par les créateurs de la liturgie, qui s’employèrent à glorifier l’histoire de leur martyr, et l’effet produit est parfois moins que subtil. Les échos entre l’iconographie et la liturgie sont nombreux, ainsi qu’entre les différentes parties du programme iconographique, tissant un réseau dense de références mutuelles, qui contribuent à créer une image de Thomas Becket comme l’archétype à la fois du martyr et du confesseur, réunissant les qualités de l’évêque et celles du moine, et comme héros de la liberté de l’Église. 7.3. Un triomphe tout relatif Thomas Becket fut-il un de ces « personnages historiques qui, par leur mort, ont remporté la victoire pour laquelle ils se sont battus pendant leur vie »132 ? Les biographes de l’archevêque n’en doutèrent pas un seul instant. L’énormité du crime commis semblait appeler une pénitence exemplaire, et la réaction des partisans de l’archevêque ne se fit pas attendre. Le culte fut construit en grande partie autour de la présentation de saint Thomas comme le champion de la liberté de l’Église, un thème qui fut développé à l’envie par les hagiographes, par la liturgie, et par les sermons. Le meurtre de l’archevêque de Canterbury dans sa cathédrale le 29 décembre 1170 demeure incontestablement un des épisodes les plus dramatiques du conflit qui opposa, avec plus ou moins de violence, l’Église aux pouvoirs séculiers pendant les XIe et XIIe siècles. Paradoxalement, peut-être, nombre de chroniqueurs contemporains et d’auteurs présentèrent la pénitence imposée à Henri II comme insuffisante, sans rapport avec la gravité du crime commis, et même parmi des auteurs plus récents, « le consensus général semble être qu’Henri II n’exécuta que la plus superficielle des expiations pour le meurtre de l’archevêque, et que le crime du siècle fut pratiquement escamoté par des considérations de statut et de diplomatie. Au final, la Realpolitik l’emporta sur les exigences

131 « il serait difficile de trouver un autre martyr dont la passion est si similaire à celle du Seigneur », Benoît de Peterborough, Materials, ii, 18-19. 132 « historical figures who by their death have won the victory for which they struggled in life », H. Mayr-Harting, 1965, 39.



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légales et religieuses de la confession, de la satisfaction et de la pénitence »133. Cet événement tragique eut des répercussions durables sur les relations entre l’Église et le roi en Angleterre. Le parti de l’archevêque s’attacha dans les semaines qui suivirent le meurtre à mettre en avant la victoire, au moins morale, de la cause de la liberté de l’Église, défendue par Thomas Becket. Comme il a déjà été mentionné, la sainteté même de l’archevêque avait été mise en doute, et il importait de présenter sa victoire contre le roi comme totale134. Cependant, la version de cet événement et de ses conséquences proposée par le roi et son parti diffère, parfois de façon sensible, du récit issu de Christ Church et des membres de l’entourage de Thomas Becket. De toute évidence, d’importantes questions politiques étaient en jeu. Quelles furent réellement les conséquences de cette querelle et de son issue tragique sur les relations entre l’Église et le roi en Angleterre ? On peut se demander dans quelle mesure le meurtre de Thomas Becket constitue un moment tellement décisif dans l’histoire de la monarchie anglaise au Moyen Âge, et s’il est vraiment possible de dire que la papauté et sa politique émergèrent victorieuses de ce conflit avec le pouvoir séculier. L’accord conclut à Avranches entre Henri II et les légats pontificaux entérinait la réconciliation du roi et de l’Église ; mais parce qu’il affaiblit quelque peu la position et l’autorité du roi, il sembla faire pencher la balance en faveur du pouvoir du pape. Il convient néanmoins de souligner que le résultat de la réconciliation d’Avranches est moins clairement défini qu’il n’y paraît au premier abord, et qu’il s’agit peut-être davantage d’un compromis inévitable pour les deux partis que de la victoire absolue de l’un sur l’autre. Au cours des quelques années qui suivirent l’assassinat de Thomas Becket, l’attitude du roi vis-à-vis du martyr semble avoir subi une évolution considérable, qui a parfois été mise en relation avec les événe-

« the general consensus seems to be that Henry II performed the most superficial expiation for the murder of his archbishop, and that the crime of the century was finessed almost out of existence by considerations of diplomacy and status. In the end, Realpolitik outweighed the legal and religious requirements of confession, satisfaction, and penance », A. Duggan, 1998, 266. 134 Il a été avancé que la canonisation de Thomas Becket fut la première d’une série de canonisations – ou du moins de tentatives de sanctifications – de personnages liés de près au parti d’opposition au roi au XIIIe siècle, tels Hughes de Lincoln, Étienne Langton, Robert Grosseteste ou encore Simon de Montfort, institutionnalisant et justifiant ainsi la résistance à l’autorité royale, J.C. Russell, 290. 133



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ments qui affectaient son royaume et sa politique. Dans un premier temps, Henri II chercha à se disculper et à rejeter la faute sur Thomas Becket, l’accusant d’être revenu en Angleterre non pour faire la paix, mais avec des intentions aggressives et vindicatives135. Peu enclin à risquer d’être excommunié, il accepta cependant de s’en remettre au pape et au jugement de ses légats. Ceux-ci, après d’âpres négociations, imposèrent une pénitence sévère au roi. Le 21 mai 1172, Henri II dut, au cours d’une cérémonie publique devant la cathédrale d’Avranches, s’humilier devant un large parterre de dignitaires ecclésiastiques et laïques de ses territoires136. Cette cérémonie fut partiellement copiée sur la cérémonie de réconciliation des pénitents le Jeudi saint137, et l’accord conclu avec les légats entérinait le renoncement d’Henri II aux clauses des Constitutions de Clarendon qui avaient été à l’origine du conflit avec Thomas Becket, en particulier celles relatives à la liberté de faire appel à Rome dans les litiges ecclésiastiques138 et imposait au roi une série de mesures expiatoires assez spectaculaires telles que de financer l’envoi pour un an en Terre Sainte de deux cents chevaliers, ou la promesse de se croiser lui-même pour aller combat-

Ob reverentiam, lettre adressée à Alexandre III au début de 1171, Materials, iv, dccxxxix, 440. 136 Cette cérémonie fut répétée le 30 mai à Caen. Plusieurs textes rapportent les mesures acceptées par le roi, avec différents degrés de précision et parfois des variations et des omissions importantes, en fonction du point de vue qu’ils expriment. Il s’agit des rapports et des lettres envoyés par les légats pontificaux après Avranches ; de Ne in dubium, la confirmation de l’accord envoyée par les cardinaux à Henri II (Materials, vii, dclxxii, dcclxxiv et dcclxxv, 516-518 et 520-523) ; du fragment de la bulle de septembre 1172 confirmant l’acceptation du pape, CS, 955-956, et le passage de la vie d’Alexandre III dans le Liber pontificalis (édité par L. Duchesne, Paris: Ernest Thorin, 1892, II, 425-426) ; de la lettre envoyée par Henri II aux évêques anglais (Materials, vii, dcclxxiii, 518-519) ; et de diverses chroniques contemporaines (The Chronicle of Robert of Torigny, éditée par R. Howlett, Rolls Series 82, iv, London, 1889 ; Chronica Magistri Rogeri de Houedene, éditée par W. Stubbs, Rolls Series 51, ii, London, 1869 ; The Historical Works of Master Ralph de Diceto, édités par W. Stubbs, Rolls Series 68, I, London, 1876 ; et le rapport anonyme Primo dominus rex, Materials, vii, dcclxxi, 513-516). La chronologie de tous ces textes est quelque peu confuse, en grande partie en raison de l’erreur commise par Roger of Howden dans sa chronique, où il date la réconciliation du roi de septembre 1172. Cette erreur fut reprise telle quelle par plusieurs chroniqueurs, dont Gervais. A. Duggan a montré de façon convaincante que Ne in dubium, la lettre envoyée par les légats pontificaux à Henri II, constitue bien l’accord final et officiel conclut à Avranches, et propose une reconstruction de ce texte si important (2000, 652-658). 137 SM, 102-104. Il est possible qu’Henri II avait initialement prévu que cette cérémonie aurait lieu pendant la Semaine Sainte, afin de pouvoir célébrer Pâques le 10 avril 1172 avec faste. Cependant, son retour d’Irlande fut repoussé à plusieurs reprises à cause du mauvais temps, et il ne put arriver en Normandie avant la mi-mai 1172 (A. Duggan, 2000, 643644). 138 Chronica Magistri Rogeri de Houedene, 35 et 39. 135



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tre les Sarrasins en Espagne139. Les autres personnages impliqués dans la querelle, en particulier l’archevêque de York, Roger de Pont-l’Évêque, et les archevêques de Londres et de Salisbury, qui avaient été suspendus et excommuniés par Thomas Becket à la suite du couronnement du fils d’Henri II en juillet 1170, reçurent l’absolution du pape et furent réinstallés dans leurs fonctions, ce qui sembla à beaucoup, dans le parti pro-Becket, une offense à la mémoire du martyr. L’opinion la plus couramment exprimée par les historiens qui ont étudié le conflit et sa résolution est que l’accord qui fut conclu à Avranches en mai 1172 entre Henri II et les légats pontificaux Albert et Théodwin fut essentiellement un compromis, qui permit aux deux partis de sauver la face tout en préservant le fragile équilibre politique qui prévalait alors en Europe140. Il est vrai que ni Henri II, ni Alexandre III ne pouvaient en 1171-1172 se permettre d’aliéner l’autre. Henri II ne pouvait avoir des exigences trop catégoriques, car son implication, réelle ou supposée, dans le meurtre de Thomas Becket constituait un scandale majeur qui pouvait ébranler son autorité en profondeur. Alexandre III, de son côté, avait besoin du soutien du souverain anglais dans son conflit avec l’empereur allemand et les anti-papes manipulés par celui-ci. De plus, la longue querelle à propos des Constitutions de Clarendon, l’exil de Thomas Becket en France où il se plaça sous la protection du roi Louis VII141, les anathèmes, interdits et excommunications prononcés par l’archevêque de Canterbury, avaient affaibli l’Église d’Angleterre, et une réconciliation rapide était nécessaire. La partie la plus importante de l’accord était cependant que le roi dut jurer d’abandonner les mesures proposées au Concile de Clarendon142 et qu’il dut promettre obéissance au pape. Sur le plan symbo-

Materials, vii, dcclxxii, 517. F. Barlow, 1986, 261-262 ; P. Kidson, 975. 141 Le souverain français est un personnage central du conflit entre Henri II et Thomas Becket ; il semble ne jamais avoir manqué d’exploiter les situations qui pouvaient affaiblir son voisin et vassal, Henri II. Il offrit asile à Thomas Becket en 1164, et jusqu’en 1170, se présenta à plusieurs reprises comme un intermédiare nécessaire dans les efforts de réconciliation entre Thomas et Henri (ainsi à Montmirail en 1169) ; il condamna immédiatement le meurtre (Materials, vii, dccxxxiv, 428-429), et afficha sa dévotion au culte de l’archevêque martyr, se rendant en pèlerinage à Canterbury en 1179 afin d’obtenir la guérison de son fils Philippe. En 1173, il offrit son soutien au jeune roi Henri, le fils d’Henri II, alors en rébellion ouverte contre son père (W. Urry, 1999, 157-158). La verrière consacrée à saint Thomas dans la cathédrale de Chartres insiste sur le rôle de conciliateur tenu par Louis VII pendant l’exil de Thomas Becket en France (C. Brisac, 1975, 228 ; C. Manhès-Deremble, 251). 142 Chronica Magistri Rogeri de Houedene, 35 et 39. 139 140



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lique aussi bien que sur le plan pratique, le roi fut donc contraint de céder. La publicité qui entoura le serment «  montre que le pape et les cardinaux faisaient grand cas de qu’ils avaient obtenu: la réconciliation complète d’un des rois les plus puissants de la chrétienté occidentale à la cause et au parti du pape Alexandre »143. Le pape et les légats semblent avoir voulu donner un maximum de publicité à cet issue favorable : toutes les sources émanant du parti pontifical mentionnent le serment du roi, les cardinaux précisant même que le fils du roi prêta également serment144. L’image d’un roi puissant à genoux devant la cathédrale d’Avranches puis quelques jours plus tard à nouveau devant celle de Caen, et demandant humblement aux représentants du pape de l’absoudre145, puis étant mené par l’évêque à l’intérieur de l’église, pourrait être décrite comme emblématique des nouvelles relations entre l’Église et la monarchie. Ce fut pour la papauté une occasion d’affirmer publiquement sa supériorité sur le pouvoir laïc. L’« affaire Becket » semblait donc se conclure en déroute pour Henri II, dont l’autorité se trouva en conséquence ébranlée. Cependant, Anne Duggan a bien montré comment Henri II, même s’il avait lui-même insisté sur le caractère public de la cérémonie effectuée à Avranches, parvint à éviter les signes les plus visibles de la pénitence, tel le port des vêtements pénitentiels, l’arrivée pieds nus devant l’église ou encore l’imposition de la discipline146. Le roi tenait à un geste public, mais limita les aspects les plus humiliants, et par conséquent le tort qui pouvait être fait à son image publique. Il n’exprima aucun remords publiquement, et, dans les lettres envoyées aux évêques anglais, il s’efforça de jeter un jour favorable sur l’accord conclu avec les légats, en particulier en ce qui concerne la clause relative aux coutumes auxquelles il doit renoncer, qu’il estime être « aut paucas aut nullas »147. Il semble donc qu’en 1172, les « considérations de statut et de diplomatie » prévalurent. Dans les années qui suivirent le Concordat d’Avranches, l’autorité d’Henri II fut cependant remise en cause de tous côtés, et l’unité du

« shows that the pope and cardinals set much store by what they had achieved: the full reconciliation of one of the most powerful kings in western Christendom to the Alexandrine cause and party », CS, 951. 144 Chronica Magistri Rogeri de Houedene, 38 and CS, 953. 145 The Historical Works of Master Ralph de Diceto, 352. 146 A. Duggan, 1998, 277-278. 147 « peu nombreuses ou non-existantes », lettre d’Henri II à Bartholomew, évêque d’Exeter, Materials, vii, dcclxxiii, 519. 143



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royaume fut compromise. Le lien entre l’accord de 1172 et les problèmes auxquels le roi fut confronté est souligné par le fait que le jeune roi – qu’Henri II avait fait couronner par l’archevêque d’York en 1170 – en pleine rebellion contre son père en 1173-1174, essaya de se présenter comme le champion de la cause de l’Église, s’alliant avec le roi de France et déclarant qu’il était opposé aux Constitutions de Clarendon, afin d’obtenir le soutien de la papauté dans sa lutte contre son père148. Défendre la cause de la liberté de l’Église – ou du moins se présenter comme le champion de cette cause – était donc devenu un instrument politique puissant. Cette impression est confirmée par la dernière lectio de l’office du 29 décembre, qui décrit comment toutes sortes de maux se déchaînèrent sur le royaume en conséquence du meurtre de l’archevêque. Le forfait d’Henri fut puni par la rébellion de son fils et par les attaques de ses ennemis, le roi d’Écosse, le roi de France et le comte de Flandres. Le créateur de la liturgie du 29 décembre a pu inclure une référence consciente à cet événement, lorsqu’il écrit adeo ut quasi in ultionem sanguinis innocentis surgerte gens contra gentum et regnum adversus regnum, immo ut regnum in seipsum fieret divisum149.

C’est à ce moment qu’Henri II choisit d’effectuer un pèlerinage à Canterbury et de se soumetter à une nouvelle pénitence, cette fois-ci privée150. Le 12 juillet 1174, Henri II se rendit à Christ Church. Il finit le trajet pieds nus et en chemise – la tenue pénitentielle traditionnelle – se confessa sur le lieu du martyre et demanda pardon au saint, puis se laissa fouetter par les prélats présents ce jour-là et par tous les moines de la communauté, et passa la nuit en vigiles et en prières dans la crypte de la cathédrale151. Ce pèlerinage inclut tous les aspects de

CS, I, ii, 958-959. « comme s’il se fut agit de venger le sang innocent qui avait été répandu, les nations se dressèrent les unes contre les autres, et les royaumes contre les royaumes ; ou plutôt le royaume fut divisé contre lui-même », lectio ix, SB, I, cclviii. 150 Ce pèlerinage ne faisait pas partie de l’accord d’Avranches ; le roi en prit la décision lui-même, pour essayer de se concilier l’appui du saint dans sa lutte pour rétablir la paix dans son royaume (Edward Grim, Materials, ii, 447). 151 Plusieurs biographes rapportent cet événement, avec plus ou moins de détails : Guillaume, Materials, i, 488-489 ; Edward Grim, Materials, ii, 445-448 et Herbert of Bosham, Materials, iii, 544-546. L’événement est également rapporté par Gervais, OH, 248-249. W. Urry rassemble ces récits en une version détaillée et particulièrement dramatique (1999, 159-162). Il est possible que les verrières de la vie du saint créées pour la Trinity Chapel représentaient cet événement d’importance, qui signalait la victoire de leur saint sur ses ennemis. Aucune 148 149



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la cérémonie de réconciliation qu’Henri II avait réussi à éviter en 1172 (tenue, confession, discipline), et reflète probablement le chemin spirituel parcouru par le souverain depuis décembre 1170. La multiplication des miracles sur la tombe de son ancien chancellier, ainsi que la reconnaissance officielle de la canonisation, avait peut-être contribué à accroître les remords du roi – ou avaient peut-être rendu leur expression publique plus aisée et moins humiliante. Toujours est-il que le saint sut se montrer reconnaissant de cette expression de contrition : le jour même où le roi vint se purifier par le jeûne, la prière et la flagellation sur sa tombe, le roi d’Écosse et le comte de Flandres, qui avaient envahi le royaume, furent défaits. L’évolution de l’attitude du roi au cours des trois ans et demi qui séparent la mort de l’archevêque du pèlerinage de juillet 1174 est frappante. D’un déni farouche de toute implication et d’une tentative de rejeter la faute sur la victime, le roi passa à un effort pour laver son honneur de façon publique et rituelle, à travers la cérémonie célébrée à Avranches et répétée à Caen en mai 1172, et à travers des concessions importantes à la papauté, mais toutefois sans aucune expression personelle de regret ou de remords. La dernière étape de la réhabilitaion d’Henri II est peut-être la plus spectaculaire, parce qu’elle semble engager le souverain non seulement physiquement mais également spirituellement, et passe par une réconciliation personnelle avec son ami Thomas Becket. Des considérations de Realpolitik furent incontestablement présentes à l’esprit des négociateurs du Concordat d’Avranches, mais il paraît toutefois difficile de nier la dimension purement dévotionnelle de l’attitude d’Henri II face à saint Thomas. D’autres sources que celles en provenance de Christ Church révèlent cependant une situation beaucoup plus nuancée. À cause de la responsabilité implicite du roi dans le meurtre de l’archevêque – une responsabilité qu’Henri II avait reconnue et acceptée –, l’Église se trouvait dans une position où elle pouvait imposer ses conditions. Cette situation permit à la papauté d’obtenir des concessions qui avaient été refusées à Becket. L’indignation soulevée par l’assassinat du prélat avait été grande – et le crime avait en effet de quoi choquer – mais la pénitence imposée au roi avait été convenablement proportionnelle dans sa sévérité des verrières consacrées à saint Thomas encore visibles aujourd’hui ne représentent cet épisode. Elles s’achèvent en général par la montée de l’âme du saint au ciel (Angers, Coutances, Sens) ou par des récits de miracles (Chartres), probablement liés à la présence d’une relique.



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et surtout dans sa visibilité. Les concessions consenties par les deux partis, si elles paraissent importantes au premier abord, ne sont en fait qu’une reconnaissance de la redéfinition et du rééquilibrage des pouvoirs qui avaient lieu en Europe au XIIe siècle. Ainsi, la reconnaissance du droit d’appel entérinait l’implicaiton croissante de la papauté dans les affaires anglaises152. Mais inversement, le droit du roi à autoriser les ecclésiastiques à quitter le pays ou non fut respecté dans l’ensemble, comme le montrent les divers épisodes de la querelle entre la communauté et l’archevêque Baudouin153. Les relations entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel apparaissent donc en réalité d’une complexité plus grande que ne le laissait supposer les vitraux de Christ Church ou les récits du Concordat d’Avranches issus du parti de l’Église. L’image qui émerge est celle d’un équilibre dépendant de conditions souvent étrangères à la situation en Angleterre, comme par exemple les relations du pape avec les autres souverains chrétiens. L’image de Thomas Becket comme champion de la cause de l’Église proposée par ses partisans doit être tempérée par les concessions nécessaires que la papauté se vit obligée de consentir afin de conserver le soutien du souverain anglais, dont elle ne pouvait se passer à ce moment crucial de son histoire. Elle relève essentiellement d’une construction a posteriori, fondée sur nombre de topoi hagiographiques et ayant pour fonction de répondre de façon immédiate et irréfutable aux doutes exprimés quant à la sainteté de l’archevêque. Quand, en 1207, un nouvel affrontement entre la papauté et le roi d’Angleterre prit place, la situation avait radicalement changé : le pape pouvait désormais prétendre imposer l’archevêque de son choix plutôt qu’un des candidats proposés par le roi ou la communauté. Mais surtout Jean Ier ne put tenir tête longtemps à Innocent III : en 1213, quand il accepta enfin l’élection d’Étienne Langton au siège de Canterbury, les points qu’il dut concéder au pape redéfinissaient non seulement les relations entre l’Angleterre et Rome, mais surtout la notion même de suzeraineté du roi sur l’Angleterre, qu’il reconnut tenir en fief de la papauté154. Le texte de la Magna Carta de 1215, à la rédaction duquel Étienne Langton contribua, entérina définitivement la liberté absolue de l’Église anglaise par rapport au souverain155. Ce sont ces nouvelles relations, appaisées, entre Église et royauté qui C. Duggan, 1969, 69 et 92. R. Foreville, 1942,535-546. 154 EHD, iii, 308. 155 Article 1, EHD, iii, 317. 152 153



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furent illustrées dans les programmes iconographiques de la cathédrale réalisés après le retour d’exil de la communauté, tels l’Arbre de Jessé ou plus encore les fresques des voûtes de la Trinity Chapel. Les représentations iconographiques et la liturgie créées à Christ Church dans le dernier quart du XIIe siècle proposent donc une image particulière des relations entre Église et souverain. Pour les concepteurs des vitraux et les créateurs des offices, l’affirmation du pouvoir du roi allait à l’encontre de l’ordre naturel, du moins tel qu’il avait été défini par l’Église et par la réforme grégorienne. Il s’agissait de réaffirmer la subordination du pouvoir temporel au pouvoir spirituel, qui le guide et seul lui donne sa légitimité – comme Nathan conférant le sceptre symbole de royauté à Salomon. Il était du devoir des ecclésiastiques de guider les princes et de les corriger, à leurs risques et périls ; dans l’histoire de Christ Church, Dunstan ou encore Anselme incarnaient cet idéal du prélat éclairé s’efforçant de guider le roi dans le droit chemin, mais qui se heurta à l’entêtement du roi et dut subir les conséquences – en particulier l’exil – provoquées par son action. Thomas Becket, par sa mort, devint le symbole de cette lutte pour l’indépendance de l’Église. La condamnation qui est faite du pouvoir royal et de son arbitraire est cependant atténuée par le fait que les moines passèrent par le biais de la typologie biblique pour exprimer leur point de vue. Mise à distance – temporellement et intellectuellement – la critique en paraît quelque peu émoussée :  dans l’art public de Canterbury, ni les images ni les inscriptions ne pouvaient prendre le risque d’exprimer ouvertement une allégorie politique ; les allusions à des événements contemporains, si elles étaient présentes, devaient être soigneusement dissimulées dans l’exégèse biblique 156.

Les événements du règne de Jean confirmèrent les moines de la communauté dans leur condamnation de la royauté. Le programme iconographique des enluminures du Petit Psautier de Canterbury (Paris, Bibliothèque Nationale, MS lat. 770), réalisé vers 1200 et qui reprend et développe certains des thèmes utilisés dans les verrières typologiques et généalogiques, reflète les tensions qui existent entre

156 « in the public art of Canterbury, neither pictures nor verses could risk overt political allegory ; topical allusions in the typological windows, if they were present, had to be well disguised in scriptural exegesis », M.H. Caviness, 1979, 51.



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regnum et sacerdotium ; le caractère privé du Psautier leur permit de donner une expression beaucoup directe à leurs sentiments157. Le fait le plus remarquable est cependant que la communauté se retrouva associée à l’exécution de la pénitence du roi, alors qu’elle avait été complètement laissée en dehors de la querelle, qui concernait en tout premier lieu le statut de l’Église séculière en Angleterre. L’implication de l’archevêque dans ce combat se faisait a priori au détriment des frères, qui se retrouvaient non seulement privés de leur abbé, mais qui eurent de plus à souffrir des exactions commises par les partisans du roi à Canterbury. Les menaces proférées à l’encontre de ceux qui favoriseraient le développement du culte du martyr ne les incitèrent initialement pas à changer d’opinion. La multiplication des miracles semble même les prendre au dépourvu, et ce n’est probablement que grâce à l’intervention d’amis bien placés de Becket (comme Jean de Salisbury) que le processus de canonisation put avancer si rapidement et le culte se développer. Cependant, les moines reprirent à leur compte la cause défendue par Becket, et ils la présentèrent comme un des thèmes principaux du programme des vitraux. Il me semble que cette situation peut être considérée comme symptomatique de l’effort fait par les moines de Christ Church pour « récupérer » la figure de Thomas Becket à leur profit dans les années qui suivirent le martyre. Les représentations furent donc ici clairement utilisées – on pourrait même dire manipulées – par les moines à des fins de mise en scène d’une certaine vision de la société et d’une certaine conception du rôle des moines et de l’institution monastique dans le monde. Il ne s’agit en aucun cas d’un système pratique de gouvernement : le seul conseil qui semble être donné au souverain est de suivre en toutes choses les conseils du clergé, tout écart de cette ligne de conduite ne pouvant conduire le souverain qu’à la catastrophe. Les représentations donnent une vision très partielle et partiale des relations entre l’Église telle qu’elle émerge de la réforme et le pouvoir royal, une vision qui ne correspond que de façon très inadéquate à la réalité de la fin du XIIe siècle. La représentation de la séparation des pouvoirs qui est proposée est très dichotomique, très polarisée, et loin de la dépendance mutuelle du roi et de l’Église qui est révélée, entre autres, par l’accord d’Avranches.

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M.H. Caviness, 1979, 42-51.

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Conclusions

Le 7 juillet 1220, les reliques de saint Thomas Becket furent solennellement transférées de la tombe provisoire dans la crypte, où elles reposaient depuis décembre 1170, dans le tombeau somptueux de la Trinity Chapel. En présence du roi d’Angleterre, du roi de France, de nombreux archevêques, évêques et abbés, ainsi que d’une foule importante de laïcs, l’archevêque de Canterbury, Étienne Langton, rendit hommage au saint qui, en l’espace de cinquante ans, était devenu un symbole puissant des transformations qui avaient affecté l’Église au cours du XIIe siècle. Le programme iconographique de la cathédrale enfin achevée constituait un décor somptueux pour cette célébration. De fait, il s’agissait pour les moines d’une expression de leur victoire sur tous les obstacles qui avaient été mis sur leur route au cours de ce demi-siècle. Cette date marque donc un tournant important dans l’histoire de la communauté. L’acharnement des moines à mener à bien le projet de reconstruction de leur cathédrale, en dépit des difficultés financières et politiques qui assiègèrent le monastère pendant le demi-siècle qui suivit l’assassinat de Thomas Becket, montre bien l’importance que revêtait cette entreprise aux yeux de la communauté. À de nombreux égards, il s’agit toutefois de la dernière entreprise de taille menée à bien par les moines. Le résultat de l’évolution politique et sociale, qui a été retracée dans ses grandes lignes dans cette étude fut en effet que, à partir du début du XIIIe siècle, les moines virent leur influence diminuer dans la société anglaise. Les créations liées au développement du culte de saint Thomas (programme iconographique, recueils de miracles, inventaire de la correspondance relative à la querelle) représentent le point d’orgue des réalisations de la communauté. Cette dernière ne se remit d’ailleurs jamais complètement des désastres financiers que constituèrent les démêlés avec les archevêques d’une part, et l’exil imposé par le roi Jean Ier de l’autre ; le monastère ne retrouva plus les effectifs de la période qui s’étend de la Conquête normande à l’assassinat de Thomas Becket ; et après le XIIIe siècle, des nouvelles pratiques liturgiques, liées au besoin d’intégrer davantage les fidèles laïcs dans les célébrations de l’Église, firent que la liturgie de type monastique, dont celle de Christ Church représentait un des hauts points, perdit progressivement de son attrait et de son



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conclusions

éclat. Trop complexe, elle fut d’ailleurs mise au pas dès le milieu du XIIIe siècle, et ne connut pas d’innovations majeures avant le grand mouvement de la réforme. Pour Christ Church, il ne s’agit peut-être pas tant d’un déclin que d’une difficulté à reproduire le rayonnement qui fut le sien pendant quelques décennies à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle. Au terme de cette étude, il convient de revenir sur les questions qui avaient été posées dans l’Introduction, et de les confronter aux éléments mis en évidence dans les chapitres qui précèdent. Il semble impossible de nier que des liens nombreux existaient bel et bien entre la liturgie et l’iconographie des vitraux de la cathédrale de Canterbury, et que ces liens tiennent en grande partie au rôle de modèle que la liturgie a pu jouer dans la création d’un programme iconographique cohérent. En dépit des difficultés inhérentes à l’étude de ces deux sujets, j’espère avoir réussi à montrer comment la liturgie – dans toutes ses dimensions – a pu influencer les concepteurs de vitraux. Malgré mes efforts pour ne pas tomber dans le travers de la recherche de la fonctionnalité des images, il n’a pas été toujours possible d’éviter cet écueil. J’espère cependant être parvenue à montrer que les fonctions des images dans un contexte liturgique pouvaient être multiples, complexes et surtout changeantes. Chaque image pouvait, à tout moment, remplir une multitude de « rôles » différents en relation avec le rituel – ou même en dehors de toute célébration liturgique. Inspirée par la liturgie, l’iconographie en reprend les thèmes principaux, mais elle les présente sous un angle nouveau, elle les actualise, les rend, littéralement, présents pour le spectateur. De même que le texte liturgique peut contribuer à éclairer le sens d’une représentation, celle-ci donne au texte une épaisseur liée à son pouvoir évocateur. La relation n’est en aucun cas univoque, mais bien plutôt tissée d’échos, de rappels, de contrepoints, telle une pièce de chant polyphonique. À la fin du XIIe siècle, les cérémonies liturgiques étaient déjà riches d’une histoire longue et complexe, qui avait contribué à faire d’elles des événements d’une magnificence inégalée, chargés de significations multiples. Issue d’un lent phénomène d’accumulation et d’accidents parfois fortuits, propres à l’histoire particulière de Christ Church, la liturgie était essentiellement inscrite dans l’histoire de la communauté, et en reflétait les choix spécifiques. Le premier lien entre liturgie et iconographie est que l’une a bien souvent servi de réservoir de modèles à l’autre. Parce que les verrières avaient souvent pour sujets des ecclésiastiques ou des situations liturgiques, les concepteurs et les artisans purent se tourner vers les célébrations qui

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conclusions

avaient lieu dans la cathédrale pour trouver leur inspiration. Inversement, l’utilisation d’objets, de motifs et de situations liturgiques bien connus des moines permit de créer un langage iconographique aisément compréhensible, la fonction liturgique identifiant à coup sûr le personnage central ou le lieu où se déroulait la scène. L’influence de la liturgie, élément central de la vie des moines, et qui informait tous les moments de la journée de la communauté, non seulement dans l’église, mais aussi dans les autres parties du monastère, ne saurait en effet être exagérée. Plus qu’une simple activité, il s’agissait avant tout d’une façon de vivre et de penser. À cet égard, les images peuvent parfois offrir un instantané des pratiques liturgiques au moment de la réalisation des vitraux. Ceci ne constitue cependant pas l’intérêt principal des relations entre liturgie et iconographie, car les vitraux ne se contentent pas de remplir un rôle de miroir des cérémonies liturgiques. Il me semble en effet que, davantage qu’une relation spéculaire, les images et les célébrations entretiennent un rapport d’identité les unes par rapport aux autres. La liturgie, sous toutes ses formes, occupait une place tellement centrale dans la vie des moines qu’il était probablement inévitable que toutes les productions de la communauté – et nous avons vu qu’il était possible que les moines furent impliqués de très près dans la réalisation des vitraux du chœur et de la Trinity Chapel – reflètent des modes de pensée et d’expression typiquement liturgiques. On peut ici penser par exemple à la structure du programme iconographique qui, à travers son inscription dans l’espace de la cathédrale, faisait écho au déroulement temporel des célébrations au cours de l’année liturgique. L’importance relative des cycles hagiographiques et typologique trouve son équivalent dans les coutumiers et les calendriers de la cathédrale et leur système de hiérarchisation de la solennité des célébrations. L’association étroite entre narration et typologie constituait par ailleurs une des caractéristiques principales de la liturgie. Ainsi, iconographie et liturgie étaient liées, dans la mesure où la vie des moines était dans son entier subordonnée à la célébration de l’office et de la messe. Cette relation d’identité avait par ailleurs des implications spirituelles de la toute première importance. Non seulement la présence des images dans le sanctuaire avait pour fonction de l’orner et de le rendre propre à la célébration efficace de la liturgie, mais la dimension religieuse des représentations en faisait des témoins indispensables des cérémonies qui se déroulaient dans l’église. L’image participait en effet de la sainteté des personnages représentés. Guidant les

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conclusions

pèlerins d’un autel à l’autre, soulignant les articulations de l’espace à l’intérieur de la cathédrale, contribuant à définir, par leur seule présence, l’espace rituel, les images faisaient partie intégrante des célébrations liturgiques. Elles contribuaient à faire de l’église un espace à part, propre à la célébration de l’eucharistie, un espace « horsespace », car à mi-chemin entre le terrestre et le céleste, l’humain et le divin. Les échos et répétitions visuels mis en place à travers l’utilisation des vêtements et des objets liturgiques dans les deux parties du cycle iconographique – typologique et hagiographique – tissaient des liens entre les différentes époques de l’histoire sainte et créaient une continuité naturelle de la Création du monde au Jugement Dernier qui mettra fin à l’histoire. Parce qu’ils commémoraient et re-présentaient l’ensemble de l’histoire de l’humanité, de ses débuts à ses fins dernières, les vitraux participaient également à la création d’un espace « hors-temps », où se côtoyaient, comme dans la liturgie, époques et personnages variés. L’association étroite entre représentations et reliques dans l’espace du sanctuaire actualisait la memoria du monastère, tout en rendant tangible la présence des saints, dont le pouvoir intercesseur pouvait ainsi être sollicité. L’espace de la cathédrale, grâce à la liturgie et à l’iconographie, qui toutes les deux employaient les mêmes méthodes de comparaison et de juxtaposition pour rendre à nouveau présents les épisodes de la Bible et des Évangiles, devenait l’espace typologique par excellence, où prenaient corps toutes les vérités de la foi. Rendant visible l’action de Dieu dans l’histoire des hommes, la liturgie et l’iconographie apparaissent essentiellement comme des modes d’expression auto-référentiels : les images se font écho les unes aux autres, et renvoient en dernière analyse aux textes – liturgiques ou autres – auxquels elles sont presque toujours subordonnées. Les textes liturgiques, par le biais de l’exégèse et de la tradition, ne renvoient jamais qu’à d’autres textes. La liturgie et l’iconographie apparaissent donc comme des modes d’expression accessibles presque exclusivement aux membres de la communauté familiers avec les textes à l’origine des représentations. De même que les verrières sont inintelligibles à qui les regarde depuis l’extérieur de la cathédrale, et de même que la liturgie n’est accessible qu’à celui qui a accès au chœur des moines, le programme iconographique semble donc avant tout tourné vers l’intérieur, vers la communauté. Même si certaines verrières peuvent « parler » aux pèlerins, aux visiteurs de la cathédrale, le groupe visé par les images semble avoir été principalement les moines de Christ Church.

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conclusions

Cela ne signifie toutefois pas pour autant que les moines ne cherchèrent pas à utiliser ces deux modes d’expression comme des tribunes pour rendre publique leur attitude à l’égard de certains événements contemporains. Dans une société où l’utilisation de l’écrit était encore rare, et limitée à des catégories sociales et à des situations bien précises, les images et toutes les représentations visuelles étaient nécessairement appelées à remplir un rôle central dans la formulation et dans l’établissement de l’identité des différents acteurs de la société. Les vitraux étaient en effet destinés à être vus par un grand nombre de personnes, surtout à Christ Church, où ils jalonnaient le chemin suivi par les pèlerins qui venaient se recueillir sur la tombe de saint Thomas Becket, et ils permettaient une grande richesse et une grande complexité d’expression à travers les rapports typologiques qu’ils établissaient entre Ancien et Nouveau Testament. À la charnière du monde du monastère et du monde des laïcs, visibles par le plus grand nombre – à la fois les moines dans le chœur et les pèlerins en route pour la crypte – ils se prêtaient admirablement à ce rôle d’expression de l’identité du monastère. L’histoire de la communauté et sa place dans la société anglaise constituaient ainsi une source majeure d’inspiration. À travers les saints choisis pour être représentés, en particulier, les moines purent célébrer leur héritage – et ne se privèrent pas d’en reconstruire ou d’en réécrire au passage certains épisodes obscurs. L’intérêt pour le passé de la cathédrale est ainsi manifeste à travers l’utilisation de textes anglo-saxons, et la fierté dérivée des rôles traditionnellement dévolus à l’institution monastique dans la société anglaise ne semble pas entamée par les attaques qui étaient de plus en plus souvent dirigées contre le monachisme bénédictin au XIIe siècle. Bien au contraire – et probablement sous l’effet de critiques multiples – les moines choisirent d’exalter à la fois dans la liturgie et dans les représentations iconographiques, les grandes figures du monachisme et les héros de l’histoire de Christ Church. Le conflit entre Thomas Becket et Henri II, qui demeurait au début du XIIIe siècle d’une grande actualité, trouva naturellement une place de choix dans les représentations de la nouvelle cathédrale. Ces dernières présentent d’ailleurs pour la communauté l’occasion de réaffirmer la supériorité de l’Église – en particulier de l’institution monastique – sur le pouvoir temporel. Les figures royales sont fermement replacées sous la tutelle des ecclésiastiques, et le martyr, identifié dans les images comme dans les textes liturgiques au Christ, est présenté comme le champion de la cause de l’Église face aux empiètements des laïcs. Replacées dans le contexte de l’histoire de Christ

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conclusions

Church, liturgie et iconographie se présentent donc comme un instantané des préoccupations de la communauté entre 1175 et 1220 environ. Par le biais d’un usage sophistiqué de la typologie et d’une attention méticuleuse portée aux moindres détails du programme iconographique, les moines donnèrent à voir une image cohérente de leur vision du monde. Unique par sa taille, son ambition, et la richesse intellectuelle et théologique de sa réflexion, le programme des vitraux de Christ Church témoigne de l’épaisseur de sens présentée par les images. Liturgie et iconographie participaient donc en commun à la création d’une identité corporatiste pour la communauté de Christ Church, et un des intérêts principaux du programme iconographique de la cathédrale tient essentiellement au fait qu’il fut créé ad hoc par un groupe homogène, partageant les mêmes aspirations et les mêmes valeurs. Créés par les mêmes hommes, traitant des mêmes thèmes, et situées à la charnière de l’espace privé du monastère et de la scène publique de l’église la plus importante du pays, elles constituaient l’interface entre les moines et le reste du monde. On peut voir dans ces deux modes d’expression l’interaction de l’universel et du local – au niveau tant du contenu des représentations que des formes qu’elles prennent – avec, dominant le tout, la ferme volonté d’affirmer et de célébrer les particularités de Christ Church. Ainsi, la combinaison de la liturgie et de l’iconographie offrit aux membres de la communauté une tribune exceptionnelle pour afficher des vues politiques et pour commenter les événements qui les touchaient de près.



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Glossaire

• Antienne : verset que l’officiant chante, en partie ou en entier, avant un psaume ou un cantique et que l’on répète ensuite tout entier.  • Aube : vêtement liturgique blanc et long, porté sur la soutane ou l’habit, et habituellement attaché par une ceinture à la taille, porté par le célébrant pour la messe (souvent sous d’autres habits liturgiques). Dans les monastères, les moines présents dans le chœur portaient des aubes pour la messe et l’office lors des fêtes les plus importantes du calendrier (in albis).  • Bas-côté : unité spatiale située en général de part et d’autre de la nef centrale d’une église à plusieurs nefs, séparées par de grandes arcades.  • Chape : manteau de cérémonie porté par l’officiant pendant la célébration de l’office. Dans les monastères, lors des fêtes les plus solennelles, tous ceux présents dans le chœur revêtaient des chapes (in cappis).  • Chasuble : vêtement liturique porté par le célébrant par-dessus tous les autres pendant la messe; de forme elliptique ou rectangulaire, avec une ouverture au milieu pour laisser passer la tête, la chasuble est souvent richement décorée.  • Chœur : partie située au-delà de la croisée du transept, où officie le prêtre. Cette partie de l’église est réservée au clergé.  • Clair-étage : partie du mur de la nef centrale s’élevant au-dessus des collatéraux dans une basilique et percée de fenêtres. • Commun : pour les célébrations festives des saints qui n’ont pas un formulaire propre et complet, à la messe et à l’office, on utilise, en tout ou en partie, les textes prévus dans les divers « communs » : de la Vierge Marie, des apôtres, des martyrs, des pasteurs, des docteurs de l’Eglise, des vierges, des saints et saintes en général. • Complies : dernière heure de l’office divin, qui accomplit la journée. Elle est empreinte d’une grande paix et s’achève par un chant à la Vierge, habituellement suivi d’une aspersion.  • Dalmatique : vêtement liturgique porté par le diacre pour la célébration de la messe; de forme rectangulaire, en général avec des manches et des passementeries, la dalmatique est souvent décorée de façon semblable à la chasuble. 



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glossaire

• Déambulatoire : bas-côté qui entoure le chœur et permet aux pèlerins de marcher vers l’orient et de revenir sans traverser le saint des saints ou la nef.  • Diacre : dans l’Église primitive, titre donné aux fidèles chargés de la distribution des aumônes. Plus tard, clerc qui a reçu le diaconat mais n’a pas encore été admis à la prêtrise, et qui assiste le célébrant dans une messe solennelle, notamment pour la lecture de l’Evangile. • Doxologie : du grec « doxa », gloire. Il s’agit d’un verset récité à la fin des Psaumes, et commençant par les mots « Gloria patri ». • Étole : bande d’étoffe insigne du pouvoir d’ordre que l’évêque, le prêtre et le diacre portent au cou dans l’exercice de certaines fonctions liturgiques.  • Grisaille : vitrail clair de peinture monochrome en camaïeu, souvent orné de motifs décoratifs de feuillage. • Heures: la liturgie des heures ou office divin vise à sanctifier le jour et la nuit. Les Psaumes constituent toute la substance de la liturgie des heures. Les heures principales sont celles du matin (laudes) et du soir (vêpres) ; un office est prévu pour le milieu du jour (prime), accompagné des trois petites heures traditionnelles de tierce, sexte, et none. Complies achève la journée. Dans l’office monastique, la première heure se situe vers la fin de la nuit (matines ou vigiles) La structure habituelle d’une heure liturgique est la suivante : après le verset d’introduction vient l’hymne qui donne la tonalité de l’heure ; puis la psalmodie, encadrée par l’antienne et constituant la substance de l’office ; la lecture de la parole de Dieu, prolongée dans l’office des lectures (matines), brève aux autres offices ; enfin la prière finale : l’oraison du jour, précédée par l’intercession et le Pater à laudes et à vêpres.  • Laudes: du latin laudes, louanges. L’office de laudes est celui du matin : il doit ce nom à la tonalité laudative qui le caractérise.  • Leçon : du latin lectio, lecture. Une leçon est une lecture faite au cours d’un office liturgique : longue leçon de l’office des lectures, ou leçon brève des autres heures.  • Matines: les vigiliae matutinae ou vigiles matinales sont devenues les matines. Originairement le mot latin matutini ou matutinae ou encore matutina désigne l’office des Laudes que l’on célébrait au lever du soleil. Les vigiles matinales étaient chantées plus tôt, au petit matin ; elles devinrent les matines quand le nom de Laudes s’imposa pour l’office du matin. 



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glossaire

• Nocturne: de l’adjectif latin nocturnus, qualifiant ce qui a lieu au cours de la nuit. Dans le langage liturgique, un nocturne est une partie de l’office de nuit (voir matines), composée essentiellement d’un certain nombre de psaumes, de lectures et de répons. L’office monastique de nuit comporte habituellement deux nocturnes les jours ordinaires et trois les jours de fête ou de solennité.  • None: du latin nona (hora), la “neuvième heure”. L’office de none est une « petite heure » que l’on célèbre à la neuvième heure de la journée, aux environs de 15 h. L’heure de none commémore traditionnellement la mort de Jésus sur la Croix.  • Office divin : voire Heures.  • Pallium : ornement sacerdotal qui se porte autour du cou à la manière d’un collier, l’une des extrêmités pendant sur la poitrine, l’autre dans le dos. Le pape, qui porte de droit le pallium, accorde cet insigne aux archevêques, aux patriarches, et parfois à de simples évêques.  • Paraliturgique : terme moderne qui désigne les observances chrétiennes qui ne font pas partie de la liturgie prescrite, mais dont la structure et l’intention sont en rapport avec la liturgie.  • Péricope : passage de l’Écriture sainte choisi comme texte de l’Épître et de l’Évangile du Propre du temps. • Répons : du latin responsum, réponse, et responsorium, chant avec réponse. Le répons est un chant liturgique qui suppose une certaine alternance entre un soliste ou un groupe de solistes et le chœur. Le texte des répons est, pour l’essentiel, emprunté à l’Ecriture, surtout aux Psaumes.  • Sexte : petite heure de l’office qui est récitée après tierce, à la sixième heure (vers 12 heures). • Tierce : petite heure de l’office, qui se récite après prime, à la troisième heure (vers 9 heures). • Transept : nef transversale sans bas-côtés qui dépasse souvent l’alignement des collatéraux et qui donne à la basilique chrétienne la forme symbolique d’une croix.  • Triforium : rang de baies ou de galeries de moindre importance pratiquée dans les murs latéraux au-dessus des bas-côtés.  • Vêpres : l’office de vêpres constitue l’heure solennelle du soir. Il fait pendant à l’office de laudes. Les solennités et tous les dimanches commencent la veille au soir, par la célébration des premières vêpres.



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A Aaron 86, 91, 146, 186, 344 Abia 221, 226 Abingdon abbaye 115 Chronique115 Abraham 81, 86, 201 Adoration des Bergers et des Mages 104, 140, 237, 243, 345 Alain de Tewkesbury, prieur de Christ Church 60, 64, 247 Alexandre II, pape 65 Alexandre III, pape 216, 250, 252, 279280 Alfred le Grand 42 Alphège, archevêque de Canterbury 9, 16-17, 45-46, 48, 52, 54, 57, 78-81, 85, 95-96, 98-100, 103, 114, 135, 146, 153, 164-165, 167-169, 176-178, 193, 210-211, 214, 216, 239-242, 248, 252, 256, 260-261, 341, 343 Anonyme I (“Roger de Pontigny”)159, 261 Anonyme II (“Anonyme de Lambeth”) 246, 254, 256 Anselme, archevêque de Canterbury 12, 17-18, 39, 46, 54, 57, 60-61, 66, 72, 97, 102, 113, 135, 142, 165, 211, 214, 216, 231, 252, 257, 285 Apôtres 41, 53, 56, 86-87, 191 Arbre de Jessé 9, 78, 220-224, 227-229, 232, 285 Arche d’Alliance 82, 173 Augustin, archevêque de Canterbury 28-38, 40-42, 53-54, 58, 76, 87, 99, 107, 125, 175, 184, 210-213, 230, 238 Avranches cathédrale 279 Concordat 238, 278-286



Æ Ælfric, archevêque de Canterbury 45, 214 Ælfric d’Eynsham 68, 88-89, 194, 231, 235 Æthelberht, roi du Kent 29-32, 36, 41, 210 Æthelwold 43-45, 70, 115, 214 B Baudouin, archevêque de Canterbury 60-62, 65, 70-71, 117, 132, 192, 209, 247, 284 Bartholomew, évêque d’Exeter 281 Bec, abbaye 46-47, 51 Bède le Vénérable 28-30, 33-37, 40-41, 58, 94, 115-116, 126, 165, 210, 213 Benoît Biscop 37, 41, 116, 152 Benoît d’Aniane 43, 66 Benoît de Peterborough, prieur de Christ Church 60, 64, 80, 100, 129, 132, 162, 204-205, 246, 249-250, 259, 263, 271-272, 274, 276-277 Bérenger de Tours 78, 199-200 Bernard d’Angers 142, 144 Bertha, reine du Kent 30-31, 36, 38 Bourges, cathédrale 14, 136, 223 C Chartres, cathédrale 6, 13-14, 24, 64, 76, 93, 95, 97, 117, 127, 136, 155, 168, 223, 227-228, 249, 251, 262, 267, 280, 283 Cluny 43-44, 47, 66, 184-185, 203 Cnut 184, 230 Commonwealth 155 Concile d’Evesham (1255) 68 Concile de Clarendon (1164) 254, 256, 260, 280 Concile de Northampton, 1164 241, 260

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Concile de Whitby (664) 37 Concile de Winchester (c. 970) 43 Conciles du Latran 1179 : 129, 171 1215 : 67, 71, 129, 170-171, 199-200, 252 Conquête normande 21, 32, 37, 47-82, 52, 55, 59, 62-65, 70, 102, 176, 238, 287 Conrad, prieur de Christ Church 114, 122, 135, 155, 178 Constantin 145, 233-234, 236, 238, 267 Constitutions de Clarendon 219, 238, 242, 245, 254, 258, 260, 279-280, 282 Constitutions de Lanfranc, voir Lanfranc Corona 9, 81-82, 86, 105-106, 118, 132, 179, 185, 197-199, 220, 222, 227, 233, 246, 265, 341 D Danois 45-46, 80-81, 193, 241, 261, 343 David 222-228, 232-236, 238, 346 Deusdedit, archevêque de Canterbury 37-38 Docteurs de l’Église 189 Dream of the Rood 145 Dunstan, archevêque de Canterbury 9, 11, 116-17, 42-477, 25, 54, 57, 7273, 78-80, 84-85, 88, 95-100, 102, 114, 135, 139, 142,146, 153, 164165, 167-168, 176-178, 210-211, 213214, 216, 231, 237, 239-241, 248, 252, 256, 285, 341, 348 Durham 32, 59, 63, 70 E Eadmer 11, 18, 46-47, 54-55, 60-61, 9697, 102, 139, 142, 151, 175, 211, 240-242, 257 Édouard le Confesseur, roi d’Angleterre 230-231, 261 Édouard VII, roi d’Angleterre 154 Edward Grim 250, 263, 268, 282 Edwy, roi d’Angleterre 44, 96, 240, 242



Étienne, roi d’Angleterre 265 Étienne Langton, archevêque de Canterbury 39, 58-59, 61-62, 70, 139, 219, 222, 253, 266, 270, 278, 284, 287 Exode 173, 185-186 Ézéchias 221-226, 232, 235 F Fleury 43-44 G Gand 43-44 Gentils 81-82, 87, 144, 185-191, 193-195, 198, 344 Gervais 9, 19, 49, 64, 72, 78, 82, 97, 102, 114, 116-118, 122, 135, 1543, 155, 157, 160-161, 165, 157, 176176, 192, 211, 219, 246, 279, 282 Gilbert Foliot, évêque de Londres 254255, 267 Glastonbury 54, 80, 103, 214, 240 Grégoire Ier, pape 16, 28-29, 31-38, 4041, 58, 78, 81, 85-86, 88, 94-95, 98-99, 101-103, 106, 126-127, 136, 165, 175176, 186, 189, 201, 210-213, 216, 235, 239, 258 Grégoire VII, pape 200 Guillaum II, roi d’Angleterre 61 Guillaume de Canterbury 64, 80, 100, 129, 132, 162, 204-205, 246, 259, 271-272, 282 Guillaume de Corbeil, archevêque de Canterbury 58, 70 Guillaume de Malmesbury 113-114, 116, 158, 240 Guillaume de Saint-Calais, évêque de Durham 63 Guillaume de Sens 10, 114, 116-117, 179 Guillaume l’Anglais 116, 157 H Hackington 60, 209 Hébreux 173, 185-187 Henri II, roi d’Angleterre 39, 71, 219, 231-232, 236-238, 252, 254-255, 258,

332



index

260-262, 265, 267, 278, 280-282, 291 attitude envers l’église anglaise 219 réaction au meurtre de Thomas Becket 279 pénitence 234, 277, 279, 281-283 Henri III, roi d’Angleterre 230-231 Henry of Eastry, prieur de Christ Church 19-20, 77, 107, 115, 200 Herbert of Bosham 100, 221, 250, 254, 256, 259, 261, 282 Hérode 107, 233, 265-267 Historia ecclesiastica gentis anglorum 2834, 36-37, 40-41, 58, 213 Honorius Ier, pape 175-176 Honorius Augustodunensis 149, 151, 171 Hubert Walter, archevêque de Canterbury 58, 70, 118, 171 Hyde Abbey 68, 86, 94-96, 227, 252 I Innocent III, pape 231, 238, 284 J Jarrow 41-42, 115-116, 152 Jean, roi d’Angleterre 39, 72, 219, 222, 226, 230-232, 236, 238, 243, 266, 284-285, 287 Jean de Canterbury, évêque de Poitiers 249, 251 Jean de Salisbury 60, 247, 249, 251252, 258, 286 Policraticus 226-227, 235 Vita de saint Thomas 100, 215, 251, 255, 264, 269 Jérusalem 180, 268 Jeux liturgiques 44, 91, 137-141, 143, 146 Joseph 5, 185, 225, 265 Josias 221-228, 232, 235, 347 Juifs 72, 87, 95, 184-193, 185-196, 198, 202, 218 Julien, empereur 88, 233-237, 374 L Lanfranc, archevêque de Canterbury



5-6, 18, 32-35, 39, 46-49, 59, 63, 65,70, 72-73, 77-78, 102, 113, 115, 119, 124, 139, 158, 165, 199-201, 214, 216, 242 Constitutions 5, 17, 34, 39, 42, 46-49, 63, 66, 87-90, 137, 139, 143, 150, 158, 173, 200, 210 Lincoln, cathédrale 116, 139, 156, 278 Lot et sa famille fuient Sodome 185 Louis VII, roi de France 267, 280 M Majesté 140, 143, 228 Mandatum 83, 89-90 Maurice, empereur 233-237, 347 Melchisédech 81, 197-198, 201 Miracle de Cana 84, 232 Miracles de saint Thomas, bénéficiaires : Adam le forestier 204, 272 Ethelreda 209, 272, 348 Frère Elias 80 Geoffrey de Winchester 204-205 Hugh de Jervaux 272 Jordan FitzEisulf89, 130-131, 204205, 275 Julian de Rochester 275 Matilda de Cologne 80, 204, 209, 343 Petronella 80, 209 premiers miracles 71, 249 Richard Sunieve 131, 204, 272, 275 William de Londres 272, 275 Moïse 9, 86, 185-186, 189-190, 198 Nathan 225, 285 Nathanaël 191

N

O Oda, archevêque de Canterbury 153 Odon, prieur de Christ Church 65 Orderic Vital 203, 209 ordination 83-86, 88-89, 91, 99, 136, 212, 215-216, 241, 285 Osbern 45, 96, 153, 214, 240-242 Oswald 43-45, 70, 214

333



index

P Pallium 32, 37-38, 79-80, 176, 238 Passion 14, 84, 91, 105-106, 125, 128, 136-137, 146, 179, 206, 229, 250, 268269, 273, 275, 277 Paraboles 104, 129, 187 Bon Samaritain 189, 195, 236 Débiteur impitoyable 86 Festin nuptial 194-195, 206, 233 Filet 195, 206 Invités qui se dérobent 194 Ivraie 195 Levain 195, 207-208 Semeur 88, 127, 188, 191, 195, 206, 234-236 Paulinus, archevêque de York et évêque de Rochester 32 Pêche miraculeuse 188, 191 Pharisiens 87, 185, 187-188, 191, 193, 195-196, 346 Pictor in Carmine 14, 126-128, 133, 136 Pierre le Vénérable, abbé de Cluny 184185 Pontigny, abbaye 216, 221, 253, 257 Présentation du Christ au Temple 5-6, 55, 81-82, 141, 197-198, 200, 342 Présentation de Samuel 81-82, 197-198, 200 Primatie 31-34, 119 Processions 5, 83, 89, 91, 112, 126, 160, 166, 170-174, 178, 180 Psautier 11, 13, 37, 65, 76, 127, 238 Arundel 37, 50, 541 Bosworth 51, 62 d’Eadwine 11, 51, 62, 64-65, 231, 252 d’Utrecht 62 de Canterbury (Petit Psautier) 229, 236, 243, 266, 285-286 Harley 11, 62 Purification de la Vierge, fête liturgique 5-6, 55, 89 Q Quatre-Saints-Couronnés, église 31, 38, 176 R Rameaux 89, 173, 268



Règle de saint Benoît 11, 13, 39, 41-44, 47, 49, 58, 86-88, 90, 134, 138-139, 150, 158-159, 165, 276 Regularis Concordia 39, 42-46, 48-49, 56, 58, 66, 69, 84, 89, 134, 138-139, 150, 158-159, 165, 276 Richard Ier, roi d’Angleterre 118, 132, 228 Richard II, roi d’Angleterre 230 Richard Poore, évêque de Salisbury 139 Robert Grosseteste, évêque de Lincoln 139, 278 Roboam 226 Rochester 29, 31-32, 49, 70 Roger de Pont l’Evêque, archevêque d’York 116, 119, 156, 280 Rome 32, 35-38, 41-42, 55, 64, 72, 149, 152, 175-176, 195, 202, 213, 234, 238, 2543, 279, 284 S saint Alban 54 Saint-André, monastère 40 saint Augustin d’Hippone 107, 194, 207, 232, 258 Saint Augustine’s, Canterbury (abbaye) 53-54, 65, 135, 175, 212213, 237 saint Benoît 99, 165, 263, 276 saint Cuthbert 54 Saint-Denis, basilique 116-117, 120-121, 124, 160, 172, 180-181, 223-224, 227 saint Edmund le Martyr 230 saint Étienne 16, 87, 95, 101-103, 106107, 165, 239, 241, 260-261 saint Grégoire. Voir Grégoire Ier saint Jean l’Évangéliste 16, 78, 88, 95, 101-103, 106, 135, 165, 210, 216, 239 saint Laurent 78, 81, 101, 107 saint Martin 16, 30-31, 38, 78, 85, 88, 95, 97, 101, 103, 106, 135, 165, 210, 216, 239 Saint-Pancrace, église 31, 38, 176 saint Paul 86, 102, 165, 175, 188, 191, 198, 207, 212, 221, 237-238, 264 saint Pierre 23, 38, 53, 56, 86-87, 102,

334



index

165, 175, 188-189, 191, 208, 237-239 Saint-Pierre, Gand, abbaye 44 Saint-Pierre-et-Saint-Paul, abbaye 28, 30, 38, 41, 212, 237 saint Thomas. Voir Thomas Becket saint Sylvestre 234, 267 Sainte Catherine 135, 168 Sainte-Chapelle 125 sainte Foy 142 sainte Marie Madeleine 56, 90, 102, 135 sainte Mildred 54, 135 Salisbury 19, 139, 171 Salomon 224-228, 233-234, 236, 238, 285 Samaritaine 189-190 Sarum (usage de) 19, 95, 227, 250 Sens, cathédrale 79, 95, 248-249, 262263, 268, 283 Sigena, abbaye 224 Siméon 5, 342 Six Âges du Monde 232 Stigand, archevêque de Canterbury 46, 58 Suger, abbé de Saint-Denis 117, 120124, 147, 160, 172, 178, 180-181, 223 Sylvestre Ier, pape, voir saint Sylvestre Synagogue 9, 88, 189-190, 192

élection au siège de Canterbury 59 exil 61, 254, 257, 262, 280 fonctions liturgiques 79-81, 211, 262263, 267 liturgie 7, 17, 51-52, 60, 67, 100, 102103, 160, 163, 165, 168, 173, 180, 219, 246, 248, 252, 255-262, 265, 268, 275-277 meurtre 6, 71-72, 159, 179, 210, 241, 258, 278, 280 ordination 78, 225, 267 Translation des reliques de saint Thomas 6-7, 52, 122-125, 142, 162, 229, 275, 287 Traversée de la Mer Rouge 187 Trinity Chapel 7-9, 60, 79-80, 89, 91, 95, 98, 100, 113, 118, 122, 142-125, 129, 131-132, 142, 151, 155-157, 160-167, 172, 174, 179-180, 183, 194, 204-205, 209, 222, 229-232, 246-247, 270-272, 275, 282, 287, 289, 341 Trois états vertueux 203, 207-208

T

W

Théodore de Tarse, archevêque de Canterbury 31, 34, 37 Théophile 11, 120, 124, 128 Thibaud du Bec, archevêque de Canterbury 60, 119, 121, 177, 215 Thomas Becket 9, 16-17, 39, 57-58, 60, 64, 70, 95, 98-99, 117, 119, 127, 130, 132, 142, 145-146, 154, 156, 162, 164-167, 178, 192, 203-206, 209, 214-216, 2119, 221-222, 226-227, 231, 234, 236, 241, 245-246, 249, 251, 253, 264-265, 269-270, 277-280, 283-287, 290, 341, 342 ascétisme 215-216, 256-257 canonisation 249-250, 278 conversion 210, 257, 274 eau miraculeuse 270-274

Wearmouth 41-42, 115-116, 152 Wilfrid, archevêque d’York 34, 37, 152, 155 William FitzStephen 215-146, 241, 249, 251, 256, 259-261, 268, 272 Winchester 46, 95, 195, 214, 224, 227, 256 Y



V Vierge Marie5, 16, 55, 67, 89, 99, 102, 105, 107, 135, 140-141, 143, 156, 165, 169, 197, 200, 220, 227-229, 252, 261, 268 Visitatio sepulchri 44, 47, 139, 276

York, cathédrale 31-32, 58-59, 116-117, 119, 152, 156-157, 185, 237-238, 280-282

335

Table des Matières

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

5

Chapitre 1 – Fondation, Traditions, Transformations . . . . . . . . 1.1. Fondation : aux origines de l’histoire de Christ Church . . La première église du pays . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La question de la primatie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’imitation de Rome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Traditions : la construction d’une identité liturgique . . . . Une fondation monastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Réformes : la « Regularis Concordia » et les « Constitutions » de Lanfranc. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les calendriers, témoins de l’identité liturgique de la communauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3. L’apogée de la communauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’âge des prieurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un moment unique pour l’histoire de la liturgie . . . . . . . . . . . . . La fin d’une époque ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



27 28 29 31 35 39 40



42



49 56 58 66 69

Chapitre 2 – La liturgie et ses images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Représenter la liturgie : identifier et unifier . . . . . . . . . . . . Les vêtements et les objets comme signes de la liturgie . . . . . . . . . Les situations liturgiques comme principe unificateur . . . . . . . . 2.2. Organisation du programme : narrativité et structure . . . . Procédés narratifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Structure du programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



75 76 78 83 93 93 98

Chapitre 3 – Dimensions rituelles des représentations. . . . . . . 3.1. Orner le sanctuaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Des ornements précieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pour la plus grande gloire de Dieu : moines, artisans et bâtisseurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. Guider les âmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Simplicibus diuina suggerant » : des modèles pour les pèlerins . « Literatos ad amorem excitent scripturam » : des supports pour la méditation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. Mise en scène et re-présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les jeux liturgiques : mise en scène du rituel . . . . . . . . . . . . . . . Re-présentations et anamnèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

111 113 114



337

120 125 128 133 137 137 141



table des matières

Chapitre 4 – L’espace du rituel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1. Limites physiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Intempéries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Lumière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. Polarisation et hiérarchisation de l’espace . . . . . . . . . . . . . L’espace du pèlerinage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Polarisation de l’espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. La sacralisation de l’espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un espace défini par le rituel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Espace, mémoire et identité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



149 151 152 155 159 160 164 170 171 174

Chapitre 5 – La mise en ordre(s) de la société . . . . . . . . . . . . . 5.1. Aux marges de la société chrétienne : la représentation de l’Autre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2. Le sacrifice eucharistique et la présence réelle . . . . . . . . . 5.3. La société chrétienne sur le chemin du salut : le modèle monastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les trois états vertueux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le modèle monastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Chapitre 6 – Et nunc reges intellegite : images du pouvoir royal à Christ Church, Canterbury . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.1. Stirps Jesse : les verrières généalogiques . . . . . . . . . . . . . . . . 6.2. Christus sacerdos et rex : le cycle typologique . . . . . . . . . . . . . 6.3. Sathanae satellites irrumpentes templum : les rois et les saints .

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Chapitre 7 – L’Agneau de Canterbury : La construction de l’image de saint Thomas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.1. La liturgie de la Passio et les usages politiques de l’hagiographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2. Aqua sancti Thomae . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.3. Un triomphe tout relatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

247 270 277

Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Table des Matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Planches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .





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Planches



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Figure 1 – Plan du chœur, de la Trinity Chapel et de la Corona avec numérotation des verrières

(© M. Caviness, The Windows of Christ Church Cathedral Canterbury , CVMA GB II, London: Oxford University Press for the British Academy, 1981.)

(© B.C. Doughty) Figure 1 Plan du choeur, de la Trinity Chapel et de la Corona

a - autel de saint Alphège b - maî tre autel c - autel de saint Dunstan d - tombe de saint Thomas après 1220 f - cloison temporaire érigée en 1180

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Figure 2 – Présentation du Christ au Temple (© Crown Copyright.NMR)

Figure 3 – Apparition de saint Thomas (© Crown Copyright.NMR)



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Figure 4 – St Alphège mené à bord d’un navire danois (© Crown Copyright.NMR)

Figure 5 – Guérison de Matilda of Cologne (© Crown Copyright.NMR)



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Figure 6 – Jésus détourne les Gentils du culte des idoles (© Crown Copyright.NMR)

Figure 7 – Consécration d’Aaron et de ses fils (© Crown Copyright.NMR)



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Figure 8 – Adoration des Mages et des Bergers (© Crown Copyright.NMR)

Figure 9 – Les Pharisiens se détournent (© Crown Copyright.NMR)



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Figure 10 – Oculus Nord (© Crown Copyright.NMR)

Figure 11 – Roi David (© Crown Copyright.NMR)



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Figure 12 – Josias (© Crown Copyright.NMR)

Figure 13 – Julien et Maurice (© Crown Copyright.NMR)



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Figure 14 – Dunstan libère Edwy de l’enfer (© Crown Copyright.NMR)

Figure 15 – Guérison d’Ethelreda (© Crown Copyright.NMR)



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